Table des Matières
Chapitre préliminaire
But de l'ouvrage. A quelle classe de lecteurs il s'adresse. Ce qu'on est obligé de croire, ce qu'on peut croire pieusement, et ce qu'on est libre de ne pas admettre. Visions et apparitions. Crédulité aveugle et incrédulité outrée.
Le dogme du purgatoire est trop oublié de la plupart des fidèles
; l'Église souffrante, où ils ont tant de frères à
secourir, où ils doivent prévoir qu'ils passeront bientôt
eux-mêmes, semble leur être étrangère.
Cet oubli, vraiment déplorable, faisait gémir saint François
de Sales. « Hélas ! disait ce pieux docteur de l'Église,
« nous ne nous souvenons pas assez de nos chers trépassés
: leur mémoire semble périr avec le son des cloches. »
La cause principale en est dans l'ignorance et le manque de foi : nous
avons au sujet du purgatoire des notions trop vagues, une foi trop faible.
Il nous faut donc considérer de plus près cette vie d'outre-tombe,
cet état intermédiaire des âmes justes, non dignes
encore d'entrer dans la Jérusalem céleste, afin de nous faire
des notions plus distinctes et de raviver notre foi.
C'est le but de cet ouvrage : on s'y propose, non de prouver l'existence du purgatoire à des esprits sceptiques ; mais de le faire mieux connaître aux pieux fidèles, qui croient d'une foi divine ce dogme révélé de Dieu. C'est à eux proprement que ce livre s'adresse, pour leur donner du purgatoire une idée moins confuse, je dirais volontiers une idée plus actuelle qu'on n'en a communément, en répandant sur cette grande vérité de la foi le plus de jour possible.
A cet effet nous possédons trois sources de lumière bien
distinctes. Premièrement, la doctrine dogmatique de l'Église
; ensuite la doctrine explicative des docteurs de l'Église ; en
troisième lieu, les révélations des Saints et les
apparitions, qui viennent confirmer l'enseignement des docteurs.
1° La doctrine dogmatique de l'Église au sujet du purgatoire,
comprend deux articles que nous indiquerons plus bas au chapitre 3. Ces
deux articles sont de foi, et doivent être crus par tout catholique.
2° La doctrine des docteurs et théologiens, ou, si l'on
veut, leurs sentiments et explications sur plusieurs questions relatives
au purgatoire (Voir aussi plus bas, chap. III et suiv.), ne s'imposent
pas comme des articles de foi ; on peut ne pas les admettre sans cesser
d'être catholique. Toutefois il serait imprudent, téméraire
même de s'en écarter ; et c'est l'esprit de l'Église
de suivre les opinions les plus communément enseignées par
les docteurs.
3° Les révélations des saints, appelées aussi
révélations particulières, n'appartiennent pas au
dépôt de la foi, confié par Jésus-Christ à
son Église ; ce sont des faits historiques basés sur le témoignage
humain. Il est permis de les croire et la piété y trouve
un aliment salutaire. On peut aussi ne pas les croire sans pécher
contre la foi ; mais s'ils sont constatés, on ne les peut rejeter
sans offenser la raison : parce que la saine raison commande à tout
homme de donner son assentiment à la vérité, quand
elle est suffisamment démontrée.
Pour éclaircir davantage cette matière, expliquons d'abord
la nature des révélations dont nous parlons.
Les révélations particulières sont de deux sortes
: les unes consistent dans des visions, les autres dans des apparitions.
On les appelle particulières, parce que, à la diffé-rence
de celles qui se trouvent dans la sainte Écriture, elles ne font
point partie de la doctrine révélée pour tous les
hommes, et que l'Église ne les propose pas à croire comme
des dogmes de foi.
Les visions proprement dites sont des lumières subjectives,
que Dieu répand dans l'intelligence d'une créature pour lui
découvrir ses mystères. Telles sont les visions des prophètes,
celles de saint Paul, celles de sainte Brigitte et de beaucoup d'autres
saints. Les visions ont lieu d'ordinaire dans l'état d'extase :
elles consistent dans certains spectacles mystérieux, qui se présentent
aux yeux de l'âme, et qui ne doivent pas se prendre toujours à
la lettre. Souvent ce sont des figures, des images symboliques, qui représentent
d'une manière proportionnée à notre intelligence des
choses purement spirituelles, dont le langage ordinaire ne saurait donner
une idée.
Les apparitions sont, au moins souvent, des phénomènes
objectifs, qui ont un objet réel, extérieur. Telle fut l'appa-rition
de Moïse et d'Élie sur le Thabor, celle de Samuël évoqué
par la Pythonisse d'Endor, celle de l'ange Raphaël à Tobie,
celle de beaucoup d'autres anges ; enfin telles sont les apparitions des
âmes du purgatoire.
Que les esprits des morts apparaissent quelquefois aux vivants, c'est
un fait qu'on ne saurait nier. L'Évangile ne le suppose-t-il pas
clairement ? Quand Jésus ressuscité apparut la première
fois à ses disciples réunis, ceux-ci crurent voir un esprit.
Le Sauveur, loin de dire que les esprits n'apparaissent pas, leur parle
ainsi : Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi ces pensées
s'élèvent-elles dans vos curs ? Voyez mes mains et mes pieds,
c'est moi-même ; touchez et voyez, car un esprit n'a ni chair ni
os, comme vous voyez que j'ai. Luc. XXIV, 37 suiv.
Les apparitions des âmes qui sont au purgatoire, ont lieu fréquemment.
On les trouve en grand nombre dans les Vies des saints, elles arrivent
même parfois aux fidèles ordinaires. Nous avons recueilli
et nous présentons au lecteur ceux de ces faits qui paraissent les
plus propres à l'instruire ou à l'édifier.
Mais, nous demandera-t-on, tous ces faits sont-ils histo-riquement
certains ? Nous avons choisi les plus avé-rés (1). Si quelque
lecteur en trouve dans le nombre qui lui semblent ne pouvoir soutenir la
rigueur de la critique, il peut ne pas les admettre.
Toutefois, pour ne pas donner dans une sévérité
exces-sive et voisine de l'incrédulité, il est bon de remarquer
que, parlant en général, les apparitions des âmes ont
lieu, et ne sauraient être révoquées en doute, qu'elles
arrivent même fréquemment.
(1) C'est dans les vies des Saints, honorés comme tels
par l'Église, et d'autres illustres serviteurs de Dieu, que nous
avons recueilli la plupart des faits que nous citons. Le lecteur qui voudra
con-trôler ces faits et les estimer à leur juste valeur, pourra
sans peine recourir aux premières sources à l'aide de nos
indications. Si le récit est tiré d'une vie de Saint, nous
indiquons le jour où son nom est marqué dans le martyrologe,
ce qui suffit pour con-sulter les Acta Sanctorum. Si nous mentionnons quelque
per-sonnage vénérable, comme le P. Joseph Anchieta, apôtre
et thaumaturge du Brésil, dont la vie n'est pas insérée
dans les volumes des Bollandistes, il faudra recourir alors à des
biogra-phies et des histoires particulières. Pour les traits que
nous empruntons au P. Rossignoli, Merveilles divines dans les âmes
du purgatoire (trad. Postel, Tournai, Casterman), ou qui, du moins, se
retrouvent en cet ouvrage, nous nous contentons d'in-diquer le numéro
de la Merveille, parce que l'auteur y a marqué une ou plusieurs
sources où lui-même a puisé.
« Ces sortes d'apparitions, dit l'abbé Ribet (1), ne sont
pas rares. Dieu les permet pour le soulagement des âmes, qui viennent
exciter notre compassion, et aussi pour nous faire entendre à nous-mêmes
combien sont terribles les rigueurs de sa justice contre les fautes que
nous réputons légères.
» Saint Grégoire dans ses Dialogues rapporte plusieurs
exemples, dont on peut, il est vrai, contester la pleine authenticité
; mais qui, dans la bouche du saint Docteur, prouvent du moins qu'il croyait
à la possibilité et à l'exis-tence de ces faits. D'autres
auteurs en grand nombre, non moins recommandables que saint Grégoire
par la sainteté et la science, rapportent des faits analogues.
» Au reste, ces sortes de récits surabondent dans l'his-toire
des saints : pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les tables des
Acta Sanctorum. Toujours l'Église souffrante a imploré les
suffrages de l'Église de la terre ; et ce com-merce, empreint de
tristesse, mais aussi plein d'instruction, est pour l'une une source intarissable
de soulagement, et pour l'autre une excitation puissante à la sainteté.
» La vision du purgatoire a été accordée
à plusieurs saintes âmes. Sainte Catherine de Ricci descendait
en esprit au purgatoire toutes les nuits des dimanches ; sainte Lidvine
pénétrait pendant ses ravissements dans ce lieu d'expiation,
et, conduite par son ange gardien, y visitait les âmes dans leurs
tourments. Un ange conduit également la B. Osanne de Mantoue à
travers ces sombres abîmes. La B. Véronique de Binasco, sainte
Françoise de Rome et bien d'autres, reçoivent des visions
tout à fait semblables, avec les mêmes impressions de terreur.
» Plus souvent ce sont les âmes souffrantes elles--mêmes
qui s'adressent aux vivants et réclament leur intercession. Plusieurs
apparurent ainsi à la B. Marguerite-Marie Alacoque, à une
foule d'autres saints person-nages. Les âmes des défunts imploraient
fréquemment la pitié de Denys le Chartreux. On demandait
un jour à ce grand serviteur de Dieu combien de fois ces pauvres
âmes lui apparaissaient ? « Oh ! cent et cent fois »,
répon-dit-il.
» Sainte Catherine de Sienne, pour épargner à son
père les peines du purgatoire, s'était offerte à la
justice divine pour souffrir à sa place durant la vie. Dieu l'exauça,
lui infligea de vives douleurs d'entrailles jusqu'à la mort, et
admit dans la gloire l'âme de son père. En retour, cette âme
bienheureuse apparaissait fréquemment à sa fille, pour la
remercier et lui faire les révélations les plus utiles.
» Les âmes du purgatoire, lorsqu'elles apparaissent aux
vivants, se présentent toujours dans une attitude qui excite la
compassion, tantôt sous les traits qu'elles avaient de leur vivant
ou à leur mort, avec un visage triste, des regards suppliants, en
habits de deuil, avec l'expression d'une douleur extrême ; tantôt
comme une clarté, une nuée, une ombre, une figure fantastique
quelconque, accompagnée d'un signe ou d'une parole qui les fait
recon-naître. D'autres fois, elles accusent leur présence
par des gémissements, des sanglots, des soupirs, une respiration
haletante, des accents plaintifs. Souvent elles apparaissent environnées
de flammes. Quand elles parlent, c'est pour manifester leurs souffrances,
pour déplorer leurs fautes passées, pour demander des suffrages,
ou même pour adresser des reproches à ceux qui devraient les
secourir. »
« Une autre sorte de révélation, ajoute le même
auteur, se fait par des coups invisibles que reçoivent les vivants,
par des frappements à la porte, des bruits de chaînes, des
bruits de voix. Ces faits sont trop multipliées pour qu'on puisse
les révoquer en doute : la seule difficulté est d'éta-blir
leur rapport avec le monde de l'expiation. Mais quand ces manifestations
coïncident avec la mort de personnes
(1) La mystique divine, distinguée des contrefaçons diaboliques
et des analogies humaines. Paris, Poussielgue.
chéries, et qu'elles cessent après qu'on a offert
à Dieu des prières et des réparations, n'est-il pas
raison-nable d'y voir des signes par lesquels ces âmes avertissent
de leur détresse ?
» Aux divers indices que nous venons de signaler, on reconnaîtra
les pauvres âmes du purgatoire. Mais il est un cas où l'apparition
devrait être tenue pour suspecte : c'est lorsqu'un pécheur
scandaleux, surpris inopinément par la mort, vient implorer les
prières des vivants pour être délivré du purgatoire.
Le démon est intéressé à faire croire que l'on
peut vivre dans les plus grands désordres jusqu'à la mort,
et échapper cependant à l'enfer. Toute-fois, même dans
ces rencontres, il n'est pas défendu de penser que l'âme qui
apparaît s'est repentie, et qu'elle est dans les flammes de l'expiation
temporaire, ni, con-séquemment de prier pour elle ; mais il convient
d'ob-server la plus grande réserve sur ces sortes de visions et
sur la créance qu'on leur donne (1). »
Les détails dans lesquels nous venons d'entrer, suffisent pour
justifier aux yeux du lecteur la citation des faits qu'il trouvera dans
le cours de cet ouvrage.
Ajoutons que le chrétien doit se garder d'être trop incrédule
dans les faits surnaturels, qui se rattachent aux dogmes de sa foi. Saint
Paul nous dit que la charité croit tout (2), c'est-à-dire,
comme expliquent les interprètes, tout ce que l'on peut croire prudemment,
et dont la croyance ne saurait être nuisible. S'il est vrai que la
pru-dence réprouve une crédulité aveugle et superstitieuse,
il est vrai aussi qu'on doit éviter un autre excès, celui
que le Sauveur reproche à l'Apôtre saint Thomas : Vous croyez,
lui dit-il, parce que vous avez vu et touché ; il fallait croire
au témoignage de vos frères. En exigeant davantage vous avez
été incrédule : c'est une faute, que doivent éviter
tous mes disciples : Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu. Ne soyez
pas incrédule mais croyant. (Joan. xx, 27.)
Le théologien qui démontre les dogmes de la foi, doit
être sévère dans le choix de ses preuves ; l'historien
aussi doit procéder avec une critique rigoureuse dans la rela-tion
des faits ; mais, l'écrivain ascétique, quand il cite des
exemples et des faits pour éclaircir les vérités et
édi-fier les fidèles, n'est pas tenu à cette stricte
rigueur. Les personnages les plus autorisés dans l'Église,
tels que saint Grégoire, saint Bernard, saint François de
Sales, saint Alphonse de Liguori, Bellarmin, et bien d'autres, aussi distingués
par leurs lumières que par leur piété, n'ont pas connu
en écrivant leurs excellents ouvrages, les exigences rigoureuses
de notre époque, exigences qui ne constituent nullement un progrès.
En effet, si l'esprit de nos pères dans la foi était
plus simple, quelle est la cause qui a fait disparaître parmi nous
cette ancienne simplicité ? N'est-ce pas le rationalisme pro-testant,
qui de nos jours se déteint sur beaucoup de catho-liques ? N'est-ce
pas cet esprit raisonneur et critique sorti de la réforme luthérienne,
propagé par le philosophisme français, qui leur fait envisager
les choses de Dieu d'une manière tout humaine, qui les rend froids
et étrangers à l'esprit de Dieu ? Le vénérable
abbé Louis de Blois, par-lant des Révélations de sainte
Gertrude, dit que « ce livre renferme des trésors. Les hommes
orgueilleux et charnels, ajoute-t-il, qui n'entendent rien à l'esprit
de Dieu, traitent de rêveries les écrits de la vierge sainte
Gertrude, de sainte Mechtilde, sainte Hildegarde et autres ; c'est qu'ils
ignorent avec quelle familiarité Dieu se communique aux âmes
humbles, simples et aimantes ; et comment, dans ces communications intimes,
il se plaît à illuminer ces âmes des pures lumières
de la vérité sans aucune ombre d'erreur (3) ».
(1) Ribet, Mystique divine, t. II, chap. X. (2) I. Cor. XIII, 7.
(3) Ludov. Blos. Epist. ad florentium, § 4.
Ces paroles de Louis de Blois sont graves. Nous n'avons pas voulu encourir
les reproches de ce grand maître de la vie spirituelle ; et tout
en évitant une crédulité blâ-mable, nous avons
recueilli avec une certaine liberté les faits qui nous ont paru
à la fois les plus avérés et les plus instructifs.
Puissent-ils accroître dans ceux qui les liront, la dévotion
envers les défunts ! Puissent-ils imprimer profondément dans
les âmes la sainte et salutaire pensée du purgatoire !
PREMIÈRE PARTIE
LE PURGATOIRE, MYSTÈRE DE JUSTICE
Chapitre 1er
Le purgatoire dans le plan divin.
Le purgatoire occupe une grande place dans notre sainte religion :
il forme une des parties principales de l'oeuvre de Jésus-Christ,
et joue un rôle essentiel dans l'économie du salut des hommes.
Rappelons-nous que la sainte Église de Dieu, consi-dérée
dans sa totalité, se compose de trois parties : l'Église
militante, l'Église triomphante et l'Église souffrante, ou
le purgatoire. Cette triple Église constitue le corps mystique de
Jésus-Christ, et les âmes du purgatoire ne sont pas moins
ses membres que les fidèles sur la terre et les élus dans
le ciel.
L'Église dans l'Évangile est appelée d'ordinaire
le Royaume des cieux ; or, le purgatoire, tout comme le ciel et l'Église
terrestre, est une province de ce vaste Royaume.
Les trois Églises-surs ont entre elles des relations incessantes,
une communication continuelle, qu'on appelle la communion des saints. Ces
relations n'ont d'autre objet que de conduire les âmes à la
gloire, terme final où tendent tous les élus. Les trois Églises
s'entr'aident à peupler le Ciel, qui est la cité permanente,
la Jérusalem glorieuse.
Si nous considérons les rapports que nous autres, membres de
l'Église militante sur la terre, nous avons avec les âmes
du purgatoire, ils consistent à les secourir dans leurs peines.
Dieu nous a mis dans les mains les clefs de leurs prisons mystérieuses
: c'est la prière pour les défunts, c'est la dévotion
pour les âmes du purgatoire.
Chapitre 2
Prière pour les défunts. Crainte et confiance.
La prière pour les défunts, les sacrifices, les suffrages
pour les morts font partie du culte chrétien, et la dévo-tion
envers les âmes du purgatoire est une dévotion que le Saint-Esprit
répand avec la charité dans le coeur des fidèles.
C'est une pensée sainte et salutaire, dit l'Écriture, de
prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs
péchés (1).
(1) II Machab. XII, 46.
Pour être parfaite, la dévotion envers les défunts
doit être animée tout à la fois d'un esprit de crainte
et de confiance. D'un côté la sainteté de Dieu et sa
justice nous inspirent une crainte salutaire ; de l'autre, son infinie
miséricorde, nous donne une confiance sans bornes.
Dieu est la sainteté même bien plus que le soleil n'est
la lumière, et aucune ombre de péché ne peut subsister
devant sa face. Vos yeux sont purs, dit le prophète, et ils ne peuvent
supporter la vue de l'iniquité. (1) Aussi, quand l'iniquité
se produit dans les créatures, la sainteté de Dieu en exige
l'expiation ; et lorsque cette expiation se fait dans toute la rigueur
de la justice, elle est terrible. C'est pourquoi l'Écriture dit
encore : Son nom est saint et terrible (2) : comme si elle disait : sa
justice est terrible parce que sa sainteté est infinie.
La justice de Dieu est terrible et elle punit avec une extrême
rigueur les fautes les plus légères. La raison en est que
ces fautes, légères à nos yeux, ne le sont nulle-ment
devant Dieu. Le moindre péché lui déplaît infini-ment,
et à cause de la Sainteté infinie qui est offensée,
la plus petite transgression prend des proportions énormes, réclame
une énorme expiation. C'est ce qui explique la terrible sévérité
des peines de l'autre vie, et ce qui doit nous pénétrer d'une
sainte frayeur.
La crainte du purgatoire est une crainte salutaire : elle a pour effet
de nous animer non seulement d'une charita-ble compassion pour les âmes
souffrantes ; mais encore d'un zèle vigilant pour nous-mêmes.
Pensez au feu du purgatoire, et vous tâcherez d'éviter les
moindres fautes ; pensez au feu du purgatoire et vous pratiquerez la péni-tence,
pour satisfaire à la divine justice en ce monde plutôt qu'en
l'autre.
Gardons-nous toutefois d'une crainte excessive et ne per-dons pas la
confiance. N'oublions pas la miséricorde de Dieu, qui n'est pas
moins infinie que sa justice. Votre miséricorde, Seigneur, surpasse
la hauteur des cieux, dit le prophète (3) ; et ailleurs : Le Seigneur
est plein de miséricorde et de clémence, il est patient et
prodigue de miséricorde (4). Cette miséricorde ineffable
doit calmer nos trop vives appréhensions, et nous remplir d'une
sainte confiance, selon cette parole : In te Domine speravi, non confundar
in oeternum, j'ai mis en vous ma confiance, ô mon Dieu, jamais je
ne serai confondu (5).
Si nous sommes animés de ce double sentiment, si notre confiance
en la miséricorde de Dieu égale la crainte que nous inspire
sa justice, nous aurons le véritable esprit de la dévotion
envers les défunts.
Or ce double sentiment se puise naturellement dans le dogme du purgatoire
bien compris, dogme qui renferme le double mystère de la justice
et de la miséricorde : de la justice qui punit, de la miséricorde
qui pardonne.
C'est à ce double point de vue que nous allons envisager le
purgatoire et en illustrer la doctrine.
(1) Habac. I, 13 (2) Ps. 110. (3) Ps. 107. (4) Ps. 144. (5)
Ps. 70.
Chapitre 3
Le mot purgatoire. Doctrine catholique. Concile de Trente.
Questions controversées.
Le mot purgatoire se prend tantôt pour un lieu, tantôt pour
un état intermédiaire entre l'enfer et le ciel. C'est proprement
la situation des âmes qui, au moment de la mort, se trouvent en état
de grâce, mais n'ont pas complè-tement expié leurs
fautes, ni atteint le degré de pureté nécessaire pour
jouir de la vision de Dieu.
Le purgatoire est donc un état passager, qui se termine à
la vie bienheureuse. Ce n'est plus une épreuve, où l'on peut
mériter et démériter ; mais un état de satisfaction
et d'expiation. L'âme est arrivée au terme de sa vie mor-telle
: cette vie était un temps d'épreuve, temps de mérite
pour l'âme, et temps de miséricorde de la part de Dieu. Ce
temps une fois expiré, il n'y a plus de la part de Dieu que justice
; et l'âme de son côté ne peut plus ni mériter
ni démériter. Elle est fixée dans l'état où
la mort l'a trouvée ; et comme elle a été trouvée
dans la grâce sanctifiante, elle est sûre de ne plus déchoir
de cet heureux état et de parvenir à la possession immuable
de Dieu. Cependant, comme elle est chargée de certaines dettes de
peines temporelles, elle doit satisfaire la divine justice en subissant
ces peines dans toute leur rigueur.
Telle est la signification du mot purgatoire, et la situation des âmes
qui s'y trouvent.
Or l'Église propose à ce sujet deux vérités
nettement définies comme dogmes de foi : premièrement, qu'il
y a un purgatoire ; secondement, que les âmes, qui sont dans le purgatoire,
peuvent être secourues par les suffrages des fidèles, surtout
par le saint sacrifice de la messe.
Outre ces deux points dogmatiques, il y a plusieurs ques-tions doctrinales
que l'Église n'a pas décidées, et qui sont plus ou
moins clairement résolues par les docteurs. Ces questions se rapportent
: 1. au lieu du purgatoire ; 2. à la nature des peines ; 3. au nombre
et à l'état des âmes qui sont au purgatoire ; 4. à
la certitude qu'elles y ont de leur béatitude ; 5. à la durée
de leurs peines ; 6. à l'interven-tion des vivants en leur faveur
et à l'application des suffrages de l'Église.
Chapitre 4
Lieu du purgatoire. Doctrine des théologiens.
Catéchisme du Concile de Trente. Saint Thomas.
Bien que la foi ne nous dise rien de précis sur le lieu du purgatoire,
l'opinion la plus commune, celle qui s'ac-corde le mieux avec le langage
de l'Écriture et qui est plus généralement reçue
parmi les théologiens, le place dans les entrailles de la terre,
non loin de l'enfer des réprouvés. Les théologiens
sont presque unanimes, dit Bellarmin (1), à enseigner que
le purgatoire, du moins le lieu ordinaire des expiations,
(1) De purgat. lib. 2. cap. 6.
est situé dans le sein de la terre, que les âmes du purgatoire
et les, réprouvés sont dans les mêmes espaces souterrains,
dans ces régions profondes que l'Écriture appelle les enfers.
Quand nous disons dans le Symbole des apôtres, que Jésus-Christ
après sa mort est descendu aux enfers, « le nom d'enfers,
dit le catéchisme du Concile de Trente (1), signifie ces lieux cachés,
où sont détenues les âmes qui n'ont point encore obtenu
la béatitude éternelle. Mais ces lieux sont de plusieurs
espèces. L'un est une prison noire et obscure, où les âmes
des réprouvés sont continuelle-ment tourmentées, avec
les esprits immondes, par un feu qui ne s'éteint jamais. Ce lieu,
qui est l'enfer propre-ment dit, s'appelle encore géhenne et abîme.
» Il y a un autre enfer, où est le feu du purgatoire.
C'est là que les âmes des justes souffrent pendant un certain
temps, pour être entièrement purifiées, avant que l'entrée
leur soit ouverte dans la céleste patrie ; car rien de souillé
ne saurait y entrer jamais.
» Un troisième enfer, était celui où étaient
reçues, avant la venue de Jésus-Christ, les âmes des
saints, et dans lequel elles jouissaient d'un repos tranquille, exemp-tes
de douleurs, consolées et soutenues par l'espérance de leur
rédemption. Ce sont ces âmes saintes qui atten-daient Jésus-Christ
dans le sein d'Abraham, et qui furent délivrées lorsqu'il
descendit aux enfers. Le Sauveur alors répandit subitement au milieu
d'elles une brillante lumière, qui les remplit d'une joie infinie,
et les fit jouir de la souveraine béatitude, qui est dans la vision
de Dieu. Alors se vérifia cette promesse de Jésus au larron
: Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. »
« Un sentiment très-probable, dit saint Thomas (2), et
qui répond d'ailleurs aux paroles des saints et aux révélations
particulières, c'est qu'il y aurait pour l'expiation du purgatoire
un double lieu. Le premier serait destiné à la généralité
des âmes, et il est situé en bas, près de l'enfer ;
le second serait pour des cas particuliers, et c'est de là que seraient
sorties tant d'apparitions. » Le saint docteur admet donc, comme
beaucoup d'autres avec lui, que parfois la justice divine assigne un lieu
spécial à la purification de certaines âmes, et permet
même qu'elles apparaissent, soit pour instruire les vivants, soit
pour procurer aux défunts les suffrages dont ils ont besoin, soit
pour d'autres raisons dignes de la sagesse et de la miséricorde
de Dieu.
Tel est l'aperçu général de la doctrine sur le
lieu du purgatoire. Comme nous ne faisons pas un traité de con-troverse,
nous n'ajoutons ni preuves ni réfutations : on peut les voir dans
les auteurs tels que Suarez et Bellar-min. Nous nous contenterons de faire
remarquer que l'opinion des enfers souterrains n'a rien à craindre
de la science moderne. Une science purement naturelle est incompétente
dans les questions, qui appartiennent comme celle-ci à l'ordre surnaturel.
Nous savons d'ail-leurs que les esprits peuvent se trouver dans un lieu
occupé par des corps comme si ces corps n'existaient pas. Quel que
soit donc l'intérieur de la terre, qu'il soit tout en feu, comme
les géologues le disent communément, ou qu'il soit en tout
autre état, rien n'empêche qu'il ne serve de séjour
à des esprits, même à des esprits revêtus d'un
corps ressuscité. L'apôtre saint Paul nous apprend que l'air
est rempli d'une foule d'esprits de ténèbres : Nous avons
à combattre, dit-il, contre les puissances des ténèbres,
contre les esprits malins répandus dans l'air (3). D'autre part,
nous savons que les bons anges qui nous protègent, ne sont pas moins
nombreux en ce monde. Or, si les anges et autres esprits peuvent
(1) Catech. Rom. cap. 6. §1. (2) Supplém. Part. 3. Quest.
Ult. (3) Ephes. VI, 12.
habiter notre atmosphère sans que le monde physique en éprouve
la moindre modification, comment les âmes des morts ne pourraient-elles
pas demeurer dans le sein de la terre?
Chapitre 5
Lieu du purgatoire. Révélations des saints. Sainte
Thérèse.
Saint Louis Bertrand. Sainte Madeleine de Pazzi.
Sainte Thérèse avait une grande charité pour les
âmes du purgatoire et les aidait autant qu'il était en elle
par ses prières et ses bonnes oeuvres. Pour la récompenser
Dieu lui montrait fréquemment les âmes qu'elle avait délivrées
; elle les voyait au moment de leur sortie de l'expiation et de leur entrée
dans le ciel. Or, elles sor-taient généralement du sein de
la terre.
« On m'annonça, écrit-elle (1), la mort d'un religieux,
qui avait été jadis provincial de cette province, et qui
l'était alors d'une autre ; j'avais eu des rapports avec lui, et
il m'avait rendu de bons offices. Cette nouvelle me causa un grand trouble.
Quoique ce fût un homme recom-mandable par bien des vertus, j'appréhendais
pour le salut de son âme, parce qu'il avait été durant
vingt ans supérieur, et que je crains toujours beaucoup pour ceux
qui ont charge d'âmes. Je m'en allai fort triste à un oratoire
; là je conjurai Notre Seigneur d'appliquer à ce religieux
le peu de bien que j'avais fait en ma vie, et de suppléer au reste
par ses mérites infinis, afin de tirer son âme du purgatoire.
» Pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur
dont j'étais capable, je vis, à mon côté droit,
cette âme sortir du fond de la terre et monter au ciel
(1) Vie de sainte Thér. écrite par elle-même, chap.
38. Fête, 15 octob.
p.26 fin
p.27
dans des transports d'allégresse. Bien que ce Père
fût fort âgé, il m'apparut sous les traits d'un
homme qui n'avait pas encore trente ans, et avec un visage tout res-plendissant
de lumière. Cette vision fort courte dans sa durée me laissa
inondée de joie, et sans ombre de doute sur la vérité
de ce que j'avais vu. Comme j'étais séparée par une
grande distance de l'endroit où ce serviteur de Dieu avait fini
ses jours, je n'appris qu'après un certain temps les particularités
de sa mort édifiante : tous ceux qui en furent témoins ne
purent voir sans admiration la connaissance qu'il garda jusqu'au dernier
moment, les larmes qu'il versait, et les sentiments d'humilité dans
lesquels il rendit son âme à Dieu.
» Une religieuse de ma communauté, grande servante
de Dieu, était décédée il n'y avait pas encore
deux jours. On célébrait l'office des morts pour elle dans
le chur ; une soeur disait une leçon, et j'étais debout
pour dire le verset : à la moitié de la leçon, je
vis l'âme de cette reli-gieuse sortir, comme celle dont je viens
de parler, du fond de la terre, et s'en aller au ciel. Cette vision fut
purement intellectuelle, tandis que la précédente s'était
présentée à moi sous des images. Mais l'une et l'autre
laissent à l'âme une égale certitude.
» Dans ce même monastère venait de mourir,
à l'âge de dix-huit ou vingt ans, une autre religieuse, vrai
modèle de ferveur, de régularité et de vertu. Sa vie
n'avait été qu'un tissu de maladies et de souffrances patiemment
supportées. Je ne doutais point qu'après avoir ainsi vécu,
elle n'eût plus de mérites qu'il ne lui en fallait pour être
exempte du purgatoire. Cependant, tandis que j'étais à l'office,
avant qu'on la portât en terre, et environ quatre heures après
sa mort, je vis son âme sortir également de terre et monter
au ciel. » Voilà ce qu'écrit sainte Thérèse.
Un fait analogue est rapporté dans la vie de saint Louis Bertrand,
de l'Ordre de saint Dominique. Cette vie écrite par le P. Antist,
religieux du même ordre, qui avait vécu avec le saint, est
insérée dans les Acta Sanctorum, sous le 10 octobre. L'an
1557, lorsque saint Louis Bertrand résidait au couvent de Valence,
la peste se déclara dans cette ville. Le terrible fléau multipliant
ses coups, menaçait tous les habitants et chacun tremblait pour
sa vie. Un religieux de la communauté, le P. Clément Benet,
vou-lant se préparer avec ferveur à la mort, fit au saint
une confession générale de toute sa vie ; et en le quittant,
« mon Père, lui dit-il, s'il plaît maintenant à
Dieu de m'appeler, je viendrai vous faire connaître mon état
dans l'autre vie. » Il mourut en effet peu de temps après,
et la nuit suivante il apparut au saint. Il lui dit qu'il était
retenu au purgatoire pour quelques fautes légères qui lui
restaient à expier, et le supplia de le faire recommander à
la communauté. Le saint communiqua aussitôt cette demande
au père prieur, qui s'empressa de recommander l'âme du défunt
aux prières et aux saints sacrifices de tous les Frères réunis
au chapitre.
Six jours après, un homme de la ville, qui ne savait rien de
ce qui s'était passé au couvent, étant venu se confesser
au père Louis, lui dit « que l'âme du P. Clément
lui était apparue. Il avait vu, disait-il, la terre s'entr'ouvrir
et l'âme du Père défunt en sortir toute glorieuse :
elle ressemblait, ajoutait-il, à un astre resplendissant et s'élevait
dans les airs vers le ciel. »
Nous lisons dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi (1),
écrite par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de
Jésus, que cette servante de Dieu fut rendue témoin de la
délivrance d'une âme dans les circonstances sui-vantes. Une
de ses soeurs en religion était morte depuis quelque temps, lorsque
la sainte, se trouvant en prière devant le très-saint Sacrement,
vit sortir de terre l'âme de cette soeur, captive encore dans les
prisons du purgatoire. Elle était enveloppée d'un manteau
de flammes, au-dessous duquel une robe d'une éblouissante
blancheur la proté-geait contre les
1) 25 mai.
trop vives ardeurs du feu ; et elle demeura une heure entière
au pied de l'autel, adorant, dans un anéantissement indicible, le
Dieu caché sous les espèces eucharistiques.
Cette heure d'adoration que Madeleine lui voyait faire, était
la dernière de sa pénitence ; cette heure expirée,
elle se leva et prit son vol vers le ciel.
Chapitre 6
Lieu du purgatoire. Sainte Françoise de Rome.
Sainte Madeleine de Pazzi.
Il a plu à Dieu de faire voir en esprit les tristes demeures
du purgatoire à quelques âmes privilégiées,
qui devaient ensuite révéler ces douloureux mystères
pour l'édification de tous les fidèles. De ce nombre fut
l'illustre sainte Fran-çoise (1), fondatrice des Oblates, qui mourut
en 1440 à Rome, où ses vertus et ses miracles jetèrent
le plus vif éclat. Dieu la favorisa de grandes lumières sur
l'état des âmes dans l'autre vie. Elle vit l'enfer et ses
horribles sup-plices ; elle vit aussi l'intérieur du purgatoire,
et l'ordre mystérieux, je dirais presque la hiérarchie des
expiations, qui règne dans cette partie de l'Église de Jésus-Christ.
Pour obéir à ses supérieurs, qui crurent devoir lui
imposer cette obligation, elle fit connaître tout ce que Dieu lui
avait manifesté ; et ses visions, écrites sous sa dictée
par le vénérable chanoine Matteotti, directeur de son
âme, ont toute l'authenticité qu'on peut demander en ces matières.
Or la servante de Dieu déclara qu'après avoir subi
avec un inexprimable effroi la vision de l'enfer, elle sortit de
cet abîme et fut conduite par son guide céleste, l'archange
Raphaël, dans les régions du purgatoire. Là ne régnait
plus ni l'horreur du désordre, ni le désespoir, ni les ténè-bres
éternelles ; la divine espérance y répandait sa lumière,
et on lui dit que ce lieu de purification s'appelait aussi séjour
de l'espérance. Elle y vit des âmes qui souffraient cruellement,
mais des anges les visitaient et les assistaient dans leurs souffrances.
Le purgatoire, dit-elle, est divisé en trois parties dis-tinctes,
qui sont comme les trois grandes provinces de ce royaume de la douleur.
Elles sont situées l'une au-dessus de l'autre, et occupées
par des âmes de diverses catégories. Ces âmes sont ensevelies
d'autant plus profondément qu'elles sont plus souillées et
plus éloignées de la déli-vrance.
La région inférieure est remplie d'un feu très-ardent,
mais qui n'est pas ténébreux comme celui de l'enfer : c'est
une vaste mer embrasée, jetant d'immenses flammes. D'innombrables
âmes y sont plongées : ce sont celles qui se sont rendues
coupables de péchés mortels, qu'elles ont dûment confessés,
mais non suffisamment expiés durant la vie. La servante de Dieu
apprit alors que, pour tout péché mortel pardonné
il reste à subir une peine de sept années de purgatoire.
Ce terme ne peut se prendre évi-demment comme une mesure fixe,
puisque les péchés mor-tels diffèrent d'énormité
; mais comme une taxe moyenne.
Quoique les âmes soient enveloppées dans les mêmes
flammes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes ; elles diffèrent
selon le nombre et la qualité de leurs anciens péchés.
(1) 9 mars
Dans ce purgatoire inférieur la sainte distingua des
laïques et des personnes consacrées à Dieu. Les laïques
étaient ceux qui, après une vie de péché, avaient
eu le bon-heur de se convertir sincèrement ; les personnes consacrées
à Dieu étaient celles qui n'avaient pas vécu selon
la sain-teté de leur état : elles se trouvaient dans la partie
la plus profonde. En ce moment même, elle y vit descendre l'âme
d'un prêtre qu'elle connaissait, mais dont elle s'abstient de révéler
le nom. Elle remarqua qu'il avait la tête enveloppée d'un
voile qui couvrait une souillure, la souillure de la sensualité.
Bien qu'il eût mené une vie édifiante, ce prêtre
n'avait pas toujours gardé une stricte tempérance et avait
trop cherché les satisfactions de la table.
La sainte fut conduite alors dans le purgatoire inter- médiaire,
destiné aux âmes qui ont mérité des peines moins
rigoureuses. Il y avait là trois espaces distincts : l'un ressemblait
à une vaste glacière, où régnait un froid inex-primable
; la seconde, au contraire, était comme une chau-dière immense
remplie d'huile et de poix bouillantes ; la troisième, comme
un étang de métal liquide, qui ressem-blait à de l'or
ou de l'argent en fusion.
Le purgatoire supérieur, que la sainte ne décrit
pas, est le séjour des âmes qui, ayant été
purifiées par les peines du sens, ne souffrent plus guère
que la peine du dam, et approchent de l'heureux moment de leur délivrance.
Telle est en substance la vision de sainte Françoise relative
au purgatoire.
Voici maintenant celle de sainte Madeleine de Pazzi, carmélite
de Florence, telle qu'elle est rapportée dans sa vie par le P. Cépari.
C'est un tableau détaillé du purgatoire, tandis que la vision
précédente n'en a tracé que les grandes lignes.
Quelque temps avant sa sainte mort, qui arriva en 1607,
la servante de Dieu Madeleine de Pazzi, se trouvant sur le soir avec plusieurs
religieuses dans le jardin du couvent, fut ravie en extase et vit le purgatoire
s'ouvrir devant elle. En même temps, comme elle le fit connaître
plus tard, une voix l'invita à visiter toutes les prisons de la
divine justice, afin de voir de près combien sont dignes de pitié
les pauvres âmes qui les habitent.
En ce moment on l'entendit dire : Oui, j'en ferai le tour. Elle
acceptait de faire ce douloureux voyage.
En effet, elle commença à circuler autour du jardin
qui est fort grand, pendant deux heures entières, en s'arrêtant
de temps en temps. Toutes les fois qu'elle interrompait sa marche, elle
considérait attentivement les peines qu'on lui montrait. On la voyait
alors se tordre les mains par commisération : son visage devenait
pâle, son corps se courbait sous le poids de la douleur en présence
du spec-tacle qu'elle avait sous les yeux.
Elle commença par s'écrier d'une voix lamentable : «
Miséricorde, mon Dieu, miséricorde ! Descendez, ô Sang
précieux, et délivrez ces âmes de leur prison. Pauvres
âmes, vous souffrez si cruellement, et cependant vous êtes
contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison de ceux-ci,
étaient des jardins délicieux. Cependant il en est de plus
profonds encore. Que je m'estimerais heureuse si l'on ne m'y faisait pas
descendre ! »
Cependant elle y descendit, car on la vit continuer sa route.
Mais quand elle eut fait quelques pas, elle s'arrêta épouvantée,
et, poussant un grand soupir, elle s'écria : Eh quoi
! des religieux aussi dans ces tristes lieux ! Bon Dieu, comme ils sont
tourmentés ! Ah, Seigneur ! Elle n'expliquait pas leurs souffrances
; mais l'horreur qu'elle éprouvait en les contemplant, la faisait
soupirer presque à chaque pas.
Elle passa de là dans des lieux moins lugubres : c'était
les cachots des âmes simples et des enfants, dont l'igno-rance et
le peu de raison atténuent beaucoup les fautes. Aussi leurs tourments
lui parurent beaucoup plus toléra-bles que ceux des autres. Il n'y
avait là que de la glace et du feu. Elle remarqua que ces âmes
avaient auprès d'elles leurs anges gardiens, qui les fortifiaient
beaucoup par leur présence ; mais elle voyait aussi des démons,
dont l'aspect horrible aggravait leurs souffrances.
Ayant fait quelques pas elle vit des âmes beaucoup plus malheureuses,
et on l'entendit s'écrier : « Oh ! que ce lieu est horrible
! il est plein de démons hideux et d'incroyables tourments ! Quels
sont donc, mon Dieu, les tristes victimes si cruellement torturées
? Hélas ! on les perce avec des glaives aigus, et on les coupe en
pièces. » Il lui fut répondu que c'étaient
les âmes dont la conduite avait été entachée
d'hypocrisie.
En avançant un peu, elle vit une grande multitude
d'âmes qui étaient foulées et comme écrasées
sous un pressoir ; et elle comprit que c'étaient des âmes
qui pen-dant la vie, avaient été sujettes à l'impatience
et à la désobéissance. En les contemplant, son regard,
ses sou-pirs, toute en attitude exprimait la compassion et l'effroi.
Un moment après, elle parut plus consternée et
poussa un cri d'épouvante : c'était le cachot du mensonge
qui venait de s'ouvrir à ses regards. Après l'avoir considéré
avec attention, elle dit d'une voix fort haute : « Les menteurs sont
placés dans un lieu voisin de l'enfer, et leurs peines sont bien
grandes. On leur verse dans la bouche du plomb fondu ; je les vois brûler
et trembler de froid en même temps. »
Elle arriva ensuite à la prison des âmes qui avaient
péché par faiblesse, et on l'entendit s'écrier : «
Hélas ! je vous croyais avec celles qui ont péché
par ignorance : mais je me trompais, vous brûlez dans un feu plus
ardent. »
Plus loin, elle aperçut les âmes qui furent trop
atta- chées aux biens de ce monde et péchèrent par
avarice. « Quel aveuglement, dit-elle, de tant chercher une fortune
périssable ! Ceux qui autrefois étaient insatiables de richesses,
sont rassasiés ici de tourments : ils se liquéfient comme
le métal dans la fournaise. »
De là passant au lieu où sont renfermées
les âmes qui se souillèrent jadis du vice de l'impureté,
elle les vit dans un cachot si sale et si infect qu'il lui faisait soulever
le coeur. Elle détourna promptement les yeux de cette vue dégoûtante.
Ayant aperçu les ambitieux et les superbes, elle dit : «
Voilà ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi
les hommes : maintenant ils sont condamnés à vivre dans cette
effrayante obscurité. »
On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers Dieu.
Elles étaient en proie à des tourments indicibles et comme
noyées dans un lac de plomb fondu, pour avoir desséché
par leur ingratitude la source de la piété.
Enfin, on lui montra, dans un dernier cachot, les âmes
qui n'eurent aucun vice bien saillant, mais qui, ne veillant pas assez
sur elles-mêmes, avaient commis toutes sortes de fautes légères
; elle remarqua que ces âmes avaient part aux châtiments de
tous les vices, dans un degré mitigé, parce que les fautes
commises, comme en passant, rendent moins coupables que les habitudes.
Après cette dernière station, la sainte sortit
du jardin, en priant Dieu de ne plus la rendre témoin d'un si déchi-rant
spectacle : elle ne sentait plus la force de le supporter. Cependant son
extase durait encore, et, conversant avec son Jésus, elle lui dit
: « Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein
en me découvrant ces prisons terribles que je connaissais si peu
et que je comprenais encore moins ?... Ah ! je le vois à cette heure
: vous avez voulu me faire connaître votre infinie sainteté
et me faire haïr davantage les moindres péchés, si abominables
à vos yeux. »
Chapitre 7
Lieu du purgatoire. Sainte Lidvine de Schiedam.
Citons une troisième vision concernant l'intérieur du
purgatoire, celle de sainte Lidvine de Schiedam (1), qui mourut le 11 avril
1433, et dont l'histoire, écrite par un prêtre son contemporain,
est de la plus parfaite authenti-cité. Cette admirable vierge, vrai
prodige de patience chrétienne, fut en proie à toutes les
douleurs des plus cruelles maladies durant le long espace de trente-huit
ans. Ses douleurs lui rendant le sommeil impossible, elle passait ses longues
nuits dans la prière, et alors souvent ravie en esprit, elle était
conduite par son ange gardien dans les régions mystérieuses
du purgatoire. Elle y voyait des demeures, des prisons, des cachots divers,
plus tristes les uns que les autres, elle y rencontrait des âmes
qu'elle connaissait, et on lui montrait leurs châtiments divers.
On pourrait demander quelle était la nature de ces
voyages extatiques ? et il est difficile de l'expliquer ; mais on peut
conclure de certaines autres circonstances qu'ils avaient plus de réalité
qu'on ne serait porté à le croire. La sainte malade faisait
des voyages analogues et des pèleri-nages sur la terre, aux saints
lieux de Palestine, aux églises de Rome et aux monastères
du voisinage. Elle rapportait des endroits ainsi parcourus les connaissances
les plus exactes. Un religieux du monastère de sainte Élisabeth,
s'entretenant un jour avec elle, et parlant des cellules, du chapitre,
du réfectoire de sa communauté, elle lui fit de toute sa
maison une description exacte et détaillée, comme si elle
y eût passé toute sa vie. Le religieux lui en ayant témoigné
sa surprise : « Sachez, mon père, dit-elle, que j'ai parcouru
votre monastère, j'ai visité toutes les cellules, j'ai vu
les anges gardiens de tous ceux qui les habitent. » Or voici un
des voyages de notre Sainte dans le purgatoire.
Un malheureux pécheur, engagé dans les routes per-
dues du monde, s'était enfin converti, grâce aux prières
de Lidvine et à ses pressantes exhortations, il fit une confession
sincère de tous ses désordres, en reçut l'abso-lution,
mais n'eut pas le temps de pratiquer beaucoup de pénitences, parce
qu'il mourut de la peste peu après.
La sainte offrit pour son âme beaucoup de prières et de
souffrances ; et quelque temps après, ayant été conduite
par son ange au purgatoire, elle désira savoir s'il y était
encore et quelle était sa situation. « Il y est, dit son
guide céleste, et il souffre beaucoup. Seriez-vous disposée
à endurer quelque peine pour diminuer les siennes ? Sans doute,
répondit-elle, je suis prête à tout pour l'aider. »
Aussitôt l'ange la conduisit dans un lieu de tortures effroyables
: « Est-ce donc ici l'enfer, mon frère, demanda la sainte
fille, saisie d'horreur ? Non, ma soeur, répondit l'ange ; mais
cette partie du purgatoire est contiguë à l'enfer. »
En regardant de tout côté, elle aperçut comme
une immense prison, entourée de murailles d'une hauteur pro-digieuse,
dont la noirceur et les pierres monstrueuses faisaient horreur. En approchant
de cette sinistre enceinte, elle entendit un bruit confus de voix lamentables,
de cris de fureur, de chaînes, d'instruments de torture, de coups
violents que des bourreaux déchargeaient sur leurs victimes. Ce
bruit était tel que tous les fracas du monde dans les tempêtes
et les batailles ne sauraient y être comparés. «
Quel est donc cet horrible lieu ? demanda Lidvine à son bon ange.
C'est l'enfer, répondit-il. Voulez-vous que je vous le fasse voir
? Non, de grâce, dit-elle, glacée d'épouvante : le
bruit que j'entends est si affreux que je n'y puis tenir davantage ; comment
pourrais-je supporter la vue de ces horreurs ? »
(1) 14 avril.
En continuant sa route mystérieuse, elle vit un ange tristement
assis sur le bord d'un puits. « Quel est cet ange, demanda-t-elle
à son guide ? C'est, répondit-il, l'ange gardien du pécheur
dont le sort vous intéresse. Son âme est dans ce puits où
elle fait un purgatoire spécial. » Lidvine à ces
mots jeta sur son ange un regard expressif : elle désirait voir
cette âme qui lui était chère, et travailler à
la retirer de cet affreux cachot. Son ange, qui la comprit, ayant soulevé
le couvercle de ce puits par un acte de sa puissance, un tourbillon de
flammes s'en échappa ainsi que des cris plaintifs.
« Reconnaissez-vous cette voix, lui dit l'ange. Hélas
! oui, répondit la servante de Dieu. Désirez-vous voir
cette âme, ajouta-t-il ? » Sur sa réponse affirmative
il l'appela par son nom ; et aussitôt notre vierge vit paraître
à l'ouverture du puits, un esprit tout en feu, semblable à
un métal incandescent, qui lui dit d'une voix mal articulée
: « Ô Lidvine, servante de Dieu, qui me donnera de pouvoir
contempler la face du Très-Haut ! »
La vue de cette âme en proie au plus terrible tourment
du feu produisit en notre sainte un tel saisissement, que sa ceinture,
toute neuve et très-forte qu'elle portait autour du corps, se rompit
en deux ; et que ne pouvant plus longtemps soutenir cette vue, elle revint
subitement de son extase. Les personnes présentes, s'apercevant
de son effroi, lui demandèrent ce qu'elle avait ? « Hélas
! répondit-elle, qu'elles sont affreuses les prisons du purgatoire
! C'est pour aider les âmes que je consens à y descendre.
Sans ce motif, on me donnerait le monde entier que je ne voudrais pas subir
les terreurs que me cause un si affreux spectacle. »
Quelques jours après, le même ange qu'elle avait vu si
triste, lui apparut avec un visage joyeux : il lui apprit que l'âme
de son protégé était sortie du puits et avait passé
au purgatoire ordinaire. Ce soulagement partiel ne pouvait suffire à
la charité de Lidvine : elle continua à prier pour le pauvre
patient et à lui appliquer le mérite de ses souffrances,
jusqu'à ce qu'elle vit s'ouvrir devant lui les portes du ciel.
Chapitre 8
Lieu du purgatoire. Saint Grégoire le Grand. Le diacre Paschase et le prêtre de Centumcelle. Le B. Étienne, francis-cain et le religieux dans sa stalle. Théophile Renaud et la malade de Dôle
Selon saint Thomas et d'autres docteurs, comme nous avons vu plus haut, dans des cas particuliers la divine justice assigne un lieu spécial sur la terre à la purification de certaines âmes. Ce sentiment se trouve confirmé par plusieurs faits ; parmi lesquels nous citerons en premier lieu les deux que rapporte saint Grégoire-le-Grand dans ses Dialogues (1). « Lorsque j'étais jeune et encore laïque, écrit le saint Pape, j'ai entendu raconter aux anciens qui étaient bien informés, comment le diacre Paschase apparut à Germain, évêque de Capoue. Paschase, diacre de ce siège apostolique, de qui nous possédons encore les excellents livres sur le Saint-Esprit, était un homme d'éminente sainteté, adonné aux oeuvres de charité, zélé pour le soulagement des pauvres, et fort oublieux de lui-même. Une contestation s'étant élevée au sujet d'une élection pontificale, Paschase se sépara des Évêques et embrassa le parti de celui que l'épiscopat n'avait point approuvé. Or, il mourut bientôt, avec une réputation de sainteté que Dieu confirma par un miracle : Une guérison éclatante eut lieu le jour de ses funérailles, au simple attouchement de sa dalmatique.
(1) Dialogor. IV, 40.
p.38 fin
p.39
« Longtemps après, Germain, Évêque de Capoue,
fut envoyé par les médecins aux bains de Sant-Angelo, dans
les Abruzzes. Quel ne fut pas son étonnement d'y trouver, employé
aux derniers offices des bains, le même diacre Paschase ! J'expie
ici, lui dit l'apparition, le tort que j'eus de me ranger au parti mauvais.
Je vous en supplie, priez pour moi le Seigneur : vous saurez que vous êtes
exaucé dès que vous cesserez de me voir en ces lieux.
» Germain commença de prier pour le défunt,
et, au bout de quelques jours, étant revenu, il chercha vaine-ment
Paschase, qui avait disparu. Il n'eut à subir, ajoute saint Grégoire,
qu'un châtiment temporaire après cette vie, parce qu'il avait
péché par ignorance et non par malice. »
Le même saint Pape parle ensuite d'un prêtre de Cen-tumcelle,
aujourd'hui Cività-Vecchia, qui lui aussi était allé
aux eaux thermales. Un homme se présenta pour le servir dans les
derniers offices de la domesticité, et durant plusieurs jours lui
donna ses soins avec une complaisance et un empressement extrêmes.
Le bon prêtre, pensant qu'il devait récompenser tant d'égards,
arriva le len-demain porteur de deux pains bénits, et, après
le service ordinaire, les offrit au complaisant serviteur. Celui-ci, d'un
air triste, lui répondit : Pourquoi, mon père, me présenter
ce pain ? Je ne puis le manger. Moi, que vous voyez, je fus ici le maître
autrefois, et, après ma mort, pour l'expiation de mes fautes, j'y
ai été renvoyé dans l'état que vous voyez.
Si vous me voulez du bien, oh ! je vous en prie, offrez pour moi le Pain
Eucharistique.
A ces mots il disparut subitement, et celui qu'on avait
cru un homme, montra en s'évanouissant qu'il n'était qu'un
esprit. Pendant toute une semaine le prêtre se livra aux exercices
de la pénitence, et offrit chaque jour l'Hostie salutaire en faveur
du défunt ; puis étant retourné aux mêmes bains,
il ne l'y trouva plus, et en conclut qu'il était délivré.
Il semble que la divine justice condamne parfois les âmes
à subir leur peine au lieu même où elles commirent
leurs fautes. On lit dans les chroniques des Frères-Mineurs (1),
que le bienheureux Étienne, religieux de cet institut, avait pour
le Saint-Sacrement une dévotion singulière, qui lui faisait
passer en adoration une partie de ses nuits. Dans une de ces circonstances,
étant seul à la chapelle au milieu des ténèbres,
que rompait l'unique lueur d'une petite lampe, il aperçoit tout
à coup dans une stalle un religieux, profondément recueilli
et la tête ensevelie dans son capuchon. Étienne s'approche
de lui, et demande s'il a bien la permission de quitter sa cellule à
pareille heure ? Je suis un religieux défunt, répond-il.
C'est ici que je dois accomplir mon purgatoire, d'après un arrêt
de la justice de Dieu, parce que c'est ici que j'ai péché
par tiédeur et négligence dans l'office divin. Le Seigneur
me permet de vous faire connaître mon état, afin que vous
m'aidiez par vos prières.
Ému de ces paroles, le B. Étienne se mit à
genoux aus- sitôt pour réciter le De profundis et autres prières
; et il remarqua que pendant qu'il priait, le visage du défunt exprimait
la joie. Plusieurs fois encore, les nuits sui-vantes, l'apparition se
montra de la même manière, plus heureuse chaque fois, à
mesure qu'elle approchait de sa délivrance. Enfin après une
dernière prière du B. Étienne, elle se leva de sa
stalle toute radieuse, témoigna sa reconnaissance à son libérateur,
et disparut dans les clartés de la gloire.
Le fait suivant a quelque chose de si merveilleux, que
nous hésiterions, dit le chanoine Postel, à le reproduire,
s'il n'avait été consigné en maint ouvrage, d'après
le Père Théophile Raynaud, théologien et controversiste
distingué du
(1) Liv. 4, chap. 30. Cf. Rossignoli, Merveilles du purgatoire.
Merv. 27.
XVIIe siècle (1), qui le rapporte comme un événement
arrivé de son temps et presque sous ses yeux. L'abbé
Louvet ajoute que le vicaire-général de l'arche-vêque
de Besançon, après en avoir examiné tous les détails,
en avait reconnu la vérité. L'an 1629, à Dôle
en Franche-Comté, Huguette Roy, femme de médiocre condition,
était retenue au lit par une fluxion de poitrine qui faisait craindre
pour sa vie. Le médecin ayant cru devoir la saigner, eut la maladresse
de lui couper l'artère du bras gauche : ce qui la réduisit
promptement à toute extrémité.
Le lendemain, à la pointe du jour, elle voit entrer dans
sa chambre une jeune fille, toute vêtue de blanc, d'un maintien fort
modeste, qui lui demande si elle consent à accepter ses services
et à être soignée par elle. La malade, heureuse de
cette offre, répond que rien ne lui sera plus agréable ;
et aussitôt l'étrangère allume le feu, en appro-che
Huguette, la remet doucement dans son lit ; puis continue de la veiller
et de la servir comme ferait l'infir-mière la plus dévouée.
Chose merveilleuse ! Le contact des mains de cette inconnue était
si bienfaisant, que la mourante s'en trouva grandement soulagée
et se sentit bientôt entièrement guérie. Alors elle
voulut absolument savoir quelle était cette aimable inconnue, et
l'appela pour l'interroger, mais elle s'éloigna en disant qu'elle
reviendrait le soir. Cependant l'étonnement, la curio-sité
furent extrêmes, quand on eut connaissance de cette guérison
soudaine, et il n'était bruit dans toute la ville de Dôle
que de ce mystérieux événement.
Quand l'inconnue revint le soir, elle dit à Huguette Roy,
sans plus chercher à se cacher : « Sachez, ma chère
nièce, que je suis votre tante, Léonarde Collin, qui mourut
il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière de son petit
bien. Grâce à la bonté divine, je suis sauvée,
et c'est la sainte Vierge Marie, pour laquelle j'eus une grande dévotion,
qui m'a obtenu ce bonheur. Sans elle j'étais perdue. Quand la mort
est venue me frapper subitement, j'étais en péché
mortel ; mais la miséricordieuse Vierge m'obtint à ce moment
un mouvement de contrition parfaite, et me sauva ainsi de la damnation
éternelle. Depuis lors je suis au purgatoire, et le Seigneur me
permet de venir achever mon expiation en vous servant pendant quarante
jours. Au bout de ce temps, je serai délivrée de mes peines,
si de votre côté vous avez la charité de faire pour
moi trois pèlerinages à trois sanctuaires de la sainte Vierge.
»
Huguette étonnée, ne sachant que penser de ce langage,
ne pouvant croire à la réalité de cette apparition,
et crai-gnant quelque piège de l'esprit malin, consulta son con-fesseur,
le père Antoine Rolland, jésuite, qui l'engagea à
menacer l'inconnue des exorcismes de l'Église. Cette menace ne la
troubla point ; elle dit tranquillement qu'elle ne craignait pas les prières
de l'Église : « Elles n'ont de force, ajouta-t-elle, que contre
les démons et les damnés, nullement contre des âmes
prédestinées, et en grâce avec Dieu, comme je le suis.
» Huguette n'était pas convaincue : « Comment, dit-elle
à la jeune fille, pouvez-vous être ma tante Léonarde
? Celle-ci était vieille et cassée, désagréable
et quinteuse ; tandis que vous êtes jeune, douce et prévenante.
Ah ! ma nièce, répondit l'apparition, mon véritable
corps est dans le tombeau, où il restera jusqu'à la résurrection
; celui que vous me voyez est un autre corps, formé miraculeusement
de l'air, pour me permettre de vous parler, de vous servir et d'obtenir
vos suffrages. Quant à mon caractère difficile, colérique,
dix-sept ans de terribles souffrances m'ont bien appris la patience et
la dou-ceur. Sachez d'ailleurs, qu'en purgatoire on est confirmé
en grâce, marqué du sceau des élus, et par là
même exempt de tous les vices. »
(1) Dans son ouvrage intitulé Heteroclita spiritualia, part.
2, sect. 3, punct. 5 (Grenoble, 1646 in-4o), alias punct. 6, quaesit. 9,
Cf. Rossignoli, Merv. 99.
Après de telles explications, l'incrédulité n'était
plus possible. Huguette, à la fois émerveillée et
reconnais-sante, reçut avec bonheur les services qui lui étaient
rendus, pendant les quarante jours marqués. Elle seule pouvait voir
et entendre la défunte, qui venait à certaines heures et
disparaissait ensuite. Dès que ses forces le lui permirent, elle
accomplit pieusement les pèlerinages qu'on lui avait demandés.
Au bout des quarante jours, les apparitions cessèrent. Léonarde
se montra une dernière fois pour annoncer sa délivrance :
elle était alors dans l'état d'une incomparable gloire, étincelante
comme un astre et portant sur son visage l'expression de la plus parfaite
béatitude. Elle témoigna à son tour sa reconnaissance
à sa nièce, lui promit de prier pour elle et pour toute sa
famille, et l'en-gagea à se souvenir toujours, au milieu des peines
de la vie, du but suprême de notre existence, qui est le salut de
notre âme.
Chapitre 9
Peines du purgatoire, leur nature, leur rigueur. Doctrine des théologiens.
Bellarmin. Saint François de Sales. Crainte et confiance
Il y a dans le purgatoire comme dans l'enfer une double peine,
la peine du dam et la peine du sens.
La peine du dam (damnum, dommage) consiste à être privé,
pour un temps de la vue de Dieu, qui est le bien suprême, l'objet
béatifique pour lequel nos âmes sont faites, comme nos yeux
pour la lumière. C'est une soif morale dont l'âme est tourmentée.
La peine du sens, ou la douleur sensible, est semblable à celle
que nous éprouvons dans notre chair. La nature n'en est pas définie
par la foi ; mais c'est le sentiment commun des docteurs qu'elle consiste
dans le feu et autres genres de souffrances. Le feu du purgatoire est
de la même nature, disent les pères, que celui de l'enfer
dont parle le Mauvais Riche : Quia crucior in hac flamma, je souffre, dit-il,
cruellement dans cette flamme.
Quant à la rigueur de ces peines, comme elles sont infligées
par la plus équitable justice, elles sont propor-tionnées
à la nature, à la gravité et au nombre des fautes.
Chacun reçoit selon ses oeuvres, chacun doit acquitter les dettes
dont il se trouve chargé devant Dieu. Or ces dettes sont très-inégales.
Il y en a qui, accumulées durant toute une longue vie, s'élèvent
aux dix mille talents de l'Évan-gile, c'est-à-dire à
des millions et des milliards ; tandis que d'autres se réduisent
à quelques oboles, faible reste de ce qui n'a pas été
expié sur la terre. Il s'ensuit que les âmes subissent des
peines très-différentes, qu'il y a dans les expiations du
purgatoire d'innombrables degrés et que les unes sont incomparablement
plus rigoureuses que les autres.
Toutefois, parlant en général, les docteurs s'accordent
à dire que ces peines sont très-rigoureuses. C'est le même
feu, dit saint Grégoire, qui tourmente les damnés et purifie
les élus (1). Presque tous les théologiens, dit Bellarmin,
enseignent que les réprouvés et les âmes du purgatoire
souffrent l'action du même feu (2).
Il faut tenir pour certain, écrit le même Bellarmin
(3), qu'il n'y a point de proportion entre les souffrances de cette
vie et celles du purgatoire. Saint Augustin le déclare
(1) In psalm. 37. (2) De purgat. 1. 2. cap. 6. (3) De gemitu
columboe, lib. 2. cap. 9.nettement dans son commentaire sur le psaume 31
: Sei-gneur, dit-il, ne me punissez pas dans votre fureur, et ne me rejetez
pas avec ceux à qui vous direz : Allez au feu éternel ; mais
ne me châtiez pas non plus dans votre colère : purifiez-moi
plutôt tellement en tette vie, que je n'aie pas besoin d'être
purifié par le feu dans l'autre. Oui, je crains ce feu qui a été
allumé pour ceux qui seront sauvés il est vrai, mais qui
ne le seront, qu'en passant aupara- vant par le feu (1). Ils seront sauvés,
sans doute, après l'épreuve du feu ; mais cette épreuve
sera terrible, ce tourment sera plus insupportable que tout ce qu'on peut
souffrir de plus douloureux en ce monde. Voilà ce que dit saint
Augustin, et ce qu'ont dit après lui saint Grégoire, le vénérable
Bède, saint Anselme, saint Bernard. Saint Thomas va même
plus loin, il soutient que la moindre peine du purgatoire, surpasse toutes
les peines de cette vie, quelles qu'elles puissent être. La douleur,
disait le B. Pierre Lefèvre, est plus profonde et beaucoup plus
intime quand elle saisit directement l'âme et l'esprit, que quand
elle n'y atteint que par l'intermédiaire du corps. Le corps mortel
et les sens eux-mêmes absorbent et détournent une partie des
peines physiques ou même morales (2).
L'auteur du livre de l'Imitation exprime cette doctrine
par une sentence pratique et saisissante. En parlant en général
des peines de l'autre vie : Là, dit-il, une heure dans le
tourment sera plus terrible qu'ici cent années de la plus rigoureuse
pénitence (3).
Pour prouver cette doctrine, il est constant, ajoute Bellarmin,
que toutes les âmes souffrent au purgatoire la peine du dam. Or cette
peine surpasse toute souffrance sensible. Mais pour ne parler que de la
seule peine du sens, nous savons combien terrible est le feu, si faible
qu'il soit, que nous allumons dans nos maisons, et com-bien la moindre
brûlure cause de douleur : or il est bien autrement terrible ce feu
qui ne se nourrit ni de bois ni d'huile, et que rien ne saurait éteindre.
Allumé par le souffle de Dieu pour être l'instrument de sa
justice, il s'attaque aux âmes et les tourmente avec une activité
incomparable.
Ce que nous venons dire et ce que nous avons à dire
encore est bien propre à nous inspirer cette crainte salu-taire
qui nous est recommandée par Jésus-Christ. Mais de peur que
certains lecteurs, oubliant la confiance chrétienne qui doit tempérer
nos craintes, ne se livrent à une frayeur excessive, rapprochons
de la doctrine précédente celle d'un autre docteur de l'Église,
saint François de Sales, qui présente les peines du purgatoire
tempérées par les consolations qui les accompagnent.
« Nous pouvons, disait ce saint et aimable directeur
des âmes, tirer de la pensée du purgatoire plus de conso-lation
que d'appréhension. La plupart de ceux qui craignent tant le purgatoire,
songent plutôt à leur propre intérêt qu'aux intérêts
de la gloire de Dieu ; ce qui provient de ce qu'ils envisagent uniquement
les peines de ce lieu, sans considérer en même temps les félicités
et la paix que Dieu y fait goûter aux âmes. Il est vrai que
les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de
cette vie n'y peuvent être comparées ; mais aussi les satisfactions
intérieures y sont telles, qu'il n'y a point de prospérité
ni de contentement sur la terre qui les puisse égaler.
» Les âmes y sont dans une continuelle union avec Dieu.
Elles y sont parfaitement soumises à sa volonté ; ou, pour
mieux dire, leur volonté est tellement transformée en celle
de Dieu, qu'elles ne peuvent vouloir que ce que Dieu veut : en sorte que,
si le paradis leur était ouvert, elles se précipi-teraient
plutôt en enfer, que de paraître devant Dieu avec les souillures
qu'elles voient encore en elles. Elles s'y purifient
(1) 1 Cor. III, 15. (2) Sentim. du B. Lefèvre sur le purg.
Messager du Sacré C. novembre 1873. (3) Imit. 1. I, chap. 24.
volontairement et amoureusement, parce que tel est le
bon plaisir divin. Elles veulent y être en la façon qu'il
plaît à Dieu, et pour autant de temps qu'il lui plaira.
» Elles sont impeccables, et ne peuvent avoir le moindre mouvement
d'impatience ni commettre la moindre imper-fection. Elles aiment Dieu plus
qu'elles ne s'aiment elles-mêmes et plus que toute chose : elles
l'aiment d'un amour accompli, pur, désintéressé.
Elles sont consolées par les anges. Elles sont assurées de
leur salut et remplies d'une espérance qui ne peut être confondue
dans son attente. Leur amertume très-amère est dans une
paix très-profonde. Si c'est une espèce d'enfer quant à
la souf-france, c'est un paradis quant à la douceur répandue
dans leur coeur par la charité : charité plus forte que la
mort et plus puissante que l'enfer ; charité dont les lampes sont
tout de feu et de flammes. (Cantic. VIII.)
» Heureux état, continue le saint Évêque,
heureux état, plus désirable que redoutable, puisque ces
flammes, sont des flammes d'amour et de charité (1). »
Voilà les enseignements des docteurs : il en résulte
que si les peines du purgatoire sont rigoureuses, elles ne sont pas
sans consolations. Le bon Jésus, qui a bu son calice si amer sans
aucun adoucissement, a voulu adoucir le nôtre. En nous imposant sa
croix dans cette vie, il y répand son onction, et en purifiant les
âmes du purgatoire comme l'or dans la fournaise, il tempère
leurs ardeurs par des consolations ineffables. Nous ne pouvons perdre de
vue cet élément consolateur, ce côté lumineux,
dans les tableaux parfois bien sombres que nous aurons à con-templer.
Chapitre 10
Peines du purgatoire. Peine du dam.
Sainte Catherine de Gênes. Sainte Thérèse.
Le Père Nieremberg
Après avoir entendu les théologiens et les docteurs de
l'Église, nous allons écouter des docteurs d'un autre genre
: ce sont les Saints qui parlent des peines de l'autre vie, et qui racontent
ce que Dieu leur en a montré par des com-munications surnaturelles.
Sainte Catherine de Gênes, dans son Traité du purga-toire
(2), dit que « les âmes éprouvent un tourment si extrême,
qu'aucune langue ne pourrait le raconter, ni aucun entendement en concevoir
la moindre notion, si Dieu ne le faisait connaître par une grâce
spéciale.
» Aucune langue, ajoute-t-elle, ne saurait exprimer, aucun esprit
ne saurait se faire une idée de ce qu'est le purgatoire. Quant à
la grandeur de la peine, elle égale l'enfer. »
Sainte Thérèse, dans le Château de l'âme
(3), parlant de la peine du dam, s'exprime ainsi : « La peine du
dam ou la privation de la vue de Dieu, surpasse tout ce qu'on peut imaginer
de plus douloureux : parce que les âmes, poussées vers Dieu,
comme vers le centre de toutes leurs aspirations, en sont continuellement
repoussées par sa justice. Qu'on se figure un naufragé qui,
après s'être longtemps débattu contre les flots, va
toucher le rivage, mais qui s'en voit éloigné sans cesse
par une main irrésistible : quelles douloureuses angoisses ! Celles
des âmes du purgatoire le sont mille fois davantage. »
(1) Esprit de saint François de Sales, p. 16, chap. 9.
(2) Chap. II, VIII. (3) Sixième demeure, chap. XI.
Le Père Nieremberg de la Compagnie de Jésus, qui
mou-rut en odeur de sainteté à Madrid en 1658, rapporte (1)
un fait arrivé à Trèves, et qui fut reconnu, dit le
P. Rossi-gnoli (2), par le vicaire général de ce diocèse
comme pré-sentant tous les caractères de la vérité.
Le jour de la Tous-saint, une jeune fille d'une rare piété
vit apparaître devant elle une dame de sa connaissance, morte peu
de temps auparavant. L'apparition était vêtue de blanc, un
voile de même couleur sur la tête, et tenant un long rosaire
à la main, signe de la tendre dévotion qu'elle avait toujours
professée pour la Reine du ciel. Elle implorait la charité
de sa pieuse amie, disant qu'elle avait fait vu autrefois de faire célébrer
trois messes à l'autel de la sainte Vierge, et que n'ayant pu l'accomplir,
cette dette ajoutait à ses souffrances. Elle la pria donc de s'en
acquitter à sa place.
La jeune personne accorda volontiers la charité qu'on
lui demandait ; et quand les trois messes eurent été célé-brées,
la défunte lui apparut de nouveau, lui témoignant sa joie
et sa reconnaissance. Elle continua même à lui apparaître
tout le mois de novembre, presque toujours dans l'église. Son amie
la voyait en adoration devant le saint sacrement, abîmée dans
un respect dont rien ne sau-rait donner une idée ; ne pouvant encore
voir son Dieu face à face, elle semblait vouloir s'en dédommager
en le contemplant au moins sous les espèces eucharistiques. Pendant
le divin Sacrifice de la messe, au moment de l'élévation,
son visage s'irradiait de telle sorte, qu'on eût dit un séraphin
descendu du ciel ; la jeune fille en était dans l'admiration et
déclarait n'avoir jamais rien vu de si beau.
Cependant les jours se passaient, et, malgré les messes
et les prières offertes pour elle, cette sainte âme demeurait
en son exil, loin des Tabernacles éternels. Le 3 décembre,
fête de Saint François-Xavier, sa protectrice devant com-munier
à l'église des Pères Jésuites, l'apparition
l'accom-pagna à la sainte table et se tint ensuite à ses
côtés, durant tout le temps de son action de grâces,
comme pour par-ticiper au bonheur de la sainte Communion et jouir aussi
de la présence de Jésus-Christ.
Le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception,
elle revint encore, mais si brillante que son amie ne pouvait la regarder.
Elle approchait visiblement du terme de son expiation. Enfin le 10 décembre,
pendant la sainte messe elle apparut dans un éclat plus merveilleux
encore : après s'être inclinée profondément
devant l'autel, elle remercia la pieuse fille de ses prières et
monta au ciel en compagnie de son ange gardien.
Quelque temps auparavant cette sainte âme avait fait connaître
qu'elle ne souffrait plus que la peine du dam, ou de la privation de Dieu
; mais elle ajouta que cette privation lui causait un supplice intolérable.
Cette révélation justifie la parole de saint Chrysostome
dans sa quarante-septième homélie : Supposez, dit-il, tous
les tourments du monde, vous n'en trouverez point qui égale celui
d'être privé de la vue béatifique de Dieu.
En effet, le supplice du dam, dont il s'agit ici, est,
selon tous les saints et tous les docteurs, bien plus rigoureux que la
peine du sens. Il est vrai que dans la vie présente nous ne saurions
le comprendre, parce que nous connaissons trop peu le souverain bien pour
lequel nous sommes créés. Mais dans l'autre vie, cet ineffable
bien apparaît aux âmes comme le pain à un homme affamé,
comme l'eau vive à celui qui meurt de soif, comme la santé
à un malade torturé par de longues souffrances ; il excite
en elles des désirs brûlants qui les tourmentent sans pouvoir
se satisfaire.
(1) De pulchritud. Dei 1. 2. c. XI. (2) Merveille 69.
p.50 fin
p.51
Chapitre 11
Peine de sens Tourment du feu et tourment du froid
Le vénérable Bède et Drithelme.
Si nous sommes faiblement impressionnés par la peine du
dam, il en est tout autrement de la peine du sens : le tourment du feu,
le supplice dun froid âpre et intense, effraye notre sensibilité.
Cest pourquoi la divine miséricorde, voulant exciter dans nos âmes
une sainte frayeur, ne nous parle guère de la peine du dam ; mais
elle nous donne sans cesse le feu, le froid et autres tourments qui constituent
la peine du sens. Cest ce que nous voyons dans lEvangile et dans les
révélations particulières, par lesquelles il lui plaît
de manifester de temps en temps à ses serviteurs les mystères
de lautre vie.
Citons quelques-unes de ces révélations. Voici
dabord celle que rapporte, daprès le vénérable Bède,
le pieux et savant cardinal Bellarmin .
LAngleterre a été témoin de nos jours,
écrit Bède, dun prodige insigne, comparable aux miracles
des premiers siècles de lEglise. Pour exciter les vivants à
craindre la mort de lâme, Dieu a permis quun homme, après
sêtre endormis du sommeil de la mort, revint à la vie corporelle
et révélât ce quil avait vu dans lautre monde. Les
détails effrayants, inouïs, quil raconta, et sa vie de pénitence
extraordinaire qui répondait à ses paroles, produisirent
dans tout le pays la plus vive impression. Je résumerai les principales
circonstances de cette histoire.
Il y avait dans le Northumberland un homme appelé Drithelme,
qui vivait fort chrétiennement avec toute sa famille. Il tomba malade,
et son mal saggrava de jour en jour au point quil fut enfin réduit
à lextrémité, et mourut à la grande désolation
de sa femme et de ses enfants. Ceux-ci passèrent la nuit en pleurs
auprès de son corps ; mais le lendemain, avant de lensevelir, ils
le virent tout dun coup reprendre vie, se soulever et se mettre sur son
séant. A cette vue ils furent saisis dune telle frayeur quils
prirent tous la fuite, à lexception de la femme, qui resta seule
toute tremblante avec son mari ressuscité. Il la rassura aussitôt
: Ne craignez point, lui dit-il, cest Dieu qui me rend à la vie
: il veut montrer en ma personne un homme ressuscité de la mort.
Je sois vivre encore quelques temps sur la terre ; mais ma nouvelle vie
sera bien différente de celle que jai menée jusquici.
Alors il se leva plain de santé, sen alla droit à
la chapelle ou église du lieu, et y demeura longtemps en prière.
Il ne rentre chez lui, que pour prendre congé de ceux qui lui avaient
été chers sur la terre, il leur déclara quil ne voulait
plus vivre que pour se préparer à la mort et les engagea
tous à en faire autant. Puis ayant partagé son bien en trois
parts, il en donna une à ses enfants, une autre à sa femme
et se réservé la troisième pour en faire des aumônes.
Quand il eut tout distribué aux pauvres et se fut réduit
lui-même à une extrême indigence, il alla frapper à
la porte dun monastère et supplia labbé de la recevoir
comme un religieux pénitent, qui serait le serviteur de tous les
autres.
Labbé lui donna une cellule à lécart,
quil habita le reste de sa vie. Trois exercices partageaient tout son
temps, la prière, les plus durs travaux et des pénitences
extraordinaires. Les jeûnes les plus rigoureux étaient pour
lui peu de choses ; de plus, on le voyait en hiver se plonger dans leau
glacée et y demeurer des heures et des heures en prières,
jusquà réciter tous les psaumes du psautier de David.
La vie si mortifiée de Drithelme, ses yeux toujours baissés,
les traits même de son visage, dénotaient une âme frappée
de la crainte des jugements de Dieu. Il gardait un silence perpétuel,
mais on le pressa de dire pour lédification des autres ce que Dieu
lui avait montré après sa mort. Alors il racontait ainsi
sa vision.
Au sortir de mon corps, je fus accueilli par un personnage bienveillant
qui me pris sous sa conduite : il avait le visage rayonnant et paraissait
environné de lumière. Nous arrivâmes dans une vallée
large, profonde, et dune étendue immense, toute de feu dun côté,
toute de neige et de glace de lautre ; ici des brasiers et des tourbillons
de flammes, là le froid le plus intense et le souffle dun vent
glacial.
Cette vallée mystérieuse était pleine dâmes
innombrables qui, agitées comme par une furieuse tempête,
se portaient sans cesse dun côté à lautre. Quand
elles ne pouvaient pas supporter la violence du feu, elles cherchaient
à se rafraîchir au sein des glaces et des neiges ; mais ny
trouvant quun nouveau supplice, elles se rejetaient au milieu des flammes.
Je considérais avec stupeur ces vicissitudes continuelles
dhorribles tourments ; et aussi loin que ma vue pouvait sétendre,
je ne voyais que des multitudes dâmes, qui souffraient toujours
et navaient jamais de repos. Leur seul aspect inspirait leffroi. Je crus
dabord que je voyais lenfer ; mais mon guide, qui marchait devant, se
tourna vers mois et me dit : « Non, ce nest pas ici lenfer des
réprouvés, comme vous le pensez. Savez-vous, continua-t-il,
quel est ce lieu ? Non, répondis-je. Sachez, reprit-il, que
cette vallée où vous voyez tant de feu et tant de glace,
est le lieu où sont punies les âmes de ceux qui ont négligé
toute leur vie de se confesser et qui ont différé leur conversion
jusquà la fin. Grâce à une miséricorde spéciale
de Dieu, ils ont eu avant de mourir le bonheur de se repentir sincèrement,
de confesser et de détester leurs péchés. Cest pourquoi
elles ne sont point réprouvées, et entreront dans le royaume
des cieux au grand jour du jugement. Plusieurs même dentreux obtiennent
leur délivrance avant ce temps, par le mérite des prières,
des aumônes et des jeûnes faits par les vivants en leur faveur,
surtout par la vertu du Sacrifice de la messe, quon offre pour leur soulagement.
»
Tel était le récit de Drithelme. Quand on lui demandait
pourquoi il traitait si rudement son corps, pourquoi il se plongeait dans
leau glacée ? il répondait quil avait vu dautres tourments
et un froid autrement rigoureux.
- Si lon sétonnait quil pût soutenir ces étranges
austérités : jai vu, disait-il, des pénitences autrement
surprenantes. Aussi, jusquau jour où Dieu le rappela à
lui, il ne cessa daffliger son corps ; et bien quil fût cassé
de vieillesse, il ne voulut accepter aucun adoucissement.
Cet événement produisit une profonde sensation en Angleterre
: grand nombre de pécheurs, touchés des discours de Drithelme
et frappés par laustérité de sa vie, se convertirent
sincèrement.
Ce fait, ajoute Bellarmin, me paraît dune vérité
incontestable : outre quil est conforme à ces paroles de lEcriture
: Ils passeront du froid des neiges aux brûlantes ardeurs du feu
, le vénérable Bède le rapporte comme un événement
récent et bien connu. De plus, il fut suivi de la conversion dun
grand nombre de pécheurs, ce qui est signe des uvres de Dieu qui
a coutume dopérer des prodiges pour produire du fruit dans les
âmes.
Chapitre 12
Peines du purgatoire
Bellarmin et sainte Christine ladmirable.
Le savant et pieux cardinal rapporte ensuite lhistoire de sainte
Christine ladmirable , qui vécut en Belgique à la fin du
douzième siècle, et dont le corps se conserve aujourdhui
à Saint-Trond, dans léglise des Pères Rédemptoristes.
La vie de cette illustre vierge fut, dit-il, écrite par Thomas de
Cantimpré, religieux de lOrdre de saint Dominique, auteur très-digne
de foi et contemporain de la Sainte. Le cardinal Jacques de Vitry, dans
la préface de la Vie de sainte Marie dOgnies, parle dune foule
de saintes femmes et dillustres vierges ; mais celle quil admire au-dessus
de toutes, est sainte Christine, dont il résume des étonnantes
actions.
Cette servante de Dieu, après avoir passé dans lhumilité
et la patience les premières années de sa vie, mourut à
lâge de trente-deux ans. Lorsquon allait lensevelir et que son
corps était déjà dans léglise, couché
dans une bière ouverte, selon lusage de lépoque, elle se
leva plaine de vie, jetant dans la stupeur toute la ville de Saint-Trond,
témoin de cette merveille. Létonnement fut bien plus grand,
quand on apprit de sa bouche ce qui lui était arrivé après
sa mort. Ecoutons-la raconter elle-même son histoire.
« Aussitôt, dit-elle, que mon âme fut séparée
de mon corps, elle fut reçue par les anges, qui la conduisirent
dans un lieu fort sombre et tout rempli dâmes. Les tourments quelles
y souffraient me semblaient si excessifs, quil est impossible den exprimer
la rigueur. Je vis, parmi elles beaucoup de personnes de ma connaissance,
et profondément touchée de leur triste état, je demandais
quel était ce lieu, car je croyais que cétait lenfer. Mon
guide me répondit que cétait le purgatoire, où lon
punissait les pécheurs qui, avant de mourir, sétaient repentis
de leurs fautes, mais qui nen avaient pas fait à Dieu une digne
satisfaction. De là je fus conduite dans lenfer, et jy reconnus
aussi quelques malheureux réprouvés, que javais vu autrefois.
« Les anges alors me transportèrent dans le ciel, jusquau
trône de la Majesté divine. Le Seigneur me regarda dun il
favorable, et jen eu une extrême joie, parce que je croyais obtenir
la grâce de demeurer éternellement auprès de lui. Mais
mon père céleste voyant ce qui se passait dans mon cur,
me dit ces paroles : Sans doute, ma chère fille, vous serez ici
avec moi un jour. Pour le moment néanmoins je vous permets de choisir,
ou bien dêtre avec moi dès à présent, ou de
retourner encore sur la terre pour y remplir une mission de charité
et de souffrance. Afin de délivrer des flammes du purgatoire ces
âmes qui vous ont inspiré tant de compassion, vous souffrirez
pour elles sur la terre, vous endurerez de très-grands tourments
sans portant en mourir. Et non seulement vous soulagerez les défunts,
mais lexemple que vous donnerez aux vivants et votre vie pleine de souffrances
portera les pécheurs à se convertir et à expirer leurs
crimes. Après avoir achevé cette nouvelle vie, vous retournerez
ici comblée de mérites.
« A ces paroles, voyant les grands avantages qui métaient
offerts pour les âmes, je répondis sans hésiter, que
je voulais reprendre la vie, et je suis ressuscitée au-même
instant. Cest dans le seul but de memployer au soulagement des trépassés
et à la conversion des pécheurs que je suis revenue dans
ce monde. Cest pourquoi ne soyez pas étonnés des pénitences
que vous me verrez faire ni de la vie que je mènerai désormais
: elle sera si extraordinaire que jamais on naura rien vu de semblable.
»
Tout ce récit est de la Sainte ; voici ce que lhistorien ajoute
dans les divers chapitres de sa vie. Christine commença aussitôt
à faire les choses pour lesquelles elle était envoyée
de Dieu. Rejetant tous les adoucissements de la vie, se réduisant
à un extrême dénuement, elle vivait sans feu ni lieu,
plus misérable que les oiseaux du ciel qui ont un nid pour sabriter.
Non contente de ces privations, elle recherchait tout ce qui pouvait la
faire souffrir et la tourmenter. Elle se jetait dans des fournaises ardentes,
et y souffrait de si terribles douleurs, que, nen pouvant plus, elle poussait
des cris effroyables. Elle se tenait longtemps dans le feu, et quand elle
en sortait, il ne paraissait dans son corps nulle marque de brûlure.
En hiver, quand la Meuse était glacée, elle sy plongeait,
et demeurait dans ce bain affreux, non seulement des heures et des jours,
mais des semaines entières, priant Dieu tout ce temps et implorant
sa miséricorde. Quelquefois quand elle priait dans les eaux glaciales,
elle se laissait emporter par le courant jusquà un moulin, dont
la roue lenlevait et la faisait tourner horriblement, sans pourtant briser
ni disloquer aucun de ses os. Dautres fois, poursuivie par des chiens
qui la mordaient et la déchiraient, elle courait en les agaçant
parmi les halliers et les épines, jusquà ce quelle fût
toute en sang ; néanmoins, quand elle était de retour, on
ne lui voyait ni blessure ni cicatrice.
Voilà quelques traits des admirables pénitences,
décrites par lhistorien de sainte Christine. Cet auteur était
évêque, suffragant de larchevêque de Cambrai ; et nous
avons, dit Bellarmin, tout sujet dajouter foi à son témoignage,
tant parce quil a pour garant un autre très-grave auteur, Jacques
de Vitry, évêque et cardinal ; que parce quil rapporte ce
qui était arrivé de son temps et dans la province même
quil habitait. Dailleurs ce que souffrait cette admirable vierge nétait
point caché : tout le monde a pu la voir au milieu des flammes,
sans quelle fût consumée, et couverte de plaies volontaires,
sans quil en parût la moindre marque un moment après. Ce
qui plus est, sa merveilleuse vie dura quarante-deux ans, depuis quelle
fut ressuscitée, et Dieu montra clairement que tout en elle se faisait
par la vertu den haut. Les conversions insignes quelle opéra pendant
sa vie et les miracles évidents quelle fit après sa mort
firent voir manifestement le doigt de Dieu et la vérité de
ce que, après sa résurrection, elle avait révélé
de lautre vie.
Ainsi, conclut Bellarmin, Dieu voulut fermer la bouche à ces
libertins qui font profession de ne rien croire, et qui ont la témérité
de dire en raillant : Qui est revenu de lautre monde ? Qui a jamais vu
les tourments de lenfer et du purgatoire ? Voilà deux témoins
fidèles : ils assurent quils les ont vus et quils sont épouvantables.
Que sensuit-il donc, sinon que les incrédules sont inexcusables
? mais ceux qui croient, et néanmoins de font pas pénitence,
sont plus condamnables encore.
Chapitre 13
Peines du purgatoire Antoine Pereyra -
La vénérable Angèle Tholoméi.
Aux deux faits qui précèdent ajoutons un troisième,
tiré des annales de la Compagnie de Jésus. Nous parlons du
prodige arrivé dans la personne dAntoine Pereyra, frère
conducteur de cette Compagnie, qui mourut en odeur de sainteté au
collège dEvora en Portugal, le 1er août 1645. Quarante-six
ans auparavant, en 1599, cinq ans après son entrée au noviciat,
ce frère fut atteint dune maladie mortelle dans lîle de
Saint-Michel, lune des Açores ; et peu dinstants après
quil eu reçu les derniers sacrements, sous les yeux de toute la
communauté qui assistait à son agonie, il sembla rendre lâme,
et devint bientôt froid comme un cadavre . Lapparence presque imperceptible
dun léger battement de cur empêcha seule de lensevelir
sur-le-champ. On le laissa donc trois jours entiers sur son lit de mort,
et lon découvrait déjà dans son corps des signes
évidents de décomposition ; lorsque tout à coup, le
quatrième jour, il ouvrit les yeux, respira et parla.
Il lui fallu alors par obéissance raconter à son supérieur,
le P. Louis Pinheyro, tout ce qui sétait passé en lui, depuis
les dernières transes de son agonie ; et voici labrégé
de la relation quil en écrivit de sa propre main : « Dabord
je vis, dit-il, de mon lit de mort, mon Père Saint-Ignace, accompagné
de quelques-uns de nos Pères du ciel, qui venait visiter ses enfants
malades, cherchant ceux qui lui sembleraient dignes dêtre offerts
par lui et par ses compagnons à Notre-Seigneur. Quand il fut près
de moi, je crus un moment quil memmènerait, et mon cur tressaillit
de joie ; mais bientôt il me signala ce quil fallait me corriger
avant dobtenir un si grand bonheur. »
Alors néanmoins, par une disposition mystérieuse de la
Providence, lâme du F. Pereyra se détacha momentanément
de son corps ; et aussitôt, la vue dune hideuse troupe de démons,
se précipitant vers elle, la remplit deffroi. Mais en même
temps son ange gardien, et Saint-Antoine de Padoue, son compatriote et
son patron, descendant du ciel, mirent en fuite ses ennemis, et linvitèrent
à venir, en leur compagnie, entrevoir et goûter un moment,
quelque chose des joies et des douleurs de léternité. «
Ils me conduisirent donc tour à tour, ajoute-t-il, vers un lieu
de délices, où ils me montrèrent une couronne de gloire
incomparable, mais que je n'avais pas encore méritée ; puis,
sur les bords du puit de labîme, où je vis les âmes
maudites tomber dans le feu éternel aussi pressées que les
grains de blé, jetés sous une meule tournant sans relâche
; le gouffre infernal était comme un de ces fours à chaux,
où par moments, la flamme est comme étouffée sous
lamas des matériaux quon y précipite, mais pour se relever,
en sen nourrissant, avec une effroyable violence. »
Mené de là au tribunal du souverain Juge, Antoine Pereyra
sentendit condamner au feu du purgatoire ; et rien ne saurait ici-bas,
assure-t-il, faire comprendre ce quon y endure, ni létat dangoisse
où lon y est réduit par le désir et le délai
de la jouissance de Dieu et de sa bienheureuse présence.
Aussi, lorsque son âme eut été de nouveau réunie
à son corps par le commandement de Notre-Seigneur, ni les nouvelles
tortures de la maladie, qui acheva pendant six mois entiers de faire tomber
par lambeaux, avec le secours journalier du fer et du feu, sa chair irrémédiablement
attaquée par la corruption de cette première mort ; ni les
effrayantes pénitences, auxquelles il ne cessa plus de se livrer,
autant que lobéissance le lui permettrait, durant les quarante-six
ans de sa nouvelle vie, ne purent apaiser sa soif de douleurs et dexpiations.
« Tout cela, disait-il, nest rien, auprès de ce que la justice
et la miséricorde infinies de Dieu mont fait, non seulement voir,
mais endurer. »
- Enfin comme sceau authentique de tant de merveilles, le F. Pereyra
découvrit en détail à son supérieur les secrets
desseins de la Providence sur la future restauration du royaume du Portugal,
encore éloignée alors de plus dun demi-siècle. Mais
on peut sans crainte ajouter, que la plus irrécusable garantie de
tous ces prodiges fut la surprenante sainteté à laquelle
Antoine Pereyra ne cessa plus un seul jour de sélever.
Citons encore un fait analogue, et qui confirme en tout point ceux
quon vient de lire. Nous le trouvons dans la vie de la vénérable
servante de Dieu, Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine
. Elle fut ressuscité de la mort par son propre frère ; et
rendit à la rigueur des jugements de Dieu un témoignage entièrement
conforme à ceux qui précèdent.
Le B. Jean-Baptiste Tholoméi , que ses rares vertus et le don
des miracles ont fait élever sur les autels, avait une sur, Angèle
Tholoméi, dont lhéroïcité des vertus a été
aussi reconnue par lEglise. Elle tomba gravement malade et son saint frère
demanda sa guérison par dinstantes prières. Le Seigneur
lui répondit, comme autrefois aux surs de Lazare, quil ne guérirait
pas Angèle ; mais quil ferait plus, quil la ressusciterait pour
la glorification de Dieu et le bien des âmes.
Elle mourut, en effet, en se recommandant aux prières de son
saint frère.
Comme on portait son corps au tombeau, le B. Jean-Baptiste, obéissant
sans doute à un mouvement du Saint-Esprit, sapprocha du cercueil,
et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sur
den sortir. Aussitôt elle se réveilla comme dun profond
sommeil et revint à la vie.
Cette âme si sainte paraissait toute frappée de stupeur
et racontait de la sévérité des jugements de Dieu
des choses qui font frémir. Elle commença en même temps
à
mener une vie qui prouvait bien la vérité de ses paroles.
Sa pénitence était effrayante : non contente des exercices
ordinaires usités par les saints, tels que les jeûnes, les
veilles, les cilices, les disciplines sanglantes ; elle allait jusquà
se jeter dans les flammes, et sy roulait jusquà ce que sa chair
fût toute brûlée. Son corps martyrisé était
devenu un objet de pitié et dhorreur. On la blâmait hautement,
on laccusait de dénaturer par des excès la vraie pénitence
chrétienne ; elle nen continuait pas moins, et se contentait de
répondre : « Si vous connaissiez la rigueur des jugements
de Dieu, vous ne parleriez point ainsi. Quest-ce que mes faibles pénitences,
en comparaison des supplices réservés dans lautre vie aux
infidélités quon se permet si aisément en ce monde
? Quest-ce que cela ? Quest-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois
davantage. »
Il ne sagit pas ici, comme on voit, des peines quont à subir
au purgatoire les grands pécheurs, quand ils se convertissent avant
la mort ; mais des châtiments que Dieu inflige à une religieuse
fervente pour les fautes les plus légères.
Chapitre 14
Peines du purgatoire Apparition de Foligno -
Le religieux dominicain de Zamorra.
La même rigueur se révèle dans une apparition plus
récente, où une religieuse, morte après une vie exemplaire,
manifesta ses souffrances de manière à jeter leffroi dans
toutes les âmes. Lévénement arriva le 16 novembre
1859 à Foligno, près dAssise, en Italie. Il produisit un
grand retentissement dans la contrée ; et, outre la preuve sensible
quil laissa après lui, une enquête faite en due forme par
lautorité compétence en établit la vérité
incontestable.
Il y avait au couvent des tertiaires franciscaines de Foligno une sur,
appelée Thérèse Gesta, qui était depuis de
longues années maîtresse des novices, et à la fois
chargée du pauvre vestiaire de la communauté. Elle était
née à Bastia, en Corse, lan 1707, et était entrée
au monastère en février 1826.
La sur Thérèse était un modèle de ferveur
et de charité ; il ne faudrait pas sétonner, disait le directeur,
si Dieu la glorifiait par quelque prodige après sa mort. Elle mourut
subitement le 4 novembre 1859 dun coup dapoplexie foudroyante.
Douze jours après, le 16 novembre, une sur, nommée Anna-Félicie,
qui la remplaçait dans son office, montait au vestiaire et allait
y entrer, lorsquelle entendit des gémissements qui semblaient venir
de lintérieur de cette chambre. Un peu effrayée, elle sempressa
douvrir la porte : il ny avait personne. Mais de nouveaux gémissements
se firent entendre, si bien accentués, que, malgré son courage
ordinaire, elle se sentit envahie par la peur. Jésus ! Marie ! sécria-t-elle,
quest-ce que cela ? Elle navait pas fini, quelle entendit une voix
plaintive, accompagnée de ce douloureux soupir : Oh ! mon Dieu,
que je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! La sur stupéfaite
reconnut aussitôt la voix de la pauvre sur Thérèse.
Alors, toute la salle se remplit dune épaisse fumée, et
lombre de sur Thérèse apparut, se dirigeant vers la porte,
en se glissant le long de la muraille. Arrivée près de la
porte, elle sécria avec force : Voici un témoignage de la
miséricorde de Dieu. En disant ces mots, elle frappa le panneau
le plus élevé de la porte, et y laissa lempreinte de sa
main droite, brûlée dans le bois comme avec un fer rouge ;
puis elle disparut.
La sur Anna-Félicie était restée à moitié
morte de frayeur. Toute bouleversée, elle se mit à pousser
des cris et à appeler au secours. Une de ses compagnes accourt,
puis une autre, puis toute la communauté ; on sempresse autour
delle, et toutes sétonnent de sentir une odeur de bois brûlé.
La sur Anna-Félicie leur dit ce qui vient de se passer et leur
montre sur la porte la terrible empreinte. Elles reconnaissent aussitôt
la main de sur Thérèse, laquelle était remarquablement
petite. Epouvantées, elles senfuient, courent au chur, se mettent
en prière, passent la nuit à prier et à faire des
pénitences pour la défunte, et le lendemain toutes communient
pour elle.
La nouvelle se répand au dehors, et les diverses communautés
de la ville joignent leurs prières à celles des Franciscaines.
Le surlendemain, 18 novembre, sur Anna-Félicie étant entrée
dans sa cellule pour se coucher, sentendit appeler par son nom, et reconnu
parfaitement la voix de sur Thérèse. Au même instant,
un globe de lumière tout resplendissant apparaît devant elle,
éclairant la cellule comme en plein jour, et elle entend sur Thérèse
qui, dune voix joyeuse et triomphante, dit ces paroles : Je suis morte
un vendredi, le jour de la passion ; et voici quun vendredi je men vais
à la gloire ! Soyez fortes pour porter la croix, soyez courageuses
pour souffrir, aimez la pauvreté. Puis ajoutant avec amour : Adieu,
adieu, adieu ! elle se transfigure en une nuée légère,
blanche, éblouissante, senvole au ciel et disparaît.
Dans lenquête qui fut ouverte aussitôt, le 23 novembre,
en présence dun grand nombre de témoins, on ouvrit le tombeau
de sur Thérèse, et lempreinte brûlée de la
porte se trouva exactement conforme à la main de la défunte.
La porte avec lempreinte brûlée, ajoute MGR de Ségur
est conservée dans le couvent avec vénération. La
mère abbesse, témoin du fait, a daigné me la montrer
elle-même.
Voulant massurer de la parfaite exactitude de ces détails,
rapportés par PGR de Ségur, jen ai écrit à
lévêché de Foligno. On ma répondu en menvoyant
une relation circonstanciée parfaitement daccord avec le récit
qui précède, et accompagnée dun fac-simile de lempreinte
miraculeuse. Cette relation expliquait la cause de la terrible expiation
que subit la sur Thérèse. Après avoir dit : Ah !
combien je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! elle ajouta, que cétait
pour avoir, dans lexercice de son office du vestiaire, manqué à
quelques points de la stricte pauvreté prescrite par la règle.
La divine justice punit donc bien sévèrement les moindres
fautes.
On pourrait ici demander pourquoi lapparition, en faisant la mystérieuse
empreinte sur la porte, lappela un témoignage de la miséricorde
de Dieu ? Cest parce quen nous donnant un semblable avertissement, Dieu
nous fait une grande miséricorde : il nous presse daider les âmes
et de pourvoir à nous-même.
Puisque nous avons parlé dune empreinte brûlée,
rapportons un fait analogue, arrivé en Espagne et qui eut dans ce
pays une grande célébrité. Voici comment le raconte
Ferdinand de Castille, dans son Histoire de saint Dominique . Un religieux
dominicain vivait saintement dans son couvent de Zamorra, ville du royaume
de Léon. Il était lié damitié avec un frère
franciscain, comme lui homme de grande vertu. Un jour quils sentretenaient
ensemble des choses éternelles, ils se promirent mutuellement, que
le premier qui mourrait, si Dieu voulait bien le permettre, apparaîtrait
à lautre pour lui donner des avis salutaires. Le frère mineur
mourut le premier ; et un jour que son ami, le fils de saint Dominique,
préparait le réfectoire, il lui apparut. Après lavoir
salué avec respect et affection, il lui dit quil était du
nombre des élus ; mais quavant de pouvoir jouir du bonheur céleste,
il lui restait beaucoup à souffrir pour une infinité de petites
fautes dont il navait pas eu assez de repentir pendant sa vie. Rien sur
la terre, ajouta-t-il, ne peut donner une idée des tourments que
jendure, et Dieu me permet de vous en montrer un effet sensible. En
disant ces mots, il étendit la main droite sur la table du réfectoire
et la marque en resta empreinte dans le bois carbonisé, comme si
lon y eût appliqué un fer rouge.
Telle fut la leçon de ferveur que le franciscain défunt
donna à son ami vivant. Elle profita non seulement à lui,
mais à tous ceux qui virent cette marque de feu, si profondément
significative. Car cette table devint un objet de piété,
quon venait contempler de tout part ; on la voit encore à Zamorra,
dit le P. Rossignoli , au moment où jécris ; pour
la garantir on la recouverte dune feuille de cuivre. Elle sest conservée
jusquà la fin du siècle dernier ; depuis, les révolutions
lont fait disparaître, comme tant dautres souvenirs religieux.
Chapitre 15
Peines du purgatoire Le frère de sainte Madeleine de Pazzi
-
Stanislas Chocosca La B. Catherine de Racconiggi.
Sainte Madeleine de Pazzi, dans sa célèbre vision où
les différentes prisons du purgatoires lui furent montrées,
aperçut lâme de son frère, qui était mort après
avoir mené une vie fort chrétienne. Cependant cette âme
était retenue dans les souffrances pour certaines fautes quelle
navait pas expiées sur la terre. « Ce sont, dit la sainte,
des souffrances intolérables et cependant supportées avec
joie. Que nest-il donné de les comprendre à ceux qui manquent
de courage pour porter leur croix ici-bas ! ». Toute saisie
du douloureux spectacle quelle venait de contempler, elle courut chez
sa prieure, et se jetant à genoux. « O ma Mère, sécria-t-elle,
quelles sont terribles les peines du purgatoire ! Jamais je ne les aurais
crues telles, si le Seigneur ne me les eût montrées
Et néanmoins
je ne puis les appeler cruelles, elles sont plutôt avantageuses,
ces peines qui conduisent à lineffable félicité du
paradis. »
Pour impressionner davantage nos sens, il a plu à Dieu de faire
sentir à quelques saints personnages une légère atteinte
des peines expiatrices : comme une goutte de la
p.66 fin
p.67
coupe amère que les âmes ont à boire, comme une
étincelle du feu qui les dévore.
L'historien Bzovius, dans son Histoire de Pologne, sous l'année
1590, rapporte un événement miraculeux, arrivé au
vénérable Stanislas Chocosca, l'une des lumières de
l'Ordre de saint Dominique en Pologue (1). Un jour que ce religieux, plein
de charité pour les défunts, récitait le saint Rosaire,
il vit apparaître près de lui une âme toute dévorée
de flammes. Comme elle le suppliait d'avoir pitié d'elle et d'adoucir
les intolérables douleurs, que le feu de la divine justice lui faisait
endurer, le saint homme lui demanda si ce feu était plus douloureux
que celui de la terre ? « Ah ! s'écria cette âme,
tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire,
sont comme un souffle rafraîchissant. Ignes alii levis auroe locum
tenent, si cum ardore meo comparentur. » Stanislas avait peine
à le croire. « Je voudrais, dit-il, en faire l'épreuve.
Si Dieu le permet, pour votre soulagement et pour le bien de mon âme,
je consens à endurer une partie de vos peines. Hélas !
vous ne le sauriez. Sachez qu'un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt,
supporter un tel tourment. Toutefois Dieu vous permet d'en ressentir une
légère atteinte : étendez la main. » Chocosca
étendit la main, et le défunt y laissa tomber une goutte
de sa sueur, ou du moins d'un liquide qui en avait l'apparence. A l'instant
le religieux, poussant un cri perçant, tomba par terre sans connaissance,
tant la dou-leur était affreuse.
Ses frères accoururent et s'empressèrent de lui donner
les soins que réclamait son état. Quand il revint à
lui, tout plein encore de terreur, il raconta l'effroyable événe-ment
qui lui était arrivé et dont tous voyaient la preuve. «
Ah ! mes pères, ajouta-t-il, si nous connaissions la rigueur des
châtiments divins, jamais nous ne commettrions le moindre péché
; et nous ne cesserions de faire pénitence en cette vie, pour ne
pas devoir la faire en l'autre. »
Stanislas se mit au lit dès ce moment ; il vécut encore
une année dans les cruelles souffrances que lui causait l'ardeur
de sa plaie, puis, exhortant une dernière fois ses frères
à se souvenir des rigueurs de la divine justice dont il avait fait
une si terrible expérience, il expira dans la paix du Seigneur.
L'historien ajoute que cet exemple ranima la ferveur dans tous les monastères
de cette province.
Nous lisons un fait analogue dans la vie de la B. Catherine de Racconigi
(2). Un jour qu'elle était fort souffrante, au point d'avoir besoin
de l'assistance de ses soeurs, elle pensa aux âmes du purgatoire
; et, pour tempérer les ardeurs de leurs flammes, elle offrit à
Dieu les ardeurs que la fièvre lui faisait éprouver. En ce
moment entrant en extase, elle fut conduite en esprit dans le lieu des
expiations, où elle vit les flammes et les brasiers où les
âmes sont purifiées avec d'immenses douleurs. Pen-dant qu'elle
contemplait pleine de compassion ce lamen-table spectacle, elle entendit
une voix qui lui dit : Catherine, afin que tu procures plus efficacement
la déli-vrance de ces âmes, tu vas éprouver quelque
peu leurs tourments et en faire une expérience sensible. A l'in-stant
une étincelle se détache et vient la frapper à la
joue gauche. Les soeurs présentes virent très-bien cette
étin-celle, et elles virent aussi avec terreur le visage de la malade
s'enfler aussitôt d'une manière prodigieuse. Il de-meura plusieurs
jours en cet état, et, comme la bienheureuse le racontait à
ses soeurs, les souffrances que cette simple étincelle lui avait
fait éprouver surpassaient de loin tout ce qu'elle avait souffert
dans le cours de plusieurs maladies douloureuses.
Jusque-là Catherine s'était employée avec charité
à soulager les âmes du purgatoire ; mais à partir de
ce moment elle redoubla de ferveur et d'austérités pour accélérer
leur délivrance ; parce qu'elle savait par expé-rience le
grand besoin qu'elles ont de notre secours.
(1) Cf. Rossign. Merv. 67 (2) Diario Domenicano, 4 septemb. Cf. Rossig
Merv. 63.
Chapitre 16
Peines du purgatoire. Saint Antonin, le religieux malade. Le P. Rossignoli, durée d'un quart d'heure au purgatoire. Le Frère Angélique.
Ce qui montre encore la rigueur du purgatoire, c'est que le temps le
plus court y paraît très-long. Tout le monde sait que les
jours de joie passent vite et paraissent courts, tandis que nous trouvons
très-long le temps de la souffrance. Oh ! combien lentement s'écoulent
les heures de la nuit pour les pauvres malades qui les passent dans l'insomnie
et les douleurs ! Oh ! combien longue paraîtrait une minute, s'il
fallait, pendant cette minute, tenir la main plongée dans le feu
! L'on peut dire que, plus les peines qu'on souffre sont intenses, plus
la plus courte durée en paraît longue. Cette règle
nous fournit un nou-veau moyen d'apprécier les peines du purgatoire.
On trouve dans les Annales des Frères-Mineurs, sous l'année
1285, un fait que rapporte aussi saint Antonin dans sa Somme, partie IV,
§ 4. Un religieux souffrant depuis longtemps d'une douloureuse maladie,
se laissa vaincre par le découragement et supplia Dieu de le laisser
mourir afin d'être délivré de ses maux. Il ne songeait
pas que le prolongement de sa maladie était une miséricorde
de Dieu, qui voulait par là lui épargner des souffrances
plus rigoureuses.
En réponse à sa prière, Dieu chargea son ange
gardien de lui offrir le choix, ou de mourir immédiatement et de
subir trois jours de purgatoire, ou d'endurer sa maladie pendant une année
encore, et d'aller ensuite directement au ciel. Le malade ayant à
choisir entre trois jours de Purgatoire et une année de souffrances,
ne balança pas et prit les trois jours de purgatoire. Il mourut
donc sur l'heure et alla au séjour de l'expiation.
Au bout d'une heure son ange vint le visiter dans ses souffrances.
En le voyant, le pauvre patient se plaignit de ce qu'il l'avait laissé
si longtemps dans ces supplices. Cependant, ajouta-t-il, vous m'aviez promis
que je n'y serais que trois jours. Combien de temps, demanda l'ange,
pensez-vous avoir déjà souffert ? Au moins plu-sieurs années,
répondit-il, et je ne devais souffrir que trois jours. Sachez,
reprit l'ange, qu'il y a une heure seulement que vous êtes ici. La
rigueur de la peine vous trompe sur le temps : elle fait qu'un instant
vous paraît un jour, et une heure des années. Hélas
! dit-il alors en gémissant, j'ai été bien aveugle,
bien inconsidéré dans le choix que j'ai fait. Priez Dieu,
mon bon ange, qu'il me pardonne et me permette de retourner sur la terre
: je suis prêt à souffrir les plus cruelles infirmités,
non seulement pendant deux ans, mais aussi longtemps qu'il lui plaira.
Plutôt dix ans de maladies affreuses, qu'une seule heure dans ce
séjour d'inexprimables angoisses.
Le trait suivant est tiré d'un pieux auteur cité par
le Père Rossignoli (1). Deux religieux d'éminente vertu s'ex-citaient
mutuellement à mener la vie la plus sainte. L'un d'eux tomba malade
et connut par vision qu'il mour-rait bientôt, qu'il serait sauvé,
et qu'il serait seulement au purgatoire jusqu'à la première
messe qu'on célé-brerait pour lui. Plein de joie à
cette nouvelle, il s'em-pressa d'en faire part à son ami, et le
conjura de ne pas tarder après sa mort à célébrer
la messe qui devait lui ouvrir le ciel.
Il mourut le lendemain matin, et son saint compagnon, sans perdre de
temps, alla offrir pour lui le saint sacri-fice. Après la messe,
comme il faisait son action de grâces et continuait à prier
pour le défunt, celui-ci lui apparut rayonnant de gloire ; mais
d'un ton de plainte amicale, il lui demanda pourquoi il avait tant différé
de célébrer cette seule messe dont il avait eu besoin ?
« Mon bienheureux frère, répondit le religieux, j'ai
tant différé, dites-vous ? Je ne vous comprends pas. Eh
! ne m'avez-vous pas laissé souffrir plus d'une année, avant
de dire la messe pour moi ? En vérité, mon frère,
j'ai
(1) Merv. 17.
commencé le saint sacrifice aussitôt après
votre décès : il n'y a pas eu un quart d'heure d'intervalle.
» Le bienheureux le regar-dant alors avec émotion, s'écria
: « Qu'elles sont donc terribles ces peines expiatrices, puisqu'elles
m'ont fait prendre quelques minutes pour une année ! Servez Dieu,
mon frère, avec une exacte fidélité afin d'éviter
de tels châtiments. Adieu, je vole au ciel, où vous viendrez
bientôt me joindre. »
Cette rigueur de la divine justice à l'égard des âmes
les plus ferventes, s'explique par l'infinie sainteté de Dieu qui
découvre des taches dans ce qui nous paraît le plus pur. Les
annales de l'Ordre de Saint-François (1) parlent d'un religieux
que son éminente piété avait fait surnom-mer l'Angélique.
Il mourut saintement dans un couvent de Frères-Mineurs à
Paris ; et un de ses confrères, doc-teur en théologie, persuadé
qu'après une vie si parfaite il était allé droit au
ciel et qu'il n'avait nul besoin de prières, omit de célébrer
pour lui les trois messes d'obligation selon l'institut pour chaque défunt.
Au bout de quel-ques jours, comme il se promenait en méditant
dans un endroit solitaire, le défunt se présenta à
lui tout environné de flammes et lui dit d'une voix lamentable :
« Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi.
Eh quoi ! frère Angélique, vous avez besoin de mon secours
? Je suis retenu dans les feux du purgatoire, et j'attends le fruit du
saint Sacrifice que vous deviez offrir trois fois pour moi. Frère
bien-aimé, j'ai cru que vous étiez déjà en
possession de la gloire. Après une vie fervente et exemplaire comme
la vôtre, je n'ai pu m'imaginer qu'il vous restât quelque peine
à subir. Hélas ! hélas ! reprit le défunt,
personne ne croirait avec quelle sévérité Dieu juge
et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre
dans nos meilleures actions des côtés défectueux, des
imperfections qui lui déplaisent. Il nous fait rendre compte jusqu'à
la dernière obole usque ad novissimum quadrantem. »
Chapitre 17
Peines du purgatoire. La Bienheureuse Quinziani.
L'empereur Maurice.
Dans la vie de la B. Étiennette Quinziani (2), reli-gieuse dominicaine, il est parlé d'une soeur, appelée Paule, qui mourut au couvent de Mantoue, après une longue vie, sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l'église et placé à découvert dans le choeur, au milieu des religieuses. Pendant l'office, la B. Quinziani s'était agenouillée auprès de la bière, recommandant à Dieu la défunte qui lui avait été fort chère ; lorsque celle-ci tout à coup, laissant tomber le crucifix qu'on lui avait mis entre les mains, étend le bras gauche, et saisissant la main droite de la bienheu-reuse, la serre étroitement, comme ferait une malade qui dans les ardeurs de la fièvre demande secours à une amie. Elle la tint serrée pendant un temps considérable, puis retira son bras qui retomba inanimé dans le cercueil. Les religieuses, étonnées de ce prodige, en demandèrent l'explication à la bienheureuse. Elle répondit que lorsque la défunte lui serrait la main, une voix non articulée lui avait parlé au fond du coeur, disant : « Secourez-moi, ma soeur, secourez-moi dans les affreux supplices que j'endure. Oh ! si vous saviez la sévérité du Juge qui veut notre amour, quelle expiation il exige des moindres fautes avant de nous admettre à la récompense ! Si vous saviez combien il faut être pur pour voir la face de Dieu ! Priez, priez et faites pénitence pour moi, qui ne peux plus m'aider. »
(1) Chronique des Frères Min. p. 2. 1. 4. c. 8. Cf. Rossign.
Merv. 36.
(2) Auctore Franc. Seghizzo. Cf. Merv. 42. Marchese 2 janv.
La Bienheureuse, touchée de la prière de son amie,
se livra à toutes sortes de pénitences et d'oeuvres satisfac-toires,
jusqu'à ce qu'une nouvelle révélation vint lui apprendre
que soeur Paule était enfin délivrée de ses supplices
et admise dans la gloire.
La conclusion naturelle qui ressort de ces terribles manifestations
de la divine justice, c'est qu'il faut se hâter de satisfaire en
cette vie. Certes, un coupable condamné à être brûlé
vif, ne refuserait pas une peine plus légère si on lui en
laissait le choix. Supposez qu'on lui dise : Vous pouvez vous libérer
de ce terrible supplice, à condition que durant trois jours vous
jeûniez au pain et à l'eau ; s'y refuserait-il ? Celui qui
préférerait le tourment du feu à cette légère
pénitence, ne serait-il pas regardé comme ayant perdu la
raison ? Or, préfé-rer le feu du purgatoire à la pénitence
chrétienne en cette vie, est une extravagance incomparablement plus
grande.
L'empereur Maurice le comprit et fut plus sage. L'histoire rapporte
(1) que ce prince, malgré ses bonnes qualités qui l'avaient
rendu cher à saint Grégoire-le-Grand, commit sur la fin de
son règne une faute considérable, et l'expia par un repentir
exemplaire.
Ayant perdu une bataille contre le Kan ou roi des Avares, il refusa
de payer la rançon des prisonniers, quoiqu'on ne demandât
par tête que la sixième partie d'un sou d'or, ce qui faisait
moins de vingt sous de notre monnaie. Ce refus sordide mit le vainqueur
barbare dans une telle colère, qu'il fit massacrer sur-le-champ
les sol-dats Romains, au nombre de douze mille. Alors l'empe-reur reconnut
sa faute et la sentit si vivement, qu'il envoya de l'argent et des cierges
aux principales églises et aux principaux monastères, afin
qu'on y priât le Seigneur de le punir en cette vie plutôt qu'en
l'autre.
Ces prières furent exaucées. L'an 602, ayant voulu obliger
ses troupes à passer l'hiver au delà du Danube, elles se
mutinèrent avec fureur, chassèrent leur général
Pierre, frère de Maurice, et proclamèrent empereur un simple
centurion, nommé Phocas. La ville impériale suivit l'exemple
de l'armée. Maurice fut obligé de s'enfuir de nuit, après
avoir quitté toutes les marques de sa puis-sance, qui ne faisaient
plus que son effroi. Il n'en fut pas moins reconnu.
On l'arrêta avec sa femme, cinq de ses fils et ses trois filles,
c'est-à-dire tous ses enfants, excepté l'aîné
de ses fils, nommé Théodose, qu'il avait fait déjà
couronner empereur, et qui échappa pour lors au tyran. Maurice et
ses cinq fils furent impitoyablement égorgés, près
de Chalcédoine. Le carnage commença par les jeunes princes,
qu'on fit mourir sous les yeux de cet infortuné père, sans
qu'il lui échappât un seul mot de plainte. Songeant aux peines
de l'autre vie, il s'estimait heureux de pouvoir souffrir dans la vie présente
; et durant tout le massacre, on n'entendit sortir de sa bouche que ces
paroles du psaume : Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement
est équitable. Ps. 118.
Chapitre 18
Peines du purgatoire. Sainte Perpétue. Sainte Gertrude.
Sainte Catherine de Gênes. Le Frère Jean de Via
Comme nous l'avons dit plus haut, la peine du sens a divers degrés
d'intensité : elle est moins terrible pour les âmes qui n'ont
pas de péchés graves à expier, ou qui ayant fini déjà
cette expiation plus rigoureuse, approchent de leur délivrance.
Beaucoup de
(1) Bérault, Histoire ecclés. année 602.
ces âmes ne souffrent plus alors que la seule peine du dam,
même elles commencent déjà à briller des premiers
rayons de la gloire et à goûter comme les prémices
de la béatitude.
Lorsque sainte Perpétue (1) vit au purgatoire son jeune frère
Dinocrate, cet enfant ne semblait pas soumis à de cruelles tortures.
L'illustre martyre écrivit elle-même le récit de cette
vision, dans sa prison de Carthage, où elle avait été
enfermée pour la foi de Jésus-Christ, lors de la persécution
de Septime-Sévère, l'an 205. Le purgatoire lui apparut sous
la figure d'un désert aride, où elle vit son frère
Dinocrate qui était mort à l'âge de sept ans. L'enfant
avait un ulcère au visage, et tourmenté par la soif, il cherchait
vainement à boire des eaux d'une fon-taine, qui était devant
lui, mais dont les bords étaient trop élevés pour
qu'il y pût atteindre.
La sainte martyre comprit que l'âme de son frère était
au lieu des expiations et réclamait le secours de ses prières.
Elle pria donc pour lui ; et trois jours après, dans une nouvelle
vision, elle vit le même Dinocrate au milieu d'un jardin délicieux
: son visage était beau comme celui d'un ange, il était revêtu
d'une très belle robe, les bords de la fontaine étaient abaissés
devant lui, il puisait dans ses eaux vives avec une coupe d'or, et se désaltérait
à longs traits. La sainte connut alors que l'âme de son
jeune frère jouissait enfin des joies du paradis.
Nous lisons dans les révélations de sainte Gertrude (2),
qu'une jeune religieuse de son monastère, qu'elle aimait singulièrement
à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus
beaux sentiments de piété. Pendant qu'elle recommandait ardemment
cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase, et
eût une vision. La défunte lui fut montrée devant le
trône de Dieu, environnée d'une bril-lante auréole
et couverte de riches vêtements. Cependant elle paraissait triste
et préoccupée : ses yeux étaient baissés, comme
si elle eût eu honte de paraître devant la face de Dieu ; on
eût dit qu'elle voulait se cacher et s'en-fuir. Gertrude, toute
surprise, demanda au divin Époux des vierges, la cause de cette
tristesse et de cet embarras dans une âme si sainte : Très-doux
Jésus, s'écria-t-elle, pourquoi dans votre bonté infinie
n'invitez-vous pas votre épouse à s'approcher de vous et
à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi la laissez-vous
à l'écart triste et craintive ? » Alors Notre-Seigneur,
avec un sourire d'amour, fit signe à cette sainte âme de s'ap-procher
; mais elle, de plus en plus troublée, après avoir hésité
un peu, toute tremblante, s'inclina profondément et s'éloigna.
A cette vue sainte Gertrude, s'adressant directement à l'âme
: « Eh ! quoi, ma fille, lui dit-elle, vous vous éloignez
quand le Seigneur vous appelle ? Vous qui avez soupiré toute votre
vie après Jésus, maintenant qu'il vous tend les bras, vous
reculez devant lui ! » « Ah ! ma mère, répondit
cette âme, je ne suis pas digne encore de paraître devant l'Agneau
immaculé ; il me reste des souillures que j'ai contractées
sur la terre. Pour s'approcher du soleil de justice, il faut être
plus pur que le rayon de la lumière : je n'ai pas encore cette pureté
parfaite qu'il veut contempler dans ses saints. Sachez que, si la porte
du ciel m'était ouverte, je n'oserais en franchir le seuil, avant
d'être entièrement purifiée des plus petites taches
; il me semble que le choeur des vierges qui suivent les pas de l'Agneau,
me repousserait avec horreur. Et pourtant, reprit la sainte Abbesse,
je vous vois environnée de lumière et de gloire ! Ce que
vous voyez, répondit l'âme, n'est que la frange du vêtement
de la gloire : pour revêtir cette robe ineffable du ciel, il faut
ne plus avoir une ombre de souillure. »
Cette vision nous montre une âme bien près de la gloire
; mais elle indique en même temps que cette âme est éclairée
tout autrement que nous sur l'infinie sainteté de Dieu. La connaissance
claire de cette sainteté lui fait rechercher, comme un bien, les
expiations dont elle a besoin pour être digne des regards du Dieu
trois fois saint.
(1) 7 mars. (2) 15 novembre. Revelationes Gertrudianoe ac Mechtildianoe. Henri Oudin, Pictav. 1875.
C'est, du reste, ce qu'enseigne expressément sainte Cathe-rine
de Gênes. On sait que cette sainte a reçu de Dieu des lumières
toutes particulières sur l'état des âmes dans le purgatoire
: elle a écrit un opuscule, intitulé Traité du purgatoire,
qui jouit d'une autorité semblable aux oeuvres de sainte Thérèse.
Or, au chapitre VIII, elle s'exprime ainsi :
« Le Seigneur est tout miséricorde : il se tient, vis-à-vis
de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois
aussi que cette divine essence est d'une telle pureté, que l'âme
ne saurait soutenir son regard, à moins d'être absolument
immaculée. Si elle trouvait en soi le moindre atome d'imperfection,
plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la
Majesté infinie, elle se précipiterait au fond de l'enfer.
Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures,
elle s'y élance ; et elle estime que c'est par l'effet d'une grande
miséricorde, qu'un lieu lui est donné pour se délivrer
de l'empêchement au bonheur suprême qu'elle voit en elle. »
L'Histoire de l'origine de l'Ordre séraphique (1) fait mention
d'un saint religieux, appelé le Frère Jean de Via, qui mourut
pieusement dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, le Frère
Ascension, était en prière dans sa cellule et recommandait
à
Dieu l'âme du défunt, lorsque tout à coup il aperçut
devant lui un religieux de son ordre, mais qui paraissait transfiguré
: il était tout radieux et remplissait la cellule d'une douce clarté.
Le frère tout hors de lui, ne le reconnut pas, mais s'enhardit assez
pour lui demander qui il était et quel était le sujet de
sa visite. « Je suis, répondit l'apparition, l'esprit du
Frère Jean de Via : je vous rends grâces pour les prières
que vous faites monter au ciel en ma faveur, et je viens vous demander
encore un acte de charité. Sachez que, grâce à la divine
miséricorde, je suis dans le lieu du salut, parmi les prédestinés
à la gloire : la lumière qui m'environne en est une preuve.
Cependant je ne suis pas digne encore de voir la face du Seigneur, à
cause d'un manquement qu'il me faut expier. Durant ma vie mortelle, j'ai
omis par ma faute, et cela plusieurs fois, de réciter l'office pour
les défunts, lorsqu'il était prescrit par la règle.
Je vous conjure, mon frère, par l'amour que vous avez pour Jésus-Christ,
de faire en sorte que ma dette soit acquittée en cette matière,
afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. »
Le Frère Ascension courut au Père Gardien, raconta ce
qui lui était arrivé, et on s'empressa d'acquitter les offices
demandés. Alors l'âme du bienheureux Frère Jean de
Via se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore : elle était
en possession de la félicité complète.
Chapitre 19
Peines du purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi et la soeur Benoîte. Sainte Gertrude. La B. Marguerite-Marie et la Mère de Montoux
On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, qu'une de ses soeurs
nommée Marie-Benoîte, religieuse d'une éminente vertu,
mourut entre ses bras. Pendant son agonie, elle aperçut une multitude
d'anges, qui l'environ-naient d'un air joyeux, attendant qu'elle rendît
son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste ;
et, au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme
bien-heureuse sous la forme d'une colombe, dont la tête était
dorée, et disparaître avec elle.
Trois heures après, veillant et priant auprès du saint
corps, Madeleine connut que l'âme de la défunte n'était
ni en paradis ni au purgatoire, mais dans un lieu particulier où,
sans souffrir aucune peine sensible, elle était privée de
la vue de son Dieu.
(1) Partie 4. n. 7. Cf. Merv. 83.
Le lendemain, comme on célébrait la messe pour l'âme
de Marie-Benoîte, au Sanctus, Madeleine fut ravie de nouveau en extase,
et Dieu lui fit voir cette âme bienheu-reuse au sein de la gloire,
où elle venait d'entrer.
Madeleine se permit de demander au Sauveur Jésus pourquoi il
n'avait pas admis plus tôt cette âme chérie en sa sainte
présence ? Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière
maladie, la soeur Benoîte s'était montrée trop sensible
aux peines qu'on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque
temps son union habituelle avec Dieu, et sa conformité parfaite
à la divine volonté.
Revenons encore aux révélations de sainte Gertrude, que
nous avons citées plus haut : nous y trouvons un autre trait qui
montre comment, pour certaines âmes du moins, le soleil de la gloire
est précédé d'une aurore et se lève par degrés.
Une religieuse était morte à la fleur de son âge, dans
le baiser du Seigneur. Elle s'était fait remarquer par une tendre
dévotion au Saint-Sacrement. Après sa mort, sainte Gertrude
la vit toute brillante de célestes clartés, agenouillée
devant le divin Maître, dont les plaies glorifiées paraissaient
comme des foyers lumi-neux : il s'en échappait cinq rayons enflammés
qui allaient atteindre les cinq sens de la défunte. Celle-ci néanmoins
gardait sur le front comme un nuage d'ineffable tristesse. « Seigneur
Jésus, s'écria la sainte, comment pouvez-vous illuminer de
la sorte votre servante, sans qu'elle éprouve une joie parfaite
? Jusqu'à cette heure, répondit le doux Maître, cette
soeur a été digne seulement de contempler mon humanité
glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq plaies, en récompense
de sa tendre dévotion au mystère de l'Eucharistie ; mais,
à moins de nombreux suffrages en sa faveur, elle ne peut être
admise encore à la vision béatifique, à cause de quelques
légers manquements dans l'observation de ses saintes règles.
»
Terminons ce que nous avons à dire sur la nature des peines
par quelques détails que nous trouvons dans la vie de la B. Marguerite
Marie de la Visitation. Ils sont tirés en partie du mémoire
de la mère Greffier, cette Supérieure qui, sagement défiante
au sujet des grâces extraordi-naires accordées à la
Bienheureuse soeur Marguerite, ne commença à en reconnaître
la vérité qu'après mille épreuves. La mère
Philiberte Emmanuel de Montoux, Supérieure d'Annecy, mourut le 2
février 1683, après une vie qui édifia tout l'Institut.
La mère Greffier la recommanda particulièrement aux prières
de sur Marguerite. Au bout de quelque temps, celle-ci dit à sa
supérieure que Notre-Seigneur lui avait fait connaître que
cette âme lui était fort chère, à cause de son
amour et de sa fidélité à son service ; qu'il lui
gardait une ample récompense dans le ciel, après qu'elle
aurait achevé de se purifier dans le purgatoire.
La Bienheureuse vit la défunte dans le lieu des expia-tions
: Notre-Seigneur la lui montra dans les souffrances, mais recevant de grands
soulagements par l'application des suffrages et des bonnes oeuvres, qu'on
offrait tous les jours pour elle dans tout l'Ordre de la Visitation. La
nuit du jeudi-saint au vendredi, tandis que soeur Marguerite priait encore
pour elle, il la lui fit voir comme étant placée sous le
calice qui contenait l'hostie, au reposoir de l'Adora-tion : là
elle participait aux mérites de son agonie au jardin des Olives.
Le jour de Pâques, qui cette année tombait au 18 avril,
la bienheureuse la vit comme dans un commencement de félicité,
désirant et espérant bientôt la vue et la posses-sion
de Dieu.
Enfin, quinze jours après, le 2 mai, dimanche du Bon Pasteur,
elle la vit comme s'abîmant doucement dans la gloire, chantant mélodieusement
le cantique de l'amour divin.
Voici comment la B. Marguerite rend compte elle-même de
cette dernière apparition dans une lettre adressée ce jour
même, 2 mai 1623, à la mère de Saumaise à Dijon
(1) :
« Vive Jésus ! Mon âme se sent pénétrée
d'une si grande joie, que j'ai peine à la contenir en moi-même.
Permettez-moi, ma bonne Mère, de la communiquer à votre coeur,
qui ne fait qu'un avec le mien en celui de Notre-Seigneur. Ce matin, dimanche
du Bon Pasteur, deux de mes bonnes amies souffrantes, à mon réveil,
me sont venues dire adieu : c'était aujourd'hui que le souverain
Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d'un million
d'autres âmes. Toutes deux, mêlées à cette multitude
bienheureuse, s'en allaient avec des chants d'allégresse inexprimables.
L'une est la bonne mère Philiberte Emmanuel de Monthoux ; l'autre,
ma soeur Jeanne Cathe-rine Gâcon. L'une répétait sans
cesse ces paroles : L'amour triomphe, l'amour jouit, l'amour en Dieu se
réjouit. L'autre disait : Bienheureux sont les morts qui meurent
dans le Sei-gneur, et les religieux qui vivent et meurent dans l'exacte
observance de leurs règles. Toutes deux veulent que je vous dise
de leur part, que la mort peut bien séparer les amis, mais non les
désunir.
» Si vous saviez combien mon âme a été transportée
de joie ! Car en leur parlant je les voyais peu à peu s'abîmer
dans la gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan.
Elles vous demandent en action de grâces à la très-auguste
Trinité, un Laudate et trois Gloria Patri. Comme je les priais
de se souvenir de nous, elles m'ont dit, pour dernières paroles,
que l'ingratitude n'est jamais entrée dans le ciel. »
Chapitre 20
Diversité des peines. Le roi Sanche et la reine Gude. Sainte Lidvine et l'âme transpercée. La B. Marguerite et le lit de feu.
D'après les révélations des saints, il y a dans
les peines afflictives du purgatoire une grande diversité. Bien
que le feu soit le supplice dominant, il y a aussi le tourment du froid,
il y a la torture des membres, et des supplices appliqués aux différents
sens du corps humain. Cette diversité de peines est ordonnée
par la divine Justice,
(1) Écrits et correspond. de la B. Marg. Marie.
p.82 fin
p.83
et semble surtout répondre à la nature des péchés,
qui exigent chacun son châtiment propre, selon cette parole : Quia
per quoe peccat quis, per hoec et torquetur, l'homme est puni par où
il a péché (1). Il convient au reste qu'il en soit ainsi
pour le châtiment, puisque la même diversité existe
pour les récompenses. Chacun reçoit au ciel selon ses oeuvres,
et, comme dit le vénérable Bède, chacun reçoit
sa couronne, son vêtement de gloire : vête-ment qui pour le
martyr a la splendeur de la pourpre, et pour le confesseur l'éclat
d'une blancheur éblouis-sante.
L'historien Jean Vasquez (2), dans sa Chronique, sous l'année
940, rapporte comment Sanche, roi de Léon, apparut à la reine
Gude, et fut délivré du purgatoire par la piété
de cette princesse. Sanche avait vécu en excellent chrétien
et mourut empoisonné par un de ses sujets. La reine Gude, sa femme,
s'occupa de prier et de faire prier pour le repos de son âme ; non
contente de faire célébrer un grand nombre de messes, elle
prit le voile dans le monastère de Castille, où le corps
de son mari avait été déposé, afin de pouvoir
pleurer et prier auprès de ces chères dépouilles.
Comme elle priait un jour de samedi aux pieds de la très-sainte
Vierge, pour lui recommander l'âme de son mari, Sanche lui apparut,
mais dans quel état, grand Dieu ! il était couvert d'habits
de deuil, et portait comme ceinture un double rang de chaînes rougies
au feu. Après avoir remercié sa pieuse veuve pour ses suffrages,
il la conjura de continuer son oeuvre de charité. « Ah ! si
vous saviez, Gude, ce que j'endure, lui dit-il, vous feriez bien davantage
encore. Par les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi,
chère Gude, secourez-moi : ces flammes me dévorent ! »
La reine redoubla de prières, de jeûnes et de bonnes
uvres : elle répandit de royales aumônes dans le sein
des pauvres, fit célébrer des messes de toutes parts, et
donna au monastère un magnifique ornement pour les offices de l'autel.
Au bout de quarante jours, le roi lui apparut de nou-veau : il
était délivré de sa ceinture brûlante et de
toutes ses souffrances ; à la place de ses habits de deuil, il portait
un manteau d'une éclatante blancheur, semblable à l'ornement
sacré que Gude avait donné pour lui au monastère.
« Me voici, chère Gude, dit-il à la reine : grâce
à vous, je suis délivré de mes souffrances. Soyez
bénie, à jamais ! Persévérez dans vos saints
exercices, méditez souvent la rigueur des peines de l'autre vie
et les joies du paradis, où je vais vous attendre. » A ces
mots il disparut, laissant la pieuse Gude inondée de consolation.
Un jour une femme toute désolée vint annoncer à
sainte Lidvine qu'elle venait de perdre son frère. « Mon frère,
dit-elle, vient de mourir et je recommande sa pauvre âme à
votre charité. Offrez à Dieu pour elle quelques prières
et une partie des souffrances de votre maladie. » La sainte malade
le lui promit, et peu de temps après, dans un de ses ravissements
si fré-quents, elle fut conduite par son ange gardien dans les prisons
souterraines, où elle vit avec une extrême com-passion les
tourments des pauvres âmes plongées dans les flammes. L'une
d'elles attira particulièrement son attention : elle la voyait transpercée
de part en part par des broches de fer. Son ange lui dit que c'était
là le frère défunt de cette femme, qui était
venue demander pour lui le secours de ses prières. « Si vous
voulez, ajouta-t-il, demander quelque grâce en sa faveur, elle ne
vous sera pas refusée. Je demande donc, répondit-elle,
qu'il soit délivré de ces horribles fers qui le transpercent.
» Aussitôt elle vit qu'on les arrachait au malheu-reux et
qu'on le conduisait de cette prison spéciale, dans la prison commune
aux âmes qui n'ont encouru aucun supplice particulier.
1) Sap. XI, 17. (2) Cf. Merv. 8.
La soeur du défunt étant revenue peu après
auprès de sainte Lidvine, celle-ci lui fit connaître la triste
situation de son frère, et l'engagea à l'aider en multiptiant
pour lui les prières et les aumônes. Elle-même offrit
à Dieu ses supplications et ses souffrances, jusqu'à ce que
la pauvre âme fût enfin délivrée (1).
Nous lisons dans la Vie de la B. Marguerite-Marie, qu'une âme
fut torturée dans un lit de tourment, à cause de sa paresse
durant la vie ; qu'en même temps elle eut à subir un supplice
particulier dans son coeur, à cause de ses mauvais sentiments, et
dans sa langue, en punition de ses paroles peu charitables. En outre, elle
eut à souffrir une peine affreuse d'un genre tout différent,
causée, non par le feu ou par le fer, mais par la vue épouvantable
d'une damnation. Voici comment la Bienheureuse rapporte elle-même
cet événement dans ses écrits :
« Je vis en songe, dit-elle, une de nos soeurs décédée
depuis quelque temps. Elle me dit qu'elle souffrait beaucoup en purgatoire
; mais que Dieu venait de lui faire sentir une douleur qui surpassait toutes
ses peines, en lui montrant une de ses proches parentes précipitée
dans l'enfer.
» Je me réveillai sur ces paroles, et je sentis tout mon
corps comme si brisé, que j'avais peine à me remuer. Comme
on ne doit point croire aux songes, je ne fis pas grande réflexion
sur celui-là ; mais cette religieuse m'en fit bien faire malgré
moi. Car, depuis ce moment, elle ne me donna point de repos, et elle me
disait incessamment : Priez Dieu pour moi, offrez-lui vos souffrances,
unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes,
et donnez-moi tout ce que vous ferez jusqu'au premier vendredi de mai,
où vous communierez pour moi.
» Je le fis avec la permission de ma supérieure.
» Cependant la peine que cette fille souffrante me com-muniquait,
s'augmenta si fort, qu'elle m'accablait et me rendait impossible tout soulagement
et repos. L'obéis-sance me fit retirer pour en prendre dans mon
lit ; mais, je n'y fus pas plutôt, qu'il me semblait l'avoir proche
de moi qui me disait : « Te voilà dans ton lit bien à
ton aise ; regarde celui où je suis couchée, et où
je souffre des maux intolérables. » Je vis ce lit, qui me
fait encore fré-mir toutes les fois que j'y pense. Le dessus et
le dessous était de pointes aiguës et enflammées, qui
entraient dans la chair : elle me dit alors que c'était à
cause de sa paresse et négligence dans l'observance des règles.
« On me déchire le coeur, ajouta-t-elle, ce qui est ma plus
cruelle douleur, pour mes pensées de murmure et désapprouvement,
dans lesquelles je me suis entretenue contre mes supérieures.
Ma langue est rongée de vermine, et on me l'arrache continuellement,
pour les paroles que j'ai dites contre la charité et pour mon peu
de silence. Ah ! que je voudrais bien que toutes les âmes consacrées
à Dieu pussent me voir dans ces horribles tourments ! Si je pouvais
leur faire voir ce qui est préparé à celles qui vivent
négligemment dans leur vocation, elles marcheraient avec une tout
autre ardeur dans leurs observances, et se garderaient bien de tomber dans
les défauts qui me font maintenant tant souffrir. »
» Je fondis en larmes à ce spectacle. Cependant l'âme
souffrante continua : Hélas ! dit-elle, un jour d'exactitude au
silence, observé par toute la communauté, guérirait
ma bouche altérée ; un autre, passé dans la pratique
de la sainte charité, guérirait ma langue ; un troisième,
passé sans aucun murmure ni désapprouvement contre la supérieure,
guérirait mon coeur déchiré : mais personne ne pense
à me soulager. »
» Après que j'eus fait la communion qu'elle m'avait demandée,
elle me dit que ses horribles tourments étaient bien diminués
; mais qu'elle était encore en purgatoire pour longtemps, condamnée
à souffrir les peines qui sont dues aux âmes tièdes
dans le service de Dieu.
1) Vie de sainte Lidvine.
» Pour moi, ajoute la B. Marguerite, je me trouvai dès
lors affranchie de mes peines, lesquelles, m'avait-elle dit, ne diminueraient
point qu'elle-même ne fût sou-lagée (1). »
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Chapitre 21
Diversité des peines. Blasio ressuscité par saint Bernardin. La vénérable Françoise de Pampelune et la plume de feu. Saint Corprée et le roi Malachie.
Le célèbre Blasio Masseï, ressuscité par saint
Bernardin de Sienne (2), vit aussi au purgatoire une grande diversité
de peines. Ce miracle se trouve exposé au long dans les Acta Sanctorum,
appendice au 20 mai.
Peu de temps après la canonisation de saint Bernardin
de Sienne, mourut à Cascia au royaume de Naples, un enfant de onze
ans, appelé Blasio Masseï. Ses parents lui avaient inspiré
la dévotion qu'ils avaient eux-mêmes à ce nouveau Saint,
et celui-ci sut les en récompenser. Le lendemain de la mort, comme
on allait l'ensevelir, Blasio se réveilla comme d'un profond sommeil,
et dit que saint Bernardin le ramenait à la vie pour raconter les
merveilles qu'il lui avait fait voir dans l'autre monde.
On comprend l'étonnement et la curiosité que produisit
cet événement. Pendant un mois entier le jeune Blasio ne
fit que parler de ce qu'il avait vu, et répondre aux ques-tions
que lui faisaient les visiteurs. Il parlait avec une naïveté
d'enfant, mais en même temps avec une exactitude d'expression, une
connaissance des choses de la vie future, qui était de loin au-dessus
de son âge.
Au moment de sa mort, disait-il, saint Bernardin s'était
présenté devant lui, et l'avait pris par la main en lui disant
: « N'ayez pas peur ; mais regardez bien tout ce que je vous montrerai,
afin de le retenir et de le raconter après. »
Or le saint conduisit successivement son jeune protégé,
dans les régions de l'enfer, du purgatoire, des limbes, et enfin
il lui fit voir le ciel.
Dans l'enfer Blasio vit des horreurs inexprimables, et
les supplices divers par lesquels les orgueilleux, les avares, les impudiques
et les autres pécheurs étaient tour-mentés. Parmi
eux il en reconnut plusieurs qu'il avait vus durant la vie, et même
il en vit arriver deux qui venaient de mourir, Buccerelli et Frascha. Ce
dernier était damné pour avoir possédé des
biens mal acquis. Le fils de Frascha, frappé de cette révélation
comme d'un coup de foudre, connaissant d'ailleurs la vérité
des choses, s'empressa de faire une restitution complète ; et non
content de cet acte de justice, pour ne point s'exposer à partager
un jour le triste sort de son père, il distribua aux pauvres le
reste de sa fortune et embrassa la vie monastique.
Conduit de là au purgatoire, Blasio y vit aussi des sup-
plices effroyables, diversifiés d'après les péchés
dont ils étaient le châtiment. Il y reconnut un grand nombre
d'âmes, et plusieurs d'entr'elles le prièrent d'avertir leurs
parents et proches de leur douloureuse situation, elles leur indiquaient
même les suffrages et bonnes oeuvres dont elles avaient besoin.
Lorsqu'on l'interrogeait sur l'état d'un défunt, il répondait
sans hésiter et donnait les détails les plus précis.
« Votre père, dit-il, à un de ses visiteurs, est au
purgatoire depuis tel jour ; il vous a chargé de distribuer telle
somme en aumônes, et vous ne l'avez pas exécuté.
Votre
1) Languet, Vie de la B. Marg. (2) 20 mai.
frère, dit-il à un autre, vous avait demandé
de faire célébrer autant de messes, et vous en étiez
convenu avec lui ; mais vous n'avez pas rempli votre engagement : il reste
encore autant de messes à acquitter. »
Blasio parlait aussi du ciel où il avait été
conduit en dernier lieu ; mais il en parlait à peu près
comme saint Paul, qui, ayant été ravi au troisième
ciel, avec son corps ou sans son corps, ce qu'il ne savait pas ; y avait
entendu des paroles mystérieuses qu'une bouche mortelle ne sau-rait
redire. Ce qui avait surtout frappé les regards de l'enfant, c'était
l'immense
multitude des anges qui entou-raient le trône de Dieu, et la beauté
incomparable de la sainte Vierge Marie, élevée au-dessus
de tous les choeurs des anges.
La vie de la vénérable mère Françoise du
Saint-Sacre-ment, religieuse de Pampelune (1), présente plusieurs
faits qui montrent comment les peines sont appropriées aux fautes
à expier. Cette vénérable servante de Dieu avait les
communications les plus intimes avec les âmes du purgatoire, jusque-là
qu'elles venaient en grand nombre et remplissaient sa cellule, attendant
humblement, cha-cune à son tour, qu'elle les aidât par ses
prières. Souvent, pour mieux exciter sa compassion, elles lui apparais-saient
avec les instruments de leurs péchés, devenus dans l'autre
vie des instruments de torture. Elle vit un jour un religieux, entouré
d'objets précieux, de tableaux, de fau-teuils embrasés. Il
avait amassé ces sortes de choses dans sa cellule contrairement
à la pauvreté religieuse ; après sa mort, elles faisaient
son tourment. D'autres fois c'étaient des prêtres, avec
leurs ornements en feu : l'étole transformée en chaîne
brûlante, les mains couver-tes d'ulcères hideux. Ils étaient
ainsi punis pour avoir célé-bré sans respect les divins
Mystères.
Un notaire lui apparut un jour avec tous les insignes de sa profession,
lesquels tout en feu et accumulés autour de lui, le faisaient souffrir
horriblement. « J'ai employé cette plume, cette encre, ce
papier, lui dit-il, à dresser des actes illicites. J'avais aussi
la passion du jeu, et ces cartes brûlantes que je suis forcé
de tenir continuellement en main, font mon châtiment. Cette bourse
embrasée contient mes gains illicites et me les fait expier. »
De tout ceci ressort un grand et salutaire enseignement. Les créatures
sont données à l'homme comme moyens pour servir Dieu : il
doit en faire des instruments de vertus et de bonnes uvres ; s'il en abuse
et en fait des instru-ments de péché, il est juste qu'elles
soient tournées con-tre lui et deviennent les instruments de son
châtiment.
La vie de saint Corprée, Évêque d'Irlande, qu'on
trouve dans les Bollandistes sous le 6 mars, nous fournit un autre exemple
du même genre. Un jour que ce saint Prélat était en
prière après l'office, il vit se dresser devant lui un personnage
horrible, le visage pâle, un collier de feu autour du cou, et sur
les épaules un misérable manteau tout déchiré.
« Qui es-tu ? demanda le saint, sans se troubler. Je suis une
âme passée à l'autre vie. D'où vient le triste
état où je te vois ? De mes fautes, qui m'ont attiré
ces châtiments. Malgré la misère où je me trouve
réduit maintenant, je suis Malachie, autre fois roi d'Irlande. Je
pouvais dans cette haute position faire beaucoup de bien, c'était
d'ailleurs mon devoir ; je l'ai négligé : voilà pourquoi
je suis puni. N'as-tu pas fait pénitence de tes fautes ? Je
n'en ai pas fait assez, grâce à la coupable faiblesse de mon
confesseur, que j'ai plié à mes caprices en lui offrant un
anneau d'or. C'est à cause de cela que je porte maintenant au cou
ce collier de flammes. Je voudrais savoir, reprit l'Évêque,
pourquoi vous êtes couvert de ces haillons. C'est encore un châtiment
: je n'ai pas vêtu ceux qui étaient nus, je n'ai pas aidé
les pauvres
1) Sa Vie par le F. Joachim. Cf. Merv. 26.
avec la charité, avec le respect et la libéralité
que me commandait ma dignité de roi et mon titre de chrétien.
C'est pourquoi vous me voyez habillé moi-même en pauvre et
couvert d'un vêtement de confusion. »
L'histoire ajoute que saint Corprée, s'étant mis
en prière avec tout son chapitre, obtint au bout de six mois,
un allègement de peine, et, un peu plus tard, la délivrance
entière du roi Malachie.
Chapitre 22
Durée du purgatoire. Sentiment des docteurs. Bellarmin.
Calcul du Père de Munford.
La foi ne nous fait pas connaître la durée précise
des peines du purgatoire : nous savons en général qu'elle
est mesurée par la divine justice et proportionnée pour chacun
à la gravité et au nombre de ses fautes, non encore expiées.
Dieu peut cependant, sans préjudicier, à sa justice, abréger
ces peines en augmentant leur intensité ; l'Église militante
aussi peut en obtenir la rémission, totale ou partielle, par le
saint Sacrifice de la messe et les autres suffrages offerts pour les défunts.
D'après le sentiment commun des docteurs, les peines expiatrices
sont de longue durée. « Il est hors de doute, dit Bellarmin
(1), que les peines du purgatoire ne sont limitées ni à dix
ni à vingt ans, et qu'elles durent quel-quefois des siècles
entiers. Mais, quand il serait vrai que leur durée ne dépasse
point dix ou vingt ans, compte-t-on pour rien d'endurer pendant dix ou
vingt ans des peines très-douloureuses, des peines inconcevables,
sans aucun soulagement ? Si un homme était assuré que vingt
ans durant il devrait souffrir aux pieds, ou à la tête ou
aux dents, quelque violente douleur, sans jamais pouvoir dormir ou prendre
le moindre repos, n'aimerait-il pas mieux mourir cent fois que de vivre
de la sorte ? Et si on lui donnait le choix, ou d'une vie si misérable
ou de la perte de tous ses biens, balancerait-il à sacrifier sa
fortune pour se délivrer de ce tourment ? Quoi donc ? Pour nous
délivrer des flammes du purgatoire, ferons-nous difficulté
d'embrasser les travaux de la pénitence ? Craindrons-nous d'en pratiquer
les plus pénibles exer-cices : les veilles, les jeûnes, les
aumônes, les longues prières, et surtout la contrition accompagnée
de gémissements et de larmes ? »
Ces paroles de Bellarmin résument toute la doctrine des
théologiens et des Saints. Le Père de Munford de la Compagnie
de Jésus, dans son Traité de la charité envers les
défunts, établit la longue durée du purgatoire sur
un calcul de probabilité, dont nous donnerons la substance. Il part
du principe que, selon la parole de l'Esprit-Saint, le juste tombe sept
fois le jour (2), c'est-à-dire que ceux-là même qui
s'appliquent à servir Dieu parfaitement, malgré leur bonne
volonté, commettent encore une foule de fautes aux yeux infiniment
purs de Dieu. Nous n'avons qu'à descendre dans notre conscience,
à analyser devant Dieu nos pensées, nos paroles et oeuvres,
pour nous con-vaincre de ce triste effet de la misère humaine. Oh
! qu'il est facile de manquer de respect dans la prière, de
pré-férer ses aises au devoir à remplir, de pécher
par vanité, par impatience, par sensualité, par pensées
et paroles peu charitables, par manque de conformité à la
volonté de Dieu ! La journée est longue : est-il bien difficile
à une personne même vertueuse de commettre, je ne dirai pas
sept, mais vingt ou trente de ces sortes de fautes ou imperfections ?
(1) De gemitu, 1. II. c. 9. (2) Prov. XXIV, 16.
Prenons une estimation modérée et supposons que
vous commettiez tous les jours une moyenne de 10 fautes ; au bout des 365
jours de l'année vous aurez une somme de 3,650 fautes. Diminuons,
et pour la facilité du calcul, mettons 3,000 par an. Au bout de
dix ans, ce sera 30,000 ; au bout de 20 ans, 60,000.
Supposons que de ces 60,000 fautes, vous ayez expié
la moitié par la pénitence et les bonnes oeuvres ; il vous
en reste encore 30,000 à acquitter.
Continuons notre hypothèse : vous mourez après
ces vingt ans de vie vertueuse et vous paraissez devant Dieu avec
une dette de 30,000 fautes, que vous devrez acquitter dans le purgatoire.
Combien faudra-t-il de temps pour accomplir cette expiation ?
Supposons qu'en moyenne chaque faute exige une heure de purgatoire.
Cette mesure est très-modérée, si nous en jugeons
par les révélations des saints ; mais enfin, mettons une
heure par faute, cela vous fait un purgatoire de 30,000 heures. Or 30,000
heures, savez-vous combien elles repré-sentent d'années ?
3 années, 3 mois, et 15 jours.
Ainsi un bon chrétien, qui veille sur lui-même, qui évite
tout péché mortel, qui s'applique à la pénitence
et aux bonnes oeuvres, se trouve au bout de vingt ans de vie, passible
de 3 ans, 3 mois, et 15 jours de purgatoire.
Le calcul qui précède est basé sur une estimation
bénigne à l'excès. Or, si vous majorez la peine, et
qu'au lieu d'une heure, vous mettiez un jour pour l'expiation d'une faute
; si au lieu de n'avoir que des péchés véniels, vous
apportez devant Dieu une dette de peines provenant de péchés
mortels, plus ou moins nombreux commis autrefois ; si vous mettez, comme
le dit sainte Françoise de Rome, une moyenne de sept années
pour l'expiation d'un péché mor-tel, remis quant à
la coulpe ; qui ne voit qu'on arrive à une durée terrifiante
et que les expiations peuvent facilement se prolonger durant de longues
années et durant des siècles ?
Des années et des siècles dans les tourments !
Oh ! si l'on y pensait, avec quel soin on éviterait les moindres
fautes, avec quelle ferveur on pratiquerait la pénitence pour satisfaire
en ce monde !
Chapitre 23
Durée du purgatoire. Sainte Lutgarde, l'abbé de
Citeaux,
et le Pape innocent III. Jean de Lierre.
Dans la Vie de sainte Lutgarde (1), écrite par son con-temporain
Thomas de Cantimpré, il est fait mention d'un religieux, d'ailleurs
fervent, mais qui pour un excès de zèle, fut condamné
à quarante ans de purgatoire. C'était un abbé de l'Ordre
de Citeaux, nommé Simon, qui tenait Lutgarde en grande vénération
; la sainte de son côté suivait volon-tiers ses avis, et de
fréquents rapports avaient formé entre eux une sorte d'intimité
spirituelle.
Mais l'abbé n'était pas envers ses subordonnés
aussi doux qu'envers la sainte. Sévère à lui-même,
il l'était aussi dans son administration, et poussait l'exigence
de la dis-cipline jusqu'à la dureté, oubliant trop la leçon
du Maître qui nous apprend à être doux et humbles de
coeur. Étant venu à mourir, comme sainte Lutgarde priait
ardemment pour lui et s'imposait des pénitences pour le soulagement
de son âme, il lui apparut et avoua qu'il était condamné
à quarante ans de purgatoire. Heureusement
1) 16 juin.
il avait en Lutgarde une amie généreuse et puissante.
Elle prodigua ses prières et ses austérités ; puis,
ayant reçu de Dieu l'assurance que le défunt serait délivré
prochainement, la charitable sainte répondit : Je ne cesserai de
pleurer, Sei-gneur, je ne cesserai d'importuner votre miséricorde,
jus-qu'à ce que je le voie libéré de ses peines. Elle
le vit en effet lui apparaître bientôt plein de reconnaissance,
res-plendissant de gloire et au comble du bonheur.
Puisque je viens de citer sainte Lutgarde, faut-il que je parle
de la célèbre apparition du Pape Innocent III ? J'avoue que
ce fait m'a choqué d'abord, et que j'aurais voulu le passer sous
silence. Il me répugnait de penser qu'un Pape et un tel Pape eût
été condamné à un long et terri-ble purgatoire.
On sait en effet qu'Innocent III, qui pré-sida le célèbre
Concile de Latran en 1215, fut un des plus grands Pontifes qui occupèrent
le Siège de saint Pierre : sa piété et son zèle
lui firent accomplir les plus grandes choses pour l'Église de Dieu
et la sainte discipline. Or, comment admettre qu'un tel homme eût
été jugé au tribunal suprême avec une telle
sévérité ? Comment conci-lier cette révélation
de sainte Lutgarde avec la divine miséricorde ?
J'aurais donc voulu n'y voir qu'une illusion, et je cher- chai
des raisons à l'appui de cette idée. Mais j'ai trouvé,
tout au contraire, que la réalité de l'apparition est admise
par les plus graves auteurs et qu'aucun ne la rejette. Au reste, l'historien
Thomas de Cantimpré est très-affirmatif et en même
temps très-réservé : « Remarquez, lecteur, écrit-il
en finissant son récit, que j'ai appris de la bouche de la pieuse
Lutgarde les fautes mêmes, révélées par le défunt,
et que je ne les supprime ici que par respect pour un si grand Pape. »
D'ailleurs, considérant le fait en lui-même, y trouve-t-on
une vraie raison qui oblige de le révoquer en doute? Ne sait-on
pas que Dieu ne fait aucune acception de per-sonnes ? que les Papes paraissent
devant son tribunal comme les derniers des fidèles ? que tous, grands
et petits, sont égaux devant lui et que chacun reçoit selon
ses uvres ? Ne sait-on pas, que ceux qui gouvernent les autres ont une
grande responsabilité et auront à rendre un compte sévère
? Judicium durissimum his qui proesunt fiet, un jugement très-rigoureux
est réservé aux supé-rieurs (1) : c'est l'Esprit-Saint
qui le déclare. Or, Inno-cent III a régné pendant
dix-huit ans, dans des temps très-difficiles. Et, ajoutent les Bollandistes,
n'est-il pas écrit que les jugements de Dieu sont insondables et
sou-vent bien différents des jugements des hommes ? Judicia tua
abyssus multa (2).
La réalité de l'apparition ne saurait donc être
raison-nablement révoquée en doute. Dès lors je ne
vois aucune raison de la supprimer, puisque Dieu ne révèle
ces sortes de mystères qu'afin qu'on les fasse connaître pour
l'édifi-cation de son Église.
Or, le Pape Innocent III mourut le 16 juillet 1216. Le même jour
il apparut à sainte Lutgarde dans son monas-tère d'Aywières
en Brabant. Elle, surprise de voir un fantôme environné de
flammes, lui demanda qui il était et ce qu'il voulait. « Je
suis, lui répondit-il, le Pape Innocent. Est-il possible que vous,
notre Père commun, vous soyez dans un tel état ? Il n'est
que trop vrai : j'expie trois fautes que j'ai commises et qui ont failli
causer ma perte éternelle. Grâce à la sainte Vierge
Marie, j'en ai obtenu le pardon, mais il me reste à en subir l'expiation.
Hélas ! elle est terrible et elle durera pendant des siècles,
à moins que vous ne veniez puissamment à mon Secours. Au
nom de Marie, qui m'a obtenu la faveur de venir vous implorer, secourez-moi
! » Il dit et disparut. Lutgarde annonça la mort du Pape
à ses soeurs, et se livra avec elles à des prières
et des exercices de pénitence en faveur de l'auguste et vénéré
défunt, dont le trépas leur fut annoncée quelques
semaines après, par une autre voie.
(1) Sap. VI, 6. (2) Ps. 35.
Ajoutons ici un fait plus consolant, que nous trouvons dans la vie
de la même Sainte. Un célèbre prédicateur, appelé
Jean de Lierre, homme d'une grande piété, était fort
connu de sainte Lutgarde. Il avait fait avec elle un pacte, par lequel
ils se promettaient mutuellement que celui des deux qui mourrait le premier,
rendrait une visite à l'autre, si Dieu le permettait. Jean mourut
le premier. Ayant entrepris le voyage de Rome pour régler certaines
affaires qui intéressaient les religieuses, il trouva la mort dans
les Alpes.
Fidèle à sa promesse, il se présenta aux yeux
de Lutgarde dans le cloître d'Aywières. La sainte en le voyant,
ne se doutant pas qu'il fût mort, l'invita selon la règle
à entrer au parloir pour s'entretenir avec lui. « Je ne suis
plus de ce monde, répondit-il, et je ne viens ici que pour m'acquitter
de ma promesse. » A ces mots Lutgarde tomba à genoux et
demeura quelque temps toute interdite. Puis relevant les yeux sur son bienheureux
ami : « Pourquoi, dit-elle, êtes-vous vêtu si splendidement
? Que signifie ce triple vêtement dont je vous vois orné ?
L'habit blanc, répondit-il, signifie l'innocence virginale que
j'ai toujours conservée ; la tunique rouge marque les travaux et
les souffrances qui m'ont consumé avant le temps ; le manteau bleu
qui recouvre tout, désigne la perfection de la vie spirituelle.
» Ayant dit ces paroles, il quitta subitement Lutgarde, qui resta
par-tagée entre les regrets d'avoir perdu un si bon Père,
et la joie qu'elle ressentait de son bonheur.
Saint Vincent Ferrier, le célèbre thaumaturge de
l'Ordre de saint Dominique, qui prêcha avec tant de force la grande
vérité du jugement de Dieu, avait une soeur qui n'était
nullement touchée ni des paroles ni des exemples de son saint frère.
Elle était remplie de l'esprit du monde, éblouie de ses vanités,
enivrée de ses plaisirs, et marchait à grands pas vers sa
ruine éternelle. Cependant le saint priait pour sa conversion, et
sa prière fut enfin exaucée. La malheureuse pécheresse
tomba mortellement malade ; et au moment de mourir, rentrant en elle-même
se confessa avec un repentir sincère.
Quelques jours après sa mort, tandis que son frère
célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut
au milieu des flammes, en proie à des maux intolérables.
« Hélas ! mon frère, dit-elle, je suis condamnée
à ces supplices jusqu'au jour du dernier jugement. Cependant vous
pouvez m'aider. La vertu du saint sacrifice est si puissante : offrez pour
moi une trentaine de messes, j'en espère le plus heureux effet.
» Le saint s'empressa d'accéder à cette demande ;
il célébra les trente messes, et le trentième jour,
sa soeur lui apparut entouré d'anges et montant au ciel (1). Grâce
à la vertu du divin sacrifice, une expiation de plusieurs siècles
se trouva réduite à trente jours.
Ce trait nous montre tout à la fois la durée des peines
qu'une âme peut encourir, et l'effet puissant de la sainte messe,
lorsque Dieu daigne l'appliquer à une âme. Mais cette application,
comme celle des autres suffrages, na pas lieu toujours, du moins, ce n'est
pas toujours avec la même plénitude.
Chapitre 24
Durée du purgatoire. Le duelliste. Le Père Schoofs
et l'apparition d'Anvers.
L'exemple suivant fait voir non seulement la longue durée des expiations infligées pour certaines fautes, mais en outre la difficulté de fléchir la divine
(1) Bayle, Vie de saint Vincent Ferr.
justice en faveur de ceux qui ont commis ces sortes de
fautes. L'histoire de la Visitation Sainte-Marie mentionne parmi les premières
religieuses de cet institut la soeur Marie Denyse, qui s'était appelée
dans le monde Mll e de Martignat. Elle avait pour les âmes du purga-toire
la plus charitable dévotion, et se sentait parti-culièrement
portée à recommander à Dieu les défunts qui
avaient été grands dans le monde ; car elle con-naissait
par expérience les dangers de leur position. Or un prince, dont
on a supprimé le nom, mais que l'on croit appartenir à la
Maison de France, était mort en duel, et Dieu permit qu'il apparut
à soeur Denyse pour lui demander un secours, dont il avait le plus
grand besoin. Il lui déclara qu'il n'était pas damné,
malgré son crime qui méritait la damnation. Grâce à
un acte de con-trition parfaite qu'il avait formé au moment de mourir,
il était sauvé ; mais en punition de sa vie et de sa mort
coupables, il était condamné aux plus rigoureux châti-ments
du purgatoire, jusqu'au jour du jugement.
La charitable soeur profondément touchée de l'état
de cette âme, s'offrit généreusement en victime
pour elle. Mais on ne saurait dire ce qu'elle eut à souffrir, durant
plu-sieurs années, en conséquence de cet acte héroïque.
Le pauvre prince ne lui laissait aucun repos et lui faisait partager ses
tourments. Elle finit par en mourir ; mais avant d'expirer, elle confia
à sa Supérieure que, pour prix de tant d'expiations, elle
avait obtenu pour son protégé une remise de peine de quelques
heures.
Comme la Supérieure paraissait étonnée d'un
pareil résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné
avec ce que la soeur avait souffert : « Ah ! ma Mère, répliqua
soeur Marie Denyse, les heures du purgatoire ne se comptent pas comme celles
de la terre : des années entières de tristesse, d'ennui,
de pauvreté ou de maladie en ce monde, ne sont rien en comparaison
d'une heure de souffrances au purgatoire. C'est déjà beaucoup
que la divine miséricorde nous ait permis d'exercer quelque influence
sur sa justice. Je suis moins touchée d'ailleurs du lamentable
état dans lequel j'ai vu languir cette âme, que de l'admirable
retour de la grâce qui a consommé l'oeuvre de son salut. L'action
dans laquelle le prince est mort, méritait l'enfer ; un million
d'autres eussent trouvé leur perte éternelle dans l'acte
où il a trouvé son salut. Il ne recouvra sa connaissance
que pour un instant, juste le temps de coopérer à ce précieux
mouvement de la grâce, qui le mit en état de faire un acte
sincère de contrition. Ce moment béni me semble un excès
de la bonté, de la douceur, de l'amour infini de Dieu. »
Ainsi parla la sainte sur Denyse : elle admirait tout à
la fois la sévérité de la justice de Dieu et son infinie
miséricorde. L'une et l'autre, en effet, éclatent dans cet
exemple d'une manière saisissante.
Au sujet de la longue durée du purgatoire pour cer- taines
âmes, citons ici un trait plus récent et plus rapproché
de nous. Le P. Philippe Schoofs, de la Com-pagnie de Jésus, qui
mourut à Louvain en 1878, racontait le fait suivant, arrivé
à Anvers dans les premières années de son ministère
en cette ville. Il venait de prêcher une mission et, était
rentré au collège de Notre-Dame, situé alors rue de
l'Empereur, lorsqu'il fut averti qu'on le demandait au parloir. Étant
descendu aussitôt, il y trouva deux jeunes gens à la fleur
de l'âge avec un enfant de neuf ou dix ans, pâle et maladif.
« Mon père, lui dirent-ils, voici un enfant pauvre que nous
avons recueilli, et qui mérite notre protection, parce qu'il est
sage et pieux. Nous lui donnons la nourriture et l'éducation ; et
depuis plus d'une année quil fait partie de notre famille, il a
été aussi heureux que bien portant. Depuis quelques semaines
seulement, il a commencé à maigrir et à dépérir
comme vous voyez. Quelle est la cause de ce changement ? demanda le père.
Ce sont des frayeurs, répondirent-ils : l'enfant est éveillé
toutes les nuits par des apparitions. Un homme, à ce qu'il nous
assure, se pré-
sente à ses yeux : il le voit aussi clairement qu'il nous
voit ici en plein jour. De là des frayeurs, des agitations continuelles.
Nous venons, mon Père, vous demander un remède. Mes amis,
répondit le P. Schoofs, il y a remède à toutes choses
auprès du bon Dieu. Commencez, vous deux, par faire une bonne confession
et une bonne communion ; priez le Seigneur qu'il vous délivre de
tout mal, et soyez sans crainte. Pour vous, mon enfant, dit-il au petit,
faites bien votre prière, puis endormez-vous si profondément
qu'aucun revenant ne puisse vous réveiller. » Après
cela il les congédia en leur disant de revenir, s'il arrivait encore
quelque chose.
Quinze jours se passent, et les voilà qui reviennent. «
Mon père, disent-ils, nous avons rempli vos prescriptions, et les
apparitions continuent comme avant. L'enfant voit toujours apparaître
le même homme. Dès ce soir, répond le P. Schoofs,
veillez à la porte de l'enfant, munis de papier et d'encre, pour
écrire les réponses. Lorsqu'il vous avertira de la présence
de cet homme, approchez, demandez au nom de Dieu qui il est, l'époque
de sa mort, le lieu qu'il a habité et le sujet de sa venue. »
Dès le lendemain, ils reviennent, portant le papier où
étaient écrites les réponses qu'ils avaient reçues.
« Nous avons vu, disaient-ils, l'homme que voyait l'enfant. »
Puis ils s'expliquèrent : c'était un vieillard, dont on n'aper-cevait
que le buste et qui portait un costume du vieux temps. Il leur avait dit
son nom et la maison qu'il avait habitée à Anvers. Il était
mort en 1636, avait exercé la profession de banquier dans cette
même maison, laquelle, de son vivant, comprenait aussi les maisons
qui aujour-d'hui sont attenantes à droite et à gauche. Disons
ici en passant, qu'on a depuis découvert dans les archives de la
ville d'Anvers des documents, qui constatent l'exactitude de ces indications.
Il ajouta qu'il était au purgatoire, qu'on avait peu prié
pour lui ; et il suppliait les personnes de la maison de faire une communion
pour lui ; il deman-dait enfin qu'on fît un pèlerinage à
Notre-Dame des Fièvres, à Louvain, et un autre à Notre-Dame
de la Cha-pelle à Bruxelles. « Vous ferez bien, dit le P.
Schoofs, d'accomplir ces uvres ; et, si l'esprit revient encore, avant
de le faire parler, exigez qu'il récite le Pater, l'Ave Maria et
Credo. »
Ils accomplirent les oeuvres indiquées avec toute la piété
possible, et des conversions eurent lieu dans cette circons-tance. Quand
tout fut achevé, les jeunes gens revinrent : « Mon père,
il a prié, dirent-ils au P. Schoofs, mais avec un accent de foi
et de piété indicible. Jamais nous n'avons entendu prier
ainsi : Quel respect dans son Pater ! Quel amour dans son Ave Maria ! Quelle
fermeté dans son Credo ! Maintenant nous savons ce que c'est que
prier. Il nous a ensuite remerciés pour nos prières : il
en était grandement soulagé ; il eût même été
délivré entièrement, disait-il, sans la faute de la
fille de magasin, qui avait fait une confession sacrilège. Nous
avons, ajoutèrent-ils, rapporté cette parole à la
fille ; elle a pâli et avoué sa faute, puis, courant à
son confesseur, elle s'est empressée de tout réparer. »
Depuis ce jour, ajoutait le P. Schoofs en terminant son récit,
cette maison n'a plus été troublée. La famille qui
l'habitait a prospéré rapidement et est riche aujourd'hui.
Les deux frères continuent à se conduire d'une manière
exemplaire, et leur soeur s'est faite religieuse dans un couvent où
elle est actuellement supérieure.
Tout porte à croire que la prospérité de
cette famille lui est venue du défunt qu'elle a secouru. Celui-ci,
après ses deux siècles de purgatoire n'avait plus besoin
que d'un reste d'expiation et des quelques uvres qu'il a demandées.
Ces uvres accomplies, il a été délivré, et
il aura voulu témoigner sa gratitude en obtenant les bénédictions
de Dieu pour ses libérateurs.
p.102 fin.
p.103
Chapitre 25
Durée du purgatoire. L'abbaye de Latrobe.
Cent ans de supplices pour délai des derniers sacrements.
Le fait suivant a été rapporté avec preuve authentique
par le journal le Monde, numéro du 4 avril 1860. Il s'est passé
en Amérique, dans une abbaye de Bénédictins, située
au village de Latrobe. Une série d'apparitions y avait eu lieu dans
le courant de l'année 1859. La presse américaine s'en était
emparée et avait traité ces graves questions avec sa légèreté
ordinaire ; et pour mettre fin à cette sorte de scandale, l'abbé
Wimmer, supérieur de la maison, adressa aux journaux la lettre suivante
:
« Voici la vérité : dans notre abbaye de Saint-Vincent,
près de Latrobe, le 10 septembre 1859, un novice a vu apparaître
un religieux bénédictin, en costume complet de choeur. Cette
apparition s'est renouvelée chaque jour depuis le 18 septembre jusqu'au
19 novembre, soit de onze heures à midi, soit de minuit à
deux heures du matin. Le 19 novembre seulement le novice a interrogé
l'esprit en présence d'un autre membre de la communauté,
et lui a demandé quel était le motif de ses apparitions.
Il a répondu qu'il souffrait depuis soixante-dix-sept ans, pour
avoir omis de célébrer sept messes d'obligation ; qu'il était
déjà apparu à diverses époques à sept
autres bénédictins, mais qu'il n'avait pas été
entendu ; qu'il serait contraint d'apparaître encore après
onze années, si lui, le novice, ne venait pas à son secours.
Enfin, l'esprit demandait que ces sept messes fussent célébrées
pour lui ; de plus, le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite,
gardant un profond silence ; et pendant trente-trois jours, réciter
trois fois par jour le psaume Miserere, les pieds nus et les bras en croix.
» Toutes ces conditions ont été remplies, à
dater du 20 novembre jusqu'au 25 décembre : ce jour-là, après
la célébration de la dernière messe, l'apparition
a disparu.
» Pendant cette période, l'esprit s'était montré
encore plusieurs fois, exhortant le novice dans les termes les plus pressants,
à prier pour les âmes du purgatoire : car, disait-il, elles
souffrent affreusement, et elles sont profondément reconnaissantes
envers ceux qui concourent à leur déli-vrance. Il ajouta,
chose bien triste à dire, que des cinq prêtres déjà
décédés à notre abbaye, aucun n'était
encore au ciel : que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas
de conclusion, mais ceci est exact. »
Ce récit signé de la main de l'abbé est un document
historique irrécusable. Quant à la conclusion que le vénérable
prélat nous laisse le soin de déduire de ces faits, elle
est évidemment multiple. Qu'il nous suffise, en voyant un religieux
souffrir depuis soixante-dix-sept ans en pur-gatoire, d'apprendre ce qu'il
faut penser de la durée des expiations futures, tant pour les prêtres
et les religieux, que pour les simples fidèles qui vivent au milieu
de la corruption du monde.
Une cause trop fréquente de la longue durée du pur-gatoire,
c'est qu'on se prive du grand moyen établi par Jésus-Christ
pour l'abréger, en tardant, quand on est gra-vement malade, à
recevoir les derniers sacrements. Ces sacrements destinés à
préparer les âmes au dernier pas-sage, à les purifier
des restes de leurs péchés et à leur épargner
les expiations de l'autre vie, requièrent pour produire leurs effets,
que le malade les reçoive avec les dispositions voulues. Or, pour
peu qu'on diffère de les recevoir et qu'on laisse affaiblir les
facultés de l'infirme, ces dispositions sont défectueuses.
Que dis-je ? trop souvent il arrive que, par suite de ces délais
imprudents, le malade vient à mourir, totalement privé de
ces secours si néces-saires. La conséquence en est, si le
défunt n'est pas damné, qu'il descend dans les plus profonds
abîmes du purgatoire avec tout le poids de ses dettes.
Michel Alix (1) parle d'un ecclésiastique qui, au lieu
de recevoir promptement les sacrements des infirmes, et de donner le bon
exemple aux fidèles, se rendit coupable de négligence à
cet égard et en fut puni par cent ans de purgatoire. Se trouvant
gravement malade et en danger de mort, ce pauvre prêtre aurait dû
s'éclairer sur son état et demander au plus tôt les
secours que l'Église réserve à ses enfants pour l'heure
suprême. Il n'en fit rien : et, soit que, par une illusion trop commune
aux malades, il ne voulût pas s'avouer la gravité de sa situa-tion,
soit qu'il fût sous l'empire de ce fatal préjugé qui
fait redouter à tant de faibles chrétiens la réception
des derniers sacrements ; il ne les demandait pas, il ne son-geait pas
à les recevoir. Mais on connaît les surprises de la mort :
le malheureux différa et tarda si bien, qu'il mourut sans avoir
le temps de recevoir ni Viatique ni Extrême-Onction. Or, Dieu voulut
en cette circons-tance donner un grave avertissement. Le défunt
vint lui-même révéler à un confrère qu'il
était condamné à cent ans de purgatoire. « Je
suis puni ainsi, dit-il, de mes retards à recevoir la grâce
de la purification dernière. Si j'avais reçu les sacrements,
comme j'aurais dû le faire, j'aurais échappé à
la mort par la vertu de l'Extrême-Onction, et j'aurais eu le temps
de faire pénitence. »
Chapitre 26
Durée du purgatoire. La vénérable Catherine Paluzzi et la sur Bernardine. Les Frères Finetti et Rudolfini. Saint Pierre Claver et les deux pauvres femmes.
Citons encore quelques exemples, qui achèveront de nous édifier
sur la durée des expiations : nous y verrons que la divine justice
se montre relativement sévère pour les âmes appelées
à la perfection et qui ont reçu beau-coup de grâces.
Au reste, Jésus-Christ ne dit-il pas dans l'Évangile qu'on
exigera beaucoup de celui à qui l'on a donné beaucoup, et
que l'on demandera plus à celui à qui l'on a plus confié
(2) ?
On lit dans la Vie de la vénérable Catherine Paluzzi
qu'une sainte religieuse, morte entre ses bras, ne fut admise à
l'éternelle béatitude qu'après une année entière
de purgatoire. Catherine Paluzzi vécut saintement dans le diocèse
de Nerpi, en Italie, où elle fonda un couvent de dominicaines. Là
vivait avec elle une religieuse, nom-mée Bernardine, très-avancée
aussi dans les voies inté-rieures. Ces deux saintes âmes rivalisaient
de ferveur et s'entr'aidaient à progresser de plus en plus dans
la per-fection où Dieu les appelait. L'historien de la vénérable
les compare à deux charbons allumés qui se communiquent leurs
ardeurs ; et encore, à deux lyres accordées pour résonner
ensemble et faire entendre un hymne d'amour perpétuel à la
gloire du Seigneur.
Bernardine vint à mourir. Une maladie douloureuse, qu'elle supporta
chrétiennement, la conduisit au tombeau. Avant d'expirer, elle dit
à Catherine qu'elle ne l'oublie-rait pas devant Dieu, et si Dieu
le permettait, qu'elle viendrait lui dire encore des paroles spirituelles,
propres à contribuer à sa sanctification.
Catherine pria beaucoup pour l'âme de son amie, suppliant en
même temps le Seigneur de lui permettre qu'elle vînt la visiter.
Une année entière s'écoula, mais la défunte
ne vint point.
Enfin le jour anniversaire de la mort de Bernardine, Catherine étant
en oraison, aperçut un puits, d'où s'échappaient des
torrents de fumée et de flammes, puis
(1) Hort. Past. tract. 6. Cf. Rossign. Merv. 86. (2) Luc. XII, 48.
elle vit sortir de ce puits une personne, d'abord tout environnée
de ténèbres. Peu à peu l'apparition se dégagea
de ces nuages, s'éclaira, et enfin parut brillante d'un éclat
extraordinaire. Dans cette personne glorieuse Catherine reconnut alors
la soeur Bernardine, et courant à elle : « C'est vous, dit-elle,
ma soeur bien-aimée ? Mais d'où donc sortez-vous ? Que signifie
ce puits, cette fumée enflammée ? Est-ce seulement aujourd'hui
que vous achevez votre purgatoire ? Vous dites vrai, répondit
l'âme : durant toute une année j'ai été retenue
dans le lieu des expiations : et ce n'est qu'à cette heure que je
vais être introduite dans la céleste Jérusalem. Pour
vous, persévérez dans vos saints exercices : continuez à
être charitable et miséricordieuse, vous obtiendrez miséricorde
(1). »
Le fait suivant appartient à l'histoire de la Compagnie de Jésus.
Deux scolastiques ou jeunes religieux de cet institut faisaient leurs études
au collège Romain vers la fin du XVIe siècle, les FF. Finetti
et Rudolfini. Tous deux étaient des modèles de piété
et de régularité ; tous deux aussi reçurent un avis
du ciel, qu'ils découvrirent selon la règle au directeur
de leur âme, Dieu leur avait fait con-naître leur mort prochaine
et l'expiation qui leur restait à faire au purgatoire : l'un devait
y rester deux ans et l'autre quatre. Ils moururent, en effet, l'un après
l'autre.
Leurs frères aussitôt firent pour leurs âmes les
plus ferventes prières et toutes sortes de pénitences. Ils
savaient que si la sainteté de Dieu impose à ses élus
de longues expiations, elles peuvent être abrégées
et remises entièrement par les suffrages des vivants.
Si Dieu est sévère pour ceux qui ont reçu beaucoup
de connaissances et de grâces, il est d'autre part fort indul-gent
envers les pauvres et les simples, pourvu que ceux-ci le servent avec droiture
et patience. Saint Pierre Claver, de la Compagnie de Jésus, apôtre
des nègres de Carthagène, connut le purgatoire de deux âmes,
qui avaient vécu pauvres et humbles sur la terre : cette expiation
se réduisait à quelques heures. Voici ce que nous lisons
dans la vie de ce grand serviteur de Dieu (2).
Il avait engagé une vertueuse négresse, nommée
Angèle, à retirer chez elle une autre, appelée Ursule,
per-cluse de tous ses membres, et toute couverte de plaies. Un jour qu'il
allait la visiter, comme il le faisait de temps en temps, pour la confesser
et lui porter quelques petites provisions, la charitable hôtesse
lui dit d'un air affligé, qu'Ursule était sur le point d'expirer.
Non, non, répondit le père en la consolant, elle a encore
quatre jours à vivre, et elle ne mourra que samedi. Le samedi étant
arrivé, il dit la messe à son intention, et sortit pour aller
la dis-poser à la mort. Après avoir été quelque
temps en prière : Consolez-vous, dit-il à l'hôtesse
d'un air assuré, Dieu aime Ursule, elle mourra aujourd'hui ; mais
elle ne sera que trois heures en purgatoire. Qu'elle se souvienne seulement
quand elle sera avec Dieu, de prier pour moi, et pour celle qui jusqu'ici
lui a tenu lieu de mère. Elle mourut en effet à midi, et
l'accomplissement d'une partie de la prophétie ne servit pas peu
à faire ajouter foi à l'autre.
Ayant été un autre jour pour confesser une pauvre malade
qu'il avait coutume de visiter, il apprit qu'elle venait d'expirer. Les
parents étaient extrêmement affligés, et lui-même,
qui n'avait pas cru qu'elle dût si tôt mourir, ne pouvait se
consoler de ne l'avoir pas assistée dans ses derniers moments. Il
se mit aussitôt en prière auprès du corps, puis se
levant tout à coup d'un air serein : Une telle mort, dit-il, est
plus digne de notre envie que de nos larmes : cette âme n'est condamnée
qu'à vingt-quatre heures de purgatoire. Tâchons d'abréger
le temps de ses peines par la ferveur de nos prières.
(1) Diario Domenic. Cf. Rossig. Merv. 100. (2) Vie de S. Pierre Claver
par le P. Fleurian.
En voilà assez sur la durée des peines. Nous voyons
qu'elles se prolongent pendant des espaces effrayants ; les plus courtes
même, vu leur rigueur, sont toujours lon-gues. Tâchons donc
de les abréger pour les autres, de les adoucir d'avance pour nous-mêmes,
ou mieux encore, de les prévenir entièrement.
Or, on les prévient en supprimant les causes. Quelles sont les
causes ? quelle est la matière des expiations du purgatoire ?
Chapitre 27
Cause des peines, matière des expiations du purgatoire.
Doctrine de Suarez. Sainte Catherine de Gênes.
Pourquoi les âmes, avant d'être admises à voir la
face de Dieu, doivent-elles ainsi souffrir ? Quelle est la matière,
quel est le sujet de ces expiations ? Qu'est-ce que le feu du purgatoire
doit purifier et consumer en elles ? Ce sont, répondent les docteurs,
les souillures provenant de leurs péchés.
Mais que faut-il entendre ici par souillure ? D'après la plupart
des théologiens, ce n'est pas la coulpe du péché,
mais la peine ou la redevance de la peine, provenant du péché.
Pour le bien comprendre, il faut se rappeler que tout péché
produit en l'âme un double effet, qu'on appelle la dette (reatus)
de la coulpe et celle de la peine : il rend le pécheur non seulement
coupable, mais encore digne d'une peine ou châtiment. Or, après
que la coulpe est par-donnée, d'ordinaire la peine reste à
subir, en tout ou en partie, et elle doit être acquittée en
cette vie ou en l'autre. Les âmes du purgatoire n'ont plus aucune
souillure de coulpe : ce qu'elles avaient de coulpe vénielle au
moment de leur mort, a disparu dans l'ardeur de la pure charité
dont elles se sont enflammées dans l'autre vie ; mais elles portent
toute la dette des peines qu'elles n'ont pas déposée avant
de mourir.
Cette dette provient de toutes les fautes commises durant la vie, surtout
des péchés mortels, remis, quant à la coulpe, par
une sincère confession, mais qu'on a négligé d'expier
par de dignes fruits de pénitence exté-rieure.
Telle est la doctrine commune, que Suarez résume ainsi dans
son traité du sacrement de Pénitence (1) : « Nous concluons
donc, dit-il, que tous les péchés véniels avec lesquels
un homme juste vient à mourir, sont remis quant à la coulpe,
au moment où l'âme se sépare du corps, en vertu d'un
acte d'amour de Dieu, et de contrition parfaite, qu'elle produit alors
sur toutes ses fautes passées. En effet, l'âme en ce moment
connaît parfaitement son état et les péchés
dont elle est coupable devant Dieu, elle est en même temps maîtresse
de ses facultés pour agir ; d'autre part, du côté de
Dieu, le secours le plus efficace lui est donné pour agir selon
la mesure de grâce sanctifiante qu'elle possède. Il s'ensuit
que, dans cette disposition parfaite, l'âme agit sans le moindre
retard, se porte tout entière directement vers son Dieu, et se trouve
dégagée, par un acte de souveraine détestation, de
tous ses péchés véniels. Cet acte efficace et universel
suffit pour les effacer quant à la coulpe. »
Toute souillure de coulpe a donc disparu ; mais la peine reste à
subir dans toute sa rigueur et pour toute sa durée, à moins
que les âmes ne soient aidées par les vivants. Elles ne sauraient
plus obtenir aucune remise par elles-mêmes, parce que
(1) Tom. 19 De pnit. Disput. XI, sect. 4.
le temps du mérite est passé : elles ne peuvent
plus mériter, elles ne peuvent que souffrir et payer ainsi à
la terrible justice de Dieu tout ce qu'elles lui doivent, jusqu'à
la dernière obole : Usque ad novissimum quadrantem (1).
Ces dettes de peine sont des restes du péché, et une
sorte de souillure, qui empêche la vision de Dieu et met obstacle
à lunion de l'âme avec sa fin dernière. « La
tache ou la coulpe du péché n'existant pas dans les âmes
du purgatoire, écrit sainte Catherine de Gênes (2), il n'y
a plus d'autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du
péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu'elles
sentent en elles, leur cause le supplice du dam dont je viens de parler,
et retarde le moment, où l'instinct qui les porte vers Dieu comme
leur souveraine béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient
clairement ce qu'est devant Dieu le plus petit empêchement causé
par les restes du péché, et que c'est par nécessité
de justice qu'il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique.
De cette vue naît en elles un feu d'une ardeur extrême et
semblable à celui de l'enfer, sauf la coulpe du péché.
»
Chapitre 28
Matière des expiations. Restes des péchés mortels. Le baron Sturton. Péchés de luxure incomplètement expiés sur la terre. Sainte Lidvine.
Nous avons dit que le montant de la dette de peines au purgatoire provient
de toutes les fautes non expiées sur la terre, mais surtout des
péchés mortels, remis seulement quant à la coulpe.
Or les hommes dont la vie entière se passe dans l'habitude du péché
mortel et qui remettent jusqu'à la mort de se convertir, supposé
que Dieu leur accorde cette grâce exceptionnelle, auront à
subir, on le conçoit, des expiations épouvantables. L'exemple
du baron Sturton est de nature à les faire réfléchir.
Le baron Jean Sturton, noble Anglais, était catholique au fond
du coeur, bien que, pour garder ses charges à la cour, il assistât
régulièrement au service protestant. Il cachait même
chez lui un prêtre catholique, au prix des plus grands dangers, se
promettant bien d'user de son ministère pour se réconcilier
avec Dieu, à l'heure de la mort ; mais il fut surpris par un accident,
et comme cela arrive souvent, par un juste décret de Dieu, il n'eut
pas le temps de réaliser son voeu de conversion tardive. Cependant
la divine miséricorde, tenant compte de ce qu'il avait fait pour
la sainte Église persécutée, lui avait accordé
la grâce de la contrition parfaite, et par suite le salut. Mais il
devait payer bien cher sa coupable négli-gence.
De longues années se passèrent ; sa veuve se remaria,
eut des enfants, et c'est une de ses filles, lady Arundel, qui raconte
ce fait comme témoin oculaire.
« Un jour, ma mère pria le P. Corneille, jésuite
de beaucoup de mérite, qui devait mourir plus tard martyr de la
foi catholique (3), de célébrer la messe pour l'âme
de Jean Sturton, son premier mari. Il accepta l'invitation, et étant
à l'autel, entre la consécration et le Memento des morts,
il s'arrêta longtemps, comme absorbé dans l'orai-son. Après
la messe, dans une exhortation qu'il adressa à l'assistance, il
nous fit connaître une vision qu'il venait d'avoir pendant le sacrifice.
Il avait vu une forêt immense qui s'étendait devant lui, mais
elle était toute en feu et ne formait qu'un vaste
(1) Matth. V, 26. (2) Traité du purgatoire, chap. III. (3)
Il fut trahi par un serviteur de la famille Arundel et subit la mort à
Dorchester en 1594.
brasier : au milieu s'agitait le Baron défunt, poussant
des cris lamentables, pleurant et s'accu-sant de la vie coupable qu'il
avait menée dans le monde et à la cour. Après avoir
fait l'aveu détaillé de ses fautes, le malheureux avait terminé
par les paroles que l'Écriture met dans la bouche de Job : Pitié,
pitié ! vous au moins qui êtes mes amis, car la main du Seigneur
m'a touché ! Puis il avait disparu.
» Pendant que le P. Corneille racontait ces choses, il pleurait
beaucoup, et nous tous, membres de la famille, qui l'écoutions,
au nombre de quatre-vingts personnes, nous pleurions tous de même
; et tout à coup, pendant que le père parlait, nous aperçûmes
sur le mur auquel était adossé l'autel, comme un reflet de
charbons ardents. »
Tel est le récit de lady Arundel, que l'on peut lire dans l'Histoire
d'Angleterre par Daniel (1).
Sainte Lidvine vit au purgatoire une âme qui souffrait aussi
pour des péchés mortels, incomplètement expiés
sur la terre. Voici comment ce fait est rapporté dans la Vie de
la sainte. Un homme qui avait été longtemps esclave du démon
de la luxure, eut enfin le bonheur de se con-vertir. Il se confessa, en
effet, avec une grande contrition ; mais prévenu par la mort, il
n'eut pas le temps de satis-faire pour ses nombreux péchés
par une pénitence équitable. Lidvine, qui le connaissait,
priait beaucoup pour lui.
Douze ans après sa mort, elle priait encore, lorsque dans un
de ces ravissements où elle était conduite par son ange gardien
au purgatoire, elle entendit une voix lugubre qui sortait d'un puits profond.
« C'est l'âme de cet homme, dit l'ange, pour lequel vous avez
prié avec tant de fer-veur et de constance. » Elle fut étonnée
de le trou-ver encore dans ce lieu si bas douze ans après sa mort.
L'ange voyant qu'elle était profondément affectée,
lui demanda si elle voulait souffrir quelque chose pour sa délivrance
? « De tout mon coeur », répondit cette vierge charitable.
Elle souffrit donc depuis ce moment de nouvelles douleurs et des tourments
affreux, qui semblaient surpasser les forces humaines. Elle les supporta
cependant avec courage, soutenue par une charité plus forte que
la mort ; jusqu'à ce qu'il plût à pieu de la soulager.
Alors elle respira comme rendue à la vie, et en même temps
elle vit cette âme pour laquelle elle avait tant souffert, sortir
de l'abîme, blanche comme la neige, et prendre son vol vers le ciel.
Chapitre 29
Matière des expiations. Mondanité. Sainte Brigitte : la jeune personne, le soldat. La B. Marie Villani et la dame mondaine.
Les âmes qui se laissent éblouir par les vanités
du monde, si elles ont le bonheur d'échapper à la damnation,
auront à subir des expiations terribles. Ouvrons les Révéla-tions
de sainte Brigitte (2), qui jouissent dans l'Église d'une juste
considération. On y lit au livre VI, qu'un jour la Sainte se vit
transportée en esprit dans le lieu du purgatoire, et que, parmi
beaucoup d'autres, elle y aperçut une jeune demoiselle de haute
naissance, qui s'était aban-donnée autrefois au luxe et à
la mondanité. Cette âme infortunée lui fit connaître
toute sa vie et sa triste situa-tion.
(1) Liv. V, chap. 7. Cf. Rossign. Merv. 4. (2) 8 octob.
« Heureusement, dit-elle, qu'avant la mort je me suis confessée
en des dispositions suffisantes pour éviter l'enfer ; mais combien
je souffre ici pour expier la vie mondaine que ma malheureuse mère
ne m'a pas empêché de mener ! Hélas ! ajoutait-elle
en gémissant, cette tête qui se plaisait aux parures, et qui
cherchait à attirer les regards, est maintenant dévorée
de flammes au-dedans et au dehors, et ces flammes sont si cuisantes qu'il
me semble mourir continuellement. Ces épaules et ces bras que je
faisais admirer, sont cruellement étreints dans des chaînes
de fer rouge. Ces pieds jadis formés pour la danse, sont maintenant
entourés de vipères qui les déchirent de leurs morsures
et les souillent de leur bave immonde ; tous ces membres que je chargeais
de joyaux, de fleurs, de parures diverses, sont maintenant livrés
à des tortures épouvantables. Ah ! ma mère, ma mère,
ajoutait cette âme, que vous avez été coupable à
mon égard ! C'était vous, qui par une funeste indulgence
encouragiez mes goûts de parure et de vaines dépenses ; c'était
vous qui me conduisiez aux spectacles, aux festins, aux bals, à
toutes ces réunions mondaines qui sont la ruine des âmes...
Si je n'ai pas encouru l'éternelle damnation, c'est grâce
à une miséricorde toute spéciale de Dieu, qui a touché
mon coeur d'un sincère repentir. J'ai fait une bonne confession
et j'ai été ainsi délivrée de l'enfer, mais
pour me voir précipiter dams les plus horribles tourments du purgatoire.
» Nous avons dit déjà qu'il ne faut pas prendre à
la lettre ce qui est dit des membres tourmentés, puisque l'âme
est séparée de son corps ; mais Dieu, suppléant au
défaut des organes corpo-rels, fait éprouver à cette
âme les sensations qui viennent d'être décrites.
L'historien de la Sainte nous apprend qu'elle raconta sa vision à
une cousine de la défunte, qui s'abandonnait elle aussi aux illusions
de la mondanité. La cousine en fut si frappée, qu'elle renonça
au luxe et aux amusements dangereux du monde pour se vouer à la
pénitence dans un Ordre austère.
La même sainte Brigitte, dans une autre extase, assista au jugement
d'un soldat qui venait de mourir. II avait vécu dans les vices,
trop communs dans sa profession, et serait tombé en enfer ; mais
la sainte Vierge, qu'il avait toujours honorée, le préserva
de ce malheur, et lui obtint la grâce d'un sincère repentir.
La sainte le vit donc com-paraître devant le tribunal de Dieu, et
condamner à un long purgatoire pour les péchés de
toutes sortes qu'il avait commis. « La peine des yeux, dit le Juge,
sera de contempler des objets affreux ; celle de la langue, d'être
percée de pointes aiguës et tourmentée de la soif ;
celle du toucher, d'être plongé dans un océan de feu.
» La sainte Vierge intervint alors et obtint quelque adou-cissement
à la rigueur de cette sentence.
Citons encore un exemple des châtiments réservés
aux mondains dans le purgatoire, lorsqu'ils ne sont pas, comme le mauvais
riche de l'Évangile, ensevelis dans l'enfer. La B. Marie Villani,
religieuse dominicaine (1), avait une dévotion très vive
pour les âmes, et maintes fois elles se firent voir à elle,
soit pour la remercier, soit pour réclamer ses prières et
ses bonnes oeuvres. Comme elle priait un jour à leur intention avec
une grande fer-veur, elle fut transportée en esprit au lieu de l'expiation.
Parmi les âmes qui y souffraient, elle en vit une plus cruellement
tourmentée que les autres, au milieu de flam-mes horribles qui l'enveloppaient
tout entière. Émue de compassion, la servante de Dieu interrogea
cette âme. « Je suis ici, répondit-elle, depuis très-longtemps,
punie pour mes vanités et mon luxe scandaleux. Jusqu'à cette
heure, je n'ai pas obtenu le moindre soulagement. Quand j'étais
sur la terre, occupée de ma toilette, de mes plaisirs, des fêtes
et des joies mondaines, je ne songeais que bien peu à mes devoirs
de chrétienne, et ne m'en acquittais qu'avec lâcheté.
Ma seule préoccupation sérieuse était d'accroître
le renom et la fortune des
(1) Sa Vie, par Marchi, 1. Il, c. 5. Cf. Merv. 41
miens. Or voyez comme j'en suis punie : ils ne m'accordent pas
un souvenir : mes parents, mes enfants, mes amis les plus intimes d'autrefois,
tous m'ont oubliée. »
Marie Villani pria cette âme de lui faire sentir quelque chose
de ce qu'elle endurait ; et il lui sembla aussitôt qu'un doigt de
feu la touchait au front, la douleur qu'elle en éprouva la fit aussitôt
sortir d'extase. Or, la marque lui en resta, si profonde et si douloureuse,
que deux mois après on la voyait encore, et que la sainte religieuse
en souffrait cruellement. Elle endura cette douleur en esprit de pénitence
en faveur de la défunte qui s'était manifestée à
elle, et au bout d'un certain temps, cette âme vint annoncer elle-même
sa délivrance.
Chapitre 30
Matière des expiations. Péchés de la jeunesse.
Sainte Catherine de Suède et la princesse Gida
Souvent les bons chrétiens ne songent pas assez à faire
pénitence pour les péchés de leur jeunesse : il faudra
qu'ils les expient un jour par les rigoureuses pénitences du purgatoire.
C'est ce qui arriva à la princesse Gida, belle-fille de sainte Brigitte,
comme on peut le lire dans les Actes des Saints, 24 mars, Vie de sainte
Catherine (1).
Sainte Brigitte se trouvait à Rome avec sa fille, sainte Catherine,
lorsque celle-ci vit lui apparaître l'esprit de Gida dont elle ignorait
la mort. Se trouvant un jour en prière dans l'antique basilique
du Prince des Apôtres, Catherine aperçut devant elle une femme,
vêtue d'une robe blanche et d'un manteau noir, qui venait lui deman-der
des prières pour une défunte. « C'est une de
vos compatriotes, ajouta-t-elle, qui a besoin qu'on s'intéresse
à son âme. Son nom ? demanda la sainte. C'est la princesse
Gida, de Suède, femme de votre frère Charles. » Catherine
pria alors l'étrangère de l'accompagner chez sa mère
Brigitte, pour lui annon-cer cette triste nouvelle. « Je suis chargée
d'un message pour vous seule, dit l'inconnue, et il ne m'est pas permis
de faire d'autres visites, car je dois repartir aussitôt. Du reste,
vous n'avez pas à douter de la vérité du fait : dans
quelques jours arrivera un autre envoyé de Suède, vous apportant
la couronne d'or de la princesse Gida. Elle vous l'a léguée
par testament, pour s'assurer le secours de vos prières ; mais accordez-lui
ce charitable secours dès à présent, car elle en a
un pressant besoin. » En achevant ces mots, elle s'éloigna.
Catherine voulut la suivre, mais il lui fut impossible de la retrouver,
bien que son costume la fît distinguer facilement ; elle interrogea
ceux qui priaient dans l'église : personne n'avait vu cette étrangère.
Frappée et sur-prise de cette rencontre, elle s'empressa de retourner
auprès de sa mère et lui raconta ce qui lui était
arrivé. Sainte Brigitte répondit en souriant : «
C'est votre belle-soeur Gida elle-même, qui vous est apparue. Notre-Seigneur
a daigné me faire tout connaître par révélation.
La chère défunte est morte dans des sentiments de piété
consolants : c'est ce qui lui .a valu la faveur de venir auprès
de vous, implorer des prières. Elle a encore à expier les
nombreuses fautes de sa jeunesse : faisons donc toutes deux ce qui est
en notre pouvoir pour la soulager. La couronne d'or qu'elle vous envoie,
nous en fait une obligation plus pressante. »
(1) Cf. Merv. 85.
Quelques semaines après, un officier de la cour du prince
Charles arriva à Rome, apportant la couronne, et ce qu'il croyait
être la première nouvelle du trépas de la princesse
Gida. La couronne qui était fort belle fut ven-due, et le prix employé
en messes et bonnes oeuvres, pour le soulagement de la défunte.
Chapitre 31
Matière des expiations. Le scandale donné
Peinture indécente. Le Père Zucchi et la novice.
Ceux qui ont eu le malheur de donner mauvais exem-ple, et de perdre
ou de blesser les âmes par le scandale, doivent prendre garde de
tout réparer en ce monde, s'ils ne veulent avoir à subir
une terrible expiation en l'autre. Ce n'est pas en vain que Jésus-Christ
s'est écrié : Malheur au monde à cause de ses scandales
! Malheur à celui par qui le scandale arrive ! (1)
Voici ce que rapporte le P. Rossignoli dans ses Merveilles du purgatoire
(2). Un peintre de grand talent, d'une vie exemplaire d'ailleurs, avait
fait autrefois un tableau peu conforme aux lois sévères de
la modestie chrétienne. C'était une de ces malheureuses peintures,
que sous prétexte d'art, on trouve quelquefois dans les meilleures
familles et dont la vue cause la perte de tant d'âmes. L'art véritable
est une inspiration du ciel, qui élève l'âme vers Dieu
; le génie réaliste qui ne s'adresse qu'aux sens, qui ne
présente aux yeux que des beautés de chair et de sang, n'est
qu'une inspiration de l'esprit immonde : ses oeuvres, brillantes peut-être,
ne sont pas des uvres d'art, c'est faussement qu'on les décore
de ce nom ; ce sont des productions infâmes d'une imagination dévergondée.
Le peintre dont nous parlons, avait cédé sur ce point à
l'entraînement du mauvais exemple. Bien-tôt cependant, renonçant
à ce mauvais genre, il s'était astreint à ne faire
plus que des tableaux religieux ou du moins parfaitement irréprochables.
En dernier lieu, il venait de peindre un grand tableau dans un couvent
de Carmes déchaussés, quand il fut atteint d'une maladie
mortelle. Se sentant mourir, il demanda au père Prieur la faveur
d'être enterré dans l'église du monastère, et
légua à la communauté le prix assez élevé
de son travail, à la charge de célébrer des messes
pour son âme.
Il mourut pieusement, et quelques jours se passèrent, lorsqu'un
religieux, qui était resté au choeur après les matines,
le vit apparaître au milieu des flammes et poussant des gémissements
douloureux. « Eh quoi ! dit-il, mon frère, vous avez de
telles peines à endurer, après une vie si chrétienne
et une mort si sainte ? Hélas ! répondit-il, c'est à
cause d'un mauvais tableau que j'ai peint autrefois. Lorsque j'ai comparu
au tribunal du Souverain Juge une foule d'accusateurs y sont venus déposer
contre moi : ils déclaraient avoir été excités
à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs
par une peinture immodeste due à mon pinceau. Par suite de ces pensées
mauvaises les uns étaient au purgatoire, les autres en enfer. Ces
derniers demandaient vengeance, disant que, étant cause de leur
perte éternelle, je méritais au moins le même châtiment.
Alors la sainte
(1) Matth. XVIII, 7. (2) Merv. 24.
p.120 fin
p.121
Vierge et les Saints que j'ai glorifiés par mes peintures ont
pris ma défense : ils ont représenté au Juge que cette
malheureuse toile était une oeuvre de jeunesse, dont je m'étais
repenti, que je l'avais réparée plus tard par une foule de
tableaux religieux, qui avaient été pour les âmes une
source d'édification.
» En présence de ces raisons de part et d'autre le Souverain
Juge a déclaré que, à cause de mon repentir et de
mes bonnes oeuvres, je serais exempt de la damnation éternelle ;
mais en même temps il m'a condamné à souffrir dans
ces flammes, jusqu'à ce que la maudite peinture soit brûlée,
de manière à ne plus scandaliser personne. »
En conséquence, le pauvre patient pria le religieux Carme de
faire des démarches pour que le tableau fût détruit.
« Je vous en prie, ajouta-t-il, allez de ma part chez un tel, propriétaire
du tableau ; dites-lui en quel état je me trouve, pour l'avoir peint
en cédant à ses instances, et conjurez-le d'en faire le sacrifice.
S'il refuse, malheur à lui ! Au reste, pour montrer que tout ceci
n'est pas une illusion, et pour le punir lui-même de sa faute, dites-lui
qu'avant peu il perdra ses deux enfants. S'il refuse d'obéir aux
ordres de Celui qui nous a créés l'un et l'autre, il le payera
d'une mort prématurée. »
Le religieux ne tarda pas à faire ce que la pauvre âme
lui demandait, et se rendit chez le possesseur du tableau. Celui-ci en
apprenant ces choses, saisit la toile et la jeta au feu. Néanmoins,
selon la parole du défunt, il perdit en moins d'un mois ses deux
enfants. Le reste de ses jours, il s'appliqua à faire pénitence
du mal qu'il avait commis en commandant et en conservant chez lui cette
mauvaise peinture.
Si telles sont les conséquences d'un tableau immodeste, comment
seront punis les scandales, autrement désas-treux des mauvais livres,
des mauvais journaux, des mauvaises écoles et des mauvaises conversations
? Voe mundo a scandalis ! Voe homini illi per quem scandalum venit ! Malheur
au monde, à cause de ses scandales ! Mal-heur à l'homme par
qui le scandale arrive ! (1)
Le scandale exerce de grands ravages dans les âmes par la séduction
de l'innocence. Ah ! les maudits séducteurs ! Ils rendront à
Dieu un compte terrible du sang de leurs victimes. Voici ce que nous lisons
dans l'historien Daniel Bartoli, de la Compagnie de Jésus, Vie du
Père Nicolas Zucchi (2).
Le saint et zélé père Zucchi, qui mourut à
Rome le 21 mai 1670, avait engagé dans les voies de la perfection
trois jeunes personnes, qui se consacrèrent à Dieu dans le
cloître. L'une d'elles, avant de quitter le monde, avait été
recherchée en mariage par un jeune seigneur. Après qu'elle
fut entrée au noviciat, ce gentilhomme, au lieu de respecter une
vocation si sainte, n'en continua pas moins d'adresser des lettres à
celle qu'il voulait appeler sa fiancée, l'invitant à quitter,
comme il disait, le triste service de Dieu, pour se reprendre aux joies
de la vie. Le Père le rencontrant un jour dans la rue, le supplia
de
cesser de telles poursuites : « Je vous assure, ajouta-t-il, qu'avant
peu vous paraîtrez au tribunal de Dieu, et qu'il est grand temps
pour vous de vous y préparer par une sincère pénitence.
»
En effet, quinze jours après, ce jeune homme mourut, enlevé
par une prompte mort, qui lui laissa peu de temps pour mettre ordre à
sa conscience, en sorte qu'on devait tout craindre pour son salut.
Un soir que les trois novices s'entretenaient ensemble des choses de
Dieu, on vint appeler la plus jeune au par-loir. Elle y trouva un homme,
enveloppé dans un large manteau, qui se promenait à grands
pas. « Monsieur, dit-elle, qui êtes-vous ? et pourquoi m'avez-vous
fait demander ? » L'étranger, sans répondre, s'approche,
et écarte le manteau mystérieux qui le couvre. La reli-gieuse
alors reconnaît le malheureux défunt, et voit avec effroi
qu'il est tout entouré de liens de feu, qui le serrent au cou, aux
poignets, aux genoux et aux chevilles des pieds. Priez pour moi ! s'écria-t-il,
et il disparut.
(1) Matth. XVIII. 7. (2) Cf. Merv. 97.
Cette manifestation miraculeuse montrait que Dieu avait eu pitié
de lui au dernier moment, qu'il n'était pas damné, mais qu'il
payait ses essais de séduction par un horrible purgatoire.
Chapitre 32
Matière des expiations. La vie de plaisir, la recherche du bien-être. La vénérable Françoise de Pampelune, et l'homme du monde. Sainte Élisabeth et la reine sa mère.
Il y a de nos jours beaucoup de chrétiens, totalement étrangers
à la croix et à la mortification de Jésus-Christ.
Leur vie molle et sensuelle n'est qu'un enchaînement de plaisirs
; ils ont peur de tout ce qui est sacrifice : à peine observent-ils
les strictes lois du jeûne et de l'abstinence prescrites par l'Église.
Puisqu'ils ne veulent se soumettre à aucune pénitence en
ce monde, qu'ils songent bien à celle qui leur sera imposée
en l'autre. Il est certain que dans cette vie mondaine on ne fait qu'accumuler
des dettes ; la pénitence étant absente, on n'en paye aucune,
et l'on arrive à un total qui effraye l'imagination. La véné-rable
servante de Dieu Françoise de Pampelune, qui fut favorisée
de plusieurs visions sur le purgatoire, vit un jour un homme du monde,
quoiqu'il eût été assez bon chrétien d'ailleurs,
passer cinquante-neuf ans dans les expiations, à cause de sa recherche
du bien-être. Un autre y passa trente-cinq ans pour la même
raison ; et un troisième, qui avait eu en plus la passion du jeu,
y demeura soixante-quatre ans. Hélas, ces chrétiens malavisés
ont laissé subsister toutes leurs dettes devant Dieu, et ce qu'ils
auraient pu acquitter facilement avec quelques oeuvres de pénitence,
ils l'ont dû payer après par des années de supplices.
Si Dieu se montre sévère envers les riches et les heureux
du siècle, il ne le sera pas moins envers les princes, les magistrats,
les parents, et généralement tous ceux qui ont charge d'âmes
et autorité sur les autres. Un jugement sévère, dit-il
lui-même, attend les supérieurs (1).
Laurent Surius rapporte (2) comment une illustre Reine rendit après
sa mort témoignage à cette vérité. Dans la
Vie de sainte Élisabeth (3), duchesse de Thuringe, il est dit que
cette servante de Dieu perdit sa mère Gertrude, reine de Hongrie,
vers l'an 1220. En fille chrétienne et sainte, elle fit des aumônes
considérables, redoubla ses mortifi-cations et ses prières,
épuisa
toutes les ressources de sa charité pour le soulagement de cette
âme si chère. Dieu lui fit connaître qu'elle n'en faisait
pas trop. Une nuit la défunte lui apparut, le visage triste et défait
: elle se mit à genoux auprès de son lit, et lui dit en pleurant
: « Ma fille, vous voyez à vos pieds votre mère accablée
de douleur. Je viens vous supplier de multiplier vos suffrages, afin que
la divine miséricorde me délivre des tourments épouvantables
que j'endure. Oh ! que ceux-là sont à plaindre qui exercent
l'autorité sur les autres ! J'expie maintenant les fautes que j'ai
commises sur le trône. O ma fille, au nom des angoisses que j'ai
endurées pour vous mettre au monde, au nom des soins et des veilles
que m'a coûté votre éducation, je vous conjure de me
délivrer de mes supplices. » Elisabeth profondément
émue, se lève aussitôt, prend une sanglante discipline
et supplie le Seigneur avec larmes de faire miséricorde à
sa mère Gertrude, déclarant qu'elle ne cesserait de prier
qu'elle n'eût obtenu sa délivrance. Elle fut exaucée
en effet, comme elle en reçut bientôt l'assurance.
(1) Sap. VI, 6. (2) Cf. Merv. 93. (3) 19 nov.
Remarquons que dans l'exemple précédent il ne s'agit
que d'une reine ; combien plus sévèrement seront traités
les rois, les magistrats, tous les supérieurs dont la responsabilité
et l'influence sont bien plus grandes ?
Chapitre 33
Matière des expiations. La tiédeur. Saint Bernard et le religieux de Citeaux. La vénérable mère Agnès et la soeur de Haut-Villars. Le P. Seurin et la religieuse de Loudun.
Les bons chrétiens, les prêtres, les religieux, qui veu-lent
servir Dieu de tout leur coeur, doivent bien se garder de l'écueil
de la tiédeur et de la négligence. Dieu veut être servi
avec ferveur : ceux qui sont tièdes et noncha-lants soulèvent
son dégoût ; il va jusqu'à menacer de sa malédiction
celui qui fait négligemment les choses saintes. C'est assez dire
qu'il punira sévèrement en purgatoire toute négligence
en son service.
Parmi les disciples de saint Bernard qui embaumaient par leur sainteté
la célèbre vallée de Clairvaux, il s'en trouva un,
dont la négligence contrastait tristement avec la ferveur de ses
frères. Malgré son double caractère de prêtre
et de religieux, il s'était laissé aller à une déplora-ble
tiédeur. Le moment de mourir arriva et il fut appelé devant
Dieu, sans qu'il eût donné des preuves d'amende-ment.
Pendant qu'on chantait la messe de ses funérailles, un religieux
de la communauté, vieillard d'une vertu peu commune, connut par
une lumière intérieure que son âme, sans être
damnée, était dans le plus malheureux état. La nuit
suivante, le défunt lui apparut en personne, dans un extérieur
misérable et profondément désolé : «
Hier, lui dit-il, vous avez eu connaissance de mon malheureux état,
voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré en punition
de ma coupable tiédeur. » II con-duisit alors le vieillard
au bord d'un puits, large et profond, tout rempli de fumée et de
flammes : « Voici le lieu, ajouta-t-il, où les ministres de
la divine justice ont ordre de me tourmenter : ils ne cessent de me précipiter
dans ce gouffre, et m'en retirent aussitôt après, pour m'y
précipiter de nouveau, sans m'accorder un instant de trêve
ou de repos. »
Le lendemain matin, ce religieux alla trouver saint Bernard pour lui
faire part de sa vision. Le saint abbé, qui avait eu une apparition
semblable, y vit un avis du ciel, donné à sa communauté.
Il convoqua aussitôt le chapitre, et les larmes aux yeux raconta
la double vision, exhortant ses religieux à secourir par de charitables
suffrages leur pauvre frère défunt, et à profiter
de ce triste exemple pour se conserver dans la ferveur et pour éviter
les moindres négligences dans le service de Dieu (1).
Le fait suivant est rapporté par M. de Lantages, dans la Vie
de la vénérable Mère Agnès de Langeac, religieuse
dominicaine (2). Tandis que cette servante de Dieu priait dans le choeur,
une religieuse qu'elle ne connaissait pas parut tout d'un coup devant elle,
misérablement habillée et avec un visage fort triste. Elle
la considérait avec étonnement, se demandant qui cela pouvait
être, lors-qu'elle entendit une voix qui lui dit distinctement :
C'est la soeur de Haut-Villars.
Cette soeur de Haut-Villars était une religieuse du monastère
du Puy, décédée il y avait plus de dix ans. L'apparition
ne disait mot, mais témoignait assez par son triste maintien le
grand besoin qu'elle avait d'être secourue. La mère Agnès
le comprenait parfaitement, et commença dès ce jour à
faire pour elle les plus ferventes prières. La
(1) Rossign. Merv. 47. (2) 19 octob.
défunte ne se contenta pas de cette première visite
: elle continua à lui apparaître durant plus de trois semaines,
presque partout et en tout temps, surtout après la communion et
l'oraison, marquant toujours ses souf-frances par la douloureuse expression
de son visage.
Agnès, par le conseil de son confesseur, sans parler à
personne de l'apparition, demanda à sa Prieure que la communauté
fît des prières extraordinaires pour les défunts à
son intention. Comme malgré ces prières l'appa-rition revenait
toujours, elle conçut de grandes craintes que ce ne fût une
illusion. Dieu daigna la tirer de cette peine : il fit clairement connaître
à sa charitable ser-vante par la voix de son ange gardien que c'était
véritablement une âme du purgatoire, et qu'elle souffrait
ainsi pour sa tiédeur au service de Dieu. Depuis le moment de
ces paroles, les apparitions cessèrent, et on ne put savoir combien
de temps encore cette infortunée demeura au purgatoire.
Citons un autre exemple bien propre à stimuler la fer-veur des
pieux fidèles. Une sainte religieuse, nommée Marie de l'Incarnation,
du monastère des Ursulines de Loudun apparut quelque temps après
sa mort à sa Supé-rieure, femme d'intelligence et de mérite,
qui en écrivit les détails au Père Surin de la Compagnie
de Jésus. Sa lettre se trouve insérée dans la correspondance
de ce Père. « Le six novembre, lui écrivait-elle, entre
trois et quatre heures du matin, la Mère de l'Incarnation s'est
présentée à moi avec un visage très-doux, qui
paraissait plus humilié que souffrant : je vis bien cependant qu'elle
souffrait beaucoup.
» D'abord, en la voyant auprès de moi, j'eus une grande
frayeur ; mais comme elle n'avait rien d'effrayant en elle-même,
je me rassurai bientôt. Je lui demandai en quel état elle
était, et si nous pouvions lui rendre quelque ser-vice ? Elle
répondit : « Je satisfais à la justice divine dans
le purgatoire. » Je la priai de me dire ce qui l'y retenait.
Alors, poussant un profond soupir, elle répondit : « Ce sont
plusieurs négligences aux exercices communs ; une certaine faiblesse
que j'ai eue à me laisser entraîner par l'exemple des religieuses
imparfaites ; enfin et surtout, l'habitude où j'ai été
de retenir par devers moi des choses dont je n'avais pas la permission
de disposer, et de m'en servir selon mes besoins et mes inclinations naturelles.
Oh! si l'on savait, continua la bonne mère, le mal que l'on fait
à son âme en ne s'appliquant pas à la perfection, et
combien durement on devra expier un jour les satisfactions qu'on se donne
contre les lumières de la conscience ; on aurait une autre ardeur
à se faire violence pendant la vie ! Ah ! Dieu voit les choses d'un
autre oeil que nous, il les juge autrement. »
» Je lui demandai de nouveau si nous pouvions lui être
de quelque utilité pour abréger ses souffrances ? Elle
me répondit : « Je désire voir et posséder Dieu
; mais je suis contente de satisfaire à sa justice, tant qu'il lui
plaira.» Je la priai de me dire si elle souffrait beau-coup ?
« Mes douleurs répondit-elle, sont incompréhensibles
à ceux qui ne les sentent pas. » En disant ces mots, elle
s'approcha de mon visage, comme pour pren-dre congé de moi : or
il me sembla que c'était un charbon de feu qui me brûlait,
quoique son visage ne touchât point au mien ; et mon bras, ayant
un peu frisé sa manche, se trouva brûlé : j'y ressentis
une vive douleur. »
Un mois après elle apparut de nouveau à cette même
Supérieure pour lui annoncer sa délivrance.
Chapitre 34
Matière des expiations. Négligence dans la sainte Communion. Louis de Blois. Sainte Madeleine de Pazzi et la défunte en adoration.
A la tiédeur se rattache la négligence à se préparer
au banquet Eucharistique. Si lÉglise ne cesse d'appeler ses enfants
à la Table sainte, si elle désire qu'ils communient fréquemment,
elle entend toujours qu'ils le fassent avec la piété et la
ferveur que demande un si grand mystère. Toute négligence
volontaire dans une action si sainte, est une offense à la sainteté
de Jésus-Christ, offense qui devra être réparée
par une juste expiation. Le vénérable Louis de Blois, dans
son Miroir spirituel, parle d'un grand serviteur de Dieu, qui apprit par
voie surnaturelle com-bien sévèrement ces sortes de fautes
sont punies dans l'autre vie. Il reçut la visite d'une âme
du purgatoire, implorant son secours au nom de l'amitié qui les
avait unis autrefois : elle endurait, disait-elle, de cruels tour-ments
pour la négligence avec laquelle elle s'était prépa-rée
à recevoir la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage.
Elle ne pouvait être délivrée que par une communion
fervente, qui compensât sa tiédeur passée. Son ami
s'empressa de la satisfaire, fit une commu-nion avec toute la pureté
de conscience, avec toute la foi, avec toute la dévotion possible
; et alors il vit la sainte âme lui apparaître brillante d'un
incomparable éclat, et montant au ciel (1).
L'an 1589, au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à Florence,
mourut une religieuse très-estimée de ses surs ; mais qui
apparut bientôt à sainte Madeleine de Pazzi, pour implorer
son secours dans le rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée.
La sainte était en prière devant l'autel du Saint-Sacrement,
lorsqu'elle aperçut la défunte agenouillée au milieu
de l'église, dans l'acte d'une adoration profonde, et dans un état
étrange. Elle avait autour d'elle un manteau de flammes qui sem-blaient
la consumer ; mais une robe blanche dont son corps était couvert,
la protégeait en partie de l'action du feu. Madeleine étonnée,
désira savoir ce que signifiait cette apparition, et il lui fut
répondu que cette âme souf-frait ainsi, pour avoir eu trop
peu de dévotion envers l'auguste Sacrement : malgré les prescriptions
et les saintes coutumes de son Ordre, elle n'avait communié que
rarement et avec négligence ; c'est pourquoi la divine justice l'avait
condamnée à venir chaque jour adorer la sainte Eucharistie
et subir le tourment du feu aux pieds de Jésus-Christ. Toutefois,
en récompense de sa pureté virginale, représentée
par la robe blanche, le divin Époux avait grandement mitigé
ses souffrances.
Telle fut la connaissance que le Seigneur donna à sa servante.
Elle en fut profondément touchée et s'efforça d'aider
la pauvre âme par tous les suffrages en son pou-voir. Elle raconta
souvent cette apparition, et s'en servit pour exhorter ses filles spirituelles
au zèle pour la sainte communion (2).
(1) Merv. 44. (2) Cepari, Vie de sainte Mad. de Pazzi. Cf. Rossign.
Merv. 84.
p.131fin
p.131
Chapitre 35
Matière des expiations. Manque de respect dans la prière. La Mère Agnès de Jésus et la soeur Angélique. Saint Séverin de Cologne. La vénérable Françoise de Pampelune et les prêtres Le Père Streit S. J.
Nous devons traiter saintement les choses saintes : toute irrévérence
dans les exercices religieux déplaît sou-verainement au Seigneur.
Quand la vénérable Agnès de Langeac, dont nous avons
parlé plus haut, était Prieure de son couvent, elle recommandait
beaucoup à ses reli-gieuses le respect et la ferveur dans tous leurs
rapports avec Dieu, leur rappelant cette parole de l'Écriture :
Maudit celui qui fait l'oeuvre de Dieu négligemment ! Une soeur
de la communauté, appelée Angélique, vint à
mourir et la pieuse Supérieure priait près de son tombeau,
lors-qu'elle vit soudain devant elle la soeur défunte, en habit
de religieuse ; elle sentit en même temps comme une flamme ardente
qu'on lui portait au visage. La soeur Angé-lique la remercia de
ce qu'elle l'avait stimulée à la ferveur, et en particulier
de ce que souvent pendant sa vie, elle lui avait répété
cette parole des saints Livres : Maudit soit celui qui fait l'oeuvre de
Dieu négligemment ! « Continuez, ma Mère, ajouta-t-elle,
à porter les soeurs à la ferveur : qu'elles le servent avec
une diligence suprême et qu'elles l'aiment de tout leur cur, de
toute la puissance de leur âme. Si on pouvait comprendre combien
rigoureux sont les tourments du purgatoire, on ne pourrait se laisser aller
à la moindre négligence. »
L'avertissement qui précède regarde surtout les prêtres,
dont les rapports avec Dieu sont continuels et plus subli-mes : qu'ils
s'en souviennent toujours et ne l'oublient jamais, soit qu'ils offrent
à Dieu l'encens de la prière, soit qu'ils dispensent les
trésors divins des sacrements, soit qu'ils célèbrent
à l'autel les mystères du corps et du sang de Jésus-Christ.
Voici ce que rapporte saint Pierre Damien, dans sa Lettre XIV à
Desiderius (1).
Saint Séverin, archevêque de Cologne (2), édifiait
son église par l'exemple de toutes les vertus : sa vie tout apos-tolique,
ses grands travaux pour l'accroissement du règne de Dieu dans les
âmes, devaient lui mériter les honneurs de la canonisation.
Néanmoins, après sa mort, il apparut à un des chanoines
de sa cathédrale pour demander des prières. Comme ce digne
prêtre ne pouvait comprendre qu'un saint prélat, tel qu'il
avait connu Séverin, eût besoin de prières dans l'autre
vie : « Il est vrai, répondit le défunt, Dieu m'a fait
la grâce de le servir de tout mon coeur, et de travailler longtemps
à sa vigne ; mais je l'ai offensé souvent par la manière
trop pressée dont j'ai récité le saint Office. Les
affaires et les préoccupations de chaque jour m'absorbaient tellement,
que lorsque venait l'heure de la prière, je m'acquittais de ce grand
devoir sans assez de recueillement, et quelquefois à d'autres heures
que celles fixées par l'Église. En ce moment j'expie ces
infidélités, et Dieu me permet de venir réclamer vos
prières. » L'histoire ajoute que Séverin fut six
mois au purgatoire pour cette seule faute.
La vénérable soeur Françoise de Pampelune, mention-née
plus haut, vit un jour au purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts
étaient rongés d'ulcères hideux. Il était ainsi
puni pour avoir fait à l'autel les signes de croix avec trop de
légèreté, et sans la gravité nécessaire.
Elle disait que, pour l'ordinaire, les prêtres restent au pur-gatoire
plus longtemps que les laïcs, et que l'intensité de leurs tourments
est proportionnée à leur dignité. Dieu lui fit connaître
le sort de plusieurs prêtres défunts : l'un d'eux resta quarante
ans dans les souffrances pour avoir laissé mourir, par sa négligence,
une personne sans sacrements ; un autre y resta quarante-cinq ans pour
avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes
fonctions de son ministère ; un Évêque, que sa
(1) Cf. Merv. 37. (2) 23 octob.
libéralité avait fait surnommer l'aumônier,
y demeura cinq ans pour avoir un peu ambitionné sa dignité
; un autre, qui n'était pas si charitable, y demeura quarante ans
pour la même cause (1).
Dieu veut que nous le servions de tout notre coeur et que nous évitions,
autant que le comporte la fragilité humaine, jusqu'aux moindres
imperfections ; mais le soin de lui plaire et la crainte de lui déplaire
doivent être accompagnés d'une humble confiance en sa miséricorde.
Jésus-Christ nous a recommandé d'écouter ceux qu'il
a établis en sa place pour diriger nos âmes, comme nous l'écouterions
lui-même, et d'acquiescer à la parole du supérieur
ou du confesseur avec une entière confiance. Un excès de
crainte devient alors une offense à sa misé-ricorde.
Le 12 novembre 1643 mourut au noviciat de Brünn en Bohême,
le père Philippe Streit, de la Compagnie de Jésus, religieux
d'une grande sainteté. Il faisait tous les jours l'examen de sa
conscience avec le plus grand soin, et acquit par ce moyen une grande pureté
d'âme. Quelques heures après sa mort, il apparut glorieux
à un père de son Ordre, le vénérable Martin
Strzeda : « Une seule faute, lui dit-il, l'empêcha de monter
droit au ciel et le retint huit heures en purgatoire, ce fut de n'avoir
pas cru avec un assez plein abandon, les paroles de son supérieur,
qui, à son lit de mort, s'efforçait de calmer ses dernières
inquiétudes de conscience, et dont il aurait dû regarder plus
parfaitement l'assurance comme la voix même de Dieu. »
Chapitre 36
Matière des expiations et châtiments. L'immortification
des sens.
Le Père François d'Aix. Immortification de la langue.
Durand.
Les chrétiens qui veulent éviter les rigueurs du purga-toire,
doivent aimer la mortification de leur divin Maître et se garder
d'être des membres délicats sous un Chef couronné d'épines.
Le 10 février de l'an 1656, dans la province de Lyon de la Compagnie
de Jésus, le père Fran-çois d'Aix passa à une
vie meilleure. Il porta à un haut degré de perfection la
pratique de toutes les vertus reli-gieuses. Pénétré
d'une profonde vénération envers la très-sainte Trinité,
il avait pour intention particulière dans toutes ses oraisons et
ses mortifications, d'honorer cet auguste mystère. Son attrait particulier
le portait à embrasser de préférence les oeuvres pour
lesquelles les autres montraient moins d'inclination. Il visitait souvent
le Saint-Sacrement, même pendant la nuit, et ne retour-nait jamais
de la porte à sa chambre sans aller faire une prière au pied
de l'autel. Ses pénitences, en quelque sorte excessives, lui firent
donner le nom d'homme de douleurs. Il répondit à quelqu'un
qui l'engageait à les modérer : Le jour que j'aurais passé
sans répandre quel-ques gouttes de mon sang pour l'offrir au Seigneur,
serait pour moi plus pénible que la plus rude mortification. Puis-que
je ne puis espérer de souffrir le martyre pour l'amour de Jésus-Christ,
je veux au moins avoir quelque part à ses douleurs.
Un autre religieux, Frère coadjuteur du même Ordre, n'imitait
pas l'exemple du père d'Aix. Il n'aimait guère la mortification,
cherchait au contraire ses aises, ses com-modités et tout ce qui
flattait les sens. Ce Frère étant venu à mourir, apparut
au père d'Aix, quelques jours après sa mort, le corps couvert
d'un affreux cilice et souffrant de grands tourments, en punition des fautes
de sensualité qu'il avait commises dans le cours de sa vie. Il réclama
le secours de ses prières et disparut aussitôt.
(1) Vie de la vénér. Mère Franç. Cf. Merv.
26.
Un autre défaut, dont on doit bien se garder parce qu'on
y tombe facilement, c'est l'immortification de la langue. Oh ! qu'il est
facile de faillir dans les paroles ! Qu'il est rare de parler longtemps
sans proférer quelques mots contraires à la douceur, à
l'humilité, à la sincérité, à la charité
chrétienne ! Les personnes pieuses même sont souvent sujettes
à ces fautes : quand elles ont échappé à toutes
les autres ruses du démon, elles se laissent pren-dre, dit saint
Jérôme, dans un dernier piège, la médi-sance.
Écoutons ce que rapporte Vincent de Beauvais (1).
Lorsque le célèbre Durand, qui, au onzième siècle,
illustra l'Ordre de saint Benoît, était encore simple reli-gieux,
il se montrait un modèle de régularité et de fer-veur
; mais il avait un défaut. La vivacité de son esprit le portait
à trop parler : il aimait à l'excès le mot pour rire,
souvent aux dépens de la charité. Hugues, son abbé,
lui fit des représentations à cet égard, lui prédisant
même, que, s'il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à
souffrir dans le purgatoire de ces jovialités déplacées.
Durand n'attacha pas assez d'importance à ces avis, et continua
à s'abandonner sans beaucoup de retenue au dérèglement
de sa langue. Après sa mort, la prédiction de l'abbé
Hugues se réalisa. Durand apparut à un reli-gieux de ses
amis, le suppliant de l'aider de ses prières, parce qu'il était
cruellement puni de l'intempérance de son langage. A la suite de
cette apparition, la commu-nauté se réunit, on convint de
garder, pendant huit jours, un rigoureux silence, et de pratiquer d'autres
bonnes oeuvres, pour soulager le défunt. Ces charitables prières
produisirent leur effet : à quelque temps de là, Durand apparut
de nouveau pour annoncer sa délivrance.
Chapitre 37
Matière des expiations. Intempérance de la langue. Le religieux dominicain. Les soeurs Gertrude et Marguerite. Saint Hugues de Cluni et l'infracteur du silence.
Nous venons de voir comment on expie en purgatoire l'inconsidération
dans les paroles. Le P. Rossignoli parle d'un religieux Dominicain qui
encourut les châtiments de la divine justice pour un défaut
semblable. Ce reli-gieux, prédicateur plein de zèle, une
gloire de son Ordre, apparut après sa mort à un de ses frères
à Cologne : il était couvert de vêtements magnifiques,
portait une cou-ronne d'or sur la tête ; mais sa langue était
cruellement tourmentée. Ces ornements représentaient la récompense
de son zèle pour les âmes, et de sa parfaite exactitude pour
tous les points de sa règle. Cependant sa langue endurait des tourments,
parce qu'il n'avait pas assez veillé sur ses paroles, et que son
langage n'avait pas toujours été digne des lèvres
sacrées d'un prêtre et d'un religieux.
Le trait suivant est tiré de Césaire (2). Dans un monas-tère
de l'Ordre de Citeaux, dit cet auteur, vivaient deux jeunes religieuses,
nommées soeur Gertrude et soeur Mar-guerite. La première,
quoique d'ailleurs vertueuse, ne veillait pas suffisamment sur sa langue,
elle se permet-tait fréquemment de manquer au silence prescrit,
quel-quefois même dans le choeur, avant et après l'office.
Au lieu de se recueillir avec respect dans le lieu saint et de préparer
son coeur à la prière, elle se dissipait en adressant à
soeur Marguerite placée à côté d'elle, des paroles
inutiles ; en sorte que, outre la violation de sa règle et le manque
de piété, elle était pour sa compagne un sujet de
scandale. Elle
(1) Specul. historiale 1. 26. c. 5. Cf. Merv. 37. (2) Dial.
de miraculis
mourut étant encore jeune ; et voilà que peu de
temps après sa mort, soeur Marguerite venant à l'office,
la voit venir aussi et s'asseoir dans la stalle qu'elle occupait de son
vivant.
A cette vue, la sur fut près de défaillir. Quand elle
eut bien repris ses sens elle raconta à sa Supérieure ce
qu'elle venait de voir. La Supérieure lui dit de ne pas se troubler
; mais, si la défunte reparaissait, de lui demander au nom du Seigneur
le sujet de sa venue.
Elle reparut en effet le lendemain, de la même manière,
et, selon l'ordre de la prieure, Marguerite lui dit : « Ma chère
soeur Gertrude, d'où venez-vous et que voulez-vous ? «
Je viens, dit-elle, satisfaire à la justice de Dieu dans le lieu
où j'ai péché. C'est ici, dans ce lieu saint, consacré
à la prière, que j'ai offensé Dieu par des paroles
inutiles et contraires au respect religieux, par la mauvaise édification
que j'ai donnée à la communauté, et par le scandale
que je vous ai donné, à vous en particulier. Oh ! si vous
saviez, ajouta-t-elle, ce que je souffre : je suis toute dévorée
de flammes, ma langue surtout en est cruellement tourmentée. »
Elle disparut, après avoir demandé des prières.
Lorsque saint Hugues (1), qui succéda en 1049 à saint
Odilon, gouvernait le fervent monastère de Cluni, un de ses religieux
qui avait été peu fidèle à la règle
du silence, étant venu à mourir, apparut au saint Abbé
pour implo-rer le secours de ses prières. Il avait la bouche remplie
d'affreux ulcères, en punition, disait-il, de ses paroles oiseuses.
Hugues ordonna sept jours de silence à toute sa communauté.
On les passa dans le recueillement et la prière. Alors le défunt
apparut de nouveau, délivré de ses ulcères, le visage
radieux, et témoignant sa reconnais-sance pour le charitable secours
qu'il avait reçu de ses frères.
Si tel est le châtiment des paroles simplement oiseuses, quel
sera celui des paroles plus coupables ?
Chapitre 38
Matière des expiations. Manquements à la justice. Le Père d'Espinoza et les payements. La B. Marguerite de Cortone et les marchands assassinés.
Une foule de révélations nous montrent que Dieu punit
avec une rigueur implacable tous les péchés contraires à
la justice et à la charité. Et en matière de justice,
il sem-ble exiger que la réparation se fasse avant que la peine
soit remise ; comme, dans l'Église militante, ses ministres doivent
exiger la restitution pour remettre la coulpe, selon l'axiome : Sans restitution
point de rémission.
Le P. Rossignoli (2) parle d'un religieux de sa com-pagnie, appelé
Augustin d'Espinoza, dont la sainte vie n'était qu'un acte de dévouement
continuel aux âmes du purgatoire. Un homme riche, qui se confessait
à lui, étant mort sans avoir suffisamment réglé
ses affaires, lui apparut, et lui demanda d'abord s'il le connaissait ?
« Sans doute, répondit le Père, je vous ai administré
le sacrement de pénitence, peu de jours avant votre mort. Sachez
donc, ajouta le défunt, que je viens par grâce spéciale
de Dieu vous conjurer d'apaiser sa justice, et de faire pour moi ce que
je ne puis plus faire moi-même. Veuillez me suivre. »
Le Père va d'abord trouver son supérieur, lui rend compte
de ce qu'on lui demande, et sollicite la permis-sion de suivre son étrange
visiteur. La permission obte-nue, il sort et
(1) 29 avril. (2) Merv. 94.
suit l'apparition qui, sans prononcer une parole, le mène
jusqu'à l'un des ponts de la ville. Là elle prie le Père
d'attendre un peu, s'éloigne et disparaît un moment, puis
revient avec un sac d'argent qu'elle prie le père de porter, et
tous deux rentrent dans la cellule du religieux. Alors le mort lui remet
un billet écrit, et mon-trant l'argent : « Tout cela, dit-il,
est à votre disposition. Ayez la charité d'en prendre pour
satisfaire mes créanciers, dont les noms sont marqués sur
ce billet, avec le montant de ce qui leur est dû. Veuillez prendre
ensuite ce qui restera de la somme et l'employer en bonnes oeuvres à
votre choix, pour le repos de mon âme. » A ces mots il disparut,
et le Père se mit en devoir de remplir toutes ses intentions.
Huit jours s'étaient à peine écoulés qu'il
se fit voir de nouveau au Père d'Espinoza. Il remercia cette fois
le Père avec effusion : « Grâce à la charitable
exactitude, lui dit-il, avec laquelle vous avez payé les dettes
que j'avais laissées sur la terre, grâce aussi aux saintes
messes que vous avez célébrées pour moi, je suis délivré
de toutes mes peines, et admis dans l'éternelle béatitude.
»
Nous trouvons un exemple du même genre dans la Vie de la B. Marguerite
de Cortone (1). Cette illustre pénitente se distinguait aussi par
sa charité envers les défunts, et ils lui apparaissaient
en grand nombre pour implorer le secours de ses suffrages. Un jour entr'autres
elle vit devant elle deux voyageurs, qui la supplièrent de les aider
à réparer des injustices restées à leur charge.
« Nous sommes deux marchands, lui dirent-ils, qui avons été
assassinés en chemin par des brigands. Nous n'avons pu nous confesser
ni recevoir l'absolution de nos péchés ; mais par la miséricorde
du Sauveur et la clémence de sa sainte Mère, nous eûmes
le temps de faire un acte de contrition parfaite, et nous fûmes sauvés.
Mais nos tourments sont affreux au purgatoire, parce que dans l'exercice
de notre profession nous avons commis beaucoup d'injustices. Tant que ces
injustices ne sont pas réparées, nous n'aurons ni repos,
ni soulagement. C'est pourquoi nous vous supplions, servante de Dieu, d'aller
trouver tels et tels de nos parents et héritiers, pour les avertir
de restituer au plus tôt tout l'argent que nous avons mal acquis.
» Ils donnèrent à la Bienheureuse les indications
nécessaires et disparu-rent.
____________
Chapitre 39
Matière des expiations. Péchés contre la charité. La B. Marguerite-Marie. Deux personnes de condition dans les peines du purgatoire. Plusieurs âmes punies pour manque de con-corde
Il a été dit plus haut que la divine justice se montre
aussi particulièrement rigoureuse pour les péchés
con-traires à la charité du prochain. La charité est,
en effet, la vertu qui tient le plus au coeur du divin Maître, et
qu'il recommande à ses disciples comme devant les distinguer aux
yeux de tous les hommes : La marque, dit-il, à laquelle on reconnaîtra
que vous êtes mes vrais disciples, c'est la charité que vous
aurez les uns pour les autres (2). Il n'est donc pas étonnant que
la dureté pour le prochain et tout autre manque de charité
soient sévèrement punis dans l'autre vie.
En voici d'abord quelques preuves, tirées de l'Histoire de la
B. Marguerite-Marie. « J'ai appris de la soeur Marguerite, dit la
mère Greffier dans son mémoire, qu'elle priait un jour pour
deux personnes de grande considération dans le monde, qui venaient
de mourir. Elle les vit toutes les deux en purgatoire : l'une lui fut montrée
comme
(1) Voir les Actes des Saints, 22 févr. (2) Joan. XIII,
35.
condamnée pour plusieurs années à ces peines,
nonobstant les services solennels et le grand nombre de messes qu'on célébrait
pour elle. Toutes ces prières et ces suffrages étaient appliqués
par la divine justice aux âmes de quelques familles de ses sujets,
qui avaient été ruinées par son défaut de charité
et d'équité à leur égard. Comme il n'était
rien resté à ces pauvres gens pour faire prier Dieu pour
eux après leur mort, Dieu y suppléait, comme il vient d'être
dit. L'autre était en purgatoire pour autant de jours qu'elle
avait vécu d'années sur la terre. Notre-Seigneur fit connaître
à soeur Marguerite, qu'entre toutes les bonnes oeuvres que cette
personne avait faites, il avait eu particulièrement égard
à la charité avec laquelle elle avait supporté les
défauts du prochain et dissimulé les déplaisirs qu'on
lui avait causés. »
Une autre fois Notre-Seigneur montra à la B. Margue-rite une
quantité d'âmes du purgatoire, lesquelles pour avoir été
désunies durant leur vie d'avec leurs Supérieurs, et pour
avoir eu avec eux quelques mésintelligences, avaient été
sévèrement punies, et privées après la mort,
du secours de la sainte Vierge et des Saints, et de la visite de leurs
anges gardiens. Plusieurs de ces âmes étaient destinées
à rester longtemps dans d'horribles flammes. Quelques-unes même
d'entr'elles n'avaient point d'autres marques de leur prédestination
que de ne point haïr Dieu. D'autres qui avaient été
en Religion, et qui pendant leur vie avaient eu peu d'union et de charité
pour leurs soeurs, étaient privées de leurs suffrages, et
n'en recevaient aucun secours.
Ajoutons encore un extrait du mémoire de la Mère Greffier.
« Il arriva, tandis que la soeur Marguerite priait pour deux religieuses
décédées, que leurs âmes lui furent montrées
dans les prisons de la divine justice : mais l'une souffrait des peines
incomparablement plus grandes que l'autre. Celle-là se plaignait
grandement d'elle-même, de ce que par ses défauts contraires
à la mutuelle charité, et à la sainte amitié
qui doit régner dans les communautés religieuses, elle s'était
attiré entre autres punitions, de n'avoir point de part aux suffrages
que la communauté offrait à Dieu pour elle ; elle ne recevait
de soulagement que des seules prières de trois ou quatre personnes
de la même communauté, pour lesquelles elle avait eu pendant
sa vie moins d'inclination et de penchant. Cette âme souffrante s'accusait
encore de la trop grande facilité qu'elle avait eue à prendre
des dispenses de la règle et des exercices communs. Enfin elle déplorait
les soins qu'elle avait pris sur la terre pour procurer à son corps
des soulagements et des commodités. Elle fit connaître
en même temps à notre chère soeur, que pour punition
de ces trois défauts, elle avait pendant son agonie souffert trois
furieux assauts du démon ; et que chaque fois se croyant perdue,
elle s'était vue sur le point de tomber dans le désespoir
; mais que la Sainte Vierge, à laquelle elle avait eu grande dévotion
pendant sa vie, l'avait tirée toutes les trois fois des griffes
de l'ennemi. »
Chapitre 40
Matière des expiations. Manque de charité et de respect envers le prochain. Saint Louis Bertrand et le défunt demandant pardon. Le Père Nieremberg. La B. Marguerite-Marie et le religieux Bénédictin.
La vraie charité est humble et s'incline devant ses frères,
les respectant tous comme s'ils lui étaient supé-rieurs.
Ses paroles toujours amicales et pleines d'égards pour tout le monde,
n'ont rien d'amer ni de froid, rien qui sente le mépris, parce qu'elles
coulent d'un cur doux et humble, comme celui de Jésus. Elle évite
aussi avec soin tout ce qui pourrait troubler l'union ; et si quel-que
différend se produit, elle fait toutes les démarches, tous
les sacrifices, pour amener la réconciliation, selon cette parole
du divin Maître : Si vous présentez votre offrande à
l'autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a
quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l'autel,
et allez d'abord vous réconcilier avec votre frère, et alors
vous viendrez présenter votre offrande (1).
Un religieux ayant blessé la charité à l'égard
de saint Louis Bertrand, en reçut après sa mort un châtiment
terrible. Il fut plongé dans le feu du purgatoire, qu'il dut subir
jusqu'à ce que la justice divine fût satisfaite ; de plus,
il ne put être admis au séjour des élus avant d'avoir
accompli un acte extérieur de réparation, qui servit d'exemple
aux vivants. Voici comment le fait est rapporté dans la Vie du saint
(2).
Quand saint Louis Bertrand, de l'Ordre de saint Domi-nique, résidait
au couvent de Valence, il y avait dans la communauté un jeune religieux,
qui attachait trop d'im-portance à la science humaine. Sans doute,
les lettres et l'érudition ont leur prix, mais, comme le Saint-Esprit
le déclare, elles le cèdent à la crainte de Dieu et
à la science des saints : Non super timentem Dominum (3). Cette
science des saints que l'éternelle sagesse est venue nous enseigner,
consiste dans l'humilité et la charité. Or le jeune religieux,
dont nous parlons, encore peu avancé dans cette divine science,
se permit de reprocher au Père Louis son peu de savoir, et de lui
dire : On le voit, mon Père, vous n'êtes pas bien savant !
Mon frère, répondit le Saint avec une douce fermeté,
Lucifer a été fort savant et il n'en est pas moins réprouvé.
Le Frère qui avait commis cette faute ne songea pas à
la réparer. Cependant il n'était pas un mauvais religieux
; et à quelque temps de là, étant tombé malade,
il reçut fort bien tous les sacrements et mourut dans la paix du
Sei-gneur. Un temps assez considérable s'écoula, pendant
lequel saint Louis fut nommé Prieur. Alors, étant resté
dans le choeur après matines, le défunt lui apparut envi-ronné
de flammes, et s'inclinant humblement devant lui, il lui dit : «
Mon père, pardonnez-moi les paroles blessantes que je vous ai adressées
autrefois. Dieu ne permet pas que je voie sa face avant que vous ne m'ayez
pardonné cette faute et célébré ensuite pour
moi le saint sacrifice de la Messe. » Le Saint lui pardonna volont-iers
et offrit le lendemain la Messe pour lui.
La nuit suivante, se trouvant encore dans le choeur, il vit de nouveau
le défunt lui apparaître, mais glorieux et allant au ciel.
Le Père Eusèbe Nieremberg, religieux de la Compagnie
de Jésus, auteur du beau livre Différence entre le temps
et l'éternité, résidait au collège de Madrid,
où il mourut en odeur de sainteté en 1658. Ce serviteur de
Dieu, sin-gulièrement dévot aux âmes du purgatoire,
priait un jour avec ferveur dans l'église du collège pour
un Père récemment décédé. Le défunt
qui avait longtemps professé la théologie, ne s'était
pas montré moins bon reli-gieux que savant théologien : il
avait eu surtout une grande dévotion à la Sainte Vierge ;
mais un vice s'était mêlé à ses vertus : il
manquait de charité dans ses paroles et parlait fréquemment
des défauts du prochain.
Or, comme le P. Nieremberg recommandait son âme à Dieu,
ce religieux lui apparut et lui révéla son état. Il
était livré à de rudes tourments pour avoir souvent
parlé contre la charité. Sa langue, en particulier, instrument
de ses fautes, était tourmentée par un feu cuisant. La Sainte
Vierge, en récompense de la tendre dévotion qu'il avait eue
pour elle, lui avait obtenu de venir solliciter des prières ; il
devait en même temps servir d'exemple à ses frères,
pour leur apprendre à veiller avec soin sur toutes leurs paroles.
Le Père Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences
pour lui, obtint enfin sa déli-vrance (4).
Le religieux dont il est parlé dans la Vie de la Bienheu-reuse
Marguerite, et pour qui cette servante de Dieu souffrit si cruellement
pendant trois mois, était aussi puni, entre autres fautes, pour
ses péchés contre la charité. Voici comment eut lieu
cette révélation.
(1) Matth. V, 23. (2) Acta Sanctor. 10 octob. (3) Eccli.
XXV, 13. (4) Vie du P. Nieremberg.
La B. Marguerite-Marie, lisons-nous dans sa Vie, étant
une fois devant le Saint-Sacrement, tout à coup se présenta
à elle un homme totalement en feu, et dont les ardeurs la pénétrèrent
si fort qu'elle se sentait comme brûler avec lui. L'état pitoyable
où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes. C'était
un religieux bénédictin de la congréga-tion de Cluni,
à qui elle s'était confessée autrefois et qui avait
fait du bien à son âme en lui ordonnant de com-munier. En
récompense de ce service, Dieu lui avait per-mis de s'adresser à
elle pour trouver du soulagement dans ses peines.
Le pauvre défunt lui demanda que durant l'espace de trois mois,
tout ce qu'elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué : elle
le lui promit, après en avoir demandé la permission. Il
lui dit alors, que la première cause de ses grandes souffrances
était d'avoir cherché son propre intérêt avant
la gloire de Dieu et le bien des âmes, par trop d'attache à
sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers
ses frères. La troisième, l'affection naturelle pour les
créatures, à laquelle il avait eu la fai-blesse de céder,
et dont il leur avait donné des témoi-gnages dans les entretiens
spirituels, ce qui, ajoutait-il déplaisait beaucoup à Dieu.
Il est difficile de dire tout ce que la Bienheureuse eut à souffrir,
l'espace des trois mois qui suivirent. Le défunt ne la quittait
pas : du côté où il était, elle se sentait tout
en feu, avec de si vives douleurs qu'elle en pleurait toujours. Sa Supérieure,
touchée de compassion, lui ordonnait des pénitences et des
disciplines, parce que les peines et les souffrances qu'on lui accordait,
la soulageaient beaucoup. Les tourments, disait-elle, que la sainteté
de Dieu impri-mait en elle, étaient insupportables. C'était
un échantillon de ce qu'endurent les âmes.
Chapitre 41
Matière des expiations. Abus de la grâce. Sainte Madeleine de Pazzi et la religieuse défunte. La B. Marguerite et les trois âmes en purgatoire.
Il est un autre dérèglement de l'âme que Dieu punit
sévèrement en purgatoire, savoir l'abus de la grâce.
On entend par là le manque de correspondance aux secours que Dieu
nous accorde et aux invitations qu'il nous fait pour la pratique du bien,
pour la sanctification de nos âmes. Cette grâce qu'il nous
présente est un don précieux, qu'on ne peut laisser tomber
par terre, c'est une semence de salut et de mérite qu'il n'est pas
permis de rendre stérile. Or on commet cette faute, quand on ne
répond pas avec générosité à l'invitation
divine. J'ai reçu de Dieu les moyens de faire l'aumône : une
voix intérieure m'invite à la faire ; je ferme mon coeur,
ou je ne donne que d'une main avare : c'est un abus de grâce. Je
puis entendre la messe, assister au sermon, fréquenter les sacrements
: une voix intérieure m'y invite ; mais je ne veux pas m'en donner
la peine : c'est un abus de grâce. Une personne religieuse doit
être obéissante, humble, mortifiée, dévouée
à ses devoirs : Dieu le demande et lui en donne la force en vertu
de sa vocation ; elle ne s'y applique pas, elle ne travaille pas à
se vaincre pour coopérer avec le secours que Dieu lui offre : c'est
un abus de grâce.
Or ce péché, disons-nous, est rigoureusement puni au
purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi nous apprend, quune de ses soeurs
en religion eut beaucoup à souffrir après la mort pour n'avoir
pas correspondu à la grâce en trois occasions. Il lui était
arrivé, un jour de fête, de sentir l'envie de faire un petit
travail : il ne s'agissait que d'un ouvrage de femme, mais il n'était
pas nécessaire et il convenait de le remettre à un autre
moment. L'inspiration de la grâce lui disait de s'en abstenir, par
respect pour la sainteté du jour ; mais elle préféra
satisfaire l'envie natu-relle qu'elle avait de faire cet ouvrage, sous
prétexte que c'était une chose légère. Une
autre fois, ayant remarqué qu'un point d'observance était
oublié, et qu'en le faisant connaître à ses supérieurs
il en résulterait un bien pour la communauté, elle omit d'en
parler. L'inspiration de la grâce lui disait d'accomplir cet acte
de charité, mais le respect humain l'empêcha de le faire.
Une troisième faute fut un attachement déréglé
pour les siens qui étaient dans le monde. Comme épouse de
Jésus-Christ, elle devait toutes ses affections à ce divin
Époux ; mais elle parta-geait son coeur en s'occupant trop des membres
de sa famille. Quoiqu'elle sentît que sa conduite à cet égard
était défectueuse, elle n'obéit pas à ce mouvement
de la grâce et ne travailla pas sérieusement à se corriger.
Cette soeur, d'ailleurs fort édifiante, étant venue à
mourir, Madeleine pria pour elle avec sa ferveur ordi-naire. Seize jours
se passèrent et elle apparut à la Sainte, lui annonçant
sa délivrance. Comme Madeleine s'étonnait de ce qu'elle avait
été si longtemps dans les tourments, elle lui fit connaître
qu'elle avait dû expier son abus de la grâce dans les trois
cas dont nous avons parlé ; et elle ajouta que ces fautes l'auraient
retenue plus longtemps dans les supplices, si Dieu n'avait eu égard
à un côté plus satisfaisant de sa conduite : il avait
abrégé ses peines à raison de sa fidélité
à garder la règle, de sa pureté d'intention, et de
sa charité envers ses soeurs (1).
Ceux qui ont eu plus de grâces en ce monde et plus de moyens
d'acquitter leurs dettes spirituelles, seront traités au purgatoire
avec moins d'indulgence, que d'autres qui ont eu moins de facilité
à satisfaire pendant la vie.
La B. Marguerite-Marie, ayant appris la mort de trois personnes récemment
décédées, deux religieuses et une séculière,
se mit aussitôt à prier pour le repos de leurs âmes.
C'était le premier jour de l'an. Notre-Seigneur touché de
sa charité et usant d'une familiarité ineffable, daigna lui
apparaître ; et les lui montrant toutes les trois dans ces prisons
de feu où elles gémissaient, lui dit : « Ma fille,
pour vos étrennes, je vous accorde la délivrance d'une de
ces trois âmes, et je vous laisse le choix. Laquelle voulez-vous
que je délivre ? Qui suis-je, Seigneur, répondit-elle,
pour désigner celle qui mérite la préférence
? Daignez faire vous-même le choix. » Alors Notre-Seigneur
délivra la séculière, disant, qu'il avait moins de
peine à voir souffrir des personnes religieuses, parce qu'elles
avaient eu plus de moyens d'expier leurs péchés pendant la
vie.
p.148 fin
(1) Cépari, Vie de sainte Madeleine de Pazzi.
p.149
SECONDE PARTIE
LE PURGATOIRE MYSTÈRE DE MISÉRICORDE
____________
Chapitre 1er
Crainte et confiance. Miséricorde de Dieu. Sainte Lidvine
et le prêtre. Le vénérable Père Claude
de la Colombière.
Nous venons de considérer les rigueurs de la divine justice dans
l'autre vie : elles sont terrifiantes, et il n'est pas possible d'y penser
sans effroi. Ce feu allumé par la divine justice, ces peines douloureuses,
auprès desquelles les pénitences des Saints et les souffrances
des Martyrs sont peu de chose, quelle âme croyante pourrait les envisager
sans crainte ?
Cette crainte est salutaire et conforme à l'esprit de Jésus-Christ.
Le divin Maître veut que nous craignions, que nous craignions non
seulement l'enfer, mais encore le purgatoire, sorte d'enfer mitigé.
C'est pour nous ins-pirer cette sainte frayeur qu'il nous montre la prison
du Juge suprême, d'où l'on ne sortira point avant que la dernière
obole ne soit payée (1) ; et l'on peut étendre au feu du
purgatoire ce qu'il dit du feu de la géhenne : Ne craignez point
ceux qui font mourir le corps et qui ne peu-vent rien sur l'âme ;
mais craignez celui qui peut jeter le corps et l'âme en enfer (2).
Toutefois l'intention du Sauveur n'est pas que nous ayons une crainte
excessive et stérile, cette crainte qui tourmente les âmes
et les abat, cette crainte sombre et sans confiance ; non, il veut que
notre crainte soit tem-pérée par une grande confiance en
sa miséricorde ; il veut que nous craignions le mal pour le prévenir
et l'éviter ; il veut que la pensée des flammes vengeresses
stimule notre ferveur dans son service, et nous porte à expier nos
fautes en ce monde plutôt qu'en l'autre. Il vaut mieux extirper maintenant
nos vices, et expier nos péchés, dit l'Auteur de l'Imitation,
que de remettre à les expier en l'autre monde (3). Au reste si,
malgré notre zèle à bien vivre et à satisfaire
en ce monde, nous avons encore des craintes fondées d'avoir un purgatoire
à subir, nous devons envi-sager cette éventualité
avec une grande confiance en Dieu qui ne laisse pas sans consolation les
âmes qu'il purifie par les souffrances.
Or pour donner à notre crainte ce caractère pratique
et ce contrepoids de confiance, après avoir contemplé le
purgatoire dans ses peines et ses rigueurs, il nous le faut considérer
sous une autre face et à un autre point de vue, celui de la miséricorde
de Dieu, qui n'y éclate pas moins que sa justice.
Si Dieu réserve aux moindres fautes des châtiments terribles
dans l'autre vie, il ne les inflige point sans un tempérament de
clémence ; et rien ne montre mieux que le purgatoire l'admirable
harmonie des perfections divines, puisque la plus sévère
justice s'y exerce en même temps que la plus ineffable miséricorde.
Si le Seigneur châtie les âmes qui lui sont chères,
c'est dans son amour, selon cette parole : Je corrige et je châtie
ceux que j'aime (4). D'une main il les frappe, de l'autre il les guérit,
il leur offre miséricorde et rédemption en abondance : Quoniam
apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio (5).
(1) Matth. V, 26. (2) Matth. X, 28. (3) Imit. I, 24. (4) Apol.
III, 19. (5) Ps. 129.
Cette miséricorde infinie de notre Père céleste
doit être le fondement inébranlable de notre confiance et,
à l'exemple des Saints, nous devons l'avoir toujours devant les
yeux. Les Saints ne la perdaient point de vue ; c'est pourquoi la crainte
du purgatoire ne leur ôtait ni la paix ni la joie du Saint-Esprit.
Sainte Lidvine, qui connaissait si bien la rigueur effrayante des peines
expiatrices, était animée de cet esprit de confiance et tâchait
de l'inspirer aux autres. Un jour elle reçut la visite d'un prêtre
pieux. Comme il se trouvait assis auprès du lit de la sainte malade
avec d'autres personnes vertueuses, la conversation s'engagea sur les peines
de l'autre vie. Le prêtre voyant dans les mains d'une femme un vase
rempli de graine de sénevé, en prit occasion pour dire qu'il
tremblait en pensant au feu du purgatoire ; « néanmoins, ajouta-t-il,
je voudrais y être pour autant d'années qu'il y a de petits
grains dans ce vase ; alors du moins j'aurais la certitude de mon salut.
Que dites-vous là, mon Père, reprit la Sainte ? Pourquoi
si peu de confiance dans la miséricorde de Dieu ? Ah ! si vous saviez
mieux ce que c'est que le purgatoire, quels tourments affreux on y endure
! Que le purgatoire soit ce qu'il voudra, répondit-il, je persiste
dans ce que j'ai dit. »
Ce prêtre mourut quelque temps après ; et les mêmes
personnes qui avaient été présentes à son entretien
avec Lidvine, interrogeant la sainte malade sur l'état de son âme
en l'autre monde, elle répondit : « Le défunt est bien,
à cause de sa vie vertueuse ; mais il serait mieux, s'il se fût
confié davantage en la passion de Jésus-Christ, et s'il eût
embrassé un sentiment plus doux au sujet du purgatoire. »
En quoi consistait le manque de confiance que la Sainte désapprouvait
en ce bon prêtre ? Dans le sentiment où il était, qu'il
est presque impossible de se sauver, et qu'on ne saurait guère entrer
au ciel qu'après d'innombrables années de tourments. Cette
idée est fausse et contraire à la confiance chrétienne.
Le Sauveur est venu apporter la paix aux hommes de bonne volonté,
et nous imposer comme condition de salut un joug suave et un fardeau qui
n'est point pesant. Ainsi, que votre volonté soit bonne et vous
trouverez la paix, vous verrez s'évanouir les difficultés
et les terreurs. La bonne volonté : tout est là. Soyez de
bonne volonté, soumettez-vous à la volonté de Dieu,
mettez sa sainte loi au-dessus de tout ; servez le Seigneur de tout votre
coeur, et il vous aidera si bien que vous arriverez en paradis avec une
étonnante facilité : je n'aurais jamais cru, direz-vous,
qu'il fût si facile d'entrer au ciel ! Toutefois, je le répète,
pour opérer en nous cette merveille de miséricorde, Dieu
demande de notre part le coeur droit, la bonne volonté.
La bonne volonté consiste proprement à soumettre et à
conformer notre volonté à celle de Dieu, qui est la règle
de tout bon vouloir ; et ce bon vouloir atteint sa plus haute perfection,
quand on embrasse la volonté divine comme le bien suprême
alors même qu'elle impose les plus grands sacrifices, les plus rigoureuses
souffrances. Chose admirable ! l'âme ainsi disposée semble
perdre le sentiment des douleurs. C'est que cette âme est animée
de l'esprit d'amour, et, comme dit S. Augustin, quand on aime, on ne souffre
pas, ou si l'on souffre on aime la souf-france : Aut si laboratur, labor
ipse amatur.
Il avait ce coeur aimant, cette bonne et parfaite volonté, le
Vén. Père Claude de la Colombière, de la Compagnie
de Jésus, qui, dans sa Retraite spirituelle, exprimait ainsi ses
sentiments : « Il ne faut pas laisser d'expier par la pénitence
les dérèglements de sa vie ; mais il le faut faire sans inquiétude,
parce que le pis qui puisse arriver, quand on a bonne volonté, et
qu'on est soumis à lobéissance, c'est d'être longtemps
en purgatoire, et l'on peut dire en un bon sens que ce n'est pas là
un fort grand mal.
» Je ne crains point le purgatoire. Quant à l'enfer je
n'en veux pas parler ; car je ferais tort à la miséricorde
de Dieu de craindre l'enfer le moins du monde, quand je l'aurais plus mérité
que tous les démons. Mais le purgatoire, je ne le crains point :
je voudrais bien ne l'avoir pas mérité, parce que cela ne
s'est pu faire sans déplaire à Dieu ; mais puisque c'est
une chose faite, je suis ravi d'aller satisfaire à sa justice de
la manière la plus rigoureuse qu'il soit possible d'imaginer, et
même jusqu'au jour du jugement. Je sais que les tourments y sont
horribles ; mais je sais qu'ils honorent Dieu, et ne peuvent altérer
les âmes, qu'on y est assuré de ne s'opposer jamais à
la volonté de Dieu, qu'on ne lui saura point mauvais gré
de sa rigueur, qu'on aimera jusqu'à sa sévérité,
qu'on attendra avec patience qu'elle se soit entièrement satisfaite.
Ainsi j'ai donné de tout mon coeur toutes mes satisfactions aux
âmes du purgatoire, et cédé même à d'autres
tous les suffrages qu'on fera pour moi après ma mort, afin que Dieu
soit glorifié dans le paradis par des âmes qui auront mérité
d'y être élevées à une plus grande gloire que
moi. »
Voilà jusqu'où va la charité, l'amour de Dieu
et du prochain, quand il a pris possession d'un coeur : il trans-forme,
il transfigure la souffrance au point qu'elle perd son amertume et se change
en douceur. Lorsque vous en serez venu, dit le livre de l'Imitation, à
trouver douce la tribulation et à la goûter par amour pour
Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, car vous avez trouvé
le para-dis sur la terre (Imit. II, 12). Ayons donc beaucoup d'amour de
Dieu, beaucoup de charité, et nous crain-drons peu le purgatoire
: le Saint-Esprit nous rendra témoignage au fond du coeur, qu'étant
enfants de Dieu, nous n'avons pas à redouter les châtiments
d'un Père.
____________
Chapitre 2
Confiance. Miséricorde de Dieu envers les âmes. Il les con-sole. Sainte Catherine de Gênes. Le frère de sainte Made-leine de Pazzi.
Il est vrai que tous ne sont pas à ce haut degré de cha-rité
; mais il n'est personne qui ne puisse avoir confiance dans la divine miséricorde.
Cette miséricorde est infinie, et elle donne la paix à toutes
les âmes qui l'ont bien devant les yeux et se confient en elle.
Or la miséricorde de Dieu s'exerce au sujet du purgatoire de trois
manières : 1° en consolant les âmes ; 2° en mitigeant
leurs peines ; 3° en nous donnant à nous-mêmes avant la
mort mille moyens d'éviter le purgatoire.
D'abord Dieu console les âmes du purgatoire : il les console
par lui-même, par la Sainte Vierge et par les saints anges. Il console
les âmes en les remplissant au plus haut degré de foi, d'espérance
et d'amour divin, vertus qui produisent en elles la conformité à
la volonté divine, la résignation, la patience la plus parfaite.
« Le Seigneur, écrit sainte Catherine de Gênes, imprime
à l'âme du purgatoire un tel mouvement d'amour attractif,
qu'il serait suffisant pour l'annihiler si elle n'était immortelle.
Illuminée et enflammée par cette pure charité, autant
elle aime Dieu, autant elle déteste la moindre souillure qui lui
déplaît, le moindre obstacle qui l'empêche de s'unir
à lui. Ainsi, si elle pouvait découvrir un autre purgatoire,
plus terrible que celui dans lequel elle se trouve, cette âme s'y
précipiterait, vivement poussée par l'impétuosité
de l'amour qui existe entre Dieu et elle, afin de se délivrer plus
vite de tout ce qui la sépare du souverain bien (1). »
« Ces âmes, dit encore la même Sainte, sont intimement
unies à la volonté de Dieu, et si complètement transformées
en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très-sainte ordonnance.
» « Les âmes du purgatoire n'ont plus d'élection
propre ; elles ne
(1) Traité du purg. chap. 9.
peuvent plus vouloir que ce que Dieu veut. Elles reçoivent
ainsi avec la soumission la plus parfaite tout ce que Dieu leur donne ;
et ni plaisir, ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se
replier sur elles-mêmes (1). ».
Sainte Madeleine de Pazzi, après la mort d'un de ses frères,
étant allée au chur prier pour lui, vit son âme en
proie à des souffrances excessives. Touchée de com-passion,
elle fondit en pleurs et s'écria d'une voix lamen-table : «
Frère, misérable et bienheureux tout ensemble ! ô âme
affligée et pourtant contente ! ces peines sont intolérables,
et cependant elles sont supportées. Que n'est-il donné de
les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leurs
croix ici-bas ! Pendant que vous étiez dans ce monde, ô mon
frère, vous ne vouliez pas m'écouter, et maintenant
vous désirez ardemment que je vous écoute... O Dieu également
juste et miséricordieux ! soulagez ce frère qui vous servit
dès son enfance. Regardez votre bonté, je vous en conjure,
et usez de votre grande miséricorde à son égard. O
Dieu très-juste ! s'il n'a pas toujours été attentif
à vous plaire, du moins il n'a jamais méprisé ceux
qui faisaient profession de vous servir fidèlement... »
Le jour où elle eut cette célèbre extase pendant
laquelle elle parcourut les diverses prisons du purgatoire, ayant de nouveau
aperçu l'âme de son frère : « Pauvre âme,
lui dit-elle, que vous êtes souffrante ! et cependant vous vous réjouissez.
Vous brûlez, et vous êtes contente ; c'est que vous savez bien
que ces peines doivent vous conduire à une grande et inénarrable
félicité. Que je me trouverais heureuse, si je ne devais
jamais souffrir davantage ! Demeurez ici, mon frère, et achevez
en paix votre purification. »
____________
Chapitre 3
Consolations des âmes. S. Stanislas de Cracovie
et le ressuscité Pierre Milès.
Ce contentement au milieu des plus amères souffran-ces ne peut
s'expliquer que par les divines consolations que le Saint-Esprit répand
dans les âmes du purgatoire. Ce divin Esprit, par la foi, l'espérance
et la charité les met dans la disposition d'un malade qui subit
un traite-ment très-douloureux, mais dont l'effet certain sera de
lui rendre une santé parfaite. Ce malade souffre, mais il aime des
souffrances si salutaires. L'Esprit consolateur donne aux âmes un
contentement semblable. Nous en avons un exemple frappant dans ce Pierre
Milès, ressuscité par S. Stanislas de Cracovie, et qui préférait
retour-ner en purgatoire que de vivre encore sur la terre.
Le célèbre miracle de cette résurrection arriva
en 1070. Voici comment on le trouve rapporté dans les Acta Sanctorum,
sous le 7 mai. Saint Stanislas était Évêque de Cracovie
lorsque le duc Boleslas II gouvernait la Pologne. Il ne manquait pas de
rappeler ses devoirs à ce prince, qui les violait scandaleusement
devant tout son peuple. Boleslas s'irrita de la sainte liberté du
prélat ; et pour se venger, il excita contre lui les héritiers
d'un certain Pierre Milès, qui était mort trois années
auparavant, après avoir vendu une terre à l'église
de Cracovie. Les héritiers accu-sèrent l'Évêque
d'avoir envahi ce terrain sans le payer au propriétaire. Stanislas
eut beau affirmer qu'il avait effectué le payement ; comme les témoins
qui devaient le soutenir se trouvaient subornés ou intimidés,
il fut déclaré usur-pateur du bien d'autrui, et condamné
à restituer la terre en litige. Alors, voyant que la justice humaine
lui faisait défaut, il éleva son cur à Dieu et
(1) Ibid. chap. 13 et 14.
en reçut une inspira-tion soudaine : il demanda trois
jours de délai, promettant de faire comparaître en personne
Pierre Milès, son ven-deur, qui lui-même rendrait témoignage.
On le lui accorda par moquerie.
Le Saint jeûna, veilla, pria Notre-Seigneur de défendre
sa cause ; et le troisième jour, après avoir célébré
la sainte Messe, il partit escorté de ses clercs et de beaucoup
de fidèles, et vint à l'endroit où Pierre était
enterré. Par son ordre on ouvrit la tombe, qui ne contenait plus
que des ossements ; il les toucha de son bâton pastoral, et au nom
de Celui qui est la résurrection et la vie, il com-manda au mort
de se lever. Soudain ces ossements se raffermirent, se rapprochèrent,
se couvrirent de chair, et aux regards stupéfaits de tout un peuple,
on vit le mort tenant le saint Évêque par la main s'acheminer
vers le lieu du tribunal. Boleslas avec sa cour et une foule con-sidérable
étaient dans l'attente la plus vive. « Voici Pierre, dit le
Saint à Boleslas, il vient, Prince, rendre témoignage devant
vous. Interrogez-le, il répondra. »
Impossible de peindre la stupéfaction du Duc, de ses assesseurs,
de toute cette foule. Le ressuscité affirma que sa terre lui avait
été payée ; ensuite se tournant vers ses héritiers,
il leur fit de justes reproches pour avoir accusé le pieux prélat
contre tout droit et toute justice ; puis il les exhorta à faire
pénitence dun si grave péché.
C'est ainsi que l'iniquité, qui se croyait déjà
sûre du succès, fut confondue. Maintenant vient la circonstance
qui regarde notre sujet et que nous voulons faire ressortir. Voulant achever
pour la gloire de Dieu un si grand miracle, Stanislas proposa au défunt,
s'il voulait encore vivre quelques années, de le lui obtenir de
Notre-Seigneur. Pierre répondit qu'il ne le désirait pas.
Il était au purgatoire, mais il aimait mieux y retourner tout de
suite et en souffrir les peines, que de s'exposer au danger de la damnation
dans cette vie terrestre. Il conjura seu-lement le Saint de prier Dieu
afin que ses peines fussent abrégées, et qu'il pût
bientôt entrer dans le séjour des bienheureux. Après
cela, accompagné de l'Évêque et d'une grande multitude,
Pierre s'en retourna à son tom-beau, s'y recoucha, et aussitôt
son corps se défit, ses os se détachèrent et retombèrent
dans leur premier état. On a lieu de croire que le Saint obtint
promptement la déli-vrance de son âme.
Ce qui est particulièrement remarquable en cet exem-ple, et
doit attirer toute notre attention, c'est qu'une âme du purgatoire,
après avoir fait l'essai des plus cruels supplices, préfère
cet état si douloureux à la vie dans ce monde ; et la raison
qu'elle donne de cette préférence, c'est que dans cette vie
mortelle nous sommes exposés au dan-ger de nous perdre et d'encourir
la damnation éternelle.
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Chapitre 4
Consolations des âmes. Sainte Catherine de Ricci
et l'âme d'un prince.
Citons un autre exemple des consolations intérieures et du contentement mystérieux que les âmes éprouvent au milieu des plus cuisantes douleurs : nous le trouvons dans la vie de sainte Catherine de Ricci (1), religieuse de l'Or-dre de S. Dominique, qui mourut au monastère de Prato le 2 février 1590. Cette servante de Dieu portait la charité envers les âmes du purgatoire, jusqu'à souffrir en leur place sur la terre ce qu'elles devaient endurer dans l'autre monde. Entr'autres, elle délivra des flammes expiatrices l'âme d'un prince, en souffrant pour lui pen-dant quarante jours des tourments inouïs.
(1) 13 février.
Ce prince, que l'histoire ne nomme pas, par égard sans
doute pour sa famille, avait mené une vie mondaine ; et la Sainte
fit beaucoup de prières, de jeûnes et de péni-tences,
pour que Dieu l'éclairât et qu'il ne fût pas réprouvé.
Dieu daigna l'exaucer, et le malheureux pécheur donna avant sa mort
des preuves évidentes d'une sincère con-version. Il mourut
dans ces bons sentiments et passa en purgatoire.
Catherine en eut connaissance par révélation divine dans
l'oraison, et s'offrit à satisfaire elle-même pour cette âme
à la justice divine. Le Seigneur agréa ce charitable échange,
reçut dans la gloire l'âme du prince et fit subir à
Catherine des peines tout-à-fait étranges, durant l'espace
de quarante jours. Elle fut saisie d'un mal qui, au juge-ment des médecins,
n'était pas naturel, et qu'ils ne pou-vaient ni guérir ni
soulager. Voici, d'après les témoins, en quoi ce mal consistait.
Le corps de la Sainte se cou-vrit d'ampoules, remplies d'une humeur visiblement
en ébullition, comme l'eau bouillante sur le feu. Il en résul-tait
une chaleur extrême, au point que sa cellule s'échauffait
comme un four et paraissait pleine de feu : on ne pouvait y demeurer quelques
instants sans sortir pour respirer.
Il était évident que la chair de la malade bouillait,
et sa langue ressemblait à une plaque de métal rougie au
feu. Par intervalles, l'ébullition cessait, et alors la chair paraissait
comme rôtie ; mais bientôt les ampoules se reproduisaient et
répandaient la même chaleur.
Cependant, au milieu de ce supplice, la Sainte ne per-dait ni la sérénité
du visage ni la paix de l'âme : au contraire, elle semblait jouir
dans ces tourments. Les douleurs allaient parfois à un tel degré
d'intensité qu'elle en perdait la parole pendant dix ou douze minutes.
Quand les religieuses, ses soeurs, lui disaient qu'elle semblait être
dans le feu ; elle répondait simplement qu'oui, sans ajouter rien
de plus. Lorsqu'elles lui représentaient qu'elle poussait le zèle
trop loin, et qu'elle ne devrait pas demander à Dieu de si excessives
douleurs : « Pardonnez-moi, mes Mères, disait-elle, si je
vous réplique. Jésus a tant d'amour pour les âmes,
que tout ce que nous faisons pour leur salut lui est infiniment agréable.
C'est pourquoi je supporte volontiers quelque peine que ce soit, tant pour
la conversion des pécheurs que pour la délivrance des âmes
détenues au purgatoire. »
Les quarante jours expirés, Catherine revint à son état
ordinaire. Les parents du prince lui demandèrent où était
son âme : « N'ayez aucune crainte, répondit-elle, son
âme jouit de la gloire éternelle. » On connut par là
que c'était pour cette âme qu'elle avait tant souffert.
Ce trait peut nous apprendre bien des choses ; mais nous l'avons cité
pour montrer comment les plus grandes souffrances ne sont pas incompatibles
avec la paix inté-rieure. Notre Sainte, tout en souffrant visiblement
les peines du purgatoire, jouissait d'une paix admirable et d'un contentement
surhumain.
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Chapitre 5
Consolations des âmes. La Sainte Vierge. Révélations
de sainte Brigitte.
Le Père Jérôme Carvalho Le B. Renier de Cîteaux.
Les âmes du purgatoire reçoivent aussi de grandes consolations
de la Sainte Vierge. N'est-elle pas la Conso-latrice des affligés
? et quelle affliction comparable à celle des pauvres âmes?
N'est-elle pas la Mère de miséricorde ?
p.160 fin
p.161 début
et n'est-ce pas à l'égard de ces âmes saintes et
souffrantes qu'elle doit montrer toute la miséricorde de son Cur
? Il ne faut donc pas s'étonner que dans les Révélations
de sainte Brigitte la Reine des cieux se donne à elle-même
le beau nom de Mère des âmes du purgatoire : « Je suis,
dit-elle à cette Sainte, la Mère de tous ceux qui sont dans
le lieu de l'expiation ; mes prières adoucissent les châtiments
qui leur sont infligés pour leurs fautes (1). »
Le 25 octobre 1604, au collège de la Compagnie de Jésus
à Coïmbre, mourut en odeur de sainteté le Père
Jerôme Carvalho, âgé de 60 ans. Cet admirable et humble
serviteur de Dieu sentait une très-vive appréhension des
peines du purgatoire. Ni les rudes macérations auxquelles il se
livrait plusieurs fois chaque jour, sans compter celles que lui suggérait
encore chaque semaine le souvenir plus particulier de la Passion, ni les
six heures qu'il con-sacrait soir et matin à la méditation
des choses saintes, ne lui semblaient devoir le mettre à l'abri
des châtiments, dus après sa mort à ses prétendues
infidélités. Mais, un jour, la Reine du ciel, à laquelle
il avait une tendre dévotion, daigna consoler elle-même son
serviteur par la simple assurance qu'elle était Mère de miséricorde
pour ses chers enfants du purgatoire, aussi bien que pour ceux qui vivent
sur la terre. Cherchant plus tard à répandre une doctrine
si consolante, le saint homme laissa, par mégarde et dans la chaleur
du discours, échapper ces mots : Elle me l'a dit.
On rapporte qu'un autre grand serviteur de Marie, le Bien-heureux Renier
de Cîteaux (2), tremblait à la pensée de ses péchés
et de la justice terrible de Dieu après la mort. Dans sa frayeur,
s'étant adressé à sa grande protectrice, qui s'appelle
la Mère de miséricorde, il fut ravi en esprit, et vit la
Mère de Dieu supplier son Fils en sa faveur. « Mon Fils, disait-elle,
faites-lui grâce du purgatoire, puisqu'il se repent humblement de
ses péchés. » « Ma Mère, répondit
Jésus-Christ, je remets sa cause entre vos mains » ; ce qui
voulait dire, qu'il soit fait à votre client comme vous souhaitez.
Le Bienheureux comprit avec une ineffable joie que Marie lui avait obtenu
l'exemption du purgatoire.
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Chapitre 6
Consolations du purgatoire. La Sainte Vierge Marie, privilège du samedi. La vén. Paule de Sainte-Thérèse. S. Pierre Damien et la défunte Marozi
C'est à certains jours surtout que la Reine des cieux exerce
sa miséricorde au purgatoire. Ces jours privilégiés
sont d'abord tous les samedis, ensuite les diverses fêtes de Marie,
qui deviennent ainsi comme les jours de fête du purgatoire. Nous
voyons dans les révélations des Saints que le samedi, jour
spécialement consacré à la Sainte Vierge, la douce
Mère des miséricordes descend dans les cachots du purgatoire
pour visiter et consoler ses dévots serviteurs. Alors, selon la
pieuse croyance des fidèles, elle délivre les âmes
qui, ayant porté le saint Scapulaire, ont droit au privilège
de la Sabbatine ; ensuite elle prodigue les douceurs de ses consolations
aux autres âmes qui l'ont particulièrement honorée.
Voici ce que vit à ce sujet la Vénérable Soeur Paule
de Sainte-Thérèse, religieuse Dominicaine du monastère
de Sainte-Catherine à Naples (3).
Ayant été ravie en extase, un jour de samedi, et trans-portée
en esprit dans le purgatoire, elle fut toute surprise de le trouver transformé
comme en un paradis de délices, éclairé par une vive
lumière, en place des ténèbres habi-tuelles. Comme
elle se
(1) Révél. S. Brig. 1. 4. c. 1. (2) 30 mars. (3) Rossign.
Merv. 50. Marchese, t. I, p. 56.
demandait la raison de ce chan-gement, elle aperçut la Reine
des cieux, entourée d'une infinité d'anges, auxquels elle
ordonnait de délivrer les âmes qui lui avaient été
spécialement dévouées et de les conduire au ciel.
S'il en est ainsi des simples samedis, on ne peut guère douter
qu'il n'en soit de même des jours de fête consacrés
à la Mère de Dieu. Parmi toutes ces fêtes, celle de
la glo-rieuse Assomption de Marie semble être le grand jour des délivrances.
S. Pierre Damien (1) nous dit que, chaque année au jour de l'Assomption,
la Sainte Vierge délivre plusieurs milliers d'âmes. Voici
la vision miraculeuse qu'il rapporte à ce sujet.
C'est un pieux usage, dit-il, qui existe parmi le peuple de Rome, de
visiter les églises un cierge à la main, pen-dant la nuit
qui précède la fête de l'Assomption de Notre--Dame.
Or il arriva à cette occasion qu'une personne de qua-lité,
se trouvant agenouillée dans la basilique de l'Ara-Coeli, au capitole,
aperçut en prière devant elle une autre Dame, sa marraine,
qui était morte plusieurs mois auparavant. Surprise et ne pouvant
en croire ses yeux, elle voulut éclaircir ce mystère, et
alla se placer près de la porte de l'église. Dès qu'elle
la vit sortir, elle la prit par la main et la tirant à l'écart
: « N'êtes-vous pas, lui dit-elle, ma marraine Marozi, qui
m'avez tenue sur les fonts du baptême ? Oui, répond aussitôt
l'apparition, c'est moi--même. Eh ! comment se fait-il que je vous
retrouve parmi les vivants, puisque vous êtes morte il y a près
d'une année ? Jusqu'à ce jour je suis restée plongée
dans un feu épouvantable, à cause des nombreux péchés
de vanité que j'ai commis dans ma jeunesse ; mais dans cette grande
solennité, la Reine du ciel est descendue au milieu des flammes
du purgatoire, et m'a délivrée ainsi qu'un grand nombre d'autres
défunts, afin que nous entrions au ciel le jour de son Assomption.
Ce grand acte de clémence elle l'exerce chaque année ; et,
dans la circonstance actuelle, le nombre de ceux qu'elle a délivrés
égale celui du peuple de Rome. »
Voyant que sa filleule restait stupéfaite et semblait dou-ter
encore, l'apparition ajouta : « En preuve de la vérité
de mes paroles, sachez que vous-même vous mourrez dans un an, à
la fête de l'Assomption : si vous passez ce terme, tenez tout ceci
pour illusion. »
Saint Pierre Damien termine ce récit en disant, que la jeune
Dame passa l'année en bonnes oeuvres pour se pré-parer à
paraître devant Dieu. L'année suivante, l'avant-veille de
l'Assomption, elle tomba malade, et mourut le jour même de la fête,
comme il lui avait été prédit.
La fête de l'Assomption est donc le grand jour des misé-ricordes
de Marie envers les âmes : elle se plaît à intro-duire
ses enfants la gloire l'anniversaire du jour où elle-même
y fit son entrée. Cette pieuse croyance, ajoute l'abbé Louvet,
est appuyée sur un grand nombre de révé-lations particulières
; c'est pourquoi, à Rome, l'église de Sainte-Marie in Montorio,
qui est le centre de l'archi-confrérie des suffrages pour les trépassés,
est dédiée sous le vocable de l'Assomption.
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Chapitre 7
Consolations du purgatoire. Les anges. Sainte Brigitte.
La vén. Paule de Sainte-Thérèse. Le Frère
Pierre de Basto.
Outre les consolations que les âmes reçoivent de la Sainte Vierge Marie, elles sont encore aidées et consolées par les saints anges, surtout par leurs anges gardiens. Les Docteurs enseignent que la mission tutélaire de l'ange gardien ne se termine qu'à
(1) Opusc. 34, p. 2, c. 3.
l'entrée de son client dans le paradis. Si, au moment
de la mort, une âme en état de grâce n'est pas digne
encore de voir la face du Très-Haut, l'ange gardien la conduit au
lieu des expiations et y demeure avec elle pour lui procurer tous les secours
et toutes les consolations en son pouvoir.
C'est, dit le Père Rossignoli, une opinion assez com-mune parmi
les saints Docteurs, que le Seigneur, qui enverra un jour ses anges pour
rassembler tous ses élus, les envoie de temps en temps au purgatoire,
visiter les âmes souffrantes et les consoler. Aucun adoucissement,
sans doute, ne leur saurait être plus précieux que la vue
des habitants de la Jérusalem céleste, dont ils partageront
un jour l'admirable et éternelle félicité. Les révélations
de sainte Brigitte sont remplies de traits de ce genre, et les vies de
plusieurs autres saints en offrent un grand nombre.
La vénérable soeur Paule de Sainte-Thérèse,
dont nous avons parlé plus haut, était d'une merveilleuse
dévotion envers l'Église souffrante, et elle en fut récompensée
dès ici-bas par des visions miraculeuses. Un jour, pendant qu'elle
faisait dans cette intention une prière fervente, elle fut transportée
en esprit au purgatoire, et elle y vit une foule d'âmes plongées
dans les flammes. Tout auprès se tenait le Sauveur, escorté
de ses anges, qui en dési-gnait l'une après l'autre quelques-unes
pour le ciel, où elles montaient aussitôt avec une joie inexprimable.
A cette vue, la servante de Dieu, s'adressant à son divin Époux,
lui dit : « O Jésus, pourquoi ce choix dans une si grande
multitude ? J'ai délivré, daigna-t-il répondre,
celles qui pendant leur vie ont produit de grands actes de charité
et de miséricorde, et qui ont mérité que j'en use
de même à leur égard, selon ma parole : Bienheureux
les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.
» (1)
Nous trouvons dans la vie du serviteur de Dieu Pierre de Basto un trait
qui montre comment les saints anges, même tandis qu'ils veillent
à notre garde sur la terre, s'intéressent au soulagement
des âmes du purgatoire. Et puisque nous avons prononcé le
nom du Frère de Basto, nous ne pouvons résister au désir
de faire con-naître à nos lecteurs cet admirable religieux
: son histoire est aussi intéressante que propre à nous édifier.
Pierre de Basto, Frère Coadjuteur de la Compagnie de Jésus,
que son biographe appelle l'Alphonse Rodriguez du Malabar, mourut en odeur
de sainteté à Cochin, le 1er mars 1645. Il était né
en Portugal de l'illustre famille de Machado, unie par le sang à
tout ce que la province d'Entre-Douro-et-Minho comptait alors de plus nobles
races. Les ducs de Pastrano et de Hixar étaient au nom-bre de ses
alliés ; et le monde offrait à son coeur une carrière
toute semée des plus séduisantes espérances. Mais
Dieu se l'était réservé et l'avait prévenu
de ses dons les plus merveilleux. Tout petit enfant, quand Pierre Machado,
conduit à l'église, priait avec la ferveur d'un ange devant
le Saint-Sacrement, il croyait que le peuple entier voyait comme lui, des
yeux du corps, des légions d'esprits célestes en adoration
près de l'autel et du taber-nacle ; et dès lors aussi le
Sauveur, caché sous les voiles eucharistiques, devint par excellence
le centre de toutes ses affections et des innombrables merveilles qui rempli-rent
sa longue et sainte vie.
Ce fut là que plus tard, comme dans un divin soleil, il découvrit
sans voiles l'avenir et ses détails les plus imprévus. Ce
fut là encore que Dieu lui montra les mystérieux symboles
d'une échelle d'or qui unissait le ciel à la terre, s'appuyant
au saint tabernacle ; et du lis de la pureté, plongeant ses racines
et puisant sa vie dans la fleur du divin froment des élus, et dans
le vin qui seul fait germer les vierges.
Vers dix-sept ans, grâce à cette pureté de coeur
et à cette force, dont le sacrement de l'Eucharistie était
pour lui la source inépuisable, Pierre fit, à Lisbonne, le
voeu de chasteté perpétuelle, aux pieds de Notre-Dame-de-la--Victoire.
Il ne songeait pas encore
(1) Merv. 50.
cependant à quitter le monde, et s'embarqua, peu de jours
après, pour les Indes, où il porta les armes pendant deux
ans. Mais au bout de ce temps, près de périr dans un naufrage,
où il fut cinq jours entiers le jouet des flots, soutenu et sauvé
par la Reine du ciel et par son divin Fils, qui lui apparurent, il leur
promit de consacrer uniquement à leur service, dans l'état
religieux, tout ce qui lui resterait de vie ; et dès qu'il fut de
retour à Goa, n'ayant encore que dix-neuf ans, il alla s'offrir
en qualité de Coadjuteur temporel aux supérieurs de la Compagnie
de Jésus. Dans la crainte que son nom ne lui attirât quelque
honneur ou quelque louange des hommes, il emprunta dès lors celui
de l'humble vil-lage où il avait reçu le baptême, et
ne fut plus appelé que Pierre de Basto.
C'est à lui qu'arriva peu de temps après, durant une
des épreuves du noviciat, ce trait célèbre dans les
annales de la Compagnie et bien consolant pour tous les enfants de saint
Ignace. Le maître des novices du F. Pierre l'avait envoyé
en pèlerinage, avec deux jeunes compa-gnons, dans l'île de
Salsette, en leur ordonnant de n'ac-cepter nulle part l'hospitalité
chez les missionnaires, mais de mendier dans les villages leur pain de
chaque jour et leur asile de chaque nuit. Or un jour, fatigué d'une
longue course, ils rencontrèrent une humble famille, composée
d'un vieillard, d'une femme et d'un petit enfant, qui les accueillirent
avec une charité incomparable, et s'empressèrent de leur
servir un modeste repas. Mais au moment de les quitter, après leur
avoir rendu mille actions de grâces, comme Pierre de Basto priait
ses hôtes de lui dire leurs noms, voulant sans doute les recommander
à Dieu : « Nous sommes, » lui ré-pondit la mère,
« les trois fondateurs de la Compagnie de Jésus » ;
et tous trois disparurent au même instant.
Toute la vie religieuse de ce saint homme, jusqu'à sa mort,
c'est-à-dire pendant près de cinquante-six ans, ne fut qu'un
tissu de merveilles et de grâces extraordinaires ; mais il faut ajouter
qu'il les méritait et les achetait en quelque sorte au prix des
vertus, des travaux, des sacrifices les plus héroïques. Chargé
tour à tour de la lingerie, de la cuisine ou de la porte, dans les
collèges de Goa, de Tutucurin, de Coulao et de Cochin, jamais Pierre
de Basto ne chercha ni à se soustraire aux plus durs travaux, ni
à se réserver un peu de loisir aux dépens de ses différents
offices, pour goûter les délices de l'orai-son. De graves
infirmités, dont la seule cause avait été l'excès
du travail, étaient, disait-il en riant, ses plus joyeuses distractions.
En outre, abandonné pour ainsi dire à toute la rage des démons,
le serviteur de Dieu ne jouissait presque d'aucun repos. Ces esprits de
ténèbres lui apparaissaient sous les formes les plus hideuses,
et le flagellaient bien souvent, surtout à l'heure où chaque
nuit il avait coutume d'interrompre son sommeil et d'aller prier devant
le Saint-Sacrement.
Un jour qu'il était en voyage, ses compagnons s'en-fuirent au
bruit d'une troupe formidable d'hommes, de chevaux et d'éléphants,
qui semblait s'approcher avec furie ; lui seul demeura calme ; et quand
ses compagnons parurent s'étonner qu'il n'eût pas même
manifesté le plus léger signe de trouble : « Si Dieu,
répondit-il, ne permet pas aux démons d'exercer sur nous
leur fureur, que pourrions-nous craindre ? et s'il leur en donne la permission,
pourquoi donc tenterais-je de me dérober à leurs coups ?
» Il n'avait du reste qu'à invoquer la Reine du ciel, pour
qu'elle se montrât soudain près de lui, et mit en fuite l'enfer
saisi d'effroi.
Souvent il se sentait bouleversé jusqu'au fond de l'âme,
et ne retrouvait le calme avec la victoire qu'auprès de son refuge
ordinaire, Jésus présent dans la sainte Eucharistie. Abreuvé
une fois d'indignes outrages, qui l'avaient ému plus qu'à
l'ordinaire, il était allé se prosterner au pied de l'autel
et demandait instamment au Sauveur le don de la patience. Alors Notre-Seigneur
lui apparut tout couvert de plaies, un lambeau de pourpre sur les épaules,
une corde au cou, un roseau à la main, une couronne d'épines
sur la tête, et s'adressant à Pierre de Basto : « Pierre,
lui dit-il, contemple donc ce qu'a souffert le vrai Fils de Dieu, pour
apprendre aux hommes à souffrir. »
Mais nous n'avons point touché encore le point que nous voulions
signaler dans cette sainte vie : je veux dire la dévotion de Pierre
de Basto pour les âmes du purga-toire, dévotion admirablement
encouragée et secondée par son ange gardien. Malgré
ses travaux multipliés, il récitait chaque jour le saint
Rosaire pour les trépassés. Un jour, par oubli, il s'était
mis au lit sans l'avoir récité ; mais à peine endormi
il fut réveillé par son ange gardien : « Mon fils,
lui dit cet esprit céleste, les âmes du purgatoire attendent
l'effet ordinaire de votre charité. » Pierre se leva aussitôt
pour remplir ce pieux devoir (1).
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Chapitre 8
Consolations du purgatoire. Les anges.
La B. Émilie de Verceil. Les Saints du ciel.
Si les saints anges s'intéressent ainsi aux âmes du pur-gatoire
en général, on comprend aisément qu'ils auront un
zèle tout particulier pour celles de leurs clients. Dans le couvent
dont la Bienheureuse Émilie (2), religieuse Dominicaine, était
prieure, à Verceil, c'était un point de la règle de
ne jamais boire hors des repas, à moins d'une autorisation expresse
de la supérieure. Cette autorisation, la Bienheureuse avait pour
pratique ordinaire de ne point l'accorder ; elle engageait ses soeurs à
faire de bonne grâce ce petit sacrifice, en souvenir de la soif ardente
que le Sauveur avait éprouvée pour leur salut sur la croix.
Et pour les encourager encore mieux, elle leur conseillait de confier ces
quelques gouttes d'eau à leur ange gardien, afin qu'il les leur
réservât dans l'autre vie, pour apaiser les ardeurs du purgatoire.
L'événement suivant montra combien cette pieuse pratique
était agréable à Dieu.
Une soeur, nommée Cécile Avoyadra, vint un jour lui demander
la permission de se rafraîchir, car elle était pressée
de soif. « Ma fille, dit la prieure, faites ce léger
sacrifice par amour pour Dieu et en vue du purgatoire. Ma mère,
ce sacrifice n'est pas si léger : je meurs de soif, » répondit
la bonne soeur ; néanmoins, quoique un peu contristée, elle
obéit au conseil de sa supérieure. Cet acte tout à
la fois d'obéissance et de mor-tification fut précieux aux
yeux de Dieu, et la soeur Cécile en fut bien récompensée.
Quelques semaines après, elle mourait, et au bout de trois jours
elle apparut rayonnante de gloire à la Mère Émilie.
« O ma Mère, lui dit-elle, combien je vous suis reconnaissante
! J'étais condamnée à un long purgatoire pour avoir
trop aimé ma famille ; et voilà qu'au bout de trois jours,
j'ai vu venir dans ma prison mon ange gardien tenant à la main ce
verre d'eau dont vous m'avez fait faire le sacrifice à mon divin
Époux : il a répandu cette eau sur les flammes qui me dévoraient
: elles se sont éteintes aussitôt et j'ai été
délivrée. Je prends mon essor vers le ciel, où ma
reconnaissance ne vous oubliera pas (3). »
C'est ainsi que les anges de Dieu aident et consolent les âmes
du purgatoire. On pourrait demander ici comment les Saints et les Bienheureux
déjà couronnés dans le ciel peuvent les secourir ?
Il est certain, comme dit le Père Rossignoli, et tel est lenseignement
des maîtres de la théologie, S. Augustin et S. Thomas, que
les Saints sont très-puissants à cet égard par voie
de supplication, ou comme on dit, par voie d'impétration, mais non
de satisfaction. En d'autres termes, les saints du ciel peuvent prier pour
les âmes et obtenir ainsi de la divine miséricorde la diminution
de leur peine ;
1) Ménol. de la Comp. de Jésus. (2) 17 août.
(3) Rossig. Merv. 60.
mais ils ne peuvent point satisfaire pour elles, ni acquitter,
leurs dettes devant la divine justice : c'est là un privilège
que Dieu a réservé à son Église militante.
____________
Chapitre 9
Secours accordés aux âmes. Les suffrages. Oeuvres méri-toires, impétratoires, satisfactoires. Miséricorde de Dieu. Sainte Gertrude. Judas Machabée.
Si le Seigneur console les âmes avec tant de bonté, sa
miséricorde se révèle avec bien plus d'éclat
dans le pou-voir qu'il accorde à son Église d'abréger
leurs peines. Voulant exécuter avec clémence les arrêts
sévères de sa justice, il accorde des réductions et
des mitigations de peine ; mais il le fait d'une manière indirecte
et par l'in-tervention des vivants. C'est à nous qu'il accorde tout
pouvoir de secourir nos frères affligés par voie de suffrage,
c'est-à-dire, par voie d'impétration et de satisfaction.
Le mot suffrage dans la langue ecclésiastique est syno-nyme
de prière ; cependant quand le Concile de Trente définit
que les âmes du purgatoire sont aidées par les suffrages des
fidèles, le sens du mot suffrage est plus étendu : il comprend
en général tout ce que nous pouvons offrir à Dieu
en faveur des trépassés. Or nous pouvons offrir ainsi, non
seulement des prières, mais toutes nos bonnes oeuvres, en tant qu'elles
sont impétratoires et satisfactoires.
Pour comprendre ces termes, rappelons-nous que chacune de nos bonnes
oeuvres, accomplie en état de grâce, possède d'ordinaire
une triple valeur aux yeux de Dieu.
1° Cette oeuvre est méritoire, c'est-à-dire qu'elle
ajoute à nos mérites, qu'elle nous donne droit à un
nouveau degré de gloire dans ciel.
2° Elle est impétratoire (impétrer, obtenir), c'est-à-dire
qu'à la manière d'une prière, elle a la vertu d'obtenir
de Dieu quelque grâce.
3° Elle est satisfactoire, c'est-à-dire qu'à la manière
d'une valeur pécuniaire, elle est propre à satisfaire la
justice divine, à payer nos dettes de peines temporelles devant
Dieu.
Le mérite est inaliénable, et demeure le bien propre
de la personne qui fait l'action. Au contraire, la valeur impétratoire
et satisfactoire peut profiter à d'autres, en vertu de la communion
des saints.
Ces notions supposées, posons cette question pratique : Quels
sont les suffrages, par lesquels selon la doctrine de l'Église,
nous pouvons aider les âmes du purgatoire ?
A cette question on répond : ce sont les prières, les
aumônes, les jeûnes et pénitences quelconques, les indul-gences
et surtout le saint Sacrifice de la messe.
Toutes ces oeuvres, accomplies en état de grâce, Jésus-Christ
nous permet de les offrir à la divine Majesté pour le soulagement
de nos frères du purgatoire ; et Dieu les applique à ces
âmes selon les règles de sa justice et de sa miséricorde.
Par cette admirable disposition, tout en sauvegardant les droits de
sa justice, notre Père céleste multiplie les effets de sa
miséricorde, qui s'exerce ainsi tout à la fois envers l'Église
souffrante et envers l'Église militante. Le secours miséricordieux
qu'il nous permet de porter à nos frères souffrants nous
profite excellemment à nous-mêmes : c'est une oeuvre, non
seulement avantageuse pour les défunts, mais encore sainte et salutaire
pour les vivants : Sancta et salubris est cogitatio pro de functis exorare.
Nous lisons dans les Révélations de sainte Gertrude (1),
qu'une humble religieuse de sa communauté, ayant cou-ronné
une vie exemplaire par une mort très-pieuse, Dieu
(1) Legatus div. pietatis, 1. 5. c. 5.
daigna montrer à la Sainte l'état de cette défunte.
Gertrude vit son âme, ornée d'une beauté ineffable,
et chère à Jésus qui la regardait avec amour. Néanmoins,
à cause de quel-ques légères négligences non
expiées, elle ne pouvait encore entrer dans la gloire, et était
obligée de descendre dans le sombre séjour des souffrances.
A peine avait-elle disparu dans ces profondeurs, que la Sainte la vit reparaître
et s'élever vers le ciel, portée par les suffrages de l'Église
: Ecclesioe precibus sursum Ferri.
Déjà dans l'ancienne Loi, on faisait des prières
et on offrait des sacrifices pour les morts. L'Écriture rapporte
en le louant l'acte pieux de Judas Machabée, après la victoire
qu'il remporta sur Gorgias, général du roi Antio-chus. Cette
victoire coûta la vie à un certain nombre de soldats israélites.
Ces soldats avaient commis une faute, en prenant parmi les dépouilles
de l'ennemi des objets consacrés aux idoles, ce qui était
défendu par la loi. C'est alors que Judas, chef de l'armée
d'Israël, ordonna des prières et des sacrifices pour la rémission
de leur péché et le soulagement de leurs âmes. Voici
le passage où lÉcriture rapporte ces faits, II Machab. XIII,
39.
« Après le sabbat, Judas vint avec les siens enlever les
corps de ceux qui avaient été tués, pour les ensevelir,
à l'aide de leurs parents, dans le tombeau de leurs pères.
» Or ils trouvèrent sous les tuniques de ceux qui étaient
morts au combat des objets consacrés aux idoles, pris à Jammia,
et que la loi interdit aux Juifs. Tout le monde reconnut clairement que
c'était la cause de leur mort.
» C'est pourquoi tous bénirent le juste jugement du Seigneur,
qui avait découvert ce qu'on avait voulu cacher.
» Et, se mettant en prière, ils conjurèrent le
Seigneur d'oublier le péché qui avait été commis.
Mais le vaillant Judas exhortait le peuple à se conserver sans péché,
à la vue de ce qui était arrivé à cause des
péchés de ceux qui avaient été tués.
» Et, après avoir fait une collecte, il envoya douze mille
drachmes d'argent à Jérusalem, afin qu'on offrît un
sacrifice pour les péchés de ceux qui étaient morts.
Il avait de bons et religieux sentiments touchant la résurrection.
» (Car s'il n'eût pas espéré que ceux qui
avaient été tués ressusciteraient un jour, il eût
regardé comme une chose vaine et superflue de prier pour les morts)
;
» Car il croyait qu'une grande miséricorde est réservée
à ceux qui meurent dans la piété.
» C'est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour
les morts, afin quils soient délivrés de leurs péchés.
»
____________
Chapitre 10
Secours accordés aux âmes. La sainte Messe.
S. Augustin et sainte Monique.
Dans la nouvelle Loi nous avons le divin sacrifice de la Messe, dont
les divers sacrifices de la Loi Mosaïque n'étaient que de faibles
figures. Le Fils de Dieu l'institua, non seulement comme un digne hommage
rendu par la créature à la divine Majesté ; mais encore
comme une propitiation pour les vivants et les morts : c'est-à-dire,
comme un moyen efficace d'apaiser la justice de Dieu irritée par
nos péchés.
La sainte Messe fut célébrée pour les défunts
dès l'ori-gine de l'Église. « Nous célébrons
l'anniversaire du triomphe des Martyrs, écrivait Tertullien au IIIe
siècle (1), et
1) De corona, c. 5.
suivant la tradition de nos Pères, nous offrons le Sacrifice
pour les défunts au jour anniversaire de leur mort.»
» Il n'y a pas à en douter, écrit S. Augustin
(1), les prières de l'Église, le Sacrifice salutaire, les
aumônes distribuées pour les défunts, soulagent les
âmes, et font que Dieu en use envers elles avec plus de clémence
que ne méritent leurs péchés. C'est la pratique universelle
de l'Église, pratique qu'elle observe comme l'ayant reçue
de ses Pères, c'est-à-dire des saints Apôtres. »
Sainte Monique, la digne mère de S. Augustin, ne demandait en
mourant qu'une chose à son fils, c'est qu'il se souvint d'elle à
l'autel du Seigneur ; et le saint Docteur en rapportant cette touchante
circonstance au livre de ses Confessions (2), conjure tous ses lecteurs
de se joindre à lui pour la recommander à Dieu au saint Sacrifice.
Voulant retourner en Afrique, sainte Monique vint avec Augustin à
Ostie pour s'y embarquer ; mais elle tomba malade et sentit bientôt
que sa mort était proche. « C'est ici, dit-eIle à son
fils, que vous donnerez la sépulture à votre mère.
La seule chose que je vous demande, c'est que vous vous souveniez de moi
à l'autel du Seigneur, ut ad altare Domini memineritis mei.
» Que l'on me pardonne, ajoute S. Augustin, les lar-mes que j'ai
alors versées : car il ne fallait pas pleurer cette mort qui n'était
que l'entrée dans la véritable vie. Toutefois, considérant
des yeux de la foi la misère de notre nature déchue, je pouvais
répandre devant vous, Seigneur, des larmes autres que celles de
la chair, les larmes qui coulent à la pensée du péril
où se trouve toute âme qui a péché en Adam.
» Certes ma mère a vécu de manière à
glorifier votre nom par la vivacité de sa foi et la pureté
de ses murs ; cependant, oserais-je affirmer qu'aucune parole contraire
à la sainteté de votre loi n'est sortie de ses lèvres
? Hélas ! que devient la vie la plus sainte, si vous l'examinez
dans la rigueur de votre justice ?
» C'est pourquoi, ô le Dieu de mon coeur, ma gloire et
ma vie ! je laisse de côté les bonnes oeuvres que ma mère
a faites, pour vous demander seulement le pardon de ses péchés.
Exaucez-moi par les blessures sanglantes de Celui qui mourut pour nous
sur la croix, et qui maintenant, assis à votre droite, est notre
intercesseur.
» Je sais que ma mère a toujours fait miséricorde,
qu'elle a pardonné de bon coeur les offenses, remis les dettes qu'on
avait contractées envers elle ; remettez-lui donc ses dettes à
elle-même, si durant les longues années de sa vie elle en
a contracté envers vous. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui,
et n'entrez pas en jugement avec elle, car vos paroles sont véritables
: vous avez promis miséricorde aux miséricordieux.
» Cette miséricorde, je crois que vous la lui avez déjà
faite, ô mon Dieu ; mais acceptez l'hommage de ma prière.
Souvenez-vous qu'au moment de son passage à l'autre vie, votre servante
ne songea pour son corps ni à de pompeuses funérailles, ni
à des parfums précieux ; elle ne demanda pas un sépulcre
magnifique, ni qu'on la transportât dans celui qu'elle avait fait
construire à Tagaste, sa patrie ; mais seulement que nous fissions
mémoire d'elle à votre autel, dont elle appréciait
les mystères. Vous le savez, Seigneur, tous les jours de sa vie
elle avait participé à ces divins mystères, qui renferment
la Victime sainte dont le sang a effacé la cédule de notre
condamnation.
» Qu'elle repose donc en paix avec mon père son mari,
avec l'époux auquel elle fut fidèle dans les jours de son
union, et dans les tristesses de son veuvage ; avec celui dont elle s'était
faite l'humble servante pour le gagner à vous, Seigneur, par sa
douceur et sa patience. Et vous, ô mon Dieu, inspirez à vos
serviteurs qui sont mes frères, inspirez à tous ceux qui
liront ces lignes, de se souvenir à votre autel de Monique, votre
servante, et de Patrice, qui fut son époux. Que tous ceux qui vivent
encore dans la
(1) Serm. 34, de verbis apost. (2) Liv. 9. c. 12.
lumière trompeuse de ce monde, se souviennent donc pieusement
de mes parents, afin que la dernière prière de ma mère
mourante soit exaucée, au delà même de ses voeux. »
Ce beau passage de S. Augustin nous montre le sen-timent de ce grand
Docteur au sujet des suffrages pour les défunts ; et il fait voir
clairement que le premier et le plus puissant de tous les suffrages est
le saint Sacrifice de la messe.
____________
Chapitre 11
Secours accordé aux âmes. La sainte Messe. Jubilé de Léon XIII, commémoration solennelle des morts le dernier dimanche de septembre.
Nous avons vu, nous voyons encore le saint enthou-siasme avec lequel
l'Église a voulu célébrer le Jubilé sacerdotal
de son Chef vénéré, le Pape Léon XIII. Tous
les fidèles du monde sont venus à Rome, soit en personne
soit au moins de coeur, déposer aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ
leurs hommages et leurs offrandes ; l'Église militante tout entière
a tressailli de joie au milieu de ses longues épreuves.
L'Église triomphante du ciel a été associée
à cette allégresse par la canonisation et la béatification
d'un groupe nombreux de ses glorieux membres ; ne fallait-il pas que l'Église
souffrante vint aussi y prendre part ?
Nos frères du purgatoire pouvaient-ils être oubliés
? Ces âmes, si chères au coeur de Jésus-Christ, ne
devaient-elles pas, elles aussi, ressentir les doux effets de cette admirable
fête ? On le sent, il eut manqué quelque chose aux saintes
réjouissances de l'Église entière, si l'Église
souffrante n'y eût pas participé.
Léon XIII l'a compris. Toujours dirigé par l'Esprit-Saint
quand il agit en Pasteur Suprême, le Pape, par une Lettre encyclique,
datée du 1er avril 1888, a statué que dans
le monde entier, on célèbrerait une solennelle Commémoration
des morts, le dernier dimanche du mois de septembre.
Après avoir rappelé avec quel admirable amour l'Église
militante a fait éclater sa joie, et comment l'Église triom-phante
s'est réjouie avec elle : « Pour mettre en quelque sorte,
dit le Saint-Père, le comble à cette joie commune, Nous désirons
remplir aussi largement que possible le devoir de Notre charité
apostolique, en étendant aussi la plénitude des trésors
spirituels infinis à ces fils bien-aimés de l'Église
qui, ayant fait la mort des justes, ont quitté cette vie de combat
avec le signe de la foi et sont devenus les rejetons de la vigne mystique
; bien qu'il ne leur soit permis d'entrer dans la paix éternelle,
que lorsqu'ils auront payé jusqu'à la dernière obole
la dette qu'ils ont contractée envers la justice vengeresse de Dieu.
» Nous sommes mû en cela et par les pieux désirs
des catholiques, auxquels Nous savons que Notre résolution sera
particulièrement chère, et par l'atrocité lamentable
des peines dont souffrent les âmes des défunts ; mais Nous
Nous inspirons surtout de l'usage de l'Église, qui, au milieu même
des plus joyeuses solennités de l'année, n'oublie pas de
faire la sainte et salutaire commémoration des défunts, afin
qu'ils soient acquittés de leurs fautes.
» C'est pourquoi, comme il est certain, de par la doctrine catholique,
que les âmes retenues dans le purgatoire sont soulagées par
les suffrages des fidèles et surtout par l'auguste Sacrifice de
l'autel, Nous pensons ne pouvoir leur donner de gage plus utile et plus
désirable de Notre amour, qu'en multipliant partout, pour l'expiation
de leurs peines, l'oblation pure du très-saint sacrifice de notre
divin Médiateur.
» Nous établissons donc, avec toutes les dispenses
et dérogations nécessaires, le dernier dimanche du mois de
septembre prochain, comme un jour de très-ample expiation, dans
lequel il sera célébré par Nous et pareillement par
chacun de Nos Frères les patriarches, les archevêques et évêques
et par les autres prélats exerçant leur juridiction dans
un diocèse, chacun dans sa propre église patriarcale, métropolitaine
ou cathédrale, une messe spéciale pour les défunts,
avec la plus grande solennité possible et d'après le rite
indiqué par le missel pour la Commémoration de tous les fidèles
défunts. Nous approuvons que cela se fasse de même dans les
églises paroissiales et collégiales, aussi bien du clergé
séculier que régulier, et par tous les prêtres en général,
pourvu que l'on n'omette pas l'office propre de la messe du jour partout
où il y en a l'obligation.
» Quant aux fidèles, Nous les exhortons vivement, après
avoir fait la confession sacramentelle, à se nourrir dévotement
du pain des anges, en suffrage des âmes du purgatoire.
» Nous accordons par Notre autorité apostolique à
ces fidèles de gagner l'indulgence plénière pour les
défunts ; et la faveur de l'autel privilégié à
tous ceux qui, comme il a été dit plus haut, célèbreront
la messe.
» Ainsi, les pieuses âmes qui expient par de si grandes
peines les restes de leurs fautes, recevront un soulagement spécial
et très-opportun, grâce à l'Hostie salutaire que l'Église
universelle, unie à son Chef visible et animée d'un même
esprit de charité, offrira à Dieu pour qu'il les admette
au séjour de la consolation, de la lumière et de la paix
éternelle.
» En attendant, Vénérables Frères, Nous
vous accordons affectueusement dans le Seigneur, comme gage des dons célestes,
la bénédiction apostolique à vous, à tout le
clergé et au peuple confié à vos soins.
» Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la
solennité de Pâques de l'année 1888, la onzième
de Notre pontificat. »
LÉON XIII, PAPE.
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Chapitre 12
Moyens de secourir les âmes. La sainte Messe. Religieux de
Cîteaux délivré par l'Hostie salutaire. Le B.
Henri Suzo.
Non, de tout ce qu'on peut faire en faveur des âmes du purgatoire,
il n'est rien d'aussi précieux que l'immolation du divin Sauveur
à l'autel. Outre que c'est la doctrine expresse de l'Église,
manifestée dans ses conciles, beau-coup de faits miraculeux, authentiques,
ne laissent point de doute à cet égard.
Nous avons déjà parlé d'un religieux de Clairvaux
qui fut délivré du purgatoire par les prières de S.
Bernard et de sa communauté. Ce religieux, dont la régularité
avait laissé à désirer, était apparu après
sa mort pour demander à S. Bernard des secours extraordinaires.
Le saint Abbé avec tous ses fervents disciples, s'empressa de faire
offrir des prières, des jeûnes et des messes pour le pauvre
défunt. Celui-ci fut bientôt délivré, et apparut
plein de reconnaissance à un vieillard de la communauté qui
s'était intéressé plus particulièrement à
lui. Interrogé sur l'uvre d'expiation qui lui avait profité
davantage, au lieu de répondre, il prit le vieillard par la main,
le conduisit à l'église où l'on célébrait
la messe en ce moment : « Voilà, dit-il en montrant l'autel,
la grande force libératrice, qui a rompu mes chaînes, voilà
le prix de ma rançon : c'est l'Hostie salutaire qui ôte les
péchés du monde ! » (1)
(1) L'abbé Postel, Le purgatoire. Chap. 5. Cf. Rossign.
Merv. 47.
Voici un autre fait, rapporté par l'historien Ferdinand de Castille
et cité par le Père Rossignoli. Il y avait à Cologne,
parmi les étudiants des cours supérieurs de l'université,
deux religieux dominicains d'un talent dis-tingué, dont l'un était
le Bienheureux Henri Suzo (1). Les mêmes études, le même
genre de vie, et par-dessus tout le même goût pour la sainteté,
leur avaient fait contracter une amitié intime, et ils se faisaient
part mutuellement des faveurs qu'ils recevaient du ciel.
Quand ils eurent terminé leurs études, se voyant à
la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur couvent,
ils convinrent et se promirent l'un à l'autre, que le premier des
deux qui mourrait, serait secouru par l'autre, une année entière,
de deux messes par semaine : le lundi, une messe de Requiem, selon l'usage,
et le ven-dredi, celle de la Passion, autant que le permettraient les rubriques.
Ils s'y engagèrent, se donnèrent le baiser de paix, et quittèrent
Cologne.
Pendant plusieurs années ils continuèrent, chacun de
son côté, à servir Dieu avec la plus édifiante
ferveur. Le Frère, dont le nom n'est pas exprimé, fut le
premier appelé au jugement, et Suzo en reçut la nouvelle
avec de grands sentiments de soumission à la divine volonté.
Quant à l'engagement qu'il avait pris, le temps le lui avait fait
oublier. Il priait beaucoup pour son ami, s'imposait en sa faveur des pénitences
nouvelles et bien des oeuvres saintes, mais ne songeait point à
dire les messes convenues.
Un matin qu'il méditait à l'écart dans une chapelle,
il voit tout d'un coup paraître devant lui son ami défunt,
qui, le regardant tendrement, lui reproche d'avoir été infidèle
à une parole donnée, acceptée, sur laquelle il avait
droit de compter avec confiance. Le Bienheu-reux, surpris, s'excusa de
son oubli en énumérant les oraisons et mortifications qu'il
avait faites, et qu'il con-tinuait à faire pour un ami, dont le
salut lui était aussi précieux que le sien même. «
Est-ce donc, mon frère, ajouta-t-il, que tant de prières
et de bonnes oeuvres que j'ai offertes à Dieu pour vous, ne vous
suffisent pas ? » Oh ! non, non, mon frère, reprit
l'âme souffrante ; non, cela ne me suffit pas ! C'est le sang de
Jésus-Christ qu'il faut pour éteindre les flammes dont je
suis consumé ; c'est l'auguste Sacrifice qui me rachètera
de ces tourments épouvantables. Je vous en conjure donc, tenez votre
parole, et ne me refusez pas ce que vous me devez en justice. »
Le Bienheureux s'empressa de répondre à cet infor-tuné
qu'il s'acquitterait au plus tôt ; et que, pour réparer sa
faute, il célébrerait et ferait célébrer plus
de messes qu'il n'en avait promis.
En effet, dès le lendemain, plusieurs prêtres à
la prière de Suzo, s'unissant à lui, montaient à l'autel
pour le défunt, et continuèrent les jours suivants cet acte
de cha-rité. Au bout de quelque temps, l'ami de Suzo lui apparut
de nouveau, mais dans un tout autre état : il avait la joie sur
le visage et une lumière très-pure l'environnait : «
Oh ! merci, mon fidèle ami, lui dit-il ; voici que, grâce
au sang
(1) 25 janvier.
p.183
du Sauveur. Je suis délivré de l'épreuve. Je monte
au ciel pour contempler Celui "que nous avons si souvent adoré ensemble
sous les voiles eucharistiques." Suzo se prosterna pour remercier le Dieu
de toute miséricorde, et il comprit mieux que jamais l'inestimable
prix du sacrifice auguste de nos autels (Rossignoli, Merveille 34, d'après
Ferdinand de Castille).
CHAPITRE XIII
Soulagement des âmes. La sainte Messe. Sainte Elisabeth et la reine Constance. S. Nicolas de Tolentino et Pellegrino d'Osima.
Nous lisons dans la vie de sainte Elisabeth de Portugal (8 juillet),
qu'après la mort de sa fille Constance, elle connut le triste état
de la défunte au purgatoire et le prix que Dieu exigeait pour sa
rançon. La jeune princesse, mariée depuis peu au roi de Castille,
fut ravie par une mort inopinée à l'affection de sa famille
et de ses sujets. Elisabeth venait d'apprendre cette triste nouvelle, et
elle se rendait avec le roi son mari dans la ville de Santarem, lorsqu'un
ermite, sorti de sa solitude, se mit à courir derrière le
cortège royal, en criant qu'il avait à parler à la
reine. Les gardes le repoussaient ; mais la Sainte s'étant aperçue
de son insistance, donna ordre qu'on lui amenât ce serviteur de Dieu.
Dès qu'il fut en sa présence, il lui raconta que
plus d'une fois, pendant qu'il priait dans son ermitage, la reine Constance
lui était apparue et l'avait instamment conjuré de faire
savoir à sa mère qu'elle gémissait au fond du purgatoire,
qu'elle était condamnée à des peines longues
184
et rigoureuses, mais qu'elle serait délivrée si pendant
l'espace d'un an on célébrait chaque jour la Sainte Messe
pour elle. Les courtisans, qui avaient entendu cette communication, s'en
moquaient tout haut, et traitaient l'ermite de visionnaire, d'intrigant
ou de fou.
Quant à Elisabeth, elle se tourna vers le roi et lui demanda
ce qu'il en pensait ? "Je crois, répondit le prince, qu'il est sage
de faire ce qui vous est "marqué par cette voie extraordinaire.
Après tout, faire célébrer des messes pour "notre
chère défunte, est une uvre qui n'a rien que de très-paternel
et de très-"chrétien." On chargea donc de ce soin un saint
prêtre, Ferdinand Mendez.
Au bout de l'année, Constance apparut à sainte
Elisabeth, vêtue de blanc et rayonnante de gloire. "Aujnourd'hui,
ma mère, lui dit-elle, je suis délivrée des "peines
du purgatoire et je monte au ciel." La sainte remplie de consolation
et de joie se rendit à l'église pour remercier le Seigneur.
Elle y trouva le prêtre Mendez qui lui déclara que, la veille,
il avait fini de célébrer les trois cent soixante-cinq messes
dont on l'avait chargé. La reine comprit alors que Dieu
184
avait tenu la promesse qu'il lui avait faite par le pieux ermite, et
elle lui en témoigna sa reconnaissance en versant d'abondantes aumônes
dans le sein des pauvres.
Vous nous avez délivrés de nos persécuteurs
et vous avez confondu ceux qui nous haïssaient (Psaume 43). Telles
furent les paroles qu'adressèrent à l'illustre saint Nicolas
de Tolentino les âmes qu'il avait délivrées en offrant
pour elles le sacrifice de la messe. une des plus grandes vertus de cet
admirable serviteur de Dieu, dit le père Rossignoli (Merv. 21, Vie
de S. Nic. de Tolentino, 10 sept.), fut sa charité, son dévouement
pour l'Eglise souffrante. Pour elle il jeûnait souvent au pain et
à l'eau, il se donnait des disciplines cruelles, il se mettait autour
des reins
185
une chaîne de fer étroitement serrée. Quand le
sanctuaire s'ouvrit devant lui, et qu'on voulut lui conférer le
sacerdoce, il recula longtemps devant cette sublime dignité ; ce
qui le décida enfin à se laisser imposer les mains, ce fut
la pensée qu'en célébrant chaque jour, il pourrait
assister plus efficacement ses chères âmes du purgatoire.
De leur côté, les âmes qu'il soulageait par tant de
suffrages, lui apparurent plusieurs fois pour le remercier ou pour se recommander
à sa charité.
Il demeurait à Vallimanesé, près de Pise,
tout occupé de ses exercices spirituels, lorsqu'un samedi pendant
la nuit, il vit en songe une pauvre âme en peine, qui le suppliait
de vouloir bien, le lendemain matin, célébrer la sainte messe
pour elle et pour quelques autres âmes, qui souffraient d'une manière
affreuse au purgatoire. Nicolas reconnaissait très-bien la voix,
mais ne pouvait se rappeler distinctement la personne qui parlait ainsi.
Il demanda donc qui elle était. "Je suis, répondit l'apparition,
votre défunt ami, Pellegrino d'Osima. Par "la miséricorde
divine, j'ai évité les châtiments éternels par
une sincère "pénitence, mais non les peines temporelles dues
à mes péchés. Je viens au nom "de beaucoup d'âmes
aussi malheureuses que moi, vous supplier d'offrir demain "la sainte messe
pour nous : nous en espérons notre délivrance, ou du moins
un "grand soulagement." Le saint répondit avec sa bonté accoutumée
: "Que le "Seigneur daigne vous secourir par les mérites de son
sang précieux ! Mais cette "messe pour les morts, je ne puis la
dire demain : c'est moi qui dois chanter au "chur la messe conventuelle.
Ah ! Venez au moins avec moi, s'écria le "défunt, avec
des gémissements et des larmes ; je vous en conjure pour l'amour
"de Dieu, venez contempler nos souffrances, et vous ne me refuserez plus
: vous "êtes trop bon pour nous laisser dans de pareilles angoisses."
Alors il lui sembla qu'il était transporté dans
le purga-
p.186 (début)
-toire. Il vit une plaine immense, où une grande multitude d'âmes
de tout âge et de toute condition étaient livrées à
des tortures diverses et épouvantables : du geste et de la voix
elles imploraient tristement son assistance. "Voilà, lui dit "Pellegrino,
la situation de ceux qui m'ont envoyé vers vous. Comme vous êtes
"agréable à Dieu, nous avons la confiance qu'il ne refuserait
rien à l'oblation du "Sacrifice faite par vous, et que sa divine
miséricorde nous délivrerait."
A ce lamentable spectacle, le saint ne put retenir ses larmes.
Il se mit aussitôt en prière pour soulager tant d'infortunés,
et le lendemain matin il alla trouver son Prieur, lui rendit compte de
sa vision et de la demande de Pellegrino concernant sa messe pour ce jour-là
même. Le père Prieur, partageant son émotion, le dispensa
pour ce jour et pour toute la semaine, de sa fonction d'hebdomadaire, afin
qu'il pût offrir le saint sacrifice à l'intention demandée,
et se consacrer tout entier au soulagement des pauvres âmes. Heureux
de cette permission, Nicolas se rendit à l'église et célébra
avec une dévotion extraordinaire la sainte Messe pour les défunts.
Pendant toute la semaine, il continua d'offrir le saint sacrifice à
la même intention, pratiquant en outre, jour et nuit des oraisons,
des macérations et toutes sortes de bonnes uvres.
A la fin de la semaine, Pellegrino lui apparut de nouveau, mais
non plus dans un état de souffrance : il était revêtu
d'une robe blanche, et environné d'une splendeur toute céleste,
dans laquelle se montraient une foule d'autres âmes bienheureuses.
Toutes ensemble lui rendaient grâces et l'appelaient leur libérateur,
puis elles s'élevèrent au ciel en chantant le verset du Psalmiste
: Salvasti nos de affligentibus nos, et odientes nos confudisti, vous nous
avez délivrés de nos persécuteurs et vous avez confondu
ceux qui nous haïssaient (Ps. 43). Les ennemis dont il est ici parlé
sont les péchés, et les démons qui en sont les instigateurs.
187
Chapitre 14
Soulagement des âmes. la sainte Messe. Le Père Gérard.
Le trentain ou les trente messes de S. Grégoire
Voici des effets surnaturels d'un genre différent, mais qui rendent également sensible la vertu de la messe pour les défunts. Nous le trouvons dans les mémoires du Père Gérard, missionnaire jésuite anglais et confesseur de la foi, pendant les persécutions d'Angleterre au XVIe siècle. Après avoir raconté comment il reçut l'abjuration d'un gentilhomme protestant, marié à l'une de ses cousines, le Père Gérard ajoute :
187
"Cette conversion en amena une autre, entourée de circonstances
assez extraordinaires. Mon nouveau converti alla voir un de ses amis, dangereusement
malade : c'était un homme droit, retenu dans l'hérésie
plus par illusion que pour d'autres motifs. Le visiteur le pressant vivement
de se convertir et de penser à son âme, obtint de lui la promesse
de se confesser. Il l'instruisit de tout, lui apprit à exciter dans
son âme la douleur de ses péchés, et alla chercher
un prêtre. Il eut beaucoup de peine à en trouver un, et pendant
ce temps le malade mourut. Avant d'expirer, le pauvre mourant avait souvent
demandé si son ami reviendrait avec le médecin qu'il avait
promis de lui amener : il appelait ainsi le prêtre catholique.
"Ce qui arriva ensuite sembla montrer que Dieu avait agréé
la bonne volonté du défunt. Les nuits qui suivirent sa mort,
sa femme, une protestante, vit dans la chambre une lumière qui s'agitait
autour d'elle et pénétra même dans son alcôve.
Effrayée, elle voulut que ses filles de service couchassent dans
la chambre ; mais celles-ci ne virent rien, bien que la lumière
continuât de paraître aux yeux de leur maîtresse. La
pauvre Dame envoya chercher
188
l'ami, dont son mari avait attendu le retour avec un si vif désir,
lui exposa ce qui se passait, et demanda ce qu'il y avait à faire.
"Cet ami, avant de répondre, consulta un prêtre
catholique. Le prêtre lui dit que, probablement, cette lumière
était pour la femme du défunt un signe surnaturel, par lequel
Dieu l'invitait à revenir à la vraie foi. La Dame fut vivement
impressionnée de cette parole : elle ouvrit son cur à la
grâce et se convertit à son tour.
"Un fois catholique, elle fit célébrer la messe
dans sa chambre pendant assez longtemps ; mais la lumière revenait
toujours. Le prêtre considérant les circonstances devant Dieu,
pensa que le défunt, sauvé par son repentir accompagné
du désir de la confession, se trouvait au purgatoire et avait besoin
de prières. Il conseilla à la Dame de faire dire la messe
pour lui pendant trente jours, conformément au vieil usage des catholiques
anglais. La bonne veuve le fit ; et la nuit du trentième jour, au
lieu d'une lumière, elle en aperçut trois : deux semblaient
en soutenir une autre. Les trois lumières entrèrent dans
l'alcôve, puis montèrent au ciel pour ne plus revenir. Ces
lumières mystérieuses semblent avoir indiqué les trois
conversions et l'efficacité du sacrifice de la messe pour ouvrir
aux défunts l'entrée au ciel."
Le trentain, ou les trente messes qu'on dit pendant trente jours
consécutifs, n'est pas seulement un usage anglais, comme l'appelle
le P. Gérard ; il est aussi fort répandu en Italie et dans
d'autres pays de la chrétienté. On appelle ces messes les
trente messes de S. Grégoire, parce que la pieuse coutume en semble
remonter à ce grand Pape. Voici ce qu'il rapporte dans ses Dialogues,
liv. 4, cham. 40.
188
Un religieux de son monastère, appelé Juste, avait
reçu et gardé en propriétaire trois écus d'or.
C'était une faute grave contre son vu de pauvreté ; il fut
découvert et frappé d'excommunication. Cette peine salutaire
le fit rentrer en lui-même, et quelque temps après il mourut
189
dans de vrais sentiments de repentir. Cependant S. Grégoire,
pour inspirer à tous les frères une vive horreur du crime
de propriété dans un religieux, ne leva pas pour cela l'excommunication
; Juste fut enterré à l'écart, et on jeta dans la
fosse les trois écus, pendant que les religieux répétaient
tous ensemble la parole de S. Pierre à Simon le Magicien : Pecunia
tua tecum sit in perditionem, que ton argent périsse avec toi.
Quelque temps après, le saint Abbé, jugeant que
le scandale était assez réparé, et touché de
compassion pour l'âme de Juste, fit appeler l'économe, et
lui dit avec tristesse : "Depuis le moment de sa mort notre frère
défunt est torturé "dans les flammes du purgatoire ; nous
devons par charité nous efforcer de l'en "délivrer. Allez
donc, et à partir d'aujourd'hui, ayez soin que le saint Sacrifice
"soit offert pour lui pendant trente jours : n'en laissez passer aucun
sans que "l'Hostie de propitiation soit immolée pour sa délivrance."
L'économe obéit ponctuellement. Les trente messes
furent célébrées dans le cours de trente jours. Or
quand le trentième jour fut venu et que la trentième messe
fut finie, le défunt apparut à un Frère appelé
Copiosus en disant : "Bénissez Dieu, mon frère : aujourd'hui
même je suis délivré et admis dans la "société
des Saints."
C'est depuis lors que s'établit le pieux usage de faire
célébrer des trentains de messes pour les défunts.
190
Chapitre 15
Soulagement des âmes. La sainte Messe. Eugénie d'Ardoye.-
Lacordaire et le prince Polonais.
Rien n'est plus conforme à l'esprit chrétien que
le soin de faire offrir le saint Sacrifice pour le soulagement des défunts
; et ce serait un bien grand mal si le zèle des fidèles à
cet égard venait à se refroidir. Aussi Dieu semble multiplier
les prodiges pour les empêcher de tomber dans ce funeste relâchement.
Voici un fait attesté par un prêtre respectable du diocèse
de Bruges, qui le tenait de source première, et en avait toute la
certitude d'un témoin oculaire. Le 13 octobre 1849 mourut dans la
commune d'Ardoye, en Flandre, la fermière Eugénie van de
Kerchove, épouse de Jean Wybo, âgée de 52 ans. C'était
une femme pieuse, charitable, faisant l'aumône avec une générosité
proportionnée à l'aisance de sa
190
condition. Elle eut jusqu'à la fin de sa vie une grande dévotion
à la S. Vierge et pratiquait l'abstinence en son honneur le mercredi
et le samedi de chaque semaine. Quoique sa conduite ne fût pas exempte
de certains défauts domestiques, elle était du reste fort
édifiante et même exemplaire.
Une servante, appelée Barbe Vannecke, âgée
de 28 ans, fille vertueuse et dévouée, qui avait assisté
sa maîtresse Eugénie dans sa dernière maladie, continua
à servir son maître Jean Wybo, veuf d'Eugénie.
Environ trois semaines après sa mort, la défunte
apparut à cette servante dans les circonstances que nous allons
rapporter. C'était au milieu de la nuit : Barbe dormait profondément,
lorsqu'elle s'entendit appeler trois fois distinctement par son nom. Elle
s'éveille en sursaut, et voit son ancienne maîtresse, la fermière
Wybo, en habit
191
de travail, jupon et jaquette courte, assise sur le bord de son lit.
A cette vue, chose remarquable, bien que saisie d'étonnement, Barbe
ne fut point effrayée et conserva toute sa présence d'esprit.
L'apparition lui adressa la parole : Barbe, lui dit-elle d'abord,
en prononçant simplement son nom. Que désirez-vous, Eugénie
? répondit la servante. Prenez, dit la maîtresse, le petit
râteau que je vous ai fait mettre en place bien souvent, remuez le
tas de sable dans la chambrette que vous connaissez. Vous y trouverez une
somme d'argent : employer-la pour faire célébrer des messes,
au taux de deux francs, à mon intention ; car je suis encore dans
les souffrances. Je le ferai, Eugénie, répondit Barbe ;
et au même moment l'apparition disparut. La servante, toujours calme,
se rendormit et reposa tranquillement jusqu'au lendemain.
A son réveil, Barbe se crut d'abord le jouet d'un songe
; mais son esprit était si frappé, elle avait été
si bien éveillée, elle avait vu son ancienne maîtresse
sous une forme si nette et si vivante, elle avait entendu de sa bouche
des indications si précises, qu'elle ne put s'empêcher de
dire : "Ce n'est pas ainsi "qu'on rêve. J'ai vu ma maîtresse
en personne, qui s'est montrée à mes yeux et "qui m'a parlé
: ce n'est pas un songe, mais une réalité." Elle s'en va
donc prendre le râteau désigné, fouille le sable et
en retire bientôt une bourse, contenant la somme de cinq cents francs.
Dans ces circonstances étranges et exceptionnelles, la
bonne fille crut devoir recourir aux conseils de son curé, et alla
lui exposer ce qui était arrivé. Le vénérable
abbé R. alors curé d'Ardoye, répondit que les messes
demandées par la défunte devaient être célébrées
; mais, pour disposer de la somme découverte, il fallait le consentement
du fermier Jean Wybo. Celui-ci consentit volontiers à un si saint
emploi de cet argent, et les messes furent célébrées
pour la défunte au taux de deux francs.
192
Cette circonstance des honoraires doit être signalée,
parce qu'elle répond aux pieuses habitudes de la défunte.
Le taux fixé par le tarif diocésain était d'environ
un franc et demi ; mais l'épouse Wybo, par dévouement pour
le clergé, obligé, à cette époque de disette,
de soulager une foule de pauvres, donnait deux francs pour toutes les messes
qu'elle faisait célébrer.
Deux mois après la première apparition, Barbe fut
réveillée de nouveau au milieu de la nuit. Cette fois sa
chambre était illuminée d'une vive clarté, et sa maîtresse
Eugénie, belle et fraîche comme dans ses plus beaux jours,
revêtue d'une robe éblouissante de blancheur, se tenait devant
elle et la regardait avec un aimable sourire : Barbe, lui dit-elle d'une
voix claire et intelligible, je vous remercie : je suis délivrée.
Après avoir prononcé ces mots, elle disparut, la chambre
rentra dans l'obscurité, et la bonne servante, émerveillée
de ce qu'elle venait de voir, fut inondée de bonheur. Cette apparition
fit la plus vive impression sur son esprit et elle en a conservé
jusqu'à ce jour le plus consolant souvenir. C'est d'elle que nous
tenons tous ces détails, par l'intermédiaire du vénérable
abbé L. qui était vicaire à Ardoye quand ces faits
sont arrivés.
Le célèbre Père Lacordaire, au début
des conférences sur l'immortalité de l'âme, qu'il adressait,
peu d'années avant sa mort, aux élèves de Sorèze,
leur racontait le fait suivant.
"Le Prince polonais de X.
incrédule et matérialiste
avoué, venait de composer un ouvrage contre l'immortalité
de l'âme ; il était même sur le point de le livrer à
l'impression, quand, se promenant un jour dans son parc, une femme tout
en larmes se jette à ses pieds, et lui dit avec l'accent d'une profonde
douleur : "Mon bon Prince, mon mari vient de mourir
En ce moment, son
âme est "peut-être au purgatoire, dans les souffrances !
Je
suis dans une telle indigence, que je n'ai
193
"pas même la petite somme qu'il faudrait pour faire célébrer
la messe des "défunts. Que votre bonté daigne me venir en
aide en faveur de mon pauvre mari !"
"Quoique le gentilhomme se tint pour convaincu que cette femme
était abusée par sa crédulité, il n'eut pas
le courage de la repousser. Une pièce d'or se rencontre sous sa
main ; il la lui donne, et l'heureuse femme de courir à l'église,
et de prier le prêtre d'offrir quelques messes pour son mari.
"Cinq jours après, vers le soir, le prince, retiré
et enfermé dans son cabinet, relisait son manuscrit et retouchait
quelques détails, quand, levant les yeux, il voit à deux
pas de lui un homme vêtu comme les paysans de la contrée.
"Prince, lui dit l'inconnu, je viens vous remercier. Je suis le mari de
cette pauvre "femme qui vous suppliait, il y a peu de jours, de lui donner
l'aumône, afin de "faire offrir le sacrifice de la messe pour le
repos de mon âme. Votre charité a "été agréable
à Dieu : c'est lui qui m'a permis de venir vous remercier."
193
"Ces paroles dites, le paysan polonais disparaissait comme une
ombre. L'émotion du Prince fut indicible et eut pour lui ce résultat
: il mit au feu son ouvrage, et se rendit si bien à la vérité
que sa conversion fut éclatante ; il persévéra jusqu'à
la mort."
Chapitre 16
Soulagement des âmes. Liturgie de l'Eglise.
Commémoration des morts. S. Odilon
La sainte Eglise possède une liturgie particulière
pour les défunts : elle se compose des vêpres, des matines,
des laudes et de la messe, appelée communément messe de
194
Requiem. Cette liturgie aussi touchante que sublime, à travers
le deuil et les larmes fait briller aux yeux des fidèles la consolante
lumière de l'immortalité. Elle se déploie aux funérailles
de ses enfants, et surtout au jour solennel de la Commémoration
des morts. La sainte Messe y tient la première place, elle est comme
le centre divin auquel toutes les autres prières et cérémonies
se rapportent. Le lendemain de la Toussaint, à la grande solennité
des Trépassés, tous les prêtres doivent célébrer
le Sacrifice pour les défunts ; tandis que les fidèles se
font un devoir d'y assister, et même d'offrir la sainte Communion,
des prières et des aumônes, pour soulager leurs frères
du purgatoire.
Cette Fête des défunts n'est pas très-ancienne.
Dès le principe l'Eglise a prié pour ses enfants trépassés
: elle chantait des psaumes, récitait des prières, offrait
la sainte messe pour le repos de leurs âmes. Cependant nous ne voyons
pas qu'il y eût une fête particulière pour recommander
à Dieu tous les morts en général. Ce ne fut qu'au
Xe siècle, que l'Eglise, toujours dirigée par le Saint-Esprit,
institua la Commémoration de tous les fidèles défunts,
pour engager les fidèles vivants à remplir avec plus de soin
et de ferveur, le grand devoir de la prière pour les morts, prescrit
par la charité chrétienne.
Le berceau de cette touchante solennité fut l'abbaye de
Cluni. Saint Odilon (Premier janvier), qui en était abbé
à la fin du Xe siècle, édifiait la France par sa charité
envers le prochain. Etendant jusqu'aux morts sa commisération, il
ne cessait de prier et de faire prier pour les âmes du purgatoire.
Ce fut cette tendre charité qui lui inspira d'établir dans
son monastère de Cluni ainsi que dans toutes les dépendances,
la fête de la Commémoration de tous les trépassés.
On croit, dit l'historien Bérault, qu'il y fut engagé par
une révélation du ciel ; car Dieu daigna
195
manifester d'une manière miraculeuse combien la dévotion
d'Odilon lui était agréable. Voici comme la chose est rapportée
par les historiens.
195
Tandis que le saint Abbé gouvernait son monastère
en France, un pieux ermite vivait dans une petite île sur les côtes
de Sicile. Un pèlerin français qui revenait de Jérusalem,
fut jeté sur ce rocher par une tempête. L'ermite qu'il alla
visiter, lui demanda s'il connaissait l'abbaye de Cluni et l'Abbé
Odilon ? "Assurément, répondit le pèlerin, je les
connais et me fais gloire de les connaître "; mais vous, comment
les connaissez-vous ? Et pourquoi me faites-vous cette "question ? J'entends
souvent, répliqua le solitaire, les malins esprits se "plaindre
des personnes pieuses, qui, par leurs prières et leurs aumônes,
"délivrent les âmes des peines qu'elles souffrent en l'autre
vie ; mais ils se "plaignent principalement d'Odilon, Abbé de Cluni,
et de ses religieux. Quand "donc vous serez arrivé dans votre patrie,
je vous prie au nom de Dieu d'exhorter "ce saint Abbé et ses moines
à redoubler leurs bonnes uvres en faveur des "pauvres âmes."
Le pèlerin se rendit à l'abbaye de Cluni et s'acquitta
de sa commission. En conséquence, saint Odilon ordonna que dans
tous les monastères de son institut, on fit tous les ans, le lendemain
de la Toussaint, la commémoration de tous les fidèles trépassés,
en récitant dès la veille les vêpres des morts et le
lendemain les matines ; en sonnant toutes les cloches et en célébrant
une Messe solennelle pour les défunts. On conserve encore le décret
qui en fut dressé à Cluni, l'an 998, tant pour ce monastère
que pour tous ceux de sa dépendance. Une pratique si pieuse passa
bientôt à d'autres églises, et devint après
quelque temps l'observance universelle de tout le monde catholique.
196
Chapitre 17
Soulagement des âmes. Sacrifice de la Messe. Le Frère Jean de l'Alverne, à l'autel. Sainte Mad. de Pazzi. Saint Malachie et sa sur.
Les annales de l'ordre séraphique nous parlent d'un saint religieux appelé Jean de l'Alverne : il aimait ardemment Notre-Seigneur Jésus-Christ, et embrassait dans le même amour les âmes rachetées par son sang et si chères à son Cur. Celles qui souffrent dans les prisons du purgatoire avaient une large part à ses prières, à ses pénitences, à ses Sacrifices. Dieu daigna un jour lui faire voir les admirables et consolants effets du divin Sacrifice offert, le jour des morts, sur tous les autels. Le serviteur de Dieu célébrait la messe pour les défunts en cette solennité, lorsque ravi en esprit, il vit le purgatoire ouvert et les âmes qui en sortaient, délivrées par la vertu du Sacrifice de propitiation : elles ressemblaient à d'innombrables étincelles qui s'échappaient d'une fournaise ardente.
196
On s'étonnera moins des puissants effets de la sainte
messe, si l'on se rappelle que ce sacrifice est identiquement le même
que celui que le Fils de Dieu offrit sur la croix : c'est le même
prêtre, dit le saint Concile de Trente, c'est la même victime
; il n'y a que le mode d'immolation qui diffère : sur la croix l'immolation
fut sanglante, sur nos autels elle est non-sanglante.
Or le sacrifice de la croix étant d'un prix infini, celui
de l'autel est aux yeux de Dieu d'une valeur égale. Remarquons toutefois,
que l'efficacité de ce divin sacrifice n'est appliquée aux
défunts que partiellement, et dans une mesure connue de la seule
justice de Dieu.
La passion de Jésus-Christ et son précieux sang,
197
répandu pour notre salut, sont un océan inépuisable
de mérites et de satisfactions. C'est par la vertu de cette passion
sainte que nous obtenons tous les dons et toutes les miséricordes
du Seigneur. La seule commémoration qu'on en fait par manière
de prière, lorsqu'on offre à Dieu le sang de son Fils unique
pour implorer sa miséricorde, cette prière, dis-je, appuyée
ainsi sur la passion de Jésus-Christ, est d'une grande puissance
devant Dieu. Sainte Madeleine de Pazzi avait appris de Notre-Seigneur à
offrir au Père éternel le sang de son divin Fils : c'était
une simple commémoration de la passion. Elle la faisait cinquante
fois chaque jour ; et dans une de ses extases, le Sauveur lui fit voir
un grand nombre de pécheurs convertis et d'âmes du purgatoire
délivrées par cette pratique : "Toutes les fois, ajouta-t-il,
qu'une créature offre à mon Père ce sang par lequel
"elle a été rachetée, elle lui offre un don d'un prix
infini." Si telle est la valeur d'une offrande commémorative de
la passion, que dire du sacrifice de la Messe, qui est le renouvellement
véritable de cette même passion ?
Beaucoup de chrétiens ne connaissent pas suffisamment
la grandeur des Mystères divins qui s'accomplissent sur nos autels
; la faiblesse de leur foi se joignant au manque de connaissance, les empêche
d'apprécier le trésor qu'ils possèdent dans le divin
sacrifice, et le leur fait regarder avec une sorte d'indifférence.
Hélas ! Ils verront plus tard avec de douloureux regrets combien,
ils se sont trompés. La sur de saint Malachie, archevêque
d'Armagh en Irlande nous en offre un frappant exemple.
Dans sa belle Vie de S. Malachie (8 novembre), S. Bernard loue
hautement la dévotion de ce prélat envers les âmes
du purgatoire. N'étant encore que diacre, il aimait à assister
aux funérailles des pauvres et à la messe qu'on célébrait
pour eux ; il accompagnait même leurs corps jusqu'au cime-
198
tière, avec d'autant plus de zèle, qu'il voyait ces malheureux
d'ordinaire trop négligés après leur mort. Mais il
avait une sur qui, toute remplie de l'esprit du monde, trouvait que son
frère, en se rapprochant ainsi des pauvres, se dégradait,
s'avilissait, et sa famille avec lui. Elle lui en fit des reproches et
montra par son langage qu'elle ne comprenait ni la charité chrétienne,
ni la divine excellence du
198
sacrifice de la messe. Malachie n'en continua pas moins l'exercice
de son humble charité, se contentant de répondre à
sa sur qu'elle oubliait les enseignements de Jésus-Christ, et qu'elle
se repentirait un jour de ses paroles indiscrètes.
Cependant le ciel ne laissa pas impunie l'imprudente témérité
de cette femme : elle mourut jeune encore, et alla rendre compte au souverain
Juge de sa vie peu chrétienne. Malachie avait eu à se plaindre
d'elle ; mais quand elle fut morte, il oublia tous les torts qu'elle avait
eus à son égard ; ne pensant plus qu'aux besoins de son âme,
il offrit le saint sacrifice et pria beaucoup pour elle. A la longue cependant,
ayant à prier pour bien d'autres défunts, il perdit un peu
de vue sa pauvre sur. On peut croire, ajoute le P. Rossignoli, que Dieu
avait permis cet oubli en punition de l'insensibilité qu'elle avait
témoignée envers les trépassés.
Quoi qu'il en soit, elle apparut à son saint frère
pendant son sommeil. Malachie la vit se tenant au milieu de la cour qui
s'étendait devant l'église, triste, vêtue de noir,
sollicitant sa compassion et se plaignant de ce que depuis trente jours
il ne l'avait plus soulagée. Il se réveilla en sursaut et
se rappela qu'en effet depuis trente jours il n'avait plus célébré
la messe pour sa sur. Dès le lendemain il recommença à
offrir pour elle le saint sacrifice. Alors la défunte lui apparut
à la porte de l'église, assise sur le seuil et gémissant
de n'y pourvoir entrer. Il continua donc ses suffrages. Quelques jours
après il la vit entrer dans l'église et s'avancer jusqu'au
milieu, mais sans pou-
199
Voir, malgré tous ses efforts se rapprocher de l'autel. Il fallait
donc l'aider davantage, et le Saint offrit d'autres messes. Enfin quelques
jours après, il la vit près de l'autel, vêtue d'habits
magnifiques, toute rayonnante de joie et délivrée de ses
peines.
On voit par là, ajoute S. Bernard, combien grande est
l'efficacité du saint Sacrifice pour ôter les péchés,
pour combattre les puissances adverses, et pour introduire au ciel les
âmes qui ont quitté la terre.
Chapitre 18
Soulagement des âmes. Le sacrifice de la Messe. S. Malachie à Clairvaux. La sur Zénaïde. Le vén. Joseph Anchieta et la messe de Requiem.
Nous ne devons point ici omettre le récit de la grâce
toute particulière, qui valut à S. Malachie sa grande charité
envers les âmes du purgatoire. Un jour qu'il se trouvait avec plusieurs
personnes pieuses et les entretenait familièrement des choses spirituelles,
il vint à parler du dernier passage. "Si on laissait, dit-il, à
"chacun de vous le choix, à quel jour et en quel lieu souhaiteriez-vous
de mourir ?" A cette question les uns indiquaient une fête, les autres
une autre ; ceux-ci tel
endroit et ceux-là tel autre. Quand ce fut au tour du Saint
de manifester sa pensée, il dit qu'il ne finirait nulle part plus
volontiers sa vie qu'au monastère de Clairvaux, gouverné
par S. Bernard, afin de jouir tout de suite des sacrifices de ces fervents
religieux ; et quant au temps, il préférerait, disait-il,
le jour de la Fête des morts, afin d'avoir part à toutes les
messes, à toutes les prières, qui se font ce jour-là
pour les défunts dans tout le monde catholique.
p.200
Ce souhait de sa piété fut accompli de point en
point. Il se rendait à Rome auprès du Pape Eugène
III, quand, arrivé à Clairvaux, peu avant la Toussaint, il
fut surpris par une grave maladie, qui l'obligea de s'arrêter dans
cette pieuse maison. Il comprit bientôt que le Seigneur avait exaucé
ses vux, et s'écria avec le prophète : C'est ici le lieu
de mon repos pour toujours : j'y demeurerai parce que je l'ai choisi (Psalm.
131). En effet le lendemain de la Toussaint, tandis que toute l'Eglise
priait pour les défunts, il rendit son âme au Créateur.
Nous avons connu, dit l'abbé Postel, une sainte religieuse,
la sur Zénaïde P. qui, attaquée d'une maladie affreuse
depuis plusieurs années, demandait à Notre-Seigneur la grâce
de mourir le jour de la Commémoration des morts, pour lesquels elle
avait eu toujours une grande dévotion. Il lui fut accordé
comme elle désirait. Le 2 novembre au matin, après deux ans
de souffrances, supportées avec le courage le plus chrétien,
elle se mit à chanter un cantique d'action de grâces, et expira
doucement quelques instants avant l'heure où commence la célébration
des messes dans toutes les églises.
On sait qu'il y a dans la liturgie catholique une messe spéciale
pour les défunts : elle se célèbre en ornement noir
et on la nomme messe de Requiem. On pourrait demander si cette messe est
plus profitable aux âmes que les autres ? Le sacrifice de la Messe,
malgré la diversité des cérémonies est toujours
le même, le sacrifice infiniment saint du Corps et du Sang de Jésus-Christ.
Mais comme la messe des morts contient des prières particulières
pour les âmes, elle leur obtient aussi des secours particuliers,
du moins toutes les fois que les règles liturgiques permettent au
prêtre de célébrer en noir. Cette opinion fondée
sur l'institution et la pratique de l'Eglise, se trouve confirmée
par un fait que nous
201
lisons dans la vie du vénérable Père Joseph Anchieta.
Ce saint religieux de la Compagnie de Jésus, surnommé
à juste titre le thaumaturge du Brésil, avait comme tous
les saints une grande charité pour les âmes du purgatoire.
Un jour, c'était pendant l'octave de Noël, où l'Eglise
défend les messes de Requiem, le 27 décembre, fête
de S Jean l'Evangéliste, cet homme de Dieu au grand étonnement
de tous, monta à l'autel en ornement noir et célébra
une messe de morts.
Son supérieur, le Père Nobréga, connaissant
la sainteté d'Anchieta, ne doutait point qu'il n'agit par inspiration
divine ; néanmoins pour ôter à cette conduite le caractère
d'irrégularité qu'elle paraissait avoir, il le reprit devant
tous ses confrères. "Eh ! Quoi, mon Père, lui dit-il, ne
savez-vous pas que l'Eglise "défend de célébrer en
noir aujourd'hui ? Avez-vous donc oublié les règles "liturgiques
?" Le bon Père, humble et obéissant, répondit avec
une respectueuse simplicité que Dieu lui avait fait connaître
la mort d'un Père de la Compagnie. Ce Père, son ancien condisciple
à l'université de Coïmbre, et qui
201
résidait pour lors en Italie au collège de la sainte Maison de Lorette, était mort cette nuit-là même. "Dieu, ajouta-t-il, en m'en donnant connaissance, m'a fait "comprendre que je devais aussitôt offrir pour lui le saint Sacrifice et faire tout "ce qui était en mon pouvoir pour soulager cette âme. Mais, continua le "supérieur, savez-vous si la sainte Messe célébrée, comme vous l'avez fait, lui a "été utile ? Oui, repris modestement Anchieta : immédiatement après la "commémoraison des morts, lorsque je disais ces paroles : A Dieu le Père tout-"puissant, dans l'unité du Saint-Esprit, tout honneur et gloire ! le Seigneur m'a "fait voir cette chère âme, délivrée de toute peine, monter au ciel, où l'attendait "la couronne."
202
Chapitre 19
Soulagement des âmes par le sacrifice de la Messe. La vén. Mère Agnès et la sur Séraphique. Marguerite d'Autriche. L'archiduc Albert. Le Père Mancinelli.
Nous venons de parler de l'efficacité du saint Sacrifice
de la Messe pour le soulagement des âmes. C'est la foi vive à
ce consolant mystère qui enflamme la dévotion des vrais fidèles,
et adoucit l'amertume de leur deuil. La mort leur enlève-t-elle
un père, une mère, un ami ? Ils tournent leurs yeux mouillés
vers l'autel, qui leur offre le moyen de témoigner au cher défunt
leur amour et leur reconnaissance. De là ces messes nombreuses qu'ils
font célébrer, de là cet empressement pieux à
assister en faveur des défunts au sacrifice de propitiation.
La vénérable Mère Agnès de Langeac,
religieuse Dominicaine dont nous avons déjà parlé,
assistait à la sainte Messe avec la plus grande dévotion,
et engageait ses surs à la même ferveur. Elle leur disait
que ce divin sacrifice est l'action la plus sainte de la religion, l'uvre
de Dieu par excellence ; et elle leur rappelait la parole des Livres saints
: maudit soit celui qui fait l'uvre de Dieu négligemment. Une sur
de la communauté, nommée sur Séraphique, vint à
mourir : elle n'avait pas assez tenu compte des salutaires avis de sa supérieure,
et fut condamnée à un rude purgatoire.
La mère Agnès en eut connaissance. Dans un ravissement,
elle se trouva en esprit au lieu des expiations, y vit beaucoup d'âmes
dans les flammes, et reconnut parmi elles la sur Séraphique, qui
d'une voix lamentable lui demandait du secours. Touchée de la plus
vive compassion, la charitable Supérieure fit tout ce qu'elle put
pendant huit jours : elle jeûnait, communiait et assistait à
la sainte Messe, pour la chère défunte. Comme elle priait
203
avec beaucoup de larmes et de gémissements, conjurant la divine
miséricorde par le précieux sang de Jésus-Christ,
qu'il lui plût de tirer sa chère fille des flammes, et de
l'admettre au bonheur de voir sa face ; elle entendit une voix qui lui
disait : Continue encore de prier, il n'est pas temps de la délivrer.
La mère Agnès persévéra avec confiance, et
deux jours après, tandis qu'elle assistait au divin sacrifice, au
moment de l'élévation, elle vit l'âme de sur Séraphique
monter au ciel avec une extrême joie. Cette vue si consolante fut
la récompense de sa charité et enflamma d'une nouvelle ardeur
sa dévotion au saint Sacrifice de la messe.
Les familles, chrétiennes, où règne l'esprit
de foi, se font un devoir de faire célébrer un grand nombre
de messes pour leurs morts, selon leur condition et leur fortune : elles
s'épuisent en de saintes prodigalités, pour multiplier les
suffrages de l'Eglise et soulager ainsi les âmes. Il est rapporté
dans la Vie de la reine Marguerite d'Autriche, femme de Philippe III, qu'en
un seul jour, qui fut celui de ses obsèques, on célébra
dans la ville de Madrid, près de onze cents messes pour le repos
de son âme. Cette Princesse avait demandé mille messes dans
son testament ; le roi en fit ajouter vingt mille. Quand l'archiduc Albert
mourut à Bruxelles, sa veuve, la pieuse Isabelle, fit célébrer
pour lui quarante mille messes ; et pendant un mois tout entier, elle-même
en entendit dix par jour, avec la plus grande piété (Le Père
Munford, Charité envers les défunts).
Un des plus parfaits modèles de la dévotion à
la sainte messe et de la charité envers les âmes du purgatoire,
fut le Père Jules Mancinelli de la Compagnie de Jésus. Les
Sacrifices offerts par ce digne religieux, dit le P. Rossignoli (Merveille
23), semblaient avoir auprès du Seigneur une efficacité particulière
pour le soulagement des défunts.
204
Les âmes lui apparaissaient fréquemment pour lui demander
la grâce d'une seule messe.
César Costa, oncle du P. Mancinelli, était archevêque
de Capoue. Un jour rencontrant son saint neveu fort pauvrement vêtu,
malgré la rigueur du froid, il lui donna avec beaucoup de charité
une aumône pour se procurer un manteau. A quelque temps de là,
l'Archevêque mourut ; et le Père étant sorti pour visiter
ses malades, couvert de son nouveau vêtement, vit son oncle défunt
venir à lui tout entouré de flammes, le suppliant de lui
prêter son manteau. Le Père le lui donna, et le défunt
s'en étant enveloppé, ses flammes s'éteignirent aussitôt.
Mancinelli comprit que cette âme souffrait dans le purgatoire et
qu'elle lui demandait de la soulager dans ses peines, en retour de la charité
dont elle avait usé à son égard. Aussi, reprenant
son manteau, il lui promit de prier pour elle avec le plus grand zèle,
surtout à l'autel du Seigneur.
Ce fait fut si notoire et produisit une si salutaire impression,
qu'après la mort du Père, on le reproduisit sur un tableau
qui se conserve au collège de Macerata, sa patrie. On y voit le
P. Jules Mancinelli à l'autel, revêtu des
204
ornements sacerdotaux ; il est un peu élevé au-dessus
du marchepied de l'autel, pour signifier les ravissements dont Dieu le
favorisait. De sa bouche sortent des étincelles, image de ses brûlantes
prières et de sa ferveur pendant le saint Sacrifice. Au-dessous
de l'autel on aperçoit le purgatoire et les âmes qui y reçoivent
le bienfait des suffrages. Au-dessus, deux anges puisent dans des vases
précieux et répandent une pluie d'or, qui marque les bénédictions,
les grâces, les délivrances accordées à ces
pauvres âmes, en vertu des Sacrifices du pieux célébrant.
On y voit aussi le manteau, dont il a été parlé, et
une inscription en vers dont voici le sens : O miraculeux vêtement,
donné pour garantir des rigueurs du froid et qui a servi ensuite
à tempérer les ardeurs du feu. C'est ainsi que la charité
réchauffe ou rafraîchit, suivant la nature des maux qu'elle
doit soulager.
205
Chapitre 20
Soulagement des âmes par la sainte Messe. Sainte Thérèse et Bernardin de Mendoza. Multiplicité des Messes, pompe des obsèques. Cérémonies saintes de l'Eglise et couronnes profanes dont on couvre le cercueil.
Terminons ce que nous avons à dire sur la sainte messe,
par le récit de sainte Thérèse, concernant Bernardin
de Mendoza. Elle raconte ce fait dans son livre des Fondations, chapitre
X.
Le jour des Trépassés, don Bernardin de Mendoza
avait donné à sainte Thérèse une maison et
un beau jardin, situés à Valladolid, pour y fonder un monastère
en l'honneur de la Mère de Dieu. "Deux mois après, écrit
la Sainte, ce gentilhomme tomba malade subitement et perdit tout d'un coup
la parole ; en sorte qu'il ne put se confesser, encore qu'il témoignât
par signes le désir de le faire, et la vive contrition qu'il ressentait
de ses péchés.
"Il ne tarda pas à mourir, loin de l'endroit où
j'étais à cette époque ; mais Notre-Seigneur me parla
et me fit connaître qu'il était sauvé, quoiqu'il eût
couru grand risque de ne pas l'être : la miséricorde de Dieu
s'était étendue sur lui, à cause des dons qu'il avait
faits au couvent de la Sainte-Vierge ; toutefois son âme ne devait
pas sortir du purgatoire avant que la première messe fut célébrée
dans la nouvelle maison.
"Je ressentis si profondément les souffrances de cette
âme, que, malgré mon vif désir d'achever dans le plus
court délai la fondation de Tolède, je partis immédiatement
pour Valladolid.
"Un jour que j'étais en prière à Médina
del Campo, Notre-Seigneur me dit de me hâter ; car l'âme de
Mendoza était en proie aux plus vives souffrances. Je repartis donc
sur-le-champ, bien que je n'y fusse pas préparée, et
206
j'arrivai à Valladolid le jour de la fête de S. Laurent.
"Aussitôt j'appelai des maçons pour élever
sans tarder les murs de clôture ; mais comme cela devait prendre
beaucoup de temps, je demandai au Seigneur Evêque, l'autorisation
de faire une chapelle provisoire à l'usage des surs qui m'avaient
accompagné. L'ayant obtenue, j'y fis célébrer la messe
; et, à la communion, au moment où je quittai ma place pour
m'approcher de la sainte Table, je vis notre bienfaiteur, qui, les mains
jointes et le visage resplendissant, me remerciait de ce que j'avais fait
pour le tirer du purgatoire. Je le vis ensuite monter plein de gloire au
ciel. Je fus d'autant plus joyeuse que je n'osais espérer un tel
succès. Car, bien que Notre-Seigneur m'eût révélé
que la délivrance de cette âme suivrait la première
messe célébrée dans la maison, je pensais que cela
devait s'entendre de la première messe, où le Saint-Sacrement
serait renfermé dans le tabernacle."
Ce beau trait nous fait voir, non seulement l'efficacité
de la sainte Messe ; mais aussi la tendre bonté avec laquelle Jésus-Christ
s'intéresse aux âmes et en vient jusqu'à solliciter
nos suffrages en leur faveur.
Puisque le divin Sacrifice est d'un si grand prix, on pourrait
ici demander si un grand nombre de messes procure aux âmes plus de
soulagement qu'un moindre nombre, mais en compensation, des obsèques
magnifiques et d'abondantes aumônes ? La réponse à
cette question se déduit de l'esprit de l'Eglise, qui est l'esprit
de Jésus-Christ lui-même, et l'expression de sa volonté.
Or l'Eglise engage les fidèles à faire pour les
défunts des prières, des aumônes et autres bonnes uvres,
à leur appliquer des indulgences, mais surtout à faire célébrer
la sainte Messe et à y assister. Tout en donnant une place à
part au divin Sacrifice, elle approuve et emploie les divers genres de
suffrages, selon les circonstances, la dévotion et la condition
sociale du défunt ou de ses héritiers.
207
C'est une coutume catholique, que les fidèles ont religieusement
observée depuis la plus haute antiquité, de célébrer
pour les défunts un service solennel et des funérailles aussi
splendides que le comportent leurs moyens. La dépense qu'ils font
à cet effet est une aumône à l'Eglise, aumône
qui élève grandement aux yeux de Dieu le prix du divin Sacrifice
et sa valeur satisfactoire pour le défunt.
Il est bon cependant de régler de telle manière
le degré des funérailles, qu'il laisse encore assez de ressources
pour un nombre convenable de messes et pour des aumônes aux pauvres.
Ce qu'il faut éviter, c'est d'oublier le caractère
chrétien des funérailles, et d'envisager le service funèbre,
moins comme un grand acte de religion, que comme un étalage de vanité
mondaine.
Ce qu'il faut éviter encore, se sont des symboles de deuil
tout profanes, et qui ne sont pas conformes aux traditions chrétiennes.
Telles sont les couronnes
207
de fleurs, dont on charge à grands frais le cercueil du défunt.
C'est là une innovation justement désapprouvée par
l'Eglise, à qui Jésus-Christ a confié le soin du culte
et des cérémonies saintes, sans excepter les cérémonies
funèbres. Celles dont elle se sert à la mort de ses enfants,
sont vénérables par leur antiquité, pleines de sens
et de consolation pour la foi. Tout l'appareil déployé aux
yeux des fidèles, la croix et l'eau bénite, le luminaire
et l'encens, les larmes et les prières, respirent la compassion
pour les âmes, la foi à la divine miséricorde et l'espérance
de l'immortalité.
Qu'y a-t-il de semblable dans les froides couronnes de violettes
? Elles ne disent rien à l'âme chrétienne, elles ne
présentent tout au plus qu'un symbole profane de la vie mortelle,
symbole qui contraste avec la sainte image de la croix et qui est étranger
aux rites sacrés de l'Eglise.
208
Chapitre 21
Soulagement des âmes. La prière. Le Frère Corrado
d'Offida.
L'hameçon d'or et le fil d'argent
Après le saint sacrifice de la Messe, nous avons pour soulager
les âmes une foule de moyens secondaires, mais bien efficaces aussi,
quand on les emploie en esprit de foi et de ferveur.
D'abord c'est la prière, la prière sous toutes
les formes. Les annales de l'Ordre séraphique parlent avec admiration
du Frère Corrado d'Offida, un des premiers disciples de S. François.
Il se distinguait par un esprit de prière et de charité qui
contribuait grandement à l'édification de ses frères.
Parmi ceux-ci il y en avait un, jeune encore, dont la conduite relâchée
et turbulente troublait la sainte communauté ; mais grâce
aux prières et aux charitables exhortations de Corrado, il se corrigea
entièrement et devint un modèle de régularité.
Bientôt après cette heureuse conversion, il vint à
mourir, et ses frères firent pour son âme les suffrages ordinaires.
Peu de jours s'étaient écoulés, lorsque
le Frère Corrado se trouvant en prière devant l'autel, entendit
une voix qui lui demandait le secours de ses prières. "Qui êtes-vous
? dit le serviteur de Dieu." "Je suis, répondit la voix, "l'âme
du jeune religieux que vous avez si bien ramené à la ferveur.
Mais "n'êtes vous pas mort saintement ? Avez-vous encore tant besoin
de prières ? "Ma mort a été bonne, en effet, et
je suis sauvé ; mais à cause de mes anciens "péchés
que je n'ai pas eu le temps d'expier, je souffre les plus rigoureux "châtiments,
et je vous en supplie, ne me refusez pas le secours de vos prières."
Aussitôt le bon Frère s'inclinant devant le tabernacle récita
un Pater suivi du Requiem aeternam. "O mon bon Père, s'écria
l'apparition
209
"que votre prière me procure de rafraîchissement ! Oh
! comme elle me soulage!
"Je vous en prie continuez." Corrado répéta dévotement
les mêmes prières. "Père bien-aimé, reprit l'âme,
je vous en conjure, encore ! encore !... J'éprouve "tant de soulagement
quand vous priez !..." Le charitable religieux continua ses prières
avec une nouvelle ferveur, et répéta jusqu'à cent
fois l'Oraison dominicale. Alors, avec un accent d'indicible joie, le défunt
lui dit : "Je vous "rends grâces de la part de Dieu, ô Père
chéri : je suis entièrement délivré ; voici
"que je me rends au royaume des cieux."
On voit par l'exemple précédent combien les moindres
prières, les plus courtes supplications sont efficaces pour adoucir
les souffrances des pauvres âmes. J'ai lu quelque part, dit le P.
Rossignoli, qu'un saint Evêque, ravi en esprit, vit un enfant, lequel,
avec un hameçon d'or et un fil d'argent, tirait du fond d'un puits
une femme qui s'y noyait. Après son oraison, comme il se rendait
à l'église, il aperçut ce même enfant agenouillé,
priant sur une tombe du cimetière. "Que fais-tu là, mon petit
ami, lui demanda-t-il ? Je dis, répondit l'enfant, "Notre Père
et Je vous salue Marie pour l'âme de ma mère, dont le corps
repose "en ce lieu." Le prélat comprit aussitôt que Dieu
avait voulu lui montrer l'efficacité de la prière la plus
simple ; il connut que l'âme de cette mère venait d'être
délivrée, que l'hameçon d'or était le Pater,
et que l'Ave était le fil d'argent de cette ligne mystique.
210
Chapitre 22
Soulagement des âmes. Saint Rosaire. Le Père Nieremberg.
La Mère Françoise du Saint-Sacrement et le chapelet
Nous savons que le saint Rosaire occupe la première place
parmi les prières que l'Eglise recommande aux fidèles ; cette
excellente prière, source de tant de grâces pour les vivants,
est aussi singulièrement efficace pour le soulagement des morts.
Nous en avons une preuve touchante dans la Vie du Père Nieremberg,
dont nous avons fait mention ailleurs. Ce charitable serviteur de Dieu,
pour soulager les âmes du purgatoire, s'imposait des mortifications
fréquentes accompagnées d'oraisons et de prières.
Il ne manquait point de réciter chaque jour le chapelet à
leur intention, et de gagner pour elles le plus d'indulgences qu'il se
pouvait, dévotion à laquelle il invita les fidèles
dans un ouvrage spécial qu'il publia sur cette matière. Le
chapelet dont il se servait, était garni de pieuses médailles
et enrichi de nombreuses indulgences. Un jour il lui arriva de le perdre,
et il en fut désolé : non que ce saint religieux dont le
cur ne tenait plus à rien sur la terre, eût quelque attache
matérielle à ce chapelet ; mais parce qu'il se voyait empêché
par là de procurer à ses chères âmes les secours
habituels.
210
Il eut beau chercher partout, il eut beau interroger ses souvenirs
pour retrouver son pieux trésor ; tout fut inutile, et le soir étant
venu, il se vit réduit à remplacer sa prière indulgenciée
par des oraisons communes. Pendant qu'il priait, seul dans sa cellule,
il entendit au plafond un bruit semblable à celui de son chapelet,
qui lui était bien connu ; et levant les yeux, il vit en effet son
chapelet, tenu par des mains invisibles, descendre vers lui et tomber à
ses pieds avec toutes les médailles qui y étaient attachées.
Il ne douta pas que les invisibles mains qui
211
le lui rapportaient ne fussent celles des âmes soulagées
par ce moyen. Qu'on juge avec quelle ferveur nouvelle il récita
les cinq dizaines accoutumées, et combien cette merveille l'encouragea
à persévérer dans une pratique si visiblement favorisée
du ciel.
La vénérable Mère Françoise du Saint-Sacrement,
avait aussi la pieuse habitude de réciter fréquemment le
rosaire pour soulager les âmes ; et Dieu daigna par des faveurs sensibles
marquer à sa servante combien cette prière lui était
agréable.
Françoise du Saint-Sacrement (sa vie par le P. Joachim.
Voir Rossignoli, merv. 26) avait eu dès son enfance la plus grande
dévotion aux âmes souffrantes, et elle y persévéra
tant qu'elle vécut. Elle était tout cur, tout dévouement
envers ces pauvres et saintes âmes : pour les aider, elle récitait
chaque jour le rosaire, qu'elle avait coutume d'appeler son aumônier,
et elle en terminait chaque dizaine par le Requiescant in pace. Les jours
de fête où elle était plus libre de son temps, elle
y ajoutait l'Office des morts. A la prière elle joignait les pénitences.
La meilleure partie de l'année elle jeûnait au pain et à
l'eau, elle pratiquait des veilles et d'autres austérités
; elle avait à endurer beaucoup de travaux et de fatigues, des peines
et des persécutions : or toutes ces uvres tournaient au profit
des âmes, Françoise offrait tout à Dieu pour leur soulagement.
Non contente de les assister elle-même, elle engageait
tant qu'elle pouvait, les autres à le faire : si des prêtres
venaient au monastère, elle les exhortait à célébrer
la messe ; si c'étaient des laïques, elle les engageait à
distribuer beaucoup d'aumônes pour les fidèles trépassés.
En récompense de sa charité, Dieu permettait aux âmes
de la visiter fréquemment, tant pour solliciter ses suffrages que
pour l'en remercier. Des témoins ont assuré que, plusieurs
fois, elles l'attendirent visiblement à sa porte,
212
quand elle se rendait à l'office de matines, pour se recommander
à elle ; d'autres fois, elles pénétrèrent dans
sa chambre, afin de lui présenter leur requête ; elles se
rangeaient autour de son lit jusqu'à ce qu'elle s'éveillât.
Ces apparitions, auxquelles elle était habituée, ne lui causaient
aucune frayeur ; et afin qu'elle ne
212
se crût point le jouet de quelque rêve ou d'une illusion
du démon, elles lui disaient en entrant : "Salut, servante de Dieu,
épouse du Seigneur ! que Jésus "soit avec vous toujours !"
Puis, elles témoignaient leur vénération pour une
grande croix et pour les reliques des Saints, que leur bienfaitrice conservait
dans sa cellule. Si elles la trouvaient récitant le rosaire, ajoutent
les mêmes témoins, elles le lui prenaient des mains et le
baisaient avec amour, comme l'instrument de leur délivrance.
Chapitre 23
Soulagement des âmes. Le jeûne, les pénitences et les mortifications, même légères. Un verre d'eau. La B. Marguerite.
Après la prière vient le jeûne, c'est-à-dire
non seulement le jeûne proprement dit, qui consiste dans l'abstinence
de la nourriture ; mais encore toutes les uvres de pénitence de
quelque nature qu'elles soient. Il faut bien remarquer qu'il ne s'agit
pas seulement ici des grandes austérités pratiquées
par les Saints ; mais de toutes les tribulations, de toutes les contrariétés
de la vie, ainsi que des moindres mortifications, des plus petits sacrifices,
qu'on s'impose ou qu'on accepte en vue de Dieu, et qu'on offre à
sa divine miséricorde pour le soulagement des âmes.
Un verre d'eau qu'on se refuse quand on a soif, c'est bien peu
de chose ; et si l'on considère cet acte en
213
lui-même on ne voit guère quelle efficacité il
possède pour adoucir les terribles peines du purgatoire. Mais telle
est la divine bonté, qu'elle daigne l'accepter comme un sacrifice
de grande valeur. Qu'on me permette, dit à ce sujet l'abbé
Louvet, de citer un exemple presque personnel. Une de mes parentes était
religieuse dans une communauté, qu'elle édifiait, non par
l'héroïsme des vertus qui éclatent dans les saints,
mais par une vertu toute commune et une conduite régulière.
Or il arriva qu'elle perdit une amie qu'elle avait dans le monde ; et dès
qu'elle apprit la nouvelle de sa mort, elle se fit un devoir de la recommander
à Dieu. Le soir étant venu, comme elle se sentit pressée
de soif, son premier mouvement fut de vouloir se rafraîchir, sa règle
d'ailleurs ne s'y opposait nullement ; mais se rappelant son amie défunte,
elle eut le bonne pensée de se refuser ce petit soulagement en faveur
de son âme, et au lieu de boire le verre d'eau qu'elle tenait à
la main, elle la répandit en priant Dieu de faire miséricorde
à la défunte. Ceci rappelle comment le roi David, se trouvant
avec son armée en un endroit sans eau, pressé par la soif,
refusa de boire l'eau fraîche qu'on lui apportait de la citerne de
Bethlehem : au lieu de la porter à ses lèvres, il la répandit
en libation au Seigneur ; et l'Ecriture cite ce trait du saint Roi comme
une action agréable à Dieu. Or la légère
mortification que s'imposa notre
213
religieuse en se privant de ce verre d'eau, plut tellement au Seigneur,
qu'il permit à la défunte de le manifester par une apparition.
Elle se montra la nuit suivante à la sur, en la remerciant vivement
de ce qu'elle avait fait pour elle. Ces quelques gouttes d'eau, dont la
mortification avait fait le sacrifice, s'étaient changées
en un bain rafraîchissant, pour tempérer les ardeurs du purgatoire.
Et, qu'on veuille bien le remarquer, ce que nous disons ici ne
doit nullement se restreindre aux actes de mortification surérogatoires
; il faut l'étendre à la mortifi-
214
cation obligée, c'est-à-dire à toutes les peines
qu'on doit se donner pour remplir ses devoirs ; et généralement,
à toutes les bonnes uvres auxquelles nous sommes tenus par devoir
de chrétiens, ou par devoir d'état particulier.
Ainsi tout chrétien est tenu, en vertu de la loi de Dieu
de s'abstenir de paroles lascives, de paroles de médisance, de paroles
de murmure ; ainsi tout religieux doit garder le silence, la charité,
l'obéissance prescrite par sa règle ; or ces observances,
quoique obligatoires, pratiquées chrétiennement, en vue de
Dieu, en union avec les uvres et les souffrances de Jésus-Christ,
peuvent devenir des suffrages et servir à assister les âmes.
Dans cette célèbre apparition, où la B. Marguerite
Marie vit une religieuse défunte, souffrant cruellement pour avoir
vécu dans la tiédeur ; la pauvre âme, après
avoir fait connaître en détail les tourments qu'elle endurait,
ajouta ces paroles : "Hélas ! un jour d'exactitude au "silence,
gardé par toute la communauté, guérirait ma bouche
altérée ; un autre, "passé dans la pratique de la
sainte charité, guérirait ma langue ; un troisième,
"passé sans aucun murmure ni désapprobation à l'égard
de la Supérieure, "guérirait mon cur déchiré
"
On le voit, cette âme ne demande pas des uvres surérogatoires
; mais seulement qu'on lui applique celles auxquelles les religieuses étaient
obligées.
Chapitre 24
Soulagement des âmes. La sainte Communion. Sainte Mad. de Pazzi délivrant son frère. Communion générale dans l'église de Sainte-Marie- au-delà-du-Tibre.
Si les bonnes uvres ordinaires procurent tant de secours aux
âmes, que ne fera point l'uvre la plus sainte
215
que le chrétien puisse accomplir, je veux dire la Communion
Eucharistique ? Lorsque sainte Madeleine de Pazzi vît l'âme
de son frère dans les souffrances du purgatoire, touchée
de compassion, elle fondit en pleurs et s'écria d'une voix lamentable
: "O âme affligée, que vos peines sont terribles ! Que n'est-il
donné
215
"de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter
leurs croix ici-"bas ! Pendant que vous étiez dans le monde, ô
mon frère, vous ne vouliez pas "m'écouter, et maintenant
vous désirez ardemment que je vous écoute. Pauvre "victime,
qu'exigez-vous de moi ?" Ici elle s'arrêta, et on l'entendit compter
jusqu'au nombre cent et sept ; puis elle dit tout haut que c'étaient
autant de communions qu'il lui demandait d'une voix suppliante. "Oui, lui
répondit-elle, je "puis facilement faire ce que vous me demandez
; mais hélas ! combien il faudra "de temps pour acquitter cette
dette ! Oh ! que j'irais volontiers où vous êtes, si "Dieu
voulait me le permettre, pour vous délivrer, ou empêcher que
d'autres y "descendent !"
La Sainte, sans omettre les prières et autres suffrages,
fit avec la plus grande ferveur les Communions que son frère réclamait
pour sa délivrance.
C'est, dit le P. Rossignoli, un pieux usage (Merveille 45), établi
dans les églises de la Compagnie de Jésus, de faire chaque
mois une Communion générale pour le soulagement des âmes
du purgatoire ; et Dieu a daigné montrer par un prodige combien
cette pratique lui est agréable.
L'an 1615, comme les Pères de la Compagnie célébraient
solennellement cette Communion mensuelle à Rome, dans l'église
de Sainte-Marie-au-delà-du-Tibre, une foule immense de peuple y
accourut. Parmi les chrétiens fervents se trouvait aussi un grand
pécheur qui, tout en prenant part aux pieuses cérémonies
de la religion, menait depuis longtemps une vie très-mauvaise. Cet
216
homme, avant d'entrer dans l'église, en vit sortir et venir
à lui un pauvre de bonne apparence, qui lui demanda l'aumône
pour l'amour de Dieu ; il la lui refusa d'abord. Mais le pauvre, selon
l'usage des mendiants, insista jusqu'à trois fois, employant les
formules de supplication les plus touchantes. A la fin, cédant à
un bon sentiment, notre pécheur le rappela, tira sa bourse et lui
donna une pièce de monnaie.
Alors le pauvre, changeant ses prières en un tout autre
langage : "Gardez "votre argent, lui dit-il, je n'ai pas besoin de vos
largesses ; mais vous, vous avez "grandement besoin de changer de vie.
Sachez que je suis venu du mont "Gargano à la cérémonie
qui s'accomplit en cette église, pour vous donner un "avertissement
salutaire. Voici vingt années que vous menez une vie déplorable,
"provoquant la colère de Dieu, au lieu de l'apaiser par une sincère
confession. "Hâtez-vous de faire pénitence, si vous voulez
échapper aux coups de la divine "justice prête à éclater
sur votre tête."
Le pécheur fut tout saisi à ce discours : une frayeur
secrète s'empara de lui quand il s'entendait révéler
les iniquités de sa conscience, que Dieu seul pouvait connaître.
Son émotion fut bien lus grande encore, quand il vit ce pauvre disparaître
à ses yeux, comme une fumée qui se dissipe en l'air.
Ouvrant son cur à la grâce, il entra dans l'église,
se jeta à genoux, en versant un torrent de larmes ; puis, sincèrement
repentant, il alla faire à un confesseur l'aveu de ses
216
crimes et demander le pardon. Après la confession, il rendit
compte au prêtre du prodige qui lui était arrivé, le
priant de le faire connaître pour l'accroissement de la dévotion
envers les défunts ; car il ne douta point que ce ne fût une
âme délivrée tout à l'heure, qui lui eût
obtenu cette grâce de conversion.
On pourrait demander quel était le mystérieux mendiant,
apparaissant à ce pécheur pour le convertir ? Quelques-uns
ont cru qu'il n'était autre que l'archange
217
S. Michel, parce qu'il se disait venir du mont Gargano ; on sait en
effet que cette montagne est célèbre dans toute l'Italie
par une apparition de l'archange S. Michel, auquel on y a élevé
un magnifique sanctuaire. Quoi qu'il en soit, la conversion de ce pécheur
par un tel miracle, et dans le moment même où l'on priait
et communiait solennellement pour les défunts, montre bien l'excellence
de cette dévotion et le prix qu'elle a aux yeux de Dieu.
Concluons donc par la parole de S. Bonaventure : "Que la charité
vous "porte à communier, car il n'y a rien de plus efficace pour
le repos éternel des "défunts" (De proepar. Maissae).
Chapitre 25
Soulagement des âmes. Le Chemin de la Croix.
La vén. Marie d'Antigna.
Après la sainte Communion, parlons du Chemin de la Croix.
Ce saint exercice peut être envisagé en lui-même et
dans les indulgences dont il est enrichi. En lui-même, c'est une
manière solennelle et très-excellente de méditer la
passion du Sauveur, et par conséquent l'exercice le plus salutaire
de notre sainte Religion.
Dans son acception littérale, le Chemin de la Croix est
l'espace que l'Homme-Dieu parcourut, sous le fardeau de sa croix, depuis
le palais de Pilate où il fut condamné à mort, jusqu'au
sommet du Calvaire où il fut condamné à mort, jusqu'au
sommet du Calvaire où il fut crucifié. Après l'Ascension
de son Fils, la sainte Vierge Marie, ou seule, ou en compagnie de saintes
femmes, suivait fréquemment cette voie douloureuse. A son exemple,
les fidèles de la Palestine d'abord, et dans les âges suivants
de nombreux
218
pèlerins des contrées même les plus reculées,
allèrent visiter ces lieux sacrés, arrosés des sueurs
et du sang de Jésus-Christ ; et l'Eglise pour favoriser leur piété,
leur ouvrit le trésor de ses grâces spirituelles.
Mais tout le monde ne pouvant point se transporter dans la Judée,
le Saint-Siège a permis qu'on érigeât en d'autres lieux,
dans les églises et chapelles, des
218
croix et tableaux ou bas-reliefs, représentant les scènes
touchantes qui s'étaient accomplies sur le vrai chemin du Calvaire,
à Jérusalem.
En permettant d'ériger ces saintes Stations, les Pontifes
Romains, qui comprirent toute l'excellence et toute l'efficacité
de cette dévotion, daignèrent aussi l'enrichir de toutes
les Indulgences qu'ils avaient accordées à la visite réelle
des saints Lieux. Et ainsi, suivant les Brefs et les Constitutions des
Souverains Pontifes Innocent XI, Innocent XII, Benoît XIII, Clément
XII, Benoît XIV, ceux qui font le Chemin de la Croix avec les dispositions
convenables, gagnent toutes les Indulgences accordées aux fidèles
qui visitent en personne les saints Lieux de Jérusalem, et ces Indulgences
sont applicables aux défunts.
Or il est très-certain que de nombreuses Indulgences,
soit plénières, soit partielles, furent accordées
à ceux qui visitent les saints Lieux de Jérusalem, comme
on peut le voir dans le Bullarium Terrae Sanctae ; en sorte que, au point
de vue des Indulgences, on peut dire, que de toutes les pratiques de piété,
le Chemin de la Croix en est doté le plus richement.
Ainsi cette dévotion, tant à cause de l'excellence
de son objet qu'à raison des Indulgences, constitue un suffrage
du plus grand prix pour les défunts.
Voici ce qu'on lit à ce sujet dans la vie de la Vénérable
Marie d'Antigna (Louvet, Le purgatoire, p. 332). Elle avait eu longtemps
la sainte pratique de faire chaque jour le Chemin de la croix pour le
219
soulagement des défunts ; mais plus tard, par des motifs plus
apparents que solides, elle le fit plus rarement, puis l'abandonna tout-à-fait.
Notre-Seigneur, qui avait de grands desseins sur cette pieuse vierge, et
qui voulait en faire une victime d'amour pour la consolation des pauvres
âmes du purgatoire, daigna lui donner une leçon qui devait
servir d'instruction à nous tous. Une religieuse du même monastère,
décédée depuis peu, lui apparut, et se plaignant tristement
: "Ma sur, lui dit-elle, pourquoi ne faites-vous plus les stations du
Chemin de la "croix pour les âmes souffrantes ? Vous aviez coutume
auparavant de nous "soulager chaque jour par ce saint exercice ; pourquoi
nous privez-vous de ce "secours ?"
Cette âme parlait encore, lorsque le Sauveur lui-même
se montra à sa servante et lui reprocha sa négligence. "Sache,
ma fille, ajouta-t-il, que les "stations du Chemin de la Croix sont très-profitables
aux âmes du purgatoire et "constituent un suffrage d'une importance
majeure. C'est pourquoi j'ai permis à "cette âme, en son nom
et au nom de toutes les autres, de le réclamer de toi. "Sache encore
que c'est parce que tu pratiquais exactement autrefois cette "salutaire
dévotion, que tu as été favorisée de communications
habituelles avec "les défunts ; c'est pour cela aussi que ces âmes
reconnaissantes ne cessent de "prier pour toi, et de plaider ta cause au
tribunal de ma justice. Fais connaître ce "trésor à
tes surs, et dis-leur d'y puiser largement pour elles et pour les défunts."
p.219 fin
p.220
Chapitre 26
Soulagement des âmes. Indulgences. La B. Marie de Quito
et les monceaux d'or.
Passons aux indulgences applicables aux défunts. C'est
ici que la divine miséricorde se révèle avec une sorte
de prodigalité. On sait que l'Indulgence est la rémission
des peines temporelles dues au péché, accordée par
le pouvoir des clefs en dehors du sacrement.
En vertu du pouvoir des clefs qu'elle a reçu de Jésus-Christ,
la sainte Eglise peut délivrer les fidèles soumis à
sa juridiction, de tout obstacle à leur entrée dans la gloire.
Elle exerce ce pouvoir dans le sacrement de Pénitence, où
elle les absout de leurs péchés ; elle l'exerce aussi hors
du sacrement, pour leur ôter la dette des peines temporelles qui
leur reste après l'absolution : dans ce second cas c'est l'indulgence.
La rémission des peines par l'indulgence ne s'accorde
qu'aux fidèles vivants ; mais l'Eglise peut, en vertu de la communion
des saints, autoriser ses enfants encore en vie, à céder
la remise qui leur est faite à leurs frères défunts
: c'est l'indulgence applicable aux âmes du purgatoire. Appliquer
une indulgence aux défunts, c'est l'offrir à Dieu au nom
de sa sainte Eglise, pour qu'il daigne l'attribuer aux âmes souffrantes.
Les satisfactions offertes ainsi à la divine justice au nom de Jésus-Christ
et de son Eglise, sont toujours agréées, et Dieu les applique
soit à telle âme en particulier qu'on a l'intention d'aider,
soit à certaines âmes qu'il veut lui-même favoriser,
soit à toutes en général.
Les indulgences sont plénières ou partielles. L'indulgence
plénière est la rémission, accordée à
celui qui gagne cette indulgence, de toute la peine temporelle dont il
est
221
Passible devant Dieu. Supposé que pour acquitter cette dette
il faille pratiquer cent ans de pénitence canonique sur la terre,
ou souffrir plus longtemps encore les peines du purgatoire ; par le fait
que l'indulgence plénière est parfaitement gagnée,
toutes ces peines sont remises ; et l'âme ne présente plus
aux yeux de Dieu aucune ombre qui l'empêche de voir sa face divine.
L'indulgence partielle consiste dans la rémission d'un
certain nombre de jours ou d'années. Ces jours et ces années
ne représentent nullement des jours ou des années de souffrances
au purgatoire ; il faut les entendre des jours et des années de
pénitence publique, canonique, consistant surtout en jeûnes,
et telle qu'on l'imposait autrefois aux pécheurs, selon l'ancienne
discipline de l'Eglise. Ainsi une indulgence de quarante jours ou de sept
années, c'est la rémission qu'on mériterait devant
Dieu par quarante jours ou sept années de pénitence
221
canonique. Quelle est la proportion qui existe entre ces jours de pénitence,
et la durée des peines au purgatoire ? C'est un secret qu'il n'a
pas plu à Dieu de nous révéler.
Les indulgences dans l'Eglise sont un vrai trésor spirituel,
exposé publiquement devant les fidèles : il est permis à
tous d'y puiser pour acquitter leurs dettes et payer celles des autres.
C'est sous cette figure que Dieu daigna les montrer un jour à la
B. Marie de Quito (26 mai). Elle fut ravie en extase et vit, au milieu
d'une grande place, une immense table chargée de monceaux d'argent,
d'or, de rubis, de perles, de diamants ; en même temps elle entendit
une voix qui disait : "Ces richesses sont publiques : chacun peut s'approcher
et en recueillir "autant qu'il lui convient." Dieu lui fit connaître
que c'était là une image des indulgences (Rossignoli, Merv.
29). Combien donc, dirons-nous avec le pieux auteur des Merveilles, combien
ne sommes-nous pas coupables, dans une abondance pareille, de
222
rester pauvres et dénués pour nous-mêmes, et de
ne point songer à aider les autres ? Hélas ! les âmes
du purgatoire sont dans une nécessité extrême, elles
nous supplient avec larmes au milieu de leurs tourments : nous avons dans
les indulgences le moyen d'acquitter leurs dettes, et nous n'en faisons
rien !
L'accès de ce trésor exige-t-il des efforts pénibles,
des jeûnes, des voyages, des privations insupportables à la
nature ? Quand même cela serait, disait avec raison l'éloquent
Père Segneri, il faudrait nous y résoudre. Eh ! ne voit-on
pas les hommes par amour pour l'or, par zèle pour les arts, afin
de conserver une partie de leur fortune ou de sauver une toile précieuse,
s'exposer aux flammes d'un incendie ? Ne faudrait-t-il pas au moins en
faire autant pour sauver des flammes expiatrices les âmes rachetées
par le sang de Jésus-Christ ? Mais la divine bonté ne demande
rien de trop pénible : elle n'exige que des uvres communes et faciles
: un chapelet, une prière, une communion, la visite d'un sanctuaire,
une aumône, les éléments du catéchisme enseignés
à des enfants abandonnés. Et nous négligeons l'acquisition
si aisée du plus précieux trésor, et nous n'avons
point d'ardeur pour l'appliquer à nos pauvres frères qui
gémissent dans les flammes !
Chapitre 27
Soulagement des âmes. Indulgences. La Mère Françoise
de
Pampelune et l'évêque Ribéra. Sainte Mad. de
Pazzi.
Sainte Thérèse.
La vénérable Mère Françoise du Saint-Sacrement,
religieuse de Pampelune, dont nous avons déjà fait connaître
la charité envers les âmes, avait aussi le lus grand zèle
à les secourir au moyen des indulgences. Un jour Dieu
223
lui fit voir les âmes de trois Prélats, qui avaient occupé
précédemment le siège épiscopal de Pampelune,
et qui gémissaient encore dans les souffrances du purgatoire. La
servante de Dieu comprit qu'elle devait mettre tout en uvre pour obtenir
leur délivrance. Comme le Saint-Siège avait alors accordé
à l'Espagne des Bulles, dites de la Croisade, qui permettaient de
gagner une indulgence plénière à certaines conditions,
elle crut que le meilleur moyen de venir en aide à ces âmes,
serait de leur procurer à chacune l'avantage d'une indulgence plénière.
Elle parla donc à son Evêque, Cristophe de Ribéra,
lui découvrit le triste état des trois prélats, et
lui demanda la faveur de trois indulgences de la croisade. Cristophe de
Ribéra, apprenant que trois de ses prédécesseurs étaient
encore au purgatoire, s'empressa de procurer à la servante de Dieu
les Bulles indulgenciées. Elle remplit aussitôt toutes les
conditions requises et appliqua une indulgence plénière à
chacun des trois Evêques. La nuit suivante tous les trois apparurent
à la Mère Françoise délivrés de toutes
leurs peines : ils la remercièrent de sa charité, et la prièrent
de remercier aussi l'Evêque Ribéra pour les indulgences qui
leur avaient enfin ouvert les portes du ciel (Vie de Françoise du
S. Sacrem. Merv. 26).
Voici ce que rapporte le Père Cépari dans la Vie
de sainte Madeleine de Pazzi. Une religieuse professe, qui avait reçu
de Madeleine les soins les plus attentifs pendant sa maladie, étant
morte, et son corps exposé dans l'église selon l'usage, Madeleine
se sentit inspirée d'aller encore une fois la contempler. Elle fut
donc se placer à la grille du chapitre d'où elle pouvait
l'apercevoir ; mais à peine arrivée, elle fut ravie en extase
et vit l'âme de cette mère qui prenait son vol vers le ciel.
Transportée de joie à ce spectacle, on l'entendit qui disait
: "Adieu, ma sur, adieu, âme bienheureuse ! Comme une très
224
pure colombe, vous volez au céleste séjour, et vous nous
laissez dans ce lieu de "misères. Oh ! que vous êtes belle
et glorieuse ! Qui pourra expliquer la gloire "dont Dieu a couronné
vos vertus ? Que vous avez passé peu de temps dans les "flammes
purgatives ! Votre corps n'a pas encore été rendu à
la terre, et voilà "que votre âme est déjà reçue
dans le sacré palais !... Vous connaissez "maintenant la vérité
de ces paroles que je vous disais naguère : Que toutes les "peines
de la vie présente sont peu de chose en comparaison des biens immenses
"que Dieu garde à ses amis." Dans cette même vision, le
Seigneur lui fit connaître que cette âme n'avait passé
que quinze heures en purgatoire, parce qu'elle avait beaucoup souffert
pendant la vie, et qu'elle avait été soigneuse de gagner
les indulgences, que l'Eglise accorde à ses enfants en vertu des
mérites de Jésus-Christ.
Sainte Thérèse, dans un de ses ouvrages, parle
d'une religieuse qui faisait le plus grand cas des moindres indulgences
accordées par l'Eglise, et s'appliquait à gagner toutes celles
qu'elle pouvait. Sa conduite n'avait d'ailleurs rien que de
224
fort ordinaire et sa vertu était très commune. Elle vint
à mourir, et la Sainte la vit, à sa grande surprise, monter
au ciel presque aussitôt après sa mort, en sorte qu'elle n'eut
pas pour ainsi dire de purgatoire à faire. Comme Thérèse
en exprimait son étonnement à Notre-Seigneur, le Sauveur
lui fit connaître que c'était le fruit du soin qu'elle avait
eu de gagner le plus d'indulgences possible pendant sa vie : "C'est par
là, ajouta-t-il, qu'elle a acquitté presque entièrement
"ses dettes, quoique nombreuses, avant de mourir, et qu'elle a apporté
une si "grande pureté au tribunal de Dieu."
225
Chapitre 28
Soulagement des âmes. Indulgences. Prières indulgenciées.
Il y a certaines indulgences faciles à gagner et applicables
aux défunts. Nous croyons faire plaisir au lecteur en indiquant
ici les principales (Voir Maurel, Le chrétien éclairé
sur les indulgences).
1. La prière : O bon et très doux Jésus
Indulgence plénière pour quiconque, s'étant confessé
et ayant communié, récite cette prière devant une
image de Jésus crucifié, et y ajoute quelque autre prière
à l'intention du Souverain-Pontife.
2. Chapelet bénit. De grandes indulgences sont attachées
à la récitation du saint Rosaire, si l'on se sert d'un chapelet
indulgencié, soit par Notre Saint-Père le Pape, soit par
un prêtre qui en a reçu le pouvoir.
3. Chemin de la Croix. Comme nous l'avons dit plus haut (Chap.
XXV), plusieurs indulgences plénières et un grand nombre
de partielles sont attachées aux Stations du Chemin de la Croix.
Ces indulgences ne requièrent pas la confession et la communion
; il suffit d'être en état de grâce et d'avoir un sincère
repentir de tous ses péchés. Quant à l'exercice
même du Chemin de la Croix, il ne requiert que deux conditions :
1° de parcourir les quatorze stations, en passant de l'une à
l'autre, autant que les circonstances le permettent ; 2° de méditer
en même temps sur la passion de Jésus-Christ. Les personnes
qui ne savent point faire une méditation un peu suivie, peuvent
se contenter de penser affectueusement à quelque circonstance de
la passion, selon leur capacité. On les exhorte néanmoins,
sans leur en imposer l'obligation, à réciter
226
un Pater et un Ave Maria devant chaque croix, et à faire un
acte de contrition de leurs péchés (Décret du 16 février
1839).
4. Les actes de foi, d'espérance et de charité.
Indulg. de sept années et sept quarantaines, chaque fois qu'on les
récite.
5. Les litanies de la S. Vierge, 300 jours chaque fois.
226
6. Le signe de la croix. 50 jours chaque fois ; et avec de l'eau
bénite 100 jours.
7. Prières diverses. Mon Jésus, miséricorde
! 100 jours chaque fois. Jésus, doux et humble de cur, rendez
mon cur semblable au vôtre. 300 jours, une fois le jour. Doux
cur de Marie, soyez mon salut. 300 jours, chaque fois.
V Loué soit Jésus-Christ. R Dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il. 50 jours, chaque fois que deux personnes
se saluent par ces paroles.
8. L'Angelus Domini. Indulgence de 100 jours chaque fois qu'on
le récite, ou le matin, ou à midi, ou le soir, avec un cur
contrit, à genoux, et au son de la cloche.
Chapitre 29
Soulagement des âmes. L'aumône. Raban-Maur
et Edélard au monastère de Fulde.
Il nous reste à parler d'un dernier moyen très-puissant
pour soulager les âmes : c'est l'aumône. Le Docteur Angélique,
S. Thomas, préfère au jeûne et à la prière
le mérite de l'aumône, quant il s'agit d'expier les fautes
passées. "L'aumône, dit-il (In 4. dist. 15, q. 3), possède
plus complètement la vertu de la "satisfaction que la prière,
et la prière plus complètement que le jeûne." C'est
pourquoi
227
de grands serviteurs de Dieu et de grands Saints l'ont principalement
choisie comme moyen de secourir les défunts. Nous pouvons citer
parmi eux, comme l'un des plus remarquables, le saint Abbé Raban-Maur
(4 février) premier abbé de Fulde au IXe siècles,
puis Archevêque de Mayence.
L'abbé Trithème, écrivain distingué
de l'Ordre de S. Benoît, raconte que Raban faisait distribuer beaucoup
d'aumônes pour les trépassés. Il avait établi
comme règle que, toutes les fois qu'un des religieux viendrait à
mourir, sa portion serait pendant trente jours distribuée aux pauvres,
afin que l'âme du défunt fût soulagée par cette
aumône. Or il arriva, l'an 830, que le monastère de Fulde
fut éprouvé par une sorte de contagion, qui emporta un grand
nombre de religieux. Raban-Maur, plein de zèle et de charité
pour leurs âmes, fit venir Edélard, économe du monastère
et lui rappela la règle des aumônes établie pour les
défunts. "Ayez grand soin, lui dit-il, que nos constitutions soient
fidèlement "observées, et qu'on gratifie les pauvres pendant
un mois entier, de la nourriture "destinée aux frères que
nous venons de perdre."
Edélard manquait tout à la fois d'obéissance
et de charité. Sous prétexte que ces largesses étaient
excessives et qu'il devait ménager les ressources du monastère,
mais en réalité parce qu'il était dominé par
une secrète avarice, il
227
négligea de faire les distributions prescrites, ou ne les fit
que d'une façon fort incomplète. Or la justice divine ne
laissa pas impunie cette infidélité.
Le mois n'était pas écoulé, lorsqu'un soir,
après que la communauté s'était retirée, il
traversait la salle du chapitre, tenant une lanterne à la main.
Quel ne fut pas son étonnement, lorsqu'à une heure où
cette salle devait être vide, il y trouva un grand nombre de religieux.
Son étonnement changea en effroi quand regardant plus attentivement
il reconnut ses frères récemment décédés.
La
228
terreur le saisit, un froid glacial parcourut toutes ses veines et
le fixa immobile à sa place comme une statue sans vie. Alors un
des morts prenant la parole lui adressa de terribles reproches : "Malheureux
! lui dit-il, pourquoi n'as-tu pas "distribué les aumônes
qui devaient soulager les âmes de tes frères défunts
? "Pourquoi nous as-tu privé de ce secours dans les tourments du
purgatoire ? "Reçois dès à présent le châtiment
de ton avarice : un autre plus terrible t'est "réservé, lorsque
dans trois jours tu paraîtras à ton tour devant Dieu."
A ces mots Edélard tomba comme frappé de la foudre,
et resta sans mouvement jusqu'après minuit, à l'heure où
la communauté se rendit au chur. Alors il fut trouvé à
demi-mort, dans le même état où fut trouvé l'impie
Héliodore, après qu'il eut été flagellé
par les anges dans le temple de Jérusalem (II Machab. III).
On le porta à l'infirmerie et on lui prodigua des soins
qui le firent un peu revenir à lui. Dès qu'il put parler,
en présence de l'Abbé et de tous ses frères il raconta
avec larmes le terrible événement, dont son triste état
rendait un trop sensible témoignage. Puis, ayant ajouté qu'il
devait mourir dans trois jours, il demanda les derniers sacrements, avec
toutes les marques du plus humble repentir. Il les reçut très-saintement,
et trois jours après, il expira au milieu des prières de
ses frères.
On chanta aussitôt la messe des morts, et on distribua
pour le défunt la part des pauvres. Cependant la punition n'était
pas finie. Edélard apparut à son abbé Raban, pâle,
défiguré. Raban touché de compassion, lui demanda
ce qu'il y avait à faire pour lui. "Ah ! répondit l'âme
infortunée, malgré les prières de notre "sainte communauté,
je ne puis obtenir ma grâce avant la délivrance de tous "ceux
de mes frères que mon avarice a frustrés des suffrages qui
leur étaient dus. "Ce qu'on a donné aux pauvres pour moi
n'a profité qu'à eux, selon l'ordre de la "divine justice.
Je vous supplie donc, ô Père vénéré
229
"et miséricordieux, de faire redoubler les aumônes. J'espère
que par ce puissant "moyen la divine clémence daignera nous délivrer
tous, eux d'abord, et après "eux moi, qui suis le moins digne de
miséricorde."
Raban-Maur prodigua donc les aumônes, et un autre mois
était à peine écoulé, qu'Edélard lui
apparut de nouveau, mais vêtu de blanc, entouré de rayons
lumineux, la joie peinte sur le visage. Il rendit à son pieux abbé
et à tout le
229
monastère les plus touchantes actions de grâces pour la
charité dont on avait usé envers lui (Vie de Raban Maur ;
Rossignoli, merv. 2).
Que d'enseignements se dégagent de cette histoire ! D'abord
la vertu des aumônes pour les défunts y paraît avec
éclat. On y voit ensuite comment Dieu châtie, même en
cette vie, ceux qui par avarice ne craignent pas de priver les morts de
leurs suffrages. Je ne parle pas ici des héritiers coupables, qui
négligent d'acquitter les fondations pieuses dont ils sont chargés
par le défunt, négligence qui constitue une injustice sacrilège
; mais des enfants ou des parents qui, par de misérables motifs
d'intérêt, font célébrer le moins possible de
messes, distribuent le moins possible d'aumônes, sans pitié
pour l'âme de leur défunt, qu'ils laissent gémir dans
les effroyables supplices du purgatoire. C'est là une noire ingratitude,
une dureté de cur absolument contraire à la charité
chrétienne, et qui aura son châtiment, peut-être déjà
dès ce monde.
230
Chapitre 30
Soulagement des âmes. Aumône, miséricorde chrétienne.
S. François de Sales et la veuve de Padoue.
L'aumône chrétienne, cette miséricorde, que
Jésus-Christ recommande tant dans l'Evangile, ne comprend pas seulement
les secours corporels donnés aux indigents ; mais encore tout le
bien qu'on fait au prochain en travaillant à son salut, en supportant
ses défauts, en pardonnant ses offenses. Toutes ces uvres de charité
peuvent être offertes à Dieu pour les défunts et renferment
une grande vertu satisfactoire.
Saint François de Sales rapporte qu'à Padoue, où
il fit une partie de ses études, régnait une détestable
coutume ; les jeunes gens s'amusaient à parcourir pendant la nuit
les rues de la ville, armés d'arquebuses, et criant à ceux
qu'ils rencontraient : Qui va là ? Il fallait leur répondre
; car ils tiraient sur ceux qui ne répondaient pas ; et bien des
personnes furent ainsi blessées ou tuées.
Or il arriva un soir, qu'un écolier, n'ayant pas répondu
à l'interpellation, fut atteint d'une balle à la tête
et tomba mort. L'auteur de ce coup, saisi d'épouvante, prit la fuite
et alla se réfugier dans la maison d'une bonne veuve qu'il connaissait
et dont le fils était son compagnon d'étude. Il lui confessa
avec larmes qu'il venait de tuer un inconnu, et la supplia de lui accorder
un asile dans sa maison. Touchée de compassion, et ne soupçonnant
pas qu'elle avait devant elle le meurtrier de son fils, la Dame enferma
le fugitif dans un cabinet, où les officiers de la justice ne pourraient
pas le découvrir.
230
Une demi-heure ne s'était pas écoulée, lorsqu'un
bruit tumultueux se fit entendre à la porte : on apportait un cadavre
et on le plaça sous les yeux de la veuve. Hélas ! c'était
son fils qui venait d'être tué et dont le meurtrier
231
était caché dans sa maison. La pauvre mère éplorée
poussait des cris lamentables, et étant entrée dans la cachette
de l'assassin : "Malheureux, dit-elle, que vous avait fait mon fils, pour
l'avoir tué si cruellement ?..." Le coupable, apprenant qu'il
avait tué son ami, se mit à crier, à s'arracher les
cheveux, à se tordre les bras de désespoir. Puis, se jetant
à genoux, il demanda pardon à sa protectrice, et la supplia
de le livrer entre les mains du magistrat pour qu'il expiât un crime
si horrible.
Cette mère désolée n'oublia pas en ce moment
qu'elle était chrétienne : l'exemple de Jésus-Christ,
pardonnant à ses bourreaux, lui inspira un acte héroïque.
Elle répondit, pourvu qu'il demandât son pardon à Dieu
et changeât de vie, qu'elle le laisserait aller et s'opposerait à
toute poursuite contre lui.
Ce pardon fut si agréable à Dieu qu'il voulut en
donner à la généreuse mère un témoignage
éclatant : il permit que l'âme de son fils lui apparût
toute glorieuse, disant qu'elle allait jouir de l'éternelle béatitude
: "Dieu m'a fait "miséricorde, ma mère, ajouta cette âme
bienheureuse, parce que vous avez usé "de miséricorde envers
mon assassin. En considération du pardon que vous avez "accordé,
j'ai été délivrée du purgatoire, où,
sans le secours que vous m'avez "ainsi procuré, j'eusse été
détenue fort longtemps."
Chapitre 31
Soulagement des âmes. L'acte héroïque de charité envers les défunts. Le Père Munford. Denis le Chartreux et sainte Gertrude.
Nous avons parlé jusqu'ici des divers genres de bonnes
uvres que nous pouvons offrir à Dieu, comme suffrages
232
pour les défunts. Il nous reste à faire connaître
un acte, qui renferme toutes les uvres et tous les moyens propres à
soulager les âmes : c'est le vu héroïque, ou comme d'autres
l'appellent, l'acte héroïque de charité envers les âmes
du purgatoire.
Cet acte consiste à céder aux âmes toutes
nos satisfactions, c'est-à-dire la valeur satisfactoire de toutes
les uvres de notre vie et de tous les suffrages qui nous seront accordés
après notre mort, sans en réserver rien pour nous-mêmes
et pour acquitter nos propres dettes. Nous les déposons dans les
mains de la très-sainte Vierge, afin qu'elle les distribue, selon
son gré, aux âmes qu'elle veut délivrer des peines
du purgatoire.
232
C'est une donation totale, en faveur des âmes, de tout
ce qu'on peut leur donner : on offre à Dieu pour elles tout le bien
qu'on fera en tout genre, pensées, uvres, paroles ; tout le mal
qu'on souffrira d'une manière méritoire pendant toute sa
vie, sans rien excepter de ce qu'on peut raisonnablement leur donner, et
en ajoutant encore les suffrages qu'on recevra soi-même après
la mort.
Il faut bien remarquer que la matière de cette sainte
donation est la valeur satisfactoire des uvres (Voir plus haut chap. IX),
et nullement le mérite, auquel correspond le degré de gloire
dans le ciel ; car le mérite est strictement personnel et inaliénable.
Formule de l'Acte héroïque : "O sainte et adorable
Trinité, désirant "coopérer à la délivrance
des âmes du purgatoire et témoigner mon dévouement
"à la très-sainte Vierge Marie, je cède et je résigne,
au profit de ces âmes "souffrantes, la partie satisfactoire de toutes
mes uvres et tous les suffrages "qu'on pourra m'accorder après
ma mort, les abandonnant entre les mains de la "très-sainte Vierge,
afin qu'elle les applique, selon son gré, aux âmes des fidèles
"défunts qu'elle veut délivrer de leurs peines.
233
"Daignez, ô mon Dieu, agréer et bénir l'offrande
que je vous fais en ce moment. "Ainsi soit-il."
Les Souverains Pontifes, Benoît XIII, Pie VI, Pie IX, ont
approuvé cet Acte héroïque et l'ont enrichi d'indulgences
et de privilèges, dont voici les principaux. 1° Les prêtres
qui auront fait cette offrande, pourront jouir de l'autel privilégié
personnel, tous les jours de l'année. 2° Les simples fidèles
pourront gagner l'indulgence plénière, applicable seulement
aux âmes du purgatoire, chaque fois qu'ils communieront, pourvu qu'ils
visitent une église ou un oratoire public, et qu'ils y prient selon
l'intention de Sa Sainteté. 3° Ils peuvent appliquer aux défunts
toutes les indulgences qui ne leur sont point applicables en vertu des
concessions, et qui ont été accordées jusqu'à
ce jour ou qui le seront à l'avenir (Pie IX, Décr. 30 sept.
1852).
Je conseille à tout véritable chrétien,
dit le P. Munford (Charité envers les défunts), de céder,
avec un saint désintéressement, aux âmes des défunts
tout le fruit des bonnes uvres dont il peut disposer. Je ne crois pas
qu'il puisse en faire un meilleur usage, puisqu'il les rend par là
plus méritoires, et plus efficaces, tant pour obtenir de Dieu des
grâces, que pour expier ses propres péchés et abréger
son purgatoire, et même, pour parvenir à en être exempté
tout-à-fait.
Ces paroles résument bien les avantages précieux
de l'Acte héroïque ; et pour dissiper toute crainte d'inconvénient
qui pourrait naître dans l'esprit, nous ajouterons encore trois remarques.
1° Cet acte nous laisse la pleine liberté de prier pour les
âmes auxquelles nous nous intéressons plus particulièrement
: l'application de ces prières demeure subordonnée aux dispositions
de l'adorable volonté de Dieu, qui est toujours infiniment parfaite
et infiniment aimable. 2°
233
Il n'oblige pas sous peine de péché, et il est toujours
révocable. On peut le faire sans prononcer aucune formule ; il suffit
de le vouloir et de le
234
faire de cur. Il est cependant utile de réciter de temps en
temps la formule d'offrande, pour stimuler notre zèle à soulager
les âmes par la pratique de la prière, de la pénitence
et des bonnes uvres. 3° L'acte héroïque ne nous expose
nullement à la fâcheuse conséquence d'avoir à
subir nous-mêmes un plus long purgatoire ; au contraire, il nous
permet de compter avec une confiance plus assurée, sur la miséricorde
de Dieu à notre égard, comme le montre l'exemple de sainte
Gertrude.
Le vénérable Denis le Chartreux (12 mars) rapporte
que la vierge sainte Gertrude avait fait donation complète de toutes
ses uvres satisfactoires en faveur des trépassés, sans rien
se réserver pour l'acquittement de ses propres dettes devant Dieu.
Etant proche de la mort, et d'une part, considérant, comme font
les Saints, avec beaucoup de douleur, le grand nombre de ses péchés
; de l'autre, se ressouvenant que toutes ses uvres satisfactoires avaient
été employées à l'expiation des péchés
d'autrui et non pas des siens ; elle commença à s'affliger
dans la crainte que, ayant tout donné aux autres et ne s'étant
rien réservé, son âme, au sortir du corps, ne fût
condamnée à d'horribles peines. Dans le fort de ces inquiétudes,
Notre-Seigneur lui apparut et la consola en lui disant : "Rassurez-vous,
ma fille, votre charité envers les défunts ne saurait vous
attirer "aucun mécompte. Sachez que la généreuse cession
que vous avez faite aux "âmes de toutes vos uvres, m'a été
singulièrement agréable ; et pour vous en "donner un témoignage,
je vous déclare que toutes les peines que vous auriez à "souffrir
en l'autre vie, vous sont remises dès maintenant ; de plus, pour
vous "récompenser de votre charité si généreuse,
j'élèverai le prix et le mérite de vos "uvres pour
vous donner dans le ciel un grand surcroît de gloire."
235
Chapitre 32
Soulagement des âmes. Lesquelles doivent être l'objet de notre charité ? tous les fidèles défunts. S. André Avellino. Les pécheurs mourant sans sacrements. S. François de Sales.
Nous avons vu les ressources et les nombreux moyens que la divine miséricorde a mis entre nos mains pour soulager les âmes du purgatoire ; mais quelles sont les âmes qui sont en ce lieu d'expiation et auxquelles nous devons porter secours ? Pour quelles âmes devons-nous prier et offrir à Dieu nos suffrages ?
235
A cette question il faut répondre, que nous devons prier
pour les âmes de tous les fidèles défunts, omnium fidelium
defunctorum, selon l'expression de l'Eglise. Bien que la piété
filiale nous impose des devoirs particuliers envers nos parents et nos
proches, la charité chrétienne nous commande de prier pour
tous les fidèles défunts en général, parce
que tous sont nos frères en Jésus-Christ, tous sont notre
prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes.
Par ce mot fidèles défunts l'Eglise entend toutes
les âmes qui sont actuellement en purgatoire : c'est-à-dire,
celles qui ne sont ni en enfer, ni dignes encore d'être admises à
la gloire du paradis. Mais quelles sont ces âmes ? Pouvons-nous les
connaître ? Dieu s'est réservé cette connaissance
; et à moins qu'il ne lui plaise de nous le révéler,
nous ignorons complètement quel est le sort des âmes dans
l'autre vie. Or rarement il fait connaître qu'une âme se trouve
au purgatoire ou dans la gloire du ciel ; plus rarement encore révèle-t-il
une réprobation.
Dans cette incertitude nous devons prier en général,
comme le fait l'Eglise, pour tous les défunts, sans préjudice
des âmes que nous voulons secourir plus particulièrement.
p.236
Nous pourrions évidemment restreindre notre intention
à ceux des défunts qui sont encore dans le besoin, si Dieu
nous accordait comme à S. André Avellino le privilège
de connaître l'état des âmes dans l'autre vie. Lorsque
ce saint religieux de l'Ordre des Théatins suivant sa pieuse coutume,
priait avec une angélique ferveur pour les défunts, il lui
arrivait parfois d'éprouver en lui-même une sorte de résistance,
un sentiment d'invincible répulsion ; d'autres fois, c'était
au contraire une grande consolation, un attrait particulier. Il comprit
bientôt ce que signifiaient ces impressions si différentes
: la première marquait que sa prière était inutile,
que l'âme qu'il voulait aider était indigne de miséricorde
et condamnée au feu éternel ; l'autre indiquait que sa prière
était efficace pour le soulagement de l'âme au purgatoire.
De même, quand il voulait offrir le saint Sacrifice pour quelque
défunt, s'il sentait au sortir de la sacristie comme une main irrésistible
qui le retenait, il comprenait que cette âme était en enfer
; mais quand il était inondé de joie, de lumière,
et de dévotion, il était sûr de contribuer à
la délivrance d'une âme.
Ce charitable Saint priait donc avec la plus vive ardeur pour
les défunts qu'il savait être dans les souffrances, et il
ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier,
lui donnaient l'assurance de leur délivrance (Vie du Saint).
Pour nous qui n'avons point ces lumières surnaturelles
nous devons prier pour tous les défunts, même pour les plus
grands pécheurs et pour les chrétiens les plus vertueux.
Saint Augustin connaissait la grande vertu de sa mère sainte Monique
; néanmoins, non content d'offrir à Dieu ses suffrages pour
elle, il demanda à tous ses lecteurs de ne jamais cesser de la recommander
à Dieu.
Quant aux grands pécheurs qui meurent sans s'être
p.237
extérieurement réconciliés avec Dieu, nous ne
pouvons les exclure de nos suffrages, parce que nous n'avons pas la certitude
de leur impénitence intérieure. La foi nous enseigne que
tout homme mourant en état de péché mortel, encourt
la damnation ; mais quels sont ceux qui de fait meurent en ce triste état
? Dieu seul, qui s'est réservé le jugement suprême
des vivants et des morts, en a la certitude. Quant à nous, nous
ne pouvons que déduire des circonstances extérieures une
conclusion conjecturale, qui peut tromper, et dont nous devons nous abstenir.
Il faut bien avouer pourtant qu'il y a tout à craindre
pour ceux qui meurent sans s'être préparés à
la mort ; et tout espoir semble s'évanouir pour ceux qui refusent
les sacrements. Ces derniers quittent la vie avec les signes extérieurs
de la réprobation. Toutefois il faut laisser le jugement à
Dieu, selon ces paroles : Dei judicium est, c'est à Dieu qu'appartient
le jugement (Deut. I, 17). Il y a plus à espérer pour ceux
qui ne sont pas positivement hostiles à la religion, qui sont bienfaisants
envers les pauvres, qui conservent quelque pratique de piété
chrétienne, ou qui du moins approuvent et favorisent la piété
; il y a plus, dis-je, à espérer pour ceux-là, lorsqu'il
arrive qu'après avoir ainsi vécu, ils meurent subitement,
sans avoir le temps de recevoir les sacrements de l'Eglise.
Saint François de Sales ne voulait pas qu'on désespérât
de la conversion des pécheurs jusqu'au dernier soupir ; et même
après la mort, il défendait de juger mal de ceux qui avaient
mené une mauvaise vie. A l'exception des pécheurs dont la
damnation est manifeste par l'Ecriture, il ne faut, disait-il, damner personne,
mais respecter le secret de Dieu. Sa raison principale était que,
comme la première grâce ne tombe pas sous le mérite,
la dernière, qui est la persévérance finale ou la
bonne mort, ne se donne pas non plus au mérite. C'est pourquoi il
238
voulait qu'on espérât bien de la personne défunte,
quelque fâcheuse mort qu'on lui eût vu faire ; parce que nous
ne pouvons avoir que des conjectures fondées sur l'extérieur,
où les plus habiles peuvent se tromper (Esprit de S. Fr. de Sales,
part. 3).
Chapitre 33
Soulagement des âmes. Pour lesquelles devons-nous prier ? les grands pécheurs. Le P. de Ravignan et le général Exelmans. La veuve en deuil et le vén. Curé d'Ars. La sur Catherine de Saint-Augustin et la pécheresse morte dans une grotte.
Le Père de Ravignan, illustre et saint prédicateur
de la Compagnie de Jésus, aimait aussi à espérer beaucoup
pour les pécheurs surpris par la mort,
238
lorsque d'ailleurs ils n'avaient pas eu au cur la haine des choses
de Dieu. Volontiers il parlait des mystères du moment suprême,
et son sentiment paraît avoir été qu'un grand nombre
de ces pécheurs se convertissent à leurs derniers instants,
et sont réconciliés avec Dieu, sans qu'on puisse le voir
à l'extérieur. Il y a dans certaines morts des mystères
de miséricorde et des coups de grâce, où l'il de l'homme
ne voit que des coups de justice. A la lueur d'un dernier éclair,
Dieu quelquefois se révèle à des âmes dont le
plus grand malheur avait été de l'ignorer ; et le dernier
soupir, compris de Celui qui sonde les curs, peut être un gémissement
qui appelle le pardon, c'est-à-dire un acte de contrition parfaite.
le général Exelmans, parent du bon Père, fut précipité
subitement dans la tombe par un accident de cheval, et malheureusement
il ne pratiquait pas la religion. Il avait promis pourtant de se confesser
un jour mais il
239
n'en eut pas le temps. Le P. de Ravignan, qui depuis longtemps priait
et faisait prier pour lui, demeura dans la consternation quand il apprit
cette mort. Or, le jour même, une personne habituée aux communications
célestes, crut entendre une voix intérieure qui lui disait
: "Qui donc connaît l'étendue de ma miséricorde "?
Sait-on la profondeur de la mer et ce qu'il y a d'eau dans l'océan
? Beaucoup "sera pardonné à certaines âmes qui ont
beaucoup ignoré."
L'historien à qui nous empruntons ce récit, le
Père de Ponlevoy, ajoute plus loin : "Chrétiens, placés
sous la loi de l'espérance, non moins que de la foi et de l'amour,
nous devons nous élever sans cesse du fond de nos peines jusqu'à
la pensée de la bonté infinie du Sauveur. Aucune borne, aucune
impossibilité, n'est placée ici-bas entre la grâce
et l'âme, tant qu'il reste un souffle de vie. Il faut donc toujours
espérer, et adresser au Seigneur d'humbles et persévérantes
instances. On ne saurait dire jusqu'à quel point elles peuvent être
exaucées. De grands saints et de grands docteurs ont été
bien loin en parlant de cette efficacité puissante des prières
pour des âmes chéries, quelle qu'ait été leur
fin. Nous connaîtrons un jour ces ineffables merveilles de la miséricorde
divine. Il ne faut jamais cesser de l'implorer avec une profonde confiance."
Voici un trait qu'on a pu lire dans le Petit Messager du Cur
de Marie, novembre 1880. Un religieux, prêchant une retraite aux
Dames de Nancy, avait rappelé dans une conférence qu'il ne
faut jamais désespérer du salut d'une âme, et que parfois
les actes les moins importants aux yeux des hommes sont récompensés
par le Seigneur à l'heure de la mort. Au moment de quitter l'église,
une Dame en deuil s'approcha de lui et lui dit : Mon Père, vous
venez de nous recommander la confiance et l'espoir : ce qui m'est arrivé
justifie pleinement vos paroles. J'avais un époux, toujours bon,
affectueux, irréprochable, mais qui était resté en
dehors de toute pratique religieuse. Mes
240
prières, mes paroles bien souvent hasardées, étaient
restées sans résultat.
240
Durant le mois de mai qui précéda sa mort, j'avais
élevé, comme j'en avais l'habitude, dans mon appartement,
un petit autel à la sainte Vierge, et je l'ornais de fleurs, renouvelées
de temps en temps. Mon mari passait le dimanche à la campagne, et
chaque fois à son retour, il m'offrait un bouquet qu'il avait lui-même
cueilli, j'employais ces fleurs à l'ornementation de mon oratoire.
S'en apercevait-il ? Agissait-il uniquement pour m'être agréable
? Ou un sentiment de piété envers la sainte Vierge l'animait-il
? Je l'ignore ; mais il ne manqua pas un dimanche de m'apporter des fleurs.
Dans les premiers jours du mois suivant, il fut subitement frappé
par la mort, sans avoir le temps de recevoir les secours de la religion.
J'en fus inconsolable, surtout parce que je voyais s'évanouir toutes
mes espérances pour son retour à Dieu. Par suite de ma douleur,
ma santé se trouva bientôt profondément altérée,
et ma famille me força de partir pour le midi. Comme je passais
par Lyon, je voulus voir le curé d'Ars. Je lui écrivis pour
demander une audience et recommander à ses prières mon mari,
mort subitement. Je ne lui donnai pas d'autres détails.
Arrivée à Ars, à peine étais-je entrée
dans l'appartement du vénérable curé, qu'il m'adressa
ces étonnantes paroles : "Madame vous êtes désolée
; mais "avez-vous donc oublié les bouquets de fleurs de chaque dimanche
du mois de "mai ?" Impossible de dire quel fut mon étonnement
en entendant M. Vianney rappeler une circonstance dont je n'avais parlé
à personne, et qu'il ne pouvait connaître que par révélation.
Il ajouta : "Dieu a eu pitié de celui qui avait honoré "sa
sainte Mère : A l'instant de la mort, votre époux a pu se
repentir ; son âme "est dans le purgatoire : nos prières et
nos bonnes uvres l'en feront sortir."
On lit dans la vie d'une sainte religieuse, la sur
241
Catherine de Saint-Augustin (S. Alphonse, Paraphr. du Salve Regina),
que dans le lieu qu'elle habitait se trouvait une femme, appelée
Marie, qui s'était livrée au désordre pendant sa jeunesse,
et qui, devenue âgée, s'obstinait tellement dans le mal, que
les habitants du pays, ne pouvant souffrir cette peste au milieu d'eux,
la chassèrent honteusement. Elle ne trouva pas d'autre asile qu'une
grotte dans les forêts, où elle mourut au bout de quelques
mois, sans assistance et sans sacrements. Son corps fut enterré
dans un champ comme un objet immonde.
La sur Catherine, qui avait coutume de recommander à
Dieu les âmes de tous ceux dont elle apprenait la mort, ne songea
pourtant point à prier pour celle-ci, jugeant avec tout le monde
qu'elle était sûrement damnée. Quatre mois après,
la servante de Dieu entendit une voix, qui disait : "Sur Catherine, quel
malheur "est le mien ! Vous recommandez à Dieu les âmes de
tous, il n'y a que la mienne "dont vous n'avez point de pitié !
Qui donc êtes-vous ? répondit la sur. Je "suis cette
pauvre Marie, morte dans la grotte. Comment ! Marie, vous êtes
"sauvée ? Oui, je le suis, par la miséricorde divine. Sur
le point de mourir, "épouvantée au souvenir de mes crimes
et à la vue de mon abandon, je criai vers
241
"la sainte Vierge. Elle fut assez bonne pour m'entendre, et m'obtint
une "contrition parfaite, accompagnée du désir de me confesser
si je le pouvais. Je "rentrai ainsi dans la grâce de Dieu, et j'échappai
à l'enfer ; mais il m'a fallu "descendre dans le purgatoire, où
je souffre cruellement. Mon temps serait "abrégé et j'en
sortirais bientôt, si l'on offrait pour moi quelques messes. Oh !
"Faites les célébrer, ma bonne sur, et je vous promets de
prier toujours Jésus et "Marie pour vous."
La sur Catherine se hâta de faire dire ces messes, et,
242
après quelques jours l'âme se fit voir à elle,
brillante comme un astre, montant au ciel et la remerciant de sa charité.
Chapitre 34
Motifs d'aider les âmes. Excellence de cette uvre. S. François de Sales. S. Thomas d'Aquin. Sainte Brigitte.
Nous venons de passer en revue les moyens et les ressources que
la divine miséricorde nous met entre les mains pour soulager nos
frères du purgatoire. Ces moyens sont puissants, ces ressources
sont riches, prodigieuses ; mais en faisons-nous un abondant usage ? Pouvant
aider les pauvres âmes, avons-nous du zèle pour le faire ?
Sommes-nous aussi riches en charité que Dieu est riche en miséricorde
? Hélas ! Combien de chrétiens ne font presque rien pour
les défunts ! Et ceux qui ne les oublient pas, ceux qui ont assez
de charité pour les aider de leurs suffrages, comme ils le font
souvent avec peu de zèle et de ferveur ! Comparez le secours qu'on
donne aux malades avec celui qu'on accorde aux âmes souffrantes :
quand un père ou une mère est affligée de quelque
maladie, quand un enfant ou toute autre personne chérie est en proie
à la souffrance, quel soin, quelle sollicitude, quel dévouement
ne montre-t-on pas pour les aider ! Mais les âmes, qui ne nous sont
pas moins chères, et qui gémissent dans les étreintes,
non d'une cruelle maladie, mais des tourments mille fois plus cruels de
l'expiation, est-ce avec le même zèle, avec le même
dévouement qu'on s'applique à les aider ?
"Non, disait S. François de Sales, nous ne nous souvenons
pas assez de "nos chers trépassés. Leur mémoire semble
périr, avec le son des cloches ; et "nous oublions
243
"que l'amitié qui peut finir, même par la mort, ne fut
jamais véritable."
D'où vient ce triste et coupable oubli ? La cause principale
en est dans le manque de réflexion : Quia nullus est qui recogitat
corde, parce que personne ne réfléchit dans son cur (Jérém.
XII, 11). On perd de vue les grands motifs qui nous pressent d'exercer
la charité envers les défunts. C'est pourquoi afin de
243
stimuler notre zèle, nous allons rappeler ces motifs et tâcher
de les exposer dans tout leur jour.
On peut dire que tous les motifs se résument dans cette
parole du Saint-Esprit : C'est une pensée, une uvre sainte et salutaire
de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs
péchés, c'est-à-dire des peines temporelles dues à
leurs péchés (II Machab. XII, 46). D'abord c'est une uvre
sainte et excellente en elle-même, agréable et méritoire
aux yeux de Dieu. Ensuite c'est une uvre salutaire, souverainement avantageuse
pour notre propre salut, pour notre bien en ce monde et en l'autre.
Une des uvres les plus saintes, un des meilleurs exercices de
piété qu'on puisse pratiquer en ce monde, dit S. Augustin,
c'est d'offrir des sacrifices, des aumônes et des prières
pour les défunts (Homél. 16, alias 50). Le soulagement que
nous procurons aux défunts, dit S. Jérôme, nous fait
obtenir une miséricorde semblable.
Considérée en elle-même, la prière
pour les défunts est une uvre de foi, de charité, souvent
même de justice, ayant toutes les circonstances qui en portent le
prix à son comble. Quelles sont en effet, 1° les personnes qu'il
s'agit d'assister ? Ce sont des âmes prédestinées,
saintes, très-chères à Dieu et à Notre-Seigneur
Jésus-Christ très-chères à l'Eglise leur mère,
qui les recommande sans cesse à notre charité ; des âmes
qui nous sont aussi bien
244
chères à nous-mêmes, qui nous furent peut-être
étroitement unies sur la terre, et qui nous supplient par ces touchantes
paroles : Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous surtout
qui êtes mes amis (Job. XIX, 21). 2° Quelles sont les nécessités
où elles se trouvent ? Hélas ! Ces nécessités
sont extrêmes, et les âmes qui les souffrent ont d'autant plus
de droit à notre assistance qu'elles sont impuissantes pour s'aider
elles-mêmes. 3° Quel est le bien que nous procurons aux âmes
? C'est le bien suprême, puisque nous les mettons en possession de
la béatitude éternelle.
Assister les âmes du purgatoire, disait S. François
de Sales, c'est faire la plus excellente des uvres de miséricorde,
ou plutôt c'est pratiquer de la manière la plus sublime toutes
les uvres de miséricorde à la fois : "c'est visiter "les
malades, c'est donner à boire à ceux qui ont soif de la vision
de Dieu, c'est "nourrir les affamés, racheter les prisonniers, revêtir
les nus, procurer aux exilés "l'hospitalité dans la Jérusalem
céleste ; c'est consoler les affligés, éclairer les
"ignorants, faire enfin toutes les uvres de miséricorde en une
seule." Cette doctrine est d'accord avec celle de S. Thomas, qui dit
dans sa Somme : "Les suffrages pour les morts sont plus agréables
à Dieu que les suffrages pour les vivants, parce que les premiers
se trouvent dans un plus pressant besoin, ne pouvant se secourir eux-mêmes,
comme ceux qui vivent encore (Suppelem. q. 71. Art. 5)."
244
Notre-Seigneur regarde comme faite à lui-même toute
uvre de miséricorde exercée envers le prochain : C'est à
moi, dit-il, que vous l'avez fait, mihi fecistis. Ceci est vrai d'une manière
toute particulière de la miséricorde pratiquée envers
les âmes. Il fut révélé à sainte Brigitte,
que celui qui délivre une âme du purgatoire, a le même
mérite que s'il délivrait Jésus-Christ lui-même
de la captivité.
245
Chapitre 35
Motifs d'aider les âmes. Excellence de l'uvre. Controverse entre le Frère Benoît et le Frère Bertrand.
Quand nous élevons si haut le mérite de la prière
pour les morts, nous n'en voulons nullement conclure qu'il faut laisser
toutes les autres uvres pour celle-ci ; car toutes les bonnes uvres doivent
s'exercer en temps et lieu, selon les circonstances ; nous avons uniquement
en vue de donner une juste idée de la miséricorde pour les
défunts, et d'en faire aimer la pratique.
Du reste, les uvres de miséricorde spirituelles, qui
tendent à sauver les âmes, sont toutes également excellentes
; et ce n'est qu'à certains égards qu'on peut mettre l'assistance
des défunts au-dessus des uvres de zèle pour la conversion
des pécheurs vivants.
Il est rapporté dans les Chroniques des Frères-Prêcheurs
(Cf. Rossign. Merv. 1), qu'une vive controverse s'éleva entre deux
religieux de cet Ordre, Frère Benoît et Frère Bertrand,
au sujet des suffrages pour les défunts. En voici l'occasion. Le
Frère Bertrand célébrait souvent la sainte Messe pour
les pécheurs, et faisait pour leur conversion de continuelles oraisons,
jointes à des pénitences rigoureuses ; mais rarement on le
voyait célébrer en noir pour les défunts. Le Frère
Benoît, qui avait une grande dévotion pour les âmes
du purgatoire, ayant remarqué sa conduite, lui demanda pourquoi
il en agissait ainsi ?
"Parce que les âmes du purgatoire sont sûres de leur
salut, répondit-il ; tandis que les pécheurs sont exposés
continuellement à tomber en enfer. Quel état plus triste
que celui d'une âme en état de péché mortel
? Elle est dans l'inimitié de Dieu et dans les chaînes du
démon ; sus-
246
pendue sur l'abîme de l'enfer par le fil si fragile de la vie,
qui peut se rompre à tout moment. Le pécheur marche dans
la voie de la perdition : s'il continue d'avancer, il tombera dans l'abîme
éternel. Il faut donc venir à son aide, le préserver
de ce malheur suprême en opérant sa conversion. D'ailleurs
n'est-ce pas pour sauver les pécheurs que le Fils de Dieu est venu
sur la terre et qu'il est mort sur la croix ? Aussi S. Denis nous assure-t-il,
que ce qu'il y a de plus divin
246
dans les choses divines, c'est de travailler avec Dieu à sauver
les pécheurs. Quant aux âmes du purgatoire, il n'y a plus
à travailler à leur salut, puisque leur salut éternel
est assuré. Elles souffrent, il est vrai, elles sont en proie à
de grands tourments, mais elles n'ont rien à craindre pour l'enfer,
et leurs souffrances finiront. Les dettes qu'elles ont contractées
s'acquittent chaque jour, et bientôt elles jouiront de la lumière
éternelle ; tandis que les pécheurs sont continuellement
menacés de la damnation, malheur suprême, le plus effroyable
qui puisse arriver à une créature humaine."
- "Tout ce que vous venez de dire est vrai, repartit le frère
Benoît ; mais n'y a-t-il pas une autre considération à
faire ? Si les pécheurs sont esclaves de Satan, c'est qu'ils le
veulent bien : leurs chaînes sont volontaires, il dépend d'eux
de les briser ; tandis que les pauvres âmes du purgatoire ne peuvent
que gémir et implorer le secours des vivants. Il leur est impossible
de briser les fers qui les tiennent enchaînées dans les flammes
expiatrices. Supposez que vous rencontriez deux pauvres qui vous demandent
l'aumône : l'un est estropié et perclus de tous ses membres,
absolument incapable de rien faire pour gagner sa vie ; l'autre au contraire,
bien que dans une grande détresse, est jeune et vigoureux. Tous
deux implorent votre charité : auquel croirez-vous devoir donner
la meilleure part de vos aumônes ?
- "A celui qui ne peut point travailler, répondit le Frère
Bertrand.
247
- "Hé bien, mon Père, continua Benoît, les
âmes du purgatoire sont dans ce cas : elles ne peuvent plus s'aider
elles-mêmes. Le temps de la prière, de la confession et des
bonnes uvres est passé pour elles : nous seuls pouvons les soulager.
Il est vrai d'autre part, qu'elles souffrent pour leurs fautes passées,
mais ces fautes elles les pleurent et les détestent ; elles sont
dans la grâce de Dieu et les amies de Dieu : tandis que les pécheurs
sont des rebelles, des ennemis du Seigneur. Certes nous devons prier pour
leur conversion, mais sans préjudice de ce que nous devons aux âmes
souffrantes, si chères au Cur de Jésus. Ayons pitié
des pécheurs, mais n'oublions pas qu'ils ont à leur disposition
tous les moyens de salut : ils peuvent et ils doivent se soustraire au
péril de la damnation qui les menace. Ne vous semble-t-il pas que
les âmes souffrantes sont dans une nécessité plus grande
et méritent la meilleure part de notre charité ?"
Malgré la force de ces raisons, le Frère Bertrand
persista dans sa première idée, et dit que l'uvre capitale
était de sauver les pécheurs. Dieu permit que la nuit suivante
une âme du purgatoire lui fit éprouver durant quelque temps
les peines qu'elle souffrait elle-même : elles étaient si
terribles qu'il lui semblait impossible de les supporter. Alors, comme
dit Isaïe, le tourment lui donna l'intelligence : Vexatio intellectum
dabit (Isaïe XXVIII, 19), et il comprit qu'il devait faire davantage
pour les âmes souffrantes. Dès le lendemain matin, la compassion
dans le cur et les larmes aux yeux, il monta au saint autel revêtu
de l'ornement noir et offrit le sacrifice pour les défunts.
248
Chapitre 36
Motifs d'aider les âmes. Liens intimes qui nous unissent à elles. Piété filiale. Cimon d'Athènes, et son père en prison. S. Jean de Dieu sauvant les malades de l'incendie.
Si nous devons aider les âmes à cause de leur nécessité
extrême, combien ce motif devient plus pressant quand on songe que
ces âmes nous sont unies par les liens les plus sacrés, par
les liens du sang, par le sang divin de Jésus-Christ, et par le
sang humain d'où nous sommes issus selon la chair ? Oui, il y a
au purgatoire des âmes qui nous sont unies par la parenté
la plus étroite. C'est un père, c'est une mère qui
gémit dans les tourments et me tend les bras ! Que ne ferions-nous
pas pour notre père, pour notre mère, s'ils languissaient
dans une dure prison ? Un ancien Athénien, le célèbre
Cimon, avait eu la douleur de voir emprisonner son père par d'impitoyables
créanciers qu'il n'avait pu satisfaire. Pour comble d'infortune
il ne put trouver les ressources nécessaires pour le délivrer,
et le vieillard mourut dans les fers. Désolé, inconsolable,
Cimon court à la prison et demande qu'on lui donne du moins le corps
de son père pour l'ensevelir. On le lui refuse, sous prétexte
que, n'ayant pas payé ses dettes, il ne pouvait être rendu
à la liberté. "Laissez-moi donc d'abord ensevelir mon père,
"s'écria Cimon, je viendrai après prendre sa place dans la
prison."
On admire ce trait de piété filiale ; mais ne devons-nous
pas l'imiter ? N'avons-nous pas peut-être aussi un père, une
mère dans la prison du purgatoire ? Ne devons-nous pas les délivrer
au prix de tous les sacrifices ?... Plus heureux que Cimon, nous sommes
à même de payer leurs dettes ; nous n'aurons pas à
prendre leur place : au contraire, les délivrer de la captivité,
c'est nous en affranchir nous-mêmes par anticipation.
249
On admire aussi la charité de S. Jean de Dieu (8 mars),
qui affronta la fureur des flammes pour sauver de pauvres malades du milieu
d'un incendie. Ce grand serviteur de Dieu mourut à Grenade, l'an
1550, à genoux devant une image de Jésus crucifié,
qu'il embrassait et qu'il continua de tenir serrée dans ses bras,
après qu'il eut rendu son âme à Dieu. Né de
parents fort pauvres, et obligé de garder les troupeaux pour subsister,
il était riche de foi et de confiance en Dieu. Son bonheur était
de prier et d'entendre la parole de Dieu : ce fut le principe de la sainteté
à laquelle il s'éleva bientôt. Un sermon du vénérable
Père Jean d'Avila, apôtre de l'Andalousie, le toucha tellement
qu'il résolut de consacrer sa vie entière au service des
pauvres et des malades. Sans autre ressource que sa charité et sa
confiance en Dieu, il parvint à acheter une maison où il
recueillit des infirmes abandonnés, pour les nourrir, pour soigner
leurs corps et leurs âmes. Cet asile s'élargit bientôt
et devint l'hôpital royal de
249
Grenade, vaste établissement, rempli d'une multitude de vieillards
et de malades de tout genre.
Un jour le feu ayant pris à cet hôpital, plusieurs
malades allaient y périr d'une mort affreuse. Les flammes les environnaient
de toutes parts et empêchaient qu'on ne les approchât pour
les sauver. Ils poussaient des cris lamentables, appelant le ciel et la
terre à leur secours. Jean les a vus, sa charité s'enflamme,
il s'élance dans l'incendie, pénètre à travers
le feu et la fumée jusqu'au lit des malades ; il charge sur ses
épaules et porte en lieu de sûreté l'un après
l'autre tous ces malheureux. Obligé de traverser à plusieurs
reprises ce vaste brasier, courant et travaillant dans le feu pendant toute
une demi-heure que dura le sauvetage, le Saint ne souffrit pas la moindre
lésion : les flammes respectèrent sa personne, ses vêtements
et jusqu'au moindre cheveu de sa tête : Dieu voulut montrer
250
par un miracle combien lui était agréable la charité
de son serviteur.
Et ceux qui sauvent, non pas les corps, mais les âmes des
flammes du purgatoire, font-ils une uvre moins agréable au Seigneur
? La nécessité, les cris et gémissements de ces âmes
sont-ils moins touchants pour un cur qui a la foi ? Est-il plus difficile
de les secourir ? Est-il nécessaire pour les aider de se jeter soi-même
dans les flammes ?
Certes, nous avons les moyens les plus faciles de leur porter
secours, et Dieu ne demande pas que nous nous imposions de grandes peines.
Toutefois la charité des âmes ferventes va jusqu'aux plus
grands sacrifices, jusqu'à partager les douleurs de leurs frères
du purgatoire.
Chapitre 37
Motifs d'aider les âmes. la facilité de les secourir. L'exemple des saints et de tous les fervents chrétiens. La servante de Dieu Marie Villani. La brûlure au front.
Nous avons vu déjà, comment sainte Catherine de
Ricci et plusieurs autres portèrent l'héroïsme jusqu'à
souffrir à la place des âmes du purgatoire ; ajoutons encore
quelques exemples d'une si admirable charité. La servante de Dieu
Marie Villani, de l'Ordre de S. Dominique, dont la vie a été
écrite par le Père Marchi (Cf. Rossig. Merv. 41), s'appliquait
nuit et jour à pratiquer des uvres satisfactoires en faveur des
défunts. Un jour, c'était la veille de l'Epiphanie, elle
fit pour eux de longues prières, suppliant le Seigneur d'adoucir
leurs souffrances en vue de celles de Jésus-Christ, lui offrant
à cet effet les cruels tourments du Sauveur, sa flagellation,
251
sa couronne d'épines, ses liens, ses clous et sa croix, toutes
les douleurs en un mot, tous les détails et tous les instruments
de la passion. La nuit suivante, le ciel se plut à lui manifester
combien lui était agréable cette sainte pratique.
Pendant sa prière, étant ravie en extase elle vit
une longue procession de personnes vêtues de blancs, éclatantes
de lumières, portant dans leurs mains les divers insignes de la
passion et faisant leur entrée dans la gloire. La servante de Dieu
connut en même temps que c'étaient les âmes délivrées
par ses ferventes prières et par les mérites de la passion
de Jésus-Christ.
Un autre jour, celui de la Commémoration des Morts, on
lui avait ordonné de travailler à un manuscrit et de passer
la journée à écrire. Ce travail, imposé par
l'obéissance, coûtait à sa piété : elle
en éprouvait une sensible répugnance, parce qu'elle aurait
voulu consacrer tout ce jour à la prière, à la pénitence
et autres exercices de dévotion pour le soulagement des âmes
du purgatoire. Elle oubliait un peu que l'obéissance doit l'emporter
sur tout et qu'il est écrit : Melior est obedientia quam victimoe,
l'obéissance vaut mieux que les victimes et les sacrifices les plus
précieux (1 Reg. XV, 22). Le Seigneur, voyant sa grande charité
pour les âmes, daigna lui apparaître, l'instruire et la consoler.
"Obéissez, ma "fille, lui dit-il, faites le travail que l'obéissance
vous impose et offrez-le pour les "âmes : chaque ligne que vous écrirez
aujourd'hui en cet esprit d'obéissance et de "charité, procurera
la délivrance d'une âme." On comprend qu'elle travailla
toute la journée avec la plus grande ardeur et qu'elle traça
le plus possible de ces lignes si agréables à Dieu.
Sa charité envers les âmes ne se bornait point à
des prières et des jeûnes, elle désira endurer elle-même
une partie de leurs souffrances. Comme elle priait un jour
252
dans cette intention, elle fut ravie en esprit et conduite en purgatoire.
Là parmi la multitude des âmes souffrantes, elle en vit une
plus cruellement tourmentée que les autres et qui lui inspira la
plus vive compassion.
"Pourquoi, lui demanda-t-elle, avez-vous à souffrir des peines
si atroces ? Ne recevez-vous point de soulagement ? Je suis, répondit-elle,
depuis fort longtemps en ce lieu, endurant des tourments effroyables en
punition de mes vanités passées et de mon luxe scandaleux.
Je n'ai pas obtenu jusqu'à cette heure, le moindre soulagement,
parce que le Seigneur a permis que je fusse oubliée de mes parents,
de mes enfants, de toute ma famille et de mes amis : ils ne font pour moi
aucune prière. Quand j'étais sur la terre, livrée
aux toilettes immodérées, aux pompes mondaines, aux fêtes
et aux plaisirs, je n'avais de Dieu et de mes devoirs qu'un rare et stérile
souvenir. Les seules préoccupations sérieuses de ma vie,
étaient d'accroître le renom et les richesses périssables
des miens. J'en suis bien punie, vous le voyez, puisqu'ils ne m'accordent
pas un souvenir."
252
Ces paroles firent sur Marie Villani une douloureuse impression.
Elle pria cette âme de lui communiquer une partie de ce qu'elle souffrait.
A l'instant même il lui semblait qu'on la touchait au front avec
un doigt de feu, et la douleur qu'elle en éprouva fut si forte,
si aigüe, qu'elle la fit revenir de son extase. La marque lui en resta
au front si profondément imprimée, qu'on la voyait encore
deux mois après, et elle lui causait une douleur insupportable.
La servante de Dieu offrit cette douleur, avec des prières et d'autres
uvres, pour l'âme qui lui avait parlé. Cette âme lui
apparut au bout de deux mois, et lui dit que, délivrée par
son intercession, elle montait au ciel. Dès ce moment, la brûlure
du front s'effaça pour toujours.
253
Chapitre 38
Motifs d'aider les âmes. Exemple de saints personnages. Le Père Jacques Laynez. le Père Fabricius. Le Père Nieremberg, victime de sa charité.
Celui qui oublie son ami, après que la mort l'a fait disparaître
à ses yeux, n'a pas eu d'amitié véritable. Cette sentence,
le Père Laynez, second Général de la Compagnie de
Jésus, ne cessait de la répéter aux fils de S. Ignace
: il voulait que les intérêts des âmes leur fussent
à cur après la mort comme pendant la vie. Joignant l'exemple
aux pieux conseils, Laynez appliquait aux âmes du purgatoire une
bonne partie de ses prières, de ses sacrifices et des satisfactions
qu'il méritait devant Dieu par ses travaux pour la conversion des
pécheurs. Les Pères de la Compagnie furent fidèles
à ces leçons de charité, en tout temps ils montrèrent
un zèle particulier pour cette dévotion, comme on peut le
voir dans le livre intitulé Héros et victimes de la charité
dans la Compagnie de Jésus. J'en transcrirai ici une seule page.
A Munster en Westphalie, vers le milieu du XVIIe siècle,
éclata un mal contagieux qui faisait chaque jour d'innombrables
victimes. La crainte paralysait la charité du grand nombre ; et
on trouvait peu de personnes qui voulussent se dévouer aux malheureux,
atteints du fléau. Alors le Père Jean Fabricius, animé
de l'esprit des Laynez et des Ignace, s'élança dans cette
arène du dévouement. Mettant de côté toute préoccupation
personnelle, il employait ses journées à visiter les malades,
à leur procurer des remèdes, à les disposer à
une mort chrétienne : il les confessait, leur donnait les autres
sacrements, les ensevelissait de ses mains, et célébrait
ensuite la sainte messe pour leurs âmes.
Du reste durant toute sa vie, ce serviteur de Dieu eut
254
la plus grande dévotion pour les défunts. Parmi ses exercices
de piété les plus chers, et qu'il recommandait davantage,
était celui de célébrer la messe des défunts,
toutes les fois que les règles liturgiques le permettaient. Ses
conseils
254
eurent assez d'effet pour engager les Pères de Munster à
consacrer chaque mois un jour aux défunts : ils tendaient alors
leur église de noir et priaient solennellement pour les morts.
Dieu daigna, comme il le fait souvent, récompenser le
P. Fabricius et encourager son zèle par plusieurs apparitions des
âmes. Les unes le suppliaient de hâter leur délivrance,
les autres le remerciaient du secours qu'il leur avait procuré,
d'autres encore lui annonçaient que le moment bienheureux du triomphe
était enfin venu pour elles.
Son plus grand acte de charité fut celui qu'il accomplit
à sa mort. Avec une générosité vraiment admirable,
il fit le sacrifice de tous les suffrages, prières, messes, indulgences
et mortifications que la Compagnie applique à ses membres décédés
: il demanda à Dieu de l'en priver lui-même pour en gratifier
les âmes souffrantes les plus agréables à sa divine
Majesté.
Déjà nous avons parlé du Père Jean-Eusèbe
Nierembert, Jésuite espagnol, également célèbre
par les ouvrages de piété qu'il a publiés et par ses
éclatantes vertus. Sa dévotion envers les âmes ne se
contentait pas de sacrifices et de prières fréquentes ; elle
le portait à souffrir pour elles, avec une générosité
qui allait jusqu'à l'héroïsme. Il y avait à la
cour de Madrid, parmi ses pénitentes, une Dame de qualité,
qui, sous sa sage direction, était parvenue à une haute vertu
au milieu du monde ; mais elle était tourmentée d'une crainte
excessive de la mort, dans la perspective du purgatoire qui devrait la
suivre. Elle tomba dangereusement malade, et ses craintes redoublèrent
au point qu'elle en perdait presque ses sentiments chrétiens. Le
saint confesseur eut beau
255
user de toutes les industries de son zèle, il ne put réussir
à la calmer, ni même à lui faire recevoir les derniers
sacrements.
Pour comble de malheur, elle perdit tout à coup connaissance,
et fut bientôt réduite à la dernière extrémité.
Le Père, justement alarmé du péril où se trouvait
cette âme, se retira dans une chapelle voisine, près de la
chambre de la moribonde. Il y offrit le saint Sacrifice avec une grande
ferveur pour obtenir à la malade le temps de se reconnaître,
et de recevoir en pleine liberté d'esprit les sacrements de l'Eglise.
En même temps, poussé par une charité vraiment héroïque,
il s'offrit en victime à la justice divine, pour souffrir lui-même
en cette vie, les peines réservées à cette pauvre
âme dans l'autre.
Sa prière fut agréable à Dieu. La messe
était à peine achevée, que la malade revint à
elle, et se trouva toute changée : ses dispositions étaient
si bonnes, qu'elle demanda elle-même les sacrements, et les reçut
avec la plus édifiante ferveur. Son confesseur lui ayant dit ensuite
qu'elle n'avait plus à craindre le purgatoire, elle expira, le sourire
sur les lèvres, dans la plus parfaite tranquillité.
A partir de cette heure, le Père Nieremberg fut accablé
de toutes sortes de peines dans son corps et dans son âme : pendant
seize ans qu'il vécut encore, son
255
existence ne fut plus qu'un martyre et un rigoureux purgatoire. Aucun
remède naturel ne pouvait soulager ses douleurs : son unique adoucissement
était le souvenir de la sainte cause pour laquelle il les endurait.
Enfin la mort vint mettre un terme à ses prodigieuses souffrances,
et en même temps, on est bien fondé à le croire, lui
ouvrir la porte du paradis : car il est écrit : Bienheureux les
miséricordieux, ils obtiendront miséricorde.
256
Chapitre 39
Motifs, stimulants de la dévotion envers les âmes. Exemples de générosité. S. Pierre Damien et son père. La jeune Annamite. Le portier de séminaire et la Propagation de la foi.
Les exemples de charité généreuse envers
les trépassés ne manquent pas ; et il est toujours utile
de se les rappeler. Nous ne pouvons pas omettre la belle et touchante action
de S Pierre Damien (23 février), évêque d'Ostie, cardinal
et Docteur de la sainte Eglise, exemple qu'on ne se lasse jamais d'entendre
répéter. Etant encore fort jeune, Pierre Damien eut le malheur
de perdre sa mère ; et, bientôt après, son père
s'étant remarié, il tomba dans les mains d'une marâtre.
Quoiqu'il se montrât plein d'affection pour elle, cette femme ne
sut pas aimer ce tendre enfant : elle le traita avec une dureté
barbare et finit pas s'en débarrasser en le mettant au service de
son frère aîné, qui l'employa à garder les pourceaux.
Son père, qui aurait dû le protéger, l'abandonnait
à son malheureux sort. Mais l'enfant levant les yeux au ciel, y
voyait un autre Père, en qui il mit toute sa confiance. Il accepta
tout ce qui lui arrivait de ses mains divines et se résigna volontiers
à la dure situation qui lui était ménagée :
"Dieu, disait-il, a ses vues en "tout, et ce sont des vues de miséricorde
: nous n'avons qu'à nous abandonner à "lui : il fera tout
servir à notre bien." Il ne se trompait pas : ce fut dans cette
pénible épreuve que le futur cardinal de la sainte Eglise,
celui qui devait étonner son siècle par l'étendue
de ses lumières et édifier le monde par l'éclat de
ses vertus, fit l'apprentissage de la sainteté. A peine couvert
de haillons, l'histoire dit
257
qu'il n'avait pas même toujours de quoi rassasier sa faim ; mais
il priait Dieu, il était content.
Or il arriva sur ces entrefaites que son père mourut.
Le jeune saint, oubliant la dureté qu'il avait éprouvé
de sa part, le pleura comme un bon fils et ne cessait de prier Dieu pour
son âme. Un jour, il trouva sur le chemin un écu, que la Providence
semblait y avoir déposé pour lui : c'était toute une
fortune pour le pauvre enfant. Mais au lieu de s'en servir pour adoucir
sa propre misère, sa première pensée fut de le porter
à un prêtre, en le priant de célébrer la messe
257
pour l'âme de son père. La sainte Eglise a trouvé
ce trait si beau, qu'elle l'a inséré, tout au long, dans
la légende de l'Office, qui se lit le jour de sa fête.
Qu'on me permette, dit l'abbé missionnaire Louvet, d'ajouter
ici un souvenir personnel. Quand je prêchais la foi en Cochinchine,
une pauvre petite fille Annamite, baptisée depuis peu, vint à
perdre sa mère. A quatorze ans elle se trouvait chargée de
pourvoir avec son faible gain, cinq tiên par jour, environ huit sous
de France, à sa nourriture et à celle de ses deux petits
frères. Quelle fut ma surprise de la voir venir, à la fin
de la semaine, m'apporter le gain de deux journées, pour que je
dise la messe à l'intention de sa mère ! Ces pauvres petits
avaient jeûné une partie de la semaine, pour procurer à
leur mère défunte cet humble suffrage. O sainte aumône
du pauvre et de l'orphelin ! Si mon cur en fut si profondément
ému, comme elle a dû toucher le cur du Père céleste
et attirer ses bénédictions sur cette mère et sur
ses enfants !
Voilà la générosité des pauvres.
Quel exemple et quel reproche pour tant de riches, prodigues en fait de
luxe et de plaisirs, mais qui sont si avares quand il s'agit d'aumônes
et de messes en faveur de leurs défunts !
Bien qu'avant tout il faille consacrer ses aumônes à
faire offrir le saint Sacrifice pour les âmes des siens ou pour sa
propre âme ; il convient d'en affecter une partie
258
au soulagement des pauvres ou à d'autres bonnes uvres, telles
que les écoles catholiques, la propagation de la foi et bien d'autres,
selon le besoin des circonstances. Toutes ces libéralités
sont saintes, conformes à l'esprit de l'Eglise, et fort efficaces
pour les âmes du purgatoire.
L'abbé Louvet, que nous avons cité plus haut, rapporte
un autre trait qui mérite de trouver ici sa place. Il s'agit d'un
homme de condition pauvre, qui fit une libéralité en faveur
de la Propagation de la foi, mais dans des circonstances qui ont rendu
cet acte particulièrement précieux pour le besoin futur de
son âme au purgatoire.
Un pauvre portier de séminaire avait, durant sa longue
vie, amassé sou par sou la somme de huit cents francs. N'ayant pas
de famille, il destinait cet argent à faire dire des messes après
sa mort. Mais que ne peut la charité dans un cur embrasé
de ses saintes flammes ? Un jeune prêtre se préparait à
quitter le séminaire pour entrer aux Missions étrangères.
Le pauvre vieillard, apprenant cette nouvelle, fut inspiré de lui
donner son petit trésor pour l'uvre si belle de la Propagation
de la foi. Il le prit donc en particulier et lui dit : "Cher Monsieur,
"je vous prie d'accepter cette petite aumône pour vous aider dans
l'uvre de la "propagation de l'Evangile. Je l'avais réservée
pour faire dire des messes après "ma mort ; mais j'aime mieux rester
un peu plus longtemps dans le purgatoire, et "que le nom du bon Dieu soit
glorifié." Le séminariste était ému jusqu'aux
larmes. Il voulait ne pas accepter l'offrande trop généreuse
de ce pauvre homme ; mais celui-ci insista tellement qu'il y aurait eu
cruauté à lui infliger un refus.
258
A quelques mois de là, ce bon vieillard mourait. Aucune
révélation n'est venue annoncer ce qui lui arriva dans l'autre
monde. Mais en est-il besoin ? Ne connaissons-nous pas assez le Cur de
Jésus, qui ne saurait se laisser vaincre en générosité
? Ne comprenons-nous pas qu'un
259
Homme assez généreux pour se dévouer aux flammes
du purgatoire afin de faire connaître Jésus-Christ aux nations
infidèles, aura trouvé devant le Souverain Juge une abondante
miséricorde ?
Chapitre 40
Motifs d'aider les âmes. Obligation, non seulement de charité, mais encore de justice. Legs pieux. Le P. Rossignoli, et la propriété ravagée. Thomas de Cantimpré et le soldat de Charlemage.
Nous venons de considérer la dévotion envers les
âmes comme uvre de charité. La prière pour les morts
avons-nous dit est une uvre sainte parce que c'est un exercice très-excellent
de la plus excellente des vertus, la charité.
Cette charité envers les défunts n'est pas purement
facultative et de conseil, elle est de précepte, non moins que l'aumône
à faire aux pauvres. Comme il existe une obligation générale
de charité pour l'aumône corporelle, ainsi, et à plus
forte raison, sommes-nous tenus par la loi générale de la
charité d'assister nos frères souffrants du purgatoire.
A cette obligation de charité vient se joindre souvent
une obligation de stricte justice. Lorsque un mourant exprime de vive voix
ou par disposition testamentaire, ses dernières volontés
en matière d'uvres pies ; lorsqu'il charge ses héritiers
de faire célébrer autant de messes, de distribuer autant
d'aumônes, n'importe en faveur de quelle bonne uvre ; les héritiers
sont obligés en stricte justice, du moment qu'ils acceptent la succession,
d'en remplir toutes les charges, et d'acquitter sans retard les legs pieux
établis par le défunt.
Ce devoir de justice est d'autant plus sacré, que
260
souvent les legs pieux ne sont que des restitutions déguisées.
Or que nous montre l'expérience journalière ? Est-ce
avec zèle, avec un soin religieux que l'on s'empresse d'acquitter
toutes les charges pieuses et qui concernent l'âme du défunt
? Hélas ! Le contraire est un fait qui se passe tous les jours sous
nos yeux : une famille, qui vient d'être mise en possession d'une
fortune quelquefois considérable, marchandera à un malheureux
défunt les quelques suffrages qu'il s'était réservés
; et, si les subtilités de la loi civile s'y prêtent, on n'aura
pas honte de faire casser un testament, sous prétexte de captation,
afin de se débarrasser de l'obligation d'en acquitter les legs pieux.
Ce n'est pas en vain que l'auteur de l'Imitation nous avertit de faire
des uvres
260
satisfactoires pendant notre vie, et de ne pas trop compter sur nos
héritiers, qui trop souvent négligent d'acquitter les pieuses
fondations que nous avions faites pour le soulagement de notre pauvre âme.
Eh bien ! C'est là, que les familles le sachent, c'est
là une injustice sacrilège jointe à une cruauté
abominable. Voler un pauvre, dit le IVe concile de Carthage, c'est se faire
son meurtrier : Egentium necatores. Que dire de ceux qui dépouillent
les défunts, qui les privent injustement de leurs suffrages et les
laissent sans secours dans les terribles tourments du purgatoire ?
Aussi, ceux qui se rendent coupables de ce vol infâme,
sont bien souvent punis de Dieu dès cette vie, et d'une manière
très-sévère. On s'étonne quelquefois de voir
se fondre entre les mains d'héritiers avides une fortune considérable
; une sorte de malédiction semble planer sur certains héritages.
Au jour du jugement, lorsque tout ce qui est caché sera découvert,
on verra que la cause de ces ruines a souvent été l'avarice
et l'injustice des héritiers, qui n'ont pas acquitté les
legs pieux dont leur succession était chargée.
261
Il est arrivé à Milan, dit le P. Rossignoli (Merv.
20), qu'une magnifique propriété, peu éloignée
de la ville, fut toute ravagée par la grêle, tandis que les
champs voisins étaient restés complètement intacts.
Ce phénomène excita l'attention et l'étonnement :
on se rappelait le fléau d'Egypte, cette grêle qui ravagea
les champs des Egyptiens et respecta la terre de Gessen, habitée
par les enfants d'Israël. On voyait ici un fléau semblable
: cette grêle étrange n'avait pu se renfermer si exactement
dans les limites d'une propriété unique, sans avoir obéi
à une cause intelligente. On ne savait comment expliquer ce mystère,
lorsque l'apparition d'une âme du purgatoire fit connaître
que c'était un châtiment infligé à des enfants
ingrats et coupables, qui n'avaient pas exécuté la dernière
volonté de leur père relativement à des uvres pies.
On sait que dans tous les pays, dans toutes les localités
on parle de maisons hantées, rendues inhabitables, au grand détriment
de leurs propriétaires : or quand on va au fond des choses, on trouve
généralement une âme oubliée des siens, et qui
réclame l'acquittement des suffrages qui lui sont dus. Ne soyons
pas crédules et faisons aussi large que l'on voudra la part de l'imagination,
de l'illusion, de la fourberie même ; il restera toujours assez de
faits parfaitement prouvés, pour apprendre aux héritiers
sans entrailles comment Dieu punit, même dès cette vie, ces
procédés injustes et sacrilèges.
Le trait suivant, emprunté à Thomas de Cantimpré
(Rossignoli, Merv. 15), fait bien ressortir combien sont coupables aux
yeux de Dieu les héritiers injustes envers les défunts. Pendant
les guerres de Charlemagne, un valeureux soldat avait servi de longues
années dans des charges importantes et honorables. Sa vie avait
été celle d'un chrétien : content de sa paye, il s'interdisait
tout acte de violence, et le tumulte des camps ne lui faisait omettre aucun
de ses devoirs
262
essentiels ; il avait toutefois commis quantité de petites fautes,
ordinaires aux gens de sa profession. Etant arrivé à un âge
fort avancé, il tomba malade ; et voyant approcher la mort, il appela
auprès de son lit un neveu orphelin, dont il s'était fait
le père, et lui exprima ses dernières volontés. "Mon
fils, lui dit-il, vous "savez que je n'ai pas de richesses à vous
léguer : je n'ai que mes armes et mon "cheval. Mes armes seront
pour vous. Quant au cheval, lorsque j'aurai rendu "mon âme à
Dieu, vous le vendrez et vous en partagerez le prix entre les prêtres
"et les pauvres, afin que les premiers offrent pour moi le divin sacrifice,
et que "les autres me secourent de leurs prières."
Le neveu pleura et promit d'exécuter ponctuellement, sans
retard, ce que demandait de lui son oncle et son bienfaiteur. Le vieillard
étant mort bientôt après, l'héritier prit les
armes, et emmena le cheval. C'était un animal fort beau et d'un
grand prix. Au lieu de le vendre aussitôt, selon la dernière
volonté du défunt, il commença par s'en servir pour
quelques petits voyages ; et comme il en était fort satisfait, il
désirait ne pas s'en priver de sitôt. Il différa donc,
sous le double prétexte que rien ne pressait d'exécuter si
promptement sa promesse, et qu'il pouvait attendre une bonne occasion pour
obtenir peut-être un meilleur prix. En tardant ainsi de jour en jour,
de semaine en semaine, de mois en mois, il finit par étouffer les
réclamations de sa conscience et oublia l'obligation sacrée
qu'il avait à remplir envers l'âme de son bienfaiteur.
Six mois s'étaient éculés, lorsqu'un matin
le défunt lui apparut et lui adressa les plus sévères
reproches. "Malheureux, lui dit-il, tu as oublié l'âme de
"ton oncle ; tu as violé l'engagement sacré que tu avais
pris à mon lit de mort. "Où sont les saintes messes que tu
devais faire offrir, où sont les aumônes que tu "devais distribuer
aux pauvres pour mon âme ? A cause de ta cou-
263
"pable négligence, j'ai souffert dans le purgatoire des tourments
inouïs. Enfin, "Dieu a eu pitié de moi : aujourd'hui même
j'entre dans la félicité des saints.
"Mais toi, par un juste jugement de Dieu, tu mourras dans peu
de jours, et "tu subiras en ma place les peines, qui me fussent restées
à subir, si Dieu n'eût "pas usé d'indulgence à
mon égard. Tu souffriras tout le temps dont Dieu m'a fait "grâce
; après quoi, tu commenceras les expiations dues à tes propres
fautes."
Quelques jours après le neveu tomba gravement malade.
Aussitôt il appela un prêtre, raconta sa vision et se confessa
avec beaucoup de larmes. "Je mourrai "bientôt, dit-il, et j'accepte
la mort des mains de Dieu comme un châtiment que "je n'ai que trop
mérité." Il expira en effet dans ces sentiments d'un humble
repentir : ce n'était que la moindre partie de la peine qui lui
avait été annoncée en punition de son injustice ;
on frémit en pensant à la seconde qu'il allait subir dans
l'autre vie.
263
Chapitre 41
Motif de justice. S. Bernardin de Sienne et la veuve infidèle.
Restitutions déguisées. Non exécution
des dernières volontés.
S. Bernardin de Sienne rapporte que deux époux, qui n'avaient
pas d'enfants, firent une convention pour le cas où l'un d'eux viendrait
à mourir : le survivant devait distribuer le bien laissé
par le défunt en aumônes, pour le repos de son âme.
Le mari mourut le premier, et sa veuve négligea de remplir sa promesse.
La mère de cette veuve vivait encore : le défunt lui apparut,
la priant d'aller trouver sa fille, pour la presser au nom de Dieu de remplir
son engagement. "Si elle diffère, ajouta-t-il, de
264
"distribuer en aumônes la somme que j'ai destinée aux
pauvres, dites-lui de la "part de Dieu que, dans trente jours, elle sera
frappée de mort subite." Quand la veuve impie entendit ce grave
avertissement, elle osa le traiter de rêverie, et persista dans sa
sacrilège infidélité. Trente jours s'écoulèrent
et la malheureuse étant montée à une chambre haute,
tomba d'une fenêtre et se tua sur le coup.
Les injustices envers les défunts, dont nous parlons,
et les manuvres frauduleuses par lesquelles on se soustrait à l'exécution
des legs pieux, sont des péchés graves, des crimes qui méritent
l'enfer. A moins d'en faire une sincère confession et en même
temps une due restitution, ce n'est pas en purgatoire, mais en enfer, qu'on
en subira le châtiment.
Hélas ! Oui, c'est surtout dans l'autre vie que la justice
divine punira comme ils le méritent les coupables détenteurs
du bien des morts. Un jugement sans miséricorde, dit l'Esprit-Saint,
attend celui qui a été sans miséricorde (Jacob. II,
13). Si cette parole est vraie, à quelle rigueur de jugement ne
doit pas s'attendre celui dont l'abominable avarice a laissé, pendant
des mois, des années, des siècles peut-être, l'âme
d'un parent, d'un bienfaiteur, au milieu des effroyables supplices du purgatoire
?
Ce crime, comme nous avons dit plus haut, est d'autant plus grave,
que dans bien des cas les suffrages que le défunt avait demandés
pour son âme, ne sont, au fond, que des restitutions déguisées.
C'est là ce que les familles ignorent trop souvent. On trouve très-commode
de parler de captations et d'avidité cléricale ; on fait
casser un testament sous ces beaux prétextes ; et bien souvent,
le plus souvent peut-être, il s'agissait d'une restitution nécessaire.
Le prêtre n'était que l'intermédiaire de cet acte indispensable,
obligé au secret le plus absolu, en vertu de son ministère
sacramentel.
265
Expliquons-nous plus clairement. Un mourant a commis des injustices
durant sa vie : cela arrive plus fréquemment qu'on ne pense, même
à des très-honnêtes gens selon le monde. Au moment
de paraître devant Dieu, ce pécheur se confesse : il veut
réparer, comme il le doit, tous les préjudices qu'il a causés
au prochain ; mais le temps lui manque pour le faire lui-même, et
il ne veut pas révéler à ses enfants ce triste secret.
Que fait-il ? Il couvre sa restitution sous le voile d'un legs pieux.
Or si ce legs n'est pas acquitté, et conséquemment
si l'injustice n'est pas réparée, que deviendra l'âme
du défunt ? Sera-t-elle retenue au purgatoire indéfiniment
? Nous ne connaissons pas toutes les lois de la divine justice, mais des
apparitions nombreuses témoignent dans ce sens : "toutes déclarent
qu'elles ne peuvent être admises au séjour de la béatitude,
tant que la justice reste lésée." D'ailleurs ces âmes
ne sont-elles pas coupables d'avoir différé jusqu'à
leur mort une restitution à laquelle elles étaient obligées
depuis longtemps ? Et si maintenant leurs héritiers négligent
de le faire pour elles, n'est-ce, pas une déplorable conséquence
de leur propre péché, de leurs délais coupables ?
C'est par leur faute qu'il reste dans leur famille du bien mal acquis,
et ce bien ne cesse de crier, tant que restitution n'est pas faite. Res
clamat domino, le bien d'autrui crie vers son maître légitime,
il crie contre son injuste détenteur.
Que si, par le mauvais vouloir des héritiers, la restitution
ne devait jamais se faire, il est clair que cette âme ne saurait
rester toujours en purgatoire ; mais dans ce cas, un long retard à
son entrée dans le ciel semble être le juste châtiment
d'une injustice, que cette âme infortunée a rétractée,
il est vrai, mais dont elle avait posé la cause toujours subsistance
et toujours efficace.
Que l'on songe donc à ces graves conséquences,
quand on laisse s'écouler les jours, les semaines, les mois, les
années peut-être, avant d'acquitter une dette aussi sacrée.
266
Hélas ! Que notre foi est faible ! Si un animal domestique,
un petit chien, tombait dans le feu, est-ce que vous tarderiez à
le retirer ? Et voilà que vos parents, vos bienfaiteurs, les personnes
qui vous furent les plus chères, se tordent dans les flammes du
purgatoire, et vous ne croyez point devoir vous presser de les secourir,
vous tardez, vous différez, vous laissez passer des jours si longs
et si douloureux pour les âmes, sans vous mettre en peine d'accomplir
les uvres qui doivent les soulager !
Chapitre 42
Motif de justice. larmes stériles. Thomas de Cantimpré
et son aïeule. -
La B. Marguerite de Cortone.
266
Nous venons de parler de l'obligation de justice qui incombe
aux héritiers pour l'exécution des legs pieux. Il y a un
autre devoir de stricte justice qui regarde les enfants : ils sont obligés
de prier pour leurs parents défunts. Réciproquement, les
parents à leur tour sont tenus de droit naturel à ne pas
oublier devant Dieu ceux de leurs enfants qui les ont précédés
dans l'éternité. Hélas ! Il y a des parents qui sont
inconsolables de la mort d'un fils, d'une fille bien-aimée ; et
qui, au lieu de prières, ne leur donnent que des larmes stériles.
Ecoutez ce que raconte à ce sujet Thomas de Cantimpré (Rossignoli,
Merv. 68) : le fait était arrivé dans sa propre famille.
La grand'mère de Thomas avait perdu un fils, sur lequel
elle avait fondé les plus belles espérances. Jour et nuit,
elle le pleurait et ne voulait recevoir aucune consolation. Dans l'excès
de sa tristesse, elle oubliait le grand devoir de l'amour chrétien,
et ne songeait pas à prier
267
pour cette âme si chère. Aussi, au milieu des flammes
du purgatoire, le malheureux objet d'une tendresse stérile se désolait
de ne recevoir aucun soulagement dans ses souffrances. Dieu eut enfin pitié
de lui.
Un jour au plus fort de sa douleur, cette femme reçut
une vision miraculeuse. Elle vit au milieu d'une belle route une procession
de jeunes gens, gracieux comme des anges, qui s'avançaient pleins
de joie vers une cité magnifique. Elle comprit que c'étaient
des âmes du purgatoire faisant leur entrée dans le ciel. Elle
regarde avec avidité pour voir si dans leurs rangs elle ne découvrirait
pas son cher fils. Hélas ! L'enfant n'y était point ; mais
elle l'aperçut qui venait, bien loin derrière tous les autres,
triste, souffrant, fatigué, et les vêtements trempés
d'eau. "O cher objet de mes douleurs, lui cria-t-elle, pourquoi "donc restes-tu
en arrière de cette brillante troupe ? Je voudrais te voir à
la tête "de tes compagnons."
-"O ma mère, répond l'enfant d'une voix triste,
c'est vous, ce sont les "larmes que vous versez sur moi, qui trempent et
souillent mes vêtements, qui "retardent mon entrée dans la
gloire. Cessez donc de vous livrer à une douleur "aveugle et stérile.
Ouvrez votre cur à des sentiments plus chrétiens. S'il est
"vrai que vous m'aimez, soulagez-moi dans mes souffrances : appliquez-moi
"quelque indulgence, faites des prières, des aumônes pour
moi, obtenez-moi les "fruits du saint Sacrifice. Voilà comment vous
me témoignerez votre amour ; "c'est par là que vous me délivrerez
de la prison où je gémis, et que vous "m'enfanterez à
la vie éternelle, bien plus désirable que la vie terrestre
que vous "m'aviez donnée."
La vision disparut alors ; et cette mère rappelée
ainsi aux vrais sentiments chrétiens, au lieu de se livrer à
une douleur immodérée, s'appliqua aux bonnes uvres qui devaient
soulager l'âme de son fils.
La grande cause des oublis, de l'indifférence, de la négligence
coupable et de l'injustice envers les défunts,
268
c'est le manque de foi. Aussi voit-on ces vrais chrétiens que
l'esprit de foi anime, faire les plus nobles sacrifices pour les âmes
de leurs défunts. Pénétrant du regard dans le lieu
des expiations, considérant les rigueurs de la divine justice, écoutant
la voix des défunts qui implorent leur pitié, ils ne songent
qu'à les secourir, et ils regardent comme le premier et le plus
saint de tous leurs devoirs de procurer à leurs parents et amis
défunts le plus de suffrages possibles, selon les moyens de leur
état. Heureux ces chrétiens : ils montrent leur foi par leurs
uvres, ils sont miséricordieux, et ils obtiendront à leur
tour miséricorde.
La bienheureuse Marguerite de Cortone avait été
d'abord une grande pécheresse ; mais s'étant convertie sincèrement,
elle effaça ses désordres passés par de grandes pénitences
et par des uvres de miséricorde. Sa charité envers les âmes
ne connaissait point de bornes : elle sacrifiait tout, temps, repos, satisfactions,
pour obtenir de Dieu leur délivrance. Comprenant que la piété
bien entendue envers les morts a pour premier objet les parents, son père
et sa mère étant morts, elle ne cessa d'offrir pour eux ses
prières, ses mortifications, ses veilles, ses souffrances, ses communions,
les messes auxquelles elle avait le bonheur d'assister. Or, pour la récompenser
de sa piété filiale, Dieu lui fit connaître que par
tous ses suffrages elle avait abrégé les longues souffrances
que ses parents auraient dû endurer au purgatoire, qu'elle avait
obtenu leur délivrance complète et leur entrée dans
le paradis.
269
Chapitre 43
Motif de justice. - Prière pour les parents défunts.
Sainte Catherine de Sienne et son père Jacomo.
Sainte Catherine de Sienne (30 avril) nous a donné un exemple
semblable. Voici comment il est rapporté par son historien, le B.
Raymond de Capoue. "La servante de Dieu, écrit-il, avait un zèle
ardent pour le salut des âmes. Je dirai d'abord ce qu'elle fit pour
son père, Jacomo, dont nous avons déjà parlé.
Cet excellent homme avait reconnu la sainteté de sa fille, et il
était rempli pour elle d'une respectueuse tendresse ; il recommandait
à tout le monde dans la maison, de ne jamais la contrarier en rien,
et de la laisser pratiquer ses bonnes uvres comme elle le voudrait. Aussi
l'affection qui unissait le père et la fille augmentait tous les
jours. Catherine priait sans cesse pour le salut de son père ; Jacomo
se réjouissait saintement des vertus de sa fille, et comptait bien,
par ses mérites, obtenir grâce devant Dieu.
"La vie de Jacomo approcha enfin de son terme, et il se mit au
lit, très-gravement malade. Dès que sa fille le vit dans
cet état, elle eut, selon son habitude, recours à la prière,
et demanda à son céleste Epoux de guérir celui
269
qu'elle aimait tant. Il lui fut répondu que Jacomo était
sur le point de mourir, et qu'il lui était utile de ne pas vivre
davantage. Catherine alors se rendit près de son père et
trouva son esprit si parfaitement disposé à quitter le monde
sans y rien regretter, qu'elle en remercia Dieu de tout son cur.
"Mais son affection filiale n'était pas satisfaite ; elle
se remit en prière pour obtenir de Dieu, source de toute grâce,
de vouloir bien, non seulement pardonner à
270
son père toutes ses fautes, mais encore, à l'heure de
sa mort, le conduire au ciel, sans le faire passer par les flammes du purgatoire.
Il lui fut répondu que la justice ne pouvait perdre ses droits,
et qu'il fallait que l'âme fût parfaitement pure pour jouir
des splendeurs de la gloire. "Ton père, dit Notre-Seigneur, a bien
"vécu dans l'état du mariage, il a fait beaucoup de choses
qui m'ont été "agréables, et je lui sais gré
surtout de sa conduite envers toi ; mais ma justice "demande que son âme
passe par le feu, pour se purifier des souillures qu'elle a "contractées
dans le monde." "O mon aimable Sauveur, répondit Catherine, "comment
supporter la pensée de voir tourmenter dans des flammes si cruelles,
"celui qui m'a nourrie, qui m'a élevée avec tant de soin,
qui a été si bon pour moi "pendant toute sa vie ! Je supplie
votre infinie bonté de ne pas permettre que son "âme quitte
son corps, avant d'être, d'une manière ou d'une autre, si
parfaitement "purifiée, qu'elle n'ait pas besoin de passer par le
feu du purgatoire."
"Chose admirable, Dieu céda à la prière
et au désir de sa créature. Les forces de Jacomo étaient
éteintes, mais son âme ne pouvait partir tant que durait le
conflit entre Notre-Seigneur, qui alléguait sa justice, et Catherine,
qui invoquait sa miséricorde. Enfin, Catherine se mit à dire
: "Si je ne puis obtenir "cette grâce sans satisfaire à votre
justice, que cette justice s'exerce sur moi ; je "suis prête à
souffrir pour mon père toutes les peines que votre bonté
voudra "bien m'envoyer." Notre-Seigneur y consentit. "Je veux bien, lui
dit-il, à cause "de ton amour pour moi, accepter ta proposition.
J'exempte de toute expiation "l'âme de ton père ; mais je
te ferai souffrir à toi, tant que tu vivras, la peine qui "lui était
destinée." Catherine, pleine de joie, s'écria : "Merci
de votre parole, "Seigneur, et que votre volonté s'accomplisse !"
"La sainte retourna aussitôt près du lit de son
père,
271
qui entrait en agonie ; elle le remplit de force et de joie, en lui
donnant, de la part de Dieu même, l'assurance de son salut éternel,
et elle ne le quitta que lorsqu'il eut rendu le dernier soupir.
"Au moment même où l'âme de son père
se sépara du corps, Catherine fut saisie de violentes douleurs de
côté, qui lui restèrent jusqu'à la mort, sans
jamais lui laisser un moment de relâche. Elle-même, ajoute
le B. Raymond, me l'a bien souvent assuré, et tous ceux qui l'approchaient
en voyaient au dehors des preuves évidentes. Mais sa patience était
plus grande que son mal. Tout ce que
271
je viens de dire, je l'ai su de Catherine, lorsque, touché de
ses douleurs, je lui en demandai la cause. Je dois ajouter que, au moment
où son père expirait, on l'entendit s'écrier, le visage
tout joyeux et le sourire sur les lèvres : "Que Dieu "soit béni
! Mon père, je voudrais bien être comme vous." Pendant qu'on
célébrait ses funérailles et que tous pleuraient,
Catherine montrait une véritable allégresse. Elle consolait
sa mère et tout le monde, comme si cette mort lui eut été
étrangère. C'est qu'elle avait vu cette âme bien-aimée
sortir triomphante de la prison de son corps, et s'élancer sans
obstacle dans l'éternelle lumière : cette vue l'avait inondée
de consolation, parce que peu de temps avant, elle avait elle-même
goûté le bonheur des clartés célestes.
"Admirons ici la sagesse de la Providence : elle pouvait certainement
purifier l'âme de Jacomo d'une autre manière, et le faire
entrer sur-le-champ dans la gloire, comme l'âme du bon larron qui
confessa Notre-Seigneur sur la croix ; mais elle voulut que ce fût
par les souffrances de Catherine qui le demandait : et cela non pas pour
l'éprouver, mais pour augmenter ses mérites et sa couronne.
Il fallait que cette sainte fille, qui aimait tant l'âme de son père,
retirât de son amour filial quelque récompense, et parce qu'elle
avait préféré le salut de cette âme à
celui de son propre corps, les souffrances de son corps profi-
272
tèrent au bonheur de son âme. Aussi parlait-elle toujours
de ses douces, de ses chères souffrances ; et elle avait bien raison,
puisque ces souffrances augmentaient les douceurs de la grâce en
cette vie, et les délices de la gloire dans l'autre. Elle m'a
confié que, longtemps encore après sa mort, l'âme de
son père Jacomo se présentait sans cesse devant elle pour
la remercier du bonheur qu'elle lui avait procuré. Elle lui révélait
beaucoup de choses cachées, l'avertissait des pièges du démon,
et la préservait de tout danger."
Chapitre 44
Motifs, stimulants de la dévotion envers les défunts. Avantages personnels. Pensée salutaire. Saint Jean de Dieu. Faites l'aumône pour l'amour de vous-mêmes. Sainte Brigitte. Le B. Pierre Lefèvre.
Nous venons de voir combien la charité envers les défunts est sainte et méritoire devant Dieu : Sancta cogitatio. Il nous reste à considérer combien elle est en même temps salutaire pour nous-mêmes : Salubris cogitatio. Si l'excellence de l'uvre en elle-même est un si puissant motif pour nous y appliquer, les avantages précieux que nous y trouvons ne sont pas un moindre stimulant. Ils consistent d'une part dans les grâces, que nous recevons en retour de notre bienfaisance ; de l'autre, dans la ferveur chrétienne, que cette bonne uvre nous inspire.
272
Bienheureux, dit le Sauveur, ceux qui sont miséricordieux,
parce qu'ils obtiendront miséricorde (Matth. V, 7). Heureux l'homme,
dit l'Esprit-Saint, qui se souvient de l'indigent et du pauvre, le Seigneur
le délivrera au jour mauvais (Ps. 40).
273
En vérité je vous le dis, toutes les fois que vous avez
exercé la miséricorde envers le moindre de mes frères,
c'est à moi que vous l'avez fait (Matth. XXV, 40). Que le Seigneur
vous soit miséricordieux, comme vous l'avez été envers
ceux qui sont morts (Ruth. 1, 8). Ces diverses paroles s'entendent, dans
leur sens le plus élevé, de la charité envers les
défunts.
Tout ce qu'on offre à Dieu par charité pour les
morts, dit S. Ambroise dans son livre des Offices, se change en mérite
pour nous, et nous le retrouvons au centuple après la mort : Omne
quod defunctis impenditur, in nostrum tandem meritum commutatur, et illud
post mortem centuplum recipimus duplicatum. On peut dire que le sentiment
de l'Eglise, de ses Docteurs et de ses Saints peut s'exprimer par cette
seule parole : Ce que vous faites pour les défunts, vous le faites
de la manière la plus excellente pour vous-même. La raison
en est, que cette uvre de miséricorde vous sera rendue au centuple,
au jour où vous-même serez dans la détresse. On peut
appliquer ici la célèbre parole de S. Jean de Dieu, lorsqu'il
demandait aux habitants de Grenade de donner l'aumône pour l'amour
d'eux-mêmes. Ce charitable saint, pour subvenir aux besoins des malades
qu'il entretenait dans son hôpital, parcourait les rues de Grenade,
en criant : Faites l'aumône, mes frères, faites l'aumône
pour l'amour de vous-mêmes. On s'étonnait de cette nouvelle
formule, parce qu'on était accoutumé à entendre dire
: l'aumône pour l'amour de Dieu ; pourquoi disait-on au Saint, demandez-vous
l'aumône pour l'amour de nous-mêmes ? - "Parce que, répondait-il,
c'est le grand "moyen de racheter vos péchés, selon cette
parole du Prophète : Rachetez vos "péchés par l'aumône,
et vos iniquités par la miséricorde envers les pauvres "(Daniel
IV, 24). En faisant l'aumône vous agissez dans votre propre intérêt,
"puisque par elle vous vous soustrayez aux plus terribles châtiments
que vos "péchés ont mérités."
274
Ne faut-il pas convenir que tout ceci est vrai pour l'aumône
que nous faisons aux pauvres âmes du purgatoire ? Les aider, c'est
nous préserver nous-mêmes de ces terribles expiations, auxquelles
autrement nous ne pourrons échapper. Nous pouvons donc crier avec
S. Jean de Dieu, Faites leur l'aumône de vos suffrages, secourez-les
pour l'amour de vous-mêmes.
La bienfaisance envers les morts, avons-nous dit, est payée
de retour, elle est récompensée par toutes sortes de grâces,
dont la source est la reconnaissance des âmes, et celle de Jésus-Christ,
qui regarde comme fait à lui-même tout le bien que nous faisons
aux âmes.
274
Sainte Brigitte atteste dans ses révélations, et
son témoignage est cité par Benoît XIII (Serm. 4. n.
12), que du fond des cavernes enflammées du purgatoire, elle entendit
une voix, prononçant ces paroles : "Qu'il soit béni, qu'il
soit "récompensé, quiconque nous soulage dans ces peines
!" Et une autre fois : "O "Seigneur Dieu, déployez votre toute-puissance
pour récompenser au centuple "ceux qui nous viennent en aide par
leurs suffrages, et qui font luire à nos yeux "un rayon de vos divines
clartés." Dans une autre vision la même Sainte entendit
la voix d'un ange disant : "Béni soit sur la terre quiconque par
des "prières et des bonnes uvres vient en aide aux pauvres âmes
souffrantes !"
Le bienheureux Pierre Lefèvre de la Compagnie de Jésus,
si connu par sa piété envers les saints anges, avait aussi
une singulière dévotion pour les âmes du purgatoire.
"Ces âmes, disait-il, ont des entrailles de charité, toujours
"ouvertes sur ceux qui marchent encore dans les sentiers si dangereux de
la vie ; "elles sont pleines de reconnaissance pour ceux qui les assistent.
Elles peuvent "nous aider par leurs prières et offrir à Dieu
leurs tourments en notre faveur. C'est chose
275
"excellente d'invoquer les âmes du purgatoire, pour obtenir par
elles du Seigneur "une vraie connaissance et un sentiment profond de contrition
de ses péchés, la "ferveur dans les bonnes uvres, le soin
de porter de dignes fruits de pénitence, "et en général
toutes les vertus, dont l'absence leur a fait infliger un si terrible "châtiment
(Mémorial du B. Lefèvre. Voir Messager du Sacré-Cur,
novembre 1873)."
Chapitre 45
Avantages de la dévotion envers les âmes. Reconnaissance de leur part. Sainte Marg. De Cortone. S. Philippe de Néri. Le Card. Baronius et la mourante.
La reconnaissance des âmes est-elle d'ailleurs bien difficile
à comprendre ? Si vous aviez délivré un captif du
plus dur esclavage, ne serait-il pas reconnaissant d'un tel bienfait ?
Lorsque l'empereur Charles-Quint s'empara de la ville de Tunis, il remit
en liberté vingt mille esclaves chrétiens, réduits
avant sa victoire à la plus affreuse condition. Pénétrés
de reconnaissance pour leur bienfaiteur, ils l'entouraient en le bénissant,
en chantant ses louanges. Si vous rendiez la santé à un malade
désespéré, la fortune à un malheureux tombé
dans l'indigence, ne recueilleriez-vous pas leur gratitude et leurs bénédictions
? Et les âmes si saintes et si bonnes se conduiront-elles autrement
à l'égard de leurs bienfaiteurs, elles, dont la captivité,
la souffrance, la nécessité fut bien autrement pressante
et dure que toute captivité, toute indigence, toute maladie terrestre.
Elles viennent surtout à leur rencontre au moment de la mort, pour
les protéger, les
p.276
accompagner et les lieu de l'éternel repos.
Nous avons parlé plus haut de sainte
Marguerite de Cortone ('1) et de son dévouement
pour les défunts. L'histoire rapporte qu'à sa
mort elle vît venir à elle une multitude d'âmes qu'elle
avait délivrées, et qui venaient lui faire cortège
pour la conduire en paradis. Dieu révéla
cette faveur accordée à Marguerite,
par l'intermédiaire d'une sainte personne de la
ville de Castello. Cette servante de Dieu, ravie en esprit
au moment où Marguerite quittait la terre, vit
son âme bienheureuse au milieu du cortège céleste;
et revenue à elle, elle fit connaître à
ses amis ce que le Seigneur lui avait donné
à contempler.
S. Philippe de Néri(2), fondateur de la Congrégation
de l'Oratoire, avait pour les âmes du
purgatoire une dévotion très tendre; et
son attrait le portait surtout à prier pour
celles dont il avait dirigé la conscience.
Il se croyait plus obligé envers elles,
parce que la Providence les avait particulièrement
confiées, à son zèle. A ses
yeux, sa charité devait les suivre
jusqu'à leur entière purification et à
leur entrée dans la gloire. Il avouait
que beaucoup de ses enfants spirituels lui
apparaissaient après leur mort, pour lui demander
des prières, ou pour le remercier de,
celles qu'II avait faites en leur faveur. Il assurait
également que par leur moyen il avait, reçu
plus d'une grâce.
- Après sa, mort, un père Franciscain
d'une grande piété priait dans la chapelle où
l'on avait déposé ses restes vénérés,
lorsque le Saint lui apparut, environné
de gloire, au milieu d'un cortège brillant. Le
religieux, gagné par l'air de bonté et de familiarité
avec lequel le Saint le regardait, s'enhardit à
lui demander quelle était cette troupe de
bienheureux qui l'entouraient Le Saint lui
répondit que c'étaient les âmes de
ceux à qui il avait été utile
durant sa vie mortelle, et que par ses suffrages il
avait
1) 22 févr.l (2) 26 mai.
277
délivrées du purgatoire. Il ajouta qu'elles
étaient venues a sa rencontre au sortir de ce
monde, pour l'introduire à leur tour dans la Jérusalem
céleste.
Il n'y a pas à douter, dit le
pieux Père Rossignoli, qu'après leur entrée
dans la gloire, les premières faveurs qu'elles
demandent à la divine miséricorde,
ne soient pour ceux qui leur ont ouvert la porte du paradis;
et elles ne manqueront point de prier pour
eux toutes les fois qu'elles les verront
dans quelque besoin ou dans quelque péril.
Dans les revers de fortune, les maladies,
les accidents de tout genre, elles seront
leurs protectrices. Leur zèle grandira quand il
s'agira des intérêts de l'âme,
elles les aideront puissamment à vaincre
les tentations, à pratiquer les bonnes uvres, à
mourir chrétiennement, à échapper
aux peines de l'autre vie. Le Cardinal Baronius,
dont l'autorité historique est ,connue,
raconte qu'une personne fort charitable envers les
âmes, se trouva au lit de la mort dans de vives
angoisses. L'esprit de ténèbres lui
suggéra de sombres craintes, et voilant à Son
esprit la douce lumière des divines miséricordes,
s'efforçait de la plonger dans le désespoir;
lorsque tout à coup le ciel sembla s'ouvrir à
ses yeux et des milliers de défenseurs
en descendaient, volant à son secours, ranimant
sa confiance et lui promettant la victoire.
Réconfortée par ce secours inattendu, elle
demanda à ses défenseurs qui ils
étaient: « Nous sommes, répondirent-ils,
les âmes que vos suffrages ont tirées
du purgatoire; nous venons vous aider à
notre tour, et bientôt nous vous conduirons
en paradis. A ces paroles consolantes
la malade se sentit toute changée et
remplie de la plus douce con fiance.. Peu de temps
après elle expira tranquillement, la sérénité
sur le front et l'allégresse dans le cur.
p.278
Chapitre 46
Avantages. - Reconnaissance des âmes.
- Retour d'un prêtre émigré. - Faveurs
temporelles. - Le Père Mun(ord et limprimeur Guill.
Freyssen.
Pour bien comprendre la reconnaissance
des âmes, nous devrions avoir une notion plus claire du bienfait
qu'elles reçoivent de leurs libérateurs:
nous devrions savoir ce que c'est que l'entrée
dans le ciel. Qui nous dira, dit l'abbé
Louvet, les joies de cette heure bénie!
Représentez-vous le bonheur d'un exilé qui
rentre enfin dans ,la patrie. Pendant les jours
de la terreur, un pauvre prêtre de la Vendée
avait fait partie des célèbres noyades
de Carrier. Échappé par miracle à
la mort, il avait dû émigrer pour sauver
ses jours. Quand la paix fut rendue à l'Église
et à la France, il s'empressa de rentrer dans
sa chère paroisse. .
Ce jour-là, le village s'était mis en
fête, tous les paroissiens étaient
venus au-devant de leur pasteur et de leur père;
les cloches sonnaient joyeusement dans le
vieux clocher, et l'église s'était parée
comme au jour des grandes solennités. Le
vieillard s'avançait souriant au milieu de ses
enfants; mais quand les portes du saint
lieu s'ouvrirent devant lui, quand il revit cet
autel qui avait réjoui si longtemps les jours de sa
jeunesse, son cur se brisa dans sa poitrine trop
faible pour supporter une telle joie.
Il entonna d'une voix tremblante le Te
Deum, mais c'était le Nunc dimittis de sa vie sacerdotale:
il tomba mourant, au pied même de l'autel. L'exilé
n'avait pas eu la force de supporter les joies
du retour.
Si telles sont les joies du retour de
l'exil dans la patrie terrestre, qui nous dira celles
de l'entrée au ciel, la vraie patrie de nos
âmes! Et comment s'étonner de la reconnaissance
des bienheureux que nous y avons introduits
?
p.279
Le Père Jacques Munford, de la Compagnie
de Jésus, né en Angleterre en 1605, et qui combattit
pendant quarante ans pour la cause de l'Église,
dans ce pays livré à l'hérésie,
avait composé sur le purgatoire un
ouvrage remarquable (1), qu'il fit imprimer
à Cologne par Guillaume Freyssen, éditeur
catholique et bien connu. Ce livre se répandit
beaucoup, fit un grand bien dans les âmes,
et l'éditeur Freyssen fut un de ceux qui en tira
les plus grands avantages. Voici ce qu'il
écrivit au Père Munford en 1649.
Je Vous écris, mon Père, pour vous faire
part de la double et miraculeuse guérison
de mon fils et de ma femme. Pendant les jours
de fête où mon magasin était fermé,
je me mis à lire le livre dont vous m'avez
confié l'impression: De la miséricorde
à exercer envers les âmes du purgatoire.
J'étais tout pénétré encore
de cette lecture, quand on vint m'avertir que mon
jeune fils, âgé de quatre ans, éprouvait
les premiers symptômes d'une grave maladie.
Le mal empira promptement, les médecins
désespéraient, et déjà on
songeait aux préparatifs de l'enterrement La pensée
me vint alors que je pourrais peut-être le sauver
en faisant un vu en faveur des âmes
du purgatoire.
» Je me rendis donc à l'église
de grand matin, et je suppliai avec ferveur le
bon Dieu d'avoir pitié de moi, m'engageant par
vu à distribuer gratuitement cent exemplaires
de votre livre aux ecclésiastiques et aux
religieux, afin de leur rappeler avec quel zèle
ils doivent s'intéresser aux membres de
l'Église souffrante, et quelles sont les
meilleures pratiques pour s'acquitter de
ce devoir.
J'étais, je l'avoue, plein d'espoir. De retour
à la maison, je trouvai l'enfant en meilleur état.
li demandait déjà de la nourriture, bien que,
depuis plusieurs jours, il
1) De la charité envers les défunts.
Ce livre a été traduit en français
par le P. Marcel Bouix.
- 280 -
n'eût pu avaler une seule
goutte de liquide. Le lendemain, sa guérison était
complète: il se leva, sortit en promenade et mangea
d'aussi bon appétit que s'il n'avait
jamais été malade. -Pénétré
de reconnaissance, je n'eus rien de plus pressé
que d'accomplir ma promesse: je me rendis au
collège de.la Compagnie, et je priais vos
Pères d'accepter mes cent exemplaires: d'en garder
pour eux ce qu'ils en voudraient, et de distribuer
les autres aux communautés et aux ecclésiastiques
de leur connaissance; afin que les âmes souffrantes,
mes bienfaitrices, fussent soulagées par
de nouveaux suffrages.
» trois semaines après, un
autre accident non moins grave, m'arriva. Ma femme,
en rentrant chez elle, fut prise tout à
coup d'un tremblement dans tous ses membres,
tellement violent, qu'il la jetait à terre
et lui ôtait tout sentiment.
» Elle perdit bientôt l'appétit et jusqu'à
l'usage de la parole. Vainement on employa
tous les remèdes, le mal ne faisait que
s'aggraver et tout espoir sembla perdu. Son confesseur,
la voyant en cet état, m'adressait des paroles
de consolation, et déjà m'exhortait paternellement
à me résigner à la volonté de Dieu.
- Pour moi, après l'expérience que j'avais
faite de la protection des bonnes âmes ,
du purgatoire, je me refusais à désespérer.
Je retournai donc à la même église; prosterné
devant l'autel du Saint- Sacrement, je renouvelai
mes supplications avec toute
.l'ardeur dont j'étais capable : «
0 mon Dieu, mécriai-je, votre miséricorde
est sans mesure. Au nom de cette bonté infinie,
ne permettez pas que la guérison de mon
fils soit payée par la mort de ma
femme! » - Je fis vu alors de
distribuer deux cents exemplaires de votre livre, afin
d'obtenir pour les âmes souffrantes de nombreux
secours. En même temps je suppliai les âmes
qui avaient été délivrées
précédemment d'unir leurs prières
à celles des autres, encore retenues en
purgatoire.
» Après cette prière, je
m'en retournais à la maison,
- 281 -
quand je vis accourir mes serviteurs au-devant de moi. Ils venaient
m'annoncer que ma chère malade éprouvait
un soulagement notable: le délire avait cessé,
la parole était revenue. Je courus m'en assurer; tout
était vrai. Je lui offre des aliments, elle les
prend avec appétit Très- peu de temps après,
elle était si complètement remise, qu'elle
vint à l'église avec moi, remercier le Dieu
de toute miséricorde.
Votre Révérence peut ajouter
une foi entière à ce récit. Je la prie
de m'aider à remercier Notre-Seigneur de
ce double miracle. - Freyssen. (1}
Chapitre 47
Avantages. - Faveurs temporelles. L'abbé
Postel et la servante de Paris.
Le trait suivant est rapporté
par l'abbé Postel, traducteur du P.Rossignoli. Il le
dit arrivé à Paris vers 1827, et
l'a inséré dans les Merveilles du
purgatoire, sous le numéro 51.,. .
Une pauvre servante, élevée chrétiennement
dans son village, avait adopté la sainte pratique
de faire dire chaque mois, sur ses modiques épargnes,
une messe pour les âmes souffrantes. Amenée avec
ses maîtres dans la capitale, elle n'y manqua pas une
seule fois, se faisant d'ailleurs une loi d'assister elle-même
au divin sacrifice, et d'unir ses prières à celles
du prêtre, spécialement en faveur de l'âme
dont l'expiation avait plus besoin que de peu de chose
pour être achevée. C'était sa demande ordinaire.
Dieu léprouva bientôt par une longue
maladie, qui
(1) Voir Rossignoli Merv.16
- 282 -
non seulement la fit cruellement souffrir,
mais lui fit perdre sa place et épuiser
ses dernières ressources. Le jour où
elle put sortir de l'hospice, il ne lui restait
que vingt sous pour tout argent. Après avoir fait au ciel
une prière pleine de confiance, elle se mit
en quête d'une condition. On lui avait parlé d'un
bureau de placement à l'autre extrémité
de la ville, et elle s'y rendait, lorsque l'église
de Saint-Eustache se trouvant sur sa route, elle y' entra.
La vue d'un prêtre à l'autel
lui rappela qu'elle avait manqué, ce mois à sa
messe ordinaire des défunts, et que ce jour
était précisément celui, où depuis
bien des années elle s'était procuré
cette consolation. Mais comment faire? Si elle se
dessaisissait de son dernier franc, il ne lui
resterait pas même de quoi apaiser sa
faim. Ce fut un combat entre sa dévotion et la
prudence humaine. La dévotion lemporta . « Après
tout, se dit-elle, le bon Dieu voit que c'est pour
lui, et il ne saurait m'abandonner! »
- Elle entre à la sacristie, remet son offrande
pour une messe, puis assiste à cette messe
avec sa ferveur accoutumée.
Elle continuait sa route, quelques instants
après, pleine d'une inquiétude que l'on
comprend. Dénuée de tout absolument, que
faire si un emploi lui manque? Elle était dans
ces pensées, lorsqu'un jeune homme pâle,
d'une taille élancée, d'un maintien distingué,
s'approche d'elle et lui dit: «Vous cherchez une
place?- Oui, monsieur.- Eh bien, allez à
telle rue, tel numéro, chez Madame
je crois
que vous lui conviendrez, et que vous serez bien là.
» - Ayant dit ces mots, il disparut
dans la foule des passants, sans attendre les remerciements
que la pauvre fille lui adressait.
Elle se fait indiquer la rue, reconnaît
le numéro et monte à l'appartement.
Une domestique en sortait, tenant un paquet
sous le bras, et murmurant des paroles de plainte et de
colère. - IX Madame y est-elle? demanda
la nouvelle venue. - -« Peut-être
oui, peut-être non,
- 283 -
» répond l'autre; que m'importe? Madame
ouvrira elle- même, si cela lui convient:
je n'ai plus à m'en mêler.
» Adieu.» Et elle descend. Notre pauvre
fille sonne en tremblant, et une voix douce lui
dit d'entrer. Elle se trouve en face d'une
Dame âgée, d'un aspect vénérable,
qui l'encourage à exposer sa demande. -
«Madame, dit la servante, j'ai appris
ce matin que vous aviez besoin d'une femme
de chambre, et je viens m'offrir à
vous, on m'a assuré que vous m'accueilleriez avec bonté.
- Mais, ma chère enfant, ce
que vous dites là est fort extraordinaire..
Ce matin je n'avais besoin de personne; depuis une demi-heure
seulement j'ai chassé une insolente domestique,
et il n'est pas une âme au monde, hors elle et moi, qui
le sache encore. Qui donc vous envoie?
- C'est un monsieur, Madame, un jeune monsieur
que j'ai rencontré dans la rue, qui m'a
arrêtée pour cela, et j'en ai béni
Dieu. car il faut absolument que je sois
placée aujour-d'hui: il ne me reste
pas un sou.»
La vieille Dame ne pouvait comprendre quel était
ce personnage et se perdait en conjectures, lorsque la
servante, levant les yeux au-dessus d'un meuble du petit
salon, aperçut un portrait. « Tenez,
Madame, dit-elle aussitôt, ne cherchez pas plus
longtemps: voilà exactement la figure du jeune
homme qui m'a parlé: c'est de sa part que
je viens...»
A ces mots, la Dame pousse un grand cri et
semble prête à perdre connaissance: Elle se
fait redire toute cette histoire, celle de la dévotion
aulx âmes du purgatoire, de la messe
du matin, de la rencontre de l'étranger; puis se jetant
au cou de la pauvre fille, elle l'embrasse avec
effu- sion, et lui dit:« Vous ne serez point
ma servante, vous êtes dès ce moment ma
fille! C'est mon fils, mon fils unique
que vous avez vu: mon fils mort depuis
deux ans, qui vous a dû sa délivrance, je n'en
puis douter, et à qui Dieu a permis de vous envoyer ici.
Soyez donc
- 284 -
» bénie, et prions désormais ensemble
pour tous ceux qui souffrent avant d'entrer dans
la bienheureuse éternité. »
Chapitre 48
Avantages. - Faveurs temporelles. - La
femme napolitaine et le billet mystérieux.
Pour montrer que les âmes du purgatoire témoignent
leur reconnaissance même par des bienfaits
temporels, le P. Rossignoli rapporte un fait arrivé
à Naples, qui a quelque analogie avec celui
qu'on vient de lire.
S'il n'est pas donné à tous d'offrir
à Dieu la riche aumône de Judas Machabée,
qui envoya à Jérusalem douze mille
drachmes d'argent pour les sacrifices et les
prières en faveur des morts; il en est bien
peu qui ne puissent faire au moins le don de
la pauvre veuve de l'Évangile, louée
par le Sauveur lui-même. Elle ne donnait
que deux oboles, mais, disait Jésus, ces
deux oboles valaient plus que tout l'or des
riches, parce que dans son indigence, elle
avait donné ce qui lui était nécessaire
pour vivre (1). Ce touchant exemple fut suivi
par une humble femme napolitaine, qui avait le plus grand
mal à subvenir aux besoins de sa famille. -
Les ressources de la maison se bornaient au salaire
journalier du mari, qui apportait tous les soirs le fruit
de ses sueurs.
Hélas! un jour vint où ce pauvre père
fut jeté en prison pour dettes, en sorte que
toute la subsistance de la famille resta à la
charge de la malheureuse mère, qui n'avait plus
guère que sa confiance en Dieu. Elle conjurait
avec foi la divine Providence de lui venir en aide, et
- 285 -
surtout de délivrer son mari, qui gémissait sous
les verrous sans autre crime que son indigence.
Elle alla trouver un seigneur riche et bienfaisant,
lui exposa sa triste situation et le supplia avec
larmes de la secourir! Dieu permit qu'elle n'en
reçut qu'une légère aumône,
un carlin, pièce du pays qui vaut un peu moins
de cinquante centimes. Désolée, elle entre
dans une église pour supplier le Dieu des
indigents de la protéger dans sa détresse,
puisqu'elle n'a plus d'appui sur la terre.
Elle était plongée dans sa prière
et dans ses larmes, lorsque, par une inspiration
-5ans doute de son bon ange, il lui vient
à la pensée d'intéresser à sa
situation les âmes du purgatoire, dont elle a entendu
raconter les douleurs et la reconnaissance envers
ceux qui les assistent. Pleine de confiance,
elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce
et demande qu'on lui fasse la charité d'une messe
des morts. Un bon prêtre qui était là
s'empresse de la satisfaire, et monte à
l'autel, pendant que prosternée sur le pavé,
la pauvre femme assiste au sacrifice et offre ses
prières pour les défunts.
Elle s'en retournait toute consolée, comme
si elle eût eu l'assurance que Dieu avait
exaucé sa prière. En parcourant les rues
populeuses de Naples, elle se voit abordée
par un vénérable vieillard, qui lui demande d'où
elle vient et où elle va. L'infortunée
lui explique sa détresse et l'usage qu'elle a
fait de la modique aumône qu'on lui
a donnée. Le vieillard se montre fort touché
de sa misère, lui adresse des paroles d'encouragement,
et lui remet un billet fermé avec
ordre de le porter de sa part à un gentilhomme
qu'il lui désigne; après quoi il
s'éloigne.
La femme n'a rien de plus empressé que de
porter le billet au gentilhomme désigné.
Celui-ci, ouvrant le papier fut tout saisi et sur le point
de s'évanouir: il a reconnu l'écriture
de son père, mort depuis quelque temps.
- Et d'où vous vient cette lettre? s'écrie-t-il
hors de lui.
- Monsieur, répond la bonne femme,
c'est un charitable vieillard qui m'a abordée
dans la rue. Je lui ai
-286-
» exposé ma détresse et il m'a
dit de venir vous trouver de sa
part pour vous remettre ce billet; après
quoi il s'est éloigné. Quant aux
traits de son visage, ils ressemblaient beaucoup
à ceux du tableau que vous avez là
au-dessus de la porte. »
De plus en plus frappé de ces circonstances,
le gentilhomme reprend le billet et lit tout
haut: « Mon fils, votre père vient de quitter
le purgatoire, grâce à une messe que la
porteuse de cet écrit a fait célébrer
ce matin.
» Elle est dans une grande nécessité,
et je vous la recommande.»' - Il lit
et relit ces lignes tracées par une
main si chère, par un père qui est désormais
du nombre des élus. Des larmes de bonheur
inondent son visage; et se tournant vers la femme: «Pauvre
mère; lui dit-il, vous, avez avec
une faible aumône assuré la
félicité éternelle de celui qui
m'a donné la vie. Je veux à
mon tour assurer votre félicité temporelle.
Je me charge de tous vos besoins de vous
et de votre famille. »
Quelle joie pour ce gentilhomme, quelle joie pour
cette femme! Il serait difficile de dire de quel côté
fut le plus grand bonheur,. Ce qui est plus important
et plus facile, c'est de voir l'enseignement qui
se dégage de cette histoire: elle nous apprend
que la moindre charité envers les membres de l'Église
souffrante est précieuse devant Dieu, et nous
attire des miracles de miséricorde.
- 287 -
Chapitre 49
Avantages. - Faveurs; temporelles et spirituelles. - Christophe Sandoval à Louvain. - L'avocat renonçant au monde. - Le frère Lacci et le médecin Verdiano. .
Citons encore un fait, d'autant plus digne de
figurer ici qu'un grand Pape, Clément VIII,
y vit le doigt de Dieu et recommanda de le publier pour
l'édification de l'Église. '
Plusieurs auteurs, dit le P. Rossignoli
(1), ont rapporté le merveilleux secours
que reçut des âmes du purgatoire Christophe Sandoval,
archevêque de Séville. N'étant
encore qu'un enfant, il avait l'habitude de distribuer
en aumône pour les âmes une partie de l'argent
qu'on Iui donnait pour ses menus plaisirs. Sa
piété ne fit que croître avec les années: il
donnait en vue des âmes tout ce dont il pouvait
disposer, jusqu'à se river de mille choses
qui lui eussent été utiles ou nécessaires.
Lorsqu'il suivait les cours de l'Université
de Louvain, il arriva que les lettres qu'il attendait
d'Espagne, restèrent en retard, et par suite il
se trouva dépourvu d'argent, au point de ne plus
avoir de quoi se nourrir. En ce moment un pauvre
lui demanda l'aumône au nom des âmes du purgatoire:
et, ce qui ne lui était jamais arrivé,
il eut la douleur de la devoir refuser.
Désolé de cet incident, !l entra
dans une église: Si je ne puis pas donner d'aumône,
se disait-il, pour mes pauvres âmes, je veux
du moins les aider en priant pour elles.
»
A peine avait-il fini sa prière, qu'au sortir de
l'église il fut abordé par un beau jeune
homme, en habit de voyageur, qui le salua
avec une bienveillance respectueuse.
Christophe éprouva un sentiment de religieuse
frayeur,
1) -,Ver". 43.
1
- 288 -
comme s'il eût été en présence
d'un esprit sous forme humaine..Mais il fut bientôt
rassuré par son aimable interlocuteur, qui
lui parla avec ..la plus grande politesse
du marquis de Dania, son père, de ses parents,
de Ses amis, absolument comme un espagnol, qui
arrivait à l'heure même de la
P.éninsule. II finit par le prier
de venir avec lui à l'hôtel, où ils
pourraient dîner ensemble et s'entretenir plus à l'aise.
Sandoval, qui n'avait pas mangé de la
journée, accepta volontiers cette offre gracieuse.
Ils se mirent donc à table et continuèrent
à s'entretenir très amicalement ensemble.
Après le repas, l'étranger remit à
Sandoval une certaine somme, qu'il lui pria d'accepter
pour en faire tel usage qu'il lui plairait,
ajoutant qu'il se la ferait rendre, quand il voudrait
par le marquis son père, en Espagne. Puis, prétextant
quelque affaire, il se retira et Christophe ne
le revit jamais. Malgré toutes ses informations
au sujet de cet inconnu, il ne parvint à aucun
éclaircissement: per- sonne, ni à Louvain
ni en Espagne, ne l'avait vu, personne ne connaissait
un jeune homme semblable. Quant à
l'argent, c'était exactement la somme dont
le pieux Christophe avait besoin pour attendre ses
lettres en retard; et jamais cet argent ne
fut réclamé auprès de sa famille.
.. .
II demeura donc persuadé que le ciel
avait fait un miracle en sa faveur, et avait envoyé
à son secours quelqu'une des âmes qu'il
avait lui-même secourues par ses prières
et ses aumônes. Il fut confirmé dans
ce sentiment par le Pape Clément VIII,
auquel il raconta l'histoire, quand il se
rendit à Rome pour recevoir ses bulles
d'Évêque.
Ce Pontife frappé des circonstances
particulières de cet événement, l'engagea
à le faire connaître pour l'édification
des fidèles; il y voyait une faveur du ciel,
qui montre combien la charité envers les
défunts est précieuse aux yeux de Dieu.
Telle est la reconnaissance des âmes
saintes sorties de ce monde, qu'elles la témoignent
même pour des services
- 289
qu'on leur a rendus pendant qu'ils étaient
encore en vie. Il est rapporté
dans les Annales des Frères Prêcheurs
(1), que parmi ceux qui vinrent demander
l'habit de S. Dominique en 1241, se trouvait un
avocat, qui avait quitté sa profession, par suite
de circonstances extraordinaires. Il avait été
lié d'amitié avec un jeune homme fort pieux,
qu'il assista charitablement dans la maladie dont
il mourut. Après la mort de son ami, il n'oublia
pas de faire pour son âme quelques prières,
bien quil n'eût pas grande piété. Ce
fut assez pour que le défunt lui procurât
le plus grand des bienfaits, celui de la conversion
et de la vocation religieuse.
Environ trente jours après sa mort,
il apparut à l'avocat et le supplia
de le secourir parce qu'il était en purgatoire
.Vos peines sont-elles rigoureuses? 1 lui demanda son
ami. - Hélas! répondit-il, si
toute là terre avec ses forêts et ses
montagnes était en feu, ce ne serait pas
un brasier comme celui où je me
trouve plongé.» -
L'avocat fut saisi d'effroi, sa foi se ranima, et songeant
à sa propre âme: En quel état,
demanda-t-il, me trouvé- je moi-même aux
yeux de Dieu? - En mauvais état, répondit
le défunt, et dans une profession dangereuse.
- Qu'ai-je à faire? Quel conseil me donnez vous?
- Quittez le monde pervers où vous
êtes engagé, et ne vous occupez
que du salut de votre âme. » - L'avocat suivit
ce conseil, donna tous ses biens aux
pauvres et prit l'habit de S. Dominique.
Voici comment un saint religieux de la Compagnie
de Jésus, sut reconnaître après sa mort, les
services du médecin Verdiano qui l'avait traité
dans sa dernière maladie. Le frère coadjuteur
François La qui était mort au collège
de Naples en 1098. C'était un homme de Dieu, plein
de charité, de patience et d'une tendre dévotion
envers la Sainte Vierge. Quelque temps après
sa mort, le docteur Verdiano, entra d'assez bon matin
dans l'église
(1iMalvenda, an. 1241.
- 290 -
du collège pour entendre la messe
avant de commencer ses visites. C'était
le jour où' l'on célébrait les obsèques
du roi Philippe il, décédé
quatre mois auparavant. Au moment où, sortant
de l'église, il prenait de l'eau bénite,
un religieux se présente à lui et
demande pourquoi on avait dressé le catafalque
et quel service on allait célébrer? - C'est
celui du roi Philippe il, répondit-il.
En même temps Verdiano, étonné qu'un religieux
fit cette question à un étranger,
et ne distinguant point dans cet endroit peu éclairé
les traits de son interlocuteur, demanda qui il
était? - « Je suis, répondit-il,
le frère François Lacci, à qui vous avez
donné vos soins durant ma maladie. »
- Le docteur le regarde attentivement et reconnait
parfaitement les traits de Lacci. Stupéfait et saisi:
« Mais, lui dit-il, vous êtes mort
de cette maladie!
Vous souffrez donc au purgatoire et vous venez
demander des suffrages. - Béni soit le Seigneur,
je n'ai plus ni douleur ni tristesse; je n'ai plus besoin
de suffrages:
Je suis dans les joies du paradis.
-Et le roi Philippe il, est-il aussi déjà
au ciel? - Oui il y est; mais placé
au-dessous de moi, autant, qu'il était élevé
au-dessus de moi sur la terre. Pour vous, docteur, ajouta Lacci,
où comptez-vous aller faire votre première
visite aujourd'hui? Verdiano lui ayant
répondu qu'il allait de ce pas chez le patricien
di Maio, fort ,malade alors, Lacci l'avertit de prendre
garde à un grave danger qui le menaçait
à la porte de cette maison. En effet, le médecin
trouva en cet endroit une grande pierre placée de
façon, qu'en la heurtant il eût pu faire une chute
mortelle (1).
- Cette circonstance matérielle semble
avoir été ménagée par la Providence,
pour prouver à Verdiano qu'il n'avait pas été
le jouet d'une illusion.
(1) Schinosi, Istoria della C. D. J. Napoli.
p.291
Chapitre 50
Avantages prières des âmes pour nous Suarez Ste Brigitte.
- Sainte Cath. de Bologne. - Le
vén. Vianney.
Nous venons de parler de la reconnaissance des
âmes; elles la témoignent parfois
d'une manière très visible, comme nous avons
vu; mais le plus souvent elles lexercent
invisiblement par leurs prières. Les âmes prient pour
nous, non seulement quand après leur délivrance
elles sont avec Dieu dans le ciel;
mais déjà dans le lieu de leur exil et au milieu de
leurs souffrances. Quoiqu'elles ne puissent prier pour
elles-mêmes, elles obtiennent par leurs supplications
de grandes grâces pour nous. Tel est l'enseignement
exprès de deux illustres Théologiens, Bellarmin
et Suarez. Il Ces âmes sont saintes,
dit Suarez (1), et chères à
Dieu; la charité les porte à nous
aimer, et elles savent, au moins d'une
manière générale, , à quels
périls nous sommes exposés, quel besoin
nous avons du secours divin. Pourquoi et donc ne prieraient-elles
pas pour leurs bienfaiteurs? 1)
Pourquoi? Mais, répondra-t-on, parce qu' elles
ne les connaissent pas. Dans leur sombre
séjour et au milieu de leurs tourments, comment savent-elles
quels sont ceux qui les aident par leurs suffrages?
A cette objection on peut répondre d'abord, que les âmes
~entent au moins le soulagement qu'elles reçoivent,
et le secours qui leur est donné;
cela suffit, lors même, qu'elles ignoreraient
d'où il leur vient, pour appeler les bénédictions
du ciel sur leurs bienfaiteurs, quels qu'ils soient, et qui
sont connus de Dieu.
Mais, de fait, ne savent-elles pas de
qui leur vient l'assistance dans leurs peines?
Leur ignorance en ce point
- 292 -
n'est nullement prouvée, et de
fortes raisons insinuent que cette ignorance n'existe
pas. Leur ange gardien qui demeure avec elles
pour leur donner toutes les consolations en son
pouvoir, les priverait-il d'une connaissance
si consolante? Ensuite, cette connaissance n'est-elle
pas bien, conforme au dogme de la communion
des saints? Le commerce qui existe entre nous et
l'Eglise souffrante ne sera-t-il pas d'autant plus parfait
qu'il sera réciproque et que les âmes
connaîtront mieux leurs bienfaiteurs?
Cette doctrine se trouve confirmée par une
foule de révélations particulières
et par la pratique de plusieurs saints personnages.
Nous avons dit déjà que sainte
Brigitte, dans un de .ses ravissements, entendit
plusieurs de ces âmes dire à haut~
voix: « Seigneur, Dieu tout-puissant, rendez
le centuple à ceux qui nous assistent par
leurs prières, et qui vous offrent des bonnes
uvres pour nous faire jouir de la lumière
de votre divinité. »
- On lit dans la vie de sainte Catherine
dé Bologne (1), qu'el1e avait une dévotion pleine
de tendresse pour les âmes du purgatoire;
qu'elle priait pour elles/Souvent et avec beaucoup
de ferveur; qu'elle se recommandait à elles
avec grande confiance dans. ses besoins spirituels, et qu'elle engageait
les autres à le faire, en leur disant: «
Quand je veux obtenir quelque grâce de notre
Père du ciel, j'ai recours aux âmes qui sont détenues
dans le purgatoire: je les supplie de présenter
à la divine majesté ma requête
en leur nom, et je sens que je suis exaucée
par leur entremise. » - Un saint
prêtre de notre temps, dont la cause de
béatification est commencée à Rome, le
vénérable Vianney, curé d'Ars, disait
à un ecclésiastique qui le consultait: « Oh!
si l'on savait combien grande est la puissance des bonnes
âmes du purgatoire sur le cur de Dieu, et si l'on connaissait
bien toutes les grâces que nous pouvons obtenir
par leur
- 293 -
intercession, elles ne seraient pas tant oubliées.
Il faut bien prier pour elles, afin qu'elles prient bien
pour nous. »
Cette dernière parole du vénérable
Vianney indique la vraie manière de recourir
aux âmes du purgatoire: il faut les aider pour
obtenir en retour leurs prières et les effets de leur reconnaissance:
n faut bien prier pour elles, afin qu'elles prient
bien pour nous. Il ne s'agit donc pas de
les invoquer comme on invoque les Saints du paradis;
tel n'est pas l'esprit de l'Église, qui
avant tout, prie pour les défunts et les aide par
ses suffrages. Mais il n'est nulle- ment contraire à
I:esprit de l'Église, ni à la piété chrétienne
de procurer des secours aux âmes dans
l'intention d'obtenir en retour par leurs prières les
faveurs qu'on désire. Ainsi c'est chose louable et pieuse
d'offrir une messe pour les défunts quand on a
besoin d'une grâce particulière.
Si la prière des âmes est si puissante
quand elles sont encore dans les souffrances, on
conçoit aisément qu'elle le sera bien davantage,'
quand, entièrement purifiées, elles seront
devant le trône de Dieu.
Chapitre 51
Avantages. - Reconnaissance du divin
Époux des âmes. La ven. Archangèle Panigarola
et son père Gothard.
Si les âmes sont reconnaissantes envers leurs
bienfaiteurs, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui
aime ces âmes, qui reçoit comme fait à lui-même
tout le bien qu'on leur procure, ne rendra pas
un moindre retour, souvent dès cette vie, et toujours
en l'autre. Il récompense ceux qui font miséricorde,
et il punit ceux qui oublient de la
faire aux âmes souffrantes.
- 294 -
. Voyons d'abord un exemple de châtiment.
La vénérable Archangèle Panigarola, religieuse
Dominicaine, prieure
du monastère de Sainte-Marthe, à Milan,
avait un zèle extraordinaire pour le soulagement des
âmes du purgatoire. Elle priait et faisait prier
pour toutes ses connaissances, et même
pour les inconnus, dont la mort lui était
annoncée. Son père Gothard, qu'elle aimait
tendrement, était un de ces chrétiens du monde
qui ne s'occupent guère de prier pour les défunts.
Il vint à mourir, et Archangèle désolée,
comprenant qu'elle devait à ce cher défunt
moins de larmes que de prières,
forma la résolution de le recommander à
Dieu par des suffrages tout particuliers. Mais,
chose étonnante cette résolution n'eut
presque aucun effet: cette fille si pieuse et si dévouée
à son père, fit peu de chose pour
son âme: Dieu permettait que, malgré ses
saintes résolutions, elle la perdit constamment de vue
pour s'occuper des autres. Enfin un événement
inattendu vint lui donner l'explication de cet
oubli étrange et exciter sa dévotion en faveur
de son père.
Le jour de la Fête des morts,
elle s'était renfermée dans sa cellule, s'occupant
uniquement d'exercices de piété et de pénitence
pour les âmes. Tout d'un coup son ange gardien
lui apparaît, la prend par la main et la conduit
en esprit en purgatoire. Là parmi les âmes qu'elle
aperçut, elle reconnut celle de son
père, plongée dans un étang
d'eau glacée. A peine Gothard a-t-il
vu sa fille, que, se soulevant vers elle, il lui
reproche en gémissant de l'abandonner dans ses souffrances,
tandis qu'elle a tarît de charité pour les autres,
tandis qu'elle ne cesse de soulager et de
délivrer des âmes qui lui sont
étrangères.
- 295 -
Archangèle demeura interdite à
ces reproches qu'elle reconnaissait mériter; bientôt
répandant un torrent de larmes, elle
répondit avec des sanglots : Je ferai,
ô mon bien-aimé père, tout ce
que vous me demandez: plaise au Seigneur que mes
supplications vous délivrent au plus tôt.
» - Cependant elle ne pouvait revenir de son étonnement,
ni comprendre comment elle eut ainsi oublié
un père bien-aimé. Son ange l'ayant ramenée,
lui dit que cet oubli avait été l'effet
d'une disposition de la justice divine. « Dieu
l'a permis, dit-il, en punition du peu de zèle que votre père
a eu durant sa vie pour Dieu, pour son âme
et pour celles de son prochain. Vous l'avez
vu tourmenté et transi d'un froid insupportable
dans un lac de glace: c'est le châtiment de
sa tiédeur au service de Dieu et de son indifférence
à l'égard du salut des âmes. Votre père
n'avait pas de mauvaises murs, il est vrai; mais il
ne montrait aucun empressement pour le bien, pour
les uvres pieuses et charitables auxquelles
l'Église exhorte les fidèles. Voilà
pourquoi Dieu a per-mis qu'il fût oublié,
même de vous, qui auriez trop diminué ses
peines. La divine justice inflige d'ordinaire ce
châtiment à ceux qui manquent de ferveur et
de charité: il permet qu'on se conduise
à leur égard, comme ils se sont
conduits envers Dieu et envers leurs frères.
» - C'est au reste , la règle de justice
que le Sauveur établit dans l'Évangile:
On se servira envers vous de la mesure dont vous vous
serez servis (1).
Chapitre 52
Avantages. - Charité envers les âmes,
récompensée par Jésus-Christ, -
Sainte Cath, de Sienne et Palmérine.
-:.- Sainte lJfad. de Pazzi et sa mère.
Le Seigneur est plus porté à récompenser
qu'à punir; et s'il inflige le châtiment de
l'oubli à ceux qui oublient 1es âmes si
chères à son cur, il se montrera
magnifiquement reconnaissant envers ceux qui l'assistent
dans la
(1) Matth. Vil, 2. Rossign. Merv. 22,
- 296 -
personne de ses épouses souffrantes.
Il leur dira au jour des récompenses:
« Venez, les bénis de mon Père,
posséder le royaume qui vous est préparé.
Vous avez exercé la miséricorde envers
vos frères nécessiteux et souffrants;
or, en vérité je vous le dis, le
bien que vous avez fait au moindre d'entr'eux,
vous l'avez fait à moi-même (1).
Souvent dès cette vie, Jésus récompense
par diverses faveurs les âmes compatissantes et
charitables. Sainte Catherine de Sienne avait par sa charité
converti une pécheresse, appelée Palmérine,
qui mourut et alla au purgatoire. La sainte ne
se donna point de repos qu'elle ne l'eût
délivrée: en récompense le Sauveur
permit à cette âme bienheureuse de
lui apparaitre, ou plutôt lui- même
voulut la montrer à sa servante comme une
magnifique conquête de sa charité.
Voici, d'après le B. Raymond, les détails de
ce fait.
Au milieu du XIVe siècle, lorsque sainte
Catherine de Sienne édifiait sa ville natale
par toutes sortes d'uvres de miséricorde,
une femme, nommée Palmérine, après
avoir été l'objet de sa plus tendre
charité, conçut pour sa bienfaitrice
une secrète aversion, qui dégénéra
bientôt en une haine implacable. Ne pouvant
plus la voir ni l'entendre, l'Ingrate Palmérine
se déchainait contre la servante de Dieu
et ne cessait de la noircir par les plus atroces
calomnies. Catherine fit tout ce qui était en
elle pour l'adoucir: ce fut en vain; aussi,
voyant que sa bonté, son humilité
et ses bienfaits ne faisaient qu'enflammer la fureur
de cette malheureuse, elle pria Dieu avec instance
d'amollir lui-même son cur endurci. Dieu
l'exauça en frappant Palmérine d'une maladie mortelle
; mais ce châtiment ne suffit pas pour la faire rentrer
en elle-même: en retour des soins les plus
tendres que la sainte lui prodiguait, elle l'accabla
d'injures et la chassa de sa présence.
(1) Matth. XXV. 40.
- 297 -
- Cependant sa fin approchait, et un
prêtre fut appelé pour lui administrer
les sacrements. La malade fut incapable de les recevoir à
cause de la haine qu'elle nourrissait et qu'elle
refusait de déposer. A cette triste nouvelle,
Catherine voyant que la malheureuse avait déjà
un pied dans t'enfer, répandit un torrent
de larmes et fut inconsolable. Durant trois
jours et trois nuits, elle ne cessa de supplier
Dieu pour elle, joignant le jeûne à la prière.
«Eh quoi! Seigneur, disait-elle, permettriez-vous
que cette âme périsse à cause
de moi? Je vous en conjure, accordez-moi à
tout prix sa conversion et son salut. Punissez sur moi
son péché, dont je suis l'occasion:
ce n'est pas elle, c'est moi qu'il faut frapper.
Seigneur, ne me refusez pas la grâce
que je vous demande: je ne vous quitterai point
que je ne l'aie obtenue. Au nom de votre bonté,
de votre miséricorde, je vous conjure, très
miséricordieux Sauveur, de ne pas permettre que l'âme
de ma sur quitte son corps, avant d'être rentrée
en grâce avec VOUS. »
Sa prière, ajoute l'historien de sa
vie, était si puissante i qu'elle empêchait
la m3ladè de mourir. L'agonie durait depu.is
trois jours et trois nuits, au grand étonnement
des assistants. Catherine pendant tout ce temps
continuait à intercéder, et finit
par remporter la victoire. Dieu ne put lui
résister plus longtemps et fit un miracle de miséricorde.
Un rayon céleste pénétra dans le cur de
la moribonde, lui fit voir sa faute et la
toucha de repentir. La sainte, à qui Dieu le
fit connaitre, accourut aussitôt; et dès
que la malade l'aperçut, elle lui donna toutes
les marques possibles d'amitié et de respect,
s'accusa de sa faute à haute voix, reçut pieusement
les sacrements et mourut dans la grâce du Seigneur.
.. ,
" Malgré: cette conversion sincère,
il était bien à craindre qu'une
pécheresse, à peine échappée à
l'enfer, n'eût à subir un rude purgatoire.
La charitable Catherine continua à faire
tout ce qui était en elle pour hâter à
Palmérine son entrée, dans la gloire.
- 298 -
Tant de charité ne pouvait rester
sans récompense.
« Notre-Seigneur, écrit le B. Raymond,
montra cette âme sauvée à son épouse.
Elle était si brillante, qu'elle m'a
dit elle-même qu'aucune expression n'était
capable de rendre sa beauté. Elle n'avait pas
encore cependant revêtu la gloire de la vision
béatifique, mais elle avait I éclat
que donnent la création et la grâce
du baptême. Notre- Seigneur lui disait: Voici,
ma fille, cette âme perdue que tu m'as fait
retrouver. Et il ajoutait: Ne te semble-t-elle
pas bien belle et bien précieuse? Qui ne
voudrait supporter toute espèce de peine pour
gagner une créature si parfaite et l'introduire
dans la vie éternelle? Si moi, qui
suis la beauté suprême, d'où découle
toute beauté, j'ai été captivé
par la beauté des âmes au point de descendre sur
la terre et de répandre mon sang pour les
racheter; à bien plus forte raison devez-vous travailler
les uns pour les autres, afin que des créatures si admirables
ne se perdent pas. ,Si je t'ai montré cette
âme, c'est pour que tu sois de plus en
plus ardente à tout ce qui regarde le salut
des âmes.
Sainte Madeleine de Pazzi, si pleine de dévotion
pour tous les défunts, épuisa toutes les ressources
de la charité chrétienne en faveur de sa mère,
lorsque celle-ci vint à mourir. Quinze
jours après sa mort, Jésus voulant consoler son
épouse, lui montra l'âme de la
bien-aimée défunte. Madeleine la vit dans
le paradis, couverte d'une splendeur éblouissante et
environnée de saints, qui paraissaient lui porter
beaucoup d'intérêt. Elle l'entendit
ensuite lui donner trois conseils, qui ne sortirent plus
de sa mémoire. « Ayez soin, ma fille,
lui dit-elfe, de descendre le plus bas que
vous pourrez dans la sainte humilité,
d'observer religieusement l'obéissance et
d'accomplir avec prudence tout ce qu'elle vous
prescrira. » - Cela dit, Madeleine vit sa bienheureuse
mère se soustraire à ses regards, et demeura
inondée des plus douces consolations(1).
(1) Cépari Vie de S Mad. Pazzi
- 299 -
Avantages. - Charité pour les défunts
récompensée. - S. Thomas d'Aquin, sa sur
et le Frère Romain. - L'archiprêtre Ponzoni
et don Alphonse Sanchez. - La B.
Marguerite et la Mère Greffier.
Le Docteur Angélique. S. Thomas d'Aquin,
pareillement fort dévot envers les âmes,.
Fut récompensé par plusieurs apparitions, que
l'on a connues par l'irrécusable témoignage
de cet illustre Docteur lui même (1).
Il offrait particulièrement à Dieu ses prières
et sacrifices pour les défunts qu'il avait connus,
ou qui étaient de sa parenté. Lorsqu'il était
lecteur de théologie à l'Université
de Paris, il perdit une sur , qui mourut au monastère
de Sainte- Marie de Capoue, dont elle était abbesse..
Dès que le Saint apprit son décès,
il recommanda son âme à Dieu avec
ferveur. Quelques jours après, elle lui
apparut, le conjurant d'avoir pitié d'elle, de
continuer et de redoubler ses suffrages, parce
qu'elle souffrait cruellement dans les flammes
de l'autre vie, Thomas s'empressa d'offrir à Dieu
toutes les satisfactions ne son pouvoir,
et réclama en outre les charitables
suffrages de plusieurs de ses amis,
Il obtint ainsi la délivrance de sa sur
qui vint-elle-même lui en donner l'assurance.
Ayant été peu de temps après, envoyé
à Rome par ses supérieurs, l'âme de cette
sur lui apparut, mais cette fois dans tout l'éclat
du triomphe et de la joie, et elle lui dit,
que ses prières pour elle étaient
exaucées, qu'elle était délivrée de
toute souffrance et qu'elle allait pour toute l'éternité
se reposer dans le sein de Dieu. Familiarisé avec
les choses surnaturelles, le Saint ne craignit pas d'interroger
l'apparition, et de lui demander ce qu'étaient
- 7 mars. Sa vie par Mafféi, et Ross. Merv.59
- 300 -
devenus ses deux frères, Arnould
et Landolphe, morts aussi depuis quelque temps.
« Arnould est au ciel, répondit l'âme, et
il jouit dun haut degré de gloire, pour
avoir défendu l'Eglise et Le Souverain-Pontife
contre les impies agressions de lempereur Fréderic.
Quant à Landolphe iI est encore dans
le purgatoire, où il souffre beaucoup et a grandement
besoin de secours. Pour VOUS, mon cher frère
ajouta-t-elle une place magnifique vous attend dans le paradis en
récompense de tout ce que vous avez fait pour l'Eglise
.Hâtez-vous de mettre la dernière main aux divers
travaux que vous avez entrepris, car vous viendrez bientôt
nous rejoindre. L'histoire rapporte quen effet
le saint Docteur ne vécut plus longtemps après.
Une autre fois, le même Saint, faisant oraison
dans l'église de S. Dominique à Naples, vit venir
à lui le Frère Romain, qui
lui avait succédé à Paris
dans la chaire de Théologie. Le Saint crut
d'abord qu'il venait d'arriver de Paris, car il
ignorait sa mort; il se leva donc, alla à
sa rencontre, et le salua en sinformant de sa santé
et des motifs de son voyage. - « Je ne
suis plus de ce monde, lui dit le religieux
en souriant; et par la miséricorde de Dieu je
SuiS déjà en possession du souverain
Bien. Je viens par ses ordres vous encourager dans
vos travaux. - Suis-je en état de grâce?
demanda aussitôt Thomas. - Oui, mon frère,
et vos uvres sont très agréables à Dieu.
Et vous, avez-vous subi le purgatoire - Oui,
pendant quinze jours, pour diverses infidélités
que je navais pas suffisamment expiées auparavant.»
.
Alors Thomas, toujours préoccupé des
questions théologiques, voulut profiler
de l'occasion pour éclaircir le mystère
de la vision béatifique; mais il lui
fut répondu par ce verset du Psaume 47: Sicut
audivimus, bic vidimus in civitate Dei nostri; ce que
nous avions appris par la foi, nous l'avons vu de nos
yeux dans la cité de notre Dieu.
- 301 -
- En prononçant ces paroles, l'apparition
s'évanouit, laissant l'angélique Docteur
embrasé du désir des biens éternels.
Plus récemment, au XVIe siècle,
une faveur du même genre, peut-être plus
éclatante, fut accordée à un zélateur
des âmes du purgatoire, ami particulier de
S. Charles Borromée. Le vénérable
Gratien Ponzoni, archiprêtre d'Arona, s'intéressa
toute sa vie au soulagement des âmes.
Pendant la fameuse peste qui fit
tant de victimes au diocèse de Milan, Ponzoni;
non content de se multiplier pour administrer les sacrements
aux pestiférés, n'avait pas craint de
se faire fossoyeur et d'ensevelir les cadavres:
car la peur avait paralysé tous les
courages, et personne n'osait se charger de cette
terrible besogne. Il avait surtout assisté
à la mort, avec un zèle et une
charité tout apostoliques, un grand nombre de ces infortunés
d'Arona; et les avait convenablement inhumés
dans le cimetière situé près de
son église de Sainte-Marie.
Un jour, après l'office de$ vêpres,
comme il passait auprès de ce cimetière,
accompagné de don Alphonse Sanchez, alors gouverneur
d'Arona. Il s'arrêta tout à coup,
frappé d'une vision extraordinaire. Craignant
d'être le jouet d'une hallucination, il se
tourna vers don Sanchez, et lui adressant la parole:
Monsieur, lui demanda-t-il, voyez-vous le même
spectacle qui se présente à mes regards?
- Oui, reprit le gouverneur, qui s'arrêtait
dans la même contemplation je vois une procession
de morts, qui s'avancent de leurs tombes vers l'église;
et j'avoue que, avant que vous m'en eussiez parlé,
j'avais peine à en croire mes yeux. Assuré
alors de la réalité
de Iapparition, ce sont probablement, ajouta l'archiprêtre,
les récentes victimes de la peste qui nous
font connaître ainsi qu'elles ont besoin de
nos prières. Aussitôt il fit sonner
les cloches et convoquer les paroissiens pour le lendemain
à un service solennel en faveur des défunts
(1).
(1) Vie du V én. Ponzoni. Cf. Ross. Merv.
75.
On voit ici deux personnages que l'élévation
de leur esprit met en garde contre tout péril d'illusion,
et qui, frappés tous deux en même temps
de la même apparition, ne se décident
à y ajouter foi qu'après avoir constaté
que
leurs yeux perçoivent le même phénomène,
Il n'y a pas là la moindre place à
l'hallucination, et tout homme sérieux doit
admettre la réalité d'un fait surnaturel
attesté par de tels témoins. -,--
On ne saurait non plus raisonnablement révoquer
en doute des apparitions appuyées sur le témoignage
d'un saint Thomas d'Aquin, et citées un
peu plus haut. Ajoutons qu'on doit pareillement
se garder de rejeter légèrement d'autres
faits du même genre, du moment qu'ils sont
attestés par des personnes d'une sainteté
reconnue et vraiment digues de foi. Il faut
de la prudence, sans doute, mais une prudence
chrétienne, également éloignée
de la crédulité et de cet esprit trop entier
que Jésus-Christ, comme nous l'avons fait
observer ailleurs; reprend dans un de ses
apôtres: Noli esse incredulus, sed fidelis, ne
sois pas incrédule, mais croyant (1),
Monseigneur Languet, évêque de Soissons,
fait la même remarque, à propos d'une circonstance
qu'il cite dans sa Vie de la B. Marguerite
Alacoque. « La demoiselle Billet, dit-il, femme
du médecin de la Maison; c'est-à-dire,
du couvent de Paray, où résidait
la Bienheureuse, était venue à mourir. L'âme
de la défunte apparut à la servante
de Dieu pour lui demander des prières, et
elle la chargea en même temps d'avertir son mari de deux
choses secrètes, qui concernaient la justice et son
salut. Sur Marguerite rendit compte à la mère
Greffier, sa supérieure, de ce qu'elle avait vu. La
supérieure se moqua de la vision, et de celle
qui la lui rapportait: elle imposa silence, à
Marguerite, et lui défendit de rien dire
ni de rien faire de ce qui lui avait été
demandé. L'humble religieuse obéit avec simplicité
et, avec
- 303 -
la même simplicité, elle rapporta à
la mère Greffier une seconde sollicitation que
lui fit encore la défunte peu de jours
après: ce que cette supérieure
méprisa encore. Mais la nuit, suivante elle fut
elle-même troublée par un bruit si horrible qui
se fit entendre dans sa chambre, qu'elle en pensa mourir
d'effroi. Elle appela des surs, et ce secours
vint à propos, car' elle était presque
pâmée.
Quand elle fut revenue à elle, elle se reprocha
son incrédulité, et ne manqua pas d'avertir
le médecin de ce qui avait été dit à
la sur Marguerite.
» Le médecin reconnut que l'avis venait
de Dieu, et en profita. Pour la mère Greffier, elle apprit par son
expérience, que si la défiance est
ordinairement le parti le plus sage, il ne faut
pas /non plus la pousser trop loin, surtout quand
la gloire de Dieu et l'avantage du prochain peuvent y être
intéressés. »
Chapitre 54
Avantages. ~ Pensée salutaire. - Satisfaire
en cette vie plutôt qu'en l'autre. - S.
Augustin et S. Louis Bertrand. - Le Frère Lourenço.
- Le Père Michel de la Fontaine.
Outre les avantages que nous venons de considérer,
la charité envers les défunts est singulièrement salutaire
à ceux qui la pratiquent, parce qu'elle
leur inspire la ferveur dans le service de
Dieu et leur suggère les plus saintes pensées.
Songer aux âmes du purgatoire c'est songer aux
peines de l'autre vie, c'est se rappeler
que tout péché demande son expiation,
soit en cette vie soit en l'autre.
Or qui ne comprend qu'il vaut mieux satisfaire ici, puisque
les châtiments futurs sont si terribles? Une voix
semble sortir du purgatoire et nous dire cette
sentence de
-304-
l'Imitation: Il vaut mieux extirper maintenant
nos vices, et expier nos péchés,
que de remettre à les expier en lautre
monde (1). On se rappelle aussi cette
autre parole, qui se lit au même chapitre:
Là, une heure dans le tourment, sera plus terrible
qu'ici-bas cent années de la plus amère et de
la plus rigoureuse pénitence. »
- Alors, pénétré d'une crainte
salutaire, on souffre volontiers les peines de
la vie présente, et on dit à Dieu, avec S. Augustin
et S. Louis Bertrand: Domine, hic ure, hic seca, hic
non parcas, ut in ternum parcas: Seigneur, appliquez
ici-bas le fer et le feu, ne m'épargnez point en cette
vie, afin que vous m'épargniez en
l'autre .
Le chrétien rempli de ces pensées,
regarde les tribulations de la vie présente et en particulier
les souffrances parfois bien douloureuses de la maladie, comme
un purgatoire sur la terre, qui pourra le dispenser
du purgatoire après ]a mort.
Le 6 janvier 1676, mourut à Lisbonne, âgé
de soixante- dix-neuf ans, le serviteur de Dieu
Gaspar Lourenço, frère coadjuteur de la
Compagnie de Jésus, et porter de la maison
Professe de cet Institut, lI était rempli
de charité pour les pauvres et pour les âmes
du purgatoire, Il se dépensait sans
ménagement au service des malheureux, et leur
enseignait, merveilleusement à bénir Dieu
de la misère qui devait leur valoir
le ciel. Lui-même était si pénétré
du bonheur de souffrir pour Notre-Seigneur, qu'il
se crucifiait presque sans mesure et ajoutait encore à
ses austérités, la veille des jours de
Communion. A l'âge de soixante-dix-huit ans,
il n'acceptait aucun adoucissement aux jeûnes et
aux abstinences de l'Eglise, et ne laissait passer
aucun jour sans se flageller au moins deux fois Jusque
dans sa dernière maladie, le Frère
infirmier s'aperçut que les approches mêmes de
Ia mort ne lui avaient pas fait quitter son
cilice: tant il désirait mourir sur la croix.
(1) lmit.l,.24.
- 305 -
Les seules douleurs de son agonie, qui fut
cruelle, auraient du lui tenir lieu des plus
rudes pénitences, Quand on lui demandait s'il souffrait
beaucoup? Je fais mon purgatoire avant de
partir pour le ciel, répondait-il d'un air radieux. -
Le Frère Lourenço était né le jour de
l'Epiphanie; et Notre-Seigneur lui avait révélé
que ce beau jour devait être aussi celui
de sa mort. Il en désigna même lheure,
dès la nuit précédente; et comme
l'infirmier en le visitant vers l'aube du jour, lui
disait avec un , sourire de doute: «N'est-ce
donc pas aujourd'hui, mon Frère que vous comptez
aller jouir de Dieu? - Oui, répondit-il,
dès que j'aurai une dernière fois
reçu le corps de mon Sauveur. Il reçut
en effet la sainte communion; et à peine eut-il commencé
son action de grâces, qu'il expira sans, effort, et sans
agonie.
Il y a donc tout lieu de croire qu'il
parlait avec une connaissance surnaturelle de la
vérité, lorsqu'il disait: Je fais mon purgatoire
avant de partir de ce monde.
Un autre serviteur de Dieu reçut de la Sainte
Vierge elle-même l'assurance que les souffrances, terrestres
lui tiendraient lieu de purgatoire. Je parle du ,Père
Michel de la Fontaine, qui s'endormit du sommeil
des justes le 11 février 1606 à
Valence en Espagne. II fut un des premiers missionnaires
qui travaillèrent au salut des peuples du Pérou.
Son plus grand soin en instruisant les nouveaux convertis,
était de leur inspirer une horreur souveraine
du péché, et de les porter à
la dévotion envers la Mère de Dieu en leur
parlant des vertus de cette admirable Vierge, et en leur
enseignant la manière de réciter le chapelet.
Marie de son côté ne lui refusait pas
ses faveurs. Un jour que, épuisé
de fatigue, Il gisait étendu sur la poussière,
n'ayant pas la force de se relever,
il fut visité par Celle que l'Eglise appelle
avec raison la Consolatrice des affligés.
Elle ranima son courage en lui disant : Confiance, mon
Fils: Vos fatigues vous tiendront lieu de purgatoire;
- 306 -
supportez saintement vos peines, et au sortir de cette vie, votre âme sera reçue dans le séjour des Bienheureux. Cette vision fut pour le père de la Fontaine, durant le reste de sa vie, et surtout à l'heure de sa mort, une source abondante de consolation. En reconnaissance de cette faveur, il pratiquait chaque semaine quelque pénitence extraordinaire. Au moment où il expira, un religieux d'une éminente vertu vit son âme monter au ciel, dans la compagnie de la Sainte Vierge, du prince des Apôtres, de S. Jean l'Évangéliste et de saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus.
Chapitre 55
Avantages, - Enseignements salutaires. - La B. Marie-des-Anges. - Saint Pierre Claver et le nègre malade. - Le nègre et le chapelet.
Outre les saintes pensées que suggère
la dévotion envers les âmes, celles-ci contribuent
parfois elles-mêmes directement au bien spirituel de
leurs bienfaiteurs. Dans la vie (1) de la
bienheureuse Marie-des-Anges, de l'Ordre du Carmel,
il est dit qu'on croirait à peine combien étaient
fréquentes les apparitions d'âmes du
purgatoire, qui venaient implorer son secours, puis la remercier
de leur délivrance. Souvent elles s'entretenaient
avec la Bienheureuse, lui donnaient des avis utiles
pour elle ou pour ses surs, et lui révélaient
même des, choses de l'autre monde. Le mercredi
dans l'octave de l'Assomption, écrit-elle, comme
je faisais l'oraison du soir, une de nos
bonnes surs m'apparut; elle était vêtue
de blanc, envi-
(1) Par le Chan, Labis Tournai, Casterman.
--307
ronnée de gloire et de splendeur, et si belle, que
je ne trouve ici bas rien à quoi la comparer.
Redoutant quelque illusion du démon, je me
munis du signe de la croix mais elle me fit
un sourire et disparut peu après, Je priai Notre-:Seigneur
de ne pas permettre que je fusse
trompée par le démon. La nuit suivante, la sur
m'apparut encore, m'appela par mon nom et
me dit: « Je viens de la part de Dieu pour vous
faire savoir que je jouis des biens éternels;
dites à notre mère Prieure qu'il n'entre
pas dans les desseins de Dieu qu'elle sache ce qui doit
lui arriver; dites-lui encore de mettre sa confiance
en S. Joseph et dans les âmes du purgatoire.
Ayant ainsi parlé elle disparut.
Saint Pierre Claver, l'apôtre des nègres
de Carthagène, fut aidé par les âmes du
purgatoire dans l'uvre de son apostolat, Il n'abandonnait
pas les âmes de ses chers nègres après
la mort: pénitences, prières, messes, indulgences,
« il leur appliquait, dit le P. FJeurian,
historien de sa vie, tout ce qui dépendait
de lui. Aussi arrivait-il souvent que ces
âmes affligées, sûres de son
crédit auprès de Dieu, venaient lui demander
le secours de ses prières. La délicatesse
et l'incrédulité de notre siècle ajoute le même
auteur, ne m'empêcheront pas d'en rapporter ici quelques
traits. Ils paraîtront peut-être dignes
de la raillerie des esprits-forts; mais ne suffit-il
pas de reconnaître un Dieu maître de
ces sortes d'événements, et que d'ailleurs
ils soient bien attestés pour qu'ils puissent
trouver place dans une histoire écrite pour
des lecteurs chrétiens?
Un nègre malade, qu'il avait retiré
dans sa chambre et couché dans son
lit, ayant entendu la nuit de grandes plaintes,
la frayeur le fit courir promptement au Père
CIaver, qui pour lors était à genoux
en oraison: « 0 mon Père, lui dit-il;
quel est donc ce grand bruit qui m'effraye
ainsi et qui m'empêche de dormir! Retournez, mon
fils, lui répondit le saint homme, et dormez
sans crainte. » - Alors; l'ayant aidé
à se remettre au lit, et
-308-
lui ayant posé la couverture sur la
tête, II ouvrit la porte de la chambre, dit
quelques paroles, et tout à coup les
plaintes cessèrent. Plusieurs autres nègres
étant occupés à travailler dans une habitation
éloignée de la ville, un d'eux alla
pour couper du bois sur une montagne voisine. Comme
il approchait de la forêt, il entendit que,
du haut d'un arbre, on l'appelait par son nom. Il
leva les yeux vers l'endroit d'où partait la voix,
et ne voyant personne, il voulut s'enfuir pour rejoindre
ses compagnons; mais il fut arrêté
à un passage étroit par un spectre effrayant,
qui commença â décharger sur lui de grands
coups, avec un fouet garni de fer tout rouge
de feu, en lui disant: Pourquoi n'as-tu
pas ton chapelet ? Porte-le désormais
et le dis pour les âmes du purgatoire. »
- Le fantôme lui ordonna ensuite de
demander à la maîtresse de l'habitation
quatre écus qu'elle lui devait, et
de les porter au P. Claver, pour faire dire des
messes à son intention; après quoi
il disparut.
Cependant au bruit des coups et aux cris du
nègre, ses compagnons étant accourus, ils
le trouvèrent plus mort que vif, et encore
tout meurtri des coups qu'il avait reçus, sans
pouvoir leur dire une parole. On le porta à l'habitation,
où la maîtresse avoua qu'elle était
effectivement redevable de la somme en question à
un nègre qui était mort peu de temps auparavant.
Le P. Claver ayant été informé de tout ce
détail, fit dire les messes qu'on demandait, et donna
un chapelet au nègre, qui ne manqua plus de
le porter sur lui et de le réciter dans fa suite.
- 309 -
Avantages. - Enseignements salutaires. -
Sainte Mad. de Pazzi et la sur Benoîte.
- Le Père Paul Hoffée. - Le
Vén. P. de la Colombière. - Louis
Corbintti.
Sainte Madeleine de Pazzi reçut dans
l'apparition d'une défunte les plus belles instructions
sur les vertus religieuses, Il y avait dans son
couvent une sur, appelée Marie- Benoîte, qui
se distinguait par sa piété, son obéissance
et toutes les autres vertus qui font l'ornement
des âmes saintes. Elle était si humble,
dit le P. Cépari, et avait un tel mépris d'elle-même,
que, sans la discrétion des Supérieurs,
elle eût fait des extravagances, dans le
seul but de se faire la réputation
dune tète sans prudence et sans jugement.
Elle disait, à ce propos, qu'elle ne pouvait s'empêcher
d'être jalouse de saint Alexis, qui avait su trouver
le moyen de mener une vie cachée et méprisable
aux yeux du monde. Elle était si souple
et si prompte à l'obéissance, qu'elle courait
comme un enfant au moindre signe de la volonté
des supérieures; et que celles-ci avaient
besoin, dans les ordres qu'elles lui donnaient,
d'user d'une grande circonspection, de peur
qu'elle n'allât au-delà de leurs désirs.
Enfin elle était parvenue à exercer sur ses passions
et sur tous ses appétits un tel empire, qu'il
serait difficile d'imaginer une mortification plus parfaite.
, Cette bonne sur mourut presque subitement,
après quelques heures seulement de maladie. Ie
lendemain, qui était un samedi, lorsqu'on célébrait
la sainte messe pour son âme, les religieuses
ayant commencé à chanter le Sanctus, Madeleine
fut ravie en extase. Pendant ce ravissement, Dieu lui
fit voir cette âme dans la gloire sous une
forme corporelle: elle était ornée d'une étoile
d'or, qu'elle avait reçue en récompense de son
ardente
- 310 -
charité. Tous ses doigts étaient chargés
d'anneaux précieux, à cause de
la fidélité à toutes ses règles
et du soin avec lequel elle avait, sanctifié ses
actions les plus ordinaires. Elle portait sur la
tête, une très riche couronne, parce qu'elle
avait beaucoup ainsi l'obéissance et les souffrances
pour Jésus-Christ. Enfin: elle surpassait en gloire
une grande multitude de vierges et elle contemplait
Jésus- Christ avec une singulière familiarité,
parce qu'elle avait tant aimé l'humiliation, selon
cette parole du Sauveur: Celui qui s'abaisse sera
élevé (1). - Telle fut la sublime
leçon que reçut la Sainte, en récompense
de sa charité pour les défunts.
La pensée du purgatoire nous presse
de travailler avec ardeur et de fuir les moindres
fautes pour éviter les terribles expiations
de l'autre vie. Le Père Paul Hoffée,
qui mourut saintement à Ingolstadt, l'an 1608,
se servait de ce stimulant pour lui-même et pour les
autres. Il ne perdait jamais de vue le purgatoire
et ne cessait de soulager les âmes, qui lui apparaissaient
fréquemment pour solliciter ses suffrages. Comme
il fut longtemps supérieur de ses frères
en religion, il ,les exhortait souvent à
le sanctifier dabord eux-mêmes pour mieux
sanctifier ensuite les autres, et à ne
jamais négliger la moindre prescription
de leurs règles; puis il ajoutait avec une grande
simplicité « Je crains bien, sans
cela, que vous ne veniez un jour, comme
,p1usieurs autres, me 'demander des prières
pour vous tirer du purgatoire. »
Dans ses derniers moments, il ne faisait
plus que s'entretenir avec Notre-Seigneur, sa sainte
Mère et les Saints. Il fut sensiblement
consolé par la visite d'une très-sainte
âme , qui l'avait précédé
de deux ou trois jours à peine dans le ciel, et
l'invitait à venir lui-même pour jouir
enfin, de la vue et de l'amour éternel
de Dieu (2). ..
(1) Matth.XXIII, 12.
{2)Ménologe de la COlnp. de Jésus,
Ii décemb.
- 311 -
Quand nous disons que la pensée du
purgatoire nous fait employer les moyens de l'éviter,
nous supposons évidemment que nous
avons à craindre d'y tomber. Or cette crainte
est-elle fondée?- Pour peu qu'on réfléchisse
à la sainteté requise pour entrer au ciel,
et à la faiblesse humaine, source de tant
de souillures, on comprend aisément
que cette crainte n'est que trop fondée. D'ailleurs,
les faits qu'on a lus plus haut, ne montrent-ils pas
que les âmes les plus saintes, très-souvent
ont encore une expiation à subir en l'autre
vie?
Le Vén.Père Claude. de la Colombière
mourut saintement à Paray, le 15 février
1682, comme le lui avait prédit la B. Marguerite
Marie. Dès qu'il eut expiré une fille dévote
vint annoncer sa mort à sur Marguerite. La sainte
religieuse, sans s'émouvoir et sans se répandre
en regrets, dit simplement à cette personne:
Allez prier Dieu pour lui, et faites en
sorte que partout on prie pour le repos
de son âme: » Le Père
était mort à cinq heures du matin. Le même
jour, sur le soir, elle écrivit à
la même personne un billet en ces termes:
Cessez de vous affliger, invoquez-le. Ne craignez
rien. Il est plus puissant pour vous secourir
que jamais. Ces deux avis font présumer
qu'elle avait été averti surnaturellement de
la mort de ce saint homme et de son état
dans l'autre vie.
La paix et la tranquillité de sur Marguerite
à la mort d'un directeur qui lui avait été
si utile, fut une autre Sorte de miracle. La bienheureuse
n'aimait rien qu'en Dieu et pour Dieu; Dieu lui tenait
lieu de tout, et consumait en elle, par le feu de son
amour, toute sorte d'attachement.
La supérieure fut elle-même surprise,
de sa tranquillité sur la mort du saint missionnaire,
et encore plus de ce qu'elle ne lui demandait point la
permission de faire quelque pénitence extraordinaire
pour le repos de son âme, comme elle avait
coutume de faire à la mort de ceux qu'elle
avait connus, et pour qui, elle croyait devoir
s'intéresser plus particulièrement. La Mère
supérieure en
-312-
demanda la cause à la servante de Dieu,
qui lui répondit tout simplement: « Il n'en
a pas besoin. Il est en état de prier Dieu
pour nous, étant bien placé dans le ciel par la
bonté et miséricorde du Cur sacré
de Notre Seigneur Jésus-Christ. Seulement,
ajouta-t-elle, pour satisfaire à quelque négligence
qui lui était restée dans l'exercice du divin
amour, son âme a été privée de voir Dieu
dès la sortie de son corps, jusqu'au
moment où il fut déposé dans le tombeau.
» (1)
Nous ajouterons, encore un exemple, celui du
célèbre Père Corbinelli. Ce saint
personnage ne fut pas exempté du purgatoire.
Il est vrai qu'il ne sy arrêta point,
mais il eut besoin d'y passer avant d'être admis devant
la face de Dieu. Louis Corbinelli, de la
Compagnie de Jésus, mourut en odeur de sainteté
dans la maison professe de Rome, l'an1591,
presquen même temps que S. Louis de Gonzague.
La mort tragique de Henri Il, roi
de France, l'avait désabusé du siècle,.
et décidé à se consacrer entièrement
à Dieu. L'an 1559 de grandes fêtes se célébraient
à Paris pour le mariage de la princesse Èlisabeth,
fille de Henrri II. Entre autres réjouissances,
on avait organisé un tournoi, où
figurait la fleur de ta noblesse, l'élite
de la chevalerie française. Le roi
s'y montra au milieu d'une cour splendide. Parmi
les spectateurs, accourus tllê!Jl8 de l'étranger,
se trouvait le jeune Louis Corbinelli, venu de
Florence, sa patrie, pour assister à ces brillantes
fêtes. Corbinelli contemplait avec admiration la gloire
du monarque Français, au faite de la grandeur
et de la prospérité, lorsqu'il le
vit tomber soudain, frappé d'un coup mortel
par un jouteur imprudent. La lance mal dirigée
de Montgomery avait percé le roi, qui expirait
baigné dans son sang. En un clin d'il toute
cette gloire s'évanouissait, et la magnificence
royale se couvrait d'un linceul. Cet
évé-
- 313 -
nement fit sur Corbinelii une impression salutaire:
voyant à découvert la vanité des
grandeurs humaines, il renonça au monde et embrassa
l'état religieux dans la Compagnie de Jésus.
Sa vie fut celle d'un saint et sa mort remplit de
joie ceux qui en furent témoins. Elle arriva
peu de jours avant celle de S. Louis de Gonzague alors
malade au collège romain. Le jeune Saint annonça
au Cardinal Bellarmin que l'âme du père Corbinelli
était entrée dans la gloire; et comme le Cardinal
lui demanda si elle n'avait pas passé par
Je purgatoire? « Elle y a passé, répondit-il,
mais sans s'y, arrêter.
Chapitre 56
Avantages. - Stimulant de ferveur.
- Nous précautionner. -Probabilité
d'aller en purgatoire. - Moyens de
s'y soustraire.- Emploi de ces moyens. -
Sainte Cath. de Gènes.
Si de saints religieux passent par le purgatoire,
quoique sans s'y arrêter ,n'avons-nous pas à craindre
d'y passer à notre tour et même de nous
y arrêter plus ou moins longtemps? Pouvons-nous nous
endormir dans une sécurité qui serait au
moins imprudente? Notre foi et notre conscience
nous disent assez que la crainte est ici bien fondée.
Je vais plus loin, cher lecteur, et je dis,
qu'avec un peu de réflexion, vous avouerez
vous-même, qu'il est très-probable et presque
certain que vous irez en purgatoire. N'est-il pas vrai
qu'en sortant de la vie, votre âme entrera dans
un des trois séjours que la foi nous montre:
l'enfer, le ciel, le purgatoire ? Irez-vous en enfer?
Ce n'est pas probable: parce que, vous avez
en horreur le péché mortel, et que pour
rien au monde vous ne voudriez le commettre ou
le garder sur votre conscience, après l'avoir commis.
-
- 314 -
Irez-vous droit au ciel? Vous répondez
aussitôt que vous vous sentez bien
indigne d'une telle faveur. - Il reste donc
le purgatoire, et vous devez avouer qu'il est très-
pro9able, presque certain que vous entrerez
.dans le séjour des expiations.
En mettant sous vos yeux cette grave situation ne
croyez pas, cher lecteur, que nous voulions vous
effrayer ou vous ôter l'espérance d'entrer
au ciel sans purgatoire.
Au contraire, cette espérance doit rester au fond
de nos curs, elle est conforme à l'esprit
de Jésus-Christ, qui ne désire nullement
que ses disciples aient besoin des expiations
futures. Il a même institué des sacrements
et établi toutes sortes de moyens pour les
aider à satisfaire pleinement en ce
monde. Mais ces moyens sont trop peu employés;
et c'est surtout une crainte salutaire
qui stimule les âmes afin qu'elles les emploient.
Or, quels sont les moyens que nous avons, d'éviter
ou du moins d'abréger d'avance et d'adoucir la
rigueur de notre purgatoire? Ce sont évidemment
les exercices et les uvres qui nous aideront
le mieux à satisfaire en ce monde et à
trouver miséricorde auprès de Dieu, savoir les suivants:
La dévotion envers la sainte Vierge
Marie et la fidélité à porter son scapulaire;
la charité envers les vivants et les morts;
la mortification et l'obéissance; la pieuse réception
des sacrements, surtout à l'approche de
la mort; la confiance en la divine miséricorde;
et enfin la sainte acceptation de la mort
en union avec la mort de Jésus-Christ sur la croix.
Ces moyens sont assez puissants pour nous préserver
du purgatoire; mais il faut les employer. Or
pour les employer sérieusement et avec persévérance,
une condition est nécessaire: c'est de
former la ferme résolution de satisfaire
en ce monde plutôt qu'en l'autre. Cette résolution
doit être basée sur la foi, qui nous
montre combien la satisfaction est légère en
cette vie, combien elle est terrible au purgatoire.
Hâtez-vous, dit Jésus-
- 315 -
Christ, de vous réconcilier avec
votre adversaire pendant que vous êtes en
chemin avec lui; de peur que votre
adversaire ne vous livre au Juge, et que
le juge ne vous livre à son ministre, et
que vous ne soyez envoyé en prison. En vérité
je vous le dis, vous ne sortirez pas de là,
que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière
obole (1).
Se réconcilier avec son adversaire pendant
le chemin, signifie, dans la bouche du Sauveur,
apaiser la divine justice et satisfaire pendant
le chemin de la vie, avant d'arriver au terme
immobile, à cette éternité
où toute pénitence est impossible et où
il faudra subir les rigueurs de la justice. Ce
conseil du Sauveur n'est-il pas sage?
Peut-on sans folie porter au tribunal de Dieu une
dette énorme que l'on aurait acquittée
facilement par quelques uvres de pénitence,
et qu'il faudra payer alors par des années
de supplices? Celui, dit Sainte Catherine
de Gênes, qui se purifie de ses fautes
dans la vie présente, satisfait avec un sou
à une dette de mille ducats; et celui qui attend,
pour s'acquitter, jusqu'aux jours de l'autre vie,
se résigne à donner mille ducats
pour ce qu'il aurait payé avec un sou en
temps opportun.
Il faut donc commencer par la résolution,
solide et efficace, de satisfaire en ce monde: c'est
la pierre fondamentale. Ce fondement bien affermi, on
s'appliquera à employer les moyens énumérés
plus haut.
(1) Matth. V, 21:.
- 316 -
moyens d'éviter le purgatoire. Grande
dévotion à la S . Vierge.- Le Père
Jerôme Carvalho. Sainte Brigitte. - Le scapulaire
du Mont Carmel.
Un serviteur de Dieu résumait ces moyens
et les réduisait à deux en disant, que nous purifions
nos âmes par l'eau et par le feu:
il voulait dire, par l'eau des larmes et de
la pénitence, parole feu de la charité
et des bonnes uvres - On peut en effet tout
ramener à ces deux exercices, et cette
théorie est conforme à l'Écriture,
où nous voyons que les âmes sont lavées
de leurs souillures et purifiées comme l'or dans
la fournaise. Mais comme nous devons moins
chercher les théories que la pratique, suivons
la méthode que nous avons indiquée, et qui est
pratiquée avec succès par les saints et
les fidèles fervents.
D'abord pour obtenir une grande pureté d'âme
et par conséquent pour n'avoir pas beaucoup
à redouter le purgatoire, il faut avoir une grande
dévotion à la très sainte Vierge
Marie. Cette bonne Mère aidera tellement
ses chers enfants à préparer leurs âmes,
et à leur adoucir le purgatoire, quils peuvent
se reposer dans la plus grande confiance. Elle
veut du reste elle-même qu'ils ne se troublent
pas a ce, sujet, qu'ils ne se livrent pas
à des craintes excessives, comme elle daigne
le déclarer à son serviteur Jérôme
Carvalho, dont nous avons parlé plus haut: Rassurez-vous,
mon fils, lui dit-elle, je suis la Mère
de miséricorde pour mes chers enfants du purgatoire, aussi
bien que pour ceux qui vivent sur la terre. -
Dans les Révélations de sainte Brigitte,
nous lisons quelque chose de semblable: Je suis, dit
la Vierge à cette Sainte, la Mère
de tous ceux qui sont dans le lieu de l'expiation;
mes prières adoucissent les châtiments qui
leur sont infligés. pour leurs fautes (1).
(1) Liv. 4, chap. 1.
. ,
- 317 - .
Ceux qui portent saintement le Scapulaire; ont un
droit spécial à la protection de
Marie. La dévotion du saint Scapulaire consiste, non
en une manière de prier comme le saint Rosaire;
mais dans la pieuse pratique de porter une sorte
de vêtement, qui est comme la livrée de
la Reine des cieux.
Le scapulaire de Notre :Dame du Mont-Carmel,
dont nous parlons ici, remonte pour son, origine au
XIII siècle, et fut prêché d'abord par
le Bienheureux Simon Stock, cinquième Général
de l'Ordre des Carmes. Ce célèbre serviteur de
Marie, né au comté.de Kent en Angleterre, l'année
1180, se retira jeune encore dans une forêt
solitaire pour y vivre dans la prière
et la pénitence. II choisit pour demeure
le creux d'un arbre, où il attacha un crucifix
et une image de la sainte Vierge, qu'il honorait
comme sa Mère, et qu'il ne cessait d'invoquer
avec le plus tendre amour. Depuis douze ans il
la suppliait de lui faire connaître ce qu'il
pourrait faire de plus agréable à elle
et à son divin fils, lorsque la Reine des
cieux lui dit d'entrer dans lOrdre du Carmel,
particulièrement dévoué à
son culte. Simon obéit, et, sous la protection
de Marie, devint un religieux exemplaire, l'ornement de
l'Ordre des Carmes, dont il fut élu
supérieur général en 1245. Un jour, c'était
le 16 juillet 1251, la sainte Vierge lui apparut,
entourée d'une multitude d'esprits célestes,
et le visage rayonnant de joie. Elle lui
présenta un scapulaire de couleur brune en disant:
« Reçois, mon cher fils, ce scapulaire de
ton Ordre: c'est le signe de ma confrérie et la
marque du privilège que j'ai obtenu
pour toi et pour les confrères du
Carmel. Quiconque mourra, pieusement revêtu de
cet habit, sera préservé des feux
éternels. C'est un signe de salut, une sauvegarde
dans les périls, le gage d'une paix et d'une protection
spéciales jusqu'à la fin des siècles.
»
L'heureux vieillard publia partout la grâce
qu'il avait obtenue, montrant le scapulaire, guérissant
des malades
- 318 -
et opérant d'autres miracles, comme preuve de sa
merveilleuse vision. Aussitôt Édouard 1er, roi
d'Angleterre, saint Louis IX, roi de France, et
à leur exemple presque tous les Souverains
de l Europe, ainsi qu'un grand nombre
de leurs sujets, prirent le saint habit. C'est
alors que commença la célèbre Confrérie
du Scapulaire, qui fut, bientôt après;
canoniquement ratifiée par le Saint-Siège.
Non contente d'avoir accordé ce premier
privilège, Marie fit une autre promesse à
l'avantage des associés du scapulaire, en
les assurant d'une prompte délivrance des
peines du purgatoire. Environ cinquante' ans après la mort
du B,Simon " l'illustre Pontife Jean XXII faisant oraison
de grand matin,' vit apparaître la Mère de Dieu,'
environnée de lumière et portant l'habit
du Carme., Elle lui dit entre autres choses :
Si, parmi les religieux ou les confrères du Carmel,
il s'en trouve que leurs fautes conduisent
en purgatoire , je descendrai au milieu d'eux comme
une tendre Mère; le samedi après
leur mort; je délivrerai de leurs peines ceux
qui s'y trouvent, et je les conduirai sur la montagne
sainte de la vie éternelle. »
C'est en ces termes que le Pontife fait parler
Marie, dans la célèbre Bulle du 3 mars 1322,appelée
communément Bulle sabbatine, il la termine par ces paroles:
« J'accepte donc cette sainte indulgence,
je la ratifie et la confirme sur la terre, comme
Jésus-Christ l'a gracieusement accordée
dans les cieux par les, mérites de
la très-sainte Vierge. Ce privilège a été
confirmé dans la suite par un grand nombre
de Bulles et de Décrets des Souverains Pontifes.
Telle est la dévotion du saint Scapulaire,
Elle est sanctionnée par la pratique des
âmes pieuses dans toute la chrétienté,
par le témoignage de vingt-deux Papes,
par les écrits d'un nombre incalculable de savants
auteurs, et par des miracles multipliés depuis
600 ans; de telle sorte, dit l'illustre Benoit
XIV, que celui qui oserait révoquer
en doute la solidité de la dévotion
au scapulaire; ou nier ses privilèges, serait un contempteur
orgueilleux de la religion. »
- 319 -
Moyens déviter le purgatoire. - Privilèges
du saint Scapulaire. - Le vén. P.
de la Colombière. - Hôpital de Toulon. -
La Sabbatine. - Sainte Thérèse. -
Une dame d'Otrante.
D'après ce qui précède, la sainte Vierge
a attaché au saint scapulaire deux grands
privilèges; de leur côté les Souverains-Pontifes
y ont ajouté les plus riches indulgences,
Nous ne dirons rien ici des indulgences;
mais nous croyons utile de faire bien connaître
les deux privilèges précieux connus,
l'un sous le nom de la préservation,
l'autre sous celui de la délivrance ou de la sabbatine.
Le premier est l'exemption des peines de l'enfer:
ln hoc moriens ternum non patietur incendium,
celui qui mourra avec cet habit, ne souffrira lilas le
feu de l'enfer.
Il est évident que ceux qui mourraient en
état de péché mortel, même revêtus
du scapulaire, ne seraient point exempts de la
damnation; et tel n'est pas le sens de la
promesse de Marie, Cette bonne Mère a promis
de disposer miséricordieusement les choses de
manière que ceux qui meurent revêtus de
ce saint habit, auront une grâce efficace
pour se confesser dignement et pleurer leurs
fautes; ou que, s'ils sont surpris par une
mort subite, ils auront le temps et la volonté
de faire un acte de contrition par- faite. On ferait
un volume des faits miraculeux qui témoignent
de l'accomplissement de cette promesse, contentons-nous
d'en citer l'un ou l'autre.
Le Vénérable Père Claude de la Colombière
rapporte qu'une jeune personne pieuse d'abord, et
portant le saint scapulaire; eut le malheur de s'éloigner
du bon chemin,
- 320 -
Par suite de lectures imprudentes et de
la fréquentation de compagnies dangereuses, elle
fut entraînée dans de graves désordres
et allait tomber dans le déshonneur. Au
lieu de se tourner vers Dieu et de recourir
à la sainte Vierge, qui est le refuge des pécheurs,
elle s'abandonna à un sombre désespoir. Le démon
lui suggéra bientôt un remède à
ses maux, l'affreux remède du suicide, qui
devait la soustraire à ses misères
temporelles en la plongeant dans les supplices
éternels. Elle courut donc à la rivière, et
revêtue encore de son scapulaire elle se précipita
dans les eaux. Chose étonnante, elle surnagea
au lieu d'enfoncer, et ne trouvait point la mort qu'elle
cherchait. Un pêcheur qui l'aperçut, voulut accourir
pour la sauver; mais la malheureuse le prévint,
elle ôta son scapulaire, le jeta loin d'elle,
et s'enfonça aussitôt. Le pêcheur
ne put la sauver, mais il trouva le scapulaire
et reconnut que cette livrée sacrée avait
d'abord empêché cette pécheresse de mourir
dans l'acte de son criminel suicide..
A l'hôpital de Toulon se trouvait un officier fort
impie qui refusait de voir le prêtre. Il approchait
de la mort et tomba dans une sorte de
léthargie. On profita de cet état pour lui mettre
un scapulaire, à son insu. Il revint
bientôt à lui et dit avec fureur: « Pourquoi
avez-vous mis du feu sur moi, un feu qui me brûle?
Ôtez-le, ôtez-le. » - On enleva
le saint habit, et le moribond retomba dans son assoupissement.
On invoqua la sainte Vierge et on essaya encore
une fois de revêtir ce malheureux pécheur
de son saint habit. Il s'en aperçut, l'arracha
avec rage, el l'ayant jeté loin de lui en
blasphémant, il expira.
Le second privilège, celui de la
sabbatine ou de la délivrance, consiste
a être délivré du purgatoire par la sainte
Vierge le premier samedi après la mort.
Pour jouir de ce privilège il faut observer
certaines conditions, savoir: 1- Garder la chasteté
propre à son état. 2- Réciter
- -321 -
le petit office de la sainte Vierge. Ceux qui récitent
l'office canonial satisfont par-là même,
Ceux qui ne savent pas lire, doivent à la
place de loffice, observer les jeûnes
prescrits par l'Église et faire maigre
tous les mercredis, vendredis et samedis. 3°
En cas de nécessité, l'obligation de l'office,
l'abstinence et le jeûne, peuvent être
commués en d'autres uvres pieuses par ceux
qui en ont le pouvoir.
Tel est le privilège de la délivrance
avec les conditions pour en jouir. Si l'on
se rappelle ce qui a été dit
plus haut des rigueurs du purgatoire et de sa durée,
on trouvera que ce privilège est bien précieux
et les conditions bien faciles.
Nous savons que des doutes ont été
soulevés sur l'authenticité de la Bulle sabbatine;
mais, outre la tradition constante et la pieuse
pratique des fidèles, le grand Pape Benoît
XIV, dont .la science éminente et la modération
doctrinale sont connues, se prononce en
sa faveur.
De plus, les Annales des Carmes rapportent des
faits miraculeux en grand nombre, qui confirment
la promesse faite par la Reine des cieux, I illustre
sainte Thérèse, dans un de ses ouvrages,
dit avoir vu une âme délivrée le premier
samedi, pour avoir fidèlement observé
pendant sa vie les conditions de la sabbatine.
A Otrante, ville du royaume de Naples,
une Dame de la haute société éprouvait
le plus sensible bonheur à suivre les prédications
d'un Père Carme, grand promoteur de la dévotion
envers Marie. Il assurait à ses auditeurs
que tout chrétien portant pieusement le
scapulaire et observant les pratiques prescrites, rencontrerait
la divine Mère au sortir de la vie, et que cette
grande consolatrice des affligés viendrait, le samedi
suivant; le délivrer de toute souffrance
pour l'emmener avec elle au séjour de la
gloire. Frappée de si précieux avantages, cette
dame prit aussitôt l'habit de la saint!)
Vierge, fermement résolue d'observer fidèlement
les règles de la con-
~ 322 -
frérie. Sa piété prit de grands
accroissements : elle priait Marie jour et nuit, mettant
en elle toute sa confiance, lui rendant toutes
sortes d'hommages: Entre autres faveurs qu'elle
lui demandait, elle implorait celle de mourir
un samedi, afin d'être aussitôt délivrée
du purgatoire. Elle fut exaucée. .
Quelques années après, étant
tombée malade, malgré l'assurance contraire
des médecins, elle déclara que son mal était
grave et la conduirait à la mort. « J'en
bénis Dieu, ajouta-t-elle, dans l'espérance
d'être bientôt avec lui. » - Sa maladie
fit en effet de tels progrès, que
le médecins la jugèrent sur le point de
mourir, et déclarèrent à l'unanimité
qu'elle ne passerait pas le jour, qui était
un mercredi. Vous vous trompez encore, dit
la malade, je vivrai trois jours de plus, et ne mourrai
que samedi.
L'événement justifia sa parole. Regardant
les jours de souffrances qui lui restaient comme
un trésor inestimable, elle en profita pour se
purifier et augmenter ses mérites.
Le samedi venu, elle rendit l'âme à son Créateur.
Sa fille, très-pieuse aussi, était
inconsolable de la perte qu'elle avait faite.
Comme elle priait dans son oratoire pour
l'âme de sa chère mère, et qu'elle
versait d'abondantes larmes, un grand serviteur de Dieu,
favorisé habituellement de communications surnaturelles
vint la trouver et lui dit: « Cessez
de pleurer, mon enfant ou plutôt, que votre
tristesse se change en joie. Je viens vous assurer de la part
de Dieu, qu'aujourd'hui samedi, grâce au privilège
accordé aux confrères du saint Scapulaire,
votre mère est montée au ciel et a
été admise parmi les élus.. Consolez-vous
donc et bénissez l'auguste Vierge Marie, Mère
des miséricordes. »
- 323 -
Chapitre 60
Moyens d'éviter le purgatoire. - Charité et miséricorde. - Le prophète Daniel et le roi de Babylone. - S. Pierre Damien et Jean Patrizzi.
.Nous venons de voir le premier moyen
d'éviter le purgatoire, une tendre dévotion
envers Marie; le second moyen consiste dans la
charité et les uvres de miséricorde sous
toutes les formes. Beaucoup de péchés
lui sont remis, dit le Sauveur en parlant de Madeleine,
parce qu'elle a beaucoup aimé (1), -
Bienheureux ceux qui sont miséricor- dieux, parce qu'ils
obtiendront miséricorde (2), - Ne jugez point
et vous ne serez point jugés; ne condamnez point
et vous ne serez pas condamnés; remettez,
et il vous sera remis {3); - Si vous remettez
aux hommes leurs offenses, votre Père céleste
vous remettra à vous aussi vos péchés
(4), Donnez à quiconque vous demande; donnez
et il vous sera donné: car on usera pour
vous de la même mesure dont vous aurez
usé pour les autres (0) -Faites-vous
des amis avec les richesses de l'iniquité,
afin que, lorsque vous viendrez à quitter
ce monde, ils vous reçoivent dans les tabernacles
éternels (6), - Et le Saint-Esprit dit par
la bouche du Prophète-Roi: ,11eureux celui qui
s'occupe du pauvre et de l'indigent: au jour mauvais
le Seigneur le délivrera (7J.
Toutes ces paroles indiquent clairement
que la charité, la miséricorde, la bienfaisance,
soit, envers les pauvres, soit envers les pécheurs,
soit envers les ennemis et ceux qui nous font du
mal, soit enfin envers les défunts qui sont dans
une si grande nécessité, nous fera
trouver miséricorde au tribunal du souverain
Juge
.
- 324 -
Les riches de ce monde ont beaucoup
à craindre: Malheur à vous, riches,
dit le Fils de Dieu, parce que vous avez
votre consolation. Malheur à vous
qui êtes rassasiés, parce que vous aurez
faim. Malheur à vous qui riez maintenant,
parce que vous gémirez et vous pleurerez
(1). Certes ces paroles d'un Dieu doivent
faire trem bler les heureux du siècle; mais
s'ils veulent, ils ont dans leurs richesses même
une grande ressource de salut: ils peuvent racheter
leurs péchés et leurs terribles dettes
par de généreuses aumônes. Que mon conseil
ô roi, dit Daniel à lorgueilleux Nabuchodonosor,
vous soit agréable: rachetez vos péchés
par l'aumône, et vos iniquités: par
la miséricorde envers les pauvres (2). -
Car l'aumône, dit Tobie à son fils, délivre
de tout péché et de la mort, et elle ne laissera
point l'âme aller dans les ténèbres.
L'aumône sera une grande confiance devant le Dieu très-haut,
pour tous ceux qui l'auront faite (3). -
Le Sauveur confirme tout cela, et il
va presque plus loin, lorsqu'il dit aux Pharisiens:
Toutefois, faites l'aumône de ce que
vous avez, et tout sera pur pour vous (4) .
Quelle n'est donc pas la folie des riches
qui ont en main un moyen si facile
d'assurer leur avenir, et ne songent pas
à lemployer? Quelle folie de ne pas faire
bon usage d'une fortune dont il faudra rendre
compte à Dieu?
Quelle folie daller brûler en enfer
ou en purgatoire pour laisser une fortune à des
héritiers avides et ingrats, qui ne donneront
au défunt peut-être pas une prière,
ni une larme, ni même un souvenir!
Ils sont mieux avisés ces chrétiens,
qui comprennent qu'ils ne sont devant Dieu que les dispensateurs
des biens qu'ils ont reçus de lui;
qui ne songent qu'à en disposer selon
les vues mêmes de Jésus-Christ à qui
ils en devront tendre compte; qui enfin s'en
servent pour se faire des
(1) Luc, VI, 24, - (2, Dan, IV, 24 (3) Tob
IV, 11 -
(4) Luc, XI, 41.
p.325
amis, des défenseurs, des protecteurs (dans
l'éternité. Voici ce que rapporte S. Pierre Damien
dans un de ses opuscu1es (1). Un Seigneur
romain appelé Jean Patrizzi, venait de mourir.
Sa vie, quoique chrétienne, avait été comme
celle de la plupart des riches, fort différente
de celle du divin Maitre, pauvre, souffrant,
couronné d'épines; mais heureusement, il
s'était montré fort charitable pour les
indigents, allant parfois jusqu'à se dépouiller
de ses vêtements pour les couvrir.
Peu de jours après sa mort, un saint prêtre étant
en prière, fut ravi en esprit et transporté dans
la basilique de Sainte-Cécile, lune des plus célèbres
de Rome. Là il aperçut une troupe de
célestes vierges, sainte Cécile, sainte Agnès,
sainte Agathe et autres, qui se groupèrent
autour d'un trône magnifique où vint s'asseoir
la Reine des cieux environnée d'une cour
nombreuse d'anges et de bienheureux.
En ce moment parut une pauvre petite femme, vêtue
d'une méchante robe, mais ayant sur
les épaules une fourrure précieuse..
Elle se mit humblement aux pieds de la céleste
Reine, joignant les mains, les yeux pleins de larmes,
et dit en soupirant: « Mère des miséricordes,
au nom de votre ineffable bonté. je vous
supplie d'avoir pitié du malheureux Jean Patrizi, qui vient de mourir
et qui souffre cruellement dans le purgatoire.
- Trois fois elle répéta la même
prière, y mettant chaque fois plus de
ferveur, mais sans recevoir, aucune réponse. Enfin,
élevant encore la voix, elle ajouta: «Vous
avez bien, ô très-miséricordieuse Reine,
que je suis cette mendiante qui, à la porte
de votre grande basilique, demandais l'aumône
dans le cur de l'hiver, sans autre vêtement
qu'un misérable haillon. Oh! comme je tremblais
de froid! C'est alors que Jean, Imploré par moi au nom
de Notre-Dame, ôta de ses épaules
et me donna cette
1) opusc. 34.
- 326 -
précieuse fourrure, s'en privant lui-même
pour me couvrir. Une si grande charité,
faite en votre nom, ô Marie, ne mérite-t-elle
pas quelque indulgence?»
A cette touchante requête, la Reine du ciel
jeta sur la suppliante un regard plein d'amour.
«L'homme pour lequel tu pries, lui répondit-elle,
est condamné pour longtemps à de
rudes souffrances à cause de ses nombreux
péchés. Mais comme il a eu deux
vertus spéciales, la miséricorde envers
les pauvres et la dévotion pour mes autels,
je veux user de condescendance en sa faveur. »
A ces paroles toute la sainte assemblée
témoigna sa joie et sa reconnaissance envers
la Mère de miséricorde.
Patrizzi fut amené: il était
pâle, défiguré, chargé de chaînes
qui lui déchiraient les membres. La Vierge le
regarda un moment avec une tendre compassion, puis ordonna
de lui ôter ses chaînes et de lui
donner des vêtements de gloire, afin
qu'il pût se joindre aux saints et
bienheureux qui environnaient son trône. Cet
ordre fut exécuté à l'instant, et tout
disparut.
Le saint prêtre qui avait joui de cette vision, à
partir de ce moment, ne cessa plus de prêcher
la clémence de Notre-Dame envers les
pauvres âmes souffrantes, surtout envers
celles qui ont eu une grande dévotion pour son culte
et une grande charité pour les pauvres (1).
1) Ross. Merv.12
p.327
Chapitre 61
Moyens d'éviter le purgatoire. - La charité,
- La B. Marguerite et les âmes souffrantes.
- La novice et son père. -
Une âme qui avait souffert sans se plaindre.
Parmi les révélations que le
Sauveur a faites à la B.Marguerite Marie touchi1nt
le purgatoire, il en est une qui fait connaître
les peines particulièrement sévères infligées
pour le manque de charité.. Un jour, raconte,
Mgr Languet, Notre-Seigneur montra à sa
Servante une quantité d'âmes souffrantes, privées
du secours de la Sainte Vierge et des Saints, et même
de la visite de leurs anges gardiens: c'était,
lui dit le divin Maître, la punition
de leur manque d'union avec leurs supérieurs,
et de certaines mésintelligences. Plusieurs de
ces âmes étaient destinées à rester longtemps
dans d'horribles flammes. La Bienheureuse reconnut aussi
beaucoup d'âmes qui avaient vécu dans
la religion, et qui, à cause de leur
manque d'union et de charité envers leurs
frères, étaient privées de
leurs suffrages et n'en recevaient aucun
secours.
S'il est vrai que le Seigneur punit sévèrement
les âmes qui ont oublié la charité; il
sera d'une miséricorde ineffable pour celles
qui auront pratiqué cette vertu de
son Cur. Ayez surtout, nous dit-il, par la
bouche de son Apôtre S. Pierre. Ayez
surtout une charité persévérante, les
un pour les autres; car la charité couvre
la multitude des péchés (1). - Ecoutons
encore Mgr Languet dans la Vie de la B. Marguerite
Marie.
C'est la Mère Greffier, dit-il, qui,
dans le mémoire quelle a écrit sur
la Bienheureuse après sa mort, atteste le fait
suivant. Je ne puis l'omettre à cause des circonstances
particulières qui ont manifesté la vérité
de la révé-
1.1 Pet. IV, 8.
- 328 -
Lation, faite en cette circonstance à
la servante de Dieu. .
Le père d'une des novices en fut
l'occasion. Ce gentilhomme était décédé
récemment, et on le recommanda aux prières de
la communauté, La charité de Sur
Marguerite, alors maitresse des novices l'engagea
à prier plus particulièrement pour lui.
La novice vint encore quelques jours après
le recommander à ses prières. «
Ma fille, lui dit alors sa sainte maitresse,
tenez-vous en repos: votre père est en état
de nous faire part de ses prières sans avoir
besoin des nôtres. - Elle ajouta: «
Demandez à Madame votre mère quelle est
l'action généreuse que fit son mari avant
sa mort: cette action lui a rendu le jugement
de Dieu favorable.
L 'action dont parlait la servante de Dieu
était ignorée de la novice: personne à
Paray ne connaissait les circonstances d'une mort arrivée
loin de cette ville. La novice ne vit sa mère
qu'assez longtemps après, le jour
de sa profession. Elle demanda alors quel était
cet acte de générosité chrétienne
que son père avait fait avant de mourir..
« Lorsqu'on lui apporta le saint
Viatique, répondit sa mère, le boucher
de la ville se joignit à ceux
qui accompagnaient le Saint-Sacrement, et se mit
dans un coin de la chambre. Le malade l'ayant aperçu
l'appela par son nom, lui dit de s'approcher,
et lui serrant amicalement la main avec une humilité
peu commune dans les gens de condition, il lui demanda
pardon pour quelques paroles trop dures quïl lui
avait dites quelque temps auparavant, et il
voulut que tout le monde fût
témoin de la satisfaction qu'il lui en
faisait. » - Sur Marguerite avait appris
de Dieu seul ce qui s'était passé dans
cette circonstance; et la novice, connut
par là la vérité si consolante
de ce qu'elle lui avait dit touchant l'heureux
état de son père.
Ajoutons que Dieu, par cette révélation,
a voulu nous montrer une fois de plus que
la charité couvre la multitude
- 329 -
des péchés et nous fera
trouver indulgence au jour de la justice.
La Bienheureuse Marguerite reçut du divin
Maître une autre communication relative à
la charité, II. lui montra l'âme d'une
défunte dont l'expiation ne devait
être que peu rigoureuse; et il lui dit,
qu'entre toutes les bonnes uvres que cette personne
avait faites, il avait eu particulièrement
égard à certaines humiliations qu'elle
avait subies dans le monde: parce qu'elle les avait souffertes
en esprit de charité, non seulement
sans se plaindre, mais même sans en parler;
le divin Maître ajouta que pour, récompense,
il lui avait été doux et favorable
à son jugement.
Chapitre 62
Moyens d'éviter le purgatoire. - Mortification chrétienne - S. Jean Berchmans - La B. Émilie de Yerceil et la religieuse s'ennuyant au. Chur.
Le troisième moyen de bien satisfaire
en ce monde, c'est la pratique de la mortification
chrétienne et l'obéissance religieuse.
Nous portons toujours dans nos corps
la mortification de Jésus, dit l'Apôtre,
afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans
nos corps (1). Cette mortification de
Jésus que le chrétien doit porter en lui,
c'est, dans un sens large, la part
qu'il doit prendre aux souffrances de son
divin Maître, en souffrant en union avec lui les,
peines qui se rencontrent dans la vie, ou que l'on
peut volontairement s'imposer.
La première et la meilleure mortification est celle
1) II Cor.IV, 10
-330-
s'attache à nos devoirs journaliers, la peine
que nous devons prendre, l'effort que nous devons faire
pour bien remplir tous les devoirs de notre état, et
supporter les contrariétés de chaque jour.
Lorsque S. Jean Berchmans disait, que sa principale mortification
était la vie commune, il ne disait pas autre chose,
parce que la vie commune pour lui résumait tous les
devoirs de son état. .
Au reste, celui qui sanctifie les devoirs et les
peines de chaque jour, et qui pratique ainsi la mortification
fondamentale, ira bientôt plus loin, et s'imposera
des privations et des peines volontaires, pour racheter
les peines de l'autre vie.
Les moindres mortifications, les plus légers sacrifices,
surtout quand ils se font par obéissance, sont
d'un grand prix auprès de Dieu.
La bienheureuse Emilie, dominicaine, prieure
du monastère de Sainte-Marguerite à Verceil, inspirait
Il ses religieuses l'esprit d'obéissance
parfaite, en vue du purgatoire. Un des points de la règle
interdisait de boire hors des repas, Il moins d'une permission
expresse de la supérieure. Or celle-ci, sachant,
ce que nous avons vu plus haut, combien le sacrifice
d'un verre d'eau a de valeur auprès de Dieu,
avait pour pratique ordinaire de la refuser, afin
de fournir à ses surs l'avantage d'une
mortification facile; mais elle avait soin de leur adoucir ce refus
en leur disant d'offrir leur soif Il Jésus,
tourmenté d'une soif si cruelle sur la croix;
elle leur conseillait aussi de souffrir cette peine
légère en vue du purgatoire afin
d'être moins tourmentées par les ardeurs
des flammes expiatrices.
Il y avait dans sa communauté
une sur appelée Marie-Isabelle, qui avait l'esprit
trop dissipé, aimait trop les conversations et autres
distractions extérieures. Il en résultait qu'elle
avait peu de goût pour la prière, qu'elle était
négligente à l'office et s'acquittait à contrecur
de
ce devoir capital. Aussi ne montrait-elle
aucun empres-
- 331
sement à se rendre au chur; mais dès
que l'office ,était fini, elle sortait la première.
Un jour qu'elle s'en allait ainsi à la hâte
et passait devant la stalle de la Prieure, celle-ci l'arrêta:
« Où donc allez vous si vite, ma bonne sur 1lui
dit-elle, et qui vous presse de sortir avant toutes
les autres « La sur, prise au dépourvu,
garda d'abord respectueusement le silence; puis
elle avoua avec humilité qu'elle s'ennuyait à
l'office et qu'il lui paraissait bien long: - «
C'est fort bien, reprit la Prieure; mais
s'il vous en coûte tant de chanter, commodément
assise, les louanges de Dieu au milieu de vos surs,
comment ferez-vous dans le purgatoire, quand vous
serez retenue au milieu des flammes. Pour vous
épargner cette terrible épreuve, ma chère
fille, je vous ordonne à l'avenir, de ne plus quitter
votre 'place que la dernière.
La sur se soumit avec simplicité, comme une
véritable enfant d'obéissance; elle en fut
bien récompensée.
Le dégoût qu'elle avait éprouvé
jusqu'alors pour des choses de Dieu, la quitta
et fit place à une dévotion pleine
de douceur. De plus, comme Dieu le fit connaitre
à. la Bienheureuse Émilie, étant morte
à quelque temps de là, elle
obtient une grande diminution des peines qui l'attendaient
dans l'autre vie: Dieu lui compta comme autant
d'heures du purgatoire, les heures qu'elle avait passées
dans la prière en esprit d'obéissance (1).
1) Diario domenic. 3 mai. Cf. Mer".
60. ---
Chapitre 63
Moyens d'éviter le purgatoire. - Les sacrements. - Les recevoir promptement. - Effet médicinal de l'Extrême-onction. - S. Alphonse de Liguori.
Nous avons indiqué comme quatrième.-moyen
de satisfaire en ce monde, l'usage des sacrements, et surtout
la réception sainte et chrétienne des derniers
sacrements à l'approche de la mort.
Le divin Maître nous avertit dans l'.Évangile
de nous bien préparer à la mort,
afin qu'elle soit précieuse à ses yeux et le
digne couronnement d'une vie chrétienne. Son amour
pour nous lui fait souhaiter ardemment, que nous
sortions de ce monde pleinement purifiés, débarrassés
de toute dette envers Ia divine justice, et qu'en
paraissant devant Dieu; nous soyons trouvés dignes d'être
admis parmi les élus sans avoir besoin de passer
par le purgatoire. C'est à cette fin que, d'ordinaire,
il nous accorde, avant de mourir, les souffrances d'une
maladie, et qu'il a institué des sacrements,
pour nous aider à sanctifier ces souffrances
et pour nous disposer parfaitement à paraître
devant sa face.
Les sacrements qu'on doit recevoir en temps
de maladie sont au nombre de trois: la confession, que
l'on peut faire aussitôt que l'on veut; le saint
Viatique et l'Extrême- Onction, que l'on
peut recevoir dès qu'il y a danger de mort.' Cette
circonstance du danger de mort doit s'entendre largement
et dans le sens d'une appréciation morale:
il n'est pas nécessaire qu'il y ait
un danger imminent de mourir, ou que tout espoir
de guérison soi~ perdu; il ne faut pas même
que le danger de mort soit certain, il suffit qu'il
soit probable et prudemment supposé; lors
même
p.333
qu'il n'y aurait pas d'autre infirmité que la vieillesse
(1).
Les effets des sacrements bien reçus
répondent à tous les besoins, à tous les
désirs légitimes des malades, Ces divins remèdes
purifient l'âme de ses péchés et augmentent
son ...trésor; de grâce sanctifiante;
ils fortifient le malade et l'aident à
supporter ses maux avec patience, à triompher des
assauts du démon au moment suprême, et à
,faire généreusement à Dieu le sacrifice
de sa vie. -
De plus, outre les effets qu'ils produisent,
sur l'âme, les sacrements exercent la plus salutaire
influence sur le corps. L'Extrême-onction surtout
soulage le malade et adoucit ses douleurs;
elle lui rend même la santé, si Dieu
le juge, expédient pour son salut.
Les sacrements sont donc pour les fidèles
un secours immense, un bienfait inestimable. Aussi n'est-il
pas étonnant que l'ennemi des âmes mette tout
en uvre pour les priver d'un si grand bien.
Ne pouvant enlever les sacrements à l'Église
il tâche de les enlever aux malades, en
faisant en sorte qu'ils ne les reçoivent
pas, ou qu'ils les reçoivent tardivement et en perdent
tous les avantages. Hélas que d'âmes se
laissent prendre dans ce piège!
Que d'âmes, pour n'avoir pas reçu
promptement les sacrements, tombent en enfer, ou, du
moins, dans les plus profonds abîmes du purgatoire!
Pour éviter ce malheur, le premier soin
du chrétien, en cas de maladie, doit être
de songer aux sacrements et de les recevoir
le plus promptement possible.
Nous disons qu'il faut recevoir les sacrements
promptement, tandis que le malade possède encore
l'usage de ses facultés, et nous appuyons
sur cette circonstance: en voici les raisons
1° En recevant les sacrements promptement,
le malade ayant encore assez de forces pour s'y
(1) Voir une brochure approuvée par tous les Évêques de Belgique et intitulée: Les médecins et les familles, Bruxelles, maison Goemaere. '
bien préparer, en recueillera tout le fruit.
2° Il a besoin d'être muni le plus
tôt possible de ces divins secours, pour supporter
les douleurs, vaincre les tentations, et sanctifier le
précieux temps de la maladie.
3° Ce n'est qu'en recevant bien à
temps les saintes Huiles, qu'il en peut ressentir les
effet& pour la guérison corporelle.
Car il faut ici remarquer un point capital:
le remède sacramentel de l'Onction sainte
produit son effet sur la maladie, à la manière
des remèdes médicaux. Semblable à
un médicament exquis, il seconde la
nature, dans Laquelle il suppose encore une
certaine vigueur; en sorte que l'Extrême-onction
ne peut exercer sa vertu médicinale, quand
la nature est trop affaiblie et la vie presque
éteinte. Aussi, bien des malades succombent,
parce qu'ils diffèrent jusqu'à l'extrémité
de recevoir ce sacrement; tandis qu'II n'est pas rare de voir
se guérir ceux qui se hâtent de le demander.
Saint Alphonse (1) parle d'un malade, qui ne
reçut que fort tard Extrême-Onction, et
mourut bientôt après.
Or, Dieu fit connaître, dit le saint Docteur,
par voie de révélation, que s'il eût
reçu ce Sacrement plus tôt, il aurait recouvré
la santé.
Toutefois l'effet le plus précieux des
derniers sacrements est celui qu'ils produisent sur l'âme:
ils la purifient des restes du péché
et lui !ôtent, ou du moins diminuent ses dettes
de peines temporelles, ils la fortifient pour supporter
saintement les souffrances, ils la remplissent
de confiance en Dieu et l'aident à accepter la
mort des mains de Dieu, en union avec celle de
Jésus-Christ.
1) Praxis confess, n. 274.
Chapitre 64
Moyens d'éviter le purgatoite, - La confiance en r Dieu. - S. François de Sales. - S. Philippe de Néri et la sur Scolastique.
Le cinquième moyen d'obtenir indulgence devant le tribunal
de Dieu, c'est d'avoir une grande confiance dans
sa miséricorde. J'ai mis, Seigneur, ma confiance
en vous, dit le Prophète, et je ne serai
point confondu (1). Certes, celui qui a dit au bon larron:
Aujourdhui tu seras avec moi dans le paradis, mérite
bien que nous ayons en lui une confiance sans bornes.
Saint François de Sales avouait, qu'à ne considérer
que sa misère, il ne méritait que
l'enfer; mais plein d'une humble confiance en
la miséricorde de Dieu et dans les mérites
de Jésus-Christ, il espérait fermement partager
un jour le bonheur des élus. «Et que ferait
Notre-Seigneur de sa vie éternelle, disait-il,
s'il ne la donnait aux pauvres, petites et chétives
créatures comme nous, qui ne voulons espérer
qu'en sa souveraine bonté? Vive Dieu! J'ai
cette confiance bien ferme au fond du
cur:, que nous vivrons éternellement avec
Dieu. Nous serons un jour tous ensemble au
ciel: il faut prendre courage, nous
irons bientôt là-haut. Il faut disait-il
encore, mourir entre deux oreillers, l'un de l'humble
confession que nous ne méritons que l'enfer;
l'autre d'une ,entière confiance que Dieu dans
sa miséricorde nous donnera son paradis.
Ayant rencontré un jour un gentilhomme,
effrayé à lexcès des jugements
de Dieu, il lui dit: « Quiconque a un
vrai désir de servir Notre-Seigneur
et de fuir le péché, ne doit nullement
se tourmenter de la pensée.
- 336 -
de la mort et du jugement. S'il faut craindre l'une
et l'autre, ce ne doit pas être- de cette
crainte qui abat et déprime le vigueur de l'âme;
mais d'une crainte mêlée de confiance,
et par cela douce. Espérez en Dieu:
qui espère en lui ne sera point confondu.
On lit dans 1a vie de S. Philippe de
Néri, qu'étant allé un jour au monastère
de Sainte-Marthe, à Rome, une des religieuses,
appelée Scolastique, désira lui parler
en particulier. Cette fille était tourmentée
depuis longtemps d'une pensée de désespoir
qu'elle n'avait osé découvrir à personne;
mais pleine de confiance dans les lumières
du Saint, elle résolut de lui ouvrir son cur.
Lorsqu'elle fut près de lui, avant
qu'elle eût ouvert la bouche, l'homme de
Dieu "lui dit en souriant: « C'est bien à
tort, ma fille, que vous vous croyez dévouée
aux flammes éternelles: le paradis est à
vous! - Je ne puis le croire,
» mon Père', répondit-elle en poussant
un profond soupir. - Vous ne le croyez pas?
C'est là votre folie: vous allez le voir. Dites-moi,
Scolastique, pour qui Jésus-Christ est-il
mort? - Il est mort pour les pécheurs.
- Et maintenant, dites-moi, êtes-vous une sainte?
-, Hélas! répondit-elle en pleurant,
je suis une grande pécheresse. - Ainsi
donc, Jésus-Christ est mort pour vous, et assurément
c'est pour vous ouvrir le ciel: il est donc ,bien
clair que le paradis est à vous.
» Car pour vos péchés, vous
les détestez, je n'en ai aucun doute. J)
- La bonne religieuse, touchée de
ces paroles commença à respirer. La
lumière rentra dans son âme, la
tentation se dissipa, et depuis ce moment, cette
douce parole: Le paradis est à vous, ne cessa
de la remplir de confiance et de joie. .
- 336 -
. de la mort et du jugement. S'il faut craindre
l'une et l'autre, ce ne doit pas être- de
cette crainte qui abat et déprime le vigueur de
l'âme; mais d'une crainte mêlée de
confiance et par cela douce. Espérez en
Dieu : qui espère en lui ne sera point confondu.
On lit dans la vie de S. Philippe de
Néri, qu'étant allé un jour au monastère
de Sainte-Marthe, à Rome, une des religieuses,
appelée Scolastique, désira lui parler
en particulier. Cette fille était tourmentée
depuis longtemps d'une pensée de désespoir
qu'elle n'avait osé découvrir à personne;
mais pleine de confiance dans les lumières
du Saint, elle résolut de lui ouvrir son cur.
Lorsqu'elle fut près de lui, avant
qu'elle eût ouvert la bouche, l'homme de
Dieu lui dit en souriant: « C'est bien à
tort, ma fille, que vous vous croyez dévouée
aux flammes éternelles: le paradis est à
vous! : Je ne puis le croire, mon Père,
répondit-elle en poussant un profond sou pir.
- Vous ne le croyez pas? C'est là votre
folie: vous allez le voir. Dites-moi, Sçolastique, pour
qui Jésus-Christ est-il mort? - Il
est mort pour les pécheurs. - Et
maintenant, dites-moi, êtes-vous une sainte? -
Hélas! répondit-elle en pleurant,
je suis une grande pécheresse. - Ainsi
donc, Jésus-Christ est mort pour vous, et assurément
c'est pour vous ouvrir le ciel: il est donc ,bien
clair que le paradis est à vous.
Car pour vos péchés, vous les
détestez, je n'en ai aucun doute. -
La bonne religieuse, touchée de ces
paroles commença à respirer. La lumière
rentra dans son âme, 1a tentation se
dissipa, et depuis ce moment, cette douce parole: Le
paradis est à vous, ne cessa de la remplir
de confiance et de joie.
Chapitre 65
Moyens d'éviter le purgatoire.- Acceptation sainte de la mort. - Le Père Aquitanus. - S. Alphon8e de Liguori. - La vén. Françoise de Pampelune et la mourante non résignée. Le P. Vincent Caraffa et le condamné. La sur Marie de Saint-Joseph et la Mère Isabelle. - S. Jean de la Croix. -Douceur de la mort des Saints.
Le sixième moyen d'éviter le purgatoire,
c'est lacceptation humble et soumise de la mort, comme
expiation de nos péchés; c'est l'acte
généreux par lequel on fait à Dieu
le sacrifice de sa vie, en union avec le
sacrifice de Jésus- Christ sur la croix.
Veut-on un exemple de ce saint abandon
De la vie entre les mains du Créateur? Le
2 décembre 1638 mourut à Brisach, sur la
rive droite du Rhin, le Père Georges Aquitanus,
de la Compagnie de Jésus. Deux fois il-
se dévoua au service des pestiférés. Il
arriva qu'à deux époques différentes
la peste exerça ses ravages avec tant
de fureur, qu'on ne pouvait guère approcher des
malades sans être atteint de la contagion.
Tout le monde fuyait et abandonnait les mourants à
leur malheureux sort; mais le Père Aquitanus,
mettant sa vie entre les mains de Dieu, se fit le
serviteur et l'apôtre des malades: il s'employa
tout entier à les soulager et à leur administrer
les sacrements.
Dieu le conserva durant la première
période; mais lorsque la peste eut repris
avec recrudescence, et que l'homme de Dieu fut
accouru une seconde fois au milieu des malades,
le Seigneur accepta son sacrifice.
Alors, quand, victime de sa cl1arité,
il était étendu sur son lit de mort,
on lui demanda s'il faisait volontiers
à Notre-Seigneur le sacrifice de sa vie? --
«Oh! Répondit- il plein de joie, si
j'en avais des millions à lui offrit,
il sait bien de quel cur je les lui
donnerais. »
p. 338
Un tel acte, on le comprend est bien méritoire
aux yeux de Dieu. Ne ressemble-t-il pas à l'acte
de suprême charité, accompli par les martyrs qui meurent
pour Jésus- Christ, et qui efface, comme le Baptême,
tous les péchés toutes les dettes ? Personne,
dit le Sauveur, ne peut témoigner un
plus grand amour, qu'en donnant sa
vie pour ses amis (1).
Pour produire cet acte, précieux en cas de maladie,
il est utile, pour ne pas dire nécessaire,
que le malade connaisse son état et sache que
sa fin approche. C'est donc lui causer un grand
préjudice, lorsque par une fausse délicatesse,
on le tient dans l'illusion. Il faut, dit S. Alphonse
dans sa Pratique du confesseur, faire en sorte avec
prudence que le malade connaisse le danger de son
état.
Si le malade se berce lui-même d'illusions,
si au lieu de se remettre entre les mains
de Dieu, il ne songe qu'à guérir. Lors même
qu'il recevrait tous les sacrements, il se fait
à lui-même un tort déplorable.
On lit dans la Vie de la vénérable
Mère Françoise du Saint-Sacrement, religieuse de
Pampelune (2), qu'une âme fut condamnée à
un long purgatoire pour n'avoir pas , eu au lit
de la mort, une vraie soumission à la volonté,
divine. C'était une jeune personne, d'ailleurs pleine de piété;
mais quand la main glacée de la mort voulut
cueillir sa jeunesse dans sa fleur, elle
éprouva dans sa nature les plus vives résistances,
et n'eut pas le courage de se remettre entre les mains,
toujours bonnes, de son Père céleste: elle ne
voulait pas mourir encore!... Elle n'en mourut pas moins;
et la vénérable Mère Françoise,
si fréquemment visitée par les âmes
des défunts connut que celle-ci eut à expier
par de longues souffrances son manque de
soumission aux décrets de son Créateur.
(1) Joan. XV, 13.
{2) Par Joachim de Sainte-Marie. Rossign.
Merv. 26.
p.339 -
La Vie du Père Caraffa (1) nous fournit
un exemple plus consolant. Le P. Vincent Caraffa,
général de la Compagnie de Jésus,
fut appelé à préparer à la
mort un jeune Seigneur condamné au dernier
supplice et qui se croyait voué à la mort
injustement. Mourir à la fleur de l'âge, quand
on est riche, heureux, et que l'avenir nous sourit,
c'est dur, il faut l'avouer; toutefois un criminel,
en proie aux remords de sa conscience, pourrait s'y résigner
et accepter le châtiment pour expier son forfait;
mais un innocent!
Le Père avait donc une tâche difficile
à remplir. Néanmoins, aidé de la grâce,
il sut si bien prendre le malheureux, il lui
parla avec tant d'onction des fautes de sa
vie passée et de la nécessité de
satisfaire à la divine justice, il lui
fit si bien comprendre comment Dieu permettait
ce châtiment temporel pour son bien, qu'il dompta
sa nature révoltée et changea complètement
les sentiments de son cur. Le jeune homme,
envisageant son supplice comme une expiation qui
lui obtiendrait le pardon de Dieu, monta sur l'échafaud,
non seulement avec résignation, mais avec une joie
toute chrétienne. Jusqu'au dernier moment, jusque sous
la hache du bourreau il bénissait en
implorant sa miséricorde, à la grande
édification du peuple qui assistait à son
supplice.
Or, au moment où sa tête tombait, le
Père Caraffa vit son âme monter triomphante
au ciel. Il alla trouver aussitôt la
mère du condamné, et, pour la consoler,
il lui raconta ce qu'il avait vu. Il en était
si transporté de joie, que, de retour dans
sa cellule, il ne cessait de s'écrier:
Oh! le bienheureux! oh! le bienheureux!
La famille voulait faire célébrer un grand
nombre de messes pour le repos de son
âme: « C'est superflu, répondit le
Père; il faut plutôt remercier Dieu
et nous réjouir: car je vous déclare
que cette âme n'a pas même
1) Par le Père Bartoli. Rossign. Merv.
97.
p.340
passé par le purgatoire.» -
Un autre jour, qu'il était occupé à
quelque travail, il s'arrêta tout à
coup, changeant de visage et regardant vers le ciel
comme s'Il y apercevait un spectacle merveilleux; puis on
l'entendit s'écrier: 0 l'heureux sort l O lheureux
sort I Et comme son compagnon lui demandait
lexpiation de ces paroles: Eh! mon Père,
répondit-il, c'est l'âme du supplicié
qui m'est apparue dans la gloire, Oh! que sa
résignation lui a été profitable!»
La sur Marie de Saint-Joseph, une des quatre premières
Carmélites qui embrassèrent la réforme
de sainte Thérèse, était une religieuse de
grande vertu. La fin de sa carrière approchait, et Notre-Seigneur
voulant que sa sainte épouse fut reçue
en triomphe dans le ciel aussitôt après
son dernier soupir, acheva de purifier et dembellir
son âme par les souffrances, qui marquèrent
la fin de sa vie.
Les quatre derniers jours qu'elle passa
sur cette terre, elle perdit la parole et l'usage de
ses sens; elle était en proie à une douloureuse agonie;
les religieuses avaient le cur navré de
la voir en cet état. La mère Isabelle de Saint-Dominique,
prieure du couvent, s'approchant de la malade,
.lui suggéra de faire beaucoup d'actes de
résignation et d'abandon entre les mains
de Dieu.
Sur Marie de Saint-Joseph entendit et fit intérieurement
ces actes, mais sans pouvoir donner aucun signe extérieur.
Elle mourut dans ces saintes dispositions et, le jour même
de sa mort, tandis que la mère Isabelle
entendait la messe, priant pour le repos de son
âme, Notre-Seigneur lui montra Sa fidèle épouse
couronnée de gloire, en lui disant: Elle est du
nombre de ceux qui suivent l'Agneau, Marie de Saint
Joseph de son côté, remercia la mère
Isabelle de tout le bien qu'elle lui avait
fait à l'heure de la mort. Elle ajoutai que
les actes de résignation, qu'elle lui
avait suggérés, lui avaient mérité
une grande gloire en paradis, et lavaient exemptée
des peines du purgatoire {1).
Quel bonheur de ne quitter cette misérable vie. Que pour
entrer dans la vie véritable et bienheureuse!
Tous nous pouvons avoir ce bonheur, en employant
les moyens que Jésus-Christ dans sa miséricorde
nous fournit pour satisfaire en ce monde et pour préparer
parfaitement nos âmes à paraître devant
lui. L'âme ainsi préparée est
remplie à sa dernière heure de la plus douce
confiance: elle a comme un avant-goût du ciel;
elle éprouve ce que S. Jean de la
Croix a écrit de la mort d'un saint dans
la Vive flamme de l'amour:
Le parfait amour de Dieu, dit-il, rend la mort agréable,
et y fait trouver les plus grandes douceurs. L'âme
qui aime est inondée d'un torrent de
délices, lorsqu'elle voit approcher le moment
où elle va jouir de la pleine possession
de son Bien-Aimé. Sur le point
d'être affranchie de la prison du corps qui se
brise, iI lui semble 'qu'elle contemple
déjà la gloire céleste, et
que tout ce qui est en elle se transforme
en amour.»
Vie de Ja Mère Isabelle,l. 3. C. 7.
FIN
PROTESTATION DE L'AUTEUR.
Pour nous conformer au décret d'Urbain VIII
Sanctissimum, du 15 mars 1525, nous déclarons
que, si nous avons cité en ce livre des
faits, que nous présentons comme surnaturels,
on ne doit attacher à notre opinion
qu'une autorité personnelle et privée;
l'appréciation de ces sortes de faits appartenant
à l'autorité suprême de l'Église.
APPROBATIONS
Ego Josephus Van Reeth, Praepositus Provincialis
Socie-tatis Jesu in Belgio, potestate ad hoc mihi facta ab Admodum Reverendo
Patre Antonio Anderledy, ejusdem Societatis Praeposito Generali, facultatem
concedo, ut opus cui titulus Le Dogme du purgatoire, illustré par
des faits et des révé-lations particulières, a Patre
F.-X. Schouppe S. J. con-scriptum, et a deputatis censoribus rite recognitum
atque approbatum, typis mandetur.
In quorum fidem has litteras manu mea subscriptas
et sigillo meo munitas dedi.
Brugis, die 14 aprilis 1888.
J. VAN REETH S. J.
Proep. Prox.
éditeur :
BRUXELLES
SOCIÉTÉ BELGE DE LIBRAIRIE
(SOCIÉTÉ ANONYME)
A. VANDENBROECK, DIRECTEUR
8, RUE TREURENBERG
PARIS
SOCIÉTÉ GÉN. DE LIBRAIRIE CATHOLIQUE
V. PALMÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL
76, RUE DES Sts-PÈRES