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Auteur : Ratramnus  de Corbie
(800-868)

Réponse en Quatre Livres aux Diffamations des Grecs Schismatiques contre l’Eglise Romaine
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Titre original latin : Contra Graecorum Opposita Romanam Ecclesiam Infamantium Libri Quatuor  Ratramnus Corbeiensis, Migne, Patrologie Latine, tome 121, colonnes 0223 - 0346B
Traduction originale par JesusMarie.com, placée sous le régime juridique du copyleft avec obligation de mentionnner JesusMarie.com comme traducteur originel, 10 octobre 2016.
             LIVRE PREMIER
                                    CHAPITRE PREMIER

 Les accusations que  Michel, Basile et les empereurs Grecs portent contre l’Église Romaine sont, nous le savons,  des faussetés, des hérésies, des superstitions, des impiétés.  C’est pourquoi on devrait avec raison les livrer au mépris. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’elles ont tout ce qu’il faut pour apporter le scandale de la scission aux simples et aux illettrés.  D’autant plus que le Saint Esprit lui-même nous incite à répondre quand il dit :  réponds au sot selon sa sottise, de peur qu’il ne se croie savant.  (Prov. XXV1, 5)

 Quand ils disent que nous composons le saint chrême avec de l’eau; et qu’au saint jour de Pâque,  nous déposons sur l’autel un agneau qui doit être consacré avec le corps du Seigneur, à la manière des Juifs,  ne mentent-ils pas ?  Ne les  trouble donc pas cette parole du psalmiste qui parle au nom du Saint-Esprit :  Tu perdras tous ceux qui profèrent le mensonge ? (Ps V, 7) Ni non plus cette menace du Saint-Esprit :  Le faux témoin ne sera pas impuni. (Prov. V, 9)

 Ils essaient de trouver en faute non seulement l’église  romaine, mais toute l’église latine, parce que nous professons que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.  En maintenant qu’il ne procède que du Père, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes au péché d’hérésie ?  Ne se retirent-ils pas de la communion de l’Église, et ne blasphèment-ils pas contre le Saint-Esprit,  péché que le Sauveur déclare irrémissible.   S’ils pouvaient du moins démontrer que leurs anciens docteurs catholiques s’y sont opposés !  Car, quand ils disaient que l’Esprit Saint procède du Père,  ils ne niaient pas qu’il procède du Fils.  S’ils voulaient donc imiter leurs ancêtres, ils professeraient la procession du Père et du fils  comme leurs ancêtres l’ont professée.  Nourris des saintes Écritures, ils ont parfaitement compris que le Saint Esprit procède de l’un et de l’autre.  Mais nous développerons cela plus tard.

                                     CHAPITRE DEUXIEME

                                      DES OBJECTIONS DES GRECS.

                              QUEL EST LE ROLE DES EMPEREURS

 Ils nous accusent de jeûner le sabbat,  et de ne pas observer la même règle qu’eux dans le jeûne pascal.  Qui ne voit avec quelle légèreté  ces gens présomptueux  lancent à tout venant des accusations !  Ils font des reproches à ceux qui jeûnent,  mais n’ont pas un mot de blâme  pour ceux qui ne jeûnent pas.  Le jeûne est bon ou il est mauvais. S’il est bon, pourquoi le condamner ?  S’il est mauvais, pourquoi font-ils ce qu’ils reprochent aux autres ?  La cause ne sera donc pas jugée au mérite,  mais en faisant acception des personnes ? Seuls ceux qui  souffrent d’un complexe de supériorité  ou qui sont aveuglés par des préventions  peuvent juger que le jeûne pratiqué par les latins est douteux, et qu’est vénérable celui que pratiquent  les Grecs.

Qui peut supporter qu’ils se plaisent à blâmer ceux qui s’imposent la continence, ceux qui renoncent à partager leur couche avec des femmes,  poursuivant la sainteté du corps et de l’âme ?  Ces choses ne sont-elles pas portées aux nues par tous les mortels, surtout en ce qui a trait aux  ministres du saint autel, dont c’est le devoir de toujours présider aux cérémonies sacrées, de rendre toujours l’hommage de la divine servitude, de rendre  à tous les jours, par leurs prières,  la majesté divine propice aux  peuples qui leur ont été confiés.  Parce que nos prêtres, à la suite de leurs ancêtres,  ne négligent pas de se comporter ainsi,  ils les accusent de condamner le mariage.   Sur quoi retombent ces accusations, si ce n’est sur la religion ?  Que s’efforcent-ils de détruire d’autre que la sainteté, sans laquelle personne ne peut plaire à Dieu.

 Qui ne voit pas le ridicule qu’il y a à tancer ceux qui se rasent la barbe;  ou à reprocher aux prêtres de ne pas oindre avec le saint chrême le front de ceux qu’ils baptisent, mais de laisser ce privilège aux évêques ?  Ce n’est pas en se rasant la barbe ou en la conservant qu’on enfreint les préceptes divins.  Si les prêtres n’oignent pas du saint chrême les fronts de ceux qu’ils baptisent, ils ne communiquent donc pas la grâce du baptême, en faisant la triple aspersion  au nom de la très sainte trinité ?  Ce jugement relève plus de la superstition que d’une considération religieuse quelconque.

 Y a-t-il lieu de s’étonner que ces calomnies procèdent d’hommes versés dans la sainte loi, mais qui se sentent forts de l’appui de la puissance séculière, et qui mettent leur confiance dans le faste de l’empire ?   Ce sont les évêques, non les empereurs, qui ont été mandatés pour se prononcer sur les dogmes sacrés et le rite ecclésiastique.  Car bien que les empereurs  aient la prééminence en vertu de leur dignité impériale,  la chose publique seule leur a été confiée, non le ministère épiscopal.  Ils doivent légiférer sur les choses séculières;  les évêques doivent définir les dogmes divins.  Que les empereurs se  le tiennent pour dit ! Qu’ils se contentent  de ce qui est de leur ressort;  et qu’ils n’usurpent pas  la charge épiscopale !   Autrement, il  pourrait leur arriver  ce qui est arrivé au roi Osias quand il a présumé exercer le ministère épiscopal : après avoir été frappé de la lèpre,  il a été interdit de  communion et d’entrée du temple.

  S’ils sont vraiment des fils de l’Église et s’ils sont soucieux de l’unité de l’église,  pourquoi donc ces docteurs récents, ou soit disant tels,  essaient-ils de criminaliser de nos jours ce que leurs prédécesseurs ont toujours estimé vénérable ?  Il n’est question aujourd’hui d’aucun  nouveau culte de l’église romaine, d’aucune nouvelle religion, d’aucune nouvelle doctrine, d’aucune nouvelle institution.   Ce que nos ancêtres ont tenu, ce qu’ils ont enseigné,  ce qu’ils ont légué à leur postérité comme devant être conservé,  c’est ce que nous tenons, que nous conservons,  sans y rien ajouter, sans y rien enlever.  C’est des apôtres qu’ils l’avaient reçu, et les apôtres,  du Christ.   L’église, orientale aussi bien qu’occidentale,  est toujours demeurée dans la même foi.   Car les apôtres ont connu eux aussi cet enseignement de saint Paul  qu’il  n’y a qu’une seule foi, un seul baptême.    Et bien qu’ont souvent surgi des hérésies qui, comme de mauvais poissons, déchiraient les filets,  la tunique sans couture du Christ est demeurée intacte.   Les institutions des anciens,  établies dans différents lieux, même si elles n’étaient pas toutes semblables dans toutes les églises,  n’ont en aucune façon scindé  l’unité de la foi.   Car c’est une chose de différer de coutumes,  et c’en est une autre de se maintenir ensemble dans l’unité de la foi.   Mais de cela plus tard.

 Venons-en maintenant à notre propos, et discutons de chacune des choses que nous a données la grâce du Saint Esprit, sans suivre aucun plan.   Parlons d’abord de l’Esprit Saint d’après ce qu’il nous a enseigné de lui.  Car c’est cela qui importe en premier lieu, et c’est ce qui est le fondement authentique  de la foi catholique.  Nous baserons notre démonstration sur le fait que nous pensons et que nous croyons comme nos pères ont cru et professé.  Si quelqu’un préfère contester la doctrine des apôtres,  il faut de toute évidence qu’il remette en question le magistère du Christ,  et réfute les oracles des prophètes.
 

                             CHAPITRE TROISIEME
 

 Vous nous reprochez de dire que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, alors que vous prétendez qu’il ne procède que du Père.   Lisons l’évangile, et tirons-en notre réponse.  Voici ce qu’a dit le Sauveur, la nuit où il fut livré, dans le discours que, selon Jean, il a adressé à ses apôtres : Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité, qui procède du Père,  il rendra témoignage de moi. (Jn 1V, 26)   Vous lisez  qui procède du Père, et vous ne voulez pas entendre le Fils qui dit :  que je vous enverrai.    Expliquez-nous donc comment il est envoyé par le Fils ?  Car vous ne pouvez pas nier qu’il les a prononcés ces mots,  si vous lisez seulement l’Évangile,  ou si vous avez foi en l’Évangile.  Ou vous voyez dans cette mission une procession,  ou, ce qui est impie, le service d’un subordonné.  Et vous serez, que Dieu vous en détourne, semblables à à Arius qui enseignait, en un dogme pervers,  que l’Esprit Saint est inférieur au Fils.  Puissiez-vous ne jamais vous ranger du côté d’Arius;  puissiez-vous ne jamais déclarer que l’Esprit Saint est inférieur au Père et au Fils.

  Quand le Fils dit qu’il enverra l’Esprit de vérité qui procède du Père, il est tout de suite évident qu’en affirmant qu’il l’envoie, il déclare qu’il procède de lui.  Quelqu’un déplorera-t-il peut-être qu’il n’ait pas dit seulement :  que je vous enverrai,  mais qu’il ait ajouté de la part  du Père ?  Les Ariens ont été les premiers à soulever cette difficulté, eux qui cherchaient à mettre des degrés dans la Trinité.    Mais la vérité de l’évangile montre l’unité consubstantielle de toute la Trinité.   L’Esprit Saint procède du Père, en émanant de la substance divine.  Et le Fils envoie l’Esprit de vérité de la part du Père,  parce que l’Esprit Saint est né du Père en tant que procédant du Fils.  Et comme le Fils a reçu du Père la substance en naissant, il a reçu en même temps du Père  qu’il envoie l’esprit de vérité comme procédant de lui.  En d’autres mots,  quand il dit qui procède du Père,  il ne nie pas qu’il procède de lui,  parce que la mission du Fils est la procession du Saint Esprit.  Le Fils envoie l’Esprit de vérité non comme un supérieur qui  commande à un inférieur.   Le mot mission démontre donc que l’Esprit saint procède du Fils comme il procède du Père.

 Il précise ensuite :  Il me glorifiera, car il recevra de moi, et vous l’annoncera. (Jn XV1, 14)  Que peut bien recevoir l’Esprit Saint du Fils,  puisqu’ils possèdent en commun la même substance et la même puissance ?  Ce qui ne l’empêche pas de dire : il recevra de moi.  Il ne peut donc vouloir dire que : il procède de moi,   car, comme le Père et le Fils sont d’une seule substance, l’Esprit Saint, en procédant de l’un et de l’autre, reçoit l’existence de la consubstantialité.  Il ne faut pas se laisser troubler par la forme future du mot recevoir.  Il s’agit ici de l’Esprit Saint qu’il devait envoyer à ses apôtres plus tard. Non de l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils.  C’est en dehors du temps qu’il procède du Père et du Fils, car le Père, le Fils et le Saint Esprit sont trois personnes distinctes,  mais d’une seule et même substance.

 Il continue :  Tout ce que le Père a est à moi, c’est pour cela que je vous ai dit qu’il recevra de moi, et qu’il vous annoncera. (ibid 15)   Si tout ce qu’a le Père le Fils l’a aussi,  comme l’Esprit Saint est l’Esprit du Père,  il l’est aussi du Fils.  Oui, si l’Esprit saint est l’esprit du Père, il l’est forcément aussi du Fils,  car s’il est du Père sans être du Fils, le Fils n’a pas tout ce qu’a le Père.  Mais comme le Fils a tout ce qu’a le Père, comme l’Esprit Saint est l’Esprit du Père, il l’est aussi du Fils.  Mais cette possession d’habitation ne la voyons par comme une diminution ou une addition.   Elle ne fait que confirmer que l’Esprit saint procède du Fils comme il procède du Père.

 Un peu plus loin,  le Christ ajoute :   Quand viendra l’Esprit de Vérité.  Il avait dit d’abord :  Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité.  La Vérité c’est le Sauveur, comme il l’atteste lui-même à Philippe : Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. (Jean XV, 6)   Si donc la Vérité est le Sauveur, et si le Sauveur est le Fils du Père, dire Esprit de Vérité est-ce dire autre chose que  Esprit du Fils ?   On apprend que l’Esprit est du Père par le fait qu’il procède du Père.   De la même façon, on apprend que l’Esprit est du Fils quand le Sauveur atteste qu’il est l’Esprit de la Vérité.   Si tu demandes pourquoi il est l’Esprit de la Vérité,  demande-toi pourquoi il est l’Esprit du Père.  Car comme il est l’Esprit du Père parce qu’il procède de lui,  il est l’Esprit du Fils parce qu’il procède du Fils qui est la Vérité.  Tout cela ne réfère pas à une sujétion, à une subordination, mais à la possession d’une seule et même substance.   Le Père et le Fils étant d’une seule et même substance, le Saint Esprit peut donc procéder des deux.  Ne t’imagine pas que le fait de procéder du Père et du Fils lui donne deux pères. L’Esprit Saint n’est pas un fils, et celui qui n’est pas un fils ne peut pas avoir de père.

 On dit aussi que le Saint Esprit est la charité.  C’est pourquoi saint Jean peut dire :  Dieu est charité. (1 Jn 1V, 16))  Pour recommander cette charité il écrit aux fidèles :  Quant  à vous, que demeure en vous l’onction que vous avez reçue de lui.  Et il ne sera pas nécessaire que quelqu’un vous enseigne, car son onction vous enseignera toutes choses. (l Jn 11, 27)   Le Sauveur a dit quelque chose de semblable :  Quand viendra l’Esprit de vérité il vous enseignera la vérité entière. (Jn XV1, 16)  Que tu dises : Dieu est charité, ou que tu dises :  son onction vous enseignera toute chose,  ou que tu dises :  l’Esprit de vérité qui enseigne la vérité entière,  tu parles du Saint Esprit.   Il est la charité du Père par laquelle le Père  nous aime;  il est la charité du Fils par laquelle le Fils nous a rachetés.  Mais pas une charité différente pour autant, du fait qu’on l’appelle la charité du Père et du Fils.   La charité par laquelle le Père aime le Fils est la même que la charité par laquelle le Fils aime le Père.   Car si le Saint Esprit est la charité du Père il est aussi la charité du Fils.   La charité du Père procède du Père pour qu’il aime le Fils; la charité du Fils procède du Fils pour qu’il aime le Père.  L’Esprit Saint est donc la charité de l’un et de l’autre parce que  l’Esprit de l’un et de l’autre procède de l’un et de l’autre.

 Le Christ s’écrie :  Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive !  (Jn V11, 37) Celui qui croit en moi, comme le dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive sortiront de son ventre.  Et l’évangéliste ajoute :  Il disait cela au sujet du Saint Esprit qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui.  (Jn V11, 39)   Les fleuves d’eau vive, selon que le rapporte saint Jean, signifient l’inondation du Saint Esprit qui irriguera les croyants, d’après l’enseignement même du Sauveur.  Ces fleuves d’où proviennent-ils ? Ils émanent de la foi dans le Christ.  Et d’où vient la foi ?  De la doctrine du Christ.   En conséquence,  comme la doctrine du Christ est du Christ,  comme la foi dans sa doctrine vient du Christ,  de la même façon, le Saint Esprit représenté par les fleuves d’eau vive procède du Christ. Car le Christ est  l’homme parfait et le Dieu parfait.   En tant que Dieu parfait, il infuse gratuitement l’Esprit saint dans ceux qui croient en lui.  Ces fleuves inondent les cœurs des fidèles, comme des fontaines de vie éternelle.

 Il a dit à la samaritaine :  Qui boit de cette eau aura encore soif.   Mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai ne sera pas assoiffé éternellement.   Car cette eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle.  (Jn 1V, 13)  Ce qu’ailleurs il avait nommé fleuves d’eau vive  il l’appelle ici  fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle.  Il voulait, dans les deux cas,  parler du Saint Esprit.  Il enseigne clairement que ce serait lui qui le donnerait cet Esprit  quand il dit :  l’eau que je lui donnerai deviendra en lui  une fontaine d’eau.  Celui qui donne,  donne de lui-même.  Il donne la fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle, c’est-à-dire il prodigue avec abondance l’Esprit Saint à ceux qui croient en Lui.   Il démontre que l’Esprit Saint procède de lui quand il affirme que c’est lui qui le donnera aux croyants.

 Après sa résurrection,  après la salutation de paix,  il souffla  sur les disciples réunis au cénacle, en leur disant :  Recevez l’Esprit saint.  (Jn XX, 22)  Que signifie l’insufflation si ce n’est la procession du Saint Esprit ?  Non ce souffle corporel  provenant de l’air, et, grâce à l’action des poumons,  émis par l‘organe de la  bouche, mais la substance du Saint Esprit. En toute vérité, il a voulu nous enseigner par ces mots que l’Esprit Saint procède de lui, et que la substance du Saint Esprit émane de la substance du Fils.  Quand le Père a voulu nous montrer que la nativité du Fils provenait de sa substance, et que, pour cette raison, le Fils lui était consubstantiel,  il a dit dans un psaume à son sujet :  Du sein avant Lucifer je t’ai engendré.  (Ps, C1X, 3)  Non que le Père aurait eu  un sein ou un utérus dans lequel il aurait engendré le Fils avant tous les siècles.  Ce qu’il attestait c’est qu’il avait engendré le Fils de sa nature propre, de sa substance,  non du néant ou de la substance d’une autre chose.   De la même façon,  en insufflant l’Esprit saint aux apôtres, en ayant l’intention de le leur donner par cette insufflation,  le Fils montre que l’Esprit Saint  procède de sa substance à lui.

 Parlant du sacrement de son corps et de son sang,  il dit aux disciples :  Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie.  (Jn V1, 64)  D’où procèdent les paroles si ce n’est du plus intime de l’esprit.   Donc les paroles que le Christ prononce sont esprit et vie parce que l’Esprit, qui procède du cœur du Christ, est vie.  Non que dans la divinité il y ait un cœur et des particules de chair.  Non.  Par cette façon de parler,  il a voulu montrer le sacrement (mystère) d’une substance intérieure de laquelle il dit que procède l’Esprit Saint parce qu’il est la vie.  L’Esprit saint procède donc du Fils, et est une seule et même substance avec le Fils.

             CHAPITRE QUATRIEME

 Voici ce que l’on lit dans l’Évangile de Luc :  Et le Christ est sorti en Galilée dans la vertu de l’Esprit. (Luc 1V, 14)   On lit du Sauveur qu’il est la  vertu du Père. Et maintenant, l’Esprit Saint est appelé vertu.   Le Christ est-il une vertu différente de celle du Saint Esprit ?   Absolument pas.   Mais on appelle l’un et l’autre vertu pour démontrer l’unique substance de l’un et de l’autre.   Pourquoi a-t-il dit  dans la vertu de l’Esprit ?   Voulait-il montrer par là que la vertu de l’Esprit saint est plus que grande que la vertu du Christ ?   Pas du tout.  Pourquoi donc a-t-il dit dans la vertu de l’Esprit ?  Ne voulait-il pas montrer une vertu qui n’était pas étrangère au Christ,  qui n’était pas concédée d’ailleurs, mais qui lui était propre ?  Une vertu qui tout en étant du Saint Esprit est en même temps du Christ, comme dans une seule nature, et non dans une essence différente.  Et demeurant en même temps dans chacun, l’un procède de l’autre :  l’Esprit saint du Fils, et l’un et l’autre du Père.  Mais le Fils en naissant,  l’Esprit Saint en procédant.   Non pas que l’Esprit procède du Père et du Fils un peu plus tard, car c’est sans intervalle de temps que l’Esprit procède du Père et du Fils.

                  Le bienheureux Paul écrit aux Galates :  Parce que vous êtes fils de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils qui crie dans vos cœurs : Abba, père.  (Gal 1V, 6)  Il n’a pas dit : Dieu a envoyé son Esprit.  Même s’il l’avait dit, il n’aurait pas exclu le Fils, car le Fils est Dieu comme le Père est Dieu, les deux ensemble ne formant pas deux dieux, mais un seul Dieu.   Car ce que la personne sépare,  la substance le réunit.  Voulant éviter toute équivoque, il parle nommément de la personne du Fils quand  il dit que Dieu  a envoyé l’Esprit du Fils dans nos cœurs.   L’Esprit du Fils est-il différent de celui du Père ?  Si l’Esprit saint est l’esprit des deux,  il procède donc de l’un et de l’autre.   On ne l’appelle pas ici l’esprit du Fils  pour laisser entendre qu’il est inférieur au Fils.   Celui qui le croit ou le dit n’est pas catholique.   On ne peut donc pas trouver d’autre raison pour laquelle il est appelé l’esprit du Fils que parce qu’il procède du Fils.

 Dans sa lettre aux Philippiens,  il dit entre autres :  Je sais que tout cela a tourné à mon avantage à cause de vos prières et par l’opération de l’Esprit de Jésus Christ. (Phil 1, 19)  Jésus-Christ :  Dieu et homme.   L’Apôtre parlait-il d’un esprit humain quand il a dit ces choses ?  Car, sur la croix,  le Christ Jésus a remis son esprit, au témoignage de l’évangéliste :  Et ayant penché la tête, il remit son esprit. (Jn X1X, 50)  Il avait d’ailleurs dit lui-même :  J’ai le pouvoir de déposer mon âme et celui de la reprendre.  (Jn X, 18)  L’Esprit dont parle maintenant l’apôtre  par l’opération duquel il croit d’une foi certaine, et qu’on ne peut confondre avec l’aide qu’apporte le Christ,  est Dieu.  Il est appelé Esprit saint pour le distinguer du Père et du Fils.  L’Apôtre lui rend témoignage en attribuant les divisions des grâces à celui qui peut tout ce qu’il veut.   L’Esprit ici est celui du Christ,  non par une sujétion servile, mais par la procession divine, égal au Père et au Fils en nature, en majesté, et en dignité.

 Saint Luc écrit dans les actes des apôtres :  Quand ils vinrent en Mysie, ils essayèrent d’aller en Bythinie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas. (Act. XV1, 7)  Il a raconté plus haut de quel Esprit il parlait quand il a dit :  Traversant en Phrygie et dans la région de la Galatie, ils ont été empêchés par l’Esprit Saint d’adresser la parole en Asie.  (ibid. 6)  Celui qu’il avait d’abord appelé le Saint Esprit  il le nomme ensuite l’Esprit de Jésus.  Il indique par là de toute évidence que l’Esprit de Jésus n’est pas différent de l’Esprit saint.  Il a souvent appelé  l’Esprit saint l’Esprit de Jésus parce qu’il procède de Jésus.  Non de cette nature par laquelle il a été miséricordieusement fait homme, mais de celle par laquelle il est né égal au Père.

 Paul dit aussi à Tite :  Selon sa miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation de l’Esprit Saint qu’il a répandu en nous abondamment par Jésus-Christ notre Sauveur.  (Tit 111, 5)  Comment a-t-il répandu l’Esprit saint par Jésus-Christ ?  Comme un plus petit  par un plus grand ?  C’est ainsi que l’interprétaient les Ariens.  Mais le Père dit que l’Esprit Saint a été répandu par le Christ Jésus pour montrer que l’effusion de l’Esprit Saint a été faite par Jésus-Christ,  non comme la recevant d’ailleurs, mais en l’envoyant de lui-même.  Saint Paul n’a pas voulu  dire que le Père avait répandu l’Esprit Saint par Jésus-Christ comme on verse de l’eau avec un verre, comme si dans cette effusion le Christ n’avait joué qu’un rôle de serviteur ou d’instrument. Ce qui sent son impiété.  La vérité est que le Père a répandu abondamment l’Esprit Saint en nous par Jésus-Christ notre Sauveur,  parce qu’il procède du Fils comme il procède du Père.  En disant qu’il l’a répandu par le Fils,  il ne nie pas qu’il procède du Père, mais il montre qu’il procède du Fils.

 De cette effusion de l’Esprit saint témoigne aussi le bienheureux Pierre dans les actes des apôtres.   Il dit aux Juifs :  Monté à la droite de Dieu,  et la promesse du Saint Esprit ayant été acceptée par le Père, il a répandu Celui que vous avez vu et entendu. (Act. 11, 33)  En parlant de la même chose,  Luc témoigne dans les actes des apôtres :  Quand les jours de la pentecôte furent accomplis, ils étaient tous ensemble dans un même lieu, et incontinent se produisit un son venant du ciel comme un fort vent,  et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Et leur apparurent des langues éparpillées comme de feu.  Il se posa sur chacun d’entre eux, et ils furent remplis de l’Esprit Saint. Ils commencèrent à parler en différentes langues, selon que l’Esprit leur donnait de parler. » (Act 11, 1-4)  Et chez les prophètes :  Sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces jours-là, je répandrai de mon Esprit, et ils prophétiseront. (ibid 18)  Nous avons cité ce texte pour que nous sachions que, comme Pierre l’avait prêché, l’Esprit Saint a été répandu sur les apôtres et sur les croyants qui furent rassemblés  avec eux par Jésus le jour de la pentecôte.  C’est pourquoi il est écrit :  Ce Jésus Dieu l’a ressuscité, nous en sommes tous  témoins. (ibid 32)

 Il affirme ensuite :  Une fois monté à la droite de Dieu, il l’a répandu,  i.e. l’Esprit saint.  Qui ?  Jésus, que Dieu a ressuscité.   L’Esprit  vous l’avez vu et entendu. (ibid. 33)  Vous l’avez vu dans les langues de feu, vous l’avez entendu dans la diversité des langues.  Car l’Esprit saint ne peut  pas être vu dans sa nature propre, ni être contemplé  par les yeux,  ni entendu par une oreille corporelle.  Mais il s’est revêtu de matière, a pris  l’aspect  du feu en forme de langues,  pour pouvoir être vu, et s’est emparé des voix des disciples pour être entendu.  Mais quand il dit  la promesse du Saint Esprit étant acceptée par le Père, il a répandu l’Esprit, il ne rattache pas la grâce à la divinité mais à l’humanité.   Car, selon la divinité, il ne reçoit pas la promesse, car tout ce qu’a le Père il l’a.  Il ne le reçoit pas dans le temps, mais l’a de toute éternité.

                                    CHAPITRE CINQUIEME

 Comparons ces textes avec la phrase de saint Paul déjà citée,  celle qu’il a dite à Tite au sujet de l’Esprit Saint : qu’il répandit en nous abondamment par Jésus Christ, notre Sauveur.  (Tit. 111, 6)  Saint Paul atteste que le Père a répandu l’Esprit Saint par Jésus Christ notre Sauveur.  Pierre, lui, avait dit que Jésus avait répandu ce même Esprit Saint après sa résurrection.  Ils nous enseignent tous deux que le Père l’a répandu et que Jésus aussi l’a répandu.  Nous ne devons pas imaginer que ce fut une effusion locale, comme si, demeurant dans le Père, il avait passé dans le Christ après avoir abandonné le Père.  Ni qu’il pourrait venir au Christ en s’allongeant, de façon à ce qu’il rejoigne le Fils par une partie de lui-même tout en demeurant dans le Père.   De la même façon, quand il a été insufflé par le Christ dans les disciples, il ne faut pas imaginer qu’il a abandonné le Fils pour venir aux apôtres. Ni que, s’étant allongé, il a irradié les cœurs des disciples par une partie de lui-même, et est demeuré dans le Christ par une autre.   Ou si tu le vois comme un raison de soleil,  illuminant sa sphère propre par une partie de lui-même, et rejoignant la terre par une autre.  Ce sont les corps qui ont des parties.  Dans la divinité de la sainte trinité, on ne trouve rien de semblable.  L’Esprit saint est infusé par le Père et par le Fils sans intervalle de temps ou de lieu.  Il est infusé par le Père dans le Fils,  parce que le Père a engendré le Fils.  Il est infusé aussi par le Fils,  parce que le Fils a tout ce qu’a le Père.

 Le saint évangile atteste aussi que  l’Esprit souffle où il veut.  (Jn 111, 8)  Que signifie souffler ?   Rien d’autre que, quand il veut et où il veut,  il se répand lui-même.  Nous avons là une opération unique faite par toute la trinité.  Le Père infuse, le Fils répand le Saint Esprit, l’Esprit saint se répand lui-même, en soufflant où il veut.  Avec quelle justesse l’apôtre affirme que l’infusion de l’Esprit Saint est faite par Jésus Christ,  lui par qui le Père a tout fait !  Avec quelle convenance l’apôtre Pierre atteste que le Fils a répandu l’Esprit Saint, lui dont l’évangile dit :  Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également ! Le Père répand donc l’Esprit saint;  le Fils le répand aussi,  parce qu’il est donné aussi bien par le Fils que par le Père.  Que les empereurs des Grecs ne reprochent donc pas aux Latins de professer que le Saint Esprit procède du Fils comme il procède du Père,  mais qu’ils apprennent plutôt la vérité de la foi du Christ et de ses apôtres.

 Dans les actes des apôtres,,  Pierre dit :  Nous aussi nous sommes témoins de ces paroles,  ainsi que l’Esprit Saint que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent.  (Act. V, 32)   De quel Dieu parle-t-il si ce n’est de celui dont il avait dit plus haut :  Après être monté à la droite de Dieu, il a répandu celui que vous avec vu et entendu. (Act. 11, 33) Montrant que c’est de Jésus-Christ qu’il parlait.   Mais comment a-t-il donné l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent ? Comme s’il s’agissait d’un inférieur ?  Jamais, car le Fils  dit que l’Esprit Saint souffle où il veut.  Dieu donne l’Esprit Saint en l’infusant dans le cœur de ceux qui lui obéissent, non pas de façon à ce que l’Esprit perde l’unité de la substance, mais pour qu’il illumine ceux qu’il n’illuminait pas auparavant.  Personne ne peut parvenir à donner ce qu’il n’a pas.  Or,  le Fils atteste avoir l’Esprit Saint qu’il a donné à ceux qui lui obéissent.    Ce qu’il a, il l’a par l’unité de la substance, non après avoir acquis ce qu’il ne possédait pas.   Ainsi, quand il donne,  il ne donne pas ce qui relève d’autrui, mais il confère un don qui lui appartient en propre.   Ce que le Fils ne pourrait faire si le Saint-Esprit ne procédait pas de Lui.

 Dans ce qui suit,  le bienheureux Pierre enseigne comment le païen Corneille et ceux qui crurent avec lui obtinrent la grâce du baptême :  Si donc Dieu leur a donné la même grâce qu’à nous qui croyons dans le Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je pour pouvoir empêcher Dieu d’agir ? (Act X1, 17)  On peut  voir le Père ou l’Esprit saint dans le Dieu qui a rempli les cœurs des croyants,  et qui a donné la connaissance des langues.  Mais quand on réfléchit sur les paroles de Pierre portant sur l’envoi du Saint Esprit aux croyants, à l’effet que c’était le Fils qui l’avait envoyé,  on doit entendre ici par Dieu le Fils.  Il  a donné la même grâce à Corneille et à ses compagnons lorsque, à la parole de Pierre, il a répandu l’Esprit Saint sur les disciples sous la forme de langues de feu.  Il a été  suffisamment démontré  que l’effusion ou la donation du Saint Esprit appartient au Fils comme au Père, car il  procède de l’un comme de l’autre.   Il dit que c’est la même grâce qui a été donnée aux croyants que celle qui avait été donnée aux apôtres.  Il est clair qu’il parle ici du Saint Esprit,  que le Fils a pu donner parce qu’il procède de lui.  Ce qu’il n’aurait en aucune façon pu faire s’il ne procédait pas de lui.

                                         CHAPITRE SIXIEME

 Le bienheureux Paul écrivant aux Romains, dit aux fidèles :  Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit. Si seulement l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ n’est pas un des siens. (Rom V111, 1X)   De quelle personne pensez-vous qu’il s’agit quand il dit :  Si l’Esprit de Dieu habite en vous.   Si vous dites que c’est la personne du Père,  Paul affirme donc que l’Esprit du Père est le même que celui du Fils.  En ne taisant pas qu’il est l’Esprit de l’un et de l’autre, il professe qu’il procède de l’un et de l’autre.  Mais si vous voulez y voir la personne du Christ, ce qui semble plus conforme au contexte, nous apprenons par là que l’Esprit Saint est l’esprit du Christ.  D’où nous concluons qu’il en procède.

 Il désigne encore plus manifestement la personne  du Père quand il dit :  Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ des morts habite en vous.  Ce passage pourrait, à la rigueur,  s’entendre du Christ,  au sens  qu’il a ressuscité avec le Père l’homme qu’il avait assumé, comme il le dit lui-même dans l’Évangile.  Que l’on préfère  l’un ou l’autre, le Père ou le Fils,   il est évident qu’on nous enseigne que l’Esprit du Père est le même que celui du Fils.  En conséquence, ce que l’apôtre a dit plus bas : tous ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu, (Rom V111, 14)  peut être entendu de l’un et de l’autre sans aucun doute possible, comme nous l’avons plusieurs fois démontré.  Et plus bas encore : Vous n’avez pas reçu de nouveau un esprit de servitude dans la crainte.  Mais vous avez reçu l’esprit de l’adoption des fils dans lequel nous crions :  abba, père.  (Ibid 15) Quand il écrit aux Galates, il dit :  Parce que vous êtes des fils de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils qui crie dans vos cœurs : abba, père.  Constatez que celui qu’il appelle l’Esprit d’adoption des fils,  il confesse qu’il est l’Esprit du Fils.  Par ce passage,  l’apôtre nous enseigne donc que l’Esprit du Père qu’il nomme Esprit d’adoption est le même que l’Esprit du Fils, que Dieu a envoyé en nos cœurs.   Et nous nous écrions abba, père,  dans le même Esprit qui est autant celui du Père que du Fils.   Ce que nous ne pourrions jamais faire si l’Esprit saint ne procédait pas du Fils comme il procède du Père.

 Voici ce qu’il écrit dans sa deuxième lettre aux Corinthiens :  Vous êtes notre épitre écrite dans nos cœurs, laquelle est lue et connue par tous les hommes.  Il a été manifesté que vous êtes l’épitre du Christ, composée par nous et écrite non par une plume, mais par l’Esprit du Dieu vivant.  (11 Cor. 11, 2, 3)   Quand il dit que les Corinthiens sont une épitre du Christ écrite par l’Esprit du Dieu vivant, il démontre une seule opération faite conjointement par le Christ et l’Esprit Saint.  Mais qui appelle-t-il en ce lieu le Dieu vivant.  Ce ne peut pas être le Christ, dont il dit que les Corinthiens sont l’épitre.  C’est donc manifestement l’Esprit du Christ qui a écrit dans les cœurs des Corinthiens une épitre non avec une plume matérielle,  mais par le rayonnement de lui-même.   En conséquence, comme le Christ et l’Esprit Saint écrivent tous les deux la même épitre,  l’unicité de l’opération démontre l’unicité de la substance.   Car ce qu’écrit le Christ,  l’Esprit Saint l’écrit, et ce que l’Esprit Saint écrit le Christ l’écrit aussi.   Sans intervalle  temporel,  sans changement de lieu, sans aucune différence.  Ils n’ont qu’une seule et même volonté, une seule et même opération, une seule et même puissance  parce qu’ils ont en commun la même essence.  Là où l’on parle de l’Esprit Saint, on parle aussi souvent de l’Esprit du Christ.

 Il dit dans les Corinthiens :  Jusqu’à aujourd’hui, quand on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur.  Quand il se tournera vers Dieu, le voile sera enlevé. (11 Cor 111, 15, 16)  Quel est celui qu’il appelle Dieu, il le montre un peu plus haut, en disant comment ce voile sera évacué dans le Christ.  Si donc le voile de l’ancien testament est évacué dans le Christ, il est évident que le voile sera enlevé quand quelqu’un se convertira au Christ.

 Le bienheureux Jean dit dans son apocalypse :  Et moi je pleurais beaucoup, car personne n’est trouvé digne d’ouvrir le livre ni de le voir.  Et un des anciens me dit : Ne pleure pas. Voici qu’il a vaincu le lion de la tribu de Juda, la racine de David.  Il ouvrira le livre et ses sept sceaux. (Ap V, 4, 5)  L’ouverture du livre c’est l’enlèvement du voile.  Il n’y a pas d’explication à donner pour indiquer quel est celui qui accomplira tout cela.  Il n’est que trop clair que le lion de la tribu de Juda,  la racine de David signifient le Christ,  à qui il est demandé d’ouvrir les sept sceaux.  Ces sept sceaux sont une figure de la grâce septiforme des dons du Saint Esprit.   Car il est lui-même l’Esprit de sagesse, d’intelligence, de conseil, de force, de science et de piété,  comme le dit le prophète Isaïe (X1, 2) C’est la racine de David, i.e. le Sauveur qui ouvre les sept sceaux de ce livre, parce que les mystères spirituels qui y sont contenus sont descellés dans le Christ quand il enlève le voile qui scellait les livres de l’ancien testament, et en révèle le sens.

 L’apôtre ajoute :  Le Seigneur est Esprit. Là où est l’Esprit du Seigneur,  là est la liberté. (11 Cor 111, 17)  De quel Seigneur ?  Sans contredit de celui qui enlève le voile de tout ce qui dans la lecture de l’ancien testament  demeure non révélé.  L’enlèvement du voile c’est l’enlèvement de la servitude qui est contenue dans la lettre de la loi,  pour que vienne la liberté qui est accordée  par l’Esprit du Seigneur.  Cela se produit quand on passe  de la lettre à la compréhension spirituelle, et de la servitude de la chair à la liberté de l’Esprit.  Nous constatons dans ces passages que l’Esprit du Seigneur est appelé Esprit du Christ.  Comme dans ce qui suit :  Nous tous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés dans la même image de clarté en clarté, comme par l’Esprit du Seigneur. (11 Cor 111, 18)    Donc, comme la révélation de la face se fait par le Christ, et comme nous sommes transformés de clarté en clarté par l’Esprit du Seigneur, nous avons la démonstration que l’opération de Jésus Christ et de l’Esprit Saint est commune à tous les deux.   Et quand il dit :  par l’esprit du Seigneur,  il indique sans aucun doute possible la personne du Christ.  Mais comme il est son Esprit,  il ouvre lui aussi avec le Sauveur, le sens de l’ancienne loi.  Et le fait qu’ils travaillent conjointement démontre l’union dans une seule substance.  En l’appelant l’Esprit du Seigneur, on laisse entendre qu’il procède du Fils.  Il n’est que trop évident que dans ce passage,  le Seigneur signifie le Sauveur.

                               CHAPITRE SEPTIEME

 Le bienheureux Pierre écrit aux croyants dans la première lettre : Ce salut les prophètes l’ont recherché et  scruté, eux qui ont prophétisé la grâce que vous avez reçue, se demandant quand et ce que serait ce temps dont  l’Esprit du Christ leur avait parlé en figure.  (1 Pier 1, 10, 11)  Le prince des apôtres de qui a dit le Sauveur : tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église,  n’hésite pas à appeler l’Esprit du Christ  l’Esprit Saint qui a parlé par les prophètes.  Et je ne sais par quelle dignité séculière éblouis, ils présument  réapprendre ce qu’ils ont appris des apôtres de l’Église du Christ.  Si le Saint Esprit ne procède  pas du Christ, comment peut-on dire qu’il est l’Esprit du Christ ?  Il procède donc du Christ non comme un subordonné,  non comme une partie du Christ,  mais de sa substance.

 Remarque que le bienheureux Jean concorde avec cette formulation en proclamant l’Esprit saint l’Esprit du Christ.  Car il dit dans l’Apocalypse :  Et j’ai vu au milieu du trône quatre animaux, et au milieu des anciens un agneau qui se tenait debout, comme immolé, ayant sept cornes et sept yeux.  (Ap V, 6)  Et expliquant ce qu’il a vu, il ajoute :  qui sont les sept esprits de Dieu envoyés sur la terre.  Je pense qu’aucun catholique ne peut nier que l’agneau immolé représente Jésus-Christ, dont Jean-Baptiste avait dit : Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. (Jn 1, 29)  C’est cet agneau qui a été immolé pour les péchés du monde, et qui est ressuscité pour la justification du monde.  On dit de cet agneau qu’il a sept yeux.  Ces yeux signifient les sept esprits de Dieu, selon l’enseignement de Jean.  Il n’entend pas par là qu’il y ait sept personnes du saint Esprit dans la trinité, quand chacun sait qu’il n’y en a qu’une.   Par le chiffre sept il entend les sept dons de l’Esprit Saint.  Il est donc évident que quand il affirme que l’agneau a sept yeux, il veut dire que le Christ a le Saint Esprit.  Non comme un de ses membres ou une partie de son corps,  mais substantiellement. Qu’il procède de lui substantiellement.  Nous disons que l’Esprit est dans le Christ non comme dans un lieu,  ni non plus comme dans un sujet.  Car il n’est pas contenu par le Christ comme s’il était inférieur au Christ, comme cela se passe dans les choses qui sont contenues.  Ce n’est pas ainsi que nous parlons de la présence du saint Esprit dans le Christ,  car l’Esprit saint est égal au Christ, non inférieur à lui.  Nous ne disons pas non plus qu’il est en lui comme dans un sujet,  car il n’est pas un accident qui ne peut subsister sans sujet.  Mais il est dans le Christ comme lui étant consubstantiel.   Comme la couleur que nous voyons dans  la flamme.  Car le feu brille et réchauffe tout en illuminant et brûlant.

 Tu trouveras ce texte dans le prophète Zacharie :  Voici que j’amènerai mon serviteur orient. Car voici la pierre que j’ai donnée devant Jésus.  Sur une seule pierre, il y a sept yeux.  (Zac  111, 8)  Et plus bas :  Ces sept yeux sont ceux du Seigneur qui parcourent toute la terre.  (Zac 1V, 10)  La pierre est le Sauveur dont parle le Psalmiste : La pierre qu’ont rejetée les constructeurs est devenue pierre d’angle. (Ps. XV11, 22)   Le Père appelle son serviteur orient, serviteur à cause de son incarnation,  orient parce qu’il est le soleil de Justice.  Et il dit que sur cette pierre il y a les sept yeux du Seigneur qui parcourent toute la terre.  Par les yeux on entend le Saint-Esprit.  Le chiffre sept, comme nous l’avons expliqué plus haut,  indique la pluralité des dons de grâce dans un seul Esprit.  Mais comment comprendre qu’il y ait sept yeux sur une pierre ?   Rien d’autre que l’habitation de l’Esprit dans le Christ.  Et quand on dit que les yeux sont à celui en qui ils sont substantiellement, comprends que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ.  Le prophète Zacharie l’a même prophétisé sous la forme d’un candélabre :  J’ai vu.  Et voici un candélabre complètement en or et ses lampes sur sa tête, et sept lampes au-dessus de lui.  Vois l’incarnation du Christ dans le candélabre en or.   Il est doré parce qu’il est sans tache,  sans aucun mélange avec la faute,  éclatant, resplendissant.   Les lampes sur sa tête sont la divinité dans l’homme. Car l’apôtre dit que Dieu est la tête du Christ. (1Cor X1, 3)  Les sept chandelles au-dessus de lui sont la plénitude du Saint Esprit.  Il repose sur lui selon l’oracle du prophète Isaïe :  Et reposera sur lui l’Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, et l’Esprit de crainte du Seigneur le remplira. (Is 11, 2)  Si les sept chandelles de l’Esprit Saint reposent sur lui, l’Esprit Saint,  représenté dans les sept chandelles,  repose donc en lui.  Et comme il repose en lui en y habitant substantiellement, il est l’Esprit de celui dans lequel il repose substantiellement.  Ce n’est donc pas sans raison qu’il est appelé l’Esprit du Christ.  Notons enfin que c’est l’Esprit saint symbolisé par les yeux  qui parcourt toute la terre.

 Après avoir dit que les sept yeux de l’agneau sont les sept esprits de Dieu, l’apocalypse ajoute :  envoyés sur toute la terre.  (ap V, 6)  Là où Zacharie dit parcourant,  Jean dans l’Apocalypse dit : envoyés.  Par le mot mission, il sous-entend la procession du Saint Esprit.  Comme il est substantiellement dans le Christ, il ne parcourt  ni n’est envoyé à moins qu’il procède du Christ,  non localement mais substantiellement.  Car l’être il le reçoit du Père et du Fils, comme le Fils reçoit essentiellement l’être du Père.  Mais l’inverse n’est pas forcément vrai.  Parce que l’Esprit Saint procède conjointement du Père et du Fils, il ne s’ensuit pas que le Fils doive naître du Père et du Saint Esprit. Car la naissance vient du Père seul, mais la procession  des deux, du Père et du Fils.   L’Apocalypse dit que les sept esprits de Dieu ont été envoyés sur toute la terre. Zacharie, lui, parle des sept yeux du Seigneur qui parcourent toute la terre, représentant les dons de l’Esprit saint septiforme.  Ils ont été diffusés ces dons par les apôtres et leurs successeurs dans toutes les nations, pour la sanctification des fidèles croyant dans le Christ, et pour la rémission de leurs péchés.

 Saint Jean lui-même reconnait que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ quand il dit avoir vu au milieu sept des candélabres quelqu’un semblable à un fils d’homme.  (Ap 1, 13)  Et un peu plus loin il ajoute :  Et ses yeux étaient comme la flamme du feu. (ibid. 14)  Quel est ce fils de l’homme ?  Nul autre que notre Seigneur Jésus Christ, qui s’est très souvent dans l’évangile appelé Fils de l’homme.  Comme, par exemple :  Que disent les hommes du Fils de l’homme ? (Matt XV1, 13)  Et Ézéchiel, sous sa figure,  s’entend souvent appeler fils de l’homme.  Quand il dit que les yeux de ce fils d’homme brillaient comme la flamme du feu, il sous entend l’Esprit saint, car sur les apôtres il est apparu comme un feu envoyé du ciel.  Quand il dit que ses yeux sont l’Esprit saint, il veut nous dire que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ.   Il n’y a aucune autre raison pour laquelle il soit dit l’Esprit du Christ que parce qu’il procède du Fils, et qu’il y demeure substantiellement.

 Jean dit la même chose quand il parle de la gloire future des saints qu’aucun soleil ou aucune canicule ne tourmenterait :  Parce que l’agneau qui est au milieu du trône les régira, et les conduira aux sources d’eau vive. (Ap V11, 16, 17)   Quelles sont ces fontaines d’eau vive ? Ce sont les flots du Saint Esprit qui purifient les fidèles en les lavant,  et qui les irriguent en les vivifiant.  Le Sauveur en a parlé dans l’Évangile quand il a dit : Celui qui croit en moi,  de son sein couleront des fleuves d’eau vive. (Je V11, 38)  Ces eaux, nous dit saint Jean,  signifiaient l’Esprit saint qui allait être donné aux croyants.  Ce qui s’est réalisé pour les apôtres le cinquantième jour après la résurrection.  On peut donc en déduire que l’Agneau les conduira aux sources d’eau vive parce que l’Esprit  saint de celui qui fait jaillir l’eau  les enivrera et qu’ils ne pourront jamais perdre les joies éternelles de la vie.  Nous ne pensons pas que ces sources d’eau vive jaillissent en dehors du Christ, car il a dit à Philippe :  Je suis la vie.  Celui qui me voit,  voit le Père.  (Jn X1V, 6, 9)  Celui donc qui voit le Christ voit le Saint Esprit qui est dans le Christ.   Et, pour lui,  amener les croyants aux sources d’eau vive  signifie les amener à lui, pour autant que ceux qui croient en lui et vont vers lui sont toujours abreuvés par les sources du Saint Esprit qui procède de lui.

 Le bienheureux Jean dit de même dans l’Apocalypse :  Et un ange prit un encensoir, il  le remplit du feu de l’autel et l’envoya sur la terre.  Et on entendit le tonnerre et des voix, etc.  (Ap V111, 5)   Cet ange c’est Jésus-Christ lui-même, appelé l’ange du grand conseil.  L’encensoir c’est son humanité.  Et l’autel d’où est rempli l’encensoir c’est la divinité du Christ.  Le feu de l’autel c’est l’Esprit saint tiré de la divinité du Christ.  Car l’autel et l’encensoir sont tous les deux le Christ.  Mais c’est sur l’autel dont l’autel terrestre est l’image  que les holocaustes et les sacrifices des saints sont offerts.  Car les vœux des saints ne peuvent pas être reçus autrement qu’en étant placés sur l’autel Christ. On l’appelle encensoir parce que c’est par lui que les prières des saints sont accueillies.  Or l’encensoir est très certainement le don du Saint Esprit.  C’est du moins ce qu’atteste l’apôtre :  Nous ne savons pas quoi demander dans nos prières, mais l’Esprit Saint demande pour nous. (Rom V111, 28), i.e., il nous fait demander en des gémissements inénarrables.  (Luc X11, 49)  Le feu de l’autel est le Saint Esprit  de qui le Sauveur a dit :  Je suis venu envoyer le feu sur la terre, et je veux qu’il brûle.  En résumé,  l’ange envoie sur la terre un encensoir plein du feu de l’autel, parce que, la promesse du Saint Esprit une fois acceptée par le Père, le Sauveur a répandu la grâce du Saint Esprit sur les croyants.  Il est donc normal qu’ont suivi des coups de tonnerre, des voix, des éclairs, et des tremblements de terre.  Le Sauveur le dit dans l’Évangile : Il vous est avantageux que je m’en aille.  Si je ne pars pas, l’Esprit saint ne viendra pas.  Si je m’en vais, je vous l’enverrai.  Et quand il viendra, il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement. (Jn XV1, 7)  Ce que l’Apocalypse dit du feu de l’autel que son ange enverrait sur la terre, et des coups de tonnerre le Seigneur l’exprime en disant :  Je vous l’enverrai. Et quand il viendra il convaincra le monde.  A l’avènement du Saint Esprit les coups de tonnerre et les paroles des prédicateurs retentirent, les cœurs des mortels furent saisis de crainte, les éclairs des miracles brillèrent.  Toute la terre s’en est rendu compte.   Le feu de l’autel est l’Esprit saint qu’il a promis à ses apôtres qu’il enverrait.  En attestant qu’il l’enverrait sur la terre, l’Apocalypse enseigne clairement que l’Esprit saint est l’Esprit du Christ,  et que c’est par lui que, après l’ascension, il a été envoyé sur les  apôtres.  Comment peut-il être envoyé par le Fils s’il n’en procède pas ?  Et il procède de celui dont il est l’Esprit.

 Dans la même Apocalypse,  Jean :  Et j’ai vu le ciel ouvert, et voici un cheval blanc, et celui qui le chevauchait s’appelait fidèle et véritable.  Il juge et combat avec  justice. Car ses yeux sont comme une flamme de feu. (Ap X1X, 21)   Le cheval blanc est le corps du Christ sans tache,  coloré par la candeur de la sainteté.   Son cavalier est la divinité du Christ qui régit et guide l’home qu’elle a assumé,  de façon à ne faire, de la divinité du Père et de l’humanité de la mère, qu’un seul Fils.   Ses yeux sont comme une flamme de feu parce que la divinité du Saint Esprit et sa splendeur ignée demeure en lui.  L’éclat de ses yeux  est le débordement de la plénitude des dons du Saint Esprit.  En ayant recours à ce genre d’image, il enseigne manifestement que la divinité du Saint Esprit procède de la divinité du Fils.  Et comme la lumière des yeux appartient à celui qui a les yeux, de la même façon l’Esprit Saint appartient au Christ dans lequel il réside, et de qui il procède.

    CHAPITRE HUITIEME

 Nous croyons avoir suffisamment démontré par des citations de l’Écriture que l’Esprit Saint procède du Fils.  Ajoutons encore deux extraits de l’Évangile qui devraient venir à bout de la dureté des contradicteurs.  A la femme guérie d’un flux sanguin  le Sauveur dit :  Qui m’a touché ? Tous le nièrent.  Pierre et ses compagnons lui dirent : Maître, les foules t’oppressent et t’incommodent, et tu dis : Qui m’a touché ?  Et Jésus leur répondit : Quelqu’un m’a touché,  car je me suis rendu compte qu’une vertu sortait de moi. (Luc, V111, 45)  Quelle est cette vertu que le Sauveur affirme être sortie de lui ?  Rien d’autre que la grâce du Saint Esprit.  Comme le dit l’Apôtre :  A l’un est donnée la grâce de guérison, à l’autre l’opération des vertus. (1 Cor X11, 9)  Quand le Sauveur dit : j’ai senti une vertu sortir de moi, que dit-il d’autre que :  je sais que l’Esprit saint procède de moi qui suis le guérisseur des maladies et l’opérateur des vertus.  Il dit que l’Esprit saint est sorti de lui comme il avait dit qu’il est sorti du Père :  Je suis sorti du Père. (Jn XV1, 28)   Sortir du Père pour le Fils c’est naître du Père.  Il en est de même pour l’Esprit saint :  sortir du Fils c’est procéder de Lui.  On trouve la même chose dans l’évangile du bienheureux Luc :  Et toute la foule cherchait à le toucher parce qu’une vertu sortait de Lui qui les guérissait tous.  (Luc V1, 19)   La vertu qui sort du Christ guérit tout le monde parce que l’Esprit Saint qui procède de lui accorde à tous la grâce de la santé.

 Que les censeurs malveillants ou incompétents cessent donc de reprocher à l’Église du Christ de professer que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils.  C’est ce que les évangiles enseignent, ce que les apôtres professent, ce que les prophètes n’ont pas tu.   Qu’ils apprennent d’abord ce que l’Église dit du Christ, et devenus des disciples de la Vérité, qu’ils confessent la foi catholique de peur que, trompés par la boursouflure de la présomption, et retenus dans les filets de l’erreur, ils ne raniment une hérésie déjà assoupie.  Ils ont ceci en commun avec la peste d’Arius que quand il refusait au Fils l’égalité consubstantielle, il enseignait que l’Esprit saint était inférieur au Fils, s’efforçant de démontrer que le Fils n’était pas né de la substance du Père, et que l’Esprit saint était une créature.

 Voyez, empereurs illustres, où tend votre profession de foi quand vous dites que l’Esprit Saint procède du Père,  mais qu’il ne procède pas du Fils.  Vous n’avez lu cela ni dans les saintes lettres ni dans les auteurs ecclésiastiques.  Pour réfuter et condamner la peste d’Arius,  le concile de Constantinople  a dit que le Fils est consubstantiel au Père, et que l’Esprit Saint procède du Père.  A-t-il nié qu’il procède du Fils ?  Ou s’ensuit-il nécessairement que s’il procède du Père il ne procède pas du Fils ?  Comprenez donc, si vous voulez être fils de l’Église et suivre la doctrine du Père, qu’en disant que l’Esprit Saint procède du père,  le concile de Constantinople n’a pas nié qu’il procède du Fils.  Comme toute la trinité est consubstantielle, comme le Fils est né du Père et comme l’Esprit saint est la charité de l’un et l’autre,  personne ne peut nier que l’Esprit saint procède du Fils, à moins de nier que le Fils possède la charité par laquelle il aime le Père.  Il est stupide de tenir mordicus et de professer en toute fidélité que le Père aime le Fils et que le Fils aime le Père, et que, bien que cet amour par lequel le Père aime le Fils procède du Père, l’amour par lequel le Fils aime le Père ne procède en rien du Fils.  Car cet amour est l’Esprit Saint.  Il procède donc du Père et du Fils.

 Le moment est donc venu de prouver par les témoignages des saints Pères que le Saint Esprit procède du Fils. Que ceux qui pensent autrement soient confondus, et qu’une peur salutaire les amende,  pour qu’un entêtement insensé ne les précipite pas dans la fosse de perdition.
 
 
 
 
 

LIVRE DEUXIEME (6 chapitres)
 

            Nous traitons  de la procession de l’Esprit Saint que les Empereurs grecs refusent d’attribuer au Fils, prétendant que l’Esprit ne procède que du Père.  Ils dédaignent, pour cette raison, de communier avec l’Eglise romaine, de recevoir les légats du siège apostolique, condamnant l’Eglise latine parce qu’elle pense autrement qu’eux sur le Saint Esprit. Elle croit en effet et professe que l’Esprit saint procède aussi du Fils, alors que, pour eux, il ne procède que du Père.

            Ce qui d’abord nous frappe, c’est que  nous voyons des laïcs violer toutes les règles ecclésiastiques, et imposer des décrets aux fidèles.  Et ceux qu’aucun droit juridique ne qualifie pour ce comportement  s’efforcent, en marge de l’assemblée des évêques,  de déterminer des statuts, et de  définir des règles de foi.  Et d’après leurs propres décrets, ils reçoivent les uns en communion,  et déposent les autres.

            Car s’ils ne  s’étaient que proposés de statuer sur le contenu de la foi, il leur aurait fallu convoquer un synode d’évêques, s’enquérir des décisions des Pères,  des oracles des saintes Ecritures, prendre une décision unanime en concile sur ce qu’on devait accepter ou rejeter.  Et si dans quelques églises ou dans quelques lieux, des gens étaient convaincus de tenir ou de professer ce qui n’était ni droit ni juste, relativement à la foi ou la coutume, il fallait d’abord leur écrire, et faire une enquête sérieuse.   Ensuite seulement,  le cas échéant, porter un jugement.  Et cela cependant, selon la compétence propre à chaque pouvoir,  et en respectant les constitutions de l’Eglise.  Autrement, ce serait  juger de la constitution ou discuter d’un dogme de la foi  au détriment  de  peuples qui ne relèvent pas du soin de leur charge ou qui ne tombent pas sous leur  juridiction;  et frapper de censure ceux qui ne pensent pas en tout point comme eux.

            Le Seigneur a-t-il donné aux empereurs grecs le pouvoir de lier et de délier.  Leur a-t-il dit : Vous êtes la lumière du monde ?  Leur a-t-il demandé d’enseigner toutes les nations, et de les baptiser au nom du Père et du Fils ?  Vous dites que l’Esprit saint ne procède que du Père,  et vous refusez de professer,  comme l’église latine catholique de toute la terre, qu’il procède aussi du Fils. Comment faites-vous pour prouver que votre sentence l’emporte,  et qu’elle est munie de l’autorité de la vérité ?  La vérité de l’évangile est-elle parvenue à vous seuls;  demeure-t-elle auprès de vous seuls ?
            L’apôtre Paul se dit être appelé apôtre et mis à part pour l’évangile du Christ.   De Jérusalem à l’Illiryacum, il a fait tout le trajet pour prêcher l’Evangile.  Il est allé à Rome et en Espagne,  et il a rayonné sur  tout l’empire romain par sa présence corporelle ou par ses écrits,  en prêchant le Christ.  A-t-il déjà dit qu’il n’a prêché l’Evangile qu’aux Grecs,  et qu’il n’a fait connaître la vérité de l’Evangile qu’aux seuls empereurs grecs ?  L’Evangile du Christ rayonne sur toute la terre;  les écrits des apôtres sont lus partout,  les oracles des prophètes sont proclamés partout.  Par ceux qui, dès le début,  ont été institués maîtres par les apôtres,  ils apprennent tous les jours quoi penser sur la sainte trinité, quoi professer;  comment enseigner les peuples qui leur sont confiés, à quels mœurs les former,  comment les convertir, et par quelles pratiques religieuses les conduire.

Aucune page de l’Ecriture ne nous dit, aucune institution des Anciens ne nous fait savoir, aucun précepte des apôtres ne stipule, aucun écrit des anciens ne nous enseigne que les Grecs sont les maîtres de toute l’église, ou que c’est à leurs empereurs de montrer et d’enseigner les mœurs,  les rites  et les dogmes qui doivent être observés dans toutes les églises du Christ.  Chacun ne sait que trop à quel point cela serait stupide et insolent.  On n’aurait donc pas du récuser l’Eglise romaine avec tant de légèreté parce que, conservant les institutions de ses anciens,  elle ne suit pas en tout point  les institutions des Grecs.  Ce qu’elle croit, enseigne et conserve  n’est pas en désaccord  ou en opposition avec les pages des saintes lettres.  C’est inutilement que vous nous reprochez de dire que l’Esprit saint procède aussi du Fils, quand vous ne voulez le voir procéder que du Père.

                                       CHAPITRE DEUXIEME

            Nous vous demandons d’abord quelle décision des anciens évêques catholiques, quel décret vous cherchez tant à défendre.   Le concile de Nicée formé de trois cent dix-huit évêques, a été réuni par l’empereur Constantin pour condamner la doctrine d’Arius.    Quand le symbole  vint à parler du Saint Esprit, après avoir confessé la consubstantialité du Fils avec le Père, il se contenta de dire :  Nous croyons aussi dans le Saint Esprit.  Rien de moins, rien de plus sur sa substance ou sa procession.  Où est donc cette  règle  contraignante que vous pensez imposer aux Latins, qui vous permette à vous de dire que l’Esprit saint procède du Père,  mais qui ne permette pas aux latins de dire qu’il procède du Fils ?   Si vous ne voulez rien ajouter aux décisions du concile de Nicée, enlevez le qui procède du Père, parce qu’il ne se trouve pas dans le concile de Nicée. Par quelle logique vous serait-il  permis à vous  d’enlever le qui procède du Fils simplement  parce qu’il a été ajouté par les Romains ?   Et si vous répondez en disant que cela a été ajouté par cent cinquante évêques rassemblés en concile à Constantinople, nous répondrons qu’il n’était permis à personne d’ajouter ou d’enlever quoi que ce soit au symbole de foi de Nicée.

Si vous rétorquez qu’en ce qui à trait à la consubstantialité du Fils il n’était permis dans aucun concile d’ajouter quoi que ce soit, mais que ce qui a été ajouté au sujet du Saint Esprit se justifiait à cause des attaques des hérétiques, nous vous répliquerons que la même chose a été permise aux latins à cause des fausses interprétations scripturaires des hérétiques.  Vous ne pouvez soutenir que la ville de Constantinople est supérieure à la ville de Rome, laquelle est la tête de toutes les églises du Christ, au témoignage  tant de nos anciens que des vôtres.   Les cent cinquante évêques n’ont jamais possédé le pouvoir de légiférer pour tous les  évêques de toute la terre, ni de faire que  tout ce qu’ils interdisent soit interdit tant au pontife romain qu’à toutes les églises du Christ.

            Ils ont ajouté aussi dans le symbole précité :  L’Esprit saint, qui a parlé par les prophètes,  doit être adoré et glorifié avec le Père et le Fils.  Ils n’ont pas imposé ces additions aux églises du Christ, mais ils ont donné un exemple pour ceux qui voudraient ajouter aux paroles  des Ecritures qui leur permette de combattre les hérétiques, et fortifier la foi des croyants. Vous objectez qu’on ne peut trouver ni dans les saints évangiles, ni dans les autres textes sacrés que l’Esprit procède du Fils.  Et, à cause de cela,  vous refusez d’accepter ce qui ne se trouve pas dans les Ecritures, comme les Ariens refusaient de recevoir le mot consubstantiel parce qu’il ne se trouvait pas dans les Ecritures.  Dites-nous alors où vous avez lu dans les Ecritures  que l’Esprit Saint doit être adoré et glorifié comme le Père et le Fils, et qu’il a parlé par les prophètes,  ainsi que  l’a déclaré le concile de Constantinople ?  Vous direz peut-être que ces mots ne sont pas écrits  en toutes lettres  dans les Ecritures, mais que le sens s’y trouve.  Car étant d’une seule substance avec le Père et le Fils, d’une seule puissance et d’une seule majesté, il s’ensuit nécessairement que l’Esprit saint  doive être adoré et glorifié comme le sont le Père et le Fils.  Permettez donc la même chose aux Latins.  Les Ecritures ne disent pas explicitement que l’Esprit saint procède du Fils.  Mais elles montrent de plusieurs façons qu’il est l’Esprit du Fils comme il est l’Esprit du Père,  qu’il procède du Fils, donc,  comme il procède du Père.  Nous croyons l’avoir suffisamment démontré dans le livre précédent.

            L’Eglise catholique,  fondée sur  le Sauveur et les apôtres, a toujours tenu et n’a jamais omis de prêcher que l’Esprit  possède en commun avec le Père et le Fils la même vertu et la même nature,  qu’il procède donc de l’un et de l’autre.  Pourquoi cherchez-vous maintenant à réprimander la foi catholique ? Que complotez-vous  contre les dogmes catholiques ?  Cherchez-vous peut-être à ressusciter Arius ou Macédoine, et à réintroduire dans les Eglises les cendres éteintes de leurs dogmes pervers ?  Vos ancêtres ne pouvaient pas ne pas savoir ce que l’Eglise romaine enseignait du Saint Esprit. Et pourtant,  ils ne se sont jamais séparés de la communion du siège de Rome. Ils ne comprenaient que trop que la vérité de la foi catholique se trouvait dans ce qu’elle tenait et enseignait, et qu’il ne convient pas de condamner ce qui est fondé sur l’Ecriture.

            Jusqu’à l’impiété d’Arius, aucune confusion ne troublait les croyants au sujet de la consubstantialité du Fils.  On ne parlait pas dans les prédications du consubstantiel.  La vertu de ce mot, cependant,  était fortement imprimée dans l’esprit des croyants,  car ils croyaient que le Fils tout puissant ne différait en rien de son Père.  Ils se souvenaient, en effet,  de ces paroles du Sauveur :  Celui qui me voit, voit le Père. (Jn X1V, 9)  Ils ne voyaient pas le Christ autrement que comme l’Auteur de toutes les créatures.  Car ils se rappelaient ce qu’a dit Jean :  Tout a été fait par lui. (1,3)  Et pourtant,  le symbole, qui a été fait en commun par les apôtres,  ne contenait rien d’autre que ce que tous savent : qu’il nous faut croire en un Dieu tout puissant, et en Jésus-Christ son Fils unique, notre Seigneur.   Cette foi suffisait pour le salut des croyants.  Le sang d’un grand nombre de martyrs  et la profession d’un grand nombre de confesseurs par toute la terre l’avait corroborée et recommandée.  Or, quand Arius, l’ennemi de la vérité, commença à délirer au sujet de la divinité du Christ,  à proférer de nombreux blasphèmes, et à entraîner dans l’impiété l’esprit des fidèles, on brandit les armes de la vérité contre l’erreur de l’impiété, et on réfuta à la fois le dogme impie et son auteur : que le Fils de Dieu était une créature,  qu’il n’avait pas été engendré par le Père; et que l’Esprit Saint, ô blasphème,  était inférieur au Fils.

            Après lui se leva Macédonius.   Il pensait comme l’Eglise catholique au sujet du Père et du Fils, mais il ne recevait pas la personne de l’Esprit Saint.  Les évêques catholiques engagèrent contre lui le combat, et prouvèrent que l’Esprit faisait partie de la trinité,  qu’il était consubstantiel au Père et au Fils, qu’il procédait du Père,  qu’il devait être adoré et glorifié comme le Père et le Saint Esprit.   On chercha par la suite à renouveler l’hérésie d’Arius.  On prétendit qu’Ii n’était pas permis à un croyant de soutenir que l’Esprit saint procède du Père, que c’était là proférer un blasphème, puisque c’était donner deux fils au Père.  Voulant donc rejeter ce blasphème,  les docteurs  de l’Eglise ont décidé d’ajouter au symbole que l’Esprit Saint procède aussi du Fils.  De peur qu’en affirmant qu’il ne procède que du Père on le considère comme un fils, et qu’il ne soit plus appelé l’Esprit du Fils.  Ce qui serait impie et blasphématoire, et en contradiction avec la doctrine apostolique et évangélique.  Si vous répondez que le mot procéder suffit à lui seul pour empêcher que l’Esprit saint ne soit considéré comme un fils,  sachez que ce mot est aussi employé pour le Fils.   Il le dit lui-même dans l’évangile de Jean :  Je procède du Père,  et je viens du Père.  Si donc le Fils procède du Père  comme l’Esprit Saint procède du Père,  qui fera taire les Ariens,  qui les empêchera de dire en blasphémant que l’Esprit Saint est fils du Père ?

                                            CHAPITRE TROIS

            Scrutons donc l’enseignement des docteurs,  tant grecs que latins.  Ils ont dit que le Fils est le seul à avoir été engendré par le Père, et que l’Esprit saint procède du Père et du Fils. Car, formés par le magistère des lettres divines, ils comprirent que l’Esprit saint est l’Esprit du Père et du Fils, et qu’en conséquence, il procède de l’un et de l’autre.  Le bienheureux Athanase, évêque d’Alexandrie, a été persécuté par les Ariens à cause de sa constance dans la foi catholique.   Il a été souvent exilé  par leur faction. Et au  concile de Nicée,  il aida, en sa qualité de diacre, son évêque, le bienheureux Alexandre, à lutter de façon mémorable contre la peste d’Arius.  Dans un livre qu’il a écrit sur la foi, et qu’il offrit à tous les catholiques,   il dit entre autres :  Le Père n’est fait pas personne.  Il n’a été ni créé ni engendré. Le Fils est du seul Père.  L’esprit saint est du Père et du Fils. Il n’a été ni fait, ni créé, ni engendré,  mais il procède.  Approuvant cette vérité de foi,  l’estimant un secours important contre le dogme pervers d’Arius, et constatant qu’elle provenait de l’Ecriture sainte,  les plus éminents  des docteurs latins l’ajoutèrent au symbole de foi,  en disant du Saint Esprit :  qui procède du Père et du Fils. Cette foi l’église l’a tenue depuis le temps de Constantin,  sous le règne duquel le synode de Nicée a été assemblé,  jusqu’à notre époque.  Mais l’Eglise catholique des Grecs elle-même ne l’a pas rejetée, car elle n’a pas voulu devenir étrangère à la doctrine de  vérité, comme leurs lettres le déclarent.  Et maintenant, cette foi vous la dénoncez,  mus par je ne sais quelle légèreté,  ou trompés par je ne sais quelle illusion.

            Dites-nous si vous professez que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ ? Si vous le niez, l’apôtre le criera contre vous :  Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il n’est pas l’un des siens.  (Rom V111, 9)  Saint Luc le proclame aussi : L’Esprit de Jésus ne le leur a pas permis. (Act V1, 7) Saint Pierre le proclame ainsi : Une fois monté à la droite de Dieu, il a répandu celui que vous avez vu et entendu.   Le Seigneur le proclame lui-même :  Si je ne m’en vais pas,  le Paraclet ne viendra pas.  Mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. (Jn XV1, 7)  De même, après la résurrection, il souffla sur ses disciples en disant :  Recevez l’Esprit Saint. (Jn,  XX, 22)  Tous ces textes nous enseignent que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ. Or, comme vous ne pouvez pas le nier, la nécessité vous contraint, que vous le vouliez ou non, à ne pas nier qu’il procède du Fils.   Que vous  ne considérez pas, comme Arius et Macédonius,  qu’il est une créature, le témoigne votre profession de foi,  selon laquelle l’Esprit Saint procède du Père.  Comment pouvez-vous alors  nier qu’il procède du Fils, puisque le Père et le Fils sont d’une seule et même substance, et qu’il ne peut pas être de la substance de l’un et de l’autre sans procéder de l’un et de l’autre ?

            Ecoutons donc saint Grégoire de Naziance dans le sermon sur le Saint Esprit qu’il a prononcé devant le peuple, dans l’Eglise de Constantinople, le jour de la Pentecôte :  L’Esprit saint a toujours été, il est et il sera, sans commencement ni fin, mais coéternel au Père et au Fils.  Il n’est pas pensable  qu’à  aucun moment,  le Fils ait manqué au  Père, ou l’Esprit saint au Fils.  En disant que le Saint Esprit est coéternel au Père et au Fils, il réfute les Ariens,  qui le rabaissaient au rang de créature.  En disant qu’il a toujours été, qu’il est et qu’il sera, il combat Macédoine qui niait non existence.  Mais en disant que le Fils n’a jamais manqué au Père  ni l’Esprit saint au Fils, il vous réfute, vous qui niez qu’il procède du Fils.  Car, si selon votre opinion, il était d’avis que l’Esprit saint ne procède que du Père, il aurait dit que le Fils et l’Esprit saint n’ont jamais fait défaut au  Père.  Mais comme il dit que le Fils ne fit jamais défaut au Père et que l’Esprit saint ne fit jamais défaut au Fils, il dit clairement que le Fils est né du Père de toute éternité, et que l’Esprit Saint procède du Fils avant le temps.  Il ne nie pas qu’il procède du Père, ce que personne ne niait, mais il affirme qu’il ne manqua jamais au Fils, ce qui causait problème.

            Par la suite, il dit en parlant du Saint-Esprit :  Celui qui sanctifie et qui n’est pas sanctifié ne devient pas Dieu mais fait des dieux.  Il est inconvertible, immuable, est toujours présent à lui, au Père et au Fils. Il est intemporel, a sa propre puissance, et toute la puissance.  Quand il dit qu’il est toujours présent à lui-même au Père et au Fils, il démontre qu’il ne les assiste pas comme un serviteur.  Etant inconvertible et immuable,  il est autant dans sa propre nature que dans la substance  du Père et du Fils.  Dans sa propre nature parce qu’il n’y a pas en lui de changement.  Immuable parce que dans le Père et le Fils,  parce que les trois ont en commun une nature identique.  Il ne peut pas changer pour se transformer dans le Père,  parce que le Père est la source et l’origine première de tout. Ii ne peut pas se convertir dans le Fils parce qu’il en procède et ne lui est dissemblable  en rien, et parce qu’il n’est pas d’une nature autre que celle du Fils.  On dit qu’il a sa puissance propre et qu’il est tout puissant,  parce qu’il subsiste dans sa propre personne, et qu’il fait tout ce qu’il veut dans toute créature.

            Et plus bas :  Il est la vie vivifiante, la lumière qui illumine, il est bon et est la bonté, le Seigneur de tous.  Il envoie les apôtres, inspire où il veut, partageant les dons comme il le veut.  Il est l’esprit de vérité, de sagesse, par qui le Père est connu et le Fils glorifié.

            Nous avons omis bien des choses et nous n’avons recueilli que ce qui concerne la question présente.  On dit de l’Esprit qu’il est la vie, et le Fils dit  qu’il est la Vie :  Je suis la Vie.   (Jn X1V, 16)  On dit de l’Esprit qu’il est vivifiant, et le Fils dit de lui-même :  Le Père vivifie ceux qu’il veut, et le Fils vivifie ceux qu’il veut.  (Jn V, 21)  Si donc l’Esprit est la Vie, et si le Fils est la Vie, si l’Esprit vivifie et si le Fils vivifie,  ils ont une seule substance et une seule opération.  Mais le Fils est vie du Père, et l’Esprit du Fils.  Le Fils reçoit du Père d’être vivifiant;  l’Esprit saint reçoit donc du Fils d’être vivifiant.  De la même façon, l’Esprit saint est la lumière et il illumine;  et le Sauveur dit de lui-même :  Je suis la lumière du monde. (Jn V111, 12)  L’évangéliste Jean dit du Fils :  Qui éclaire tout homme venant dans ce monde. (ibid 1, 9)  Si donc tous les deux, le Fils et le Saint Esprit,  sont la lumière et éclairent le monde,   ils sont d’une seule et même substance, d’une seule opération.  Mais pour être lumière,  l’Esprit Saint le reçoit du Fils;  pour éclairer il le reçoit du Fils.  Comme l’atteste le Fils : Il recevra de moi.   (Jn X1V, 14)  Il reçoit non comme n’ayant pas ce qu’il reçoit, mais en procédant.

            De même, l’Esprit est bon.  Et le Fils dit de lui-même :  Je suis le bon pasteur. (Jn X, 11)  L’Esprit saint est la bonté; le Christ aussi est la Bonté.  Personne, à moins d’être insensé, ne le niera.  Mais le bon et le bon ne font pas deux bons, mais un seul bon. Comme la bonté et la bonté ne font pas deux bontés mais une seule bonté, car il n’y a pas deux dieux mais un seul Dieu.  La déité ne connait pas d’augmentation du nombre en s’aditionnant.  Donc le bon Esprit procède du bon Fils, mais ne naît pas de lui.  Et l’Esprit bonté vient du Fils bonté,  non en naissant de lui, mais en procédant.  Autrement, si l’Esprit saint ne procède que du Père, sans procéder du Fils, comment ce qui appartient au Fils appartient-il à l’Esprit ?

            En disant que l’Esprit est le Seigneur de toutes choses, saint Grégoire de Naziance affirme qu’il est tout puissant.  Comme le Père a créé toutes choses par le Fils, l’Esprit n’a pas reçu la toute puissance dans le temps, mais de toute éternité en procédant du Père et du Fils.   En envoyant les apôtres,  l’Esprit saint dit ce que le Sauveur dit aussi : Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.  On nous montre là une seule et même opération de deux personnes agissant ensemble.  Il est donc clair que ceux qui ont en commun la même opération ne diffèrent ni par la substance, ni par la volonté, ni par la puissance.  Mais le Fils se réfère au Père de qui il nait,  et l’Esprit saint au Fils de qui il procède.  Le bienheureux Grégoire continue :  Inspirant où il veut, répartissant les dons comme il le veut.  Et saint Paul dit du Fils :  En montant dans les hauteurs, il a amené captive la captivité, et a donné des dons aux hommes. (Eph 1V, 8)  Ces textes démontrent que, parce que l’Esprit n’est ni sujet, ni imparfait, ni moins puissant, sa majesté est égale à celle du Père et du Fils en nature, en grandeur, en puissance et en toute vertu.  Le fait que, comme le Fils, les dons qu’il distribue sont les siens et non ceux des autres, que le Fils ne les distribue pas à une époque et l’Esprit saint à une autre, que le Fils ne les distribue pas à certains et l’Esprit Saint à d’autres, tout cela montre une seule et même opération,  une seule et même volonté.  Et puisque  le Fils ne peut pas être sans l’Esprit ni l’Esprit sans le Fils, ils sont d’une seule et même substance, et l’Esprit procède du Fils. Il dit que l’Esprit  est l’Esprit de vérité, et le Sauveur dit de lui : Je suis la Vérité. (Jn X1V, 16)  En disant que l’Esprit saint est l’Esprit de vérité, il enseigne manifestement qu’il est l’Esprit du Christ,  lequel est la Vérité et l’Etre.

            Le bienheureux Grégoire dit aussi  que l’Esprit saint est l’esprit de sagesse. Or, l’apôtre Paul atteste que  le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu. (1 Cor 1, 24)  L’Esprit de sagesse est l’Esprit du Christ qui est la sagesse de Dieu.  En disant que l’Esprit saint est l’Esprit de vérité et de sagesse,  il enseigne clairement qu’il est l’Esprit du Christ.  Comment peut-il être du Christ s’il est, selon saint Grégoire,  le Seigneur de tous ? Pas autrement qu’en procédant du Fils.  Car, si tu le niais,  tu devrais en faire un sujet, une créature, un être inférieur au Fils.  Ce qui serait blasphématoire, et répugnerait à  la piété catholique.   Qu’on l’appelle donc, comme le veut la vérité, l’Esprit du Christ, et au même moment, Esprit de vérité et de sagesse.  Car en procédant du Christ, il procède de la Vérité et de la Sagesse.  Le bienheureux Grégoire ajoute : par lequel le Père est connu, le Fils glorifié, et à ceux-là seuls par qui il est connu.  Le Fils a dit au Père :  J’ai manifesté mon nom aux hommes que tu m’as donnés. (Je XXV11, 6)  Si le Père est connu par l’Esprit, et si le Fils manifeste aux hommes le nom du Père, ils font la démonstration d’une seule et même opération.  Il dit même que le Fils est glorifié par l’Esprit Saint. Et le Fils dit : C’est mon Père qui me glorifie.  (Jn V111, 54)  Et il dit au Père :  Glorifie-moi, Père, auprès de toi ! (Jn XXV11, 5)   Si l’Esprit glorifie le Fils, et si le Père glorifie le Fils, il est démontré par là que le Père et l’Esprit saint ont une seule et même opération. Et s’ils ont une seule et même opération,  ils ont une seule et même volonté, une seule et même essence,  une seule et même puissance.  Et il ajoute : Et par ceux seulement qui le connaissent.   Si l’Esprit saint n’est connu que par le Père et le Fils,  il est donc consubstantiel à l’un et à l’autre, et procède de l’un et de l’autre.  Et que veut-il dire en affirmant que le Fils est glorifié par l’Esprit et que le Fils glorifie le Père ?   Que veut-on dire quand on déclare que le Père glorifie le Fils ?  Rien d’autre que manifester que le Fils est né du Père.  De la même façon,  le Fils est glorifié par l’Esprit saint quand l’Esprit montre qu’il procède du Fils.
            De bien des façons donc, le bienheureux Grégoire prouve que l’Esprit saint procède du Fils, et qu’il est d’une seule et même substance qu’avec eux.  Et voici comment il conclut :  Quel besoin avons-nous d’ajouter d’autres mots ? Tout ce que le Père est le Fils l’est, à part le fait que le Père n’est pas né.   Tout ce que le Fils a le Saint Esprit l’a, à part le fait que le Fils est né.  Que signifie cette distinction,  et le rapport existant entre les personnes :  le Fils est ce qu’est le Père, en dehors du fait que le Père n’est pas né.  Et l’Esprit saint est tout ce qu’est le Fils, à part le fait que le Fils est né.  Car il aurait pu dire :  tout ce qu’est le Père le Fils et le Saint Esprit le sont eux aussi,  en dehors du fait que le Père n’est ni né ni ne procède de personne.  Mais ce qu’il dit c’est que le Fils est tout ce qu’est le Père,  mais que l’Esprit saint n’est pas tout ce qu’est le Père,  mais qu’il est tout ce qu’est le Fils en dehors de la naissance.  En parlant ainsi,  il enseigne que le Père n’est de personne,  que le Fils est le seul à avoir été engendré du Père,  et que l’Esprit saint procède du Fils.  Qu’il procède du Père, il le dit un peu plus haut :   toutes choses sont référées au Père comme à la première origine de tout, ainsi qu’au Fils unique et au Saint Esprit.  En disant cela,  il montre que tout ce qui appartient au Fils est en relation avec le Père. Et que tout ce qui est à l’Esprit saint se réfère au même comme à la première origine tout.  Car même si l’Esprit procède du Fils,  le Fils reçoit du Père en naissant que l’Esprit saint procède de lui.   Pour que tout ce qu’a le Fils le Père l’ait, et que tout ce qu’a l’Esprit Saint le Fils l’ait.   Et cela par le Père, par qui le Fils reçoit que l’Esprit saint procède de lui, non en tant que créé mais engendré par le Père,  non comme inférieur, mais d’une puissance égale, non d’un autre, mais d’une seule et même nature.

            Il dit la même chose par la suite :  Vraiment il était juste qu’il nous apparaisse corporellement quand Jésus demeurait corporellement sur la terre, et qu’il descende vers nous quand le Christ serait monté vers lui.  Celui qui est Seigneur par la puissance est envoyé, bien qu’il ne soit pas différent de celui par qui il a été envoyé.    Ce docteur montre ici  une seule opération  et une union des volontés entre Jésus et l’Esprit saint.  Il estime chose digne que l’Esprit saint nous apparaisse corporellement quand Jésus est venu à nous corporellement.  Il nous montre là une similitude de volonté,   l’Esprit saint voulant se montrer corporellement quand Jésus veut montrer son avènement aux mortels.  Puisqu’il procède du Fils, il lui doit d’être d’une seule volonté avec le Fils.  Il ne pouvait pas différer par le travail de celui dont il n’était pas séparé par la nature.  Pour qu’il soit toujours uni dans l’action à celui de qui il n’est jamais absent de toute éternité, et pour qu’il coopère toujours avec celui de qui il procède.

            Il ajoute :  Quand le Christ est monté vers lui, il est descendu vers nous.  Il ne veut pas montrer par là une diminution du Christ, mais l’assomption de l’humanité.  Par cette humanité,  Jésus n’est pas monté seulement auprès de l’Esprit saint, mais auprès de lui-même.  Parce que celui qui par l’humanité était devenu un parmi d’autres, était par la divinité au-dessus de tous.   Et il ajoute : Celui qui vient  comme le Seigneur par la puissance est envoyé…  Il dit deux choses au sujet de l’Esprit Saint  :  qu’il est venu et qu’il a été envoyé.  C’est par sa puissance propre qu’il est venu. C’est pour cela qu’il l’appelle Seigneur.   Mais c’est par un autre qu’il a été envoyé.  Il se sent alors obligé d’expliquer :  bien qu’il ne soit pas différent de celui par qui il est envoyé.  En effet,  car la mission n’implique par l’idée de sujétion mais de procession.  Il est véritablement envoyé par le Christ celui vers lequel le Christ est monté.  Et il est envoyé comme quelqu’un qui ne diffère pas de Dieu, c’est-à-dire du Christ.  Il est toujours uni par la volonté à celui qu’il l’envoie, parce qu’il procède de lui.

            Il continue : A cause de cela, depuis l’ascension du Christ,  un autre paraclet ne nous fait jamais défaut, i.e. un avocat et un conseiller. On dit un autre paraclet  pour faire connaître l’égalité de nature et de puissance.  Car un autre veut dire un alter ego. On ne parle pas d’alter ego pour quelqu’un qui est d’un autre genre ou d’une autre nature ou substance.  Le Christ est appelé Paraclet, et le Saint Esprit Paraclet, et quand le Christ s’en va, l’Esprit saint vient pour que les fidèles ne soient pas sans Paraclet,  le Christ ou l’Esprit saint. Il est clair qu’en leur donnant le même nom, on montre qu’ils ont la même fonction. Le fait que l’un succède à l’autre démontre qu’ils n’ont qu’une seule et même volonté, une seule et même opération. Et comme c’est le Christ qui monte et l’Esprit saint qui descend,  il est évident qu’il est envoyé par le Christ puisqu’il le représente.  Cette mission ne peut être qu’une procession, parce qu’elle n’est pas un amoindrissement ou une sujétion.  En disant  que l’Esprit saint a été envoyé comme un alter ego du Christ, on évoque une similitude complète. On ne peut pas appeler alter ego quelqu’un qui est d’un autre genre,  d’une autre substance ou d’une autre nature. Cette expression démontre donc que le Saint Esprit procède de celui dont il a la nature et la substance.  Il ne peut pas en effet être de la même nature ou substance que le Christ sans en procéder.

            Il a ajouté plus bas : Dieu est donc le feu.  Le Saint Esprit est aussi le feu. On dit que Dieu est feu consumant, mais non naturel et corporel, mais spirituel et invisible.   Dieu le Père est donc le feu, Dieu  le fils est le feu, et Dieu l’Esprit saint est le feu.  Mais le Père est le  feu d’aucun autre feu,  parce qu’il ne tire son origine de personne. Dieu le Fils est le feu parce qu’il est né du Père qui est  le feu.  L’Esprit saint est le feu, mais du Fils qui est le feu, parce qu’il procède du Fils.  En disant que Dieu est feu et que l’Esprit saint est feu,  on proclame qu’il n’y a qu’une seule substance dans la trinité.   Il dit que Dieu est le feu en parlant en même temps du Père et du Fils.  Il parle ensuite à part du Saint Esprit en disant qu’il est lui aussi le feu.  Pourquoi associer les deux premiers, le Père et le Fils, et mettre à part l’Esprit saint ?  Parce qu’il voulait insinuer que le Saint Esprit procède du Père et du Fils.

            Saint Grégoire a donné cet enseignement au sujet du Saint Esprit dans l’église de Constantinople, et l’a communiqué dans ses lettres. Il prouvait que l’Esprit saint est consubstantiel au Père et au Fils et qu’il procède  du Fils.  A-t-il été pour cela chassé de l’église ?  Son sermon a-t-il été réprouvé ?  L’empereur l’a-t-il privé de sa communion ?  Il a vécu ce grand docteur au temps des empereurs Gratien et Théodose le grand.  Cinq siècles   se sont déroulés depuis le concile de Nicée, et jamais, pendant tout ce temps,  on n’a nié que le Saint Esprit procède du Fils.  Et jamais aucune objection n’a été soulevée avant vous.  C’est la vérité que l’Eglise orientale est toujours demeurée dans la même profession de foi que l’Eglise latine.  Qu’après tant de siècles, vous trouviez à y redire, c’est à vous à y voir.   Vous ne pouvez avancer ni arguments ni raisons valables,  parce que votre sentiment répugne à la vérité, résiste à la vérité, et s’oppose aux saintes pages.

                                         CHAPITRE QUATRE

                                             Saint Ambroise

           Ambroise, évêque de Milan, homme brillant de l’éclat de toutes les vertus, a livré plusieurs combats contre les Ariens,  et a été victime de leurs persécutions injustes. Dans le livre qu’il a composé sur le Saint Esprit contre l’hérésie arienne,  il corrobora la vérité évangélique avec toutes les ressources de la rhétorique. Il dit :  Si tu nommes le Christ,  tu désignes en même temps Dieu le Père qui l’a oint, le Fils qui a été oint, et l’Esprit qui l’a oint. Et si tu nommes le Père, tu désignes en même temps son fils et l’Esprit de sa bouche.  Pourvu que tu les professes aussi de cœur. Et si tu dis l’Esprit, tu désignes Dieu le Père de qui il procède,  et le Fils, parce qu’il est l’Esprit du Fils.  Le bienheureux Ambroise enseigne qu’en en nommant un, on entend toute la trinité, démontrant par là l’égalité substantielle des trois personnes.  En une seule parole les trois personnes sont donc comprises,  sans qu’il soit besoin de les nommer,  en vertu seulement de l’unité que leur donne l’égalité substantielle.   Il dit que l’Esprit procède du Père.  Nous n’avons rien à redire à cela.  Nous le confessons comme lui. Mais quand il dit qu’en nommant le Fils on nomme également l’Esprit saint, parce qu’il est l’Esprit du Fils, vous vous séparez de nous.  Vous qui refusez de professer que l’Esprit saint procède du Fils, vous refusez également de reconnaître qu’il est l’Esprit du Fils.  Or, si l’Esprit saint ne procède pas du Fils, on n’a pas le droit de dire qu’il est l’Esprit du Fils.  On dit qu’il est l’Esprit du Père  parce qu’il procède du Père.  Saint Ambroise enseigne qu’en nommant le Fils on nomme l’Esprit saint.    Ce qui ne peut se concevoir que si l’Esprit est l’Esprit de Jésus.  Car il n’appartient pas à celui dont il ne procède pas.  En disant que l’Esprit saint est l’Esprit du Fils, il affirme donc qu’il procède du Fils.

            Il continue ainsi :  Celui qui nie l’Esprit saint nie le Père et le Fils.  Car c’est le même qui est l’Esprit du Père et l’Esprit du Christ.  Personne n’hésitera à affirmer qu’il n’y a qu’un seul et même Esprit.  Il montre que Dieu est un,  que l’Esprit saint est consubstantiel au Père et au Fils quand il dit : Celui qui nie l’Esprit Saint nie le Père et le Fils. Car il n’y a qu’un seul et même Esprit pour les deux. Il est l’Esprit du Père parce qu’il procède du Père.  Il ne peut donc être l’Esprit du Fils que parce qu’il procède du Fils.  Car il n’y a pas deux Esprits, mais un seul. Il n’y en pas un qui est l’Esprit du Père, et un autre qui est l’Esprit du Fils.  Mais le même Esprit pour les deux.  Il procède donc de l’un et de l’autre.

            Et un peu plus loin :  L’Esprit saint n’est pas envoyé d’un lieu à un autre,  ni ne procède  en passant d’un lieu à un autre.  Il est  comme le  Fils qui, selon sa parole, a procédé du Père et est venu.  Il atteste clairement que l’Esprit saint procède du Fils.  Mais cette procession ne se mesure pas par des espaces corporels.  Le Fils lui-même exclut cette opinion quand il dit :  j’ai procédé et je suis venu. (Jn V111, 42)  Le Fils procède du Père non par un déplacement local,  mais en naissant.  L’Esprit saint procède donc du Fils non par un déplacement local, non en naissant, mais en accédant à l’existence.

            Un peu plus bas, en parlant du Fils qui procède du Père, il disait :  Quand il  sort  du Père, il ne change pas de lieu, et n’est pas séparé de lui comme un corps d’un autre corps.  Et quand il est avec le Père, il n’y est pas comme un corps l’est dans un autre corps.  Ainsi, le Saint Esprit n’est séparé ni du Père ni du Fils quand il procède du Père et du Fils.  En disant que l’Esprit saint procède du Père et du Fils,  cet éminent docteur et très illustre confesseur du Christ enlevait un prétexte de blasphème aux ariens qu’il combattait.   Ils ne pourraient pas remporter la palme de la victoire ceux qui le présentaient comme une créature, un être inférieur non seulement au Père mais même au Fils.  Entendant dire qu’il procède du Père et du Fils,  ils savaient par le fait même qu’il était consubstantiel au Père et au Fils, et que la même adoration et la même gloire lui étaient dues.

            Et plus bas, il cite les paroles du Fils :  Celui qui m’aime gardera ma parole, et mon père l’aimera,  et nous viendrons en lui pour y établir notre demeure.  (Jn X1V, 23)  Puis il commente :  L’Esprit saint vient  en même temps que le Père, car où est le Père est le Fils, et où est le Fils est l’Esprit saint.   Comment peut-il dire que là où est le Père, là est le Fils, si ce n’est parce que le Fils nait du Père, sans en être jamais séparé.  Et pourquoi  là où est le Fils, là est l’Esprit saint si ce n’est parce que l’Esprit Saint procède du Fils, sans jamais s’en séparer ?  Il montre la consubstantialité ineffable de la trinité quand il atteste que le Fils est toujours dans le Père et l’Esprit toujours dans le Fils.  De sorte que là où est le Père le Fils est, et là où est le Fils, l’Esprit saint est lui aussi.  Séparés ni par le lieu,  ni par le temps, ni par la volonté, ni par l’action,  ni par l’essence.

            Il ajoute un peu plus loin :  Comme le Père a livré le Fils, et comme le Fils s’est livré lui-même, reconnais que l’Esprit saint l’a lui aussi livré.  Car il est écrit :  Il fut alors amené dans le désert par l’Esprit saint pour y être tenté par le démon.  (Matt. 1V)  Donc l’Esprit qui est amour a livré le Fils.  Car la charité du Père et du Fils est une.  Quand il dit que la charité du Père et du Fils est une, il atteste que l’Esprit est l’Esprit de l’un et de l’autre. Car l’Esprit est charité.  L’Apôtre dit en effet : le fruit de l’esprit est la Charité.  (Gal V, 22)   Il montre qu’en étant la charité de l’un et de l’autre,  il procède de l’un et de l’autre.  Il ne peut pas être la charité du Père sans procéder de lui, car il ne peut la recevoir d’ailleurs. Il ne peut non plus être la charité du Christ sans procéder de lui, car la charité reçoit, de la procession, de pouvoir aimer.  Et comme la charité  du Père est la même que celle du Fils, ils n’ont donc tous les deux qu’un seul Esprit qui procède de l’un et de l’autre.

            Dans le deuxième livre, il dit au chapitre X11 : L’Esprit saint reçoit du Fils.  Il reçoit par l’unité  de la substance, comme le Fils reçoit du Père.  En parlant ainsi, n’enseigne-t-il pas clairement que l’Esprit saint reçoit du Fils; et que ce qu’il reçoit,  il le reçoit en procédant ?  Le Saint Esprit peut-il recevoir du Fils quelque chose qu’il ne possédait pas, puisqu’il est d’une seule et même substance, d’une seule et même puissance avec le Fils.  L’Esprit saint n’a-t-il donc pas tout ce qu’a le Fils ?  Saint Ambroise en tire la preuve de l’Ecriture :  Il me glorifiera parce qu’il recevra de moi, et il vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi.  C’est pour cela que je vous ai dit qu’il recevra de moi, et qu’il vous l’annoncera. (Jn XV1, 14)  Il dit ensuite :  Qu’est-ce qui est plus évident que cette unité ? Ce que le Père a, le Fils l’a. Et ce que le Fils a, l’Esprit saint le reçoit.    Par ces paroles, saint Ambroise atteste nettement que l’Esprit saint procède substantiellement du Fils.  Il dit :  Ce que le Père a le Fils l’a, car il a été engendré par le Père. Ce qui appartient au Père appartient au Fils.  De la même façon, en procédant substantiellement du Fils l’Esprit saint reçoit du Fils, de façon que tout ce qu’a le Fils l’Esprit saint l’ait aussi.  C’est-à-dire qu’il reçoit du Fils d’être une seule substance avec lui, comme le Fils reçoit du Père d’être une seule substance avec lui.

            Il ajoute ensuite :  Ce que dit le Fils le Père le dit aussi; et ce que le Père dit, le Fils aussi le dit. Et le Fils de Dieu dit de l’Esprit saint : il ne parlera pas de lui-même, mais non sans la communion avec moi et avec le Père. Car l’Esprit n’est ni séparé ni divisé.  Mais il dira ce qu’il entend. (ibid 13)  Il entend par l’unité de la substance et par la science qui lui est propre.  Ce docteur catholique confesse ici que l’Esprit saint ne parle pas sans être en communion avec le Père et le Fils.  Ce qui signifie que quand l’Esprit saint parle, le Père parle, le Fils parle.  Il confesse donc qu’il est consubstantiel au Père et au Fils, que son opération est celle du Père et du Fils,  qu’il n’est ni séparé ni divisé.   Et en ajoutant qu’il dit ce qu’il entend, il nous met sur la piste de la procession, car l’Esprit n’entend pas parler le Père et le Fils à certains moments, en certaines circonstances ou avec ses oreilles,  mais par la communion dans la même substance.  C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que dit le Fils : Tout ce que j’ai entendu de mon Père je vous l’ai fait connaître.  (Jn XV, 15)  Il a entendu en naissant, en demeurant continuellement dans la personne du Père,  non en percevant un son par ses oreilles à un moment donné.  C’est de la même façon que l’Esprit dit ce qu’il entend : en procédant du Père et du Fils.  Car demeurant substantiellement dans chacun des deux,  et procédant de l’un et de l’autre,  il écoute ce qu’il entend par l’unité de la substance et la communion de la science.

            Et plus bas.  Le Fils du Père a tout, comme il le dit lui-même :  toutes les choses qui appartiennent au Père m’appartiennent. (Jn XV1, 15)  Et ce qu’il reçoit par l’unité de la nature, par la même unité, l’Esprit saint le reçoit de lui.  Comme le Seigneur Jésus le déclare lui-même en parlant de son Esprit : Il recevra de moi, et vous l’annoncera.  (ibid 14)  Il dit que tout ce qu’a le Père, le Fils l’a, et que tout ce qu’il reçoit du Père par l’unité de la nature l’Esprit saint le reçoit de lui.  Ne déclare-t-il pas clairement par là que le Fils nait du Père i.e. de la substance paternelle, et que l’Esprit saint procède du Fils, i.e. de la substance du Fils.  Comme le Fils en naissant reçoit tout ce qui est du Père, de la même façon, l’Esprit saint, en procédant du Fils, reçoit tout qui est du Fils.  Et si ce que donne le Fils est du Père, à qui le donne-t-il ?   A nul autre qu’au Saint Esprit qui procède de lui.  Et si ce qu’a donné le Père le Fils le reçoit en naissant, il a reçu aussi du Père que l’Esprit saint procède de lui.  Il conclut : Le Fils ne dit rien de lui-même, l’Esprit saint ne dit rien de lui-même, parce que la Trinité ne dit rien en dehors d’elle-même.  Toute la trinité consiste dans le Père, le Fils et le Saint Esprit.  Le Fils ne dit rien de lui-même,  car il n’origine pas de lui-même mais du Père. De la même façon, l’Esprit saint ne dit rien de lui-même,  car il n’origine pas de lui-même mais du Fils. Le Père est le seul à ne venir de personne.   Donc, quand le Fils parle, toute la trinité parle. Quand l’Esprit saint parle, toute la trinité parle.  Et quand le Père parle, toute la trinité parle,  car la trinité ne dit rien en dehors d’elle-même, car elle n’est ni divisée, ni séparée.

            Dans le troisième livre de la même œuvre, au chapitre premier.  Car selon la divinité, l’Esprit n’est pas au-dessus du Christ,   mais dans le Christ. Car, comme le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, l’Esprit de Dieu et l’esprit du Christ est dans le Père et dans le Fils.  En disant que, selon la divinité, l’Esprit saint n’est pas au-dessus du Christ, mais est dans le Christ, le bienheureux Ambroise distingue son humanité de sa divinité. Nous lisons dans l’Evangile, que l’Esprit saint vint sur le Sauveur et demeura sur lui, et que le Père a dit à Jean :  Celui sur lequel tu verras descendre et demeurer l’Esprit saint. (Jn 1, 33)  Il est vrai de dire que, selon l’humanité, l’Esprit vint sur le Christ et demeura sur lui.  Ce qui ne l’empêche pas de demeurer dans le Christ, selon la divinité, parce qu’il est égal au Fils, et d’une seule substance avec lui.  L’Esprit saint demeure dans le Fils comme il est écrit que le Père demeure dans le Fils et le Fils dans le Père.  En disant que l’Esprit de Dieu et l’Esprit du Christ demeure dans le Père et le Fils, il atteste qu’il n’y a qu’un seul Esprit qui est l’Esprit de l’un et de l’autre, et qui demeure dans les deux par la consubstantialité.

            Il joute : Il demeure en Dieu parce qu’il est de Dieu comme il est écrit : Ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui est de Dieu. (1 Cor 11, 12)  Et l’Esprit saint demeure dans le Christ parce qu’il reçoit du Christ, et est dans le Christ. Car il est écrit : Il recevra de moi.  (Jn XV1, 14)  Comment l’Esprit saint est-il de Dieu ?  En procédant de Dieu.   Et comment reçoit-il du Christ ?  En procédant du Christ.  Et comment demeure-t-il en Dieu et dans le Christ.  Parce qu’il est consubstantiel aux deux.   Il dit ensuite en parlant de l’antéchrist :  Que le Seigneur Jésus tuera par l’Esprit de sa bouche. (11 Thes 11, 8)  On ne parle pas ici d une grâce acquise, mais de la personne du Saint-Esprit. Car le Christ n’est pas sans l’Esprit ni l’Esprit sans le Christ, puisque l’unité de la nature divine ne peut pas être séparée. »  Saint Ambroise fait ici la distinction entre l’humanité du Christ et sa divinité,  non que autre soit l’homme et autre le Dieu, mais parce que un Dieu parfait et un homme parfait sont un seul Christ.  C’est par la grâce que l’homme est fait  Dieu; Dieu est Dieu par nature.  Donc, quand il dit : que le Seigneur Jésus par l’Esprit de sa bouche,  et quand il  ajoute qu’il ne s’agit pas là d’une grâce acquise,  il met de côté l’humanité, et par l’Esprit de sa bouche  ---qui exterminera l’antéchrist----il faut entendre l’Esprit de la divinité, l’Esprit saint,  la troisième personne de la trinité.  Et quand il dit :  Que Jésus le Seigneur tuera par l’Esprit de sa bouche, tu dois comprendre que l’Esprit saint est l’Esprit de Jésus.  Quand du même Esprit il dit qu’il est l’Esprit de la bouche du Seigneur et l’Esprit de la bouche du Seigneur Jésus, il montre clairement que l’Esprit saint procède de la bouche du Seigneur Jésus,  non en tant que selon la divinité, il ait une bouche,  mais en tant que procédant de sa substance. Comme on dit l’Esprit de la bouche du Seigneur parce qu’il procède de la substance du Père.  Quand on lit qu’il est l’Esprit de la bouche du père et du Fils, on enseigne donc qu’il procède du Père et du Fils.

            Il poursuit le bienheureux Ambroise en disant que le Christ et l’Esprit conservent leur individualité. Parce que le Christ n’est pas sans l’Esprit, ni l’Esprit sans le Fils.  Le Christ ne peut pas être sans l’Esprit saint, car l’Esprit  lui est consubstantiel et procède de lui.   L’Esprit saint ne peut pas lui non plus être sans le Christ, car il reçoit tout ce qu’a le Christ. Il en explique la raison : parce que l’unité de la nature divine ne peut pas être rompue.   En disant cela,  il déclare que la nature du Christ est la nature du Saint-Esprit et que la nature du Saint Esprit est la nature du Christ.  Dans cette unité consubstantielle, rien ne les distingue l’un de l’autre que la naissance ou la procession. Choses qui ne se rapportent pas à la substance mais aux personnes.

            Il dit un peu plus bas : On lit que l’Esprit saint est le glaive du Verbe.  On lit aussi que le Verbe de Dieu est le glaive de l’Esprit saint. (Eph V1, 17) Et après quelques autres réflexions, il dit en conclusion :  Comme l’Esprit saint est le glaive du Verbe, et le Verbe le glaive de l’Esprit saint, il y a là une unité de puissance. Mais le glaive du Verbe est-il quelque chose d’autre que le Verbe ?  Et le glaive de l’Esprit saint quelque chose d’autre que l’Esprit saint ?  On en déduit donc que l’Esprit saint est l’Esprit du Verbe, puisqu’il en est le glaive; et que le Verbe est le glaive de l’Esprit saint,  puisqu’il en est le glaive.  Puisque le Verbe n’est pas sans l’Esprit, et l’Esprit sans le Verbe,  ils n’ont à eux d’eux qu’une seule opération, qu’une seule puissance.  Puisqu’il en est ainsi,  on ne peut les séparer par la substance, ni les diviser par la volonté.  Puisqu’ils sont d’une seule substance et d’une seule volonté,  l’un procède de l’autre : l’Esprit procède du Fils.  Car le Fils né du Père donne à l’Esprit saint tout ce qu’il reçu en naissant.  Non comme à un inférieur, un étranger, mais comme à quelqu’un qui procède de lui.

            Quand il dit que l’Esprit saint est le glaive du Verbe et le Verbe de Dieu le glaive de l’Esprit saint,  il ne montre pas une union dans les personnes mais dans la substance : une unité dans la substance sans l’unité dans les personnes.  Au niveau des personnes, l’un est de l’autre, l’Esprit saint du Fils, non le Fils de l’Esprit saint, mais du Père.

            C’est ainsi que saint Ambroise pensait et enseignait au sujet du Saint Esprit.  Il n’a pas été considéré comme un ingrat ou un hérétique par les empereurs des Grecs Gratien et Théodose le Grand, dont il était le contemporain.  Au contraire, ils l’eurent toujours en haute estime, et lui manifestèrent une affection toute particulière.  Ce protecteur infatigable de la foi catholique, attaqua ceux qui attaquaient l’Eglise, et en triompha. C’est à vous de voir, empereurs, à quoi vous emploierez votre zèle, à défendre la foi ou à imiter les hérétiques !  En niant que l’Esprit saint procède du Père, vous avez,   à l’encontre des évêques catholiques, promu une doctrine qui ressuscite les dogmes impies des Ariens.  Et vous avez foulé aux pieds la piété des anciens empereurs romains vos prédécesseurs, qui ont toujours professé cette foi,  et qui lui ont voué un attachement indéfectible.
 

LIVRE TROISIEME
 

CHAPITRE 1

 L’Ecriture dit :  Tu ne transgresseras pas les limites qu’ont posées tes pères.  (prov. XX11, 28)   Si les empereurs grecs avaient voulu observer ce précepte,  ils auraient compris que l’Église romaine ne prêtre flanc à aucune accusation,  eu égard à  son enseignement sur l’Esprit Saint. Ils ne tenteraient pas d’innover, mais se contenteraient des termes de la foi, fondés sur l’Écriture, qu’ont fixés les pères.   Mais atteints de la maladie de la vaine gloire et  enfiévrés de la peste de l’envie, ils sont incapables de se contenter de ce qu’ont déterminé leurs ancêtres.  Et cherchant leur gloire propre,  ils transgressent  les termes fixés par leurs prédécesseurs.  Essayant d’offusquer la gloire de leurs parents, ils tombent, d’après le psalmiste,  dans la fosse qu’ils ont creusée eux-mêmes. (Ps V11, 16)

 Ils n’auraient jamais,  à notre époque, soulevé la question de la procession du Saint Esprit, s’ils avaient compris la doctrine de leurs anciens, ou s’ils s’étaient livrés intensément à l’étude des saintes lettres.   Ce que nous devons tenir du saint Esprit les docteurs catholiques le démontrent clairement.    Ils ont combattu,  dans des joutes publiques épiques, et dans de nombreux écrits, les opinions perverses des hérétiques sur la sainte Trinité.  Ils ont, par la même occasion, cherché à comprendre comment procède le Saint Esprit;  et ils ont expliqué cette procession  avec des arguments convaincants.  Nous en avons déjà présenté un assez bon nombre, et nous avons exprimé clairement ce qu’on doit en penser.  Au point  que quiconque qui  s’y opposerait ou refuserait d’y donner son assentiment se révèlerait comme un contradicteur de la foi catholique et un blasphémateur de l’Esprit saint.  Quelle peine devra-t-il subir, nous l’apprenons de la bouche de la Vérité qui dit que le blasphème contre l’Esprit n’est remis ni en ce monde ni dans l’autre.  (Matt. 12, 32)

 Il nous plait, maintenant,  d’associer aux écrits des pères antérieurs, ceux du Père Augustin, illustre docteur, et de tous les maîtres ecclésiastiques, le plus éminent.  Il eut longtemps à lutter contre les hérétiques.  Sa doctrine et son éloquence triomphèrent non seulement de l’impiété d’Arius,  mais des autres hérétiques, des macédoniens, des manichéens,  des pélagiens.  L’enflure des Grecs ne daigne peut-être rien recevoir de l’enseignement doctoral des Latins.  Eh bien ! Que diront-ils des citations des leurs que nous avons présentées ? Que diront-ils des auteurs des saintes Ecritures ?  Refuseront-ils de les recevoir parce qu’ils y découvrent de sévères ennemis de leur erreur, et des adversaires intraitables de leur impiété ?  Bien qu’il soit stupide de refuser d’accepter l’enseignement doctrinal des latins,  et dangereux de s’engager dans la voie sans issue d’un schisme, il est plus grave de se rendre étrangers à l’église catholique.  Qu’ils s’abstiennent donc de dire ou de penser ces choses, de faire passer leur opinion avant la tradition de l’Eglise entière.   C’est une grande maladie que cette jactance et cette opiniâtreté dans l’erreur qui rend intolérable d’avoir à se soumettre à l’enseignement de l’église universelle.  Le Sauveur n’a-t-il pas dit : allez sur toute la terre, et prêchez l’évangile à toute créature. (Marc XV1, 15)

 Il ne les a pas envoyés aux seuls Grecs, mais à tous les peuples de la terre.  C’est pour le moins prétentieux de s’attribuer à soi seul ce qui est destiné à tous. L’Esprit saint a dit à Jérusalem par les prophètes :  J’amènerait ta semence de l’orient, et je la rassemblerai à partir de l’occident.  Je dirai au vent du nord : donne, et au vent du sud  : n’empêche pas. (Is XV111, 5)  Ces choses-là sont-elles dites des seuls Grecs ?  Le peuple de Jérusalem sera-t-il rassemblé à partir de la seule Constantinople La Jérusalem céleste sera formée de tous les peuples répartis sur toute la terre.  Que personne n’usurpe le gouvernement de l’église universelle !   Que les Grecs  se rendent compte que l’Eglise catholique du Christ est répandue sur toute la surface du globe, de l’orient à l’occident, du nord au sud.   Qu’ils se réjouissent que le Christ règne sur un si vaste empire, que l’oracle de David ait été accompli :  demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ta possession. (Ps 11, 8)  Et qu’ils écoutent cet autre psaume : il dominera d’une mer à l’autre, et du fleuve jusqu’aux confins de la terre. (Ps LXX1, 8)  Par ces mots, les prophètes désignaient-ils les Grecs et Constantinople ?  Ils ne les ont quand même pas laissés pour compte, puisqu’ils étaient inclus dans tous les peuples.  Ils leur ont simplement enlevé le privilège d’être distingués des autres, pour qu’ils ne s’enflent pas la tête.  Ils les ont placés parmi tous les autres, pour les amener à l’humilité.  Pour qu’ils sachent qu’ils ne constituent pas à eux seuls toute l’église, mais une portion;  pour qu’ils vénèrent leur mère qui rayonne de l’orient à l’occident; et pour qu’ils se réjouissent d’en être les fils, mais non les pères.

 Le Christ a dit : N’appelez personne père sur la terre. Car vous n’avez qu’un seul Père, qui est aux cieux. (Matt XX111, 9)  Quand il était sur le point de monter aux cieux, il promit à ses disciples :  Je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle. (Matt. XXV111, 20)  Nous voyons que la promesse du Christ s’applique à tous les croyants de l’église universelle, non aux Grecs et à Constantinople exclusivement.  Ce que le Christ dit dans quelque langue que ce soit ou à quelque peuple que ce soit, que les empereurs grecs l’acceptent pieusement.  S’ils le méprisaient, on jugerait que c’est la vérité qu’ils méprisent; et en rejetant la vérité du Christ,  ils détourneraient les Grecs de la voie du salut.  L’Esprit saint qui est descendu sur les apôtres sous forme de langues de feu n’a pas enseigné dans la seule langue grecque. Il a communiqué sa sagesse dans les langues des barbares.  Pour montrer que l’Eglise du Christ parlerait dans les langues de tous les peuples, et que l’Esprit saint était répandu sur toutes les nations.  Que les princes glorieux acceptent donc l’Esprit saint parlant de lui-même, par les docteurs de l’Eglise, en langue latine, pour que l’humilité leur enseigne la voie du progrès spirituel.    De peur que le cancer de l’orgueil ne les entraine dans les ténèbres de l’erreur, après leur avoir fait mépriser la lumière de la vérité.

             CHAPITRE DEUX

 L’évêque Augustin d’Hippone,  illustre docteur, éminent défenseur de la foi catholique,  dans le livre des questions  qu’il a écrit au prêtre Orose,  dit ceci, parmi d’autres choses :  La foi véritable déclare que l’Esprit saint n’est ni inengendré, ni engendré.  Car si nous disions qu’il est inengendré,  on pourrait croire que nous professons deux pères. Si, d’autre part, nous disons qu’il est engendré, on pourrait nous reprocher de croire en deux Fils.  Or, ce que la foi tient avec certitude, c’est qu’il n’est ni inengendré ni engendré, mais qu’il procède des deux, i.e. du Père et du Fils. Je prouverai cela par des citations de l’Ecriture.  Ecoute notre Seigneur Jésus Christ lui-même enseigner à ses apôtres : quand viendra le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père,  l’Esprit de Vérité qui procède du Père, il me rendra témoignage.  (Jn XV, 26)    Pour montrer que le saint Esprit procède de lui comme du Père le  même notre Seigneur Jésus Christ, après sa résurrection,  dit en soufflant sur ses disciples : Recevez le Saint Esprit.  (Jn XX, 22) L’Esprit du Père et du Fils est donc un seul et même Esprit.  Il y a un seul Esprit pour les deux.  Que l’Esprit soit l’Esprit du Père, notre Seigneur et Sauveur le dit à ses disciples : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. (Matt. X, 20).  Et que le même soit l’Esprit du Fils, l’apôtre Paul en témoigne : si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. (Rom V111, 9)

 Empereurs des Grecs, que trouvez-vous de répréhensible là-dedans ?  Il dit que l’Esprit procède et du Père et du Fils.  Il le prouve par des citations de l’Evangile.  Il dit que l’Esprit saint est l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils.  Et il le prouve autant par le Christ que par sains Paul.  Si vous ne voulez rien recevoir des latins, croyez dans l’Evangile !  Si vous ne voulez pas prêter l’oreille aux paroles de saint Augustin,  prêtez foi au Christ,  prêtez foi à l’Apôtre !  Si vous condamnez le Christ et l’Apôtre, voyez à ne pas être condamnés.   Celui qui ne suit pas leur doctrine, s’exclut de la société des  disciples du Christ.  Il ne fera pas partie de l’Eglise celui qui repousse la doctrine de l’église.  Et il n’aura pas de part avec le Christ celui qui n’accepte pas son magistère.

 Saint Grégoire, évêque du siège de Rome, apocrisiaire au temps de l’empereur Tibère Constantin,  a été conseiller principal, et ami intime des empereurs Tibère, Maurice et Phocas, quand il était encore diacre. Quand il n’était encore que diacre et légat du siège romain à Constantinople, il réfuta, en présence de l’empereur, par des citations bibliques et par la seule force de la vérité catholique, Eutychen, évêque de Constantinople, qui enseignait incorrectement sur la résurrection de la chair.  Voici ce qu’il dit de l’Esprit Saint dans son homélie de l’octave de Pâques :  L’Esprit saint, qui bien qu’étant égal au Père et au Fils,  ne s’est pas incarné, Le Fils témoigne l’avoir envoyé lui-même de la part du Père, quand il a dit : quand viendra le paraclet que je vous enverrai de la part du Christ. (Jn XV, 26)  Si le mot envoyé ne s’employait  que pour l’incarnation, on ne pourrait pas du tout  dire que l’Esprit saint est envoyé.  Mais sa mission, c’est sa procession, selon laquelle il procède du Père et du Fils.  Comme on dit que l’Esprit saint est envoyé parce qu’il procède, ce n’est pas sans raison qu’on dit que le Fils est envoyé parce qu’il est engendré.  Si vous choisissez de  mépriser l’enseignement d’un homme si éminent, voyez sur quelle colonne de superbe vous vous érigez.   Vos prédécesseurs ont grandement vénéré la sainteté et la sagesse de celui qui n’était encore que diacre quand il fut légat du saint siège à Constantinople.  Il jouissait d’une telle autorité qu’il réfuta à lui seul les dogmes impies de l’évêque de Constantinople, et les extirpa à tout jamais.   Ce qu’il dit de la procession du saint Esprit, il le démontre par le raisonnement. Il dit, en effet, qu’être envoyé par le Fils n’est rien d’autre que procéder du Fils;  et qu’être envoyé, pour le Fils, n’est rien d’autre que naître du Père.

 L’évêque Augustin, dans son traité sur l’évangile selon saint Jean dit :  Quelqu’un se demande peut-être si l’Esprit saint procède aussi du Fils.  Car le Fils est le Fils du Père seul. Et le Père n’est le père que d’un seul Fils.  Mais l’Esprit saint n’est pas l’Esprit d’un seul d’entre eux,  mais des deux.  Car ce n’est pas vous qui parlerez,  mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. (Matt. X., 20)  Tu as aussi l’Apôtre qui dit : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs.  (Gal 1V, 6)  Y a-t-il deux Esprits ? L’un du Père et l’un du Fils ?  Loin de nous cette pensée !   Il dit que nous sommes un seul corps, en parlant de l’Eglise.  Puis, il ajoute après : et un seul Esprit. (Eph 1V, 4)  Et par la suite, il donne plusieurs citations qui montrent que l’Esprit saint est l’Esprit du Père et du Fils.  Il n’y a pas un Esprit pour le Père et un autre pour le Fils, mais l’Esprit, qui est l’esprit du Fils,  l’est du Père.  Celui qui s’efforce de répliquer à ces témoignages convaincants par des arguments contraires, ne fera que faire la preuve qu’il contredit l’Ecriture.

 Et plus bas :  Si le Saint Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils dit-il qu’il procède du Père ? (Jn XV, 26) Pourquoi ?  Parce qu’il a coutume de référer au Père ce qui est à lui, puisqu’il vient de lui.  C’et dans ce sens qu’il di :  Ma doctrine n’est pas mienne, elle est celle de celui qui m’a envoyé.  (Jn V11, 16)  Si donc on comprend pourquoi  sa doctrine,  il ne la dit pas sienne mais celle de son Père, on devra comprendre encore plus facilement que quand il dit que l’Esprit saint procède du Père, il ne veut pas dire qu’il ne procède pas du Fils.  Le docteur Augustin nous montre clairement que le saint Esprit procède autant du Fils que du Père.  Et pour l’affirmer, il a recours précisément au passage où le Fils dit que l’Esprit procède du Père.  Quand il dit : ma doctrine n’est pas la mienne mais de celui qui m’a envoyé, il montre qu’il a, lui aussi,  une doctrine.  Mais il dit que c’est celle du Père, car elle vient du Père comme lui en vient.  Car tout ce qu’a le Fils il le reçoit en naissant.  Voilà pourquoi il ne nie pas que l’Esprit saint procède de lui quand il dit qu’il procède du Père.  Il montre d’où cela lui vient au Fils que l’Esprit procède de lui : il reçoit de celui qui l’a engendré que l’Esprit procède de lui.  C’est pourquoi saint Augustin dit :  il a reçu que l’esprit saint procède de lui de celui de qui il a reçu d’être Dieu. L’illustre docteur associe subtilement la naissance du Verbe et la procession de l’Esprit, en disant que le Fils a reçu du Père d’être Dieu de Dieu et que l’Esprit saint procède de lui.  Et l’Esprit lui-même a reçu du Père qu’il procède du Fils comme il procède du Père.  En disant cela, il professe que le Fils et l’Esprit ont reçu du Père, le Fils par la génération et l’Esprit saint par la procession;  que l’Esprit saint a reçu la procession autant du Père que du Fils, mais non la génération qui n’appartient qu’au Fils unique du Père.

 Ici, il soulève une autre question qui en préoccupe certains :  pourquoi ne dit-on pas que l’Esprit saint est né ? Pourquoi dit-on qu’il ne fait que procéder ?  Et il répond :  Si on disait qu’il est fils, on se trouverait devant deux fils, ce qui est absurde. Aucun fils n’est de deux,  à moins qu’il ne s’agisse d’un père et d’une mère. Ce qui est impensable dans le cas de la naissance du Verbe.  Même un fils d’homme ne procède pas simultanément du père et de la mère.  Il procède de la mère après avoir procédé du père dans la mère. Et quand il apparait à la lumière du jour de la mère, il ne procède pas alors du père.  L’Esprit saint, lui, ne procède pas d’abord  du Père dans le Fils,  pour procéder ensuite du Fils afin de sanctifier les créatures, mais il procède en même temps de l’un et l’autre, même si c’est le Père qui a donné au Fils que l’Esprit procède de lui comme il procède du Père.  Nous ne pouvons pas non plus dire que l’Esprit saint n’est pas la Vie parce que le Père est la Vie et le Fils est la Vie.  Le Père qui est la Vie en lui-même a donné au Fils d’être la Vie en lui-même.   Il lui a aussi donné que la Vie procède de lui comme elle procède de lui-même.

 Il explique avec toute la clarté désirable que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, qu’il n’y a pas deux fils dans la Trinité,  que l’Esprit saint est l’Esprit de l’un et de l’autre.  La procession spirituelle  de deux personnes n’a rien à voir avec la paternité et la maternité, car il n’y a pas ici de distinction de sexe.  Il n’y a pas de propagation charnelle faite de chair et d’os.  Cette procession ne s’accomplit pas non plus dans le temps, comme s’il procédait de l’un à un certain moment, et de l’autre un peu plus tard.  Il procède des deux en même temps.  Rien de semblable ici à la génération charnelle.  Pas de sperme qui va féconder la femme.  Il n’y a pas non plus de grossesse.  Cela c’est le monde du devenir, du changement, du mouvement.  Et tout cela est bien loin de la procession spirituelle.  Car le Saint Esprit procède du Père et du Fils, sans mouvement, sans changement,  sans écoulement de semence.  Car cette procession s’effectue par la force de la volonté, sans mutation, sans durée de temps,  sans rien de ce qui se passe  dans le cas d’un père et d’une mère, mais comme d’un seul jet de lumière provenant de deux sujets.  Non pas que le Père et le Fils soient sujets du Saint Esprit, mais  les deux personnes du Père et du Fils dont procède la personne de l’Esprit saint,  sont d’une seule essence.  La personne du Saint Esprit n’est donc pas comme une qualité des deux,  mais elle est consubstantielle aux deux.  Comme le dit si bien saint Augustin : le Père est la Vie,  le Fils est la Vie,  le Saint-Esprit est la Vie.  Le Père est la Vie en ne recevant la Vie d’aucune Vie.  Le Fils est la Vie en recevant la vie de la vie du Père.  L’Esprit saint est  la Vie de la Vie du Père et du Fils,  recevant la Vie en procédant.  Car la trinité divine ne pourrait pas être d’une parfaite consubstantialité, si l’Esprit saint n’était pas tout ce que le Père et le Fils sont.

 Que l’Esprit saint procède du Père, cela ne nous pose aucune difficulté.  Qu’il procède aussi du Fils,  le Fils lui-même le dit :  il recevra de moi et vous annoncera ce qu’il aura reçu. (Jn XV1, 14)  Mais les hérétiques se sont servis de ce texte pour mettre des degrés dans la Trinité.   Ils dirent :  Si le Fils  reçoit du Père et l’Esprit saint du Fils, l’Esprit saint est donc inférieur au Fils.  Saint Augustin s’oppose à cette perverse interprétation,  dans le même chapitre du même traité :   Les paroles de Jésus : il recevra de moi et vous annoncera ce qu’il aura reçu, écoutez-les avec des oreilles catholiques, percevez-les avec des esprits catholiques. L’esprit saint n’est pas inférieur au Fils à cause de cela,  comme le veulent  les hérétiques.  Que l’un reçoive de l’autre cela n’indique pas la présence de degrés dans la Trinité.  Loin de nous, chrétiens,   de le croire,  de le dire, de le penser ! Il apporte ensuite la solution au problème en remettant la phrase dans son contexte :  Tout ce qui est à Mon Père est à moi, voilà pourquoi j’ai dit qu’il recevra de moi.  Que voulez-vous de plus ? L’Esprit saint reçoit du Père comme le Fils reçoit du Père : d’être né fils  du Père dans cette trinité, et d’être un Esprit saint qui procède du Père.   Le père est le seul  à n’être né de personne et à  ne procéder de personne.

 En nous enseignant maintenant que l’Esprit saint procède du Père, il ne rejette pas qu’il procède du Fils, comme il l’avait dit auparavant.   Mais il enlève l’infériorité dont se régalaient les hérétiques, et prône l’égalité que confessent les catholiques.  Car s’il disait que l’Esprit saint reçoit du Fils mais  ne reçoit rien du Père, il donnerait lieu aux hérétiques de feindre des degrés dans la divinité.  En leur disant que l’Esprit saint procède du Père, il leur coupe l’herbe sous le pied, car l’Esprit saint reçoit de procéder là ou le Fils reçoit de naître.  Et comme tous les deux reçoivent du Père, l’une la nativité,  l’autre la procession, il n’y a aucune raison de préférer l’un à l’autre. Mais il ne faut pas à cause de cela nier qu’il procède aussi du Fils.  Car le Fils a dit : tout ce qui est au Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit qu’il recevra de moi.  Le Père a que l’Esprit saint procède de lui.  Le Fils a donc que l’Esprit saint procède de lui.  L’Esprit saint procède donc de l’un et de l’autre.
 

          CHAPITRE TROISIEME

 Dans le premier livre de la sainte trinité, au chapitre quatrième, saint Augustin dit :  Le Père a engendré le Fils, et le Fils n’est donc pas ce qu’est le Père. Le Fils a été engendré par le Père, et le Père n’est donc pas ce qu’est le Fils.  Le Saint Esprit n’est ni père ni fils, mais il est l’Esprit du Père et du Fils, égal au Père et au Fils, et appartenant à l’unité de la trinité.  Mais ce n’est pas la trinité qui est née de la vierge Marie, qui a été crucifiée sous Ponce Pilate, ensevelie, ressuscitée le troisième jour et montée au ciel, mais seulement le Fils.   Il indique clairement ce qui est propre à chaque personne de la trinité;  et il précise que l’incarnation n’appartient qu’au Fils.
Il est évident que le Père n’est pas ce qu’est le Fils, puisqu’il l’a engendré;  que le Fils n’est pas ce qu’est le Père, puisqu’il a été engendré par lui; que l’Esprit n’est ni le Père ni le Fils, puisqu’il est l’Esprit de l’un et l’autre.   Et parce qu’on le dit l’Esprit de l’un et de l’autre, on doit confesser qu’il procède de l’un et de l’autre.  Et bien qu’il soit égal au Père et au Fils et qu’il participe à l’unité de la trinité, l’incarnation du Fils n’appartient ni au Père ni à l’Esprit saint.   Il n’appartient qu’au Père d’engendrer le Fils,  qu’au seul Fils d’avoir assumé un homme parfait, et qu’au Saint Esprit de procéder du Père et du Fils.

 Il continue ensuite dans la même veine : On se demande comment il se fait que l’Esprit saint fasse partie de la trinité,  puisqu’il n’a été engendré ni par le Père ni par le Fils, ni par les deux ensemble, bien qu’il soit l’Esprit du Père et du Fils.    En affirmant que ni le Père ni le Fils, ni les deux ensemble ne l’ont engendré,  il exclut toute forme de génération dans le cas du Saint Esprit.  Et en ajoutant bien qu’il soit l’Esprit du Père et du Fils,  il laisse entendre que celui qui n’est pas fils en naissant, pourrait bien être l’Esprit des deux en procédant.  Car en maintenant qu’il est des deux, après avoir exclu la naissance, on ne peut que parler de procession.  Mais pas une procession de l’un seulement, du Père ou du Fils,  mais des deux.

 Et plus bas, chap. 12 : Nous avons montré  par de nombreuses citations des saintes lettres que dans la trinité, on dit de tous ce que l’on dit de chacun à cause de l’inséparable opération d’une seule et même substance.  Exemple.  Le Christ a dit de l’Esprit saint : quand je m’en irai, je vous l’enverrai. (JN XV1, 7)  Il n’a pas dit : nous l’enverrons.  Il s’est exprimé comme s’il était le seul à l’envoyer à l’exclusion du Père.    Il dit ailleurs : l’Esprit saint que mon père enverra en mon nom.  (Jn X1V, 25) Il s’exprime ici comme si le Père enverrait l’Esprit saint à lui seul, à l’exclusion  du Fils.    Il a été dit plusieurs fois que la mission de l’Esprit saint est sa procession.  C’est pourquoi, quand on atteste que le Fils va envoyer l’Esprit saint,  on déclare qu’il procède du Fils.   Quand on atteste que le Père envoie l’Esprit au nom du Christ, on déclare qu’il procède du Père.  Et quand on nous dit qu’il est envoyé par les deux, on atteste qu’ii procède des deux.  Il donne ensuite cette règle générale de la sainte trinité, qu’on dit de chacun ce qu’on dit de tous,  à cause de l’opération inséparable d’une seule et même substance.

 Nous apprenons donc par là que quand nous disons que l’Esprit saint procède du Père,  nous comprenons qu’il procède aussi du Fils.  De même,  quand nous disons qu’il est envoyé par le Fils, nous comprenons qu’il est en même temps envoyé par le Père.  Car étant d’une seule et même substance,  le Père et le Fils ont une seule et même opération. De toute évidence,  celui qui nie que l’Esprit est envoyé par le Fils alors qu’il admet qu’il a été envoyé par le Père, nie nécessairement que le Fils agit en coopération avec le Père.  Il devra nier aussi que le Père et le Fils ont une seule et même opération,  ce qui l’obligera à nier qu’ils sont d’une seule et même substance.

 Telle est la portée de l’affirmation du Fils : l’Esprit procède du Père.  Celui qui préférera nier que l’Esprit procède aussi du Fils devra nier que le Père et le Fils ont une seule et même opération.  Et par contrecoup, il devra nier que le Père et le Fils sont d’une seule et même substance.   Comme cela émane de la fontaine d’impiété d’Arius, professons avec tous les catholiques que la trinité travaille de concert, et que l’on dit de tous ce que l’on dit de chacun; et que, comme il n’y a dans la trinité qu’une seule et même substance, il ne peut pas y avoir de division dans l’opération.  En conséquence, quand on dit que l’Esprit procède du Père, on doit nécessairement penser qu’il procède aussi du Fils.

 De même, au livre 4, chap. 6, de la trinité : On appelle le Christ dans les saintes lettres la vertu du Dieu Christ, et la sagesse de Dieu. Mais,  quelque soit la façon dont on l’entende, il n’arrive jamais au Fils de rendre le Père savant.  Et la raison en est que le Fils est sagesse de sagesse, comme il est lumière de lumière, et  Dieu de Dieu. Et nous ne pouvons trouver un Esprit saint qui ne soit lui aussi la Sagesse, les trois étant ensemble une seule et même sagesse. Comme il n’y a qu’un seul Dieu, il n‘y a qu’une seule sagesse.  Qu’apprenons-nous là si ce n’est que la procession du Saint esprit vient du Père et du Fils, et que toute la trinité est d’une seule et même substance. Il dit que le Père est la Sagesse, que le fils est la Sagesse, que l’Esprit saint est la Sagesse.  Mais le Père n’ est la Sagesse d’aucune sagesse, car il ne reçoit pas du Christ d’être sage.  Comme il est la source et le principe de l’universalité, il est sage par lui-même, non par la participation à quelqu’un.  Comme Dieu qui ne vient pas d’un autre, mais est Lumière par lui-même.  Car il n’y a rien qui lui soit supérieur ou antérieur. Autrement, il ne serait pas  le principe de l’universalité.  Dieu n’est non plus ni imparfait, ni indigent, mais il est la plénitude, la vérité et la perfection.  Il est donc sage par lui-même.   Le Fils est lui aussi la Sagesse,  mais du Père Sagesse.  Car le Père a engendré un semblable à lui.  L’Esprit saint est Sagesse lui aussi. Mais ce n’est pas une sagesse qui ne vient de nulle part.   Le Père seul ne vient de rien.  D’où vient-elle si ce n’est de la Sagesse ? Comme le Père et le Fils sont la Sagesse, l’Esprit saint est donc une sagesse provenant de la sagesse du Père et du Fils.  Car la sagesse du Père et celle du Fils ne sont pas deux sagesses différentes. Elles sont une seule et même sagesse.  La sagesse de l’un et de l’autre envoie donc l’Esprit Sagesse qui procède de l’un et de l’autre.

 De même, un peu plus loin, cap V11 :  Voici donc trois choses : la mémoire, l’intelligence et la volonté ou l’amour.  Dans cette essence suprême et immuable qu’est Dieu, ce ne sont pas le Père, le Fils et l’Esprit saint qui y  sont, mais le Père seul.   Le Fils est la sagesse engendrée de la Sagesse.  Mais ni le Père ni l’Esprit ne   comprennent par la sagesse du Fils.  Ils comprennent par la sagesse qui est la leur.   Il en est de même pour la mémoire et pour l’amour.  Chacun se souvient, chacun aime par la mémoire et par l’amour qui est à eux.  Mais c’est du Père que le Fils reçoit d’agir ainsi, par la naissance.  L’Esprit saint qui est Sagesse procédant de la Sagesse ne se souvient pas par la mémoire du Père, et ne pense pas par la sagesse du Fils. Tout ce qu’il pourrait, c’est d’aimer par son amour à lui.  Il ne serait pas sage s’il se souvenait avec la mémoire d’un autre, et s’il pensait avec la sagesse d’autrui.  Il ne serait pas non plus intelligent s’il ne pouvait qu’aimer par lui-même. Il a donc  les trois, et il les a de façon à ce qu’elles constituent sa nature.  Mais il reçoit d’être ainsi d’où  il procède.

 Etablissant la distinction entre les personnes de la trinité avec beaucoup de finesse, comme s’il était inspiré par Dieu,  il dit que les trois personnes sont la Sagesse.  Etant engendré, le Fils reçoit du Père d’être Sagesse, d’une sagesse semblable à la sienne. Et du fait qu’il procède,  le saint Esprit reçoit du Père et du Fils d’être Sagesse, d’une sagesse semblable à celle des deux.  Et pour mieux faire comprendre ce qu’il dit, disons quelques mots de la comparaison qu’il emploie.  Il découvre à l’intérieur de l’homme,  comme une image de la trinité dans la mémoire, l’intelligence et l’amour.  Il développe longtemps cette comparaison.  Autant dans le cinquième chapitre qu’en d’autres parties de son livre sur la trinité, il observe que l’intelligence et l’amour sont contenus dans la mémoire; que l’intelligence nait de la mémoire; et que l’amour procède de la mémoire et de l’intelligence.  Et que ces trois sont d’une seule et même substance.  Car nous nous souvenons de ce que nous comprenons,  et quand nous voulons réfléchir sur notre intelligence, nous ne la pouvons que dans la mesure où elle procède secrètement de la mémoire, comme si elle était engendrée par elle.  Et quand nous réalisons que notre intelligence est comme engendrée par la mémoire, se produit un amour qui embrasse à la fois la mémoire et l’intelligence.  Car il se réjouit de l’intelligence qu’il reconnait, et de la mémoire de laquelle est née l’intelligence, objet de son affection.   L’amour nait donc autant de la mémoire que de l’intelligence.  On ne peut aimer une chose sans la connaitre; et on ne peut penser à une chose dont on a perdu la mémoire.  Chacune de des trois choses se distingue des autres par ses qualités propres.   La mémoire ne comprend pas par elle-même, mais par l’intelligence;  l’intelligence ne se souvient pas par elle-même mais par la mémoire.   De la même façon,  l’amour, sans mémoire et sans intelligence, n’aime pas.  Si on enlève la connaissance des choses,  la mémoire n’a rien dont elle puisse se souvenir; et si on enlève la mémoire, l’amour n’a de souvenir de rien.  Il n’y  aura donc plus d’amour là où il n’y a rien à aimer;  ou il ne saura plus sur qui se répandre. Ces trois choses donc, existent ensemble,  naissent de l’une et de l’autre,  se distinguent les unes des autres, et se prêtent mutuellement secours.

 Mais la sainte Trinité correspond bien peu à la comparaison présentée par ce vénérable docteur.  Le Père, le Fils et le saint Esprit sont toute la trinité, comme la mémoire, l’intelligence et l’amour.  Le Père est la source d’où nait le Fils,  comme la mémoire qui est une sorte de principe où prend forme l’intelligence.  Le Fils qui est la Sagesse nait du Père comme l’intelligence nait de la mémoire.   L’Esprit saint qui est lui aussi sagesse, mais qui est quand même l’amour, procède du Père et du Fils comme l’amour procède de la mémoire et de l’intelligence.   Quelle que soit la valeur de cette comparaison,  il n’y a pas dans les personnes de la trinité une distinction telle que le Père ne soit sage que par le Fils, que le Fils n’aime que par le Saint Esprit, comme nous voyons dans la trinité intérieure de l’homme.   Dans cette trinité humaine, la mémoire ne comprend pas par elle-même, mais par l’intelligence;  et l’intelligence ne se souvient pas par elle-même,  mais par la mémoire;  elle n’aime pas par elle-même, mais par la charité.  Et l’amour ne se souvient pas par lui-même, mais par la mémoire; il ne comprend pas par lui-même, mais par l’intelligence.   Cette trinité humaine  constituée de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté, n’est pas l’essence suprême et immuable de la divinité.  On ne peut identifier le Père à la mémoire, le Fils à l’intelligence et l’Esprit saint à l’amour, car le Père à lui seul est ces trois choses,  le Fils à lui seul est ces trois choses, et l’Esprit saint à lui seul est ces trois choses.  Car le Père, par lui-même, se souvient, pense et aime.  Il ne reçoit pas du Fils l’intelligence.  Autrement, il faudrait dire qu’il nait du Fils, ce qui n’est pas orthodoxe.  Il ne reçoit pas non plus l’amour de l’Esprit saint.  Autrement, il faudrait dire qu’il procède de l’Esprit saint, ce qui est une aberration.  C’est par lui-même qu’il se souvient, pense et aime.  Bien que le Fils soit la Sagesse née de la Sagesse, ce n’est pas le Père qui se souvient en lui. Il se souvient avec sa mémoire à lui. Ce n’est pas non plus le Père qui pense en lui. Il pense avec son intelligence à lui. Ce n’est pas non plus l’Esprit saint qui aime en lui.  Il aime avec sa volonté à lui.   Car il pense, il se souvient, il aime par lui-même.  L’Esprit saint qui est la sagesse procédant de la sagesse,  ne se souvient pas avec la mémoire du Père,  ne comprend pas avec l’intelligence du Fils, et n’a pas que l’amour qui lui soit propre.  Il possède, lui  aussi, les trois : la mémoire, l’intelligence et la volonté.   Il se souvient par lui-même, pense par lui-même et aime par lui-même.   Mais pour être ces trois,  il le tient d’où  il procède, i.e. autant du Fils que du Père, car il procède de l’un et de l’autre.  Un raisonnement très subtil et véridique, qui ne souffre pas de contradiction,  nous démontre que l’Esprit saint procède du Père et du Fils; qu’il est l’Esprit des deux, mais non le Fils des deux ou de l’un ou l’autre.  Et cette charité que nous disons naître de la mémoire et de l’intelligence n’est pas appelée fille des deux ni de l’une ou l’autre.

 De même, par la suite, au chapitre 17 :  Parlons maintenant de l’Esprit saint dans la mesure où le don de Dieu  nous le  concèdera de voir. Cet Esprit, selon les saintes Ecritures, n’est pas du Père seul,  ni du Fils seul,  mais des deux. Elles nous suggèrent donc une trinité communautaire dans laquelle le Père et le Fils s’aiment.  La raison pour laquelle l’Esprit saint n’est pas seulement l’Esprit du Père ou seulement l’Esprit du Fils est qu’il procède de l’un et de l’autre.  Il suggère donc une trinité communautaire dans laquelle le Père et le Fils s’aiment, l’Esprit saint les unissant tous deux parce qu’il procède d’eux.  Non comme une qualité de chacun des deux, mais en tant qu’existant dans la trinité comme la troisième personne consubstantielle et égale.  Voici ce qu’il dit plus loin :  Car le Père est Dieu, le Fils est Dieu, l’Esprit  saint est Dieu, et ils sont les trois ensemble un seul Dieu.  Mais ce n’est quand même pas pour rien que le Fils seul soit appelé Verbe de Dieu, que l’Esprit seul soit appelé don de Dieu, que ce ne soit que du Père qu’on dise que le Verbe a été engendré et que l’Esprit procède principalement.  J’ai ajouté principalement parce qu’il procède aussi du Fils. Et cela aussi le Père le lui a donné, avant qu’il existe et qu’il ait quelque chose. Mais tout ce que le Père a donné au Fils,  il lui a donné en l’engendrant.  Il l’a aussi engendré pour que le don commun procède de lui, et que l’Esprit saint soit l’esprit des deux.  Par ce témoignage, il démontre que l’Esprit saint procède du Fils.  Mais il assigne à chacun ce qui lui est propre, car bien que  chacun soit  Dieu, et les trois ensemble  Dieu, le Fils a ceci de propre qu’il est le seul à être appelé Verbe de Dieu. L’Esprit est le seul à être appelé don de Dieu. Et le Père est le seul à qui on assigne à la fois la naissance du Fils et la procession du saint Esprit. Voilà quelles sont dans la trinité les propriétés distinctives des personnes.  On dit que l’Esprit saint procède principalement du Père, car on enseigne aussi qu’il procède du Fils.  Et cela, c’est le Père qui le lui a donné, en l’engendrant,  avant qu’il existe et qu’il ait quelque chose.  Car tout ce qu’a le Fils il l’a reçu du Père en étant engendré par lui.  Le Père ne l’a pas d’abord engendré,  il ne  lui a pas donné ensuite que procède de lui l’Esprit saint,  mais il lui a accordé en l’engendrant, qu’un don commun procède de lui, i.e. le Saint Esprit, qu’on appelle le don des deux, comme il est l’Esprit des deux.

 De même, un peu plus bas, chap 19 :  Si dans les dons de Dieu, rien n’est plus grand que la charité, et s’il n’y a pas de plus grand don de Dieu que l’Esprit saint, quelle autre conclusion tirer qu’il est lui-même la charité, lui qui est dit et Dieu et de Dieu ? Et si la charité par laquelle le Père aime le Fils et la charité par laquelle le Fils aime le Père manifeste la communion ineffable des deux, qu’y a-t-il de plus approprié que celui qui est commun aux deux soit appelé la charité au sens propre du terme.   Il avait appelé plus haut l’Esprit saint don de Dieu, et l’avait par cette qualification distingué de la personne du Père et de celle du Fils.  Il voit dans le don de Dieu l’amour, et le considère comme le don principal de la divinité.  C’est saint Paul qui le dit (1 Cor X111, 3), tous les dons sans la charité ne sont rien.  Cette charité il l’appelle Dieu de Dieu, indiquant par là l’Esprit saint procédant de Dieu.   Et parce que Dieu est un nom qui est commun au Père et au Fils,  et qu’on ne voit pas d’où il pourrait bien procéder,  il fait ensuite la démonstration suivante :  La charité par laquelle le Père aime le Fils et la charité par laquelle le Fils aime le Père indique une ineffable communion des deux, y a-t-il rien de plus approprié que de l’appeler amour, celui qui est commun aux deux ?   En disant cela, il appelle l’Esprit saint charité, et professe qu’il procède en commun des deux,  du Père et du Fils.

 La même chose un peu plus loin, chap. 23 :  Dans cette suprême trinité, qui transcende incomparablement toutes choses, l’inséparabilité est si grande que, bien que trois hommes ne puissent jamais faire un seul homme,  les trois personnes sont dans un seul Dieu, et ne sont qu’un seul Dieu.  On dit que seul le Père est le Père du Fils.  En disant que l’Esprit n’est pas l’Esprit du Père seul ni du Fils seul,  mais des deux,  on atteste par le fait même qu’il procède des deux.   Il dit plus loin, chap 23 : Dans cette sublime trinité, qui transcende incomparablement toutes choses, il y a une telle inséparabilité que, alors que la trinité humaine ne peut pas être dite et être  un seul homme,  cette trinité non seulement n’est pas dans un seul Dieu  mais est un seul Dieu.  Et cet homme à qui appartiennent les trois facultés  de la trinité humaine n’est qu’une seule personne.  Mais dans la trinité divine, il y a trois personnes : le père du Fils, le fils du Père, et l’Esprit des deux.   Quand il dit que seul le Père est le Père du Fils, et que seul le Fils est le fils du Père,  que l’Esprit n’est pas l’esprit du père seulement mais aussi du Fils,  il atteste par le fait même qu’il procède des deux.  Car le Père est père du fils parce qu’il l’a engendré;  et le Fils est le fils du Père parce qu’il a été engendré par lui.  Il s’ensuit nécessairement que l’Esprit saint procède du Père et du Fils puisqu’il est l’Esprit du Père et du Fils.   Dans cette trinité sublime, la trinité elle aussi est appelée Dieu et un seul Dieu, non pas au sens où la trinité serait dans un seul Dieu,  comme si chaque personne prise individuellement serait la trinité, i.e. comme si le Père à lui seul serait la trinité, ou le Fils à lui seul,  ou l’Esprit saint à lui seul.  La trinité est un seul  Dieu au sens où le Père, le Fils et le Saint esprit sont un seul et même Dieu.   Les trois personnes de la trinité ne se comportent pas comme les trois facultés de la trinité humaine, la mémoire, l’intelligence et l’amour, et ce n’est pas à leur exemple que la trinité est dans une personne.  Non parce qu’un homme est la trinité, mais parce que dans un homme il y a trois éléments. Dans la trinité sublime, il y a trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit,  mais ces trois personnes sont un seul et même Dieu.  Et c’est pour cela que la trinité est un seul Dieu.   Il y a une telle union entre les personnes, une telle consubstantialité  que les trois sont un seul et même être, et qu’un est prédiqué des autres.  Ils ne sont séparés que par la relation, mais sont unis par la substance.  Le père a une relation avec le Fils, le Fils avec le Père, et l’Esprit saint avec les deux, ce qui implique qu’il procède des deux.

 Il dit plus bas, chap.  26 :  Enfin,  dans cette trinité sublime qui est Dieu, il n’y a aucun intervalle  de temps qui puisse démontrer ou exiger que le Fils soit né d’abord, et qu’ensuite seulement l’Esprit saint aurait procédé des deux. Car l’Ecriture dit qu’il est l’Esprit des deux.    C’est celui dont par l’apôtre : parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’esprit de son Fils dans nos cœurs.  (Gal 1V. 6)  Et c’est celui dont parle le même Fils :  Ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. (Matt. X, 20)  Un grand nombre de textes de l’Ecriture attestent que l’Esprit  est l’Esprit du Père et du Fils, celui qui est appelé en toute propriété de termes Esprit saint.  Le Fils a dit : Que je vous enverrai de la part de mon Père.  (Jn XV, 26)  Et ailleurs : Que le Père enverra en mon nom.  (Jn X1V, 26)  On nous enseigne donc qu’il procède des deux puisque le Fils a dit : qui procède du Père.   Et après sa résurrection, il apparut à ses disciples, souffla sur eux et leur dit :  Recevez l’Esprit saint. (Jn XX, XX11), montrant ainsi qu’il procède aussi de lui.   Et c’est lui qui est la vertu qui sortait du Christ, comme on le lit dans l’évangile (Luc V1, 19)

 Ces citations prêtent-elles flanc à la contradiction ?   L’Ecriture nous enseigne que l’Esprit saint est l’Esprit du Père et du Fils, et qu’il procède de l’un et de l’autre.  Si on le nie, que l’on nie que l’Apôtre et le Christ ont parlé ainsi.  Si l’on croit le Fils quand il dit que l’Esprit procède du Père,  qu’on le croie quand il dit : Recevez l’Esprit saint !   De toute façon, cette vertu qui sort du Christ et qui guérissait tous, c’est le Saint Esprit qui procède du Fils.  Encore une fois,  le fait qu’il soit dit l’Esprit du Père et du Fils témoigne hautement qu’il procède des deux.  Il n’y a pas d’intervalle de temps entre la naissance du Fils et la procession de l’Esprit saint des deux.  Car le Père n’a jamais été sans le Fils, le Fils sans le Père,  et le Père et le Fils sans le saint Esprit.

 Il dit un peu plus bas :  Pouvons-nous nous  demander si le Saint Esprit avait déjà procédé du Père quand le Fils est né, ou s’il n’avait pas encore procédé ? Ou s’il n’a procédé du Fils  qu’après la naissance du Fils ? Comme nous pourrions nous demander là où nous avons trouvé du temps si la volonté est d’abord sortie de la pensée humaine et si on peut l’appeler son enfant.  Cette volonté née ou engendrée se parfait en elle en se reposant en elle comme sa fin.  Et ce qui était le désir d’un chercheur devient l’amour de celui qui en jouit. L’esprit qui engendre et la notion engendrée ne font-ils pas penser à un parent  et à son rejeton ?  Mais on ne peut rien chercher de tel là où rien ne commence dans le temps, et où rien n’obtient son perfectionnement dans le temps.  Celui, donc, qui peut concevoir la naissance du Verbe sans le temps,  qu’il conçoive aussi la procession de l’Esprit saint  de l’un et l’autre sans le temps.   Le bienheureux docteur professe donc que le Saint Esprit procède du Père et du Fils.  Mais il se demande si l’Esprit saint a procédé du Père avant la naissance du Fils, ou s’il n’a procédé du Fils qu’après qu’il ait été engendré par le Père.  Et pour aider à comprendre la question, il fait la comparaison suivante : la volonté procède de l‘esprit humain  avant qu’une idée ne soit formée de l’esprit, pour qu’il y ait un désir de la volonté à la recherche de quelque chose.  Mais cette volonté est née de l’esprit avant qu’on s’enquière de ce qu’on désirait trouver.  Une fois trouvé, la volonté atteint sa perfection en étant amplifiée par ce qui a été trouvé.
Mais il n’y a pas deux volontés, une de l’esprit d’abord, et l’autre de ce qui a été trouvé, mais une seule volonté d’une seule et même chose : la conception dans l’esprit de ce que l’on cherche, et la jouissance de l’objet trouvé.  Ce qui était d’abord un désir de trouver devient ensuite la jouissance de l’objet trouvé.

 C’est ainsi que ça se passe dans les choses soumises au temps.  Mais dans la trinité divine, où le temps n’existe pas,  rien de semblable ne peut être repéré.  On ne dit pas ici que le Père a d’abord existé et que le Fils a été engendré ensuite.  Mais le Père a toujours été dans le Fils, et le Fils est toujours demeuré dans le Père.  La procession de l’Esprit saint n’a pas précédé la nativité du Fils.   Car là où il n’y a pas de temps, on ne peut trouver ni avant ni après.  Ce qui ne commence pas dans le temps ne peut pas se perfectionner dans le temps.   C’est pourquoi,  celui qui peut concevoir la naissance du Fils sans le temps,  qu’il pense à une procession du Saint-Esprit sans le temps.  Comme il n’y a pas à chercher à quel moment le Fils a été engendré par le Père,  il ne faut pas non plus se demander à quel moment l’Esprit saint a procédé du Père et du Fils;  ni si la nativité a précédé la procession.   Car l’éternité ne connait pas la succession du temps.   Il ne faut jamais se faire une idée de la divinité d’après les lois de la condition humaine.  Car ce qui est dans le temps est antérieur ou postérieur; ce qui a fait le temps échappe à sa juridiction.   Il est avant que les créatures deviennent.

 Il ajoute autre chose pour démontrer que l’Esprit saint procède du Père et du Fils en dehors du temps, comme le Fils a été engendré par le Père en dehors du temps. Il dit, en effet : Qui comprend correctement ce que dit le Fils ? Comme le Père a la vie en lui-même, il a donné aussi au Fils d’avoir la vie en lui-même.  (Jn V, 26)  Le Père n’a pas donné la vie à un Fils qui existait déjà sans vie.  Mais il l’a engendré sans le temps de façon à ce que la vie que le Père a donnée au Fils en l’engendrant soit coéternelle à celle du Père qui la donnait.  En d’autres mots, le Père qui  a en lui-même que l’Esprit saint procède de lui,  a donné au Fils que l’Esprit procède de lui, et l’un et l’autre en dehors du temps.   De sorte que quand on dit que l’Esprit procède du Père, il faut penser qu’il procède aussi du Fils.  Car si ce que le Fils a  lui vient du Père, il a aussi que l’Esprit procède aussi de lui.  Mais il ne faut penser à aucune succession temporelle, à aucun avant, à aucun après,  là où le temps n’est pas.

 Il atteste que l’Esprit saint procède du Fils comme du Père.  Qu’il procède du Fils, cela lui a été donné par le Père, non avant sa naissance,  mais  en l’engendrant.  Car tout ce que le Père a donné au Fils, il ne le lui a pas donné comme à un inférieur, ni avant qu’il existe, mais en l’engendrant.  Et il ajoute quelques autres explications.  Qui peut comprendre ce qu’a dit le Fils : comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même.  Le Père n’a pas donné au Fils d’être la vie quand il était sans vie.  Voici comment la Bible parle d’Adam : Dieu a formé l’homme du limon de la terre.  (Gen 11, 7) Et il lui a soufflé sur la face  un souffle de vie.  Le texte dit qu’il a d’abord été formé,  et qu’après avoir été formé,  et en tenant compte de cette formation, que le souffle lui a été donné.   Mais ce n’est pas ainsi que le Père a donné la vie au Fils.  Il ne lui a pas donné la vie en l’engendrant d’abord et en lui communiquant la vie ensuite.  Il lui a donné la vie en l’engendrant,  car le Fils est substantiellement la vie qui lui a été donnée à la naissance.  L’homme, lui, a d’abord été formé, et a reçu la vie ensuite,  car il a reçu la vie non par la génération mais par la participation.  Car sa vie n’était pas la vie substantielle, mais une participation à la vie.  Mais le Fils unique du Père n’a pas reçu la vie par participation.  Il est engendré substantiellement de la Vie Père.  La vie ne lui a pas été donnée comme à un existant non encore vivant, mais il a été engendré tout d’un coup  à une  vie égale et consubstantielle à celle du Père.  C’est en l’engendrant qu’il a lui a donné cette vie.

 Il poursuit :  Mais le Père l’a engendré, en dehors du temps,  de façon telle que la vie qu’il a reçue de lui à sa naissance est coéternelle à la vie du Père.   Par ces paroles, il montre que le Père est la Vie et que le Fils est la Vie.  Mais la Vie c’est du Père que le Fils la reçoit pour qu’elle soir la Vie.  Il n’existait pas avant de recevoir la vie,  mais il a été engendré Vie coéternelle et consubstantielle à la Vie du Père.  Celui qui veut comprendre comment cela est possible, qu’il se dise que comme le Père a en lui-même que le Saint Esprit procède de lui,  il a donné au Fils que le même Saint Esprit procède de lui.  Et comme personne sain d’esprit ne peut nier que le Fils a reçu du Père d’être la Vie comme il est lui-même la Vie, personne non plus ne peut nier qu’il a reçu  du Père que l’Esprit saint procède de lui.  Et dans les deux cas, en dehors du temps.  Comme il procède du Père sans le temps,  il procède aussi du Fils sans le temps.  Car cette procession,  loin d’être temporelle,  est éternelle.  Comme la nativité du Fils repousse le temps, la procession du Saint Esprit de l’un et l’autre ne connait pas le temps.

 Il ajoute :  On dit que l’Esprit saint procède du Père de façon à faire comprendre qu’il procède aussi du Fils, de l’être du Père et du Fils.  Il veut que quand on dit que le Saint Esprit procède du Père, on comprenne qu’il procède aussi du Fils.  En nommant le Père,  on pense au Fils, car c’est du Père que le Fils a reçu que l’Esprit saint procède de lui.  Et parce qu’il attribue au Père le fait que l’Esprit saint procède de lui, dire que l’Esprit saint procède du Père,  c’est affirmer également qu’il procède du Fils.  C’est pourquoi il ajoute : Si tout ce qu’a le Fils c’est du Père qu’il l’a, c’est du Père aussi qu’il a que l’Esprit saint procède de lui.  Nous savons, pour l’avoir entendu dire par le Fils, que le Fils a tout ce qu’a le Père.  Mais comme tout cela lui a été donné par le Père, c’est avec justice qu’on le réfère à celui qui l’a donné. Et c’est pourquoi quand on dit que l’Esprit saint procède du Fils, on fait référence au Père qui lui a donné que l’Esprit procède de lui.    Quand le Fils dit dans l’évangile : l’Esprit saint qui procède du Père, (Jn XV, 66) il veut que l’on comprenne qu’il procède aussi de Lui, mais sans rapport au temps, sans qu’on ait à se demander curieusement si l’Esprit saint a procédé avant que le Fils naisse,  ou si c’est après la naissance du Fils que l’Esprit saint procède de l’un et de l’autre.   Il n’y a pas à imaginer d’avant ou d’après là où il n’y a pas de temps.

 Et par la suite :  Il n’y a donc pas d’absurdité à dire qu’il procède des deux, car le Fils a une essence sans commencement dans le temps, une génération sans changement dans la nature divine, et l’Esprit saint a lui aussi une essence sans commencement dans le temps, et une procession de l’un et l’autre sans changement dans la nature divine.   Il déclare que la procession du Saint Esprit provient autant du Fils que du Père, mais il ne cherche pas à savoir s’il procède du Père d’abord, et du Fils ensuite.  Comme la génération du Fils a produit une substance sans qu’intervienne le temps, ni aucun changement, de la même façon la procession a donné au Saint Esprit une substance hors du temps, et sans changement de la nature divine. Ne discutons pas sur l’avant et l’après, mais comprenons que la nativité du Fils est du Père, et la procession de l’Esprit saint est des deux.

 Il continue ainsi :  Car, quand nous disons que l’Esprit saint n’est pas engendré, nous n’osons pas dire qu’il est inengendré, de peur de mettre deux Pères dans cette trinité, ou deux qui ne proviennent de personne.  Car le Père seul n’est pas d’un autre, c’est pourquoi il est le seul à être appelé inengendré.  Ce mot ne vient pas de l’Ecriture, mais de l’usage qu’en ont fait les débatteurs. Et il est entré dans les mœurs.  Le Fils, lui, est né du Père, et l’Esprit saint procède principalement du Père, sans le temps, mais aussi du Fils. On le dirait fils du Père et du Fils, si l’on n’avait point en horreur que tous les deux l’engendrent.  Non, il n’est pas né des deux, mais il procède des deux.  Il ne cesse pas d’affirmer que l’Esprit saint procède du Père et du Fils.  Les contradicteurs font l’objection suivante :  s’il procède des deux, il sera le Fils de l’un et de l’autre.  Il s’était d’abord demandé si l’Esprit est engendré ou inengendré, et avait rejeté l’un et l’autre nom.  Et il en donne la raison : s’il est engendré par les deux,  il sera le fils des deux, du Père et du Fils, ce qui répugne à la foi. On ne peut pas non plus le dire inengendré, car ce mot est réservé au Père qui ne vient d’aucun autre.  Il tire de lui-même le principe de son être,  et il n’y a rien qui le précède dans l’existence.  Il est le principe, la source et l’origine de l’universalité.  Comme il n’est pas permis de le dire engendré ou inengendré,  on peut enseigner que l’Esprit saint  procède, non du Père seul, mais aussi du Fils.   On ne dit pas qu’il a été engendré car il n’est ni le fils du Père,  ni le fils du fils.  On dit qu’il procède du Père et du Fils, car il est l’Esprit des deux.  On montre clairement que l’Esprit saint procède des deux quand on enseigne qu’il n’est pas le seul à procéder du Père, de peur qu’il ne soit appelé fils du Père;   qu’il ne procède pas du seul Fils, pour ne pas blasphémer en donnant au Fils le nom de Père.  On dit qu’il est l’Esprit saint et qu’il procède;  et qu’il procède des deux.

       CHAPITRE QUATRIEME
 
 
 
 
 
 
 
 

LES GRECS

LIVRE QUATRIEME

CHAPITRE PREMIER
 

  Les objections qui suivent pourraient être renvoyées aux calendes grecques, car elles ont bien peu à voir avec la sagesse, et beaucoup avec l’incompétence.   Mais chez les inexpérimentés, elles pourraient, tout erronées qu’elles soient, causer du scandale.  Comme elles ont l’apparence de la piété, elles ont tout ce qui faut pour séduire les imprudents,  ceux qui sont incapables de faire la distinction entre la vraie dévotion et sa grimace.  Car elles ne se rapportent en rien aux dogmes de la foi dans lesquels se trouve la totalité du christianisme. Comme elles ne font que formuler les coutumes de leur église, il n’y a pas, pour notre église, matière à approbation ou à condamnation.   Il ne servirait à rien de citer ici  les paroles de l’apôtre :  Je vous exhorte à dire tous la même chose. Et qu’il n’y ait pas en vous de schisme !  (1 Cor 1, 10)  Il explique plus loin quelles sont les choses qui demandent l’unité de pensée et de croyance :  un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Un Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et en vous tous.  (Eph 1V, 5,6 )   Les croyants ne différent en rien quand ils professent leur foi  dans la sainte trinité, dans la nativité de Jésus-Christ notre sauveur, dans sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension dans le ciel et dans sa session à la droite du Père.  Toutes ces choses nous les croyons de cœur pour notre justification, et nous les confessons de bouche pour notre salut.  Nous croyons aussi qu’il viendra juger les vivants et les morts,  et dans un seul baptême au nom du Père, du Fils et du  saint Esprit.  Voilà les mystères que nous devons tous croire à l’unanimité.

 Les coutumes des différentes églises ne sont pas identiques, et elles  ne doivent pas être uniformisées.  Prenons,  pour exemple,  l’église naissante de Jérusalem.   Les actes des apôtres  attestent que les croyants de Jérusalem ne possédaient rien, qu’ils vendaient leurs biens et en remettaient le prix aux pieds des apôtres.  Les apôtres distribuaient le tout selon les besoins de chacun. (Act  1V, 34, 35) Car tout leur était commun.   Mais les croyants qui venaient de la gentilité n’adoptèrent pas la même règle de vie.  Comme le témoigne les actes des apôtres, ils reçurent des apôtres des préceptes particuliers, l’observance desquels les rendrait participants à la vie éternelle.  Ils devaient s’abstenir du culte des idoles, de la fornication, du sang, et des viandes étouffées.   On ne leur a rien imposé de plus comme l’atteste la lettre que les apôtres leur ont envoyée :  Il a paru bon à l’Esprit saint et à nous de ne vous imposer d’autre fardeau que ce qui est nécessaire : que vous vous absteniez des viandes immolées aux idoles  etc… (Acr XV, 28)

 Qui ne voit pas qu’il s’agit là de règles de vie différentes ?  Ne rien posséder en propre et vivre en communauté  est aux antipodes de conserver tous ses biens et n’avoir à observer que quelques préceptes.   Une chose en effet est rechercher la perfection, ---ce que firent ceux qui vendirent leurs biens pour les distribuer aux pauvres, et suivirent pauvres le Christ pauvre ---autre chose  est de s’initier à une religion nouvelle,  en ne pratiquant que les préceptes fondamentaux.  Même si leur règle de vie était différente,  ils restèrent unis dans la foi.

 L’évêque de Césarée, Eusèbe, parle, dans son histoire ecclésiastique,  des croyants qui demeuraient à Alexandrie.  Ils étaient d’une grande ferveur religieuse, et se livraient à l’étude de la philosophie.  Voici ce qu’il dit : En tout premier lieu, ils renoncent à tous leurs biens, ceux qui se sont consacrés à ce mode de vie philosophique, et mettent tout en commun.  Ensuite, pour s’affranchir  de toute sollicitude temporelle, ils quittent la ville pour aller demeurer dans les campagnes ou dans des endroits retirés,   fuyant les compagnies qui vivent différemment, et tout ce qui les détourne  de leurs engagements.  Et un peu plus loin, il dit : Il y a dans tous les lieux une maison consacrée à la prière, qu’on appelle semnion ou monastère.  On peut définir semnion comme une demeure de gens honnêtes dans laquelle ceux qui y résident célèbrent les mystères chastes et honnêtes de la vie.  Ils ne portent aucun intérêt à tout ce qui se rapporte à la boisson ou à la nourriture ou aux autres activités corporelles. Il n’y a pour eux que les livres de la loi qui comptent, les volumes des prophètes, les hymnes divins et autres choses de ce genre.  Formés par ces disciplines et ces exercices, ils tendent de toutes leurs forces à la vie bienheureuse.  Du matin jusqu’au soir, ils consacrent tout leur temps aux études. Ils sont remplis, par les saintes lettres, de la divine philosophie.  En plus du sens littéral, ils cherchent à trouver un sens allégorique.   Ils cherchent des mystères divins cachés dans les personnages, les images ou les faits de l’ancien testament.

 Et un peu plus loin :  Ils placent la continence dans l’âme comme premier fondement. Et ils s’appliquent à ériger les vertus sur ce fondement.  Nul d’entre eux ne boit ni ne mange avant le coucher du soleil.  Le temps de la lumière, ils l’associent aux études de la philosophie, et la nuit aux soins du corps.  Quelques-uns  ne mangent qu’après trois jours de jeûne, ceux que tourmente la faim des études. Ceux qui s’appliquent à l’acquisition d’une sagesse encyclopédique et à l’approfondissement de la compréhension des livres sacrés ne sont jamais satisfaits.  Ils se passionnent toujours de plus en plus pour l’étude, tellement qu’ils n’accordent pas au corps la nourriture qui lui est nécessaire avant le quatrième jour, ou le cinquième, ou même le sixième.

 En nous racontant la règle de vie des croyants d’Alexandrie et d’autres Egyptiens, il nous fait réaliser à quel point elle différait de celle de tous les autres croyants répartis sur toute la surface de la terre.   Ils étaient tellement enflammés du désir de la patrie céleste qu’on pouvait dire d’eux :  Votre conversation est au ciel. (Phil 111, 20)  Demeurant dans la chair, ils vivaient sur la terre comme des anges.  On rapporte que c’est l’évangéliste Marc, que saint Pierre avait envoyé pour évangéliser le pays, qui a institué ce mode de vie.   Privait-elle, à cause de cela, les autres églises de sa communion ?  Ou leur intimait-elle qu’elles eussent à renoncer à leur coutumes pour adopter les siennes ?  Non, car elle savait pertinemment que non seulement chaque homme mais chaque église  a reçu la grâce selon la mesure du don du Christ.

 Et ceux qui avaient posé la continence comme le fondement de la consécration à Dieu ne méprisèrent pas  pour autant le mariage.  Ce qui fut d’autant plus méritoire, que là où des laïcs s’imposaient le célibat,  des évêques et des prêtres convolaient en justes noces.  Et ceux qui avaient coutume de ne pas manger avant le soir,  ne mangeaient pas le jour du sabbat.  Un grand nombre ne mangeait qu’à tous les trois ou à tous les six jours.

 Que les sages parmi les Grecs et les empereurs se demandent s’ils ont raison de blâmer les Romains parce qu’ils jeûnent le sabbat. Qu’ils blâment donc ceux qui jeûnent à chaque jour !  Qu’ils condamnent ceux qui restent une semaine entière sans manger !  Comme cela serait ridicule, qu’ils se rendent donc compte qu’ils ont agi sans prudence et avec beaucoup de légèreté.  Et qu’ils s’appliquent à imiter la vertu plutôt qu’à vitupérer le jeûne.  Car l’apôtre a dit :  Le royaume de Dieu n’est pas dans le boire et le manger mais dans la piété et la justice. (Rom X1V, 17)  Le Sauveur lui-même ce n’est pas en mangeant mais en jeûnant qu’il a vaincu le démon. (Matt. 1V)   Ils ne voudront pas que toutes les églises adoptent leur coutume à eux,  pour peu qu’ils se souviennent qu’au temps des apôtres et de leurs disciples, des observances diverses ont été en vigueur.  Mais pratiquant des coutumes différentes,  ils ne furent pas séparés dans la foi.
 
 

             CHAPITRE DEUXIEME
 
 

 L’Apôtre a écrit aux Thessaloniciens :  Vous êtes devenus, frères, des imitateurs des églises de Dieu qui sont en Judée dans le Christ Jésus. (1 Th 11, 4)  En disant cela, il montre que les églises des croyants provenant de la gentilité n’avaient pas la même vertu que celle de Jérusalem ; qu’elles différaient d’elle par le nombre et la diversité des coutumes.   C’est ce qu’atteste saint Jérôme dans le prologue des épitres de saint Paul :  Les lettres ont été écrites de façon à obtenir un progrès gradué. Elles consacrent la première partie à ce qu’on leur avait demandé, i.e. à l’observance peu astreignante de préceptes élémentaires.  Elles comprennent ensuite des enseignements destinés à ceux qui avaient déjà pratiqué les préceptes élémentaires, mais qui n’avaient pas encore atteint le sommet de la perfection. D’autres enfin destinés à ceux qui gravissaient les degrés de la perfection.  Ils étaient éminents en science et en vertu.  Plusieurs leur étaient inférieurs, mais aucun ne les dépassait.

 Que retenir de cela si ce n’est que, entre les églises, il y avait de la différence au niveau de la science, de la vertu et des coutumes religieuses.   En effet, ceux qui vivaient à Jérusalem se comportaient bien autrement que les autres.  Ils vivaient en commun, communiaient dans la fraction du pain. Ils persévéraient dans la prière, et ne possédaient rien.  Ils vivaient bien différemment de ceux de Jérusalem ceux qui, conservant leurs biens, réglaient leur vie, leurs mœurs et leur foi d’après la grâce de l’évangile qui leur avait été divinement imparti.  Plus que de tous les autres l’apôtre Paul fait l’éloge des Thessaloniciens, parce qu’ils ont été les imitateurs des croyants de Jérusalem.  .

 Dans son histoire ecclésiastique,  Socrate dit ceci des différentes coutumes des Eglises (livre V, ch 21) : .Au sujet des  coutumes propres à chaque région pour la célébration de la Pâque,   je pense que c’est la diversité qui règne partout.  Bien qu’elles soient toutes d’une même foi,  les églises  s’inspirent,  pour Pâques,  de traditions différentes  tout à fait légitimes.   Quelques exemples suffiront.  Dans les jeûnes eux-mêmes, tu trouveras des différences marquées.  Car les Romains jeûnent six semaines avant Pâque.  Ils  jeûnent continuellement, excepté le dimanche. Tous les Grecs et les Alexandrins jeûnent eux aussi six semaines avant Pâque, et ils appellent carême ce jeûne.  D’autres jeûnent pendant sept semaines avant Pâque.

 Et un peu plus loin : L’abstinence elle-même des aliments n’est pas la même partout.  Car quelques-uns s’abstiennent de  tous les animaux.  D’autres ne mangent que du poisson.  D’autres encore mangent des volatiles avec les poissons, disant, d’après Moïse, qu’ils tirent leur nourriture de l’eau.  Il y en a qui s’abstiennent du fromage et des œufs.  D’autres ne mangent que du pain sec.  D’autres encore ne jeûnent que jusqu’à la neuvième heure, après quoi ils peuvent manger de tout.  Il n’est pas possible d’énumérer toutes les coutumes, tellement elles sont nombreuses.  Et parce qu’aucune règle n’a été laissée par écrit, je pense que les apôtres en ont laissé à chacun la décision, pour que chacun fasse ce qui est bien sans crainte et sans contrainte. Même au sujet de la célébration liturgique on trouve de la différence. Car dans toutes les églises le jour du sabbat, à chaque semaine, on célébrait des sacrifices.  Mais à Rome et à Alexandrie, une ancienne coutume empêchait de le faire.  Les Egyptiens qui demeurent près d’Alexandrie et les habitants des Thébaïdes, tiennent des assemblées  le samedi, mais ne reçoivent pas les sacrements comme d’habitude.  Car, après avoir mangé et s’être repus de toutes sortes de mets, ils communient vers le soir, après avoir fait l’oblation.

 De même, à Alexandrie, à la quatrième et à  la sixième  férie, on lit l’Ecriture, et les docteurs les interprètent, et tout cela sous le rite solennel.    Il dit plus bas :  Dans la même Alexandrie, des catéchumènes ou des simples chrétiens sont choisis pour lire ou psalmodier.  Mais dans toutes les autres églises, seuls ceux qui sont déjà baptisés remplissent ces fonctions.  J’ai connu moi-même en Thessalie une autre coutume. Un clerc s’était marié légitimement avant la cléricature.  Il a ensuite abdiqué parce qu’il avait eu des relations sexuelles avec sa femme, après être devenu clerc.  En Orient, tous, même les évêques, s’abstiennent de rapports sexuels spontanément, de leur propre volonté, sans subir de contrainte.  Car plusieurs,  au temps même de leur épiscopat, ont eu des enfants d’une épouse légitime.

 Voici une coutume que j’ai vue de mes propres yeux. En Thessalie, on ne baptisait qu’au jour de Pâque.  C’est pourquoi plusieurs mouraient sans baptême. A Antioche de Syrie, les églises ne sont point tournées vers l’Orient, mais vers l’Occident.  En Grèce, à Jérusalem et en  Thessalie, ils disent le soir des prières semblables à celles des Novatiens de Constantinople.   En Césarée de Cappadoce et à Chypre, le soir  du sabbat et du dimanche, les évêques et les presbytres interprètent les Ecritures à la lumière  des cierges.  A Alexandrie, le presbytre ne fait pas de sermon. Cette interdiction a commencé quand Arius a jeté le trouble dans l’Eglise, lui, un simple prêtre.   A Rome on jeûne à tous les sabbats.   Dans la Césarée de Cappadoce, ceux qui pêchent après le baptême sont interdits de communion.  Les Novatiens autour de la Phrygie, ne  reçoivent pas les remariés. A Constantinople, on ne les reçoit pas ouvertement, mais on ne les repousse pas non plus. Dans les pays occidentaux, on les reçoit ouvertement.

 On n’en finirait plus s’il fallait  rapporter toutes les différentes dispositions ou observances remontant à l’antiquité.  Mais que suffisent ces citations d’un seul auteur, qui plus est, d’un Grec.  Que les empereurs grecs comprennent avec quelle injustice et quelle ignorance ils blâment les Romains, parce qu’ils n’observent pas en tout les coutumes  des Grecs.   Qu’ils fassent d’abord un inventaire  de toutes les coutumes diverses des différentes églises réparties sur le globe,  et qu’ils condamnent ensuite, s’ils l’osent,  les Romains parce que leurs coutumes sont différentes de celles de Constantinople.   Sont-ils plus sages que les Apôtres ?  Ou peuvent-ils démontrer, à l’aide de textes anciens, que leur coutume l’emporte sur celle des Romains ?  Leur propre historien atteste que les saints apôtres ont laissé à chacun le droit de décider en ces matières,  pour que le bien soit fait  sans peur et sans contrainte.  Tous étant de la même foi,  ils ont établi des rites légitimes différents autant pour la pâque que pour les jeûnes, avec un nombre de jours variable.  Les divergences ne portent pas exclusivement sur le jeûne, la sorte d’aliments, le nombre de jours etc…Les assemblées du peuple elles-mêmes ne se font pas au même moment ni de la même façon.  Les Alexandrins et les Romains les célèbrent d’une façon, les Egyptiens et les Thébains d’une autre.   Car ni les Alexandrins ni les Romains ne convoquent l’assemblée le jour du sabbat, alors que tout l’Orient chrétien le fait.   Les Egyptiens qui demeurent dans la Thébaïde s’assemblent à l’église le sabbat,  mais ne reçoivent pas les sacrements du corps et du sang du Christ quand ils sont à jeun.  Le soir seulement,  après s’être remplis de nourriture, contre la coutume de toute la planète.

 Les Alexandrins ont aussi la coutume de réunir le peuple la quatrième et la sixième férie,  pour faire la lecture des saintes lettres et entendre les interprétations des docteurs, sans offrir l’oblation du sacrifice.   Mais ils n’excommunient pas pour cela les autres églises orientales qui agissent autrement.   Les Thessaliens ont, eux aussi, des traditions différentes des autres églises orientales.  Car, ils ne supportent pas, comme l’atteste leur historien, qu’un clerc ait des relations sexuelles avec une épouse qu’il a épousée légitimement avant le sacerdoce.  S’il le fait, il est privé de son ministère.   Dans les autres églises orientales, cette loi ne contraint personne.  Chacun est laissé à son propre jugement, de sorte que non seulement les ministres des ordres mineurs, mais les prêtres et même les évêques peuvent conserver les femmes qu’ils avaient épousées légitimement avant leur ordination.  Il n’est pas permis cependant à ceux qui n’en ont pas déjà d’en épouser une, ni de se remarier après la mort de l’épouse.   Cette importante divergence n’a pourtant jamais entraîné l’excommunication de personne.   L’église de Thessalonique se distingue des autres par le jour du baptême : à Pâque seulement.  Mais si on tient compte des statuts des anciens, le jour de la Pentecôte convient autant que celui de Pâque.

 Pourquoi faire mention d’Antioche de Syrie, dont la coutume est de tourner l’autel non vers l’est mais vers l’ouest.  Un historien de Constantinople rapporte que tous ne sont pas du même avis au sujet du remariage (après la mort de l’un des deux conjoints). Les uns sont pour,  les autres sont contre.  Toute l’église occidentale sans exception reconnait ouvertement les secondes noces (après la mort d’un des deux conjoints).   Cette différence dans les coutumes n’a jamais entraîné d’excommunication.  Je me demande quelle  sagesse, quel zèle pour la sainteté de la religion, poussent les empereurs à ne pas tolérer chez les Romains ce qu’accepte l’église partout sur la terre.  Pourquoi veulent-ils que les Romains et les occidentaux ne diffèrent en rien des chrétiens de Constantinople quand les Orientaux sont divisés entre eux par tant de pratiques ?  L’Eglise de Constantinople elle-même se contente-t-elle d’une seule et même façon de faire ?

 C’est peu dire qu’affirmer que  les chrétiens ont recours à des coutumes diverses. Il est possible de démontrer que chez les Juifs l’observation de la religion n’a pas été uniforme.  Bien qu’ils n’adoraient qu’un seul Dieu et qu’ils observaient tous les préceptes de la loi mosaïque, les traditions, les mœurs et les coutumes n’étaient pas les mêmes, comme le rapporte l’historien Joseph en ces mots : Trois systèmes philosophiques avaient été transmis aux Juifs par leurs prédécesseurs, ceux des Esséniens, des Sadducéens et des Pharisiens.  Les Pharisiens ont une session par jour, marquée par l’austérité.  Ils ne s’accordent aucun confort ni aucune douceur, mais ils font ce que le raisonnement leur montre. Ils ne critiquent pas  leurs supérieurs, entourent d’honneur et de respect les vieillards, et ne les contredisent en rien. Ils croient que tout est décidé par le destin, sans pourtant enlever à l’homme son libre arbitre. Ils admettent qu’il y aura un jugement de Dieu, et qu’alors tous les hommes seront rétribués selon leurs actions, autant ceux qui ont vécu vertueusement que ceux que  le mal a dépravés.  Ils enseignent que les âmes sont immortelles,  et que dans l’enfer un lieu sera attribué à chacun qui correspondra aux vertus pratiquées ou aux maux commis. Certaines âmes seront écrouées dans des cachots éternels; d’autres recevront le don de revivre.  Ils sont à cause de tout cela en grand honneur auprès des Juifs,  et ils leur font confiance.  Tout ce qui tient au culte à rendre à la divinité, aux prières à lui offrir, aux rites et aux cérémonies du temple, les Juifs estiment que c’est aux Pharisiens à le déterminer.   Car ils ont une si grande opinion de leur zèle pour la religion qu’un grand nombre de villes, et la multitude même, accourent à eux, persuadés qu’ils sont meilleurs que les autres.

 Les Saducéens, par contre, estiment que les âmes sont mortelles, et qu’elles disparaissent avec les corps.  Ils n’ont d’observance que  la loi. Leurs docteurs se livrent à des joutes philosophiques, et ils comblent d’honneur ceux qui remportent la victoire.  Leur doctrine n’est connue que d’un petit nombre, ainsi que leur mode de vie. Leurs chefs sont traités avec respect et vénération.

 Les Esséniens, eux, rapportent tout à Dieu. Ils soutiennent que l’âme est immortelle, et que la justice est la perle précieuse pour laquelle il faut combattre jusqu’à la mort. Ils interdisent l’anathème dans le temple.  Ils n’offrent pas de sacrifice ou d’hostie avec le peuple, car ils pensent qu’ils diffèrent grandement d’eux par la pureté, la sainteté et le mérite.  Ils s’éloignent de la foule pour offrir à Dieu des sacrifices dans des endroits retirés.   Leurs mœurs et leur conduite sont exemplaires. Ils s’appliquent avec ardeur à cultiver la terre. Ils ont ceci de propre et de remarquable, --que tu ne trouveras ni chez les Grecs ni chez les barbares,--que tout est à l’usage de tous, et qu’ils possèdent tout en commun.  Les plus riches ne jouissent de rien de plus que les pauvres, et les pauvres ne manquent de rien, comme si personne ne possédait rien en propre.  Ils sont au moins quatre mille hommes.  Ils ne se marient pas, et ne se soucient pas d’avoir des serviteurs, car ils considèrent que c’est une source de division et de maux de toutes sortes.  Ils se servent donc les uns les autres, chacun pourvoyant aux besoins de l’autre.  Ils élisent des administrateurs qui doivent utiliser les produits de la terre pour fournir ce qui est nécessaire à tous.  Ils choisissent leurs prêtres parmi les hommes les meilleurs.  Leur nourriture est simple, leur habit propre et simple.  Joseph parle ensuite d’une quatrième secte philosophique qui se trouvait également chez les Juifs dont un certain Judas était le chef.  Nous l’omettrons pour faire bref, et parce qu’à cause de sa nouveauté, elle état moins connue que les trois autres.

 Nous avons cité ce texte pour montrer  qu’en ce qui a trait au culte à rendre au Dieu unique et à l’observance de la loi mosaïque, il n’y avait pas entre eux de divergence, et qu’ils faisaient montre d’un même zèle.    Mais au niveau des mœurs et de la pratique religieuse, ils différaient grandement entre eux.  Non parce que, à notre époque, nous approuvions leur religion.   Notre intention est de montrer  que ceux qui étaient semblables dans le culte qu’ils rendaient au Dieu unique et dissemblables dans leur mode de vie ne privaient pas pour autant les autres de leur communion.  Mais conservant l’unité, ils toléraient patiemment des conduites et des mœurs qui n’étaient pas semblables en tout aux leurs, sachant  pertinemment que de telles différences ne mettent pas la foi en péril,  aussi longtemps qu’ils tomberont d’accord sur Dieu et l’observance des préceptes mosaïques.

 Et voici maintenant que les Empereurs grecs supportent mal que les rites, les pratiques et les coutumes de Romains ne soient pas semblables en tout aux leurs. Or, cette similitude on ne peut la découvrir ni dans les différentes églises du Christ, ni chez les Juifs, nos prédécesseurs.   Ce qui nous fait soupçonner que ce besoin de trouver autrui en faute ne vient pas de la charité, mais de l’envie et de la jactance.  Venons-en maintenant à chacun des items.  En voulant faire étalage de sagesse et de religion, ils ne font que révéler un  manque de sagesse et de religion.
 

              CHAPITRE TROISIEME
 

 Ils réprouvent les Romains parce qu’ils jeûnent le samedi (sabbat), tandis qu’eux et les Orientaux font gras.  Ils ne sont pas au courant, je pense, que ce ne sont pas tous les Occidentaux qui jeûnent le samedi.   Les Romains ont cette coutume et d’autres aussi,  mais pas tous. Il serait plus vrai  de dire que la majorité des Occidentaux ne jeûne pas le samedi.  Ils ne blâment pas les Romains pour autant parce qu’ils jeûnent;  et les Romains ne blâment pas non plus ceux qui ne jeûnent pas le samedi.   Car ils savent ce qu’a dit l’apôtre :  Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne méprise pas celui qui mange. (Rom X1V, 3)    Ce ne sont pas non plus toutes les églises orientales qui ne jeûnent pas le samedi.  Alexandrie conserve la même tradition que celle de Rome.  Il ne se fait pas non plus, comme à Rome,  d’assemblées à Alexandrie le jour du sabbat.  Il est donc démontré que les Alexandrins comme les Romains ne prennent pas de repas le jour du sabbat.  Car dans les jours où l’assemblée est convoquée, la coutume veut que les sacrements soient célébrés et reçus,  et qu’on mette fin au jeûne.  Mais tout près, cependant, dans la Thébaïde,  et chez les Egyptiens, le jeûne est suspendu le samedi. Ils ne reçoivent toutefois les sacrements du corps et du sang du Christ que le soir après avoir terminé le repas.  Aucune église ne leur reproche cette coutume, même s’ils sont les seuls à l’observer.  Est-ce que les nouveaux censeurs leur font des reproches, nous l’ignorons.  Mais nous savons que, comme le rapporte la tradition,  c’est l’apôtre Pierre qui leur a appris de jeûner le samedi (le sabbat).  On trouve par écrit que les apôtres Pierre et Paul ont jeûné le sabbat quand ils ont combattu contre Simon le magicien.  Voilà pourquoi la coutume s’est
établie à Rome de jeûner le sabbat.

 L’historien Eusèbe, dans sa biographie du pape Sylvestre, a raconté un fait qui se rapporte à notre sujet.  Les Grecs allèrent trouver le pape Sylvestre pour se plaindre de ce que les Romains jeûnaient le samedi. Il leur répondit ceci. Il devrait suffire pour justifier cette coutume de rappeler que c’est ainsi que se sont comportés les apôtres (Pierre et Paul). Mais parce que votre charité demande une raison, elle lui sera donnée. Si la journée du dimanche en entier est consacrée au mystère de la résurrection, il est juste que la journée entière du sabbat remémore, par l’ascèse du jeune, l’ensevelissement de notre Sauveur. Pour que, pleurant avec les apôtres la mort de Jésus notre Sauveur,  nous méritions de nous réjouir avec eux de sa résurrection.  Les Grecs répliquèrent qu’il n’y avait qu’un seul sabbat par année où la sépulture de Notre Seigneur dût être commémorée par le jeûne.  Mais le pape leur répondit : si l’on croit que chaque dimanche  rayonne de la gloire de la résurrection, chaque jour qui précède le dimanche est un jour de sépulture,  à être célébré par le jeûne.  Ainsi, qui a pleuré sur le tombeau du Christ pourra se réjouir de sa résurrection.    Pleurer, dirais-je, c’est compatir.  Mais il n’en est pas moins vrai que la passion du Christ  est le sommet de notre joie.    Après avoir entendu cette explication du pape, ils se turent.

 Nous avons rapporté ce fait pour démontrer  que ce n’est pas d’aujourd’hui que les Romains jeûnent le samedi, que c’est une coutume établie par les apôtres, et qu’elle est motivée par une juste raison.  Je m’étonne donc que la prudence de nos nouveaux sages n’acquiesce pas à ce qui a réduit au silence leurs ancêtres.  C’est donc l’enseignement de saint Pierre et de saint Paul qui est à l’origine de cette pratique de jeûner le samedi,  et ils en ont confirmé la vérité doctrinale par l’effusion de leur propre sang.  Mais les Romains n’ont jamais rejeté de leur communion les églises orientales qui n’observaient pas cette tradition, et qui mangeaient le sabbat comme le dimanche.

 Le docteur Augustin écrit à ce sujet au prêtre Casulanum (épitre 86) :  Il y a ensuite le sabbat, jour où le corps du Christ a reposé dans le tombeau, comme il s’était reposé après avoir fait ses premières œuvres.  De là vient une grande diversité relativement aux repas.  Quelques-uns, comme les Orientaux, préfèrent ne pas jeûner à cause du repos. D’autres, comme les Romains et d’autres Occidentaux, aiment mieux jeûner à cause de la bassesse de la mort du Christ.  Mais le samedi saint, pour se remémorer le jour où les disciples ont versé des larmes quand Jésus fut enseveli, tous jeûnent, même ceux qui, au cours de l’année, prennent leur repas le samedi. Ils révèrent ainsi, au jour anniversaire,  la douleur des disciples, et, aux autres sabbats,  le bien du repos.  Il y a deux choses, en effet, qui font espérer aux justes la béatitude et la fin de toute misère, la mort et la résurrection des morts.  Dans la mort est le repos.  C’est ce que dit le prophète : mon peuple cachera le petit dans tes celliers jusqu’à ce que passe la colère de Dieu. (Is XXV1, 20)  A la résurrection, le bonheur parfait est dans l’homme entier, dans la chair et dans l’esprit.   De là vient qu’on a pensé que  l’un de ces deux repos serait moins bien  représenté par la peine du jeûne que par l’allégresse du repas.  A une exception près, le samedi où les disciples ont pleuré la mort de Jésus.  Car pour commémorer ce sabbat, ils jeûnent.

 Mais comme nous ne trouvons pas par écrit, comme je l’ai déjà rappelé, ni dans les évangiles ni dans les épitres qui nous donnent la révélation du nouveau testament, des jours précis où le jeûne serait de précepte, on trouve cette pratique comme beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer, dans le vêtement de la fille du roi, l’Eglise, lieu de variété. Je vais t’indiquer ce que m’a répondu le vénérable Ambroise, évêque de Milan, qui m’a baptisé.  Ma mère qui était avec moi était troublée par un souci qui nous inquiétait fort peu, nous les catéchumènes :  devait-elle jeûner le sabbat selon la coutume de notre ville, ou prendre son repas comme cela se faisait à Milan ?      Pour soulager sa conscience, j’ai interrogé là-dessus le dit homme de Dieu.  Il m’a répondu : Que puis-je enseigner d’autre que ce que je fais moi-même.  Je crus qu’il voulait dire par là que nous devions nous abstenir de jeûner comme lui-même le faisait.  Mais il ajouta : quand je suis ici, je ne jeûne pas le sabbat.  Quand je suis à Rome, je jeûne le sabbat.  A quelque église que vous veniez, suivez-en les coutumes,  si vous ne voulez pas avoir matière  à vous scandaliser,  ni être cause de scandale.  J’ai rapporté cette réponse à ma mère, qui l’accepta immédiatement.  Elle n’hésita pas un instant à s’y conformer.  J’ai moi-même adopté cette façon de faire.  Car comme il arrive fréquemment en Afrique, que dans une église ou dans une région, les uns jeûnent et les autres ne jeûnent pas, il me semble qu’il faut suivre les traditions établies par ceux à qui la garde du troupeau a été confiée.

 Voilà ce que le bienheureux Augustin, docteur catholique, pense du jeûne du sabbat.  Il estime qu’il ne faut pas  en faire un motif de division ou de singularité, mais qu’il est plus pieux et plus charitable  de jeûner avec ceux qui jeûnent, et de manger avec ceux qui mangent.  Car ceux qui mangent, le sabbat, et ceux qui jeûnent  le font pour des raisons de piété. Les premiers, parce que Dieu s’est reposé, en ce jour,  de tout son travail; et parce que, à la résurrection, les croyants se reposeront, avec leurs corps,  du repos des saints.  Les autres, ceux qui jeûnent le sabbat,  agissent aussi pour des raisons pieuses.  Parce qu’en ce jour les disciples ont pleuré toutes les larmes de leurs corps. Voulant les imiter, ils mettent leur fidélité à jeûner.  D’autres ne jeûnent pas, le sabbat, pour fêter la joie de la résurrection du Seigneur, et démontrer quelle était l’allégresse des apôtres quand ils ont vu Jésus ressuscité.  Et pourtant,  toutes les églises de toute la terre jeûnent à chaque année au sabbat qui précède la résurrection, aussi bien celles qui mangent, le sabbat, que celles qui jeûnent.  Quant aux Romains, il leur a plu de commémorer à chaque sabbat le sabbat de la sépulture du Christ en jeûnant,  comme toutes les églises se rappellent la résurrection à chaque dimanche de l’année.
 Puisque ceux qui mangent, le sabbat,  et ceux qui jeûnent le font pour des motifs de religion, et puisqu’on ne trouve dans les livres du nouveau testament aucune directive, aucun précepte ordonnant ou interdisant ceci ou cela, il ne devrait pas y avoir dans l’Eglise de division à ce sujet.  On devrait plutôt laisser cette question au libre choix de chacun. Ou plutôt, chacun devrait suivre les décisions des siens, et la coutume de son église.  Est-il raisonnable de condamner quelqu’un parce qu’il jeûne pour des motifs de piété ?  Il y a, d’ailleurs,  d’autres jours où dans quelques églises la coutume demande de jeûner : tous les mercredis et tous les vendredis. Et on en donne la raison.  C’est le mercredi, comme le dit saint Augustin,  que les princes des Juifs se sont réunis et ont décidé de s’emparer de Jésus par ruse,  et de le mettre à mort.  Le vendredi, la crucifixion. (épitre 86) : C’est le mercredi et le vendredi que l’Eglise jeûne le plus intensément. Voici quelle en est la raison. Le mercredi, les Juifs ont tenu un conciliabule pour tuer Jésus. Le lendemain soir, il mangea avec ses disciples. Puis, il fut trahi à cette heure de la nuit qui appartenait déjà au jour de la passion. Ce jour était le premier des azymes, commençant le soir.  Mais l’évangéliste saint Matthieu dit que la cinquième journée  a été le premier jour des azymes, et le soir suivant était la cène pascale. Les azymes commençaient avec la cène et la manducation de l’agneau immolé.   D’où l’on déduit que c’était la quatrième journée  quand le Christ a dit : vous savez que dans deux jours, ce sera la fête de Pâque, et le Fils de l’home sera livré et crucifié.  Voilà pourquoi ce jour a été considéré comme un jour de jeûne.  Car l’évangéliste  dit ensuite : alors les princes des prêtres et les anciens du peuple se sont réunis dans la maison du prince des prêtres, et tinrent conseil pour s’emparer de Jésus par la ruse et le mettre à mort. Le lendemain, l’évangéliste nous rapporte que le premier jour des azymes les disciples dirent à Jésus : où veux-tu que nous préparions de quoi manger la pâque ?  Le jour suivant, le Christ a souffert sa passion. C’est à cause de cette passion, que le vendredi est un jour de jeûne.  Les jeûnes en effet signifient l’humilité, comme il est dit : c’est dans le jeûne que mon âme s’humilie. (Ps XXX1V, 13)

 Voilà  ce que le bienheureux Augustin a écrit au prêtre Casulanum au sujet du jeûne du mercredi et du vendredi, lui montrant en même temps pourquoi il a été institué.  Et  pourtant,  ce jeûne du mercredi et du vendredi n’est pas pratiqué par toutes les églises orientales ou occidentales, mais par celles seulement qui ont jugé  bon de l’observer.  Mais ceux qui mangent en ces jours-là ne blâment pas ceux qui jeûnent. Chaque église continue à observer ce qu’elle a reçu de ses fondateurs.  Je m’étonne que les Grecs partent en guerre contre les Romains parce qu’ils jeûnent le samedi,  alors qu’ils n’ont aucun  reproche à faire aux Alexandrins et aux autres Occidentaux qui jeûnent le mercredi et le vendredi. Il est évident qu’aucune loi ou coutume ne contraint les Grecs de Constantinople à  jeûner en ces jours-là.
 Dans l’île britannique, à chaque sixième jour   on jeûne, mais ils ne sont excommuniés par aucun occidental qui n’observe pas cette pratique.  La nation des Ecossais qui habite l’île du nord, sous l’influence des  monastères de moines ou de chanoines ou de religieux quelconques,  jeûne en tout temps à l’exception des dimanches et des jours de fête.  Ils n’accordent pas de nourriture à leurs corps avant none ou le soir,  même pendant l’hiver.  Aucune église orientale ou occidentale ne se sent tenue d’adopter cette coutume,  mais ceux qui jeûnent ne sont pas excommuniés par ceux qui ne jeûnent pas.

 On a déjà parlé de la ferveur qui poussait les Alexandrins à jeûner au début de leur évangélisation.  Personne ne prenait de nourriture avant le coucher du soleil.   Plusieurs mangeaient à la quatrième ou à la sixième journée,  non pour le plaisir de la chose mais par nécessité.  Et pourtant ils n’étaient pas critiqués par ceux qui n’agissaient pas comme eux.   Et voici que les empereurs grecs récriminent contre le jeûne sabbatique des Romains, entrepris par eux en souvenir de l’ensevelissement du Seigneur ou de la tristesse des apôtres à sa mort, ou parce que Pierre et Paul ont jeûné, le sabbat, pour mieux combattre les sortilèges et les incantations  de Simon le magicien, et la folie diabolique de Néron.  Quelques-uns ont pour coutume de ne pas jeûner à la cinquième journée, comme ils ne jeûnent pas le dimanche.

 Eusèbe, évêque de Césarée est de cet avis.  Il dit dans le livre qu’il a composé sur les gestes du pape Sylvestre : Le pape sylvestre a dit : le jour de naissance du calice doit être pour nous aussi solennel que le jour du Seigneur. C’est en ce jour que le sacrifice du corps et du sang du Seigneur a été pour la première fois célébré par le Seigneur lui-même. C’est en ce jour que, par toute la terre, le saint  chrême est confectionné. C’est en ce jour que le pardon est accordé aux pécheurs, que se réconcilient les ennemis, que les colères s’apaisent, que les rois gracient les criminels, que les maîtres ferment les yeux sur les frasques des mauvais serviteurs, que les juges épargnent les voleurs, que les portes des prisons s’ouvrent partout.  En ce jour, sortent  pour s’adonner à la joie de la fête ceux qui s’étaient retirés pour expier en pleurant les fautes commises en festoyant ou en se fâchant, ou de toute autre façon. Par ces paroles et d’autres semblables, le pape Sylvestre réfuta toutes les objections que les Grecs et les docteurs avaient coutume de faire.  Ils le reconnurent : le siège apostolique a vraiment appris cela de Pierre; les objections tombent d’elles-mêmes

Si on condamne les Romains parce qu’ils jeûnent le sabbat,  pourquoi ne pas condamner ceux qui jeûnent le vendredi ?  Ou pourquoi les Grecs modernes se croient-ils plus doctes que leurs ancêtres ? Ne cherchent-ils pas à vitupérer ce que leurs anciens ont accepté et comblé d’honneur ?  Cela ne les rendra pas plus sages ou plus religieux qu’eux, mais peut-être plus insolents.  Car pourquoi ce qui a été observé dans  la paix chrétienne pendant tant  de siècles  ne peut plus être supporté,   mais suscite des accusations qui sèment le scandale de la discorde ? Sont-ils à ce point enfoncés dans les ténèbres de l’imprudence qu’ils croient qu’une contestation insolente peut modifier ou corriger dans les églises du Christ ce qui a été conservé sans faille pendant un grand nombre de siècles ?

Melchiades, détenteur du siège apostolique, le trente-troisième successeur de l’apôtre Pierre, décida que le vendredi, y compris le vendredi saint, aucun fidèle ne jeûnerait, parce qu’en ces jours, les païens célébraient un jeûne sacré.   Cette interdiction de jeûner semble valoir davantage pour le jour où le Christ est ressuscité des morts, comme le pratique toute l’Eglise.  Si on se souvient de ce qu’a expliqué saint Sylvestre aux Grecs, il ne faut quand même pas mépriser ce que le pape Melchiades a enseigné.  Il estimait qu’on devait détruire les jeûnes païens plutôt que  les imiter, comme toutes leurs fêtes dans lesquelles un culte était rendu aux démons.  C’est donc avec raison que le pape a interdit aux chrétiens de jeûner aux jours où l’on savait que les païens jeûnent, de peur que le culte superstitieux des démons  n’entache  la sainteté de la pieuse religion.    Comme, la première journée,  tous les chrétiens ont pour coutume de ne pas jeûner, la cinquième journée est pour beaucoup, mais pas pour tous, une journée de jeûne, surtout pendant le carême.   Mais aucune division n’éclate dans l’église  pour ces raisons, chaque église suivant la coutume de jeûner ou de manger qu’elle a reçue de ses fondateurs.

Si les empereurs grecs voulaient réfléchir à tout cela, ils ne blâmeraient pas légèrement les Romains ou les latins qui jeûnent le sabbat, mais se contentant de leur coutume, ils admireraient la Reine qui sert le Christ dans un vêtement doré, aux couleurs variées, et ils n’essaieraient pas d’imposer des règles qui ne s’appuient ni sur l’ancien ni sur le nouveau testament.
 

                      CHAPITRE QUATRIEME
 
 

 Passons à ce qu’ils nous reprochent au sujet du carême. Nous ne nous abstenons ni de viande comme eux, pendant huit semaines,  ni de fromage et d’œufs pendant sept semaines, comme le veut leur coutume.  Ils parlent comme si, à part  celle des Romains, toutes les églises orientales et occidentales  suivaient leur coutume. C’est le contraire qui est vrai.  Aussi bien dans les églises orientales qu’occidentales, c’est la diversité qui est la règle, comme nous l’avons déjà démontré.  Les unes  jeûnent pendant sept semaines avant Pâque, sauf le dimanche.  D’autres six.  D’autres ont commencé à jeûner avant les sept semaines.  Il y en a donc qui jeûnent six semaines avant Pâque, d’autres, sept, d’autres huit et même neuf.

 Que ces censeurs nomment donc ceux qui les suivent ou les imitent !  Certainement pas les Romains qui jeûnent tous les jours de  la semaine, sauf les dimanches, pendant six semaines avant Pâque !  Ni ceux qui entreprennent le jeûne avant les sept semaines.  Ils disent accomplir parfaitement l’observance du jeûne  en s’abstenant de fromage et d’œufs, ce que font aussi ceux qui consacrent sept semaines au jeûne.  Ils disent, eux, que ceux qui s’abstiennent de viande pendant huit  semaines avant Pâque n’accomplissent pas le jeûne en son entier, mais la moitié seulement. Ils sont donc loin de ceux qui jeûnent pendant huit semaines, en s’abstenant de tout.  Mais ils n’ont rien en commun avec ceux qui jeûnent pendant neuf semaines,  ceux qui déclarent ne manger ni viande ni œuf ni fromage pendant tout ce temps.

Puisqu’ils sont convaincus  de différer avec les orientaux et les occidentaux quant à l’observation du jeûne pascal, qu’ils disent donc pourquoi ils trouvent les Romains répréhensibles, et pourquoi ils ne craignent pas d’être blâmés par ceux dont le carême ne concorde pas avec le leur.   Qu’ils exhibent donc des témoignages de l’ancien ou du nouveau testament qui justifient leur prétention, et condamnent la coutume romaine.  Puisqu’ils ne peuvent le faire, que la divergence dans les façons de jeûner leur enseigne   que cette observance n’est pas de précepte divin.  Il est donc laissé au jugement de chacun, à son libre arbitre, d’offrir à Dieu dans la joie du saint Esprit,  ce qui lui semble juste et possible, mais non obligatoire. Pour que le bien que nous faisons soit volontaire. Pas au sens ou chaque individu choisirait par lui-même, mais en suivant les coutumes établies dans chaque église.  Allons-nous peut-être penser qu’il faut donner la palme aux Grecs parce qu’ils s’abstiennent d’œufs et de fromage pendant huit semaines ?  Ne sont-ils pas déclassés par ceux qui ne mangent de rien de cuit pendant tout le carême ?  Ou par ceux qui ne se nourrissent que de pain ?  Ils apparaissent même inférieurs à ceux qui ne se sustentent qu’avec des herbes.  Ils ne peuvent même pas être comparés avec ceux qui, pendant tout le carême,  n’accordent de la nourriture à leur corps qu’une fois ou deux fois par semaine.  Qu’ils cessent donc de s’élever dans les hauteurs de peur de s’écraser sur le sol.  Mais qu’ils s’abaissent plutôt pour être élevés.  Et qu’ils comprennent que la concorde de la paix et l’unité de la charité sont plus importantes que l’observance rigoureuse du jeûne.

 L’évangile et la loi nous enseignent que la durée du carême est de quarante jours.  Car on lit dans l’évangile que le Sauveur a jeûné  continuellement quarante jours et quarante nuits.  Il est écrit dans l’ancien testament que Moïse a jeûné deux fois pendant le même nombre de jours et de nuits.  Une fois avant de recevoir de Dieu le décalogue de la loi; une autre fois, après que la transgression du peuple l’ait induit à fracasser les tables de la loi.  Quand Elie fuyait la colère de Jézabel, il marcha dans le désert pendant quarante jours et quarante nuits, jusqu’à ce qu’il arrive à la montagne de Dieu, l’Oreb.  De là vient la coutume de l’Eglise de jeûner pendant quarante jours. Toutes les églises du Christ s’appliquent à célébrer le jeûne quadragésimal avec ce chiffre.  Mais  comme toutes ne sont pas d’accord sur le nombre de semaines, il se produit fatalement  une disparité dans les jours.  C’est un fait que, pour la durée du carême,  tous tiennent au nombre quarante; mais tous ne jeûnent pas à tous les jours de la semaine.  Car il  y en a qui ne  mangent que le dimanche; d’autres ne jeûnent ni le samedi ni le dimanche.  Il y en a même qui ne jeûnent pas le vendredi.  En ne jeûnant pas le dimanche, même s’ils jeûnent à tous les autres jours de la semaine, ils n’atteignent pas le chiffre quarante. Il leur manque quatre jours.  De là vient que, voulant jeûner quarante jours, ils ne jeûnent pas, avant Pâques, pendant six semaines, mais sept semaines, bien que dans six semaines ont compte quarante-deux jours et non quarante.  Si on soustrait les six dimanches des quarante jours, il reste trente-six jours de jeûne.  Pour atteindre le chiffre quarante,   il faut ajouter quatre jours dans la septième semaine.  Il s’ensuit donc que le carême dure sept semaines et non six semaines.  Mais, dans la septième semaine, on ne jeûne que quatre jours, que l’on ajoute aux trente-six pour compléter le chiffre quarante.

 Ceux qui ne jeûnent ni le dimanche ni le samedi, mais qui veulent que le jeûne du carême dure quarante jours, il leur faut entamer la huitième semaine.  Car  ne jeûnant que cinq jours par semaine, ils  doivent multiplier cinq par huit pour obtenir quarante.  Et ceux qui ne jeûnent ni le vendredi, ni le samedi ni le dimanche  ne peuvent pas observer la règle biblique des quarante jours, sans se rendre à la neuvième semaine. Ayant enlevé trois jours sur sept, il ne leur reste que quatre jours de jeûne. Et comme quatre fois neuf font trente-six, ils ne complètent pas le chiffre quarante.  Et ils prétendent observer le carême sans avoir jeûné quarante jours.

 Les reproches des Orientaux sont donc sans aucun fondement, car ce qu’ils font, eux,  en sept semaines, --ne jeûnant que cinq jours par semaine-- les occidentaux le font en sept,  ajoutant quatre jours à la septième semaine.  Car si les Grecs ajoutaient six jours à la huitième semaine, la durée de leur jeûne dépasserait celle du carême, puisqu’ils auraient à jeûner quarante-huit jours.  Si les grecs jeûnent pendant ce nombre de jours, qu’ils nous disent sur quoi ou sur qui ils se basent. Ils ne tiendraient compte ni du jeûne de Jésus, ni de celui de Moïse, ni de celui d’Elie.  Si leur jeûne dure quarante jours, comme il se doit, ils n’ont rien à reprocher aux occidentaux, car leur jeûne, à eux aussi, dure quarante jours.

 Si le jeûne est un acte d’humilité, comme le confesse le psalmiste : et j’humiliais mon âme dans le jeûne,  il y en a un grand nombre parmi les romains ou les occidentaux qui jeûnent plus longtemps que les chrétiens de Constantinople.  L’Eglise occidentale, huit semaines avant Pâques, n’entonne pas de  cantiques festifs comme l’alleuia.  Elle ne célèbre pas non plus avec solennité le jour de la naissance au ciel  des martyrs,  et elle s’abstient de toute pompe dans les cérémonies,  pour pouvoir se réjouir d’autant plus du jour de la résurrection qu’elle s’est souciée de s’y préparer dans l’humilité.   Car le Seigneur, par Moïse, demanda aux fils d’Israël après la fabrication du veau, de déposer leurs ornements pour que le Seigneur sache quoi leur faire. Non qu’il ignorât ce que devait être la punition pour le péché d’idolâtrie, mais pour que le peuple prévaricateur montre par l’affliction de l’humilité qu’il avouait le péché de prévarication, et qu’il était prêt à tout pour expier cette faute. Quel est l’ornement déposé par le peuple de Dieu que nous devons recevoir si ce n’est la splendeur de la joie, cette joie à laquelle le peuple avait coutume de se livrer avant qu’il contracte la faute d’idolâtrie ?  C’est ainsi que Rome et l’église occidentale dépose ses ornements pour s’humilier quand elle laisse de côté l’allégresse des jours de fête,  et l’exultation des hymnes qui lui étaient familiers tous les jours de l’année.  Elle revêt l’habit de l’humilité et dépose la gloire du triomphe.  Prévenant la face du Seigneur par un humble comportement, elle célèbre la fête de Pâque dans la liesse.

 Les empereurs grecs n’ont donc aucun motif pour incriminer les romains et les occidentaux parce qu’ils ne jeûnent pas, avant Pâque, pendant le même nombre de semaines qu’eux.  Le nombre des semaines n’est peut-être pas le même,  mais le nombre de jours, quarante,  est identique.  Si le jeûne signifie l’humilité, et que l’humilité est la déposition de l’allégresse, une sorte d’affliction, un comportement triste,  le rejet de la joie, on aura raison de dire que les romains et les latins jeûnent plus que les orientaux, parce qu’ils préviennent Pâque en s’humiliant pendant neuf semaines.  Et c’est cela qui est le plus important.   Les censeurs des Romains doivent se redire à eux-mêmes, s’ils désirent vraiment se soumettre aux lois disciplinaires, que, dans toutes les églises du Christ, il n’y a pas d’uniformité dans la pratique du jeûne,  que nul n’y est astreint par des commandements divins, et qu’il est permis à chacun de suivre la coutume de son église.  S’ils se souvenaient de ces choses, ils ne seraient pas si prompts à jeter la pierre à ceux qui mettent en application ce qui a été institué par le magistère des apôtres pour des raisons fort valables.

 Les Romains jeûnent donc à chaque jour, sauf le dimanche, pendant six semaines.  Si on veut savoir pour quelle raison ils jeûnent trente-six jours seulement, quatre de moins que le nombre quarante, il est facile de le découvrir à ceux qui cherchent sans aucun préjugé ou parti prix.  L’année  solaire se déroule en trois cents soixante cinq  jours. Si tu prends la dixième partie de ces chiffres, tu auras trente-six jours. Nous avons l’ordre de donner à Dieu la dime de nos travaux.  Ce n’est donc pas sans raison que nous lui offrons la dixième partie des jours. C’est pour vivre pour lui.  Nous purgeons par ces jours tous les péchés que nous avons commis au cours de l’année.

 Mais comme il n’y en a très peu en Occident qui ne complètent pas les quarante jours du carême, il ne leur reste plus qu’à se contenter du chiffre quarante. Car autant la loi que l’évangile nous enseignent que le jeûne doit durer quarante jours. De plus, on nous prescrit d’obéir aux dix commandements de l’ancienne loi, et d’accepter les quatre évangiles qui nous conduisent à une nouvelle vie.  Quatre fois dix font quarante.  Et chaque serviteur de Dieu parvient au sommet de la perfection s’il supplée à la loi de Moïse par la perfection de l’évangile.  Il est évident que l’homme comme le monde est fait de quatre éléments.  Et parce que nous manquons de plusieurs façons au décalogue, il est nécessaire que nous demandions à Dieu pardon pour nos péchés en nous affligeant quatre fois  par dix fois.   Voilà quelle est la raison pour laquelle il a plu aux romains et aux latins de jeûner quarante jours avant Pâque, raison qui  s’avère autant religieuse que mystique.  Le blâme du jeûne romain qui porte sur un nombre de semaines est donc injustifié et dénué de toute raison sérieuse.  Il serait préférable de ne pas en tenir compte, mais la charité qui supporte tout nous force à répondre à ceux qui font des objections déraisonnables.  Quand ils auront compris ce dont il s’agit vraiment,  ils n’oseront plus condamner. Ils sauront ce que l’honnêteté et la religion attendent d’eux, et ils rechercheront l’unité et la paix de la concorde, dont les a détournés une sotte présomption.
 

                CHAPITRE CINQUIEME
 

 Voyons maintenant comment ils ne craignent pas de blâmer les clercs romains et tous les occidentaux parce qu’ils se rasent la barbe.  Ce reproche est tellement dérisoire,  qu’il ne mérite aucune réfutation. Mais on pourrait croire que notre silence trahit une incapacité de répondre.  Se raser la barbe ou se la laisser pousser,  en quoi cela se rapporte-t-il à la perfection de la sainteté  ou à la conversion ? Que les censeurs disent dans quel livre de l’ancien ou du nouveau testament ils ont trouvé un précepte se rapportant à la barbe.  Je dis plus.  Dans quel écrit apostolique, dans quelle constitution ecclésiastique, dans quel livre des Pères ont-ils trouvé des directives de ce genre ?  Car cette chose est laissée, comme beaucoup d’autres, au libre choix des églises.  On se rase la barbe ou on la laisse pousser par respect pour ce qu’en ont dit  les ancêtres.  Les uns ont pour coutume de se raser la barbe et la tête.  D’autres se rasent aussi la barbe, mais ils dénudent complètement leur tête de ses cheveux.  Il y en a qui arrachent tous les poils de leur face, ne rasent que le sommet de la tête et laissent pousser les favoris.  Il y en a d’autres qui ne se rasent pas la barbe, mais qui ne se rasent qu’un côté de la tête.  Les façons de faire, chez les clercs,  ne sont donc pas semblables dans toutes les églises. Elles sont différentes puisqu’elles se conforment à ce que leurs ancêtres leur ont  légué.  Il n’y a jamais eu, à cause de cela,  de division entre les églises.  Chacune a toujours été laissée libre de suivre sa tradition.

 Saint Paul fait des reproches aux Corinthiens, aux hommes parce qu’ils laissaient pousser leurs cheveux ou se voilaient la tête;  aux femmes, parce qu’elles ne se voilaient pas la tête, et ne se laissaient pas pousser les cheveux. C’est à bon droit que saint Paul a dénoncé ce comportement.  Même si aux Corinthiens, elle semblait normale, pour la nature, elle était inconvenante.  Et saint Paul se hâte d’en donner les raisons :   l’homme ne doit pas voiler sa tête parce qu’il est la gloire et l’image de Dieu. (1 Cor X1, 7)  Il explique ensuite pourquoi la femme doit se voiler la tête et laisser croître ses cheveux :  à cause des anges.  Qu’ils réfléchissent à cela les clercs qui laissent pousser leurs barbes et qui  dénudent presque complètement leur tête de ses cheveux.  Ils la couvrent avec un vêtement parce qu’ils ne peuvent supporter ni le froid ni la chaleur,  ou pour avoir contracté une mauvaise habitude. Qu’ils examinent s’ils n’enfreignent pas le précepte de l’apôtre !  Ils ne peuvent nier qu’ils contredisent l’enseignement de saint Paul : tout homme qui prie ou prophétise la tête voilée déshonore sa tête.  (ibid, 4)

 Je ne dis pas cela comme si je me plaisais à condamner cette coutume. Car nous savons que ce genre de comportement est aussi un signe d’humilité.  Mais pour avertir les empereurs grecs que, s’ils sont en  mal de réprimande, ils ont tout près d’eux de quoi les satisfaire; qu’ils corrigent les leurs plutôt que les Romains qui sont très éloignés d’eux.  Et cela, jusqu’à ce qu’ils trouvent dans les saintes écritures  un texte qui corrobore leur position.  Dans l’ancien testament, les nazaréens, selon la coutume, se rasaient la barbe et la tête pendant tout le temps de leur consécration, et jetaient dans le feu les poils et les cheveux en holocauste.  Pour signifier qu’ils ne consacraient pas à Dieu leurs actes seulement, mais aussi leurs pensées.  Comme le dit le prophète Ezéchiel : Et toi, fils d’homme, prends un glaive affilé capable de couper des poils. Prends-le et rase-toi la tête et la barbe.  (Ez V, 1)  Le prêtre était procréé d’un germe sacerdotal, non d’un germe étranger. C’est pourquoi on leur demandait de se raser la barbe et la tête, selon la coutume des nazaréens.  Il est écrit, également, dans les actes des apôtres, que Prisca et Aquila,  Juifs qui crurent dans le Christ, se sont rasé la tête, comme ils en avaient fait le vœu.  Et à Jérusalem, les anciens dirent à l’apôtre Paul : Il y a quatre hommes des nôtres qui ont fait un vœu. Quand ils auront sacrifié, sacrifie toi aussi avec eux, et  vois à ce qu’ils se rasent la tête, pour que tous sachent que ce que l’on a dit de toi est faux, et que tu marches toi aussi en observant la loi. ( act, XX1, 23, 24)  Et un peu plus après : Alors Paul prit les hommes, le lendemain.  Après s’être purifié, il entra dans le temple avec eux, annonçant la fin des jours de purification. (ibid, 26)

 Suivant cet exemple, les clercs de Rome ou de presque toutes les églises occidentales,  se rasent la barbe et tondent leur tête, suivant l’exemple de ceux qu’on appelait dans l’ancien testament nazaréens, ou de ceux qui ont la fait la même chose dans le nouveau.  Ils ne dénudent, toutefois,  pas complètement leurs têtes de leurs cheveux, mais en partie seulement, pour donner une image de l’honneur royal, et de la grandeur du sacerdoce.  Ainsi, l’honneur qui est propre aux rois est le port de la couronne sur leurs têtes.  Les pontifes, dans le temple, portent la tiare.  La tiare représente  l’hémisphère, car la couronne a la forme d’un cercle. L’apôtre Pierre dit aux croyants : vous êtes une nation élue, un sacerdoce royal. ( 1Pi 11, 9)  Ce que voulant signifier,  les clercs romains ou latins forment au sommet de leur tête l’image d’une tiare pour symboliser l’honneur sacerdotal.  Et  sur un côté de leur tête,  une couronne désignant la dignité royale.  C’est de cette façon que la dignité royale et la dignité sacerdotale sont représentées.

La prophète atteste que le Christ est prêtre et roi :  le Seigneur est notre législateur, le Seigneur est notre roi. (Is 111, 22)  De même :  Tu les régis avec une verge de fer. (Ps 11, 9)  Qu’il soit prêtre, le Père le témoigne en disant :  Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. (Ps C1V, 4)   En se tonsurant ainsi, les clercs latins veulent signifier le sacerdoce et la royauté du Christ ou que la nation chrétienne jouit de la dignité royale et sacerdotale.   En dénudant leur face, ils manifestent la pureté du cœur, comme le dit l’apôtre :  Nous qui contemplons à visage découvert la gloire du Seigneur, nous sommes transformés dans la même image. (11 Cor 111, 18)  Le visage représente le cœur.   Car comme le sommet de la tête représente la pointe du cœur, l’esprit qui, en ce lieu, est appelé cœur est la plus haute partie de l’âme. Le cœur, représenté par la face doit toujours bannir les pensées terrestres pour pouvoir contempler la gloire de Dieu avec un regard pur et sincère, et être transformé en elle par la grâce de la contemplation.

On lit du bienheureux apôtre Pierre et d’un grand nombre d’apôtres ou de disciples qu’ils se sont rasé la barbe et la tête.  Que l’apôtre Pierre ait agi ainsi en témoignent les images des catacombes.  En dépit de cela, l’apôtre et les premiers chrétiens n’ont pas échappé aux censures des Grecs.   Personne avant la loi et après l’évangile n’a soulevé cette question.  Que les empereurs grecs cessent donc de blâmer ce qui ne mérite aucune condamnation.  Si le rasage de la barbe est un péché, ou une transgression de la loi, qu’ils nous expliquent pourquoi le Seigneur a ordonné à un prophète de se raser la barbe;  pourquoi les nazaréens se comportaient ainsi, et pourquoi les apôtres n’ont pas exécrer cette coutume.   Mais faisons fi de cette sanction, car elle n’est basée sur aucun raisonnement solide, sur absolument rien de sérieux.  Et si nous n’avions pas  redouté que ces accusations ne soient des occasions de chute pour les faibles, nous ne leur aurions pas fait l’honneur d’une réponse.
 

                           CHAPITRE SIXIEME
 

Nous allons nous pencher maintenant sur l’objection suivante.  Ils reprochent aux Romains de condamner les noces parce que non seulement ils ne permettent pas aux prêtres de prendre femme, mais ils l’interdisent.  Les  condamnations précédentes semblaient motivées par la superstition.  Mais ici, nous constatons de la surprise, et même de la douleur.   Ils sont estomaqués parce que, étant loin de la lumière de la sagesse, ils ne peuvent pas comprendre que ce n’est pas du blâme que méritent les Romains mais des louanges.  Car le bien de la continence et de la chasteté est si précieux et respectable que même les Gentils l’ont en vénération.  Et comme il est admirable dans tous les ordres, il l’est surtout chez les prêtres et tous les ministres du saint autel. D’autres vertus, sans doute, les qualifient pour le sacerdoce, mais la splendeur de la sainteté et l’honneur de la chasteté les en rendent encore plus dignes.  Ils sont à plaindre si, tout en sachant cela, et militant contre leurs propres  consciences, ils ne rougissent pas de juger répréhensible ce qu’ils savent être  louable. Ils devraient redouter ce dont parle l’Esprit saint par Isaïe : Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, appelant le jour la nuit, et la nuit le jour. (Is V, 20)

Comment peuvent-ils conclure que les romains blâment le mariage  si, tout près d’eux, des évêques et des prêtres ne s’engagent pas dans les liens du mariage.  Si on doit les considérer comme des contempteurs du mariage, il faut traiter de la même façon les saints de l’ancien et du nouveau testament.  Elie le prophète, qui ouvrait ou fermait le ciel à volonté, et qui a été emporté aux cieux par le ministère des anges,  ne contracta pas de mariage.  Le prophète Jérémie, sanctifié dans le ventre de sa mère, a fait passer avant le mariage le bien de la virginité et la pureté de la chasteté.  Daniel, appelé l’homme des désirs,  choisit la continence de préférence à l’union conjugale.   Parce qu’ils ne se sont pas engagés dans les liens du mariage, ils n’ont pas pour autant condamné les noces.  Le sauveur a préféré naître d’une vierge,   mais  pour donner son approbation au saint mariage, il ne refusa pas de participer à des noces.  Jean a mérité un amour particulier de la part de Jésus parce qu’il avait choisi de suivre Jésus plutôt que la femme. L’apôtre Pierre ne méprisa pas le mariage avant d’avoir reçu la dignité de l’apostolat.  Mais transformé par la charge apostolique qui le destinait à la prédication de l’évangile, il n’eut plus de relation sexuelle avec son épouse, même s’il ne la répudia pas.  Nous ne doutons pas que c’est ce qu’on fait les autres apôtres.  Mais jamais quelqu’un qui est  sain d’esprit n’a pensé, que, pour avoir choisi la continence, ils condamnaient les mariages.

De plus, comment peut-on accuser les Romains de condamner le mariage quand des noces sont célébrées chez eux,  et quand des enfants sont procréés de mariage légitime ?  Le bienheureux apôtre Paul écrit aux Corinthiens :  J’aimerais que tous les hommes soient comme moi, mais chacun a reçu de Dieu un don propre, à l’un ceci, à l’autre cela.   (1 Cor V11, 7). C’est là qu’il a donné aux époux des préceptes sur la façon de se traiter mutuellement, expliquant que le corps du marié ne lui appartenait plus mais à l’épouse, et celui de l’épouse au mari; et que chacun ne pouvait en disposer qu’avec la permission de l’autre.  C’est pourquoi il dit en conclusion : je n’en fais pas un ordre. Je tiens compte de votre faiblesse.  Et c’est après avoir dit cela qu’il ajoute : je voudrais que tous soient comme moi.   Il nous fait comprendre par ces paroles qu’il est célibataire et qu’il est libre de tout lien de mariage.  Ailleurs il avait dit :  N’avons-nous pas, nous aussi, le droit d’amener avec nous une femme sœur ? Il n’a pas peur de prêter les mêmes intentions à Barnabée, son compagnon : Barnabée et moi n’avons-nous pas ce droit ? (ibid 6)   Mais après avoir parlé dans ce sens, il n’a jamais condamné le mariage.  Il a même donné des préceptes aux époux, et  a exhorté les incontinents à se marier plutôt qu’à brûler.  Loin de réprouver le mariage,  le Sauveur et Paul ont décrété que la femme ne pouvait pas quitter son mari,  ni le mari sa femme sans devenir adultères.

Cependant, voulant faire l’éloge de la continence, le bienheureux Paul écrit ce qui suit aux Corinthiens :  Voici ce que je vous dis, frères :  le temps est court.  Il reste que ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas.  Ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas. Ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas. Ceux qui achètent comme ne possédant pas. Ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas. Car elle passe la figure de ce  monde. (1 Cor V11, 29-31)  Celui qui, plus haut, avait donné aux incontinents la permission de se marier,  l’avait dit comme apportant un remède salutaire à des infirmes. Car  il avait dit : il vaut mieux se marier que de brûler. Il présente maintenant des freins à la luxure en disant :  ceux qui ont des épouses comme n’en ayant pas.   Que dit-il d’autre que de réprimer la recherche lascive du plaisir, et de concentrer ses intérêts sur l’amour des enfants plutôt que sur l’esclavage du service de la chair.  C’est pour cela qu’il avait dit plus haut : c’est une bonne chose de ne pas toucher à la femme. (ibid.  20)  Ce qu’il avait en ce lieu concédé à l’infirmité, il essaie par la suite, d’en modérer l’usage, quand il dit : Que ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas.  Avertissant qu’il ne faut pas toujours faire des concessions à la faiblesse, mais s’initier à la sainteté de la chasteté.   La figure du monde cherche la postérité charnelle, la joie de la naissance des enfants, et exulte dans la grande quantité des parents.   Et le monde est proche de la fin, comme le dit si bien saint Jean : c’est la dernière heure.   Ce n’est pas la propagation charnelle qu’il faut désirer, mais la spirituelle.  Pour que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux, mais  pour le Christ qui est mort pour eux, et est ressuscité. (1 Cor V, 15)  Il dit que ceux qui pleurent soient comme ceux qui ne pleurent pas,  pour que l’espoir des joies célestes les console de la ruine et des tribulations du monde.  De la même façon, ceux qui se réjouissent pour un temps des biens de ce monde, qu’ils soient comme ne se réjouissant pas, pour que, méprisant les joies du bonheur terrestre à cause de leur inconsistance, ils se régalent des biens spirituels éternels, préférant poursuive ce qui est incorruptible et impérissable.   De la même façon, que ceux qui achètent ne désirent pas posséder ici-bas, mais qu’ils désirent les trésors du ciel, disant avec le psalmiste :  Car qu’est-ce  qui est à moi dans le ciel, et qu’ai-je voulu de toi sur la terre ? (Ps X11, 25)  C’est ainsi qu’ils usent de ce monde comme n’en usant pas, non comme quelque chose qu’on accapare, mais qui passe; étant  en chemin, non dans la patrie; et qu’on  possède pour s’en défaire, non qu’on aime et dont on jouit. Et il dit en conclusion :  Je voudrais que vous soyez tous sans souci.  Celui qui est sans femme se soucie des choses de Dieu, comment lui plaire. Celui qui a une épouse se soucie des choses de ce monde, comment plaire à sa femme; et il est divisé.   Une femme non mariée, une vierge, pense aux choses du Seigneur, qu’elle soit sainte d’esprit et de corps.  Celle qui est mariée pense aux choses du monde, comment plaire à son mari.  (1 Cor V11, 32-34)

Que les empereurs des Grecs, qui critiquent la continence des prêtres romains, nous disent dans quelle catégorie ils placent les ministres de l’autel.  Veulent-ils qu’ils soient sans souci, comme l’enseigne l’apôtre, ou qu’ils soient plongés dans les tracas du monde, comme il ne le souhaite pas.  Car, s’ils sont sans femme et libres des soucis du monde,  ils ne se soucient que des choses de Dieu, ne cherchant en tout temps à plaire qu’à lui seul.  Ils méditent ce qu’a conseillé l’apôtre :  Tout ce que vous faites, faites-le au nom du Seigneur. (Col 111, 17)  S’ils se lient à une épouse, ils sont nécessairement prisonniers des préoccupations du monde.   Ils cherchent à plaire à leurs femmes, non à Dieu.   Et ceux qui sont ainsi engagés sont divisés, car une moitié de leur cœur est à leur épouse,  et l’autre moitié à Dieu.  Ils ne peuvent pas dire comme le prophète :  J’ai dit, Seigneur, que ma portion à moi est de garder ta loi.  (Ps CXV111, 57) Ni comme Jérémie : Ma part à moi, mon âme, c’est le Seigneur. C’est pourquoi je l’exalterai. (Thren 111, 24)  L’apôtre a bel et bien dit : La femme qui n’est pas mariée, la vierge, pense aux choses de Dieu, d’être sainte de corps et d’âme. ( 1Cor V11, 34)  Est-ce qu’il convient aux prêtres du Seigneur et aux ministres de l’autel d’être inférieurs aux femmes non mariées, aux vierges ?  Ne pensant qu’aux choses de Dieu, elles se conservent saintes dans leur corps et dans leur esprit.  Tandis qu’eux, pensant aux choses du monde,  ils rejettent la sainteté du corps et de l’esprit.  Ils sont privés de l’une et l’autre sainteté ceux qui, pensant aux choses du monde, s’efforcent de plaire à leurs épouses.  C’est l’apôtre qui le dit :  Celle qui est mariée pense aux choses du monde, comment plaire à son mari. (ibid) Le Sauveur n’a-t-il pas dit qu’on ne peut pas servir deux maîtres ? (Mat V1, 24)  Donc, les évêques et les prêtres dans la mesure où ils cherchent à rendre à leurs épouses ce qui leur est du, ne peuvent pas penser à ce qu’ils doivent à leur maître en tant que serviteurs.  Les  clercs disent que leur lot est le Seigneur et qu’ils n’ont pas d’autre héritage que le Seigneur.  Or les prêtres qui se font les serviteurs de leurs épouses et qui pensent aux choses du monde, ont rejeté l’héritage du Seigneur qu’ils auraient du avant tout convoiter.  Le Seigneur n’est plus la seule chose qu’ils possèdent.  Car étant toujours unis au monde en y pensant constamment, ils ne peuvent pas être unis au Seigneur.  Puisque leurs pensées ont épousé le monde, et qu’ils sont du monde,   ils ne peuvent pas se tourner exclusivement vers le Seigneur et en jouir par la méditation.

Il y a de quoi s’étonner que les empereurs Grecs critiquent les prêtres du Seigneur qui s’éloignent de l’embrassement des femmes, pour qu’ils ne soient retenus par aucun lien mondain, et qu’ils puissent totalement  appartenir au Christ après avoir foulé au pied le monde.  A quel point le lien conjugal apporte d’empêchement à la prière continuelle, le bienheureux Paul le laisse entendre quand il dit :  Je dis ce qui vous est avantageux, je ne vous tends pas de piège. Je vous parle de ce qui est honnête et qui rend possible de supplier Dieu sans empêchement. (1 Cor V11, 35)  En parlant ainsi en toute clarté, il montre que ceux qui se font les serviteurs de leurs épouses ne trouvent pas  les moyens d’adorer Dieu continuellement, ou même souvent.    Que les censeurs de la continence nous disent quelle sorte de prêtres ils désirent avoir : ceux qui, conservant la sainteté de la pureté,  ont le loisir de supplier Dieu  sans empêchement, qui demeurent saints, qui habitent toujours avec des saints, qui méprisent le monde et contemplent les choses célestes, ou ceux qui, retenus par les liens matrimoniaux, ne peuvent pas toujours demeurer dans les saints lieux, ni mépriser le monde, ni prier en tout temps pour le peuple qui leur est confié.  Ce sont des  gens qui sont tellement éloignés de la pensée de l’apôtre qu’ils se persuadent que la continence,  la chasteté sacerdotale est une condamnation du mariage.  Ils ont oublié ce qu’a dit l’apôtre :  Je dis cela pour votre avantage, parlant de la continence.  Et  bientôt après, se rappelant notre infirmité,  il ajoute : Je ne dis pas cela pour vous tendre un piège. Car il montre ce qu’il désire, mais il considère que chacun a reçu de Dieu un don qui lui est propre, un celui-ci, un autre celui-là.  Et il ajoute au sujet de ce qu’il conseille : mais à ce qui est honnête. En parlant d’honnêteté, il met la virginité avant le mariage.  Non pas parce qu’il condamne les noces, car il enseigne que le mariage est bon mais que la continence lui est supérieure.  L’intégrité virginale a la palme.

Ils ne sont donc pas répréhensibles les romains ou les latins qui interdisent aux évêques et aux prêtres de se marier. Car loin de les juger dignes de blâme l’apôtre,  les encourage à demeurer continents, à ne pas contracter le lien du mariage,  pour avoir toujours le loisir de prier pour leurs ouailles.  Car ceux qui, à tout moment, peuvent être appelés à consacrer les sacrements du corps et du sang du Seigneur, comment pourraient-ils être au service de leur conjointe ?  Quand David vint d’auprès d’Abimélec vers le prêtre,  il ne mérita pas de disposer des  pains consacrés avant de  s’être purifiés lui et ses soldats de tout contact avec les femmes.  Et qui ignore que le mystère du corps et du sang du Christ est plus vénérable que les pains qui, à chaque sabbat, étaient placés sur des tables dans le temple.   Et s’il n’était pas permis de manger de ces pains à ceux qui ne s’étaient pas abstenus de toute relation sexuelle pendant trois jours,  comment serait-il permis de toucher aux choses saintes à ceux qui se sont fait serviteurs des femmes, et qui ne s’abstiennent pas de tout contact avec elles.  S’ils scrutaient le mystère de l’église de Thessalonique, ils estimeraient qu’il faut déposer les clercs qui ont pris femme avant la cléricature.  Il est donc étonnant que les empereurs grecs blâment chez les Romains ce qu’ils supportent patiemment chez les Thessaloniciens. Si c’est à notre époque qu’ils ont donné leur assentiment à cette superstition,  qu’ils se souviennent, quelque soit la solidité de leur conviction, que leurs ancêtres ont pensé comme les Romains.

Venons-en donc aux décrets ecclésiastiques, pour qu’on sache ce qu’il leur a plu de formuler là-dessus.   Le concile de Nicée, au temps de l’empereur Constantin premier, qui réunissait trois cents évêques, a décrété ce qui suit :  Par l’autorité du grand synode, il est interdit à tout évêque, tout prêtre, tout diacre, tout clerc de garder une femme chez lui, à moins qu’elle soit sa mère, sa sœur, sa tante, ou quelqu’un qui soit à l’abri de tout soupçon.   Qu’ils écoutent les empereurs grecs et qu’ils jugent ! Les clercs dont on vient d’énumérer les catégories peuvent-ils se marier, s’il leur est interdit de cohabiter avec une femme, à moins qu’elle soit à l’abri de tout soupçon.  Car, qui tient maison  ne peut pas, en plus de son épouse, ne pas avoir dans sa maison d’autres femmes qui voient aux besoins de l’épouse et à l’entretien ménager.  En commandant de ne faire entrer dans la maison que les femmes qui sont au-dessus de tout soupçon,  il est évident qu’on interdit par là-même toute union conjugale,  qui ne peut pas exister  sans l’embauche d’autres femmes.  Le concile de Néo Césarée a ainsi statué :   S’il prend femme, le prêtre est déposé.  S’il pêche par fornication ou s’il devient adultère, il doit être à plus forte raison rejeté et réduit  à faire pénitence.  Ce que ces canons ont décrété, les Romains et tous les occidentaux se sont, jusqu’à présent, efforcés de le conserver,  sachant que doit être observé par tous tout ce qui est manifestement religieux et digne d’être présenté à Dieu.  Que les Grecs nous fassent savoir s’ils s’appliquent vraiment à observer ce qui a été  décrété. S’ils le font, c’est vainement qu’ils accusent les Romains, des gens qui, comme eux, observent les décrets synodiques.  Mais s’ils font peu de cas de ce qui a été décrété,  ils sont coupables de désobéissance envers les constitutions apostoliques. Ce qui a été stipulé en Orient  a été fort peu observé par les Orientaux. Je m’étonne que les empereurs grecs s’efforcent de criminaliser chez les Occidentaux  ce qui a été décrété par la discipline de l’Eglise, alors qu’ils savent fort bien qu’eux aussi, sont tenus de l’observer.   S’ils ignorent les lois ecclésiastiques, qui ne sait que méritent d’être condamnés ceux que fait  parler non la gravité de la sagesse, mais la légèreté de l’ignorance.

Dans le concile de Carthage de 424, au canon 37 :  On rapporte que certains clercs sont incontinents envers leurs propres femmes.  Il a donc plu au concile que les évêques, les prêtres et les diacres pratiquent la continence même avec leurs épouses, comme le veulent les décrets anciens.  S’ils ne le font pas, qu’ils soient privés de leur fonction.  Ce texte nous montre non seulement que les évêques, les prêtres et les diacres ne peuvent pas se marier, mais qu’ils doivent s’abstenir de tout rapport sexuel avec les épouses qu’ils ont prises avant leur ordination.  S’ils avaient à cœur d’observer ces lois, ils comprendraient l’absurdité de leurs reproches injustes.  Autrement, qu’ils blâment non seulement les Romains,  mais les évêques de toute l’Afrique;  et tous les orientaux, évêques, prêtres et diacres qui continuent d’observer les canons de leurs ancêtres,  pour ne pas être des transgresseurs des constitutions ecclésiales.

Dans le livre des constitutions de l’empereur Julien, voici ce qui est stipulé  au chapitre vingt quatrième : Quand quelqu’un devient évêque, il ne doit avoir ni épouse, ni concubine, ni bâtards. Si quelqu’un contrevient à cette règle, est privé de l’honneur de l’épiscopat, aussi bien celui qui a été ordonné que  celui qui l’a ordonné.   Qu’ils réfléchissent donc, les empereurs grecs, eux qui accusent calomnieusement les romains de condamner le mariage parce qu’ils ne permettent ni aux évêques, ni aux prêtres, ni aux diacres de contracter mariage.  Ne voient-ils pas ici écrites en propres lettres leurs propres lois ?  Voici Justin, l’empereur des Grecs, qui stipule que celui qui va devenir évêque ne peut avoir ni femme ni concubine.  Vous avez, vous autres, statué exactement le contraire, vous qui accordez aux évêques et aux prêtres les droits du mariage.  Les lois promulguées par vos ancêtres privent de l’honneur de l’épiscopat ceux qui les enfreignent.  Mais ceux qui les observent ces lois, vous les accusez de mépriser le mariage, et vous les privez de votre communion.  Il appert donc que vous dédaignez les lois ecclésiastiques et vos propres statuts.  Vous êtes ainsi convaincus de pécher doublement, i.e. en tant que transgresseurs des droits divins et humains et des constitutions ecclésiastiques.

 Voici un autre chapitre des constitutions de l’empereur Justin : A tous les prêtres, diacres et  membres du clergé, qui, selon les lois divines, vivent sans femme, nous interdisons nous aussi d’avoir une femme dans leurs maisons qui ne soit ni leur mère, ni  leur sœur ni une femme à l’abri de tout soupçon.  Si quelqu’un va contre cette interdiction et garde dans sa maison une femme qui n’est pas à l’abri de tout soupçon; et si l’évêque entend dire que ce prêtre ne doit pas cohabiter avec cette femme, et si le prêtre ne veut pas la renvoyer, ou si, après avoir été accusé, la preuve est faite qu’il ne vit pas de façon honnête avec cette femme, que l’évêque applique les cannons ecclésiastiques et le renvoie.  Le clerc doit être remis au tribunal civique.  La loi précédente portait surtout sur les évêques, même si elle s’appliquait aussi aux autres clercs.  Ce qui n’est pas permis à l’évêque est interdit aussi aux ministres de l’autel qui célèbrent les mystères du corps et du sang du Christ. Si,  dans le premier texte,  n’apparaissait pas clairement ce qui a trait aux prêtres et aux diacres,  la présente interdiction enlève l’ombre de tout doute.  Elle interdit clairement à tous les prêtres, diacres, sous diacres et tous les clercs qui n’ont pas le droit de se marier, de garder dans leur maison d’autres femmes que leur mère ou leur sœur ou des femmes au-dessus de tout soupçon,  Les prévaricateurs, une fois reconnus tels, seront privés de leur office et renvoyés au pouvoir séculier.

Nous ne pensons pas que les églises des Grecs pensent du mariage des prêtres ce qu’en disent les empereurs de Constantinople.  Qu’ils se gardent donc de contredire les constitutions ecclésiastiques et de blâmer ce que l’Eglise a observé et a continuellement conservé de plein droit.   Si les pouvoirs séculiers ont la présomption d’abolir et d’interdire les lois ecclésiastiques et humaines, je m’étonne qu’ils ne réalisent pas que leurs décrets non seulement l’église occidentale les réprouve, mais qu’ils ne sont même pas reçus par l’église orientale, à part par ceux qu’oppresse la cruauté de la tyrannie.   Mais la menace du Seigneur devrait les faire trembler :  Celui qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, qu’on lui mette au cou une meule de moulin  et qu’on le jette dans la mer.    Elle demeure inchangée la parole de Jésus à Pierre : Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon église.

Nous trouvons la même chose au même lieu :  Aucun évêque ne doit habiter avec une femme. S’il est prouvé qu’un évêque  n’a pas observé cette règle, qu’il soit privé de l’honneur de l’épiscopat, car il s’est montré indigne du sacerdoce.   Que les glorieux empereurs des Grecs disent quelle présomptueuse audace leur enlève la peur de se gendarmer contre les constitutions ecclésiales, contre les lois de l’Eglise, et contre une coutume qui a été observée jusqu’â nos jours.  Ils ont le front de réprimander les Romains et les Latins parce qu’ils interdisent le mariage aux évêques, aux prêtres et aux diacres et aux sous diacres.  Ils sont réfutés par les lois impériales elles-mêmes qui, approuvant les Romains, condamnent ceux qui les enfreignent.  Dans l’ancien testament,  les lévites ou les prêtres qui servaient au temple ou au tabernacle ne s’approchaient pas de leurs femmes.  Ils ne pensaient pas pouvoir célébrer des choses saintes à moins de s’être sanctifiés eux-mêmes.

Et vous dites, vous autres, que les prêtres, dont c’est la fonction de célébrer à chaque jour le mystère du corps et du sang du Christ, n’ont pas à se retirer momentanément de l’autel pour s’acquitter de leurs devoirs conjugaux, et qu’il n’y aucune différence entre les laïcs et les ministres de l’autel. Si on vous demande d’où est née une telle opinion, vous ne pourrez montrer aucune autre raison que l’inexpérience et la jactance.  C’est de ces choses qu’a coutume de naître la témérité de la légèreté.

                             CHAPITRE SEPTIEME

Venons donc à la prochaine objection : auprès des fonts baptismaux, les prêtres n’oignent pas le front des baptisés avec du saint chrême.  Cette objection, comme les autres, provient plus de la légèreté que de la réflexion.   Que font-ils d’autre  que donner à  leur coutume ecclésiale l’autorité d’une loi divine ?  Mais ce qui se pratique chez les Romains et les latins provient de l’évangile et des actes des apôtres.  On y voit clairement que c’est l’évêque qui donne la  grâce du Saint Esprit par l’onction du saint chrême sur le front.

Il appert que la grâce du Saint Esprit est donnée par l’évêque au moyen de l’onction du saint chrême sur le front du baptisé.   L’évangile atteste que cette onction n’a été concédée à nul autre qu’à l’évêque.   Quand Jésus apparut à ses disciples après la résurrection, il souffla sur eux et leur dit :  Recevez l’Esprit saint. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et  retenus à ceux à qui vous les retiendrez. (Jn XX, 22)  Si donc la rémission des péchés est accordée par l’Esprit Saint, et s’il apparait que ce pouvoir a été donné tout spécialement aux apôtres, c’est à bon droit que cette grâce est réservée aux évêques, les successeurs des apôtres.
 Nous lisons dans l’Exode que Moïse a ordonné prêtres Aaron et ses fils en les oignant du saint chrême.  Dans l’ancien testament, les rois et les évêques ont été oints de l’huile sainte par le pontife.  Et ceci en tant qu’ils sont une figure  du vrai roi et du vrai  prêtre, notre Seigneur Jésus-Christ.  C’est de lui que parle le psalmiste :  Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile d’allégresse, de  préférence à tous tes compagnons. (Ps XL1V, 8)     Il est clair que l’Eglise est le corps du Christ roi et prêtre.  Tout le peuple chrétien est donc une nation royale et sacerdotale.  C’est pour cela  qu’après le bain de la régénération,  nous sommes oints pour nous incorporer au Christ, et cela seulement par ceux qui, dans l’ancien testament, oignaient les rois et les évêques, les pontifes.

Et dans les actes des apôtres :  Quand les apôtres qui étaient à Jérusalem entendirent que la Samarie avait reçu la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean.  Quand ils arrivèrent, ils prièrent sur eux pour qu’ils reçoivent l’Esprit saint.  Il n’était descendu sur personne d’entre eux, car ils n’avaient été baptisés qu’au nom du Seigneur Jésus. (Ates V111, 14 et suivants)    Ils avaient d’abord été baptisés au nom de la sainte Trinité, qui est présente dans le nom de Jésus, cat toute l’invocation de la trinité est contenue dans le nom de Jésus.   Ils avaient été  baptisés, mais ils n’avaient pourtant pas reçu l’Esprit Saint.  Après le baptême, après  que les apôtres Pierre et Jean leur eurent imposé les mains, alors, mais alors seulement, ils reçurent l’Esprit Saint.  L’Eglise a conservé jusqu’à aujourd’hui cette répartition des tâches.  Les fidèles sont baptisés par les prêtres, mais la grâce du Saint Esprit est communiquée par l’imposition des mains des évêques.  Ce qui se fait quand les fronts des baptisés sont oints du saint chrême par les évêques.

Dans les mêmes actes :  Quand Apollon et Paul étaient à Corinthe, après avoir parcouru plusieurs territoires, ils parvinrent à Ephèse. Ils trouvèrent là des disciples. Paul leur demanda s’ils avaient reçu l’Esprit Saint.  Ils lui répondirent :  nous n’avons même pas entendu dire qu’il y ait un Esprit Saint.  Il leur demanda : au nom de qui avez-vous été baptisés ? Ils répondirent : nous avons été baptisés dans le baptême de Jean.  Paul leur  expliqua :  Jean baptisait le peuple d’un baptême de pénitence, en leur disant de croire à celui qui viendrait après lui, en Jésus.  Et quand Paul leur imposa les mains, l’Esprit saint vint sur eux, ils parlaient en langue et prophétisaient.   (Act X1X, 1 et suivants.)  On voit ici que Paul ne les a pas baptisés, mais qu’il a ordonné qu’ils soient baptisés. Après qu’ils aient reçu le baptême, il leur a imposé les mains. Et c’est alors que vint sur eux l’Esprit Saint.  Nous apprenons par ces textes que la grâce du baptême est conférée par les prêtres, mais que ce n’est que par les évêques que le don du Saint Esprit est octroyé, quand ils imposent les mains et oignent les fronts des baptisés avec le saint chrême.
Et en vérité, entre les prêtres et les évêques il n’y a pas une petite différence. Les prêtres, comme ceux de tous les ordres,  sont consacrés par le ministère des évêques. Et les évêques ne reçoivent pas la bénédiction des prêtres.  Ce sont les évêques qui sanctifient  le saint chrême, et consacrent l’huile. Tous les grades ecclésiastiques agissent sous la gouverne de  l’évêque.   Ce que considérant,  les hommes d’église ont statué que les fronts des baptisés ne seraient pas oints du saint chrême par les prêtres, mais par les évêques.  Comme on lit dans les actes de saint Sylvestre : Celui-ci a décidé que le saint chrême serait confectionné par l’évêque, et que ce soit le privilège de l’évêque de signer les baptisés avec le saint chrême, à cause des accusations des hérétiques.  Le pape Innocent a décrété dans ses décrétales : Il est évident qu’il n’est permis qu’à l’évêque de signer les enfants. Car  les presbytres, bien qu’ils soient prêtres, ne possèdent pas la plénitude du sacerdoce.

Qu’il fasse laisser aux seuls évêques la charge de signer et de livrer le Saint Esprit,  ce n’est pas seulement une coutume ecclésiastique qui nous l’indique, mais la lecture des actes des apôtres.  Ces actes nous racontent que des apôtres ont été envoyés par le collège apostolique pour communiquer l’Esprit saint à des gens qui avaient déjà été baptisés.  Il est vrai qu’il est permis aux prêtres quand ils baptisent en l’absence ou en présence de l’évêque d’oindre les baptisés d’un chrême qui a été consacré par l’évêque.  Mais non d’oindre le front avec de l’huile,  ce qui n’est permis qu’aux évêques quand ils communiquent l’Esprit saint.   De là vient que tous les évêques  occidentaux, à la suite de leurs ancêtres, ont maintenu la tradition de ne pas permettre aux prêtres d’oindre le front des baptisés, mais s’en sont réservé le            privilège.  Ils ne confectionnent pas non plus le chrême avec de l’eau de la fontaine, comme vont persiflant les Grecs, mais avec du suc de baume et de l’huile d’olive.  Non seulement en Grèce, mais dans toutes les églises.
 

                            CHAPITRE HUITIEME
 

C’est faussement et avec beaucoup de légèreté qu’ils accusent les Romains de sacrer quelqu’un évêque avant qu’il ait été  ordonné prêtre.  Accusation aussi mensongère que celle de consacrer un agneau à Pâque.   En mentant aussi effrontément, ils oublient que toutes leurs autres accusations se fondaient sur l’autorité de la foi.  Ils devraient redouter ce que dit l’Esprit Saint :  L’homme sanguinaire et menteur Dieu l’a en abomination. (Ps V, 7) Et : Tu perdras tous ceux qui disent des mensonges.  (ibid.)  Et dans Salomon : Le faux témoin ne restera pas impuni.  (Prov. X1X, 5)  Ils nous reprochent de sacrer évêque un diacre.  Comment ne comprennent-ils pas qu’ils plaident contre eux-mêmes,  puisque, contre toutes les règles ecclésiastiques et les décrets impériaux, ils font incontinent d’un laïc un évêque.  L’Apôtre avait pourtant interdit qu’un néophyte soit consacré évêque. (1Tim 111, 6)  L’empereur Justinien lui-même a stipulé dans ses constitutions ecclésiastiques :  Il n’est pas permis de passer directement du laïcat à l’épiscopat, ni de recevoir tous les ordres en même temps.  Il faut que celui qui devient évêque n’ait ni épouse, ni concubine, ni enfants, ni bâtards.  S’il contrevient à ces prescriptions,  sera expulsé de l’honneur de l’épiscopat, autant celui qui a ordonné que celui qui a été ordonné.  Il n’est pas permis de donner de l’argent pour devenir évêque.  Celui qui devient évêque doit être soit moine soit clerc.   Il doit avoir fait partie du clergé au moins pendant six mois.  Ce ne sont donc pas seulement les constitutions ecclésiales mais impériales que l’on enfreint quand on promeut un laïc évêque.  Il fallait d’abord l’éprouver et lui enseigner les constitutions ecclésiastiques.   Celui qui a avancé par la voie royale, en recevant successivement chacun des ordres mineurs et majeurs, est digne de se rendre au sommet de la dignité ecclésiastique.  Hélas, les empereurs grecs, faisant fi des lois humaines et divines, font instantanément évêques des laïcs fraîchement tonsurés.  Et ceux qui n’étaient pas dignes de recevoir le moindre des ordres mineurs, sont élevés au sommet des honneurs suprêmes.  Et agissant ainsi, ils ne rougissent pas de calomnier l’Eglise du Christ avec un tissu de mensonges, sans redouter les menaces du Sauveur :  Celui qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, qu’ on lui attache au cou une meule de moulin et qu’on le précipite dans la mer.  (Matt. XV111, 6)  Pour que ceux que la charité ne soumet pas à la sainte crainte soient  condamnés à la peine de mort, et engloutis par les flots de perdition.

Mais d’où vient cette présomption inouïe qui leur fait imputer de faux crimes aux Romains ?  Pour aucun autre motif que,  ignorant la nature de leur statut, ils ambitionnent de s’approprier la principauté qui ne leur a été accordée, ni par le Christ, ni par les apôtres, ni par les pères de l’église.  Ils se sont faits les imitateurs de celui qui disait dans son cœur :  Je monterai au-dessus des nuages, et j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles du ciel.  Je placerai mon siège sur les plus hautes montagnes, et sur les bords de l’Aquilon. (Is X1V, 13, 14)  Car que disent-ils d’autre ces empereurs grecs qui usurpent la principauté ecclésiale, et s’approprient  la sublimité de la charge apostolique.  Ils désirent établir leur trône au-dessus des astres du ciel, i.e. être au-dessus des conciles et des synodes,  et usurper l’honneur qui est du aux patriarches.  En se soumettant  l’église entière, ils se rendent semblables au Christ.

Ils ne peuvent citer aucun père qui leur concède ce droit, aucune loi ecclésiastique qui le leur confère, aucune loi humaine qui le leur assigne.  En voulant tout s’approprier, ils laissent assez clairement à entendre qu’ils désirent que le patriarche de Constantinople ait préséance sur le pape de Rome,  qu’il soit supérieur à l’évêque de Rome, comme s’ils avaient le pouvoir de  changer à leur gré les lois ecclésiastiques, et de disposer de la principauté.

Ils devaient quant même se souvenir que le Christ est la tête de toute l’Eglise, et que le Père lui a dit par le Prophète :   Je te donnerai les nations en héritage, et les confins du monde comme  ta possession. (Ps 11, 8)  C’est lui la pierre détachée sans mains de la montagne qui fracassera et réduira en poussière tous les royaumes du monde.  (Matt. XV1, 18)  C’est lui qui a dit à Pierre :  Tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. Et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elles.  Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux.   Paul apporte lui aussi son témoignage :  Celui qui a opéré en Pierre dans l’apostolat auprès de la circoncision a opéré aussi en moi chez les Gentils. (Gal 11, 8)  Que ces deux ont reçu le principat du Christ, qu’ils se sont dirigés vers Rome et y ont souffert leur passion,  le démontre l’histoire de l’église. Car ces deux princes sont allés là où se trouvait la capitale du monde.  Et comme le sauveur a voulu illustrer Jérusalem par sa naissance, sa doctrine, ses miracles, sa mort, sa sépulture  et sa résurrection, il a choisi la ville de Rome et l’a rendu glorieuse par le sang des princes des apôtres, leur tombeau, leur mémoire, et leur doctrine.  Et comme le Christ de la Jérusalem céleste assis à la droite du Père est honoré Roi et Seigneur par les chœurs des anges et de tous les saints,  de la même façon Pierre et Paul obtiennent la principauté dans l’église pèlerine, tous les fidèles du Christ leur étant soumis par toute la terre.

Cela, l’antiquité l’atteste et les écrits des Pères le confirment.  Dans son histoire ecclésiastique, Socrate raconte comment les Ariens avaient organisé un synode à Syrie d’Antioche pour renverser et annuler le concile de Nicée et pour condamner Athanase.  Il dit d’abord que le président rappela par qui le concile avait été convoqué, puis il ajouta :  Mais Jules, le pape de Rome, n’y fut pas présent, et il n’envoya aucun représentant. Et pourtant, la règle ecclésiastique interdit de convoquer des conciles sans l’aval du pontife romain.  Cet historien était un Grec, mais il ne dit quand même pas que Constantinople possède un pouvoir égal à celui de Rome. Il atteste sans ambages que, sans l’assentiment ou l’ordre du pontife romain, aucun concile universel ne peut se tenir.

  Au concile de Sardaigne, il a été ainsi statué : Il a paru bon de décréter ce qui suit.  Si un évêque est accusé, et s’il est condamné et dégradé par  tous les évêques de sa région; si  celui qui a été déposé porte sa cause en  appel et se réfugie auprès du très bienheureux évêque de l’église de Rome pour exprimer son point de vue; et  si  le pape considère qu’il est juste qu’on réexamine le cas, l’évêque de  Rome écrira à ceux qui sont dans la province la plus proche pour qu’ils scrutent tout avec soin, et prennent une décision conforme à la vérité.   Si celui qui veut que sa cause soit réouverte obtient du pontife romain qu’il envoie des prêtres de son entourage, ce sera à l’évêque de Rome, après mûre réflexion,  de prendre une décision. Et s’il juge que soient envoyés les prêtres qui représentent l’accusé qui doivent être présents avec les évêques accusateurs au moment du jugement, il lui est loisible de le faire. S’il croit qu’il faut s’en tenir à la décision portée  par  les évêques de la province de l’accusé pour que justice soit rendue, qu’il agisse selon que lui conseille sa sagesse.    Voilà ce qu’a décrété  au sujet de la dignité papale un concile tenu par les Orientaux dans une province d’Asie au temps de l’empereur romain Constantin le grand, celui-là même qui a fondé la ville de Constantinople,  et qui a voulu qu’elle porte le nom de jeune  Rome.  Au sujet du patriarche de Constantinople, trouve-t-on rien de semblable qui ait été défini par les évêques ?  Ce texte nous démontre que l’autorité du pontife romain l’emporte sans conteste  sur  celle de tous les autres pontifes;  que tous les évêques l’ont pour chef; et que relève de son jugement tout ce qui, dans l’église,  doit être soumis à un tribunal supérieur. C’est à lui à statuer que continue ce qui a été établi, que soit corrigé ce qui est erroné, et que soient approuvées les innovations.

Eusèbe, l’évêque historien de Césarée donne ce témoignage dans sa vie du pape Sylvestre :  Le quatrième jour, l’empereur Constantin accorda au pontife romain le privilège d’être, dans tout l’empire romain, le chef des prêtres comme le roi l’est des juges.  Ce privilège,  les conciles l’ont manifesté.   Pour qu’un concile, en Orient ou en Afrique,  soit reconnu comme authentique, il faut qu’il soit présidé par un légat du pontife romain, ou que ce qui a été décrété soit approuvé par écrit par le pape.   C’est ce qu’illustre le concile de Nicée, qui est vénéré par toutes les églises chrétiennes.   Les prêtres de la ville de Rome, Victor et Vincent, qui agissaient au nom du pontife romain, ont été les premiers à apposer leurs signatures, avant les évêques, et tout de suite après Osius, évêque de la ville de Cordoue de la province d’Espagne, président du concile, qui y avait été envoyé par le pontife romain, trop âgé pour entreprendre le voyage lui-même.   Les autres conciles ne se sont pas comportés autrement.  La première place a toujours été accordée aux pontifes romains ou à leurs légats.  C’est la pure vérité  que toutes les églises, occidentales aussi bien qu’orientales, ont toujours vénéré les évêques de l’église de Rome en tant que chefs des évêques, ont eu recours à leur arbitrage, ont accepté les décisions qu’ils ont portées sur des points controversés,  et ont obéi à leur décrets.   Tous les conciles que les papes ont approuvés ont toujours force de loi ; ceux qu’ils ont condamnés sont considérés comme non avenus, et n’ont jamais joui d’aucune autorité.

Pour bien montrer que les écrits des pères corroborent ce que je viens de dire, voici une lettre d’un pontife romain.  Flavien, évêque de Constantinople,  avait condamné Eutychen, archimandrite de Constantinople, pour avoir parlé en hérétique de l’incarnation du Seigneur.  Il fut, ensuite, contre toutes les règles ecclésiastiques, condamné par le deuxième synode d’Ephèse.  Il en appela au pape Léon,  qui demanda à l’empereur Théodose d’annuler le synode. Ce qu’il fit.  Ce qui n’a pu se faire sous Théodose, se réalisa après sa mort, sous les princes Valentinien et Marcion qui lui succédèrent.

Voici la lettre qu’ils envoyèrent au pape Léon après leur élection :  Valentinien et Marcion  vainqueurs, glorieux triomphateurs, toujours Augustes, au très révérend Léon, archevêque de la glorieuse cité de Rome. Nous accédons au trône suprême de l’empire par la providence de Dieu, du très excellent sénat, et de toute l’armée.  Pour honorer la religion catholique et la foi des chrétiens, avec l’aide desquelles nous espérons trouver la force qu’il faut pour gouverner, nous pensons qu’il est juste d’écrire d’abord à votre sainteté qui détient la principauté dans l’épiscopat de la divine foi, lui demandant et la priant de supplier la divinité éternelle pour la stabilité de notre règne. Toute erreur impie, grâce à vous,  ayant été enlevée par la célébration du synode, que la plus grande  paix s’établisse sur tous les évêques de la foi catholique.   Il écrit ensuite :  S’il plaît à votre béatitude de venir dans nos régions et de célébrer le synode, qu’elle daigne le faire poussée par l’amour de la religion.  S’il te semble trop pénible de te rendre jusqu’à nos terres, que ta sainteté nous l’indique par ses propres lettres.  Que dans tout l’Orient, dans la Thrace, et en Illyrie vos lettres sacrées soient expédiées,  pour que soit déterminé à quel endroit tous les saints évêques doivent se rencontrer, et ce qui est avantageux  pour la religion des chrétiens et la foi catholique, comme  ta sainteté le décidera selon les lois ecclésiastiques.   Ces lettres des empereurs romains ne montrent pas que le patriarche de Constantinople est le chef du pontife romain. Tout au contraire, elles attestent le plus clairement du monde que le pontife romain détient la principauté sur tous les évêques, que c’est à sa décision qu’est remise la convocation d’un concile, et que les sujets à traiter doivent être déterminés par lui.

Les lettres de l’empereur Valentinien à son père Théodose Auguste attestent, elles aussi, que le pontife romain possède une dignité et un rang supérieurs à ceux de tous les autres évêques :  Au seigneur Théodose, très glorieux vainqueur et très illustre triomphateur, empereur et père, Valentinien glorieux vainqueur et triomphateur, toujours Auguste et fils. Quand je vins dans la ville de Rome pour apaiser la divinité, je me rendis, le jour suivant, à la basilique du bienheureux Pierre, et, après la nuit vénérable du jour de l’apôtre, l’évêque de Rome et d’autres avec lui réunis m’ont demandé d’écrire à votre mansuétude au sujet de la foi que l’on dit perturbée, elle qui est la conservatrice de toutes les âmes des fidèles. Cette foi que nos pères nous ont transmise nous devons la défendre avec toutes les armes idoines, et conserver inchangée en notre temps la  vénération due à la dignité du bienheureux apôtre Pierre.  Car le bienheureux évêque de la cité  de Rome à qui appartient la principauté du sacerdoce au-dessus de tous les évêchés  les plus anciens, possède  le siège  et le pouvoir de juger les évêques, Seigneur père très saint et vénérable empereur. En raison de cette grâce qui lui a été donnée, l’évêque de Constantinople lui-même, comme le veulent les  conciles solennels, a fait appel au pape au sujet des dissensions relatives à la foi.

 Galla Placidia, également, mère d’Auguste, écrivant à son fils Auguste  sur le même sujet, lui dit entre autre chose : Ce n’est pas un petit dommage qu’a causé ce qui vient d’arriver. Notre foi qui pendant tant d’années a été conservée intacte par notre très sacré père Constantin (qui fut le premier empereur qui resplendit du nom de chrétien) a été récemment troublée au gré d’un seul homme. On raconte que dans le synode d’Ephèse, il a suscité la haine de la cité et des conflits, par la peur des soldats qui étaient présents, a persécuté  l’évêque de la cité de Constantinople parce qu’il avait envoyé une lettre au siège apostolique par ceux qui étaient venus au synode de la part du très révérendissime évêque de Rome, ceux qui ont coutume de s’en tenir aux définitions du concile de Nicée, très saint seigneur fils, vénérable empereur.  Parla grâce de Dieu, que ta mansuétude résiste à ces ouragans, et qu’elle ordonne que la vérité immaculée de la foi chrétienne soit conservée, et selon la forme et la décision du siège apostolique, que nous aussi nous considérons avec vénération au-dessus des autres. Que Flavien, entre temps,  demeure en possession de tous ses droits, et qu’il soit remis au jugement du concile et du siège apostolique, de celui qui a été digne de recevoir les clefs du ciel et d’exercer  la principauté de l’épiscopat.  Il convient donc que nous manifestions du respect en toutes choses  à cette très grande  ville qui est la maîtresse de toutes. Pourvoyez avec une grande diligence à ce que ce qui a été conservé par notre génération des institutions des premiers siècles  ne soit pas amoindri, et que l’exemple présent n’engendre pas de divisions entre les évêques et les saintes églises.

Il appert de ce texte que le pontife romain ne fut jamais soumis au patriarche de Constantinople. C’est le contraire qui est vrai.  Pressé par la nécessité, c’est l’évêque de Constantinople qui a fait appel au siège de Rome. Il a demandé que la décision de Rome mette fin à la contestation.  On voit aussi que la cité de Rome mérite plus d’honneur  que toutes les villes de l’empire romain, et que le pontife romain possède  la primauté du sacerdoce sur tous les évêques. En effet, cette cité est la maîtresse de toutes,  et celui qui exerce la première autorité de cette église est, d’après les anciennes constitutions, le chef de toutes les églises.

Le pape Léon le vénérable,  évêque de Rome, détenteur de cette autorité,  indique  à Anatole, évêque de Constantinople,  quelle forme le concile devait prendre pour condamner Nestorius et Euthyches : Bien que je sache que ton zèle te pousse à toute bonne œuvre,  pour faciliter ta tâche, j’ai cru utile et nécessaire de t’envoyer, tel que promis, l’évêque Lucentius et le prêtre Basile, qui t’accompagneront, pour que rien de ce qui se rapporte à l’état de l’église universelle ne porte la marque du doute ou de l’imprécision. Chez les vôtres comme chez ceux que je vous ai joints pour la réalisation de notre dessein,  tout devra être inspiré par  la prudence. Que rien ne soit négligé de ce qui se rapporte à la miséricorde ou à la justice, et qu’après mûre réflexion, tout jugement soit porté sans faire acception des personnes.  Et encore :  La foi évangélique et apostolique expulse toute erreur. D’un côté, elle rejette Nestorius, et de l’autre, elle repousse Eutychen et ses partisans.

 Rappelle-toi d’observer la règle suivante : la paix fraternelle sera accordée à quiconque  fera satisfaction pour les fautes commises dans ce synode qui ne peut ni avoir ni mériter le nom de synode, et dans lequel Dioscore montra sa mauvaise foi et Juvénal sa duplicité.  Qu’Eutyches et son dogme ne soient pas condamnés sur des textes à l’authenticité douteuse,  et que ses comparses ne soient pas anathématisés sans raison.     Ceux qui alors péchèrent le plus gravement, et qui, par là même,   jouèrent un rôle prédominant dans ce malheureux concile, abusant par leur arrogance de la simplicité des humbles frères, s’ils venaient éventuellement à résipiscence, et cessant de justifier ce qu’ils ont fait, finissaient par condamner leur erreur, qu’ils fassent une demande de pardon qui mérite d’être accordée.  Mais elle sera réservée à la mûre réflexion du siège apostolique, pour  que, après avoir tout bien pesé et examiné, il puisse  déterminer ce qu’ils devront faire pour obtenir le pardon.  Et dans l’église que Dieu a voulu que tu présides, tu ne prononceras le nom d’aucun de ceux-là, comme je te l’ai déjà indiqué par écrit, avant que l’enquête ne démontre quel sera leur sort.    Et un peu après :  Vois, frère très cher, comme cela convient aux églises de Dieu, à tout mettre en œuvre avec fidélité et efficacité,  en union avec ces frères que nous avons choisis à cause de leur compétence.

Ces lettres du pontife romain montrent que le pontife romain est supérieur au patriarche de Constantinople, à qui il envoie ceux qui le remplaceront au concile.  Il lui prescrit comment se comporter dans le détail, et il lui indique ce qui est réservé à son jugement.  Il lui explique ce qui est de son ressort, mais ne lui donne pas le pouvoir de juger à lui tout seul, car  il lui associe ses délégués avec qui il devra prendre des décisions.

Le bienheureux pape Léon écrit au saint concile de Calcédoine qui a été convoqué pour condamner le deuxième synode d’Ephèse dans lequel Flavien, le vénérable évêque de Constantinople avait été condamné non par la justice, mais par le recours à la violence.  Voici ses paroles, tout de suite après la salutation d’usage :  L’amour que je porte à tout le clergé  me faisait espérer que tous les prêtres du Seigneur persévèreraient dans la profession de la foi catholique, et que personne ne serait détourné du chemin de la vérité  par les faveurs ou les menaces des séculiers. Mais parce que beaucoup de choses arrivent qui peuvent inciter à la pénitence, et que la miséricorde Dieu est plus grande que les fautes des pécheurs, pour que la punition soit suspendue et pour donner lieu à l’amendement, nous approuvons la décision pleine de religion de notre prince très clément.   Il  lui plait de convoquer votre sainte fraternité pour détruire les embûches du diable et redonner la paix ecclésiastique, étant préservé le droit et l’honneur du bienheureux apôtre Pierre. Il nous a même invité par ses lettres pour que nous présidions le concile, ce que ni les pressants besoins ni aucune coutume ne permettent.  Mais  dans les frères Pacasinus et Lucentius, évêques,  et Boniface et Basile, prêtres, qui ont été mandatés par le siège apostolique, que votre fraternité estime que c’est moi qui préside le synode, et qu’elle n’est pas privée de ma présence, puisque je suis présent dans mes vicaires, et que,  pendant ce temps,  je ne cesse pas de prêcher  la foi catholique.  Et un peu plus loin :  Nous n’ignorons pas que  des ambitions dépravées ont semé le trouble dans beaucoup d’églises, et que beaucoup de frères qui rejetèrent l’hérésie ont été chassés de leur siège, déportés en exil, et que d’autres ont été intronisés à leur place.  A ces plaies, il faut d’abord appliquer la médecine de la justice. Que personne ne soir privé de ce qui est à lui, de façon à ce qu’un autre ne se serve des biens d’autrui.  Si, comme nous le désirons, tous réprouvent leur erreur, à personne l’honneur ne doit faire défaut.  Mais à tous ceux qui ont été éprouvés à cause de la foi il faut  rendre ce qui leur appartient, avec tous leurs privilèges.   Que soient maintenus les statuts du premier  concile d’Ephèse  présidé par Cyrille de sainte mémoire, surtout ceux qui sont contre Nestorius.  Que personne ne ravive  l’impiété qui a alors été condamnée, qui a mérité qu’Eutyches soit justement exécré.  Car la pureté de la foi et de la doctrine que nous prêchons et qu’ont prêchée les pères condamne et combat la perversité nestorienne et eutychienne, ainsi que leurs auteurs.

Ce texte nous fait voir que l’évêque de Rome est supérieur au patriarche de Constantinople. C’est par sa permission que le concile de Chalcédoine a été convoqué.  C’est lui-même qui l’a présidé par ses légats. A ce même synode, il a indiqué par écrit ce qu’on devait statuer sur le second synode d’Ephèse.  Comment traiter ceux qui pour la vraie foi ont été expulsés de leurs sièges et relégués en exil.  Que faire avec ceux qui, intimidés  et effrayés par les menaces, ont été contraints de voter contre la foi, s’ils ont l’intention de renoncer à l’erreur et de professer la vraie foi.  Il a déterminé que les statuts du  premier synode d’Ephèse présidé par saint Cyrille, évêque d’Alexandrie,  devaient être observés par tous, lui qui a condamné autant Nestorius qu’Eutyches,  dont les pensées sur l’incarnation de notre Seigneur Jésus Christ étaient dépravées.  Toutes ces choses nous enseignent que le pontife romain est supérieur non seulement aux évêques des églises orientales mais aussi au patriarche de l’église de Constantinople, qu’il est  pleinement responsable de tous les évêques; que c’est à lui qu’incombe d’une façon toute spéciale de veiller avec sollicitude sur toutes les églises.

A quel point le pontife romain est supérieur à tous les évêques orientaux, une lettre du pape Léon, qu’il a écrite à Anastase évêque de Thessalonice,  nous le démontrera encore plus clairement.  C’est avec plaisir que je la fais connaitre :  Tout ce qui a été confié à ta fraternité par l’autorité du très bienheureux apôtre Pierre, et les  faveurs que  je t’ai moi-même accordées si tu les examinais consciencieusement et les estimais à leur juste poids, nous pourrions ensemble grandement nous réjouir de la charge apostolique qui t’a été confiée.  Car comme mes prédécesseurs ont agi envers tes prédécesseurs, j’ai, comme eux, envoyé à ta dilection mes représentants dans le gouvernement.  Comme, par institution divine, nous devons prendre soin des diverses églises, tu pourrais aider, si tu deviens imitateur de notre mansuétude, et tu pourrais me rendre présent, comme si je les visitais moi-même, dans les provinces éloignées de nous.  Une observation attentive et judicieuse  te permettra de reconnaître quelles sont les choses que tu peux régler par toi-même, et quelles sont celles qu’il est préférable de réserver à notre jugement. Les affaires d’importance ou difficiles à régler tu étais  libre de les suspendre ou non dans l’attente de notre décision.  Mais dans celles qui excèdent ta compétence, il n’y avait ni aucune raison ni aucune nécessité de t’écarter du droit chemin.  Car ils abondent les avertissements que nous t’avons donnés par écrit pout t’inviter à la modération dans tes actions; et  pour que tu ranges à l’obéissance, par l’exhortation de la charité, les églises du Christ qui t’ont été confiées.  Et plus loin :  Et parce qu’ils cherchent à dominer plutôt qu’à veiller sur ceux qui leur sont confiés,  l’honneur plaît, l’orgueil enfle, et ce qui devait conduire à la concorde engendre le préjudice.   Être forcé de dire de pareilles choses ne suscite pas en notre âme de faible douleur.  Car moi-même je me sens fautif  quad j’apprends que tu t’es éloigné immodérément des règles qui t’avaient été données.  Si tu faisais peu de cas de ta réputation, tu aurais du,   du moins,  épargner la mienne. Pour que ce que tu as fait de ta propre initiative ne semble pas avoir été fait sur notre ordre.  Que ta fraternité relise nos pages, qu’elle parcoure tout ce que le détenteur du trône apostolique a envoyé à tes prédécesseurs, et elle découvrira que mes prédécesseurs avaient ordonné ce qui t’avait été prescrit à l’avance.  Car mon frère Atticus, métropolitain de la vielle Epire,  est venu à nous avec les évêques de sa province, et il s’est plaint en pleurant, devant tes diacres,  de l’indigne et douloureux traitement  qui lui a été infligé.  Ne trouvant rien à répliquer à ses plaintes et à ses larmes, ils montrèrent que ces accusations étaient dignes de foi.   On lisait dans tes lettres aussi  que tes diacres eux-mêmes m’ont apportées, que frère Atticus viendrait  à Thessalonique.

Et après cela : Les paroles de ta lettre apportèrent une confirmation aux plaintes du ci-haut nommé, et permirent, ce qu’il ne faut pas taire, de révéler ce qui avait été recouvert du manteau du silence. On s’était rendu à la préfecture de l’Illyrie, on avait fait une moquerie devant le tribunal civil  du pouvoir le plus sublime qu’il y ait sur la terre, et pour mettre à exécution  l’infamie projetée, on avait requis  l’aide des services public pour  que des sacrés parvis de l’église soit arraché un prêtre qui n’avait été accusé d’aucun crime, vrai ou faux.  Sans tenir compte de sa santé délabrée, sans lui donner les vêtements nécessaires pour affronter la rigueur de l’hiver, on l’a forcé de marcher sur des chemins impraticables tout recouverts de neige. Le voyage fut si pénible et  si atroce que quelques-uns des compagnons de route de l’évêque défaillirent en chemin.  Je suis grandement stupéfait, frère très cher, mais plus attristé encore, qu’envers celui de qui tu ne disais rien de plus que, étant appelé, il avait différé de venir, et avait donné son infirmité comme excuse, tu ais pu te comporter de façon si brutale et si atroce.   Surtout que, s’il avait mérité quelque chose de tel,  tu devais attendre que je réponde à ce sur quoi tu m’avais consulté.  Mais je pense que tu avais une bonne idée de ma façon d’agir, et que  tu savais très bien que j’aurais cherché à assurer la concorde entre les  prêtres.  C’est pourquoi tu t’es hâté de suivre sans retard tes impulsions, sans avoir à tenir compte de nos invitations à la modération.   Un crime du frère t’était-il connu, et étais-tu angoissé par le poids de ce nouveau crime ? Mais aucun crime ne peut lui être imputé puisque toi-même tu affirmes n’avoir rien de grave à lui reprocher. A supposer même qu’il eût commis quelque chose de grave et d’intolérable, il fallait attendre notre censure, pour que tu ne décides rien avant de connaître ce qu’il nous plairait d’aviser.

Nous avons fait de votre charité notre représentant pour t’appeler à une partie de notre sollicitude pastorale, non à la plénitude du pouvoir.  Toutes les choses que tu as traitées pieusement nous réjouissent, mais celles qui viennent d’arriver nous attristent grandement.  Et après avoir eu l’expérience de plusieurs cas graves, il est nécessaire de se rendre plus soucieux et plus diligents.  Que ce soit  par l’Esprit de charité et de paix que  tout ce qui est matière à scandale soit enlevé des églises du Christ que nous t’avons confiées, par la prééminence de ton épiscopat sur chacune des provinces, mais en évitant l’excès de toute forme d’usurpation.  En conséquence, selon les canons des saints Pères, produits par l’Esprit Saint, et consacrés par le respect que tout le monde leur accorde, nous décrétons que tu aies la juridiction léguée par le passé  à ton église,  sur les évêques métropolitains de chacune des provinces, qui sont confiées à ta fraternité par notre délégation.  Pour qu’aucune, par négligence ou par présomption,  ne s’éloigne des règles qui ont été instituées. Et d’autres directives  qu’il devait observer dans ses rapports ecclésiaux avec l’évêque de Thessalonique.

Cette lettre nous démontre que l’évêque de Constantinople n’a jamais été responsable d’autre chose que de son diocèse.  Que c’est le pontife romain, de qui relèvent toutes les églises,  qui l’a chargé autrefois de cette sollicitude pastorale.  Que celui-là seul à qui le souverain pontife l’aura accordé pourra exercer sa sollicitude pastorale sur les autres provinces et régler leurs différents.  Cette lettre démontre aussi que les décrets des pontifes romains faits à l’intention de toutes les églises d’Occident et d’Orient sont observés comme des lois ecclésiastiques, et sont reçus par toutes les églises.   Qui supporterait que le patriarche de Constantinople soit placé à la tête de toutes les églises,  chose que l’antiquité ne lui a jamais concédé, qu’aucun décret des Pères ne lui a jamais accordé, qui n’est fondée sur aucune raison, sur aucun droit humain ou ecclésiastique.   Que comprennent du moins  les empereurs romains de notre temps  que ce qui n’était pas permis aux empereurs d’autrefois, qui régnaient sur un bien plus grand empire que le leur, ne  l’est pas non plus à eux.  Qu’ils ne peuvent pas, à leur gré, disposer de l’Eglise romaine, que leurs ancêtres considéraient comme leur mère, ni changer l’autorité que le Christ et l’Eglise ont donnée à Pierre,  la principauté sur toute la terre.  D’autant plus qu’ils constatent que la ville de Rome, qui détient la principauté sur toutes les églises, est loin de leur empire, que tout l’occident, l’Afrique, et presque tout l’Orient leur ont été enlevés, et qu’il ne leur reste que quelques provinces d’Europe et d’Asie, et quelques îles.

L’empereur Justinien atteste que le respect que le patriarche de Constantinople obtient n’est pas du à son mérite,  mais à ce que la ville de Constantinople est appelée la deuxième Rome : Le pape de Rome est supérieur à tous les évêques et patriarches. Et, après lui, l’archevêque de la ville de Constantinople.  Le patriarche de Constantinople ne s’élève donc pas au-dessus du pape, puisque, venant en second, il lui est subordonné.  Il faut aussi noter que l’honneur du siège de Rome lui est accordé, mais non la plénitude du pouvoir.

Nous trouvons la même chose dans l’histoire de Socrate :  Ils adoptèrent alors cette règle que l’évêque de Constantinople viendrait par le rang et les honneurs immédiatement après l’évêque  de Rome, parce que Constantinople était la nouvelle Rome.  Les honneurs, oui, mais pas le pouvoir, qui demeure toujours la propriété de l’évêque de Rome. Où donc les empereurs sont-ils allés chercher que le patriarche de Constantinople détient le primat sur toutes les églises de la chrétienté ?  L’antiquité ne leur en fournit aucun témoignage; les décrets des synodes aucun; les pragmatiques des empereurs aucun.  Ils peuvent trouver des textes qui parlent de leur pouvoir, mais ils ne peuvent pas  l’exercer ce pouvoir sans l’autorisation du pontife romain.  Le pouvoir de juridiction est tel, de toute antiquité, qu’aucune église, que ce soit celle de Constantinople ou de n’importe laquelle autre,  ne peut détenir un pouvoir juridictionnel sans qu’il  ne lui soit  accordé ou confirmé par le pontife romain. C’est à Rome que se trouvent le pouvoir et la sollicitude pastorale sur toutes les églises.  Beaucoup de textes en apportent la preuve.

L’évêque de Constantinople Acace écrit au pontife romain Simplicius :  Au seigneur, saint Père archevêque Simplicius,  Acace.  Portant la sollicitude de toutes les églises, selon ce que dit l’apôtre, vous ne cessez d’exhorter à la vigilance et au zèle apostolique.  Mais vous, vous montrez votre sollicitude en vous enquérant de l’état de l’église d’Alexandrie, vous imposant ce travail d’après les canons des pères, et faisant couler  pour eux  sur votre front une sainte sueur.   Nous constatons qu’Acacius, le pontife de Constantinople, atteste que le pontife romain a, selon l’apôtre, la sollicitude de toutes les églises. Qu’il l’a toujours eue, et cela de toute antiquité.  Car il savait très bien que cette prérogative  n’appartenait pas à sa charge épiscopale.  Et il n’a pas cherché à usurper ce qu’il savait être la possession d’autrui.

   Félix, évêque de la sainte église catholique de Rome a écrit à ce même Acace quand il fut convaincu d’avoir agi contre les règles ecclésiastiques, et qu’il admettait n’avoir rien à présenter pour sa défense :  Tu es coupable de plusieurs transgressions. Méprisant le vénérable concile de Nicée, tu as usurpé témérairement les droits des provinces qui  te sont étrangères.  Les hérétiques, les pervers, ceux qui ont été ordonnés par des hérétiques, que tu avais toi-même condamnés, et que tu avais demandé qu’ils soient condamnés par le siège apostolique, non seulement tu as pensé que tu pouvais les recevoir dans ta communion, mais, ce qui n’est pas permis à des catholiques,  tu les as même fait présider dans d’autres églises, et tu les as comblés d’honneurs qu’ils ne méritaient pas.  Après lui avoir rappelé toutes ses transgressions,  il conclut a ainsi : Partage donc le sort de ceux que tu as embrassés si chaudement.  Et, par la sentence présente, que nous te faisons parvenir par le défenseur de ton église, sache que tu es privé  de l’honneur du sacerdoce, de la communion de l’église catholique, séparé du nombre des fidèles, que le nom et la charge du ministère épiscopal te sont enlevés, que tu es condamné par le jugement du saint Esprit et par notre autorité apostolique,  et que tu es rivé  aux chaînes de l’anathème.  Est-il donc prouvé que le pontife romain est sujet du patriarche de Constantinople ?  Il s’en faut de beaucoup.   C’est le pontife romain qui reproche sévèrement au patriarche de Constantinople ses transgressions,  qui le condamne et l’anathématise.

Mais que suffisent ces témoignages. Ils montrent avec éclat que le patriarche de Constantinople ne possède aucune autorité sur l’évêque de Rome,  Il devrait se contenter de la part d’honneur qui lui est due, de peur que, s’il contrevenait aux décrets du concile de Nicée, il n’encoure la perte de l’honneur qui est le sien.

Nous avons fait ce que nous avons pu en donnant une réponse aux choses que vous nous avez envoyées par écrit.  Si elles plaisent,  rendons grâce à Dieu. Si elles déplaisent, nous tiendrons compte des corrections que vous nous imposerez.
 

fin du livre
MONITUM publié en en-tête par Migne, ne faisant pas partie du livre.
 Les dernières paroles du quatrième livre servent à nous persuader que Ratramnus a faits ces livres à la demande pressante des évêques : « Nous avons répondu comme nous avons pu à ce que vous nous avez envoyé par écrit. Si ces livres vous plaisent, rendons-en grâce à Dieu. S’ils vous déplaisent,  nous profiterons de votre critique pour nous corriger. »
 Le pontife suprême Nicolas premier avait demandé par lettres aux évêques de Gaulle de répondre aux objections faites par les Grecs, qui étaient devenus des adversaires du siège romain, comme le rapporte Frodoardus dans son histoire ecclésiastique de Rheims, au livre 111, chap. 17 : « Le pape Nicolas envoya une lettre à Hincmar, et aux autres archevêques et évêques du royaume de Charlemagne, les informant que les empereurs des Grecs et les évêques orientaux condamnaient la sainte Église romaine, et même toute l’Église latine, parce que nous jeûnons le sabbat, parce que nous disons que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, parce que nous interdisons aux prêtres d’oindre du saint chrême le front des baptisés; parce  que nous confectionnerions le saint chrême avec de l’eau du fleuve; parce que nous n’arrêtons pas de manger du fromage et des œufs, à leur façon, pendant huit semaines; parce qu’à Pâque, à la mode des Juifs, nous bénirions et offririons sur l’autel un agneau en même temps que le corps du Seigneur; parce que les clercs se rasent la barbe; parce que, chez nous, un diacre serait sacré évêque sans avoir été ordonné prêtre.
 Nicolas continue dans sa lettre :  « Après que ta charité aura reçu cette lettre, Hincmar, qu’elle s’applique à la faire parvenir rapidement aux autres archevêques qui demeurent dans le glorieux royaume de notre Charles. Qu’elle ne néglige pas d’inciter tous ces archevêques ainsi que  leurs suffragants à l’étudier à fond, et à nous faire parvenir ce qu’ils ont auront composé. »  Tout cela se rapporte au schisme  suscité par Photius (867), pseudo patriarche de Constantinople, et ses adeptes, et appuyé par les empereurs des Grecs Michel et Basile.
 Cette tâche qui lui a été imposée, notre Ratramnus l’a remplie en quatre livres, avec précision, élégance, et une grande érudition.»

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