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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.  télécharger


Livre 5 : Médiation et Mérite du Christ. (10 chap., p.145 pdf latin)
 

                                                          LIVRE 5
                                   LE CHRIST MÉDIATEUR ET SON MÉRITE

                                                       CHAPITRE 1
On explique brièvement selon quelle nature le Christ est médiateur

Il reste encore deux disputes sur le Christ.  La première, selon quelle nature le Christ est-il médiateur ?  La deuxième. A-t-il été un médiateur pour nous seulement, ou pour lui aussi, en méritant quelque chose par ses œuvres et ses travaux ?  Nous  consacrerons ce dernier livre à la réponse à ces questions.

Pour commencer par le commencement, nous expliquerons d’abord ce que signifie précisément  le mot médiateur. Nous appelons médiateur quelqu’un qui s’interpose entre des gens qui ne s’entendent pas ou qui ne sont pas amis, pour les ramener à la concorde, ou pour les réunir par une nouvelle entente.  Cela arrive de deux façons : par une médiation substantielle ou par l’opération.

On peut appeler le Christ médiateur selon la première manière, parce que c’est personnellement qu’il a uni la nature divine à la nature humaine en une nouvelle alliance.  Et bien que les Pères parlent souvent de cette médiation, ce n’est cependant pas d’elle que nous disputons maintenant. Pour cette médiation, en effet,  on n’a pas à chercher par quelle nature elle se fait, car elle ne se fait pas selon une des deux natures, mais selon la personne qui unit les deux natures. De plus, cette médiation-là ne se fait pas entre des natures en guerre les unes contre les autres, car l’humanité du Christ ne fut jamais contraire à la divinité.  La médiation dont nous parlons ici c’est celle par laquelle le Christ innocent a réconcilié Dieu et les pécheurs.  Laissant donc de côté cette médiation substantielle, la médiation dont nous avons à parler ici peut se faire de quatre façons.

La première.  En discernant et jugeant la cause d’un conflit, comme les arbitres qui jouent le rôle de médiateur.  Et cette première façon d’être médiateur est attribuée au Christ par saint Ambroise (chap 2. 1 à Timothée). Il dit que, ayant été fait arbitre par Dieu, le Christ a jugé s’il était possible de faire la paix, si Dieu pardonnerait, et si l’homme demeurerait par la suite dans la foi de Dieu.  La deuxième. En se référant aux pactes et aux conditions imposées à chacune des parties, on peut donner le nom de médiateurs aux négociateurs.  Et c’est dans ce sens que semble être employé le mot médiateur quand Moïse a dit (Deuténome 5) : « J’ai agi comme un intermédiaire entre le Seigneur et vous, en ce temps-là. »  Cette sorte de médiation convient aussi au Christ, lui qui annonça aux hommes la volonté de Dieu et les lois.  Et c’est pour cela que Malachie (3) lui donne le nom « d’ange du testament », et que saint Paul (Hebr 9 et 12) l’appelle « le médiateur du nouveau testament ». À cet endroit, saint Paul fait allusion à Moïse qui fut le médiateur de l’ancien testament.

La troisième. Une partie priant et suppliant pour l’autre. Cela convient aussi au Christ, que l’on dit (dans les Romains 8) « interpeller pour nous ».  Et saint Jean (1,2) l’appelle « notre avocat ».  La quatrième, une partie payant et satisfaisant pour l’autre.  Et ce mode de médiation convient tout particulièrement au Christ, et elle  est présentée dans l’Écriture comme une hostie pour le péché.  C’est pourquoi, après avoir dit (1 Tim1) : « le seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ », il en ajoute aussitôt la cause en disant : « qui s’est donné lui-même en rédemption pour beaucoup ». Et c’est pourquoi (Romains 8, et saint Jean 2), là où l’on dit que le Christ est un avocat et un interpellateur, on ne dit pas qu’il est le seul avocat, le seul interpellateur, car d’autres aussi interpellent pour nous.  Il ne fut pas non plus le seul médiateur en tant qu’arbitre et négociateur, car Moïse le fut aussi.   Mais il est le seul à avoir expié pour nous, et à nous avoir réconciliés avec Dieu dans son propre sang.

Les trois premières sortes de médiation sont donc communes au Christ et à d’autres, la quatrième seule ne convenant qu’au  Christ.   Mais la question que nous nous posons (selon quelle nature la fonction de médiateur convient-elle au Christ) ne fait pas de différence entre les différents sens du mot médiateur.  C’est une sentence commune des catholiques que le médiateur ou, (comme le disent les théologiens) le principe qui opérait les œuvres du médiateur n’était pas Dieu seul ou l’homme seul, mais le Verbe incarné, ou le Dieu humanisé.  Le principe par lequel ces œuvres étaient accomplies par le médiateur fut non la nature divine, mais l’humaine. Car même si c’est Dieu qui s’était incarné, qui priait, qui souffrait, qui obéissait,  il faisait toutes ces choses selon la forme du serviteur, non selon la forme de Dieu.  C’est l’enseignement du maitre des sentences, Pierre Lombard (3 d. 19, près de la fin), et de saint Bonaventure (art. 2 q. ultime) et des autres théologiens, ainsi que de saint Thomas (3. p. q. 26, art. 2).

Répugnent à cet enseignement de nos jours deux erreurs contraires, dont l’une va dans le sens du nestorianisme, et l’autre de l’eutychianisme.  Avec l’aide de Dieu, nous réfuterons brièvement l’une l’autre.

                                           CHAPITRE 2

                On réfute l’erreur de Stancarus sur le médiateur.

La première erreur est celle de François Stancarus, qui assigne au seul homme Christ l’office de médiateur, au point de ne requérir en aucune manière un suppôt  divin, pas même comme principe de cette œuvre.  En plusieurs passages, il semble se maintenir dans le droit chemin, car dans le livre de la trinité et du médiateur contre Tigurin (et dans un autre livre du même genre contre Calvin, dans l’examen des Pinczovianorum, dans un autre livre sur le rôle du médiateur, dans un opuscule sur le mot « tantum »), il répète souvent que la personne du Christ est formée de deux natures, la divine et l’humaine, et, (dans le livre contre Tigurin, vers la fin), il déclare suivre la doctrine du maître des sentences et des scolastiques;  et il fait du maître un tel éloge qu’il le place avant tous ses disciples : « Mieux vaut un Pierre Lombard que cent Luther, deux cents Mélanchton, trois cents Pierre Martyr, et cinq cents Calvin, qui si ont les broyait dans un mortier, ne fourniraient pas une once de vraie théologie ».  Et pourtant, on lit des paroles suspectes et mal sonnantes dans ses écrits.

Car, dans le livre de la trinité et de la médiation, dans sa première réfutation de l’épitre de Tigurin, il dit que la dignité des prières du Christ ne provenait pas du seul Fils, mais de toute la trinité qui l’ordonnait et qui l’acceptait ainsi.  Il semble là assez clairement ne pas attribuer la dignité infinie des œuvres du Christ à la dignité du suppôt divin, mais à l’acceptation de Dieu.  Ce qu’il n’aurait certainement pas fait s’il avait pensé que les œuvres du médiateur n’étaient pas les œuvres du suppôt humain, mais du suppôt divin.  Et dans le même livre sur la fonction du médiateur et du pontife, il dit ceci : « Le prêtre et le sacrifice c’est l’homme Christ, non le Dieu Christ, c’est-à-dire le Christ selon l’homme, non selon Dieu ».  On peut entendre ces mots dans un bon sens. Mais, tels quels, ils ne sonnent pas bien, surtout parce que, donnant quelques explications un peu après, il dit que, dans l’homme, il y a trois êtres, l’esprit, l’âme et le corps.  Sous l’angle de l’Esprit, le Christ est prêtre, sous l’angle de l’âme et du corps, il est victime.  Il ne fait jamais ici de mention de l’opération  du suppôt divin. Enfin, dans l’examen des Pincxoviani, il dit : « Le mot médiateur est employé en premier lieu pour signifier l’humanité du Christ exerçant la fonction de médiateur; en second lieu, pour signifier la personne elle-même du Christ, qui est Dieu et homme. »

À ces paroles s’applique ce que Frédéric Staphylus (dans son livre sur la concorde entre  les disciples de Luther) et Guillaume Laudanus (deuxième dialogue) disent.  Ils affirment que les scantariens enseignent que le Christ justifie seulement selon son humanité, parce qu’ils estiment que nous sommes formellement justifiés par la justice du Christ  ou son obéissance, qui nous est imputée; et que la justice et l’obéissance du Christ ne sont l’œuvre que de son humanité.  De plus Pierre Canisius (dans la préface du livre 1 de la corruption de la parole de Dieu) écrit avoir demandé aux Stancariens pourquoi ils pensaient que, dans le Christ, les deux natures sont unies, et avoir entendu la réponse suivante : elles sont unies pour que la nature humaine, soutenue par la vertu divine, puisse supporter tout ce qu’elle avait à supporter.

Cette proposition, qu’elle soit de Stancarus ou pas, (car je n’ose pas affirmer ce dont je ne suis pas certain), est clairement dans la ligne du nestorianisme.  Il reconnait en parole une seule personne dans le Christ, mais dans la réalité, il en place deux, et évacue ainsi le mystère de la rédemption.  Car si la nature humaine existait par elle-même, et si  son suppôt était distinct du suppôt divin (car agir vient des suppôts), il y aurait donc dans le Christ deux suppôts, ce qui est l’hérésie de Nestor.  De plus, cette proposition répugne à l’Écriture et aux pères.   Car l’œuvre principale du Médiateur a été la passion du Christ. Or, la passion, dans les Écritures, est attribuée à Dieu lui-même et au Seigneur.  Il est donc nécessaire qu’elle lui convienne, au moins en raison du suppôt.  Ne dit-on pas dans les Actes (20), que Dieu, par son sang, a acquis l’Église ?   Et dans les Corinthiens (1, 2), ne dit-on pas que c’est « le Seigneur de la gloire qui a été crucifié ? »  Et aux Philippiens 2, ne dit-on pas que celui qui, dans la forme de Dieu était égal au Père, s’est humilité, s’est fait obéissant jusqu’à la mort, mort de la croix ?

De plus, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius et les autres dans 2 chapitre 1 à Timothée, ainsi que, saint Hilaire (livre 9 de la trinité, non loin du début),   saint Augustin (livre 9 de la cité de Dieu, chap 17), et saint Fulgence (livre de la foi à Pierre, chap 2) disent que le Christ est appelé par saint Paul unique médiateur parce que, ayant les deux natures, il est le seul véritable intermédiaire entre Dieu et l’homme,  Les pères veulent montrer par là que le Christ n’a pu être un médiateur efficace, que si c’était une divine personne qui exerçait l’office de médiateur.  Ce ne pouvait pas être une personne divine, s’il n’avait pas la nature divine.  C’est pour cela qu’on dit  que l’unique et vrai médiateur devait être Dieu et homme.
 

En plus de ces extraits, il y a d’autres témoignages très clairs.  Basile, dans ce psaume 48, dit : « Ce n’est pas un frère qui nous a rachetés, ni un homme.  Si un homme ne peut pas nous racheter, celui qui nous a rachetés n’est pas un homme.  Parce qu’il nous arrive dans la similitude de la chair de péché, ne pense pas que notre Seigneur n’est qu’un homme. » Saint Grégoire de Naziance (sermon 2 sur Pâque, vers la fin) : « Nous avions besoin que Dieu assume la chair et subisse la mort, pour que nous vivions ».  Saint Cyrille (livre de la foi droite à la reine) : « Comme nous le confessons, la mort du Christ est salutaire.  Mais, s’il n’était pas Dieu, comment suffirait-il à lui seul à payer le prix du rachat ?  Mais celui qui est mort pour tous suffit à lui seul parce qu’il est au-dessus de tous ».

Saint Augustin (homélie sur les brebis, chapitre 12) : « L’homme n’est pas médiateur sans la divinité, et Dieu n’est pas médiateur sans l’homme. Voici quel est le médiateur.  La divinité sans l’humanité n’est pas médiatrice. Mais, située entre la divinité seule et l’humanité seule,  c’est  la divinité humaine et l’humanité divine du Christ qui sont notre médiatrice. »  Saint Augustin s’exprime improprement là, en utilisant l’abstrait en lieu du concret.  Mais il enseigne quand même clairement ce que nous attendons de lui, à savoir, que n’est pas un homme ordinaire celui qui exerce le rôle de médiateur.  Et, (dans l’enchiridion, chapitre 108) : « Car, l’homme Jésus-Christ ne nous aurait pas libérés à titre d’unique médiateur de Dieu et des hommes, s’il n’avait pas été Dieu aussi. »  Saint Léon (dans le premier sermon de la nativité du Seigneur) : « S’il n’était pas le vrai Dieu, il n’aurait pas apporté le remède; s’il n’était pas vrai homme, il n’aurait pas donné d’exemples. »

Il reste, enfin, que si une personne humaine a satisfait pour nous, elle n’a pas satisfait dans toute la rigueur de la justice, et, à cause de cela, l’incarnation n’était pas nécessaire.  Les arguments de Stancarus ne peuvent rien contre nous; seulement contre les calvinistes.  Sa raison principale est la suivante. Dans l’épitre d’Agathon qui a été lue au sixième concile œcuménique (acte 4) on nie, dans le Christ, une œuvre personnelle et on affirme une œuvre naturelle, c’est-à-dire qu’on attribue les œuvres du Christ aux natures et non à la personne. Mais, il n’est pas difficile de répondre à cela.  Car Agathon n’avait pas l’intention de nier  que les œuvres du Christ procédaient de la personne, et d’une seule et même personne.  Il voulait dire que, dans le Christ, il n’y avait pas une seule œuvre conforme à la personne opérante, mais deux œuvres procédant des deux natures, par lesquelles une seule personne opère.   Car les œuvres se multiplient pour multiplier le principe formel.  Comme, dans la trinité, il y en a trois qui opèrent, et pourtant unique est leur œuvre, car unique est le principe formel, ou la nature.

                                          CHAPITRE 3

On réfute avec l’Écriture les erreurs des calvinistes et des luthériens sur le Médiateur

Une autre erreur contraire à celle qui précède provient de ceux qui enseignent  que le Christ a rempli son rôle de Médiateur selon l’une et l’autre nature : la divine et l’humaine.  C’est ce qu’enseigne ouvertement Calvin (dans l’épitre à Polon).  La même chose, les ministres tiguriens, Henri Bullingerus, Pierre martyr, et d’autres dans la même épitre.  Enseigne aussi explicitement la même chose Josias Simlerus (dans le livre contre Stancarus), là ou il prend la défense des épitres des tiguriens  combattues par Stancarus).  Est du même avis Martin Kemnitius, car (dans son livre des deux natures), il rapporte au nombre des propositions absurdes que le Christ soit médiateur selon la nature humaine seulement.  Mélanchton dit la même chose (lieu cité). Il enseigne, en effet, que la divinité du Fils a obéi au Père.  Il répète la même énormité dans le livre de la concorde (pp 556, 645, et 736).

D’abord, ce en quoi ils avouent être en opposition avec Pierre Lombard et les scolastiques. Le maître des sentences et les scolastiques enseignent doctement que le Christ est médiateur selon la nature humaine, non selon la nature divine, bien que ce médiateur soit et doive être Dieu et homme.  On déduit leur pensée du fait qu’ils distinguent les œuvres du Médiateur,  et qu’ils veulent que quelques-unes soient de l’humanité par elles-mêmes, mais qu’elles soient de la divinité par leur efficacité, comme souffrir et mourir.  Ils veulent que certaines ne procèdent que de la divinité, comme éclairer les esprits et remettre les péchés etc.  Ils attribuent même à la divinité l’offrande d’un sacrifice, et à la nature humaine, la victime.   Stancarus atteste (dans le livre de la trinité et de la médiation) que Stanislas Starnicium (que Calvin appelle un fidèle serviteur du Christ dans son épitre à Polon) a, dans un colloque public, ordonné d’écrire : « Il est pontife et prêtre par la nature divine; il est sacrifice par l’humaine. »  Cette erreur introduit en partie l’arianisme, en partie l’eutychianisme.

Il faut donc prouver que le Christ n’a été médiateur que  selon la seule nature humaine, si l’on parle (comme je l’ai déjà dit) du principe formel et non du suppôt.  Nous trouvons, d’abord, dans l’Écriture ce passage de saint Paul (1 Tim 2) : « Un Dieu, un médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus ».  Pourquoi, je le demande, ajoute-ti « homme »,  si ce n’est pour exprimer la nature selon laquelle le Christ est médiateur ? C’est ce que saint Augustin a noté (livre 1 du péché originel, chap 28, et sermon sur les paroles de l’apôtre).

Mais les adversaires ripostent : on fait ici une distinction par rapport à la personne, car, par un seul Dieu, on entend le Père, de qui le Fils se distingue personnellement.  Autrement, prétendent-ils, on aboutirait à une quaternité si le Médiateur se démarquait de toute la trinité.  Voilà pourquoi Calvin (épitre 2 à Polon) rit de ces commentaires : un seul Dieu c’est-à-dire la Trinité.  Par cela même, Calvin et les calvinistes approuvent l’arianisme.  Car les Ariens désirent qu’à chaque fois que nous voyons un seul Dieu, ou simplement Dieu, nous comprenions qu’il s’agit du Père et non de la trinité.    De plus, saint Jean Chrysostome, Oecumenius, Theophylactus notent en marge que par « un seul Dieu », ce n’est pas le Fils qui est exclu mais les dieux des Gentils.  Ils ne virent donc pas dans le mot Dieu le Père seul mais toute la trinité.  De même, saint Augustin (dans l’annotation du psaume 29),  commente ces paroles en disant qu’un seul Dieu signifie la Trinité, et que le Christ est médiateur entre la trinité et les hommes pécheurs.  Voici ses propre paroles : « Que signifie donc être médiateur entre Dieu et les hommes ?  Non entre le Père et les hommes, mais entre Dieu et les hommes.  Quel Dieu ? Le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Quels hommes ?  Des pécheurs, des impies, des mortels.   Entre cette trinité et l’infirmité et l’iniquité de l’homme, l’homme est devenu un médiateur, non un unique, mais tout de même infirme. »   Ont suivi saint Augustin Bède le vénérable et saint Anselme (commentaire chap 2, épitre 1 à Timoth.)

Et la raison est manifeste.  Car ce n’est pas le Père seul qui a été offensé par nos péchés, et qui devait  être apaisé par un médiateur, mais également le Fils et le Saint-Esprit.  C’est donc toute la trinité qui devait être réconciliée par un médiateur.  C’est pourquoi, quand saint Paul dit : « un seul Dieu et un seul médiateur de Dieu et des hommes », il faut absolument que, par Dieu, il entende toute la trinité.  Quand donc Calvin rejette cette interprétation, ce sont les pères grecs et latins qu’il rejette et la raison elle-même.  Et il ne s’ensuit pas, à cause de cela, une quaternité car, à cause de ses deux natures, c’est le même Christ qui est compté parmi les personnes de la trinité, à qui était due la satisfaction, et qui est celui qui satisfait.  Car lui-même, en tant qu’homme, est, en tant que Dieu, médiateur envers lui-même.

                                        CHAPITRE 4

                      On réfute cette erreur à l’aide des Pères

Accédons maintenant aux témoignages des pères.  D’abord, saint Cyrille (dans son apologie chapitre 12, contre Orient) propose cette objection contre le chapitre 10 : « Si Dieu le Verbe est prêtre, à qui, c’est-à-dire à quel Dieu offre-t-il son ministère ? »  Il répond ensuite ainsi : « Quand il a été fait homme, il a été appelé pontife, non pour offrir un sacrifice à un Dieu plus grand que lui, mais à lui-même et au Père ».  Et plus bas : « Entendant qu’il a été dit prêtre à cause de l’humanité, cela te fera-t-il rougir ?  Comment n’admireras-tu pas que ce n’est pas à la manière des prêtres qu’il offrit à un autre un sacrifice, mais plutôt à lui-même et à son père, comme il l’a dit. »  Dans ce passage, saint Cyrille ne dit pas seulement qu’il est pontife à cause de son humanité, mais il nous force même à rejeter le contraire, c’est-à-dire non à cause de sa divinité, puisqu’il dit qu’il offre un sacrifice à lui et au Père.  Car le même ne peut pas, en tant que tel, offrir et accepter un sacrifice.   Or, puisque le sacrifice c’est en tant que Dieu qu’il l’accepte, il ne l’offre donc pas en tant que Dieu.  De même (livre 11, sur Jean, chap 7) : « En tant qu’il est Fils et Dieu, il nous fait don de ses biens avec son Père; en tant qu’il est médiateur et pontife, il présente nos prières au Père ».

Saint Jean Chrysostome (chapitre 9 aux Hébreux, expliquant ce passage : c’est pourquoi il est médiateur du nouveau testament), dit : « Qu’est-ce que c’est qu’un médiateur ?  Le médiateur n’est pas le seigneur de la chose dont il est le médiateur, mais autre chose. »  Et qui dit donc que le Christ en tant que Dieu n’est pas Seigneur ?  Saint Jean Chrysostome veut donc que le Christ ne soit médiateur que selon la forme du serviteur.    La glose de Josias Simleri est ridicule, car il dit que c’est la divinité du Christ nue qui est seigneuriale, mais que, en raison de l’anéantissement, elle n’est pas seigneuriale.  Car l’anéantissement ne se rapporte pas à la nature divine, mais au  Fils personnellement, lequel est dit s’anéantir, car il a assumé la forme de l’esclave sans perdre la forme de Dieu.   Dire que la divinité du Fils n’est pas celle du Seigneur c’est dire qu’elle n’est pas une vraie divinité, mais une nature créée, comme le veulent les ariens.

Saint Augustin ( 10 confessions, chap 43)) : « C’est en tant qu’homme qu’il est médiateur.  En tant que Verbe, il n’est pas un intermédiaire, parce qu’il est égal à Dieu, Dieu auprès de Dieu, et un seul Dieu avec le Saint-Esprit. »  La même chose dans sa lettre (59)  à saint Paulin : « Par médiateur on n’entend pas Dieu, car il a toujours été Verbe, mais l’homme Christ Jésus ». Et (au livre 1 de la trinité, chapitre 7) : « Dans la forme de Dieu, le Christ est égal au Père; dans la forme de serviteur, il est médiateur entre Dieu et les hommes ». Au livre 1 de la concorde des évangiles, chapitre 33 : « Selon l’homme, le Christ a été fait roi et prêtre pour que, devant interpeller pour nous, il soit médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus »   Au livre 10 de la cité de Dieu (chapitre 20) : « Ce vrai médiateur, donc, c’est en tant qu’il a reçu la forme de l’esclave qu’il a été fait médiateur entre Dieu et les hommes. Dans la forme de Dieu, il s’approprie le sacrifice avec le Père, avec lequel il est un seul Dieu. Cependant, dans la forme de serviteur, il a aimé mieux être un sacrifice. »  Livre 5 (contre Faust, chap 15) : « Le Christ est dissemblable à l’homme parce qu’il est Dieu, semblable à l’homme parce qu’il est l’homme médiateur entre Dieu et les hommes. »  Livre 2 du péché originel (chapitre 28) : « Il n’est pas médiateur en ce qu’il est égal au Père, car en cela, il est autant éloigné de nous que n’est le Père. Et où trouver une médiation là où la distance est la même ? Voilà pourquoi l’apôtre n’a pas dit le Christ Jésus, mais l’homme Christ Jésus.   C’est par son humanité qu’il est médiateur. Inférieur au Père par ce qui le rapproche le plus de nous; supérieur à nous par ce qui le rapproche le plus du Père.  On peut aussi l’énoncer ainsi : inférieur au Père parce que dans la forme du serviteur; supérieur à nous parce que sans la tache du péché.  De même, dans le psaume 29 : « Entre la trinité et l’infirmité et l’iniquité des hommes, il a été fait homme médiateur, non inique, mais quand même infirme ».

De plus (puisque nous avons des témoignages dans les dix tomes de saint Augustin), voici encore le traité 82 sur saint Jean : « Médiateur entre Dieu et les hommes non en tant que Dieu, mais en tant que Jésus-Christ est homme. »  Et dans le sermon 11 sur la parole apostolique : « Un seul Dieu, un seul médiateur entre Dieu et les hommes. Il n’a pas dit le Christ Jésus, pour que tu ne penses pas que c’est le Verbe qui est dit médiateur.  Il a dit : l’homme Jésus Christ. »  Fulgence (au livre de l’incarnation et de la grâce, chap 13) : « C’est dans la nature humaine qu’il a été fait médiateur entre Dieu et les hommes. »

                                          CHAPITRE 5

                     On réfute les mêmes erreurs par la raison

Que se présentent à la fin des raisons d’une grande efficacité.  La première vient de la définition et des conditions d’un médiateur.    Le médiateur doit être un intermédiaire, c’est-à-dire distant d’une certaine façon de l’une et l’autre des parties dissidentes.   Car s’il est semblable à l’une des deux parties, on ne peut ni penser ni imaginer  qu’il puisse être médiateur. Or, cette définition convient au Christ en tant qu’il est un homme juste, non en tant qu’il est Dieu, car en tant qu’homme, il est éloigné de Dieu, et en tant que juste, il est proche de  Dieu.  On peut dire aussi qu’en tant qu’homme il est proche des autres hommes, et qu’en tant que juste il est éloigné des autres hommes.  Car, tous naissent par nature fils de la colère; et le Christ, en tant que Dieu, n’est en aucune manière éloigné du Père.  Ce n’est donc pas en tant que Dieu, mais en tant qu’homme juste qu’il est médiateur entre Dieu et les hommes pécheurs. Et c’est ce que dit saint Augustin : « entre la trinité et l’infirmité et l’iniquité humaine, un homme est médiateur, non inique, mais cependant infirme » (psaume 29).

La deuxième raison. Si le Christ est médiateur selon l’une et l’autre nature, ce sera ou selon l’une et l’autre prises ensemble, ou selon l’une et l’autre prises séparément.  Non selon l’une et l’autre prises simultanément, car le Christ, selon l’une et l’autre nature prises ensemble, est éloigné des autres hommes et même du Père et du Saint-Esprit, mais n’est loin ni du Dieu Fils, ni de la personne, ni de la nature.  Mais il doit quand même être distant de lui-même, car il est  une partie offensée qu’il faut apaiser par un médiateur.   Sans valeur est la réponse de Josias qui dit que le Christ en tant que Dieu est le médiateur de lui-même.  Car c’est le Christ en tant qu’homme qui est médiateur de lui-même en tant que Dieu.  Que le même en tant que Dieu soit médiateur de lui-même en tant que Dieu implique une contradiction manifeste.  Car il s’ensuivrait que le Christ est en même temps distant de lui-même et non distant, sous le même point de vue, et de la même manière.  Le Christ ne peut donc pas être médiateur selon l’une et l’autre natures prises simultanément.  Qu’il ne soit pas non plus médiateur selon l’une et l’autre prises séparément, cela saute aux yeux, car ce ne peut être selon la nature divine séparément prise puisqu’elle est elle-même une partie offensée, et parce que par elle le Christ n’est pas distant de Dieu. Il reste donc que c’est selon la nature humaine qu’il est médiateur.

La troisième raison. Si le Christ était médiateur selon la nature divine, les trois personnes seraient médiatrices.  Car, comme la nature divine est commune aux trois, tout ce qui convient à une personne convient aussi aux trois. De là vient cette maxime des pères : les œuvres de la trinité son inséparables.  Que les trois personnes soient médiatrices c’est une chose tellement absurde qu’elle ne demande aucune réfutation..  Car si c’est toute la trinité qui est médiatrice, de qui, je le demande, sera-t-elle médiatrice ? Existe-t-il donc un Dieu au-dessus de la trinité auprès duquel la trinité pourrait remplir le rôle de médiateur ?    Josias répond qu’il est vrai que les œuvres de la trinité soient inséparables, mais que cela n’empêche pas de les attribuer à l’une personne plutôt qu’à une autre, comme lui étant propres.  Et il donne deux exemples.  Un dans les actes internes.  Seul le père engendre, seul le Fils est engendré, bien que les œuvres de la trinité soient inséparables. Un autre dans les choses externes.  Dans le baptême du Christ (Matt 3), seul le Père dit : « celui-ci est mon fils bien-aimé », et seul l’Esprit-Saint apparait sous la forme d’une colombe.   Et nous lisons la même chose (Matt 17) au sujet de la voix et de la nuée dans la transfiguration.  Et il confirme par des citations de saint Augustin (sermon 11 sur le notre père), et un sermon de saint Léon sur la transfiguration, les sermons 2 et 3 de la pentecôte. »

Mais ces objections sont trop simplistes. Car, engendrer et être engendré dans la divinité ne sont pas des actions essentielles qui sont communes aux trois personnes.  On dit que ce sont des actions notionnelles, qui n’apportent rien d’autre aux personnes que la relation.  Car engendrer c’est connaître le divin avec la relation de celui qui produit la connaissance. Le connaître est commun aux trois, seule la relation est propre à celui qui engendre.  Or, les actions du médiateur sont des œuvres à l’extérieur de la divinité.  Et c’est pour cette raison que si elles conviennent au Christ en tant que Dieu, elles conviennent aussi aux autres personnes qui sont le même Dieu que le Christ.

Le deuxième exemple ne vaut pas plus cher.  Car, dans le baptême, cette voix qu’on a entendue a été formée par toute la trinité, mais dans le but de ne signifier que le Père.   Semblablement, la colombe a été formée, elle aussi, par toute la trinité, mais dans le but de ne représenter que le Saint-Esprit.   Car l’action vraie et réelle par laquelle ces choses ont été faites, était commune aux trois.  Seule l’attribution est propre à l’une des trois. Et c’est ce qu’enseignent les pères allégués, encore plus clairement saint Augustin (livre 2 de la trinité, chapitre 10) : « C’est la personne du Père qui est montrée dans cette voix, là où la colombe est descendue sur le baptisé, non parce que la voix pouvait être produite sans l’action du Fils et du Saint-Esprit, la trinité opérant inséparablement, mais parce que cette voix a été faite pour représenter la voix du seul Père. »  Puisque nous ne discutons pas de ce que signifient les œuvres du médiateur mais par qui elles sont faites, Josias devra concéder que les actions du médiateur sont communes  à toute la trinité.  Il sera donc permis de dire que le Père interpelle pour nous, répand son sang pour nous, et autres choses du même genre, ce qui se rapporte à l’hérésie des patripassionnistes.

La quatrième raison. L’office propre du médiateur est de sacrifier, et de satisfaire en sacrifiant, comme le montrent clairement les chapitres 7,8, 9 aux Hébreux, et la confession des adversaires. Or, sacrifier ne peut pas convenir au Christ selon la divinité, mais seulement selon l’humanité.  Faire de la divinité du Christ un sacerdoce, c’est de l’arianisme tout pur.  Car, tout prêtre est inférieur à celui dont il est le prêtre, puisque son travail est un ministère.   C’est pourquoi saint Ambroise (dans le livre 3 de la foi, chapitre 5), dit : « C’est le même qui est prêtre, et c’est le même qui est hostie.  Et pourtant le sacerdoce et le sacrifice sont un ministère de la condition humaine. »  Et plus bas : « Que personne donc ne déclare un droit de la divinité là où il voit quelque chose qui se rapporte à la condition humaine ».

Saint Jérôme (dans le psaume 109), dit, en commentant « le Seigneur l’a juré, tu es prêtre pour l’éternité » : « Il ne l’a pas juré à celui qui a été engendré avant Lucifer, mais à celui qui, après Lucifer, est né de la vierge ».  Fulgence (de la foi à Pierre, chapitre 2) : « Il est à lui seul le prêtre, le sacrifice et le temple, et tout cela, selon la forme de l’esclave ».  Saint Augustin (livre 1, chap 3 des conseils évangéliques) : « C’est selon l’homme que le Christ a été fait roi et pontife ».  Enfin (dans son sermon sur l’arianisme, prop 33).  Ce texte nous montre  que le Fils est ministre et prêtre de son Père. Ce n’est donc pas en tant que Dieu que le Christ a sacrifié, à moins de penser comme les ariens.   On peut dire la même choses des autres actions ou fonctions du médiateur Christ, qu’il interpelle pour nous (Rom 8 ) qu’il est notre avocat (1 Jean 2), qu’il s’est donné lui-même comme prix de rachat (1 Tim 2).    Toutes ces choses trahissent une nature inférieure.  Le Christ ne peut donc pas être médiateur en tant que Dieu, à moins qu’il soit inférieur au Père et qu’il le serve comme un ministre.

La cinquième raison. Si l’opération propre du médiateur convient au  Christ en raison de l’une et l’autre nature, une confusion d’opérations s’ensuit, et également de natures, ce qui est l’hérésie des monothélites, et des Eutychiens, condamnée au concile 6,  acte 17. Car quand, dans le concile 6, on a rejeté une seule opération dans le Christ, on n’a pas rejeté l’opération unique par rapport à Dieu en tant qu’agent principal, et par rapport à l’homme en tant qu’instrument.  Car, il est certain que dans le  Christ, on trouve beaucoup d’œuvres de cette sorte, comme par exemple, tous les miracles, qui étaient produits par le Verbe de Dieu en se servant de la chair comme instrument. L’opération que l’on rejette c’est une seule opération par rapport à Dieu et à l’homme, comme causes propres et principales. On appelle cause propre et principale celle qui agit par  sa vertu, celle qu’elle possède de sa forme et de son essence propres.

Et, pour illustrer la chose par des exemples, quand le Christ guérissait les maladies, en imposant les mains aux malades, l’imposition des mains était une opération propre et principale de l’humanité, parce qu’elle possédait cela de sa forme propre.  Mais l’expulsion de la maladie était l’œuvre propre et principale de la divinité, parce que la main du Christ ne possédait pas cela en vertu de sa forme, mais seulement en tant qu’elle était appliquée par Dieu à telle œuvre.   Dire que l’imposition des mains a été une opération propre de la divinité, et que la guérison des  maladies a été une opération propre de l’humanité, et qu’en conséquence, il n’y a eu qu’une seule et même opération quand le Christ  imposa les mains et chassa les maladies, c’est confondre les opérations et les natures, et c’est l’hérésie qui a été condamnée dans le concile cité plus haut.

Sacrifier appartient au travail du médiateur, et est propre au Christ en tant qu’homme.   Car, cela lui convient de toute évidence  selon la forme humaine, puisque c’est une action qui  convient même aux hommes ordinaires.  Si cela, donc, convient au Christ en tant que Dieu, semblable sera l’opération de l’une et l’autre nature en tant que causes propres et principales.  À moins qu’ils ne veulent faire de la divinité un instrument de l’humanité, ce qui est le comble de l’absurde.  Pourquoi donc réintroduire cette proposition hérétique des eutychiens et des monothélistes, qui a déjà été condamnée avec un grand labeur, et qui est presque éteinte ?

 Josias réplique : dans le sacrifice, la déité et l’humanité ne font pas la même chose, même s’il n’y a qu’une seule action.  Car, la substance de l’œuvre est propre à l’humanité, mais sa dignité et son efficacité sont propres à la divinité. Réfutation.  S’il en était ainsi, on ne pourrait pas appeler la déité prêtre et pontife, comme l’a appelé Sarcinius. On ne pourrait pas  non plus lui donner le nom de sacrifiant, comme on ne dit pas que Dieu dort ou marche, du fait qu’il nous donne la capacité de dormir et de marcher.  De plus. L’efficacité et la dignité du sacrifice du Christ ne sont  pas une action physique, un influx ou une efficience réelle de la divinité dans cette œuvre. Car, alors, l’efficacité, et donc le sacrifice, ne serait pas plus du Fils que du Père ou du Saint-Esprit, puisqu’est commune aux trois toute opération qui leur convient par l’essence.

 Tu demanderas alors : d’où vient que le sacrifice du Christ ait une efficacité et une dignité infinies ? Il le tient de ce que le sacrifice est celui de la personne divine, même si c’est dans la nature humaine qu’il est accompli.  Comparaison.  La même action faite par un homme privée et un roi  a une valeur très différente,  en raison de la dignité des agents. Et pourtant, la majesté du  roi n’a infusé rien de physique ou de réel dans cette œuvre.  On ne peut donc, pour aucune considération, concéder que sacrifier est une action opérée par l’une et l’autre nature, à moins de vouloir retomber  dans l’hérésie des monothélites, déjà condamnée et réfutée.

                                           CHAPITRE 6

     Réfutation des arguments que les adversaires tirent de l’Écriture

 Mais on nous objectera ces paroles du Seigneur (en saint Jean 8) : « Je dépose mon âme ».  Cela, écrit Calvin (dans l’épitre à Polon), c’est le médiateur qui le dit. Il ne le dit cependant pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu.  Car personne n’a un pouvoir sur la vie et la mort à part Dieu.  Je réponds que déposer sa vie n’est pas le fait de Dieu mais d’un homme, même si le pouvoir de déposer son âme et de la reprendre est donné gratuitement par Dieu à cet homme.  Car déposer sa vie qu’est-ce autre chose que mourir ?  Reprendre son âme qu’est-ce autre chose que ressusciter?  Il est certain que mourir et ressusciter sont des actions qui se rapportent à l’homme, non à Dieu.  Et c’est ainsi qu’expliquent ces paroles les saints pères.

 Saint Augustin (traité 47) entend l’âme au sens de substance de l’âme. Et il se demande : à qui appartient-il de déposer son âme, au Verbe, à la chair, ou à l’âme elle-même ?  Et il répond.  Pas au Verbe, parce que le Verbe n’a pas d’âme à déposer; ni à  l’âme, parce que l’âme ne peut pas se séparer d’elle-même.  C’est donc la chair, qui tantôt abandonne, tantôt reprend.   Voici ses propres paroles : « C’est la chair qui dépose son âme, et la chair qui la reprend de nouveau, non toutefois par un pouvoir qui lui serait propre, mais par le pouvoir de celui qui habite la chair. »   Et, (au livre 3 contre Maximin, chap 14 : « Que dire de ce que tu as pensé devoir remarquer que c’était manifestement un homme qui prononçait ces paroles : j’ai le pouvoir de déposer mon âme ? »  Saint Jean Chrysostome répète plusieurs fois en commentant ce passage, que ces choses ont été dites du Christ selon son humanité.   Calvin devra donc décider quels sont ceux qu’il veut suivre, lui qui attribue à la divinité la déposition de l’âme et la reprise de l’âme.

 Mais ils reviennent à la charge avec un texte de saint Paul (2 Cor 5) : « Tout vient de Dieu, lui qui nous a réconciliés à lui par le Christ ».  Et plus bas : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant à lui le monde ».  Et, plus bas : « C’est donc pour le Christ que nous exerçons une légation, comme si c’était Dieu lui-même qui exhortait par nous.  Nous vous exhortons donc pour le Christ : réconciliez-vous à Dieu ! » Et dans Coloss 1 : « Pacifiant par le sang de sa croix aussi bien ceux qui sont sur la terre que ceux qui sont dans le ciel ».  Or, la réconciliation, l’exhortation, la pacification sont des œuvres de médiateur.  Le Christ fut donc médiateur en tant que Dieu.

 Je réponds que réconcilier, exhorter et pacifier ne sont pas toujours des actions propres à un médiateur. Car le rôle d’un médiateur consiste à réconcilier l’un à l’autre.  Donc, si quelqu’un se réconcilie, par lui-même, avec son ennemi, on ne lui donne pas le nom de médiateur.  De même, tout médiateur réconcilie, mais tout homme qui réconcilie n’est pas forcément un médiateur.  J’ajoute de plus qu’autre chose est réconcilier par un médiateur, et autre chose être un médiateur.  Car,  une des parties belligérantes peut fournir un médiateur, et la réconciliation par lui, sans qu’on puisse donner  à cette partie le nom de médiateur.  C’est donc Dieu qui nous a réconcilié à lui-même, mais par le médiateur qu’il nous a envoyé.

 Enfin, ils citent ce passage de l’épitre aux Hébreux (4) : « Ayant un pontife qui a pénétré les cieux ».  Et cet autre de la même épitre aux Hébreux (7) : « Sans père, sans mère, sans généalogie ».  Car, pénétrer les cieux ne peut pas convenir à un homme qui n’est qu’est humain; et il n’y a pas de prêtre sans père, sans mère, à part le Christ  qui est Dieu et homme.  Car, c’est en tant que Dieu que le Christ est sans mère;  en tant qu’homme qu’il est sans père.  Le Christ est donc prêtre, et par conséquent médiateur, selon l’une et l’autre nature.  Au surplus, saint Athanase (dans le livre de l’humanité du Verbe) et saint Cyrille (dans l’épitre à Nestoir,chapitre 10)  reconnaissent que c’est le Verbe lui-même qui est prêtre.

 Je réponds que toutes ces choses prouvent éloquemment que la personne de notre pontife est divine, ce que nous admettons nous aussi.   Car, Jésus est vraiment le pontife suprême qui a pénétré  les cieux, qui est sans père et sans mère, et qui a, en même temps, une mère et un père.   C’est Dieu qui a pénétré dans les cieux, mais non en tant que Dieu, comme ce n’est pas non plus en tant qu’homme qu’il est sans mère, ou qu’il a un père.  Ce n’est donc pas en tant que Dieu qu’il est pontife. La vertu par laquelle le Christ a pénétré dans les cieux venait de Dieu, mais l’action elle-même d’entrer dans le ciel, comme est elle un déplacement d’un lieu dans un autre, ne peut pas convenir au Christ selon sa forme divine, car il est immuable, mais seulement selon sa forme humaine.   Pour une raison analogue,  le Christ Dieu est sans père, mais en tant qu’homme; il est sans mère, mais en tant que Dieu.  C’est le même qui a un père, parce qu’il est Dieu de Dieu, et qui a une mère, parce qu’il est fils de l’homme.  Saint Athanase et saint Cyrille ont donc raison d’enseigner que le Verbe Dieu est prêtre, mais selon la forme de l’homme, comme le même Cyrille l’atteste dans son apologie.

                                                        CHAPITRE 7

                 Explication des témoignages des pères allégués par les adversaires.

 En second lieu, ils mettent de l’avant des citations des pères.  Ils nous opposent d’abord Denys l’aréopagite qui  ( dans le livre 4 à Cajum) dit que le Christ a « administré une opération virile de Dieu »  Et il dit la même chose dans le chapitre 2 des noms divins. Je réponds qu’on peut entendre cette phrase de Denis l’aréopagite de trois façons.  D’abord, si quelqu’un entend par opération virile de Dieu une opération propre à l’une et à l’autre nature, comme semblent le vouloir nos adversaires, il se trompe manifestement, car dans le sixième concile œcuménique (acte 8), pour confirmer son opinion, l’hérétique monothélite Macarius citait cette phrase dans ce sens-là.    On peut, cependant, appeler opération virile de Dieu une œuvre quelconque du Christ, dans laquelle concourent des actes de la déité et de l’humanité, mais qui sont distincts, et au nombre de deux.   Cette interprétation est vraie, et c’est celle qu’a voulue l’auteur. Et c’est ainsi que l’expose saint Sophronius dans ce sermon insigne qui a été lu au sixième concile oecuméque (acte 11).   Il distingue trois genres d’œuvres du Christ : des œuvres purement divines, (comme créer et conserver toutes les créatures), des œuvres purement humaines (comme manger et boire),  et d’autres qui sont en partie humaines et en partie divines, comme marcher sur les eaux.  Car marcher est le propre d’un être humain; solidifier l’eau est le propre de Dieu. Ces œuvres sont dites humano-divines, des œuvres humaines accomplies divinement, comme le sont les miracles, mais pas toutes les œuvres du Christ.  En conséquence,  ces œuvres humano-divines ne sont pas des œuvres de médiateur en tant que tel: sacrifier et prier, en effet,  ne sont que des actions humaines.

 On peut présenter une troisième façon d’entendre ces paroles de Denys l’aréopagite.  Saint Jean Damascène (livre 3, chap 13) enseigne qu’on peut appeler théandrique toute action du Christ en raison du suppôt de celui qui pose l’action. Car, c’est toujours le Dieu homme qui opère,  ni le Dieu seul, ni l’homme seul,   Denys l’aréopagite semble enseigner ce que dit saint Léon le grand (épitre 10) : l’une et l’autre nature opèrent ce qui leur est propre en communion avec une autre nature.  En disant « vouloir être en communion avec l’autre » c’est comme s’il disait que demeurait  l’union d’une nature avec l’autre,  grâce à la communion dans un même suppôt.  Et selon cette interprétation donnée à la parole de Denys l’aréopagite, cette citation est hors de propos.

 Ils nous opposent ensuite saint Irénée (livre 3, chapitre 20) : « Le médiateur entre Dieu et les hommes devait, par sa familiarité avec Dieu et les hommes, les ramener à  l’amitié et à la concorde;  et faire en sorte que Dieu assume l’homme, et que l’homme se livre à Dieu ».  Ils présentent également des paroles semblables provenant d’Épiphane, de saint Jean Chrysostome, de saint Ambroise, de Theodoret, et de Theophylacte. Tous ces auteurs enseignent, en effet,  que, pour rétablir l’amitié entre lui et les hommes,  le médiateur entre Dieu et les hommes doit avoir en lui l’une et l’autre nature.   Je réponds que les auteurs cités parlent de la médiation substantielle qui a été faite dans le Christ, du fait même de son incarnation.  Car, si le Christ n’était pas un Dieu homme, il n’aurait pas de suppôt divin opérant dans la nature humaine, et les œuvres du médiateur ne seraient pas d’un prix infini.  En ce qui a trait à la médiation opérationnelle, le Christ est donc formellement médiateur  par la seule humanité.   Cependant, pour qu’il soit médiateur, et pour qu’il puisse racheter tout l’univers en rigueur de justice,  il a du, en plus de la forme de l’humanité, avoir un suppôt divin.  Mais  il ne pouvait y avoir un suppôt divin dans la nature humaine que si, en lui, existait une médiation substantielle des deux natures.

 Ils nous opposent en troisième lieu saint Augustin (enchiridion chap 108) :   « Car, le médiateur de Dieu et des hommes ne pourrait pas nous libérer lui-même s’il n’était pas aussi Dieu ».  Même chose (livre 1 des conseils évangéliques, chapitre 35) : « Le Christ est appelé médiateur entre Dieu et les hommes, entre  un Dieu immortel et un homme mortel. Il est Dieu et homme réconciliant l’homme à Dieu, demeurant ce qu’il était, et étant fait ce qu’il n’était pas ».  De même, dans l’homélie sur les brebis (chapitre 12 ) : « Sans la divinité, l’homme n’est pas médiateur .»   De même : « L’humanité divine, ou la divinité humaine est médiatrice ». De même (cité de Dieu, livre 9, chapitre 15) : « On devait chercher un intermédiaire qui n’était pas seulement homme, mais Dieu aussi ».   Je réponds que saint Augustin parle de la personne qui devait donner de la dignité à l’œuvre,  ce qui découle des citations faites par nous, comme du livre 9 de la cité de Dieu, chap 15, allégué par nos adversaires.  Car, après avoir dit qu’un médiateur doit être Dieu et homme, il ajoute : « Il n’est cependant pas médiateur parce qu’il est Verbe.  Surtout parce qu’étant immortel et bienheureux, il est loin des misères des mortels. C’est parce qu’il est homme qu’il est médiateur ».

                                            CHAPITRE 8

                       Réponse aux arguments tirés de la raison

 Ils nous opposent enfin des raisonnements.   Renouveler les cœurs et donner le Saint-Esprit sont des œuvres de médiateur, car saint Augustin enseigne (dans enchiridion, 33) que par le médiateur, nous recevons l’Esprit-Saint. Et pourtant, il est certain que donner l’Esprit-Saint et renouveler les cœurs sont des œuvres qui n’appartiennent qu’à Dieu.   De même, enseigner est une œuvre de médiateur, et cependant saint Augustin, dans le livre du maître, soutient que Dieu seul est le vrai maître qui enseigne aux hommes la science.  C’est donc en tant que Dieu que le Christ est médiateur.
 

 Je réponds que donner l’Esprit-Saint est méritoirement une œuvre qui est propre au médiateur.  Or, la façon de donner l’Esprit n’est pas formellement une œuvre de Dieu, mais de l’homme. En effet, donner l’Esprit-Saint et renouveler efficacement les cœurs, et en tant qu’auteur du don, ce n’est pas le propre d’un médiateur mais de celui auprès de qui le médiateur intercède, c’est-à-dire  Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.  Puisque tout don du Saint-Esprit et toute illumination sont donnés par toute la trinité, il s’ensuit nécessairement que  toute la trinité serait médiatrice, si un don de cette sorte appartenait au donateur.

 Pour une raison analogue, enseigner sous la forme d’instrument relève de l’homme.  Donc, le Christ en tant que Dieu, est docteur et maître véritable et principal. De même, le Christ, en tant qu’homme médiateur de Dieu et des hommes, fut docteur comme étant un instrument de la divinité, mais un instrument conjoint et singulier, qui n’est pas séparé et commun à tous, comme furent instruments les prophètes et les apôtres.

 Le second raisonnement est de Calvin (dans son épitre à Polon). Voici ce qu’il dit.  Le Christ a été la tête des anges et des hommes, même avant la chute d’Adam, quand tout était encore comme à la création.  Il est, selon saint Paul (Coloss 1) le premier né de toute créature.  Le Christ fut donc aussi médiateur  avant la chute du premier homme.  C’est donc en tant que Dieu qu’il était la tête et le médiateur des hommes et des anges.   Ajoutons à cela que saint Jean Chrysostome, saint Augustin et saint Jérôme commentant (chap 3, épitre aux Galates)  le passage suivant : « La loi a été ordonnée par les anges dans la main du médiateur »,  veulent que ce soit par le Christ que la loi ait été donnée, et c’est ainsi qu’ils comprennent ces paroles de saint Paul.   Saint Jérôme va même plus loin, quand il enseigne que par ce médiateur ce n’est pas seulement la loi qui a été donnée, mais le monde qui a été créé.  Il est évident que le Christ n’était pas un homme quand la loi a été donnée aux Hébreux, et encore moins quand le monde a été créé.  Il s’ensuit donc nécessairement que c’est selon la forme de Dieu que le Christ a été médiateur.

 Je réponds que le Christ, en tant que Dieu, a été le chef des anges et des hommes avant leur chute, mais pas lui seul, car il l’a été avec le Père et le Saint-Esprit.  Mais il est faux  que le Christ ait été médiateur des anges et des hommes avant le péché.  Autrement, il faudrait faire aussi du Père et du Saint-Esprit des médiateurs. Car, d’abord, l’Écriture fait du Christ la tête de tous les anges et de tous les hommes (Ephésiens 1, Colossiens 1), mais elle ne le fait jamais médiateur des anges.   Car saint Paul (Timothée 2), en parlant du médiateur, affirme simplement que le Christ est médiateur entre Dieu et les hommes.    Saint Augustin (enchiridion, chap 108) ajoute que si l’homme n’avait pas péché, il n’aurait pas eu besoin de médiateur. Et, (chap 3, Galt) il enseigne que le Christ n’est pas médiateur entre Dieu et les anges, parce que les anges qui ont péché ne devaient jamais être réconciliés; et que les anges qui n’avaient pas péché n’avaient pas besoin de médiateur.

 En conséquence, ce que Calvin dit au sujet du Christ médiateur avant le péché est expressément contraire à ce qu’enseigne saint Augustin.  On le croirait un véritable arien.   Calvin ne dit même pas que la raison pour laquelle le Christ a été médiateur avant l’incarnation est que, en prévision de l’incarnation et de ses mérites, aurait été donnée aux anges et au premier homme une grâce que même certains catholiques semblent admettre, ce dont je ne parle pas maintenant.  Ce qu’il pense c’est que le Verbe éternel lui-même en tant que Dieu, a rempli un rôle de médiateur  entre le Père et les anges, et même entre les hommes créés dans l’état d’innocence. Ce qu’on ne peut dire sains être soupçonné d’arianisme. Car, puisqu’il doit sacrifier, supplier et intercéder, le médiateur en tant que tel doit nécessairement être inférieur au Dieu auquel il sacrifie, qu’il supplie, auprès de qui il intercède.  Si le Christ était déjà médiateur avant d’être homme, il était donc inférieur au Père avant de devenir homme.  Or, il n’était alors que Dieu. Le Fils était donc inférieur au  père.

 Il semble encore flirter avec cette hérésie quand il dit (livre 1 des institutions, chapitre 12, verset 4) : « Je déclare que dans le premier état  de la création, et avant la chute, il a été fait tête des anges et des hommes.  C’est pour cette raison que saint Paul l’appelle le premier né de toute créature. » Celui qui, avant l’incarnation, fait du Fils le seul chef des hommes et des anges, c’est le premier né de toute créature qu’il fait chef, car seul le Fils est premier né de toute créature.  Et si seul le Fils était chef des hommes et des anges, le Fils aurait donc une influence sur les hommes et les anges que ne possèderait pas le Père.  Les œuvres de la trinité ne seraient donc pas inséparables, et les trois personnes de la trinité n’auraient  pas la même essence et la même nature.

 De plus, que veut-il dire par « le Fils en tant que Dieu a été fait d’avance tête des hommes et des anges ? »  Par qui a-t-il était fait chef ?  N’est-ce pas par le Père ? Il est donc le ministre du père, et son vicaire ce fils, avant de devenir homme. Qu’est-ce que les ariens voulaient d’autre ?     Ne sert pas la cause de Calvin la citation de saint Paul (Colossiens 1), car quand il dit que le Christ est le premier né de toute créature, ou il parle du Christ selon la forme du serviteur, ou, comme l’explique saint Jean Chrysostome, il parle du Christ selon la forme de Dieu.  Mais il ne fait pas de lui le frère premier né de toute créature; il dit simplement qu’il a été engendré par le Père avant la production de toute créature.   Selon le proverbe 8 : « Le Seigneur m’a possédé au début de ses voies, dès le principe, avant qu’il ait fait quoi que ce soit. »  Mais nous avons beaucoup parlé de ces choses dans le premier livre.

 Et en ce qui a trait aux Pères qui enseignent  que c’est le Christ médiateur qui a donné la loi aux Juifs et qui a créé le monde, je réponds que les Pères parlent du médiateur matériellement, non formellement.  Ils ne disent pas que le Christ a été médiateur en créant le monde, ou en donnant la loi.  Ce qu’ils disent c’est que le Christ médiateur, c’est-à-dire  la personne qui serait plus tard médiatrice, est le vrai Dieu, l’auteur du monde, de la loi et de toutes choses.   Saint Jean Chrysostome dit expressément que le Christ peut abroger la loi parce qu’il est l’auteur de la loi.  Ce n’est donc pas en tant que médiateur, mais entant que premier auteur de la loi qu’il pouvait le faire,  Car, un médiateur n’est pas législateur,  et celui qui n’est pas auteur d’une loi ne peut pas abroger la loi.  Et, au même endroit, saint Augustin dit que le Christ est vraiment un médiateur, mais entre la trinité et les hommes pécheurs.  Il s’ensuit donc que le Christ n’a pas été un médiateur au sens propre, quand il n’y avait pas de pécheurs.
 
 
 
 

                                                    CHAPITRE 9

                  On montre que le Christ a mérité aussi quelque chose pour lui

 Il reste une dernière question : le Christ, par ses travaux  et ses labeurs, a-t-il mérité la grâce et la gloire seulement pour nous,  ou pour lui aussi ?  Les docteurs en théologie, à la suite de Pierre Lombard, (3 sent dist 18), sont tous d’accord entre eux. Ils enseignent, à l’unanimité, qu’en plus des biens qu’il nous a procurés par sa vie et sa mort, il a mérité pour lui la gloire corporelle et l’exaltation de son nom.

 Calvin s’oppose à cet enseignement (2 institut, chap 17, verset 6). Voici ses propres paroles : « Se demander s’il a mérité quelque chose  pour lui, comme le font Pierre Lombard et les scolastiques, est une curiosité qui n’est pas moins sotte qu’est téméraire la définition où ils affirment la même chose.  Car, le Fils unique  de Dieu avait-il besoin de descendre pour acquérir quelque chose de nouveau ? Et, en exposant son dessein, Dieu a mis fin à tout doute.  Car ce n’est pas pour l’utilité du Fils qu’on dit que le Père s’est complu dans ses mérites,  Mais s’il l’a livré à la mort, s’il ne l’a pas épargné, c’est  parce qu’il aimait le monde.  Il faut examiner de près les paroles prophétiques : « Un enfant nous est né ». « Exulte fille de Sion, voici que ton roi vient vers toi.»  Autrement, à quoi aurait servi la confirmation de cet amour que Paul recommande,  qui a fait en sorte que le Christ subisse la mort pour ses ennemis ?   Lui-même le confirme quand il dit : « C’est pour eux que je me sanctifie. »  En transférant le fruit de sa sainteté dans les autres, il témoigne ne rien acquérir pour lui-même.  Et, assurément, la chose la plus digne d’être observée c’est qu’il se soit totalement consacré à notre salut, au point de s’oublier lui-même » Voilà quel est son enseignement sur ce sujet.  Et, un peu plus bas : « Avec quels mérites l’homme a-t-il pu obtenir de devenir le juge du monde, le chef des anges, et de participer au gouvernement suprême de Dieu ? »

 Mais ces paroles n’empêchent pas la vérité d’être ce qu’elle est.  Nous disons donc que le Christ a mérité pour lui tout ce qu’il a reçu après sa passion.  Nous le prouverons d’abord par des textes très clairs de l’Écriture.   Saint Paul (aux Philippiens 2) : « Il s’est humilié en se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. À cause de quoi, Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom etc ».  Aux Hébreux 2 : « Nous voyons que, à cause de sa passion mortelle, le Christ a été couronné de gloire et d’honneur ».    Calvin répond que ces textes signifient que, après sa passion, le Christ a été glorifié, mais non que la passion ait été la cause de la gloire..  Comme ce que le Christ a dit en saint Luc : « Il fallait que le Christ souffrît pour entrer ainsi dans sa gloire ».

 Je réponds d’abord que même ce passage peut signifier la cause.  Car c’est comme si on avait dit : il devait vaincre et ainsi triompher.  On peut ajouter que ce ne sont pas des textes  qui se ressemblent vraiment.  Car, en Philipp 2 et dans Hébreux 2, nous avons la préposition « à cause de », mot qui signifie « cause », partout et toujours.  De plus, la conjonction « et » dans : « à cause de quoi Dieu l’a exalté et lui », indique clairement la cause.  Car, le sens est : le Christ a obéi à Dieu, et, en retour, Dieu l’a honoré.  Comme le dit le Seigneur en Matthieu(16) après la confession de saint Pierre : « Et moi je te dis, parce que tu es Pierre etc. » Saint Jérôme commente : « C’est une récompense qu’a reçue la confession véridique ».

 Ensuite, c’est ainsi que l’ont expliqué les Pères.  Saint Jean Chrysostome (homélie 7 sur l’épitre aux Philippiens) : « Le Christ a fait preuve d’une obéissance extrême. Et c’est pour cela qu’il reçut l’honneur suprême. » Par ces paroles, saint Jean Chrysostome exhortait à la pratique de l’obéissance et de l’humilité.  Cette exhortation aurait été vaine et oiseuse,  si la préposition adoptée ne signifiait pas la cause.   Saint Ambroise (chap 2 Philipp) : « Il montre ce que mérite l’humilité. »  Saint Augustin (traité 114, sur saint Jean), commente ce passage en disant : « L’humilité est le mérite de la gloire; la gloire est la récompense de l’humilité.  Mais tout cela est fait dans la forme du serviteur. »  Voir aussi saint Cyrille (livre 3 thes, chap 2), saint Basile (livre 4 contre Eunome), saint Augustin (livre 2 contre Maximin, chap 5, et livre 3, cahp 2), Theophylactus, Oecumenium, Primasium, Bède, saint Anselme, et les autres.  Tous, en effet, expliquent ce texte en disant que le Christ a mérité la gloire par son humilité, non seulement pour nous, mais pour lui aussi.   Et il est certain qu’il est beaucoup plus sûr de marcher sur les traces des anciens pères grecs et latins que sur celles des nouveaux docteurs qui ne semblent pas être capables de s’affirmer sans contredire tout le monde.  De plus, c’est une chose raisonnable, car il est préférable, toutes choses étant égales, d’obtenir quelque chose après l’avoir mérité, plutôt que sans l’avoir mérité.

Tu diras peut-être : pourquoi le Christ n’a-t-il pas obtenu par les mérites la grâce, la science et la gloire de l’âme ?   Saint Thomas répond (3 partie, quest 19, art 3) que le Christ devait tout avoir de la meilleure manière.  Or, il y a des biens si excellents qu’il est préférable de ne jamais en manquer que de les acquérir par le mérite, car cette absence passagère enlève plus à la perfection de quelqu’un, que ne lui donne de dignité l’obligation de l’acquérir par le mérite.  Et telles sont la grâce, la gloire et la science, et surtout l’union hypostatique, toutes choses que le Christ a possédées depuis le début.  Or, la gloire du corps et l’exaltation du nom sont des biens moins importants que la dignité elle-même de ce qui doit être mérité.  Il était donc préférable d’être privé d’eux pendant un certain temps, plutôt que d’être privé de la dignité de ce qui doit être mérité.

                                     CHAPITRE 10

                      On réfute les arguments de Calvin

Les arguments de Calvin ne sont pas non plus très redoutables.  Car quand il dit : quel besoin avait le Fils de Dieu de descendre pour acquérir quelque chose de nouveau, je réponds que le Fils de Dieu n’avait besoin de rien, et qu’il n’est pas descendu sur terre pour acquérir quelque chose.  Car, celui qui est descendu, ce n’était pas un homme, mais Dieu.  Et que signifie « descendre » si ce n’est devenir homme, et s’anéantir soi-même ?  Après être descendu, et avoir  assumé la forme de l’esclave, il s’est acquis quelque chose dans cette forme qu’il avait assumée, non dans celle avec laquelle il était descendu.   Qui donc peut s’étonner de ce que, avant la résurrection, il lui ait manqué quelque chose dans la forme de l’esclave ?

Tu objecteras que la gloire du corps provient directement de la gloire de l’âme. En tant qu’elle est lui accessoire, elle ne tombe donc pas sous le mérite.  Je réponds d’abord que la gloire du corps ne semble pas être absolument un accessoire, car elle provient de la gloire de l’âme selon la planification de Dieu et la congruence des mérites. Car Dieu a voulu que la gloire de l’âme rejaillisse sur le corps, parce que la gloire de l’âme s’acquiert par des actes de l’âme qui s’exercent par le corps. Et c’est pourquoi tombent sous le mérite autant la gloire de l’âme que celle du corps. Et qu’est-ce qui empêche donc que l’accessoire tombe sous le mérite ?   Voilà pourquoi nous reconnaissons que, bien que la gloire du corps ait été due au Christ, même s’il n’a pas peiné  pour cela, cependant, du fait qu’elle était due d’une façon, elle pouvait aussi être due d’une autre façon.  Dieu a donc voulu que la gloire du corps soit due au Christ même d’un droit de récompense et de salaire.

Son autre argument Calvin l’a tiré des textes où il est dit que le Christ a peiné pour nous jusqu’à la mort.  (« Il n’a pas épargné  son propre fils » Romains 8; « Un enfant nous est né ».Isaîe 9;  « Voici que ton roi vient vers toi » Zach 9;  « C’est pour eux que je me sanctifie ».)    Je réponds d’abord que, dans aucun de ces passages, il est dit que le Christ ait peiné pour nous seuls.  Tous ces textes ne prouvent qu’une seule chose, à savoir, que c’est pour nous que le Christ a souffert tout cela, ce que nous ne nions absolument pas. J’ajoute ensuite que dans ces textes il n’est fait aucune mention de la gloire elle-même du Christ, comme s’il n’avait peiné que pour nous, comme si nous avions été la cause sans laquelle il n’aurait pas souffert ainsi.  Car, si Adam était demeuré dans l’état d’innocence dans lequel il a été créé, sans aucun doute possible, le Christ n’aurait rien souffert pour nous.  Il n’aurait peut-être même pas assumé de chair, comme l’enseigne Calvin (livre 2, institut, chapitre 12, verset 4).

Le troisième argument de Calvin était celui-ci : perdrait toute sa valeur la confirmation de cet amour que recommande saint Paul (Romains 5), selon lequel il fallait que le Christ meure pour des ennemis.   Je réponds que le mérite propre ne peut en rien diminuer l’ardeur de la charité de Dieu envers les hommes.  Car, d’abord, l’Écriture nous montre partout que la charité de Dieu le Père ne peut être achetée par personne.  « Dieu a tant aimé le monde que…) saint Jean  3.  « Il n’a pas épargné son propre Fils » (Romains 8).  De plus, la très grande charité de l’âme du Christ apparait aussi si tu regardes sa personne divine, pour qui rien n’était utile.  Et c’est ce que saint Paul nous propose (Corinthiens 2, 8) : « Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, à cause de vous, s’est fait indigent alors qu’il était riche ».  Et Philipp 2 : « Comme il était dans la forme de Dieu, il s’est anéanti… »  Enfin, même la charité du Christ homme apparait très grande, lui qui, sans la passion et la mort, aurait pu, par d’autres actes, se mériter pour lui la gloire du corps et l’exaltation du nom.  Il a quand même voulu mourir, et pour des ennemis, afin que sa rédemption soit surabondante.   Que le Christ ne se soit pas complètement oublié, comme le prétend Calvin, ses propres paroles le démontrent clairement : « Glorifie-moi, père, de la gloire que j’ai eue auprès de toi… »   Il demande là à son Père la gloire de la résurrection, et l’exaltation du nom, comme l’expose saint Augustin.

Et voici son dernier argument : par quels mérites l’homme a-t-il pu obtenir d’être juge du monde, chef des anges,  participant du royaume suprême de Dieu; et que réside en lui cette majesté dont toutes les vertus des hommes et des anges ne peuvent pas atteindre la plus petite partie ? Mais la réponse est facile à donner.   Car, nous n’enseignons pas que le Christ ait obtenu par ses mérites d’être le chef des anges ou de participer au gouvernement suprême, ou que réside en lui la majesté divine.  Car, s’il avait mérité cela, il aurait fallu qu’il méritât l’union hypostatique, ce que saint Augustin nie carrément (dans le livre de la prédestination des saints, chapitre 15), et c’est ce que nous avons nié plus haut nous-mêmes.

Mais le Christ a facilement pu mériter d’être juge du monde, car si les mérites du Christ n’avaient pas été suffisants pour faire de lui le juge du monde, ils auraient suffi encore moins pour la réconciliation de toute l’humanité.  Car, il a été beaucoup plus profitable  et difficile d’expier les péchés de tout le monde que d’être établi juge du monde.  Et cependant, on dit, en saint Jean, (1Jean 2) que le sang du Christ a été propitiatoire pour nos péchés, et non seulement nos péchés, mais ceux de tout le monde.
 
 
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, juillet 2017.