Père
René Lapointe, O.M.I.
La
Spiritualité des Indiens d'Amérique du Nord
Pour
en finir avec le Grand Malentendu
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La Table
des Matières se
trouve après la Légende de Tshishe Manitu
LÉGENDE AMÉRINDIENNE de
NATASHQUAN ATANUKAN TSHISHE MANITU
(Texte qu'il faut impérativement scruter avant tout discours
sur le grand esprit ou la spiritualité indienne)
1) IL DÉFAIT ET REFAIT LES MONTAGNES, ET REDONNE LA JEUNESSE AUX VIEILLARDS
Il longeait un cours d’eau. C’est de Tshishe Manitu qu’on raconte l’histoire.
Quand il n’aimait pas une montagne, il la frappait, lui et son compagnon, et il la reconstituaiten mieux.
Quand il traversait une rivière en marchant sur l’eau, il n’enfonçait pas.
Quand il tue un mouton, il ne mange que les os. Il n’en mange jamais la chair.
Or,voici qu’il voit un vieillard très âgé. Il lui dit :« Tu es bien vieux. » Le vieillard lui répond : « Oui, je suis très vieux. Je ne peux plus prendre soin de moi. » Tshishe Manitu lui dit alors : « Endors-toi !». Quand le vieux fut endormi,il dit à son serviteur : « Passe-le au feu !». Il mit donc le feu, et le brûla au complet. Il ne lui restait que les os. Son serviteur les enveloppe dans un linge blanc. Il lui dit : « Vois à ne perdre aucun os !» Quand son serviteur eut bien placé tous les os, il lui demande : «As-tu perdu des os ?» «Non», lui répond-il. Il recouvre le tout d’un drap. Il prie sur lui. Tout de suite après avoir prié sur lui, il lui dit : «Lève-toi ! Tu travailleras comme tu as travaillé. » Il se lève. Il ajoute : « Tu vivras comme tu as vécu. »
Il s’en va de nouveau. Il ne mangeait que des os. Quand il voyait quelque chose qu’il n’aimait pas, il le frappait et le détruisait. Il a deux bâtons. Un gros avec lequel il frappe, et un mince, avec lequel il marche. Il reconstitue ce qu’il a détruit, et le rend semblable à ce qu’il était.
Le serviteur vit de nouveau un vieillard, et son maître le vit aussi. Il lui dit : « Tu es bien vieux. » Il lui répondit : « Oui, je suis vieux. Je ne peux plus travailler. » Il lui dit : «Dors !» Mais, le vieux ne peut pas s’endormir. Le serviteur le frappe en disant : « Il va dormir. » Il le passe alors au feu,et le brûle au complet. Quand il ne lui resta plus que les os, il tenta de le réanimer. Il lui dit :«Lève-toi ! Tu travailleras de nouveau comme tu as travaillé avant. » Mais il ne se leva pas. Il se dit : « Je n’ai probablement pas prié comme il faut. » Il prie de nouveau sur lui. Tshishe Manitu avait peur que son serviteur ne perde des os. Il va le trouver, et lui demande : «Comment est-il ?» Il lui répond : « Il ne se réveille pas. » «Est-ce qu’il dormait ?» «Oui, il dormait. » Il lui demanda alors : «Comment pourrait-il se réveiller puisque tu l’as frappé ?Il ne pourra pas se lever. Car, quand tu l’as frappé, tu l’as tué. » Tshishe Manitu prie sur lui, en disant : « Je vais essayer n’importe quoi, car tu l’as tué. Celui que j’ai ranimé,moi, il dormait, lui. » Il pria donc sur lui : «Comme tu travaillais auparavant, tu travailleras de nouveau. » Et voilà, devant lui,un jeune homme assis. Il ajoute : «Travaille comme tu travaillais. Tu mourras très vieux. »
Puis, il va ailleurs. Il traverse, en marchant sur l’eau, les rivières qu’il rencontre sur sa route.
2) IL AIDE LES MISÉRABLES
Il voit quelqu’un qui pleure. Il lui demande : « Pourquoi pleures-tu ?» Ma femme est montée à bord d’un bateau. On l’a fait monter dans un bateau. » Il étire son fusil autant qu’il le peut, et dit à son serviteur : «Tire sur le bateau ! Si tu ne veux pas tirer sur lui, tire sur les mats !» Il fait feu, et atteint sa cible. IL tire encore et détruit le bateau au complet. On se dirige vers lui à la nage. Il dit au mari de la femme : « Pourras-tu aller la chercher ?» Il plonge pour aller la rescaper. Personne ne peut l’approcher. On a très peur de lui.
3) ON NE PEUT PAS LUI MENTIR
Il tue de nouveau un mouton. Et il le fait cuire. «Tu feras la cuisine», dit-il à son serviteur. » Puis, il s’en va. Quand il revient, il lui demande : «As-tu fini de cuisiner ?» Son serviteur lui répond : «Oui, j’ai déjà fini. Ton repas a été mis là. » Mais, là, il n’y a que de la viande. Il lui dit donc : « Je ne vois pas d’os» . Son serviteur lui répond : «Il n’y en as pas. Ce mouton n’avait pas d’os.» Il lui dit : « Tous les moutons ont des os.» Il lui répond : « Je n’en ai pas vu.» Il ne mangea donc pas.
Il part. Il arrive à une rivière, qu’ils traversent tous les deux à pieds. Le serviteur enfonce dans l’eau jusqu’aux chevilles. Son maître lui dit : « C’est comme je t’ai dit. Tu as mangé les os.» Il lui répondit : « Non, je ne les ai pas mangés.» Il enfonce alors dans l’eau jusqu’aux genoux. Son maître lui demande alors : « Tu les as mangés ?» Le serviteur lui répond : « Non, je ne les ai pas mangés. » Quand il enfonce jusqu’à la poitrine, son maître lui demande : « Tu les as mangés ?» Il lui répondit encore : «Non, je ne les ai pas mangés. » IL enfonce alors jusqu’au cou. Son maître lui demande de nouveau : « Tu les as mangés ?» Il répond : «Non. » L’eau rentre presque dans la bouche. Son maître lui demande alors : « Tu les as mangés ?» Il répond encore : «Non. » Mais quand l’eau pénètre dans sa bouche, il répond : « Oui, je les ai mangés. »
Il émergea subitement de l’eau. Tshishe manitu le bénit en faisant le signe de la croix. Il commente : «C’est comme je t’ai dit : comment pourrais-tu me mentir ?» Ils reviennent sur le bord de l’eau, et longent de nouveau la rivière.
Quand il n’aimait pas une montagne, il la frappait. C’est cela qu’il faisait. Ilne faisait que cela. Or, les montagnes qu’il n’aimait pas, à quoi pouvaient-elles bien ressembler ?Il y avait peut-être là de méchants animaux. Il les détruisait au complet ces montagnes, et il les refaisait en les rendant plus belles qu’avant.
4) IL TRI0MPHE DE SATAN
Ils marchent de nouveau. Puis le serviteur demande : «Qu’est-ce donc ?Une maison ?» Son maître répond : « Oui, voici une maison. » Ils entrent. Il n’y a personne à l’intérieur. Qu’elle est magnifique cette maison ! Qu’elle est belle !Il n’y a que de l’or sur le plafond et sur les murs. Les fauteuils et les chaises sont en or. Tout est en or. «C’est vraiment très beau», disent-ils. Tshishe manitu dit à son serviteur : « Demeurons là. » «Oui», lui répond-il. Son maître lui dit de nouveau : « Ne m’accompagne pas. Fais la cuisine !» Le propriétaire éventuel de la maison ne fait pas tout de suite son apparition. Le maître revient avec du foie pour lui, et la viande de mouton pour son serviteur. Il part de nouveau en lui disant : «Fais cuire tout cela !»
Il n’avait pas encore fini de faire cuire le foie et la chair d’agneau quand il reçoit de la visite. Il était, sans le savoir, dans la maison du démon, et c’est lui qui vient d’entrer. Satan lui demande : «Pourquoi te sers-tu de ma maison ? C’est ma maison à moi !» Le serviteur lui répond : « Non, c’est notre maison. » Et le démon : « C’est ma maison à moi. Sors d’ici !» Le serviteur lui répond : «Je ne sortirai pas ! » Le démon lui assène, alors,un violent coup de bâton sur la tête. » Il sort en titubant.
Il s’assoit n’importe où. C’est alors que son maître arrive. Il lui demande : « Pourquoi es-tu sorti ?» Il lui répond : « Il y avait quelqu’un qui demeurait là. Il m’a rossé à coups de bâton. C’est ma maison, m’a-t-il dit. Puis, il m’a fait sortir. Voilà ce qui s’est passé. » «Retourne-s-y ! » ,lui dit son maître.
Il retourne de nouveau, et continue ce qu’il avait commencé. Quand il eut mangé de la chair de mouton, son maître lui apporta du foie pour qu’il le lui fasse cuire. Puis, il partit de nouveau. Peu de tems après, Satan entra de nouveau, et lui dit : « Tu es encore ici ?Sors !» Il lui répond : « C’est que tu n’es pas toujours dans ta maison. Voilà pourquoi je m’en suis servi. Il n’y avait personne. » Le démon lui réplique : « Je travaille, moi ! Et toi, es-tu toujours dans ta maison ?Sors ! » Le serviteur lui répondit : «Non, je ne sortirai pas. » Satan le frappe avec sa massue. N’en pouvant plus, le serviteur s’éclipse. Il quitte la maison de nouveau.
Il s’assoit ensuite à l’extérieur. Tout juste comme arrivait son maître. Il lui dit : « Il m’a de nouveau mis à la porte. Tu ne te sers pas de ta maison, lui ai-je dit, voilà pourquoi je m’en sers. Je travaille, m’a-t-il répondu,je ne peux pas être toujours dans ma maison» . Son maître lui donne alors un bâton, en lui disant : « Voici ton bâton. C’est avec ce bâton que tu le frapperas quand il cherchera à te frapper. Il ne doit pas gagner. Si tu le vaincs, c’est à nous qu’appartiendra cette maison. S’il l’emporte sur toi,nous devrons l’abandonner. »
Le serviteur s’installe donc de nouveau dans la maison, et continue la préparation du repas. Quand il avait presque fini,Satan entre de nouveau. Il lui dit : « Tu es encore ici ! Ne t’ai-je pas dit de sortir ?» Il lui donne encore des coups de bâton. C’est alors que le serviteur frappa Satan, à son tour, avec son bâton à lui. C’est à qui frapperait le plus fort. À la fin, il l’écrasa, et le réduisit à la forme d’un ver de terre. Il dit donc à Satan : « Tu vas sortir !» «Oui, répliqua-t-il,je vais sortir. » «Sors, reprit le serviteur, c’est notre maison à nous. » C’est alors qu’il sortit pour de bon.
Son maître vint le voir. Il lui demanda : « Tu l’as frappé ?» Il lui répondit : « Oui, je l’ai frappé. Il avait à peine la force de sortir. » Il lui dit alors : « Très bien. C’est là que nous demeurerons. Toujours. »
(Légende racontée par Pierre Courtois, et traduite par le père René Lapointe, omi, le 13 novembre, 2021, ajoutée à la page internet le 18 décembre 2023. )
Introduction__La spiritualité indienne__Le calumet ou le dialogue inter religieux__La Tente de Suerie__Papakassik et mistnak__Intervention de Jésus dans la spiritualité__La femme qui avait accaparé la nourriture__Theshai__l’Homme au cœur poilu__Celle qui a une anguille__l’Homme au casque rouge__Le Carcajou le grand__Le Carcajou__Le hibou mâle__Des petits rats musqués__Celui qui ulule__TSHESHIAI (2)__KA MIKUAKUSSIT__LES ESKIMOS__LES LOUPS et le carcajou__Ceux qui ont dérivé__l’Aigle__la Grenouille mâle qui enlève des femmes__la Terre des Tsipaiat__L’Aigle (Natashquan MESSU)__la Grenouille mâle qui a maintenu en vie un indien en le nourrissant__KA UEPANASHTAMAT KUNA__TSAKAPESH__AIASHIS__L’enfant qui a été abandonné__Celui qui a demeuré avec un Ours__LE LIEVRE LE GRAND__Celui qui a épousé une femelle caribou__Celui qui a épousé une femelle castor__LE DÉLUGE__Post Scriptum_
RÉPONSES
À DES QUESTIONS
LE
MOT INNU
Que veut dire le mot QUÉBEC ?
COMMENT LES MONTAGNAIS SE SONT-ILS
CONVERTIS ?
LES INDIENS
ADORAIENT-ILS UN DIEU AVANT LA VENUE DES MISSIONNAIRES ?
ADORAIENT-ILS UN GRAND ESPRIT, CRÉATEUR
DU CIEL ET DE LA TERRE ?
QUE PENSER DU
MOT TSHISH MANITU ?
AVAIENT-ILS UNE
CERTAINE NOTION D’UNE ÂME, D’UNE SURVIVANCE APRÈS LA MORT ?
Introduction
Je suis demeuré longtemps avec
les Indiens et j'ai pu connaitre leur langue comme il faut, et
recueillir leusr légendes.
Or, un malentendu énorme persiste
et est indélogeable. Les blancs s'imaginent que les Indiens
adoraient le grand esprit en tant que créateur. Or, ce sont des
blancs qui avaient eu une connaissance insuffisante des indiens qui
ont répandu cette fausse croyance. Car, les Indiens, eux, n'ont
jamais entendu parler de cela, et il n'y a pas de mot pour dire
esprit, comme les anglais qui disent encore aujourd'hui le saint
fantôme, le holy gosht (le saint esprit).
.
La seule
chose qui est vraie c'est qu'ils sont passés de la sorcellerie à la
religion chrétienne. Et non de la religion indienne à la religion
blanche.
J'ai voulu par cet écrit faire quelque chose pour détromper mes contemporains. Car, après moi, ce ne sera plus possible. Les indiens passent insensiblement de leur monde au monde blanc, et s'inculturent à la société blanche à un rythme accéléré.Les vieux qui savaient encore toutes ces légendes et qui me les ont racontées sont morts, et les vieux d'aujourd'hui ne les savent plus.
La meilleure preuve que je peux donner c'est la lecture de cette trentaine de légendes où il n'est jamais question de religion ou de grand esprit, mais où la magie ou la sorcellerie est omniprésente. Voilà pourquoi je voudrais les présenter, comme pièces à charge.
Dans deux textes composés en
1994, j'ai protesté officiellement auprès de mes supérieurs
religieux, N°1 "la spiritualité indienne",
N°2
le calumet, ou le dialogue inter religieux.
Par ailleurs, j'ai pu enregistrer
ces légendes sur magnétophone, puis les écrire en montagnais et
enfin les traduire en français.
R. L, omi.
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«
Une question fondamentale a porté sur le retrait des missionnaires
pour permettre aux autochtones de se retrouver et de faire leur
place dans l’église. »
(Lebret, août, septembre l994, rencontre organisée par les Oblats, évêques du nord et supérieurs provinciaux)
LA SPIRITUALITE INDIENNE
Vous vous demandez sans doute : pourquoi les évêques et les supérieurs provinciaux planifient-ils le retrait des missionnaires ?
Ils donnent eux-mêmes la réponse : pour que les Indiens se retrouvent. Si les Indiens doivent se retrouver, c’est qu’ils se sont perdus. Comment les Indiens ont-ils pu se perdre ainsi ? En perdant leur spiritualité.
« Ce qui a été perdu, ou presque, pour les autochtones, --nous disent les évêques dans leur mémoire présenté à la commission royale d’enquête sur les peuples autochtones intitulé : la justice comme un fleuve puissant , et daté du 26 octobre l994---c’est la liberté d’exprimer et de célébrer leur spiritualité. Cet affaiblissement spirituel a été la perte la plus significative identifiable en matière de culture et de territoire. »
Les évêques se lancent là, avec une intention louable, dans un domaine qu’ils ne connaissent pas. Ils font confiance, pour rédiger leur mémoire, à des sociologues qui ramènent la religion à la culture, qui croient que toutes les religions se valent, qui ne connaissent ni la langue indienne ni les légendes.
Avant de parler de religion indienne, de spiritualité indienne, il faut prouver, documents et faits à l’appui, qu’elles existent vraiment. Et quand on affirme, sans preuve, qu’il y a eu perte spirituelle, il faut démontrer quelles sont les valeurs spirituelles indiennes qui n’ont pas été prises en charge par le christianisme, qui n’ont pas pu obtenir leur plein épanouissement en Jésus.
Il ne faut pas faire non plus comme si les Indiens étaient les seuls à s’être convertis au christianisme. Avant eux, il y eu les Grecs, les Romains, les africains, les asiatiques, puis, tous les peuples barbares de l’Occident. Ont-ils perdu, ceux-là, leur spiritualité propre en adoptant le christianisme ? Ou plutôt, la rencontre avec le christianisme n’a-t-elle pas été pour eux le moyen de découvrir enfin la vraie spiritualité ?
Bien que ce soit à eux à démontrer, preuves à l’appui, qu’il existe une spiritualité indienne que les rites chrétiens auraient mise en danger; à eux d’établir par des faits dument constatés, les dommages encourus du fait du christianisme, --car ce sont eux, comme disent les juges, qui ont le fardeau de la preuve,-- je vais tenter de cerner de près ce que les sociologues appellent religion indienne ou spiritualité indienne.
Il ne suffit pas de constater l’absence du tambour ou du calumet des cérémonies religieuses pour en conclure à des pertes spirituelles. Le procédé est un peu simpliste. On pourrait trouver chez tous les peuples qui ont suivi Jésus des cas analogues sans y déceler aucune perte spirituelle.
L’exemple du calumet, tant de fois invoqué, fait plutôt sourire puisque les Montagnais ne l’ont jamais utilisé. Curieux retour par les « traditionnalistes » à un passé qui n’a jamais existé ! Quant au tambour, il était associé à la magie et à la sorcellerie, et servait, entre autres, à ensorceler l’animal. Il n’a jamais existé comme instrument musical, que l’on écoute pour lui-même à cause de la beauté de son son.
Les tentatives actuelles d’utiliser la tente de surie à des fins religieuses ne peuvent en aucune manière se réclamer du passé. C’est comme si les chrétiens romains s’étaient cru obligés de se réunir pour prier dans leurs thermes, les Grecs dans leurs amphithéâtres, les québécois dans leurs cabanes à sucre, les italiens dans leurs salles d’opéra, les français dans leurs bistros, les espagnols dans leurs arènes à taureaux, les anglais dans leurs stades de football, et les scandinaves dans leurs bains sona. Ne pas avoir utilisé ces lieux à des fins religieuses implique-t-il une perte spirituelle ? Les avoir utilisés entrainait-il un enrichissement spirituel ?
Ce n’est pas sans danger qu’on utilise d’autres lieux, d’autres objets, d’autres signes que ceux que Jésus a choisis pour communiquer la grâce, la purification totale et parfaite. Les herbes, le feu, les plumes d’aigle, les pierres, les bains, la fumée, le tambour ne peuvent pas purifier l’âme. Pas plus que le sucre d’érable, la bière, le sang de taureau, le ballon, la vapeur, la rondelle.
Les sociologues parlent de religion indienne comme s’ils avaient assisté à des cérémonies religieuses où l’on offre des sacrifices. Comme s’ils avaient entendu des conteurs indiens parler de religion indienne. Comme s’ils avaient enregistré des exhortations à la vertu. Et à force de répéter que la religion indienne existe, ils se croient dispensés de l’obligation d’en démontrer l’existence.
Le mot religion (aiamieun) chez les conteurs montagnais, réfère exclusivement au christianisme. Ils disent, pour situer un évènement dans le temps, ceci se passait avant la prière, avant la religion, avant que les Indiens ne prient. On n’entend jamais un conteur opposer la religion des blancs à celle des Indiens, mais la sorcellerie à la religion tout court. Il y a d’un côté mentushiun (la sorcellerie), et de l’autre aiamieun (la religion). Les Indiens sont passés de la sorcellerie à la religion; et non de la religion indienne à la religion des blancs. C’est ce que les Indiens racontent. Ils doivent le savoir mieux que les sociologues blancs.
Si les sociologues prenaient la peine d’apprendre le montagnais, s’ils s’astreignaient à écouter les vieux raconter les contes et les légendes, ils ne diraient pas n’importe quoi. Ils ne prendraient pas pour acquis ce qu’il faut démontrer.
Les choses en sont venues à un point tel que le supérieur général des Oblats, le Père Zago, est venu révéler aux Indiens de Malioténam, en pleine homélie, que les Indiens adoraient Dieu avant l’arrivée des blancs. Et ce, en tant que créateur de toutes choses. Comment un homme aussi sérieux et aussi grave a-t-il pu se fourvoyer à ce point ? Il était persuadé, pour l’avoir lu chez les ethnologues et les romanciers, que les Indiens avaient toujours adoré le grand esprit. C’est une croyance généralement répandue.
D’où vient donc que les blancs sont persuadés que les Indiens ont toujours adoré le Grand esprit ? C’est simple. Quand les premiers missionnaires sont arrivés, ils ont constaté qu’il n’y avait pas, dans les langues indiennes, de mot pour désigner Dieu. Il y eut alors deux écoles de pensée. L’une qui voulait former le mot dieu à partir du mot français, comme le mot latin avait été formé à partir du mot grec. Cela donnait, prononcé en montagnais : tiu (tiou), mot que nous rencontrons dans les cantiques.
L’autre école tenait absolument à utiliser des mots indiens préexistants, même s’ils menaçaient d’être peu en rapport avec ce dont il s’agissait. Quelques-uns soutenaient même qu’il fallait inventer des mots. Quoiqu’il en soit, le mot manitu a été choisi, précédé de tché qui signifie grand. Manitu est la prononciation française du mot montagnais mantu (Sept-îles) mantui (Natashquan) qui veut dire sorcier. (On entend encore les enfants s’insulter en se disant : matsemantu, (sept-iles) ou matsemantui, (natasnquan) maudit sorcier !) Tche Manitu veut donc dire : grand sorcier. Il ne faut pas se surprendre que les missionnaires aient puisé dans le vocabulaire magique pour désigner Dieu, car il n’en existait pas d’autre. Il ne faut pas non plus se surprendre qu’ils se soient mépris sur le sens véritable du mot, car, pour maîtriser cette langue, il faut un grand nombre d’années. Et beaucoup n’y parviennent pas. Avec la prononciation française du mot, un i ayant été ajouté en position de longue, à cause de l’égalité syllabique française, les Indiens ne reconnaissaient plus le mot, et ils ont fini par comprendre ce que les missionnaires voulaient dire quand ils l’utilisaient. Voilà pourquoi on n’entend jamais ce mot dans la langue courante. S’il avait été consacré par la langue liturgique, il ne serait pas tombé en désuétude.
Il aurait été préférable, somme toute, d’appeler Dieu tiu. Quelles complications on aurait évitées !
Ceux qui se sont chargés de vulgariser le thsithse Manitu ou thse Manitu ou le grand manitu, ce sont des gens qui ont eu une initiation tout à fait insuffisante à la langue, et ont rendu le mot par grand esprit, manitou dès lors signifiant esprit. Et c’est de là que s’est répandue l’idée que les Indiens adoraient le grand esprit. Mais le plus curieux de toute cette affaire, c’est que les blancs savent une chose que les Indiens ignorent. Car ils n’ont jamais prétendu adorer un grand esprit. Ils n’auraient même pas de mot pour le dire. On peut écouter tous les contes montagnais, tous les récits, et toutes les légendes, et jamais on n’entendra parler d’un grand esprit, ni même d’un esprit tout court.
Même s’il parait impossible de s’opposer à une idée aussi bien établie, je le répète, il n’y a pas, et il n’y avait pas, et il n’y a jamais eu de Grand Esprit chez les Indiens ! Si nos évêques sont persuadés que les Indiens adoraient, avant l’arrivée des blancs, le Grand Esprit, créateur du ciel et de la terre, dans des rites religieux qui leur sont propres, au son des tambours et à la fumée des calumets, on comprend un peu leur désarroi. Mais tout cela n’est que le produit de l’imagination. Les Indiens vivaient dans un univers de sorcellerie pure.
Si nos évêques pensent que les Indiens adoraient constamment ce grand esprit, qu’ils l’avaient toujours à la pensée, qu’ils avaient en conséquence, une riche spiritualité, ils prennent des vessies pour des lanternes. Ni l’adoration, ni le sacrifice, ni l’offrande ne faisaient partie de leur vie.
La vérité est que le montagnais n’a pas de mot pour signifier esprit. Le mot que les missionnaires doivent utiliser dans leur prédication est atsakush qui signifie ombre. Exactement comme chez les Grecs d’avant les philosophes. Il y a aussi un mot pour dire fantôme : tsipai. Correspondant au mot anglais ghost. Mais même aujourd’hui, après tant d’années de christianisme, il est impossible de traduire en montagnais des expressions comme l’esprit de la rivière, l’esprit de la forêt. A plus forte raison le grand esprit ! De pareilles choses n’existent pas.
Peut-il y avoir une authentique spiritualité sans réalité spirituelle ? Pas de Dieu, pas d’esprit, pas d’âme, mais des ombres et des fantômes.
Peut-il y avoir une authentique spiritualité sans l’exercice et la culture des vertus ? Là où la ruse et le mensonge sont valorisés, peut-il y avoir une haute spiritualité ? Là où le pardon est inconnu et où règne la vengeance, peut-il y avoir une haute spiritualité ? Peut-il y avoir une haute spiritualité là où le seul souci consiste à se nourrir, là où tout tourne autour de la chasse et de mangeaille ?
Il est évident à tout lecteur attentif des légendes que la dimension morale en est complètement absente. Non pas que les légendes soient des écoles de perversion et d’immoralité. Mais les motifs qui poussent les protagonistes à agir ne relèvent jamais de l’ordre moral. Les légendes ne sont pas des cours de religion, et elles ne proposent jamais des exemples de vertus à imiter. Elles ne sont pas immorales mais amorales. Est-ce là un terrain propice à l’éclosion d’une haute spiritualité ?
Les évêques d’Ontario déplorent : « Nous reconnaissons que plusieurs cérémonies et traditions ont été souvent mal comprises et trop facilement mises de côté. Les traditions du calumet sacré, d’une recherche d’une vision de la vie, du jeûne et du bain purificateur sont des dons que vous ont légués vos ancêtres… »
Comme le P. Peelman le constate, le calumet ne date que du dix-huitième siècle, et les indiens de l’est ne l’ont pas connu. Il ne fait donc pas partie de la tradition. Le jeûne était intégré à une démarche d’ordre magique. Avec la lacération, la danse, les veilles, il servait de préparation à l’état de transe, qui consacrait quelqu’un sorcier. Car l’hallucination qui s’ensuivait faisait accéder quelqu’un à un autre monde, à d’autres êtres. Comme cela n’était ni de la religion ni de la spiritualité, ce sont les démons qui présidaient à l’état de transe et qui communiquaient au sorcier un pouvoir. Saint Paul est clair là-dessus.
Les missionnaires oeuvrant chez les Montagnais n’ont interdit qu’une seule chose, la tente tremblante. Et avec raison, car les sorciers s’en servaient pour lancer des maléfices. Mais pour le reste, ils ont laissé faire. Car ces rites n’entraient pas en concurrence avec les rites de purification catholique, puisque les Indiens ne s’en sont jamais servis pour purifier leur âme, qu’ils ne savaient pas qu’ils possédaient.
Les évêques d’Ontario font preuve de charité, mais ils auraient eu avantage à étudier le sujet auprès de missionnaires qui ont consacré leurs vies aux Indiens.
Dans leur document déjà cité, les évêques canadiens définissaient ainsi la spiritualité indienne. « Cette spiritualité est caractérisée par son lien harmonieux avec la création tout entière, et avec les peuples, par l’importance qu’elle attache à la guérison individuelle et collective, et par sa conviction de la nécessité d’une grande justice. »
Si c’est cela la fameuse spiritualité indienne, nous voyons mal comment ils peuvent dire que les Indiens ont besoin de se retrouver après s’être perdus; que le départ du prêtre est nécessaire pour que s’effectue cette redécouverte de soi.
Parlons donc du lien harmonieux avec la création tout entière. Je fais d’abord remarquer que le mot création est un mot chrétien. Les Indiens n’ont jamais imaginé que le monde visible que l’on connait avait été créé, à partir du néant, par un être personnel, distinct du monde. Un être non matériel, mais spirituel, qui était, lui, l’être véritable. Le plus loin qu’ils pouvaient remonter les conduisait au couple primitif d’animaux d’où tout est sorti. Mais il est vrai que les Indiens se voient comme faisant partie intégrante de la nature, comme les arbres et les animaux. Et si harmonie il y avait, en quoi le fait d’avoir été baptisé l’a-t-il détruite ? En établissant une relation personnelle consciente avec l’auteur de la nature, il n’a fait qu’enrichir et approfondir cette harmonie.
On nous dit ensuite que la fameuse spiritualité se caractérise par un lien harmonieux avec les peuples. Il faut d’abord dire que les Montagnais ne vivaient pas en société, mais en petites cellules sociales. La société se réduisait à la famille. Les autres peuples n’existaient tout simplement pas. Dans la forêt, ils étaient les seuls représentants de la race humaine, et voilà pourquoi le nom qu’ils se donnent signifie êtres humains. Ils cherchaient par là à se distinguer des seuls autres êtres avec lesquels ils cohabitaient, les animaux. Lien harmonieux avec les autres peuples ? Si cela était vrai, en quoi l’arrivée des missionnaires blancs leur aurait-elle fait perdre ce don naturel ?
L’importance attachée à la guérison individuelle et collective. On pense immédiatement aujourd’hui à la thérapie. Mais il n’existait autrefois aucune science. L’acte de guérison était opéré par le sorcier, et la médecine relevait entièrement de la sorcellerie. Quand on parle de jeûne, de guérison ou de tambour, ou de chasse, il faut d’abord chasser de notre esprit l’idée que nous en avons. Pas de jeûne pour expier les péchés et purifier l’âme. Pas de bain pour retrouver l’innocence baptismale. Pas de chasse où l’on tue d’autant mieux qu’on est plus habile. Pas de guérison qui dépende d’une connaissance. Nos évêques pensaient sans doute à ce que ce qui se fait actuellement dans l’Ouest au nom de la tradition. Mais c’est quelque chose que les anciens n’ont jamais connu.
Que reste-t-il donc de la fameuse spiritualité ? Le sentiment de justice ? Je ne sais pas comment il s’exerçait alors, car il n’y a avait pas de propriété privée. Les Montagnais ne vivaient pas en groupe. Il n’y avait ni chef, ni juge, ni police ni prison. Ils se faisaient donc justice eux-mêmes. Les territoires étaient tellement grands qu’on n’entrait pas en conflit. Mais quand on lit les relations des Jésuites, on est témoin de cruauté et de barbarie repoussante. Les Iroquois ont poussé leur haine des Hurons jusqu’à l’extermination de la tribu. Aux Etats-Unis, les Indiens se battaient entre eux. Si les évêques parlent d’une exigence d’une plus grande justice après l’arrivée des blancs, cela peut se comprendre, mais c’est le fait de tout peuple conquis, et ça n’a pas grand-chose à voir avec la spiritualité. Le christianisme les a initiés à une justice plus grande qui est celle de Dieu. Je ne vois pas comment l’enseignement du ciel et de l’enfer leur a fait perdre leur sens de la justice.
Cette spiritualité nous glisse donc entre les doigts. On ne peut pas non plus entendre le son de sa voix, car la bouche montagnaise ne peut dire ce mot qu’en français.
Mais raisonnons un peu. Il y avait certes chez les Indiens la conviction que l’intelligence de l’homme est plus puissante que la matière. D’où leur confiance dans les sorciers. Ils avaient aussi une vague idée de la providence. Non, certes, d’un être personnel omniscient et tout puissant, mais comme une volonté diffuse dans la nature de nourrir les Indiens, et qui s’incarnait dans l’animal que l’on tuait. C’est pourquoi l’animal était considéré comme un être supérieur à l’homme. C’est lui qui figure dans les légendes sous la forme du carcajou, du grand lièvre etc…
Tous les rites consistaient dans la manière de traiter le gibier avant, pendant et après la chasse. Les institutions comme la tente tremblante et la tente de suerie avaient pour but de satisfaire les besoins du corps. Elles étaient orientées vers la seule survie matérielle. Rien, rien absolument n’existait –à part le récit des légendes—pour combler les besoins de l’esprit. Dans la tente de suerie, on reposait son corps fatigué des voyages, et on cherchait de la nourriture auprès des pierres brûlantes, sous le regard de papakassik. Dans la tente tremblante, on faisait entrer les animaux qu’on voulait tuer, on les tuait d’abord rituellement. On s’informait des choses qu’on ignorait, et on lançait des maléfices à des personnes qu’on veut punir. Rien là dedans qui se rapporte à la spiritualité.
Papakassik , Misnak n’étaient pas des êtres personnels, distincts des animaux. Mais ils étaient présents respectivement dans tous les animaux qui vivent dans l’eau ou sur le sec. On ne leur rendait pas de culte. On ne leur offrait pas de sacrifice. On se servait d’eux pour s’emparer magiquement des animaux dans la tente tremblante. Un point c’est tout.
Pour parler de spiritualité, il faut plus que cela.
On reste donc pantois
devant la déclaration stupéfiante de nos évêques : « ce
qui a été perdu, c’est la liberté d’exprimer et de
célébrer leur spiritualité. »
Où sont-ils allés
chercher cela ? Qui leur a mis cela dans la tête ?
Autre déclaration stupéfiante. Il y a quelques années, nos évêques déclaraient que les Indiens devaient renouer avec leur religion indienne, pour y établir des liens avec la religion chrétienne. Pouvait-on s’attendre à ce que les successeurs de saint Pierre et de saint Paul demandent aux Indiens de retourner au paganisme de la sorcellerie ? Les évêques lisent-ils les lettres qu’on écrit en leur nom ?
La vie des Indiens, avant leur conversion, telle qu’elle nous est connue, ---semblable en cela à celle de beaucoup de peuples païens---est tout le contraire d’une vie spirituelle. Elle est tout entière tournée vers les choses du corps, la nourriture, la survie. Leur tendance à l’alcoolisme est bien connue. Cette vie était généralement saine, au témoignage des premiers missionnaires, à part certains abus, en raison de la dureté du climat et du travail continu, mais ce n’était pas une vie spirituelle.
A ceux qui prétendent le contraire d’en faire la preuve.
René
Lapointe 2 mai, 1995
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Matières
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LE
CALUMET
ou le dialogue interreligieux
(« Aux yeux des missionnaires,
il n’existait qu’une seule religion, le christianisme. » Achiel
Peelman, le Christ est améridien.)
Il y a quelque temps, une blanche s’est présentée à la réserve indienne de Natashquan pour initier les Indiens au calumet. Elle aurait été mise à la porte par le conseil de bande.
Pourquoi une blanche ?
Je puiserai, pour cet exposé, dans le livre de Achiel Peelman intitulé : le Christ est amérindien.
Le père Peelman est professeur à l’université saint Paul d’Ottawa. Il n’a jamais été missionnaire. Il n’a appris aucune langue indienne. Il n’a pas étudié les légendes. Il n’a pas, pendant des heures, pris le temps d’écouter les vieux raconter leur passé. Mais il a lu des livres écrits par des ethnologues, par les théologiens constructeurs de la nouvelle théologie, par les oecuménistes protestants et protestantisants, par les francs-maçons qui travaillent, par le biais du dialogue interreligieux, à la construction de l’église universelle dans laquelle toutes les religions seraient réunies ou absorbées, après avoir retranché ce qui les distingue des autres, et conservé ce qu’elles ont en commun. Là, joue la loi du plus bas dénominateur commun.
Il a subi l’influence de l’ex-père Jean-Guy Goulet, autrefois missionnaire chez les Indiens, qui a quitté la prêtrise et les Indiens pour devenir professeur d’anthropologie à l’université de Calgary. Il admire le petit groupe de missionnaires qui oeuvrent, sous le couvert de l’amérindianisation de la liturgie, à la construction d’une véritable religion autonome, différente du christianisme. S’il est possible de construire une nouvelle église chrétienne, doivent-il se dire, pourquoi ne pourrait-on pas inventer une nouvelle religion indienne ?
Il ne connait de la religion indienne dont il parle que ce qu’il a vu en Alberta. « Notre accès à l’univers spirituel des Indiens, --reconnait-il loyalement—passe donc presque inévitablement par les activités actuelles des amérindiens. » C’est un aveu de poids ! Comment parler de tradition quand on ne connait le passé que par le présent !
De l983 à l987, il a été initié par les Cris à ce qu’il appelle leur « religion traditionnelle. »
La plus grande confusion règne dans son exposé. Tantôt il affirme avec autorité et comme s’il s’agissait d’une vérité historiquement établie, que les Indiens adoraient le Grand Esprit avant l’arrivée des missionnaires. Tantôt il parle d’un grand mystère insaisissable, un abyme profond. Tantôt il parle de la totalité de l’existence. Tantôt il nous dit que la religion traditionnelle commence chez les Lakota à la fin du dix-huitième siècle, avec la découverte du calumet.
Curieuse religion traditionnelle que celle qui commence avec l’arrivée des blancs, et qui est contemporaine de la première évangélisation !!!
Et c’est pourtant cette découverte du calumet au dix-huitième siècle qui sert de justification au mouvement actuel de recherche d’identité culturelle et politique, par le moyen d’une religion indienne commune !
La religion indienne que l’on fonde aujourd’hui ne se fonde pas sur le Grand Esprit, mais repose sur trois axes principaux : le calumet, la tente de suerie, la danse du soleil. Elle se nourrit, s’édifie et s’interprète par le recours aux rêves auxquels on accorde une confiance aveugle, et qui ne peuvent qu’être la source de grandes aberrations.
Le calumet est un peu comme la pierre d’angle de cet édifice. On peut donc dire sans se tromper : au commencement était le calumet. C’est du moins ce qu’on devrait dire.
Quand donc est apparu ce fameux calumet ? Que signifiait-il au début? Voilà ce que nous allons voir.
L’histoire du calumet nous est transmise sous la forme d’un récit. Ce récit date de la fin du 18ième siècle. Vous avez bien lu, il n’y a pas de faute de frappe : fin du dix-huitième siècle !!!
Le voici. « Deux chasseurs partaient pour la chasse au bison, durant une période de famine. Soudain, ils voient apparaître une femme mystérieuse à l’horizon. Un des chasseurs nourrit des pensées impures envers elle. Il fut réduit à l’état de squelette. La femme envoya l’autre chasseur vers son peuple pour le prédisposer à sa venue. Le lendemain, elle apparaissait au village avec un sac de sorcier, dans lequel se trouvait un calumet. Elle donna ce calumet au peuple avec ses instructions. En quittant le village, la femme se transforma en bisonne. »
Voilà le résumé du récit du calumet. Le Père Peelman l’intitule ainsi : « légende de la femme bisonne blanche. » Cette femme apparue aux chasseurs aurait donc été une blanche ???
Une blanche ne fait pas plus partie de l’univers indien que le tshishe Manitu des missionnaires. Faut-il mettre en relation le calumet apporté par cette blanche avec le fusil apporté par Tshishe Manitu et le foie de mouton? (Je réfère à un récit peu connu inventé par les Indiens après l’arrivée des blancs.) Comment une non-indienne aurait-elle pu apporter une religion indienne ?
Devant cet apport, deux attitudes sont possibles. La première est représentée par le chasseur qui convoitait cette femme : la violer au lieu de la respecter. C'est-à-dire adopter une attitude agressive envers les choses que les blancs apportent ou une attitude d’accueil. L’attitude agressive ou de confrontation est rejetée et considérée comme mauvaise, puisque le chasseur en question est transformé en squelette. Ce qui, en net, signifie que le rejet de l’apport des blancs entraînerait la mort, la fossilisation de la vie et de la culture indiennes.
Il faut beaucoup d’imagination et de prévention pour identifier le calumet à la religion indienne, pour prétendre qu’une étrangère aurait apporté aux indiens, après tant de siècles de vie sans contact avec des étrangers, leur religion indienne. Est-ce ainsi qu’on enseigne dans les universités ?
Cette femme se transforme en bisonne. Comme Aiashish se transforme en merle, et sa mère en étourneau; comme l’enfant pouilleux se transforme, à la fin, en oiseau. Rien de là que de naturel pour les Indiens d’autrefois, dont la langue ignorait l’existence du verbe être et exister; pour qui n’existent donc pas les essences stables, interchangeables. Exister se dit apparaître sous telle forme : ishinakuan, ishinakushu. Dans les catégories grammaticales elles-mêmes, est inscrite une manière d’être qui relève de l’univers magique, selon laquelle tout est présent en tout, selon laquelle toutes les parties se répondent, passant continuellement d’une forme à l’autre. C’est le panta rei grec.
Si l’étrangère, au terme du processus, devient une bisonne, cela peut signifier dans l’immédiat qu’avec ce moyen, la chasse redeviendra fructueuse, ou que le nouvel apport des blancs sera assimilé par les Indiens, et indianisé, comme le thé qui est devenu un brevage indien, le pain à la poudre à pâte qui est appelé pain indien, et le poêle de la tente qui est devenu un poêle indien.
Mais le don d’une pipe fait aux Indiens ne suffit certainement pas à lui seul pour parler d’une religion. Quel rapport y a-t-il entre une pipe et une religion, à part le fait que la fumée monte en haut ?
Si les Indiens d’alors avaient pensé que l’étrangère leur apportait enfin leur religion traditionnelle typiquement indienne, comment auraient-ils pu, au même moment, accepté la religion des missionnaires ? Le fait historique est pourtant, là, indubitable. Les Indiens ont accueilli le christianisme, et sont devenus chrétiens.
On a coutume de penser qu’ils ont utilisé ce calumet pour créer des relations de paix entre les diverses tribus indiennes, ainsi qu’avec les blancs. Lors des traités avec les blancs, le calumet représentait une volonté d’harmonie, d’accueil et de paix à établir avec les nouveaux venus. Ceux qui prétendent que l’étrangère transformée en bisonne leur a apporté leur religion indienne traditionnelle typiquement indienne doivent trouver une explication à cet usage du calumet.
Ce calumet aurait donc été historiquement un instrument d’accueil, un signe d’ouverture, un moyen d’établir des rapports harmonieux avec les blancs.
Ce n’est que beaucoup plus tard qu’on a voulu voir dans ce récit la naissance de la religion indienne traditionnelle. Si, comme certains le prétendent sans preuve, le calumet faisait partie du vieux fonds religieux traditionnel, et serait par la suite tombé en désuétude, comment expliquer que les Montagnais et d’autres tribus de l’est ne le connaissent pas ? Le vieux fonds traditionnel est commun à tous, comme les légendes du déluge et de Tshakapesh. Et comment une blanche aurait-elle pu le leur révéler ? Et, ce qui est le comble de l’invraisemblable, comment la religion indienne traditionnelle pouvait-elle apparaître à la fin du dix-huitième siècle, bien après l’arrivée des blancs ?
La thèse de Peelman est remplie de contradictions et d’invraisemblances. La vérité historique est que les Indiens de l’ouest n’ont pas considéré cet apport du calumet comme l’avènement d’une religion indienne, puisque, sous l’influence de ce même calumet, ils sont devenus chrétiens.
Ce n’est que beaucoup plus tard, sous l’action de nouveaux courants d’idée, qu’on s’est lancé dans une réinterprétation de cette légende. Plus tard, c’est-à-dire, au vingtième siècle, dans les années 70 et 80. Au moment où les Indiens ont commencé à revendiquer des territoires, ont réclamé l’autonomie politique, se sont mis à la recherche de leur culture, de leur identité nationale. J’étais missionnaire à cette époque, et je la connais très bien. Les réserves de Natashquan et de Restigouche ont été les premières à revendiquer leur rivière. A Restigouche, dans la violence, à Natashquan paisiblement. De braconniers poursuivis par les gardes-chasse, les Indiens de Natashquan sont subitement devenus des gestionnaires de pourvoiries.
La quête d’identité a pris alors une forme religieuse. Pour se valoriser comme peuple, on a voulu se prouver à soi-même qu’on possédait déjà ce que le blanc avait apporté. Comme on ne pouvait pas prouver qu’on possédait déjà l’électricité, la poudre, le fusil, la toile, la farine, le moteur, la télévision, le congélateur, la radio et le skidoo, on a cherché à prouver qu’on possédait une religion nationale.
Alors, on a choisi ce calumet, et on s’est mis à le charger de sens. On savait maintenant ce qu’était une religion depuis qu’on avait connu le christianisme. Les rites de sorcellerie ne servaient qu’à procurer de la nourriture ou à guérir le corps. Jamais on n’aurait pensé à purifier une âme dont on ignorait l’existence. On a inventé dans les années 70 une religion avec des éléments puisés dans le passé et dans le christianisme. On a demandé aux rites magiques de faire ce que faisaient les sacrements chrétiens : purifier et sanctifier, spiritualiser.
On reste stupéfait d’entendre
le Père Peelman affirmer : « Les Lakota sont convaincus que leur
religion « traditionnelle » a vraiment commencé avec le don
du calumet par la femme bisonne blanche. » Est-ce un
professeur d’université qui parle ? Et il enchaîne :
« Aux yeux de beaucoup d’autochtones, le calumet sacré
possède une puissance spirituelle comparable aux sacrements
chrétiens. » Il faut d’abord enlever les mots sacré
et spirituel que les Indiens n’emploient qu’en français ou
qu’en anglais.
Le même auteur affirme candidement : « La
venue du calumet sacré a coïncidé pratiquement avec le début
de leur évangélisation !!! »
Je suis condamné à me répéter. Si la religion indienne « traditionnelle » a commencé au moment de leur évangélisation par les missionnaires, comment peut-elle être traditionnelle ? Si elle a été apportée par une blanche, une étrangère, comment peut-elle être indienne ? Si les Indiens sont devenus chrétiens, comment ont-ils pu, au même moment, attribuer au calumet une puissance spirituelle comparable à celle des sacrements chrétiens ? Les missionnaires d’autrefois ne l’auraient certes pas permis. Comment les Indiens auraient-ils pu passer de la sorcellerie à la religion, comme nous avons déjà vu ?
Il est clair comme le jour que la « religion indienne » d’aujourd’hui ne vient pas de la légende du dix-huitième siècle, telle qu’elle a été reçue et vécue par les Lakota de l’époque. C’est une invention, une création contemporaine. Ce sont les missionnaires eux-mêmes qui doivent, en grande partie, en assumer la responsabilité. Des prêtres, qui avaient été envoyés par l’église pour évangéliser les Indiens, se sont subitement transformés en inventeurs d’une nouvelle religion.
Je cite. « Il n’y a pas de doute –reconnaît le Père Peelman—que des missionnaires comme Steinmitz, Stolzman, Vandersteene et Hernou ont joué un rôle important dans le déclanchement de ce mouvement...Lors de sa mort, en l976, Roger Vandersteene a remis, par testament, c e calumet sacré au peuple cri dans la personne de Harold Cardinal. CE GESTE A PORTE DES FRUITS MULTIPLES. C’est un euphémisme. C’est comme si saint Pierre, à sa mort, avait légué aux Romains une statue de Jupiter ! Comme si saint Jean, à sa mort, avait légué aux Grecs comme son testament une maquette d’Athéna ! Comme si saint Martin avait légué à sa mort aux barbares de France des pierres à adorer ! Comme si saint Paul avait légué à titre de testament à son disciple chéri Timothée de la viande consacrée aux idoles !!!
Le Père Peelman n’hésite pas à conclure : « Sans le respect que Vandersteene avait montré pour la religion et la culture des Cris, UNE TELLE DEMARCHE AURAIT ÉTÉ TOUT A FAIT IMPOSSIBLE ! » Ce que ce professeur d’université nous dit là c’est que si les missionnaires avaient continué à ne prêcher que Jésus, selon le mandat qu’ils avaient reçu de l’église, il n’y aurait jamais eu de religion indienne !!!
Mais comment cela est-il possible ? Ces missionnaires avaient été contaminés par les idées mises en circulation après le concile. Ils avaient accepté l’idée prônée par les protestants que toutes les religions se valent, qu’elles sont toutes également des voies de salut, qu’elles possèdent toutes une part de vérité. La vérité religieuse complète, selon eux, n’apparaîtra que dans la somme de toutes les religions existantes. Pour ces missionnaires, aucune religion particulière, pas même le christianisme, ne peut prétendre à être la vraie religion. Le Père Peelman le dit en toutes lettres : « Aux yeux des missionnaires, --ceux d’autrefois--- il n’y avait qu’une seule et vraie religion, le christianisme. »
Et comme ils croient qu’existait, sans pouvoir le démontrer, une religion indienne, ils reprochent aux missionnaires d’antan d’avoir voulu apporter une autre religion. Puisque toutes les religions se valent, pourquoi ne pas préférer une religion déjà existante, parfaitement adaptée à une culture particulière ? Voilà où le bât blesse. « Le but de la mission, déplore le P. Peelman, était justement d’éliminer la religion autochtone, et de la remplacer par la « vraie » religion du Christ. »
Le concile a cherché par tous les moyens à réunir dans une même foi et sous un même pasteur les protestants de tout acabit. Après le concile, les théologiens sont arrivés à la conclusion qu’il était humainement impossible que les protestants retournent à l’église catholique, désespérant de Dieu. Qu’est-ce qui est impossible à Dieu ? Ils ont alors formé un autre plan. Il faut reconnaître comme de véritables églises, de véritables religions les sectes protestantes; les faire rentrer dans le corps du Christ comme membres à part entière. Le signe de cette nouvelle attitude est qu’on ne cherchait plus à les convertir, mais à dialoguer avec elles. Depuis ce temps, vouloir convertir quelqu’un est perçu comme de l’impérialisme, de l’oppression culturelle, de la tyrannie religieuse. Le chic du chic consistait à accueillir les sectes protestantes telles qu’elles étaient, et à dialoguer avec elles sur un pied d’égalité. Cet œcuménisme a un nom, c’est, selon Raztinger, l’œcuménisme du non-retour.
Ce qui vaut pour les sectes protestantes vaut également pour toutes les religions, le judaïsme, le mahométisme, l’hindouisme, et, bien entendu, pour la religion indienne. Refuser de convertir les Indiens au christianisme, reconnaître comme authentique la religion indienne, dialoguer avec eux comme partenaires égaux, devenait la façon obligée de promouvoir les Indiens au rang de membres à vie de la communauté internationale. Ils avaient ainsi inventé une nouvelle pastorale indienne : non la conversion, mais le dialogue interculturel, interreligieux.
Il y avait un petit problème à ce beau plan œcuménique : les Indiens étaient déjà chrétiens pour la plupart, et il n’existait pas de religion indienne. Qu’à cela ne tienne ! On inventera une nouvelle religion avec laquelle ils devront dialoguer !
Le dialogue amérindien interreligieux est sui generis. Les protestants dialoguent avec les catholiques. Les Juifs avec les protestants et les catholiques. Mais les Indiens, eux, doivent dialoguer avec eux-mêmes. Ils doivent faire dialoguer en eux la religion catholique avec la religion indienne nouvellement inventée. Que ne demandent-ils aux protestants de dialoguer avec le catholicisme qu’ont pratiqué leurs ancêtres pendant plus de mille ans ? Que ne demandent-ils aux français de dialoguer avec la religion des Druides, aux Grecs de dialoguer avec la religion polythéiste, aux Orientaux de dialoguer avec le catholicisme romain que leurs ancêtres ont connu avant le schisme ? Les Indiens ont-ils été les seuls à quitter un passé pour prendre le présent du Christ ? Jésus aurait-il dit en vain que celui qui regarde en arrière n’est pas digne du royaume de Dieu ?
Le Père Peelman le reconnait, quand il dit : « On doit d’abord tenir compte du fait que beaucoup d’Indiens sont devenus chrétiens. Ceci implique, en premier lieu, que le dialogue interreligieux devient pour eux une sorte de dialogue intérieur, un effort personnel pour restaurer le lien avec la tradition religieuse dont ils ont été coupés. » S’il s’agit d’une règle ethnologique générale, il faut l’appliquer à tous les peuples qui sont passés du paganisme au christianisme. Mais le plus ridicule dans toute cette affaire, c’est que non seulement on invente une loi qui ne vaut que pour les Indiens, mais que cette loi ne peut pas même s’appliquer à eux, car il n’y a jamais eu de religion indienne. Les Indiens sont passés de la sorcellerie à la religion chrétienne.
Le Père Peelman ose écrire : « De l’oppression religieuse au dialogue interreligieux, le pas est énorme et loin d’être fait ! » C’est le langage de Voltaire et des encyclopédistes. Quand donc a-t-on vu dans toute l’histoire du passé ce dialogue interreligieux ? Le lieu privilégié pour ce genre de dialogue est la loge maçonnique.
Il poursuit sa chimère : « Ce qui s’impose donc ici c’est l’affirmation et la reconnaissance de la religion amérindienne, telle qu’elle évolue aujourd’hui, comme une religion authentique qui mérite place à l’intérieur de la grande famille des religions ! » Il n’ose pas dire : la démonstration de l’existence d’une religion traditionnelle. Il veut que soit reconnu ce qui a été inventé dans les années 70 et 80. C’est un prêtre catholique qui parle ainsi ! Et un théologien !
C’est le pape, les évêques et toute l’église qui doit accepter dans ses rangs ce nouveau membre de l’Onu des religions. « L’église s’engage à reconnaître l’authenticité et la légitimité des religions africaines, et amérindiennes. A l’époque de Vatican 11, ces mêmes religions étaient encore considérées comme du paganisme et de l’animisme. Notons que lors de la journée mondiale de la paix à Assise, ces religions étaient officiellement représentées. » Le paganisme est-il une réalité qui vaut par soi, ou dépend-il essentiellement des lunettes avec lesquelles je le regarde ? Existe-t-il une loupe assez puissante pour changer le polythéisme en monothéisme ? Pour changer un sorcier en prêtre de Jésus-Christ ?
Mais sans l’engagement des missionnaires catholiques, tout continue comme avant Vatican 11. « Nous trouvons un certain nombre de missionnaires qui se laissent initier à la spiritualité amérindienne. Nous voyons donc apparaître graduellement un nouveau type d’acteurs qui s’engagent dans une véritable communication interculturelle, qui devrait permettre aux églises de faire la transition de la perspective missionnaire au dialogue interreligieux. » Qu’est-ce que saint Pierre penserait de tout cela? Qu’en pensent les Apôtres qui ont reçu de Jésus le mandat non équivoque : « Allez, enseignez toutes les nations ! Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Qu’en pensent les milliers de martyrs qui ont versé leur sang pour leur foi ?
Qui a mandaté ces prophètes autoproclamés pour apporter aux Indiens un nouvel évangile ? Qu’est-ce qui les qualifie pour parler de religion amérindienne ? Connaissent-ils une langue indienne ? Ont-ils consacré leur vie entière aux Indiens ? Ont-ils abandonné le confort des villes pour vivre de la vie des réserves ? Ont-ils la soif du salut des âmes ? S’ont-ils prêts à donner leur vie pour sauver une seule âme ? Ils ne connaissent rien de la vie, de l’action, du cœur d’un pasteur qui vit avec ses brebis. Ils ne comprennent donc pas que dialoguer signifie mettre en question, suspendre sa foi ? Quand ils auront séparé les Indiens de Jésus-Christ, qui les protégera contre les démons ? La sorcellerie déguisée en religion ?
S’il avait pris le temps d’écouter pendant des dizaines d’années, il n’aurait jamais fait ces déclarations abracadabrantes : « Autant aujourd’hui les églises sont appelées à aider ces peuples à redécouvrir le Dieu de leurs ancêtres !!!, et à réinterpréter leur religion traditionnelle. » Lui qui au début professait ne connaître de la religion indienne que ce qu’il en percevait aujourd’hui, parle, comme s’il le connaissait, du Dieu de leurs ancêtres. Affirmer est une chose, démontrer en est une autre. Et à supposer même qu’ils aient adoré un dieu païen, pourquoi les Indiens seraient-ils les seuls à devoir retourner à leur religion d’origine ? Et qu’est-ce qui lui permet d’écrire qu’il « n’y aura jamais d’église amérindienne sans l’acceptation ou l’intégration du calumet sacré. » Les Grecs et les romains n’ont intégré aucun symbole culturel propre dans la liturgie chrétienne. Ils ont adopté, sans se sentir opprimés, la tradition liturgique juive. Et pour ce qui est du calumet, comment retourner à un passé qui n’a jamais existé ? A une tradition qui ne remonte qu’à la fin du dix-huitième siècle ?
Le Père Peelman poursuit son rêve œcuménique le plus loin qu’il le peut. Ce n’est pas le but du présent travail de le suivre dans tous les méandres de sa pensée aventureuse. Une chose est certaine. Le Christ qu’il nous présente n’est plus celui de la révélation, mais de la pensée maçonnique. Pour être amérindien, il a du subir toutes sortes d’avatars, de métamorphoses et de réincarnations.
Le lecteur qui m’a suivi jusqu’ici a pu se rendre compte que sa pensée ne repose sur rien. De la vraie tradition, il ne connait rien. De la vraie religion traditionnelle qu’il suppose, il ne connait rien. En datant l’apparition du calumet de la fin du dix-huitième siècle, et en la faisant contemporaine de l’évangélisation chrétienne, il enlève tout fondement, toute base solide à une religion ancestrale. En reconnaissant que la religion traditionnelle est née dans les années l970 et 1980, il s’enlève tout droit de parler de tradition.
Des prêtres auraient dû comprendre que c’était en vain qu’ils assignaient à des rites de sorcellerie la mission de purifier l’âme, ou de remplir un rôle analogue aux sacrements chrétiens. La fumée, les plumes d’aigle, la danse, le jeûne, les lacérations, les pierres, les herbes, ne pourront jamais effacer les péchés, purifier l’âme. La nouvelle vie qu’accorde la transe n’est qu’une illusion. L’hallucination ne débouche pas sur des êtres réels, mais sur des créations du cerveau. En revenant à la sorcellerie sous le nom de religion, on revient à la recherche de la transe pour l’obtention de pouvoirs. Et c’est là que le démon intervient avec ses maléfices et ses possessions.
La vérité seule libère, Jésus l’a dit. Le mensonge, si séduisant soit-il, ne peut conduire les âmes qu’à leur perte.
René Lapointe omi l995
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(masteshantsuap)
par François Bellefleur de la Romaine
René LAPOINTE : «un récit court, mais important où on constate qu’on est loin du grand esprit.»
« Nous étions parfois très fatigués par le poids des sacs que nous portions sur le dos quand nous montions dans le bois. Car, autrefois, nous n’apportions jamais de bière avec nous. Il n’y avait que la tente de suerie pour refaire nos forces après une grande fatigue.
Une séance de suerie se faisait toujours de la même façon. On n’utilisait jamais autrefois les branches de sapin. On utilisait des branches qui s’appelaient mastsekuashkamuk (des arbustes qui poussent dans la savane). Voilà ce qu’on utilisait pour la tente de suerie. Elles avaient une vertu curative. Ce sont elles que nous déposions par terre. Quant aux pierres, on choisissait seulement des pierres de qualité. Ce sont celles-là qui dégageaient vraiment de la chaleur. Celles qui étaient à la surface, des pierres noires, de bonnes pierres. Voilà celles qu’on chauffait.
C’est alors qu’il faisait chaud. Quand on faisait chauffer dix pierres de taille moyenne, on ne pouvait pas en supporter la chaleur. Il y en avait qui sortaient, et il y en avait qui pouvaient rester à l’intérieur.
Quand on arrosait les pierres, les vieux qui étaient présents se mettaient à chanter à l’intérieur de la tente de suerie. C’est alors qu’ils cherchaient de la nourriture, là, dans la tente de suerie. C’est alors qu’ils cherchaient de la nourriture AUPRES DES PIERRES (nataumisustuépant ashenia). « Mon grand-père, mon grand père, comment vas-tu alors ? Mon grand-père, qu’allons-nous manger ? » Voilà ce qu’entonnait le vieux.
En pleine suerie, au moment où on arrosait les pierres, la chaleur atteignait sont point maximum. Quelques-uns sortaient, mais ceux qui chantaient ne tenaient pas compte de la chaleur dégagée par les pierres. Quand ils étaient en grand nombre, ils arrosaient les pierres à tour de rôle.
Voici le chant de notre ancêtre feu Uapistan. Je vais le chanter maintenant. « Aia, aia, aia, tsin ma, tsin ma, kie tsin eie. Tsin ma, tsin ma, kie tsin eie. E ma ie, e ma ie, ia. Tsin ma, tsin ma, kie tsin eie. (Ce qui se traduit par : toi, et toi, avec des exclamations.) C’est cela le chant de feu Uapistan.
Ce chant provenait d’un rêve qu’il avait fait à uapushakamashish. (au petit lac du lièvre). Voici quel est son rêve. Il voit les traces d’un caribou. Il ne l’a plus quitté. C’était quelqu’un à qui le caribou se donnait toujours en nourriture. Il demeura avec lui un an entier. Au printemps, il fut tué. Comment pourrait-il me quitter définitivement, dit-il. Je lui ai déjà serré la patte. C’est cela son chant que je viens de chanter : comment pourrait-il me quitter définitivement ?
Pour que la tente de suerie soit parfaitement recouverte, on utilisait quatre toiles. C’est de cette façon qu’on la recouvrait. Pour que la lumière du jour ne puisse pas passer au travers; pour qu’il fasse complètement noir. Si la moindre clarté se fait jour dans la tente de suerie, on n’a rien à manger. Papakassik nous regarde si la lumière du jour passe au travers de la toile de la tente tremblante.
Voilà ce que disaient les
vieux. »
( Depuis des temps immémoriaux, on demandait aux pierres, appelées grand-père, de nous nourrir, en particulier de nous procurer du caribou, comme le rêve de feu Uapistan le révèle. Mais depuis qu’on avait emprunté aux Eskimos leur papakassik, de qui désormais (dans la tente tremblante) relevait le caribou, on ne pouvait demander aux pierres de la tente de suerie de nous donner du caribou qu’en cachette, qu’à l’insu de papakassik. C’est pour cela qu’on mettait quatre épaisseurs de toile. Pour que papakassik n’en sache rien. On pensait que si aucune clarté ne filtrait, s’il faisait complètement noir, paparassik ne pourrait pas s’apercevoir qu’on demandait aux pierres, et non à lui, du caribou. )
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Papakassik et mistnak
Récit d’un indien de la
Romaine, traduit par moi-même.
« Je connais celui qu’on appelle papakassik, le gardien des caribous dans la forêt. Il est collé à l’intérieur de l’estomac du caribou. C’est lui qu’on appelle papakassik, le maître des caribous. Cette partie de l’estomac qui est très mince est semblable à papakassik. Elle colle à l’estomac. On dit que c’est papakassik.
Il faut traiter cette partie de l’estomac avec beaucoup de soin. Une fois le caribou tué, on l’enlève au complet. On lui fait une place, et on la fait sécher. Ensuite, on la dépose sur une sorte d’échafaudage appelé shéshépetan. Il faut la traiter avec le plus grand soin. On ne peut pas la jeter. Ce n’est qu’après l’avoir conservée longtemps qu’on la jette. On la suspend pour qu’elle ne traîne pas un peu partout. Voilà la façon dont les anciens se comportaient envers papakassik.
Il y avait une autre partie de la queue qui se nomme shesheshekuaishu. Ce shesheshekuaishu ---à quoi pouvait-il bien ressembler—l’emportait sur papakassik. Il lui était supérieur.
Papakassik demeurait à uapushakatnau (en forme de lièvre ?), au pays des caribous, où il était gardé par shesheshekuaishu. Au cœur de l’hiver, il entrait, on le faisait entrer, on l’enfermait. Celui qui l’enfermait ainsi était shesheshekuaishu. Voilà celui qui l’enfermait. Au printemps, au mois de mars, il lui ouvrait la porte. Alors le caribou, tous les animaux circulaient. C’est de lui que dépendent tous les animaux qui vivent sur le sec, la martre et tous les autres.
Le fait que le caribou ne laisse pas de trace l’hiver, qu’il ne soit pas là, qu’on ne détecte en aucune façon sa présence, cela provenait de ce que papakassik avait été enfermé. Au mois de mars, on lui ouvre la porte, et tous les caribous se mettent à circuler. Voilà ce que racontaient les ancêtres autrefois.
C’est dans la tente tremblante qu’ils allaient chercher de la nourriture. (La tente tremblante ne fait pas partie de la tradition. C’est un emprunt fait tardivement aux micmacs, elle, et les mistapeu.) Ils la demandaient à papakassik.
Il y avait trois papakassik. Le premier, le grand-frère, puis le frère moins âgé, puis le benjamin. C’est à ce dernier qu’on demande à manger. C’est lui qui donne quand il y a peu de chose. Il en parle d’abord au grand-frère. C’est ce dernier qui décide. Le benjamin observe.
Après avoir demandé à manger, on entre la peau de caribou tannée. Tous les Indiens conservaient toujours autrefois une peau de caribou tannée. Quand on traitait ainsi papakassik, quand on faisait entrer une peau de caribou tannée, il donnait. Alors, on la retire. Si la peau de caribou tannée est toute ensanglantée, alors, la demande est accordée. Alors on trouve du gibier à la chasse.
Quand on ne comprend pas ce que dit papakassik, alors il y en a un autre qui comprend. Les Indiens d’autrefois ne comprenaient pas papakassik quand il parlait. Alors on appelle quelqu’un en direction du soleil levant. C’est là que se trouve ton grand père qu’on appelle ka nanaimuet (qui parle en tremblant, ou dans la langue du nord). Celui qu’on appelle ka nanaimuet demeure à l’est. Il parle comme je parle. Tu le comprendras s’il parle. Il interprète ce que tu ne comprends pas, et il raconte.
Il y en a d’autres qui sont inintelligibles : les grands pères qui ont des visages à deux faces. On ne comprend pas ce qu’ils disent, ceux-là. On les appelle ceux qui n’ont pas de jugement. Le grand-père qui vient de l’est lui est bon, et on le fait entrer dans la tente tremblante.
Tous les animaux parlent dans la tente tremblante. La truite, le castor, la loutre, tous les animaux qui sont dans l’eau relèvent de misnak. Mais on ne comprend pas misnak quand il parle. Sa langue ressemble à un jargon. L’Indien ne le comprend pas. Il n’y a que ton grand-père qui le comprenne, et il nous traduit ce qu’il dit.
Quand papakassik ne veut
pas nourrir l’indien, il n’y a pas de caribou. On ne
détecte pas non plus la présence du porc-épic. Si
papakassik ne nourrit pas, on ne voit pas les traces des
morsures des porcs-épics dans les arbres. La perdrix, le
castor on ne peut pas les tuer quand on cherche à le faire.
Ce doit être celui qui est leur maître qui fait cela. Le
lièvre non plus, on ne peut le tuer. »
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Intervention de Jésus
dans la «spiritualité indienne».
Je donne ici un extrait du livre : « the conquering indian », l994, que j’ai traduit moi-même.
« La ville de Mexico est une ville froide et brumeuse l’hiver. Ma femme et moi, en compagnie de quelques Indiens américains, nous nous livrions à des danses cérémoniales, et faisions des offrandes près de la pyramide du soleil et de la lune. La danse a pour but de nous obtenir un accroissement de force spirituelle. Je voyais plusieurs personnes adorant et priant les anciennes divinités. Ce fut le point de départ de mon intérêt pour les réalités culturelles et religieuses indiennes. Cela ne correspondait pas à mon éducation. Je m’y suis lancé sans prévoir où cela me mènerait.
Je suis né dans une ville de la Californie, où j’ai passé la plus grande partie de ma vie. Quoique mes parents soient originaires du Mexique, je ne connaissais, à vrai dire, rien des traditions indiennes. Jamais on ne m’avait parlé de la manière ancienne de vivre. Je me considérais comme un Mexicain ordinaire. Après le secondaire, je devins un musicien. Pendant quinze ans, je jouai dans les bars et les clubs de nuit. Ma vie était vide, et je cherchais des compensations partout où je pouvais les trouver : dans l’argent, l’alcool et les femmes.
Pour remplir ce vide, ma femme et moi nous désirions tous les deux retrouver nos racines indiennes. C’est la raison pour laquelle nous fîmes le voyage à Mexico. Notre guide était un indien aztèque, et le chef spirituel des adorateurs locaux. Il se mit à nous enseigner les anciennes coutumes des aztèques. Notre intérêt alla en augmentant, et, les années qui suivirent, nous nous impliquâmes davantage dans la spiritualité indienne. Un peu plus tard, nous allâmes à un collège californien pour indiens et mexicains. A cette école, nous fîmes partie du groupe politique indien qui nous introduisit aux tentes de suerie, au calumet et à la danse du soleil.
Je me sentais fortement entraîné dans cette direction par ma soif spirituelle. Ma période de formation me conduisit au Dakota du sud où un sorcier me donna mon premier calumet. Je m’engageai par un vœu de quatre ans à la cérémonie de la danse du soleil, et je commençai à m’initier vraiment à la tente de suerie. Pendant toute cette époque, j’étais à la recherche d’un meilleur mode de vie. J’espérais le découvrir dans les traditions indiennes. Les chefs indiens m’enseignèrent la guérison, la communication avec les aides spirituels, et la vision occidentale. On allait même jusqu’à nous enseigner que, pendant la danse du soleil, quand on donnait des morceaux de sa chair en offrande aux esprits, cela ressemblait à la façon dont le Christ a donné sa vie sur la croix. Quand mon corps était lacéré pendant la danse du soleil, il était supposé devenir sacré et saint.
Beaucoup plus tard, la bible m’a appris que Jésus est mort une fois pour toutes pour la rémission des péchés. Il n’est pas nécessaire de répéter sa mort continuellement à travers des cérémonies telles que la danse du soleil. Or, à ce moment, bien que le sorcier m’ait affirmé que j’étais purifié et saint, je ne me sentais certainement pas ainsi. J’étais aussi confus qu’avant, et je cherchais toujours. Selon les rites indiens, j’étais purifié, mais cela ne m’empêchait pas de mener ma vie déréglée d’avant, et de faire tout ce qui me passait par la tête.
A cette époque, mon oncle a eu un cancer et était sur le point de mourir. Mais Dieu avait des vues différentes---je faisais moi-même partie de ce plan divin---et le guérit. Quand j’étais encore plongé jusqu’au cou dans le culte ancestral, mon oncle venait me parler de Jésus, à moi et à ma famille. Je détestais cela. Je me suis souvent mis en colère, et j’ai dit à mon oncle de s’en aller. Il continuait quand même à partager l’amour de Dieu, à prier pour moi, et à montrer par son exemple comment Dieu opère dans la vie d’une personne.
Pendant toute cette période, mon mariage a fait naufrage. Ma femme m’a quitté plusieurs fois parce que je ne lui étais pas fidèle. Une de nos séparations a été si stressante que j’ai fait un infarctus qui m’a laissé la face demi-paralysée. Pendant ces jours difficiles, j’avais près de moi un frère Papago. Mettant à profit la tente de surie que j’avais dressée dans ma cour arrière, nous chauffions les pierres et nous nous faisions suer régulièrement. J’étais fier de mon statut de détenteur de calumet, de danseur du soleil, et de leader de tente de suerie. Mais, dans mon cœur, je me sentais misérable. Ces choses n’ont jamais apporté la vraie lumière dans ma vie. Le fait de prier la mère terre ou n’importe lequel animal, plante ou esprit ne m’apportait qu’une satisfaction momentanée, non la paix durable et le sentiment de plénitude que je désirais.
Un jour, dans la tente de suerie, j’ai eu la surprise de ma vie. Ce qui arriva devait me changer pour toujours. Je venais tout juste de fermer la toile d’entrée, quand j’eus la très nette impression que Jésus parlait à mon cœur : « Je suis Jésus, le Fils du Dieu vivant ! Sors de cette tente ! Tu n’as rien à faire ici ! Tu n’as pas besoin de thérapeutes traditionnels ! Je veux te faire don de mon esprit. Quitte cette place immédiatement ! » Rapide comme l’éclair, je grimpai à l’extérieur pour n’y jamais revenir. J’ai déposé aux pieds de Jésus mes blessures intérieures. Je lui demandai de me pardonner mes fautes, et de prendre le contrôle de ma vie. Il m’a écouté et m’a sauvé. Et peu après, il jugea bon de restaurer ma santé, et de me réunir à ma famille.
J’ai laissé tomber les séances de suerie et les danses du soleil. Mais abandonner le calumet fut chose plus ardue. Pendant un certain temps, j’ai essayé de tenir mon calumet dans une main et ma bible dans l’autre. Jusqu’à ce que je lise un passage de l’évangile qui me fit comprendre que je devais choisir entre le calumet et Jésus. « Personne ne peut servir deux maîtres. Ou il en aimera l’un, ou il en haïra l’autre. Ou il écoutera l’un, ou il travaillera contre l’autre. Vous ne pouvez pas avoir Dieu et Mammon comme maîtres entre même temps. » Après avoir lu ce passage, j’ai jeté le calumet et toute spiritualité indienne. Je voulais servir Jésus lui seul. Ni ma vie ni les conditions ne se sont améliorées instantanément. Mais je suis libre de toute crainte.
Ma femme m’a quitté définitivement quand elle s’est rendu compte que j’avais opté définitivement pour Jésus. En tant qu’éducateur monoparental, j’enseigne à mes enfants à suivre Jésus. Et ensemble nous prions pour qu’un jour ma femme vienne à la croix. Comme mon oncle, je ne condamne pas mon peuple pour sa recherche d’identité. Je souffre pour eux car je sais qu’ils ne trouveront jamais ce qu’ils cherchent dans les tentes de suerie et dans les calumets. Vous ne pourrez jamais trouver la lumière si vous adorez quelque chose d’autre ou quelqu’un d’autre que Jésus. »
René Lapointe omi décembre 2014-12-01
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AIATSUMUN
Ishkueu ka katuashut
La femme qui avait accaparé la nourriture
On avait déposé la
nourriture à quelque part. Autrefois, il y avait du gibier en
abondance, puis vint quelqu’un qui cachait tout. On avait
alors grand faim. L’accaparatrice s’était construit une
maison dans le ciel. C’est en plein jour qu’elle l’avait
faite. À quoi pouvait-elle bien ressembler ?
Or,
les Indiens le savaient, les officiants de la tente tremblante. Ils
expliquèrent donc que la disette de nourriture provenait du fait
qu’on avait caché la nourriture; que c’était pour cela qu’il
n’y avait plus d’animaux. Au sortir de la tente
tremblante, ils dirent : « Il y a quelqu’un qui a accaparé la
nourriture. » Il arriva alors un temps où on n’avait plus
rien à manger. On souffrait terriblement de la faim.
Or, il y en eut un, un adolescent, qui savait où se trouvait la
maison de celle qui avait confisqué la nourriture, et il s’y
rendit. D’autres firent la même chose. Ils ne revinrent
plus, tués qu’ils ont été pour avoir trop mangé.
Puis d’autres adolescents, magiciens et bons chasseurs, lui
rendirent aussi visite. On ne les revit plus, eux non plus.
Un jeune, en particulier, était rendu furieux par ce qui se
passait. Il alla à la recherche de la nourriture, et il
ne trouva absolument rien. Ni animaux, ni oiseaux, rien.
Alors, il décida d’aller là où se trouvait la nourriture.
Il se chercha un compagnon. Ils furent d’abord deux, puis
quatre, et ils se mirent en marche. Puis, ils entrèrent
dans la maison. Il y avait un grand nombre de
portes. On pouvait voir une peau de caribou accrochée sur
l’une d’entre elles; une peau d’ours, sur une autre; une peau
d’Indien sur une autre. Voilà à quoi ressemblaient ces
portes. Puis, ils s’assirent à la dernière porte.
C’est par là qu’ils entrèrent.
Elle cria : «
Quelqu’un est arrivé, Nanimé ! » C’est ainsi que devait
s’appeler son mari. Puis elle dit : « Tu vas manger! » --« Oui
», répond-il. Elle fait bouillir de la viande de castor
séchée dans un immense chaudron. Qu’il était grand ce
chaudron ! Puis elle les sert, en déposant la viande de
castor dans leurs assiettes. Il avait déjà averti ses
compagnons de ne pas trop manger, leur expliquant qu’il devait être
le seul, lui, à s’empiffrer. Car cette femme tue ceux
qui viennent la voir, en les faisant manger à outrance. Elle
et ses deux enfants. Il se faisait donc servir, et il
mangeait copieusement. Il était le seul à manger comme un
glouton; ses compagnons, mangeaient raisonnablement.
Elle
revient de nouveau avec un autre chaudron : « Voici ton chaudron, il
ne durera pas longtemps ! » Elle fait bouillir ensuite du
caribou d’été, puis le lui présente. Il vide la casserole
au complet, et la lui rapporte : « Elle n’a pas fait long feu !
» Elle dit à son mari : « Non, Nanimé, il n’a pas
encore assez mangé. Mais, je lui ai déjà fait perdre conscience.
» Elle fait bouillir de nouveau de la viande d’ours.
Il vide son assiette. C’est alors qu’il délire. Il devient
agressif pour avoir trop mangé. Puis, il perd connaissance.
Il continue encore à dévorer tout ce qu’elle lui apporte.
Il n’en a jamais assez.
C’est alors qu’elle
sortit. Et puis, on entend du bruit, en face. C’est là
que sont brûlés ses hôtes. Ils allument donc le feu, elle et
son enfant. Or, il y avait un grand trou dans le plancher, là
où ils étaient assis. Quand ils virent ce trou, l’un
d’entre eux plongea au travers. C’est là qu’étaient
enfouis les sacs de nourriture, comme si on en avait fait des paquets
bien enveloppés. Et puis, un autre a plongé au travers
d’un autre trou. C’est là qu’on les jetait vivants dans
un brasier ardent. Ils jettent l’enfant dans le feu.
La sorcière s’écrie : « Il brûle. Il pleure de douleur !
» Mais c’était son enfant qui avait été jeté dans le
feu. Elle continuait à crier : « Il est consumé par le feu ! »
Mais c’était son enfant qui pleurait de douleur. Puis, elle
alla bruler, elle aussi, sur le bucher qu’elle avait allumé pour
ses hôtes.
Ils firent un trou dans la maison, et ils
jetèrent par terre tous les sacs qu’elle avait camouflés.
Ils vidèrent sa maison en entier. Puis, ils descendirent sur
la terre ferme. La maison prit feu, et brûla au complet.
Mais, ils purent sortir, eux. Ils sortirent à la fin,
indemnes.
Alors, les animaux arrivèrent, car, dans
les sacs qu’ils jetèrent par terre, il y avait des animaux, des
animaux séchés. Ils se levèrent, et partirent à la
course. Ceux qui revenaient de la chasse, avaient déjà
tué du caribou. Ils tuaient n’importe quel
animal. N’importe quoi.
Et celle qui avait
accaparé et confisqué la nourriture était morte brulée.
Alors, on mangea en abondance, et on tuait un grand nombre de
caribous. »
Pierre-Zacharie Mistukushu.
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LEGENDE
MONTAGNAISE
de Natashquan
THESHAI
« Voici Tsheshai. Il est très vieux, dit-on. Il ne peut presque plus marcher. Ce sont ses petites filles qui sont attelées à son traîneau. Ce sont elles qui tirent son traîneau. Or, voici qu’en montant une côte, il soulève avec son bâton la robe d’une d’entre elles. Et elle de protester : « Attention ! Mon grand père est en train de soulever nos robes ! » Il était un coureur de jupons. Un obsédé sexuel, dirait-on aujourd’hui. Elle dit à son père : « Nous ne pourrons plus tirer son traîneau. En montant la côte, il a soulevé nos robes. »
On l’abandonne là. « Laissons-le ici. Faisons-lui un abri entouré de palissades. » On le lui fit. Puis on y plaça de la nourriture, et on lui laissa une hache et un seau. « Apporte-moi ma hache ! » s’était-il écrié. Et puis, on le laissa. On partit en raquettes en tirant des traîneaux.
A force de se taillader avec sa hache, il parvint à faire des trous dans sa cage. Il se fait des entailles, et met ainsi son abri en pièces. Il est en possession d’un pouvoir, c’est un sorcier. Après avoir troué sa cage, il va voir à l’extérieur. C’était le printemps. Il sort donc. Il porte sur son dos son seau et sa hache.
Il cherche les traces des traineaux tirés par des Indiens. Il rejoint enfin les traces de celle qu’il avait regardée furtivement, dont il avait soulevé la robe. Il suit ce chemin tracé par les traîneaux. Il était à peine visible. Il était partiellement recouvert de neige. Il se dit à lui-même : « A n’en point douter, j’arrive en retard ! Elles doivent être bien belles ! »
On s’enduisait le visage de graisse d’ours, autrefois, dit-on. On le faisait pour se protéger du soleil de mars, pour éviter que la peau ne noircisse. Les femmes faisaient la même chose. Tsheshai s’enduisit donc le visage de graisse d’ours.
Puis il arriva à un endroit où l’on avait mangé du caribou. Ils s’étaient tous assis là. On avait confectionné des raquettes. Là, au beau milieu, plus loin, les hommes avaient fait le fût des raquettes, et les femmes avaient lacé les raquettes avec de la babiche. Une fois terminées, on les enroulait autour d’un pieu. Il était très effilé ce bois. C’est là qu’on les empilait après les avoir lacées, à la vue de tous, à une bonne distance. Puis un homme était allé en chercher une, et l’avait mise. Et puis, il avait sautillé après avoir mis des raquettes neuves.
Il alla voir à son tour si une raquette n’aurait pas été abandonnée sur le bâton pointu. Puis il fit un vœu : « Puissé-je avoir une raquette ! » Quand il regarda, il aperçut une raquette suspendue. Il la décrocha. Puis, il remarqua que l’homme avait dansé après avoir reçu une nouvelle raquette. Il fit alors le souhait suivant : « Puissé-je être capable de marcher ! » Et la force lui revint dans les jambes. Il gambada à son tour comme l’autre homme avait fait. Il dansa de joie avec ses nouvelles raquettes. C’est toujours ainsi que ça se passait autrefois, dit-on. Les hommes sautillaient après avoir reçu de nouvelles raquettes. Ils étaient tellement fiers de leurs nouvelles raquettes !
Puis il se met en route avec ses raquettes. Elles étaient bien belles ses raquettes! Au fur et à mesure qu’il marchait, il devenait tout autre. En marchant, des choses s’offraient à sa vue comme s’il les avait demandées. Il se transforme continuellement, tellement qu’arrive un moment où il ressemble à un jeune homme.
Il se met en route. Il revoit le chemin tracé par les traîneaux des Indiens. Il arrive de nouveau à un endroit où on avait mangé du caribou. Les traces sont encore fraîches. On y détectait la présence de plusieurs personnes. On avait versé de la graisse de caribou fondue dans des moules de bois, qu’un enduit rendait étanches. Ce qui empêchait la graisse de couler. Un fois durcie, elle était mise dans des sacs. Voilà à quoi ressemblait l’endroit où il arriva. On y avait fait de la graisse de caribou. (On dit graisse de caribou, mais ce n’est pas de la vraie graisse. C’est une sorte de graisse cireuse qui provient des os qu’on a broyés et qu’on a fait bouillir.) Il émit alors le vœu suivant : « Puissé-je avoir de la graisse de caribou ! » Quand il regarda, il vit un sac de graisse accroché à une branche d’arbre. Il le chargea sur son dos. La graisse était enveloppée d’une peau de caribou tannée qui était magnifique. Voilà ce qu’il portait sur son dos.
Il avait malheureusement oublié de se donner des dents. Il n’avait pas non plus son machin. Il l’avait oublié.
Il continue à marcher sur le chemin tracé par les traîneaux. Il sera bientôt l’hôte, il rejoindra bientôt sa blonde. Les traces sont fraîches. Les garde-mangers en forme d’échafaudage (sheshepetana) sont déjà installés. Ils étaient en train de manger du caribou quand il les aperçut de loin. Quand il arriva, on dressait les tentes. Quelqu’un s’écria : « Un étranger ! » Son arc penchait par en arrière. Il se tient debout sans bouger. « D’où viens-tu, étranger, » lui demande quelqu’un. Il répondit : « A l’automne, là bas, vous avec fait un abri en bois. C’est de là que je viens. Le chemin que vous avez tracé était à peine visible. »---« C’est que feu Tsheshai ne pouvait plus marcher. On l’a laissé là, » lui dit un vieux. « Comment est-ce possible ? Cette cabane était complètement brisée, toute trouée, » lui répond Tsheshai. « Voilà qui est étrange, nous l’avions pourtant faite très solide, » réplique le vieux. « Et pourtant, ajoute Tsheshai, « elle est réduite en pièces. »
C’est déjà le soir. Il transporte la graisse sur son dos. Il dit à un vieux : « Mon père m’a dit : aux endroits où tu entendras dire qu’il n’y a pas de femme, tu passeras tout droit ». Il lui répond : « Le vieux qui campe de l’autre côté de l’amoncellement de neige est le seul à avoir des filles. Nous n’avons pas de filles ». Il rejoint enfin sa blonde dans la maison d’où sort de la fumée. On mangeait là aussi du caribou. Il se tient debout à mi-chemin. « Un étranger est arrivé ! », s’écrie une femme. Il est très bien habillé. Ses souliers étaient en cuir de caribou. Des pics de porc épic étaient disposés artistiquement sur ses bas. Ils étaient fort beaux. C’est ainsi qu’il était habillé. En peau de caribou et avec de nouvelles raquettes. Elles étaient bien belles ses raquettes, et il était fort bien habillé. Il avait fière allure.
Il se tenait debout à mi-chemin. La tente à deux portes (shaputuan), une tente « traversable » était très grande, et il y avait beaucoup de tentes ordinaires. « Un étranger est arrivé ! » s’écrie une curieuse. On le trouvait charmant. « Faites entrer l’étranger! » dit la femme. La tente où se trouvent les deux filles est éclairée. Il habite en retrait cet homme, celui qui a deux filles. Or l’homme ouvre la porte de la tente avec un bâton et dit : « Si on s’intéressait à moi, on m’aurait apporté quelque chose ! » La voilà, oui la voilà sa blonde. Il le sait. C’est là qu’il va, après avoir entendu l’homme parler. Il entre. Il fiche en terre un arbuste, et il y accroche son sac de graisse de caribou. L’arbuste plie sous le fardeau. Il y avait accroché aussi ses raquettes. Elles étaient bien belles ces raquettes. Et sa graisse incurvait fortement l’arbuste. Le moment était venu de l’entrer dans la tente.
La femme plantait des piquets tout autour pour tendre la toile et agrandir la tente. On envoie le voyageur de l’autre côté du feu, là où se trouvait sa blonde. La voilà donc la blonde qu’il avait regardée cyniquement. Il s’assoie près d’elle, et c’est là qu’il demeure.
C’est alors qu’il donne une commission à sa blonde, en lui disant : « Va chercher la graisse de caribou de ton père ! Mon sac qui est accroché là ! » Elle a beau essayer, elle ne peut pas le soulever. « Descends mon sac de graisse ! » --« Je ne peux pas le descendre ! » Il reprend : « Casse la branche avec une hache ! » Il avait peur peut-être qu’elle ne fit pas de bruit en tombant. Elle casse la branche avec une hache. Elle fait beaucoup de bruit « Projetez-le sac à l’intérieur ! » dit-il. Mais en voulant l’entrer, on ne peut le soulever. « Faites entrer ma graisse ! » Or la femme du vieux veut la prendre, mais elle ne peut pas en venir à bout. L’étranger, lui, met un genou par terre et pose l’autre pied par terre. Il prend le sac d’une seule main et le jette dans la tente. Le vieux est plein d’admiration envers son gendre. Il était fier de sa force. « Il est fort, il est très fort ! » On prépare la graisse de caribou, et on invite les vieux. Le repas commence. On sert tout le monde et on banquette.
Après s’être graissé le bec, on raconte des histoires. Il prend la parole à son tour. Il dit : « Pourquoi avez-vous fait une cabane ? Vous avez fait un abri en bois entouré de palissades. J’ai passé par là en marchant. Car j’ai aperçu votre chemin. Qu’est-ce que c’est que cette cabane qui se trouve là-bas ? »--« Tsheshai a été abandonné là à cause de sa vieillesse, » dit quelqu’un. Tsheshai reprend : « Fort bien. Mais je n’irai pas la voir. Elle est brisée, toute trouée ! » « Brisée et trouée », répètent les vieux. « Tsheshai doit être mort ! » dit Tsheshai. Les vieux s’interrogent, perplexes : « Comment peut-il penser qu’il est mort ? Il devrait penser qu’il est sorti, après s’être taillé une porte. »
Pendant qu’on découpe sa graisse, Theshai dit : « Cela est arrivé en partant, quand j’ai suivi votre chemin de traîneaux. Mais cette graisse, ce n’est pas la vraie. Ce n’est pas la vraie ! Ce n’est qu’un jouet pour mes petits frères. Celle que j’ai transportée d’abord n’est pas la vraie. Vous en verrez bientôt une beaucoup plus abondante ! Pas une graisse pour amuser mes frères ! » Et tous de répéter les dernières paroles de Tsheshai : « Ce n’est pas de la vraie graisse ! » « Celle qu’il a apportée d’abord ne sert qu’à amuser ses frères ! » « Là-bas se trouve la vraie ! » « Nous mangerons comme des rois ! »
Après avoir festoyé à la graisse de caribou, ils partent à la recherche de castors. Quelqu’un en avait aperçu, et on part à leur recherche. Tsheshai les accompagne. Il est loin derrière à chaque fois qu’il marche en leur compagnie. Il est vite fatigué, car il est vieux. Malgré tous les efforts, on ne parvint pas à tuer un seul castor. C’est alors qu’il leur dit : « Laissez-moi ici. Je saurai bien me débrouiller seul. » « Mais, lui dit-on, tu vas avoir froid. Tu vas te perdre » « Non, leur répondit-il. Je saurai bien où aller. »
Quant ils retournent dans leurs tentes, la nuit est déjà tombée. Ils reviennent bredouilles. Ils n’ont pas tué un seul castor. Tsheshai n’est toujours pas encore arrivé. On le reproche aux chasseurs : « Vous n’auriez pas du le laisser seul. Il va prendre froid ! » Ils leur répondent : « Il nous a bel et bien dit : Laissez-moi ici. Je saurai comment retourner. »
Après avoir été laissé là, il se dépouille de ses vêtements. Et il devient d’une taille minuscule. Il se transforme, devient très petit, et dépose là ses vêtements. Il tenait dans ses mains une corde. Il y avait là un trou, c’est là qu’il plongea. Il aperçut alors les castors. Il leur entrait sa corde dans l’anus et la ressortait par la bouche. Quand il parvenait au cœur, il le mordait. Puis il sortit. Il avait répété l’opération plusieurs fois, et était parvenu à enfiler sept castors, qu’il avait tués de la même façon. Il émerge de l’eau par le trou auprès duquel il avait placé ses vêtements. Il était seul à avoir chassé le castor. Tous les autres étaient partis. Il sort de l’eau ses sept castors tous attachés les uns aux autres. Puis il reprend sa taille normale, et s’habille.
Il en étripe un, et fait un feu. Il insère un tison éteint dans une tripe, d’un côté. Il laisse l’autre côté tel quel. C’est après avoir nettoyé les tripes d’un castor, qu’il insère dans une tripe un tison éteint. C’est cette partie de la tripe qu’il mangera lui. Car, il se souvient qu’il n’a plus de dents. Après avoir rempli la tripe, il la referme en la cousant. Voilà ce qu’il fera cuire en arrivant. Il le faut bien, on n’a plus rien à manger. On mangera donc des tripes de castor.
Puis il retourne à la maison en traînant ses castors, ou bien en les portant sur son dos. La nuit est fort avancée quand il revient. On l’entend arriver de loin. En entrant, il jette ses castors dans la tente. Il en avait tué beaucoup, sept en tout, et les avait portés sur son dos ! Le vieux en est très fier. « Mon genre est très capable ! » Quelqu’un dit, peut-être Tsheshai lui-même : « Et les autres qui étaient partis à la recherche de castor n’en ont pas tué un seul !» On fait bouillir des tripes.
La fille dit : « Ses vêtements humides vont glacer sur lui. Qu’il doit être fatigué ! » On lui fait enlever ses vêtements pour les sécher, pour qu’il ne grelotte pas. La vielle avait déjà fait bouillir les tripes. Il sait très bien quelle partie de la tripe il mangera. On sert les tripes, et on en donne à manger. Il avait pris le gros bout de la tripe, et sa blonde le plus petit. Puis il dit : « Qui a les dents les plus tranchantes ? » Quand il mâche, lui, le tison fait un craquement, celui qu’il avait mis à l’intérieur de la tripe. Mais sa blonde ne fait aucun bruit quand elle mâche. Elle n’arrive pas à faire craquer la tripe. Il répète : « Qui a les dents les plus tranchantes ? » Il mord de nouveau, et la tripe craque. Le vieux est très fier de son gendre. Et sa blonde, elle, n’a pas de dents pointues. « C’est lui, s’exclame le vieux, qui a les dents les plus acérées ! »
A force de mâchouiller le bois, il se blesse la gencive. « Pourquoi a-t-il du sang dans la bouche ? » demande le vieux. « Il a du la manger crue. » « Mais elle était bien cuite. C’est peut-être à lui seul qu’on l’a servie crue. Peu importe ». Il s’était blessé les gencives en mordant un morceau de bois. Il va chercher du bois de chauffage. On invite tous ceux qui ont faim. On fait rôtir les castors à la broche, en les suspendant au-dessus d’un feu, et en les faisant tournoyer. On fait un grand festin.
Après avoir mangé de la graisse de castor, tous repartent. On avait vu le matin des traces fraîches de caribous. Le matin suivant, on part à la chasse du caribou. « Partez à leur recherche ! » dit le vieux. Tsheshai part lui aussi. Les caribous distancent vite les chasseurs. Tsheshai qui était essoufflé, dit : « Que l’empanaché abandonne le troupeau et s’en aille de côté ! » Le caribou change de direction et tourne à droite. Quelqu’un s’écrie : « Voyez le caribou là-bas qui est parti de ce côté! » Theshai lui réplique : « N’y touchez pas ! Je n’ai pas de panache de caribou. Je n’ai qu’un casque en peau de caribou ! » Quand les autres se furent éloignés, il dit : « Qu’il s’immobilise là ! » Le caribou ne put plus bouger. Près d’un buisson où il s’était rendu, il demeure là debout, comme pétrifié. Tsheshai n’avait plus qu’à lui lancer une flèche. Après l’avoir tué, il l’étripe. Il transporte sur son dos la tête du caribou. Au lever du soleil, il approchait avec la tête du caribou sur son dos. Les femmes dirent : « C’est le mari de notre amie. Nous allons le lui enlever ! » En entendant qu’on voulait lui enlever son mari, sa femme se mit à pleurer. Il lui dit alors : « Ne te fais pas de souci à cause d’elles ! Je ne les écoute pas ! »
Les autres reviennent à leur tour. Les caribous les avaient distancés considérablement. Seul Tsheshai avait tué. On part de nouveau en tirant les traîneaux. Quand on dressait la tente de nouveau, sa femme dit à Tsheshai : « J’envie les femmes, mes amies. Quand on dresse la tente, et quand on marche en tirant le traîneau, elles allaitent leurs enfants. Si je pouvais moi aussi allaiter un enfant, j’en serais bien contente ! » Tsheshai lui répond : « Quand on repartira, tu camperas à part ! » Quand vient le moment de monter les tentes, elle crie à son père : « Il m’a dit de tenter seule ! » On fait la chasse, le soir. Il ne peut pas y aller. Le père va chercher une pierre, et lui déneige un endroit suffisamment grand pour une tente, et lui monte sa tente. En revenant de la chasse au porc-épic, Tsheshai découvre que sa tente est dressée. Il y entre.
Il avait déjà tout préparé. Il emprunte au porc-épic ce qu’il lui faut pour se faire un pénis. Il est, du moins, raide et pointu. En effet, il ne pouvait pas s’accoupler quand il le voulait. Sa femme s’écrie : « C’est dur comme du bois ! » Il lui répond : « C’est comme ça avec les jeunes ! » Il n’a pas pu faire l’acte. Il est quand même heureux : « Je vais avoir un enfant ! »
On part de nouveau en tirant des traîneaux. Quand on dresse les tentes, il veut faire tente à part. Il y a des vieux qui le reconnaissent, ceux qui le connaissaient bien. « C’est ainsi que dressait sa tente Tsheshai, quand il était jeune. Ce doit être lui ! » Au printemps, on mange du caribou. On hache la viande, et on la coupe en petits morceaux. Les vieux cherchaient toujours à percer son identité à chaque fois qu’ils le voyaient. « Ce doit être Tsheshai ! C’est bien lui ! »
Comme c’était le printemps, on ne faisait que dormir pendant le jour. On ne faisait rien. On dormait. Or voici qu’un jour où sa femme battait une peau de caribou près de la couche de Tsheshai, celui-ci dormait la bouche ouverte. Elle s’aperçut alors qu’il n’avait pas de dent ! Pas une seule ! Elle s’écrie en pleurant : « C’est Tsheshai que j’ai épousé ! » Il est réveillé par ses lamentations : « Qu’est-ce qui se passe ? » Elle lui répond : « C’est toi, Tsheshai ! » Il se lève et dit à son père : « Tu devras surveiller très étroitement ta fille ! Si tu ne la surveilles pas !... Tu ne la laisseras jamais marcher la dernière. Si elle ferme la marche, c’est alors que je l’épouserai pour de bon ! »
(« Après l’avoir reconnu, on l’a chassé. Il s’est engouffré dans la terre. Il n’est pas mort, dit-on. Il s’est enfoncé dans le sol, vivant. » Explications données après coup par Kajetan lui-même).
Quand on marchait en raquettes en tirant le traîneau, il accompagnait toujours sa fille. Il la surveillait toujours dans les déplacements en raquette. Or, voici qu’un jour, sa corde s’enroule autour de son bras. On était déjà presque arrivé à l’endroit où l’on dressait les tentes. Sa mère lui dit : « Arrête de faire des manières ! Enlève ta corde ! Débrouille-toi toute seule ! Et dépêche-toi de nous rejoindre ! »
C’est ainsi qu’elle abandonna sa fille. Quand elle arriva, son mari lui dit : « Où l’as-tu abandonnée ? » Elle lui répond : « Là tout près, à l’endroit que l’on voit d’ici, c’est là que je l’ai laissée. » --« Mais pourquoi l’as-tu abandonnée ? » Il part à la recherche de sa fille. Elle était étendue par terre, morte. Elle avait été étranglée par sa corde. C’est alors que Tsheshai l’a épousée pour vrai. »
(légende racontée par Kanishte Uapistan, avec l’épisode du caribou qui vient de Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi au mois d’octobre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
MEMINTEIU
(l’homme au cœur poilu)
« Meminteiu (l’homme au cœur poilu) tuait toujours les Indiens quand il les apercevait. Toujours. Il ne pouvait pas vivre paisiblement en leur compagnie. Or l’un d’entre eux prit la décision de l’affronter. Il dit à son beau-père : « Je vais partir à sa recherche, moi. Je le tuerai, si je le vois. »
Il partit donc à sa recherche. Il était accompagné de son beau-père. C’est lui qui connaissait le chemin. Ils arrivèrent à un endroit où les castors avaient coupé des arbres, il y a un certain temps. Puis on observa un fait significatif. Quand il alla chasser le castor dans sa cabane, Meminteiu avait mis en tas des têtes de castor. C’est à l’automne qu’il les avait placées là. Ce qui fit dire au jeune homme : « Nous allons probablement voir sa cabane de castors! »
Il continue à marcher. Il arrive à une surface glacée. Et voici qu’est érigée une cabane de castors. C’est là qu’il attendra Meminteiu. « C’est ce qu’indiquaient les têtes de castor qu’il a jetées », dit-il à son beau-père. « Tu as raison », lui répondit-il.
Meminteiu s’avance tout droit vers sa cabane à castors. Il s’approche. La glace craque sous son poids. Le voici arrivé près de l’indien. Il casse les arbustes qu’avait plantés l’Indien. Il les arrache et les projette au loin, en disant : « Cette cabane est la cabane de l’Ours noir. » L’Indien replante son arbuste en disant : « Je suis debout ici depuis longtemps. Je t’ai vu approcher ». L’autre essaie d’arracher l’arbuste, mais n’y parvient pas. Il demande à l’Indien : « D’où viens-tu ? » Il lui répond : « Je viens de loin ». Ses mitaines sont givrées. Il donne l’impression d’être transi de froid. L’Indien demande à son tour à Meminteiu : « Et toi, d’où viens-tu ? » --« Je viens d’ici. De pas loin. » Il lui montre l’endroit avec le doigt : « De là où s’élève la fumée. Je viens de tout près. C’est là que tu devrais retourner ». L’Indien lui répondit : « Je me perdrais. C’est chez moi que je vais retourner ».
En essayant d’arracher ce qu’avait replanté l’indien, il est fouetté violemment par l’arbuste, qui rebondit sur lui en cascade. Ce qui le met en colère. C’est alors qu’il remarque que l’Indien avait fixé une peau de martre sur sa coiffure. « Qu’est-ce que tu as accroché là ? » dit-il. Il essaie de la décrocher, mais n’y réussit pas.
L’Indien lui dit alors : « C’est le moment de partir. Je devrais déjà avoir à marcher tard dans la nuit. Je viens de très loin. Demain, nous chasserons le castor dans sa cabane. Ne te hâte pas de venir. Je n’arriverai pas avant midi. Quand le soleil sera là. Tellement je viens de loin. »
L’Indien s’en va. Meminteiu s’enfonce dans le bois en retournant. En chemin, l’Indien se taille un pic dans un arbre. En arrivant, il le fiche en terre. Puis il dit aux membres de sa famille : « Je suis parvenu à voir le Meminteiu que je cherchais. ». C’est alors que le grand-père du nom de Kahis réunit ses petits-fils. Il pleure. En voyant son gendre entrer, il pleure. Celui-ci lui dit : « Hâtons-nous ! Pourquoi pleurer ainsi ? Sais-tu combien ils sont ? Uattukutsit, tu dois savoir, toi, combien ils sont ? » C’est alors que Kahis sort.
On apporte des arbres. On donne à chaque arbre la forme de chaque membre de la famille de Meminteiu. Uattukutsit dit : « Fais-en un plus grand que les autres ! » On en fait donc un plus grand, et puis après, les autres. Il explique : « Celui-ci c’est le vieux. L’autre le plus âgé des enfants, puis le troisième. Celui-là c’est son gendre, et celui-là le benjamin. Ils sont cinq en tout. » Après avoir fini d’affiler son pic, celui qui veut exterminer les anthropophages l’approche des mannequins. Il dit : « De quelle façon tuerai-je le vieux ? Je le tuerai avec mon pic. »
Meminteieu, lui, marche
longtemps pendant la nuit. Il va n’importe où. Il titube, il
tourne en rond. Il ne sait plus ce qu’il fait. En
entrant dans la tente, il
va dans un coin, dans son
coin. Ses épaules tressautent. Il rit à gorges
déployées. Quand il se lève, il veut manger. On
apprête un castor d’un an. « Qu’est-ce que tu vas
manger, mon père », lui dit un de ses fils. Il lui
répond : « Je ne trouve rien de bon dans un castor d’un an.
Il n’est pas assez gras. Un enfant indien est bien
meilleur. » Une femme élevait alors un enfant indien.
C’est cet enfant qu’il mange. Il mange l’enfant qui avait
été engraissé. Il ne mâche que la graisse. Il dit : «
Je vais manger ce petit indien. Je ne pourrais pas vivre autrement.
» Après avoir mangé, il perd la
mémoire. Il ne se souvient plus de l’indien qu’il
avait rencontré.
L’indien, lui, tient son pic en position de frappe. « Comment vais-je tuer le vieux, » se dit-il. « Avec mon pic. » Après l’avoir étendu par terre, il le frappe. On entend crier au loin. Il saisit ensuite son arc, et transperce l’aîné avec sa flèche. On l’entend se lamenter au loin. Il transperce l’autre de la même façon. On l’entend lui aussi se lamenter. Le gendre crie, lui aussi, après avoir été transpercé. Et enfin le benjamin.
L’ainé des fils de Meminteieu s’exclame : « Qu’est-ce qui nous arrive ? Nous sommes transpercés. Que s’est-il passé pour que notre père lance ses raquettes ? Pourquoi notre père a-t-il lancé ses raquettes en entrant ? » On lui répond : « C’est ainsi qu’il se comportait autrefois quand il voyait un étranger ». La mémoire lui revient alors : « Eh bien oui, j’ai vu un étranger transi de froid. J’aurais du connaître son chemin. J’aurais du m’en souvenir. Il serait peut-être déjà mort de froid. Si j’avais attendu qu’il meure de froid, cela vous aurait contrarié, ai-je pensé. » L’ainé reprend : « Il est sur le point de mourir de froid !... Ce doit être ka aianuet (celui qui l’emporte sur les autres)) que notre père a vu. » Le père réplique : « Comment pourrait-ce être ka iaianuet. Il n’est pas encore retourné chez lui. »
Le grand frère est le premier à faire bouiller la queue du castor. Quand elle est cuite à point, on la donne au vieux. En la mâchant, elle craque sous la dent. Ils font tous la même expérience à tour de rôle, avec le même résultat. Le benjamin l’essaie en dernier. L’aîné conclut : « C’est comme je vous ai dit. Jamais nous ne pourrons en venir à bout. »
Alors le vieux commande à ses enfants : « Faites-lui une tente conique ! » On lui fait une tente. Le vieux y pénètre. Il s’écrie : « Que la lumière brille ! » Il reprend ensuite : « Non, nous nous éteignons. Il n’y a que le feu de celui qui est notre repas. » Il essaie encore : « Que ma lumière brille, que ma lumière brille ! » Après quelque temps, il avoue ; « Nous nous éteignons. Il n’y a que le feu de celui qui est notre repas. Que ma lumière brille ! Que ma lumière brille. Il n’y a que celui qui est notre repas qui est lumineux ! » Il crie à ses enfants : « Nous nous éteignons. Allez voir dehors ! Est-ce que les étoiles brillent ? » Ils répondent : « Non. C’est un ciel couvert, nuageux. » « Voilà pourquoi », réplique le vieux. « Voilà pourquoi nous nous éteignons. Comment pourrait-il nous éteindre ? »
L’ainé n’est pas d’accord. « Il aurait été préférable de faire preuve de bravoure. Ce ne peut être que ka iaianuet. Nous ne pourrons pas en venir à bout ». Le vieux lui répliqua : « Comment est-ce possible que ce soit ka iaianuet ? Montrez-vous braves autant que vous pourrez, vous autres, je vous réduirai en cendres. Il m’a dit en propres termes : « Demain, ne te hâte pas de partir. Je viens de très loin. »
Après avoir simulé leur mort, l’Indien part en raquettes en tirant un traîneau. Avant que le soleil se lève, il était déjà à sa cabane de castors. Il cache dans la neige son beau-père, Kahiss, en lui disant : « Ne bouge pas de là. Tu te décourageras si tu penses que je ne puis pas l’emporter. ». Puis il remonte une rivière gelée. Dans un méandre, il se fait des rondins, de petits pieux, qu’il place en tas. Il était revêtu au complet de peaux de loutre. Il descend le cours d’eau, et parvient à sa cabane à castor.
Meminteieu part lui aussi en raquettes en tirant un traîneau. Il dit à ses enfants : « Suivez le chemin que j’ai tracé en revenant. Quand je suis revenu, j’ai marché en ligne droite. » Il part et s’éloigne déjà. En suivant les traces de leur père, les enfants font une découverte surprenante : « Il allait en tout sens. Il ne faisait parfois que tourner en rond. Qu’est-ce qui arrive donc à notre père ? »
Après un bon moment, quand il arrive à la glace Meminteieu voit l’Indien qui se tient au beau milieu, en train de faire un trou. Il s’assoit sur son traîneau. Il ne s’approche pas de lui. Les fils de Meminteiu s’écrient, en cheminant: « Oh ! notre père !... Il est transi de froid, nous a-t-il dit ! » Or, dans son habit de peau de loutre, l’indien étincelait au soleil. Il brillait, il était lumineux. « C’est ka iaianuet », dit quelqu’un. « Ca ne peut être que lui ! Pour sûr, nous allons être tués. Il aurait été préférable d’avoir montré de la bravoure. Dans le futur, nous aurions pu avoir une occasion de le tuer. C’est ce qu’avait pensé l’aîné. »
Ils arrivent en tirant leur traîneau. « Regardez-moi-le ! Il meurt de froid a dit notre père. Il est rayonnant de lumière ! » Le vieux s’adresse à ses enfants : « N’y touchez pas ! Ce n’est plus le même. C’est un autre ! » L’indien saisit son pic. Il dit à Meminteieu : « Ils se font du souci à ton égard. Ne va pas les voir. »
L’Indien se rend, lui, où ils sont. Il dit : « Je ne vais pas à ma cabane. C’est très loin. Les castors vont se diriger vers la chute. A la première chute, là où l’eau écume. Nous ne pourrons pas les tuer à cet endroit. La glace est très épaisse à la première chute. J’y suis allé. Il élargit le trou qu’il avait fait dans la glace. « Tu élargis le trou ? »--« Je veux l’arrondir. Comment les castors pourraient-ils essayer de sortir par un trou si étroit ? » « Nous allons clôturer notre cabane tout autour avec des rondins ou des petits pieux, après avoir bloqué les castors ici. Et veuillez ne pas marcher sur la glace pour ne pas laisser de traces. »
L’Indien fait pivoter son pic. Il le fait virevolter. « Je laisse le trou ainsi. Il est déjà assez large comme ça », pense-t-il. Puis il s’adresse aux enfants : « Pourquoi sont-ils assis ceux qui veulent chasser le castor ? En remontant la rivière, il y a des rondins que j’ai coupés. Il y en a suffisamment, je pense. S’il n’y en pas assez, ils iront en chercher d’autres. » « Il veut faire en sorte qu’il n’y en ait pas assez, pour faire traîner le tout en longueur », pense l’aîné. L’indien dit au vieux : « S’ils n’en ont pas assez, ils iront en chercher d’autres ». Le vieux lui répond : « Nous n’en aurons pas assez. » L’Indien reprend : « Voyez-vous, c’est loin. Je n’en ai pas coupé beaucoup. C’est glacé là-bas. J’aurais glissé. Je me suis contenté de les déposer sur la glace. Ils n’ont à apporter ni leurs raquettes ni leurs arcs. Je n’ai vu les traces d’aucun animal, ni rien qui indique leur présence. » « Oui, » répond le vieux. Puis il leur crie : « Allez chercher des rondins, vous dit celui qui est notre repas. N’apportez ni vos arcs ni vos raquettes ! J’y suis déjà allé, dit-il. Et puis, s’il n’y en pas assez, ils iront en chercher d’autres, vous dit-il. » « Oui », lui répondent-ils.
L’aîné n’aime pas cela. « Enfoncez vos arcs dans la neige ! » ordonne son père. Là où se trouvait l’Indien, les enfants de Meminteiu enfoncent dans la neige leurs arcs et leurs flèches. Puis ils partent. Ils remontent le courant sur la glace. Ils décident de marcher séparément. « On va penser que nous nous aimons. » L’aîné a grand peur. Ils continuent quand même à remonter le cours d’eau.
Quand il pense que ses enfants sont partis, Meminteiu met à nu son épaule gauche. Sur cette épaule étaient tatoués les Indiens qu’il avait mangés. L’Indien lui demande : « Qu’est-ce qui est représenté sur ton épaule ? » Il lui répond : « Sont représentés là tes congénères que j’ai mangés. C’est là que toi aussi tu figureras. » Après avoir mis l’indien en colère, Meminteieu est presque poignardé par lui. Ka iaianuet parvint finalement à le déjouer, et il le frappa entre les deux épaules. A coup de pieds, il le poussa au bord du trou. Meminteieu eut quand même la force de crier : « Je suis blessé par celui qui est notre repas ! » Et de loin, on entend l’aîné : « C’est ce que j’avais dit à notre père ! »
Ils reviennent à la course. « Allez-y », ordonne l’aîné. Il brandit, lui, une grosse branche d’arbre écorcée. C’est celui-là que l’Indien avait raté d’abord quand il les transperça tous. La banche d’arbre surélevée, il s’adresse à ses frères : « De chaque côté vous irez l’attaquer ! C’est ici que j’ai enfoncé dans la neige, quand j’étais assis, mon arc et mes flèches. Emparez-vous-en! Quand vous les aurez repris, dirigez-vous vers lui ! »
Pendant ce temps, l’Indien frappe de nouveau Meminteieu, et le glisse en dessous de la glace, par le trou qu’il avait fait. Pendant que les fils de Meminteiu se lamentent, il saisit son arc. C’est là, tout près, qu’il l’avait caché dans la neige. Ils s’avancent de chaque côté. Il est attaqué des deux côtés à la fois. Il lance une flèche à celui qui s’avançait tout droit sur lui, et le frappe en pleine poitrine. Il en tue un autre, celui qui l’attaquait de flanc. Il les tue tous. Il ne restait plus que le benjamin et l’aîné. Il part à leur recherche.
L’aîné s’avance tranquillement. L’Indien lui lance une flèche, qu’il intercepte avec son bâton. L’Indien lui dit : « Jette ton arme ! » L’autre lui rétorque : « Que nous serait-il arrivé si nous avions combattu à armes égales ? » L’Indien lui répond : « La même chose nous serait arrivée si nous avions combattu à armes égales, car c’est parce que vous avez déjà été tués que je l’emporte sur vous. Jette ton arme ! » Il la jette, mais est quand même blessé à mort par une flèche.
Le benjamin était grimpé dans un arbre. L’Indien se rend jusqu’à lui. « Qui est-ce que je vois là, le chouchou de la famille ? » Celui-ci répond : « Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’as rendu heureux en les tuant ! Les as-tu vraiment tous tués ? »---« Oui ». Il reprend : « Que tu m’as rendu heureux en les tuant ! Quand je voyais un indien, et quand je pensais d’en faire un ami, il le tuait ». ---« Oui, je te crois. » Mais l’Indien lui dit ensuite : « On rapporte que tu as fait la même chose. Je t’ai gardé en dernier lieu pour qu’ils ne te pleurent pas. » Il le transperça de sa flèche, et il bondit par-dessus la branche.
Ka iaianuet, car c’était bien lui, s’en retourna, et alla chasser le castor. Mais les femmes arrivent à la surface glacée. Elles parlent entre elles : « Ah ! Notre père qui est laissé seul ! Mais comment donc ne sont-ils pas ici les autres ? Il meurt de froid, nous avait-il dit. » Elles aperçoivent l’Indien près de la cabane de castor. Il étincelle de lumière au soleil. « Et les autres qui ne sont pas ici, où peuvent-ils bien être ? » La sorcière arrive à la rivière glacée.
L’Indien avait eu le temps d’en disséquer un. Il refusait de croire ce qu’il avait entendu, qu’ils avaient le cœur poilu. Après avoir examiné son cœur, que découvre-t-il ? Il était poilu.
La femme atsen (atseniskueu) approche. Elle s’informe de chacun de ses enfants, et il lui indique dans le détail, à quel endroit ils ont été tués. Elle s’exclame : « Mais il a raison ! » Elle saisit sa hache et fonce sur lui. L’Indien dit à son beau-père : « Kahis, tue ta grand-mère. Mais non, tu ne pourras jamais la tuer parce que tu n’en as pas la force. » Kahiss lui lance une flèche, qu’elle fait dévier avec sa hache. Son gendre lui dit : « Tasse-toi, pépère, elle va tenter de te tuer ! » Il se sauve près de son gendre. Celui-ci ne regarde même pas la sorcière. Quand elle veut le frapper avec sa hache, il l’attrape d’une seule main. Il la saisit par le chignon, et lui coupe le cou. Elle tombe morte.
Il prend son arc, et se dirige vers les autres femmes. Kahis était déjà sorti de sa cachette. Il s’avance jusqu’à elles et leur dit : « Tenez-vous debout près de la grève, celles qui n’ont pas mangé de chair humaine. Et celles qui ont mangé de la chair humaine, mettez-vous à part ! » Elles se placèrent alors en deux groupes distincts. Mais voici qu’une des cannibales vient se placer avec celles qui ne mangeaient pas de chair humaine. Toutes lui crient ensemble : « Va-t-en ! Tu ne fais pas partie de notre groupe ! Il est difficile d’être envoyé à la tuerie ! » L’Indien les transperce toutes de ses flèches, ces femmes anthropophages.
Après les avoir tuées, il s’en retourne. Les femmes qui ne mangeaient pas de chair humaine étaient toujours là, debout, où il les avait rangées. Il leur dit : « Que faites-vous là ? Pourquoi ne pas aller rejoindre celui qui travaille là-bas, qui est en train de monter sa tente. Regrettez-vous celles que j’ai tuées ? Si vous les regrettez, je vais vous tuer. » Les femmes s’y dirigent à toute vitesse. Elles sont reçues à bras ouverts. L’Indien dit alors à son beau-père : « Ne sois pas jaloux de cet homme ! Tu as assez de femmes comme cela ! » Il lui répond : « Ne dis pas de bêtises ! C’est vous qui devriez être traités ainsi, vous qui êtes encore vigoureux ! »
Il va à la grève en disant : « Vous chercherez à trouver, à votre tour, pourquoi il ne fait pas beau. Je donnerai un signe après avoir tué. » Il monte sur une dune dénudée. Il dispose des branches, verse de l’huile de phoque, et allume. Le vent tombe. Il attise le feu. On aperçoit d’en bas la fumée. « Il nous a déjà tués ! », crie quelqu’un. L’Indien jette dans le feu les petits enfants au cœur poilu, ceux qu’allaitait une femme. Il les brûla tous, vivants.
Puis il dit, en réfléchissant à la façon dont il avait tué Meminteieu. « Je ne l’ai pas tué de la bonne façon. Il va refaire surface plus tard. Si je l’avais tué sur le sec, le feu l’aurait totalement consumé. Il doit déjà faire ce qu’il faisait. Il continuera à se comporter comme il se comportait. »
(légende racontée par Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René Lapointe omi, 16 octobre, 2014)
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( Les coureurs des bois ont autrefois hiverné avec les indiens et ont raconté des légendes à leur tour. En voici la preuve.)
MISTUKUSHIU-ATANUKAN
de Natashquan
(légende d’origine blanche)
KA
UPMESHUMIT
(Celle qui a une anguille, ou Cendrillon)
« La femme de ce blanc était morte. Il vivait seul avec sa fille. Avec le temps, elle grandit. Puis vint le jour où il se maria de nouveau. Il épousa une autre femme. C’était un cultivateur. Il ne faisait que semer dans son jardin. Voilà ce qu’il faisait toujours : il jetait des semences dans la terre.
Sa femme eut bientôt deux filles qui grandirent vite. Il n’en finissait plus de labourer et de biner. Il semait des patates et toutes sortes d’autres légumes. Lorsqu’il alla à la pêche, accompagné de sa première fille, il attrapa une anguille. Il dit alors à sa fille : « Rapporte-la à la maison ! Ta tante va la faire cuire ! » Comme elle retournait à la maison avec son anguille dans la main, elle aperçoit sa défunte mère qui lui dit : « Remets-la à l’eau ! Bientôt tu seras maltraitée. C’est ta tante qui va te maltraiter. Tu auras beaucoup de difficulté à faire ce qu’elle te commandera. C’est moi qui agirai ainsi. »
Elle remit alors l’anguille à l’eau. L’anguille se défile après avoir été relâchée. Elle s’en retourne alors à la maison. Quand elle voit la fille de son mari arriver, la nouvelle épouse dit : « Je vais certainement pouvoir manger de l’anguille ! » Mais, hélas, il n’y a pas d’anguille. Elle interroge la fille : « Qu’est-ce que tu as fait à l’anguille ? Tu n’étais donc pas là quand on t’a demandé de rapporter une anguille ? » Elle lui répond : « Je lui ai rendu la liberté. » « Pourquoi l’as-tu relâchée, » lui demande-t-elle ? » « Pour rien, » lui répond-elle. Elle était très fâchée, mais elle ne l’a pas frappée.
Le mari continue encore à travailler aux champs et à voir à son jardin. Sa deuxième femme avait déjà commencé à maltraiter sa belle-fille. Ses deux filles lavent le linge. La fille du premier lit le lave aussi. On lui donne à laver le linge le plus sale. Les deux autres ne lavent que les vêtements qui sont encore propres, blancs et beaux. On fait de nouveau le lavage, et on ne lui donne à laver que le linge le plus sale.
C’est alors qu’ils reçoivent la visite de quelqu’un qui lisait dans les cœurs. Il dit à la mère : « Ne te rends-tu pas compte que celle-ci ne lave que du linge archi sale et que le linge que les autres lavent est propre et encore blanc ? » « C’est vrai », dit-elle. Il ajoute : « Celle qui lave le linge sale est très belle, et les autres sont très laides. L’une a le nez crochu ou busqué, et l’autre a un nez en trompette ou en pied de marmite. C’est la pure vérité. » Puis il s’en va. Quand ses filles reviennent à la maison, elle leur demande : « Pourquoi êtes-vous faites ainsi ? Vous êtes très laides, et l’autre est très belle. » Elles lui répondent : « Quelqu’un est venu nous rendre visite. Qui est-ce que ça peut bien être ? Nous ne le connaissons pas. » La mère reprend : « Il a dit que ce qu’elle lavait était très sale, et que ce que vous laviez était propre et blanc. » « C’est tout à fait ça. Elle va s’en apercevoir bientôt, » disent-elles.
Le père rentre après son travail. Elle l’interroge : « A quoi peuvent bien ressembler tes autres filles ? Ta première fille est très belle. Un charismatique est venu nous voir. C’est ce qu’il nous a dit. Il nous en a parlé. » L’homme ne répond que par un signe de tête. Mais la belle-mère n’en maltraita que plus sa belle-fille. Elle la fouettait quand elle avait omis de faire quelque chose.
Le dimanche, on va à la messe. La mégère va à la messe, elle aussi, le dimanche. Elle dit à son souffre-douleur : « Tu devras faire tout ce que je te demande de faire. Si tu ne le fais pas, je te battrai à mon retour. » Elle verse dans des chaudrons du riz et des baies, en lui disant : « Si tu ne fais pas cuire cela, je vais te frapper. Tu devras les faire cuire à part. Ce que je te donne, tu devras le faire cuire à part. Si tu ne le fais pas, en revenant de la messe, je te rosserai avec un bâton. » Puis elle s’en va.
Comment pourrait-elle faire ce qui lui a été commandé ? C’est long et fatiguant. Une fois la tante sortie, sa mère lui apparaît : « Quel est ton problème ? » Elle lui répond : « C’est très difficile ce qu’elle m’a commandé de faire. Et elle m’a menacée de me frapper à son retour si je ne le faisais pas. » Sa mère lui dit : « Va prier à l’église ! Tu t’assoiras sur le banc d’en arrière. Quand on sera sur le point de sortir, tu sortiras la première. » « D’accord », lui répond-elle. Sa mère reprend : « Je me charge de ton travail. C’est moi qui ferai cuire la nourriture à ta place. »
Elle va donc à l’église. Elle s’assit en arrière. Quand vient le moment de sortir, elle sort la première. Quand la mère revient, elle voit ce que l’anguille avait fait. Elle avait tout fait bouillir, et les avait fait cuire dans des casseroles différentes. La fille revient de l’église. Sa belle-mère lui demande : « Tu es allée à la messe ? » « Oui, j’y suis allée, » lui répond-elle. « Tu as tout fait cuire ? »---« Oui j’ai tout fait cuire ». Elle n’a pas pu la battre. Alors, on mangea.
Le dimanche suivant, elle fit la même chose. Elle lui donna des mets difficiles à préparer, en lui disant : « Si tu ne fais pas cuire cela, je vais te frapper ! Ne retourne plus à l’église ! » Elle sort ensuite et s’en va prier à l’église. La fille va voir sa mère : « Elle m’a encore donné du travail à faire ! Il est difficile de faire cuire ce qu’elle m’a ordonné de préparer ! » Elle entre chez sa fille. Elle fait cuire à part les mets dans deux plats différents, et dit à sa fille : « Va prier à l’église ! Et fais comme la dernière fois. Assis-toi à l’arrière de l’église ! » Elle s’assoit donc dans le banc d’en arrière. Un peu avant la fin de la messe, elle sort. Quand elle revient, sa mère avait mené à bien la cuisson des mets. La tante revient à son tour de la messe. Elle lui demande : « As-tu fini de préparer le repas ? » « Oui, lui répond-elle, tout est prêt. » Elle n’a pas pu la battre.
Elle avait un cheval cette fille. Un pur sang. Un prince (qui l’avait remarquée à l’église) la désirait. « J’arriverai bien à l’épouser un jour ! » se dit-il. Un autre dimanche arriva. Elle aussi était en amour. Mais sa tante la traita comme les autres fois. Elle lui présenta des recettes difficiles à réussir. Tous les mets devaient être cuits à part. Elle lui dit en partant : « Si tu ne fais pas ceci, je te frapperai à coup de bâtons. Je t’interdis de retourner à l’église ! » Son amant ne l’avait pas encore abordée. Sa mère lui dit : « Assis-toi à l’arrière de l’église. Tu te tiendras à la porte de sortie. Il y a un jeune homme qui veut d’épouser. Ne te laisse pas attraper par lui ! »
Le jeune homme la surveille pour la voir sortir. Avant la fin de la messe, elle sort en courant. Le jeune homme ne s’en est pas aperçu. Il l’a perdue de vue. Quand elle revient à la maison, elle constate que tout avait été cuit, que les différents mets avaient été cuits dans des chaudrons différents. La marâtre arrive à son tour. Elle savait que quelqu’un cherchait à l’épouser. Elle dit à la fille : « Tu es allée à la messe encore ? As-tu fini de préparer le repas ? » « Oui, lui répond-elle, tout est prêt. » Elle examine ses chaudrons. Tout était cuit à point, à la perfection. Elle n’a pas pu la battre.
On arriva de nouveau à un autre dimanche. Le jeune homme voulait vraiment en profiter pour mettre le grappin sur elle. Sa tante lui impose de nouveau toute une corvée. Elle lui dit en partant : « Ne retourne pas à l’église ! Et termine ton travail ! » Elle va à la rencontre de son anguille qui lui dit : « Va-s-y ! Assis-toi au tout dernier banc ! Il a vraiment décidé de t’attraper ! » Elle part à cheval. Il est magnifique son cheval ! Ils entrent presque en même temps elle et le jeune homme. Ils se tiennent debout tous les deux. Le jeune homme est sorti presque au même moment qu’elle. Elle monte en scelle et part au grand gallot. Le jeune homme qui la suivait de près parvient à mettre la main sur un de ses souliers. Il le lui arrache. Après l’avoir regardée longtemps s’éloigner, il la perd de vue. Mais il garde précieusement un de ses souliers.
Quand elle revient à la maison, sa tante lui demande : « Le repas est-il prêt ? » « Oui, répond-elle. Tout est cuit à point. » Lui promène de ville en ville son soulier à la recherche de l’autre. Il l’amène dans toutes les maisons, va d’un village à l’autre. Il ne trouve pas celle à qui appartient le soulier. Le voilà soudain arrivé dans la maison de Cendrillon. Il demande : « Y a-t-il ici quelqu’un à qui appartient ce soulier ? » Le maître de maison répond : « Oui, elle est dans sa chambre. » On lui essaie le soulier. Il n’entre pas. Elle se coupe alors les orteils. Le soulier finit par entrer vaille que vaille, tant bien que mal. Le prince lui demande : « Le soulier te fait-il ? Oui ? C’est donc le sien. Demain, nous nous marierons. » Il n’a pas pu coucher avec sa future avant le mariage.
Le lendemain, l’heure des épousailles a sonné. On s’habille somptueusement. Elle recouvre sa tête d’un voile pour qu’on ne puisse pas lui voir le visage. On arrive à pas de cheval. C’est lui le roi qui amène sa bru en carrosse. C’est un carrosse plaqué d’or. Le jeune homme est assis dans le carrosse. Il ne peut pas la voir. Il lui met un collier et des bracelets en pierres précieuses. Il a grande envie de lui voir le visage. Il débarque et entre dans l’église. Il veut en entrant la regarder de près, mais il ne le peut pas. Enfin, il soulève le voile. Mais quelle est donc ce laideron au nez en trompette ? Il lui dit : « Ce n’est pas ton soulier ! » Il l’arrache en lui disant : « Retourne chez toi ! » Le mariage n’a pas lieu.
La mère des deux filles lui dit : « C’est là que demeure celle à qui appartient le soulier. » L’autre fille apporte son soulier. Il dit : « Ce n’est pas à elle qu’appartient le soulier ! Elle est d’une laideur repoussante ! » Le père lui dit : « C’est dans le grenier que se trouve la propriétaire du soulier. Elle est là, enfermée, emprisonnée.» Il lui ouvre la porte, et lui demande : « C’est bien ton soulier ? » « Oui, c’est mon soulier que tu m’as enlevé. » Elle le met. Il lui va comme un gant. Il lui dit alors : « Demain, nous nous marierons. » Elle lui répond : « J’accepte. Je consens au mariage. Ma tante ne cesse de me maltraiter. Je suis contente de pouvoir me marier avec toi. »
On lui enlève ses vêtements pour la rhabiller ensuite. On apporte tout ce qui est nécessaire pour qu’elle ait l’allure d’une princesse. Demain aura lieu le mariage. Le prince confirme : « Demain, nous nous marions ! » « D’accord », dit-elle. Le lendemain matin, on vient la chercher en carriole. Le prince arrive tout endimanché. Son anguille était venue la voir et lui avait dit : « Vous allez faire aujourd’hui un festin. Vous allez vous marier au milieu de la journée. Le banquet suivra peu après. Quand tu lèveras ton verre, ne commets par la gaffe de m’oublier ! Tu diras : je te remercie mon anguille ! Avant de boire, tu te lèveras pour m’offrir un toast. Si jamais tu m’oublies, d’autres déboires t’attendent ! »
Elle épousa son prince. Après le mariage, on sort de l’église. La table était déjà mise, les mets étaient déjà servis. On se met donc à table. Il n’y a que les nobles qui étaient invités à la table du marié. Il était le dauphin, et l’héritier légitime. Au début du festin, on se lève pour offrir des toasts en l’honneur des mariés et du roi. La princesse ne pense pas à remercier son anguille. Elle l’oublie complètement.
Dès la première année elle a un enfant, une fille. Quand sa fille fut en âge de marcher, elle donna naissance à un autre enfant. C’est alors qu’elle perdit sa fille. Il lui dit : « Qu’est-ce qui s’est passé que tu perdes ainsi ta fille ? » Il la cherche longtemps sans la trouver. Il va d’une ville à l’autre à sa recherche. Mais il ne la trouve pas. Elle perdit encore son autre enfant, un garçon, quand il commençait à grandir, quand il était sur le point de pouvoir marcher. Elle avait perdu ses deux enfants. Elle dit à son mari : « J’en ai perdu un autre. » Il lui demande : « Comment peux-tu perdre ainsi tes enfants ? » Elle lui répond : « Je n’en sais rien. C’est comme s’ils disparaissaient. »
Il cherche de nouveau un peu partout son enfant. Il va dans toutes les villes, mais sans le trouver. Après les avoir cherchés partout, il conclut qu’ils sont définitivement perdus. Il est le dernier de tous à retourner à la maison. Il dit à sa femme : « Tu vas subir le supplice de la pendaison pour avoir perdu tes deux enfants. Quand je reviendrai, tu seras guillotinée. Qu’est-ce que tu leur as fait ? Tu les as tués ou tu les as perdus ? » « Je les ai perdus », dit-elle. Il ferme la porte, il la barre à clef pour qu’on ne puisse en sortir. Il part de nouveau à la recherche de ses enfants.
La malheureuse mère reçoit la visite de son anguille. Elle lui rapporte ses enfants qui avaient grandi entre temps. Elle lui dit : « Voici tes enfants. Ne t’avais-je pas dit que tu souffrirais si tu m’oubliais ? Pour célébrer les retrouvailles de tes enfants, tu feras un banquet de nouveau. » En revenant à cheval, il entend des cris d’enfant à travers la porte. Il se dit : « Est-il possible que ce soit mes enfants ? » Il entre et trouve ses deux enfants bien vivants. Il les couvre de baisers. Puis il demande à sa femme : « D’où viennent-ils ? » Elle lui répond : « C’est mon anguille qui les a apportés. » Puis elle raconte à son mari comment elle avait fait la cuisine à sa place, et comment elle lui avait enlevé ses enfants. Puis elle ajoute : « Elle te dit d’organiser un grand festin en l’honneur de tes enfants qui te sont redonnés ! » « Je le ferai », dit-il.
On prépare un festin. Les meilleurs cuisiniers sont à l’œuvre. Tous les nobles avaient été invités. Chacun prend sa place. Dans l’escalier, elle est là l’anguille, sur une marche, enroulée sur elle-même. Alors, tous soulèvent leurs verres, se lèvent et prennent une gorgée. La princesse se lève alors en soulevant son verre et dit : « Je te remercie mon anguille ! » Sur la marche de l’escalier, on voit alors se lever debout une femme. Sa robe était toute noire. Elle monte l’escalier d’un seul bond. »
(Légende racontée par
Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René
Lapointe omi au mois de novembre 2014))
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MISTUKUSHIU
ATANUKAN
LEGENDE MONTAGNAISE
(provenant des blancs)
de
Pukuassipit
KA MIKUAKUSSIT
(l’homme au casque rouge)
« Il est vieux ce vieux. Sa femme aussi est vieille. Elle est très vieille. Son fils aussi est vieux. Il n’a qu’un seul chien, mais il est vieux. Il n’a qu’un seul cheval aussi, mais il est vieux lui aussi. Il est vieux ce blanc (mistukushu), très vieux. Et il marche en s’appuyant sur une canne. Sa femme est aussi très vieille. Elle voit à peine. Son fils unique est également très vieux. Mais il ne fait pas de folies. Même si ça lui arrive une fois ou l’autre. Son chien et son cheval sont également vieux. C’est ainsi que l’histoire commence.
Il arriva un jour qu’il eut faim. Qu’aurait-il pu manger, puisqu’il n’y avait rien à manger. Le vieux va pêcher à la grève. Il ne tua qu’un petit poisson, ou peut-être deux. Ils restèrent sur leur faim, lui et sa femme. Puis, il rêva dans son sommeil. Il entend une voix qui lui dit : « Tu iras pêcher tôt demain matin. Tu attraperas tout de suite un poisson. Ce sera un gros poisson. Tu l’apporteras dans ta maison. Tu le placeras sur ta table, et tu l’étriperas. » Quelqu’un lui avait parlé. C’était une voix d’homme. C’était peut-être un de ses amis ou son grand-père. Il lui avait dit : « Tu mettras de côté les intestins du poisson. Puis, tu feras cuire ton poisson, et tu en donneras à manger à ta femme, à ton fils, à ton chien et à ton cheval. La tête du poisson sera pour toi. Tu les nourriras à parts égales. Ta femme d’abord, puis ton fils, puis ton chien et ton cheval. Quand vous l’aurez mangé au complet, tu attacheras les tripes du poisson à une corde. Tu connais, certes, cet endroit où on fait pousser des choses, qu’on appelle un jardin ou un potager. Ce lieu clôturé où poussent des légumes. » Il en avait un de semblable, mais rien n’y poussait. Il était grand, combien de mètres pouvait-il bien mesurer ? Il lui avait donc dit : « Après avoir mangé, tu attacheras tes tripes de poisson à une corde, puis tu les sortiras de la maison. »
Il avait déjà mangé. C’était le matin. Il lui avait dit aussi : « Tu promèneras dans ton potager ta semence de nourriture. » Il promène donc ses tripes de poisson en les traînant avec une corde. Il les promène dans le centre et tout autour. Quand il a fini un côté, il entame l’autre. Et quand il va de nouveau à la pêche, il tue deux gros poissons. Au bout de trois nuits, il va voir son potager. Les légumes sortaient déjà de terre. Il avait semé toutes sortes de choses, des patates, des oignons, et du blé. Il avait semé, en fait de légumes, tout ce qui se mange. Au bout de trois autres nuits, sa femme était enceinte. Sa chienne aussi était enceinte, et sa jument aussi. Au bout de trois autres nuits, il va voir son potager. Les légumes avaient tous poussé. Au bout d’encore trois autres nuits, il découvrit, en allant les voir, que ses légumes étaient mûrs. Même là où il avait à peine traîné ses tripes de poisson, la croissance était merveilleuse. Son épouse était grosse, ainsi que sa chienne, et sa jument. Au bout d’encore trois autres nuits, les blés avaient poussé. C’est alors que la vieille mit au monde deux garçons. Sa chienne aussi, ainsi que sa jument, deux chiots et deux poulains. Au bout d’encore trois nuits, ses enfants marchaient. Les chiots avaient grandi ainsi que les poulains. Après trois autres nuits, les enfants avaient encore grandi. Ils étaient grands et forts. Les chiots étaient devenus des chiens adultes, et les poulains des étalons. Il récolte ensuite ses légumes et tout ce qu’il avait semé avec son poisson. Parmi les choses qui étaient sorties de la terre, il y avait même du porc. Des carottes évidemment. Il mit le tout dans des sacs. Les légumes continuaient toujours à pousser. Il en avait en abondance. On donna au plus âgé des enfants un cheval. Les jumeaux devenus des hommes en reçurent aussi. Les chiens étaient assez forts pour tirer des traîneaux chargés. Ils étaient tous devenus des adultes.
Les jumeaux dirent : « Allons faire la cour aux filles de la ville, et nous mêler à la foule ! Allons-y! » Le plus vieux des fils accourt avec son cheval, et leur dit : « Je vais vous accompagner mes petits frères ! » Le plus vieux des frères c’est celui qu’on appelle ka mikuakussit. Ils lui répondent : « Retourne sur tes pas ! Tu vas nous ralentir. Et puis, tu es d’un sans-gêne inconvenant ! » Il leur dit : « Je vais me contenter de vous suivre et de vous regarder de loin ! » « Comme tu voudras ! » Les deux jeunes sautent sur leurs chevaux qui sont encore jeunes. Ka mikuakussit se sert d’un cheval qui a de l’âge, mais il peut encore trotter. Il peut même aller vite occasionnellement. Ka mikuakussit observe de loin ses frères qui sont allés courtiser les filles. Il est le plus âgé, et c’est donc à lui de surveiller ses petits frères. Au bout de quelques heures, on revient à la maison. Les jumeaux s’en retournent. Ils dorment à la maison le vieux, la vieille et les enfants. Le vieux, lui, met le grain dans des silos, et le foin dans la grange. Son entrepôt de légumes est si bien fourni qu’il ressemble à un magasin.
Le lendemain matin, ka mikuakussit s’habille. Les jumeaux, eux, s’endimanchent. On part de nouveau. Les jumeaux montent à cheval, ainsi que ka mikuakussit. Il dit à ses jeunes frères : « Je vais vous accompagner, mes frères ! » Ils lui répondent : « Ne viens pas avec nous, car tu manges comme un goulu ! Tu ne sais plus quand t’arrêter ! » « Vous me donnerez un coup de pied quand vous arrêterez de manger ! » Quand ils auraient fini de manger, ils lui donneraient un coup de pied pour qu’il comprenne que c’est le temps d’arrêter. On commence à manger. Chacun des garçons s’assoit auprès d’une des filles. A quelque distance de la table, est assise celle qui sert de chaperon. Elle est la mère de ces filles, et elle les surveille. Ka mikuakussit, lui, est assis à l’écart. Il ne peut pas manger. On mange avec la fourchette de la viande de bœuf. C’est le dimanche, en effet, et on mange mieux qu’en semaine. Au début du repas, juste comme on commençait à manger, un chat se promena en dessous de la table. Il se mit à toucher avec ses pattes les pieds de ka mikuakussit. Il se redressa alors subitement. L’hôte lui dit alors : « Tu arrêtes bien trop tôt ! Mange ! » Il répond : « J’ai assez mangé. » Il lui redit : « Mais mange donc ! » Il lui répond encore : « J’en ai assez ! » L’hôtesse dit : « Tu nous caches quelque chose ! » Il avait entendu que c’était le temps de se coucher. Voilà pourquoi il avait arrêté de manger. Les filles dormaient dans leurs chambres à elles. Et les garçons dans d’autres chambres.
Il pense : « Je vais voler ! » On met la vaisselle dans l’armoire, le pain dans la huche à pain, et les pâtés à viande dans la laiterie. A dix-heures et demi, le vieux incite tout le monde à aller se coucher. Il dit : « Il est dix-heures et demi. Allez vous coucher pour pouvoir vous lever tôt demain ! » Il avait un garçon lui aussi ce vieux, et il lui donna une chambre. Donc, après avoir conté fleurette à leurs blondes, ils vont se coucher dans d’autres chambres. Ils les laissent pour la nuit; ils ne couchent pas avec elles. Les trois frères doivent se coucher dans la même chambre. Les filles, elles, dorment dans d’autres chambres, chacune ayant sa propre chambre. On dort pendant la nuit. C’est alors que se leva ka mikuakussit. Il sort et écoute pour voir si on ronfle en dormant. Il va dans chaque chambre pour voir si on dort profondément. Ses frères ne se sont pas rendu compte de son départ. Il veut dérober de la nourriture. Il fouille avec la main. Il prend ensuite un cruchon de confiture à moitié empli. Il tenait dans une main une lampe à l’huile quand il saisit le cruchon. La lampe ne donnait qu’une faible lueur; elle était à demi éteinte. Il voit dans l’armoire la confiture, et en eut grande envie. Il y avait tout près une cuiller. Mais il ne s’en servit pas. Il se sert de ses doigts. C’est avec ses doigts qu’il retire de la confiture du pot. Il mange donc de la confiture notre ka mikuakussit. Il dit : « Je vais promener mes doigts tout autour à l’intérieur ! » Il avait tout pourléché; il ne restait de confiture qu’au fond. Il ne pouvait pas l’atteindre avec ses doigts. Il y plongea alors toute sa main. Il essaya de la retirer, et il le put. Il mange ensuite une patate.
Il avait presque dévoré toute la confiture. Mais il en restait encore un peu. Il se dit : « Mes frères n’ont peut-être pas assez mangé ! » Il la leur apporte dans leur chambre, mais il entre par mégarde dans celle des filles. Il n’a pas reconnu ses frères en entrant. Il soulève la couverte et dit : « Avez-vous mangé assez de confiture ? Je vous en apporte. Tu vas en manger ? » Il entend un pet qu’il prend pour un oui. Puis il en entend un autre. Il dit : « Ne souffle pas, ce n’est pas chaud ! » Il est allé au fond de son cruchon. Il le lèche. Puis, il enfonce sa main au fond et ne peut plus la retirer. Elle demeure coincée. Il essaie de la sortir, mais en vain. Puis, il sort de la chambre. Il entre maintenant dans ce qui est la chambre de ses frères endormis. Il leur dit : « Mes frères, j’ai la main coincée dans le bocal. » Un de ses frères dit : « Qu’est-ce qu’il a bien pu faire ? Il a du voler ! » Il répond : « J’avais encore faim. »
La fille se rendit compte de quelque chose. Elle dit : « J’ai fait caca en dormant ! » Sa mère lui dit : « Va te laver dans le baril ! » Elle sort pour prendre un bain. Ka mikuakussit, lui, était dans la chambre de ses frères. Un des deux lui dit : « Je vais me rhabiller, parce que tu as volé ! » Il n’avait pourtant pas fait un si grand mal. Il dit à ses deux frères : « Que vais-je faire pour libérer ma main ? » Il lui répond : « Va t’en dehors, et frappe-la sur n’importe quoi ! » Il sort donc pendant que la fille était en train de se laver. C’est sur ce baril qu’il frappe, mais le bocal résiste. Il voit une roche au loin et frappe sur elle. Il a enfin réussi. Le bocal vole en éclats, et sa main est dégagée. Pendant ce temps, ses frères filent à l’anglaise. La fille cria quand elle entendit le bruit, et perdit ensuite connaissance dans le baril. C’est là qu’elle gisait le matin quand on l’aperçut. L’autre fille avait fait la grasse matinée, et s’était levée tardivement. Elle cherche sa sœur, et la découvre enfin dans le baril. On se rend ensuite dans la chambre des garçons. Ils étaient déjà partis à cheval. Ils revinrent à leur maison et y demeurèrent.
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Le vieux reçut un jour la visite d’un étranger, parce qu’il possède de grands biens. Il parla d’abord de chose et d’autre. Puis, il dit : « Le roi veut marier sa fille ! » Il y a une grande ville là-bas à une bonne distance. L’envoyé du roi dit aux trois enfants : « Le roi veut marier sa fille ! Celui qui pourra réduire au silence la princesse par les réponses qu’il donnera à ses trois questions, c’est celui-là qu’elle épousera. » Les frères répondent : « Soit ! Nous allons aller tenter notre chance ! » Tous sont invités : les princes, les nobles, les soldats, les marchands. Ils viennent en foule. Le lendemain matin, l’envoyé du roi part et revient au château vers l’heure du midi. Il avait dit : demain après-midi. On se met sur son trente-six. Ka mikuakussit, quel besoin a-t-il de s’attifer ? Son veston est usé jusqu’à la corde, et ses pantalons sont en lambeaux. Et le casque dont il se sert est rouge.
Les habits des jumeaux n’ont pas un pli ni une tache. Leurs cols et leurs manches sont empesés; leurs souliers cirés et luisants. Ils disent à leur père : « Voici le moment de partir ! » Il lui répond : « Allez ! Partez ! Revenez tout de suite si la chance ne vous sourit pas. Mais si vous remportez le prix, revenez quand même me voir ! » Ils partent donc. Le grand frère les rattrape et leur dit : « Mes frères, je vais vous accompagner ! » Ils lui répondent : « Jamais de la vie ! Tu sens mauvais ! » Il leur dit : « Je vais vous regarder de loin. Je vais vous observer depuis cet endroit. Je n’irai pas plus loin. » Ils lui dirent : « Fais à ta tête ! » Puis, ils lui dirent : « Accompagne-nous, puis, tu nous regarderas de loin ! » A leur arrivée, les frères voient une foule de prétendants. Tous ces jeunes hommes se tiennent debout en ligne. Les chevaux sont conduits dans des écuries. Leurs trois chevaux à eux attachés ailleurs.
La princesse pose des questions aux soupirants sous forme d’énigme. Elle interroge d’abord les princes et les nobles. Ils échouèrent tous. Elle interrogea ensuite les marchands. Ils échouèrent lamentablement eux aussi. Elle était assise sur une estrade. Puis, tous ceux qui étaient debout en ligne firent piètre figure. Après le départ de la princesse, quelqu’un monta sur l’estrade et dit : « Aux chaleurs torrides de l’été, la princesse se promène entre ces clôtures. Vous pourrez l’approchez à son aller ou à son retour. » Or, après le repas, les hommes d’affaire se soumirent à ses questions. Ils étaient nombreux. Puis ensuite tous ceux qui étaient bien habillés. Puis, les gens du peuple. Tous ratèrent le coche. Ka mikualussit les regarde un certain temps, puis les quitte en leur disant : « Je vais aller vous regarder de loin, car il y a là beaucoup de poules. » Les poules vont à sa rencontre. Il tord le cou à l’une, et elle pond un œuf. Il met ensuite cet œuf dans son casque. Puis l’envie lui prit de faire caca. Il dit à ses frères : « J’ai envie de faire caca. Où irai-je ? » Ils lui répondent : « Comment pourrais-tu faire caca sur la pelouse d’un parc rempli de fleurs ? » Il leur demande de plus belle : « Où ferai-je donc caca ? » Ils lui répondent : « Dans ton casque ! » Il fait donc caca dans son casque. Il prend du foin pour s’essuyer. Et il entre ce foin dans son casque. Puis il dit à ses frères : « Je vais vous regarder d’ici parler à la princesse ! » Ils parlent à la princesse, mais reviennent la tête basse. Tous avaient échoué.
Le grand-frère dit alors à ses jeunes frères : « Je vais aller la voir, moi ! » Ils lui répondent : « Mais, va-s-y donc ! » Il se dirige vers elle. Il va la rencontrer quand elle arrivera au bout de son parcours. Il attend qu’elle tourne sur elle-même pour repartir d’où elle était venue. C’est alors qu’il l’aborde. Il la regarde, et s’approchant de plus près, il l’observe fixement, et lui dit : « Tu es vraiment une belle fille ! » Elle lui répond : « Oui, je suis une belle fille, car j’ai le corps en feu ! » Il lui dit : « Fais cuire d’avance un œuf ! » Elle dit : « Comment ? » Il lui donne alors un œuf. Puis le foin avec lequel il s’était essuyé. Elle lui demande : « Où est la merde ? » Il répond : « La voici. » Il a parlé trois fois. C’est lui qui gagne. C’est lui qui épousera la princesse. La princesse l’accepta alors, et le présenta à son père. Elle entre et dit : « J’ai trouvé qui j’épouserai. » Il répond : « Qui est-ce ? Fais-le entrer ! » Il se tient tout croche, une épaule plus haute que l’autre, et ses habits sont d’une saleté dégoutante. Il est le dernier venu, et n’a pas un sou qui l’adore. Le roi le répudie. Sa fille lui dit : « C’est toi qui as dit que celui qui parlera trois fois épousera ta fille. » Il ne peut pas rétracter sa parole. « C’est vrai, tu as raison. »
Tous retournèrent dans leurs maisons respectives. Les deux jumeaux retournèrent aussi. Tous répétaient la nouvelle en chemin : « La princesse a trouvé son époux. » Les jumeaux revinrent seuls, sans leur grand-frère. Le père leur dit alors : « Qu’avez-vous fait de votre grand frère ? » Ils répondent : « Il épouse la princesse. Il lui a répliqué trois fois. »
Or, le roi ne veut pas de lui pour gendre. Il l’a pris en grippe. Puis il dit à un de ses serviteurs : « Préparez un grand bateau. Rafistolez-le, puis mettez-le à l’eau. » Ce bateau est destiné à Ka mikuakussit. On bouche les trous et on le répare. Toute la partie du bateau qui est dans l’eu est recouverte de goudron. C’est un bateau sans voile et sans mât. On fait embarquer ka mikuakussit et sa femme dans le bateau. Il s’assoit dans la cabine du capitaine. Puis on largue les amarres, et le bateau est emporté par le courant vers le large. Ils avaient le vent dans le dos, et le bateau filait donc à bonne vitesse. Ils n’avaient rien monté à bord. Seule sa femme avait emporté un peu de la nourriture que sa mère lui avait donnée. Il en mangea un peu. Le courant les emportait au loin. Quand ils perdirent complètement la terre de vue, ils pensèrent qu’ils allaient mourir. Puis, il dit à sa femme : « Prends-en un peu, ma mère m’a donné de la bouillie » Elle en mangea, mais cette bouillie lui resta sur l’estomac. Lui mange ce que sa mère lui avait donné à manger. Son plat est grand, et il est comble. Il en mange de la bouillie jusqu’au point d’assouvir sa faim. Il tambourine ensuite sur elle. Il frappe sur elle à plusieurs reprises avec sa cuiller. Puis il dit à sa femme : « Ma mère m’a donné cette bouillie à manger. Nous la mangerons. » Il pense : « C’est ma mère elle-même qui me l’a donnée. »
Puis, il se met à chanter continuellement. Sa femme l’entend et lui crie. Elle était couchée sur le pont. Puis, sa tête apparut dans un hublot. Il était dans la cave. Voilà pourquoi il ne l’a pas entendu quand elle lui criait. Il a perçu sa voix la troisième fois qu’elle l’a appelé. Il s’appelait Johny (san). Il lui dit : « Que veux-tu ? » Elle lui demande : « Que manges-tu ? » Il lui répond : « Je mange de la bouillie que m’a donnée ma mère. » Elle avait crié longtemps et l’avait finalement rejoint dans la cale du bateau. Il lui dit : « La terre est disparue. Nous ne la voyons plus. Nous devons déjà être en eau profonde. » Elle l’écoute parler, et elle constate aussi qu’il mange constamment de la bouillie; et que quand le plat est vide, il se remplit encore. Elle lui crie de nouveau : « Johny, viens, approche ! » Puis, il lui dit : « Pourquoi cries-tu ? » Elle lui répond : « Je veux te dire quelque chose. Aurais-tu le pouvoir d’embellir notre bateau ? De lui donner des mats et toutes sortes de belles choses ? Pourras-tu faire cela seulement en y pensant ? » Il lui dit : « Je ne le pourrai pas. » Mais, le lendemain, il prend sa femme en pitié et lui dit : « Je vais essayer. Reste assise ici, et ne me regarde pas ! » Il frappe encore avec sa cuiller sur sa bouillie. Puis il reste assis un certain temps. Il se lève debout et se met à chanter. Il chante un bon moment, et demande que son bateau soit embelli, tout en frappant sur sa bouillie. Alors le bateau est transformé. Il ressemble à un bateau de croisière. Mais il n’a pas encore de mats. Il va à la proue et émet le désir qu’apparaissent des mats, et les gréements. Le mat pousse soudain du plancher avec ses cordages. Puis bientôt les voiles apparaissent aussi. Ils voient alors voler au-dessus du bateau des cormorans. C’est finalement un bateau à trois mats. Puis apparaît un gouvernail en forme de roue. Il crie alors à sa femme : « Meni ! Tu peux maintenant te lever. Regarde ce que notre bateau est devenu ! » Elle se lève et regarde. Elle dit : « Il est splendide, en effet ! » Elle voie les mâts, les cordages et les voiles, puis elle dit : « Tu es vraiment en possession d’un pouvoir ! » Puis il dit : « Descends dans la cale ! »
Il recommence alors à manger de sa bouillie. Il chante en se servant de sa cuiller. Il complète l’équipement de son navire. Trois cormorans volent au-dessus. Il a même obtenu un drapeau aux couleurs rouge, blanche et noire. Il le hisse. Il se tient maintenant dans la cabine du capitaine devant son gouvernail. Toutes les voiles sont posées, et sont toutes gonflées par le vent. La cabine du capitaine est plaquée d’or et d’argent. Il appelle de nouveau sa femme : « Meni ! » Elle répond tout de suite à l’appel. Elle examine tout : les voiles, le gouvernail et même la boussole, et la sonde. Il lui dit ensuite : « Prends les tableaux que tu accrocheras, et va au premier étage ! » Pendant ce temps, il chante. Voici ce qu’il dit : « Je serai capable de faire ceci ou cela. Comme je l’étais quand je me suis levé ! » Quand il eut chanté, apparurent des lits, une table, des bancs, des chaises et de la vaisselle.
Il alla alors rejoindre sa femme et lui dit : « Va au premier étage ! Où mettrons-nous le cap ? » Elle lui répond : « Là où demeure mon père, c’est là que nous irons ! » Puis elle a autre chose à lui demander : « J’aimerais que tu sois habillé comme l’est mon père. Que tu sois revêtu comme un grand seigneur ! » Il lui dit : « Retourne au premier étage ! » Il ouvre son magasin. Et le voilà habillé comme un prince. Ses habits sont noirs. Il appelle ensuite sa femme. Quel est donc cet homme qui se tient debout comme un grand seigneur ? Nul autre que son mari. Elle l’embrasse et l’étreint. Elle ressent pour la première fois de l’affection pour lui. Il lui demande : « Ou nous dirigerons-nous ? » Elle lui répond : « Là où se trouve mon père ! » « D’accord ! » dit-il. Il met alors le cap sur le pays de son père, et ne dévie pas d’un pouce. Il vogue pendant un jour et une nuit. Il fait déjà clair, le soleil se lève. Le roi regarde avec ses longues vues le bateau approcher. « C’est un bateau splendide ! » dit-on. Il abaisse ses voiles et jette les amarres. Après avoir jeté ses amarres à l’eau, il descend au premier étage où se trouvait sa femme. Ils prennent un dernier repas ensemble. Il sort de la salle à manger et va à sa cabine de capitaine. Il consulte son atlas, et met par écrit sa position.
Le roi dit à ses
serviteurs : « Allez le voir ! Quel est donc celui qui me dame
le pion ? Qui cherche à me surpasser ? » Son bateau était
une vraie splendeur ! Il avait bien une allure seigneuriale le
bateau du roi, mais ce bateau-là était d’une beauté
incomparable ! Le roi répète : « Allez vous renseigner !
Quel est cet énergumène qui l’emporte sur moi dans mon royaume ?
» On part donc en canot vers le bateau ancré au large.
Le roi n’envoie que deux de ses serviteurs. Ils se
parlent entre eux. La femme était debout près de la
passerelle. Ka mikuakussit était encore devant son
gouvernail. Ils abordent le navire et grimpent par l’échelle.
Puis, ils retournent immédiatement au quai. Le roi leur dit :
« Qui est cet homme ? » Ils lui répondent : « Nul autre que ton
gendre ! » On va alors le chercher. Les serviteurs lui
disent : « Le roi t’appelle ! » Ils sont là tous les
deux, debout. Ka mikuakussit dit à son épouse : «
Tu veux accoster ? » « Oui », répond-elle. Ils
se dirigent donc en canot vers le quai. Le gendre entre
dans le palais de son beau-père, qui lui donne une chaude poignée
de main. La fille salue aussi son père. Le roi lui
demande : « Où êtes-vous allés chercher ce bateau ? » Elle
lui répond : « Nulle part ! Mon mari possède un pouvoir
magique (kakatsiu). » Les habits du gendre sont en soie et en
velours. La fille continue : « C’est lui qui a tout fait
apparaître, ainsi que notre bateau qui est si magnifique. » «
Très bien, très bien », dit le roi.
Le roi dit à son gendre : « Tu vas aller écouler de la marchandise dans les ports étrangers. Tu embarqueras tout ce que je te donnerai : des légumes, de la farine, du beurre et de la graisse de porc. Il embarque tous ces aliments d’abord, puis il monte à bord des habits, des tissus, des pantalons, et les souliers que portent les blancs. Son bateau est plein, il ne peut pas être plus plein. Il a mis un jour pour tout embarquer. Il devait être prêt à partir pour le lendemain matin. Et comme de fait, le lendemain, il appareille. Il est seul. Il n’est accompagné que de sa femme. Dans quelle direction pouvait-il bien être allé ? Il ne navigua pas longtemps. Il aperçoit soudain une grande ville. Il abaisse ses voiles et jette l’ancre. Il y avait beaucoup de monde sur le quai. Il se dirige en canot vers la grève. Sa femme reste dans le bateau. Il accoste et monte sur le quai. Il demande à un blanc : « Que fait ici tout ce monde ? » Il répond : « On contemple le traitement infligé à un endetté insolvable. » On le supplicie avec des aiguilles. On en enfonce partout sur tout son corps. Sur ses jambes, sur ses pieds. Partout. Tout cela parce qu’il était criblé de dettes, et qu’il était incapable de rembourser. Voilà pourquoi, lui explique-ton, on lui enfonce des aiguilles dans le corps. On entend le malheureux crier : « Non, je ne pourrai jamais te rembourser ! »
Ka mikuakussit dit alors : « Je vais, moi, payer ses dettes ! » Il prend dans son bateau tout ce qui lui tombe sous la main, puis il demande : « A quel montant s’élèvent ses dettes ? » Chaque piastre qu’il déboursera lui permettra d’enlever une aiguille. Dix aiguilles pour dix piastres; vingt aiguilles pour vingt piastres. Il a finalement donné autant de piastres que le supplicié avait d’aiguilles enfoncées dans le corps. Il essaya ensuite de compter les aiguilles, mais il s’est vite lassé, car elles étaient tellement nombreuses. Deux cent ? Trois cent ? Il est parvenu, en tout cas, à enlever toutes les aiguilles. Mais l’homme n’en pouvait plus, et il mourut. Il coulait encore du sang de ses blessures. Mais il revint à la vie, et reparut non sous la forme d’un homme mais d’un renard. Il ressemblait à un renard jaune, et était de grande taille. Puis ka mikuakussit débarqua toute sa marchandise, et la vendit pour de l’argent. A la fin, il dit : « Le blanc devra dire combien il reste encore d’aiguilles à enlever. » Il dit : « Prenez ma marchandise ! Je paye vos dettes ! » Il leur donne donc de la marchandise qu’ils pourront échanger contre de l’argent. C’est ainsi qu’il put enlever les aiguilles de tous les endettés insolvables. Puis, il retourna vers son beau-père, qui lui fit un bon accueil.
Il demanda de nouveau de la nourriture à vendre dans les ports étrangers, et le roi lui en redonna. Il embarqua de nouveau lui-même toute la marchandise, sans oublier l’argent. Le prince ka mikuakussit avait énormément d’argent. Puis, il appareilla. Il y avait un serviteur qui couchait dans la cale, et qui faisant semblant de dormir. Puis il monte au premier étage. Ka mikuakussit lui dit : « Tiens le gouvernail ! » Il va ensuite au premier étage, fait chauffer son thé et le sucre. Puis il s’enferme dans sa chambre. Le serviteur qui était au gouvernail crie subitement : « Johny! » Il sortit alors de sa chambre. « Qu’est-ce qui se passe ? » L’autre lui répond : « Un animal est en train de ronger le gouvernail. Il est gros. Il le ronge avec ses dents ! » C’était un mensonge. Il cherchait à le tuer. Ka mikuakussit alla voir, mais il ne vit rien. Il se pencha alors. L’autre en profita pour le saisir par les pieds et le jeter par-dessus bord. Ka mikuakussit refit surface pas très loin du bateau. Le bateau était quand même trop éloigné; il n’appela pas au secours. Il ne voyait rien dans les hautes vagues. Il nagea tant qu’il put. Puis, vint la fatigue. Il s’endort et est emporté par le courant. Puis, quand il était en haute mer, le renard jaune lui cria : « Johny ! Johny ! Comment vas-tu ? » « Quelqu’un m’a jeté à l’eau ! » Il lui répond : « C’est vrai. Quelqu’un t’a jeté à l’eau. »
Or celui qui avait jeté ka mikuakussit à l’eau inventa toute une histoire. Il dit à la femme : « Il est tombé dans l’eau. Il s’est penché un peu trop pour regarder, et est tombé à l’eau. » La femme en éprouva un grand chagrin. Elle pleura. Elle veut se jeter à l’eau. Le serviteur la retient. Il voulait épouser la femme de ka mikuakussit. Il parvint à la faire entrer dans la cale. Puis il lui dit : « Reste ici ! Où irons-nous ? » Elle répond : « Chez mon père ! » C’est là qu’ils débarquèrent.
Ka mikuakussit demanda au renard : « Qui es-tu ? » Il lui répond : « Je suis un renard, un grand renard, le renard jaune. » Il lui demande : « D’où viens-tu ? » Il répond : « D’où pourrais-je bien venir, sinon de l’endroit où tu as remboursé mes dettes. J’étais cousu de dettes et transpercé d’aiguilles. C’est à mon tour à te conduire à la rive ! » Il lui demande : « Où m’assoirai-je ? » Il lui répond : « Sur ma queue ! » Il le tient par la queue avec ses deux mains. Il lui dit encore : « Ne regarde pas en arrière ! Garde cette position jusqu’au bout, et je vais te conduire jusqu’à la grève. » Dans le temps de le dire, il a les deux pieds sur le sable de la grève. Juste sur le terrain du palais de son beau-père.
Il s’est échoué sur le sable de la grève. Le renard lui dit : « Quelqu’un est amoureux de ton épouse. Demain, il l’épousera. Il y aura des noces. Aujourd’hui, tu iras chercher du travail auprès du roi. S’il s’intéresse à ta demande, et s’il te demande quelles sont tes qualifications, tu répondras que ce sont celles d’un cuisinier. S’il veut plus de précisions, tu lui diras que tu sais faire rôtir des animaux à la broche. Demain, il va faire une chaleur torride. Toutes les fenêtres du palais seront ouvertes. La fenêtre de la princesse sera ouverte elle aussi. Dans la cuisine tu siffleras ton air. Voici ce que tu chanteras en sifflant. Tu siffleras de tous tes poumons. Il fera très chaud. La princesse va t’entendre par sa fenêtre. » Il met au doigt sa bague de mariage. Elle porte le nom de la princesse et le sien : Meni et Johnny. Johny, c’est son nom. Le renard lui dit encore : « Tu t’envelopperas la main. Elle va regarder. Et tes doigts, tu les enrouleras autour d’un foulard. Continue à faire la cuisine et à rôtir des animaux à la broche. Le serviteur qu’elle t’enverra va te dire : la princesse insiste pour que ce soit toi qui lui apportes son repas. Tu lui répondras : « Comment cela se peut-il puisque je suis sale et couvert de poux. Tu introduiras du sel dans ton pansement, et tu diras : voilà mes poux. » C’est ainsi que lui a parlé son renard, dont il avait payé les dettes.
Il va vers le palais. Il rencontre un serviteur qui lui demande d’où il vient. Il lui répond : « Je viens de là. Je cherche du travail. Dis-le au roi. » « Très bien. » Il va trouver le roi et lui dit : « Un homme cherche du travail. » Le roi lui répond : « Quel travail est-il capable de faire ? » Il revient voir ka mikuakussit et lui demande : « Quel travail es-tu capable de faire ? » « Tu diras à ton patron que je sais faire rôtir des animaux à la broche. » C’est de cette façon qu’il travaillera à la cuisine. Il fera rôtir des animaux à la broche. Des cuisses de caribou, de mouton, et d’autres. Il pense : « Il m’a dit qu’il fera très chaud. Ils ouvriront tous leurs fenêtres. » En effet, vers l’heure du midi, toutes les fenêtres sont grandes ouvertes. Son veston et ses pantalons sont sales. Il enroule alors avec un linge son anneau de mariage. Sa femme l’entend siffler par la fenêtre. « Ce ne peut être que lui ! » Elle l’écoute siffler un air. Elle se dit : « Mon époux est revenu ! »
Puis elle envoie en commission un serviteur. Elle lui dit : « Tu diras au cuisinier qu’il apporte mon repas. » Il dit donc à ka mikuakussit : « La princesse te dit de lui apporter son repas toi-même. » Sa barbe était hirsute. Il ne s’était pas encore rasé. Le serviteur répète : « C’est toi qui dois le lui apporter. Elle a dit : qu’il l’apporte lui-même ! » Sur le refus de ka mikuakusset, le serviteur apporte le repas de la princesse. Elle dit au serviteur : « Retourne, et dis-lui qu’il faut que ce soit lui qui l’apporte. » Il dit au serviteur : « Je n’arrive pas à me décider à le lui apporter. J’ai mal au doigt. Et surtout, je suis mangé par les poux. Comment pourrais-je lui apporter son repas ? » « Le renard m’avait dit qu’elle me demanderait, » pense-t-il. Tout se passe exactement comme il l’avait dit. Il avait dit aussi : « Tu envelopperas ton doigt. » En dépit de tout cela, il accepte finalement de lui apporter son repas. « D’accord, je vais le lui apporter. » Il le lui apporte. Elle lui dit : « Apporte-le à ma chaise ! » La princesse était assise à sa table. « Apporte-le ! » Il répond : « Je suis tout crotté. » Elle répète : « Apporte ! Place-le sur la table ! » Il le dépose alors sur la table. Puis, elle lui dit : « Qu’as-tu à ton doigt, pour l’avoir ainsi enveloppé ? » Il répond : « Je me suis brûlé le doigt en faisant rôtir. J’ai une brûlure au troisième degré. » Elle lui dit : « Je vais lui mettre le meilleur des baumes. » Il lui dit : « Prends garde ! Je suis sale ! Tu ne pourras pas me toucher tellement je suis dégoutant. Je ne te le permets pas. Comment pourrais-tu me soigner, alors que tes doigts sont si beaux ? Non, je ne le permettrai jamais ! » Elle lui dit : « Tu seras donc toujours souffrant ainsi ? »
Elle déroule le linge,
pendant qu’il fait semblant de se lamenter. Elle
regarde la main et ne voit aucune brûlure. Elle lui demande :
« Où est la plaie ? Ta main n’a donc pas été brûlée ? »
Il lui dit : « N’approche pas. Je suis sale. »
La princesse veut examiner la main de près. Il fait semblant
de s’y opposer. Mais à la fin la princesse voit la
bague de mariage sur le doigt de son mari. Leurs deux
noms étaient écrits en toutes lettres : Meni et Johny.
Elle regarde attentivement et voit son propre nom. Alors, elle
appela son père : « Mon père, le voilà mon mari qui était
prétendument tombé à l’eau. Il est sain et sauf ! »
Il lui répond : « Arrête de déconner ! Il est tombé à l’eau
en pleine mer ! » Elle lui dit : « Je l’ai vraiment
retrouvé ! » « C’est ma bague de mariage ! »
Le roi lui-même reconnait la bague de mariage. Il dit : «
C’est vraiment lui ! On va lui enlever ces vêtements de
gueux.
Et vous allez le décrasser ! » On lui donne un
bon bain.
Le roi lui demande ensuite : « Comment as-tu pu t’en tirer ? » Il lui répond : « Celui dont j’ai payé les dettes, c’est celui-là qui m’a rescapé. C’est lui qui m’a ramené sur le rivage. » On l’habille ensuite comme un prince. Il va ensuite voir sa femme, et lui raconte ce qui s’est passé. Le roi dit : « Demain, je vais faire un banquet auquel tous seront tous invités. » Il raconte au roi comment il a été jeté à l’eau. « Il m’a jeté à l’eau, en me prenant pas les jambes. Je suis tombé alors en eau profonde. » Le roi fait un banquet pour mettre la main sur celui qui a jeté à l’eau son gendre. Tous sont invités sans exception, les nobles, les marchands, les soldats, tous. On s’attable alors pour commencer le repas. La table regorgeait de mets appétissants. Le roi était assis à la porte. La princesse et son mari étaient assis dans une chambre. Après le repas, on fuma le cigare. L’heure était venue des récits et des légendes. Quelqu’un dit : « Racontez tous, à tour de rôle, vos aventures maritimes. Voilà quels sont les récits que vous choisirez. » On entendit beaucoup de récits. Il parla, lui, en dernier, celui qui avait jeté à l’eau kamikuakussit. « J’ai entendu un bruit dans l’eau. Un requin me dévisageait. Il mordait de toutes ses dents le gouvernail. Je le regardais de près. Puis, j’ai appelé ka mikuakussit. Il arrive, regarde, se penche tellement qu’il tombe à l’eau. Était-il sobre ou était-il en boisson ? De toute façon, il est tombé. » Le roi frappa alors du pied sur la porte. C’était le signal convenu. Ka mikuakussit se tenait debout près de la porte de la chambre.
Le roi se lève et dit : « Quel menteur éhonté ! » Puis, s’adressant à son gendre et à sa fille, il dit : « Vous pouvez sortir maintenant ! » Ka mikuakussit sort de la chambre avec son épouse, bras dessus bras dessous. Tous les invités sont témoins de cette scène. Alors on le reconnaît. C’est vraiment l’homme au casque rouge. Celui qui l’avait jeté par-dessus bord est bouche bée. Il ne peut prononcer un mot. Alors on l’arrêta pour meurtre. Le roi lui dit : « C’est lui qui témoigne contre toi, qui affirme que tu l’as jeté à l’eau. » Mais il ne veut pas plaider coupable. Il dit : « Ce n’est pas moi ! » Il se prosterne par terre devant le roi pour implorer sa pitié en disant : « Ce n’est pas moi ! » Il fut alors condamné à être pendu. Tous les invités furent témoins de sa pendaison. C’est tout ce que j’en sais. C’est la fin de l’histoire. »
(Légende montagnaise
racontée par Pierre Peters de Saint-Augustin, Pakuassipit, et
traduite par René Lapointe omi au mois de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
LE CARCAJOU LE
GRAND
(meshekuekuatseu)
« Son récit commence ainsi. Il était toujours seul. Il n’avait pour compagnons que ses frères les loups. Eux aussi étaient sans femmes. Quand il marchait, il allait à la recherche des femmes. C’était le seul gibier qu’il chassait.
Mais un bon jour, il découvrit où se trouvaient les femmes. De l’autre côté d’un fleuve. Il les observa de loin, et il hurla. Après s’être fait un pont, il put rejoindre ces femmes. Il trouva enfin les femmes qu’il cherchait. C’est à partir de là que l’on existe, que l’indien a crû. Puis, il retourna.
Après être arrivé, il entre et dit : « Je suis bien tombé. J’ai vu les traces de Tsheshai. » Il se couche en entrant et s’endort. Les loups s’interrogent : « Pourquoi notre grand frère s’est-il endormi ? Depuis le temps qu’il ne pouvait dormir ! Il a du trouver une femme notre grand-frère ! » « Oui, dit un autre, il a du trouver une femme hier. Comment faire pour s’en assurer ? Sentons son machin. Il dort profondément. » C’est son pénis qu’on va sonder. Un loup s’adresse à l’oie : « C’est à toi à le faire ! » Elle le sent, après l’avoir dégagé : « Oui, il sent la femme ! » Le loup réplique : « Comment peux-tu connaître les femmes, toi, oie ? Comment donc ? » « Je les connais, car ce sont elles qui me plument, » dit l’oie. « Tu mens », répond le loup. La fourmi bondit alors jusqu’au carcajou. « Oui, il sent la femme ! » « Comment peux-tu les connaître, toi, fourmi ? » lui demande un loup. « Quand elles cueillent les fruits sauvages ! » On prêta foi à la fourmi.
Le loup parle à l’oie et à la fourmi : « Il ne faut pas le réveiller. Il faudra retarder notre grand-frère. » Ils cachent ses souliers dans un sac plein de sang. Le matin, ils disent aux fourmis : « Il faudra le ralentir dans sa marche. » Les loups vont remonter les traces du carcajou. « Vous retarderez notre grand-frère. Ne lui dites pas où ses souliers ont été cachés, » leur ordonnent-ils en partant.
Quand le carcajou se lève le matin, il découvre que ses frères les loups ne sont plus là. Le mot d’ordre avait été donné de le retarder. Il part à son tour. Il venait tout juste de partir, et voici que l’oie casse un lacet de sa raquette. Le carcajou s’arrête pour le réparer. Il le répare une autre fois. C’est autour de la fourmi à casser ses lacets. « Mon grand-père, j’ai cassé mon lacet ! » Il arrête pour le réparer. Et voilà-t-il pas que l’oie demande de l’aide à son tour. « C’est ce qu’on a du leur dire de faire, » gémit-il. Il avait cherché longtemps ses souliers en se levant. A la fin, il s’en prend à ses petits-fils : « Vous savez tout, vous avez tout vu ! On vous avait dit de ne rien dire ! Je vais vous planter là, et je vais vous tuer ! » Alors la peur les prend : « Je les ai entendus, mon grand-père. Je n’étais pas encore levé. Ils ont dit : dans le sang » Il part alors à la recherche de ses souliers. Ils sont d’une saleté repoussante. Il les tord, les nettoie, et les met, ainsi que ses bas. L’oie qui avait cassé deux fois son lacet, il la projette au loin dans un marais. « C’est là que tu demeureras ! » Et la fourmi qui cherchait encore à le retarder en cassant son lacet, il l’envoie dans une savane après lui avoir affiné la taille. « C’est là que tu seras, dans la savane ! »
Il poursuit son chemin jusqu’à ce qu’il rejoigne son pont. Il avait été démoli, certainement par ses frères. Il jette dans l’eau de la neige, de la terre, des branches et des arbres, et parvient à refaire son pont. Il traverse. Quand il arrive de l’autre côté, ses frères dirent : « Notre grand-frère est arrivé ici sain et sauf. Nous allons le conduire à la vieille ! » Il entre et est repoussé dans un coin là où se trouve la vieille, loin donc de sa blonde. On répète une autre fois la même opération. Le carcajou n’est pas content. Il regrette son amante.
Après avoir joué ce vilain tour à leur grand frère, ils ne parviennent plus à abattre aucun gibier, toutes les fois qu’ils vont à la chasse. Ils sont affamés. Et lui, il regorge de nourriture. Sur son garde-manger en forme d’échafaudage (sheshepetan) est déposée toute sorte de nourriture. Il avait tué, entre autres, du porc-épic et du caribou, mais il refusait de les nourrir et les laissait crever de faim. Finalement, ils se dirent : « Donnons à notre grand frère sa première femme, celle qu’il aime, la femelle vison ». On la lui rendit donc. « Tu iras chez ta blonde ! Tu mettras à la porte la vieille ! »
Il arrive en marchant. Dans son sac, il y avait un porc-épic. Quand il sut qu’on la lui rendait, il se débarrassa de son sac. Sans prendre le temps de se déneiger, il entre en sautant dans la tente. Et c’est l’étreinte amoureuse. A partir de ce moment, ils sont nourris par leur grand-frère et mangent à satiété. Il leur dit : « Allez chercher de la nourriture. Dorénavant, vous en trouverez vous aussi ! »
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Le grand carcajou se déplace à l’aide de ses frères les loups qui tirent son traîneau. Et voici qu’il sent la présence de Uannanuieu. « Notre grand frère a peur de Uannanuieu », disent les loups. Uennanuieu était la terreur de tous les animaux. Mais le grand carcajou exterminait tous les méchants.
Le vison partira en reconnaissance, après avoir vu ses traces. Il s’en va à sa recherche. Il se rend vite compte de sa présence. Son odorat le conduit jusqu’à ses traces. Quelle odeur fétide ! Il se coule à l’intérieur des creux formés par ses pattes, tellement il est petit. Puis il en sort furtivement, marche de côté, et se dissimule de nouveau dans ces sortes d’ornières. C’est ainsi qu’il avance, d’une trace à l’autre. Mais Uennanuieu se rend compte de sa présence. « Pour sûr, quelqu’un me poursuit! » Le vison fait alors marche arrière. Il revient sur ses pas. C’est dans une savane qu’il avait marché. Uennanuieu, en suivant les traces du vison, se dirige là où il s’en est allé à la course. Il se dit en lui-même : « Voilà pourquoi je ne l’ai pas vu venir, quand je marchais en droite ligne. » Les traces du vison menaient à un sentier tracé par des traîneaux.
Le vison revient. Il avait vu les traces de Uennanueieu. Il dit au carcajou : « Ton flair a vraiment détecté sa présence ! » Le matin, très tôt, ils partent en tirant leurs traîneaux. Il commençait à faire jour. Là où ils se dirigent, il y avait un lac. Le carcajou dit à ses frères : « Il y avait ici un lac. L’avez-vous déjà vu ? Il est encavé entre des montagnes. C’est là que nous descendrons avec nos traîneaux. » Le carcajou fit alors une tente tremblante, y fit entrer Uennanuieu, et le transperça.
En suivant les pistes des étrangers, Uennanuieu parvint à l’endroit où les loups et le carcajou avaient campé. Ils étaient déjà partis. Il y avait deux tentes. Une grande que plusieurs avaient habitée. Et une autre petite où le grand carcajou avait officié en tant que sorcier. Uennanuieu voit la tente tremblante et dit : « Je jurerais l’avoir déjà vue ! » Il l’examine fixement. C’est là que, hier, on l’avait fait entrer. C’est là qu’il avait été tué. Il se dirige vers la plus grande d’abord. En projetant sur elle son urine, il la soulève dans les airs…. Puis il se rend à la petite tente. Il projette sur elle son urine. Il s’y prend à deux fois, sans pouvoir même la faire bouger.
Il se rend compte ensuite qu’on faisait du feu dans la tente. Là se trouvaient encore les vieilles. « Quand il fera jour, nous partirons en tirant nos traîneaux. On nous aura déjà déneigé les branches des arbres. » Elles partent avec leurs raquettes. Le carcajou et tous les siens étaient partis depuis longtemps. Uennanuieu suit les traces des traîneaux en marchant, et rejoint enfin une vieille. Il lui parle sans qu’elle le regarde. « Qu’est-ce qui se passe grand-mère ? Pourquoi ce départ précipité ? Pourquoi voyager de nuit ? » Elle lui répond : « C’est à cause du carcajou qui a peur de Uennanuieu. Voilà pourquoi on voyage de nuit. » Il leur dit : « Comment est-il possible que le grand carcajou l’emporte sur moi ? Uannanuieu lui est supérieur en tout. » Pendant qu’elle le regarde, il la renverse par terre en projetant sur elle son urine. Et il dit : « Regarde-moi, grand-mère ! Est-ce que c’est à cela que ressemble mon visage ? » L’autre vieille l’a entendu parler. Elle déchire la toile du traîneau pour s’en envelopper. Elle s’étend de tout son long dans un fossé, et se couvre avec des branches sèches. Il suit ses traces. « Oh que vois-je ? Une autre vieille qui est devenue un tas de branches sèches ! » Il la foule aux pieds, et broie tous ses os.
Après avoir massacré les vieilles, il s’en va. Et voici qu’il arrive au lac gelé. Le carcajou avait dit à ses frères : « Vous ferez un seul trou, là même où vous aboutirez quand vous descendrez. » C’est là que le carcajou chasse le castor dans sa cabane, là même ou Uannanunieu débouchera en descendant. Celui-ci arrive au lac gelé. Il regarde de l’autre côté du lac. Il ne voit pas encore le chasseur de castor. C’était une ruse du carcajou. Il ne voulait pas être vu d’avance. Uannanuieu descend en glissant. Encore un peu et le voilà arrivé. Il arrive tout près d’un trou creusé dans la glace. Le grand carcajou lui dit : « Attention ! Tu es train de jeter de la neige dans mon trou ! » Uannanuieu s’écarte alors et s’éloigne. Le grand carcajou lui dit : « Tasse-toi, et raconte-moi une histoire ! » Alors, il se mit à lui raconter une histoire.
Vint le moment où il se préparait à lancer son urine. Le grand carcajou qui ne le perdait pas de vue, le vit se mettre en position de projeter son urine. Il se dit : « Je vais donner le signal quand je l’aurai bloqué. Avec ma patte, je donnerai le signal convenu. Voilà qu’il va lancer son urine ! » Il saute sur lui, et ferme le robinet, après avoir mordu sa vessie. C’est alors qu’il donna le signal de l’attaque à ses amis. Ils arrivent en trombe, le percent avec leurs flèches, et l’assomment à coup de bâtons. Le carcajou dit : « Il respire encore. Continuez à frapper ! » Ils le rabattent par terre. Il git là, étendu, sans mouvement. « Vous allez le réduire en petits morceaux. Pas plus gros que ça. Il ne faut pas faire de gros morceaux ! Ensuite, vous les lancerez dans toutes les directions ! » Ils lancent donc un peu partout les parcelles de la chair de Uennanuieu. C’est de là que proviennent les petits oiseaux et les petits animaux.
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Le carcajou dit à ses frères : « Je vais me rendre au rivage de la mer. Restez ici. Je vais revenir vous voir. Dans deux nuits, je reviendrai. Deux nuits sont pour lui comme deux années. Il recouvre sa tête avec une guenille, et leur dit : « Vous m’entendrez quand j’arriverai au rivage. » Après un certain temps, ils entendent le bruit qu’il fait en arrivant. Un loup dit : « Il est arrivé à la grève notre grand frère ! » Il saute sur les hautes vagues. Il s’en va au large, là où l’eau est profonde, en plein milieu de l’océan. C’est alors qu’il décoiffe sa tête. Il réduit en charpie la toile qui la recouvrait. « Comme je flotte au large paisiblement ! » Il lance dans toutes les directions sa toile mise en pièces. « Elles vont prendre vie ! L’indien du futur s’en nourrira ! » Il se lava la bouche et se la rinça. Voilà pourquoi l’eau de mer est salée. C’est de cette façon qu’il la sala. Car sa bouche avait été infectée par l’urine de Uannanuieu. Voilà pourquoi il se dirigea vers l’océan.
Puis il se coucha. Il demeura longtemps étendu. A l’automne, il s’est tourné sur l’autre côté. Au milieu de l’hiver, il se retourne encore. Il rêva à ses frères les loups. Il se tourna de côté encore au milieu de l’été. C’est alors qu’il se souvint d’eux. « Avec qui peuvent-il bien vivre ! » Puis, il se sent envahi par la tristesse, et il part à leur recherche.
Il arriva à un endroit où, l’été dernier, on avait dressé des tentes, une grande à deux portes, et une autre beaucoup plus petite. Il part de nouveau à leur recherche en suivant leurs traces. Alors il se rend compte qu’à l’automne, on avait marché ici en tirant des traîneaux. Soudain, il aperçoit des tentes. Près de l’une, il y a un garde-manger en forme d’échafaud (sheshepetan), et dans l’autre il n’y a même pas de fumée. Il dit : « A n’en pas douter, mes frères vivent en compagnie d’un atsen. J’en avais eu la prémonition ! »
Le voilà arrivé. « Voici qu’est arrivé notre beau-frère ! Nous allons manger ! » Il leur répond : « C’est moi qu’on devrait nourrir, moi qui suis un étranger ! » Ils répliquèrent ; « Comment pourrions-nous te donner à manger ? Nous sommes affamés. Tes frères vivent en compagnie d’un atsen. Il ne nous donne à manger que des poumons et des foies. Tu vas t’en rendre compte par toi-même quand ils reviendront. S’ils ont tué un caribou, ils ne nous jetteront que des os et des poumons. » Le grand carcajou leur dit : « Allez, emparez-vous de sa nourriture ! » Ils lui répondent : « Mais les petits atsen sont là ! »
Atsen est accompagné de sa femme. Il chasse le caribou en lui tendant un collet. Après l’avoir pris au collet, il le tue et le mange. Il le place sur son traîneau et le ramène à sa tente. Il sera le seul à en manger. Pendant ce temps, le grand carcajou se dirige vers les petits atsen. Quand il entre, ils lèvent un bâton pour le frapper. Il leur dit : « Arrêtez ! Vous voulez me frapper, moi, un visiteur ? » Il leur tord les bras et leur brûle les doigts dans le feu. Après les avoir ainsi traités, il s’empare de leur nourriture. Il leur demande : « Qu’est-ce que ton père a enveloppé là ? » Ils lui répondent: « Unainamun, nua mushitauanema unipinatikumenua ». Il fait un choix, et prend une part de leur nourriture. Il coupe en deux la corde. Les enfants se plaignent : « Il gaspille la corde de notre père ! » « Il sera bien capable de s’en refaire une autre », leur répond-il. Il leur tord de nouveau les bras et leur brûle les doigts dans le feu. Il prend la graisse de caribou, et la partage en deux. Puis il s’en va. Il avait fait cuire de la nourriture pour ses frères. En revenant à la tente, il leur dit : « Allez ! Mangez maintenant ! »
Il entreprend alors de creuser un tunnel qui rejoindrait sa tente à la leur. Pour pouvoir entendre ce qu’ils disent. Il pourra ainsi connaître tous leurs projets. A leur arrivée les chasseurs de caribou lancent à la tente des loups des poumons et des os. Le carcajou sort à leur approche. Il reçoit presque les os et les poumons en pleine face. Atsen dit : « Ce ne peut être que l’étranger ! » Le carcajou lui répond : « Comment peut-on nourrir ainsi un compagnon de chasse ? Les poumons et les os, c’est aux chiens qu’on les donne en nourriture ! » Atsen a immédiatement compris que le visiteur n’avait pas froid aux yeux.
Après leur départ, le carcajou descend dans son tunnel. Il rampe jusqu’à la tente d’atsen pour entendre ce qu’on dit. Les jeunes racontent à leurs parents : « Eh oui, l’étranger est venu ici. Il a rompu ta corde, partagé la nourriture en deux, et est parti avec une moitié. » Atsen répond : « Il faudra que je le tue ! Demain nous allons partir. Je lui demanderai : « Où est le compagnon de chasse ? » Atsen prépare le repas à ses enfants en faisant bouillir de la viande de caribou, et en leur disant : « Vous irez lui casser une grosse branche. C’est avec cette branche que je le frapperai quand il sera assis. S’il vous demande : pourquoi coupez-vous cette branche, vous lui répondrez que notre père en a besoin comme bâton de porte d’entrée. »
Les petits atsen vont donc couper une branche à l’arbre planté derrière leur tente. Le carcajou leur dit : « Que faites-vous là ? Vous allez nous frapper avec cet arbre ! » Il lui répondent : « Le bâton de la porte d’entrée de notre père n’est pas assez long. Nous lui en faisons un. » Il leur dit : « Aidez-moi à pouvoir parler à votre père ! » Atsen fait la cuisine pour la famille. Il plonge dans l’eau son caribou, coupe en morceaux la graisse de caribou. Après être repu, il dit à ses enfants : « Appelez-le ! Dites-lui qu’il est invité chez moi ! » Les enfants partent à la course, entrent en hâte dans la tente de carcajou. Ils l’appellent en criant. Il ne bouge pas. Il dort dur comme fer. En fait, il faisait semblant de dormir. Atsen l’attend en vain. Il dit à ses enfants : « Pourquoi n’est-il pas venu quand vous l’avez invité ? Vous devez par tous les moyens le réveiller. Comment pourrait-il dormir ? » Quand les enfants revinrent, il dormait de nouveau, même s’ils étaient entrés à la course en criant. Atsen leur dit : « Vous le secouerez. Vous le ferez lever debout. Vous lui direz : étranger, tu es invité ! » Les enfants entrent à la course. Ils le secouent, ils le brassent : « Etranger, tu es invité. C’est notre père qui t’invite ! » « Très bien », leur dit-il.
Il saisit un des enfants, et le porte de façon à ce que la tête de l’enfant dépasse la sienne. A la porte d’entrée, atsen se prépare à le frapper avec son bâton. Le carcajou lui dit : « Que fais-tu là ? C’est ton fils que tu veux frapper ? » Atsen lui dit : « Je ne voulais que fermer la porte. » Le carcajou reprend : « Est-ce une façon de fermer la porte ? Tu l’as presque assommé. Tu es un écervelé ! » Il lui arrache des mains son bâton et le jette au loin. Il lui donne un petit bâton, en lui disant : « Voilà avec quoi tu pourras fermer la porte. »
Après être entré, on le fait asseoir au fond de la tente. La femme atsen barricade la porte. Atsen se dit à lui-même : « Je le frapperai quand il boira d’une traite. » Il met près de lui une autre massue. Puis il dit au carcajou : « Je propose que nous buvions la graisse d’une traite. » Ce dernier lui répond : « Comment pourrais-je boire cette graisse d’une seule traite ? Je mangerais beaucoup trop ! Je vais la boire gorgée par gorgée. Apporte-moi ta cuiller, C’est avec elle que je bois quand je bois. » On lui donne une cuiller faite en bois. Il surveille toujours atsen en mangeant. Il le regarde en tenant dans ses mains son chaudron. Il y avait un trou dans la tente pour la fumée. C’est par là qu’il s’échappe. Il sort en sautant par ce trou. Atsen saisit son bâton pour le frapper, mais il ne fait que fendre l’air.
Le carcajou est déjà revenu chez les loups. Il entre en toute vitesse le chaudron qu’il leur avait dérobé, et leur dit : « Mangez ! Entre temps, je vais aller écouter ce qu’il dit, ce qu’il manigance là-bas dans sa tente. » Ils lui disent : « Tu n’en viendras jamais à bout ! » Il va s’asseoir au loin dans son tunnel pour écouter. Atsen dit : « Nous allons marcher demain. Je vais marcher avec le soleil en face. Demain-matin, je lui crierai en partant : Où est le compagnon de chasse ? » Comme de fait, tôt le matin, au lever du soleil, Atsen se lève. Il demande : « Où est le compagnon de chasse ? » Le carcajou lui répond : « Comment pourraient-ils t’accompagner à la chasse ? Tu ne leur as jamais donné à manger de la chair et de la graisse de caribou depuis que tu vis avec eux. Ils mangent pour la première fois de la graisse de caribou. C’est moi qui t’accompagnerais si je n’étais pas fatigué. » Atsen lui dit : « C’est bien. Viens avec moi ! »
Le carcajou part à la chasse du caribou avec atsen. Tout en marchant, atsen lui dit : « Ce serait bien de faire face au soleil ! » Le carcajou lui répond : « Il nous éblouirait. En montant cette colline, nous aurons le soleil dans le dos. La neige scintillera au soleil. » « D’accord, marche en avant ! » lui dit Atsen. Il ouvre la marche le carcajou. Arrivés en haut de la colline, la neige scintille au soleil. Le soir, ils avaient exploré un peu partout. Quand le soleil se couche, le carcajou dit : « C’est le temps de retourner à la tente ! » Il fut alors saisi de crainte. Il se dit en lui-même : « Voilà le moment où il me mangera. Bah ! Je vais lui demander son arc, je vais essayer de le casser. » En se levant pour partir, il demande à atsen : « Etranger, ton arc est-il bien résistant ? J’aimerais l’essayer. » Atsen le lui donne. Il le tend et le casse. Il dit alors à atsen : « Etranger, j’ai brisé ton arc. » Atsen lui dit : « C’est à ton tour de me donner ton arc ! » Il le lui donne, en émettant le vœu suivant : « Puisse-t-il ne jamais pouvoir tendre mon arc ! » Atsen essaie de toute sa force mais n’y parvient pas. Il dit : « Je suis incapable de le tendre. Il est bien construit ton arc. » C’était le moment où il aurait été tué s’il ne lui avait pas brisé son arc. Il peut maintenant retourner tranquille. A force de marcher, ils arrivèrent la nuit tombée. Atsen n’avait plus d’arc. Le carcajou lui dit : « Tu seras bien capable de t’en faire un autre ! » En entrant, il dit à ses frères les loups : « Nous avons vu des pistes fraîches de caribou. » Puis il leur dit : « J’ai brisé son arc. Il n’en a plus. Ce sera à mon tour d’essayer de le tuer demain. Ne nous accompagnez pas. J’airai seul avec lui. »
Le matin, ils partent tous les deux. Il va chasser le caribou en le prenant au collet. Le carcajou observe de près comment il s’y prend pour le prendre au collet. Il accroche ses collets. Puis on encercle les caribous et on les repousse en direction des collets. De cette façon, il les attrape tous. Le carcajou fait un vœu : « Que le premier qui arrive soit bon à manger ! Qu’il se prenne au collet ! Je le ferais cuire moi aussi ! » Puis il détache de son collet celui qui s’était pris en premier. Atsen ne l’avait pas encore aperçu. Il l’étripe pour pouvoir le manger. Quand atsen le rejoint, il était en train de faire cuire des parties du caribou. Il dit à atsen : « Attache le caribou à mon traîneau. Je suis prêt à partir. Le plus vite je le ferai bouillir, le plus tôt mangeront mes frères. Je le dépècerai moi-même, et je le ferai bouillir. » Atsen commence alors à tuer ses caribous en les frappant violemment. Puis, il les étripe.
Il s’en retourne en tirant son traîneau. Il est accompagné de sa femme. Le carcajou arrive à une rivière gelée. « De l’autre côté, tu vas voir un sentier de montagne », m’a-t-il dit. C’est la femme d’atsen qui se dirige la première à un bosquet. Elle y va avec son traîneau. Elle marchait sous les branches. Elle alla d’un arbre à l’autre pour trouver un passage dégagé. Elle a du se pencher. Quand elle se redressa en soulevant la corde de sa traîne, le Carcajou la transperça sous l’aisselle. Il poursuit ensuite l’autre. Quand il passa en dessous des branches, il lui lança une flèche au moment où il soulevait la corde de sa traîne. Il les avait donc tués tous les deux.
Il s’en retourne alors. Il ramène aussi leurs traîneaux. Il avait donc trois traîneaux quand il arriva à la tente de ses frères. Il leur dit : « C’est à vous, maintenant, de tuer les petits atsen. » Ils vont vers les petits atsen, mais sont repoussés par eux. Ils n’ont pas pu tuer les atsenisset. Il les gronde : « Pourquoi n’avez-vous pas pu les tuer ? » C’est à son tour maintenant de les attaquer. Il voit par terre une sorte de massue en bois. Il soulève la toile de l’entrée de la tente, et frappe les deux qui l’attendaient à la porte pour l’assommer en entrant. Il les tue tous. Puis il leur prend ce qui restait de leur nourriture.
Il dit à ses frères : «Allez, passez au feu les atsenisset ! » Les atsen qu’ils avaient ensevelis, ils les brûlent sur un bûcher.
Il s’en retourna à leur maison. A partir de ce moment, après avoir exterminé tous les atsen, il prit en charge ses frères les loups. Le carcajou dont je raconte l’histoire n’est pas celui qui a fait la terre (en soufflant après le déluge). Il est différent. C’est un autre. Il repartit avec eux en traîneau. Puis vint le printemps. Ils avaient conservé toute leur graisse de caribou. Il fallait la brûler. Il leur dit : « Il pourrait, par elle, trouver le moyen de reparaître. Il pourrait se ranimer ». Ils passèrent au feu toute leur graisse et toute leur graisse de caribou. Tout ce dont ils se servaient, comme leurs cordes à collets. Ils ont mis le feu dans tout cela. Tout a été brûlé et consumé. Même la toile de leur tente. C’est alors qu’on a pu dire que tous avaient été tués pour de bon.
C’est là que prend fin la légende. C’est tout ce dont je me souviens. Elle est terminée. »
(légende racontée par Pierre Zacharie Mistukosho et traduite par René Lapointe omi au mois d’octobre 2014)
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Note : Je n’ai pas traduit le
mot atsen parce qu’il n’y a pas, selon moi, de mot qui y
corresponde. Ce n’est ni un géant ni un ogre. Mais ce serait
plutôt un indien qui a quitté la vie de ses semblables pour
demeurer seul dans la forêt. Il y a, dans ce mot, une
idée de régression, de déséquilibre, ou peut-être de
maladie mentale. Ce qui me confirme dans cette idée c’est ce
qu’a dit à la radio communautaire Pierre Courtois quand Simon
s’est égaré dans le bois. Il a dit : « Ui atsénuuisha.
Apu menupuanikut. » Ce qui veut dire : « Il a voulu
devenir un atsen, mais n’y est pas parvenu. » Pour
Pierre Courtois, on devient donc un atsen en quittant les siens pour
aller s’enfermer seul dans le bois.
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Nutashquan
Le carcajou
(kuekuatseu)
« Il marchait en tirant son traîneau. Après avoir tant marché, il ressentit la faim. Il avait l’estomac dans les talons. Il se dit à lui-même : « Je vais aller voir un de mes petits-frères. J’irai chez mon petit-frère le pic-bois. Il arrive chez lui et l’entend crier. « Quel drôle de chant ! » Il lui dit : « Je prends mon petit-frère par surprise ! » Celui-ci lui répond : « C’est mon grand-frère qui vient d’arriver ! Entre, mon grand-frère ! »
Il entre. Son hôte lui dit : « Qu’est-ce que je pourrais bien te donner à manger? Il n’y a pas ici de nourriture qui te convienne. Si tu te nourrissais comme je me nourris, je pourrais te donner à manger ! » Il dit à son épouse : « Mets deux chaudrons à chauffer ! » Son épouse accroche deux chaudrons au-dessus du feu. Quant à lui, le voilà déjà sorti en arrière de chez lui. Il y avait là deux conifères. Son bec les pique à la vitesse d’une drille. Il fait tout un tapage. Il entre en tenant dans son bec des côtes de caribou. On les fait bouillir. Le voici de nouveau sorti. Il recommence à crier et à driller. Il entre en tenant dans son bec de la viande de castor. On la lui fait de nouveau bouillir. Après avoir décroché le chaudron, on lui dit : « Mange à ta faim ! » Il mangea à son saoul, et il restait encore de la nourriture. Le pic bois lui dit : « Rapporte tout cela dans ton traîneau ! Tes fistons vont manger ! » « Oui », lui répond-il. Puis il ajoute : « Tu viendras me voir. Mon petit-frère, tu viendras chez moi ! » « J’irai sans faute », fut la réponse.
Il retourne chez lui en tirant un traîneau chargé de nourriture. Ses enfants firent bombance. Après un certain temps, il reçoit la visite du pic bois. A quoi peut bien ressembler son cri ! En arrivant il dit : « Ah! Je prends mon grand-frère par surprise ! » Il lui répond : « Ah mais, c’est mon petit-frère qui me rend visite ! Entre! » Après qu’il fût entré, le carcajou lui dit : « Qu’est-ce que je pourrais bien te donner à manger ? Si tu mangeais ce que je mange, je pourrais te nourrir ! » Les mêmes paroles que lui avaient adressées le pic bois ! Il dit à sa femme : « Accroche deux seaux au-dessus du feu ! » C’est ce qu’elle fait. Le carcajou sort de la tente. Il essaie de trouer l’écorce avec ses pattes, sans pouvoir y réussir. Il se fabrique alors un bec et commence à driller. Mais quand il entre dans la tente, il n’apporte rien dans son bec. Le pic bois sort à son tour. On l’entend crier et driller dans la forêt. Il entre aussitôt en portant dans son bec des côtes de caribou. Il les plonge lui-même dans l’eau bouillante. Puis il retourne chez lui. Le caribou n’a pas pu le nourrir. Mais il a quand même à manger.
Il a bientôt la fringale. Il est affamé. « Je vais aller voir un des mes petits-frères. J’irai voir mon petit-fils le castor. Il se dirige donc vers son gite. Le castor, en le voyant, frappe l’eau de sa queue. Le carcajou lui dit : « Ah! Je prends mon petit-frère par surprise ! » L’autre lui répond : « Mais c’est mon grand-frère qui me rend visite ! Entre ! » Il entre donc. Le castor lui dit : « Qu’est-ce que je pourrais bien te donner à manger ? Je n’ai rien ici que tu pourrais manger, car tu ne manges pas ce que je mange. Si tu te nourrissais comme je me nourris, je pourrais te donner à manger ! » Le castor dit alors à son petit garçon : « Endors-toi. » Le petit castor sombre alors dans un sommeil profond. Il le dépouille de sa fourrure. Et le fait rôtir après l’avoir suspendu au-dessus du feu. Après l’avoir fait cuire, il dit au carcajou : « Mon grand-frère, mange du castor ! » Et il ajouta : « Prends garde de laisser tomber quoi que ce soit. Et veille à n’égarer aucun os ! » « Oui », lui répond le carcajou. Il s’empiffra alors de castor. En mangeant, il avait échappé un os. Le castor dit à son fils : « Lève-toi! » Mais son fils ne se leva pas. Il fit alors des reproches au carcajou : « N’est-ce pas ce que je t’avais dit ? » On rechercha alors la partie du castor qui avait été égarée. Puis on aperçut un ongle du castor dans un coin. Le castor touche maintenant avec sa patte son fils en disant : « Lève-toi ! » Et il se leva aussitôt.
Il dit à son épouse : « Apporte une grande tasse, une tasse en bois. Emplis-la de viande hachée de caribou, en versant deux fois. Apporte des os de caribou. Elle en apporte. Il fait un trou dans l’os, et c’est de la graisse de castor qui coule. Il fait encore un autre trou, et c’est de la graisse de caribou qui coule. Il lui a fait cadeau d’une grande diversité de graisses. Le castor lui dit en partant : « Voilà ce que tu rapporteras chez toi. Tes fistons auront de quoi se nourrir ! » Avant de partir, le carcajou dit au castor : « Mon petit frère, tu viendras faire un tour chez moi ! » Il lui répond : « J’irai te rendre visite quand le ciel sera couvert de nuages. Je ne me déplace pas autrement. Quand le temps sera à la pluie, j’irai te voir ». Le carcajou s’en retourne, et toute la famille festoie.
Il se perce un trou dans la glace. Un grand. Puis il fait pleuvoir. Il le peut car il possède des pouvoirs magiques. Et la pluie se met à tomber. Le castor peut donc lui rendre visite. En voyant le castor, il plonge dans l’eau, frappe l’eau avec ses pattes de derrière. Le castor lui dit alors : « Mais, je prends mon grand-frère par surprise ! » Le carcajou lui répond : « Voici mon petit frère qui vient d’arriver ! Entre ! » Et l’autre d’entrer. Il oublie qu’il avait un fils. Le castor l’avait comme hypnotisé pour qu’il n’y pense pas. Car il l’aurait tué pour faire comme le castor. Il dit à son épouse : « Prends de la viande hachée de caribou en deux potions ! » Il va s’asseoir près de lui. C’est alors qu’il tente d’imiter le castor. Il dit à son épouse : « Apporte des os de caribou ! » En perçant un trou dans l’os, il se blesse à la main. Il se lamente : « Aioi, aioi ! » Quand il retire l’aiguille, il n’y a que du sang qui coule dans le chaudron. Son épouse lui dit : « Tu es en train de gâcher la nourriture de nos fils ». Le carcajou n’a pas pu faire ce qu’avait fait le castor. Le castor perce les os du caribou, et de la graisse de castor en coule. Il les perce de nouveau, et c’est de la graisse de caribou qui s’écoule. Il dit au carcajou : « Mon grand frère, nos fils pourront manger ». Puis il ajoute : « Comment pourrais-tu faire ce que je fais ? Tu n’es pas une proie, (mais un prédateur). Tu en aurais le pouvoir si tu faisais partie des animaux qui sont mangés ! » Il lui réplique : « J’en suis tout à fait capable. Votre savoir-faire n’est autre que le mien ! » Alors la famille put assouvir sa faim.
Il reprend sa marche
vagabonde, et ressent de nouveau la faim. J’irai voir
un autre de mes petits-frères. C’est mon petit-frère le
caribou que j’irai voir. Il part à sa recherche.
Quand il le rencontre, il courait dans une savane en
éparpillant ses crottes ici et là. Il lui dit : « Je prends
mon petit-frère par surprise ! » L’autre lui répond : «
Mon grand-frère est arrivé ! Entre ! » Il entre donc.
Le caribou lui dit : « Comment pourrais-je te donner à manger ?
Tu ne manges certainement pas comme je mange ! Si tu mangeais comme
je mange, j’aurais pu te nourrir ! Qu’est-ce que je
pourrais bien te donner à manger ? » Le caribou alors
s’assit. Puis, il
malmène son épouse. Il ne la
maltraite pas vraiment. Il lui enlève sa robe et la
jette dans le feu. A la place de sa ceinture, on voit ses
tripes. Il mange et on lui donne beaucoup de nourriture.
Le caribou lui dit : « Ramène tout cela chez toi. Nos fils
pourront manger. » En partant, il lui dit : « Tu me
rendras ma visite ? » Il répond : « J’irai sans faute ! »
En arrivant chez lui, il ramasse des cônes. Il les met dans sa mitaine, et attend son petit-frère. Quand il le voit arriver, il court sur la rivière en amont. En courant, il éparpille ici et là les fruits de conifère qu’il avait placés dans sa mitaine. Il fait semblant de fienter en courant car il n’en est pas capable. Le caribou lui dit : « Je prends mon grand-frère par surprise ! » Il lui répond : « Ah ! C’est mon petit-frère qui vient me voir ! Entre ! » Le caribou entre. Le carcajou lui dit : « Tu ne manges pas comme moi ! Si tu mangeais ce que je mange, je pourrais te nourrir ! » Il saisit son couteau, et découpe la robe de son épouse. Il la jette ensuite dans le feu. Le caribou lui dit : « Mon grand-frère, ce que tu fais cuire sent très mauvais ! » Puis il sort de la tente. Le carcajou n’a pas pu nourrir le caribou. Son épouse lui dit : « Tu cherches à imiter le caribou ? » Il lui répond : « Comment cela ? Leurs actions sont les miennes. C’est depuis que je t’ai épousé que je n’arrive plus à faire ce qu’ils font. »
Il demeure avec sa famille pendant un certain temps. Il a faim de nouveau. Il se dit en lui-même : « Je vais aller voir un autre de mes petits-frères. J’irai chez ma petite sœur la moufette. Il va donc la trouver. Quand il arrive chez elle, il lui dit : « Ma petite sœur, j’ai une faim de loup ! » Elle lui répond : « Fais-toi une clôture comme moi ! » Elle se fait une clôture. Une fois la clôture terminée, la moufette se met à chanter. Au fur et à mesure qu’elle chante, les caribous pénètrent dans l’enceinte. La moufette dit à carcajou : « Pousse-les vers la sortie ! » Il les repousse donc jusqu’à la porte de sortie. La moufette les arrose de son urine quand ils sortent en trottant. Tous sont tués. Elle dit ensuite à carcajou : « Apaise ta faim ! » Elle lui donne ensuite des caribous en lui disant : « Ramène-les sur ton traîneau. Nos fils auront de quoi manger. » Avant de partir, le carcajou lui dit : « Viens faire une saucette ! » Elle lui répond : « Je vais te rendre ta politesse ! »
Quand il arriva chez lui, le caribou se mit immédiatement à se faire une clôture. Il entend venir de loin les caribous. Il chante lui aussi comme la moufette. Les caribous pénètrent à l’intérieur. Le carcajou crie alors à son épouse : « Repousse-les vers la porte de sortie ! » Son épouse les entraîne tous vers la porte de sortie. Il les attaque avec son urine quand ils sortent. Aucun caribou n’en est mort. Un seul fut tué, et c’est un petit caribou que sa femme a assommé. Il essaie de s’en glorifier : « J’en ai quand même tué un ! ». Et sa femme de lui répliquer : « Comment aurais-tu pu le tuer, toi, c’est moi qui l’ai tué ! » La moufette arrive sur ces entrefaites, et dit au carcajou : « Mon grand-frère, elle est magnifique la clôture que tu as dressée ! Prête-la-moi ! » « D’accord. Je vais te la prêter », lui répond le carcajou. La moufette se mit alors à chanter, et les caribous entrèrent. Quand ils sortirent, elle les arrosa avec son urine. Ils moururent tous. Elle lui dit en partant : « Mon grand-frère, tu as assez de nourriture maintenant ! Comme elle est formidable ta clôture ! »
Le caribou a faim de nouveau. Il a dit à son épouse : « Je vais aller voir mon petit frère le martin-pêcheur. Il part à sa rencontre. Le voilà arrivé chez l’oiseau plongeur. A quoi peut bien ressembler son cri ? Il lui dit en arrivant : « Je prends mon petit frère par surprise ! » Il lui répond : « Ah ! C’est mon grand frère qui arrive ! » Puis il lui dit : « Qu’est-ce que je puis te donner à manger, mon grand-frère ? Il n’y a rien ici que tu puisses manger. Si tu mangeais comme je mange, je pourrais te nourrir ! » Son épouse lui dit : « Va puiser dans le trou de glace ! » Au pied d’un feuillu, il avait fait un trou dans la glace. Il agrandit son trou. Il dit à son épouse : « Accroche ton seau ! » Puis il sort, après avoir dit à son épouse : « Quand je crierai ainsi tu sauras que j’ai déjà plongé ! » On l’entend crier au loin. Il émerge avec un poisson dans le bec. Il lance dans la tente un poisson blanc de grosse taille. Il sort de nouveau à la recherche de poisson. On l’entend tout de suite après crier avant de plonger. Il jette dans la tente un autre poisson. Après l’avoir fait cuire, il dit à carcajou : « Gave-toi de poisson, mon grand-frère ! » Il mangea alors du poisson. Comme il s’apprêtait à sortir, le martin-pêcheur vint à lui et lui dit : « Rapporte tout cela chez toi. Nos fils vont les dévorer ! » En partant avec son traîneau, il dit à l’oiseau : « Tu viendras me voir ! » Celui-ci lui répond : « J’irai plus tard ! »
L’oiseau plongeur vint un jour le voir. Il avait déjà percé un trou dans la glace au pied d’un feuillu. En arrivant le martin-pêcheur dit : « Je prends mon grand frère par surprise ! » Il lui répond : « Entre ! » Une fois entré il lui dit : « Qu’est-ce que je vais te donner à manger ? Je n’ai rien du tout. Si tu mangeais comme je mange ! » Il dit à son épouse : « Accroche tes chaudrons ! » Il s’installa un semblant de bec. Dans ses narines, il enfonça des bâtonnets pointus bien effilés. Il dit à son épouse : « Quand tu m’entendras crier ainsi, tu penseras que je suis sur le point de sauter dans le trou de glace ! » Au moment de sauter, il entend le martin-pêcheur lui dire : « Comment oses-tu plonger ainsi, en mettant ta vie en jeu ? » Or, quelques secondes après, on l’entend crier. Il plonge et va s’écraser sur la glace. Le martin-pêcheur interroge la femme : « Que lui est-il arrivé qu’il ne soit pas encore revenu ? » Elle lui dit : « Va voir ». Il arrive vite sur les lieux. Qui donc se trouve là ? Le carcajou qui gisait loin de l’eau. Son bec avait raté le trou. L’oiseau plongeur dit : « Comment est-ce possible ? Il est mort ! » Elle dit au martin-pêcheur : « Il faisait ce que vous faisiez. Il voulait vous imiter en tout ! »
Il était bien mort. Le martin-pêcheur sortit alors. La femme l’attend. Quelques secondes seulement. Il avait dit en sortant : « Quand tu m’entendras crier ainsi… » Il attrape de nouveau un poisson, le rentre dans la tente, puis un autre encore. Deux en tout. »
(légende
montagnaise racontée par Pierre Courtois et traduite par René
Lapointe omi au mois d’octobre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
USHUAPEU
(le
hibou mâle)
« Le hibou, la chouette, l’orfraie et le harfang des neiges ainsi que le faucon chassaient tous le porc-épic. Tous tant qu’ils étaient. L’indien, lui, se déplaçait en tirant son traîneau. Il était affamé. Même là où il y avait du porc-épic, il n’arrivait pas à en voir les traces. D’autres les voyaient avant lui. Il dit à son épouse : « Cet oiseau de malheur va nous conduire à la famine ! » Non, il n’arrivait plus à voir les traces du porc-épic. Mais les oiseaux, eux, les voyaient. Ils pouvaient même le tuer quand il se cachait dans son gite. « Quels sont donc ces prédateurs ? »
Il lui arrivait d’attraper du poisson quand il pêchait sous la glace. Mais un jour, il fut pris de vertige. Il s’arrêta pendant un certain temps et dressa sa tente. Il n’y avait que les porcs-épics tapis dans leurs gites dont il pouvait s’emparer. Il ne pouvait marcher que quand il apercevait un porc-épic dans sa cachette. Or, soudain il remarqua quelqu’un qui circulait le soir dans la savane. Il se dirige vers lui. Ce n’est qu’à l’entrée de sa tente que le hibou avait imprimé des traces. Quel est donc cet oiseau au plumage blanc ?
Il lui dit : « Mon grand-père, je peux à peine marcher. » Il s’assit alors à l’entrée de la tente. « Oui, mon grand-père, je peine à marcher. Je suis rendu au bout de mes forces. » Le hibou lui demande : « D’où viens-tu ? » Il répond : « Je viens de là. C’est de là que je viens en tirant mon traîneau. » Puis, il ajoute : « Depuis que l’automne est commencé, quand je vois un porc-épic, il y a toujours quelqu’un qui le tue avant moi. Toujours. Même quand il se cache dans son gite. Je ne peux tuer que ceux qui sont se sont mis à l’abri. Si je ne les vois pas, ceux-là, je n’ai rien à me mettre sous la dent. » Le hibou lui dit alors : « Entre ! » Et puis, il lui fait manger du porc-épic à volonté. Après s’en être nourri, il attache soigneusement des sacs remplis de chair de porc-épic. Le hibou lui dit alors : « Lève-toi ! Retourne chez toi ! Emporte-s-en autant que tu pourras les porter sur ton dos ! »
Il part. Le hibou lui dit : « Tu seras désormais notre ami ! Va chasser le porc-épic de nouveau ! Les oiseaux prédateurs, à partir de maintenant, vont cesser de chasser le porc-épic. Le harfand ne chassera que la perdrix et le lièvre. Voilà quels sont ceux que tu chasseras ! Le hibou la perdrix et des petits oiseaux. Voilà quels sont ceux que tu chasseras ! La chouette, les souris et les petits oiseaux. Voilà ceux que tu chasseras ! Et moi, ta grand-mère, je chasserai le lièvre. Il pourra m’arriver une fois ou l’autre de tuer un porc-épic, quand l’envie m’en prendra. Le harfand ne tuera jamais plus de porc-épic, ni la chouette, ni le hibou, tant que durera la terre. Ils ne se nourriront que de perdrix et de lièvre. Voilà ce qu’ils chasseront, toujours ! » Puis il dit : « Tu viendras de nouveau manger du porc-épic ! »
Il se dirige vers un cours d’eau. Puis, il s’écrie : « Qui est-là ? Mon grand-père ? » Il lui dresse une tente, et le fait entrer. On mange. Il a beaucoup de difficulté à marcher. Il ne fait que manger du porc-épic. A force de faire des exercices de marche, il parvient à marcher convenablement. Il demande à son grand-père : « Suis-je en état de reprendre la longue marche ? » « Oui, » lui répond ce dernier. Il recommence donc à déambuler. « Je me sens en grande forme ! » confie-t-il à son grand-père, qui approuve : « Tu as raison ! » Le lendemain, il va plus loin encore. Il n’a déjà plus de porc-épic.
Le jour d’après, il s’en va dans une autre direction en marchant. Il voit un nouveau sentier. Les caribous avaient laissé là leurs traces, en piétinant le sol avec leurs sabots, et en soulevant la neige. Il retourne immédiatement à sa tente, et dit au hibou : « Mon grand-père j’ai vu des traces de caribou, des traces fraîches. S’il pouvait neigeoter ! Le sentier des caribous serait plus visible ! On pourrait beaucoup plus facilement le voir ! » Le hibou est d’accord : « C’est ce qui va arriver ! » Le grand-père prend son envol. Parvenu au milieu du chemin tracé par les caribous, il dit en criant : « C’est jusqu’ici qu’il y a de la neige ! Il va neiger ! » Puis il dit au chasseur : « Quand tu m’entendras ululer, tu diras que ton grand-père pleure de faim. Tu penseras alors qu’il va neiger sur le nouveau sentier tracé par les caribous. »
Il se met alors à chanter. Le chasseur tend les cordes de son tambour. Il chante à son tour. Le hibou ne fait que le regarder. Il le regarde également quand il joue du tambour. Il se lève tout à coup et danse en se mettant derrière sa femme. Puis il dit au chasseur : « Regarde ta grand-mère ! Pour faire une bonne chasse, tu devrais la voir ! » Le grand-père marque fortement le rythme en marchant. Le chasseur dit : « Je regarde ma grand-mère. Sa tête s’empanache comme celle d’une femelle caribou qui allaite son veau. Voilà à quoi ressemble sa tête ! » Le hibou lui demande : « As-tu vu, mon petit fils, ta grand-mère ? » Il lui répond : « Oui je l’ai vue. Sa tête était empanachée comme celle d’une femelle caribou. C’est ainsi que m’est apparue sa tête ! » Il lui dit alors : « Tu vas faire bonne chasse ! » On mit alors fin à la danse.
Le hibou se redresse pendant que le chasseur tambourinait. Il se jette dans le feu à mi-corps. Le chasseur dit : « Mon grand-père est en train de brûler ! » Il saute hors du feu en disant : « Parviens-tu à voir quelque chose, mon petit-fils ? » « Oui, répond celui-ci. Je t’ai vu entrer dans le feu et brûler. C’est ainsi que je t’ai aperçu. » Il lui répond : « Tu vas faire bonne chasse ! » Le hibou s’en tint là.
Il dit : « Faites-nous des raquettes, il neige ! » Il ne pouvait pas encore aller chasser le caribou. Il devait d’abord se faire des raquettes. Après que le chasseur eut fait le fût de la raquette, le hibou dit : « Notre grand-mère, ne lace pas mollement les raquettes ! » Le lendemain, il faisait beau. On partit chasser le caribou. Le hibou le retardait considérablement. On n’eut pas à marcher longtemps avant t’atteindre le sentier nouvellement tracé par les caribous. Le chasseur s’exclame : « Mon grand-père, le voici le sentier nouvellement tracé par les caribous! » Il répond : « Il est tout blanc de neige, comme je t’avais dit ! » Le chasseur engage la poursuite. Il repousse les caribous dans le banc de neige molle. Pendant qu’ils s’enfoncent dans la neige, il se tient au-dessus d’eux et les transperce de ses flèches. Même ceux qui se trouvaient un peu plus loin. Il les extermine. Il part, en s’en retournant, à la recherche des caribous qu’il a tués. Il rencontre le hibou en premier, et lui dit : « Voilà combien ils étaient en tout ! Et aucune trace ne m’indique qu’il y en ait un qui s’en soit réchappé! » Le hibou approuve : « Oui, bien sûr! »
Il lui dit ensuite : « Tu iras les étriper à partir de l’endroit où ils sont partis. Là-bas, en arrière, tu commenceras l’opération. Ce n’est pas loin d’ici. » Le hibou s’affaire à vider les intestins. Le chasseur s’en va là-bas, et étripe l’un après l’autre tous les caribous. Au fur et à mesure, il les enfonce dans la neige. Il ne lui en reste plus que deux, et puis seulement un à cacher dans la neige. Il sort du bois en disant : « Mon grand-père, lui, comment s’en tire-t-il ? » Il l’observe. Il ne peut pas retirer l’estomac du caribou. Car, quand il veut y toucher, il le déchire. L’estomac en entier avait été abimé. Il lui dit alors : « Ah mon grand-père ! » L’autre lui répond : « Je ne peux pas toucher la peau sans la briser ! » Le chasseur lui réplique : « Retourne à la tente ! Précède-moi ! » Il nettoya alors son caribou. Après l’avoir dissimulé dans la neige, il s’en retourne. Il voit son grand-père s’éloigner en traînant de la patte. Il le devance bientôt et il le voit fermer la marche. Il lui dit : « Mon grand-père, tu vas prendre froid ! Pourquoi ne voles-tu pas ? » Il lui répond : « Moi, prendre froid ? Veille sur toi jusqu’au retour ! » Il est sur le point de trébucher. Enfin, au beau milieu de la nuit, on l’entend de loin arriver. Quand il entre, le chasseur lui dit : « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »
Le matin, il dit à son grand-père : « Pars devant ! Nous allons à la grève en tirant le traîneau. Nous tenterons dans notre terrain de chasse. » Ils partent donc. Le hibou marche tandis que le chasseur tire le traîneau. Le chasseur dit au hibou : « Tu pourrais quand même voler ! » Il dresse sa tente sur la glace. C’est là qu’il s’abrite pour la nuit. » Après s’être tenté, il dresse son garde-manger en forme d’échafaudage. Et il commence à transporter les caribous qu’il avait tués et enfoncés dans la neige. Il s’inquiète au sujet de son grand-père. Il interroge un pou : « Pou, il n’est pas encore arrivé ? Est-il arrivé ? » « Non », lui répond le pou. Il arrive enfin au coucher du soleil. Il arrive le dernier après être parti le premier. Il dit en soupirant : « C’est pénible ! » Le chasseur dit : « Qui est-ce qui arrive ? Mon grand-père ? Qu’as-tu fait ? » Il lui répond : « Je ne peux pas aller plus vite. Je n’ai jamais pris de pause. C’est le plus vite que je peux aller. » Il lui répond : « Mais pourquoi ne voles-tu pas ? »
On fait cuire à la broche les têtes de caribou. Il en fait cuire une à part pour son grand-père. On commence alors le repas. Ils sont assis l’un en face de l’autre. La femme se fait cuire à son tour sa tête de caribou. Tous mangent. Le hibou veut sucer la cervelle. Il dit : « Ne nous regarde pas, mon petit-fils. Nous ne ressemblons pas du tout à des humains quand nous mangeons. Ne nous regarde pas ! » Il parvient avec son bec à manger dans la tête. Après avoir tout bien léché, ils s’endorment. Il habite avec son grand-père. Le grand-père marche quand son petit-fils tire le traîneau. Il l’accompagne quand il va chasser le caribou.
Il en vint finalement à regretter de l’avoir choisi pour compagnon. Il se disait : « Il me retarde continuellement ! » Un de ces jours où il pensait, en tirant le traîneau : « Mais quel lambin ! Comme il me ralentit ! », son grand-père lui dit : « Ça suffit comme cela ! Je ne t’accompagnerai plus désormais. Les chouettes et les hiboux ne tueront plus jamais de porc-épic. Seulement moi. Les indiens qui viendront après nous, quand ils étrenneront de nouvelles raquettes, et qu’ils auront tué un porc-épic, taqueront quelques épines de porc-épic sur le devant de leur raquette. Car je suis fier d’eux quand ils ont de nouvelles raquettes.
Tu ne donneras jamais aux chiens des os d’un porc-épic qui a été gonflé. Quand on tuera un porc-épic, on pourra en nourrir les chiens. Il n’y a aucun inconvénient à leur donner des os de porc-épic. C’est seulement pour les porcs-épics qui ont été gonflés qu’il est interdit de donner de leurs os aux chiens. Voilà.
Le hibou dit au chasseur : « Que pourrais-je faire pour toujours t’accompagner ? » Quand tu m’entendras ululer, tu penseras que ton grand père pleure de faim, et qu’alors il neigera sur le nouveau sentier tracé par les caribous. »
(légende racontée par Pierre
Courtois et traduite par René Lapointe au mois d’octobre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
uinashkusset
des
petits rats musqués
(Uinashkusset, dans cette légende-ci, ne
semble convenir ni aux marmottes, ni aux ratons laveurs. Qui dit
mieux ?)
« Elle sort de son trou pour aller voir la température. La neige commence à fondre aux pieds des arbres. Le dégel n’est pas encore vraiment commencé. Elle sort encore un peu plus tard. C’est déjà la fonte des neiges. De grands cernes se forment aux pieds des arbres. Elle se dit à elle-même : « Il reste encore du temps avant le printemps. » Elle revient observer quelques jours plus tard. Les arbres sont complètement dégagés, la neige, disparue. Elle ne demeure que peu de temps dans son terrier. « Je vais aller voir encore une fois », se dit-elle. Les bourgeons sortent. Elle a peur de perdre ses petits. Elle marche ici et là en quête de nourriture, et ne retournera dans son terrier qu’après avoir suffisamment mangé.
Les petits s’inquiètent : « Notre mère tarde à revenir ! » Elle entre enfin. Ils lui demandent : « Pourquoi as-tu pris tant de temps ? » Elle leur répond : « Les arbres sont déjà complètement dégagés. Vous n’aurez pas à demeurer longtemps ici. » Elle se met en retrait. Elle s’endort après avoir mangé plein son ventre. Elle dort la bouche ouverte. Un de ses enfants l’examine de près, et dit : « Notre mère a trouvé de quoi manger ! » -« Comment ? »--« Viens voir ! » Ils regardent dans sa gueule. Qu’est-ce qu’ils y voient ? Une feuille. Après l’avoir sortie de sa gueule, ils confirment : « C’est bien une feuille ! »
Ils sortent alors du terrier à la course. L’herbe, les plantes tout avait repoussé. « Notre mère avait tout ce qu’il fallait pour assouvir sa faim, » disent-ils. Ils vont à toute vitesse. Ils mangent à leur tour. Revenons à la mère qui, à son lever, réalise que ses fils ne sont plus là. Elle sort d’un trait, et dit : « Où peuvent-ils bien être ? » Elle crie : « Mes fils chéris, mes fils chéris ! » Comment pourraient-ils l’écouter ? Ils n’en font qu’à leur tête. Elle crie de plus belle : « Mes fils chéris, mes fils chéris ! » Les enfants se disent entre eux : « Elle ne devrait pas crier comme ça. Un atsen va l’entendre ! » Il ne s’est pas passé plus de quelques minutes, un atsen l’avait déjà assommée. Quand il la retourne, il s’aperçoit que ses mamelles sont gonflées. Il dit : « Je suis devenu grand-père ! » Il l’étripe. Après l’avoir vidée, il répète : « Oui, oui. Je suis devenu grand-père ! »
Un des petits dit à l’autre : « Où nous sauverons-nous ? » Il lui répond : « Auprès de notre grand-père le porc-épic mâle. » --« Oui, d’accord », réplique-t-il. Ils se sauvent à toute vitesse. Atsen, lui, après avoir disposé de la mère, se met à la poursuite des petits. Ils sont partis par là. Il y en avait deux à s’enfuir. Il les suit à la trace.
Les petits arrivent dans un bocage. C’est ici que le porc-épic mâle avait sa retraite. Ils lui disent : « Mon grand-père, quelqu’un nous poursuit. » Il lui répond : « Je m’en moque ! » Puis il ajoute : « Vous allez marcher sous terre et vous sortirez dans un pré. Vous irez voir alors chez votre grand-père le héron. Ensuite le huard. A la fin, votre grand père le grand goéland le tuera. » Ils marchent dans une sorte de tunnel, puis ils débouchent dans une prairie.
Atsen arrive à l’endroit où se troupe le porc-épic. Il lui dit : « As-tu vu mes petits grands-pères ? » Il lui répond : « Qui sont-ils tes petits grands-pères ? » Il répète : « Mes petits grands- pères sont-ils venus chez toi ? » « Oui, répond-il, ils sont passés par ici. » Il lui demande encore : « Où sont-ils maintenant ? » Il lui répond : « Près de l’endroit où je me trouvais, ils sont entrés dans un terrier. Par où ont-ils bien pu sortir ? » Il veut le frapper avec son bâton. L’autre lui dit : « Arrête ! A quoi te servirait de me frapper tout de suite ? » « Que veux-tu dire », lui répond Atsen. Le porc-épic explique : « Je vais rentrer mes épines. Quand j’aurai abaissé mes épines, tu pourras te pencher sans danger. » « Qu’il est gentil, » se dit atsen. Il fait alors du feu. Quand le feu est pris, le porc-épic rabat toutes ses épines. Sa peau est lisse. Atsen demande : « Est-ce le moment ? » « Non », lui répond-il. Le porc-épic lui dit : « Fiche ton bâton dans le sol ! » « D’accord ! » lui dit-il. Le porc-épic reprend : « Quand tu te seras penché, quant tu te seras appuyé sur ton bâton, ce sera le moment de me frapper. Prends ton bâton ! » Atsen prend son bâton. C’est alors qu’il se penche et s’appuie sur son bâton. Au moment même où il se penche, le porc-épic l’attaque à la tête à deux reprises, avec ses épines redressées. Il s’enfonce ensuite dans son terrier. Atsen regarde, il avait les yeux crevés. Il frappe sur une butte qu’il venait d’apercevoir. Il frappe à plusieurs reprises sur cette butte, et la met en miettes. « Autrefois, ce sont des caresses et des gentillesses qu’on me faisait ! » Il s’enlève les épines l’une après l’autre. Il ne voit rien, ses yeux sont crevés.
Il se remet quand même en marche. Il contourne le bosquet d’où les petits grands pères étaient sortis. Il retrouve alors leurs traces et peut ainsi continuer à les poursuivre. Au même moment, les petits arrivaient chez le héron. Ils lui dirent : « Mon grand-père ! Quelqu’un nous pourchasse ! » Il leur répond : « Je me moque de lui ! Allez trouver votre grand-père le huard ! » Ils leur disent : « Faites en sorte qu’il cesse de nous poursuivre ! » Il leur répond : « Le grand goéland, c’est lui qui le tuera. » Il leur fit alors un pont avec ses longues pattes. Le courant était très fort à cet endroit C’était la décharge du lac. Ils parviennent à traverser tous les deux.
Atsen rejoint le héron à son tour. Il lui demande : « Héron, as-tu vu mes petits grands-pères ? » Il lui répond : « Je les ai vus. Ce doit être à eux que j’ai fait un pont avec mes jambes. Ils sont maintenant de l’autre côté. Atsen lui demande alors : « Fais-moi un point à moi aussi ! » Le héron lui dit : « Comment pourrais-je te faire un point à toi, grand comme tu es ! » Il lui dit : « Je vais me rapetisser ! » Le héron place alors ses pattes sur les deux bords du canal pour lui faire un pont. Après s’être rapetissé, atsen traverse. Comme il était au milieu de la traversée, le héron retire ses pattes et s’envole. Atsen tombe à l’eau. Après avoir été longtemps balloté par le courant, il parvient à mettre pied à terre. Il est fourbu et tout courbaturé.
Il n’en poursuit pas moins sa recherche. Il aperçoit leurs traces, et il se dit : « C’est par là qu’ils ont du aller ! » Pendant ce temps, les petits trottinent. Ils rencontrent le huard qui flottait dans l’eau calme de la décharge. Ils lui disent : « Mon grand-père, quelqu’un nous poursuit ! » Il lui répond : « Je m’en moque ! » Ils lui demandent : « Traverse-nous sur ton dos ! » Le héron accepte de les traverser. Une fois parvenus de l’autre côté, ils supplient le héron : « Mettez donc fin à sa poursuite une fois pour toutes ! » Il leur répond : « C’est ton grand-père le grand goéland qui va le tuer ! » Les petits répètent : « Mais mettez fin à sa poursuite ! »
Le huard l’attend en flottant paisiblement sur une eau lisse comme un miroir. Atsen apparaît tout à coup, et dit : « Huard, as-tu vu mes petits grands-pères ? » Il lui répond : « Qui sont-ils donc tes petits grands-pères ? » Il insiste : « Ne les as-tu pas vus arriver à la grève ? » Il lui dit alors : « Je les ai vus. Je les ai fait traverser sur mon dos jusque là-bas. » Atsen lui demande : « Fais moi traverser, moi aussi ! » Le héron lui répond : « Comment pourrais-je te faire traverser, grand comme tu es ! » Il lui dit alors : « Mais je vais me rapetisser ! » Le héron accepte alors de le faire : « Oui, je vais te faire traverser ! » Il avance dans l’eau. Un peu après être parti, une fois parvenu au milieu de l’eau, il penche son cou. Atsen lui dit : « Continue tout droit ! Pourquoi pencher ton cou ? Tout droit ! » Il part alors à toute vitesse. Puis, penche pour vrai son long cou. Atsen lui dit : « Prends garde ! Nous allons chavirer, à ce qu’il semble ! » C’est alors qu’il sombre dans l’eau. Il se dirige vers le bord de l’eau. Il se fait fracasser par les vagues. Ses jambes sont en piteux état. Quand il peut enfin mettre les pieds hors de l’eau, il a de la peine à se redresser. Il est éreinté, esquinté. Il a les membres disloqués et en compote. En somme, il est fort mal en point.
Il lui reste encore des forces pour couper le bois de charpente de sa tente de suerie. Il transporte aussi une brassée de bois de chauffage. Il se fait alors suer dans la tente. Après quoi, il se remet en route. Il part de nouveau à leur recherche et découvre leurs traces. « C’est par ici qu’ils sont passés ! » Les petits animaux, eux, arrivent au bord de l’eau. Ils disent au grand goéland : « Mon grand-père, nous sommes poursuivis par quelqu’un ! » Il leur répond : « Je m’en moque ! » Il les embarque dans son canot et les débarque sur une île. Puis, il leur dit : « Restez ici ! Je vais le tuer, moi, atsen quand il arrivera à la grève. »
Atsen avance péniblement. Il a beaucoup de difficultés à marcher. Il sort du bois et arrive à la grève. Il aperçoit immédiatement sa proie de l’autre côté, sur l’île. Il dit : « J’ai enfin rejoint mes petits grands-pères. » Il demande au grand goéland : « Goéland, as-tu vu mes petits grands-pères ? » Il lui répond aussitôt : « Tes petits grands-pères ? Ils sont là-bas sur l’île en train de jouer ! » Il lui dit : « Traverse-moi 1 » Il huile le canot et le goudronne. Puis il lui dit : « Comment pourrais-je te faire traverser avec la taille que tu as ? » Il répond : « Je vais me rapetisser. Je n’aurai pas la taille que j’ai maintenant. »
Atsen s’amène, embarque dans le canot du goéland. La traversée commence. Le goéland rame des deux côtés lorsque le vent tombe. Atsen dit : « Ton canot sent la charogne ! » Il lui répond : « Cela vient de la chasse ! Penche ta tête sur le bord du canot ! » Il penche sa tête. Le goéland veut lui couper la tête sans qu’il s’en aperçoive. Au moment où sa tête était complètement appuyée sur le bord, il la tranche d’un seul coup. Puis elle disparait dans l’eau. Le goéland renverse alors le canot. Et ce fut la fin d’atsen.
Le goéland se dirige vers la grève après avoir récupéré son canot. Il prit alors les petits en charge. Il leur dit : « Comment pourrais-je m’occuper de vous ? Comment pourrais-te vous adopter ? » Il leur fit alors un canot. Ils allèrent ensuite jouer dans la chute. Ils descendaient la chute dans les vagues, les récifs et les remous. Puis ils la remontaient. Alors ils recommençaient. Ils descendaient la chute, le soir, en canot. C’était leur jeu. Le goéland les regardait de haut et dit : « C’est très bien comme ça ! » Il leur fit un canot à chacun d’eux. Au début, il n’y a avait qu’un seul canot pour deux, maintenant chacun a son propre canot.
Puis il leur fit ses dernières recommandations : « Allez ! Demeurez, ici, à la chute. On vous appellera ceux qui hantent les chutes. Vous ne renverserez jamais, jamais vous ne chavirerez ! » Car ils sont habillés en peau de rat musqué. Leur grand-père pourra donc les abandonner à eux-mêmes. Ils descendaient les chutes quand les vagues étaient très hautes. C’est ainsi que toujours ils jouaient. Seulement dans les chutes. Après les avoir descendues, ils y remontaient par un raccourci, en marchant au centre de la baie. C’est ce qu’ils faisaient à chaque fois qu’ils voyaient une chute. Ils descendaient la chute et y remontaient par un raccourci. Puis ils la redescendaient encore et y remontaient encore. Ce qu’ils préféraient c’étaient les chutes les plus dangereuses, aux vagues les plus furieuses. Ils avaient horreur des chutes aux eaux calmes. Ils raffolaient d’être précipités dans le creux des vagues, et d’être projetés ensuite sur leurs crêtes. »
(Légende racontée par
Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René Lapointe omi au
mois de novembre 2014)
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Matières
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LEGENDE MONTAGNAISE
KUKUKESHU
Celui qui ulule ?
« Il est perché là sur la branche d’un bouleau. Il n’entend que la palpitation de son cœur. Il prend tout à coup son envol, et va voir la chute. En arrivant près de la chute, il tombe à la renverse. Il lui dit : « Quel tapage tu fais quand je m’approche de toi ! » Elle lui répond : « Oui, je fais du bruit. C’est ce que je ferai tant que durera la terre. » Kukukueshu reprend : « Tu racontes des histoires à dormir debout ! Quand j’étais perché là-bas, je n’entendais rien. Tu ne commences à hurler que quand je m’approche. Que dirais-tu si je ressayais ? »
Il retourne à l’arbre où il était d’abord perché. Il écoute de ses deux oreilles. Il n’entend que le battement de son cœur. « N’est-ce pas ce que je lui disais ? Elle va recommencer son manège ! » Il s’envole de nouveau et va voir la chute. Il tombe de nouveau à la renverse. « C’est bien ce que je disais ! » Il lui dit : « Tu ne fais du bruit que quand je m’approche ! Je vais crier plus fort que toi ! » Elle lui répond : « Comment pourrais-tu crier plus fort que moi ! Le bruit que je fais, je le ferai tant que durera la terre ! » Kukukueshu réplique : « Tu m’en racontes de belles ! Je vais couvrir ton bruit par mon hululement. »
Il attrape des souris et les met là en réserve. Il dit : « Tu fais déjà du vacarme ! » Il place les souris à quelques pieds de distance les unes des autres. Il se perche sur un conifère et commence à ululer : bada, bada, bada… Il mange ensuite une souris. Et ulule de plus belle : bada, bada, bada, bada, bada, bada, bada, bada, bada, bada, bada. Quand il se trouve à mi-chemin entre son arbre et la chute, quand il s’en approche, il crie : bada bada bada bada bada bada bada bada. Fier de ne plus entendre le bruit de la chute, il bondit en direction de la chute en disant : « Est-ce que je t’ai coupé le sifflet ? bada bada bada bada bada bada bada bada. » Quand il arrive près de la chute, il ne lui reste plus que deux souris. « bada bada bada bada bada . » Puis enfin, il mange la dernière souris. Il est tellement étourdi qu’il tombe à l’eau. Le courant l’emporte, mais il finit par s’échouer sur un sol couvert de fleurs.
Les mouches viennent tout juste de dégeler. Elles partent à la recherche de nourriture. Elles se dirigent vers le bord de l’eau. Elles se disent entre elles : « Quelque part sur la grève un poisson a dû s’échouer ! » Elles volent à tire d’ailes vers la grève. Il y a quelqu’un d’étendu là de tout son long ! « Voici celui que nous sucerons ! » Elles s’interrogent : « Par quelle partie de son corps commencerons-nous ! » « Commençons d’abord par les yeux, la bouche ensuite, et puis les narines et les oreilles ! » Les voilà partout sur son corps. Mais comme elles s’apprêtaient à le siphonner, il leur dit : « Que faites-vous là ? Ne voyez-vous pas que je dors ? » Elles lui répondent : « Nous ne doutons pas que tu dormes. Ça ne nous empêchera pas de te lécher ! »
Il se lève debout. Il veut s’envoler mais il ne le peut pas. Ses ailes ont comme foulé au lavage ! Il ne peut plus voler. « Comment en suis-je venu là ? Je dormais là. J’ai voulu crier plus fort que la chute. Je fus pris de vertige, et je suis tombé à l’eau. » Il avance par bonds, en sautant. Quand il rencontre une fleur, il saute par-dessus. S’il voit courir une souris, il l’attrape. C’est son seul gibier. Quand il voit un sentier de souris, il s’assoit tout près. A chaque fois qu’une souris passe, il la gobe.
Puis il remarque là-bas un sentier formé par des traces de caribou. Il sait désormais où aller. Il marche dans cette direction. Une femelle caribou se promène, le soir, dans la savane avec son petit. Il l’observe de loin. Il l’attend au passage derrière un arbre à quatre embranchements. La femelle caribou approche. Elle devance son petit caribou qui marche derrière. Il lui saute au cou et le tue. Il devra le dépecer et le transporter. Il dépose la tête sur un terrain découvert. Puis le cou, le thorax et les côtes. Il s’assoit près de la cage thoraxique. « Je pourrai enfin manger. Cela me permettra peut-être de m’envoler ! »
Il mange assis par terre, les jambes droites. Il se dit à lui-même : « Un visiteur serait le bienvenu ! Je pourrais le sustenter ! » Au même moment, un canot avance sur l’eau. Au bout de quelques instants, il apparait à l’horizon. Il le regarde. Quand il le voit s’approcher, il saute en disant : « Je vais l’effrayer ce grand chasseur ! » La femme est la première à le voir. Elle dit : « Quel est celui qui est assis là ? » « Où, » demande l’homme. « Ici », lui dit la femme. Il saisit son arc, insère la flèche. Kukukueshu brandit alors la cage thoracique du caribou en bondissant. La femme crie : « Dépêche-toi ! » L’homme dit à kukukueshu : « Voyons, kukukueshu, je t’ai presque frappé ! Comment pourrais-tu me faire peur ? Je t’ai presque transpercé avec ma flèche ! »
Alors on embarqua son caribou. Kukukueshu s’assied dessus. Le canot file en aval. Quand un castor plonge à l’eau, l’homme le harponne. Il lui arrive plusieurs fois de harponner le castor. Ils débarquent ensuite et font un feu. Ils se font une perche qu’ils planteront près du feu pour accrocher les seaux. On se réchauffe près du feu. Il faut une perche pour faire cuire la nourriture. Kukukueshu essaie de la ficher dans le sol mais n’y parvient pas. « Je ne suis pas capable de la planter, » dit-il. L’indien la lui enlève des mains et la plante. Il dit à kukukueshu : « Penche-là ! » Il essaie, mais il ne peut pas. « Je ne suis pas capable de la pencher ! » L’indien la lui prend des mains et l’incline juste comme il faut. L’indien dit ensuite à kukukueshu : « Retire le sceau du feu ! » Il ne peut pas le faire. Il dit à l’indien : « Enlève-le toi-même ! » L’indien l’enlève et le lui donne.
L’indien dit : « Il y a des castors de l’autre côté de la rivière ! Si on avait un canot usagé, tu pourrais te laisser dériver jusque de l’autre côté ! » Après avoir mangé, on fait la chasse du soir. Kukukuekushu est balloté par le courant. L’indien n’emporte que peu de choses avec lui. Il tient en main son harpon. Ils avancent dans le sens du courant. Il harponne les rats musqués. Il ne touche pas aux castors. Il n’en veut qu’aux rats musqués. Une foi débarqué, il fait cuire son rat musqué. Kukukueshu seul dans son canot chante. Il est étendu de tout son long dans le canot. L’Indien saisit son harpon et dit : « Essayons d’attraper celui qui entre dans l’eau ! » Mais le castor disparait en plongeant. Il dit : « Pourquoi crie-t-il ainsi ? »
On débarque et on fait un portage sur une pointe de sable. Kuekuekushu fait le brave dans son canot. Il chante à tue-tête, toujours étendu de tout son long. Les vagues vont dans tous les sens. Il est tellement secoué qu’il ne peut plus se lever debout. Il est emporté au large, et il tombe à la renverse. Il est étourdi. Il est pris comme dans un remous. Il est entre deux eaux. Puis il dit : « J’en suis enfin sorti ! » L’indien lui répond : ! « Arrête ! Ça suffit comme ça ! Ne chante pas, te dis-je ! On t’entend et on t’évite ! Tais-toi ! Vogue en silence ! » Il continue à ululer.
C’est là qu’ils vont hiverner. Ils se préparent à partir en raquettes en tirant leurs traîneaux. Il y a deux femmes dans la fille indienne en arrière. L’une d’entre elles court après les hommes, l’autre non. Celle qui court après les hommes s’amourache très vite. C’est Kukukuehu qu’elle choisit pour époux. Elle l’achala tellement le soir qu’il la malmena. Il la quitte, il ne peut pas vivre avec elle. Il est libre de nouveau, mais le voilà rendu le dernier de la file indienne. Il dit : « Je vais lui donner une bonne leçon, un de ces jours ! » Il en choisit une autre pour compagne. Ce qui lui fait gagner quelques rangs.
On continue à avancer en tirant les traîneaux. Le meneur est kakatsuain. C’est lui qui ouvre la marche quant on se déplace en file. C’est lui le capitaine. La femme qui occupe la dernière place chante : « Ce kakatsuain si personne ne lui fait son affaire, je m’en chargerai, moi ! » On rapporte à kakatsuain les paroles de la femme : « Kaktsuain, cette femme a dit en chantant : si personne ne lui fait son affaire, je m’en chargerai, moi ! » Il répond : « Comment pourrais-je épouser cette catin ! » « Je vais la remettre à sa place ! » murmure une autre. Elle se dirige vers elle et lui donne une bonne raclée. Elle la jette aux pieds d’une épinette en disant : « Un homme la mâchouillera quand il aura faim ! »
On reprend la marche. Le capitaine dit : « Je vais aller voir ce qu’est devenue la catin. Je vais partir en tirant le traîneau demain. » Le lendemain, il décampe. Il passe en traîneau à l’endroit où elle s’était enfouie dans la neige. Il s’enfonce là dans la neige. Il avait laissé là son traîneau bien à la vue. La caravane passe par là. Quelqu’un dit : « Kakatsuain, ne regarde pas nos femmes ! » Il répond : « Quel besoin aurais-je de les regarder ! » Il compta alors les femmes une par une, en commençant par les vieilles. On se demande ce qu’il fera. Puis il fait un trou dans la neige. Il ne regarde pas. Elles n’étaient pas encore toute passées. « Voilà », lui dit-on. Quand elles s’éloignent, c’est alors qu’il les regarde. Il sort alors de la neige en disant : « J’ai pu voir ka iatunuet ». Elle le prend par surprise : « Me voici kakatsuain ! » « Va-t-en » lui répond-il. Elle lui dit : « C’est moi qui vais t’épouser ! » Il lui dit : « Comment pourrais-je t’épouser toi, la prostituée ! » Elle lui dit : « Voici tes habits ! Regarde-les ! Je viens juste de les terminer ! » Elle détache son traîneau. Il revêt son habit, ses bas. Il est un autre homme ! Il lui répond alors : « Oui ». Il l’épouse. Ils tirent leurs traîneaux. Quand il reprit son traîneau, il se rendit compte qu’il était chargé de toutes sortes de choses.
Ils arrivent enfin au campement. Il était accompagné de son épouse et avait deux traîneaux. « Oh ! Qu’il est changé ! Mais, regardez-le donc ! » Kukukueshu n’est pas content. Il est jaloux. Il s’approche de ceux qui arrivent en tirant leurs traîneaux. Ils sont assis tous les deux à distance, sur le devant de leurs traîneaux. Il les regarde s’échanger des propos d’amoureux. Il saisit alors une flèche et son arc. Il se prépare à la lancer. Au moment où il décoche la flèche, quelqu’un la fait dévier par en haut. Il lui dit : « Qu’est-ce qu’il lui prend ? Il est donc prêt à tuer quelqu’un par jalousie ? » Il répond : « C’est vrai, je suis jaloux. » Il dit : « C’est bien pour rien qu’il veut tuer quelqu’un avec sa flèche ! Pour rien que quelqu’un serait tué par une flèche ! Tu l’avais laissé sorti de la neige ! Tu veux maintenant lui lancer une flèche dans le dos ! »
Kukukueshu est de mauvaise humeur. On habite ensemble de nouveau et on mange du caribou. On veut encore en manger. Demain on va se mettre en branle, dit-on. Le capitaine va aller d’avance à l’endroit où l’on tentera. Kakatsuain va prendre deux flèches à chacun. Il part tôt le matin. Il souffle sur les deux flèches que chacun lui a remises. Puis, il part seul à la chasse au caribou. Quand kukukueshu se lève, on lui avait pris deux flèches. Il lui manquait deux flèches. « Je sais très bien que je les avais mises là. Peut-être sont-elles recouvertes de neige ! » Le matin, on part en raquettes en tirant des traîneaux. Une fois arrivé, chacun demeure là où il reconnait ses flèches. Il n’y avait plus que deux caribous qui avaient été repoussés dans le territoire de chasse. On tira une flèche sur un jeune caribou.
Quand kuekuekushu arrive pour dresser sa tente, il voit ses deux flèches plantées par terre. C’est là qu’il doit pelleter pour tenter. Quand tous avaient dressé leurs tentes, on leur apportait à chacun un caribou. Kukukueshu avait reçu un petit caribou. Il en est satisfait. Il l’étripe alors. Le capitaine Kakatsuain annonce : « Quand vous aurez fini de vider le caribou, nous repartons ! » On flirte un peu au départ.
On va demeurer pendant un certain temps dans les tentes, car kakatsuain aura un enfant. Son épouse est enceinte. On mange ensemble et on lui apporte des cadeaux. Les vieux préparent la graisse de caribou. Ce sont eux qui broient les os. La tente « traversable » (shaputuan) était déjà grande, mais on l’agrandit pour l’occasion. On va festoyer à la graisse de caribou. On invite tout le monde. Kukukueshu est invité en l’honneur de l’enfant. « Tu es invité, kukukueshu ! » Il demande : « Puis-je lui donner en cadeau des tripes ? » « Non, on ne donne pas des tripes en cadeau à un bébé qui vient de naître ! » Il va chercher le sac où se trouvait le rat musqué qu’il avait fait bouillir. Puis il dit à celui qui l’avait invité : « Apportez-lui cela. C’est kukukueshu qui te l’offre en cadeau, tu lui diras. »
On apporte son cadeau : « Voici ce que kukukueshu t’offre en cadeau de naissance ! » Qu’est-ce qu’il peut bien avoir envoyé ? On l’examine. C’est un rat musqué ! « Quel cadeau à donner à un bébé ! Sortez-moi ça d’ici ! » Kukukueshu arrive à son tour. En approchant, il voit des chiens en train de déchiqueter son cadeau. Il le leur arrache de la gueule en disant : « Comment peut-il laisser traîner sur la neige ce que je lui avais donné en cadeau ? »
Il entre en portant son cadeau dans sa main. Ils font circuler le bébé tout autour, et le déposent dans les bras de chacun à tour de rôle. Celui sur lequel il urinera sera son père. L’enfant passera donc par les bras de tous et chacun. Kukukueshu avait mis de la neige sur sa poitrine pour quand il embrasserait l’enfant. On commence par lui. Il fait gicler l’eau fondue en disant : « Il a uriné sur moi, c’est mon fils ! » Il est déjà prêt à l’emmener chez lui. Mais on lui dit : « Ne sois pas si pressé, kukukueshu. Tu as fait gicler de l’eau de neige ! » Il répond : « Il a uriné sur moi ! » On lui dit : « Attends un peu ! Tu vas tout saboter ! Si c’est vraiment le tien tu l’emporteras. Nous ne voulons pas te l’enlever. On te le donnera! » On commence par kakatsuain. Kukukueshu veut le lui enlever. Le bébé urine sur sa poitrine. Alors on dit : « La preuve est faite. C’est lui le père ! » Kakatsuain lui dit : « Toi, tu as fait gicler de l’eau fondue. C’est vraiment mon fils ! »
Le lendemain, ils partent tous les deux, kakatsuain et kukukueshu. Kukukueshu accompagne kakatsuain. Ce dernier voit de jeunes hiboux. Kukukueshu lui dit : « Tu pourrais aller les réchauffer » Il répond : « Je grimpe jusqu’à leur nid immédiatement ! » Il grimpe jusqu’au haut de l’arbre. Kukukueshu l’attend. « Reviens ! » Son compagnon ne lui donne aucun signe de vie. Il entend claquer les becs des petits hiboux.
Il retourne seul à la maison. Il pense : « Les hiboux l’ont dévoré vivant ! » Il trouve l’endroit où demeurait son épouse, et entre dans la tente. Quand il veut s’asseoir, elle le chasse à coup de pieds. Il lui dit : « C’est moi qui serai ton époux ! » Quand elle lui donne encore des coups de pieds, il lui dit : « Ton mari a été mangé par des hiboux. J’ai entendu le claquement de leurs becs. » Elle lui répond : « Sors d’ici ! Il va revenir bientôt. Il n’est pas assez fou pour se faire manger par des hiboux ! » --« Non, il a été mangé par eux ! »--« Sors de chez moi ! » Il sort.
Un peu plus tard, on l’entend revenir. En entrant son épouse lui dit : « Kukukueshu a dit que tu avais été tué par des hiboux ! » « Ça suffit ! » dit-il. Il rassemble les humains et les animaux, et leur dit : « A partir de maintenant, vous allez vivre à part. Nous aussi. Tous. Nous ne cohabiterons plus comme nous l’avons fait maintenant. Nous allons habiter séparément. Les animaux vivront à part ! »
(légende racontée par Pierre Courtois et traduite par René Lapointe au mois de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
DE NATASHQUAN
TSHESHIAI
LEGENDE MONTAGNAISE DE NATASHQUAN
: TSHESHIAI
« On marche en raquettes en tirant les traîneaux. Les deux vieux les ralentissent énormément dans leurs déplacements successifs. Quand on dresse les tentes, on prend beaucoup de temps à leur monter la leur. Ils sont dans un âge avancé. Tsheshai va clopinclopant.
La vieille dit alors : « Laissez-nous ici. » On leur répond : « Non, on ne t’abandonnera pas ici toute seule ! » Elle insiste : « Vous nous abandonnerez. Je vais jouer un bon tour à votre grand-père. Je vais le séduire ! Vous vous êtes suffisamment occupés de nous comme cela ! (?) Nous allons de nouveau réapparaître comme des étrangers. C’est alors que je vais me payer sa tête ! Jouez bien votre rôle, vous aussi ! »
Comme elle l’avait planifié, le lendemain on se sépare en deux groupes, et l’on part dans des directions différentes. On se salue en disant : « Nous allons nous revoir bientôt ». On se met en marche. C’est le fils qui tire le traîneau du grand-père, et la fille celui de la grand-mère. Ils sont pris en charge par leurs enfants. On continue la marche. Après avoir tenté deux ou trois fois, les deux groupes se rencontrent de nouveau. On fait connaissance comme s’il s’agissait d’étrangers. On dresse les tentes en compagnie des visiteurs. Après s’être installés pour la nuit, on fait du feu. Elle était là, l’étrangère, près du feu.
On repart de nouveau en raquettes en tirant les traîneaux. Il ne peut pas voir son visage. Sa tête est recouverte d’un voile. On se recouvrait la tête d’un voile, dit-on, autrefois. La grand-mère dit à ses petits-fils : « Voici ce que vous direz à votre grand-père. La fille étrangère veut coucher avec toi. Elle est ici. Elle n’a pas trouvé d’homme ! » Au moment de repartir, les jeunes vont voir leur grand-père qui leur dit : « Nous vous ralentissons ! Laissez-nous ici ! » Ils répondent : « Jamais de la vie ! Grand-père, il y a ici une jeune fille étrangère qui veut coucher avec toi ! » Il leur dit : « Trèves de plaisanterie ! C’est vous qui êtes en pleine vigueur qui devriez être traités ainsi ! »
On campe de nouveau. On lui fait un feu. La jeune fille marche devant la tente du vieux. Les petits-fils disent : « Mais regarde-la donc marcher cette jeune fille ! » Il la regarde. Elle portait un arbre sur ses épaules. Sa femme aurait eu grand peine à faire la même chose ! Il en ressent de la fierté. Il s’en réjouit. Mais elle fléchit tout à coup, elle ploie sous le fardeau. Il dit : « Pourquoi se courbe-t-elle ainsi ? » Ils lui répondent : « Elle a à peine la force de le porter, car elle est très jeune. » Il se tient assis, là où elle passe.
Quand on a fini de dresser les tentes, on va chercher les traîneaux. Ce sont les femmes qui vont chercher les traîneaux de leurs maris. On va lui chercher son traîneau. Il fait pitié son traîneau. Il leur dit : « Ne confondez pas mon traîneau avec un autre ! » Ils se demandent : « Qu’y a-t-il de si précieux dans son traîneau ? » On va chercher les traîneaux. Il crie : « Ils sont en train de prendre mon traîneau ! » Elle dit : « Je viens chercher son traîneau ! » « Oui » dit-il. Il est heureux. Comme il est fier qu’on soit venu prendre son traîneau ! Ses petits-fils disent : « Vous lui monterez sa tente en arrière ! » On entre dans sa tente tout ce que contenait le traîneau.
On était allé chasser le castor dans sa cabane. Son fils revient, bredouille. « Nous n’avons vu aucune trace de castor. Rien du tout ! » Il se lève donc et décide d’accompagner son garçon. Ils arrivent à un lac glacé. Après avoir bien observé, le vieux dit : « C’est là qu’ils se tenaient. On a chassé le castor ici autrefois. Les castors d’un an demeuraient là, à la pointe. Et au milieu, dans l’anse, les castors de deux ans. Et là, à l’endroit où le lac se rétrécit, les castors adultes. Allons les chasser ! »
On défonce la cabane, on empêche les castors de s’échapper en leur faisant un enclos avec des pieux. Ils étaient tous là les petits castors d’un an. On les assomme et on les tue. Le vieux dit : « Dans l’anse, c’est là que s’étaient établis les castors de deux ans. » On enlève la neige. On fait un trou dans la glace. Ils étaient bien là. On les empêche de fuir en plantant des pieux tout autour. Et on les tue tous. Le vieux dit : « Là où le lac se rétrécit, les castors adultes se tenaient. » Ils enlèvent la neige et font des trous dans la glace. Un castor sort la tête de l’eau. Le vieux dit : « C’est comme je t’avais dit. Comment pourriez-vous en venir à bout si vos trous sont nombreux ? » Finalement, tous les castors ont été enfermés et assommés. Il dit à son fils : « Ramène à la maison tes castors ! » Il lui enlève ses raquettes. Son fils lui dit : « Que fais-tu là, mon père ? Tu m’as enlevé mes raquettes ! » Il lui répond : « Retourne avec les miennes. Prends garde de ne pas les casser ! Je vais aller par là à la recherche de porc-épic. »
Le voilà avec des raquettes neuves. Il s’enfonce dans le bois. En s’enfonçant toujours plus profondément dans le bois, il voit un petit porc-épic. Il le frappe avec son bâton. Puis il l’étripe et le vide. Il s’égare et s’assoit pour se reposer et se réorienter. Quand il se remet en marche, il porte un porc-épic sur son épaule. On l’entend arriver de loin la nuit. La vielle devenue fille dit aux petits fils : « Déplacez votre grand père ! » Il secoue la neige de ses vêtements, jette le porc-épic dans la tente, entre et ferme la porte. Il s’assit en face d’eux, plus loin. Ses petits-fils le repoussent à coup de pieds, et l’envoient de l’autre côté. On le renvoie ensuite ailleurs. Puis à un autre endroit. Enfin il est envoyé à coup de pied près de sa blonde. Il s’excuse : « Je me suis trompé de place ! » Un de ses petits-fils commande : « Donnez-lui son porc-épic ! » On le lui donne. Après l’avoir retiré du sac, il dit à l’une : « Ma grande sœur, tu le feras rôtir à la broche ! » Il dit à une autre : « Ma grande sœur, tu le feras rôtir à la broche ! » Il va en voir encore une autre. Mais il y en avait une qui était très jeune. Il a de la difficulté à la considérer comme sa grande sœur. Il s’assoit près d’elle. Elle avait l’air très jeune. Il lui dit : « Ma grande sœur, tu le feras rôtir à la broche ! » Il est heureux, très content. Elle est bien jeune sa grande sœur ! Il soupçonne alors qu’on lui joue un tour. Peu importe ! Il parle de chose et d’autre. Mais ne peut pas voir son visage recouvert d’un voile.
Le lendemain, quand on part en raquettes en tirant un traîneau, il accompagne son fils. Il marche en avant, elle en arrière, car elle est très jeune. Il dit : « Faites-nous une tente ! » Après avoir monté les tentes, on va chasser le castor dans sa cabane. Le soir, lui, il va au porc-épic. Un des petits-fils dit : « Je vais dresser une tente pour mon grand-père ? Il ne tuera pas un seul porc-épic. » Quand il revient, on lui avait déjà fait sa tente. Il entre. On lui dit : « Là-bas, on t’a fait ta tente. N’avais-tu pas demandé qu’on te dresse une tente ? » Il se déneige minutieusement. Pendant ce temps, la vieille enlève ses vêtements, et elle revêt des habits de fille. C’étaient les vêtements de sa petite-fille. Tsheshai, lui, entre après s’être consciencieusement déneigé.
Quand il entre, elle lui saute au coup. Les petits-fils suivent la scène de loin, et commentent : « Oui, elle l’a bien séduit ! Elle lui a joué un bon tour ! Elle lui a déjà sauté au cou ! » Il se chicane avec sa femme pendant la nuit. On l’entendait encore au cours de la nuit invectiver sa femme. Le matin, quand on préparait les traîneaux, il se dispute avec elle. Quand on allait partir en raquettes en tirant des traîneaux, il la chicanait encore. On le plante là alors. Que faire d’autre ?
Elle l’emmerdait. Il lui dit : « Te souviens-tu de l’endroit où l’on faisait d’avance tomber la neige pour les marcheurs ? » « Oui », dit-elle. Il sort de la tente furtivement, et déguerpit. Arrivé à l’endroit indiqué, il fait avec un bâton tomber la neige qui recouvre les branches d’arbre. Pour la tromper, il se cache en dessous d’une planche. Au bout d’un certain temps, elle découvre sa cachette. Il la chicane de nouveau. Ne pouvant plus la supporter, il lui dit : « As-tu entendu dire qu’en arrivant à la mer, on peut descendre en ski ? » « Non », répond-elle. Il ajoute : « Voilà le moyen de m’en débarrasser ! »
Il se dirige à la mer à toute vitesse. Il se coupe des branches et se fait un toboggan. Puis il descend aussitôt la montagne en glissant. Il n’arrête que quand il est arrivé au pied de la montagne. La femelle rat musqué sort à son tour du bois. Elle s’entoure de peaux de rat musqué et glisse à son tour. Quand Tsheshai la voit approcher, il souffle sur elle et elle grimpe la montagne à reculons. Il l’attend un bon moment, mais elle ne revient pas. Il s’en va. De l’autre côté c’est la mer, et ici c’est l’été. Après les avoir cherchés partout, il découvre enfin leur campement. Il dit : « Oui, c’est de là qu’elle venait ! » Il longe le bord de l’eau. Des tentes en peau de rat musqué sont dressées. Il y en a beaucoup.
C’est là qu’il s’infiltre près d’une femelle qui allaite un enfant. Une femme lui dit : « Va-t-en d’ici ! Ce doit être lui ! C’est toi qui as tué tes fils ! » Il dit : « Faisons-leur une tente à tous ! » Il dresse alors une tente, une tente à deux portes. Une très grande, une tente « traversable ». Il dit : « Je vais les faire entrer là. Je vais les placer là. » Il dit à la femme : « Comment pourrais-tu suffire à les allaiter tous ? » Il fait donc entrer pour qu’on y prenne place. Ils sont très nombreux. Mais seulement les adultes. Oh qu’ils sont nombreux ! Alors il leur dit :
« A partir de maintenant, je ne vous prendrai plus en charge ! Vous êtes trop nombreux ! Vous allez vivre séparément ! » Il tourne la langue aux Anglais, et eux et les autres ne se comprennent plus. Il tourne ensuite la langue aux Français. Eux et les autres ne se comprennent plus non plus. Puis il tourne la langue aux Indiens et aux Eskimos. Il conclut en disant ; « Les Français et les Anglais seront toujours sur la côte. Les Anglais se feront des bateaux et les Français se feront des bateaux. L’Indien, lui, demeurera dans le bois. Il se fera un arc. L’Eskimo se fera lui aussi un arc. Il demeurera là lui aussi. »
Il fait alors des bateaux pour les Anglais. Il en fait deux. Il fait des bateaux également pour les Français. Il leur fait aussi des fusils et des épées. Puis il leur dit : « Battez-vous ensemble ! Vous vous ferez toujours la guerre les uns aux autres ! Réduisez votre nombre, car vous êtes trop nombreux ! » Les Anglais et les Français se font alors la guerre dans leurs bateaux. Il les regarde. Il leur fait des fusils et des épées. Et il dit : « Voilà, voilà ! » On se bat. Il leur dit : « Voilà comment vous vous comporterez tant que la terre durera. Toujours vous vous ferez la guerre ! »
Puis il se tourna vers les Indiens et les Eskimos. Il fit des arcs pour les Indiens et il en fit pour les Eskimos. Il les envoie dans la forêt. C’est dans la forêt qu’ils se battent pour s’emparer des territoires ennemis. On se bat dans la forêt. On se lance des flèches les uns sur les autres. Il dit enfin : « Voilà. Vous êtes déjà trop nombreux ! C’est ainsi que vous vous traiterez les uns les autres, vous les Indiens et les Eskimos. Quand vous vous verrez, vous ne pourrez jamais vous supporter. Vous vous battrez toujours les uns contre les autres. Il en sera de même pour les Français et les Anglais. Ils se tueront toujours les uns les autres quand ils se rencontreront. »
(légende racontée par
Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René Lapointe au mois
de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de NATASHQUAN
(mistukushiu
atanukan
légende d’origine blanche)
KA MIKUAKUSSIT ou
KA UPMESHUMIT
« Il est affamé, dit-on. Ils le sont tous les deux. Son père n’est plus de ce monde, ni son grand-père. Il ne lui reste que sa grand-mère. C’est elle qui prend soin de lui. Ils ont la fringale. On mange très peu à la maison. De temps en temps seulement, quand la chance leur sourit. Il va à la pêche à plusieurs reprises en quête de poisson. Quand il en attrape un, sa grand-mère le lui fait cuire.
Il longe les cours d’eau.
Quand il trouve des capelans échoués sur la grève, il s’en
sert comme appât pour pêcher dans des ruisseaux. Un de
ces bons jours, il attrapa une anguille. Il avait grand
hâte de la tuer. Mais elle se mit à lui parler, à lui dire :
« Remets-moi à l’eau ! » Il lui répond : « Comment
pourrais-je te remettre à l’eau, puisque je meurs de faim !
Qu’aurons-nous à manger si je te rends la liberté ? »
Elle
réplique : « Non, non. Remets-moi à l’eau ! » Comme
il cherchait à la tuer en la frappant, elle lui cria : « Non, non.
Ne me tue pas ! Si tu me renvoies à l’eau, tu n’auras
qu’à penser à quelque chose pour qu’elle se réalise.
Si tu désires qu’une chose existe, si tu souhaites avoir de
la nourriture en abondance, si tu veux avoir de l’argent,
tout cela se réalisera. Tu n’aurais qu’à désirer et à
penser pour que tes désirs et tes pensées deviennent réalité.
»--« Marché conclu, » dit-il. L’anguille ajoute : « Pour
te donner la preuve de ce que je te dis, si tu me renvoies à
l’eau, tu trouveras de quoi manger, et tu pourras te remplir
le ventre. » Il la rejette donc à l’eau. Elle
s’éloigne en répétant : « A l’instant même, tu vas
manger à satiété. »
Quand il se retourne, il voit de la nourriture dans une assiette déposée sur le sable. Il la prend et mange tout son saoul. Il aurait bien aimé en laisser pour sa grand-mère, mais il avait si faim. Après le repas, il nettoie son assiette dans l’eau. Quand il se retourne de nouveau, il voit de la nourriture posée près d’un buisson. Il l’apporte à sa grand-mère. Il tient son assiette derrière son dos. Il lui dit : « Grand-mère, j’ai trouvé de la nourriture. J’ai mangé à ma faim. Une anguille que je voulais tuer m’a parlé et je l’ai remise à l’eau. Elle m’a demandé de la relâcher. Elle m’a dit que si je le faisais, j’aurais dès maintenant de la nourriture, que tout ce que je désirerais je l’obtiendrais. Je n’aurai qu’à penser pour que mes rêves deviennent réalité. » Elle lui répond : « Eh oui ! C’est ce qui va t’arriver pour vrai ! Nous allons quand même lui mentir. Je sais où demeure le poisson par celui qui a été secouru par un poisson dans un film. Quand quelqu’un adopte un poisson, il en reçoit toutes sortes de services. »
Un riche seigneur demeurait dans la ville. C’était un grand seigneur. Il avait une fille. Il va la voir dans son château, et entre. Il ne veut que lui rendre visite. Il se tient tout croche, une épaule plus élevée que l’autre. La princesse n’en a que du mépris. Il demeure dans le portique un bon moment, puis il demande la charité au nom de Dieu. On lui donne un morceau de pain. La princesse le prend en grippe, et le met à la porte à coup de balai. Cela n’a pas suffi pour le mettre en colère. Il revient frapper à la porte du palais le soir. La princesse s’y trouvait. Elle était en train de balayer. Quand elle eut finit de balayer, il lui lança son casque. « Qu’est-ce qu’il fait là ? Va-t-en ! Sors de cette maison, » lui dit-elle. Il revient encore une autre fois, mais la princesse le reçoit à coups de balai, tellement elle en a du dégout. Il avait fait l’amour en lançant son casque. Il sort. Mais cette-fois-ci, elle avait réussi à le mettre en colère. Il pense : « Qu’elle devienne enceinte ! » Il lui dit : « Tu es allée un peu fort dans ta haine ! Je t’ai épousée en te lançant mon casque. J’ai eu un enfant en agissant ainsi ! »
Peu de temps après, le
bruit circule : la princesse est enceinte. Il ne fait
qu’en rire : « J’ai fait cela rien qu’à y penser ! J’ai
prix ma revanche de tes coups de balai. »
Le roi est en
colère. A neuf heures, il convoque tous les nobles et
les seigneurs. Un devin dit au roi : « Donne un sou à
l’enfant, il va soulever l’argent quand il verra son père.
» Tous ceux qui ont été convoqués entrent et prennent
place, les nobles, les officiers, les policiers. On fait
circuler l’enfant. Il ne touche pas à la pièce de
monnaie. On présente à l’enfant tous les invités à tour
de rôle, mais aucun ne parvient à faire réagir l’enfant.
On ne sait plus à quel saint se vouer. Mais il est là,
debout, dans l’entrée. Il pense : « S’il vient me
voir, que me dira-t-il ? » L’enfant se met tout
à coup à pleurer. Il lève son argent en direction du
portique. Il le lève à plusieurs reprises. On va
voir l’intrus, on lui apporte l’enfant. En le
voyant, il soulève la pièce de monnaie. On dit : «
C’est vraiment lui ! La princesse l’avait mis à la porte !
»
Le roi est terriblement fâché. Il entre dans une colère noire. Il ordonne : « Allez chercher un tonneau de grande taille ! » On bouche tous les trous et on le goudronne. Puis on les embarque tous deux dans un bateau à voile, et on appareille. Le roi, lui, prend l’enfant à sa charge. Une fois rendu en haute mer, on lance le tonneau à l’eau. Il flotte, porté par le courant. Ils étaient assis côte à côte, mais séparés par une cloison. Un trou avait été percé au milieu, pour qu’ils puissent communiquer entre eux. Il se met à chanter. Il chanta toute la nuit. La princesse se dit à elle-même : « Il est peut-être doué de dons préternaturels. Il le fait peut-être à dessein ! » Puis, elle lui cria dans le trou : « Claude, pense que nous nous poserons sur la grève, qu’il y aura là une maison qui nous appartiendra à nous seuls, et des vaches, des chevaux et des poules ! » Il chanta donc pendant toute la nuit.
La princesse dormait. Le tonneau se met à rouler sur lui-même, cognant sur les cailloux, avant d’être projeté par la dernière vague sur la grève. Elle crie : « Claude, nous voici arrivés ! » Il se réveille, donne des coups de pied sur le tonneau et le défonce. Il sort. Il n’y a personne. Une maison se trouve là, avec du gazon tout autour. C’est un château. Elle est tout simplement magnifique. Il y a des ateliers, des boutiques, des granges. Elle dit : « Sors ! Viens voir la maison ! » Elle l’embrasse et le chérit. Ils regardent ici et là, puis entrent dans la maison. Elle est vide. Mais comme elle est splendide ! La princesse s’affaire dans sa cuisine, et lui dans son atelier.
Mais bientôt, il veut faire l’inventaire de son troupeau. Il voit les traces des vaches et des bœufs, et les aperçoit en train de paître. Près de la forêt, se tiennent les chevaux. Il y en a en grand nombre, des noirs et des blancs. Sur une île même, il y en a encore d’autres. Il se promène à cheval, et explore son territoire. Il veut savoir s’il y a sur sa terre des animaux prédateurs, comme des loups, des serpents ou des tigres. Il est bien équipé pour y faire face, car il est armé d’une épée et d’un arc quand il circule à cheval. Il chevauche ainsi toute la journée.
Elle lui dit : « Claude, désire que nous ayons une voiture, pour que nous puissions nous promener, et un bateau. J’irais revoir mon père ! » « Oui, nous nous promènerons. » C’est le matin. Deux souris passent en courant. L’une est plus grosse que l’autre. Il va les observer, s’approche d’elles, puis il souffle sur elles. Aussitôt apparaissent deux carrosses Les souris sont devenues des carrosses. Ce sont des carrosses ou des carrioles. Il entre et lui dit : « Lève-toi et regarde, toi qui voulais te promener en carrosse ! Les voilà devant toi ! » C’étaient des carrosses seigneuriaux ! Elle l’embrasse de nouveau, et l’étreint.
Elle lui demande ensuite : « Où conserves-tu ton argent ? » Il lui répond : « Dans l’étable puante. C’est là qu’il se trouve. Aimerais-tu le voir ? » Elle ouvre la porte de l’étable. Le cœur lui lève en voyant cette saleté. Il lui dit : « Entre ! Si tu as peur, si tu fais la dégoutée, nous allons perdre notre argent. Tu vas me faire du tort ! » Elle s’avance en disant : « Étends ici un madrier pour que j’y pose le pied. » Il lui répond : « Ce n’est pas nécessaire. Viens tout simplement. Il ne t’arrivera rien. Tu ne saliras pas tes souliers ! » Elle saute par-dessus les tas de merde. Mais voici que de la poutre tombe du fumier de vache. Elle tombe là où se trouve la princesse. De ce fumier encore tout chaud se dégage une odeur infecte. La princesse est sur le point de vomir, et ne pense qu’à s’éclipser. Mais quand elle se retourne, elle ne voit tomber que de l’argent. A force de tomber, il forme déjà un gros tas. Que d’argent ! La princesse est folle de joie. Il lui dit : « Compte-les ! » Elle lui répond : « Je n’ai pas ce qu’il faut pour en déterminer la valeur. Nous calculerons quand nous aurons la balance de mon père. » Il lui dit ensuite : « Prends-en la moitié. » Elle en prend la moitié. Il attache encore au plafond son veau, car c’est de lui que vient tout cet argent. La princesse compte l’argent. Il lui dit : « Nous en avons assez. De quoi donc as-tu besoin ? »
C’est le matin. Ils vont bientôt s’embarquer. Ils se dirigent vers le port. Leur voilier est là à l’ancre. Il a même un moteur. Quand ils lèvent l’ancre, ils ne voient aucun autre navire à l’horizon. Puis il part son moteur, et hisse ses voiles. Ils ont un long voyage à faire, mais le vent souffle dans la bonne direction. Il lui dit : « Nous allons naviguer pendant trois mois. Ensuite, tu verras ton père. » Ils ont une boussole et un astrolabe ou un radar. « C’est là que se trouve ton père ! » Ils avaient apporté la nourriture qu’il fallait. Ils en avaient suffisamment assez. Le vent gonflait les voiles pendant la nuit. Il lui dit : « Dans trois nuits, tu vas voir ton père ! » Puis, soudain, on voit poindre la terre à l’horizon. Le voici bientôt arrivé à bon port. Il s’arrête à une certaine distance du quai, et jette l’ancre. C’est le soir.
A son réveil, le roi apprend l’existence d’un merveilleux bateau. On va aller l’inspecter. Des soldats et des policiers se rendent au quai. Ils embarquent. Lui, de son côté, descend de sa cabine et se prépare à recevoir les visiteurs. La princesse fait des gestes de salutation, et reconnait son frère. Son frère aussi la reconnait. Il dit : « C’est celle qui a été jetée à l’eau ! » On la ramène auprès de son père, dans la maison de son grand-père. Son père la reconnait quand elle entre dans le palais. Elle est habillée superbement et a l’air d’une vraie reine. Il la fait alors entrer.
Il reconnait aussi son gendre. Son habit est couvert de badges, et de médailles. Le roi regarde avec admiration le gendre qu’il avait jeté à l’eau. On explique la signification de ces insignes. Il le considère comme un vrai roi, et l’a en grande vénération. Sa fille lui raconte alors : « Il est riche, et est un grand seigneur. Il ne travaille jamais, mais ne fait que chanter. C’est ce qu’il fera. Il chantera pour faire quelque chose. Il n’a qu’à penser à une chose pour qu’elle se réalise, comme par exemple la grandeur de notre maison. Notre terre est bien belle. Si vous voulez partir avec nous, nous vous accompagnerons au retour. Nous allons demeurer avec vous pendant un mois. »
Le roi est fier de voir que son gendre est si riche. Il fait alors un banquet en son honneur. »
(Légende racontée par
Pierre Zacharie Mistukushu de Natashquan, et traduite par René
Lapointe omi, au mois de novembre 2014. Ce récit n’est
pas terminé. Il continue de la même façon que celui de Pien
Peter de Saint-Augustin, intitulé ka mikuakussit. )
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
KAIASTSIMEUAT
(LES ESKIMOS)
« On a fait la guerre autrefois aux Eskimos. On leur a fait la guerre pour leur enlever leur territoire.
Les Indiens ont commencé à attaquer les Eskimos à Havre-Saint-Pierre (appelé autrefois baie des Eskimos). C’est là qu’on s’est battu avec acharnement. C’est à partir de là que les Eskimos se sont mis à fuir. On les poursuivait toujours en canot. Quand on les rejoignait, on les attaquait. Les Eskimos retraitaient en désordre. Quand on les rejoignait, on les attaquait de nouveau. Ils fuyaient toujours vers l’est. Quand ils arrivèrent à la pointe (matsiteu) qui a aujourd’hui pour nom nutashkuan, les Indiens leur livrèrent un furieux combat. On les a poursuivis jusqu’à tsheshatsit, north west river. Ils purent s’établir à partir de là, et considérer les territoires adjacents comme les leurs.
Si un vieux, dit-on, n’était pas venu à leur secours, tous les eskimos auraient péri. Il avait un garçon ce vieillard. A quoi pouvait bien ressembler le talisman ou fétiche (mentushiun) qu’il portait dans un sac ? Je ne saurais le dire. Voilà l’arme avec laquelle il aurait attaqué les Indiens. Avec cette arme magique il aurait pu les exterminer tous. C’est lui le premier qui s’est porté à leur défense. Mais il a été tué. On lui coupa les jambes, et on lui planta un poignard dans la poitrine. Puis, on l’étripa. Les Eskimos attendirent longtemps son retour. Ils allèrent à sa recherche, s’informèrent, et apprirent finalement qu’il avait été tué. Quand ils eurent la certitude qu’il était mort, ils se glissèrent dans leurs kayaks. On leur lança le talisman du vieil eskimo aussi loin qu’on put les rejoindre. Et tous moururent.
Il y eut un survivant. Un vieil eskimo était toujours en vie. Il fait des gestes menaçants en direction des Indiens. Il se tenait debout dans son embarcation quand il gesticulait ainsi. Puis le conflit prit fin. Chacun retourna chez soi.
L’hiver arriva. Il faisait froid, très froid. Un froid vif et pénétrant. Beaucoup trop froid pour qu’il neige. Les Indiens étaient montés passer l’hiver dans la forêt. Il ventait à écorner les bœufs. Le sorcier s’attendait toujours à la venue du vieil eskimo qui avait gesticulé, debout, dans son embarcation. Il annonce : « Au mois de janvier, il devrait faire son apparition. » Il faisait tellement froid que les femmes ne pouvaient plus aller chercher le bois de chauffage. Seuls les vieux le pouvaient encore.
Voici sous quelle forme le vieil eskimo se montra au début. Il ressemblait à un nuage bas flottant dans les airs. On décida alors de partir en raquettes en tirant des traîneaux. On s’éloignait toujours quand il réapparaissait. On disait : « Il va venir bientôt. Il va nous rejoindre bientôt. » Un peu plus tard, un bloc de glace, gros comme un iceberg ou comme une montagne, se fraye un chemin jusqu’aux Indiens. Le vieil eskimo se trouve en-dessous de l’iceberg, sous la forme d’une immense chenille.
Il y avait alors, dans une tente, deux vieux chez les Indiens. Deux frères. Ils se font des lances en bois, l’un après l’autre. Le plus vieux dit à ceux qui l’accompagnaient : « C’est l’eskimo qui nous a fait des gestes de menace. C’est son œuvre. Partez d’ici ! » Puis il ajoute : « Nous réussirons ou nous échouerons. Si nous en venons à bout, vous nous ferez des clôtures en fil de fer barbelé. Il vous sera difficile de nous arrêter. Il faudra tout tenter pour nous arrêter. »
On part en raquette en tirant des traîneaux. Le vieil eskimo apparait déjà. Il fait un froid de loup quand on dresse les tentes. Quelqu’un dit aux deux frères : « Ne sortez pas par ici, sortez par le chemin qui a été foulé. » Les frères le regardent de loin. Ils enlèvent leurs vêtements et ne conservent que les caleçons. L’iceberg s’approche d’eux. Le plus vieux dit à son frère plus jeune : « Toi d’abord ! » Il répond : « Je ne serai pas capable. Toi d’abord ! » Ils montent tous les deux sur la montagne de glace. Le plus vieux enfonce dans la glace une lance qui a une pointe acérée en pierre. Il ne le blesse pas. « Que faisons-nous là mon petit frère ? » Le plus jeune essaie à son tour. Il se penche pour l’écouter bouger. Il écoute les palpitations de son cœur. « C’est ici qu’il devrait être ! » dit-il. On le frappe de nouveau. La lance passe à côté. On ne l’a pas transpercé. Il dit : « Que faisons-nous là ? »
Peu de temps après, son sang monte à la surface et rougit la neige. Nos grands-pères appelés mistapeu viennent nous rendre visite, et dévorent la chenille monstrueuse. Ils étaient très nombreux les mistapeu à venir s’en régaler. Après s’en être repus, ils repartent.
Le vieux le plus jeune dit au plus âgé : « C’est toi d’bord qui retourneras au campement, moi ensuite. » On attendait anxieusement leur retour. Puis, on en aperçut un. Là où on avait installé des clôtures pour les arrêter, on avait placé des peaux de caribou au cas où ils tomberaient. On parvint à en arrêter un. Un des deux a été maîtrisé. Il en restait un autre. On l’aperçut au loin qui rompait avec facilité ce qui ressemblait à des fils de barbelé. Tous ceux qu’il rencontrait sur son chemin, il les faisait éclater. Sa femme est finalement allée à sa rencontre. Elle l’attendait debout à l’endroit où il devait passer. C’était le seul expédient qui restait, car l’indien défonçait toutes les clôtures qui auraient dû le retenir. Mais sa femme, il ne put pas la renverser. Au contraire, c’est elle qui l’a freiné dans son élan. Il s’affaissa ensuite sur la peau de caribou.
On les décongela. On aviva le feu avec de la graisse de caribou pour les dégeler. Quand la chaleur se mit à circuler de nouveau dans leurs membres, ils sortirent. Tous repartirent alors en raquettes en tirant leurs traîneaux. Il y eut un grand changement de température. Il faisait beaucoup moins froid après qu’on ait tué le vieil eskimo.
Une de leurs chiennes a mis bas deux chiots, un mâle et une femelle. On les opère et on leur enlève tous leurs organes vitaux. On ne les remplit à l’intérieur que de glace. S’ils avaient un cœur, les Eskimos pourraient les tuer. Ils n’ont pas de cœur, mais seulement de la glace. La glace leur tient lieu de cœur. On les congèle, on en fait un bloc de glace. Quand ils ont été bien robotisés, on les envoie en mission, (comme les drones d’aujourd’hui.) C’est à leur tour de passer à l’attaque. Ils partent enfin et s’éloignent. Quand ils arrivent à un cours d’eau glacé, ils sont déjà très grands. Au fur et à mesure qu’on les voit s’éloigner, ils grandissent. C’est en représailles qu’ils partent à la recherche des Eskimos.
Il devait y avoir un eskimo qui s’attendait à leur arrivée, et qui était toujours en faction. Quand les chiens robotisés arrivèrent, les Eskimos leur lancèrent toutes les flèches qu’ils avaient sous la main, mais ne purent pas les tuer. Ils étaient à bout de ressources. L’haleine de ces chiens suffisait à elle seule à procurer la mort, quand elle pénétrait par le trou de l’iglou. Dès que les Eskimos la respiraient, ils tombaient raides morts. Les chiens se contentaient de mettre leurs têtes dans l’entrée et de renifler. Cette haleine glacée les figeait sur place. Les Eskimos n’y pouvaient rien. Les chiens tuèrent tous ceux qui se trouvaient sur leurs passages. Ce fut tout un carnage. »
(légende racontée par
Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René Lapointe omi,
au mois de novembre 2014)
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des Matières
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
MINKANAT
(LES LOUPS et le carcajou)
« Le carcajou va dresser sa tente. Il se dirige vers une rivière gelée. Quand il arrive à la grève, les loups surgissent tout à coup de la forêt. Ils s’interrogent : « Quel est ce voyageur ? » - « Ce doit être notre grand-frère. »- « Oui, c’est bien lui. » Puis ils se disent : « Faisons-lui une peur bleue ! Foncez sur lui à toute vitesse ! » Ils partent à l’assaut. Juste avant qu’on le rejoigne, le carcajou se dirige précipitamment dans le bois, se casse une branche, et se la met devant la face, à la hauteur des dents. Puis il sort subitement du bois à la rencontre de ses petits frères. Ses dents avaient un air féroce. Un des loups dit : « Attention ! Notre grand frère va nous mettre en charpie ! Ses dents nous donnent la chair de poule! » Il leur répond : « Tenez-vous tranquilles, ou bien, c’est ce que je vais vous faire ! »
Ils reculent de quelques pas. Puis ils lui demandent : « D’où viens-tu, mon grand-frère ! » « Je viens de là », leur répond-il. On reste immobile pendant un certain temps. Ils lui disent ensuite : « Mon grand frère, tu es en train d’accompagner tes petits frères qui sont à la recherche des crottes de caribou ! » On part donc à la course. C’était le soir quand ils se mirent en branle. Un des loups lui dit alors : « Mon grand-frère, tu as abandonné nos fistons. » Il lui répond : « Comment pourrais-je avoir un fils ? Je suis seul depuis l’hiver dernier. Par quel moyen pourrais-je avoir un fils ? »
On repart de nouveau. Il marche en arrière de la meute et accompagne les loups âgés. Voilà quels sont ses compagnons de route, les vieux. On marche en amont sur une rivière recouverte de neige. Les pieds trempent dans la gadoue. On marche jusqu’au soir dans la neige mouillée. Un loup dit au carcajou : « Mon grand-frère, tu vas geler des pieds ! Ne marche pas dans la gadoue ! » Il leur répond : « Comment pourrais-je geler des pieds ? » Les pieds continuent à s’enfoncer dans la neige mouillée. Il s’arrête alors un moment pour enlever avec ses dents la neige qui colle à ses pieds. Un loup lui dit : « Ne t’avais-je pas averti ? Ne t’avais-je pas dit que tu gèlerais des pieds ? Comment tes petits frères pourraient-il geler des pieds, ils ont du feu, eux. » Il leur répond : « J’ai du feu, moi aussi. »
C’est la brunante, le soleil va bientôt se coucher. Un loup lui dit : « Nous devrions dormir ici ! » Ils sont là debout en attente. Puis le chef de la bande dit à Carcajou : « Va, mon grand-frère ! Va nous trouver le bon endroit pour dormir ! » Il se dirige vers le sud, dans un boisé, à l’abri du vent. On ne peut trouver mieux. Il leur dit : « Ici ! » Le loup dominant répond : « Notre grand-frère va nous faire grelotter ! C’est là que souffle le vent du nord ! Tsitikuanu, va, à ton tour, chercher l’endroit idéal pour dormir ! » Il se dirige en direction du nord, dans un endroit découvert, exposé à tous les vents. Il dit : « Jouons un bon tour à notre grand frère ! » Il y a là des bancs de neige. Les loups se couchent par-dessus, s’enroulent sur eux-mêmes, séparés les uns des autres. Le carcajou se rapproche de l’un d’entre eux. Au milieu de la nuit, le vent était cinglant. Il pleure de froid.
Le loup dit : « Notre grand-frère pleure de froid, il vagit comme un bébé! Allez vous coucher près de lui ! » Ils se mettent près de lui, le couvrent tous de leurs queues. Il ne grelotte plus en dormant. Mais il sent tout à coup des gaz intestinaux. Il dit : « Tsitsikuanu sent mauvais ! » Un loup demande : « Que dit notre grand-frère ? » « Il dit que Tsitsikuanu sent mauvais ! » « Rejetez-le en arrière ! » répond-il. Le carcajou dit à son tour : « Pas du tout ! J’ai dit : Oh, comme je dors bien ! »
Le carcajou se réveille le
matin. Les loups se lèvent aussi. Ils hurlent.
Ils se réveillent sur un lac qui n’a ni recharge ni décharge.
En se levant, le chef de bande crache du sang. Le
carcajou dit : « Pour cracher du sang, il a du se rompre les
veines. » Un loup lui répondit : « Je ne suis pas de l’avis
du carcajou. Il dit qu’il s’est rompu une veine.
Voilà ce qu’il fait quand il va trouver du gibier à la chasse. »
Le carcajou lui dit : « Je suis capable de faire tout ce que
vous faites. Votre savoir-faire est le mien. »
Vers midi, on devrait rejoindre le ravage des caribous.
On repart le matin. On marche en amont sur la surface gelée de la rivière. Un loup dit à carcajou : « Il y a ici une baie, une ile. On ne peut jamais devancer tsitsikuanu quand on lui lance un défi. » « Moi, je vais le battre à la course, » dit le carcajou. Ils continuent à avancer et arrivent à une île couverte d’arbres, jolie à voir. Le départ est donné. Le carcajou s’élance en compagnie de son rival. L’un va d’un côté de l’île et les autres de l’autre. Le carcajou prend de l’avance. Les loups avancent au trot. Ils sautent sur place. Le carcajou va si vite qu’il va dépasser le loup. Les loups continuent à gambader. Enfin, le carcajou débouche le premier. Il dit : « N’est-ce pas ce que j’avais dit ? N’avais-je pas dit que je le battrais à la course ? » Mais les loups ne couraient pas, ils avançaient par bonds.
On part de nouveau. Un loup dit : « Mon grand-frère, nous allons bientôt quitter la rivière ! » Ils laissent là la rivière. Ils sont de nouveau au milieu d’un lac gelé. Il vente, et le vent vient du nord. Ils hument l’air ambiant. Ils inspectent le vent de toutes leurs narines. Le carcajou flaire à son tour une odeur étrange. « Qu’est-ce que notre grand-frère a bien pu flairer ? » On le suit. Le chef de bande dit : « Il m’a surpassé ! » Ils avancent dans le bois. Que voient-ils ? Un porc-épic en train de ronger un arbre. Un loup dit : « Attention ! Voilà le porc-épic de notre grand-frère ! Il va nous donner à manger du porc-épic ! » Un autre dit : « En agissant ainsi, il va faire de nous des êtres humains ! » Le carcajou ramène son porc-épic à la grève en disant : « Il est pour eux sans intérêt ! »
On repart de nouveau. Tsitsikuanu hume de nouveau et détecte des odeurs de caribou. Ça sent le caribou à plein nez. Ils continuent leur route, et parviennent enfin au ravage. Le carcajou, lui, avec son pif, n’a rien senti du tout. Le loup dit au carcajou : « Mon grand-frère, que les vieux n’en aient pas de honte ! Ne me ralentissez pas ! » Ceux qui cherchent à percevoir des odeurs marchaient ensemble. Un loup dit au carcajou : « Mon grand frère, peux-tu identifier les caribous présents par leur sexe et par leur âge ? » Il prend un profond respire et dit : « Bien certainement. Il n’y a que des mâles. Il y aussi de jeunes caribous qui suivent. Je pense qu’il y aura aussi des femelles qui allaitent leurs petits. » Le loup reprend : « Fort bien. Moi je pense qu’il n’y a pas de mâles. Mais seulement des femelles avec les jeunes caribous et les faons. » Le carcajou répond : « C’est ce que j’aurais du dire. J’ai eu un lapsus. »
Le carcajou et les vieux loups fermaient la marche. Ils suivaient les traces des caribous. On aperçoit tout à coup des tas de crottes. Ils doivent être rendus à la fiente des caribous. Les jeunes loups vont chasser les caribous. Ils les trouvent tout de suite. On veut cacher cela au carcajou. On lui dit : « Va donc voir de côté si un caribou ne se serait pas échapper par là ! » Il regarde un peu partout. Un loup lui dit : « Observe autant que tu voudras, mais si tu trouves quelque chose, ne t’en occupe pas. Celui qui poursuit le caribou laisse tout tomber, et ne recherche rien d’autre. »
Le carcajou dit : « Là-bas, pas loin, il a du fienter en courant. Il a uriné aussi ! » --« Ne dis pas n’importe quoi. Il chasse le caribou tsitsikuanu. » Le carcajou insiste : « Il a d’abord pensé à faire ses besoins avant de chasser ! » Le loup lui dit : « Comment aurait-il pu fienter ici ? C’est un foulard. » Le carcajou reprend : « Comment pourrait-ce être un foulard, c’est un tas de merde ! » Le loup cache le foulard dans la neige. Le carcajou le prend et le loup le projette au loin. Le carcajou se plaint : « J’aimerais avoir un foulard. Apporte-le-moi ! » Le loup lui dit : « Tas-toi et fais-en ton deuil ! » Le carcajou se fait menaçant : « Apporte-le-moi! Si tu ne me le donnes pas, je vais te jeter un mauvais sort ! » Il a peur de lui, car il a des pouvoirs magiques. Il lui dit : « Le voici ! Mais ne prête désormais attention à aucune chose que tu rencontreras en chemin ! »
Ils se dirigent vers le ravage en suivant les traces. Or voici qu’un peu plus loin quelqu’un s’est cogné sur un arbre. Le carcajou dit : « Oh! Comme il est gourmand tsitsikuanu ! Il a mordu l’arbre ! » Le loup lui répond : « Comment pourrait-il l’avoir mordu, c’est une flèche ! » Le carcajou insiste : « Ce n’est pas une flèche mais une dent ! » Le loup dit : « Mais où donc ? » Le carcajou répond : « Ce qui est fixé là ! » Le loup répète : « C’est une flèche ! » Le carcajou s’entête : « Comment ce pourrait-être une flèche, c’est une dent ! » Le loup l’enlève et la cache dans la neige. « J’aimerais bien avoir une flèche ! Apporte-la-moi, » lui dit le carcajou. Le loup répond : « Tais-toi ! Comment pourrais-je te la donner, puisque tu dois ne t’intéresser à rien de ce que tu rencontres ! » Le carcajou lui dit : « Je vais t’envoyer un maléfice si tu ne me la donnes pas ! » Le loup lui dit : « La voici ! Mais désormais ne prête intérêt à rien de ce que tu rencontreras ! »
Les caribous ont tous été tués dans la savane. On les met dans des sacs, et on les cache. Quand le carcajou et les vieux arrivèrent sur les lieux, ils virent les jeunes loups en train de sucer la moelle des os. Ils ne virent rien d’autre. Seulement des taches de sang. Le carcajou pense : « Ils sont donc bien voraces ! Des os, c’est tout ce qu’ils nous ont laissé pour assouvir notre faim ! » Il déplore la perte des caribous ! Un loup dit : « Mon grand frère, si tu as vraiment faim, mange les parcelles de viande collées aux os ! Suce la moelle des os ! » Le carcajou répond : « Quel besoin ai-je de gratter des os ! Ils sont couverts de votre bave ! » Le loup reprit : « Que dit notre grand-frère qui déplore la perte des caribous ? » Il dit : « Comment pourrais-je lécher des os que vous avez recouverts de votre bave ! » Le carcajou corrige : « J’ai dit : je les lècherai volontiers car j’ai grand faim ! »
Un des loups dit : « Où allons-nous dresser le shaputuan , la tente à deux portes « traversable » ? » On fait la tente. Comme il y a des visiteurs, on fait une tente à deux portes. Une grande tente de sapin. Le carcajou ne voit rien de spécial. Il pense : « Pourquoi dressent-ils cette tente-là ? » On cherche à l’éloigner et on lui demande : « Mon frère, va chercher du sapinage. » Il apportait les branches une par une. Puis il se dit : « Qu’est-ce que je vais me mettre sous la dent ? Je mangerais volontiers du porc-épic. Je le ferai rôtir à la broche ! » Il fait plusieurs voyages pour tapisser la tente. Une branche par ici, une branche par là. Mais il y parvient enfin. Après avoir détecté la présence d’un porc-épic, il le tua. Il place sur son dos des branches de sapin. Il sort tout-à-coup du bois. Les loups disent : « Notre grand-frère a tué un porc-épic. Il va nous en donner un morceau ! » Il dit : « C’est vous qui devriez vous sentir en faute! Après un si long chemin, vous ne m’avez rien donné à manger ! » « Que dit notre grand frère qui déplore la perte de son caribou ! » Il dit : « Après un si long chemin, vous ne m’avez pas nourri ! » Le carcajou corrige : « Ils ont du mal m’entendre ! J’ai dit : ils vont certainement pouvoir manger du porc-épic ! »
La grande tente est prête. Un loup dit : « Nous avons grandement attristé notre grand-frère ! Entrez tous les sacs de viande de caribou dans la tente ! » On les entre et on les dispose en ordre. Quand le carcajou revint, on lui dit : « Mon grand-frère, va donc voir si tsitsikuanu a tout bien placé ! Tu vérifieras aussi si tous les piquets ont été bien posés. » Il entre. Tout était là, la viande de tous les caribous ! Il se précipite vers l’arrière. Il mâche la graisse. Tsitsikuanu l’observait dans tous ses gestes. Il avait percé un trou dans la toile pour regarder à travers. Carcajou va d’un côté et d’autre et mâchouille de la graisse. On l’observe à tour de rôle par le trou de tsitsikuanu. Il s’en donne à cœur joie. Un loup dit : « Nous pensions qu’il était en train de vérifier les piquets de la tente ! » Mais le carcajou ne faisait que manger.
Quant on eut fini de banqueter, un loup dit au carcajou : « Mon grand-frère, fais du feu ! » Le voilà en train de faire du feu. Il ramasse des feuilles et des branches, les met en tas. Il les allume avec un briquet. Les loups s’indignent et disent : « Notre grand frère a fait un tas de branches sèches ! Il nous prend pour des humains ! Le voilà qui allume pour de vrai ! Tsitsikuanu, vas-y, toi, fais du feu à ton tour ! » Le loup s’approche du carcajou et lui dit : « Ca suffit, mon grand-frère ! Il n’est pas question que tu fasses le feu ! » Tsitsikuanu saute par-dessus le feu. Le carcajou se tenait juste en arrière. Il lui dit : « Mon grand-frère, tu vas prendre feu ! » Le loup sauta encore un fois par-dessus, et le feu était bien pris. Le carcajou pense : « Qu’ils ont donc de la facilité à faire du feu eux-autres ! Mais, je dois travailler fort pour partir un feu ! »
Puis il mangea de la viande de caribou. Pendant qu’on est arrêté pour festoyer au caribou, tsitsikuanu va pilonner les os du caribou. Le loup dit à carcajou : « Tu ne le regarderas pas quand il broiera les os. Il va le faire demain. Ne le regarde pas travailler ! » « Non, je ne le regarderai pas ! » On broie donc les os du caribou. Quand il frappait les os avec force, le carcajou le regarda d’un seul œil. Un fragment d’os vint se loger dans son œil. Il se lamenta longuement. Le loup lui dit : « Ne t’avais-je pas dit de ne pas regarder ? Tu as du ouvrir un œil ! » Il lui répond : « Je n’ai pas regardé ! » Il insiste : « Tu as certainement regardé ! » Il ne se soucia pas outre mesure de son os. Quand on eut broyé les os, on eut de la graisse de caribou.
Quand vinrent les beaux jours du printemps, il se mit à pleurer pendant la nuit. Un loup dit : « Pourquoi notre grand-frère pleure-t-il dans son coin ? Pourquoi pleures-tu ? » Il leur répond : « C’est parce que mes fistons doivent mourir de faim. » Le loup lui dit : « Ne te l’avais-je pas dit ? Tes petits frères devraient te punir d’avoir abandonné tes enfants ! C’est comme je t’avais dit ! Tu vas aller les trouver, tu vas aller chasser pour eux ! » Il répond : « Oui, demain, je vais aller leur trouver quelque chose à manger ! » On lui donne de la nourriture. On lui donne toute sorte de choses, de la viande, de la graisse d’un caribou qui n’a pas encore eu de panache. On lui donne un caribou d’été dont le panache n’a pas encore poussé, qui vient tout juste d’avoir une compagne. Puis de la graisse. N’importe quoi. La graisse qu’on lui donne c’est la graisse de caribou d’été. On lui donne une grande quantité de nourriture. Puis on lui dit : « Retourne chez toi, maintenant. Et pars à la recherche de tes enfants ! »
On lui fait un traîneau.
Tout est placé sur le traîneau. Ses bagages ont la forme d’un
mamelon. « Pars à leur recherche ! » Les loups lui
donnent leurs dernières instructions : « Tu ne te retourneras
jamais pour regarder ton traîneau. Si tu tournes la tête pour
le regarder, tu n’auras plus la force de le tirer. Et
si tu le laisses pour aller ailleurs, il ne sera plus là quand
tu reviendras. Ce sont tes petits frères qui viendront
chercher tout ce qu’il y a sur ton traîneau. »-- « D’accord »,
dit-il. Après que son traîneau ait été bien
installé, il part. Il ne ressent rien. Le traîneau
n’était pas plus pesant qu’une plume. Il dit à un loup :
« Assis-toi sur mes bagages ! »
Puis il se rappelle
quelque chose : « Ils ne m’ont pas donné leur recette de feu !
Vous pourriez m’enseigner votre truc ! » Ils lui dirent : «
Couche-toi, étends-toi de tout ton long ! » Il
s’étendit donc de tout son long. Puis le chef de bande
dit à tsitsikuanu : « Tsitsikuanu, saute par-dessus ! » Il
saute par-dessus, une fois, deux fois, trois fois.
Puis le loup lui dit : « Ecoute bien ce que je te dis. Ne
gaspille pas le feu que je t’ai donné. Si tu essaies une
fois ou deux fois seulement, tu pourras t’en servir aussi longtemps
que tu vivras. Mais si tu le gaspilles, tu ne seras plus
capable de l’utiliser. » « D’accord, » leur répondit-il.
Il part donc pour de bon. Il arrive à sa rivière, il la remonte sur la glace. Quand il arrive à la pointe, il pense : « Je n’ai peut-être pas reçu réellement le feu ! » Il casse des branches, les met en tas. Il saute par dessus, et le feu s’allume. Il pense : « Je l’ai vraiment reçu. Quel plaisir c’est pour moi de faire du feu ! » Il part de nouveau en direction de sa maison. Il lui vient encore un doute : « Je ne leur fais pas confiance. Ils ne me l’ont peut-être pas donné ! » Il va dans le bois, casse des branches et les met en tas. Après avoir sauté par-dessus, le feu s’allume. Il se dit : « Ils me l’ont vraiment donné ! » Il avance encore un peu, puis il jette son briquet, un autre objet pour faire le feu, et son bois. Il regarde en arrière. Puis il repart, il remonte la rivière glacée.
Après avoir dressé sa tente, après avoir tout fait ce qu’il fallait faire, après être allé puiser de l’eau, il place ses morceaux de bois en tas. C’est son dernier feu. Il saute par-dessus les morceaux de bois, et le feu s’allume, pour la dernière fois. Il en a perdu le pouvoir. Le matin, avant le lever du soleil, il repart de nouveau. Il remonte le courant de la rivière gelée. Il ne s’est aperçu de rien. Après qu’il ait assez longtemps tiré son traîneau, il dresse de nouveau sa tente. Le soleil était déjà couché. Il refait tout ce qu’il avait déjà fait. Puis il saute par-dessus les morceaux de bois. Il n’y a qu’un peu de fumée qui monte. Il fumée sortit encore un peu, puis il n’obtint même plus de fumée du tout. Il saute encore une fois. Il n’a plus de feu. Il avait jeté au loin son briquet. Il se rhabille, décroche ses bas. Il refait son chemin à rebours. Il dit : « C’est ici que j’ai du les jeter ! » Il les cherche pendant quelques instants, puis les retrouve. Il retrouve tout ce qu’il avait jeté. Puis, il retourne de nouveau. Il revient à sa tente quand il fait déjà jour. Il la retrouve ainsi que son traîneau.
Puis il repart de nouveau. Il ne peut plus faire de feu. Il va arriver bientôt chez lui. Le voilà arrivé. Il approche de très près. Sa maison est là toute proche, pas loin du tout. Il se rappelle ce qu’on lui a dit : « Ne te retourne pas pour regarder ton traîneau » « On m’a dit de ne jamais regarder par en arrière pour contempler mon traîneau. L’indien du futur ne regardera jamais en arrière. » Il arrête, se retourne et regarde en arrière. Quelle lourde charge il y a sur ce traîneau ! Il pense : « Comme je suis fort ! » Après l’avoir regardé, après s’être retourné pour regarder, il essaie de soulever son traîneau. Il le brasse autant qu’il peut. Rien n’y fait. Il ne peut plus le tirer. Il essaie encore de le soulever. Puis il pense : « On m’avait bien dit pourtant de ne pas regarder en arrière ! »
Il détache son traîneau. Tout ce qu’on lui a donné en nourriture, il l’enfouit dans la neige. Tout, sauf la graisse de caribou. Il ne peut porter sur son dos que de la graisse de caribou. Il la transporte avec beaucoup de sueurs. Il approche de la maison. Il arrive en tirant son traîneau. Il se dirige là où sa femme faisait, en chauffant, de la fumée. Il entre. Sa femme lui dit : « Qu’as-tu fait ? Tes fils meurent de faim ! » Ses fils approchent, ils ont les yeux cernés. Il leur dit : « J’apporte une grande quantité de nourriture ! Vous en aurez assez pour assouvir votre faim ! Mes petits frères les loups m’avaient appelé pour que je les accompagne dans leur recherche du ravage des caribous. Ils m’ont appelé. » Il ment, il n’a jamais été appelé. « J’apporte enfin de la nourriture. Nous en avons assez pour bien manger à notre faim ! »
Après avoir détaché le sac, il l’entre dans la tente. « Mangez donc ! » On mangea alors. Ses enfants eurent quelque chose à se mettre sous la dent. Puis il leur dit : « Demain, nous partirons avec nos traîneaux. Nous dresserons notre tente là où se trouve enfouie ma viande ! » Ils partirent le lendemain. Ils ne marchaient pas à la file indienne, mais en ordre dispersé. Il arrive à l’endroit où il avait caché sa viande dans la neige. Après avoir dressé la tente, il fit un garde-manger en forme d’échafaudage (sheshepetan). Une fois qu’il eut terminé son garde-manger, « Je vais la chercher, dit-il. Fais un bon feu, je vais chercher la viande ! » Il enlève la neige avec ses pattes. Il creuse. Il n’y a rien. Il essaye encore. Rien du tout. Sa femme lui demande : « Pourquoi n’apportes-tu rien ? » Il répond : « C’est bien simple. Il n’y a plus rien ! » Elle lui demande encore : « Qu’est-ce qu’on t’avait dit ? » « Tu ne regarderas jamais par en arrière. Tu ne regarderas que quand tu auras conduit ta cargaison à bon port. » Elle lui dit : « Pourquoi ne les as-tu pas écoutés, pour quoi ne les a-t-il pas écoutés ! »
Il dit : « C’est un égoïste Tsitsikuanu. Il n’aurait jamais du faire ce qu’il a fait, venir reprendre ce qu’il m’avait donné en nourriture. Il ne reste plus rien de toute la nourriture qu’il m’avait donnée ! »
(légende racontée par
Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi, au mois de
novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan sur la tente
tremblante
KA UEPASHISHT
(Ceux qui ont dérivé)
« On rapporte que des Indiens ont dérivé autrefois. Dans quelle direction le courant les a-t-il poussés pendant la nuit ? Il ne ventait pas du tout. Combien de jours sont-ils demeurés sur l’eau ? Ils pénétrèrent profondément dans le golfe. Les grands pères mistapeu les surveillaient, et les avaient déjà vus en rêve. Ils veillaient sur eux. Voilà pourquoi il ne leur est arrivé aucun malheur. Ils les regardaient toujours dévier de leur route.
Puis une terre apparut à l’horizon. Ils accostèrent à la tombée du jour. Leur bateau était un bateau à voile, un grand. Ils étaient deux matelots. Là où leur bateau se posa, l’eau s’est complètement retirée et le sol s’assécha. Le soir même de leur arrivée, des hommes apparurent au nombre de deux. Ils étaient de taille gigantesque. Ils vinrent les voir et dirent : « Voici nos petits fils ! Voilà ceux qui voulaient nous voir ! Ils nous aiment beaucoup ! » Ils étaient tellement grands qu’ils pouvaient prendre notre bateau dans leurs mains. Un voilier de grande taille, ils pouvaient le soulever d’une seule main. L’un deux le déposa dans le creux de sa main, ce voilier, avec ses mats et ses voiles. Puis il le plaça sur la grève. Il le mit sur le sec. Puis ils nous ont fait entrer dans leurs bas.
Nous en vîmes alors un s’approcher. Son œil unique avait la forme d’une étoile. Il scintillait. On ne pouvait le regarder. Car il connait quelqu’un en le regardant, et son regard entraîne la mort. Voilà pourquoi on l’appelle le mistapeu qui connait, qui cause une mort effrayante. Ils ne lui révélèrent pas notre arrivée. Ils ne lui parlèrent pas de nous. Il demande aux mistapeu : « D’où venez-vous ? » Ils répondent : « Nous sommes allés faire la guerre. » Il reprend : « Je ne vous crois pas. Il y a des nains ici. Ils ont été aperçus. Ils ont échoué par ici. » Ils lui répondent : « On devrait croire ce qu’on dit. Pourquoi ne pas croire ce qu’on raconte ? » Il leur répond : « On ne dit jamais la vérité. Comment pourrait-on croire ce que raconte le premier venu ? » Ils ne lui disent rien. Ils ont peur qu’il les regarde. Ils en mourraient. Voilà ce qui arrive à quelqu’un qu’il connait en le regardant. Voilà pourquoi ils se méfient de lui. Ils ne lui parlent pas des petits nains. Puis quand il s’en va, on lui dit : « On veut te dire des mensonges ! »
Nos grands-pères, les mistapéu nous ramènent chez eux. Ils nous font entrer dans leur tente. Elle est très grande, c’est une tente indienne. Il y a là un chien qui est tout petit. C’est lui qui nous surveillera. Ils vont chasser, eux, le soir. Quand ils reviennent, notre chien dort à son tour. Le chien qui assure notre protection était petit. Nous ne lui faisions pas confiance. Un monstre arrive en faisant un grand tapage. Le chien flaire immédiatement sa présence. Il se précipite hors de la tente. Nous le regardions furtivement. De petit qu’il était, il devient aussitôt très gros. Il attaque l’intrus. Peu de temps après, il le ramène à la tente après l’avoir tué. Il le traîne, cet animal maléfique. Il le descend au bas d’une colline, et le laisse dans une vallée. Quand il revient du sud, il est gros et gras. Mais quand il rentre, il est petit, très petit. De la taille qu’il avait avant. Il s’endort après avoir mangé.
Nous reçûmes encore une autre visite. C’est comme si l’on frappait à coup de marteau sur notre tente. Nous nous cachâmes en dessous de ce que nous pûmes trouver. Notre chien, lui, livrait déjà bataille. On entendit un coup violent. Peu de temps après, il s’approche. Qu’est-ce qu’il emporte ? Un atsen qui avait l’air horrible. Il le tue, le transporte en le traînant, et l’amène au loin. Puis, il entre de nouveau et s’endort.
C’est alors que rentrèrent nos grands pères. Une vieille grenouille est là également. C’est l’épouse d’un grand-père. Il a pour femme une grenouille. C’est notre grand-mère qui nous donne à manger. Elle nous fait parfois cuire de la viande quand ils apportent des caribous. Ils apportent un caribou au complet. Le soir, ils font bouillir leurs os. Nous disons: « Donne-nous quelque chose à manger ! Nous pourrions faire bouillir une patte du caribou ! » Ce n’est pas la patte du caribou qu’ils jettent dans la casserole, mais celle d’une sorte de lapin. On fait cuire la nourriture. On nous en donne un peu. Notre grand père nous dit : « Nous irons encore tuer un caribou. Vous pourrez alors lui faire bouillir la patte ! Il est là celui qui le tue. »
On fait alors la pêche au flambeau. C’est dans l’eau qu’on le pourchasse en l’attirant à la surface. Ils procèdent ainsi. Ils l’écoutent se déplacer dans l’eau. On aperçoit alors son sillage. Le voilà qui marche. Ils le suivent à la rame. Quand ils le voient, ils le frappent avec une lance et le tuent. Ils le hissent à la surface. Il est très gros. C’est un caribou, car ses pattes sont semblables à celles du caribou. C’est un caribou aquatique qui vit dans les profondeurs de l’océan. Le mistapeu tue son caribou. On dit que c’est un caribou, mais il ne goûte pas comme un caribou. On nous fait cuire une de ses grosses pattes. Tu ne peux en manger qu’une petite quantité, il est huileux. C’est comme de la graisse de phoque. « Ce caribou me fait vomir ! »
Les mistapeu se sont chargés d’eux pendant tout l’été. L’hiver arriva, et ils étaient encore là. Quand ils se promenaient le jour, il y avait presque toujours des affrontements. Un jour, un des indiens reçut une flèche en pleine poitrine tirée par un de ces mistapeu. On appela un médecin qui ne put pas le soulager. Un autre alors essaya à son tour. Il souffla à plusieurs reprises, et enleva la flèche. Elle s’était cassée. Ce médecin put le guérir. Il le soigna avec beaucoup d’attention, et il le remit sur pied.
Pendant combien d’années sont-ils restés sous la garde de leurs grands pères ? Trois ou six ans. On était en été, les mistapeu s’occupaient encore de leurs petits fils. L’un d’entre eux officia dans la tente tremblante. Un des indiens chercha à l’imiter et entra. Il leur donna alors l’enseignement suivant : « Vous ferez cela quand vous voudrez nous voir. Nous pourrons alors vous voir, toujours. Quand vous serez mal pris, quand vous n’attraperez rien à la chasse, quand vous ne mangerez pas à votre faim, voilà ce que vous ferez. » Ils leur enseignent comment confectionner une tente tremblante, à quoi elle ressemble, de quel bois on se sert. Après avoir reçu l’enseignement, l’indien la voit dans son rêve. Elle lui apparait en rêve tout à fait semblable à celle qu’on lui avait montrée.
Quand ils l’essayèrent pour de bon, les choses ont bien tourné pour certains. Pour d’autres ça a mal tourné. Il y en a même eu un qui en est mort. Puis, il n’y eut plus personne à en être incommodé. L’enseignement dura longtemps. Vint alors le moment où l’un d’entre eux maîtrisa ce savoir-faire. Après qu’ils eurent vu la tente tremblante en rêve, quand ou leur eut parlé de la peau tannée de caribou, de la corde qu’il fallait employer; quand on leur eut expliqué comment s’en servir comme d’une arme pour se défendre contre les attaques d’un confrère sorcier (mantui), ils imitèrent leurs grands-pères, ils entrèrent dans la tente tremblante pour y officier. Ils en devinrent tous capables.
Combien d’années quelqu’un devait-il y consacrer avant de savoir comment procéder ? Il se taille de grandes perches. Quatre suffiront. On les plante solidement. On incline les quatre bâtons pour pouvoir former un petit cercle au sommet. Au centre, on fixe un autre cercle. Elle est solide quand elle est fabriquée ainsi. Il y a un espace vide en haut. Quand il y a un méchant dans les environs, celui qui est dans la tente tremblante s’en rend compte. Si un sorcier se trouve dans les parages, celui qui est dans la tente tremblante le détecte facilement et le fait entrer dans la tente.
Ils apprirent tout ce qu’il y avait à faire. Quand un terminait, un autre commençait. Après un enseignement de trois ans, on s’essayait à plusieurs reprises. Et il y en avait un de plus qui était en possession de cette magie. La tente se soulevait à l’entrée du sorcier. Du haut en bas, elle tremblait. Après avoir essayé plusieurs fois, on en devenait capable. Comme par exemple de faire entrer des animaux qui parlent quand ils sont dans la tente tremblante. Quand la tente se soulève, c’est alors que s’approche celui qu’on veut faire entrer. Tous les animaux entrent quand la tente se soulève, misnak, tout ce qui demeure dans l’eau. On peut faire entrer n’importe qui, même ce qui n’a pas d’apparence. N’importe quoi. C’est ce que leur enseignaient leurs grands-pères.
Quand un ouragan fait rage, il abat tout sur son passage. C’est de cette façon que le vent souffle quand l’officiant de la tente tremblante y entre. Il attrape alors les animaux, et les tue en plein vol. C’est de cette façon qu’il les attrape. Après avoir reçu l’enseignement approprié, un adepte sait en quoi consiste la tente tremblante, ce qu’il y fera à l’intérieur, comment il la construira. Enfin le dernier à recevoir l’instruction entra dans la tente tremblante. C’était le dernier, et il y entra. Il entendit venir nos grands pères mistapeu.
Chacun était donc devenu un expert. L’heure du départ avait sonnée. Les grands-pères rassemblèrent toutes les choses qu’ils voulaient leur donner. Ils leur dirent : « Voici le moment pour vous de retourner dans votre pays. » Ils leur firent un bateau à voile, et montèrent à bord tout ce dont leurs petits fils avaient besoin. Ils dirent : « Allez, embarquez ! » Après avoir embarqué tous leurs bagages, ils montèrent dans leur bateau à voiles, qui, comparé à la grandeur des mains des mistapeu, semblait tout petit. Leurs grands pères leur donnèrent de la graisse de caribou, et leur enseignèrent comment en faire. Ils leur dirent : « Veillez à ne pas dévier de votre route. Ne gavez pas votre chien de nourriture. Un petit peu suffira. »
Ils embarquent pour de bon. Il paraissait bien petit le bateau quand il fut déposé sur l’eau par la main d’un des grands pères. Il les posa au large. Il ne lâcha le bateau que quand il fut en eau profonde. Il leur dit : « Naviguez tout droit ! Vous aurez toujours le vent d’est. Il n’y aura pas de tempête ni de vent en bourrasque. » Puis ils dirent : « Nous sommes vraiment en haute mer ! » Alors le vent se leva. Ils voguent à pleines voiles. Ils se souviennent alors de ce que leur avait dit leur grand-père : « Voguez toujours dans la direction indiquée par l’endroit où s’assied le chien, ou plutôt votre grand-mère. » On ne savait pas encore ce que c’était qu’un gouvernail. Ce sont nos grands pères qui l’ont fabriqué. Ils leur en firent un petit, et le leur installèrent. « Vous en ferez de semblables ! » C’est à partir de ce moment-là qu’on sut comment en confectionner. Avant, on se servait d’une rame comme gouvernail.
Ils partirent donc. Ce soir-là, il n’y eut pas de vent. Le chien était à la proue. Il se tenait tantôt debout sur ses quatre pattes, tantôt il s’enroulait sur lui-même. Les Indiens, pendant ce temps, dormaient. Au lever du soleil, il entre. La clarté du jour nous réveille l’un après l’autre. « Lève-toi, dit l’un, il fait jour ! » Notre chien était levé lui aussi, même s’il avait veillé toute la nuit. On nous avait dit de le faire peu manger. On lui sert sa nourriture et il la mange. Le vent souffle de nouveau et nous repartons. Nous avançons dans la direction marquée par la position du chien. Puis vient le soir. Le vent tombait pendant la nuit, et nous pouvions dormir tranquilles. Nos grands-pères nous avaient dit : « Après trois jours et trois nuits, votre terre va poindre à l’horizon. »
Au bout de trois jours et de trois nuits, nous vîmes surgir au loin la terre. « Encore deux jours et demi, et vous reviendrez sains et saufs ! » La terre apparait au loin. Nous crûmes reconnaître l’endroit où notre bateau fut emporté par le courant. Il vente de nouveau toute la journée. Le soir, le vent tombe de nouveau. Pendant la nuit, notre chien s’enroule sur lui-même en position de guet. Et nous, nous dormons paisiblement sur une mer calme. Aux premières lueurs du jour, l’un se lève d’abord, puis l’autre ensuite. Il se lève aussi notre chien, qui est notre grand-mère, quand nous nous levons. Le vent souffle de nouveau et nous repartons. Après deux jours de voyage, les montagnes apparaissent au loin. Elles sont très visibles. Encore un jour, et à l’heure du midi, nous arriverons. Ils nous avaient prévenus : « Quand l’eau jaunira, votre chien va sauter à l’eau. Regardez-le attentivement quand vous reconnaîtrez votre pays. » Nous laissons échouer notre bateau sur le sable.
Une fois débarqués, nous fîmes dans leurs territoires une tente tremblante. « C’est ce que vous ferez quand vous voudrez nous voir », nous ont-ils dit. On dresse une tente tremblante. On a déjà fait entrer ton grand-père mistapeu. Il dit : « Mes petits fils sont revenus sains et saufs, eux que le courant avait éloignés de leur terre. Ils voient déjà leur grand-mère. » Les mistapeu demeurent là où nous habitons. Avec leurs enfants. On essaie la tente tremblante. Il y a en a un qui demande d’entrer dans la tente tremblante. Dans la forêt aussi, en temps de famine, on dressait la tente tremblante. « Il y en a un certain nombre à qui elle fera du tort », nous a-t-on dit. « Un peu partout, il y aura des gens qui se serviront de la tente tremblante. Mais ils ne seront pas nombreux. Que ce soit le lot de tous et de chacun, non. Il n’entre que celui à qui il est donné de tuer du gibier. C’est celui-là qui s’en servira. Il la conservera longtemps pour pouvoir s’en servir. » C’est ce que nous ont dit nos grands pères.
Quand quelqu’un rêve à une tente tremblante, alors il essaie d’en faire une et il y parvient. Il fait vraiment fonctionner la tente tremblante quand il essaie. Et puis un autre rêve à la tente tremblante. Puis plusieurs autres essaient ainsi de remplir le rôle d’officiant de tente tremblante (ka kuhapatak). Et celui qui rêve qu’il pourra s’en servir comme d’un moyen de défense, il s’en sert effectivement. L’un en devient capable, puis un autre. Chacun essaie d’agir comme un ka kuhapatak. La tente se soulève quand entrent tes grands-pères.
C’est à force d’y rêver que quelqu’un s’en rend capable. Bientôt chaque indien saura se servir d’une tente tremblante. Il n’a qu’à y rêver. S’il ne la voit pas en rêve, il n’en sera pas capable. Il ne le pourrait pas non plus s’il n’essayait pas. Tu dois essayer pour être capable. Si quelqu’un pense qu’il en sera capable, alors il essaie. Quand il y rêve, quand il l’a vue au complet en rêve, alors il essaie de faire, et il fait vraiment. Et s’il est attaqué par un confrère sorcier (mantui), il l’attire à l’intérieur et le transperce. Et s’il a faim, même s’il ne peut pas bouger, il tuera un animal après l’avoir fait entrer dans la tente.
Il pourra faire entrer n’importe lequel animal : le caribou, papakassik, uapistanapeu (la martre mâle). Après leur avoir parlé, s’ils sont d’accord, on tue les animaux. On tue alors beaucoup de martres. C’est la même chose pour misnak. S’il y consent, on peut tuer des poissons, --car le poisson relève de lui—du castor, de la loutre, du vison. Misnak est en eux. Quand on pense à papakastsishk, on pense au caribou, car le caribou lui appartient. On peut alors chasser avec espoir de tuer. C’est la même chose pour l’ours. On le tue facilement après avoir obtenu l’autorisation de papakastsihk. La même chose se passe avec misnak. Les poissons lui appartiennent. Tout ce qui va dans l’eau relève de misnak,
Le porc-épic fait exception. Il relève de uhuapeu (le hibou mâle). C’est à cause de ushuapeu qu’il y a du porc-épic, car il n’y en a pas toujours. Quand il y en a et quand on le tue, cela dépend de ushuapeu. Uapistanapeu (la martre mâle) lui aussi est une autre exception. Quand il y a beaucoup de martres, un indien peut en tuer cinquante, s’il est allé chercher de pouvoir en tuer dans la tente tremblante, s’il a parlé à uapistanapeu, s’il lui a demandé d’en tuer.
Un autre rêve à la tente tremblante et essaye.
La tente tremblante a été importée (des micmacs ?) par les indiens qui ont dérivé, qui ont été déportés par le courant. Ce sont eux qui l’ont empruntée à l’extérieur pour la rapporter chez eux. Ils demeurent de l’autre côté du golfe ceux chez qui on est allé la chercher. Voilà ce dont je me souviens ».
(récit légendaire raconté par Pierre Zacharie Mistokosho et traduit par René Lapointe omi, au mois de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
MESSU
(l’Aigle)(2)
« Il rêve toujours à son grand-père. Pendant tout l’hiver, il voit son grand-père en rêve. Puis, tout à coup, au beau milieu de la nuit, il entend comme un oiseau qui s’écrase avec fracas en s’approchant de la tente. Il se demande ce que ça peut bien être. Il n’en a pas la moindre idée. « Qui est-ce ? » Alors il aperçoit un aigle étendu dans la neige, qui lui dit sans entrée en matière : « Je meurs de faim ! » C’est son grand-père qui git par terre, et qui est torturé par la faim. Il ajoute : « Mon petit fils, j’ai eu à peine la force de me rendre ici ! Je ne peux pas voler plus loin. Ta grand-mère ne chasse plus ! » « Ah bon ! » lui répond-il.
Il étend des fourrures sur le sol de sa tente. L’aigle lui dit : « Ne te sens pas obligé de me dérouler un tapis. Je m’assoie sur mes pieds. » Il lui donne alors à manger du castor, car, à ce moment, il ne chassait que le castor. Ce n’est qu’avec du castor qu’il assouvit sa faim.
Puis il aiguise son couteau. L’aigle lui demande : « Pourquoi, mon petit fils, aiguises-tu ton couteau ? » « J’ai pensé que tes serres avaient perdu de leur tranchant. » Il sort ses griffes. L’indien lui dit : « Couche-toi sur le dos ! » « D’accord ! » Alors avec son couteau dentelé, il aiguise les serres de l’aigle. Elles sont maintenant pointues et effilées. L’indien lui demande : « Comment étaient tes serres, mon grand-père ? » « Elles n’étaient ni tranchantes ni affilées. » Il les aiguise et les affine de nouveau. Son grand-père lui avait indiqué la façon de procéder.
Quand l’indien eut mené son travail à bien, l’aigle lui demande : « As-tu une peau de castor épaisse ? » « J’en ai une » lui répond l’indien. Il va la chercher. L’aigle lui dit alors : « Lance-la-moi ! » Il la lui lance, et il l’attrape au vol. « Parfait, parfait », dit l’aigle. Alors l’indien lui dit : « Je te nourris aujourd’hui pour la dernière fois. J’ai épuisé mes réserves. » « Je comprends », lui répond l’aigle. Le lendemain matin, il faisait très beau. L’aigle dit : « Je vais essayer de voler, mon petit fils ? » Son grand-père prit alors son envol. Il ne s’attarda pas en route. Il apporte des caribous, deux en tout. Puis il continua pendant la journée à en apporter. Tous ces caribous furent l’œuvre d’un seul.
Puis il dit à l’Indien : « Ça suffit ! Je vais en laisser un, et les autres je vais les apporter à mes enfants ! » L’Indien lui répond : « Comme tu pourvois à me garder en vie, mon grand-père ! » L’aigle reprend : « Comment pourrais-je te maintenir en vie ? C’est toi qui m’as empêché de mourir ! C’est toi qui m’as donné à manger ! C’est toi qui, en me nourrissant, m’a permis de vivre ! » Il ajoute : « Puissé-je ne plus jamais heurter une pierre ! Je croyais que c’était quelque chose de mou. C’est pourquoi je l’ai griffée par erreur ! Je ne l’ai pas bien vue en volant ! »
Il lui dit ensuite : « Mon petit fils, il n’y aura pas beaucoup d’indiens qui chercheront à me trouver. Si quelqu’un cherche à me trouver, sa tête ressemblera à la mienne. J’ai autre chose à te dire. Tu ne marcheras jamais sur la glace pendant la nuit. Si tu veux marcher pendant la nuit, tu devras tenir dans ta main une branche d’arbre. Ne l’oublie jamais, car si tu l’oublies, ta grand-mère va t’emporter dans ses serres. ! Car, c’est la nuit qu’elle chasse. Il est temps pour moi d’aller trouver mes enfants, ils doivent mourir de faim ! »
Il s’envole. Il laisse en partant un de ses caribous. L’indien prit à cœur ce que lui avait dit son grand-père, ses enseignements, ses avertissements. Mais, un hiver, il chassait le castor dans sa cabane sur un grand lac. Il devait le traverser au complet, puisqu’il chassait le castor de l’autre côté. Il fit un enclos avec des pieux pour empêcher le castor de se sauver. Un castor, malgré tout, partit à la course. Il put en tuer un, mais il n’a pas pu enfermer l’autre. Même en persévérant jusqu’au coucher du soleil, il n’a pas pu le tuer. C’était le crépuscule. Il mit fin à la chasse. Il voulait faire vite. Il attache rapidement son castor, et retourne en marchant à la grève située de l’autre côté. Quand il arriva à la grève, on ne voyait plus rien. Il devait marcher très longtemps pour aller d’une rive à l’autre. Il savait que sa grand-mère pouvait l’attraper au vol. Il avait coupé un arbuste qui devait être son pare-danger. Au milieu de la nuit, il est encore là, et la grand-mère survole les environs. Il décide alors de fixer sur la glace son arbuste. Il se tenait debout tout près comme auprès d’un abri. Il y attache son castor et se remet en marche. Puis il se rend compte tout à coup que sa grand-mère est en train de l’enlever dans les airs. Elle le ramène à son nid.
On arrive à de hautes montagnes et à des précipices. La cime d’une montagne était imprégnée de sang. C’est là qu’elle assommait les animaux pour les tuer. Quand elle voulut le cogner sur la montagne, elle prit mal ses calculs et sa queue toucha d’abord la montagne. Elle ne put pas l’assommer. Quand elle essaya encore, elle ne réussit pas mieux. Sa queue frappa en premier la montagne. De guerre lasse, elle le déposa à la fin sur la crête d’une montagne, dans le nid de ses aiglons. L’indien demeurait donc avec les petits de son grand-père.
Son grand-père ne fut pas
longtemps absent. Il vole jusqu’au haut de la
montagne. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant son petit
fils assis dans son nid !
« N’est-ce pas ce que je t’avais
dit ? Tu as dû marcher pendant la nuit ? » « Oui »,
lui répondit-il. Un castor m’a donné du fil à retordre.
J’ai mis beaucoup de temps avant de pouvoir le tuer ! »
L’aigle lui dit : « Que vas-tu devenir ? »
La grand-mère, qui avait rejoint sa montagne sans qu’on s’en aperçoive, dit à son mari : « Hâtons-nous de le tuer ! Tes fils le mangeraient ! Ah, il semble son protecteur! » Il lui répond : « Comment pourrais-je le tuer pour nourrir tes fils, c’est lui qui m’a gardé en vie quand je ne pouvais plus chasser. » « Ah » dit-elle. L’aigle reprend : « Si tu décides de chasser de nouveau, je le leur tuerai. » La grand-mère part donc à la recherche de traces de gibier. Elle plane en faisant des cercles. L’aigle dit : « Elle ne volera pas longtemps. » Quelques minutes plus tard, elle apportait dans ses serres deux carcajous. L’aigle lui dit : « Comment pourrais-je manger cela ? C’est du caribou que je mange ! » Elle part à la recherche de traces de gibier de nouveau. Elle s’éloigne, et bientôt on la perd de vue. L’aigle dit à l’indien : « Elle ne pourra rien attraper près d’ici. J’ai fait main basse sur tout ce qui se trouve dans les parages. Elle devra aller loin pour attraper quelque chose. Elle est rapide, ta grand-mère. Elle peut arriver d’un moment à l’autre, même quand on ne la voit pas apparaître.»
Pour inciter l’indien à sauter, il tourne en cercle autour du sommet. L’indien voudrait bien sauter, mais il n’ose pas. L’aigle lui dit : « Dépêche-toi ! Lance la roche qui est là tout près. » Il la pousse avec son pied. L’aigle bondit et la saisit entre ses serres, en lui disant : « C’est ainsi que je t’attraperai !» L’Indien hésite, il tourne en rond. Finalement, il se décide et saute. Son grand-père l’attrape par le dos. Un peu plus tard, le voilà assis sur le dos de l’aigle. L’aigle lui dit : « Si tu gèles, tu viendras t’asseoir dans mon cou ! » Ils filent à toute allure. L’aigle lui dit : « Surveille de près ta grand-mère ! » Ils avancent toujours. Puis l’indien s’exclame : « Mon grand-père, je vois poindre là-bas ma grand-mère ! » « Je te l’avais bien dit !. Mais je vais lui jouer un bon tour ! » Il y avait des nuages éparpillés ici et là. Il choisit de voler à l’abri des nuages pour ne pas être aperçu par la grand-mère. Il va d’un nuage à l’autre. Il ne vole que dans les nuages. Il fait parfois frisquet. Puis il dit : « Ta grand-mère ne s’est aperçue de rien ! » Ils volent ensuite à ciel découvert.
L’indien lui crie : « Nous voici rendus, mon grand-père, nous voici rendus à la glace ! » Il lui répond : « Comment aurais-je pu oublier ton terrain de chasse ? Le voici ! » Il commence à perdre de l’altitude et à descendre. Puis il atterrit là où est toujours planté son arbuste. Les voilà enfin les deux pieds sur la glace.
Le grand père lui donne ses derniers conseils : « Sois toujours attentif quand tu marches ! Autrement, elle va te faire le même coup ! Si tu es toujours sur tes gardes quand tu te déplaces à pied, elle ne pourra rien contre toi. Dorénavant, mon petit fils, c’est là où je ne suis apparenté à personne que j’irai en chercher un de temps en temps. Là-bas, au nord, au pays des eskimos. Nous serons toujours parents avec l’Indien. » Il s’envole en direction du nord. Il n’attrapera en passant qu’un seul eskimo, pour faire plaisir à la grand-mère. »
( Légende racontée
par Pierre Courtois de Natashquan, et traduite par René Lapointe omi
au mois de novembre 2014)
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des Matières
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
ANIKAPEU
ka
manneskueuet
(le wawaron ou la grenouille mâle qui enlève des
femmes)
« Un indien demeurait dans la forêt. Ceci se passait avant que les Indiens ne prient. Il allait ici et là poser des pièges à la recherche de nourriture. Il n’y avait avec lui que sa femme, et une fille unique de deux ou trois ans. Il installait partout des pièges dans la forêt. Puis, il se déplaça en canot. Il était seul, bien entendu. Il n’avait jamais entendu parler de anikapeu.
Il parcourait aussi à pied son territoire de chasse. Il cherchait à trouver du caribou. Il avait débarqué une fois sur une pointe sablonneuse. Enfin, le soir, quand il retourna à sa tente, il entendit de loin sa fille pleurer. Une fois arrivé à la grève, il constate que sa femme n’est plus là. Il demande à sa fille : « Où est ta mère ? Pourquoi pleures-tu ? » Sa fille ne savait pas parler encore, mais elle étendait le bras dans la direction de la rivière. Il se mit à chercher un peu partout son épouse. Il examine de près si elle aurait laissé des traces de son départ quelque part. Mais rien. Il revient vers sa petite fille, et lui demande : « Où est allée ta mère ? Où est-elle ? » Il jette un coup d’œil à la rivière, et voit son sceau posé sur la rive. Sa petite fille ne cessait de montrer du doigt la rivière. Puis, elle dit distinctement : « C’est là ! » Elle est un peu sorcière (mentushiu). C’est son grand père qui le lui a soufflé à l’oreille.
Il lui entre plusieurs brassées de bois. « Fais du feu ! » Il n’avait pas de poêle en taule. Il chauffait à l’indienne. Il lui donna alors ses instructions : « Entretiens le feu, mais sans te brûler. Tu ajouteras toujours des bûches pour que le feu ne s’éteigne pas. Ne pleure pas, mais reste là assise paisiblement. Tiens-toi près du feu, et, si tu dors, places-toi loin du feu pour ne pas te brûler ! » « Très bien, » lui dit-elle. Il ajouta : « Je ne serai pas parti longtemps ! »
Il enlève ses vêtements, et dit à sa fille : « Surveille mes vêtements qui sont déposés là sur la grève ! » Puis il se rend au bord de l’eau. En s’enfonçant dans l’eau il jette un dernier regard à sa fille. Il nage en utilisant les vestiges qu’elle a laissés de son passage. Et voici que tout à coup il aperçoit son cadavre qui flottait entre deux eaux. Voilà où était sa femme. Il ne restait plus que son âme (utatsakusha : son ombre) à trouver. Il suit ses traces en nageant au fond de l’eau. Il est à la recherche d’une butte de terre ou d’un monticule où ils auraient établi leur demeure. Il y avait là une roche, au beau milieu du lac. Où pouvait bien être ce lac ? C’était un grand lac. C’est dans ce lac que se trouvait leur maison.
En entrant, sa femme lui dit : « Te voilà devenu bien misérable ! Ils veulent te tuer. Ils sont deux. » Il lui répond : « Comment s’y prendront-ils pour me tuer ? » Alors sa femme lui explique comment ils se comporteront. « Le premier est le plus jeune frère. C’est lui qui entrera le premier. Ensuite, seulement, le grand-frère. » Il se cacha alors. Une peau de caribou tannée traînait par là. Il s’en sert pour se dissimuler, pour s’en faire une cachette. Quelques minutes plus tard, le plus jeune approche. L’indien avait en main un poignard. Voilà ce qu’il tenait dans la main. La grenouille va d’un côté et de l’autre. Elle n’ose pas mettre le nez dans la maison. Seuls ses yeux apparaissent dans l’entrée. Elle repart de nouveau là d’où elle venait. Un peu plus tard, ses yeux réapparaissent dans l’entrée. La femme lui dit : « Entre ! » Il lui répond : « Comment pourrais-je entrer, ta demeure sent la chair humaine. » Elle reprend : « Où vas-tu prendre que ma demeure sent la chair humaine ? Ah je vois, c’est parce que je me suis blessée au talon. Comment peux-tu dire que la maison où nous sommes sent la chair humaine ? Viens, entre ! »
Au lieu d’entrer, il recule. Il nage ensuite tout autour, puis enfin il se décide, il entre. Elle indique à son mari la tempe comme la partie de son corps la plus vulnérable. L’Indien poignarde son rival. Puis il l’emporte très loin de la butte. Où peut-il bien être allé ? Puis il revient là où se trouve son épouse. Elle lui dit : « Bien joué ! Je pensais que tu ne pourrais pas l’emporter sur lui. Il reste encore le grand-frère. » Le voilà qui approche à son tour. Il nage dans les parages. Il n’aperçoit rien de suspect. Il reste quand même longtemps à l’extérieur. Il n’ose entrer. Seuls ses yeux apparaissent à la porte. La femme lui dit : « Entre ». Il ne lui dit pas un mot, mais recule.
Son mari lui dit : « Place-toi à l’entrée ! Quand il se montrera de nouveau, tu le saisiras. Tu lui diras : viens, dépêche-toi, tu me fais attendre. Et s’il te dit : ta maison sent la chair humaine, tu lui diras : où vas-tu chercher cela ? Nous habitons à un endroit dangereux inaccessible aux êtres humains. Tu lui diras : ton jeune frère s’en vient, tu vas bloquer l’entrée. » On aperçoit de nouveau les yeux de la grenouille à l’entrée. La femme lui dit : « Entre ! Tu me fais languir ! » Elle lui saisit les pattes. Elles sont gluantes. Il dit : « Ta maison sent la chair humaine ! » Elle lui répond : « Où vas-tu chercher cela ? Nous habitons à un endroit inaccessible aux êtres humains ! Hâte-toi d’entrer. Tu vas faire attendre ton jeune frère. Il approche déjà. Entre, dépêche-toi ! »
Finalement, il entre. L’indien le frappe aux tempes. A quel endroit l’a-t-il emporté pour s’en défaire à tout jamais ? Peu de temps après, il fait son entrée, avec son caribou à elle. Puis il lui dit : « C’est le temps de nous en retourner ! » Il l’enroule dans une peau de caribou tannée. Il l’emballe du mieux qu’il peut. Comment a-t-il pu enfermer son fantôme (tsipai) ? Il la ramène par le même chemin d’où il était venu. En passant, il attrape son corps qui flottait entre deux eaux. Il les sort de l’eau, puis les remet ensemble, le corps et le fantôme. Elle pose le pied sur la grève, et marche. Il est le dernier, lui, à rejoindre la grève.
Son enfant n’avait pas laissé le feu s’éteindre. Si le feu s’était éteint, l’indien n’aurait jamais pu ramener son épouse. Elle serait morte. Non, l’enfant n’a pas laissé le feu s’éteindre. Ils mangèrent alors tous les trois. Après avoir mangé, il se fit un tambour. Une fois qu’il l’eût terminé, il lui donna la dernière touche. Puis il dit à sa femme : « Tu vas danser, maintenant ! » Elle se met à danser. Il fait aussi un grand feu. Sa femme dansait sur une peau de caribou tannée. C’est alors qu’elle accoucha : on vit tomber ses fils grenouilles. L’homme les prit et les jeta dans le feu. Il les livra tous aux flammes. Il dit : « Encore un autre ! Voilà, je les ai tous tués ! »
Puis il dit à sa femme : « Ne va plus jamais nager au fond de l’eau ! Tu n’aurais pas dû aller les trouver ! » Elle lui répond : « Comment peux-tu imaginer que j’aie couru après eux ! Je ne me suis rendu compte de rien. J’étais en train de puiser de l’eau dans la rivière ! Je n’ai rien ressenti quand je me suis enfoncée dans l’eau ! »
(légende montagnaise
racontée par Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi au
mois de novembre 2014)
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Matières
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
KA NANATUAISHK
ASTSINU
(Le bourlingueur)
ou
(la Terre des
Tsipaiat)
« Il y longtemps de cela, quelqu’un naviguait. Où pouvait-il bien être allé ? La terre a la forme d’un cône, le fruit des conifères. C’est ce que l’on dit. Il s’en rendait compte en bourlinguant tout autour.
Après avoir sillonné la mer pendant sept ans, il a découvert une nouvelle terre. La voilà qui apparait à l’horizon. « Voici une terre qui point à l’horizon ! » Il jette l’ancre en eau profonde. Il regarde. Il les voyait tous marcher au loin. Il y avait même des indiens qui se fabriquaient des canots. Ce doit être une terre indienne qu’il avait découverte. Et il y devrait y avoir aussi à quelque part une terre de blancs.
Après avoir tout bien observé, il se dirige en canot vers la rive. Une fois rendu, il ne voit plus rien. Il se rend un peut partout, et ne voit personne. Il entre dans les maisons, mais aucun signe de vie. Il voit les travaux qu’ils faisaient. Des poteaux et des piquets tout neufs. Leurs canots étaient installés sur le bord de l’eau. Des vêtements sur une corde à linge. Mais malgré tout cela, il ne voit personne.
Il prend de nouveau le large et monte dans son navire. Il regarde, perplexe : ils apparaissent de nouveau et marchent de nouveau. Le soir, on danse on loin. Il dit : « On doit danser là-bas ! » Il aperçoit même un tambour, le soir. Ils marchent sans faire de traces. « Et là-bas, il devrait y avoir un feu », pense-t-il. Effectivement, il y avait là-bas un feu. C’était épouvantable de voir des gens brûler dans ce feu. A l’aurore, ils cessèrent de danser.
Le capitaine se dirige de nouveau vers la rive. Il va voir encore les maisons. Il ne vit personne, le bourlingueur, et ne vit aucun signe de vie. Les vêtements et les draps étaient toujours sur la corde à linge. Il pénètre dans la salle de danse. Les tambours sont encore accrochés. Sa visite n’incommode personne. Il se promène un peu partout. Puis il retourne à son navire. Dès qu’il touche à son navire, il les voit se promener en canot. Ils sont tous dans leurs embarcations à se balader sur l’eau. Il veut savoir s’il pourrait en voir un. Peine perdue.
Il s’en va de nouveau vers la rive. Quand il approche de la terre, tous disparaissent. Il entre dans leurs maisons, mais il n’y a personne. Après avoir tout bien observé, il décroche les draps blancs. Il ne décroche que les draps blancs. Il n’en prend qu’un. Il l’apporte au large. Puis, il le monte dans son bateau, et le place sur le plancher bien en vue. Juste comme il montait dans son bateau, une femme est sortie. Elle regarde ici et là. Son linge est disparu. Alors un homme prend une rame, puis s’en va vers le bateau. Il approche. Le capitaine l’attend de pied ferme. Mais quand il arriva près du bateau, il n’y avait plus personne. Le canot avançait tout seul. Quelqu’un qu’on ne voyait pas grimpe dans l’échelle et attache le canot. Il prend les morceaux de linge, tous. Ils tombent dans son canot. Il a du ensuite descendre par l’échelle et détacher le canot. Quand il est rendu à mi-distance entre le canot et la grève, le capitaine le voit s’éloigner. En débarquant, il soulève son canot et le replace sur le rack. Il avait ramené le linge mis à sécher.
Là-bas, ce doit être un feu. On le voit très bien. Il est effrayant. Le soir, quand le soleil disparait à l’horizon, ils font du feu à l’extérieur. Après avoir allumé leurs feus, ils s’amusent. Ils se promènent aussi sur l’eau.
Le temps du retour est arrivé pour l’explorateur. Il contournera la terre de nouveau. C’est alors que sa femme parle au loin : « Comme ils prennent leur temps ceux qui nous ont dit d’avance dans combien d’années ils retourneraient ! » Il lui répond en pensée : « Je pars aujourd’hui. J’arriverai au bout de sept années. Je serai là alors pour vrai. J’arriverai sans faute ! »
Il part donc. Il ne peut rien rapporter de la terre indienne qu’il a découverte, car on était venu tout reprendre. Combien de fois a-t-il tourné autour de la terre ? Pendant sept ans. Mais il finit quand même par arriver dans son pays. Le jour même où il mit pied à terre, sa femme mourait. Il dit à ceux qui étaient près de lui : « La terre des fantômes (tsipai), elle existe vraiment la terre des fantômes. » C’est quand il disait cela que mourut son épouse. Elle est morte. C’est ce jour-là même qu’elle est morte. Il leur dit : « Voici à quoi devrait ressembler la terre, elle devrait avoir la forme d’un cône, du fruit d’un conifère ».
(légende racontée par
Pierre Courtois, et traduite au mois de novembre 2014 par René
Lapointe omi)
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LEGENDE MONTAGNAISE de Natashquan MESSU (L’AIGLE)
« On rapporte qu’une femme rêvait à un aigle. Elle était dans le bois avec son mari et avec son enfant. Elle n’avait qu’un seul enfant. Elle voyait toujours un aigle en rêve. Puis l’idée lui vint de raconter tout cela à son mari. Elle lui dit ce qu’elle voyait en rêve, mais il n’en fit aucun cas.
Là où ils avaient dressé
leur tente, ils n’avaient plus d’eau. Il n’y en avait
plus dans la tente. Le mari dit alors à sa femme : « Va
puiser de l’eau ! » Elle lui répond : « J’ai rêvé
qu’un aigle m’emporterait dans les airs. J’étais en
train de puiser de l’eau, le soir, dans mon rêve. » Le mari
lui dit : « Comment un rêve pourrait-il se réaliser ? Ce que l’on
rêve n’arrive jamais ! » Son enfant était encore
petit, mais elle ne l’a pas emmitouflé. Elle emmène
avec elle son enfant en allant puiser de l’eau. Il y avait un
lac, un grand lac. Le trou dans la glace où on allait
puiser de l’eau était assez loin. Elle habille
maintenant au chaud son enfant. Elle en prend grand
soin, et le porte sur son dos.
Elle était rendue à
l’endroit qu’elle avait vu en rêve. Elle devait porter son
enfant cat il n’y avait personne qui eût pu en assurer la garde,
même pas son mari. Elle faisait tout ce qu’elle
avait vu dans son rêve. La voilà rendue près de ce qu’on
pourrait appeler son puits. Elle plonge son seau dans l’eau
et le retire. On entendit bientôt le bruissement des ailes
d’un aigle qui approchait. Il était énorme. Elle leva
les yeux : le ciel était complètement dégagé, et
c’était la pleine lune. L’aigle l’enleva tout comme elle
l’avait vu faire dans son rêve. Puis il l’emporta là-haut
dans ses serres. Il n’y avait plus sur la glace que son
seau. On dit que l’aigle était très gros. C’est ce
qu’il faisait autrefois l’aigle : il enlevait des indiens.
Sans
trop s’en rendre compte, en plein vol, elle étouffa
son enfant. Elle le laissa alors choir. Eh oui !
Elle avait étouffé son enfant par mégarde, et avait du le laisser
tomber. Elle dit à l’aigle : « L’enfant s’est
étouffé ! » Il lui répond : « Pourquoi ne m’en as-tu
rien dit ? Tu aurais pu le placer ici. Ici, en
toute sécurité, tu aurais pu le placer. Ah la vilaine
cachotière ! » L’aigle ressent de la peine pour la perte de
l’enfant. Il dit à la femme : « Viens ici ! » Elle
vient s’assoir entre ses deux ailes. Il vole à toute
vitesse, et parcourt de grandes distances en peu de temps.
L’homme part à la recherche de sa femme, qu’il a
perdue quand elle est allée puiser de l’eau. Il dit : «
Elle ne veut plus revenir ! » Il se dirige alors en direction
du lac, et se rend jusqu’à l’endroit où elle avait puisé de
l’eau. Elle n’est plus là. Il dit
: « Elle n’est plus là celle qui était allée puiser de l’eau
! Seul reste son seau. Elle a été enlevée
par un aigle. Mais où ? » Il se rendit alors dans un
autre campement.
La femme s’écrie : « Quel précipice
! » L’aigle la dépose ensuite sur la crête d’une
montagne. Elle dit : « Ils sont très nombreux ! »
Ils font leurs nids avec des longues racines d’arbre.
Les aigles sont là en grand nombre. Ils sont sur un pic si
élevé qu’on ne voit rien en bas. Ils volent tout autour.
L’aigle pense : « Elle doit avoir faim ! » Elle lui dit
alors : « Oui, j’ai faim ! » Il prend tout de suite
son envol. Il rapporte quelque temps après un homme
qu’il avait tué. Il pense : « Ce doit être cela
qu’elle mange ! » Elle lui répond : « Non, ce n’est pas
ce que je mange ! Ramène-le d’où tu l’as pris ! Déguerpis
! » Il rapporte alors là-bas l’homme qu’il avait tué.
Un peu plus tard, il apporte un caribou. Il pense : « Ce doit
être le gibier qu’elle mange ! » Mais oui, c’est son
gibier préféré. Elle commence par l’étriper.
L’aigle en rapporte d’autres, sept en tout. A chaque
fois qu’il revient, il apporte un caribou. Il lui est même
arrivé d’en apporter six en une seule fois ! Elle dut
modérer son zèle : « Assez ! lui dit-elle, j’en ai en
quantité ! »
Elle lui fait encore une autre demande : «
Ramène-moi par terre. Je vais aller chercher des fibres. »
Elle ramasse des fibres et des branches pour les conserver
précieusement. Elle creuse ensuite, pour déterrer
des racines d’arbres. L’aigle emporte tout cela et l’emmène
en haut. Il y avait toujours près d’elle un aigle qui
faisait la garde. Les aigles lui apportaient tout ce dont
elle avait besoin. Ils lui ont même apporté des branches de
sapin pour mettre en dessous de sa viande, et lui ont fait le
cadeau du plus gras des caribous !
L’idée lui vint alors de camper à l’indienne. L’aigle s’en aperçut tout de suite, et il la ramena par terre. Puis il la remontait quand elle avait fini son travail. Alors elle entreprit de faire une tente. Elle se servit pour cela de ses fibres ou de ses racines. Elle dépeça le caribou en se servant d’une roche plate. C’est avec une roche plate qu’on se faisait autrefois un couteau. On fixait ensuite à la pierre un morceau de bois, et le tour était joué. C’est avec ce couteau fait d’un morceau de bois et d’une pierre qu’elle découpait sa viande. On conservait aussi précieusement les dents du castor. C’est avec les dents du castor, agencées sur un morceau de bois, qu’on faisait autrefois ce qu’on appelle le mukutan, un couteau à lame recourbée. Elle fait sécher sa viande, et la hache. Elle soufflait la vessie du caribou, et s’en servait comme d’un récipient pour y verser sa graisse. Elle en prenait vraiment grand soin de sa graisse. Elle faisait aussi de la viande hachée. Ils étaient vraiment gras les caribous qu’on lui apportait.
Voilà comment elle mangeait. Elle se dit à elle-même en regardant les aigles : « Et eux, de quoi se nourrissent-ils ? » On rapporte qu’ils tuaient toujours quelqu’un. Ils tuaient n’importe lequel indien. C’était donc ce qu’ils mangeaient eux, des êtres humains. Alors qu’elle, ce n’était que du caribou qu’elle mangeait ou d’autres animaux. Au printemps, elle ramassa énormément de nourriture. Elle se servait de sa graisse de deux façons, avec la viande hachée et avec la viande séchée.
Quand le printemps arriva pour de bon, les aigles dormirent pendant le jour. Ils ne faisaient que dormir dans leurs nids. Il y avait un grand nombre de nids. C’est au milieu de tous ces nids qu’elle avait dressé sa tente indienne. Comme le printemps battait son plein, elle leur envoya un insecte qui tue les maringouins, et qui a la réputation de procurer le sommeil. Ils tombèrent immédiatement endormis. Elle leur en envoya à plusieurs reprises, et ils dormirent à poings fermés. Elle mit alors furtivement le feu à tous les nids, et ils s’enflammèrent aussitôt. Les aigles qui moururent brûlés ne s’en rendirent pas compte. Seule une grand-mère eut la force de crier : « Cela vient de la grand-mère ! » Et comme les nids étaient près les uns des autres, ils flambèrent tous. C’était le printemps, et il faisait déjà chaud. Ils furent tous consumés. Une femme les avait tués tous les aigles mangeurs d’hommes !
Il y en avait un qui était bien gros. Elle va le conserver, car elle veut s’en servir. Elle l’ouvrit avec son couteau, et enfouit de la nourriture sur les côtés. Dans sa tête, elle mit son sac de graisse de caribou, les viandes hachée et séchée. Elle plaça aussi la peau de caribou qu’elle avait traitée. Elle entra finalement dans l’aigle et s’y enferma après avoir cousu la peau de l’oiseau. Elle marche et se dirige sur le bord du précipice. Elle dit : « On n’aperçoit pas la terre. C’est comme si le ciel était couvert de nuages. »
Elle agite ses ailes et les étend. Puis elle s’exclame : « Je descends ! » Elle étend ses ailes : « Ah! Je vole pour vrai ! » Mais après quelque temps, elle dit : « Je suis arrêtée ! » Elle étend de nouveau ses ailes et repart. « Je vole de nouveau ! » Elle arrête de nouveau. Elle est tombée de nouveau sur un promontoire, et s’immobilise pour un instant. Puis elle étend de nouveau ses ailes. « Je vole encore passablement ! » dit-elle. Puis elle s’affaisse. Elle essaie alors de s’envoler de nouveau. Elle en est incapable, et pour cause, elle a les deux pieds sur terre. Elle a enfin atterri!
Avec son couteau, elle s’ouvre un passage. Elle va voir ce qui se passe à l’extérieur. Qu’aperçoit-elle ? Des arbres. Elle exulte : « Sont-ce vraiment des arbres ? » Elle se libère complètement. « Enfin j’ai réussi ma descente vertigineuse ! J’en suis bien contente ! » Elle sort tout ce qu’elle y avait entreposé : ses racines d’arbre, son sac de graisse de caribou, sa viande séchée, et ses peaux de caribou tannées. Puis, elle se met en marche, emportant toute sa nourriture. Elle ne sait pas du tout dans quelle direction aller. Elle ne sait plus quelle décision prendre. Elle dit : « Où irai-je ? » Elle avance quand même en portant sa nourriture sur son dos.
Elle a un vague souvenir du lieu où l’on s’était rassemblé autrefois. C’est là qu’elle ira. Elle dit : « La chaleur est accablante ! » A force de marcher, elle voit tout à coup poindre un homme à l’horizon. Elle voit un homme qui arrivait en canot. Elle s’assoit quand elle l’aperçut et quand il la vit. Elle n’avait déjà plus de nourriture. Elle ne transportait plus grand-chose sur ses épaules. C’est dans ces conditions d’extrême fatigue et de disette qu’elle rencontra un indien.
Il y avait ce qu’on appelait la tente tremblante autrefois. Les indiens s’en servaient de temps en temps, et ils apprenaient par là ce qui se passait. Quand on redoutait un malheur, on allait s’informer là. C’est comme ça que cet homme apprit ce qui était arrivé à cette femme.
On se servait de la tente tremblante autrefois pour qu’on nous dise ce qu’il fallait faire. C’est de façon-là qu’on apprenait la mort de quelqu’un. C’est comme ça qu’on a su ce qu’était devenue cette femme. Il savait cet homme qu’elle n’était pas morte. Il le savait parce qu’il l’avait appris dans la tente tremblante.
L’aigle, autrefois, tuait toujours des hommes. Et il les emportait au loin. Or, quand elle les a ainsi traités, quand elle les a tous passés au feu, quand elle a tous tués, ils furent exterminés. L’aigle est le dernier des animaux méchants. Après lui, il n’y en a eu plus d’autre. »
[légende racontée par
Christine Wapistan et traduite au mois de novembre 2014 par René
Lapointe Oblat de Marie Immaculée : O.M.I.]
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
ANIKAPEU KA
INIKAT INUA
(le wawaron ou la grenouille mâle qui a maintenu
en vie un indien en le nourrissant)
« Un indien demeurait dans la forêt. Il circule en canot pour installer ses pièges. Il avait deux jeunes enfants. Il souffrait de la faim au point d’en pleurer. Il ne parvenait pas à attraper du poisson, même quand il tendait son filet. Seulement un de temps en temps. Il avait l’estomac dans les talons. Ses enfants aussi souffraient cruellement de la faim.
Il dit à son épouse : « Nous allons connaître la famine si nous ne trouvons rien à nous mettre sous la dent. » Il tend quand même son filet, mais, dans les meilleurs des cas, il n’en attrape qu’un. Un caribou avait marché par là, il en voit les traces fraîches, mais il ne parvient pas à le tuer. Ni la perdrix non plus, qui était rare à cette époque. Il n’avait pas plus de chance avec les canards. Il n’en tuait pas un seul.
Or un jour où il pleuvait, et où la pluie tourna en brume, il dit à son épouse : « Je vais aller en canot. Je pourrai peut-être apercevoir un animal. Nous aurions alors de quoi manger. » Il part. Il va dans un lac qui n’est relié à aucun autre. Il le traverse et débarque sur une pointe en sable. A l’endroit même où il avait débarqué, un caribou venait tout juste de passer. Il bruine. Son fusil pouvait en être affecté, car c’était un mousquet. Il le suit à la trace. Son caribou marchait dans le cours d’eau en amont. Puis le soir arriva.
On venait de sortir de l’eau, là-bas. Il entendit distinctement le clapotement de l’eau, et un bruit de pas. Il dit : « Je vais aller voir qui c’est. Grands dieux, le voici ! » Un homme s’avance. Son habit est tacheté comme celui d’un soldat. Son casque est aussi semblable à celui d’un soldat canadien. Il n’avait jamais rien vu de tel. L’inconnu continue à avancer. Le chasseur se tient là debout, prêt à toute éventualité.
Quand il fut tour près, le survenant dit : « D’où viens-tu ? » Il lui répond : « Je poursuis un caribou à la trace. Il vient tout juste de traverser ici. J’ai commencé là à suivre ses traces. Il avance dans le cours d’eau en amont. » L’étranger reprend : « Tu as bien vu ses traces ? » « Oui, répond le chasseur. Je les ai vues. J’ai faim, je suis affamé. Mes enfants pleurent de faim. Je ne vois jamais de caribou. C’est la première fois que j’en aperçois vraiment un. » Il lui répond : « Tu iras là-bas. Veille à ne pas mouiller ton fusil. Prends-en bien soin ! Vas-y ! Avance un peu dans le cours d’eau en amont, puis va vers le sud. Là où il y a un mamelon, un autre ruisseau coule. C’est ce ruisseau dont tu devras remonter le courant. C’est là que bien à l’abri d’arbres et de buissons le caribou est tapi. » Il ajoute ensuite : « Il ne se lèvera pas avant le soir. Tu dois faire vite. Tu dois faire diligence. Quand tu seras rendu tout près, occupe-toi de ton fusil. Veille à ne pas le mouiller. Ne te hâte surtout pas de tirer sur lui ! Tu dois d’abord lui parler. Si tu tires sur lui avant qu’il se lève, tu vas le rater. Quand il se sera redressé sur ses quatre pattes, décharge ton fusil ! »
L’étranger fait quelques pas en direction de l’eau et disparait. Tout ce qu’il voit c’est une grenouille qui plonge dans l’eau. C’est elle qui lui avait parlé. Il est comme figé là un bon moment, et ne peut plus bouger. Mais il finit par se décider à poursuivre à la trace son caribou. Il va là où il l’avait envoyé. Après avoir marché un certain temps, il va en direction du sud. Près d’un mamelon, il voit un autre ruisseau, exactement comme anikapeu le lui avait dit. Il hâte le pas. Quand il arrive sur les lieux, il surveille attentivement son fusil pour ne pas le mouiller. Il ne fait qu’écarter les branches, et il voit son caribou couché. Le temps de se lever n’était pas pour lui encore arrivé. Le chasseur avance vers lui, il lui parle à voix haute. Le caribou se redresse subitement. Quand il le vit debout sur ses quatre pattes, c’est alors qu’il lui enfonça ses balles dans le corps.
Il était fou de joie. Puis il sortit ses entrailles. Il en conserva le cœur et les tripes. C’est ce qu’il rapporta à la maison. Le soleil se couchait quand il retourna. Ses enfants faisaient du tapage, et pleuraient de faim. Quand il débarqua, ses deux enfants accoururent et lui demandèrent : « Es-tu parvenu à tuer un caribou ? » Il leur répond : « Oui, j’en ai tué un. » Il rayonne de joie. Il leur dit ensuite : « Nous allons pouvoir enfin manger ! C’est un gros caribou que j’ai tué ! »
On fait bouillir le cœur et les tripes. Voilà ce qu’on mangera ce soir. Mais demain, on ira trimbaler le caribou. C’est ce qu’il leur dit : « Demain, nous ramènerons à la maison le caribou au complet ! » Puis il fait à sa femme le récit de son aventure : « J’ai vu un homme qui n’est autre, je pense, que le wawaron ou la grenouille mâle. Il m’a expliqué comment faire pour tuer le caribou. Il était de grande taille. Puis, il est tout à coup disparu. Je ne vis qu’une grenouille sauter à l’eau. C’est lui qui m’a tout dit comment je devais chasser. Il m’a dit que le caribou était tapi sur l’herbe. Je suis parti à sa recherche en suivant ses traces. Fais attention à ce que tu fais, m’a-t-il dit. Quand tu seras rendu là où il s’abrite, tu le regarderas de loin, m’a-t-il dit. Quand il eut bougé, je l’ai tué. »
Le lendemain, ils font plusieurs voyages, lui et sa femme, pour transporter sur leur dos tout le caribou. On fait sécher de la viande de caribou. Ensuite on fit un festin. Puis on fit de la graisse de caribou. Depuis ce jour, il tua toujours du caribou. Toujours. Le mâle, la femelle qui nourrit ses petits, les jeunes. Tous. Il en tuait toujours quand il débarquait. Il attrapa même du poisson, à partir de ce jour, quand il tendait le filet. Il a mangé à sa faim tant qu’il a vécu.
C’est le wawaron (ou la grenouille mâle) qui l’a maintenu en vie. »
(légende racontée par
Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi, au mois de
novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
KA UEPANASHTAMAT
KUNA
« Un Indien projette la neige au loin à coup de pieds. C’est à coup de pieds qu’il traite la neige. Au printemps, il va chercher du bois pour faire des raquettes. La neige est en train de fondre. Elle donne l’impression, en disparaissant, qu’elle ne reviendra jamais. Il lui dit : « Comment se fait-il que tu ne peux plus continuer ? Tu as fait la fière cet hiver quand il faisait froid. Que valent toutes tes bravades quand la chaleur arrive ? » Il la fait s’envoler au loin à coup de pieds. Puis il s’en va.
Quand la neige était presque toute fondue, elle lui dit : « Tu penses que je ne reviendrai pas l’hiver prochain ? Tant que la terre durera, je continuerai à exister, moi, la neige ! » Elle ajouta ensuite : « Comment peux-tu imaginer que je ne reviendrai plus ? Tu es mieux de prendre garde à toi l’automne prochain ! » C’est quand il l’a entendu parler qu’il l’a vraiment connue. Elle lui avait dit : « Tu seras seul ! »
A partir de ce moment, la température changea subitement. Il fit froid très tôt. Il alla à la chasse. Au tout début il ne faisait que pêcher. Il n’accumulait que les poissons. Puis il tua des caribous, et les mit en réserve. Il met de côté de la nourriture de toute sorte. Il ne pense qu’à une seule chose : ramasser de la nourriture pour l’hiver. Il tuait aussi des outardes, et faisait main basse sur tout ce qu’il trouvait. Il n’avait qu’un souci : avoir assez de nourriture pour passer l’hiver.
Quand arriva le mois de novembre, il faisait déjà très froid. C’est alors qu’il se fit sa maison. Il se creuse un gite dans une colline en forme de carré. Puis il se fit un entrepôt. Après avoir construit tout cela, il se fit cuire de la nourriture. Puis il retourne à la chasse. Il va aussi chercher du bois de chauffage. Puis, avec sa hache, il se fit des cordes de bois. Pour l’instant, il n’en avait pas besoin. Son antre était chaud. Pendant tout l’hiver, il n’a fait qu’apporter du bois de chauffage. Quand les gros froids arrivèrent, sa femme ne put plus aller chercher du bois de chauffage. Lui seul pouvait encore le faire. Il faisait un froid de loup quand il sortait. Le vent était glacial. A l’intérieur, il faisait presque aussi froid qu’à l’extérieur. C’est comme s’il y avait un courant d’air. Leur feu s’éteignait vite.
Tout à coup, l’autre porte s’ouvrit. Il se remit alors à chauffer. Mais le feu s’éteint bientôt. On ne pouvait presque plus dormir la nuit. Il dit : « Ça suffit comme ça ! Comment pouvons-nous vivre ainsi ? Il pourrait en finir avec nous ! » Puis, il dit à sa femme. Couvre-toi avec ta couverte ! Ne le regarde pas entrer ! » Il était déjà en train d’ouvrir la porte. Il recouvre complètement son épouse avec les couvertes, sans s’occuper de celui qui entre. Il fait des copeaux avec des bûches de bouleau. Il jette sur le feu ce qui ressemble à du brin de scie, ainsi que de la graisse. Il avive le feu avec de la graisse de caribou qui fond instantanément.
Il entre en trombe. Il ressemble aux boules de neige entassées sur les branches de sapin. C’est de la neige qui entre dans sa maison. Il tend la main en direction de la neige comme s’il lui souhaitait la bienvenue. Il lui fait alors un bon feu. Il ne se forme pas de boucane. Il avive encore une fois le feu avec de la graisse de caribou. Le feu cette fois est bien pris. Il ajoute buche sur buche. Et on a l’impression d’être au printemps. La neige fond petit à petit sur le tapis où elle s’était placée. Le chasseur regarde intensément devant lui : un homme était assis en face de lui. Il se lève par courtoisie.
La neige devenue homme lui dit : « Je n’ai pas voulu éteindre ton feu. Si j’avais voulu l’éteindre, il serait éteint. Il me suffit que tu ne me traites plus ainsi. Car, tant que durera la terre, j’existerai, moi. Il me suffit que tu ne me maltraites plus, que tu ne m’insultes plus. » Puis, il lui donna des enseignements : « Ecoute bien ce que je vais te dire. L’hiver, quand un arbre est penché, la neige qui s’accumule sur ses branches, c’est mon collet. Si quelqu’un s’adonne à passer en dessous, il est pris au collet. Voilà pourquoi un adolescent ne vit pas longtemps. Il meurt rapidement, après n’avoir vécu que la moitié de sa vie. Si quelqu’un se glisse sous les buissons épineux, je le transperce. Si quelqu’un marche à la hauteur des mes branches, je lui dépose de la neige dans le cou. Celui qui se déneige avec une branche de sapin, je l’attends quand il arrive : son chemin n’est pas recouvert de neige. Il y a un autre que j’accompagne. Celui qui, en arrivant, le soir, en enlevant ses raquettes, ne les secoue pas pour faire tomber la neige, mais les accroche seulement. Il entre ensuite dans la tente. Je suis avec lui là où il s’assoit. Il y a un autre indien qui revient après avoir tué à la chasse, et qui secoue ses raquettes les unes contre les autres. Quand il enlève ainsi la neige, c’est moi qu’il frappe à plusieurs reprises. Il les accroche après. Un autre coupe une branche d’arbre et me fouette. Quand il se déneige au complet, il me fustige. Il laisse tomber ensuite sa branche d’arbre et entre. En entrant, il pousse à l’extérieur la toile qui sert de porte d’entrée. Je tombe là-bas, et j’en ressens de la gêne.
L’enfant (seul) dans la tente veut allumer son poêle. Il veut faire du feu. Alors, il pleure l’enfant. Pensant qu’il (son père) devrait l’entendre, je me rends chez l’enfant, et le sors furtivement de la tente. L’enfant devient malade et meurt, car il était gelé. Si un Indien, après avoir dressé sa tente le matin n’allume pas de feu, je pense alors qu’il devrait chauffer, je vais le voir, et je le détruis lui et sa femme. J’emporte avec moi leurs cœurs en sortant. L’indien, adolescent ou homme fait, qui, en marchant, m’a maudit a souffert du froid. C’est ainsi que je m’en suis vengé. Sachez-le donc, un enfant qui souffre du froid est quelqu’un sur qui j’exerce ma vengeance. »
C’est tout ce dont je me
souviens au sujet des choses redoutables qu’on racontait
autrefois. On se les racontait de génération en génération
pour qu’on s’en souvienne toujours. On interdisait
autrefois aux enfants de maltraiter la neige, et même de jouer avec
de la neige. On avait autrefois une peur révérencielle de la
neige. On ne se tirait jamais des boules de neige au
printemps. C’était strictement défendu. »
Légende racontée par Pierre Courtois.
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
TSAKAPESH
« Ils marchaient, dit-on. Cet homme avait sa femme pour compagne de route. Puis ils gravirent une colline. Ils aperçurent là un ours, et ils furent tués par cet ours. L’homme également fut tué. Mais l’enfant, l’ours se contenta de le jeter à l’eau. Il ne mourut pas cet enfant; il ne fut que grafigné par l’ours. Puis il fut avalé par un poisson. C’est par un poisson qu’il fut avalé Tsakapesh.
Cet homme et cette femme avaient aussi une fille. Étant sans nouvelles de son père et de sa mère, elle était allée pêcher. Puis, elle attrapa un poisson, une truite. Elle était très grosse cette truite. Elle la sort de l’eau et l’éventre. La plus grosse des truites, elle a attendu à la fin pour l’étriper. Quand elle l’eut éventrée, voici que Tsakapesh se lève debout. Elle va chercher un grand bassin et le dépose à l’intérieur. Elle recouvre ensuite le bassin d’une peau de caribou.
Tsakapesh se relève et dit à sa grande sœur : « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » Elle lui répond : « Je ne sais pas ce que tu es devenu ! » Puis elle ajoute : « Notre père et notre mère ont été tués par un grizzly. » Il lui répond : « Et où est cet ours ? » Elle lui dit : « Là-bas, à cette montagne qui est très escarpée. Il foule son sentier au milieu des arbres. C’est là qu’ont été tués notre père et notre mère. »
Quant il eut grandi quelque peu, sa grande sœur lui fit un arc. Elle le fit avec du bois. Elle lui fit également des flèches. Quant il fut en âge de chasser, il alla à la montagne escarpée. C’est là qu’il alla d’abord. Tsakapesh, en fait, était petit. Il n’était pas grand du tout. Puis il vit les traces que faisait l’ours en marchant, et dit : « Ce doit être celui qui a tué mon père et ma mère ! » Il chante alors à tue-tête dans le chemin de l’ours : « Je suis à la recherche de Katsituaushk qui a tué mon père et ma mère ! » Le tueur l’entendit chanter. Il avait pour compagnon un ours polaire. Il l’envoya à la rencontre de Tsakapesh en lui disant : « Vas-y ! Va le voir ! » L’ours polaire se rendit auprès de Tsakapesh, qui l’aperçut immédiatement, et lui dit : « C’est toi qui as chanté ? » Il lui répond : « Oui, c’est moi qui ai chanté. Ce n’est pas toi que je recherche. C’est katsituaushk que je recherche. Voilà celui que je poursuis. Va-t-en! Je vais te tirer une flèche si tu ne t’en vas pas. »
Il s’en retourna alors et se rendit auprès de katsituaushk. Quand il l’eut rejoint, il lui dit : « Ce n’est pas toi que je recherche, m’a-t-il dit, c’est katsituaushk que je poursuis. Il a voulu me lancer une flèche. Voilà comment il m’a traité. Il a voulu me renvoyer. Va-t-en ! C’est katsituaushk que je recherche, qui a tué mon père et ma mère, m’a-t-il dit. » Il lui répond : « Il va voir katsituaushk. » Puis il se met en route.
Tsakapesh l’entend s’approcher. Il se dépouille de ses vêtements, et lance son arc au bas de la côte. Il s’étend de tout son long dans le sentier de l’ours, et le bloque avec son corps. Il pouvait le faire parce qu’il était petit. L’ours surgit de la forêt en disant : « Où est celui qui fait du tapage ? » Il a essayé de le chatouiller sous les aisselles. Tsakapesh s’est contenté d’esquisser un sourire, mais il ne bougea pas d’un pouce. L’ours dit : « Ce doit être celui qui recherche Katsituaushk, qui est mort de frayeur en l’entendant arriver. » Il le repousse au loin, jusqu’auprès de son arc. Tsakapesh s’est rendu à son arc après avoir été repoussé trois fois par l’ours. Il se redresse alors, saisit son arc et sa flèche. En agissant ainsi, il l’a presque mis en fuite. L’ours lui demande : « Qui cherches-tu ? » Il lui répond : « Je cherche katsituaushk qui a tué mon père et ma mère, en les déchiquetant. Voilà celui que je cherche. » L’ours lui dit : « C’est moi katsituaushk. Comment pourrais-tu transpercer katsituaushk ? » Tsakapesh lui répond : « Quelle est ton épaisseur ? » « Elle est semblable à celle de cet arbre qui est très grand. Je suis aussi dur que lui à percer. Tire sur lui la plus perçante de tes flèches ! Tu ne pourras pas passer au travers ! »
Tsakapesh s’avance en direction de cet arbre. Il en était encore passablement éloigné quand il lui lance une flèche en plein centre, et le fracasse. Il a presque mis l’ours en fuite. Il lui dit alors : « A quoi ressemble vraiment l’épaisseur de ta peau ? » « Elle ressemble à celle de cette falaise », dit-il. Tsakapash tire de nouveau, et réduit la falaise en miettes. C’est alors qu’il a vraiment mis l’ours en fuite. Il courut alors après sa flèche, pendant que l’ours dévalait la pente. Il l’atteignit dans la cuisse, pendait qu’il descendait. L’ours lui parla enfin : « Hâte-toi d’en finir ! Tu me fais souffrir ! » Tsakapesh lui répondit : « C’est toi qui m’as fait souffrir quand tu as tué mon père et ma mère. Quand tu les as déchiquetés ! » Puis il lui donna un grand coup de pied dans le derrière. Il s’approcha ensuite de sa tête, et la transperça d’une flèche. C’est de cette façon qu’il l’a tué, dit-on.
Puis il l’a éventré pour trouver des os de ses parents qu’il aurait avalés, ou quelque autre partie du corps. Il aurait pu ainsi ramener ses parents à la vie. Il n’a trouvé dans ses intestins que leurs cheveux. Il n’a pas pu ramener ses parents à la vie. Les cheveux de sa mère étaient blancs, et ceux de son père noirs. Il les jeta sur des conifères, en disant : « Ils demeureront suspendus là ! C’est là qu’ils demeureront accrochés !» Puis, il lui trancha la tête. Il rapporte ensuite sur son dos cette tête d’ours. Il n’avait vu aucun os de ses parents dans les intestins de l’ours. S’il en avait vu un ou deux, il aurait pu redonner la vie à ses parents.
Il retourne et se rend
auprès de sa grande sœur. Il lui fait entrer dans la tente la
tête de castor. Elle dit : « Il est donc allé à la
recherche de katsituaushk. » Il lui répond : « Je l’ai
poursuivi. J’ai vengé notre père et notre mère. J’ai tué
celui qui les avait tués ! »
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Sa grande sœur lui dit : « Va chercher des écureuils ! » Il part donc. En chemin, il entend des gens qui crient. Il entend crier au loin. Il voit des gens près d’une cabane de castors. Ils cherchaient à attraper des castors. Il les observe longuement, et se demande ce qu’ils font. Après avoir fait un trou dans la glace, ils cherchent à saisir à mains nues le castor au fond de l’eau. Les chasseurs de castor aperçurent soudain le nouveau venu. Ils dirent : « Un étranger nous a rejoints ! Dites-lui de venir attraper le castor avec la main ! » Quand il approche, on constate que son arc est plus grand que lui, et que ses raquettes sont trop larges pour ses pieds. Ils lui disent : « Voici un étranger qui nous arrive ! Va attraper le castor à main nue ! » Un autre précise : « Tu n’auras qu’à agiter ta main, et tu le saisiras ! »
Le castor emmène au fond de l’eau celui qui n’a pas d’expérience. On le regarde fouiller dans l’eau avec sa main. C’est un très gros castor qu’il sort de l’eau. Après l’avoir sorti, il le frappe avec son arc. Quelle grandeur pouvait bien avoir son arc ? Après l’avoir assommé, il le jette sur une butte. Puis, il en sortit un autre, en agissant de la même façon. Le castor n’a pas pu l’entraîner avec lui au fond de l’eau. Quand il en eut sorti deux, il mit fin à la chasse. Il les attache, car il veut les apporter chez lui en les tirant. Il les ramène tous les deux, sans faire de cadeaux aux chasseurs de castor. Ils ont essayé de le retenir au moment du départ, mais il leur a tordu les bras. Lorsqu’un autre essaya de l’arrêter, le chef s’écria : « Laisse-le faire ! Ce doit être Tsakapesh que rien ne peut vaincre. Ne l’achale pas ! Il finira bien, de toute façon, par ramener ses castors ! »
Il ramène à la maison ses castors. Sa sœur dit : « Il est donc allé trouver les chasseurs de castor ! » Il répond : « Je suis allé les voir. Je rapporte tous leurs castors. Va! Éventre-s-en un ! Tu le feras rôtir à la broche ! » Puis il part de nouveau, après lui avoir dit : « Fais rôtir à la broche aussi ta tête de castor ! Avant d’éventrer ton castor, fais d’abord rôtir à la broche ta tête de castor ! » Puis il s’en alla. Pendant qu’il s’éloignait de la maison, il entendit sa sœur pleurer au loin et se lamenter. Il revient à la course. La tête de castor qu’on avait fait rôtir était devenue tout à coup ensorcelée (mentushikatenu). Quand sa sœur prit une morsure, ses dents devinrent crispées. Elle ne pouvait plus ouvrir la bouche. Tsakapesh constata que sa bouche était fermée, et lui desserra les dents avec un bâton. Il dit : « Je ne lui ouvrirai pas la bouche trop grande, pour que les indiens, en naissant, n’aient pas une bouche démesurée. » Quelle forme pouvait bien avoir leur bouche autrefois ?
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Tsakapesh dit de nouveau à sa grande sœur : « J’entends de nouveau des gens qui font du bruit. » Elle lui répond : « Ne va pas les voir ! Ce doit être ceux qui se balancent. Ils s’élancent très loin quand ils se balancent. Alors on leur coupe la corde, et ils sont repoussés dans un sceau d’eau bouillante. » Sa sœur avait deux vessies de caribou pleines de graisse. Il lui en déroba une, et partit.
Il alla à la rencontre de ceux qu’il avait entendus. Il en regarde un, en cachette, qui était en train de se balancer. Il allait à une grande vitesse en se balançant. Quand il approcha, on s’aperçut de sa présence. Quelqu’un dit : « Un étranger s’en vient. Nous le balancerons ! Viens ! » Il se dirige vers la balançoire pour se balancer. Il dépose là, tout près, son arc. Il s’approche de la balançoire, et regarde : il était grand le baril dans lequel on faisait tomber quelqu’un. Tsakapesh dit à celui qui lui venait en aide : « Dis-leur de bien chauffer leur eau ! » Il se balança ensuite. Quand il arriva juste au-dessus du baril, on lui coupa la corde. Il plongea alors dans l’eau bouillante. Quelqu’un lui dit : « Assis-toi là ! » Un autre : « Il va nous fournir de la graisse ! » Et voici que s’approchent du seau ceux qui venaient déguster la graisse ! C’est le moment que choisit Tsakapesh pour trouer sa vessie pleine de graisse. Les mangeurs de graisse étaient tous à genoux à l’entour du baril. Alors, il renversa le baril, et brûla tous les mangeurs de graisse. Puis, il sort tout de suite du seau. Il était poilu autrefois, dit-on. Mais l’eau bouillante l’a épilé pour toujours.
Il revient chez lui après les avoir tous tués. Il n’avait rien sur lui. Il était complètement nu quand il revit sa grande sœur. Il lui dit : « J’ai été ébouillanté par ceux que j’ai tués! » Elle lui fit donc des vêtements : un pantalon et un veston.
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Il part de nouveau. Elle lui dit : « Ne va pas trop loin ! » Après avoir marché un peu de temps, il en vit d’autres qui faisaient du tapage. Ils jouaient à la balle. Mais ce qui leur servait de balle était une tête d’ours. Il va tout de suite le rapporter à sa grande sœur : « Ma grande sœur, j’ai entendu des gens qui jouaient à la balle. » Elle lui répond : « N’y va pas ! Cette tête d’ours mord pendant qu’ils jouent. » Il lui répond : « Tu m’effraies pour de bon ! » Mais il part quand même. Il les regarde en cachette jouer à la balle. Au beau milieu du jeu, la mâchoire de l’ours se referme sur celui qui n’a pas pu l’attraper, et le mord. Mais il y en avait un qui était d’une grande agilité. Il pensa : « Puisse-t-il devenir le mari de ma sœur ! » Le voilà arrivé. En le voyant, on crie : « Un étranger vient nous rendre visite ! » Un autre dit : « Tu vas jouer avec nous ! » Il laisse là son arc et va les retrouver. On s’envoya la tête d’ours à tour de rôle. Quand il la vit arriver en virevoltant, il saisit son arc, lui lança une flèche, et la mit en pièces. Quelqu’un s’écria : « Arrêtez ! Ne lui faites rien ! Ce doit être Tsakapesh ! Laissez-le tranquille, et cessez de jouer ! »
Il continue à penser à celui qui était si rapide et si agile. Il dit : « Je vais le ramener à la maison ! » Il l’invite: « Viens avec moi ! Allons à la maison ! Tu épouseras ma sœur qui y est ! » « Oui », répondit-il. On a voulu de nouveau le retenir. Il leur a tordu les bras au point de leur faire verser des larmes. Il amène son beau-frère chez lui. On le laisse aller. Il crie à sa sœur : « Ma sœur, j’ai amené quelqu’un qui pourrait être ton mari. » Il fit entrer le mari de sa sœur. « Voici celui que tu épouseras ! » Il n’y a que lui qui n’a pas trouvé d’épouse.
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Il part de nouveau. Son beau-frère ne l’accompagne pas. Il est seul. Il entend de nouveau des gens qui font du tapage. Ce sont des femmes en train de tanner les peaux. Il pense : « Je vais en parler à ma grande sœur. Elle doit savoir comment elles vivent. » Il lui dit en arrivant à la maison : « Ma sœur, j’ai entendu des femmes qui tannaient des peaux. » Elle lui répond : « Ne va pas les voir. On va te tuer. Il y a là une sorcière. Elle nourrit quelqu’un avec de la graisse d’être humain. Après en avoir mangé, on ne peut plus bouger. » Il lui dit : « Tu m’effrayes vraiment ! Je n’irai pas les voir. J’irai ailleurs ! »
Il va quand même voir les femmes qui tannaient des peaux d’animaux. Les filles l’ont vite aperçu, et ont beaucoup ri en le voyant. La mère leur dit : « Pourquoi, mes filles, riez-vous comme cela ? » Elles lui répondent : « Nous avons tiré sur un kapminau (nom d’oiseau et d’organe humain ?) » Elle regarda son gendre d’abord à travers la porte, puis à visage découvert. Elle dit : « Faites entrer mon gendre ! » Les filles lui dirent : « Ne mange pas de sa graisse si elle t’en donne à manger ! Quand nous te donnerons de la graisse, nous, ce sera de la vraie graisse! » On le fait entrer, et les deux filles s’assoient à ses côtés. Elle met la table pour son gendre, et va s’assoir dos à ses filles et à son gendre. Elle doit être en train de couper sa graisse en morceaux. Pendant le repas, elle étend le bras en disant : « Je te donne en cadeau ma graisse à manger ! » Mais il ne la prend pas et la laisse fondre. Elle dit alors : « Ne pas manger ma graisse est une déclaration de guerre ! » Elle s’approche de son genre, de dépit. Ses filles lui dirent : « Arrête ! Voici le moment où elle le tuera ! Ne le tue pas ! »
Elle soulève son gendre, qui se lève de lui-même. Elle dit à ses filles : « Laissez-le moi ! » Alors les filles se retirent. La vieille revêt son habit de combat, et secoue son gendre pour lui faire perdre pied. Elle n’obtient aucun résultat : son gendre ne bouge pas. Alors il dit aux filles : « Allez-vous regretter votre mère, si je la tue ? » Elles lui répondent : « Pas une miette ! » Elles prennent un tison et veulent lui brûler les pieds. Tsakapesh leur dit : « Tassez- vous ! Laissez-la moi. Elles me mettent en colère ! » La vieille avait déjà dégagé sa roche pointue et bien aiguisée. Elle était toute tachée de sang. C’est là qu’elle frappait ses victimes quand elle les lançait dessus. Elle essaie de l’envoyer là, mais elle ne parvient pas à lui arracher les pieds du sol. Elle dit : « Eh ! Mes filles, il a les hanches solides ! Il est fort ! » Elle essaye encore de le soulever, mais elle ne peut pas en venir à bout. Alors lui il la soulève, la fait tourner en rond, sans que ses pieds touchent le sol, et la lance sur sa roche, sans perdre un instant. C’est là qu’elle s’est affaissée. Elle frémit en expirant, puis tombe par en arrière.
Il y avait une chute, pas loin. Il dit aux filles : « Allons boire au bord de l’eau ! Je meurs de soif ! » Ils allèrent donc étancher leur soif. Les deux filles de la sorcière étaient sur le bord de la chute. Il veut faire de l’une son épouse, mais l’autre il la rejette. Il la pousse donc pour qu’elle tombe dans la chute. Il ramène une seule des deux filles chez lui. C’est celle qui sera sa femme.
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Tsakapesh dit : « Qu’allons-nous devenir ? » Sa sœur se dit à elle-même : « Car il ne chasse que les écureuils ! » Il dit à son beau-frère : « Viens avec moi ! Partons de nouveau ! » Il part et voit un écureuil qui grimpait dans un cèdre. Il grimpait rapidement dans un cèdre. Il n’y avait pas de nuit autrefois, dit-on. Au fur et à mesure que l’écureuil montait, il soufflait sur l’arbre. Son gendre ne voulait pas l’accompagner dans sa chasse aux écureuils. Il retourna à la maison. Il continue à souffler sur l’arbre jusqu’à ce qu’il devienne immensément grand. Puis, il plafonna tout à coup. Il se mit alors à grimper dans l’arbre. Quand il arriva à la cime de l’arbre, il vit une terre qui était très belle. Il sortit. Oh ! Qu’elle était magnifique cette terre qu’il contemplait ! Il était très content d’avoir découvert cette terre. Puis il pensa : « C’est là que nous habiterons. Il y a là plein de traces d’écureuil ! Oui, c’est là que nous irons. Je suis d’accord, dira ma grande sœur, quand elle viendra ici !»
Puis, il s’en retourna. Mais d’abord, il tend un piège au soleil. C’était chose facile, car son sentier était clairement tracé. Il accroche son piège, puis s’en va. Peu de temps après, le soir tombe et il fait nuit. Il pense tout à coup au piège qu’il avait tendu, et va le voir. Le soleil était là en train de se débattre. Il pense : « Que vais-je lui faire ? » Il jeta sur le piège une souris et un écureuil, mais ils ne purent pas couper la corde. Il n’y a que la musaraigne capable de rompre le collet. Le soleil réapparut de nouveau, et il fit jour. Après un certain temps de clarté, la nuit revint. Puis il fit jour de nouveau. Il se dit : « Je vais retourner ! »
Il alla vers son arbre et descendit. A mi-chemin, il fit nuit. Il fait à cet endroit un nid. J’appelle nid ce qu’il a installé pour dormir la nuit. Il s’en va de nouveau. Il marcha de nouveau jusqu’à la nuit, puis fit une autre installation où ils pourraient dormir. Après l’avoir terminée, il poursuivit sa descente. Quand il fut presque arrivé à l’endroit d’où il avait monté, il marcha de nouveau jusqu’à la nuit. Il fit encore une autre installation pour dormir. Trois en tout.
Il descendit alors et rejoignit sa sœur. Elle lui dit : « D’où vient la noirceur ? » Il lui répond : « C’est simple. J’ai pris le soleil au collet. Je me suis rendu jusqu’en haut après avoir soufflé sur le cèdre. J’ai fait trois nids, car nous devrons dormir trois fois. C’est là que nous demeurerons. Elle est vraiment magnifique cette terre ! » Il leur dit ensuite : « Vous allez monter les premiers ! Si vous avec le vertige, je vous attraperai au vol. Ne regardez jamais en bas, seulement en haut ! » Ils partirent alors. Ce sont eux qui montèrent d’abord. Ils n’eurent pas le vertige au début, puis ils passèrent une première nuit à dormir. Ils grimpèrent de nouveau. C’est alors qu’ils furent pris de vertige. Il les attrapa au passage, souffla sur eux et sur les autres. Puis ce fut la fin des étourdissements et des vertiges. Ils passèrent une seconde nuit dans leurs nids. Le lendemain matin, ils repartirent.
Les voici enfin parvenus au sommet. Elle dit : « Nous voici arrivés les mains vides ! » Ils trouvent la terre très belle. Ils sont très contents d’être montés là-haut. Tsakapesh demande : « Quelle grandeur allons-nous donner à l’arbre ? » La grande sœur répond : « Celle qu’il avait d’abord. Il aura la grandeur qu’il avait autrefois. Autrement, combien il y en aurait-il qui grimperaient ici ? » C’est là qu’ils se sont établis. Tsakapesh dit : « Comment allons-nous faire ? Il nous faudra vivre séparément, puisque la terre où nous sommes est si belle. Je serai, j’habiterai, moi, dans la lune. On m’appellera Tsakapesh. Vous autres, vous serez des étoiles. Et puis un dans le soleil. Chacun a ce dont il a besoin. »
(légende racontée par
Julie Ishpatau, et traduite par René Lapointe omi au mois de
novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
AIASHIS
« Aiasheu a abandonné son fils sur une île. Il ne l’aimait pas. Il en était jaloux. Il avait rejeté son autre femme, et il n’avait jamais aimé le fils de cette femme depuis qu’il était enfant.
Il va chercher des œufs sur une île. Il dit à son garçon : « Allons chercher des œufs ! Accompagne-moi en canot ! » On aperçut enfin une île qui semblait flotter sur l’eau. Après avoir fait la cueillette des œufs, il s’en retourne. Comme il était sur le point d’embarquer, il dit à son garçon : « Mais oui ! J’ai oublié qu’il y avait des œufs là-bas. Je les ai pourtant vus. Ils étaient rouges. Ils pourraient servir de jouets à tes petits-frères si tu allais les chercher. Ce n’est pas loin d’ici. Là où se trouve la colline, tout près de la baie, c’est là qu’ils se trouvent ! » « Oui », lui répond son enfant.
L’enfant court les chercher. Mais ce n’était qu’un attrape-nigaud. Pendant que l’enfant montait sur la colline, il mettait son canot à l’eau. Quand l’enfant reparut sur la rive, il s’était déjà éloigné, et avançait rapidement. L’enfant lui cria : « Mon père, tu me laisses là sur l’île ! » Le père faisait celui qui n’entendait rien. Il lui cria à plusieurs reprises : « Mon père, tu m’abandonnes sur l’île ! » Le père était encore visible quand il se leva debout dans son canot, et souffla sur l’île. De fortes vagues vinrent alors balayer le rivage. Il se dirige vers la rive adverse, après avoir abandonné Aiashis sur une île.
Pendant qu’Aiashis faisait le tour de l’île, Aiasheu maltraitait terriblement son épouse. Il lui brûlait la figure avec un tison, car son fils ne pouvait plus en être le témoin. C’est quand elle allait chercher du bois de chauffage sur son dos, ou quand elle allait puiser de l’eau qu’il la traitait ainsi. Il lui brûlait le visage quand elle revenait avec un arbre sur son dos.
Aiashis aperçut un phoque et lui dit : « Mon grand-père, traverse-moi ! » Il lui répond : « Il y aura toujours quelqu’un pour te traverser ! » Il vit ensuite un goéland et lui dit : « Mon grand-père, fais-moi traverser ! » Il lui répond lui aussi : « Il y aura toujours quelqu’un qui te fera traverser ! » Il voit ensuite une baleine et lui dit : « Mon grand-père, fais-moi traverser ! » Il lui répond la même chose que les autres : « Il y aura toujours quelqu’un qui te fera traverser ! » Il fait encore le tour de l’île. Il ne vente pas. Que voit-il soudain apparaître ? Un serpent avec des cornes ! Il est immense ! Il sort de l’eau. L’enfant s’écrie : « Mon père, qu’est-ce donc qui vient vers moi ? Il a l’air méchant ! » Il lui répond : « C’est ton père qui est méchant, lui qui t’a abandonné sur cette île ! Est vraiment méchant celui qui n’a pas pitié des infortunés ! » Puis il reprend : « C’est moi qui te ferai traverser, quand il n’y aura pas le moindre nuage. Va ! Monte sur la colline et examine attentivement si le ciel est complètement dégagé ! Si le ciel est partout d’un bleu clair, je te ferai traverser. Mais si tu aperçois un seul nuage, je ne pourrai pas te faire traverser. »
Il monte immédiatement sur la colline. Il y a là-bas un nuage, à peine visible, et qui est bien loin d’ici. C’est le seul qu’on peut apercevoir. Il descend la colline à la course. Son grand-père lui demande : « En as-tu vu un ? » Il lui répond : « Je n’ai aperçu aucun nuage ! » Il dit à Aiashis : « Ne me raconte pas d’histoires ! Si jamais tu mens, je te ferai courir de grands risques ! » Il lui répond : « Je ne mens pas ! » Il lui avait bel et bien menti. Il renchérit : « Non, je ne mens pas. Tu le verrais s’il était dans le ciel ! » Son grand-père lui dit alors : « Va chercher une pierre plate. Tu la mettras au milieu. Va chercher aussi d’autres pierres pour frapper mes cornes, si je ne vais pas assez vite. » « Oui », dit-il. Il installe la pierre plate dans le creux de son cou, ainsi que l’autre pierre en forme de marteau.
Il entre dans l’eau de reculons. Puis il part, et avance rapidement. Quand il commence à ralentir, il lui frappe les cornes avec son marteau de pierre. Mais voici que le ciel commence à se couvrir de nuages et que le vent se lève. Il dit à son petit fils : « Mon petit fils, n’est-ce pas ce que je t’avais dit ? Tu as du me mentir ! » Il lui répond : « Je ne t’ai rien caché ! Il y avait un nuage au loin qu’on voyait à peine ! » Mais le vent souffle, et Aiashis a encore une bonne distance à parcourir. Le grand-père lui dit : « Mon petit-fils, si les vagues se déchaînent, tu te réfugieras tout près de mes cornes, que tu saisiras de tes deux mains, pour ne pas être emporté par les vagues. »
On vit tout à coup les éclairs sillonner le ciel, et on entendit le bruit du tonnerre. Le grand-père parla : « Voilà bien ce que je t’avais dit. Si tu ne m’avais pas menti !... Je mets maintenant ta vie en danger ! Il y aurait eu un jour sans nuage qui m’aurait permis de faire la traversée en toute sécurité. » Alors il frappait les cornes de son grand-père de toutes ses forces. Puis, il lui dit : « Courage, mon grand-père ! C’est tout proche ! » « Oui », répond-il. Quand il arriva près de la grève, le petit-fils lui dit : « Nous voici arrivés, mon grand-père ! » Le grand-père lui dit : « Mon petit-fils, ouvre tes deux yeux ! Quand le sable de la grève apparaîtra sous l’eau peu profonde, tu me le diras. » « Oui », répond-il. Peu de temps après, il s’écria : « Je vois le sable de la grève dans l’eau peu profonde ! » Son grand-père lui dit alors : « Sois sur tes gardes ! Quand je retournerai, tu sauteras par terre. Je vais repartir à reculons. » C’est ce qui arriva. Quand son grand-père fut sur le point de partir, il sauta sur la grève, et se cacha à quelque part, pendant que son grand-père disparaissait à l’horizon. Puis le soleil réapparut. Voilà ce que son grand-père avait fait pour lui.
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Il s’assoit sur des branches d’arbre. Puis, quand il monte sur une colline, il aperçoit de la fumée. Il se dit : « D’où vient cette fumée ? » Il va à la recherche de la personne qui fait du feu. Il la trouve : c’est une grand-mère qui fait du feu. Il l’examine d’abord, puis il lui dit : « Ma grand-mère ! » Elle lui répond : « Qui es-tu ? » Il lui dit : « C’est moi Aiashis, l’enfant qui a été abandonné sur une île par son père ! » Elle lui répond alors : « Ah! Mon petit-fils est arrivé ? Tu es arrivé ? » « Oui », dit-il. Elle ajoute : « Ton père a presque tué ta mère. Quand tu verras ta mère, tu constateras à quel point elle est misérable ! Ton père la brûle avec un tison ! Entre ! »
Après qu’il fut entré, elle lui fit un arc et des flèches. Il lui dit ensuite : « Je pars dès demain. » Elle lui répond : « Mon chien t’accompagnera. Tu iras là où il ira. Ton père t’a tendu un bon nombre de pièges. D’abord, l’écume. Ensuite, des arbres qui bougent. Puis, kentsintushkuannet. Enfin, des êtres au cœur poilu. » Il dit à sa grand-mère : « Que dirais-tu si je les attaquais avec mon arc et ma flèche ? » « Comment cela », lui répondit-elle. Il lui dit : « Je traverserai facilement l’écume. Quand aux arbres qui bougent, je les frapperai avec ma flèche. Les kentintushkuannet je vais les faire s’entretuer. » « La grand-mère ajouta : « Ceux qui ont un cœur poilu déposent leur cœur à quelque part à l’heure du midi. » Il lui répondit : « J’attendrai qu’ils les laissent. » Elle lui dit enfin : « Tu iras là où mon chien est assis ! » « Oui », dit-il.
Le voilà déjà parti. Il rencontre sur son chemin de la mousse en grande quantité semblable à de l’écume de mer. Il lui jette des roches, et elle se dégonfle aussitôt. Il passe sain et sauf. Puis il rencontre ces arbres qui bougent comme des êtres humains et qui lui interdisent le passage. Ils sont placés comme en ligne, les uns à côté des autres. Il leur lance ses flèches et les abat. Il a de nouveau le chemin libre. Il rencontre ensuite ceux qu’on appelle kentintushkuannet. C’étaient peut-être eux aussi des arbres vivants avec de grands bras fourchus. Ils auraient été placés l’un en face de l’autre. Aiashis dit : « Voici les kentistushkuannet. Il ne faut pas se précipiter. Attendons qu’ils prennent leur position. » Il fait semblant de vouloir passer entre eux. Ils alignent alors leurs bras fourchus. Au moment où il allait entrer, il se retire, et ils s’enfoncent mutuellement leurs bras fourchus dans leurs corps. C’est ainsi qu’il les a tués, ou plutôt qu’ils se sont tués eux-mêmes.
Il a maintenant à faire face à des êtres au cœur poilu. (Le récit ne nous indique pas si ce sont des animaux ou des humains.) Il les observe de loin, assis, en disant : « Voici les êtres au cœur poilu ! » A l’heure du midi, ils s’en allaient tous. Il va voir leur demeure. Ils étaient tous là. Puis il remarque qu’il y avait des vases funèbres tout autour. Qu’est-ce qu’il y aperçoit ? Un cœur, puis un autre. Les meminteiuat les avaient tous laissés là. Il en perce un, et un être avec un cœur poilu tombe par terre. Il n’a pas pu le ramasser. Ils crient : « Oh! Aiahis ! Nos cœurs ! » Ils font demi-tour en criant : « Retournons ! » Aiahis en perce un, et un autre tombe à la renverse. Il emporte les cœurs. On cherche à le rattraper. Quand quelqu’un s’approche de lui, il lui crie : « Aiashis, apporte-moi mon cœur ! » Il le transperce avec sa flèche en lui disant : « Le voilà ton cœur ! » Quand un autre le rejoint, il enfonce une flèche dans son cœur, et il tombe mort. Il fait la même chose à plusieurs reprises. Quand quelqu’un s’approche de lui, il lui perce le cœur, et il s’effondre. Il en restait encore un. Après l’avoir troué, il le lui lance en disant : « Le voici ton cœur ! » Il dit alors : « C’est le dernier des pièges dont on m’avait parlé. »
Il s’assoit. Son chien s’en retournait déjà. Il était assis au loin. Il se dit : « Où est donc mon chien ? Le voici qui est assis là-bas. Tu iras là où est assis mon chien », m’a-t-elle dit.
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Il alla dans la direction marquée par la position du chien. Il y avait là une tente dressée. Il s’arrête un instant à examiner. Une femme sortit, et prit sa hache. Aiahis la reconnut : « Ce ne peut-être que ma mère cette femme-là ! » Il s’approcha donc de l’endroit où était la femme. Quand il l’eut bien regardée, il la reconnut : « C’est vraiment ma mère ! » s’écrie-t-il. Elle était allée dans la forêt chercher du bois de chauffage. Quand il fut près d’elle, il lui dit spontanément : « Ma mère ! » Elle lui répond : « Tu es donc arrivé, mon fils ? » « Oui », lui dit-il. Elle répète : « C’est donc bien vrai que mon fils est arrivé ! » Quand il caresse ses cheveux, sa mère lui dit : « Ton père m’a presque tué ! Vois comment il m’a brûlé la figure ! Il le fait surtout quand je vais couper du bois de chauffage. » Il accompagne sa mère en marchant un certain temps avec elle. Puis elle lui dit : « Il va me le faire. Regarde-moi de loin ! »
Il la regarde donc de loin. Quand sa femme apporte du bois de chauffage sur ses épaules, il sort précipitamment de la tente en brandissant un tison. Il applique ce tison brûlant sur le visage et les doigts de sa femme. Mais elle lui dit : « Prends garde à toi ! Notre fils est revenu ! » Il lui répond : « Comment son fils pourrait-il jamais revenir ! Tu ne verras jamais ton fils de retour ! » Elle lui répliqua : « Il est quand même revenu. Le voici là debout ! » Il eut la surprise de sa vie en revoyant son fils. Car il avait vu comment il traitait sa mère. Il cria alors : « Aiashis est arrivé ! Je vais lui dérouler le tapis ! Car son chemin a été des plus difficiles ! » Il fait là allusion aux pièges qu’il lui avait tendus.
Aiasheu entre dans la tente et dit à son fils : « Entre ! » Il lui répond : « Rien ne presse ! » Il prend un paquet où avaient été enveloppées des peaux de caribou tannées. Il en avait toujours à sa disposition. Il en étend une à l’extérieur de la tente et une à l’intérieur. Quand il voit son fils près de la porte d’entrée, il en a grand peur. Il lui redit : « Entre donc, mon fils ! » Aiashis catapulte le tapis en disant : « C’est quand j’ai été abandonné sur l’île qu’il fallait me traiter ainsi. » Il propulse celui qui était dans la tente. Puis il entre. Il s’assoit près de sa mère. Aiaheu devait être en train de couper sa graisse en morceaux. Après avoir fini d’apprêter sa graisse, il prit son tambour, en disant à son fils : « Tu devrais chanter le premier ! » Il lui répond : « Je ne peux pas chanter. Si je chante, la terre va brûler ! » Aiasheu lui dit alors : « Comment la terre pourrait-elle prendre feu ? Je chante, moi, depuis longtemps. Elle ne s’enflamme jamais quand je chante. Comment cela est-il possible, alors, puisque tu n’es qu’un enfant ? »
Il dit à sa mère : « Va me chercher mon arc. Apporte deux flèches, une rouge, et une bleue. Sa mère lui apporta donc deux flèches. Il en lança une par en haut, celle qui était bleue; et la rouge, il la lança par terre, dans l’enfer. Il lui dit encore : « Pose-là mon arc ! » Son fils se mit alors à chanter. Quand il avait terminé une chanson, il en entonnait une autre. On entendit crier au loin : « Quelle nouvelle catastrophe frappe donc notre terre ? Les montagnes émettent de la fumée ! Le feu est déjà pris ! » Aiasheu dit alors à son fils : « Arrête de chanter ! » Il lui répond : « Qu’est-ce que tu y peux ? C’est toi qui m’as incité à chanter ! » Il chanta plus que jamais.
Il dit à sa mère : « Assis-toi derrière mon dos. Le feu ne se rendra pas là ! » Elle lui répond : « Je vais m’assoir là. » Il lui répète : « A cet endroit, le feu ne pourra pas te faire du mal ! » Aiasheu dit à Aiashis : « Mais notre tente à nous, de ton père, de ta tante et de tes petits frères, est déjà en feu ! Où irai-je ? » Il lui répond : « Dans ta graisse ! Comment pourrait-elle prendre feu ? Comment pourrait-elle fondre ? Elle a déjà été cuite (?) » Lui, sa femme et ses enfants entrèrent tous dans le grand bassin où se trouvait sa graisse. Aiashish chanta à pleins poumons. Leur graisse prit feu immédiatement, et se mit à fondre. Mais le feu ne se rendit pas là où se tenait Aiashis.
A force de couler, la glaise fondue de Aiasheu forma une espèce de lac. Les animaux vinrent à tour de rôle s’enduire de graisse, selon ce qui convenait à chacun. Le phoque y goûta, mais ne la but pas. Le castor nagea dans la graisse, mais il ne la but pas. L’ours s’est roulé dans la graisse, et tout son corps est recouvert de graisse. Le porc-épic s’est roulé lui aussi dans la graisse et en a bu. Le caribou s’est mis un peu de graisse dans le dos, et un peu sur la poitrine, et il en but. L’oie flotta dans la graisse, mais ne plongea pas, ainsi que les autres animaux. Le lièvre arriva à la course et tomba dans le plus creux de la graisse. Aiashis dit : « Que fait là le lièvre ? Tu commets là une grave erreur ! Il y a assez d’animaux gras ! Toi, tu vas aller manger au loin ! Allez! Jetez-le dans le bois ! » On le saisit, on le secoue, et on le tord. Il n’aura de graisse que dans les cuisses ! » On le lance dans la forêt. « Voilà quel fut son sort à lui, comparativement aux autres ! » La perdrix n’a de la graisse que dans le thorax et dans le cou. Chaque animal a reçu la graisse qui lui convenait.
Aiashis dit à sa mère : « Comment pourrions-nous toujours vivre ensemble ? Voici, j’ai trouvé. Je serai un merle, moi, et toi, tu seras un étourneau. Nous nous verrons toujours ! »
(légende racontée par Pierre Courtois et traduite par René Lapointe omi au mois de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
UASS KA NAKATANT
(L’enfant qui a été abandonné)
« Il a des poux, dit-on, il est infesté de poux cet enfant, dit-on. On décida alors de l’abandonner. L’homme dit à sa femme : « Il est pouilleux. Il te faudra l’abandonner. Comment pourrais-tu le maintenir en vie ? » C’est alors qu’on l’abandonna.
Peu de temps après, on se met en route. Avant de partir en raquette en tirant les traîneaux, on attache solidement au traîneau tout ce que l’on transporte. L’enfant dit à sa mère : « Décroche-moi mes bas ! » Elle lui répond : « Je vais d’abord préparer mon traîneau ! » L’enfant est déjà assez grand. Quand elle eut fini de travailler à son traîneau, l’enfant lui répète : « Décroche-moi mes bas ! » Elle lui répond : « Oui. Mais je vais d’abord y insérer ma hache. »
La mère part en tirant son traîneau. Mais l’enfant la suit. Après avoir rejoint sa mère, il saute dans le traîneau. Il marchait nus pieds dans la neige. La mère le fait tomber dans la neige. Puis, elle repart de nouveau. Quand l’enfant l’eut rejoint de nouveau, il saute dans le traîneau de nouveau, et de nouveau il est projeté dans la neige par sa mère. Comme il gelait beaucoup des pieds, il s’en retourna d’où il venait. Il y avait encore du feu dans sa maison. C’était une tente indienne. Il pleurait en se réchauffant les pieds.
Il reçut alors la visite d’un mistapeu (géant) qui lui dit : « Mon petit fils, qu’est-ce qui t’est arrivé ? Qu’as-tu fait pour qu’on te laisse seul ? » Il lui répond : « Je suis pouilleux. Voilà pourquoi on m’a abandonné. » Il lui fit alors du feu, et l’épouilla. Il lui dit : « Je vais laisser subsister un pou mâle, un pou femelle, un pou moins gros, et un petit pou. Voilà ceux que je vais laisser. Car les Indiens du futur les mâchouilleront quand ils n’auront rien à manger. »
Après avoir éliminé les
poux, le grand-père se met en marche, suivi de son
petit-fils. Le grand-père s’exclame tout à coup : «
Mon petit-fils, voici des castors ! » Il lui
répond : « Tue-les, mon grand père, tue-les ! » Le
grand-père porte son petit fils dans sa mitaine. Il déneige
un espace suffisamment grand pour y dresser une tente. Puis il
fait du feu pour son petit-fils, en lui disant : « Reste assis
ici ! » Il fait un trou dans la glace au beau milieu d’un
ruisseau. Après avoir fait son trou, il marche
bruyamment de l’autre côté. Ce vacarme fit
sortir les castors par le trou qu’il venait de faire. Son
petit-fils les aperçoit et crie : « Mon grand-père, des castors !
» Les castors l’entendirent, mais le grand-père les
pourchassa, et put quand même en assommer un. Son
grand-père lui dit alors : « Apprends à te taire quand tu chasses,
mon petit-fils. Autrement, les Indiens du futur ne
pourront pas attraper de castors ! »
Il fit rôtir le castor à
la broche. L’enfant lui dit : « Que vas-tu
manger, mon grand-père ? » Il lui répond : « Du foie et des
poumons de castor. »
Après avoir mangé du castor, on partit de bon matin. Ils marchaient à la recherche d’un sentier tracé par des traîneaux. Puis, ils rencontrèrent un porc-épic. Il dit à son petit fils : « Un porc-épic, mon petit fils ! » Il lui répondit : « Tue-le, mon grand-père, pour que nous le mangions ! » Son grand-père ajouta : « Ce jeune porc-épic est trop maigre ! N’y touchons pas ! Attendons d’en rencontrer un autre ! » Ils en rencontrèrent bientôt un autre. Le grand-père dit : « Un porc-épic ! » « Tue-le », lui dit son petit-fils. Il apporta le porc-épic, et le fit rôtir à la broche. L’enfant dit à son grand-père ; « Qu’est-ce que je vais te donner à manger, mon grand-père ? » Il lui répond : « Le foie et les poumons. Les indiens du futur n’y trouveront aucun goût. » Pui il dit ensuite : « Nous allons nous rendre chez ta mère ! »
Le chemin qui menait à la tente de la mère était montagneux. On avançait toujours en montant. Quand ils arrivèrent au campement de la mère, il n’y avait personne d’autre que la mère. Le grand-père laissa l’enfant à la porte de la tente. Celui-ci y entra bientôt après. La mère de l’enfant dit au mistapeu : « Qui l’a amené ici ? Ce ne peut être qu’un atsen. Atsen, à n’en pas douter, tu as abandonné ton fils ! » Il lui répond : « C’est toi qui es une atsen, toi qui l’as abandonné ! » L’enfant dit : « Nous allons occuper un côté de la tente ! » Elle lui répond : « Comment pourra-t-il passer à travers la porte avec la grandeur qu’il a ? » Il répond : « Il va pouvoir entrer ! » Il se rapetissa alors, et devint petit comme les Indiens. Il put alors entrer dans la tente. Puis, on termina la préparation de la tente en tapissant le plancher avec des branches de sapin à l’endroit où devaient s’assoir le grand-père et l’enfant.
Le lendemain on part chasser le caribou, car on venait de voir des traces fraîches du passage d’un troupeau. En partant, l’enfant demanda à son grand-père : « Qu’est-ce que je vais t’apporter de la chasse si l’on tue un caribou ? » Il lui répond : « Du foie et des poumons. Les Indiens du futur n’y trouveront aucun goût. » On partit alors à la chasse du caribou, et on en a tua. Autant de fois on en tuait, autant de fois il rapportait à son grand-père le foie et les poumons. « Voici, mon grand-père, tes poumons ! » Le grand-père les prend et les fait rôtir, les poumons -comme le foie. Le lendemain on fait plusieurs voyages pour rapporter au campement les caribous tués, qu’on avait enfouis dans la neige.
On voit encore des traces fraîches de caribou, et on se prépare à partir pour le chasser. L’enfant dit à son grand-père : « Qu’est-ce que je te rapporterai de la chasse, si l’on tue un caribou ? » Il lui répond : « Tu me rapporteras du poumon et du foie. » Ils partent donc chasser le caribou. Lui demeurait assis dans la tente. Or, le chien de la femme se mit à aboyer. Le mistapeu était étendu de tout son long, d’un côté de la tente. Il n’avait pas réagi à l’aboiement du chien. La femme se dit : « Il ne bouge pas. Mon chien vient d’aboyer, et il ne se lève pas pour voir ce qui se passe ! » Elle ajouta : « Il fait le vieux ! Il devrait aller courir après le porc-épic ! Pourquoi s’évache-t-il ainsi ? » La femme portait sur le mistapeu des jugements téméraires !
Quand il comprit ce que la femme pensait de lui, il se leva, s’habilla et sortit. Avant de partir, il lui dit : « Tu consoleras mon petit-fils ! » Le grand-père avait déjà pris une bonne avance quand arriva l’enfant. Le soleil n’était pas encore couché. Il dit : « Mon grand-père, voici tes poumons ! » Sa mère répondit pour lui : « Il n’est plus là, ton grand-père. Il est parti. » Il se mit alors à pleurer cet enfant. Il le cherche partout, tout autour. Le grand-père était parti seul. Il suit alors ses traces. Très vite son grand père s’est rendu compte que son petit fils le suivait. Il l’attendit. Il se disait : « Pourquoi pleure-t-il ? » Il lui lança une grosse pierre pour lui bloquer le chemin. Il contourna la pierre et continua à suivre ses traces. Il lui lança ensuite utatapitsiaunu pour lui bloquer le chemin. A quoi pouvait bien ressembler un utatapitsiaunu ? Il le contourna lui aussi.
Alors le mistapeu attendit
son petit-fils. Que pouvait-il faire d’autre ? Il
l’attendit et son petit fils finit par le rejoindre. Il
pleurait à chaudes larmes. Il lui dit : « Si on te demande :
qu’est-ce que tu aimerais qu’on fasse pour toi, tu répondras :
j’aimerais tirer sur des oiseaux d’été. » Il lui dit
ensuite : « Va! Retourne chez toi ! C’est très dangereux là
où je vais. On te tuera, et je ne pourrai pas l’empêcher !
»
Le grand-père partit à toute vitesse. Il souffla sur
l’enfant qui tomba à l’entrée de sa tente. Il entre dans
la tente et ne fait que pleurer. Il ne peut pas se consoler de
la perte de son grand-père.
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Son père finit par lui demander : « Qu’est-ce que tu aimerais qu’on fasse pour toi ? » Il lui répond : « Puissé-je tirer sur des oiseaux d’été ! » Son père lui dit : « Il y en a beaucoup aujourd’hui qui voudraient tuer les oiseaux d’été, mais il est impossible de le faire ! » L’enfant les suppliait : « Allons chercher l’été ! » On ira donc chercher l’été. C’était toujours l’hiver, dit-on. Il n’y avait d’été que là où on gardait les oiseaux d’été. L’enfant pleurait de plus belle : « Allons chercher l’été ! », criait-il. Alors on partit à la recherche de l’été. On partit en grand nombre. Ils partirent tous, tous ceux qui sont rapides. L’enfant les accompagnait.
La loutre les accompagnait aussi. L’enfant lui dit : « Loutre, ne ris pas du grand castor, quand sa graisse le fait péter. C’est lui que nous rencontrerons d’abord. » Elle lui répond : « Non, je ne rirai pas de lui ! » On la chatouille d’avance jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus rire, puis on arrête. On repart. On va chercher l’été, car là-bas, c’était l’été, et ici, c’était l’hiver. On allait donc là où était l’été. L’enfant rencontra le grand castor. Il rentrait sa graisse dans sa tente, puis il la déplaça. La loutre ne rit pas. Mais quand sa graisse le fit péter, elle rit à gorge déployée. Puis il fit ses bagages et empaqueta sa graisse. Quelle grosseur pouvait-elle bien avoir ?
Puis le grand castor s’en alla en portant ses bagages sur ses épaules. L’enfant coupa la corde qui retenait la graisse. Il n’en fit point de cas. On mit alors en morceaux la graisse du castor et on se graissa le bec. L’enfant demanda à la loutre : « Loutre, combien en veux-tu ? » Elle répondit : « De la grosseur de ma tête ! » Il lui dit : « Tu en mangerais bien trop ! » Elle reprit alors : « Comme mon épaule ! » « Oui », lui dit-il.
On va voir le caribou. La loutre transporte la graisse en nageant; le castor, lui, nage. La loutre a nagé elle aussi, c’est pourquoi elle est grasse. Il y avait là des hérons. Ils dirent : « Des êtres vivants, là-bas, des êtres vivants, là-bas ! Je vais le dire, je vais le dire ! » La loutre leur répond : « Ne dis rien ! L’enfant pleure toutes les larmes de son corps ! » Ils dirent : « C’était pour rire ! C’était pour rire ! » Ils ne parlèrent pas. Puis, il sortit du bois pour aller voir celui qui lui parlait. C’était le rat musqué qui disait : « Je vais le dire ! » Il le supplia : « Rat musqué, tais-toi ! » Puis il lui coupa un morceau de graisse en forme de carré et le lui lança en disant : « Il y aura toujours de la graisse pour que nous te nourrissions ! » Puis le rat musqué plongea emportant sa graisse dans sa gueule. Il mangea sa graisse sur une île.
Quand il eut fini de manger sa graisse, ses mains étaient blanches. L’enfant lui dit : « Ne mange pas de graisse en cachette ! On va le savoir ! » Il lui répond : « On ne pourra pas savoir que j’ai mangé de la graisse, même si je me suis graissé les doits. » « Que diras-tu alors, si on te pose la question ? » « J’ai trouvé de petites coquilles qui étaient sur le bord de l’eau. Je ne suis jamais allé à l’île. Je n’ai fait que manger des coquilles qui traînaient sur la grève. » Il lui répond : « Bien, bien. Je te donnerai encore de la graisse en nourriture ! »
Il lui donne alors ses instructions : « Tu promèneras sur l’eau dans ta gueule demain matin une branche d’arbre qui ressemble à un panache d’orignal ! Tu la promèneras tôt le matin. Tu rongeras leurs rames, et tu feras des trous dans leurs canots. » C’est ce qu’il fit. Pendant la nuit, il fit des trous dans les canots, et rongea leurs rames. Puis, très tôt le matin, il attache sur sa tête une branche d’arbre semblable à un panache d’orignal, et, quand il fit jour, il avança en eau profonde. Des femmes étaient là qui faisaient le guet. Elles ne l’ont pas aperçu d’abord. Mais quand il arriva en plein milieu, elles l’aperçurent. Alors elles crièrent : « Mais, c’est ton orignal (ton grand-père) qui traverse ! » Les hommes embarquèrent en toute vitesse pour aller tuer l’orignal. Leurs rames étaient rongées, et leurs canots troués. Quelques-uns ont pris le fonds.
Alors, on prend d’assaut la tente à deux portes, la tente « traversable ». Ils entrent par les deux portes à la fois. Le poisson blanc était là et le maquereau. « On vous enlève vos oiseaux d’été », disent-ils. On va chercher un tisonnier, et on l’enfonce dans la bouche du maquereau. On lui cloue ainsi le bec. Le poisson blanc leur enseigne lui-même comment lui fermer la bouche. Il ne put crier lui non plus.
C’est alors qu’on libéra les oiseaux d’été. Mais les gardiens des oiseaux d’été, dont on avait troué les canots, coururent après les oiseaux d’été qu’on venait de leur dérober. Ils se dirigent là où se trouve la zibeline (utsiek). La zibeline grimpe dans un arbre, et on l’aperçoit tout de suite. Elle dit : « Bon ! Je vais les retarder ! » Elle fait une manoeuvre de diversion. Ils disent : « En voici un qui grimpe ! » C’est le poisson blanc qui tira sur elle. On le lui reproche, d’ailleurs : « Poisson blanc, pourquoi t’arrêtes-tu pour chasser ? » Il répond : « Elle a l’air ridicule. Je vais lui tirer une flèche ! » Il coupe sa queue en deux. La zibeline descend de l’arbre, et est bientôt entourée. Elle saute par-dessus. Puis elle part à la course. On la poursuit. Elle est très rapide, elle ressemble à une martre.
La zibeline est parvenue à retarder les poursuivants. Pendant ce temps, le caribou ramène sur son panache la cage des oiseaux d’été. L’été sera suivi par l’hiver. Il y aura une succession de saisons. Le caribou dit : « Il y aura à tour de rôle l’été et l’hiver ! »
La neige, alors, commença à fondre. Deux femmes étaient là debout à contempler le spectacle. Puis la terre apparut. Les oiseaux d’été arrivèrent en foule, et ce fut l’été partout. Les deux femmes virent avec étonnement fondre la neige tout autour de leur tente. Elles se jetèrent par terre en criant : « On amène l’été ! On amène l’été ! » Elles se jetèrent dans le feu qu’elles avaient allumé, et y moururent, calcinées. Elles n’avaient jamais vu l’été.
L’homme fit alors un arc à son enfant, qui se mit à tirer des flèches sur les oiseaux. Il en tua une grande quantité. Après qu’il en eut tant tué, les oiseaux lui parlèrent et lui dirent : « Viens vivre avec nous ! Tu ne souffriras plus jamais ! » Ils lui donnèrent un bec. Chacun d’eux lui donna une plume. Il revêtit tout cela. Puis, les oiseaux d’été lui dirent : « Enlève tes vêtements ! » Il enleva alors ses vêtements. Puis il fixa dans le sol son arc, et déposa là ses habits.
L’homme vint à la recherche de son enfant, car il y avait alors beaucoup de chasseurs d’oiseaux. Quand il arriva sur les lieux, il dit : « Il a mis en tas ses oiseaux. » Puis il se rendit tout près de son arc qu’il avait planté dans le sol. Il vit aussi ses flèches et ses vêtements, tout ce dont il se servait. Il dit : « C’est ici qu’il nous a quittés. Il s’est envolé ! » Puis, il retourna chez lui.
Il dit à son épouse : «
Il a rejoint les oiseaux notre fils que tu as rejeté ! »
Elle lui répondit : « C’est toi qui l’as rejeté ! »
Ce sont les oiseaux qui ont une huppe, les geais, dont il partage
maintenant la vie. »
(légende racontée par
Uniamiss Lalo et traduite par René Lapointe omi au mois de novembre
2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
KA UITASHKUMAT
(Celui qui a demeuré avec un Ours)
« Il a beaucoup de succès quand il chasse l’ours. Il ne chasse que cet animal. Il tue toujours des ours. Alors, il se met à rêver à lui. Il ne voit que lui en rêve.
Il dit un jour à ceux qui campaient avec lui : « Ne me recherchez pas si je ne reviens pas ! Pensez plutôt que je vis avec un ours. » Il part alors pour la chasse. Il fait la chasse à l’ours à l’automne. Il ne ratait jamais sa cible. Puis, tout à coup, un ours s’approcha de lui, en descendant d’une colline. Il portait ses bagages sur son dos. Comme il s’apprêtait à lui tirer une flèche, l’ours lui dit : « Arrête, mon petit fils, arête ! Pourquoi veux-tu me manger ? Tu as presque frappé ton grand-père ! »
L’ours détela ses bagages, et fit cuire de la nourriture pour son petit fils. Son seau était petit. Il déchire la queue du castor pour en retirer la graisse, puis y ajoute des baies. Après avoir mélangé la graisse avec les fruits sauvages, il accroche son seau au-dessus du feu. Dès qu’il eut fini de l’accrocher à une perche, le tout se met à bouillir. Il en arrête immédiatement la cuisson, et dit à son petit-fils : « Mange ! » Puis, à son petit-fils qui trouvait le seau bien petit, il ajoute : « Tu ne pourras pas tout manger, si petit que soit mon seau ! » Le petit-fils se met donc à manger. Une cuillerée lui suffit. Il dit à son grand-père : « Ça suffit ! » Il lui répond : « Tu en as assez ? » Il lui dit : « Oui, j’en ai assez ! » L’ours ajoute : « Ne t’avais-je pas dit que tu ne pourrais pas vider ton assiette ? » L’ours saisit le seau avec ses deux pattes et boit la graisse d’un trait.
Puis il dit à son petit-fils : « Je ne pourrai pas vivre avec toi, maintenant. Je n’ai pas assez de nourriture. L’automne prochain, ce sera le bon moment. Je dois d’abord cueillir des baies. Je n’ai pas pu encore en ramasser. Je n’ai vraiment pas assez de nourriture. Il nous en manquerait ! » L’ours mit de nouveau ses bagages sur son dos. Il lui explique où il ira. Puis il part en disant : « L’automne prochain je serai ton compagnon ! »
Pendant l’hiver, il suit les traces des ours. Il vit un jour une mère ours avec son ourson. Il continue encore à les suivre à la trace. Quand on chassait l’ours dans son gite, il le trouvait toujours. Très souvent, il rencontra un ours isolé.
A l’automne, il dit de nouveau à ses parents : « Ne me recherchez pas si je ne reviens pas ! Il ne peut rien m’arriver ! Vous n’aurez qu’à penser que je vis avec mon grand-père. Ne partez donc pas à ma recherche si je ne reviens pas ! » Il tuait encore des ours. Or, il advint qu’à l’automne, pendant qu’il marchait ici et là, il rencontra son grand-père. Il dit : « Ah! Mais c’est mon grand-père qui s’approche ! Il est lourdement chargé ! Il porte sur son dos de gros bagages ! » Il eut l’envie de le manger, et il saisit son arc. Son grand-père lui dit alors : « Eh quoi, mon petit-fils, tu veux me manger ? Il faut donc que je sois ton compagnon de vie ! » « Oui », répondit l’Indien.
L’ours prit alors l’indien pour compagnon. Il lui fit d’abord cuire quelque chose. Quand le repas fut prêt, on mangea. L’ours lui dit : « Tu ne pourras pas tout manger ! » Après qu’on eut bien mangé, l’ours lui dit : « Voici le temps de partir. Laisse ici ton arc et tes flèches. Laisse tout ce qui t’appartient. Nous n’aurons plus à lancer de flèche sur rien ! Nous allons ramasser des baies ! » « Oui », dit-il. Il abandonna alors son arc et ses flèches, puis il partit. Il accompagne son grand-père. Puis, il aperçoit le territoire de son grand-père. Il lui prépara alors un gite. Il vit ensuite un panache de caribou mâle, qui sert comme de semence à d’autres caribous. Son grand-père courait parfois après des femelles, et, à d’autres moments, il projetait l’eau dans les airs, à la recherche de poissons. Quand il en avait assez, il mettait fin à la pêche. Puis il courait après les femelles.
Quand il arrive au flanc d’une colline, il dépose ses bagages. Il strie l’arbre avec ses griffes. Il ne reste plus que ses bagages au pied de l’arbre. Puis, il les fait rouler en bas de la colline. Le petit-fils observe le tout et dit : « Mon grand-père, quelqu’un qui passe par là va l’apercevoir ! » Il lui répond : « Comment pourrait-il le voir ? Dis-moi, toutes les fois que tu as croisé mon gite d’hiver, as-tu jamais vu mes bagages ? » Il répond : « Non. J’ai seulement vu des stries sur l’arbre. » « Eh bien ! dit-il, ce sont mes bagages ! »
Ils partent de nouveau. Quand les baies sont mûres, il en ramasse. Puis il dit à son petit-fils : « Cela devrait suffire ! Là où nous devrions aller j’ai du me cacher d’un sorcier (mantui), en faisant pas mal de chemin. Nous n’y irons pas ! » Ils se remettent en route. Puis, dans un endroit vallonné, il demande : « Quelqu’un circule-t-il par ici ? » Le petit-fils lui répond : « Non ». L’ours fait alors son gite. Il dit à son petit-fils : « Va couper des branches de sapin, mon petit-fils ! Tu les prendras au pied de l’arbre. Prends-en une seule à chaque arbre. Autrement, on le remarquerait ! » Il apporte donc des branches d’arbre. Mais l’ours n’aime pas la façon dont son petit-fils à coupé les branches : « Allons-nous-en ! Un chasseur sera capable de le voir de loin en marchant ! »
Ils repartent. Il lui explique de nouveau : « Fais bien attention ! Tu ne couperas qu’une seule branche par arbre, et cela, au pied de l’arbre, en bas, le plus bas que tu pourras. » Puis, il entre dans son gite. Il ne voit rien. Puis, il dit à son petit-fils : « Tu en ôteras ailleurs ! » Quand le gite fut terminé, il lui dit : « Entre les bagages ! » A l’entrée du gite, il y a deux épinettes. L’ours grimpa alors dans un arbre, et le marqua de ses griffes. Puis, il y accrocha ses bagages en disant : « Comment pourrait-on les voir ? Tu as très bien façonné le gite. On ne pourra pas l’apercevoir, ni lui ni mes bagages ! »
Il lui dit alors : « Nous allons nous engouffrer à l’intérieur. Je ne te ferai pas languir, mon fils. Seulement six nuits ! Au terme des six nuits, nous sortirons ! » L’ours se coucha. Le petit-fils en entrant avait apporté avec lui du castor et du caribou d’été. C’est ce qu’il mangeait. Son grand-père ne pouvait pas lui donner de la viande à manger, puisqu’il n’avait rien. Après un certain tems, son grand-père lui dit : « Je vais aller voir combien il reste encore de nuits ! » Il sort la tête du gite, et dit : « Nous allons sortir bientôt. Il ne nous reste que peu de temps à demeurer ici ! Une nuit ! »
Puis, il enleva les branches qui bouchaient l’entrée. Après qu’il eut enlevé la porte, le voici avec des souliers neufs. Ils demeurèrent ainsi un peu de temps, ensuite de quoi l’ours lui dit : « Sortons ! » Ils sortirent tous les deux. Puis, ce fut la fonte des neiges. Ils vont ensuite chercher des graines rouges qui se trouvent en haut de la colline. Puis le grand-père fait son nid. C’est là qu’on se retire pendant les grandes chaleurs. Quand une mouche volait, il l’attrapait au vol. Ils sortirent puis revinrent bientôt pour nettoyer leur demeure. Il dit à son petit-fils : « Nous pourrions nous en souvenir, si nous n’avions pas habité si loin à l’automne ! » Ils nettoient de nouveau leur gite. Après avoir tout parfaitement nettoyé, ils partent.
L’ours mord de nouveau un arbre avec ses dents. Puis, il ne fait que le lacérer avec ses griffes. Il ramasse de nouveau sa nourriture. Puis, il court après les femelles. Quand il voit son poisson préféré, il l’attrape. Quand il voit un panache de caribou mâle, ils ont des caribous d’été. Il a un porc-épic, quand il en voit la carcasse. Il conserve tout ce qu’il voit. Ils demeurent là jusqu’à l’automne. Il cueille des fruits sauvages. Il place au sommet d’une colline les panaches. « Nous en aurons assez », dit l’ours.
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Il y a déjà quelqu’un qui rêve qu’il va le trouver. Mais l’ours ne le dit pas à son petit-fils. « Retournons » lui dit-il. Ils s’en retournent alors. L’ours dit : « Comment pourrions-nous rejoindre le gite ? Comment pourrons-nous nous y rendre ? » Mais ils finissent par rejoindre leur gite. On accroche les bagages aux branches d’arbre. Le petit-fils dit : « Ils ne pourront pas passer inaperçus. » L’ours lui répond : « Comment pourrait-on les voir ? » Après être arrivés à leur demeure, ils vont casser des branches de sapin. C’est à ce moment que l’ours lui dit la vérité : « Mon petit-fils, on va nous trouver cet hiver ! Celui qui va nous trouver devra d’abord nous voir en rêve. » L’Indien lui dit : « Quand nous trouveront-ils ? »
Ils s’enfoncent de nouveau dans leur gite. Il grimpe auparavant dans un arbre, et le laboure de ses griffes, tout en y suspendant ses bagages. Puis, il entre pour de bon. Alors, l’hiver arrive. Il dit à son petit-fils : « Tu le verras. Il va camper trois fois. Tu vas le voir celui qui nous trouvera. » Il l’a vu quand il logeait en face. Il l’a regardé de nouveau quand il est parti en raquettes en tirant son traîneau. Il loge de nouveau en face de lui, et le voit partir avec son traîneau. Il repart une autre fois. Il tente en face d’un cours d’eau glacé. L’ours lui dit : « C’est ce que je t’avais dit. C’est bien celui qui va nous trouver ! » Le soir, au milieu de la nuit, le grand-père retourne. Et puis il chante : « Mon petit-fils, il me donne un arc en cadeau ! » Puis, il arrêta. Quand il eut cessé de chanter, le chasseur entonne sa chanson. Le chasseur chante exactement comme avait chanté l’ours. Il dit alors : « Mon petit-fils, il m’entend. Il me donne un arc en cadeau ! » Puis, il chanta encore. Le chanteur chanta la même chanson. Il répétait mot à mot les paroles de l’ours.
A l’aube, le lendemain, le chasseur sort la tête de sa tente. Il fait deux flèches. Après avoir terminé ses deux flèches, il sort. Il sort ses flèches et les plante dans la neige. Il dit : « Voilà les flèches que tu avais demandées ! » L’ours dit alors à son petit-fils : « C’est bien comme je t’ai dit. Il nous a trouvés ! » Le chasseur s’en vient après s’être habillé. Il monte une colline. Comme il arrivait au but, il laissa tomber son sac de porc-épic. Un porc-épic apparut alors. Il va le chercher et l’emporte en route. Il repart ensuite, puis un autre porc-épic apparait après qu’il eut laissé tomber son sac de porc-épic. Il l’accroche en chemin sur une branche d’arbre. Il voit des perdrix, mais ne s’en occupe pas. Même quand elles sont très proches de lui, il ne les regardait pas. Puis il rafistola son filet de pêche, et le tendit dans un ruisseau. Il va ensuite le voir, et le retire de l’eau, en le secouant. C’est tout ce qu’il put voir de poisson après avoir longtemps pêché. Puis, il sort du bois. L’ours dit : « Il est sorti du bois, hier. C.est comme je t’avais dit. » L’ours fait de nouveau des marques profondes dans un arbre avec ses griffes. Il se met ensuite à trembler de sous ses membres. Puis il commence à sortir de son gite, en disant : « Mon petit-fils, je vais aller voir ce qu’il a l’intention de faire. » Il surgit alors hors de son trou. Il dit : « Au moins, il ne se fait pas attendre celui qui nous a trouvés. » Le chasseur lui dit : « Voici l’arc que tu avais demandé ! » Il ajoute ensuite : « Demain, on ira te chercher. Demain matin. » Puis, il s’éloigne. L’ours prend son arc, et se met à tirer des flèches. Quand il en eut assez, il dit à son petit-fils : « C’est comme je t’avais dit. Il m’a fait un cadeau ! » Il fiche son arc dans le sol, quand il eut fini de tirer des flèches.
Le soir, il s’étend pour dormir. « Mon petit fils, il ne nous maltraitera pas ! » Il retourna se blottir dans son gite le soir. Puis il chanta. Alors, le chasseur répéta ce que le grand-père avait chanté. L’ours dit à son petit-fils : « Il ne nous veut rien de mal ! » Or, le matin, le chasseur était rendu à son gite. L’ours lui donna ses instructions : « Tu scieras mon épaule, et tu conserveras mon bras. Veille à ce que les filles ne te voient pas. S’il n’y a que les femmes qui te voient, je vivrai avec toi toujours ! Ne chasse plus jamais ! Demeure où tu le voudras. Tu ne chasseras que quand il y aura de la famine. Tu monteras sur la colline, ici, tout près. Tu ne chasseras pas l’ours qui grelotte. Celui qui grelotte, c’est moi. Celui qui a peine à respirer, ne le chasse pas lui non plus, il a faim. Celui qui fait beaucoup de vapeur, tu iras le chasser celui-là. Pas deux, un seulement. Tu agiras toujours ainsi quand on aura très faim. » « Oui », dit-il. Il dit encore : « Tu vas penser que je suis tué. Non, on ne me tuera pas vraiment ! »
Après qu’il eut ainsi parlé, on lui pelleta le chemin qu’il devait employer en sortant. Après quoi le chasseur lui cria : « Sors, mon grand-père ! » L’ours attache solidement sur son dos ses bagages avant de sortir de son gite. Puis il sort. Le chasseur lui lance une flèche. Il le transperce d’une flèche, mais ce ne sont que ses bagages qui tombent. Les chasseurs le voient tomber sur le côté. Ils disent : « C’est un ours mâle ! Et comme il est gras ! » Ils sont très contents. Mais le petit-fils, lui, dit : « Mon grand-père s’est éloigné. Il s’est enfoncé dans la forêt. Il n’y a que ses bagages à être tombés ! » Et les autres répètent en chœur : « C’est un ours mâle ! »
Ils se disent ensuite : « Un autre ours pourrait avoir besoin de son gite. Vous pourriez revenir ici pour trouver de la nourriture. Nettoyez-le ! » Quelqu’un était assis dans le trou. Ils dirent : « Ce doit être celui qui demeure avec un ours, dont nous avons tué le grand-père. Donnez-lui de vos bas et de vos gilets. Vous pouvez en donner un. Vous en avez un de rechange ! » On lui donne des vêtements. C’est alors qu’il s’habille. On le ramène ensuite en traîneau. On lui demande : « Qu’est-ce que t’a dit ton grand-père ? » Il leur répond : « Voici ce qu’il m’a dit : Veille à ne pas être vu par les filles ! Il importe peu que les femmes mariées te voient. Mais les filles non mariées, veille à ce qu’elles ne te voient pas ! »
Il retourne donc parmi les siens. On l’envoie là où il y a des jeunes filles. On l’amène là en traîneau, et il entre. On lui donne son épaule d’ours. « Tu la scieras, et tu la conserveras, m’a-t-il dit. » On lui scie alors l’épaule. Il la garde précieusement partout où il va. On va le voir et on recherche sa compagnie quand on n’a rien à manger. Il sort alors et va à la chasse avec eux. Il monte la colline. Les ours émettent tous de la vapeur. Il n’y en a qu’un qui grelotte. C’est son grand-père. Il va le voir. Or, celui qui a de la peine à souffler, il ne va pas le voir. Quand il en a trouvé un, on vient le chercher en traîneau. C’est ce qu’il fait quand on n’a rien à manger.
Puis il arriva que les filles voulurent le voir. On dit : « Comment pourrait-il être vu ? Elles marchent loin d’ici. Elles le voient de loin, mais elles ne peuvent pas le voir de près. » Mais elles finirent par faire un trou dans la maison. Elles épient par ce trou. Elles le voient à travers le trou. Il est assis près du feu. Une des filles dit : « Il est assis. Tu vas le voir, toi aussi ! » Elle le regarde en disant : « C’est vraiment celui qui a vécu avec un ours. Oui, elle a raison ! » Il fit reculer les filles en saisissant le bras de son ours, et en le brandissant devant leurs yeux.
Pendant qu’il tenait ainsi le bras de son ours, il s’enfonça dans le sol. C’est alors qu’il l’eut pour compagnon pour vrai. »
(légende racontée par Pierre
Courtois et traduite par René Lapointe omi au mois de novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
MESHAPUSH
LE
LIEVRE LE GRAND
« Le ciel est rouge au lever du soleil. Le lièvre dit à son épouse : « Je vais aller chercher du feu ? » Elle lui répond : « Vas-y ! » Il va donc chercher du feu. Il se dirige vers la grève à la course. Il y avait de l’écume là où flottaient des baleines. Il leur dit : « Baleines, rapprochez-vous les unes des autres ! Je vais chercher du feu ! » Elles lui répondent : « Il n’en est pas question. Tu vas nous grafigner ! » » Il leur dit : « Moi, vous grafigner ? Jamais ! » Elles se rapprochent tranquillement les unes des autres, et s’alignent de manière à former un pont. Après avoir sauté trois fois, il s’assoit sur une baleine. Il leur demande ; « Vous ai-je peut-être grafignées ? » Elles répondent : « Non. » Le voilà arrivé de l’autre côté. Il leur dit : « Demeurez dans cette position. Je ne tarderai pas ! » Son feu va bientôt s’éteindre. Il n’a pas perdu de temps. Quand il arrive au bord de l’eau, les baleines étaient encore à la même place. Il saute de nouveau. Après s’être posé trois fois sur le dos des baleines, il leur demande : « Vous ai-je grafignées ? » Elles leur répondent : « Non. » Il saute encore trois, puis il se repose et se dit : « Cette dernière, je vais la grafigner ! » Il la lacère avec ses griffes. Elle s’écrie : « Au secours !| Il me grafigne ! » Il n’a pas pu grafigner celle sur laquelle il sauta ensuite, car il sauta à côté. Il tombe dans un remous. Puis, il se laisse emporter par le courant, et met finalement pied à terre.
Les petits foudres ou éclairs avaient des harpons. Ils étaient au nombre de trois. Ils se dirent : « Qu’est-ce que nous pourrions bien harponner ? » La mère foudre était allée chercher du feu. Elle était passée près d’une anse sablonneuse en allant chercher du feu. Elle s’en souvint alors, et dit à ses fils : « Dans une anse sablonneuse, quand je suis allée chercher du feu, j’ai vu un lièvre qui était échoué sur la rive. C’est celui-là que vous harponnerez ! » « Oui », dirent-ils. Ils partent à sa recherche. L’un d’eux dit : « Mais qui est-ce donc qui est échoué là ? Harponnez-le ! » Au moment où ils s’apprêtent à le harponner, il se réveille. Il leur dit : « Qu’est-ce qui vous prend de me harponner ? Je dors. » Ils lui répondirent : « Comment pourrais-tu dormir sur le sable ? » Il se lève. Mais, il est pris d’étourdissements et tombe. Il se redresse ensuite. Ils lui disent : « Il a de grandes oreilles notre repas ! » Il leur répond : « J’ai de grandes oreilles, mais…» Ils lui disent encore : « Il a le blanc des yeux jaune, notre repas ! » Il leur répond : « J’ai le blanc des yeux jaune, mais… » Il lui disent : « Il a des yeux exorbités notre repas ! » Oui, mes yeux sortent des orbites, mais…. » Ils lui disent enfin : « Il bave notre repas ! » --- A force de l’insulter, ils le mirent en colère. Il les frappe à coup de bâtons. Il se dit : « Ils pensaient de chacun de ce qu’ils avaient entendu dire d’eux ! » Il les tua tous. Puis il enlève la langue de l’un d’entre eux.
Après avoir prélevé une langue, il va trouver la mère foudre. Elle était en train de tanner des peaux. Il s’assoit de l’autre côté du feu. Elle lui dit : « As-tu vu mes fils ? » Il lui répondit : « Non. Je n’ai entendu que des gens qui harponnent. » Elle dit : « Je leur avais dit : j’ai vu un lièvre échoué sur la grève. Allez le harponner ! » Il lui répondit : « Je les ai entendus, quand ils étaient là-bas. » Il met dans le poêle la langue de son fils. On entend un crépitement. Cela ne vient pas de la mère foudre. Il la remet dans le feu, et on entend un crépitement. Elle dit : « Qu’est-ce qui crépite ainsi ? » Il lui répond : « Ce sont des morceaux de bois ! » Il essaie la même chose une troisième fois. Puis il sort en sautant. Elle le frappe avec la langue d’un de ses fils qu’elle prend pour un morceau de bois. Elle lui dit : « Leur père va arriver bientôt ! »
Il part à la course en direction d’une plaine vallonnée. Il se cache ensuite dans un abri. Il est à la recherche d’une cachette sûre. Il trouve enfin après avoir essayé trois terriers. C’est là qu’il fait sa demeure. Au dessus de sa tête éclatent les éclairs. La foudre tombe tout autour. Elle le poursuit dans toutes ses cachettes. Il va d’un terrier à l’autre, pourchassé qu’il est par les éclairs. Quand il eut trouvé sa dernière cachette, l’orage électrique prit fin. Et ce fut le calme après la tempête. Il sort de son terrier, et monte sur une colline. Une fois rendu au sommet, il s’assoit, tourné vers le nord. Il dit en chantant : « Vent du nord, on te demande ! » Il s’arrache les yeux. Il dit : « Que la grêle soit de la grosseur de mes yeux ! » Le vent du nord se met alors à souffler. Il retourne dans son terrier. La grêle fait beaucoup de dégâts en tombant. Il fait un froid sibérien. Les arbres plient sous le poids. Puis, tout à coup, le calme revient. Il va trouver la mère foudre. Sa maison avait été fracassée par la grêle. Elle n’est plus là. Il dit : « Elle n’avait qu’à ne pas me vouloir du mal ! » Il part et retourne d’où il était venu.
Puis il suit les traces laissées par des ours. Il se demande : « Quels sont ceux qui marchent en raquette avec des traîneaux ! » Il suit ces traces. Ce sont des traces d’ours toutes fraîches ! C’est hier qu’ils sont partis. Il va vers eux. Puis, tout à coup, le voilà arrivé. Il voit de la fumée. Il approche, et voici qu’il voit une grand-mère qui avait été laissée là. Il va la voir. Il lui dit : « Grand-mère, comment vas-tu ? » Elle lui répond : « On m’a laissée ici. Je ne peux plus marcher. On viendra me chercher ce soir. Quand ils auront dressé les tentes, ils viendront me chercher. Ce sont mes filles qui vont me ramener. » Il lui dit : « Que feras-tu quand on t’aura ramenée là-bas ? » Elle lui répond : « Je vais prendre soin de mes petits-fils. Je vais dormir avec eux. Et puis, le lendemain matin, au départ, on m’abandonnera de nouveau. » Il la frappa avec un bâton après qu’elle lui eut raconté tout cela. Il l’étripa, laissa là sa graisse d’ours. Puis, il cache la viande d’ours, et revêt la peau de l’ourse.
Les ours arrivèrent. Ils lui disent : « Mère, assis-toi dessus ! » On lui avait laissé une place dans le traîneau. Elle se met à sauter. Ils disent : « Qu’est-ce qui arrive à notre mère ? » Elle répond : « Je me suis enfargée ! » On la ramène donc en traîneau. Elle est assise appuyée sur ses deux pattes d’en avant. Une fois arrivée, elle entre en sautant. Un ours dit : « Pourquoi notre mère saute-t-elle toujours ? » Elle répond : « Je me suis enfargée dans leurs pattes ! » Il dit aux oursons : « Ne touchez pas à votre grand-mère. Vous allez la faire tomber ! » Elle s’assoit. Puis, elle fait sécher les habits de ses petits fils. Elle se couche près de celui qui est gras. Puis, arrivèrent les ours mâles. Le lièvre eut alors grand peur. Il tremble de tous ses membres. Un ours demande : « Pourquoi notre mère grelotte-t-elle ? Ne vous éloignez pas d’elle ! Elle gèle! » Ils dorment. Vers minuit, elle pleure. Elle avait étouffé et piétiné un ourson. Un ours dit : « Pourquoi pleure la mère ? » Elle répond : « Mon petit-fils a cessé de vivre ! » On repart de nouveau en traîneaux le matin. Elle leur dit : « Je vais trouver le moyen de le placer selon la coutume. On laisse un enfant mort dans un plat en bois. C’est ce qu’on faisait autrefois. On place un enfant dans un bocal en bois, et on le laisse. » On dépose donc l’enfant mort dans un bocal en bois. Quand on l’a laissée seule, elle va faire cuire sa viande d’ourson, puis, se repose après avoir mangé de la chair d’ours.
On vient la chercher de nouveau. Et quand on arrive près d’elle, elle saute de nouveau. Quand elle arrive là-bas, elle prend le bocal de bois qu’elle avait placé dans le traîneau. Ils se mettent tous au lit. Elle se couche encore près de celui qui était gras. Et elle pleure de nouveau. Un ours dit : « Pourquoi notre mère pleure-t-elle encore ? » Elle répond : « Un autre de mes petits-fils vient de cesser de vivre ! C’est ce qui ce qui se passe quand l’un décède. Il est suivi par un autre. C’est comme s’ils voulaient partager un destin commun ! » Un ours s’exclame : « Pourquoi seuls meurent ceux qui dorment près de notre mère ? »
Ils ont des soupçons. On la tuerait si elle continuait d’agir ainsi. Elle laisse quand même le mort dans un bocal en bois. Puis, elle fait cuire de la viande d’ourson. Ensuite, elle s’assoit. Elle se dit : « On finira par me découvrir ! On saura bientôt que c’est moi la meurtrière, si je reste ici. » Elle retourne sur ses traces, après avoir accroché à une branche sa peau d’ours. Puis le lièvre va faire cuire la chair de la grand-mère. Après s’être repu, il gravit une colline abrupte, et court dans un boisé formé de bouleaux. Il devra bientôt arrêter, car la visibilité est nulle. Il neige à gros flocons. Puis la tempête se lève. Il cherche où se cacher. Alors, il fait des chemins de lièvre. Il laisse des traces dans toutes les directions. Il indique clairement par où il a passé. Les dernières traces qu’Il a laissées conduisaient vers le sud. C’est au sud, bien à l’abri, qu’il enfouit sa graisse d’ours dans la neige. Il laissa ses toutes dernières traces sur la crête de la montagne. C’est là qu’il arrêta. Puis, il s’assit.
Quand ils revinrent chercher leur mère, les ours aperçurent la peau d’ours accrochée à une branche. La tempête faisait rage. Ils revinrent donc à la tente. A leur retour, ils dirent : « Le lièvre le grand nous a décimés. C’est lui qui a tué nos enfants. » On voulait partir immédiatement à sa poursuite en dépit de la poudrerie, mais le plus âgé dit : « Il y aura encore une aurore ! » Le matin, on partit à sa recherche. On veut suivre ses traces, mais il avait marché partout. On s’y prend par trois fois. La dernière fois, il les regarde de sa cachette marcher près de lui. Il dit : « Je l’ai dévoré ton fils ! » L’ours l’a presque entendu parler. On le cherche de nouveau. La voix venait de tout près. Il devrait être là. Mais comment ? C’est la savane. Le lièvre fait un trou et les regarde. On met fin à la poursuite. Il reste deux jours là sans bouger. Il n’a pas faim. Il avait mangé de la chair d’ours. Un ours dit : « Puisse-t-il être bien visible quand il te tuera ! »
Il part de nouveau à la course. Il porte sur son dos sa graisse d’ours, et sa viande d’ours. Il aperçoit bientôt un autre sentier tracé par des ours. Il suit ces traces. Bientôt après, sur une montagne, il aperçoit d’autres traces. Il se dit : « Quel est celui qui marche en raquettes en tirant son traîneau ! » Tout près de là, il voit, sur la neige, des parcelles d’écorce. Il se dit : « C’est un porc-épic ! Il ne mange que cela ! » Puis, il aperçut des pistes fraîches. « Quels sont ces gens ? Ah mais c’est un lynx ! » Il se rend jusqu’à eux. Il dit : « Ah ça ! Les petits lynx ont été abandonnés seuls ! Je pourrais manger du lynx ! » Pour savoir d’où venait la fumée, il monte sur une colline. Sur le bord de l’eau, il accroche sa graisse d’ours, juste pour la mettre en réserve.
Que voit-il là ? Des petits lynx. Il leur dit : « Où est ta mère ? Et pourquoi ton père n’est-il pas là ? » Ils répondent : « Ils sont allés chasser le porc-épic. Nous n’avons à manger que quand on tue du porc-épic ! » Il mange sa graisse d’ours. Ils lui demandent : « Qu’est-ce que tu manges ? » Il leur répond : « J’ai tellement chaud que je mange de la glace ! » Il piaque plusieurs fois en mangeant. Ils lui demandent encore : « Mais qu’est-ce donc que tu manges ? » Il leur répond encore : « Je mange de la glace, parce que je sue à grosses gouttes. » Puis, il pense : « Comment pourrai-je en venir à bout ? Ils sont deux. » Puis, il leur dit : « Grattez-moi, venez, ça me démange ! » Un des petits lynx vint le gratter. Il a peur de le mettre en colère. Il entre ses griffes, et, quand il gratte, il ne fait aucune marque. Le lièvre lui dit : « Pourquoi as-tu entré tes griffes ? Tu grattes pour rien. » Il lui prend la patte, tire sur ses ongles, en lui disant : « Tu pourras maintenant gratter ! » Le petit lynx dit à son frère : « Sors, et grimpe dans un arbre ! » Il sortit donc, et grimpa dans un arbre. Il recommença à gratter, mais ses griffes étaient rentrées. Il lui dit : « Pourquoi tes griffes ne sont-elles pas sorties ? Gratte pour de vrai ! » Alors, il enfonça ses griffes dans sa peau jusqu’à faire couler le sang. Puis il sortir à la course. Il grimpa, lui aussi, tout comme son frère. Le lièvre s’étend de tout son long, et émet comme de la fumée. Le plus jeune des deux alla voir du haut de son arbre. Il sauta sur le bord du trou de la fumée, et observa. Il dit à son frère : « Il dort, descends, il dort. »
Le plus vieux dit à son frère : « Qu’est-ce qu’il mangeait ? » On part à sa recherche, et on découvre la graisse d’ours. « C’était de la graisse d’ours qu’il mangeait. » --« Où l’avait-il prise ? » Un des deux lynx se rend au bord de l’eau. Il voit de la graisse d’ours accrochée à quelque part. Ils mangèrent donc de l’ours. Ils se reposèrent après avoir mangé. La femelle lynx est la première à revenir à la maison. Elle se rend compte que le lièvre avait laissé des traces de son départ. Elle arrivait du sud. Elle dit : « Il a peut-être tué mes fils. » Elle entre à la course en sautant dans sa maison. Ses fils lui dirent : « Nous dormons paisiblement. » Puis, ils donnèrent à leur mère leur graisse d’ours, la graisse d’ours du lièvre. Elle mangea alors de l’ours. Le lynx mâle arriva ensuite. Il vit tout de suite dans quelle direction le lièvre était allé. Il pense : « Il a peut-être tué mes fils ! » Il va vers sa maison du côté du sud lui aussi. Il entra lui aussi en sautant. La graisse avait été cachée dans la neige. Il dit : « Les a-t-il déjà tués ? » Elle répond : « C’est la graisse d’ours du lièvre le grand ! »
A force de courir à toute vitesse, le grand lièvre vit une tente. Il en sortait de la fumée. Il va voir ce que c’est.
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Qui donc est là ? Un crapaud habite là. Le lièvre lui dit : « Crapaud, demeure avec moi ». Il lui répond : « Comment pourrais-je t’accompagner partout où tu iras ? Je ne peux pas marcher. » Il lui dit : « Je vais te porter sur mon dos. » Il le prend, et saute par-dessus la maison en le portant sur son dos. Puis il lui dit : « C’est ce que je te ferai. » « Oui », dit le crapaud.
Il part donc en portant le crapaud sur son dos. Pendant qu’il courait, le crapaud dit : « Le lièvre me secoue. » Il répétait toujours la même chose : « Le lièvre me secoue. » Le lièvre lui répond : « Pourquoi, crapaud, dis-tu que je te secoue. Je ne peux pas marcher comme un être humain. Regarde, je vais essayer de marcher comme un homme ! » Il marche comme marchent les humains, et tombe. « Je n’ai qu’une manière de marcher droit, une seule manière de courir ! »
Le lièvre fait une tente au crapaud. Quand la tente est terminée, il lui dit : « Reste ici ! Je vais aller voir s’il y a du danger. Nous partirons demain. Ils mangent tous les deux. Il court le long d’un cours d’eau en amont. Il voit bientôt un porc-épic, tapi dans son gite. Il se dit : « Le crapaud pourrait le tuer. Je vais le terroriser. » Il retourne à la course. Le crapaud l’a entendu venir. Puis, il entre. Il saisit un tison, et se met en position de le frapper. « Le crapaud lui demande : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Il le fait tomber à la renverse en lui disant : « Que vas-tu devenir ? Tu vas t’enfuir la nuit prochaine. » Il lui demanda : « Qui as-tu vu ? » Il lui dit : « J’ai décelé la présence de quelqu’un. Il mange des arbres. Il marque de cette façon son chemin. Il fait son terrier dans une falaise. » Il lui répond : « Ah ! Un porc-épic ! » Le lièvre lui dit : « Là où sont tes grands-frères. » « Oui », lui dit le crapaud. « Ce sont eux qui m’ont indiqué à quel endroit ils se terrent. Ils m’ont même fait parfois partager leur terrier. » -- « Viens, allons ! »
Le lièvre saute par-dessus une butte. « Allons le chasser, que je t’ai dit ! » Le lièvre entre dans le gite du porc-épic pour le tuer. Il sort en sautant. Il dit au crapaud : « Il a été plus fort que moi ! » Le crapaud lui répond : « Viens, détache-moi ! » Il le détache, et l’assomme sur une grosse roche. Il le jette dans l’entrée du gite en disant : « C’est ainsi qu’il mourra. C’est sa maison ! » Quand le crapaud reprit ses sens, il fonça sur le porc-épic et le tua. Il dit : « Lièvre, apporte-moi une corde ! » Il la lui donne. Le crapaud veut sortir son porc-épic avec une corde. Le lièvre s’en retourna en portant le crapaud et le porc-épic sur son dos. Il met le crapaud sur le porc-épic. Il entre, puis il éventre le porc-épic. Le crapaud lui dit : « Donne-moi des perches pour suspendre le porc-épic au-dessus du feu ! » Il lui répond : « Crapaud, tu as vraiment du gingin ! » Le crapaud lui dit : « Qui le fera pour nous ? Donne, pour que nous accrochions notre viande ! » Il ne lui donne qu’un rognon à manger. Il eut quand même quelque chose à se mettre sous la dent.
Il fait rôtir le porc-épic à la broche. Puis il dit au crapaud : « Couche-toi et dors ! » Le crapaud alors s’endort. Pendant la nuit, le lièvre mange du porc-épic, dès qu’il est cuit à point. Il le mange au complet. Il n’avait, malgré tout, pas mangé à sa faim. Il arrache une des épaules du porc-épic, et la jette dans un coin. Puis il s’endort, lui aussi. Le crapaud se lève le matin, et constate que le lièvre était encore endormi. Il fait du tapage pour le réveiller. Il lui dit : « Lièvre, lève-toi donc ! Mangeons du porc-épic ! » Il répète : « Lièvre, lève-toi ! Mangeons du porc-épic !» Le lièvre se lève en disant : « Oui, oui, il va manger du porc-épic tout de suite ! » Le crapaud lui dit : « Lève-toi ! Comment pourrais-tu faire la grasse matinée ! »
Le lièvre lui répond : « Tes grands-frères sont venus pendant la nuit, et ont mangé le porc-épic. J’étais assis de l’autre côté du feu. J’ai eu peur d’eux, je frissonnais même. L’un d’eux me dit : « Apporte-le-moi pour que je l’examine ! Je le leur ai donné par peur. Le harfang des neiges, c’est le plus gourmand de tous ! » Le lièvre se lève donc. Mais le crapaud lui dit encore : « Apporte le porc-épic ! Donne-moi à manger ! » Le lièvre lui répond : « Où trouverai-je de quoi te nourrir ? » Le crapaud lui dit : « Je vais faire appel à mes petits frères. Si tu ne me donnes rien à manger, c’est à mes grands frères que j’aurai recours. » Le lièvre lui dit : « Où pourrais-je trouver de quoi te nourrir ? J’ai les mains vides ! » On entend ululer le hibou. Le crapaud lui dit : « Le lièvre ne me donne rien à manger ! » Puis il dit au lièvre : « Tu vois ? Tu avais dit qu’il n’entendrait pas ! » Le crapaud lui dit encore : « Apporte ton porc-épic ! Donne-moi à manger ! » Le lièvre répond : « Il n’y a rien ici que je puisse te donner ! » Il appelle de nouveau ses petits frères. On entend son hululement de plus près. Il dit : « Apporte ! Nourris-moi ! » Il avait mis de côté une des épaules du porc-épic. On entend le hibou hululer encore de plus près. Le lièvre lui jette l’épaule du porc-épic. Le crapaud dit : « Enfin ! Le lièvre me nourrit ! »
Après avoir mangé du porc-épic, le lièvre part de nouveau. Il porte le crapaud sur son dos. Et après avoir parcouru un bon bout de chemin, il dresse la tente pour le crapaud. Le lièvre dit au crapaud : « Reste ici sans bouger ! Attends-moi ! Si je ne vois rien de dangereux, nous partirons. » Il longe un cours d’eau à la course, en amont. Il voit des arbres rongés et abattus. Puis il voit une cabane, et dit : « Ce sont des castors ! Il pourrait les tuer ! » Il est à la baie d’un grand lac. Il se dit : « Je pourrais faire des rondins ! » Puis, il s’en va en pensant : « Le crapaud pourrait peut-être les tuer ! » Le crapaud l’entend arriver. En entrant, il brandit son tison pour frapper le crapaud. Celui-ci lui dit : « Que se passet-il donc, lièvre? » Le lièvre fait tomber le crapaud à la renverse, en lui disant : « Que vas-tu devenir ? Nous allons prendre la fuite cette nuit ! » Le crapaud lui dit : « Pourquoi prendrais-je la fuite ? De quel animal as-tu détecté la présence ? » Le lièvre répond : « Il se signale dans la forêt en rongeant les arbres. Dans leurs cabanes ils mangent des feuilles. Une cabane est dressée à la lisière de la forêt, dans une baie. J’ai trouvé des castors ! » Le crapaud lui dit : « Nous irons chasser le castor dans sa cabane demain ! » Le lièvre lui dit : « Tu devrais aller couper des piquets tout de suite ! Il y a d’abord un petit lac, mais eux se trouvent dans le grand lac. »
Ils partent le lendemain chasser le castor dans sa cabane. Il ne tire pas son traîneau. C’est tout proche, pas loin. Ils font des pieux pour bloquer les castors. Puis, ils font un trou dans la glace. Le lièvre dit au crapaud : « Reste assis ici à les attendre ! Moi, je vais pilonner leur cabane. Quand un castor émergera, tu diras : « nussishk ! » Le crapaud enlève deux des piquets. Soudain, il voir un castor s’en venir dans l’eau. Il crie : « Lièvre, un castor approche ! » Il lui répond : « Je t’avais averti de ne pas dire « approche » (pémaishk) mais « émerge » (nussishk) Un autre castor approche. Le crapaud crie de nouveau : « Lièvre, un castor approche ! » Il lui répond : « Ne t’avais-je pas averti de ne pas dire « approche », mais « émerge » ? » Le lièvre dit : « Le crapaud veut leur élargir le passage ! » Il va le voir. Le crapaud était en train d’enlever les pieux. Le lièvre l’assomme avec un bâton. Et il le jette dans l’eau en disant : « C’est ainsi qu’il mourra, en chassant le castor dans sa cabane. » Puis il s’en retourne, et se repose dans sa tente.
Le crapaud reprend connaissance, et part toute de suite à la poursuite des castors. Il tue tous les castors de deux ans. Après les avoir tirés de l’eau, il les attache tous à la file, puis il retourne en tirant ses castors. Le lièvre est assis près du feu. Il entend le crapaud revenir et dit : « C’est un fantôme (tsipai) qui fait ce bruit ». Il saisit son tison, et s’approche de l’entrée. Le crapaud lui dit : « Lièvre, apporte ici le feu ! » Il le lance à l’extérieur. Le lièvre dit : « Ce doit être une outarde qui crie ainsi » Le crapaud dit : « Le lièvre n’a pas de feu ! » Le lièvre va enfin voir à l’extérieur. Que voit-il ? Le crapaud qui avait tué ses castors. Il lui dit : « Crapaud, tu dois avoir pris froid ! » Il le prend et le fait entrer. Le crapaud dit : « Tu me brusques ! » Le lièvre lui demande : « Que t’est-il arrivé ? » Il lui répond : « Qu’aurais-je pu devenir quand tu m’as assommé ? » Le lièvre étripe les castors, et en fait rôtir à la broche. Il lui en donne à manger, car il y en a beaucoup. Ils mangent du castor.
Après avoir mangé tous leurs castors au complet, ils repartent de nouveau. Puis, le lièvre fait une tente au crapaud, et va lui chercher du bois de chauffage. Puis, il dit au crapaud : « Reste assis là. Chauffe-toi ! Veille à ne pas avoir froid ! Je vais aller explorer le chemin. Nous partirons demain ! » Il va dans un bois de conifères. Un orignal avait laissé des traces de son passage. Il suit ces traces. Quand il arrive à des pistes qui venaient tout juste d’être faites, il s’en retourne. Le crapaud l’a de nouveau entendu arriver. Il entre à la course. Le voilà encore en position d’assommer le crapaud avec son tison. Le crapaud lui dit : « Qu’y a-t-il, lièvre ? » Il lui répond : « Je te dis la vérité, je ne mens pas, j’ai vu les traces d’un atsen. Que vas-tu devenir ? Tu vas prendre la poudre d’escampette ! » Il ajoute : « Il a un panache. Il mange de préférence les nénuphars dans les lacs, mais se nourrit aussi de branches de sapin. C’est un orignal ! » « Bien sûr ! lui répond-il. J’ai déjà vu ses traces. Demain nous irons chasser l’orignal, si j’ai des raquettes ! » Le lièvre lui fait donc des raquettes.
Après lui avoir fait des raquettes, il se met en route le lendemain matin. Le lièvre dit : « Emportons avec nous notre maison au complet. Nous ne pourrons plus revenir ! » Il va voir où se trouvent les traces de l’orignal. Puis il les suit. Il engage la poursuite. Quand l’orignal tourne la tête pour le regarder, il saute de côté. Il dit : « Il m’a surpassé ! » Le crapaud lui dit : « Détache-moi ! » Il le détache et lui cogne la tête après un arbre. Il dit : « Il mourra en chassant l’orignal ! » Il le jette au loin. Au bout de quelques secondes, le crapaud reprend connaissance. Il met ses raquettes et se dirige vers l’orignal. Il avançait à toute vitesse tandis que l’orignal enfonçait dans la neige molle. Il marche toujours sur les traces de l’orignal qui est essoufflé, le frappe et le tue. Puis, il l’étripe. Il va bientôt sortir du bois, là où est déposée la tête de l’orignal. Il n’a pas pu retourner une seule fois. Il sort du bois enfin en emportant sa nourriture. Il savait qu’il viendrait, et avait caché sa viande. Seuls les poumons étaient mis en évidence. Après qu’il eut fait tout cela, il n’a plus été emmerdé par le lièvre. Il lui dit : « Oui, je lui ai vidé les intestins ! »
Le crapaud lui dit : « Dresse la tente ! » On dresse la tente. Il prend tout son temps pour dresser la tente. Le crapaud lui dit : « Lièvre, où est la maison ? » Il répond : « Là, devant toi ! » Les poumons avaient été mis de côté. C’est cela qu’il mange. Le lièvre lui dit : « Le crapaud va avoir le ventre creux ! » Il répond : « Le ventre creux, moi ? J’ai trouvé de quoi manger. » Il lui cache la vérité. Le lièvre entre après avoir fait la tente. Il dit : « Lièvre, nous allons faire un festin. C’est ce qui se passait autrefois quand la chasse avait été fructueuse. On festoyait. Nous allons faire un banquet. » Il lui répond : « Comment pourrais-tu festoyer ? Tu as déjà dévoré d’avance ce que nous mangerions. » On prépare et on fait cuire la nourriture. On chauffe le poêle à plein. On mange. Le crapaud dit au lièvre : « A l’attaque ! » Le lièvre dit : « Tu chauffes beaucoup, crapaud ! » « C’est pour te retenir à la maison que je chauffe ! » répond le crapaud. Il bouche les trous de la toile, et recoud ce qui est décousu. Il ne sait pas ce qu’il lui prépare. Mais il est fier d’avoir bien mangé. Il se sent vraiment bien. Le crapaud lui dit : « Lièvre, nous devons tout manger jusqu’à la dernière bouchée. Il ne faut pas laisser de reste, même si l’assiette est comble ! » Il ne peut pas rester assis longtemps, il saute. Le voici assis de l’autre côté du feu. Il est malade. Il ne fait que vomir. Il restitue ce qu’il a mangé. Il la recrache et dit : « Crapaud, un sorcier (mantui) m’a jeté un sort. » « Oui », dit-il. Le crapaud dit : « La même chose m’est arrivée quand tu m’as assommé. Tu vas bientôt reprendre tes sens. » Il met dans le feu de la graisse d’ours. C’est alors qu’il revient à lui-même. Il ne sait plus quoi lui faire d’autre. Ile ne mange que très peu. Il mange du caribou (ou de l’orignal ?)
Et depuis que le beau temps est revenu et qu’on mange du caribou, le crapaud lui dit : « Enferme-toi bien ! Les loups t’ont rejoint. Ils viennent te chercher pour te dévorer. Ne les crois pas. Il n’y a que ton cœur qui restera sur place ! » Le lièvre lui répond : « C’est à toi que cela arrivera ! On va te frapper là où tu es assis, puisque tu peux à peine bouger ! A moi, cela n’arrivera jamais ! » Il sort de la tente en sautant. Il saute par-dessus sa maison, puis on l’entend revenir. Il entre et dit : « Que vais-je devenir ? Et toi, crapaud, tu te feras assommer ! » Le crapaud lui dit : « Voici ce que je ferai si je veux rester en vie. Regarde bien ! » Le lièvre l’a perdu de vue. Il le cherche. Il s’est trouvé une belle cachette. Il va voir partout où il aurait pu se dissimuler, mais en vain. Le crapaud se déplace d’un endroit à l’autre. Finalement, le lièvre donne sa langue au chat, et crie : « Crapaud ! » Il sort de sa cachette. Le lièvre lui dit : « Eh oui, tu vas rester en vie, toi ! Moi, je laisse des traces partout où je vais. Toi, on ne te voit pas. Tu vas vivre longtemps ! »
Le matin, les loups s’approchaient déjà. Ils forment une meute. Le crapaud dit au lièvre : « Lièvre, les loups sont à ta porte ! » Il sort en sautant. Il se tient là assis devant eux. En le voyant, on court après. Il les déjoue en sautant. On le poursuit de nouveau. Il s’assoit encore, et lance son cœur de côté. Puis, on ne le voit plus. Il est ailleurs. Seul son cœur est resté là. »
(légende montagnaise racontée par Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi, au mois de novembre 2014 )
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natasnquan
KA UITATIKUMAT
Celui qui a épousé une femelle caribou
« Il a tué une femelle caribou qui allaitait son petit. Elle était très belle. Sa chasse au caribou était toujours fructueuse. Il en tuait toujours.
Puis il eut un rêve. Il dit à ceux qui vivaient avec lui : « Je suis décidé à vivre en caribou. Si je ne reviens pas, ne partez pas à ma recherche. Vous penserez que les caribous m’ont adopté. » Il y a une femelle caribou qu’il convoitait à toutes les fois qu’il la voyait. Il continuait toujours à tuer des caribous. Or, un de ces jours, en marchant, il aperçut au loin sur la glace des caribous qui se reposaient. Il se dit : « Si je pouvais m’approcher de l’un d’entre eux ! » Il attira l’attention des caribous en bougeant, et l’un d’eux se leva. Celle qu’il convoitait était là. Elle se dirigea sur le bord de l’eau où il se trouvait. Il la regarde s’approcher. Quand elle fut près de lui, il lui lança une flèche. Elle lui dit : « Tu me convoites, et tu me lances des flèches ? » Elle alla alors vers lui et lui dit : « Je vais t’épouser ». « D’accord ! » dit-il. Elle ajouta : « Enlève tes vêtements. Dépose là ton arc et tes flèches ! » Il dépose là ses flèches. Elle répète : « Plante dans la neige ton arc ! » Puis le caribou écrasa l’arc avec son sabot. Il enleva ses vêtements, même si c’était l’hiver. Puis il s’en alla vers elle en sautant. C’était tout comme si il entrait dans une maison chaude ! Il ne ressentit rien du tout.
Quand il fut près du troupeau, le caribou mâle se sauva. Il avança sur la glace, et tourna en direction du caribou mâle, et lui dit : « Tu n’aurais pas du me traiter ainsi, toi qui voulais avoir un gendre ! On disait qu’il voulait avoir un gendre ! On aurait du dire que tu as peur de ceux qui tu veux avoir pour gendres ! » Ils marchent ensemble en se dirigeant vers la grève. Il dit aux autres caribous : « Déneigez-lui le sol pour qu’il mange. » On enlève la neige, mais il ne mange pas de lichen. Il dit de nouveau : « Allez lui en chercher ! » Il n’en mange toujours pas. Le caribou mâle dit : « De quoi le nourrirons-nous ? Il ne mange pas. » Alors son épouse s’arrache une partie de sa chair, et de ses intestins. C’est cela qu’il mange. Le caribou demande : « Qu’est-ce qu’il mange ? » Elle lui répond : « J’ai arraché pour lui une partie de ma chair. Je le nourris de mon corps. » Le caribou dit : « Sommes-nous à ce point idiots ? Elle est déjà en train de découper sa propre chair ! » Il mange de la viande de caribou.
Le chef du troupeau dit : « Partons ! On va bientôt suivre nos traces ! Il nous faut partir tout de suite. Nous allons marcher dans les mêmes traces. Ne marchez pas n’importe où. Et quand vous voudrez fienter, vous vous tiendrez sur une seule patte. Il demande à son gendre : « Connais-tu nos ravages, là où se trouvent des lacs sans décharge et sans recharge ? » Il répond : «Oui, je les ai déjà vus. Allons-y ! » Ils partent donc. Ils y arrivent le soir même. Il neige pendant la nuit. On ne voit rien. Il s’assoit après s’être mis à l’abri. Il y a de la poudrerie.
Puis, au printemps, le caribou chef dit : « Partez maintenant ! Nous allons marcher désormais séparément. » Il demeure avec eux tout l’été. A l’automne, le panache du caribou pousse. Il sera tout empanaché. Il se rapprochera alors des cours d’eau. Le gendre dit : « Ton père aura son panache en arrivant. » Il répond : « Quelle importance ? Tant que la terre durera, je serai ainsi. Il faut qu’on vous fasse des petits-fils. Au printemps, quand l’eau vive apparaîtra, mon petit fils naîtra. » Puis, il repartit, en leur disant : « Vous resterez là où se trouve mon gendre. Je reviendrai bientôt ! » Quand il revient, il a son panache. Le gendre dit à son épouse : « C’est comme je t’avais dit. A quoi cela peut-il bien lui servir à ton père ? » Le caribou mange.
Il dit à son gendre : « Je peux redevenir comme j’étais. Je peux me défaire de mon panache. » Comme de fait, il se débarrasse de son panache. Mais il n’est plus aussi beau qu’avant. « Il me faudrait un autre panache. Je vais échanger le vieux pour un neuf. Mais il sera semblable à l’ancien. »
Son gendre fait un canot. Il dispose à merveille l’écorce de bouleau. Il ne tient plus en place. Son beau-père lui dit : « Va te promener en canot ! » A un des endroits où il est débarqué, il voit un caribou qui se déplace en courant. Il lui tire une flèche. Il tombe dans un ravin. Mon beau-père m’avait dit : « Ne le dépèce pas. Ne prélève qu’un peu de chair. Quand tu en auras envie, tu le couperas ainsi. Quand tu auras pris un peu de viande, tu diras : « Tu m’as rendu un grand service ! » Il lui retire donc un peu de viande. Une fois l’opération terminée, le caribou se lève. Les caribous embarquèrent dans son canot. Le beau-père aurait aimé aller en canot. Mais il demeure là pendant l’été. Son panache pousse de nouveau. Il va alors se mettre à l’abri dans le bois. Le matin, quand le lac est lisse comme un miroir, il avance profondément dans l’eau. Un bon matin, il frotte son panache auprès d’un arbre pour lui donner les bonnes dimensions. Il passe là tout l’hiver. A l’automne, il fait la même chose. Il y revient l’hiver. A partir de maintenant, il indique son passage partout où il va. Un caribou dit : « On va voir nos traces. Où irons-nous ? » Le chef répond : « Nous irons là où nous sommes allés. Nous irons dans nos ravages. Autrement, on nous abattrait. »
Un chasseur a vu leurs traces et les poursuit. Le caribou chef dit : « Accompagne-moi umatsuatiku. S’il nous nomme au tout début, tu le nourriras. S’il ne nous nomme pas, tu ne le nourriras pas. » « D’accord, » dit-il. Umuatsitiku se met au guet. Il revient peu après. Le chef caribou lui demande : « Qu’est-ce qu’il a dit ? » « Il a dit : Je vois vraiment des traces de caribou. Atsen va les emmener dans la forêt ! » Le chef lui répond : « Ne le nourris pas ! Je suis resté longtemps debout à attendre ! » On ne nourrit donc pas le chasseur. Le matin, ils se font un tapis avec des branches. Le chef caribou dit : « Partez vers le nord, et vous demeurerez au sud. Et c’est ce qu’on fait. Le lendemain matin, on se met en marche. On suit leurs traces, jusqu’à tout près de l’endroit où ils sont, au sud.
Un autre chasseur a vu des traces de caribou. Le chef des caribous dit : « Umatsuatiku, accompagne-moi. Surveille s’il nous nomme au tout début. » Il revient presque tout de suite. Le chef caribou lui dit : « Pourquoi arrives-tu si tôt ? » Il lui répond : « C’est vrai, j’arrive tôt. Il a dit : je vois des traces de caribou. Retourne et nourris-nous ! » Il ordonne donc de le nourrir.
Il dit : « Demain matin, vous irez vers le sud. Vous irez chercher de quoi tapisser votre demeure. C’est ce qu’ils font le lendemain. Ils coupent des branches pour se faire un tapis où reposer au sec. Le caribou dont on suit les traces, on l’aperçoit couché sur la glace. On va le poursuivre. La chasse commence pour vrai. On lui lance une flèche, mais il ne nourrit pas. Ceux qui nourrissent portent tous la tête basse. Et ceux qui ne nourrissent pas relèvent la tête. On chasse le caribou. Un chasseur remarque qu’un orignal avait passé par là. Les vieux disent : « C’est un orignal ! » Les chasseurs déposent leurs arcs.
Il lui arrive au caribou ce qui lui est toujours arrivé. Le chef des caribous dit : « Le bipède ne se décourage pas ! » On se tasse près de lui. C’est lui qui mène. Et voilà les vieux. On arrête la chasse. Bientôt reviennent ceux qui n’ont pas été tués. Ils ont de beaux panaches. Pendant ce temps, un orignal sort de l’eau. Que son panache est laid ! Puis il s’en va ailleurs.
Quelqu’un dit : « Notre gendre a trouvé un ours mâle. Où a-t-il bien pu le trouver ? » Il répond : « Je n’ai jamais trouvé d’ours. »
Un chasseur entre dans sa tente le fût de ses raquettes. Il va les monter. Il lace ses raquettes avec de la babiche. Il dit à son compagnon de chasse : « Là-bas, tu vas rencontrer un orignal d’été. » « Oui », dit-il. Et, comme de fait, il en rencontre un. Son compagnon qui le regardait de sa tente dit : « Il en a trouvé un autre ! » Puis, il dit : « Allons chasser l’ours tout près d’ici ! » Ils partent à la chasse. Ils tombent sur un ourson et le tuent. Ils sortent tous ses viscères. Il revient après avoir mangé de l’ours. Puis il demeure là pendant un certain temps.
On voit bientôt des traces
de loups. Son gendre porte ses bagages sur son dos.
Il a des bagages sur le dos le gendre quand il revient. Le chef
caribou se sauve : « Notre gendre nous tue ! » crie-t-il. Il
examine la cuisse de l’épouse, et se retourne : « Là où
ça sent mauvais, on rapporte que tu nous tues ! » Le
gendre lui répond : « Ce n’est pas moi qui vous tue. Ce
sont les loups ! Moi, j’ai à cœur de vous
conserver. Ce sont les loups qui nous tuent. » Il lui dit
encore : « Nous pensions que c’était toi qui nous tuais !
» Puis il dit : « Allons les attaquer ! Notre gendre
nous fera des tomahawks. » Pui il ajoute : « Ne les fais pas
trop larges ! » «D’accord, » dit-il.
Puis il leur
fit des tomahawks. Le caribou lui dit : « Tu les fais trop
larges ! Fais-les plus étroits ! » Puis, il les rabota.
Il neige. Il enfonce dans la neige. Un chasseur l’a presque atteint avec sa flèche. Le gendre dit : « Allons leur faire la guerre ! Ils vont les tuer ! On nous dira qu’ils sont exterminés par leur gendre ! » Ils partent à l’attaque. Les loups approchent. Les caribous flairent leur arrivée. Ils se cachent. Ils cherchent, en se cachant, à échapper aux loups. Mais quand les loups les aperçoivent, ils courent après. Les caribous s’enfuient sur le chemin du retour. Il n’en reste bientôt plus que deux de vivants. Ce sont les seuls que les loups ont épargnés jusqu’ici. Puis, ils s’arrêtent pour fienter. Les loups disent : « Les caribous mâles, nos enfants ! » Ils fientent de nouveau. Le loup dit : « Poursuivez-les ! Allez ! Accélérez la course ! » Ils partent donc à leur poursuite. Un caribou dit à l’autre : « Sais-tu s’il y a des lacs ? » « Oui », répond-il. Les voici rendus au centre du lac. Un caribou devança alors son compagnon. Il l’a devancé parce que la surface du lac est raboteuse. Il peine à le traverser. Puis un des caribous dit : « C’est tout ce dont je me souviens ! Mettons fin à notre fuite ! Quand ils vous rejoindront, vous les attendrez tous les trois debout ! » Puis, il ajoute : « On va m’appeler ! »
Les loups leur disent : « Vous ne serez plus que trois, plus que deux ! » Le caribou leur dit : «Vous nous mangez de façon excessive. Et pas une seule fois vous ne nous l’avez demandé. Si vous nous tuez tous, vous mourrez de faim! » Deux caribous en réchappèrent. Ils s’en retournèrent, et sortirent de la forêt. Puis, un demanda : « Que fait-on maintenant ? » Le caribou chef répond : « Urinez sur vos queues ! » On urina sur la queue. Il leur dit : « Je serai votre chef là-bas quand vous vous en irez vers le sud. » « D’accord », répond-on. On urina encore sur la queue. Ils ne lambinent pas après être sortis du bois. Le caribou dit à son gendre : « Nous allons bientôt te tuer. Va-t-en ! Ne t’occupe plus de nous ! »
Le gendre dit alors à son beau-père : « Ramasse les pénis des caribous, tous tant qu’ils en sont ! » On ramasse donc tous les pénis des caribous morts. Il lui pousse alors un panache. Quand ils reviennent, ils ne sont plus que deux. Le gendre dit : « C’est ce que j’avais dit à ton père. J’ai dit qu’ils les tueraient. » Le caribou répond : « Tant que la terre durera, ils nous extermineront. » Quand le gendre rejoint les deux autres, il leur dit : « Mettez-vous debout côte à côte sur la colline. » Ils se mirent donc côte à côte sur la colline. Puis il leur lança les pénis des caribous morts. Il y eut alors autant de caribous vivants qu’il y en avait avant. Le caribou dit au gendre : « Ne nous avais-tu pas dit qu’on nous tuerait, qu’ils nous tueraient ? »
Le lendemain matin, le gendre va à la rencontre des loups. Il arrive sur une surface gelée. Il porte fièrement son panache. Les loups l’entendent arriver. L’un d’eux dit : « Mais c’est le bipède ! » Ils hurlent de tous leurs poumons. Il fait du tapage en frappant ses raquettes l’une contre l’autre. Les loups l’attendent en disant : « Il va nous tuer. Il n’a pas peur de nous, le bipède ! » Quand il approche, sa tête est très grosse. Son panache se détache. Il veut alors s’en défaire. Les loups partent après lui. Son panache tombe de lui-même. Les loups le poursuivent de plus belle. Le chef de la meute dit : « Poursuivez-le de près ! » Quand ils sont rendus près de lui, il se retourne et leur lance des flèches. C’est alors réellement que son panache est tombé. Il les frappe l’un après l’autre. Si bien qu’à la fin du carnage, il n’en reste plus que deux.
Le loup lui dit : « Tu nous extermines ! » Il lui répond : « Tu devras nous le demander ! » Le loup reprend : « Quand nous trouverons à la chasse, nous hurlerons. Et quand nous aurons tué un caribou, nous le déposerons sur la glace. Vous saurez ainsi que nous avons trouvé à la chasse. » Il coupe alors la queue du loup, puis il retourne en pensant : « J’ai tué ceux qui les ont tués. Autrement, ils nous auraient exterminés aussi longtemps que la terre durera. »
Le caribou chef dit : « Qu’est-ce qu’il rapporte ? Des queues de loup ! » Il répond : « Oui, c’est ce que j’apporte ! Viens ! » Les caribous s’approchent des queues et les examinent. « C’est bien ça ! » Puis, ils disent : « Essayons-les ! » Le beau-père la fixe à une de ses pattes. Il se promène en se baladant. Ca ne lui va pas du tout. Il tourne la tête pour savoir ce qu’en pense son gendre. Un autre place la queue du loup entre ses deux épaules. Il galope comme un cheval. C’est encore pire. Un autre la met sur l’épaule, et se promène en se donnant en spectacle. De plus en plus déplorable ! Puis un autre se la met sur la gorge. Il se promène lui aussi en trottant. La queue devient un foulard des plus séduisants. Le gendre lui dit : « Ca te fait très bien ! C’est ainsi que tu la porteras ! » Tous sont d’accord. Et depuis, tous les caribous la portent ainsi. »
(légende racontée par
Pierre Courtois et traduite par René Lapointe omi au mois de
novembre 2014)
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LEGENDE MONTAGNAISE
de Natashquan
KA UITAMUSHKUMAT
Celui qui a épousé une femelle castor
« Voici celle qu’il épousera, une femelle castor. Il est en amour avec elle, et veut l’épouser. Il la trouve très belle cette femelle castor.
Il part en raquettes en tirant un traîneau. Il rencontre d’abord un castor qui dit à sa fille : « Traite aux petits oignons tes amoureux ! » Le prétendant va la voir et lui demande : « Où demeurerai-je ? » Elle lui répond : « Là-bas, au milieu des arbres touffus. » Elle s’y rend. Peu de temps après, la fumée s’échappe de la tente. Elle a même le temps de dormir un peu. Quand il arrive, il trouve sa maison très belle. Les arbres tout autour portent des marques de ses morsures. Il y a, tout près, du bois de chauffage. Il en est très content. Il mange du castor en quantité. Mais, quand il lui parlait, elle ne faisait que répéter ce qu’il lui disait. Par exemple, quand il lui dit : « notre maison est bien belle », elle lui répond : « notre maison est bien belle. »
Le lendemain matin, il lui dit : « Ramène chez toi le castor restant pour ne pas contrister ton père ! » Elle lui répond : « Ramène chez toi le castor restant pour ne pas contrister ton père ! » Le castor arrive au lac gelé quand arrive sa fille. Il lui dit : « Comment pourrait-on t’épouser, avec ta manie de répéter ce qu’on te dit ! » Il repart de nouveau en raquettes en tirant son traîneau, et tombe sur une habitation. Le père dit à sa fille : « Traite aux petits oignons tes amoureux ! » Le voilà près d’un oiseau qui fait tout un tapage. Il lui demande : « Où demeurerai-je ? » Elle lui dit : « Dans les marais, c’est là que tu demeureras. En haut de cette colline. » Il monte donc en haut de la colline. En voulant saisir quelque chose, il se casse la jambe. Il lui dit : « Je me suis cassé la jambe. Donne-moi de la corde que tu fabriques ! » Elle lui répond : « Tu devras l’enrouler serré ! » Puis, elle lui lance un genre de corde. Avec cette corde, il peut maintenir en place des bâtons sur sa jambe éclopée. Après les avoir bien fixés, il enlève la fourrure du castor et le fait rôtir à la broche. Le lendemain, il lui dit : « Ramène chez toi ce qui reste du castor pour ne pas contrister ton père ! »
Il voit encore une autre demeure. Le renard dit à sa fille : « Traite aux petits oignons tes amoureux ! » La renarde arrive aussitôt à la course. Il lui demande « Où demeurerai-je? » Elle lui répond : « Là-bas, dans la montagne ! » Elle ne prit que quelques minutes pour se rendre chez elle. Il dit : « Elle est très rapide ! » Elle repart ensuite pour ramener toute sorte de choses. Quelques minutes plus tard, le repas était prêt : il mangeait du castor. Le lendemain, il lui dit : « Rapporte chez toi ce qui reste du repas, pour ne pas contrister ton père ! » Quand elle rejoint son père, il lui dit : « Tu serais restée avec lui, si tu lui avais plu ! » Il repart ensuite, et rencontre une louve. Il lui dit : « Tu dois, toi, être très rapide ! » Il lui demande ensuite : « Où demeurerai-je ? » Elle lui répond : « Sur une montagne boisée. » Quelques minutes plus tard, elle était dans son gite. Il dit : « Elle est vraiment rapide ! » Puis elle va chercher du castor, et toute sorte d’autres choses qu’elle apporte rapidement chez elle. Elle apprête le castor à toute vitesse, et, quelques minutes plus tard, il mange du castor. Après avoir bien mangé, il se couche. Au milieu de la nuit, la louve sort. Elle hurle. Les habits de l’indien étaient accrochés à l’extérieur, ses souliers et ses mitaines. Elle les dévora tous. Voilà pourquoi elle s’est attardée dehors. Il dormait quand elle entra. Le lendemain, il ne se lève pas. Elle lui dit : « Lève-toi ! » Il lui répond : « Comment pourrais-je me lever ? Tu as dévoré tous mes habits ! » Elle lui dit encore : « Mais lève-toi donc ! Pourquoi rester couché ? » Quand enfin il se décide à se lever, il voit accrochées des mitaines neuves. Et quand il sort, il aperçoit des raquettes neuves, des souliers neufs, ou plutôt des mocassins neufs. Il en est très content.
Il repart, et la renvoie. Il dit : « Que va-t-elle faire maintenant ? » Le soir venu, le voilà revenu à la tente. Pendant la nuit, la louve sort de nouveau. Elle dévore encore ses raquettes et ses mocassins. Puis, elle apporte dans la tente des mocassins neufs, en disant : « Les voici ! » En se levant le matin, il lui dit : « Tu as encore mangé mes vêtements ? » Elle lui répond : « Mais, lève-toi donc ! Pourquoi resterais-tu couché plus longtemps ? » Il se lève et voit des souliers neufs et des raquettes neuves. Il se dit : « Elle va bientôt manger la tente ! » Elle est affamée, elle n’a jamais assez de nourriture. Il pense : « Elle voudrait tout manger, même mes habits ! » Il lui dit enfin : « Retourne chez toi ! Rapporte à ton père ce qui reste du castor pour ne pas trop le contrister ! » Quand elle rejoint son père, il lui dit : « Comment pourrait-on t’épouser, toi, qui es toujours affamée ? La voici qui s’en vient son amante, celle qu’il épousera pour de bon. »
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Il lisse les poils de sa fille, et les sépare en deux. Il les dispose de manière à ce qu’elle paraisse bien. Il l’épouille complètement, puis il dit : « Va le trouver ! Il ne devra jamais céder à la paresse. Il devra toujours te faire un pont quand vous rencontrerez un ruisseau. Pas les grands lacs, seulement les ruisseaux, même s’ils sont à peine visibles. Mais les grands lacs, non. » Elle lui répond : « Non. » Il continue : « Quand vous marcherez en tirant le traîneau, s’il lui arrive une fois de ne pas faire de pont, tu te jetteras à l’eau. »
Elle ne vient pas le voir là où il demeure, même s’il fait toujours beaucoup de fumée en chauffant. Il apporte ses castors dans sa tente. Il marche de plus en plus lentement. En entrant, il se met à pleurer. Après avoir mangé, il éventre son castor. Quelque temps après, elle vient vers lui et lui dit : « D’accord. Vis avec moi ! Mais tu ne devras jamais céder à la paresse. Tu devras toujours faire un pont quand nous rencontrerons un ruisseau, en tirant le traîneau. Je ne parle pas des lacs, mais des petits cours d’eau, de ceux-là même qu’on aperçoit à peine. Même pour ces tous petits filets d’eau, tu devras faire un pont. » « Oui », dit-il.
Il part donc en tirant un traîneau. Il dépose des branches au-dessus de tous les ruisseaux qu’il rencontre. Même sur ceux qu’il peut enjamber. Quand l’hiver arriva, il avait deux fils, deux petits castors. Il en transportait un sur son traîneau, et sa femme transportait l’autre, le plus jeune. Lui s’occupait du plus vieux. Ils marchèrent longtemps dans une savane. Et ils cohabitèrent pendant un certain temps. Il repart en tirant son traîneau. Puis, voici devant lui, un mince ruisseau. Mais il n’avait aucun morceau de bois avec lui. Il n’y avait d’arbre qu’à une bonne distance. Il lui était donc difficile de s’en procurer. Et on le voyait à peine. Il ne fit donc pas de pont. Elle pense : « Le moment est peut-être venu de me jeter à l’eau ! » Il dresse sa tente près d’un ruisseau. Il marche pendant la journée, et revient le soir. Puis il voit son enfant abandonné qui pleure. « Ce doit être parce que je n’ai pas fait de pont ! » Il prend son enfant, l’habille chaudement et l’emmaillote. Il retourne, et marche jusqu’au soir. Puis il arrive à un petit lac. Elle avait déjà fait le barrage. Il la voit se promener dans l’eau. Le castor d’un an nage également avec elle. Il lui dit : « C’est moi qui t’ai envoyée à l’eau. Reviens, maintenant ! » Elle lui répond : « Tu comprends maintenant ce qu’on t’avait dit : ne cède pas à la paresse ! C’est à toi à venir ! » Il lui dit : « Comment pourrais-je plonger là ? L’eau est très profonde ! » Elle lui dit : « Dépêche-toi ! » Il lui répète : « Reviens ! Notre fils est à bout de souffle ! » Elle lui dit : « Emmène-le ici ! Jette-le à l’eau ! » Alors, il détache son fils. Après l’avoir mis à nu, il le jette en eau profonde. Et le voilà qui nage et qui plonge. Il suit sa mère. Elle lui dit ensuite : « Voilà ce qui va t’arriver à toi aussi. Enlève tes vêtements et plonge ! Tiens ! Jette à l’eau tes mitaines ! » Il coupe la corde qui retenait ses mitaines, et en jette une à l’eau. La mitaine est maintenant un raton laveur. Il jette l’autre. Et voici un autre raton laveur ! Elle lui dit : « C’est ce qui va t’arriver à toi aussi ! » Il enlève ses vêtements et saute à l’eau. Il ne s’est rendu compte de rien. Il nage comme le castor qu’il est devenu. Elle lui dit : « C’est dans l’eau désormais que nous vivrons ! »
Il travaille le soir à bâtir sa maison. Et son épouse fait le barrage. Le soin de bâtir leur maison lui revient. Ses enfants la défoncent pour pouvoir y demeurer. C’est là qu’il se tient après avoir terminé sa cabane. Pendant l’été, il ne cherche qu’à fermer le barrage. Il colmate les fuites d’eau. Il y a de l’eau au fond de la cabane, et des sorties.
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On chassait toujours le castor dans sa cabane, mais on ne pouvait jamais l’attraper. Plusieurs essayèrent de le bloquer pour pouvoir le tuer. Mais ils n’aboutissaient à rien. Il est à la chute, dit-on. L’un des chasseurs dit : « Je vais le tuer, moi. Où est-il ? » Un autre lui répond : « En haut de la chute ! » On se rend à la chute, et on l’aperçoit. Le castor dit à son épouse : « Ils vont finir par nous tuer ! Celui qui arrive en tirant son traîneau, c’est lui qui va nous tuer. » On commence la chasse au castor. Le castor dit : « Celui qui montera ici c’est celui qui nous tuera quand il arrivera à l’eau glacée. » Il arrive à la surface glacée. Les têtes des castors dépassent un peu d’un trou de glace. Le castor dit : « Il arrive à la surface glacée. C’est qui lui nous tuera. » Il frappe avec un pic à plusieurs reprises sur le toit de la cabane. Puis, il passe au travers. Il les a trouvés. Mais aussitôt qu’il les a aperçus dans la cabane, ils prennent le large. Mais ils découvrent bientôt le trou par lequel ils sont sortis. Un chasseur dit : « Avec des pieux, vous pourrez les arrêter. Vous en emploierez le nombre qu’il faudra. Ils devront être assez longs pour se rendre au fond. Vous pourrez fermer toutes les sorties avec ces piquets. » Ils fermèrent donc tous les endroits par où les castors auraient pu s’échapper. « Il vous faut encore respirer. » Un castor sort la tête pour respirer. On crie : « Le castor est là ! » Il sortit, lui, le premier. Il tâte la clôture de pieux. Il ne peut pas passer au travers. Il essaie un peu plus loin. Rien à faire. Les chasseurs disent : « Frappez, arrêtez-les ! » Ils assomment son fils. Et puis l’autre. Puis sa femme. Elle lui avait dit : « Tu couperas mon bras. Tu le garderas précieusement. Ne mange jamais un castor isolé. Un castor qui est seul, c’est moi. Si tu le manges, je t’épouserai à tout jamais. Puis, tu ne chasseras jamais. Vous ne conserverez des castors que si vous les traitez ainsi. Quand il n’y aura plus rien à manger, tu iras au bord de l’eau. Tu ne feras qu’aller les voir. Quand tes fils feront rôtir un castor à la broche, qu’ils ne le fassent pas tourner sur lui-même. Car s’ils le font tourniquer, tu vas pleurer. » « Oui », lui répond-il.
Elle sortit alors, son épouse, et on l’assomma. Le capitaine dit : « Allez voir à l’intérieur combien il y a de trous de sorties. » On fit un grand trou et on entra dans la cabane. Il y avait là un homme avec des mains palmées. Celui qui était entré dit : « Nous avons tué l’épouse et les enfants de celui qui était allé vivre avec les castors. Ses mains sont palmées ! » Le capitaine dit à tous : « Enlevez vos habits. Vous avez deux doublures. Enlevez-en une. Allez auprès de lui, et ramenez-le dans un toboggan. On le ramène donc en traîneau, et on arrive le soir. Il leur dit : « Je dois conserver son bras. Vous le scierez, de l’épaule jusqu’à aux doigts. Mes fils, quand vous ferez rôtir un castor à la broche, ne le faites pas tournailler. Elle m’a dit aussi de ne pas manger un castor qui est seul. » Quand ses fils font tourniquer un castor qui rôtit à la broche, il pleure.
Il ne mange pas de castor. Elle lui avait dit : « Quand ils iront à la chasse, c’est toi qui devras toujours creuser mon trou. » C’est toujours lui qui creuse un trou dans la glace. Il fait un grand trou. Voilà en quoi consistait son travail. Il ne chasse pas, il ne fait que creuser des trous dans la glace. Il ne se rend au bord de l’eau que quand il n’est plus possible de tuer un seul castor. Car, il les avait tous vus, lui. Il ne fait qu’aller où ils sont, puis il leur dit : « Creusez ! » On recherche sa compagnie. On ne veut pas se séparer de lui. Cela a duré longtemps.
On souffrit de la faim de nouveau. On n’avait rien à se mettre sous la dent. Ils vont chasser les castors dans leur cabane. Ils dirent : « Nous n’avons pas pu en venir à bout. Nous n’avons tué qu’un castor solitaire. » Ils avaient bel et bien tué un castor qui était seul. Il va bientôt l’apprendre. Quand on jette le castor dans la tente, il se met à pleurer. Le capitaine dit : « A quoi bon le pleurer ? J’en ai laissé un autre. C’est tout ce que nous avons en fait de nourriture ! » On le suspendit ensuite pour le faire rôtir au feu. Il sort furtivement de la tente en tenant son bras de castor. Il se dirige vers le rivage, et avance dans l’eau. On l’avait suivi, et on l’observait. L’eau s’agite au milieu du lac, et c’est un huard qui émerge. On entend son cri la nuit. Quelqu’un dit : « Le huard plonge et refait surface. Il y aura encore une aurore ! »
(légende montagnaise racontée par Pierre Courtois, et traduite par René Lapointe omi au mois de novembre 2014)
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LEGENDE
MONTAGNAISE
de
Natashquan
MEU (LE DÉLUGE)
« Meu vit en compagnie de ses frères les loups. Ce sont eux qui chassent pour lui. Car il ne peut manger que quand ses frères tuent des caribous. Il accompagne donc toujours ses frères quand ils vont chasser le caribou. Mais voici qu’un problème se présente. Quand le caribou se voit pressé par un loup, il se dirige vers un lac qu’il traverse à la nage. Mais le loup, lui, se voit obligé de faire le tour du lac à la course. Quand il arrive de l’autre côté, à l’endroit où le caribou a mis pied à terre, le gibier l’a déjà distancé, et n’a laissé pour témoins de sa fuite que ses traces sur le sable.
Le carcajou dit au loup : « Pourquoi ne plonges-tu pas ? Tu arriverais ainsi en même temps que lui. Quand tu fais tout le tour du lac à la poursuite du caribou, il te sème facilement, et prend sur toi une avance considérable. Pourquoi donc ne plonges-tu pas ? Vous arriveriez ensemble. Il ne pourrait pas te devancer. » Le loup lui répond : « Comment pourrais-je plonger ? J’ai rêvé une fois que je plongeais. Au milieu du lac, j’étais saisi par des « loutres » géantes. » Le carcajou lui répliqua : « Tu t’en fais pour rien. J’ai déjà rêvé ce que tu as rêvé. Crois-en mon expérience; si tu plonges, il ne t’échappera pas. »
Le carcajou continue à marcher en compagnie de ses frères partis à la chasse du caribou. Or, voici qu’il tombe sur des pistes fraîches. A la vue des loups, le caribou se réfugie sur une baie sablonneuse, et plonge sans perdre un instant. Le carcajou revient à la charge : « N’est-ce pas ce que je t’avait dit ? Il ne pourrait pas te distancer si tu plongeais. » Persuadé, le loup plonge à son tour. Après un certain temps, le carcajou part à sa recherche en faisant le tour du lac. « Il devrait avoir débarqué là où a débarqué son caribou », pense-t-il. Non, son frère n’a pas débarqué là. « Il a du débarquer ailleurs. Non, il n’a pas débarqué là non plus. Peut-être dans cette anse ! » Il cherche partout ses traces. « Il a du traverser ailleurs ! » dit-il. Il rejoint finalement les traves laissées par le caribou quand il s’est enfui. « Non ».
Il s’en retourne donc. Le voilà revenu sur l’autre rive. Il voit des poissons dans un ruisseau et leur fait un barrage. Il se dérage sur eux en les mordant à pleines dents. Quand il fut un peu calmé, il se remet en marche. Que rencontre-t-il sur son chemin ? Une bécassine qui pleure. Il lui dit : « Pourquoi pleures-tu ma petite sœur ? » Elle répond : « Je me lamente sur le frère de Meu qui a été enlevé. Sans lui, Meu ne peut pas manger. » Il lui répond : « Il a été enlevé ? » « Oui », dit-elle. Il lui dit ensuite pour la récompenser : « Je veux te dire quelque chose. Va chercher les poissons que j’ai enfermés, et qui portent la marque des mes dents. » Elle lui répond : « Là-bas, au large, c’est sur une île qu’il a été déposé. »
Il se coupe un tronc d’arbre vide à l’intérieur et le jette à l’eau. Il se met à tourner sur lui-même, puis il est emporté par le courant. Il pleure. Il disait en sanglotant : « Voilà ce qui est arrivé à mon petit frère ! » Quand ses larmes se tarirent, il partit à la recherche d’un panache. Quand il en trouva un, il s’en servit pour se faire une pointe dure et acérée à mettre au bout d’une lance. Puis, il se fit des embarcations. Des radeaux. Il en fit deux. Cela lui a demandé beaucoup de temps et de travail. Puis, après avoir mis ses radeaux à l’eau, il prend le large. Il navigue pendant longtemps, puis, il se dirigea vers une île. Quand il y arriva, il vit les traces qu’avaient laissées des animaux qui ressemblaient à des loutres. C’est là qu’avait échoué le tronc d’arbre qu’il avait jeté à l’eau. Il mit au sec ses radeaux dans une baie. Il ventait un peu trop à son goût. Il dit alors : « Que vienne la bonace ! » Il fit tout à coup très chaud, et le lac devint lisse et limpide comme un miroir. Il se plaça sur une dune pour observer. Il les entendit d’abord arriver, puis il les aperçut qui sautaient sur les vagues. Dès qu’ils arrivèrent au bord de l’eau, ils mirent pied à terre. Ils s’étendent sur le sable de tout leur long. Puis, ils flairent une présence. Il avait déjà pu se cacher à l’intérieur d’un tronc d’arbre après s’être rapetissé. Il pense plutôt à son frère qu’à lui : « Ils vont déchiqueter mon petit frère ! » Les loutres cherchent partout. Ils font tourner plusieurs fois le tronc où il se cachait. Puis, ils lancent une pierre dans le tronc qui ressort immédiatement de l’autre côté. Ils pensent : « S’il y avait eu quelqu’un à l’intérieur, la roche aurait pris plus du temps à sortir ! » Ils retournent donc sur la grève, s’étendent sur le sable, et s’abandonnent au sommeil. Ce que voyant, le carcajou sort de son tronc, et leur envoie un insecte qui fait dormir. Il leur en donne un à chacun. Puis, il va chercher son jeune frère et l’emporte dans son radeau. Il dit : « C’est ici que tu vas demeurer. » Puis, il prend la lance armée d’une pointe venant du panache du caribou, et il se met à les harponner. Il leur enfonce sa lance dans le corps. L’un d’entre eux se met à crier : « On nous tue ! » Pris de panique, ils se dirigent vers la grève. Il harponne ceux qui se sauvent vers la grève. C’est alors qu’ils crient : « Grand castor, inonde la terre. On nous tue ! »
Le carcajou s’en
retourne. Il embarque du sable, et une pierre. Puis,
il s’assoit sur son radeau. Il avait fait un grave oubli, il
avait oublié d’embarquer de la terre. Des lacs
apparaissent un peu partout. Puis, c’est toute la terre qui
est inondée. Les montagnes elles-mêmes sont inondées.
Les
animaux vinrent le trouver. Ils lui dirent : « Viens
accoster ici ! » Il les embarqua deux par deux. Mais il y en
eut qu’il n’embarqua pas. Les animaux méchants, il ne les
embarqua pas. Il les embarqua deux de chaque espèce.
Même quand ses radeaux furent pleins, il en embarqua d’autres.
Il flotte sur l’eau, et est emporté par le courant. La terre était complètement disparue sous les eaux. Il entend soudain un bruit de queue de castor qui frappe l’eau. Puis, il voit le castor émerger. Il lui dit : « Grand castor, que vas-tu me faire ? » Il lui répond : « Que pourrais-je faire d’autre que briser ton radeau ? » Le carcajou lui répond : « D’accord. Brise mon radeau. Fais le tour du radeau. Quand tu seras rendu face à l’endroit où je suis assis, tu pourras t’en donner à cœur joie ! » « Oui », dit le castor. Il fait donc le tour du radeau, et au moment où il s’approchait du carcajou, celui-ci lui lança une pierre plate sur les dents, et les cassa. Puis il se moque de celui qui voulait le bloquer. Le castor dit : « Mais que fait-il donc ? Il me trouve beau, il me trouve gentil ! » Un autre castor se présenta. Il lui posa la même question : « Grand castor, que vas-tu me faire ? » Il lui répond : « Je vais briser ton radeau ! » Le carcajou l’a traité comme le précédent. Quand il s’approcha de lui, il lui lança une pierre plate sur les dents, et les cassa. Il se moqua aussi de lui. Le castor dit : « Mais que fait-il donc ? Il me trouve beau, il me trouve gentil ! »
Il s’assoit. Il entend un grognement. Qui donc est là ? Un lynx, un lynx qui vit en eau profonde. Il lui dit : « Lynx, que vas-tu me faire ? » « Je vais te réduire en pièces. » Il lui dit : « Je suis d’accord. Nage, et quand tu seras rendu à mon radeau, tu plongeras. » Le lynx nage, s’approche tout près du radeau et plonge. Le carcajou le saisit alors par la queue et la lui coupe. Il se sauve en disant : « Mais que fait-il donc ? Je pensais qu’il me trouvait beau. Je pensais qu’il me trouvait gentil ! » Puis, il entendit un autre grognement. Puis une tête sortir de l’eau. Il lui dit : « Lynx, que vas-tu me faire ? » Il lui répond : « Je vais te réduire en miettes ! » Il lui dit alors : « D’accord. Je n’ai pas d’objection à ce que tu réduises en miettes mon radeau. Nage jusqu’à l’endroit où je suis assis. » Quand il fut tout près de lui, il plongea. Il l’attrapa alors par la queue, et la lui coupa. Puis il se moqua de lui. Le lynx dit : « Il me trouve beau; il me trouve gentil ! »
Il avait monté à bord une pierre. Il avait oublié de prendre de la terre. « Je l’ai oubliée. » Il devra donc demander à des animaux d’aller en chercher au fond de l’eau. Le phoque d’abord. « Toi, phoque qui es capable de nager au fond de l’eau. Va chercher de la terre directement en dessous de mon radeau. » Il réapparait à une bonne distance de son radeau, et dit : « Je suis un bon plongeur en eau profonde, mon grand-père ? » Mais il lui dit : « Tais-toi, myope ! » Le huard pourra-t-il faire mieux ? Il lui dit : « Toi, huard, tu es un plongeur en eau profonde ! » Il réapparait là d’où il avait plongé : « Je suis un bon plongeur, mon grand frère ? » Il lui répond : « Tais-toi. Tu as les yeux rouges ! » Il y avait là tout près deux visons. Ils disent à Carcajou : « Envoie-nous ! » Il leur répond : « Comment pourriez-vous, vous autres, trouver la terre. Vous n’avez pas la vue perçante ! » « Peu importe ! » lui dirent-ils. Ils plongent en ligne droite. Pendant ce temps, il tourne en rond sur son radeau. Puis, l’un après l’autre ils refirent surface. Il enleva la terre de leurs gueules. Puis, il souffla sur eux et ils se ranimèrent.
C’est alors qu’il mit la terre sur l’eau. Pus il souffla sur cette parcelle de terre qui devint comme une île. Quand les animaux virent la terre, ils voulaient déjà débarquer. Il leur dit : « Attendez un peu ! Vous ne faites que me créer des difficultés. Pensez-vous que je ne vous le dirai pas quand le temps viendra où vous pourrez manger ? » Il souffla de nouveau, et elle devint grande comme un continent. Il dit alors aux animaux : « Allez ! Partez! Vous allez trouver de quoi manger ! » Puis, il souffla plus fort qu’avant. L’herbe, les plantes et les fleurs poussèrent. Il pense : « La terre devrait être suffisamment grande ! »
Il dit à un canard : « Tu
es très rapide! Fais le tour de la terre ! Ne survole
pas les montagnes ! Suis les cours d’eau. Détermine toi-même
ton parcours! » « Oui », dit-il. Il souffle dessus et
des réserves de graisse se formèrent. Quand il revint,
il n’avait plus que les os et la peau. Il était mort de
faim. Le caribou lui demande : « Tu l’as traversée de part
en part ? » « Oui », répond-il. Il lui dit : «
Comment aurais-tu pu la traverser de part en part ? L’océan doit
être très petit. » Il souffle de nouveau sur elle. Il
souffle pendant longtemps. Il souffle sur le huard pour
lui donner de la graisse de réserve et lui dit : « Vas-y, huard,
toi qui voles à grande vitesse ! Ne survole pas les
montagnes. Ne vole que sur l’eau ! » Il survola
un grand nombre de cours d’eau, puis revint. Quand il
atterrit, il est mort de faim. Le carcajou lui demande :
« La terre est-elle grande ? » Il lui répond : « Oui, mon
grand frère. » Puis, il lui décrit dans les détails son
parcours. Le carcajou lui dit : «Ça suffit. L’indien
du futur va la parcourir au complet. Elle ne sera tout de
même pas assez grande ! »
Il se met en marche. Tout en marchant, il se fait de la corde avec des racines d’arbre (?). Soudain, il entend quelqu’un entonner un chant funèbre. Il est de grande taille. Il va le voir. C’est une grenouille. Il lui demande : « Qui est-ce qui est mort pour que tu chantes ces lamentations funèbres ! » Elle lui répond : « Tu n’as pas encore entendu dire que Meu a harponné à mort les loutres géantes ? Voilà celles que je voudrais sauver aujourd’hui. » Il lui demande : « Quelle récompense auras-tu si tu les sauves ? » Elle lui répond : « On va me donner un habit. » « Ah ! Je comprends, » lui dit-il. Puis il l’assomme avec un bâton, lui enlève sa peau, se rapetisse, et se revêt de la peau de la grenouille. Il prend son instrument de musique, et s’avance en jouant des airs lugubres. Ceux qui sont dans la tente disent : « Elle s’approche en chantant son chant funèbre. Décrochez-lui la robe ! » On décroche la robe. « Elle avait dit : j’irai les sauver ! » Le carcajou entre dans la tente. Puis, il dit : « Je suis en sueur ! Je veux sortir ! » Les loutres géantes sont étendues autour du feu. Il sort et souffle à plusieurs reprises sur elles. Elles s’agitent en dormant. Il s’empare de l’habit qui devait être donné à la grenouille, puis il accroche la peau de la grenouille qu’il avait revêtue. Puis, il s’en va. C’est alors que moururent les loutres géantes. Ils se disent : « Comment ont-elles pu mourir ainsi ? » Quelqu’un répond : « Ce n’est pas la grenouille, c’est Meu qui nous a tuées. Allez chercher la robe ! » Ils vont chercher la robe. Que découvrent-ils ? C’est la peau de la grenouille qui est accrochée ! « C’est bien ce que je vous avais dit. C’est Meu qui a fait cela ! »
Il voit des cordes éparpillées sur un sentier formé par des traces de pas. Il suit ce sentier. Qui découvre-t-il ? Des grands-mères qui font des sacs. Il leur demande : « Que faites-vous là ? » Elles lui répondent : « Nous faisons des sacs. Ceux que Meu a harponnés vont êtes sauvés. On va les conduire à la grève, et on va les jeter à l’eau. Ils reviendront alors à la vie. » Il leur demande encore : « Comment attacherez-vous votre sac ? » Elles répondent : « Nous ne devrons pas le serrer trop fort pour qu’ils puissent en sortir. » Il les assomme alors avec un bâton. Il fait entrer une grenouille dans le sac, tire violemment sur la corde et la grenouille sort du sac. Il en assomme une autre, la fait entrer dans le sac, tire sur la corde avec violence, et la fait ainsi sortir du sac. Puis il s’en va. Arrivent ceux qui devaient transporter les sacs. « Pourquoi est-il si pesant ? Ce sont nos grands-mères qui sont enfermées là. »
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Il se remet en marche, et va un peu partout. Il entend parler au loin. Ce sont des perdreaux. Il dit : « Qui est-ce ? Qui est-ce ? C’est vous qui parlez ? » Ils disent : « Non ». Il leur répond : « C’est bien vous ! » Puis, il leur dit : « Que vous arrive-t-il quand on cherche à vous dévorer ? » Ils répondent : « Nos mères leur réservent des surprises ! » Il ne fait que leur tordre le cou. « Vos mères m’ont réservé une belle surprise ! » Il fait cuire sa viande. Après avoir mangé de la perdrix, il s’en va. Il arrive à la baie d’un lac où poussent des plantes marines. Le lac est profond. Et il y a beaucoup de couleuvres. Il se jette sur le dos et dit : « Que deviendrais-je si on me disait qu’on me donnera une femme ! » Il enlève ses vêtements, se dirige à la course au bord de l’eau et plonge. Il veut plonger mais ne le peut pas. Elles sont si dégoutantes ces couleuvres ! Elles se dirigent déjà vers lui. Il essaie encore de plonger. « C’est pour vrai, cette fois ! » Elles arrivent par en dessous et montent sur son corps. Il est tellement surpris qu’il plonge à l’eau. Il nage quelques secondes puis sort de l’eau. Il regarde s’il y avait encore des couleuvres sur son corps. Il n’en vit aucune. « Elles ne sont pas si méchantes que ça ! » Il s’habille, et repart de nouveau.
Il entend de nouveau parler au loin. Qui donc ? Il part à leur recherche, il les trouve. Mais ce sont des roches pleines de trous. Il leur dit : « C’est vous qui parlez ? » Il ne reçoit aucune réponse. Il leur demande de nouveau : « C’est vous qui parliez ? » Elles lui répondent : « Quel besoin avons-nous de parler ? » Il leur demande : Que faites-vous quand on vous mange ? » Elles lui répondent : « Que pourrions-nous faire sinon péter ? » Il leur dit : « En somme, à celui qui ne sait pas vivre vous donnez des gaz intestinaux ! » Il en prend une partie, et la dévore. Il n’en a pas assez.
Puis, il s’en va.
Après avoir marché un peu, il entend un bruit, puis un
autre. C’est lui-même qui pétait. Il dit : «
Je n’ai personne à qui parler. Je vais lui parler. »
Il continue à péter. Il dit : « Tu en fais du tapage !
Et ça sent mauvais ce que tu fais. Tu me dérangerais si
tu m’accompagnais à la guerre. » Il voit un tronc d’arbre.
Il continue à péter. Il lui dit : « Oui, tu me
dérangerais si tu m’accompagnais à la guerre. Je vais
te réparer tout de suite. » Il fait un feu, et y
met une roche plate. Il chauffe beaucoup. Quand le
poêle est chaud, il s’assit dessus. Son derrière
pleure de douleur.
Il repart ensuite. Après avoir un peu
marché, il dit : « Ça suffit ! » Il continue à
péter. « Comme tantôt, tu en fais du tapage ! »
Qui donc a marché ici ? Ce sont des traces de castor. Il le suit. Il dit : « Un ours vient d’être tué. Il vient tout juste de mourir. Il avait mis le pied sur un serpent. » Il l’attache avec de la corde. Puis, il suit les traces d’un ours. « Je vais chasser un ours. » Il suspend son castor, va chercher du bois de chauffage, et le fait rôtir à la broche. Il dit : « Quand je l’aurai fait rôtir à la broche, je mangerai le castor, puis j’irai à la chasse à l’ours. » Il va dans la forêt. Il dit : « Quelqu’un fait du bruit là-bas. Qui pourrait-ce bien être ? » C’est son castor qu’on venait chercher, celui qu’il avait accroché tantôt. Il entend encore un grand bruit au loin. Il dit : « Quel est celui qui fait tout ce tapage en s’en prenant à mon castor. Il me met en colère. Je vais aller le voir. » Quand il arrive au bord de l’eau, son castor n’est plus là. Il dit à son derrière : « Apporte-le, et tais-toi ! » Il lui répond : « As-tu déjà oublié que tu m’avais assis sur le poêle ? »
Qui donc s’est promené là ? Il dit : « Dors profondément ! Demain, j’irai chasser le castor. Je n’ai pas le temps maintenant. Il fait déjà noir. » Après une bonne nuit de repos, il dit : « Ratons laveurs, allez le chasser ! » Ils vont chasser le castor pendant la nuit. Ils plongent en disant : « Oui, je vais les tuer ». Ils le poursuivent de près, en répétant : « Oui, je vais les tuer. » Puis, on entend : « J’en ai déjà tué un ! » Et ce fut le silence. Les castors débarquent sur une pointe de sable qu’ils traversent pour rejoindre l’eau de l’autre côté. C’est alors que le carcajou se met à leur poursuite. Il en rejoint un, le frappe et l’attache. Il le fait ensuite rôtir à la broche. Il verse le sang du castor dans un ruisseau, en disant : « Mon sang va colorer l’eau. C’est ici que l’indien du futur teindra en rouge son arc, son traîneau, sa pelle et ses habits. » Après avoir mangé de la chair de castor, il dépose sur une colline sa tête de castor. Il dit : « On va appeler tempête (nutness) ma tête de castor. Quand on la montrera du doigt, il ventera très fort. »
Il s’en va de nouveau à l’aventure. En cheminant, il aperçoit des traces de pas. Un étranger a passé par là. Il dit : « Qu’est-ce que ça peut bien être ? » Après avoir marché un peu de temps dans les traces, il voit de la viande sur le sol. Il se dit : « A qui donc appartient cette viande ? Il m’en donnerait certainement à manger si je le rejoignais. » Il mange sa propre nourriture, tout en continuant à le suivre : « Il m’en donnerait à manger si je le rejoignais. » Après l’avoir mangé au complet, il reconnait les tisons de son feu. Il dit alors : « Ce doit être ma propre nourriture que j’ai mangée. » Il attend longtemps celui à qui appartiendrait la viande, mais il ne vient pas. Il dit : « Prenez- garde, je vais en faire cadeau ! »
Les grosses chaleurs de l’été le mettent en sueur. Toutes les baies poussent : les graines rouges, les bleuets, les plaquebières, tous les fruits sauvages. Il avait craché, et toutes les baies avaient poussé. C’est ainsi qu’il avait semé. Après avoir ainsi fait pousser les fruits, il s’en va. Car les baies étaient déjà en très grand nombre. Il monte sur une colline, en venant de l’autre côté de la rivière; là aussi il y a des graines rouges en grande quantité. Il aperçoit tout à coup un ours en train de manger des baies. Il l’épie de loin, puis s’approche de lui en disant : « Si j’avais un arc, je pourrais le tuer. Mais je vais plutôt lui tendre un piège ! » Il lui crie : « Mon petit fils ! » En sortant subitement de sa cachette il lui dit : « Ta mère t’a perdu de vue, petit comme tu es. C’est moi qui te trouve ! » Il lui répond : « Comment aurait-on pu me perdre ? » L’ours n’a pas du tout le sentiment d’être perdu. . Le carcajou reprend : « Mon petit fils, tu t’es égaré, petit comme tu es. C’est moi qui te trouve ! » Il lui répond : « Tu dois avoir raison. On a du me perdre. » Il lui dit encore : « Notre mère fait tout un tapage en vous cherchant. Allons vers elle. Retournons ! » Il monte sur une colline en disant : « Là-bas, de l’autre côté de l’étang, il y a des baies en abondance. » « Où », dit-il. Il lui répond : « De l’autre côté de cet étang. Allons en ramasser ! Allons cueillir des baies ! » Ils se rendent sur les lieux et constatent qu’il y a en effet beaucoup de fruits sauvages. L’ours lui dit : « Tu as une vue perçante. Je ne vois les baies, moi, que quand je suis rendu tout près. » Le carcajou lui dit : « La raison pour laquelle je vois si bien, c’est que je me suis fait suer dans une tente de suerie avant d’aller cueillir des fruits. Voilà pourquoi je vois de loin. Je suis prêt à te rendre ce même service. Et tu auras, toi aussi, une vue perçante. » Il lui répond : « D’accord. »
Il se fait donc une tente de suerie (masteshantsuap). Quand il l’eut terminée, il lui dit : « Allons ! » Il va se servir d’une grosse branche d’arbre pour maintenir la porte fermée. Il avait déjà l’instrument avec lequel il l’assommerait. Il fait à l’intérieur une chaleur insupportable. Il lui dit : « Quand tu seras tout en sueurs, tu mettras la tête à la porte ! » N’en pouvant plus, l’ours mit la tête à la porte. Il lui crève les yeux l’un après l’autre en disant : « Ne bouge pas, même si la douleur est très vive. Ça ne durera que quelques secondes ! » Après lui avoir crevé les yeux, il saisit son bâton, profitant du fait qu’il ne pouvait voir. Puis il l’assomma en disant : « Comment pourrait-il être mon petit fils puisqu’il est si bon à manger ! » Il dit ensuite : « Je vais donc pouvoir manger de l’ours ! » Une rivière coulait par là. Il s’y rend en portant son ours sur son dos. Il dit : « C’est ici que je vais manger de l’ours. J’irai d’abord chercher son bâton. » Il dit : « Apporte-moi ton bâton ! » Elle lui dit : « Pour t’en servir comment ? » Il lui répond : « Je veux me nourrir d’ours. J’en ai tué un et je veux manger de la chair d’ours. A qui pourrais-je en donner ? Je suis seul. » Elle lui répond : « D’accord, emporte le bâton ! »
Il fait cuire son ours, les tripes de l’ours. Il ne lui parlait plus (son derrière). Il lui dit : « Mon grand frère, que se passera-t-il maintenant ? J’ai la nostalgie de la viande d’ours. » Il mit alors sur son derrière de la graisse d’ours. Son derrière lui dit : « Mon grand frère, que va-t-il se passer ? » Il lui répond : « Tu devrais m’appeler : muestesh. J’apporte avec moi les tripes d’ours. Nous marcherons dans la forêt, puis nous nous reposerons. Au réveil, si nous avons faim, nous mangerons de la viande d’ours. » Il traîne partout ses tripes de castor. Après avoir fait un feu, il dit à son derrière : « Surveille attentivement ! On va nous voler notre viande d’ours. » Puis, il s’endormit. Des renards ou des loups apparaissaient déjà au loin. Sans se soucier de la garde que faisait le derrière du carcajou, les étrangers mangèrent la viande d’ours. Ils embarquent sa graisse d’ours, et détachent ses tripes. Ils en prirent autant qu’ils purent en emporter. Ils dirent : « Quand nous aurons pris le large, la sentinelle sonnera l’alarme ! » Ils embarquent. Quand ils ne sont plus à la portée d’une flèche, le derrière crie : « Des étrangers ! » Le carcajou se réveille, et dit : « Ils n’auraient jamais pu faire cela si on avait fait bonne garde ! » Il ne reste plus rien de la chair de l’ours, seulement ses tripes. Les étrangers ont embarqué toute la viande. Il dévore à pleines dents les intestins de l’ours.
En furetant tout autour, il découvre des restes de sa graisse d’ours. Il dit au rat musqué : « Peux-tu transporter sur l’eau ma graisse d’ours ? Je vais te donner à manger » « D’accord », lui répond-il. Il la transporte. Le carcajou dit : « Là-bas ! » Le rat musqué lui répond : « Elle est déjà dure, mon grand-frère ! » Il lui répond : « Comment pourrait-elle être déjà dure ? Va l’apporter là-bas, où il y a des vagues. » Le rat musqué dit : « Je vais en manger. » Il lui répond : « N’y touche pas ! » Il reprend : « Elle est déjà dure ! » « Comment pourrait-elle être dure ? » lui dit-il. Puis, on ne l’entend plus parler. Il s’en va dans une baie, le rat musqué. Il a une tasse dans la gueule. Il dit : « Mon grand-frère, voici ta tasse ! » Le carcajou dit : « Il a du manger toute ma graisse d’ours ! » Il n’y a plus rien dans la tasse. Il lui lance une roche sur la tête quand il rapporte la tasse en lui disant : « Je t’avais dit de ne rien manger ! »
Il s’en va de nouveau, et reprend son vagabondage. Il aperçoit des traces. Il dit : « Qui a bien pu marcher là ? » Il suit ces traces, et que découvre-t-il ? Une grosse roche. Il s’en approche et en fait le tour. Il lui dit : « C’est toi qui as marché ? » Il n’en reçoit d’abord aucune réponse. Il reprend : « C’est toi qui as marché ? Je venais de par là et j’ai suivi tes traces. C’est toi qui as marché, toi qui es assis ici. » La roche lui répond : « Comment pourrais-je marcher ? Tant que la terre durera, je resterai ici. » Le carcajou lui dit : « Comment pourrais-tu rester assis là jusqu’à la fin du monde. Tu viens de quelque part, et tu vas à quelque part. D’où peux-tu bien venir? Comment pourrais-tu rester ici tant que durera la terre ? » Le carcajou lui dit : « Suis-moi, fieffé menteur ! » Elle lui répond : « Comment pourrais-te suivre ? » Il répète : « Suis-moi, sale menteur. Fais un petit effort. Suis-moi, espèce de menteur ! » Elle lui répond : « Comment pourrais-je te suivre ? Tant que durera la terre, je resterai ici. » Il lui dit : « Comment pourrais-tu toujours rester immobile ? Tu viens de quelque part ! Suis-moi, menteur ! »
Mais tout à coup, la roche s’ébranla et partit. Le carcajou lui dit : « Vas-y ! Vas-y ! » Elle se met à dévaler la pente, et prend toujours de plus en plus de vitesse. Même un arbre abattu n’a pas pu l’arrêter. Le carcajou veut lui jouer un tour, il se met à gravir une colline. La roche monte la colline après lui à la même vitesse. Elle vient enfin s’échouer sur ses jambes de derrière. Elle s’écrase là et ne bouge plus. Il ne peut pas s’en dégager. Il lui dit : « Va-t-en ! Tu m’écrases les jambes ! » Elle lui répond : « Comment pourrais-je le faire quand c’est toi-même qui m’a défié de te suivre ! » Il lui dit : « Va-t-en, ou bien je vais appeler mes petits frères les éclairs ! » Il dit aux éclairs : « Je suis écrasé par une roche ! » Elle répond : « Je ne bougerai pas d’un pouce ! » Mais les éclairs ont entendu. La foudre tombe sur la roche sans la casser. Il dit encore à la roche : « Vas-t-en, ou bien je vais appeler d’autres éclairs, mes petits-fils ! » La roche répète : « Je ne bougerai pas de là ! » Il appelle de nouveau : « Mes petits-fils les éclairs, une roche est en train de m’écraser ! » On entend la foudre au loin qui dit : « Pour fendre la roche, il vous faut mettre en pièces la fourrure de notre grand-frère ! » La foudre tombe sur la fourrure du carcajou. Il est tout nu; il n’a plus de vêtement.
Il ramasse sa fourrure réduite en miettes, et va voir la grenouille. « Je vais l’apporter à la grenouille. » Une fois rendue chez elle, il lui dit : « Cous ma fourrure ! » Elle lui répond : « Qu’est-ce qui tu as fait ! Tu t’es bagarré sans doute ! » Il lui dit : « Non, je ne me suis pas bagarré ! » La fourrure est vite recousue. Mais elle est plus longue d’un côté que de l’autre. Il lui dit : « Tu ne sais pas coudre ! Je le vois très bien ! » Il sort et lance dans les marais celle qui ne savait pas coudre comme il faut. « C’est là que tu demeureras ! Au loin, la mauvaise couseuse ! » Puis il se dit : « J’irai voir mon petit fils la musaraigne » Il va la voir et lui dit : « Mon petit fils, cous ma fourrure ! » Elle lui répond : « Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as du te bagarrer pour mettre ta fourrure dans cet état ! » Il lui dit : « Non, je n’ai pas cherché la chicane. » Elle lui recoud sa fourrure et s’en va. Elle était une experte couturière. Il lui dit : « Toi tu connais ton métier ! » Elle lui dit ensuite : « Prends garde où tu mets les pieds ! Regarde où tu marches ! » Il la jeta dans une prairie. « C’est là que tu demeureras, toi qui cous si bien ! »
Il s’en va de nouveau. Là-bas, au-dessus des collines, des outardes volent. Il dit : « Que mes petits-fils sont chanceux de pouvoir voler ! Je ne puis, moi, que marcher ! » Il leur dit alors : « Mes petits frères, atterrissez ! » Ils se dirent entre eux : « Mais, celui qui crie en bas c’est notre grand frère ! » Il leur dit encore : « Atterrissez, atterrissez, mes petits frères ! » Ils atterrirent tous. Il leur dit : « Que vous êtes chanceux, mes petits frères, de pouvoir voler ! Donnez-moi chacun une de vos plumes ! Je pourrai peut-être voler ! » Ils dirent : « Il a peut-être raison. Il pourrait peut-être voler. » Chacun lui donne donc une de ses plumes. Il s’élève dans les airs de quelques pieds. Chacun lui redonne une autre plume. C’est alors qu’il prit son envol. « Voilà ! » dit l’outarde. Il vole et il plane. Une outarde lui dit : « Tu ne voleras pas longtemps avant que tu survoles tes petits fils les indiens. Quand nous y arriverons, tu y seras toi aussi. Nous allons crier. » « Oui », dit-il. Il se met alors à chanter. Il dit : nous planons. Voici ce qu’il répète en chantant : nous planons. Une des outardes dit : « Notre grand frère nous casse les oreilles. Qu’est-ce qu’il turlute là ! » Elle dit : « Passez au-dessus des indiens qui font leurs canots au printemps ! » Ils vont voir de près les Indiens. Il n’arrête pas de chanter. Une outarde lui dit : « Mon grand-frère, ici sont, tout près, les indiens en train de faire leurs canots au printemps. Il faudra leur faire entendre nos cris, comme pour leur dire qu’on vient les voir. » Elles se rapprochent de la terre comme en plongeant. L’une d’entre elles se fait attraper par un aigle. Pendant que les outardes se posent sur l’eau, le carcajou tombe par terre. « Il est tombé là ! » On va le voir. Qui peut-il bien être ? « Ah! Mais c’est Meu ! » Elle fait caca sur lui en disant : « Il ne peut même pas servir de nourriture ! »
(légende racontée par
Pierre Courtois et traduite par René Lapointe au mois de novembre
2014)
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P.S. : Pierre
Courtois disait des géants (les mistapeo) qu'ils se rendaient
jusqu'à la porte de l'église, mais qu'ils n'y entraient pas.
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LE MOT INNU
Pourquoi dites-vous toujours MONTAGNAIS et non
INNU ? Les Montagnais ne veulent-ils pas qu’on les
appelle Innu ?
D’abord parce qu’on a toujours le droit
d’employer des mots de sa langue. Les Anglais ne peuvent
pas nous obliger à dire London au lieu de Londres, ni les italiens
Firenze au lieu de Florence, ni les chinois Baijing au lieu de
Pékin. Ensuite, parce que ce mot est au singulier. Le pluriel
français ne peut pas donner un pluriel à un mot
singulier indien. C’est comme si on disait : des cheval.
C’est ainsi que je le ressens. Les Eskimos ne disent pas les inuk
(mot singulier) mas les inuit (mot pluriel), Enfin, parce que
ce mot n’est pas le nom d’une tribu en particulier, les
Montagnais, puisque les Cris aussi l’emploient, et peut-être
d’autres, avec des différences dialectales. Il désigne
donc les Indiens en général, mais il veut dire surtout ÊTRE
HUMAIN, parce qu’il fut un temps où les Indiens étaient les seuls
êtres humains, au milieu des animaux. Il signifie donc à la
fois Indien en général et être humain. De quel droit
une tribu, ou une nation pourrait-elle se l’approprier ?
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Que veut
dire le mot QUÉBEC ?
Il
y en a qui pensent qu’il veut dire rétrécissement des eaux. Ce
sont les mot indiens, employés par les Hurons ou les
Montagnais qui signifient rétrécissement des eaux.
Par exemple, en montagnais : uépistukuiau.
Ce mot indien
(québec) n’est employé que par les Blancs.
Alors,
comment le mot québec est-il apparu ? Les Indiens, en voyant
les blancs qui voguaient sur l’eau dans des maisons, les ont
accueillis en disant : kebak. Ce qui ne veut
pas dire, bonjour, salut, bienvenue, car, il n’y a pas de mot de
salutation. Ils leur ont dit : «débarquez»!
Comme on nous dit tetapi, quand on va dans une maison
pour manger avec eux. C’est-à-dire : assis-toi.
Comment le
sait-on ? Je l’ai entendu raconter par deux vieux, un de
Pesamit, et un de Nutashquan. Dans le dialecte de Pesamit, il n’y a
pas de problème, car le mot débarquer se dit bien keba (singulier)
kebak (pluriel). Je l’ai entendu une centaine de fois
quand je conduisais la voiture à Pesamit. Mais, le plus
curieux de toute cette affaire, c’est que, dans le dialecte de
Nutashquan, débarque se dit paka, au pluriel pakak. Et le
vieux qui me l’a raconté a dit : les Indiens ont crié pakak,
et les blancs ont appelé ce lieu kebak. Entre pakak et kebak,
il n’y a pas une grande ressemblance. Le mot pakak ne pouvait en
aucune façon servir de preuve. Mais, il savait que les Indiens
avaient crié débarquez ! Son témoignage me parait encore
plus fort, car il croit, pour ainsi dire, les yeux fermés et
les oreilles bouchées.
Mais, les Montagnais étaient-ils
à Québec ? Oui, la preuve, ils ont un mot pour dire québec,
uépistukuiau (rétrécissement des eaux), mais ils n’en ont
pas pour dire Montréal, car ils n’y sont jamais allés. Ils disent
: Mounian. Quand les iroquois ont exterminé la tribu
huronne, les Montagnais ont eu peur d’eux, et se sont dirigés
vers la côte nord. À Hâvre-saint-Pierre, ils ont buté sur
les Esquimaux. Ils leur ont livré la guerre, et les ont repoussés
jusqu’à North west river. Pierre Courtois en a fait le
récit. Il est sur l’internet (dans jesusmarie.com) au mot : les
Eskimos.
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COMMENT
LES MONTAGNAIS SE SONT-ILS CONVERTIS ?
Comment je le sais ? Pas parce que je l’ai lu dans un livre.
Mais, parce que je l’ai entendu raconter par mon
meilleur conteur, Pierre Courtois. Rien n’est plus
simple. Les prêtres se sont montrés plus puissants que
les sorciers. Ce mot aujourd’hui fait sourire quelques-uns,
mais voici ce que racontent les Jésuites dans leurs Relations
: « Ils ont quelques personnes qui font état de parler au
diable. Ce sont eux qui exercent la médecine. Ils guérissent
les malades en soufflant dessus. Les Indiens ont peur d’eux.»
Les sorciers étaient donc des gens qui avaient un pouvoir
satanique. La preuve, ils ont été vaincus par l’eau
bénite et par le signe de la croix. Les missionnaires jésuites
ont donc remporté une victoire sur les sorciers, qui
parlent au diable, en les arrosant avec de l’eau bénite, et
en faisant sur eux le signe de croix. Cela, tous les Indiens
l’ont vu, et ont compris que la religion est plus puissante
que la sorcellerie, Dieu plus puissant que le démon. Cela
explique aussi pourquoi tous les Indiens se sont convertis ensemble.
Ils ont encore aujourd’hui une grande confiance dans l’eau
bénite. Le samedi saint, il faut se servir d’un grand baril,
car ils vont le vider au complet.
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LES
INDIENS ADORAIENT-ILS UN DIEU AVANT LA VENUE DES MISSIONNAIRES ?
La chose parait, a priori, bien difficile, car, là où règnent
les sorciers, il n’y a pas de religion. On lit dans les relations
des jésuites : «Ils n’ont aucun culte divin, ni aucune sorte de
prières.» Ceux qui prendront la peine de lire les
trente légendes que j’ai insérées comme preuves dans le site
jesusmarie.com , vont se rendre compte que la religion n’a pas, là,
sa place, et qu’on est pleine sorcellerie.
Que disent
précisément d’eux les Jésuites des Relations, qui les ont
connus avant leur conversion ? « Toute leur religion n’est autre
que sorcellerie, ou charmes des sorciers, et ils croient aux songes.
Ces sorciers provoquent des spectres et des illusions, faisant
apparaitre des serpents ou d’autres animaux, qui entrent et sortent
de leurs bouches.» - (le mot magicien ka mentushit est formé
avec le mot serpent mentush.) «Quand j’étais encore sorcier, dit
l’un deux, le diable m’est souvent apparu, mais je l’ai quitté,
car j’ai bien compris qu’il était méchant, parce qu’il ne me
commandait que de mauvaises choses.» Et encore : «Comme
il vint à parler des superstitions, des invocations qu’il faisait
des démons, d’un certain pacte tacite qu’ils font avec le
diable, par le moyen d’une pierre magique…» Enfin : « Les
sauvages m’ont souvent dit que, du temps de leurs
pères, et avant la venue des français, le diable les tourmentait
fort, mais qu’il ne le fait plus maintenant.»
Cela, je l’ai
entendu de mes propres oreilles. Car, quand je fus capable de
comprendre ce que les Indiens disaient, je demandai à un
vieux, à qui j’allais donner la communion : qu’est-ce que
tu penses de la religion ? «Elle a du bon et du mauvais,
répondit-il. Le bon : nous sommes délivrés des
méchants , ka matsihit, (mot qui signifie démons) qui nous
faisaient souffrir. Le mauvais : il n’y a plus de
caribous tout près.» (car l’arrivée des skidoos dans
les années 70 les avaient chassés). Le missionnaire n’a jamais
eu à peiner pour persuader les Indiens de l’existence des
démons, car ils les connaissaient.
Il y a un autre fait
qui rend la chose encore moins probable, c’est que, selon les
jésuites des relations, ils n’avaient pas de mot pour dire Dieu.
Le gros bon sens nous dit que quand il n’y a pas de nom, c’est
qu’il n’y a rien à nommer. Cela a été la première
grande déception des premiers missionnaires. Car, ils avaient
l’obligation d’en inventer un. Ils ne pouvaient pas
attendre quinze ou vingt ans, jusqu’au moment où ils
connaitraient bien cette langue. Ils ont donc fait
un choix sans avoir vraiment les moyens de le faire. C’est de là
que viennent les difficultés qui vont suivre.
Autre
chose. En parlant du christianisme, ils ne parlent
jamais de la religion des blancs, mais de Dieu, de
la prière tout court, qu’ils opposent toujours à la sorcellerie.
Voici ce que disait un Indien : « Vous rendez cette enfant très
riche, quand vous lui apprenez à connaître Dieu. Nous aimons
la prière.» Un autre : « Ce nous est un regret bien sensible
de voir nos parents et nos alliés dans un opiniâtre esclavage de
satan, Nous abhorrons leur façon de faire. Nous détestons
leurs superstitions. Ils sont fâchés de ce que nous croyons
en Dieu. Mais la prière nous est plus chère que la vie.»
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ADORAIENT-ILS UN GRAND ESPRIT, CRÉATEUR DU CIEL ET DE LA TERRE ?
Après ce que nous venons de
dire, la question parait un peu superflue, ou saugrenue. Mais, il
faut quand même y répondre, à causes des idées reçues
ou préconçues.
Cela, aucun indien ne l’a jamais dit ou
raconté. On ne le trouve dans aucun récit ou légende. Les
blancs savent une chose que les Indiens ignorent. Les Indiens
ne savent même pas que les blancs pensent qu’ils ont adoré
autrefois un grand esprit. Et ils sont tout surpris quand ils
entendent les blancs parler de grand manitou. Et les blancs qui
disent que les Indiens ont adoré un Grand Esprit, n’ont jamais été
capables d’en donner la moindre preuve orale ou écrite. Ils
ne font que répéter ce qu’ils ont entendu dire.
Ce
serait, d’ailleurs, fort étonnant, car aucun peuple n’a
jamais adoré un grand esprit créateur du ciel et de la terre.
D’autant plus que c’est le polythéisme qui régnait autrefois
sur la terre, mêlée à de la sorcellerie, car ces dieux, au dire de
saint Paul, étaient des démons. Les philosophes grecs
sont arrivés, par le raisonnement, à la connaissance du Dieu
unique, mais ils ne l’ont ni prié ni adoré, comme le leur
reproche saint Paul. Par quels moyens les Indiens seraient-ils
arrivés à cette connaissance transcendante ? En dehors
d’une révélation, je ne le vois pas.
Or, les récits que
nous avons d’eux montreraient plutôt le contraire. Pour
éclairer votre lanterne, je vais donner la parole aux Indiens
eux-mêmes, dans deux textes fondamentaux. Vous serez en
mesure de juger par vous-mêmes.
(lecture de la tente de
suerie, et de Papakassik et Misnak : chercher dans Google , père
rené lapointe omi, spiritualité indienne, et vous trouverez ces
textes).
Ajoutons à cela que ce n’est pas le grand esprit
qui a provoqué le déluge, mais le castor. Et que c’est
le carcajou, et non le grand esprit, qui a replacé la terre
sur l’eau, simplement en soufflant sur une motte de terre,
car ce carcajou, dit-on, était doté de pouvoirs magiques.
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QUE
PENSER DU MOT TSHISH MANITU ?
Partons d’abord de ce qui est connu et certain.
Ce mot manitu n’est employé ni dans la langue courante, ni
dans les récits ni dans les légendes. Il n’existe tout simplement
pas. Or, s’il avait été consacré par la liturgie, comment
aurait-il pu disparaitre, comme s’il n’avait jamais existé ?
J’ai demandé, un jour, à mon meilleur conteur : que veut
dire manitu ? Il a dit : je ne sais pas, je ne comprends pas ce mot.
Le mot manitu est donc un mot que personne n’emploie, et
qu’on ne comprend pas.
Autre fait. Il y a un mot qui
lui ressemble, mantu (ou mantui) qui veut dire sorcier.
On ne l’entend plus guère aujourd’hui, parce qu’il n’y
a plus de sorcier, mais on le lit souvent dans les légendes.
Les enfants se disent encore : matse mantu (sept-iles,
betsiamits), matse mantui (Natashquan, la romaine, saint-Augustin).
Ce qui veut dire méchant sorcier. J’ai entendu cette insulte
anodine des centaines de fois.
Autre fait. Certains
missionnaires s’étaient persuadés qu’il fallait ajouter une
voyelle entre deux consonnes. Exemple. Le Père Pierson, excellent
missionnaire par ailleurs, et bon connaisseur de la langue, avait
cette manie. À la consécration, le prêtre dit : puis il prit le
pain. Ce qui se dit en montagnais : kue utnat pukueshikana. Mais lui
disait : kue utinat pukueshikana. Il transformait une
brève en longue, on il la créait de toute pièce. Ce qui donnait un
nouveau mot. Exemples anglais : it, (article) eat,(manger);
hit,(frapper) heat (chaleur) etc.
La seule explication
raisonnable que je vois à ce puzzle , c’est que les missionnaires
ont ajouté un i, en position de longue, au mot mantu., en pensant
que ce mot-là pouvait s’appliquer à Dieu. C’est ce qui
expliquerait pourquoi les indiens ne comprenaient pas ce mot, qui
était pourtant un mot indien. Mais, à la longue, ils ont fini
par se faire une idée de ce que les missionnaires voulaient
dire par ce mot, qu’ils avaient comme réinventé.
La
même chose s’est peut-être passée dans le mot Manicouagan.
C’est un mot montagnais. Si on prononce ce mot en indien, on
a : ma (longue) ne (brève) kuakant, qui veut dire «quand on lui a
fait une maison» : ne manekuau (je lui fais une maison); manekuanu
(ou lui fait une maison), et manekuakant (quand on lui a fait
une maison). Prononcé à la française, avec un i en position de
longue, le mot devient inintelligible. Car, Mani signifie Marie, la
sainte Vierge, comme dans Maniwaki, ou Maniutenam.
Tshishe
manitu signifierait donc, selon l’explication la plus
vraisemblable, grand sorcier, et non grand esprit. Et c’est à
partir de là que les blancs se sont imaginés que les Indiens
adoraient un grand esprit. OR, DANS CETTE LANGUE, IL N’Y A
PAS DE MOT POUR DIRE ESPRIT !!! On ne peut pas dire l’esprit de la
forêt ou de la rivière. Ça ne se dit pas. Le mot le plus proche
est tsipai, qui veut dire fantôme. Tout comme en anglais.
Car j’ai entendu, un jour, Monseigneur Sutton, crier, en
anglais, dans une homélie : « Je ne veux plus entendre holy
ghost, (saint fantôme), mais Holy Spirit (mot tiré du latin
spiritus) » La langue anglaise n’avait donc pas, par
elle-même, produit de mot pour dire esprit.
Il y a un autre
mot dont je vais vous parler tout de suite.
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AVAIENT-ILS
UNE CERTAINE NOTION D’UNE ÂME, D’UNE SURVIVANCE APRÈS LA MORT ?
Oui, comme les Grecs et les Romains. Ce qui survit
dans l’être humain, c’est ce qui n’est pas matériel en eux,
l’ombre. C’est le mot que, comme les grecs et les romains,
ils emploient pour désigner ce que nous appelons âme :
atsakush (ombre).
Quand un missionnaire disait à un Indien
qu’il avait une âme immortelle, l’Indien lui répondit, en
lui montrant son ombre : «Tu la vois. Elle est là.»
(relations des jésuites).
L’ombre est la seule chose que
l’on voit de nos yeux, et qui n’est pas matérielle. Les anciens
ont réfléchi longtemps sur cette réalité mystérieuse, qui
existe, mais qui n’est pas matérielle.
On la voit,
mais on ne peut pas la prendre dans ses mains. Elle n’a pas
de corps, mais elle bouge, et elle est capable de se déplacer.
On peut lui donner un coup de poignard, mais il ne sortira pas
de sang, et on ne lui causera pas de plaies. On ne peut donc
pas la blesser. On peut lui donner un coup de massue, mais on
ne l’aplatira pas. Bien ridicule celui qui voudrait en finir
avec l’ombre en lui déchargeant un coup de fusil. Elle
est donc indestructible.
Si on lui parle, elle ne répond
pas. Elle a une existence diminuée, mais réelle. Elle nous
accompagne toujours quand on marche, et ne laisse pas de traces.
Elle n’a pas d’autre forme que celle du corps. Et n’existe que
là où un corps existe. Elle est donc comme un
double de nous-mêmes, comme un autre moi.
Elle ne se fatigue
jamais, n’a pas besoin de manger, de boire ou de dormir. Elle est
donc immortelle. Si elle ne peut pas être détruite, si
elle ne peut pas mourir, c’est donc cette partie de
nous-mêmes qui nous survit après la mort.
Voilà
ce qu’ont pensé les anciens, et voilà quelle est la première
idée que les êtres humains se sont faits d’un être spirituel.
Les indiens avaient donc aussi cet autre mot pour signifier un
esprit qu’on appelle l’âme : atsakush qui veut dire ombre.
Et c’est ce mot que les missionnaires emploient dans leurs homélies
pour désigner l’âme.
Donc, tsipai (fantôme) ou
atsakush, (ombre), mais non manitu.
Et si les Montagnais
ne peuvent pas dire : l’esprit de la rivière, ou l’esprit
de la forêt, n’est-ce pas parce que la rivière et la forêt
n’ont ni ombre, ni fantôme ? Tout se tient.
Nous avons une
légende qui raconte comment un Indien a remis ensemble le corps et
l’ombre de sa femme après qu’elle ait été amenée au fond de
l’eau par un wawaron.
Nous en avons une autre qui raconte
comment un indien, après un très long voyage maritime, a débouché
sur la terre où vont habiter les fantômes (tsipaiat) indiens
après leur mort.
Avant sa conversion au christianisme, un
Indien disait à un missionnaire jésuite, en montrant le lieu où se
couche le soleil : «C’est là que sont allés mes ancêtres,
et c’est là que je veux m’en aller, moi aussi. »
(relations des Jésuites).
Les ancêtres, c’est ce qu’il y
avait de plus précieux pour les Indiens. J’ai entendu dire à un
vieux que quand il tonnait, c’était les tsipaiat qui dansaient.
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mise à jour 18
décembre 2023,
2h15