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Purgatoire.net
édition numérique par Dominique Vandal et JESUSMARIE.com

VI. LA CONTROVERSE PROTESTANTE ET LE CONCILE DE TRENTE.

-Nous n'avons pas voulu interrompre l'exposé de la controverse avec les Orientaux avant qu'elle soit close, officiellement du moins,par la définition du concile de Florence. Il nous faut maintenant, jetant un regard sur l'Occident, rappeler que, bien avant ce concile, l'Occident lui-même avait été troublé par la négation du purgatoire, ou, plus exactement, cette négation se greffait sur une hérésie plus vaste dont elle n'était qu'un aspect secondaire.

Au XIIIe siècle, les cathares (albigeois) avaient été entraînés, par leur morale singulière, à la négation du purgatoire. On sait que, pour ces néo-manichéens, la vie spirituelle ne peut exister ici-bas, l'âme étant prisonnière en un corps qui est l'oeuvre de Satan. Le bonheur n'est possible qu'à la délivrance de l'âme, après la mort. Puisque le règne de Satan est limité à ce monde, l'enfer n'existe pas: toutes les âmes finalement doivent revenir à Dieu, mais après une série d'épreuves, de purifications. Et c'est sur terre que les âmes doivent se purifier pour être dignes de Dieu; d'où il suit que les âmes imparfaites reprennent un nouveau corps et une nouvelle existence en vue d'une purification plus complète. Pas de place, en un tel système, pour un purgatoire. Pas de prière non plus pour-l'âme des morts puisqu'il n'y a pas d'expiation dans un purgatoire et que les morts ou bien sont unis à Dieu ou revivent sur terre sous une nouvelle forme. Voir Albigeois, dans Dict. d'hist. et de géogr. eccl., t. I, col. 1626, 1631. Dans sa condamnation de l'hérésie des albigeois, l'Église s'est contentée de formules générales et n'a pas envisagé directement la négation du purgatoire.

La position des vaudois (tout à fait distincts au début des cathares) est assez peu cohérente: au début ils rejettent moins le purgatoire et la prière pour les morts que certains trafics pécuniaires dont ces dogmes sont trop facilement l'occasion.

Il est à remarquer que plus tard Wiclef et Hus, qui, tout autant que les vaudois et les albigeois, préludent aux négations protestantes, n'ont pas osé attaquer directement le dogme du purgatoire, tant la crainte était grande de s'aliéner l'esprit des masses. Néanmoins, Wiclef attaque déjà les indulgences, cf. prop. 42, Denz.-Bannw., n. 622; Hus lui fait écho, prop. 8, ibid., n. 634, et le concile de Constance impose à leurs partisans deux interrogations sur ce point. N. 26,27, ibid., n. 676,677. La négation du purgatoire pourrait être déduite de la négation des indulgences. Mais ce sont les réformateurs du XVIe siècle qui osèrent ouvertement contredire une croyance et des pratiques si populaires. Luther y mit d'abord quelque réserve; Calvin brusqua l'offensive. On fera d'abord l'exposé des négations protestantes; ensuite on retracera la riposte catholique du côté des théologiens et enfin on exposera la doctrine du concile de Trente.

I EXPOSÉ DES NÉGATIONS PROTESTANTES. -1° Genèse et évolution de la pensée luthérienne. -1. Dans ses thèses du 31 octobre 1517, Luther combat les indulgences, mais non encore le purgatoire. Toutefois il parle de l'état des âmes souffrantes en des termes qui sont contraires aux données traditionnelles: il veut détruire le lien qui pourrait les unir aux
vivants. Les âmes des mourants paient toute leur dette par la mort; le droit canonique ne les atteint pas, et elles ont droit à la remise de leurs fautes, th. XIII; la conscience de leur imperfection morale et de ce qui manque à leur charité comporte une grave crainte, et à elle seule cette crainte éteint le feu du purgatoire th. XIV, XV. Toutefois, pour les âmes du purgatoire, la crainte diminuant, s'accroît la charité, th. XVII; on ne peut prouver par la raison ou l'Écriture que ces âmes soient hors d'état de mériter et d'accroître leur charité th. XVIII. Il ne paraît pas qu'elles soient certaines de leur béatitude, au moins toutes th. XIX. Peut-être même ne désirent-elles pas leur libération immédiate th. XXIX, ou IIe sér. n. 4. Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum, éd. de Weimar (W.), t. 1, p. 233-234.

Les protestations surgirent de partout. Dans l'apologie publiée en allemand vers la fin de 1519, en réponse à Priérias et à Jean Eck, Luther déclare croire ferme «aux souffrances des pauvres âmes qu'on doit secourir par des prières, des jeûnes, des aumônes et d'autres oeuvres». Il ajoutait cependant ne pouvoir déterminer le genre de leur peine ni savoir si cette peine peut seule servir à la satisfaction requise. Unterricht auf etliche Artikel, W., t. II, p. 70. Cette profession de foi, d'apparence encore catholique, fait écho à la déclaration contenue dans les Resolutiones disput. de indulg. virtute, où Luther proclame sa certitude du purgatoire, concl. 15, discute longuement sur les peines, ibid., mais nie le pouvoir du pape sur ces peines et ne lui accorde (ce qu:i est d'ailleurs la thèse catholique) qu'un pouvoir per modum suffragii. Concl. 22, 25, 26, W., t. 1, p. 555, 556-558, 571,572,574.

2. Mais déjà, dans des lettres privées, il laisse entendre que sa doctrine sur la justification par la foi et sur l'inutilité des bonnes oeuvres ne permet guère de maintenir une expiation des péchés. Dans la Disputatio de Leipzig avec Jean Eck, pressé par ce dernier de déclarer s'il admet encore le purgatoire, Luther répond qu'«en vérité, dans toute l'Écriture, il n'y a pas un mot à ce sujet». W., t. II, p. 324. Si on lui oppose le lie livre des Machabées, il se contente de rejeter ce texte, alléguant que les deux livres des Machabées sont par erreur dans le canon des Écritures. W., t. II, p. 324; cf. Köstlin-Kawerau, Martin Luther, t. 1, Berlin, 1903, p. 248. Il discute toutefois encore sur l'état des âmes du purgatoire, plutôt en
suggérant des doutes qu'en proposant des négations formelles. Cf. Resolutiones lutherianæ super prop. suis Lipsiæ disputatis, concl. 6, 9, W., t. II, p. 423,426. Ces hésitations s'expliquent par la nature même du débat. Déjà, de toute évidence, le purgatoire, comme les indulgences, doit être rejeté; mais, tandis qu'on peut sans crainte bafouer les indulgences si peu populaires en raison des abus qui se sont produits, il est dangereux de s'attaquer à des croyances comme le purgatoire et les prières pour les défunts, croyances si chères aux peuples chrétiens.

3. Voilà pourquoi, dans les propositions condamnées par la bulle Exsurge Domine, on ne relève que des propositions où l'existence même du purgatoire n'est pas en cause:

Prop. 3: Fomes peccati etiamsi nullum adsit actuale peccatum, moratur exeuntem a corpore animam ab ingressu cœli. La concupiscence, même lorsqu'il n'existe aucun péché actuel, retarde l'âme à sa sortie du corps, de son entrée au ciel.
Prop. 4: Imperfecta caritas morituri fert secum necessario magnum timorem, qui se solo satis est facere pœnam purgatorii et impedit introitum regni. La charité imparfaite du moribond comporte nécessairement une grande crainte qui par elle seule suffit à entraîner la peine du purgatoire et à empêcher l'entrée au ciel.
Prop. 37: Purgatorium non potest probari ex sacra Scriptura quæ sit in canone. Le purgatoire ne peut être prouvé par la sainte Écriture qui est dans le canon.
Prop. 38: Animæ in purgatorio non sunt securæ de earum salute, saltem omnes; nec probatum est ullis aut rationibus aut Scripturis, ipsas esse extra statum merendi vel augendæ caritatis. Les âmes du purgatoire ne sont pas, toutes du moins, certaines de leur salut. Ni la raison ni l'Écriture ne peut démontrer qu'elles ne sont plus en état de mériter et d'accroître leur charité.
Prop. 39: Animæ in purgatorio peccant sine intermissione, quamdiu quærunt requiem et horrent pœnas. Les âmes du purgatoire pèchent sans interruption parce qu'elles cherchent le repos et ont horreur de leurs souffrances.
Prop. 40: Animæ ex purgatorio liberatæ suffragiis viventium minus beantur, quam si per se satisfecissent. Denz-Bannw., n. 743-744; 777-780; Cavallera, n. 1460.  Les âmes délivrées du purgatoire, grâce aux suffrages des vivants, sont moins heureuses que si elles avaient satisfait par elles-mêmes.

Ces propositions, Luther les reconnaît comme siennes, bien que pour l'une ou l'autre il affirme ne s'être pas encore prononcé catégoriquement. Cf. Assertio omnium articulorum ..., W., t. VII, p. 110-111, 149-150. Il est d'ailleurs facile d'en retrouver le sens et jusqu'à l'expression dans des oeuvres antérieures. Prop. 3 : Resolut. disput. de indulg. virtute, concl. 23, W., t. l, p. 572: Luther reproche aux catholiques de raisonner quasi non sint nisi peccata actualia, ac si fomes relictus nulla sit immunditia, nullum impedimentum, nullum medium, quod moratur ingressum regni. -Prop. 4: Disput. pro declaratione virtutis indulgentiarum, prop. 15, W., t. l, p. 234; Resolut. disput. de indulg. virtute, concl.14, p.554.-Prop. 37: Disput. Lipsiæ, De purgatorio, W., t. II, p. 323, 324; cf. p. 338-339. Dans les Assertiones, Luther insiste sur l'impossibilité de prouver le purgatoire par II Mac. et il ajoute que seul l'amour du lucre a causé tout ce tumulte autour du purgatoire. W., t. VII, p. 149. -Prop. 38: énoncé des thèses de la Disputatio Lipsiæ, th. IX, W., t. II, p. 161, Resolut. disput. de indulg. virtute [1518], concl. 18, 19, W., t. I; p. 562, 564; Disput. I, Lipsiæ [1519], W., t. II, p. 332-333. -Prop. 39: Resolut. disput. de indulg. virtute, concl. 18, W., t. r,p.562.-Prop.40: Disput. I, Lipsiæ, W., t. II, p. 340.

4. Au fur et à mesure que sa popularité croit, Luther prend une position de plus en plus nette. Dans le De abroganda missa(1524), il enseigne ouvertement qu'on ne se trompe pas en niant le purgatoire. W., t. VIII, p. 452. Après le séjour à la Wartbourg, il est plus audacieux encore: «Qui a fait du purgatoire un article de foi? Le pape, uniquement pour s'enrichir, lui et les siens, p?r les messes. Très peu de personnes vont en purgatoire». Kirchenpostille, W., t. x, 1re part. a, p. 585. Il accepte cependant encore qu'on prie pour les morts, mais qu'on le fasse avec prudence; «il est possible d'ailleurs que les âmes dorment d'un profond sommeil jusqu'au jugement dernier.» Dans l'incertitude où nous sommes, il faut donc dire à Dieu: «Je te prie pour cette âme. Il se peut qu'elle dorme ou qu'elle souffre. Si elle souffre, je te demande, au cas où ce serait ta divine volonté, de la soulager dans ses peines.» Du reste, quand on a prié une fois ou deux, c'est bien assez. Predigten, dans l'édition d'Erlangen, t. XVII, 2e part., p. 55. En 1528, Luther autorise encore les prières pour les morts. Vom Abendmahl Christi Bekenntniss, W., t. XXVI, p. 508. Mais il est vraisemblable que de sa part c'est une pure tactique pour que le peuple ne s'aperçoive de rien.

5. C'est en 1530 que Luther laisse enfin éclater ses sentiments véritables. La question du purgatoire avait été passée prudemment sous silence dans la Confession d'Augsbourg, que Mélanchthon avait rédigée dans le sens du parti de la conciliation, Luther proteste avec véhémence. Epist. ad Melanchthonem, 26 août 1530; éd. De Wette, t. IV, p. 156. Et immédiatement il envoie aux ecclésiastiques de l'assemblée d'Augsbourg un Avertissement où se trouve violemment condamné le principe même de la satisfaction pour les pécheurs: «Dire: Il faut que tu satisfasses pour tes péchés, c'est dire: Il faut que tu renies le Christ, que tu rétractes ton baptême, que tu blasphèmes l'Évangile, que tu accuses Dieu de mensonge, que tu ne croies pas à la rémission des péchés, que tu foules aux pieds le sang et la mort du Christ, que tu violes le Saint-Esprit, que tu montes au ciel par tes propres moyens... Qu'est-ce que cette foi, sinon la foi des Turcs, des païens et des Juifs? Eux aussi voulaient satisfaire par leurs oeuvres. Toutes les abominations sont sorties de là : messes, purgatoire, offices des morts, confréries, indulgences, etc.» Vermahnung an die Geistlichen versammelt auf dem Reichstage zu Augsburg, W., t. XXX, 2e part., p. 289-290. C'est alors que parait le premier écrit dirigé directement contre le purgatoire: Widerruf vom Fegfeuer, W., t. XXX, 2e part., p. 367 sq. C'est une longue diatribe contre la thèse catholique de l'existence du purgatoire, contre les preuves scripturaires qu'on a coutume d'apporter et contre les marchandages que cette doctrine introduit dans la religion. Le Dieu Mammon fait de la Bible tout ce qu'il veut!

6. Les articles de Smalkalde établissent définitivement la doctrine toute négative de Luther. Négation de l'utilité des satisfactions pour soi-même ou pour autrui. Part. III, a. 3, De pænitentia, dans J.-T. Müller, Die symbolische Bücher, Gütersloh,1912, p. 315, n. 20. C'est en partant du principe de la satisfaction qu'on a «relégué» pour le purgatoire ce qui pouvait être encore à désirer dans la satisfaction faite ici-bas. Ibid., n. 21. C'est donc un comble d'abomination de prétendre que la messe, même offerte par un vaurien sans foi ni loi, puisse délivrer l'homme de ses péchés dans cette vie ou au purgatoire. Donc encore superstitions que les messes de vigiles, d'obsèques, de septième, de trentième jour, d'anniversaire, ainsi que le jour des défunts: le purgatoire et toutes les solennités qui s'y rapportent ne sont qu'un masque du diable (mera diaboli larva). Tout cela constitue «une contradiction avec le premier article qui enseigne que la libération des âmes est dans le Christ seul et non dans les oeuvres des hommes. De plus, au sujet des morts, rien ne nous a été commandé par Dieu. Donc toutes ces pratiques, même s'il ne s'y mêlait rien d'erroné ou d'idolâtrique, pourraient être omises.» Part. II, a. 2, De missa, op. cit., p. 303, n. 12. Sans doute on objecte l'autorité d'Augustin au sujet de sa mère Monique. Mais Augustin n'a rien enseigné; il rapporte simplement une recommandation de sa mère: simple dévotion particulière. Ibid., n. 14. Tout ce qu'on fait pour les défunts n'est qu'une invention humaine, comme le culte des reliques. Il faut s'en tenir à la règle de foi contre laquelle même un ange ne saurait prévaloir. Quant aux prétendues apparitions, ce sont d'éhontés mensonges et des contes. Ibid., n. 16,17. Désormais, Luther ne parlera plus du purgatoire que pour le tourner en dérision. Il se moquera du pape, qui à prix d'argent vend les messes, les vigiles, les indulgences en faveur d'âmes du purgatoire qu'il ne connaît pas. Part. III, a. 3, De pænitentia, p. 316, n. 26-27. De ces moqueries les Tischreden (Propos de table) sont remplis. Cf. W. (éd. des Tischreden), t. II, n. 1873; t. III, n. 3695; t. IV, n. 4449, 4819; t. v, n. 5316, 5989, 6022, 6033, 6200, 6427; t. VI, n. 6845.

2° Mélanchthon. -Les peines dues au péché échappent, dit Mélanchthon, au pouvoir des clefs. Loci communes (2a ætas), De satisfactione, dans Corp. reform., t.,XXI, col. 49. En conséquence, pas d'indulgences ou de suffrages possibles. Ailleurs, dans le chapitre sur le sacrifice de la messe, il esquisse la théorie sur laquelle roulera toute la doctrine de la Défense de la Confession d'Augsbourg: le sacrifice ne peut être appliqué à autrui, mais on peut prier pour autrui. Ibid., col. 485.

Ainsi donc, Mélanchthon ne niera pas expressément le purgatoire; dans la Confession d'Augsbourg, il passe sous silence cette question. Dans la Défense, il l'aborde à plusieurs reprises, dans le Sens indiqué par les Loci. Le principe de la justification par la foi seule commande toutes les déductions. C'est faire injure à la réparation offerte par le Christ que supposer encore nécessaire une satisfaction de notre part. Apologia, a. 6, De confessione et satisfactione, dans J.-T. Müller, Symbolische Bücher, p. 200, n. 77. Les catholiques ont transporté dans l'autre vie cette idée d'une satisfaction humaine. Le facile dignos fructus pænitentiæ équivaut pour eux à: «Souffrez les peines du purgatoire dans l'autre vie.» Ibid., p. 192, n. 39,40; cf. p. 189, n. 25. Pour légitimer cette conclusion, il faudrait montrer que les peines éternelles ne sont remises qu'à la condition d'une compensation de peines temporaires au purgatoire, ce que n'enseigne pas l'Écriture. Ibid., p. 200, n. 77. Et voici qu'ils veulent racheter les satisfactions dues par les défunts avec les indulgences et le sacrifice de la messe! Apologia, a. 12 (5), De pænitentia, p. 169, n. 15. Or, d'une part, c'est mal comprendre les indulgences que de leur attribuer de l'efficacité pour délivrer les âmes du purgatoire. Ibid., a. 6, De confessione et satisfactione, p. 262, n. 78; cf. p. 170, n. 26. D'autre part, les papes ont transféré l'application des messes aux âmes du purgatoire, a. 24 (12), De missa, p. 262, n. 64, délivrant ainsi ces âmes des peines du purgatoire par la simple application d'une messe, qui aux vivants même ne saurait profiter sans la foi!

La doctrine positive de Mélanchthon est exposée, dans la même Apologia, dans l'a. 24 (12) sur la messe. La messe ne confère pas la grâce ex opere operato; si elle est appliquée aux vivants et aux défunts, elle ne mérite ex opere operato aucune rémission des péchés, coulpe ou peine.. Ce qu'elle fait, c'est vaincre par la foi les terreurs du péché et de la mort.
P. 250, n. 11.

S'il en est ainsi, il est inutile de célébrer la messe pour les défunts et d'admettre un purgatoire. Ibid., p. 268, n. 90. Sans doute, il faut croire que la cène du Seigneur a été instituée pour la rémission des péchés, et c'est de véritables péchés qu'il s'agit. Et pourtant la messe n'offre pas une satisfaction pour le péché, car elle deviendrait ainsi l'égale de la mort du Christ: la rémission de toute faute ne peut s'obtenir que par la foi; la messe n'est donc pas une satisfaction, mais une promesse, un signe sacré (sacramentum) qui requiert la foi. En appliquant les messes aux défunts, on va donc contre l'Écriture. N. 92. Le canon de la messe grecque «applique» la messe aussi bien aux. saints du ciel qu'aux défunts; donc il ne s'agit pas de satisfaction à offrir à Dieu; c'est une simple mémoire, une action de grâces. Id., p. 269, n. 93. Quand les catholiques allèguent les témoignages des anciens Pères sur l'offrande du sacrifice (oblatio), il ne s'agit en réalité que de prières pour les défunts, et nous-mêmes ne les interdisons pas (scimus veteres loqui de oratiane pro mortuis, quam nos non prohibemus); mais nous rejetons absolument (improbamus) une application de la cène du Seigneur pour les morts, ex opere operato. J.-'T. Müller, op. cit., p. 269, n.94. Si Aérius a été condamné, c'est qu'il refusait de prier pour les morts, et ce n'est. pas pour avoir nié que la messe constituât un sacrifice pour les vivants et pour les morts. Ibid., p. 269, n. 96. Et Mélanchthon de conclure que la doctrine catholique concernant la rémission des péchés par un sacrifice extérieur est une doctrine renouvelée du judaïsme ou même du paganisme. Ibid., n. 97-98. À noter que, dans son commentaire sur la I Cor., III, 13-15, Mélanchthon entend «le feu» des tentations de la vie présente. Opera, dans Corp. Reform., t. XV, p. 1068.

3° Calvin. - Calvin n'a jamais eu les «ménagements» de Luther ou de Mélanchthon. Après avoir tonné contre les indulgences, il fond vigoureusement sur le purgatoire: «Maintenant, pareillement qu'ils ne nous rompent plus la tête du purgatoire, lequel est par ceste coignee coupé, abattu et renverse iusques à la racine. Car ie n'approuve point l'opinion d'aucuns (sans doute fait-il allusion à la Confession d'Augsbourg) qui pensent qu'on doive dissimuler ce poinct et se garder de faire mention du purgatoire, dont grandes noises, comme ils disent, s'esmeuvent et peu d'edification en vient. Certes, ie seroye bien aussi d'advis qu'on laissast tels fatras derriere, s'ils ne tiroyent grande consequence après eux: mais veu que le purgatoire est construit de plusieurs blasphèmes et est de iour en iour appuyé encore de plus grans, et suscite de grans scandales, il n'est pas mestier de dissimuler. Cela possible se pouvoit dissimuler pour un temps, qu'il a esté inventé sans la parolle de Dieu, voire avec folle et audacieuse témérité inventé; qu'il a esté reçeu par revelations ie ne say quelles, forgées de l'astuce de Satan; que pour la confirmer on a meschamment corrompu aucuns lieux de l'Escriture ... » Et relevant que le purgatoire n'est pas autre chose, «sinon une peine que souffrent les âmes des trépassez en satisfaction de leurs pechez», il conclut qu'une telle conception est un blasphème contre la satisfaction offerte par le Christ. Institution chrétienne, l. III, c. V, n. 6, Œuvres, t. IV (Corp. Reform., XXXII), col. 168.

Quant aux témoignages des Écritures, Calvin les repousse. Les papiste invoquent Matth., XII, 32; Marc., III, 28; Luc., XII, 10: «Je demande s'il n'est pas évident que le Seigneur parle là de la coulpe du péché.» Donc le purgatoire est inutile pour expliquer ces textes. Mais Calvin veut «bailler une solution plus claire». Voulant montrer comme un péché ne peut être remis ni en ce monde ni en l'autre, il explique que Jésus-Christ a en vue deux jugements: «Pour ce que le Seigneur voulait oster toute esperance de recevoir pardon d'un crime tant exécrable, il n'a pas esté content de dire qu'il ne serait iamais remis; mais pour amplifier il a usé de cette division, mettant d'une part le iugement que la conscience d'un chacun sent en la vie présente et d'autre part le iugement dernier qui sera publié au jour de la résurrection.» Donc aucun pardon, ni maintenant, ni au dernier jour, tel est le sens exact des textes. Ibid., col. 168-169. Les enfers dont il est question dans Phil., II, 10, ce n'est pas le purgatoire: ce texte exprime simplement la seigneurie souveraine du Christ en tous lieux. Ibid., col. 169-170. Reste II Mac, XII, 39-46. Calvin explique le but de Judas Macchabée faisant prier pour les morts. Ce but concerne les vivants, afin de leur donner estime pour ceux qui étaient tombés, «pour que ceux au nom desquels il offrait fussent accompagnez aux fidèles qui restaient morts pour maintenir la vraye religion». Ibid., col. 171. Mais, à coup sûr, le zèle de Judas Macchabée était «inconsidéré», Ibid.

Enfin, il attaque la «forteresse invincible», I Cor., III, 12-15. Mais le feu dont il est question ici n'est que «croix et tribulation, par laquelle le Seigneur examine les siens pour les purifier de toutes ordures». Ibid. Et, de fait, cela est beaucoup plus vrai que d'imaginer un purgatoire. Le «feu» est donc une métaphore, tout comme l'or, l'argent, les pierres précieuses. Le «jour du Seigneur» n'est pas autre chose que sa présence qui se révèle à chaque tribulation. Le «fondement» sur lequel se bâtit l'édifice, ce sont les principaux et nécessaires articles de la foi. Ceux qui édifient avec du bois, de la paille, du foin, ce sont ceux qui s'abusent en d'autres choses: leur ouvrage périra. «Parquoy, conclut Calvin, tous ceux qui ont contaminé la sacrée pureté des Escritures par ceste fiente et ordure du purgatoire, il faut qu'ils laissent perir l'ouvrage.» Ibid., col. 173.

Le plus difficile est de réfuter l'argument tiré de la tradition, c'est-à-dire de la pratique de prier pour les morts. Sans doute, avoue Calvin, cette coutume est «desià introduite devant treze cens ans, ... mais ie leur demanderay selon quelle parolle de Dieu, et par quelle revelation, et suyvant quel exemple cela a esté faict». Ibid., col. 174. Or il n'y a rien dans l'Écriture qui autorise la prière pour les défunts; cette pratique est donc une illusion introduite par Satan, ou un emprunt aux coutumes simplement humaines ou païennes. «L'Escriture donne une bien meilleure consolation, en prononçant que ceux qui sont morts en Nostre Seigneur sont bien heureux, ajoutant la raison qu'ils se reposent de leur peine (Apoc., XIY, 13)» Sans doute, «saint Augustin au livre de ses Confessions recite que Monique sa mère pria fort à son trepas qu'on fist memoire d'elle à la communion de l'autel: mais ie dy que c'est un souhait de vieille, lequel son fils estant esmeu d'humanité n'a pas bien compassé à la règle de l'Escriture, en le voulant faire trouver bon». Ibid., col. 175. Les anciens Pères ont fait quelque mention des morts en leurs prières sobrement et peu souvent, et comme par forme d'acquit. Les «papistes» sont toujours après, préférant cette superstition à toutes oeuvres de charité. Ibid., col. 176. L'interprétation de I Cor., III, 12-15 du feu métaphorique de la tribulation se retrouve dans le commentaire de Calvin sur
cette épître. T. XLIX (Corp. reform., LXXVII), col. 537.

4° Zwingle. -Zwingle est d'accord avec Calvin pour interpréter du feu métaphorique de la tribulation I Cor., III, 12-15. Voir son commentaire, Opera vol. VI, t. II, Zurich, 1833, po 143. Mais sa doctrine concernant le purgatoire est résumée dans les thèses de 1523: th. LVII: «La vraie Écriture sainte ne connaît aucun purgatoire après cette vie»; th. LX: «Que l'homme implore avec insistance Dieu en faveur des défunts pour leur attirer sa miséricorde, je n'y vois aucun inconvénient. Mais pour cela fixer un temps et en vouloir tirer un profit, voilà qui est non pas humain, mais diabolique.» E.-F. Karl Müller, Die Bekenntnisschriften der reformierten Kirche, Leipzig, 1903, p. 6.

Les thèses de Berne, 1528 (de Kolb et Haller), s'inspirent des idées même de Zwingle. La th. VII affirme qu'il n'y a pas de purgatoire dans l'Écriture, que tous les jours consacrés au culte des défunts, vigiles, messes de funérailles, services, messes des septième et trentième jours, anniversaires, sont inutiles (vergeblich). Ibid., p. 30.

Dans la Fidei ratio de 1530, voici comment s'exprime Zwingle: Credo purgatorii ignis figmentum tam contumeliosam rem esse in gratuitam redemptionem per Christum donatam, quam lucrosa fuit auctoribus suis. Nam si suppliciis et cruciatibus scelerum nostrorum commerita eluere est necesse, jam frustra erit Christus mortuus, jam evacuatur gratia. A. 12, Ibid., p. 92.

5° Les confessions de l'Église réformée. -1. Confessio helvetica prior (1532), a. 26: Quod autem quidam tradunt de igne purgatorio, fidei christianæ: «Credo remissionem peccatorum et vitam æternam» purgationique plenæ per Christum, et Christi Domini hisce sententiis (on cite Joa., v, 24; XIII, 10) adversatur. Ibid., p.217.

2.Confessio Gallicana, a. 24 : «Finalement nous tenons le purgatoire pour une illusion procedee d'icelle mesme boutique de laquelle sont aussi procedez les vœuz monastiques, pelerinages, defenses du mariage et de l'usage des viandes, l'observation ceremonieuse des iours, la confession auriculaire, les indulgences et toutes autres telles choses, par lesquelles on pense meriter grâce et salut. Lesquelles choses nous reiettons, non seulement pour la faulse opinion du merite qui y est attachee, mais aussi parce que ce sont inventions humaines, qui imposent ioug aux consciences.» Ibid., p. 227.

3. Confession d'Erlau (1562). De purgatorio: Purgatorium omnium delictorum nostrorum est gratia Dei, sanguis Christi, Spiritus sancti sanctificatio per fidem et verbum ... Meritum gratiæ Dei et redemptionis Christi culpam et pœnam condonavit et combussit. Satisfecit perfecte pro peccatis nostris ... Impium et diabolicum figmentum est papisticum purgatorium, subterraneum ignæ æterno exæstuans ubi purgari animas impie fingunt. Caret enim Scripturæ veritate et contrarium gratiæ Dei, Christi merito est. Ignis et aqua peccata purgans et exurens, gratia Dei, meritum Christi, Spiritus sanctificatio est. (Pauli I Cor., III.) Ignem judicii et condemnationis punientis peccata, intelligit perdiem et ignem, id est tribulationem, ille ignis non purgat peccata, sed damnai impiorum peccata; est enim ignis iræ Dei. Ibid, p. 293.

Les âmes saintes vont donc au ciel. On peut citer Lazare dans le sein d'Abraham, Luc., XVI, ou encore le Cupio dissolvi et esse cum Christo, de saint Paul, Phil., I, 2. Les âmes ne vont donc pas au purgatoire, mais, comme l'écrit saint Jean dans l'Apocalypse: Beati mortui qui in Domino moriuntur ... XIV, 13. Au contraire les âmes des impies sont dans la prison, dans le lieu de tourments, sont elles-mêmes torturées sans fin. Cf. I Petr., III, 19; II Petr., II, 9. C'est ainsi que l'Écriture et les Pères ont défini le sort futur des âmes, et même Pierre Lombard enseigne que les saintes âmes attendent sous l'autel le dernier jour.

4. Confession anglicane. -Les quarante-deux articles de 1552 (les trente-neuf de 1562).
Art. 23 de 1552:     Art. 22 de 1562:
Scholasticorum     Doctorum romanensium
doctrina de purgatorio, de indulgentiis, de veneratione et adoratione tum imaginum, tum reliquiarum, necnon de invocatione sanctorum, res est futilis, inaniter conficta et nullis Scripturarum testimoniis innititur, imo verbo Dei pernicioce      contradicit.
Ibid., p. 513.

II. LES RÉACTIONS DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE. -À vrai dire, toutes ces négations protestantes s'appuient sur des bases bien fragiles. L'exposé qu'on a fait plus haut de la tradition catholique montre, mieux encore que l'exégèse des textes scripturaires le plus souvent invoqués, la force et la vigueur de ce mouvement doctrinal qui part de l'idée de l'expiation en général (idée éminemment scripturaire), pour aboutir à celle de l'expiation du péché pardonné par des peines purificatrices de l'autre vie. Cette position traditionnelle sera en somme, nonobstant quelques exagérations dans l'exposé des preuves scripturaires du purgatoire, la position adoptée d'abord par les théologiens controversistes, par les conciles provinciaux, par les facultés de théologie et enfin par le concile de Trente.

1° Les théologiens catholiques contre Luther. -Un assez grand nombre de polémistes catholiques prirent part à la controverse relative au purgatoire. À la suite de K. Werner, Geschichte der apologetischen und polemischen Literatur, Schaffhouse, 1865, nous citerons: Catharin, Apologia pro veritate catholicæ et apostolicæ fidei ac doctrinæ adversus impia et valde pestifera M. Lutheri dogmata, Florence, 1520, 1. IV, p. 85 sq.; Jacques Hoogstraten, De purgatorio seu de expiatione venialium post mortem libellus, Anvers, 1525; Antonio Varani (cf. Jöcher, Lexikon, Leipzig, 1751, t. IV, p. 1444), De purgatorio (s. i.); Berthold de Chiemsee, Teutsche Theologie (s. i.), C. LXXXI-LXXXIII. On peut ajouter: Jean Faber, Responsiones duæ de antilogiis, Cologne, 1523; Malleus in hæresim Lutheri, Cologne, 1524; Fred. Grau, Contra catholicæ fidei adversarios, Mayence, 1524; J. Clichtove, Antilutherus, Paris, 1524; Vinc. Gracchari, De purgatorio et suffragiis, Venise, 1535; J. Tavernier, De purgatorio animarum, Paris, 1.551. Nous n'avons pu consulter que les quatre auteurs suivants:

1. Cajétan. -Les deux questions de Cajétan, qui forment son opuscule (XXIII) De purgatorio ont été écrites à Augsbourg, 25 septembre-17 octobre 1518. Cf. Cajétan, Saint-Maximin, 1934-1935, p. 42-43. Elles visent principalement les erreurs luthériennes de la proposition 38 condamnée par Léon X.

Au purgatoire, dit Cajétan, il ne peut plus y avoir de mérite: les âmes sont en état de satisfaire, non de mériter ou de démériter. Si, en effet, elles pouvaient encore démériter, elles seraient encore capables de se damner: ce qui est contraire à la nature même du purgatoire. De plus, ces âmes sont certaines de leur salut: n'y aurait-il, pour leur donner cette certitude, que l'enseignement de la foi qu'elles ont reçu encore sur terre, ce serait déjà suffisant. Mais elles ont de plus une parfaite connaissance de leur état par la science intuitive qu'elles possèdent d'elles-mêmes. Enfin, elles ne vivent pas dans l'horreur perpétuelle, car «elles aiment la divine justice et subissent volontiers leurs peines par soumission à cette justice».

Cajétan se pose l'objection des visions dans lesquelles certaines âmes auraient affirmé leur incertitude par rapport au salut: «La doctrine de l'Église, répond-il, ne s'appuie pas sur ces visions. L'Église ne les a pas approuvées:ce ne furent peut-être que des songes... ou des illusions diaboliques pour introduire de nouveaux dogmes.» Opuscula, Lyon, 1575, p. 116-117.

2. Priérias (Silvestre Mazolini). -Le titre exact de l'ouvrage de Priérias contre Luther est Errata et argumenta Martini Luteris recitata, detecta, repulsa et copiosissime trita, 1520. Le titre habituellement cité, De juridica et irrefragabili Ecclesiæ veritate, n'est qu'un sous-titre. Ce n'est pas au 1. III, mais au 1. II que se trouve la controverse relative au purgatoire, c. XI-XII, p. CLXI V°-CLXXXV R°. Il est inutile d'entrer dans le détail des idées et des discussions. La réfutation écrite par Priérias a servi de thème à Eck, dont l'ouvrage, plus considérable, ne fait que développer l'écrit de Priérias. Voir plus loin. Mais on trouve déjà chez celui-ci la justification du terme catholique: purgatorium et le rejet de l'expression punitorium. C. CLXXVII.

3. John Fisher. - Dans son Assertionis lutheranæ confutatio, composé en 1520, imprimé à Paris en 1523 (voir FISHER, t. v, col. 2558), l'évêque de Rochester reprend un à un chacun des quarante articles luthériens, condamnés par la bulle de Léon X. En réfutant les art. 2, 3, 4, 37, 38, 39, 40, c'est un véritable traité du purgatoire qu'a écrit John Fisher. Tout l'essentiel de la synthèse bellarminienne s'y trouve déjà. L'écrit, on le sait, est composé sous forme de dialogue entre «l'évêque» et Luther.

a) La réfutation de l'art. 2, In pueris baptizatis manere peccata, op. cit., p. XCVI, prend la théorie luthérienne à son point de départ: même chez les enfants baptisés, le péché demeure, qui leur interdit l'entrée du ciel.

b) Ainsi est rendu intelligible l'art. 3, Fomes peccati, etiamsi nullum adsit actuale peccatum, moratur exeuntem a corpore an imam ab ingressu cæli, p. CXL VI. Article contraire à la doctrine de l'Église qui enseigne que le baptême enlève tout le reatus du péché. En ceux qui sont baptisés, le fomes (la concupiscence) n'est plus un péché; il est un défaut du corps, le péché est une tache de l'âme.

c) L'art. 4 de Luther, p. CL, est reproduit tel que l'a condamné Léon X, mais Fisher y ajoute une remarque empruntée à Luther, se défendant d'avoir pu prendre position à ce sujet puisque l'Écriture ne renferme rien sur l'état des âmes saintes après la mort ni sur le purgatoire. Ce qui amène une excellente remarque de Fisher: «Si l'on doit croire au purgatoire (Luther y croyait encore) et si les saintes Écritures n'en parlent pas, c'est qu'il y a une autre source de preuves, les traditions apostoliques, la pratique de l'Église, les interprètes sacrés (les Pères), etc.» Revenant au sujet même de l'article, Fisher démontre que la charité qui anime les justes sur terre, si elle n'enlève pas la crainte de la mort, suffit cependant à chasser toute crainte relative à la damnation et à donner toute confiance par rapport au salut. P. CLIV.

d) L'art. 37 de Luther nie la possibilité de prouver le purgatoire par l'Écriture. Fisher commence par insister sur l'idée émise déjà dans sa réfutation de l'art. 4. Même si l'Écriture ne pouvait prouver le purgatoire, il y aurait bien d'autres chefs de démonstration, et il rappelle notamment la pratique de la prière pour les morts et l'enseignement formel de tant de Pères grecs et latins. Toutefois il est incroyable qu'un dogme aussi nécessaire que le purgatoire n'ait pas de fondement dans l'Écriture. Mais ce fondement ne sera mis en relief que si l'on veut bien conserver à l'Écriture le sens que lui reconnaît l'autorité souveraine de l'Église catholique. Les textes invoqués par l'évêque de Rochester sont: Matth., XII, 32; 1 Joa., v, 16 (peccatum non ad mortem); Apoc., v, 3 (subtus terram = purgatoire); Phil., II, 10. Le ps. LXVII, 19, reproduit par Eph., IV, 8, indique l'existence d'élus au ciel; Luc., XVI, 22, enseigne l'existence des réprouvés; donc, puisque rien de souillé n'entrera au ciel et qu'il faudra rendre compte de la moindre parole oiseuse au jour du jugement (Matth., XII, 36), il faut un lieu intermédiaire. Luther se moque du texte. Transivimus per ignem et aquam (ps. LXV, 12), et cependant nombre de Pères l'ont appliqué au purgatoire. Enfin on doit invoquer I Cor., III, 11-15, et l'interprétation d'ignis au sens du feu de la conflagration générale, comme le voudrait Luther, en s'appuyant sur II Thess., l, 9, et II Pet., III, 7, ne saurait être retenue. En dernier lieu, l'évêque défend la canonicité et l'autorité de II Mac., XII, 39-46, invoquant, outre l'autorité de l'Église, les témoignages de Jérôme et d'Augustin. L'évêque termine en réfutant. deux assertions luthériennes: le purgatoire n'a été inventé que par esprit de lucre; l'Église grecque n'a pas la croyance de l'Église latine. Fisher invoque ici l'existence du Memento des morts dans toutes les liturgies.

Finalement Luther est convaincu et obligé d'admettre le purgatoire, mais il prétend qu'on ne doit imposer cette croyance à personne. L'évêque déclare qu'ici il est nécessaire de contraindre (cf. Luc., XIV, 23), et incidemment s'intercale tout un paragraphe sur l'autorité doctrinale de saint Thomas d'Aquin. La conclusion de ce long chapitre est que le point de départ des erreurs de Luther est sa fausse conception d'un purgatoire qui serait une sorte d'enfer, moins l'éternité, et dans lequel, comme en enfer, règnent le trouble, la crainte, l'horreur, le désir de fuir. P. D.

e) L'article suivant: animæ non sunt securæ ..., etc., remarque Fisher, comporte deux parties. Sur le premier point, l'évêque montre que les âmes sont. toutes certaines de leur salut; elles ont fait, avant la mort, une, pénitence suffisante et à elles s'applique le texte de Luc., XV, 7, 10. Elles souffrent, mais elles aiment leur souffrance en ce que cette souffrance
est, pour elles, la condition de leur bonheur futur, et la certitude de leur salut leur apporte une immense consolation. Sur le second point, nec probatum est... ipsas esse extra statum merendi vel augendæ caritatis, Fisher fait une dissertation remarquable sur la mort, terme de la vie: le temps de l'épreuve, de l'opération, du mérite est la vie présente. Il invoque, Joa., IX, 4; Eccl., IX, .10; Gal., VI, 9; 1 Cor., VI, 2; II Cor., v, 10, et, parmi les Pères, Augustin, Jérôme, Chrysostome, Origène. P. DCXXXVII-DCXXXIX.

Mais ce n'est pas assez de dire que le purgatoire est un lieu de pénalité; c'est un lieu de purification, non punitorium, sed purgatorium. P. DCXLII.

f) L'art. 39, animæ in purgatorio peccant sine intermissione, etc., est aussi une injure à la doctrine catholique. Les âmes du purgatoires ne pèchent pas: certes elles désirent le repos, mais elles ne prennent pas en haine leurs peines. Saint Paul encore en vie exprimait le désir de quitter cette vie pour être uni au Christ, Phil., I, 23; ainsi les âmes désirent quitter le purgatoire pour régner avec le Christ. En cela aucune faute. Elles possèdent la charité; or la charité est patiente et supporte tout. I Cor., XIII, 7. Les âmes supportent donc patiemment leurs peines. Et d'ailleurs, si elles péchaient, ce ne pourrait être que mortellement, et elles deviendraient ainsi dignes de l'enfer, p. DCXLVII, puisque aucun remède au péché ne pourrait plus leur être appliqué. Donc il faut maintenir qu'au purgatoire il n'y a plus ni péché, ni mérite Possible; plus de vice nouveau, plus de nouvelle vertu.

g) L'art. 40 peut présenter deux sens différents. La finale, quam si per se satisfecissent, pourrait se rapporter aux satisfactions qu'elles auraient pu offrir au cours de la vie présente. Et, en ce cas, la proposition ne mérite aucune note, car il est exact qu'en satisfaisant en cette vie pour leurs fautes les pécheurs font œuvre plus efficace que la peine du purgatoire ne le saurait être. Mais, si l'on rapporte cette finale aux peines du purgatoire, comme si les âmes délivrées par les suffrages des vivants étaient ensuite moins heureuses qu'elles ne l'auraient été en achevant leur purification d'outre-tombe, la proposition devient erronée, car ces souffrances purificatrices ne leur font acquérir aucun mérite, aucun droit à récompense: nihil omnino mercedis lucratur (pœna) maculas tantum expiasse contenta. P. DCXLIX.

4. Jean Eck. -Le célèbre controversiste de la dispute de Leipzig ne pouvait laisser dans l'ombre la question du purgatoire. Eck s'est attaché à réfuter les erreurs de Luther sur ce point en deux écrits, dont le premier, daté de 1523, s'attaque aux premières erreurs, encore louvoyantes, de l'hérésiarque; le second, paru en 1530, visant plus spécialement le traité Widerruf vom Fegfeuer. Les deux écrits d'Eck sont contenus dans Operum Johannis Eckii secunda pars, 1531, p. XLII r°-LXXXII v°; LXXXIII r°-XCVI.

a) Le De purgatorio est divisé en quatre livres; il faut regretter que ce traité soit si peu connu: il a servi de modèle à la synthèse de Bellarmin, lequel a trouvé dans l'œuvre de son devancier un modèle déjà presque parfait. En voici l'analyse:

L. I. L'existence du purgatoire. -L'auteur expose d'abord son dessein de combattre les erreurs luthériennes. C. I. L'existence du purgatoire, quoi qu'en dise Luther, peut se démontrer par l'Écriture, principalement par I Cor., III, 11-15. C, II. L'interprétation de ce texte, appuyée sur les autorités d'Ambroise, de Jérôme, d'Augustin, de Grégoire, montre qu'il s'agit bien du feu du purgatoire, c. III-V, et qu'en conséquence on ne saurait admettre l'exégèse de Luther, qui voit ici le feu de la conflagration et, dans le jour du Seigneur, la simple tribulation. C. VI. Mais d'autres textes peuvent être invoqués, notamment Matth., v, 26 (c. VII); Matth., XII, 32 (c, IX), sans qu'on doive s'arrêter aux subterfuges de Luther et de Mélanchthon sur ces textes. C. VIII. Luther met en cause, à propos de II Mac., XII, l'autorité même de ce livre; Eck
montre que cette autorité est intacte et que le livre est canonique. C. X. Enfin viennent d'autres textes empruntés aux psaumes, LXV, 12; XVI, 3; XXV, 6, et à l'épître de Pierre, I Petr., l, 7. C. XI, Cette démonstration permet à Eck de conclure que l'existence du purgatoire est un dogme de la foi et que la négation du purgatoire est une véritable hérésie. Ainsi en a jugé saint Thomas d'Aquin, dans son opuscule Contra errores Græcorum; ainsi en a décidé l'Église elle-même au concile de Florence. C. XII.

L. II. Les âmes du purgatoire sont certaines de leur salut. -L'Apocalypse le témoigne en apportant à l'Agneau les louanges de toutes créatures, même de celles qui sont sub terra, Apoc., v, 3, 13. On trouve ici réunis les saints du ciel, in cælo, les saints de la terre, in terra et les âmes du purgatoire, sub terra. C. 1. Ces âmes louent le Seigneur et ont donc la certitude d'être en purgatoire et non en enfer, c. II; elles sont assurées, de leur salut: c'est d'elles que le canon de la messe dit qu'elles reposent dan$ le Christ ou encore qu'elles dorment dans le sommeil de la paix. C. III; Ces expressions fournissent à Eck l'occasion de montrer en quoi consiste le repos dans le Christ pour les âmes du purgatoire et comment, nonobstant ce repos, nous devons encore pour elles demander à Dieu le repos éternel. C. IV. Vraiment, en attribuant aux âmes du purgatoire l'incertitude de leur salut, Luther s'éloigne de la doctrine catholique; son enseignement est suspect, et il laisse périr les suffrages pour les défunts. C. V. Il est très certain que les âmes sont en purgatoire assurées de leur salut: le dogme du jugement particulier fonde cette vérité, c. VI, et il est non moins certain que le secours de nos suffrages ne prive pas ces saintes âmes d'un degré de gloire qu'elles auraient obtenu par leurs souffrances prolongées. C. VII. En vérité Luther est plein de contradictions. et son enseignement mérite condamnation. C. VIII.

L. III. Le purgatoire ne comporte pas cet état peccamineux que Luther attribue aux âmes souffrantes. -Luther rend le purgatoire en quelque sorte pire que l'enfer: il nous y montre les âmes pleines d'horreur, d'angoisse, de désespoir. Pour reprendre son système au point de départ, il faut dire que la crainte de la mort n'implique pas nécessairement une charité imparfaite qui engendre à elle seule la peine du purgatoire. C. I. Le juste peut craindre la mort, tout comme le pécheur peut aimer la vie plus que Dieu. C. II. L'imperfection de la charité ne doit pas être mesurée aux restes des péchés. C. III. Et Luther, à son point de départ, commet une double erreur: tout d'abord en affirmant qu'en l'homme régénéré les restes du péché d'Adam empêchent la charité, ensuite en enseignant que, même après le baptême, le péché subsiste encore dans l'âme. C. IV.

Toutes les mauvaises raisons accumulées par Luther, c. V-VI, doivent céder devant cette constatation: Luther affirme que les âmes du purgatoire seraient dans le trouble et l'angoisse en raison d'une foi et d'une charité imparfaites. Or, ces âmes ont pleine connaissance de leur état; elles ont pleine confiance en Dieu, ce qui implique la fausseté totale de la position de Luther. C. VII. Ici, il faut signaler une très belle page d'Eck: l'aride exposé théologique fait place à un mouvement oratoire de la plus grande beauté. La pensée du Christ est tellement présente aux saintes âmes que pour elles se renouvelle, dans les souffrances purificatrices, la scène du Christ venant à ses apôtres sur la mer en tempête: Habete fiduciam ego sum, nolite timere (Matth., XIV, 27); l'amour du Christ soutient ces saintes âmes et nourrit leur confiance. Donc, en elles, pas de désespoir, c. VIII, et pas de crainte: la douleur n'est pas la crainte. C. IX. Toute la «tragédie» luthérienne sur l'état des âmes au purgatoire se fonde sur la regrettable confusion que les peines du purgatoire sont les mêmes que celles de l'enfer, moins la durée, c. X: il y a une différence de nature. Pensée profonde et suggestive, qu'on est heureux de trouver sous la plume d'un théologien du XVIe siècle!

Les chapitres suivants, XI-XV, s'appliquent à relever les fausses interprétations de Luther relatives aux textes scripturaires invoqués par lui en faveur de son étrange conception de l'état des âmes au purgatoire, et en terminant Eck rappelle la doctrine catholique: les âmes, au purgatoire, expient les péchés véniels qu'elles ont commis et non réparés, et les péchés mortels dont elles sont contrites, mais pour lesquels elles n'ont pas satisfait ici-bas. C. XVI.

L. IV. Pas de mérite ni de démérite possible pour les âmes du purgatoire. -Nous retrouvons ici, à peu de chose près, les arguments de Fisher sur l'impossibilité de mériter après la mort. C. I-II, V-VI. Toutefois il faut se garder d'interpréter ces textes, et notamment Eccl., XI, 3, comme s'il n'y avait pas, dans l'autre vie, place pour le purgatoire entre le ciel et l'enfer; Eck invoque ici l'autorité de Jérôme et de Jean Damascène. C. III-IV. L'erreur de Luther est donc formelle, c. VII, et toutes les raisons qu'il apporte en faveur de la possibilité d'un accroissement de grâce chez les âmes du purgatoire, c. VIII, sont facilement réfutables. C. IX. Pareillement, c'est une détestable erreur que d'affirmer de ces saintes âmes qu'elles pèchent sans cesse, c. x, parce qu'elles ont horreur de leurs souffrances et aspirent au repos, c. XI; c'est leur faire injure que leur attribuer un égoïsme coupable et un amour vicieux qui les oppose à Dieu. C. XII. Les raisons apportées en ce sens par Luther ne sont pas recevables. C. XIII. n est nécessaire d'affirmer contre Luther que les âmes du purgatoire satisfont pour le reste de leurs péchés et qu'au purgatoire la satisfaction que pourrait offrir sur terre la seule charité ne suffit plus: il faut l'expiation de la douleur. C. XIV. Le c. XV et dernier forme la conclusion générale.

b) Le second traité d'Eck est moins remarquable, et son allure trop polémique lui enlève cette sérénité qui ajoute au poids des arguments théologiques. Il est intitulé Confutatio furiosi libelli Ludderi de Purgatorio.

La Ire partie, très brève, relève la contradiction qui s'étale dans la nouvelle attitude de Luther par rapport au purgatoire: l'hérésiarque nie maintenant l'existence même du purgatoire et déverse ses calomnies sur cette croyance de l'Église. Aussi convient-il de lui rappeler les condamnations déjà portées à ce sujet contre les albigeois et la profession de foi du concile de Florence. La lie partie s'attache à la démonstration scripturaire du purgatoire, répartie en sept chapitres. Rien de bien nouveau en tout cela.

L'œuvre de Jean Eck, quelle que soit la faiblesse de son argumentation scripturaire (nous avons dit au début l'inconvénient de vouloir à tout prix pourchasser Luther sur ce terrain), est vraiment remarquable. Elle marque, pour la théologie du purgatoire, une évolution considérable qui dégage cette théologie des chemins battus, dont un contemporain; Dominique Soto, n'a pas su encore se libérer dans son Commentaire sur les Sentences, 1. IV, dist. XIX, écrit cependant après la révolte de Luther. Eck ne présente pas encore, comme Bellarmin, un traité complet et parfaitement équilibré. Il a cependant préparé la voie à celui-ci et lui aura fourni les meilleurs traits de sa synthèse, Toutefois, entre Eck et Bellarmin, il y a le concile de Trente; c'est pourquoi l'œuvre de Bellarmin, mieux que celle d'Eck, se présente comme un commentaire autorisé des décisions du concile.

2º Conciles provinciaux. -Un grand nombre de conciles provinciaux, émus des négations luthériennes, affirmèrent, avant même le concile de Trente, la foi catholique sur le purgatoire, On peut citer celui de Sens, en 1529, Mansi, Concil.,t. XXXII, col. 1173-1174; celui de Mayence, en 1549, c, XLVI, Mansi, col. 1416; celui de Narbonne, en 1551, Mansi, col. 1251 C; celui de Cambrai, en 1565, Mansi, t. XXXIII, col, 1416, etc.

Voici à titre de spécimen, le texte de la formule de foi chrétienne et catholique, relatif au purgatoire, formule rédigée en 1556 par le concile polonais de Lowicz, Mansi, t. XXXV, col. 514:

Firmiter credendum est post hanc vitam purgatorium esse animarum in quo solvitur pœna peccatis adhuc debita. Eisdem tamen subvenitur sacrificio altaris, oratione, jejunio, eleemosyna, aliisque bonis operibus vivorum sicut et indulgentiis, quo citius ab ea liberentur. Animæ defunctorum purgatæ mox regnant cum Christo in cælo et animæ impionun hinc migrantes sempiternis inferni traduntur suppliciis. Cavailera, n. 1461.

3° Censures des universités. -1. La première faculté qui s'occupa de Luther fut la faculté de Louvain. Elle soumit à l'examen de la faculté de Cologne un travail de 488 pages avec diverses publications de Luther. Le 30 août 1519, la faculté de Cologne donna son jugement en forme solennelle. Elle signale les erreurs suivantes touchant le purgatoire:

V. (Luther) rejette la satisfaction requise à la suite du péché mortel pardonné, puisqu'il prétend que Dieu remet la peine en même temps que la coulpe du péché.

VII. Il formule des erreurs ineptes sur les peines du purgatoire et l'état des âmes après cette vie, par exemple qu'aucune âme n'y souffre pour des péchés mortels, mais seulement pour des péchés véniels.

VIII. Ou encore: que les âmes du purgatoire aiment Dieu d'un amour défectueux et coupable, y pèchent sans interruption et cherchent plutôt leur intérêt que la volonté de Dieu, ce qui est contre la charité; que les morts, non moins que les vivants, sont en état de mériter pour la vie éternelle... Duplessis d'Argentré, Coll. judiciorum, t, I b, p. 358-359.

Dans son jugement du 7 novembre 1519, la faculté de Louvain se contente de stigmatiser la proposition générale de Luther relative à l'inutilité de la satisfaction, Prop. 17, ibid, p. 360.

2. La faculté de théologie de Paris publia le 15 avril 1521 sa célèbre Determinatio super doctrina Lutheri hactenus revisa. Dans l'introduction on indique expressément que Luther répand «d'intolérables erreurs sur... la satisfaction..., les peines du purgatoire».

Parmi les «propositions tirées des écrits de Luther autres que la Captivité de Babylone», la faculté de Paris signale (tit. XI) neuf propositions touchant le purgatoire, et elle leur inflige une censure doctrinale:

I. «Il n'y a absolument rien dans l'Écriture sur le purgatoire.» (A, 37 de la bulle). -Fausse, favorable à l'erreur des vaudois, répugnant au sentiment des saints Pères.
II. «Il ne parait pas prouvé que les âmes du purgatoire soient hors d'état de mériter ou de croître en charité.» (Th. XVIII du 31 oct, 1517; bulle, a, 38), - Fausse, téméraire, impie et, en tant qu'elle prétend que ces âmes sont en cet état, erronée dans la foi.
III. «Il ne parait pas prouvé que les âmes du purgatoire soient certaines de leur salut, du moins toutes.» (Ibid., th, XIX; bulle, a, 38), -Fausse, présomptueuse et, en tant qu'elle affirme cette incertitude, contraire à la tradition de l'Église et à la doctrine des saints.
IV. «Les âmes au purgatoire pèchent continuellement, tant qu'elles ont horreur des peines et demandent le repos et parce qu'elles recherchent leur intérêt plus que la volonté de Dieu, ce qui est contraire à la charité.» -Fausse, impie, injurieuse aux âmes du purgatoire, hérétique.
V. «La charité imparfaite du moribond comporte nécessairement une grande crainte, d'autant plus grande que la charité est moindre.» (Bulle, a. 4.)
VI. «La peine du purgatoire est la terreur et l'horreur de la damnation et de l'enfer.» -Fausses, téméraires et sans fondement. (Qualification se rapportant aux deux prop. v et VI.)
VII. «Il est probable que les âmes du purgatoire sont dans une telle confusion qu'elles ne savent pas dans quel état elles sont, de damnation ou de salut; il leur semble même qu'elles vont à la damnation et tombent dans l'abîme.»
VIII. «Elles sentent seulement le commencement de leur damnation, sauf qu'elles sentent que la porte de l'enfer n'est pas encore fermée sur elles.» -Fausses, offensives des oreilles pies, injurieuses à l'état des âmes du purgatoire. (Qualifications se rapportant aux deux prop. VII et et VIII.)
IX. «Toutes les âmes qui descendent en purgatoire n'ont qu'une foi imparfaite et même, de quelque façon qu'on les délivre de leurs peines, elles ne peuvent acquérir la «santé» parfaite si on ne leur ôte d'abord le péché, c'est-à-dire l'imperfection de la foi, de l'espérance, de la charité.» -Dans toutes ses parties, fausse, téméraire, en désaccord avec une saine intelligence de l'Écriture. Duplessis d'Argentré, Coll. judic., t. I b, p. 372.

III. LE CONCILE DE TRENTE. -Depuis le début du concile, la question du purgatoire était prévue au programme. Massarelli nous apprend que, dès le 19 juin 1547, des articles sur le purgatoire avaient été distribués aux théologiens mineurs et que leur discussion avait occupé les séances des jours suivants. Conc. Trid., t. I, p. 665, Les événements et l'ordre des discussions conciliaires retardèrent l'examen de la question jusqu'à la fin du concile. A l'issue de la congrégation générale du 15 novembre 1563, il fut décidé que des théologiens de toutes nations rédigeraient les canons sur les dogmes restant à définir: purgatoire, indulgences, culte des saints et des images, que les Pères adopteraient par placet. Conc. Trid., t, IX, p. 1017, note 6. Le décret des théologiens mineurs était prêt dès le 30 novembre: ces théologiens observaient que ces matières avaient déjà été traitées dans d'autres conciles et notamment à Florence et même en certaines sessions du concile de Trente, et qu'en conséquence il suffisait de les aborder brièvement et en des formules générales, laissant aux évêques le soin de faire le reste. Ibid., t. IX, p. 1069. Ces «canons», écrit l'évêque de Verdun, Psaume, rédigés et approuvés a nonnullis doctissimis Patribus et theologis, avaient été distribués par écrit par le secrétaire du concile peu avant la réunion plénière. Ibid.,t. II, p. 878. Le décret sur le purgatoire fut lu par l'évêque de Castellaneta. Ibid., t, IX, p. 1069. De timides observations furent faites. Claude de Saintes, abbé de Lunéville, aurait désiré qu'on ajoutât des textes scripturaires; Laynès désirait qu'un canon vint corroborer la déclaration du décret, Ibid., p. 1071. Les évêques français désiraient partir et ne pouvaient être retenus; les décrets furent donc lus, comme il avait été convenu, et acceptés par acclamation par la presque totalité des Pères. Ibid., p. 1076. Dès le lendemain, le décret sur le purgatoire fut publié en la XXVe et dernière session.

Cum catholica Ecclesia, Spiritu sancto edocta, ex sacris Litteris et antiqua Patrum traditione, in sacris conciliis et novissime in hac œcumenica synodo docuerit, purgatorium esse, animasque ibi detentas fidelium suffragiis, potissimum vero acceptabili altaris sacrificio juvari: præcipit sancta synodus episcopis, ut sanam de purgatorio doctrinam, a sanctis Patribus et sacris conciliis traditam, a Christi fidelibus credi, teneri, doceri et ubique prædicari diligenter studeant. Apud rudem vero plebem difficiliores ac subtiliores quæstiones, quæque ad ædificationem non faciunt, et ex quibus plerumque nulla fit pietatis accessio, a popularibus concionibus secludantur. Cf. I Tim., l, 4; II, 23; Tit., III, 9. Incerta item, vel quæ specie falsi laborant, evulgari ac tractari non permittant. Ea vero quæ ad curiositatem quandam aut superstitionem spectant, vel turpe lucrum sapiunt, tamquam scandala et fidelium offendicula prohibeant. Curent autem episcopi, ut fidelium vivorum suffragia. missarum scilicet sacrificia, orationes, eleemosynæ aliaque pietatis opera, quæ a fidelibus pro aliis fidelibus defunctis fieri consueverunt, secundum Ecclesiæ instituta pie et devote fiant, et quæ pro illis ex testatorum fundationibus vel alia ratione debentur, non perfunctorie, sed a sacerdotibus et Ecclesiæ ministris et aliis, qui hoc præstare tenentur, diligenter et accurate persolvantur. Denz.-Bannw., n. 983 (sauf la finale); Cavallera, n.1462.  Puisque l'Église catholique, instruite par l'Esprit-Saint, à la lumière des saintes Écritures et de l'antique tradition des Pères, a enseigné dans les sacrés conciles et enseigne en dernier lieu dans ce concile œcuménique qu'il y a un purgatoire et que les âmes qui y sont détenues sont secourues par les suffrages des fidèles et surtout par le saint sacrifice de l'autel, le saint concile prescrit aux évêques de veiller à ce que la doctrine vraie du purgatoire, reçue des saints Pères et des saints conciles, soit prêchée partout avec zèle et que les chrétiens en soient instruits, s'y attachent et la croient. Mais, près de la foule peu instruite, les prédications populaires devront être dépouillées de toutes questions plus difficiles et subtiles, qui ne présentent aucune utilité pour l'édification et desquelles il ne sort la plupart du temps aucun profit pour la piété. Les évêques ne permettront pas qu'on y aborde les points incertains et qu'on y affirme des choses apparemment fausses. Qu'ils interdisent comme scandaleux et offensant pour les fidèles tout ce qui se rapporte à la pure curiosité, tout ce qui s'inspire d'un lucre honteux. Mais, au contraire, les évêques veilleront à ce que les suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacrifices des messes, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles vivants ont coutume d'offrir pour les fidèles défunts se fassent avec piété et dévotion, selon les institutions de l'Église. Les suffrages dus aux défunts par suite des fondations établies par testament ou de toute autre manière, devront être acquittés non avec négligence, mais avec soin et diligence, par les prêtres et les ministres de l'Église et les autres qui y sont tenus.

Ce décret concernant la croyance au purgatoire est intéressant à plus d'un titre et appelle un commentaire:

1. Les sources de la croyance au purgatoire sont indiquées: Écriture sainte, tradition antique des Pères, conciles et très récemment le concile de Trente lui-même.

De la sainte Écriture le concile ne dit rien de plus précis; il laisse donc aux théologiens et aux exégètes le soin de chercher en quelle façon l'Écriture peut donner un fondement à la croyance au purgatoire, soit par des textes précis, comme Eck avant le concile de Trente et Bellarmin, après ce concile, ont voulu le faire, pourchassant ainsi Luther sur le terrain même que sa proposition 37 voulait éluder, soit par la doctrine générale, explicitement proposée par l'Écriture, d:une expiation nécessaire pour tout péché non encore entièrement réparé. Nous avons ici même tracé la marche de cette
double démonstration ex sacris Litteris.

De l'antique tradition des Pères, les théologiens et les prélats assemblés à Trente ont invoqué dans leurs travaux préliminaires les deux chapitres de la première partie du Décret de Gratien, can. 4, Qualis; can. 5, Qui in aliud, dist. XXV, le premier tiré de saint Grégoire, Dial., l. IV, C. XXXIX, P. L., t. LXXVII, col. 396, le second attribué à saint Augustin, en réalité de l'auteur inconnu du De vera et falsa pænitentia, n. 18, P. L., t. XL, col. 1118.

Des conciles les Pères de Trente rappellent simplement le décret d'union. des Grecs, bulle Lætentur cæli, du concile de Florence. D'après l'indication fournie par E. Ehses, Conc. Trid., t. IX, p. 1077, note 3 et 4.

Le concile de Trente lui-même avait déjà touché indirectement ou directement à la question du purgatoire en deux endroits, sess. VI, De justificatione, can. 30, et sess. XXII, De sacrificio missæ, can. 3, cf., c. II. Le rappel de ces deux textes conciliaires fixe l'objet précis de la définition tridentine.

2. Objet précis de la définition tridentine. - a) Sess. VI, can. 30:
Si quis post acceptam justificationis gratiam cuilibet peccatori pænitenti ita culpam remitti et reatum æternæ pœnæ deleri dixerit, ut nullus remaneat reatus pœnæ temporalis, exsolvendæ vel in hoc sæculo, vel in futuro, in purgatorio, antequam ad regna cælorum aditus patere possit; A. S. Denz.-Bannw., n. 840.  Si quelqu'un dit qu'à tout pécheur pénitent qui a reçu la grâce de la justification l'offense est tellement remise et l'obligation à la peine éternelle tellement effacée, qu'il ne lui reste aucune obligation de peine temporelle à payer, soit en ce monde, soit dans l'autre, au purgatoire, avant que l'entrée au ciel lui puisse être ouverte, qu'il soit anathème.

Dans le C. XIV, qui correspond à ce canon, le concile s'était contenté d'affirmer que «la pénitence d'un chrétien tombé dans le péché est bien différente de celle du baptême; elle renferme... la satisfaction par le jeûne, les aumônes, les prières et les autres exercices de la vie spirituelle, non certes pour la peine éternelle qui est remise avec la faute par le sacrement ou par le désir du sacrement, mais pour la peine temporelle qui (ainsi l'enseignent les saintes Écritures), n'est pas toujours, comme dans le baptême, remise entièrement». Denz.-Bannw., n. 807. Dans le canon, le concile fait allusion à la possibilité de payer cette dette satisfactoire, soit en ce monde, soit dans l'autre, au purgatoire. La doctrine générale de la satisfaction pour la peine due au péché, pardonné est reprise par le concile, sess. XIV, C. II et can. 12. Voir PÉNITENCE, t. XII, col. 1089, 1110.

b) Sess. XXII, De sacrificio missæ, can. 3:
Si quis dixerit, missæ sacrificium tantum esse laudis et gratiarum actionis, aut nudam commemorationem sacrificii in cruce peracti, non autem propitiatorium, vel soli prodesse sumenti, neque pro vivis et defunctis, pro peccatis, pœnis, satisfactionibus et aliis necessitatibus, offerri debere; A. S. Denz.-Bannw., n. 950. Si quelqu'un dit que le sacrifice de la messe est seulement [un sacrifice] de louange et d'action de grâces, ou une simple commémoraison du sacrifice accompli sur la croix, et non pas un [sacrifice] propitiatoire, ou bien qu'il ne profite qu'au seul prêtre communiant et qu'il ne doit pas être offert pour les vivants et pour les morts, pour les péchés, les peines, les satisfactions et toutes les autres nécessités, qu'il soit anathème.

Ce canon correspond au c. II, dans lequel le concile rappelle la valeur propitiatoire du sacrifice de la messe: cette valeur ne fait, en aucune façon, tort à celle du sacrifice de la croix: «aussi, conformément à la tradition des apôtres [la messe] est offerte non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles vivants, mais encore pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore entièrement purifiés». Denz.-Bannw., n. 940. Voir EUCHARISTIE, t. VI, col. 833-834.

Ces deux points, déjà définis avant la XXVe session, fixent la portée dogmatique du décret concernant le purgatoire: sont proposés comme vérités de foi divine et catholique les deux seuls points déjà touchés au concile de Florence et antérieurement énoncés par le IIe concile de Lyon: existence du purgatoire, c'est-à-dire de peines ultra-terrestres subies par les âmes non encore totalement purifiées de la dette de peine attachée aux péchés pardonnés; utilité des suffrages des vivants pour le soulagement des défunts, et principalement de l'oblation du sacrifice eucharistique. «Il y a un purgatoire, dit notre décret, et les âmes qui y sont détenues sont secourues par les suffrages des fidèles et surtout par le saint sacrifice de la messe.»

3. Prescriptions disciplinaires. -Cette doctrine saine du purgatoire, qui se réduit essentiellement à ces deux points, devra être prêchée partout avec zèle; les chrétiens devront en être instruits, s'y attacher et la croire. Les évêques devront veiller à ce qu'il en soit ainsi. Le concile n'exclut pas de l'enseignement les autres questions plus difficiles et subtiles, mais il ne
veut pas qu'elles soient le thème des prédications populaires. Et la raison en est qu'elles ne présentent aucune utilité pour l'édification et qu'il n'en sort souvent aucun profit pour la piété. Avec quelque apparence de vérité il faut considérer comme inutiles les questions concernant le lieu du purgatoire, la nature, l'intensité et surtout la durée des peines que les âmes y souffrent. Ou, si l'on aborde ces questions devant un auditoire plus cultivé, qu'on le fasse avec toutes les nuances et les réserves vou1ues. L'état des âmes souffrantes par rapport à leur salut éternel nous semble, au contraire, entrer dans l'exposé du dogme lui-même du purgatoire: le purgatoire, étant par définition un état essentiellement temporaire et préparatoire à la béatitude, ne saurait être exposé en ses lignes essentielles sans qu'on affirme en même temps l'état de sainteté des âmes qui expient et la certitude où elles sont de posséder un jour le bonheur céleste.

Les points incertains, par exemple les prétendues certitudes de libération des âmes grâce à l'application de certains suffrages, devront être éliminés. Les choses apparemment fausses, comme les récits d'approitions qui ne seraient pas historiquement démontrées, seront impitoyablement passées sous silence. Enfin, tout ce qui pourrait scandaliser les fidèles, tout ce qui relèverait de la pure curiosité, tout ce qui touche à la superstition ou s'inspire de l'esprit de lucre, est d'avance condamné. C'est ainsi que, dans le décret disciplinaire De observandis et evitandis in celebratione missarum (voir ici, t. X, col. 1139-1141), le concile prescrit l'abolition «d'un nombre déterminé de messes, célébrées par manière de superstition bien plutôt que par esprit de pitié véritable». Conc. Trid., t. VIII, p. 963. Cette interdiction est précédée, dans le décret, de l'obligation «de n'introduire dans la célébration de la messe aucune pratique, cérémonie ou prière que celles approuvées par l'Église et reçues par un usage louable et répandu». Les neuvaines pour les âmes du purgatoire ainsi que la célébration des trente messes grégoriennes sont approuvées par l'Église, elles font donc exception à ces prohibitions portées par le concile. Il faut en dire autant de toute pratique de piété accomplie en faveur des âmes souffrantes, dès là que cette pratique est autorisée par l'Église.

La dernière partie du décret concerne les fondations de prières ou de messes en faveur des âmes du purgatoire. Le concile prescrit à ceux qui sont chargés de les acquitter de le faire avec tout le soin et toute la diligence possibles. Le can. 6 De reformatione de la XXIIe session concède cependant à l'évêque un droit de commutation des dispositions testamentaires, s'il y a des raisons graves. Ibid., p. 966.

5° Le magistère de l'Église après le concile de Trente. -1. La profession de foi de Pie IV (1564): Constanter teneo purgatorium esse, animasque ibi detentas fidelium suffragiis juvari. Denz.-Bannw., n. 998.

2. Profession de foi de Grégoire XIII (1515), imposée aux Grecs. -Elle reprend le texte du concile de Florence et la profession de foi de Pie IV. Denz.-Bannw., n. 1084.

3. Profession de foi de Benoît XIV (1743) imposée aux Orientaux. -Reprise des professions de foi de Florence et de Trente. Denz.-Bannw., n. 1468, 1473.

4. Condamnation par Pie VI de la proposition 42 du synode janséniste de Pistoie, déclarant «lamentable et illusoire l'application des indulgences aux défunts». Denz.-Bannw., n. 1542.

5. Déclaration de Léon XIII:

De plenitudine infiniti spiritualis thesauri ad eos quoque dilectos Ecclesiæ filios, largius quo fieri possit prodesse cupimus; qui morte justorum obita de militia hujus vitæ migrarunt cum signo fidei ac mysticæ vitis inserti propagini, ita tamen ut prohibeantur ingressu in æternam requiem usque dum divinæ justitiæ ultrici pro contractis debitis ad minimum reddant quadrantem. Movemur autem tum piis catholicornm votis ... tum lacrimabili pœnarum quibus defunctorum animæ cruciantur atrocitate ... Sic nimirum piæ animæ, in quibus noxarum reliquiæ terribili cruciatuum magnitudine eluuntur, peropportunum ac singulare solatium percipient ex hostia salutari. Ex litteris Quod anniversarius, die Paschatis 1888; à l'occasion du Jubilé. Cavallera, n. 1463. Cf. Acta sanctæ Sedis, t. XX, p.418.
(col. 1482 milieu haut)
 
 
 

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