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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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2018 01 24 a2031 début
LIVRE 2
L’autorité des conciles (19 chap.)

CHAPITRE 1
L’argumentation et la division de ce livre

 Sur la définition du concile et sur ses causes nous venons tout juste de discuter brièvement.  Il reste à déterminer son autorité.  Il est démontré et par les conciles eux-mêmes qui nous sont parvenus, et par le livre 4 sur le souverain pontife, que des conciles épiscopaux peuvent juger des controverses portant sur la foi ou les mœurs, lesquelles surviennent périodiquement dans l’Église.  Ce n’est pas de cela que nous traiterons ici.   La seule chose que nous entreprendrons d’expliquer est la suivante : les jugements des conciles sont-ils certains et infaillibles ?
Cette étude sur l’autorité des conciles se fera en deux parties.  La première, l’autorité des conciles en elle-même.  La deuxième.  L’autorité des conciles comparée à d’autres principes de foi semblables : l’Écriture, et les décrets pontificaux.
Sur l’autorité des conciles en elle-même deux questions se posent.  La première.  Des conciles, qui ont été confirmés par le souverain pontife, peuvent-ils errer ?  La deuxième. Des conciles non encore confirmés par le souverain pontife, mais légitimement convoqués, peuvent-ils errer ?  Car, des conciles réprouvés, ou en partie réprouvés et en partie approuvés, nous n’avons rien à dire, puisqu’il n’est pas douteux qu’ils ont erré.  On porte sur eux le même jugement que l’on porte sur les conciles approuvés  ou condamnés.
                                                                      CHAPITRE 2
On démontre par l’Écriture que des conciles généraux confirmés par le pape ne peuvent pas errer.

Nous commençons par cette question,  parce que les hérétiques de notre temps ne veulent aucun concile qui ne puisse errer.  C’est ce que Luther affirme (art 28 et 29, et dans le livre des conciles), ainsi que Brentius (dans son confession de Wittemberg, chapitre des conciles),  et Calvin (livre 4, chapitre 9, verset 8 de ses institutions, et au chapitre 8, verset 163, et en plusieurs endroits).  Mais les catholiques, eux, enseignent, comme ils l’ont toujours fait, que les conciles généraux approuvés par le souverain pontife ne peuvent pas errer, ni en expliquant la foi, ni en prescrivant des préceptes moraux pour l’église universelle.  Au sujet des conciles provinciaux, il semble y avoir une dissension entre catholiques.  Car, comme toute leur certitude dépend de l’autorité du souverain pontife, ceux qui disent que le souverain pontife peut errer, doivent dire en conséquence que des conciles de ce genre peuvent errer.   Pour expliquer la chose plus clairement, réduisons-la à deux propositions.
Voici la première. Il faut tenir, de foi catholique, que les conciles généraux confirmés par le pape ne peuvent pas errer, ni en matière de foi, ni en matière de mœurs.  On prouve la première proposition par des témoignages de la sainte écriture qui peuvent être ramenés à quatre classes.  Dans la première, se trouveront les témoignages eux-mêmes.   Dans la seconde, les choses qui prouvent que l’Église ne peut pas errer.   Dans la troisième, les choses qui prouvent que le pape ne peut pas errer.   Dans la quatrième, les choses qui prouvent que tous les docteurs et tous les évêques de l’Église ne peuvent pas errer.
Nous avons trois témoignages à présenter.  Le premier est de Matthieu 18 : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je sui au milieu de vous. »  Calvin ne fait pas grand cas de ce texte, précisément parce qu’il semble nous donner la preuve qu’un concile de deux hommes ne peut pas errer.  Mais il ne va pas jusqu’à mépriser ce témoignage, puisque,  l’argument qu’on peut en tirer ne doit pas être pris de ces seules paroles prises isolément, mais en tenant compte de celles qui précèdent.  Le Seigneur, en effet, venait de dire au sujet d’un homme incorrigible : « Dis-le à l’église, et s’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen ou un publicain. »  Et pour que personne ne pense qu’on doive mépriser l’église ou l’assemblée des prélats, il ajouta tout de suite après : « En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel. »
Et pour que personne ne doute de l’assistance de Dieu quand les évêques réunis condamnent quelqu’un ou l’absolvent, il dit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »  Le sens de ces paroles est le suivant : si deux ou trois qui sont réunis en mon nom obtiennent toujours ce qu’ils demandent à Dieu, à savoir la sagesse et la lumière qui leur suffit pour connaître les choses qui leur sont nécessaires, à  plus forte raison tous les évêques réunis en mon nom obtiendront-ils toujours ce qu’ils demandent justement, c’est-à-dire la sagesse et la lumière pour juger des choses nécessaires à la direction de toute l’Église.  On peut donc conclure que,  qu’Ils  soient nombreux ou peu nombreux, des évêques ou des laïcs, tous ceux qui sont réunis en  mon nom ont tous le Christ présent, et aidant, et ils obtiennent ce qu’il convient qu’ils obtiennent.   Mais, comme dans une assemblée de peu de personnes et de laïcs, le Christ est présent pour les aider dans des choses petites et privées,  dans une assemblée d’évêques, il est présent pour les aider dans des choses grandes et publiques.  C’est de cette façon que, dans sa lettre au pape Léon, (que l’on trouve à la fin de l’acte 3), le concile de Chalcédoine commente ce passage, et qu’il en fait même un argument.  De même, le concile général 6, ( acte 17, le concile de Tolède 3, pas loin du début).  De même le pape Innocent (sur la grâce, dist 20, canon de quibus).  Et Célestin (dans son épitre au concile d’Éphèse 1), et Cyrille, dans son exposition sur le concile de Nicée, près du début.
L’autre citation est celle de Jean 16 : « L’Esprit de vérité vous enseignera toute vérité. »  Et, pour que nous ne pensions pas que cela a été dit pour les seuls apôtres, et non aussi pour leurs successeurs, le Seigneur (ca 14), déclare que le Saint-Esprit demeurera éternellement avec les apôtres, c'est-à-dire avec eux, et avec leurs successeurs, à perpétuité.   Le Saint Esprit n’enseigne pas toute vérité aux apôtres pris séparément;  c’est donc quand ils sont tous rassemblés en un seul corps que le Seigneur leur enseigne toute vérité.  Et comme il n’y a pas, dans l’Église, une chaire d’enseignement, de par Dieu,  différente de la chaire du souverain pontife, auquel s’ajoute le consentement d’un concile général,  si cette chaire peut faillir elle aussi quand elle enseigne à l’église universelle,  je ne sais pas comment sera vraie cette promesse : « Il vous enseignera toute vérité. »
La troisième citation est celle des Actes (15) , où le premier concile dit avec confiance : « Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous ».  Or, si ce concile qui fut le modèle de tous les autres qui ont suivi, déclare que ses décrets sont ceux du Saint-Esprit, peuvent certainement déclarer la même chose les autres conciles généraux qui prescrivent des règles de foi et de morale à l’Église universelle.  Au premier concile a été présent le Saint Esprit, parce que c’était nécessaire pour la conservation de l’Église.  Mais, aux autres époques, à l’apparition de nouvelles hérésies, le Saint-Esprit n’a pas été et ne sera pas moins nécessaire à l’Église.
La deuxième classe de témoignages contient tous les passages qui prouvent que l’Église ne peut pas errer  ni en croyant, ni en enseignant.  Et cela de deux façons.  La première.  Parce que toute l’autorité de l’Église n’est, formellement, que dans les prélats, comme la vue de tout le corps n’est formellement que dans la tête.  C’est donc la même chose de dire que l’Église ne peut pas errer en définissant des choses de foi, et que les évêques ne peuvent pas errer.  Et comme nous l’avons déjà  dit, chacun en particulier et isolément pris, peut errer, mais quand ils sont tous réunis en seul corps, ils ne le peuvent pas.   La deuxième.   Un concile général représente l’église universelle, et possède donc le consentement de l’Église universelle.  Si donc l’Église ne peut pas errer, un concile légitime approuvé ne peut donc pas errer, lui non plus.  Que par un concile général l’Église universelle soit représentée, Calvin le nie, mais on peut facilement le démontrer.   Car, d’abord, dans les 3 Rois, chapitre 8,  est clairement appelée église d’Israël  l’assemblée des princes qui s’étaient réunis avec Salomon, car il ne pouvait se faire que tout Israël, qui était d’un nombre supérieur à mille milliers d’hommes, soit présent dans le temple simultanément.  Et, au début du chapitre, nous lisons que s’étaient assemblés près du roi les prêtres et les chefs des tribus.
De plus, c’est ce qu’enseignent Athanase (dans son épitre sur les synodes d’Ariminum et de Séleucis, et dans son épitre aux évêques africains), Épiphane ( à la fin d’Ancoratus),   Eusèbe (livre 3, sur  la vie de Constantin), saint Augustin  (livre 1 contre les donatistes, chap 18, et livre 2, chapitre 4, livre 4, chapitre 6),  Gélase (dans son épitre aux évêques de Dardanie), saint Grégoire (livre 1, épitre 14 à Jean Eulogium, et aux autres patriarches, ainsi que le huitième concile général (acte 4).  Tous tant qu’ils sont appellent un concile général une assemblée de toute la terre, ou un consensus de toute l’Église.   De plus, Martin 5, à la fin du concile de Constance, a ordonné d’interroger ceux qu’on soupçonnait d’être hérétiques, en leur posant la question suivante : «  croyez-vous qu’un concile général représente l’église universelle » ?  Semblablement,  (livre 4, lettre 9), quand saint Cyprien  a dit que « l’Église est dans l’évêque », il est certain qu’il voulait dire que toutes les églises sont dans tous les évêques.  De plus, si dans un royaume non démocratique, ce que le sénat ou les comices statuent est perçu comme ayant été fait par la totalité du royaume ou de la nation, pourquoi ne dirait-on pas la même chose des décrets ecclésiastiques, qui se font par la décision commune de tous les évêques ?
La troisième classe de témoins contient tous les passages qui prouvent que le pontife romain ne peut pas errer dans la foi.  Comme, par exemple, ce passage de Luc 22 : « J’ai prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. », et d’autres semblables qui ont été expliqués ailleurs.  De tous ces textes, on déduit clairement qu’un concile approuvé par le pape, ne peut pas errer.  Car, même si quelques catholiques estiment que le pape peut errer, ils disent qu’il ne peut errer que quand il ne prend pas suffisamment la chose au sérieux.  Mais, quand il convoque un concile général, il est certain qu’il veut faire tout ce qu’il peut pour investiguer la question à l’ordre du jour.  Car, que peut-il faire de plus ?  Donc, au consentement de tous, il est certain qu’alors il n’erre pas.
La quatrième classe de témoignages contient ces passages qui enseignent qu’il faut considérer les évêques comme des pasteurs, qu’on doit les écouter comme des maîtres, qu’on doit les suivre comme des chefs.  Comme, par exemple, Luc 10 : « Qui vous écoute, m’écoute ! »  Et Hébreux 13 : « Obéissez à vos préposés, et soumettez-vous à eux ! »  De même, ces endroits où on les appelle pasteurs (actes 1, éphésiens 4).  Quand on leur ordonne de paître, on nous ordonne à nous de les suivre dans les pâturages. Surtout parce que saint Paul nous  dit que les apôtres ont été constitués pasteurs pour que nous ne soyons pas emportés par tout vent de doctrine.  De même, ceux où ils sont appelés docteurs, (Matthieu, à la fin de son évangile) : « Allez enseigner toutes les nations ! »  Et saint Paul (i Timothée 3, et Tite 1).  Par l’ordre qu’ils ont reçu d’enseigner, nous avons reçu l’ordre d’écouter.  De même, dans ce passage d’Ezéchiel (33) où ils sont dit surveillants ou des éclaireurs : « Donnez-le comme surveillant à la maison d’Israël. »  Saint Jérôme et saint Grégoire appliquent ce mot aux évêques.  C’est donc avec quelque raison que le concile de Tolède 8 (chapitre 4) compare les évêques à des yeux. Et saint Ambroise (dans la dignité sacerdotale, chapitre 6).  Si on ordonne aux évêques de nous indiquer la voie en tant que surveillants et yeux, on nous ordonne à nous de marcher dans la voie qu’ils nous indiquent.  De plus, là ou les évêques sont dits des pères, nous sommes dits des fils, comme dans Galates 4, i Jean 2.
À partir de tous ces textes, nous pouvons faire le raisonnement suivant.  Si on nous ordonne d’écouter et de suivre les évêques, comme étant des préposés, des pasteurs, des docteurs, des surveillants, et des pères, il est certain qu’ils ne nous induiront pas en erreur, car nous pourrions renvoyer la faute à Dieu.  Sans aucun doute, chaque évêque, isolément pris, peut errer, et erre parfois;  et il arrive qu’ils ne soient pas tous  d’un même avis sur un sujet, de façon à ce qu’on ne sache plus lequel il faut suivre.  Il reste donc, au moins, que, quand ils sont rassemblés au nom du Seigneur, quand ils enseignent d’une seule bouche, ils ne peuvent pas errer.
                                                                  CHAPITRE 3
                    On prouve la même chose avec les pères de l’Église.
 Que se présente le second témoignage, la tradition des anciens pères.   L’Église et les pères ont écrit beaucoup de choses sur les conciles,  d’où il apert qu’ils ont compris  que les conciles généraux ne peuvent pas errer.    Ils affirment, d’abord, que la sentence d’un concile général est, dans une cause de foi, l’ultime jugement ecclésial, duquel on ne peut pas faire appel; qu’elle ne peut être ni annulée ni rétractée.  Il s’ensuit de là clairement que des conciles de cette sorte ne peuvent pas errer.   Car, autrement, il serait extrêmement inique d’interdire aux chrétiens de faire appel d’un concile qui peut errer.  Voilà pourquoi on retrouve souvent chez les anciens cette première affirmation.  Athanase, dans son épitre à Épictète (que rapporte Épiphane à l’hérésie 77), s’étonne qu’ils osent remettre en question les choses qui ont été définies à Nicée, car ce n’est qu’en se trompant qu’on peut changer les décrets de ce genre de concile. Saint Augustin (dans l’épitre 162) dit « qu’un concile général est l’ultime jugement de l’Église. »  Saint Léon (dans sa lettre 50 à Martien) demande que ce qui a été défini une fois pour toutes dans un concile général ne soit pas rétracté, ce que lui-même a sanctionné par sa loi (nemo C de summa trinitate, et fide catholica).  Le même Léon enseigne la même chose dans sa lettre au concile de Chalcédoine, et dans l’épitre 62 à Maxime d’Antioche.  La même chose Gélase (dans son épitre aux évêques de Dardanie).  La même chose a été statuée dans le concile d’Éphèse, près de la fin, et dans le concile de Chalcédoine (acte 5, dernier canon).
En second lieu,  les pères et l’Église enseignent que sont hérétiques et doivent être excommuniés ceux qui n’acceptent pas les conciles généraux.  Il suit manifestement de cela qu’ils pensaient que les conciles ne pouvaient pas errer.  D’ailleurs, au tout début, tous les conciles généraux anathématisaient les contradicteurs, comme saint Athanase l’atteste du concile de Nicée, dans une lettre aux évêques africains.  Et pour les autres conciles, leurs actes attestent la même chose.  Dans une lettre au prieur de Clidonium, comme les apollinarites niaient qu’ils étaient des hérétiques, et disaient qu’ils avaient été reçus dans un concile catholique, saint Grégoire de Naziance écrivit ceci : « Ils montrent cela, et nous acquiescerons ?  Car il sera évident qu’ils ont donné leur assentiment à la vraie doctrine, car la chose ne peut pas avoir lieu autrement, s’ils obtiennent cela. »   Le bienheureux Léon (épitre 78 à l’empereur Auguste) enseigne qu’on ne peut pas compter parmi les catholiques ceux qui n’acceptent pas le concile de Nicée ou de Chalcédoine.  Le même Léon (épitre 77 à Anatole)  ordonne que le prêtre Atticus accepte le concile de Chalcédoine, ou soit excommunié.  Saint Basile (épitre 78), dans laquelle il explique la foi,  enseigne qu’à ceux qu’on soupçonne d’hérésie, il faut présenter les décrets du concile de Nicée, pour qu’on sache s’ils sont hérétiques ou pas.   De plus, saint Augustin (dans son livre sur le baptême, chapitre 18), donne une seule raison pour excuser Cyprien d’être hérétique, à savoir qu’à son époque, aucun concile général n’avait encore été convoqué pour régler cette question de la  réitération du baptême des hérétiques.   De même, saint Grégoire (livre 1, épitre 14) dit anathème à ceux qui ne reçoivent pas le cinquième concile général, qui est le seul à avoir été célébré de leur temps.
Troisièmement.  Les pères  enseignent que les décrets des conciles généraux légitimes sont divins, et ont été édités par le Saint-Esprit.  D’où il suit qu’ils ne peuvent pas être entachés d’erreur.  De même, Constantin, dans sa lettre aux églises (selon Eusèbe, livre 3 de la vie de Constantin), donne le nom de commandements divins aux décrets du concile de Nicée.  Athanase (dans son épitre aux évêques africains) dit : « La parole de Dieu émise par le concile de Nicée demeure éternellement. »   Saint Grégoire de Naziance (dans son discours à Athanase) dit « qu’au concile général de Nicée, les évêques ont été rassemblés par l’Esprit-Saint. »  Saint Cyrille (dans le livre 1 de la trinité)  dit que «  le concile général de Nicée est un divin et très saint oracle».    Saint Léon (dans son épitre 53 à Anathole, et 54 à l’empereur Marien), affirme que «  les canons du concile de Nicée ont été faits sur l’ordre du Saint-Esprit ». Et dans l’épitre 37 à l’empereur Léon, il affirme que « le concile de Chalcédoine a été convoqué par le Saint-Esprit »  Saint Grégoire (livre 1, épitre 24), affirme « qu’il vénère les quatre premiers conciles comme les quatre évangiles. »  Nicolas premier dans son épitre à l’empereur Michael, appelle les décrets des conciles « des sentences inspirées par la divinité. »  Enfin, les conciles eux-mêmes affirment qu’ils ont été assemblés dans le Saint-Esprit.
Quatrièmement, ils enseignent qu’il est préférable de mourir plutôt que de prendre ses distances avec les conciles généraux de l’Église.  C’est ce que dit saint Ambroise (épitre 32) : « J’adhère au traité du concile de Nicée, de qui ni la mort ni le glaive ne pourront me séparer. »  Saint Hilaire a vraiment souffert l’exil pour la foi dans le concile de Nicée, comme lui-même l’atteste à la fin de son livre sur les synodes.   Et Victor l’Africain, dans ses trois livres sur la persécution des Vandales, décrit plusieurs martyres célèbres de saints, qui sont morts pour la foi expliquée dans un concile général.  Saint Jérôme, dans son livre contre les lucifériens,  dit, en parlant d’Athanase, d’Hilaire, d’Eusèbe, et d’autres saints confesseurs : « Comment auraient-ils pu faire quoi que ce soit contre le concile de Nicée, pour lequel ils subirent des exils ? »
                                                                      CHAPITRE 4
                           On montre la même chose avec des arguments tirés de la raison
Recourrons à la fin à la lumière de la raison naturelle.  Le premier argument.  Si les conciles généraux pouvaient errer, il n’y aurait, dans l’Église, aucun jugement certain qui permette de régler des différends, et de conserver l’unité de l’Église.  Car, il n’y a rien de plus grand qu’un concile légitime approuvé.  Le second.  Si le jugement d’un concile n’était pas infaillible, on pourrait trouver des raisons pour réhabiliter toutes les hérésies condamnées.  Car, Arius dirait que le concile de Nicée a erré;  Macédoine en dirait autant pour le concile de Constantinople, Nestor pour celui d’Éphèse, et Eutychès pour celui de Chalcédoine.  Le  troisième.  Il n’y aurait aucune certitude sur de nombreux livres de la Sainte Écriture.  Car, au sujet de l’épitre aux Hébreux, de l’épitre 2 de Pierre, 3, de Jean, de Jacques, et de Jude, et de l’apocalypse, livres que même les calvinistes reçoivent,  le doute fut permis jusqu’à ce qu’un concile général se prononce catégoriquement là-dessus.   Le quatrième. Si tous les conciles généraux pouvaient errer, il s’ensuivrait certainement que tous admettraient une erreur intolérable, et ne seraient donc dignes d’aucune estime.  Car, c’est une erreur intolérable de présenter comme un article de foi une chose qu’on ne sait pas si elle est vraie ou fausse.   Or, les principaux conciles généraux comme ceux de Nicée, d’Éphèse, de Constantinople,  et de Chalcédoine, formulèrent de nouveaux symboles de foi, ou certainement de nouvelles propositions, qu’ils ont clairement présentées comme articles de foi.  Qui donc oserait dire que ces quatre conciles contiennent une erreur intolérable;  qu’ils ne sont dignes d’aucune considération, alors que nous voyons que les adversaires eux-mêmes les reçoivent avec honneur, et les citent souvent comme témoignage de vraie doctrine ?  Il reste donc que nous croyions que leurs jugements sont surs et infaillibles.
                                                                  CHAPITRE 5
                Les conciles particuliers, approuvés par le pape, ne peuvent pas errer.
L’autre proposition : les conciles particuliers portant sur la foi et les mœurs, qui ont été approuvés par le pape, ne peuvent pas errer. Cette proposition n’est pas reçue comme l’est la première.  La première, aucun catholique ne la nie; la deuxième, il ne manque pas d’auteurs qui la nient.   Nous n’affirmons pas qu’elle soit de foi, et qu’elle doive être tenue par tous les catholiques, parce que nous ne voyons pas  que ceux qui la nient aient été, jusqu’à présent,  condamnés par l’Église comme hérétiques.  Nous avons appris de l’historien Eusèbe (livre 7, chapitres 2 et 3 de l’histoire de l’Église),  que le pape Corneille, avec un concile national formé de tous les évêques d’Italie, avait statué qu’on ne pouvait pas rebaptiser les hérétiques; que la même sentence avait été approuvée par le Pape Étienne,  et qu’il avait même ordonné qu’on ne les rebaptise pas.  Et on apprend du même Eusèbe que saint Cyprien pensait le contraire, et qu’il a défendu sa cause passionnément, comme on le voit dans la lettre qu’il a écrite à Pompée, dans laquelle il démontre que le pape se trompe.  Et, pourtant, saint Cyprien a toujours été considéré comme un  membre de l’Église.
Mais quoi qu’il en soit, et comme nous l’avons expliqué quand nous avons traité du souverain pontife,  c’est une chose téméraire, erronée et proche de l’hérésie,  d’estimer que les conciles particuliers approuvés par les papes, peuvent errer.  On peut le prouver cela par les arguments que nous avons utilisés plus haut, à savoir que le souverain pontife, dans les choses qui se rapportent à la foi et à la morale, ne peut pas errer.   Or, si un pontife romain ne peut pas errer,  un concile qu’il a approuvé, même s’il n’est pas universel,  ne peut pas non plus errer.  On le prouve, en second lieu, en disant  que si ces conciles pouvaient errer, plusieurs hérésies qui n’ont été condamnées que par des conciles provinciaux (comme celle des pélagiens, des priscillianistes, des joviniens,  et d’autres) pourraient prétendre que le concile n’avait pas la compétence pour les condamner.  Troisièmement.  Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé un concile qui ait erré sur la foi ou la morale.  Quatrièmement.   Au synode 7 (acte 3) et au synode 8 (dernier acte, canon 1), les pères disent qu’ils vénèrent et reçoivent même les décrets des conciles locaux.  Le septième synode va même jusqu’à les appeler « divinement inspirés ».  Il ne reste donc qu’à exposer et à réfuter les arguments des adversaires.
                                                               CHAPITRE 6
                                    On réfute les arguments tirés de l’Écriture
Les adversaires  nous objectent quatre sortes d’arguments.  Ils demandent l’un à l’Écriture, un autre aux pères, un troisième à des conciles qui semblent contredire d’autres conciles ou l’Écriture sainte, et un dernier à la raison naturelle.  Le premier ne tient pas debout. Nous le réfuterons donc très brièvement.  Dans son institution (livre 4, chapitre 9, verset 3), Calvin nous objecte des textes de l’ancien testament dans lesquels on condamne des pasteurs, des prêtres et des prophètes pour leur malhonnêteté,  leur ignorance ou leur erreur, comme celui d’Isaïe 56 : « Tous les guetteurs sont aveugles et n’ont jamais rien su.  Tous les chiens sont muets, et sont incapables d’aboyer,  ils dorment, étendus par terre.  Ils aiment beaucoup le sommeil.  Les pasteurs eux-mêmes ne savent rien, ne comprennent rien. »  Même chose dans Osée 9.  Même chose dans Jérémie 6 : « Du prophète jusqu’au prêtre, chacun profère le mensonge. » Enfin, Ezéchiel 22 : « La conspiration des prophètes au milieu d’elle est comme un lion rugissant qui ravit une proie.  Les prêtres ont violé ma loi, les prophètes mes choses saintes. »
Mais, on peut répondre à ces citations de trois façons.  La première.  Il arrive très souvent, dans les saintes lettres,  qu’à cause de certaines personnes qui sont mauvaises, on accuse tout le monde, en une figure de style.  Saint Augustin, dans son livre sur l’unité de l’Église (chapitre 12) a noté plusieurs exemples de cette façon de parler dans les livres saints.  Mais qu’un exemple suffise.  L’apôtre écrit aux Philippiens (chapitre 2) : « Tous ne cherchent que leur intérêt personnel, non ceux du Christ. »  Et pourtant, au premier chapitre, il avait dit que quelques uns annoncent en esprit de rivalité, et d’autres dans la charité du Christ.  Et, au troisième chapitre,  il dit : « Soyez mes imitateurs, et suivez ceux qui marchent ainsi, selon l’exemple que vous avez de nous. Car, beaucoup marchent, comme je vous l’ai dit souvent, et maintenant c’est en pleurant que je le dis, comme des ennemis du Christ. »  Et ce qui suit : « Si quelques-uns annoncèrent le Christ mus par la charité, et marchèrent comme le doit un apôtre, ils furent dignes d’être imités par les Philippiens, comme ils le furent en effet. »  Tous ne recherchèrent donc pas leur propre intérêt.  Les textes de l’Écriture allégués ne nous obligent donc pas de penser que, dans l’ancien testament, tous les prophètes, tous les prêtres, tous les pasteurs aient été des menteurs et des scélérats, mais quelques-uns d’entre eux, seulement.
Ensuite, comme on ne dit rien d’eux en tant que réunis dans un concile de prêtres,  mais que c’est séparément et individuellement qu’ils trompaient le peuple, on ne voit pas en quoi ces textes se rapportent à notre propos. Car toute autre est la condition de pasteurs réunis en concile par une autorité publique, qui, après avoir invoqué le nom de Dieu, s’enquièrent diligemment de questions de foi ou de mœurs;  et toute autre est celle de pasteurs isolés,  qui, dans le lieu où ils siègent, portent un jugement.  C’est pourquoi, l’ Écriture qui, tant de fois, se déchaîne sur les mauvais pasteurs, et avertit de se méfier des faux prophètes, est la même que celle qui envoie à un concile de prêtres ceux qui ont des doutes, et qui leur prescrit de mettre en pratique ce qu’auront décidé ceux qui président au lieu qu’a choisi le Seigneur  (Deutéronome 17).  Et même si n’avions pas ces autres passages, il n’y a rien qui nous incite ou nous oblige à appliquer aux prêtres du nouveau testament réunis en concile ce qui est dit des pasteurs, des prêtres et des prophètes de l’ancien testament. Car Dieu a fait des promesses plus sures et plus grandes à son église qu’à la synagogue.  Car, au sujet de la synagogue, nous ne lisons rien qui ressemble à ce que Jésus a dit à Pierre, en Matth 16 : « Sur cette pierre j’édifierai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »  Ni non plus ce que dit l’Apôtre (1 Timothée 3) : qu’elle est « la colonne et le firmament de la vérité. »  Et ce n’est pas de Caïphe, mais de Pierre  qu’il a été écrit : « J’ai prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. »
Le même Calvin fait la deuxième objection au même endroit (verset 4 des lieux du nouveau testament, 2 Pierre 2).  Comme il y eut, dans l’ancien testament, des pseudos prophètes, il y aura aussi parmi nous de faux docteurs, faisant allusion aux sectes de perdition (actes 20). « Je sais qu’après mon décès, entreront au milieu de vous des loups rapaces, qui n’épargneront pas le troupeau.  De chez vous se lèveront des hommes qui prêcheront des doctrines perverses,  pour attirer à eux des disciples. » Matthieu 24 : « Et plusieurs pseudos prophètes surgiront et séduiront un grand nombre. »    Il est étonnant qu’en écrivant cela, Calvin ne se soit pas regardé lui-même, et qu’il n’ait pas dit :  que dire si je suis, moi aussi, du nombre de ces misérables pseudos prophètes ?   Car, il est clair que ce sont des hérétiques que saint Pierre et saint Paul appelaient faux prophètes, ceux qui s’opposent à la doctrine transmise par les évêques qui président dans l’église en vertu d’une succession ininterrompue, qui ne craignent pas d’introduire des sectes pour y attirer à eux des disciples,  et se fabriquer un nom sur la terre, de façon à être nommés les uns luthériens, les autres calvinistes. Ils sont bien loin de parler de conciles ces passages qui nous avertissent de nous méfier des faux prophètes, car c’est précisément le rôle des conciles généraux de détecter et de repousser les loups rapaces, et de les tenir loin du troupeau du Christ.
                                                               CHAPITRE 7
                On réfute les arguments tirés des témoignages des pères de l’Église
Ils présentent, en second lieu, des textes des pères de l’Église, et le premier que cite Calvin c’est saint Grégoire de Naziance qui, dans sa lettre à Procopius, parle ainsi : « S’il me faut dire ce qui est vrai, je suis d’une disposition telle que je fuis tous les conciles d’évêques, parce que je n’ai vu aucun concile qui réglât une chose ou statuât définitivement.  Plutôt que de diminuer des maux, ils ne font que les augmenter. »    Je réponds que saint Grégoire de Naziance ne nie pas que les conciles légitimes définissent des vérités qui sont de foi. Mais, il se plaint que, de son temps, aucun concile ne pouvait, de tout point, être légitime, ce qui n’est que trop vrai. Car, sa vie s’est déroulée entre le premier concile général  et le second.  Pendant cette époque, plusieurs conciles ont été tenus, qui, à cause du grand nombre d’évêques qui favorisaient les hérétiques, eurent une issue malheureuse.  Tels furent les conciles de Séleucie, de Tyr, d’Ariminis, de Milan et de Smyrne.   Voyant qu’il  y avait, de son temps,  tant de mauvais conciles, et aucun de bon, quand Procopius, au nom de l’empereur, le convoqua à un concile, il présenta deux excuses pour ne y aller. La première, qu’il n’avait plus d’espoir de voir, à son époque, de concile légitime;  la seconde, qu’il était gravement malade, et près de la mort.  On confirme cette interprétation par saint Basile, son contemporain et ami, qui vécut donc, lui aussi, entre le premier et le second concile.   Écrivant (lettre 52) à Athanase, il disait qu’il lui semblait impossible qu’il y ait de son temps un concile légitime, et que, pour cette raison, il faudrait écrire au pontife romain pour que, de son autorité propre, il invalide les actes du concile d’Arménie.
Ensuite, ce que pensait saint Grégoire de Naziance des conciles généraux légitimes, on peut s’en faire une idée par ses lettres citées plus haut,  et aussi et surtout parce qu’il fut un fervent prédicateur des vérités définies dans le concile de Nicée.  Et cela,  à un point tel que le temple dans lequel il prêchait à Constantinople, fut appelé anastasia, c’est-à-dire résurrection, car, c’est là que ressuscita, par son éloquence,  la foi de Nicée, qui avait été presque éteinte, comme le rapporte l’histoire tripartite (livre 9, chapitre 9).  Il fut ensuite présent au second concile de Constantinople, comme nous le montre sa signature, et le discours qu’il tint devant les 150 pères.
L’autre texte patristique est celui de saint Augustin qui (au livre 3 contre Maximin, chapitre 14) dit : « Ni moi ni toi nous devons considérer que la cause a été déjà jugée en citant, moi,   le concile de Nicée, toi,  celui d’Arménie.   Car je ne suis pas plus tenu par l’autorité de l’un (celui d’Arménie) que tu ne l’es par l’autorité de l’autre (celui de Nicée). »  Saint  Augustin ne veut pas dire que, en aucune façon, Maximin n’est pas tenu par l’autorité du concile de Nicée, mais qu’il ne l’est pas dans cette dispute, selon la promesse qu’Augustin lui avait faite.  Parce que Marcellin opposait au concile de Nicée celui d’Arménie, et saint Augustin ne voyait pas d’avantage à perdre du temps, à ce moment,  pour prouver que le concile de Nicée était légitime et que l’autre ne l’était pas;  et surtout parce qu’il avait de meilleurs arguments qui provenaient de l’Écriture.  Il dit donc : à ce moment-ci,  je ne suis pas tenu par l’autorité du concile d’Arménie, ni toi par celle du concile de Nicée. C’est-à-dire : je ne veux pas que maintenant nous nous appuyions sur l’autorité des conciles.  Laissons de côté les conciles, et venons-en aux Écritures.   Qu’ailleurs saint Augustin ait pensé que le concile de Nicée avait une grande autorité,  et que tous devaient lui obéir, ses paroles qui précèdent nous le font clairement comprendre : « Ceci est le consubstantiel (homoousion) que les pères catholiques ont défini dans le concile de Nicée contre les hérétiques ariens, par l’autorité de la vérité et la vérité de l’autorité. »  Car, quelle est la vérité de l’autorité si ce n’est une autorité vraie et sure ?
Ils présentent un autre témoignage tiré d’Augustin (baptême, livre 2, chapitre 3), où il  dit que les premiers conciles généraux ont été amendés par les suivants.   On peut dire qu’il parle ici des conciles qui sont improprement dits pléniers, c’est-à-dire des nationaux.  Car,  un peu avant, il avait dit que les conciles régionaux et provinciaux doivent céder le pas aux conciles généraux.  Et il ajoute ensuite, que, parmi les pléniers eux-mêmes, les premiers ont été amendés par les suivants.  Ici exulte Harmann (livre 3, chapitre 16 prolégomènes) : « Car si les conciles les plus anciens et les plus vénérés ont besoin d’émendation, de combien d’erreurs ne seront pas entachés les plus récents ? »    Je réponds d’abord que saint Augustin parle peut-être des conciles illégitimes, qui sont amendés ensuite par leurs successeurs, comme cela est arrivé au concile d’Éphèse 2, lequel a été amendé par celui de Chalcédoine.  Je dis, ensuite, que s’il parle des conciles légitimes, il s’agit de questions de fait et non de droit, dans lesquelles il est admis qu’un concile peut se tromper.  Saint Augustin semble certainement traiter de ces questions-là.   Car la première question débattue entre les catholiques et les donatistes,  portait sur Cicilien : avait-il, oui ou non, livré les livres sacrés aux ennemis de la foi ?   On peut dire, aussi, en troisième lieu, que, si les adversaires soutiennent qu’il parle de questions universelles, quand il dit que les conciles anciens doivent être amendés par les plus récents,  il avait en vue les préceptes moraux, non les dogmatiques.  Car, ces préceptes changent selon les mutations de temps, de lieux et de personnes, et ces changements sont dits des amendements.   Non parce que la législation avait été mal faite, au moment où elle avait été instituée,  mais parce qu’elle a commencé à être mauvaise avec le temps, avec le changement des circonstances.   On peut confirmer l’une et l’autre réponse par des paroles de saint Augustin.  Il dit, en effet, qu’on doit amender des conciles, quand la loi en était à une phase d’essai, et que cette période expérimentale est terminée.  Les lois expérimentales sont celles qui portent sur des faits, ou sur les mœurs, non sur des questions universelles de droit.
Quatrièmement.  Calvin nous présente un texte de saint Léon (épitre 3 à Anathole,  54 à Martien, 55 à Pulchérie).  Saint Léon reconnait que le concile de Chalcédoine a été légitime, mais il n’hésite pas à lui reprocher de l’ambition, et une témérité inconsidérée.  Il pensait donc qu’un concile général pouvait errer.   Je réponds qu’un concile légitime peut errer  dans les choses qu’il traite illégitimement, et qu’il a effectivement erré, puisque le siège apostolique lui fait des reproches.  Le pape Léon fait un reproche au concile de Chalcédoine pour quelque chose de semblable.  Car, comme nous le montrent le dernier acte de ce même concile, et l’épitre  6 du même Léon (que l’on trouve dans le concile de Chalcédoine), le décret qui place l’évêque de Constantinople avant ceux d’Alexandrie et d’Antioche, a été fait en l’absence des légats du siège apostolique, non sans fraude.  Et il a été blâmé par le pape Léon parce qu’il était contraire à la constitution du concile de Nicée.  À cela  Hermann (livre 3, chapitre 13 des prolégomènes),cite Isidore ( Gratien dist 50, canon Domino sancto), qui affirme que quand les conciles se contredisent, on doit s’en tenir aux plus anciens, comme étant plus approuvés.  Or, cette règle est contraire à celle donnée par saint Augustin qui plaçait les conciles récents avant les anciens. On peut aussi déduire de ce texte que les conciles peuvent errer.   Je réponds qu’Isidore parle de conciles à l’autorité incertaine, qui n’ont pas été expressément confirmés par le souverain pontife.  Que les conciles puissent se contredire et errer, nous ne le nions pas. Et saint Augustin ne dit pas le contraire de ce qu’enseigne Isidore, car Isidore parle de la doctrine de foi, et saint Augustin de questions de faits et de préceptes moraux.
Luther, (dans son livre des conciles page 54),   prouve que les conciles militent les uns contre les autres, en se servant du titre d’un décret de Gratien : « la concordance des discordants. »   Je réponds qu’il parle de discordes apparentes, non vraies, car, si elles étaient vraies, il ne pourrait pas les raccorder.    Ils ajoutent, à la fin, d’autres citations de Gratien qui (dist 18, canon 1) dit : « les conciles épiscopaux n’ont pas l’autorité pour définir et constituer  quelque chose, mais ils l’ont pour corriger. »  Je réponds que ce que Gratien appelle conciles épiscopaux ne sont pas des conciles fréquentés par des évêques, mais seulement des conciles provinciaux.  Car sont proprement épiscopaux ceux où seuls les évêques, les archevêques ou les patriarches se rassemblent. Or, les conciles provinciaux ne sont pas ordinairement convoqués pour définir des dogmes de foi, car cela est propre aux conciles généraux, mais uniquement pour rétablir la discipline ecclésiastique et corriger les mœurs.   Ils sont donc, par eux-mêmes, ordinairement inaptes à l’imposition de dogmes de foi.  Mais, si une nécessité urgente les pousse à définir une vérité de foi, et si leur décret est approuvé par le siège apostolique,  ces conciles n’ont pas moins d’autorité que les autres.
                                                               CHAPITRE 8
                             On réfute l’argument tiré des erreurs des conciles
Les adversaires énumèrent les erreurs des conciles, et surtout Hermann (livre 3, chapitres 15 et 16, les prolégomènes), et le livre des protestants (les raisons pour lesquelles les électeurs et les princes….)  Mais, de  toutes les nombreuses erreurs citées, un tiers seulement requiert une réfutation.  Les adversaires discernent trois genres d’erreur dans les conciles.  Certaines de ces erreurs sont vraies et crasses, et réprouvées par les papes, mais elles ont été commises par des conciles illégitimes, comme celui d’Arménie, de Séleucis, d’Éphèse 11.   Ils ne gagnent rien à nous les reprocher, puisqu’ils sont pour nous inexistants.  Voir ce que nous avons dit au sujet des conciles réprouvés (livre 1, chapitre 7 et 8).    Les autres erreurs qu’ils imputent aux conciles généraux, ne sont pas vraies mais fictives.  Ils disent, par exemple, que le concile de Chalcédoine a erré quand il a interdit aux moniales de violer le vœu de continence;  et que celui de Carthage V a erré quand il a statué qu’on n’érige pas d’autels sans  reliques de martyrs.  Mais en disant cela, ils prennent  pour acquis ce qui est à prouver.
Ils détectent d’autres passages des vrais et légitimes conciles qui semblent contenir une erreur, c’est-à-dire qui semblent contenir des phrases qui, à notre jugement et au leur, doivent être jugées erronées. Ces conciles, nous devons donc les examiner et les corriger.  Premier exemple.  Calvin présente le concile des 400 (3 rois 22) prophètes qui ont tous erré, Dieu lui-même attestant avoir envoyé un esprit de mensonge dans leurs bouches.   Mais, je le demande, quelle sorte de concile était-ce donc ?  D’abord, ils n’étaient pas des prophètes du Seigneur.  Car, après que ces pseudos prophètes aient prononcé leurs sentences, ne lisons-nous pas que le roi Josaphat a demandé au roi Achab s’il n’y avait pas un prophète du Seigneur par lequel il pourrait être interrogé ?  Le roi Achab répondit : « Il en est un, mais je le hais. »   Ensuite, un concile n’est pas une réunion de prophètes, mais de prêtres.   Enfin, ce pseudo concile a été réuni par le roi Achab, non par le souverain pontife.  Il n’y a donc pas à s’étonner qu’il ait erré.
Calvin et Brentius présentent en second lieu le concile des Juifs, présidé par le souverain pontife Caïphe, dans lequel furent excommuniés ceux qui confessaient que Jésus est le Christ (Jean 9), et qui a jugé ensuite que le Christ était coupable et méritait la mort (Jean 2, Marc 14).  Je réponds qu’il y en a qui prétendent que la cause que le concile a jugée n’en était pas une  de droit, mais de fait, quand ils se demandèrent si Jésus méritait la mort.  Car nul ne doute que dans ces sortes de jugements, les conciles peuvent errer.   Mais, même si cette question n’en était qu’une de fait, elle impliquait une question très grave de foi, à savoir, Jésus est-il le vrai Messie et le Fils de Dieu, et donc le vrai Dieu ?  Caïphe  a donc erré pernicieusement dans la foi, ainsi que le concile en entier, quand il a jugé que Jésus avait blasphémé en s’appelant Fils de Dieu.  D’autres disent que le concile a erré mentalement, mais non dans la sentence qu’il a portée.  Car, Jésus était vraiment coupable de mort parce qu’il avait pris sur lui nos péchés pour nous en purger, et qu’il convenait vraiment qu’il meure pour le peuple.  Voilà pourquoi Jean dit que Caïphe a prophétisé.  Mais même si certaines paroles de Caïphe peuvent être prises dans un bon sens,  toutes ne le peuvent pas.  N’a-t-il pas dit : « Il blasphème ! Qu’avons-nous besoin d’autres témoins ! »  En prononçant ces paroles, il n’a certes pas prophétisé, mais c’est lui qui a blasphémé.
D’autres disent que ce concile a erré parce qu’il n’a pas procédé selon les règles qui régissent un concile, mais  que c’est par  une conspiration tumultueuse, et  des témoins subornés que Jésus a été condamné.  Ce qui était connu de tous, car même Pilate savait que c’était par jalousie que les pontifes le lui avaient livré (Matth 27).  Cette réponse est vraisemblable.   Mais, comme il n’appartient pas aux inférieurs de juger si les supérieurs ont procédé légitimement, à moins qu’il soit absolument évident qu’une erreur a été commise, il est croyable que Dieu ne permettra pas que des conciles présidés par le pape ne procèdent pas légitimement.  Nous répondrons donc que les pontifes et les conciles des Juifs n’ont pas pu errer avant que vienne le Christ, mais qu’ils ont pu en sa présence; qu’il a été prédit que les Juifs erreraient, et qu’ils nieraient le Christ (Isaïe 6,  Daniel 9 et ailleurs).  Car, comme il n’est pas nécessaire que le vicaire du pape ne puisse pas errer quand le pape lui-même gouverne l’Église, et la défend de l’erreur,  de la même façon, il n’était pas nécessaire que les pontifes juifs ne puissent errer quand le Christ, le pontife suprême de toute l’Église était présent, et administrait l’Église par lui-même.
Luther semble reprocher au concile de Jérusalem ce que l’on trouve au chapitre 15 des actes apôtres.   Il dit, en effet (dans assertions, article 19) que Jacques a changé la sentence de Pierre.    Il estime que la décision de Pierre à l’effet que les Gentils ne devaient pas être forcés à adopter toutes les prescriptions de Moïse,  était bonne et vraie; et que c’est celle que Paul défend dans son épitre aux Galates.  En conséquence, la sentence de Jacques que tout le concile accepta fut fausse et mauvaise, celle qui leur demandait de s’abstenir de sang et de suffocation.  Car ce n’était rien d’autre que leur commander de judaïser.   Luther (dans son livre sur les conciles, première partie) dit beaucoup de choses sur cette loi des apôtres, et bien qu’il n’ose pas affirmer qu’elle était mauvaise, il prouve quand même qu’elle ne fut d’aucune utilité pour le concile, et que c’est une loi qui n’est pas justifiable, à moins de dire que le concile n’imposait aucune obligation.  Je réponds que ne manquent pas les pères qui aient nié que le concile de Jérusalem ait prescrit quoi que ce soit sur le sang, la suffocation.  Saint Irénée (livre 3, chapitre 12), cite deux fois ce texte, et à chaque fois, il omet le mot suffoqué, et, par le mot sang, il semble entendre un  homicide.  Saint Cyprien (livre 3, lettre à Quirinus) dit ouvertement  que les apôtres avaient prescrit seulement qu’on s’abstienne de l’idolâtrie, de la fornication, et l’effusion du sang.  Saint Jean Chrysostome et Oecumenius, commentant ce texte, entendent par suffocation, un homicide.  Néanmoins, dans tous les codex grecs et latins, nous trouvons le sang et le mot suffoqué.  Il appert par Tertullien (apologie, chapitre 9) et par et le concile de Gangres (canon 2) que, pendant de nombreuses années, a été conservé dans l’Église le précepte interdisant aux chrétiens de manger du sang, et des animaux suffoqués.  Et de plus, il n’y avait aucune raison qui aurait amené les apôtres à interdire l’homicide.  Ils ne voulaient prohiber que les choses dont les Gentils se demandaient si elles étaient un péché.  Que l’homicide ait été un péché, personne n’en a jamais douté.
Nous répondons donc que les apôtres ont prohibé d’abord la fornication, car ce n’était pas pour les Gentils un péché, puisqu’elle n’était punie par aucune loi.  Ils leur ordonnèrent ensuite de s’abstenir de viandes immolées aux idoles, de sang et d’animal suffoqué, non en tant qu’observance de la loi ancienne, mais en tant que leurs préceptes à eux, les apôtres, c’est-à-dire pour que l’église puisse plus facilement former un tout à partir des Juifs convertis et des païens.  Car, au tout début, les Juifs n’auraient pas pu  supporter la société des Gentils s’ils les avaient vus manger des viandes immolées aux idoles, du sang et des animaux suffoqués.   Toutes choses   qu’ils avaient en horreur.   Plus tard, quand l’Église crut, et que le but de cette loi cessa, la loi cessa d’elle-même. C’est de quoi parle saint Augustin : «  Si, à ce moment, les apôtres prescrivirent aux chrétiens de s’abstenir du sang des animaux, et de manger de la viande suffoquée, il me semble que c’est parce qu’ils avaient choisi quelque chose qui était facile à observer, et qui n’était pas pénible.  Les Gentils avec les Israélites, à cause de cette pierre angulaire qui portait sur elle deux murs, observèrent ensemble communément quelque chose. »  et plus bas : « Une fois terminé ce temps pendant lequel les deux murs, venant l’un de la circoncision, l’autre du prépuce, vivaient en concorde sur la pierre d’angle, mais avec des propriétés distinctes,  et quand l’église des Gentils fut telle qu’en elle aucun Israélite selon la chair ne fut présent, quel chrétien observa encore de ne pas manger l’animal avec le sang ou un lièvre dont le coup a été cassé avec la main, ou qui fut tué sans blessure sanglante.  Et ceux qui redoutent encore de toucher à ces choses font rire d’eux. »
Le concile n’a donc pas erré, et Jacques n’a pas changé la sentence de Pierre.  Mais, avant que la chose ne fût définie, il a pensé d’ajouter à la sentence de Pierre ce précepte positif et temporaire.  Et après cela, la chose dut définie par une sentence commune.   Voir saint Jérôme dans son épitre à saint Augustin (qui est la onzième des épitres de saint Augustin), où il dit que Jacques et tous les autres ont donné leur assentiment à la décision de Pierre.
Quatrièmement. Ils présentent le concile de Néocésarée, confirmé par Léon 1V (dist 5, canon de libellis)  et reçu par le concile de Nicée 1, comme on le dit dans le concile de Florence (session 7), car dans ce concile (canon 7) on trouve une erreur, celle de prohiber les secondes noces.  Voici les mots du concile : «  Le prêtre ne pourra pas participer au banquet des secondes noces, d’autant plus  que le concile l’oblige d’attribuer une pénitence à ceux qui se marient deux fois. »  Quel sera le presbytre qui,  à cause d’un banquet, ne consentira pas à des secondes noces qu’autorise Paul quand il dit : « Si son homme meurt, la femme sera libre, et épousera qui elle voudra, mais seulement dans le Seigneur. »   Je réponds que le concile parle de celui qui a deux épouses, comme l’explique bien la glose 31, question 1, canon de ceux qui fréquemment.    On peut aussi répondre que ce n’est pas le second mariage qui est prohibé, mais la solennité du second mariage, car c’est à ce mot que se rapportent les noces.  La célébration des noces il convient de ne la faire qu’une fois dans l’église, surtout quand ce sont des vierges qui se marient, comme l’atteste Isidore (livre 2, chapitre 19, de officiis) où il dit que c’est seulement lors des premières noces qu’on donne l’anneau, et le voile, en partie blanc, en partie rouge qu’on appelait flambeau.  Et c’est de ce mot que viennent les noces, parce que les têtes des nouveaux mariées étaient recouvertes de ce voile, comme l’atteste Ambroise (livre, chapitre 9 sur Abraham).  Ce canon défend donc au prêtre de participer aux célébrations du second mariage, au lieu d’infliger une pénitence à ceux qui, contre la coutume de l’Église,  ont fait une fête de leur second mariage.
Cinquièmement. Ils en veulent au concile de Nicée lui-même.  Car Luther (dans la première partie de son livre sur les conciles), dit ne pas comprendre comment le Saint-Esprit aurait été dans un concile qui, dans un de ses canons, déclarent non idoines au sacerdoce ceux qui se sont castrés, et dans un autre interdit aux prêtres d’avoir des épouses.  Et il conclut, finalement, en disant : « À la vérité, le saint Esprit ne fait rien d’autre, dans ce concile, que d’imposer à ses ministres des lois impossibles, périlleuses, et non nécessaires. »   Luther considère aussi comme erroné le canon du concile de Nicée sur l’obligation de rebaptiser les pauliniens, et un canon similaire du concile d’Iconius (livre 7, chapitre 6, histoire de l’église d’Eusèbe).  De même, Luther, Brentius et Hermann affirment que, dans ce concile, la milice est condamnée, que saint Jean-Baptiste avait cependant approuvée comme licite (Luc 3).  Voici les propres mots du concile : « Ceux qui, par la grâce de Dieu, ont été appelés, ont montré au début, leur foi en déposant les armes.  Mais après cela, ils sont retournés à leur vomissement, et pour gagner de l’argent, ils reprirent du service militaire.  Que ces gens-là fassent pénitence pendant treize ans. Après la troisième année, qu’ils soient parmi les auditeurs, c’est-à-dire les catéchumènes. »
Je réponds que le concile de Nicée fut d’une telle autorité parmi  tous les pères de l’Église qu’on a peine à s’imaginer que Luther y trouve à redire.  Mais l’effronterie des hérétiques devait aller jusque là puisqu’ils déblatèrent contre ce que l’Église a toujours vénéré. La  loi de continente imposée aux ecclésiastiques déplait énormément à Luther.   Il en conclut donc que le concile a erré.  Mais, pour nous, c’est Luther qui erre, en paroles et en actes, non le concile.  Sur ce sujet on entreprendra une dispute en temps et lieu.   En blâmant le concile pour avoir imposé l’obligation de rebaptiser les pauliens, il ne fait que manifester son ignorance.  Car, les pauliniens ne voyaient en Jésus qu’un homme ordinaire, et niaient la trinité.  Ils ne pouvaient donc pas baptiser vraiment.  Ensuite, le concile d’Icône  fut un concile particulier, et réprouvé par le souverain pontife, comme le concile de Carthage, célébré au temps de Cyprien. Ces conciles nous ne les défendons pas.
Et en ce qui se rapporte au service militaire dans l’armée, le concile de Nicée ne l’a pas prohibé, à moins qu’il faille faire des gestes d’idolâtrie.  Autrefois, le ceinturon de l’épée était une chose très honorable, et très avantageuse, à cause des grands privilèges concédés aux soldats.  Voilà pourquoi les anciens empereurs païens, au temps des persécutions, avaient coutume d’enlever le ceinturon de l’épée, et de dépouiller de leurs armes ceux qu’on découvrait être chrétiens, et qui ne voulaient pas renier leur foi. C’est ce que nous raconte Eusèbe (livre , chapitre 4 de son histoire), dans lequel il dit que Dioclétien a commencé ses persécutions par les chrétiens qui ne pouvaient plus exercer leur métier militaire  qu’à moins d’offrir des sacrifices aux idoles.  Et (au livre 9, chapitre 10), il dit  que, au début de sa persécution des chrétiens, Licinius a expulsé tous ceux qui se trouvaient dans son palais et dans l’armée.  Ruffin raconte la même chose (livre 10, chapitre 32 de son histoire), où il dit de Julien qu’il avait ordonné de ne donner le ceinturon de l’épée qu’à ceux qui faisaient des immolations aux idoles; et de dépouiller de leurs armures ceux que l’on découvrait être chrétiens, et qui ne voulaient pas renier leur foi.  Comme il appert d’Eusèbe (livre 8, chapitre 4 de son histoire de l’église), où il rapporte que Dioclétien a commencé d’abord à persécuter les chrétiens en imposant aux militaires l’obligation de sacrifier aux idoles.     Et (au livre 11, chapitre 2,) il raconte que Valentinien avait reçu de Dieu l’empire parce qu’au temps de Julien, il avait, pour sa foi, été privé du ceinturon militaire.
Les soldats chrétiens renonçaient donc à leur ceinturon avec toute l’ardeur de la foi, préférant vivre sans honneur plutôt que sans foi.  Mais, ensuite, séduits par le démon, ils étaient prêts  à renier leur foi pour porter de nouveau la ceinturon.  Voilà pourquoi le concile a porté sur eux une sentence aussi sévère.  Qu’il en soit bien ainsi, on le voit par Théodose Balzamonus et Zonara, qui donnèrent cette explication dans leurs commentaires de ces canons.  Ensuite, par Ruffin qui (au livre 10, chapitre 6 de son histoire), énumérant les canons du concile de Nicée, donne à l’un d’entre eux le nom suivant : ceux qui, à cause de la confession, ont rejeté le service militaire.  Troisièmement, par le canon lui-même.  Car, dans tout le canon, il ne s’agit que des apostats.  Ceux, d’abord, qui apostasièrent par crainte de la mort ou de la perte des biens.  À ceux qui avaient renié la foi, le concile impose une pénitence de dix ans.  À ceux, ensuite, qui reprirent le service militaire qu’ils avaient foulé aux pieds à cause de la foi, il impose une pénitence de treize ans, parce que leur faute était plus grande.  Car, les premiers n’avaient que renier, mais c’est après la grâce de la confession que les autres avaient apostasié.  L’ingratitude envers Dieu était donc, chez ces derniers, beaucoup  plus grande.
Sixièmement. Hermman nous objecte le concile d’Arles 2, qui dit dans le deuxième canon : « Il ne faut pas choisir pour le sacerdoce quelqu’un qui est déjà engagé dans les liens du mariage, à moins qu’il n’y ait une promesse de conversion. »  Hermann Hamelmanus note ici deux erreurs.  La première.  Il n’est pas permis aux prêtres d’avoir des relations sexuelles avec leurs épouses, car cela est contraire à ce qu’enseigne le quatrième canon du  concile gangrens qui excommunie ceux qui ne veulent pas participer au sacrifice offert par un prêtre marié.  Or, ce concile a été reçu par le pape Léon 1V (dist 20, canon de libellis).  C’est même contraire au concile de Nicée, qui a approuvé la sentence de Paphnuce qui estimait qu’on ne devait pas interdire aux ecclésiastiques la cohabitation avec leurs épouses, comme le rapporte Socrate (livre 1, chapitre 8).  Il s’ensuit donc nécessairement   qu’un des conciles a erré : celui d’Arles, ou celui de Gangrense et de Nicée.   L’autre erreur, il la voit dans le mot conversion.  On ne se convertit que du mal au bien.  Celui donc qui ordonne à un homme  marié de se convertir condamne le mariage, ce qui est une hérésie condamnée par ce même concile, au premier canon.
Je réponds que ces conciles ne se contredisent pas, et qu’aucun d’eux n’a erré.  Car le concile de Gangrense a promulgué des canons contre ceux qui pensaient que les noces et les relations sexuelles étaient essentiellement mauvaises, et inventées par le diable.  Ce fut l’hérésie de Manès, et ensuite d’Euxthate de Sébaste, et c’est contre elle que le pape Grégoire a tenu un concile.  Les hérétiques haïssaient le mariage à un point tel qu’ils ne pouvaient même pas supporter les prêtres qui avaient des épouses comme n’en ayant pas.  Voilà pourquoi le concile a pensé qu’il fallait ajouter ce canon : « Celui qui pense qu’on ne doit rien recevoir de l’oblation faite par un prêtre qui a eu une épouse, qu’il soit anathème. »  Il s’agit ici de prêtres qui ont eu une épouse, non qui en ont.  Et à ce qu’ils ont tiré du concile de Nicée, nous répondons que Socrate n’a pas rapporté fidèlement cette histoire.  Et, pour omettre d’autres preuves,  devrait suffire ce qu’en dit le concile d’Arles.  Ce concile, en effet, a été célébré  tout de suite après la clôture du concile de Nicée, et c’est dans ce concile que sont reçus les canons du concile de Nicée, comme il apparait par le fait qu’ils sont presque tous reproduits tels quels.  Quand nous lisons un canon dans ce concile, nous pouvons être sur qu’il est conforme aux canons du concile de Nicée, ou qu’il ne lui est certainement pas contraire. Car, aucun catholique n’a jamais reproché quoi que ce soit au concile de Nicée.   Je dis, enfin, qu’une conversion ne se dit pas seulement du passage du mal au bien, mais aussi du bien au mieux.  Voilà pourquoi le pape Grégoire (livre 1, épitre 100) appelle une conversion la profession monastique, et le droit canonique emploie l’expression « conversion des conjoints ».
Septièmement.  Hermann Hamelmannus note que le concile de Smyrne, qui parait reçu parce qu’il a condamné l’hérésie de Photin, a confirmé clairement l’hérésie arienne.  On peut, selon lui, dire la même chose du concile de Sardaigne, qui a été reçu par Léon 1V (dist 10, canon de libellis).  Et cependant, saint Augustin dit (livre 3, contre Cresconium, c, 34) : « Apprends ce que tu ne sais pas. Le concile de Sardaigne fut arien ! »   Je réponds que ces arguments procèdent de l’ignorance des historiens.  En plus de la condamnation de Photin,  plusieurs confessions ont été éditées par le concile de Smyrne, les unes catholiques, les autres hérétiques, comme nous avons vu plus haut, et comme le livre de saint Hilaire de Poitiers sur les synodes nous l’apprend.  Le concile de Sardaigne se divisa rapidement en deux blocs : un qui était formé de 300 évêques occidentaux, avec qui se trouvaient les légats du pape Jules, et l’autre de 70 évêques orientaux, qui, se réunissant à part, condamnèrent la foi catholique et saint Athanase.  C’est de ce bloc d’évêques orientaux dont parle saint Augustin,  qui semble n’avoir lu du concile de Sardaigne que ce que les orientaux avaient envoyé en Afrique pour y faire venir les donatistes.
Le huitième.  C’est le même Harmann Hemalmannus  qui nous objecte le concile de Laodicée, dans lequel il est statué, au premier chapitre, que, « par charité (en se montrant indulgents) , on rende  la communion à ceux qui se sont mariés deux fois. »  Ce texte semble vouloir dire qu’on avait avant interdit la communion  à ceux qui s’étaient mariés deux fois, et qu’on peut la leur rendre en pardonnant leur péché, car c’est ce que le mot « indulgence » signifie. Je réponds en disant que le concile parle peut-être de ceux qui ont solennisé leur second mariage, comme nous l’avons expliqué en parlant du concile de Néocésarée.  Je dis ensuite que le concile n’a pas erré, même s’il ne parle que du second mariage en lui-même, mais qu’il a plutôt corrigé une erreur.  Car, il apparait, dans ce passage, que certains évêques, par un zèle qui n’était pas selon la science, déniaient la communion aux bigames.  Et c’est cette erreur que le concile corrige en ordonnant de rendre la communion aux bigames.  En effet, au début du canon, il appelle libres et légitimes les noces de ces bigames.   Et ce « selon l’indulgence », est tiré de saint Paul (a Cor, 7), qui dit qu’il ne commande pas aux époux l’usage de leurs conjoints, mais qu’il le concède par « indulgence »..  Or, par le mot indulgence, saint Paul ne veut pas dire qu’il pardonne un péché, mais qu’il concède un moindre bien, même s’il préférerait qu’ils choisissent un bien meilleur.  C’est dans ce sens que le concile emploie le mot indulgence, quand il dit qu’il concède les secondes noces comme un bien moindre, même s’il préfèrerait qu’on choisisse la viduité, qui est un bien meilleur que le mariage.
En neuvième lieu, Hermann objecte le deuxième concile général, dans le cinquième canon duquel il trouve deux erreurs, qui sont en opposition avec des décrets d’autres conciles.  La première. Que le pontife romain détient la primauté ecclésiastique.   La deuxième.  Que l’évêque de Constantinople doit être placé immédiatement après  le pontife de Rome.  Ces deux erreurs ont été renouvelées par les derniers actes du  concile de Chalcédoine.  La première erreur contredit le concile de Nicée qui, au canon 7, attribue la primauté à l’évêque de Jérusalem.  Et  le concile 3 de Carthage, (chapitre 26) où il est décrété que personne ne doit être appelé prince des évêques, ou prêtre suprême.   La seconde erreur est en opposition avec le concile de Nicée, qui (canon 6) attribue la deuxième place à Alexandrie, la troisième à Antioche,  canon que cite souvent le pape saint Léon le grand (épitres 53, 54, 55).
Je réponds d’abord, que ce n’est pas une erreur, et qu’il n’y aucune opposition à d’autres conciles.  La citation que fait Hermann du concile de Nicée est hors de propos.  Dans ce canon, on accorde un certain honneur à l’évêque de Jérusalem, mais non la primauté dans toute l’église.  Car, dans ce concile, ce siège est soumis non seulement à celui de Rome, mais d’Alexandrie et d’Antioche, et même à celui de Césarée, où était le siège métropolitain de la Palestine, comme nous l’expliquent les canons 6 et 7 du même concile,  des notations de saint Léon,  et de la lettre de saint Jérôme à Pammachus sur les erreurs de Jean de Jérusalem.  Il montre plus d’impertinence dans ce qu’il ajoute au sujet du concile de Carthage, car ce concile n’était qu’un concile national, et il ne promulguait  pas de lois pour l’église universelle, mais seulement pour les évêques d’Afrique.   Il n’a pas prohibé, et il ne pouvait pas prohiber qu’on appelle le pontife romain le prince des évêques, ou le prêtre suprême, mais seulement qu’on n’appelle pas ainsi aucun métropolitain d’Afrique.
La seconde erreur ne peut  pas être dite proprement une erreur, car comme ce décret sur la préséance des sièges avait été porté par un concile, il pouvait aussi être modifié par un autre concile.   Mais comme c’est sans aucune juste raison qu’il avait été changé par les conciles de Constantinople et de Chalcédoine, les pontifes romains Damase et Léon n’ont pas voulu y donner leur approbation,  et ce décret ne fut pas mis en application au temps de ces pontifes, comme on le voit dans la lettre de saint Léon (53) à Anathole, où, parlant du décret du concile de Constantinople,  il dit : « C’est en vain qu’on  présente le consensus de certains évêques en faveur de celui qui, pendant un si grand nombre d’années, en a nié l’effet. »   Et, dans l’épitre 55 à Pulchérie, parlant du décret du concile de Chalcédoine : « Les ententes d’évêques qui répugnent aux règles des canons décrétés à Nicée,  nous les résilions, et par l’autorité du bienheureux Pierre, et notre décision personnelle, nous les cassons. »
Dixièmement.  Hermann nous objecte le canon 47 du concile de Carthage 3, où sont inclus parmi les livres canoniques sacrés, certains livres apocryphes, comme Tobie. Judith, Baruch, la sagesse, l’ecclésiastique,  les macchabées, contrairement au concile de Laodice qui rejette tous les ces livres du canon.
2018 01 24 a2031 fin
 

2018 01 31 15h48 début
Nous répondons d’abord que le concile de Carthage est d’une plus grande autorité que celui de Laodicée, parce qu’il est plus récent, et surtout parce qu’il est national et composé de 64 évêques, et qu’il a été approuvé par le pape Léon 1X (dist 20,  canon de libellis).  Le concile de Laodicée, pour sa part, ne fut que provincial, n’ayant eu que 22 évêques participants; et il n’a pas été, non plus, confirmé par le souverain pontife.  Il a donc pu arriver, comme le disait saint Augustin, que, dans ce cas-ci,  un concile plus récent amende un plus ancien.  Je dis ensuite qu’aucun de ces conciles n’a erré. Car le concile de Laodicée a placé dans le canon les livres dont les évêques étaient certains, et a omis les autres non parce qu’ils niaient qu’ils étaient canoniques, mais parce qu’ils ne voulaient pas définir une chose douteuse.  Et le concile de Carthage, après de plus amples discussions, a défini ce que l’autre concile avait laissé douteux.
 Onzième.  On nous objecte aussi le concile de Tolède, dans le canon 17,  duquel il est écrit qu’on peut admettre à la communion celui qui a une concubine, pourvu qu’il ne soit pas marié.  Et que ce concile a été célébré sur l’ordre du pape Léon (chapitre 21).  Je réponds que ce qu’on appelle ici concubine c’est une femme mariée sans dot et sans solennité, comme on le voit défini par Gratien (dist 34, canon omnibus).  Ce qui est conforme au droit civil, comme on le voit dans la « nouvelle »  18 de Justinien.  De la même façon,  Agar et Cethura sont appelées concubines d’Abraham, bien qu’elles aient été de vraies épouses  (Genèse 16, au sujet d’Achar, et Genèse 25 au sujet de Cethura.)  Mais tu m’objecteras  que ce même Léon qui a ordonné que  soit ce concile, et qui l’a approuvé, dit (dans une lettre à Rutidus de Narbonne) en parlant d’épouse et de concubine : « La concubine n’est pas une vraie épouse, et leur union n’est pas un sacrement, mais un mariage.  Voilà pourquoi  une femme qui épouse un homme ayant une concubine ne pèche pas comme si elle épousait un homme marié, car on ne peut pas dire d’un homme qui a une concubine qu’il est marié. »   Je réponds que le pape Léon prend ici le  mot concubine dans un autre sens que celui que les pères de ce concile lui ont donné, à savoir  celle qui partage la couche d’un homme sans promesse mutuelle de vivre perpétuellement ensemble.  Le concile, lui, entend par concubine celle qui est épousée avec cette promesse mutuelle, mais exprimée privément, et non formulée publiquement.
 Mais,  diras-tu, si Léon est l’auteur  de ce concile comment a-t-il pu nier formellement qu’on puisse donner le nom d’épouse à une concubine ?  Je réponds que Léon ne fut pas l’auteur de tout le concile, mais de seulement ce canon.  Car, au début du concile, on dit que le concile s’est assemblé au temps des empereurs Honorius et Arcade.  À un moment, donc,   où Léon n’était pas encore pape, puisque c’est au temps de l’empereur Théodose junior qu’il a été sacré, trente-trois ans après la mort d’Arcade (la chronique de Prospère).   Ensuite, dans le dernier chapitre, on insère une explication de la foi que l’on dit avoir été faite sur l’ordre du pape Léon le grand.  Toutes ces choses manquent de cohérence, à moins de dire que le concile de Tolède ait été tenu avant le temps de Léon, et qu’après, au temps de Léon, ait été ajoutée cette explication de la foi, et annexée au même concile.  Car  les évêques qui apposèrent leur signature à cette explication avaient été présents au concile.  Ce qui donne beaucoup de vraisemblance à cette hypothèse c’est de voir, avant cette explication de la foi, les signatures des évêques qui mettaient fin au concile; et ensuite,  après l’explication de la foi, les signatures d’autres évêques.  Saint Léon n’a donc confirmé, de ce concile, que le dernier canon qui a été fait de son temps.
 Le douzième.  Harmann Hamelmannus nous objecte aussi  le concile de Wormatiens, dans le canon 3 duquel on trouve une énorme erreur.   On ordonne que les voleurs occultes soient testés  par la réception de l’eucharistie.  Or, saint Thomas d’Aquin lui-même enseigne que c’est une erreur (par 3, q. 80,  ar. 6, ad 3).  Je réponds que ce fut un concile provincial non confirmé, mais plutôt réprouvé par les souverains pontifes, précisément à cause de canon.  C’est ce que saint Thomas enseigne au même endroit.  Le treizième.   Ils mettent de l’avant d’autres canons du sixième synode, qui semblent avoir été reçus.  Car Hadrien 1 (dans sa lettre à Tharasius, qui se trouve dans la deuxième moitié du concile),  appelle ces canons divins, et légalement prescrits.  De même, Nicolas 1 (dans sa lettre à Michel) et Innocent 111 (ca a multis,extra de etate ordinandorum) et le synode 7  (actes 2-6) se servent ce ces canons.  Mais, dans ces canons, on trouve de graves erreurs.  Car, dans le canon 2,  on reçoit le concile tenu sous Cyprien sur la réitération du baptême des hérétiques, ce que saint Augustin appelle une erreur (souvent dans ses sept livres sur le baptême).  Le canon 71 juge invalides et annulables les mariages entre catholiques et hérétiques, ce qui est une erreur fragrante.   Car, même s’il pèche celui qui épouse une hérétique, le mariage est un sacrement à cause du caractère du baptême que l’hérétique conserve.  Un tel mariage ne peut donc pas être annulé.
 Je réponds que non seulement ces canons,  mais même beaucoup d’autres sont erronés. Il faut pourtant savoir qu’ils n’ont été promulgués par aucun concile légitime et approuvé.  Car Tharasius nous montre que dans l’acte 4 du synode 7, ces canons n’ont pas été promulgués par le synode 6 qui fut tenu au temps de Constantin et d’Agathon, mais plusieurs années après, au temps de l’empereur Justinien 11.  À ce concile ne fut présent le pontife romain ni par lui-même ni par des légats.  Et non seulement il ne confirma pas ce concile, mais il le réprouva publiquement, comme l’attestent Bède le vénérable (dans son livre sur les six états, au mot Justinien), Paul Diacre (dans sa vie de Justinien) et  Platina (dans sa vie de Serge).   Aux paroles d’Hadrien 1,  je réponds qu’il n’a fait que rapporter la sentence de Tharasius, sans la réprouver, parce que ce canon 81 sur les peintures avait une certaine utilité à cette époque.  Aux paroles de Nicholas je réponds qu’elles parlent en notre faveur.  Car il dit qu’il cite ce canon des Grecs  comme saint Paul avait cité des paroles de poètes païens.  Au sujet d’Innocent,  je dis qu’il n’a rien défini, là, au sujet de ces canons, mais qu’il n’a fait que citer un d’entre eux.  Qu’il l’ait cité au nom du synode 6, cela a pu se faire,  soit parce qu’on les nomme ensemble, même s’ils ne le sont pas vraiment;  soit  parce que Innocent a reçu ce canon de  Gratien (dist 32, canon  si quis).  Or, Gratien, dans cette partie, a souvent erré,  attribuant des livres à ceux  qui n’en étaient pas les auteurs.  Je dis au sujet du septième synode,  que ces canons ont été  cités par des hommes privés dans le synode, pendant la période de discussion,  mais qu’ils n’ont pas été définis par le concile.  Car, à l’acte 7, on trouve une définition du concile dans laquelle aucune mention n’est faite de ces canons.  Voir François de Tours, dans son livre sur le septième synode,  et les explications que nous avons données de ces canons au livre 2, chapitre 14 du souverain pontife.
  Un quatorzième est présenté par Hermann Hamelmannus (livre 3, dernier chapitre des prolégomènes),  Calvin (livre 1, chapitre 11, verset 14 des institutions, et dans le livre 4, chapitre 9, verset 9) et les magdebourgeois (centurie 8, chapitre 9), le synode 7, Nicée 11.   Ils disent qu’ils s’opposent à deux conciles, un antérieur, celui de Constantinople, et un autre postérieur, celui de Francfort, sous Charlemagne.  Est--ce qu’il faut suivre la règle de saint Augustin  (livre 2, chapitre 3 sur le baptême),  qui veut que les conciles anciens soient amendés par les récents, ou la règle d’Isidore (que l’on trouve dans Gratien dist 50, canon le Seigneur saint) qui enseigne que les conciles plus anciens doivent être placés avant les plus récents.   Il deviendra donc nécessaire de rejeter le concile de Nicée.   Que le deuxième concile de Nicée s’oppose au concile de Constantinople plus ancien, le concile de Nicée lui-même le reconnait à l’acte 6, dans lequel les pères déclarent que c’était au temps du précédent empereur que fut défini au concile de Constantinople que les images ne pouvaient en aucune façon être vénérées.  Ce qui est en opposition avec le concile postérieur de Francfort, dans lequel les légats du pontife romain furent présents.  Les adversaires le prouvent par des historiens comme Adon, Aimonius, Platina et d’autres, qui, en parlant de l’époque de Charles  et d’Adrien disent que, dans le concile de Francfort, a été condamné le septième concile des Grecs.    Ils le prouvent ensuite par les quatre livres de Charlemagne qui venaient d’être publiés, c’est-à-dire en 1549.   Dans ces livres, Charlemagne milite avec force contre le concile qui a condamné les images, et nous y lisons qu’ils ont été approuvés par le concile de Francfort.
 Je réponds que le concile de Nicée n’est en opposition avec aucun concile légitime.  Et d’abord, en ce qui a trait au concile de Constantinople sous l’empereur Constantin Copronyme,  il est évident que ce concile ne fut pas un concile général, qu’il ne fut légitime en aucune façon, puisque le pontife romain n’y participa , ni par lui-même, ni par ses légats, comme le racontent les historiens Zonaras et Cedrenus dans la vie de Constantin Copronyme.  Et c’est ce que reconnaissent aussi les magdebourgeois  (centurie 8, chapitre 9, colonne 55).   Que sans pontife romain, aucun concile légitime ne peut être tenu, c’est la règle du concile de Nicée qui nous le dit, (que l’on trouve dans le livre 2, chapitre 13 de Socrate ».   Et que dire de ce que ne furent pas présents, non plus, les trois principaux patriarches, celui d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, comme le rapportent Zona, Cedrenus  et les magadebourgeois.  Et comment peut-il être légitime un concile que n’approuvent ni l’Orient ni l’Occident, ni la région médiane, mais seulement quelques évêques de l’Aquilon ?   Comme  ils sont nombreux les historiens, tant grecs (comme Zonaras, Pfellus, Photius, Nicetas, Cedrenus)  que latins, (Rheginus, Sigebert, Adon, Paul diacre,  Urspergensis,) qui réprouvent ouvertement ce concile, ou qui ne le comptent pas parmi les conciles ecclésiastiques.
 Au sujet du concile de Francfort sur lequel misent principalement nos adversaires,   je dis trois choses.  D’abord, tout ce que concile a défini est sans grande importance, car  il ne faut surement pas l’estimer plus grand que le concile de Nicée qui fut  certainement universel et plus ancien, et approuvé par le souverain pontife.  Le concile lui-même nous montre que furent présent les légats du pape Hadrien. Il fut approuvé par Léon 3.  Je dis, en second lieu, que si ce que disent les magdebourgois est vrai (centurie 8, chapitre 9, colonne 639),  ce concile ne nous fait aucun tort.  Car, c’est eux-mêmes qui disent qu’Hadrien n’a pas consenti au synode de Francfort, mais l’a réprouvé, ainsi que ses légats.   Et il est certain qu’un synode que réprouve un pape n’est d’aucune autorité, comme on le voit chez Gélase (dans le tome sur le lien de l’anathème), et par l’expérience.  Car aucun synode réprouvé par le pape  n’a jamais été considéré légitime.  Et que dire si le concile de Francfort enseigne cela lui-même, car les livres carolingiens  montrent que le synode a décrété que le jugement ultime dans les controverses appartenait au pape, et que c’est principalement avec cet argument qu’il rejette le septième synode.  Il estimait, en effet, qu’il avait été célébré sans l’autorisation du souverain pontife.  Selon le témoignage des magdebourgeois, le synode de Francfort se détruit lui-même.
 De plus, les mêmes magdebourgeois disent que le synode de Nicée confirmé par le pape Hadrien réprouve le concile de Francfort fait sans l’autorité du pape.  Donc, au jugement des magdebourgeois, ce n’est pas notre concile de Nicée, mais un autre qui est condamnée par le concile de Francfort.    Au même endroit les magdebourgeois enseignent que n’a pas été décidé dans le concile de Francfort que les images soient enlevées des temples, mais qu’elles demeurent dans les temples sans être « adorées ».  Pourquoi donc, eux, enlèvent-ils les images des temples ?  Pourquoi les brisent-ils ?  Pourquoi ne conservent-ils pas le décret de Francfort ?  C’est ce qui nous permet de réfuter le mensonge de l’apologie des anglais qui enseigne que le concile a décrété qu’on détruise les images, alors qu’il a décrété tout le contraire,  au témoignage des livres carolingiens,  d’Hincmar,  et des magdebourgeois eux-mêmes, à savoir  que soient anathématisés ceux qui veulent détruire les images.   De plus, la chose parle par elle-même.  Car, si le concile avait statué cela, pourquoi ne l’a-t-on pas fait ?  Car, qui, dans l’église occidentale, résisterait à un décret de tous les évêques et de l’empereur ?  Il est plus que certain que rien de semblable n’a été fait, car aucun des historiens ne le rapporte.   À l’exception de Jonas d’Aurélie, qui raconte, comme une chose nouvelle et sacrilège, que Claude Taurin a voulu, dans son diocèse, détruire  des images.
 Je dis, en troisième lieu, que ce qui a été statué définitivement dans le concile de Francfort au sujet des images, demeure incertain.   Car, les anciens auteurs ne sont pas toujours cohérents avec eux-mêmes.  Tout d’abord, le décret lui-même de Francfort qui est cité dans la préface des livres carolingiens, atteste que, dans le concile de Francfort, a été condamné le concile qui s’était rassemblé à Constantinople et qui avait commandé d’adorer les images.  Quand il parle de Constantinople, il semble parler des hérétiques qui sont contre les images; et quand il parle d’un décret ordonnant d’adorer les images, il semble se référer au concile des catholiques.  Semblablement,  les livres carolingiens eux-mêmes disent que, dans le synode de Francfort,  a été condamné le synode qui s’était rassemblé en Bithynie, sans l’autorisation du pape, au sujet de l’obligation d’adorer les images.   Quand il nomme Constantinople, et dit qu’il a été tenu sans l’autorisation du pape, il semble parler du synode des hérétiques.  Mais, quand il dit en Bithynie, et qu’il a été célébré pour les images, il semble parler de notre concile de Nicée, car Nicée est la métropole de la Bithynie, et Constantinople est dans la Thrace.
 Hincmar de Reins (chapitre 20 du livre contre Hincmar de Laudunensen, qui vivait à peu près  à cette époque),  dit que, dans le synode de Francfort, a été condamné le synode qui s’était tenu à Nicée sans l’autorisation du pape, où il met deux choses contraires ensemble, comme le montrent Aimonius (livre 4, chapitre 85, les gestes des Francs),  et l’abbé Urspergensis (dans sa chronique, à l’année 793).  Ils écrivent que, dans le synode de Francfort, a été condamné le septième synode des Grecs, qui s’était réuni à Constantinople sous Constantin et Irène.  Même eux se contredisent aussi.   Plusieurs historiens plus récents  disent que, dans le synode de Francfort, a été condamné le concile qui enseignait d’enlever les images, que les Grecs appelaient le septième.  Ainsi, Platina (dans la vie d’Adrien),  Blondus (décade 1, livre 1), Sabellius (livre8, Enneadis),   Paul Émilien (livre 2 des gestes des Francs).  À cause de cette confusion, Alanus Copus (dialogues 4 et 5) enseigne que, dans le concile de Francfort, seul a été condamné le concile de Constantinople hérétique, que l’autre non seulement n’a pas été condamné, mais qu’il a même été confirmé.  C’est cette version que j’aimerais considérer comme vraie, mais je soupçonne qu’elle est fausse.
 Premièrement, parce que les livres carolingiens ont été faussement attribués à Charlemagne.   Ils ont cependant, sans aucun doute, été écrit au temps de Charlemagne, comme on le voit par la réfutation des livres qu’Adrien 1 a édités.  Et ils semblent avoir été écrits pendant le concile de Francfort, et contenir des actes du concile.  C’est ce qu’affirme Hincmar, un auteur du temps, et ces livres eux-mêmes portent un témoignage en leur faveur.  Que le synode qui dans ces livres est réfuté soit vraiment Nicée 11, on ne peut en douter, si on prend la peine de les lire, eux, ou la réponse d’Adrien.    En second lieu, tous les auteurs anciens sont d’accord pour rapporter que, dans le concile de Francfort, a été réprouvé le septième synode, qui avait décrété qu’il fallait adorer les images.   C’est ce que Hincmar, Aimonius, Rhegino, Adon et d’autres  enseignent souvent.    Dire que tous ces gens-là mentent, ou que leurs œuvres ont été corrompues me semble dur  à avaler.
 Troisièmement, si ces auteurs avaient parlé du faux sixième synode, c’est-à-dire du concile de Constantinople contraire aux images,  ils se souviendraient quand même dans leurs récits du vrai synode de Nicée.  Or, ils ne se sont  souvenus que du concile de Nicée qui a été condamné.   Peu importe que les livres carolingiens, comme l’abbé Urspergensis et Aimonius le disent, réprouvent le synode qui a eu lieu à Constantinople, car le dit abbé a suivi les livres carolingiens, comme aussi Aimonius.    L’auteur de ces livres, par un trou de mémoire ou par incompétence, a mis le mot Constantinople au lieu de Nicée.  Car, quand il dit que le synode a été célébré dans la province de Bithynie, où se trouve Nicée, et non Constantinople, il indique suffisamment que c’est de Nicée qu’ii parle.  Et, il en va de même pour l’abbé et Aimonius.  Quand ils disent que le synode a été célébré sous Constantin et Irène,  ils démontrent clairement qu’ils parlent du concile de Nicée 2, même si, par erreur, ils nomment Constantinople.   Il importe peu, non plus, que Hincmar et les livres carolingiens disent que le synode réprouvé à Francfort  ait été célébré sans l’autorité du pape, ce qui est faux de Nicée, et vrai de Constantinople.   Car Hincmar a suivi les livres carolingiens, comme lui-même le spécifie :  l’auteur de ces livres a inventé de toutes pièces ce mensonge, avec beaucoup d’autres, pour s’opposer au concile de Francfort, comme nous le dirons bientôt.
 Il importe peu, enfin, que Platina, Blondus, Sabellicus, et Paulus Émilianus écrivent que le synode qui a été réprouvé c’est celui qui a commandé d’enlever les images, car ils sont tous plus récents.  De plus, ce qu’ils disent n’est pas en opposition avec ce que disent les historiens anciens.  Car, dans le synode de Francfort, deux synodes ont été réprouvés, celui de Constantinople contraire aux images, et celui de Nicée 2 favorable aux images, comme nous le font voir les livres carolingiens et aussi Hincmar.   Et c’est peut-être pour cette raison que quelques historiens anciens nomment Constantinople, d’autres Nicée, quand ils disent qu’un synode des Grecs a été condamné à  Francfort.  Il me semble donc à moi, que, dans le synode de Francfort, c’est le synode de Nicée 2 qui a vraiment été condamné, mais par erreur, et matériellement, pour une raison semblable à celle qui a poussé le concile d’Ariminensis  a condamner le mot consubstantiel (homoousion).   Car, l’auteur des livres carolingiens a attribué au concile de Nicée 2 deux mensonges.  Le premier.  Le concile a décrété que les images doivent être adorées d’un culte de latrie.  L’autre mensonge.    Ce décret a été fait par les Grecs sans le consentement du souverain pontife.  Après avoir considéré comme vrais ces deux mensonges, le concile de Francfort a condamné à juste titre le concile de Nicée 2 comme profane et illégitime.
 Que le concile ait été persuadé de ces deux choses, les livres carolingiens eux-mêmes nous le font comprendre.  Car, voici ce qu’on lit dans la préface : « Dans le concile de Francfort est revenue sur le tapis la question du nouveau synode des Grecs qu’ils tinrent à Constantinople au sujet de l’adoration des images, dans lequel il est écrit que celui qui s’interdirait d’adorer les images des saints comme on adore la très sainte trinité serait anathématisé.  Nos pères, refusant de toutes leurs forces de rendre aux images, par la parole ou les gestes,  une adoration,  de latrie, se sont tous mis d’accord pour condamner ce concile. »   Voilà ce qu’ils disent à un endroit.  Dans la même œuvre, on fait entrer le concile d’évêques de Chypre qui , dans le concile de Nicée 2, dit anathème à ceux qui n’adorent pas les images comme on adore la très sainte Trinité.  C’est clairement le premier mensonge.    Le même auteur enseigne ouvertement que c’est au souverain pontife qu’appartient le jugement sur les controverses de foi, et que, par conséquent, ce concile ne vaut rien, parce qu’il n’a pas été approuvé par le pape.
 De plus, les auteurs anciens qui rapportent qu’a été condamné un faux synode, entendent surement par le mot vénérer,  adorer d’un culte  de latrie.  Car, ils enseignent, eux aussi, qu’il faut vénérer les images, et pourtant exècrent ce synode qui ordonne d’adorer les images.   Adon (dans sa chronique  à l’année 696) dit qu’au jour de l’exaltation de la sainte croix, le peuple avait coutume d’embrasser la sainte croix et de l’adorer.   Également, dans sa chronique (en l’an 717), il dit que doit être vénérée l’image que l’hérétique Philippe avait enlevée, et que l’empereur catholique Théodose avait restituée. Rhegino (livre 1 de sa chronique, vers la fin)  accepte l’adoration de la sainte croix, et appelle un crime honteux la destruction des images faite par Léon iconoclaste.  Jean Aventinus (au livre 4 de ses annales) raconte que, quand Charlemagne a été nommé empereur, son image a été placée dans le temple et vénérée par le peuple, en sa présence même.  L’abbé Urspergensis (dans sa chronique) se déchaîne contre Léon Isaurien et Constantin Copronyme, à cause de leur rejet des images, et les appelle impies, et précurseurs de l’antichrist.  Et, à l’inverse, il loue le pape Grégoire, et dit qu’il fut un saint, parce qu’il a excommunié l’empereur à cause des images du Christ et des saints.
Que le concile de Nicée n’ait pas été approuvé par le pape, et qu’il ait décrété que les images soient adorées d’un culte de latrie, il est absolument certain que ce sont des mensonges.  Car, dans le concile de Nicée 2, on reproduit les lettres du pape Adrien en faveur des images, et tous ses actes ont tous été signés d’abord par les légats du pape. Ensuite, en ce qui se rapporte au culte de latrie, dans l’acte 1, nous lisons que quand Basile d’Ancyre, qui était autrefois hérétique, reçut et émit la profession catholique, pendant que tout le concile écoutait et approuvait,  il dit qu’dit qu’il rendait un culte aux images, mais pas de latrie, car cela n’était du qu’à Dieu.   Constantin, évêque de Constance de Chypre, parla également de la même façon, dans ce même  synode de Nicée 2. Ainsi que d’autres évêques (actes 4 et 7).   Il n’y a pas à se surprendre que l’auteur des livres carolingiens ait attribué au concile de Nicée ces gros mensonges que le concile de Francfort prenait pour des vérités.  Car, si, de nos jours, les magdebourgeois et Calvin osent écrire que nous adorons les images en leur rendant des honneurs divins, comme si elles étaient des dieux, alors que  tant de livres catholiques, et le concile général latin lui-même qui a été célébré à Trente, aux frontières de la Germanie,  clament ouvertement le contraire, comment se surprendre que la même chose soit arrivée au sujet d’un concile tenu en grec, langue que très peu pouvaient lire, et qui a été célébré en Orient?
Si tu tires la conclusion que le concile de Francfort, auquel beaucoup d’évêques ont participé,  et qui était légitime, a pu errer, je répondrai qu’il a pu errer,  non dans la doctrine, mais dans une question de faits.  Et, de plus, il n’y a pas à se surprendre qu’il ait erré, car les légats romains ne consentirent pas, comme le disent les magdebourgeois.  Le pape non seulement ne consentit pas, mais il  réfuta le décret de Francfort, comme on le voit  dans le livre d’Adrien à Charlemagne  sur les images, où il réfute tous les mensonges des livres carolingiens.   Et l’enseignement qu’ils tirent des livres carolingiens selon lequel le firmament principal est cause de lui-même, je dis que ces livres ne sont ni de Charlemagne,  ni d’aucune personne à qui on puisse faire confiance.  Qu’ils n’aient pas été écrits par Charlemagne, on le prouve ainsi.  Dans le livre du pape Adrien 1 à Charlemagne qui nous est parvenu, dans lequel ces livres sont réfutés avec précision, il apparait clairement que ces livres ont été composés par un hérétique, et envoyés par Charles au pontife pour qu’il y réponde.   Ce livre d’Adrien on le trouve dans le tome 3 des conciles, et ailleurs, car, dans la quatrième partie de ce décret, on a tiré plusieurs choses de ce livre, au nom d’Adrien.
Deuxièmement.  Les historiens grecs et latins, comme Zonara et Cedrenus (dans la vie de Léon Isaurien), ainsi que le diacre Paul (dans la vie du même), racontent que les pontifes romains Grégoire 111, et Adrien 1, ont refusé leur allégeance aux empereurs grecs,  les ont excommuniés, et ont interdit aux Italiens de leur payer le tribut;  et qu’ils se sont mis sous la protection des Francs, et que c’est à eux qu’ils ont transféré l’empire, surtout parce que les empereurs patronnaient les hérétiques iconoclastes, alors qu’au contraire, les rois francs demeuraient constamment dans la foi antique.  Comment donc est-il vraisemblable que le même Charlemagne ait milité en faveur de cette hérésie, et qu’il ait écrit pour l’erreur des Grecs contre le souverain pontife ?  Mais écoutons les paroles de Zonara : « Le pape Grégoire, ayant soustrait les occidentaux à l’obéissance à l’empereur,  à cause de l’opinion perverse de celui-ci, fit la paix avec les Francs,  comme il l’avait fait plusieurs fois auparavant, pour, par des lettres, retirer Léon de la colère de Dieu,  et le ramener au culte des saintes images. »  Et, plus bas, dans la vie d’Irène : « Après la mort d’Adrien, pape de la vielle Rome, Léon lui succéda, homme vénérable et honorable.  Il se mit sous la protection de Charles, le roi des Francs,  et depuis ce temps, Rome sous la garde des Francs.  Charles fut couronné par Léon, et appelé empereur des Romains. »  Car,  ne voulant rien avoir en commun avec  les impies  gouverneurs de l’église de Constantinople, le pape Grégoire fit la paix avec les Francs.
Troisièmement.  Jonas Aurélien, qui vécut au temps de Louis le Pieux, le fils de Charlemagne, et qui  a écrit un livre sur le culte des images, rapporte que c’est Claude de Tours qui fut le patron de cette hérésie  pendant tout le temps où vécut Charles, mais qu’il n’a jamais osé ouvrir la bouche. Le même auteur  appelle l’empereur Charlemagne un homme très pieux et de sainte mémoire.  Si donc, les iconoclastes, du vivant du Charlemagne, n’osaient pas prêcher leur hérésie, si les défenseurs des images vénèrent Charlemagne comme pieux et saint, quelle impudence ne serait-ce pas d’attribuer à un tel homme des livres contre les images ?  Quatrièmement.   Paulus Émilius  (livre 2, histoire des Francs), ainsi que Rhegino (dans sa chronique) écrivent que dans un concile tenu à Gentiliace, le roi Pépin, le père de Charlemagne, a réfuté l’erreur des Grecs contre les saintes images,  en présence des légats de l’empereur grec.  De ce même Paul, on apprend que, un peu après, au  concile, que le pape Stéphane avait célébré à Rome contre cette erreur des Grecs, Charles avait envoyé douze évêques, de la haute noblesse.  Par quelle audace, donc, les adversaires s’efforcent-ils de transformer un prince très chrétien en un iconoclaste ?  Surtout parce que les magdebourgeois sont du même avis que ce Paul Émile (centurie 8, chapitre 9, colonne 570).
Cinquièmement.  Il appert, de tous les historiens, des lettres, des poèmes et des actions de Charles,  que le pape et Adrien ont toujours été étroitement unis.  Demeure encore l’épitre du pape Adrien composée par l’empereur Charles, qu’on trouve chez Onuphrius  et chez Platina , dont voici le début : « Que ce père de l’Église, l’honneur de Rome, et auteur illustre, le bienheureux pape Adrien, repose en paix !   Homme dont la vie est Dieu, la piété, la loi, la gloire sont le Christ.  Un père apostolique, prompt à  tout bien. »  Et, plus bas : « Pleurant son père, Charles écrit ces vers :  Toi, mon doux amour,  je te pleurs, mon père.  Souviens-toi de moi.  Mon esprit te suivra toujours.  Avec le Christ, règne dans la bienheureuse cité ! »  Est-il donc croyable que Charles ait été d’une autre religion, d’une autre foi que celle d’Adrien; qu’il ait écrit avec tant d’aigreur contre cet Adrien qu’il vénérait tant, et qu’il a loué après sa mort ?
De plus. Il est certain que Charlemagne était versé en latin et en grec, qu’il était prudent, ingénieux.  Or les livres qu’on lui attribue sont barbares, ineptes, simplistes, et presque idiots.  Car l’auteur de ce livre nous dit que Constantinople est une ville très connue de Bithynie, alors que personne n’ignore qu’elle est en Thrace, à moins qu’à cause des nombreux tremblements de terre, elle ait changé de place.  Ensuite, il déclare que le concile en faveur des images a été tenu à Constantinople, alors que personne n’ignore que c’est à Nicée qu’il a été convoqué, sauf celui qui n’a jamais rien lu.  Et, ce qui est plus grave, ces livres, par mensonge et calomnie, attribuent aux pères de Nicée beaucoup de choses qu’ils n’ont jamais dites.  Par exemple : que l’eucharistie soit l’image du corps du Christ, proposition que non seulement les pères du concile de Nicée n’ont jamais avancée, mais qu’ils ont expressément condamnée.  Ils n’ont fait que donner à Calvin l’occasion d’un nouveau mensonge.  Car, parce que les iconoclastes avaient dit qu’il n’y avait qu’une seule image qu’on devait adorer, l’eucharistie, et que le pseudo Charles avait attribuée cela au concile de Nicée, il a plus à Calvin de changer le tout, en disant : « De plus, pour que la fable ne manque pas d’applaudissement solennel (celui du concile de Nicée 2) : qu’ils se réjouissent et qu’ils exultent ceux qui, ayant l’image du Christ, l’offrent en sacrifice ! »  Ce qui est un mensonge extrêmement impudent.  Car, le concile de Nicée 2 est si loin de vouloir offrir des images en sacrifice, qu’il déclare expressément (article 7) que ce n’est pas une adoration de latrie qu’on doit rendre aux images, mais une vénération.
Il s’adonne enfin, que ce livre, comme un autre Melchisédech, est sans père, sans mère, sans généalogie.   Il a vu tout à coup le jour, sans qu’on sache quand, où et comment, et par qui il a été découvert.  Il n’a pas de nom d’auteur, ni d’imprimeur, ni du lieu où il a été imprimé.  Toutes ces choses sont des signes de fraude.  Mais, concédons qu’il est le livre de l’empereur Charlemagne.  Quel avantage en retireront les adversaires ?  Aucun.   Car l’auteur de ce livre s’oppose énergiquement à presque tous les dogmes des calvinistes.  Car, il enseigne clairement que c’est au pontife romain que revient le jugement ultime dans les controverses de la foi; et que c’est non des conciles, mais de Dieu lui-même qu’il a reçu la primauté.   Il veut aussi qu’on pratique un exorcisme pendant le baptême, qu’on invoque les saints, qu’on vénère les reliques, qu’on conserve, dans l’Église l’usage du saint chrême, de l’eau bénite et du sel bénit.  Il dit aussi que, dans l’eucharistie, se trouve le vrai corps du Christ, et qu’il doit être adoré, et qu’on doit l’offrir comme un vrai sacrifice, toutes choses que nient et rejettent  nos adversaires.   Si donc, ils veulent que nous croyions à cet auteur quand il enseigne que le concile de Nicée 2 a erré,  qu’ils y croient donc, eux aussi, quand il enseigne les choses que nous venons d’énumérer.  Car, même s’il était prouvé que Charlemagne est l’auteur de ces livres, et qu’il est d’accord en tout avec les calvinistes, qu’auraient-ils d’autre que le témoignage d’un laïc, et d’un soldat !  Opposer un tel homme à un concile général d’évêques, c’est de la démence !  Car, comme le dit à bon droit saint Jean Damascène (deuxième discours sur les images) : « Le Christ n’a pas confié son Église aux rois, aux empereurs, mais aux évêques et aux pasteurs. »
Le quinzième.   Ils nous présentent deux conciles,  qui se contredisent, et qui ont été tous deux présidés par des légats romains.  Car, le concile romain sous Stéphane 7 a résilié tous les actes du pape Formose, son prédécesseur.  Ensuite, le concile de Ravenne, sous Jean X1,  a annulé tous les actes du concile sous Stéphane 7, et a approuvé les actes de Formose.  Voir Sigebert (chronique à l’an 903), et Platina (dans ses vies de ces deux pontifes).  Je réponds que la question portait sur un fait, à savoir, Formose était-il un pape véritable et légitime ?  Et, parce qu’un Stéphane mal informé, était arrivé à la conclusion qu’il n’avait pas été pape, il a annulé ses actes.   Et, parce que, plus tard, Jacques, mieux informé,  trouva le contraire, il a corrigé l’erreur du premier concile, selon la règle de saint Augustin qui dit que les conciles antérieurs peuvent être amendés par les conciles postérieurs, dans des cas de genre.
Le seizième.  Ils en veulent au concile  romain sous Nicolas 11, dans lequel fut défini que non seulement ce n’est pas uniquement le sacrement du corps du Christ, mais le vrai corps du Christ qui est touché et rompu par les mains des prêtres, et mâché par les dents des fidèles, comme nous l’indique le canon Moi, Bérenger, dans le code dist 2.  Or, ceci est une erreur manifeste contre la résurrection glorieuse de Christ, de laquelle l’apôtre dit : « Ressuscitant des morts, le Christ ne meurt plus. »  Si le corps du Christ est véritablement rompu par les mains et mâché par les dents, il se corrompt donc et meurt.   Je réponds qu’il ne fut jamais question que le corps du Christ soit réellement rompu et mâché.  Car, il est certain  que le corps du Christ qui existe maintenant est incorruptible et ne peut pas être fractionné et broyé, si ce n’est par signe, dans le sacrement, de sorte qu’on dit qu’il est rompu et mâché  quand son signe, c’est-à-dire l’espèce du pain est rompue et broyée.  Or, la question qui se posait était la suivante : le signe qui est rompu et broyé est-il simplement un signe, ou contient-il vraiment le corps du Christ ?  Parce que Béranger avait enseigné que ce n’était qu’un signe,  le concile, en composant une formule d’abjuration de son erreur,  a voulu qu’il dise que ce n’était pas seulement le sacrement, mais le corps véritable du Christ qui est rompu et mâché, voulant dire par là  que ce qui est rompu et broyé ce n’est pas un simple signe, mais le vrai corps du Christ, c’est-à-dire un signe auquel est réellement uni le corps du Christ.  Et aussi que le vrai corps du Christ réellement présent est rompu et mâché non en lui-même, mais dans son signe.  C’est ainsi que nous comprenons ce que saint Jean Chrysostome  a dit dans son homélie 83, sur saint Matthieu : « O combien disent : je  voudrais voir son visage, ses sandales.  Mais c’est lui que tu vois, lui que tu touches, lui que tu manges ! »
 Dix-septième.  Hermann nous présente le concile du Latran sous Innocent 111, dans lequel il est défini  que c’est un article de foi que le pain et le vin dans le sacrement sont transsubstantiés dans le corps et le sang du Christ.  Or, dans le concile d’Éphèse, on dit anathème à tous ceux qui professeraient un nouveau symbole.  Je réponds, d’abord, que le concile du Latran n’a composé aucun symbole, mais qu’il n’a que défini une chose de foi, comme l’ont fait beaucoup de conciles après le concile d’Éphèse.  Je dis, ensuite, que le concile d’Éphèse a dit anathème à ceux professant un autre symbole que celui de Nicée, non un autre qui l’expliquerait et le complèterait.  Je dis, enfin, que le concile d’Éphèse a prohibé la composition d’un nouveau symbole aux évêques et aux conciles particuliers, mais non au pape ou à un concile général.  Car, personne ne possède le pouvoir de commander à un égal ou à un supérieur.  Dix-huitième.  Ils nous présentent le concile de Constance et de Bâle, qui, dans la session 13, a excommunié tous ceux qui communiaient sous les deux espèces, tout en le permettant aux Bohémiens.   Je réponds que, quoi qu’il en soit de l’autorité de ces conciles, ils ne se contredisent pas, car le concile de Constance a excommunié ceux qui communient sous les deux espèces sans la permission de l’Église.  Car, c’est ainsi qu’on entend les préceptes des anciens, car celui qui prescrit ne perd  pas  l’autorité de dispenser.  Le concile de Bâle a porté sur les Bohèmes, et leur a donné l’autorisation de communier sous les deux espèces.
 Enfin, ils présentent les conciles de Constance et de Bâle qui statuent que le concile est au-dessus du pape, alors que le concile du Latran (session 2) enseigne le contraire.  Mais, nous parlerons de ce sujet à la fin de ce livre.
                                                             CHAPITRE 9
                                         On réfute les objections tirées de la raison humaine
 Dans toute assemblée où se trouvent réunies plusieurs personnes,  il arrive souvent que la partie la plus nombreuse vainque celle qui est la meilleure.  Dans un concile d’église, où toutes choses sont définies à la pluralité des voix, il pourra facilement arriver que se glisse une erreur.  Mais qu’il en soit comme vous dites.  Accordons qu’un concile général ne peut pas errer.  Qui saura si un concile est légitime ou pas ?  Aucun concile ne sera légitime à moins d’être composé d’évêques fidèles. Or, qui peur savoir si les  évêques qui répondent à la convocation ont la vraie foi et la vraie ordination ?  De plus, dans les anciens conciles, où les évêques  provenaient de plusieurs provinces, d’où savons-nous si  la question proposée a été examinée avec soin, si  tous ont signé  librement sans être contraints par aucune force externe, s’ils ont fait correctement tout ce qu’exige d’eux un vrai concile.  Nous ne savons que ce que rapportent les historiens.   Mais les historiens (à l’exception des sacrés) mentent souvent,  et on ne peut leur faire une confiance aveugle et absolue.  Il en résulte donc que tous les décrets des conciles sont douteux.
 Je réponds que dans les assemblées humaines,  il arrive parfois que la partie la plus nombreuse vainque la meilleure.   Mais, dans le concile de l’Église, c’est le Saint-Esprit qui préside.  Et nous n’avons rien à craindre de tel là où le Christ est au milieu de ceux qui sont réunis en son nom, et où est présent celui qui a dit : « J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas, et pour que, une fois converti, tu confirmes tes frères. »   Car, même si le plus grand nombre résiste aux meilleurs, comme cela est arrivé aux conciles d’Arimiensis et d’Éphèse 2, il n’est jamais vainqueur, car les actes de pareils conciles sont vite annulés par celui qui a reçu la charge de confirmer ses frères, comme nous l’avons vu dans ces conciles.       Je réponds à l’autre objection qu’il n’est pas nécessaire que nous sachions si les évêques qui sont convoqués à un synode aient la vraie foi et la vraie ordination, mais qu’il suffit que le contraire n’ait pas été prouvé.   Car même si le souverain pontife (ce qui ne peut pas arriver pensons-nous), et tous les évêques assemblés en concile par le souverain pontife, étaient hérétiques de cœur,   ne professaient qu’extérieurement la foi catholique, et n’avaient pas vraiment reçu le caractère  invisible du sacrement de l’ordre, mais une simple imposition des mains, nous savons avec certitude que Dieu ne permettra jamais qu’un concile de ce genre n’erre en formulant des canons.  Car, c’est le Saint-Esprit lui-même qui assiste un concile, non pas tant à cause du concile lui-même, mais à cause de l’église universelle qui est tenue, par un précepte divin, de ne pas contester la décision des évêques, mais de la vénérer.   En conséquence, pour que n’erre pas l’église universelle, la providence divine a fait en sorte que même un concile d’évêques fictifs, bon gré mal gré, propose à l’église universelle, de suivre la vraie foi.  Donc, pour qu’un rassemblement d’évêques  soit légitime et soit considéré comme tel, la seule chose qui est requise  c’est que des évêques se rassemblent, ceux qui président ordinairement dans les églises,  et qui sont considérés publiquement par tous comme des évêques véritables et catholiques,  quoi qu’il en soit de ce qu’ils cachent dans le fond de leur cœur.
 Et parce que nous savons non seulement que Dieu prend soin du salut de son église, et parce que nous apprenons aussi des Écritures que la providence de Dieu dispose tout suavement,  nous croyons fermement que Dieu ne permettra pas que, dans un concile, que l’Église considère légitimement convoqué, la plus grande partie ne soit ni légitime ni catholique.  Ce serait quelque chose de difficile et même de violent (même si non impossible à Dieu qui a corrigé le manque de sagesse de son prophète par une jument) qu’un concile complètement hérétique fasse, contre sa volonté et son intention, un décret catholique.     À la dernière objection certains répondent comme Vega (dans le concile de trente, livre 3, chapitre) qu’un concile est légitime, et doit être tenu par les catholiques comme étant la foi catholique, non parce que c’est ce qu’attestent les historiens, mais parce que c’est ce que  le concile lui-même a défini.  Car les conciles ont coutume, au début des actes, de déclarer que leur assemblée est légitime, et qu’elle a été convoquée par l’Esprit Saint.
Mais cette réponse ne semble pas suffisante.  D’abord, parce que les anciens conciles n’avaient pas l’habitude de déclarer que leur rassemblement était légitime, et opéré par l’Esprit Saint.  Et des conciles postérieurs, comme Constance, Bâle, Latran, Trente et d’autres ont déclaré cela, mais non comme un décret engageant la loi des fidèles.  Car, on ne trouve jamais, dans les canons proprement dits, un canon particulier qui définit que ce concile est légitime.   Deuxièmement.  Ou nous savons, par ailleurs, que tel concile était légitime, alors qu’il aurait pu définir s’il était légitime, ou nous ne le savons pas. Si on le sait, c’est inutilement qu’on aurait ajouté cette sorte de canon; si on ne le sait pas, nous douterions même de ce décret.  Car si je me demande s’il est légitime avant qu’il définisse lui-même qu’il l’est, je me demanderai aussi si le concile ne s’est pas trompé dans le canon dans lequel il déclarait qu’il était légitime.
 D’autres répondent donc que le concile est légitime pour ceux qui sont présents, que la chose est pour eux évidente, et qu’ils n’ont besoin d’aucune autre preuve.  Car ils voient les évêques se rassembler en un seul corps, ceux que tous considèrent comme de vrais évêques, provenant de différentes provinces, et appelés par celui qui a l’autorité de le faire.  Et s’il y avait une autre chose qui serait requise à un vrai concile, ils pourraient la voir aussi cette chose-là, car rien d’invisible n’est requis.   À ceux qui viennent après ainsi qu’à ceux qui étaient absents, cela est connu d’une foi humaine, mais très certaine, qui peut même se comparer à une évidence naturelle.   Car, par exemple, que le concile de Nicée ait été légitime ce n’est pas un seul écrivain ou un seul historien qui l’atteste, mais plusieurs et divers historiens de ce temps, et des siècles postérieurs.   Et l’église d’aujourd’hui affirme la même chose, et il n’y a pas ou il n’y pas eu d’écrivains qui écrivent ou pensent le contraire.    Que Cicéron ait été consul, que Jules César ait été dictateur, qu’Octave ait livré une bataille navale avec Antoine, toutes ces choses, même si elles ne dépendent que d’une foi   purement humaine, sont certaines, et même évidentes.  Il en est de même des conciles de l’Église que nous disons avoir été légitimes.  Ils ont tant de témoignages des autres âges, qu’ils ne laissent dans nos âmes aucun doute.  Nous croyons sans hésiter qu’ils ont existé comme on nous le dit.
 Voilà pourquoi, quand nous tenons, de foi catholique, que les conciles approuvés par le pape ne peuvent pas errer, et quand nous savons, de foi humaine certaine,  par les témoignages et l’histoire,  que le concile de Nicée, le concile de Constantinople,  et d’Éphèse, et d’autres conciles légitimes de cette catégorie ont été approuvés par le souverain pontife, il s’ensuit, en toute certitude, que c’est d’une foi assurée que nous croyons les décrets de ces conciles.  Voir, s’il vous plait, Melchior Cano  (livre 6, dernier chapitre, les lieux,) pour la réfutation du dixième argument.
                                                                            CHAPITRE 10
                   Les conciles particuliers non approuvés par le pape ne sont aucunement dignes de foi
 Vient ensuite une autre question.  Les conciles particuliers, qui n’ont pas été approuvés par le souverain pontife, sont-ils dignes de foi ?  Sur ce sujet, il n’y a pas de controverses entre  catholiques et  hérétiques, ni entre  catholiques et  catholiques.  Nous survolerons donc cette question.  Nous parlerons d’abord des conciles particuliers, et ensuite des généraux.  Au sujet des provinciaux, nous affirmons deux choses selon l’enseignement de la majorité des docteurs catholiques.  La première.  Bien que ces conciles puissent errer du tout au tout, ils sont quand même d’une grande autorité, et cela à un point tel qu’on ne peut pas, sans témérité, refuser d’y acquiescer.  Que ces conciles puissent errer, le témoigne éloquemment  le concile de Carthage, sous Cyprien,  qui fut national, très célèbre, légitime et formé de 85 évêques qui, pour la plupart, étaient des martyrs ou des confesseurs, comme on le voit par la lettre de Cyprien à Juba.   Ce qui ne l’empêcha pas d’errer.   Le témoigne aussi le cinquième concile romain sous Symmaque, où nous lisons que les conciles provinciaux ont perdu leur valeur parce qu’ils n’ont pas  eu la présence du pape.   Autre exemple.  Prospère (dans sa chronique, en l’an 410) écrit que l’hérésie pélagienne, qui a été condamnée au  concile d’Afrique par 217 évêques, n’a pas été condamnée par l’Église de l’univers avant que le pape Zozime n’approuve les décrets de ce concile.  Voilà pourquoi saint Augustin, lui aussi, (livre 2, chapitre 50 des rétractations),  ne dit pas que l’hérésie pélagienne a été condamnée par les conciles africains, qui étaient particuliers, mais par les pontifes Innocent et Zozime, avec la coopération des conciles africains.
 Pourquoi les conciles généraux ne peuvent pas errer ?    Pour deux raisons principales.  La première.  Parce qu’un concile général représente toute l’Église, et que s’il erre, toute l’église erre.  La deuxième.   Parce qu’il n’y a pas de concile général sans souverain pontife, pour lequel le Christ a prié pour que ne fléchisse pas sa foi. Or, aucune de ces raisons ne se trouve dans un concile particulier.  Mais, tu objecteras que (dans le chapitre de l’abolition des hérésies),  sont excommuniés tous ceux que l’église romaine ou un concile provincial ou diocésain juge hérétiques. Les conciles provinciaux et diocésains sont donc capables de faire des dogmes de foi.  Autrement, comment pourrait-il être un hérétique celui qui est condamné par eux ?   Je réponds qu’on peut porter un jugement sur une hérésie  de deux façons.  La première.  Sur l’hérésie elle-même, selon son concept, comme quand on se demande si c’est être hérétique que de dire telle ou telle chose. La deuxième.  En relation avec l’homme hérétique, comme quand on se demande si cela se rapporte  à telle hérésie condamnée par l’Église.  Bien que les conciles provinciaux ou diocésains ne puissent pas faire de dogmes de foi,  ils peuvent quand même juger si quelqu’un a commis une hérésie manifeste, comme le font, par exemple, les inquisiteurs.  C’est  dans ce but que fut assemblé le concile qu’Aquilée, au temps d’Ambroise.  Car, on n’a défini là rien d’autre que : est-ce que Pallade est un vrai disciple d’Arius ?  Et c’est de cela que semble parler le canon sur l’abolition des hérésies, car ce jugement, même s’il n’est pas infaillible, suffit pour l’excommunication
Je dis, ensuite, que les conciles provinciaux peuvent traiter de l’hérésie  en elle-même, quand la chose est facile, et quand il s’git d’une question sur laquelle tous les docteurs s’entendent.  Comme le concile d’Antioche qui a jugé, autrefois, de l’hérésie de Paul de Samos (Eusèbe  livre 7, chapitre 24, histoire de l’église).  Car les évêques se réunirent de partout, non pour éclaircir une chose douteuse,  mais pour expulser, du troupeau du Christ,  un loup  ravisseur.  Car, même si ce jugement n’est pas infaillible, les hommes privés doivent l’accepter jusqu’à ce que n’ait pas jugé autrement le siège apostolique ou un concile général approuvé par le pape.  Je dis, enfin, que les conciles particuliers peuvent définir des dogmes vraiment douteux, et que leurs décrets sont définitifs, s’ils font ce qu’ils font en communion avec le siège apostolique, comme l’ont fait les pères du concile d’Arausicanus 11 et de Tolède 1, au temps de Léon 1 et du synode Complutensis, au temps de Sixte 1V (la somme des conciles).  Ou même s’ils envoient leur décision au siège apostolique, et qu’ils en reçoivent une confirmation.  Comme cela s’est fait pour les conciles de Milet et de Carthage, d’après les lettres de saint Augustin 90-93.  Il est raisonnable de penser qu’aucun concile particulier n’oserait définir une vérité de foi sans l’approbation du siège apostolique.    C’est un peu de tout cela que parle le canon des hérésies à abolir.
Qu’un concile particulier non expressément confirmé  requiert, quand même l’assentiment des fidèles,  c’est évident.   D’abord,  parce que, dans le synode 7 (acte 3) et le synode 8 (dernier acte, canon 1),  on honore les synodes locaux, et on les reçoit, sans faire la distinction entre ceux qui sont confirmés et ceux qui ne le sont pas.  Ensuite, parce que la plupart de ces conciles, (comme ceux de Tolède, de Bracarence, d’Arles et d’Hispalésie) semblent n’avoir été approuvés que par l’usage qu’en fait l’Église.   Si le fait qu’un grand nombre de saints pères de l’Église s’entendent sur un même sujet forme un solide critère de vérité, à plus forte raison, si, après avoir invoqué l’Esprit Saint, 50 ou 60 évêques tombent d’accord sur une question.
                                                       CHAPITRE 11
Les conciles généraux, avant la confirmation du Souverain Pontife, peuvent errer,  à moins qu’en définissant, ils ne suivent les instructions du souverain pontife.
Sur les conciles universels,  les opinions sont variées.   Certains parisiens,   tous ceux qui enseignent que le concile est au-dessus du pape, et d’autres, estiment que les conciles généraux ne peuvent pas errer, même avant la confirmation du Souverain Pontife. D’autres enseignent le contraire, comme Cajetan (part 2, chapitre 21 de son apologie), et Turrecremata (livre 3, chapitres 32, 33, 34, 38.)  Notons deux choses. La première.  Il arrive parfois que les légats soient envoyés à un concile général avec des instructions précises du souverain pontife, comme nous le lisons pour les conciles 4, 5, 7.  Et parfois, sans instruction, comme cela s’est produit au concile de Trente, pour la raison bien simple que, dans ces tout premiers conciles, une seule question était débattue. Il était donc facile d’expliquer clairement aux légats quelle était, sur cette seule question, la position du siège apostolique.  Mais, dans le concile de Trente, les questions étaient si nombreuses et si diverses,  qu’il était moralement impossible de dicter, à l’avance, des réponses précises.   La deuxième.   Une décision peut subvenir de quatre façons.   La première.   Les pères forment leur opinion en commun et légifèrent,  malgré l’opposition des légats pontificaux.  La deuxième.    Les pères définissent une question avec le consentement des légats romains qui agissent contrairement aux  instructions qu’ils ont reçues du pape.  La troisième.  Tous consentent, même les légats romains  qui n’avaient pas reçu des directives précises.  La quatrième.   Les pères consentent ainsi que les légats qui suivent les instructions reçues du pape.
Sur la première et la deuxième façons, aucune difficulté.  Il est clair que de tels conciles peuvent errer.  Car, a erré effectivement le concile d’Éphèse 2 qui a voulu définir ce qui répugnait aux légats romains, comme on le voit pas les lettre du pape Léon 24 et 25.  A erré, de même, le concile de Constantinople,  au temps de Nicolas 1, quand les légats romains agirent contrairement aux instructions qu’ils avaient reçues du pape Léon 1, comme nous le montrent lettre de Nicolas 1 aux patriarches et aux autres évêques orientaux, et Zonara, sans sa vie de l’empereur Michel.   En second lieu, on doit dire de ces conciles que non seulement ils n’ont pas été confirmés, mais qu’ils ont été réprouvés.  Car, être réprouvé explicitement par le pape, ou agir contre l’avis du souverain pontife, c’est la même chose.   Il est admis par tous que les conciles qui ont été réprouvés par les papes ne jouissent d’aucune autorité, comme le montre Gélase, avec beaucoup d’exemples, dans son tome sur l’anathème,  et dans son épitre aux évêques de Dardagne.   Troisièmement, ne peuvent pas être dits légitimes des conciles qui militent contre leur tête, et, semblablement, quand  ils consentent à des légats qui agissent contrairement aux directives qu’ils ont reçues du pape. (lettre 45 de Léon à Pulchérie; d’Agathon à l’empereur, qui a été lue dans le synode 6, acte 4.   Ils affirment qu’ils ne donnent d’autorité à leurs légats que dans la mesure où ils parlent selon les ordres reçus.
Pour la troisième forme, chacun a son opinion.  Pour ma part, j’estime qu’un concile de ce genre peut errer,  et que ses décisions ne sont pas infaillibles avant  que le pape ne les ait confirmées.   D’abord, parce que la décision d’un concile n’est pas le jugement ultime de l’Église.  Or, si elle ne pouvait pas errer,  elle serait le jugement ultime et irrévocable.  Que ces conciles ne soient pas le jugement ultime, c’est évident.   Car, les décisions de ces conciles sont envoyées au pape,  et le pape peut approuver ou réprouver tel concile, comme nous le montre l’épitre du pape Gélase aux évêques de la Dardanie,  et celle du pape Nicolas à l’empereur Michel, et aussi et surtout la pratique constante des conciles demandant au pape la confirmation de leurs décrets.  Et, en particulier la bulle de Pie 1V qui confirme le concile de Trente (Turrecremata, livre 3, chapitre 34.)
De plus, la validité d’un concile nait du consensus : de l’union du corps avec la tête.  Or, la tête  n’a pas encore formulé son opinion, car si les légats parlent au nom du pape,  ils ne sont pas le pape lui-même.  Ils ne savent pas non plus tout ce que pense le pape; et ils n’ont pas le privilège pontifical de l’inerrance.  Troisièmement.   Le concile de Bâle (session 2), de concert avec les légats papaux, statua à l’unanimité que le concile était au-dessus du pape.  Ce qui est certainement, maintenant, jugé erroné.    Quatrièmement.  Un concile peut errer quand il définit quelque chose contrairement à une instruction du pape.  Comme a effectivement erré le concile de Constantinople, avec le consentement des légats du pape, Nicolas 1.   Il peut donc errer aussi quand il n’a aucune instruction.  Car, les évêques ne sont pas tenus de suivre cette instruction, autrement ils ne seraient pas juges, et ils ne seraient pas libres de voter comme ils l’entendent.   Et ils objectent qu’un concile de ce genre est général, légitime et représentant l’église universelle.  Melchior Cano répond que  qu’on ne peut pas dire qu’un concile ne peut pas errer de la même façon que l’Église universelle ne le peut pas.   C’est-à-dire que comme l’Église ne peut pas errer dans les choses que tous admettent comme vraies, de la même façon, un concile ne pourrait pas errer dans les choses que tous les membres enseignent.  Mais, c’est le contraire qui est vrai.  L’Église ne peut pas errer dans la foi professée par les personnes, quand tous croient la même chose.  Mais un concile ne peut errer dans un jugement de foi, c’est-à-dire en promulguant un décret.   Or, le décret d’un concile est véritable quand il est voté par la majorité des voix, même si une minorité s’y oppose.  Il faut donc dire que le concile erre en entier quand erre la majeure partie qui a composé le décret.  Il faut donc répondre à l’objection par un autre raisonnement.
Je dis donc que ne peut pas errer  un concile qui est absolument général, et qui représente l’église universelle.  Aucun concile n’est tel avant la sentence du souverain pontife.  Car, les autres évêques représentent le corps de l’Église, et ce qu’ils font,  le corps de l’Église le fait.  Mais les légats du pape ne représentent pas le pape, la tête de l’Église de façon à ce que ce qu’ils  font eux, on doit penser que c’est ce que le pape fait.  Autrement, aucune confirmation ne serait nécessaire.  Ils ne le représentent qu’en tant que des vicaires et des nonces, qui doivent référer à lui quand se surgissent des doutes, attendre son explication et la suivre.  Puisqu’un tel concile ne représente pas parfaitement et complètement l’autorité de la tête, il ne représente qu’imparfaitement toute l’Église.  Et si quelqu’un voulait absolument qu’un tel concile représente toute l’Église, il pourrait répondre qu’un concile n’est pas considéré comme étant vraiment universel à moins d’avoir été confirmé par le souverain pontife.  Quand on dit qu’un concile général ne peut errer et que ses décrets sont de foi certaine, il faut comprendre :  quand il sera totalement universel,  et approuvé par tous.
Ils objectent ensuite qu’ils disent anathème à ceux qui font le contraire de ce qu’ils prescrivent.  Je réponds qu’ils le disent en effet, mais qu’il faut comprendre que cet anathème n’a de force qu’en autant que le pape le confirme, comme quand un juge, de qui on peut faire appel, porte une sentence de mort sur quelqu’un.  On comprend qu’il devra mourir à moins que loi ne rétracte ce jugement.   Sur la quatrième manière, on ne peut avoir aucun doute.  Car, il est certain qu’un tel concile ne puisse pas errer, parce que, dans un pareil concile, se trouve exprimé le consentement de la tête et des membres, et donc de l’église universelle, qui ne peut certes pas errer.   Il importe peu que l’instruction donnée par le souverain pontife  ne semble par être la sentence définitive du siège apostolique.  Car, quand le concile consent  à ce qu’a décidé le pontife, une décision sera prise.    Le décret formulé par les légats au nom du pape commence alors à être la sentence définitive et ultime non seulement du concile, mais du souverain pontife.  Et même le pontife ne peut la rétracter.  Car, il comprendra  surement que sa sentence venait de Dieu, puisqu’ elle a été approuvée par le concile.  Comme le dit le bienheureux Léon  dans une lettre 63 à Théodoret : « Ce que le Seigneur avait autrefois défini par notre ministère, l’ensemble de votre fraternité l’a confirmé par un consentement irrétractable, pour montrer qu’est vraiment de foi  ce qui a été d’abord formulé par le siège apostolique, pour que  le jugement de toute la chrétienté le reçoive, et pour que les membres concourent eux aussi avec la tête. »
Pour mieux comprendre tout cela, on doit savoir que le pontife a coutume d’envoyer des légats qui sont bien informés de la position du siège apostolique,  pour que si le concile consent à la sentence du siège apostolique, ils formulent un décret, et que s’il ne consent pas,  on remette à plus tard la formulation d’un décret, jusqu’à ce que le souverain pontife, une fois mis au courant, réagisse.   C’est ce qui s’est passé au concile de Chalcédoine. Car comme (acte 3) le concile donnait son assentiment au pontife au sujet de la déposition de Dioscore,  les légats formèrent aussitôt un décret. (texte déjà cité).  Et, à l’acte 16, quand le concile a voulu statuer quelque chose  de contraire à l’instruction qu’ils avaient reçue du souverain pontife,  les légats répondirent qu’il fallait plutôt en informer le Saint Siège.  Quand donc le concile définit quelque chose en suivant la sentence exprimée par le pontife, c’est comme si leur décret avait été approuvé par le souverain pontife.   Autre fait.   Le concile de Chalcédoine, dans son épitre à Léon, (acte 3), dit ouvertement, en demandant la confirmation des décrets, qu’il écrit au pape et qu’il demande la confirmation de ses décrets,  parce que, en plus du décret sur la déposition de Dioscore,  d’autres ont été statués sans la sentence expresse du souverain pontife.  Il ne demande donc la confirmation que de ceux qu’il a définis en marge de la sentence du pontife.  Le même Léon dans sa lettre 61 au concile de Chalcédoine, répondit qu’ils n’avaient pas besoin de sa confirmation, à moins que quelques-uns ne doutent  si le décret de ce concile avait été fait avec son consentement.  Pour cette raison, le pontife a confirmé beaucoup d’autres décrets semblables, non parce qu’ils   pouvaient errer,  mais pour faire savoir à tous que ce que les légats ont fait, ils l’ont fait par un mandat exprès du pape.
Pour des conciles de cette sorte,  il n’y a pas d’autre confirmation du pape à attendre.  L’exécution suit immédiatement.  C’est-à-dire sont condamnés ceux qui pensent le contraire, comme les hérétiques manifestes,  et sont déposés du sacerdoce ou de l’épiscopat.   C’est ainsi que, dans le concile de Nicée, ont été condamnés et envoyés en exil six évêques en même temps qu’Arius, comme l’écrit Ruffin  (livre 10, chapitre 5 de son histoire).  Dans le concile d’Éphèse, a été condamné et déposé Nestorius, comme l’atteste Évagrius (livre 1, chapitre 4).  Dans le concile de Chalcédoine,  a été déposé Dioscore, et (acte 4)  dix évêques égyptiens ont été jugés hérétiques, parce qu’ils ne voulaient pas acquiescer au décret qui leur avait été présenté (acte 3).  Dans les conciles 6, (actes 8 et 11), on condamne, on dépose et on envoie en exil  Macaire, le patriarche d’Antioche, avec quelques-uns de ses disciples.  À l’acte 15, on a condamné et déposé  le presbytre Prolychronius.  Or, si ces conciles avaient pu errer avant la confirmation du souverain pontife, on n’aurait pas pu appeler hérétiques manifestes ceux qui résistaient avant cette confirmation.
                                                   CHAPITRE 12
           L’autorité d’un concile est-elle plus grande que celle de l’Écriture ?
Nous avons parlé de l’autorité des conciles en elle-même.  Il nous faut maintenant en parler en comparaison avec les autres principes de foi,  la parole écrite de Dieu, et le souverain pontife.  Parce que les hérétiques de notre temps crient haut et fort  que nous soumettons l’Écriture aux conciles.  Calvin (livre, chapitre 9, verset 14 des institutions)  écrit : « Soumettre ainsi les oracles de Dieu à la censure de l’homme, de façon à les considérer acceptables parce qu’ils plaisent  à l’homme  c’est le blasphème le plus grand qu’on puisse commettre. »  On trouve souvent des choses semblables chez d’autres hérétiques.  Ces affirmations ne sont certes pas nos blasphèmes mais leurs impostures.  Car les catholiques ne soumettent pas l’Écriture aux conciles, mais les conciles à l’Écriture.  Il n’y a, là-dessus, aucune controverse entre nous. Car, si quelques auteurs catholiques disent que l’Écriture dépend de l’Église et du concile, ce n’est pas quant à son autorité, ou à ce qu’elle est en elle-même et par elle-même, mais quant à l’explication qu’on en donne,  par rapport à nous, donc.
Il faut observer qu’il y a plusieurs façons de nous faire comprendre que l’Écriture passe avant les conciles. La première.  L’Écriture est la parole de Dieu immédiatement révélée et écrite comme sous la dictée de Dieu.  Saint Pierre ( 2,1) : « C’est sous l’inspiration de l’Esprit Saint qu’ont parlé les saints hommes de Dieu. »  Mais pas au sens où les auteurs sacrés nous feraient toujours de nouvelles révélations, et écriraient ce que nous ne connaissions pas.  Car, il appert que les évangélistes Matthieu et Jean ont écrit ce qu’ils ont vu;  Marc et Luc ce qu’ils ont entendu, comme saint Luc le déclare au début de son évangile : « Comme nous l’ont transmis ceux qui l’ont vu depuis le début. »    Les auteurs sacrés disent donc avoir eu une révélation immédiate, et avoir écrit les paroles de Dieu lui-même,  qui étaient nouvelles ou qui leur étaient inconnues, selon le psaume 50 : « Ta sagesse m’a manifesté des choses incertaines et occultes. » Ou bien Dieu lui-même inspirait directement  et poussait les auteurs à écrire ce qu’ils voyaient et entendaient, et les dirigeait pour qu’ils n’errent pas.  Car, on dit que telle épitre est celle d’un prince parce que c’est lui qui l’a dictée, même si son secrétaire savait ce qu’il aurait à écrire.  C’est de cette façon que c’est la parole immédiate de Dieu qui est écrite par les évangélistes, sous l’inspiration et la direction de Dieu, même s’ils rapportent ce qu’ils ont vu et entendu.   Mais les conciles ne reçoivent ni n’écrivent aucune révélation immédiate, ou paroles de Dieu.  Ils  ne font que déclarer quelle est la parole de Dieu qui a été écrite et transmise, et comment on doit la comprendre.  Et, ensuite, par des raisonnements, ils en déduisent des conclusions.  Le rôle des conciles n’est donc pas de rendre infaillibles les livres saints,  mais de déclarer qu’ils sont tels.  Exemple.    Quand le concile de Trente (session 13, chapitre 1), définit qu’on doit entendre au sens propre et non figuré les paroles de Jésus : ceci est mon corps, il n’invente pas un sens, mais déclare le vrai sens.  Et quand le concile de Nicée a défini que le Christ était consubstantiel  (homoousion) au Père, il déduisit cette conclusion des Écritures,  qui enseignent  qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que le Père est Dieu et que le Fils est Dieu; que le  Père et le Fils sont d’une seule et même substance et divinité.  Semblablement, quand le sixième concile œcuménique définit qu’il y a, dans le Christ, deux volontés,  la divine et l’humaine, il a tiré cet enseignement des textes de l’Écriture  qui nous montrent que le Christ est Dieu parfait et homme parfait.
Une autre différence. Les écrivains sacrés n’ont pas eu à s’imposer un travail long et ardu  pour composer leurs livres.   Seulement ce qu’il fallait pour écrire ou dicter, ou, au maximum,  pour se rappeler ce qu’ils avaient vu ou entendu et choisir les mots qui convenaient.  Mais, dans un concile, les pères doivent s’enquérir d’une chose, investiguer des conclusions, discuter, lire, réfléchir.  C’est ce que nous voyons dans le premier concile.  Ainsi que dans le concile de Nicée, selon Ruffin (livre 10, chapitre 5 de son  histoire) et les actes 15 du concile. Les pères ont dit : « Il a plus à l’Esprit Saint et à nous. »  C’est-à-dire à l’Esprit Saint aidé  par notre recherche et nos efforts.  Or, les écrivains sacrés n’attribuent qu’à Dieu ce qu’ils écrivent.  Voilà pourquoi les prophètes répètent souvent : Le Seigneur dit.    Une autre différence.   Dans l’Écriture, il ne peut pas y avoir d’erreur, qu’on y traite de foi ou de mœurs;  qu’on affirme quelque chose de général, qui est commun à toute l’Église, ou de particulier qui ne s’applique qu’à une seule personne.  Car, il est certain et de foi que, sans la grâce de Dieu, personne ne peut être sauvé, celle-là même qu’ont eue Pierre, Paul et Stéphane, et les autres qui ont vraiment eu l’Esprit Saint, et qui ont été sauvés.   Mais les conciles peuvent errer dans des cas particuliers.
Une autre différence. Dans l’Écriture, appartiennent à la foi non seulement  toutes les sentences, mais toutes les paroles prises dans leur ensemble, et chacune en particulier.  Nous croyons, en effet, que, dans l’Écriture, il n’y a aucune parole qui ait été vainement ou non correctement dite.  Mais, dans les conciles, la plus grande partie des actes ne se rapporte pas à la foi.   Car, ne sont de foi ni les débats qui précèdent, ni les raisonnements qui sont rapportés, ni les exemples ou les images que nous employons pour nous faire comprendre, mais seuls les décrets, et, dans ces décrets,  seulement ce qui a été proclamé de foi.   Et il arrive même que des conciles ne définissent pas ce qui est certain, mais probable.  Comme le concile de Vienne qui a défini qu’il était plus que probable que les enfants, au baptême, recevaient la grâce et les vertus infuses,  comme le dit Clément (à un de la trinité,  et à la foi catholique). Quand le décret est proposé comme étant de foi, on l’apprend facilement par les paroles elles-mêmes du concile.  Car, ils ont toujours l’habitude de dire qu’ils veulent expliquer la foi catholique, ou que seront hérétiques ceux qui penseront le contraire; ou, ce qui est le plus fréquent, ils anathématisent ou excluent de l’Église ceux qui pensent le contraire.  Quand ils ne disent rien de semblable, il n’est pas certain que la chose définie soit de foi.
Ensuite, dans ces décrets qui sont de foi, ce ne sont pas les paroles mais le sens qui se rapporte à la foi.  Car, ce n’est pas hérétique de dire que, dans les canons des conciles, un tel mot est superflu, ou a été mal placé, à moins que le décret ne porte  précisément sur ce mot, comme dans le concile de Nicée, on a ordonné de recevoir le mot homoousion (consubstantiel), et, dans le concile d’Éphèse : théotokos : mère de Dieu.   La cinquième différence.  L’Écriture n’a pas besoin de l’approbation du souverain pontife pour être authentique, mais seulement pour qu’il reconnaisse son autorité.  Mais les conciles généraux légitimes ne sont ratifiés que par la confirmation du souverain pontife, comme nous l’avons montré dans la question précédente.   Mais quelques-uns objectent que Gratien (d 19, chapitre dans les canons) affirme  que les épitres décrétales des souverains pontifes doivent être comptées parmi les écrits canoniques.  Et (d. 10, canon décrétales) il dit que les canons des conciles ont la même autorité que les épitres décrétales.  Les canons des conciles font donc partie des écritures canoniques.   Les Écritures ne passent donc pas avant les conciles.   Ensuite, saint Grégoire (livre 1, épitre 24) dit qu’il vénère les quatre premiers conciles comme les quatre évangiles.
Je réponds d’abord à Gratien, qu’il a été trompé par un codex corrompu de saint Augustin.  Il attribue en effet à saint Augustin ce canon (livre 2, chapitre 8. Doctrine chrétienne).  Mais les codex vrais et amendés  de saint Augustin n’ont pas ce que Gratien rapporte, mais tout le contraire.  Car saint Augustin ne dit pas que les épitres sont l’Écriture canonique que le siège apostolique a coutume de recevoir ou de donner, comme Gratien le lit, mais que le   jugement sur les livres sacrés appartient aux Églises et surtout à celles qui méritèrent de recevoir les sièges apostoliques et les lettres, comme Rome, où siégea Pierre, et à qui a écrit Paul,  ou celle  où siégea Jean,  et à qui a écrit aussi saint Paul.  Je suis ensuite, que, même en tenant compte de son erreur,  Gratien n’a pas voulu dire que les décrets des pontifes étaient proprement des textes scripturaires ou canoniques, comme sont les évangiles, les psaumes, mais qu’ils étaient des écrits sacrés  en tant que distincts des profanes, et canoniques,  en tant que distincts des écrits des pères qui ne sont pas des règles, et qui n’ont pas l’autorité de commander.   Car, bien que les canons des pontifes et des conciles soient différents des textes de l’Écriture, et viennent après eux, on peut, en quelque sorte, leur donner le nom d’écrits sacrés et canoniques.  C’est ce qu’a fait le septième synode (acte 3) : il a dit que les décrets du concile étaient des constitutions divinement inspirées.   Bien plus, Innocent (ca cum Martha, en dehors de la célébration de la messe) donne le nom d’écriture sainte à cette sentence de saint Augustin (sermon 17 sur les paroles de l’Apôtre) : « Il fait une injure au martyr, celui qui prie pour un martyr. »
À Grégoire, je réponds que ce « comme » indique une ressemblance, non une égalité, comme dans cette parole de Jésus en Matthieu : « Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait. »   Et si on veut à tour prix y voir une égalité, il faudra dire que saint Grégoire ne compare pas les conciles généraux aux évangiles en tout point, mais seulement dans la certitude des choses qui sont enseignées dans les Écritures et qui sont définies dans les conciles.   Comme les deux sont d’une vérité infaillible, on peut les dire également certains.
Les conciles ne sont pas d’une autorité plus grande que la sainte Écriture.  Leur autorité est-elle supérieure à celle du pape ?
                                                     CHAPITRE 13
                                Le concile est-il au-dessus du pape ?
Cette question a été soulevée au temps du concile de Pise.
Comme les deux pontifes qui siégeaient ensemble dans le schisme, Grégoire X11 et Benoit V111 n’avaient pas l’intention de mettre fin au schisme par une abdication spontanée,  comme chacun l’avait promis et juré  avant son élection, les cardinaux de l’un et l’autre camps firent sécession à Pise et commencèrent à se demander s’il ne leur serait pas permis, de convoquer un concile général, à l’insu des pontifes, et de les déposer.  Antonin se souvient de cette discussion qui eut lieu à Florence ( 3 part résumé de l’histoire, tit 22, chap 5, verset 2). Ensuite, un peu après le concile de Constance, Jean XX111 qui était le seul à s’être présent  au concile, s’esquiva en secret, et le concile demeura sans tête.     Les pères commencèrent alors à se demander si un concile pouvait juger un pape malgré lui, et le déposer.   Mais, c’est au temps du concile de Bâle que la controverse battit son plein, parce que le pape Eugène 1V voulait dissoudre le concile de Bâle qui ne faisait que commencer, et l’empêcher d’aller plus loin.   Les pères commencèrent alors à se demander s’ils étaient tenus d’obéir au souverain pontife, ou si ce n’était pas plutôt le pape qui était tenu de leur obéir, c’est-à-dire à un concile général.  Ils avaient vu, peu de temps auparavant, deux papes, Jean XX111 et Benoit X111,  être déposés par le concile de Constance, et avoir ainsi mis fin au grand schisme.  Ils commencèrent à craindre que ce pape ne se sente pas tenu d’obéir à un concile, et que le schisme soit renouvelé, et que l’Église demeure privée de tout remède.  En cette occasion,  plusieurs se mirent d’accord  sur la doctrine voulant que le concile soit supérieur au pape.  Mais, en voulant barricader le chemin aux schismatiques,  ils firent un nouveau schisme, couronnèrent le pseudo pape Félix V, qui après avoir reconnu son erreur, abdiqua  la papauté.     La question, par la suite, sembla définitivement réglée par les conciles de Florence et de Latran.   Mais, parce que le concile de Florence ne s’était pas exprimé suffisamment clairement, et même si le concile du Latran a défini la chose avec toute la clarté désirée,  quelques-uns se demandent encore s’il était vraiment un concile général.   Voilà pourquoi, même aujourd’hui, c’est une question qui se pose encore, même entre catholiques.
On peut comparer le pape à un concile œcuménique de deux façons.   La première.  Qu’on prenne, d’un côté, un pape seul, mais vrai et reconnu par tous, et de l’autre, un concile général présidé par le pape en personne ou par ses légats, de sorte que rien ne soit défini sans son consentement.  La seconde. D’un côté le pape seul, de l’autre côté, un concile général qui n’est présidé ni par le pape en personne, ni par ses légats.  J’entends aussi, par non présidé par ses légats, le cas où un légat préside un concile et agit contrairement à la volonté du pape.  Car, alors il n’est plus un légat, même s’il pense l’être encore.  Même si quelques-uns pensent que la question présente porte sur la première comparaison, à savoir ceux qui estiment qu’un concile sans pape n’est pas un vrai concile, et que, en conséquence, le pape est supérieur au concile, la question principale porte sur la deuxième comparaison.  Cette question a été introduite après la déposition des pontifes,  celle de savoir si le pape peut être malgré lui jugé, condamné et déposé.  L’autre question, à savoir est-que le concile avec le pape est plus grand que le pape seul ne nous aide pas à apporter une solution, car qu’il soit plus grand ou moins grand, il ne jugera jamais, il ne condamnera jamais, il ne déposera jamais un pape, malgré lui.   Comment ce concile pourrait-il faire cela, s’il ne peut rien faire sans le consentement du pape.  Un pape voudra-t-il être jugé et condamné malgré lui ?
Ensuite, c’est ce qui ressort du concile de Bâle.  Car, les pères du concile de Bâle qui définirent que le concile est au-dessus du pape, affirmaient être au-dessus d’Eugène, en un temps où ni le pape ni un de ses légats n’étaient présents.  Et c’est un pape qui s’y opposait de toutes ses fortes qu’ils ont entrepris de déposer.  Voici donc quelle est la  principale et seule question à traiter, car en y répondant, on répondra aussi à l’autre.  Car, ceux qui enseignent que le pape est au-dessus d’un concile célébré sans lui enseignent en même temps que semblable est l’autorité qui existe dans le seul pape et dans un concile en présence du pape, même s’il est plus grand en extension.  Le pape ne peut donc pas être jugé ou condamné par un tel concile, ni être lié par ses décrets, ni  en recevoir des ordres, mais seulement des admonestations et des remontrances,-- à part, bien sur, les décrets qui portent sur  la foi,  et qui obligent tous les chrétiens.   La raison de tout cela est qu’un pair n’a pas de pouvoir sur un pair.  Ceux qui enseignent vraiment qu’un concile sans pape est supérieur au pape, enseignent forcément  qu’un concile avec pape est supérieur au pape, et oblige le pape, même si les mêmes reconnaissent  que le pape peut, en tant que ministre de l’Église, dispenser des préceptes d’un concile général,  et être corrigé s’il dispense mal, et être ensuite puni par un concile général.   Laissant donc de côté la première comparaison, ne traitons que de la deuxième.
                                                     CHAPITRE 14
                                        On explique diverses opinions
Relativement à cette proposition,  je trouve, chez les docteurs, trois opinions.   La première.  Le concile est au-dessus du pape.  C’est celle que soutiennent tous les hérétiques de notre temps; et c’est ce qu’Hermann essaie de prouver par plusieurs arguments, au livre 3, chapitre 3 de ses prolégomènes.  Affirment la même chose le cardinal Cameracensis,  Jean Gerson,  Jacques Almainus, et d’autres, dans leurs traités de l’église.   De même Nicolas Cousin, dans son traité sur la concordance canonique (livre 2, dernier chapitre), Panormitanus (dans son chapitre significasti, extra de elections) et, au même endroit, son maître le cardinal Florentin.  De même, Abulensis (chapitre 18 de Matt, question 108).
Pour bien comprendre cette sentence, il est à noter qu’elle a deux fondements.   Le premier.   Le pape n’est pas proprement la tête de l’église universelle rassemblée,  phrase qu’entendent différemment les hérétiques et les autres auteurs.  Car, les hérétiques veulent que le pape ne soit, en aucune façon, la tête de l’église universelle, mais seulement l’évêque de son église à lui, et, tout au plus, patriarche de l’Occident.  Mais, pour les autres auteurs cités, le pape est la tête et le pasteur de tous les chrétiens et de toutes les églises particulières, quand on les prend séparément.    Mais il n’est pas la tête de toute l’église quand elle est assemblée en entier dans un concile général.   Car, l’Église reçoit alors la forme d’un corps;   et la totalité du pouvoir qui était répartie entre plusieurs membres se retrouve, là,  unifiée.   De sorte que si comparer le pape avec tous les membres de l’Église pris isolément c’est comparer le membre le plus noble avec les membres les moins nobles,  comparer le pape avec un concile c’est comparer une partie avec le tout.  Le pape est donc, pour eux, moins grand qu’un concile.  Et pour qu’on ne dise pas qu’un concile sans le pape est un corps sans tête, ils ajoutent un second fondement :  le pouvoir ecclésiastique suprême,  qui est dans le concile autant que dans le pape.  Mais, dans le concile principalement, plus immédiatement et plus immuablement.  Car, ils disent que le Christ a attribué immédiatement à l’Église le pouvoir de lier et de délier, et que, comme l’Église dure toujours,  c’est en elle que demeure perpétuellement ce pouvoir.  Or, comme l’Église ne peut pas toujours demeurer rassemblée en un seul corps, et exercer par elle-même ce pouvoir, le Christ a institué le souverain pontificat comme instrument général de toutes les actions de l’Église.  Et il a placé en lui ce pouvoir suprême, pour qu’il l’exerce au nom de l’Église.
Ces auteurs ne s’entendent pas tous entre eux.  Quelques-uns posent ce pouvoir formellement et subjectivement dans le pape, comme dans sa fin,  parce qu’il est pour l’église; d’autres comme dans un régulant, car c’est à l’Église qu’il  appartient de régler et de diriger, puisqu’ elle ne peut pas errer, alors que le pape le peut.  Et enfin, en tant que suppléant,  car, en l’absence ou à la mort d’un pape, l’Église supplée à son office.   D’autres veulent que ce pouvoir  soit  principalement dans l’église, formellement et subjectivement,  et, dans le souverain pontife,  instrumentalement seulement.  Ils sont quand même d’accord pour enseigner que ce pouvoir est immédiatement dans l’Église, de telle sorte que, quand un pape est mort ou déposé, le concile n’est pas, pour autant, un corps imparfait, mais parfait.  Et il possède le pouvoir papal de définir ex cathedra, de faire des lois, d’accorder des indulgences.  Ils déduisent de tout cela  que le concile est supérieur au pape, peut le juger et le punir; et que se demander si le pape est plus grand que le concile, c’est se demander si la partie est plus grande que le tout.  Ensuite, ils veulent que le pape soit, dans l’Église, comme le doge de Venise dans la république de Venise, ou le supérieur général dans un ordre religieux.   Il appert que le doge de Venise est supérieur à chacun des magistrats, au-dessus de chacun des sénateurs  et de chacune des cités, mais non, cependant, au-dessus de tout le sénat réuni.  Et, quand le doge meurt, il est certain que toute l’autorité du doge se trouve dans le sénat.  Semblablement.    Un supérieur général est au-dessus de tous ses religieux individuellement pris, même des prieurs et des provinciaux,  mais il n’est pas au-dessus d’un chapitre général, auquel il doit obéir, non commander.
La seconde opinion est celle de certains canonistes qui veulent que le pape soit au-dessus du concile, et qu’il ne puisse être jugé par personne malgré lui; mais qui peut se soumettre au concile et lui donner un pouvoir plus grand que celui qu’il possède.  Et, s’il fait cela, il doit adhérer à la sentence du concile, même s’il statue sur sa déposition.  C’est ce qu’enseigne la glose du canon nos si incompetenter 2, question 7, et dans le canon in synodo ,  d. 63.    La dernière sentence est la plus commune.  Le pape est supérieur au concile,  au point où il ne peut même pas se soumettre à sa sentence, si l’on parle de sentence contraignante.  C’est celle de tous les anciens scolastiques, comme saint Albert le Grand, saint Thomas, saint Bonaventure,  Richard, Paludan, et des autres (dans 4 dist. 19, où il est question des clefs, et où ils en ont parlé comme en passant.)    Saint Antonin enseigne cela, lui, expressément (3 par. Rt 22, cap 10 somme de l’église, et en réponse aux orateurs de Bâle, sur l’autorité du souverain pontife et du concile général).  Alvarus Pelagius (les pleurs de l’église, livre 1, article 6).  Dominique Jacobatius (livre 10, article 7 sur les conciles) traite cette question au long et au large, et réfute soixante arguments des adversaires.  Le cardinal Cajetan (dans son traité sur la comparaison entre le pape et le concile, et dans son apologie pour le dit traité.)  Albert Pighius (livre 6 de la hiérarchie ecclésiastique), François de Ferrare (livre 4, chapitre 76, contre les Gentils), Augustin d’Ancône (dans son traité sur le pouvoir de l’Église),  Petrus de Monte (dans son livre sur le pouvoir du pape et du concile),  François de Tours (dans trois livres qu’il a écrits sur cette question), et presque tous les canonistes (au chapitre significasti, sur l’élection),  et le canon si papa (dist 40), Joanness Anton,  Delphinus (livre 2 sur l’église, dernier chapitre), Thomas Campegius (traité sur le pouvoir du pontife romain, chapitre 22),  Nicolas Sanderus (livre 7, de la monarchie visible, où il traite du concile de Constance,  page 4, verset 40.)
2018 01 31 15h48 fin

2018 02 03 20h02 début
                                                                     CHAPITRE 15
                                      Le souverain pontife est la tête de toute l’Église
Pour déclarer la vérité de cette chose, nous présenterons et nous démontrerons quelques propositions,  dont voici la première :  le souverain pontife a été institué immédiatement par le Christ,   pasteur et  tête de toutes les églises particulières, et même de  l’église universelle rassemblée en un seul corps.  Cette proposition est contraire au premier fondement des adversaires.  Nous l’avons déjà démontrée dans les livres sur la papauté, mais nous la prouverons quand même brièvement.
D’abord, à partir des Écritures.  Pierre est le fondement de l’Église posé par le Christ (Marc 16) : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. »  Il en est donc la tête et le pasteur.  Car, ce qui, dans une maison, est le fondement,  est, dans un corps, la tête, et dans un troupeau, le pasteur.  Car, comme le fondement ne dépend pas de la maison, mais la maison du fondement, de la même façon, la tête ne dépend pas du corps, mais le corps de la tête.  Le pasteur ne dépend pas du troupeau, mais le troupeau du pasteur.  Que par le mot église, en ce passage, on entende l’église universelle, même rassemblée,  comme dans un concile général, on le prouve par Matthieu 18, où le Christ dit de sa même église : « S’il ne les écoute pas, dites-le à l’Église. »  C’est un concile général que les adversaires voient dans ce passage.
 De plus, l’église rassemblée, comme l’est  un concile, est l’église du Christ proprement dite, comme les adversaires eux-mêmes le reconnaissent.  Car, l’église est, de par sa nature, un rassemblement des fidèles. Plus  nombreux  sont les fidèles rassemblés et unis entre eux,   et plus ils sont l’Église proprement dite. Et quand une chose est prononcée d’une autre en termes absolus,  il est stupide d’en excepter ce que signifie proprement cette chose.   Donc, quand le Christ dit : « Sur cette pierre, j’édifierai mon église »,  il est stupide d’en exclure l’église universelle rassemblée, puisque c’est elle qui est proprement l’église.   Ensuite, l’Église du Christ est toujours formellement rassemblée, car elle est un seul royaume, une seule famille, un seul troupeau, même si elle semble dispersée localement.   Donc, si le souverain pontife  est le pasteur et la tête de l’église, il ne l’est certainement pas d’une église dispersée,  qui n’est rien, car c’est d’une église unifiée et rassemblée qu’il est la tête et le pasteur.
 Nous avons la même chose dans le dernier chapitre de saint Jean : « Pais mes brebis. »  Car, même si les adversaires rétorquent que le Seigneur a dit : pais mes brebis, et non pais mon église, l’église, dans son oraison sur le pontife, explique ainsi le mot : « Dieu, pasteur et recteur de tous les fidèles, tu as voulu que ton serviteur un tel préside à ton église en tant que pasteur. »   Et aussi.  L’église universelle rassemblée en un concile général appartient-elle, oui ou non, aux brebis du Christ ?  Si elle y appartient,  Pierre est le pasteur d’une église rassemblée en un concile général.  Si non,  les chrétiens, en se réunissant, cessent d’être des brebis du Christ, ce qui est absurde.
On le prouve, en second lieu, par les conciles.  Le concile de Chalcédoine, dans sa lettre au pape saint Léon le grand, reconnait formellement que le pape est la tête de tout ce concile, lequel fut un des plus grands, et dans lequel toute l’église s’est rassemblée : « Sur lesquels tu présides, comme la tête. »  De même, le concile de Lyons, (dans le chapitre là où il y a un danger dans l’élection, dans 6),  appelle le pape «  recteur de l’église universelle ».  Il n’est donc pas seulement recteur des églises particulières.   Semblablement, dans le concile de Florence, il est défini que «  le pape est la tête de toute l’Église », et qu’il a reçu du Seigneur le plein pouvoir de régir l’Église universelle.  Le concile de Constance (session 15)  a condamné l’hérésie de Jean Hus qui disait « que le pape n’est pas la tête de l’Église. »
On le prouve par trois raisons.   La première.  Le pape est une seule tête, il est donc la tête d’un seul corps.  Or, les églises particulières, prises séparément, ne forment pas un corps.  Donc, le pape est la tête de l’Église universelle.   La deuxième.  L’Église universelle est un seul corps visible. Elle doit donc avoir une tête visible, car, autrement elle aurait l’apparence d’un monstre; et on ne peut pas en imaginer une autre que le pape.   Le pape est donc la tête de toute l’Église réunie en un seul corps.   La troisième.   Le pape est « le vicaire immédiat du Christ », comme il est dit dans les conciles de Lyon et de Florence, déjà cités, ainsi que dans le concile de Constance (session 8) où est blâmée la cinquième hérésie de Wyclif qui disait que le pape n’est pas le vicaire immédiat du Christ, ce que même nos adversaires ne nient pas.  Il préside donc, comme son tenant lieu, sur ceux sur lesquels le Christ préside invisiblement, et sur lesquels il présiderait visiblement, s’il était présent visiblement.  Et cela non seulement sur les églises particulières, mais aussi sur toute l’église universelle, ainsi que sur les conciles généraux. Le pape préside donc, lui aussi, sur les conciles généraux.
                                                          CHAPITRE 16
                          Le concile ne possède pas le pouvoir suprême
Et voici une autre proposition : le pouvoir ecclésiastique suprême n’est pas dans l’église, ou dans  le concile, sans le pape,  ni formellement ni sous mode de suppléance.   Cette proposition est contraire à l’autre fondement des adversaires.    Que ne soit pas formellement dans l’église ou le concile le pouvoir suprême, comme il est dans le pape, on le tire des Écritures.   Car, selon les Écritures, l’Église n’est ni une démocratie, ni une aristocratie, mais une monarchie, ou le royaume du Christ, selon le psaume 2 : « J’ai été établi roi par lui sur Sion, sa sainte montagne. »  Et saint Luc, 1 : « Et son règne n’aura pas de fin. »  Et, en Jean 18, quand on lui demanda s’il était roi, il ne répondit pas : je ne suis pas roi, ou mon royaume n’est pas « dans » ce monde, mais « de » ce monde.  C’est-à-dire, qu’il est dans ce monde, mais n’est pas tel que tu le penses, semblable à celui d’Hérode, ou à d’autres rois de la terre.   Ensuite, l’Écriture appelle souvent le Christ roi, et l’Église son royaume.  Il s’ensuit que l’Église  doit être régie par un seul roi, et non par plusieurs, comme sont gouvernés tous les royaumes.    Que cette autorité ne soit pas dans l’Église d’une façon supplétive, on peut le démontrer par la raison suivante.  Cette autorité, l’Église ne l’a ni d’elle-même, ni d’un autre.  Elle ne l’a donc en aucune façon.  Qu’elle ne la possède pas d’elle-même, le prouve manifestement la différence qui existe entre le royaume du Christ et les autres royaumes.   Car, l’Église n’est pas un royaume semblable  aux royaumes de ce monde, dans lesquels le pouvoir suprême, qui est dans le roi, vient et dérive du peuple.  Car, c’est le peuple qui fait le roi, et sans lui, il ne serait qu’un homme privé comme les autres,  puisque tous les hommes sont naturellement libres et égaux.  Et nul ne pourrait commander aux autres, à moins qu’ils ne se soumettent à lui, et ne lui donnent un pouvoir sur eux.
Or, le Christ est Dieu et homme, et, en tant que Dieu, il est naturellement Seigneur et roi de toutes les créatures.   En tant qu’homme, il a reçu de Dieu tout pouvoir.  Ce n’est pas l’Église qui le fait roi, mais c’est plutôt lui qui fait de l’église son royaume.  C’est l’apocalypse qui le dit : « Tu as fait de nous un royaume pour notre Dieu ».   Voilà pourquoi, le royaume du Christ qui est l’église est comparé à une famille, pour qu’on ne pense pas qu’il est semblable aux autres.   Matthieu 24 : « Quel est le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille ? »  Et, Hébreux 3 : « Moïse a été fidèle dans toute la maison de Dieu, comme un serviteur;  le Christ, lui, a été fidèle dans toute sa maison,  en tant que Seigneur. »    Il est évident que ce n’est pas de sa famille que le père a reçu son autorité, mais de lui-même, car il n’est pas constitué père par la famille, mais se fait à lui-même une famille en engendrant des enfants, et en engageant des serviteurs.   En conséquence, même si le père de famille est tyrannique, il ne peut pas être jugé ou expulsé, comme le peut le roi quand il se transforme en tyran.   Ce royaume, on le compare aussi à un troupeau (Jean 10), ainsi qu’à un corps, et à une épouse (Éphésiens, 4, 5) pour que nous comprenions que comme le berger ne reçoit pas son autorité des brebis, le corps de la tête, l’époux de l’épouse,  le Christ, non plus, ne  reçoit pas son autorité de l’Église.
Ce qui précède nous amène à penser que l’Église n’a aucune autorité d’elle-même, mais que toute l’autorité est dans le Christ,  et dans ceux à qui le Christ l’a communiquée.  Qu’elle ne la reçoive  que du Christ, on le prouve ainsi.     On lit du Christ qu’il a donné à Pierre les clefs du royaume des cieux, (Matt 16), et l’a fait présider sut tout le troupeau;  qu’il a donné aux autres aussi (dernier chapitre de Jean) le pouvoir de prêcher, de baptiser, d’enlever les péchés,  et de faire d’autres choses qui se rapportent à la charge de pasteur.  Mais ce pouvoir, le Christ l’a donné à chacun des apôtres en particulier, de façon  que chacun puisse l’exercer sans la réunion avec d’autres personnes.  Il est bien connu, en effet, qu’on ne lit nulle part que quelque chose de ce pouvoir ait été attribué à l’Église elle-même,  c’est-à-dire, à l’universalité des fidèles, en raison de sa totalité.   Nous lisons, au contraire, qu’il a été prescrit  au peuple, de se soumettre aux pasteurs  (Hébreux 13, et ailleurs).  Si à l’église universelle il n‘a été donné aucun pouvoir, il n’en a pas été donné, non plus, à un concile général en tant qu’il représente l’église universelle. Dans un concile, ne se trouve donc pas l’autorité suprême, ou papale, mais seulement épiscopale ou archiépiscopale, selon la qualité des personnes qui y sont assemblées.  Or, nos adversaires ne placent l’autorité suprême ou papale dans le concile que dans la mesure où le concile est le représentant de l’église universelle.  Si donc l’église universelle, séparée du pape, ne possède pas l’autorité universelle, comment le concile pourrait-il la posséder ?
On le prouve, en second lieu, en disant que si un concile général, sans la présence du pape, avait l’autorité papale formellement et de façon supplétive,  il n’aurait pas besoin de la confirmation du pape. Or, il est connu que tous les conciles ont demandé la confirmation du pape.  Troisièmement.   Un concile sans le pape peut errer, même dans les décrets sur des matières de foi, comme cela est arrivé au concile de Smyrne, à qui a souscrit Hosius lui-même, le président du concile de Nicée 1 !  À Milan, à Arménie, à Éphèse 2, à Constantinople, sous Justinien 11, à Constantinople sous Léon l’Isaurien,  et à un autre sous Constantin Copronyme.  Or, un concile présidé par le pape  personnellement ou par ses légats, ne peut pas errer.   Un concile ne peut donc pas, sans le pape, tout ce qu’il peut avec le pape. Tu ne peux pas répondre que ces conciles ont erré parce qu’ils n’étaient pas légitimes, car, il ne manqua à la plupart que l’assentiment du pontife.  Bien plus, Éphèse 11 fut, en tout point, semblable à celui de Bâle, et l’un et l’autre furent convoqués par le pape.  Dans l’un et l’autre, le légat du pape fut présent au début, et dans l’un et l’autre cas, il se retira  peu après.  Dans l’un et l’autre cas le légat fut excommunié, c’est ce que nous raconte Énée Sylvius, pour le concile de Bâle. Pour le concile d’Éphèse, il faut consulter la lettre du pape Léon (12, 13, 15, 21, 22), dans le concile de Chalcédoine (acte 3).  Et que le concile d’Éphèse 2 ait erré, nos adversaires eux-mêmes ne peuvent pas le nier.
Quatrièmement.  Si le pouvoir suprême était dans l’Église principalement et formellement, et dans le pape instrumentalement, en tant que ministre de l’Église, comme eux le disent, il s’ensuivrait que le pape ne serait pas le vicaire immédiat du Christ, mais un vicaire intermédiaire seulement.  Car, si l’Église était elle-même immédiatement vicaire du Christ, le pape serait le vicaire immédiat de l’Église, ce qui est expressément contraire au concile de Constance (session 8), où l’on condamne l’hérésie 5  de Wyclif qui disait « que le pape n’est pas le vicaire immédiat du Christ. »
                                                          CHAPITRE 17
                   Le pontife suprême est absolument au-dessus du concile
La troisième proposition : le souverain pontife, absolument parlant, est tout à fait au-dessus de l’église universelle, et d’un concile général, de façon telle qu’il ne reconnait sur la terre aucun juge qui lui soit supérieur.
Que cette proposition soit presque de foi, on le prouve  par les deux propositions précédentes.  Car, si le pape est la tête de l’Église universelle, même rassemblée en un seul corps, et si l’église universelle, même rassemblée en un même lieu, ne reçoit aucun pouvoir du fait de son intégralité, il s’ensuit que le pape est au-dessus du concile, et au-dessus de l’église, non le contraire.  On le prouve, en second lieu, par une raison tirée de l’Écriture.  Car, tous les noms  attribués au Christ, dans l’Écriture, qui nous font comprendre qu’il est au-dessus de l’Église, sont attribués également au pontife suprême.   Le Christ est le père de famille de sa maison, qui est l’Église, le pontife suprême en est l’intendant, c’est-à-dire père de famille à la place du Christ (Luc 12) : « Quel est l’intendant fidèle et prudent que le Christ a établi sur toute sa maison ? »  Ici, par intendant, on entend le mot évêque.  C’est ainsi qu’interprètent ce mot saint Ambroise, saint Hilaire, saint Jérôme dans 24 Matth, où l’on trouve une phrase semblable.  Et bien que les pères ne parlent pas explicitement de l’évêque romain, il est certain que cette phrase de l’Écriture s’applique à lui.   Car, comme les évêques particuliers sont des administrateurs dans leurs diocèses respectifs,  le pape l’est, lui, dans l’église universelle.  Voilà pourquoi saint Ambroise, en expliquant ce passage (1 Tite 111) : pour que tu saches comment il te faut de comporter dans la maison de Dieu, dit : « La maison de Dieu c’est l’Église, dont Damase est aujourd’hui le recteur. »  Et saint Jean Chrysostome (livre 2 sur le sacerdoce, au commencement) : applique au pape le texte : « qui est le pourvoyeur fidèle ».
Que l’intendant est au-dessus de la famille, et qu’il ne peut être ni jugé ni puni par elle, le même passage nous le fait comprendre : « Si ce serviteur se dit à lui-même : mon maître tarde à revenir, se met à frapper les serviteurs et les servantes, à bambocher, à boire, à s’enivrer, le maître de ce serviteur viendra au  jour qu’il n’avait pas prévu.  Il l’éloignera de lui,  et le placera avec les infidèles. »  Vous voyez, dans ce texte, que le Seigneur s’est réservé à lui le jugement sur son serviteur, et ne l’a pas remis au jugement de la famille.   Il enseigne aussi que toutes les familles n’ont qu’un seul maître; que dans aucune famille il n’est  permis  aux serviteurs, même rassemblés, de punir ou d’expulser l’intendant, même s’il est mauvais, car cela n’appartient qu’au seigneur unique de toute la famille.   L’autre nom du Christ est pasteur.  Jean 10 : « Je suis le bon pasteur. »  C’est la même chose qu’il communique à Pierre en saint Jean : « Pais mes brebis. »  Il est évident que c’est le pasteur qui préside sur les brebis, et qu’en aucune façon il ne peut être jugé par elles.   Le troisième : tête du corps de l’Église (Éphésiens 4).  Il communique la même chose au pape.  Comme nous l’avons dans le concile de Chalcédoine (acte 3) où les légats prononcent une sentence contre Dioscore, et dans l’épitre du concile à Léo.  Or, que la tête soit régie par les membres, et non les membres par la tête, c’est contre nature.  Il est contre nature aussi que les membres tronçonnent la tête quand elle est gravement malade.
Le quatrième : l’homme ou l’époux (Éphésiens 5) : « Hommes, aimez vos épouses, comme le Christ aussi a aimé son Église, et s’est livré pour elle. »  C’est ce qui convient aussi à Pierre, comme on le dit dans le concile de Lyon (au chapitre ubi periculum de electione, in sexto).  Parlant de l’élection du pontife romain, le concile déclare : « Qu’on accélère tout ce qui est utile et nécessaire pour que,  le plus tôt possible, soit donné à l’église un époux idoine. »  Or, c’est une chose contraire à l’enseignement de saint Paul (Éphésiens) et à  l’ordre naturel que l’épouse commande à son mari, au lieu de lui être soumise.
On le prouve, ensuite avec les paroles elles-mêmes des conciles et des souverains pontifes.  Comme la controverse porte sur les pouvoir respectifs des papes et des conciles, si les papes et les conciles enseignent la même chose, quel besoin y a-t-il encore d’ergoter ?  Le premier des conciles dont nous parlons est  celui, dont il est écrit : « Au très saint, très bienheureux patriarche universel de la grande Rome, Léon, et au saint concile universel rassemblé dans la cité de Chalcédoine. »  Personne, dans tout le concile, n’a réclamé  en disant qu’on ne devait pas placer le pape avant le concile entier.  Bien plus, à la fin de cet acte, est conservée la lettre du concile au même Léon, dans laquelle les pères l’appellent leur père et leur pasteur.  De plus, dans le même acte, a été condamné Dioscore avec tout le concile d’Éphèse 11, pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu’il avait osé condamner le pontife romain Léon.  Car, comme le dit Nicolas 1, dans sa lettre  à l’empereur Michael,  Dioscore a été condamné non pas tant pour cause d’hérésie, que pour l’horrible présomption qui lui a donné la témérité de porter une sentence de condamnation sur le souverain pontife.  Il est à noter ici que si Dioscore, qui était patriarche d’Alexandrie,  c’est-à-dire le premier après celui de Rome, n’a pas pu, avec un concile général, juger le pape, il s’ensuit, certes, avec évidence qu’un concile général n’est pas au-dessus du pape.  Car, pourquoi n’a-t-il pas pu juger le pontife s’il était au-dessus de lui, et même son juge, comme le veulent les adversaires ?
De même, le concile romain V, sous Symmaque, reçut et approuva comme ses décrets le livre d’Énnode le diacre, dans lequel nous lisons : « Les autres causes des hommes Dieu a voulu les terminer par des hommes.  Mais il s’est réservé à lui seul de juger le détenteur du siège apostolique.  Il a voulu que les successeurs de l’apôtre Pierre ne doivent qu’au ciel leur innocence. »   Dans le synode général V111 (acte 7), nous lisons que le pontife romain est le juge de tous les évêques, mais que personne ne l’a jamais jugé.   Comprenons « légitimement » jugé, comme l’Église l’a toujours entendu.  Platina (vie de Léon 111) et Paulus Émilius (livre 3, histoire des francs) écrivent que quand Charlemagne vint  à Rome pour s’enquérir des  nombreux crimes qu’on reprochait au pape Léon, et qu’il convoqua, pour cette raison, un grès grand concile, tous les évêques  ont crié d’une seule voix qu’il n’était permis à aucun homme  de juger le souverain pontife.  Charlemagne s’est alors désisté  de son projet, et a laissé le pape sr purger  lui-même par un serment.  On peut aussi citer le concile de Latran, sous Alexandre 111, où on lit dans le chapitre « il est permis en dehors d’une élection » : « Dans l’église romaine quelque chose de spécial  a été institué, car on ne pourra pas avoir recours à une autorité qui lui soit supérieure. »  Ce concile enseigne en cet endroit  qu’on doit élire un pontife romain, avec un plus grand soin que pour les autres églises, «  car si, ailleurs, est élu un mauvais évêque, il peut être corrigé ou déposé par le souverain pontife.  Mais si on élit un mauvais évêque de Rome, il n’existe aucun remède,  car il n’a pas de supérieur qui puisse le déposer ».  De même, dans le concile de Constance, a été promulguée la bulle de Martin V, avec l’approbation du concile,  dans laquelle on ordonne d’interroger ceux qu’on soupçonne d’hérésie, en leur demandant s’ils croient que le pape a, dans l’Église, le pouvoir suprême.  Et il est certain  que rien n’est plus grand ou égal à ce qui est suprême.
De plus, le dernier concile du Latran, sous Léon 1X, (session 2), enseigne clairement  que le pape est au-dessus de tous les conciles, et réprouve le décret contraire  émis par le concile de Bâle : « Il est avéré  que seul le pontife romain, en tant qu’ayant l’autorité sur tous les conciles, a le plein droit et le plein pouvoir de convoquer, de transférer, de dissoudre les conciles, et cela, d’après le témoignage de la sainte Écriture, des écrits des pères, et des autres pontifes romains, et  de l’aveu de ces mêmes conciles. »  On ne peut rien répliquer à ce concile, si ce n’est qu’il n’a pas été un concile général,  ou qu’il n’a pas été approuvé par l’Église, ou qu’il n’a pas défini cela de foi.   Mais on ne peut absolument pas dire qu’il n’a pas été un concile général.  Car, même si les évêques ne furent pas très nombreux, car ils ne furent même pas cent, le concile était ouvert à tous, et avait appelé tout le monde.  Et surtout, dans ce concile, le pape saint Paul qui fut un vrai pape, et non un pape douteux,  présidait en personne.  Qu’il n’ait pas été reçu par tous, il importe peu, car les décrets des conciles n’ont pas besoin de l’approbation du peuple, puisque ce n’est pas de lui qu’ils reçoivent leur autorité.  Il est vrai que si les décrets qui portent sur les mœurs ne sont pas reçus,  le pontife peut convenir qu’ils ont  été abolis par la coutume.  Mais cela n’arrive pas du fait qu’ils requièrent l’approbation du peuple, mais parce que ce sont des décrets modifiables.  Quand le pontife constate qu’ils n’ont pas été observés pendant une longue période temps, et se tait, on considère qu’il les a abrogés.  Mais les décrets qui portent sur la foi sont immuables, et, après avoir été statués,  ne peuvent en aucune façon être abrogés.
Se présentent maintenant les témoignages des pontifes.   Léon (épitre 84 à Anastase, à la fin) : « Par une sage disposition de Dieu, il a été pourvu à ce que tous ne revendiquent pas tout par eux-mêmes, mais que dans chacune des provinces il y en ait certains qui aient le pouvoir de porter une première décision, et que d’autres, placés dans des villes plus peuplées, reçoivent la charge d’un plus grand nombre,  par lesquels le soin de l’église universelle confluerait à l’unique siège de Pierre, pour que jamais rien ne soit privé de sa tête. »  Si le soin de l’église universelle appartient à Pierre,  certainement aussi celui d’un concile qui représente l’église universelle.  Gélase, dans son épitre aux évêques de Dardagne 1, écrit : « Toute l’Église, de par le monde, sait que le sacrosaint siège romain a le pouvoir de juger de toutes choses et de tous, et qu’il n’est permis à personne de juger  son jugement. »  Nicolas 1, dans son épitre à l’empereur Michel, répète la même chose : « Il appert que le jugement du siège apostolique, qui ne connait pas d’autorité qui lui soit supérieure, n’a jamais du être rétracté par personne. »    Saint Grégoire 1 (livre 9, épitre 39 à la patricienne Theorita, écrit : «Si  le bienheureux Pierre est accusé par les fidèles, il pourrait répondre, en considérant  l’autorité qu’il a reçue sur la sainte église, que les brebis ne devraient pas oser rependre leur pasteur. Mais si, dans une querelle avec des fidèles, il faisait allusion à son pouvoir, il ne serait pas un docteur de mansuétude. Il devra donc les apaiser, ses brebis,  par une attitude humble. »
Le pape Pascal, (comme on le lit dans le chapitre significasti, à l’extérieur de l’élection), écrit : « On dit que dans les conciles, on ne trouve pas statué que l’église romaine ait imposé une loi à aucun concile, alors que tous les conciles ou sont faits par l’autorité de l’Église romaine, ou sont confirmés par l’église romaine.   Et, dans leurs statuts, l’autorité du pontife romain est clairement exprimée. »  Innocent 111 (sermon 2 de la consécration d’un pontife), écrit : « Voici ce qu’il m’est nécessaire de croire.  Pour tous les autres péchés, c’est Dieu que j’ai pour juge. Mais c’est pour le seul péché commis contre la foi que je pourrais être jugé par l’Église. »  Boniface V111 (extravaganti, une seule sainte, sur la majorité et l’obéissance) : « Si le pouvoir terrestre dévie, il sera jugé par le pouvoir spirituel.   Si le pouvoir spirituel dévie, le plus petit sera jugé par le plus grand. Mais si le pouvoir suprême dévie, il sera jugé par Dieu, et ne pourra pas être jugé par l’homme. » Que se présente le témoignage de saint Boniface, évêque de Monguntinus,  qui même s’il ne fut pas souverain pontife, posséda une grande autorité.  Voici ce qu’il dit ( dist 40, le canon si papa) : « Il jugera tous les autres, mais ne doit être jugé par personne, à moins qu’on ait la preuve qu’il ait dévié de la vraie foi. »
On le prouve en quatrième lieu, des appels faits du  concile au pape.  Sans controverse aucune,  on fait appel d’un moins grand à un plus grand.  Qu’on puisse en appeler du concile au pape, mais non du pape au concile, nous le montre l’épitre de Gélase aux évêques de Dardagne : « De n’importe laquelle partie du monde on doit en appeler au siège apostolique;  mais de lui, personne n’est autorisé à le faire. »  Et pour qu’on ne pense pas qu’il parle de l’appel d’un évêque et non d’un concile,  il ajoute que « les pontifes romains ont souvent innocenté ceux que des conciles iniques avaient condamnés, dont il reste plusieurs exemples célèbres ».   Car, Athanase, évêque d’Alexandrie, et Paul évêque de Constantinople, déposés par un concile, en ont appelé au pape Jules, et ont été par lui restitués dans leur siège, (Sozomène, livre 3, chapitre 7 de son histoire.)  Semblablement Flavien, évêque de Constantinople, en a appelé du concile général d’Éphèse 2 au pape Léon (comme l’atteste la lettre 25 de saint Léon à l’empereur Théodose).  De même, Théodoret, évêque de Cyr,  en appela du même concile d’Éphèse 2, au même pape Léon, comme on le voit par le bréviaire de Libératus (chapitre 11) et par la lettre de Théodoret (que l’on trouve  à la fin des œuvres de Léon.)  Enfin, saint Jean Chrysostome, déposé par un concile, en a appelé au pape Innocent, comme l’atteste Gélase,  et comme on le lit dans les lettres de saint Jean Chrysostome au pape Innocent.
On le prouve, en cinquième lieu, par l’approbation et la réprobation de conciles.  Car, tous ceux qui sont révoqués le sont au jugement du siège apostolique.   Ceux qu’il approuve sont reçus, et ceux qu’il réprouve sont rejetés, comme l’atteste Gélase dans la même épitre aux évêques de Dardanie.  Et que c’est à la demande des conciles qu’un grand nombre a été approuvé,  les conciles eux-mêmes en témoignent, surtout le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième et le sixième.  Que les papes ont parfois désapprouvé les décrets des conciles, ce qui est un signe manifeste de supériorité, nous le montre la lettre 52  de saint Basile à saint Athanase.  Il se demande si ce ne serait pas une bonne chose d’inciter le pape de Rome à envoyer des délégués en Grèce, pour invalider, par leur autorité, le concile d’Arménie.  Le pape Damase lui-même écrit aux évêques d’Illyrium et leur reproche ce concile.  De la même façon, le pape Léon (dans son épitre 55 à Pulchérie) : « Les ententes d’évêques qui répugnent aux règles établies par les canons promulgués à Nicée, nous les annulons, et, par l’autorité du bienheureux Pierre apôtre, les résilions. »   Le bienheureux Grégoire (livre 4, épitre 34) écrit : « Tous les actes de ce concile qui contredisent la foi apostolique nous les annulons. »
                                                         CHAPITRE 18
 Le pontife suprême ne peut pas se soumettre à une sentence contraignante  des conciles
Quatrième proposition : le pontife romain ne peut  remettre à un concile ou à aucun homme soi disant  supérieur le pouvoir de porter sur lui un jugement coercictif, seulement un directif.  Il est à noter que, dans un jugement parfait, deux choses sont requises.   La première.  Le pouvoir d’investiguer, de discerner et de juger ce que l’on doit faire. La deuxième.  Le pouvoir de contraindre celui qui est jugé  à obtempérer à la sentence portée.  On trouve l’une et l’autre dans un juge proprement dit, tel qu’un prince ou un préteur institué par un prince.  On ne trouve que le premier dans les arbitres.  Les hommes sont liés par les sentences des arbitres,  en vertu du  droit naturel, parce que nous nous sentons obligés  de tenir nos promesses.  Mais non en vertu de la sentence elle-même, car les arbitres ne peuvent contraindre personne.   Le souverain  pontife ne peut donc pas établir un juge proprement dit au-dessus de lui, mais seulement des arbitres.  Et s’il n’obtempère pas à la sentence de ces arbitres,  il fera ce qu’il ne doit pas faire, non ce qu’il ne peut pas faire.
On prouve la première partie ainsi.  D’abord, parce que le pouvoir du pape sur tous est de droit divin, et que le pape ne peut pas accorder de dispense dans le droit divin.  Ensuite, parce qu’un inférieur ne peut pas confier à quelqu’un un jugement qui est réservé à un supérieur.  Car, un évêque ne peut pas charger son pénitencier d’absoudre dans des cas réservés au pape. Or, le jugement dans la cause d’un pontife est réservé à Dieu, comme nous l’avons montré plus haut.  De plus, il s’ensuivrait que le pape serait supérieur et non supérieur à lui-même, ce qui implique une contradiction. Que ce soit bien la conséquence qu’il faille en tirer, on le montre par le raisonnement suivant.  Quand le souverain pontife accorde à quelqu’un le droit de porter un jugement sur lui, il ne cesse pas d’être pape,  il ne cesse donc pas d’être supérieur à n’importe lequel chrétien. Or, s’il peut être contraint par quelqu’un, il ne sera pas supérieur, mais inférieur.  Il sera donc en même temps supérieur et non supérieur.
La deuxième partie de la proposition, on la prouve ainsi.  Quand ceux qui accusaient Sixte 111, Léon 111, Symmaque, Léon 1V et d’autres  ont voulu discuter de leur cas dans un concile d’évêques, comme on le voit dans le canon mandastis, et le canon auditum (  2.q.5, du concile 4), les évêques n’ont pas osé le juger.   Dans le concile  1V, sous Symmaque, tous les évêques ont déclaré par écrit qu’ils remettaient le jugement entier à Dieu.
                                                       CHAPITRE 19
                                On réfute les arguments des adversaires
Il reste à écarter les arguments.  Le premier est celui d’Hermann (livre 3, chapitre de ses prolégomènes).  Il nous objecte certains exemples des Anciens.   Ensuite, quelques arguments de Gerson. Puis, un extrait du concile de Bâle.
Le premier exemple est celui de Marcellin qui, dans le concile de Sinuessanus, a été condamné et déposé par les évêques.   Je réponds d’abord que Marcellin avait été accusé d’un acte d’infidélité.  Dans un cas semblable, un concile peut entendre la cause d’un pontife, et s’il découvre qu’il a vraiment été  infidèle, il peut le déclarer à l’extérieur de l’église et le condamner.  Je dis, ensuite, qu’il est vrai que les évêques ont condamné Marcellin, mais pas avant qu’il se soit condamné lui-même, et qu’il ait abdiqué le pontificat. Car, auparavant, ils avaient déclaré à haute voix, plusieurs fois : « Le premier siège ne sera jugé par personne. Toi qui es coupable et juge,  ne sois pas jugé par nous ! »  Voir Nicolas 1  dans son épitre à l’empereur Michel.
 Le second exemple est celui du pape Melchiade.  L’évêque d’Arles en appela de sa sentence,  comme l’atteste saint Augustin (épitre 162 ad Glorium et Eleusium). Voici ce qu’il dit : « Nous pensons que ces évêques qui ont intenté un procès à Rome n’ont pas été de bons juges.  Il restait encore un concile universel plénier de l’Église, là où la cause peut être débattue avec des juges qui pouvaient renverser la décision de ces évêques  si elle avait été mal faite. »  Au sujet de l’évêque d’Arles, je réponds avec le même saint Augustin, au même endroit.  Cette cause a été jugée de nouveau non parce qu’il le fallait, mais parce que l’empereur a voulu accéder à la demande d’un autre jugement fait par les donatistes, pour savoir si ceux qui avaient été condamnés deux fois devaient être acquittés.  Et au sujet du concile général, je dis qu’Augustin ne compare pas un pape sans concile avec un concile sans pape,  comme nous l’avons fait plus haut,  mais un concile particulier présidé par le pape à un concile général présidé lui aussi par le pape.  Une cause jugée par un pontife dans un concile particulier peut, sans aucun doute, être jugée de nouveau dans un concile général, surtout dans une question de fait, qui dépend des informations reçus, dans lesquelles peut errer l’Église. Telle était la question qu’on traitait alors, comme on le faisait habituellement.   Car ,avant un concile général,  on faisait des conciles particuliers préalables dans les provinces, et même à Rome;  et les choses qui avaient été traitées dans ces conciles particuliers, étaient traitées de nouveau  dans le concile général. Et c’est après tout cela qu’était donnée, par le pontife, la sentence ultime et définitive, avec le consentement du concile.
Le troisième exemple est celui du pape Libère que l’empereur déposa,  et restitua ensuite dans son siège, lui ordonnant de régir l’Église de Rome avec l’évêque Félix.  Le concile de Smyrne ordonna la même chose dans des lettres données à Félix, comme le rapporte Sozomène (livre 4, chapitre 14).   Je réponds que l’empereur arien Constance a agi alors injustement et tyranniquement, comme quand Néron a tué Pierre et Paul.   Le concile de Smyrne n’a pas donné d’ordre,  il a seulement envoyé des lettres d’exhortation à Félix,  pour qu’il accepte que Libère siège avec lui.  N’oublions pas que ce concile fut surtout un concile d’Ariens, et donc de nulle valeur.   Le quatrième est celui de saint Léon.  Un grand nombre d’évêques  ont examiné de près sa lettre au concile de Chalcédoine, comme le rapportent  Eugenius (livre 2, chapitre 18), et le pape Léon (épitre 63).  Il se glorifie de ce que sa lettre ait été approuvée par le concile.   Je réponds qu’on ne peut pas déduire de cela que le concile soit au-dessus du pape.  Car le pape Léon envoya sa lettre au concile non comme contenant la sentence ultime et définitive, mais seulement comme une instruction, avec l’aide de laquelle les évêques pourraient mieux juger.  Tous approuvèrent par la suite la lettre du pape Léon; et c’est, après, que fut promulguée la définition ultime, au nom du pontife et du concile.  Voilà pour les exemples.
Les arguments de Gerson, maintenant.   Le premier.   En Matthieu 18, il est dit : « Si ton frère pèche contre toi, dis-le à l’église. »  Mais le pape est aussi notre frère, puisqu’il est chrétien et doit dire : notre père qui est aux cieux.  Le pape peut donc être appelé en jugement par l’église, être condamné et puni.  Or, comme l’église ne fait rien sans ses prélats, le pape peut donc être jugé par un concile de prélats.  Je réponds que, par église, on peut entendre l’Évêque, selon l’interprétation que donnent de ce passage saint Jean Chrysostome et Innocent 111.  Car, à chaque jour, sont dénoncés à l’Évêque ceux desquels le Seigneur a dit : dis-le à l’Église.  Ou l’assemblée des fidèles avec son chef.   Car, comme saint Cyprien le dit (dans son épitre à Florentium,  9. Livre 4) : « l’église est le peuple sacerdotal rassemblé, un troupeau adhérant à son pasteur. »  Voilà pourquoi, dans n’importe quel diocèse,  les pécheurs sont référés à l’église, à l’église de ce lieu.  Mais si cet évêque pèche, on ne peut pas le référer à cette église, à moins de  le référer à lui-même, puisqu’il est la tête de cette église.  On devra le référer à une église supérieure, présidée par un archevêque, ou un patriarche.    Si le patriarche pèche lui aussi, il ne peut pas être référé à son église, mais à une supérieure, c’est-à-dire à la romaine, ou à un concile général présidé par le souverain pontife.  Si le souverain pontife lui-même pèche, on doit le référer au jugement de Dieu, pour qu’on ne trouve pas, sans lui, une église sans tête.
Mais ils insistent.   Ces paroles : « dis-le à l’église », ont été dites à Pierre.  Donc même Pierre et ses successeurs doivent référer les pécheurs à l’église.  Ils doivent donc reconnaître que le tribunal de l’église est plus grand que le leur.  Je réponds que quand ces choses ont été dites à Pierre, il n’était pas encore pontife, mais un homme privé.  A donc été dit à lui, alors, ce qui convient à ceux qui reconnaissent un supérieur. De plus, le pontife lui-même peut remplir ce précepte à sa façon.  Il doit d’abord corriger privément celui qui a péché, ensuite se procurer des témoins, enfin, le dire  à l’église, c’est-à-dire à lui-même en tant que président, et à l’église à laquelle il préside.  C’est-à-dire l’excommunier publiquement.  C’est ainsi qu’a compris ce passage saint Grégoire (livre 4, épitre 38) dans sa lettre à l’évêque Jean de Constantinople.
Le deuxième argument de Gerson.  Le pape est un membre de l’église; il est donc plus petit que le tout qui est l’église.  Il peut donc et doit même être amputé s’il empoisonne l’Église, parce que c’est le droit de la nature qui veut que les membres qui empoisonnent le corps soient amputés.   Je réponds à la première conséquence.    C’est avec le pape ou sans le pape qu’on entend le mot église,  quand on conclut que le pape, en tant que membre, est plus petit que l’Église qui est le tout.  Si l’on parle d’une église sans le pape, il est faux qu’elle soit le tout.   Car, elle n’est pas le tout, mais une partie, plus grande que la tête par l’étendue, mais plus petite  par la puissance et l’autorité, comme on le voit dans n’importe lequel corps.   Que l’autorité de la tête demeure dans l’Église par mode supplétif, comme le disent les adversaires, cela a été réfuté auparavant.  Si on parle d’une église avec pape,  alors, comme je l’ai déjà dit plus haut, l’autorité de l’Église est plus grande extensivement, qu’avec le pape seul,  mais égale intensivement.  Comme l’être qui comprend Dieu et les créatures n’est pas  plus grand bien que Dieu seul intensivement, même si, extensivement, il  est  plus grand, car il a plus de biens.   De même le Christ, en tant qu’homme,  est la tête homogène de l’Église, et donc une de ses parties.  Et pourtant, l’Église totale n’est pas plus grande que le Christ.
Mais ils reviennent à la charge.   Le pouvoir d’agir est principalement dans le tout, plutôt que dans les parties, qui sont des instruments du tout.  On dit que c’est l’homme qui voit plutôt que l’œil.  Comme l’Église avec le pape est un tout, et le pape une partie, l’instrument de ce tout,  il s’ensuit que le pouvoir ecclésiastique suprême réside dans l’Église plutôt que dans le pape.  Je réponds qu’on doit porter un jugement différent sur le corps de l’église et sur les corps naturels.   Car, dans les corps naturels, la vertu procède de l’essence vers les puissances.  Voilà pourquoi on dit que c’est le tout qui agit plutôt qu’une partie, ou une puissance.  Mais, dans le corps de l’église, la vertu ne procède pas de l’essence vers les puissances,  ou parties, mais de l’extérieur.  Car, le pape qui est la tête de l’Église,  ne reçoit pas de l’Église son autorité, mais de Dieu.  Ensuite, on peut dire que l’agent principal de n’importe lequel corps est toujours son propre suppôt, qui soutient et meut tous les autres membres.  Or, le suppôt du corps de l’Église est le Christ.  Car, quand nous disons : cela est le corps de Pierre ou de Paul, ce « de Pierre et de Paul » se rapporte au suppôt.  De la même façon, quand on dit que l’Église est le corps du Christ,  ce « du Christ » désigne le suppôt.  Il importe peu que le Christ soit aussi la tête de l’église, car, en tant qu’agissant sur tous les membres, il est dit tête, et en tant qu’il sustente et fait mouvoir tous les membres, il est dit suppôt.  Nous concédons donc que, de cette façon, le pape est l’instrument du corps de l’Église, et plus petit que le tout, comme le Christ lui-même l’est dans le tout, en tant que suppôt.
À l’autre conséquence, on peut dire, d’abord, que  c’est le droit naturel qui exige que soient amputés les membres putrides, à l’exception de la tête.   Car, il est préférable d’avoir une tête putride que de n’en avoir aucune.  Mais cette réponse ne satisfait pas vraiment, car, dans les corps naturels, il faut  faire une exception pour la tête, parce qu’une fois amputée,  tout le corps meurt.   Mais le corps de l’Église ne meurt pas à la mort d’un pape.  Voilà pourquoi nous voyons dans les choses publiques civiles, que si un roi dégénère en tyran, il peut, bien qu’il soit la tête du royaume, être déposé par le peuple et remplacé par un autre.    Je dis ensuite que dans un corps naturel et dans les républiques temporelles, on peut couper des membres qui empoissent tout le corps, car c’est de ce corps qu’ils dépendent, et dont ils tirent leur vigueur.  Mais il n’en va pas ainsi pour le corps de l’église, dont la tête ne reçoit pas du corps, mais de Dieu son autorité.  De la même façon qu’il n’est pas permis à une famille de déposer un intendant, même mauvais,  parce que ce n’est pas par la famille mais par le maître de la maison qu’il a été embauché.
Ils rétorquent.  L’Église sera donc seule à demeurer sans remède, si elle a un mauvais pontife suprême; et le pontife pourra impunément égarer et perdre tous les chrétiens,  et personne ne pourra lui résister ?  Je réponds qu’il ne faut pas s’étonner de ce que l’église demeure sans moyen humain efficace, puisque son salut ne s’appuie pas principalement sur l’humaine industrie, mais sur la protection divine.  Car c’est Dieu qui est son roi.    Même si l’église ne peut pas déposer un pontife mauvais, elle peut et elle doit prier intensément et demander à Dieu d’apporter un remède ad hoc.  Et il est certain que Dieu pourvoira à son salut,  en corrigeant ou en éliminant un tel pape avant qu’il ne détruise l’Église.  Il ne s’ensuit pas, cependant, qu’il ne soit pas permis de résister à un pape qui détruit l’Église.  On peut, en gardant le respect qui lui est du, lui faire une remontrance, le réprimander modestement, et même lui résister par la violence et les armes,  s’il veut détruire l’église.  Car, pour résister et repousser la violence par la violence, aucune autorité n’est requise.  Voir, sur ce sujet, Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 106),
Le troisième argument de Gerson rapporté par Hermann, est tiré du concile de Constance.  Le concile de Constance (session 40) a défini que le concile général a reçu de Dieu une autorité immédiate,  à laquelle tous sont tenus d’obéir, tout comme s’il possédait la dignité papale.  Ou ce concile est approuvé, ou il ne l’est pas.   S’il est approuvé,  il est donc vrai, et on doit recevoir ce qu’il a défini.  S’il n’a pas été approuvé,  c’est donc vainement qu’il a déposé Jean XX111, Grégoire X11 et Benoit X111, et élut Martin V,  à qui succédèrent tous les pontifes postérieurs.   Ajoutons, que, dans la dernière session, Martin V confirma tous les décrets de ce concile de Constance qui portent sur la foi.   Ce décret semble donc être de foi.    Je réponds de deux façons.  La première.   Le concile de Constance est légitime et approuvé,  mais ne contredit pas ce que nous avons avancé.  Car, il n’a pas défini de façon absolue que les conciles généraux avaient reçu du Christ un pouvoir au-dessus des pontifes,  mais seulement dans le cas d’un schisme, quand on ne sait pas quel est le vrai pape.  Car, un pape douteux est considéré comme un non pape.  En conséquence, avoir un pouvoir sur lui, ce n’est pas avoir un pouvoir sur  le pape  proprement dit.  C’est ainsi que l’interprètent Turrecremata, Campegius, et Sanderus,  dans les lieux cités.
On peut répondre ensuite que ce n’est pas le concile de Constance qui a fait cette assertion,  comme pouvant définir des choses de foi.  Car, au début, il n’était pas encore un concile général quand n’était présent qu’un tiers de l’église, c’est-à-dire seulement les prélats qui reconnaissaient Jean XX111.  Car, ceux qui adhéraient à Grégoire et à Benoit rejetaient ce que faisait ce concile.   Il n’y avait pas de pape certain dans l’Église, sans lequel on ne peut pas définir de foi des choses douteuses.   Et, dans le concile, aucun pape n’était présent.   Car, Jean XX111 qui avait inauguré le concile, s’en était retiré au début de la quatrième session.   Et il n’est pas vrai que Martin V ait confirmé ce décret.   Car, il a dit explicitement qu’il ne confirmait que les décrets de foi qui avaient été faits collégialement, c’es-à-dire, à la manière accoutumée des conciles, après un examen consciencieux et attentif.   Il appert que c’est sans examen et sans discussion que ce décret a été voté par le concile de Constance. Quand Martin V confirmait les décrets de foi promulgués collégialement, il ne parlait que de la condamnation des hérésies de Wyclif et de Hus
Il ne s’ensuit pas, non plus, que si le concile a erré en cela, il a aussi erré dans la déposition des souverains pontifes.   Car, même si, sans le pape, un concile ne peut pas définir de nouveaux dogmes de foi, il peut quand même juger, en temps de schisme quel est le vrai pape, et pourvoir l’Église d’un vrai pasteur, quand le pape est inexistant ou douteux, comme l’a bien fait le concile de Constance.  Ajoutons que Grégoire et Jean n’ont pas été déposés malgré eux, car ils avaient eux-mêmes spontanément abdiqué la papauté, comme on le voit dans les actes du concile de Constance, aux sessions 12 et 14.   Benoit n’abdiqua pas,  mais, après sa mort, son successeur Clément V111 céda sa place à Martin V, que toute l’Église vénérait comme vrai pasteur.
Enfin,  Hermann nous objecte le concile de Bâle, qui a défini (à la session 33)  qu’il fallait croire de foi catholique  que le concile est au-dessus du pape.  Ce concile a été convoqué par Martin V, (comme on le lit à la première session), et a continué légitimement depuis son début. Il a été ensuite confirmé par Martin V avec tous ses actes.   Je réponds que le concile de Bâle a commencé légitimement, mais s’est terminé illégitimement.  Hermann commet une grosse bourde quand il prétend qu’il a été confirmé par Martin V avec tous ses actes.  Car, le pape Nicolas, comme nous le montre sa bulle annexée au concile, n’a confirmé que les décrets qui portaient sur les bénéfices et les censures ecclésiastiques.  Et ce que le concile de Bâle a décrété au sujet de son autorité qui aurait été supérieure au pape,  aucun pontife ne l’a approuvé.  Le pape Eugène l’a d’abord  réprouvé explicitement, comme on le voit dans le concile de Bâle, (session 38).   Ensuite, le pape Léon X, dans le dernier concile du Latran, (session 38),  ainsi que toute l’église, qui a toujours accepté comme vrai pape Eugène, déposé par les pères du concile de Bâle.  Ensuite, les pères de Bâle eux-mêmes et le pape Félix, qu’ils avaient créé.  Car le pape Félix résigna son poste à Nicolas, le successeur d’Eugène; et les basiliens eux-mêmes qui transférèrent le concile à Lausanne,  se soumirent finalement à Nicolas, comme l’atteste Nicolas dans la dernière bulle.
Plusieurs  arguments ont été proposés qui méritaient une réfutation, mais on leur a déjà répondu dans les livres sur le souverain pontife. Voir aussi ce que nous dirons sur le concile de Bâle dans le prochain livre, au chapitre 16
2018 02 03 20h02 fin
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.