Auteur : Ratramne de
Corbie (800-868)
Réponse en Quatre Livres aux Diffamations des Grecs Schismatiques
contre l’Eglise Romaine
Ratramnus Corbeiensis,
Titre original latin : Contra
Graecorum Opposita Romanam
Ecclesiam Infamantium Libri Quatuor,
Migne, Patrologie Latine,
tome 121, colonnes 0223 - 0346B
Traduction originale par JesusMarie.com, placée sous le
régime juridique du copyleft avec obligation de mentionner JesusMarie.com comme
traducteur originel, 10 octobre 2016.
LIVRE PREMIER
CHAPITRE
PREMIER
Les accusations que Michel, Basile et les empereurs Grecs portent
contre l’Église Romaine sont, nous le savons,
des faussetés, des hérésies, des superstitions, des impiétés. C’est pourquoi on devrait avec raison les
livrer au mépris. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’elles ont tout ce
qu’il faut pour apporter le scandale de la scission aux simples et aux
illettrés. D’autant plus que le Saint
Esprit lui-même nous incite à répondre quand il dit : réponds
au sot selon sa sottise, de peur qu’il ne se croie savant. (Prov. XXV1, 5)
Quand ils disent que nous composons le
saint chrême avec de l’eau; et qu’au saint jour de Pâque, nous déposons sur l’autel un agneau qui doit
être consacré avec le corps du Seigneur, à la manière des Juifs, ne mentent-ils pas ? Ne les
trouble donc pas cette parole du psalmiste qui parle au nom du
Saint-Esprit : Tu perdras tous ceux qui profèrent le mensonge ? (Ps V, 7) Ni non
plus cette menace du Saint-Esprit :
Le faux témoin ne sera pas impuni.
(Prov. V, 9)
Ils essaient de trouver en faute non
seulement l’église romaine, mais toute
l’église latine, parce que nous professons que le Saint-Esprit procède du Père
et du Fils. En maintenant qu’il ne
procède que du Père, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes au péché d’hérésie
? Ne se retirent-ils pas de la communion
de l’Église, et ne blasphèment-ils pas contre le Saint-Esprit, péché que le Sauveur déclare
irrémissible. S’ils pouvaient du moins
démontrer que leurs anciens docteurs catholiques s’y sont opposés ! Car, quand ils disaient que l’Esprit Saint
procède du Père, ils ne niaient pas
qu’il procède du Fils. S’ils voulaient
donc imiter leurs ancêtres, ils professeraient la procession du Père et du fils comme leurs ancêtres l’ont professée. Nourris des saintes Écritures, ils ont parfaitement
compris que le Saint Esprit procède de l’un et de l’autre. Mais nous développerons cela plus tard.
CHAPITRE DEUXIEME
DES
OBJECTIONS DES GRECS.
QUEL EST LE ROLE DES
EMPEREURS
Ils nous accusent de jeûner le
sabbat, et de ne pas observer la même
règle qu’eux dans le jeûne pascal. Qui
ne voit avec quelle légèreté ces gens
présomptueux lancent à tout venant des
accusations ! Ils font des reproches à
ceux qui jeûnent, mais n’ont pas un mot
de blâme pour ceux qui ne jeûnent
pas. Le jeûne est bon ou il est mauvais.
S’il est bon, pourquoi le condamner ?
S’il est mauvais, pourquoi font-ils ce qu’ils reprochent aux autres
? La cause ne sera donc pas jugée au
mérite, mais en faisant acception des
personnes ? Seuls ceux qui souffrent
d’un complexe de supériorité ou qui sont
aveuglés par des préventions peuvent
juger que le jeûne pratiqué par les latins est douteux, et qu’est vénérable
celui que pratiquent les Grecs.
Qui peut
supporter qu’ils se plaisent à blâmer ceux qui s’imposent la continence, ceux
qui renoncent à partager leur couche avec des femmes, poursuivant la sainteté du corps et de l’âme
? Ces choses ne sont-elles pas portées
aux nues par tous les mortels, surtout en ce qui a trait aux ministres du saint autel, dont c’est le
devoir de toujours présider aux cérémonies sacrées, de rendre toujours
l’hommage de la divine servitude, de rendre
à tous les jours, par leurs prières, la majesté divine propice aux peuples qui leur ont été confiés. Parce que nos prêtres, à la suite de leurs
ancêtres, ne négligent pas de se
comporter ainsi, ils les accusent de
condamner le mariage. Sur quoi
retombent ces accusations, si ce n’est sur la religion ? Que s’efforcent-ils de détruire d’autre que
la sainteté, sans laquelle personne ne peut plaire à Dieu.
Qui ne voit pas le ridicule qu’il y a à
tancer ceux qui se rasent la barbe; ou à
reprocher aux prêtres de ne pas oindre avec le saint chrême le front de ceux
qu’ils baptisent, mais de laisser ce privilège aux évêques ? Ce n’est pas en se rasant la barbe ou en la
conservant qu’on enfreint les préceptes divins.
Si les prêtres n’oignent pas du saint chrême les fronts de ceux qu’ils
baptisent, ils ne communiquent donc pas la grâce du baptême, en faisant la
triple aspersion au nom de la très
sainte trinité ? Ce jugement relève plus
de la superstition que d’une considération religieuse quelconque.
Y a-t-il lieu de s’étonner que ces
calomnies procèdent d’hommes versés dans la sainte loi, mais qui se sentent
forts de l’appui de la puissance séculière, et qui mettent leur confiance dans
le faste de l’empire ? Ce sont les
évêques, non les empereurs, qui ont été mandatés pour se prononcer sur les
dogmes sacrés et le rite ecclésiastique.
Car bien que les empereurs aient
la prééminence en vertu de leur dignité impériale, la chose publique seule leur a été confiée,
non le ministère épiscopal. Ils doivent
légiférer sur les choses séculières; les
évêques doivent définir les dogmes divins.
Que les empereurs se le tiennent
pour dit ! Qu’ils se contentent de ce
qui est de leur ressort; et qu’ils
n’usurpent pas la charge épiscopale
! Autrement, il pourrait leur arriver ce qui est arrivé au roi Osias quand il a
présumé exercer le ministère épiscopal : après avoir été frappé de la
lèpre, il a été interdit de communion et d’entrée du temple.
S’ils
sont vraiment des fils de l’Église et s’ils sont soucieux de l’unité de
l’église, pourquoi donc ces docteurs
récents, ou soit disant tels,
essaient-ils de criminaliser de nos jours ce que leurs prédécesseurs ont
toujours estimé vénérable ? Il n’est
question aujourd’hui d’aucun nouveau
culte de l’église romaine, d’aucune nouvelle religion, d’aucune nouvelle
doctrine, d’aucune nouvelle institution.
Ce que nos ancêtres ont tenu, ce qu’ils ont enseigné, ce qu’ils ont légué à leur postérité comme
devant être conservé, c’est ce que nous
tenons, que nous conservons, sans y rien
ajouter, sans y rien enlever. C’est des
apôtres qu’ils l’avaient reçu, et les apôtres,
du Christ. L’église, orientale
aussi bien qu’occidentale, est toujours
demeurée dans la même foi. Car les
apôtres ont connu eux aussi cet enseignement de saint Paul qu’il n’y a qu’une seule foi, un seul baptême. Et bien qu’ont souvent surgi des hérésies
qui, comme de mauvais poissons, déchiraient les filets, la tunique sans couture du Christ est
demeurée intacte. Les institutions des
anciens, établies dans différents lieux,
même si elles n’étaient pas toutes semblables dans toutes les églises, n’ont en aucune façon scindé l’unité de la foi. Car c’est une chose de différer de
coutumes, et c’en est une autre de se
maintenir ensemble dans l’unité de la foi.
Mais de cela plus tard.
Venons-en maintenant à notre propos, et
discutons de chacune des choses que nous a données la grâce du Saint Esprit,
sans suivre aucun plan. Parlons d’abord
de l’Esprit Saint d’après ce qu’il nous a enseigné de lui. Car c’est cela qui importe en premier lieu,
et c’est ce qui est le fondement authentique
de la foi catholique. Nous
baserons notre démonstration sur le fait que nous pensons et que nous croyons
comme nos pères ont cru et professé. Si
quelqu’un préfère contester la doctrine des apôtres, il faut de toute évidence qu’il remette en
question le magistère du Christ, et
réfute les oracles des prophètes.
CHAPITRE TROISIEME
Vous nous reprochez de dire que
l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, alors que vous prétendez qu’il ne
procède que du Père. Lisons l’évangile,
et tirons-en notre réponse. Voici ce
qu’a dit le Sauveur, la nuit où il fut livré, dans le discours que, selon Jean,
il a adressé à ses apôtres : Quand
viendra le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de
vérité, qui procède du Père, il rendra
témoignage de moi. (Jn 1V, 26) Vous
lisez qui procède du Père, et vous ne voulez pas entendre le Fils qui
dit : que je vous enverrai. Expliquez-nous
donc comment il est envoyé par le Fils ?
Car vous ne pouvez pas nier qu’il les a prononcés ces mots, si vous lisez seulement l’Évangile, ou si vous avez foi en l’Évangile. Ou vous voyez dans cette mission une
procession, ou, ce qui est impie, le
service d’un subordonné. Et vous serez,
que Dieu vous en détourne, semblables à à Arius qui enseignait, en un dogme
pervers, que l’Esprit Saint est
inférieur au Fils. Puissiez-vous ne
jamais vous ranger du côté d’Arius;
puissiez-vous ne jamais déclarer que l’Esprit Saint est inférieur au
Père et au Fils.
Quand le Fils dit qu’il enverra l’Esprit de
vérité qui procède du Père, il est tout de suite évident qu’en affirmant qu’il
l’envoie, il déclare qu’il procède de lui.
Quelqu’un déplorera-t-il peut-être qu’il n’ait pas dit
seulement : que je vous enverrai, mais
qu’il ait ajouté de la part du Père ? Les Ariens ont été les
premiers à soulever cette difficulté, eux qui cherchaient à mettre des degrés
dans la Trinité. Mais la vérité de
l’évangile montre l’unité consubstantielle de toute la Trinité. L’Esprit Saint procède du Père, en émanant
de la substance divine. Et le Fils
envoie l’Esprit de vérité de la part du Père,
parce que l’Esprit Saint est né du Père en tant que procédant du
Fils. Et comme le Fils a reçu du Père la
substance en naissant, il a reçu en même temps du Père qu’il envoie l’esprit de vérité comme
procédant de lui. En d’autres mots, quand il dit qui procède du Père, il ne
nie pas qu’il procède de lui, parce que
la mission du Fils est la procession du Saint Esprit. Le Fils envoie l’Esprit de vérité non comme
un supérieur qui commande à un
inférieur. Le mot mission démontre donc
que l’Esprit saint procède du Fils comme il procède du Père.
Il précise ensuite : Il me
glorifiera, car il recevra de moi, et vous l’annoncera. (Jn XV1, 14) Que peut bien recevoir l’Esprit Saint du
Fils, puisqu’ils possèdent en commun la
même substance et la même puissance ? Ce
qui ne l’empêche pas de dire : il
recevra de moi. Il ne peut donc
vouloir dire que : il procède de
moi, car, comme le Père et le Fils
sont d’une seule substance, l’Esprit Saint, en procédant de l’un et de l’autre,
reçoit l’existence de la consubstantialité.
Il ne faut pas se laisser troubler par la forme future du mot
recevoir. Il s’agit ici de l’Esprit
Saint qu’il devait envoyer à ses apôtres plus tard. Non de l’Esprit Saint qui
procède du Père et du Fils. C’est en
dehors du temps qu’il procède du Père et du Fils, car le Père, le Fils et le
Saint Esprit sont trois personnes distinctes,
mais d’une seule et même substance.
Il continue : Tout ce
que le Père a est à moi, c’est pour cela que je vous ai dit qu’il recevra de
moi, et qu’il vous annoncera. (ibid 15)
Si tout ce qu’a le Père le Fils l’a aussi, comme l’Esprit Saint est l’Esprit du
Père, il l’est aussi du Fils. Oui, si l’Esprit saint est l’esprit du Père,
il l’est forcément aussi du Fils, car
s’il est du Père sans être du Fils, le Fils n’a pas tout ce qu’a le Père. Mais comme le Fils a tout ce qu’a le Père,
comme l’Esprit Saint est l’Esprit du Père, il l’est aussi du Fils. Mais cette possession d’habitation ne la
voyons par comme une diminution ou une addition. Elle ne fait que confirmer que l’Esprit
saint procède du Fils comme il procède du Père.
Un peu plus loin, le Christ ajoute : Quand
viendra l’Esprit de Vérité. Il avait
dit d’abord : Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père,
l’Esprit de vérité. La Vérité c’est
le Sauveur, comme il l’atteste lui-même à Philippe : Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. (Jean XV, 6) Si donc la Vérité est le Sauveur, et si le
Sauveur est le Fils du Père, dire Esprit de Vérité est-ce dire autre chose
que Esprit du Fils ? On apprend
que l’Esprit est du Père par le fait qu’il procède du Père. De la même façon, on apprend que l’Esprit
est du Fils quand le Sauveur atteste qu’il est l’Esprit de la Vérité. Si tu demandes pourquoi il est l’Esprit de
la Vérité, demande-toi pourquoi il est
l’Esprit du Père. Car comme il est
l’Esprit du Père parce qu’il procède de lui,
il est l’Esprit du Fils parce qu’il procède du Fils qui est la
Vérité. Tout cela ne réfère pas à une
sujétion, à une subordination, mais à la possession d’une seule et même
substance. Le Père et le Fils étant
d’une seule et même substance, le Saint Esprit peut donc procéder des
deux. Ne t’imagine pas que le fait de
procéder du Père et du Fils lui donne deux pères. L’Esprit Saint n’est pas
un fils, et celui qui n’est pas un fils ne peut pas avoir de père.
On dit aussi que le Saint Esprit est la
charité. C’est pourquoi saint Jean peut
dire : Dieu est charité. (1 Jn 1V, 16))
Pour recommander cette charité il écrit aux fidèles : Quant à vous, que demeure en vous l’onction que
vous avez reçue de lui. Et il ne sera
pas nécessaire que quelqu’un vous enseigne, car son onction vous enseignera
toutes choses. (l Jn 11, 27) Le
Sauveur a dit quelque chose de semblable :
Quand viendra l’Esprit de vérité
il vous enseignera la vérité entière. (Jn XV1, 16) Que tu dises : Dieu est charité, ou que tu dises : son
onction vous enseignera toute chose, ou
que tu dises : l’Esprit de vérité qui enseigne la vérité
entière, tu parles du Saint
Esprit. Il est la charité du Père par
laquelle le Père nous aime; il est la charité du Fils par laquelle le
Fils nous a rachetés. Mais pas une
charité différente pour autant, du fait qu’on l’appelle la charité du Père et
du Fils. La charité par laquelle le
Père aime le Fils est la même que la charité par laquelle le Fils aime le
Père. Car si le Saint Esprit est la
charité du Père il est aussi la charité du Fils. La charité du Père procède du Père pour
qu’il aime le Fils; la charité du Fils procède du Fils pour qu’il aime le
Père. L’Esprit Saint est donc la charité
de l’un et de l’autre parce que l’Esprit
de l’un et de l’autre procède de l’un et de l’autre.
Le Christ s’écrie : Si
quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive ! (Jn V11, 37) Celui qui croit en moi, comme le dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive
sortiront de son ventre. Et l’évangéliste
ajoute : Il disait cela au sujet du Saint Esprit qu’allaient recevoir ceux qui
croiraient en lui. (Jn V11, 39) Les fleuves d’eau vive, selon que le
rapporte saint Jean, signifient l’inondation du Saint Esprit qui irriguera les
croyants, d’après l’enseignement même du Sauveur. Ces fleuves d’où proviennent-ils ? Ils
émanent de la foi dans le Christ. Et
d’où vient la foi ? De la doctrine du
Christ. En conséquence, comme la doctrine du Christ est du
Christ, comme la foi dans sa doctrine
vient du Christ, de la même façon, le
Saint Esprit représenté par les fleuves d’eau vive procède du Christ. Car le
Christ est l’homme parfait et le Dieu
parfait. En tant que Dieu parfait, il
infuse gratuitement l’Esprit saint dans ceux qui croient en lui. Ces fleuves inondent les cœurs des fidèles,
comme des fontaines de vie éternelle.
Il a dit à la samaritaine : Qui
boit de cette eau aura encore soif.
Mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai ne sera pas assoiffé
éternellement. Car cette eau que je lui
donnerai deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle. (Jn 1V, 13) Ce qu’ailleurs il avait nommé fleuves d’eau vive il l’appelle ici fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle. Il voulait, dans les deux cas, parler du Saint Esprit. Il enseigne clairement que ce serait lui qui
le donnerait cet Esprit quand il
dit : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d’eau. Celui qui donne, donne de lui-même. Il donne la fontaine d’eau jaillissant en vie
éternelle, c’est-à-dire il prodigue avec abondance l’Esprit Saint à ceux qui
croient en Lui. Il démontre que
l’Esprit Saint procède de lui quand il affirme que c’est lui qui le donnera aux
croyants.
Après sa résurrection, après la salutation de paix, il
souffla sur les disciples réunis au
cénacle, en leur disant : Recevez l’Esprit saint. (Jn XX, 22) Que signifie l’insufflation si ce n’est la
procession du Saint Esprit ? Non ce
souffle corporel provenant de l’air, et,
grâce à l’action des poumons, émis par
l‘organe de la bouche, mais la substance
du Saint Esprit. En toute vérité, il a voulu nous enseigner par ces mots que
l’Esprit Saint procède de lui, et que la substance du Saint Esprit émane de la
substance du Fils. Quand le Père a voulu
nous montrer que la nativité du Fils provenait de sa substance, et que, pour
cette raison, le Fils lui était consubstantiel,
il a dit dans un psaume à son sujet : Du sein
avant Lucifer je t’ai engendré. (Ps,
C1X, 3) Non que le Père aurait eu un sein ou un utérus dans lequel il aurait
engendré le Fils avant tous les siècles.
Ce qu’il attestait c’est qu’il avait engendré le Fils de sa nature
propre, de sa substance, non du néant ou
de la substance d’une autre chose. De
la même façon, en insufflant l’Esprit
saint aux apôtres, en ayant l’intention de le leur donner par cette
insufflation, le Fils montre que
l’Esprit Saint procède de sa substance à
lui.
Parlant du sacrement de son corps et de
son sang, il dit aux
disciples : Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie. (Jn V1, 64) D’où procèdent les paroles si ce n’est du
plus intime de l’esprit. Donc les
paroles que le Christ prononce sont esprit et vie parce que l’Esprit, qui
procède du cœur du Christ, est vie. Non
que dans la divinité il y ait un cœur et des particules de chair. Non.
Par cette façon de parler, il a
voulu montrer le sacrement (mystère) d’une substance intérieure de laquelle il
dit que procède l’Esprit Saint parce qu’il est la vie. L’Esprit saint procède donc du Fils, et est
une seule et même substance avec le Fils.
CHAPITRE
QUATRIEME
Voici ce que l’on lit dans l’Évangile
de Luc : Et le Christ est sorti en Galilée dans la vertu de l’Esprit. (Luc
1V, 14) On lit du Sauveur qu’il est
la vertu
du Père. Et maintenant, l’Esprit Saint est appelé vertu. Le Christ est-il une
vertu différente de celle du Saint Esprit ?
Absolument pas. Mais on appelle
l’un et l’autre vertu pour démontrer l’unique substance de l’un et de
l’autre. Pourquoi a-t-il dit dans la
vertu de l’Esprit ? Voulait-il
montrer par là que la vertu de l’Esprit saint est plus que grande que la vertu
du Christ ? Pas du tout. Pourquoi donc a-t-il dit dans la vertu de l’Esprit ? Ne
voulait-il pas montrer une vertu qui n’était pas étrangère au Christ, qui n’était pas concédée d’ailleurs, mais qui
lui était propre ? Une vertu qui tout en
étant du Saint Esprit est en même temps du Christ, comme dans une seule nature,
et non dans une essence différente. Et
demeurant en même temps dans chacun, l’un procède de l’autre : l’Esprit saint du Fils, et l’un et l’autre du
Père. Mais le Fils en naissant, l’Esprit Saint en procédant. Non pas que l’Esprit procède du Père et du
Fils un peu plus tard, car c’est sans intervalle de temps que l’Esprit procède
du Père et du Fils.
Le bienheureux Paul écrit aux
Galates : Parce que vous êtes fils de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils
qui crie dans vos cœurs : Abba, père. (Gal 1V, 6)
Il n’a pas dit : Dieu a
envoyé son Esprit. Même s’il l’avait
dit, il n’aurait pas exclu le Fils, car le Fils est Dieu comme le Père est
Dieu, les deux ensemble ne formant pas deux dieux, mais un seul Dieu. Car ce que la personne sépare, la substance le réunit. Voulant éviter toute équivoque, il parle
nommément de la personne du Fils quand
il dit que Dieu a envoyé l’Esprit du Fils dans nos cœurs. L’Esprit du Fils est-il différent de celui du
Père ? Si l’Esprit saint est l’esprit
des deux, il procède donc de l’un et de
l’autre. On ne l’appelle pas ici l’esprit du Fils pour laisser entendre qu’il est inférieur au
Fils. Celui qui le croit ou le dit
n’est pas catholique. On ne peut donc
pas trouver d’autre raison pour laquelle il est appelé l’esprit du Fils que
parce qu’il procède du Fils.
Dans sa lettre aux Philippiens, il dit entre autres : Je sais
que tout cela a tourné à mon avantage à cause de vos prières et par l’opération
de l’Esprit de Jésus Christ. (Phil 1, 19)
Jésus-Christ : Dieu et
homme. L’Apôtre parlait-il d’un esprit
humain quand il a dit ces choses ? Car,
sur la croix, le Christ Jésus a remis
son esprit, au témoignage de l’évangéliste : Et
ayant penché la tête, il remit son esprit. (Jn X1X, 50) Il avait d’ailleurs dit lui-même : J’ai le
pouvoir de déposer mon âme et celui de la reprendre. (Jn X, 18)
L’Esprit dont parle maintenant l’apôtre
par l’opération duquel il croit d’une foi certaine, et qu’on ne peut
confondre avec l’aide qu’apporte le Christ,
est Dieu. Il est appelé Esprit
saint pour le distinguer du Père et du Fils.
L’Apôtre lui rend témoignage en attribuant les divisions des grâces à
celui qui peut tout ce qu’il veut.
L’Esprit ici est celui du Christ,
non par une sujétion servile, mais par la procession divine, égal au
Père et au Fils en nature, en majesté, et en dignité.
Saint Luc écrit dans les actes des apôtres : Quand ils vinrent en Mysie, ils essayèrent
d’aller en Bythinie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas. (Act.
XV1, 7) Il a raconté plus haut de quel
Esprit il parlait quand il a dit : Traversant en Phrygie et dans la région de
la Galatie, ils ont été empêchés par l’Esprit Saint d’adresser la parole en
Asie. (ibid. 6) Celui qu’il avait d’abord appelé le Saint Esprit il le nomme ensuite l’Esprit de Jésus. Il
indique par là de toute évidence que l’Esprit de Jésus n’est pas différent de
l’Esprit saint. Il a souvent appelé l’Esprit saint l’Esprit de Jésus parce qu’il
procède de Jésus. Non de cette nature
par laquelle il a été miséricordieusement fait homme, mais de celle par laquelle
il est né égal au Père.
Paul dit aussi à Tite : Selon
sa miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la
rénovation de l’Esprit Saint qu’il a répandu en nous abondamment par
Jésus-Christ notre Sauveur. (Tit
111, 5) Comment a-t-il répandu l’Esprit
saint par Jésus-Christ ? Comme un plus
petit par un plus grand ? C’est ainsi que l’interprétaient les Ariens. Mais le Père dit que l’Esprit Saint a été
répandu par le Christ Jésus pour montrer que l’effusion de l’Esprit Saint a été
faite par Jésus-Christ, non comme la
recevant d’ailleurs, mais en l’envoyant de lui-même. Saint Paul n’a pas voulu dire que le Père avait répandu l’Esprit Saint
par Jésus-Christ comme on verse de l’eau avec un verre, comme si dans cette
effusion le Christ n’avait joué qu’un rôle de serviteur ou d’instrument. Ce qui
sent son impiété. La vérité est que le
Père a répandu abondamment l’Esprit Saint en nous par Jésus-Christ notre
Sauveur, parce qu’il procède du Fils
comme il procède du Père. En disant qu’il
l’a répandu par le Fils, il ne nie pas
qu’il procède du Père, mais il montre qu’il procède du Fils.
De cette effusion de l’Esprit saint
témoigne aussi le bienheureux Pierre dans les actes des apôtres. Il dit
aux Juifs : Monté à la droite de Dieu, et la
promesse du Saint Esprit ayant été acceptée par le Père, il a répandu Celui que
vous avez vu et entendu. (Act. 11, 33)
En parlant de la même chose, Luc
témoigne dans les actes des apôtres :
Quand les jours de la pentecôte
furent accomplis, ils étaient tous ensemble dans un même lieu, et incontinent
se produisit un son venant du ciel comme un fort vent, et il remplit toute la maison où ils étaient
assis. Et leur apparurent des langues éparpillées comme de feu. Il se posa sur chacun d’entre eux, et ils
furent remplis de l’Esprit Saint. Ils commencèrent à parler en différentes
langues, selon que l’Esprit leur donnait de parler. » (Act 11, 1-4) Et
chez les prophètes : Sur mes serviteurs et sur mes servantes, en
ces jours-là, je répandrai de mon Esprit, et ils prophétiseront. (ibid
18) Nous avons cité ce texte pour que
nous sachions que, comme Pierre l’avait prêché, l’Esprit Saint a été répandu
sur les apôtres et sur les croyants qui furent rassemblés avec eux par Jésus le jour de la
pentecôte. C’est pourquoi il est
écrit : Ce Jésus Dieu l’a ressuscité, nous en sommes tous témoins. (ibid 32)
Il affirme ensuite : Une
fois monté à la droite de Dieu, il l’a répandu,
i.e. l’Esprit saint. Qui
? Jésus, que Dieu a ressuscité. L’Esprit
vous l’avez vu et entendu. (ibid. 33)
Vous l’avez vu dans les langues de feu, vous l’avez entendu dans la
diversité des langues. Car l’Esprit
saint ne peut pas être vu dans sa nature
propre, ni être contemplé par les
yeux, ni entendu par une oreille
corporelle. Mais il s’est revêtu de
matière, a pris l’aspect du feu en forme de langues, pour pouvoir être vu, et s’est emparé des
voix des disciples pour être entendu.
Mais quand il dit la promesse du Saint Esprit étant acceptée
par le Père, il a répandu l’Esprit, il ne rattache pas la grâce à la
divinité mais à l’humanité. Car, selon
la divinité, il ne reçoit pas la promesse, car tout ce qu’a le Père il
l’a. Il ne le reçoit pas dans le temps,
mais l’a de toute éternité.
CHAPITRE
CINQUIEME
Comparons ces textes avec la phrase de
saint Paul déjà citée, celle qu’il a
dite à Tite au sujet de l’Esprit Saint : qu’il répandit en nous abondamment par Jésus Christ, notre Sauveur. (Tit. 111, 6)
Saint Paul atteste que le Père a répandu l’Esprit Saint par Jésus Christ
notre Sauveur. Pierre, lui, avait dit
que Jésus avait répandu ce même Esprit Saint après sa résurrection. Ils nous enseignent tous deux que le Père l’a
répandu et que Jésus aussi l’a répandu.
Nous ne devons pas imaginer que ce fut une effusion locale, comme si,
demeurant dans le Père, il avait passé dans le Christ après avoir abandonné le
Père. Ni qu’il pourrait venir au Christ
en s’allongeant, de façon à ce qu’il rejoigne le Fils par une partie de
lui-même tout en demeurant dans le Père.
De la même façon, quand il a été insufflé par le Christ dans les
disciples, il ne faut pas imaginer qu’il a abandonné le Fils pour venir aux
apôtres. Ni que, s’étant allongé, il a irradié les cœurs des disciples par une
partie de lui-même, et est demeuré dans le Christ par une autre. Ou si tu le vois comme un raison de
soleil, illuminant sa sphère propre par
une partie de lui-même, et rejoignant la terre par une autre. Ce sont les corps qui ont des parties. Dans la divinité de la sainte trinité, on ne
trouve rien de semblable. L’Esprit saint
est infusé par le Père et par le Fils sans intervalle de temps ou de lieu. Il est infusé par le Père dans le Fils, parce que le Père a engendré le Fils. Il est infusé aussi par le Fils, parce que le Fils a tout ce qu’a le Père.
Le saint évangile atteste aussi
que l’Esprit
souffle où il veut. (Jn 111, 8) Que signifie souffler ? Rien d’autre
que, quand il veut et où il veut, il se
répand lui-même. Nous avons là une
opération unique faite par toute la trinité.
Le Père infuse, le Fils répand le Saint Esprit, l’Esprit saint se répand
lui-même, en soufflant où il veut. Avec
quelle justesse l’apôtre affirme que l’infusion de l’Esprit Saint est faite par
Jésus Christ, lui par qui le Père a tout
fait ! Avec quelle convenance l’apôtre
Pierre atteste que le Fils a répandu l’Esprit Saint, lui dont l’évangile
dit : Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également ! Le Père
répand donc l’Esprit saint; le Fils le
répand aussi, parce qu’il est donné
aussi bien par le Fils que par le Père.
Que les empereurs des Grecs ne reprochent donc pas aux Latins de
professer que le Saint Esprit procède du Fils comme il procède du Père, mais qu’ils apprennent plutôt la vérité de la
foi du Christ et de ses apôtres.
Dans les actes des apôtres,,
Pierre dit : Nous aussi nous sommes témoins de ces
paroles, ainsi que l’Esprit Saint que
Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent.
(Act. V, 32) De quel Dieu
parle-t-il si ce n’est de celui dont il avait dit plus haut : Après
être monté à la droite de Dieu, il a répandu celui que vous avec vu et entendu.
(Act. 11, 33) Montrant que c’est de Jésus-Christ qu’il parlait. Mais comment a-t-il donné l’Esprit Saint à
ceux qui lui obéissent ? Comme s’il s’agissait d’un inférieur ? Jamais, car le Fils dit que l’Esprit Saint souffle où il
veut. Dieu donne l’Esprit Saint en
l’infusant dans le cœur de ceux qui lui obéissent, non pas de façon à ce que
l’Esprit perde l’unité de la substance, mais pour qu’il illumine ceux qu’il
n’illuminait pas auparavant. Personne ne
peut parvenir à donner ce qu’il n’a pas.
Or, le Fils atteste avoir
l’Esprit Saint qu’il a donné à ceux qui lui obéissent. Ce qu’il a, il l’a par l’unité de la
substance, non après avoir acquis ce qu’il ne possédait pas. Ainsi, quand il donne, il ne donne pas ce qui relève d’autrui, mais
il confère un don qui lui appartient en propre. Ce que le Fils ne pourrait faire si le
Saint-Esprit ne procédait pas de Lui.
Dans ce qui suit, le bienheureux Pierre enseigne comment le
païen Corneille et ceux qui crurent avec lui obtinrent la grâce du
baptême : Si donc Dieu leur a donné la même grâce qu’à nous qui croyons dans le
Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je pour pouvoir empêcher Dieu d’agir ? (Act
X1, 17) On peut voir le Père ou l’Esprit saint dans le Dieu
qui a rempli les cœurs des croyants, et
qui a donné la connaissance des langues.
Mais quand on réfléchit sur les paroles de Pierre portant sur l’envoi du
Saint Esprit aux croyants, à l’effet que c’était le Fils qui l’avait
envoyé, on doit entendre ici par Dieu le
Fils. Il
a donné la même grâce à Corneille et à ses compagnons lorsque, à la
parole de Pierre, il a répandu l’Esprit Saint sur les disciples sous la forme
de langues de feu. Il a été suffisamment démontré que l’effusion ou la donation du Saint Esprit
appartient au Fils comme au Père, car il
procède de l’un comme de l’autre.
Il dit que c’est la même grâce qui a été donnée aux croyants que celle
qui avait été donnée aux apôtres. Il est
clair qu’il parle ici du Saint Esprit,
que le Fils a pu donner parce qu’il procède de lui. Ce qu’il n’aurait en aucune façon pu faire
s’il ne procédait pas de lui.
CHAPITRE SIXIEME
Le bienheureux Paul écrivant aux
Romains, dit aux fidèles : Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans
l’Esprit. Si seulement l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas
l’Esprit du Christ n’est pas un des siens. (Rom V111, 1X) De quelle personne pensez-vous qu’il s’agit
quand il dit : Si l’Esprit de Dieu habite en vous. Si vous dites que c’est la personne du
Père, Paul affirme donc que l’Esprit du
Père est le même que celui du Fils. En
ne taisant pas qu’il est l’Esprit de l’un et de l’autre, il professe qu’il
procède de l’un et de l’autre. Mais si
vous voulez y voir la personne du Christ, ce qui semble plus conforme au
contexte, nous apprenons par là que l’Esprit Saint est l’esprit du Christ. D’où nous concluons qu’il en procède.
Il désigne encore plus manifestement la
personne du Père quand il
dit : Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ des morts habite en
vous. Ce passage pourrait, à la
rigueur, s’entendre du Christ, au sens
qu’il a ressuscité avec le Père l’homme qu’il avait assumé, comme il le
dit lui-même dans l’Évangile. Que l’on
préfère l’un ou l’autre, le Père ou le
Fils, il est évident qu’on nous
enseigne que l’Esprit du Père est le même que celui du Fils. En conséquence, ce que l’apôtre a dit plus
bas : tous ceux qui sont mus par
l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu, (Rom V111, 14) peut être entendu de l’un et
de l’autre sans aucun doute possible, comme nous l’avons plusieurs fois
démontré. Et plus bas encore : Vous n’avez pas reçu de nouveau un esprit de
servitude dans la crainte. Mais vous
avez reçu l’esprit de l’adoption des fils dans lequel nous crions : abba, père. (Ibid 15) Quand il écrit aux Galates, il
dit : Parce que vous êtes des fils de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son
Fils qui crie dans vos cœurs : abba, père.
Constatez que celui qu’il appelle l’Esprit d’adoption des fils, il confesse qu’il est l’Esprit du Fils. Par ce passage, l’apôtre nous enseigne donc que l’Esprit du
Père qu’il nomme Esprit d’adoption est le même que l’Esprit du Fils, que Dieu a
envoyé en nos cœurs. Et nous nous
écrions abba, père, dans le même Esprit qui est autant celui du
Père que du Fils. Ce que nous ne
pourrions jamais faire si l’Esprit saint ne procédait pas du Fils comme il
procède du Père.
Voici ce qu’il écrit dans sa deuxième
lettre aux Corinthiens : Vous êtes notre épitre écrite dans nos
cœurs, laquelle est lue et connue par tous les hommes. Il a été manifesté que vous êtes l’épitre du
Christ, composée par nous et écrite non par une plume, mais par l’Esprit du Dieu
vivant. (11 Cor. 11, 2, 3) Quand il dit que les Corinthiens sont une
épitre du Christ écrite par l’Esprit du Dieu vivant, il démontre une seule
opération faite conjointement par le Christ et l’Esprit Saint. Mais qui appelle-t-il en ce lieu le Dieu vivant. Ce ne peut pas être le Christ, dont il
dit que les Corinthiens sont l’épitre.
C’est donc manifestement l’Esprit du Christ qui a écrit dans les cœurs
des Corinthiens une épitre non avec une plume matérielle, mais par le rayonnement de lui-même. En conséquence, comme le Christ et l’Esprit
Saint écrivent tous les deux la même épitre,
l’unicité de l’opération démontre l’unicité de la substance. Car ce qu’écrit le Christ, l’Esprit Saint l’écrit, et ce que l’Esprit
Saint écrit le Christ l’écrit aussi.
Sans intervalle temporel, sans changement de lieu, sans aucune
différence. Ils n’ont qu’une seule et
même volonté, une seule et même opération, une seule et même puissance parce qu’ils ont en commun la même
essence. Là où l’on parle de l’Esprit
Saint, on parle aussi souvent de l’Esprit du Christ.
Il dit dans les Corinthiens : Jusqu’à
aujourd’hui, quand on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur. Quand il se tournera vers Dieu, le voile sera
enlevé. (11 Cor 111, 15, 16) Quel
est celui qu’il appelle Dieu, il le montre un peu plus haut, en disant comment
ce voile sera évacué dans le Christ. Si
donc le voile de l’ancien testament est évacué dans le Christ, il est évident
que le voile sera enlevé quand quelqu’un se convertira au Christ.
Le bienheureux Jean dit dans son
apocalypse : Et moi je pleurais beaucoup, car personne n’est trouvé digne d’ouvrir
le livre ni de le voir. Et un des
anciens me dit : Ne pleure pas. Voici qu’il a vaincu le lion de la tribu
de Juda, la racine de David. Il ouvrira
le livre et ses sept sceaux. (Ap V, 4, 5)
L’ouverture du livre c’est l’enlèvement du voile. Il n’y a pas d’explication à donner pour
indiquer quel est celui qui accomplira tout cela. Il n’est que trop clair que le lion de la
tribu de Juda, la racine de David
signifient le Christ, à qui il est
demandé d’ouvrir les sept sceaux. Ces
sept sceaux sont une figure de la grâce septiforme des dons du Saint Esprit. Car il est lui-même l’Esprit de sagesse,
d’intelligence, de conseil, de force, de science et de piété, comme le dit le prophète Isaïe (X1, 2)
C’est la racine de David, i.e. le Sauveur qui ouvre les sept sceaux de ce
livre, parce que les mystères spirituels qui y sont contenus sont descellés
dans le Christ quand il enlève le voile qui scellait les livres de l’ancien
testament, et en révèle le sens.
L’apôtre ajoute : Le
Seigneur est Esprit. Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (11 Cor 111, 17) De quel Seigneur ? Sans contredit de celui qui enlève le voile
de tout ce qui dans la lecture de l’ancien testament demeure non révélé. L’enlèvement du voile c’est l’enlèvement de
la servitude qui est contenue dans la lettre de la loi, pour que vienne la liberté qui est
accordée par l’Esprit du Seigneur. Cela se produit quand on passe de la lettre à la compréhension spirituelle,
et de la servitude de la chair à la liberté de l’Esprit. Nous constatons dans ces passages que
l’Esprit du Seigneur est appelé Esprit du Christ. Comme dans ce qui suit : Nous
tous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes
transformés dans la même image de clarté en clarté, comme par l’Esprit du
Seigneur. (11 Cor 111, 18) Donc,
comme la révélation de la face se fait par le Christ, et comme nous sommes
transformés de clarté en clarté par l’Esprit du Seigneur, nous avons la
démonstration que l’opération de Jésus Christ et de l’Esprit Saint est commune
à tous les deux. Et quand il
dit : par l’esprit du Seigneur, il
indique sans aucun doute possible la personne du Christ. Mais comme il est son Esprit, il ouvre lui aussi avec le Sauveur, le sens
de l’ancienne loi. Et le fait qu’ils
travaillent conjointement démontre l’union dans une seule substance. En l’appelant l’Esprit du Seigneur, on laisse
entendre qu’il procède du Fils. Il n’est
que trop évident que dans ce passage, le
Seigneur signifie le Sauveur.
CHAPITRE SEPTIEME
Le bienheureux Pierre écrit aux
croyants dans la première lettre : Ce
salut les prophètes l’ont recherché et
scruté, eux qui ont prophétisé la grâce que vous avez reçue, se
demandant quand et ce que serait ce temps dont
l’Esprit du Christ leur avait parlé en figure. (1 Pier 1, 10, 11) Le prince des apôtres de qui a dit le
Sauveur : tu es Pierre, et sur cette
pierre j’édifierai mon Église, n’hésite pas à appeler l’Esprit du Christ l’Esprit Saint qui a parlé par les
prophètes. Et je ne sais par quelle
dignité séculière éblouis, ils présument
réapprendre ce qu’ils ont appris des apôtres de l’Église du Christ. Si le Saint Esprit ne procède pas du Christ, comment peut-on dire qu’il est
l’Esprit du Christ ? Il procède donc du
Christ non comme un subordonné, non comme
une partie du Christ, mais de sa
substance.
Remarque que le bienheureux Jean
concorde avec cette formulation en proclamant l’Esprit saint l’Esprit du
Christ. Car il dit dans
l’Apocalypse : Et j’ai vu au milieu du trône quatre animaux, et au milieu des anciens
un agneau qui se tenait debout, comme immolé, ayant sept cornes et sept yeux. (Ap V, 6)
Et expliquant ce qu’il a vu, il ajoute : qui
sont les sept esprits de Dieu envoyés sur la terre. Je pense qu’aucun catholique ne peut nier
que l’agneau immolé représente Jésus-Christ, dont Jean-Baptiste avait
dit : Voici l’agneau de Dieu qui
enlève le péché du monde. (Jn 1, 29)
C’est cet agneau qui a été immolé pour les péchés du monde, et qui est
ressuscité pour la justification du monde.
On dit de cet agneau qu’il a sept yeux.
Ces yeux signifient les sept esprits de Dieu, selon l’enseignement de
Jean. Il n’entend pas par là qu’il y ait
sept personnes du saint Esprit dans la trinité, quand chacun sait qu’il n’y en
a qu’une. Par le chiffre sept il entend
les sept dons de l’Esprit Saint. Il est
donc évident que quand il affirme que l’agneau a sept yeux, il veut dire que le
Christ a le Saint Esprit. Non comme un
de ses membres ou une partie de son corps,
mais substantiellement. Qu’il procède de lui substantiellement. Nous disons que l’Esprit est dans le Christ
non comme dans un lieu, ni non plus
comme dans un sujet. Car il n’est pas
contenu par le Christ comme s’il était inférieur au Christ, comme cela se passe
dans les choses qui sont contenues. Ce
n’est pas ainsi que nous parlons de la présence du saint Esprit dans le
Christ, car l’Esprit saint est égal au
Christ, non inférieur à lui. Nous ne
disons pas non plus qu’il est en lui comme dans un sujet, car il n’est pas un accident qui ne peut
subsister sans sujet. Mais il est dans
le Christ comme lui étant consubstantiel.
Comme la couleur que nous voyons dans
la flamme. Car le feu brille et
réchauffe tout en illuminant et brûlant.
Tu trouveras ce texte dans le prophète
Zacharie : Voici que j’amènerai mon serviteur orient. Car voici la pierre que j’ai
donnée devant Jésus. Sur une seule
pierre, il y a sept yeux. (Zac 111, 8)
Et plus bas : Ces sept yeux sont ceux du Seigneur qui
parcourent toute la terre. (Zac 1V,
10) La pierre est le Sauveur dont parle
le Psalmiste : La pierre qu’ont
rejetée les constructeurs est devenue pierre d’angle. (Ps. XV11, 22) Le Père appelle son serviteur orient,
serviteur à cause de son incarnation,
orient parce qu’il est le soleil de Justice. Et il dit que sur cette pierre il y a les
sept yeux du Seigneur qui parcourent toute la terre. Par les yeux on entend le Saint-Esprit. Le chiffre sept, comme nous l’avons expliqué
plus haut, indique la pluralité des dons
de grâce dans un seul Esprit. Mais comment
comprendre qu’il y ait sept yeux sur une pierre ? Rien d’autre que l’habitation de l’Esprit
dans le Christ. Et quand on dit que les
yeux sont à celui en qui ils sont substantiellement, comprends que l’Esprit
saint est l’Esprit du Christ. Le
prophète Zacharie l’a même prophétisé sous la forme d’un candélabre : J’ai
vu. Et voici un candélabre complètement
en or et ses lampes sur sa tête, et sept lampes au-dessus de lui. Vois l’incarnation du Christ dans le
candélabre en or. Il est doré parce
qu’il est sans tache, sans aucun mélange
avec la faute, éclatant,
resplendissant. Les lampes sur sa tête
sont la divinité dans l’homme. Car l’apôtre dit que Dieu est la tête du Christ.
(1Cor X1, 3) Les sept chandelles
au-dessus de lui sont la plénitude du Saint Esprit. Il repose sur lui selon l’oracle du prophète
Isaïe : Et reposera sur lui l’Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil
et de force, de science et de piété, et l’Esprit de crainte du Seigneur le
remplira. (Is 11, 2) Si les sept
chandelles de l’Esprit Saint reposent sur lui, l’Esprit Saint, représenté dans les sept chandelles, repose donc en lui. Et comme il repose en lui en y habitant
substantiellement, il est l’Esprit de celui dans lequel il repose
substantiellement. Ce n’est donc pas
sans raison qu’il est appelé l’Esprit du Christ. Notons enfin que c’est l’Esprit saint
symbolisé par les yeux qui parcourt
toute la terre.
Après avoir dit que les sept yeux de
l’agneau sont les sept esprits de Dieu, l’apocalypse ajoute : envoyés
sur toute la terre. (ap V, 6) Là où Zacharie dit parcourant, Jean dans
l’Apocalypse dit : envoyés. Par le mot mission, il sous-entend la procession du Saint Esprit. Comme il est substantiellement dans le
Christ, il ne parcourt ni n’est envoyé à
moins qu’il procède du Christ, non
localement mais substantiellement. Car
l’être il le reçoit du Père et du Fils, comme le Fils reçoit essentiellement
l’être du Père. Mais l’inverse n’est pas
forcément vrai. Parce que l’Esprit Saint
procède conjointement du Père et du Fils, il ne s’ensuit pas que le Fils doive
naître du Père et du Saint Esprit. Car la naissance vient du Père seul, mais la
procession des deux, du Père et du
Fils. L’Apocalypse dit que les sept
esprits de Dieu ont été envoyés sur toute la terre. Zacharie, lui, parle des
sept yeux du Seigneur qui parcourent toute la terre, représentant les dons de
l’Esprit saint septiforme. Ils ont été
diffusés ces dons par les apôtres et leurs successeurs dans toutes les nations,
pour la sanctification des fidèles croyant dans le Christ, et pour la rémission
de leurs péchés.
Saint Jean lui-même reconnait que
l’Esprit saint est l’Esprit du Christ quand il dit avoir vu au milieu sept des candélabres quelqu’un
semblable à un fils d’homme. (Ap 1,
13) Et un peu plus loin il
ajoute : Et ses yeux étaient comme la flamme du feu. (ibid. 14) Quel est ce fils de l’homme ? Nul autre que notre Seigneur Jésus Christ,
qui s’est très souvent dans l’évangile appelé Fils de l’homme. Comme, par exemple : Que
disent les hommes du Fils de l’homme ? (Matt XV1, 13) Et Ézéchiel, sous sa figure, s’entend souvent appeler fils de
l’homme. Quand il dit que les yeux de ce
fils d’homme brillaient comme la flamme du feu, il sous entend l’Esprit saint,
car sur les apôtres il est apparu comme un feu envoyé du ciel. Quand il dit que ses yeux sont l’Esprit saint,
il veut nous dire que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ. Il n’y a aucune autre raison pour laquelle
il soit dit l’Esprit du Christ que parce qu’il procède du Fils, et qu’il y
demeure substantiellement.
Jean dit la même chose quand il parle
de la gloire future des saints qu’aucun soleil ou aucune canicule ne
tourmenterait : Parce que l’agneau qui est au milieu du
trône les régira, et les conduira aux sources d’eau vive. (Ap V11, 16,
17) Quelles sont ces fontaines d’eau
vive ? Ce sont les flots du Saint Esprit qui purifient les fidèles en les
lavant, et qui les irriguent en les
vivifiant. Le Sauveur en a parlé dans
l’Évangile quand il a dit : Celui
qui croit en moi, de son sein couleront
des fleuves d’eau vive. (Je V11, 38)
Ces eaux, nous dit saint Jean,
signifiaient l’Esprit saint qui allait être donné aux croyants. Ce qui s’est réalisé pour les apôtres le
cinquantième jour après la résurrection.
On peut donc en déduire que l’Agneau les conduira aux sources d’eau vive
parce que l’Esprit saint de celui qui
fait jaillir l’eau les enivrera et
qu’ils ne pourront jamais perdre les joies éternelles de la vie. Nous ne pensons pas que ces sources d’eau
vive jaillissent en dehors du Christ, car il a dit à Philippe : Je suis
la vie. Celui qui me voit, voit le Père.
(Jn X1V, 6, 9) Celui donc qui
voit le Christ voit le Saint Esprit qui est dans le Christ. Et, pour lui, amener les croyants aux sources d’eau vive signifie les amener à lui, pour autant que
ceux qui croient en lui et vont vers lui sont toujours abreuvés par les sources
du Saint Esprit qui procède de lui.
Le bienheureux Jean dit de même dans
l’Apocalypse : Et un ange prit un encensoir, il
le remplit du feu de l’autel et l’envoya sur la terre. Et on entendit le tonnerre et des voix,
etc. (Ap V111, 5) Cet ange c’est Jésus-Christ lui-même, appelé
l’ange du grand conseil. L’encensoir c’est son humanité. Et l’autel d’où est rempli l’encensoir c’est
la divinité du Christ. Le feu de l’autel
c’est l’Esprit saint tiré de la divinité du Christ. Car l’autel et l’encensoir sont tous les deux
le Christ. Mais c’est sur l’autel dont
l’autel terrestre est l’image que les
holocaustes et les sacrifices des saints sont offerts. Car les vœux des saints ne peuvent pas être
reçus autrement qu’en étant placés sur l’autel Christ. On l’appelle encensoir
parce que c’est par lui que les prières des saints sont accueillies. Or l’encensoir est très certainement le don
du Saint Esprit. C’est du moins ce qu’atteste
l’apôtre : Nous ne savons pas quoi demander dans nos prières, mais l’Esprit Saint
demande pour nous. (Rom V111, 28), i.e., il nous fait demander en des gémissements inénarrables. (Luc X11, 49)
Le feu de l’autel est le Saint Esprit
de qui le Sauveur a dit : Je suis venu envoyer le feu sur la terre, et
je veux qu’il brûle. En résumé, l’ange envoie sur la terre un encensoir plein
du feu de l’autel, parce que, la promesse du Saint Esprit une fois acceptée par
le Père, le Sauveur a répandu la grâce du Saint Esprit sur les croyants. Il est donc normal qu’ont suivi des coups de
tonnerre, des voix, des éclairs, et des tremblements de terre. Le Sauveur le dit dans l’Évangile : Il vous est avantageux que je m’en
aille. Si je ne pars pas, l’Esprit saint
ne viendra pas. Si je m’en vais, je vous
l’enverrai. Et quand il viendra, il
convaincra le monde de péché, de justice et de jugement. (Jn XV1, 7) Ce que l’Apocalypse dit du feu de l’autel que
son ange enverrait sur la terre, et des coups de tonnerre le Seigneur l’exprime
en disant : Je vous l’enverrai. Et quand il viendra il convaincra le monde. A l’avènement du Saint Esprit les coups
de tonnerre et les paroles des prédicateurs retentirent, les cœurs des mortels
furent saisis de crainte, les éclairs des miracles brillèrent. Toute la terre s’en est rendu compte. Le feu de l’autel est l’Esprit saint qu’il a
promis à ses apôtres qu’il enverrait. En
attestant qu’il l’enverrait sur la terre, l’Apocalypse enseigne clairement que
l’Esprit saint est l’Esprit du Christ,
et que c’est par lui que, après l’ascension, il a été envoyé sur
les apôtres. Comment peut-il être envoyé par le Fils s’il
n’en procède pas ? Et il procède de
celui dont il est l’Esprit.
Dans la même Apocalypse, Jean :
Et j’ai vu le ciel ouvert, et
voici un cheval blanc, et celui qui le chevauchait s’appelait fidèle et
véritable. Il juge et combat avec justice. Car ses yeux sont comme une flamme
de feu. (Ap X1X, 21) Le cheval
blanc est le corps du Christ sans tache,
coloré par la candeur de la sainteté.
Son cavalier est la divinité du Christ qui régit et guide l’home qu’elle
a assumé, de façon à ne faire, de la
divinité du Père et de l’humanité de la mère, qu’un seul Fils. Ses yeux sont comme une flamme de feu parce
que la divinité du Saint Esprit et sa splendeur ignée demeure en lui. L’éclat de ses yeux est le débordement de la plénitude des dons
du Saint Esprit. En ayant recours à ce
genre d’image, il enseigne manifestement que la divinité du Saint Esprit
procède de la divinité du Fils. Et comme
la lumière des yeux appartient à celui qui a les yeux, de la même façon
l’Esprit Saint appartient au Christ dans lequel il réside, et de qui il
procède.
CHAPITRE
HUITIEME
Nous croyons avoir suffisamment
démontré par des citations de l’Écriture que l’Esprit Saint procède du
Fils. Ajoutons encore deux extraits de
l’Évangile qui devraient venir à bout de la dureté des contradicteurs. A la femme guérie d’un flux sanguin le Sauveur dit : Qui m’a
touché ? Tous le nièrent. Pierre et ses
compagnons lui dirent : Maître, les foules t’oppressent et t’incommodent,
et tu dis : Qui m’a touché ? Et
Jésus leur répondit : Quelqu’un m’a touché, car je me suis rendu compte qu’une vertu
sortait de moi. (Luc, V111, 45)
Quelle est cette vertu que le Sauveur affirme être sortie de lui ? Rien d’autre que la grâce du Saint
Esprit. Comme le dit
l’Apôtre : A l’un est donnée la grâce de guérison, à l’autre l’opération des
vertus. (1 Cor X11, 9) Quand le
Sauveur dit : j’ai senti une vertu sortir de moi, que dit-il d’autre
que : je sais que l’Esprit saint procède de moi qui suis le guérisseur des
maladies et l’opérateur des vertus. Il
dit que l’Esprit saint est sorti de lui comme il avait dit qu’il est sorti du
Père : Je suis sorti du Père. (Jn XV1, 28) Sortir du Père pour le Fils c’est naître du
Père. Il en est de même pour l’Esprit
saint : sortir du Fils c’est
procéder de Lui. On trouve la même chose
dans l’évangile du bienheureux Luc :
Et toute la foule cherchait à le
toucher parce qu’une vertu sortait de Lui qui les guérissait tous. (Luc V1, 19)
La vertu qui sort du Christ guérit tout le monde parce que l’Esprit
Saint qui procède de lui accorde à tous la grâce de la santé.
Que les censeurs malveillants ou
incompétents cessent donc de reprocher à l’Église du Christ de professer que
l’Esprit Saint procède du Père et du Fils.
C’est ce que les évangiles enseignent, ce que les apôtres professent, ce
que les prophètes n’ont pas tu. Qu’ils
apprennent d’abord ce que l’Église dit du Christ, et devenus des disciples de
la Vérité, qu’ils confessent la foi catholique de peur que, trompés par la
boursouflure de la présomption, et retenus dans les filets de l’erreur, ils ne
raniment une hérésie déjà assoupie. Ils
ont ceci en commun avec la peste d’Arius que quand il refusait au Fils
l’égalité consubstantielle, il enseignait que l’Esprit saint était inférieur au
Fils, s’efforçant de démontrer que le Fils n’était pas né de la substance du
Père, et que l’Esprit saint était une créature.
Voyez, empereurs illustres, où tend
votre profession de foi quand vous dites que l’Esprit Saint procède du
Père, mais qu’il ne procède pas du
Fils. Vous n’avez lu cela ni dans les
saintes lettres ni dans les auteurs ecclésiastiques. Pour réfuter et condamner la peste
d’Arius, le concile de
Constantinople a dit que le Fils est
consubstantiel au Père, et que l’Esprit Saint procède du Père. A-t-il nié qu’il procède du Fils ? Ou s’ensuit-il nécessairement que s’il
procède du Père il ne procède pas du Fils ?
Comprenez donc, si vous voulez être fils de l’Église et suivre la
doctrine du Père, qu’en disant que l’Esprit Saint procède du père, le concile de Constantinople n’a pas nié
qu’il procède du Fils. Comme toute la
trinité est consubstantielle, comme le Fils est né du Père et comme l’Esprit
saint est la charité de l’un et l’autre,
personne ne peut nier que l’Esprit saint procède du Fils, à moins de
nier que le Fils possède la charité par laquelle il aime le Père. Il est stupide de tenir mordicus et de
professer en toute fidélité que le Père aime le Fils et que le Fils aime le
Père, et que, bien que cet amour par lequel le Père aime le Fils procède du
Père, l’amour par lequel le Fils aime le Père ne procède en rien du Fils. Car cet amour est l’Esprit Saint. Il procède donc du Père et du Fils.
Le moment est donc venu de prouver par
les témoignages des saints Pères que le Saint Esprit procède du Fils. Que ceux
qui pensent autrement soient confondus, et qu’une peur salutaire les
amende, pour qu’un entêtement insensé ne
les précipite pas dans la fosse de perdition.
LIVRE DEUXIEME (6
chapitres)
Nous traitons
de la procession de l’Esprit Saint que les Empereurs grecs refusent d’attribuer
au Fils, prétendant que l’Esprit ne procède que du Père. Ils dédaignent,
pour cette raison, de communier avec l’Eglise romaine, de recevoir les légats
du siège apostolique, condamnant l’Eglise latine parce qu’elle pense autrement
qu’eux sur le Saint Esprit. Elle croit en effet et professe que l’Esprit saint
procède aussi du Fils, alors que, pour eux, il ne procède que du Père.
Ce qui d’abord nous
frappe, c’est que nous voyons des laïcs violer toutes les règles
ecclésiastiques, et imposer des décrets aux fidèles. Et ceux qu’aucun
droit juridique ne qualifie pour ce comportement s’efforcent, en marge de
l’assemblée des évêques, de déterminer des statuts, et de définir
des règles de foi. Et d’après leurs propres décrets, ils reçoivent les
uns en communion, et déposent les autres.
Car s’ils ne
s’étaient que proposés de statuer sur le contenu de la foi, il leur aurait
fallu convoquer un synode d’évêques, s’enquérir des décisions des Pères,
des oracles des saintes Ecritures, prendre une décision unanime en concile sur
ce qu’on devait accepter ou rejeter. Et si dans quelques églises ou dans
quelques lieux, des gens étaient convaincus de tenir ou de professer ce qui
n’était ni droit ni juste, relativement à la foi ou la coutume, il fallait
d’abord leur écrire, et faire une enquête sérieuse. Ensuite
seulement, le cas échéant, porter un jugement. Et cela cependant,
selon la compétence propre à chaque pouvoir, et en respectant les
constitutions de l’Eglise. Autrement, ce serait juger de la
constitution ou discuter d’un dogme de la foi au détriment de
peuples qui ne relèvent pas du soin de leur charge ou qui ne tombent pas sous
leur juridiction; et frapper de censure ceux qui ne pensent pas en
tout point comme eux.
Le Seigneur a-t-il
donné aux empereurs grecs le pouvoir de lier et de délier. Leur a-t-il
dit : Vous êtes la lumière du monde
? Leur a-t-il demandé d’enseigner toutes les nations, et de les
baptiser au nom du Père et du Fils ? Vous dites que l’Esprit saint ne
procède que du Père, et vous refusez de professer, comme l’église
latine catholique de toute la terre, qu’il procède aussi du Fils. Comment
faites-vous pour prouver que votre sentence l’emporte, et qu’elle est
munie de l’autorité de la vérité ? La vérité de l’évangile est-elle
parvenue à vous seuls; demeure-t-elle auprès de vous seuls ?
L’apôtre Paul se dit
être appelé apôtre et mis à part pour l’évangile du Christ. De
Jérusalem à l’Illiryacum, il a fait tout le trajet pour prêcher
l’Evangile. Il est allé à Rome et en Espagne, et il a rayonné
sur tout l’empire romain par sa présence corporelle ou par ses
écrits, en prêchant le Christ. A-t-il déjà dit qu’il n’a prêché
l’Evangile qu’aux Grecs, et qu’il n’a fait connaître la vérité de
l’Evangile qu’aux seuls empereurs grecs ? L’Evangile du Christ rayonne
sur toute la terre; les écrits des apôtres sont lus partout, les
oracles des prophètes sont proclamés partout. Par ceux qui, dès le
début, ont été institués maîtres par les apôtres, ils apprennent
tous les jours quoi penser sur la sainte trinité, quoi professer; comment
enseigner les peuples qui leur sont confiés, à quels mœurs les former,
comment les convertir, et par quelles pratiques religieuses les conduire.
Aucune
page de l’Ecriture ne nous dit, aucune institution des Anciens ne nous fait
savoir, aucun précepte des apôtres ne stipule, aucun écrit des anciens ne nous
enseigne que les Grecs sont les maîtres de toute l’église, ou que c’est à leurs
empereurs de montrer et d’enseigner les mœurs, les rites et les
dogmes qui doivent être observés dans toutes les églises du Christ. Chacun
ne sait que trop à quel point cela serait stupide et insolent. On
n’aurait donc pas du récuser l’Eglise romaine avec tant de légèreté parce que,
conservant les institutions de ses anciens, elle ne suit pas en tout
point les institutions des Grecs. Ce qu’elle croit, enseigne et
conserve n’est pas en désaccord ou en opposition avec les pages des
saintes lettres. C’est inutilement que vous nous reprochez de dire que
l’Esprit saint procède aussi du Fils, quand vous ne voulez le voir procéder que
du Père.
CHAPITRE DEUXIEME
Nous vous demandons
d’abord quelle décision des anciens évêques catholiques, quel décret vous
cherchez tant à défendre. Le concile de Nicée formé de trois cent
dix-huit évêques, a été réuni par l’empereur Constantin pour condamner la
doctrine d’Arius. Quand le symbole vint à parler du
Saint Esprit, après avoir confessé la consubstantialité du Fils avec le Père,
il se contenta de dire : Nous
croyons aussi dans le Saint Esprit. Rien de moins, rien de plus sur
sa substance ou sa procession. Où est donc cette règle
contraignante que vous pensez imposer aux Latins, qui vous permette à vous de
dire que l’Esprit saint procède du Père, mais qui ne permette pas aux
latins de dire qu’il procède du Fils ? Si vous ne voulez rien
ajouter aux décisions du concile de Nicée, enlevez le qui procède du Père, parce qu’il ne se trouve pas dans le concile
de Nicée. Par quelle logique vous serait-il permis à vous d’enlever
le qui procède du Fils simplement
parce qu’il a été ajouté par les Romains ? Et si vous
répondez en disant que cela a été ajouté par cent cinquante évêques rassemblés
en concile à Constantinople, nous répondrons qu’il n’était permis à personne
d’ajouter ou d’enlever quoi que ce soit au symbole de foi de Nicée.
Si vous
rétorquez qu’en ce qui à trait à la consubstantialité du Fils il n’était permis
dans aucun concile d’ajouter quoi que ce soit, mais que ce qui a été ajouté au
sujet du Saint Esprit se justifiait à cause des attaques des hérétiques, nous
vous répliquerons que la même chose a été permise aux latins à cause des
fausses interprétations scripturaires des hérétiques. Vous ne pouvez
soutenir que la ville de Constantinople est supérieure à la ville de Rome, laquelle
est la tête de toutes les églises du Christ, au témoignage tant de nos
anciens que des vôtres. Les cent cinquante évêques n’ont jamais
possédé le pouvoir de légiférer pour tous les évêques de toute la terre,
ni de faire que tout ce qu’ils interdisent soit interdit tant au pontife
romain qu’à toutes les églises du Christ.
Ils ont ajouté aussi
dans le symbole précité : L’Esprit
saint, qui a parlé par les prophètes, doit être adoré et glorifié avec le
Père et le Fils. Ils n’ont pas imposé ces additions aux églises du
Christ, mais ils ont donné un exemple pour ceux qui voudraient ajouter aux
paroles des Ecritures qui leur permette de combattre les hérétiques, et
fortifier la foi des croyants. Vous objectez qu’on ne peut trouver ni dans les
saints évangiles, ni dans les autres textes sacrés que l’Esprit procède du
Fils. Et, à cause de cela, vous refusez d’accepter ce qui ne se
trouve pas dans les Ecritures, comme les Ariens refusaient de recevoir le mot
consubstantiel parce qu’il ne se trouvait pas dans les Ecritures.
Dites-nous alors où vous avez lu dans les Ecritures que l’Esprit Saint
doit être adoré et glorifié comme le Père et le Fils, et qu’il a parlé par les
prophètes, ainsi que l’a déclaré le concile de Constantinople
? Vous direz peut-être que ces mots ne sont pas écrits en toutes
lettres dans les Ecritures, mais que le sens s’y trouve. Car étant
d’une seule substance avec le Père et le Fils, d’une seule puissance et d’une
seule majesté, il s’ensuit nécessairement que l’Esprit saint doive être
adoré et glorifié comme le sont le Père et le Fils. Permettez donc la
même chose aux Latins. Les Ecritures ne disent pas explicitement que
l’Esprit saint procède du Fils. Mais elles montrent de plusieurs façons
qu’il est l’Esprit du Fils comme il est l’Esprit du Père, qu’il procède
du Fils, donc, comme il procède du Père. Nous croyons l’avoir
suffisamment démontré dans le livre précédent.
L’Eglise
catholique, fondée sur le Sauveur et les apôtres, a toujours tenu
et n’a jamais omis de prêcher que l’Esprit possède en commun avec le Père
et le Fils la même vertu et la même nature, qu’il procède donc de l’un et
de l’autre. Pourquoi cherchez-vous maintenant à réprimander la foi
catholique ? Que complotez-vous contre les dogmes catholiques ?
Cherchez-vous peut-être à ressusciter Arius ou Macédoine, et à réintroduire
dans les Eglises les cendres éteintes de leurs dogmes pervers ? Vos
ancêtres ne pouvaient pas ne pas savoir ce que l’Eglise romaine enseignait du Saint
Esprit. Et pourtant, ils ne se sont jamais séparés de la communion du
siège de Rome. Ils ne comprenaient que trop que la vérité de la foi catholique
se trouvait dans ce qu’elle tenait et enseignait, et qu’il ne convient pas de
condamner ce qui est fondé sur l’Ecriture.
Jusqu’à l’impiété
d’Arius, aucune confusion ne troublait les croyants au sujet de la
consubstantialité du Fils. On ne parlait pas dans les prédications du
consubstantiel. La vertu de ce mot, cependant, était fortement imprimée
dans l’esprit des croyants, car ils croyaient que le Fils tout puissant
ne différait en rien de son Père. Ils se souvenaient, en effet, de
ces paroles du Sauveur : Celui
qui me voit, voit le Père. (Jn X1V, 9) Ils ne voyaient pas le Christ
autrement que comme l’Auteur de toutes les créatures. Car ils se
rappelaient ce qu’a dit Jean : Tout
a été fait par lui. (1,3) Et pourtant, le symbole, qui a été
fait en commun par les apôtres, ne contenait rien d’autre que ce que tous
savent : qu’il nous faut croire en un Dieu tout puissant, et en
Jésus-Christ son Fils unique, notre Seigneur. Cette foi suffisait
pour le salut des croyants. Le sang d’un grand nombre de martyrs et
la profession d’un grand nombre de confesseurs par toute la terre l’avait
corroborée et recommandée. Or, quand Arius, l’ennemi de la vérité,
commença à délirer au sujet de la divinité du Christ, à proférer de
nombreux blasphèmes, et à entraîner dans l’impiété l’esprit des fidèles, on
brandit les armes de la vérité contre l’erreur de l’impiété, et on réfuta à la
fois le dogme impie et son auteur : que le Fils de Dieu était une
créature, qu’il n’avait pas été engendré par le Père; et que l’Esprit
Saint, ô blasphème, était inférieur au Fils.
Après lui se leva
Macédonius. Il pensait comme l’Eglise catholique au sujet du Père
et du Fils, mais il ne recevait pas la personne de l’Esprit Saint. Les
évêques catholiques engagèrent contre lui le combat, et prouvèrent que l’Esprit
faisait partie de la trinité, qu’il était consubstantiel au Père et au
Fils, qu’il procédait du Père, qu’il devait être adoré et glorifié comme
le Père et le Saint Esprit. On chercha par la suite à renouveler
l’hérésie d’Arius. On prétendit qu’Ii n’était pas permis à un croyant de
soutenir que l’Esprit saint procède du Père, que c’était là proférer un
blasphème, puisque c’était donner deux fils au Père. Voulant donc rejeter
ce blasphème, les docteurs de l’Eglise ont décidé d’ajouter au
symbole que l’Esprit Saint procède aussi du Fils. De peur qu’en affirmant
qu’il ne procède que du Père on le considère comme un fils, et qu’il ne soit
plus appelé l’Esprit du Fils. Ce qui serait impie et blasphématoire, et
en contradiction avec la doctrine apostolique et évangélique. Si vous répondez
que le mot procéder suffit à lui seul pour empêcher que l’Esprit saint ne soit
considéré comme un fils, sachez que ce mot est aussi employé pour le
Fils. Il le dit lui-même dans l’évangile de Jean : Je procède du Père, et je viens du
Père. Si donc le Fils procède du Père comme l’Esprit Saint
procède du Père, qui fera taire les Ariens, qui les empêchera de
dire en blasphémant que l’Esprit Saint est fils du Père ?
CHAPITRE TROIS
Scrutons donc l’enseignement
des docteurs, tant grecs que latins. Ils ont dit que le Fils est le
seul à avoir été engendré par le Père, et que l’Esprit saint procède du Père et
du Fils. Car, formés par le magistère des lettres divines, ils comprirent que
l’Esprit saint est l’Esprit du Père et du Fils, et qu’en conséquence, il
procède de l’un et de l’autre. Le bienheureux Athanase, évêque
d’Alexandrie, a été persécuté par les Ariens à cause de sa constance dans la
foi catholique. Il a été souvent exilé par leur faction. Et
au concile de Nicée, il aida, en sa qualité de diacre, son évêque,
le bienheureux Alexandre, à lutter de façon mémorable contre la peste
d’Arius. Dans un livre qu’il a écrit sur la foi, et qu’il offrit à tous
les catholiques, il dit entre autres : Le Père n’est fait pas personne. Il
n’a été ni créé ni engendré. Le Fils est du seul Père. L’esprit saint est
du Père et du Fils. Il n’a été ni fait, ni créé, ni engendré, mais il
procède. Approuvant cette vérité de foi, l’estimant un secours
important contre le dogme pervers d’Arius, et constatant qu’elle provenait de
l’Ecriture sainte, les plus éminents des docteurs latins
l’ajoutèrent au symbole de foi, en disant du Saint Esprit : qui procède du Père et du Fils. Cette
foi l’église l’a tenue depuis le temps de Constantin, sous le règne
duquel le synode de Nicée a été assemblé, jusqu’à notre époque.
Mais l’Eglise catholique des Grecs elle-même ne l’a pas rejetée, car elle n’a
pas voulu devenir étrangère à la doctrine de vérité, comme leurs lettres
le déclarent. Et maintenant, cette foi vous la dénoncez, mus par je
ne sais quelle légèreté, ou trompés par je ne sais quelle illusion.
Dites-nous si vous
professez que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ ? Si vous le niez, l’apôtre
le criera contre vous : Si
quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il n’est pas l’un des siens. (Rom
V111, 9) Saint Luc le proclame aussi : L’Esprit de Jésus ne le leur a pas permis. (Act V1, 7) Saint Pierre
le proclame ainsi : Une fois monté à
la droite de Dieu, il a répandu celui que vous avez vu et entendu. Le
Seigneur le proclame lui-même : Si
je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas. Mais si je m’en
vais, je vous l’enverrai. (Jn XV1, 7) De même, après la résurrection,
il souffla sur ses disciples en disant : Recevez l’Esprit Saint. (Jn, XX, 22) Tous ces textes
nous enseignent que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ. Or, comme vous ne
pouvez pas le nier, la nécessité vous contraint, que vous le vouliez ou non, à
ne pas nier qu’il procède du Fils. Que vous ne considérez
pas, comme Arius et Macédonius, qu’il est une créature, le témoigne votre
profession de foi, selon laquelle l’Esprit Saint procède du Père.
Comment pouvez-vous alors nier qu’il procède du Fils, puisque le Père et
le Fils sont d’une seule et même substance, et qu’il ne peut pas être de la
substance de l’un et de l’autre sans procéder de l’un et de l’autre ?
Ecoutons donc saint
Grégoire de Naziance dans le sermon sur le Saint Esprit qu’il a prononcé devant
le peuple, dans l’Eglise de Constantinople, le jour de la
Pentecôte : L’Esprit saint a
toujours été, il est et il sera, sans commencement ni fin, mais coéternel au
Père et au Fils. Il n’est pas pensable qu’à aucun
moment, le Fils ait manqué au Père, ou l’Esprit saint au Fils. En
disant que le Saint Esprit est coéternel au Père et au Fils, il réfute les
Ariens, qui le rabaissaient au rang de créature. En disant qu’il a
toujours été, qu’il est et qu’il sera, il combat Macédoine qui niait non existence.
Mais en disant que le Fils n’a jamais manqué au Père ni l’Esprit saint au
Fils, il vous réfute, vous qui niez qu’il procède du Fils. Car, si selon
votre opinion, il était d’avis que l’Esprit saint ne procède que du Père, il aurait
dit que le Fils et l’Esprit saint n’ont jamais fait défaut au Père.
Mais comme il dit que le Fils ne fit jamais défaut au Père et que l’Esprit
saint ne fit jamais défaut au Fils, il dit clairement que le Fils est né du
Père de toute éternité, et que l’Esprit Saint procède du Fils avant le
temps. Il ne nie pas qu’il procède du Père, ce que personne ne niait,
mais il affirme qu’il ne manqua jamais au Fils, ce qui causait problème.
Par la suite, il dit
en parlant du Saint-Esprit : Celui
qui sanctifie et qui n’est pas sanctifié ne devient pas Dieu mais fait des
dieux. Il est inconvertible, immuable, est toujours présent à lui, au
Père et au Fils. Il est intemporel, a sa propre puissance, et toute la
puissance. Quand il dit qu’il est toujours présent à lui-même au Père
et au Fils, il démontre qu’il ne les assiste pas comme un serviteur.
Etant inconvertible et immuable, il est autant dans sa propre nature que
dans la substance du Père et du Fils. Dans sa propre nature parce
qu’il n’y a pas en lui de changement. Immuable parce que dans le Père et
le Fils, parce que les trois ont en commun une nature identique. Il
ne peut pas changer pour se transformer dans le Père, parce que le Père
est la source et l’origine première de tout. Ii ne peut pas se convertir dans
le Fils parce qu’il en procède et ne lui est dissemblable en rien, et
parce qu’il n’est pas d’une nature autre que celle du Fils. On dit qu’il
a sa puissance propre et qu’il est tout puissant, parce qu’il subsiste
dans sa propre personne, et qu’il fait tout ce qu’il veut dans toute créature.
Et plus
bas : Il est la vie
vivifiante, la lumière qui illumine, il est bon et est la bonté, le Seigneur de
tous. Il envoie les apôtres, inspire où il veut, partageant les dons
comme il le veut. Il est l’esprit de vérité, de sagesse, par qui le Père
est connu et le Fils glorifié.
Nous avons omis bien
des choses et nous n’avons recueilli que ce qui concerne la question
présente. On dit de l’Esprit qu’il est la vie, et le Fils dit qu’il
est la Vie : Je suis la
Vie. (Jn X1V, 16)
On dit de l’Esprit qu’il est vivifiant, et le Fils dit de lui-même :
Le Père vivifie ceux qu’il veut, et le
Fils vivifie ceux qu’il veut. (Jn V, 21) Si donc l’Esprit est
la Vie, et si le Fils est la Vie, si l’Esprit vivifie et si le Fils
vivifie, ils ont une seule substance et une seule opération. Mais
le Fils est vie du Père, et l’Esprit du Fils. Le Fils reçoit du Père
d’être vivifiant; l’Esprit saint reçoit donc du Fils d’être
vivifiant. De la même façon, l’Esprit saint est la lumière et il
illumine; et le Sauveur dit de lui-même : Je suis la lumière du monde. (Jn V111, 12) L’évangéliste Jean
dit du Fils : Qui éclaire tout
homme venant dans ce monde. (ibid 1, 9) Si donc tous les deux, le
Fils et le Saint Esprit, sont la lumière et éclairent le
monde, ils sont d’une seule et même substance, d’une seule
opération. Mais pour être lumière, l’Esprit Saint le reçoit du
Fils; pour éclairer il le reçoit du Fils. Comme l’atteste le
Fils : Il recevra de
moi. (Jn X1V, 14) Il reçoit non comme n’ayant pas ce
qu’il reçoit, mais en procédant.
De même, l’Esprit
est bon. Et le Fils dit de lui-même : Je suis le bon pasteur. (Jn X, 11) L’Esprit saint est la
bonté; le Christ aussi est la Bonté. Personne, à moins d’être insensé, ne
le niera. Mais le bon et le bon ne font pas deux bons, mais un seul bon.
Comme la bonté et la bonté ne font pas deux bontés mais une seule bonté, car il
n’y a pas deux dieux mais un seul Dieu. La déité ne connait pas
d’augmentation du nombre en s’aditionnant. Donc le bon Esprit procède du
bon Fils, mais ne naît pas de lui. Et l’Esprit bonté vient du Fils
bonté, non en naissant de lui, mais en procédant. Autrement, si
l’Esprit saint ne procède que du Père, sans procéder du Fils, comment ce qui
appartient au Fils appartient-il à l’Esprit ?
En disant que
l’Esprit est le Seigneur de toutes choses, saint Grégoire de Naziance affirme
qu’il est tout puissant. Comme le Père a créé toutes choses par le Fils,
l’Esprit n’a pas reçu la toute puissance dans le temps, mais de toute éternité
en procédant du Père et du Fils. En envoyant les apôtres,
l’Esprit saint dit ce que le Sauveur dit aussi : Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. On nous
montre là une seule et même opération de deux personnes agissant
ensemble. Il est donc clair que ceux qui ont en commun la même opération
ne diffèrent ni par la substance, ni par la volonté, ni par la puissance.
Mais le Fils se réfère au Père de qui il nait, et l’Esprit saint au Fils
de qui il procède. Le bienheureux Grégoire continue : Inspirant où il veut, répartissant les dons
comme il le veut. Et saint Paul dit du Fils : En montant dans les hauteurs, il a amené
captive la captivité, et a donné des dons aux hommes. (Eph 1V, 8) Ces
textes démontrent que, parce que l’Esprit n’est ni sujet, ni imparfait, ni
moins puissant, sa majesté est égale à celle du Père et du Fils en nature, en
grandeur, en puissance et en toute vertu. Le fait que, comme le Fils, les
dons qu’il distribue sont les siens et non ceux des autres, que le Fils ne les
distribue pas à une époque et l’Esprit saint à une autre, que le Fils ne les
distribue pas à certains et l’Esprit Saint à d’autres, tout cela montre une
seule et même opération, une seule et même volonté. Et
puisque le Fils ne peut pas être sans l’Esprit ni l’Esprit sans le Fils,
ils sont d’une seule et même substance, et l’Esprit procède du Fils. Il dit que
l’Esprit est l’Esprit de vérité, et le Sauveur dit de lui : Je suis la Vérité. (Jn X1V, 16) En
disant que l’Esprit saint est l’Esprit de vérité, il enseigne manifestement
qu’il est l’Esprit du Christ, lequel est la Vérité et l’Etre.
Le bienheureux
Grégoire dit aussi que l’Esprit saint est l’esprit de sagesse. Or,
l’apôtre Paul atteste que le Christ
est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu. (1 Cor 1, 24) L’Esprit de
sagesse est l’Esprit du Christ qui est la sagesse de Dieu. En disant que
l’Esprit saint est l’Esprit de vérité et de sagesse, il enseigne
clairement qu’il est l’Esprit du Christ. Comment peut-il être du Christ
s’il est, selon saint Grégoire, le Seigneur de tous ? Pas autrement qu’en
procédant du Fils. Car, si tu le niais, tu devrais en faire un
sujet, une créature, un être inférieur au Fils. Ce qui serait
blasphématoire, et répugnerait à la piété catholique. Qu’on
l’appelle donc, comme le veut la vérité, l’Esprit du Christ, et au même moment,
Esprit de vérité et de sagesse. Car en procédant du Christ, il procède de
la Vérité et de la Sagesse. Le bienheureux Grégoire ajoute : par lequel le Père est connu, le Fils
glorifié, et à ceux-là seuls par qui il est connu. Le Fils a dit au
Père : J’ai manifesté mon nom
aux hommes que tu m’as donnés. (Je XXV11, 6) Si le Père est connu par
l’Esprit, et si le Fils manifeste aux hommes le nom du Père, ils font la
démonstration d’une seule et même opération. Il dit même que le Fils est
glorifié par l’Esprit Saint. Et le Fils dit : C’est mon Père qui me glorifie. (Jn V111, 54) Et il dit
au Père : Glorifie-moi, Père,
auprès de toi ! (Jn XXV11, 5) Si l’Esprit glorifie le Fils, et
si le Père glorifie le Fils, il est démontré par là que le Père et l’Esprit
saint ont une seule et même opération. Et s’ils ont une seule et même opération,
ils ont une seule et même volonté, une seule et même essence, une seule
et même puissance. Et il ajoute : Et par ceux seulement qui le connaissent. Si l’Esprit
saint n’est connu que par le Père et le Fils, il est donc consubstantiel
à l’un et à l’autre, et procède de l’un et de l’autre. Et que veut-il
dire en affirmant que le Fils est glorifié par l’Esprit et que le Fils glorifie
le Père ? Que veut-on dire quand on déclare que le Père glorifie le
Fils ? Rien d’autre que manifester que le Fils est né du Père. De
la même façon, le Fils est glorifié par l’Esprit saint quand l’Esprit
montre qu’il procède du Fils.
De bien des façons
donc, le bienheureux Grégoire prouve que l’Esprit saint procède du Fils, et
qu’il est d’une seule et même substance qu’avec eux. Et voici comment il
conclut : Quel besoin
avons-nous d’ajouter d’autres mots ? Tout ce que le Père est le Fils l’est, à
part le fait que le Père n’est pas né. Tout ce que le Fils a le
Saint Esprit l’a, à part le fait que le Fils est né. Que signifie
cette distinction, et le rapport existant entre les
personnes : le Fils est ce qu’est le Père, en dehors du fait que le
Père n’est pas né. Et l’Esprit saint est tout ce qu’est le Fils, à part
le fait que le Fils est né. Car il aurait pu dire : tout ce
qu’est le Père le Fils et le Saint Esprit le sont eux aussi, en dehors du
fait que le Père n’est ni né ni ne procède de personne. Mais ce qu’il dit
c’est que le Fils est tout ce qu’est le Père, mais que l’Esprit saint
n’est pas tout ce qu’est le Père, mais qu’il est tout ce qu’est le Fils
en dehors de la naissance. En parlant ainsi, il enseigne que le
Père n’est de personne, que le Fils est le seul à avoir été engendré du
Père, et que l’Esprit saint procède du Fils. Qu’il procède du Père,
il le dit un peu plus haut : toutes choses sont référées au Père comme à la première origine de
tout, ainsi qu’au Fils unique et au Saint Esprit. En disant
cela, il montre que tout ce qui appartient au Fils est en relation avec
le Père. Et que tout ce qui est à l’Esprit saint se réfère au même comme à la
première origine tout. Car même si l’Esprit procède du Fils, le
Fils reçoit du Père en naissant que l’Esprit saint procède de lui.
Pour que tout ce qu’a le Fils le Père l’ait, et que tout ce qu’a l’Esprit Saint
le Fils l’ait. Et cela par le Père, par qui le Fils reçoit que
l’Esprit saint procède de lui, non en tant que créé mais engendré par le
Père, non comme inférieur, mais d’une puissance égale, non d’un autre,
mais d’une seule et même nature.
Il dit la même chose
par la suite : Vraiment il
était juste qu’il nous apparaisse corporellement quand Jésus demeurait
corporellement sur la terre, et qu’il descende vers nous quand le Christ serait
monté vers lui. Celui qui est Seigneur par la puissance est envoyé, bien
qu’il ne soit pas différent de celui par qui il a été envoyé.
Ce docteur montre ici une seule opération et une union des
volontés entre Jésus et l’Esprit saint. Il estime chose digne que
l’Esprit saint nous apparaisse corporellement quand Jésus est venu à nous
corporellement. Il nous montre là une similitude de volonté,
l’Esprit saint voulant se montrer corporellement quand Jésus veut montrer son
avènement aux mortels. Puisqu’il procède du Fils, il lui doit d’être
d’une seule volonté avec le Fils. Il ne pouvait pas différer par le
travail de celui dont il n’était pas séparé par la nature. Pour qu’il
soit toujours uni dans l’action à celui de qui il n’est jamais absent de toute
éternité, et pour qu’il coopère toujours avec celui de qui il procède.
Il
ajoute : Quand le Christ est
monté vers lui, il est descendu vers nous. Il ne veut pas montrer par
là une diminution du Christ, mais l’assomption de l’humanité. Par cette
humanité, Jésus n’est pas monté seulement auprès de l’Esprit saint, mais
auprès de lui-même. Parce que celui qui par l’humanité était devenu un
parmi d’autres, était par la divinité au-dessus de tous. Et il
ajoute : Celui qui vient comme
le Seigneur par la puissance est envoyé… Il dit deux choses au sujet
de l’Esprit Saint : qu’il est venu et qu’il a été envoyé.
C’est par sa puissance propre qu’il est venu. C’est pour cela qu’il l’appelle
Seigneur. Mais c’est par un autre qu’il a été envoyé. Il se
sent alors obligé d’expliquer : bien
qu’il ne soit pas différent de celui par qui il est envoyé. En
effet, car la mission n’implique par l’idée de sujétion mais de
procession. Il est véritablement envoyé par le Christ celui vers lequel
le Christ est monté. Et il est envoyé comme quelqu’un qui ne diffère pas
de Dieu, c’est-à-dire du Christ. Il est toujours uni par la volonté à
celui qu’il l’envoie, parce qu’il procède de lui.
Il continue : A cause de cela, depuis l’ascension du
Christ, un autre paraclet ne nous fait jamais défaut, i.e. un avocat et
un conseiller. On dit un autre paraclet pour faire connaître l’égalité de
nature et de puissance. Car un
autre veut dire un alter ego. On ne parle pas d’alter ego pour quelqu’un qui
est d’un autre genre ou d’une autre nature ou substance. Le Christ
est appelé Paraclet, et le Saint Esprit Paraclet, et quand le Christ s’en va,
l’Esprit saint vient pour que les fidèles ne soient pas sans Paraclet, le
Christ ou l’Esprit saint. Il est clair qu’en leur donnant le même nom, on
montre qu’ils ont la même fonction. Le fait que l’un succède à l’autre démontre
qu’ils n’ont qu’une seule et même volonté, une seule et même opération. Et
comme c’est le Christ qui monte et l’Esprit saint qui descend, il est
évident qu’il est envoyé par le Christ puisqu’il le représente. Cette
mission ne peut être qu’une procession, parce qu’elle n’est pas un
amoindrissement ou une sujétion. En disant que l’Esprit saint a été
envoyé comme un alter ego du Christ, on évoque une similitude complète. On ne
peut pas appeler alter ego quelqu’un qui est d’un autre genre, d’une
autre substance ou d’une autre nature. Cette expression démontre donc que le
Saint Esprit procède de celui dont il a la nature et la substance. Il ne
peut pas en effet être de la même nature ou substance que le Christ sans en
procéder.
Il a ajouté plus
bas : Dieu est donc le feu. Le
Saint Esprit est aussi le feu. On dit que Dieu est feu consumant, mais non
naturel et corporel, mais spirituel et invisible. Dieu le Père est donc le feu, Dieu le
fils est le feu, et Dieu l’Esprit saint est le feu. Mais le Père est
le feu d’aucun autre feu, parce
qu’il ne tire son origine de personne. Dieu le Fils est le feu parce qu’il est
né du Père qui est le feu. L’Esprit saint est le feu, mais du Fils
qui est le feu, parce qu’il procède du Fils. En disant que Dieu est
feu et que l’Esprit saint est feu, on proclame qu’il n’y a qu’une seule
substance dans la trinité. Il dit que Dieu est le feu en parlant en
même temps du Père et du Fils. Il parle ensuite à part du Saint Esprit en
disant qu’il est lui aussi le feu. Pourquoi associer les deux premiers,
le Père et le Fils, et mettre à part l’Esprit saint ? Parce qu’il voulait
insinuer que le Saint Esprit procède du Père et du Fils.
Saint Grégoire a
donné cet enseignement au sujet du Saint Esprit dans l’église de
Constantinople, et l’a communiqué dans ses lettres. Il prouvait que l’Esprit
saint est consubstantiel au Père et au Fils et qu’il procède du
Fils. A-t-il été pour cela chassé de l’église ? Son sermon a-t-il
été réprouvé ? L’empereur l’a-t-il privé de sa communion ? Il a
vécu ce grand docteur au temps des empereurs Gratien et Théodose le
grand. Cinq siècles se sont déroulés depuis le concile de
Nicée, et jamais, pendant tout ce temps, on n’a nié que le Saint Esprit
procède du Fils. Et jamais aucune objection n’a été soulevée avant
vous. C’est la vérité que l’Eglise orientale est toujours demeurée dans
la même profession de foi que l’Eglise latine. Qu’après tant de siècles,
vous trouviez à y redire, c’est à vous à y voir. Vous ne pouvez
avancer ni arguments ni raisons valables, parce que votre sentiment
répugne à la vérité, résiste à la vérité, et s’oppose aux saintes pages.
CHAPITRE QUATRE
Saint Ambroise
Ambroise, évêque de
Milan, homme brillant de l’éclat de toutes les vertus, a livré plusieurs
combats contre les Ariens, et a été victime de leurs persécutions
injustes. Dans le livre qu’il a composé sur le Saint Esprit contre l’hérésie
arienne, il corrobora la vérité évangélique avec toutes les ressources de
la rhétorique. Il dit : Si tu
nommes le Christ, tu désignes en même temps Dieu le Père qui l’a oint, le
Fils qui a été oint, et l’Esprit qui l’a oint. Et si tu nommes le Père, tu
désignes en même temps son fils et l’Esprit de sa bouche. Pourvu que tu
les professes aussi de cœur. Et si tu dis l’Esprit, tu désignes Dieu le Père de
qui il procède, et le Fils, parce qu’il est l’Esprit du Fils. Le
bienheureux Ambroise enseigne qu’en en nommant un, on entend toute la trinité,
démontrant par là l’égalité substantielle des trois personnes. En une
seule parole les trois personnes sont donc comprises, sans qu’il soit
besoin de les nommer, en vertu seulement de l’unité que leur donne
l’égalité substantielle. Il dit que l’Esprit procède du Père.
Nous n’avons rien à redire à cela. Nous le confessons comme lui. Mais
quand il dit qu’en nommant le Fils on nomme également l’Esprit saint, parce
qu’il est l’Esprit du Fils, vous vous séparez de nous. Vous qui refusez
de professer que l’Esprit saint procède du Fils, vous refusez également de
reconnaître qu’il est l’Esprit du Fils. Or, si l’Esprit saint ne procède
pas du Fils, on n’a pas le droit de dire qu’il est l’Esprit du Fils. On
dit qu’il est l’Esprit du Père parce qu’il procède du Père. Saint
Ambroise enseigne qu’en nommant le Fils on nomme l’Esprit saint.
Ce qui ne peut se concevoir que si l’Esprit est l’Esprit de Jésus. Car il
n’appartient pas à celui dont il ne procède pas. En disant que l’Esprit
saint est l’Esprit du Fils, il affirme donc qu’il procède du Fils.
Il continue
ainsi : Celui qui nie l’Esprit
saint nie le Père et le Fils. Car c’est le même qui est l’Esprit du Père
et l’Esprit du Christ. Personne n’hésitera à affirmer qu’il n’y a qu’un
seul et même Esprit. Il montre que Dieu est un, que l’Esprit
saint est consubstantiel au Père et au Fils quand il dit : Celui qui nie l’Esprit Saint nie le Père et
le Fils. Car il n’y a qu’un seul et même Esprit pour les deux. Il est
l’Esprit du Père parce qu’il procède du Père. Il ne peut donc être
l’Esprit du Fils que parce qu’il procède du Fils. Car il n’y a pas deux
Esprits, mais un seul. Il n’y en pas un qui est l’Esprit du Père, et un autre
qui est l’Esprit du Fils. Mais le même Esprit pour les deux. Il
procède donc de l’un et de l’autre.
Et un peu plus
loin : L’Esprit saint n’est
pas envoyé d’un lieu à un autre, ni ne procède en passant d’un lieu
à un autre. Il est comme le Fils qui, selon sa parole, a
procédé du Père et est venu. Il atteste clairement que l’Esprit saint
procède du Fils. Mais cette procession ne se mesure pas par des espaces
corporels. Le Fils lui-même exclut cette opinion quand il
dit : j’ai procédé et je suis
venu. (Jn V111, 42) Le Fils procède du Père non par un déplacement
local, mais en naissant. L’Esprit saint procède donc du Fils non
par un déplacement local, non en naissant, mais en accédant à l’existence.
Un peu plus bas, en
parlant du Fils qui procède du Père, il disait : Quand il sort du Père, il ne
change pas de lieu, et n’est pas séparé de lui comme un corps d’un autre
corps. Et quand il est avec le Père, il n’y est pas comme un corps l’est
dans un autre corps. Ainsi, le Saint Esprit n’est séparé ni du Père ni du
Fils quand il procède du Père et du Fils. En disant que l’Esprit
saint procède du Père et du Fils, cet éminent docteur et très illustre
confesseur du Christ enlevait un prétexte de blasphème aux ariens qu’il
combattait. Ils ne pourraient pas remporter la palme de la victoire
ceux qui le présentaient comme une créature, un être inférieur non seulement au
Père mais même au Fils. Entendant dire qu’il procède du Père et du
Fils, ils savaient par le fait même qu’il était consubstantiel au Père et
au Fils, et que la même adoration et la même gloire lui étaient dues.
Et plus bas, il cite
les paroles du Fils : Celui
qui m’aime gardera ma parole, et mon père l’aimera, et nous viendrons en
lui pour y établir notre demeure. (Jn X1V, 23) Puis il
commente : L’Esprit saint
vient en même temps que le Père, car où est le Père est le Fils, et où
est le Fils est l’Esprit saint. Comment peut-il dire que là où
est le Père, là est le Fils, si ce n’est parce que le Fils nait du Père, sans
en être jamais séparé. Et pourquoi là où est le Fils, là est
l’Esprit saint si ce n’est parce que l’Esprit Saint procède du Fils, sans
jamais s’en séparer ? Il montre la consubstantialité ineffable de la
trinité quand il atteste que le Fils est toujours dans le Père et l’Esprit
toujours dans le Fils. De sorte que là où est le Père le Fils est, et là
où est le Fils, l’Esprit saint est lui aussi. Séparés ni par le
lieu, ni par le temps, ni par la volonté, ni par l’action, ni par
l’essence.
Il ajoute un peu
plus loin : Comme le Père a
livré le Fils, et comme le Fils s’est livré lui-même, reconnais que l’Esprit
saint l’a lui aussi livré. Car il est écrit : Il fut alors amené dans le désert par
l’Esprit saint pour y être tenté par le démon. (Matt. 1V) Donc l’Esprit qui est amour a livré le
Fils. Car la charité du Père et du Fils est une. Quand il dit
que la charité du Père et du Fils est une, il atteste que l’Esprit est l’Esprit
de l’un et de l’autre. Car l’Esprit est charité. L’Apôtre dit en
effet : le fruit de l’esprit est la
Charité. (Gal V, 22) Il montre qu’en étant la charité de
l’un et de l’autre, il procède de l’un et de l’autre. Il ne peut
pas être la charité du Père sans procéder de lui, car il ne peut la recevoir
d’ailleurs. Il ne peut non plus être la charité du Christ sans procéder de lui,
car la charité reçoit, de la procession, de pouvoir aimer. Et comme la
charité du Père est la même que celle du Fils, ils n’ont donc tous les
deux qu’un seul Esprit qui procède de l’un et de l’autre.
Dans le deuxième
livre, il dit au chapitre X11 : L’Esprit
saint reçoit du Fils. Il reçoit par l’unité de la substance, comme
le Fils reçoit du Père. En parlant ainsi, n’enseigne-t-il pas
clairement que l’Esprit saint reçoit du Fils; et que ce qu’il reçoit, il
le reçoit en procédant ? Le Saint Esprit peut-il recevoir du Fils quelque
chose qu’il ne possédait pas, puisqu’il est d’une seule et même substance,
d’une seule et même puissance avec le Fils. L’Esprit saint n’a-t-il donc
pas tout ce qu’a le Fils ? Saint Ambroise en tire la preuve de
l’Ecriture : Il me glorifiera
parce qu’il recevra de moi, et il vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à
moi. C’est pour cela que je vous ai dit qu’il recevra de moi, et qu’il
vous l’annoncera. (Jn XV1, 14) Il dit ensuite : Qu’est-ce qui est plus évident que cette
unité ? Ce que le Père a, le Fils l’a. Et ce que le Fils a, l’Esprit saint le
reçoit. Par ces paroles, saint Ambroise atteste nettement
que l’Esprit saint procède substantiellement du Fils. Il dit :
Ce que le Père a le Fils l’a, car il a été engendré par le Père. Ce qui
appartient au Père appartient au Fils. De la même façon, en procédant
substantiellement du Fils l’Esprit saint reçoit du Fils, de façon que tout ce
qu’a le Fils l’Esprit saint l’ait aussi. C’est-à-dire qu’il reçoit du
Fils d’être une seule substance avec lui, comme le Fils reçoit du Père d’être
une seule substance avec lui.
Il ajoute
ensuite : Ce que dit le Fils
le Père le dit aussi; et ce que le Père dit, le Fils aussi le dit. Et le Fils
de Dieu dit de l’Esprit saint : il ne parlera pas de lui-même, mais non sans
la communion avec moi et avec le Père. Car l’Esprit n’est ni séparé ni
divisé. Mais il dira ce qu’il entend. (ibid 13) Il entend par l’unité de la substance et par
la science qui lui est propre. Ce docteur catholique confesse ici que
l’Esprit saint ne parle pas sans être en communion avec le Père et le
Fils. Ce qui signifie que quand l’Esprit saint parle, le Père parle, le
Fils parle. Il confesse donc qu’il est consubstantiel au Père et au Fils,
que son opération est celle du Père et du Fils, qu’il n’est ni séparé ni
divisé. Et en ajoutant qu’il dit ce qu’il entend, il nous met sur
la piste de la procession, car l’Esprit n’entend pas parler le Père et le Fils
à certains moments, en certaines circonstances ou avec ses oreilles, mais
par la communion dans la même substance. C’est ainsi qu’il faut
comprendre ce que dit le Fils : Tout
ce que j’ai entendu de mon Père je vous l’ai fait connaître. (Jn XV,
15) Il a entendu en naissant, en demeurant continuellement dans la
personne du Père, non en percevant un son par ses oreilles à un moment
donné. C’est de la même façon que l’Esprit dit ce qu’il entend : en
procédant du Père et du Fils. Car demeurant substantiellement dans chacun
des deux, et procédant de l’un et de l’autre, il écoute ce qu’il
entend par l’unité de la substance et la communion de la science.
Et plus bas. Le Fils du Père a tout, comme il le dit
lui-même : toutes les choses qui appartiennent au Père
m’appartiennent. (Jn XV1, 15) Et
ce qu’il reçoit par l’unité de la nature, par la même unité, l’Esprit saint le
reçoit de lui. Comme le Seigneur Jésus le déclare lui-même en parlant de
son Esprit : Il recevra de moi, et vous l’annoncera. (ibid
14) Il dit que tout ce qu’a le Père, le Fils l’a, et que tout ce qu’il
reçoit du Père par l’unité de la nature l’Esprit saint le reçoit de lui.
Ne déclare-t-il pas clairement par là que le Fils nait du Père i.e. de la
substance paternelle, et que l’Esprit saint procède du Fils, i.e. de la
substance du Fils. Comme le Fils en naissant reçoit tout ce qui est du
Père, de la même façon, l’Esprit saint, en procédant du Fils, reçoit tout qui
est du Fils. Et si ce que donne le Fils est du Père, à qui le donne-t-il
? A nul autre qu’au Saint Esprit qui procède de lui. Et si ce
qu’a donné le Père le Fils le reçoit en naissant, il a reçu aussi du Père que
l’Esprit saint procède de lui. Il conclut : Le Fils ne dit rien de lui-même, l’Esprit saint ne dit rien de
lui-même, parce que la Trinité ne dit rien en dehors d’elle-même. Toute
la trinité consiste dans le Père, le Fils et le Saint Esprit. Le Fils ne
dit rien de lui-même, car il n’origine pas de lui-même mais du Père. De
la même façon, l’Esprit saint ne dit rien de lui-même, car il n’origine
pas de lui-même mais du Fils. Le Père est le seul à ne venir de
personne. Donc, quand le Fils parle, toute la trinité parle. Quand
l’Esprit saint parle, toute la trinité parle. Et quand le Père parle,
toute la trinité parle, car la trinité ne dit rien en dehors d’elle-même,
car elle n’est ni divisée, ni séparée.
Dans le troisième
livre de la même œuvre, au chapitre premier. Car selon la divinité, l’Esprit n’est pas au-dessus du
Christ, mais dans le Christ. Car, comme le Père est dans le Fils et
le Fils dans le Père, l’Esprit de Dieu et l’esprit du Christ est dans le Père
et dans le Fils. En disant que, selon la divinité, l’Esprit saint
n’est pas au-dessus du Christ, mais est dans le Christ, le bienheureux Ambroise
distingue son humanité de sa divinité. Nous lisons dans l’Evangile, que
l’Esprit saint vint sur le Sauveur et demeura sur lui, et que le Père a dit à
Jean : Celui sur lequel tu
verras descendre et demeurer l’Esprit saint. (Jn 1, 33) Il est vrai
de dire que, selon l’humanité, l’Esprit vint sur le Christ et demeura sur
lui. Ce qui ne l’empêche pas de demeurer dans le Christ, selon la
divinité, parce qu’il est égal au Fils, et d’une seule substance avec
lui. L’Esprit saint demeure dans le Fils comme il est écrit que le Père
demeure dans le Fils et le Fils dans le Père. En disant que l’Esprit de
Dieu et l’Esprit du Christ demeure dans le Père et le Fils, il atteste qu’il
n’y a qu’un seul Esprit qui est l’Esprit de l’un et de l’autre, et qui demeure
dans les deux par la consubstantialité.
Il joute : Il demeure en Dieu parce qu’il est de Dieu
comme il est écrit : Ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu,
mais l’Esprit qui est de Dieu. (1 Cor 11, 12) Et l’Esprit saint
demeure dans le Christ parce qu’il reçoit du Christ, et est dans le Christ. Car
il est écrit : Il recevra de
moi. (Jn XV1, 14) Comment l’Esprit saint est-il de Dieu ?
En procédant de Dieu. Et comment reçoit-il du Christ ? En
procédant du Christ. Et comment demeure-t-il en Dieu et dans le
Christ. Parce qu’il est consubstantiel aux deux. Il dit
ensuite en parlant de l’antéchrist : Que le Seigneur Jésus tuera par l’Esprit de sa bouche. (11 Thes 11,
8) On ne parle pas ici d une grâce
acquise, mais de la personne du Saint-Esprit. Car le Christ n’est pas sans
l’Esprit ni l’Esprit sans le Christ, puisque l’unité de la nature divine ne
peut pas être séparée. » Saint Ambroise fait ici la distinction
entre l’humanité du Christ et sa divinité, non que autre soit l’homme et
autre le Dieu, mais parce que un Dieu parfait et un homme parfait sont un seul
Christ. C’est par la grâce que l’homme est fait Dieu; Dieu est Dieu
par nature. Donc, quand il dit : que
le Seigneur Jésus par l’Esprit de sa bouche, et quand il ajoute
qu’il ne s’agit pas là d’une grâce acquise, il met de côté l’humanité, et
par l’Esprit de sa bouche ---qui exterminera l’antéchrist----il faut
entendre l’Esprit de la divinité, l’Esprit saint, la troisième personne
de la trinité. Et quand il dit : Que Jésus le Seigneur tuera par l’Esprit de sa bouche, tu dois
comprendre que l’Esprit saint est l’Esprit de Jésus. Quand du même Esprit
il dit qu’il est l’Esprit de la bouche du Seigneur et l’Esprit de la bouche du
Seigneur Jésus, il montre clairement que l’Esprit saint procède de la bouche du
Seigneur Jésus, non en tant que selon la divinité, il ait une
bouche, mais en tant que procédant de sa substance. Comme on dit l’Esprit
de la bouche du Seigneur parce qu’il procède de la substance du Père.
Quand on lit qu’il est l’Esprit de la bouche du père et du Fils, on enseigne
donc qu’il procède du Père et du Fils.
Il poursuit le
bienheureux Ambroise en disant que le Christ et l’Esprit conservent leur
individualité. Parce que le Christ n’est pas sans l’Esprit, ni l’Esprit sans le
Fils. Le Christ ne peut pas être sans l’Esprit saint, car l’Esprit
lui est consubstantiel et procède de lui. L’Esprit saint ne peut
pas lui non plus être sans le Christ, car il reçoit tout ce qu’a le Christ. Il
en explique la raison : parce que
l’unité de la nature divine ne peut pas être rompue. En disant
cela, il déclare que la nature du Christ est la nature du Saint-Esprit et
que la nature du Saint Esprit est la nature du Christ. Dans cette unité
consubstantielle, rien ne les distingue l’un de l’autre que la naissance ou la
procession. Choses qui ne se rapportent pas à la substance mais aux personnes.
Il dit un peu plus
bas : On lit que l’Esprit saint est
le glaive du Verbe. On lit aussi que le Verbe de Dieu est le glaive de
l’Esprit saint. (Eph V1, 17) Et après quelques autres réflexions, il dit en
conclusion : Comme l’Esprit
saint est le glaive du Verbe, et le Verbe le glaive de l’Esprit saint, il y a
là une unité de puissance. Mais le glaive du Verbe est-il quelque chose
d’autre que le Verbe ? Et le glaive de l’Esprit saint quelque chose
d’autre que l’Esprit saint ? On en déduit donc que l’Esprit saint est
l’Esprit du Verbe, puisqu’il en est le glaive; et que le Verbe est le glaive de
l’Esprit saint, puisqu’il en est le glaive. Puisque le Verbe n’est
pas sans l’Esprit, et l’Esprit sans le Verbe, ils n’ont à eux d’eux
qu’une seule opération, qu’une seule puissance. Puisqu’il en est
ainsi, on ne peut les séparer par la substance, ni les diviser par la
volonté. Puisqu’ils sont d’une seule substance et d’une seule
volonté, l’un procède de l’autre : l’Esprit procède du Fils.
Car le Fils né du Père donne à l’Esprit saint tout ce qu’il reçu en
naissant. Non comme à un inférieur, un étranger, mais comme à quelqu’un
qui procède de lui.
Quand il dit que
l’Esprit saint est le glaive du Verbe et le Verbe de Dieu le glaive de l’Esprit
saint, il ne montre pas une union dans les personnes mais dans la
substance : une unité dans la substance sans l’unité dans les
personnes. Au niveau des personnes, l’un est de l’autre, l’Esprit saint
du Fils, non le Fils de l’Esprit saint, mais du Père.
C’est ainsi que
saint Ambroise pensait et enseignait au sujet du Saint Esprit. Il n’a pas
été considéré comme un ingrat ou un hérétique par les empereurs des Grecs
Gratien et Théodose le Grand, dont il était le contemporain. Au
contraire, ils l’eurent toujours en haute estime, et lui manifestèrent une
affection toute particulière. Ce protecteur infatigable de la foi
catholique, attaqua ceux qui attaquaient l’Eglise, et en triompha. C’est à vous
de voir, empereurs, à quoi vous emploierez votre zèle, à défendre la foi ou à
imiter les hérétiques ! En niant que l’Esprit saint procède du Père, vous
avez, à l’encontre des évêques catholiques, promu une doctrine qui
ressuscite les dogmes impies des Ariens. Et vous avez foulé aux pieds la
piété des anciens empereurs romains vos prédécesseurs, qui ont toujours
professé cette foi, et qui lui ont voué un attachement indéfectible.
CHAPITRE CINQ
DIDYME L’AVEUGLE
Didyme d’Alexandrie, privé dès son enfance des yeux du
corps, fut illustre par la vue de
l’esprit. Dans le livre qu’il a écrit
sur l’Esprit saint, il parle ainsi :
Celui donc qui est en communion
avec l’Esprit saint est par le fait même en communion avec le Père et le Saint
Esprit. Et celui qui a la charité du
Père l’a du Fils en tant que communiquée par l’Esprit saint. Et celui qui participe à la grâce du Christ a la même grâce donnée par le Père
dans l’Esprit saint. Toutes ces
paroles font montre que l’opération de chacune des trois personnes de la
trinité est exactement la même. Reprenons attentivement ses paroles. Il a dit : Quiconque est en communion avec l’Esprit saint. ----il est en
communion avec l’Esprit saint celui qui en est devenu participant---est en communion par le fait même avec le
Père et le Fils. Car, étant en
communion avec l’Esprit saint, il participe au Père et au Fils. Il
montre par là que l’Esprit saint est consubstantiel au Père et au Fils, puisqu’on ne peut avoir l’Esprit saint sans
avoir le Fils et le Père.
Il
ajoute : Et celui qui a la charité
du Père l’a par le Fils communiquée par l’esprit Saint. Il n’a montré plus haut que la
consubstantialité du Père et du Fils. Il commence maintenant à enseigner la
procession de l’Esprit. La charité du
Père il l’appelle Esprit saint, comme il
disait d’abord qu’elle était communiquée par l’Esprit saint. Quand le Saint Esprit communique la charité,
il accorde un don qui lui est propre, parce qu’il est la charité. Cette charité est dite la charité du Père
parce que l’Esprit saint est l’Esprit du Père.
Et d’où lui vient cet Esprit ? Il
procède de lui. Il n’est pas l’Esprit
des créatures, ce qui le rendrait étranger à la substance du Père. Il n’est donc pas l’Esprit du Père parce qu’il
aurait été créé par lui, mais parce
qu’il lui est consubstantiel, et procède
du Père. Il dit que celui qui a la
charité du Père l’a comme la recevant du Fils par le Saint Esprit. Comment le Fils peut-il communiquer le don du
Saint Esprit ? En tant que coopérateur
du Père et de l’Esprit. Mais comment
peut-il communiquer comme venant de lui ce qui est d’un autre, i.e. le don du Saint-Esprit
? Parce que la charité qui est du Père
et que le Fils communique par le Saint-Esprit est également la charité du Fils,
car tout ce qu’a le Père le fils l’a. La charité qui est l’Esprit saint
est-elle au Fils pour faire de l’Esprit une créature ? Jamais.
Elle est accordée par le Fils parce que l’Esprit procède de lui; et elle est du Fils parce qu’elle lui est
consubstantielle.
Il ajoute
encore : Et celui qui participe à la
grâce de Jésus Christ. Dans ce
passage, la grâce de Jésus il l’appelle
grâce du Christ, celle-là même qu’il appelait la charité du Père. Pourquoi appelle-t-il maintenant grâce du
Christ ce qui est manifestement un don du Saint-Esprit ? Sans aucun doute, il montre que Jésus-Christ a contribué à ce
que ce soit un don de l’Esprit. Comme on
dit la charité du Père parce qu’elle procède du Père, en appelant cette même
charité la grâce du Christ, on apprend qu’elle procède de Jésus-Christ. Cette
même grâce que quelqu’un a du Christ il dit qu’elle lui a été donnée par
l’Esprit saint. Nous voyons ainsi que c’est toute la trinité qui agit en lui en
commun, et que le Saint-Esprit qui est la charité du Père et du Fils procède du
Père et du Fils. Il conclut : Tout cela nous démontre que le Père, le Fils
et le Saint Esprit ont la même opération.
Ayant une même opération, ils ont une même volonté, et ayant une
même volonté, ils ont une même substance.
Voilà pourquoi
il ajoute : Ceux qui ont la même
opération ont une seule substance, parce que ceux qui sont consubstantiels ont
les mêmes opérations. Ceux qui ont des substances différentes ont des actions différentes. Il donne comme preuve que l’Esprit saint
est consubstantiel au Père et au Fils le fait qu’il a la même opération
qu’eux. Mais nous avons montré plus haut
qu’il est l’Esprit du Père et du Fils parce qu’il procède du Père et du
Fils. Il dit par après : Après
avoir dit que ce n’est pas le Fils mais
l’Esprit qui enseignera aux disciples quoi répondre, il ajoute ensuite :
Je leur donnerai une sagesse à laquelle ils ne pourront résister ni répliquer (Luc,
XX1, 15) Ces paroles nous montrent que la
sagesse qui est donnée aux disciples par le Fils est la sagesse du
Saint-Esprit, et que la doctrine de l’Esprit est la doctrine du Seigneur. La
sagesse qui est donnée par le Fils comment peut-elle être la sagesse du Saint
Esprit ? Pas autrement que parce que
l’Esprit procède du Fils, dont la sagesse est aussi la sagesse du Saint
Esprit. Et comment la doctrine du Saint
Esprit est-elle la doctrine du Seigneur ? Parce que tout ce qu’a l’Esprit le
Seigneur Jésus Christ l’a aussi, puisqu’il procède de Lui. C’est pourquoi il ajoute : l’Esprit et le Fils n’ont en commun qu’une
seule nature et une seule volonté. On
atteste que l’Esprit procède du Fils quand on le dit d’une même nature et d’une
même volonté que celles du Fils. Car,
s’il ne procédait pas du Fils, il ne
serait pas d’une seule et même volonté avec lui. Ceux que les substances séparent, la volonté
aussi les sépare.
Il dit
ensuite : Et parce qu’il a été
démontré plus haut que l’Esprit saint est associé par nature avec le Père et le
Fils, le Fils et le Père sont donc un.
C’est le Fils qui le dit : Moi et le Père nous sommes un. La trinité apparait donc indivisible selon la
nature. Si c’est par nature que
l’Esprit saint est associé au Dieu Fils unique et au Dieu Père, il procède donc du Dieu fils unique. S’il procède du Père sans procéder du Fils,
il est uni au Père par la nature, mais ne l’est pas avec le Fils unique. Il ne peut pas être uni à lui par la nature
s’il n’en procède pas. Mais l’auteur
atteste que l’Esprit saint est associé par nature au Fils unique. Il affirme donc que l’Esprit procède du Fils
unique. Et comme il dit que la trinité
est indivise et inséparable selon la nature,
il affirme que le Fils est engendré par le Père, et que l’Esprit procède du Père et du Fils. Si tu enseignes que l’Esprit saint ne procède
que du Père, la trinité n’est plus inséparable et indivisible. Car l’Esprit n’est pas uni substantiellement
au Fils, s’il n’en procède pas. Il est séparé du Fils s’il n’est pas son
Esprit. Que les membres de l’église catholique s’éloignent de cette opinion
impie. Car la sainte trinité est inséparable et indivise par nature, le Père n’étant de personne, le Fils étant né
du Père, et l’Esprit saint procédant du Fils.
Il dit la même
chose : Dans un autre évangile on lit : Ce ne sera pas vous qui parlerez,
mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. L’Esprit
du Père parle par les apôtres leur enseignant ce qu’ils doivent répondre; et
les enseignements de l’Esprit sont la sagesse, ce qui ne peut se rapporter
qu’au Fils. Il
apparait donc clairement que la nature de l’Esprit est la même que celle du
Fils et du Père dont il est l’Esprit. Or
le Père et le Fils sont un. Il dit cet auteur que la sagesse que l’Esprit
du Père enseigne aux fidèles est le Fils.
Si le Fils est la sagesse, et si l’Esprit saint parle par les
Apôtres, cette sagesse il la reçoit du
Fils. Comment la reçoit-il ? En procédant, évidemment, non en participant
à ce qu’il n’avait pas avant. Car il ne
fut pas pendant un certain temps un Esprit sans sagesse. Mais il a reçu du Fils d’être toujours sage en procédant de
lui. Car il est d’une seule nature avec
le Fils et le Père, dont il est l’Esprit.
Il ne parle pas ainsi pour laisser entendre que l’Esprit n’est pas
l’esprit du Fils, puisque l’Esprit parle
avec la sagesse du Fils. Mais parce
qu’il avait dit plus haut : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais
l’Esprit de votre Père. Car il dit un peu après : Le Père
et le Fils sont une seule et même chose.
Si le Père et le Fils sont une seule et même chose, l’Esprit qui est du Père est aussi du
Fils. Il procède donc de l’un et de
l’autre.
Plus loin, au
troisième livre, après avoir dit beaucoup de choses sur la consubstantialité du
Père, du Fils et du Saint Esprit, il conclut ainsi : On
conclut de là que la substance de la trinité est indivisible, que le Père est
vraiment le Père du Fils, que le Fils est vraiment le Fils du Père, et que
l’Esprit saint est vraiment l’Esprit du Père et du Fils; qu’il est en plus
l’Esprit de la Sagesse et de la Vérité, i.e. du Fils de Dieu. Le Père est Père du Fils parce qu’il l’a
engendré, le Fils est le fils du Père
parce qu’il a été engendré par lui, et
l’Esprit saint est vraiment l’Esprit du Père parce qu’il procède de lui.
En conséquence, l’Esprit de la Sagesse et de la Vérité, est l’Esprit du Fils de
Dieu parce qu’il procède de lui, de sa sagesse et de sa vérité. Car, quand il a dit que l’Esprit saint est
l’Esprit de Vérité, il en a déduit qu’il était l’Esprit de Dieu, la troisième
personne de la trinité. Mais pour ne pas
entraîner de confusion chez le lecteur, il ajoute par après : L’Esprit
de sagesse et de vérité, i.e. l’Esprit du Fils de Dieu.
Il dit ensuite :
Nous avons souvent montré que
l’opération du Saint Esprit est la même que celle du Père et du Fils, et que
dans une seule et même opération se trouve une seule et même substance, et qu’à
l’inverse, ceux qui sont consubstantiels n’ont pas d’ opération
différente. L’opération de l’Esprit
saint est la même que celle du Père et du Fils, car il leur est consubstantiel
et il procède de l’un et de l’autre. Car
la substance est divisée chez ceux qui ne sont pas unis par une
procession. Le père et le Fils ne peuvent
pas être unis substantiellement autrement qu’en étant une seule substance.
L’Esprit saint, lui, reçoit autant du
Père que du Fils en procédant. Il dit la
même chose un peu plus bas : Le Sauveur dit de l’Esprit de Vérité qui est
envoyé par le Père pour qu’il soit un Paraclet : car il ne parle pas de
lui-même. (Jn XV1, 13) Ce qui
signifie : sans moi, sans mon autorisation et celle du Père. Parce qu’il est inséparable de ma volonté et
de celle du Père. Car celui qui parle et subsiste est de moi et de mon Père.
Moi je dis la vérité, je lui inspire ce qu’il dira en tant qu’Esprit de
vérité. Ce docteur nous enseigne
clairement que l’Esprit saint est du Fils.
Car quand il dit : il ne
parle pas de lui-même, il montre
qu’il ne subsiste pas de lui-même. Et en donnant comme explication : ce qui
veut dire sans moi, sans ma permission et celle de mon Père,
il montre de qu’il est celui qui ne parle pas de lui-même, i.e.
qu’il est du Père et du Fils, sans lesquels et sans l’autorisation desquels il
ne parle pas. Et en disant : ce qui subsiste et qui parle c’est moi la
vérité, il montre que la subsistance de l’Esprit est du Fils. Et si quand l’Esprit parle la Vérité parle,
i.e. le Fils, il montre que l’Esprit reçoit du Fils de parler et de
subsister. Et voulant parler encore plus
clairement, il dit : J’inspire ce
qu’il dit. Comment inspire-t-il
? Pas autrement qu’en faisant procéder
l’Esprit de lui. Dire qu’il est l’Esprit
de la Vérité c’est dire qu’il est l’Esprit du Fils, qu’il est inspiré par lui,
qu’il procède donc de Lui. Et ce que
l’Esprit dit et le fait même de subsister il le reçoit du Fils, non à façon
d’un inférieur, mais comme leur étant consubstantiel, comme procédant
d’eux.
Il dit aussi
plus bas : Dire que le Père parle et que le Fils écoute, ou dire que le Fils parle
et que le Père écoute, c’est montrer qu’ils sont d’une même nature et d’un même
sentiment. L’Esprit saint qui est l’Esprit de Vérité et de Sagesse ne
peut pas entendre le Fils lui dire ce qu’il ne sait pas, car il est lui-même ce
qui est proféré par le Fils. En disant que le Père écoute parler le Père,
il montre que le Fils nait du Père. Quand il dit que le Père écoute parler le
Fils, il montre que la Père a engendré
le Fils. Et comme le Père et le Fils
sont d’une seule et même nature, ils sont toujours du même avis. Que le Père parle au Fils ou que le Fils
parle au Père, cela signifie qu’on parvient toujours à penser de la même façon,
sans qu’on ait eu à concilier des points de vue différents. En proclamant l’Esprit Esprit de Vérité et de Sagesse, il ne fait que déclarer qu’il est l’Esprit du Fils, car
l’Esprit saint ne peut rien apprendre de nouveau en écoutant parler le
Fils. Comme il est d’une seule substance
avec le Fils et qu’il en procède, il dit ce que dit le Fils. Car, selon l’enseignement de notre docteur,
l’Esprit saint en tant que personne est la parole du Fils adressée à
l’Esprit. Après avoir dit que l’Esprit
saint ne pouvait rien entendre de la bouche du Fils qu’il ne savait déjà, il ajoute un peu après : puisqu’il
est lui-même ce qui est proféré par le Fils. Il dit que la substance de l’Esprit saint est
l’émission du Fils. Car
disant : le fait même d’être il
sous-entend l’Esprit saint. Ce qui est
proféré par le Fils, c’est ce que dit le Fils.
Si l’Esprit saint est ce que le Fils dit, comme l’atteste ce
docteur, nul ne peut nier que l’Esprit
procède du Fils. Il est de toute
évidence que la parole du Fils procède du Fils.
Et comme l’Esprit saint est ce qui est proféré par le Fils, il procède
nécessairement du Fils.
Il ajoute : En
conséquence, pour que personne ne le
sépare de la volonté et de la compagnie du Père et du Fils, le Fils a
dit : il ne parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu’il entendra. (Jn XV1, 13) Il avait déjà dit de lui
quelque chose de semblable : Je juge comme j’entends. (Jn V, 38) La volonté du Père est la volonté du Fils, et
l’Esprit des deux jouit de la compagnie des deux, parce que la charité qui est
l’Esprit saint unit la volonté du Père à la volonté du Fils. La volonté de l’Esprit saint ne peut pas se
séparer de la volonté du Père et de celle du Fils. Comme il est l’union des deux, il est de la même volonté que les deux. Et comme la volonté du Fils nait du Père, la
volonté du l’Esprit procède du Fils.
Voilà pourquoi il dit de l’Esprit saint : Il ne
parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu’il entendra. Qui écoute-t-il ? Le Fils, de qui il procède. Comme, pour le Fils, écouter c’est naître du
Père, --- car c’est une seule et même chose pour le Fils d’écouter et de naître
---pour l’Esprit, écouter n’est rien
d’autre que procéder, puisque c’est exactement la même chose.
Et plus
bas : Car il est écrit : tout
ce que le Père fait le Fils le fait semblablement. Toutes les choses que font
le Père et le Fils ils ne les font pas l’un après l’autre, mais les mêmes
choses en même temps. D’autre part, le
Fils ne peut rien faire par lui-même, parce qu’il ne peut pas se séparer du
Père. Il en résulte que l’Esprit saint
qui n’est jamais séparé du Fils, à cause de l’union de volonté et de nature, ne
peut pas parler de lui-même. Mais tout
ce qu’il dit, c’est d’après la parole et la vérité de Dieu. Le Père et le Fils opèrent la même
chose, non en des temps différents, mais
au même moment. Le Fils ne peut pas être
séparé du Père, parce qu’il n’est pas divisible du Père, puisqu’il est né de
Lui, et est de la même substance que le Père.
De la même façon, l’Esprit saint
qui n’est pas séparé du Fils ne parle pas de lui-même; et parce qu’il procède
du Fils, il participe de la nature et de
la volonté du Fils. Car la volonté ne
sépare pas ce que la nature associe.
C’est d’après la parole et la vérité de Dieu qu’il dit toutes choses,
car c’est en procédant de la parole et
de la vérité qu’il perçoit ce qu’il dira.
Car ce qui procède ne diffère pas de
la perception de ce qu’on doit dire, puisque la perception de la
locution est l’existence de la procession. Et vice versa.
Et plus
bas : Comme nous avons appris par la réflexion ce que
nous savons des natures incorporelles,
il nous faut maintenant découvrir ce qui
appartient en propre à l’esprit saint : recevoir du Fils. Tout en nous rappelant qu’il n’y a pas une
substance qui donne et une autre qui reçoit,
mais une seule et même substance. On dit que le Fils a reçu du Père les
choses mêmes qui le rendent
subsistant. Le Fils n’est rien d’autre que ce que le Père
lui donne. Et l’Esprit saint n’est pas d’une autre substance que de ce que le
Fils lui a donné. Il confirme que
l’Esprit procède du Fils en disant que l’Esprit saint reçoit du Fils ce qui
constitue sa nature. En d’autres termes,
la nature de l’Esprit est du Fils; et
recevoir du Fils ne signifie rien d’autre que procéder du Fils. Il n’y a pas une substance qui donne et une
autre substance qui reçoit, comme s’il y avait deux substances, mais la
personne du Fils qui donne pour qu’existe l’Esprit, et la personne de l’Esprit
qui reçoit en procédant du Fils. Et il
confirme son opinion en montrant que quand on dit que le Fils reçoit du Père,
le Fils n’est pas différent de ce qu’il reçoit du Père, car la perception du
Fils par le Père est la subsistance. Ce
qu’il affirme plus clairement par la suite : car le
Fils n’est rien d’autre que ce que lui donne le Père. En d’autres termes, il n’est pas permis de séparer ce que le Père
donne au Fils de la substance du Fils.
Mais la substance du Fils est la substance du Père donnée, car, en
naissant, il perçoit tout ce qui appartient au Père. On doit professer la même chose pour le
saint Esprit. La substance de l’Esprit
saint n’est pas autre chose que ce que le Fils lui donne. L’Esprit saint n’est donc rien d’autre que ce
que le Fils lui donne; le don du Fils
est la substance de l’Esprit saint. Par
ces paroles, il professe manifestement que l’Esprit saint est du Fils. Il n’est pas une partie du Fils, mais il est tout ce qu’est le
Fils. Car tout ce qui est du Fils est du
Saint Esprit. L’Esprit saint a reçu du
Fils en procédant de lui consubstantiellement, et en ayant tout ce qu’il a.
Un peu plus
bas : Voulant ensuite donner une
explication de il recevra de moi, il ajoute immédiatement : tout ce qui est au Père est à moi. C’est
pour cela que j’ai dit qu’il recevra de moi et qu’il vous annoncera ce qu’il
aura reçu. C’est comme s’il
disait : bien que l’Esprit de vérité procède du Père, et que Dieu donne
l’Esprit saint à ceux qui le demandent,
puisque tout ce qu’a le Père je l’ai, il recevra aussi de moi. En parlant ainsi, il enseigne que l’Esprit
procède du Fils comme il procède du Père.
Car l’Esprit de vérité est l’Esprit du Christ qui est la Vérité. Et comme le Fils a tout ce qu’a le
Père, l’Esprit saint lui-même atteste
qu’il est l’Esprit du Fils, et reçoit du Fils.
Que reçoit-il ? La subsistance en procédant de lui.
Dans
ce qui suit il écrit : L’Esprit de Dieu est le même que l’Esprit du
Christ amenant et unissant au Christ celui qui lui appartiendra. Voilà pourquoi il ajoute : Si
quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il
ne lui appartient pas. (Rom V111,
9) Si l’Esprit de Dieu est
l’Esprit du Christ, comme l’atteste cet auteur,
il n’y a pas, sans aucun doute possible, deux Esprits, un celui du
Père, et un autre, celui du Fils, mais un seul et même Esprit, qui est l’Esprit
de l’un et de l’autre. Et si l’Esprit
du Christ est celui qui est l’Esprit du Père,
il procède donc du Fils comme il procède du Père. Car on ne peut le dire l’Esprit du Christ
que parce qu’il procède du Fils. Il
n’est pas, en effet, une créature
que le Père considérerait comme un inférieur, mais il lui est
consubstantiel. Et quand il ajoute qu’il
n’est pas l’Esprit du Christ s’il n’a (ne reçoit) pas du Christ, il déclare qu’il provient du
Christ celui qui est du Christ. Il ne
peut pas être du Christ s’il ne possède pas l’Esprit du Christ. Car il n’est pas le Christ celui en qui
n’habite pas l’Esprit du Christ. En
effet, ils ne sont pas séparés localement ceux qui sont unis par la
substance. Ce qui nous montre que
l’union que l’Esprit saint a avec le Fils est la même que celle qu’il a avec le
Père. Il ne peut pas ne pas être uni
avec ceux qui lui sont consubstantiels, et de qui il tire l’existence.
Et un peu plus bas : Mais l’épitre de saint Pierre atteste que
l’Esprit saint est l’Esprit du Christ : scrutant et recherchant le temps
que leur signifiait l’Esprit de Jésus qui était en eux. Et un peu après cet Esprit saint est aussi
appelé l’Esprit de Dieu : personne ne connait les choses qui sont de Dieu
en dehors de l’Esprit de Dieu. (1
Cor 11, 11) Il affirme ainsi que
l’Esprit de Dieu est l’Esprit du Christ, et que l’Esprit saint procède donc des
deux. Car il n’y a pas d’autre raison
pour laquelle il est appelé l’Esprit de l’un et de l’autre. Il est donc égal et consubstantiel. Un peu plus bas il dit : En disant : si quelqu’un n’a pas
l’Esprit du Christ il n’est pas un des siens. (Rom V111, 9), et en ajoutant : si le Christ est en
vous (ibid 10), il démontre le plus clairement du monde que l’Esprit saint est
inséparable du Christ. Car où sera l’Esprit là sera le Christ. Et à l’inverse,
, si l’Esprit du Christ se retire, le
Christ aussi se retire. Cette union du Fils et de l’Esprit n’en est pas une
de volontés seulement, mais elle est consubstantielle. Pas consubstantielle seulement, mais provenant de la procession. Ceux qui sont séparés par la substance
peuvent être unis par la volonté. Nous
en trouvons un exemple dans ce que le Christ disait à ses apôtres : Je suis
avec vous tous les jours. (Matt. XXV111, 30) Ou dans les paroles qu’on vient de
citer : le Christ est là où est son Esprit. Mais il y est par la volonté, non par la
substance. Car Dieu et l’homme ne sont
pas d’une seule substance, mais de
substances différentes. Peuvent s’unir
par la substance ceux qui sont unis par la naissance ou la procession. Donc quand il dit : là où est l’Esprit
saint, là est aussi le Christ, et là
d’où l’Esprit se retire, le Christ se retire aussi, il montre leur union qui n’en est pas une de
volonté seulement mais de substance. Il
montre que le Saint Esprit n’est pas seulement consubstantiel au Fils, mais qu’il procède de Lui.
Ensuite, citant le témoignage de l’Apôtre,
il dit : Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude dans la crainte. (Rom V111, 15) Ce qui
veut dire : vous ne devez pas vous abstenir des vices par crainte ou
terreur à la manière des esclaves, vous à qui a été donné l’Esprit d’adoption,
i.e. l’Esprit saint, lequel est l’Esprit du Christ et du Fils, et qui est
appelé l’Esprit de Vérité et de Sagesse.
Qu’est-ce qu’il sous entend par là ?
Car la Vérité et la Sagesse sont le Christ (d’après le témoignage
plusieurs fois répété de l’Ecriture) Il
n’est pas non plus douteux que le Christ est le Fils du Père. Il affirme donc que l’Esprit saint procède du
Fils, qu’il procède du Christ. Il procède de la Vérité et de la
Sagesse, non pour que les Esprit soient
différents, car il n’y a rien dans ce qui le fait exister comme Esprit qui
fasse conclure à des substances différentes.
Car la Sagesse, la Vérité et le Christ représentent le Fils. Christ à cause de l’homme assumé; Vérité,
selon son propre témoignage : Je suis la Vérité La Sagesse, selon le témoignage de
Paul. Il dit qu’il a été fait par Dieu
pour nous Sagesse. (1 Cor 1, 30)
Pourquoi ont-ils tout cela en commun ?
Sans aucun doute possible, parce que l’Esprit procède du Fils, dont on
dit qu’il est l’Esprit. Car il ne peut
pas en être une partie, ni ne peut être soumis au Fils comme un inférieur ou un
serviteur. D’où cela vient-il qu’il soit
l’Esprit de la Vérité, de la Sagesse et du Christ. De la procession, de la
consubstantialité. L’égalité est
conférée, elle n’est pas imposée. D’où
lui vient donc d’être l’Esprit du Fils ?
Pas autrement qu’en procédant du Fils.
Que
ces brèves citations du livre de Didyme l’aveugle suffisent. Après avoir pensé et écrit de telles choses
sur le Saint Esprit, il n’a été censuré
ni par les Grecs ni par vos empereurs, ni privé de communion. Les Empereurs qui régnaient alors à
Constantinople et à Rome comprenaient que c’était un dogme catholique, une foi
apostolique, qui repoussait la perfidie des hérétiques, et confirmait la doctrine de la vérité. Vous autres, les empereurs modernes, qui
introduisez la secte d’une nouvelle erreur, voyez de quelle foi vous êtes
! Ceux que vous avez eus pour maîtres
dans la discipline du Christ, ce sont eux qui vous convainquent de ne pas être
leurs disciples. Ils sont venus avant
vous, ont défendu la foi catholique, et ont toujours repoussé les inventions
d’un dogme pervers.
CHAPITRE SIX
PASCHASE
A ceux-ci nous joignons ce que l’Eglise romaine a pensé du
Saint-Esprit au même moment, pour démontrer que ce qu’elle prêche n’est pas
l’enseignement d’une nouvelle secte, mais ce qui avait été jadis recommandé par les
Pères, ce qui s’était imposé dans le
corps universel de l’Eglise entière, et
avait triomphé de ses négateurs. C’est donc ridicule de condamner comme
un nouveau dogme ce qui a été toujours été enseigné par non prédécesseurs.
Paschase,
ancien diacre et docteur du siège romain, marchant sur les traces de
Didyme d’Alexandrie, dit ce qui suit dans le livre qu’il a
consacré au Saint Esprit (livre 1, ch 2) :
Ne cherche pas ce qu’est Dieu, lui
dont il est certain qu’il existe. Où la raison est cachée, la vérité ne l’est pas. Pourquoi demander comment est uni au Roi et comment lui est égal
celui dont l’origine royale et les honneurs royaux ne font pas de doute. Une discussion sur le nom est superflue là où
il n’y a aucun doute sur la sublimité. Il
disait cela contre les Ariens qui rejetaient la divinité de l’Esprit
saint, ne voulant pas le confesser
consubstantiel au Père et au Fils. Ils
disaient qu’il était une créature inférieure sujette au Fils. Et il vous réfutait en disant qu’il est
véritablement Dieu, et consubstantiel au Père et au Fils. Il manifeste tout de suite après ce qu’il pense
de la procession : Parce que l’Esprit saint procède de l’un et
de l’autre, il dit : Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ n’est pas l’un
des siens. (Rom V111, 9) Et
ailleurs : Il souffla sur eux et
leur dit : Recevez l’Esprit saint. (Jn XX, 22) Il atteste que l’Esprit
saint procède du Père et du Fils. Et il
appuie son affirmation autant sur l’évangile que sur l’apôtre, tous les deux démontrant que l’Esprit saint
ne peut pas être l’Esprit du Christ sans procéder de lui. Le Christ ne donne pas l’Esprit saint, en
soufflant, autrement qu’en l’envoyant par sa substance. Quand il l’appelle Esprit du Christ, il le
montre relié au Christ non comme un serviteur ---car il n’est pas une
créature--- mais comme tirant de lui son existence en procédant, mais non en
l’engendrant ou en le créant.
Semblablement, quand il l’envoie
en soufflant, il ne l’envoie pas à l’extérieur, ni en dehors de sa propre
nature. On ne peut nier qu’il procède du
Fils celui que, en soufflant, le Fils
envoie du plus intime de sa divinité. Et
il ajoute en parlant du même Esprit :
Est-ce que tu demandes s’il est
engendré ou inengendré ? Les paroles sacrées n’en disent rien. Il est dangereux de rompre les silences
divins. Ce qu’il ‘a pas cru bon de
t’indiquer par les Ecritures, il ne veut pas que tu cherches à le savoir par
simple curiosité. Il a jugé que seul ce
qui concourt à ton salut doit parvenir à ta connaissance. Il dit cela contre ceux qui niant que
l’Esprit saint est une personne de la Trinité, rejetaient sa divinité, sous
prétexte que s’il était Dieu, il serait
ou engendré ou inengendré. S’il est
engendré, il y aurait deux Fils, et on
ne pourrait pas appeler le Sauveur Fils unique, contrairement à la foi
catholique qui professe croire dans le Dieu Père tout puissant, et en
Jésus-Christ son Fils unique. Si on professe qu’il est inengendré, il n’y a plus un seul Père mais deux. Ce qui serait encore plus contraire à la foi
catholique, car nous ne croyons qu’en un seul Dieu Père tout puissant. A ceux qui avaient ourdi des machinations si
perverses, le docteur catholique répond
en affirmant qu’on ne doit dire de l’Esprit saint ni qu’il est engendré,
ni qu’il est inengendré; que les saintes
lettres n’enseignent rien de semblable.
On doit, au contraire, professer ce qu’elles enseignent, à savoir que l’Esprit saint est consubstantiel au Père
et au Fils, et qu’il procède d’eux.
Il dit plus
loin : (chap 10) Dans les actes des apôtres, Pierre le prince
des apôtres dit ceci en prêchant sur le
Seigneur Jésus Christ : une
fois élevé à la droite de Dieu, et la promesse du Saint Esprit ayant été
acceptée par le Père, il a répandu celui que vous voyez et entendez. (Act 11, 33) Le Fils est désigné par la droite, le Père par Dieu, et l’Esprit
saint par son propre nom. Ce passage prouve que l’Esprit saint procède
du Fils, en ce qu’il est dit qu’il est envoyé en soufflant. Il n’a pu infuser que ce qu’il contenait en
lui. Non comme enfermé dans un lieu,
mais demeurant en lui substantiellement.
Il ne l’a pas insufflé en se vidant, comme un vase se trouve vide après avoir
déversé son contenu. Cela pour les
choses corporelles. En Dieu, il en va
bien autrement. Quand le Père ou le
Fils répand l’Esprit, il ne se vide pas,
mais il communique à qui il veut, sans
éprouver aucune perte, la grâce de son don.
Et un peu plus
bas, il cite le témoignage de l’Apôtre :
Vous n’êtes pas dans la chair mais
dans l’Esprit, si seulement l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas
l’Esprit du Christ n’est pas un des siens.
(Rom V111, 9) Quand il réfère
à l’Esprit du Christ celui qu’il avait
appelé l’Esprit de Dieu, observez qu’il donne à la personne du Christ le nom de
Dieu. Et il désigne du nom de Dieu le Père, de qui est l’Esprit, l’Esprit saint qui, par l’unité de la substance,
est déclaré l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils. On
apprend donc qu’il procède de l’un et de l’autre, et qu’il est une personne
distincte dans la trinité. Et celui qui n’a pas l’Esprit a fait la
preuve qu’il n’a pas non plus le Fils. Car
l’Esprit saint est Dieu. Si on le nie,
il faudra aussi nier ce que dit le Christ : personne ne vient au Père que
par moi. (Jn X1V, 6) Celui
qui est sans l’esprit saint, n’est pas du Christ, et il perd la voie qui mène
au Père. Il montre par plusieurs
raisons que l’Esprit saint est Dieu, qu’il est consubstantiel au Père et au
Fils, qu’il procède de l’un et de l’autre, et qu’on ne peut le dissocier des
deux autres, puisqu’il est d’une même nature qu’eux. Il insiste sur une chose : on ne peut
avoir le Christ sans avoir l’Esprit
saint. Et comme l’Esprit saint est
Dieu, celui qui le nie nie le Christ par le fait même. Ce qui ne pourrait se faire s’il ne demeurait pas dans le Christ, s’il ne
lui était pas consubstantiel. En disant
qu’il demeure dans le Christ et qu’il
est consubstantiel au Christ, il démontre que l’Esprit procède de lui. Il ne peut pas demeurer, à moins de procéder
de celui en qui il demeure, et à qui il est uni consubstantiellement. Et comme le Christ est la voie qui mène au
Père, celui qui n’a pas l’Esprit ne peut avoir le Fils pour voie. Car une personne divine ne peut avoir une
autre personne si elles sont divisées par la substance ou la demeure. C’est pourquoi celui qui est sans le Saint
Esprit est aussi sans le Christ. Parce
que celui qui n’a pas la fontaine n’est pas abreuvé par l’eau de la
fontaine. Tout ce qui précède prouve
avec évidence que l’Esprit saint procède du Fils.
Et plus
bas : (Chap. 11) Qu’on ne pense pas
que dans le Saint Esprit il y ait des choses
demi- pleines, parce qu’on le comparerait à la plénitude. Car
celui à qui, comme à l’égal de
Dieu, échoit le premier rang, il n’est pas permis de croire qu’il est
autre chose que Dieu. Celui qui nie
que l’Esprit saint procède du Fils pense qu’il est demi-plein. Et il nie qu’à l’égal de Dieu il ait atteint
le premier rang, celui qui ne reconnait
pas qu’il procède du Fils. Car l’Esprit
saint ne peut pas être conçu comme un Dieu plein, si on nie qu’il est consubstantiel au
Fils. On ne peut pas le représenter comme égal à Dieu, s’il n’est pas consubstantiel au
Fils. Aucun catholique ne confesse
l’Esprit saint autrement que comme le vrai Dieu, comme un Dieu plein et
consubstantiel au Père et au Fils. Il
saura par là que le Fils procède de qui il tire sa substance; et que celui qui
est uni au Père et au Fils par la substance procède nécessairement de l’un et
l’autre.
Il ajoute en
parlant à Tite : Il nous a sauvés par le bain de la
régénération et de la rénovation de l’Esprit saint, qu’il répand sur nous avec abondance par le
Christ Jésus. (Tit 111, 5) Voici ici la trinité à l’œuvre : le Père
répand avec abondance l’Esprit saint par
le Christ Jésus. Et, ce qui est à
noter, il assigne à l’Esprit saint le
pouvoir de régénération et de rénovation.
Le Père répand en nous l’Esprit saint avec abondance par le Christ
Jésus, pour montrer qu’il procède du Père et de Jésus-Christ. Le Père répand l’Esprit saint parce qu’il
l’envoie. Il est répandu par le Christ
Jésus parce qu’il coopère avec le Père en envoyant l’Esprit. Car il ne dit pas que le Père envoie l’Esprit
saint par le Christ Jésus, comme si le Christ ne le répandait pas. Car le Père et le Fils ne sont pas distincts
l’un de l’autre par l’opération. Il le
répand par le Christ Jésus parce quand le Père le répand le Fils aussi le
répand, puisqu’il est envoyé par l’un et l’autre. C’est qu’il procède autant du Fils que du
Père. Cet auteur atteste que la
puissance de l’Esprit saint est égale à celle du Père et du Fils quand il dit
qu’est assigné à l’Esprit saint le pouvoir de régénération et de
rénovation. Afin de le montrer aussi puissant que le Père et le Fils,
consubstantiel à eux et procédant d’eux,
De même un peu
plus loin, au chapitre 12. Il présente
le témoignage du psalmiste qui disait :
Où irai-je où ne serait pas ton
Esprit ? (Ps CXXXV111, 7) Ce qui
signifie : comment me cacher de la vue de celui qui est présent partout ? Et plus
bas. On comprend tout de suite de qui il parle : personne ne peut se cacher de sa
chaleur. (ps XV111, 7) La grandeur ineffable qui pénètre les
profondeurs des océans, qui se répand sur les flots, qui s’étend sur la terre
et s’élève jusqu’aux cieux, qui remplit tout, qui contient tout, c’est cette grandeur-là qu’on dit être
envoyée par le Père et par le Fils,
procéder de leur substance, et faire
la même action qu’eux. Tout ce texte manifeste la majesté de l’Esprit
saint et sa procession. Quand il
atteste qu’aucun lieu n’est privé de la présence de l’Esprit saint, il
l’assimile à la divinité du Père et du
Fils qui pénètre et contient tout. En
disant ensuite que personne ne se soustrait à sa chaleur, il dit de l’Esprit
saint ce qui a été dit aussi du Fils :
Qui éclaire tout homme venant en
ce monde. (Jn 1. 9) Montrant que l’Esprit a la même puissance que
le Christ, le Fils éclairant tout homme, et l’Esprit saint réchauffant tout
homme. En disant qu’il est envoyé par le
Père et par le Fils, et qu’il procède de
leur substance, il montre en même temps
de qui il est, et quelle est sa puissance.
Montrant qu’il est en tout égal au Père et au Fils tant par la substance
que par la puissance, et qu’il procède
de l’un et de l’autre.
Et plus bas,
introduisant le Fils, il dit : Le Paraclet qui procède du Père (Jn XV,
26) Il
n’a pas dit qu’il a été créé par le Père, mais qu’il en procède, i,e, qu’il
possède la même nature et la même puissance.
Ce même texte nous montre que quand il dit qu’il procède du Père, il n’a
pas eu de commencement. Ne va pas
penser qu’en affirmant que l’Esprit saint procède du Père, il voulait nier
qu’il procède aussi du Fils, car quand il a dit, plus haut, qu’il était envoyé
par le Père et par le Fils, il a dit en même temps qu’il procède du Père et du
Fils, et que son opération est la même que celle du Père et du Fils. En disant qu’il
procède du Père avec la même nature et la même puissance, l’Esprit saint n’est
pas plus séparé du Père et du Fils dans l’existence que le Père et le Fils le
sont. Car, comme il est l’Esprit de l’un
et de l’autre, il procède de l’un et de
l’autre. Le fait de procéder du Père et
du Fils ne peut pas le séparer de ceux qui lui sont égaux par la nature et la
puissance.
Il dit un peu
plus bas : Pourquoi dit-on que le Fils nait du Père et que l’Esprit saint procède
? Si tu cherches la différence qu’il y a entre la naissance et la procession,
il est évident qu’elle consiste en ceci :
celui qui nait nait d’une personne et celui procède procède de
deux. Il enseigne par ces paroles
que l’Esprit saint provient du Père et du Fils.
Et il donne la raison pour laquelle il procède aussi du Fils. Car si
nous disons qu’il ne procède que du Père,
nous mettons notre foi en péril.
Car, comment le Verbe peut-il être Fils unique, si l’Esprit n’est que
l’esprit du Père ? Et comment démontrer
qu’il n’est pas un fils celui qui sort du Père comme un fils ? Il faut donc rejeter énergiquement un tel
blasphème, pour que la foi catholique ne soit pas exposée aux traits des
ennemis. Qu’on dise donc ce qu’on dit
nos ancêtres : le Fils est né du Père, seul de seul, et c’est pour cela
qu’il est Fils unique. L’esprit saint,
quant à lui, procède du Père, mais non du Père seul, car il procède aussi du Fils pour qu’on n’ait pas à prêcher deux fils. Ce
qui arriverait s’il ne procédait que du Père.
Ce docteur,
donc, a suivi la doctrine de ses
ancêtres, et a présenté à ses
contemporains ce qu’il a reçu d’eux. Et
en prouvant que l’Eglise pensait autrefois sur l’Esprit saint ce qu’elle pense
aujourd’hui, il ne fait nulle mention qu’il y ait eu, à ce sujet, une division
entre l’église grecque et l’église latine;
ni qu’on ait, par le passé, cru ou enseigné autre chose sur le Saint
Esprit. Il y a donc de quoi s’étonner de
ce que disent les fomenteurs d’un nouveau dogme. Pourquoi se séparent-ils de la communion
qu’ont conservée leurs pères ? Pourquoi
prennent-ils une décision avant d’avoir pris connaissance de la cause ? Ce n’est pas un jugement équitable, mais une
inique présomption de culpabilité. S’il
disent qu’il savent depuis longtemps que l’Eglise romaine enseigne que le Saint
Esprit procède du Père et du Fils, et
qu’ils ne cherchent donc pas à connaitre ce qu’il savent déjà, qu’ils sachent
que leurs anciens ont été du même sentiment que les Romains, et qu’en voulant
rejeter les romains de leur communion,
ils s’excluent de la communion de leurs ancêtres. Et en se coupant de la communion à l’église
romaine, ils se coupent de la communion
avec toutes les églises catholiques.
Qu’ils réalisent l’ampleur de
leur malheur, et qu’ils ne tardent par à corriger leur erreur, de peur que,
s’ils ne communient pas avec les Romains, ils aient à redouter d’être
excommuniés par l’Eglise catholique universelle.
CHAPITRE 1
L’Ecriture dit : Tu ne
transgresseras pas les limites qu’ont posées tes pères. (prov. XX11, 28) Si les empereurs grecs avaient voulu
observer ce précepte, ils auraient
compris que l’Église romaine ne prêtre flanc à aucune accusation, eu égard à
son enseignement sur l’Esprit Saint. Ils ne tenteraient pas d’innover,
mais se contenteraient des termes de la foi, fondés sur l’Écriture, qu’ont
fixés les pères. Mais atteints de la
maladie de la vaine gloire et enfiévrés
de la peste de l’envie, ils sont incapables de se contenter de ce qu’ont
déterminé leurs ancêtres. Et cherchant
leur gloire propre, ils
transgressent les termes fixés par leurs
prédécesseurs. Essayant d’offusquer la
gloire de leurs parents, ils tombent, d’après le psalmiste, dans la fosse qu’ils ont creusée eux-mêmes.
(Ps V11, 16)
Ils n’auraient jamais, à notre époque, soulevé la question de la
procession du Saint Esprit, s’ils avaient compris la doctrine de leurs anciens,
ou s’ils s’étaient livrés intensément à l’étude des saintes lettres. Ce que nous devons tenir du saint Esprit les
docteurs catholiques le démontrent clairement. Ils ont combattu, dans des joutes publiques épiques, et dans de
nombreux écrits, les opinions perverses des hérétiques sur la sainte Trinité. Ils ont, par la même occasion, cherché à
comprendre comment procède le Saint Esprit;
et ils ont expliqué cette procession
avec des arguments convaincants.
Nous en avons déjà présenté un assez bon nombre, et nous avons exprimé
clairement ce qu’on doit en penser. Au
point que quiconque qui s’y opposerait ou refuserait d’y donner son
assentiment se révèlerait comme un contradicteur de la foi catholique et un
blasphémateur de l’Esprit saint. Quelle
peine devra-t-il subir, nous l’apprenons de la bouche de la Vérité qui dit que
le blasphème contre l’Esprit n’est remis ni en ce monde ni dans l’autre. (Matt. 12, 32)
Il nous plait, maintenant, d’associer aux écrits des pères antérieurs,
ceux du Père Augustin, illustre docteur, et de tous les maîtres
ecclésiastiques, le plus éminent. Il eut
longtemps à lutter contre les hérétiques.
Sa doctrine et son éloquence triomphèrent non seulement de l’impiété
d’Arius, mais des autres hérétiques, des
macédoniens, des manichéens, des
pélagiens. L’enflure des Grecs ne daigne
peut-être rien recevoir de l’enseignement doctoral des Latins. Eh bien ! Que diront-ils des citations des
leurs que nous avons présentées ? Que diront-ils des auteurs des saintes
Ecritures ? Refuseront-ils de les
recevoir parce qu’ils y découvrent de sévères ennemis de leur erreur, et des
adversaires intraitables de leur impiété ?
Bien qu’il soit stupide de refuser d’accepter l’enseignement doctrinal
des latins, et dangereux de s’engager
dans la voie sans issue d’un schisme, il est plus grave de se rendre étrangers
à l’église catholique. Qu’ils
s’abstiennent donc de dire ou de penser ces choses, de faire passer leur
opinion avant la tradition de l’Eglise entière. C’est une grande maladie que cette jactance
et cette opiniâtreté dans l’erreur qui rend intolérable d’avoir à se soumettre
à l’enseignement de l’église universelle.
Le Sauveur n’a-t-il pas dit : allez
sur toute la terre, et prêchez l’évangile à toute créature. (Marc XV1, 15)
Il ne les a pas envoyés aux seuls
Grecs, mais à tous les peuples de la terre.
C’est pour le moins prétentieux de s’attribuer à soi seul ce qui est
destiné à tous. L’Esprit saint a dit à Jérusalem par les prophètes : J’amènerait
ta semence de l’orient, et je la rassemblerai à partir de l’occident. Je dirai au vent du nord : donne, et au
vent du sud : n’empêche pas. (Is XV111, 5) Ces choses-là sont-elles dites des seuls
Grecs ? Le peuple de Jérusalem sera-t-il
rassemblé à partir de la seule Constantinople La Jérusalem céleste sera formée
de tous les peuples répartis sur toute la terre. Que personne n’usurpe le gouvernement de
l’église universelle ! Que les
Grecs se rendent compte que l’Eglise
catholique du Christ est répandue sur toute la surface du globe, de l’orient à
l’occident, du nord au sud. Qu’ils se
réjouissent que le Christ règne sur un si vaste empire, que l’oracle de David
ait été accompli : demande-moi, et je te donnerai les nations
en héritage, et les confins de la terre pour ta possession. (Ps 11, 8) Et qu’ils écoutent cet autre psaume : il dominera d’une mer à l’autre, et du
fleuve jusqu’aux confins de la terre. (Ps LXX1, 8) Par ces mots, les prophètes désignaient-ils
les Grecs et Constantinople ? Ils ne les
ont quand même pas laissés pour compte, puisqu’ils étaient inclus dans tous les
peuples. Ils leur ont simplement enlevé
le privilège d’être distingués des autres, pour qu’ils ne s’enflent pas la
tête. Ils les ont placés parmi tous les
autres, pour les amener à l’humilité.
Pour qu’ils sachent qu’ils ne constituent pas à eux seuls toute l’église,
mais une portion; pour qu’ils vénèrent
leur mère qui rayonne de l’orient à l’occident; et pour qu’ils se réjouissent
d’en être les fils, mais non les pères.
Le Christ a dit : N’appelez personne père sur la terre. Car
vous n’avez qu’un seul Père, qui est aux cieux. (Matt XX111, 9) Quand il était sur le point de monter aux
cieux, il promit à ses disciples : Je suis avec vous jusqu’à la consommation du
siècle. (Matt. XXV111, 20) Nous
voyons que la promesse du Christ s’applique à tous les croyants de l’église
universelle, non aux Grecs et à Constantinople exclusivement. Ce que le Christ dit dans quelque langue que
ce soit ou à quelque peuple que ce soit, que les empereurs grecs l’acceptent
pieusement. S’ils le méprisaient, on
jugerait que c’est la vérité qu’ils méprisent; et en rejetant la vérité du
Christ, ils détourneraient les Grecs de
la voie du salut. L’Esprit saint qui est
descendu sur les apôtres sous forme de langues de feu n’a pas enseigné dans la
seule langue grecque. Il a communiqué sa sagesse dans les langues des barbares. Pour montrer que l’Eglise du Christ parlerait
dans les langues de tous les peuples, et que l’Esprit saint était répandu sur
toutes les nations. Que les princes
glorieux acceptent donc l’Esprit saint parlant de lui-même, par les docteurs de
l’Eglise, en langue latine, pour que l’humilité leur enseigne la voie du
progrès spirituel. De peur que le
cancer de l’orgueil ne les entraine dans les ténèbres de l’erreur, après leur
avoir fait mépriser la lumière de la vérité.
CHAPITRE
DEUX
L’évêque
Augustin
d’Hippone, illustre docteur, éminent
défenseur de la foi catholique, dans le
livre des questions qu’il a écrit au prêtre Orose, dit ceci, parmi d’autres choses : La foi
véritable déclare que l’Esprit saint n’est ni inengendré, ni engendré. Car si nous disions qu’il est inengendré, on pourrait croire que nous professons deux
pères. Si, d’autre part, nous disons qu’il est engendré, on pourrait nous
reprocher de croire en deux Fils. Or, ce
que la foi tient avec certitude, c’est qu’il n’est ni inengendré ni engendré,
mais qu’il procède des deux, i.e. du Père et du Fils. Je prouverai cela par des
citations de l’Ecriture. Ecoute notre
Seigneur Jésus Christ lui-même enseigner à ses apôtres : quand viendra le
Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de Vérité qui procède du Père, il me
rendra témoignage. (Jn XV, 26) Pour
montrer que le saint Esprit procède de lui comme du Père le même notre Seigneur Jésus Christ, après sa
résurrection, dit en soufflant sur ses
disciples : Recevez le Saint Esprit.
(Jn XX, 22) L’Esprit du Père
et du Fils est donc un seul et même Esprit.
Il y a un seul Esprit pour les deux.
Que l’Esprit soit l’Esprit du Père, notre Seigneur et Sauveur le dit à
ses disciples : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de
votre Père qui parlera en vous. (Matt. X, 20). Et que
le même soit l’Esprit du Fils, l’apôtre Paul en témoigne : si quelqu’un
n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. (Rom V111, 9)
Empereurs des Grecs, que trouvez-vous
de répréhensible là-dedans ? Il dit que
l’Esprit procède et du Père et du Fils.
Il le prouve par des citations de l’Evangile. Il dit que l’Esprit saint est l’Esprit du
Père et l’Esprit du Fils. Et il le
prouve autant par le Christ que par sains Paul.
Si vous ne voulez rien recevoir des latins, croyez dans l’Evangile
! Si vous ne voulez pas prêter l’oreille
aux paroles de saint Augustin, prêtez
foi au Christ, prêtez foi à l’Apôtre
! Si vous condamnez le Christ et
l’Apôtre, voyez à ne pas être condamnés.
Celui qui ne suit pas leur doctrine, s’exclut de la société des disciples du Christ. Il ne fera pas partie de l’Eglise celui qui
repousse la doctrine de l’église. Et il
n’aura pas de part avec le Christ celui qui n’accepte pas son magistère.
Saint Grégoire, évêque du siège de
Rome, apocrisiaire au temps de l’empereur Tibère Constantin, a été conseiller principal, et ami intime des
empereurs Tibère, Maurice et Phocas, quand il était encore diacre. Quand il
n’était encore que diacre et légat du siège romain à Constantinople, il réfuta,
en présence de l’empereur, par des citations bibliques et par la seule force de
la vérité catholique, Eutychen, évêque de Constantinople, qui enseignait
incorrectement sur la résurrection de la chair.
Voici ce qu’il dit de l’Esprit Saint dans son homélie de l’octave de
Pâques : L’Esprit saint, qui bien qu’étant égal au Père et au Fils, ne s’est pas incarné, Le Fils témoigne
l’avoir envoyé lui-même de la part du Père, quand il a dit : quand viendra
le paraclet que je vous enverrai de la part du Christ. (Jn XV, 26) Si le
mot envoyé ne s’employait que pour
l’incarnation, on ne pourrait pas du tout
dire que l’Esprit saint est envoyé.
Mais sa mission, c’est sa procession, selon laquelle il procède du Père
et du Fils. Comme on dit que l’Esprit
saint est envoyé parce qu’il procède, ce n’est pas sans raison qu’on dit que le
Fils est envoyé parce qu’il est engendré.
Si vous choisissez de
mépriser l’enseignement d’un homme si éminent, voyez sur quelle colonne
de superbe vous vous érigez. Vos
prédécesseurs ont grandement vénéré la sainteté et la sagesse de celui qui
n’était encore que diacre quand il fut légat du saint siège à
Constantinople. Il jouissait d’une telle
autorité qu’il réfuta à lui seul les dogmes impies de l’évêque de
Constantinople, et les extirpa à tout jamais.
Ce qu’il dit de la procession du saint Esprit, il le démontre par le
raisonnement. Il dit, en effet, qu’être envoyé par le Fils n’est rien d’autre
que procéder du Fils; et qu’être envoyé,
pour le Fils, n’est rien d’autre que naître du Père.
L’évêque Augustin, dans son traité sur
l’évangile selon saint Jean dit : Quelqu’un se demande peut-être si l’Esprit
saint procède aussi du Fils. Car le Fils
est le Fils du Père seul. Et le Père n’est le père que d’un seul Fils. Mais l’Esprit saint n’est pas l’Esprit d’un
seul d’entre eux, mais des deux. Car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en
vous. (Matt. X., 20) Tu as aussi l’Apôtre qui dit : Dieu a
envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs.
(Gal 1V, 6) Y a-t-il deux Esprits ? L’un du Père et l’un du Fils ? Loin de
nous cette pensée ! Il dit que nous sommes un seul corps, en
parlant de l’Eglise. Puis, il ajoute
après : et un seul Esprit. (Eph 1V, 4)
Et par la suite, il donne plusieurs citations qui montrent que l’Esprit
saint est l’Esprit du Père et du Fils.
Il n’y a pas un Esprit pour le Père et un autre pour le Fils, mais
l’Esprit, qui est l’esprit du Fils,
l’est du Père. Celui qui
s’efforce de répliquer à ces témoignages convaincants par des arguments
contraires, ne fera que faire la preuve qu’il contredit l’Ecriture.
Et plus bas : Si le
Saint Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils dit-il qu’il procède
du Père ? (Jn XV, 26) Pourquoi ? Parce
qu’il a coutume de référer au Père ce qui est à lui, puisqu’il vient de lui. C’et
dans ce sens qu’il di : Ma doctrine n’est pas mienne, elle est celle
de celui qui m’a envoyé. (Jn V11,
16) Si
donc on comprend pourquoi sa
doctrine, il ne la dit pas sienne mais
celle de son Père, on devra comprendre encore plus facilement que quand il dit
que l’Esprit saint procède du Père, il ne veut pas dire qu’il ne procède pas du
Fils. Le docteur Augustin nous
montre clairement que le saint Esprit procède autant du Fils que du Père. Et pour l’affirmer, il a recours précisément
au passage où le Fils dit que l’Esprit procède du Père. Quand il dit : ma doctrine n’est pas la mienne mais de celui qui m’a envoyé, il
montre qu’il a, lui aussi, une
doctrine. Mais il dit que c’est celle du
Père, car elle vient du Père comme lui en vient. Car tout ce qu’a le Fils il le reçoit en
naissant. Voilà pourquoi il ne nie pas
que l’Esprit saint procède de lui quand il dit qu’il procède du Père. Il montre d’où cela lui vient au Fils que
l’Esprit procède de lui : il reçoit de celui qui l’a engendré que l’Esprit
procède de lui. C’est pourquoi saint
Augustin dit : il a reçu que l’esprit saint procède de lui de celui de qui il a reçu
d’être Dieu. L’illustre docteur associe subtilement la naissance du Verbe
et la procession de l’Esprit, en disant que le Fils a reçu du Père d’être Dieu
de Dieu et que l’Esprit saint procède de lui.
Et l’Esprit lui-même a reçu du Père qu’il procède du Fils comme il
procède du Père. En disant cela, il
professe que le Fils et l’Esprit ont reçu du Père, le Fils par la génération et
l’Esprit saint par la procession; que
l’Esprit saint a reçu la procession autant du Père que du Fils, mais non la
génération qui n’appartient qu’au Fils unique du Père.
Ici, il soulève une autre question qui
en préoccupe certains : pourquoi ne
dit-on pas que l’Esprit saint est né ? Pourquoi dit-on qu’il ne fait que
procéder ? Et il répond : Si on
disait qu’il est fils, on se trouverait devant deux fils, ce qui est absurde.
Aucun fils n’est de deux, à moins qu’il
ne s’agisse d’un père et d’une mère. Ce qui est impensable dans le cas de la
naissance du Verbe. Même un fils d’homme
ne procède pas simultanément du père et de la mère. Il procède de la mère après avoir procédé du
père dans la mère. Et quand il apparait à la lumière du jour de la mère, il ne
procède pas alors du père. L’Esprit
saint, lui, ne procède pas d’abord du
Père dans le Fils, pour procéder ensuite
du Fils afin de sanctifier les créatures, mais il procède en même temps de l’un
et l’autre, même si c’est le Père qui a donné au Fils que l’Esprit procède de
lui comme il procède du Père. Nous ne
pouvons pas non plus dire que l’Esprit saint n’est pas la Vie parce que le Père
est la Vie et le Fils est la Vie. Le
Père qui est la Vie en lui-même a donné au Fils d’être la Vie en lui-même. Il lui a aussi donné que la Vie procède de
lui comme elle procède de lui-même.
Il explique avec toute la clarté
désirable que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, qu’il n’y a pas deux
fils dans la Trinité, que l’Esprit saint
est l’Esprit de l’un et de l’autre. La
procession spirituelle de deux personnes
n’a rien à voir avec la paternité et la maternité, car il n’y a pas ici de
distinction de sexe. Il n’y a pas de
propagation charnelle faite de chair et d’os.
Cette procession ne s’accomplit pas non plus dans le temps, comme s’il
procédait de l’un à un certain moment, et de l’autre un peu plus tard. Il procède des deux en même temps. Rien de semblable ici à la génération
charnelle. Pas de sperme qui va féconder
la femme. Il n’y a pas non plus de
grossesse. Cela c’est le monde du
devenir, du changement, du mouvement. Et
tout cela est bien loin de la procession spirituelle. Car le Saint Esprit procède du Père et du
Fils, sans mouvement, sans changement,
sans écoulement de semence. Car
cette procession s’effectue par la force de la volonté, sans mutation, sans
durée de temps, sans rien de ce qui se
passe dans le cas d’un père et d’une
mère, mais comme d’un seul jet de lumière provenant de deux sujets. Non pas que le Père et le Fils soient sujets
du Saint Esprit, mais les deux personnes
du Père et du Fils dont procède la personne de l’Esprit saint, sont d’une seule essence. La personne du Saint Esprit n’est donc pas
comme une qualité des deux, mais elle
est consubstantielle aux deux. Comme le
dit si bien saint Augustin : le Père est la Vie, le Fils est la Vie, le Saint-Esprit est la Vie. Le Père est la Vie en ne recevant la Vie
d’aucune Vie. Le Fils est la Vie en
recevant la vie de la vie du Père.
L’Esprit saint est la Vie de la
Vie du Père et du Fils, recevant la Vie
en procédant. Car la trinité divine ne
pourrait pas être d’une parfaite consubstantialité, si l’Esprit saint n’était
pas tout ce que le Père et le Fils sont.
Que l’Esprit saint procède du Père,
cela ne nous pose aucune difficulté.
Qu’il procède aussi du Fils, le
Fils lui-même le dit : il recevra de moi et vous annoncera ce qu’il
aura reçu. (Jn XV1, 14) Mais les
hérétiques se sont servis de ce texte pour mettre des degrés dans la
Trinité. Ils dirent : Si le
Fils reçoit du Père et l’Esprit saint du
Fils, l’Esprit saint est donc inférieur au Fils. Saint Augustin s’oppose à cette perverse
interprétation, dans le même chapitre du
même traité : Les paroles de Jésus : il recevra de moi et vous annoncera ce
qu’il aura reçu, écoutez-les avec des oreilles catholiques, percevez-les avec
des esprits catholiques. L’esprit saint n’est pas inférieur au Fils à cause de
cela, comme le veulent les hérétiques. Que l’un reçoive de l’autre cela n’indique
pas la présence de degrés dans la Trinité.
Loin de nous, chrétiens, de le
croire, de le dire, de le penser ! Il
apporte ensuite la solution au problème en remettant la phrase dans son
contexte : Tout ce qui est à Mon Père est à moi, voilà pourquoi j’ai dit qu’il
recevra de moi. Que voulez-vous de plus
? L’Esprit saint reçoit du Père comme le Fils reçoit du Père : d’être né
fils du Père dans cette trinité, et
d’être un Esprit saint qui procède du Père.
Le père est le seul à n’être né
de personne et à ne procéder de
personne.
En nous enseignant maintenant que
l’Esprit saint procède du Père, il ne rejette pas qu’il procède du Fils, comme
il l’avait dit auparavant. Mais il
enlève l’infériorité dont se régalaient les hérétiques, et prône l’égalité que
confessent les catholiques. Car s’il
disait que l’Esprit saint reçoit du Fils mais
ne reçoit rien du Père, il donnerait lieu aux hérétiques de feindre des
degrés dans la divinité. En leur disant
que l’Esprit saint procède du Père, il leur coupe l’herbe sous le pied, car
l’Esprit saint reçoit de procéder là ou le Fils reçoit de naître. Et comme tous les deux reçoivent du Père,
l’une la nativité, l’autre la
procession, il n’y a aucune raison de préférer l’un à l’autre. Mais il ne faut
pas à cause de cela nier qu’il procède aussi du Fils. Car le Fils a dit : tout ce qui est au Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit qu’il
recevra de moi. Le Père a que
l’Esprit saint procède de lui. Le Fils a
donc que l’Esprit saint procède de lui.
L’Esprit saint procède donc de l’un et de l’autre.
CHAPITRE
TROISIEME
Dans le premier livre de la sainte
trinité, au chapitre quatrième, saint Augustin dit : Le Père
a engendré le Fils, et le Fils n’est donc pas ce qu’est le Père. Le Fils a été
engendré par le Père, et le Père n’est donc pas ce qu’est le Fils. Le Saint Esprit n’est ni père ni fils, mais
il est l’Esprit du Père et du Fils, égal au Père et au Fils, et appartenant à
l’unité de la trinité. Mais ce n’est pas
la trinité qui est née de la vierge Marie, qui a été crucifiée sous Ponce
Pilate, ensevelie, ressuscitée le troisième jour et montée au ciel, mais
seulement le Fils. Il indique
clairement ce qui est propre à chaque personne de la trinité; et il précise que l’incarnation n’appartient
qu’au Fils.
Il est
évident que le Père n’est pas ce qu’est le Fils, puisqu’il l’a engendré; que le Fils n’est pas ce qu’est le Père,
puisqu’il a été engendré par lui; que l’Esprit n’est ni le Père ni le Fils,
puisqu’il est l’Esprit de l’un et l’autre.
Et parce qu’on le dit l’Esprit de l’un et de l’autre, on doit confesser
qu’il procède de l’un et de l’autre. Et
bien qu’il soit égal au Père et au Fils et qu’il participe à l’unité de la
trinité, l’incarnation du Fils n’appartient ni au Père ni à l’Esprit
saint. Il n’appartient qu’au Père
d’engendrer le Fils, qu’au seul Fils
d’avoir assumé un homme parfait, et qu’au Saint Esprit de procéder du Père et
du Fils.
Il continue ensuite dans la même
veine : On se demande comment il se fait
que l’Esprit saint fasse partie de la trinité,
puisqu’il n’a été engendré ni par le Père ni par le Fils, ni par les
deux ensemble, bien qu’il soit l’Esprit du Père et du Fils. En affirmant que ni le Père ni le Fils, ni
les deux ensemble ne l’ont engendré, il
exclut toute forme de génération dans le cas du Saint Esprit. Et en ajoutant bien qu’il soit l’Esprit du Père et du Fils, il laisse entendre que celui qui n’est
pas fils en naissant, pourrait bien être l’Esprit des deux en procédant. Car en maintenant qu’il est des deux, après
avoir exclu la naissance, on ne peut que parler de procession. Mais pas une procession de l’un seulement, du
Père ou du Fils, mais des deux.
Et plus bas, chap. 12 : Nous avons montré par de nombreuses citations des saintes
lettres que dans la trinité, on dit de tous ce que l’on dit de chacun à cause
de l’inséparable opération d’une seule et même substance. Exemple.
Le Christ a dit de l’Esprit saint : quand je m’en irai, je vous
l’enverrai. (JN XV1, 7) Il n’a pas dit : nous l’enverrons. Il s’est exprimé comme s’il était le seul à
l’envoyer à l’exclusion du Père. Il dit
ailleurs : l’Esprit saint que
mon père enverra en mon nom. (Jn
X1V, 25) Il s’exprime ici comme si le
Père enverrait l’Esprit saint à lui seul, à l’exclusion du Fils. Il a été dit plusieurs fois que la mission
de l’Esprit saint est sa procession. C’est pourquoi, quand on atteste que le
Fils va envoyer l’Esprit saint, on
déclare qu’il procède du Fils. Quand on
atteste que le Père envoie l’Esprit au nom du Christ, on déclare qu’il procède
du Père. Et quand on nous dit qu’il est
envoyé par les deux, on atteste qu’ii procède des deux. Il donne ensuite cette règle générale de la
sainte trinité, qu’on dit de chacun ce qu’on dit de tous, à cause
de l’opération inséparable d’une seule et même substance.
Nous apprenons donc par là que quand
nous disons que l’Esprit saint procède du Père,
nous comprenons qu’il procède aussi du Fils. De même,
quand nous disons qu’il est envoyé par le Fils, nous comprenons qu’il
est en même temps envoyé par le Père.
Car étant d’une seule et même substance,
le Père et le Fils ont une seule et même opération. De toute évidence, celui qui nie que l’Esprit est envoyé par le
Fils alors qu’il admet qu’il a été envoyé par le Père, nie nécessairement que
le Fils agit en coopération avec le Père.
Il devra nier aussi que le Père et le Fils ont une seule et même
opération, ce qui l’obligera à nier
qu’ils sont d’une seule et même substance.
Telle est la portée de l’affirmation du
Fils : l’Esprit procède du Père. Celui qui préférera nier que l’Esprit procède
aussi du Fils devra nier que le Père et le Fils ont une seule et même
opération. Et par contrecoup, il devra
nier que le Père et le Fils sont d’une seule et même substance. Comme cela émane de la fontaine d’impiété
d’Arius, professons avec tous les catholiques que la trinité travaille de
concert, et que l’on dit de tous ce que l’on dit de chacun; et que, comme il
n’y a dans la trinité qu’une seule et même substance, il ne peut pas y avoir de
division dans l’opération. En
conséquence, quand on dit que l’Esprit procède du Père, on doit nécessairement
penser qu’il procède aussi du Fils.
De même, au livre 4, chap. 6, de la
trinité : On appelle le Christ dans
les saintes lettres la vertu du Dieu Christ, et la sagesse de Dieu. Mais, quelque soit la façon dont on l’entende, il
n’arrive jamais au Fils de rendre le Père savant. Et la raison en est que le Fils est sagesse
de sagesse, comme il est lumière de lumière, et Dieu de Dieu. Et nous ne pouvons trouver un
Esprit saint qui ne soit lui aussi la Sagesse, les trois étant ensemble une
seule et même sagesse. Comme il n’y a qu’un seul Dieu, il n‘y a qu’une seule
sagesse. Qu’apprenons-nous là si ce
n’est que la procession du Saint esprit vient du Père et du Fils, et que toute
la trinité est d’une seule et même substance. Il dit que le Père est la
Sagesse, que le fils est la Sagesse, que l’Esprit saint est la Sagesse. Mais le Père n’ est la Sagesse d’aucune
sagesse, car il ne reçoit pas du Christ d’être sage. Comme il est la source et le principe de
l’universalité, il est sage par lui-même, non par la participation à
quelqu’un. Comme Dieu qui ne vient pas
d’un autre, mais est Lumière par lui-même.
Car il n’y a rien qui lui soit supérieur ou antérieur. Autrement, il ne
serait pas le principe de
l’universalité. Dieu n’est non plus ni
imparfait, ni indigent, mais il est la plénitude, la vérité et la
perfection. Il est donc sage par
lui-même. Le Fils est lui aussi la Sagesse, mais du Père Sagesse. Car le Père a engendré un semblable à
lui. L’Esprit saint est Sagesse lui
aussi. Mais ce n’est pas une sagesse qui ne vient de nulle part. Le Père seul ne vient de rien. D’où vient-elle si ce n’est de la Sagesse ?
Comme le Père et le Fils sont la Sagesse, l’Esprit saint est donc une sagesse
provenant de la sagesse du Père et du Fils.
Car la sagesse du Père et celle du Fils ne sont pas deux sagesses
différentes. Elles sont une seule et même sagesse. La sagesse de l’un et de l’autre envoie donc
l’Esprit Sagesse qui procède de l’un et de l’autre.
De même, un peu plus loin, cap
V11 : Voici donc trois choses : la mémoire, l’intelligence et la volonté
ou l’amour. Dans cette essence suprême
et immuable qu’est Dieu, ce ne sont pas le Père, le Fils et l’Esprit saint qui
y sont, mais le Père seul. Le Fils est la sagesse engendrée de la
Sagesse. Mais ni le Père ni l’Esprit
ne comprennent par la sagesse du
Fils. Ils comprennent par la sagesse qui
est la leur. Il en est de même pour la
mémoire et pour l’amour. Chacun se
souvient, chacun aime par la mémoire et par l’amour qui est à eux. Mais c’est du Père que le Fils reçoit d’agir
ainsi, par la naissance. L’Esprit saint
qui est Sagesse procédant de la Sagesse ne se souvient pas par la mémoire du
Père, et ne pense pas par la sagesse du Fils. Tout ce qu’il pourrait, c’est
d’aimer par son amour à lui. Il ne
serait pas sage s’il se souvenait avec la mémoire d’un autre, et s’il pensait avec
la sagesse d’autrui. Il ne serait pas
non plus intelligent s’il ne pouvait qu’aimer par lui-même. Il a donc les trois, et il les a de façon à ce qu’elles
constituent sa nature. Mais il reçoit
d’être ainsi d’où il procède.
Etablissant la distinction entre les
personnes de la trinité avec beaucoup de finesse, comme s’il était inspiré par
Dieu, il dit que les trois personnes
sont la Sagesse. Etant engendré, le Fils
reçoit du Père d’être Sagesse, d’une sagesse semblable à la sienne. Et du fait
qu’il procède, le saint Esprit reçoit du
Père et du Fils d’être Sagesse, d’une sagesse semblable à celle des deux. Et pour mieux faire comprendre ce qu’il dit,
disons quelques mots de la comparaison qu’il emploie. Il découvre à l’intérieur de l’homme, comme une image de la trinité dans la mémoire,
l’intelligence et l’amour. Il développe
longtemps cette comparaison. Autant dans
le cinquième chapitre qu’en d’autres parties de son livre sur la trinité, il
observe que l’intelligence et l’amour sont contenus dans la mémoire; que
l’intelligence nait de la mémoire; et que l’amour procède de la mémoire et de
l’intelligence. Et que ces trois sont
d’une seule et même substance. Car nous
nous souvenons de ce que nous comprenons,
et quand nous voulons réfléchir sur notre intelligence, nous ne la
pouvons que dans la mesure où elle procède secrètement de la mémoire, comme si
elle était engendrée par elle. Et quand
nous réalisons que notre intelligence est comme engendrée par la mémoire, se
produit un amour qui embrasse à la fois la mémoire et l’intelligence. Car il se réjouit de l’intelligence qu’il
reconnait, et de la mémoire de laquelle est née l’intelligence, objet de son
affection. L’amour nait donc autant de
la mémoire que de l’intelligence. On ne
peut aimer une chose sans la connaitre; et on ne peut penser à une chose dont
on a perdu la mémoire. Chacune de des
trois choses se distingue des autres par ses qualités propres. La mémoire ne comprend pas par elle-même,
mais par l’intelligence; l’intelligence
ne se souvient pas par elle-même mais par la mémoire. De la même façon, l’amour, sans mémoire et sans intelligence,
n’aime pas. Si on enlève la connaissance
des choses, la mémoire n’a rien dont
elle puisse se souvenir; et si on enlève la mémoire, l’amour n’a de souvenir de
rien. Il n’y aura donc plus d’amour là où il n’y a rien à
aimer; ou il ne saura plus sur qui se
répandre. Ces trois choses donc, existent ensemble, naissent de l’une et de l’autre, se distinguent les unes des autres, et se
prêtent mutuellement secours.
Mais la sainte Trinité correspond bien
peu à la comparaison présentée par ce vénérable docteur. Le Père, le Fils et le saint Esprit sont
toute la trinité, comme la mémoire, l’intelligence et l’amour. Le Père est la source d’où nait le Fils, comme la mémoire qui est une sorte de
principe où prend forme l’intelligence.
Le Fils qui est la Sagesse nait du Père comme l’intelligence nait de la
mémoire. L’Esprit saint qui est lui
aussi sagesse, mais qui est quand même l’amour, procède du Père et du Fils
comme l’amour procède de la mémoire et de l’intelligence. Quelle que soit la valeur de cette
comparaison, il n’y a pas dans les
personnes de la trinité une distinction telle que le Père ne soit sage que par
le Fils, que le Fils n’aime que par le Saint Esprit, comme nous voyons dans la
trinité intérieure de l’homme. Dans
cette trinité humaine, la mémoire ne comprend pas par elle-même, mais par
l’intelligence; et l’intelligence ne se
souvient pas par elle-même, mais par la
mémoire; elle n’aime pas par elle-même,
mais par la charité. Et l’amour ne se
souvient pas par lui-même, mais par la mémoire; il ne comprend pas par
lui-même, mais par l’intelligence.
Cette trinité humaine constituée
de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté, n’est pas l’essence suprême
et immuable de la divinité. On ne peut
identifier le Père à la mémoire, le Fils à l’intelligence et l’Esprit saint à
l’amour, car le Père à lui seul est ces trois choses, le Fils à lui seul est ces trois choses, et
l’Esprit saint à lui seul est ces trois choses.
Car le Père, par lui-même, se souvient, pense et aime. Il ne reçoit pas du Fils l’intelligence. Autrement, il faudrait dire qu’il nait du
Fils, ce qui n’est pas orthodoxe. Il ne
reçoit pas non plus l’amour de l’Esprit saint.
Autrement, il faudrait dire qu’il procède de l’Esprit saint, ce qui est
une aberration. C’est par lui-même qu’il
se souvient, pense et aime. Bien que le
Fils soit la Sagesse née de la Sagesse, ce n’est pas le Père qui se souvient en
lui. Il se souvient avec sa mémoire à lui. Ce n’est pas non plus le Père qui
pense en lui. Il pense avec son intelligence à lui. Ce n’est pas non plus
l’Esprit saint qui aime en lui. Il aime
avec sa volonté à lui. Car il pense, il
se souvient, il aime par lui-même.
L’Esprit saint qui est la sagesse procédant de la sagesse, ne se souvient pas avec la mémoire du
Père, ne comprend pas avec
l’intelligence du Fils, et n’a pas que l’amour qui lui soit propre. Il possède, lui aussi, les trois : la mémoire,
l’intelligence et la volonté. Il se souvient
par lui-même, pense par lui-même et aime par lui-même. Mais pour être ces trois, il le tient d’où il procède, i.e. autant du Fils que du Père,
car il procède de l’un et de l’autre. Un
raisonnement très subtil et véridique, qui ne souffre pas de
contradiction, nous démontre que
l’Esprit saint procède du Père et du Fils; qu’il est l’Esprit des deux, mais
non le Fils des deux ou de l’un ou l’autre.
Et cette charité que nous disons naître de la mémoire et de
l’intelligence n’est pas appelée fille des deux ni de l’une ou l’autre.
De même, par la suite, au chapitre
17 : Parlons maintenant de l’Esprit saint dans la mesure où le don de
Dieu nous le concèdera de voir. Cet Esprit, selon les
saintes Ecritures, n’est pas du Père seul,
ni du Fils seul, mais des deux.
Elles nous suggèrent donc une trinité communautaire dans laquelle le Père et le
Fils s’aiment. La raison pour
laquelle l’Esprit saint n’est pas seulement l’Esprit du Père ou seulement
l’Esprit du Fils est qu’il procède de l’un et de l’autre. Il suggère donc une trinité communautaire
dans laquelle le Père et le Fils s’aiment, l’Esprit saint les unissant tous
deux parce qu’il procède d’eux. Non
comme une qualité de chacun des deux, mais en tant qu’existant dans la trinité
comme la troisième personne consubstantielle et égale. Voici ce qu’il dit plus loin : Car le
Père est Dieu, le Fils est Dieu, l’Esprit
saint est Dieu, et ils sont les trois ensemble un seul Dieu. Mais ce n’est quand même pas pour rien que le
Fils seul soit appelé Verbe de Dieu, que l’Esprit seul soit appelé don de Dieu,
que ce ne soit que du Père qu’on dise que le Verbe a été engendré et que
l’Esprit procède principalement. J’ai
ajouté principalement parce qu’il procède aussi du Fils. Et cela aussi le Père
le lui a donné, avant qu’il existe et qu’il ait quelque chose. Mais tout ce que
le Père a donné au Fils, il lui a donné
en l’engendrant. Il l’a aussi engendré
pour que le don commun procède de lui, et que l’Esprit saint soit l’esprit des
deux. Par ce témoignage, il démontre
que l’Esprit saint procède du Fils. Mais
il assigne à chacun ce qui lui est propre, car bien que chacun soit
Dieu, et les trois ensemble Dieu,
le Fils a ceci de propre qu’il est le seul à être appelé Verbe de Dieu.
L’Esprit est le seul à être appelé don de Dieu. Et le Père est le seul à qui on
assigne à la fois la naissance du Fils et la procession du saint Esprit. Voilà
quelles sont dans la trinité les propriétés distinctives des personnes. On dit que l’Esprit saint procède
principalement du Père, car on enseigne aussi qu’il procède du Fils. Et cela, c’est le Père qui le lui a donné, en
l’engendrant, avant qu’il existe et
qu’il ait quelque chose. Car tout ce
qu’a le Fils il l’a reçu du Père en étant engendré par lui. Le Père ne l’a pas d’abord engendré, il ne
lui a pas donné ensuite que procède de lui l’Esprit saint, mais il lui a accordé en l’engendrant, qu’un
don commun procède de lui, i.e. le Saint Esprit, qu’on appelle le don des deux,
comme il est l’Esprit des deux.
De même, un peu plus bas, chap
19 : Si dans les dons de Dieu, rien n’est plus grand que la charité, et s’il
n’y a pas de plus grand don de Dieu que l’Esprit saint, quelle autre conclusion
tirer qu’il est lui-même la charité, lui qui est dit et Dieu et de Dieu ? Et si
la charité par laquelle le Père aime le Fils et la charité par laquelle le Fils
aime le Père manifeste la communion ineffable des deux, qu’y a-t-il de plus
approprié que celui qui est commun aux deux soit appelé la charité au sens
propre du terme. Il avait appelé
plus haut l’Esprit saint don de Dieu, et l’avait par cette qualification
distingué de la personne du Père et de celle du Fils. Il voit dans le don de Dieu l’amour, et le
considère comme le don principal de la divinité. C’est saint Paul qui le dit (1 Cor X111, 3),
tous les dons sans la charité ne sont rien.
Cette charité il l’appelle Dieu de Dieu, indiquant par là l’Esprit saint
procédant de Dieu. Et parce que Dieu
est un nom qui est commun au Père et au Fils,
et qu’on ne voit pas d’où il pourrait bien procéder, il fait ensuite la démonstration
suivante : La charité par laquelle le Père aime le Fils et la charité par laquelle
le Fils aime le Père indique une ineffable communion des deux, y a-t-il rien de
plus approprié que de l’appeler amour, celui qui est commun aux deux ? En disant cela, il appelle l’Esprit saint
charité, et professe qu’il procède en commun des deux, du Père et du Fils.
La même chose un peu plus loin, chap.
23 : Dans cette suprême trinité, qui transcende incomparablement toutes
choses, l’inséparabilité est si grande que, bien que trois hommes ne puissent
jamais faire un seul homme, les trois
personnes sont dans un seul Dieu, et ne sont qu’un seul Dieu. On dit que seul le Père est le Père du
Fils. En disant que l’Esprit n’est pas
l’Esprit du Père seul ni du Fils seul,
mais des deux, on atteste par le
fait même qu’il procède des deux. Il
dit plus loin, chap 23 : Dans cette
sublime trinité, qui transcende incomparablement toutes choses, il y a une
telle inséparabilité que, alors que la trinité humaine ne peut pas être dite et
être un seul homme, cette
trinité non seulement n’est pas dans un seul Dieu mais est un seul Dieu. Et cet
homme à qui appartiennent les trois facultés
de la trinité humaine n’est qu’une seule personne. Mais dans la trinité divine, il y a trois
personnes : le père du Fils, le
fils du Père, et l’Esprit des deux. Quand
il dit que seul le Père est le Père du Fils, et que seul le Fils est le fils du
Père, que l’Esprit n’est pas l’esprit du
père seulement mais aussi du Fils, il
atteste par le fait même qu’il procède des deux. Car le Père est père du fils parce qu’il l’a
engendré; et le Fils est le fils du Père
parce qu’il a été engendré par lui. Il
s’ensuit nécessairement que l’Esprit saint procède du Père et du Fils puisqu’il
est l’Esprit du Père et du Fils. Dans
cette trinité sublime, la trinité elle aussi est appelée Dieu et un seul Dieu,
non pas au sens où la trinité serait dans un seul Dieu, comme si chaque personne prise individuellement
serait la trinité, i.e. comme si le Père à lui seul serait la trinité, ou le
Fils à lui seul, ou l’Esprit saint à lui
seul. La trinité est un seul Dieu au sens où le Père, le Fils et le Saint
esprit sont un seul et même Dieu. Les
trois personnes de la trinité ne se comportent pas comme les trois facultés de
la trinité humaine, la mémoire, l’intelligence et l’amour, et ce n’est pas à
leur exemple que la trinité est dans une personne. Non parce qu’un homme est la trinité, mais
parce que dans un homme il y a trois éléments. Dans la trinité sublime, il y a
trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit,
mais ces trois personnes sont un seul et même Dieu. Et c’est pour cela que la trinité est un seul
Dieu. Il y a une telle union entre les
personnes, une telle consubstantialité
que les trois sont un seul et même être, et qu’un est prédiqué des
autres. Ils ne sont séparés que par la
relation, mais sont unis par la substance.
Le père a une relation avec le Fils, le Fils avec le Père, et l’Esprit saint
avec les deux, ce qui implique qu’il procède des deux.
Il dit plus bas, chap. 26 :
Enfin, dans cette trinité sublime qui est Dieu, il
n’y a aucun intervalle de temps qui
puisse démontrer ou exiger que le Fils soit né d’abord, et qu’ensuite seulement
l’Esprit saint aurait procédé des deux. Car l’Ecriture dit qu’il est l’Esprit
des deux. C’est celui dont par
l’apôtre : parce que vous êtes des
fils, Dieu a envoyé l’esprit de son Fils dans nos cœurs. (Gal 1V. 6) Et c’est celui dont parle le même
Fils : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera
en vous. (Matt. X, 20) Un grand
nombre de textes de l’Ecriture attestent que l’Esprit est l’Esprit du Père et du Fils, celui qui
est appelé en toute propriété de termes Esprit saint. Le Fils a dit : Que je vous enverrai de la part de mon Père. (Jn XV, 26) Et ailleurs : Que le Père enverra en mon nom. (Jn
X1V, 26) On nous enseigne donc qu’il
procède des deux puisque le Fils a dit : qui procède du Père. Et
après sa résurrection, il apparut à ses disciples, souffla sur eux et leur
dit : Recevez l’Esprit saint. (Jn XX, XX11), montrant ainsi qu’il procède
aussi de lui. Et c’est lui qui est la
vertu qui sortait du Christ, comme on le lit dans l’évangile (Luc V1, 19)
Ces citations prêtent-elles flanc à la
contradiction ? L’Ecriture nous
enseigne que l’Esprit saint est l’Esprit du Père et du Fils, et qu’il procède
de l’un et de l’autre. Si on le nie, que
l’on nie que l’Apôtre et le Christ ont parlé ainsi. Si l’on croit le Fils quand il dit que
l’Esprit procède du Père, qu’on le croie
quand il dit : Recevez l’Esprit
saint ! De toute façon, cette vertu
qui sort du Christ et qui guérissait tous, c’est le Saint Esprit qui procède du
Fils. Encore une fois, le fait qu’il soit dit l’Esprit du Père et du
Fils témoigne hautement qu’il procède des deux.
Il n’y a pas d’intervalle de temps entre la naissance du Fils et la
procession de l’Esprit saint des deux.
Car le Père n’a jamais été sans le Fils, le Fils sans le Père, et le Père et le Fils sans le saint Esprit.
Il dit un peu plus bas : Pouvons-nous
nous demander si le Saint Esprit avait
déjà procédé du Père quand le Fils est né, ou s’il n’avait pas encore procédé ?
Ou s’il n’a procédé du Fils qu’après la
naissance du Fils ? Comme nous pourrions nous demander là où nous avons trouvé
du temps si la volonté est d’abord sortie de la pensée humaine et si on peut
l’appeler son enfant. Cette volonté née
ou engendrée se parfait en elle en se reposant en elle comme sa fin. Et ce qui était le désir d’un chercheur
devient l’amour de celui qui en jouit. L’esprit qui engendre et la notion
engendrée ne font-ils pas penser à un parent
et à son rejeton ? Mais on ne
peut rien chercher de tel là où rien ne commence dans le temps, et où rien
n’obtient son perfectionnement dans le temps.
Celui, donc, qui peut concevoir la naissance du Verbe sans le
temps, qu’il conçoive aussi la
procession de l’Esprit saint de l’un et
l’autre sans le temps. Le
bienheureux docteur professe donc que le Saint Esprit procède du Père et du
Fils. Mais il se demande si l’Esprit
saint a procédé du Père avant la naissance du Fils, ou s’il n’a procédé du Fils
qu’après qu’il ait été engendré par le Père.
Et pour aider à comprendre la question, il fait la comparaison
suivante : la volonté procède de l‘esprit humain avant qu’une idée ne soit formée de l’esprit,
pour qu’il y ait un désir de la volonté à la recherche de quelque chose. Mais cette volonté est née de l’esprit avant
qu’on s’enquière de ce qu’on désirait trouver.
Une fois trouvé, la volonté atteint sa perfection en étant amplifiée par
ce qui a été trouvé.
Mais il
n’y a pas deux volontés, une de l’esprit d’abord, et l’autre de ce qui a été
trouvé, mais une seule volonté d’une seule et même chose : la conception
dans l’esprit de ce que l’on cherche, et la jouissance de l’objet trouvé. Ce qui était d’abord un désir de trouver
devient ensuite la jouissance de l’objet trouvé.
C’est ainsi que ça se passe dans les
choses soumises au temps. Mais dans la
trinité divine, où le temps n’existe pas,
rien de semblable ne peut être repéré.
On ne dit pas ici que le Père a d’abord existé et que le Fils a été
engendré ensuite. Mais le Père a
toujours été dans le Fils, et le Fils est toujours demeuré dans le Père. La procession de l’Esprit saint n’a pas
précédé la nativité du Fils. Car là où
il n’y a pas de temps, on ne peut trouver ni avant ni après. Ce qui ne commence pas dans le temps ne peut
pas se perfectionner dans le temps.
C’est pourquoi, celui qui peut
concevoir la naissance du Fils sans le temps,
qu’il pense à une procession du Saint-Esprit sans le temps. Comme il n’y a pas à chercher à quel moment
le Fils a été engendré par le Père, il
ne faut pas non plus se demander à quel moment l’Esprit saint a procédé du Père
et du Fils; ni si la nativité a précédé
la procession. Car l’éternité ne
connait pas la succession du temps. Il
ne faut jamais se faire une idée de la divinité d’après les lois de la
condition humaine. Car ce qui est dans
le temps est antérieur ou postérieur; ce qui a fait le temps échappe à sa
juridiction. Il est avant que les
créatures deviennent.
Il ajoute autre chose pour démontrer
que l’Esprit saint procède du Père et du Fils en dehors du temps, comme le Fils
a été engendré par le Père en dehors du temps. Il dit, en effet : Qui comprend correctement ce que dit le Fils
? Comme le Père a la vie en lui-même, il a donné aussi au Fils d’avoir la
vie en lui-même. (Jn V, 26) Le Père
n’a pas donné la vie à un Fils qui existait déjà sans vie. Mais il l’a engendré sans le temps de façon à
ce que la vie que le Père a donnée au Fils en l’engendrant soit coéternelle à
celle du Père qui la donnait. En d’autres
mots, le Père qui a en lui-même que
l’Esprit saint procède de lui, a donné
au Fils que l’Esprit procède de lui, et l’un et l’autre en dehors du
temps. De sorte que quand on dit que
l’Esprit procède du Père, il faut penser qu’il procède aussi du Fils. Car si ce que le Fils a lui vient du Père, il a aussi que l’Esprit
procède aussi de lui. Mais il ne faut
penser à aucune succession temporelle, à aucun avant, à aucun après, là où le temps n’est pas.
Il atteste que l’Esprit saint procède
du Fils comme du Père. Qu’il procède du
Fils, cela lui a été donné par le Père, non avant sa naissance, mais
en l’engendrant. Car tout ce que
le Père a donné au Fils, il ne le lui a pas donné comme à un inférieur, ni
avant qu’il existe, mais en l’engendrant.
Et il ajoute quelques autres explications. Qui peut comprendre ce qu’a dit le
Fils : comme le Père a la vie en
lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. Le Père n’a pas donné au Fils d’être la vie
quand il était sans vie. Voici
comment la Bible parle d’Adam : Dieu
a formé l’homme du limon de la terre. (Gen
11, 7) Et il lui a soufflé sur la
face un souffle de vie. Le texte dit qu’il a d’abord été
formé, et qu’après avoir été formé, et en tenant compte de cette formation, que
le souffle lui a été donné. Mais ce
n’est pas ainsi que le Père a donné la vie au Fils. Il ne lui a pas donné la vie en l’engendrant
d’abord et en lui communiquant la vie ensuite.
Il lui a donné la vie en l’engendrant,
car le Fils est substantiellement la vie qui lui a été donnée à la
naissance. L’homme, lui, a d’abord été
formé, et a reçu la vie ensuite, car il
a reçu la vie non par la génération mais par la participation. Car sa vie n’était pas la vie substantielle,
mais une participation à la vie. Mais le
Fils unique du Père n’a pas reçu la vie par participation. Il est engendré substantiellement de la Vie
Père. La vie ne lui a pas été donnée
comme à un existant non encore vivant, mais il a été engendré tout d’un
coup à une vie égale et consubstantielle à celle du
Père. C’est en l’engendrant qu’il a lui
a donné cette vie.
Il poursuit : Mais le
Père l’a engendré, en dehors du temps,
de façon telle que la vie qu’il a reçue de lui à sa naissance est
coéternelle à la vie du Père. Par
ces paroles, il montre que le Père est la Vie et que le Fils est la Vie. Mais la Vie c’est du Père que le Fils la
reçoit pour qu’elle soir la Vie. Il
n’existait pas avant de recevoir la vie,
mais il a été engendré Vie coéternelle et consubstantielle à la Vie du
Père. Celui qui veut comprendre comment
cela est possible, qu’il se dise que comme le Père a en lui-même que le Saint
Esprit procède de lui, il a donné au
Fils que le même Saint Esprit procède de lui.
Et comme personne sain d’esprit ne peut nier que le Fils a reçu du Père
d’être la Vie comme il est lui-même la Vie, personne non plus ne peut nier
qu’il a reçu du Père que l’Esprit saint
procède de lui. Et dans les deux cas, en
dehors du temps. Comme il procède du
Père sans le temps, il procède aussi du
Fils sans le temps. Car cette
procession, loin d’être temporelle, est éternelle. Comme la nativité du Fils repousse le temps,
la procession du Saint Esprit de l’un et l’autre ne connait pas le temps.
Il ajoute : On dit
que l’Esprit saint procède du Père de façon à faire comprendre qu’il procède
aussi du Fils, de l’être du Père et du Fils.
Il veut que quand on dit que le Saint Esprit procède du Père, on
comprenne qu’il procède aussi du Fils.
En nommant le Père, on pense au
Fils, car c’est du Père que le Fils a reçu que l’Esprit saint procède de
lui. Et parce qu’il attribue au Père le
fait que l’Esprit saint procède de lui, dire que l’Esprit saint procède du
Père, c’est affirmer également qu’il
procède du Fils. C’est pourquoi il
ajoute : Si tout ce qu’a le Fils
c’est du Père qu’il l’a, c’est du Père aussi qu’il a que l’Esprit saint procède
de lui. Nous savons, pour l’avoir
entendu dire par le Fils, que le Fils a tout ce qu’a le Père. Mais comme tout cela lui a été donné par le
Père, c’est avec justice qu’on le réfère à celui qui l’a donné. Et c’est
pourquoi quand on dit que l’Esprit saint procède du Fils, on fait référence au
Père qui lui a donné que l’Esprit procède de lui. Quand le Fils dit dans l’évangile : l’Esprit saint qui procède du Père, (Jn
XV, 66) il veut que l’on comprenne qu’il procède aussi de Lui, mais sans rapport
au temps, sans qu’on ait à se demander curieusement si l’Esprit saint a procédé
avant que le Fils naisse, ou si c’est
après la naissance du Fils que l’Esprit saint procède de l’un et de l’autre. Il n’y a pas à imaginer d’avant ou d’après
là où il n’y a pas de temps.
Et par la suite : Il n’y
a donc pas d’absurdité à dire qu’il procède des deux, car le Fils a une essence
sans commencement dans le temps, une génération sans changement dans la nature
divine, et l’Esprit saint a lui aussi une essence sans commencement dans le
temps, et une procession de l’un et l’autre sans changement dans la nature
divine. Il déclare que la
procession du Saint Esprit provient autant du Fils que du Père, mais il ne
cherche pas à savoir s’il procède du Père d’abord, et du Fils ensuite. Comme la génération du Fils a produit une
substance sans qu’intervienne le temps, ni aucun changement, de la même façon
la procession a donné au Saint Esprit une substance hors du temps, et sans changement
de la nature divine. Ne discutons pas sur l’avant et l’après, mais comprenons
que la nativité du Fils est du Père, et la procession de l’Esprit saint est des
deux.
Il continue ainsi : Car,
quand nous disons que l’Esprit saint n’est pas engendré, nous n’osons pas dire
qu’il est inengendré, de peur de mettre deux Pères dans cette trinité, ou deux
qui ne proviennent de personne. Car le
Père seul n’est pas d’un autre, c’est pourquoi il est le seul à être appelé
inengendré. Ce mot ne vient pas de
l’Ecriture, mais de l’usage qu’en ont fait les débatteurs. Et il est entré dans
les mœurs. Le Fils, lui, est né du Père,
et l’Esprit saint procède principalement du Père, sans le temps, mais aussi du
Fils. On le dirait fils du Père et du Fils, si l’on n’avait point en horreur
que tous les deux l’engendrent. Non, il
n’est pas né des deux, mais il procède des deux. Il ne cesse pas d’affirmer que l’Esprit
saint procède du Père et du Fils. Les
contradicteurs font l’objection suivante :
s’il procède des deux, il sera le Fils de l’un et de l’autre. Il s’était d’abord demandé si l’Esprit est
engendré ou inengendré, et avait rejeté l’un et l’autre nom. Et il en donne la raison : s’il est
engendré par les deux, il sera le fils
des deux, du Père et du Fils, ce qui répugne à la foi. On ne peut pas non plus
le dire inengendré, car ce mot est réservé au Père qui ne vient d’aucun
autre. Il tire de lui-même le principe
de son être, et il n’y a rien qui le
précède dans l’existence. Il est le
principe, la source et l’origine de l’universalité. Comme il n’est pas permis de le dire engendré
ou inengendré, on peut enseigner que
l’Esprit saint procède, non du Père
seul, mais aussi du Fils. On ne dit pas
qu’il a été engendré car il n’est ni le fils du Père, ni le fils du fils. On dit qu’il procède du Père et du Fils, car
il est l’Esprit des deux. On montre
clairement que l’Esprit saint procède des deux quand on enseigne qu’il n’est
pas le seul à procéder du Père, de peur qu’il ne soit appelé fils du Père; qu’il ne procède pas du seul Fils, pour ne
pas blasphémer en donnant au Fils le nom de Père. On dit qu’il est l’Esprit saint et qu’il
procède; et qu’il procède des deux.
CHAPITRE
QUATRIEME
Plusieurs se posent la question : quelle différence y a-t-il entre la
génération et la procession ? C’est une question qui semble insoluble, compte
tenu que la trinité est incorporelle et invisible. Nous dirons quand même ce qu’en pense notre
très illustre auteur. Au 15ième
livre de la trinité, c.27, il disait :
Dans cette trinité coéternelle,
co-égale, incorporelle, ineffablement immuable, et inséparable, il est très
difficile de distinguer la génération de la procession. Que ce que nous avons dit jusqu’à présent
suffise pour ceux qui ne veulent pas aller plus loin que ce qu’il convient de
dire aux fidèles. Par exemple, que le
Saint Esprit procède du Père et du Fils, comme l’enseigne l’Ecriture. S’il est vrai que l’Esprit saint procède du
Père et du Fils, pourquoi le Fils dit-il qu’il procède du Père ? Pourquoi, penses-tu, sinon parce qu’il a
coutume de référer au Père d’où il vient, ce qui est à lui et ce qu’il
est. Comme dans ce texte : Ma
doctrine n’est pas ma doctrine mais la doctrine de celui qui m’a envoyé. (Jn
V11, 16) Si nous observons que c’est sa doctrine à lui qu’il dit ne pas être sa
doctrine, mais celle du Père, nous comprendrons plus facilement que le saint
Esprit procède aussi du Fils quand nous
l’entendons dire qu’il procède du Père, sans ajouter qu’il procède du
Fils. De celui qu’il a d’être il a aussi
que l’Esprit saint procède de lui. Et le
Saint-Esprit lui-même a du Père de procéder du Fils comme il procède du
Père. Cela
nous permet un peu de comprendre pourquoi on ne dit pas qu’il nait, mais qu’il
procède. Car si on l’appelait fils, il
serait fils des deux, ce qui est le comble de l’absurdité. Un fils
ne peut-être le fils que d’un père et d’une mère. De toute façon, nous ne pouvons pas faire
entrer le Père et le Fils dans ces catégories terrestres. Car le fils des hommes lui-même ne procède
pas du père et de la mère en même temps : il procède de la mère après
avoir procédé du père dans la mère. Et
quand il nait, il ne procède pas du père.
L’Esprit saint, lui, ne procède pas du père dans le fils, et ne procède
pas ensuite du Fils pour sanctifier les créatures. Il procède de l’un et de
l’autre en même temps, bien que soit le Père qui ait donné au Fils que l’esprit
saint procède de lui comme il procède du Père. Nous ne pouvons non plus dire que l’Esprit
saint n’est pas la Vie parce que le Père et le Fils sont la Vie. Comme le
Père possède la Vie en lui-même, il a donné au Fils de la posséder en
lui-même. Il lui a aussi donné que
l’Esprit procède de lui en tant que Vie, comme il procède du Père en tant que Vie.
Ces paroles il
les avait d’abord prononcées devant le peuple,
puis il les a écrites dans le quinzième livre de la trinité. Nous avons déjà présenté des citations de ce
sermon, et nous en avons fait brièvement le commentaire que nous avons jugé
opportun. Nous ne voyons pas d’avantage
à redire la même chose. Nous ne
reviendrons que sur un point. Entre la
génération et la procession il voit la différence suivante : que la génération ne se dit que du Fils, en
tant qu’il nait du Père; que la
procession appartient en propre à l’Esprit saint. On ne peut en effet le dire engendré, car ce
serait le faire naître du Père et du Fils.
Ce qui est le comble de la sottise, et tout à fait contraire à la
génération divine. Car quand a-t-on jamais
vu quelqu’un fils d’un père et d’un fils ?
Puisque l’Esprit ne peut pas être engendré, que l’on dise que le Fils
nait du Père et que l’Esprit procède des deux.
Et cela, pour de bonnes raisons.
Car on dit que le Père est seul à ne venir de personne; que le Fils et
l’Esprit sont du Père. On dit que le
Père est la Vie, que le Fils est la Vie, et que l’Esprit saint aussi est la
Vie. Mais seul le Père est la Vie
d’aucune autre vie. Le Fils est la Vie
du Père seul, et est engendré. L’Esprit
saint est la Vie non du seul Père ou du seul Fils, mais des deux. Mais il ne procède pas du Père pour procéder dans le Fils, et du Fils ensuite pour sanctifier les
créatures. Il n’y a là aucun moment,
aucune succession temporelle. Il procède
des deux en même temps, i.e. quand il procède du Père il procède du Fils, et
quand il procède du Fils il procède du Père, sans aucun intervalle de
temps. La seule différence qu’il y a
entre eux, c’est que le Père n’a reçu de
personne que l’Esprit saint procède de lui, et que le Fils a reçu Père que
l’Esprit saint procède de lui.
De même, dans son
livre où il réfute cinq hérésies, il
ajoute après avoir prêché sur le saint Esprit : Que
dirai-je d’autre à des gens fatigués comme moi. Celui qui sépare l’Esprit saint
du Père et du Fils, de l’éternité, de la substance et de la communion, et qui
nie que l’Esprit est l’Esprit du Père et du Fils est plein d’un esprit immonde,
et est vide de l’Esprit saint. Qu’ils écoutent les adversaires de la
vérité, ceux qui nient que l’Esprit saint procède du Père et du Fils. Car en niant cela, ils nient qu’il est l’Esprit du Père du
Fils. Et qu’ils redoutent d’être
pleins d’un esprit immonde, et vides de
l’Esprit saint ! Ils ne pourront pas obtenir
le pardon s’ils ne renoncent pas à leur blasphème ! Que si les méchants ne veulent pas entendre,
que les amis de la piété écoutent ! Qu’ils aient en horreur le blasphème impie,
afin d’être remplis par le saint Esprit.
Il dit contre
l’arien Maximinus : Tu dis que vous honorez l’Esprit saint comme
docteur, guide, illuminateur et
sanctificateur; que vous rendez un culte
au Christ comme créateur; que vous adorez le Père comme auteur avec une sincère
adoration. Si vous dites que le Père est auteur parce que le Fils est de lui,
et qu’il n’est pas du Fils, et que l’Esprit saint procède du Père et du Fils de
façon à ce que ce soit le Père qui donne au Fils en l’engendrant que l’Esprit saint procède
aussi de lui. Si tu appelles le Fils
créateur sans nier que le Père le soit,
ni le Saint Esprit. Si tu donnes
à l’Esprit saint les titres de docteur, de guide, d’illuminateur et de
sanctificateur sans les enlever au Père et au Fils, tes paroles sont les
nôtres. Voilà ce qu’a dit saint
Augustin contre les Ariens. Que les
Grecs choisissent la foi qu’ils veulent être la leur, celle des ariens et des
empereurs ! S’ils nient que l’Esprit
saint procède du Père et du Fils, ils
s’opposent à la foi catholique. S’ils
sont catholiques et s’ils haïssent la fausseté d’un dogme pervers, qu’ils ne
partent pas en guerre contre les latins, bien plus contre l’église catholique
elle-même, parce qu’elle professe que l’Esprit saint procède du Père et du
Fils. Car nier cela c’est manifestement
adhérer à l’hérésie arienne.
De même, dans
le quatrième livre au chapitre 14 :
Tu me demandes : si le Fils
est de la substance du Père et l’Esprit saint de la substance du Père, pourquoi
l’un est-il fils et l’autre ne l’est-il pas ? Voici
ce que je réponds, que tu comprennes ou que tu ne comprennes pas. Tous les deux
sont du Père, mais le Fils comme engendré, le Saint Esprit comme procédant. Le Fils est fils du Père parce que le
Père l’a engendré, le saint Esprit est
l’Esprit de l’un et l’autre, parce qu’il procède de l’un et de l’autre. Ce
Maxime arien, que réfutait saint Augustin,
niait que l’Esprit saint procède du Père. Il le disait inférieur au Fils et non
consubstantiel au Père, rejetant ce qu’enseigne l’Eglise, que le saint Esprit
est consubstantiel au Père et au Fils.
Il disait donc : Si l’Esprit
saint était de la substance du Père comme le Fils est de la substance du Père,
il y aurait de toute nécessité deux fils.
Saint Augustin lui répondit qu’il procédait du Père, avec lequel il partageait la même
substance; qu’il n’était pourtant pas un
fils parce qu’il n’avait pas été engendré mais qu’il procédait. Le Fils engendré de la substance du Père est
Fils parce qu’il en est né. L’Esprit
n’est pas un fils bien qu’il soit de la substance du Père parce qu’il n’est pas
engendré. Il procède aussi de la substance
du Fils parce qu’il est l’Esprit de l’un et l’autre, et consubstantiel aux
deux. Celui qui nie cela fait cause commune
avec les ariens, et se met en opposition avec la foi catholique.
Il dit
ensuite : Quand le Fils a parlé de
l’Esprit, il a dit qu’il procède du Père. (Jn XV, 25) Car le
Père est le père de cette procession, lui qui, engendrant un Fils, l’a engendré
tel que de lui puisse procéder l’Esprit saint. Car si l’Esprit ne procédait pas de lui
aussi, il n’aurait pas dit : Recevez l’Esprit saint. (Jn XX, XX11) Il ne le leur aurait pas donné en soufflant, pour laisser entendre
qu’il procédait de lui. Il n’aurait pas manifesté ouvertement ce qu’il donnait
en secret en soufflant. Si d’autre part,
il était né, il ne serait pas né du Père
ou du Fils, mais des deux. Il serait
donc le fils des deux. Comme il est impossible
qu’il naisse des deux, il est impossible
qu’il soit appelé fils du Père et du Fils.
Comme il ne lui est pas possible d’être fils des deux, il est l’Esprit
des deux, procédant des deux. Il est d’avis que l’Esprit saint procède
du Fils et que c’est ce qu’a voulu laisser entendre le Fils quand il dit dans
l’Evangile : qui procède du
Père. Car il ne dit pas cela pour
nier qu’il procède aussi de lui, mais il
renvoie au Père la responsabilité de la procession. Ce Père a engendré un Fils, et il l’a
engendré tel que le Saint Esprit procède de lui comme il procède du Père. Et
c’est après sa résurrection, qu’il nous en donne la preuve, quand il dit à ses
disciples : Recevez l’esprit
saint. Et pour qu’il ne donne pas par des mots seulement mais par son souffle ce qu’il leur ordonnait de
recevoir, il dit en paroles ce qu’il leur avait exprimé en soufflant :
recevez l’Esprit saint. Il leur a donné
l’Esprit saint en soufflant, montrant
clairement, par ce souffle, qu’il procède de lui celui qu’il a donné
invisiblement en soufflant. Il répond
ensuite à l’objection de l’impiété arienne
selon laquelle il serait fils des deux parce qu’il procède des
deux : Si l’Esprit saint était né, il ne naîtrait pas seulement du Père mais
aussi du Fils, puisqu’il procède de l’un et l’autre. Il procède donc, mais il ne nait pas. Car il serait né des deux puisqu’il procède
des deux, et on le dirait fils des deux.
Il exclut donc la génération de l’Esprit saint, car il n’est le fils ni
du Père ni du Fils, ni des deux, et il
n’a donc pas pu naitre d’eux. Car celui qui n’a pas de naissance n’a pas droit
au titre de fils; et celui qui n’est pas
fils ne peut en aucune façon naître.
Mais comme il est l’Esprit du Père et du Fils, il procède donc des deux.
C’est ainsi qu’il réfute la calomnie arienne,
enflée de la jalousie de la fausseté, née de la malveillance de
l’impiété, qui cherchait à démontrer que l’Esprit saint n’était pas de la
substance du Père, car s’il l’était, il serait son Fils. Mais ce docteur catholique démontre par une
argumentation catholique que l’Esprit saint peut être de la substance du Père
sans en être le Fils. Parce que procéder
n’est pas la même chose que naître.
Il continue
dans la même veine : Qui peut expliquer la différence qu’il y a,
dans cette nature excellente, entre
naître et procéder ? Tout ce qui procède ne nait pas, même si tout ce qui nait
procède. Comme on dit que tout ce qui est bipède n’est pas un homme, même si
tout homme est un bipède. Il y a une
chose que je sais : je ne sais pas ce qui distingue la naissance de la procession. Il affirme ce docteur éminent, cet
adversaire acharné des hérétiques, que l’Esprit saint n’est ni fils ni né, puisqu’il ne procède pas seulement de la
nature du Père, mais aussi du Fils. Il
participe à la substance des deux, et leur est consubstantiel; et on dit qu’il procède de celui de qui est
né le Fils. Alors se pose le problème
épineux de la différence entre naissance et procession. On comprend cependant que ce n’est pas tout
ce qui procède qui nait, mais que tout
ce qui nait procède. C’est l’évidence
même. Car quelqu’un ne peut naitre de quelqu’un sans procéder de lui, comme un
fils d’un parent. On dit que quelqu’un
nait quand il sort du sein de sa mère, non quand il procède de l’organe du père
dans le sein de sa mère. Nous ne voulons
donc pas nier la procession qui a
lieu lors de l’ensemencement du
sein maternel, à partir duquel l’enfant qui procède accède à la naissance. Cet exemple peut être trompeur, car nous ne
disons pas que l’Esprit sains procède du Père à un moment, et qu’il procède du
Fils à un autre moment. Il a raison de
montrer que toutes les processions ne sont pas des générations et que toutes
les générations sont des processions, comme tout ce qui est bipède n’est pas un
homme et que tout homme est un bipède.
Il choisit cet exemple à cause de la différence qu’il y a entre la
génération et la procession. Non pour
faire comprendre le vrai sens de la naissance et de la procession,
mais comme s’il disait ce qu’est le genre, ce qu’est l’espèce. Le bipède est le genre de cette espèce qui
est l’homme, et l’homme est une espèce de ce genre qu’est le bipède. Si tu t’en tiens au genre, l’homme et les
oiseaux sont des bipèdes. Si tu ne
regardes que l’espèce, il n’y a que l’homme
qui soit un bipède. C’est pour cela
qu’il dit que tout bipède n’est pas un homme, parce que par ce terme général on
entend aussi les oiseaux. Mais quand il
dit homme, il entend tous les hommes ensemble,
mais pas les bipèdes. Le terme
bipède a une extension plus large que le mot homme, et c’est pourquoi sa
définition ne se rapporte pas proprement à l’homme, ni non plus à l’oiseau. Il en est ainsi de la procession et de la
naissance. La procession se réfère à la
naissance, mais pas toujours. Comme
quand on dit : de la bouche du sage
procède le miel. Et ce que dit le
psalmiste du soleil : comme un époux procédant de sa chambre nuptiale. Par chambre nuptiale on entend ce lieu secret
du soleil, inaccessible au regard de l’homme, d’où procède à chaque jour la
lumière du soleil qui éclaire les mortels.
Mais la naissance implique toujours la procession, car elle ne peut pas exister sans procéder. En effet, tout ce qui nait procède. Voilà pourquoi ce que saint Augustin a dit
de la procession et de la naissance, il ne l’a pas dit au sens propre, mais selon les catégories du genre et de l’espèce. Car il reconnait que cela, il l’ignore. Pourquoi ?
Parce que c’est ineffable.
Exactement comme ce que le prophète dit du Fils : Et sa
génération qui la racontera ? (Isa L111, 8)
On peut dire également, en toute vérité, de l’Esprit saint aussi : Et sa procession qui la racontera ?
Par ces mots, il affirme que ni la génération du Fils ni la
procession de l’Esprit saint ne peuvent être racontées, car elles sont
ineffables. Il ne faudrait donc pas
scruter ce qui ne peut être raconté, car
il n’y a aucun moyen de le comprendre.
Il faudra donc se contenter de ce que l’Ecriture enseigne, que le Fils nait du Père, et que l’Esprit
saint procède du Père et du Fils. Il le
dit lui-même : Qu’il nous suffise de savoir que le Fils n’est pas de lui-même, mais de
celui de qui il naît; que l’Esprit saint
n’est pas de lui-même, mais de celui de qui il procède. Et qu’il procède de
l’un et de l’autre, comme nous l’avons démontré, puisqu’il est l’Esprit du Père
et du Fils. Exemples : Si l’Esprit de
celui qui a ressuscité le Christ des morts habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ n’est
pas un des siens. C’est en
disputant contre l’arien Maximinus que le docteur Augustin montre que l’Esprit
saint procède autant du Fils que du Père.
Ceux qui le nieront marcheront sur les pas des Ariens, et n’admettront
pas que l’Esprit saint est consubstantiel au Fils. Car s’il ne procède pas du Fils, il n’est pas
de la même substance que le Fils, et il
finira par le blasphémer en l’appelant une créature. Ou il niera que le Fils n’a pas tout ce qu’a
le Père. On ne peut nier, en effet, que
l’Esprit saint est l’Esprit du Fils,
puisque l’Apôtre l’enseigne en toutes lettres : Parce
que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs
qui crie : Abba, père. Si
l’Esprit saint est l’Esprit du Fils, comme l’apôtre le confesse, ou il sera son
sujet, un serviteur inférieur, comme le veut Arius, ou il procèdera du
Fils, comme le professent les
catholiques. Que les empereurs grecs
fassent donc leur choix ! Ils ne peuvent
pas nier que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ. Qu’ils expliquent donc comment il est
l’Esprit du Fils s’il ne procède pas de lui.
Car s’ils nient la procession,
ils prêchent la création, comme le font les Ariens. Car l’Esprit saint ne peut pas être l’Esprit
du Fils sans être créé par lui ou sans procéder de lui.
La même chose
dans ce qui suit au chapitre 17ième : Que
signifie donc au commencement était le Verbe, si ce n’est que le Verbe était dans le Père. Et quand les Juifs lui demandèrent qui il
était, il répondit : Je suis le Principe, moi qui vous parle. (Jn
V111, 2) Le Père n’est principe d’aucun autre principe. Le Fils est principe de principe. Mais ils
le sont ensemble, et ils forment un seul principe, non deux. Je ne
nierai pas non plus que l’Esprit qui procède soit aussi Principe. Mais comme ces trois sont un seul et même
Dieu, ils sont un seul et même
principe. Il nie que l’Esprit saint
est une créature en disant qu’il est Principe comme le Père est Principe, et
comme le Fils est Principe. Le Père est
Principe, mais d’aucun principe. Le Fils est Principe mais du Père
Principe. Le Saint Esprit lui aussi est
Principe, mais d’un autre Principe. Non
du Père seulement, mais du Fils. Mais il n’y a qu’un seul principe, non trois,
comme il n’y a qu’un Dieu, bien que chacun en particulier soit Dieu. Ces trois sont un seul Dieu.
De même un peu
plus loin : chap. 21 : Lumière
de la Lumière, Fils du Père, et pourtant,
les deux lumières ne forment qu’une seule lumière, comme Dieu et Dieu,
les deux ne formant qu’un seul Dieu. Et
tout cela, non sans l’Esprit des deux. Par
ces paroles, il atteste que l’Esprit procède des deux. Mais s’il est l’Esprit du Père parce qu’il
procède du Père, il s’ensuit donc qu’il est l’Esprit du Fils parce qu’il
procède du Fils. Car on ne nous déclare
pas que l’Esprit est l’Esprit du Père et du Fils pour des raisons diverses. Mais pour cette seule raison qu’il procède de
l’un et de l’autre, étant l’Esprit de l’un et de l’autre. Car si tu dis qu’il est l’Esprit du Père
parce qu’il procède du Père, pour quelle
raison est-il appelé l’Esprit du Fils si ce n’est parce qu’il procède du Fils
? Voilà ce que Augustin, polémiquant
avec l’arien Maximinus, a compris, dit
et écrit sur la procession du Saint Esprit
du Fils, condamnant la perfidie arienne, et confirmant la piété de la
foi catholique. Celui qui osera le
contredire se révèlera un ennemi de la foi catholique.
Nous avons
aussi ceci, tiré du récit du dialogue entre lui et l’arien
Pascentius : Car si nous croyons que dans l’homme croyant Dieu habite en totalité,
comment ne pas croire que le Fils est dans le Père à demeure, le Père dans le Fils à demeure. Et il ne faut
pas croire que l’Esprit saint ne fait que procéder du Père et du Fils, mais
qu’il participe toujours activement à toutes les œuvres de la sainte trinité. Il dit qu’il y a un seul Esprit
saint, qui coopère à toutes les œuvres
de la trinité, qui ne fait donc pas
seulement procéder du Père et du Fils, mais qui coopère avec l’un et l’autre.
Ce qu’il ne pourrait pas faire s’il n’avait pas reçu des deux, en procédant, la substance divine.
CINQUIEME CHAPITRE
Gennadius, évêque de Constantinople, homme très versé dans
les écrits des anciens, dans son livre
des dogmes ecclésiastiques, parle ainsi de la procession du
Saint-Esprit : Nous croyons que le Père, le Fils et le Saint Esprit sont un seul et
même Dieu. Père du fait qu’il a le
Fils. Fils du fait qu’il a le Père. Et
l’Esprit saint, du fait qu’il est du Père et du Fils. Le Père est donc le principe de la divinité,
le nom principal. Car comme il n’est jamais arrivé qu’il ne soit pas Dieu, il
n’est jamais arrivé qu’il ne soit pas Père. De
lui le Fils est né, et de lui
l’Esprit saint n’est pas né. L’Esprit
saint n’est pas fils. Il n’est pas non
plus inengendré, parce qu’il n’est pas Père. Il n’a pas été fait Esprit saint,
parce qu’il ne vient pas du néant, mais du Dieu Père. Il est Dieu procédant du Dieu Fils. Il professe avec assez de clarté qu’être
du Père et du Fils signifie, pour l’Esprit saint, procéder de la substance du
Père et du Fils. Car il ne pourrait pas
être de l’un et de l’autre s’il ne procédait pas substantiellement de l’un et
de l’autre. C’est pour cela qu’il dit
par la suite qu’il est Dieu procédant du Dieu Père et du Dieu Fils. Et en disant qu’il procède, il nie qu’on doive dire qu’il est né, parce
qu’il n’est pas fils; ou qu’il est
inengendré, parce qu’il n’est pas père.
L’évêque
Fulgence, lettré et érudit, et illustre par la sainteté de sa vie, a été
malmené par les Ariens à cause de la foi catholique. Il dit dans son livre question sur la procession du saint Esprit :
Ainsi, tout ce qu’est la nature
elle-même est commun aux personnes. Mais on doit trouver ce qui nous fait
connaitre chaque personne en particulier.
Quelque chose qui n’est ni commun ni séparable. Nous disons d’abord que ce qui est propre au
Père c’est d’avoir engendré. Le propre
du Fils c’est d’être le seul à avoir été engendré par le seul Père. Le propre de l’Esprit saint est qu’il procède
du Père et du Fils. Dans ce qui les distingue les uns des autres, on
ne trouve aucune séparation de la nature, mais ce qui se rapporte à la
personne. Cet auteur nous parle de
ce que l’on sait être commun et propre aux personnes de la sainte Trinité. Ce qui est commun aux trois c’est la
consubstantialité d’une seule nature. Ce
qui est propre à chacun c’est que le Père
engendre, que le Fils naisse seul du Père seul, et que l’Esprit procède du Père
et du Fils. C’est pourquoi, ceux qui
acceptent que ce qui est propre au Père c’est d’engendrer, que ce qui est
propre au Fils c’est d’être engendré, doivent nécessairement admettre que ce
qui est propre à l’Esprit saint c’est de procéder du Père et du Fils. S’ils cherchent à le nier, qu’ils nous disent ce qui lui est propre. Car la procession du Père lui est commune
avec le Fils, car tout ce qui nait procède aussi. Selon, donc, l’enseignement de ce docteur, le
propre de l’Esprit saint est de précéder du Père et du Fils, ce qu’il ne possède en commun ni avec le Père
ni avec le Fils, le Père n’étant de personne,
le Fils du seul Père, et l’Esprit
saint des deux.
Il parle dans
le même sens par la suite : la divinité du Fils n’a pas pu recevoir
l’Esprit saint puisque l’Esprit saint procède du Fils comme il procède du
Père. Et c’est pour quoi il est donné
par le Père et par le Fils. Cette nature
d’où l’Esprit saint tire son origine n’a pas pu, de cette procession, espérer
ou obtenir un accroissement. L’Esprit
saint est tout entier du Père, tout
entier du Fils, parce qu’il n’y a, dans la nature divine, qu’un seul Esprit, l’Esprit du Père et du
Fils. Il procède donc en entier du Père
et du Fils, et demeure en entier dans le Père et dans le Fils. Il demeure pour procéder et il procède pour
demeurer. Il a donc naturellement avec
le Père et le Fils la plénitude de l’unité et l’unité de la plénitude, de telle
sorte que le Père et le Fils l’ont en entier.
La divinité du Fils ne reçoit donc pas le Saint Esprit parce que c’est
avec elle que l’Esprit saint est une
seule et même nature, c’est d’elle qu’il a tout ce qu’il a. En somme, c’est de la divinité du Fils qu’il
est ce qu’il est. Cet extrait
traite de la plénitude de la divinité du Christ et de son humanité. Il dit que c’est l’humanité qui a reçu
l’Esprit saint. Non avec mesure, parce
que la plénitude de la divinité repose en lui, comme l’atteste l’évangéliste en
parlant du Christ : Et nous avons vu sa gloire, gloire d’un fils
unique provenant du Père, plein de grâce et de vérité. (Jn 1, 14) La Vérité se réfère à la divinité, la grâce
se réfère au don. Car pour que l’homme
né d’une vierge soit Dieu parfait comme il est homme parfait, il le reçut cela, non du mérite, mais du don
de la grâce divine. La divinité a
naturellement d’être pleine et parfaite, de n’avoir besoin de rien, de ne pouvoir ni diminuer ni
s’accroitre. Selon cette plénitude de
divinité, le Christ Fils de Dieu n’a pas
pu recevoir le saint Esprit, puisque l’Esprit saint procède de lui comme il
procède du Père, et que le Fils le donne
comme le Père le donne. C’est pourquoi
la divinité du Fils, de laquelle
l’Esprit saint tire son origine, ne peut pas recevoir d’accroissement de celui
qui tient d’elle d’exister. Car cet
Esprit est l’esprit du Père en entier et l’Esprit du Fils en entier. Et comme il est entièrement des deux, ou tout
entier de l’un et de l’autre, cela ne vient pas de la convertibilité que le
Père et le Fils soient dits l’Esprit saint comme s’ils recevaient de lui leur
existence. L’Esprit saint n’est pas
l’Esprit du seul Fils, comme recevant de lui l’existence, parce qu’il est
naturellement un seul esprit qui est celui du Père et du Fils, recevant d’eux
son existence. Comme le bienheureux
Fulgence l’atteste, il est tout entier du Père et tout entier du Fils. Et comme il est en totalité des deux, ou de
l’un et de l’autre, cela ne vient pas de
la convertibilité que le Père et le Fils soient dits Esprit saint, en tant que
recevant de lui leur existence. L’Esprit
n’est pas seulement l’Esprit du Fils, de qui il reçoit l’existence, car il est naturellement
l’Esprit des deux, et des deux il reçoit
l’existence. En conséquence, comme
l’atteste saint Fulgence, il procède entièrement du Père et entièrement du
Fils. Il n’a pas une part de lui qui
procède du Père et une autre qui procède du Fils. Il n’a pas non plus, une part de lui qui
demeure dans le Père et une autre part dans le Fils. Il ne peut pas être scindé ni atomisé; il n’est pas non plus composé de
parties. Et il demeure pour procéder et
il procède pour demeurer. Il a
naturellement la plénitude de l’unité et l’unité de la plénitude avec le Père
et le Fils. Et le Père l’a en entier, et le Fils l’a en entier. La divinité du Fils ne reçoit donc pas un
Esprit saint qu’elle ne possédait pas avant, puisque l’Esprit saint est de la
même nature que le Fils, qu’il reçoit de
lui tout ce qu’il a, de qui il est ce qu’il est. Toutes ces paroles démontrent que la
procession du Saint Esprit est d’autant du Fils que du Père. Si quelqu’un s’efforçait de le nier, il niera également la subsistance de l’Esprit,
car il ne peut pas subsister sans recevoir l’essence de celui de qui il subsiste
en procédant. Voilà ce que Saint
Fulgence a enseigné sur le saint Esprit en disputant contre la perfidie
arienne. Il approuve sans équivoque ce
que l’on dit de lui, qu’il procède du Père et du Fils, parce qu’il est l’Esprit
de l’un et de l’autre, recevant l’essence de l’un et de l’autre. Celui qui le nie montre qu’il est entaché de
l’hérésie arienne.
CHAPITRE
SIXIEME
Mais revenons à Athanase, évêque d’Alexandrie que nous
avions placé le premier parmi les docteurs de la foi catholique, pour que celui qui a été le premier à
témoigner que l’Esprit saint procède du Fils
soit le dernier à lui rendre hommage.
Dans le deuxième livre des
personnes et du nom unique de la trinité écrit contre les Ariens, il dit : Le Père
est autre en tant que personne parce
qu’il a engendré. Et le Fils est autre en tant que personne parce qu’il a été
engendré. Le Saint Esprit, le
Paraclet, est différent du Père et du
Fils en tant que personne, lui qui, à la Pentecôte, a été répandu sur les apôtres, parce qu’il
procède vraiment de la divinité unie du Père et du Fils. Distinguant ce qui
est propre à chacune des personnes, et les unissant dans l’unité de la
divinité, cet auteur montre ce qui est
commun et ce qui est propre à chacun. Ce
qui est propre au Père, dit-il, c’est qu’il a engendré. Ce à quoi n’ont part ni le Fils ni l’Esprit
saint, mais le Père seul. Ce qui est
propre au Fils c’est qu’il a été engendré.
Dans la propriété de la génération, il ne communie avec l’Esprit
saint en aucune façon. Ce que l’Esprit a en propre c’est qu’il n’a
jamais engendré ni n’a été engendré, et
qu’il procède de la divinité unie du Père et du Fils. En quoi il ne communie ni avec le Père ni
avec le Fils. Car le Père n’est le père
de personne, le Fils est le fils du Père, et l’Esprit saint l’Esprit des deux. Celui qui s’entêtera à le nier, qu’il montre
comment la personne du saint Esprit se distingue des deux autres. Et ces trois personnes de la sainte trinité,
distinctes entre elles par ce qu’elles ont en propre, sont associées par
l’unité de la divinité. Elles n’ont
aucune différence dans la communion de la divinité, de sorte que dans les personnes chacune a ce
qui lui est propre, et dans la divinité
se trouve l’unité indifférenciée.
De même dans
le livre septième : Pourquoi dit-il que celui qui me voit voit
mon Père (Jn X1V 9) s’il n’y a pas en eux une image unique de la
nature invisible de la divinité ? Pourquoi lisez-vous : conserver la
vérité de l’Esprit dans le lien de la paix. (Eph 1V, 3) si vous ne le recevez pas de la divinité
unie elle-même du Père et du Fils ? Pourquoi pensez-vous que le vase d’élection
a dit : nous avons tous pensé qu’il n’y a qu’un seul Esprit (1 Cor
X11, 18) si vous le séparez de la vraie
nature unie de la trinité ? Il
affirme que l’Esprit du Fils est de même nature que celui du Père, ce que
niaient les Ariens, puisque dans le Père et le Fils il y a une seule image de
la trinité invisible. Il atteste aussi
que l’Esprit saint est de la même substance que celle du Fils, parce qu’elle
tire son existence de la déité unie du Père et du Fils. En disant cela, il affirme clairement qu’il
procède de l’un et de l’autre. Car comme
la déité du Père et du Fils est unie au point de ne pouvoir différer en
rien, l’Esprit saint ne peut procéder de
la déité du Père sans procéder de celle du Fils. Il ne peut non plus procéder
de la divinité du Fils sans procéder de celle du Père. Autrement, on ne pourra pas dire qu’il n’y
aucune différence entre la déité du Père et la déité du Fils, s’il procède du
Père sans procéder du Fils. On ne
pourra pas dire non plus que la divinité est unie, ce qui est impie et
arien.
Disons
donc, comme le veut la foi catholique,
que le bienheureux Athanase professe que l’Esprit saint est de la divinité unie
du Père et du Fils. Il témoigne aussi
qu’il n’y a qu’un seul Esprit. Par ces
paroles, il témoigne que l’Esprit du Père n’est pas différent de celui du Fils,
mais que l’Esprit qui est du Fils l’est aussi du Père, et que ce même Esprit
est de la vraie nature unie de la divinité.
Cette nature est d’une telle unité qu’aucune fissure n’y peut pas faire
son apparition. Que l’Esprit saint soit
reconnu comme l’un de cette substance, le démontre amplement la procession de
l’un et de l’autre, avec lesquels il est uni dans la nature unie de la
divinité.
De même plus
bas : Hypocrites ! Comment pouvez-vous comprendre : et le même Esprit
opère toutes ces choses, distribuant à chacun comme il le veut. (1 Cor X11,
11) si vous le séparez de l’opération
unie de la trinité ? La déité unie vaut pour toute la sainte
trinité, où existe sur un pied d’égalité avec les autres la personne de l’Esprit saint, sans laquelle
il ne peut même pas exister de trinité.
Donc, en disant que la trinité
est associée dans une opération unique, il atteste que l’Esprit saint agit en
commun avec le Père et le Fils; et que
rien ne peut séparer ceux qu’unissent une seule et même opération. Il appert donc que l’Esprit saint est de la
nature unie du Père et du Fils, puisqu’il il leur est uni par la substance et
l’opération. Et ailleurs : Hypocrites,
comment pouvez-vous comprendre qu’il a été dit : le même Esprit, le même
Seigneur et le même Dieu ! (ibid 4,6,) si vous ne l’acceptez pas comme vrai
Dieu de la vraie nature, opérant en tous des merveilles ! Il dit que l’Esprit est seigneur et Dieu, et
vrai Dieu de la vraie nature divine.
Quand il dit de la vraie nature divine, il professe que l’Esprit saint
ne vient pas de lui-même, mais de la vraie nature du Père et du Fils. Car comme le Fils et le Père ne sont pas
séparés par la vérité de la nature, l’Esprit saint subsiste de la vraie nature
de l’un et de l’autre. Il ne peut pas, en effet, procéder de la nature du Père s’il ne procède
pas de celle du Fils, puisque la nature
du Père et celle du Fils sont une seule et même nature. Et quand le bienheureux Athanase dit que
l’Esprit saint est vrai Dieu de la vraie
nature, sans rien ajouter à la nature
divine, il laisse entendre que l’Esprit saint est vrai Dieu de la vraie nature
de chacun d’eux, opérant en toutes choses des merveilles.
De même :
Hypocrites ! Comment peut-il communiquer
le discours de sagesse, la parole de la science, la foi ou la grâce de la
santé, l’opération des vertus, la prophétie ou le discernement des
esprits, s’il n’est pas de la plénitude
unie ! Les choses qu’il a énumérées
personne parmi les fidèles ne doute que ce sont des dons du saint Esprit. En déclarant à la fin de la phrase que le
Saint Esprit peut accomplir tout cela parce qu’il est de la plénitude unie, il confesse qu’il procède du Père et du
Fils. Elle est unie, en effet, la
plénitude de la divinité du Père et du Fils.
La divinité du Père est pleine, et la divinité du Fils est pleine parce
qu’elle est parfaite et ne peut pas être augmentée. Mais il n’y pas deux plénitudes, mais une
seule plénitude, comme il n’y a pas deux déités mais une seule déité. Et c’est de cette plénitude unie du Père et
du Fils que l’Esprit saint procède, Dieu
plein lui aussi, sans aucune
augmentation quantitative. Si, selon la
nouvelle hérésie, le saint Esprit ne procède que du Père, il ne procède donc
pas de la plénitude unie, la procession n’est pas une action commune au Père et
au Fils, mais propre au Père. Ce qui est faux et plein de perversion
hérétique. Selon la formule d’Athanase,
on dit que le Saint Esprit procède la plénitude unie, parce qu’il est vrai Dieu tirant sa subsistance de la vraie déité du Père et du Fils.
Il dit de même
un peu plus bas : Parce qu’il a dit : les cieux ont été
formés par la parole du Seigneur du ciel, et toute leur vertu par l’Esprit de
sa bouche. (Ps XXX11, 6) apprends que ce Verbe substantiel n’est pas né
d’ailleurs que du Père. Et l’Esprit
qu’il dit être l’Esprit de sa bouche
procède de la substance unie. Les
Ariens niaient que le Fils et le saint Esprit étaient consubstantiels au Père,
et c’est pourquoi dans le texte cité il s’efforce d’établir autant la divinité
de l’un que de l’autre. En disant que
les cieux ont été formés par la parole du Seigneur, il affirme la divinité du
Fils. Par l’Esprit qui sort de sa
bouche, il enseigne par une image sensible que l’Esprit sort de la substance
divine, et est donc consubstantiel. Il
ajoute ensuite qu’il procède de la substance divine unifiée, laissant entendre
par là que l’Esprit procède du Père et du Fils, de la substance unie de
qui il est. Il avait dit : il n’est pas d’une autre nature que de celle-là. Les Ariens blasphémaient en prétendant
que l’Esprit saint était d’une autre nature que celle du Père, voyant en lui
une simple créature. Pour les réfuter,
saint Athanase dit que le Saint Esprit n’est pas d’une nature différente de
celle du Père, mais qu’il procède de la substance unie du Père et du Fils. Il
témoigne par là même que la substance de l’Esprit saint est unie à celle du
Père et du Fils dans une seule nature et une seule opération.
Dans le
huitième livre : De
deux morceaux de bois fixés l’un sur l’autre jetés dans une fournaise
brûlante jaillit une flamme unique inséparable. C’est ainsi que le saint Esprit procède de la vertu du Père
et du Fils, ayant la vertu même de la divinité.
Que personne ne pense que, par sa comparaison de deux morceaux de
bois et d’une flamme, saint Athanase a
voulu nous enseigner que le Père et le Fils sont des sujets du saint Esprit. Il
a pris dans le monde corporel l’image de quelque chose qui n’est pas matériel,
une similitude donc non totale, mais partielle.
La créature, comme chacun le sait,
est bien loin de pouvoir ressembler en tout à Dieu. C’est avec notre intelligence que nous devons
chercher le sens de cette comparaison.
Il dit que l’Esprit saint procède du Père et du Fils comme jaillit de
deux morceaux de bois une flamme. Il ne faut pas en conclure que l’Esprit est
séparable. C’est de deux esprits que
l’Esprit saint procède, l’un du Père et
l’un du Fils, mais qui sont un seul et
même esprit, et qui ont la même vertu de la déité. Cela semble impossible et incroyable. Mais pourtant, on trouve dans les choses
matérielles quelque chose qui nait de deux, et qui devient un seul individu qui
n’a pas accepté la dualité.
Voici, dans le même livre : Le Père
est dans le Fils, et le Fils est dans le Père.
L’Esprit saint, lui est la conjonction de la divine vertu, l’unité de la
trinité. En disant cela, il montre
que l’Esprit saint est la charité du Père et du Fils, et il n’existe rien
d’autre qui puisse plus puissamment et plus convenablement réaliser l’unité
dans la très sainte trinité. Mais cette
charité qui est le Saint Esprit il ne faut pas la concevoir comme une qualité,
ni croire qu’elle n’est pas une substance,
parce qu’elle est la personne du Saint Esprit. Il appelle l’Esprit saint la conjonction ou
l’unité du Père et du Fils, parce que procédant des deux, il unit l’un et
l’autre, demeurant lui non séparé, non divisé mais consubstantiel, parce qu’il
est un de la trinité.
De même dans le
livre sur la foi (livre 2, de l’unité de la foi à Théophile) il dit : Le
vrai Père a engendré le vrai Fils, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de la
vie, parfait du parfait, le tout du tout, le plein du plein. Non créé, mais engendré. Non du néant, mais du Père, d’une seule
substance avec le Père. Et je crois dans l’Esprit saint vrai Dieu, ni inengendré,
ni engendré, ni créé, ni fait, mais du Père et du Fils, et demeurant dans le Père et le Fils. On dit ici que l’Esprit saint n’est ni
inengendré ni engendré, puisque c’est le Fils qui est engendré et le Père qui
est inengendré. Il n’a pas pour autant
été créé ou fait, car il est l’Esprit du Père et du Fils qui demeure toujours
en eux. Quand il dit qu’il est l’Esprit
du Père et du Fils, qu’il n’est ni créé
ni fait, il montre qu’il procède des deux,
qu’il est consubstantiel et coéternel au Père et au Fils, qu’il demeure
toujours dans les deux, car dans la trinité les catégories temporelles de temps
et de lieu n’existent pas.
De la même manière
dans le livre dixième, il cite l’apôtre disant : Qui connait le sens du Seigneur capable de l’instruire ? Nous avons, nous le sens du Christ. (1 Cor 11, 16) Il ajoute ensuite : Le sens de Jésus Christ dans sa substance propre l’apôtre déclare que c’est l’Esprit saint. Ce que saint Athanase appelle la
substance propre du Christ c’est sa divinité. De cette substance l’Esprit saint
est dit être le sens. Le mot sens ici ne
signifie pas l’un des cinq sens du corps. C’est plutôt le sens de l’âme. On appelle l’Esprit saint l’intellect de
Jésus-Christ, non pas parce qu’il ne
peut pas comprendre par lui-même, mais pour que la compréhension qu’on a de lui
soit l’œuvre de l’Esprit saint. Car il
est la sagesse du Père atteignant fortement d’une fin à l’autre, et
disposant tout suavement. (Sag.
V111, 1) Il veut que nous voyions dans
l’Esprit le sens du Christ, i.e. ce qui
nous instruit de la substance du Christ.
Car comme le sens de l’âme ne peut pas être séparé de l’âme, et ne
nait pas d’ailleurs que de l’âme, ainsi en est-il du saint Esprit quand on le
dit, selon l’apôtre, le sens de Jésus
Christ : il n’est pas séparé de la
substance de la divinité du Christ, et il ne procède pas d’ailleurs, mais
d’elle. Car il est consubstantiel au Fils, procédant de sa substance divine.
Et plus loin : Entendant le Sauveur dire : Je suis la vie (Jn X1V, 6), et en lisant
ce qu’écrit saint Paul : car la loi est l’Esprit de Vie (Rom V111, 2.
Et encore : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs. (Gal. 1V, 6) Voyant
aussi le Fils unique souffler sur la face de ses disciples, et leur dire :
Recevez l’Esprit saint, nous apprenons
que l’Esprit saint est le souffle du Fils qui demeure dans sa vie propre et dans sa substance.
Nous savons du Fils qu’il n’a été ni fait ni créé. Ces paroles nous
enseignent que l’Esprit saint procède du Fils, et qu’il demeure dans sa vie
propre et dans sa substance. Et bien
qu’il soit insufflé par le Fils, ce qui est une image de sa procession, il
n’est pas une créature et il n’a pas été engendré par le Fils. Car l’Esprit saint n’est ni fils ni
créature. Ce qui nous montre clairement
qu’il est d’une même substance que celle du
Fils, en tant que procédant de lui.
Il n’est pas non plus une des créatures, mais le sanctificateur des
créatures. Donc, quand, selon l’apôtre,
on le dit l’Esprit du Fils, il ne faut
pas voir en lui un de ses sujets, car il n’a pas été créé. Il faut y voir qu’il procède, non qu’il est
engendré, n’étant pas fils. Il reçoit
cependant de la substance du Fils sa propre substance, parce qu’il est une
personne de la sainte trinité.
De même, dans son
livre écrit contre les Ariens : Il appert que l’Esprit saint n’est pas
étranger à la substance du Père et du Fils, puisqu’il n’est même pas étranger à
sa propre substance. Mais en tant que
participant à une seule et même nature, il fait et dit ce qui est commun
au Père et au Fils. Car s’il disait ce
qui lui est propre, non seulement il serait étranger au Père, mais il serait
sans aucun doute faux et trompeur. Car le Fils a dit : celui qui profère
le mensonge, le tire de son propre fonds. (Jn V111, 44) Saint
Athanase dit que l’Esprit saint dit vrai
parce qu’il ne parle pas de lui-même, mais dit ce que disent le Père et le Fils. Le Fils
a dit, en effet : il recevra de moi, et il vous annoncera ce qu’il
a reçu. (Jn Xv1, 14) Et pour montrer que recevoir de lui soit
aussi recevoir du Père, il dit : J’ai dit : il recevra de moi, car tout
ce qu’a le Père est à moi. (ibid. 15)
Tu vois donc que l’Esprit saint
n’est pas séparé du Père et du Fils, puisqu’il dit ce qui est propre au Père et
au Fils. Il enseigne clairement que
l’Esprit saint procède du Père et du Fils, et leur est consubstantiel à tous
deux. Car il dit qu’il n’est pas
étranger à la substance du Père et du Fils, parce qu’il n’est pas de lui-même,
mais de ceux dont il procède. Et parce
qu’il est de la même nature et substance que celle du Père et du Fils, il ne dit pas ce qui lui appartient en
propre mais ce que le Père et le Fils
ont en commun, Car il ne vient pas de
lui-même, et en conséquence, ce qu’il dit vient de ceux de qui il a reçu d’être, d’agir et de
parler. Il ne parle donc pas de lui-même
mais ce qu’il dit il l’a reçu du Père. Quiconque profère un mensonge parle de son
propre fonds. (Jn V111, 44) Saint Athanase dit que la raison pour
laquelle le Saint Esprit dit la vérité c’est qu’il ne parle pas de
lui-même, car il n’est pas de lui-même,
mais dit ce qui appartient au Père et au Fils.
Car comme la consubstantialité leur appartient, il perçoit d’eux ce
qu’il dit non en existant d’abord et en recevant ensuite. C’est en procédant d’eux qu’il reçoit.
Et il nous rapporte
les paroles du Fils : il recevra de
moi et vous annoncera ce qu’il aura reçu. (Jn XV1, 14) Et il explique par la suite pourquoi il a dit
cela : recevoir du Fils c’est la
même chose que recevoir du Père. Car comme
le Père et le Fils ne sont pas séparés par la substance, il ne sont pas divisés non plus dans la
procession du Saint Esprit. C’est
pourquoi il ajoute une autre parole du Christ : J’ai
dit qu’il recevra de moi parce que tout ce que
le Père a est à moi. (ibid
15) Montrant que l’Esprit saint procède
du Fils comme il procède du Père. Et
quand il procède du Fils, il procède en même temps du Père. Et il conclut que le saint Esprit n’est pas
séparé du Père et du Fils, puisqu’il leur est uni dans la nature et
l’opération. Car les choses qu’il dit
elles appartiennent en propre au Père et au Fils. Il les apprend en procédant, recevant de l’un
et de l’autre la nature et l’opération.
Il n’est donc séparé d’eux ni par la volonté ni par la vertu, étant un de cette même sainte trinité. En dogmatisant ainsi au sujet de la
procession du Saint Esprit, saint Athanase démontre qu’il procède du Fils comme
du Père. Si les empereurs grecs veulent le contredire au sujet de la procession
du Saint Esprit, qu’ils se cherchent des
auteurs dignes de confiance ! Car
l’autorité de cet homme très saint et éminemment catholique toute l’église
catholique du Christ la reconnait, la vénère et la défend.
Que suffise ce que
nous avons dit du Saint Esprit. Nous
nous sommes appuyés sur les témoignages des pères de l’église les plus
éminents, sur les textes de l’Ecriture sainte pour prouver que l’Esprit saint
est Dieu et consubstantiel au Père et au Fils, et leur égal en tout, en
puissance, en vertu, et d’une seule et même majesté. A l’aide de l’enseignement des Pères, cette
question a donc été débattue et résolue, et répudiée la perfidie arienne qui
niait au Saint Esprit la divinité. Une
telle étude n’était pas pour nous nécessaire, mais nous n’avons pas reculé
devant les multiples citations et les nombreuses
redites. Sur la procession elle-même, en effet, beaucoup de choses ont été
dites. Elles devraient suffire,
croyons-nous, aux amants de la piété et aux passionnés de la vérité, ainsi qu’à
ceux qui aspirent à la lumière de la sagesse plutôt qu’aux ténèbres de
l’erreur. C’est Salomon qui nous le
conseille : Ne discute pas avec un moqueur de peur qu’il ne te haïsse. Discute avec un sage, et il s’empressera de comprendre. (Prov. 1X, 8) Et encore : Ne
parle pas aux oreilles des insensés. Ils
n’écouteront pas, à moins que tu ne leur dises ce qui leur plait. (Prov. XX111, 9) En conséquence, que les calomniateurs du
Saint Esprit qui ne veulent pas recevoir la discipline de la sagesse voient à
ne pas être comparés à ceux qui font passer leur propre ignorance avant la règle
de la sainte Ecriture. Ils nient que
l’Esprit saint procède du Fils, sans en apporter la moindre preuve, sans pouvoir le démontrer par aucun
raisonnement, et sans rapporter aucun témoignage des anciens. Ce qui ressemble plus à la légèreté de la
présomption qu’à la gravité de la
prudence.
Ils sont tellement
arrogants que chacune de leur assertion leur semble avoir le poids d’une
autorité. Ils sont semblables à ces
aveugles qui, ne voyant pas la lumière, jurent que le soleil, qui brille en plein midi, n’est plus présent
sur la terre. Mais disons-leur ce que le Seigneur a dit aux Juifs : Vous
scrutez les Ecritures, ce sont elles qui portent témoignage de moi. (Jn V, 39) Qu’ils scrutent les volumes de
la sainte Ecriture ! Ce sont eux qui
témoignent que l’Esprit saint procède du Père et du Fils. Qu’ils parcourent les écrits dogmatiques des
Pères, et qu’ils trouvent là le moyen de corriger leur erreur. Qu’ils extirpent la tumeur de la sottise, qui leur
fait mettre leur confiance en eux plutôt que dans la vérité, et préférer
leur lubie à l’autorité des anciens.
Qu’ils apprennent d’abord ce qu’ils ont l’intention d’enseigner, de peur
que, voulant faire passer leur inexpérience pour une suprême érudition, ils
deviennent semblables, au dire de Salomon, à celui qui est devenu fou après
être monté dans les hauteurs.
Le temps est
maintenant venu de passer au reste de leurs accusations. En voulant nous trouver en faute sur ces
points, ils ne font que nous montrer à quel point ils sont
eux-mêmes répréhensibles.
LES GRECS
CHAPITRE PREMIER
Les objections qui suivent pourraient
être renvoyées aux calendes grecques, car elles ont bien peu à voir avec la
sagesse, et beaucoup avec l’incompétence.
Mais chez les inexpérimentés, elles pourraient, tout erronées qu’elles
soient, causer du scandale. Comme elles
ont l’apparence de la piété, elles ont tout ce qui faut pour séduire les
imprudents, ceux qui sont incapables de
faire la distinction entre la vraie dévotion et sa grimace. Car elles ne se rapportent en rien aux dogmes
de la foi dans lesquels se trouve la totalité du christianisme. Comme elles ne
font que formuler les coutumes de leur église, il n’y a pas, pour notre église,
matière à approbation ou à condamnation.
Il ne servirait à rien de citer ici
les paroles de l’apôtre : Je vous exhorte à dire tous la même chose.
Et qu’il n’y ait pas en vous de schisme ! (1 Cor 1, 10)
Il explique plus loin quelles sont les choses qui demandent l’unité de
pensée et de croyance : un seul Seigneur, une seule foi, un seul
baptême. Un Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et en vous
tous. (Eph 1V, 5,6 ) Les croyants ne différent en rien quand ils
professent leur foi dans la sainte
trinité, dans la nativité de Jésus-Christ notre sauveur, dans sa passion, sa
mort, sa résurrection, son ascension dans le ciel et dans sa session à la
droite du Père. Toutes ces choses nous
les croyons de cœur pour notre justification, et nous les confessons de bouche
pour notre salut. Nous croyons aussi
qu’il viendra juger les vivants et les morts,
et dans un seul baptême au nom du Père, du Fils et du saint Esprit.
Voilà les mystères que nous devons tous croire à l’unanimité.
Les coutumes des différentes églises ne
sont pas identiques, et elles ne doivent
pas être uniformisées. Prenons, pour exemple,
l’église naissante de Jérusalem.
Les actes des apôtres attestent que les croyants de Jérusalem ne
possédaient rien, qu’ils vendaient leurs biens et en remettaient le prix aux
pieds des apôtres. Les apôtres distribuaient
le tout selon les besoins de chacun. (Act
1V, 34, 35) Car tout leur était commun.
Mais les croyants qui venaient de la gentilité n’adoptèrent pas la même
règle de vie. Comme le témoigne les actes des apôtres, ils reçurent des
apôtres des préceptes particuliers, l’observance desquels les rendrait
participants à la vie éternelle. Ils
devaient s’abstenir du culte des idoles, de la fornication, du sang, et des
viandes étouffées. On ne leur a rien
imposé de plus comme l’atteste la lettre que les apôtres leur ont
envoyée : Il a paru bon à l’Esprit saint et à nous de ne vous imposer d’autre
fardeau que ce qui est nécessaire : que vous vous absteniez des viandes
immolées aux idoles etc… (Acr XV,
28)
Qui ne voit pas qu’il s’agit là de
règles de vie différentes ? Ne rien
posséder en propre et vivre en communauté
est aux antipodes de conserver tous ses biens et n’avoir à observer que
quelques préceptes. Une chose en effet
est rechercher la perfection, ---ce que firent ceux qui vendirent leurs biens
pour les distribuer aux pauvres, et suivirent pauvres le Christ pauvre ---autre
chose est de s’initier à une religion
nouvelle, en ne pratiquant que les
préceptes fondamentaux. Même si leur
règle de vie était différente, ils
restèrent unis dans la foi.
L’évêque de Césarée, Eusèbe, parle,
dans son histoire ecclésiastique, des croyants qui demeuraient à
Alexandrie. Ils étaient d’une grande
ferveur religieuse, et se livraient à l’étude de la philosophie. Voici ce qu’il dit : En tout premier lieu, ils renoncent à tous
leurs biens, ceux qui se sont consacrés à ce mode de vie philosophique, et
mettent tout en commun. Ensuite, pour
s’affranchir de toute sollicitude temporelle,
ils quittent la ville pour aller demeurer dans les campagnes ou dans des
endroits retirés, fuyant les compagnies
qui vivent différemment, et tout ce qui les détourne de leurs engagements. Et un peu plus loin, il dit : Il y a dans tous les lieux une maison
consacrée à la prière, qu’on appelle semnion ou monastère. On peut définir semnion comme une demeure de
gens honnêtes dans laquelle ceux qui y résident célèbrent les mystères chastes
et honnêtes de la vie. Ils ne portent
aucun intérêt à tout ce qui se rapporte à la boisson ou à la nourriture ou aux
autres activités corporelles. Il n’y a pour eux que les livres de la loi qui
comptent, les volumes des prophètes, les hymnes divins et autres choses de ce
genre. Formés par ces disciplines et ces
exercices, ils tendent de toutes leurs forces à la vie bienheureuse. Du matin jusqu’au soir, ils consacrent tout
leur temps aux études. Ils sont remplis, par les saintes lettres, de la divine
philosophie. En plus du sens littéral,
ils cherchent à trouver un sens allégorique.
Ils cherchent des mystères divins cachés dans les personnages, les
images ou les faits de l’ancien testament.
Et un peu plus loin : Ils
placent la continence dans l’âme comme premier fondement. Et ils s’appliquent à
ériger les vertus sur ce fondement. Nul
d’entre eux ne boit ni ne mange avant le coucher du soleil. Le temps de la lumière, ils l’associent aux
études de la philosophie, et la nuit aux soins du corps. Quelques-uns
ne mangent qu’après trois jours de jeûne, ceux que tourmente la faim des
études. Ceux qui s’appliquent à l’acquisition d’une sagesse encyclopédique et à
l’approfondissement de la compréhension des livres sacrés ne sont jamais
satisfaits. Ils se passionnent toujours
de plus en plus pour l’étude, tellement qu’ils n’accordent pas au corps la nourriture
qui lui est nécessaire avant le quatrième jour, ou le cinquième, ou même le
sixième.
En nous racontant la règle de vie des
croyants d’Alexandrie et d’autres Egyptiens, il nous fait réaliser à quel point
elle différait de celle de tous les autres croyants répartis sur toute la
surface de la terre. Ils étaient
tellement enflammés du désir de la patrie céleste qu’on pouvait dire
d’eux : Votre conversation est au ciel. (Phil 111, 20) Demeurant dans la chair, ils vivaient sur la
terre comme des anges. On rapporte que
c’est l’évangéliste Marc, que saint Pierre avait envoyé pour évangéliser le
pays, qui a institué ce mode de vie.
Privait-elle, à cause de cela, les autres églises de sa communion ? Ou leur intimait-elle qu’elles eussent à
renoncer à leur coutumes pour adopter les siennes ? Non, car elle savait pertinemment que non
seulement chaque homme mais chaque église
a reçu la grâce selon la mesure du don du Christ.
Et ceux qui avaient posé la continence
comme le fondement de la consécration à Dieu ne méprisèrent pas pour autant le mariage. Ce qui fut d’autant plus méritoire, que là où
des laïcs s’imposaient le célibat, des
évêques et des prêtres convolaient en justes noces. Et ceux qui avaient coutume de ne pas manger
avant le soir, ne mangeaient pas le jour
du sabbat. Un grand nombre ne mangeait
qu’à tous les trois ou à tous les six jours.
Que les sages parmi les Grecs et les
empereurs se demandent s’ils ont raison de blâmer les Romains parce qu’ils
jeûnent le sabbat. Qu’ils blâment donc ceux qui jeûnent à chaque jour ! Qu’ils condamnent ceux qui restent une
semaine entière sans manger ! Comme cela
serait ridicule, qu’ils se rendent donc compte qu’ils ont agi sans prudence et
avec beaucoup de légèreté. Et qu’ils
s’appliquent à imiter la vertu plutôt qu’à vitupérer le jeûne. Car l’apôtre a dit : Le
royaume de Dieu n’est pas dans le boire et le manger mais dans la piété et la
justice. (Rom X1V, 17) Le Sauveur
lui-même ce n’est pas en mangeant mais en jeûnant qu’il a vaincu le démon.
(Matt. 1V) Ils ne voudront pas que
toutes les églises adoptent leur coutume à eux,
pour peu qu’ils se souviennent qu’au temps des apôtres et de leurs
disciples, des observances diverses ont été en vigueur. Mais pratiquant des coutumes
différentes, ils ne furent pas séparés
dans la foi.
CHAPITRE DEUXIEME
L’Apôtre a écrit aux
Thessaloniciens : Vous êtes devenus, frères, des imitateurs
des églises de Dieu qui sont en Judée dans le Christ Jésus. (1 Th 11,
4) En disant cela, il montre que les
églises des croyants provenant de la gentilité n’avaient pas la même vertu que
celle de Jérusalem ; qu’elles différaient d’elle par le nombre et la diversité
des coutumes. C’est ce qu’atteste saint
Jérôme dans le prologue des épitres de saint Paul : Les
lettres ont été écrites de façon à obtenir un progrès gradué. Elles consacrent
la première partie à ce qu’on leur avait demandé, i.e. à l’observance peu
astreignante de préceptes élémentaires.
Elles comprennent ensuite des enseignements destinés à ceux qui avaient
déjà pratiqué les préceptes élémentaires, mais qui n’avaient pas encore atteint
le sommet de la perfection. D’autres enfin destinés à ceux qui gravissaient les
degrés de la perfection. Ils étaient
éminents en science et en vertu.
Plusieurs leur étaient inférieurs, mais aucun ne les dépassait.
Que retenir de cela si ce n’est que, entre les églises, il y
avait de la différence au niveau de la science, de la vertu et des coutumes
religieuses. En effet, ceux qui
vivaient à Jérusalem se comportaient bien autrement que les autres. Ils vivaient en commun, communiaient dans la
fraction du pain. Ils persévéraient dans la prière, et ne possédaient rien. Ils
vivaient bien différemment de ceux de Jérusalem ceux qui, conservant leurs
biens, réglaient leur vie, leurs mœurs et leur foi d’après la grâce de
l’évangile qui leur avait été divinement imparti. Plus que de tous les autres
l’apôtre Paul fait l’éloge des Thessaloniciens, parce qu’ils ont été les
imitateurs des croyants de Jérusalem. .
Dans son histoire ecclésiastique, Socrate dit ceci des différentes coutumes des
Eglises (livre V, ch 21) : .Au
sujet des coutumes propres à chaque
région pour la célébration de la Pâque,
je pense que c’est la diversité qui règne partout. Bien qu’elles soient toutes d’une même foi, les églises
s’inspirent, pour Pâques, de traditions différentes tout à fait légitimes. Quelques exemples suffiront. Dans les jeûnes eux-mêmes, tu trouveras des
différences marquées. Car les Romains
jeûnent six semaines avant Pâque.
Ils jeûnent continuellement,
excepté le dimanche. Tous les Grecs et les Alexandrins jeûnent eux aussi six
semaines avant Pâque, et ils appellent carême ce jeûne. D’autres jeûnent pendant sept semaines avant
Pâque.
Et un peu plus loin : L’abstinence elle-même des aliments n’est
pas la même partout. Car quelques-uns
s’abstiennent de tous les animaux. D’autres ne mangent que du poisson. D’autres encore mangent des volatiles avec
les poissons, disant, d’après Moïse, qu’ils tirent leur nourriture de
l’eau. Il y en a qui s’abstiennent du
fromage et des œufs. D’autres ne mangent
que du pain sec. D’autres encore ne
jeûnent que jusqu’à la neuvième heure, après quoi ils peuvent manger de tout. Il n’est pas possible d’énumérer toutes les
coutumes, tellement elles sont nombreuses.
Et parce qu’aucune règle n’a été laissée par écrit, je pense que les
apôtres en ont laissé à chacun la décision, pour que chacun fasse ce qui est
bien sans crainte et sans contrainte. Même au sujet de la célébration
liturgique on trouve de la différence. Car dans toutes les églises le jour du
sabbat, à chaque semaine, on célébrait des sacrifices. Mais à Rome et à Alexandrie, une ancienne
coutume empêchait de le faire. Les
Egyptiens qui demeurent près d’Alexandrie et les habitants des Thébaïdes,
tiennent des assemblées le samedi, mais
ne reçoivent pas les sacrements comme d’habitude. Car, après avoir mangé et s’être repus de
toutes sortes de mets, ils communient vers le soir, après avoir fait
l’oblation.
De
même, à Alexandrie, à la quatrième et à
la sixième férie, on lit
l’Ecriture, et les docteurs les interprètent, et tout cela sous le rite
solennel. Il dit plus bas : Dans la
même Alexandrie, des catéchumènes ou des simples chrétiens sont choisis pour
lire ou psalmodier. Mais dans toutes les
autres églises, seuls ceux qui sont déjà baptisés remplissent ces
fonctions. J’ai connu moi-même en
Thessalie une autre coutume. Un clerc s’était marié légitimement avant la
cléricature. Il a ensuite abdiqué parce
qu’il avait eu des relations sexuelles avec sa femme, après être devenu
clerc. En Orient, tous, même les
évêques, s’abstiennent de rapports sexuels spontanément, de leur propre
volonté, sans subir de contrainte. Car
plusieurs, au temps même de leur
épiscopat, ont eu des enfants d’une épouse légitime.
Voici
une coutume que j’ai vue de mes propres yeux. En Thessalie, on ne baptisait
qu’au jour de Pâque. C’est pourquoi
plusieurs mouraient sans baptême. A Antioche de Syrie, les églises ne sont
point tournées vers l’Orient, mais vers l’Occident. En Grèce, à Jérusalem et en Thessalie, ils disent le soir des prières
semblables à celles des Novatiens de Constantinople. En Césarée de Cappadoce et à Chypre, le
soir du sabbat et du dimanche, les
évêques et les presbytres interprètent les Ecritures à la lumière des cierges.
A Alexandrie, le presbytre ne fait pas de sermon. Cette interdiction a
commencé quand Arius a jeté le trouble dans l’Eglise, lui, un simple prêtre. A Rome on jeûne à tous les sabbats. Dans la Césarée de Cappadoce, ceux qui
pêchent après le baptême sont interdits de communion. Les Novatiens autour de la Phrygie, ne reçoivent pas les remariés. A Constantinople,
on ne les reçoit pas ouvertement, mais on ne les repousse pas non plus. Dans
les pays occidentaux, on les reçoit ouvertement.
On n’en finirait plus s’il fallait rapporter toutes les différentes dispositions
ou observances remontant à l’antiquité.
Mais que suffisent ces citations d’un seul auteur, qui plus est, d’un
Grec. Que les empereurs grecs
comprennent avec quelle injustice et quelle ignorance ils blâment les Romains,
parce qu’ils n’observent pas en tout les coutumes des Grecs.
Qu’ils fassent d’abord un inventaire
de toutes les coutumes diverses des différentes églises réparties sur le
globe, et qu’ils condamnent ensuite,
s’ils l’osent, les Romains parce que
leurs coutumes sont différentes de celles de Constantinople. Sont-ils plus sages que les Apôtres ? Ou peuvent-ils démontrer, à l’aide de textes
anciens, que leur coutume l’emporte sur celle des Romains ? Leur propre historien atteste que les saints
apôtres ont laissé à chacun le droit de décider en ces matières, pour que le bien soit fait sans peur et sans contrainte. Tous étant de la même foi, ils ont établi des rites légitimes différents
autant pour la pâque que pour les jeûnes, avec un nombre de jours
variable. Les divergences ne portent pas
exclusivement sur le jeûne, la sorte d’aliments, le nombre de jours etc…Les
assemblées du peuple elles-mêmes ne se font pas au même moment ni de la même
façon. Les Alexandrins et les Romains
les célèbrent d’une façon, les Egyptiens et les Thébains d’une autre. Car ni les Alexandrins ni les Romains ne
convoquent l’assemblée le jour du sabbat, alors que tout l’Orient chrétien le
fait. Les Egyptiens qui demeurent dans
la Thébaïde s’assemblent à l’église le sabbat,
mais ne reçoivent pas les sacrements du corps et du sang du Christ quand
ils sont à jeun. Le soir seulement, après s’être remplis de nourriture, contre la
coutume de toute la planète.
Les Alexandrins ont aussi la coutume de
réunir le peuple la quatrième et la sixième férie, pour faire la lecture des saintes lettres et
entendre les interprétations des docteurs, sans offrir l’oblation du sacrifice. Mais ils n’excommunient pas pour cela les
autres églises orientales qui agissent autrement. Les Thessaliens ont, eux aussi, des
traditions différentes des autres églises orientales. Car, ils ne supportent pas, comme l’atteste
leur historien, qu’un clerc ait des relations sexuelles avec une épouse qu’il a
épousée légitimement avant le sacerdoce.
S’il le fait, il est privé de son ministère. Dans les autres églises orientales, cette
loi ne contraint personne. Chacun est
laissé à son propre jugement, de sorte que non seulement les ministres des
ordres mineurs, mais les prêtres et même les évêques peuvent conserver les
femmes qu’ils avaient épousées légitimement avant leur ordination. Il n’est pas permis cependant à ceux qui n’en
ont pas déjà d’en épouser une, ni de se remarier après la mort de
l’épouse. Cette importante divergence
n’a pourtant jamais entraîné l’excommunication de personne. L’église de Thessalonique se distingue des
autres par le jour du baptême : à Pâque seulement. Mais si on tient compte des statuts des
anciens, le jour de la Pentecôte convient autant que celui de Pâque.
Pourquoi faire mention d’Antioche de
Syrie, dont la coutume est de tourner l’autel non vers l’est mais vers
l’ouest. Un historien de Constantinople
rapporte que tous ne sont pas du même avis au sujet du remariage (après la mort
de l’un des deux conjoints). Les uns sont pour,
les autres sont contre. Toute
l’église occidentale sans exception reconnait ouvertement les secondes noces
(après la mort d’un des deux conjoints).
Cette différence dans les coutumes n’a jamais entraîné
d’excommunication. Je me demande
quelle sagesse, quel zèle pour la
sainteté de la religion, poussent les empereurs à ne pas tolérer chez les Romains
ce qu’accepte l’église partout sur la terre.
Pourquoi veulent-ils que les Romains et les occidentaux ne diffèrent en
rien des chrétiens de Constantinople quand les Orientaux sont divisés entre eux
par tant de pratiques ? L’Eglise de
Constantinople elle-même se contente-t-elle d’une seule et même façon de faire
?
C’est peu dire qu’affirmer que les chrétiens ont recours à des coutumes
diverses. Il est possible de démontrer que chez les Juifs l’observation de la
religion n’a pas été uniforme. Bien qu’ils
n’adoraient qu’un seul Dieu et qu’ils observaient tous les préceptes de la loi
mosaïque, les traditions, les mœurs et les coutumes n’étaient pas les mêmes,
comme le rapporte l’historien Joseph en ces mots : Trois systèmes philosophiques avaient été transmis aux Juifs par leurs
prédécesseurs, ceux des Esséniens, des Sadducéens et des Pharisiens. Les Pharisiens ont une session par jour,
marquée par l’austérité. Ils ne
s’accordent aucun confort ni aucune douceur, mais ils font ce que le
raisonnement leur montre. Ils ne critiquent pas
leurs supérieurs, entourent d’honneur et de respect les vieillards, et
ne les contredisent en rien. Ils croient que tout est décidé par le destin,
sans pourtant enlever à l’homme son libre arbitre. Ils admettent qu’il y aura
un jugement de Dieu, et qu’alors tous les hommes seront rétribués selon leurs
actions, autant ceux qui ont vécu vertueusement que ceux que le mal a dépravés. Ils enseignent que les âmes sont
immortelles, et que dans l’enfer un lieu
sera attribué à chacun qui correspondra aux vertus pratiquées ou aux maux
commis. Certaines âmes seront écrouées dans des cachots éternels; d’autres
recevront le don de revivre. Ils sont à
cause de tout cela en grand honneur auprès des Juifs, et ils leur font confiance. Tout ce qui tient au culte à rendre à la
divinité, aux prières à lui offrir, aux rites et aux cérémonies du temple, les
Juifs estiment que c’est aux Pharisiens à le déterminer. Car ils ont une si grande opinion de leur
zèle pour la religion qu’un grand nombre de villes, et la multitude même, accourent
à eux, persuadés qu’ils sont meilleurs que les autres.
Les
Saducéens, par contre, estiment que les âmes sont mortelles, et qu’elles
disparaissent avec les corps. Ils n’ont
d’observance que la loi. Leurs docteurs
se livrent à des joutes philosophiques, et ils comblent d’honneur ceux qui
remportent la victoire. Leur doctrine
n’est connue que d’un petit nombre, ainsi que leur mode de vie. Leurs chefs
sont traités avec respect et vénération.
Les
Esséniens, eux, rapportent tout à Dieu. Ils soutiennent que l’âme est
immortelle, et que la justice est la perle précieuse pour laquelle il faut
combattre jusqu’à la mort. Ils interdisent l’anathème dans le temple. Ils n’offrent pas de sacrifice ou d’hostie
avec le peuple, car ils pensent qu’ils diffèrent grandement d’eux par la
pureté, la sainteté et le mérite. Ils
s’éloignent de la foule pour offrir à Dieu des sacrifices dans des endroits
retirés. Leurs mœurs et leur conduite
sont exemplaires. Ils s’appliquent avec ardeur à cultiver la terre. Ils ont
ceci de propre et de remarquable, --que tu ne trouveras ni chez les Grecs ni
chez les barbares,--que tout est à l’usage de tous, et qu’ils possèdent tout en
commun. Les plus riches ne jouissent de
rien de plus que les pauvres, et les pauvres ne manquent de rien, comme si
personne ne possédait rien en propre.
Ils sont au moins quatre mille hommes.
Ils ne se marient pas, et ne se soucient pas d’avoir des serviteurs, car
ils considèrent que c’est une source de division et de maux de toutes
sortes. Ils se servent donc les uns les
autres, chacun pourvoyant aux besoins de l’autre. Ils élisent des administrateurs qui doivent
utiliser les produits de la terre pour fournir ce qui est nécessaire à
tous. Ils choisissent leurs prêtres
parmi les hommes les meilleurs. Leur
nourriture est simple, leur habit propre et simple. Joseph parle ensuite d’une quatrième secte philosophique qui
se trouvait également chez les Juifs dont un certain Judas était le chef. Nous
l’omettrons pour faire bref, et parce qu’à cause de sa nouveauté, elle état
moins connue que les trois autres.
Nous avons cité ce texte pour
montrer qu’en ce qui a trait au culte à
rendre au Dieu unique et à l’observance de la loi mosaïque, il n’y avait pas
entre eux de divergence, et qu’ils faisaient montre d’un même zèle. Mais au niveau des mœurs et de la pratique
religieuse, ils différaient grandement entre eux. Non parce que, à notre époque, nous
approuvions leur religion. Notre
intention est de montrer que ceux qui
étaient semblables dans le culte qu’ils rendaient au Dieu unique et dissemblables
dans leur mode de vie ne privaient pas pour autant les autres de leur
communion. Mais conservant l’unité, ils
toléraient patiemment des conduites et des mœurs qui n’étaient pas semblables
en tout aux leurs, sachant pertinemment
que de telles différences ne mettent pas la foi en péril, aussi longtemps qu’ils tomberont d’accord sur
Dieu et l’observance des préceptes mosaïques.
Et voici maintenant que les Empereurs
grecs supportent mal que les rites, les pratiques et les coutumes de Romains ne
soient pas semblables en tout aux leurs. Or, cette similitude on ne peut la
découvrir ni dans les différentes églises du Christ, ni chez les Juifs, nos
prédécesseurs. Ce qui nous fait
soupçonner que ce besoin de trouver autrui en faute ne vient pas de la charité,
mais de l’envie et de la jactance.
Venons-en maintenant à chacun des items.
En voulant faire étalage de sagesse et de religion, ils ne font que
révéler un manque de sagesse et de
religion.
CHAPITRE TROISIEME
Ils réprouvent les Romains parce qu’ils
jeûnent le samedi (sabbat), tandis qu’eux et les Orientaux font gras. Ils ne sont pas au courant, je pense, que ce
ne sont pas tous les Occidentaux qui jeûnent le samedi. Les Romains ont cette coutume et d’autres
aussi, mais pas tous. Il serait plus
vrai de dire que la majorité des
Occidentaux ne jeûne pas le samedi. Ils
ne blâment pas les Romains pour autant parce qu’ils jeûnent; et les Romains ne blâment pas non plus ceux
qui ne jeûnent pas le samedi. Car ils
savent ce qu’a dit l’apôtre : Que celui qui mange ne méprise pas celui qui
ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne méprise pas celui qui mange. (Rom
X1V, 3) Ce ne sont pas non plus toutes
les églises orientales qui ne jeûnent pas le samedi. Alexandrie conserve la même tradition que
celle de Rome. Il ne se fait pas non
plus, comme à Rome, d’assemblées à
Alexandrie le jour du sabbat. Il est
donc démontré que les Alexandrins comme les Romains ne prennent pas de repas le
jour du sabbat. Car dans les jours où
l’assemblée est convoquée, la coutume veut que les sacrements soient célébrés
et reçus, et qu’on mette fin au
jeûne. Mais tout près, cependant, dans
la Thébaïde, et chez les Egyptiens, le
jeûne est suspendu le samedi. Ils ne reçoivent toutefois les sacrements du
corps et du sang du Christ que le soir après avoir terminé le repas. Aucune église ne leur reproche cette coutume,
même s’ils sont les seuls à l’observer.
Est-ce que les nouveaux censeurs leur font des reproches, nous
l’ignorons. Mais nous savons que, comme
le rapporte la tradition, c’est l’apôtre
Pierre qui leur a appris de jeûner le samedi (le sabbat). On trouve par écrit que les apôtres Pierre et
Paul ont jeûné le sabbat quand ils ont combattu contre Simon le magicien. Voilà pourquoi la coutume s’est
établie
à Rome de jeûner le sabbat.
L’historien Eusèbe, dans sa biographie
du pape Sylvestre, a raconté un fait qui se rapporte à notre sujet. Les
Grecs allèrent trouver le pape Sylvestre pour se plaindre de ce que les Romains
jeûnaient le samedi. Il leur répondit ceci. Il devrait suffire pour justifier
cette coutume de rappeler que c’est ainsi que se sont comportés les apôtres
(Pierre et Paul). Mais parce que votre charité demande une raison, elle lui
sera donnée. Si la journée du dimanche en entier est consacrée au mystère de la
résurrection, il est juste que la journée entière du sabbat remémore, par
l’ascèse du jeune, l’ensevelissement de notre Sauveur. Pour que, pleurant avec
les apôtres la mort de Jésus notre Sauveur,
nous méritions de nous réjouir avec eux de sa résurrection. Les Grecs répliquèrent qu’il n’y avait qu’un
seul sabbat par année où la sépulture de Notre Seigneur dût être commémorée par
le jeûne. Mais le pape leur
répondit : si l’on croit que chaque dimanche rayonne de la gloire de la résurrection,
chaque jour qui précède le dimanche est un jour de sépulture, à être célébré par le jeûne. Ainsi, qui a pleuré sur le tombeau du Christ pourra
se réjouir de sa résurrection.
Pleurer, dirais-je, c’est compatir.
Mais il n’en est pas moins vrai que la passion du Christ est le sommet de notre joie. Après avoir entendu cette explication du
pape, ils se turent.
Nous avons rapporté ce fait pour
démontrer que ce n’est pas d’aujourd’hui
que les Romains jeûnent le samedi, que c’est une coutume établie par les
apôtres, et qu’elle est motivée par une juste raison. Je m’étonne donc que la prudence de nos
nouveaux sages n’acquiesce pas à ce qui a réduit au silence leurs ancêtres. C’est donc l’enseignement de saint Pierre et
de saint Paul qui est à l’origine de cette pratique de jeûner le samedi, et ils en ont confirmé la vérité doctrinale
par l’effusion de leur propre sang. Mais
les Romains n’ont jamais rejeté de leur communion les églises orientales qui
n’observaient pas cette tradition, et qui mangeaient le sabbat comme le
dimanche.
Le docteur Augustin écrit à ce sujet au
prêtre Casulanum (épitre 86) : Il y a ensuite le sabbat, jour où le corps
du Christ a reposé dans le tombeau, comme il s’était reposé après avoir fait
ses premières œuvres. De là vient une
grande diversité relativement aux repas.
Quelques-uns, comme les Orientaux, préfèrent ne pas jeûner à cause du
repos. D’autres, comme les Romains et d’autres Occidentaux, aiment mieux jeûner
à cause de la bassesse de la mort du Christ.
Mais le samedi saint, pour se remémorer le jour où les disciples ont
versé des larmes quand Jésus fut enseveli, tous jeûnent, même ceux qui, au
cours de l’année, prennent leur repas le samedi. Ils révèrent ainsi, au jour
anniversaire, la douleur des disciples,
et, aux autres sabbats, le bien du
repos. Il y a deux choses, en effet, qui
font espérer aux justes la béatitude et la fin de toute misère, la mort et la
résurrection des morts. Dans la mort est
le repos. C’est ce que dit le
prophète : mon peuple cachera le petit dans tes celliers jusqu’à ce que
passe la colère de Dieu. (Is XXV1, 20)
A la résurrection, le bonheur
parfait est dans l’homme entier, dans la chair et dans l’esprit. De là vient qu’on a pensé que l’un de ces deux repos serait moins bien représenté par la peine du jeûne que par
l’allégresse du repas. A une exception
près, le samedi où les disciples ont pleuré la mort de Jésus. Car pour commémorer ce sabbat, ils jeûnent.
Mais
comme nous ne trouvons pas par écrit, comme je l’ai déjà rappelé, ni dans les
évangiles ni dans les épitres qui nous donnent la révélation du nouveau
testament, des jours précis où le jeûne serait de précepte, on trouve cette
pratique comme beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer, dans le
vêtement de la fille du roi, l’Eglise, lieu de variété. Je vais t’indiquer ce
que m’a répondu le vénérable Ambroise, évêque de Milan, qui m’a baptisé.
Ma mère qui était avec moi était
troublée par un souci qui nous inquiétait fort peu, nous les
catéchumènes : devait-elle jeûner
le sabbat selon la coutume de notre ville, ou prendre son repas comme cela se
faisait à Milan ? Pour
soulager sa conscience, j’ai interrogé là-dessus le dit homme de Dieu. Il m’a répondu : Que puis-je enseigner
d’autre que ce que je fais moi-même. Je
crus qu’il voulait dire par là que nous devions nous abstenir de jeûner comme
lui-même le faisait. Mais il
ajouta : quand je suis ici, je ne jeûne pas le sabbat. Quand je suis à Rome, je jeûne le
sabbat. A quelque église que vous
veniez, suivez-en les coutumes, si vous
ne voulez pas avoir matière à vous
scandaliser, ni être cause de scandale. J’ai rapporté cette réponse à ma mère, qui
l’accepta immédiatement. Elle n’hésita
pas un instant à s’y conformer. J’ai
moi-même adopté cette façon de faire.
Car comme il arrive fréquemment en Afrique, que dans une église ou dans
une région, les uns jeûnent et les autres ne jeûnent pas, il me semble qu’il
faut suivre les traditions établies par ceux à qui la garde du troupeau a été
confiée.
Voilà ce que le bienheureux Augustin,
docteur catholique, pense du jeûne du sabbat.
Il estime qu’il ne faut pas en
faire un motif de division ou de singularité, mais qu’il est plus pieux et plus
charitable de jeûner avec ceux qui
jeûnent, et de manger avec ceux qui mangent.
Car ceux qui mangent, le sabbat, et ceux qui jeûnent le font pour des raisons de piété. Les
premiers, parce que Dieu s’est reposé, en ce jour, de tout son travail; et parce que, à la
résurrection, les croyants se reposeront, avec leurs corps, du repos des saints. Les autres, ceux qui jeûnent le sabbat, agissent aussi pour des raisons pieuses. Parce qu’en ce jour les disciples ont pleuré
toutes les larmes de leurs corps. Voulant les imiter, ils mettent leur fidélité
à jeûner. D’autres ne jeûnent pas, le
sabbat, pour fêter la joie de la résurrection du Seigneur, et démontrer quelle
était l’allégresse des apôtres quand ils ont vu Jésus ressuscité. Et pourtant,
toutes les églises de toute la terre jeûnent à chaque année au sabbat
qui précède la résurrection, aussi bien celles qui mangent, le sabbat, que
celles qui jeûnent. Quant aux Romains,
il leur a plu de commémorer à chaque sabbat le sabbat de la sépulture du Christ
en jeûnant, comme toutes les églises se
rappellent la résurrection à chaque dimanche de l’année.
Puisque ceux qui mangent, le
sabbat, et ceux qui jeûnent le font pour
des motifs de religion, et puisqu’on ne trouve dans les livres du nouveau
testament aucune directive, aucun précepte ordonnant ou interdisant ceci ou
cela, il ne devrait pas y avoir dans l’Eglise de division à ce sujet. On devrait plutôt laisser cette question au
libre choix de chacun. Ou plutôt, chacun devrait suivre les décisions des
siens, et la coutume de son église. Est-il raisonnable de condamner quelqu’un
parce qu’il jeûne pour des motifs de piété ?
Il y a, d’ailleurs, d’autres
jours où dans quelques églises la coutume demande de jeûner : tous les
mercredis et tous les vendredis. Et on en donne la raison. C’est le mercredi, comme le dit saint
Augustin, que les princes des Juifs se
sont réunis et ont décidé de s’emparer de Jésus par ruse, et de le mettre à mort. Le vendredi, la crucifixion. (épitre
86) : C’est le mercredi et le
vendredi que l’Eglise jeûne le plus intensément. Voici quelle en est la raison.
Le mercredi, les Juifs ont tenu un conciliabule pour tuer Jésus. Le lendemain
soir, il mangea avec ses disciples. Puis, il fut trahi à cette heure de la nuit
qui appartenait déjà au jour de la passion. Ce jour était le premier des
azymes, commençant le soir. Mais
l’évangéliste saint Matthieu dit que la cinquième journée a été le premier jour des azymes, et le soir
suivant était la cène pascale. Les azymes commençaient avec la cène et la
manducation de l’agneau immolé. D’où
l’on déduit que c’était la quatrième journée
quand le Christ a dit : vous savez que dans deux jours, ce sera la
fête de Pâque, et le Fils de l’home sera livré et crucifié. Voilà pourquoi ce jour a été considéré comme
un jour de jeûne. Car l’évangéliste dit ensuite : alors les princes des
prêtres et les anciens du peuple se sont réunis dans la maison du prince des
prêtres, et tinrent conseil pour s’emparer de Jésus par la ruse et le mettre à
mort. Le lendemain, l’évangéliste nous rapporte que le premier jour des azymes
les disciples dirent à Jésus : où veux-tu que nous préparions de quoi
manger la pâque ? Le jour suivant, le
Christ a souffert sa passion. C’est à cause de cette passion, que le vendredi
est un jour de jeûne. Les jeûnes en
effet signifient l’humilité, comme il est dit : c’est dans le jeûne que
mon âme s’humilie. (Ps XXX1V, 13)
Voilà
ce que le bienheureux Augustin a écrit au prêtre Casulanum au sujet du
jeûne du mercredi et du vendredi, lui montrant en même temps pourquoi il a été
institué. Et pourtant,
ce jeûne du mercredi et du vendredi n’est pas pratiqué par toutes les
églises orientales ou occidentales, mais par celles seulement qui ont jugé bon de l’observer. Mais ceux qui mangent en ces jours-là ne
blâment pas ceux qui jeûnent. Chaque église continue à observer ce qu’elle a
reçu de ses fondateurs. Je m’étonne que
les Grecs partent en guerre contre les Romains parce qu’ils jeûnent le
samedi, alors qu’ils n’ont aucun reproche à faire aux Alexandrins et aux autres
Occidentaux qui jeûnent le mercredi et le vendredi. Il est évident qu’aucune
loi ou coutume ne contraint les Grecs de Constantinople à jeûner en ces jours-là.
Dans l’île britannique, à chaque
sixième jour on jeûne, mais ils ne sont
excommuniés par aucun occidental qui n’observe pas cette pratique. La nation des Ecossais qui habite l’île du
nord, sous l’influence des monastères de
moines ou de chanoines ou de religieux quelconques, jeûne en tout temps à l’exception des
dimanches et des jours de fête. Ils
n’accordent pas de nourriture à leurs corps avant none ou le soir, même pendant l’hiver. Aucune église orientale ou occidentale ne se
sent tenue d’adopter cette coutume, mais
ceux qui jeûnent ne sont pas excommuniés par ceux qui ne jeûnent pas.
On a déjà parlé de la ferveur qui
poussait les Alexandrins à jeûner au début de leur évangélisation. Personne ne prenait de nourriture avant le
coucher du soleil. Plusieurs mangeaient
à la quatrième ou à la sixième journée,
non pour le plaisir de la chose mais par nécessité. Et pourtant ils n’étaient pas critiqués par
ceux qui n’agissaient pas comme eux. Et
voici que les empereurs grecs récriminent contre le jeûne sabbatique des
Romains, entrepris par eux en souvenir de l’ensevelissement du Seigneur ou de
la tristesse des apôtres à sa mort, ou parce que Pierre et Paul ont jeûné, le
sabbat, pour mieux combattre les sortilèges et les incantations de Simon le magicien, et la folie diabolique
de Néron. Quelques-uns ont pour coutume
de ne pas jeûner à la cinquième journée, comme ils ne jeûnent pas le dimanche.
Eusèbe, évêque de Césarée est de cet
avis. Il dit dans le livre qu’il a
composé sur les gestes du pape Sylvestre : Le pape sylvestre a dit : le jour de naissance du calice doit être
pour nous aussi solennel que le jour du Seigneur. C’est en ce jour que le
sacrifice du corps et du sang du Seigneur a été pour la première fois célébré
par le Seigneur lui-même. C’est en ce jour que, par toute la terre, le
saint chrême est confectionné. C’est en
ce jour que le pardon est accordé aux pécheurs, que se réconcilient les
ennemis, que les colères s’apaisent, que les rois gracient les criminels, que
les maîtres ferment les yeux sur les frasques des mauvais serviteurs, que les
juges épargnent les voleurs, que les portes des prisons s’ouvrent partout. En ce jour, sortent pour s’adonner à la joie de la fête ceux qui
s’étaient retirés pour expier en pleurant les fautes commises en festoyant ou
en se fâchant, ou de toute autre façon. Par ces paroles et d’autres semblables,
le pape Sylvestre réfuta toutes les objections que les Grecs et les docteurs
avaient coutume de faire. Ils le
reconnurent : le siège apostolique a vraiment appris cela de Pierre; les
objections tombent d’elles-mêmes
Si on
condamne les Romains parce qu’ils jeûnent le sabbat, pourquoi ne pas condamner
ceux qui jeûnent le vendredi ? Ou
pourquoi les Grecs modernes se croient-ils plus doctes que leurs ancêtres ? Ne
cherchent-ils pas à vitupérer ce que leurs anciens ont accepté et comblé d’honneur
? Cela ne les rendra pas plus sages ou
plus religieux qu’eux, mais peut-être plus insolents. Car pourquoi ce qui a été observé dans la paix chrétienne pendant tant de siècles
ne peut plus être supporté, mais
suscite des accusations qui sèment le scandale de la discorde ? Sont-ils à ce
point enfoncés dans les ténèbres de l’imprudence qu’ils croient qu’une
contestation insolente peut modifier ou corriger dans les églises du Christ ce
qui a été conservé sans faille pendant un grand nombre de siècles ?
Melchiades,
détenteur du siège apostolique, le trente-troisième successeur de l’apôtre
Pierre, décida que le vendredi, y compris le vendredi saint, aucun fidèle ne
jeûnerait, parce qu’en ces jours, les païens célébraient un jeûne sacré. Cette interdiction de jeûner semble valoir
davantage pour le jour où le Christ est ressuscité des morts, comme le pratique
toute l’Eglise. Si on se souvient de ce
qu’a expliqué saint Sylvestre aux Grecs, il ne faut quand même pas mépriser ce
que le pape Melchiades a enseigné. Il
estimait qu’on devait détruire les jeûnes païens plutôt que les imiter, comme toutes leurs fêtes dans
lesquelles un culte était rendu aux démons.
C’est donc avec raison que le pape a interdit aux chrétiens de jeûner
aux jours où l’on savait que les païens jeûnent, de peur que le culte
superstitieux des démons n’entache la sainteté de la pieuse religion. Comme, la première journée, tous les chrétiens ont pour coutume de ne pas
jeûner, la cinquième journée est pour beaucoup, mais pas pour tous, une journée
de jeûne, surtout pendant le carême.
Mais aucune division n’éclate dans l’église pour ces raisons, chaque église suivant la
coutume de jeûner ou de manger qu’elle a reçue de ses fondateurs.
Si les
empereurs grecs voulaient réfléchir à tout cela, ils ne blâmeraient pas
légèrement les Romains ou les latins qui jeûnent le sabbat, mais se contentant
de leur coutume, ils admireraient la Reine qui sert le Christ dans un vêtement
doré, aux couleurs variées, et ils n’essaieraient pas d’imposer des règles qui
ne s’appuient ni sur l’ancien ni sur le nouveau testament.
CHAPITRE
QUATRIEME
Passons à ce qu’ils nous reprochent au
sujet du carême. Nous ne nous abstenons ni de viande comme eux, pendant huit
semaines, ni de fromage et d’œufs
pendant sept semaines, comme le veut leur coutume. Ils parlent comme si, à part celle des Romains, toutes les églises
orientales et occidentales suivaient
leur coutume. C’est le contraire qui est vrai.
Aussi bien dans les églises orientales qu’occidentales, c’est la
diversité qui est la règle, comme nous l’avons déjà démontré. Les unes
jeûnent pendant sept semaines avant Pâque, sauf le dimanche. D’autres six.
D’autres ont commencé à jeûner avant les sept semaines. Il y en a donc qui jeûnent six semaines avant
Pâque, d’autres, sept, d’autres huit et même neuf.
Que ces censeurs nomment donc ceux qui
les suivent ou les imitent !
Certainement pas les Romains qui jeûnent tous les jours de la semaine, sauf les dimanches, pendant six
semaines avant Pâque ! Ni ceux qui
entreprennent le jeûne avant les sept semaines.
Ils disent accomplir parfaitement l’observance du jeûne en s’abstenant de fromage et d’œufs, ce que
font aussi ceux qui consacrent sept semaines au jeûne. Ils disent, eux, que ceux qui s’abstiennent
de viande pendant huit semaines avant
Pâque n’accomplissent pas le jeûne en son entier, mais la moitié seulement. Ils
sont donc loin de ceux qui jeûnent pendant huit semaines, en s’abstenant de
tout. Mais ils n’ont rien en commun avec
ceux qui jeûnent pendant neuf semaines,
ceux qui déclarent ne manger ni viande ni œuf ni fromage pendant tout ce
temps.
Puisqu’ils
sont convaincus de différer avec les
orientaux et les occidentaux quant à l’observation du jeûne pascal, qu’ils
disent donc pourquoi ils trouvent les Romains répréhensibles, et pourquoi ils
ne craignent pas d’être blâmés par ceux dont le carême ne concorde pas avec le
leur. Qu’ils exhibent donc des
témoignages de l’ancien ou du nouveau testament qui justifient leur prétention,
et condamnent la coutume romaine.
Puisqu’ils ne peuvent le faire, que la divergence dans les façons de
jeûner leur enseigne que cette
observance n’est pas de précepte divin.
Il est donc laissé au jugement de chacun, à son libre arbitre, d’offrir
à Dieu dans la joie du saint Esprit, ce
qui lui semble juste et possible, mais non obligatoire. Pour que le bien que
nous faisons soit volontaire. Pas au sens ou chaque individu choisirait par
lui-même, mais en suivant les coutumes établies dans chaque église. Allons-nous peut-être penser qu’il faut
donner la palme aux Grecs parce qu’ils s’abstiennent d’œufs et de fromage
pendant huit semaines ? Ne sont-ils pas
déclassés par ceux qui ne mangent de rien de cuit pendant tout le carême ? Ou par ceux qui ne se nourrissent que de pain
? Ils apparaissent même inférieurs à
ceux qui ne se sustentent qu’avec des herbes.
Ils ne peuvent même pas être comparés avec ceux qui, pendant tout le
carême, n’accordent de la nourriture à
leur corps qu’une fois ou deux fois par semaine. Qu’ils cessent donc de s’élever dans les
hauteurs de peur de s’écraser sur le sol.
Mais qu’ils s’abaissent plutôt pour être élevés. Et qu’ils comprennent que la concorde de la
paix et l’unité de la charité sont plus importantes que l’observance rigoureuse
du jeûne.
L’évangile et la loi nous enseignent
que la durée du carême est de quarante jours.
Car on lit dans l’évangile que le Sauveur a jeûné continuellement quarante jours et quarante nuits. Il est écrit dans l’ancien testament que
Moïse a jeûné deux fois pendant le même nombre de jours et de nuits. Une fois avant de recevoir de Dieu le
décalogue de la loi; une autre fois, après que la transgression du peuple l’ait
induit à fracasser les tables de la loi.
Quand Elie fuyait la colère de Jézabel, il marcha dans le désert pendant
quarante jours et quarante nuits, jusqu’à ce qu’il arrive à la montagne de
Dieu, l’Oreb. De là vient la coutume de
l’Eglise de jeûner pendant quarante jours. Toutes les églises du Christ s’appliquent
à célébrer le jeûne quadragésimal avec ce chiffre. Mais
comme toutes ne sont pas d’accord sur le nombre de semaines, il se
produit fatalement une disparité dans
les jours. C’est un fait que, pour la
durée du carême, tous tiennent au nombre
quarante; mais tous ne jeûnent pas à tous les jours de la semaine. Car il
y en a qui ne mangent que le
dimanche; d’autres ne jeûnent ni le samedi ni le dimanche. Il y en a même qui ne jeûnent pas le
vendredi. En ne jeûnant pas le dimanche,
même s’ils jeûnent à tous les autres jours de la semaine, ils n’atteignent pas
le chiffre quarante. Il leur manque quatre jours. De là vient que, voulant jeûner quarante
jours, ils ne jeûnent pas, avant Pâques, pendant six semaines, mais sept
semaines, bien que dans six semaines ont compte quarante-deux jours et non
quarante. Si on soustrait les six
dimanches des quarante jours, il reste trente-six jours de jeûne. Pour atteindre le chiffre quarante, il faut ajouter quatre jours dans la
septième semaine. Il s’ensuit donc que
le carême dure sept semaines et non six semaines. Mais, dans la septième semaine, on ne jeûne
que quatre jours, que l’on ajoute aux trente-six pour compléter le chiffre
quarante.
Ceux qui ne jeûnent ni le dimanche ni
le samedi, mais qui veulent que le jeûne du carême dure quarante jours, il leur
faut entamer la huitième semaine.
Car ne jeûnant que cinq jours par
semaine, ils doivent multiplier cinq par
huit pour obtenir quarante. Et ceux qui
ne jeûnent ni le vendredi, ni le samedi ni le dimanche ne peuvent pas observer la règle biblique des
quarante jours, sans se rendre à la neuvième semaine. Ayant enlevé trois jours
sur sept, il ne leur reste que quatre jours de jeûne. Et comme quatre fois neuf
font trente-six, ils ne complètent pas le chiffre quarante. Et ils prétendent observer le carême sans
avoir jeûné quarante jours.
Les reproches des Orientaux sont donc
sans aucun fondement, car ce qu’ils font, eux,
en sept semaines, --ne jeûnant que cinq jours par semaine-- les
occidentaux le font en sept, ajoutant
quatre jours à la septième semaine. Car
si les Grecs ajoutaient six jours à la huitième semaine, la durée de leur jeûne
dépasserait celle du carême, puisqu’ils auraient à jeûner quarante-huit
jours. Si les grecs jeûnent pendant ce nombre
de jours, qu’ils nous disent sur quoi ou sur qui ils se basent. Ils ne
tiendraient compte ni du jeûne de Jésus, ni de celui de Moïse, ni de celui
d’Elie. Si leur jeûne dure quarante
jours, comme il se doit, ils n’ont rien à reprocher aux occidentaux, car leur
jeûne, à eux aussi, dure quarante jours.
Si le jeûne est un acte d’humilité,
comme le confesse le psalmiste : et
j’humiliais mon âme dans le jeûne, il
y en a un grand nombre parmi les romains ou les occidentaux qui jeûnent plus
longtemps que les chrétiens de Constantinople.
L’Eglise occidentale, huit semaines avant Pâques, n’entonne pas de cantiques festifs comme l’alleuia. Elle ne célèbre pas non plus avec solennité
le jour de la naissance au ciel des
martyrs, et elle s’abstient de toute
pompe dans les cérémonies, pour pouvoir
se réjouir d’autant plus du jour de la résurrection qu’elle s’est souciée de
s’y préparer dans l’humilité. Car le
Seigneur, par Moïse, demanda aux fils d’Israël après la fabrication du veau, de
déposer leurs ornements pour que le Seigneur sache quoi leur faire. Non qu’il
ignorât ce que devait être la punition pour le péché d’idolâtrie, mais pour que
le peuple prévaricateur montre par l’affliction de l’humilité qu’il avouait le
péché de prévarication, et qu’il était prêt à tout pour expier cette faute.
Quel est l’ornement déposé par le peuple de Dieu que nous devons recevoir si ce
n’est la splendeur de la joie, cette joie à laquelle le peuple avait coutume de
se livrer avant qu’il contracte la faute d’idolâtrie ? C’est ainsi que Rome et l’église occidentale
dépose ses ornements pour s’humilier quand elle laisse de côté l’allégresse des
jours de fête, et l’exultation des
hymnes qui lui étaient familiers tous les jours de l’année. Elle revêt l’habit de l’humilité et dépose la
gloire du triomphe. Prévenant la face du
Seigneur par un humble comportement, elle célèbre la fête de Pâque dans la
liesse.
Les empereurs grecs n’ont donc aucun
motif pour incriminer les romains et les occidentaux parce qu’ils ne jeûnent
pas, avant Pâque, pendant le même nombre de semaines qu’eux. Le nombre des semaines n’est peut-être pas le
même, mais le nombre de jours,
quarante, est identique. Si le jeûne signifie l’humilité, et que
l’humilité est la déposition de l’allégresse, une sorte d’affliction, un
comportement triste, le rejet de la
joie, on aura raison de dire que les romains et les latins jeûnent plus que les
orientaux, parce qu’ils préviennent Pâque en s’humiliant pendant neuf semaines. Et c’est cela qui est le plus important. Les censeurs des Romains doivent se redire à
eux-mêmes, s’ils désirent vraiment se soumettre aux lois disciplinaires, que,
dans toutes les églises du Christ, il n’y a pas d’uniformité dans la pratique
du jeûne, que nul n’y est astreint par
des commandements divins, et qu’il est permis à chacun de suivre la coutume de
son église. S’ils se souvenaient de ces
choses, ils ne seraient pas si prompts à jeter la pierre à ceux qui mettent en
application ce qui a été institué par le magistère des apôtres pour des raisons
fort valables.
Les Romains jeûnent donc à chaque jour,
sauf le dimanche, pendant six semaines.
Si on veut savoir pour quelle raison ils jeûnent trente-six jours
seulement, quatre de moins que le nombre quarante, il est facile de le découvrir
à ceux qui cherchent sans aucun préjugé ou parti prix. L’année
solaire se déroule en trois cents soixante cinq jours. Si tu prends la dixième partie de ces
chiffres, tu auras trente-six jours. Nous avons l’ordre de donner à Dieu la
dime de nos travaux. Ce n’est donc pas
sans raison que nous lui offrons la dixième partie des jours. C’est pour vivre
pour lui. Nous purgeons par ces jours
tous les péchés que nous avons commis au cours de l’année.
Mais comme il n’y en a très peu en
Occident qui ne complètent pas les quarante jours du carême, il ne leur reste
plus qu’à se contenter du chiffre quarante. Car autant la loi que l’évangile
nous enseignent que le jeûne doit durer quarante jours. De plus, on nous
prescrit d’obéir aux dix commandements de l’ancienne loi, et d’accepter les
quatre évangiles qui nous conduisent à une nouvelle vie. Quatre fois dix font quarante. Et chaque serviteur de Dieu parvient au
sommet de la perfection s’il supplée à la loi de Moïse par la perfection de
l’évangile. Il est évident que l’homme
comme le monde est fait de quatre éléments.
Et parce que nous manquons de plusieurs façons au décalogue, il est
nécessaire que nous demandions à Dieu pardon pour nos péchés en nous affligeant
quatre fois par dix fois. Voilà quelle est la raison pour laquelle il
a plu aux romains et aux latins de jeûner quarante jours avant Pâque, raison
qui s’avère autant religieuse que
mystique. Le blâme du jeûne romain qui
porte sur un nombre de semaines est donc injustifié et dénué de toute raison sérieuse. Il serait préférable de ne pas en tenir
compte, mais la charité qui supporte tout nous force à répondre à ceux qui font
des objections déraisonnables. Quand ils
auront compris ce dont il s’agit vraiment,
ils n’oseront plus condamner. Ils sauront ce que l’honnêteté et la
religion attendent d’eux, et ils rechercheront l’unité et la paix de la
concorde, dont les a détournés une sotte présomption.
CHAPITRE CINQUIEME
Voyons maintenant comment ils ne
craignent pas de blâmer les clercs romains et tous les occidentaux parce qu’ils
se rasent la barbe. Ce reproche est
tellement dérisoire, qu’il ne mérite
aucune réfutation. Mais on pourrait croire que notre silence trahit une
incapacité de répondre. Se raser la
barbe ou se la laisser pousser, en quoi
cela se rapporte-t-il à la perfection de la sainteté ou à la conversion ? Que les censeurs disent
dans quel livre de l’ancien ou du nouveau testament ils ont trouvé un précepte
se rapportant à la barbe. Je dis
plus. Dans quel écrit apostolique, dans
quelle constitution ecclésiastique, dans quel livre des Pères ont-ils trouvé
des directives de ce genre ? Car cette
chose est laissée, comme beaucoup d’autres, au libre choix des églises. On se rase la barbe ou on la laisse pousser
par respect pour ce qu’en ont dit les
ancêtres. Les uns ont pour coutume de se
raser la barbe et la tête. D’autres se
rasent aussi la barbe, mais ils dénudent complètement leur tête de ses
cheveux. Il y en a qui arrachent tous
les poils de leur face, ne rasent que le sommet de la tête et laissent pousser
les favoris. Il y en a d’autres qui ne
se rasent pas la barbe, mais qui ne se rasent qu’un côté de la tête. Les façons de faire, chez les clercs, ne sont donc pas semblables dans toutes les
églises. Elles sont différentes puisqu’elles se conforment à ce que leurs
ancêtres leur ont légué. Il n’y a jamais eu, à cause de cela, de division entre les églises. Chacune a toujours été laissée libre de
suivre sa tradition.
Saint Paul fait des reproches aux Corinthiens,
aux hommes parce qu’ils laissaient pousser leurs cheveux ou se voilaient la
tête; aux femmes, parce qu’elles ne se
voilaient pas la tête, et ne se laissaient pas pousser les cheveux. C’est à bon
droit que saint Paul a dénoncé ce comportement.
Même si aux Corinthiens, elle semblait normale, pour la nature, elle
était inconvenante. Et saint Paul se
hâte d’en donner les raisons : l’homme ne doit pas voiler sa tête parce
qu’il est la gloire et l’image de Dieu. (1 Cor X1, 7) Il explique ensuite pourquoi la femme doit se
voiler la tête et laisser croître ses cheveux : à cause
des anges. Qu’ils réfléchissent à
cela les clercs qui laissent pousser leurs barbes et qui dénudent presque complètement leur tête de
ses cheveux. Ils la couvrent avec un
vêtement parce qu’ils ne peuvent supporter ni le froid ni la chaleur, ou pour avoir contracté une mauvaise
habitude. Qu’ils examinent s’ils n’enfreignent pas le précepte de l’apôtre ! Ils ne peuvent nier qu’ils contredisent
l’enseignement de saint Paul : tout
homme qui prie ou prophétise la tête voilée déshonore sa tête. (ibid, 4)
Je ne dis pas cela comme si je me
plaisais à condamner cette coutume. Car nous savons que ce genre de
comportement est aussi un signe d’humilité.
Mais pour avertir les empereurs grecs que, s’ils sont en mal de réprimande, ils ont tout près d’eux de
quoi les satisfaire; qu’ils corrigent les leurs plutôt que les Romains qui sont
très éloignés d’eux. Et cela, jusqu’à ce
qu’ils trouvent dans les saintes écritures
un texte qui corrobore leur position.
Dans l’ancien testament, les nazaréens, selon la coutume, se rasaient la
barbe et la tête pendant tout le temps de leur consécration, et jetaient dans
le feu les poils et les cheveux en holocauste.
Pour signifier qu’ils ne consacraient pas à Dieu leurs actes seulement,
mais aussi leurs pensées. Comme le dit
le prophète Ezéchiel : Et toi, fils
d’homme, prends un glaive affilé capable de couper des poils. Prends-le et
rase-toi la tête et la barbe. (Ez V,
1) Le prêtre était procréé d’un germe
sacerdotal, non d’un germe étranger. C’est pourquoi on leur demandait de se
raser la barbe et la tête, selon la coutume des nazaréens. Il est écrit, également, dans les actes des apôtres, que Prisca et
Aquila, Juifs qui crurent dans le Christ,
se sont rasé la tête, comme ils en avaient fait le vœu. Et à Jérusalem, les anciens dirent à l’apôtre
Paul : Il y a quatre hommes des
nôtres qui ont fait un vœu. Quand ils auront sacrifié, sacrifie toi aussi avec
eux, et vois à ce qu’ils se rasent la
tête, pour que tous sachent que ce que l’on a dit de toi est faux, et que tu
marches toi aussi en observant la loi. ( act, XX1, 23, 24) Et un peu plus après : Alors Paul prit les hommes, le
lendemain. Après s’être purifié, il
entra dans le temple avec eux, annonçant la fin des jours de purification. (ibid,
26)
Suivant cet exemple, les clercs de Rome
ou de presque toutes les églises occidentales,
se rasent la barbe et tondent leur tête, suivant l’exemple de ceux qu’on
appelait dans l’ancien testament nazaréens, ou de ceux qui ont la fait la même
chose dans le nouveau. Ils ne dénudent,
toutefois, pas complètement leurs têtes
de leurs cheveux, mais en partie seulement, pour donner une image de l’honneur
royal, et de la grandeur du sacerdoce.
Ainsi, l’honneur qui est propre aux rois est le port de la couronne sur
leurs têtes. Les pontifes, dans le
temple, portent la tiare. La tiare
représente l’hémisphère, car la couronne
a la forme d’un cercle. L’apôtre Pierre dit aux croyants : vous êtes une nation élue, un sacerdoce
royal. ( 1Pi 11, 9) Ce que voulant
signifier, les clercs romains ou latins
forment au sommet de leur tête l’image d’une tiare pour symboliser l’honneur
sacerdotal. Et sur un côté de leur tête, une couronne désignant la dignité royale. C’est de cette façon que la dignité royale et
la dignité sacerdotale sont représentées.
La
prophète atteste que le Christ est prêtre et roi : le
Seigneur est notre législateur, le Seigneur est notre roi. (Is 111,
22) De même : Tu les
régis avec une verge de fer. (Ps 11, 9)
Qu’il soit prêtre, le Père le témoigne en disant : Tu es
prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. (Ps C1V, 4) En se tonsurant ainsi, les clercs latins
veulent signifier le sacerdoce et la royauté du Christ ou que la nation
chrétienne jouit de la dignité royale et sacerdotale. En dénudant leur face, ils manifestent la
pureté du cœur, comme le dit l’apôtre :
Nous qui contemplons à visage
découvert la gloire du Seigneur, nous sommes transformés dans la même image. (11
Cor 111, 18) Le visage représente le
cœur. Car comme le sommet de la tête
représente la pointe du cœur, l’esprit qui, en ce lieu, est appelé cœur est la
plus haute partie de l’âme. Le cœur, représenté par la face doit toujours
bannir les pensées terrestres pour pouvoir contempler la gloire de Dieu avec un
regard pur et sincère, et être transformé en elle par la grâce de la
contemplation.
On lit
du bienheureux apôtre Pierre et d’un grand nombre d’apôtres ou de disciples
qu’ils se sont rasé la barbe et la tête.
Que l’apôtre Pierre ait agi ainsi en témoignent les images des
catacombes. En dépit de cela, l’apôtre
et les premiers chrétiens n’ont pas échappé aux censures des Grecs. Personne avant la loi et après l’évangile
n’a soulevé cette question. Que les
empereurs grecs cessent donc de blâmer ce qui ne mérite aucune
condamnation. Si le rasage de la barbe
est un péché, ou une transgression de la loi, qu’ils nous expliquent pourquoi
le Seigneur a ordonné à un prophète de se raser la barbe; pourquoi les nazaréens se comportaient ainsi,
et pourquoi les apôtres n’ont pas exécrer cette coutume. Mais faisons fi de cette sanction, car elle
n’est basée sur aucun raisonnement solide, sur absolument rien de sérieux. Et si nous n’avions pas redouté que ces accusations ne soient des
occasions de chute pour les faibles, nous ne leur aurions pas fait l’honneur
d’une réponse.
CHAPITRE
SIXIEME
Nous
allons nous pencher maintenant sur l’objection suivante. Ils reprochent aux Romains de condamner les
noces parce que non seulement ils ne permettent pas aux prêtres de prendre
femme, mais ils l’interdisent. Les condamnations précédentes semblaient motivées
par la superstition. Mais ici, nous
constatons de la surprise, et même de la douleur. Ils sont estomaqués parce que, étant loin de
la lumière de la sagesse, ils ne peuvent pas comprendre que ce n’est pas du
blâme que méritent les Romains mais des louanges. Car le bien de la continence et de la
chasteté est si précieux et respectable que même les Gentils l’ont en
vénération. Et comme il est admirable
dans tous les ordres, il l’est surtout chez les prêtres et tous les ministres
du saint autel. D’autres vertus, sans doute, les qualifient pour le sacerdoce,
mais la splendeur de la sainteté et l’honneur de la chasteté les en rendent
encore plus dignes. Ils sont à plaindre
si, tout en sachant cela, et militant contre leurs propres consciences, ils ne rougissent pas de juger
répréhensible ce qu’ils savent être
louable. Ils devraient redouter ce dont parle l’Esprit saint par
Isaïe : Malheur à ceux qui appellent
le mal bien et le bien mal, appelant le jour la nuit, et la nuit le jour. (Is
V, 20)
Comment
peuvent-ils conclure que les romains blâment le mariage si, tout près d’eux, des évêques et des
prêtres ne s’engagent pas dans les liens du mariage. Si on doit les considérer comme des
contempteurs du mariage, il faut traiter de la même façon les saints de
l’ancien et du nouveau testament. Elie
le prophète, qui ouvrait ou fermait le ciel à volonté, et qui a été emporté aux
cieux par le ministère des anges, ne
contracta pas de mariage. Le prophète
Jérémie, sanctifié dans le ventre de sa mère, a fait passer avant le mariage le
bien de la virginité et la pureté de la chasteté. Daniel, appelé l’homme des désirs, choisit la continence de préférence à l’union
conjugale. Parce qu’ils ne se sont pas
engagés dans les liens du mariage, ils n’ont pas pour autant condamné les
noces. Le sauveur a préféré naître d’une
vierge, mais pour donner son approbation au saint mariage,
il ne refusa pas de participer à des noces.
Jean a mérité un amour particulier de la part de Jésus parce qu’il avait
choisi de suivre Jésus plutôt que la femme. L’apôtre Pierre ne méprisa pas le
mariage avant d’avoir reçu la dignité de l’apostolat. Mais transformé par la charge apostolique qui
le destinait à la prédication de l’évangile, il n’eut plus de relation sexuelle
avec son épouse, même s’il ne la répudia pas.
Nous ne doutons pas que c’est ce qu’on fait les autres apôtres. Mais jamais quelqu’un qui est sain d’esprit n’a pensé, que, pour avoir
choisi la continence, ils condamnaient les mariages.
De plus,
comment peut-on accuser les Romains de condamner le mariage quand des noces
sont célébrées chez eux, et quand des
enfants sont procréés de mariage légitime ?
Le bienheureux apôtre Paul écrit aux Corinthiens : J’aimerais
que tous les hommes soient comme moi, mais chacun a reçu de Dieu un don propre,
à l’un ceci, à l’autre cela. (1 Cor
V11, 7). C’est là qu’il a donné aux époux des préceptes sur la façon de se
traiter mutuellement, expliquant que le corps du marié ne lui appartenait plus
mais à l’épouse, et celui de l’épouse au mari; et que chacun ne pouvait en
disposer qu’avec la permission de l’autre.
C’est pourquoi il dit en conclusion : je n’en fais pas un ordre. Je tiens compte de votre faiblesse. Et c’est après avoir dit cela qu’il
ajoute : je voudrais que tous soient
comme moi. Il nous fait comprendre
par ces paroles qu’il est célibataire et qu’il est libre de tout lien de
mariage. Ailleurs il avait
dit : N’avons-nous pas, nous aussi, le droit d’amener avec nous une femme
sœur ? Il n’a pas peur de prêter les mêmes intentions à Barnabée, son
compagnon : Barnabée et moi
n’avons-nous pas ce droit ? (ibid 6)
Mais après avoir parlé dans ce sens, il n’a jamais condamné le
mariage. Il a même donné des préceptes
aux époux, et a exhorté les incontinents
à se marier plutôt qu’à brûler. Loin de
réprouver le mariage, le Sauveur et Paul
ont décrété que la femme ne pouvait pas quitter son mari, ni le mari sa femme sans devenir adultères.
Cependant,
voulant faire l’éloge de la continence, le bienheureux Paul écrit ce qui suit
aux Corinthiens : Voici ce que je vous dis, frères : le temps est court. Il reste que ceux qui ont des épouses soient
comme n’en ayant pas. Ceux qui pleurent,
comme ne pleurant pas. Ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas.
Ceux qui achètent comme ne possédant pas. Ceux qui usent de ce monde comme n’en
usant pas. Car elle passe la figure de ce
monde. (1 Cor V11, 29-31)
Celui qui, plus haut, avait donné aux incontinents la permission de se
marier, l’avait dit comme apportant un
remède salutaire à des infirmes. Car il
avait dit : il vaut mieux se marier
que de brûler. Il présente maintenant des freins à la luxure en
disant : ceux qui ont des épouses comme n’en ayant pas. Que dit-il d’autre que de réprimer la
recherche lascive du plaisir, et de concentrer ses intérêts sur l’amour des
enfants plutôt que sur l’esclavage du service de la chair. C’est pour cela qu’il avait dit plus
haut : c’est une bonne chose de ne
pas toucher à la femme. (ibid. 20) Ce
qu’il avait en ce lieu concédé à l’infirmité, il essaie par la suite, d’en
modérer l’usage, quand il dit : Que
ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas. Avertissant qu’il ne faut pas toujours
faire des concessions à la faiblesse, mais s’initier à la sainteté de la
chasteté. La figure du monde cherche la
postérité charnelle, la joie de la naissance des enfants, et exulte dans la
grande quantité des parents. Et le
monde est proche de la fin, comme le dit si bien saint Jean : c’est la dernière heure. Ce n’est pas la propagation charnelle
qu’il faut désirer, mais la spirituelle.
Pour que ceux qui vivent ne vivent
pas pour eux, mais pour le Christ qui
est mort pour eux, et est ressuscité. (1 Cor V, 15) Il dit que ceux qui pleurent soient comme
ceux qui ne pleurent pas, pour que
l’espoir des joies célestes les console de la ruine et des tribulations du
monde. De la même façon, ceux qui se
réjouissent pour un temps des biens de ce monde, qu’ils soient comme ne se
réjouissant pas, pour que, méprisant les joies du bonheur terrestre à cause de
leur inconsistance, ils se régalent des biens spirituels éternels, préférant
poursuive ce qui est incorruptible et impérissable. De la même façon, que ceux qui achètent ne
désirent pas posséder ici-bas, mais qu’ils désirent les trésors du ciel, disant
avec le psalmiste : Car qu’est-ce qui est à moi dans le ciel, et qu’ai-je voulu
de toi sur la terre ? (Ps X11, 25)
C’est ainsi qu’ils usent de ce monde comme n’en usant pas, non comme
quelque chose qu’on accapare, mais qui passe; étant en chemin, non dans la patrie; et qu’on possède pour s’en défaire, non qu’on aime et
dont on jouit. Et il dit en conclusion :
Je voudrais que vous soyez tous
sans souci. Celui qui est sans femme se
soucie des choses de Dieu, comment lui plaire. Celui qui a une épouse se soucie
des choses de ce monde, comment plaire à sa femme; et il est divisé. Une femme non mariée, une vierge, pense aux
choses du Seigneur, qu’elle soit sainte d’esprit et de corps. Celle qui est mariée pense aux choses du
monde, comment plaire à son mari. (1
Cor V11, 32-34)
Que les
empereurs des Grecs, qui critiquent la continence des prêtres romains, nous
disent dans quelle catégorie ils placent les ministres de l’autel. Veulent-ils qu’ils soient sans souci, comme
l’enseigne l’apôtre, ou qu’ils soient plongés dans les tracas du monde, comme
il ne le souhaite pas. Car, s’ils sont
sans femme et libres des soucis du monde,
ils ne se soucient que des choses de Dieu, ne cherchant en tout temps à
plaire qu’à lui seul. Ils méditent ce
qu’a conseillé l’apôtre : Tout ce que vous faites, faites-le au nom du
Seigneur. (Col 111, 17) S’ils se
lient à une épouse, ils sont nécessairement prisonniers des préoccupations du
monde. Ils cherchent à plaire à leurs
femmes, non à Dieu. Et ceux qui sont
ainsi engagés sont divisés, car une moitié de leur cœur est à leur épouse, et l’autre moitié à Dieu. Ils ne peuvent pas dire comme le
prophète : J’ai dit, Seigneur, que ma portion à moi est de garder ta loi. (Ps CXV111, 57) Ni comme Jérémie : Ma part à moi, mon âme, c’est le Seigneur.
C’est pourquoi je l’exalterai. (Thren 111, 24) L’apôtre a bel et bien dit : La femme qui n’est pas mariée, la vierge,
pense aux choses de Dieu, d’être sainte de corps et d’âme. ( 1Cor V11,
34) Est-ce qu’il convient aux prêtres du
Seigneur et aux ministres de l’autel d’être inférieurs aux femmes non mariées,
aux vierges ? Ne pensant qu’aux choses
de Dieu, elles se conservent saintes dans leur corps et dans leur esprit. Tandis qu’eux, pensant aux choses du monde, ils rejettent la sainteté du corps et de
l’esprit. Ils sont privés de l’une et
l’autre sainteté ceux qui, pensant aux choses du monde, s’efforcent de plaire à
leurs épouses. C’est l’apôtre qui le
dit : Celle qui est mariée pense aux choses du monde, comment plaire à son
mari. (ibid) Le Sauveur n’a-t-il pas dit qu’on ne peut pas servir deux maîtres
? (Mat V1, 24) Donc, les évêques et les
prêtres dans la mesure où ils cherchent à rendre à leurs épouses ce qui leur
est du, ne peuvent pas penser à ce qu’ils doivent à leur maître en tant que
serviteurs. Les clercs disent que leur lot est le Seigneur et
qu’ils n’ont pas d’autre héritage que le Seigneur. Or les prêtres qui se font les serviteurs de
leurs épouses et qui pensent aux choses du monde, ont rejeté l’héritage du
Seigneur qu’ils auraient du avant tout convoiter. Le Seigneur n’est plus la seule chose qu’ils
possèdent. Car étant toujours unis au
monde en y pensant constamment, ils ne peuvent pas être unis au Seigneur. Puisque leurs pensées ont épousé le monde, et
qu’ils sont du monde, ils ne peuvent
pas se tourner exclusivement vers le Seigneur et en jouir par la méditation.
Il y a
de quoi s’étonner que les empereurs Grecs critiquent les prêtres du Seigneur
qui s’éloignent de l’embrassement des femmes, pour qu’ils ne soient retenus par
aucun lien mondain, et qu’ils puissent totalement appartenir au Christ après avoir foulé au
pied le monde. A quel point le lien
conjugal apporte d’empêchement à la prière continuelle, le bienheureux Paul le
laisse entendre quand il dit : Je dis ce qui vous est avantageux, je ne
vous tends pas de piège. Je vous parle de ce qui est honnête et qui rend
possible de supplier Dieu sans empêchement. (1 Cor V11, 35) En parlant ainsi en toute clarté, il montre
que ceux qui se font les serviteurs de leurs épouses ne trouvent pas les moyens d’adorer Dieu continuellement, ou
même souvent. Que les censeurs de la
continence nous disent quelle sorte de prêtres ils désirent avoir : ceux
qui, conservant la sainteté de la pureté,
ont le loisir de supplier Dieu
sans empêchement, qui demeurent saints, qui habitent toujours avec des
saints, qui méprisent le monde et contemplent les choses célestes, ou ceux qui,
retenus par les liens matrimoniaux, ne peuvent pas toujours demeurer dans les
saints lieux, ni mépriser le monde, ni prier en tout temps pour le peuple qui leur
est confié. Ce sont des gens qui sont tellement éloignés de la pensée
de l’apôtre qu’ils se persuadent que la continence, la chasteté sacerdotale est une condamnation
du mariage. Ils ont oublié ce qu’a dit
l’apôtre : Je dis cela pour votre avantage, parlant de la continence. Et
bientôt après, se rappelant notre infirmité, il ajoute : Je ne dis pas cela pour vous tendre un piège. Car il montre ce
qu’il désire, mais il considère que chacun a reçu de Dieu un don qui lui est
propre, un celui-ci, un autre celui-là.
Et il ajoute au sujet de ce qu’il conseille : mais à ce qui est honnête. En parlant d’honnêteté, il met la
virginité avant le mariage. Non pas
parce qu’il condamne les noces, car il enseigne que le mariage est bon mais que
la continence lui est supérieure.
L’intégrité virginale a la palme.
Ils ne
sont donc pas répréhensibles les romains ou les latins qui interdisent aux
évêques et aux prêtres de se marier. Car loin de les juger dignes de blâme
l’apôtre, les encourage à demeurer
continents, à ne pas contracter le lien du mariage, pour avoir toujours le loisir de prier pour
leurs ouailles. Car ceux qui, à tout
moment, peuvent être appelés à consacrer les sacrements du corps et du sang du
Seigneur, comment pourraient-ils être au service de leur conjointe ? Quand David vint d’auprès d’Abimélec vers le
prêtre, il ne mérita pas de disposer
des pains consacrés avant de s’être purifiés lui et ses soldats de tout
contact avec les femmes. Et qui ignore
que le mystère du corps et du sang du Christ est plus vénérable que les pains
qui, à chaque sabbat, étaient placés sur des tables dans le temple. Et s’il n’était pas permis de manger de ces
pains à ceux qui ne s’étaient pas abstenus de toute relation sexuelle pendant
trois jours, comment serait-il permis de
toucher aux choses saintes à ceux qui se sont fait serviteurs des femmes, et
qui ne s’abstiennent pas de tout contact avec elles. S’ils scrutaient le mystère de l’église de
Thessalonique, ils estimeraient qu’il faut déposer les clercs qui ont pris
femme avant la cléricature. Il est donc
étonnant que les empereurs grecs blâment chez les Romains ce qu’ils supportent
patiemment chez les Thessaloniciens. Si c’est à notre époque qu’ils ont donné
leur assentiment à cette superstition,
qu’ils se souviennent, quelque soit la solidité de leur conviction, que
leurs ancêtres ont pensé comme les Romains.
Venons-en
donc aux décrets ecclésiastiques, pour qu’on sache ce qu’il leur a plu de
formuler là-dessus. Le concile de
Nicée, au temps de l’empereur Constantin premier, qui réunissait trois cents
évêques, a décrété ce qui suit : Par l’autorité du grand synode, il est
interdit à tout évêque, tout prêtre, tout diacre, tout clerc de garder une
femme chez lui, à moins qu’elle soit sa mère, sa sœur, sa tante, ou quelqu’un
qui soit à l’abri de tout soupçon. Qu’ils écoutent les empereurs grecs et qu’ils
jugent ! Les clercs dont on vient d’énumérer les catégories peuvent-ils se
marier, s’il leur est interdit de cohabiter avec une femme, à moins qu’elle soit
à l’abri de tout soupçon. Car, qui tient
maison ne peut pas, en plus de son
épouse, ne pas avoir dans sa maison d’autres femmes qui voient aux besoins de
l’épouse et à l’entretien ménager. En
commandant de ne faire entrer dans la maison que les femmes qui sont au-dessus
de tout soupçon, il est évident qu’on
interdit par là-même toute union conjugale,
qui ne peut pas exister sans
l’embauche d’autres femmes. Le concile
de Néo Césarée a ainsi statué : S’il prend femme, le prêtre est déposé. S’il pêche par fornication ou s’il devient
adultère, il doit être à plus forte raison rejeté et réduit à faire pénitence. Ce que ces canons ont décrété, les
Romains et tous les occidentaux se sont, jusqu’à présent, efforcés de le
conserver, sachant que doit être observé
par tous tout ce qui est manifestement religieux et digne d’être présenté à
Dieu. Que les Grecs nous fassent savoir
s’ils s’appliquent vraiment à observer ce qui a été décrété. S’ils le font, c’est vainement
qu’ils accusent les Romains, des gens qui, comme eux, observent les décrets
synodiques. Mais s’ils font peu de cas
de ce qui a été décrété, ils sont
coupables de désobéissance envers les constitutions apostoliques. Ce qui a été
stipulé en Orient a été fort peu observé
par les Orientaux. Je m’étonne que les empereurs grecs s’efforcent de
criminaliser chez les Occidentaux ce qui
a été décrété par la discipline de l’Eglise, alors qu’ils savent fort bien
qu’eux aussi, sont tenus de l’observer.
S’ils ignorent les lois ecclésiastiques, qui ne sait que méritent d’être
condamnés ceux que fait parler non la
gravité de la sagesse, mais la légèreté de l’ignorance.
Dans le
concile de Carthage de 424, au canon 37 :
On rapporte que certains clercs
sont incontinents envers leurs propres femmes.
Il a donc plu au concile que les évêques, les prêtres et les diacres
pratiquent la continence même avec leurs épouses, comme le veulent les décrets
anciens. S’ils ne le font pas, qu’ils
soient privés de leur fonction. Ce
texte nous montre non seulement que les évêques, les prêtres et les diacres ne
peuvent pas se marier, mais qu’ils doivent s’abstenir de tout rapport sexuel
avec les épouses qu’ils ont prises avant leur ordination. S’ils avaient à cœur d’observer ces lois, ils
comprendraient l’absurdité de leurs reproches injustes. Autrement, qu’ils blâment non seulement les
Romains, mais les évêques de toute
l’Afrique; et tous les orientaux,
évêques, prêtres et diacres qui continuent d’observer les canons de leurs
ancêtres, pour ne pas être des transgresseurs
des constitutions ecclésiales.
Dans le
livre des constitutions de l’empereur Julien, voici ce qui est stipulé au chapitre vingt quatrième : Quand quelqu’un devient évêque, il ne doit
avoir ni épouse, ni concubine, ni bâtards. Si quelqu’un contrevient à cette
règle, est privé de l’honneur de l’épiscopat, aussi bien celui qui a été
ordonné que celui qui l’a ordonné. Qu’ils réfléchissent donc, les empereurs
grecs, eux qui accusent calomnieusement les romains de condamner le mariage
parce qu’ils ne permettent ni aux évêques, ni aux prêtres, ni aux diacres de
contracter mariage. Ne voient-ils pas
ici écrites en propres lettres leurs propres lois ? Voici Justin, l’empereur des Grecs, qui
stipule que celui qui va devenir évêque ne peut avoir ni femme ni
concubine. Vous avez, vous autres,
statué exactement le contraire, vous qui accordez aux évêques et aux prêtres
les droits du mariage. Les lois
promulguées par vos ancêtres privent de l’honneur de l’épiscopat ceux qui les
enfreignent. Mais ceux qui les observent
ces lois, vous les accusez de mépriser le mariage, et vous les privez de votre
communion. Il appert donc que vous
dédaignez les lois ecclésiastiques et vos propres statuts. Vous êtes ainsi convaincus de pécher
doublement, i.e. en tant que transgresseurs des droits divins et humains et des
constitutions ecclésiastiques.
Voici un autre chapitre des
constitutions de l’empereur Justin : A
tous les prêtres, diacres et membres du
clergé, qui, selon les lois divines, vivent sans femme, nous interdisons nous
aussi d’avoir une femme dans leurs maisons qui ne soit ni leur mère, ni leur sœur ni une femme à l’abri de tout
soupçon. Si quelqu’un va contre cette
interdiction et garde dans sa maison une femme qui n’est pas à l’abri de tout
soupçon; et si l’évêque entend dire que ce prêtre ne doit pas cohabiter avec
cette femme, et si le prêtre ne veut pas la renvoyer, ou si, après avoir été
accusé, la preuve est faite qu’il ne vit pas de façon honnête avec cette femme,
que l’évêque applique les cannons ecclésiastiques et le renvoie. Le clerc doit être remis au tribunal
civique. La loi précédente portait
surtout sur les évêques, même si elle s’appliquait aussi aux autres
clercs. Ce qui n’est pas permis à
l’évêque est interdit aussi aux ministres de l’autel qui célèbrent les mystères
du corps et du sang du Christ. Si, dans
le premier texte, n’apparaissait pas
clairement ce qui a trait aux prêtres et aux diacres, la présente interdiction enlève l’ombre de
tout doute. Elle interdit clairement à
tous les prêtres, diacres, sous diacres et tous les clercs qui n’ont pas le
droit de se marier, de garder dans leur maison d’autres femmes que leur mère ou
leur sœur ou des femmes au-dessus de tout soupçon, Les prévaricateurs, une fois reconnus tels,
seront privés de leur office et renvoyés au pouvoir séculier.
Nous ne
pensons pas que les églises des Grecs pensent du mariage des prêtres ce qu’en
disent les empereurs de Constantinople.
Qu’ils se gardent donc de contredire les constitutions ecclésiastiques
et de blâmer ce que l’Eglise a observé et a continuellement conservé de plein
droit. Si les pouvoirs séculiers ont la
présomption d’abolir et d’interdire les lois ecclésiastiques et humaines, je
m’étonne qu’ils ne réalisent pas que leurs décrets non seulement l’église
occidentale les réprouve, mais qu’ils ne sont même pas reçus par l’église
orientale, à part par ceux qu’oppresse la cruauté de la tyrannie. Mais la menace du Seigneur devrait les faire
trembler : Celui qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, qu’on lui
mette au cou une meule de moulin et
qu’on le jette dans la mer. Elle
demeure inchangée la parole de Jésus à Pierre : Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon église.
Nous
trouvons la même chose au même lieu :
Aucun évêque ne doit habiter avec
une femme. S’il est prouvé qu’un évêque
n’a pas observé cette règle, qu’il soit privé de l’honneur de
l’épiscopat, car il s’est montré indigne du sacerdoce. Que les glorieux empereurs des Grecs disent
quelle présomptueuse audace leur enlève la peur de se gendarmer contre les
constitutions ecclésiales, contre les lois de l’Eglise, et contre une coutume
qui a été observée jusqu’â nos jours. Ils ont le front de réprimander les
Romains et les Latins parce qu’ils interdisent le mariage aux évêques, aux
prêtres et aux diacres et aux sous diacres.
Ils sont réfutés par les lois impériales elles-mêmes qui, approuvant les
Romains, condamnent ceux qui les enfreignent. Dans l’ancien
testament, les lévites ou les prêtres
qui servaient au temple ou au tabernacle ne s’approchaient pas de leurs femmes. Ils ne pensaient pas pouvoir célébrer des
choses saintes à moins de s’être sanctifiés eux-mêmes.
Et vous
dites, vous autres, que les prêtres, dont c’est la fonction de célébrer à
chaque jour le mystère du corps et du sang du Christ, n’ont pas à se retirer
momentanément de l’autel pour s’acquitter de leurs devoirs conjugaux, et qu’il
n’y aucune différence entre les laïcs et les ministres de l’autel. Si on vous
demande d’où est née une telle opinion, vous ne pourrez montrer aucune autre
raison que l’inexpérience et la jactance.
C’est de ces choses qu’a coutume de naître la témérité de la légèreté.
CHAPITRE
SEPTIEME
Venons
donc à la prochaine objection : auprès des fonts baptismaux, les prêtres
n’oignent pas le front des baptisés avec du saint chrême. Cette objection, comme les autres, provient
plus de la légèreté que de la réflexion.
Que font-ils d’autre que donner
à leur coutume ecclésiale l’autorité
d’une loi divine ? Mais ce qui se
pratique chez les Romains et les latins provient de l’évangile et des actes des
apôtres. On y voit clairement que c’est
l’évêque qui donne la grâce du Saint
Esprit par l’onction du saint chrême sur le front.
Il
appert que la grâce du Saint Esprit est donnée par l’évêque au moyen de
l’onction du saint chrême sur le front du baptisé. L’évangile atteste que cette onction n’a été
concédée à nul autre qu’à l’évêque.
Quand Jésus apparut à ses disciples après la résurrection, il souffla
sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit saint. Les péchés seront
remis à ceux à qui vous les remettrez, et
retenus à ceux à qui vous les retiendrez. (Jn XX, 22) Si donc la rémission des péchés est accordée
par l’Esprit Saint, et s’il apparait que ce pouvoir a été donné tout
spécialement aux apôtres, c’est à bon droit que cette grâce est réservée aux
évêques, les successeurs des apôtres.
Nous lisons dans l’Exode que Moïse a
ordonné prêtres Aaron et ses fils en les oignant du saint chrême. Dans l’ancien testament, les rois et les
évêques ont été oints de l’huile sainte par le pontife. Et ceci en tant qu’ils sont une figure du vrai roi et du vrai prêtre, notre Seigneur Jésus-Christ. C’est de lui que parle le
psalmiste : Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile d’allégresse, de préférence à tous tes compagnons. (Ps
XL1V, 8) Il est clair que l’Eglise
est le corps du Christ roi et prêtre.
Tout le peuple chrétien est donc une nation royale et sacerdotale. C’est pour cela qu’après le bain de la régénération, nous sommes oints pour nous incorporer au
Christ, et cela seulement par ceux qui, dans l’ancien testament, oignaient les
rois et les évêques, les pontifes.
Et dans
les actes des apôtres : Quand
les apôtres qui étaient à Jérusalem entendirent que la Samarie avait reçu la
parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean. Quand ils arrivèrent, ils prièrent sur eux
pour qu’ils reçoivent l’Esprit saint. Il
n’était descendu sur personne d’entre eux, car ils n’avaient été baptisés qu’au
nom du Seigneur Jésus. (Ates V111, 14 et suivants) Ils avaient d’abord été baptisés au nom de
la sainte Trinité, qui est présente dans le nom de Jésus, cat toute
l’invocation de la trinité est contenue dans le nom de Jésus. Ils avaient été baptisés, mais ils n’avaient pourtant pas
reçu l’Esprit Saint. Après le baptême,
après que les apôtres Pierre et Jean
leur eurent imposé les mains, alors, mais alors seulement, ils reçurent l’Esprit
Saint. L’Eglise a conservé jusqu’à
aujourd’hui cette répartition des tâches.
Les fidèles sont baptisés par les prêtres, mais la grâce du Saint Esprit
est communiquée par l’imposition des mains des évêques. Ce qui se fait quand les fronts des baptisés
sont oints du saint chrême par les évêques.
Dans les
mêmes actes : Quand Apollon et Paul étaient à Corinthe, après avoir parcouru
plusieurs territoires, ils parvinrent à Ephèse. Ils trouvèrent là des
disciples. Paul leur demanda s’ils avaient reçu l’Esprit Saint. Ils lui répondirent : nous
n’avons même pas entendu dire qu’il y ait un Esprit Saint. Il leur demanda : au nom de qui
avez-vous été baptisés ? Ils répondirent : nous avons été baptisés dans le
baptême de Jean. Paul leur expliqua : Jean baptisait le peuple d’un baptême de
pénitence, en leur disant de croire à celui qui viendrait après lui, en
Jésus. Et quand Paul leur imposa les
mains, l’Esprit saint vint sur eux, ils parlaient en langue et
prophétisaient. (Act X1X, 1 et
suivants.) On voit ici que Paul ne les a
pas baptisés, mais qu’il a ordonné qu’ils soient baptisés. Après qu’ils aient
reçu le baptême, il leur a imposé les mains. Et c’est alors que vint sur eux
l’Esprit Saint. Nous apprenons par ces
textes que la grâce du baptême est conférée par les prêtres, mais que ce n’est
que par les évêques que le don du Saint Esprit est octroyé, quand ils imposent
les mains et oignent les fronts des baptisés avec le saint chrême.
Et en
vérité, entre les prêtres et les évêques il n’y a pas une petite différence.
Les prêtres, comme ceux de tous les ordres,
sont consacrés par le ministère des évêques. Et les évêques ne reçoivent
pas la bénédiction des prêtres. Ce sont
les évêques qui sanctifient le saint
chrême, et consacrent l’huile. Tous les grades ecclésiastiques agissent sous la
gouverne de l’évêque. Ce que considérant, les hommes d’église ont statué que les fronts
des baptisés ne seraient pas oints du saint chrême par les prêtres, mais par
les évêques. Comme on lit dans les actes
de saint Sylvestre : Celui-ci a
décidé que le saint chrême serait confectionné par l’évêque, et que ce soit le
privilège de l’évêque de signer les baptisés avec le saint chrême, à cause des
accusations des hérétiques. Le pape
Innocent a décrété dans ses décrétales : Il est évident qu’il n’est permis qu’à l’évêque de signer les enfants.
Car les presbytres, bien qu’ils soient
prêtres, ne possèdent pas la plénitude du sacerdoce.
Qu’il
fasse laisser aux seuls évêques la charge de signer et de livrer le Saint
Esprit, ce n’est pas seulement une
coutume ecclésiastique qui nous l’indique, mais la lecture des actes des
apôtres. Ces actes nous racontent que
des apôtres ont été envoyés par le collège apostolique pour communiquer
l’Esprit saint à des gens qui avaient déjà été baptisés. Il est vrai qu’il est permis aux prêtres
quand ils baptisent en l’absence ou en présence de l’évêque d’oindre les
baptisés d’un chrême qui a été consacré par l’évêque. Mais non d’oindre le front avec de
l’huile, ce qui n’est permis qu’aux évêques
quand ils communiquent l’Esprit saint.
De là vient que tous les évêques
occidentaux, à la suite de leurs ancêtres, ont maintenu la tradition de
ne pas permettre aux prêtres d’oindre le front des baptisés, mais s’en sont
réservé le privilège. Ils ne confectionnent pas non plus le chrême
avec de l’eau de la fontaine, comme vont persiflant les Grecs, mais avec du suc
de baume et de l’huile d’olive. Non
seulement en Grèce, mais dans toutes les églises.
CHAPITRE
HUITIEME
C’est
faussement et avec beaucoup de légèreté qu’ils accusent les Romains de sacrer
quelqu’un évêque avant qu’il ait été
ordonné prêtre. Accusation aussi
mensongère que celle de consacrer un agneau à Pâque. En mentant aussi effrontément, ils oublient
que toutes leurs autres accusations se fondaient sur l’autorité de la foi. Ils devraient redouter ce que dit l’Esprit
Saint : L’homme sanguinaire et menteur Dieu l’a en abomination. (Ps V, 7)
Et : Tu perdras tous ceux qui disent
des mensonges. (ibid.) Et dans Salomon : Le faux témoin ne restera pas impuni.
(Prov. X1X, 5) Ils nous
reprochent de sacrer évêque un diacre.
Comment ne comprennent-ils pas qu’ils plaident contre eux-mêmes, puisque, contre toutes les règles
ecclésiastiques et les décrets impériaux, ils font incontinent d’un laïc un
évêque. L’Apôtre avait pourtant interdit
qu’un néophyte soit consacré évêque. (1Tim 111, 6) L’empereur Justinien lui-même a stipulé dans
ses constitutions ecclésiastiques :
Il n’est pas permis de passer
directement du laïcat à l’épiscopat, ni de recevoir tous les ordres en même
temps. Il faut que celui qui devient
évêque n’ait ni épouse, ni concubine, ni enfants, ni bâtards. S’il contrevient à ces prescriptions, sera expulsé de l’honneur de l’épiscopat,
autant celui qui a ordonné que celui qui a été ordonné. Il n’est pas permis de donner de l’argent
pour devenir évêque. Celui qui devient
évêque doit être soit moine soit clerc.
Il doit avoir fait partie du clergé au moins pendant six mois. Ce ne sont donc pas seulement les
constitutions ecclésiales mais impériales que l’on enfreint quand on promeut un
laïc évêque. Il fallait d’abord
l’éprouver et lui enseigner les constitutions ecclésiastiques. Celui qui a avancé par la voie royale, en
recevant successivement chacun des ordres mineurs et majeurs, est digne de se
rendre au sommet de la dignité ecclésiastique.
Hélas, les empereurs grecs, faisant fi des lois humaines et divines,
font instantanément évêques des laïcs fraîchement tonsurés. Et ceux qui n’étaient pas dignes de recevoir
le moindre des ordres mineurs, sont élevés au sommet des honneurs
suprêmes. Et agissant ainsi, ils ne
rougissent pas de calomnier l’Eglise du Christ avec un tissu de mensonges, sans
redouter les menaces du Sauveur : Celui qui scandalisera un de ces petits qui
croient en moi, qu’ on lui attache au cou une meule de moulin et qu’on le
précipite dans la mer. (Matt. XV111,
6) Pour que ceux que la charité ne
soumet pas à la sainte crainte soient
condamnés à la peine de mort, et engloutis par les flots de perdition.
Mais
d’où vient cette présomption inouïe qui leur fait imputer de faux crimes aux
Romains ? Pour aucun autre motif
que, ignorant la nature de leur statut,
ils ambitionnent de s’approprier la principauté qui ne leur a été accordée, ni
par le Christ, ni par les apôtres, ni par les pères de l’église. Ils se sont faits les imitateurs de celui qui
disait dans son cœur : Je monterai au-dessus des nuages, et
j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles du ciel. Je placerai mon siège sur les plus hautes
montagnes, et sur les bords de l’Aquilon. (Is X1V, 13, 14) Car que disent-ils d’autre ces empereurs
grecs qui usurpent la principauté ecclésiale, et s’approprient la sublimité de la charge apostolique. Ils désirent établir leur trône au-dessus des
astres du ciel, i.e. être au-dessus des conciles et des synodes, et usurper l’honneur qui est du aux
patriarches. En se soumettant l’église entière, ils se rendent semblables
au Christ.
Ils ne
peuvent citer aucun père qui leur concède ce droit, aucune loi ecclésiastique
qui le leur confère, aucune loi humaine qui le leur assigne. En voulant tout s’approprier, ils laissent
assez clairement à entendre qu’ils désirent que le patriarche de Constantinople
ait préséance sur le pape de Rome, qu’il
soit supérieur à l’évêque de Rome, comme s’ils avaient le pouvoir de changer à leur gré les lois ecclésiastiques,
et de disposer de la principauté.
Ils
devaient quant même se souvenir que le Christ est la tête de toute l’Eglise, et
que le Père lui a dit par le Prophète :
Je te donnerai les nations en
héritage, et les confins du monde comme
ta possession. (Ps 11, 8)
C’est lui la pierre détachée sans mains de la montagne qui fracassera et
réduira en poussière tous les royaumes du monde. (Matt. XV1, 18) C’est lui qui a dit à Pierre : Tu es
pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. Et les portes de l’enfer ne
prévaudront point contre elles. Et je te
donnerai les clefs du royaume des cieux. Paul apporte lui aussi son
témoignage : Celui qui a opéré en Pierre dans l’apostolat auprès de la circoncision
a opéré aussi en moi chez les Gentils. (Gal 11, 8) Que ces deux ont reçu le principat du Christ,
qu’ils se sont dirigés vers Rome et y ont souffert leur passion, le démontre l’histoire de l’église. Car ces
deux princes sont allés là où se trouvait la capitale du monde. Et comme le sauveur a voulu illustrer
Jérusalem par sa naissance, sa doctrine, ses miracles, sa mort, sa
sépulture et sa résurrection, il a
choisi la ville de Rome et l’a rendu glorieuse par le sang des princes des
apôtres, leur tombeau, leur mémoire, et leur doctrine. Et comme le Christ de la Jérusalem céleste
assis à la droite du Père est honoré Roi et Seigneur par les chœurs des anges
et de tous les saints, de la même façon
Pierre et Paul obtiennent la principauté dans l’église pèlerine, tous les
fidèles du Christ leur étant soumis par toute la terre.
Cela,
l’antiquité l’atteste et les écrits des Pères le confirment. Dans son histoire ecclésiastique, Socrate
raconte comment les Ariens avaient organisé un synode à Syrie d’Antioche pour
renverser et annuler le concile de Nicée et pour condamner Athanase. Il dit d’abord que le président rappela par
qui le concile avait été convoqué, puis il ajouta : Mais
Jules, le pape de Rome, n’y fut pas présent, et il n’envoya aucun représentant.
Et pourtant, la règle ecclésiastique interdit de convoquer des conciles sans
l’aval du pontife romain. Cet
historien était un Grec, mais il ne dit quand même pas que Constantinople
possède un pouvoir égal à celui de Rome. Il atteste sans ambages que, sans
l’assentiment ou l’ordre du pontife romain, aucun concile universel ne peut se
tenir.
Au
concile de Sardaigne, il a été ainsi statué : Il a paru bon de décréter ce qui suit.
Si un évêque est accusé, et s’il est condamné et dégradé par tous les évêques de sa région; si celui qui a été déposé porte sa cause en appel et se réfugie auprès du très
bienheureux évêque de l’église de Rome pour exprimer son point de vue; et si le
pape considère qu’il est juste qu’on réexamine le cas, l’évêque de Rome écrira à ceux qui sont dans la province
la plus proche pour qu’ils scrutent tout avec soin, et prennent une décision
conforme à la vérité. Si celui qui veut
que sa cause soit réouverte obtient du pontife romain qu’il envoie des prêtres
de son entourage, ce sera à l’évêque de Rome, après mûre réflexion, de prendre une décision. Et s’il juge que
soient envoyés les prêtres qui représentent l’accusé qui doivent être présents
avec les évêques accusateurs au moment du jugement, il lui est loisible de le
faire. S’il croit qu’il faut s’en tenir à la décision portée par
les évêques de la province de l’accusé pour que justice soit rendue,
qu’il agisse selon que lui conseille sa sagesse. Voilà ce qu’a décrété au sujet de la dignité papale un concile tenu
par les Orientaux dans une province d’Asie au temps de l’empereur romain
Constantin le grand, celui-là même qui a fondé la ville de Constantinople, et qui a voulu qu’elle porte le nom de jeune Rome.
Au sujet du patriarche de Constantinople, trouve-t-on rien de semblable
qui ait été défini par les évêques ? Ce
texte nous démontre que l’autorité du pontife romain l’emporte sans
conteste sur celle de tous les autres pontifes; que tous les évêques l’ont pour chef; et que
relève de son jugement tout ce qui, dans l’église, doit être soumis à un tribunal supérieur.
C’est à lui à statuer que continue ce qui a été établi, que soit corrigé ce qui
est erroné, et que soient approuvées les innovations.
Eusèbe,
l’évêque historien de Césarée donne ce témoignage dans sa vie du pape
Sylvestre : Le quatrième jour, l’empereur Constantin accorda au pontife romain le
privilège d’être, dans tout l’empire romain, le chef des prêtres comme le roi
l’est des juges. Ce privilège, les conciles l’ont manifesté. Pour qu’un concile, en Orient ou en
Afrique, soit reconnu comme authentique,
il faut qu’il soit présidé par un légat du pontife romain, ou que ce qui a été
décrété soit approuvé par écrit par le pape.
C’est ce qu’illustre le concile de Nicée, qui est vénéré par toutes les
églises chrétiennes. Les prêtres de la
ville de Rome, Victor et Vincent, qui agissaient au nom du pontife romain, ont
été les premiers à apposer leurs signatures, avant les évêques, et tout de
suite après Osius, évêque de la ville de Cordoue de la province d’Espagne,
président du concile, qui y avait été envoyé par le pontife romain, trop âgé
pour entreprendre le voyage lui-même.
Les autres conciles ne se sont pas comportés autrement. La première place a toujours été accordée aux
pontifes romains ou à leurs légats.
C’est la pure vérité que toutes
les églises, occidentales aussi bien qu’orientales, ont toujours vénéré les
évêques de l’église de Rome en tant que chefs des évêques, ont eu recours à
leur arbitrage, ont accepté les décisions qu’ils ont portées sur des points
controversés, et ont obéi à leur
décrets. Tous les conciles que les
papes ont approuvés ont toujours force de loi ; ceux qu’ils ont condamnés sont
considérés comme non avenus, et n’ont jamais joui d’aucune autorité.
Pour
bien montrer que les écrits des pères corroborent ce que je viens de dire,
voici une lettre d’un pontife romain.
Flavien, évêque de Constantinople,
avait condamné Eutychen, archimandrite de Constantinople, pour avoir
parlé en hérétique de l’incarnation du Seigneur. Il fut, ensuite, contre toutes les règles
ecclésiastiques, condamné par le deuxième synode d’Ephèse. Il en appela au pape Léon, qui demanda à l’empereur Théodose d’annuler
le synode. Ce qu’il fit. Ce qui n’a pu
se faire sous Théodose, se réalisa après sa mort, sous les princes Valentinien
et Marcion qui lui succédèrent.
Voici la
lettre qu’ils envoyèrent au pape Léon après leur élection : Valentinien
et Marcion vainqueurs, glorieux
triomphateurs, toujours Augustes, au très révérend Léon, archevêque de la
glorieuse cité de Rome. Nous accédons au trône suprême de l’empire par la
providence de Dieu, du très excellent sénat, et de toute l’armée. Pour honorer la religion catholique et la foi
des chrétiens, avec l’aide desquelles nous espérons trouver la force qu’il faut
pour gouverner, nous pensons qu’il est juste d’écrire d’abord à votre sainteté
qui détient la principauté dans l’épiscopat de la divine foi, lui demandant et
la priant de supplier la divinité éternelle pour la stabilité de notre règne.
Toute erreur impie, grâce à vous, ayant
été enlevée par la célébration du synode, que la plus grande paix s’établisse sur tous les évêques de la
foi catholique. Il écrit ensuite : S’il
plaît à votre béatitude de venir dans nos régions et de célébrer le synode,
qu’elle daigne le faire poussée par l’amour de la religion. S’il te semble trop pénible de te rendre
jusqu’à nos terres, que ta sainteté nous l’indique par ses propres lettres. Que dans tout l’Orient, dans la Thrace, et en
Illyrie vos lettres sacrées soient expédiées,
pour que soit déterminé à quel endroit tous les saints évêques doivent
se rencontrer, et ce qui est avantageux
pour la religion des chrétiens et la foi catholique, comme ta sainteté le décidera selon les lois
ecclésiastiques. Ces lettres des empereurs romains ne montrent
pas que le patriarche de Constantinople est le chef du pontife romain. Tout au
contraire, elles attestent le plus clairement du monde que le pontife romain
détient la principauté sur tous les évêques, que c’est à sa décision qu’est
remise la convocation d’un concile, et que les sujets à traiter doivent être
déterminés par lui.
Les
lettres de l’empereur Valentinien à son père Théodose Auguste attestent, elles
aussi, que le pontife romain possède une dignité et un rang supérieurs à ceux
de tous les autres évêques : Au seigneur Théodose, très glorieux
vainqueur et très illustre triomphateur, empereur et père, Valentinien glorieux
vainqueur et triomphateur, toujours Auguste et fils. Quand je vins dans la ville
de Rome pour apaiser la divinité, je me rendis, le jour suivant, à la basilique
du bienheureux Pierre, et, après la nuit vénérable du jour de l’apôtre,
l’évêque de Rome et d’autres avec lui réunis m’ont demandé d’écrire à votre
mansuétude au sujet de la foi que l’on dit perturbée, elle qui est la
conservatrice de toutes les âmes des fidèles. Cette foi que nos pères nous ont
transmise nous devons la défendre avec toutes les armes idoines, et conserver
inchangée en notre temps la vénération
due à la dignité du bienheureux apôtre Pierre.
Car le bienheureux évêque de la cité
de Rome à qui appartient la principauté du sacerdoce au-dessus de tous
les évêchés les plus anciens,
possède le siège et le pouvoir de juger les évêques, Seigneur
père très saint et vénérable empereur. En raison de cette grâce qui lui a été
donnée, l’évêque de Constantinople lui-même, comme le veulent les conciles solennels, a fait appel au pape au
sujet des dissensions relatives à la foi.
Galla Placidia, également, mère d’Auguste, écrivant à son
fils Auguste sur le même sujet, lui dit
entre autre chose : Ce n’est pas un
petit dommage qu’a causé ce qui vient d’arriver. Notre foi qui pendant tant
d’années a été conservée intacte par notre très sacré père Constantin (qui fut
le premier empereur qui resplendit du nom de chrétien) a été récemment troublée
au gré d’un seul homme. On raconte que dans le synode d’Ephèse, il a suscité la
haine de la cité et des conflits, par la peur des soldats qui étaient présents,
a persécuté l’évêque de la cité de
Constantinople parce qu’il avait envoyé une lettre au siège apostolique par
ceux qui étaient venus au synode de la part du très révérendissime évêque de
Rome, ceux qui ont coutume de s’en tenir aux définitions du concile de Nicée,
très saint seigneur fils, vénérable empereur.
Parla grâce de Dieu, que ta mansuétude résiste à ces ouragans, et
qu’elle ordonne que la vérité immaculée de la foi chrétienne soit conservée, et
selon la forme et la décision du siège apostolique, que nous aussi nous
considérons avec vénération au-dessus des autres. Que Flavien, entre
temps, demeure en possession de tous ses
droits, et qu’il soit remis au jugement du concile et du siège apostolique, de
celui qui a été digne de recevoir les clefs du ciel et d’exercer la principauté de l’épiscopat. Il convient donc que nous manifestions du
respect en toutes choses à cette très
grande ville qui est la maîtresse de
toutes. Pourvoyez avec une grande diligence à ce que ce qui a été conservé par
notre génération des institutions des premiers siècles ne soit pas amoindri, et que l’exemple
présent n’engendre pas de divisions entre les évêques et les saintes églises.
Il
appert de ce texte que le pontife romain ne fut jamais soumis au patriarche de
Constantinople. C’est le contraire qui est vrai. Pressé par la nécessité, c’est l’évêque de
Constantinople qui a fait appel au siège de Rome. Il a demandé que la décision
de Rome mette fin à la contestation. On
voit aussi que la cité de Rome mérite plus d’honneur que toutes les villes de l’empire romain, et
que le pontife romain possède la
primauté du sacerdoce sur tous les évêques. En effet, cette cité est la
maîtresse de toutes, et celui qui exerce
la première autorité de cette église est, d’après les anciennes constitutions,
le chef de toutes les églises.
Le pape
Léon le vénérable, évêque de Rome,
détenteur de cette autorité,
indique à Anatole, évêque de
Constantinople, quelle forme le concile
devait prendre pour condamner Nestorius et Euthyches : Bien que je sache que ton zèle te pousse à
toute bonne œuvre, pour faciliter ta
tâche, j’ai cru utile et nécessaire de t’envoyer, tel que promis, l’évêque
Lucentius et le prêtre Basile, qui t’accompagneront, pour que rien de ce qui se
rapporte à l’état de l’église universelle ne porte la marque du doute ou de
l’imprécision. Chez les vôtres comme chez ceux que je vous ai joints pour la
réalisation de notre dessein, tout devra
être inspiré par la prudence. Que rien
ne soit négligé de ce qui se rapporte à la miséricorde ou à la justice, et
qu’après mûre réflexion, tout jugement soit porté sans faire acception des
personnes. Et encore : La foi
évangélique et apostolique expulse toute erreur. D’un côté, elle rejette
Nestorius, et de l’autre, elle repousse Eutychen et ses partisans.
Rappelle-toi d’observer la règle
suivante : la paix fraternelle sera accordée à quiconque fera satisfaction pour les fautes commises
dans ce synode qui ne peut ni avoir ni mériter le nom de synode, et dans lequel
Dioscore montra sa mauvaise foi et Juvénal sa duplicité. Qu’Eutyches et son dogme ne soient pas
condamnés sur des textes à l’authenticité douteuse, et que ses comparses ne soient pas
anathématisés sans raison. Ceux qui
alors péchèrent le plus gravement, et qui, par là même, jouèrent un rôle prédominant dans ce
malheureux concile, abusant par leur arrogance de la simplicité des humbles
frères, s’ils venaient éventuellement à résipiscence, et cessant de justifier
ce qu’ils ont fait, finissaient par condamner leur erreur, qu’ils fassent une
demande de pardon qui mérite d’être accordée.
Mais elle sera réservée à la mûre réflexion du siège apostolique,
pour que, après avoir tout bien pesé et
examiné, il puisse déterminer ce qu’ils
devront faire pour obtenir le pardon. Et
dans l’église que Dieu a voulu que tu présides, tu ne prononceras le nom
d’aucun de ceux-là, comme je te l’ai déjà indiqué par écrit, avant que
l’enquête ne démontre quel sera leur sort.
Et un
peu après : Vois, frère très cher, comme cela convient aux églises de Dieu, à tout
mettre en œuvre avec fidélité et efficacité,
en union avec ces frères que nous avons choisis à cause de leur
compétence.
Ces
lettres du pontife romain montrent que le pontife romain est supérieur au
patriarche de Constantinople, à qui il envoie ceux qui le remplaceront au
concile. Il lui prescrit comment se
comporter dans le détail, et il lui indique ce qui est réservé à son
jugement. Il lui explique ce qui est de
son ressort, mais ne lui donne pas le pouvoir de juger à lui tout seul,
car il lui associe ses délégués avec qui
il devra prendre des décisions.
Le
bienheureux pape Léon écrit au saint concile de Calcédoine qui a été convoqué
pour condamner le deuxième synode d’Ephèse dans lequel Flavien, le vénérable
évêque de Constantinople avait été condamné non par la justice, mais par le
recours à la violence. Voici ses
paroles, tout de suite après la salutation d’usage : L’amour
que je porte à tout le clergé me faisait
espérer que tous les prêtres du Seigneur persévèreraient dans la profession de
la foi catholique, et que personne ne serait détourné du chemin de la
vérité par les faveurs ou les menaces
des séculiers. Mais parce que beaucoup de choses arrivent qui peuvent inciter à
la pénitence, et que la miséricorde Dieu est plus grande que les fautes des
pécheurs, pour que la punition soit suspendue et pour donner lieu à
l’amendement, nous approuvons la décision pleine de religion de notre prince
très clément. Il lui plait de convoquer votre sainte
fraternité pour détruire les embûches du diable et redonner la paix
ecclésiastique, étant préservé le droit et l’honneur du bienheureux apôtre
Pierre. Il nous a même invité par ses lettres pour que nous présidions le
concile, ce que ni les pressants besoins ni aucune coutume ne permettent. Mais
dans les frères Pacasinus et Lucentius, évêques, et Boniface et Basile, prêtres, qui ont été
mandatés par le siège apostolique, que votre fraternité estime que c’est moi
qui préside le synode, et qu’elle n’est pas privée de ma présence, puisque je
suis présent dans mes vicaires, et que,
pendant ce temps, je ne cesse pas
de prêcher la foi catholique. Et un peu plus loin : Nous
n’ignorons pas que des ambitions
dépravées ont semé le trouble dans beaucoup d’églises, et que beaucoup de
frères qui rejetèrent l’hérésie ont été chassés de leur siège, déportés en
exil, et que d’autres ont été intronisés à leur place. A ces plaies, il faut d’abord appliquer la
médecine de la justice. Que personne ne soir privé de ce qui est à lui, de
façon à ce qu’un autre ne se serve des biens d’autrui. Si, comme nous le désirons, tous réprouvent
leur erreur, à personne l’honneur ne doit faire défaut. Mais à tous ceux qui ont été éprouvés à cause
de la foi il faut rendre ce qui leur
appartient, avec tous leurs privilèges.
Que soient maintenus les statuts du premier concile d’Ephèse présidé par Cyrille de sainte mémoire,
surtout ceux qui sont contre Nestorius.
Que personne ne ravive l’impiété
qui a alors été condamnée, qui a mérité qu’Eutyches soit justement exécré. Car la pureté de la foi et de la doctrine que
nous prêchons et qu’ont prêchée les pères condamne et combat la perversité
nestorienne et eutychienne, ainsi que leurs auteurs.
Ce texte
nous fait voir que l’évêque de Rome est supérieur au patriarche de Constantinople.
C’est par sa permission que le concile de Chalcédoine a été convoqué. C’est lui-même qui l’a présidé par ses
légats. A ce même synode, il a indiqué par écrit ce qu’on devait statuer sur le
second synode d’Ephèse. Comment traiter
ceux qui pour la vraie foi ont été expulsés de leurs sièges et relégués en
exil. Que faire avec ceux qui,
intimidés et effrayés par les menaces,
ont été contraints de voter contre la foi, s’ils ont l’intention de renoncer à
l’erreur et de professer la vraie foi.
Il a déterminé que les statuts du
premier synode d’Ephèse présidé par saint Cyrille, évêque
d’Alexandrie, devaient être observés par
tous, lui qui a condamné autant Nestorius qu’Eutyches, dont les pensées sur l’incarnation de notre
Seigneur Jésus Christ étaient dépravées.
Toutes ces choses nous enseignent que le pontife romain est supérieur
non seulement aux évêques des églises orientales mais aussi au patriarche de
l’église de Constantinople, qu’il est
pleinement responsable de tous les évêques; que c’est à lui qu’incombe
d’une façon toute spéciale de veiller avec sollicitude sur toutes les églises.
A quel
point le pontife romain est supérieur à tous les évêques orientaux, une lettre
du pape Léon, qu’il a écrite à Anastase évêque de Thessalonice, nous le démontrera encore plus
clairement. C’est avec plaisir que je la
fais connaitre : Tout ce qui a été confié à ta fraternité par
l’autorité du très bienheureux apôtre Pierre, et les faveurs que
je t’ai moi-même accordées si tu les examinais consciencieusement et les
estimais à leur juste poids, nous pourrions ensemble grandement nous réjouir de
la charge apostolique qui t’a été confiée.
Car comme mes prédécesseurs ont agi envers tes prédécesseurs, j’ai,
comme eux, envoyé à ta dilection mes représentants dans le gouvernement. Comme, par institution divine, nous devons
prendre soin des diverses églises, tu pourrais aider, si tu deviens imitateur
de notre mansuétude, et tu pourrais me rendre présent, comme si je les visitais
moi-même, dans les provinces éloignées de nous.
Une observation attentive et judicieuse
te permettra de reconnaître quelles sont les choses que tu peux régler
par toi-même, et quelles sont celles qu’il est préférable de réserver à notre
jugement. Les affaires d’importance ou difficiles à régler tu étais libre de les suspendre ou non dans l’attente
de notre décision. Mais dans celles qui
excèdent ta compétence, il n’y avait ni aucune raison ni aucune nécessité de
t’écarter du droit chemin. Car ils
abondent les avertissements que nous t’avons donnés par écrit pout t’inviter à
la modération dans tes actions; et pour
que tu ranges à l’obéissance, par l’exhortation de la charité, les églises du
Christ qui t’ont été confiées. Et
plus loin : Et parce qu’ils cherchent à dominer plutôt qu’à veiller sur ceux qui
leur sont confiés, l’honneur plaît,
l’orgueil enfle, et ce qui devait conduire à la concorde engendre le
préjudice. Être forcé de dire de
pareilles choses ne suscite pas en notre âme de faible douleur. Car moi-même je me sens fautif quad j’apprends que tu t’es éloigné
immodérément des règles qui t’avaient été données. Si tu faisais peu de cas de ta réputation, tu
aurais du, du moins, épargner la mienne. Pour que ce que tu as
fait de ta propre initiative ne semble pas avoir été fait sur notre ordre. Que ta fraternité relise nos pages, qu’elle
parcoure tout ce que le détenteur du trône apostolique a envoyé à tes
prédécesseurs, et elle découvrira que mes prédécesseurs avaient ordonné ce qui
t’avait été prescrit à l’avance. Car mon
frère Atticus, métropolitain de la vielle Epire, est venu à nous avec les évêques de sa
province, et il s’est plaint en pleurant, devant tes diacres, de l’indigne et douloureux traitement qui lui a été infligé. Ne trouvant rien à répliquer à ses plaintes
et à ses larmes, ils montrèrent que ces accusations étaient dignes de foi. On lisait dans tes lettres aussi que tes diacres eux-mêmes m’ont apportées,
que frère Atticus viendrait à
Thessalonique.
Et après
cela : Les paroles de ta lettre
apportèrent une confirmation aux plaintes du ci-haut nommé, et permirent, ce
qu’il ne faut pas taire, de révéler ce qui avait été recouvert du manteau du
silence. On s’était rendu à la préfecture de l’Illyrie, on avait fait une
moquerie devant le tribunal civil du
pouvoir le plus sublime qu’il y ait sur la terre, et pour mettre à
exécution l’infamie projetée, on avait
requis l’aide des services public pour que des sacrés parvis de l’église soit
arraché un prêtre qui n’avait été accusé d’aucun crime, vrai ou faux. Sans tenir compte de sa santé délabrée, sans
lui donner les vêtements nécessaires pour affronter la rigueur de l’hiver, on
l’a forcé de marcher sur des chemins impraticables tout recouverts de neige. Le
voyage fut si pénible et si atroce que
quelques-uns des compagnons de route de l’évêque défaillirent en chemin. Je suis grandement stupéfait, frère très
cher, mais plus attristé encore, qu’envers celui de qui tu ne disais rien de
plus que, étant appelé, il avait différé de venir, et avait donné son infirmité
comme excuse, tu ais pu te comporter de façon si brutale et si atroce. Surtout que, s’il avait mérité quelque chose
de tel, tu devais attendre que je
réponde à ce sur quoi tu m’avais consulté.
Mais je pense que tu avais une bonne idée de ma façon d’agir, et
que tu savais très bien que j’aurais
cherché à assurer la concorde entre les
prêtres. C’est pourquoi tu t’es
hâté de suivre sans retard tes impulsions, sans avoir à tenir compte de nos
invitations à la modération. Un crime
du frère t’était-il connu, et étais-tu angoissé par le poids de ce nouveau
crime ? Mais aucun crime ne peut lui être imputé puisque toi-même tu affirmes
n’avoir rien de grave à lui reprocher. A supposer même qu’il eût commis quelque
chose de grave et d’intolérable, il fallait attendre notre censure, pour que tu
ne décides rien avant de connaître ce qu’il nous plairait d’aviser.
Nous avons fait de votre charité notre
représentant pour t’appeler à une partie de notre sollicitude pastorale, non à
la plénitude du pouvoir. Toutes les
choses que tu as traitées pieusement nous réjouissent, mais celles qui viennent
d’arriver nous attristent grandement. Et
après avoir eu l’expérience de plusieurs cas graves, il est nécessaire de se
rendre plus soucieux et plus diligents.
Que ce soit par l’Esprit de
charité et de paix que tout ce qui est
matière à scandale soit enlevé des églises du Christ que nous t’avons confiées,
par la prééminence de ton épiscopat sur chacune des provinces, mais en évitant
l’excès de toute forme d’usurpation. En
conséquence, selon les canons des saints Pères, produits par l’Esprit Saint, et
consacrés par le respect que tout le monde leur accorde, nous décrétons que tu
aies la juridiction léguée par le passé
à ton église, sur les évêques
métropolitains de chacune des provinces, qui sont confiées à ta fraternité par
notre délégation. Pour qu’aucune, par
négligence ou par présomption, ne
s’éloigne des règles qui ont été instituées. Et d’autres directives
qu’il devait observer dans ses rapports ecclésiaux avec l’évêque de
Thessalonique.
Cette
lettre nous démontre que l’évêque de Constantinople n’a jamais été responsable
d’autre chose que de son diocèse. Que
c’est le pontife romain, de qui relèvent toutes les églises, qui l’a chargé autrefois de cette sollicitude
pastorale. Que celui-là seul à qui le
souverain pontife l’aura accordé pourra exercer sa sollicitude pastorale sur
les autres provinces et régler leurs différents. Cette lettre démontre aussi que les décrets
des pontifes romains faits à l’intention de toutes les églises d’Occident et
d’Orient sont observés comme des lois ecclésiastiques, et sont reçus par toutes
les églises. Qui supporterait que le
patriarche de Constantinople soit placé à la tête de toutes les églises, chose que l’antiquité ne lui a jamais
concédé, qu’aucun décret des Pères ne lui a jamais accordé, qui n’est fondée
sur aucune raison, sur aucun droit humain ou ecclésiastique. Que comprennent du moins les empereurs romains de notre temps que ce qui n’était pas permis aux empereurs
d’autrefois, qui régnaient sur un bien plus grand empire que le leur, ne l’est pas non plus à eux. Qu’ils ne peuvent pas, à leur gré, disposer
de l’Eglise romaine, que leurs ancêtres considéraient comme leur mère, ni
changer l’autorité que le Christ et l’Eglise ont donnée à Pierre, la principauté sur toute la terre. D’autant plus qu’ils constatent que la ville
de Rome, qui détient la principauté sur toutes les églises, est loin de leur
empire, que tout l’occident, l’Afrique, et presque tout l’Orient leur ont été
enlevés, et qu’il ne leur reste que quelques provinces d’Europe et d’Asie, et
quelques îles.
L’empereur
Justinien atteste que le respect que le patriarche de Constantinople obtient
n’est pas du à son mérite, mais à ce que
la ville de Constantinople est appelée la deuxième Rome : Le pape de Rome est supérieur à tous les
évêques et patriarches. Et, après lui, l’archevêque de la ville de
Constantinople. Le patriarche de
Constantinople ne s’élève donc pas au-dessus du pape, puisque, venant en
second, il lui est subordonné. Il faut
aussi noter que l’honneur du siège de Rome lui est accordé, mais non la
plénitude du pouvoir.
Nous
trouvons la même chose dans l’histoire de Socrate : Ils
adoptèrent alors cette règle que l’évêque de Constantinople viendrait par le
rang et les honneurs immédiatement après l’évêque de Rome, parce que Constantinople était la
nouvelle Rome. Les honneurs, oui,
mais pas le pouvoir, qui demeure toujours la propriété de l’évêque de Rome. Où
donc les empereurs sont-ils allés chercher que le patriarche de Constantinople
détient le primat sur toutes les églises de la chrétienté ? L’antiquité ne leur en fournit aucun
témoignage; les décrets des synodes aucun; les pragmatiques des empereurs
aucun. Ils peuvent trouver des textes
qui parlent de leur pouvoir, mais ils ne peuvent pas l’exercer ce pouvoir sans l’autorisation du
pontife romain. Le pouvoir de
juridiction est tel, de toute antiquité, qu’aucune église, que ce soit celle de
Constantinople ou de n’importe laquelle autre,
ne peut détenir un pouvoir juridictionnel sans qu’il ne lui soit
accordé ou confirmé par le pontife romain. C’est à Rome que se trouvent
le pouvoir et la sollicitude pastorale sur toutes les églises. Beaucoup de textes en apportent la preuve.
L’évêque
de Constantinople Acace écrit au pontife romain Simplicius : Au
seigneur, saint Père archevêque Simplicius,
Acace. Portant la sollicitude de
toutes les églises, selon ce que dit l’apôtre, vous ne cessez d’exhorter à la
vigilance et au zèle apostolique. Mais
vous, vous montrez votre sollicitude en vous enquérant de l’état de l’église
d’Alexandrie, vous imposant ce travail d’après les canons des pères, et faisant
couler pour eux sur votre front une sainte sueur. Nous constatons qu’Acacius, le pontife de
Constantinople, atteste que le pontife romain a, selon l’apôtre, la sollicitude
de toutes les églises. Qu’il l’a toujours eue, et cela de toute antiquité. Car il savait très bien que cette prérogative n’appartenait pas à sa charge épiscopale. Et il n’a pas cherché à usurper ce qu’il
savait être la possession d’autrui.
Félix,
évêque de la sainte église catholique de Rome a écrit à ce même Acace quand il
fut convaincu d’avoir agi contre les règles ecclésiastiques, et qu’il admettait
n’avoir rien à présenter pour sa défense :
Tu es coupable de plusieurs
transgressions. Méprisant le vénérable concile de Nicée, tu as usurpé
témérairement les droits des provinces qui
te sont étrangères. Les
hérétiques, les pervers, ceux qui ont été ordonnés par des hérétiques, que tu
avais toi-même condamnés, et que tu avais demandé qu’ils soient condamnés par
le siège apostolique, non seulement tu as pensé que tu pouvais les recevoir
dans ta communion, mais, ce qui n’est pas permis à des catholiques, tu les as même fait présider dans d’autres
églises, et tu les as comblés d’honneurs qu’ils ne méritaient pas. Après lui avoir rappelé toutes ses
transgressions, il conclut a
ainsi : Partage donc le sort de ceux
que tu as embrassés si chaudement. Et,
par la sentence présente, que nous te faisons parvenir par le défenseur de ton
église, sache que tu es privé de
l’honneur du sacerdoce, de la communion de l’église catholique, séparé du
nombre des fidèles, que le nom et la charge du ministère épiscopal te sont enlevés,
que tu es condamné par le jugement du saint Esprit et par notre autorité
apostolique, et que tu es rivé aux chaînes de l’anathème. Est-il donc prouvé que le pontife romain
est sujet du patriarche de Constantinople ?
Il s’en faut de beaucoup. C’est
le pontife romain qui reproche sévèrement au patriarche de Constantinople ses
transgressions, qui le condamne et
l’anathématise.
Mais que
suffisent ces témoignages. Ils montrent avec éclat que le patriarche de
Constantinople ne possède aucune autorité sur l’évêque de Rome, Il devrait se contenter de la part d’honneur
qui lui est due, de peur que, s’il contrevenait aux décrets du concile de
Nicée, il n’encoure la perte de l’honneur qui est le sien.
Nous
avons fait ce que nous avons pu en donnant une réponse aux choses que vous nous
avez envoyées par écrit. Si elles
plaisent, rendons grâce à Dieu. Si elles
déplaisent, nous tiendrons compte des corrections que vous nous imposerez.
fin du
livre
MONITUM publié en en-tête par Migne, ne faisant pas partie
du livre.
Les dernières paroles du quatrième livre servent à nous persuader
que Ratramnus a faits ces livres à la demande pressante des évêques :
« Nous avons répondu comme nous avons pu à ce que vous nous avez envoyé
par écrit. Si ces livres vous plaisent, rendons-en grâce à Dieu. S’ils vous
déplaisent, nous profiterons de votre
critique pour nous corriger. »
Le pontife suprême
Nicolas premier avait demandé par lettres aux évêques de Gaulle de répondre aux
objections faites par les Grecs, qui étaient devenus des adversaires du siège
romain, comme le rapporte Frodoardus dans son histoire ecclésiastique de
Rheims, au livre 111, chap. 17 : « Le pape Nicolas envoya une lettre
à Hincmar, et aux autres archevêques et évêques du royaume de Charlemagne, les
informant que les empereurs des Grecs et les évêques orientaux condamnaient la
sainte Église romaine, et même toute l’Église latine, parce que nous jeûnons le
sabbat, parce que nous disons que le Saint Esprit procède du Père et du Fils,
parce que nous interdisons aux prêtres d’oindre du saint chrême le front des
baptisés; parce que nous
confectionnerions le saint chrême avec de l’eau du fleuve; parce que nous
n’arrêtons pas de manger du fromage et des œufs, à leur façon, pendant huit
semaines; parce qu’à Pâque, à la mode des Juifs, nous bénirions et offririons
sur l’autel un agneau en même temps que le corps du Seigneur; parce que les
clercs se rasent la barbe; parce que, chez nous, un diacre serait sacré évêque
sans avoir été ordonné prêtre.
Nicolas continue
dans sa lettre : « Après que
ta charité aura reçu cette lettre, Hincmar, qu’elle s’applique à la faire
parvenir rapidement aux autres archevêques qui demeurent dans le glorieux
royaume de notre Charles. Qu’elle ne néglige pas d’inciter tous ces archevêques
ainsi que leurs suffragants à l’étudier
à fond, et à nous faire parvenir ce qu’ils ont auront composé. » Tout cela se rapporte au schisme suscité par Photius (867), pseudo patriarche
de Constantinople, et ses adeptes, et appuyé par les empereurs des Grecs Michel
et Basile.
Cette tâche qui lui
a été imposée, notre Ratramnus l’a remplie en quatre livres, avec précision,
élégance, et une grande érudition.»