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SAINT ROBERT BELLARMIN

SIXIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE

L’ÉGLISE QUI EST DANS LE PURGATOIRE

Expliquée en deux livres
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PREFACE

LIVRE PREMIER

CHAPITRE 1 : le nom de purgatoire

CHAPITRE 2 : les erreurs sur le purgatoire

CHAPITRE 3 : on prouve que le purgatoire existe par les écrits de l’AncienTestament

CHAPITRE 4-8 : on prouve aussi qu’il existe par les écrits duNouveauTestament

CHAPITRE 9 : on le prouve par les témoignages des conciles

CHAPITRE 10 :  par le témoignage des pères grecs et latins

CHAPITRE 11 :  on prouve la même chose par la seule raison

CHAPITRE 12 :on réfute les objections tirées des Écritures

CHAPITRE 13 : on réfute les objections tirées des pères

CHAPITRE 14 : on réfute les objections tirées de la raison

CHAPITRE 15 : la confession du purgatoire fait partie de la foi catholique

                                                LIVRE SECOND

                           DES CIRCONSTANCES DU PURGATOIRE

CHAPITRE 1 : les personnes à qui convient le purgatoire

CHAPITRE 2 : dans le purgatoire, les âmes ne peuvent ni mériter ni pécher

CHAPITRE 3 : on répond aux objections

CHAPITRE 4 : les âmes du purgatoire sont certaines de leur salut éternel

CHAPITRE 5 : on répond aux objections

CHAPITRE 6 :  le lieu du purgatoire

CHAPITRE 7 : y a-t-il, pour les âmes justes, après la mort, un autre lieu que le ciel et le purgatoire ?

CHAPITRE 8 : les âmes des défunts peuvent-elleshabiter des lieux qui les retiennent ?

CHAPITRE 9 : le temps que dure le purgatoire

CHAPITRE 10 : quelle est la peine du purgatoire ?

CHAPITRE 11 : le feu du purgatoire est corporel

CHAPITRE 12 : on ne peut pas savoir comment un feu corporel peut brûler une âme

CHAPITRE 13 : les âmes du purgatoire sont-elles torturées par les démons ?

CHAPITRE 14 : la gravité des peines

CHAPITRE 15 : les suffrages de l’église sont profitables aux défunts

CHAPITRE 16 : combien y a-t-il de genres de suffrages ?

CHAPITRE 17 : qui peut aider les âmes ?

CHAPITRE 18 : à qui profitent les suffrages ?

CHAPITRE 19 : la sépulture

                                                       PRÉFACE

Nous avons disserté, jusqu’à présent, de cette partie de l’Église qui se trouve sur la terre. Nous devons maintenant disputer de celle qui se trouve sous la terre.Nous disputerons ensuite de celle qui demeure dans les cieux. Et comme les fidèles défunts, non encore béatifiés, sont corps et âme sous terre, en différents endroits, nous parlerons d’abord du lieu des âmes; ensuite du lieu des corps, c’est-à-dire de la sépulture.

Mais, avant de parvenir à ces questions, il faut faire trois observations préliminaires. La première : qu’entendons-nous par le mot purgatoire ?  La deuxième : quelles erreurs ont été faites sur le purgatoire ?  La troisième : dans quel ordre devra se dérouler cette &dispute.

Ont écrit sur le purgatoire

Jean Roffensis [Joannes Roffensis] contre les articles de Luther,

Jean Eck [Joannes Eckius], livre IV sur le purgatoire,

Jean Bunderius  [Joannes Bunderius] dans son résumé, titre 18,

Jean Garetius [Joannes Garetius], livre sur la prière pour les défunts,

Jacob Latomus [Jacobus Latomus], explication du sixième article des Louvains,

Jodocus Clicthovaeus [=latin], dans son livre sur le purgatoire,

Bernard Lutzenburg [Bernardus Lutzenburg], un livre unique sur le purgatoire,

Alphonse de Castro, sur le mot purgatoire,

Martin Paresius Ajala [Martinus Peresius Ajala de traditionibus], sur les traditions,

Claude Coussord [Claudius Coussord] contre les Waldenses,

Cajetan, tome 1, traité 23 et 24,

François Orantius, livre 5 sur les lieux catholiques,

[Hugo Etherianus],  du retour des âmes de l’enfer,

[Catharinus], livre sur la vérité du purgatoire.

CONTROVERSE (p.53 pdf latin)

DE L’ÉGLISE SOUFFRANTE

LIVRE PREMIER

LE PURGATOIRE

CHAPITRE 1 : Le mot “Purgatoire”

On trouve trois choses dans les Écritures auxquelles on attribue la purgation des péchés, et qui pourraient être appelées purgatoires.

1)La première.  Le Christ lui-même,  de qui saint Paul dit (Hébreux 1, 3) : « faisant la purification des péchés. » Et saint Jean-Baptiste (dans Jean 1, 29) : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Mais, ce n’est pas de cela dont nous parlons, car nous n’avons pas coutume d’appeler le Christ purgatoire, et il est &hors de controverse qu’il soit le &purgeur des péchés.

2) En second lieu, les tribulations de cette vie, dont parle en toute clarté Malachie (3, 2-3) : « 2Qui pourra soutenir le jour de son avènement, et qui pourra soutenir sa vue ? Car il sera comme le feu qui fait fondre les métaux, et comme la lessive des blanchisseurs l’herbe des foulons.3Il s’assoira comme celui qui fond et qui épure l’argent ; il purifiera les fils de Lévi, et il les rendra purs comme l’or et comme l’argent, et ils offriront des sacrifices au Seigneur dans la justice. » Car, comme l’explique correctement saint Jérôme, il s’agit ici de la tribulation qui précèdera le jour du jugement, pour purger les péchés des fidèles. Et Jésus (Jean 15, 2) : « Tout sarment qui ne porte pas en moi de fruit, il l’enlèvera, et tous ceux qui portent du fruit, il les purifiera pour qu’ils en portent davantage. » Ce n’est pas de ce purgatoire que nous parlons, puisqu’il est hors de toute controverse, et puisque toutes les tribulations de cette vie ne sont pas toujours des purgatoires. Car, beaucoup de justes connaissent de grandes afflictions non pour les purifier, mais pour les former à la vertu, et les éprouver, selon ce que dit l’Ecclésiastique 27, 6 : « La fournaise éprouve les vases, et la tentation les hommes justes. » Beaucoup d’injustes sont aussi affligés non dans le but de les purifier, mais pour commencer les peines de leur damnation.

3) On appelle,en troisième lieu, purgatoire le lieu où, comme dans une prison, sont retenues les âmes, après cette vie, pour y être &purgées, afin que, une fois purifiées de la moindre tache, elles puissent entrer dans le ciel, là où n’entre rien de &pollué. Et c’est là-dessus que porte la &discussion controverse.

CHAPITRE  2 : Les erreurs sur le purgatoire

Nombreuses sont les erreurs sur le purgatoire, et plusieurs se contredisent les unes les autres. La première est de ceux qui ont écrit contre le purgatoire, comme Aerius, qui, au témoignage d’Épiphane (hérésie 75) et de saint Augustin (hérésie 53), a enseigné qu’il ne fallait pas prier pour les défunts.  Car, il s’ensuit  ou qu’ils n’ont pas besoin de prières, ou qu’ils ne peuvent pas être aidés, l’un et l’autre répugnant au purgatoire, du moins à celui que prêche l’Église. Les Waldenses ont publiquement nié le purgatoire, comme Guido Carmelita le rapporte (dans sa somme sur les hérétiques), et saint Antonin  (IV. part. tit. 11 [ou “tit. II”] chap. 7, §. 2 de sa somme théologique). Les apostoliques enseignèrent la même chose, selon saint Bernard (sermon 66 sur les cantiques), et les Waldenses sont peut-être des fils des apostoliques, car ils partagent les erreurs qu’on leur attribue, et les époques ne sont pas fort éloignées. En effet, la secte des Waldenses est née environ en 1160, selon la chronique de Trithemius, vers 1170, selon Guidon (dans sa somme, chapitre 1) et Reynerius, qui vécut avant les années 300. Voir son témoignage à la fin du livre de Claude  Caussordius, contre les Waldenses.   Les apostoliques sont un peu plus anciens, car ils sont apparus au temps de saint Bernard, qui mourut en 1153. Et les Waldenses ont voulu être appelés apostoliques, parce qu’ils imitaient la pauvreté des apôtres. (On peut le voir cela dans leur histoire racontée par Emilius, livre 6, par les gestes des Francs, et par l’abbé Uspergenses, dans la chronique de l’année 1212)

Enseignèrent aussi la même chose que les Waldenses, à la même époque, Henri et Pierre Bruis, contre lesquels a écrit saint Bernard (épitre 240) et Pierre de Cluny, dans son épître à tous les évêques. Les albigeois ont ensuite enseigné la même chose, eux qui n’enlevaient pas seulement le purgatoire, mais l’enfer, au témoignage de saint Antonin (4, part. tit. XI, chap 7, §. 5).  Bernard de Luxembourg attribue le même enseignement aux Wiclefistes et aux Hussites, mais peut-être faussement, car le concile de Constance ne leur reproche rien de tel, ni non plus Thomas Waldensis. Énée Sylvius qui, parmi les erreurs des Hussites, énumère celle-là aussi  (dans son origine des Bohémiens, chapitre 35), semble confondre les Hussites avec les Waldenses.

La même chose est attribuée aux Arméniens et aux Grecs, par Guidon le carmélite (dans sa somme des hérétiques).  Et bien que les Grecs aient affirmé au concile de Ferrare (session 1)  qu’ils ne niaient pas le purgatoire, mais le feu seulement, et qu’ils estimaient qu’il était rempli de ténèbres et plein de souffrances, il est quand même crédible qu’ils soient au moins suspects de cette hérésie. Car, saint Thomas, dans son opuscule contre les Grecs, réfute aussi cette erreur, et prouve que le purgatoire existe.   Et cette erreur a été condamnée dans la session ultime du concile de Florence, un concile qui n’a condamné que les erreurs des Grecs, ou dont on suspectait les Grecs.

Ensuite, Luther et tous ses successeurs, même répartis en différentes sectes, se sont cependant mis d’accord sur le rejet du purgatoire, bien que Luther ait souvent  varié là-dessus.   Car, au début, il admettait le purgatoire de la discipline catholique.  Car, dans sa dispute de Lipsique [disputatione Lipsiaca] , qui nous a été conservée,  il dit : « Moi qui crois fortement, j’oserais même dire, qui crois plus que les autres,  je sais que le purgatoire existe, et il m’est facile de persuader que l’Écriture en fait mention. »

Il continua ensuite à admettre le purgatoire mais en y mêlant beaucoup d’erreurs. Sa première erreur.  On ne peut pas prouver le purgatoire dans l’Écriture Sainte. La seconde. Les âmes du purgatoire ne sont pas sures d’être sauvées. La troisième.  Les âmes du purgatoire peuvent mériter et démériter. La quatrième.  Les âmes du purgatoire pèchent constamment, en ayant horreur des peines, et en recherchant le repos.  La cinquième. Les âmes qui sont libérées par les suffrages de l’Église sont moins heureuses que si elles avaient satisfait par elles-mêmes. Ces cinq erreurs font partie des articles condamnés par le pape Léon X.

À la fin, il rejeta complètement le purgatoire et les suffrages pour les défunts, et déclara qu’il n’y avait pas de purgatoire après cette vie, mais seulement pendant la vie, et au moment de la mort. Car, selon Luther, s’il reste encore quelque chose à purger, l’horreur que cause la mort,  et la peine de la mort le purgent. C’est ce qu’il a enseigné dans son livre sur l’abrogation de la messe privée. Il déclare là qu’il vaut mieux nier complètement le purgatoire plutôt que croire  aux apparitions d’âmes que raconte saint Grégoire le Grand, et aux suffrages pour les défunts.  Et dans son livre sur les Waldenses, sur l’eucharistie,  il dit : « Quand vous niez le purgatoire, les messes pour les défunts, les veilles, les monastères,  et tout ce qui a été mis sur pied par cette imposture,  je le prouve moi aussi par toutes sortes de choses. »

C’est cette dernière position de Luther que suivent tous les hérétiques de notre temps.  Les luthériens rigides comme les centuriateurs, (centurie 1, livre 2, chapitre 4, colonne 470, et la centurie 4, chapitre 4, colonne 304), les luthériens mous comme Philippe (cf. ibid., chapitre de la satisfaction) et Brentius (dans les confessions de Wirtemberg, chapitre du purgatoire.   Les Zwingliens enseignent la même chose, d’après Cochlaeus [Cochlaem] (dans ses actes de Luther), année 1526.   La même chose Bernardin Ochinus (dans son dialogue sur le purgatoire), Jean Calvin (livre 3, Institutions chapitre 5, §.6).  Il dit là que « le purgatoire est une conception satanique, qu’il évacue la croix du Christ, qu’il impute  à la miséricorde de Dieu un mépris insupportable, qu’il pervertit et renverse  notre foi. »

Pierre le martyr [in c. III. I. ad Corinth. duo dicit.] (dans son commentaire sur 3 aux Corinthiens deux dit : « Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas un purgatoire, ce n’est sûrement pas un  dogme de foi.  Il dit ensuite qu’il n’est pas probable qu’un purgatoire existe.  Ensuite, les anabaptistes trinitaires (livre 2, chapitre 1, dans les livres qu’ils ont édités récemment,  en 1567), affirment que Luther a posé le fondement de la réforme de l’Église quand il a rejeté le purgatoire, les messes, et autres choses semblables.  Le fondement  de tous les luthériens  est d’avoir enlevé la satisfaction, et la distinction entre le péché mortel et le péché véniel.   Une fois posé ce fondement, il s’ensuit nécessairement qu’il n’y  a pas de purgatoire.

Il ne manque pas non plus de théologiens qui soutinrent le purgatoire au point de ne reconnaitre, après cette vie, que des peines purgatives.  C’est ce que pensa Origène, qui, à tous les impies et aux démons, promet, à la fin, le salut, comme le rapporte Épiphane, dans sa lettre à Jean de Jérusalem,  et saint Augustin ( au livre 21, chapitre 17, de la cité de Dieu).  Il ajoute là l’opinion d’autres auteurs qui ne reconnaissaient, pour tous les hommes, que des peines purgatives.  Et dans le même livre (épître 21, chapitre 13), il dit que les platoniciens furent de la même opinion, et il le prouve par ces vers de Virgile, VI Eneïde : « Et quand, à la fin, la vie cesse avec la lumière, le mal ne te quitte pas au complet, et toutes les pestes corporelles ne sortent pas immédiatement.  On reste longtemps attaché de plusieurs façons aux choses concrètes.   Ils sont donc exercés par des peines, et ils expient les anciens maux par des supplices. »

Nous lisons cela dans les œuvres de Platon, car dans le Phédon et le Gorgias, il décrit trois genres d’hommes qui sont appelés en jugement après la mort.  Le premier.  Ceux qui ont vécu avec piété et justice, et ceux-là sont transférés immédiatement dans les îles des bienheureux. L’autre. Ceux qui ont commis des péchés curables. Ils ont des peines à subir pendant quelque temps, jusqu’à ce que leurs fautes soient guéries. Le troisième.  Ceux qui ont commis des péchés irrémissibles, et ceux-là sont rejetés pour être punis pendant l’éternité, leur supplice ne servant pas à eux, mais aux autres, en leur donnant un exemple.  Virgile n’a sûrement pas ignoré cet enseignement quand il écrit dans l’Énéïde : « Il est assis, et il demeurera éternellement assis le malheureux Thésée.  Et le misérable Phlegias les avertit tous et atteste d’une forte voix parmi les ombres : apprenez la justice par cet avertissement, et ne méprisez pas les dieux. »  Mais que cela suffise.

Toute la dispute est répartie en dix chapitres.Nous montrerons d’abord qu’il y a un purgatoire.  Qu’il  faut le tenir de foi. À quelles personnes il convient, à tous les justes et à tous les pécheurs, ou seulement à quelques-uns.  De l’état de ceux qui sont dans le purgatoire : sont-ils, oui ou non, surs de leur salut ?  Peuvent-ils mériter ou démériter ?  Le lieu du purgatoire. Sa durée.  Sa peine : quelle est-elle, et à qui est-elle infligée ?  Du remède de la peine.  De la sépulture des corps.

                                                     CHAPITRE 3

Preuves de l’existence du purgatoire tirées des textes de l’Ancien Testament.

Le premier passage est celui du 2ème livres des Machabées, chapitre 12, v.42 et s. Après avoir raconté que Judas avait envoyé à Jérusalem 12000 drachmes d’argent à être dépensés en sacrifices pour les morts,  l’auteur ajoute : « C’est donc une pensée sainte et salutaire   de prier pour les morts, pour qu’ils soient purifiés de leurs péchés. » On peut conclure de ce texte d’abord, que les morts, après cette vie, peuvent être purgés de leurs péchés, et qu’il y a donc un purgatoire.  Ensuite,  que les sacrifices et les prières des vivants sont profitables aux défunts.   Troisièmement,  que tous les reliquats du péché ne sont pas expiés par la mort, comme l’enseigne Luther.  Car, ceux pour lesquels Judas demande de prier étaient morts de mort violente, et pour la religion.  Mais il croyait qu’ils n’étaient pas encore complètement &purgés.  Quatrièmement.  Un homme peut mourir pieusement et saintement, et avoir quand même quelque dette à payer, ou pour des péchés véniels non remis pendant la vie, ou pour une satisfaction non complète de péchés mortels pardonnés. Car, l’Écriture dit que ceux pour lesquels Judas a demandé de prier s’étaient endormis pieusement.  Cinquièmement.  Et cela, est de foi.

Les adversaires ont coutume de nous répondre :

1) que ce livre n’est pas canonique, car, à la fin, l’auteur demande de lui pardonner s’il a erré en quelque chose. « Donc, dit Brentius,  nous devons lui pardonner d’avoir erré en louant les suffrages pour les morts. »

2) Ensuite, parce que cette partie ne peut pas être canonique (« pensant saintement et pieusement à la résurrection, car s’ils n’avaient pas pensé que ceux qui tombaient ressusciteraient,  il aurait paru superflu et vain de prier pour les morts ») puisqu’elle contient l’erreur de ceux qui pensent que les âmes meurent et ressuscitent avec le corps.  Car, autrement, il ne serait pas superflu de prier pour les morts, même s’ils ne ressuscitaient pas. » Ochinus ajoute que cette petite partie du texte sert  à réfuter le purgatoire plutôt qu’à le prouver.  Car, s’il y avait un purgatoire,  il ne serait pas vain de prier pour les morts même s’il n’y avait pas de résurrection, car cette prière servirait à les libérer des peines du purgatoire.

3) Troisièmement, parce que cette conclusion : « sainte donc et salutaire est cette pensée… » ne semble pas convenir historiquement.  Elle n’a peut-être été qu’une annotation marginale, violemment introduite dans le texte.

Quatrièmement, parce qu’il n’est fait aucune mention du purgatoire dans ce texte, mais seulement de la résurrection.  Car, on dit que Judas a commandé de prier pour les morts parce qu’il pensait saintement et pieusement à la résurrection.

Cinquièmement.  Parce que Judas a commandé d’offrir des prières et des sacrifices pour ceux qu’on savait être morts  en état de péché mortel.  Car, au même endroit, on nous raconte qu’on a trouvé, sous les tuniques de tous ceux qui ont été tués, des choses offertes aux idoles qu’ils avaient usurpées  contre la prohibition expresse du Deutéronome 7 : « On trouva, sous les tuniques des défunts, des dons faits aux idoles qui étaient à Jamniam,  ce que la loi interdit aux Juifs. »  Il est donc manifeste que, à cause de cette faute,  tous étaient tombés.   Donc, ou ce fut par superstition que Judas a fait cela, ou il n’a pas prié pour leurs âmes, mais seulement pour se consoler eux-mêmes.

Sixièmement.  Du fait qu’on a prié et qu’on a fait des sacrifices pour eux, on ne peut pas conclure qu’il y a un purgatoire, car ceux pour qui on priait pouvaient tout aussi bien être enfer.  Et ils ont pu prier et sacrifier pour montrer leur estime et leur intention de se souvenir d’eux, ainsi que pour se consoler.

Septièmement.   Ce texte de l’Écriture ne présente ni une loi ni in décret, mais seulement l’exemple d’un seul homme que nous ne sommes pas tenus d’imiter, comme nous ne pouvons pas imiter tous les exemples donnés par l’Écriture.  Ne nous contredit pas le fait que soit loué l’exemple de Judas, car, dans le même livre (2 Macc 14), on a loué aussi l’exemple de Razia qui s’est tué.

1) Je réponds à la première objection que les livres des Maccabées ne sont pas canoniques chez les Juifs, mais qu’ils le sont chez les chrétiens. L’église universelle, en effet, lit ces livres à la messe,  et les lisait autrefois, comme il appert de la lettre de Pierre de Cluny contre les petrobrusiens.   Et  il avait pourtant été décrété par le concile 3 de Carthage (chapitre 47) qu’aucun livre ne soit lu dans l’église sous le nom de livres divins à moins d’être canonique.  De plus, Innocent I l’énumère parmi les livres, en citant le concile de Carthage 3, (canon 47, ex pontificibus), dans son épitre à Exuperium, (chapitre ultime ex Patribus).   Saint Augustin  (livre 18, chapitre 36, la cité de Dieu), dit : « C’est l’Église qui considère les livres des Maccabées comme canoniques, ce ne sont pas les Juifs. »

Ces témoignages nous permettent de considérer  comme un  mensonge impudent ce qu’Ochinus dit du purgatoire dans son dialogue : « Que ce soient des apocryphes les synodes de Laodicée et de Carthage le manifestent.  Je dirais même plus. Ils n’ont été mentionnés pas aucun des saints docteurs qui tinrent les catalogues des saints livres. »  Pour connaitre facilement son mensonge, qu’on lise le troisième concile de Carthage qu’évoque Ochinus, saint Innocent, au lieu cité,  saint Augustin (au livre 2 de la doctrine chrétienne, chapitre 8), Gélase, dans son décret sur les livres canoniques, promulgué dans un concile de 70 évêques,   saint Isidore (livre 6 des étymologies, chapitre 1), et les autres pères cités par nous  dans  le livre 1 sur la parole de Dieu, chapitre 15.

Pierre le martyr répond (dans chapitre 3, 1 Corinthiens)  que ce livre a été reçu par l’Église et saint Augustin non dans le canon des livres qui servent à confirmer les dogmes, mais de ceux qui sont utilités pour l’édification morale.  Et il le prouve ainsi.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 23, contre l’épitre de Gaudence), dit que ce livre n’a pas une autorité égale  à celle que possèdent les livres sur la loi, les prophètes et les psaumes, mais qu’il est quand même utile si on le lit sobrement.  C’était aussi ce qu’affirmait saint Cyprien :  ces livres ne valent pas pour prouver des dogmes.

Mais c’est avec perfidie que se comporte Pierre le martyr, car saint Augustin était tellement persuadé que ces livres valaient pour confirmer des dogmes que (au livre 1, chapitre 1, sur les soins à donner aux morts),  c’est à ce livre qu’il demande un argument pour prouver qu’il faut prier pour les morts, ce qu’il considère comme un dogme de foi.  Le même Augustin enseigne la même chose quand (dans son livre sur les hérésies, chapitre 53) il place Aerium parmi les hérétiques, parce qu’il niait les prières pour les défunts. Et (dans  le livre 2, chapitre 23 contre Gaudence) il ne dit pas que, dans l’Église, ces livres ne sont pas semblables aux livres sur la loi, les prophètes et les psaumes, mais chez les Juifs : « Et cette Écriture qu’on appelle les Maccabées, les Juifs ne la considèrent pas comme ils considèrent la loi, les prophètes et les psaumes.  Mais, elle est reçue par l’Église non sans utilité, si on la lit ou on l’écoute sobrement. »   Ce texte fait apparaître l’insigne fourberie du martyr.  Du fait que saint Augustin dit qu’on doit les lire ces livres sobrement, il ne faut pas en conclure qu’ils contiennent des erreurs.  C’était surtout à cause des exemples donnés par ceux qui se tuèrent, qui sont racontés dans ce livre, mais qui ne doivent pas être imités.  Le Genèse elle-même, il faut la lire sobrement, pour ne pas penser qu’on puisse imiter l’exemple donné par le patriarche Judas  quand il perpétra un inceste.

Pierre le martyr a du être induit en erreur en prenant Ruffin pour Cyprien.  Car, cette explication du symbole est de Ruffin, non de Cyprien.   C’est la préface qui nous l’indique, car son auteur nous dit qu’il est originaire d’Aquila,  qu’il a été baptisé et éduqué à Aquila.   Et, au même endroit, il parle de l’hérétique Photin, qui vécut cent ans après Cyprien.  Et là où il énumères les livres sacrés,  il parle de Donat, de Manès, d’Arius, d’Eunomius , et d’autres hérétiques qui ont vécu bien après saint Cyprien.  Il ne faut pas s’étonner que Ruffin pensât que ces livres n’étaient pas canoniques, car, pendant un certain temps, ils firent partie de ces livres sur lesquels  on eut quelque doute, et qui, par après, ont été reçus par l’église universelle   comme canoniques.  À la preuve, je réponds que l’auteur ne demande pas de pardon pour des erreurs, mais pour son élocution, comme saint Paul s’excuse de son manque d’éloquence.

Au deuxième argument, je réponds.  La sentence de ce livre semble inepte  parce qu’on n’observe pas que, chez les Juifs,  on ait l’habitude  de traiter en une seule question  la résurrection et l’immortalité de l’âme, si vraiment c’étaient deux choses distinctes. Car, chez les Juifs, ceux qui en niaient une niaient aussi l’autre, comme les Sadducéens; et ceux qui en professaient une, professaient aussi l’autre, comme les Pharisiens (Actes 22).  Et non sans raison,  car, comme l’âme raisonnable est vraiment la forme du corps, et donc une vraie partie de l’homme, il n’est pas vraisemblable que Dieu ait voulu que l’homme vive perpétuellement sans son corps. Voilà pourquoi le Seigneur (Matt 12, 32), voulant prouver la résurrection aux Sadducéens, cite ce texte de l’Écriture : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ».  Et  il ajoute : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »  C’est de ce texte qu’il a conclu que les morts ressusciteraient.

Cet argument ne permet pas de conclure à moins de présupposer que la résurrection des corps et l’immortalité de l’âme soient vues comme une seule et même question. Car, on pourrait autrement, nier la conclusion. Car Dieu sera le Dieu des vivants même si les morts ne ressuscitent pas, puisque les âmes continuent à vivre.   C’est pour une raison semblable que saint Paul a dit aux Corinthiens (1 Corinthiens, 15, 32) : « En quoi cela me profite-t-il si les morts ne ressuscitent pas ?  Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». À moins qu’il ne présuppose que les âmes sont mortelles si les corps ne ressuscitent pas,  il ne peut rien conclure.  Car, si l’âme est immortelle, même si les corps ne ressuscitent pas,  il est très profitable de jeûner et de bien vivre, puisque ces choses serviront à acquérir la gloire de l’âme.   L’Écriture, dans les Maccabées, parle donc de la même manière que saint Paul, et présuppose la même chose.  Elle veut dire ceci : si les morts ne ressuscitent pas, il s’ensuit que les âmes sont mortelles, et qu’il est donc superflu et vain de prier pour les morts, à moins qu’on espère une résurrection.

Au troisième argument je dis que dans le texte grec, il n’y a pas de particule.  Voici ce que nous y lisons (traduction en latin) : « Ensuite, considérant que pour ceux qui se sont endormis pieusement est promise une excellente grâce, ce fut donc une pensée sainte et pieuse de faire une expiation pour les morts,  pour qu’ils soient purifiés de leurs péchés. »  Mais le sens est tout à fait le même.   Et on peut rejeter la version latine sans rejeter la grecque.  Ce n’est pas une chose inhabituelle  aux historiens  de cueillir parmi  les actions humaines  ce qui mérite d’être imité, et qui favorise les bonnes mœurs.

Au quatrième, je dis qu’il n’était pas nécessaire de faire une mention expresse du purgatoire, quand on peut facilement en déduire l’existence d’après ce qui est raconté.  Et quand on dit que Judas a prié pour les morts en pensant saintement et religieusement à la résurrection,  on ne veut pas nous faire entendre que Judas a prié pour qu’ils ressuscitent.  Le sens est plutôt le suivant : quand il pensait religieusement à la résurrection future, et qu’en conséquence, les âmes étaient immortelles,  et craignant que les âmes de ses soldats, à cause d’un certain péché, ne soient punies dans l’autre siècle, il a ordonné à ses soldats de prier pour eux et d’offrir des sacrifices à leurs intentions, pour qu’ils soient purifiés de leurs péchés, comme il est clairement dit à la fin du paragraphe.

Au cinquième,  je dis que ou leur péché a été véniel, parce qu’ils ignoraient la prohibition de la loi, et que ce n’est pas pour honorer les idoles qu’ils acceptèrent leurs offrandes, mais seulement par cupidité; ou il a été mortel, et, à l’heure de leur mort, les soldats se sont repentis de leur péché, lequel leur fut remis relativement à la faute, selon le psaume 77, 34 : « Quand tu les tuais, ils te cherchaient, et ils retournaient à toi. »  Ou, du moins, c’est ce que Judas a pensé.  Autrement, l’Écriture ne dirait pas  qu’il avait estimé que ceux qui s’étaient endormis pieusement, avaient une grâce qui leur était réservée.  Ajoutons, à la fin, que leur état était au moins incertain, et qu’il état permis de prier pour eux, même s’ils étaient damnés.

Au sixième,  je dis que nous ne raisonnons pas ainsi : ils prieront pour eux, ils sont donc dans le purgatoire.  Mais, ils prieront pour des défunts, ils estimeront donc qu’il puisse se faire qu’ils soient dans le purgatoire.  Ou bien : l’Écriture loue la prière pour les péchés des défunts, il y a donc un purgatoire dans l’autre vie.  Car, autrement, on prierait pour rien,  et l’Écriture errerait en faisant la louange de cette prière.  Qu’en ce passage, on loue la prière pour l’expiation des péchés, et non pour montrer son affection humaine, on le comprend par le fait que l’occasion de cette prière fut le péché des morts découvert dans leurs vêtements, comme l’histoire le rapporte. Et c’est expressément pour cela que Judas à envoyer 12000 drachmes à offrir en sacrifice.  Pour les péchés des morts.  Et, plus bas, pour qu’ils soient purifiés de leurs péchés. Ajoutons que s’il n’y avait pas de purgatoire, il conviendrait de pleurer pour montrer son affection, mais non de prier pour eux.  Car à quoi servirait une prière pour des gens qui n’en ont pas besoin, ou qui ne peuvent pas en recevoir du soulagement ?

Au septième je réponds que l’argument n’est pas tiré de l’exemple d’un seul homme, mais en partie du rite antique et solennel de l’Église de l’Ancien Testament, et en partie du témoignage infaillible de l’écrivain sacré.  Que ce fut là un ancien rite de l’Église de l’ancien testament, nous le constatons par les paroles mêmes du texte : « Tous ceux qui étaient avec Judas s’étaient tournés vers la prière. »  Et ensuite : « une fois faite la collecte », c’est-à-dire que  chacun apportant quelque chose, on a réuni une grosse somme d’argent, qui a été envoyée à Jérusalem, au nom de tous, afin d’offrir des sacrifices pour les morts.  Et cela, c’est un  grand  argument.

Mais il est d’autant  grand pour prouver la foi catholique qu’il est tiré des paroles de l’Écriture sainte,  louant la prière pour les pécheurs morts comme étant sainte, pieuse, et religieuse.  Ne vaut pas du tout la comparaison avec la louange donnée à Razias qui s’est tué.  Car, comme saint Augustin le démontre (au livre livre 2, chapitre 23, contre l’épitre de Gaudence),  Razias est loué pour avoir agir fortement et virilement, non parce qu’il a agi pieusement et saintement.  Et si on veut prouver ce fait par l’auteur du livre, il faudra plutôt dire que, pour faire ce qu’il a fait,  Razias a eu, tout comme Samson,  une inspiration particulière, et un précepte de Dieu (livre 1 chapitre 21, cité de Dieu).  Il est préférable de penser cela plutôt que dire que l’auteur sacré a erré.  En plus de ce texte, il y en a d’autres qui  donnent une preuve qui n’est que probable, mais dont les saints pères se sont quand même servis.

Le deuxième passage est de Tobie 4, 18 : « Dépose ton pain et ton vin sur la sépulture du juste, et n’en mange pas et n’en bois pas avec les pécheurs. » Ce texte ne peut pas avoir un autre sens que celui les commentateurs lui donnent à l’unanimité, à savoir : organise un festin, et appelle les fidèles pauvres, afin que, après avoir reçu l’aumône,  ils prient pour l’âme du défunt. C’est de là qu’est née cette coutume qui exista, autrefois dans l’église, et qui continue encore aujourd’hui, que la parenté fasse un banquet pour le défunt, qu’on envoie de la nourriture aux pauvres  et aux religieux, afin qu’ils prient pour l’âme du défunt. Saint Jean Chrysostome (homélie 32 sur saint Matthieu) : « Pourquoi après la mort des tiens, convoques-tu les pauvres ? Pourquoi supplies-tu les prêtres de vouloir bien prier pour eux ? »

Ne vaut rien, non plus, le commentaire de Munster, qui voit le mot sépulcre dans les bouche des pauvres justes, parce qu’il est écrit, au psaume 5, 11 : « leur gorge ouverte est  un sépulcre. »  Pour que le sens soit : « Mets ton pain dans la bouche des justes pour qu’ils ne meurent pas de faim ».  Mais cette explication est fausse.  D’abord, parce que l’Écriture n’appelle jamais la bouche du juste un sépulcre.  Elle ne donne ce nom qu’à la bouche du pécheur, d’où s’exhalent les odeurs fétides des vices.  Ensuite, parce que, dans ce chapitre, il recommandait, en de longues paroles,  les pauvres vivants, et est passé, ensuite à la recommandation des morts, comme le sens littéral lui-même le laisse entendre.

Le troisième texte vient de 1 Rois (à la fin).  Nous y lisons que les habitants de Jabes Galaas, après avoir entendu parler de la mort de Saül, jeûnèrent pendant sept jours.  Et, dans 2 Rois 1, David jeûna et pleura à la mort de Saül et de Jonathan, et des autres soldats qui avaient été tués.  C’est ce qu’il fit aussi pour Abner  (2 Rois 3).  Bien que ces choses semblent avoir été faites en signe de douleur et de tristesse, il est quand même crédible qu’elles ont été faites surtout pour aider les âmes des défunts, comme Bède l’expose à la fin de son commentaire  sur le livre 1 des Rois.  Cela, nous le tirons de deux choses.  La première.   Il serait irrationnel de jeûner pendant sept jours en signe de douleur et de tristesse.  La deuxième.  De ce que David (2 Rois 12) ait jeûné  et prié pour son enfant, quand il était malade; et que quand il eut entendu qu’il était mort, il mit un terme à son jeûne.  Ce fait nous montre qu’il avait coutume de jeûner pour obtenir quelque chose de Dieu.  Après la mort de l’enfant, il ne jeûna plus,  car il savait que l’enfant ne reviendrait plus à la vie, et qu’il n’avait donc pas besoin de suffrages.  Se rapporte à cela la sollicitude des patriarches  qui désiraient être enterrés dans la terre promise, (Genèse 47 et 50), pour participer aux prières et aux sacrifices qui y seraient offerts.

Le quatrième texte est le psaume 37, 1 : « Seigneur ne me reprends pas dans ta fureur,  et ne me corrige pas dans  ta colère. »  Bien qu’on puisse donner à ces mots diverses interprétations, saint Augustin l’explique ainsi : comme être repris par Dieu dans sa fureur  c’est être damné pour toute l’éternité, être corrigé dans sa colère c’est être puni sévèrement après cette vie, une correction qui  mène à un amendement. Voilà pourquoi il ajoute : « Dans cette vie, purge-moi, rends-moi tel que par mon amendement, je n’aie plus besoin du feu purificateur. » C’est de cette façon aussi que l’expliquent Bède, Harmo [Haymo], Denys le Chartreux, et d’autres.

Le cinquième texte est  le psaume 65,12 : « Nous avons passé à travers l’eau et le feu, et Dieu nous en a fait sortir pour nous conduire dans un lieu rafraîchissant. » Ce passage peut avoir plusieurs sens mais Origène (homélie 25 sur les Nombres) et  Ambroise (sermon 3 sur le psaume 36, et sur le psaume 118) voient dans le mot eau le baptême, et dans le mot feu le purgatoire : « Par l’eau pour que soient lavés les péchés, par le feu, pour qu’ils soient brûlés. »

Le sixième texte est d’Isaïe 4,4 : « Le Seigneur purgera les péchés  des fils et des filles de Sion, et il purifiera leur sang par l’esprit du verdict et l’esprit de la combustion »  Saint Augustin applique ce passage aux peines du purgatoire (livre 20, chapitre 25, la cité de Dieu).

µLe septième est d’Isaïe 9,18 [p.59 pdf latin, col., non traduit, à ajouter]

Basilius

Le huitième texte est celui de Michée 7,8-9 : « Ne te réjouis pas, mon ennemie, car si je suis tombé je me relèverai. Je porterai la colère du Seigneur tant qu’il jugera ma cause. Il m’amènera dans sa lumière, et je verrai sa justice. » Saint  Jérôme  (dans le dernier chapitre sur Isaïe) enseigne qu’on a coutume d’attribuer ce texte au purgatoire.  Et la glose ordinaire explique que « et je porterai la colère du Seigneur » s’applique au purgatoire.

Le neuvième passage est de Zacharie 9,11 : « Et toi, dans le sang de ton testament, tu as fait sortir les vaincus du lac dans lequel il n’y a pas d’eau. »  Car même si ce texte est souvent interprété comme se rapportant à la libération des patriarches des limbes, il convient, cependant, beaucoup mieux à la libération des âmes du purgatoire que le Seigneur a amenées avec lui, quand il y descendit après sa mort.  D’abord, parce que le mot vaincus leur convient davantage. Ensuite, parce que, dans le purgatoire, il n’y pas l’eau de consolation qui se trouvait dans les limbes des pères : « Ici, il est consolé » (Luc 16.)  Voilà pourquoi saint Augustin (dans sa lettre 99 à Évodius,  et dans  le livre 42 de la Genèse, chapitre 33) soutient que, quand il descendit dans les enfers, le Christ a rendu visite non seulement aux patriarches, mais même aussi à ceux qui souffraient dans l’enfer, c’est-à-dire dans le purgatoire, et en a libéré un grand nombre.

Le dixième texte est celui de Malachie 3, 2-3 : « Il siégera là comme un feu constant et purgera les fils d’Israël. »  Origène (homélie 6 sur l’Exode), saint Ambroise (psaume 36), saint Augustin (livre 20, chapitre 25 de la cité de Dieu), et saint Jérôme dans son commentaire de ce passage, voient dans ce texte le purgatoire.  Et bien que cette peine purgative ne soit pas celle dont nous parlons, car celle-là purgera les vivants, et nous parlons nous de la peine des morts. Ce texte se rapporte quand même à la peine du purgatoire, car une tribulation très grave précédera, et le feu descendra ensuite et purgera rapidement tous les reliquats de péchés des hommes justes. Parce que, comme le note saint Irénée, (à la fin du 5ème livre),  l’Église qui est sur terre sera rapidement emportée vers son époux,  et il n’y aura plus d’autre temps pour se purger, comme nous avons maintenant  après la mort, avant le jugement.

CHAPITRE 4

          On prouve le purgatoire par des textes du Nouveau Testament.

Le premier texte est celui de Matthieu 12, où le Seigneur dit qu’il y a un péché qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans le monde à venir. »  Car les pères ont déduit de ce texte que certains péchés sont remis dans le monde futur par les prières et les suffrages de l’Église. Comme saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la cité de Dieu, et livre 6, chapitre 5 contre Julien). Saint Grégoire  (livre 4, chapitre 39 de ses dialogues),  Bède (chapitre 3 de Marc),  saint Bernard (homélie 66 sur les cantiques des cantiques) qui se contenta de ce texte pour réfuter cette hérésie. De même Pierre de Cluny (dans son épitre contre les pétrobrusiens), ainsi que Raban (livre 2, chapitre 44 de son institution des clercs), et plusieurs gloses.

Pierre le martyr nous objecte que cela a été dit par exagération. Je réponds que, de cette façon, nous pourrions aussi enlever l’enfer, et dire que c’est une exagération, quand il dit : « Allez au feu éternel. » De plus une exagération ne doit pas être inepte, comme quand on fait une répartition, et qu’à un membre rien ne correspond.  D’autres disent que c’est une menace.  Je réponds de la même manière. Et il y a en a d’autres qui disent que le Christ compare le péché contre le Saint Esprit aux péchés mortels graves, et aux blasphèmes contre le Père et le Fils. Donc, s’il voulait dire que des péchés pourront être  remis dans le monde futur, il entendrait surtout les péchés avec lesquels il compare le péché contre le Saint Esprit.  Or, cela est faux  parce que seuls les péchés véniels nous sont remis dans l’autre monde.    Je réponds que le Christ parle de la rémission parfaite, qui atteint sa perfection par la rémission de la faute et de la peine. C’est de cette façon que même des péchés graves sont remis dans l’autre siècle, car c’est là que se termine leur rémission.

Ils disent, en quatrième lieu, que le Christ semble vouloir dire que les péchés les plus graves seront remis dans le siècle futur, et dans ce siècle, seulement les plus légers.  S’il avait voulu dire que d’autres seront remis là-bas, il n’aurait pas dit : ni dans ce siècle, ni dans le futur, mais il aurait dit, au contraire : il ne sera remis ni dans le futur, ni dans ce siècle, pour que la prière aille en augmentant. Je réponds que la prière augmente parce que dans le futur, il y un plus grand espace de temps pour effacer les péchés que dans ce siècle-ci. Et en suite, il place d’abord le siècle présent parce que c’est ici que commence la rémission des péchés, et c’est là-bas qu’elle se complète.  Cinquièmement, Calvin objecte que le Seigneur parle de la rémission de la coulpe. Vous avez donc tort d’alléguer ce texte pour  la rémission de la peine du purgatoire. Je réponds que, dans le purgatoire, sont remises aussi les fautes vénielles. Mais il est faux de dire que le Christ ne parle que de la faute, car voici quel est le sens : le péché contre le Saint Esprit n’est remis ni dans ce siècle ni dans le futur, ni quant à la faute, ni quant à la peine,  alors que les autres péchés sont remis dans ce siècle quant à la faute, et dans l’autre siècle, quant à la peine, comme les mortels. Ou bien : et ici et là quant à la faute, et quant à la peine, comme les véniels.

Sixièmement, Calvin enseigne que, par dans ce siècle et dans le siècle futur, il veut dire que dans ce jugement et dans le futur rien n’est remis, et ainsi, il n’est fait aucune mention du purgatoire.  Au contraire. Quels seront donc ceux dont ne seront pas remis les péchés dans ce siècle, mais au jour du jugement ? Ne sont-ce pas ceux qui n’ont besoin que de la purgation de fautes vénielles,  ou qui ne seront débiteurs que de la seule peine ?  Car ceux qui décèdent dans la justice ne sont certes pas absous de leurs péchés au jour du jugement.

Septièmement, Pierre le martyr nous fait l’objection suivante : d’une négation ne suit pas une affirmation, en bonne dialectique.  Il n’est donc pas permis de tirer cette conclusion : le péché contre le Saint Esprit n’est pas remis dans le siècle futur;  donc, d’autres péchés y sont remis.  Exemple.  On ne peut pas dire :  le roi Philippe n’est pas le roi des Vénitiens,  donc un autre est le roi des Vénitiens.  Et Ochinus confirme. Car le Christ aurait  pu dire : ce péché n’est remis ni dans ce siècle ni dans l’enfer; mais nous n’aurions pas pu en conclure que des péchés sont remis dans l’enfer.

Je réponds que ce que  nous déduisons des paroles du Seigneur ne se fait pas selon les règles de la dialectique,  mais selon la règle de la prudence, car, autrement, nous ferions parler le Seigneur pour ne rien dire.  Il dirait des inepties s’il disait : « ce péché n’est remis ni dans ce siècle ni dans le siècle futur »,  si dans le futur rien n’est remis. Comme parlerait pour ne rien dire celui qui dirait que le roi d’Espagne ne t’absoudra pas, ni dans un palais d’Espagne, ni dans un palais de France.  Il  ne parlerait pas pour rien s’il disait : ni dans une salle d’Espagne, ni dans une salle du Brabant.  Voilà pourquoi quand le Seigneur a dit (en Jean 19), « mon royaume n’est pas de ce monde », Pilate en a déduit  qu’il était roi : « tu es donc roi ? »  Le Christ n’a pas répondu qu’une affirmation ne découlait pas logiquement d’une négation, mais il approuva : « tu le dis, je suis roi. »  Ne vaut pas non plus la comparaison tirée d’Ochinus, car le Christ ne pouvait pas dire : ni en ce siècle, ni en enfer, à moins qu’il ait voulu dire des inepties, car le siècle est un temps, et l’enfer un lieu. Ils ne s’opposent donc pas comme le présent et le futur. Et aussi, parce qu’il est évident pour tous que, dans l’enfer, il n’y a aucune rémission de péchés.

Huitièmement, ils nous objectent encore ceci. Ni dans ce siècle, ni dans le futur, c’est une expression qui signifie jamais ou éternellement, comme l’indique Marc (chapitre 3) : il n’aura pas de rémission éternellement. Et comme Pierre dit à Jésus : « Tu ne me laveras pas les pieds pendant toute l’éternité. »  Je réponds qu’on ne doit pas entendre Matthieu par Marc, mais plutôt Marc par Matthieu, car il se sert de plusieurs mots.  Il est évident que Matthieu a développé davantage son récit, et que Marc a fait comme un résumé de l’évangile de saint Matthieu.  Marc ne donne pas, non plus,  au mot : éternellement, le même sens que lui donne Pierre.  Car Pierre aurait été stupide de dire : tu ne me laveras pas les pieds  ni dans ce monde ni dans le monde futur, puisque, dans le futur, on ne lave pas les pieds.  Jésus n’a pas dit une sottise non plus (ne seront remis ni dans ce siècle ni dans le futur).  Pierre, lui, a employé le mot éternel pour indiquer la seule durée de cette vie terrestre, Marc, pour toute la durée de ce siècle et du futur.

Du reste, ou le Christ a dit comme le rend Matthieu, ou comme le rend Marc,  ou d’une autre façon,  Mathieu, sous la conduite du Saint Esprit a  reproduit les paroles du Christ,  et comme il l’a fait sans dire des sottises,  il a indiqué que dans  l’autre siècle, des péchés seront remis.

Neuvièmement.  Ils disent que c’est une tournure hébraïque. Je réponds que cela est faux, et que l’hébraïsme est le mot de Pierre : éternellement.  Car les hébreux disent souvent  éternellement pour les choses temporelles,  mais non : ni dans ce siècle, ni dans le futur.   Ce n’est pas une phrase idiomatique.  Le mot de Marc n’est pas non plus un hébraïsme;  il est pris au sens propre.

                                                       CHAPITRE 5

Le deuxième texte (1 Corinthiens 3) où l’apôtre dit : « Il sera sauvé, mais comme à travers le feu. »  Notons d’abord que ce passage de l’apôtre est un des plus difficiles et des plus utiles de toute l’Écriture.  Il permet aux catholiques de soutenir deux dogmes ecclésiastiques, le purgatoire et les péchés véniels, contre les hérétiques et les fauteurs d’hérésies , dont le premier fut Érasme, qui, dans une annotation à ce passage, s’est efforcé de montrer qu’avec ce texte, on  ne peut prouver l’existence  ni du purgatoire  ni des péchés véniels.  Que ce texte soit très difficile, saint Augustin (chapitre 15 du livre de la foi et des œuvres)  l’avoue : « Il faut réfléchir attentivement  pour comprendre quel sens donner à cette phrase difficile de saint Paul : « si quelqu’un surédifie sur ce fondement, de l’or, de l’argent… »  Et plus bas : «Il faut ranger ces paroles parmi  celles que saint Pierre déclare difficiles à comprendre, et que les hommes ne doivent pas pervertir pour leur propre perte. »  Et, au chapitre 16 : « J’avoue que je préfère être écouté par des auditeurs  plus intelligents et plus savants que par la moyenne des gens »  Il répète la même chose à Dulcitius.

Afin d’expliquer ce texte convenablement, parlons d’abord de la métaphore dont se sert l’apôtre.  Ensuite, exposons et solutionnons les  difficultés  qui s’y présentent.  Voici donc quelles sont les paroles de l’apôtre : « Selon la grâce de Dieu qui m’a été donnée, comme un sage architecte j’ai posé le fondement.  Un autre a construit par-dessus.  Chacun aura à répondre de la façon dont il construit.   Car, personne ne peut poser  un autre fondement  que celui qui a été posé, Jésus Christ.  Si quelqu’un donc surédifie sur ce fondement, de l’or, de l’argent, des pierres, précieuses, du bois, du foin, de la paille, l’œuvre de chacun le manifestera.  Le jour du Seigneur, en effet, le déclarera, car c’est dans le feu que cela sera révélé, et le feu éprouvera l’œuvre de chacun, et montrera ce qu’elle est.  Si celui dont l’œuvre brûle souffre quelque dommage,  il sera sauvé quand même, mais comme par le feu. »

Dans ce texte, l’apôtre fait la comparaison entre deux architectes,  dont l’un, sur un fondement pierreux solide, construit une maison avec des matériaux précieux qui ne craignent pas le feu, comme l’or, l’argent, les pierres précieuses comme le jaspe, le diamant, et  la pierre.  Car, de l’or et de l’argent, on fait des feuillets de métal  et des colonnes, comme nous le lisons du temple de Salomon.   Avec de la pierre et du porphyre, on peut ériger des murs complets.  Un autre architecte, sur le même fondement (pierreux et solide), érige une maison à la façon des pauvres gens,  avec des solives et des perches, et la recouvre avec du chaume et de la paille.

Ayant en tête cette comparaison, imaginons que l’une et l’autre fassent l’expérience du feu. Nous constatons que la première ne subira pas grand dommage, ni son architecte, s’il se trouve à l’intérieur. Mais la deuxième prend feu instantanément, et sera consumée au complet en peu de temps. Et si l’architecte est à l’intérieur et veut sortir, il ne le pourra qu’à travers le feu. Il ne mourra pas dans sa traversée, mais sa barbe et ses cheveux n’en sortiront pas indemnes, à moins que ne se reproduise le  miracle des trois enfants de Babylone. Voilà la comparaison dont se sert saint Paul, quand il dit : il se sauvera, mais comme à travers le feu.

Quant à la deuxième, cinq difficultés se présentent.  La première.  Que faut-il entendre par les constructeurs ?  La deuxième.  Que faut-il entendre par or, argent, pierres précieuses, bois, foin et chaume ?  La troisième.   Que faut-il entendre par jour du Seigneur ?  La quatrième : que faut-il entendre par le feu qui, au jour du Seigneur, éprouvera l’œuvre de chacun?   La cinquième.  Que faut-il entendre par le feu dont on dit :  il sera sauvé, mais comme  à travers le feu ?  Quand on aura donné une réponse à ces questions,  le sens deviendra plus facilement compréhensible.

La première difficulté : quels sont les architectes qui construisent dessus ?  Saint Augustin (chapitre 16 de son livre sur la foi et les œuvres,  et dans l’enchridion  chapitre  68, et ailleurs)  estime que ce sont tous les chrétiens qui sont appelés architectes par l’apôtre, et que tous construisent, sur  le fondement de la foi,  des œuvres bonnes ou mauvaises.  Il me semble que c’est aussi ce qu’enseignent saint Jean Chrysostome, Theodoret,  Theophylacte et Oecumenius, dans leurs commentaires de ce texte.

D’autres, en grand nombre, enseignent  que l’apôtre n’entend par architectes que les docteurs et les prédicateurs de l’évangile, comme saint Ambroise et Sedulius dans leurs commentaires de ce texte.  C’est ce que laisse entendre saint Jérôme (livre 2 contre Jovinien). C’est ainsi, aussi, qu’interprètent ce passage saint Anselme et saint Thomas, même s’ils ne rejettent pas la première interprétation.  Pensent ainsi un grand nombre de docteurs récents, comme de Denys le Chartreux,  Lyre et Cajetan.  L’une ou l’autre explication est bonne, et l’une et l’autre servent à affirmer le purgatoire et les péchés véniels.

Mais la dernière est plus littérale, comme on le voit par les paroles qui précèdent et qui suivent.  Car, il avait dit avant : « J’ai planté, Apollon a arrosé. »  Et il ajoute tout de suite après dans la même veine : « Moi, comme un sage architecte, j’ai posé le fondement; un autre a construit par-dessus. »  Et, au même endroit : « Celui qui plante et celui qui irrigue sont une seule et même chose. Et chacun recevra sa propre récompense selon son travail.  Car nous sommes les auxiliaires de Dieu, vous êtes l’agriculture de Dieu, vous êtes la maison de Dieu. »

Il se compare là clairement, lui et les autres prédicateurs de l’évangile, à  un agriculteur et à un architecte.  Dans les versets suivants, il parle aussi des docteurs quand il dit : « Si quelqu’un parmi vous, semble sage,  qu’il devienne fou pour être sage. » Et ensuite : « Que personne, donc, ne se glorifie dans les hommes, car tout est à vous, que ce soit Paul, Apollon ou Céphas. »  Ce qui veut dire : ne vous glorifiez pas dans vos docteurs et dans vos prédicateurs, et ne dites pas : moi je suis un disciple de Paul, moi d’apollon. »  Car, tous sont une seule et même chose,  et tous travaillent pour vous. Donc, comme il avait dit : j’ai planté, Apollon a arrosé, il dit maintenant : j’ai posé le fondement en prêchant, d’autres ont construit là-dessus en enseignant les choses qui se rapportent à la vie et aux mœurs, et en expliquant plus au long les mystères de notre foi. Sur cette première question sont du même avis que nous Calvin,  Pierre martyr et Ochinus.

µL’autre difficulté est un peu plus sérieuse. Car, il y a six explications différentes.  Quelques-uns entendent par fondement la fraie foi, mais informe. Ils voient des bonnes œuvres dans les mots or, argent pierres précieuses.  Par les mots bois, foin et paille, ils entendent les péchés mortels.  C’est ainsi qu’interprète saint Jean Chrysostome, que suit Theohylactus.  Mais ce sens ne peut pas être soutenu.   D’abord, comme le dit saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues),  ce sont plutôt les péchés mortels qui doivent être comparés au fer et au plomb.  Ensuite, parce qu’il s’ensuivrait que serait vraie l’hérésie d’Origène qui enseigne que tous sont sauvés.  Parce que l’apôtre dit : il sera sauvé comme à travers le feu.

Les Grecs répondent.  Il sera sauvé, c’est-à-dire  qu’il ne sera jamais consumé totalement.  Comme par le feu, car il brûlera toujours.  Cette réponse est forcée et comme tirée par les cheveux.  Elle est surtout contraire à la façon constante de parler de l’Écriture.  Car, dans l’Écriture, le mot salut n’est jamais pris en mauvaise part, mais toujours en bonne part.  Comme les latins l’ont montré dans le concile de Florence, avant la première session.   De plus, le mot « par » (ou à travers) ne signifie pas une demeure mais un passage.  L’apôtre n’a pas dit : il sera sauvé, mais comme dans le feu, mais il sera sauvé comme par ou à travers le feu. C’est-à-dire, d’après cette  image, sera sauvé  celui qui échappe à la mort en passant par le feu.

Ensuite, du consentement unanime des docteurs.  Car, c’est à l’unanimité que tous les Grecs et tous les Latins voient là des péchés véniels. Nous présenterons leurs avis dans la cinquième difficulté.  Que personne ne pense que saint Jean Chrysostome ait nié le purgatoire ou les péchés véniels. Car, il enseigne souvent l’existence du purgatoire (surtout dans l’homélie  3  sur l’épitre aux Philippiens, et dans son homélie 69 au peuple d’Antioche).   Dans l’homélie 24 sur Matthieu, il admet les péchés véniels, même s’il l’explique autrement pour réfuter l’hérésie d’Origène qui enseignait que les peines de l’enfer n’étaient pas éternelles, comme il appert de cette homélie.

La deuxième.  Par le nom de fondement, on entend le Christ ou la prédication de la foi.  Par les mots argent, or, pierres précieuses, on entend les explications catholiques.  Par les mots bois, foin et paille, on entend les dogmes hérétiques.  C’est ce que semble enseigner saint  Ambroise, et même saint Jérôme (dans son commentaire d’Isaïe 5) : « Malheur à vous qui unissez une maison à une maison. »  Et c’est aussi ce que pensent Calvin, Pierre martyr et Ochinus.  Ils enseignent, en effet, que par bois, foin et paille on entend les traditions humaines et les commentaires  qui militent contre la parole de Dieu.   Cette opinion est moins défendable que la précédente.  D’abord, parce que les hérétiques ne sont pas sauvés par le feu du purgatoire, mais sont damnés dans le feu éternel.   Ensuite.  Parce que les hérétiques ne construisent pas sur le fondement, qui est le Christ, si ce n’est en paroles.   Car, n’importe laquelle hérésie parle magnifiquement du Christ,  mais elle ne prêche pas le vrai Christ, mais un autre qui est le produit de l’imagination.

Cette opinion que nous réfutons n’est ni de saint Ambroise, ni de saint Jérôme.  Car, saint Ambroise entend par bois, foin et paille les hérésies et les faux dogmes, mais formulés imprudemment, et soutenus  sans opiniâtreté.  Car, il dit que ces docteurs seront sauvés par le feu du purgatoire.  Saint Jérôme, lui, parle ouvertement des hérétiques, mais selon l’opinion des autres, non  selon la sienne, car il ajoute après avoir exposé cette opinion : « Certains l’entendent des hérétiques. »

La troisième.  Par le mot fondement, on entend la foi vive. Par les morts d’or, d’argent et de pierres précieuses, on entend les œuvres de surérogation.  Par les mots de bois, de foin et de paille, on entend le rejet des conseils et un attachement charnel aux biens de ce monde licite, mais qui apporte de la douleur lors de la perte des biens.  C’est ce qu’enseigne saint Augustin (au chapitre 36 de son livre sur la foi et les mœurs.)  Cette opinion est vraie en elle-même, mais elle ne convient guère à ce texte, à moins qu’on entende par attachement charnel des péchés véniels.  Cet attachement charnel est bon ou mauvais.  S’il est bon, pourquoi brûlerait-il comme de la paille ?  S’il est mauvais, il a au moins en lui un péché véniel.

La quatrième est ce ceux qui voient dans l’or, l’argent et les pierres précieuses des œuvres bonnes, et dans le foin et la paille des péchés véniels, comme saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues. » et d’autres. C’est une bonne opinion, mais l’autre est meilleure.

La cinquième est de ceux qui entendent par or, argent et pierres précieuses, de bons auditeurs,  et par foi et paille de mauvais auditeurs.  Car les auditeurs sont l’oeuvre du docteur, et le docteur sera sauvé.  Mais parmi les auditeurs, quelques-uns seront sauvés, d’autres ne le seront pas.  C’est ce qu’enseignent Theodoret et Oecumenius.  Mais saint Jean CHrystome les a réfutés, car cette explication blâme l’architecte lui-même, car c’est lui qui est dit construire sur le foin.  Ce n’est donc pas seulement la faute et la peine des auditeurs.

La sixième, celle qu’on doit placer avant toutes les autres.  Par le nom de fondement, on entend le Christ annoncé par les premiers prédicateurs, comme l’étaient les  apôtres, ceux qui apportèrent l’évangile et la foi du Christ aux peuples qui n’en avaient jamais entendu parler.  C’est bien ce que dit saint Paul : j’ai planté, et comme un sage architecte, j’ai posé le fondement.  En effet, ceux qui ont été les premiers à prêcher la foi dans une région sont appelés apôtres.  Par les mots or, argent et pierres précieuses, nous entendons la doctrine utile et salutaire des autres prédicateurs, qui enseignèrent à ceux qui avaient déjà reçu la foi; qui leur ont enseigné non seulement par la parole, mais par l’exemple, de façon à faire croitre leurs auditeurs, et les faire grandir dans la religion et la piété. Par les mots de bois, de foin et de paille, on entend une doctrine qui n’est ni mauvaise, ni hérétique mais l’enseignement curieux, inutile et superflu des prédicateurs qui prêchent au peuple catholique, mais sans fruit et sans utilité.  Comme les premiers prêchaient avec un grand mérite, ces autres prêchaient non seulement sans mérite, mais non sans péchés véniels.

Cette explication a mon approbation pour trois raisons.   La première.   Parce que, ayant montré que les constructeurs sont les seuls docteurs, on voit la doctrine comme leur œuvre.  La deuxième.   Car cette explication se rapproche de beaucoup de celle des docteurs corinthiens.  Car, ils étaient,  plus qu’il  n’est équitable,  adonnés à l’éloquence et à la philosophie.  Même s’ils en recevaient du secours, ils n’en perdaient pas moins le fruit de leurs prédications.  Saint Paul leur reproche l’une et l’autre. La troisième.   Il est facile d’expliquer ce texte si on tient compte que saint Paul  a eu recours à trois images.   La première, celle des agriculteurs qui plantent et arrosent, par laquelle il ne vise que les bons docteurs.  La seconde.  Celle des constructeurs sur un bon fondement, qui comprend non seulement de bons docteurs, mais aussi des mauvais.  La troisième, celle des corrupteurs du temple, qui ne peut convenir qu’aux mauvais, à ceux qui sont parfaits dans le mal, comme les hérésiarques qui présentent des erreurs pour des vérités, et qui enseignent des vices pour des vertus.  On ne dit pas de ceux-là qu’ils seront sauvés comme à travers le feu, mais que Dieu lesdispersera.

La troisième difficulté porte sur le jour du Seigneur.  Quelques-uns entendent par le mot jour la vie présente, ou un temps de tribulation, pendant lequel sont séparés les bons des mauvais, comme l’expliquent saint Augustin (au chapitre 16 de son livre sur la foi et les œuvres), et saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues. »  Cette interprétation ne semble pas correspondre à la pensée de Paul.  D’abord, parce que, en grec, le mot jour est employé avec l’article (è  èmera), ce qui exprime un jour particulier et défini, comme quand saint Paul dit (1 Timothée 4) : « Que le Seigneur me rendra en ce jour-là. »  Et (1 Timothée 2) : « Je suis certain qu’il a la puissance voulue pour conserver mon dépôt en ce jour. »  Deuxièmement, parce que, dans l’Écriture,  le temps présent n’est pas appelé jour du Seigneur, mais notre jour;  comme, à l’inverse, c’est le temps de l’autre vie qui est dit jour du Seigneur, et non le nôtre.  Luc 19 : « Et dans ce jour qui est le tien, les choses qui te donnent la paix. »  Luc 22 : « C’est votre heure. » Galates V1 : « Tant que nous en avons le temps, faisons le bien. »  Psaume 74 : « Quand  j’en prendrai le temps, je  jugerai les justices. »  Sophonie 1 : «Proche est le grand jour du Seigneur. »  Joël : « Il viendra la jour du Seigneur,  jour de ténèbres et de noirceur. »

Troisièmement. Ce n’est pas pendant le temps de la vie présente, que la valeur de  l’oeuvre de chacun  sera déclarée. Car les tribulations sont communes aux bons et aux méchants,  aux justes et aux injustes. Quatrièmement.  Parce que tous les docteurs voient dans ce jour le jour du Seigneur.  Car, même si Augustin  et saint Grégoire ont enseigné que ce jour peut se rapporter à la vie présente,  ils enseignent, au même endroit qu’on peut l’entendre aussi du temps futur après la vie de cette terre.  Car, comme le jour du jugement est double, le jour du jugement particulier, et le jour du jugement général, certains, comme Cajetan, veulent qu’on parle ici du jugement particulier.  Premièrement, parce que, après ce jour dont parle l’apôtre, quelques-uns seront purgés par le feu, ce qui ne peut pas se faire après le jour du jugement dernier. Tous ceux qui émigrent avec des péchés véniels doivent attendre ce jour avant d’entrer dans le ciel.  Troisièmement, parce que le texte grec n’a pas :  sera révélé, mais est révélé.  Le jour du jugement dernier n’est pas révélé, c’est donc du jugement particulier que l’on parle qui, à tous les jours, tantôt à l’un, tantôt à l’autre est révélé.  Cependant, tous les anciens ont quand même vu dans ce jour le jour du jugement dernier, comme Theodoret, Theophylacte, Anselme et les autres. C’est cette opinion qui me semble  la plus vraie, bien qu’aucune ne répugne au purgatoire.

D’abord, parce que, dans l’Écriture le jour du Seigneur signifie partout le jour du jugement dernier.  Deuxièmement.   Car, en disant en ce jour-là, on désigne un jour particulier pendant lequel les œuvres de tous les hommes seront éprouvées.  Or, le jour du jugement particulier n’est pas unique, mais multiple;  et ce n’est pas pendant ce jour que sont jugées les œuvres de tous les hommes.  Troisièmement, parce que l’apôtre a dit : « Le jour du Seigneur déclarera ».  C’est comme s’il disait : tout sera manifeste à tous, comme il le dit au chapitre suivant : « Jusqu’à ce  que vienne le Seigneur  qui illuminera les choses cachées dans les ténèbres, et manifestera les intentions des cœurs. »   Or, cela ne se fera qu’au dernier jugement.  Quatrièmement.   Parce qu’il ajoute tout de suite après : « Parce qu’il sera révélé dans le feu. »  Il dit que le jour du jugement révèlera dans le feu, parce que le dernier signe, et de tous les plus connus, sera la conflagration du monde.  Et c’est pour cette raison que le jour du jugement est toujours associé au feu, comme dans le psaume 96 : « Le feu marchera devant lui. » Joël 2 : « Devant sa face, un feu vorace. »  2 Thessaloniciens 1 : « Dans la révélation de notre Seigneur Jésus-Christ du haut du ciel, avec les anges de sa force, dans une flamme de feu. » 2 Pierre : « Les éléments se liquéfient  par l’ardeur du feu. »   S’il ne nous plait pas de voir, dans ce feu, du feu matériel,  mais le jugement, comme l’expliquent certains, on ne peut quand même pas entendre, par ce jour, autre chose que le jour du jugement dernier.  Car, alors le sens est : parce qu’il est révélé dans le feu, c’est-à-dire parce que ce jour ne sera pas  très connu à cause  du jugement, mais à cause de la mort.  Car, le jugement particulier est connu à peu de monde.  Et ne m’ébranlent pas les arguments contraires.

Au premier je dis que le jugement dernier ne sera pas purgatif.  Et voilà pourquoi ces paroles : «  il sera sauvé, mais comme à travers le feu » ne signifient pas : il sera sauvé pourvu qu’il passe d’abord à travers le feu, mais : il sera sauvé pourvu qu’il ait d’abord passé à travers le feu.  Ou : il sera sauvé comme ceux qui passent à travers le feu.   Au second, je réponds : si cette conclusion valait quelque chose, il s’ensuivrait que, même s’il n’y avait pas de purgatoire, personne ne serait béatifié, personne ne serait condamné.  Car l’Écriture attribue souvent au dernier jugement  la distribution des récompenses et des peines, et même l’examen des œuvres et la sentence du juge.(Matth 25, et ailleurs).  Donc, comme la sentence est portée à la mort de chacun, et que c’est à ce moment, que commence la punition et la récompense, et comme, cependant, on nous dit que la même chose se fera au jugement dernier, devant le monde entier en toute visibilité, pour le plus grand honneur des justes et la plus grande honte des impies, le même examen peut se faire privément à la  mort de chacun, et publiquement à la fin du monde.   Au troisième, je dis que, pour un mot que nous avons au présent en grec, nous en avons trois au futur. Et il est probable que c’est le traducteur qui a fait ce passage du présent au futur.  Ajoutons que, très souvent, le temps présent n’est pas employé pour exprimer l’action d’un certain temps, mais la coutume, l’opinion, la profession, ou quelque chose de semblable, comme, par exemple : « Je ne connais point d’homme. » ( Luc 1).  Et les Sadducéens disaient : « les morts ne ressuscitent pas. »  Et les Chartreux disent : « Nous ne mangeons pas de viande. »      Sur ce point, nous différons avec Calvin et Pierre le martyr, car ils voient dans ce texte de saint Paul le jugement particulier.   Mais cela n’a rien à voir avec la question du purgatoire.

La quatrième difficulté.  Quel est le feu qui, au jour du jugement, testera l’œuvre de chacun ?  Quelques-uns l’entendent  au sens des tribulations de la vie, comme saint Augustin et saint Grégoire, dans les lieux cités. Mais cela, nous l’avons déjà rejeté.  D’autres l’entendent au sens du feu éternel.  Mais, pour dire le vrai, il ne peut pas en être ainsi, car ce feu n’examinera pas la maison construite avec de l’or et de l’argent, ni même la maison construite avec du bois et du foin.  Pour d’autres, ce feu signifie la conflagration du monde qui précèdera le jugement universel.   Mais, cela, non plus, ne se peut pas, car ce feu ne brulera  que les ennemis de Dieu.  Psaume 96 : « Le feu le précèdera et encerclera de sa flamme ses ennemis. »  Or, le feu dont l’apôtre parle, touche tout le monde, même ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent.  De plus, ce feu ne pourra pas éprouver les œuvres, puisqu’il est un feu matériel, et les œuvres n’existent plus que dans l’esprit, parce qu’elles sont disparues.   D’autres y voient les peines du purgatoire.  Mais même cela n’est pas tout à fait juste.  D’abord parce que le feu du purgatoire ne peut pas éprouver les œuvres de ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent. Or, ce feu, dont nous parlons,  éprouvera les œuvres de chacun.  En second lieu, l’apôtre fait clairement la distinction entre les œuvres et leurs auteurs; et il dit de ce feu qu’ilbrûlera les œuvres, non leurs auteurs.  Car, il dit : « Si son œuvre demeure… si son œuvre estbrûlée. »  Mais le feu du purgatoire qui est un feu vrai et réel, ne peut pasbrûler des œuvres, qui sont des actions transitoires, et qui sont déjà disparues.

Il s’ensuivrait, de plus, que tous les hommes, même les plus saints, passeraient à travers le feu du purgatoire, et seraient sauvés par le feu, ce qui est faux.  Car l’apôtre précise ici que seuls ceux qui auront construit avec du bois et du foin seront sauvés comme à travers le feu.  Or, l’Église, depuis toujours, a toujours compris que les saints martyrs et les enfants étaient reçus dans le ciel, sans passage dans le feu, comme le concile de Florence l’enseigne, à la session ultime.  Les saints pères enseignent aussi la même chose.   Comme saint Jérôme (livre 2, contre Jovinien),  et saint Augustin (psaume 37). « S’ils avaient construit, dit-il, avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses,  ils n’auraient à craindre aucun des deux feux, non seulement du feu éternel, qui châtie éternellement les impies, mais même de cet autre qui purifiera ceux qui seront sauvés par le feu.

Il ne nous reste donc plus qu’à dire que l’apôtre parle ici du feu sévère et juste du jugement dernier, qui n’est pas un feu qui purge ou qui afflige, mais qui éprouve et examine.  C’est ainsi que l’explique saint Ambroise (psaume 118, sermon sur cette parole : vois mon humilité) « La fournaise nous éprouvera tous.  Donc, puisque nous devons être soumis à un examen, agissons de façon à mériter d’être approuvés par le jugement divin. Tant que nous demeurons ici, tenons-nous en à l’humilité, pour que, quand chacun de nous viendra  au jugement de Dieu, il dise à ces feux que nous devrons traverser : vois mon humilité. »

Et Sedulius sur ce passage : « L’examen du juge j’ai voulu le comparer à un feu, comme l’Écriture a coutume de le faire. »  C’est de la même manière que l’expliquent  Denys le chartreux, Lyre, Cajetan, et d’autres.  Que cette interprétation soit tout ce qu’il y a de plus vrai, on le prouve d’abord en remarquant qu’on ne peut pas expliquer autrement comment le feu peut éprouver  ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent.  Ensuite, parce que cette explication convient parfaitement aux paroles de l’Apôtre :  le feu éprouvera l’œuvre de chacun pour savoir ce qu’elle est.  Si son œuvre demeure, il recevra une récompense.  Si son œuvre est consumée par le feu, il en subira des dommages. »  Car, bien que les œuvres soient disparues des yeux des hommes, et  qu’elles ne peuvent pas être examinées par un feu matériel,  elles sont toujours présentes aux yeux de Dieu.  Comme  le dit l’Ecclésias, à la fin : « Toutes les choses qui ont existé Dieu les amènera devant son tribunal », et les examinera.  Et si une œuvre demeure, c’est-à-dire  si elle a pu supporter le jugement de Dieu, comme l’or supporte le feu, elle recevra une récompense,  elle sera approuvée et couronnée par Dieu.  Si cette œuvre tombe en cendres, c’est-à-dire si cette œuvre ne peut pas supporter le jugement de Dieu, comme le foin et la paille ne supportent pas le feu, elle subira des dommages, car elle sera réprouvée et rejetée.

Troisièmement.  Parce que c’est à bon droit qu’on appelle feu  le jugement de Dieu, parce qu’il est très pur, très rapide, très efficace, et très pénétrant.  Voilà pourquoi  il est dit en Daniel 7 : « Un fleuve de feu    sortira de sa boche. »  Et comme Dieu est tout entier justice et jugement, c’est pour cela que dans les Écritures il est appelé feu.  Malachie 3 : « Lui, comme un brasier ardent. »  Et Hébreux : « Car, notre Dieu est un feu consumant. »  Et en cela, nous ne différons pas de Calvin et de Pierre le martyr.

La cinquième et dernière difficulté.   Que faut-il entendre par feu, quand il dit : « il sera sauvé comme à travers le feu. » Quelques-uns y voient les tribulations de cette vie.  Mais cela ne convient vraiment pas,  car même ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent seraient sauvés comme au travers du feu.  Voilà pourquoi saint Augustin et saint Grégoire, qui sont les auteurs de cette opinion, ne l’ont pas toujours approuvée, et ont même donné une autre interprétation, dont nous parlerons plus bas.  D’autres y voient un feu éternel, comme saint Jean Chrysostome et Theophyactus, mais cette interprétation nous l’avons déjà réfutée.  D’autres y voient la conflagration du monde.  Mais on ne peut pas soutenir cette opinion à cause des raisons déjà données.  Et aussi parce qu’il s’ensuivrait que ceux qui ont des péchés véniels ne pourraient pas parvenir à la béatitude éternelle avant le jour du jugement, car rien de souillé n’entrera dans le ciel.

Calvin, Ochinus, Pierre le martyr et Luther (article 37) entendent par ce feu le jugement de Dieu qui approuve la vraie doctrine, réfute la fausse, comme le feu perfectionne l’or et consume le foin.  Ils disent que ce jugement se produit quand quelqu’un se convertit, et surtout à l’heure de la mort.  Car alors, beaucoup sont éclairés, et comprennent qu’ils se sont trompés, qu’ils ont fait un rejet de la vraie doctrine.  Ils sont confus et honteux,  et c’est ainsi qu’ils sont sauvés par le feu.  Le martyr ajoute qu’il ne doute pas que saint Bernard, saint François, saint Dominique et les autres pères se soient sauvés de cette façon, parce que, au moment de la mort, ils ont été éclairés par Dieu, et ont condamné leurs erreurs sur le monachisme et la messe etc.

Mais c’est le contraire qui est vrai, car ce jugement se fait à la mort, quand l’homme est encore vivant, mais aussi après la mort.  S’il peut se faire aussi après la mort, il y a donc, après la mort, une purgation et une rémission des péchés, au moins par la componction et la pénitence  qu’ils n’admettent, eux, en aucune façon.  Et cela, c’est une sorte de purgatoire.  Si le jugement ne se fait qu’à l’heure de la mort, je demande, comment se comporte-t-il envers ceux qui ont construit avec du bois, du foin et de la paille, et meurent subitement sans avoir eu le temps de faire  pénitence ? Ceux-là ne se sauveront pas comme à travers le feu, eux qui n’ont pas eu ce feu du jugement, et la réfutation de leurs erreurs.  Ils ne peuvent quand même pas être damnés à la géhenne, parce qu’ils ont eu le Christ comme fondement.  Et c’est au sujet de tels défunts que saint Paul déclare qu’ils sont sauvés.  Ils ne peuvent être sauvés que s’ils sont admis au purgatoire, car étant tombés dans le péché avec le foin et la paille, ils ne peuvent être sauvés que par le feu.  Deuxièmement.   Ce feu dont parle Paul infligera des peines véritables et proportionnelles, et, en plus,  des sentiments de honte et de  confusion.  Donc, ce jugement qui réfute les erreurs n’est pas le feu dont il est ici question.

On prouve l’antécédent  d’abord, par cette phrase : il en subira des dommages.  En grec, il infligera des peines. Ce mot est fréquemment employé.  De la même façon dans le il sera sauvé comme à travers le feu, le passage au travers du feu signifie une peine et une douleur. Car, celui qui passerait à travers le feu sans avoir eu aucune brulure aurait plutôt passé dans un jardin semé de roses, comme on le lit de saint Tiburce.  Troisièmement.  L’apôtre oppose ce passage à travers le feu à une récompense.   Car comme il avait dit : si son œuvre demeure, il en recevra une récompense,  il dit maintenant : si son œuvre est consumée par le feu, il sera sauvé comme à travers le feu.   Mais cette récompense signifie autre chose que la bonne œuvre et la joie qu’apporte une bonne œuvre.  Car, il ne dirait pas il recevra une récompense si la récompense n’était rien d’autre que celle qu’avait celui qui a construit avec de l’or.  Donc, pour celui qui a construit avec du foin,  le dommage et le passage au travers du feu sont une peine différente de la destruction de l’œuvre et de la honte.

Quatrièmement.   Car ce jugement qui réfute les erreurs n’apporte pas du trouble, mais un profit.  Car c’est une illumination  de l’esprit, et comme disent certains, la connaissance de la vérité.  Celui qui a du laiton  qu’il aime comme de l’or ne sent pas lésé  si quelqu’un le lui prend et lui donne du vrai or.  De la même façon, celui qui a des erreurs dans son esprit et qui, par une illumination divine, apprend la vérité, ne souffre aucun dommage, mais reçoit un profit.  Or, Paul a dit qu’il subirait un dommage.  Cinquièmement.  Il s’ensuivrait que tous ceux qui sont sauvés le sont comme à travers le feu, ce qui va contre la distinction faite par l’apôtre.  Car même si Paul ne parle que des péchés qu’on commet en enseignant, cela vaut aussi pour tous les autres péchés.  Car le même Dieu qui jugera la doctrine jugera aussi toutes les œuvres.

Selon Calvin et tous les luthériens, toutes nos œuvres, même si elles  paraissent très saintes aux yeux des hommes, ne sont toutes que des péchés aux yeux de Dieu.  Elles ne peuvent pas non plus supporter le jugement de Dieu,  mais sont rejetées comme la fausse doctrine.  Si donc le feu, dont parle saint Paul, est le jugement de Dieu, tous seront sauvés comme au travers du feu.

Ne vaut pas la réponse suivante.  Les œuvres des justes ne sont pas rejetées car elles sont couvertes par la non imputation.  Ce sont les œuvres des impies qui n’ont pas été justifiées par la foi qui  seront rejetées.  Car, quand Paul a dit : il sera sauvé comme au travers du feu,  il parle des justes qui, tout en retenant le vrai fondement, la vraie foi dans le Christ, ont construit avec de la paille.    Ce que le martyr dit des saints Bernard, François et Dominique est un impudent mensonge.   Car, jusqu’à leur dernier souffle,  ils recommandèrent aux leurs la persévérance dans le monastère, et l’obéissance à l’église romaine.  Écoutons ce que  saint Bonaventure rapporte de la vie de François, chapitre 14 : « Quand approcha l’heure de son passage, il fit venir à lui tous les frères présents dans  ce lieu, et les préparant à sa mort par des paroles consolatrices. Il les exhorta, par affection paternelle, à  l’amour divin, et fit un long sermon  sur la patience et la pauvreté,  et la foi dans la sainte église romaine.  Et il ajoute ceci en plus : marchez, mes fils, dans la crainte de Dieu, et demeurez-y  toujours.  Et parce que la tentation et la tribulation futures approchent, heureux seront ceux qui persévèreront dans ce qu’ils ont commencé.  Quant à moi, je m’en vais vers Dieu, à la grâce du quel je vous recommanderai toujours ».  C’est donc une palinodie ce qu’a rêvé le  pseudo martyr.

C’est donc la position commune des théologiens d’entendre, par le nom de feu, la peine temporaire  du purgatoire, où sont adjugés, après leur mort, ceux qui, au jugement particulier, ont été vus comme ayant construit  avec du foin, du foin ou  de la paille.   Cette interprétation convient parfaitement au texte, et est approuvée par la grande majorité des pères.  Tous les latins enseignent cela.   Saint Cyprien (livre 4, épitre 2 à Antonien) : « Autre est de  se maintenir dans le pardon, autre est de parvenir à la gloire.   Autre est ne pas sortir d’une prison où on a été envoyé, jusqu’à ce qu’on rembourse le dernier centime; autre recevoir tout de suite  la récompense de la foi et de la vertu.  Autre être longtemps purifié de ses péchés par les  longues souffrances des tourments, et être longtemps purgé par le feu, autre payer  tous ses péchés par sa passion. »

Saint Cyprien n’a pas directement en vue ce texte de saint Paul, mais comme, dans l’Écriture on ne fait jamais mention du feu que  là où il est question ouvertement du purgatoire, il n’est pas douteux que saint Cyprien se réfère à ce texte.  Saint  Ambroise dit dans son commentaire de ce passage : « Mais quand l’apôtre dit comme  à travers le feu, il dit que quelqu’un sera sauvé, mais qu’il devra supporter les peines du feu, pour qu’après avoir été purgé par le feu, il soit sauvé, et qu’il ne soit pas, comme les perfides, torturés à perpétuité dans le feu éternel. »  Il dit la même chose dans le sermon 20, sur le psaume 118. Saint Jérôme (chapitre 4 d’Amos : commentant le verset : Vous avez comment  un tison a été  préservé de l’incendie), dit : « D’après ce que nous lisons dans l’Apôtre, il sera sauvé comme par le feu.  Celui qui serait sauvé au travers du feu  sera comme un tison préservé de l’incendie. »  Il enseigne la  même chose dans les derniers mots du dernier livre sur Isaïe, et au livre 2 contre Jovinien, passé le milieu.

Saint Augustin  (psaume 37) : « Dans cette vie tu me purges, et tu me rends tel que je n’aurai plus besoin du feu purgeur. » Et plus bas, expliquant ce passage de l’apôtre, il dit : « On dirait qu’il sera sauvé comme par le feu.  Et parce qu’on dit qu’il sera sauvé, on n’a que du mépris pour ce feu.   Et pourtant, ce feu  qui nous sauve ainsi est plus douloureux que n’importe lequel feu qu’on a à supporter sur la terre ».   Saint Grégoire (livre 4, chapitre 34 des dialogues) : « Bien qu’on puisse voir dans ce passage le feu des tribulations que nous avons à subir pendant cette vie, cependant, si quelqu’un y voit le feu de la future purification, il faut prendre le temps d’une bonne réflexion parce que, par ce feu, est dit être sauvé non celui quia construit sur le fer et l’airain, ou le plomb, qui sont des fautes graves, et donc plus coriaces, plus dures, plus indissolubles, mais le bois, le chaume et le foin, des péchés légers que le feu consume facilement.  C’est ce qu’ont enseigné Alcuin (livre 3 sur la Trinité), Rupert (chapitre 3 de la Genèse, expliquant un passage où il est parlé d’un glaive de feu), la Maître des sentences (4, dist 21), et avec lui saint Bonaventure, et tous les scolastiques.   De même Anselme, Aymo, saint Thomas dans leurs commentaires sur ce  passage.  Ensuite Innocent 111,(psaume 37), et tous les auteurs latins plus récents.

Chez les Grecs, nous avons d’abord Origène qui enseigne la chose très clairement (homélie 6 sur l’Exode, homélie 14 sur le Lévitique, et homélie 12 sur saint Jérémie.  Dans l’homélie 6 sur l’Exode, il dit ceci : « Mais cela aussi conviendra quand quelqu’une apportera plusieurs bonnes œuvres  et un petit peu seulement d’iniquité.  Ce petit peu, comme du plomb, sera purgé par le feu. »  Ensuite, Oecumenius atteste que saint Basile avait entendu ce texte au sens du purgatoire.  Il cite aussi saint Thomas dans son premier opuscule contre les Grecs, et Theodoret expliquant ce passage par les paroles suivantes : « Nous croyons dans ce feu purgeur, qui purgera les âmes comme l’or dans le creuset. » Gagnejus cite en grec la même phrase.

Mais, ils nous objectent qu’il est impossible que, dans la même phrase, il ait employé  ce mot  dans des sens différents, une fois pour le jugement, une autre pour le feu du purgatoire.  Nous répondons que nous sommes forcés par le texte lui-même de donner au mot feu non un  sens, mais deux .  Car, quand il dit que le jour du jugement est manifesté par le feu, il semble bien parler du feu de la conflagration. Quand il ajoute que la valeur de chaque œuvre sera éprouvée par le feu, il ne peut pas parler d’un feu matériel, lequel ne peut pas éprouver des œuvres qui sont disparues.   De plus, l’apôtre dit que toutes les œuvres doivent être examinées par ce second feu.  Troisièmement, non seulement les œuvres, mais les auteurs des autres.  Non pas tous, mais seulement ceux qui ont construit avec du bois, du foin et du chanvre.  Il est donc nécessaire qu’il y ait des feux différents.  Ce n’est quand  même pas proprement une équivoque, car on y voir une élégante allusion dans les paroles de l’apôtre. Voici quel est le sens  de tout ce passage.  Le jour du Seigneur sera déclaré par le feu de la conflagration.  Et comme ce jour sera déclaré par le feu, le même jour manifestera par le feu du jugement l’œuvre de chacun.  Et comme les œuvres seront manifestées par le feu, de la même façon les ouvriers qui ont besoin de purgation seront purgés par ce feu.

En second lieu, je dis que ce n’est pas une chose inhabituelle pour Paul de varier le sens des mots dans une même phrase.  Il entend le mot péché dans un sens différent quand il dit aux Corinthiens 2, 5 : « Celui qui ne connaissait pas le péché s’est fait péché pour nous. » Et, aux Romains : « Par le péché il a condamné le péché. »  Je dis, en troisième lieu que si quelqu’un ne veut pas admettre la diversité de sens d’un même mot, mais entend partout le mot feu au sens de jugement,  cela ne lui donnerait pas la possibilité de réfuter ce que nous avons tiré de ce passage.  Car le sens serait le suivant : si son œuvre est consumée par le feu, il en retirera des dommages, mais lui-même sera sauvé, mais comme par le feu, c’est-à-dire que si l’œuvre de dieu ne pourra pas être approuvée par la justice de Dieu, cette œuvre sera réprouvée, mais lui sera sauvé, comme s’il avait passé à travers le feu du jugement divin, lequel est très jute,  et impose une peine à chacun.

Ils nous objectent en particulier le mot quasi (comme), qui a coutume de signifier une similitude plutôt qu’une vérité.  Je réponds que le mot comme ne représente pas une image du feu, comme si ce feu n’était pas vrai mais fantastique, mais de celui qui passe à travers le feu, de façon à ce que le sens soit le suivant : il parviendra au salut celui qui a construit avec du foin, mais il y parviendra de la façon dont parvient quelqu’un passe au travers du feu, comme il est dit (Jean 1) : « Et nous avons vu sa gloire, une gloire semblable (comme)  à celle du Fils unique du Père. »  C’est-à-dire,  nous l’avons vu glorieux de la façon dont il convient  au Fils unique du Père d’être glorieux. »

                           CHAPITRE 6

Le troisième texte. 1 Corinthiens 15 : «Que font-ils ceux qui sont baptisés pour les morts,  si les morts ne ressuscitent pas ?  Pourquoi sont-ils baptisés pour eux ? »  Si on le comprend bien, ce passage illustre parfaitement notre doctrine.  Expliquons-le donc brièvement.  Je trouve six explications différentes de ce texte.

La première.  L’apôtre prouve la résurrection future avec l’erreur de ceux qui recevaient le baptême au nom d’un ami défunt mort sans baptême. Car, ils estimaient que, comme les prières et les jeûnes des vivants sont profitables aux défunts, le baptême leur serait d’un grand secours.  C’est ainsi qu’expliquent ce texte Tertullien (dans Marcion, et dans son livre sur la résurrection), saint Ambroise, saint Anselme et Haymo. Ces pères enseignent que bien que l’apôtre n’approuvât pas leur erreur, il appréciait l’intention qu’ils avaient d’aider les défunts.  Et voici comment ils argumentaient.  Si l’apôtre approuve leur intention d’aider les morts, aucun chrétien ne peut  et ne doit la réprouver.

Mais je ne crois pas que cette explication soit la bonne, car, pour ne pas donner une occasion d’errer,  l’apôtre aurait du au moins laisser entendre par quelques mots qu’il s’agissait d’une erreur.  Ensuite, parce que le raisonnement de l’apôtre ne serait pas solide, car on  aurait pu répondre que le fait que des gens qui se trompent pensent ainsi,  ne prouve en rien qu’il y ait une résurrection.  Car, comme ils se trompent en pensant qu’on peut baptiser quelqu’un à la place d’un autre, ils se trompent également quand ils croient à une résurrection des morts.  Troisièmement, parce qu’aucun auteur ancien ne rapporte qu’une telle erreur ait existé au temps des apôtres.

Phylaster attribue cette erreur aux montanistes, qui ont vécu cent ans après la mort de saint Paul. Saint Jean Chrysostome et Theophylacte l’attribuent aux marcionistes, qui ont commencé à prêcher 80 ans après la mort de saint Paul.  Épiphane (hérésie 28) l’attribue  aux Cherinthiens, qui ont vécu 20 ans après la mort de saint Paul.  Ajoutons que ce n’est pas à Martion ou à Cérinthe que saint Jean Chrysostome et Épiphane attribuent cette erreur, mais à ceux qui vinrent après eux.  Autrement, pourquoi saint Irénée et Tertullien n’ont-ils pas réfuté cette erreur, eux qui ont réfuté consciencieusement toutes les erreurs de Cérinthe et de Marcion ?  Il est vrai que Tertullien dit que cette erreur a existé au temps des apôtres, mais à un endroit seulement.   Voilà pourquoi cette explication est rejetée comme fausse  par saint Jean Chrysostome, Épiphane et Theophylacte.

La deuxième explication.  Par le mot « morts »,  l’apôtre entend les péchés. C’est comme s’il disait : que font ceux qui se font baptiser pour les morts, c’est-à-dire pour effacer leurs péchés ?  C’est ce que pensent Sedulius et saint Thomas.  Mais cela ne semble pas non plus être la vraie explication, d’abord parce que l’apôtre ajoute : «  si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux, des hommes morts qui ne ressuscitent pas  » ?  Car,  il ne veut pas prouver que les péchés ressuscitent, mais que les hommes ressuscitent.  Ensuite, parce que toute la force de l’argument s’envole si on dit : que font donc ceux qui sont baptisés pour effacer les péchés, si les morts ne ressuscitent pas ?  Car, on pourrait répondre.  Il est très avantageux d’effacer les péchés même si les morts ne ressuscitent pas, car il est bon dans cette vie de jouir du témoignage d’une bonne conscience.  Troisièmement.  On ne dit que les péchés sont morts que quand ils sont effacés et éteints. Par le mot « morts »,  saint Paul n’entend donc pas les péchés,  car ils ont encore à être effacés.

La troisième explication. Être baptisé pour les morts signifie tout simplement être  baptisé du baptême du Christ. Mais on dit que sont baptisés pour les morts ceux qui reçoivent le baptême, parce que, avant d’être baptisés, ils récitent le symbole dans lequel se trouve un seul article : la résurrection de la chair.  Et c’est ainsi que « pour les morts » signifie pour l’espoir de la résurrection,  ou pour que nos corps qui mourront ressuscitent immortels.  Et c’est ce que pensent saint Jean Chrysostome, Oecumenius et Theophylacte.  Mais cette explication n’est pas naturelle, et parait forcée.  D’abord, parce que l’apôtre n’aurait pas dit : que font donc ceux qui sont baptisés pour les morts ?  Mais que faisons-nous, nous qui sommes baptisés pour les morts ?  Car ce ne sont pas quelques-uns seulement qui sont baptisés ainsi, mais tous.  Or, l’apôtre parle de quelques-uns,  comme il appert par  les mots eux-mêmes,  et par ce qui suit : pourquoi, nous aussi, périclitons-nous tout le jour ?

Ensuite. On n’a jamais entendu dire que par morts on puisse entendre espoir de résurrection, ou corps morts, parce que, en grec, le mot nekroi est du genre masculin, et le mot sômata du genre neutre.  Troisièmement.   Car si nous disions que nous sommes baptisés pour les morts parce que nous récitions l’article de la résurrection des morts, nous pourrions dire aussi que nous sommes baptisés pour Dieu le Père, pour le Christ et le Saint-Esprit, et aussi pour l’église, car toutes choses sont récitées dans le symbole.   Quatrièmement.  Par le mot « morts », l’apôtre veut entendre tous les hommes morts, et rien d’autre, car il dit : « Si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi sont-ils baptisés pour eux ? »  Que pouvons-nous entendre par « eux », si ce n’est ces morts qui ne ressuscitent pas ?

La quatrième interprétation.  Être baptisé pour les morts, c’est être baptisé du baptême du Christ.  On dit baptême pour les morts, car, quand nous sommes baptisés,  nous représentons par notre comportement la personne d’un mort, quand nous nous immergeons dans l’eau, et d’un ressuscité quand nous émergeons de l’eau.  Et c’est ainsi que nous professons la résurrection, et que par cette profession l’apôtre prouve la résurrection future. C’est ce que pensent Theodoret et Cajetan.  Mais on peut leur objecter que ni  en hébreux, ni en grec ni en latin, agir pour quelqu’un signifie le représenter, mais agir à sa place, ou à son profit.  Qui dit, au théâtre, au sujet de l’acteur  qui personnifie David ou Pamphile,  qu’il agit pour David, ou pour Pamphile ?

Ensuite, ceux qui sont baptisés représentent la mort du Christ, et en même temps leur mort (« Tous ceux qui sont baptisés dans le Christ Jésus sont baptisés dans sa mort, car nous sommes ensevelis avec lui par le baptême. » Romains 6). Être baptisé pour les morts sera donc  être baptisé pour soi et pour le Christ. Ce qui est d’une grande absurdité.  On ne voit jamais, non plus dans l’Écriture l’expression : être baptisé pour le Christ, mais seulement dans le Christ, ou en son nom. (Romains 6, Galates 3, Actes 10 et 19. »  Troisièmement, car l’argument de l’apôtre ne vaudrait rien.  Car du fait que celui qui est baptisé personnifie un mort, il ne s’ensuit pas qu’il lui soit utile pour sa résurrection.  L’apôtre aurait donc du dire : que feront ceux qui sont baptisés pour les ressuscités, ou pour les morts et les ressuscités ?  Mais, même s’il avait dit cela, son argument serait encore fort léger, car on pourrait répondre :  dans le baptême est représentée la résurrection de l’âme du péché,  non la résurrection corporelle de la mort.  C’est ce que laissent entendre l’apôtre (Romains 6) : « Pour que nous marchions dans la nouveauté de la vie. »  Et (Coloss 3) : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez les choses d’en haut. »

La cinquième explication est celle d’Épiphane (hérésie 28) que présente Pierre le Martyr.  Saint Paul parle de ceux qui sont baptisés dans leurs lits, quand ils sont à l’extrémité,  ceux qu’on appelait autrefois alités (cliniques),  et que saint Cyprien oppose aux péripatéticiens (livre, 4, épitre 7 à Magnus).  Car les alités ne marchent pas, mais sont rivés à un lit. Car klinè signifie lit.  Quelques-uns veulent donc que le sens de saint Paul soit le suivant : que feront ceux qui sont baptisés pour les morts, c’est-à-dire : ceux qui sont baptisés quand ils sont plus des morts que des vivants,  et quand il est certain qu’ils ne sont baptisés pour aucun avantage  de cette vie, puisqu’ils sont déjà comptés avec les morts.  Cette explication se réfute d’elle-même.  D’abord, par les mots : pourquoi sont-ils baptisés pour eux ?  Car, il aurait du dire : ceux qui sont baptisés pour eux-mêmes, non pour les autres.  Ensuite, parce que ce « pour un mort » ne peut être dit que dans les actions qui se font à l’égard des morts.  Par exemple, on a raison de dire : un tel est tombé d’un lieu élevé, ou il a été pris pour un mort, ou il a été oint et enseveli comme mort, même s’il était encore vivant.  Mais, on ne pourrait pas dire : il mangeait, il parlait, il marchait comme un mort.  Or, être baptisé est quelque chose qui se rapporte aux vivants et non aux morts, même si quelqu’un le fait à la dernière minute.  Mais on dirait quand même que c’est un vivant qui a été baptisé, non un mort, même s’il était moribond ou agonisant quand il a été baptisé.

Il reste la sixième explication.  C’est celle qui est la plus naturelle et la plus vraie.  L’apôtre parle du baptême  des larmes et de la pénitence qu’on reçoit en priant, en jeûnant et en faisant l’aumône.  Et le sens est le suivant : que feront ceux qui sont baptisés pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas ?  C’est-à-dire.   Que feront ceux qui prient, qui jeûnent, qui gémissent, qui s’affligent  pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas ?  C’est ainsi que l’explique  Ephrem dans son testament, Pierre de Cluny dans son livre contre les petrobrusiens, Denys, Hugues de saint Victor, et Gagnesius, ainsi que d’autres commentateurs de ce passage.

Cette interprétation est très vraie d’abord, parce que, dans l’Écriture le mot être baptisé est souvent pris au sens d’être affligé.  Marc 10 : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai, et être baptisé du baptême dont je serai baptisé ? »  Luc 12 : « J’ai à baptisé. »  Les pères appellent souvent l’affliction pénitentielle un baptême laborieux et une seconde arche .  Saint Cyprien (dans le sermon de la scène du Seigneur) dit : « Il se baptise avec les larmes. »  Et dans son premier livre de l’exhortation au martyre, il appelle souvent baptême mourir pour le Christ.  Et saint Grégoire de Naziance, (dans son sermon sur l’épiphanie) dit : « Je connais un quatrième baptême qui se fait par le martyre et le sang, et j’en connais aussi un cinquième qui se fait par les larmes et la pénitence. »

Deuxièmement.  Parce que la peine du purgatoire est appelée baptême par l’Écriture et par les pères.  Nous lisons, en effet, en Matthieu 3 : « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. »  Saint Jérôme l’entend par Saint-Esprit,  dans cette vie; et par feu,  dans l’autre.  Comme avant lui l’avait expliqué saint Basile, (chapitre 15 du livre sur le Saint-Esprit », et après lui Bède le vénérable (Luc, chapitre 3).  De même saint Grégoire de Naziance, à la fin de son sermon sur l’Épiphanie, appelle le feu du purgatoire dans l’autre vie le dernier baptême.  C’est donc avec beaucoup de justesse que l’apôtre dit que sont baptisés pour les morts  ceux qui s’affligent par la prière et les jeûnes, qui prennent sur eux une partie de ce baptême du feu qui baptise les âmes dans le purgatoire.  Troisièmement.   Parce que cette explication cadre admirablement avec ce qui suit.  Pourquoi donc périclitons-nous tout le jour ?  C’est comme s’il disait :  s’il n’y a pas de résurrection des morts, pourquoi  quelques-uns s’affligent-ils en priant pour les morts,  et pourquoi soufré-je tellement en prêchant l’évangile, si les morts ne ressuscitent pas ?  Quatrièmement.  Parce que cette phrase ressemble aux paroles des Macchabées (2 Macchabées 12, ) : « Si les morts ne ressuscitent pas il est superflu et vain de prier pour les morts. »

Mais on nous oppose deux arguments.  Le premier.  L’apôtre n’aurait pas du dire : que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? Mais, que ferons-nous, nous qui sommes baptisés pour les morts, car tous les chrétiens prient pour les morts.  Je réponds.  L’apôtre n’a pas voulu argumenter à la manière coutumière des chrétiens,  qui en tant que neuve pouvait être rejetée par les incrédules, mais selon la coutume des Juifs, qui, à la manière de leurs ancêtres, et selon les exemples de l’Écriture, priaient  et jeûnaient pour les morts.    C’est comme s’il disait : que feront ceux qui imitent nos anciens pères qui priaient et jeûnaient pour les morts, et s’affligeaient pour eux, si les morts ne ressuscitent pas ?

Le second argument. La prière pour les morts ne semble pas prouver la résurrection, car on ne prie pas pour qu’ils ressuscitent, mais pour qu’ils soient libérés de leurs peines, et passent dans le repos. Je réponds.  La résurrection et l’immortalité de l’âme furent tellement unies entre elles au temps des apôtres qu’elles formaient  une seule question, comme nous l’avons expliqué p lus haut quant nous avons étudié le témoignage des Macchabées.  Soit que nous suivions cette interprétation, qui nous semble à nous la plus vraie, ou soit la première, qui est meilleure que les trois autres, on aboutit à la prière pour les défunts.

CHAPITRE 7

Math 5, et Luc 12 avoir payé le dernier centime

Le quatrième texte.  Math 5, et Luc 12 : « Réconcilie-toi rapidement avec ton adversaire pendant que tu marches avec lui sur la route,  de peur que ton adversaire ne te livre au juge, et le juge au bourreau,  et aux militaires dans la prison. En vérité, en vérité je te le dis, tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé le dernier centime. »  Il faut expliquer ce qu’est la voie, qui est l’adversaire,  le juge,  le bourreau, le  geôlier,  et le centime.  D’abord, saint Jean Chrysostome (sur le chapitre 5 de saint Matthieu) enseigne que la voie est prise ici pour la vraie voie par laquelle on va de ce monde à Dieu.  Il considère qu’il n’y a ici aucune parabole,  mais que le Seigneur, littéralement, terrifie ceux qui se méfient de la menace d’un péril humain, de façon à ce que par juge il entend un homme, par bourreau, un homme,  et par prison une prison matérielle de cette vie, et par centime, une vraie pièce d’argent.  Ochinus voit les choses de la même façon.

J’ai deux choses à dire sur cette explication.  La première.  Elle n’est pas du tout probable, parce que d’abord tous les autres commentateurs s’y opposent (Origène, Cyprien, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Augustin, Bède, Anselme, et les plus récents : Abulens, Lyre, Cajetan, et Jansenius), et tous l ceux qui enseignent que cette voie signifie la vie présente, comme quand on dit (psaume 118) : « Bienheureux sont ceux qui sont sans tache dans cette voie ! » Et cet enseignement est en grande partie métaphorique.  D’abord, parce qu’il ne convenait pas au Seigneur d’enseigner et d’inculquer sérieusement la prudence humaine, puisqu’il avait souvent attesté que les fils de ce siècle sont plus prudents que les fils de la lumière.  Ajoutons que le Seigneur n’aurait pas dit avec tant d’assurance, et d’un ton si solennel :  en vérité, en vérité je te le dis, tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé la dernière piécette  s’il avait parlé d’un jugement humain, et d’une prison humaine.  Car, nous voyons souvent le contraire arriver : des coupables sont graciés par faveur royale, des détenus s’évadent de prison sans jamais rien payer.

Je dis, en deuxième lieu.  Si on devait recevoir l’explication de saint Jean Chrysostome comme probable, on ne pourrait l’accepter qu’à cause des paroles qui se trouvent en Mathieu 5, dont il fait le commentaire.  Mais en aucune façon à cause des paroles qui se trouvent en Luc 12.   Comme saint Ambroise l’a justement noté, le Seigneur a prononcé deux fois ces paroles dans des circonstances différentes.   Car, en Matthieu 5, il prononce ces mots quand il parle de l’amour des ennemis et du pardon des injures, et voilà pourquoi on peut tolérer l’explication de saint Jean Chrysostome.

Mais, dans Luc 12, Jésus parle du jugement futur. Il dit, en effet : « Que vous reins soient ceints ! »  Et après : « Veillez, car c’est à l’heure à laquelle vous ne pensez pas que le Seigneur viendra. »  Et, à la fin, il conclut : « Quand donc tu vas avec ton adversaire au prince ».  Il montre clairement là qu’il parle du jugement futur, qui aura lieu après cette vie.  Ce que confirment les paroles qui précèdent immédiatement : « Quoi donc ? Ne jugez-vous pas, par vous-mêmes, ce qui est bon ?  Car, quand tu t’en vas avec ton adversaire etc. »  Car, il veut les avertir en ayant recours à une parabole tirée des choses que font les hommes.  Car, avant d’en arriver à un procès, les débiteurs  tentent tout auprès de leurs créanciers.  C’est pourquoi Theophylacte et Euthymius qui, au chapitre 5 de Matthieu, suivent Chrysostome,  disent que, en Luc 12, la voie signifie la vie, et le juge, Dieu.

Au sujet du second -- qui est l’adversaire-- même s’il a peu de rapport avec notre sujet qui est le purgatoire,  nous l’expliquerons quand même brièvement, parce que la chose en vaut la peine.  Certains par adversaire entendent le diable, comme Origène (homélie 35 sur Luc), Ambroise, Euthymius, Theophylacte (dans le chapitre 12 de Luc), et saint Jérôme (épitre 8 à Démétriade). Saint Jérôme ne reproche rien non plus à cette interprétation dans son commentaire sur Matthieu 5, quand il dit : « D’autres ont disserté avec plus de contrainte. » Car, contrainte est une erreur des copistes pour prudence (coactius, cautius).  Si tu demandes comment nous devons consentir au diable, quand, au contraire, il faut toujours lui résister, saint Jérôme répondra : nous devons lui consentir en autant que nous sommes tenus de demeurer fidèles au pacte contracté avec lui dans le baptême.  Car, alors, nous avons renoncé au diable et à ses pompes. Et si nous désirons et envahissons ses pompes auxquelles nous avons renoncées,  c’est de plein droit qu’il nous accusera devant le Seigneur.  Cette opinion n’est pas très probable, et elle est réfutée par saint Augustin (livre 1, chapitre 22, sur le sermon sur la montagne.)  Car, en grec, le mot eunoôn  signifie bienveillant et cordial. Et nous ne pouvons pas être bienveillants envers le démon.  De plus, comme il désire, lui, que nous convoitions ses pompes, il nous tente dans ce but,  pour que nous consentions à ses suggestions, nous désirions ses pompes et offensions Dieu.

D’autre voient dans le mot adversaire  la chair.  Mais ils ont été très bien réfutés par saint Augustin, car on ne peut pas ordonner à l’esprit de consentir à (ce que veut) la chair, puisque ce serait commettre un péché.  Dans le mot adversaire d’autres voient l’esprit , aux désir duquel le chair doit consentir.  Cette interprétation est réfutée par saint Jérôme, car il n’est pas croyable que l’esprit livrerait à un juge sa propre chair.  Car, la chair n’ira pas en prison sans l’esprit,  l’esprit n’y ira pas non plus tout seul, mais avec la chair.  D’autres comme saint Ambroise, par adversaire (au  moins selon Luc), entendent le péché, parce qu’il est dit dans Luc : « Efforce-toi de te libérer de lui. »  Mais ce n’est pas probable.   Car, se libérer d’un adversaire ce n’est pas s’éloigner de lui en le fuyant, ou l’exterminer, mais s’entendre avec lui.  Comme on le voit en Matthieu par le mot antidixos, c’est-à-dire litigieux ou acteur.

D’autres entendent par adversaire un autre homme qui nous fait du tort, ou auquel nous faisons du tort.  Comme Hilaire, Anselme, saint Jérôme (dans Matthieu 5).  Cette sentence est probable par rapport à Matthieu 5.  Mais elle a été réfutée par saint Augustin, dans le texte cité.  D’abord, parce que le Seigneur semble parler ici d’un adversaire qui est toujours avec nous dans le chemin, et avec lequel nous pouvons toujours nous entendre tant que nous marchons sur le chemin.  Mais l’adversaire humain meurt souvent avant son adversaire, et le laisse seul marcher sur la voie.  On ne doit pas dire, pour autant, que le juste qui marche sur le chemin ne peut pas être sauvé par la pénitence parce qu’il ne peut pas faire la paix avec l’adversaire sur le chemin.  Deuxièmement, car on ne peut pas dire qu’un homme livre un homme à Dieu, au sens propre du mot livrer.

La vraie explication est donc que l’adversaire est la loi de Dieu, ou Dieu  lui-même en tant qu’il prescrit des choses contraires à la chair,  ou la conscience,  qui objecte au pécheur la loi de Dieu.  Car coutes ces choses sont à peu près semblables.   C’est ainsi que l’exposent Ambroise, Bède et Bonaventure au chapitre 12 de Luc.  De même, saint Anselme et saint Augustin (homélie 1 sur les paroles du Seigneur, homélie 5 dans le livre 50 des homélies, et chapitre 3 dans le livres des dix cordes .)  Saint Grégoire (homélie 39), et saint Bernard (sermon 85 sur les cantiques). Car, la loi de dieu et notre conscience sont toujours avec nous en chemin.  Elles sont toujours attaquées par les mauvais désirs.  Il est très utile de consentir aux dictats de la loi et de la conscience, et d’être libérés par elles de nos ennemis.  Elles seront par la suite, des témoins et des accusateurs au jour du jugement.

Une seule chose semble s’opposer à cette interprétation.  Dans Matthieu 5, immédiatement avant cette parabole, le Seigneur parle de la réconciliation avec un adversaire humain.  Je réponds que le Seigneur, après avoir enseigné qu’un homme doit se réconcilier avec un autre homme, a voulu avertir, par cette parabole,  qu’on devait se rappeler de se réconcilier aussi  avec Dieu ou avec sa loi.  De plus, même s’il est probable que, pour cette raison,  l’adversaire (en Matthieu 5)  soit un homme, nous ne pouvons entendre le Luc 12 que de la loi de Dieu ou de la conscience. Et c’est pour cela que  Cajetan voit l’homme dans l’adversaire en Matthieu 5, et la conscience en Luc 12.

Au sujet du troisième, tous conviennent que le juge est le Christ, car c’est une chose que l’Écriture enseigne souvent, et surtout Jean : Jean 5 : « Le Père a donné tout jugement au Fils »  Au sujet du quatrième,  Ambroise (au chapitre 12 de Luc), et Augustin, (livre 1 chapitre 21 sur le sermon sur la montagne) entendent pas ministres les bons anges.  Saint Grégoire  (homélie 39) et Thophylacte (Luc, 12),  entendent par ministres des démons. Les deux sont vraisemblables.  Au sujet du cinquième, la prison, tous sont d’avis qu’elle représente l’enfer, dans lequel, cependant, il y a plusieurs maisons, une pour les damnés,  et une pour ceux qui sont purgés.

Il y avait autrefois l’hérésie de Carpocrate qui est très absurde, comme le rapporte saint Irénée (livre 1, chapitre 24).  Il prétendait que chacun de nous devait être soumis à toutes sortes de supplices; et que les âmes sortaient du corps comme d’une prison pour être examinées par le juge, et que si alors elle n’avait pas encore subi tous les châtiments, elle devait être retournée dans son corps comme dans une prison, et qu’elle devait faire cela tant qu’elle n’avait pas passé par les tous les tourments.  Et que c’est ce que le Seigneur voulait dire quand il déclara : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé la dernière  piécette.  Mais cette interprétation est si absurde qu’elle ne nécessite aucune réfutation.

Au sujet du sixième,  presque tous sont d’accord pour entendre dans la dernière piécette les plus légers péchés,  car le mot latin employé signifie la plus petite pièce de monnaie.   Saint Augustin dit que cette piécette ou centime signifie des péchés terrestres, parce que la terre est le dernier des éléments.  Cette interprétation me semble un peu forcée, et peu vraisemblable, car le Seigneur ne peut pas dire seulement qu’il faut payer la dernière piécette, mais tout ce que l’on doit jusqu’au dernier sou.

Ce que l’on met en doute c’est : est-ce que cela se fait dans l’enfer ou dans le purgatoire ?  Saint Augustin pense qu’il s’agit ici des peines de la géhenne éternelle, et voilà pourquoi : il dit : « jusqu’à ce que tu rendes » ne signifie pas un certain temps, mais l’éternité.   Comme quand on dit en Matthieu : « Il ne l’a pas connu jusqu’à ce qu’elle enfanta son fils. »  Et le psaume 109 : « Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je place tes ennemis comme un escabeau pour tes pieds. » Et 1 Cor 15 : « Il lui faut recevoir le ciel jusqu’à ce que tout soit soumis à ses pieds. »  Car il n’est pas permis de conclure de cette façon particulière de parler qu’après avoir enfanté la vierge a connu Joseph.

D’autres, comme saint Albert et Cajetan, y  voient en même temps la géhenne et le purgatoire.  Et, selon eux, le sens serait le suivant : si ta dette est insolvable, tu n’en sortiras jamais. Si elle est solvable, tu en sortiras quand tu auras absolument tout payé.  D’autres n’y voient que le purgatoire, ceux que nous citerons bientôt.&&

La troisième est celle qui, parmi toutes les autres, est la plus vraie. On en donne d’abord pour preuve que c’est ainsi que l’ont entendu les plus anciens pères.   Tertullien  (livre 1 de l’âme, chapitre 17 : « Il t’enverra dans la prison de l’enfer, d’où tu ne sortiras pas avant d’avoir expié chaque faute, au temps de la  résurrection. »   Note qu’il dit  là qu’il restera au purgatoire au maximum jusqu’à la résurrection.    Cyprien (livre 4, épitre 2) : « Autre est de se maintenir dans le pardon; autre est de parvenir à la gloire. Autre est d’être d’envoyé en prison, et ne pas en sortir avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime; autre est de recevoir tout de suite la récompense de la vertu et de la foi. Autre est être purifié longtemps de ses péchés par des tortures, et être purgé par le feu; autre est purger tous ses péchés par la passion. »

Origène (homélie 35 sur Luc) : « Si nous avons une dette aussi grosse que  celui qui devait dix mille talents, je n’arrive pas à comprendre ce qui nous arrivera.  Car, si celui qui doit peu ne peut pas sortir avant d’avoir payé le dernier centime, celui qui est redevable d’une telle somme, aura besoin de siècles infinis pour tout rembourser. » Et dans son épitre aux Romains, il dit : « Même si on promet qu’il viendra un temps où on pourra sortir de la prison, on indique cependant qu’on ne pourra pas en sortir avant d’avoir payé le dernier centime. »  Eusèbe Emissenus, mais plutôt Césaire d’Arles,  ou quiconque fut l’auteur de cette homélie 3  sur l’épiphanie, dit : « Ceux qui ont été dignes de peines temporelles, ceux dont parle sermon, qui ne sortiront pas avant d’avoir payé le dernier centime, ceux-là passeront à travers un fleuve de feu. »  Ambroise (chapitre 12 de Luc) dit, en expliquant le dernier centime : « On a coutume, selon notre souvenir,  de donner, dans les bains publics, un centime pour obtenir le droit de se laver et de se nettoyer.  Parce que le péché de chacun, quelle soit sa condition sociale, est effacé. »  Saint Jérôme (Matthieu 5) : « Voici ce qu’il dit : tu ne sortiras pas de prison tant que tu n’auras pas expié tous tes péchés. »  Saint Bernard (dans son sermon sur saint Hubert, écrit : « Sachez bien cela. Après cette vie, sont rendus an centuple les choses qui furent négligées ici-bas, et jusqu’à la dernière cent ».

On le prouve en second lieu, parce que ce : jusqu’à ce que tu aies payé le dernier centime, ne peut se comprendre que s’il y a une fin au remboursement.  Les exemples donnés par saint Augustin ne satisfont pas non plus.  Car, quand on dit : il ne l’a pas connue avant qu’elle enfante, on ne peut pas en conclure qu’il l’a connue après, mais qu’elle enfanterait bientôt.  Et quand on dit : assis-toi à ma droite jusqu’à ce que… on déduit correctement qu’il viendra un temps où tous les ennemis de Jésus seront mis sous ses pieds.  Autrement, «  jusqu’à ce que »  serait dit pour rien. Et quand on dit : tu ne sortiras pas avant d’avoir payé le dernier centime, nous en inférons correctement qu’il payera un jour le dernier centime, et donc qu’il sortira.  On le prouve, en troisième lieu, par le fondement et le but de cette parabole.  Car, la comparaison ne se rapporte pas aux homicides, aux adultères, aux traitres, qui sont condamnés à mort ou sont incarcérés à perpétuité, ou aux trirèmes, mais à un débiteur qui est mis en prison jusqu’à ce qu’il rembourse.   Des gens de cette sorte ont l’habitude de sortir de prison après un certain temps.  Le sens de la parabole est donc qu’on se réconcilie avec Dieu  quand nous demandons à  Dieu la rémission de la peine due à nos péchés passés, au lieu d’attendre le siècle futur, où on sera traité avec sévérité. »

CHAPITRE 8

Le cinquième est Matthieu 5 : « Celui qui se fâche contre son frère, sera coupable au jugement.  Celui qui dira à son frère raca, sera coupable au conseil, celui qui dira fatue, sera coupable de la géhenne de feu. »   Il s’agit certainement de la peine qui sera  imposée au jugement de Dieu, comme la fin le montre : il sera coupable de la géhenne de feu.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 1, chapitre 18 du sermon sur la montagne) applique ces trois choses aux peines des âmes après la vie. Notons, ensuite, que sont distingués ici trois genres de péchés et de peines, comme saint Augustin l’explique, et que la damnation éternelle n’est attribuée qu’au troisième genre de péchés, les crimes. Aux autres, aux péchés plus légers, des peines plus légères et temporelles. On en déduit que, après la mort, certaines âmes sont punies par des peines temporelles.

Tu diras :  le Christ avait dit : celui qui tuera sera coupable de jugement. Donc, être coupable de jugement est être condamné à la géhenne, car l’homicide est un crime mortel.   Je réponds. Quand le Seigneur a dit : il a été dit  aux anciens, celui qui tuera sera coupable de jugement, il parle du jugement humain et temporel qui punit les homicides par la mort temporelle, car la loi ancienne ne menaçait pas les homicides d’une autre mort (Exode 21).  Le Seigneur veut donc dire que l’homicide est puni par la mort dans ce monde, mais que, dans l’autre vie,  même s’il elle est un péché véniel, la colère est  punie par une peine temporelle, elle aussi, mais qui est presqu’égale à la mort temporelle.  Quand la colère se manifeste à l’extérieur, elle est encore plus grave, et si elle en vient à une parole de mépris, elle ressemble beaucoup à un homicide, qui est puni de mort éternelle.

Tu diras de nouveau : soit, le Seigneur parle en ce lieu des peines infligées par le jugement de Dieu, mais il ne s’ensuit pas que, dans l’autre vie, il y ait des peines temporelles, puisque Dieu, pendant la vie, peut  infliger ce genre de peines.  Je réponds d’abord que  saint Augustin et d’autres pères voient dans ce passage  des peines infligées après la vie.  Je dis ensuite qu’on peut, de ce passage, déduire tout au moins qu’il y a certaines peines purgatives après cette vie.  Car, nous avons ici des péchés qui ne méritent qu’une peine temporelle. Or, quelqu’un peut mourir avec ces péchés, en mourant subitement, ou en dormant, sans avoir le temps de faire pénitence.  Ou il sera donc purgé dans l’autre vie, car autrement il y aura dans le ciel quelque chose d’impur; ou  sera condamné injustement à des peines éternelles, celui qui n’en méritait que des temporelles.

Le sixième passage est celui de Luc 16 : « Faites-vous des amis avec l’argent d’iniquité, pour que quand vous fléchirez, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. Par deficere (fléchir, tomber) tous entendent mourir.  Par amis, les saints qui règnent avec le Christ.  Il s’ensuit donc que, après leur mort, les hommes sont aidés par les prières des saints.  Mais quelqu’un pourrait dire qu’il s’agit de la vertu de l’aumône,  et que le sens serait : quand mourront ceux qui ont fait l’aumône, ils seront sauvés à cause des bonnes œuvres qu’ils ont pratiquées. Il faut donc observer que le Seigneur ne veut pas seulement que les âmes soient aidées par les prières des saints, mais il veut qu’elles le soient après leur mort.  Car, d’abord, c’est dans cette direction que nous mène ces mots : qu’ils se fassent des amis qui les recevront.  Car l’aumône qui est donnée à des méchants avec une bonne intention est méritoire, sans doute, mais elle ne fait pourtant pas des amis qui peuvent recevoir dans les tabernacles éternels.

Voilà pourquoi saint Jérôme (à la fin de son livre cotre Vigilance) dit que le Seigneur nous exhorte à faire des aumônes aux bons plutôt qu’aux méchants, pour que, par l’intercession des bons, soient sauvés ceux qui font des aumônes. Saint Ambroise interprète ce passage de la même façon, ainsi que saint Augustin (livre 21, chapitre 27, la cité de Dieu). Ils disent tous les deux que par amis il faut entendre les saints qui règnent avec le Christ, qui nous aident par leurs prières, et qui nous aideront à notre mort.  Ensuite, c’est à cela que nous mène forcément cette comparaison.  Car la parabole est tirée d’un certain intendant qui, chassé de son poste et devenu indigent, implorait l’aide de ses amis.  Or, le Seigneur lui-même explique que  perdre son emploi signifie mourir.

Ajoutons, en troisième lieu, que saint Augustin (livre 21, chapitre 27 de la cité de Dieu) se sert de ce texte pour démontrer le purgatoire.  Il dit en effet qu’il y a certains saints qui, après leur mort, s’envolent directement au paradis, et qui non seulement se sauvent eux-mêmes, mais qui sont capables d’aider autrui. Qu’il y en a d’autres qui sont si mauvais qu’ils ne peuvent ni s’aider eux-mêmes, ni être aidés par les autres, mais qui descendent sans remède vers les peines éternelles.  Qu’il y en aussi d’autres qui meurent de façon telle qu’ils ne sont ni dignes de la peine éternelle, ni dignes, par leurs mérites propres,   de recevoir immédiatement le salut. Voilà donc quels sont ceux qui sont reçus dans les tabernacles éternels par les prières de leurs amis.

Pierre le martyr n’a rien à répondre à cela, mais il s’objecte à lui-même, au nom des catholiques, les choses qui viennent après cette parabole.  Il dit que nous affirmons que le mauvais riche était dans le purgatoire, quand il demanda de l’aide à Abraham.  Et cet argument, qui serait comme notre tendon d’Achille, il le réfute, et en déduit en même temps que les âmes ne peuvent pas être aidées par les vivants, puisque ni Lazare ni Abraham n’ont pu aider le mauvais riche.  Et, par dérision, il se demande pourquoi le mauvais riche n’a pas demandé qu’on célèbre des messes pour lui. Mais presque tous les catholiques déclarent que le mauvais riche était en enfer.  Le martyr ne fait donc que frapper de l’air, ou  donner un coup d’épée dans l’eau.

Le septième passage est de Luc 23 : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. » Cet homme bon, inspiré par le Saint-Esprit, n’aurait jamais di cela s’il n’avait pas cru que les péchés peuvent être remis dans l’autre vie, que les âmes avaient besoin d’aide, et pouvaient être aidées.  Il est certain que c’est avec ce passage que saint Augustin prouve que certains péchés sont remis après la mort.  Le huitième est celui des Actes «  Que Dieu a libéré des douleurs de l’enfer, parce qu’il était impossible qu’il soit retenu par elles. »  Voici comment comprend ce passage saint Augustin (dans sa lettre 99 à Évodius, et dans le livre 12, chapitre 13 de la Genèse).  Le Christ est descendu dans les enfers pour en libérer plusieurs des tourments de l’enfer. Comme on ne peut pas entendre ce passage des damnés, il est nécessaire de l’entendre de ceux qui se purgeaient.  C’est aussi ce qu’affirme Épiphane au sujet de l’hérésie de Tatien (qui est la dernière de son premier livre).  Il dit que quand le Christ descendis dans les enfers, il a libéré ceux qui avaient péché par ignorance, mais ne s’étaient pas éloignés de la foi en Dieu.

Et en plus de l’autorité des pères, on le prouve par ces paroles mêmes de l’Écriture.  Car, les douleurs de l’enfer qui ont été abolies ne peuvent pas être celles du Christ,  car les douleurs du Christ se sont terminées à la croix, comme il appert des paroles elles-mêmes du Christ au bon larron : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ! » Elles ne peuvent pas être non plus celles des damnés, parce qu’ils sont condamnés à des feux éternels.  Ni non plus les douleurs des saints pères, car ils ne souffraient aucune douleur, comme saint Augustin et saint Grégoire (homélie 22) l’enseignent aux lieux cités.  Il reste donc qu’il s’agisse des douleurs des âmes du purgatoire.  Tu diras que les Grecs ne lisent pas : les douleurs de l’enfer ayant été abolies, mais une fois abolies les souffrances tou thanatou,(de la mort) non tou adou.(de l’enfer).  Ensuite, l’ancienne traduction latine va dans notre sens. La syriaque traduit de même : « Dieu l’a libéré, et a rompu les chaînes de l’enfer. »  De plus, les anciens pères grecs et latins.  Car, Polycarpe ( au début de sa lettre, citant ce passage, écrit : les douleurs de l’enfer ayant été éteintes.  De même Cyprien, (dans son sermon sur la cène du Seigneur, au début) dit, en parlant de ce texte : « Le pieux maître voulait montrer qu’il était impossible que son âme soit retenue dans l’enfer. »  On le prouve aussi par les paroles suivantes, car Pierre prouve ce qu’il avait dit en citant le psaume 15 : « Tu ne laisseras pas mon âme dans l’enfer, et tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption. »

Le neuvième texte est celui de Philippiens 2 : « Pour qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre, et dans les enfers. »  C’est de ce texte que se sert saint Augustin (livre 12, chapitre 33 de la Genèse), même si par ce mot enfers on peut entendre les démons.  Un autre texte est celui de l’Apocalypse 5 : « Qui est digne d’ouvrir le livre, et d’enlever les sept sceaux ?  Et personne n’a été trouvé digne ni dans le ciel, ni sur la terre, ni  sous la terre. »  Par ceux qui sont dans le ciel on entend les anges, par ceux qui sont sur la terre on entend les justes, et par ceux qui sont sous terre on ne peut entendre que les âmes du purgatoire.  Car on ne peut pas attribuer cela aux damnés.  Et les pères qui étaient dans les limbes avaient déjà été libérés.

Les nôtres se servent de ce texte, mais il ne semble pas être très convainquant, car, il est probable qu’il faille l’entendre des saints pères qui étaient dans les limbes.  Car, même si saint Jean a écrit après le temps où les saints pères étaient sortis des limbes, ils n’étaient pas encore sortis à l’époque dont il parle, car il parle du temps qui a précédé la mort du Christ.  Car, voilà pourquoi il ajoute : « il a vaincu le lion de la tribu de Juda, de la racine de David… »  Car, par sa mort, le Christ a ouvert le mystère du livre clos jusqu’à ce jour.  De la même manière, le passage de l’apocalypse (chapitre 5) où il est dit que les créatures qui sont au ciel, sur la terre et sous terre louent Dieu,  n’est pas non plus très convainquant.  Car, on peut entendre ici, par créatures, des choses inanimées, comme le feu, la grêle etc,  que l’on invite, dans le psaume 146, à louer Dieu.  Surtout parce que saint Jean ajoute aussi « celles qui sont dans la mer ».

CHAPITRE 9

                  On prouve le purgatoire par les témoignes des conciles.

Le deuxième argument on le tire des conciles et de la coutume de l’Église. Voici, d’abord ce que l’église africaine pensait (concile de Carthage 3, chapitre 29) : « Et les sacrements de l’autel ne sont célébrés que par des hommes à jeun. Si au cours de l’après-midi une recommandation pour les morts doit être faite, qu’on le fasse seulement par des prières ».  On trouve la même chose dans le concile de Carthage 4, chapitre 79).  L’Église espagnole pensait la même chose.  Le concile de Bracarense 1 (chapitre 34) ordonne de ne pas prier pour ceux qui se tuent, et, au chapitre 39, il ordonne de répartir entre les clercs les offrandes faites pour les prières aux morts.  L’église gauloise pense la même chose.  Le concile de Cabilon (la consécration, dist 1, canon visum est) dit : « Il a semblé bon que, en plus des messes solennelles,  on prie le Seigneur en église dans un lieu idoine, pour les défunts. » Voir aussi le concile d’Aurélie 2, chapitre 14.  L’église germanique pense de la même manière. Le concile de Wormat (canon 10) enseigne qu’il faut aussi prier et offrir des sacrifices pour ceux qui sont suspendus au gibet.  L’Église italique.  Le concile romain 6 sous Symmaque, enseigne que les sacrilèges privaient de prières les âmes du purgatoire.

De même l’église grecque, comme le montre les synodes des grecs rapportés par l’évêque Martin Bracarens (canon 69).  Il semble même que certains grecs aient voulu trop aider les âmes du purgatoire, car au concile 6, (canon 83), on reprend les fidèles qui, à ceux qui étaient morts sans la sainte communion, mettaient  une hostie dans la bouche.

Que s’approchent maintenant les conciles généraux de l’église universelle.  Le concile du Latran, sous Innocent 111, canon 66.  Celui de Florence (session ultime, décret sur le purgatoire).  Celui de Trente (session 25, au début), et toutes les liturgies, celles de Jacques, de Basile, de Chrysostome, d’Ambroise.  Dans toutes ces liturgies on fait des prières pour les morts.  Pierre le martyr nous donne trois réponses au lieu cité.   La première : « On a coutume de nous objecter que l’Église a toujours prié pour les défunts. Je ne le conteste pas, mais je soutiens que ce fait ne tire son autorité ni d’une parole de Dieu ni d’un exemple tirés des saintes lettres.  Les hommes ressentent facilement de vifs sentiments de charité et d’amour naturel envers les défunts, qui  leur font désirer de faire une bonne action,  et les incitent à réciter quelques prières pour eux. Mais il faut prendre garde  que cette affection ne devienne pas si véhémente qu’elle s’oppose à la foi et à la juste piété. » Par ces mots, Pierre le martyr prétend que c’est sans aucun témoignage de l’Écriture que l’Église prie pour les défunts, et qu’elle le fait par une affection déréglée envers les morts, qui répugne à la foi et à la vraie piété.

Saint Augustin répond à la première partie de l’accusation (dans le chapitre 1 de son livre sur le soin des morts) : « Tu ajoutes qu’on ne peut  contester le fait que l’Église universelle ait  coutume de prier pour les morts. »  Et plus, approuvant la sentence de Paul auquel il écrit, il dit : « Dans les livres des Maccabées, nous lisons qu’un sacrifice a été offert pour les morts » Mais même si, dans l’ancien testament, on ne lisait rien de tel, l’autorité de l’église universelle qui est connue comme favorisant  cette coutume ne serait pas d’un faible poids.  Car, dans les prières du prêtre qui montent de son autel à Dieu se trouve aussi la prière aux morts. »

Il est facile de réponde à la deuxième partie de l’accusation.  Car, ce qui, dans les prières pour les chers défunts, vient de l’affection humaine peut se trouver dans les prières privées, et qui sont dites en tout temps.  Mais, dans les prières solennelles de l’Église,  que l’on lit dans un livre, et qui ont été composées à tête reposée, et qui ont été approuvées par des conciles d’évêques, comment cela pourrait-il se produire ? À la troisième partie, répond Paul, quand il dit (1 tim 3) : « L’Église est la colonne et le firmament de la vérité. »  Saint Augustin ne dit-il pas (épitre 118) que c’est d’une  insolente stupidité de disputer contre ce que fait l’Église universelle.  Ensuite, par la raison.  Car si l’église universelle peut militer contre la vraie foi et la juste piété, comme le dit le martyr, l’église entière, peut, par son comportement, faire fi de la prédiction du Christ : les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle.  Qu’est-ce qui est le plus croyable ?  Que l’Église entière se retourne contre le Christ, que le Christ et Paul aient menti, ou que Pierre le martyr soit atteint d’une folie insolente ?  J’en appelle au jugement de tout homme sensé.

La seconde réponse du martyr est que l’Église ne prie pas pour les défunts  afin de les libérer du purgatoire, mais pour attester qu’elle se souvient d’eux, et pour qu’elle conserve leur mémoire le plus longtemps possible. Et il ajoute : « Il y eut peut-être une autre raison au sujet du purgatoire, pour que l’Église fasse des prières pour les défunts.  Car, elle ne voulait pas que le nom et la mémoire des défunts tombent dans l’oubli. »  Or, saint Augustin (dans le chapitre 1 de son livre sur le soin à apporter aux morts) traitait la question suivante : les prières de l’Église pour les défunts leur sont-elles profitables ?  Et  il répond qu’elles le sont pour ceux qui, dans cette vie, ne furent pas vraiment méchants, et qui ont mérité qu’elles leur soient profitables. Et cela répond  à Pierre le martyr.

La troisième réponse du martyr : l’église remplit sa charge envers les morts comme s’ils étaient encore vivants, et elle prie donc pour ceux qui seront sauvés, comme le Christ a prié pour la résurrection de Lazare, même s’il savait qu’il avait déjà reçu ce qu’il demandait.  Et Ambroise, dans son sermon sur la mort de Theodose, le félicite de régner déjà avec le Christ, et prie, cependant pour lui, pour que Dieu lui octroie le repos désiré. Et Épiphane (hérésie 75),  dit qu’il prie même pour les saints patriarches, pour les martyrs, pour les prophètes et pour les apôtres.

Je réponds que s’il en était vraiment ainsi, l’Église prierait également pour tous, et même pour les martyrs.  Mais elle ne le fait pas. Car, comme saint Augustin le dit dans son traité 84 sur saint Jean : « Voilà pourquoi, à cette sainte table,  nous ne commémorons pas les martyrs de la même manière que nous commémorons les morts, qui reposent en paix.  Nous prions aussi pour eux (les martyrs), mais surtout pour qu’ils prient pour nous. »   Car il ne semble pas du tout convenable que quelqu’un demande ce qu’il a déjà.  Et quand le Christ a prié pour Lazare, il n’avait pas encore reçu ce qu’il demandait, car Lazare n’était pas encore ressuscité.  Autre est demander quelque chose quand nous savons qu’elle nous sera accordée dans le futur, et autre est demander quelque chose que nous avons déjà reçu.  Saint Ambroise espérait que Theodose soit déjà dans le ciel, et c’est pour cela qu’il le félicitait;   et, comme il n’en était pas sur, il priait en même temps pour lui.  Épiphane n’a jamais dit que, dans l’Église, on priait pour les saints, mais il a dit qu’on faisait mémoire de tous les fidèles défunts, tant pécheurs que justes.  Et il ajoute : « Nous implorons Dieu pour les pécheurs pour qu’il leur fasse miséricorde; et pour les justes, pour les séparer du Christ. »

Oui, nous séparons les saints du Christ, non comme le dit Pierre, parce que nous prions les saints et non le Christ, mais parce que nous offrons un sacrifice d’action de grâces pour les saints.  Nous n’offrons rien pour le Christ, mais plutôt au Christ avec le Père et le Saint-Esprit.  C’est ce que peut nous faire comprendre la liturgie des grecs, dont parle Épiphane, que nous trouvons dans le cinquième tome de saint Jean Chrysostome.  Car là, est faite la commémoration de tous les saints, et l’on dit : « Nous t’offrons, Seigneur, ce sacrifice pour les patriarches, les apôtres, les prophètes, et les martyrs, et surtout pour la bienheureuse mère de Dieu. »  Que ce sacrifice ne soit pas offert pour des péchés, mais pour leur gloire, la chose est évidente, car la liturgie ajoute tout de suite après : « À cause de leurs supplications, regarde-nous, Dieu. »  Et ensuite, on ajoute une prière pour les autres défunts : « Et souviens-toi de tous les fidèles défunts qui se sont endormis dans l’espoir de la résurrection, et fais-les reposer là où l’on voit la lumière de ton visage. »  On peut apprendre la même chose du traité 84  de saint Augustin sur saint Jean, et de la cinquième catéchèse de saint Cyrille de Jérusalem, et de notre liturgie qui est tout à fait semblable à celle que saint Augustin, saint Cyrille, et Épiphane décrivent.

                                               &CHAPITRE 10

       On prouve le purgatoire par les témoignages desPèresdel’Église ( Pèresgrecs etPèreslatins)

Saint Clément (livre 8, chapitre 47 des constitutions apostoliques) décrit une longue prière qu’on a coutume de faire pour les morts.  Saint Denys (chapitre 7, par 3 de la hiérarchie ecclésiastique), dit : « Puis le vénérable ancien s’approche, récite la sainte prière pour les morts.  Cette prière implore la divine clémence pour qu’elle remette tous  les péchés reconnus par le défunt, et  pour qu’elle le place dans la lumière, et dans la région des vivants. » Athanase, ou quiconque est l’auteur de la  question 34 à Antioche, demande si les âmes tirent du profit des prières des vivants.  Il répond : absolument.  Saint Basile, dans sa liturgie, a composé des prières pour les morts.  Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur Césaire vers la fin) dit  : « Nous recommandons  à Dieu nos âmes et les âmes de ceux qui, marchant plus rapidement, sont parvenus avant nous à l’auberge. » Au même endroit, il prie pour l’âme du même Césaire. Et Ephrem dit,  dans son testament : «Faites régulièrement mémoire de moi dans vos prières,  car j’ai passé ma vie dans la vanité et l’iniquité. »

Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 5) : « Ensuite, nous prions pour tous ceux des nôtres qui ont quitté cette vie, croyant fermement que sont aidées les âmes pour lesquelles est offerte la supplication du saint et redoutable sacrifice. » Eusèbe (livre 4 sur la vie de Constantin) dit qu’ « il a voulu être enseveli dans le temple célèbre pour qu’il soit participant des nombreuses prières ». Épiphane, à la fin de son livre contre les hérésies, énumère parmi les dogmes de l’église les prières pour les morts, et, à l’hérésie 15, il range Aerius parmi les hérétiques parce qu’il niait cela.

Saint Jean Chrysostome (homélie 41 sur la première lettre aux Corinthiens) dit : « Le mort est aidé non par des larmes mais par  les prières, les supplications et les aumônes. »  Et plus bas : « Ne nous lassons pas d’apporter de l’aide aux morts, d’offrir des prières pour eux. »  Homélie 69 au peuple : « Ce n’est pas témérairement qu’a été statué par les apôtres  que, dans les mystères redoutables, on fasse mémoire des défunts.  Car, ils savaient qu’ils en retirent un grand profit, une grande utilité. »  De même (homélie 32, sur Matth, et 84 sur Jean, homélie 3 sur l’épitre aux Philippiens, et 21 sur les actes des apôtres).  Theodoret (livre 5, chapitre 26) de son histoire)  écrit que  Theodose junior, «  s’est prostré  sur les reliques de saint Jean Chrysostome, et a prié pour les âmes de ses parents déjà morts : Arcade et Eudoxe ».  Theophylacte  (chapitre 12 sur Luc) écrit : «  Je dis cela à cause des oblations et des distributions qui sont faites pour les défunts, qui ne sont pas d’un faible profit,  même pour ceux qui sont morts après avoir commis de graves délits. »  Saint  Jean Damascène (dans son livre sur ceux qui ont migré dans la foi) prouve cette vérité par le témoignage de plusieurs pères : Denys, Athanase, Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse, et d’autres.  Voir aussi Pallade dans son histoire lausiaque, chapitre 41.

Venons-en aux latins.  Tertullien, (dans le livre de la couronne du soldat) énumère, parmi les traditions apostoliques, les suffrages pour les défunts.  Et (dans son livre sur la monogamie, passé le milieu), il dit : « Qu’elle prie pour l’âme de son conjoint défunt, et elle lui obtiendra entre temps du rafraichissement,  et une compagne à la première résurrection des morts;  et qu’elle fasse des offrandes pendant tous les jours de sa dormition. Car, si elle ne faisait pas ces choses, elle le répudierait vraiment, en autant que cela dépend d’elle. »  Il dit la même chose dans son livre sur l’exhortation à la chasteté, loin du milieu.  Saint Cyprien (livre 1, épitre 9) : « Les évêques nos prédécesseurs ont statué que personne ne nomme clerc  un frère  qui se soustrait à la tutelle et à la garde de l’Église.  Et si quelqu’un faisait cela, on ne ferait pas d’offrande pour lui, et on ne célébrerait pas non plus le sacrifice pour sa dormition. » Et plus bas : « Et c’est pourquoi, puisque  Victor a osé, contre la directive donnée récemment en concile pour les prêtres, instituer prêtre l’acteur Germinius Faustus, il n’y a pas de raison pour que vous fassiez une oblation ou une prière pour sa dormition. »  Saint Ambroise  (livre  2, épitre 8 à  Faustin, sur la mort de sa sœur), écrit : « C’est pourquoi j’estime qu’il ne faut pas tant la pleurer que la poursuivre par des prières, ni s’abandonner aux pleurs, mais plutôt recommander son âme à Dieu par des oblations. »  Voir aussi les prières sur la mort de Theodose, de Valentin, de Satyre, dans lesquelles on supplie Dieu pour les âmes de ceux qu’on vient juste de nommer; et on promet d’offrir des sacrifices.

Saint Jérôme (dans l’épitre à Pammaque sur la mort de sa femme Pauline, avant le milieu) écrit : « Les autres maris répandent, sur les tombes de leurs conjointes, des violettes, des roses, des lys, et des fleurs empourprées.  Notre Pammaque, lui, arrose avec le baume des aumônes la sainte dépouille, les os vénérés. C’est avec ces épices  et ces odeurs qu’il  favorise le repos des cendres, sachant qu’il est écrit : comme l’eau éteint le feu, l’aumône éteint le péché. »  Saint Paulin de Noles, dans son épitre au même Pammaque,  le loue de satisfaire aux besoins corporels et spirituels de sa femme, les corporels par les larmes, les spirituels par les aumônes.  De même, (dans l’épitre 5 à l’évêque Delphin), il lui dit, en lui recommandant l’âme de son frère : « Fais que par tes prières il te soit accordé cela  à toi aussi, et qu’une goutte de fraîcheur qui coule du plus petit doigt de ta sainteté l’asperge. »  Et dans l’épitre suivante, (qui est la première à Amandus) il dit des choses semblables en recommandant la même âme à l’évêque Amandus.

Saint Augustin (chapitre 2 du soin aux morts) dit : « Dans le livres des Maccabées, nous lisons qu’un sacrifice a été offert pour les morts. Mais, même si on ne lisait jamais rien de tel,  l’autorité de l’église universelle qui s’affirme dans cette coutume est loin d’être petite.  C’est-à-dire que dans  les prières du prêtre qui sont répandues au Seigneur Dieu sur son autel, trouve même sa place la recommandation des morts. »  Et, au chapitre 4 : « Quand l’âme s’est recueillie sur le sépulcre d’un corps très cher, et que ce lieu est dédié à un martyr vénérable, elle recommande au même martyr l’âme aimé, et l’affection de celui qui s’en souvient et prie pour elle. Et comme cela est fait par des fidèles pour des défunts, il n’y a aucun doute que la chose soit profitable. »  Et plus bas : « Il ne faut pas omettre les supplications faites pour les âmes des défunts, celles qui doivent être faites pour tous les défunts dans la société chrétienne et catholique. Même en taisant les noms de certains, l’église prie pour eux en termes généraux, pour que ceux qui n’ont pas de parents, de fils ou d’amis soient pris en charge par la mère pieuse commune. »  Voir la même chose dans l’enchiridion (chapitre 110, livre 9. Confessions, chapitre 13,  sermon sur les paroles apostoliques 17 et 34, livre 21 de la cité de Dieu, chapitre 24, et traité 84 sur saint Jean, question 2 à Dulcitium, et ensuite le livre sur les hérésies (chapitre 53) où il déclare hérétique Aetius, parce qu’il niait qu’il fallait offrir des sacrifices pour les morts.

Saint Grégoire (livre 4, chapitre 35), dit : « L’oblation de la sainte hostie salutaire a coutume d’apporter beaucoup de choses aux âmes après la mort, de façon telle que les défunts eux-mêmes semblent y compter ».  Et, au chapitre 50 : « C’est une chose qui profite aux morts, dont les âmes ne sont pas grevées de péchés graves, d’être ensevelies dans l’église, car à toutes les fois que leurs parents se rendent aux lieux où ils ont été ensevelis, ils voient leurs sépulcres, ils se souviennent d’eux et répandent des prières pour eux à Dieu. »  Isidore de Séville (livre 1, chapitre 16 sur les devoirs divins) : « Si l’église catholique ne croyait pas que des péchés sont remis aux fidèles défunts, elle ne ferait pas, pour le repos de leurs âmes, des aumônes, et elle n’offrirait pas à Dieu le saint sacrifice. »  Victor (livre 2 sur la persécution des vandales) : « Qui nous ensevelira avec des prières solennelles à notre mort ? »  Ensuite, saint Bernard (dans le sermon 66 sur le livre des cantiques), Pierre de Cluny (dans son livre contre les petrobrusiens) écrivit directement contre cette erreur.  Malachie (d’après saint Bernard) : « Ce n’est pas un petit espoir que je place  dans ce jour (le 2 novembre ?) où les défunts reçoivent tant de bienfaits de la part des vivants. »

Mais il vaut la peine d’écouter ce que Calvin et le martyr Pierre ont à répondre à cela.   Pierre le martyr répond que, à ce sujet, presque tous les pères ont erré, et il énumère leurs erreurs.  Et ils errèrent dans des opinions privées que d’autres réfutèrent,  car ils ne peuvent pas errer tous ensemble sans que l’Église universelle n’erre et ne périsse.   Jean Calvin, lui, dit quatre choses (livre 3, chapitre 5, verset 10 des institutions). La première : « Avant les années 1300, il fut d’usage de prier pour les morts. »  Et un peu plus loin : « Mais tous, je crois, étaient tombés en erreur. » Cette confession suffit certes, à elle seule, pour condamner Calvin.   Car, comment est-il crédible que l’Église soit, pendant 13 cents ans tombée dans l’erreur, et qu’il n’y ait eu personne, à par Aerius, pour la remettre sur la bonne voie, cet Aerius que les calvinistes et nous considérons comme un hérétique ?

La deuxième.  Il dit ensuite que « les anciens ont prié pour les morts, non pour les aider, mais pour leur manifester une pieuse affection, et se  consoler eux-mêmes ».  Mais cela est un mensonge flagrant, car les pères cités disent clairement que les âmes sont aidées, et ils font la distinction entre les consolations des vivants et l’aide apportée aux morts.  Surtout saint Augustin (dans enchiridion, chapitre 110, et dans son livre sur le soin des morts).  La troisième.   Le peuple chrétien a commencé à prier pour les morts en imitant les païens.  Et les pères se sont accommodés de l’opinion du peuple, comme  saint  Augustin (livre cité).  Calvin dit : « C’est ainsi qu’il dispute sur un ton douteux, hésitant et froid pour pouvoir éteindre par sa frigidité le zèle de ceux qui se battent pour le purgatoire.  Qu’il ait prié pour sa mère, c’est parce qu’il n’examina pas à la lumière de l’évangile le vœu sénile de sa mère, et voulut être approuvé par tous dans son affection privée. »

Mais cela aussi est un mensonge.  Car, dans les débuts, les pères ne furent jamais plus prompts à prohiber les rites des païens que quand un grand nombre de païens se convertirent.  Il est certain que Tertullien  et Cyprien furent de très sévères ennemis de toute superstition païenne.  Et cela au point où Tertullien reproche âprement aux soldats chrétiens de porter une couronne à la manière des soldats païens.  Et cependant, ces mêmes sévères censeurs les exhortaient à prier pour les défunts.  De plus, non seulement les pères ne blâment pas cet usage, mais ils statuent dans leurs conciles qu’on doit agir ainsi,  et  ils précèdent les fidèles par l’exemple.  Et de plus, beaucoup de ces pères déclarent qu’il s’agit là d’une tradition apostolique.  Ils condamnent même Aerius comme hérétique parce qu’il pensait le contraire.  Que pouvaient-ils donc dire de plus ?  Saint Augustin, dans son livre sur le soin des morts, chapitre 4,  explique longuement que, hors de tout doute possible,  les âmes sont aidées par des prières et des aumônes;   et dans tout le livre, il n’y a pas un mot ou même une syllabe  qui insinue le doute dont parle Calvin.  Que Calvin se moque du vœu de sainte Monique et des prières de saint Augustin, il n’y a pas là de quoi se surprendre.  C’est une chose qui lui est coutumière de critiquer les saints, et d’en rire.

La quatrième. « Sur le purgatoire, les pères n’ont rien affirmé, parce qu’ils le considéraient comme une chose incertaine ».  Cela aussi est une intolérable impudence ou une ignorance crasse.  Car, d’abord, même s’ils n’avaient pas employé le mot purgatoire, on pouvait facilement comprendre ce que les pères en pensaient,  du fait qu’ils disaient si clairement que les âmes des fidèles défunts sont rafraichies et aidées par les prières des fidèle vivants.  De plus, il existe bel et bien des passages où ils parlent clairement du purgatoire. J’en donnerai quelques exemples. Saint Grégoire de Nysse (dans son sermon pour les morts, dépassé le milieu) dit : « Après avoir été purgé, dans la vie présente, par les prières et la ferveur de sa vie sage,  ou,  après avoir, après sa mort, expié ses péchés dans la fournaise du feu purificateur, il voudra retourner à la félicité primitive. »  Et plus bas : « D’autres, après la vie, se purifient de la tache de la matière dans le feu purgeur. »

Saint Ambroise (psaume 36 : les pécheurs ont dégainé le glaive) : « Et si le Seigneur sauve ses serviteurs, nous serons sauvés par la foi, mais nous serons sauvés comme à travers le feu. Même si nous ne sommes pas consumés par le feu, nous serons quand même brulés par lui.  Que certains demeurent dans le feu, que d’autres passent au travers, l’Écriture nous l’enseigne dans un autre passage, celui de la mer rouge.  Dans la mer rouge, l’armée des Égyptiens a été complètement submergée, mais le peuple hébreu a traversé.  Moïse a passé, le Pharaon a sombré dans les flots.  Ce sont les péchés graves qui l’ont noyé, et c’est de cette façon que sont précipités les sacrilèges dans le lac du feu ardent. »  Voir aussi son sermon 20 sur le psaume 118.

Saint Augustin (livre 21, chapitre 16 de la cité de Dieu), parlant des enfants baptisés mourants : « Non seulement il ne sera pas condamné aux peines éternelles, mais il ne souffrira, après sa mort, aucun tourment purgeur. »  Et, au chapitre 20, parlant des fidèles adultes décédés avec de légers péchés véniels, il écrit : « Il est certain que ces personnes seront, avant le jour du jugement, purgées par des peines temporaires que subiront leurs esprits, mais qu’elles ne seront pas livrées aux supplices du feu éternel. » De même (dans l’homélie 16, livre 50 des homélies), il écrit : « Ceux qui méritent des peines temporaires passeront à travers un feu purgatoire.  Celui dont parle l’apôtre quand il dit : «il sera sauvé, mais comme à travers le feu. » Et (au livre de la Genèse, contre les manichéens, chapitre 20) : « Celui qui ne cultivera pas son champ, et le laissera en friche, aura, pendant sa vie, la malédiction de sa terre dans toutes ses actions; et, après sa vie, il aura le feu purgeur ou la peine éternelle. »

Ensuite, au psaume 37 : « Parce qu’on dit qu’il sera sauvé, on méprise ce feu.  Mais bien qu’il soit sauvé par le feu, ce feu est plus pénible que tout ce que l’homme peut souffrir dans sa vie. »  Et quand  saint Augustin (livre 21, chapitre 26 de la cité de Dieu, et chapitre 29 de son enchiridion), dit qu’on peut se demander si, après cette vie, les âmes sont torturées dans le feu purgeur, il ne doute pas de la peine des âmes, mais du mode et de la qualité de cette peine. Car, dans le premier passage, il se demande seulement si le feu purgeur est le même, en substance, que le feu de l’enfer, celui dont on parle en Matthieu 25 : « Allez au feu éternel ! »  Dans l’autre texte, il se demande si, après cette vie, les âmes sont brulées par ce feu douloureux à cause de la perte des biens temporels, qui les tourmentait sur terre, alors qu’elles sont contraintes de se priver de choses qu’elles aiment chèrement. »

Saint Jérôme (à la fin de son commentaire sur Isaïe) : « Comme nous croyons aux tourments éternels du diable, et de tous les négateurs ou impies qui disaient dans leur cœur : il n’est pas de dieu, nous nous attendons à une sentence du Juge modérée, et tempérée par la clémence,  pour les chrétiens dont les œuvres ont à être  éprouvées et purgées  par le feu. »  Saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) : « Nous croyons que, pour les légères fautes, il y a, avant le jugement, un feu purgeur. »  Et (dans le troisième psaume pénitentiel, au tout début) : « Je sais qu’il arrivera que, après la sortie de cette vie, quelques-uns expieront par des flammes purgatives,  et d’autres subiront la sentence de la condamnation éternelle. »

Origène (homélie 6 sur l’Exode) : « Celui qui est sauvé est sauvé par le feu, pour que si, par hasard, du plomb s’était mélangé à l’or, le feu le consume et l’élimine complètement;  et pour que tous deviennent de l’or pur. » Saint Grégoire de Naziance (prière sur la sainte lumière, vers la fin) : « Ils seront baptisés dans un autre feu, qui est le dernier baptême.  Il n’est pas seulement plus brulant, mais plus durable,   Il détruit la matière crasse, et efface les relents du vice. »  Saint Basile (chapitre 9 d’Isaïe) : « Si donc, par la confession, nous arrachons le péché, il est pleinement juste que le feu purgeur extermine et dévore les semences qui ont poussé par après. »  Et plus bas : « Ce n’est pas de n’importe laquelle extermination dont on nous menace, mais de celle qui se fera selon la parole de l’apôtre : il sera sauvé, mais comme à travers le feu. »

Eusèbe Emyssenus (homélie 3 sur l’épiphanie) : « Cette peine infernale demeurera dans ceux qui, n’ayant pas conservé le baptême qu’ils ont reçu, périront éternellement.  Ceux qui seront dignes de peines temporaires, passeront par un fleuve de feu, par des vasques horribles remplies  de globes de feu. »  Theodoret (dans les commentaires grecs sur un Corinthe 3) : «   Nous croyons dans le feu purgeur, dans lequel les âmes des défunts sont éprouvées et purgées de nouveau, comme l’or dans le creuset. » Oecumenius (dans son commentaire du même texte) : « Il sera sauvé lui aussi, non cependant sans douleur, comme il arrive à quelqu’un qui passe au travers d’un feu, et il expiera ainsi les fautes les plus légères. »  Tertullien (dans on livre sur l’âme, chapitre 17) : « Il t’enverra dans la prison de l’enfer, d’où tu ne t’évaderas pas sans avoir, avant la résurrection, expié chaque faute. »  Saint Cyprien (livre 4, épitre 2) : « Autre est d’être purgé de ses péchés en étant torturé pendant une longue période de temps, et d’être purifié par le feu, autre est d’être purifié de tous ses péchés par la passion. »

Saint Jérôme (livre 1 contre les pélagiens, passé le milieu) : « Si Origène dit que toutes les créatures raisonnables ne doivent pas être perdues,  et s’il attribue au diable la pénitence, que nous importe à nous,  nous qui disons que le diable, ses satellites, les impies et les prévaricateurs périront perpétuellement, et que les chrétiens qui ont été prévenus par le péché, seront sauvés après avoir subi des peines. »  Saint Paulin (épitre 1 à Amandus) : « Nous demandons intensément, à ce sujet,  que, comme un frère, tu convoites les labeurs de la prière pour que le Dieu miséricordieux rafraichisse son âme par vos prières, comme par  les gouttelettes de sa miséricorde »  Boèce (livre 4, prose 4) : « Est-ce que tu laisses des supplices aux  âmes après la mort du corps ?  Oui, de grands, les uns en tant que peine éternelle imposée par la justice,  les autres en tant que peine purgative demandée par la clémence. »

Saint Isidore (livre 1, chapitre 18, les devoirs divins) : « Quand le Seigneur dit : celui qui pèchera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce monde ni dans l’autre, il démontre à qui les péchés doivent être remis  et purgés dans un  feu purgeur. »  Bède (psaume 19) : « Certains commettent des péchés véniels plus ou moins graves, et c’est pourquoi il est nécessaire qu’ils soient corrigés dans la colère, c’est-à-dire placés  dans le feu purgeur, pendant un certain temps, avant le jour du jugement, pour que les impuretés qui se trouvent en eux soient consumées par ce feu. Et c’est ainsi qu’ils seront trouvés dignes  d’être couronnés avec ceux qui sont à droite. »  Au même endroit, il dit que feu est plus dur à supporter que les peines des voleurs ou des martyrs.

Pierre Damien (sermon 2 sur saint André) : « Tu ne te réjouiras pas si à celui qui pêche gravement une pénitence trop légère est donnée par un confesseur  complaisant ou  hypocrite, puisque c’est dans les feux purgeurs que sera porté à sa perfection ce que tu auras fait de moins bien.  Car le Très-Haut demande  de dignes fruits de pénitence. »   Anselme (1 Corinthiens 3) : « Car, nous devons croire que, avant la résurrection des morts, il y a pour les fautes plus légères un feu purgeur. »  Et il ajoute, au même endroit, qu’il existe aussi une peine extrêmement grande.

Saint Bernard (sermon sur la mort de Humbert) : « Le temps vole irrévocablement, mes frères,  et quand vous pensez vous épargner cette peine minime, vous en encourrez une plus grande,   Car, sachez que, après cette vie, est, dans les lieux purgeurs,  rendu au centuple, et jusqu’au dernier centime,  tout ce que nous avons négligé de rendre dans cette vie.  Je sais très bien comme il est dur à l’homme dissolu de se soumettre à une discipline, au bavard de s’imposer le silence, au vagabond de se sédentariser.   Mais il sera plus difficile et beaucoup plus difficile de tolérer les tourments futurs. »  Lactance (livre 7, chapitre 21) : « Les péchés qui auront prévalu par le poids et par le nombre seront consumés par le feu. »  Saint Hilaire (psaume 18 sur la phrase «  mon âme a désiré les jugements de ta justice », il dit : « Nous avons à passer dans ce feu inextinguible au moyen duquel   de graves supplices seront infligés pour expier les péchés de l’âme. »

CHAPITRE 11

                            On prouve la même chose par la raison

Le quatrième argument vient des raisonnements.La première raison.   Certains péchés sont véniels, et ne méritent qu’une peine temporaire.  Et il peut arriver qu’un homme quitte cette vie avec ces seuls péchés.  Il faut donc qu’ils soient purgés dans l’autre vie.  Qu’il y ait des péchés véniels, saint Jacques nous en donne la preuve quand il dit : « Chacun est tenté par sa concupiscence.   Quand la concupiscence conçoit, elle enfante le péché.  Le péché, quand il est consommé, enfante la mort. » Il décrit ici le péché véniel comme une imperfection de l’acte.  Et il n’y a pas lieu de faire ici la distinction que font les hérétiques quand ils parlent de non imputation.  Car, Jacques explique le processus du péché en lui-même, et  il enseigne que, après la tentation de la concupiscence qui peut être sans péché, le péché suit immédiatement, si on n’y prend pas garde.  Car, de la concupiscence provient la délectation dans la partie inférieure, qui n’est pas un péché si le consentement de l’esprit fait défaut.  C’est pourquoi il ajoute : « Si le péché a été consommé, » car le plein consentement engendre la mort.

De plus, en 1 Cotinthiens 3 : « Celui qui construit par-dessus avec du bois, du chaume ou de la paille  sera sauvé comme par le feu. »  Par la légèreté de la matière, il  décrit ici le péché véniel.  Et que nous entendions les paroles de l’apôtre  pendant cette vie, ou pendant l’autre,  de la doctrine ou de toutes les œuvres, on  est nécessairement tenu  de voir dans le bois et la paille les péchés véniels,  quand celui qui est sauvé,  est sauvé comme par le feu.  Saint Augustin (livre 83, question 26) : dit : « Autres sont les péchés de faiblesse, autres ceux d’inexpérience, autres ceux de malice.  La faiblesse est contraire à la vertu, l’inexpérience à la sagesse, et la malice  à la bonté.  Qui donc sait ce qu’est la vertu et la sagesse de Dieu, peut estimer ce que sont les péchés véniels.  Et celui qui connait la bonté de Dieu peut détecter à quels péchés une certaine peine est due ici, et dans le siècle futur.  Si on tien compte de tout cela, on pourra peut-être juger quels sont ceux qui ne sont pas contraints de faire une pénitence pénible et déplorable, même s’ils avouent leurs péchés, et quels sont ceux à qui aucun espoir de salut n’est accordé,  à moins qu’ils offrent un sacrifice à Dieu, le cœur rendu contrit par la pénitence ».

Dernière preuve par la raison. Car on ne peut comprendre qu’une parole oiseuse soit digne, par sa nature, d’une haine éternelle de Dieu, et des flammes éternelles.  Ici, sur cette terre, on considérerait comme un triple idiot celui qui, à cause d’une légère offense de son ami, faite sans aucune malice, ne voudrait plus de lui comme ami, et  lui en garderait rancune jusqu’à sa mort.  Il demeure donc qu’il existe des péchés qui ne sont que véniels, et qui ne sont dignes que d’une peine temporaire.  Qu’il arrive que certains meurent avec ces péchés et aient besoin d’une purgation dans une autre vie, on le prouve de la façon suivante.  Quelqu’un peut en mourant, avoir la volonté de demeurer dans un péché véniel. Ce péché n’est donc pas  effaçable au moment de la mort.  De plus, puisque le juste pèche sept fois par jour, (Proverbers 24) et que plusieurs meurent subitement, comment est-il crédible que personne ne meure en état de péchés véniels ? Et c’est là la première raison.    La deuxième.  Quand les pécheurs sont réconciliés à Dieu, la peine temporelle n’est pas toujours remise avec le péché.  Il était donc nécessaire d’instituer un purgatoire.

On prouve brièvement la majeure, car, ailleurs, on la prouvera au long et au large.  2 Rois 12.  Quand le roi David a dit : j’ai péché, le prophète lui dit : Dieu transporte loin de toi l’iniquité, mais parce que tu as fait en sorte que les ennemis blasphèment le nom du Seigneur, le fils qui t’est né mourra de mort. » Nombres 12 :  Quand Marie murmura contre le Seigneur, elle fut punie par la maladie de la lèpre.  Quand Moïse pria pour elle,  Dieu lui pardonna sa faute,  mais il voulut qu’elle subisse sa peine pendant une semaine.

À cela et à des choses semblables  Calvin Répond (livre 3, chapitre 4, verset  31 des institutions)  qu’il y a deux sortes de fléaux divins.  Les uns sont des peines proprement dites, et sont infligés par Dieu en tant que juge, en punition des péchés passés, pour satisfaire à la justice.  D’autres sont des châtiments  qui sont infligés par Dieu en tant que père, non en punition des péchés passés, mais en tant que remèdes pour les futurs.  Pour que l’homme soit morigéné par un fléau, pour qu’il ne soit plus si prompt à pécher.  Le premier genre, dit Calvin, ne se rapporte qu’aux seuls ennemis, le second, aux seuls amis » Et comme ces peines ne doivent pas être expiées au nom de la justice, il n’y a rien qui permette de dire qu’une dette demeure après la mort, quand il n’y a pas de danger de retomber dans le péché.

Mais c’est pour rien que s’agite Calvin.  Car même si on doit reconnaitre que les fléaux qui frappent les justes sont des châtiments paternels, et des remèdes contre les péchés futurs, il faut reconnaitre, en même temps, la vraie peine et la vraie satisfaction due en justice à cause des fautes passées.  On le prouve cela ainsi.    Car, en Rois 12, on exprime la cause pour laquelle David est puni.  On ne lui dit pas : ne pèche plus de nouveau, mais : parce que tu as fait blasphémé mon nom.  De plus, la mort est une vraie peine du péché originel, et les justes la subissent non pour qu’ils s’abstiennent du péché, mais pour satisfaire à la justice divine.  Ce qui est évident, car elle n’a pas été infligée par Dieu, après le péché, comme un châtiment paternel, car elle avait été déclarée peine du péché, avant le péché; et elle perdure après le péché, et après la rémission du péché.  Genèse 2 : « Le jour où tu en mangeras, tu mourras de mort. »  Et aux Romains 5 : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort,  dans lequel tous ont péché. »  Et Calvin lui-même (livre 2, chapitre 1, verset 8) confesse ouvertement que la vraie mort est la peine du péché.  Comment donc la mort peut-elle être un fléau paternel pour prévenir les péchés futurs ?  Car, celui qui meurt ne plus s’amender.

En plus de la mort commune à tous, qui est une peine du péché originel, nous avons d’autres exemples dans l’Écriture de personnes qui ont été punies de mort violente, quand le péché leur avait été remis.  Leur mort ne pouvait pas non plus être un châtiment paternel qui servait de remède pour les péchés futurs.  Car, dans Exode 32, Dieu, à la prière de Moïse, a épargné le peuple.  Et cependant Moïse, en expiation du péché, ordonna de tuer des milliers d’Israélites, choisis au hasard.  Et de même, aux Nombres 14, quand le peuple murmurait, et quand Dieu avait été apaisé par Moïse, plusieurs périrent, quand même, dans le désert.  À 3 rois 13, le prophète du Seigneur, qui avait été désobéissant à la parole du Seigneur, a été tué par un lion, comme un autre prophète le lui avait prédit. Et cependant, pour que nous comprenions que sa faute avait été remise, et qu’il avait vécu en saint, le lion ne toucha ni à son cadavre ni à celui de son cheval, il en fut même le gardien jusqu’à ce qu’on vint l’ensevelir.  Ensuite, à 1 Corinthiens 11, il est dit : « Voilà pourquoi il y a chez vous beaucoup d’imbéciles, et pourquoi beaucoup sont morts. » Saint Ambroise, comme d’autres pères, enseigne que, dans la primitive église, un grand nombre de ceux qui ont communié indignement ont été punis de mort.  Que cette faute leur ait été remise, les paroles de l’apôtre le laissent entendre : « Nous sommes corrigés par le  Seigneur  pour ne pas être condamnés avec ce monde. »

Se présentent ici deux célèbres témoignages de saint Augustin.  Le premier est tiré du traité 124 sur Jean : « L’homme est forcé de tolérer des maux, même après que ses péchés ont été remis. Pour en arriver à cette misère,  la première cause fut le péché.  Cette peine est plus accablante que la faute, de peur qu’on pense que la faute était petite si, avec elle, finissait aussi la peine.  Et par cela, ou pour une démonstration de la misère qui nous est due, ou pour une correction de la vie fautive, ou pour la pratique de la patience nécessaire, la peine retient l’homme temporairement, même quand elle ne détient pas un coupable destiné à la damnation éternelle. » Le second est dans le psaume 50 : « Tu as aimé la vérité.  C’est-à-dire que tu n’as pas laissé impunis les péchés de ceux que tu avais pardonnés.  C’est ainsi que tu as d’abord fait appel  à ta miséricorde, mais  de façon à conserver  aussi la vérité.  Tu pardonnes à celui qui confesse, mais en le punissant quand même, tu conserves la miséricorde et la vérité. »  On prouve cet argument.   Il y en a un grand nombre qui ont commis beaucoup de péchés.  Mais, à l’article de la mort, ils se convertissent, quand ils ne peuvent plus faire pénitence.  Il s’ensuit nécessairement que, après cette vie, ils doivent satisfaire.

Ils répondent que, à la mort, tout est effacé.  On peut objecter à cela que la mort est la peine du péché originel, qu’elle est donc commune à tous, même aux enfants.  Il faut donc trouver une autre peine pour les péchés actuels.  De plus, Dieu agirait injustement, et ne se comporterait pas comme notre providence s’il punissait par une seule et même peine, la mort, les péchés grands et petits, nombreux et rares.  La troisième raison on la tire de l’opinion commune des Gentils.  Car, c’est ce que confessent les Hébreux, les mahométans, les Gentils, autant les philosophes que les poètes.  Au sujet des Juifs, il y a le livre des Macchabées (chapitre 12), car à ce livre, on doit prêter  au moins la même foi qu’à ceux de Joseph ou de Virgile.  De plus, Joseph (au chapitre 19 de son livre sur la guerre juive), indique que les Juifs avaient coutume de prier pour les morts, mais non pour ceux qui se suicidaient.  Au sujet des Mahométans, le Coran nous montre qu’ils confessent ouvertement le purgatoire.  Au sujet des Gentils,  Platon dans Gorgias et dans Phédon, Cicéron dans le songe de Scipion,   et Virgile 6 Éneides : « Ils sont donc exercés par des peines, ils expient leurs maux passés dans des supplices. » De même Claudien, livre 2, Ruffin, vers la fin) : « Par mille figures, différentes sortes de personnes sont purgées dans le fleuve Léthé. »

Que quelqu’un ne dise pas que  ne fait que grossir l’erreur et la fable le fait que les Mahométans et les Gentils pensent ainsi, car les choses sur lesquelles conviennent à peu près toutes les nations ne peuvent provenir  que de la lumière naturelle commune à tous les hommes.   Les choses qui ont été imaginées et inventées par les hommes sont d’une grande diversité, comme le sont les différentes nations.  Nous disons, par exemple, qu’il est très vrai que Dieu existe, comme l’enseignent toutes les nations.  Mais nous ne recevons pas les dieux particuliers que chaque nation s’est fabriqués.  Nous disons également qu’il est vrai que, après cette vie, il y ait des ré compenses et des punitions, comme l’enseignent aussi les nations.  Mais nous ne recevons pas les fables particulières qu’elles ont inventées pour l’expliquer.  Il en est de même de la confession du purgatoire, qu’enseignent à peu près tous les peuples.  Il faut donc dire que c’est une confession de la lumière naturelle. Car, c’est la connaissance de la providence divine qui a semé l’idée du paradis et de l’enfer, et aussi du purgatoire, au moins d’une manière confuse et générale. Nous voyons, en effet, que des punitions et des récompenses sont distribuées dans cette vie, que les mauvais ont plus de biens, et les bons plus de mal, la plupart du temps.  Nous en déduisons que c’est dans l’autre vie que la providence exercera le jugement, qu’elle récompensera les bons et punira les méchants.

Nous voyons de plus, que, parmi ceux qui émigrent de cette vie, il y en a qui sont très mauvais, d’autres très bons, qu’il y en aussi qui sont médiocrement bons et médiocrement mauvais.  Nous jugeons donc, par la lumière naturelle, que, après la mort, des peines éternelles seront imposées aux très mauvais, et des récompenses éternelles aux très bons, et des peines temporaires  qui serviront de passage vers les récompenses pour ceux qui sont médiocrement mauvais ou bons.  C’est ce raisonnement qu’a suivi Platon et d’autres qui,  dotés de la seule lumière naturelle, ont confessé l’existence du purgatoire.

La quatrième preuve, on la tire d’apparitions d’âmes qui ont déclaré être dans le purgatoire, et qui ont demandé du secours aux vivants.   Puisque ces apparitions ont été retenues par des hommes très judicieux, nous avons de bonnes raisons de penser qu’elles sont vraies.  Il est loisibleà Luther et aux magdebourgeois d’en rire.  Saint Grégoire (livre 4, chapitre 40 de ses dialogues) parle de l’âme de Paschasiius qui est apparue dans les thermes de Ptulean  à l’évêque saint Germain, et qui a été libérée par ses prières.  Et, au chapitre 35, il raconte un autre cas semblable.  Saint Grégoire parle également d’un de ses moines pour lequel il avait dit trente messes, et qui fut libéré du purgatoire.  Grégoire de Tours (livre sur la gloire de la confession, chapitre 5, saint Martin) écrit : « Une certaine vierge, du nom de Vitaline, a raconté avoir été envoyée en enfer à cause d’un léger péché, à savoir, qu’elle ne disait pas les heures canoniales en des temps distincts. En effet, le matin, elle disait toutes les heures une après l’autre, pour qu’elle puisse vaquer plus facilement toute la journée aux affaires impériales.

Bède (live trois, chapitre 19 de son histoire des Angles), écrit que, après être ressuscité des morts, Fursé a raconté plusieurs choses qu’il avait vues dans le purgatoire des peines.  Et dans le livre 5, chapitre 13, il rapporte une vision admirable d’un certain Diethelme, qui, revint à la vie après sa mort, et qui raconta des choses merveilleuses  sur l’enfer, le ciel et le purgatoire.  Sa vie ultérieure et les fruits spirituels de son apostolat, attestent qu’il a dit la vérité.  Saint Bernard (dans la vie de Malachie) rapporte que la sœur défunte  de Malachie lui apparut plusieurs fois quand elle était encore détenue dans le purgatoire, et qu’elle a été libérée par de fréquentes oblations de la sainte eucharistie.  Et ( au livre 1, chapitre 10 de la vie de saint Bernard), l’abbé Guillaume raconte que quand saint Bernard était encore vivant, un de ses moines défunt qui était détenu dans le purgatoire, lui apparut, et  a été libéré peu de temps après par les prières et les sacrifices des moines de Citaux.   Saint Bernard lui-même avait coutume de raconter ce fait, comme le note l’auteur de sa vie.

Au livre premier de la vie de saint Anselme, nous lisons quelque chose de semblable.  Saint Anselme s’est imposé des sacrifices pendant un an entier, et il a appris enfin par l’apparition de son ami, qu’il avait été libéré du purgatoire.  On peut lire plusieurs histoires semblables dans Vincent (livre du miroir historique), dans les révélations de sainte Brigitte, dans la vie de l’admirable Christiane.  Mais ceux que nous rapportons sont plus authentiques.  Les magdebourgeois répondent que ce sont des fables.  Mais il n’est pas crédible que tant de grands saints aient voulu tromper, ni même être trompés, puisqu’ils avaient l’esprit de discernement, et qu’ils étaient des amis de Dieu.

La dernière raison qu’on pourrait trouver est que cette opinion qui enlève le purgatoire est non seulement fausse, mais pernicieuse.   Car elle rend stupides les hommes qui pensent devoir éviter les péchés et faire de bonnes œuvres.  Car, celui qui pense qu’il n’y a pas de purgatoire, et que sont abolis après la mort tous les péchés de ceux qui meurent dans la foi,  pourra facilement penser : pourquoi me fatiguer à prier,  à pratiquer la continence, et à faire des aumônes ?  Pourquoi priverais-je mon cœur de délices et de voluptés, puisque, à ma mort, tous mes péchés, quel que soit leur nombre, quelle que soit leur grandeur, seront détruits ?  Mais celui qui pense que, en plus de l’enfer, demeure le feu cuisant du purgatoire, et que tout ce qui n’a pas été détruit par de dignes œuvres de pénitences sera détruit là, cette personne sera certainement plus vigilante et plus prudente.

CHAPITRE 12

                             On réfute les arguments tirés des Écritures

Il reste à réfuter les arguments tirés de l’Écriture, des pères ou de la raison.

La première objection vient du psaume 126 : « Quand il donnera à sesbien-aimés le sommeil,   le voilà  l’héritage du Seigneur. »  Il n’y a donc pas de purgatoire entre la mort des fidèles et l’obtention de l’héritage céleste. »  Jepense que ce psaume parle de la résurrection générale, comme saint Augustin l’expose correctement.   Et voici quel est le sens de ces mots : quand il donnera à ses bien-aimés le sommeil, c’est-à-dire quand tous les élus dormiront de la mort corporelle, le voici l’héritage du Seigneur, c’est-à-dire, tout de suiteapparaîtra l’héritage du Christ, pour tous ses élus qui ressuscitent dans la gloire, cet héritage étant aussi une récompense du Christ, qu’il nous a acquise par sa vie et sa passion.  L’héritage et la récompense sont donc une seule et même chose, comme sont une seule et même chose les fils et les fruits du ventre.  Car les fils de Dieu par adoption sont l’héritage du Seigneur.  Et les mêmes fils qui sont appelés fruits du ventre, sont la récompense du même Seigneur.  Ajoutons que, dans le texte hébreu, que les adversaires préfèrent au latin, on n’a pas « quand il donnera », mais « il donnera ainsi. »  En conséquence toute la force de l’argument est détruite, car  n’est pas exprimé dans le texte quand viendra l’héritage du Seigneur.

La deuxième objection.  Ecclésiaste 9 : « Tout ce que peut faire ta main, fais-le instantanément, car dans l’enfer où tu te diriges, il n’y a ni œuvre, ni raisonnement, ni sagesse, ni science. »  Il semble que le sage veuille  signifier par ces paroles qu’il n’y a pas de remède dans ce siècle. » Quelques-uns répondent que Salomon a dit ces choses en se mettant dans la personne des impies qui enlèvent non seulement le purgatoire, mais l’enfer, et qui pensent qu’il n’y a rien après la mort.   D’autres enseignent que Salomon parle à ceux qui vivent dans l’oisiveté et la luxure, et qui se dirigent tout droit vers l’enfer.  Dans ce lieu, en effet, il n’y a rien,  nul remède, et nulle consolation.  Saint Jérôme rapporte l’une et l’autre explication dans son commentaire.

Et saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) applique plutôt cela à ceux qui se dirigent vers le purgatoire.  Car,  seuls peuvent être purgés, et aidés par les prières des vivants, ceux qui, pendant leur vie, ont mérité par de bonnes œuvres de pouvoir être aidés par les autres dans l’autre vie.  Tous doivent donc, pendant cette vie, faire autant de bonnes choses qu’ils le peuvent, car, dans l’autre vie, ils ne seront aidés que dans la mesure où ils ont mérité de l’être par ce qu’ils ont fait ici-bas.

La troisième objection.  Ecclésiaste 11 : « Si l’arbre tombe au nord ou au sud, il ira là où il tombe. »  Il n’existe donc pas de troisième endroit, le purgatoire,  d’où l’on peut sortir. »  Je réponds  que le sage parle, au sens littéral, de la mort corporelle,  et il veut dire que les hommes devront nécessairement mourir, et que quand ils seront morts, ils ne pourront jamais ressusciter par eux-mêmes,  comme un arbre qui demeure nécessairement à l’endroit où il est tombé, et que c’est là qu’il pourrit et se décompose.   Mais, si nous voulions appliquer cela à l’état de l’âme, il faudrait dire alors que ceux qui appartiennent au purgatoire tombent au sud, c’est-à-dire dans l’état du salut perpétuel, dans lequel ils demeureront toujours.  On peut entendre aussi par sud le ciel, et par nord l’enfer; mais tous ne tombent pas au sud ou au nord.

De plus ce texte n’apporte aucune objection au purgatoire, car ce qu’on peu en tirer c’est que s’il s’opposait à l’affirmation du purgatoire, il s’opposerait aussi à l’affirmation de ce lieu où descendaient les saints pères avant l’avènement du Christ, qu’on donne à ce lieu le nom de  sein d’Abraham, de  limbes des pères, ou d’enfer.  Car il est certain que les pères ne sont pas demeurés perpétuellement dans cet cachot.  Voir saint Jérôme dans son commentaire, et saint Bernard, sermon 49 ex parvis.

La quatrième objection.  Ezechiel 18 : « Quand l’impie se sera détourné de son impiété, je ne me souviendrai plus de toutes ses iniquités. »  Et « comment, s’exclame Pierre martyr,  Dieu ne se rappellerait-il plus toutes les iniquités de l’impie, s’il les punit si sévèrement dans le purgatoire » ?  Je donne deux réponses.  La première.  Ne pas se souvenir des iniquités n’est rien d’autre que ne pas conserver  d’inimitié envers celui qui a péché.  Car si se souvenir des iniquités voulait dire punir les mauvaises actions, se souvenir des saintes actions voudrait dire récompenser de bonnes actions méritoires.  Or, les adversaires ne concèdent pas que se souvenir des saintes actions signifie récompenser les bonnes actions méritoires, de peut d’être contraints d’admettre les mérites des justes.  Ils ne doivent donc pas concéder non plus que se souvenir des iniquités c’est punir les iniquités.  Car, Ézéchiel parle de la même façon de la sainteté et de l’iniquité.

La deuxième réponse. Se souvenir des iniquités  c’est punir, mais punir éternellement.  Car, quand nous lisons ailleurs que si le juste se détourne de sa justice, on ne se souviendra plus de ses bonnes actions, nous sommes contraints d’adopter l’explication suivante :  on dit que les actions justes sont livrées à l’oubli non parce qu’elles n’ont pas été rémunérées par une récompense temporelle, mais parce qu’elles ne libèrent pas quelqu’un de la géhenne, ni ne sont rémunérées par une récompense sempiternelle.  Car les pères enseignent que les œuvres bonnes des impies ne sont pas privées d’une récompense temporelle.  Saint Jean Chrysostome (homélie 67 au peuple d, Antioche), saint Jérôme (Ezéchiel, chapitre 29), Saint Augustin (livre 5, chapitre 15 de la cité de Dieu), saint Grégoire (homélie 40 sur les évangiles).  Et on le déduit de (Luc 16) : « Tu as reçu de bonnes choses dans ta vie. »

La cinquième objection. Matthieu 25. On trouve seulement deux ordres d’hommes.  Il est dit aux uns : « venez bénis », et aux autres : « allez maudits » !  Et en Marc, à la fin : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé; celui qui ne croira pas sera condamné. »  En en saint Jean 3 : « Celui qui croit n’est pas jugé; celui qui ne croit pas est déjà jugé. « Il ne reste donc, écrit Brentius, aucun autre lieu pour un purgatoire, puisqu’il n’y a que deux lieux  après cette vie. »  Je réponds.  Au jugement dernier dont il est question en Matthieu 25, on a raison de dire qu’il n’y a que deux lieux, le paradis et l’enfer,  car, alors, le purgatoire aura pris fin.   Ensuite, celui qui croit sera sauvé et ne sera pas condamné, dans la mesure où il ajoute les autres choses requises.   Car la foi justifie et sauve par elle-même, si ne se trouve pas par ailleurs un empêchement.  C’est comme quand nous disons que de cette semence nait un arbre, on sous-entend : si ne fait défaut ni la chaleur, ni l’eau, et tout ce qui est requis en plus : l’engrais, le sarclage.  Et celui qui croit ne sera pas nécessairement sauvé  tout de suite par la foi, sans passer par le purgatoire.  Car, plusieurs sont sauvés comme à travers le feu.

La sixième objection. Luc 23 : « Jésus dit au bon larron quelques minutes avant sa mort : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.  Donc, disent Pierre le martyr et Bernard Ochinus, il ne reste pas de purgatoire pour ceux qui n’ont pas fait ici-bas de pénitence pour leurs  péchés. »  Je réponds.  Une mort si dure tolérée avec patience et une confession si extraordinairement admirable au moment où les apôtres du Christ l’avaient renié, pouvaient justement être comptées comme une pleine satisfaction.  Ajoutons que les privilèges de certains ne font pas une loi.   La septième objection.   Romains 8 : « Il n’y a pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ. »  Je réponds que, dans ce passage, saint Paul parle de la concupiscence.   Il veut dire que ceux qui sont dans le Christ Jésus, et qui  sont munis de sa grâce  ne contractent pas de péché par ces pulsions, s’ils ne consentent pas aux mouvements de la chair.  Ce passage ne s’oppose donc pas au purgatoire, mais à l’hérésie des adversaires qui veulent que soient de vrais péchés, des émotions qu’éprouve le juste, mais auxquelles il ne consent pas.

La huitième objection. 2 Corinthiens 5 : « Si la maison de notre séjour terrestre est détruite, nous avons, dans les cieux,  une demeure non faite de main d’homme, mais éternelle.   On a donc raison de dire que, après leur mort, les hommes sont transférés au ciel sans passer par le purgatoire ».  Je réponds que saint Paul ne déclare rien d’autre ici que c’est après la mort, et non avant la mort, que nous avons une demeure céleste.  Que tous les hommes soient transportés au ciel immédiatement après leur mort, il ne le dit pas ici, mais il dit plutôt le contraire quand il ajoute : « si toutefois on les trouve vêtus et non nus. »  Par cette image, il indique ceux qui sont revêtus de mérites et de vertus, et qui ont donc fait une pénitence parfaite dans cette vie. Ce sont ceux-là qui sont conduits immédiatement dans le ciel.   Le même saint Paul dit que les autres sont sauvés, mais comme à travers le feu (1 Corinthiens 3).

La neuvième objection.  1 Corinthiens 5 : « Nous nous tiendrons tous devant le tribunal du Christ, pour qu’il rende à chacun ce qu’il a fait en bien ou en mal dans son corps. »  Or, si après cette vie, des péchés étaient remis, et qu’il y avait place pour une purgation, chacun ne recevrait certes pas selon ce qu’il a fait dans le corps.  Je réponds que la sentence de saint Paul est très vraie.  Car, même ceux qui trouvent un lieu de rémission et de purgation dans l’autre vie, ne reçoivent que ce qu’ils ont fait dans leur corps.  Car, ceux-là on mérité, en persévérant dans la foi et la charité jusqu’à la mort, de pouvoir être purgés et aidés après leur mort.  Même si les saints ne méritent rien après leur mort, ils obtiennent de Dieu ce qu’ils demandent, car ils avaient mérité aussi  en vivant saintement  d’être exaucés par le Seigneur après cette vie.  Voir ce qu’on enseigne dans le livre de la hiérarchie ecclésiastique de Denys (dernier chapitre par. 3), dans les dialogues de saint Grégoire (livre 4, chapitre 39.)  C’est de la même manière qu’il faut entendre le passage : il rendra à chacun selon ses œuvres.   Romains 2 : « Chacun portera son fardeau. » Et Galate 6 : « L’homme récoltera ce qu’il a semé. »

Dixième objection.   Apocalypse 14 : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur.  L’Esprit dit déjà : qu’ils se reposent  déjà de leurs travaux, car leurs œuvres les suivront. »  Les hommes pieux meurent dans le Seigneur; ils se reposent donc tous après leur mort. Il n’y a donc personne qui soit tourmenté dans le purgatoire.  Je réponds avec le commentaire de ce passage donné par saint Anselme.  Le amodo ne signifie pas depuis la mort du chacun, mais depuis le jugement suprême, de qui parle saint Jean dans tout le chapitre.   Voici donc quel en sera le sens : bienheureux les morts qui dorment dans le Seigneur, car, déjà, c’est-à-dire depuis la fin de ce jugement dont je parle maintenant, ils se reposeront de leurs travaux pendant toute l’éternité.  Ou bien, si cela ne plait pas à quelqu’un, nous pouvons répondre avec Richard de saint Victor et Haimon, dans leurs commentaires de ce passage, que saint Jean parle des hommes parfaits, et surtout des saints martyrs, (car il  voulait les consoler par ces mots) qui meurent exclusivement dans le Seigneur, et qui n’apportent rien avec eux qui ait besoin de purgation.  Car, ceux qui décèdent avec des péchés véniels, ou avec la dette d’une peine temporelle,  ces gens-là ne meurent  pas exclusivement dans le Seigneur, mais en partie dans le Seigneur en raison de leur charité, et en partie non dans le Seigneur, en raison de leurs péchés qu’ils apportent néanmoins avec eux.  Il ne faut pas s’étonner que nous disions que certains meurent en partie dans le Seigneur, et en partie non dans le Seigneur. Il suffit de lire les deux lettres de saint Augustin contre les pélagiens (livre 3, chapitre 3).  Il dit là que ces hommes sont, pendant la vie, en partie des fils de Dieu, et en partie des fils  de ce siècle.   Que cela suffise pour l’Écriture.

CHAPITRE 13

Réfutation des objections tirées des saints pères.

Brentius présente d’abord saint Cyprien (traité 1 contre Demetrianus, à la fin) : « Quand il sera sorti d’ici, il n’y aura plus de lieu pour la pénitence, la satisfaction n’aura aucun effet. »  Je réponds qu’il parle ici de la satisfaction pour la faute qui précède la justification.  Car les pères distinguent clairement deux sortes de satisfaction.  Une avant la justification qui apaise Dieu comme il se doit et qui incline à la rémission de la faute, dont parle Daniel (4) : « Rachète tes péchés par l’aumône. »  Une autre après la justification,  qui donne, comme il se doit, une satisfaction à Dieu pour la peine.  Que saint Cyprien parle ici de la première justification, ses paroles précédentes nous le laissent assez clairement  entendre : On nous exhorte « de satisfaire à Dieu tant que quelque chose de séculier restera, et d’émerger de la profondeur de la superstition ténébreuse, à la lumière candide de la vraie religion ».  Il dit la même chose dans ce qui suit : « Ici, la vie est ou perdue ou maintenue. »

En second lieu, il présente saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur Lazare), qui  parle ainsi : « Quand nous sortons d’ici, il n’y a pas de lieu assigné à la pénitence, ni à la rémission des fautes commises. »  Et encore : « Car ceux qui, en cette vie, n’auront pas effacé leurs péchés ne pourront, dans l’autre vie, trouver aucune consolation. » Je réponds qu’il parle ici de la rémission des péchés mortels.  Car,  par l’exemple du mauvais riche qui était tourmenté dans l’enfer,  il nous avertit de ne pas renvoyer notre conversion à l’autre vie.  En effet, aucun docteur catholique n’enseigne que des péchés mortels sont remis dans le purgatoire.  Ils présentent ensuite saint Ambroise (chapitre 2 du livre sur le bien de la mort) : « Celui qui, ici-bas, n’aura pas reçu la rémission de ses péchés, n’ira pas, là-bas,  dans la patrie des bienheureux. »  je réponds que saint Ambroise  parle de la rémission des péchés mortels.  Car, voulant expliquer, il ajoute : « Il n’en sera pas ainsi.  Il ne pourra pas parvenir à la vie éternelle, puisque la vie éternelle est la rémission des péchés. »  Il appelle ici vie éternelle la grâce de la justification qui est une certaine vie éternelle commencée.  Car, si nous ne commençons pas par cette vie éternelle, nous ne parviendrons jamais à la gloire des bienheureux.

Quatrièmement.  Pierre martyr nous oppose ce même saint Ambroise  qui (au chapitre 23 de Luc, sermon 46) dit : « Je lis les larmes de Pierre, je ne lis pas la satisfaction. »  Je réponds que, dans ce passage, il appelle satisfaction une excuse.  Car, nous avons coutume de dire familièrement : je le satisferai, c’est-à-dire, je purgerai par mes paroles le crime qu’on m’objecte, et je montrerai que je suis accusé injustement.  Saint Ambroise loue ici saint Pierre pour n’avoir pas cherché d’excuses à son péché, comme avait fait Adam,  mais d’avoir confessé  et de s’être accusé par ses larmes.  Car il ajoute après : « Saint Pierre a bien agi en pleurant et en se taisant, car ce qu’on a coutume de pleurer, on n’a pas coutume de l’excuser, et ce qui ne peut pas être défendu, peut être absous ».  Et il avait dit plus haut : « Je trouve qu’il a pleuré, je ne trouve pas qu’il ait dit quelque chose, car Pierre ne dit rien pour se purger. »  Cinquièmement. Calvin nous  oppose un traité de saint Augustin (49 sur Jean) : « Quand elles sortiront de ce siècle, toutes les âmes auront des réceptions différentes.   Les bons auront la joie, les mauvais des tourments.  Mais quand aura eu lieu la résurrection, la joie des bons sera plus grande, et les tourments des damnés plus grands, quand ils seront torturés dans leurs corps. » Et plus bas, il dit, en parlant de la joie des bons : « Le repos qui est donné tout de suite après la mort, sera reçu par chaque défunt, s’il en est digne. »   Je réponds que le repos et la joie sont donnés tout de suite après la mort de ceux qui décèdent dans la charité. Car tous seront vite certains de l’éternel salut, qui apporte une énorme joie.   Cependant, cette joie n’est pas donnée à tous de la même façon, mais diversement, c’est-à-dire selon la diversité des mérites. À quelques-uns elle est donnée sans être unie à la douleur, et à d’autres avec l’ajout de peines temporelles, comme le même saint Augustin l’enseigne souvent.

Sixièmement, on nous oppose son livre contre les gnostiques, passé le milieu.  Saint Augustin écrit : « La première chose que croit la foi catholique de par l’autorité divine est l’existence du royaume des cieux, ensuite de la géhenne, où tout apostat, tout étranger à la foi du Christ expérimentera d’éternels supplices.  Nous ignorons absolument un troisième lieu, et nous ne trouvons pas dans l’Écriture qu’il y en a un autre. »  Il dit la même chose dans le sermon 14 sur les paroles de l’apôtre, et au livre 1, chapitre 28, sur les mérites des pécheurs, et la rémission.

Je réponds.  Il parle des lieux éternels.   Car, il écrit contre Pélage qui avait trouvé un troisième lieu pour les petits enfants non  baptisés. Ces enfants il voulait qu’ils soient heureux  d’une béatitude naturelle en dehors de l’enfer, et en dehors du ciel.  Saint Augustin, ou l’auteur de cette lettre, n’a pas nié l’existence d’un troisième lieu temporaire après cette vie.  On le comprend facilement parce que la foi catholique enseigne que, en plus du ciel et de l’enfer, il y avait, avant la passion de Notre-Seigneur, « le sein d’Abraham », (Luc 16) où demeuraient les âmes des saints pères.

La réflexion que fait Érasme dans son annotation à ce passage est inepte, Il dit : « Nous ignorons complètement un troisième, le purgatoire.  C’est comme s’il disait que le purgatoire est un troisième lieu que la foi catholique ignore.  Septièmement.  Pierre le martyr nous objecte encore saint Augustin, dans son commentaire du psaume 31 : « Bienheureux ceux dont les péchés sont couverts. » Saint Augustin dit : « S’il a couvert les péchés, c’était pour ne pas les apercevoir.  S’il ne veut pas les apercevoir, il ne veut pas en tenir compte.  S’il ne veut pas en tenir compte, il ne veut pas punir.  Il n’a pas voulu les reconnaitre parce qu’il veut les pardonner. »  Je réponds qu’il parle de la peine éternelle.   Car, au sujet de la peine temporelle que requiert Dieu, voir les lieux cités (traité 124 sur saint Jean et sur le psaume 50 »

Huitièmement.  Ils nous présententl’épître 54 à Macédoine de saint Augustin, où il dit que, après cette vie, il n’y a pas de lieu de correction des mœurs.  Je réponds que ce passage ne se rapporte pas à notre sujet.  Car, même si, après la mort, il n’y a pas de lieu où les criminels se convertissent,  et corrigent leurs mœurs, il y en aura quand même où les péchés plus légers des justes sont purgés, et où sont infligées des peines temporaires pour des crimes déjà pardonnés.  Neuvièmement.  Ils nous opposent la lettre 80 de saint Augustin  à Hesychius : « L’état dans lequel le dernier jour d’une personne trouvera quelqu’un, sera le même que celui dans lequel le trouvera le dernier jour du monde, car chacun sera jugé en ce jour-là tel qu’il était le jour de sa mort. »  Je réponds que saint Augustin veut dire  que, après cette vie, les mérites et les démérites ne croitront pas, et que tous seront donc jugés pour la gloire ou pour la géhenne, pour de plus ou moins grandes récompense ou punitions d’après les œuvres qui ont été faites avant la mort.

Dixièmement.  On nous objecte Theophylactus qui (au chapitre 4 de Matthieu) dit : « Après être sortie de son corps, l’âme n’erre pas,  car les âmes des justes sont dans la main de Dieu.  Celles des pécheurs sont amenées là, comme celle du mauvais riche. »  Je réponds.  Theophylactus indique que les âmes ne se promènent pas à leur gré de par le vaste monde, comme le font les démons, mais sont renfermées dans leurs demeures.  Et même s’il ne parle ici que de deux lieux, il n’exclut pas les autres.  Les âmes qui sont amenées au purgatoire on peut les rappeler de n’importe lequel des deux lieux qu’il nomme.  Car, parce qu’elles sont justes, on peut dire qu’elles sont dans la main de Dieu, même si elles ne sont pas encore dans le royaume.  On peut dire aussi qu’elles sont en enfer, parce que le purgatoire est une partie de l’enfer, ou un lieu tout proche.

Onzièmement. Ils nous opposent saint Jérôme qui (au chapitre 9 d’Amos) parle ainsi : « Quand l’âme libérée des  liens corporels, obtient la liberté de voler où elle veut, ou est forcée d’aller, ou est conduite aux enfers, dont a dit : en enfer, qui te louera ?   ou est élevée aux cieux ». Je réponds que saint Jérôme ne parle pas de la mort naturelle mais de la séparation de l’âme du corps par spéculation.  Car, il dispute, en cet endroit, sur l’âme impie qui, à quelque endroit qu’elle tournera sa pensée, trouvera le Dieu vengeur : Car, après avoir dit :  ou elle sera soulevée jusqu’aux cieux,  Il ajoute : « Là où sont les iniquités spirituelles dans les cieux.  Et si elle veut revendiquer la science de la circoncision, et si, après avoir eu des pensées d’humilité, elle veut  habiter dans les montagnes, même là elle ne pourra pas échapper à la main scrutatrice de Dieu.  Si, désespérant de son salut, elle essaie d’éviter les yeux du Seigneur, et si elle parvient aux derniers termes des faux flots, même là le Seigneur enverra le serpent tortueux et antique, qui est l’ennemi et le vengeur, et il la mordra.  SI elle a été attrapée par les vices et les péchés, et est frappée par le glaive du Seigneur, elle reviendra au Seigneur ou par les châtiments ou par les supplices. »

CHAPITRE 14

                On réfute les objections tirées de la raison.

Enfin, les arguments tirés de la raison.   Le premier.   Après la rémission de la faute, aucune peine ne reste.  Car, la rémission de la faute se fait par les mérites de la passion du Christ, qui sont infinis et qui suffisent à eux seuls pour enlever toute faute et toute peine.  Il ne reste donc rien à purger après la justification.  Je réponds en retournant l’argument.  Car, si le Christ a satisfait pour toute faute et toute peine, pourquoi, après la rémission de la faute, souffrons-nous tant de choses et mourrons-nous ? Et pour qu’ils ne disent pas que ce sont des châtiments paternels en remède d’un péché futur, pourquoi les enfants baptisés sont-ils infirmes ou malades, ceux surtout qui ne sont pas capables d’un péché actuel ?  Je dis donc que la mort du Christ a suffi pour enlever toute faute et toute peine, mais qu’elle doit être appliquée pour être efficace. Autrement, tous les hommes seraient sauvés.

Or, l’application se fait par nos actes et les sacrements. Dieu a voulu, en effet que, après le baptême, soit, par la contrition et la confession avec l’absolution du prêtre,  appliqué le mérite du Christ pour effacer la faute, et que par des actes de satisfaction soit enlevée la peine temporelle.   Car la peine éternelle est changée en temporelle quand  la faute est remise.  Quand la faute est remise, l’amitié est rendue, et, en conséquence, le droit à la gloire est donné. Elle ne peut donc plus être punie pendant toute l’éternité, car, alors, elle ne parviendrait jamais à la gloire.  Et, cependant, la justice exige que le péché soit puni d’une certaine manière, et c’est pour cela que la peine éternelle est muée en peine temporelle. On en a parlé longuement plus haut, et on en reparlera encore dans la dispute sur la satisfaction.

La deuxième raison. Si on prend le sacrement de pénitence dans son intégralité et au sens catholique du terme, en tant que comprenant la contrition, la confession et la satisfaction pleine et déjà parfaite, on peut accepter tout l’argument. Si on n’y voit que la seule absolution, dans laquelle le sacrement consiste principalement, on nie la conséquence.  Car, il y a une grande différence entre le sacrement de l’ablution (baptême)  et le sacrement de l’absolution (confession).  Et c’est cette ignorance qui est la cause de toutes les erreurs sur la satisfaction, les clefs, les indulgences, et le purgatoire.

Nous disons donc que, dans le sacrement de baptême, Dieu agit libéralement, et applique le mérite du Christ par l’action de l’ablution, de façon à enlever toute faute et toute peine dans le siècle futur, c’est-à-dire, autant dans l’enfer que dans  le purgatoire.  Mais les peines temporelles de cette vie, le baptême lui-même ne les enlève pas, comme on le voit chez les enfants baptisés malades ou infirmes. Dans le sacrement de l’absolution, Dieu contracte sa main, et applique le mérite du Christ pour enlever la faute et la peine éternelle.  Mais il requiert encore des œuvres de pénitence, par lesquelles nous rachetons les peines temporelles.  C’est ce que l’on voit dans Hébreux 6.  L’apôtre dit : « Il est impossible à ceux qui ont déjà été illuminés (c’est-à-dire baptisés), d’être renouvelés de nouveau pour la pénitence. » (baptismale), car Dieu n’use qu’une fois de cette libéralité.  Et dans le chapitre 10 : « À ceux, parmi nous, qui pèchent volontairement après avoir accepté la vérité connue, (c’est-à-dire, après l’illumination du baptême), il ne reste pas d’hostie pour le péché. » C’est-à-dire qu’il ne reste plus d’autre Christ patient et mourant, avec lequel nous puissions mourir par le baptême.  C’est ainsi que les Grecs et les Latins expliquent ces deux passages.

Ce qui nous donne un argument tout à fait valable pour le purgatoire.  Car, tout de suite après,  est placé le  « mais », qui indique  le contraire : « mais l’attente du jugement est terrible, et l’émulation du feu  qui consumera les adversaires. »  Car si ce feu ne signifiait que le feu de l’enfer, il s’ensuivrait ou  que tous ceux qui pèchent après le baptême doivent absolument être damnés, ou que saint Paul parle pour ne rien dire.  Car,  on n’a pas de justes raisons de dire qu’à celui qui pèche après le baptême n’est pas laissé un autre baptême, si, après le baptême, il y a d’autres remèdes, comme il y en a, en réalité.   Il faut donc dire que par feu, saint Paul entend le feu en général,  ou de la géhenne, ou du purgatoire, de façon à ce que le sens soit le suivant : à celui qui pèche après le baptême il ne reste pas de baptême, ni d’autre remède équivalent, c’est-à-dire, aussi facile, qui libère de toute peine.  Mais il reste un feu nécessaire et perpétuel, si l’homme ne se convertit pas, temporaire, s’il se convertit.  Mais ce feu temporaire du purgatoire aura lieu dans l’autre siècle, à moins que le feu de l’affliction volontairement assumé ne purifie l’homme dans cette vie.  Et c’est ce que nous appelons satisfaction.

On voit la même chose chez les Pères qui, pour cette raison, appellent le baptême un baptême facile, et ils le comparent à un navire qui vogue sur les vagues.  Mais la pénitence, ils l’appellent un baptême laborieux, larmoyant, un feu, et une seconde arche après le naufrage.  De plus, la raison elle-même nous le persuade.  Car, celui qui pèche après la première réconciliation, pèche d’autant plus qu’il est plus ingrat, et qu’il a eu une plus grande lumière et une plus grande aide.  Voir saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur les saintes lumières),  et Theodoret (dans son tome des divins décrets, chapitre pénultième), et saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10).

La troisième raison.   « L’honneur du Christ doit demeurer intact, car lui seul est notre rédempteur et notre libérateur.  Or, si nous satisfaisons, nous divisons l’honneur avec le Christ.  Car, nous sommes nous aussi, en partie, nos propres rédempteurs, et nous ne devons pas la totalité de notre salut au Christ, mais seulement une partie ».  Je réponds.  S’il s’agit de mots, l’Écriture dit clairement : « Rachète tes péchés avec des aumônes. »   Et Philippiens 2 : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement. » Dans ces passages, l’homme est appelé le sauveur et le rédempteur de lui-même.  Mais, pour autant, aucune injure n’est  faite au Christ, puisque toute la vertu de nos œuvres et de notre satisfaction dépend du sang du Christ.  Nous le faisons cela par son Esprit qui nous a été donné, ou plutôt c’est l’Esprit du Christ lui-même qui l’opère en nous.  Exemple. Rien n’est enlevé à Dieu du fait qu’il agit par des causes secondes.  Ne pas agir seul, mais donner aux autres le pouvoir d’agir est  plutôt un ajout à sa gloire, parce que, par là, apparaissent davantage la puissance et l’efficacité de Dieu.

La quatrième raison. «  Si la satisfaction du Christ nous est appliquée par nos propres œuvres, ou il y a deux satisfactions conjointes, celle du Christ et la nôtre, ou une seule.   S’il y en a deux, on est donc puni deux fois pour la même faute, et deux peines correspondent à une seule faute.  S’il n’y en a qu’une, ou c’est celle du Christ, et nous, nous ne satisfaisons pas, ou c’est la nôtre, et alors on exclut le Christ, ou nous divisons l’honneur avec le Christ, car lui absout de la faute, et nous de la peine. »  Je réponds qu’il y a trois manières d’en parler.   La première est de ceux qui déclarent qu’il n’y en a qu’une seule, celle du Christ, et que nous, nous ne satisfaisons pas à proprement parler.  Nous faisons quelque chose à la vue de quoi Dieu nous applique la satisfaction du Christ.   Ce qui signifie que nos œuvres ne sont que des conditions sans lesquelles la satisfaction du Christ ne nous serait pas appliquée, ou tout au plus, des dispositions.  C’est ce que pensait Michaël Baïus  (dans son livre sur les indulgences, dernier chapitre).  Cette sentence me semble être erronée, car l’Écriture et les pères appellent souvent nous œuvres des satisfactions et des rédemptions de pécheurs.  De plus, si l’homme juste peut, par ses œuvres, mériter en justice la vie éternelle, pourquoi ne pourrait-ils pas satisfaire pour la peine temporelle, qui vaut beaucoup moins ?

La deuxième est de ceux qui soutiennent qu’il y en a deux, mais que l’une dépend de l’autre.  Ce qui ne me semble pas  improbable.  Car, même si une seule suffisait, cependant, à la plus grande gloire de Dieu, à qui est faite la satisfaction, et au plus grand honneur de l’homme qui satisfait, il a plu au Christ d’unir la nôtre à la sienne.  Une goutte du sang du Christ aurait suffi pour racheter tout le monde, et pourtant, il a voulu répandre tout son sang, pour que sa rédemption soit encore plus riche. Il en est ainsi  pour l’homme juste adulte. Il a droit à la même gloire à un double titre : un, provenant des mérites du Christ qui lui sont communiqués par la grâce, et un autre  provenant de ses mérites propres.

La troisième semble plus probable.   Il n’y a qu’une seule satisfaction actuelle, et c’est la nôtre.  Ce qui n’exclut pas le Christ, ou sa satisfaction.  Car, c’est par sa satisfaction que nous avons la grâce qui nous permet de satisfaire.  Et c’est de cette façon que l’on dit que nous est appliquée la satisfaction du Christ, non que sa satisfaction enlève immédiatement la peine temporelle qui nous est due,  mais qu’elle l’enlève médiatement, en tant que c’est d’elle que nous recevons la grâce, sans laquelle notre satisfaction ne vaudrait rien.

En plus de ces objections des hérétiques, discutons, pour qu’apparaisse plus clairement la vérité de la chose, de deux autres objections que les théologiens ont coutume de se faire..

La cinquième raison.  Dans le purgatoire, il n’y a pas de mérite.  Il n’y a donc pas, non plus, de satisfaction, car c’est la même chose qui est requise pour mériter et satisfaire; et toute satisfaction est méritoire.  Je réponds en niant la conséquence.  Car sont requises certaines choses qui sont communes au mérite et à la satisfaction, mais aussi quelques autres qui leurs sont propres, par l’absence desquelles apparait un mérite sans satisfaction, et une satisfaction sans mérite.  À l’un et l’autre est requise la grâce sanctifiante.  Cela ne suffit-il pas ?   Non.  Car, à la satisfaction est requise une œuvre pénale, ce qui n’est pas requis pour le mérite. Au mérite, est requise la liberté,  que suit la louange, ce qui n’est pas requis à la satisfaction.  Car, celui est forcé par un juge de rembourser sa dette, satisfait vraiment, même s’il est contraint de le faire.  Est requis, en plus, pour le mérite, l’état de la voie.  Car Dieu, l’organisateur des jeux olympiques,  a voulu que le temps de notre stade soit la vie présente. Voilà pourquoi les âmes qui séjournent dans le purgatoire,  qui sont donc dans un état intermédiaire entre les voyageurs et les bienheureux ou les damnés, peuvent satisfaire, mais non mériter, alors que, nous, nous pouvons l’un et l’autre; et que les bienheureux et les damnés ne peuvent ni l’un ni l’autre.

La sixième raison. Le purgatoire a été constitué en partie pour la rémission de la faute vénielle,  en partie pour la satisfaction de la peine.  Mais aucune de ces choses n’arrive après la vie.  Car celui à qui il appartient de se relever de la faute, est tombé dans le péché.  Mais, après cette vie, les âmes ne peuvent pas commettre de péché véniel.  De plus, tous les péchés sont remis par la pénitence, mais, après cette vie, il n’y a pas de pénitence.  Car la mort est, pour les hommes, semblable à la chute des anges, comme saint Jean Damascène le dit (livre 2, chapitre 4).  Les anges, par leur chute, ont été fixés dans le mal.  De plus dans cette vie, puisque l’homme juste peut mériter l’augmentation de la grâce, il peut aussi mériter la rémission des offenses vénielles.  Or, après cette vie, il n’y a plus de mérite.  Au sujet de la peine, on donne la preuve suivante. La peine est causée par la faute, et au fur et  mesure que croit la faute, la peine croit.  Et quand décroit la faute, la peine décroit.  Donc, si on enlevait la faute, on enlèverait la peine.

Je réponds que ne manquèrent pas ceux qui, à cause de ces arguments,  nièrent que le péché véniel pouvait être remis après cette vie, comme saint Thomas le rapporte (4 dist. 21, question 1, article 2).  Mais ils disaient que tous les péchés véniels étaient remis à la mort par la grâce finale.  Mais, ils se trompaient car l’Écriture et les Pères enseignent clairement que des péchés légers sont remis après cette vie.  Et leur fondement n’est pas solide, car la grâce finale ne peut remettre un péché qui plait encore, ou qui ne déplait pas encore suffisamment.  En effet, quelqu’un peut mourir en se complaisant dans un péché véniel, ou ne posant aucun acte, comme quelqu’un qui meut subitement, comme un épileptique, ou un dormeur, ou celui qui est victime d’un ACV foudroyant.  D’autres, comme Scott (4 dist, 21, question 1) disent que le seul péché qui reste dans l’homme, quand l’acte est passé, c’est la culpabilité de la peine, et que c’est pour cela qu’on dit que le péché véniel est remis au purgatoire, car c’est là qu’il est entièrement puni.  Car, à moins que, dans ce monde, la culpabilité  de la peine éternelle ne soit changée en culpabilité de la peine temporelle, et qu’ainsi, commence  ici la rémission, elle ne pourrait pas être purgée là-bas.

Cette sentence est fausse, d’abord, parce que, sans aucun doute possible, le péché laisse  dans l’homme en plus de la culpabilité de la peine, une tache, ou quelque chose de semblable, par laquelle l’homme est dit formellement pécheur, et digne d’une peine.  Et aussi parce que, de cette façon, on ne pourrait pas dire que les péchés véniels sont remis dans le purgatoire, car on ne remet pas ce qui a été entièrement puni.  Car la rémission sonne comme un pardon.  L’autre opinion est celle de Scott au même endroit.  Il soutient que les péchés véniels sont remis au premier instant de la séparation de l’âme et du corps, et qu’ils sont remis à cause des mérites précédents.  Car il dit que toute bonne action qui  plait davantage à Dieu que ne lui déplait le péché véniel, remet les péchés véniels.   De plus, tant que l’homme vit sur cette terre, les péchés véniels ne sont pas tous remis par ces bonnes œuvres, car la complaisance  dans le péché l’empêche. Une fois cet empêchement écarté, ce qui se fait au premier instant après la mort, le péché est aussitôt remis.  Cette opinion ne plait pas, car il n’est pas probable que les péchés véniels soient remis par toute bonne action, à moins que ne soit présent un déplaisir au moins virtuel de ces péchés.

De plus, il s’ensuivrait que, après cette vie, ne serait remis qu’un seul péché, celui dont l’acte est continué jusqu’à la mort, et c’est ce qu’il admet. Mais c’est  contre les Écritures et les Pères, comme il appert des textes cités.  Enfin, car il n’y aurait pas lieu de prier pour les défunts afin que leurs fautes vénielles soient effacées, comme l’Église le fait dans ses prières, comme nous le montre Denys (dernier chapitre de la hiérarchie ecclésiastique.) et les prières de l’église, par lesquelles nous demandons que leur soit pardonné ce qu’ils ont contracté par fragilité humaine.

L’opinion vraie est donc celle de saint Thomas ( 4 dist 21, quest 1, art 2) selon laquelle les fautes vénielles sont remises dans le purgatoire par des actes d’amour et de patience.  Car, cette acceptation de la peine infligée par Dieu, quand elle procède de la charité, être appelée une pénitence virtuelle.  Et bien qu’elle ne soit pas proprement  méritoire, parce qu’elle ne mérite pas une augmentation de grâce et de gloire, elle concourt à la rémission du péché.  Pour le premier argument, on nie la majeure absolument, car elle ne porte que sur les péchés mortels.   Et en ce qui a trait aux péchés véniels, l’âme peut, dans le purgatoire, être libérée des péchés véniels, parce qu’elle en a les moyens, c’est-à-dire les actes de charité contraires aux péché.  Mais, elle ne peut pas tomber dans le péché véniel, parce qu’elle manque d’incitation, et surtout parce qu’elle est confirmée dans le bien.

Au second je dis.  Après cette vie, il n’y pas de pénitence pour les péchés mortels, parce que les damnés sont confirmés dans le mal, et c’est ce que veut dire Damascène.   Cependant, dans les âmes du purgatoire, peut très bien se trouver un déplaisir du péché, provenant aussi de la charité, et qui est donc utile.  Au troisième je dis que les âmes du purgatoire ne sont plus en chemin,  et que, pour cette raison, elles ne peuvent pas obtenir d’augmentation de la grâce et de la gloire.  Mais elles ne sont pas rendues non plus au terme, et c’est pour cette raison qu’elles peuvent faire quelque chose qui se rapporte à la rémission du péché véniel.  À l’autre partie de l’argument je réponds que la peine dépend de la faute dans le devenir, non dans l’être.  Et c’est pourquoi, au sujet de cette décroissance de la peine qui suit la décroissance de la faute, si on la comprend au sens de « plus la faute est petite plus elle engendre une petite peine »  on dit la vérité.  Autrement c’est faux,  car une peine est due même pour une faute passée.

CHAPITRE 15

La confession du purgatoire appartient à la foi catholique.

Il nous reste maintenant   à discuter de la sentence de Pierre le martyr qui (dans le commentaire du chapitre 3 de la premièreépître aux Corinthiens), soutient que l’existence du purgatoire ne peut en aucune façon faire partie des dogmes de foi. Ce fut la première opinion de Luther, ou plutôt sa première erreur.  Les raisons qu’il en donne sont au nombre de cinq.

La première.   Parce que l’Écriture a fait silence sur le purgatoire dans les passages où se présentait la plus grande occasion d’en parler.  Car, en Genèse, chapitre 49, on décrit les funérailles d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Sara, et de Rachel avec grand soin. Mais, par un mot sur le purgatoire.  De même, dans le Lévitique, on institue des sacrifices de plusieurs genres pour diverses choses, et aucun n’y est institué pour les morts.  Ensuite, saint Paul (dans la première épitre aux Thessaloniciens, chapitre 4) quand il parle explicitement des morts, n’a pas un mot à dire sur le purgatoire. Il dit seulement qu’ils vont ressusciter.  Et il conclut : « Consolez-vous les uns les autres avec ces paroles. »

La  deuxième.  Parce que l’église grecque,  qui est l’autre part de l’ Église, a longtemps résisté à ce dogme, au concile de Florence.  Donc, si jusqu’à aujourd’hui, la moitié de l’Église ne croit pas dans le purgatoire, comme peut-il être un dogme de foi ?  La troisième.  Denys, au dernier chapitre de la hiérarchie ecclésiastique, propose une question : pourquoi, dans les sépulcres des fidèles, les anciens prient-ils pour les défunts.   Or, il ne se souvient pas du purgatoire,  mais sue à grosses gouttes pour solutionner ce problème. Or, si le purgatoire était un dogme de foi, il aurait pu répondre tout de suite facilement : priez pour les défunts, pour qu’ils soient libérés du purgatoire.   La quatrième raison.   Saint Augustin affirme avoir une opinion incertaine sur le purgatoire, déclare qu’il ne le sait pas d’une foi certaine.  Dans l’enchiridion chapitre 69, il dit : « Qu’une telle chose existe après cette vie, ce n’est pas incroyable.  Est-ce qu’il en est bien ainsi ? On peut le rechercher,  en parler ou le taire.  Certains fidèles, pour avoir trop aimé les biens terrestres,  seraient sauvés, les uns plus vite, les autres plus lentement, par un certain feu purgeur ».  Dans le livre des huit questions de Dulcitius (question 1), il dit : « Soit donc que, dans cette vie, les hommes ne souffrent que de ces choses,  ou soit qu’après cette vie, de tels jugements suivent, ne doit pas être vu comme une objection le fait que   je juge être loin de la vérité l’intelligence de cette phrase. » Il dit la même chose (livre 21, chapitre 26 de la cité de Dieu) : « Après la mort de ce corps, jusqu’à ce que nous parvenions  au jour qui, après la résurrection des corps, sera le jour ultime de la damnation et de la récompense,  les esprits des défunts, pendant cet intervalle de temps, sont dits souffrir d’un feu que ne sentent pas les autres qui n’ont pas eu de pareilles mœurs, un feu  qui consume les amours dans la vie de ce corps comme leur bois, leur foin et leur paille.  D’autres ont porté avec eux des édifices d’un autre genre, ou là-bas seulement, ou ici et là-bas, ou bien ici, pour que les choses séculières, bien que vénielles,  ne trouvent pas le feu brulant de la tribulation transitoire.   Je ne conteste pas, car c’est peut –être vrai. »   La cinquième raison, parce que le purgatoire répugne à l’Écriture,(Jean 5, Luc 13, Apocalypse 14) »  que nous avons déjà présentée et réfutée.

Tels sont ses « firmaments »  qui ne nous troublent en rien, et qui ne nous empêchent nullement de soutenir constamment que le purgatoire est un dogme de foi.  De sorte que celui qui ne croit pas au purgatoire ne parviendra pas au purgatoire, mais sera torturé perpétuellement dans la géhenne de feu.  Il y a quatre façons de prouver les dogmes de foi. La première, par le témoignage formel de l’Écriture uni à une déclaration de l’ Église.   Comme nous prouvons que le Christ est consubstantiel au Père (omoousion patri) par (Jean 10) : « Moi et le père nous sommes une seule chose », avec l’ajout de la déclaration du concile de Nicée.  Autrement, la dispute avec les Ariens n’aurait jamais pris  fin, puisqu’ils expliquaient différemment  ce texte et d’autres semblables.   Ensuite, par la déduction  évidente de ce qui est dit expressément dans l’Écriture.  Comme nous prouvons que le Christ a deux volontés, une divine et une humaine, par l’Écriture (le Christ est Dieu et homme) et par la déclaration du sixième concile œcuménique.   Troisièmement,  par la parole de Dieu  exprimée par les apôtres, non écrite mais transmise, comme nous prouvons que les évangiles et les épitres sont divins.

Quatrièmement, par une évidente déduction de la parole de Dieu transmise.  Comme saint Augustin prouve souvent qu’on doit nécessairement croire que les enfants ont le péché originel, même si l’Écriture n’en parle pas,  parce qu’il déduisait nécessairement cette vérité de foi de la tradition apostolique du baptême des enfants.  Ces quatre  genres de preuves suffisent  car seul est de foi ce qui a été révélé immédiatement ou médiatement, les révélations divines étant partiellement écrites, partiellement transmises oralement.  Les décrets des conciles ou des souverains pontifes ou le consentement des docteurs ne rendent une chose de foi que quand ils expliquent la parole de Dieu, ou en déduisent quelque chose.

Par ces quatre moyens, le purgatoire a déjà été prouvé.  Au sujet du premier,  le montrent les vingt textes de l’Écriture que nous avons présentés, dont certains sont appliqués au purgatoire par toute l’Église, comme on peut le voir par les conciles et les pères que nous avons cités.  Le deuxième est évident à cause des deux premiers raisonnements que nous avons faits.  Le troisième est pertinent du fait qu’on ne trouve pas un commencement de ce dogme,  car tous les grecs et les latins, depuis le temps des apôtres, ont toujours enseigné l’existence du purgatoire.  Que de telles choses doivent être référées à la tradition apostolique, c’est ce qu’affirme saint Augustin (livre 4, chapitre 24, du baptême contre les donatistes).  Le quatrième se prouve par les citations de Clément, Tertullien, et de Chrysostome présentées plus haut. En effet, ils enseignent explicitement que la prière pour les défunts est une tradition apostolique. Ce que jamais aucun ancien n’a contredit.  C’est de là que nous tirons l’affirmation que le purgatoire existe.  Car, si la prière pour les défunts est une tradition apostolique,  il faut donc prier pour les morts.  Qui ne se rend pas compte que s’ensuit nécessairement que les âmes, après cette vie, ont besoin d’aide, et sont dans des peines non éternelles, mais transitoires.

Les arguments de Pierre le martyr ne sont pas, non plus, difficiles à réfuter.  Au premier, je réponds qu’il n’est pas nécessaire que l’Écriture dise tout partout.  Au second, en ce qui a trait au passage de la Genèse, je réponds que ne s’est pas présentée l’occasion de parler du purgatoire.  Car la Genèse n’est pas un livre de dogmes,  mais une histoire des patriarches.  De plus, à cette époque, la doctrine n’était pas conservée par l’écriture, mais par la tradition.  Car, autrement, il faudrait dire qu’avant l’époque d’Abraham, personne n’a été justifié, parce que l’Écriture ne raconte pas comment étaient justifiés les hommes au temps d’Adam, de Noé  et d’Hénoch.  Au dernier, je dis que la mention du purgatoire est contenue au moins implicitement dans la Genèse 23 : « Et Abraham mit fin à son devoir funéraire. »  Qui empêche de voir dans le mot « devoir » non seulement des larmes, mais aussi des prières et des jeûnes ?  Et pourquoi, je le demande,  Jacob et Joseph, qui moururent en Égypte, désirèrent-ils que leurs os soient transportés dans la terre promise, parce qu’ils savaient que c’était uniquement là que se faisaient des sacrifices pour les morts ?

Au sujet du passage sur le Lévitique, je nie que n’aient pas été institués des sacrifices pour les morts, puisque les sacrifices qui avaient été institués pour les pécheurs valaient autant pour les vivants que pour les morts (2 Macch 12).  Et au sujet du texte de saint Paul, je dis que, à cet endroit, la seule chose qu’il a voulu dire c’est qu’il ne faut pas pleurer les morts immodérément, comme le font les païens.  Non seulement ce passage ne leur est d’aucun profit, mais il plaide en faveur du purgatoire.  Car dire que les âmes des proches sont gravement tourmentées dans le purgatoire, ce n’est pas apporter une matière à consolation, mais à une plus grande peine.  Saint Paul voulait les consoler, et c’est pour cela qu’il leur parle de la résurrection et de la gloire.  Et il conclut ainsi : « Consolez-vous mutuellement par ces paroles. »  Dans d’autres passages, (comme dans la première épitre aux Corinthiens, chapitres 3 et 15,  et dans l’épitre aux Hébreux, chapitre 10), saint Paul parle du feu du purgatoire, et d’un baptême laborieux reçu pour les morts.

Au deuxième je dis que l’Église grecque n’a jamais douté du purgatoire, comme il appert des textes cités (Denys l’aréopagite, Origène, Athanase, Basile, Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse,  Ephrem, Chrysostome,  Cyrille, Épiphane,  Theodoret, Damascène, et du concile de Florence).  Car ce que prétend Pierre le martyr,  à savoir  que dans ce concile les Grecs ont longtemps résisté, c’est tout simplement un mensonge.  Car, dans la première session et dans la dernière, ils affirment avoir toujours cru dans le purgatoire, et avoir toujours prié pour  les morts; et n’avoir eu des doutes que pour la qualité de la peine, c’est-à-dire,  si c’est un feu ou autre chose.   La négation du purgatoire par les Grecs dont il se vante est donc une fausseté, ou elle n’est vraie que pour certaines personnes en particulier.

Le troisième argument de Pierre le martyr m’étonne grandement.  Car, même si Denys ne nomme pas le purgatoire,  il dit expressément qu’on prie pour les morts afin qu’ils soient libérés de leurs péchés.  Au chapitre 7, par 3 : « Par des prières, il demande à la bénignité divine de remettre tous les péchés que celui qui est sorti de la vie a commis par fragilité humaine. »  Ensuite, il se demande : pourquoi prie-t-on pout les défunts ? Pour que leur soient remis les péchés, comme il est dit que tous recevront selon qu’ils ont agi dans le corps ?  Et il répond qu’on prie parce que, par les mérites de leur vie, ils ont été trouvés dignes de pouvoir tirer du profit des prières des vivants. »  À  moins donc que Denys n’ait milité contre lui-même, il n’a pas pu ignorer ou nier le purgatoire, puisqu’il parle si clairement d’une prière pour les péchés des défunts.

Au quatrième, nous opposons d’autres passages de saint Augustin. Dans le même enchiridion  chapitre 110, il affirme que les prières et les sacrifices sont profitables aux âmes.  Et semblablement, (question 2 à Dulcitiium,  et dans le livre 21, chapitre 24 de la cité de Dieu), il dit qu’il est avéré que les âmes sont purgées après cette vie, et (au chapitre 1 du soin aux morts) il dit : « Il n’est pas douteux que les prières pour les morts leur soient profitables. »  Pierre le martyr répondra  que ces passages doivent être expliqués par ceux où il exprime un doute.  Comment, je le demande, pouvons-nous expliquer des mots comme : il est avéré, il n’est pas douteux,   par ces autres mots : ce n’est pas incroyable, c’est peut-être vrai ?

Il est donc nécessaire de dire que saint Augustin a cru, de foi, certaines choses sur le purgatoire, et a douté d’autres.  De quoi a-t-il douté, nous ne pouvons pas l’exposer facilement.  Car, lui-même n’a pas clairement dit de quoi il doutait.  Il faut au moins lui reconnaitre qu’il n’a pas douté de l’existence du purgatoire en général.   Avec cette foi assurée, peut cohabiter un doute sur la qualité de la peine infligée, de la qualité du péché qui est puni, du lieu, de la durée.  Mais cette foi certaine dans le purgatoire que saint Augustin dit avoir ne peut pas coexister avec un doute sur le purgatoire en général.  Je dis donc que, dans ces passages, saint  Augustin  ne doutait que du genre de péchés qui est puni. Par exemple.  Un amour immodéré des biens temporels est purgé par les différentes épreuves envoyées par la providence,  comme la mort d’une épouse, des enfants.  Il est aussi croyable que, après cette vie, demeure encore dans l’âme séparée certaines reliques des affections terrestres, qui ont à être purgées par des tribulations et des souffrances.  Car, même si les âmes privées de corps ne semblent pas pouvoir être atteintes par les affections corporelles, puisqu’elles sont les formes des corps, et ont demeuré longtemps dans le corps, elles sont liées par un certain désir d’elles.  Et parce que cette chose est très difficile, on a raison de penser que saint Augustin a longtemps cherché sans jamais trouver.  Au cinquième, on a répondu plus haut.

LIVRE SECOND

                        LES CIRCONSTANCES DU PURGATOIRE

                                        CHAPITRE PREMIER

              Des personnes auxquelles convient le purgatoire

Nous avons démontré jusqu’à présent que le purgatoire existe.  Nous disserterons maintenant des circonstances du purgatoire, c’est-à-dire des personnes, du lieu, du temps, des suffrages, et d’autres choses du même genre.

La première question. À quelles personnes une purgation convient-elle après cette vie ?  Il y a eu beaucoup d’erreurs sur cette question.  La première.  Doivent être purifiés, après cette vie, autant les bons que les mauvais, à l’exception du seul Christ.  On a coutume d’attribuer cette opinion à Alcuin, mais il ne semble pas qu’il ait été le seul  à la professer, beaucoup de pères l’ayant soutenue.  Origène (homélie 14 sur Luc) : « Je pense que, même après la résurrection des morts, nous aurons besoin d’un sacrement qui efface et purifie.  Car, personne ne peut ressusciter sans taches, et on ne peut trouver aucune âme qui soit aussitôt libérée de tous les vices. »  Et, au psaume 36, il ajoute : « Il est nécessaire que nous venions tous à  ce feu, même un Paul, même un Pierre. »  Saint Ambroise (psaume 36) : « Dans ce feu donc seront purgés les fils de Lévi, dans le feu d’Ezéchiel, dans le feu de Daniel. »  Et, (dans le sermon 20 sur le psaume 118), commentant ces mots de Genèse 4 : « Il a placé devant le paradis un glaive enflammé » il dit: « Ce glaive enflammé est un feu purgeur, par lequel passe nécessairement quiconque entre au paradis. Car tous doivent passer par les flammes, même un Jean ou un Pierre. »  Et plus bas : « Un seul n’a pas pu sentir ce feu, le Christ, qui est la justice de Dieu. »

Saint Hilaire semble avoir expliqué de la même façon ces paroles du psaume 118 : « Mon âme a souhaité pouvoir désirer les jugements de ta justice. »   Il insinue là que même Marie a du passer par ce feu.  De même Lactance (livre 7, chapitre 21 des institutions divines), et saint Jérôme, commentant ces paroles d’Amos 7 : « Il appelé le feu pour le jugement.  »  Ainsi que Rupert (livre 3, chapitre 32 sur la Genèse), expliquant le glaive enflammé.  Cette sentence, si on la prend comme elle sonne, contient manifestement une erreur. Car, dans le concile de Florence, dernière session, il a été défini que certaines âmes sont reçues en enfer, d’autres au purgatoire, et d’autres immédiatement au ciel.  De plus, l’Église a toujours cru que ceux qui meurent tout de suite après le baptême n’ont aucune peine du purgatoire à subir, (comme saint Augustin l’enseigne constamment, livre 21, chapitre 16 de la cité de Dieu), ainsi que ceux qui sont baptisés dans leur propre sang.  Saint Cyprien (livre 4, épitre 2) dit que tous les péchés sont purifiés par le martyre, et que les martyrs parviennent immédiatement à la récompense

Ajoutons que l’enseignement des pères cités (à l’exception d’Origène) peut recevoir un bon sens, car quelques-uns d’entre eux n’entendent pas par feu un feu purgeur, mais le feu du divin jugement,  comme le dit saint Paul (dans la première épitre aux Corinthiens, chapitre 13) : « Le feu montrera, en l’éprouvant, ce que vaut l’œuvre de chacun. »  Et de cette façon, il faut reconnaitre que tous les saints, à l’exception du Christ, passeront par le feu.  C’est ainsi que semblent parler du feu Hilaire et Jérôme, et saint Ambroise.

D’autres semblent entendre par feu le vrai feu du purgatoire, par lequel les saints passent sans en recevoir aucune lésion, car ils passent matériellement, mais non formellement.  C’est ainsi que semblent parler Lactance, Ambroise et  Rupert.  Lactance : « Mais quand Dieu jugera les justes, il les examinera  eux aussi par le feu. Ceux dont les péchés l’emporteront par le poids ou le nombre, seront plongés etbrûlés dans le feu.  Ceux dont la pleine justice et la maturité de la vertu aurabrûlé ces péchés,  ne seront pas affectés par le feu, car ils ont quelque chose de divin en eux qui repousse la violence de la flamme.»  C’est ainsi que parle aussi saint Ambroise  (psaume 36).  Après avoir dit que tous passeront par le feu, il ajoute que quelques-uns resteront dans ce feu perpétuellement, que quelques-uns serontbrûlés, mais non consumés, que pour d’autres, les saints, le feu ressemblera à la rosée, comme pour les trois enfants de la fournaise de Babylone.

Conforme à cette sentence est la vision de Fursy, que décrit Bède (livre 3, chapitre 19 de son histoire).  Il vit, dans la route vers le ciel, de très gros feux par lesquels il fallait nécessairement passer.  Mais il vit en même temps ceux qui n’avaient rien en fait de combustible, c’est-à-dire rien en fait de faute ou de peine,  passer au travers indemnes.  Il en vit d’autres qui étaient plus ou moinsbrûlés selon qu’ils apportaient plus ou moins de combustible.  Cette sentence qui enseigne que tous doivent passer par le feu, même si tous ne sont pas affectés par le feu, je n’oserais ni la déclarer vraie, ni la réprouver comme une erreur.

La deuxième erreur.  Tous les méchants, autant hommes que démons devront être sauvés quand l’enfer sera complètement évacué.  Et, en conséquence, toutes les peines après cette vie, sont de nature purgative.  Cette erreur fut celle d’Origène, et elle a été réfutée par Épiphane (épitre à Jean de Jérusalem), par saint Augustin (livre 21, chapitre 17 et 23 de la cité de Dieu), par saint Jérôme (chapitre 3 de Jonas,) par saint Grégoire (livre 9, chapitre 45, et chapitres 12 et 13 des morales).  Car en Matthieu 25, il est dit : « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. »  Et de peur qu’on réponde : c’est le feu qui est éternel, non le séjour dans le feu, le Seigneur conclut : « Ils seront ceux-là dans le supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle. »  Et apocalypse 20 : « Le diable qui les séduisait a été envoyé dans l’étang de feu et de soufre,  là où la bête et les pseudo prophètes seront tourmentés jour et nuit pendant les siècles des siècles. »

Ruffin attribua une erreur semblable à saint Jérôme (dans son premier livre d’invectives contre Jérôme), mais injustement.   Car, saint Jérôme fut un ennemi acharné de cette erreur, comme il appert, en plus du texte cité, de l’apologie 2 contre Rufin, du livre 1 contre les pélagiens, et del’épître à Pammachius sur les erreurs de Jean de Jérusalem, et du commentaire des derniers mots d’Isaïe.    Les paroles que cite Rufin  sur le commentaire de Jérôme surl’épître aux Éphésiens sont dites en la personne d’Origène, comme saint Jérôme l’enseigne au sujet de semblables erreurs (dans son apologie 1 contre Rufin).  On dit qu’existe encore le livre d’un certain anabaptiste du nom de Stanilas, intitulé de la divine philanthropie,  qui soutient cette erreur d’Origène.   Mais je n’ai pas encore pu voir ce livre.

La troisième erreur est celle de ceux qui soutiennent que sont temporaires  les peines de  tous les pécheurs, mais non des démons, qui sont imposées après cette vie.  Comme saint Augustin le rapporte et le réfute (livre 21, chapitres 18 et 24 de la cité de Dieu).  La quatrième erreur est de ceux pour qui ces peines ne valent que pour les chrétiens, qu’ils soient hérétiques ou catholiques, comme le rapporte saint Augustin (au même endroit, chapitres 19 et 25).  La cinquième est de ceux qui pensaient que seuls les catholiques étaient ainsi punis.  Augustin (chapitres 20 et 25).  Ces erreurs sont réfutées dans Matthieu 25 : allez au feu éternel.  Et apocalypse 20 : « Ils sont suppliciés dans les siècles des siècles. »  Ainsi qu’en Isaïe (dernier chapitre) : « Leur feu ne s’éteindra pas. »  Et Galates 5 : « Ceux qui font de telles choses neposséderont pas le royaume de Dieu. » Car, dans ces passages, ce ne sont pas seulement les démons qui sont punis jusqu’à la fin du monde, non seulement les hérétiques ou les païens, mais les mauvais catholiques. »

Les fondements de toutes ces erreurs sont au nombre de quatre.  Le premier, parce qu’il est dit dans le psaume 96 : « Dieu oubliera-t-il d’être miséricordieux, ou ses miséricordes sont-elles contenues dans sa colère ?  Le deuxième. Parce que, aux Romains 11, il est dit : « Dieu a tout renfermé dans l’infidélité pour avoir pitié de tous. »  Le troisième. Parce que si les saints prient pour leurs ennemis, et sont exaucés en ce siècle, ils prieront encore beaucoup plus, et seront exaucés davantage au jour du jugement.  Le quatrième.  Parce que nous voyons, dans l’Écriture, que Dieu a décrété des punitions sans les donner, comme en Jonas 3 : « Encore quarante-jours et Ninive sera détruite. »  Ces passages nous font comprendre que quand Dieu menace de nous envoyer des supplices, il n’a pas l’intention de les envoyer réellement, mais seulement à ceux qui méritent une punition.  Mais au premier répond saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la cité de Dieu). Il dit qu’il faut entendre ces paroles seulement pour les bons, ou si elles s’étendent à tous les damnés,  le sens est que les damnés doivent être punis éternellement, mais seulement selon que la justice le requiert.  On peut entendre aussi ces mots de cette vie, de laquelle on dit : « Voici le temps acceptable. »  Car, au sujet du jugement futur, il est dit en Jacques 2 : « Un jugement sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde. »

Au deuxième, saint Augustin répond de la même façon : pour qu’il ait pitié de tous ne signifie pas tous les hommes, mais toutes les nations, autant les Gentils que les Juifs, de sorte que certains parmi les Gentils et les Juifs seront sauvés.  C’est comme cette autre phrase : il a tout renfermé dans l’infidélité, qui signifie autant les Gentils que les Juifs, c’est-à-dire certains parmi les Gentils, et certains parmi les Juifs.  Car Dieu, avant l’avènement du Christ, a permis que les Gentils suivent leurs propres chemins dans l’infidélité et l’idolâtrie, pour qu’après, dans leur confusion, ils demandent un médecin et le trouvent, comme cela est arrivé.  Ensuite, après la conversion des Gentils, il a permis que les Juifs se ruent dans l’infidélité pour que, eux aussi, à la fin du monde, dans leur confusion et leur humiliation, ils se convertissent à leur tour.

Au troisième, il répond.  Les saints prient dans ce monde parce qu’ils savent que c’est le temps de la pénitence fructueuse.  Mais, au jour du jugement, ils ne prieront pas pour les damnés, comme maintenant nous ne prions pas pour les démons et les damnés.   Au quatrième, saint Augustin répond que Ninive a été renversée, comme il avait été prédit, car tous les mauvais étaient devenus bons, ce qui est un renversement merveilleux et agréable à Dieu.  On peut répondre que les supplices de Dieu qui sont intentés dans cette vie sont comminatoires, puisqu’ils sont conditionnels, c’est-à-dire,  à moins qu’on ne fasse pénitence.   Mais, après cette vie, il n’y pas de pénitence, du moins fructueuse.  Car  il est dit en Jean, chapitre 9 : « Agissez pendant qu’il fait encore jour, car vient la nuit pendant laquelle personne ne peut rien faire. »  Et Ecclsias 9 : « Dans les enfers il n’y a ni œuvre, ni raisonnement. »

La sixième erreur est de ceux qui voulaient que seuls les catholiques et tous les catholiques qui persévéraient dans la foi descendent dans le purgatoire, même si quelques-uns avaient très mal vécu.  Cette erreur est rapportée par saint Augustin (livre 21, chapitres 25 et 26 de la cité de Dieu, dans l’enchiridion, chapitre 68,  dans de la foi et des œuvres, chapitres 14, 15, 16, et dans la question 1 à Dulcitius,  Carme en Matthieu3, on dit au sujet des fidèles mauvais : « les pailles seront brulées dans le feu inextinguible. »  Et en Matthieu 25,  il est dit aux fidèles qui ne sont pas miséricordieux : « Allez au feu éternel. »  Et à 1 Corinthiens 6, il est écrit pour les fidèles par Paul : « Ni les ivrognes, ni les avares, ni les adultères, ni les  homos, ni les maudits ne possèderont le royaume des cieux.  Et on trouve des choses semblables dans Galates 5, et Éphésiens 5.

Le fondement de leur erreur vient de 1 Corinthiens 3 : « Il sera sauvé comme par le feu. »  Ils pensaient eux, entendre par fondement la foi catholique, par argent et or, toutes les bonnes œuvres, par bois, chaume et paille tous les péchés. Mais, cela a été suffisamment réfuté.  Il est à noter qu’il y en a quelques-uns à avoir pensé que saint Jérôme était tombé dans cette erreur, car, commentant les derniers mots d’Isaïe, il dit : «  Nous pensons que sont éternels les tourments des démons, de tous les négateurs et impies, qui ont dit dans leur cœur : il n’y a pas de Dieu.  Mais  pour les tourments des chrétiens dont les œuvres doivent être éprouvées et purgées dans le feu, nous estimons que la sentence du juge sera intermédiaire et mêlée à la clémence ».  Il dit la même chose dans son livre u contre les pélagiens : « Si Origène dit que toutes les créatures raisonnables ne doivent pas être perdues, que nous importe à nous, qui enseignons que le diable et ses satellites et tous les impies périront éternellement.  Les chrétiens eux, s’ils ont été prévenus par le péché, devront être sauvés par les peines. »

Il semble, cependant, que Jérôme ne soutenait pas cette erreur  au chapitre 25, où il s’agit manifestement de la damnation éternelle des fidèles pécheurs. Ni aux Galates chapitre 5 : « Pensons-nous que nous obtiendrons le royaume des cieux si nous ne sommes ni idolâtres, ni fornicateurs ? N’y a-t-il pas les inimitiés, la rancune, la colère, les rixes, les dissensions, l’ébriété etc.  Ces choses semblent petites, mais elles nous excluent du royaume de Dieu. »  Dans les lieux cités, saint Jérôme ne veut pas dire que tous les chrétiens seront sauvés par les peines,  mais que seuls les chrétiens seront sauvés par les peines.   Voilà pourquoi, dans le premier texte, il dit que les chrétiens impies doivent être sauvés, mais il ajoute une condition restrictive quand il dit : « dont les œuvres devront être éprouvées et purgées dans le feu. » C’est-à-dire, seuls seront sauvés les impies chrétiens dont les œuvres  mal purgées, quant à la faute, devront être purgées quant à la culpabilité de la peine.  Et plus loin, il oppose aux impies les chrétiens, qui sont prévenus par la mort en état de péché, pour qu’on comprenne qu’il ne parle que des chrétiens pieux.

La septième erreur est de ceux qui estiment que tous ceux qui ont fait l’aumône doivent être sauvés par le feu du purgatoire, même s’ils ont persévéré dans leurs crimes jusqu’à la mort.  Saint Augustin repousse cette erreur (dans enchiridion livre 21, chapitres 75, 76, et dans es chapitres 22 et 27 de la cité de Dieu.)  Car, par des paroles très claires,  l’Écriture, en plus de l’aumône, exige beaucoup de choses pour la justification de l’impie.  Luc 13 : « Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous ! »  1  Corinthiens 3 : « Si je distribue tous mes biens en nourriture aux pauvres,   et si je n’ai pas la charité, cela ne me sert à rien. »  Quelle charité a-t-il, je le demande, celui qui ne craint pas d’offenser Dieu, ou qui, après l’avoir offensé,  ne cherche pas à se réconcilier avec lui ?  Mais ils disent :  au jour du jugement, l’examen ne portera que sur l’aumône. Car, en Matth 25, ceux qui ont fait l’aumône sont envoyés au royaume de Dieu, et les autres en enfer.  Je réponds que Dieu  a  indiqué les observances les plus petites pour que nous puissions nous faire une idée des plus grandes. Car celui qui menace de l’enfer ceux qui n’ont pas donné de leurs biens, punira davantage celui qui fera l’aumône avec de l’argent mal acquis, et couronnera davantage ceux qui ont sacrifié leur vie pour la foi. Voir le reste dans notre dispute sur l’aumône.

Ces erreurs une fois réfutées, demeure la dernière sentence, la vraie, la catholique.  Le purgatoire est seulement pour ceux qui meurent avec des fautes vénielles, dont il est question dans  1 Corinthiens, chapitre 3.  Ce sont ceux-là qui construisent sur le fondement avec du bois, du foin et de la paille, et qui seront sauvés comme par le feu.   Le purgatoire est aussi pour ceux qui, après la rémission des fautes, décèdent avec la culpabilité de la peine.  C’est d’eux que parle Luc 12 : « Tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas rendu le dernier centime. »  Et dans les autres lieux cités.

CHAPITRE 2

  Au purgatoire, les âmes ne peuvent ni mériter ni pécher

Suit l’autre question.  Dans le purgatoire, y a-t-il place pour le mérite et le péché ?  Quand Luther confessait le purgatoire, il en parlait de façon à le confondre autant avec l’état de cette vie qu’avec celui de l’enfer.  Il soutenait que les âmes du purgatoire pouvaient mériter, ce qui est le propre de cette vie, et pécher de nouveau, et même désespérer de leur salut, ce qui est le propre des damnés.  La raison en était qu’il estimait que les âmes qui étaient envoyées dans le purgatoire étaient celles qui n’étaient pas parfaites dans la charité.  Car, celles qui n’ont pas du tout de charité sont envoyées en enfer, et au ciel celles qui l’ont parfaite.  Comme la charité imparfaite devait augmenter, et qu’elle ne peut augmenter sans de nouveaux mérites, c’est pour cette raison qu’il a placé dans le purgatoire un état de mérite.  De plus, parce que la charité parfaite rejette loin d’elle la peur, et que l’imparfaite a de la crainte mêlée à la charité, la peur servile, peur que Luther estime être un péché, il en déduisait que les âmes péchaient de nouveau parce qu’elles continuaient à craindre,  à être horrifiées, à fuir les peines, et à chercher  ce qui leur appartient.  Voir le livre de Luther sur le purgatoire que Jean Eck a réfuté.

Que cette opinion de Luther soit hérétique, on le prouve par des témoignages de l’Écriture et des pères.  Le premier. « Les morts ne connurent rien de plus, et n’ont pas d’autre récompense. » Le commentaire de saint Jérôme de ce passage : « Tant qu’ils vivent, les hommes peuvent devenir justes, mais après la mort, aucune occasion de bonne œuvre ne leur est donnée. »  Et plus bas : « Les vivants peuvent, par peur de la mort, accomplir de bonnes œuvres.  Mais les morts ne peuvent rien ajouter à ce qu’ils ont apporté avec eux de la vie, une fois pour toutes. »  Et plus bas : « Ils ne peuvent pas agir saintement.  Ils ne peuvent ni pécher, ni ajouter des vertus ou des vices. »  Le deuxième.  L’Écriture dit : « Tout ce que ta main peut faire, fais-le maintenant, car, dans l’enfer où tu te diriges, il n’est ni œuvre, ni sagesse, ni science. »  On ne peut pas dire que, dans l’autre vie, on ne sait rien, ou on ne fait rien, puisque (en Luc 16) le mauvais riche a vu Lazare dans le sein d’Abraham, et qu’il l’a imploré pour lui d’abord, puis pour ses frères.  Mais ce dont on parle ici c’est d’une œuvre méritoire, comme l’explique saint Jérôme.  Ce texte ne parle pas non plus de l’enfer inférieur, mais de l’enfer en général, qui comprend plusieurs lieux, dans lesquels descendaient les hommes après leur mort, avant la résurrection du Christ, comme l’explique le même saint Jérôme.

Le troisième. Eccles 11 : « Si l’arbre tombe au sud ou au nord, il restera là où il est tombé. »  Saint Jérôme, dans son commentaire de ce texte, et saint Bernard (sermon 190) voient dans ce texte l’immuabilité de l’âme après cette vie, qui ne peut plus de mauvaise,  devenir bonne, et de bonne,  devenir mauvaise.  La quatrième.  Eccles. 2 : « Opère la justice avant ta mort, car il n’y a pas moyen de trouver de la nourriture dans l’enfer. »  Le cinquième Eccles 18 : « Ne crains pas d’être justifié jusqu’à la mort. »  Pourquoi « jusqu’à la mort », si ce n’est que, après la mort, on en aura plus le temps.  Sixième : Jean 9 : « Vient la nuit, pendant laquelle personne ne peut agir. »   Origène (psaume 36), saint Jean Chrysostome, saint Augustin, Euthymius, et Theophylacte, dans leurs commentaires de ce texte, saint Jérôme (dans chapitre 9 de l’Eccles), et saint Grégoire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) voient, à l’unanimité, dans le mot nuit le temps de l’autre vie, et dans « agir »,  faire des actes méritoires.

Le septième est del’épître aux 2 Corinthiens, chapitre 5 : « Il faut que nous soyons tous manifestés devant le tribunal du Christ, chacun apportant les actes du corps qu’il accomplis, en bien ou en mal. »  En expliquant ce texte, saint Augustin (dans le chapitre 12 du livre de la prédestination des saints), explique que les œuvres du corps ne sont pas des œuvres corporelles, comme si les œuvres spirituelles n’avaient pas à être jugées, mais toutes les œuvres accomplies pendant que nous sommes dans le corps, car, après cette vie il ne reste plus de temps pour recevoir des récompenses ou des punitions.  Le huitième Galates 6 : « L’homme récoltera ce qu’il a semé. »  Et plus bas :  « Ne cessons pas de faire du bien pendant que tu le peux encore.  En son temps nous récolterons, si nous ne sous lassons pas.  Donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien. »  Saint Jérôme enseigne, en ce passage, que le temps de la semence ne s’étend pas au-delà de cette vie, et que semer c’est faire de bonnes œuvres. Le neuvième est de Luc 16 : « Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais gérer mon entreprise. »  Saint Ambroise, Theophylacte, dans leurs commentaires de ce passage, saint Jérôme (question 6 à Algasia), saint Augustin (livre 21, chapitre 27 de la cité de Dieu) entendent tous la mort  par congédiement, et par « ne pouvoir plus gérer » ne pouvoir plus mériter.   Le dixième est l’Apocalypse 10,  Un ange ayant un pied sur la mer et un autre sur la terre, jure par Celui qui vit dans les siècles et les siècles,  que le temps de bien faire ne sera plus.  On trouve d’autres textes, dans l’Écriture qui parlent ainsi, mais aucun qui favorise l’erreur de Luther.

On le prouve en second lieu par les pères.  Cyprien (sermon 4 sur la mortalité).  Il dit que la mort est surtout profitable pour que nous nous arrachions au danger de pécher  Tant que nous sommes dans cette vie, nous luttons dans le stade, et la mort met fin au combat.  Citant ce texte de saint Cyprien, saint Augustin (chapitre 14 de la prédestination des saints) dit : « Par ces phrases ou d’autres du même genre, ce docteur  atteste, dans la lumière limpide de la foi,  que, jusqu’à la déposition de ce corps, il faut craindre les dangers de pécher, et les tentations, et qu’après, nul n’aura à supporter rien de tel.  Même s’il n’avait pas enseigné cela, quel chrétien en aurait-t-il jamais douté ? »  Il est à noter que, d’après la sentence de saint Augustin, Luther ne peut pas être appelé un chrétien, puisqu’il doute d’une chose dont, selon saint Augustin, aucun chrétien n’a jamais douté.

Le même saint Augustin (chapitre 110 d’Enchiridion) : « C’est ici qu’est contracté tout mérite qui, après cette vie, peut relever quelqu’un ou l’abaisser.  Car, personne, après sa mort, n’espère mériter auprès de Dieu  ce qu’il a négligé de faire  ici-bas. »  Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur Lazare) dit beaucoup de choses sur cette sentence, et (dans l’homélie 37 sur Matthieu) il dit ; « Cette vie présente t’accorde le pouvoir de vivre bien ou mal.  Mais après le jour de ton décès,  ce sont le jugement et la punition qui suivent. »  Saint Jérôme (chapitre 9 de l’Eccles) dit : « Les morts ne peuvent ni agir saintement ni pécher. »  Saint Jean Damascène (livre 2, chapitre 4 de la foi orthodoxe) : « Ce que la chute est aux anges, la mort l’est aux hommes. »

Troisièmement.  On le prouve par la raison.  Car la sentence de Luther est contradictoire.  En effet, Luther dit que les âmes peuvent et doivent mériter, parce qu’elles sont imparfaites dans la charité, pour que, par de nouveaux mérites, la charité croisse et se perfectionne.  Et c’est le même qui dit que les âmes imparfaites craignent les peines, et que, en craignant, elles pèchent, et que, puisque tant qu’elles sont imparfaites elles craignent toujours, elles ne cessent jamais de pécher.  Mais ceux deux affirmations ne vont pas bien ensemble.  Car, celui qui pèche, surtout mortellement, ne peut pas mériter pendant qu’il pèche.  Or, ces âmes pèchent toujours tant qu’elles sont dans le purgatoire, car elles pècheront toujours tant qu’elles craindront. Et, elles craindront toujours tant qu’elles seront imparfaites, jusqu’à ce que leur arrive une nouvelle charité.  Mais, une nouvelle charité ne peut arriver que par des mérites, et elles ne peuvent pas mériter tant qu’elles pèchent.  C’est un cercle vicieux. Elles ne seront donc jamais libérées.

CHAPITRE 3

                              On réfute des objections

La première.  Les âmes qui résident dans le purgatoire ont une charité imparfaite.  Elles doivent donc profiter de quelque chose, mériter et se perfectionner.  Qu’elles soient imparfaites on le prouve ainsi.  Si ces  âmes étaient parfaites, elles ne seraient certainement pas punies, car pourquoi punirait-on des esprits parfaits ?  Si tu dis : pour qu’elles satisfassent à Dieu, il me faudra affirmer le contraire, car ce que fait la charité suffit amplement : « la charité couvre la multitude des péchés. » (Pierre 1, Pierre 4).  Ensuite, si celui qui meurt doit encore à Dieu sept jours de jeûne, mais aime Dieu de tout son cœur et de toute son âme, il est incroyable que Dieu ne lui remette pas ces jours de jeûne, puisque Dieu a coutume d’accepter l’intention là où il ne trouve pas la capacité de faire.  S’il ne lui pardonne pas cette dette, c’est signe qu’il n’était pas parfait dans la charité.  Troisièmement.  Car, si elles étaient parfaites, elles ne craindraient pas les peines, puisque la charité parfaite exclut la crainte.  Si elles ne craignaient pas les peines, elles ne seraient pas punies, car ce qui est aimé n’est pas une peine.  Elles ne seraient donc dans le purgatoire que si elles étaient imparfaites.  Quatrièmement.    Rien ne peut être parfait en dehors de Dieu.  1 Corinthiens 13 : « Quand viendra ce qui est parfait, sera évacué ce qui l’est en partie. »  Donc, les âmes du purgatoire qui sont bienheureuses sont nécessairement imparfaites.

On prouve les conséquences du premier argument.  La première.  Il est impossible de rester immobile quand on est en chemin.  On progresse, ou on régresse.  Comme saint Bernard le dit, les âmes du purgatoire sont en chemin, car elles ne sont pas encore parvenues au but.  Ensuite, « la vertu est perfectionnée dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12), et  « l’or devient plus brillant dans la fournaise ».  Troisièmement. Il est impossible à une créature de se conserver à moins qu’elle reçoive toujours de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle soit absorbée dans son principe, comme on le voit dans les fleuves qui reçoivent toujours une nouvelle eau, jusqu’à ce qu’ils se jettent dans la mer.  De là vient que la conservation est appelée une création continuelle.

Je réponds aux antécédents. Les âmes du purgatoire peuvent être dites imparfaites par rapport à celles qui sont dans la gloire.  Et même dans le purgatoire, une âme peut être dite imparfaite par rapport à une autre qui se trouve dans le purgatoire ou sur la terre.  Mais, généralement parlant, toute âme qui réside dans le purgatoire est parfaite dans la charité.  Car il n’existe pas de charité formellement imparfaite.  Car, on dit 1 en Jean 2 « Celui qui conserve sa parole, la charité de Dieu est parfaite en lui. »  Pour que quelqu’un observe la parole, c’est-à-dire les préceptes du Seigneur, un degré quelconque de charité suffit.  À la conséquence je dis que les âmes du purgatoire, dans la mesure où elles sont imparfaites par rapport à celles qui sont dans le ciel, doivent se perfectionner dans la charité, sans que cette augmentation ne requière de nouveaux mérites.  Car, elles peuvent augmenter leur charité de deux façons.  La première, dans le genre de la grâce, pour que l’homme soit plus apte à mériter davantage.  Mais cette augmentation de charité n’est pas donnée après la vie terrestre.  La deuxième, dans le genre de la gloire, pour que soient récompensés tous les mérites passés, et cela se fait dans la béatitude elle-même.  Une partie de cette récompense sera, comme le dit saint Augustin (le chapitre 10 de la correction et de la grâce) une si grande abondance de charité que l’âme qui est dotée de cette abondance de charité ne pourra jamais sortir de la justice et de la béatitude.

Répondons maintenant à chaque argument, l’un après l’autre.  Au premier je dis.  Quoiqu’il soit possible que la douleur interne soit si intense et procède d’une immense charité,  qu’elle satisfasse pour toute culpabilité, il peut aussi arriver que la douleur ne soit pas aussi grande, et qu’ il reste donc quelque chose à expier dans le purgatoire.  Car, la culpabilité de la faute pour laquelle il faut satisfaire ne répugne pas à la perfection de la charité qui se trouve en dehors du royaume des cieux.  Et au sujet des paroles de saint Pierre, je dis que la charité couvre la multitude des péchés, mais de la même façon que pour la faute et pour la peine.  Car, la faute, elle la détruit par son acte propre, mais la peine, elle ne peut pas toujours la détruire par son acte propre, mais par une œuvre de satisfaction que la charité commande.  Au second, je réponds la même chose.  Si, poussé par un très grand amour,  le moribond se désole de ses péchés,  il peut, de cette façon, satisfaire pour toute peine.  Mais si la douleur n’est pas aussi grande, il devra satisfaire dans le purgatoire. Il importe peu qu’il désireraitjeûner s’il demeurait en vie, et que Dieu accepte un désir qu’il ne peut plus exécuter, car, dans ce désir se trouve la capacité de satisfaire, si non en jeûnant, du moins en souffrant dans le purgatoire.

Au troisième je dis que les âmes du purgatoire ne craignent pas les peines, mais qu’elles les supportent.  Car la crainte porte sur des choses futures, non sur des choses présentes.  Je dis de plus que ne répugne pas à la charité parfaite la peur des peines;  autrement le Christ qui, dans sa crainte, sua du sang (Luc 22) n’aurait pas été parfait dans sa charité.  Au sujet de ce que saint Jean dit : « la charité parfaite expulse la crainte »,  il ne s’agit pas de n’importe laquelle crainte de peine, comme la naturelle ou la filiale, mais de la servile, c’est-à-dire de la crainte de la  faute principalement à cause de la peine.   Car, celui qui aime parfaitement craint d’offenser Dieu principalement à cause de Dieu-lui-même, et non à cause de la peine qui suit ceux qui offensent Dieu.  De sorte que la charité parfaite est libre de toute crainte servile, à cause de laquelle quelqu’un n’oserait pas pécher pour ne pas être condamné, mais pécherait s’il ne craignait pas d’être damné.

Au quatrième je dis. En dehors de Dieu on ne peut rien faire  de si parfait qui ne doive pas être dit imparfait par rapport à la perfection de la gloire.  Ce qui ne l’empêchera pas d’être parfait.  Saint Paul dit : « Non que je sois déjà parfait, je suis, au cas où je pourrais saisir »  Et plus bas : « Nous qui sommes parfaits ».  Il dit là qu’il est parfait, mais imparfait en comparaison avec les bienheureux.  À la première réponse en confirmation de la conséquence, je dis que les âmes du purgatoire ne sont pas en chemin, mais au terme quant à l’augmentation de la grâce.  Celui qui se dirige vers une ville et parvient à ses portes pendant la nuit, on dit de lui qu’il est parvenu où il voulait aller, et qu’il a terminé son voyage, même s’il trouve les portes fermées et qu’il ne peut entrer jusqu’à ce que le soleil se lève.  De plus, ce que saint Bernard dit : ne pas progresser dans la voie de Dieu c’est régresser, on ne doit pas l’entendre mathématiquement, mais moralement.  Car, il ne veut pas dire que  nous méritons une augmentation de la grâce dans n’importe laquelleœuvre,  ou nous que perdions quelque chose de  la grâce, mais que ceux qui ne s’efforcent pas de progresser peuvent facilement être détournés par le démon et le monde.

Au deuxième je dis que Paul, au sens littéral, parle de la vertu de Dieu que l’on dit atteindre sa perfection dans la faiblesse, car la puissance divine apparait d’autant  plus grande que plusieurs choses lui résistent. Le grec a dènamis mou :  ma force, ma vertu.  Je dis, en outre, que notre vertu se perfectionne dans les tribulations, mais en ce qui a trait à une vraie augmentation des vertus, dans cette vie seule, parce que c’est dans cette vie seulement  que l’on peut mériter.  On dit que, dans l’autre vie, elle est perfectionnée au purgatoire, non parce qu’il lui ait ajouté quelque chose, mais parce qu’il lui ait enlevé la rouille des péchés.  Comme de l’or dans une fournaise devient plus lumineux,  non parce qu’on lui ajoute quelque chose, mais parce qu’il est séparé de la terre, du plomb et d’autres scories.

Au troisième je dis que ce principe de Luther est très faux dans les choses permanentes, et qu’il ne peut prouver son application que dans les choses successives.  Autrement, les choses permanentes ne seraient jamais les mêmes, et ainsi Dieu ne punirait pas maintenant  dans l’enfer le Judas qui a péché, mais un autre qu’il a créé après.  Il ne récompenserait pas non plus le Pierre qui a mérité, mais un autre créé après lui.  Ce que l’on dit de la conservation que c’est une création continue, c’est vrai, mais cette création il ne faut pas la voir comme une augmentation ou la production de quelque chose de nouveau.  Au quatrième, on a déjà répondu.

Le second argument de Luther.  Les âmes dans le purgatoire pèchent continuellement.  Elles sont donc dans un état de mérite et de démérite.  Il prouve ainsi l’antécédent : ces âmes ont les peines en horreur et les fuient; elles cherchent le repos, elles pèchent donc.  Il prouve aussi l’antécédent  en disant que, autrement, elles ne serait pas punies, car la peine doit être involontaire et amère, et que nous ne devrions pas prier pour leur repos et leur libération si elles aimaient les peines.  Il prouve ensuite la conséquence.   D’abord. Parce que pour un vrai amant, toutes les peines sont douces.  Dans la mesure où elles fuient les peines, ces âmes n’aiment pas parfaitement, et pèchent donc.  En second lieu.  Tant qu’elles fuient les peines, elles cherchent leur intérêt et leur bien-être, non l’honneur de Dieu.  Troisièmement.  Parce que, quand elles désirent qu’il les libère, elles aiment Dieu d’un amour de concupiscence.  Quatrièmement.  Parce que le Christ a dit que celui qui ne prend pas sa croix et ne la porte pas n’est pas digne de lui, c’est-à-dire celui qui ne l’accepte pas promptement et volontairement.  Or, la croix des âmes est le purgatoire.  Elles pèchent donc quand elles fuient la croix.

Je réponds que les âmes dans le purgatoire redoutent, fuient les peines, et cherchent le repos en tant qu’elles les considèrent comme mauvaises et contraires à la nature, mais qu’elles les admettent et les tolèrent librement en tant qu’elles les voient comme des instruments de purgation.  Exemple.  Un malade a horreur de la médecine amère, et il s’y soumet volontairement, parce qu’il espère en obtenir la guérison.  Il ne peut donc y avoir là-dedans aucun péché.  Car, le Seigneur qui ne pouvait pas pécher a eu horreur des souffrances, et il a dit (Matt 26) : « Père, éloigne ce calice de moi ! » Et David : « Parce que je suis dans la tribulation, hâte-toi de m’exaucer ».  Et, au sujet de Pierre (Jean, dernier chapitre) : « Quand tu seras vieux, un autre te ceindra et t’amènera où tu ne voudras pas aller. » Ensuite, saint Cyprien a dit (dans le livre de la mortalité) : « Qui ne rêve pas de ne pas avoir de tristesses ? Qui ne se hâte pas d’accourir à la joie ? »  Et saint Augustin  (livre 10, chapitre 28 des confessions) dit, en parlant des peines : « Tu ordonnes de les tolérer, non de les aimer. Or, personne ne tolère ce qu’il aime, même s’il aime tolérer. »

Je dis au premier  qu’un vrai amant trouve douces les peines non parce qu’il ne les sent pas, mais parce qu’il les tolère allègrement pour le bien de l’aimée, comme il appert tant des actions que des paroles d’Éleazare en Macchabées 2 : «Tu sais, Seigneur, qu’ayant pu me soustraire à la mort, je supporte de dures souffrances corporelles.  Mais je les endure volontiers de toute mon âme, pour ta crainte. » C’est ce que fut le comportement des martyrs, qui éprouvaient véritablement de cruelles douleurs, mais qui le faisait volontairement, même si, par un privilège tout spécial, Dieu enlevait le sens de la douleur par l’abondance de la consolation, comme l’écrit Ruffin (livre 10, chapitre 36, sur Theorore.)

Au second, je réponds quel les âmes du purgatoire ne recherchent pas leur propre intérêt mais l’honneur de Dieu, car elles désirent être libérées pour pouvoir honorer Dieu de mieux en mieux.  Au  troisième, je réponds qu’elles aiment Dieu d’un amour d’amitié, parce qu’elles réfèrent leur bien à Dieu.  Au quatrième je dis qu’elles portent leur croix parce qu’elles souffrent volontairement, et parce qu’elles ne désirent être libérées que selon la volonté de Dieu, et par les moyens que Dieu a établis.  Et si Luther disait la vérité quand il enseigne que les âmes du purgatoire recherchent leur propre intérêt, aiment Dieu d’un amour de concupiscence, et ne veulent pas porter leur croix, ce n’est pas une charité imparfaite qu’elles auraient, mais elles seraient dénuées de toute charité.  Et ce n’est pas dans le purgatoire qu’elles demeureraient, mais dans l’enfer.

Le troisième argument est celui de certains catholiques.   Les âmes du purgatoire ont tout ce qui est nécessaire pour mériter, car elles ont la grâce, la foi, l’espérance, la charité, et le libre arbitre, du moins quant à son exercice.  Pourquoi donc ne mériteraient-elles pas ?  De plus, les bienheureux peuvent mériter puisque le Christ, qui fut toujours bienheureux, a quand même mérité.  À plus forte raison les âmes du purgatoire peuvent donc mériter.  De même, le mauvais riche (Luc 16)  dans l’enfer, pria pour lui et pour les siens. Les âmes du purgatoire peuvent donc prier,  elles aussi,  et cette prière, qui procède de la charité, mérite sans aucun doute possible d’être exaucée.  Ils le confirment, ensuite, par l’autorité de saint Thomas (4 dist 21, quest 1, art 3 à 4) qui enseigne que, après cette vie, on ne peut pas obtenir de mérite par rapport à la récompense essentielle, mais seulement par rapport à l’accidentelle.

Je réponds à l’argument que, pour l’obtention du mérite,  l’état de vie  ou de voyageur manque aux âmes du purgatoire.  Car Dieu, comme il est facile de le prouver par les Écritures, c’est seulement pour le temps de cette vie que Dieu a décidé d’accepter comme mérite les bonnes œuvres, ou comme démérite les mauvaises.  Après cette vie, les bonnes œuvres seront des effets de la gloire, et les mauvaises,  de la damnation.   À la première confirmation je dis que le Christ a été en même temps bienheureux et voyageur.  Et tant que voyageur, il pouvait mériter.  Mais, après sa mort, après qu’il cessa d’être un voyageur, il ne mérita plus rien.

Au second je dis que si les âmes du purgatoire prient pour elle ou pour nous  --ce dont nous parlerons plus loin dans la question des suffrages-- sans pour cela mériter, car elles ne font qu’implorer en vertu de leurs mérites passés, tout comme les saints qui prient pour nous.  Ils n’acquièrent pas par cela de nouveaux mérites, mais ils supplient en vertu de leurs mérites passés. À latroisième confirmation je dis que saint Thomas a changé d’avis.  Car (dans la question 7, article 11, sur le mal), il enseigne que dans le purgatoire, il ne peut y avoir aucun mérite ni par rapport à la récompense essentielle, ni par rapport à la récompense accidentelle.  C’est ce qu’enseignent aussi saint Bonaventure, Scot, Durand et les autres.  Peut-être que dans l’article 4, il n’a pas voulu employer le mot mérite au sens propre, mais dans un sens impropre.  Car, il appelle l’acte d’amour des âmes du purgatoire un acte qui mérite  la rémission de la faute vénielle.  Il est méritoire non selon le modèle d’un mérite proprement dit, mais selon le modèle  d’un contraire qui enlève son contraire.

CHAPITRE 4

Les âmes du purgatoire sont certaines de leur salut éternel

Luther (article 37) enseigne qu’elles n’en sont pas certaines.C’est ce qu’enseignent aussi certains catholiques qui estiment que, dans le purgatoire, les peines sont variées, et que la plus grande de toutes consiste précisément dans l’incertitude du salut éternel.  Ces âmes seront sauvées, d’après eux, mais elles l’ignorent.  C’est ce que semble penser Denys le chartreux d’après certaines visions qu’il rapporte dans son livre sur les quatre dernières choses, article 47. Michaël Baius (livre 2, chapitre 8, du mérite des œuvres) enseigne la même chose.  Voulant prouver que le péché véniel mérite, par sa nature, la mort éternelle, il présente comme argument que, autrement, il s’ensuivrait que les âmes du purgatoire seraient certaines de leur salut, ce qui, pour lui, était absurde.  Il semble qu’on puisse déduire la même chose de l’enseignement de Gerson (leçon 1 sur la vie spirituelle) et de Jean Roffensis (contre l’article 32 de Luther). Ils admettent que le péché véniel n’est dit véniel qu’à cause de la miséricorde de Dieu, et que, si Dieu le voulait, c’est en toute justice qu’il pourrait être puni éternellement.  De cette conception du péché véniel, il s’ensuit que les âmes qui sont entachées de ces péchés ne peuvent pas savoir avec certitude si elles ne seront pas punies éternellement.  Même si Roffesnsis (article 38 sur Luther) soutient que les âmes du purgatoire sont certaines de leur salut. Car, je ne vois pas comment cette prise de position correspond avec la  précédente.

Mais la position commune des théologiens est que toutes les âmes qui sont dans le purgatoire ont la certitude de leur salut éternel.  Mais pour comprendre de quelle certitude il s’agit, il faut noter qu’il y a trois degrés de certitude.  Le premier est celui qui exclut toute peine et toute crainte, et c’est celui des bienheureux, dont la béatitude n’est pas future, mais présente.  Le deuxième degré est celui qui exclut toute crainte mais non tout espoir, et c’est celui du purgatoire.  Car la béatitude ne leur est pas présente, mais future, et elle n’enlève donc pas l’expectative.  Et de plus, elle est ardue, car c’est par des peines qu’elles y parviennent.  Et c’est pourquoi leur espérance peut-être appelée une attente non contingente, mais nécessaire, car elles ne peuvent pas en démordre, et c’est pour cela qu’elle enlève toute crainte.  Le troisième degré est celui qui n’exclut ni l’espoir ni la crainte et peut être appelé un degré de certitude conjecturale.  Et c’est le nôtre.  Car, pour nous, la béatitude est un bien futur, non présent, ardu non facile, contingent, non nécessaire ou impossible, et c’est pour cela que nous espérons et craignons au sens strict du mot.  Car, nous sommes encore dans le stade, le gymnase ou, ou la  salle de lutte.

Montrons maintenant qu’il en est bien ainsi.  Si les âmes n’avaient pas la certitude de leur salut, cela se produirait  à cause de l’une de ces quatre causes.  Ou parce qu’elles pouvaient encore mériter et démériter, ou parce qu’elles n’ont pas encore été jugées, ou parce qu’elles ignorent la sentence du juge, bien qu’elle ait été portée, ou parce que, à cause de la grandeur des souffrances, leur jugement est si affaibli et obscurci qu’elles sont incapables de penser et de voir ce qui en est vraiment.  Mais aucune de ces causes ne joue un rôle.  Pas la première, comme il a été démontré. Pas la deuxième, car, même si le jugement universel n’a pas encore eu lieu, il existe un jugement particulier dans lequel toutes les âmes sont jugées après leur mort, (théologiens, quatrième partie de la distinction 17, et le bienheureux Thomas 3 part. quest 59. Article 5. »

Pour prouver ce jugement particulier, ils ont coutume de citer deux passages, l’un de saint Jean 5 : « Le père a donné tout jugement au Fils. » Car, quand il dit : tout jugement, il semble indiquer plusieurs jugements, les particuliers, et l’universel.  L’autre vient des Hébreux 9 : « Il a été statué que les hommes mourraient une fois, et qu’après il y aurait le jugement. »  Mais ces textes ne permettent pas vraiment de conclure qu’il existe un jugement particulier, car ils peuvent s’entendre aussi bien  tous les deux au sens d’un jugement universel.   Car le « tout » dans saint Jean 5 ne réfère pas nécessairement à deux jugements, mais aux jugements de différentes personnes et aux diverses œuvres sur lesquelles portera le jugement.  Et il est certain que saint Augustin voit dans ce texte le jugement dernier.  Et le sens du texte aux Hébreux est le suivant : quant tous les hommes seront morts, alors se fera le jugement, comme l’explique Oecumemius.

Mais c’est efficacement qu’on prouve le jugement particulier par les paroles de l’Eccles 11 : « Il est facile au jour de la mort de rétribuer à chacun devant Dieu selon ses voies. »  De même : « À la fin de l’homme, la mise à nu de ses œuvres. »  Et de plus, on déduit la même chose d’une autre vérité.    Car, il est de foi que tout de suite après la mort, les impies descendent aux supplices éternels, (comme il appert dans Luc 16 au sujet du mouvais riche), et que les justes montent vers les joies éternelles (Luc 23, le bon larron) : « aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis. »  Or, il n’est pas  probable qu’aient été distribuées les peines et les récompenses sans qu’il y ait eu un jugement.

De plus, c’est ce que les pères enseignent. Saint Cyprien (dans le sermon sur la mortalité) : « Il faut se réjouir et embrasser le don du temps, pour que, pendant que nous promouvons notre foi et que, en tolérant le labeur, nous nous dirigeons vers le Christ par la voie étroite du Christ, nous recevions, par son jugement,  la récompense de notre vie et de notre foi. »  Saint Jean Chrysostome (homélie 37 sur Matthieu) dit : « Quand tu mettras fin à ton jour, le jugement et la peine suivront.  Car, dans l’enfer, dit le psalmiste, qui te confesse ? »  Même s’il n’a pas  ajouté le mot « aussitôt », il est nécessairement sous-entendu.  Car saint Jean Chrysostome réfute l’erreur de ceux qui pensaient que le Christ prêcherait après sa mort, et amènerait les défunts à résipiscence.

Il se sert de l’argument suivant. Après la mort suit le jugement, et après le jugement les peines de l’enfer, car dans l’enfer personne ne peut confesser le Seigneur.  Donc, après la mort il n’est plus donné lieu à la pénitence.  Or, si saint Jean Chrysostome n’avait pas voulu dire que tout de suite après la mort les impies sont jugés, et jetés en enfer, mais que le jugement de toutes ces choses serait réservé au dernier jour, son argument serait dépourvu de sens.  Car, il répondrait que pendant ce temps intermédiaire on peut prêcher aux défunts tant que le jugement universel ne sera pas remis à plus tard.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 4, de l’origine de l’âme) écrit : « Car il a cru très correctement et très salutairement qu’après être sorties des corps, les âmes sont jugées avant qu’elles viennent à ce jugement où elles devront être jugées quand on leur a rendu leurs corps »

À ces textes, on ajoute les exemples de ceux qui témoignent avoir été jugés.  Saint Grégoire (livre 4, chapitre 36 des dialogues), écrit, au sujet d’un certain Étienne, qui, bien que mort, et livré au juge, entendit le juge déclarer que ce n’était pas lui mais Étienne Ferrare qu’il avait ordonné d’appeler, et que c’est ainsi qu’il revient à la vie. Et en même temps, Étienne Ferrare, qui demeurait dans le voisinage, décéda.  Saint Augustin raconte quelque chose de semblable (au chapitre 12 du livre sur le soin aux morts) d’un certain Curma.  Saint Grégoire explique que cela ne s’est pas produit par erreur, mais pour que par  ce qui ressemble à une erreur, celui qui était mort revive, et raconte aux vivants les tourments et le jugement qui attendent les impies après leur mort.  Au même endroit (chapitre 38), il raconte l’exemple d’un certain Christorius qui,  encore lucide à l’article de la mort, vit sa sentence de damnation.

Bède le vénérable raconte deux cas semblables. (livre  5, chapitre 14 et 15 de son histoire anglaise). Celui de deux personnes qui sont mortes dans le désespoir parce qu’elles savaient leur jugement, la sentence portée, c’est-à-dire leur condamnation.  Jean Climaque raconte (dans les degrés de son échelle l’histoire d’un certain ermite qui, à l’article de la mort, s’était entendu parler comme devant un tribunal, répondant aux accusations, et disant parfois : c’est faux, je n’ai pas fait cela; ou je l’ai fait parfois, mais j’ai fait pénitence.  Ou répondre de temps en temps : c’est vrai ce que vous dites, je n’ai rien à répondre.   A été conservé également, dans la vie de saint Bruno, un exemple mémorable d’un certain docteur parisien qui, dans l’église elle-même, pendant qu’on faisait les obsèques, souleva sa tête hors de la tombe et s’exclama : « Je suis accusé par le juste jugement de Dieu.  Et, le jour suivant, il s’écria : « J’ai été jugé par le juste jugement de Dieu, et, le troisième jour, j’ai été damné par le juste jugement de Dieu. »

Il est à noter au sujet de ces exemples, que le jugement du docteur parisien qui a été fait avant sa mort, et qui a été prolongé pendant trois jours après sa mort, appartient à une providence particulière extraordinaire dont Dieu se sert soit pour nous instruire soit pour nous terrifier. Il faut croire que dans tous les autres cas, le jugement a lieu tout de suite après la mort.  Car, ordinairement, le temps utile pour faire pénitence dure jusqu’au dernier souffle, comme l’enseigne clairement saint Léon (épître 90 à Rusticus).  Il n’y  pas de raison qui vaille pour faire retarder le jugement après la mort, puisque Dieu n’a pas besoin de témoins, ni d’accusations, mais peut juger instantanément.  On peut dire aussi, et peut-être avec plus de probabilité, que dans les exemples tirés de Bède, le jugement n’a pas été fait avant la mort, mais a été montré d’avance.  Et dans l’exemple de ce docteur parisien, le jugement n’a pas été remis à l’autre jour, mais seulement manifesté l’autre jour.

Il est aussi à noter qu’on ne peut pas définir en toute certitude si les âmes sont portées devant le juge, ou si elles sont jugées là où on a laissé le corps; et également si elles sont jugées immédiatement par le Christ proférant la sentence dans sa forme humaine, ou seulement par la vertu divine, qui est présente partout, ou si la sentence est communiquée par les anges.  Car ce que les Écritures disent souvent c’est que le Christ Homme est le juge des vivants et des morts.  Mais plusieurs entendent ces textes  du jugement général.  Car, même avant l’incarnation du Christ, un jugement particulier s’exerçait.  Ce n’est donc ni certain ni même probable (Innocent 111, livre 2, chapitre ultime, du mépris du monde) ce qu’affirme Innocent 111, à savoir que le Christ en forme de crucifiéapparaît à tous les mourants, tant les bons que les mauvais.

Quant au troisième, que la sentence du juge soit cachée aux âmes qui sont jugées, c’est faux et impertinent.  Faux, parce que le jugement particulier a lieu principalement pour faireconnaître la sentence du juge.   Pour Dieu, le jugement n’est pas nécessaire, car il connait tout. Il ne peut donc avoir de raison d’être que pour se faireconnaître à l’âme qui est jugée.  Et c’est ce qu’on déduit des textes cités.  C’est aussi impertinent, car même si le jugement particulier ne faisait pasconnaître la sentence du juge, ils pourraient par l’effet, facilementconnaître par eux-mêmes ce qu’elle est, car ils se verraient aussitôt en enfer, au ciel ou au purgatoire.  Mais, diras-tu, ils pourront avoir douté s’ils étaient en enfer ou au purgatoire.  Non pas.  Car, en enfer, on blasphème Dieu, au purgatoire on le loue.  En enfer,  il n’y a pas de foi infuse, ni espérance ni charité.  Donc l’âme qui se verra en train d’espérer en Dieu saura manifestement qu’elle n’est pas en enfer.

Ils insistent. Elle pourra craindre d’être jetée en enfer, même si elle n’y est pas encore.   Mais même cela, on ne peut pas le dire.   Car, la même foi demeure dans celui qui l’a eu sur terre.  Il a cru, en effet, d’après les témoignages les plus clairs de l’Écriture.  Et après la mort, les bons ne peuvent pas devenir mauvais et les mauvais bons, et seulement les mauvais peuvent être envoyés en enfer.   Quand donc elle voit qu’elle aime Dieu, et qu’elle est bonne, elle ne peut pas craindre la damnation.  Tu diras.   Nous voyons ici-bas que nous aimons Dieu, et pourtant nous ne sommes pas surs d’être justes. Donc, ces âmes ne pourront pas être certaines de leur salut par la seule constatation qu’elles aiment Dieu.  Nous ne voyons pas nous, la charité infuse qui nous justifie, mais c’est par des conjectures faillibles que nous estimons qu’elle est en nous.  Mais les âmes séparées le voient clairement, car elles ne dépendent pas de phantasmes, et elles voient tout ce qu’il y a en elles.  Elles voient donc si elles ont un véritable habitus de charité, oui ou non.  De plus, comme les âmes sont immobiles tant dans le bien que dans le mal, même si elles ne voyaient pas leur habitus infus de charité, elles sauraient qu’elles ne blasphèmeraient jamais Dieu,  ni qu’elles le haïraient, et qu’elles ne seraient donc jamais envoyés en enfer.  De plus, elles ont appris par la foi que les âmes des impies descendaient en enfer tout de suite après la mort de leurs corps, et que leurs supplices n’étaient pas différés. Cela tous les catholiques  savent, d’après Luc 16. Elles savent également  que les âmes qui se voient en dehors de l’enfer croient fermement qu’elles n’y seront jamais jetées.

Le quatrième argument voulait que, selon l’enseignement de Luther,  les âmes étaient, par leurs intenses souffrances,  empêchées deconnaître la vérité de leur état; qu’elles se pensaient en enfer, qu’elles étaient angoissées et désespérées.   Mais, cela est très faux.  D’abord, l’âme du mauvais riche en enfer n’était pas empêchée par ses souffrances deconnaître sa situation.  Les âmes du purgatoire le sont encore moins.  Ensuite,  que, dans ce monde-ci,  les hommes soient troublés par l’intensité des souffrances au point d’en perdre le jugement, cela vient d’une lésion d’un organe corporel.   Mais, au purgatoire, l’âme est purement spirituelle et incorruptible.  Troisièmement, parce que l’Église dit dans le canon de la messe : « Souviens-toi Seigneur, de tes serviteurs et servantes qui nous ont précédés avec le signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix. »  L’Église prie là pour les âmes du purgatoire, car elle ajoute : « À eux, Seigneur, et à tous ceux qui se reposent dans les Christ nous te supplions d’accorder le lieu durafraîchissement, de la lumière et de la paix. »  Il est certain que ceux qui sont dits dormir dans le sommeil de la paix ne sont ni angoissés ni désespérés, mais ont plutôt, conjointe avec des souffrances vives et aigues, une consolation incroyable qui leur vient de la certitude de leur salut.  Quatrièmement. Parce que si elles se croyaient damnées, elles ne prieraient pas pour les vivants,  et elles ne diraient pas  qu’elles seraient bientôt libérées si on priait pour elles, comme il appert des dialogues de saint Grégoire (livre 4, chapitre 40), et d’autres exemples présentés dans la première question.

CHAPITRE 5

                                 On réfute des objections

On nous oppose quelques textes des Écritures que l’Église utilise dans l’office des défunts, quand elle désire prier pour les âmes qui séjournent dans le purgatoire.  Psaume 6 : « Mon âme est grandement troublée. »  Et, au même endroit : « Assainis mon âme, parce que mes os sont courbaturés. »  Et (psaume 14) : « Des douleurs de mort m’ont entouré, et les périls de l’enfer m’ont trouvé. »  Il est certain qu’une telle perturbation et une telle anxiété ne peuvent pas naître des seules peines, mais de l’incertitude et de la peur de la damnation éternelle.   Car, si ces âmes étaient parfaites dans la charité, et étaient certaines de leur salut, elles ne craindraient pas tant, puisqu’il est écrit dans les Proverbes 12 : « Le juste ne sera pas attristé par quoi que ce soit qui lui arrivera. »

Je réponds qu’il est idiot de vouloir appliquer toutes les paroles de ce psaume aux défunts, sous prétexte que l’Église utilise ce psaume dans son office des morts.  Car, comment entendre des défunts ces paroles 6 du même psaume : « Je laverai mon lit pendant toutes les nuits, j’arroserai ma couche de mes larmes. »  L’Église a coutume de lire un texte complet de l’Écriture à cause  de l’une ou de l’autre phrase qui se rapporte au mystère du jour, même si une grande partie de la lecture n’a rien a y voir.  C’est ainsi que dans la dédicace des Églises, elle lit l’évangile de Zachée, à cause de ses dernière paroles :  « Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison, » qui conviennent d’une certaine manière à la consécration et à la dédicace d’une église.  De même, à la fête de l’assomption de la sainte vierge, on lit l’évangile de Marthe et de Madeleine, à cause de ces paroles : « Marie a choisi la meilleur part qui ne lui sera pas ôtée. »  Ainsi, en est-il, de l’office des morts.  On récite le psaume 6 à cause de ces paroles : « Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible,  » et le psaume 114 à cause de : « Je plairai au Seigneur dans la région des vivants. »  C’est à cause de ces paroles qu’on lit les deux psaumes au complet.

Ajoutons qu’est faux ce que l’argument suppose, à  savoir que le trouble et la tristesse naissent de l’incertitude, du désespoir plutôt que   de la souffrance.  Car, le Seigneur lui-même dit en Jean (chapitre 12) : « Mon âme est troublée. » Et en Matthieu 26 : « Il commença à s’attrister. »  Et pourtant, ni l’incertitude ni le désespoir ne pouvaient apparaitre dans l’âme du Seigneur.  Ce passage des proverbes ne peut  donc pas s’entendre de n’importe laquelle tristesse, mais de la tristesse accablante et déprimante qu’apporte la mort, celle que saint Paul (2 Corinth 7) appelle la tristesse de ce siècle.

L’autre objection est tirée de la prière que l’on récite pour les morts après l’évangile : « Libère, Seigneur les âmes de tous les fidèles défunts des peines de l’enfer, et du lac profond.  Libère-les de la gueule du lion,  que le tartare ne les absorbe pas,  et qu’elles ne tombent pas dans l’obscurité. »  Quelques-uns répondent que l’Église prie pour les agonisants, afin qu’ils ne soient pas damnés dans l’enfer.  Ce qui suit  y répugne : « Libère les âmes de tous les fidèles défunts. » Car, on  ne donne pas aux agonisants le nom de fidèles défunts.  Ensuite l’Église a coutume de dire cette prière aux anniversaires des morts, pour le repos des âmes qui avaient émigré de leurs corps,  quelques années auparavant.  D’autres soutiennent que cette prière est dite pour ceux qui sont dans la géhenne, pour les en libérer, comme on le rapporte de Trajan. Mais, ignorons cette histoire invraisemblable de Trajan, car ceux qui sont dans la géhenne sont tombés dans l’obscurité,  et ont été absorbés par le tartare.   Comment l’Église pourrait-elle prier pour qu’ils ne tombent pas dans l’obscurité et ne soient pas absorbés par le tartare, puisqu’ils sont déjà tombés dans l’obscurité et ont déjà été absorbés par le tartare ?  De plus, l’Église ne prie que pour les fidèles : « libère les âmes des fidèles défunts. »  Les damnés ne sont pas des fidèles.

On peut donner deux autres explications.   La première.  Les âmes prient pour les âmes du purgatoire en demandant qu’elles ne soient pas condamnées aux peines éternelles de la géhenne, non parce qu’elles n’est pas sure qu’elles ne seront pas condamnées à ces peines, mais parce que Dieu veut que nous priions aussi pour les choses que nous sommes certains de recevoir.   Mais on peut objecter à cette réponse que même si l’Église prie pour les choses que nous sommes certains de recevoir, elle a déjà obtenu que ces âmes ne soient pas damnées, puisqu’elles ont une connaissance certaine de leur avenir, et demeurent en toute sécurité.  Donc, les  fidèles qui prient pour les défunts ou qui désirent prier le font avec assurance pour aider les défunts, et les soustraire aux peines présentes du purgatoire.

Mais ces objections sont faciles à réfuter,  car ces âmes du purgatoire ont déjà reçu la sentence du Juge  dans le premier jugement, et par cette sentence, elles sont libérées de la géhenne.  Mais, il reste encore le jugement général où elles recevront la deuxième sentence.  Voilà pourquoi l’Église prie pour que, dans le jugement extrême, les âmes ne tombent pas dans l’obscurité, et ne soient pas absorbées par le tartare.  Elle ne prie donc pas pour quelque chose qu’elle a déjà reçue, mais qu’elle recevra à la fin du monde.

Au sujet de l’intention des fidèles, je soutiens qu’on satisfait par cette intention.  Car, dans cette prière on demande l’une et l’autre, et que les âmes soient libérées des peines de l’enfer, c’est-à-dire du purgatoire, qu’elles souffrent présentement, et qu’ensuite elles soient libérées de la sentence de damnation qui devra être portée au dernier jugement.

L’autre solution est que l’église air l’intention de prier pour libérer les âmes des peines du purgatoire, mais qu’elle se serve de cette façon de parler comme si c’était à ce moment-là que les âmes émigraient de leurs corps, et étaient en péril de damnation éternelle.  Car elle commémore et représente le jour de la déposition et de la séparation. Dans les célébrations des fêtes de l’incarnation, de Noël, de la passion, de la résurrection, et de l’ascension de Notre-Seigneur, l’église prie comme si le Christ avait actuellement à s’incarner, mourir ou ressusciter, car l’Église présente ces mystères en tant que présents.

Elle n’a pourtant pas l’intention de prier à  la lettre pour que le Christ assume une chair et naisse de la Vierge, mais pour que nous soient appliqués les fruits de ces mystères. Il en est de même dans le sacrifice pour les défunts.  En commémorant le jour de leur mort, l’Église prie pour eux comme s’ils mouraient alors. Mais pourtant, elle entend prier pour qu’ils soient libérés de l’enfer,  de la façon qu’ils peuvent l’être, c’es-à-dire pour qu’ils ne soient pas retenus plus longtemps dans leurs peines, ou pour y mêler un certain soulagement.  Il n’est pas absurde de dire,  quinze cents ans après la naissance de Jésus-Christ  : « Faites tomber la rosée, cieux d’en haut, et que les nuages fassent pleuvoir le juste.  Que la terre s’ouvre, et que germe le Sauveur, » et beaucoup d’autres de ce genre. Il n’est pas non plus absurde de dire dans l’office des morts : «  Libère les de la bouche du lion, pour qu’ils ne tombent pas dans l’obscurité. »

CHAPITRE 6

                                        Le lieu du purgatoire

Sur cette question, l’Église n’a rien défini. Il y beaucoup d’opinions.

La première opinion est de ceux qui pensent que les âmes sont purifiées là où elles ont péché.  Voir les dialogues de saint Grégoire (livre 4, chapitres 40 et 55). Il raconte que l’âme de Paschasius et d’un autre ont été purgés dans des thermes.  Et dans une lettre de saint Pierre Damien sur les miracles de son temps, il décrit une vision qui porte sur la purgation de l’âme de Séverin dans un certain fleuve.  Mais que tous soient punis là où ils ont péché, ce n’est pas du tout probable.  Car, il arrive que quelqu’un pèche en plusieurs lieux, et il n’est donc pas vraisemblable qu’il soit purifié dans tous ces lieux.  Les  visions précitées montrent d’ailleurs, plutôt le contraire.  Car, le diacre Paschasius avait péché à Rome lors de l’élection du pape, et c’est dans les thermes de Puteleon qu’il a été purifié.  Et Sévérin avait péché dans le palais de l’empereur, et a été purifié dans un fleuve.

La deuxième opinion.  Les lieux des âmes ne sont pas corporels.  C’est ce que pensait saint Augustin (livre 12, chapitre 33 de la Genèse.)  Mais, il s’est rétracté (livre 2, chapitre 24, de ses rétractations).  La troisième.  Les lieux punitifs des âmes sont ce monde dans lequel elles demeurent dans un corps comme dans une prison.  C’est ce que rapporte et réfute saint Irénée (à la fin du livre 5), car l’Écriture dit ( Luc 16, et ailleurs) que, après cette vie, les âmes descendent en enfer.   La quatrième.  L’enfer et le purgatoire des âmes ne sont rien d’autre que la conscience accusant et punissant les péchés.  C’est ce que pensaient Philo (livre pour demander la grâce de l’érudition), et Origène selon saint Jérôme (épitre à Avitus).

On la réfute ainsi.   Car, si cette opinion était vraie,  on ne serait pas moins dans l’enfer et le purgatoire maintenant qu’après notre mort.  La cinquième.  L’enfer et le purgatoire seront dans la vallée de Josaphat.  Saint Jean Chrysostome (dans son homélie sur les récompenses des bienheureux) rapporte que c’est ce qu’avaient pensé certains anciens.   Saint Grégoire, dans ses dialogues (livre 4, chapitre 42), relate une opinion semblable.  L’argument de ces gens-là a peut-être été que le Christ appelle souvent l’enfer la géhenne.  Or, la géhenne est la vallée  qui est si étroitement unie à la vallée de Josaphat qu’elle semble en être une partie.

La sixième opinion est que l’enfer est un état de l’âme en dehors du corps.  Car, tant qu’elle est dans le corps elle demeure dans la lumière, comme on le voit par les œuvres.  Quand elle sort du corps, elle ne peut plus rien voir à moins d’être bienheureuse.  Et c’est cela les ténèbres extérieures. C’est ce que rapporte Theophilactus (Luc, chapitre 16).  La septième.  Le lieu pénal des âmes n’est pas la terre, mais un air ténébreux où demeurent les démons.  C’est que rapportent Grégoire de Nysse (dans le livre de l’âme et de la résurrection), et saint Jean Chrysostome (dans son homélie sur les bienheureux), ainsi que l’auteur de l’œuvre non terminée sur Matthieu (homélie 53).  Cette théorie favorise le récit de Fursy (Bède, livre 3, chapitre 19 de l’histoire d’Angleterre).  Le défunt serait conduit au ciel par les anges, on lui montrerait de grands feux au-dessus de l’air,  qui servent à la conflagration du monde, et où sont, entretemps, examinées les actions des hommes.

La huitième est la sentence commune des scolastiques.  Le purgatoire est à l’intérieur des viscères de la terre, proche de l’enfer.  D’un commun accord, les scolastiques établissent quatre niveaux, un enfer divisé en quatre parties, un pour les damnés, un pour les purgés,  le troisième, pour les enfants morts sans baptême, et le quatrième pour les justes morts avant la passion du Christ, lequel est maintenant vide.  Différents lieux pour différentes sortes de peines.  Tous ceux lieux, en effet, sont des lieux pénaux.  Une peine est soit une peine du dam, soit  une peine du sens.  Elle est, en outre, ou éternelle ou temporaire.  Pour la peine éternelle de la seule damnation,  il y a  les limbes des enfants.  Pour la peine temporelle de la seule damnation, il y avait les limbes des pères.   Pour la peine éternelle du dam et du sens, il y a l’enfer.  Pour la peine temporelle du dam et du sens, le purgatoire.

Parce que Calvin ( livre 2, chapitre 16, verset 9 des institutions)  dit  que toutes ces choses sont des fables, ainsi que son disciple Bèze (Actes, chapitre 2) et  son maître Bucer (chapitre 27, Matth), nous allons donner des preuves pour chaque lieu.  Le premier.   Que le lieu des âmes appelé, par un mot général,  enfer,  soit situé dans les entrailles de la terre, cela a déjà été démontré dans le chapitre 9 du quatrième livre sur le Christ.  Nous demandons au lecteur de bien vouloir s’y reporter en cas de besoin.  Nous aurons donc ici recours à d’autres arguments.

Se présentent d’abord les éruptions volcaniques qui crachent le feu, et engendrent des rivières de lave incandescente.  Saint Grégoire pense qu’il n’est pas téméraire d’y voir des indices d’un enfer existant dans les entrailles de la terre (livre 4, chapitre 35 des dialogues).  Et (dans le même livre, chapitre 30) il confie qu’il a appris par un récit authentique qu’à l’heure où le roi Theodoric arien est mort, on a vu son âme être jetée  dans la fosse  de Vulcain qui est en Sicile.  Et Laurent Surius  rapporte, dans son histoire, qu’en l’année 1537,  le mont Hela de l’île de l’Islande,  a vomi des flammes, qu’on a entendu des vociférations tonitruantes et horribles, et que des âmes sont souvent apparues qui disaient avoir été envoyées à cette montagne.  Voilà pour l’enfer en général.

Parlons maintenant de chacun des enfers en particulier.  Le premier.  Que l’enfer des damnés soit dans les profondeurs de la terre, on le prouve d’abord de ce que c’est dans les entrailles de la terre que se trouve l’enfer. Comme nous avons déjà prouvé que l’âme du mauvais riche (Luc 16) avait été présentée comme étant dans l’enfer, mais non seulement dans l’enfer, mais dans le lieu le plus profond, quand l’aperçut Lazare qui était lui aussi dans les lieux souterrains.  De plus, la raison elle-même dicte que si le lieu des bienheureux est dans le plus haut des cieux, et le lieu des damnés le plus éloigné possible du ciel, rien n’est plus éloigné que le centre de la terre.

Ensuite, que le purgatoire soit sous terre, et proche de l’enfer des damnés, on le prouve d’abord par les paroles des Actes 2 : « Les douleurs de l’enfer ayant été abolies », dans lesquelles saint Augustin (épitre 33 sur les peines du purgatoire) voit les peines du purgatoire. Et l’Église elle-même dit, dans la messe pour les défunts : « Libères les âmes des défunts des peines de l’enfer, et du lac profond. »  Ensuite, on le confirme par la vision que rapporte saint Bède le vénérable (livre 5, chapitre 13 de son histoire), dans laquelle le purgatoire a été vu  prés de l’enfer des damnés.  Enfin, tous les théologiens enseignent que l’enfer et le purgatoire sont dans le même lieu, et que c’est par le même feu que sont brulées les  âmes des damnés et celles du purgatoire.

Que les limbes des enfants soient dans l’enfer, on le prouve ainsi.   Le concile de Florence, à la dernière session, a défini en toutes lettres que ceux qui meurent avec le péché mortel, ainsi que ceux qui meurent avec le péché originel, descendent tout de suite en enfer, mais doivent être punis par des peines différentes.  Et saint Augustin (livre 4, chapitre 28 sur le baptême des enfants, et dans le livre sur les gnostiques) dit que la foi catholique ne connait que deux lieux où les êtres humains seront pour toute l’éternité : le ciel des bienheureux, et l’enfer des damnés.   C’est une opinion commune des scolastiques que les limbes des enfants soient dans un lieu plus élevé que ne l’est le purgatoire, de telle sorte que le feu n’y parvienne pas.  C’est cette opinion qu’a adoptée Innocent 111 (chapitre majores, en dehors du baptême).  Mais il faudra disputer de cela plus tard.

Que les limbes des pères soient dans l’enfer, mais dans sa partie la plus haute, nous l’avons prouvé avec assez de précision dans le chapitre 10 du livre 4 sur le Christ.  Nous ne répéterons qu’un seul argument. Dans 1 Rois, chapitre 28, on a vu l’âme de Samuel monter des lieux souterrains. « J’ai vu, dit la pythonisse, des dieux monter de la terre. »  Les adversaires répondront que ce Samuel-là n’était pas le vrai Samuel, mais le diable sous les traits de Samuel., comme le rapporte Tertullien (vers la fin de son livre sur l’âme.)  Ainsi que l’auteur des questions, d’après Justin,  question 52, et l’auteur de la question 27, d’après saint Augustin, et l’auteur des livres sur les merveilles de la sainte Écriture (livre 2, chapitre 11), et saint Isidore (livre 8, chapitre 9 des étymologies).  Voici quelles sont leurs raisons.

La première.  Parce qu’il n’est pas crédible que  Samuel ait été soumis à une pythonisse, ni même qu’il soit venu spontanément.  La deuxième.  Parce que Samuel n’aurait pas supporté d’être adoré, comme cette ombre l’a fait.  La troisième.  Car, il n’aurait pas dit à Saül : demain, toi et tes fils vous serez avec moi.  Car ce n’est pas aux limbes des pères que devait descendre l’âme des Saül, mais dans la géhenne.  La quatrième. Parce que Dieu avait refusé à Saül toute réponse par des prophètes, des oracles ou des songes, comme il est dit dans ce chapitre.  Il n’est pas donc pas crédible qu’il ait reçu une réponde par une pythonisse.

Nonobstant ces objections, nous maintenons que c’est l’âme du vrai Samuel qui est apparue, ce qui confirme puissamment notre sentence sur les lieux souterrains.   Car les auteurs cités sont ou incertains ou obscurs, et ceux qui enseignent le contraire sont bien connus et illustres.  Comme Joseph (livre 6, chapitre 15 de l’antiquité), saint Justin (dialogue avec Thryphon,  près du milieu),  saint Basile (épitre 80 au médecin Eusthatius), saint Ambroise (chapitre 1 sur Luc), saint Jérôme (chapitre 7, Isaïe), saint Augustin (chapitre 15 de  son livre sur le soin des morts). Ne représente pas pour nous une objection valable le fait que, (dans question 3, livre 2 à Simplicien). Saint Augustin se soit demandé si c’était bien l’âme de Samuel, ou une autre.  Car, c’est plus tard qu’il a écrit son livre sur le soin des morts, après avoir longtemps réfléchi sur la question.  En plus de ces anciens, nous avons, parmi les docteurs les plus récents, Lirus, Abulensis,  Denys le Chartreux et Cajetan.

De puissantes raisons militent en faveur de cette sentence.  La première.  Parce que l’Écriture a toujours appelé Samuel celui qui est apparu : « Quand la femme vit Samuel ».  « Samuel dit à Saül. »  « Saül comprit donc que c’était Samuel. »  L’écriture n’aurait certes pas dit : comprit, mais, pensa, crut, si ça n’avait pas été vrai.  La seconde.   Dans Eccles 46 on loue Samuel pour avoir prophétisé après sa mort, et avoir annoncé au roi ce qui arriverait.  Or quelle serait cette louange si le diable avait assumé l’apparence de Samuel et avait trompé Saül ?  Voilà quel est l’argument qui a convaincu saint Augustin quand  il écrivit sur le soin des morts, et dont il ne se souvenait pas quand il a écrit à Simplicien.  Le troisième.  Parce qu’il a prédit l’avenir à Saül, et que le démon ne pouvait pas savoir que le lendemain Saül mourrait avec ses fils, et que son armée serait mise en déroute.  La quatrième.  Parce que les raison contraires ne prouvent rien.

Je réponds à la première que Samuel n’est pas venu sur l’ordre de la pythonisse, mais sur l’ordre de Dieu, ce que l’art magique a plutôt empêché que confirmé.  Car, par son arrivée, Samuel a prévenu l’effet de l’incantation, et il est monté d’une manière contraire à celle des autres qui sont appelés par l’incantation. Et voilà pourquoi la pythonisse a été troublée,  et dit que cela lui était imposé.  S’il est vrai ce que les rabbis racontent que les ombres des morts qui sont évoquées par le pouvoir magique montent la tête en bas,  Samuel monta debout, faisant apparaitre s’abord sa tête, sa poitrine, et on vit ensuite ses pieds surgir de la terre.

À la deuxième, je réponds que cette adoration ne fut pas une adoration de latrie, mais une révérence due à l’âme de Samuel.   À la troisième je dis : vous serez avec moi, ne signifie pas : vous serez dans le sein d’Abraham, mais vous serez avec moi sous la terre, c’est-à-dire vous serez morts.   Car, comme parmi les fils de Saül, il y avait aussi le juste Jonathan, Saül et Jonathan ne devaient certes pas descendre dans le même lieu.  Samuel dit pourtant, en termes généraux : vous serez avec moi.  À la quatrième, je dis  qu’il voulait montrer que Dieu était irrité contre Saül,  et il le montra cela en ne répondant pas quand il était interrogé, et en répondant quand il n’était pas interrogé.  L’une et l’autre chose sont des signes de colère.    Ajoutons que si Dieu avait répondu quand Saül l’interrogeait, il aurait pu reporter la guerre,  et éviter la peine qui avait été préparée pour lui par Dieu.  Mais, quand il interrogea la pythonisse, tout était déjà prêt, les armées rangées en bataille,  et rien ne pouvait empêcher que la guerre n’éclate.  C’est donc alors que Dieu, par son prophète, prédit sa mort, celle de ses fils, et la débandade de toute son armée.

          Il y a donc, dans les lieux souterrains, un purgatoire, un enfer, les limbes des pères, et ceux des enfants.

CHAPITRE 7

Y a-t-il, pour les justes, après cette vie un autre lieu que  le ciel et le purgatoire ?

       Au sujet des habitacles des âmes souterrains précités, les théologiens ont coutume de parler de deux, dont il nousplaît de faire mention ici, pour que notre enseignement soit plus complet.  Ils se demandent d’abord, si, en plus de ces lieux, il y en a un autre, où sont retenues les âmes avant de parvenir au royaume des cieux.  Ensuite, si elles peuvent en sortir.  La première question comporte une assez grande difficulté car, d’une part, tous les théologiens enseignent qu’à part les quatre énumérés, il n’y en a pas d’autre.   Et le concile de Florence définit dans la dernière session, que les âmes qui n’ont rien à purifier montent aussitôt dans le ciel.

        D’un autre côté,  Bède le vénérable raconte (livre 5, chapitre 13 de son histoire) une vision assez probable, à la quelle il n’hésitait pas lui-même à prêter foi.   À une certaine âme qui était retournée dans son corps, il fut montré que, en plus de l’enfer, du purgatoire, du ciel, il existait un pré fleuri, lumineux, amène et  odoriférant, où demeuraient les âmes qui n’avaient rien à souffrir.  Elles y séjourneraient quand même car elles n’étaient pas encore prêtes pour la vision béatifique.  Denys ajoute beaucoup d’autres visions qui vont dans le même sens (dans le jugement particulier, article 31), et Louis Blosius (dans les conseils spirituels, chapitre 13).

            Je dois dire que la chose ne me parait pas improbable,  mais que cet endroit, s’il existe vraiment, appartient au purgatoire.  Car, s’il n’y a là aucune peine du sens, il y a la peine du dam.  Or, cette peine ne convient  qu’aux âmes qui ne sont pas encore complètement purgées.  Ce sera donc un lieu très doux du purgatoire, qui est comme une prison sénatoriale honorable.  Il faut ajouter que les âmes qui séjournent dans ce lieu, sont non seulement privées de la béatitude, mais sont torturées par le renvoi à plus tard de la béatitude. J’ai dit qu’il ne me semblait pas impossible qu’existe un tel lieu parce que saint Thomas ( 4 sentenc, dist, 21, question 1, art 1) écrit que, pour les choses qui n’ont pas été définies par l’Église, on doit s’en tenir à ce qui est le plus conforme aux paroles et aux révélations des saints.  M’impressionne l’autorité de Jean de Turrecremata, cardinal excellent et très docte, qui, dans le prologue aux révélations de sainte Brigitte, n’hésita pas à  affirmer, après avoir examiné avec soin ces révélations, que convient pour sainte Brigitte ce qui a été dit de Judith 8 : tout ce qu’elle dit est vrai, et il n’y a rien à reprendre dans ses sermons.  Or, sainteBrigitte a écrit (livre 4, chapitre 124),  que certaines âmes du purgatoire  n’ont aucune peine en dehors de la douleur que leur cause le désir de la félicité retardée.

CHAPITRE 8

       Est-ce que les âmes des défunts peuvent sortir de leurs habitacles ?

       Cette autre question peut avoir trois sens.  Le premier. Peuvent-elles sortir pour n’y jamais plus rentrer, parce qu’elles sont transférées d’un lieu à un autre ?  Le deuxième.   Peuvent-elles sortir pour pouvoir y revenir ? Le troisième. Peuvent-elles sortir pour venir vivre avec nous ?

       On peut facilement répondre à la première question. Pour l’enfer des damnés, des limbes des enfants, il n’y a pas de retour.  Pour le purgatoire et les limbes des pères, il existe un retour.  Car, les âmes des impies sont condamnées  à des prisons perpétuelles, et au feu de la géhenne.  De la même façon, les âmes des enfants sont condamnées à l’exil perpétuel et aux ténèbres.  Mais les âmes des saints pères étaient condamnées à un exil temporaire, et les âmes du purgatoire à des prisons temporaires.  La raison en est que la cause de la prison ou de l’exil des damnés est la faute mortelle actuelle ou originelle qui n’est jamais remise.   La cause de l’exil des pères fut la dette temporelle contractée par le péché du premier parent. Celui-là, par son péché,  avait fermé le ciel qui ne pouvait être ouvert que par le sang  du Christ réellement répandu.  La cause du purgatoire est la culpabilité de la faute temporelle, qui a nécessairement une fin.

        Contre cet enseignement, se lève l’autorité de saint Jean Damascène, qui, dans son discours sur les morts, a dit que, par les prières de Thècle,  avait été libérée de l’enfer l’âme d’une certaine païenne, du nom de Falconille, et que par les prières du pape saint Grégoire, l’âme de Trajan avait été libérée de l’enfer.   Je réponds que s’il faut défendre cette histoire, il faut dire que l’âme de Trajan n’avait pas été formellement dans l’enfer, mais seulement punie dans l’enfer selon ses présents démérites, et que sa sentence avait été suspendue à cause des prières du pape Grégoire.  Et que, de plus, il n’était pas passé directement de l’enfer au ciel, mais que, après avoir été réuni à son corps et baptisé, il a fait pénitence dans notre vie. C’est du moins la solution commune aux scolastiques, celle de saint Thomas, celle de Durand, de Richard de saint Victor et des autres.

        Mais parce que c’est sans aucun témoin qu’on dit que Trajan a ressuscité, et qu’aucun auteur ancien ne se souvient  de ce prodige, et que c’est une chose qui répugne à la sentence de Damascène, qui enseigne qu’il est passé de l’enfer au ciel, mais non qu’il soit ressuscité, et que s’il a fait pénitence, c’est en enfer qu’il l’a faite. Et comme les auteurs cités ne se basent que sur l’autorité de saint Jean Damascène, je penche davantage du côté de la sentence de Melchior Cano qui (dans le livre 11, chapitre 2 des lieux), réprouve cette histoire, et la considère comme une fiction, et de celle de Dominique a Soto qui (dans 4, dst. 45, quest 2, art 2) qui avoue que, pour lui, cette histoire est dure à avaler, en dépit de l’apologie d’Alphonse Ciacon.qui a été éditée il y a trois ans.  Les raisons qui me motivent sont au nombre de quatre.

          La première.  Tous ceux qui ont admis cette histoire l’on fait à cause de l’autorité de saint Jean Damascène.  Or il n’est pas facile de prouver que ce livre est vraiment de lui.  Car, dans ce livre, l’auteur ne dit pas seulement que Trajan et Falconille  sont passés de l’enfer des damnés au royaume des cieux, mais que beaucoup d’autres,  qui étaient descendus dans les enfers parce qu’ils étaient dépourvus de la foi divine, avaient été convertis et sauvés par le Christ quand il est descendu dans les enfers.   Ce qui, en soi, est erroné, et contraire aux paroles de saint Jean Damascène qui (au livre 2, chapitre 4 sur la foi). Il   dit, en effet,  que, pour les hommes, la mort est ce qu’a été la chute pour les anges.

   La deuxième raison. Aucun auteur latin ne se souvient de cette histoire,  ni Paul le diacre, ni le bibliothécaire Anastase, ni Marianus Scotus, ni Ado, ni même Bède le vénérable, qui fut un grand admirateur de saint Grégoire.  Saint Bède a diligemment compulsé les archives romaines pour écrire la vie de saint Grégoire, et il dit (livre 2, chapitre 44 de son histoire) que cette histoire de Trajan trouvée dans une certaine église des Angles,  était  considérée comme douteuse par les Romains.

         La troisième. Parce que saint Grégoire (livre 34, chapitre 13 ou  16 des mœurs) enseigne qu’on ne peut pas prier pour les infidèles défunts, comme on ne peut pas prier pour les démons, puisqu’ils sont tous dans la même damnation irrévocable et éternelle.  Comment donc est-il crédible qu’il ait fait cela ?Abulensis répond (quest 57, 4, livre des Rois) que saint Grégoire a donc péché mortellement en priant pour Trajan.  Mas c’est une chose absurde et blasphématoire, puisqu’on sait très bien que saint Grégoire ne fut pas non seulement un très grand saint, mais un homme très prudent.  Ensuite, s’il a péché mortellement en demandant cette faveur, comment a-t-il pu être exaucé ?  Dieu est-il apaisé quand il est offensé ?Ciacon répond  que saint Grégoire n’a pas péché en priant, mais qu’il a mérité plutôt, car, bien qu’ordinairement, il ne priât pas pour les damnés, il a quand même pu le faire par une inspiration divine.

     J’objecte que la même histoire rapporte que saint Grégoire a été puni à cause de ce péché par une douleur continuelle à l’estomac et aux pieds.  Il répond.   Cette douleur ne lui a pas été donnée comme une peine, mais pour qu’il ne s’enfle pas la tête.  Je réponds.   Le diacre Pierre, que lui-même cite d’un livre de la bibliothèque vaticane, rapporte qu’un ange a dit à saint Grégoire que, parce qu’il avait eu la présomption de demander cela, il aurait à supporter cette douleur jusqu’ à sa mort, donc en punition d’un péché, parce que la présomption est un péché.

       La quatrième raison.  Les arguments de Ciacon ne prouvent rien.   Car, lui-même se base surtout sur les témoins suivants.  Le premier, les diacres de Grégoire Pierre et Jean, dont les témoignages existent encore dans la bibliothèque du Vatican. Ensuite sur le témoignage d’un auteur anonyme, qui a écrit la vie de saint Grégoire, laquelle est présentée avant ses œuvres éditées à Basles en 1564.  Cet auteur semble avoir vécu au temps de saint Grégoire.  Troisièmement, sur le témoignage de saint Jean Damascène.  Quatrièmement, sur celui du diacre Jean (livre 2, chapitre 44 de la vie de saint Grégoire).  Cinquièmement, sur le témoignage de saint Thomas.  Sixièmement, sur le témoignage de sainte Brigitte et de sainte Mechtilde.

      Le premier témoignage m’est fort suspect. Car si c’était vraiment le sien,  le diacre Jean n’aurait pas dit que cette histoire n’a pas été conservée dans l’église romaine, mais seulement chez les Anglais.  De plus, ce Pierre dit que saint Grégoire a demandé à Dieu, et a obtenu,  que tous ceux qui seraient ensevelis dans l’église de saint André (in clivo Scauri), ne puissent pas être damnés, pourvu qu’ils conservent la foi chrétienne.   Or, saint Grégoire, qui était un homme d’une grande prudence, n’aurait jamais prié ainsi.  Car, ou il entendait par foi  la foi informe, ou la foi formée. S’il s’agissait de l’informe, il aurait donc voulu que soient sauvés des hommes mourant sans  charité ?  Qui le croira ? S’il s’agit de la formée, il n’avait pas besoin de faire cette demande, car, à quelque endroit qu’il soit enseveli, celui qui meurt dans la charité ne peut pas être damné.  Ajoutons que tout ce fragment a un air de nouveauté, et semble donc factice.  Car, il dit le « divin »  Grégoire, mot qui, alors, était inusité.  De plus, il  met les cardinaux avant les évêques, ce qui répugne à Jean le diacre qui, dans sa vie de saint Grégoire, écrit que saint Grégoire entama la coutume de promouvoir les cardinaux à l’épiscopat, comme à un grade supérieur.  Et il comporte d’autres indices de nouveauté.

    Le deuxième témoignage n’apporte rien de neuf, car cet auteur anonyme ne vécut pas au temps de saint Grégoire, mais après.  Il ne fait que donner un résumé de la vie de saint Grégoire que le diacre Jean avait écrite.  Le troisième témoignage est déjà rejeté.   Le quatrième est contre Ciacon lui-même, car Jean le diacre dit  que l’âme de Trajan n’a pas été libérée de l’enfer, mais a obtenu de ne pas souffrir de la peine du feu, alors que Ciacon veut qu’elle soit déjà dans la béatitude du ciel.  Le cinquième.   À l’endroit où il traite cette question (4 dist 45, question 2), saint Thomas pense qu’il est très probable que l’âme de Trajan ait été libérée seulement des peines de l’enfer jusqu’au jour du jugement, et qu’elle devait ensuite être châtiée avec les autres.

       Le sixième est très obscur.  Car, saint Brigitte ne dit pas que Trajan a été sauvé, mais seulement élevé à un degré plus haut, indiquant par là qu’il a reçu quelque chose en fait de salut.  Le septième se contredit lui-même.  Car, Mectilde dit qu’elle a demandé à Dieu ce qu’il ferait avec les âmes de Samson, de Salomon, d’Origène, et de Trajan, et qu’il lui a répondu que Dieu veut que reste inconnu à tous ce que sa libéralité ferait d’eux.  Si Dieu veut que cela reste inconnu, il ne faut donc pas prêter foi aux auteurs qui affirment que Trajan est déjà dans le ciel.  Notons que Dieu, dans cette révélation, associe Trajan à Origène,   Or, dans le pré spirituel, qui est cité au septième concile œcuménique, (et par Jean le diacre, au livre 2, chapitre 45, de la vie de saint Grégoire),  on raconte une révélation dans laquelle Origène est aperçu dans la géhenne de feu avec Arius , Nestor. Et, le  sixième concile, (chapitre 11) dit anathème à Origène, comme à Arius, à Nestor, et aux autres hérétiques.

   Quant au second, les uns estiment que les âmes ne peuvent jamais sortir de leurs réceptacles, mais que toutes les apparitions sont celles de démons qui se présentent faussement comme des âmes sorties du purgatoire qui demandent des suffrages.   C’est ce que pensait Tertullien (à la fin de son livre sur l’âme), et l’auteur des questions à Antioche (questions 11 et 13),   C’est ce que semblent dire aussi saint Jean Chrysostome (homélie 29 sur Matthieu, homélies 2 et 4 sur Lazare),  et Théophylactus (chapitre 8 de Matthieu).  Bien que, si on les lit attentivement, ces deux auteurs n’affirment pas que les âmes du purgatoire ne puissent en aucune façon venir à nous, mais qu’elles ne peuvent pas sortir à leur gré, ni se changer en démons, ni vagabonder parmi nous à la façon des démons.  Les hérétiques de ce temps rient de toutes les apparitions des âmes, et n’y voient que des illusions démoniaques, surtout les magdebourgeois.

       Mais elle est très vraie la sentence de saint Augustin (chapitres 15 et 16 du livre sur le soin des morts), selon laquelle c’est faire preuve d’une trop grande impudence que de nier que les âmes peuvent revenir vers nous, sur l’ordre de Dieu, ou avec sa permission.  Car, nous avons des témoignages d’auteurs très graves du retour d’âmes de défunts qui sont retenues dans différents réceptacles,  à part les limbes des enfants.  Car, nous avons des exemples certains d’apparitions d’âmes bienheureuses dans Eusèbe (livre 6, chapitre 5 de son histoire), dans Augustin (le chapitre 16 du soin des morts), dans Sulpice (vie de saint Martin), dans Paulin (vie d’Ambroise), dans Theodoret (livre 5, chapitre 24 de l’histoire), dans Grégoire (livre 3, chapitres 24 et 25 des dialogues), et dans le septième concile oecuménique (acte 4).  Que des âmes qui demeuraient dans les limbes des pères aient apparu, saint Augustin le prouve (dans les chapitres 15 et 16 du soin des morts, et dans le chapitre 28 1 Rois), où l’âme de Samuel est apparue à Saül, et en Matthieu  17 où  Moïse est apparu avec Élie sur le mont Thabor.  Même si Hilaire (dans le commentaire de ce passage) et Ambroise (livre 1, chapitre 2 sur Caïn) ont dit que Moïse vivait encore, le Deutéronome et Josué  affirment expressément le contraire.

  On trouve des exemples d’âmes du purgatoire chez saint Grégoire (livre 4, chapitre 40 et 55 des dialogues), et dans les autres auteurs, aux lieux cités.  L’auteur des livres sur les propriétés des abeilles donne plusieurs exemples d’apparitions d’âmes de damnés.  Et dans la vie de saint Bruno, on rapporte une apparition d’un docteur parisien qui dit avoir été condamné trois jours après sa mort.  Il est croyable que cette âme soit descendue en enfer tout de suite après sa mort, qu’elle soit apparue trois fois, que la première fois elle ait relaté son accusation, la deuxième, son jugement, et la troisième sa condamnation, pour que, ainsi, cet exemple soit connu par plusieurs.

  Quant au troisième, que quelques âmes qui résidaient dans le purgatoire ou dans les limbes des pères aient été rappelées à la vie terrestre,  il n’y a aucun doute.  Car les morts qu’ont ressuscités Élie, Élisée, le Seigneur, Pierre et Paul, on a raison de penser qu’ils étaient dans les limbes ou dans le purgatoire, puisqu’ils étaient des fidèles.  Il ne s’en suit aucun inconvénient, car ce n’est rien d’autre que de changer d’exil ou de prison.

       Mais, tu diras qu’ils étaient certains de leur salut, et que, après la résurrection, ils en devinrentent incertains.  Abulensis répond très bien (Rois 4, question 7). Tous ceux qui ont été rappelés des limbes des pères ou du purgatoire à la vie terrestre, sont sans doute confirmés dans la grâce, car, autrement, une injustice leur aurait été faite.

   Que ceux qui sont au ciel ou en enfer soient rappelés à la vie terrestre, cela semble impossible.  Et pourtant il en existe des exemples qu’on ne peut nier.  Car, saint Grégoire (dans le livre 1, chapitre 9 de ses dialogues)  écrit que par saint Fortunatus avait été rappelé à la vie terrestre un certain saint Marcel, qui avait obtenu une excellente place avec les anges.  Et ( au chapitre 12), il écrit  que saint Sévère a ressuscité un homme très méchant qui avait été amené dans les enfers par les démons.  Egesippe (livre 3, chapitre 2) écrit que saint Pierre avait retiré de la mort un païen de Césarée. Et on ne peut douter que les apôtres aient ressuscité des païens.  Maxime (sermon 2 sur sainte Agate) dit qu’elle a ressuscité le fils d’un préfet qui était mort en état de péché mortel. Et Évodius (au livre 1 des miracles de saint Étienne), dit qu’un enfant mort avant le baptême a été ressuscité aux  reliques de saint Etienne.

   Je dis donc que les bienheureux ne peuvent pas être rappelés à la vie de la terre, car la béatitude inclut la certitude de ne jamais perdre la félicité, comme saint Augustin l’enseigne ( dans la correction et la grâce, chapitre 10).  Et la raison en est manifeste, car la béatitude est l’état parfait provenant de la réunion de tous les biens.  Or, celui qui n’a pas la certitude de ne jamais perdre la félicité n’a pas tous les biens.   Si donc certains sont revenus dans leurs corps, ils n’étaient pas glorieux, car Dieu, prévoyant leur retour à la vie de la terre, a retardé leur béatification, et les a retenus entre temps dans un lieu excellent, comme cela est arrivé à Marcel, dont parle saint Grégoire.

   Je dis la même chose des damnés.  Celui qui a vraiment été condamné aux peines éternelles ne peut pas être rappelé à la vie terrestre, car, autrement, la damnation des impies deviendrait incertaine.  Saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la cité de Dieu) dit que c’est le propre d’une grande présomption d’affirmer qu’ils ne demeureront pas toujours dans le feu, ceux à qui la Vérité a dit : « Allez au feu éternel ! »  La Vérité dit cela à tous ceux qu’elle damne, tant dans le jugement particulier que dans le jugement  général.  De plus, il n’y aurait aucun damné quin’espérerait pas obtenir le salut un jour, et pour lequel nous ne pourrions pas ne pas prier.   Car, s’ils peuvent être sauvés par un privilège tout spécial, il  est donc certain qu’il faut prier pour eux, comme, dans ce monde, nous prions pour les obstinés dans le mal.  Car Dieu leur aurait donné une grâce efficace  qui ne peut certes être donnée que par privilège.

    Mais Abulensis (4, livre des Rois, question 57) nous objecte qu’au damné ressuscité ne sont remises ni la faute, ni la peine du fait même de cette résurrection. Cette résurrection n’est donc pas plus miraculeuse que n’importe laquelle résurrection.  Il se peut donc que de tels défunts ressuscitent.  Je réponds.  La faute n’est pas remise, ni la peine, mais on lui donne un bénéfice équivalent, car on le remet dans un état où il pourra être libéré et de la peine et de la faute.  Il s’ensuivra de toutes ces absurdités,  que la damnation des impies ne sera plus certaine, qu’ils pourront toujours espérer, qu’on pourra prier pour eux.

     Aux autres exemples qu’on apporte, Sotus répond (4 dist 45, quest 2, art 2)  que tous les païens que les apôtres ont ressuscités avaient agi dans une ignorance invincible de la foi, et étaient donc dans le purgatoire.   Mais que répondra Sotus à Ambroise (dans le sermon 99) et à Maxime (sermon 2) qui racontent qu’Agnès a ressuscité le fils du préfet, que le diable avait tué, quand il voulait violer cette sainte vierge ?  Je dis donc que ceux qui sont ressuscités n’avaient pas été condamnés même s’ils méritaient les peines éternelles, mais que leur sentence avait été suspendue,  et qu’ils étaient entre temps punis selon la justice présente, comme saint Thomas l’enseigne (4 sentences, dist 45, quest 2,  art 2).  Et c’est ainsi que répondent également Richard, Durand et les autres

CHAPITRE 9.

                                Du temps que dure le purgatoire

      IL y a, sur ce sujet, deux erreurs poussées à l’extrême.  La première erreur est d’Origène,  qui étend le temps du purgatoire au-delà du jour de la résurrection.  Voici ce qu’il dit dans son homélie 14 sur saint Luc : « Je pense, moi, que même après la résurrection des morts,  nous avons besoin d’un sacrement qui nous lave et nous purge, car personne ne peut ressusciter sans scories.   Mais cette erreur a déjà été analysée.   Car, saint  Augustin  (livre 21, chapitre 16 de la cité de Dieu) écrit : « Il pensait qu’il n’y avait de peines du purgatoire qu’avant  le dernier redoutable jugement. »  Et la raison en est que le Seigneur a dit en Matthieu 25 qu’au jour du jugement, il n’y aura que deux sortes d’hommes, celles des bienheureux et des damnés.

  Tu diras.  L’âme ne pèche pas seule, mais avec le corps. Le corps doit donc être purgé avec l’âme.  C’est donc après la résurrection que les hommes seront purgés.  Je réponds que si l’argument prouvait quelque chose il prouverait que l’âme séparée ne peut pas être punie dans l’enfer, ni jouir de la béatitude éternelle dans le ciel,  contrairement à ce que dit l’évangile : « Je souffre terriblement dans cette flamme,  »  et Luc 23 : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

        Je dis donc qu’il est juste de punir l’âme seule, parce que c’est elle qui est le sujet et la cause efficiente du péché.  Car, il y a certaines actions des hommes qui ne peuvent être faites que par le composé, ni être reçues que dans le composé, comme toutes celles qui se font par les puissances organiques, comme parler, voir, entendre etc., et qui n’existent plus quand le tout a été dissous.  Si le péché était de cet ordre-là,  l’argument serait parfaitement concluant.  Mais, il ne l’est pas.   Car le péché est un acte du libre arbitre, et c’est pour cela qu’il est le produit de la seule volonté, et qu’il réside formellement dans la seule volonté.  Quand donc le composé est dissous, on retrouve le péché en son intégralité, dans la volonté, et par elle, dans l’âme, non dans la chair morte.  Il doit donc être puni et purgé là où il se trouve.

       Ajoutons que la chair est punie, elle aussi, à sa façon.  Car, comme l’âme séparée est punie par le peine du dam, parce qu’elle est privée de la vision de Dieu, et par la peine du sens, parce qu’elle est torturée par le feu, de la même façon la chair est punie par la peine du dam, parce qu’elle est privée de la vie et du sens, même si improprement, parce qu’elle se putréfie petit à petit, et retourne en cendres.   Cependant, la première solution est la meilleure, car même les corps des saints sont ainsi punis,  bien qu’ils n’aient pas besoin de purgation.  Car, il veut que tous les restes des péchés  de ceux qui meurent dans la foi soient purgés en eux par la douleur de la mort, et que le purgatoire ne soit rien d’autre que la peur de la mort.

      Il est facile de réfuter cette erreur, car par restes des péchés on entend la concupiscence, ou les mauvaises habitudes contractées, ou la culpabilité de la peine temporelle.  Et les péchés véniels.   Car, parmi les choses qui appartiennent au péché,  ce sont les seules qui peuvent demeurer dans un homme justifié. Et c’est pour cela qu’on les appelle les restes du péché.  Quant au premier, la concupiscence, elledisparaît à la mort, car, alors, est éteinte la sensualité.  Mais ce n’est pas pour la concupiscence que nous avons institué un purgatoire.  Car même les enfants morts après avoir été baptisés devraient souffrir des peines purgatives, puisque le baptême ne leur a pas enlevé la concupiscence.  Or, saint Augustin (livre 21, chapitre 16 de la cité de Dieu) enseigne éloquemment que les enfants ne souffrent aucune peine purgative.  Les mauvais habitus existant dans la volonté, ne sont pas nécessairement éteints par la mort, quand ils sont dans des puissances qui ne sont associées aux  organes. Mais ce n’est pas non pour ces habitus que nous avons institué un purgatoire, car ni le baptême ni le martyre ne dissolvent  ce genre d’habitus.  Nous voyons, en effet, des baptisés qui ont encore les mêmes mauvaises tendances qu’ils avaient avant, et qui doivent, au fur et mesure, les enlever par des actes contraires.

      Il est crédible donc que tous ces habitus sont enlevés par le premier acte  contraire  de l’âme séparée,  qu’elle produit tout de suite après sa séparation.  Car, même si on ne peut, par un seul acte, détruire des habitus contractés par plusieurs actes, cependant, on le pourra alors, car cet acte sera beaucoup plus intense, puisque l’âme est alors plus puissante relativement aux actes spirituels, et n’a pas de concupiscence contraire qui la freine.  Il reste donc la culpabilité de la peine, et les péchés véniels, qui peuvent être proprement appelés restes des péchés, pour lesquels existe le purgatoire.  Ces restes, il est parfois certain qu’ils sont purgés à la mort, et parfois non.  On doute parfois de ce qu’on doit faire, et il est tout à fait probable qu’ils soient en partie purgés, et en partie non purgés.

       Je prouve chacun  de ces points.   Le premier.  La mort violente reçue pour le Christ, qui est appelée martyre, purge, sans aucun doute, tous les restes des péchés.  Cyprien (livre 4,épître 2 ) dit clairement que tous les péchés sont purgés par le martyre.  Et qu’il ne parle pas des péchés mortels, la chose est évidente, car, au même endroit il dit que, sans la charité, le martyre n’est d’aucun profit.  C’est ce que saint Paul avait enseigné à saint Cyprien (dans la premièreépître aux Corinthiens, chapitre 13.)  Et c’est pour cette raison que l’Église ne prie jamais pour les martyrs.  Parce que, comme le dit saint Augustin (sermon 18 sur les paroles de l’apôtre) « C’est une injure de prier pour les martyrs, à qui nous devons plutôt nous recommander par nos prières. »

    Je le prouve, en second lieu, ainsi.   Ceux qui meurent involontairement, ou sans l’usage de leur raison,  ou en dormant, ou subitement, ne peuvent pas du tout être purgés par cette mort.  Car,   ou la mort purge  par elle-même, on elle purge  en raison d’un acte volontaire concomitant. Elle ne purge pas par elle-même, car la mort est en elle-même quelque chose de naturel, au moins après le péché du premier parent.  C’est pour cela qu’elle est commune aux bons et aux mauvais, bien plus, aux hommes et aux animaux.  Or, nous ne méritons pas par les choses qui se produisent naturellement, et nous ne déméritons pas non plus, car  nous n’avons pas le pouvoir de dissoudre des dettes volontairement contractées.  Si donc la mort purge, elle le fait à cause de l’acte volontaire concomitant. Or, nous parlons ici de ceux qui meurent sans aucun acte de ce genre.  De plus, nous voyons souvent d’excellents hommesconnaître des morts extrêmement douloureuses, et de beaucoup moins bons neconnaître que des morts douces.  Or, si c’est par la mort que devaient être purgés les restes des péchés, c’est le contraire qui devrait exister.

   Le troisième.  Je prouve. Il n’y en pas beaucoup qui tolèrent la mort avec équanimité, à cause de leurs péchés.  Cette patience, sans aucun doute, aide à la satisfaction. Mais cette satisfaction sera-t-elle équivalente à la dette contractée par le péché ? Personne ne peut le savoir avec certitude.

     En plus de celle des horreurs de la mort, il y a l’opinion de Dominique a Soto (sentence 4, sit 19, q 3, aer 2).  Personne ne demeure dans le purgatoire plus que dix ans.  Et la raison en est que, puisque sur cette terre, on peut s’acquitter de n’importe laquelle dette en peu de temps,  pourquoi ne pourrait-on pas le faire plus rapidement encore dans le purgatoire, puisque les peines y sont beaucoup plus intenses et pénibles.   De plus, sur cette terre, les souffrances pénales se succèdent l’une après l’autre, car, on ne pourrait pas les souffrir toutes ensemble sans  entraîner la destruction de la personne.  Mais, au purgatoire, elles peuvent être d’une très grande intensité, car le sujet est incorruptible.  Il est donc vraisemblable que ces âmes qui aspirent à la gloire soient purgées en peu de temps par des peines extrêmes.

    Je dis au premier. Ici, c’est le temps de la miséricorde, là-bas, celui de la justice.   Au second, je dis que Dieu peut compenser la longueur par l’intensité, mais qu’il ne le veut pas.  Car, autrement, il s’ensuivrait que les âmes ne demeureraient dans le purgatoire qu’une heure, car Dieu peut, en intensifiant les peines, réduire les peines de dix ans à un an. De plus, répugnent à cette opinion  les visions approuvées des saints.  Car, Bède le vénérable écrit (livre 5, chapitre 13 de son histoire) que les peines du purgatoire ont été montrées à quelqu’un, et qu’on lui a dit que des âmes du purgatoire ne seront pas  sauvées avant le  jour du jugement à moins qu’elles ne soient aidées par les prières et les aumônes des vivants, et surtout par le saint sacrifice de l’autel.  Il indique là que certaines âmes demeureront dans le purgatoire jusqu’au jour du jugement.  On peut présenter un grand nombre de visions de cette sorte, celles de Denys le chartreux, et d’autres.

       La coutume de l’Église s’y oppose aussi, car elle célèbre les anniversaires de la mort des défunts même cents ans ou deux cents ans après leur mort.  Ce que l’Église ne ferait certes pas si elle croyait que les âmes ne demeurent pas dans le purgatoire plus de dix ans.  La chose est donc incertaine, et on ne pourrait la définir sans témérité.

CHAPITRE 10

                                  Quelle est la peine du purgatoire ?

     Sur la peine du purgatoire, il y a des choses qui sont certaines, et il n’y en a d’autres qui sont douteuses.   D’abord, il est certain que les peines du purgatoire ne sont pas le désespoir et la peur de la géhenne, comme l’avait pensé Luther, quand il croyait encore au purgatoire.  Car, cela a déjà été réfuté. Ensuite, il est certain qu’une des peines du purgatoire est la privation de la vision de Dieu,  Car ces  âmes ne peuvent  pas ne pas se désoler en comprenant que c’est à cause de leurs fautes qu’elles sont privées de la vision de Dieu.  Et cela s’appelle la peine du dam.  Il est certain, en troisième lieu, qu’à cette peine s’ajoute aussi une autre peine que les théologiensappellent la peine du sens.  Elle consiste dans une souffrance qui provient d’une autre source que la privation de la vision de Dieu.  Comme celui qui pèche se détourne du souverain bien, et se tourne d’une façon désordonnée vers les créatures, il doit par la suite être puni non seulement par l’absence du bien infini, mais aussi par une souffrance qui lui a infligée par un objet créé.  Il  est certain, en quatrième lieu, que, dans le purgatoire, comme dans l’enfer, il y a la peine du feu, qu’on entende ce feu au sens réel ou métaphorique, et soit qu’il signifie la peine du dam ou du sens, comme le veulent certains.   Qu’il y ait un feu dans le purgatoire comme dans l’enfer, c’est saint Paul qui nous l’enseigne ( 1 Corinthiens 3) : « Il sera sauvé comme par le feu. »  Et Jésus en Matthieu 25 : «  Allez au feu éternel ! »  Ainsi que les pères cités dans le premier livre, qui donnaient tous le nom de feu à la peine du purgatoire.

      Voilà quelles sont les choses certaines, qui font l’unanimité chez les docteurs.  Voici maintenant quelques-unes des choses douteuses.  Ce feu est-il un feu réel ou métaphorique ?  S’il est un feu réel, comment peut-il affecter les âmes séparées de leurs corps ?  Par qui sont administrées ces peines ?  Par les démons,  par les bons anges, ou bien par elles-mêmes ?  Ces peines sont-elles plus grandes que toutes les peines de cette vie ?

CHAPITRE 11

                                 Le feu du purgatoire est corporel

La sentence commune des théologiens est que c’est un feu véritable et réel, et de la même espèce que le nôtre.  Mais cette sentence n’est pas de foi, car l’Église n’a jamais rien défini de tel.  Et dans le concile de Florence,  les Grecs ayant  fait publiquement profession de ne pas admettre de feu dans le purgatoire, on déclare, dans la définition donnée lors de la dernière session,  qu’il y a un purgatoire,   mais sans faire aucune mention d’un feu.  C’est tout de même la sentence la plus probable.

D’abord, à cause du consensus des scolastiques, qu’on ne peut mépriser sans témérité.  Ensuite, à cause de l’autorité de saint  Grégoire le grand (livre 1, chapitre 29 des dialogues), où il soutient que le feu qui punit les âmes est corporel.   Il importe peu que,  (au livre 15, chapitre 14 de la morale) il ait dit que le feu de la géhenne était incorporel, car c’est quelque chose qui est du à une faute des copistes (qui mirent incorporel au lieu de corporel), puisque tout de suite après il dit que le feu brule corporellement.  Troisièmement, à cause d’Augustin,  qui prône cette sentence dans le chapitre du livre 21 de la cité de Dieu.

Quatrièmement.  Parce que, dans l’Écriture, on appelle souvent  la peine des impies le feu, et que la règle théologiens veut que l’on entende l’Écriture au sens propre, quand il n’en résulte aucune absurdité.  Cinquièmement, parce que les corps des damnés seront punis dans le feu après la résurrection, comme il appert de Matth 25 : « Allez au feu éternel! »  Or, si  les corps ne peuvent bruler que d’un feu corporel, le  feu des corps des damnés, et le feu des esprits séparés de leurs corps  est le même.   Car, on dit au même endroit : « Qui a été préparé  pour le diable et ses anges. »  Sixièmement.   Parce qu’il est dit à Sagesse 11 : « L’homme est torturé par les choses avec lesquelles il a péché. »  Or, les hommes pèchent souvent en convoitant des plaisirs sensibles d’une façon désordonnée.  Ils doivent donc être punis par des objets sensibles.  Le feu qui les punit doit donc être sensible.  Septièmement. Cela est confirmé par les éruptions  volcaniques de l’Etna et d’autres montagnes, dont nous avons parlé au chapitre 6.

CHAPITRE 12

On ne peut pas savoir comment un feu corporelbrûle une âme spirituelle

La sentence la plus vraie est qu’on ne peut pas savoir, pendant cette vie, comment un feu corporel puisse agir sur une âme incorporelle.  Durand le confesse ingénument, ( 4 dist 44, dernière question), et avant Durand saint Augustin (livre 21 chapitre 10 de la cité de Dieu) où il dit que les âmes sont tourmentées par le feu d’une façon véritable, mais mystérieuse.  Et saint Grégoire (livre 4, chapitre 29 de ses dialogues), il dit que, d’un feu visible,  les âmes tirent une punition invisible.  Il dit que la peine est invisible parce qu’elle est pour nous occulte et inconnue.

Mais même si nous ne savons pas comment cela se fait, nous comprenons quand même que ça peut se faire.  Nous voyons en effet que l’âme incorporelle est unie à un corps humain,  et lui donne  vie, qu’elle se réjouit et souffre avec lui, bien que le mode de cette union soit ineffable.  Car, qui comprend comment l’âme peut être la forme d’un corps, alors qu’entre le corps et l’âme, il n’y a absolument rien de commun.  Donc, comme l’esprit a pu s’unir à la chair, pour lui communiquer la vie, il a pu s’unir au feu,  pour apporter par lui la souffrance au corps, même si le mode de ces deux unions nous est tout à fait inconnu.

CHAPITRE 13

           Dans le purgatoire, les âmes sont-elles torturées par les démons ?

Au sujet de ce troisième doute, l’incertitude règne.   Car, qu’elles ne soient torturées ni par les démons, ni par les anges mais par le seul feu, c’est ce qu’enseignent les scolastiques, à la suite de saint Thomas (4, dist 20, art 5), et la raison qu’ils en donnent c’est que toutes les âmes du purgatoire ont triomphé du démon dans le dernier combat.  Il ne convient donc pas à la justice divine que les âmes soient vexées par un ennemi qu’elles ont vaincu.  De plus, ici, sur cette terre, les démons vexent les saints, parce qu’ils croient pouvoir les entrainer au péché.  Or, ils savent que les âmes du purgatoire sont confirmées dans le bien, qu’elles ne peuvent pas tomber, et que cette vexation ne ferait que rendre la purification plus rapide.  Il n’est donc pas crédible que les démons torturent les âmes du purgatoire.  Mais d’un autre côté,  que les âmes du purgatoire soient vexées par les démons un grand nombre de révélations l’enseignent, comme celle de Fursy d’après Bède (livre 3, chapitre 19 de son histoire), et d’après Denys le Chartreux, (livre sur les quatre dernières choses, et dans le livre 1, chapitre 10 de la vie de sain Bernard).  Ces choses sont  donc maintenant pour nous des secrets qui ne pourront s’ouvrir que plus tard.

CHAPITRE 14

                                              La gravité des peines

Les pères enseignent constamment que les peines du purgatoire sont d’une grande atrocité, et qu’aucune peine terrestre ne peut leur être comparée.  Saint Augustin (psaume 37) : « Même si nous serons sauvés par le feu, ce feu sera plus insupportable que tout ce que nous pouvons supporter sur la terre. »  Saint Grégoire (psaume pénitentiel 3) : « Ce feu transitoire sera plus intolérable que toutes les tribulations présentes. »  Bède dit (dans le même  psaume) : « Les supplices des martyrs ou des larrons ne sont rien en comparaison des peines du purgatoire. »  Saint Anselme (1 Corinthiens 3) et saint Bernard (sermon sur la mort d’Humbert) enseignent la même chose.

C’est ce que prouvent aussi toutes les révélations que l’on trouve dans l’histoire de Bède (livres 3 et 5) et dans les livres de sainte Brigitte, de Denys le Chartreux, et dans la vie de Christine.  C’est ce que prouve aussi la raison, au moins pour la peine du sens.  Car, tant pour la douleur que pour la joie, trois choses concourent : la puissance, l’objet, et l’union de l’une avec l’autre.  Quand à la puissance, sans comparaison aucune, la douleur d’une puissance rationnelle est plus grande que celle d’une puissance animale.  Car, quant à l’appréhension, l’intelligence est comme une source, et le sens, comme un ruisseau.  Quant à l’appétit, la volonté est comme une source, et l’appétit inférieur comme un ruisseau.  Quand donc l’âme toute nue est tourmentée immédiatement, la douleur ressentie par le patient doit être la plus grande de toutes.   Car, sur la terre, ce n’est pas tant l’âme que le corps qui est tourmenté, et c’est par le corps qu’une certaine douleur se rend jusqu’à l’âme.  Quant à l’objet, s’il y a là-bas un vrai feu,  il sera extrêmement chaud, puisqu’il n’a été créé que pour une seule chose, servir d’instrument à la justice divine.  S’il n’existe pas de vrai feu, ce sera quelque chose de beaucoup  plus horrible que tout ce que Dieu peut préparer,  puisque que c’est par lui qu’il veut montrer sa puissance.  Quant à l’union de l’une avec l’autre, elle serait très grande. Car, là où sont les choses corporelles, l’union ne se fait que par les extrémités et les surfaces.  Mais, dans le purgatoire la peine pénètrera au cœur de l’âme.

Bien que tous admettent que les peines du purgatoire seront beaucoup plus grandes que celles de la terre, il y a des doutes sur la façon de le comprendre.   Saint Thomas (4 dist 20, question 1, article 2) enseigne deux choses.   La première.  La peine du dam est la plus grande de toutes les peines qui existent tant dans le purgatoire que dans cette vie.  La deuxième.   Il affirme que la plus petite peine du purgatoire est plus grande que la plus grande peine de cette vie.  Il prouve la première ainsi.   Comme la possession d’un bien désiré engendre de la joie, de la même façon, l’absence d’un bien désiré engendre la souffrance.  Or, le bien que les âmes du purgatoire désirent est le plus grand qui existe, car elles comprennent plus clairement quel grand bien c’est de voir Dieu.  Et l’appétit naturel,  qu’excite et amplifie la charité infuse, devient extrêmement ardent, et n’est empêché en rien par la masse corporelle et les délectations sensibles.  Donnons des exemples tirés de cette vie.  Quelqu’un qui souffre atrocement  de la faim ou de la soif,  voit devant une table remplie de mets délicieux et du vin le plus doux, sans pouvoir les atteindre, tout en sachant que cette table a été préparée pour lui.

Il prouve ainsi le deuxième.   Tous ceux qui séjournent dans le purgatoire sont torturés au moins par cette peine du dam, qui est la plus grande de toutes.  Donc la plus petite peine du purgatoire est plus grande que la plus grande de cette terre.

Saint  Bonaventure, à l’inverse,  (4 dst 20, art 1,  question 2) enseigne que la peine du dam dans le purgatoire n’est pas plus grande que toutes les peines qui se trouvent au purgatoire ou sur cette terre.  Il enseigne ensuite que les peines du purgatoire sont plus grandes que celles de cette vie, en ce sens seulement que la plus grande peine du purgatoire est plus grande que la plus grande peine de cette vie.  Cette sentence me plait.   Car, bien que l’absence du bien suprême engendre, par lui-même, dans l’amant une tristesse suprême, cette tristesse est mitigée dans le purgatoire, et enlevée en grande partie par la certitude d’acquérir un jour ce bien.  Car cette espérance assurée apporte une joie incroyable, et plus la fin de cet exil approche,  plus grande aussi doit être  l’augmentation de cette joie.  Voilà pourquoi ce n’est qu’en enfer que la peine du dam est la peine suprême, parce qu’elle est nourrie par le désespoir, par la certitude qu’il n’y plus rien à espérer.

C’est de cela que parle saint Jean Chrysostome (homélie 24 sur Matthieu).  Il dit que mille géhennes ne sont rien  si on les compare à la perte de la vue de Dieu.  Et saint Augustin (enchiridium, chapitre 112) : « la plus petite peine des damnés,  du fait qu’elle est éternelle, est plus grande que toutes les peines de cette terre. »  Mais, tu diras : les damnés n’aiment pas Dieu.  Ils ne désirent donc pas le voir.   Je réponds qu’ils n’aiment pas Dieu pour Dieu, mais que, pour eux-mêmes, ils sont forcés d’aimer ardemment sa vue, car ils comprennent que c’est dans la vision de Dieu que se trouve le bien suprême.

On confirme cet argument.   Si la peine du dam était la peine la plus grave dans le purgatoire, il s’ensuivrait que les pères auraient souffert, dans les limbes, la plus grande des peines.  Ce qui est faux, comme on le voit dans Luc 16.  Abraham dit au mauvais riche au sujet de Lazare : « Tu es tourmenté, lui est consolé. »   Et saint Augustin (épitre 59) nie que l’on puisse appliquer aux saints pères ce texte des Actes 2 : « les douleurs de l’enfer ayant été éliminées », car le Christ ne les a pas trouvés dans les douleurs, mais dans le repos.  Et saint Grégoire (livre 13, chapitre 22 de la morale), affirme que les pères qui séjournaient dans les limbes ne connurent aucune souffrance, mais seulement le repos.

On confirme le deuxième.  Parce que, quand  saint Augustin, saint Grégoire, saint Bède, saint Anselme et saint Bernard disent que la peine du purgatoire est plus grande que toutes les peines de la terre, ils parlent clairement de la peine du feu, par laquelle ils entendent toutes les peines du sens, et non du dam.  On prouve ainsi l’autre parole de saint Bonaventure.  Il appert de certaines révélations que la peine de certains est si légère qu’ils ne semblent pas souffrir du tout.  Ceux qui sont revêtus de robes blanches sont aperçus dans des lieux amènes et lumineux. (Bède, livre 5, chapitre 13 de son histoire.)

On le prouve en second lieu ainsi.  Il peut arriver qu’un mort n’apporte avec lui aucune autre dette qu’une parole inutile.  Or, il est incroyable que, pour une seule parole oiseuse, quelqu’un doive subir des supplices plus grands que tous ceux qui sont sur la terre.  Troisièmement.  Une question se pose : les peines du purgatoire ont-elles toujours la même intensité du début jusqu’à la fin ?  Est-ce qu’elles diminuent au fur et à mesure ?  Il est plus probable qu’elles diminuent progressivement.  Et il suit de cela que toutes les peines du purgatoire ne sont pas toutes plus grandes que les plus grandes peines de la terre.  Car la peine du purgatoire qui est proche de la fin,  doit être remise de façon à ne plus jamais avoir à l’être.  Or les peines qui peuvent être remises souvent sont peut-être plus intenses.

Que la peine du purgatoire est remise petit à petit, on le prouve ainsi.  Saint Bernard, dit, dans la vie de saint Malachie, que, pendant que le saint priait pour sa sœur défunte, elle est apparue trois fois.  D’abord, dans un vêtement noir, et en dehors de l’église.  Dans un vêtement coloré et dans la lumière de l’église. Enfin, dans une robe blanche, à l’autel avec les autres saints.   Ce qui lui a fait comprendre que les peines de sa sœur lui avaient été remises, et qu’elle était parvenue à la fin de sa purgation.  On pourrait rapporter beaucoup d’exemples de ce genre.

CHAPITRE 15

                     Les suffrages de l’Église sont profitables aux défunts

Nous avons quatre explications à donner sur les suffrages des défunts.  La première. Ces suffrages des vivants profitent-ils aux défunts ?  La deuxième. Quels sont les genres de suffrages ?  La troisième.  Par qui peuvent-ils être faits ?  La quatrième.  À qui profitent-ils ?

La première.  Les hérétiques de notre temps, et les anciens que nous avons cités au début de cette dispute, nient que les suffrages des vivants  profitent aux défunts. Qu’ils profitent véritablement, on peut le prouver par l’Écriture, les conciles, les pères, et les apparitions des âmes.   La raison pour laquelle c’est ici qu’on traite  cette question c’est qu’elle présupposait l’existence du purgatoire, laquelle n’avait pas encore été démontrée.

Voici le raisonnement de Pierre le vénérable (dans son épitre contre les petrobrusiens).  L’Église entière est un seul corps, dont le Christ est la tête.  Elle doit donc avoir une communication autant de la tête avec les membres, que des membres entre eux.  Car, comme le dit saint Paul (1 Corinth 12),  les membres se soucient les uns des autres, et les autres membres compatissent à ce que souffre un membre.  Or, les justes défunts sont les membres de ce corps, car ils sont reliés avec nous et avec Dieu dans la foi, l’espérance et la charité.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 20, chapitre 9), écrit : « Les âmes des défunts ne sont pas non plus séparées de l’Église, qui est le royaume de Christ. »  Les vivants peuvent et doivent donc aimer les défunts, en tant que membres de ce corps.

De plus, le Christ qui est la tête, fut, quant il vécut sur la terre utile aux vivants de la terre, et aux morts quand il fut mort.  Il aida les morts quand il vécut sur la terre, et il aida les vivants quand il mourut. Il convient donc que les membres agissent aussi entre eux, pour que les justes vivants soient profitables aux morts, les morts aux morts, les vivants aux morts, et les morts aux vivants.  Que le Christ vivant a été utile aux vivants, on le voit quand, par exemple, il a remis les péchés de Marie de Madeleine (Luc 7), du paralytique,(Matthieu 9), de Zacchée (Luc 19), de Pierre (Luc 22), du bon larron (Luc 23), sans compter toutes les guérisons corporelles qu’il opéra.  Qu’il ait aidé les morts après sa mort, sa descente aux enfers nous le montre, car il délivra plusieurs des douleurs de l’enfer (Actes 2).  Il ouvrit aussi les sépulcres, et ressuscita plusieurs corps des saints, (Matth 27).  Qu’il ait aidé les morts quand il était encore vivant sur cette terre, les résurrections de la fille de Jaïre, du fils de la veuve et de Lazare nous le montrent (Matt 9, Luc 7, Jean 11.)   Qu’il ait secouru les vivants après sa mort, la chose est évidente, parce que, par sa mort, il nous a mérité la vie éternelle, et parce que, au ciel, il intercède toujours pour nous, et agit comme notre avocat (Hébreux 7, 1 Jean 2.)

On le prouve par un troisième et un dernier. Puisque parmi les quatre membres de la division, trois sont certainement manifestes, le quatrième doit donc aussi  avoir sa place.  Car, que les vivants soient aidés par les vivants, nul ne le nie, puisque nous voyons que certains sont nourris par d’autres,  de la parole et des sacrements.  Et Jacques dit (chapitre 5) : « Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés. »  Que les morts aident les morts, la chose est évidente, elle aussi, car Élisée mort a ressuscité un mort (4 Rois 14), et Abraham mort a reçu dans son sein Lazare mort. (Luc 16).  Et personne ne doit douter que les âmes des saints défunts régnant avec le Christ ne prient pour les âmes des saints qui peinent dans le purgatoire.

Et c’est avec une grande témérité que Dominique a Soto (livre 4, sentence dist 45, question 3, art 2) affirme le contraire.  Car, en plus de Pierre le vénérable, au lieu cité, saint Augustin (chapitre 4 de son livre sur le soin des morts), dit qu’une sépulture dans les basiliques des martyrs est profitable aux morts, pour qu’on se souvienne en même temps du martyr et des morts, et qu’on recommande à Dieu, par des prières, l’âme du défunt.  Et toute l’église, dans cette prière  «  Dieu qui pardonnes la faute », supplie Dieu pour que, par l’intercession de la bienheureuse vierge Marie et de tous les saints, il accorde aux âmes des défunts de parvenir à la joie de la béatitude.

Que les morts profitent aux vivants, nous le lisons dans 2 Macchabées 15.  On nous dit là qu’on a vu  Onias et Jérémie déjà morts prier pour le peuple des vivants de Jérusalem.  De plus, les bienfaits accordés aux vivants par les saints défunts sont nombreux et surs.  Voir saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu, et Theodoret (dans son livre sur la martyrs.)  Il n’est pas incroyable que les âmes du purgatoire prient elles aussi pour nous, puisque les âmes de Paschase et de Séverin opéraient des miracles, tout en étant dans  le purgatoire.  (Grégoire, livre 4, chapitre 40 des dialogues, et Pierre Damien dans l’épitre des miracles de son temps. »

Et même si saint Thomas enseigne le contraire (2 2 question 83, art 11, ad 3), la raison qu’il donne n’est pas tout à fait convaincante.  Car, si les âmes ne prient pas pour nous c’est soit parce qu’elles ne voient pas Dieu,  ou soit parce qu’elles sont dans de grands tourments, ou soit parce qu’elles nous sont inférieures.  Mais rien de tout cela ne peut être dit.  La première hypothèse.  Dans l’ancien testament, les saints défunts priaient pour les vivants, même si aucun d’eux n’avait vu Dieu. (2 Macchabées).  La deuxième hypothèse ne vaut pas non plus parce que le riche, dans l’enfer, priait pour ses frères, alors qu’il souffrait de plus grands tourments que les âmes du purgatoire.  De plus, les martyrs qui étaient  torturés dans ce monde priaient pour eux et pour les autres, comme l’a fait saint Étienne (actes 7).  Ensuite, dans les âmes, la douleur ne perturbe pas le jugement de la raison, ni n’empêche l’affection de la bonne volonté.  Car ces effets nous adviennent par l’action des organes corporels, qu’ils ne possèdent plus. Il n’y a donc pas de raison de douter qu’elles prient pour eux malgré tous les tourments qu’elles endurent.

Pas non plus la troisième, car, en ce monde, nous prions pour les évêques et les papes qui nous sont supérieurs, et nous prions même pour ceux que nous savons être plus saints que nous, comme les chrétiens priaient pour l’apôtre Paul, qui demandait ces prières (Romains 15, et ailleurs).   De plus, les âmes du purgatoire, même si elles nous sont inférieures en raison des peines qu’elles subissent, peuvent fort bien être supérieures en raison de la grâce et de la charité, dans laquelle elles sont déjà confirmées.   La prière qui procède de la charité requiert cette supériorité, si elle en requiert une.  Il est donc probable qu’elles prient pour nous.

Mais, même si tout cela est vrai, il semble cependant excessif de s’attendre à ce qu’elles prient constamment pour nos.  Car, elles ne peuvent pas toujours savoir ce que nous faisons dans le détail, même si elles savent, en général, que nous éprouvons de grandes difficultés.  Car, elles ne sont pas présentes à nos pensées et à nos actions, comme le prouve saint Augustin (chapitre 13 du livre sur le soin des morts); elles ne voient pas non plus nos prières en Dieu, puisqu’elles ne sont pas bienheureuses.   Et il n’est pas vraisemblable que leur soit révélé  tout ce que nous faisons ou demandons quotidiennement.   Si donc les vivants sont profitables aux vivants, les morts aux morts, les morts aux vivants, pourquoi les vivants ne le seraient-ils pas aux morts ?

Il ne reste plus qu’à solutionner les arguments qui s’ajoutent à ceux que nous avons solutionnés dans la première et la seconde question.  Argument premier : Eccles 9 : « Les vivants savent qu’ils vont mourir; les morts ne connaissent rien d’autre, ni n’ont aucun espoir de récompense, ni une part dans le travail de ce siècle qui s’opère sous le soleil. »  Je réponds que le sage parle des biens de cette vie, et il veut dire que les morts ne savent pas ce que l’on fera des biens qu’ils ont laissés,  et qu’il ne leur sera bientôt plus possible de faire aucune action, comme manger, boire, faire l’aumône.  Il s’ensuit donc : « Va donc, et mange dans la joie. »  On ne peut cependant pas conclure de là qu’ils peuvent être aidés par nous.

Deuxièmement.  Calvin nous objecte la préface de l’institution d’Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham) : « Nous enseignons qu’il ne faut pas nous soucier des morts plus longtemps qu’il ne convient, mais seulement songer à leur apporter ce qui suffit  pour l’accomplissement de nos devoirs envers eux. »  « Ils n’agissent pas ainsi, dit Calvin, ceux qui pensent continuellement aux morts. »  Je réponds que saint Ambroise parle des pleurs et de la pompe des funérailles, qu’il a raison de vouloir modérer.  Qu’il ne prohibe pas le souci de prier pour les morts le montre sa prière lors du décès de Valentinien junior. Car, à la fin, parlant  aux morts Gratien et Valentinien, il dit : «  Vous êtes bienheureux tous les deux !   Si mes prières ont quelque effet, aucun jour ne s’écoulera en silence, aucune nuit ne passera sans mes prières, je penserai à vous dans toutes mes oraisons et  toutes mes oblations. »

Troisièmement.  Ils nous opposent saint Jérôme (commentaire du chapitre 6 aux Galates : chacun portera son fardeau) : « On nous enseigne un nouveau dogme latent par cette petit sentence.  Tant que nous sommes dans le siècle présent, nous pouvons nous aider les uns les autres par des prières ou des conseils.  Mais, quand nous viendrons devant le tribunal du Christ, ni Job, ni Daniel, ni Noé ne pourront prier pour nous, mais chacun portera son fardeau. »  Cette sentence de Jérôme semble approuvée par l’Église, puisqu’elle figure dans le décret de Gratien (canon in praesenti, 13, question 2.)

Je réponds que saint Jérôme parle de ceux qui  ont commis des péchés mortels et qui sont morts sans faire pénitence, comme Gratien l’a mis en note.  On peut dire aussi que saint Jérôme parle du dernier jugement, quand le purgatoire cessant, cesseront aussi les suffrages, et que seule restera l’exécution de la sentence définitive du Juge.  Que c’est de cette façon qu’on doive entendre ce passage de saint Jérôme, son livre contre Vigilance nous le fait comprendre.  Il reproche là sévèrement à Vigilance d’avoir dit que nous pouvons prier les uns pour les autres tant que nous vivons sur la terre, mais qu’après la mort on ne devait plus attendre de prière de l’un pour l’autre.

Quatrièmement.  Ils raisonnent ainsi.  Il vaut mieux satisfaire par soi-même plutôt que par un autre.  Car est moins béni celui qui satisfait par un autre  que par lui-même.  Nous ne devons donc pas prier pour les morts  de peur de diminuer leur gloire.

Je réponds que dans cette vie, il est préférable de satisfaire par soi-même plutôt que par un autre, car, quand nous satisfaisons, nous méritons une augmentation de grâce et de gloire.  Mais, dans le purgatoire, où les âmes ne peuvent plus mériter, il n’est pas plus avantageux de satisfaire par soi plutôt que par un autre.   Cinquièmement.  Nous ne savons pas, disent-ils, où sont nos défunts, et il arrive souvent que quand nous pensons qu’ils sont dans le purgatoire, ils soient dans l’enfer, ou dans le ciel.  Nous prions donc pour rien.

Saint Augustin répond dans le dernier chapitre de son livre sur le soin des morts.  Il est préférable que surabondent les suffrages pour les défunts qui n’en ont pas besoin, que ne fassent défaut ces mêmes suffrages  pour ceux qui en ont besoin.  Comme nous faisons du bien aux injustes, en ce monde, pour ne pas laisser de côté les justes. Ajoutons qu’une bonne œuvre n’est jamais faite en vain, car elle est méritoire pour celui qui la fait, même si elle ne sert à rien à celui pour laquelle elle est faite.

Sixièmement. La justice de Dieu rend le mal pour le mal, et le bien pour le bien.  Mais, personne ne souffre pour la faute d’un autre, car le père ne portera pas l’iniquité du fils (Ezéchiel 18).  Personne donc ne peut profiter des biens des autres.

Je réponds que personne n’est puni pour la faute de quelqu’un, à moins qu’il ne participe à cette faute, ou qu’il y consente, ou qu’il fasse quelque chose de semblable. C’est de ceux-là que parle l’Exode 20 : Dieu punit les pères sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération.  Ce qui signifie : quand les fils imitent leurs pères, comme l’explique saint Jérôme (18 Ezéchiel) et saint Augustin  (psaume 108), saint Jean Chrysostome (homélie 29 sur la Genèse), et saint Grégoire (livre 25, chapitre 22, morale).  Il n’est donc pas absurde que quelqu’un jouisse des biens d’un autre, si une chose se fait avec la volonté et le consentement de l’un et l’autre, comme dans ce passage.   Or, les âmes du purgatoire désirent être aidées, et nous désirons les aider.  De plus, punir quelqu’un à la place d’un autre est une injustice.  Mais accepter les biens de l’un offerts pour un autre est de la miséricorde et de la libéralité.

CHAPITRE 16

                             Quels sont les genres de suffrages ?

Il y a trois genres de suffrages. Le sacrifice de la messe, la prière, et les œuvres pénitentielles ou satisfaisantes comme l’aumône, le jeûne, les pèlerinages, et d’autres semblables.  Nous distinguons la prière des œuvres de satisfaction, même si elle est elle-même satisfaisante, parce que la prière aide les âmes des défunts  de deux façons.  La première.  En tant qu’elle est une œuvre pénale et laborieuse, et qu’elle peut être comptée parmi les œuvres de satisfaction.  La deuxième. En tant qu’elle est  une demande, ce qui est propre à  la prière.  C’est pourquoi les prières des bienheureux nous  sont profitables à nous et aux âmes du purgatoire, même si elles ne sont pas méritoires.

Les défunts sont aidés aussi par les indulgences, mais elles ne font pas un quatrième gendre de suffrages, car une indulgence n’est rien d’autre que l’application aux défunts des suffrages ou des œuvres expiatrices du Christ et des saints.  On dit, en effet,  que les indulgences sont concédées aux défunts par mode de suffrage, non par mode d’absolution.  Car le pontife ne peut pas absoudre les défunts des peines, comme il absout les vivants, car les défunts ne sont plus ses sujets.  Mais il peut quand même, en tant que dispensateur suprême du trésor de l’Église leur communiquer les bonnes œuvres expiatrices qui sont dans le trésor.  Mais il faudra reparler de cela plus tard.  Voir, entre temps, Cajetan (tome 1 des opuscules, traité 16, questions 5 et 6. »

Qu’il en soit bien ainsi, le prouvent les témoignages des pères. Saint Ambroise (sacrifices et prières pour les défunts, livre 2, épitre 8 à Faustin sur la mort de sa sœur) : « Il ne faut pas tant la pleurer que la poursuivre par des prières.  Il ne faut pas la mouiller avec nos larmes, mais, avec nos prières, et recommander son âme à Dieu »  Il parle de l’aumône (dans le livre 2 sur la mort de son frère Satyre, intitulé : de la foi dans la résurrection).  Car, il exhorte les parents à transmettre  aux esprits de leurs fils morts, par des aumônes faites aux pauvres,  la part de l’héritage qui leur revenait.  Saint Augustin (sermon 32 sur les paroles de l’apôtre : écrit « il n’est pas douteux que les morts soient aidés par les prières de la sainte église, par le sacrifice salutaire, et par les aumônes. »

Saint Jean Chrysostome (homélie 69 au peuple) : « Ce n’est pas témérairement que ces choses furent sanctionnées par les apôtres, à savoir, que dans les mystères redoutables on fasse une commémoration des morts,  car ils savaient qu’ils étaient très profitables aux morts. »  Il dit la même chose (dans l’homélie 41 sur 1 aux Corinthiens) : « Le mort est aidé non par des larmes, mais par des prières et des supplications, et des aumônes. »  Ajoutons à ces témoignages celui de l’ange dans Bède (livre 5, chapitre 14 de son histoire) : « Les prières des vivants, les aumônes, les jeûnes, et surtout le saint sacrifice de la messe, aident et libèrent un grand nombre d’âmes, avant le jour du jugement. »

On ne doute ici que d’une seule chose.  La restitution d’un bien appartenant à autrui est-elle profitable aux défunts ? Si oui, constitue-t-elle un quatrième genre de suffrages ?  Car on dit souvent que les âmes du purgatoire apparaissent pour demander que soient restituées pour eux certaines choses qu’ils n’ont pas pu restituer ou qu’ils ont négligé de  faire, comme dans sainte Brigitte (livre 6, chapitre 66 de ses révélations).  Elle affirme que l’âme est cruellement tourmentée tant que n’a pas restitué le bien mal acquis.

Dominique a  Soto soutient le contraire.  (4 dist, 45, question 2, article 3)  Il dit que cette restitution n’aide pas si  et quand elle se fait.  Car Dieu ne punit que les fautes proprement dites commises dans cette vie.  Ou le défunt a péché en ne restituant pas, ou il n’a pas péché.  S’il n’a pas péché parce qu’il ne pouvait peut-être pas restituer, ou qu’il la possédait de bonne foi, il n’a pas à être puni pour cela.  S’il a péché, il sera puni pour une faute de négligence dans le purgatoire.  Mais quand il aura purgé cette peine, il sera libéré, que la chose ait été restituée ou non.  Car, il est devenu tout à fait incapable de restituer; et son salut ne doit pas dépendre de la volonté d’un autre.  Autrement, une âme pourrait demeurer dans le purgatoire éternellement, si les héritiers refusaient toujours de restituer.   Car, si la restitution peut se faire et que l’héritier ne la fait pas, il pèchera certainement.  Mais cela ne nuira pas à l’âme du défunt.  S’il restitue, l’âme du défunt n’en aura aucun profit, car la restitution n’est pas  une satisfaction pour une faute.  Elle est une bonne œuvre pénale.  La peine consiste ainsi à donner son bien, non à restituer celui d’autrui.

Aux autres apparitions, je réponds.  Les âmes du purgatoire ne demandent peut-être pas la restitution en tant que restitution, mais en tant qu’aumône.  Car comme l’âme du défunt ne tire aucun profit de la restitution faite par quelqu’un qui est tenu de restituer, elle profitera cependant d’une restitution faite par quelqu’un qui n’est pas tenu de le faire.   Et c’est une sorte d’aumône, qui a une valeur de satisfaction.

CHAPITRE 17

                                  Qui peut aider les âmes ?

Celui qui peut aider les âmes c’est celui qui est juste.  Car, un homme injuste ne peut pas satisfaire pour lui-même, encore moins pour les autres.  Mais tu feras l’objection suivante : la messe d’un mauvais prêtre n’est-elle pas profitable aux défunts ?  Le Seigneur Juste a ordonné que l’on donne  de ses biens en aumône pour les défunts.  Si elles sont données ensuite par un ministre injuste, ces aumônes ne seront-elles pas profitables ?  Je réponds qu’elles sont profitables, mais que, dans ces cas, ce n’est pas le ministre indigne qui offre des suffrages, mais le Seigneur juste.

Tu diras de nouveau. Qu’arrive-t-il quand un prélat juste ordonne à ses fils spirituels de prier et de jeûner pour les défunts, si ses fils sont injustes ?  Paludanus répond (4 sent dist 45, question 1) que toutes ces choses sont profitables.  Sotus nie cela (au même endroit, article 2, question 2).   Car, quand le serviteur fait l’aumône avec l’argent de son maitre, cette bonne œuvre appartient proprement au maître,  non au serviteur, et, en conséquence, la malice du ministre ne vicie pas l’œuvre.  Or quand un sujet prie ou jeûne, il fait une œuvre qui lui appartient en propre, car c’est par son labeur qu’il fait du bien aux défunts, non par le labeur de son maître.  Voilà pourquoi saint Jérôme (dans le livre contre Vigilance) dit qu’il est préférable de faire l’aumône à un pauvre juste qu’à un pauvre injuste, car quand le premier pauvre priera pour son bienfaiteur il sera exaucé, tandis que l’autre ne le sera pas.

CHAPITRE 18

                                     À qui profitent les suffrages ?

Il est certain que les suffrages de l’Église ne profitent ni aux bienheureux ni aux damnés, mais seulement à ceux qui séjournent dans le purgatoire.   Car, les premiers n’en ont pas besoin, et les autres ne peuvent pas être aidés.  C’est ce qu’enseignent tous les scolastiques (4 dist 45), à la suite de saint Augustin qui (dans enchiridion, chapitre 110, et dans le soin des morts chapitre 1) dit que les suffrages pour les très bons sont des actions de grâce, pour ceux qui ne sont pas très mauvais,  des propitiations,  et pour les très méchants, inutiles et sans profit, mais des consolations pour les vivants.

Mais apparaissent immédiatement trois difficultés.  La première.  Au sujet des bienheureux. Il semble faux que les bienheureux ne profitent pas des suffrages, car Épiphane (hérésie 75),  Cyprien (catéchèse 5 mystagogique) et saint Jean Chrysostome (dans sa liturgie) disent qu’un sacrifice est offert à Dieu pour les apôtres, les martyrs et les prophètes.  La deuxième.  Dans les oraisons pour les saints, l’Église lit souvent : « Nous présentons, Seigneur, ces saints mystères afin que, comme ils profitent à la gloire des saints, ils nous profitent à nous aussi comme médecine. »  Et dans les anciens missels, comme l’atteste Innocent 111, au chapitre cum Marthae), on  lisait  : « En dehors de la célébration des messes, en la fête de saint Léon, on disait : « Accorde, Seigneur, nous te le demandons, que cette oblation profite à saint Léon. »  Et bien que cette prière ait été changée, nous disons quand même, le jour de sa fête, dans l’oraison de la secrète : « Que la solennité annuelle du saint confesseur et pontife Léon nous rende acceptables à toi, pour que par les devoirs de cette pieuse intercession, nous parvienne la bienheureuse rétribution, et qu’elle nous réconcilie avec les dons de ta grâce. »

De plus, saint Jean Chrysostome (dans l’homélie 33 sur Matthieu) dit, en exhortant à  faire des aumônes pour les fils défunts : « Tu penses qu’il a été pollué par des taches, donne-lui ses biens terrestres, pour que, par eux, il se purifie de ses taches.  Tu penses qu’il est mort dans la justice ?  Fournis-lui tes biens comme un ajout de récompense et de rétribution.

Il est facile de répondre au premier.  On offre le sacrifice pour les saints, non pour demander quelque chose pour eux, mais pour rendre grâce à Dieu pour la gloire qu’il leur a octroyée.  C’est ce que dit saint Augustin : pour les très bons, ce sont des actions de grâce.    Innocent répond aux autres de deux façons.   La première.  Quand l’Église demande de la gloire pour des saints qui possèdent déjà le royaume des cieux, elle ne demande pas pour eux un accroissement de gloire, mais pour que leur gloire croisse en nous, c’est-à-dire pour que leur gloire soit connue par tout le monde, pour qu’ils soient de plus en plus glorifiés.  Il dit, en second lieu, qu’il ne semble pas absurde de demander un accroissement de la gloire accidentelle.   Ajoutons, en troisième lieu, qu’on demande peut-être la gloire corporelle qu’ils auront au moment de la résurrection.  Car même si cette gloire ils la recevront surement,  car elle est due à leur mérites, il n’est pas absurde de la demander pour qu’elle soit due pour plusieurs motifs.

Quand saint Augustin dit (sermon 17 sur les paroles de l’apôtre) que prier pour les martyrs serait leur faire injure, il parle de ceux qui prient pour la rédemption des péchés des martyrs, ou pour leur gloire essentielle, comme s’ils ne la possédaient pas.

La deuxième difficulté vient des damnés. Car Augustin dit (enchiridion, chapitre 110) : « Le profit que procure les suffrages c’est l’obtention de la pleine rémission des péchés, ou d’une damnation plus tolérable. »  Et au chapitre 112 : « Ils pensent que les peines des damnés sont mitigées à certains intervalles, selon leurs désirs, pourvu que l’on admette que la colère de Dieu demeure sur eux, c’est-à-dire la damnation. » Saint Jean Chrysostome pense la même chose (homélie 3 sur l’épitre aux Philippiens).  Après avoir dit qu’il faut prier pour les défunts, il ajoute : « Nous disons cela en vérité pour ceux qui décédèrent dans la foi. Nous n’estimons pas que les catéchumènes soient dignes de ce genre d’aide.  Ils sont privés de toute aide, à l’exception d’une seule.  Laquelle ?  Il est permis de donner aux pauvres en leur nom, ce qui leur donne un peu de rafraichissement. »

De plus, saint Jean Damascène, dans l’oraison des défunts, ne se contente pas de raconter que Trajan et Falconille ont été libérés de l’enfer par les prières de Grégoire et de Thècle, dont nous avons parlé plus haut, mais il ajoute un récit tiré de l’histoire de Ruffin à Lausus. Quand Macaire demanda au cadavre d’un idolâtre, en frappant son crâne aride, si les prières des vivants lui venaient en aide, il a répondu par son crâne : « Quand tu offres des messes pour les morts, nous en ressentons un certain soulagement. »

De plus, Prudence dans son hymne sur la nouvelle lumière du sabbat pascal, dit : « Même pour les esprits nuisibles, il y a un adoucissement des peines en cette vigile. »   De même, Innocent 111 (chapitre cum Marthae), pose une division quadripartite.  Il dit, en effet, que, parmi les morts ceux qui sont très bons n’ont pas besoin de suffrages.   Les très mauvais ne peuvent pas être aidés.  Les médiocrement bons profitent des suffrages pour expier.  Les médiocrement mauvais en bénéficient pour la propitiation.  Or, ce dernier membre ne semble convenir qu’aux enfants dans les limbes.  Car, si les très bons sont dans le ciel, les mauvais dans la géhenne de feu, et les médiocrement bons dans le purgatoire, où peuvent bien être les médiocrement mauvais sinon dans les limbes des enfants ?  Les suffrages leur sont profitables, même s’ils ne sont pas dans le purgatoire.

Je réponds au premier. Par damnation plus tolérable, saint Augustin entend la mitigation des peines du purgatoire, comme il appert de la précédente division.  Je réponds au deuxième.  Saint Augustin n’a pas en vue ici l’oraison pour les défunts.  Il dit seulement que ce n’est pas une erreur de concéder que les damnés sont punis en deçà de ce qui est strictement du.  C’est ce qu’il enseigne plus clairement (livre 21, chapitre 24 de la cité de Dieu).  Au troisième.   Il semble que saint Jean Chrysostome ne veuille que nier qu’il faille prier publiquement ou offrir un sacrifice pour les catéchumènes, comme d’ailleurs l’a défini le concile Brararense 1, can 35.

Au quatrième.  Saint Thomas ( 4 dist 45, art 2, quest 2), après avoir réfuté les solutions ineptes de Prepositivus, de Porretanus, et des autres, dit : « Les âmes des damnés ne perçoivent pas, par les prières des saints, une véritable mitigation de leurs peines, mais seulement une joie illusoire et trompeuse, qui leur fait comprendre qu’ils ont des compagnons de bagne, ce qui est la joie des démons, avec laquelle ils trompent certains.  Il serait peut-être préférable de rejeter comme faux et apocryphe ce qu’on fait dire à ce crane, car dans le livre de Palade on ne trouve rien de tel, et il n’est pas vraisemblable que Macaire ait prié pour des infidèles.

Au cinquième, tout ce que je puis dire c’est que Prudence a usé d’une licence poétique.  À la quatrième, qui a coutume de troubler plusieurs, je suppose qu’Innocent 111 a eu un trou de mémoire, et qu’il a fait de la division tripartite de saint Augustin, une division quadripartite.Car, c’est chez Augustin qu’on trouve les expressions : médiocrement bons et médiocrement mauvais.  Innocent, lui aussi,  divise ce membre en deux : les médiocrement bons et les médiocrement mauvais.  On peut penser que les médiocrement bons sont ceux qui n’ont plus de faute, mais seulement la culpabilité de la peine, et que les médiocrement mauvais sont ceux qui n’ont que la faute vénielle.

La troisième difficulté porte sur les âmes du purgatoire.  Car, les théologiens s’entendent tous sur deux choses, et ils différent sur une autre.  Ils admettent tous que tous les suffrages profitent à tous, du moins en tant qu’ils apportent une nouvelle joie.  Car c’est une chose propre à toute bonne œuvre que tous les bons s’en réjouissent, selon le psaume 118 : « Je participe à tous ceux qui te craignent. »  Ils admettent tous   que les suffrages profitent à tous les défunts, et aussi à  toutes les âmes du purgatoire, non seulement en raison de la joie qu’elles apportent, mais aussi de la satisfaction, car il n’y a aucune raison qui permette d’exclure qui que ce soit.

Le dissentiment porte sur les suffrages particuliers.   Car Cajetan (tom1 des opuscules, traité 16, question 5) enseigne que toutes les âmes peuvent être aidées par les suffrages communs, mais ne le sont pas.  Mais les suffrages qui sont offerts pour des âmes en particulier ne sont profitables qu’à celles qui ont mérité d’être aidées par des prières.  Il dit que les âmes qui ont mérité cela d’une façon particulière ce sont les âmes qui ont eu une dévotion spéciale aux clefs de l’Église, et qui se sont souciées des âmes du purgatoire.  Et il le prouve en citant saint Augustin (chapitre 1 de son livre sur le soin des morts, et dans l’enchiridion, chapitre 109).

D’autres, cependant, que cite saint Thomas ( 4 dist 15, quest 2, art 4) disaient que les suffrages faits pour une personne  ne sont pas profitables à cette seule personne, mais à toutes les autres également, pas plus aux unes qu’aux autres, comme une lampe qui a été allumée pour un maître éclaire pareillement les esclaves qui sont dans la même chambre.

Mais la sentence commune se situe au milieu.  Les suffrages particuliers ne profitent qu’à ceux  ou celles pour lesquelles on les offre en tant que satisfaction.  Ce qu’on peut opposer à Cajetan c’est que le fondement de la communication des suffrages n’est pas un mérite particulier, mais l’état de grâce.   Quand si saint Augustin dit que seuls en profitent ceux qui ont mérité de pouvoir en profiter, ce ne sont pas les âmes du purgatoire qu’il exclut par le mot seuls, mais les damnés.  Et il est à noter que dans l’enchiridion, il ne dit pas que les suffrages aident ceux qui ont mérité d’en profiter, mais qui ont mérité qu’ils puissent leur être profitables.  Et quand Cajetan déclare que toutes les âmes peuvent être aidées, mais ne le sont pas de fait, il n’a pas pour lui saint Augustin, comme il le pense.   Que ces suffrages particuliers ne valent que pour ceux pour lesquels ils sont faits, c’est évident.  Car l’application de ce genre de biens dépend de l’intention de celui qui les applique.  Et on ne doit pas comparer ces suffrages à la lumière d’une lampe, mais plutôt à de l’argent, que quelqu’un paie pour un autre.  Il faut  aussi se rappeler ce que dit saint Augustin (chapitre 4 du soin des morts).  Il enseigne que l’Église prie pour tous les défunts en général pour que ceux qui n’ont ni parents ni amis qui prient pour eux, et qui sont donc privés d’aide, reçoivent au moins de l’aide de la mère commune, l’Église.

CHAPITRE 19

                                       Les funérailles

Nous avons parlé jusqu’ici des esprits des défunts. Il nous faut maintenant traiter de la sépulture& de leurs corps.  Les hérétiques de ce temps ne blâment pas la sépulture. Mais ils réprouvent plusieurs choses qui s’y rapportent.  La première. Que nous ensevelissions dans des lieux sacrés,  et que nous érigions pour cela des cimetières. Certains hérétiques de Bohème nous reprochent cela (Aenée Sylvius, l’origine des Bohémiens, chapitre 35), et ils présentent comme argument que lieu de la sépulture n’est d’aucune utilité, selon (Luc 12) « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et qui après ne peuvent plus rien faire d’autre. »  De même (au chapitre sacris,  les sépultures) on dit que n’apporte aucun inconvénient aux hommes pieux une sépulture vile, ou une sépulture nulle. De même saint Augustin (livre 1, chapitre 12 de la cité de Dieu, et le livre sur le soin des morts) dit que la sépulture et la pompe des funérailles ne sont qu’une consolation pour les vivants, non une aide pour les morts.

Ensuite, ils reprouvent l’usage des cierges car, au concile d’Elibertin, canon 34) il fut statué  de ne pas allumer de cierges pendant le jour dans les cimetières, car « on ne doit pas inquiéter les esprits des défunts. » Ils réprouvent ensuite les anniversaires et ce grand nombre de répétitions d’obsèques (au troisième, septième, et trentième jour), parce que c’est un signe d’un manque de foi que de répéter plusieurs fois les mêmes prières.   Et ensuite parce que saint Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham, et sur le verset 23 de la Genèse dit : « Abraham mit fin à son office de fossoyeur » il commente : « On nous enseigne de ne pas nous attarder trop longtemps au service des morts, mais de ne leur apporter que ce qui suffit. » Citant ce texte dans la préface de ses Institutions, Calvin dit que saint Ambroise blâme ceux qui n’en finissent jamais de prier pour les morts.

Ils nous reprochent de considérer l’ensevelissement comme une œuvre méritoire, et agréable à Dieu, bien qu’il n’ait jamais été ordonné par Dieu. Car, quand Dieu énumère les œuvres de miséricorde, il n’a pas un mot pour la sépulture.

En dépit de toutes les objections, nous maintenons que la sépulture est une chose bonne et utile, et que tous les rites de l’Église d’ensevelissement des morts sont antiques et saints. Que ce soit une chose bonne et méritoire, on le prouve par 2 Rois 2 : « Soyez bénis par le Seigneur vous qui avez  accompli cet acte miséricordieux pour votre maître Saül, en l’ensevelissant.  Et maintenant le Seigneur vous le rendra. » Tobie 12. Parmi toutes les bonnes œuvres de Tobie, l’ange loue particulièrement son ensevelissement des morts.  Matth 26 : « C’est une bonne œuvre qu’elle a faite pour moi, car c’est pour mon ensevelissement qu’elle a mis son onguent sur moi. »

Que ce soit une chose antique et utile, il est facile de le démontrer, car tout ce que nous avons conservé dans l’église d’aujourd’hui, a toujours été en usage dans l’église universelle. D’abord, on lave les corps des morts, comme cela se faisait autrefois (actes 9, au sujet de Tabitha, et saint Grégoire (livre 3, chapitre 17, livre 4, chapitre 16 et 27 de ses dialogues).  Deuxièmement. Les cadavres sont menés au sépulcre avec honneur et par une multitude de participants. C’est ce que nous lisons qu’a été fait autrefois (Genèse 50 et Luc 7) et dans Grégoire de Naziance (sermon 2 sur Julien), dans la vie de saint Martin de Sulpice Sévère, dans les vies de Fabiola et de Paula écrites par saint Jérôme.

Les corps des défunts sont ensevelis dans les temples et dans les lieux sacrés. C’est ainsi que Jacob et Joseph morts dans la terre d’Égypte ont voulu être ensevelis dans la terre promise, là où devait naître le Christ, et où devait être érigé le temple du Seigneur (Genèse 49, 50). Ensuite, au temps des chrétiens, les corps des fidèles ont été ensevelis dans des temples, comme l’attestent saint Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham), saint Jérôme (vie de Paule et Fabiola), saint Grégoire (livre 3, chapitre 13 des dialogues), saint Augustin (chapitre 1 du livre sur soin des morts).  Quatrièmement. Les corps des fidèles devaient être ensevelis avec des chants d’hymnes et de psaumes, comme l’attestent saint Grégoire de Naziance (discours 2 sur Julien), saint Jean Chrysostome (homélie 1 sur l’épitre aux Hébreux), saint Jérôme (dans la vie de Paul l’ermite, et dans les vies de Paul et de Fabiola), Sulpice Sévère (dans la vie de saint Martin, et le plus antique de tous Denys l’aréopagite, (chapitre 7 de la hiérarchie ecclésiastique).

Cinquièmement, aux funérailles des fidèles, des lampes et des cierges allumés étaient utilisés, comme on le fait encore aujourd’hui. La lettre de saint Grégoire de Nysse à Olympie sur la mort de sa sœur, saint Grégoire de Naziance et saint Jean Chrysostome, aux lieux cités, saint Jérôme (dans la vie de Paula) et Theodoret (livre 5 de son histoire, chapitre 36 et autres).  Sixièmement, le sacrifice de l’autel leur était offert, comme le témoignent Tertullien (dans la couronne du soldat), saint Cyprien (livre 1, épitre 9, saint Augustin (livre 9, chapitre 12 des confessions), saint Ambroise (sermon sur la mort de Valentinien et d’autres.)

Ce n’est pas au moment de leur ensevelissement, mais à leur anniversaire qu’on prie et qu’on fait une offrande pour les défunts, comme il &appert dans Tertullien (livre sur la monogamie) et dans Grégoire de Nazianze (sermon sur son frère Césaire.)

Huitièmement, non seulement au jour anniversaire, mais même au troisième, septième et trentième jour, comme on le voit dans le discours d’Ambroise sur la mort de Theodose. µEt c’est ce qu’on fait encore aujourd’hui.  Neuvièmement, on érige des pierres tombales, comme dans la Genèse 35, les actes 2,1 et Macchabées (13).  Dixièmement. On donne des aumônes aux pauvres, (Chrysostome, homélie 32 sur Matthieu).

Et quelle est l’utilité de tout cela ?  Ce n’est pas tout à fait clair. Il faut d’abord rejeter deux erreurs que rejette saint Augustin dans son livre sur le soin des défunts (au chapitre 2). La première.  Les païens pensaient que la sépulture était nécessaire pour que les âmes reposent en paix, selon les fables de Virgile (Énéide, 6).La deuxième. Quelques-uns pensaient qu’il y avait encore quelque sensation dans les corps des morts.

Après avoir rejeté ces erreurs, nous disons que la sépulture est utile de plusieurs façons, tant pour les vivants que pour les morts.   Pour les vivants de quatre façons. La première  Par la sépulture, on dérobe à la vue la putréfaction et la décomposition des cadavres qui seraient horribles à supporter.La seconde. Par ce zèle envers les morts les vivants testent leur foi dans la résurrection, car on ne prendrait pas un si grand soin du corps des morts si on n’espérait pas qu’ils ressuscitent.  On n’allumerait pas non plus des cierges, si on ne voulait pas signifier par là que les âmes vivent après la mort de leurs corps.La troisième. C’est pour indiquer que la mort est proche que des monuments funèbres sont érigés.  La quatrième.   Par ce soin les vivants satisfont à l’affection qu’ils nourrissent envers leurs morts. Si on veut collectionner les vêtements et les annaux des amis, cela vaut encore plus pour les corps.Et c’est ce que saint Augustin dit quand il déclare que la pompe de la sépulture est la consolation des vivants.

Les morts, eux, reçoivent, de la sépulture, quatre avantages.Le premier.  Pour faire honneur  à ceux qui vivent encore dans la mémoire des vivants. Car ce ne serait pas sans une grande ignominie que la putréfaction de notre corps  se montre à la vue de tous.  Ce n’est donc pas une peine légère que reçoit quelqu’un quand il est privé de sépulture par le juge, et qu’il doit,  sur le gibet ou la roue, devenir la nourriture des oiseaux. Le deuxième.  Car, on satisfait ainsi au désir qu’ils eurent quand ils étaient encore vivants.  Car, il n’y a personne qui hait sa propre chair, comme le dit saint Paul (aux Éphésiens 5), et voilà pourquoi chacun, tant qu’il vit, désire que, après sa mort, son corps soit traité honorablement.  Il est crédible que les âmes séparées de leurs corps, même si elles ne savent peut-être pas ce qui arrive  à leurs corps, désirent qu’ils soient traités avec honneur, comme elles désirent d’ailleurs, y retourner, comme l’enseigne saint Augustin (livre 12 de la Genèse, à la lettre, chapitre 35).  Nous voyons même (à 3 rois 13) qu’au prophète désobéissant, a été donné comme peine, de ne pas être enseveli avec ses pères.   Le troisième. L’utilité vient de ce que le cadavre est conduit au sépulcre par un grand nombre de croyants.  Ce qui fait en sorte que beaucoup de personnes prient pour ce mort.

Le quatrième on le tire de ce que des chrétiens ont leur sépulture dans les temples des saints.  Il s’ensuit que, en  se souvenant d’eux, leurs amis se souviennent en même temps des saints dans le temple duquel ils sont ensevelis, et  les recommandent à leur patronage.  Parlent de cette utilité saint Augustin (chapitres 4 et 5 du livre sur le soin des morts), et saint Grégoire (livre 4, chapitre 50 des dialogues),

Voici maintenant  ce qu’on peut répondre aux arguments.  Le premier. Je dis avec saint Augustin (livre 1, chapitre 12 de la cité de Dieu), que le Seigneur parle de la douleur que peuvent ressentir les corps tant qu’ils  vivent.  Et c’est pour cela qu’il dit : « Après cela, ils n’ont plus rien d’autre à faire. »  Car le corps des morts, qu’il soit scié, flagellé, ou brulé, ne ressent aucune douleur.  Mais il ne suit pas de cela que ne soit pas une aumône l’accomplissement du désir d’être enseveli,  qu’un homme a eu tant qu’il demeurait en vie, et qu’il a peut-être encore.  Je dis ensuite que, dans cette décrétale sur l’utilité de la sépulture  pour  le salut éternel, le pontife a enseigné que, par elle-même, la sépulture n’aide ni ne nuit au salut éternel, quoiqu’elle le puisse par accident, à  la prière des amis.  Je dis en troisième lieu que saint Augustin enseigne seulement que, par elle-même, la sépulture n’est pas une aide  qui serve à conquérir la vie éternelle, mais une simple consolation des vivants.  Mais, que par accident, elle soit profitable aux morts, lui-même l’enseigne au même endroit.

Au sujet du concile Elibertinus, je réponds que ce concile a réprouvé et prohibé une cérémonie provenant de la superstition des Gentils qui pensaient que les corps des morts sentaient encore quelque chose.  Après avoir repoussé cette erreur, ce n’est pas une mauvaise chose d’utiliser cette même cérémonie à une autre fin, c’est-à-dire pour signifier que les âmes vivent encore, et que, en leur temps, les corps aussi ressusciteront; et que nos défunts sont fils de la  lumière,  non des ténèbres. Quand le concile dit qu’il ne faut pas inquiéter les âmes des défunts, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas inquiéter leurs esprits pour vrai, mais qu’une erreur de ce genre leur déplait.  Comme saint Ambroise (livre 2, épitre 8) qui dit qu’on ne doit pas, par des larmes,  attrister l’âme de la sœur défunte.

Au troisième je dis que répéter les mêmes prières n’est pas un signe de manque de foi, mais de détermination, de confiance  et de ferveur.  Car c’est ce qu’a fait saint Paul (2 Corinh 12) quand il demanda trois fois la même chose au Seigneur. Et le Seigneur lui-même (en Matthieu 12), durant son agonie, a répété trois fois la même prière.  Au sujet de saint Ambroise, nous avons déjà répondu  (chapitre 15) qu’il ne parle pas des prières, mais des gémissements et des lamentations.  Voici ce qu’il dit dans son sermon sur Valentinien : « Qu’ils soient bienheureux tous les deux !  Si mes prières ont quelque utilité, aucun jour ne passera sans parler de vous, aucune nuit ne se déroulera sans qu’elle soit remplie de mes prières.  Je vous serai toujours présent par mes oraisons et mes oblations. »

À Matthieu 25, je réponds d’abord avec saint Jean Chrysostome (homélie 84 sur saint Jean), quand il dit que le Seigneur n’a pas ajouté : « J’ai été mort et vous m’avez été enseveli », parce que les hommes n’avaient pas coutume de faire spontanément cet acte de miséricorde, mais parce qu’ils dépassaient la mesure en le faisant. »  Dans les bonnes choses, comme dans cet acte particulier, un  abus s’était glissé selon lequel les riches étaient ensevelis revêtus d’habits somptueux. Il était préférable et plus utile pour les morts, comme saint Jean Chrysostome le dit ailleurs, de donner au pauvres le prix de ces vêtements, pour soulager l’âme de celui qui était enseveli.  Pour corriger cet abus, et parce qu’il ne voyait pas nécessaire de recommander cette pratique, le Seigneur n’énuméra pas cet acte de miséricorde avec les autres.

On peut dire aussi que le Seigneur n’a pas parlé de cette sorte d’aumône, parce qu’elle est la plus petite de toutes et la plus obscure, comme saint Augustin l’enseigne (dans son livre sur le soin des morts, chapitre 3).  Le Seigneur, dit-il,  voulait montrer que c’est en toute justice qu’il récompenserait les bons et punirait les mauvais; et c’est sans doute pour cela qu’il n’a rappelé que les actes de miséricorde qui sont clairement, et selon le jugement de tous, véritablement des œuvres de miséricorde.  Que cela suffise pour cette dispute sur le purgatoire.

Fin de la Sixième Controverse Générale : l’Église qui est dans le PurgatoireExpliquée en deux livrespar Saint Robert Bellarmin, s.j., Docteur de l’Eglise catholique romaine.