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Théologie du Purgatoire
édition numérique par Dominique Vandal

I. L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCRITURE.- Il est d'autant plus nécessaire de relever l'enseignement de l'Écriture que Luther avait osé formuler la proposition suivante, condamnée par Léon X, bulle Exsurge Domine, prop. 37 : Purgatorium non potest probari ex sacra Scriptura quæ sit in canone. Denz.-Bannw., n. 777. La preuve peut être demandée soit à l'Ancien, soit au Nouveau Testament.

I .DANS L' ANCIEN TESTAMENT. -1° Doctrine générale, imprécise et confuse. - Il ne semble pas que les Hébreux
aient eu une notion très précise de l'état des âmes dans la vie future. Le séjour des morts en général, tant pour les justes que pour les impies, est uniformément appelé le scheôl. Gen., XXXVII, 5; Num., XVI, 30. Avant que le Christ vint ouvrir le paradis aux âmes justes, toutes les âmes des défunts n'étaient-elles pas en quelque sorte placées dans le même lieu, aussi loin du ciel que de la terre? Et ce lieu du scheôl est un lieu redoutable pour tous, sans distinction. Cependant, bien qu'aucune différence explicite ne soit indiquée par les plus anciens livres inspirés (Pentateuque, Josué, Juges, Rois), touchant le sort des justes et des coupables, une discrimination très réelle existe néanmoins à leur endroit. L'enseignement des saints Livres repose en effet sur deux principes: la responsabilité individuelle devant Jahvé et l'espérance messianique appliquée à chaque âme. Ainsi la responsabilité départage dans l'au-delà justes et coupables. La mort des justes est «une réunion, dans la paix et le repos, à leurs pères et à leur peuple.» Gen., xv, 15; Deut., XXXI, 16, etc. Le châtiment suprême réservé aux criminels est «la séparation d'avec leur peuple.» Aux justes renfermés dans le scheôl les promesses messianiques ne sont pas retirées. Dieu reste, pour eux, dans le trépas, le Dieu favorable et bénissant. Gen., XXVI, 24; XXVIII. 13; XLVI, 1, 3; Ex., III, 6; IV, 5. L'espérance d'une vie future est invoquée pour eux. Cf. Num., XVI, 22. Jahvé est le Dieu «qui donne la vie et la mort, conduit au scheôl et en ramène». I Reg., Il, 6; IV Reg., v, 7, Cette délivrance du scheôl, le psalmiste la promet aux justes. PB., xv (Vulg. et ainsi du reste), 9,10; XVI, 15; XLVIII, 15-16; LXXII. Et Job sait que le scheôl est le lieu où l'on attend l'heure de la miséricorde divine. Job, XIV, 13; cf. xv, 18-21.

Néanmoins, ce serait grandement se tromper que de vouloir trouver dans le scheôl la forme primitive de la croyance au purgatoire. Le dogme du purgatoire éveille l'idée d'un état intermédiaire entre celui des élus et celui des réprouvés. Dans le scheôl, justes et réprouvés sont enfermés dans l'attente de l'avènement du Christ. Être délivré du scheôl c'est donc, pour le juste, voir les espérances messianiques se réaliser à son égard; mais ce n'est pas nécessairement être délivré d'une expiation d'outre-tombe, telle que nous la concevons pour les âmes du purgatoire. Il faudrait, pour pouvoir établir un rapprochement sérieux entre les peines du scheôl et le purgatoire, montrer que dans le scheôl même les justes ont encore des peines à expier. Or, un tel rapprochement ne saurait être esquissé que d'une manière très lointaine. Toutefois certaines indications peuvent être relevées. En exposant que, sur cette terre, le juste souffre, le psalmiste rappelle que ce juste, n'est pas tout à fait sans péché: Ps. XXXVIII, 5; XXXIX, 13; CXLII. t, 2. La mort, même pour le juste, est un passage plein d'angoisse et de crainte. Ps., LIV, 5-6; CXIV, 3-5; CXLTI, 2-7. Et Jahvé délivre le juste des douleurs du scheôl. Ps., xxlx,4; CVI, 10-14. Il y a là comme une vague indication que, même dans l'au-delà, le juste aura besoin de la miséricorde divine.

Les livres prophétiques ne font que développer ces données. Peut-être la différence de l'état des justes et de celui des pécheurs s'affirme-t-elle avec plus de précision: les espérances messianiques, en particulier, sont présentées avec plus de force et de relief, et parfois en relation avec la résurrection de la chair. Os., VI, 3; Is., XXVI, 19-21; Ez., XXXVII, 1-14; Dan., XII, 1-3. Mais la mort et le scheôl demeurent toujours et pour tous, justes et impies, un double objet d'effroi. Faut-il voir dans cette crainte que les prophètes inspirent à tous sans exception une indication positive de peines et d'expiations à subir dans l'au-delà avant la complète purification des âmes et la réalisation pour elles des promesses messianiques? Certains auteurs estiment qu'on peut le supposer. L. Atzberger, Die christliche Eschatologie in den Stadien ihrer Oflenbarung, Fribourg-en-B" 1890, p. 93.

Les deutérocanoniques mettent en bien meilleur relief le sort des justes par rapport au sort des pécheurs. Néanmoins, sauf dans le IIe livre des Macchabées., on n'y rencontre encore aucun texte explicitement révélateur du purgatoire.

2° Les textes discutables. - Il faut donc savoir se contenter d'indications imprécises et confuses qui, par elles-mêmes, ne sauraient fournir une base sérieuse au dogme des expiations futures. Ç'a été peut-être le tort, en face de l'assertion luthérienne, des apologistes catholiques de vouloir à tout prix trouver dans l'Écriture de nombreux textes à l'appui de la croyance au purgatoire. Ces apologistes ne se sont pas aperçus qu'ils affaiblissaient ainsi l'argument scripturaire. Des théologiens de la valeur d'Eck et de Bellarmin n'ont pas su résister à cet entraînement. Plusieurs textes ont ainsi été invoqués, qui sont à coup sûr tout au moins fort discutables.

Tel est le texte de Tobie, IV, 18, recommandant «de placer du pain et du vin sur le sépulcre du juste», ce qui, déc1are Bellarmin, ne peut s'entendre que d'un repas offert aux pauvres afin qu'en retour ils prient pour l'âme du défunt. Il s'agit bien plutôt de repas funèbres en usage pour célébrer la mémoire des morts. Cf. Jer., XVI, 7.

Tels les exemples du sacrifices et de jeûnes offerts par les justes de l'ancienne Loi à la nouvelle de la mort de leurs amis. Cf. 1 Reg., XXXI, 13; II Reg., l, 12; JII, 35. Bellarmin reconnaît que ce sont là «simples signes de deuil et de tristesse», tout en insinuant qu'«on peut croire qu'il s'agit d'aider les âmes des défunts».

Telle encore la prière du psalmiste demandant à Dieu «de ne pas l'examiner dans sa colère ni le reprendre dans sa fureur», Ps., XXXVII, 2; cf. VI, 2, ou le remerciant d'avoir introduit son peuple dans un lieu de rafraîchissement, après qu'il a passé par le feu et l'eau. Ps., LXV, 7. Il n'est question, là, que des fautes personnelles de David; ici, que des tribulations et de la délivrance du peuple juif.

Telles encore les descriptions des prophètes où Dieu apparaît «purifiant les souillures des filles de Sion» Is., IV, 4; brûlant l'impiété comme un grand feu, Is., IX, 18; amenant l'âme juste à la lumière après qu'elle aura supporté la colère divine, Mich., VII, 8-9; délivrant les captifs du lac desséché, Zach., IX, 11; purifiant comme au feu et affinant les enfants de Lévi, Mal., III, 2-3. Le sens littéral de tous ces textes ne saurait être rapporté au purgatoire. Bellarmin le reconnaît lui-même, De purgatorio, 1. I, c. III, et est obligé de s'appuyer sur des interprétations patristiques pour en tirer ce dogme. Mais ici les Pères ne sauraient faire autorité comme en matière doctrinale, car le sens qu'ils attribuent à ces passages, en les rapportant au purgatoire, est nettement accommodatrice. Cf. Atzberger, op. cit., p. 93, note.

3° Le texte de Il Mac., XlI, 39..46. - Le seul texte de l'Ancien Testament qui implique réellement l'idée d'un état intermédiaire-, apanage dans l'autre vie des âmes justes non encore entièrement purifiées, est celui de II Mac., XII, 41-46..Au lendemain de sa victoire sur Gorgias, Judas Machabée découvrit sous la tunique de ses soldats tombés sur le champ de bataille des objets idolâtriques provenant du pillage de Jamnia. Ces objets étant essentiellement impurs au regard de la Loi, il y avait eu faute à les garder. Judas vit, dans la mort de ses soldats, un châtiment de Dieu:

C'est pourquoi tous bénirent le juste jugement du Seigneur, qui avait rendu manifestes les choses cachées. Et ainsi, s'étant mis en prière, ils demandèrent (au Seigneur) que l'offense qui avait été commise fût livrée à l'oubli. Mais le très vaillant Judas exhortait le peuple à se conserver sans péché, voyant sous leurs yeux ce qui était arrivé à cause des péchés de ceux qui avaient été tués.

Et, une collecte ayant été faite, il envoya à Jérusalem 12000 drachmes d'argent, afin qu'un sacrifice fût offert pour les péchés des morts, pensant bien et religieusement touchant la résurrection [car s'il n'avait pas espéré que ceux qui avaient succombé devaient ressusciter, il (lui) aurait semblé superflu et vain de prier pour les morts]: mais c'est
parce qu'il considérait que ceux qui s'étaient endormis dans la piété recevraient une très grande grâce (à eux) réservée. Elle est donc sainte et salutaire, la pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés.

Le texte grec est quelque peu différent de la Vulgate, sur laquelle est faite notre traduction: «Il considérait en outre qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété, et c'est là une pensée sainte et pieuse. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur péché.» Dans le fond, l'idée est identique, sauf que l'auteur inspiré n'a en vue ici que le péché commis par les soldats morts.

L'authenticité du texte est indiscutable. Dans sa traduction latine de l'Ancien Testament, Sébastien Munster soupçonne ce passage (t 43-46) d'avoir été ajouté en cet endroit. Or, tous "les exemplaires grecs, latins et syriaques, tant imprimés que manuscrits, le portent uniformément, comme la Vulgate, et les anciens Pères l'ont cité et connu, sans aucune variété ni aucun doute. Cf. Dom de Bruyne, Le texte grec des deux premiers livres des Machabées, dans Rev. biblique, 1932, p. 44.

Le sens du texte est démonstratif en faveur de l'existence du purgatoire. Sans doute, Judas Machabée a en vue, avant tout, la résurrection de ses soldats pécheurs. Mais il subordonne cette résurrection à l'expiation, dans l'autre vie, du péché commis dans le pillage de Jamnia. Ces soldats devaient ressusciter un jour; autrement la prière pour les morts serait vaine. Ressuscités, ils auraient part à la récompense réservée à ceux qui s'endorment dans le Seigneur. Mais auparavant, ils devaient être libérés de leur péché: c'est ce résultat que procurait le sacrifice expiatoire offert à Jérusalem. Cf. Hugo Bévenot, O. S. B., Die beiden Makkabüerbücher, Bonn, 1931, p. 39-40.

Il faut donc admettre que ces âmes n'étaient pas en enfer: ou leur faute n'était pas mortelle, ou elles avaient eu le temps de s'en repentir avant la mort, comme l'avaient fait jadis «beaucoup de ceux qui avaient péri dans le déluge». Cf. 1 Pet., III, 19-20. Mais ces âmes n'étaient pas encore au ciel et elles ne pouvaient y entrer, non seulement parce que le ciel était encore fermé aux justes, mais parce que leur péché les empêchait d'y être reçues. Leur état se trouvait donc être cet état intermédiaire que nous appelons le purgatoire, état où les âmes sont purifiées par l'expiation et aidées à cet effet par les suffrages des vivants.

L'auteur inspiré raconte le fait avec insistance et y ajoute ses réflexions, destinées à inculquer la légitimité de la croyance et des pratiques: «C'est là une pensée sainte et pieuse.»

4° Comment expliquer l'évolution de la pensée juive en cette matière? -On constate que Judas Machabée, qui prend l'initiative de la collecte et du sacrifice, est un homme très attaché à la religion et aux traditions de ses pères; que ses compagnons ne sont nullement surpris de sa proposition, qu'ils y répondent généreusement et que vraisemblablement à Jérusalem la demande n'étonna pas. On peut donc se demander comment cette croyance et cette pratique apparaissent tout d'un coup dans le texte sacré, sans que rien semble les préparer dans les ouvrages antérieurs. La question doit se poser, même en ne considérant les livres des Machabées que sous leur aspect historique.

Il faut observer tout d'abord qu'entre Esdras et Judas Machabée, il s'est écoulé une période d'environ trois siècles, durant laquelle un silence à peu près complet enveloppe l'histoire des Juifs. Au cours de ces longues années, bien des points de doctrine se sont éclaircis, qui auparavant étaient demeurés dans une ombre plus ou moins profonde. Telle, par exemple, la doctrine de la vie future si fortement exposée dans le livre de la Sagesse, .II-V. Il a dû en être de même pour la doctrine du purgatoire et de la prière pour les morts. Peu à peu, à l'heure marquée par la Providence, elle s'est dégagée pour se manifester au grand jour quand l'occasion en devint propice. On voit bien, d'après le texte des Machabées, que cette doctrine est entrée dans la croyance des Juifs pieux, mais qu'elle a encore besoin d'être affirmée. Elle devait, en effet, se heurter à une vive opposition des sectaires sadducéens qui ne croyaient pas à la vie future, et même rencontrer quelques hésitations chez ceux qui n'aimaient pas les innovations et prétendaient s'en tenir à la Loi et aux prophètes. H. Lesêtre, art. Purgatoire, dans Dict. de la Bible, t. v.

C'est le cas de se demander si l'influence de religions étrangères n'aurait pas favorisé l'éclosion de cette doctrine chez les Juifs. L'auteur que nous venons de citer examine les croyances analogues à. notre croyance au purgatoire que l'on peut rencontrer dans les anciennes religions.
1. Les Égyptiens avaient l'idée nette d'un jugement subi après la mort. L'âme n'arrivait à ses juges divins qu'après avoir parcouru des régions semées de difficultés. C'était seulement après ces épreuves subies par elle que l'âme était admise au séjour bienheureux pour y continuer ses occupations de la terre, ou mieux qu'elle revenait dans les lieux habités pour s'y intéresser aux choses qui lui plaisaient. Ces épreuves ne sauraient, en général, être considérées comme l'équivalent de peines purificatrices. Toutefois, il faut reconnaître qu'au moins à un certain temps les Égyptiens admirent une sorte de purification par le feu, pour les péchés légers, après laquelle le défunt était admis parmi les bienheureux. Cette doctrine est explicitement enseignée dans quelques exemplaires du Livre des morts, conservés au musée du Louvre. Une scène représente le pèsement de l'âme et elle «est suivie de la vignette du bassin de feu gardé par quatre cynocéphales; c'étaient les génies chargés d'effacer la souillure des iniquités qui auraient pu échapper à l'âme juste et de compléter sa purification». Em. de Rougé, Description sommaire des salles du musée égyptien, nouvelle édition par P. Pierret, Paris, 1873, p. 102. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'orient, t. J, 1895, p. 182 sq. En tout cas, le bonheur des justes n'était jamais donné immédiatement après la mort: «Avant d'y arriver, le juste doit passer par une longue série d'épreuves, triompher de nombreux ennemis qui lui barrent la route, traverser un labyrinthe de salles obscures gardées par des monstres horribles. Tout cela est décrit dans le Livre des morts.» A. Mallon, S. J., art. Égypte, dans Dict. apol., t. J.

2. Les Babyloniens avaient une croyance développée à la vie d'outre-tombe. La coutume d'apporter des offrandes au corps des défunts, afin que l'âme eût de quoi subsister sans venir tourmenter les vivants, est une preuve de la croyance à la survie. Le poème de La descente d'Istar, d'ailleurs, décrit longuement l'aralou, montagne septentrionale sous laquelle séjournent les âmes des morts. L'état des âmes est différent selon que ces âmes ont fait preuve ou non de piété envers les dieux et envers la déesse des enfers, Allat. Les impies sont livrés par Allat à des supplices épouvantables; les autres mènent une vie morne et sans joie. Personne n'est libéré de ce séjour que par exception, sur l'ordre des dieux d'en haut. On peut établir un parallèle entre la doctrine chaldéenne et la doctrine juive sur les destinées futures de l'homme. On constatera qu'ici comme là les morts descendent dans un endroit souterrain (l'aralou = le scheôl), qui inspire de l'horreur. Mais le parallélisme ne va pas plus loin: sur la condition des âmes dans l'au-delà, on manque de détails précis. Ce n'est donc pas du côté de la Chaldée qu'il faut chercher une influence doctrinale en faveur de la croyance au purgatoire. Cf. Maspero, op. cit., t. l, p. 684 sq.; Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e éd, Paris, 1905, p. 337 sq.; P. Dhorme, Le séjour des morts chez les Babyloniens et les Hébreux, dans Rev. biblique, 1907, p. 59 sq.

3. Les Perses, au contraire, professaient des doctrines assez apparentées à la croyance de Judas Machabée. Au IXe siècle avant Jésus-Christ, la théologie des Perses croit à la survivance de l'âme. Après être demeurée trois jours auprès du corps, l'âme, suivant la valeur morale de ses actions, passe à travers des contrées agréables ou horribles pour aller subir son jugement. Au sortir du jugement, l'âme arrive au pont Schinvât, qui, passant au-dessus de l'enfer, mène au paradis. Condamnée, elle culbute dans l'abîme; innocente, elle parvient au bonheur. Cf. Maspero, op. cit., t. III, p. 589-590. Pour certaines âmes, cependant, il y a un état intermédiaire, le Hâmestakân. Toutefois, l'Avesta postérieur ignore l'état intermédiaire. C'est l'enfer qui purifie tous les coupables, de telle sorte qu'à la fin tous doivent être sauvés et participer à la résurrection. «Ainsi, jugement particulier, jugement général, paradis, enfer et purgatoire, résurrection des corps, toute cette eschatologie est assez semblable à celle du christianisme, hormis le pardon de tous, qui n'était pas étranger à la théologie d'Origène.» Lagrange, art. Iran (Religion de l') , dans Dict. apol., t. II; cf. La religion des Perses, dans Rev. biblique, 1904, p. 188. On pourrait donc être tenté d'attribuer à l'influence des idées perses l'introduction en Israël de la croyance au purgatoire et à l'utilité des prières pour les défunts. Mais les doctrines de l'Avesta sont trop indécises et surtout trop différentes des idées exprimées dans le IIe livre des Machabées pour qu'on puisse retenir une influence directe et efficace. D'ailleurs, le judaïsme d'après l'exil était plutôt fermé aux influences étrangères; aussi, malgré les rapprochements qu'établissent les partisans de la méthode comparative, il semble qu'on doive réduire l'influence perse à peu de chose. «Ce qu'on peut croire plus légitimement, c'est qu'au contact de la religion iranienne la doctrine juive s'est développée en vertu de sa force interne et dans le sens voulu par Dieu. L'obscurité qui enveloppe toute une période de l'histoire juive ne permet pas de suivre avec plus de précision le travail religieux accompli durant ce temps.» H. Lesêtre, art. Purgatoire, dans Dict. de la Bible, t. v. Voir ici même, sur des sujets analogues, Judaïsme et Jugement, t. VIII, col. 1659 sq., 1746. Le P. Lagrange rejette expressément l'influence iranienne. Cf. Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. 362.

Pour expliquer l'évolution de la pensée juive, on trouve des raisons suffisantes dans les propres principes religieux d'Israël. L'individualisme des derniers prophètes serait le germe de cette évolution. Voir cette explication dans JUGEMENT, col. 1746-1747. Il s'agit surtout du livre de Daniel, voir DANIEL, t. I-V, col. 74, et JUGEMENT, t. VIII, col. 1744. Cette explication de M. Touzard se trouve corroborée par celle du grand rabbin, M.-A. Weill, pour qui les rémunérations promises par Moise et les premiers prophètes étaient essentiellement collectives et spirituelles, «spirituelles et non pas futures et éternelles», la Loi n'ayant pas pour but direct une telle rétribution. Le but de la Loi n'est que la formation d'un peuple saint, modèle pour les autres nations, dans le culte à rendre à Dieu. La sanction visera donc ce but primordial. Tant que le peuple «saura respecter et honorer son titre en marchant dans la voie qui lui est tracée, il trouvera sa légitime récompense dans l'ascendant que lui assure l'intelligent et pieux exercice du sacerdoce, et surtout dans sa durée... il possédera aussi les biens temporels, mais... comme moyens, en tant qu'ils sont nécessaires à la sauvegarde des intérêts spirituels.» Voilà le premier idéal juif. Mais «nous allons entrer dans une phase nouvelle... De terrestre qu'a été la rémunération, elle va devenir future et immortelle... il importe de déterminer l'heure de la transformation... Elle s'est accomplie indubitablement lors du retour de la captivité, sous l'influence d'Esra et du grand synode... En ce qui concerne le rôle assigné à la rémunération future par le grand synode et ses continuateurs, nous ne croyons pas nous tromper en l'attribuant à un genre de nécessité pareil à celui qui, plus tard, à l'époque de la dispersion, provoqua la conversion de la loi orale en loi écrite. Il y avait urgence à mettre le dogme en harmonie avec la situation politique... (Les) assurances de sécurité et de prospérité matérielle faisaient un étrange contraste avec la réalité et ne pouvaient plus dès lors constituer ce mobile puissant qui remue et entraîne les masses...» Le judaïsme, ses dogmes, sa mission, Paris, 1869, t. IV, p. 264 sq., 298 sq.

C'est par un développement analogue qu'on peut expliquer la croyance exprimée au IIe livre des Machabées: ce livre témoigne que la perspective des rémunérations futures, ouverte par Daniel, avait fini par prendre consistance, au moins dans les meilleures âmes du judaïsme.

D'ailleurs, il n'est pas certain que les doctrines de l'Avesta soient d'origine bien ancienne. Le P. Lagrange les estime plus récentes que le judaïsme, qui aurait au contraire influé sur elles. La religion des Perses, dans Rev. biblique, 1904, p. 203-212.

D'autre part, ces affirmations des religions orientales où l'on croit retrouver quelque chose du dogme du purgatoire doivent-elles nécessairement s'expliquer par l'influence d'une doctrine révélée? Rien n'est moins certain. L'exigence d'une purification d'outre-tombe se présente si spontanément à l'intelligence humaine que l'idée en est pour ainsi dire naturellement conçue. La sanction est inséparable de la loi; l'ordre doit être rétabli dans la mesure où il a été violé. Or, en ce monde le rétablissement de l'ordre par la justice ne peut se faire complètement. Il faut donc, dans l'autre vie, non seulement la sanction qui frappe à jamais le coupable obstiné et impénitent, mais encore celle qui punit la faute légère ou les restes de fautes qui, tout en laissant subsister la vertu dans l'âme, y marquent néanmoins
une dette envers la justice divine. Par les seules lumières de la raison Platon n'était-il pas parvenu à concevoir une purification dans l'au-delà pour les âmes qui en sont capables? Voir plus loin. Quoi d'étonnant que les religions anciennes se soient spontanément élevées à des conceptions de ce genre?

5° Que reste-t-il aux Juifs de la doctrine du IIe livre des Machabées? - Les livres postérieurs rie renferment plus aucune mention d'un état intermédiaire entre le ciel et l'enfer. Sous l'influence de la philosophie grecque, le livre de la Sagesse ouvre des perspectives assez nettes sur la vie future et lés rétributions qu'elle comporte pour les justes et pour les pécheurs, mais il n'y est point question d'une expiation imposée aux justes avant leur entrée dans le bonheur. La littérature extracanonique, plus riche en détails susceptibles de satisfaire la curiosité humaine, ne conçoit pas délibération pour les pécheurs. Voir JUGEMENT, col. 1749-1750. D'après les rabbins, les païens qui ne doivent pas bénéficier de la résurrection sont envoyés à la géhenne dès leur mort. Ils y resteront éternellement. Quant aux justes, ils triomphent dans le scheôl de leurs adversaires et ils y subissent, si c'est nécessaire, l'épreuve du feu purificateur. F. Weber, Jüdische Theologie, 2° éd., Leipzig, 1897, p. 341-342, 391-392. Par la suite, les Juifs assignèrent comme séjour aux âmes ni justes ni impies la «géhenne supérieure», c'est-à-dire les régions les plus élevées de l'enfer. Douze mois de souffrances y purifiaient les âmes avant qu'elles pussent être admises parmi les justes. Les prières des vivants les y aidaient: un fils devait prier pour son père défunt chaque jour pendant onze mois; chaque sabbat, l'assemblée récitait une prière solennelle nommée le «souvenir des âmes». Cf. Iken, Antiquitates hebraicæ, Brême, 1741, p. 614-615; Drach, De l'harmonie entre l'Église et la Synagogue, Paris, 1844, t. l, p. 16, et surtout Bonsirven, S. J., Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, t. l, Paris, 1935, c. VII, p. 322-340. Le P. Lagrange note cependant que la Tosefta (sur cet écrit, voir du même auteur Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. XVI) attribue à Chammaï une doctrine bien proche de notre purgatoire, celle qui considère une classe intermédiaire entre la classe destinée à la vie éternelle et celle qui est destinée aux opprobres éternels, la classe qui doit passer par le feu et être purifiée comme l'argent, éprouvée comme l'or. Chammaï admettait ainsi un purgatoire, m:lis dont la vertu s'exerçait fort vite. Cf. Lagrange, op. cit., p. 361-362.

L'éternité des peines, affirmée par le Talmud, dans la Halaka comme dans l'Agada, est interprétée par les Juifs modernes avec de singuliers adoucissements. La purification de douze mois est accordée déjà dans la Mischna aux méchants sans distinction. Quant aux grands criminels, l'éternité de leurs peines ne doit être prise à la lettre que s'ils meurent absolument dans l'impénitence finale. D'ailleurs, il suffit d'avoir accompli pendant la vie, consciencieusement et religieusement, au moins une prescription de la loi sacrée, pour être admis au bonheur. L'enfer des Juifs modernes devient en réalité un immense purgatoire. Cf. M.-A. Weill, op. cil., p. 595-596. D'ailleurs, déjà au temps de Jésus-Christ, de nombreux rabbins avaient tendance à supprimer l'éternité de la géhenne. Cf. Bonsirven, op. cit., c. XIII, p. 538.:541.
 
 

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