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Purgatoire.net
édition numérique par Dominique Vandal et JESUSMARIE.com
V. L'UNION RÉALISÉE AUX CONCILES DE LYON ET DE FLORENCE.

-L'étude de la tradition dans l'Église orientale et dans l'Église latine devrait nous faire conclure au rapprochement facile de ces deux Églises dans l'enseignement relatif aux peines purificatrices de l'autre vie. Peut-être si cet effort de conciliation avait été tenté au VIe siècle, l'union eût-elle été réalisée. Malheureusement les premiers essais théologiques, en Orient surtout, ne favorisèrent pas ce rapprochement; tout au contraire, ils aboutirent à créer un malentendu que les deux conciles de Lyon et de Florence dissiperont à peine. Aussi semble-t-illogique de rappeler, en guise de préface à l'étude des textes conciliaires, les divergences créées par l'enseignement des théologiens. Nous examinerons donc successivement: 1° L'enseignement des théologiens latins de la fin de l'époque patristique au XIVe siècle; 2° l'enseignement des théologiens byzantins de la fin de l'âge patristique au lie concile de Lyon; 3° la doctrine du purgatoire au IIe concile de Lyon (1274); 4° la doctrine du purgatoire au concile de Florence (1439).

1. L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS LATINS DE LA FIN DE L'ÉPOQUE PATRISTIQUE AU XIVe SIÉCLE.- 1° Avant les sententiaires. -C'est l'influence de saint Augustin et surtout de saint Grégoire le Grand qui inspire tous les auteurs.

1. Hugues de Saint-Victor. - C'est dans son De sacramentis, 1. II, part. XVI, P. L., t. CLXXVI, consacrée aux tins dernières de l'homme, qu'Hugues expose ses idées sur le purgatoire. Le dogme lui-même est supposé acquis. Après avoir traité du départ de l'âme, c. II, col. 580, Hugues étudie les peines elles-mêmes, dont la principale est le feu, feu évidemment matériel comme celui que nous connaissons: autrement que serait-il? Comment ce feu atteindrait-il les âmes? In eo ardent, quod se ardentes vident? Col. 585 A. N'est-ce pas là préluder à l'explication que donneront Richard de Médiavilla, Scot et Ockam? Voir FEU DE L'ENFER, t. VII, col. 1230. Le c. IV étudie la question de lacis pœnarum. Col. 586. En réalité, pour Hugues, le lieu du purgatoire est une question accessoire, à laquelle l'auteur ne sait répondre que par une timide hypothèse: les âmes souffrent là où elles ont péché. Col. 586 D. De plus le purgatoire attend tous ceux qui ne sont pas parvenus à une complète purification de leurs âmes. Ce sont les non valde boni. Mais, parmi les mali, il y a les valde mali et les non valde mali. Les premiers sont sûrement damnés. Mais des non valde mali ou des minus mali quel sera le sort? Hugues les estime damnés, sans cependant rien vouloir définir. Le c. V, De qualitate tormentorum, expose, par rapport aux peines du purgatoire, le sens de I Cor., III, 14-15. Ce sont les âmes coupables de moindres péchés qui pourront être ainsi sauvées comme par le feu. Col. 590. Les derniers chapitres, VI-X, traitent des suffrages pour les défunts; tout particulièrement le c. VII rappelle, avec saint Augustin, quelles âmes profitent davantage de ces prières. Les deux derniers chapitres sur le sacrifice de la messe sont particulièrement touchants: Quis enim, écrit-il, fidelium habere dubium possit in ipsa immolationis hora ad sacerdotis vocem cælum aperiri. Col. 595-596.

2. Robert Pulleyn. -Dans ses Sentences, 1. IV, c. XXI, XXII, P. L., t. CLXXXVI, Pulleyn étudie l'existence du purgatoire, séjour préparatoire pour les justes de l'Ancien Testament, à l'entrée dans le sein d'Abraham, pour les justes après Jésus-Christ, à l'entrée au paradis. C. XXI. La peine du purgatoire est le feu. Une comparaison montre bien la gravité de cette peine: ignis quippe purgatorius, inter nostras et inferorum pœnus medius, tantum superat has, quantum superatur ab illis. L'existence de ces peines est suggérée par le ps. VI, 2: Domine, ne in furoretuo arguas me, neque in ira tua corripias me: la fureur divine se manifeste par les peines de l'enfer; la simple colère, par les peines du purgatoire. C. XXI, col. 826 BC. C'était déjà l'interprétation de Bède; voir col. 1227.

Quelques autres idées sont jetées comme en passant. Où se trouve le lieu du purgatoire? Nondum scio. C. XXII, col. 826 D. Combien de temps les âmes demeureront-elles en purgatoire? Usque ad satisfactionem. Id., ibid. Après la purification, elles iront sans aucun doute dans le ciel; mais, selon la gravité ou la quantité de leurs péchés, elles devront demeurer plus ou moins longtemps au purgatoire. Col. 827. A sa descente aux «enfers» le Christ a probablement délivré toutes les âmes du purgatoire. Col. 828.

3. Nous ne trouvons qu'une allusion en passant chez Richard de Saint-Victor, Pierre le Chantre, Alain de Lille. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2259. Mais, chez maître Bandin (qui résume Pierre Lombard), nous retrouvons la formule de la quadruple division des âmes après la mort (formule qui s'inspire de saint Augustin, Enchir., c. CX): les valde boni, les mediocriter boni, les mediocriter mali, les valde mali. Les suffrages ne sauraient profiter aux valde mali et peut-être pas aux mediocriter mali. C'est la position d'Hugues de Saint-Victor, P. L., t. CXCII, col. 1110-1111.

4. Avec Pierre Lombard nous arrivons aux formules qui ont servi de thème aux variations des théologiens sur le purgatoire. Dist. XXI. Le Maître des Sentences se demande tout d'abord si certains péchés sont remis après cette vie. Et, invoquant Matth., XII, 32, et I Cor., III, 15, il rappelle l'interprétation encore hésitante de saint Augustin sur ce dernier texte (De civ. Dei, 1. XXI, c. XXVI, n. 4;) et conclut que le texte de l'épître aux Corinthiens «insinue ouvertement que ceux qui édifient le bois, etc., emportent avec eux des constructions combustibles, c'est-à-dire des péchés véniels, lesquels devront être consumés dans le feu purificateur». Il y a donc des péchés remis après cette vie.

La peine du purgatoire ne sera pas égale pour tous. Le texte de saint Paul l'indique également. Les péchés véniels sont représentés par le bois, le foin, la paille. Mais le bois, ce sont des péchés plus sérieux; le foin, des péchés moins importants; enfin la paille, des fautes minimes. D'où il suit que, selon l'importance des fautes, les âmes seront délivrées les unes plus vite, les autres moins rapidement. Parallèlement, l'or, l'argent, les pierres précieuses, ont des significations différentes: l'or, c'est la contemplation divine; l'argent, c'est l'amour du prochain; les pierres précieuses, ce sont les bonnes œuvres en général. C'est là l'interprétation de la Glose ordinaire, qui s'inspire de saint Augustin, Enchir., c. LXVIII.

Une dernière question se pose à Pierre Lombard: le «bois» qui sera consumé par le feu doit-il être entendu du péché lui-même ou de la peine due au péché? Pierre opine que c'est du péché lui-même qu'il faut l'entendre, car on peut être surpris par la mort sans avoir eu le temps de se repentir du péché véniel. La question du purgatoire appelle nécessairement celle des suffrages pour les défunts. Pierre Lombard l'aborde dans la dist. XLV. Après l'énumération des réceptacles dans lesquels sont accueillies les âmes avant le jugement, le Maître des Sentences expose, c. II, le problème théologique des suffrages. Le texte de l'Enchiridion sur les différentes catégories de défunts lui sert de thème. Et il en tire une leçon touchant quatre catégories de défunts: les valde boni, les mediocriter boni, les mediocriter mali, les valde mali. Mediocriter malis suffragantur ad pœnæ mitigationem; mediocriter bonis ad plenum absolutionem. On sait qu'au Moyen Age nombre de théologiens ont admis une certaine mitigation des peines pour des damnés moins coupables. Voir MITIGATION, t. X, col. 2000. Mais, à coup sûr, les mediocriter boni sont les âmes du purgatoire auxquelles nos suffrages apportent soulagement et entière délivrance. Dans quelle mesure nos suffrages sont-ils appliqués? Les prières des obsèques sont-elles utiles? Autant de questions proposées par Pierre Lombard et auxquelles les commentateurs apporteront leurs solutions.

2° Les sententiaires. -Les sententiaires étudient à la suite de Pierre Lombard la question de la purification des péchés dans l'autre vie et celle des suffrages.

1. La purification des péchés dans l'autre vie. - Conformément à l'ordre observé par Pierre Lombard, la question de la rémission des péchés véniels vient en premier lieu. Alexandre de Halès se demande si les péchés véniels sont remis au purgatoire quant à la coulpe. Summa, part. IV, q. XIV, membr. III, a. 3, § 5. La réponse est négative, le libre arbitre, après la mort, étant immobile, et le mérite impossible. C'est donc simplement la peine qui est remise au purgatoire. La coulpe est remise à l'instant même de la mort, par la grâce de la persévérance finale. Même opinion chez Albert le Grand, In IVum Sent., dist. XXI, a. l, et, plus tard; chez Major, ibid., q. III. Chez saint Thomas, une évolution s'accuse dans la pensée. Au début, en conformité avec Pierre Lombard, il enseigne que «dans l'autre vie, le péché véniel est remis (quant à la coulpe même) par le feu du purgatoire à celui qui meurt en état de grâce, parce que cette peine, étant d'une certaine manière volontaire, a la vertu d'expier toute faute compatible avec la grâce sanctifiante». In IVum Sent., dist. XXI, q. I, a, 1, quo 1. Mais plus tard saint Thomas modifie sa pensée: le péché véniel n'existe plus au purgatoire quant à la coulpe; sitôt l'âme juste affranchie des liens du corps, un acte de charité parfaite
efface sa faute; dont il ne restera que la peine à expier, l'âme étant dans un état où il lui est impossible de mériter une diminution ou une remise de cette peine. De malo, q. VII, a. 11. L'opinion de saint Thomas a conquis de nombreux suffrages chez les sententiaires: Richard de Médiavilla, Pierre de la Palu, Durand de Saint-Pourçain et même des nominalistes comme Almain l'ont accueillie dans leurs commentaires sur la dist. XXI.

Avec saint Bonaventure, nous trouvons une opinion moyenne. L'art. l, q. I, de la dist. XXI pose comme base de raisonnement que «le péché véniel ne saurait être remis sans la grâce sanctifiante». Dans l'art. 2, q. I, Bonaventure reprend l'opinion de Pierre Lombard; après cette vie, le feu purifie l'âme non seulement de la peine, mais de la coulpe du péché véniel: les âmes souffrantes sont en état de grâce, et, pour produire son effet de purification, la charité est aidée, au purgatoire, par la souffrance. Denys le Chartreux a repris cette solution, ibid., q. I, ainsi que plus tard Dominique Soto, dist. XV, q. II, a. 2. Sur la doctrine en général de saint Bonaventure, on consultera avec profit Thomas Gerster de Zeil, Purgatorium juxta doctrinam seraphici doctoris S. Bonaventuræ, Turin, 1932.

Contrairement à l'opinion émise en dernier lieu par saint Thomas, Duns Scot revient à l'idée d'une faute remise postérieurement à l'accomplissement de la peine. In IVum Sent., dist. XXI; q. 1; Toutefois; dans les Reportata Paris., il semble beaucoup se rapprocher du Docteur angélique. Voir DUNS SCOT, t. IV, col. 1932.

Quel sentiment animera donc l'âme souffrante relativement à ses péchés? Pas de contrition véritable, telle qu'on la trouve dans la pénitence sacramentelle ou dans l'acte méritoire de pénitence; le regret du péché équivaut chez l'âme du purgatoire au désir d'être délivrée: animæ purgatorii sacramentaliter vel meritorie conteri nequeunt, sed tantum solutorie, ideoque ob repugnantiam sui statua. Alexandre de Halès, op. cit., q. XVII, membr. II, a. 2, § 3. Albert le Grand rappelle, lui aussi, cette incapacité des âmes souffrantes. Leurs peines ne sont volontaires que secundum quid. La peine volontaire, en effet, est celle que la volonté librement recherche et s'impose. Or les âmes subissent leur peine parce que cette peine leur permet d'arriver au ciel. C'est la différence qui existe entre la satisfaction de la vie présente et la satispassion du purgatoire. A. 7. Saint Thomas dira pareillement que les âmes souffrent d'une volonté conditionnée, en tant qu'elles savent que leurs souffrances les conduiront au ciel. Loc. cit., qu. 4. Bonaventure admet pareillement que la peine du purgatoire n'est qu'à demi volontaire: la volonté la subit, la tolère, mais tout en désirant sa cessation; elle n'est pas méritoire. Ibid., q. IV.

Cette constatation amène les deux grand, théologiens à déclarer, eux aussi, que la moindre peine du purgatoire est supérieure à la plus grande souffrance d'ici-bas; Mais, alors que saint Thomas se contente de reproduire l'assertion telle que nous l'avons déjà rencontrée chez maint auteur, Bonaventure lui adjoint une explication opportune: «Dans l'autre vie, en raison de l'état des âmes, la peine purificatrice sera, EN SON GENRE, plus grave que la plus forte épreuve d'ici-bas. En ajoutant «dans son genre», Bonaventure établit une proportion qui dissipe les malentendus possibles: pour le même péché, la plus petite peine du purgatoire sera supérieure à la plus grave punition terrestre correspondante. S. Thomas, loc. cit., a. 1, qu. 3; S. Bonaventure, loc. cit., q. IV; cf. dist. XX, part. I, a. 1, q. II. La plupart des autres auteurs suivent saint Thomas: voir surtout Richard de Médiavilla, dist. XX, a. 2, q. II; Pierre de la Palu, dist. XXI, q. I, a. 1, concl. IV. Mais, si grande que soit leur peine, les âmes ne se croient pas damnées et elles n'ignorent pas qu'elles sont en purgatoire. Saint Thomas, id., qu. 4. Leur état est tel qu'elles possèdent une certitude de leur salut, plus grande que celle qu'elles avaient sur terre, moins grande que celle qu'elles auront au ciel. Cette doctrine est commune à tous les docteurs dans leur commentaire soit à la dist. XXI, soit à la dist. XLV.

Ce sont ces peines qu'on appelle d'un nom qui les englobe toutes: le «purgatoire». L'existence de ces peines purificatrices est démontrée par un double argument. Tout d'abord, la raison théologique: À la mort, certaines âmes sont assez parfaites pour aller directement au ciel; les damnés iront en enfer; mais certains pécheurs, qui ne méritent pas l'enfer et ne peuvent cependant pas entrer immédiatement au ciel, passeront par l'épreuve du purgatoire. S. Thomas, dist. XXI, q. I, a. 1, quo 1; Cant. gent., l. IV, C. XCI; cf. Opusc. Declaratio quorumdam articulorum, c. IX;
Contra Armenos, Græcos et Saracenos; S. Bonaventure, dist. XX, a. 1, q. II. Ensuite, la révélation. Sans s'attarder à Sap., v, 25; Is., XXXV, 8; Apoc., XXI, 27 (Declaratio ...), tous nos théologiens sans exception font état de I Cor., III, 11-15.

L'exégèse de I Cor., III, 11-15, reflète chez tous l'influence de Césaire d'Arles. Tous interprètent unanimement des péchés véniels le «bois», la «paille», le «foin». Certains, comme Albert le Grand et saint Thomas, donnent même un sens différent à chacun de ces symboles: le bois, ce sont les péchés véniels plus importants; le foin, ce sont les péchés véniels moindres; la paille, les péchés véniels minimes. L'or, l'argent, les pierres précieuses, ce sont les œuvres qui reflètent les pensées de Dieu; le bois, le foin, la paille, les œuvres qui reflètent les pensées du monde. Alexandre de Halès, op. cit., q. XV, membr. III, art. 1-3; S. Albert le Grand, loc. cit., a. 2; S. Thomas, Cant. gent., loc. cit.; dist. XXI, q. I, a. 2, quo 2; In epist. I ad Cor., III, lect. 2. Pour Alexandre de Halès, le fondement est l~ foi seule, bien qu'il faille considérer que cette foi doit entraîner la charité. Ibid., a. 2. Albert le Grand fait observer qu'on n'édifie pas des péchés, même véniels, sur la foi; ils sont donc commis concomitamment avec la présence de la foi dans l'âme. A. 3.

D'après le texte de saint Paul, ces péchés véniels seront donc purifiés quasi per ignem. D'où nos théologiens enseignent unanimement que la peine positive du sens sera, au purgatoire, par le feu: feu matériel et corporel. Ceux qui ne professent pas cet enseignement à leur commentaire de la dist. XXI, ainsi que le font saint Thomas et saint Bonaventure, s'y rallient dans leur commentaire de la dist. XLIV (Scot, Gabriel Biel, Durand de Saint-Pourçain, Richard, Pierre de Tarentaise, etc.), où l'on étudie plus spécialement l'action du feu sur les âmes. Voir ici FEU DE L'ENFER, col. 2230-2231. Alexandre de Halès va même jusqu'à écrire: Quidquid in hoc opinando dixerit beatus Augustinus, omnes reliqui Ecclesiæ doctores ignem purgatorium materialem esse aperte conclamant. Q. XV, membr. III, a. 4, q. 1-11. Assertion qui, si l'on s'en tient à la considération superficielle des conceptions archaïques du feu du jugement, pourrait être à la rigueur considérée comme matériellement exacte. Mais le mérite de saint Augustin a été précisément de dégager les différents aspects des perspectives eschatologiques, ce qui logiquement devait l'amener à émettre quelques doutes sur la matérialité du feu purificateur. Les éditeurs de Quaracchi ont même cru pouvoir ajouter au texte de saint Bonaventure la remarque suivante: Purgationem animarum post hanc vitam fieri per ignem, quintamen excludantur aliæ pœnæ, negant Græci, affirmant nunc Latini, quorum sententia gravissimis auctorilatibus confirmatur, NONDUM autem ab Ecclesia definita est; nec constat quod omnes purgandi illam pœnam sensus patientur. Ad dist. XXI, a. 1, q. II. Il est difficile, après le concile de Florence (voir plus loin), de présenter sous ce jour la doctrine du feu matériel. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2260.

Tous les sententiaires admettent qu'à l'instar des châtiments de l'enfer, les peines du purgatoire comprendront, outre la peine du feu, la peine du dam. Être empêché d'entrer dans le bonheur du ciel, voilà, certes, pour les âmes du purgatoire une véritable peine, qu'on peut comparer à celle du dam. Voir les commentateurs des dist. XX et XXI, parmi lesquels, outre saint Thomas et saint Bonaventure, il faut citer Pierre de la Palu, Richard de Médiavilla et, au l. III, dist. XXII, q. IV, Durand de Saint-Pourçain. La plupart de ces auteurs admettent même que cette peine du «dam» est la principale peine du purgatoire; qu'en toute hypothèse elle se fait sentir d'une façon cruelle aux plus saintes âmes, qui, mieux que les autres, comprennent de quel bien elles demeurent privées. Saint Bonaventure toutefois fait remarquer qu'en raison des certitudes et des espérances du salut cette peine chez les saintes âmes ne saurait être considérable. In IVum Sent., dist. XX, a. 1, q. II.

Enfin, alors que tous les théologiens entendent du jugement le dies Domini, saint Thomas en étend la signification à tout jugement de Dieu, et Duns Scot enseigne que ce «jour du Seigneur» est la tribulation de la vie présente, mais qu'on peut le rapporter au jugement particulier. Saint Thomas, In epist. I ad Cor., c. III, lect. 2, éd. de Parme, t. XIII, po 179; Scot, In IVum Sent., dist. XXI, q. I.

Deux points dogmatiques très importants complètent cet enseignement sur le purgatoire.

Tout d'abord, le purgatoire sera plus ou moins sévère et long selon le nombre et la gravité des péchés à expier. Alexandre de Halès, op. cit., a. 4, § 3; S. Thomas. In IVum Sent., dist. XXI, q. 1. a. 3, qu. 3. Mais saint Thomas ajoute une considération spéciale: il est certain que l'un sera délivré plutôt que l'autre du purgatoire, selon le degré d'affection qu'il a eu au péché véniel. Mais précisément, si le péché véniel est moindre et l'affection plus accentuée, il est possible qu'une âme demeure plus longtemps au purgatoire, tout en souffrant moins.

Ensuite tous nos théologiens sont unanimes à déclarer qu'aussitôt purifiée l'âme entrera en possession du bonheur céleste. Albert le Grand en conclut que c'est une erreur d'enseigner, comme le font les Grecs, que personne n'entrera au ciel qu'après le jugement dernier. Loc. cit., a. l0. Saint Thomas n'hésite pas à qualifier d'hérésie la doctrine de la dilation des récompenses. Suppl. cf. LXIX, a. 2. On sait que, sur ce point, le dogme ne fut défini qu'en 1336 par Benoit XII. Voir t. II, col. 657.

À cette synthèse, il convient d'ajouter quelques traits accessoires. Le lieu du purgatoire semble inquiéter beaucoup les théologiens sententiaires. Dans sa doctrine des réceptacles des âmes après la mort, Pierre Lombard avait posé les bases de la discussion. Tous situent le purgatoire vers le centre de la terre, à proximité de l'enfer, soit après, soit avant les limbes. S. Thomas, In IVum Sent., dist. XXI, q. I, a. 1, qu. 2; S. Bonaventure, q. VI; Richard de Médiavilla, a. 1, q. III; Pierre de la Palu, q. III; dist. XLV, q. I, a. 1; Durand de Saint-Pourçain, In IIIum Sent, dist. XXII, q. IV, etc. Est-ce un compartiment de l'enfer? Rien de certain à cet égard. Mais, d'après les révélations faites à certains personnages, surtout celles que rapporte Bède, il est probable qu'il y a deux lieux du purgatoire: l'un, selon la loi commune, est contigu à l'enfer; l'autre, pour les cas exceptionnels, est réservé aux âmes dont Dieu permet les apparitions pour donner des leçons aux vivants ou demander des prières. Il est improbable toutefois que les âmes soient là où elles ont commis le péché: sur ce point saint Thomas et les sententiaires contredisent Hugues de Saint-Victor. À quelle distance de l'enfer seront ces lieux exceptionnels? Saint Bonaventure affirme que ce peut être en des lieux moyens, jamais en des lieux supérieurs. La théologie sera longue à se dégager de ces spéculations assez puériles.

Sans doute le feu sera l'instrument de la purification, mais Dieu se servira-t-il également des démons pour faire souffrir les âmes? Saint Thomas et saint Bonaventure répondent négativement. S. Thomas, ibid., a. 2, quo 3; S. Bonaventure, ibid., q. V. Pour ce dernier, les âmes sont conduites au purgatoire et au ciel par leurs bons anges. Id., ibid. Albert le Grand avait été hésitant sur ce point, tout en penchant pour la négative. Dist. XXI, a. 9. Les théologiens postérieurs suivent l'opinion de saint Thomas.

Il est assez difficile de dégager d'une manière bien nette ce que les théologiens du XIIIe et du XIVe siècle considèrent comme relevant de la foi catholique, et ce qu'ils proposent comme simple opinion expliquant le dogme. L'existence du purgatoire, c'est-à-dire de peines purificatrices après cette vie, parait bien, dans leur esprit, appartenir au dogme lui-même, puisqu'ils appuient cette doctrine sur la nécessité d'une satisfaction donnée à Dieu pour le péché véniel ou pour la peine due au péché pardonné. Le caractère temporaire du purgatoire, la libération des âmes, aussitôt leur expiation terminée, voilà deux autres vérités sur lesquelles il ne parait pas y avoir la moindre hésitation. L'existence d'un feu réel au purgatoire est proclamée, par Alexandre de Halès, une vérité certaine appuyée sur le témoignage de tous les docteurs, sauf Augustin. La restriction que le théologien franciscain est obligé d'apporter à son affirmation est déjà par elle-même significative. Les autres théologiens se contentent d'affirmer le feu réel ou corporel, mais il semble bien que leur conviction intime soit celle d'Alexandre. Pour tout le reste, il apparaît nettement que ce soient simples opinions plus ou moins probables.

2. Les suffrages pour les morts. -La meilleure synthèse, la plus représentative de la pensée des théologiens au XIIIe siècle, est celle de saint Thomas. Nous nous y appliquerons presque exclusivement. Le Docteur angélique livre son enseignement sur ce sujet dans les Sentences, dist. XLV, reproduite dans la Somme, Suppl., q. LXXI. Nous citons d'après le Supplément.

L'art. 1 rappelle le fondement théologique de l'efficacité des suffrages pour les défunts: en raison de la charité qui unit les membres de l'Église et de l'intention qui permet au chrétien d'offrir ses œuvres pour autrui, les suffrages faits par l'un peuvent profiter aux autres, quant à leur valeur impétratoire et quant à leur valeur méritoire ou satisfactoire. Saint Thomas rapporte expressément au dogme de la communion des saints cette vérité fondamentale.

En conséquence les morts peuvent être aidés par les vivants. A. 2. Saint Thomas s'appuie sur II Mac., XII, 46, et sur l'autorité de l'Église universelle déjà invoquée par saint Augustin dans le traité De cura pro mortuis gerenda. La tradition est ici représentée par le pseudo-Damascène et le pseudo-Denys, Enfin la raison théologique invoque les liens de charité qui unissent les vivants non seulement aux vivants, mais aux morts en état de grâce. Même les suffrages offerts par des pécheurs ont une certaine valeur, au moins ex opere operato. A. 2; cf. Sum. theol., IIIa, q. LXXXII, a. 6, et ici MESSE, col. 1061; IIa-IIæ, q. LXXXIII, a. 16; q. CLXXVIII, a. 2, et. ici PRIÈRE, col. 238. Damnés et habitants des limbes sont exclus du bénéfice de ces suffrages. A. 5 et 7. Mais «il n'est pas douteux que les suffrages faits par les vivants ne soient utiles à ceux qui sont dans le purgatoire». A. 6. Avec Augustin saint Thomas énumère les principaux moyens de secourir les âmes du purgatoire: prières de l'Église, sacrifice de l'autel, aumônes. A. 9. Les indulgences ne servent qu'indirectement et secondairement, si leur forme est telle qu'elles puissent leur être appliquées. Un certain nombre de questions accessoires sont abordées par saint Thomas, qui fait d'ailleurs écho à Pierre Lombard, sur l'utilité des obsèques, a. 11, la valeur respective des suffrages particuliers et des suffrages communs. A. 12-14.

On retrouve la même disposition et les mêmes enseignements chez la plupart des autres sententiaires, notamment saint Bonaventure, dist. XLV, a. 2, q. I-III. Dans son commentaire sur la dist. XX, saint Bonaventure, a. 1, q. V, envisage la manière dont la remise des dettes peut être faite aux âmes du purgatoire en raison des suffrages des vivants. Il formule la réponse qui deviendra traditionnelle dans la théologie catholique; la remise des dettes au purgatoire ne peut se produire per modum judiciariæ absolutionis; elle est toujours per modum suffragii. Cette doctrine laisse intact l'enseignement commun des théologiens sur la possibilité qu'ont les justes encore en vie d'offrir à Dieu en justice des satisfactions véritables les uns pour les autres. Elle s'est compliquée dans la suite de plusieurs controverses accessoires. Voir plus loin, col. 1308 sq.

Enfin, les sententiaires se sont demandé si les saints du ciel pouvaient intervenir en faveur des âmes du purgatoire. La réponse affirmative est commune; voir les commentaires In IVum Sent., dist. XLV. Des controverses se produiront sur la manière dont les saints peuvent intercéder. Mais le fait lui-même est admis sans discussion par tous, sauf peut-être par Durand de Saint-Pourçain, dist. XLV, a. 1.

Quoi qu'il en soit des discussions sur les modalités des suffrages pour les défunts, il y a une unanimité telle parmi les théologiens sur le fait même de l'efficacité de ces suffrages et sur l'enseignement et la pratique de l'Église à cet égard, que leur doctrine nous apparaît bien comme le «lieu théologique» transmetteur de la foi elle-même. Aussi bien, les docteurs sont-ils sur ce point le fidèle écho des Pères, comme ceux-ci le sont du magistère lui-même.

II. L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS BYZANTINS DE LA FIN DE L'AGE PATRISTIQUE AU IIe CONCILE DE LYON. -1° La doctrine des peines positives. -Cette doctrine passe pour ainsi dire au second plan. On a exposé ici (voir t. VIII, col. 1793) comment les perspectives eschatologiques sont devenues confuses avec la théologie byzantine, qui accuse un véritable recul sur l'enseignement des Pères des époques antérieures. Dans cette obscurité presque totale on ne peut que glaner quelques allusions aux peines purificatrices d'outre-tombe.

Faut-il voir une allusion à ces peines dans l'opinion de saint André de Crète († 720), qui place certains pécheurs en enfer, mais avec la possibilité d'en sortir grâce aux suffrages des vivants? C'est bien, semble-t-il, la forme que, de plus en plus, la doctrine des peines temporaires de l'au-delà prendra chez les Orientaux.

C'est bien la solution qui s'impose si l'on s'arrête à un fragment de Théodore Graptus (IXe siècle). Oratio de dormientibus, interprétant I Cor., III, 15. Illud «salvabitur» aut intelligitur de condemnatis qui salvantur, hoc est, remanent salvi et integri inter flammas illas æternas; aut intelligitur de illis qui spem salutis possident, quemadmodum et Gregorius Nyssenus dictum illud interpretatus est; licet nonnulli illum calumniati sunt tanquam Origeniani dogmatis asseclam. Ce court fragment -que Grégoire, hiéromoine de Chios (XVIe siècle), a sauvé de l'oubli en l'intercalant dans sa Synopsis dogmatum, Bibl. Vatic., n. 837, est surtout connu parce qu'il est rapporté par Allatius, De utriusque Ecclesiæ occidentalis atque orientalis perpetua in dogmate de purgatorio consensione, dans Migne, Theologiæ cursus completus, t. XVIII, col. 425. Il témoigne de la distinction très nette que faisaient, au IXe siècle, certains théologiens grecs entre le feu, peine du purgatoire temporaire, et le feu éternel, peine de l'enfer. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2255.

Au Xe siècle, Œcumenius se rapproché davantage encore de notre conception catholique du purgatoire, dans son commentaire sur I Cor., III, 15. Pour lui, aucun homme n'est complètement juste: il faudra passer par ce feu, qui purifiera les légères souillures contractées. P. G., t. CXVIII, col. 676.

Théophylacte, archevêque d'Achrida, en Bulgarie, vers la fin du XIe siècle, interprète Luc., XII, 5: «Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir d'envoyer dans la géhenne.» Ceux qui meurent pécheurs, dit l'exégète, ne sont pas toujours envoyés dans la géhenne, mais ils sont au pouvoir de Dieu, qui peut aussi leur pardonner. Je dis cela à cause des oblations et des aumônes qui sont faites en faveur des défunts: elles ne sont pas de peu d'utilité même à ceux qui sont morts coupables de graves péchés. Aussi (le texte dit-il) non pas qu'après la mort (Dieu) les envoie, mais qu'il a le pouvoir de les envoyer dans la géhenne.» P. G., t. CXXIII, col. 880. Le même exégète, interprétant I Cor., III, 15, reprend l'explication de Jean Chrysostome: le pécheur sera sauvé, c'est-à-dire conservé dans le feu pour les supplices éternels ???? ???????? ????? ???????? ??????, t. CXXIV, col. 605 A.

2° Les suffrages pour les défunts. - En revanche, en ce qui concerne les suffrages pour les défunts, la théologie byzantine reste fidèle à la tradition séculaire de l'Église.

1. Le traité anonyme De iis qui in fide dormierunt, attribué jadis à saint Jean Damascène, remonte à coup sûr au moins au IXe siècle. L'auteur se propose d'y réfuter ceux qui affirment que les prières et les œuvres pies ne sont d'aucune utilité pour les défunts. Il invoque l'autorité du IIe livre des Machabées, et cite des passages du pseudo-Denys, de Grégoire de Nazianze, de Chrysostome, de Grégoire de Nysse, et enfin, pour des faits historiques, s'efforce de démontrer l'efficacité des suffrages. Nous y trouvons les légendes concernant la libération de l'enfer, grâce aux prières des vivants, de la païenne Falconille et de l'empereur Trajan. De tout l'ensemble de l'écrit se dégagent un certain nombre de points qui paraissent bien résumer la doctrine de l'auteur anonyme. Il admet: a) qu'exceptionnellement Dieu peut délivrer, eu égard aux prières des vivants, certains pécheurs de l'enfer; b) que les damnés reçoivent toujours quelque adoucissement de leurs peines en suite de ces prières; c) que, selon la loi commune de la divine justice, les âmes des impies ne peuvent pas être délivrées de l'enfer par les suffrages des vivants; d) que ces suffrages sont utiles aux âmes qui pendant leur existence terrestre se sont adonnées fort négligemment aux œuvres vertueuses ou bien n'ont pas pu achever d'accomplir le bien qu'elles s'étaient proposé; e) qu'enfin ces âmes souffrent et expient dans le feu. Si nous laissons de côté les libérations exceptionnelles de l'enfer (sur la possibilité de telles libérations, voir ENFER, t. v, col. 99-100) et la mitigation des peines (voir MITIGATION, t. x, col. 2002), tout le reste peut assez facilement cadrer avec notre doctrine du purgatoire. Sans doute le pseudo-Damascène parait étendre au-delà des limites qu'imposerait la stricte théologie la catégorie de ceux que les prières des vivants peuvent secourir dans l'autre monde; néanmoins il affirme le principe de l'efficacité de ces
prières à l'égard des pécheurs pour lesquels il y a quelque raison d'agir avec miséricorde. N'excluant que les pécheurs absolument impies et endurcis, il sacrifie peut-être la justice à la miséricorde. Il admet du moins deux vérités qui se complètent l'une l'autre: d'une part, une catégorie de pécheurs susceptibles de recevoir encore leur pardon dans l'autre vie; d'autre part, l'efficacité de nos prières en faveur de cette catégorie. C'est là tout l'essentiel du purgatoire. P. G., t. XCV, col. 247 sq.

2. Une doctrine plus nettement orthodoxe ressort du récit de la Continuation de Théophane touchant le sort éternel de l'empereur iconoclaste Théophile. Après la mort de Théophile, son épouse Théodora voulut restaurer le culte des images, mais auparavant obtenir les prières de l'Église pour son époux. La réponse du patriarche Méthode fut très nette: impossible d'obtenir par les prières de l'Église le pardon aux âmes qui ont quitté le monde des vivants sans bon espoir de salut et sont de toute évidence frappées d'une sentence de damnation. L'impératrice ayant affirmé sous la foi du serment qu'avant de mourir Théophile avait rétracté son erreur et baisé dévotement les saintes images, les prélats rassemblés n'hésitèrent plus à se faire fort d'obtenir le pardon du défunt par leurs prières. Theophanes continuatus, 1. IV, c. V, P. G., t. CXIX, col. 168 BD.

3. La doctrine des suffrages pour les morts transpire des nombreuses biographies écrites par Syméon Métaphraste. Dans la Vie de Jean l'Aumônier, n. 48, nous lisons cette phrase significative: «Il ordonnait qu'on célébrât des sacrifices pour ceux qui étaient morts, affirmant et répétant qu'aux défunts sont grandement utiles les prières et saints ministères faits à leur intention.» P. G., t. CXIV, col. 937 B; cf. Vita S. Theodori cœnobiarchæ, c. XIV, n. 17, ibid., col. 484, 485.

4. Le schisme de Photius qui devait survenir peu après ne changea rien à la question des suffrages pour les morts. Personnellement Photius était très certainement acquis à la doctrine traditionnelle de l'Orient. Comme Chrysostome, comme Théophylacte, il interprète O Cor., III, 15, de la conservation du pécheur dans le feu éternel, qui brûle et détruit son œuvre, sans le consumer lui-même. Cf. Hergenröther, Photius, t. III, p. 648-649, 651.

5. Terminons par un passage de Michel Glycas, qui, mieux que le pseudo-Damascène, définit quels défunts peuvent profiter des suffrages des vivants:
 Il ne faut pas douter de l'efficacité des bonnes œuvres, que certains offrent pour des défunts pieux certes, mais pécheurs (????? ??? ??????? ????????? ??). Notre confiance se fonde avant tout, sur les disciples du Christ et les apôtres qui ont établi que la mémoire des morts serait faite publiquement aux troisième, neuvième et quarantième jour et à l'anniversaire... Et ne me dites pas: Puisque les sacrifices sont offerts universellement à Dieu pour les défunts, donc tous aussi parviendront au salut. Pour dissiper cette objection, voici, avant toute autre, l'opinion du grand Denys, qui enseigne parfaitement lesquels, parmi les péchés, peuvent être pardonnés, lesquels ne reçoivent pas de rémission. Car, de ceux qui quittèrent la vie encore souillés de péchés, voici ce qu'il dit: «S'ils ne sont souillés que de péchés légers, les défunts recevront utilité des bonnes œuvres faites à leur intention; mais, si leurs péchés sont graves, Dieu les repoussera loin d'eux.» (Cf. De eccles. hierarch., c. VII, 7, P. G., t. III,col. 561.) Et le grand Épiphane ajoute, dans son Panarion: «Les prières sont utiles pour les défunts, bien qu'elles n'effacent pas les grands délits.» (Hær., LXXV, 7, P. G., t. XLII, col. 513.)

Cette citation de Glycas est tirée de l'ouvrage In divinæ Scripturæ dubia, epist. XIX, P. G., t. CLVIII, col. 921-928. De plus, Glycas place ces pieux pécheurs dans l'enfer (?? ????) et éloigne d'eux, comme d'ailleurs des démons et des damnés, la peine du feu avant le jugement universel. Ibid., epist. XXII, col. 929. Enfin, tout comme le pseudo-Damascène, Glycas admet que même certains impies damnés pourraient être, très exceptionnellement, délivrés de l'enfer par les prières de certains saints personnages. Epist. XX, col. 929. Ces textes sont intéressants; ils présentent bien la doctrine des Orientaux sous la forme qu'elle va adopter désormais d'une façon presque générale.

III. LA DOCTRINE DU PURGATOIRE AU IIe CONCILE DE LYON (1274). - 1° Les «travaux d'approche» au point de vue doctrinal. -Sur l'histoire même du concile et des raisons, plutôt politiques que doctrinales, qui incitèrent Michel Paléologue à accepter l'union avec l'Église romaine, on se reportera à Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, t. VI, p. 153 sq. Mais déjà bien avant Grégoire X la pensée des papes avait été de travailler à la réconciliation des deux Églises. De là, entre Occidentaux et Orientaux, certaines discussions doctrinales que nous pouvons légitimement, par rapport au IIe concile de Lyon, qualifier de travaux d'approche.

1. Sous Grégoire IX.-Nous possédons, au moins en partie, la relation d'une controverse sur le feu du purgatoire qui se produisit, à la fin de l'année 1231 ou au début de 1232, au monastère grec de Cazoles, près d'Otrante, entre frère Barthélemy, un des légats du pape pour instaurer l'union des Églises, et Georges Bardane, évêque dissident de Corcyre, que Manuel Comnène avait envoyé comme ambassadeur à l'empereur Frédéric II. Sur le premier voir G. Golubovitch, Biblioteca bio-bibliografica della Terra santa, t. I, Quaracchi, 1906, p. 170-175. Sur le second, voir E. Kurtz, Georgios III Bardanes, Metropolit von Kerkyra, dans Byzantinische Zeitschrift, t. XV, 1896; p. 603-613. Traversant l'Italie, Georges Bardane était tombé malade et avait dû séjourner dans le monastère. Frère Barthélemy vint le visiter pour l'entretenir de l'union et l'interrogea sur le sort de ceux qui meurent sans avoir pu accomplir sur terre toute la pénitence (?? ????????) imposée par le confesseur. Le franciscain exposa au prélat grec la doctrine catholique sur le purgatoire et la purification par le feu des âmes qui se trouvent en un état intermédiaire entre les élus et les damnés, invoquant l'autorité des Dialogues de saint Grégoire. Le prélat grec remarqua que le Latin enseignait non seulement le feu du purgatoire, mais la rétribution immédiate après la mort, et il répliqua aussitôt en enseignant ouvertement la dilation des rétributions jusqu'au jugement général, rejetant le feu du purgatoire comme une doctrine entachée d'origénisme. Le colloque des deux interlocuteurs est partiellement conservé, sous forme de dialogue, dans deux mss., le Barber. græc. 297 et le Laur. græc. 36, n. 3. La doctrine des Latins ne semble pas avoir été comprise par l'auteur de la relation.

Toujours est-il que ce fut là le point de départ de la controverse générale. Car bientôt non seulement Georges Bardane consigna par écrit son entretien contradictoire avec frère Barthélemy, mais le patriarche Germain II lui-même (qui demeurait alors à Nicée avec l'empereur grec), sans doute averti par l'évêque de Corcyre, écrivit un traité contre le purgatoire, traité aujourd'hui perdu. Du côté des Latins, la rumeur se répandit que les Grecs niaient le purgatoire et retardaient la rémunération des âmes jusqu'au jugement dernier. Des écrits furent composés pour réfuter cette double erreur.

2. Sous Innocent IV. -Un de ces écrits eut pour auteurs les dominicains de Péra. Il est intitulé Contra errores Græcorum, titre qui vraisemblablement inspirera environ dix ans plus tard saint Thomas d'Aquin. (Dans l'opuscule Contra errores Græcorum de saint Thomas, la question du purgatoire vient au c. LXIX, cf. FEU DU PURGATOIRE, col. 2254.) Ce traité, des dominicains de Péra, paru en 1252, rappelle, dès le début, que le deuxième article sur lequel les Grecs diffèrent des Latins est le purgatoire parce qu'ils affirment: defunctorum animas nec paradisi gaudiis perfrui, nec infernorum suppliciis vel igne purgatorio citra diem judicii, aut ante latam sententiam extremam judicis posse subjacere. P. G., t. CXL, col. 487. Après avoir attribué la paternité de cette double erreur à André, archevêque de Césarée (attribution d'ailleurs inexacte), les auteurs en entreprennent la réfutation. Pour prouver la rétribution immédiate soit des bons, soit des méchants, ils invoquent les autorités de Jean Chrysostome et d'Athanase. Col. 511-513. Puis ils abordent directement la question du purgatoire, nettement enseignée dans I Cor., III, 11-15. Ce feu est celui du purgatoire. Pour le démontrer, ils s'appuient sur l'histoire de sainte Macrine, sœur de saint Basile, sur les textes de Basile lui-même et du pseudo-Damascène, col. 515-516, et Enfin ils rejettent l'interprétation de Chrysostome sur le salvabitur per ignem. Col. 515-517.

Mais, ailleurs, déjà sous le pontificat d'Innocent on put se rendre compte que la croyance des Grecs n'était peut-être pas si éloignée qu'on pouvait le croire de la doctrine catholique. Une lettre d'Innocent à Odon, cardinal de Tusculum, son légat dans l'île de Chypre, en fournit un témoignage irrécusable. Cette lettre constitue la meilleure préface qu'on puisse donner aux conciles de Lyon et de Florence:

Cum Veritas in Evangelio asserat quod si quis in Spiritum sanctum blasphemiam dixerit, neque in hoc sæculo, neque in futuro dimittetur ei: per quod datur intelligi quasdam culpas in præsenti, quasdam vero in futuro sæculo relaxari; et Apostolus dicat quod uniuscujusque opus, quale sit, ignis probabit, et cujus opus arserit detrimentum patietur, ipse autem salvus erit, sic tamen per ignem (I Cor., III, 15) : et ipsi Græci vere ac indubitanter credere et affirmare dicantur animas illorum, qui suscepta pænitentia. ea non peracta, vel qui sine mortali peccato, cum venialibus tamen et minutis decedunt, purgari post mortem et posse suffragiis Ecclesiæ adjuvari: nos, quia locum purgationis hujusmodi dicunt non fuisse sibi ab eorum doctoribus certo et proprio nomine indicatum, ilIum quidem juxta traditiones et auctoritates sanctorum Patrum purgatorium nominantes, volumus quod de cætero apud illos isto nomine appellelur. Illo enim transitorio igne peccata utique, non tamen criminalia seu capitalia, quæ prius per pænitentiam non fuere remissa, sed parva et minuta purgantur; quæ post mortem etiam gravant, si in vita non fuerint relaxata. Mansi, Concil., t. XXII, col. 581-582.  Puisque la Vérité affirme dans l'Évangile que, si quelqu'un blasphème contre l'Esprit-Saint, ce péché ne lui sera remis ni en ce siècle ni dans l'autre: par quoi il nous est donné de comprendre que certaines fautes sont pardonnées dans le temps présent, et d'autres dans l'autre vie; puisque aussi l'Apôtre déclare que l'œuvre de chacun, quelle qu'elle soit sera éprouvée par le feu et que, si elle brûle, l'ouvrier en souffrira la perte, mais lui-même sera sauvé, comme par le feu; puisque les Grecs eux-mêmes, dit-on, croient et professent vraiment et sans hésitation que les âmes de ceux qui meurent ayant reçu la pénitence sans avoir eu le temps de l'accomplir ou qui décèdent sans péché mortel, mais coupables de véniels ou de fautes minimes, sont purifiées après la mort et peuvent être aidées par les suffrages de l'Église, nous, considérant que les Grecs affirment ne trouver chez leurs docteurs aucun nom propre et certain pour désigner le lieu de cette purification, et que, d'autre part, d'après les traditions et les autorités des saints Pères, ce nom est le purgatoire, nous voulons qu'à: l'avenir cette expression soit reçue également par eux. Car, dans ce feu temporaire, les péchés, non certes les crimes et fautes capitales, qui n'auraient pas été auparavant remis par la pénitence, mais les péchés légers et minimes sont purifiés; s'ils n'ont pas été remis au cours de l'existence, ils chargent l'âme après la mort.

Il ne s'agit pas ici sans doute d'un document pontifical ex cathedra. Mais il était intéressant de citer intégralement ce texte d'Innocent IV parce qu'il montre clairement que le pape ne voyait, entre l'affirmation des Latins et la position des Grecs, qu'une différence verbale.

3. Sous Clément IV. -Les pourparlers étaient engagés entre l'autorité romaine et l'empereur Michel Paléologue et déjà la profession de foi qui devait être sanctionnée à Lyon était préparée et proposée à l'empereur. Voir LYON (IIe concile œcuménique), col. 1382. Mais la mort du pape empêcha la réalisation immédiate de l'union. Pendant le long interrègne pontifical, les cardinaux chargèrent leur collègue Rodolphe Grosparmi, évêque d'Albano, de régler l'affaire de l'union si la chose était possible, mais toujours avec le texte préparé par Clément IV (1270).

2° La profession de foi des Grecs au concile de Lyon. -La profession de foi préparée par Clément IV fut admise sans discussion. Nous n'en reproduisons ici que la partie concernant les «erreurs» des Grecs sur l'eschatologie. Voir le texte latin, t. IX, col. 1385.

Mais, à cause de diverses erreurs que certains ont introduites par ignorance et d'autres par malice, elle (l'Église romaine) dit et proclame que ceux qui tombent dans le péché après le baptême ne doivent pas être rebaptisés, mais que, par une vraie pénitence, ils obtiennent le pardon de leurs péchés. Que si, vraiment pénitents, ils meurent dans la charité avant d'avoir, par de dignes fruits de pénitence, satisfait pour ce qu'ils ont commis ou omis, leurs âmes, comme nous l'a expliqué frère Jean, sont purifiées après leur mort, par des peines purificatrices ou expiatrices et, pour l'allégement de ces peines, leur servent les suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacrifices des messes, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume d'offrir pour les autres fidèles selon les institutions de l'Église. Les âmes de ceux qui, après avoir reçu le baptême, n'ont contracté absolument aucune souillure du péché, celles aussi qui, après avoir contracté la souillure du péché, en ont été purifiées ou pendant qu'elles restaient dans leur corps ou après avoir été dépouillées de leur corps, comme il a été dit plus haut, sont aussitôt reçues dans le ciel.

Sur ce texte, quelques remarques littéraires sont nécessaires.

Le frère Jean dont il est question est le franciscain Jean Parastron (de Balastri), «Grec d'origine, habile dans la langue grecque et zélé pour l'union.» Cf. Georges Pachymère, ?????? ???????????, 1. V, c. XI, P. G., t. CXLVIII, col. 823.

Le texte latin correspondant aux deux mots que nous avons soulignés est bien: pœnis purgatoriis seu catharteriis. C'est là le texte vulgarisé. Denz.-Bannw., n. 464; Cavallera, n. 1455. L'expression est sage et prudente, car elle évite les controverses sur le lieu du purgatoire ou sur le feu. Dans le texte latin des professions de foi envoyées par Michel Paléologue, en 1277 au pape Jean XXI, en 1277 au pape Nicolas III, on lit: pœnis purgatorii seu catharterii. A. Theiner et Miklosich, Monumenta spectantia ad unionem Ecclesiarum, Vienne, 1872, p. 9. Dans le texte grec de la profession de foi d'Andronic Paléologue, 1277, on lit: ??????? ???????????? ???? ???????????, Ibid., p. 17. Dans celui de la profession de foi du patriarche Jean Veccos, on lit: ??? ????? ???? ?????????? ... Ibid., p. 26. Si ces leçons devaient être tenues pour vraies, il s'ensuivrait que la volonté exprimée par Innocent IV concernant l'appellation elle-même de purgatoire aurait été sanctionnée par le concile. Mais la chose reste aussi douteuse que le texte rapporté par Theiner, et comme la question du lieu des souffrances purificatrices a été nettement écartée par le concile de Florence, nous sommes en droit de négliger, au point de vue théologique, les textes divergents cités par Theiner-Miklosich.

Au point de vue dogmatique, le texte imposé aux Grecs représente à coup sûr la doctrine catholique. II est l'équivalent d'une définition ex cathedra. C'est la foi de l'Église catholique qui est ici proclamée. Toutefois, en ce qui concerne l'admission immédiate au ciel des âmes complètement purifiées, la formule mox in cœlum recipi trouvera dans la définition de Benoît XII de nouvelles et nécessaires précisions.

La foi de l'Église, en ce qui concerne strictement le purgatoire, s'attache uniquement à deux points: dans l'autre vie, les âmes justes, mais non encore complètement purifiées, devront subir des peines purificatrices. L'allègement de leurs peines est obtenu par les suffrages des vivants, sacrifices de la messe, prières, aumônes et autres œuvres de piété, d'ailleurs consacrées par l'usage et la pratique universelle de l'Église. Du caractère temporaire des peines purificatrices il n'est rien défini directement, mais ce caractère temporaire ressort avec évidence du fait qu'aussitôt après leur purification les âmes sont reçues immédiatement dans le ciel.

Désormais l'Église s'en tiendra à ces formules générales: ni le lieu ni le feu du purgatoire ne seront envisagés dans ses définitions.

3° Après le concile de Lyon. -1. Une intervention pontificale à l'égard de l'Église arménienne..-Le pape Benoît XII, sollicité par les Arméniens de leur envoyer du secours contre les Sarrasins, répondit en exigeant tout d'abord leur renonciation à certaines erreurs, dont la liste avait été dressée d'après des dépositions assermentées d'Arméniens et de Latins ayant vécu en Arménie et d'après quelques livres arméniens. Cf. F. Tournebize. Les cent dix-sept accusations présentées à Benoît XII contre les Arméniens, dans Rev. de l'Orient chrétien., t. XI, 1906, p. 163-181, 274-300, 352-370, et ici BENOIT XII, t. II, col. 696.

En ce qui concerne l'état des âmes après la mort et le purgatoire, voici les erreurs reprochées aux Arméniens. Avant le jugement général, les âmes n'entrent pas au ciel et ne vont pas en enfer; elles restent sur cette terre ou dans l'air, comme les démons. A. 7, 15, 23,31. En conséquence, pas de purgatoire: Item quod Armeni communiter tenent, quod in alio sæculo non est purgatorium animarum, quia, ut dicunt, si christianus confiteatur peccata sua, omnia peccata ejus et pœnæ peccatorum ei dimittuntur. Nec etiam ipsi orant pro defunctis, ut eis in alio sæculo peccata eis dimittantur, sed generaliter orant pro omnibus mortuis., sicut pro beata Maria, apostolis ... Denz.-Bannw., n. 535.

La réponse des Arméniens fut donnée au concile de Sis, en 1342. Voir Hefele-Leclercq, op. cit., t. VI, p. 861. La réponse montre la doctrine arménienne assez ferme sur l'état des âmes justes et des âmes pécheresses après la mort: les âmes pécheresses descendent en enfer, les âmes justes vont toutes à la vie éternelle, comme il est dit souvent dans la liturgie. Quant au purgatoire, la doctrine est bien ce qu'elle pouvait être après le concile de Lyon. Les Arméniens n'admettent que depuis quelque temps le mot purgatoire, mais, en revanche, ils ont professé de tout temps la doctrine correspondant à ce mot. Et le synode de Sis apporte des preuves à l'appui de son affirmation. Ils prient pour les défunts pécheurs, mais il est faux qu'ils prient pour Marie et pour les saints du ciel afin qu'ils soient rendus participants du repos éternel. Cette prière demande seulement que les saints ne conçoivent pas, à cause de nous, de la tristesse et du trouble, c'est-à-dire que nous restions libres de tout péché. Voir le texte des articles incriminés et des réponses dans Mansi, Concil., t. XXV, col. 1188.

L'affaire devait traîner en longueur: l'union ne fut scellée qu'au concile de Florence. Le même pape avait d'ailleurs fait une allusion très claire au purgatoire, dans sa bulle Benedictus Deus, en parlant des âmes qui, après leur mort, auraient achevé [de se purifier]. Voir ici, t. II, col. 658.

2. Continuation des controverses théologiques. -Les adversaires de l'union ne manquèrent pas après le concile. En ce qui concerne la croyance au purgatoire, les principaux adversaires sont Matthieu Koïestor Ange Panarétos, théologien de la seconde moitié du XIVe siècle, et Siméon de Thessalonique († 1429).

Le premier a écrit un traité sur le feu du purgatoire, réfutation du c. IX de l'opuscule de saint Thomas, Declaratio ...  Malheureusement il est encore inédit. Son titre est ????? ????????? ???? ?????? ????? ????? ??????????? ?????? ??????? ?????????? ???????? ??????????? ???? ?????????. Sur les manuscrits voir P. Risso, dans Roma e l'Oriente, t. VIII, 1914, p. 178. Cf. PANARETOS, t. XI, col. 1844.

La diatribe de Siméon de Thessalonique contre le feu du purgatoire se lit dans son Dialogus contra hæreses, c. XXIII, P. G., t. CLV, col. 116 D. C'est, dit-il, en substance, l'enseignement de tous les saints: aucun d'entre eux ne reconnaît pour les âmes pécheresses d'autre peine que celle d'être enfermées, comme en une prison, en des lieux de désolation, dans la tristesse, en attendant leurs peines; les âmes des justes, au contraire, sont dans des lieux de lumière et de réjouissance attendant le bonheur espéré, avec la réunion à leur corps. Dieu accorde un certain soulagement dans leur tristesse et leur crainte à ceux qui ont quitté cette vie dans des sentiments de pénitence véritable mais imparfaite. Il n'y a pas de feu qui les purifie, comme l'affirment les Latins, mais simplement les prières sacrées et les sacrifices offerts par l'Église à Dieu à leur intention...

En revanche, l'affirmation de l'efficacité des suffrages subsiste toujours. On vient de la trouver même dans l'attaque de Siméon de Thessalonique. Cette utilité des prières pour les défunts se retrouve affirmée par Georges Pachymère dans ses annotations au De eccles. hierarch. du pseudo-Denys, c. VII, § 6 et 7, P. G., t. III, col. 576-577, 580, et par Nicolas Cabasilas, Liturgiæ expositio, c. XXXIII, P. G., t. CL, col. 441 sq.

Un seul théologien expose pleinement la doctrine catholique parce que, catholique de sentiments, il a reçu des dominicains une forte empreinte doctrinale et qu'il s'est fait dominicain lui-même; c'est Manuel Calécas († 1410). Dans son Adversus Græcos libri, dont nous ne possédons au complet que le texte latin (P. G., t. CLII), un chapitre du 1. IV, est consacré au feu du purgatoire, col. 228 sq. L'auteur établit d'abord que le dogme du purgatoire est pour ainsi dire postulé par le fait des pénitences imparfaitement accomplies sur la terre, col. 229 BC, et qu'il est impliqué dans la pratique des prières pour les défunts. Col. 229 C. On ne prie, en effet, ni pour les élus ni pour les damnés. Col. 229 C. À supposer même qu'il n'y ait que des péchés légers à expier, le purgatoire répond à la nécessité d'effacer tout ce qui peut nous empêcher de nous unir à Dieu, col. 232 BC; il faut donc conclure à l'existence du «feu du purgatoire». Col. 232 C. Si ce feu n'existait pas, ce serait équivalemment admettre qu'un mal reste impuni, ce serait aller contre Dieu et le détruire. Col. 233 AB. Les prières faites par l'Église à l'intention des défunts, demandant pour eux le repos et la paix, démontrent l'existence de ce lieu de souffrances et d'expiation. Col. 233 D, 236 AB. Jusqu'ici,
par une heureuse fortune, nous avons, parallèlement au texte latin, l'original grec. Mais du dernier paragraphe, Migne ne donne que le texte latin. Il s'agit de I Cor., III, 13-15, sur la signification du mot «feu». L'auteur rapporte l'interprétation de Chrysostome, qu'il repousse, et s'attache à démontrer que Grégoire de Nysse a fourni la véritable explication, un feu temporaire, dans ses effets, et qui n'est pas le feu de l'enfer. Col. 235-236 CD.

Si tous les Orientaux avaient eu la mentalité de Manuel Calécas, l'union eût été facile, elle eût été d'avance réalisée. Malheureusement telle n'était pas la réalité. On va le voir en étudiant les actes du concile de Florence.

IV. LA DOCTRINE DU PURGATOIRE AU CONCILE DE FLORENCE (1439). - Le 8 février 1438, l'empereur Jean VII Paléologue et les représentants de l'Église grecque débarquaient à Venise pour se rendre à l'invitation que leur avait adressée le pape Eugène IV. Voir t. VI, col. 24-25. Dès la IIIe séance du concile (encore à Ferrare), les questions débattues entre Grecs et Latins furent abordées. La question du purgatoire vint la première en discussion. Les Actes de cette discussion ont été enfin publiés en 1920 par Mgr Petit, dans la Patrologia orientalis, (P. O.), t. XV. Ils comprennent six documents, en grec et en latin: 1° exposé de la doctrine catholique par le cardinal Julien Cesarini; 2° mémoire de Marc d'Éphèse en réponse aux Latins; 3° mémoire de Bessarion [ce mémoire, publié une première fois à Bâle, avec une traduction de Jean Hartung, dans Orthodoxographa theologiæ sacrosanctæ ac syncerioris fidei doctores numero LXXVI, Bâle, 1555, p. 1376-1390, parut ensuite, en simple traduction latine due à Vulcanius, Leyde, 1595; il eut d'autres éditions et s'égara au XVIIe siècle sous divers noms; Arcudius l'attribuait au moine Barlaam, De purgatorio igne adversus Barlaam, Rome, 1637; il fut ensuite attribué à Nil Cabasilas, voir ici t. II, [Mgr Petit le restitue à Bessarion]; 4° réponse aux Grecs par le dominicain Jean de Turrecremata; enfin 5° les précisions réclamées par les Latins sont apportées par les deux derniers mémoires, dus à Marc d'Éphèse. Ces documents ont été publiés d'après le ms. grec 653 de la bibliothèque Ambrosienne; le texte latin a dû être traduit du grec par Mgr Petit. Récemment le P. Hoffmann a découvert plusieurs pièces inédites relatives au concile de Florence à la bibliothèque Saint-Marc de Venise: deux de ces documents sont le texte latin original des documents I et IV susindiqués. Orientalia christiana (O. C.), t. XVI, 1929, n. 3; t. XVII, 1930, n. 2. Nous suivrons, dans notre exposé, l'ordre même des documents et nous conclurons par le texte officiel du concile. Nous nous inspirerons du travail d'A. d'Alès, La question du purgatoire au concile de Florence en 1438, dans Gregorianum, 1922, p. 8-50.

1 ° Exposition de la loi catholique par le cardinal Cesarini (P. O., t. XV, p. 25-32; O. C., t. XVI, p. 285-298). -La croyance de l'Église catholique est formulée d'après le texte du IIe concile de Lyon. Le texte édité par le P. Hoffmann, porte pœnis purgatoriis, op. cit., p. 286 (31). La croyance de l'Église romaine s'appuie sur sept arguments: II Mac., XII, 46; Matth., XII, 32; I Cor., III, 13-15, le feu dont il est question ici ne pouvant s'appliquer aux damnés; la tradition de l'Église catholique, latine et grecque, qui prie et toujours a prié pour les morts; sans purgatoire, cette prière serait vaine; l'autorité de l'Église romaine qui toujours a tenu cette doctrine dès le temps de l'union avant le schisme; l'enseignement des Pères latins et grecs; enfin les exigences de la justice divine, qui ne doit laisser aucune faute impunie et qui proportionne l'expiation au péché. Cf. Deut., XXV, 2; Ez., XXXIII, 14, 15; Sap., VII, 25.

Le dossier patristique renferme plusieurs apocryphes. Le P. d'Alès a fait le triage des indications fournies par le document conciliaire (op. cit., p. 12-13). Nous reproduisons son intéressante note.

Ve concile œcuménique (Constantinople, 553), Act. III, Mansi, t. IX, col. 201-202 : {Pseudo-Augustin, en réalité Césaire d'Arles), Serm., CIV, 1, P. L., t. XXXIX, col. 1946; S. Augustin, De civ. Dei, XXI,13 et20, P. L., t. XLI,col. 728 et 738; S. Augustin, De cura pro mortuis gerenda, l, 3, P. L., t. XL, col. 593; IV. 6, col. 596; (Pseudo-Augustin),
De vera et falsa pœnitentia, XVII, 3, P. L., t. XL, col. 1127...;  S. Augustin, Sermo, CLXXII, 2, P. L., t. XXXVIII, col. 936; S. Ambroise (Ambrosiaster), In I Cor.; III, P. L., t. XVII, col. 200 C; S. Grégoire le Grand, Dial., IV, 39, P. L., t. LXXVII, col. 396AB; S. Basile, dans ??????????? ??? ????, Liturgie de la Pentecôte, 2e éd., Venise, 1862, p. 375, 376; Liturgie des morts, p. 407; S. Grégoire de Nysse, De consolatione et statu animarum post mortem, P. G., t. XLVI, col. 97 C, 100 A; De mortuis, id., col. 524 B; (Pseudo-Denys), Eccles. hier., VII, 4. P. G., t. III, col. 560 B; S. Épiphane, Hær., LXXV, 8, P. G., t. XLII, col. 513 B; (Pseudo-Damascène), De iis qui in fide dormierunt, III, P. G., t. XCV, col. 249, cité par saint Thomas, In IVum Sent., dist. XLV,q. II a. 1; Théodoret, In I Cor., III, P. G., t. LXXXII, col. 252, note 23 (authenticité douteuse).

2° Mémoire de Marc d'Éphèse (P. O., p. 39-60). -Après avoir énoncé la doctrine des Grecs sur la vie d'outre-tombe, Marc reprend les trois arguments d'Écriture apportés par Cesarini. Les deux premiers seraient étrangers à la question du purgatoire; le troisième est inefficace et favorable à l'origénisme. Marc passe sous silence les arguments tirés de la tradition des Églises; il discute les preuves tirées des témoignages patristiques et rejette le septième argument: la raison théologique. À son tour il prend l'offensive et énonce onze chefs d'argument. Ce mémoire de Marc fut repris dans le mémoire suivant, par Bessarion qui fusionne en une seule réponse la riposte de Marc et la sienne propre.

3° Mémoire de Bessarion (Marc et Bessarion fusionnés (P. O., p. 61-79). -L'inspiration en est plus chrétienne, et la forme plus courtoise. Document de première valeur, qui souligne les profonds malentendus de l'Orient et de l'Occident sur la question du purgatoire et qu'il faut examiner de près.

Les Grecs, déclare Bessarion, n'ont trouvé chez aucun de leurs docteurs .une croyance à l'expiation temporaire accomplie, après cette vie, par le feu. D'autre part, ils admettent, selon l'enseignement de leurs docteurs, que les prières de l'Église sont utiles aux défunts. La controverse du purgatoire se ramène, pour Bessarion, à deux questions: 1. Y a-t-il, après cette vie, une rémission des péchés? 2. S'il existe une rémission des péchés dans l'autre vie, comment s'accomplit-elle? Est-ce par un pur effet de la miséricorde divine, acquiesçant aux prières de l'Église; est-ce par le moyen d'un châtiment? Et, s'il s'agit d'un châtiment, de quel châtiment? La captivité, la crainte, les ténèbres, l'ignorance, ou bien le feu, un feu réel et matériel?

Sur ce dernier point la doctrine grecque est bien arrêtée: pas de feu matériel et temporaire. Si l'on admettait cette sorte de feu, on pourrait craindre de favoriser l'erreur origéniste qui nie l'éternité des peines. Sur le premier point les Grecs admettent qu'après cette vie il y a place pour une rémission des fautes vénielles. Reste donc un unique point à débattre: comment s'accomplit cette rémission. Bessarion, sans apporter une solution complète, insiste surtout sur ce qui lui semble inadmissible dans l'enseignement des Latins touchant le feu purificateur.

Il reprend plusieurs arguments du mémoire de Cesarini. Les deux textes scripturaires, II Mac.. XII, 46, et Matth., XII, 32, visent bien une rémission de certains péchés dans l'autre vie, mais laissent intacte la question de la purification par le feu. Quant à I Cor., III, 11-15, les Grecs l'expliquent conformément à l'interprétation de saint Jean Chrysostome, qui possède une autorité hors de pair, soit comme exégète, soit comme disciple passionné de saint Paul. La tradition de l'Église de Constantinople affirme que l'apôtre Paul vint en personne l'instruire: Proclus, disciple et successeur de Chrysostome, l'a contemplé de ses yeux dans une vision mystérieuse. Or, Chrysostome entend ce texte du feu éternel qui conserve et ne rend pas ses victimes. Saint Augustin, sans doute, a expliqué différemment ce texte; mais, dans l'interprétation d'un texte grec, l'opinion d'un Père grec tel que saint Chrysostome doit être préférée. Saint Augustin avait le souci de confondre l'erreur de ceux qui, étendant ce texte à toutes sortes de fautes, supprimaient en fait l'éternité des peines de l'enfer. Il ne trouva rien de mieux que d'admettre ici un feu temporaire. Il a pris le change sur le sens du mot ?????????; or, les Grecs savent que a??????????, ???????, expriment simplement la conservation d'un être. Ainsi l'ont entendu en cet endroit Jean Chrysostome et tous les Pères grecs. Pour dirimer la controverse, il suffit de se reporter aux Écritures, à Rom., XIII, 12, aux autres passages où il est question du feu du jugement dernier, Dan., VII,10; Ps., XLIX, 4; XCVI, 2; II Petr., III, 12,15. Commentant le ps. XXVIII, 7, Basile montre le feu allumé par la divine justice et produisant un double effet: d'une part, il fait resplendir les vertus des justes, d'autre part, il torture les impies qui lui appartiennent pour toujours. Pour saint Paul, ce feu consumera les œuvres des impies, qui seront perdues; mais l'impie sera réservé pour le châtiment éternel: ?????????.

Quant aux textes des Pères, les uns, ceux qui affirment que la prière des vivants est utile aux trépassés pour la rémission de certaines fautes, sont reçus avec vénération par les Grecs. Mais ils ne prouvent pas le feu du purgatoire. Le texte de Théodoret est introuvable dans ses œuvres. Le seul qui soit vraiment favorable aux Latins est le texte de saint Grégoire de Nysse. Mieux aurait valu, pour l'honneur de ce Père, que son autorité fût passée sous silence, car ici Grégoire, quelle que soit sa sainteté, a participé à la faiblesse humaine et s'est trompé. À son époque, l'éternité des peines était encore une question sur laquelle l'enseignement de l'Église n'était pas fixé. Grégoire admet donc l'apocatastase des pécheurs, doctrine nettement origéniste. D'autres personnages, comme Irénée, Denys d'Alexandrie, ont erré aussi avec leur époque. Grégoire le Théologien (de Nazianze) ne dit-il 'pas lui-même, dans son discours sur le baptême, après diverses considérations sur le feu éternel: «À moins qu'on ne préfère une doctrine plus miséricordieuse et plus digne du souverain Juge.» Orat., XL, n. 36, P. G., t. XXXVI, col. 412. Mais le Ve concile œcuménique condamna cette erreur. Si Grégoire de Nysse a enseigné l'apocatastase, il a erré, et les Grecs aiment mieux s'attacher à l'enseignement de l'Église et à la règle des Écritures qu'aux assertions particulières de tel ou tel docteur. La distinction de deux châtiments et de deux feux n'est conforme ni à l'Écriture ni au Ve concile œcuménique.

Sans doute la purification par le feu se lit expressément chez saint Augustin, saint Ambroise, saint Grégoire-Dialogue; mais ces auteurs latins, développant en latin des vues personnelles, ne s'expriment pas avec une parfaite clarté. Dans leur écrits connus en Orient, on ne trouve qu'une chose certaine: l'utilité pour les défunts des offices et prières de l'Église. Il y a peu d'années que les œuvres d'Augustin et de Grégoire ont été traduites en grec; comment les Grecs pourraient-ils connaître ce qu'ils n'ont jamais vu ni entendu? D'ailleurs l'enseignement des Latins n'est qu'un enseignement de circonstance: désireux d'éliminer une erreur pernicieuse, la rémission finale de tous les péchés, ils se sont jetés dans la voie moyenne, accordant le moins pour ne pas céder le plus. Même en admettant leur parfaite sincérité, il faut s'en tenir à une doctrine contraire, qui découle avec certitude du texte de l'Apôtre, commenté par saint Chrysostome, et expliqué par tout le contexte.

Les révélations et les faits miraculeux rapportés par Grégoire au IVe livre de ses Dialogues sont-ils autre chose que des allégories? Quoi qu'il en soit, l'Écriture ne prouve pas la thèse des Latins, et saint Grégoire la ruine lui-même en disant que les fautes légères des justes peuvent être ou bien compensées dès cette vie par de bonnes œuvres, ou bien expiées à la mort, par la crainte, ou enfin remises après la mort par l'effet des prières offertes à leur intention.

L'autorité de l'Église romaine, à elle seule, ne suffit pas à dirimer la controverse: si le concile est réuni, c'est que précisément on entend bien ne pas s'en tenir à l'enseignement d'une Église. Si l'on persiste à juger d'après les coutumes particulières, chaque parti pourra toujours opposer une fin de non-recevoir aux raisons de l'adversaire, et il n'y aura pas de raison d'en finir.

Enfin les Latins font appel à la raison et tirent argument de la justice divine. Les Grecs ne sont pas à court d'arguments pour appuyer leur sentiment. Présentement ils se bornent à esquisser quelques-unes de leurs raisons. Suivent dix chefs d'arguments, empruntés textuellement, sauf un seul (le troisième), au mémoire de Marc d'Éphèse (Marc avait onze chefs d'arguments; Bessarion a laissé tomber le premier et le neuvième et en a ajouté un, le troisième, de son propre cru). Nous reproduisons ici les dix arguments, dans la traduction du P. d'Alès, op. cit., p. 20-21 (P. O., p. 56-60, p. 76-79).

(Le premier argument de Marc d'Éphèse était: Si l'amour divin purifie les âmes ici-bas, pourquoi le même amour ne les purifierait-il pas après cette vie. À quoi bon le feu du purgatoire?)

1. Il convient moins à la bonté de Dieu de négliger un léger mérite que de punir une légère faute. Or,le peu de bien qui est dans les grands pécheurs n'obtient aucune récompense, à cause de la surabondance du mal: donc il ne convient pas que le peu de mal qui est dans les saints soit puni, en dépit de la prépondérance du bien; car, en l'absence de faute grave, une faute légère apparaît négligeable. Donc il ne convient pas d'admettre un feu purificateur.

2. Il en est du peu de mal des bons comme du peu de bien des méchants. Mais le peu de bien des méchants ne saurait appeler une récompense, mais seulement une différence dans. le châtiment. Ainsi le peu de mal des bons ne saurait appeler un châtiment, mais seulement une différence dans la béatitude. Donc il n'y a pas lieu d'admettre un feu purificateur.

3. La justice du châtiment éternel apparaît surtout dans la disposition irrévocable de la volonté déréglée des pécheurs: car à la perversion éternelle de la volonté est dû un châtiment éternel; inversement et par voie de conséquence, si la volonté irrévocablement fixée dans le mal est punie d'un châtiment éternel, celui qui n'est pas puni éternellement n'a donc pas une volonté irrévocable; car une volonté irrévocable du mal serait destinée à un châtiment éternel; une volonté irrévocable du bien n'appelle aucun châtiment, puisqu'elle mérite des couronnes. Mais vous-mêmes reconnaissez que ceux qui seraient purifiés par ce feu ont une volonté irrévocable: ils n'ont donc pas à être purifiés par le feu (argument propre à Bessarion).

4. Si la parfaite récompense pour la pureté de cœur et d'âme consiste à voir Dieu, et si tous n'y ont point également part, c'est donc que tous ne sont pas également purs. Donc nul besoin de feu purificateur si en quelques-uns la purification laisse à désirer, car ce feu même produirait en tous une égale purification et les disposerait tous également à voir Dieu. Ce qui arriva sur la montagne de la Loi, en symbole et en figure; car alors tous n'apparaissent pas au même lieu ni au même rang, mais en des rangs divers selon la mesure de leur purification respective, suivant Grégoire le Théologien.

5. Le grand Grégoire le Théologien, dans son discours théorique et anagogique sur la Pâque, en vient à dire: «Nous n'emporterons rien et ne laisserons rien pour le lendemain», et il explique en termes clairs et nets qu'après cette nuit il n'y a pas de purification, entendant par nuit la vie présente de chacun et n'admettant aucune purification ultérieure.

6. Le même, dans son discours sur la plaie de la grêle, s'exprime ainsi: «Je ne parle pas des expiations d'outre-tombe,
auxquelles une pensée indulgente ici-bas livre (les pécheurs); car mieux vaut se laisser présentement instruire et purifier que d'être livré aux tourments de l'autre vie, où il ne s'agit plus de purification, mais de châtiment»; donnant clairement à entendre qu'il n'y a pas de purification, au delà de cette vie, mais rien que l'éternel châtiment.

7. Le Seigneur, dans l'évangile selon Luc sur le riche et Lazare, enseignant quel sort atteignit l'un et l'autre, dit que Lazare à sa mort fut porté par les anges dans le sein d'Abraham, et que le riche à sa mort fut enseveli, que son âme fut tourmentée dans l'enfer; ainsi, par le sein d'Abraham, il a désigné l'exaltation dans le bonheur réservé aux amis de Dieu; par l'enfer et les tourments, la condamnation finale et le châtiment éternel des pécheurs; il n'a point laissé entre deux un lieu de tourments temporaires, mais rien qu'un grand et infranchissable abîme, séparant les uns des autres et manifestant la profonde et irréconciliable opposition de leur sort.

8. L'âme délivrée du corps, totalement incorporelle et immatérielle, ne semble pas pouvoir être châtiée par un feu corporel après que son corps, qui devait donner prise au feu, a péri. Mais après la résurrection elle retrouvera un corps impérissable; toute la création sera transformée; le feu sera partagé, nous dit-on; alors elle en éprouvera sans doute un châtiment correspondant, et non pas elle seulement, mais encore les démons, eux aussi ténébreux, revêtus de matière de grossièreté, de corps aériens ou ignés, selon le grand Basile. Mais avant de retrouver son propre corps, n'étant qu'une forme exempte de matière bien que subsistant par elle-même, comment l'âme serait-elle châtiée par un feu corporel?

(Neuvième argument de Marc d'Éphèse: Si le péché originel, qui est bien plus grave, n'est pas puni par le feu dans l'autre vie, pourquoi punir le péché véniel par le feu?)

9. Nos saints Pères, qui ont mené sur terre une vie angélique, initiés en bien des lieux et bien des fois par des visions, des songes et d'autres miracles au châtiment éternel et au sort des impies et des pécheurs qu'il afflige, et faisant part de leurs lumières, contemplant et exposant ces mystères comme présents et actuels, ainsi que la parabole de l'évangile selon Luc décrit la condition du riche et de Lazare, n'ont jamais fait allusion au feu purificateur temporaire.

10. La doctrine de l'apocatastase et de la fin du châtiment éternel, due à Origène et acceptée par quelques personnages ecclésiastiques, comme Didyme et Évagre, doctrine qui met en avant la bonté divine et trouva bon accueil parmi les lâches, selon le mot du divin Jean, architecte de l'échelle céleste, n'en a pas moins été proscrite et anathématisée par le saint concile Ve œcuménique, comme dissolvante des âmes et encourageant la lâcheté chez les lâches, qui escomptent la délivrance de leurs tourments et l'apocatastase promise. Pour les mêmes raisons, la doctrine proposée du feu purificateur semble devoir être rejetée de l'Église, comme énervant les âmes vaillantes et les détournant de faire tous leurs efforts pour se purifier en cette vie, par la perspective d'une autre purification.

4° Réponse de Jean de 'Turrecremata, au nom des Latins (P. O., p. 80-107, le texte latin original dans O. C., t. XVII, p. 215-243). -La réponse des Grecs, déclare-t-il, fonde l'espoir d'une entente, car un point capital est déjà mis hors de doute: l'efficacité des prières de l'Église pour les âmes des défunts quand ces âmes ne sont pas assez pures pour entrer immédiatement au ciel, ni assez coupables pour être jetées en enfer. C'est sur cette catégorie moyenne que doit désormais se concentrer le débat. Mais, pour mettre de côté tout préjugé, pour examiner à fond la question à la lumière des seules Écritures et de l'enseignement des Pères, les Grecs devront s'abstenir d'une réponse qui semble bien une fin de non-recevoir: «Jamais nous n'avons parlé de la purification par le feu! jamais nous n'en parlerons». Ce qu'il faut, c'est prier Dieu pour lui demander simplement le triomphe de la vérité.

L'orateur latin distingue quatre parties dans la réponse des Grecs:
1. Le premier point concerne l'état des âmes saintes après la mort. Sont-elles enlevées immédiatement au ciel? Pareillement, les âmes que la mort a trouvées en état de péché mortel descendent-elles aussitôt en enfer pour y être châtiées? Ou bien les unes et les autres attendent-elles le jour du jugement dernier et la résurrection générale qui doit fixer leur sort? Quant aux âmes de la catégorie moyenne, sur lesquelles porte la controverse, quel est leur sort? Subissent-elles une peine? Quelle peine? Est-ce simplement le délai d'attente? Est-ce une douleur sensible? S'il s'agit d'un tourment proprement dit, en quoi consiste-t-il? Après leur purification, ces âmes sont-elles enlevées au ciel? Sur tous ces points, les Latins attendent la réponse des Grecs.

2. Le second point est relatif à la purification par le feu. Les Grecs craignent que la croyance au feu temporaire ne provoque, chez les chrétiens, l'hérésie de l'apocatastase finale. Crainte peu justifiée, en réalité, et qui doit disparaître devant l'enseignement clair et positif des saints, devant la coutume ancienne de l'Église catholique. Les saints Pères ont puisé leur enseignement du feu purificateur dans la sainte Écriture et ils ont affirmé le feu temporaire sans détriment du feu éternel, le feu temporaire pour les taches légères, le feu éternel pour les péchés graves. L'Église romaine a toujours tenu la doctrine du feu purificateur sans pour autant tomber dans l'hérésie origéniste, qu'elle réprouve et qui d'ailleurs est presque inconnue en Occident. Bien plus, la doctrine du feu purificateur, loin d'engendrer le relâchement, provoque la ferveur: la perspective d'un feu temporaire après cette vie émeut les fidèles bien plus que la perspective d'une relégation en un lieu inconnu. En publiant la doctrine du feu du purgatoire, les saints Pères savaient qu'ils encourageaient beaucoup d'œuvres pieuses, et le saint sacrifice de la messe, et les aumônes, et les prières, en faveur des âmes du purgatoire.

De plus les textes patristiques invoqués démontrent bien la vérité de l'enseignement des Latins. L'orateur cherche surtout à donner une pleine valeur en faveur du purgatoire à l'autorité de Grégoire de Nysse, dont les écrits ont été proclamés exempts d'erreurs par le Ve concile. Dans le temps même où l'on brillait les écrits d'Origène, on conservait et honorait ceux de Grégoire. Les Grecs parlent d'interpolations origénistes: si de telles interpolations s'étaient produites avant le concile, le concile les aurait dénoncées. Après le concile, elles n'auraient pu se produire par des mains origénistes ni aux fins de l'origénisme. De fait on trouve donc, chez saint Grégoire, l'enseignement des Latins sur le feu du purgatoire. Quant aux Pères latins, saint Augustin en particulier, comment rejeter leur autorité? Les Grecs ne peuvent ignorer un enseignement consigné dans des écrits universellement connus et vénérés. L'Église romaine a toujours su garder la voie de la vérité entre des erreurs extrêmes et opposées; ici encore elle a su rejeter l'apocatastase origéniste sans pour cela méconnaître la réalité des peines temporaires. Quant à saint Grégoire, dont les écrits ont été traduits en grec par le pape Zacharie, il s'est exprimé sur le feu du purgatoire avec une netteté parfaite, et les Grecs n'ont pu s'y méprendre. Un dogme si autorisé, si ancien dans l'Église catholique, ne saurait être remis en question.

Les Grecs prétendent que le texte du IIe livre des Machabées et que Matth., XII, 32, ne concernent aucune peine purifiante et qu'il n'y est question que d'une rémission et absolution des péchés. Or il faut, dans tout péché, distinguer la coulpe et la peine; la coulpe une fois remise, reste la peine à expier. La réponse des Grecs ne marque pas assez clairement auquel des deux éléments correspondent la rémission et l'absolution du péché dans l'autre vie. Dans l'autre vie, l'âme n'est plus capable de détestation du péché ni de contrition; donc la rémission ou l'absolution dont parlent les Grecs ne peuvent s'appliquer qu'à la peine, stipulée par l'Écriture. Deut., XXV, 2; II Reg., XII, 13. Ces textes marquent le lien qui rattache la coulpe à la peine. Quand donc on dit que les prières de l'Église obtiennent la rémission du péché, il s'agit non de la coulpe, mais de la peine. Donc, avant de recevoir, en vertu des suffrages des vivants, rémission de leurs péchés, les âmes des défunts étaient sous le coup de certaines peines. Et, entre autres moyens prévus par la justice divine pour l'accomplissement de ces peines, il faut compter le feu corporel et temporaire du purgatoire.

3. En troisième lieu, Turrecremata examine les textes des Pères interprétant I Cor., III, 13-15. Si les Grecs ont une vénération méritée pour Chrysostome, les Latins peuvent dire qu'Augustin ne le cède en rien à Chrysostome. Les IVe, Ve et VIe conciles attachèrent à son autorité le plus grand prix. Grande également est l'autorité de saint Grégoire: les Latins ont de quoi répondre à la vision de Proclus. Le bienheureux Thomas, exégète de saint Paul, fut, peu avant sa mort, favorisé d'une apparition de l'Apôtre, qui le félicita d'avoir bien rendu le sens de ses épîtres et l'invita à le suivre dans la claire vision... Les Pères latins d'ailleurs, comme les Latins eux-mêmes, connaissent la langue grecque et les doctrines des Pères grecs. Mais les Latins auraient-ils consenti à un moindre mal, le purgatoire, pour échapper à un mal plus grand, la négation de l'enfer? Saint Augustin est l'ennemi du mensonge; il ne craint pas de dire que le texte de l'Apôtre relate au feu du purgatoire n'a pas toujours été bien compris. Et il parle en public pour redresser cette erreur. Il n'y a donc pas à craindre qu'il ait voulu dissimuler la vérité par crainte d'un plus grand mal.

L'orateur passe ensuite au sens de I Cor., III, 11-15. Tout d'abord il admet que l'Écriture puisse renfermer des sens multiples. Chrysostome en a exposé un; Augustin, un autre. L'Apôtre parle ici de fondement et d'édifice. Les pécheurs obstinés, les infidèles, n'édifient rien sur le fondement qu'est le Christ. Sur ce fondement on ne peut appuyer qu'un édifice vivant, composé des pierres vivantes que sont les fidèles (cf. 1 Pet., II,5). Cela suppose la foi, la foi conjointe à la charité; ce qui exclut le péché mortel. Les termes mêmes dont se sert l'apôtre excluent l'hypothèse de pécheurs bâtissant ici un édifice: il est question de bois, de paille, de foin, tous matériaux légers, et non de plomb ou de pierres, matériaux qui figureraient mieux les péchés mortels. Telle est la remarque de Grégoire et d'Augustin. Donc, pour édifier sur le fondement qu'est le Christ, il faut avoir au cœur la foi agissant par la charité.

L'Apôtre a-t-il en vue, comme le pensent les Grecs, le jour du jugement dernier? Quand bien même ce serait exact, il ne s'ensuivrait pas qu'il parle de fautes mortelles, ni qu'il exclue l'idée d'une purification temporaire. Les Latins estiment qu'il ne s'agit pas seulement du jugement dernier, mais encore du jugement particulier. Le fleuve de feu dont parle Daniel, VII, 10, doit non seulement entraîner les méchants au supplice éternel, mais purifier les bons qui auraient encore quelque tache à consumer. L'interprétation des Grecs relative au jugement dernier peut donc être acceptée à condition d'être complétée par une autre interprétation relative au jugement particulier. Le mot ?????????, disent les Grecs, signifie conservation, permanence. Peut-être est-il bien osé pour les Latins de les contredire ici? Mais, dans l'Écriture on ne trouve ce mot qu'appliqué au bien et au salut. Dans la même épître, on peut citer l, 18; v, 5; IX, 22. Voir aussi Act., XVI, 30, 31. Si l'Apôtre a employé ici ce mot ?????????, c'est selon sa pensée connue par ailleurs. De plus la préposition ??? marque un passage, non une permanence: si l'interprétation des Grecs était la vraie, il eût fallu dire ??? ???? et non ???? ?????. Le mot ????????????, disent encore les Grecs, ne saurait désigner une purification qui est en somme un bienfait; il ne peut s'appliquer qu'aux impies. Les Latins sont d'un avis différent: cette purification, quel que soit le bienfait qu'elle apporte, est cependant un dommage, peine plus rigoureuse, au sentiment de saint Augustin, que toutes les peines de cette vie. Donc le sens du mot est sauvegardé.

Quant à l'autorité de l'Église romaine, si elle a été mise en avant, c'est que cette Église n'est pas une Église quelconque; elle est instruite par les apôtres Pierre et Paul, fondements et lumières de la foi; elle est tête et maîtresse des autres Églises, ainsi qu'en témoigne saint Maxime dans sa lettre aux Orientaux (P. G., t. XCI, col. 137 D).

Enfin l'argument des Latins tiré de la justice divine est resté sans réponse; en revanche, les Grecs ont accumulé dix arguments contraires. Les Latins pourraient eux-mêmes apporter de multiples raisons opposées, mais l'orateur veut se contenter de répondre aux arguments de Bessarion.

4. Cette réplique forme le quatrième point. En réalité il suffit de lire les arguments des Grecs pour s'apercevoir de leur peu de consistance. Les réponses de Turrecremata aux arguties des Grecs sont elles-mêmes d'un intérêt médiocre. Toutefois la troisième mérite d'être retenue, parce qu'elle envisage l'immortalité des volontés dans l'au-delà:
 Si l'immutabilité de la volonté droite est nécessairement requise dans l'obtention de la béatitude, elle ne suffit pas cependant à elle-même. La poursuite d'une bonne œuvre et surtout l'obtention de la fin dernière requièrent de multiples éléments... Le mal peut surgir de l'un ou l'autre des mille défauts possibles; mais le bien ne peut exister que si toutes les conditions en sont remplies. Donc, il suffit d'un défaut quelconque pour empêcher l'achèvement et l'acquisition du bien. Aussi, bien que pour être digne du châtiment éternel, il suffise à l'âme d'avoir une volonté immobile dans le mal, il ne suffit pas, par contre, pour qu'une âme quittant cette terre, puisse immédiatement entrer en jouissance de la béatitude, qu'elle ait une volonté fixée immuablement dans le bien; il faut de plus qu'elle n'ait plus de faute ou de peine à expier; car, comme on l'a déjà dit, la félicité du ciel n'admet rien de souillé. En outre, si cette immutabilité de la volonté droite en celui qui est prédestiné à la vie éternelle suffisait pour lui faire conférer immédiatement le bonheur, comme l'immobilité de la volonté du damné dans le mal suffit à le plonger dans l'éternelle perdition, que vous servirait de prier pour les défunts, puisque vous dites que cette immutabilité de la volonté dans le bien suffit? ... Hoffmann, op. cit., p. 2 (56).

La réplique est bonne et péremptoire. Mais on voit par là à quel genre d'exercice se sont livrés les deux jouteurs.

5° Précisions apportées par les Grecs (P. O., p. 108-151, 152-168). -Marc d'Éphèse apporta les précisions demandées en deux mémoires.

1. Le premier, de beaucoup le plus étendu, déclare que les Grecs vont exposer simplement leur sentiment propre et discuter de plus près le sentiment qu'on leur oppose.

Ils enseignent donc que les justes n'entrent pas immédiatement en possession de la béatitude promise à leurs œuvres; que les pécheurs ne sont pas livrés immédiatement au supplice éternel qui leur est destiné. Les uns et les autres ne parviendront à ce terme qu'après le jugement dernier et la résurrection universelle. Sans doute ils ont déjà quelque chose de leur destinée future. Les bons sont dans le repos et la liberté, soit dans le ciel, près de Dieu, avec les anges, soit dans le paradis terrestre; ils sont parmi nous, dans les temples où on les honore; ils entendent nos prières, prient pour nous, se font nos intercesseurs, opèrent des miracles par leurs reliques, jouissent de la vue bienheureuse de Dieu et du resplendissement de sa gloire, plus parfaitement qu'en cette vie. Les méchants sont enfermés dans l'enfer, plongés dans les ténèbres, dans l'ombre de la mort, dans le lac profond (cf. ps. LXXXVII, 7), dans la terre ténébreuse et obscure, sans lumière, sans spectacle de la vie. Cf. Job, X, 22. Si les premiers sont comblés de joie, les seconds sont dans une tristesse inconsolable. Cependant les premiers n'ont pas encore le véritable héritage céleste; les seconds ne sont pas encore livrés aux tortures éternelles et dévorés par le feu. A l'appui de cette doctrine, Marc d'Éphèse cite plusieurs Pères, le pseudo-Athanase, Quæstiones ad Antiochenum ducem, q. XX, XXI, P. G., t. XXVIII, col. 609; saint Grégoire le Théologien, Orat., VII, In laudem Cæsarii fratris, n. 21; XVI, In patrem tacentem propter plagam grandinis, n. 9, P. G., t. XXXV, col. 781-784; 945 C; XL, In sanctum baptisma, n. 45, t. XXXVI, col. 425 C; saint Jean Chrysostome, Ad populum Antiochenum, hom. VI, n. 3; Adv. Judæos, homo VI, n.1, P. G., t. XLIX, col. 85; t. XLVIII, col. 904, 905. Les visions et révélations sur les châtiments d'outre-tombe, attribuées à de saints personnages, ne sont donc que de simples représentations figurées des réalités à venir, non la description des réalités présentes.

Par là est exclue l'hypothèse du feu purificateur temporaire. Déjà saint Pierre montrait les impies attendant la sentence définitive, II Pet. II, 4; il parlait de captivité. Les Grecs parlent de châtiments déjà commencés: honte, remords ou peines semblables; mais il ne faut pas leur demander d'admettre qu'un feu matériel agit sur les âmes spirituelles. Tout au plus pourraient-ils admettre ces expressions en un sens allégorique.

L'Église, selon la coutume d'origine apostolique, offre le saint sacrifice et d'autres prières pour tous les défunts sans distinction. Aux damnés, à défaut de la délivrance, est procuré un léger soulagement. Maints exemples historiques attestent cette vérité (l'orateur rappelle le texte de saint Basile dans ??????????? ??? ????, voir col. 1253; le fait de Falconille et de Trajan). Et toutefois l'Église ne prie pas publiquement pour de telles âmes; elle se contente de prier pour tous les fidèles trépassés, si grands pécheurs qu'ils soient. On peut citer sur ce point non seulement saint Basile, mais saint Jean Chrysostome, In Joannem, hom. LXII, n. 5, P. G., t. LIX, col. 348; In I Cor., hom. XLI, n.4, P. G., t. LXI, col. 361; In Matth., hom. XXXI, n. 4, P. G., t. LVII, col. 375; In Mac., dans le pseudo-Damascène, De iis qui in fide dormierunt, n. 3, P. G., t. XCV, col. 249 B. Si les prières de l'Église peuvent obtenir un adoucissement aux âmes destinées à l'enfer, combien plus l'obtiendront-elles pour les âmes de la catégorie moyenne! Ces dernières pourront, grâce aux prières de l'Église, être réunies à Dieu. Quant aux âmes justes et saintes, elles recueillent, elles aussi, un véritable bénéfice de ces prières puisqu'elles n'ont pas encore touché au terme. Cf. pseudo-Denys, Eccl. hier., VII, 7, P. G., t. III, col. 561 D-564 A. Aucune raison donc de restreindre l'efficacité des prières et des saints sacrifices à une seule catégorie d'âmes, celles du purgatoire.

Les Latins ont cru pouvoir en appeler à l'autorité de saint Basile, qui prie Dieu d'introduire les âmes dans un lieu de rafraîchissement. Mais cela ne signifie nullement que ces âmes soient dans le feu du purgatoire. Quant à l'autorité de saint Grégoire de Nysse, il faut bien se résigner à reconnaître que ce Père a erré sur ce point. Qu'on montre où il a parlé du feu éternel! D'ailleurs, il place le feu purificateur des pécheurs au jugement dernier. Quoi de commun entre ce feu et celui du purgatoire des Latins?

Les Grecs ont cité largement Grégoire (de Nysse), pour ne pas être accusés de le calomnier comme origéniste. Grégoire, pour les Grecs comme pour les Latins, est un docteur; mais il est malaisé d'expliquer comment il a pu professer cette doctrine du purgatoire sans encourir la condamnation du Ve concile œcuménique. Qu'on lise l'apologie écrite par saint Maxime pour la doctrine de l'apocatastase telle que l'a présentée Grégoire: tout y rappelle l'origénisme. Comment enfin présenter la doctrine du purgatoire comme une doctrine ancienne dans l'Église et tenant le milieu entre deux erreurs, alors que les docteurs les plus nombreux et les plus illustres ont cru devoir expliquer au sens allégorique le feu éternel et les châtiments sans fin? Comment les peines qui précèdent le jugement pourraient-elles être par un feu matériel?

Les textes de saint Matthieu et des Machabées ne prouvent pas la doctrine de la purification ou du châtiment dans l'autre vie, mais celle de la rémission des péchés. Et puis que signifie cette distinction entre la coulpe et la peine? Cette distinction parait aux Grecs contraire aux faits les plus certains: quand les princes pardonnent une offense, les voit-on en poursuivre le châtiment? Le publicain retourne chez lui non seulement absous, mais justifié, Luc., XVIII, 14; Manassé, après s'être humilié, est délivré de ses fers et rétabli sur son trône. II Par., XXXIII, 13; les Ninivites, grâce à leur pénitence, sont soustraits aux coups qui les menaçaient, Jon., 111,5; le paralytique reçoit, avec le pardon de ses péchés, le redressement de son corps. Matth., IX, 6. L'exemple allégué de David n'est pas concluant, car il eut de la même femme un autre fils qui fut le grand Salomon. Donc on ne peut poser en principe qu'après le pardon de l'offense il reste encore à subir une peine; pour démentir un tel principe, l'exemple du baptême suffirait: avec le pardon des péchés, le baptisé ne reçoit-il pas remise de toute sa peine?

En ce qui concerne I Cor., III, 11-15, dont dépend pour ainsi dire tout l'enseignement des Latins, des divergences se sont produites entre docteurs sur ce texte comme sur beaucoup d'autres. Cependant l'interprétation de saint Jean Chrysostome doit être préférée, car il s'est attaché à reproduire la pensée de l'Apôtre. Marc d'Éphèse en appelle à Job, XVI, 19, pour justifier le sens de «conservation» attaché à ????????? par Chrysostome. Et sa conclusion est nette: il faut s'attacher à l'exégèse de Chrysostome si l'on ne veut pas s'écarter de la vérité.

2. Le dernier mémoire de Marc apporte les derniers éclaircissements demandés par les Latins. Ces éclaircissements concernent quatorze points. Les questions précises des Latins ont amené Marc à des précisions nouvelles, qui donnent un prix spécial à ce dernier document.
 a) En quel sens les Grecs disent-ils que les âmes des saints ne sont pas encore en possession de la béatitude? Le sort des âmes destinées à la béatitude demeure, jusqu'au dernier jugement, provisoire et imparfait, soit que Dieu ait décidé de ne récompenser les âmes qu'en compagnie de leurs corps, soit qu'il veuille différer la récompense commune jusqu'au moment de la réunion complète du corps des élus.
 b) Qu'entendent les Grecs lorsqu'ils disent que les saints sont au ciel avec les anges près de Dieu? C'est le mode spécial de présence des esprits, tel que l'ont exposé saint Jean Damascène, saint Grégoire de Nazianze, Denys l'Aréopagite.
 c) La vision bienheureuse dont jouissent les saints dès maintenant est-elle la vision ??? ??????? dont parle l'Apôtre? Les saints voient-ils Dieu par essence? Aucune créature ne peut voir Dieu par essence; la vision qui est le partage des saints,est la vision ??? ???????, mais non la vision face à face (???????? ????? ?????????) qui est réservée pour le séjour de la gloire.
 d) Qu'est ce que le rayonnement de Dieu dont les saints jouissent déjà au ciel? Marc répond ici par quelques phrases de Jean Climaque.
 e) Que doit-on entendre par le royaume de Dieu et parles biens ineffables dont les saints n'ont pas encore la jouissance? Marc se réfère simplement à saint Maxime.
 f) Où sont les âmes de ceux qui moururent dans le péché mortel? Elles sont dans les enfers, torturées par l'attente et la crainte de leur triste sort.
 g) Comment les âmes des saints jouissent-elles d'une joie parfaite, sans avoir encore part aux biens ineffables? Elles jouissent par avance d'une félicité bienheureuse, dans l'espérance des biens promis.
 h) La privation de la vision divine est-elle pour les damnés une peine plus grande que le feu éternel? Sans aucun doute, cette privation étant le plus dur tourment des âmes déchues de toute espérance.
 i) Quelles peines les âmes de la catégorie moyenne endurent-elles? Les souffrent-elles tour à tour? C'est la question proprement dite du purgatoire, la question des âmes «moyennes», destinées à voir Dieu après une expiation temporaire. Marc répond que les peines endurées par ces âmes sont diverses et inégales, comme les fautes qui les leur ont méritées.
 j) Qu'est-ce que les Grecs entendent par «l'incertitude de l'avenir»? C'est l'ignorance où demeurent ces âmes quant au temps où, leur expiation étant consommée, elles se verront réunies au chœur des élus.
 k) Qu'est-ce que la honte de la conscience? Toute faute inexpiée engendre une certaine honte. Quelquefois, la pénitence est assez complète pour effacer entièrement le péché; mais il n'en est pas toujours ainsi, l'âme qui n'a pas suffisamment fait pénitence doit traverser une période de châtiment; ainsi en est-il pour beaucoup de fautes quotidiennes qui échappent à notre fragilité. On ne songe guère à en faire pénitence. Mais la miséricorde divine peut en faire remise au pécheur, et les prières de l'Église peuvent acquitter sa dette.
 l) Que faut-il penser du soulagement des damnés par la prière des vivants? La prière des vivants peut obtenir aux damnés quelque adoucissement avant le jugement général.
 m) Quelles sont les fautes petites et légères, qui affectent les âmes de la catégorie moyenne? Sur ce point, les Grecs ont un sentiment différent des Latins. Ils ne reconnaissent pas les fautes vénielles; ils n'admettent pas que les péchés soient remis par la charité. La rémission des péchés est due à la pénitence: si la pénitence est parfaite, rien ne manque à l'expiation du péché; si la pénitence est imparfaite, le péché, dans la mesure où il n'est pas encore remis, devra être expié outre-tombe. Pas de distinction entre la coulpe et la peine.
 n) Pourquoi les prêtres grecs imposent-ils une pénitence en absolvant les pécheurs? De cette pratique, Marc apporte cinq raisons et laisse entendre qu'il peut en exister d'autres: toutes raisons d'opportunité, dont la plus admissible est le caractère médicinal des satisfactions sacramentelles. A l'article de la mort on absout et on communie le moribond, en comptant que Dieu suppléera à ce qui lui manque.

6° Définition du concile. -Telles sont les pièces du procès, du moins celles qui sont aujourd'hui connues. La discussion se prolongea un mois et demi encore; cf. Mansi, Concil., t. XXXI a, col. 485-493. L'empereur, pressé d'aboutir, intervint de sa personne et présida un débat public les 16 et 17 juillet 1439. Les Grecs en voulaient particulièrement au feu du purgatoire; les Latins cédèrent sur ce point, qui d'ailleurs ne se présentait pas (nous l'avons constaté au cours de notre enquête) garanti par une tradition ferme. L'accord se fit en fin de compte sur la formule suivante, qui à quelques mots près reproduit la profession de foi du concile de Lyon. Nous juxtaposons les deux textes:

 IIe CONCILE DE LYON CONCILE DE FLORENCE
Si vere pænitentes in caritate decesserint, antequam dignis pænitentiæ fructibus de commissis satisfecerint et omissis; eorum animas pœnis purgatoriis [seu catharteriis, sicut nobis frater Joannes explanavit] post mortem purgari: et ad pœnas hujusmodi relevandas prodesse eis fidelium vivorum suffragia, missarum scilicet sacrificia, orationes et eleemosynas et alia pietatis officia, quæ a fidelibus pro aliis fidelibus fieri consueverunt secundum Ecclesiæ instituta.  Si vere pænitentes in Dei caritate decesserint, antequam dignis pænitentiæ fructibus de commis sis satisfecerint et omissis, eorum animas pœnis purgatoriis post mortem purgari; et ut a pœnis hujusmodi releventur, prodesse eis fidelium vivorum  suffragia, missarum scilicet sacrificia, orationes et eleemosynæ, et alia pietatis  officia, quæ a fidelibus pro aliis fidelibus fieri consueverunt secundum Ecclesiæ instituta.
Illorum autem animas, qui post sacrum baptisma nullam omnino peccati maculam incurrerunt, illas etiam, quæ post contractam peccati maculam, vel in suis [manentes] corporibus, vel eisdem exutæ, prout superius dictum est, sunt purgatæ, mox in cælum recipi. Illorumque animas, qui post baptisma susceptum  nullam omnino peccati maculam incurrerunt, illas etiam quæ post contractam peccati maculam, vel in suis corporibus, vel eisdem exutæ corporibus, prout superius dictum est, sunt purgatæ, in cælum mox recipi et intueri clare ipsum Deum trinum et unum, sicuti est, pro meritorum tamen diversitate alium alio perfectius.
Illorum autem animas, qui in mortali peccato vel cum solo originali decedunt, mox in infernum descendere, pœnis tamen disparibus puniendas. Illorum autem animas, qui in actuali mortali peccato vel solo originali decedunt, mox  in infernum descendere, pœnis tamen disparibus puniendas.

À la profession de foi de Michel Paléologue, que les Grecs pouvaient difficilement rejeter, le concile de Florence, s'inspirant de la définition de Benoît XII et pour éliminer les tendances palamites de Marc d'Éphèse, ajoute simplement que les âmes justes, une fois entièrement purifiées, sont reçues immédiatement dans le ciel, pour y voir Dieu clairement, dans son unité et dans sa trinité, tel qu'il est, l'un plus parfaitement que l'autre selon la diversité de leurs mérites.

Deux points d'une importance capitale paraissent avoir été acquis. Les Latins semblent avoir découvert que les Grecs n'ont aucune objection de principe contre la prière pour les morts. Les Grecs constatent que l'origénisme n'existe pas en Occident, comme ils se l'étaient imaginé avec le feu du purgatoire.

Le terrain ainsi déblayé, les divisions n'étaient pas toutes supprimées. On les réduisit au minimum et, pour que l'union fût réalisable, on fit silence sur les questions secondaires où chaque Église avait son enseignement particulier. La nature des peines d'outre-tombe revêt des caractères fort différents selon qu'on la considère dans la doctrine ferme des Occidentaux touchant les rétributions immédiates après la mort, ou qu'on l'envisage dans l'eschatologie fuyante et compliquée des Orientaux. Le vice le plus profond du système exposé par Marc d'Éphèse est peut-être la confusion établie entre la coulpe et la peine. Outre que cette conception semble réduire la pénitence des péchés à une vulgaire liquidation de compte avec Dieu, on se demande ce que peut bien être, pour le péché mortel, cette rémission qui ne remet qu'à moitié et qui laisse l'âme rentrée en grâce avec Dieu à moitié captive du mal; pour le péché véniel, cette tare qui suit dans l'autre vie une âme qui cependant quitte ce monde avec la charité parfaite. Marc d'Éphèse a fait des prodiges de subtilité pour soutenir la thèse d'une satisfaction sacramentelle qui n'en est pas une.

On laissa tomber toutes ces divergences, et, ayant nettement séparé la cause du feu du purgatoire de celle du purgatoire lui-même, l'accord se fit sans peine. La doctrine du purgatoire est un dogme de l'Église; la doctrine dû feu demeure, après les discussions de Ferrare, ce qu'elle était auparavant: une croyance respectable, mais avec ce caractère nouveau que lui confère le concile de Florence, c'est que proposée à la sanction du magistère, celui-ci s'est refusé à la consacrer. (1264)

VI / La controverse protestante et le concile de Trente (1264)
 
 
 

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