CHAPITRE 1 : Des erreurs de ce temps sur l’incarnation.
CHAPITRE 2 : On explique l’hérésie d’Eutychès
CHAPITRE 3 : Réfutation de l’hérésie d’Eutychès
CHAPITRE 4 : On réfute les arguments qu’on faisait autrefois contre les choses que nous venons de démontrer.
CHAPITRE 5 : Explication de l’hérésie de Nestor
CHAPITRE 6 : Réfutation de l’hérésie de Nestor
CHAPITRE 7 : Réfutation des arguments des adversaires
CHAPITRE 8 : On explique en quoi consiste proprement l’union hypostatique des deux natures.
CHAPITRE 9 : On propose une question. Est-ce que, de l’union hypostatique découle la communication réelle de tous les attributs divins, et surtout de l’immensité et de l’ubiquité ?
CHAPITRE 10 : De l’union hypostatique n’a pas découlé, pour les natures, la communication des idiomes.
CHAPITRE 11 : Réfutation de l’ubiquité de l’humanité du Christ, comme contraire aux Écritures
CHAPITRE 12 : Réfutation de l’ubiquité du corps du Christ, en tant que contraire au symbole des apôtres.
CHAPITRE 13 : On réfute l’ubiquité, car elle répugne à la présence du corps du Seigneur dans l’eucharistie.
CHAPITRE 14 : On réfute l’ubiquité par le témoignage des pères
CHAPITRE 15 : On réfute les arguments des hérétiques
CHAPITRE 16 : On réfute d’autres objections tirées de la parole de Dieu
CHAPITRE 17 : On réfute l’argument tiré de l’incarnation
CHAPITRE 18 : Réfutation des arguments tirés des témoignages des pères
CHAPITRE 19 : On réfute les arguments tirés de l’enseignement des scolastiques.
CHAPITRE
20 : On réfute une dernière objection tirée de la raison naturelle
5 juillet 2017 à 21:40 début
LIVRE 3 : La
Vérité et la Gloire de la Chair du Christ
Dans les livres précédents nous avons traité de la divinité que le Christ a en commun avec le Père et le Saint-Esprit, et de la distinction des personnes. Venons-en maintenant, dans ce troisième livre, à son humanité, à sa chair et à son incarnation. Nous parlerons plus tard de son âme. La présente controverse comprend cinq parties. Dans la première, nous réfuterons les erreurs de ce temps sur l’incarnation. Dans la seconde, nous démontrerons qu’il y a deux natures dans le Christ. Dans la troisième nous démontrerons qu’il n’y a en lui qu’une seule personne. Dans la quatrième nous expliquerons en quoi consiste précisément l’union hypostatique. Dans la cinquième, nous nous demanderons si, par cette union, la chair du Christ a obtenu d’être partout.
CHAPITRE 1 : Des erreurs de ce temps sur l’incarnation.
Ceux qui errent sur ce sujet sont de deux sortes. Il y en a qui combattent directement et ouvertement ce mystère; d’autres indirectement et obscurément. Au premier genre appartiennent les anabaptistes et les swenckfeldiens. Les anabaptistes enseignent couramment que le Christ n’a pas eu une vraie chair qui a été reçue de la Vierge. Jean Cochlaeus atteste (dans son livre sur les erreurs des anabaptistes) que c’est l’un de leurs principaux articles. De plus Memnon, un des porte-étendards des anabaptistes, enseigne que le corps du Christ a été apporté de la substance du Père dans le sein de la Vierge. Michael Servet, anabaptiste lui aussi (dans le livre 2 de la trinité) enseigne que la chair du Christ est divine et céleste, et qu’elle a été engendrée de l’essence du Père. Gaspar Swenckfeldius (dans son livre sur la divine majesté de l’humanité du Christ) enseigne que, après l’ascension, la chair du Christ n’était plus celle d’une créature, qu’elle était au-dessus de la créature; et que, même en raison de son humanité, le Christ était le vrai Dieu. Enfin, Pierre Canisius (dans sa préface du livre 1 de la corruption du verbe de Dieu) atteste qu’en l’année 1571, les anabaptistes ont organisé un débat public portant sur cette question : le Christ a-t-il assumé sa chair de la Vierge ou d’ailleurs, et cela dans le district du Palatin, près de Hielderbergen.
Au deuxième genre appartiennent à peu près tous les luthériens. Ils enseignent deux choses qui font d’eux des eutychiens ou des nestoriens, ou un monstre formé de l’une et l’autre hérésie. Ils disent d’abord que la chair du Christ possède les attributs de la divinité, et surtout l’omniprésence. Ils disent ensuite que l’union hypostatique consiste dans cette communication des attributs divins à la chair et à l’humanité. Et il y a en a quelques-uns qui veulent que ces attributs soient unis essentiellement à l’humanité, qu’ils deviennent une seule chose avec la divinité, ce qui est l’hérésie d’Eutychés. Mais s’ils veulent qu’ils se distinguent accidentellement, les personnes de l’homme et de Dieu seront alors distinctes, et une sera dans l’autre par l’inhabitation et par accident, ce qui est clairement l’hérésie de Nestor. La réfutation viendra plus tard. Nous ne faisons maintenant qu’expliquer leur doctrine.
L’auteur de cette erreur semble être Jacques Faber Stapulensis. Car voici ce qu’il a écrit (chap 12, première épitre aux Corinthiens) : « Le corps du Christ, c’est-à-dire l’humanité assumée remplit le ciel et la terre. Car, elle est partout où est le Verbe de Dieu, parce que le Verbe s’étant fait chair, il n’est jamais sans la chair ». Et il a écrit (au chap 14 de saint Jean) : « Comme le Fils est dans le Père et dans tous les saints qui sont dans le ciel et sur la terre, l’est-il aussi corporellement ? Mais comment ? De quelle façon ? D’une façon divine et incompréhensible qu’il est impossible d’exprimer ».
C’est celui-là qu’a suivi d’abord Luther. Bien qu’il se vante partout de croire que dans le Christ il y ait deux natures et une seule personne, sa doctrine est quand même tout autre. Car dans son sermon sur la sainte cène du Seigneur (tome 2 de ses œuvres, folio 112) il enseigne : « Nous croyons que, selon son humanité, le Seigneur Jésus est placé au-dessus de toutes les créatures, et remplit tout ». Et un peu après : « Et qu’il tient tout dans sa main, et qu’il est présent partout. » Et dans son livre sur ceci est mon corps, il enseigne clairement que la droite de Dieu est partout. Il nous dit ensuite que le corps du Christ est dans la droite de Dieu. Et pour employer ses mots : « non dans le petit doigt, non dans un ongle de sa main droite, mais en totalité. » Et il conclut de cela qu’il est nécessaire que le corps d Christ soit partout. Il dit la même chose dans le livre intitulé confession de Martin Luther sur la cène du Seigneur. Il dit qu’il prouve que le corps du Christ est réellement présent dans la cène, parce qu’il est partout. Il dit qu’il prouve qu’il est partout parce qu’il est dans la droite de Dieu laquelle est partout. Et c’est en cet endroit qu’il indique trois façons pour un être d’être présent dans un lieu.
La première est localement, c’est-à- dire en étant circonscrit dans un lieu. De cette façon, la chair du Christ n’est pas partout. Dans la deuxième manière : spirituellement et par pénétration, ce qui semble convenir à un corps glorieux. Mais ce n’est pas non plus de cette façon que la chair du Christ est partout. La troisième est céleste et divine : par l’union hypostatique. Et c’est par ce mode d’être qu’on attribue l’ubiquité à la chair du Christ. Et il dit : « Il t’est nécessaire de placer très loin, à l’extérieur des créatures, la chair du Christ qui est une seule personne avec Dieu, aussi loin que Dieu est éloigné des créatures ». Par ses paroles, il semble vouloir à tout prix que la chair du Christ ne soit pas une créature, mais Dieu, puisqu’il la veut si éloignée des créatures, et pourtant partout. On déduit de ce texte que la chair du Christ n’est pas éloignée des créatures par une distance locale, puisqu’elle est partout, mais par la distance de sa dignité et de son excellence. Qu’elle est donc vraiment Dieu. Et, au même endroit, il reproche aux Zwingliens de n’attribuer la passion du Christ qu’à l’humanité, et non aussi à la divinité. Et il est certain que si la chair n’est pas une créature, et que si la déité a souffert, il semble bien qu’on ait fait une seule et même chose des deux natures. Et cela il le répète dans le livre des conciles. Il enseigne de nouveau que les Zwingliens se trompent quand ils affirment que la divinité du Christ n’a pas pu souffrir. C’est en cet endroit qu’il dit que Nestorius et Eutychès ne se sont trompés que dans leur façon de parler.
Jean Brentius a enrichi cette doctrine au point de faire penser qu’il avait été l’auteur de l’ubiquité Ce qui est faux, car il ne fait que suivre Luther. D’abord (dans son apologie de la confession de Wirtembergen, dans le traité de la cène du Christ), il enseigne que, en raison de l’union hypostatique, la chair du Christ est présente partout. Et (dans le livre des deux natures du Christ, de l’ascension et de la session à droite) il affirme la même chose et le prouve de plusieurs façons, que nous réfuterons plus tard. Au même endroit il affirme que, même avant sa passion, le corps du Christ a été dans le ciel de façon invisible, et qu’aujourd’hui il n’est pas dans un endroit particulier du ciel, mais partout. Enfin, dans un autre endroit (la majesté du Christ homme), il place l’union hypostatique dans le fait que le Fils de Dieu a répandu tous ses dons et toutes ses propriétés dans le fils de Marie. En cet endroit, il se révèle être à la fois un nestorien (puisqu’il distingue le fils de Dieu du fils de Marie) et un eutychien (puisqu’il attribue tous les attributs divins à la chair). Il dit : « En Pierre, l’humanité est en un seul lieu à la fois. La divinité qui le remplit et qui le soutient se diffuse partout. Et puisque, pour cette raison, Pierre et Dieu, ou le Fils de Dieu qui est en Pierre, sont deux hypostases distinctes, ou deux personnes différentes, comment, par la même raison, le fils de Marie et le Fils de Dieu qui est dans le fils de Marie ne formeraient-ils pas deux personnes ? » Dans ce passage, la seule différence qu’il met entre l’union de Dieu avec le Christ et l’union de Dieu avec Pierre, est que Dieu n’est pas uni partout avec Pierre. Et c’est pour cela qu’il se distingue personnellement de Dieu. Et comme le Christ est partout uni avec Dieu, il ne se distingue donc pas de lui personnellement.
Notons en ce passage, et dans ce qui suit, ces phrases nestoriennes : « le Fils de Dieu est dans le fils de Marie », « le Fils de Dieu a assumé le fils de l’homme ». C’est ainsi qu’il parle dans tout son livre : « Quand nous disons que le Fils de Dieu a assumé un homme ou s’est uni à un homme, ou le fils de l’homme personnellement, cela ne veut pas dire seulement que Dieu, par sa substance ou son essence, existe dans l’homme, et confère certains dons à l’homme (car c’est ainsi qu’on peut dire que Dieu s’est uni personnellement non seulement à la semence d’Abraham, ou fils de la vierge, mais aussi à tout homme, et à toute créature ), mais cela signifie proprement qu’il s’unit à l’homme de façon à lui conférer toute sa majesté, et à l’orner non seulement de l’un ou l’autre de ses dons, ou d’un grand nombre de dons, mais de tous ses dons divins et célestes en nombre infini, » Et plus bas il dit : « Comme, en s’incarnant, le Fils de Dieu a placé sa toute-puissance dans le fils de l’homme, pour qu’il la possède en commun avec le fils de l’homme, et comme l’omniprésence dépend de la toute-puissance, on ne peut nier qu’il lui ait donné aussi l’omniprésence .» Et encore, en expliquant ce que c’est que « et le verbe s’est fait chair » : « Cela signifie que le Fils de Dieu emplit le fils de Marie au point de lui communiquer toute sa puissance, sa sagesse, sa félicité, sa présence. Si ce n’était pas là le sens de cette phrase, il n’y aurait rien qui distingue le Christ des autres hommes ». Et cela, il le répète souvent. L’union hypostatique n’est donc pour lui rien d’autre que l’effusion des dons et des attributs divins dans la nature humaine du Christ.
Jacques Matthias Illyricus (dans le livre de l’ascension du Seigneur, et dans le discours de Pierre actes 3 : celui qu’il faut que le ciel reçoive) soutient que le Christ homme n’est ni dans le ciel ni dans un lieu, mais que c’est plutôt le ciel qui est dans le Christ, puisqu’il est partout. Et, au même endroit, il veut que le Christ, à l’ascension, soit monté jusqu’aux nuages, qu’il ne soit pas allé plus haut dans sa forme corporelle visible et circonscrite, mais qu’il se soit comme évanoui, de façon à ne jamais plus paraître dans cette forme visible, et à être partout dans une majesté invisible. Qu’est-ce d’autre que de détruire la vraie chair du Christ ?
Martin Kemnitius (dans son livres des natures du Christ), veut paraître extrêmement prudent, et explique tout minucieusement. Car, (dans le chapitre 30 où il se pose directement la question « la chair du Christ est-elle partout »), il n’ose pas dire formellement qu’elle est partout, mais il dit qu’elle est là où il le veut, et qu’elle peut être n’importe où où il veut. Mais, ou il se contredit, ou il parle comme les autres. Car, au tout début de son livre, il présente les endroits principaux de l’Écriture qui parlent de la majesté du Christ. Et parmi eux, il cite ce passage de saint Matt : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre »; et il explique que la toute puissance signifie l’omniprésence. Et ensuite au chapitre 4, il ajoute : « Cette union est aussi étroite, aussi individuée, aussi indissoluble et inséparable que la nature divine. Et on ne peut et on ne doit pas la penser, la rechercher ou la trouver en dehors de cette union avec la chair, mais seulement dans cette très étroite union. » Ce qu’il répète plusieurs fois par la suite. Or, si on ne peut penser ou comprendre la nature divine sans la chair, il s’ensuit donc nécessairement que l’une est de l’essence de l’autre. Elles seront donc d’une seule nature.
Au même endroit, il dit que, de par l’union hypostatique, toutes les richesses divines sont communiquées à la chair, ou à l’humanité. Et au chapitre 21, il dit qu’en plus des dons créés et infus, sont communiqués à la nature assumée tous les attributs qui sont propres à la divinité, et donc la toute-puissance et l’omniprésence. Ensuite, au chapitre 30, il dit que l’humanité du Christ n’est pas seulement à la cène, mais qu’elle est aussi réellement présente aux fidèles dans l’église. Et il ajoute que même en dehors de l’Église, tout est soumis à l’humanité du Christ; que l’humanité du Christ domine et régit toute chose non par des vicaires comme s’il était distant des choses (comme les rois qui gouvernent par d’autres), et que tout lui est présent. Cela ne signifie-t-il pas qu’il est partout ?
Jean Wigandus enseigne la même chose (dans son livre de la communication des idiomes), et Nicolas Seineccerus (dans son livre de la pédagogie de l’esprit, où il explique l’ascension du Seigneur). Même un Jean Timanus (pasteur de Brême, dans son livre qu’il appelle la massue des sentences). Il présente plusieurs témoignages des plus célèbres luthériens à l’effet que le corps du Christ est partout. André Musculus (au témoignage de Staphile dans le livre du concile des disciples de Luther), soutient que la divinité du Christ a souffert sur la croix; et il le démontre par plusieurs textes de Luther. Jacques André Smidelin, superintendant de Wirtembergersis enseigne la même chose; le célèbre Brentianus (dans des thèses disputées à Tubingue), ne reconnait d’autre union hypostatique que celle qui se fait par la communication des dons, et qui n’est qu’accidentelle. Car (à la thèse 20, il a dit) : « On ne peut pas imaginer, dans le Christ, d’autres choses de Dieu qui soient présentes en tant qu’essence de la divinité, que cette énergie que l’on discerne dans les créatures, laquelle produit et opère des choses diversifiées. Dans le Christ, elle était totalement infusée, et en dehors de lui il n’y a rien. Dans l’homme et par l’homme le Christ opère tout en tous ». Et (dans la thèse 22) il dit : « Par cette plénitude réelle de la divinité, par cette communication de toute la divinité, la nature humaine ne se mélange pas avec la divinité, ni n’est non plus abolie, mais ce qui est divin par nature est communiqué par accident à la nature humaine ». Et, (thèse 24) : « On ne doit définir l’union hypostatique que par cette seule communication des idiomes ».
En 1580, a été éditée la concorde des évangiles. Son but principal était d’établir l’ubiquité, et de détruire le mystère de l’incarnation. Car (dans les articles de controverses art 7, verset 5), on prouve que la droite de Dieu est partout, et que c’est à elle qu’est rendue conforme l’humanité du Christ. À l’article 8, verset 11, on trouve que depuis la conception du Christ, cet homme a été assumé en Dieu, et exalté à la droite de Dieu, de sorte que non seulement en tant que Dieu, mais en tant qu’homme, le Christ sait tout, peut tout, est présent à toutes les créatures. Mais tout cela, le Christ ne l’a manifesté qu’après sa résurrection, quand il a déposé la forme de l’esclave. Et il prouve tout cela avec beaucoup de répétitions.
Il est à noter que les églises saxoniques ont changé trois fois d’idée. Car, au tout début, du vivant de Luther, elles militaient pour l’ubiquité. Après la mort de Luther, sous le règne de Mélanchton, elles commencèrent à reprocher l’ubiquité à Illyricum et Brentium. Car Philippe Mélanchton (dans le l ivre 3 de son épitre aux colossiens) condamne ouvertement l’ubiquité. Il enseigne qu’il n’est partout que selon la divinité. Et dans une lettre à Philippe le comte palatin (écrite en 1559) il écrit que tous ont imaginé l’ubiquité. « Cela fait partie de ces choses étranges ignorées des plus anciens érudits ». En 1571, les luthériens célébrèrent le synode de Dresde, étant présents et consentants tous les superintendants du duché de Saxe, ainsi que les docteurs des académies de Lipse et de Wirtemberger. Ils statuèrent alors que l’ubiquité du corps du Christ était une profanation horrible de tous les articles de foi, et un renouvellement de toutes les hérésies. Voici ce qu’ils dirent : « Ce principe de notre foi, et cette doctrine fondamentale de l’Église, qui se rapporte aux deux natures du Christ, est horriblement corrompu par cette communication réelle des idiomes, et par la communication physique dans les natures, lesquelles sont une hérésie condamnée plusieurs fois. » Et plus bas : « Cette communication physique des idiomes qui a commencé à être introduite de notre temps par l’ubiquité du corps du Christ, a été inconnue depuis le commencement par l’église orthodoxe universelle, tout l’univers chrétien. Elle est actuellement condamnée par les pontifes eux-mêmes, et sévèrement réprimée. » Et plus bas : « Cette ubiquité adventice corrompt horriblement presque tous les articles de foi qui portent sur le Christ, dilue et renverse complètement la distinction entre les deux natures du Christ, » Voilà ce qu’ils pensaient alors. Ils tiraient gloire de ce que, en Saxonie, la foi ait été toujours inchangée, et unanime le consentement doctrinal.
Il ne se passa pas dix ans qu’une nouvelle concorde surgit des mêmes villes et des autres lieux de la région. Cette concorde reçut comme article de foi l’ubiquité récemment condamnée. Voici ce que dit la concorde, 1580, page 731 : « Il emplit vraiment tout, et il est présent partout et domine d’une mer à l’autre non seulement en tant que Dieu, mais aussi en tant qu’homme. » Et pourtant le concile de Dresde, réuni dans le Saint-Esprit comme ils le croyaient, rejette cet enseignement comme impie. Ne voient-ils donc pas encore à quel point ils sont trompés par Satan ?
En plus des scolastiques, a combattu cette ubiquité Claudius Sanctius (sur l’eucharistie 4); et avant lui, un des nôtres a écrit des thèses sur la majesté du Christ homme (à Ingolstad, 1564). Et ensuite, en 1582 et 1584, quelqu’un de notre société, Grégoire de Valence, écrivit quatre livres contre cette ubiquité. Parmi nos adversaires on trouve Henri Bullingerus (livre des deux natures du Christ), Pierre martyr (dialogue sur le lieu du corps du Christ), et Théodore de Bèze (livre sur l’omniprésence de la chair du Christ contre Brentium, et un autre sur l’union hypostatique des deux natures dans le Christ contre Schmidelinum).
CHAPITRE 2 : On explique l’hérésie d’Eutychès
Venons-en maintenant au second point, et démontrons qu’il y a deux natures dans le Christ. Mais expliquons d’abord l’hérésie d’Eutychès, qui est le porte-étendard de cette hérésie que nous réfutons maintenant. On doit donc savoir que l’hérésie d’Eutychès consiste en ceci : après l’incarnation, il n’y a eu et il n’y a qu’une seule nature. Car, il ne pensait pas pouvoir autrement démontrer, contre Nestor, qu’il n’y a qu’un seul Christ, et non deux. Il disait donc qu’une seule nature a été faite de la divinité et de la chair, et ceci, par la conversion de la divinité dans la chair, comme il est écrit en Jean 1 : « Et le Verbe s’est fait chair ». Et parce que devenir un autre c’est être converti en un autre, comme quand l’eau devient du vin, elle est convertie dans du vin. Et comme quand le pain devient le corps du Christ, il est converti dans le corps du Christ.
Il affirmait, en troisième lieu, que la divinité du Verbe était née, avait souffert, était morte, et avait été ensevelie. Cette erreur naissait évidemment de la précédente. Car, si la divinité s’est convertie dans la chair, et si on dit que la chair nait, souffre, meurt et est ensevelie, il est certain que la divinité nait aussi, meurt aussi, souffre aussi et est ensevelie, elle aussi. Mais il n’imaginait pas pourtant que la divinité soit devenue chair au point de cesser d’être une divinité, comme l’eau qui devient du vin cesse d’être de l’eau. La raison de cette erreur fut qu’il ne pensait pas pouvoir réfuter Nestor qui niait que le Christ Dieu était né et avait souffert, à moins de démontrer que la divinité elle-même était née et avait souffert.
Il affirmait, en quatrième lieu, que la chair du Christ n’était pas de la même nature que la nôtre, et que le Verbe ne s’était pas converti dans une véritable chair, mais dans une chair apparente et fantomatique. De telle sorte que le Verbe aurait plutôt fait semblant de devenir homme, de naître et de mourir. Et la raison en était qu’il lui semblait indigne à un Dieu de devenir vraiment chair, de naître, de souffrir et de mourir. Cette hérésie rejoignait donc les hérésies de Valentin, de Manès qui niaient une humanité véritable. Ont suivi ces hérétiques du passé, parmi les luthériens, Gaspar Swenckfeldius, et André Musculus, si l’on en croit Staphile (dans son livre sur la concorde des disciples de Luther). Que telle ait été l’hérésie d’Eutichès on peut l’apprendre de l’épitre de saint Flavien à saint Léon, et de l’épitre 97 de saint Léon à l’empereur Léon, et du livre 4 de Théodoret sur les hérétiques.
Il est à noter que cette hérésie a fait son apparition avant l’époque d’Eutychès, de telle sorte qu’il ne fut pas tant le premier auteur de cette hérésie, que son premier propagateur. Apollinaire avait avant lui enseigné la même chose, comme l’attestent Épiphane (dans son hérésie 77), saint Augustin (hérésie 55) et Vincent de Lérins (dans son commonitorium), Saint Athanase (dans son épitre à Épictèete) dénonce cette même hérésie, sans en donner d’auteur. Saint Ambroise aussi (livre de l’incarnation, chap 6), et saint Cyrille (livre de la foi droite à Théodose) en ont aussi parlé. Ils sont tous morts avant la naissance d’Eutychès.
La foi catholique a toujours reconnu, après l’incarnation, deux natures intègres et parfaites, la divine et l’humaine, sans confusion, sans mélange, en une seule personne, celle du Verbe. L’Église a toujours enseigné aussi que la nature divine n’est pas née, et n’a pas souffert; que c’est le Verbe dans sa nature humaine qui est né, et qui a souffert. Elle a toujours enseigné aussi que la nature humaine du Verbe est de la même espèce que la nôtre. Ce que nous prouverons par des témoignages de l’Écriture, des conciles et des pères.
CHAPITRE 3 : Réfutation de l’hérésie d’Eutychès
Que, contrairement à l’erreur d’Eutychès, il y ait deux natures dans le Christ, ce sont les paroles mêmes du Seigneur qui l’attestent (Jean 3) : « Personne ne monte au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ». Il est certain que celui qui parlait et qui était vu, et qui se disait fils de l’homme, selon la nature par laquelle il était vu et il parlait et était fils de l’homme, il est certain dis-je qu’il n’était pas alors dans le ciel, mais seulement sur la terre, c’est-à-dire dans une maison avec Nicodème. Il n’était pas non plus un Dieu, mais un homme, car Dieu on ne peut ni le voir, ni l’entendre ni le toucher avec nos sens corporels. Il n’était pas non plus descendu du ciel, mais il était né sur la terre d’une femme. Et pourtant, c’est le même qui affirme être descendu du ciel, et être dans le ciel, quand il parlait sur la terre. Le Christ a donc une autre nature en plus de l’humaine, selon laquelle il pouvait être dans le ciel quand il était sur la terre selon la nature humaine.
On le prouve aussi à partir des paroles de Jésus en saint Jean (5, 10 et 14), car il est dit à 5 : « Non seulement il n’observait pas le sabbat, mais il disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu ». Et en saint Jean 20 : « Le Père est plus grand que moi ». Il ne peut aucunement se faire qu’il soit, selon la même nature, égal au Père et inférieur à lui. De plus, Jésus dit en saint Jean (8) : « Avant qu’Abraham devienne, je suis ». Celui qui parle est le même qui est né au temps de César Auguste (Luc 2) et qui avait 30 ans la quinzième année du règne de Tibère (Luc 3). Il ne peut évidemment se faire que le même soit avant Abraham et après Abraham. Saint Thomas (Jean 20), après avoir touché du doigt les stigmates de notre Seigneur, s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Et il n’est que trop certain que ce qu’il voyait et touchait n’était que de la chair; et pourtant, il confesse le Seigneur et le Dieu dont il voyait la chair. Il était donc Dieu et homme. Et c’est ce qu’enseigne ouvertement saint Pierre quand il a dit (dans les actes 2) : « Élevé donc à la droite de Dieu, il a répandu le don que vous voyez et que vous entendez ». Être élevé ne se rapporte pas à Dieu mais à une créature; mais répandre l’Esprit-Saint, Dieu seul peut le faire, non une créature.
Voici ce que dit saint Paul aux évêques (actes 20) : « L’Esprit saint a placé des évêques pour régir l’église de Dieu, qu’il a acquise par son sang ». Or, Dieu, en tant que Dieu, n’a pas de sang, car Dieu est un pur esprit. Et celui qui a du sang n’est pas, en tant que tel, semblable à Dieu. Il faut donc que celui est Dieu et a du sang ait deux natures. Romains 9 : « Les pères de ceux dont le Christ est selon la chair, lequel est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles ». L’apôtre dit ici que le Christ est, selon la chair, de parents juifs, et qu’il est, en même temps, selon la divinité, Dieu au-dessus de tout. De plus, le même Paul affirme (Philipp 2) que le Christ, quand il était dans la forme de Dieu, a pris la forme de l’esclave. Pour expliquer ces paroles saint Vigile (livre 2) dit : « Il est étonnant de constater que certains craignent de dire deux natures, quand saint Paul parle de deux formes ».
Que ces deux natures ne soient pas mélangées et que la divinité ne soit pas changée en humanité, on le prouve ainsi, contre cette seconde erreur. Car toute l’Écriture clame que Dieu est immortel et incorruptible. Malachie : « Je suis le Seigneur, et je ne change pas ». Nombres 23 : « Dieu n’est pas comme le fils de l’homme, capable de changement ». Jacques 1 : « En qui il n’y a pas de mutation ». 1 Timothée : « Au roi des siècles immortel, invisible etc. » Et chap 6 : « Qui seul a l’immortalité. » La divinité n’est donc pas née, elle n’a pas souffert et n’est pas morte, comme la troisième erreur le prétendait. On l’infère facilement de ce qui a été dit, car celui qui est immuable et immortel ne peut ni naître, ni souffrir ni mourir selon ce qui le rend immortel et immuable. Voilà pourquoi quand les Écritures enseignent qu’il est né dans le temps, qu’il a souffert et qu’il est mort, elles ajoutent selon la chair. Par ce mot, elles indiquent clairement que le Christ n’est pas né, n’a pas souffert et n’est pas mort selon la divinité. « Ce qui lui a été fait, à celui qui est de la semence de David, selon la chair. » Et au chapitre 9 : « Desquels est le Christ, selon la chair ». Et (1 Pierre 3) : « Mis à mort dans la chair ». Et au chapitre 4 : « Donc, par le Christ qui a souffert dans la chair ».
Ajoutons, enfin, pour la confusion des Luthériens qui ne craignent pas d’attribuer la souffrance à la nature divine, quelques témoignages remarquables des plus célèbres docteurs de l’Église. Épiphane ((76 hérésie, Aetius, p.286) : « Car ce que le Fils unique a souffert dans sa chair, il ne l’a pas assigné à la divinité ». Et plus bas : « Mais le Seigneur lui-même est venu, et ayant reçu en lui-même la capacité de souffrir, il a vraiment souffert, sa déité demeurant étrangère à la passion ». Tu liras des choses semblables dans l’Ancoratus, p.357.
Saint Athanase dans son épitre à Épictète : « Quel enfer a éructé ces choses ? Comment peuvent-ils dire que le corps né de Marie est consubstantiel avec la divinité du Verbe ? Ou qui a été impie au point de dire et de penser en même temps que la déité elle-même a été circoncise ? » Et saint Cyrille dans son épitre à Nestor : « Nous disons qu’il a souffert et qu’il a ressuscité, non parce que Dieu le Verbe ait souffert dans sa nature, --car Dieu est étranger à la passion--, mais parce qu’il s’approprie les choses de ce corps qu’il a assumé. » Saint Athanase (livre 4, qui porte sur la passion et l’impassibilité du Christ) : « Et nous confessons que le Christ a été passible, selon l’enseignement du bienheureux Paul, mais non selon la nature divine, et nous ne disons pas qu’il a été impassible selon l’humanité. » Et plus bas : « C’est vraiment Dieu qui souffre, mais la nature divine n’éprouve aucune passion externe ».
Saint Jean Damascène (livre 3, chap 4) « Quand nous parlons de divinité, nous ne parlons pas de ce qui est propre à l’humanité, car nous ne disons pas que la déité est passible ».
Saint Ambroise (livre 10 dans Luc . 107) : « La mort non plus ne fut pas de la divinité, mais de l’homme ». Le concile d’Espagne 11(chapitre 3) : « C’est une chose stupide d’appliquer à la nature divine la passion de la croix, car elle ne s’applique qu’à la nature humaine, créée. Car seule la chair a ressenti le supplice de la croix ». Saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 73) : « Il y a une hérésie qui enseigne que, dans le Christ, la divinité a souffert, quand sa chair a été suppliciée sur la croix ». Saint Léon (épitre 10) : « La nature inviolable est unie à la nature passible pour que, --ce qui convenait comme remède, un seul et même Médiateur, Dieu et homme,-- le Christ Jésus, puisse mourir de l’une, et ne puisse pas mourir de l’autre ». Saint Vigile (livre 4) : « Le même et unique Fils de Dieu est mort selon la forme de l’esclave, et n’est pas mort selon la forme de Dieu ».
Nous n’avons pas de grand effort à faire pour prouver, contre la quatrième erreur, que la chair du Christ est de la même espèce que la nôtre, qu’il n’a pas fait semblant de naître et de souffrir, mais qu’il est vraiment né, qu’il a vraiment souffert, et qu’il est vraiment mort. Car l’Écriture nous enseigne (Matt. 1 et Luc 2) que la bienheureuse Vierge a enfanté son premier-né. Comment la vierge a-t-elle pu avoir le Christ pour fils si la chair du Christ n’était pas une vraie chair conçue du corps de Marie ? Saint Paul dit la même chose aux Hébreux 2 : « Car les enfants ont eu en commun la chair et le sang. Et lui-même participa à ces choses ». Que faut-il entendre par « ces choses », je le demande, si ce n’est la chair et le sang de la nature humaine ?
Il faudrait taxer de mensonge les apôtres et les évangélistes, car ils l’appellent souvent le Christ homme, ou le fils de l’homme. Ils nous indiquent aussi qu’il a eu une mère et des parents, qu’il a eu faim, qu’il a mangé, qu’il a marché, qu’il a été fatigué, qu’il a souffert, qu’il est mort et qu’il est ressuscité. Aucune de ces choses ne peut se dire d’un corps aérien ou fictif. Ce n’est pas seulement avant la résurrection que les Écritures appellent le Christ un homme, mais même après. Car, saint Étienne dit (actes 7) : « Je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » Et saint Paul (actes 17) : « Dieu a fixé un jour dans lequel il jugera le monde dans un homme ».
De plus, si le Christ n’est pas vraiment mort, il n’est pas non plus vraiment ressuscité. Il ne nous a donc pas vraiment rachetés, et nous sommes encore dans nos péchés, comme l’apôtre le dit (1 Cor 15). De plus (Luc 24), quand les apôtres s’imaginaient voir un fantôme ou un spectre, mais non un homme véritable, le Seigneur ne leur a-t-il pas dit: « Palpez et voyez. Un fantôme n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’ai. » Cela devrait suffire pour les Écritures.
Nous allons prouver la même chose d’après les conciles. Car c’est contre cette hérésie qu’a été célébré le concile de Chalcédoine, qui fut le plus grand de tous par le nombre de ses participants (630 évêques). Après avoir expliqué la profession de foi d’Eutychès et de Dioscore, qui enseignait qu’il y avait dans le Christ deux natures avant l’union, mais qu’après, une seule avait été faite des deux, les évêques conciliaires s’écrièrent : « Anathème à celui qui a dit ces choses ! Anathème à ceux qui ont dit ces choses ! » Ensuite, ils mirent les mots suivants dans le symbole de la foi : « Nous enseignons et nous confessons un seul et même Fils et notre Seigneur, Jésus-Christ; et dans les derniers temps, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, en deux natures sans confusion, sans changement, sans division, les natures n’ayant jamais cessé d’être différentes à cause de l’union. » La même chose a été statuée après dans le concile 5, canon 2, dans le concile 6, actes 4 et 17, dans le concile du Latran contre les monothélites, célébré par Martin 1, chap 4 et 6, par le concile de Tolède 6, chap 1, le concile de Tolède 11, chap 5 et 6, et le concile d’Espagne 11, et 13, et beaucoup d’autres. On peut confirmer la même chose à partir des pères, mais Theodoret, saint Léon, saint Vigile, et saint Gélase, et le concile d’Espagne 11 nous ont épargné cet effort. Car, Théodoret, dans le dialogue immutabilis, et dans le dialogue inconfusus, et dans le dialogue impatibilis, dans lesquels il réfute cette erreur, a présenté les témoignages de presque tous ceux qui avaient vécu avant lui. Saint Léon a fait la même chose dans son épitre 97 à l’empereur Léon, ainsi que le bienheureux Vigile ( au livre 5 contre Eutychès) et Gélase (dans son livre des deux natures du Christ), et le deuxième concile d’Espagne, dernier chapitre. Tous ces témoignages nous paraissent amplement suffisants.
CHAPITRE 4 : On réfute les arguments qu’on faisait autrefois contre les choses que nous venons de démontrer.
Il reste à réfuter les arguments des adversaires. D’abord, en ce qui a trait à l’autorité des Pères et des conciles. Car, dans ce même concile de Chalcédoine (acte 1, après la lettre de saint Cyrille à Jean d’Antioche), l’évêque de Bérut, Eustache, a déclaré que saint Cyrille avait écrit qu’il ne fallait pas voir deux natures dans le mystère de l’incarnation, mais une seule nature incarnée du Verbe de Dieu. Et, dans le concile de Latran sous Martin premier, on a dit anathème à ceux qui ne confessent pas la nature incarnée du Verbe. Saint Jean Damascène (livre 3, de la foi, chapitres 6 et 7) admet que saint Athanase et saint Cyrille ont dit la même chose; et que saint Grégoire de Naziance (dans son épitre à Chelidon) parle de chair déifiée, tout comme s’il disait une divinité incarnée.
Je réponds qu’on peut dire que la nature du Verbe s’est incarnée, si on prend l’expression dans un bon sens, comme l’expliquent le concile 5 et saint Jean Damascène à l’endroit cité, à savoir, si on la dit incarnée non par conversion dans la chair, mais par l’union avec la chair dans l’hypostase du Verbe. Et ces mots qu’on attribue à saint Cyrille ne sont probablement pas de lui, mais ont été sans doute ajoutés dans ses œuvres par les hérétiques. Car, dans ce concile, les catholiques ont protesté contre ces mots, disant qu’ils étaient plutôt de Dioscore que de saint Cyrille. Et ce que saint Grégoire de Naziance dit au sujet de la chair déifiée par l’incarnation, c’est que la chair du Christ est devenue la chair de Dieu par l’union avec le Verbe, et non par une conversion dans la divinité.
Deuxième argument. S’il y a deux natures dans le Christ, il y aura deux Christ selon l’hérésie de Nestor, et Dieu ne sera probablement pas une trinité, mais une quaternité. Car, si le Père et le Fils sont dits chacun un Dieu, à cause de l’unité de l’essence, pourquoi, à cause de deux essences, n’y aurait-il pas deux Christ ? Je réponds que les noms concrets ne se multiplient que si on multiplie les suppôts. Et s’ils sont substantifs, ils requièrent aussi la multiplication de la forme. Autrement, on ne pourrait les formuler qu’au singulier. Car, on ne dit pas de celui qui a deux arts qu’il est à lui seul deux artisans. Et d’un artisan qui a plusieurs vêtements on ne dit pas que plusieurs sont vêtus, mais un seul. Mais, par contre, on dit du Père et du Fils qu’ils sont un seul Dieu, à cause de l’unité de la forme. Car, quand deux sont requis pour la multiplication des substantifs, si l’un manque, une unité est produite qui est une privation de division. La raison de tout cela ? L’usage.
Mais le nom du Christ ne signifie pas une nature, mais une personne. Et, en conséquence, comme saint Grégoire de Naziance nous avertit (dans l’épitre à Chelidon), comme dans la Trinité nous disons un autre et un autre à cause du nombre des personnes, mais non à cause de l’unité de la nature, de la même manière, nous disons dans le Christ, après l’incarnation, autre chose et autre chose, à cause du nombre des natures, mais non à cause de l’unité de la personne. Il ne s’ensuit pas que, après l’incarnation, il y ait en Dieu une quaternité plutôt qu’une trinité, car la trinité en Dieu est une trinité de personnes, non de natures. L’incarnation, en effet, n’augmente pas le nombre des personnes. Et de plus, par l’incarnation, rien n’arrive à Dieu. parce qu’il est très parfait, et ne peut recevoir ni augmentation ni diminution, C’est à la nature humaine qu’est arrivé un grand bien, comme l’enseigne saint Athanase dans son épitre à Épictète, réfutant lui-même l’objection.
Le troisième argument. On ne dit pas que le Verbe a reçu la chair mais qu’il s’est fait chair (Jean 2). L’eau est devenue du vin dans un banquet de noces, mais l’eau est devenue du vin par la conversion de l’une dans l’autre, de telle sorte que les deux ne furent plus après deux natures, mais une seule. C’est donc de cette façon que le Verbe s’est fait chair, par la conversion du Verbe dans la chair. Et bien qu’avant cette conversion il y avait deux natures, celle du Verbe et celle de la chair, il n’y a plus, après l’union, qu’une seule nature. Théodoret répond parfaitement bien à cette objection dans son dialogue « immuable ». Et il cite les Écritures qui affirment que le Verbe ne s’est pas seulement fait chair, mais que la chair aussi a été assumée par le Verbe. Car, (dans l’épitre aux Philipp, chap 2) nous lisons : « Comme il était dans la forme de Dieu, il s’est anéanti, prenant la forme de l’esclave ». Et aux Hébreux (2) : « Jamais il n’a pris les anges, mais c’est la semence d’Abraham qu’il a prise ». Et saint Jean, après avoir dit « et le Verbe s’est fait chair », pour que nous ne pensions pas qu’une conversion du Verbe dans la chair ait été faite, ajoute immédiatement après : « et il a habité parmi nous ». Ce qui veut dire que, s’étant fait chair parce qu’il avait assumé notre chair, il a commencé à habiter en elle.
Il ne faut donc pas entendre le « et le Verbe s’est fait chair » à façon de l’eau qui se fait vin, ou du pain qui se fait chair, mais comme on dit qu’Aaron a été fait pontife par Dieu, ou que David a été fait roi. Car nous ne comprenons pas qu’Aaron ait été changé en pontife ou David en roi, mais qu’ils ont commencé à être ce qu’ils n’étaient pas, sans avoir perdu ce qu’ils étaient. Comme il est dit dans Galates 3 : « Le Christ a été fait pour nous malédiction ». Plusieurs pères citent ce passage, saint Athanase (dans son épitre à Épictète), saint Grégoire de Naziance (épitre 1 à Chelidon), saint Jean Chrysostome, dans ce texte de saint Jean, et saint Ambroise (dans son livre sur l’incarnation du Seigneur et les sacrements, chap 6).
Le quatrième argument. Si la divinité n’a pas souffert et n’est pas morte, il s’ensuit forcément qu’est vraie l’hérésie de Nestor qui enseignait que seul l’homme avait souffert et était mort. Je réponds que le raisonnement ne conclut rien, car les actions et les passions relèvent des personnes, et non des natures. Voilà pourquoi l’on dit que le Christ Dieu a souffert et est mort selon la forme de l’esclave, mais non selon la forme de Dieu. Car saint Paul lui-même dit que « le seigneur de la gloire a été crucifié, » (Corinth 2) mais selon la nature avec laquelle il pouvait souffrir cela. Saint Pierre l’explique en disant : « Le Christ a donc souffert dans la chair. Et armez-vous, vous autres, de cette même pensée.(1P 4) »
Cinquième argument. Il semble indigne à la divinité qu’on dise d’elle qu’elle ait été convertie dans la chair, qu’elle soit demeurée enfermée dans l’utérus d’une femme; qu’elle ait été suspendue morte sur la croix. Cela ne s’est donc pas produit véritablement, mais en apparence. Je réponds que l’antécédent est vrai, et qu’on peut en déduire que la divinité ne s’est convertie en chair ni en réalité ni en apparence. On peut aussi affirmer qu’il n’est pas indigne de Dieu de demeurer enfermé dans le sein de la Vierge selon la forme humaine assumée, ni de pendre mort sur une croix. On ne peut donc pas déduire de tout cela que l’incarnation n’a été faite qu’en apparence.
CHAPITRE 5 : Explication de l’hérésie de Nestor
C’est avec les nestoriens qu’il faut engager la prochaine controverse, qui se trouve à être la troisième partie de la dispute proposée. Il faut donc savoir que Chérinte, autrefois, a séparé Jésus du Christ, et a voulu que le pur homme Jésus soit né de Joseph et de Marie. Il enseignait aussi que le Christ était le Fils de Dieu qui, le jour du baptême, était descendu en Jésus sous la forme d’une colombe, comme le rapporte saint Irénée (livre 1, chap 25). Cette hérésie a été ranimée par les pélagiens qui, comme l’écrit Cassien (livres 1 et 6 de l’incarnation), enseignèrent que celui qui était né de Marie était un pur homme, qui, à cause de ses mérites, a été fait Christ à trente ans, et qui, à cause de ses mêmes mérites, a été fait Dieu après sa passion. Et il concluait que, de la même façon, les autres hommes sont capables de bien vivre par leurs propres forces, et de parvenir à la béatitude, comme le Christ y est parvenu.
Un peu après, Nestor, patriarche de Constantinople, commença à enseigner la même hérésie, ainsi qu’Anastase, son presbytre, et Théodore évêque de Mopsueste, ainsi que d’autres. Car ils enseignaient que la Vierge avait enfanté un pur homme, qui n’avait pas seulement une nature humaine, mais une personne humaine; que la vierge Marie n’était pas mère de Dieu; et qu’il fallait attribuer à l’homme seul la nativité, la passion, la résurrection, et l’ascension du Christ. Ils ajoutaient ensuite que le Fils de Dieu était uni au fils de l’homme de plusieurs façons, non substantiellement en lui communicant son hypostase, mais accidentellement. La première façon. Selon l’habitation, parce que le Verbe habitait dans l’homme Christ comme dans son temple, selon les paroles de Jésus en saint Jean (2) : « Détruisez ce temple, et je le reconstruirai en trois jours ». Et c’est pour cela qu’ils disaient qu’Isaïe (chapitre 4) s’était exprimé avec finesse quand il a écrit : « On appellera son nom Emmanuel ». C’est-à-dire qu’il ne sera pas appelé Dieu, mais Dieu avec nous, c’est-à-dire habitant en nous, comme ce qui est écrit en Jean 1 : « Et il a habité en nous ».
Deuxième façon. Par l’union de la volonté et de la dilection, parce que la volonté de ce fils de l’homme était toujours très étroitement lié avec la volonté de Dieu. Théodore ajoutait une comparaison, qui a été rapportée dans le synode 5 (canon 12) : « Comme l’homme et la femme sont deux personnes, et sont quand même dites une seule chair dans l’Écriture, à cause de l’union conjugale, de la même façon, le Fils de Dieu et le fils de l’homme sont deux personnes qui peuvent être dites un seul Christ à cause de l’union spirituelle. » Troisième façon. Selon l’opération, parce que le Christ homme était l’instrument dont se servait le Verbe dans les œuvres admirables faites par le Christ. Quatrième façon. Selon la participation. Le Verbe a imparti son nom et sa dignité à cet homme, pour qu’il soit appelé Dieu et Fils de Dieu, et adoré par toutes les créatures, non à cause de lui, mais à cause de Celui par qui il a été assumé. De la même façon qu’on donne le nom des saints aux images qui les représentent, qu’on les honore et qu’on les vénère à cause d’eux.
Que telle fut l’hérésie de Nestor on peut le comprendre par l’exposition de la foi qu’il a lui-même présentée par écrit, et que nous trouvons dans le dernier tome des œuvres de saint Cyrille d’Alexandrie. Par l’histoire d’Évagre (livre chapitre 2 et suivants). Dans le septième chapitre, Évagre rapporte que Nestor est mort misérablement, après que sa langue ait été corrompue par des vers. Aussi par le bréviaire de Libère (chap 4). Et aussi par Théodoret (livre 4 des hérésies et des fables, vers la fin; et dans sa critique des anathèmes de saint Cyrille). Cat Théodoret, au début, a écrit contre saint Cyrille, et c’est pour cela que ses écrits ont été anathématisés dans le synode 5, chapitre 12. Mais, après cela, il est revenu à résipiscence, et s’est réconcilié avec l’Église au concile de Chalcédoine (acte8 ), et il plaça Nestor parmi les hérétiques dans son livre 4 sur les hérésies et les fables.
Ce n’est pas obscurément que favorisent cette hérésie Luther et Calvin, au moins dans leur manière de parler. Dans le concile sur la nativité de notre Seigneur, Calvin a dit : « Ce sont des ignorants ceux qui font le Christ homme tout puissant ». Mais Luther a souvent enseigné le contraire, de sorte qu’il me semble être plus eutychien que nestorien. C’est ce qu’a vu et noté Théodore de Bèze, car à la fin de son livre sur les thèses de Jacob André, il cite des paroles de Lucher, et ajoute : « Ce sont les péchés de l’Allemagne et de tout l’univers qui ont fait que Luther n’ait pas persévéré dans cette confession ».
Calvin (dans le livre (1 Institution, chap 13, verset 9) parlant du Christ en tant que personne divine, dit : « Je ne rejoins pas encore la personne du Médiateur ». Et (au verset 23) : « Je réponds qu’il est Fils de Dieu parce qu’il est né du Père en tant que parole avant tous les siècles. Nous ne parlons donc pas encore de la personne du médiateur ». Et (au verset 24) : « Car c’est à cause de sa manifestation dans la chair que le Christ est appelé Fils de Dieu, non en tant qu’il a été la parole éternelle engendrée avant tout les siècles. C’est parce qu’il a assumé la personne et le rôle du médiateur ». Dans ces textes Calvin semble distinguer deux personnes dans le Christ, la personne du Fils de Dieu et la personne du Médiateur. On ne peut pas l’excuser en disant que par le nom de la personne du médiateur il entende non la substance, mais une qualité, comme nous avons l’habitude de dire qu’il est à la fois juge et avocat. Car, au même endroit (verset 6), il dit : « la personne je l’appelle subsistance ». Et, dans tout ce chapitre, il utilise le mot personne pour désigner la substance incommunicable. On ne peut donc pas l’excuser, à tout le moins, d’une vicieuse équivoque. Mais c’est en toutes lettres et en toute clarté que Brentius prône cette hérésie (dans la livre de la majesté de l’homme Christ). C’est là qu’il répète souvent que « le Fils de Dieu est dans le fils de Marie ».
CHAPITRE 6 : Réfutation de l’hérésie de Nestor
Nous allons donc réfuter brièvement cette hérésie, et nous démontrerons qu’il n’y a qu’une seule personne dans le Christ; qu’il n’est pas un pur homme, mais Dieu Verbe lui-même, né de la Vierge selon la chair, ayant souffert en croix, et étant mort. En premier lieu, rappelons tous les témoignages que nous avons déjà présentés contre les nouveaux samosatiens et ariens, car ces témoignages ont autant de force contre Nestor qu’ils n’en ont contre les ariens et les samosatiens.
En second lieu, le nouveau testament est rempli de témoignages. Matt 16 : « Que disent les hommes du Fils de l’homme ? Pierre répond : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Saint Pierre confesse donc clairement ici que le fils de l’homme est le Fils du Dieu vivant. Luc (1) : « C’est pourquoi cette chose sainte qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu ». Celui qui est né de Marie, non un autre quelconque, sera appelé et sera vraiment Fils de Dieu. » De même (saint Jean 1) : « Le Verbe s’est fait chair ». C’est-à-dire, Dieu s’est fait homme, comme nous disons que David a été fait roi. Comme David et le roi ne sont pas deux personnes, mais une seule, bien que soient de forme diverse la nature humaine et la dignité royale, de la même façon il n’y a qu’une seule personne du Verbe et de la chair, bien qu’il y ait deux formes, ou natures différentes, la divinité du Verbe et la chair humaine.
Semblable est ce passage de saint Jean 3 : « Personne ne monte dans le ciel si ce n’est celui qui en est descendu, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ». On peut difficilement expliquer ce texte autrement que ne l’ont fait saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Cyrille, et saint Grégoire de Naziance dans sa lettre 1 à Chelidon. Ils expliquent tous ce texte ainsi. Le Seigneur affirme que le fils de l’homme est le même que le Fils de Dieu. Autrement, il serait faux que le fils de l’homme soit descendu du ciel, et qu’il soit en même temps dans le ciel au moment où il parle sur la terre. De même, saint Jean (20) : « Le Père et moi nous sommes une seule et même chose ». Ces paroles ne peuvent certainement pas se rapporter à la nature humaine. Et c’est pourquoi, cet homme Christ qui parlait n’était pas seulement le temple du Verbe, mais le Verbe lui-même.
Et, au chapitre 9, il dit à l’aveugle-né après sa guérison : « Crois-tu dans le Fils de Dieu ? » Et il répondit : « Qui est-il, seigneur, pour que je croie en lui. » Et Jésus lui dit : « Tu le vois, et celui qui te parle c’est lui ». Et il lui dit : « Je crois, Seigneur », et il l’adora. Le Seigneur ne pouvait pas démontrer plus clairement qu’unique était la personne du Fils de Dieu et du fils de l’homme. Car c’est celui-là même que l’aveugle-né guéri voyait, écoutait, adorait qui est appelé Fils de dieu. Et, au chapitre 20, saint Thomas a dit au Seigneur qu’il voyait : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Théodore de Mopsueste a étrangement corrompu le sens de ce passage, comme on le voit au synode 5 (dernier acte, chapitre 12). Car il prétendait que ce n’était pas au Christ qu’il avait dit : mon seigneur et mon Dieu, mais à Dieu le Père qu’il glorifiait à cause du grand miracle de la résurrection.
Mais avant que tous les saints l’aient expliqué autrement, saint Jean lui-même qui prévoyait l’hérésie de Nestor, et qui écrivait pour combattre l’hérésie de Chérinte, ajoute tout de suite après : « Toutes ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ Fils de Dieu », c’est-à-dire pour que vous ne divisiez pas le Christ en deux personnes,-- dans le Fils de Dieu et dans le fils de l’homme,-- mais que vous croyiez que Jésus, fils de Marie, est le Christ Fils de Dieu. De plus, saint Jean n’a pas dit : Thomas a dit, mais il « lui » répondit et « lui » dit. C’est donc au Christ qu’il a dit : mon Seigneur et mon Dieu. Et il n’y a pas dans le texte grec de signe d’exclamation, mais un article désignant la simple confession de la vérité. Mais nous aurons encore à dire d’autres choses sur ce texte.
Saint Paul aux romains 8 : « Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous ». Quoi de plus clair ? Et, au chapitre 9 : « Desquels est le Christ selon la chair, lequel est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen. » Ce Christ homme, qui était le fils d’Abraham selon la chair, n’était ni le temple ni l’instrument de Dieu, mais le vrai Dieu au-dessus de toutes choses, béni dans tous les siècles ». Philippiens 2 : « Bien qu’ll ait été dans la forme de Dieu, il n’a pas estimé que c’était un vol d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de l’esclave. » Et plus bas : « Il s’est humilié lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort ». 1 Corinthiens 2 : « S’ils l’avaient connu, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire ». Ces phrases crèvent les yeux. Car nous avons ici que ce Verbe qui est auprès du Père, dans la forme de Dieu, et qui est vraiment nommé le Seigneur de la gloire, a assumé en lui la forme de l’homme, et a donc été véritablement crucifié et tué.
De nouveau, l’apôtre au Corinthiens 1, 8 : « Un seul Seigneur Jésus-Christ, par tout … » Par ce tout nous entendons le « toutes choses » de « par lui tout a été fait » (saint Jean 1). Ce « lui » est évidemment pour tous le Verbe de Dieu. Ce que l’apôtre voulait dire c’était donc qu’un seul et même Jésus-Christ, né de Marie, et Fils de Dieu a tout fait. Et aux Hébreux 1 : « Diversement, et de plusieurs façons, parlant autrefois aux Pères dans les prophètes, en dernier lieu, en ces jours-ci, Dieu nous a parlé par son Fils, qu’il a constitué héritier de tout, par lequel il a fait aussi les siècles ». Quand il dit là qu’il nous a parlé par le Fils, il parle du Christ homme, et pourtant il dit de lui : par lequel il a fait aussi les siècles. Et au chapitre 2 : « Il convenait que soit consumé par la passion celui qui pour qui et par qui sont toutes choses. » Et plus bas : « Parce que les enfants avaient en commun la chair et le sang, et il y participa lui aussi, pour détruire par sa mort celui qui détenait l’empire de la mort ». Il dit là que Celui pour qui et par qui sont toutes choses, c’est-à-dire le vrai Dieu, qui est le Principe et la Fin de toutes choses, devait mourir pour nous, et que, pour pouvoir mourir comme nous mourons, il devait participer à la chair et au sang comme nous y participons nous-mêmes, c’est-à-dire, devenir un vrai homme comme nous.
De plus, (dans l’épitre 1, chapitre 1) il n’enseigne à peu près rien d’autre qu’il n’y a, dans le Christ, qu’une seule personne de Dieu et de l’homme. « Ce qui était depuis le début, que nous avons entendu, que nous avons vu de nos yeux ». Saint Jean dit là qu’il a vu de ses yeux corporels le verbe qui est depuis le début. Ce qui ne peut être vrai qu’en raison de l’unité de la personne. Et au chapitre 2 : « Qui est menteur si ce n’est celui qui nie que Jésus est le Christ ? » C’est-à-dire qui divise le Sauveur en deux, comme le faisait Chérinte, et comme l’a fait Nestor. Et, au chapitre 3 : « En cela nous connaissons la charité Dieu, en ce qu’il a déposé sa vie pour nous. » « Dieu a déposé sa vie pour nous » qu’est-ce d’autre que Dieu est mort pour nous ? Le Fils immortel de Dieu n’est donc pas une personne différente du fils de Marie qui a souffert la mort. Car c’est le même qui était immortel en tant que Fils de Dieu et mortel en tant que fils de Marie. Et au chapitre 4 : « Tout esprit qui sépare Jésus n’est pas de Dieu. C’est l’antichrist ». Et plus bas : « Quiconque donc confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui ». Et au chapitre 5 et au-delà : « Qui est-ce qui a vaincu le monde si ce n’est celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? »
À toutes ces citations, les nestoriens répondent qu’ils ne nient pas que Jésus soit le Fils de Dieu, et un Dieu, non deux. Mais par l’unité d’habitation, de volonté, d’opération, de participation, comme nous l’avons déjà dit, et non par l’unité de la personne. Cérinthe lui-même confessait cela du Christ; et pourtant saint Jean l’accusait de diviser le Christ, et de ne pas confesser que Jésus est le Fils de Dieu. De plus, toutes ces choses que les nestoriens attribuent au Christ conviennent tout aussi bien aux autres saints hommes. Car, que Dieu soit dans ses saints comme dans des temples, saint Paul l’enseigne (Corinth 1, 3) : « Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit qui est en vous ? Glorifiez et portez Dieu dans votre corps ». Que par l’union de la volonté les saints sont une seule chose avec Dieu, comme l’home et la femme le sont par l’union charnelle, saint Paul l’enseigne aussi (Corinth 6) : « Celui qui adhère à une putain devient un seul et même corps avec elle, car ils seront deux dans une seule chair. Celui qui adhère au Seigneur, est un seul et même esprit avec lui. » Quoi de plus clair ?
Que Dieu opère avec ses saints comme avec un instrument, saint Paul l’enseigne aussi aux Romains 15 : « Je n’ose pas parler des choses que le Christ ne fait pas par moi, par la parole ou par les faits, dans la vertu des signes et des prodiges, dans la vertu de l’Esprit-saint ». Cor 12 : « Différentes sont les opérations. Mais c’est le même Dieu qui opère tout dans tous ». Enfin, que les saints soient fils et dieux par la participation et par la grâce, le psaume 81 nous l’enseigne : « J’ai dit, moi, vous êtes des dieux, et tous fils du très-haut ». Et aux Galates : « Parce que vous êtes fils de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs ». On est donc en droit de conclure que tout ce que Nestor attribue au Christ on le trouve dans les saints. Et il est certain que c’est bien autrement que nous que le Christ est Dieu et Fils de dieu. et comme le dit l’apôtre, c’est un grand mystère de piété que Dieu soit apparu dans la chair (1 Tim 3).
On le prouve en second lieu par les symboles de la foi. Car, nous lisons dans le symbole des apôtres : « Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la vierge Marie » On dit ici que Celui qui est le Fils unique de Dieu est né de la vierge Marie. Nous avons la même chose dans le symbole de Nicée et de Constantinople. Dans le symbole d’Athanase on ajoute : « Bien qu’il soit homme et Dieu, il est un seul Christ, et non deux, un non par un mélange substantiel, mais par l’unité de la personne ».
On le prouve en troisième lieu par les conciles. D’abord, par le troisième concile qui fut celui d’Éphèse 1. La seule chose qu’il a définie c’est qu’il n’y a qu’une personne dans le Christ, et non deux. Et ce concile a reçu la lettre de saint Cyrille à Nestor avec les douze chapitres, ou anathèmes, que saint Cyrille avait présentés au concile provincial d’Alexandrie, avant que ne soit convoqué le concile d’Éphèse. Et ces douze chapitres ont été considérés par la suite comme étant du concile général d’Éphèse, comme le concile romain de Martin l le démontre.
Or, on lit dans le premier chapitre : « Si quelqu’un ne confesse pas que Dieu est véritablement Emmanuel, et qu’à cause de cela, la sainte Vierge est mère de Dieu, qu’il soit anathème ! » Et voici le second : « Si quelqu’un ne confesse pas que le Verbe de Dieu le Père est uni à la chair selon la substance, et qu’il est un seul Christ avec sa propre chair, et que le même est en même temps homme et Dieu, qu’il soit anathème ! » De même, dans le concile de Chalcédoine, (acte 5), ont été approuvés les actes faits contre Nestor dans le concile d’Éphèse. Et on a redéfini de nouveau : « Demeurant sauve la propriété de chaque nature, qui concourent à former une seule personne et substance, nous reconnaissons que le Verbe de Dieu, fils unique, non distribué ou divisé en deux personnes, est unique et le même. »
De même dans le synode 5 (chapitre 4) : « Si quelqu’un dit que l’union du Verbe de Dieu à l’homme s’est faite selon la grâce, ou la dignité, ou l’opération, ou l’égalité d’honneur ou d’autorité, ou selon la relation, l’affection ou la vertu, qu’il soit anathème ». Et plus bas : « Et s’il ne confesse pas que l’unité du Dieu verbe à la chair a été faite selon la composition ou la subsistance, qu’il soit anathème ! » Et au canon 5 : « Si quelqu’un tente d’introduire dans le mystère du Christ deux subsistances ou deux personnes, qu’il soit anathème ! » Et au canon 6 : « Si quelqu’un dit que la glorieuse Marie toujours vierge n’est pas vraiment mère de Dieu, mais de façon abusive, qu’il soit anathème ! ».
On a la même chose dans le concile du Latran sous Martin 1 (consultation ultime, canon 6) : « Si quelqu’un ne confesse pas comme les saints pères d’une façon appropriée et selon la vérité, qu’il y a un seul et même Seigneur et Dieu Jésus-Christ de deux et dans deux natures unies substantiellement sans confusion et sans division, qu’il soit condamné ! » On trouve la même chose dans le concile général 6, acte 4, et dans le concile d’Espagne 2, au dernier chapitre, et dans le sixième de Tolède, chapitre, et dans d’autres.
On le prouve en quatrième lieu par les pères de l’Église. Et d’abord saint Cyrille et Jean Cassien, parce qu’ils ont lutté directement contre cette hérésie. Saint Cyrille (dans son livre de l’incarnation du Seigneur, et dans son apologie pour les douze chapitres, et dans presque toutes ses œuvres, où il cite beaucoup de textes de l’ancien testament. Cassien (dans le livre 7 de l’incarnation) écrivit contre Nestor sur l’ordre de saint Léon le grand, et à la fin de son livre 7, il rapporte plusieurs témoignages des pères grecs et latins. En plus des témoignages présentés par ceux-ci, nous pouvons en ajouter d’autres. Saint Ignace, dans son épitre aux Éphésiens, dit : « Le Fils de Dieu engendré avant les siècles, où il a tout créé selon la volonté et le plan du Père, a été produit lui-même dans un utérus, est né de Marie selon la dispensation, de la semence de David, et conçu du Saint-Esprit ».
Le martyr Justin (dans son livre de la confession de la foi droite, autour du milieu) dit : « Il n’y a qu’un seul Fils, qui est mort, et qui a réanimé ce qui était mort. Quand tu entends, pour un seul Fils, des paroles contraires, attribue à la nature ces choses que tu entends. Si c’est grand et divin, attribue-le à la nature divine. Si c’est petit et humain, assigne-le à la nature humaine. Car c’est ainsi que tu éviteras l’opposition existant entre les mots, en donnant à chaque nature ce qui lui revient, et en confessant qu’il est le Fils de Dieu né avant les siècles, un seul et même être, selon les Écritures ». Saint Irénée (livre 3 contre les hérétiques, chapitre 18 à 22) prouve par plusieurs témoignages des Écritures que Jésus fils De Marie et le Verbe du Dieu Père sont une seule et même personne.
Saint Athanase (dans son épitre à Épictecte, vers la fin) : « C’est du seul fils de Marie qu’il est écrit que le Verbe s’est fait chair. Ce qui nous montre qu’aux autres saints le Verbe a été fait selon la grâce de la prophétie. Mais c’est de Marie que le Verbe qui assumé la chair est devenu homme. ». Et un peu plus bas : « Non pas que nous séparions le Fils du Verbe, mais parce que nous reconnaissons un seul et même être dans celui par qui tout a été fait et dans celui qui nous a libérés. »
Saint Grégoire de Naziance (épitre 1 à Célidone) : « Si quelqu’un croit que la vierge Marie n’a jamais été mère de Dieu, qu’il soit séparé de la divinité ! Si quelqu’un introduit deux fils, un du Dieu Père, un de la mère, et non un seul et même fils, il sortira de l’adoption filiale qui est promise à ceux qui gardent la foi droite. Si quelqu’un n’adore pas le crucifié, qu’il soit anathème, et qu’il soit compté parmi les meurtriers de Dieu ! »
Saint Basile (livre 4, contre Eunome, expliquant : Le Seigneur m’a créé ) : « Il faut donc appliquer au Fils de Dieu le mot engendrer. Le mot créer se rapporte à celui qui a pris la forme de l’esclave. Dans ces deux cas, nous ne parlons pas de deux êtres : Dieu en haut et l’homme en bas. Il était un, et par la pensée nous attribuons chaque chose à la nature qui lui convient. » Saint Jean Damascène (livre 3, de la foi, chap 9) : « L’hypostase de chaque nature est celle du Verbe, car il ne permet pas qu’une nature soit sans subsistance ».
Chez les latins, voyons d’abord saint Cyprien (livre 2 contre les juifs, chapitre 8) : « Celui qui, au principe, a été Fils de Dieu a du être engendré de nouveau selon la chair ». Et au chapitre 10, il explique que l’homme et le Dieu Christ constituent une seule réalité concrète formée de l’une et l’autre natures, pour qu’il puisse être Médiateur entre nous et le Père ». Saint Hilaire de Poitier (2 Trinité) : « Un seul Dieu fils unique dans la forme d’un corps humain a grandi, inséré dans le sein de la vierge Marie, parce qu’il contient tout. Et celui à l’intérieur de qui tout est, est traité selon la loi de l’enfantement humain ». Saint Ambroise (livre de l’incarnation du Seigneur et des sacrements, chapitre 5) : « Étant toujours éternel, Dieu reçut les sacrements de l’incarnation, non divisé, mais en demeurant un, car l’un et l’autre sont un, et il est un dans l’un et l’autre, c’est-à-dire dans la divinité et le corps. Car celui qui nait du Père n’est pas différent de celui qui nait de Marie »
Saint Jérôme (Matt chap 14) : « Celui qui est monté prier seul ne le réfère pas à celui qui a rassasié mille hommes avec cinq pains, mais à celui qui, après avoir appris la mort de saint Jean, se retira dans la solitude, non que nous séparions la personne du Seigneur, mais parce que ses œuvre sont divisées entre œuvres qui viennent de Dieu et œuvres qui viennent de l’homme. ». Et dans son épitre sur la virginité à Eustoche : « Le Fils de Dieu, pour notre salut, est devenu un fils d’homme. Il attendit dix mois dans l’utérus avant de naître, et celui qui tient le monde dans sa main est contenu par une crèche ». Saint Augustin (enchiridion, chap 35) : « Le Fils de Dieu est donc le Christ Jésus, Dieu et homme. Dieu parce que Verbe de Dieu; homme parce que l’âme raisonnable et la chair sont associées au Verbe dans l’unité de la personne ». Et au chapitre 36 : « Car, qu’a mérité la nature humaine dans l’homme Christ pour être assumée dans l’unité de la personne du Fils unique de Dieu ? » Il dit des choses semblables dans le livre 13 de la trinité, chapitre 17, dans l’épitre 3 à Volus,, dans l’épitre 102 à Évod, dans l’épitre 120 à Honorat, chapitre 4. Et ailleurs.
Enfin, il n’y a rien que saint Léon 1 ne répète plus souvent dans tous ses sermons et ses lettres, mais surtout dans son épitre 97 à l’empereur Léon, chap 1 où il écrit : « Que Nestor soit donc anathématisé pour avoir cru que la vierge Marie n’était pas la mère de Dieu, mais seulement d’un homme, faisant de la chair une personne, et de la divinité une autre personne ».
[5 juillet 2017, 21h40 fin]
suite à la page 102 du pdf latin
12 juillet 2017 à 16:38 début
CHAPITRE 7 : Réfutation des arguments des adversaires
Il reste à réfuter les arguments des nestoriens. Ce sont, pour la plupart de purs sophismes. Premier argument (Jean 2). Le Seigneur a dit : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ». C’est de son humanité qu’il parlait : donc, le Dieu Christ et l’homme Christ sont deux personnes. Il n’a pas dit : détruisez-moi. Le temple et celui qui habite dans le temple ne peuvent donc pas être les mêmes. C’est cet argument que propose Théodoret dans sa réprobation des anathèmes de saint Cyrille. Il l’a ensuite plusieurs fois répété. Je réponds que cet argument démontre qu’il y a deux natures, mais non deux personnes. Car même, de notre âme, on dit qu’elle habite dans le corps comme dans son tabernacle, parce que la nature de l’âme est différente de la nature du corps. Et pourtant, pour ce corps et pour cette âme, il n’y a qu’une seule personne. On dit en Job 4 que les hommes habitent dans des maisons de boue. Et, en Corinthiens 2, l’apôtre dit : « Si la demeure terrestre de cette nôtre habitation. » Et au même endroit : « Nous qui sommes dans ce tabernacle, nous gémissons, accablés ». Et 2 Pierre 1 : « Prochaine est la déposition de mon tabernacle ». C’est donc avec raison que saint Jean Chrysostome (dans homélie 10 sur saint Jean) déduit de « et il a habité parmi nous », qu’il y a deux natures dans le Christ. Mais Théodoret n’a aucune raison d’y voir deux personnes.
Deuxième argument. L’apôtre (Phillip 2) dit ceci du Christ : « Fait à la ressemblance des hommes, et trouvé homme par son comportement ». Le Christ ne fut donc pas un homme, mais il a été semblable aux hommes à cause du revêtement de l’humanité. Comme quand un roi s’habille comme un paysan. Cela le rend semblable aux paysans, mais ne fait pas de lui un paysan. C’est pourquoi Théodoret (qui, comme nous l’avons dit plus haut, suivit pendant un certain temps les nestoriens) enseignait que le Verbe ne s’était pas fait homme, mais avait revêtu l’humanité. Je réponds avec saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, Theophylacte et Oecumenius, Le Christ n’a pas été un homme, mais a été semblable aux hommes, au sens qu’il donne ici à ce mot. Car, quand Paul dit que le Christ a été fait à la ressemblance de l’homme, et qu’il a été trouvé être un homme par son comportement, il donne au mot le sens qu’il a ordinairement, celui d’un homme conçu d’une semence virile, né dans le péché, et affaibli par les péchés. C’est ce que le Christ paraissait être, et ce qu’il n’était pas. Saint Paul emploie aussi le mot dans ce sens dans Galates 1, quand il dit que ce n’est pas d’un homme qu’il a appris l’évangile, mais du Christ. Il est clair que, dans ce passage, ce qu’il entend par homme, c’est un homme ordinaire. Autrement, il ne dirait pas : « mais du Christ », comme si le Christ n’était pas un homme. Alors que le même Paul a dit : « Un seul médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus ». (Timoth 2)
Saint Augustin (livre 83, question 73,) saint Cyrille (livre 11, Jean 14), et saint Thomas donnent au mot latin habitus le sens de vêtement. On peut donc répondre à l’argument qu’on appelle l’humanité vêtement du Verbe non parce que le Verbe n’est pas vraiment et substantiellement homme, mais à cause de la similitude existant entre les vêtements et l’humanité. Car, comme on reconnait les hommes par les vêtements, c’est par l’humanité que Dieu est connu. Et quand nous mettons des vêtements, nous choisissons ceux qui conviennent à la forme du corps, et nous changeons de vêtements et non de corps. De la même façon, quand le Verbe devint chair, l’humanité a été changée, tandis que le Verbe demeurait inchangé de façon permanente. Donc, pour ces raisons et d’autres, on peut donc dire que l’humanité est le vêtement du Verbe, pourvu qu’on dise que le Verbe s’est vraiment et substantiellement fait homme.
Troisième argument. (Hébreux 7). On dit du Fils de Dieu qu’il est sans mère, et sans généalogie. Puisqu’il a une mère et une généalogie, le Fils de Marie est donc différent du Fils de Dieu qui n’a ni l’une ni l’autre. Cassien a répondu avec justesse qu’on peut renvoyer cet argument aux adversaires. Car, au même endroit où on dit qu’il est sans mère et sans généalogie, on dit aussi du même qu’il est sans père. S’il faut entendre ce texte du Fils de Dieu, on devra donc en conclure qu’il est sans père, ce qui est contre Nestorius, lequel distingue le Fils de Dieu du fils de la vierge Marie. Cassien dit donc que l’apôtre a voulu présenter deux nativités du Christ, une sans mère, purement divine, et une sans père, purement humaine.
Le quatrième argument. Le nom de Dieu pris au sens strict ne signifie pas Dieu uni à l’homme, mais Dieu tout court. Ainsi, ce n’est pas Dieu que Marie a enfanté, mais un Dieu uni à l’homme. On ne doit donc pas l’appeler mère de Dieu, Cet argument de Nestor nous a été conservé par Théodoret dans son livre des fables païennes, à l’hérésie de Nestor. Je réponds que le nom de Dieu en lui-même ne signifie pas un dieu uni à un homme, mais ne l’exclut pas non plus. La conclusion qu’on en tire est donc déficiente. Que le nom de Dieu tout court puisse, selon les Écritures, être attribué à celui qui est né de la Vierge Marie, on le prouve en faisant remarquer qu’il a été attribué à celui qui est mort, car c’est le même qui meurt et qui naît. Actes 20 : « Veillez sur vous, dit saint Paul, et sur tout le troupeau où le Saint-Esprit vous a établis épiscopes, pour régir l’Église de Dieu qu’il a acquise dans son sang ». Et en Jean 1, 3 : « C’est en cela que nous connaissons la charité de Dieu, en ce qu’il a déposé son âme pour nous ».
Le cinquième argument. Le fils de Marie a dit : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » ( Matt 27) : « Père, sauve-moi de cette heure ! (Jean 12)» Et il eut besoin d’un consolateur. (Luc 22). Or, toutes ces choses ne conviennent pas au Fils de Dieu. Le fils de Marie était donc différent du Fils de Dieu, Saint Cyrille répond dans sa défense du quatrième anathème contre Théodoret, que toutes ces choses conviennent au Verbe de Dieu selon sa forme humaine, comme les choses qui leur sont contraires conviennent à sa forme divine. Car, il est vrai Dieu et vrai homme.
Le sixième argument. Personne ne peut engendrer quelqu’un qui lui est antérieur. Dieu est de loin antérieur à Marie. Marie ne peut donc pas l’engendrer, et ne peut en conséquence, pas être appelé mère de Dieu. Cet argument Cassien le réfute admirablement (dans son livre 7 de l’incarnation). Mais, je réponds brièvement. Quelqu’un ne peut pas engendrer un être qui lui est antérieur selon qu’il lui est antérieur. Or, Marie engendra le Christ Dieu non selon la divinité qui lui était antérieure, mais selon l’humanité qui lui était postérieure. Il ne faut pas s’étonner non plus que nous ne possédions pas d’exemple, car ce mystère est unique.
Le septième argument. Le fils doit être consubstantiel aux parents. Or, le Christ Dieu n’est pas consubstantiel à Marie, puisqu’il est éternel et tout puissant. Cassien a déjà réfuté cet argument de façon convaincante. L’enfant doit être consubstantiel aux parents selon la nature qu’il a reçue d’eux, c’est-à-dire dans la mesure où il est leur fils. Or, le Christ Dieu n’a pas reçu de Marie la nature divine, mais l’humaine; et il n’est son fils qu’en tant qu’il est homme. Il suffit donc qu’il soit consubstantiel à la mère en tant qu’homme, comme il est consubstantiel au Père en tant que Dieu.
Huitième argument. Le Christ est appelé un homme porte-Dieu par saint Basile dans le psaume 59. Je réponds que saint Basile ne dit pas que le Christ est un homme porte-Dieu, comme Théodoret le lui fait dire faussement dans sa réfutation du cinquième anathème. Ce qu’il dit c’est que la chair du Christ est la chair d’un porte-Dieu, c’est-à-dire de celle qui génère la chair du Christ. Entre l’homme et la chair, il n’y a pas une petite différence, puisque l’homme signifie la personne. Il en est ainsi de Dieu. La chair ne signifie pas la personne, mais la nature, ou plutôt une partie de la nature humaine. C’est pourquoi on ne peut pas dire du Christ qu’il est porte-Dieu, car on aurait alors deux personnes, l’homme et Dieu. Mais il est exact de dire que la chair porte Dieu, car la chair et la divinité sont deux natures, et l’une est comme le domicile ou le siège de l’autre. Ajoutons que saint Ignace, dans presque chacune de ses épitres, se donne le nom de Porte-Dieu. Et qui penserait que ce saint homme se soit attribué une expression qui ne serait propre qu’au Christ ?
Et si l’on trouvait que quelques pères aient appelé le Christ porte-Dieu (ce que moi-même je n’ai jamais vu), il faudrait donner au mot un sens acceptable, par exemple, que, en raison de son humanité, le Christ est le temple ou le siège de la divinité. Comme saint Augustin (enchiridion, chap 36, et dans le livre de la prédestination des saints, chap 18, et ailleurs) qui dit que le Fils de Dieu a assumé un homme, prenant le mot homme au sens d’humanité.
CHAPITRE 8 : On explique en quoi consiste proprement l’union hypostatique des deux natures.
Nous voici rendu à la quatrième partie de notre exposé. Nous y expliquerons ce que c’est que l’incarnation, et ce que veut dire précisément l’union hypostatique. Pour Brentius et Smidelinus, déjà cités, unir dans l’hypostase la nature humaine et la nature divine du Christ, ne signifie rien d’autre que communiquer à l’humanité du Christ tous les attributs, et toutes les propriétés de la divinité. Non par elle-même, mais par accident. C’est ce qu’explique, en de nombreuses répétitions, la concorde récemment éditée (article 8). Cela ne se fait pas, selon eux, par des dons créés et infus, ni de façon à ce que ces attributs divins deviennent des propriétés naturelles de l’humanité, mais parce que la divinité habite dans l’humanité du Christ comme dans son propre corps, et jouit là de toute sa majesté, de sa puissance, de sa sagesse, et de sa justice. Et parce qu’elle opère en elle et par elle. L’union qu’ils conçoivent est donc celle qui existe entre un agent principal et un instrument. C’est pourquoi Brentius aussi bien que Smidelinus veulent que le Christ ne diffère des autres hommes que par l’énergie, car par le Christ Dieu fait tout, et par les autres il fait certaines choses. Cet enseignement est complètement faux, ou ouvertement nestorien, ou encore pire.
La véritable doctrine consiste en ceci. Unir dans l’hypostase Dieu et l’homme signifie seulement que la nature humaine n’a pas sa propre subsistance, mais qu’elle a été assumée par le Verbe éternel dans la subsistance même du Verbe. Pour que cela se comprenne plus facilement, examinons les trois façons dont on peut unir des choses. La première, essentiellement, quand de plusieurs choses on fait une seule essence, comme s’unissent la matière et la forme, le genre et l’espèce. Il est évident que ce n’est pas de cette façon qu’a été faite l’union de l’incarnation, car alors la nature, dans le Christ, aurait été unique, ni divine, ni humaine, mais une troisième. Et parce qu’une union essentielle ne se fait jamais qu’avec des natures imparfaites, ou si c’est avec des natures parfaites, par la corruption ou la conversion en une autre. Or, dans le Christ, les natures sont parfaites et intègres.
La seconde, accidentellement, comme quand des accidents sont unis à un sujet, ou quand une substance s’accouple à une substance, mais que de cet accouplement ne surgit qu’une forme accidentelle, comme quand on fait une maison avec des pierres et des madriers. Ce n’est pas non plus de cette façon que s’est faite l’union hypostatique, car Dieu, comme tous le savent, ne peut pas être un accident, ni le sujet d’accidents.
La troisième manière, substantiellement, comme quand une substance, qui autrement existerait par elle-même, est attirée à être d’un autre suppôt, et dépend de lui comme d’une de ses parties. C’est de cette façon qu’a été faite l’incarnation. Et bien qu’il n’y ait aucun autre exemple absolument similaire, les docteurs en donnent quelques-uns qui fournissent une certaine illustration. Le premier est celui de l’âme et du corps, dont se servent saint Justin (dans son livre de la confession de la foi droite), saint Athanase (dans son symbole) et saint Augustin (dans l’épitre 3 à Volus). Car l’âme rationnelle existe en dehors du corps, et le corps subsiste par lui-même avant d’avoir été animé. Et, pourtant quand ils s’unissent, une seule subsistance est formée des deux. Mais cet exemple est très défectueux. D’abord, parce que l’âme et le corps sont des natures imparfaites, ensuite, parce qu’ils font une seule nature. Enfin, parce qu’aucun des deux n’attire l’autre à sa subsistance, mais ils dépendent l’un et l’autre d’une troisième subsistance, qui est celle de tout le composé. Or, dans le mystère de l’incarnation, le Verbe, qui subsiste parfaitement en lui-même, attire à lui la nature humaine.
Le second exemple est celui du fer igné, dont se sont servi saint Basile (dans son discours sur la trinité), saint Jean Damascène (livre 3, chap 11), Origène (livre 2 des principes, chapitre 6) parce que le fer incandescent est une seule chose, tout en ayant les propriétés du fer et du feu. Cette comparaison plaît énormément à Brentius, à Kemnitius et aux autres adversaires, et pourtant elle est nettement insuffisante en presque tout. Car, dans le fer incandescent, la chaleur est fournie par le fer, non contre le fer. Et pourtant, ils veulent ceux-là que la chaleur représente Dieu, et le fer l’homme. De plus, la chaleur n’est pas une substance, mais un accident. Il ne se fait pas non plus de communication des idiomes, car on ne dit pas que le fer est la chaleur, ni que la chaleur est le fer. Enfin, la chaleur n’est pas attirée vers la subsistance du fer, ni vice-versa.
Le troisième exemple est tiré de l’homme, dans lequel sont deux formes accidentelles, comme l’art de la médecine et l’art de la jurisprudence. Car, dans ce cas, le suppôt est unique, mais il reçoit quand même des appellations diverses, fait des travaux différents; et les idiomes se communiquent. Car c’est le même homme qui est à la fois médecin et avocat, et on peut dire que l’avocat guérit des malades, et que le médecin plaide une cause. Saint Augustin se sert de cette comparaison dans l’épitre 99 où il dit que cette proposition « Dieu est mort » est semblable à cette autre : « Le philosophe est mort ». Car, comme la philosophie ne peut pas mourir, et qu’on dit quand même qu’un philosophe est mort quand cet homme a cessé de vivre, parce qu’il était philosophe, de la même façon, bien que la divinité ne puisse mourir, on dit quand même que Dieu est mort, parce qu’est mort cet homme qui était aussi Dieu. Cette comparaison Jean Scott l’estime plus que toutes les autres (3 dist. 1 quest), même si elle est, elle aussi, déficiente. Car ce sont là des formes accidentelles, qui ne sont pas attirées vers la subsistance de l’homme, ce qui est ici le point principal à considérer.
Le quatrième exemple est celui donné par saint Thomas et saint Bonaventure (3 dist 1quest 1). Ils comparent ce mystère à un arbre, dans lequel on insère une branche d’une autre espèce. Exemple : un poirier dans lequel on greffe un pommier. La substance du poirier est là en premier, et se comporte comme un vrai suppôt, et il n’est pas affecté par une mauvaise greffe de pommier. Et après la greffe, il nourrit cette branche, qui, autrement, subsisterait par lui-même. Et on l’appelle poirier et pommier, car il fait des poires et des pommes, On peut aussi appeler le poirier pommier, et le pommier poirier. Et si cette greffe séchait et reverdissait, le poirier ne connaîtrait pas de changement à cause de cela, car c’est dans la greffe que s’opère tout le changement.
C’est ainsi que le Verbe divin, à l’instar d’un grand arbre, reçoit, sur son tronc, la branche de la nature humaine, merveilleusement insérée par l’agriculteur céleste. C’est ainsi que le Verbe devient Dieu et homme, et fait des œuvres divines et humaines, le Verbe ne dépendant pas de l’humanité, mais l’humanité du Verbe. Et c’est ainsi aussi que, quand par la passion et la mort, l’humanité s’est en quelque sorte desséchée, pour refleurir ensuite par la résurrection, aucun changement n’a été fait dans le Verbe, toute la mutation ayant lieu dans l’humanité.
Mais, comme on dit, toute comparaison cloche. Voilà pourquoi saint Bernard (sermon 3 de la vigile de la nativité), et saint Jean Damascène (livre 3, chap 5), comparent le mystère de l’incarnation au mystère de la trinité, pour pouvoir illustrer quelque chose d’unique par quelque chose d’unique. Comme il est tout à fait singulier qu’il y ait en Dieu trois hypostases parfaites, avec une nature simple et unique, il est aussi singulier qu’il y ait dans le Christ trois natures (la déité, l’âme et le corps), avec une seule hypostase. Même s’il semble étrange de parler de trois natures dans le Christ, c’est quelque chose qu’on retrouve dans saint Augustin lui-même (livre de la trinité, chapitre 17).
Après ces explications, il reste à démontrer que l’union hypostatique consiste dans la communication de la subsistance du Verbe, non dans la communication des attributs de la divinité. Nous montrerons d’abord, par les Écritures, qu’il y a dans le Christ une seule personne et deux natures. Or, cela ne peut être vrai que s’il n’y a dans le Christ qu’une seule subsistance. Car, s’il y en avait deux, il aurait deux personnes, puisque la personne est une nature intellectuelle existant par elle-même. Si dans le Christ il n’y a qu’une seule subsistance, ou le Verbe a communiqué la sienne à l’humanité, ou l’humanité au Verbe. Et comme tous reconnaissent que ce n’est pas l’humanité qui a communiqué sa subsistance au Verbe, c’est donc le Verbe qui a communiqué la sienne à l’humanité. Et c’est ainsi que s’est faite l’union hypostatique.
On peut aussi le prouver par les graves témoignages des conciles que les adversaires eux-mêmes reconnaissent. Dans l’épitre du concile d’Alexandrie où se trouvent les 12 anathèmes, laquelle a été reçue et approuvée par les synodes d’Éphèse et de Chalcédoine, voici ce qu’on lit dans l’anathème 2 : « Si quelqu’un ne confesse pas que le Verbe du Dieu Père s’est uni à la chair selon la subsistance, qu’il soit anathème ! » Et anathème 3 : « Si, dans un seul Christ, quelqu’un divise des subsistances après l’union, qu’il soit anathème ! » Et l’anathème 4 : « Si quelqu’un attribue à deux personnes ou deux subsistances les paroles qui sont écrites du Christ dans les évangiles ou dans les écrits des apôtres, qu’il soit anathème ! »
Ajoutons que (dans son apologie en défense de l’anathème 4) saint Cyrille a fait siennes les paroles du pape saint Jules : « Le Fils de Dieu s’est incarné de la Vierge. Il a habité ensuite parmi les hommes, non en opérant une énergie dans l’homme, comme cela s’est produit chez les prophètes et les apôtres, mais comme Dieu parfait dans sa chair ». Vous voyez comme cette phrase est contraire à l’enseignement de Brentius sur l’incarnation. Et dans un autre passage de son apologie, contre Théodoret, il cite la phrase de Théodoret contre l’anathème 2 : « Nous ignorons, de toutes les façons, une union selon la subsistance ». Ce qui est une confession limpide de l’hérésie.
De même, dans le concile de Chalcédoine (article 5) : « Nous enseignons un Fils unique, Verbe de Dieu, demeurant sauve la propriété de chaque nature, et concourant chacune à ne former qu’une seule personne ou subsistance.» Tu noteras qu’en ce passage, les propriétés des personnes ne sont pas mélangées, et que ne sont donc pas communiqués à une nature les attributs de l’autre, mais que c’est la subsistance seule qui est communiquée. Même chose dans le synode 5 : « Si quelqu’un dit que l’union a été faite selon la grâce, ou l’opération, ou la dignité, ou l’égalité d’honneur, l’amour, la vertu, qu’il soit anathème ! ». Et, plus bas : « Rejetant l’impiété de l’un et de l’autre, la sainte Église confesse l’union selon la composition, c’est-à-dire selon la subsistance ». Quoi de plus clair contre Brentius et ses adeptes, qui ont introduit une union faite selon la grâce, l’opération et la dignité ? Et le canon 5 du même concile : « Si quelqu’un s’efforce d’introduire deux subsistances ou deux personnes dans le mystère du Christ, s’il dit que c’est selon la dignité, l’honneur, l’adoration qu’il n’y a qu’une seule personne en lui, ou ne confesse pas que c’est au Verbe de Dieu que la chair a été unie, et que, à cause de cela, il n’y a en lui qu’une seule subsistance, sa subsistance à lui, qu’il soit anathème! »
De même, dans le concile du Latran sous Martin premier, (consultation ultime, chap 6) : « Si quelqu’un ne confesse pas, comme les saints Pères, proprement et véritablement, que de deux natures et en deux natures unies substantiellement sans confusion et sans division, il n’y a qu’un seul et même Seigneur et Dieu Christ, qu’il soit condamné ! » La même chose dans le symbole 6 (acte 4, dans la lettre d’Agathon, que tout le concile a reçue) : « Ils ne prêchent pas l’union que l’on sait être faite selon la subsistance, mais, en blasphémant, ils réunissent, par l’affection de la volonté, deux subsistances ou deux suppôts. ». Nous avons la même chose à l’acte 217, dans la définition du concile. Tu verras là clairement exprimé que sont condamnés comme blasphémateurs tous ceux qui expliquent l’union hypostatique autrement que par la subsistance.
Nous le prouvons en troisième lieu par l’argument du concile de Tolède 6, (chap 1) : « Seul le Fils de Dieu est incarné. L’union se fait donc par la communication de ce qui est propre au Fils, non de ce qui est commun aux trois personnes. Or, seule la subsistance du Fils est propre au Fils; et tous les attributs essentiels sont communs aux trois personnes. L’union hypostatique se fait donc par la communication de la seule subsistance ». Ce raisonnement est tout à fait convaincant. Ou ce que nous disons est vrai, ou c’est toute la trinité qui s’est incarnée, si est vraie la définition de Brentius et de Smidelinus. Car ces soit disant attributs communiqués sont communs à toute la trinité.
En quatrième lieu. Le Père éternel a communiqué très parfaitement à son Fils tous ses attributs, et beaucoup plus parfaitement que Brentius voudrait qu’ils ne soient communiqués par le Fils de Dieu au fils de l’homme. Mais, cependant, comme le Père ne communique pas au Fils sa propre subsistance, ils ne sont pas unis par l’hypostase, mais c’est plutôt par l’hypostase que le Père et le Fils se distinguent l’un de l’autre. L’union hypostatique ne consiste donc pas dans la communication des attributs, mais de la seule subsistance. Ce raisonnement nous force à admettre ou que le Père et le Fils sont une seule hypostase --si la définition de Brentius et de Smidelinus est exacte—ou ils devront avouer, bon gré mal gré, que l’union hypostatique ne consiste pas dans la communication des attributs divins.
Ils diront peut-être que, avec les autres attributs, est communiquée aussi la subsistance. Mais leurs paroles donnent un autre son de cloche. Car, Brentius (dans le livre de la majesté du Christ homme), voulant démontrer ce qu’il y a de propre à l’union hypostatique qui distingue le Christ des autres hommes, s’exprime ainsi : « Donc, la différence qui existe entre Pierre et le Christ ne provient pas fondamentalement de l’inhabitation du Fils de Dieu, mais de la communication de ses propriétés. Car, bien que le Fils de Dieu remplisse Pierre de son essence comme il emplit aussi le Christ homme, il ne lui communique pas toutes ses propriétés, mais seulement quelques-unes. Il vivifie Pierre, il le conserve en vie, il lui donne le pouvoir de chasser les démons, et même de ressusciter les morts. Mais tous ces dons ne le font pas tout-puissant, omniscient, omni savant, omni juste, et omniprésent. Mais le Père orne le Fils non de quelques dons seulement, mais de tous absolument.» Et plus bas : « Montre qu’il a été fait capable de toutes les propriétés divines sans aucune exception. Et s’il ne possédait pas cette capacité, il n’y aurait pas de différence entre lui et les autres hommes, et le Verbe n’aurait pas pu se faire chair ». Les thèses de Smidelinus et le livre de la concorde sont similaires, et je ne vois en aucun endroit qu’ils fassent mention de subsistance. Ils n’en ont que pour les attributs.
De plus, quoi qu’il en soit de la subsistance, la communication de tous les attributs est à ce point pour eux essentielle à la notion d’union hypostatique, que si elle faisait défaut, il n’y aurait pas d’union hypostatique. Et si elle est présente, l’union hypostatique existe. Car Brentius va jusqu’à affirmer que si Pierre était tout-puissant et omniprésent, il serait uni à Dieu dans l’hypostase. Ceci étant établi, les raisons par eux alléguées nous amènent à la conclusion que c’est toute la trinité qui se serait incarnée, et que le Père et le Fils ont une seule hypostase.
De plus, deux choses absurdes s’ensuivent qui sont contre la foi, et qu’on peut considérer comme les sixième et septième arguments. D’abord, le corps mort du Christ, n’aurait pas été, pendant trois jours, uni hypostatiquement au Verbe. Car un corps mort n’est pas capable de toute puissance, d’omniscience etc… Ensuite, le Christ homme n’a pas toujours été Dieu, car le Christ s’est mérité certains dons comme la gloire du corps, et l’exaltation de son nom, même son ascension au ciel et sa session à la droite du Père. Car on lit en saint Luc, à la fin : « Il fallait que le Christ souffre, et entre ainsi dans sa gloire ». Et phillip 2 : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort…C’est à cause de cela que Dieu l’a exalté ». Et Hébreux 2 : « Nous voyons que c’est à cause de sa passion que Jésus a été couronné de gloire et d’honneur ».
Et si la communication de tous les dons est requise à la constitution de l’union hypostatique, le Christ a donc mérité son union hypostatique, en partie du moins. Il existait donc avant d’être uni hypostatiquement, car on ne peut mériter sans exister. L’union hypostatique n’a donc pas toujours existé, ce qui est l’hérésie de Pélage. En septième lieu. Si l’union hypostatique requérait la communication de tous les attributs divins, une telle union serait impossible, car il y a beaucoup d’attributs qui sont propres à Dieu qui ne peuvent, sans contradiction, être communiquées à des créatures. Comme le fait d’être incréé, d’être un acte pur, un être infini, et d’autres choses semblables. Qu’ils puissent avoir été communicables ou non, il est sûr que certains de ces attributs n’ont pas été communiqués à l’humanité du Christ, comme manquer de début dans le temps, créer le ciel, la terre et les anges, et tout ce qui a existé avant l’humanité du Christ. Il y en a quelques-uns qui n’ont été accordés qu’après la résurrection, comme être impassible, et immortel. Et pourtant, avant la résurrection, l’union hypostatique existait. Ne vaut pas l’explication de ceux qui disent que le Christ a du cacher sa majesté pendant le temps de l’anéantissement, car ces dons, loin de les cacher, il ne les avait pas. À moins qu’ils enseignent que le corps du Christ a toujours été immortel et impassible, ce qui est l’hérésie d’Évagre (livre 4, histoire de l’église, chapitres 38 et 39).
En huitième lieu. Ils reconnaissent eux-mêmes que c’est accidentellement que ces dons conviennent à l’humanité du Christ (comme la thèse 22 de Smidelinus nous le montre). Or, l’union hypostatique n’est pas accidentelle, mais substantielle, comme l’enseignent les conciles cités et surtout le cinquième (chapitres 4 et 5). De même. De cette façon, le Christ homme serait fils de Dieu par grâce, et non par nature. Ce qui répugne à l’enseignement de tous les pères. De plus, un homme ne pourrait pas être vraiment appelé Dieu, ni Dieu homme. Car cette union accidentelle ne se fait pas par l’inhérence des dons, comme ils le disent avec raison, car ils parlent de dons incréés qui sont de l’essence même de Dieu. Mais elle se fait par une conjonction extrinsèque du genre de celle qui existe entre un agent principal et un instrument, comme entre un navire et son pilote. Car ils enseignent que l’union de Dieu et de l’homme consiste en ceci que Dieu opère tout par cet homme. Or, une telle union ne parvient pas à communiquer tous les noms et toutes les propriétés. Car on ne peut pas appeler le pilote navire, ni le navire pilote. On ne peut donc pas dire que le Christ homme est Dieu, ni que le Christ Dieu est homme. Nous dirons la même chose des propriétés. Comme on ne peut pas dire du pilote qu’il est dénué de sens et de raison, comme l’est le navire, on ne peut pas dire non plus du navire qu’il est sensible et intelligent, comme l’est le pilote. De la même façon, on ne peut pas dire que Dieu Christ a été crucifié, ce qui convient à l’homme; et on ne peut pas dire de l’homme Christ qu’il est tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, ce qui convient à Dieu en propre.
Enfin, si l’union hypostatique n’était que cette communication accidentelle des dons, nous serions nous aussi unis à Dieu hypostatiquement, même si à un moindre degré. Car, le fait que le Christ ait plus de dons que nous ne change pas l’espèce. Ajoutons qu’ils ne possèdent aucun argument de valeur. Le plus important, et celui que Brentius répète souvent, est que, s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de différence entre l’union du Christ avec la divinité, et celle de Pierre et de tous les hommes avec Dieu, puisque Dieu soutient tous, est à l’intérieur de tous, par son essence, sa présence et sa puissance. La seule différence étant que par l’homme Christ, il opère toutes choses. Mais il est facile de réfuter cela, car la vraie différence consiste en ceci que l’humanité du Christ n’a pas de subsistance propre, mais existe dans le Verbe. Saint Athanase se sert de la comparaison suivante dans son symbole : « Comme l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, ainsi l’homme et Dieu sont un seul Christ ». Et les autres hommes ont une subsistance propre réelle et distincte de celle qui est dans le Verbe de Dieu. Et c’est ainsi que Dieu soutient autrement Pierre, et autrement la chair du Christ. Car on dit que Dieu soutient Pierre, parce qu’il le conserve avec son essence et sa subsistance, comme quand quelqu’un tient un bâton dans sa main. Mais le Verbe de Dieu soutient l’humanité du Christ de la façon dont il soutient des parties qui lui sont intimement unies.
CHAPITRE 9 : On propose une question. Est-ce que, de l’union hypostatique découle la communication réelle de tous les attributs divins, et surtout de l’immensité et de l’ubiquité ?
Il reste encore un point à régler. Nous avons montré que l’union hypostatique ne consiste pas dans la communication de tous les attributs divins. Mais peut-on dire que cette union hypostatique entraîne la communication à l’humanité du Christ de tous les attributs divins, ou de quelques-uns, comme, par exemple, l’omniprésence ? Kemnitius (dans son livre des deux natures, chapitres 4, 21, 23) enseigne que cette communication n’est pas de l’essence de l’union hypostatique, s’opposant ainsi ouvertement à Brentius et à Smidelinus. Mais il soutient que cette communication est une conséquence de l’union hypostatique, qu’elle a vraiment eu lieu, et que la nature humaine a été rendue toute puissante et omniprésente. Wigandus dit des choses semblables (dans son livre sur la communication des idiomes), Mais il précise que certains attributs n’ont été communiqués que verbalement, comme être Créateur du ciel et de la terre, parce qu’alors, le Fils de Dieu n’était pas homme. Les autres attributs il les reçoit réellement, et, en particulier, l’ubiquité.
Nicolas Selneccerus enseigne la même chose (dans sa pédagogie, dans son épitre aux théologiens de Wirtemberg, dans ses écrits de l’année 1571). La phrase suivante, « la nature humaine dans le Christ n’est pas toute puissante », il la considère blasphématoire. Et il enseigne, au même endroit, que les dons infinis ont été réellement communiqués à l’humanité du Christ, en vertu de l’union hypostatique. Et il ajoute ces paroles qui semblent confondre les propriétés des natures : « En ce qui a trait à la puissance, nous disons avec saint Paul que si nous avons autrefois connu le Christ selon la chair, nous le connaissons plus ainsi maintenant. L’infirmité de la chair ayant cessé, nous ne connaissons rien d’autre en lui que la vertu de la divinité. » Et plus bas : « Et à cause de cela, en plus de tout ce qu’il a été auparavant, de ce qu’il est maintenant, et de la permanence de sa double nature, il a été fait d’une seule et même vertu ». De plus, tous les luthériens cités plus haut au début de ce livre, soutiennent cette communication réelle, même si les uns disent qu’elle fait essentiellement partie de l’union hypostatique, et d’autres qu’elle n’en est que la conséquence.
La doctrine catholique enseigne deux choses. D’abord que l’union hypostatique eut pour conséquence, dans l’humanité du Christ, l’octroi de plusieurs donc créés et infus, comme une grâce très excellente, une très grande sagesse, une singulière puissance, et d’autres du même genre. Mais ces dons ne sont pas des attributs de la divinité, à moins que ce ne soit par participation, comme nous aussi nous participons aux attributs de Dieu par des qualités créées, bien que moins parfaitement que l’humanité du Christ. Mais il n’y a pas dans tout cela de communication des idiomes, car cette communication doit être mutuelle. Or, la communication n’est pas réciproque ou mutuelle, car la divinité n’est pas dotée de dons pas les humains. Ensuite, de l’union hypostatique procède la communication des idiomes, laquelle n’est pas réelle par rapport à ces mêmes natures, comme si la divinité devenait passible et l’humanité impassible ou réellement toute puissante, comme le veulent les luthériens. Elle n’est pas non plus simplement verbale, comme le veut Bède (dans son livre contre Brentius) et Pierre le martyr (dans son dialogue sur les deux natures). Elle est réelle, mais par rapport à l’hypostase de chacune des deux natures, et non par rapport aux natures elles-mêmes, comme l’enseignent les Pères, saint Ambroise (livre 2 sur la foi, chap 4), saint Augustin (livre 1 sur la trinité, chapitre 13) saint Cyrille (dans sa défense de l’anathème 4), et saint Jean Damascène (livre 3, chap 4). Saint Jean Damascène, entre autres, enseigne que la communication des idiomes n’est rien d’autre que l’application des propriétés de chaque nature à une hypostase commune, et donc à ces natures dans le concret, car les noms concrets peuvent être reçus comme des suppôts, même s’ils signifient formellement des natures.
C’est pourquoi nous avons raison de dire que c’est Dieu qui est né de la vierge, qui a souffert et qui est mort. Car on peut entendre le mot Dieu au sens de suppôt divin, et donc de suppôt de la seconde personne, lequel est à la fois divin et humain. Ce suppôt, en effet, est vraiment et réellement Dieu, et il est vraiment et réellement homme. Il est donc vraiment et réellement né de la vierge Marie, a réellement souffert et est réellement mort. Pour une raison semblable, nous disons que le Christ homme est tout-puissant, éternel et partout présent, car l’homme dans le concret tient lieu de suppôt humain. Mais dans le Christ, le suppôt humain et le suppôt divin sont une seule et même chose. Et, comme il est divin, il est tout-puissant, éternel et présent partout. Tout cela est facile à prouver. Mais pour rendre la chose plus intelligible, parlons d’abord des idiomes en général, ensuite seulement, de l’ubiquité.
CHAPITRE 10 : De l’union hypostatique n’a pas découlé, pour les natures, la communication des idiomes.
Que les attributs ou idiomes n’aient pas été communiqués réellement d’une nature à l’autre en vertu de l’union hypostatique, ce sont les conciles sacrés qui l’enseignent. Car, dans le concile de Chalcédoine, (acte 5) nous lisons : « Étant sauve la propriété de chacune des deux natures, et concourant toutes les d’eux à l’unité d’une seule personne etc. » Nous avons la même chose dans le concile 4 (actes 4 et 17), et dans le concile du pape Martin, (chap 9) et dans l’épitre de saint Léon à Flavien. Ensuite, dans le concile 6 (acte 17), et dans le concile de Martin, canons 10, 11, 12, et dans les autres. On y définit là, contre les monothélites, qu’il n’y a, dans le Christ, que deux natures avec ses propriétés, mais qu’il a aussi deux volontés et deux opérations existant sans confusion. Il y aussi l’épitre du pape Agathon qui a été lue dans le concile 6 (acte 4), et qui a été approuvée par tout le concile : « Dans le Christ tout existe en double, les natures, les volontés, les propriétés, les opérations, à l’exception de la subsistance qui est unique. » Et on ajoute que « c’est des propriétés des deux natures qu’on déduit la non confusion des deux natures. » On peut aussi conclure de cela que les propriétés elles-mêmes demeurent distinctes et sans mélange.
Ces définitions des conciles nous font comprendre que nos adversaires errent de bien des manières. Car, si les attributs d’une nature se communiquaient vraiment à l’autre, et vice-versa, les propriétés ne demeureraient certainement pas distinctes et sans confusion. Comment pourraient-elles demeurer distinctes si la nature humaine a les propriétés divines, et la nature divine les propriétés humaines ? De même, si elles sont communiquées, elles ne sont plus des choses qu’une nature possède en propre, mais des choses communes. Comment ce qui est propre à quelqu’un peut-il être commun à plusieurs ? De même. Il y a plusieurs propriétés qui sont incompatibles, qui ne peuvent pas cohabiter dans la même personne, comme être créé et être incréé, fini et infini, être présent partout ou à un seul endroit. Si la nature divine reçoit les propriétés humaines, elle est donc forcée de perdre les siennes; et si la nature humaine reçoit les propriétés divines, elle est, elle aussi, forcée de perdre les siennes. Comment donc l’incarnation aurait-elle alors pu avoir lieu, en maintenant sauves les propriétés de chaque nature ?
Saint Augustin s’exprime donc avec toute la précision voulue (sermon 191, le 3ième sur la trinité) : « Nous exécrons semblablement le blasphème de ceux qui promeuvent une nouvelle doctrine, à savoir que, au moment de l’incarnation, tout ce qui était de la divinité a émigré dans l’homme, et tout ce qui était de l’homme a été transfusé en Dieu, chose qu’aucune hérésie n’a jamais osé affirmer. Il semble que, par cette confusion réciproque, les substances de la divinité et de l’humanité aient été anéanties, et que, après avoir perdu leur statut premier, elles aient été changées en autre chose ».
Mais nos adversaires ne se tiennent pas pour battus. Voici ce qu’ils répondent. Et d’abord Brentius (livre de la majesté du Christ homme). Il prétend que le concile de Chalcédoine n’a parlé que des propriétés essentielles, et non des accidentelles, comme être dans un seul lien, être corruptible etc. Mais cette explication pourrait être une réponse à la troisième conséquence, non à la première, ni à la deuxième. Car, être d’une puissance finie, d’une majesté finie, et d’une vertu limitée, ce sont des propriétés inséparables de la créature. Et ce qui leur est contraire se rapporte à l’essence infinie. Donc, attribuer à l’humanité, qui est une créature et un être fini, une puissance infinie et une majesté infinie, de telle sorte qu’elle soit présente non seulement sur toute la terre, mais dans les milliards de galaxies, comme l’est la divinité, c’est tout simplement enlever à l’humanité ses propriétés essentielles. Or, c’est en plein cela qu’ils disent. Car, ils veulent que l’humanité du Christ soit toute puissante et présente partout, de la façon dont l’est Dieu, qui n’est pas seulement présent dans notre monde, mais qui peut remplir des mondes indéfinis.
De plus, il suivrait de tout cela qu’il y aurait dans le monde deux toutes puissances immenses et infinies, celle de la divinité et de l’humanité du Christ. Ce qui est contre le symbole d’Athanase, et contre toutes les Écritures. Ils ne peuvent pas non plus répondre qu’il n’y a, dans ces deux natures, qu’une seule toute puissance, une seule infinité et une seule immensité, comme il n’y a qu’une seule et même nature pour les trois personnes. Car la toute puissance, l’infinité et l’immensité de Dieu ne sont rien d’autre que son essence. L’omnipotence de Dieu et de l’humanité ne peuvent donc être la même, que si Dieu et l’humanité ont la même essence, comme les trois personnes ont la même essence. On revient toujours à la même erreur, la confusion des natures.
Les auteurs de la concorde (dans leur répétition des articles 8 des controverses), et Kemnitius (dans son livre des deux natures chap 21, 22,23) enseignent que les propriétés humaines ne sont pas réellement communiquées à la divinité, et que la nature divine demeure donc sans changement. Ils ajoutent ensuite que les propriétés divines sont réellement communiquées à la nature humaine, sans être enlevées à Dieu, et sans que les propriétés ne se mélangent, car ils disent que les propriétés divines ne deviennent jamais des propriétés naturelles et essentielles de l’humanité, puisqu’elles ne lui sont communiquées que par la grâce. Comme l’union du corps et de l’âme ne fait pas, de propriétés spirituelles, des propriétés corporelles. Ces propriétés spirituelles ne sont que communiquées au corps, car l’âme qui habite en lui, opère tout en et par lui.
Kemnitius ajoute la comparaison du fer incandescent, de laquelle se sont servis des Pères de l’église, comme nous l’avons déjà dit. Kemtinius pense que cette image exprime de la façon la plus claire possible, comment la communication des attributs se fait en maintenant sauves les propriétés de chacune des deux natures. Mais cette réponse n’est pas suffisante. D’abord parce que si les propriétés humaines ne sont pas attribuées à la divinité, il s’ensuit que n’existe pas la communication mutuelle des idiomes, ce qui est contre tous les anciens, et spécialement saint Jean Damascène ( livre 3, chap 4). Que dire d’autre sinon que ce raisonnement les force à prendre leurs distances avec Luther, qui a enseigné ouvertement qu’il fallait attribuer à la divinité les souffrances de la passion du Christ ?
Deuxièmement, il n’est pas vrai que Dieu opère tout par la chair. Car au moins les actions immanentes, comme penser et aimer le divin n’étaient pas produites par la chair. De même la résurrection des morts de la chair du Christ ne s’est pas faite au moyen de la chair, mais par l’Esprit de Dieu (Rom 8). Troisièmement. Tous les attributs de Dieu ne consistent pas dans une opération externe, comme par exemple, celui de la simplicité, de l’infinité, de la sagesse, de la puissance, de la bonté. Donc, même si Dieu opérait par la chair toutes les choses externes, il ne lui communiquerait pas à cause de cela ses attributs propres. De plus, même si la déité opérait tout par l’humanité, et si tous les attributs étaient mis en oeuvre, on ne pourrait quand même pas dire de l’humanité qu’elle est toute puissante, omnisciente, la justice elle-même. Car, l’appellation de cause principale ne convient pas non plus à un instrument. Autrement, quand quelqu’un aurait écrit avec science et sagesse, on dirait que la plume est savante et sage.
Enfin, cette comparaison de l’âme et du corps leur est contraire, car l’âme ne communique pas au corps ses vraies propriétés, ni le corps à l’âme. Car le corps ne comprend pas, ne discoure pas, ne délibère pas sur les choses qui sont propres à l’âme. À l’inverse, on ne dit pas que l’âme courre, s’assoie, ait faim, ait soif, choses qui sont propres au corps. Et de plus, l’âme qui est toute entière dans la tête, où n’est pas le pied, est toute entière dans le pied, où n’est pas la tête.
La comparaison du fer incandescent n’aide en rien Kemnitius. Elle montre au contraire le défaut de sa cuirasse. Il dit que le feu communique au fer sa propre capacité de brûler et d’éclairer, non par l’information mais par l’union, selon laquelle le fer est pénétré de toute part par le feu. Et il ajoute que le fer conserve encore ses propriétés, comme sa dureté naturelle, sa couleur noire, la frigidité, même si elles n’apparaissent pas. Il saute aux yeux que celui qui énonce de pareilles sornettes manque de sens commun. Car, à moins d’un miracle ou d’un prodige, des propriétés physiques (la couleur, le froid, etc) qui n’apparaissent pas n’existent pas. Et qui a jamais vu de la noirceur dans un fer incandescent ? Qui a jamais senti du froid ? Qui parlerait de dureté pour une chose que l’on plie comme de la cire ?
Mais Kemnitius dit que si on enlevait le feu, les propriétés de noirceur, de froideur et de dureté apparaîtraient. Elles étaient donc là avant, pense-t-il. Je réponds que si on éloigne le feu du fer, la chaleur du fer diminue et son incandescence aussi, que non seulement le feu produisaient mais conservaient. C’est pourquoi, quand le froid et la noirceur se trouvent de nouveau dans le fer, ne se montre pas au grand jour quelque chose qui s’était caché, mais retourne ce qui était avant. De plus, cela parait paradoxal que le feu pénètre tout le fer non par la chaleur produite, mais par lui-même, et que le fer brûle et éclaire non par la chaleur reçue du feu, mais par le fer lui-même en feu. Car, de cette façon, sans aucun miracle, la substance du feu pénètrerait une autre substance, ce que les corps glorieux ne font que par la vertu divine, comme l’enseigne saint Thomas (4 sent. d. 44. q .2, art 2). Et de plus, même si le feu pénétrait au cœur du fer, il est certain qu’il ne serait jamais vrai de dire que le fer brûle, que le fer éclaire, à moins que le fer ne soit affecté des qualités inhérentes à la couleur et à la lumière. Mais il faudra dire alors : le feu qui est dans le fer brûle et éclaire. Ajoutons que dans l’exemple du fer incandescent, on n’aperçoit pas la communication des idiomes, que l’on remarque dans l’incarnation. Car, on ne dit pas que le fer est le feu, ni le feu le fer, comme nous disons que Dieu est homme, et qu’un homme est Dieu.
Que ne nous trouble pas le fait que les pères aient utilisé cette comparaison, car ils ne s’en servaient pas pour illustrer la communication des idiomes, ni la totalité du mystère de l’incarnation, mais un de ses aspects seulement, à savoir, comment la divinité n’a-t-elle pas été affectée par l’incarnation, et comment l’humanité a-t-elle reçu un surcroit de perfection par l’incarnation. Tout comme le feu qui, dans le fer, ne noircit pas, ne se refroidit pas, et n’est pas éteint par la rouille. Voilà pour les attributs en général.
CHAPITRE 11 : Réfutation de l’ubiquité de l’humanité du Christ, comme contraire aux Écritures.
Nous allons traiter maintenant en particulier de l’ubiquité, ou plutôt nous allons la démolir. Elle répugne d’abord aux paroles des évangiles qui nous enseignent que, en raison de son humanité, le Christ n’était pas à tel endroit, et n’a donc pas été partout. (St Jean 11) : « Lazare est mort, et je me réjouis de ne pas avoir été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. ». (Jean 6) : « Quand la foule vit que Jésus n’était pas là ». Matt (fin) : « Il n’est pas là, il est ressuscité. » Mais ils répondent à cela que ce n’est pas uniquement d’une manière divine que le Christ a été partout. « Par exemple, à la cène, le corps du Christ n’est pas localement, et, cependant, parce qu’il est vraiment ici, personne parmi les luthériens n’osera dire que le corps du Christ n’est pas ici, à la cène. » De même, «Dieu n’est pas dans le monde localement, et pourtant on ne tolèrerait pas quelqu’un qui dirait que Dieu n’est ni dans le ciel ni sur la terre. » Donc, de la même façon, si l’humanité du Christ est vraiment présente partout, de quelque façon qu’on entende cette présence, sera faux ce que disent les Écritures : « Il n’est pas ici, il n’était pas là. » Et comme l’Écriture ne peut être fausse, fausse sera l’opinion des adversaires. De plus, l’âme du Christ n’était pas dans l’enfer localement, mais spirituellement, Et pourtant, elle n’y a pas toujours été, car « elle n’a pas été laissée dans l’enfer » (actes 2). Elle n’est donc pas vraiment présente partout, non seulement localement, mais de toute autre façon.
Deuxièmement. Cela répugne aux Écritures qui enseignent que Dieu est partout, et qui, à cause de cela, le distinguent des créatures. Jérémie 23 : « Je remplis le ciel et la terre », et ailleurs. Psaume 38 : « Où irai-je loin de toi, et où irai-je pour fuir ta face ? » C’est même à cause de cet attribut d’ubiquité que les pères prouvent que le Saint-Esprit est vraiment Dieu, et non une créature. Car, il est écrit (Sagesse 1) : « L’Esprit du Seigneur remplit toute la terre ». Voyez saint Ambroise (livre 1 sur le Saint-Esprit, chap 7), saint Jérôme et Cassiodore (psaume 138), saint Cyrille (livre 7 sur la trinité), saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chap 22), Dydime l’aveugle, (livre 1 sur le Saint-Esprit,), saint Fulgence (dans le livre à Donat, chap 8), Vigile (dans la dispute avec Athanase sur les ariens et les sabelliens), saint Augustin (livre 3 contre Maximin, chap 21).
Ils répondent à cela qu’il est propre à Dieu d’être partout par lui-même; mais que cela convient aussi à l’humanité du Christ, par accident, en raison de l’union avec Dieu. Mais cette réponse n’est pas satisfaisante, car on peut entendre de deux façons « être partout accidentellement ». D’abord que l’humanité du Christ n’est pas vraiment partout, mais qu’elle est dite être partout parce qu’elle est unie au Verbe. Ensuite, que la capacité d’être partout elle ne la possède pas de sa nature, mais par la grâce de Dieu, qui est un accident, par rapport à son essence humaine. Si on entend le mot ubiquité dans le premier sens, on n’emploie pas les mots justes, et on n’obtient pas ce qu’on désire. Ils n’emploient pas les mots justes, car on ne peut pas dire qu’est tel ce qui n’est pas lui-même tel, mais est uni à un autre qui est tel. Autrement, on pourrait dire que le corps est un esprit parce qu’il est uni avec l’âme qui est un esprit; et que l’œil est dans les orteils, parce qu’il est uni à l’âme qui est dans les orteils. Ils n’obtiennent pas non plus ce qu’ils désirent, car ils veulent, par cette ubiquité, établir solidement la présence réelle du corps du Christ à la cène. Mais il ne découle pas de cette ubiquité accidentelle que le Christ soit vraiment présent à la cène; mais seulement qu’il est uni à la déité, qui est présente à la cène.
S’ils entendent le mot dans le deuxième sens, comme cela ne fait aucun doute, alors l’argument des pères en faveur du Saint-Esprit s’écroule totalement. Car les ariens disaient que le Saint-Esprit était partout, mais par accident; et que, en conséquence, il n’était pas le Dieu vrai, mais une créature. Puisque c’est par l’ubiquité que les pères ont prouvé que le Saint-Esprit est vraiment Dieu, il est évident que c’est à Dieu seul qu’il convient d’être partout, et que cet attribut divin ne peut être communiqué par grâce à aucune créature.
Tu diras : le corps du Christ ne pourrait-il pas être dans tout l’univers comme il est sacramentalement dans tant de lieux ? Dieu ne pourrait-il pas changer tout l’univers en pain, et ce pain dans son corps ? Le corps du Christ ne pourrait-il pas être Dieu à cause de cela ? Je réponds que cela peut se faire, mais que ce n’est pas être partout comme Dieu l’est, et comme les partisans de Brentius l’entendent du corps du Christ. Car Dieu est dans le monde de façon à ne pas être contenu par le monde, puisqu’il est d’une telle immensité qu’il peut remplir des mondes indéfinis. Ce que nous n’attribuons pas, nous, au corps du Christ, qui est fini. Ensuite, quoi qu’il en soit de ce qui peut ou de qui ne peut pas se faire, il nous suffit de savoir que l’ubiquité n’a pas été communiquée ni ne pouvait l’être à aucune créature. Ce qui permet de prouver que le Saint-Esprit est Dieu, puisqu’il est partout.
Troisièmement. L’ubiquité répugne aux témoignages des pères par lesquels ils prouvent que le Christ a deux natures. Le passage principal est le suivant (Jean 3) : « Personne ne monte au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ». De ce passage, plusieurs pères (saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, Théophylactus, Bède le vénérable, saint Grégoire de Naziance, et saint Hilaire) déduisirent que le Christ est Dieu et homme, parce qu’il disait être, par sa divinité, dans le ciel, quand il était corporellement sur la terre. Or si l’enseignement des ubiquistes est vrai, cet argument ne prouve rien. Car les eutychiens qui ont été instruits par les ubiquistes, disent que le Christ était alors corporellement dans le ciel, sur la terre et partout.
De plus, les pères prouvent que le Christ est Dieu et homme en parlant des lieux où on dit que le Christ est allé, de ses déplacements d’un endroit à l’autre, à pied, en bateau ou à dos d’âne. Bien que comme Dieu, il ait été partout, et ne pouvait pas passer d’un lieu à l’autre. Voir saint Ambroise (livre 2, de la foi, chap 4), et saint Athanase (au sujet de Vigile dans la dispute avec Arius). Mais selon, les ubiquistes, tous ces témoignages ne prouvent rien. Car si la chair du Christ était partout, il est certain qu’elle ne pouvait se mouvoir que métaphoriquement, comme on dit que Dieu descend du ciel sur la terre, parce qu’il apparait aux hommes non là où il n’était pas, mais là ou l’on ne le voyait pas. Car se déplacer d’un lieu à l’autre c’est abandonner un endroit et acquérir un autre. Or celui qui est partout ne peut ni quitter un endroit ni en occuper un autre. Mais ce qu’ils disent est sans valeur. Ils enseignent, en somme, que le corps du Christ a été partout invisiblement, mais visiblement dans un certain lieu, et que c’est selon sa présence visible qu’il a pu changer de lieu. Or, il ne peut être présent visiblement et invisiblement en même temps dans le même lieu, car il serait deux fois dans le même lieu. Être vu dans un lieu et ne pas être vu dans le même lieu, cela n’implique-t-il pas aussi une contradiction ?
Enfin, on ne peut comprendre un mouvement au sens propre sans changement de lieu. Si le Christ était partout, il ne pourrait donc pas se mouvoir réellement, mais seulement en apparence. Et comme d’un mouvement métaphorique de Dieu on ne prouve pas que Dieu est une créature, ainsi, à partir d’un mouvement du Christ qui ne pouvait être que métaphorique, on ne peut prouver que le Christ est un homme. C’est ce que confirment les réponses des adversaires qui pour montrer que le déplacement du corps du Christ ne contredit pas l’ubiquité, donnent pour preuve ce qu’on dit même de Dieu (Genèse 11) : « Descendons et confondons leurs langues ! » Et Genèse 19 : « Je descendrai et je verrai etc. » Car c’est ainsi que parle Brentius (au livre de la majesté du Christ homme). Ils avouent donc que l’humanité du Christ ne pouvait pas se déplacer d’un lieu à l’autre, autrement que Dieu ne peut se mouvoir.
CHAPITRE 12 : Réfutation de l’ubiquité du corps du Christ, en tant que contraire au symbole des apôtres.
Enfin, l’ubiquité milite contre les articles du symbole, la conception du Christ, la nativité, la mort, la sépulture, la descente aux enfers, la résurrection, l’ascension, et la descente pour le jugement. D’abord, la conception. Car il est de foi que la chair du Christ a été dans le sein de la seule Marie. Or, selon les ubiquistes, bien avant la conception, cette chair fut dans le sein de toutes les femmes, et même de tous les hommes. Appartient donc à tous cette louange (Luc 11) : « Bienheureuses les entrailles qui t’on porté ! » Il est aussi de foi que, au bout de neuf mois, il est sorti du sein à la lumière du jour, et qu’il est donc vraiment né. Or, selon les ubiquistes, il était hors du sein avant le neuvième mois, même au premier jour de sa conception; et, après le dixième mois, il était encore dans le sein de sa mère, d’où il n’est jamais sorti.
Ils diront qu’il est sorti parce qu’il était localement dans l’utérus, et non à l’extérieur; et qu’il a été ensuite localement en dehors de l’utérus, et non dans l’utérus. Mais, au contraire, cette façon d’être localement ne semble rien d’autre qu’une présence purement apparente, comme quand le Dieu qui est partout apparaît dans un lieu. Car si la chair du Christ était, dès le premier moment de sa conception, présente partout, elle ne pourrait aller nulle part, mais seulement se faire voir là où on ne la voyait pas. La nativité ne fut donc pas vraie, mais apparente, comme l’enseignaient les manichéens,
De la même manière il est de foi que, dans la mort, l’âme et le corps du Christ aient été séparées, le corps jeté dans un sépulcre, et l’âme descendue dans les enfers. Or, selon les ubiquistes, l’âme était encore avec son corps dans le sépulcre, et la chair du Christ était dans les enfers avec son âme. Et pour que nous n’ayons pas à nous épuiser pour apporter des preuves, voici ce que disent les auteurs de la concorde, dans la répétition de l’article neuf : « Nous croyons que, après la sépulture du Christ, toute sa personne, Dieu et homme, est descendue dans les enfers. Et si l’homme descendit dans les enfers, il est certain qu’il n’y est pas allé avec son âme seule ».
Il est aussi de foi que, après trois jours, le corps du Christ est revenu de la mort à la vie, qu’il est sorti du tombeau, qu’il est entré dans le cénacle, portes closes, choses qui sont présentées dans les évangiles comme des miracles. Mais selon les ubiquistes, le Christ n’est jamais sorti du sépulcre, ni n’est entré dans le cénacle. Il n’a fait que se manifester en dehors du sépulcre, même s’il y demeurait invisiblement. Et il n’y a rien d’étonnant, selon eux, dans ce que raconte saint Jean de son entrée dans le cénacle, car il n’est pas réellement entré, alors que les portes étaient closes, mais s’est seulement rendu visible dans ce lieu ou il était invisiblement. Et cependant Brentius présente ces miracles pour réfuter les zwingliens (dans le livre de la majesté de l’homme Christ). Et il répète la même chose (dans le livre de la concorde, par 718 ).
Enfin, il est de foi que le Christ est monté au ciel, et qu’il viendra de là pour nous juger. Mais, selon les ubiquistes, il ne monte ni ne descend. À l’article de l’ascension au ciel, ils répondent qu’il faut prendre le mot ciel au sens figuré, et ne lui faire signifier que la gloire, le règne, et la majesté de Dieu, non un lieu quelconque. Et Pierre Allyricus (dans son livre sur l’ascension du Christ) donne pour preuve les paroles de saint Pierre (actes 3) : « Celui que le ciel doit recevoir ». Car, dit-il, s’il était question d’un lieu, il aurait dit : qui doit être reçu par le ciel. Il le prouve, en second lieu, par le symbole lui-même. Car « il est monté au ciel » s’explique par : « il est assis à la droite du Père ». Ce sont des paroles métaphoriques, car le Père n’a ni droite ni gauche. Il faut donc entendre aussi cette ascension dans un sens métaphorique. Troisièmement, si le Christ était vraiment monté au ciel avec son corps, il aurait du permettre ou plutôt ordonner à ses disciples de le voir monter jusqu’au sommet du ciel, rejoindre en montant les corps célestes, et être vu par tout le monde, ce qu’il n’a pas fait. Et il ajoute, à son habitude, en embrouillant tout avec un air de triomphe : « Voilà donc une démonstration invincible contre ceux qui enferment le Christ dans un lieu du ciel. »
Brentius (dans son livre sur les deux natures du Christ, et sur l’ascension) prouve la même chose. D’abord, parce qu’on dit que le Christ est monté au-dessus de tous les cieux : « Il est monté au-dessus de tous les cieux » (Eph 4), et : « Il a pénétré dans les cieux » (Hébr 4). Il ne demeure donc dans aucun, conlut Brentius. Puisqu’il est monté au-dessus des cieux, il n’est donc pas dans le ciel comme dans un lieu. Ensuite. Car, s’il était dans le ciel corporel, il faudrait qu’il soit aussi au pôle antartique, autrement, il serait comme une girouette dans cette agitation perpétuelle. Seuls les pôles sont immobiles, Il devrait donc être dans l’un des deux pôles, et se poser en un endroit précis. Le pôle antartique étant supérieur, selon Aristote, et le pôle artique, inférieur, il faudra donc loger le Christ dans l’antartique. Et il confirme. Car, s’il était dans un lieu corporel qui le reçoit, quand le ciel serait-il détruit ? On n’apporte pas d’aide aux fils des ténèbres en se moquant et en se riant des mystères du Christ.
Troisièmement, (dans son livre de la majesté du Christ), il donne pour preuve que le Christ est monté au ciel d’où il était descendu, selon Jean 3 (« Personne ne monte au ciel hormis celui qui est descendu du ciel. ») Il n’est, dit-il, pas descendu d’un ciel corporel, il n’est donc pas monté non plus dans un ciel corporel. Comme on dit, en se servant d’une image, qu’il s’est anéanti lui-même, on se sert aussi d’une image quand on dit qu’il est monté au ciel, pour signifier que Dieu l’a exalté et lui a donné un nom au-dessus de tout nom.
Mais les catholiques croient qu’il est monté dans un vrai ciel corporel, soit qu’il demeure à l’intérieur de ce ciel, comme semble le penser saint Augustin dans son épitre à Darde (57) à la fin de laquelle il dit que Dieu est partout en tant que Dieu, et dans une certaine partie du ciel à cause de son corps; soit qu’il demeure au-dessus et en dehors de tous les cieux, de sorte que ses pieds touchent le sommet du ciel, comme le veut saint Thomas (part3, question 57, art 4). Il n’y a aucune certitude dans ces choses, et il n’y a non plus aucune nécessité de les connaître. C’est saint Augustin lui-même qui nous avertit que c’est être trop curieux et aventureux que vouloir percer ces mystères.
Une chose est certaine, le corps du Christ est visible et palpable, et il occupe l’espace nécessaire à la masse de son corps. Il est dans le ciel, à l’intérieur ou au-dessus. Et on le prouve parce que le Christ est au monté au ciel où se trouve le siège de Dieu. Or, ce ciel est corporel, comme nous l’enseigne le psaume 113 : « Le ciel du ciel appartient au Seigneur, la terre il l’a donnée au fils des hommes ». On oppose ici le ciel et la terre, et la terre dont on parle est celle que nous foulons aux pieds. Il faut certainement accepter qu’il s’agit ici d’un ciel réel et véritable. Isaïe (66) : « Le ciel est mon siège, la terre l’escabeau de mes pieds » Et au chapitre 6 : « Notre Père qui es aux cieux ». Et plus bas : « Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel ». Tu vois qu’on dit partout que le ciel est le siège de Dieu, toujours mis en opposition à la terre que nous habitons. Cette antithèse enseigne clairement que ce ciel corporel que nous voyons est le siège de Dieu, et que c’est donc là que le Christ est monté.
On le prouve ensuite par le récit de l’ascension, qui est décrite dans l’Écriture d’une façon telle qu’il est impossible de n’en voir que des images, du moins pour celui qui lit sans préjugés et sans parti prix. « À la vue de ses apôtres, dit saint Luc, il s’est élevé dans les airs, et les nuages nous ont masqué sa vue ». Jusque là, il n’est pas question de figure de style, car les apôtres l’ont vu monter jusqu’aux nuages, des nuages qui étaient bel et bien corporels. À moins qu’on fasse du Christ un magicien, un illusionniste. Que le terme de son ascension n’ait pas été les nuages, saint Luc nous l’explique (24) : « Et il est arrivé que, pendant qu’il les bénissait, il s’est éloigné d’eux, et il fut transporté dans le ciel. » Que le Christ se soit vraiment rendu où il allait, saint Marc l’atteste (chapitre 16) « Et le Seigneur Jésus, après qu’il leur eut parlé, a été élevé dans le ciel, et est assis à la droite de Dieu ». Les évangélistes racontent donc le début, la progression et la fin de l’ascension. Comme le début n’a été ni métaphorique, ni phantastique, la progression et la fin de l’ascension ont donc été, elles aussi, vraies et authentiques. Jésus est donc vraiment et réellement monté au ciel.
Troisièmement. On le prouve également par la descente en vue du jugement. Car, pour le jugement, il descendra de ce ciel auquel il est monté, comme nous l’annoncent les actes (!) : « Il viendra comme vous l’avez vu aller dans le ciel ». Et Marr (24) : « Alors apparaîtra le signe du Fils de l’homme dans le ciel » 1 Thess : « À la voix de l’archange, et au son de la trompette de Dieu, le Seigneur descendra du ciel ». Et aux Thess (2, 1) : « Dans la révélation du Seigneur Jésus du ciel ». Or, il est certain que Jésus ne descendra pas du ciel de façon métaphorique, de façon à ce que « descendre du ciel » signifie « abandonner sa gloire, son règne, sa majesté », puisqu’il apparaîtra dans une grande majesté et une grande gloire. Donc le ciel dont il descend n’est pas le règne et la majesté, mais un certain lieu. C’est donc dans un certain lieu qu’il est monté.
Quatrièmement. On le prouve par le lieu des saints. Car, où est l’homme Christ, là aussi sont et seront les saints hommes, Saint Jean (14) : « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures, sinon je vous l’aurais dit, parce que je vais vous préparer un lieu. Et si je pars et si je vous prépare un lieu, je reviendrai et je vous prendrai avec moi pour que là où je suis, vous soyez vous aussi. » Les saints ne seront donc pas n’importe où, mais dans un certain lieu, et certainement dans un lieu très noble, c’est-à-dire le ciel. Donc, le Christ homme est dans ce lieu, et il y sera. Enfin, c’est l’opinion de tous les saints, et surtout de saint Augustin dans son épitre 55 à Dard où il l’avertit de se souvenir du symbole, et de croire en toute simplicité que le Christ homme, après sa résurrection, est monté au ciel, et qu’il demeure maintenant dans un certain lieu. Et (au livre de la foi et du symbole. Chap 6), il écrit que bien que les païens se demandent avec étonnement comment le corps du Christ peut être dans le ciel, il faut quand même le croire. C’est aussi ce qu’il enseigne (dans son livre sur l’agonie du Christ, chap 25), Et les objections qu’on y fait ne prouvent rien.
La première, celle de Illyricus. Je réponds que la phrase de saint Pierre est ambigüe tant en grec qu’en latin. Mais, quelque sens qu’on lui donne, elle ne prouve pas ce qu’ils veulent lui faire prouver. Car si nous lisons la phrase « que le ciel doit recevoir », au sens de « il faut que le ciel reçoive le Christ », comme un lieu reçoit ce qui demeure dans un lieu, la phrase milite en notre faveur. Si le sens est « qu’il faut que le Christ reçoive le ciel », même alors, la phrase ne nous est pas contraire. Car, pour recevoir le ciel, il n’est pas nécessaire qu’il soit répandu par tout le ciel. Il suffit qu’il soit présent dans une partie du ciel, Comme on dit qu’un roi reçoit le royaume, ou le palais royal, ou le trône royal, quand il commence à être dans son royaume, dans son palais ou sur son trône, même s’il n’est pas présent dans la totalité de son royaume, de son palais ou même de son trône.
La première explication convient mieux au texte. Car on dit : « Celui qu’il faut recevoir dans le ciel jusqu’au temps de la restitution de toutes choses ». On n’indique pas ici la prise de possession d’un règne, ce qui se fait dans un moment, mais la demeure dans un lieu, ce qui dure longtemps. Et c’est ainsi que l’explique Oecuménius. Ce qui est plus conforme aux autres passages qui disent que le Christ est monté, ou a été élevé au ciel, (Marc fin, et actes 1), et est parti pour le ciel (Pierre 1,3).
À la deuxième raison, je nie que ce soit la même chose de monter au ciel, et de s’asseoir à la droite de Dieu, car il ne peut pas y avoir de répétition dans un symbole, puisque c’est un condensé. Ce que c’est que s’assoir à la droite de Dieu, nous le dirons plus tard. A la troisième, nous répondons qu’il n’était pas nécessaire que les apôtres voient le Christ entrer dans le ciel, car s’ils n’ont pas pu témoigner de cela, les anges l’ont fait pour eux. Dans les actes (1), les anges ont indiqué que Jésus était monté au ciel de la même façon qu’il descendra pour le jugement. Il était même préférable qu’ils ne voient pas le terme de l’ascension, pour ne pas penser que c’était une illusion, puisque la vue humaine ne peut pas se porter jusque là, et pour que ce soit quelque chose qui est proposé à leur foi. Ils n’ont pas d’ailleurs vu le Christ s’incarner, naître, ressusciter, et mourir sur la croix, à l’exception de saint Jean. Ils avaient pourtant à prêcher ces choses, et à être les premiers et les principaux témoins des mystères de la foi chrétienne,
Et à la première objection de Brentius, je dis qu’on peut dire, avec saint Thomas, que le Christ se tient au sommet du dernier ciel, pourvu qu’on reconnaisse qu’il est toujours visible. Même si cette opinion de saint Thomas n’est pas tout à fait convaincante, elle décrit quand même une ascension réelle, telle que la rapportent les évangélistes. Le passage des Hébreux (4) favorise saint Augustin, car saint Paul fait allusion au grand prêtre Aaron, qui pénétrait à chaque année à l’intérieur du voile, et dans le saint des saints, mais qui n’allait pas au-delà. De la même façon, Jésus, en tant que grand prêtre, a pénétré jusqu’à l’endroit le plus secret du ciel, mais n’est pas allé s’installer à l’extérieur du ciel.
À la deuxième je dis que les paroles de Brentius sont oiseuses, pour ne pas dire blasphématoires, puisqu’il tourne en ridicule les mystères du Christ. Mais, pour que ces moqueries ne nuisent à personne, je dis que le corps du Christ n’est pas confiné à un seul endroit dans le pôle antartique, mais qu’il est dans chacune des parties qu’il veut occuper, sans danger de souffrir de bougeotte, puisque le ciel empyrée impose le calme à toutes choses, lequel ne périra pas, même si les cieux inférieurs devaient connaître quelque vicissitude. Mais toutes ces choses dépassent la capacité de connaître de cette vie. Il suffit, comme saint Augustin (dans le dernier livre de la cité de Dieu) de penser que, dans le ciel, les corps glorieux auront la station et le mouvement qu’ils voudront, mais d’une façon qui leur conviendra.
À la troisième, je dis que le Christ est monté au ciel où il était descendu. Il est donc descendu d’un vrai ciel, à moins que sa descente n’ait été que métaphorique. Mais même si sa descente avait été métaphorique, on ne pourrait pas en déduire que son ascension l’ait été aussi, car la descente fut celle du Verbe spirituel incréé, et l’ascension de la chair corporelle, créée et finie.
12 juillet 2017 à 16:38 fin
p.112 latin
17 juillet 2017, 19h31, début
CHAPITRE 13 : On réfute l’ubiquité, car elle répugne à la présence du corps du Seigneur dans l’eucharistie.
Troisièmement, l’ubiquité milite contre le sacrement de l’eucharistie qu’elle avait pour mission de confirmer. Car, si la chair du Christ est vraiment partout, nous n’avons certainement pas besoin d’eucharistie; c’est pour rien que nous allons à l’église, en vain que nous récitons les paroles de la dernière cène, pour rien que nous nous préparons pour la communion, puisque nous avons, à la maison, le corps du Christ dans le pain et le vin, et dans toutes les autres nourritures.
Luther (dans le livre « demeurent toujours stables les paroles du Christ : ceci est mon corps »), se fait à lui-même cette objection : « Si le corps du Christ est dans tous les lieux, je le dévorerai dans toutes les maisons, dans tous les plats et dans toutes les assiettes, » Et il répond ainsi : « Écoute, toi, porc, chien fanatique, et quelque âne stupide que tu puisses être, même si le Christ était dans tous les lieux, tu ne le dévorerais pas et tu ne l’engloutirais pas pour autant ». Et plus bas : « Je te laisse dans ta saoul à cochons, et dans ton fumier ». C’est une réponse sublime : même s’il est partout, on ne peut le saisir partout. Il présente l’exemple des rayons du soleil, qui nous rejoignent tous de partout. Et pourtant, si quelqu’un voulait les enfermer dans sa besace et les emporter avec lui, il ne le pourrait pas.
Mais cette réponse ne vaut rien. Car, si le corps du Christ est vraiment partout, il ne peut se séparer d’aucune chose, et il m’est donc impossible d’avoir un pain sur la table, ou dans la main, ou dans la bouche, ou dans l’estomac et de ne pas l’avoir partout en même temps. La comparaison des rayons du soleil ne vaut pas non plus, car non seulement les rayons ne sont pas partout, mais ils ne peuvent pas pénétrer les corps non transparents. Jean Brentius (dans son livre des deux natures et de l’ascension du Christ), répond un peu différemment, ou explique autrement la doctrine de Luther. Car il dit que le corps du Christ est partout personnellement, mais dans la cène définitivement, c’est-à-dire en vertu de la définition et du décret de Dieu, par la consécration, lequel mode d’être n’ajoute que l’efficacité. Car, dans l’eucharistie, il est consommé efficacement, et jamais ailleurs.
Cette réponse inclut ouvertement le calvinisme, car Brentius est contraint de reconnaître qu’on ne prend rien à la cène qu’on ne puisse prendre en dehors de la cène, la seule différence étant l’efficacité. En conséquence, à la cène, on ne consomme pas véritablement le corps du Christ, mais seulement son énergie. Et même si Brentius ne dirait pas cela, c’est quelque chose qui découle directement de l’ubiquité. Car, Dieu est partout, et il ne peut se mouvoir ni par lui-même ni par accident. Et c’est pourquoi, en mangeant du pain, personne ne peut dire qu’il mange Dieu, même si Dieu est dans le pain. Car c’est le pain que je mange vraiment, puisque le pain passe vraiment de la main à la bouche, et de la bouche à l’estomac. Or Dieu, ne passe pas de la main à la bouche, car il est simultanément dans la bouche, dans la main et dans l’estomac, et partout. De même, si le corps du Christ est partout, il ne peut pas vraiment être mangé avec le pain, car il ne peut pas véritablement passer avec le pain de la main à la bouche, et de la bouche à l’estomac, car, étant partout, il ne peut pas se mouvoir. C’est donc seulement dans la cène que le corps du Christ est mangé par l’énergie, et non par une consommation réelle.
Tu vois comment les luthériens et les brentiniens favorisent les calvinistes en les combattant, et pourtant, Brentius, dans son testament, a maudit les sacramentaires, et il ne souffrait pas qu’on leur donnât la moindre place dans l’église.
CHAPITRE 14 : On réfute l’ubiquité par le témoignage des pères
Ultimement, l’ubiquité milite contre le témoignage des pères. Saint Ambroise (livre 2, de la foi, chapitre 4) : « Car Dieu ne passe pas d’un lieu à un autre puisqu’il est toujours partout. Il n’est pas comme l’homme qui va et vient, Et, il dit ailleurs : « Levez-vous, et allons. Il va et vient en ce qu’il a de commun avec nous ». Saint Cyrille de Jérusalem ( catéchèse 14) : « Car ce n’est pas parce qu’il n’est pas présentement dans la chair, que tu doives penser qu’il n’est pas présent au milieu de nous par l’esprit, écoutant ce qui est dit de lui, et voyant ce que tu penses, et scrutant les reins et les cœurs ». Saint Jean Chrysostome (sur ce verset 3 de saint Jean : « le fils de l’homme qui est aux cieux ») : « Ce n’est pas à la chair qu’il donne un nom, mais il désigne tout son être par la substance inférieure ». Ruffin (dans le symbole) : « Il monte donc aux cieux, non là où le Verbe n’était pas auparavant, lui qui a toujours été dans le ciel, mais là où le Verbe fait chair ne s’était pas encore assis. »
Saint Augustin (traité 78 sur Jean) : « Mais Dieu n’abandonnait pas ceux dont l’homme s’éloignait, et c’est le même Christ qui est homme et Dieu. Il s’en allait donc en tant qu’homme, et demeurait en tant que Dieu. Il s’en allait par ce qui ne le faisait demeurer que dans un seul lieu, mais demeurait par ce qui le faisait être partout. » Et, (dans l’épitre 57 à Dard) : « On ne peut conclure de ce que quelque chose est en Dieu, qu’elle soit partout, comme Dieu. Car la très véridique Écriture dit aussi de nous que nous vivons en lui, que nous nous mouvons en lui, et que nous sommes en lui; et pourtant, nous ne sommes pas partout comme lui. Car c’est autrement que l’homme est en Dieu, et autrement que Dieu est en l’homme, d’une manière propre et singulière. Dieu et l’homme sont une seule et même personne, et l’un et l’autre sont l’unique Christ Jésus, présent partout en tant que Dieu, et au ciel, en tant qu’homme ».
Saint Cyrille d’Alexandrie (livre 11, Jean, chap 21) : « Les disciples pensèrent que l’absence du Christ, en tant qu’homme, (car Dieu est partout), serait la cause future de beaucoup de déboires, quand ne serait plus là celui qui pouvait les garder de tout mal. Mais il fallut qu’ils considèrent non seulement la chair du Christ, mais aussi sa divinité, qui, bien que non perceptible aux yeux, est toujours présente avec sa suprême puissance, puisque personne ne peut l’empêcher de tout remplir, et d’aller où elle veut. Car la nature divine n’est pas circonscrite par le lieu ou les dimensions. C’est pourquoi, puisque le Christ est Dieu et homme, il a bien fallu que les apôtres comprennent que, même absent corporellement, il serait toujours avec eux par la puissance ineffable de sa divinité ».
Théodoret (dialogue 2) : « Donc, le corps du Seigneur a surgi de la corruption et de la mort différent, impassible et immortel, glorifié par la gloire divine, et adoré par les puissances célestes. Le corps, toutefois, est, comme autrefois, présent dans un seul lieu à la fois ». Et (dans le dialogue 3) : « Et après la résurrection, il a été vu en un endroit, ayant des mains, des pieds, et les autres parties du corps, pouvant être touché, et vu avec les yeux corporels, conservant les plaies et les cicatrices qu’il avait avant sa résurrection. Il faut donc dire l’une de ces deux choses : ou il avait reçu ces parties de la nature divine, ou le corps était demeuré dans les limites de sa nature. »
Saint Léon (sermon 2 de l’ascension) : «Celui qui avait été plus présent par l’humanité, commença, à l’ascension, à être plus présent par la divinité, d’une façon ineffable ». Saint Grégoire (homélie 29, sur l’ascension) : « Il retournait où il était, et revenait là où il demeurait, car, tout en montant au ciel par son humanité, il contenait la terre et le ciel par sa divinité ». Vigile (livre 1 contre Eulych) : « Mais il est avec nous, et il n’est pas avec nous, parce que ceux qu’il a abandonnés et dont il s’est éloigné par son humanité, il ne les a ni quittés ni abandonnés par sa divinité. Par la forme du serviteur qu’il nous a enlevée pour la placer dans le ciel, il est absent, mais il est toujours présent par la forme de Dieu qui ne s’éloigne jamais de nous sur la terre. » Et, (livre 4) : « Enfin, si le Verbe et la chair ont une seule et même nature, comment se fait-il que le Verbe soit partout, et que la chair ne le soit pas ? Car, quand elle était sur la terre, elle n’était sûrement pas dans le ciel, et depuis qu’elle est au ciel, elle n’est plus sur la terre. »
Saint Fulgence (livre 2 à Trasimundus, chap 17) : « C’est l’unique et le même qui, quand il était sur la terre, était absent du ciel selon la substance humaine, et qui est monté au ciel en abandonnant la terre, mais qui, selon sa substance divine immense n’abandonna pas le ciel en descendant du ciel, ni la terre en remontant au ciel ».
Kemnitius répond à tous ces témoignages (livre des deux natures, chap 30) par un flux de paroles. Il dit d’abord, que les anciens ont parlé contre les manichéens et les eutychiens, qui voulaient que l’humanité du Christ ait été convertie dans la divinité immense et non localisable. Ensuite, il prétendait que les pères avaient enseigné que l’humanité n’était pas partout selon ses propriétés naturelles. Il affirmait enfin que, pour les pères, c’était selon sa forme visible que l’humanité ne s’était pas diffusée partout, qu’elle avait été dans un lieu, donc, circonscrite; et qu’elle est maintenant sur la terre d’une façon perceptible aux sens.
Mais ces réflexions ont peu de poids. Car, en ce qui a trait à leur première objection, ils ont raison de dire que les pères ont parlé contre les eutychiens, mais, c’est eux, par cet argument qu’ils réfutent : « parce que la chair du Christ n’est pas partout comme l’est la divinité, il est nécessaire que soient distinctes les deux natures ». Ceux qui nient ce sur quoi se fondent les pères affirment donc que la chair du Christ est partout. Ils répugnent donc aux pères, et sont réfutés par les pères. La deuxième objection est encore plus débile. Car les pères ne disputent pas des propriétés naturelles de la chair, mais ils nient tout bonnement qu’elle soit partout. Et même saint Augustin (dans sa lettre à Dard), traite expressément de ce sujet, en disant que cela ne convient pas à la chair en soi, mais de par son union avec le Verbe. Et il affirme clairement qu’on ne peut pas conclure de ce que le Verbe est partout que la chair qui est lui est unie soit aussi partout. La troisième objection ne vaut pas grand-chose, car, personne ne pensait alors à se demander si la chair du Christ était vraiment présente partout, parce que les pères n’opposaient pas la chair visible du Christ à la chair invisible du Christ, mais la chair à la déité. Ils disaient que le Christ était partout selon la divinité, mais qu’il n’était pas présent partout selon l’humanité.
CHAPITRE 15 : On réfute les arguments des hérétiques
Le temps est venu de réfuter les arguments des adversaires, qu’ils tirent des Écritures, des Pères ou des scolastiques. Le premier argument et le principal ils le tirent de la droite de Dieu, car le Christ homme est exalté à la droite de Dieu (Matt 26, Actes 2, Eph 1, Col 3, 1, Pierre 3, Hébreux 1, et ailleurs.) Or, la droite de Dieu est partout, car elle n’est certainement pas une droite corporelle qui ne peut occuper qu’un espace limité. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas relégué dans un lieu, mais il est partout. Je répondrai de trois façons. Si on comprend « être à la droite de Dieu » littéralement, comme l’a fait Luther (dans son livre : « demeurent stables les paroles du Seigneur : ceci est mon corps »), où il prouve que la chair du Christ est partout, parce qu’elle est « la droite de Dieu », et non dans le petit doigt ou l’ongle de sa droite, je dis que la conclusion ne conclut rien. Car, on dit aussi que « les âmes des justes sont dans la main de Dieu ». Et, selon le même raisonnement, on dit que la main de Dieu est partout, sans que les âmes des justes ne soient partout pour autant. Et la raison en est que la main de Dieu n’est pas présente partout par l’extension, comme si elle avait ici la paume, et là-bas le bout des doigts, mais elle est tout entière ici et tout entière là.
Je dis, en second lieu, que par « droite de Dieu » beaucoup entendent la béatitude éternelle, non la majesté ou la puissance divine. C’est ainsi que l’expliquent saint Jérôme (dans le chapitre 1 aux Éphésiens) et saint Augustin (dans le livre de la foi et des symboles, chap 7, et dans le livre de l’agonie du Christ, chap 26). Ce n’est pas seulement le Christ qu’ils veulent voir assis à la droite du Christ, mais tous les élus, selon Éphésiens 2 : « Il nous a fait siéger aux cieux dans le Christ ». Et, dans Matt (25), il est dit que les brebis seront à la droite.
Et on peut confirmer cette interprétation par le fait que, pour les anciens, siéger à droite était moins honorable que siéger à gauche, comme le note et le prouve par plusieurs témoignages Antoine Nebrissensis, dans son explication de quarante lieux de l’Écriture. C’est pourquoi même sur les sceaux des pontifes, et sur plusieurs peintures, Pierre est placé à gauche, bien qu’il soit évident qu’il ait toujours occupé le premier rang. Si donc le Christ siège à droite en tant qu’inférieur, cette session ne doit donc pas se rapporter à la majesté divine, par laquelle il est égal au Père, mais à sa gloire et à sa béatitude humaines, qui convient au Christ en tant que plus petit que le Père. Cette interprétation fait s’écrouler l’argument des hérétiques. Car, être de cette façon à la droite de Dieu ne requiert évidemment pas l’ubiquité, mais la seule béatitude que peut avoir celui qui n’hérite que d’un faible angle du monde.
Je dis, en troisième lieu, que, par droite de Dieu où siège le Christ, il est plus probable d’entendre la gloire, la puissance, la majesté divine, de sorte que le sens soit celui-ci : le Christ s’assoit à la droite du père, c’est-à-dire que, avec la même puissance et le même honneur, il règne, il juge et gouverne toutes choses avec son Père. Ainsi, le mot « droite » ne signifie que « côté », c’est-à-dire un lieu ni inférieur ni supérieur. Car, dans le psaume 109, après avoir dit que le Fils est à la droite du Père, on dit que le Père est à la droite du Fils : « Le Seigneur à ta droite a écrasé les rois au jour de sa colère ». D’où il appert que le mot « droite » signifie égalité.
De plus, c’est ainsi que l’expliquent presque tous les pères. Saint Athanase (sermon 2 contre les ariens), saint Basile (livre sur le Saiant-Esprit, chap 6), saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 14), saint Cyrille d’Alexandrie (livre 12, thes chap 7), saint Jean Damascène (livre 4, chap 2), saint Léon (sermons 1 et 2 de l’ascension). Enfin, saint Jean Chrysostome, Theophylactus, Theodoret, Oecumenius (dans chap 1 aux Hébreux, et un aux Éphésiens), saint Ambroise (livre 2 de la foi, chapitre 4, et dans le chapitre 1 aux Éphésiens, et ailleurs).
Enfin, l’Écriture elle-même en donne une explication. Car, en Matt (22), le Christ cite le psaume 109 (« Le Seigneur a dit à mon Seigneur, assis-toi à ma droite! ») pour prouver sa divinité, et sa vraie égalité avec le Père. Et saint Paul lui-même présente ce texte pour prouver la divinité du Christ, quand il dit aux Hébreux (1) : « Il s’assoit à la droite de sa majesté dans les hauteurs, ayant été fait d’autant meilleur que les anges qu’il est plus différent d’eux par l’héritage. Car, auquel des anges a-t-il jamais été dit : « assieds-toi à ma droite ! »
Ne convainc pas non plus ce que saint Augustin présente contre cette interprétation, en citant Ephes, chap 2 : « Il nous a fait assoir ». Car le sens n’en est pas que nous nous assoirons tous à la droite de Dieu en personne, mais dans le Christ, comme le dit saint Paul. C’est parce que nous sommes de la même espèce et de la même nature que cet homme qui est à la droite de Dieu, qu’il est dit que, par lui, nous siégeons tous à la droite de Dieu. Et partout ailleurs, ce n’est qu’au Christ que l’Écriture attribue l’honneur d’être assis à la droite de Dieu. Or, selon cette interprétation, l’argument des adversaires semble avoir quelque valeur. Car c’est à l’humanité du Christ qu’est donnée cette session qui signifie majesté et pouvoir, comme on le voit par les actes (2) : « Exalté donc à la droite de Dieu ». Ephes (1) : « L’établissant à sa droite. » Car, il ne convient pas à la divinité d’être exaltée et d’être établie à la droite. Et Ruffin (dans son explication du symbole) dit que c’est à l’humanité qu’est donnée l’exaltation et la session à droite. Et saint Léon (dans les sermons 1 et 2 sur l’ascension du Christ), dit que c’est l’humanité qui a été élevée au trône du Père, et à la participation de sa gloire. Théodoret (dans le psaume 109, et au chap 1 des Hébreux ) enseigne que ce « assieds-toi à ma droite » a été dit à l’humanité, car le Verbe n’avait pas besoin d’un ordre de son Père pour s’asseoir.
Les choses étant ce qu’elles sont, il semble qu’on ne puisse nier que l’humanité soit dotée de la majesté divine, et soit donc présente partout. Je réponds que c’est à l’humanité qu’est donnée cette session, pas à elle-même directement, mais à son suppôt. Car il n’est pas arrivé que l’humanité s’assoie d’elle-même à la droite du Père, mais en tant qu’elle est l’humanité de la personne qui est assise à la droite de Dieu. Comme il n’est pas arrivé que, par l’incarnation l’humanité soit Dieu, mais l’humanité de Dieu. Et, voilà pourquoi on peut dire dans le concret, que cet homme est Dieu, et s’assoit à la droite du Père. Et une comparaison est tirée de la pourpre royale. Car, quand le roi revêt la pourpre, et s’assoit sur son trône, il la fait monter sur son trône non pas pour qu’on dise que la pourpre trône ou règne, mais pour qu’on y voie le vêtement de celui qui trône et règne; et aussi pour qu’on dise que c’est un roi revêtu d’un manteau royal qui est assis et qui règne. Bien que tout cela ait lieu dans l’incarnation, c’est après son ascension qu’on dit qu’il est assis à la droite du Père, car c’est alors que furent manifestées la majesté et la gloire de cet homme, comme il est dit aux Phillp 2.
Qu’il en soit bien ainsi on peut facilement le prouver. Car si par « droite », selon cette explication, on entend une égalité d’honneur et de pouvoir, il faut rappeler que l’humanité n’est pas égale à Dieu, ni ne peut l’être. Car quand le Seigneur en saint Jean (14) a dit : « Le Père est plus grand que moi », il parlait de lui selon sa forme humaine. Et, (aux Corinthiens 15), l’apôtre écrit que, après le jour du jugement, le Fils se soumettra au Père. Cette sujétion, comme nous l’avons déjà démontré, ne peut être droitement comprise que de l’humanité du Verbe. Enfin, si l’humanité est une créature, la dire égale à la divinité n’implique-t-il pas une contradiction dans les termes ? Mais, ils répondront que cette humanité du Christ, qui n’est pas tout à fait égale à la divinité, siège pourtant à la droite de Dieu. Elle ne possède pas, il est vrai, la puissance et la majesté de Dieu qu’indique la session à la droite de Dieu, mais ce qu’elle n’a pas d’elle-même, comme Dieu l’a de lui-même, elle l’a de Dieu. Et c’est ce qui fait qu’elle ne peut pas être en tout égale avec Dieu.
Mais il n’est pas difficile de répondre à cela. Car, ce n’est pas le fait de recevoir quelque chose d’un autre qui fasse l’inégalité, puisque le Fils de Dieu qui reçoit tout de son Père, lui est en tout point semblable, et parfaitement égal. Ils répondront que ce que le Fils a naturellement, l’humanité l’a par grâce. Réfutation. Car avoir la majesté par grâce ce n’est pas avoir la majesté elle-même, mais une certaine participation de la majesté, laquelle ne suffit pas pour constituer la session dont nous parlons. Enfin, ou l’humanité est égale à Dieu ou elle ne l’est pas. Si elle l’est, alors est fausse la parole de Jésus : « Le Père est plus grand que moi ». Si elle ne l’est pas, l’humanité du Christ ne s’assoit donc pas à la droite de Dieu de la troisième façon, mais de la deuxième façon, dont ne fait pas partie l’ubiquité, comme nous l’avons démontré un peu avant.
CHAPITRE 16 : On réfute d’autres objections tirées de la parole de Dieu
Leur second argument, ils le prennent de deux citations de l’Écriture. Car, dans l’épitre aux Philippiens (chapitre 2), nous lisons que le Christ est dans la gloire de Dieu le Père. Ce que c’est que la gloire du Père Isaïe le décrit (40) en disant, au sujet de Dieu : « Qui a mesuré les eaux avec son poing, qui a mesuré et pesé les cieux avec la paume de sa main ? » Paralip 2 : « Le ciel et les cieux des cieux ne peuvent pas le contenir ». Et Jérémie : « Je remplis, moi, le ciel et la terre ». Jésus, donc contient la terre avec son poing, mesure le ciel, et remplit le ciel et la terre. Cela, c’est être partout.
Je réponds comme plus haut, que la gloire de Dieu le Père a été donnée à l’humanité du Christ, non pour elle-même, mais à son suppôt, c’est-à-dire que, par la grâce de l’union, l’humanité a reçu d’être la nature du Fils de Dieu. Et c’est pour cela que l’homme Christ est dans la gloire du Père, contient la terre dans sa main, et remplit le ciel et la terre. Le troisième argument est tiré de Matt 11 : « Tout m’a été livré par mon Père. » Et à la fin de l’évangile de saint Matthieu : « Tout pouvoir m’a été accordé au ciel et sur la terre ». Le « tout pouvoir » dénote surement la toute puissance dans le ciel, et l’omniprésence sur la terre. Donc, le Christ gouverne en étant présent partout. Brentius et Kemnitius ajoutent ce passage du psaume 8 : « Tu as tout soumis sous ses pieds ». Et cet autre de Jean (13) : « Le Père lui a tout donné dans sa main ». Et ils concluent de là que le Christ, en tant qu’homme, contient tout avec ses pieds et ses mains. Et pour qu’on ne leur réponde pas que la toute puissance et l’omniprésence sont des choses infinies, et ne peuvent donc pas être communiquées aux créatures, ils ajoutent qu’au Christ a été donné sur la terre le pouvoir de remettre les péchés (Matt 9), don d’une puissance infinie. Car qui peut remettre les péchés, sinon Dieu ?
Je réponds qu’on peut comprendre ces passages de deux façons différentes. D’abord, de la puissance divine que le Fils de Dieu a reçue du Père par la génération. Et dans ce sens, ces citations sont hors propos. Ensuite, de la puissance divine que la nature humaine a reçue par l’union hypostatique. Et alors, on répond la même chose qu’aux objections précédentes. En troisième lieu, on peut entendre ce passage de la puissance accordée à l’humanité sur toutes les créatures, laquelle n’est pas omnipotente, ni ne requiert l’ubiquité. Car, ces paroles signifient seulement que l’humanité du Christ est supérieure à toutes les créatures, et a un droit sur elles. Il ne suit pas de cela qu’elle puisse tout ce que Dieu veut, ou qu’elle soit partout. Car, pourquoi ne pourrait-elle pas avoir un droit sur une chose absente ? N’est-ce pas ce que nous voyons tous les jours ? Le roi possède un droit sur tout son royaume, et pourtant, par sa présence, il n’occupe qu’un espace réduit de sa maison ou de sa chambre.
Je réponds d’abord à la confirmation. Grande est la perversité et l’impudence de ces gens qui vont chercher des tropes aux endroits qui conviennent le moins, et ne savent pas les voir là où elles crèvent les yeux. Qu’est-ce qui est plus connu et usité que l’emploi du mot « main » au sens de puissance ? Car, que signifie d’autre ce passage du psaume 14 : « Dans sa main sont tous les confins de la terre » ? Et cet autre de saint Jean (10) : « Et personne ne les enlèvera de ma main » ? De même, qu’il y a-t-il de plus connu et plus usité que la description d’un attribut d’un seigneur par la prostration d’un sujet à ses pieds ? Ajoutons que les paroles du psaume 8, même si on peut les entendre principalement du Christ, peuvent aussi se comprendre de la première création de l’homme, qui a été décrite dans la Genèse. Mais, à moins de nous convertir aux fables judaïques, il est, toutefois, évident qu’Adam n’a pas foulé toute la terre avec ses pieds, même si on pouvait dire de lui : « Tu as tout soumis sous ses pieds. » Le rabbi Salomon écrit, en effet (au chapitre 4 du Deutéronome) qu’Adam était tellement grand que sa tête touchait le ciel.
Je réponds à l’autre confirmation que si leurs raisonnements menaient à une conclusion valable, on pourrait en déduire que tous les hommes sont partout. Car (en Jean 20), le Christ a accordé à ses disciples le pouvoir de remettre les péchés. Or, si du seul fait de remettre les péchés quelqu’un peut être partout, les apôtres et leurs successeurs ont certainement été partout. Je dis dons que remettre les péchés. par sa propre autorité, est le propre d’une vertu infinie; mais que les remettre, en tant qu’instrument d’un autre, ne requiert par une vertu infinie, comme chacun le sait. En tant que Dieu, le Christ remettait donc les péchés de sa propre autorité; mais en tant qu’homme, il les remettait comme instrument de la divinité.
Le quatrième argument (Matt 18) : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Et (Matt 18) : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle ». Je réponds que cela est dit du Christ en tant qu’il est présent par la grâce et le secours, ce qui ne requiert évidemment pas une présence corporelle. Car s’il est présent auprès de ceux qui se réunissent en son nom, il n’est certes pas présent auprès de ceux qui se réunissent au nom de faux Dieux. Ces citations ne prouvent donc pas que le Christ soit partout, mais qu’il n’est pas partout.
Le cinquième argument (Jean 5) : « Le Fils vivifie ceux qu’il veut ». De même : « Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils, pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Ce texte nous montre qu’ont été accordés au Christ trois idiomes divins, à savoir le pouvoir de juger, la vertu de vivifier, et la majesté digne de l’honneur suprême. La même raison valant pour les autres idiomes, tous les autres lui sont donc communiqués. Donc aussi la toute puissance et l’omniprésence. Et, pour qu’on ne réponde pas que ces idiomes lui ont été donnés en tant que Dieu, le Christ ajoute : « Il lui a donné le pouvoir de faire le jugement parce qu’il est fils de l’homme ». Et Brentius confirme par une citation de saint Cyrille (livre sur l’incarnation, chapitres 7 et 28) : « Le Verbe a communiqué à sa chair les opérations de sa majesté ». Saint Léon aurait dit des choses semblables (dans son épitre 83 au moine Palaste).
Je réponds qu’on peut interpréter ce texte de trois façons. D’abord, que toutes les choses qu’on dit ici avoir été données au Christ par le Père, l’ont été par la génération éternelle. C’est ainsi que saint Jean Chrysostome comprend ce texte. Il dit que les mots « parce qu’il est fils de l’homme » doivent être réunis aux mots qui suivent et non aux mots qui précèdent. Ainsi, il ne faudra pas lire « il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme », mais « parce qu’il est fils d’homme, ne vous étonnez pas de cela ». C’est-à-dire : ne vous étonnez pas si moi qui suis un fils de l’homme, je déclare avoir le pouvoir de vivifier et de juger, et de devoir être honoré comme le Père, car je ne suis pas seulement fils de l’homme, mais aussi Fils de Dieu. On peut aussi le comprendre de la façon suivante. Toutes choses sont données à l’humanité, non elle-même, mais à son suppôt, et ceci par la grâce d’union, comme nous l’avons dit plus haut de la session à la droite du Père. C’est de cette façon que saint Augustin et saint Cyrille semblent l’avoir compris. Il ne suit pas de leur explication que l’humanité du Christ ait formellement en soi les attributs divins, mais qu’elle n’est que la nature du suppôt qui possède ces attributs.
On peut aussi l’entendre au sens d’un pouvoir de juger extérieur et sensible. Et c’est pour qu’il s’exerce d’une façon visible et externe que ce pouvoir aurait été donné au fils de l’homme. Comme un juge des hommes, dans un procès public, doit être vu par ceux qui sont jugés, ce n’est donc pas Dieu le Père qui jugera, parce qu’il est invisible, mais le Fils qui est devenu visible en assumant la chair. Comme confirmation, j’ajoute que saint Léon et saint Cyrille, pour commenter ces textes, ont expliqué la communication des idiomes comme nous l’avons fait plus haut, à savoir qu’elle est réelle par rapport au suppôt, et purement verbale par rapport aux natures.
Car, au même endroit, saint Léon et saint Cyrille expliquent que la communication des idiomes est mutuelle, de façon à ce que même la nature humaine communique ses passions au Verbe, tout en maintenant que la nature du Verbe est totalement impassible.
Le sixième argument. Colossiens 2 : « Dans le Christ habite toute la plénitude de la divinité corporellement ». De même : « Dans le Christ sont tous les trésors cachés de sagesse et de science ». Or si toute la plénitude de la divinité est communiquée à l’humanité, la toute puissance et l’omniprésence le sont certainement aussi. Je réponds. Autre chose est communiquer à l’humanité la plénitude de la divinité, --ce que saint Paul n’a pas dit--; autre chose est habiter dans la divinité, et cacher dans l’humanité du Christ des trésors de science—ce que saint Paul dit. Car la première hypothèse signifierait que l’humanité est Dieu, ce que ne signifie pas la deuxième, Car, du fait que quelqu’un demeure dans une maison, il ne s’ensuit pas que la maison soit un homme, ou qu’elle possède formellement les attributs d’un homme. Ce que saint Paul voulait dire c’était donc que c’était corporellement, non en figure, comme chez les anges et les prophètes, que la divinité habitait dans le Christ, mais réellement, de façon à ce que cet homme soit vraiment Dieu, et que son humanité soit celle de Dieu.
Septième argument. Éphésiens chapitre 4 : « Il est monté au-dessus de tous les cieux pour tout remplir ». Oecuménicus explique ce texte comme suit. Celui qui, auparavant, remplissait tout de sa divinité, est descendu et est monté pour remplir tout avec sa chair. Il semble bien vouloir dire que le Christ a rempli toutes choses par sa présence corporelle, de la même manière que, avant son incarnation, il avait rempli toutes choses par la majesté de sa divinité. Theophylactus commente le même passage en disant que le fait de pouvoir être partout à la fois n’a pas été un empêchement à sa descente et à sa montée. Je réponds que « pour tout remplir » peut s’entendre de l’accomplissement des prophéties. Car la descente et la montée ont été prédites par les prophètes. Et bien que nos adversaires se moquent de cette interprétation, ils ne l’ont pas encore réfutée. Je dis, en second lieu, qu’on peut l’entendre de l’occupation des lieux, mais par leurs effets. Car, le Christ a voulu tout remplir par sa gloire, et opérer des merveilles en tous. Troisièmement, on peut entendre le passage en question comme une occupation des lieux successive, donnant au mot « lieux » le sens de « genres de lieux », comme on dit que quelqu’un est allé dans toute l’Europe parce qu’il est allé dans toutes les provinces de l’Europe, même s’il n’est pas allé dans toutes les villes ou toutes les maisons de l’Europe. Car, c’est de cette façon que le Christ a été sur la terre, qu’il a marché sur la terre, qu’il fut dans une crèche, sur la croix, sous terre, et dans les enfers. Il a du donc monté aussi au ciel pour illustrer et remplir tous les lieux de sa présence.
On
peut même dire que cet extrait enseigne manifestement que le Christ n’a
pas tout rempli de la présence de sa chair. Car descendre et monter répugnent
à l’idée de réplétion. Car, s’il voulait tout remplir, il aurait
du se diffuser plutôt que descendre et monter. Et s’il avait été partout,
non seulement il n’aurait pas eu besoin de descendre et de monter, mais
même de se diffuser. On ne peut pas dire non plus qu’Oecuminicus et
Ttheophylacte enseignent le contraire. Car, tout ce que dit Oecumenicus
c’est que la chair du Christ a tout rempli Il a compris cette phrase
comme il le devait, c’est-à-dire non par une présence simultanée mais
successive, en allant successivement dans tous les lieux. Et Theoplylactus
n’a pas dit que la descente du Christ n’a pas empêché qu’il ne
monte en même temps, mais plus tard. Car Theophylactus exhorte à l’humilité,
et montre que plus quelqu’un s’abaisse lui-même, plus il sera élevé,
comme cela s’est produit dans le Christ. Nous en avons donc fini avec
les deux auteurs louangés par les auteurs de la concorde.
CHAPITRE 17 : On réfute l’argument tiré de l’incarnation
Huitième argument. Par l’incarnation, il est advenu que Dieu et l’homme soient une seule personne. Or, la personne est une substance individuée, On ne peut donc en aucune façon éloigner une partie de l’autre. Donc, où est l’une, là est l’autre. On le confirme par une citation du concile de Chalcédoine (acte 5) et du concile 6 (acte 17), et d’une lettre de saint Léon (98, au moine Palaeste). On nous enseigne là que l’incarnation est faite de deux natures indivisibles inséparablement et sans confusion. Donc, où l’une est, l’autre est aussi. Autrement, comment sont-elles indivisibles et unies inséparablement si l’une est au ciel et l’autre sur la terre ? On cherche une autre confirmation auprès de saint Jean Damascène (livre3, chapitre 3) qui ne dit pas seulement que les natures sont unies dans le Christ inséparablement, mais même sans distance. Donc, l’une ne s’éloigne jamais de l’autre. Et comment pourraient-elles ne jamais être distantes si une n’est pas où l’autre est ? Est donc enfin confirmé que si la chair du Christ n’est pas partout avec le Verbe, il s’ensuit qu’à un certain endroit le Verbe est homme, et qu’à un autre endroit, il n’est pas homme. Ce qui est absurde.
Je réponds que quand on dit dans la définition de la personne qu’elle est une substance individuée, il ne s’agit pas d’une individuation telle qu’une partie de la personne doive être où se trouve l’autre partie. Il est clair que cela est faux, car nos mains et nos pieds et nos membres occupent différents lieux, et ne font pourtant qu’une seule personne. On dit donc que la personne est une substance individuée parce qu’il y a un seul subsistant en soi non divisé en raison de la subsistance, et divisé par rapport à tous les autres. C’est ainsi que le Christ est Dieu et homme. À la première et à la seconde confirmation, je dis qu’une union inséparable et indistincte ne requiert pas que l’un soit où est l’autre, mais qu’ils soient partout ensemble. Car, s’ils n’étaient jamais ensemble, ils seraient vraiment distants. On peut donner pour exemple le globe du soleil. Il est uni inséparablement et indistinctement à son orbite, et cependant l’orbite du soleil n’affecte pas la partie inférieure du globe. Le soleil est simultanément en occident et en orient, ce qui ne convient pas au globe du soleil.
On insiste. Le soleil n’est pas uni à son orbite en totalité, mais par une partie seulement. Or, l’humanité est unie à tout le Verbe. Je réponds que l’humanité est unie à tout le Verbe, parce que le Verbe est indivisible. Elle n’est pas pour autant du même ordre que son immensité. Car, comme une étoile qui, par la quantité de sa masse, est plus petite que son orbite, ne peut pas être partout où est son orbite, de la même façon, parce qu’elle est inférieure au Verbe par la quantité de sa vertu, l’humanité du Christ ne peut pas être partout où est le Verbe, même si elle ne s’en sépare, ni ne s’en éloigne.
Je réponds à l’ultime confirmation que cette proposition : « le Verbe ailleurs n’est pas un homme » est fausse si elle signifie que le Verbe s’est éloigné de l’humanité. Car même si le Verbe était là où n’est pas son humanité, même alors, le Verbe est homme, car le Verbe qui existe là soutient l’humanité comme la sienne propre, même si elle est absente. Comme l’âme raisonnable qui est dans le pied est unie avec la tête, même si la tête n’est pas où sont les pieds.
CHAPITRE 18 : Réfutation des arguments tirés des témoignages des pères
Le neuvième argument vient des pères. Ils citent d’abord saint Jean Chrysostome (homélie 17 sur l’épitre aux Hébreux) qui parle ainsi du Christ : « Pourquoi dis-tu qu’à moins d’entrer dans le ciel, il n’apparaîtra pas au Dieu qui est partout et qui remplit tout ? » Je réponds que la solution est dans les mots qui suivent : « Ne vois-tu pas que ce sont toutes choses de la terre ? » Par ces paroles, saint Jean Chrysostome enseigne que le Christ qui, en tant que Dieu, est partout; a du, selon la chair, entrer dans le ciel pour apparaître au visage de Dieu pour nous, car, selon la chair, il n’était pas dans le ciel avant qu’il y monte.
Ils présentent ensuite l’épitre 1 de saint Cyrille (aux successeurs) : « Étant le corps propre de Dieu, comme je l’ai dit, il transcende toutes les choses humaines ». De même, (au livre 12 sur saint Jean, chap 32), parlant des vêtements du Christ qui ont été divisés en quatre parties, tandis que la tunique demeurait sans division, il explique que cela signifie que la chair du Christ est communiquée sans séparation à tous les hommes qui demeurent dans les quatre parties du monde : « Le Fils unique se rendant chez tous séparément, et sanctifiant leurs corps et leurs âmes par sa chair, il est en tous intégralement et sans division, comme il est, lui seul, partout, sans aucune division ». Théophyclaste (chap 19 sur saint Jean) dit la même chose dans à peu près les mêmes mots.
Je réponds que dans la première citation, saint Cyrille ne fait qu’affirmer que le corps du Seigneur transcende en dignité tous les autres corps humains. Mais, il ne suit pas de cela qu’il soit partout. Et parce que Brentius a pris soin d’imprimer en lettres majuscules ces paroles de saint Cyrille, comme si elles contenaient un argument invincible, il faut y répondre avec plus de précision. C’est à partir de deux textes qu’on peut se faire une idée de la façon dont saint Cyrille comprend que le corps du Christ transcende tous les autres corps humains. Car saint Cyrille va chercher son interprétation dans les paroles de saint Paul aux Corinthiens (2,5) « Et si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant ». Ce que veut dire saint Paul c’est que le Christ n’a plus maintenant de chair passible, vulnérable à la faim, à la soif, aux injures, à la mort, comme il le dit (dans Corinthiens 1, 15) : « La chair et le sang ne possèderont pas le royaume des cieux ». Et aux Hébreux (5) : « Lui qui dans les jours de sa chair, a offert à Dieu des prières et des supplications etc ». Car ailleurs, le même Paul dit à Timothée (1,2) que le Christ est encore un homme maintenant, et (aux Corinth 1, 15), il enseigne longuement que le corps du Christ est vraiment ressuscité. Saint Cyrille ne veut pas dire autre chose : le corps du Christ a transcendé tous les corps humains, c’est-à-dire toutes les passions humaines. Ensuite on en comprend le sens par ce qui suit. Car, expliquant lui-même ce que sont ces « toutes choses humaines », il dit qu’il s’est fait incorruptible, et vivifiant, et a été illustré d’une gloire ineffable, sans jamais oser dire qu’il est devenu immense et présent partout.
En ce qui a trait à l’autre citation, c’est de l’eucharistie que disputent saint Cyrille et Theophylactus, comme on le voit par ce qui suit, là où ils placent le type de l’agneau pascal. Ils n’expliquaient donc pas que la chair du Christ soit partout, absolument parlant, mais partout où sont ceux qui communient. Car il peut arriver que la communion soit distribuée partout au même moment. Quelle différence y a-t-il entre cette ubiquité et celle que prônent les hérétiques, nous l’avons déjà montrée dans notre deuxième argument, à savoir que le Christ est partout où sont les hosties consacrées, mais non présent absolument partout et en même temps dans les lieux illimités. Cela n’implique pas non plus l’immensité, Être partout où est le Verbe c’est être partout absolument; et être ou pouvoir être simultanément dans des lieux indéfinis cela requiert manifestement l’immensité divine.
Troisièmement, ils citent saint Ambroise (livre 7, saint Luc, chap 47 : « Quand reviendras-tu, Seigneur, sinon au jour du jugement ? Car, même si tu es partout et si tu te tiens au milieu de nous, sans que nous ne te voyons, il viendra quand même un temps ou toute chair te verra, quand tu reviendras ». Il semble bien vouloir dire ici qu’il est actuellement présent invisiblement selon cette forme qui sera vue par tous au jour du jugement, sa forme humaine. Je réponds que, dans sa forme humaine, le même Christ reviendra qui est partout dans sa forme divine; que c’est le même qui sera vu, et qu’il ne sera pas vu en raison des natures ou des formes.
Quatrièmement. Ils citent saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance,) où il dit que l’agneau de Dieu, c’est-à-dire le Christ, est partout. La même chose dans l’épitre 148 à Marcel dans laquelle ce dernier lui pose la question suivante sur le Christ. Pendant ces 40 jours après la résurrection, fut-il toujours sur la terre, ou montait-il parfois au ciel et descendait-il sur la terre ? Il répondit que le Fils de Dieu n’avait plus ni à monter ni à descendre, puisqu’il était présent partout. Par cette réponse, ou saint Jérôme enseigne que le corps du Christ a toujours été partout, ou il est un imposteur insigne. Car, la question portait sur le corps, non sur la divinité.
Je réponds à la première citation que la solution se trouve au même endroit. L’impudence de Brentius est donc vraiment grande, lui qui ne fait ce genre d’objection que pour tromper les insouciants et les étourdis. Car voici quelles sont les paroles de saint Jérôme : « Si l’agneau est partout, on croira donc que ceux qui sont avec l’agneau sont eux aussi partout. » Or, il est certain que les saints ne sont pas partout simultanément, mais successivement, c’est-à-dire qu’ils peuvent émigrer à tous les lieux qu’ils veulent. Pourquoi donc ne pas entendre que l’agneau soit partout de la même façon, c’est-à-dire qu’il puisse toujours être là où il veut.
Au second je dis que quand saint Jérôme déclare que le Fils de Dieu est partout, il parle de la seule déité. C’est ce que ses propres paroles attestent : « Il est stupide de dire que le pouvoir de celui que le ciel ne contient pas se réduit à la petitesse d’un petit corps. Et cependant celui qui était partout était tout entier dans le Fils de l’homme. Car la nature divine et la parole de Dieu ne peuvent pas être sectionnées en parties, ni divisées par des lieux. Mais comme elle est partout, elle est toute entière partout ». Comme tu le vois, saint Jérôme affirme que la puissance divine n’est pas limitée par la petitesse du corps du Christ, et que la déité s’étend plus loin que la chair du Christ. Tu verras aussi que saint Jérôme dit que c’est la nature de Dieu, la Parole de Dieu, qui est partout, c’est-à-dire que le Fils en tant que Dieu est partout, et également dans l’homme Christ, parce que la déité est invisible, même si elle remplit tout.
Mais ils disent que Marcella ne s’enquérait pas de la divinité, mais de l’humanité, et qu’elle ne pouvait pas ignorer que la divinité était partout. Je réponds que la question de Marcella portait sur le Seigneur, et que, parce que le Seigneur a deux natures, saint Jérôme a correctement répondu que le Seigneur a toujours été partout selon une nature. Il n’est pas non plus incroyable que Marcella, ou la personne qui a posé la question, se soit demandé si le Verbe de Dieu n’existait pas en dehors de son humanité. Car nous voyons qu’un certain Volusien a posé une question semblable à saint Augustin : « Le Verbe de Dieu a-t-il quitté le ciel, et s’est-il confiné dans l’étroitesse d’un corps ? » Voir l’épitre 3 de saint Augustin. Il est certain que, dans toute sa réponse, saint Jérôme tente de rejeter cette supposition, pour qu’on ne pense pas que Dieu se soit restreint aux limites étroites d’un corps humain.
Cinquièmement, ils citent saint Augustin (sermon 14 sur des paroles de l’apôtre) : « Il est assis dans le ciel, celui qui marchait sur la terre. Il était dans le ciel, car le Christ est partout, et c’est le même Christ qui est fils de Dieu et fils de l’homme. » Je réponds que toutes ces choses-là sont dites de la personne, non de la nature humaine. Voilà pourquoi, parlant, un peu après, du Christ vivant sur terre avant sa passion, il dit : « À cause de l’unité de la personne, le Fils de Dieu est sur la terre, et, à cause de la même unité, le fils de l’homme est dans le ciel ». Constate qu’il n’a pas dit que l’humanité est dans le ciel, ni la divinité sur la terre, mais que c’est le Fils de l’homme, c’est-à-dire la personne, qui est au ciel, et le Fils de Dieu sur la terre, c’est-à-dire la même personne, parce que cette personne est partout.
Sixièmement, ils citent Gélase (dans le livre des deux natures) : « Il faut fuir si on dit ou on entend dire ou que l’homme cesse déjà d’être Dieu, si son humanité seule et non sa divinité persévère; ou que Dieu cesse d’être homme, si la divinité seule perdure et non l’humanité unie ». Je réponds que « là » ne signifie pas un lieu, mais le Christ, ou le mystère de son incarnation. Car, voici ce qu’il veut dire : si dans le Christ il n’y a que la seule divinité, ou la seule humanité, le Christ ne sera ni Dieu ni homme. On le comprend bien avec les mots qui suivent : « Il semblerait que l’âme ait horreur de dire, --mais la nécessité nous contrait de ne pas nous taire,-- que la divinité est changeable en l’une et l’autre si elle est convertie en la chair, ou l’humanité en la déité, de façon à perdre sa propriété.
CHAPITRE 19 : On réfute les arguments tirés de l’enseignement des scolastiques.
Le dixième argument vient des scolastiques. Car, Brentius prétend que son ubiquité est la doctrine non seulement des pères anciens, mais aussi des principaux scolastiques. Il cite d’abord Pierre Lombard (livre 3, dist. 22) qui dit que « Tout le Christ est partout, mais pas le tout du Christ ». Ce que signifie « être tout entier partout mais pas totalement », Brentius dit que saint Thomas (3 p. quest 52, art 3) a expliqué que cela voulait dire qu’il n’est circonscrit pas aucun lieu. Saint Bonaventure ajoute (dist. 3, 22, quest 2) en disant : « Quand on dit que cet homme est partout, ce démonstratif (cet) peut indiquer la personne du Christ, ou la singularité de l’homme. Si c’est la personne du Christ, la proposition est vraie : cet homme est partout. Si c’est l’individualité de l’homme, la proposition est encore vraie, mais par la communication des idiomes, car ce qui convient au Fils de Dieu par nature, convient aussi à cet homme par la grâce. »
Enfin, il allègue le compendium de la vérité théologique (livre 1, chap 17) où il dit : « Puisqu’il est une créature, le corps du Christ ne peut pas être partout, ni ressembler en rien au Créateur à ce sujet. Mais, en plusieurs endroits, il est tout entier sous différentes hosties, et cela, à cause de l’union de la chair avec le Verbe ». Et ce raisonnement, affirme Brentius, nous permet de conclure qu’elle est partout, car l’union personnelle de la chair au Verbe ne cesse jamais. » Ou le compendium milite donc contre lui-même, ou, quand il dit que le corps du Christ n’est pas partout, il veut dire qu’il n’est pas partout par lui-même, mais par la grâce de Dieu. Je réponds que tous les scolastiques ont explicitement enseigné le contraire, et que l’impudence de Brentius atteint de nouveaux sommets. D’abord, quand le maître des sentences dit que « tout (totus) le Christ est partout, mais pas le tout (totum) du Christ », il en donne lui-même l’explication en disant que le tout (totum) se rapporte à la nature et le totus (tout) à la personne. Le Christ entier est partout parce que toute la personne divine est partout. Mais le tout du Christ n’est pas partout, parce qu’une de ses natures n’est pas partout.
C’est pourquoi, quand saint Thomas (lieu cité) dit que tout le Christ est partout, mais non totalement, parce qu’il n’est pas circonscrit par un lieu, il ne donne pas une explication du maître des sentences, il ne parle pas non plus du corps du Christ, mais de la personne divine. Et c’est pour cela que dans le corps de l’article, il enseigne que, pendant le triduum de la mort, l’âme du Christ était dans les enfers, le corps dans le sépulcre, et la déité partout. Et, dans son contre les Gentils (livre 4, chapitre 19) : « Le Verbe de Dieu ne tire pas sa subsistance de la nature humaine, mais il attire plutôt la nature humaine à sa subsistance, ou personnalité. Voilà pourquoi rien n’empêche que le Verbe de Dieu soit partout, bien que la nature humaine assumée par le Verbe de Dieu ne soit pas partout ». Et, (dans 3 dist. 22, question 1, art 2), il dit : « Je réponds en disant que la nature humaine du Christ n’est pas partout ».
Saint Bonaverture ( 3 dist. 22, quest 2) avait déjà parlé d’une façon si claire qu’on ne pourrait désirer mieux. Car à la question posée « le Christ homme est-il partout ? », il répond ainsi : « Cette question peut porter sur la chose ou sur le mot. Si elle porte sur la chose, il faut répondre sans hésiter que l’humanité du Christ n’a pas été, et n’est pas partout. C’est sa divinité qui est partout, parce que, étant immense et infinie, elle ne s’enferme dans aucun lieu. Mais, comme elle est une créature, la nature humaine occupe un lieu déterminé. Semblablement, en raison de l’humanité en tant que telle, il est dans un seul lieu. Mais il est présent en plusieurs lieux, sous le sacrement. » Quand il dit par la suite que le Fils de l’homme est partout par la communication des idiomes, parce que convient, par grâce, au fils de l’homme ce qui convient au Fils de Dieu par nature, il ne parle pas de la chose, mais de la façon de parler. Car, puisque, par la grâce d’union (car c’est de cette grâce que l’on parle, et non d’une grâce créée quelconque), il est advenu que Dieu et l’homme soient une seule et même personne, on a raison de dire que le Fils de l’homme est partout, parce que cette personne, qui est le fils de l’homme, est partout.
C’est pourquoi quand ce compendium de théologie dit que le corps du Christ est sacramentalement présent en plusieurs endroits à la fois à cause de l’union avec le Verbe, il ne veut pas dire que la raison formelle et immédiate de sa présence simultanée dans plusieurs endroits soit l’union au Verbe. Car, il se contredirait trop ouvertement, et il devrait concéder que le corps du Christ est en plusieurs lieux même en dehors du sacrement de l’autel; qu’il a même été partout depuis sa conception. Mais il a voulu enseigner que, à cause de l’union avec le Verbe, l’homme Christ peut placer son corps en plusieurs endroits. C’est parce que cet homme est Dieu qu’il peut faire cela. Car, même nous, qui ne sommes que des hommes, nous pouvons, s’il plait à Dieu, être placés par Dieu en divers lieux, mais nous ne pouvons pas nous placer nous-mêmes en différents lieux.
Enfin, quoi qu’il en soit de ce compendium, il est certain que tous les docteurs scolastiques (saint Albert, Durand, Scott, Bebriel etc) ont tous unanimement et doctement enseigné la même doctrine. Tous disent, en effet que, au sujet de la chose, il ne saurait y avoir de doute, car il est certain que la chair du Christ n’est pas partout. Au sujet de la façon de parler, ils ont formulé trois règles. La première. Quand on demande si le Christ homme est partout, on doit absolument concéder qu’il est partout, car alors le mot homme remplit la fonction d’un suppôt. Est donc vraie cette proposition : le Christ homme est partout. La deuxième. Si le mot « homme » est prédicat, et si l’adverbe « partout » se rapporte au sujet, il faut aussi concéder la proposition. Car, quand je dis que le Christ (qui est) partout est homme, je dis la vérité si « partout » se rapporte au sujet. Car le sens est : le Christ, qui est partout, est un homme. La troisième. Si le mot homme est prédicat, et si l’adverbe partout se rapporte au prédicat, la proposition alors est fausse. Car si je dis que le Christ est homme partout, cela signifie que, selon son humanité, le Christ est présent dans tous les lieux, ce qui est faux.
CHAPITRE 20 : On réfute une dernière objection tirée de la raison naturelle
Voici quel est le dernier argument de Brentius. Le Christ homme, sans aucun doute, est suprêmement heureux, suprêmement beau, suprêmement saint. Il est donc présent partout. Car être circonscrit par un lieu, ou se déplacer d’un lieu à un autre n’est pas le propre de la divine excellence, mais de l’imbécilité corporelle; non de la majesté céleste, mais de la petitesse terrestre; non de la beauté spirituelle, mais de la difformité charnelle. Je réponds qu’est bienheureux (comme le définit saint Augustin dans le livre 13 de la trinité, chap 5), « celui qui a tout ce qu’il veut, et qui ne veut rien de mal »; que la beauté est la proportion des membres avec la suavité de la couleur (saint Augustin : livre 22 de la cité de Dieu, chap 19). Il découle de cela qu’à Dieu, qui est immense de sa nature, la beauté et l’ubiquité sont nécessaires à sa nature. S’il n’en était pas ainsi, il n’aurait pas tout ce qu’il voudrait, et il voudrait un certain mal. Mais pour l’homme, qui est d’une nature finie et corporelle, et qui possède les instruments du mouvement, le mal serait de ne pas pouvoir se mouvoir, et d’accomplir des choses qui entraîneraient la perte ou la difformité de ses membres. L’argument de Brentius est si admirable qu’il obtient un effet contraire à celui qu’il a recherché.
Mais je ne peux pas passer outre les paroles de Brentius en cet endroit : « Être circonscrit par un lieu, et se déplacer d’un lieu à l’autre, ce n’est pas le propre de l’excellence divine, mais de l’imbécilité corporelle; non de la majesté céleste mais de la petitesse terrestre; non de la beauté spirituelle, mais de la difformité charnelle ». Qu’expriment d’autre ces paroles que de l’eutychianisme tout craché ? Car, si, à l’humanité du Christ, tu enlèves ce qu’elle a de corporel, de charnel, et de terrestre, (comme le fait Brentius), et si tu lui attribues l’excellence divine, la majesté céleste et la beauté spirituelle, (comme le fait Brentius), ne transformes-tu pas l’humanité en la divinité, et ne dissous-tu pas le mystère de l’incarnation ? Quand Satan excitait Luther, petit à petit, par le rejet des indulgences, du purgatoire, et de choses semblables, il avait déjà prévu dès le début qu’il amènerait Luther à renier les mystères suprêmes de notre foi. Mais que cela suffise. Venons-en maintenant aux dernières disputes sur le Christ. = p.264 pdf latin google
[17 juillet 2017, 19h31, fin]
Fin livre 3.
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, juillet 2017.