18 novembre 2019>> 23 janvier 2020 (en cours 13 février 2020)

                                         LA QUATORZIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE

                                                      SUR LA PERTE DE LA GRÂCE

                                                        ET SUR L’ÉTAT DE PÉCHÉ

                                                          expliquée en six livres

                                    dont les trois derniers traitent du péché originel

Nous avons traité de la grâce donnée au genre humain dans notre premier père Adam.  Nous disserterons maintenant sur la perte de cette grâce, et sur ses mauvais effets.  Nous définirons d’abord le péché en général, et nous le diviserons  en mortel et véniel. Nous examinerons ensuite le péché du premier homme,  et en même temps, la première cause du péché.  Enfin, la propagation de ce péché, appelé le péché originel, sa peine et ses effets.

                                                     LIVRE PREMIER

                                                    L’ÉTAT DE PÉCHÉ

                                               LE PÉCHÉ EN GÉNÉRAL

                                                  CHAPITRE PERMIER

                                                La définition du péché

Sur le péché, les théologiens disent beaucoup de choses, qui  ne nous intéressent pas, pour le moment.   Nous les laisserons donc de côté, et nous ne traiterons que de la définition du péché, de sa division, de sa cause, et  des distinctions  nécessaires ou utiles pour l’explication des controverses en cours.  

Il faut d’abord noter que le péché et le vice ne sont pas une seule et même chose. Car, le péché est le nom d’une mauvaise action qui s’appose à une action vertueuse. Mais le vice est le nom d’un mauvais habitus qui s’oppose à une vertu, en tant que la vertu signifie un habitus.  En cela, en effet, les choses mauvaises l’emportent sur les bonnes,  car elles ont un vocabulaire plus étendu.  Car, pour signifier l’action d’une vertu, nous n’avons pas de mot propre, et voilà pourquoi nous utilisons le mot vertu pour désigner autant une action qu’un habitus.  Pour signifier une action qui nait d’un vice,  nous avons plusieurs mots : péché, crime, délit, attentat, forfaiture, faute,  erreur, méfait, etc.  Le vice est le nom d’un habitus, non d’une action.   On peut le comprendre à partir des choses corporelles, dont les noms ont coutume d’être transférés aux choses spirituelles.   Nous disons qu’un cheval a un vice, quand il y a une disposition permanente qui le fait trébucher, paniquer ou se rebiffer. Si cela arrive une fois de temps en temps, on ne dira pas, à cause de cela, qu’il est vicieux.  Aristote (dans dans le livre 7 sur les mœurs, chapitre 8) a raison de comparer le vice à l’hydropisie, qui est une soif permanente.  Et saint Augustin (dans la perfection de la justice, chapitre 4)  explique  que le péché est semblable à la claudication, et le vice à une courbature du tibia.

Laissant de côté le vice qui ne se rapporte pas à notre sujet, passons à la définition du péché.  Dans son livre sur le consensus des évangélistes, chapitre 4, saint Augustin écrit : « Le péché est une transgression de la loi.  Cette définition est tout à fait générale, et elle convient non seulement à tous les péchés qui se rapportent aux mœurs, mais à  la nature et à l’art.  Car, pécher n’est rien d’autre que s’éloigner de la règle.  C’est aussi ce qu’a enseigné brièvement saint Jean  (épitre 1, chapitre 3)  par ces mots : « Le péché est l’iniquité.»  Ce qui est plus clair en grec : amartia esti anomia. 

 Le péché contre les mœurs, duquel seul nous traitons ici,  le même saint Augustin le définit (dans son livre 22, chapitre 27, contre Faust) : «Une parole, une action ou une pensée contre la loi éternelle.»  Cette définition, les théologiens l’ont reçue avec enthousiasme, et non sans raison.  Car, comme deux choses sont requises dans le péché, la substance qui est la matière,  et la raison qui est le formel du péché, saint Augustin a fait entrer l’une et l’autre dans sa définition.  La substance du péché c’est l’acte volontaire, ou une omission volontaire d’action.  Et, comme il y a trois instruments généraux d’action, le cœur, la langue et la main;  et, trois genres d’action, une pour les choses purement  spirituelles, comme les désirs, et une autre pour les choses corporelles, comme les faits, et une autre enfin pour les choses en partie spirituelles, et en partie corporelles, comme les mots, pour nous faire comprendre ce qu’est la matière du péché, saint Augustin enseigne  que le péché est une parole, un acte ou un désir. Il ne fait pas mention de l’omission, car les définitions doivent être brèves, et la négation se tire de l’affirmation.

Ensuite,  la substance du péché, ce qui est le formel du péché, saint Augustin l’a indiquée en disant  «contre la loi éternelle.»  Il n’a pas voulu dire, contre la raison, comme le disent les philosophes, ni contre la loi de Dieu, comme le dit saint Ambroise dans le paradis (chapitre 8), ni contre la loi tout court,  mais contre la loi éternelle,  pour comprendre toutes les lois, et la racine elle-même des lois.  En effet, toute loi, qu’elle soit positive ou naturelle, qu’elle vienne de Dieu ou des hommes, est une loi dans la mesure où elle est conforme à la loi éternelle,  qui est la raison suprême de Dieu,  et la règle très parfaite.  N’importe laquelle loi n’est rien d’autre qu’un ombrage ou une participation de la loi éternelle.

Une chose semble  pourtant manquer dans cette définition de saint Augustin, la mention de la volonté.  Car, ce n’est pas toute parole, toute action ou tout désir contraire à la loi éternelle, qui est un péché, mais une parole, un acte, un désir  qui sont volontaires.  Dans son livre sur la vraie religion, (chapitre 13), il  dit : « Le péché est à ce point un mal volontaire que s’il n’est pas volontaire, il ne peut en aucune façon y avoir de péché.».  Mais, ce n’est pas sans raison que saint Augustin n’a pas parlé  ici du volontaire, car, on peut le déduire des autres parties de la définition.  Car, n’est proprement contre la loi  que ce qui est volontaire.  Car, la loi n’est proprement donnée qu’à ceux qui ont le libre arbitre.

Que cela suffise pour l’instant,  pour la définition du péché.  Il ne reste qu’à observer, en passant, que l’impudence ou l’ignorance des luthériens est telle qu’ils ne craignent pas d’énumérer la définition de saint Augustin (sans dire son nom) parmi les erreurs.  Et cela, pour nulle autre raison qu’ils l’ont trouvée chez les écrivains catholiques.  Tilmann Heshusius, qui s’appelle évêque de Sambien, écrit (dans son livre sur les 600 erreurs des souverains pontifes, 4, 1) : « Les pontifes définissent la plupart du temps le péché par «ce qui est dit, fait ou pensé contre la loi de Dieu.» Et dans le numéro 2 : « Ils présentent comme une règle immuable que le péché est ce qui est volontaire, et cela, à un point tel qu’ils soutiennent qu’il n’y a de péché que ce qui est volontaire.»  Ensuite, après avoir énuméré un grand nombre de sentences de ce genre, il ajoute ce qu’il appelle l’antidote contre le venin.

Heshusius ignorait que cette définition venait de saint Augustin, ou il ne l’ignorait pas.  S’il l’ignorait, il faut qu’il soit fort incompétent en la matière, puisque sa définition est archi célèbre et connue de tous.  S’il ne l’ignorait pas,  il faut qu’il soit d’une grande outrecuidance  pour ne pas hésiter à mépriser un tel docteur, surtout dans un domaine (la vraie religion, chapitre 14) où il fidélise tous les opposants.  Rendons quand même grâce à Dieu parce que, en condamnant les sentences de saint Augustin comme des erreurs des papes, il admet que saint Augustin a été un pontife.

                                                         CHAPITRE 2

                                                Les divisions du péché

Il y a quatre façons de diviser le péché.  La première division est tirée des objets, et est donc une division spécifique, car c’est des objets que les actions tirent leur espèce.  Des objets, on tire généralement deux espèces de péchés : les charnels et les spirituels, selon l’apôtre ( 1 Corinthiens 7) : « Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit.»  Cette division est complète et parfaite. Car, toutes les choses vers lesquelles nous nous tournons de façon désordonnée, quand nous péchons,  sont ou des biens saisis par les sens, comme la nourriture, le breuvage, ou l’accouplement,  ou l’intelligence, l’honneur, le pouvoir, la richesse.  Par la conversion aux premiers biens, se commettent des péchés charnels; et par la conversion aux autres biens, des péchés spirituels.  Les premiers nous rendent semblables aux bêtes, et les autres, semblables aux démons. Et le latin a des mots spéciaux pour indiquer les péchés spirituels.

L’autre division est tirée de l’origine.  On dit que le péché est ou originel ou actuel. Les péchés actuels sont ceux que nous commettons par notre propre volonté;  le péché originel est celui que nous héritons de notre premier parent, et qui est transmis par la propagation charnelle.  Les premiers péchés sont volontaires, l’autre ne l’est pas.  Sur le péché originel nous parlerons abondamment en son lieu.

La troisième division est tirée de la loi. On dit que les péchés sont des péchés de commission ou d’omission.  Les péchés de commission sont ceux qui militent contre une loi qui interdit quelque chose, comme l’adultère, l’homicide, le vol, choses qui répugnent aux lois : «Tu ne forniqueras pas, tu  ne tueras pas, tu ne voleras pas,». Les péchés d’omission sont ceux qui violent des lois affirmatives qui commandent quelque chose, comme quand quelqu’un ne rend pas à ses parents l’honneur qui leur est du. : «Honore tes parents.»  La commission est appelé péché, l’omission, délit, comme l’explique saint Augustin  (quest 20 dans le Lévitique). Il tire cela du chapitre 7 du Lévitique,  où certains sacrifices sont institués pour les péchés, et d’autres pour les délits.  

La quatrième division est tirée de la variété de ceux qui sont principalement lésés par le péché. Certains péchés sont commis contre Dieu, d’autres contre nous.  C’est contre ces péchés que nous prémunit l’apôtre, quand il dit dans l’épitre à Tite (chapitre 2) : « Vivons dans ce siècle sobrement, droitement et pieusement.»  Le sobrement se rapporte à nous, le droitement, au prochain, et le pieusement, à Dieu.  Et c’est pour cela que, dans le psaume 50, David demandait à Dieu , contre ces péchés, un esprit droit et fort.

La cinquième division nait de la gravité des fautes,  ou des peines dues aux péchés.  Car, on dit que certains péchés sont mortels, d’autres véniels.  Mortels sont ceux qui détournent complètement l’homme de Dieu, et dont la peine est éternelle;  véniels sont ceux qui n’empêchent pas de marcher vers Dieu,  et qui sont facilement expiés.  Les premiers, on les appelle des crimes;  les autres, des péchés, comme saint Augustin l’explique dans son Enchiridion (chapitre 64), où il écrit que les justes vivent sans crime, mais non sans péché.  Ensuite, le péché mortel est semblable à une blessure mortelle qui entraine immédiatement la mort; et le péché véniel  une blessure légère que l’on reçoit sans danger de perdre la vie, et qui guérit facilement.  Le péché mortel est en guerre contre la charité, qui est la vie de l’âme.  L’autre n’est pas tellement contre que en marge de .  Et comme c’est contre cette dernière division que les adversaires en veulent surtout, nous allons prendre le temps de l’examiner de près.

                                                             CHAPITRE 3

                              De la division du péché entre mortel et véniel

Ce n’est pas une petite controverse qui fait rage au sujet de la division du péché entre mortel et véniel.  Mais, pour mieux comprendre de quoi il s’agit vraiment, nous allons faire d’abord quelques subdivisions du péché véniel   La première division a trois membres : la cause du péché véniel, la commission du péché,  la nature et la raison du péché.  Le péché véniel, d’après ce qui le cause,  est un péché commis par ignorance ou par faiblesse.  Ce genre de péché n’est pas dit véniel pour le distinguer de n’importe lequel péché mortel,  mais du péché mortel de malice.  Car, bien que des péchés commis par ignorance ou faiblesse soient souvent des péchés mortels, ils sont quand même dits véniels, car il y a, en eux,  quelque chose qui diminue la gravité de la faute,  et qui est plus proche de l’indulgence que de la condamnation.  C’est de ce genre de péché que parle l’apôtre (dans sa première épitre à Timothée, chapitre 1), quand il dit : « J’ai été un blasphémateur, un contempteur et un persécuteur, mais j’ai obtenu miséricorde car c’est dans l’ignorance que j’ai  agi en impie.»

Un péché originel qui vient de la commission, est celui qui est expié par la pénitence, selon saint Ambroise (dans son livre sur le paradis, chapitre 14.) : « La faute vénielle, que suit la profession des délits.»  C’es dans ce sens que saint Augustin semble entendre le péché originel  (dans son livre sur la cité de Dieu, chapitre ultime) quand il dit : « On ne tient pas compte du mode de l’iniquité vénielle, même si elle persévère,  et on s’applique avec plus de zèle et de ferveur à l’oraison et aux veilles, et on ne méprise pas de faire de saints amis avec le Mammon d’iniquité.»  A parlé dans le même sens l’auteur du livre  sur la vraie et la fausse pénitence, (chapitre 18), quand il écrit que «par la pénitence, les péchés deviennent véniels.»   Ces péchés ne s’opposent pas purement et simplement aux  péchés mortels, mais à ceux qui ne sont jamais remis  et qui, par là,  conduisent à la mort éternelle.

Les péchés qui sont dit véniels de par la nature et la raison sont ceux qui ne sont pas contraires à la charité de Dieu et du prochain,  et qui s’opposent proprement aux péchés mortels.   Au sujet des péchés véniels du premier et du second genre, il n’y a aucune controverse.  Car, il n’y a personne qui nie que des péchés puissent être commis par ignorance ou faiblesse, et d’autres par malice; que les  péchés puissent être expiés par la pénitence,  et que ceux qui ne le sont pas sont punis pendant toute l’éternité.   Toute la question porte sur les péchés véniels du troisième genre.  Les péchés véniels se divisent de nouveau en deux genres :  les uns ont sont véniels par leur genre, d’autres le sont par l’imperfection de l’œuvre.

On dit qu’ils sont véniels par leur genre ceux qui ont objet une chose mauvaise et désordonnée, mais qui ne répugne pas à la charité envers Dieu et le prochain, comme une parole oiseuse, un rire intempestif, et d’autres choses du même genre.  Leur sont contraires les péchés mortels qui le sont de par leur genre, comme le parjure, l’adultère,  etc ceux qui militent ouvertement contre l’amour de Dieu et du prochain.   Les péchés véniels qui viennent de l’imperfection de l’œuvre,  et qui peuvent être mortels par leur genre,  sont quand même appelés  véniels à cause de l’imperfection de l’œuvre,  car ce n’est que l’imperfection de l’œuvre qui fait qu’on n’estime pas qu’ils luttent contre la charité.  Des péchés véniels sont contraires aux péchés mortels de la part de l’agent, ceux qui par leur genre, pourraient être véniels, mais qui sont cependant mortels en raison des dispositions du pécheur.   Si, par exemple, quelqu’un se délectait de propos oiseux, quand  il devrait être prêt à mettre fin à ces médisances ou à ces calomnies  si, par un précepte de Dieu, il lui incombait d’intervenir. 

On peut ensuite répartir en deux groupes les péchés qui sont véniels à cause de l’imperfection de l’œuvre. Quelques-uns sont appelés véniels à cause d’une subreption,    d’autres à cause de la gravité de la matière. On dit qu’ils sont véniels à cause de la subreption,  ceux qui ne sont pas parfaitement volontaires, comme les mouvements subits de cupidité,  de colère, d’envie, et d’autres choses semblables, qui se rendent présentes dans l’âme avant que la raison ait eu le temps de réfléchir, et de décider s’ils doivent, oui ou non, être admis dans l’âme.  Sont des péchés quand on peut les prévoir ou les repousser immédiatement, si l’on veille.  Ce sont cependant des péchés véniels, car manque le plein consentement de la volonté.  On dit qu’ils sont véniels, par rapport à la  méchanceté de la matière, ceux qui sont commis pour quelque chose qui est légèrement mauvais, comme le vol d’une pièce d’argent, qui ne fait pas de tort au prochain, et qui n’est pas de nature à détruire des relations d’amitié.

                                                         CHAPITRE 4

                                       Réfutation des sentences des hérétiques

                    Passons maintenant à la  réfutation  des sentences des adversaires

Les premiers à enlever la distinction entre péché mortel et péché véniel, ont été Jovinien et Pélage.    Jovinien a enseigné que tous les péchés étaient pareils, comme l’a indiqué brièvement saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 82), et plus clairement saint Jérôme (dans son livre 2 contre Jovinien, non loin de la fin) en ces mots : « Au sujet de ce que tu  cherches à prouver que sont punis par le même supplice un homicide et une impolitesse,  un adultère et une parole blessante, une parole oiseuse et une impiété, il t’a déjà  été répondu plus haut.»   Et plus bas : «Ceux que tu élèves de la terre au ciel ne te rendront pas autant de grâce que ne t’invectiveront ceux que, pour les plus légers péchés, tu projettes dans les ténèbres extérieures.»   Il est donc plus qu’étonnant qu’Alphonse de Castro ait pu sérieusement soutenir (dans son livre 12 contre les hérésies, au mot péchés, hérésie 8)  que, dans les deux livres qu’il a écrits contre Jovinien, saint Jérôme n’a jamais attribué à Jovinien l’erreur de l’égalité des péchés.  Car, pendant plusieurs pages dans le second livre contre Jovinien,  saint Jérôme ne fait pas seulement attribuer nommément cette erreur à Jovinien, mais il présente et réfute tous ses arguments.  Et saint Augustin (dans son épitre 28 à saint Jérôme) atteste que cette erreur a brillamment été réfutée par saint Jérôme.

Jovinien a été suivi par Pélage, qui enseigna que, par n’importe lequel péché, on perdait la justice, et que tout péché était donc mortel.  Et, comme il ne pouvait pas nier qu’il y avait beaucoup de justes, il en vint à affirmer qu’un homme pouvait, dans cette vie, vivre sans péché.  C’est ce que rapporte saint Jérôme (dans son dialogue 2 contre les pélagiens).  Et saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 88), écrit : «Ils vont jusqu’à dire  que la vie des justes, dans ce monde, ne comporte aucun péché;  et que dans cette mortalité, l’Église du Christ peut être perfectionnée par eux au point d’être sans tache ni ride.  Comme si n’était pas l’église du Christ celle qui, par toute la terre, crie à Dieu : «Pardonne-nous nos péchés !»

Après eux, Jean Wiclef (comme le  rapporte Thomas Wandensis, tome 2, sur les sacrements, chapitre 54, et suivants)  reproche à l’Église d’ignorer la distinction entre le péché mortel et le péché véniel.  Il enseignait, en effet, que tous les péchés étaient mortels, si par mortel on entend ce qui conduit à la mort éternelle.  Si, par mortel on entend ce qui, de fait, conduit à la mort éternelle, alors tous les péchés des réprouvés sont mortels, et ceux des élus véniels de par leur nature.  De cette sentence il suit manifestement que tous sont mortels.

En notre siècle, les anciennes erreurs renaissent presque toutes.   Il n’y a aucun hérétique de notre temps qui accepte une vraie distinction entre péché mortel et péché véniel.   Dans l’assertion de tous ses articles, Martin Luther avait dit (à l’article 32) que toute œuvre d’un juste était un péché.   Et, après que le pape Léon X eut condamné cette erreur, Luther l’augmenta au point qu’il en vint à soutenir  que «toute œuvre d’un juste était, de  par sa nature,  un péché mortel, et véniel  de par  la seule miséricorde de Dieu.»  Dans la captivité de Babylone,  (au livre sur le baptême),  le même Luther enseigne que, à part le péché d’incrédulité,  tous les péchés sont véniels, quand il dit : « Tu vois à quel point est riche un chrétien ou un baptisé,  qui, même en le voulant, ne peut pas perdre le salut, quel que soit le nombre de ses péchés, à moins qu’il ne veuille plus croire.»

Ce qu’il ne faut pas entendre au sens où Luther aurait pensé que, en dehors de l’impiété,  il n’y a pas de péché mortel par nature.  Il aurait  plutôt dit cela pour se persuader que tous les péchés  des croyants sont pardonnés, on non imputés; et qu’au non croyants aucun péché n’était pardonné,  puisque, selon lui, seule la foi justifie.  Il retourne ainsi à sa première erreur, selon laquelle tous les péchés sont, de par leur nature,  des péchés mortels, et ne sont véniels  que par la seule miséricorde de Dieu.    Philippe Mélanchton (dans les lieux communs,  sur la distinction entre péchés mortels et véniels,)   semble d’abord reconnaitre une certaine distinction entre ces péchés, mais, dans les faits,  il ne s’éloigne pas de la sentence de Luther.  Car il écrit que sont mortels les péchés qui expulsent le Saint-Esprit, et véniels, ceux qui ne l’expulsent pas.   Mais, dans l’explication qu’il en donne, il découvre clairement ses erreurs.  Il enseigne d’abord que la distinction entre péchés mortels et véniels n’a pas lieu chez les non baptisés. : «Bien que  Néron et Épicure pèchent plus atrocement que Caton, ils sont tous les deux opprimés par des péchés mortels horribles, et par la colère éternelle de Dieu. Dans les non baptisés, il n’est pas nécessaire de recherche la distinction entre péché mortel et péché véniel,  car, tout ce qui n’est pas de la foi est péché.»

Si les péchés des non baptisés sont tous mortels, il s’ensuit nécessairement  que tous les péchés sont, de leur nature, véniels, car ceux qui sont véniels, de par leur nature, seraient véniels aussi  dans les non baptisés.   Il enseigne en deuxième lieu, que, dans les baptisés, les péchés véniels sont des mouvements dépravés,  qui préviennent la raison ou qui s’en emparent, de façon à ce que on ne peut pas les appeler volontaires;  et qui existent en nous malgré nous, et en dépit du fait que nous les détestions.  Et parce que quelqu’un pourrait lever la main pour dire que les choses qui ne sont pas volontaires ne sont des péchés ni mortels, ni véniels, il ajoute que ce dicton populaire (ce qui n’est pas volontaire n’est pas péché) ne vaut que pour la loi civile, non pour la loi divine.  En conséquence, tout ce qui est péché, selon les catholiques, c’est-à-dire tout péché volontaire d’une certaine façon, est mortel, selon la pensée de Philippe.  Et ne sont pour lui véniels que ceux qui, pour les catholiques, ne sont pas des péchés.

Troisièmement, il enseigne que les péchés dits véniels sont vraiment contre la loi de Dieu, qu’ils  apportent une vraie difformité, et qu’ils méritent donc la colère de Dieu. Et il dit qu’on appelle véniels certains péchés , parce qu’ils sont pardonnés à ceux qui sont agréés de Dieu.  Ce qui est la même chose que voulait Luther quand il a dit  que tous les péchés des justes étaient des péchés mortels de leur nature, mais véniels, par la miséricorde Dieu, car ils n’étaient pas imputés aux croyants : « Bien que, dit-il, soient justes, plaisent à Dieu, et aient le Saint-Esprit les baptisés dans les quels est allumée la connaissance de Dieu, et la vraie invocation, et ébauchée l’obéissance, cependant, dans cette vie, demeure encore en eux une énorme infirmité,  comme un brouillard dans leur pensée sur Dieu,  et une inclination perverse  du cœur et de l’esprit, et beaucoup d’attachements vicieux, »  Et un peu après : «Chez les baptisés, ces maux sont contre la loi de Dieu, comme saint Paul l’attes dans Romains 7.  Et, dans de vraies douleurs, les pieux font l’expérience de leur difformité, et de la grandeur de leurs maux.  Mais parce que la personne est acceptée et élevée par la connaissance du Christ, par la foi dans son cœur, et par le don du Saint-Esprit, parce qu’elle reconnait, déplore sa faiblesse et tremble de peur à la pensée de la colère de Dieu contre le péché,  demande le pardon,  et répugne aux premières impulsions mauvaises,  ces maux deviennent des péchés véniels pour cette personne, c’est-à-dire qu’ils sont pardonnés, de façon à ce qu’ils n’éteignent ni l’Esprit Saint ni la foi,  et que la personne demeure dans la grâce.»

Et, un peu plus bas : « Même s’il n’y a  dans les baptisés, que des maladies inhérentes, et des penchants vicieux,  ce ne sont pas des maux légers.  On ne peut pas dire, non plus qu’ils ne sont qu’en marge de la loi,  seulement des ataxiai, comme l’imaginent  les moines, mais contre la loi.  Cependant, tant que demeurent dans les baptisés, la bonne volonté et la foi, le Saint-Esprit demeure aussi.»    Quatrièmement, il enseigne que les péchés mortels sont ceux qui éteignent la foi, c’est-à-dire, qui ne peuvent pas cohabiter avec la foi. Tels sont, ajoute-t--il, tous les péchés volontaires : «Enfin, ces deux choses ne peuvent pas exister en même temps : la mauvaise conscience, c’est-à-dire, l’intention de pécher et la foi, qui est la confiance en la miséricorde de Dieu,  promise à cause du Christ.  Car, ayant le désir de pécher,  il méprise ou fuit Dieu;  il  n’accède pas à Dieu. Or, c’est la confiance dans la miséricorde de Dieu à cause du Christ qui accède à Dieu.»

Philippe  ne reconnait comme péchés véniels que les péchés involontaires;  et ce n’est pas à cause de leur nature que ces péchés véniels ne sont pas imputés, mais à cause de la foi.  Tilmann exprime la même sentence (dans son livre sur les six cents erreurs des pontifes, tit 4 sur le péché,  numéro 24) : « Les pontifes soutiennent que la différence entre les péchés mortels et véniels ne consiste pas en ce que les véniels sont couverts et pardonnés, et les mortels sujets à la damnation éternelle, mais qu’elle réside dans la nature même des péchés et des actions.    Les péchés mortels, selon eux, sont ceux qui répugnent à la justice, à la charité et à la loi divine, et méritent la damnation éternelle.  Les péchés véniels, toujours selon eux, ne s’opposent ni à la charité, ni à la justice, ni à la loi, ne méritent ni la mort, ni la colère de Dieu, mais sont dignes de pardon.» 

 Les magdebourgeois sont du même avis (centurie 1, livre 2, chapitre 4, colonne 171).  Ils parlent ainsi de la différence entre les péchés selon la doctrine apostolique (comme ils l’entendent). Ils enseignent que le péché véniel n’est, par lui-même, rien du tout, tout en affirmant que tous les péchés militent contre la loi divine, méritent la colère de Dieu, et les peines éternelles, mais, par accident, c’est-à-dire, à cause de qui survient d’ailleurs,  à savoir, à cause de la rémission des péchés, qui s’applique à tous les fidèles à cause du Christ.   Et ils avaient dit un peu avant : « Celui qui est né de Dieu ne commet pas de péché, c’est-à-dire, ne commet pas de péché mortel, mais ses péchés sont véniels, ou ils ne sont pas imputés à cause de sa foi dans le Christ.»  Et, à la colonne 173 : «  Pour les  impies et les  incrédules, ce ne sont pas seulement  les crimes externes contre la loi qui apportent  la mort et la condamnation, mais aussi la nature dépravée, les mauvaises tendances,  et les œuvres externes, même humainement honnêtes.  Apportent la mort aux baptisés tous les péchés actuels, internes comme les pensées et les sentiments, ou externes comme les paroles et les actes contre la loi de Dieu, s’ils ne s’y opposent pas par la foi, mais y consentent.»  Et un peu plus bas : « Les péchés mortels éteignent la foi, le Saint-Esprit, et la bonne conscience.»

Semblable est la sentence de Martin Kemnitius ( 1 par, examen du concile de Trente, pages 926 et 927) : « Les péchés mortels éteignent la foi et le Saint-Esprit, e c’est alors que les justes cessent de l’être.»  Et plus bas : « Bien qu’il y ait des différences et des degrés dans les péchés, il n’y a pas de péché si minime et si léger qui ne soit pas une anomia, c’est-à-dire, une prévarication de la loi divine.»  Et plus bas : « La loi accuse et condamne les péchés qu’on appelle véniels, à moins qu’ils ne soient recouverts et non imputés à cause du Christ.» 

 Jean Calvin suit en partie Luther, en partie Jovinien, et en partie Wiclef.  Car (dans son ivre 2, chapitre 8, verset 59), il conclut ainsi : « Que les fils de Dieu considèrent que tous les péchés sont des péchés mortels, parce qu’ils sont tous une rébellion contre la volonté divine, qui provoque nécessairement sa colère;  parce qu’ils sont une prévarication de la loi, contre laquelle est, sans exception,  émise un jugement de Dieu.  Les délits des saints sont véniels, non de leur propre nature,  mais parce qu’ils sont pardonnés par la miséricorde de Dieu.»  Et (dans le livre 3, chapitre 4, verset 28), il dit : «Les péchés des fidèles sont véniels, non parce qu’ils ne méritent pas la mort, mais, parce que, par la miséricorde Dieu, il n’y a aucune condamnation pour ceux qui sont dans le Christ, parce que ces péchés  ne sont pas imputés, et son effacés par le pardon.»  Il n’a pas écrit des choses différentes dans son antidote au concile de Trente, session 6, chapitre 12.

Voilà des enseignements qui sont semblables à ceux des luthériens.  Mais, parce que le même Calvin (livre 3, chapitre 2, verset 11) enseigne que la foi est le don propre des élus, et que ce don, une fois reçu,  ne peut pas être perdu,  il découle de sa doctrine que tous les péchés des réprouvés sont  mortels, et tous les péchés des élus, véniels, comme le pensait Wiclef, ainsi que nous l’avons montré.  Toutefois, la différence qu’il y a entre Wiclef et Calvin est que Wiclef considère comme véniels tous les péchés des élus, tandis que Calvin veut que soient véniels les péchés commis par les élus après qu’ils aient reçu la foi, et non ceux qui ont été commis avant.   Donc, selon l’opinion de Calvin, les péchés des fidèles élus sont véniels, non pas tant parce qu’ils sont élus, que parce qu’ils demeurent avec la foi qui, une foi obtenue, ne peut pas périr, et qui est propre aux élus.  Calvin suit, en cela, Jovinien qui a enseigné qu’un homme qui a été une fois baptisé ne peut jamais perdre la grâce de Dieu, au témoignage de saint Jérôme (livre 2 contre Jovinien).  Voici les paroles de Calvin (livre 3, chapitre 2, verset 11) : « Les réprouvés ne perçoivent jamais l’odeur de la grâce, si ce n’est confusément.  Ils la saisissent comme une ombre, plutôt que comme un corps solide.  Parce que le Saint-Esprit ne contresigne proprement la rémission des péchés que dans les seuls élus, afin que, par une foi spéciale, ils en fassent usage.»  Et, un peu avant : «Donc, pour que, par une semence incorruptible, Dieu régénère à perpétuité les seuls élus,  pour que jamais ne disparaisse leur semence de vie insérée dans leurs cœurs, il contresigne en eux si fortement la grâce de leur adoption qu’elle est stable et ratifiée.»

À ces erreurs est contraire la sentence commune des théologiens catholiques,  que l’on trouve expliquée dans le second livre du maître des sentences dist 12), dans saint Thomas (1, 2, quest 88, art 1), et dans presque tous les auteurs qui ont écrit contre les hérétiques sur cette controverse.   Car, tous enseignent, d’un commun accord,  que, de par leur nature, sans tenir compte de la prédestination, de la réprobation, du baptême ou du non baptême, certains péchés sont mortels, et certains autres sont véniels.   Les premiers rendent l’homme indigne de l’amitié divine,  et coupable de mort éternelle;  les autres condamnent l’homme à un supplice temporaire,  et à un châtiment paternel.  C’est ce qu’enseignent Jean Gerson ( 3 par, théologie, traité de vie spirituelle de l’âme, lecture 1),  Jacob Almain  (traité 3, chapitre 20),  et Jean, l’évêque de Reffensis (dans sa réfutation de l’article 32), et les luthériens,  qui ont un peu dévié de l’enseignement des théologiens, mais sans entêtement, et pour une toute autre raison que celle des ennemis de la foi.

                                                       CHAPITRE 5

                    Réfutation des sentences de Jovinien et de Pélage

Nous réfuterons l’un après l’autre,  tous les hérétiques. D’abord Jovinien et Pélage, qui ont, purement et simplement, enlevé la différence entre les péchés mortels et les péchés véniels.  On peut facilement les réfuter par les passages de l’Écriture qui enseignent que certains péchés rendent les hommes injustes,  et que d’autres  sont présents dans les justes sans que, à cause de cela, les justes ne cessent d’être justes.   Comme Ézéchiel 18.  Après que le Seigneur ait décrit, par le prophète, un homme honnête, qui ne lève pas les yeux sur les idoles de la maison d’Israël, qui n’est ni adultère ni voleur, qui ne contriste personne, etc,  il ajoute : «Celui-là est juste, et il vivra  de vie.»  C’est comme s’il avait dit : celui qui ne vivra pas ainsi ne sera pas juste, mais injuste.  Et, voilà pourquoi, un peu après, il ajoute : « Si le juste se détourne de sa justice, et fait l’iniquité selon toutes les abominations  qu’a coutume de faire l’impie, vivra-t-il ?» Semblable est ce qu’enseigne l’apôtre  (1  Corinthiens 6) : « Ne savez-vous donc pas que les méchants ne posséderont pas le royaume de Dieu ?  Ne vous faites pas d’illusion,  les fornicateurs, les adorateurs d’idoles,  ceux qui couchent avec des hommes, les voleurs, les avares, les ivrognes, les prédateurs, les maudits ne posséderont pas le royaume de Dieu.  C’est ce que vous avez été autrefois, mais vous avez été purifiés et sanctifiés,  et justifiés dans le nom du Seigneur Jésus-Christ, et dans l’Esprit de notre Dieu.»

L’apôtre montre là, de trois façons,  que les péchés qui sont énumérés là, font des hommes injustes, qu’ils ne peuvent pas coexister avec la justice.  D’abord, parce qu’l enseigne que ceux qui agissent ainsi sont iniques.  Car, quand il a dit :  Ne savez-vous pas que les injustes (les iniques) ne possèderont pas le royaume de Dieu, il explique tout de suite après quels sont ceux qui sont iniques, quand il ajoute : ni les fornicateurs, ni les adorateurs d’idoles.   Deuxièmement,  parce qu’une purgation des péchés de cette sorte, il ne l’appelle pas seulement une ablution, mais aussi une justification, pour indiquer que sont injustes ceux qui agissent ou ont agi ainsi, tant qu’ils n’auront pas été justifiés par la grâce de Dieu.   Troisièmement.  Parce qu’il atteste que, par ces péchés, les hommes sont exclus et privés de la possession du royaume des cieux,  qui est une récompense des bonnes œuvres, et une couronne de justice.  On pourrait encore en ajouter beaucoup d’autres, mais je n’en vois pas l’avantage, car tous admettent cela.

À ce qui seul pourrait être mis en doute, appartient ce mot du prophète (psaume 31) : « Pour cela te priera tout saint, au temps opportun»,  Le «pour cela» se rapporte ici à la rémission d’un péché, au sujet duquel il avait dit avant : «  J’ai dit, je confesserai contre moi mon injustice,  et toi, tu as remis l’iniquité de mon péché.»  Comme tout saint prie pour la rémission de ses péchés, il s’ensuit manifestement  que certains péchés qui se trouvent dans les saints, n’enlèvent pas la sainteté.  On trouve la même chose dans le psaume  XCV111 :  «Moïse et Aaron parmi les prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquent son nom,  gardaient ses témoignages et le précepte qu’il leur avait donné. Seigneur, notre Dieu, tu les exauçais, et tu leur as été propice, tirant vengeance de tous leurs manquements.»  Nous apprenons, par ce texte, que Moïse, Aaron et Samuel étaient des hommes justes, qui ont observé les préceptes du Seigneur.  Et, cependant, ne leur firent pas défaut les péchés pour lesquels ils avaient besoin de la propitiation de Dieu,  et étaient châtiés paternellement par le Seigneur.  Semblable est ce passage des proverbes de Salomon 24 : « Le juste tombe sept fois par jour, et se relève.»  Et Ecclésiastique 7 : « Il n’y a pas de juste sur la terre, qui fasse le bien et ne pèche pas.»

Et, dans le nouveau testament, le Christ a enseigné à ses apôtres et à tous ses fidèles, quelque justes qu’ils fussent,  de dire à tous les jours : «Pardonnez-nous nos péchés.» (Matth 6).   Et saint Jean, qui était surement un saint, et un grand saint, dit, pour lui et pour les autres (1 Jean 1) : « Si nous disons que n’avons pas de péché, nous nous illusionnons.»  Et saint Jacques dit semblablement, de lui et des autres : « Nous offensons Dieu en beaucoup de choses.»  Les saintes lettres nous convainquent donc qu’il y a des péchés qui ne militent pas contre la sainteté et la justice.

On peut prouver la même chose par la définition des conciles   Voici ce qu’en dit le concile de Milet (canon 7) : «Quiconque dira que, quand, dans l’oraison du Seigneur, les saints disent «pardonnez-nous  nos péchés», ils ne prient pas pour eux-mêmes, car cette demande n’est plus nécessaire pour eux, mais pour les autres, les pécheurs qui sont dans son peuple;  et que, en conséquence, chaque saint ne dit  pas «pardonne-nous mes péchés» mai pardonne-nous nos péchés,  pour que l’on comprenne qu’il demande cela pour les autres plutôt que pour lui-même, qu’il soit anathème.»   Onze mille ans après, le concile de Trente a corroboré ce concile, quand il a dit, à la session 6, chapitre 11 : «  Bien que, pendant cette vie mortelle, les saints et les justes tombent souvent dans des péchés légers et quotidiens , qu’on appelle véniels, ils ne cessent pas, pour autant, d’être justes.  Car, vrai et humble est la parole des justes qui dit : pardonnez-nous nous offenses.»

On peut aussi le prouver par le consentement des saints pères. Saint Cyprien, dans son sermon sur l’aumône, a écrit : « Puisque personne ne peut être sans péché, si quelqu’un se dit immaculé, ou il est orgueilleux, ou il est fou.  Comme elle est nécessaire, comme elle est bénigne la clémence divine qui, sachant que ne font pas défaut les plaies à ceux qui ont été guéris,  a donné des remèdes salutaires pour traiter et guérir de nouveau les plaies.»   Saint Basile (Psaume CX1V) : «Que celui qui est dans un péché mortel dise : les douleurs de la mort m’ont entouré,  et les périls de l’enfer m’ont trouvé.» Dans ce texte, quand saint Basile nomme le péché mortel, il veut dire qu’on trouve aussi le péché véniel , pour lequel il n’est pont besoin de dire : les douleurs de la mort m’ont entouré.  Saint Ambroise ( psaume CXV111, semon 15) dit, en expliquant ce verset (fais avec ton serviteur selon ta miséricorde) : « Ce juste ne peut pas nier que personne n’est sans péché.»   Saint Grégoire de Naziance (deuxième discours contre Julien, passé le milieu) : « C’est une grande chose de n’avoir jamais péché, ou du moins de ne pas prévariquer dans de grandes choses. Car, être affranchi de tout péché, c’est un précepte divin au-dessus de la nature humaine.»    Ce texte nous fait comprendre qu’on trouve des péchés véniels dans tout homme, même dans les plus saints et les plus justes.

Saint Jérôme (dans le livre 2 contre les pélagiens), non loin du début, écrit : « Je concède qu’il y a des saints, mais je n’admets pas qu’il y en ait qui soit absolument sans aucun péché.»  Il enseigne la même chose plus longuement contre les pélagiens, et au livre 2 contre Jovinien.   Saint Augustin (dans le livre 1 contre deux épitres des pélagiens, chapitre 14), écrit : « Personne n’aurait pu correctement être ordonné ministre, si l’apôtre avait dit «sans péché» au lieu de «sans crime.»  Beaucoup de fidèles baptisés sont sans crime, mais sans péché , dans cette vie, je j’oserais pas le dire.»  Et (dans le livre 3, chapitre 23) :«  Bien que le diable soit l’auteur et le prince de tous les péchés,  ce ne sont quand même pas tous les péchés qui rendent fils du diable. Car ils pèchent aussi, les fils de Dieu, parce que s’ils disaient qu’ils sont sans péché, ils s’illusionneraient et la vérité ne serait pas en eux.».  Il a écrit la même chose dans son livre  sur la nature et la grâce (chapitre 36) : «Tous les saints, à l’exception de la Vierge Marie, ont pu dire ces paroles de saint Jean : si nous disons que nous sommes sans péché etc.»

Jean Cassien (conférence 22, chapitre 13) : .« Que les justes et les saints ne soient pas immunisés contre le péché, l’Écriture le déclare manifestement, quand elle dit que le juste tombe sept fois par jour, et qu’il se relève.  Qu’est-ce autre tomber si ce n’est pécher ?  Et, cependant, quand on dit qu’il tombe sept fois, il n’en demeure pas moins juste, et sa justice n’empêche pas la chute de la nature humaine.  Car, il y a une grande  différence entre la chute d’un saint, et celle d’un pécheur.  Autre est d’admettre un péché mortel, autre est de le prévenir par une pensée qui ne manque pas de péché.»

                                                                    CHAPITRE 6

                                              On réfute les objections des pélagiens

Les pélagiens (comme le rapportent saint Augustin et saint Jérôme),  mettaient de l’avant certains textes de  l’Écriture qui prouvaient, selon eux, que les hommes pouvaient et devaient êtes sans péché;  et que, à cause de cela, il n’y avait aucun péché qui ne répugne pas à la justice.  La première objection il la tire des textes qui demandent aux hommes d’être parfaits.  Deutéronome 18 : «Tu seras parfait devant le Seigneur ton Dieu.»  Et Matthieu 5 : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.»  On  ne peut certes pas appeler parfait quelqu’un auquel il manque quelque chose.  Et on ne peut nier qu’il manque quelque chose à celui qui est dans le péché.  Nous pouvons et nous devons donc être sans péché, et c’est ce que Dieu demande de nous si nous voulons être ses amis et ses fils.

Je réponds que le mot perfection n’a pas un sens unique  dans l’Écriture.  Car, on appelle parfois parfaits ceux qui aiment Dieu en acte, et réfèrent en acte à Dieu tout ce qu’ils font.  Car, avec cette perfection,  aucun péché mortel ou véniel ne peut cohabiter.  Mais, cette perfection est proprement celle des saints, et Dieu ne l’exige pas de nous dans cette vie.  C’est de ce degré de perfection que parle l’Apôtre dans son épitre aux Philippiens (chapitre 3), quand il dit : « Non que je l’aie déjà atteint, ou que je sois déjà parfait.»  On appelle ainsi parfois ceux qui, même s’ils ne pensent pas toujours à Dieu en acte et ne l’aiment pas toujours en acte, comme le font les bienheureux, se consacrent cependant totalement à Dieu, et laissent tout de côté pour plaire à Dieu, selon saint Matthieu 19 : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as, et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, puis, viens et suis-moi !»   Cette perfection n’est pas commandée, mais conseillée, comme l’enseigne saint Augustin (dans l’épitre 89, question 4) et, avant lui, saint Ambroise  (dans son livre sur les veuves), et saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance).

Enfin, on dit qu’ils sont parfaits, et cela, très souvent,  ceux qui aiment Dieu plus que tout, et qui, même s’ils ne rejettent pas toutes choses en acte, sont prêts à perdre toutes choses et même la vie plutôt perdre la grâce et l’amitié de Dieu;  et qui observent tous les commandements humains  sans rien n’admettre qui répugne à la charité, qui est la fin du précepte.  C’est ce degré de perfection que le Christ prescrit quand il dit : «Soyez parfaits.»  Et c’est aussi de ce degré  que parle l’Écriture (Genèse 6) : « Noé était un homme juste et parfait.»  Et, au chapitre 17 : « Marche en ma présence, et sois parfait !»  Et, Deutéronome 18 : « Tu seras parfait avec le Seigneur ton Dieu.»  Et Philippiens 3 : « Le sentent cela, nous tous qui sommes parfaits.»   Ces deux degrés de perfection n’excluent pas tous  les péchés, mais ceux-là seuls qui répugnent à la charité.  Car, les apôtres étaient parfaits, selon ce qui est dit dans Philippiens 3 (nous tous qui sommes parfaits), et selon 1 Cor chap 2 : « Nous parlons de sagesse parmi les parfaits.»  Et pourtant, ce sont les mêmes apôtres qui ont dit : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché etc.» Et : «Nous offensons tous  Dieu en beaucoup de choses.»  Et le Seigneur a enseigné à ses apôtres à dire : pardonnez-nous nos péchés etc.

La deuxième objection est tirée des textes qui affirment que la vraie justice doit être exempte de toute tache.  Psaume 14 : « Seigneur, qui habitera dans ton tabernacle, ou qui reposera dans ton saint mont ?  Celui qui y entre sans tache, et opère la justice.»  Le psaume 17 : « Je serai immaculé avec lui, et je me verrai sans péché.»  Le psaume 118 : « Bienheureux ceux qui sont immaculés dans son chemin,  et qui marchent dans la loi du Seigneur.»   Et Éphésiens 1 : « Il nous a élus en lui-même avant la constitution du monde, pour que nous soyons saints et immaculés.»

Je réponds que saint Augustin (dans son livre sur la perfection de la justice) enseigne que  dans cette vie, les saints peuvent être appelés immaculés, non parce qu’ils ne contractent aucune tache, mais parce qu’ils désirent  ardemment n’en contracter aucune, et font tout ce qu’ils peuvent pour cela.  Et s’il leur arrive de commettre quelque faute, ils  la recouvrent aussitôt par la prière.»  On pourrait aussi répondre à Pélage que la tache ne provient pas proprement du péché véniel, mais seulement du péché mortel, comme l’enseigne saint Thomas ( 1, 2, quest 89, art 1). Que nous disions avec  saint Augustin que les justes sont, dans cette vie,  dits immaculés,  parce qu’ils sont tels par le désir et l’effort,  ou avec saint Thomas, parce que le péché véniel n’imprime pas de tache, on ne peut nier que dans les Écritures, on appelle immaculés même ceux qui ne sont pas sans péchés véniels, comme si , pour que nous soyons saints et immaculés, on pouvait dire de n’importe lequel homme : bienheureux les immaculés dans le chemin, ceux qui entrent sans tache.  Cela peut, sans doute possible, être dit des apôtres, et pourtant l’un d’entre eux (qui n’était pas le moindre) s’écrie : si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous illusionnons.»

La troisième objection est tirée de1 Jean 3 : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que la semence de Dieu  demeure en lui. Il ne peut pas pécher parce qu’il est né de Dieu.»  Réponse.   Saint Augustin (dans son livre sur livre 2 sur les mérites des pécheurs et sur la rémission, chapitre 7), dit  que, dans cette vie, les justes sont partiellement  fils de Dieu en raison de la grâce justifiante,  et partiellement fils de ce siècle, en raison de la concupiscence charnelle qui nous a été laissée depuis le péché du premier homme;  qu’en tant que fils de Dieu, ils ne pèchent pas,  et  se perfectionnent de jour en jour,  mais que, en tant que fils de ce siècle, et en raison de l’infirmité, les taches ne sont pas encore complètement effacées.

Saint Bernard (dans son sermon sur la septuagésime) réfère ce texte à la prédestination, et il dit que les fils de Dieu ne pèchent pas au sens où ils ne demeurent pas dans le péché : «Tous ceux qui sont nés de Dieu ne pèchent pas, c’est-à-dire ne demeurent pas dans le péché, car ils conservent ce qui ne peut faillir, la génération céleste.»  Mais c’est  saint Augustin qui semble avoir le mieux expliqué  ce texte (dans son traité 5 sur l’épitre de saint Jean) ainsi que saint Jérôme  (livre 1, contre les pélagiens).  Ils enseignent  que les justes en tant qu’ils sont justes ne peuvent pas pécher de cette sorte de péché qui répugne à la justice ou la charité, qui est la justice la plus vraie, et la charité la plus parfaite.  C’est donc des péchés véniels qui peuvent cohabiter avec la charité, ceux dont parle  saint Jean : « Si nous disons que nous n’avons pas de péchés, etc.  Et au sujet des péchés mortels, il a dit : «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas.»

La quatrième objection vient de Luc 1 : « Ils étaient justes tous les deux, avançant dans tous les commandements du Seigneur sans récrimination.»  Après avoir dit qu’ils étaient justes tous les deux, il semble avoir  voulu expliquer ce que c’est qu’être juste.   Et c’est pour cela qu’il a ajouté : ils progressaient dans tous les commandements et préceptes du Seigneur, sans récrimination.  Cette explication semble enlever de tout homme  juste, non seulement  les péchés les plus graves, mais aussi les plus  légers.  Et Pélage confirmait cet argument par le commentaire de saint Ambroise  de ce texte, où saint Ambroise  s’en prend à ceux qui pensent que les hommes ne peuvent pas vivre sans pécher.

Je réponds  que saint Augustin (tant dans son livre sur la perfection de la justice que dans celui sur la grâce du Christ, hapitres 49 et 49)  réplique  qu’autre est vivre sans récrimination, et autre vivre sans péché.  Il vit sans querelle celui dont les hommes n’ont rien à se plaindre,  qui ne nuit à personne, et qui  est aimable envers tout le monde, qui ne scandalise personne, même si, devant Dieu, il ne manque pas de péchés, comme furent Zacharie et Élizabeth.  Au commentaire de saint Ambroise, saint Augustin répond au même endroit,  ou que saint  Ambroise a, par la suite, corrigé humblement sa sentence, ou qu’il  voulait dire seulement que l’homme peut vivre d’une certaine façon sans péché, mais pas totalement et absolument, de façon  à vivre parmi les hommes sans récrimination.   Car, le même Ambroise, dans son commentaire d’Isaïe (que saint Augustin cite là), écrit ouvertement  que, dans cette vie, personne ne peut vivre sans péché, ou être totalement immaculé.

Il est à noter, au sujet de ce texte, que quand nous déclarons qu’aucun juste ou saint ne peut, dans cette vie, vivre sans commettre certains péchés véniels, il faut toujours mettre à part notre Seigneur Jésus-Christ et sa sainte mère.  Car, la raison principale pour laquelle nous ne pouvons pas nous libérer complètement de tout péché véniel pendant cette vie, c’est la concupiscence de la chair  qui est l’aiguillon  du péché, comme disent les théologiens, laquelle nous avons contractée par la perte de la justice originelle.   Ayant été conçu de la vierge Maire, par l’opération du saint Esprit,  le Christ fut préservé  complètement de cette concupiscence.  Au sujet de la sainte Vierge, saint Thomas enseigne (dans 3, par, quest 27, art 3)  que, dans sa première sanctification, elle a été complètement libérée de cet aiguillon (ou, ce qui lui plait davantage) qu’elle fut remplie d’une si grande grâce que l’aiguillon de la concupiscence demeura lié en elle, et que, dans la conception de son Fils, il a été complètement enlevé.  Nous lisons du Christ : « Celui qui n’a pas commis de péché», saint Pierre 1, 2.)  Et au sujet de la Vierge : «Tu es toute belle, et il n’y a pas de tache en toi.» (Cantiques, 4, 2.)

Au sujet de la même, saint Cyprien (dans son sermon sur la nativité du Christ), ou quiconque en fut l’auteur, lequel était ancien et docte, écrit : « Marie est principalement différente des autres en ce qu’elle communie avec eux par la nature, mais non par la faute.»  Au sujet de la même, saint Ambroise dit (dans son dernier sermon sur le psaume 118 ) : « Reçois-moi non de Sara, mais de Marie, pour qu’elle soit une vierge sans corruption, mais vierge par la grâce,  intègre et sans tache d’aucun péché.»   Et saint Augustin (livre sur la nature et sur la grâce, chapitre 36) : « À l’exception de la Vierge Marie, avec laquelle,  à cause de l’honneur du au Seigneur, je ne veux rien avoir à faire, quand il est question de péché.»  Nous apprenons par là qu’il lui a été accordé plus de grâces qu’à tous pour triompher du péché   parce qu’elle devait mériter de concevoir et d’enfanter celui qui était sans péché.»  Et saint Anselme  (dans son livre sur la conception virginale chapitre 18 : «  Il convenait que la virginité de Marie soit fondée sur une pureté telle qu’on ne peut en concevoir de plus grande après Dieu.»  Et saint Bernard, dans son épitre 174 : « Je pense qu’une bénédiction de sanctification plus grande  descendit en elle non seulement pour sanctifier sa naissance, pour la garder exempte de tout péché pendant toute sa vie, ce qui, croit-on, n’a été donné à aucun de ceux qui sont nés des femmes.  Il convenait que, par un privilège singulier de sainteté, la reine des Vierges passe toute sa vie sans commettre aucun péché, celle qui devait enfanter le rédempteur du péché et de la mort, et obtiendrait pour tous le don de la vie et de la justice.»

Saint Thomas enseigne la même chose (dans 3 par, quest 27, art 4), saint Bonaventure, et les autres théologiens (dans 3 sent dist 3) et, surabondamment Richard de saint Victor, (dans son livre 2 sur l’Emmanuel).  Ensuite, le concile de Trente (session 6, canon 23) a conclu ainsi : « Si quelqu’un dit qu’un homme une fois justifié peut éviter tous les péchés, même véniels, à moins d’un privilège spécial de Dieu, comme le tient l’Église au sujet de la Bienheureuse Vierge Marie, qu’il soit anathème.»  Ne doivent pas nous troubler les témoignages de saint Jean Chrysostome, de saint Ambroise, de saint Augustin que cite contre nous Calvin, dans son antidote à ce canon du concile de Trente.  Car, le  texte de saint Ambroise qu’il cite, ne se trouve nulle part.  Celui de saint Augustin est général, et admet une exception, celle qu’il donne ailleurs, comme nous l’avons déjà montré.  Saint Jean Chrysostome semble  parler contre  ce qu’enseignent communément les pères.  Mais, même à ses paroles, on peut donner un sens acceptable; et il acceptera volontiers qu’on fasse passer avant lui le témoignage unanime des pères, et les prières de la liturgie grecque qui proclament ouvertement que la bienheureuse Vierge Marie est irrépréhensible, non contaminée,  plus sainte que les Chérubins et les Séraphins. En lire davantage dans le livre 1 sur sainte Vierge de notre Canisius (chapitre 10, et livre 4, chapitre ultime).

                                                         CHAPITRE 7

                        On réfute l’erreur de Jean Wiclef et de Jean Calvin

Nous avons démontré jusqu’ici qu’il y a une distinction à faire entre les péchés, que les uns sont mortels, et les autres véniels.  Nous allons réfuter maintenant ceux qui admettent cette distinction, mais la déforment par une interprétation perverse.  Se présentent d’abord Jean Wiclef et Jean Calvin, qui (comme nous l’avons dit plus haut), qui veulent qu’on appelle véniels tous les péchés des prédestinés, et mortels, tous les péchés des réprouvés.  Réfutent  puissamment cette sentence non seulement les théologiens catholiques, mais aussi les luthériens, à l’aide  d’exemples tirés des Écritures.    Car, Adam était prédestiné, et règne, maintenant, avec les esprits bienheureux.  Entre les hérétiques, ils nomment Tatien, qui niait qu’Adam était sauvé, d’après saint Irénée, (livre 1, chapitre 31), Tertullien ( livre 1 sur la prescription des hérésies), Épiphane (hérésie 46), et saint Augustin (livre sur les hérésies, chapitre 25).   Et cependant, que  ce même Adam ait péché mortellement , et ait perdu la grâce de Dieu, personne ne l’a jamais nié, puisque l’Apôtre dit : «Le péché est entré dans ce monde par un homme, et, par le péché, la mort.» (Romains 5, 1).  Et la menace si claire que Dieu a faite (le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort), ne porte pas seulement sur la mort du corps, mais aussi sur celle de l’âme , comme l’enseignent les anciens pères, saint Ambroise ( livre sur le paradis, chapitre 9), saint Augustin (livre 13, chapitre 12, dans la cité de Dieu),  et saint Grégoire (livre 5, épitre 14.)

Ajoutons qu’Adam n’est pas seulement tombé dans le péché mortel de désobéissance, mais qu’il a aussi perdu la foi , que Calvin estime qu’on ne peut pas perdre. Écoutons Tertullien (dans le second livre contre Narcion) : « Qui hésitera à donner le nom d’hérésie à ce péché d’Adam ?»  Et plus bas : « Adam fut en même temps un hérétique.»  Écoutons saint Ambroise (dans l’épitre 33 à sa sœur Marcelline) : « Adam, tu t’es rendu compte que tu étais nu, parce que tu avais perdu les bons vêtements de la foi.»  Et ( au livre 7 sur saint Luc, canon 17), il dit qu’Adam a été dépouillé des vêtements de la foi dès qu’il a péché.  Écoutons sain Augustin  (livre 4, canon 17, sur la cité de Dieu) :  « Ils connurent ce qu’ils auraient été plus heureux d’ignorer, si en croyant à Dieu et lui obéissant, ils n’avaient pas commis des péchés d’infidélité et de désobéissance.»  Et (au livre  1 contre Julien chapitre 2,) il prouve la même chose avec un texte de saint de saint Olympe,  évêque d’Espagne.  Écoutons saint Prospère, (dans sa réponse au troisième de Gennensius) : « En croyant au diable, Adam n’a pas cru à Dieu.»  Et plus bas : « La foi perdue en Adam, dans lequel de ses fils pourrait-on la trouver,  si elle n’était pas infusée par l’Esprit  qui opère tout en tous.»  Et plus bas : « Tous ont perdu ce qu’Adam a perdu.  Il a perdu d’abord la foi  que nous devons tous recevoir d’abord, puisque nous l’avons dès le début perdue.»

Donc, comme Adam, qui avait  été élu et prédestiné, a perdu, en péchant, la foi qu’il avait une fois reçue,  et méritait la mort éternelle, est facilement convaincu de faux  ce qu’enseigne Calvin, et Wiclef avant lui, à savoir que les péchés des prédestinés ne peuvent pas être mortels, surtout s’ils ont la foi.

L’autre exemple est celui du saint prophète David, que nul ne nie qu’il ait été prédestiné, et donc sauvé et saint, puisque le Seigneur dit dans l’Évangile de Luc 13 : «Quand vous verrez Abraham, Isaac, et Jacob dans le royaume des cieux».  Si tous les prophètes seront dans le royaume des cieux, David y sera certainement, lui qui est le prophète par excellence.  Il fut fidèle et juste avant qu’il tombe dans le péché d’adultère et d’homicide.  Cela aussi est certain.  Car, l’apôtre Paul dit dans Actes 13 : « Dieu a suscité David le roi, dont il rend témoignage en disant :  J’ai trouvé David, le fils de Jessé, homme selon mon cœur.»  Et ses psaumes indiquent clairement  qu’il fut plein de foi et d’Esprit Saint.  Il est pourtant tombé dans des péchés mortels et très graves, qui lui ont  fait éteindre l’Esprit Saint et perdre la grâce.  Car, c’est ce qu’enseigne manifestement David  dans le psaume 1,où il déplore  son adultère, et son homicide commis à cause de Bethsabée. Voici ce qu’il dit : «J’ai péché contre toi seul, et j’ai fait le mal en ta présence.»   Et : « Crée en moi un cœur pur, Dieu, et donne de nouveau  un esprit droit dans mes viscères.»  Il n’aurait pas eu raison de demander que Dieu recrée et redonne  un esprit droit s’il ne croyait pas avoir perdu, par le péché, la pureté du cœur et la droiture de l’esprit. 

Et ce qu’il ajoute après (et n’enlève pas de moi ton esprit) ne signifie pas que, quand il a péché,  l’Esprit  Saint était demeuré en lui, puisqu’il n’habite que dans les justes.  Mais cela signifie (au témoignage de saint Augustin), que l’Esprit Saint a commencé de nouveau à être présent en David quand il lui inspira la pénitence.  Et c’est pour cela que David, qui n’ignorait pas le don de Dieu,  a imploré Dieu pour qu’il n’enlève pas l’Esprit Saint  qui l’incitait à la pénitence par les larmes.   Que David attendait et demandait encore une réconciliation,  les paroles suivantes le montrent clairement : «Rends-moi la joie de ton salut !»  Et de nouveau :  «En entendant, tu me donneras de la joie et de l’allégresse, et mes os humiliés exulteront.»  Et :  «Dieu, tu ne méprises pas un cœur contrit et humilié.»

Se présentent ensuite les témoignages des pères.   Saint Ambroise (dans son livre sur l’apologie de David, au chapitre 16), dit, en expliquant  le verset : libère moi des sanguinaires : «Cela peut être référé à la mort d’Urie,  car conscient de la mort qu’il avait commandée,  il demande le pardon pour avoir commis un tel crime.»  Et plus bas : « Voulant se libérer de ces chaînes, il demande l’aide divine pour qu’il soit purifié de toute tache du crime perpétré.»  Et plus bas : « Il n’est pas surprenant qu’il s’afflige autant  pour le péché commis en répandant un sang innocent.  Il demande d’être libéré des sanguinaires, c’est-à-dire des péchés mortels.   Par ces paroles, saint Ambroise  enseigne qu’ont été mortels les péchés d’adultère et d’homicide de David, puisqu’il les appelle crimes, chaînes, et péchés mortels.

Saint Augustin (dans le traité sur le psaume LV1), fait parler David ainsi : « Aie pitié de moi selon ta grande miséricorde.  Subviens à la blessure grave, selon ta grande médecine.  Lourd est ce que j’ai, mais je me réfugie dans le Tout puissant.  Par moi-même, je désespèrerais d’une blessure si mortelle, si je ne trouvais pas un médecin.»  Tu vois, ici, que le péché de David a été grave, et est appelé mortel, et cela à un point tel  qu’il aurait pu porter au désespoir.   Saint Jérôme (dans son épitre à Oceanus, sur la mort de Fabiola), décrit la pénitence publique de David, celle qui, dans l’église, a coutume d’être faite pour les grands crimes.  Ce qui indique suffisamment ce qu’était la gravité du péché de David.   Saint Grégoire (livre 22, chapitre 13, Morales),  écrit que le pécheur est semblable à un Lazare mort qui, à la voix du Seigneur, est rappelé à la vie.  Et, amenant l’exemple de David, il dit : «  Le prophète David  sortit vivant, à la parole du Seigneur, de la masse d’un si grand crime, quand, admonesté par Nathan, il accusa ce qu’il avait fait.»  Ces paroles nous montrent clairement  qu’un David prédestiné, fidèle et juste était tombé dans un péché mortel,  et que, par la pénitence, il était retourné en grâce avec Dieu.  Fausse est donc la sentence de Wiclef et de Calvin.

Un autre exemple est celui de l’apôtre Pierre, que personne ne nie qu’il a été prédestiné,  qu’il est maintenant sauvé, saint et heureux, puisque saint Jean, à la fin de son évangile,  a rendu un si éloquent témoignage de sa bienheureuse mort.  Car, quand le Seigneur a dit à saint Pierre : « Quant tu seras vieux, un autre te ceindra,  et t’amènera là ou tu ne veux pas», l’évangéliste ajoute : « Il a dit cela pour indiquer la mort avec laquelle il glorifierait Dieu.»  Que Pierre ait été fidèle et juste avant qu’il renie trois fois le Seigneur, le Seigneur en témoigne en Matthieu 16, en l’appelant bienheureux, et en Jean 13 , en lui disant : « Celui qui est pur n’a besoin que de se laver les pieds. Et vous, vous êtes purs, mais pas tous.»  Il a commis un péché mortel très grave en reniant le Seigneur à la voix d’une servante.  Il ne l’a pas seulement renié,  mais il confirma son reniement par un serment.  Ses larmes et sa pénitence l’attestent.  Car, comme l’écrit saint Matthieu, (chapitre 26), il pleura amèrement.     Les autres pères attestent souvent la même chose.   Mais, pour ne pas nous faire mourir à prouver une chose aussi évidente, un texte de saint Augustin devrait suffire (traité 35, sur saint Jean).  Il n’enseigne pas seulement cela, mais il dit que, si on veut conserver la foi, il ne peut pas en être autrement. Voici ce qu’il dit, entre autres, de Pierre : « En craignant la mort de ta chair, tu as donné la mort à ton âme.  Car, autant confesser le Christ est la vie, autant le renier est la mort.»  Et, un peu plus bas : «Avant la mort et la résurrection du Seigneur, il est mort en niant, et est ressuscité en pleurant.» Et Calvin a quand même le font d’affirmer que les fidèles prédestinés ne pèchent pas mortellement.

On peut ajouter, à tout cela, une raison tirée des principes de nos adversaires.   Personne ne peut nier que les actions d’Adam, de David, et de saint Pierre n’étaient pas, par elles-mêmes, des péchés.  À moins que la prévarication d’un mandat céleste spécial, l’adultère, l’homicide, le reniement avec serment et le parjure ne semblent pas des péchés.  Que ces péchés aient été commis sciemment et volontairement , on ne peut le nier.   Je demande donc : dans l’âme d’Adam, de David et de saint Pierre, ces péchés ont-ils pu, oui ou non, cohabiter avec la foi justifiante ? S’ils n’ont pas pu, ils ont détruit la foi justifiante,  et ont donc été mortels, ce que nous soutenons.  Ils ne peuvent pas, eux non plus, nier cela, puisque, selon la doctrine commune des adversaires, sont mortels les péchés qui ne peuvent pas demeurer avec la foi. 

Si Calvin répond que ces péchés pouvaient cohabiter avec la foi, il s’ensuit que les hommes justifiés  une fois peuvent désobéir aux commandements de Dieu, commettre des adultères et des homicides, renier le Christ en y a joutant un serment et un parjure.  Car, si ces choses demeurent dans les hommes une fois justifiés avec la foi justifiante, et ne sont pas imputés par Dieu, et ne sont pas tant véniels et devant être remis  que remis par le fait même, et pardonnés, sans que personne n’encoure ni peine ni supplice, personne ne voit à quel point ce dogme est absurde et pernicieux.  Cette dispute  forcera Calvin à concéder ou que les hommes prédestinés peuvent pécher mortellement,  et que, après une fois avoir reçu la foi, les péchés des prédestinés ne sont pas tous véniels, ou qu’aux fidèles prédestinés, c’est-à-sire, les vrais fidèles, il est permis de commettre librement et impunément  des adultères, des homicides, des parjures, et d’autres crimes de ce genre.

Il semblerait que Calvin a fait le choix de la dernière hypothèse.   Car, bien que, dans l’antidote  au concile de Trente (session 6, canon 27), il ait écrit que là où règne la foi, il n’y a aucun péché, cependant, au canon 28, il ajoute que la semence de foi,  c’est-à-dire, la foi vraie et vive demeure avec les péchés les plus graves, mais comme assoupie : «  La semence, c’est-à-dire quelque chose de la foi demeure dans l’homme, bien que suffoquée, même parmi les fautes les plus graves.  Je ne le nie pas.  Et j’estime que, quoi qu’il en soit, il s’agit d’une particule de la vraie foi. J’ajoute même de la foi vive,  quand, il ne peut pas, autrement,  sortir d’elle de fruits.  Même si elle n’apparait jamais, ni ne se manifeste par des signes connus, et semble morte, selon notre estimation.»  Il veut que, dans l’homme chargé de lourds péchés, la foi demeure vraie et vivante, même si elle ne se manifeste en rien à l’extérieur.  Et il est certain que les adversaires se persuadent  que la foi justifie  et fait en sorte qu’aucun péché ne soit imputé. Il s’ensuit donc que Calvin pense que les péchés les plus graves ne sont pas imputés aux fidèles.

                                                             CHAPITRE 8

                                          On réfute l’erreur des luthériens

Comme nous l’avons montré, plus haut, avec Luther, Mélancton, Illyricus, Heshesius, et Kemnitius, les luthériens enseignent trois choses.  La première.    Les péchés véniels sont ceux qui ne sont pas imputés par Dieu, même si, d’eux-mêmes, ils sont dignes de peine et d’un supplice éternel.   La deuxième.  Ne sont pas imputés par Dieu les péchés qui sont dans l’homme avec la foi, c’est-à-dire, avec la confiance dans la miséricorde de Dieu.  La troisième.   Les seuls péchés qui cohabitent avec la foi sont les péchés involontaires.   Il s’ensuit de cela, en quatrième lieu, et que tous les péchés des infidèles sont mortels, et que, en conséquence, tous les péchés sont, de leur nature, mortels.  Nous traiterons séparément de ces quatre chapitres.  Réfutons d’abord les trois chapitres qui semblent propres aux luthériens.

Ce qu’ils affirment en premier lieu, c’est que les  péchés véniels sont ceux qui ne sont pas imputés.  Ce qui répugne à l’Écriture et aux pères.   Dans les passages où elle parle des péchés véniels, comme l’admettent aussi les luthériens, l’Écriture  enseigne manifestement  qu’il faut demander à Dieu la rémission des péchés.  Ils ne sont donc pas couverts et pardonnés, ou non imputés, (comme ils le disent), mais, ils sont imputés,  et ils lient, et rendent coupables  même s’ils sont facilement couverts et remis.  Les luthériens et nous, nous sommes d’accord pour dire que, dans Matthieu 6, il s’agit de péchés véniels: « Remettez-nous nos dettes.»  Parce que cette confession véritable et humble  est aussi celle des justes.   Nous voyons, là, que les justes  demandent la rémission des péchés véniels.  Ils n’ont donc pas été pardonnés avant,  ou  non imputés.  Il en va de même pour 1 Jean 1 : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché», on ajoute tout de suite après : « Si nous confessons nos péchés, le Dieu fidèle et juste remettra nos péchés, et nous purifiera de toute iniquité.»

Or, si les péchés des justes n’étaient pas imputés, parce que les justes sont agréés par Dieu, quel besoin y aurait-il d’une rémission des péchés ?  Et pourquoi faudrait-il qu’il y ait avant, une confession ?  Le passage suivant du psaume 31 n’est pas différent :  « Pour cela (la rémission de péchés), tout saint te priera en temps opportun.» Et le psaume XCXV111 : « Tu leur as été propice, et tu as tiré vengeance de toutes leurs incartades.»  Il est certain que si Dieu tirait vengeance des péchés de ses fidèles serviteurs, Moïse, Aaron, Samuel, il les leur imputait, et ne les couvrait pas, jusqu’à ce qu’ils aient été purgés.  Nous avons aussi ce verset de saint Jean 13 : « Celui qui est pur n’a besoin que d’un lavement de pieds.»  Les saints pères ont enseigné que ce passage se rapportait aux péchés véniels.  Car, celui qui est pur de l’impiété et des crimes mortels a encore besoin du lavement des pieds,  c’est-à-dire de la rémission des péchés véniels,  qui collent à nos pieds comme la poussière du chemin.

« La Vérité parle, la Vérité  dit, écrit saint Augustin (dans son traité 56 sur saint Jean) que même celui qui est pur a besoin de se laver les pieds.  Que pensez-vous de cela, mes frères ?   Dans le saint baptême, l’homme a été purifié au complet, y compris les pieds.  Mais quand il vit ensuite dans les choses humaines, il foule la terre.  Les affections humaines, sans lesquelles on ne peut vivre ici-bas, sont comme des pieds qui sont souillés par les choses humaines au point où si nous disions que nous sommes sans péché, nous nous illusionnons, et la vérité ne demeure pas en nous.  Il lave donc nos pieds celui qui interpelle pour nous, et nous avons besoins à tous les jours de nous laver les pieds, c’est-à-dire de diriger nos pas vers des routes spirituelles.  C’est ce que nous confessons dans l’oraison dominicale quand nous disons : « Remets nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs.»   Car, si nous confessons nos péchés, comme il est écrit, celui qui  lave les pieds de ses disciples, qui est fidèle et juste, nous remettra tous nos péchés, et nous purifiera de toute iniquité, c’est-à-dire jusqu’aux pieds, avec lesquels nous sommes en contact avec la terre.»

Il appert, de tous ces textes, que c’est avec une grande témérité et fausseté que Philippe  (que nous avons cité au chapitre 4), soutient que les péchés véniels sont des péchés pardonnés;  et que Illyricus et Calvin enseignent que ce sont des péchés  non imputés à ceux qui sont dans le Christ Jésus.   Ils disent, en second lieu,  que les péchés qui cohabitent avec la foi  ne sont pas imputés, et qu’à cause de cela, ils sont véniels.  Mais il est facile de montrer que cela est faux.  Car, s’il en était comme les adversaires le prétendent, il s’ensuivrait qu’il n’y a pas de péché mortel en dehors de l’infidélité, que les sacrilèges, les homicides, les adultères, les vols ne sont pas des péchés mortels, ce qui est contre l’enseignement  manifeste du Christ et des  apôtres, et même contre la sentence des luthériens.

Que du dogme des adversaires, il s’ensuive qu’il n’y a pas de péché mortel en dehors de l’infidélité, on le prouve ainsi.   Car, il n’y a aucun péché qui exclut nécessairement la foi, en dehors de celui qui lui est opposé, l’infidélité.  C’est ce que l’expérience elle-même atteste.   Car, si par foi, on entend  la croyance certaine et indubitable dans les choses  que, par la parole de Dieu écrite et transmise, l’Église enseigne devoir être crues, nous voyons, parmi les catholiques,  plusieurs pécheurs publics, homicides, fornicateurs, voleurs, ivrognes,  qui continuent à croire à tout ce que l’Église enseigne comme devant être cru.  Si par foi on entend ce que les luthériens se persuadent faussement d’être la foi, une confiance  toute spéciale dans la miséricorde de Dieu à cause du Christ, qui fait que chacun croit qu’à cause du Christ, Dieu lui est propice, nous voyons également plusieurs de ces hérétiques qui disent avoir la foi  quand ils mènent la vie la plus déréglée, et enseignent les erreurs les plus graves sur le Christ, l’Église, les sacrements, les péchés, la justification, et  sur d’autres choses qui appartiennent à la doctrine  de la foi.  Car, à cette foi spéciale des luthériens, ne répugne pas n’importe laquelle  incrédulité,  mais celle-là seulement par laquelle quelqu’un croit que Dieu lui est propice.

Si les luthériens nous répliquent qu’ils n’ont aucune erreur, et que leur foi spéciale ne peut pas exister dans ceux qui commettent des homicides, des adultères ou d’autres péchés, qu’ils regardent alors les erreurs des autres sectaires.   Les calvinistes sont certainement plongés  dans des erreurs grandes et nombreuses,  et ils n’ignorent pas et ne cessent pas de dire qu’ils sont des blasphémateurs et des sacrilèges, et qu’eux se persuadent d’être chéris de Dieu à cause du Christ,  et donc d’avoir une foi spéciale qui, selon eux, justifie seule.   On peut dire la même chose des anabaptistes, des trinitaires, et des autres, qui,  pour les luthériens, sont des hérétiques,  et qui, pourtant croient avec autant de certitude que Dieu leur est propice à cause du Christ.  Si cette foi peut être conçue par ceux qui se maintiennent avec pertinacité dans des erreurs contre la parole de Dieu, pourquoi ne pourra-t-elle pas aussi conçue par ceux qui se délectent dans les homicides, les adultères et les vols ?   Or, (dans lieux, distinction entre péché mortel et péché véniel), Philippe  soutient que celui qui a l’intention  de pécher n’accède pas à Dieu, mais le méprise et le fuit;  que c’est la foi qui accède à Dieu par le Christ pontife.  Il est donc impossible de concilier ces deux choses : l’intention de pécher et la foi.

Je réponds que si celui qui a l’intention de pécher considère Dieu comme un juste juge qui déteste et punit les péchés aussi longtemps qu’ils demeurent en nous, comme le font les catholiques, il fuit Dieu, il n’y a pas à en douter.  Mais, si comme les luthériens, il considère que Dieu est  miséricordieux et bonasse  au point où il ne veut pas punir les péchés qui demeurent en nous, mais les recouvre et ne nous les impute pas à cause de la justice et des mérites du Christ, je nie qu’il n’accède pas à Dieu.  Ca, celui qui a pu se persuader que ses péchés qui demeurent en lui ne sont pas imputés par Dieu, et qu’il est, malgré eux, cher et agréé, pourra croire avec la même facilité que , tant qu’il le croira, l’intention de péché n’est pas imputée par Dieu,  à cause des mérites du Christ.  

Certes, Calvin n’estimait pas impossible que le désir de pécher existe avec la foi, puisque, dans l’antidote au canon 22,(session 6, du concile de Trente),  il écrit que, même dans les plus grandes chutes, une foi vraie et vive demeure.   Luther n’a certes pas cru  non plus que ces deux ne pouvaient pas cohabiter, comme le croyait Philippe.  Car, dans son livre sur la captivité de Babylone (au chapitre sur le baptême), il écrit que, quel que soit le nombre de ses péchés,  l’homme ne peut pas être damné s’il demeure dans la foi, ou s’il y retourne.  Par cette disjonction «s’il y demeure ou s’il y retourne»,  il montre clairement  que la foi ne demeure pas avec les grands crimes.

Nous savons donc , de par la nature de la foi,  que tous les péchés peuvent cohabiter avec la foi, à l’exception de l’infidélité, ou du doute; et que tous les péchés,  hormis l’infidélité ou le doute, sont véniels,  si on peut dire que sont véniels tous ceux qui n’excluent pas la foi.   On le prouvera cela avec la doctrine des pères et la sagesse des siècles.  Car,  si tous les péchés étaient  graves ou mortels (comme nous le disons),  quand ils ne peuvent pas cohabiter avec la grâce, il s’ensuivrait que le chrétien ne peut pas tomber dans les péchés de fornication, d’adultère, de vol sans devenir au même moment hérétique.  Car, il perdrait la foi justifiante qui est la seule vraie foi. Ceux qui perdent la vraie foi sont dits hérétiques.  Or, cela répugne à toute l’antiquité, et au consentement de tous les peuples. 

Car, dans l’église, on sait toujours appliqué à faite la distinction entre les hérétiques et les mauvais catholiques, car les premiers font scission avec l’Église, et les autres  vivent dans la perdition à l’intérieur de l’Église.  Les premiers s’opposent  à la doctrine, les autres à la discipline.  Les premiers sont comparés à de la zizanie, à des loups rapaces, les autres à de la paille et à des brebis malades.  On n’a donc jamais entendu dire, dans l’Église,  qu’à cause d’un seul péché mortel, comme l’adultère ou l’homicide, quelqu’un perde la foi,  et devienne, ainsi, un infidèle et un hérétique.

Saint Augustin  (livre sur les question dans Matthieu, question 11) écrit : «Entre les hérétiques et les mauvais catholiques, il y a cette différence  que les hérétiques croient des choses fausses, que les autres croient ce qui est vrai, mais ne vivent pas comme ils croient.»  Et (dans le livre 4 sur le baptême contre les donatistes, chapitre 18) : « Mettons devant nous quelqu’un qui est chaste, continent, non avare, non idolâtre, hospitalier, ami de tous, consciencieux, patient, paisible, sans jalousie, sans envie, sobre, frugal, mais hérétique.  Il est clair que, par le seul fait qu’il est hérétique, il ne posséder pas le royaume de Dieu.  Plaçons devant nous un autre homme, adultère, immonde, luxurieux,  avare,  idolâtre,  vindicatif, jaloux,  séditieux, envieux, ivrogne,  mais catholique.  Possèdera-t-il le royaume des cieux par le seul fait qu’il est catholique, puisqu’il fait ce dont parle l’Apôtre  au sujet de ceux qui n’entreront pas dans le royaume des cieux ?  Si nous disons qu’ils y entreront, nous nous trompons nous-mêmes. » 

Il n’est pas nécessaire d’ajouter d’autres témoignages des pères, car la chose est si claire qu’on imagine difficilement que quelqu’un chercherait à la mettre en doute.      Il a donc été prouvé  qu’il suit de la doctrine des luthériens  que les adultères, les homicides et les vols  sont tous véniels quand ils n’excluent pas la foi qui les reçoit.  Or, il est facile de démontrer que ce dogme est contraire à la doctrine du Christ et des apôtres,  et même contre la sentence des luthériens.  Le Christ, en Matthieu 5 : « Celui qui dit à son frère : imbécile,  sera coupable de la géhenne du feu.  Ce qui nous fait comprendre qu’une parole chargée de mépris envers un frère est un péché mortel.  Et, en Matthieu 25 :  « Allez, maudits, au feu éternel.  J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger.» 

Saint Augustin en conclut  que ne pas communiquer ses biens aux indigents, et encore plus voler les biens étrangers,  sont des péchés mortels, même pour ceux qui n’ont jamais  perdu la foi : «  Il y aura donc une combustion éternelle,  et la Vérité dit qu’y iront non ceux ont qui manqué de foi, mais de bonnes œuvres.»  Comme saint Augustin l’a rappelé  un peu avant,  l’apôtre ( dans 1 Corinthiens 6, Éphésiens 1 et Galates 5) énumère toutes sortes de péchés, et ajoute : « Ceux qui font ces choses n’obtiendront pas le royaume de Dieu.»

Enfin, Philippe Mélanchton (comme nous l’avons cité plus haut) écrit que les péchés volontaires contre la loi de Dieu sont mortels : «  J’ai parlé du péché véniel.   Mais, quand ceux qui sont renés par le baptême violent la loi de Dieu sciemment et volontairement, comme quand ils embrassent de mauvaises opinions, ou les confirment par leur approbation, ou s’adonnent aux haines,  aux ambitions, à la luxure, à l’avarice, ou agissent contre la loi de Dieu comme David quand il a volé la femme d’Urie, et en a tué le mari, ces actions contre la conscience sont des péchés mortels.»  Comme l’adultère volontaire, l’homicide ou n’importe lequel autre péché volontaire  est mortel, selon Philippe, il s’ensuit manifestement qu’il peut cohabiter avec la foi.  Ou serait faux ce que Philippe enseigne avec les autres luthériens,  que tous les péchés qui coexistent avec la foi sont véniels; ou leurs sentences se combattront entre elles, ou l’une doit réfuter l’autre ou être ruinée par elle.

Le troisième chapitre contenait  seulement les  péchés qui sont pleinement involontaires,  et qui peuvent coexister avec la foi. Ce  qu’on vient de dire prouve manifestement que c’est faux.  Car, nous avons montré non seulement  qu’autant les péchés volontaires que les involontaires, même grès graves, peuvent coexister avec la foi, à l’exception du seul péché qui est la contraire à la foi, l’infidélité.  Pour ceux qui jugent sainement, les péchés involontaires non seulement ne sont pas véniels, mais ne sont rien du tout.  Et si nous en croyons saint Augustin, celui qui parle d’un péché involontaire déraisonne,  car le volontaire fait essentiellement partie de la nature du péché.  Dans son livre 2 sur la vraie religion (chapitre 14), saint Augustin  dit que «le péché est à ce point un mal volontaire  qu’un péché ne peut en aucune façon être tel s’il n’est pas volontaire».  Saint Augustin ne parle pas non plus d’un jugement civil, comme l’imagine Philippe, mais  divin.   Car, il parle du péché en général,  lequel comprend aussi les péchés des mauvais anges, qui ne relèvent en aucune façon des tribunaux civils.  Mais, nous traiterons à fond  de ce paradoxe luthérien dans notre dispute sur la concupiscence et le libre arbitre.

                                                         CHAPITRE 9

On montre par l’Écriture que les péchés véniels se distinguent des mortels de par  leur nature.

Le moment est venu de prouver la vraie sentence.  En la prouvant, non seulement les erreurs sus dites seront complètement éradiquées, mais seront réfutées les sentences des auteurs qui s’éloignent de l’enseignement de l’ensemble des maitres.  Il nous faut donc prouver que le péché véniel se distingue du  péché mortel  de par sa nature, et cela, sans aucune relation à la prédestination , ou à la miséricorde de Dieu, ou au statut des renés;  qu’il est de telle sorte qu’il mérite une peine, mais non la peine éternelle; qu’il offense Dieu, mais non au point de perdre son amitié.  On le prouvera d’abord  avec l’Écriture, ensuite avec des définitions ecclésiales, puis, par la doctrine des pères, et enfin, par la raison.

Voici ce que nous lisons dans Matthieu 5 : « Celui qui se fâchera contre son frère, sera coupable du jugement,  celui qui lui dira raca,  sera coupable du conseil, celui qui lui dira fatue, sera coupable de la géhenne du feu. »  Dans ce texte, le Seigneur ne s’intéresse pas à la prédestination, ni ne se demande ce que peut ou veut la divine miséricorde.  Mais, il juge les choses elles-mêmes,  et la mesure des péchés.  Il établit trois degrés dans la colère.  Un qui est si léger qu’il ne s’exprime dans aucun mot; un autre qui est plus grave, mais qui n’arrive pas à une condamnation évidente;  un troisième, qui est très grave et qui entraîne immédiatement une condamnation.  Même si la colère peut être  très forte et ne pas s’exprimer à l’extérieur,  ordinairement, plus la colère est forte plus elle éclate à l’extérieur.  Voilà pourquoi le Seigneur appelle  colère légère celle qui ne se manifeste pas à l’extérieur.  Au sujet de ce qui est dit dans le second degré, il faut d’abord dire qu’on ne sait pas avec certitude,  ce que veut dire le mot raca.  Saint Augustin (dans son livre 1 sur son sermon sur le sermon du Seigneur sur la montagne, chapitre 9)  et saint Grégoire (livre 21, chapitre 3, morales), écrivent que c’est l’exclamation d’un homme en colère qui ne signifie rien de bien précis, mais qui n’exprime qu’une intense émotion.  Cette interprétation est probable,  surtout parce que saint Augustin affirme l’avoir reçue des Hébreux.

Même si cette invective ne se trouve ni dans les Écritures, ni dans les dictionnaires hébraïques ou chaldéens qui nous sont parvenus, c’est un mot qui a pu être employé autrefois et être tombé en désuétude.  Et il n’est pas nécessaire que tous les mots soient dans les dictionnaires.  Et que ce mot n’ait été traduit ni en grec ni en latin est un bon argument pour prouver qu’il ne signifie rien.  Saint Jérôme, dans son commentaire sur ce passage, a mis en note que le mot raca signifie un homme vide.  Car, du verbe hébreux évacuer, on fait le nom  vide, et si on ajoute un accent à la manière syrienne, on a raca.  Le même auteur ajoute que ce mot signifie ici un écervelé.  Ce qui ne manque pas de faire difficulté.  Dans l’Écriture, en effet, on ne trouve aucun mot qui ait ce sens. Et dire à quelqu’un qu’il est écervelé ce n’est pas moins l’insulter que si on lui disait qu’il est fou.

Personne ne peut me retenir avant que je relève les inepties de Théodore de Bèze.  Dans une note à ce passage, il blâme la version hébraïque de cet évangile qui rend raca par (mot hébreu). Parce que (soutient-il) c’est plus insultant d’appeler quelqu’un (mot hébreu), c’est-à-dire mauvais que écervelé.  Et cependant, il estime que le Christ a dit, dans sa langue, mauvais, (mot hébreu) là où nous avons, nous, raca.   Mais il ne se rend pas compte qu’on insulte davantage quelqu’un  par le mot hébreu qui signifie impie que par celui qui signifie mauvais ou scélérat etc…  Il est donc probable que le mot raca signifie un homme vide de richesses ou de dignité ou vain et oisif.  Car, dans l’Écriture, on trouve ce mot dans ce sens, et il est moins blessant qu’insensé ou écervelé.  Mais, quoi qu’il en soit du véritable sens de ce mot, il nous suffit de comprendre qu’un péché moins grave est décrit par raca que par fatue.

À ces trois degrés de péchés, correspondent trois degrés de culpabilité, une qui relève du juge, l’autre d’un conseil, et la dernière de la géhenne du feu.  Est coupable de jugement, comme nous l’explique saint Augustin, quelqu’un qui fait une chose pour laquelle on peut lui intenter un procès.  Est coupable de conseil celui dont la faute est certaine, mais ambigüe, et la punition indéterminée, et pour laquelle les juges doivent  délibérer pour définir la peine.  Est coupable de la géhenne du feu celui dont est certaine et la faute, et la mesure de la peine, et la gravité de la peine.  Les commentaires de ce texte indiquent le feu de la géhenne signifie la mort éternelle dans les enfers.  Comme saint Hilaire, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, et Theophylactus.  Saint Jérôme ne dit rien sur ce passage, mais dans son commentaire du chapitre 10 : «Craignez celui qui peut perdre le corps et l’âme dans la géhenne.  Il écrit que le mot géhenne signifie toujours les peines éternelles.

Avec ce qui précède, on peut présenter l’argument suivant : une insulte manifeste, au témoignage du Juge suprême qui est le Christ, rend quelqu’un coupable de la géhenne du feu, et est donc, à cause de cela, un péché mortel.  La colère exprimée par le son de la voix, mais qui n’insulte pas vraiment quelqu’un,   et qui rend le colérique  coupable du conseil,  doit être jugée pour que soit déterminée  la gravité de la peine, grande ou petite.   Il existe donc des péchés qui sont trop légers pour mériter la peine de l’enfer.   Car, pourquoi le conseil s’efforcerait-il  de déterminer si telle faute mérite une peine légère ou grave, si toutes les fautes méritaient le feu de l’enfer ? Il existe donc  d’autres fautes qui, par le jugement divin, sont expiées par la seule peine temporelle.   De plus,  la colère qui ne s’exprimer par aucun signe à l’extérieur ne rend pas quelqu’un coupable devant un conseil, mais  seulement coupable de jugement. C’est-à-dire  qu’on ne sait pas d’avance si elle mérite d’être pénalisée ou de ne pas l’être.  Il va de soi que si elle mérite une punition, cette punition sera temporelle, non éternelle,  puisque la faute est moins grave que celle dont on doute si elle mérite un supplice temporel ou éternel.

La note de Bèze sur ce passage ne semble pas digne d’une réponse. Car, il écrit que sont inégaux les péchés décrits ici par le Seigneur, et qu’il est moins grave d’être coupable de jugement que de conseil, et moins grave d’être coupable de conseil que du feu de la géhenne.  Il ajoute, cependant,  que, même s’ils sont inégaux entre eux, tous les péchés méritent la mort, car la punition du péché est la mort, écrit l’apôtre (Romains 6).  Or, si par le mot mort l’apôtre veut dire la même chose que le Christ par le mot  géhenne, quand il l’oppose à la vie éternelle en disant : la punition du péché est la mort, la grâce de Dieu, la vie éternelle, il ne pourra pas se faire que tous les péchés  méritent la mort à moins qu’ils ne méritent tous la géhenne.

 Nous avons déjà démontré par la sentence du Christ,  que tous les péchés ne font pas des coupables de la géhenne du feu.  La punition de  tous les péchés n’est donc pas la mort,  mais seulement de ce péché qui s’oppose à la grâce et à l’amitié avec Dieu,  dont l’apôtre parlait.  Aux divers degrés de péchés qui sont décrits par le Seigneur ne correspondent pas divers degrés de supplice  dans la géhenne, comme Bèze le pense.  Car, s’il en était ainsi, le Seigneur n’aurait pas eu raison de ne dire que du troisième degré : il est digne du feu de la géhenne.

Nous trouvons deux autres témoignages.  Un de Matthieu 23, et un autre de Luc 6, dans lesquels le Seigneur compare certains péchés à des choses légères par leur nature, et d’autres, à des choses plus graves.   Matthieu 23 : «Guides aveugles, qui filtrez le moustique et engloutissez le chameau !»  Nous voyons ici qu’il compare certains péchés à des moustiques  et d’autres à des chameaux.  Car, le Seigneur reproche aux pharisiens de transgresser facilement les préceptes les plus graves de la loi et de se garder soigneusement des péchés les plus légers.  Il est évident qu’entre un maringouin et un chameau il y a une telle différence qu’il n’y ait entre eux aucune proportion. 

Et dans Luc 6 : « Pourquoi vois-tu une paille dans l’œil de ton frère, sans voir la poutre qui est dans ton œil» ?  Il est certain qu’entre une paille et une poutre  la différence est telle qu’on peut facilement porter une paille, mais qu’il est absolument impossible de porter une poutre; et que non seulement elle détruirait l’œil, mais qu’elle opprimerait tout le corps de l’homme, si on la plaçait sur ses épaules.  Si, de par leur nature, tous les péchés étaient dignes de mort éternelle, qui peut croire que certains ont été rapetissés à ce point par le Seigneur pour  pouvoir les comparer à de la paille ou à un maringouin, surtout quand il en compare d’autres à des chameaux ou à des poutres ?

Il y a un autre témoignage, celui de Luc 12 : « Je te le dis, tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas rendu le dernier centime.»  Par dernier centime, les pères entendent les péchés petits et légers, pour lesquels ont doit satisfaire dans la prison du purgatoire, à moins qu’ils aient été purgés et remis en cette vie.  Dans son livre sur l’âme ( au chapitre 17), Tertullien  explique que «les dernières piécettes sont les fautes légères qui doivent être purgées avant la résurrection.»  Origène (homélie 35 sur Luc),  explique que «rendent le dernier centuple ceux qui doivent être retenus en prison pendant un certain temps».  Saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 5 de saint Matthieu), écrit : « Voici ce qu’il veut dire : tu ne sortiras pas de la prison tant que tu n’auras pas purgé tes plus petits péchés.»  

Saint Cyprien  (livre 4, épitre 2), saint Ambroise  (dans son commentaire sur le chapitre 13 de saint Luc),  et Eusebius Emissenus (ou plutôt Césaire d’Arles),  dans son homélie 3 sur l’épiphanie,  disent tous que par le dernier centime, il faut entendre les péchés qui, après cette vie, sont expiés dans le purgatoire, lesquels sont, sans aucun doute possible, véniels.   Car, celui qui décède en état de péché mortel  reçoit immédiatement la mort éternelle, en punition de son péché.  Donc, comme  est minime la peine due au  plus petit péché, et comme, à cause d’elle, aucun tribunal ne pourrait condamner quelqu’un à mort, il s’ensuit donc , puisque le Seigneur compare les péchés véniels à une faible dette, que les péchés véniels ne méritent pas la vie éternelle par leur nature.

Saint Paul  (dans 1 Corinthiens 3) compare les péchés véniels à du bois , du foin et de la paille : « Si quelqu’un surédifie sur le fondement  de l’or, de l’airain, de  l’argent, des  pierres précieuses,  du bois, du foin,  de la paille, l’œuvre de chacun le manifestera.  Car le jour le déclarera, parce que cela sera révélé dans le feu.   Et le feu montrera ,en l’éprouvant , ce que vaut l’œuvre de chacun.  Si demeure l’œuvre qui a été surédifiée, il recevra une récompense.  Si son œuvre brûle, il en souffrira du dommage.  Il sera quand même sauvé lui-même, mais comme par le feu.»  Dans ce passage, (comme l’expliquent saint Ambroise, sermon 20 sur le psaume 118, saint Jérôme,  livre 1 contre Jovinien, saint Augustin, livre 21, chapitre 26, de la cité de Dieu,  saint Grégoire, livre 4, chapitre 39 des dialogues), l’apôtre signifie par or, argent et pierres précieuses,  les choses qui, après avoir été examinées par le jugement de Dieu, ne méritent que des récompenses.   Par bois, foin et paille, les œuvres inutiles et dignes de répréhension, mais vénielles,  qui causent un certain tort et qui exigent une purgation, mais qui n’excluent pas quelqu’un du salut.  Saut Paul n’aurait jamais comparé les péchés véniels avec du foin et de la paille s’ils n’étaient (comme le dit saint Grégoire au lieu cité) minimes et légers.   Les péchés mortels de leur nature ressembleraient plutôt à de l’airain ou du plomb (comme le dit le même saint Grégoire.)

S’ajoute à ces témoignages celui de l’apôtre Jacques  (chapitre 1 de son épitre).  Il fait une distinction entre la tentation et le péché, et entre le péché et le crime : «Chacun est tenté, attiré  et séduit par sa propre concupiscence.  Quand la concupiscence a conçu, elle enfante le péché. Quand le péché été consommé, il  enfante la mort.»   Saint Jacques ne divise pas le mouvement de la concupiscence entre volontaire et involontaire.  Il ne dit pas que tout mouvement volontaire est un péché mortel, et tout involontaire, un péché véniel, comme le veut  Philippe Mélanchton.  Mais, il distingue trois mouvements de concupiscence.  Un involontaire, par lequel on est incité au péché, sans aucun consentement, quand il dit : « Chacun est tenté  par sa propre concupiscence.»  Ce mouvement, l’apôtre ne dit pas qu’il est un péché, mais la cause du péché, si jamais on en arrive au consentement.  L’autre mouvement, il veut qu’il soit imparfaitement volontaire, et donc un péché, mais véniel.  Cela est évident parce qu’il l’appelle péché, mais le distingue du péché consommé, qui engendre la mort.  Ce qui nous fait comprendre que le deuxième mouvement n’est  ni un péché consommé, ni un péché qui engendre la mort, et qu’il n’est donc pas un péché mortel.  Il en ajoute un troisième, qui est parfaitement volontaire, et il déclare qu’il est un péché mortel en disant  qu’il «génère la mort.»

On ne doit pas imaginer qu’en ce passage, le péché consommé signifie seulement un péché perpétré, comme si des désirs illicites ne pouvaient être mortels que s’ils étaient complétés par une action.  Car, parmi les dix préceptes de la loi, on trouve deux commandements différents des autres : tu ne commettras pas d’adultère, et tu ne convoiteras pas l’épouse de ton prochain.  Le Seigneur n’a-t-il pas dit, dans l’évangile, en Matthieu 5 : «Celui  qui jettera sur une femme un regard de convoitise a déjà forniqué avec elle dans son cœur.»  On ne peut douter  que le péché consommé qui engendre la mort  est la concupiscence, à laquelle est donné un consentement parfait et consommé, même s’il n’est pas complété en acte.

Les luthériens ne pourront pas répondre  que le péché dont parle saint Jacques, quand il dit : quand la concupiscence conçoit, elle enfante le péché, est un péché véniel par la miséricorde de Dieu,  parce qu’il n’est pas imputé aux fidèles, mais n’est pas tel de par sa nature. Car, seuls sont dits imputés ceux qui sont tout à fait  involontaires.   Or, ce dont nous parlons présentement n’est pas complètement involontaire.  Car, autrement l’apôtre saint Jacques ne pourrait pas distinguer la concupiscence qui excite et enfante le péché, du péché qui est enfanté par cette concupiscence.  On ne peut donc pas imaginer, comme nous l’avons dit auparavant, comment la concupiscence enfante le péché  si ce n’est qu’en soutirant un consentement de la volonté.

Se présentent deux autres textes de L’Écriture, dans lesquels l’Écriture parle plus doucement  de certains péchés qu’elle a coutume de parler quand elle traite des péchés qui, du consentement de tous, sont des péchés mortels.  Matthieu 12 :  « Au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole oiseuse.»   Autre chose est de dire qu’une parole oiseuse n’est pas sans faute, et qu’elle sera donc jugée au jour du jugement universel,  autre chose est de dire : allez au feu éternel, pieds et mains liés.  Projetez-le dans les ténèbres extérieures.  Apprenez de moi, tous les artisans d’iniquité, et d’autres passages de ce genre  que l’on trouve dans l’Écriture. Éphésiens 5 : « Que ne soient nommées parmi vous ni la fornication, ni l’immondice, ni  l’avarice, comme il convient à des saints.  Ni non plus, les grossièretés,  les inepties, ou les facéties, mais plutôt l’action de grâces.   Ce n’est pas témérairement que, parmi les six genres de péchés dont on devait se garder,-- que les Gentils voyaient comme des péchés, la fornication, l’immondice, l’avarice,  la grossièreté dans les paroles, les inepties ou les facéties,-- c’est seulement au sujet des trois premières que l’apôtre ajoute que ceux qui les commettent ne participent  pas au royaume des cieux.   Car il voulait enseigner que les trois premières étaient étrangères à la bouche sanctifiée des fidèles, et que les autres n’étaient pas telles qu’elles excluaient du royaume des cieux.

Ce texte n’enseigne pas ce que les adversaires ont coutume de dire , à savoir qu’il y a certains péchés véniels qui n’excluent pas du royaume des cieux, mais qu’ils ne sont pas tels de par leur nature, mais par la miséricorde du Dieu qui ne les impute pas. Car, comme nous l’avons dit souvent, les seuls péchés véniels qu’ils reconnaissent et qu’ils disent ne pas être imputés, ce sont les péchés involontaires.   Or, les péchés dont le Christ et saint Paul parlent sont volontaires,  des paroles oiseuses,  etc.

                                                     CHAPITRE 10

       On montre la même chose avec la tradition de l’Église et des pères

Que certains péchés soient véniels de leur nature, ce n’est pas seulement l’Écriture qui le montre, le montrent aussi les témoignages de l’Église et des pères.   Le concile de Milet  (canons 6, 7 et 8) enseigne que les saints et les justes ont certains péchés qui, même s’ils ne répugnent pas à la justice et à la sainteté, sont pourtant de vrais péchés, et demandent une rémission.  Mais, comme les adversaires peuvent répondre que ces péchés des saints  sont véniels à cause de la miséricorde de Dieu, mais non de leur nature, nous présenterons le témoignage de saint Augustin, qui est l’auteur de ces canons, pour qu’il les explique dans ses propres mots.  Car, même si ces canons ont été édités au nom de tout le concile, saint Augustin fut celui qui les composa.  Voici ce qu’il dit dans son livre sur la nature et de la grâce (chapitres 35, 36, 37), il cite les mêmes textes de l’Écriture  (pardonnez-nous nos péchés etc.  si nous disons que nous sommes sans faute etc.) que ceux qu’il avait présentés dans les canons de concile de Milet.  Ensuite au chapitre 38, il explique de quels péchés parle l’Écriture :

« On ne nous rapporte pas si Abel, tout juste qu’il était, avait le fou rire,  s’il jouait avec passion, s’il regardait avidement ce qui était agréable à voir, était un peu gourmand, ou s’il avait des distractions quand il priait.»  Il montre assez par là  que les péchés véniels ne sont pas les mouvements involontaires de la concupiscence,  que les adversaires enseignent être des péchés mortels par leur nature,  et véniels par la miséricorde de Dieu;  mais des actions mauvaises et tout à fait volontaires, comme un rire immodéré, un excès de nourriture, un mot d’esprit déplacé. 

Si ces actions étaient des péchés mortels par leur nature, elles seraient certes imputées par Dieu, et damneraient l’homme, et n’auraient rien à voir avec la justice.  Car, d’après la sentence de nos adversaires, seuls les péchés  involontaires ne sont pas imputés, et concordent avec la justice.  Or, selon la doctrine de saint Augustin et du concile de Milet, ces péchés sont véniels et concordent avec la justice.  Ils ne sont donc pas mortels par leur nature,  mais véniels par leur genre, leur nature, absolument et parfaitement, et de toutes les manières.

On confirme cela ( pour les catholiques) avec le concile de Trente. À la session 14, chapitre 5, on nous enseigne que dans la confession sacramentelle, on doit révéler tous les péchés mortels qui, après un sérieux examen de conscience, se présentent à notre esprit; qu’il est utile de confesser les véniels, mais non nécessaire. D’où il suit que les péchés véniels peuvent être non seulement dans des justes, mais aussi dans des impies.  Autrement, les impies seraient obligés de confesser absolument tous les péchés, ce qui est contre la doctrine du concile, et le sentiment de l’Église universelle.  Or, les péchés véniels qui ne sont pas imputés à cause de la miséricorde de Dieu, ne sont pas dans les impies, mais seulement dans les justes et les saints, d’après la sentence de nos adversaires elle-même.  Donc, les péchés véniels que le concile admet être dans les impies, ne sont pas véniels à cause de la miséricorde de Dieu qui ne les leur impure pas, mais de par leur nature. On peut aussi ajouter la bulle de Pie 5 renouvelée par Grégoire X111, dans laquelle plusieurs erreurs ont été condamnées,  dont celle-ci : «aucun péché n’est véniel par sa nature.»

En plus de ces témoignages, ne font pas défaut ceux des pères de l’Église, tant grecs que latins.  Quand les saints pères parlent des péchés véniels, ils veulent dire qu’il s’agit de péchés qui sont tels par nature, légers, minimes et quotidiens.  Or, on ne peut pas dire que sont minimes et légers des péchés qui, de par leur nature, méritent la mort éternelle à moins qu’ils ne soient pardonnés par Dieu.

 Origène (dans son homélie 35 sur saint Luc) parle ainsi : « En raison de la qualité et la quantité des péchés, chacun a une peine différente à expier.  Si tu as peu péché, tu te seras causé un tort minime, comme l’écrit saint Luc, et saint Matthieu.  Cependant, il est nécessaire que tu rembourses ce qui fait de toi un débiteur.  Car, tu ne sortiras pas de là tant que tu n’auras pas rendu la dernière piécette.»  Origène parle ici des péchés véniels, non des péchés mortels. (à moins que quelqu’un ne dise que les péchés les plus petits sont les plus petits des péchés mortels), car, à la fin de l’homélie, il écrit que ceux qui doivent un centime ne sont retenus en prison (dans le purgatoire) que  peu de temps, tandis que ceux qui doivent une somme immense sont punis pendant toute l’éternité : « Si, dit-il, celui qui doit peu ne sort pas avant d’avoir rendu le dernier centime, ceux qui ont contracté une énorme  dette auront besoin d’un nombre infini de siècles pour la rembourser.»  Il appelle donc les péchés véniels des péchés minimes, et ce, parce que par leur qualité et leur quantité, ils sont tels.  Car, comme il le dit lui-même, les supplices sont décernés d’après la qualité et la quantité des péchés.

Les péchés minimes par la qualité et par la quantité sont donc minimes de par leur nature.  Tertullien (livre sur l’âme, chapitre 17), appelle modiques les délits qui reçoivent une punition temporaire, comme nous l’avons montré plus haut.  Saint Jean Chrysostome (homélie 24 sur saint  Mathieu), dit en expliquant ce verset du chapitre 7  ( pourquoi vois-tu une poutre dans l’œil de ton frère), que les péchés véniels qui s’opposent aux crimes, sont très légers, et commandent de petites peines.   Saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 5 de l’évangile de sain Matthieu) estime qu’on doit appeler véniels les petits péchés.  Et, en expliquant : celui qui regarde une femme avec convoitise,  il  dit qu’il y a une différence entre un désir avec consentement, et une titillation sans consentement.  Et il ajoute que la simple titillation sans consentement  a quelque chose de la culpabilité du vice, mais n’est pas considérée comme un crime.  Il enseigne clairement là que la titillation est un péché, mais léger, et ne peut pas être appelée crime à moins que n’intervienne le consentement.  En effet, dans cette titillation il n’y a qu’un péché de négligence, pour ne pas avoir été sur ses gardes, et ne pas avoir rejeté assez tôt ce qui devait être rejeté immédiatement.

Il écrit la même chose contre Jovinien qui enseignait que tous les péchés étaient égaux : « Ceux que tu élèves de la terre jusqu’au ciel ne te rendront pas autant de grâces que ne t’en voudront ceux que, pour un péché léger et quotidien, tu enfonces dans les ténèbres extérieures.»  Saint Jérôme enseigne clairement ici  que les péchés légers et quotidiens comme des paroles oiseuses, ne méritent pas, de leur nature, la peine de la géhenne.   Car si ces péchés avaient mérité une telle peine, aucune injustice ne serait commise envers l’homme, si pour des motifs de cette nature il était jeté dans les  ténèbres extérieures,  et il n’aurait  aucune raison  de se plaindre ou de se fâcher.  On ne devrait pas alors appeler légers des péchés qui peuvent projeter quelqu’un dans les ténèbres extérieures.    Saint Augustin (dans son livre sur la nature et la grâce, chapitre 38), écrit : « Parce que souvent le péché survient quand on est distrait, ou quand on n’en y prend pas garde.  Ils furent justes, mais ne furent pas sans péché.» 

Dans ce texte, nous voyons que les péchés véniels qui n’enlèvent pas la justice,  sont tels ou parce qu’ils consistent dans une chose de peu d’importance, ou parce qu’ils surprennent ceux qui ne sont pas sur leurs gardes.  La raison pour laquelle un péché est véniel n’est donc pas parce qu’il n’est pas imputé quoiqu’il puisse l’être, (comme l’enseignent les adversaires), mais parce qu’il consiste dans une chose légère, comme dans une parole oiseuse,  un rire moqueur, un mot d’esprit déplacé, ou parce qu’il arrive chez ceux qui ne sont pas attentifs, comme une distraction pendant la prière. C’est ce qu’enseigne saint Augustin avec tous les catholiques.

Le même auteur (dans l’esprit et la lettre, chapitre 36) écrit : « Après ces explications, pèchera un homme qui vit de la foi quand il consentira à une petite délectation illicite, non à des crimes ou des forfaits.  Cela ne s’applique qu’à des choses légères, comme prêter l’oreille à des choses qu’one ne doit pas entendre,  ou dire quelque chose qu’on ne doit pas dire».  Et dans l’enchiridion, chapitre 71 , il écrit : « La prière quotidienne des fidèles satisfait pour les péchés minimes et légers, sans lesquels cette vie ne peut pas être menée.  Car, c’est à ceux qui ont été régénérés par un tel Père dans l’eau et l’Esprit Saint, qu’il est donné de dire : notre père qui es aux cieux.  Cette prière efface complètement les péchés minimes quotidiens.»  Et (dans son sermon 41 sur les saints) :«Comme le dit l’apôtre, il sera sauvé de ce feu transitoire, mais cependant, comme à travers du feu, qui purge les péchés légers, non les mortels.»  Et plus bas : «Nous ne croyons pas qu’il soit permis à ces péchés de tuer l’âme, même s’ils la rendent  couverte de pustules et de gales, et horrible à voir, mais qu’ils permettent à l’âme de venir, avec une grande confusion, à l’embrassement de l’époux céleste.»

Nous déduisons de ces textes  que saint Augustin a compris que les péchés véniels sont tels par nature.  Et parce qu’il les appelle petits, légers, très légers, minimes,  quotidiens; et parce qu’il les compare à des pustules ou à des gales, qui non seulement ne tuent pas, mais ne sont même pas des maladies mortelles.   Et parce que il n’appelle pas seulement péchés véniels les mouvements subits de la concupiscence,  que seuls les adversaires considèrent comme véniels, et non  imputés par Dieu, mais aussi des péchés tout à fait volontaires,  qui, de leur nature, sont des fautes légères, auxquels il ajoute même les mensonges joyeux, dans Enchiridion, chapitre 32 : « On ne pourra donc jamais louer le mensonge parce qu’on ment parfois pour le salut de quelqu’un.  C’est donc un péché, mais véniel,  que la bienveillance excuse. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                  LE DEUXIÈME LIVRE

                                     DES CONTROVERSES SUR LA PERTE DE LA GRÂCE

                                                                   L’ÉTAT DE PÉCHÉ

                      Qui est la cause du péché du premier homme, et du péché en général

Nous  avons, dans le premier livre, disserté sur  la définition et sur  la division du péché.  Nous allons discuter maintenant du péché du premier homme, par le démérite duquel le genre humain s’est coupé de la divine grâce.  D’abord, de la cause de ce péché, et ensuite, du péché lui-même.  La controverse porte sur la cause de ce péché et du péché en général.   La cause propre et principale du péché doit-on aller la chercher dans l’homme ou en Dieu ?  L’explication montrera que Dieu n’est pas la cause du péché.  On y ajoutera trois autres questions plus brèves sur la tentation, qui a été une cause externe, et la  cause la moins importante de ce péché.  La première question : pourquoi Dieu a-t-il permis que l’homme soit tenté, alors qu’il savait pertinemment qu’il serait vaincu par cette tentation. La deuxième.  Qui était ce serpent qui a tenté l’homme dans le paradis terrestre ?  La troisième. Que fut cette tentation ?

                                                      CHAPITRE 1

                 Les erreurs qui portent sur la cause première du péché

Autant parmi les anciens que parmi les modernes, il y en a plusieurs  qui, en un blasphème éhonté, ont placé la cause première du péché en Dieu lui-même.  Le prince de cette erreur est  celui qu’on considère avoir été le tout premier hérétique.  C’est ainsi que Vincent de Lérins, dans son commonitoire contre les nouveautés, parle de Simon le magicien : «Qui, avant Simon  le magicien…a osé dire que Dieu le Créateur  est l’auteur des maux, c’est-à-dire, des crimes, des impiétés, des meurtres et des adultères ?»  Ensuite, les Cerdonistes, les Marcionistes, les Manichéens, les Priscillianistes, et les Albigeois qui, ouvrant des écoles d’impiété en divers pays et en divers siècles, et introduisant deux premiers principes, à la façon de deux dieux, un bon et un mauvais, ont voulu que la cause première du péché soit Dieu.  Au sujet des Cerdonistes, voir Tertullien (dans son livre sur la prescription des hérétiques). Pour les Marcionistes, voir saint Irénée (livre 1, chapitre 29, contre les hérésies).  Pour les Manichéens, voir saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 40).  Pour les Priscillianistes, voir saint Léon (épitre à Turbius, 93, chapitre 6).  Pour les Albigeois, voir saint Antonin (dans sa somme théologique, paar 4, titre 11, chapitre 7, verset 5).

Mais même si  tous ces hérétiques soutenaient que la cause première du péché était Dieu, ils atténuaient, cependant, leurs sentences.   Car, Simon le magicien n’enseignait pas ouvertement que Dieu voulait, commandait ou créait les maux, mais qu’il  était la cause de nos maux,  en ce qu’il nous avait donné une nature qui ne pouvait pas ne pas pécher. Cerdon, Marcion, Manès et les autres qui enseignaient qu’il y avait deux principes des choses, attribuaient la première cause du péché au principe premier et sempiternel, au démon et non à Dieu, ou au Dieu mauvais et non au Dieu bon.   Le premier à avoir fait Dieu, le Dieu bon, l’auteur du péché a été Florin qui, de disciple de Montan qu’il était, mérita, par ce nouveau dogme, de devenir un hérésiarque.  De ce Florin saint Irénée a écrit (comme le rapporte Césaire, livre 5, chapitre 20 de son histoire) qu’«il a été plus qu’un hérétique, puisqu’il a osé affirmer ouvertement ce qu’un aucun hérétique n’avait, avant lui,  osé enseigner.»  Saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 59), que ce fut l’hérésie des Séleuciens d’affirmer que «le mal venait tantôt de Dieu, tantôt de la matière.»   Mais, il ne précise pas si les Séleuciens parlaient du mal naturel ou du mal moral ,qui est proprement dit péché.

Ce Florin que saint Irénée voit comme plus qu’un hérétique, a été suivi dans notre siècle par plusieurs.   Les principaux sont ceux qu’on appelle Libertins, dont nous connaissons la secte par Calvin (qui est le seul auteur connu à en parler). C’est donc de lui que nous sommes forcés de tirer ce que nous racontons dans ce travail.  Jean Calvin a écrit deux livres contre les libertins, dont l’un est intitulé : instruction contre les libertins.  L’autre est une épitre aux Rotomagenses contre un franciscain,  partisan de l’erreur des libertins. Les auteurs de ce dogme furent Coppinus et Quintinus,  des cordonniers des Flandres.  Le premer, Quintinus, après avoir abjuré ses erreurs, a été mis à mort par le magistrat catholique Tornacius, à cause de plusieurs crimes et de sa nouvelle et pernicieuse hérésie.

Voici quelle était leur première erreur.  Il n’existe qu’un seul Esprit immortel, Dieu.  Les anges, les démons et les âmes ne sont rien d’autre qu’une opinion.  Ils en déduisaient un grand nombre de dogmes absurdes.  Le premier de ces dogmes était que tout ce que les hommes semblent faire en bien ou en mal, n’est fait par les hommes, mais  par cet unique esprit de Dieu qui opère tout en tous. Le deuxième dogme.  Le péché n’est rien d’autre qu’une opinion vaine et fausse, puisque c’est Dieu qui fait tout, lui qui ne peut pas faire de mal.  Le troisième dogme.  On ne peut pas condamner ceux qui tuent, qui forniquent, qui volent, car ce serait condamner Dieu.  La quatrième.  La régénération est la déposition de la conscience, le rejet des scrupules, l’ignorance de la différence entre le bien et le mal.  Car, dans l’état d’innocence, Adam ignorait la distinction entre le bien et le mal, et c’est à cet état qu’on dit que retournent les libertins  qui agissent sans aucun scrupule, et qui disent que c’est cela la liberté chrétienne et la mortification du vieil Adam.  Voilà pourquoi ils ont coutume de dire à ceux qui ont peur des mauvaises actions, o Adam, tu vois encore quelque chose, tu retiens encore quelque chose du goût de cette pomme».

Le cinquième.  La pénitence n’est rien d’autre que ne rien reconnaitre, et professer n’avoir commis aucun mal.  Et c’est pour cela qu’ils disent que le péché de Pierre a été remis : parce qu’il croyait qu’il n’avait pas péché quand il renia le Christ.  Le péché de Juda n’a pas été remis parce qu’il croyait avoir péché, et n’a pas pu empêcher sa conscience de le savoir par ces mots : j’ai péché en livrant le sang du juste.   Le sixième.  L’homme peut, en cette vie, parvenir à la perfection  et à l’innocence suprême, car, s’il rejette tous les scrupules, il sera sans péché.  Le septième.  Le Christ n’est rien d’autre qu’un composé de l’Esprit de Dieu et de l’opinion.  Le Christ est mort quand il a aboli l’opinion que le péché est quelque chose.  Il  est vraiment revenu des enfers et nous appelés à la vie quand il a enseigné qu’il n’est pas lui-même l’Esprit de Dieu qui vit et qui règne toujours;  et qu’il ne faut pas attendre d’autre résurrection. Le huitième.  Il est licite de simuler, et de tout dissimuler, de vivre en catholique avec les catholiques, et à la Luther avec les luthériens.  Le neuvième.  On n’a pas à faire grand cas des Écritures divines, puisque l’Esprit suffit.  En conséquence, ces libertins ne méprisaient pas seulement les Écritures, mais aussi les écrivains sacrés, nommant saint Jean l’abruti, saint Matthieu l’usurier,   saint Paul le vase brisé,  et saint Pierre le renégat du Christ.

Bien que Calvin dise haïr ces blasphèmes horribles, et qu’il s’efforce de les réfuter dans les deux livres qu’il a édités, il n’en demeure pas moins probable que les libertins viennent des calvinistes, comme les anabaptistes viennent des luthériens.  Car, dans les livres de Calvin, de son maître Zwingli et de son disciple Bèze, ainsi que de Martin Bucer et de Pierre le martyr, qui conviennent avec Calvin en beaucoup de choses, on trouve ouvertement des sentences d’où on déduit que Dieu est l’auteur de tous les crimes, qui sont perpétrés par les hommes.   Luther et Mélanchton ont enseigné autrefois la même chose, comme il appert de l’assertion de l’article 36, où Luther écrit que «personne n’a en son pouvoir de penser le bien ou le mal.»  Et encore plus clairement du commentaire de Mélanchton sur Romains 8,  où nous lisons que «l’adultère de David et la trahison de Judas sont autant l’œuvre de Dieu que la vocation de saint Paul.»

Cependant, chacun des deux a rétracté sa sentence. Car, dans son livre sur sa visite de la Saxe, Luther admet et enseigne le libre arbitre dans les choses civiles, autant pour le bien que pour le mal.  Et Mélanchton (dans les lieux communs de l’année 1556, sur la cause du péché) réfute avec beaucoup de soin la sentence qui renvoie à Dieu les mauvaises actions.  Plusieurs luhériens, comme Heshusius, ont réfuté la sentence de Calvin sur la cause du péché.  Ce qu’est vraiment la position de Calvin, nous le montrerons au troisième chapitre.

                                                          CHAPITRE 2

                                         On explique l’état de la question

Parce que la principale controverse est disputée avec Zwingli, Calvin  et ceux qui partagent cette erreur, je considère qu’il vaut la peine d’expliquer d’abord brièvement l’état de la question.  Car, si la dispute porte sur : Dieu est-il  ou peut-il être l’auteur du mal, ou est-il la cause pour laquelle nous péchons, il n’y aura pas de débat.    Car, non seulement les catholiques mais aussi les calvinistes et les luthériens nient cela.   Dans son épitre à Rotomagenses contre un franciscain libertin, Calvin dit ceci : « Il proteste que sa véritable pensée est bien loin de tout cela,  et qu’il ne veut pas faire de Dieu l’auteur du mal.  Mais quel profit peut-il tirer d’un tel subterfuge dans une chose aussi évidente ?»   Donc, même si les libertins renvoyaient à Dieu les adultères, les homicides et les vols, ainsi que les autre crimes, ils ne faisaient pas pour autant Die l’auteur des maux, car ils ne jugeaient pas être mauvais ce que Dieu faisait, puisqu’il ne peut pas faire de mal.

Zwingli (dans son sermon sur la providence, chapitres 5 et 6), ne dit pas seulement  une fois mais plusieurs fois, que Dieu ne peut ni être injuste ni en aucune façon pécher.  Jean Calvin, affirme en plusieurs endroits,  que Dieu n’est pas l’auteur des maux.  Dans la préface de son livre sur la prédestination éternelle de Dieu,  il écrit : « Pour les hommes pieux, cela doit être défini et confessé une fois pour toutes qu’il n’y a aucune raison pour laquelle les hommes associeraient Dieu à leurs péchés, ou qu’ils lui attribueraient d’une façon quelconque, une part de la faute.»  Et  à la fin du même livre : « Donc, dit-il,  comme c’est pour une cause juste , à nous ignorée,  que procèdent de Dieu les maux et les crimes perpétrés par les hommes, et même si sa volonté est la cause de toutes choses, je nie, cependant, qu’il soit la cause des maux.»  Et un peu après : « Ils nous calomnient honteusement et lourdement ceux qui montrent que Dieu est l’auteur de tous les péchés ,parce que nous enseignons que sa volonté est cause de tout ce qui se fait.»  Et (dans son livre 1, 17, 3) : « Ceux qui conserveront une prudente retenue, ne gronderont pas de colère contre Dieu à cause des adversités, et ne le rendront pas coupable des crimes.»

Et, au même endroit, il blâme Lyconide qui disait, d’après Plaute : « Un dieu en fut l’incitateur.  Je crois que les dieux l’ont voulu.»  Ensuite, le même Calvin (dans son admonition contre les libertins) s’efforce,  par un long développement,  de prouver que Dieu n’est pas la cause du péché.»  Pierre le martyr (dans son commentaire de Romains 1), écrit que Dieu pousse vraiment et proprement les hommes à pécher, tout en niant que Dieu pèche ou soit l’auteur du péché.»  Ensuite, Théodore de Bèze, autant dans sa réponse à Heshusius que dans ses autres écrits à Castalion, se purge diligemment lui et Calvin de l’accusation d’avoir fait de Dieu l’auteur du mal.  Et en réponse à Castallion, il explique toute sa sentence par trente-huit aphorismes, et par des préceptes de son Calvin.  Voici le huitième aphorisme : « Il ne s’ensuit de ces choses aucun des blasphèmes suivants, à savoir que Dieu serait l’auteur du péché, qu’il se délecte dans l’iniquité, et qu’il voudrait l’iniquité; ou qu’en agissant mal, satan et les hommes obéissent à Dieu, ou que quand ils font le mal, ils font ce que Dieu veut, et qu’ils sont donc en dehors de toute faute.  Loin de nos langues et de toutes nos pensées tous les blasphèmes de cette sorte !»

Si les adversaires confessaient par la parole ce que les catholiques enseignent, c’est en vain que nous nous fatiguerions à présenter des textes de l’Écriture et des pères qui prouvent que Dieu n’est pas la cause du péché.  Nous devons donc d’abord montrer quelles sont leurs véritables pensées qu’ils n’osent pas avouer par la parole.    Et pour ce, il nous faudra faire trois choses.  La première. Expliquer ce qu’ils enseignent sur la cause du péché de la part de Dieu.  La deuxième.  S’ensuit-il de ce qu’ils enseignent que Dieu est l’auteur du péché ?  La troisième. Est-ce vraiment leur sentence, et Dieu est-il pour eux l’auteur du péché ?

                                                       CHAPITRE 3

On présente la sentence de Calvin, de Zwingli et de Bèze avec leurs propres paroles

La sentence de Calvin, de Zwingli et de Bèze sur la cause du péché de la part de Dieu peut être exprimée en cinq propositions.  La première.   Dieu non seulement permet mais veut que soient faits tous les péché que commettent les hommes.  La seconde. Dieu non seulement veut, mais il a aussi décrété, de toute éternité, que soient faits tous les péchés que font les hommes, et cela, sans avoir prévu le libre choix de la volonté humaine.   En effet, Dieu ne décrète pas une chose parce qu’il prévoit qu’elle existera dans le futur, mais parce qu’il a décrété  qu’elle soit.   La troisième. Dieu non seulement a décrété de toute éternité  que soient faits les péchés que commettent les hommes, mais il a même commandé à Satan et aux impies de concevoir des maléfices, d’incliner les hommes vers eux, et de les induire au péché.  La quatrième.    Dieu ne fait pas seulement commander  à satan, l’inciter et le pousser à induire les hommes au péché, mais il agit lui aussi dans les esprits des hommes impies, et par eux, et par ses instruments, il fait, en tant que cause première, toutes les choses qui sont propres aux hommes, et qui sont de vrais péchés.

La cinquième.  Bien que, par rapport aux humains, les choses qu’on appelle et qui sont péchés, se font Dieu le voulant, le déterminant, le commandant, et l’effectuant,  cependant, par rapport à  Dieu, on ne peut pas les appeler des péchés, mais des œuvres bonnes et justes, car c’est dans une mauvaise intention que les hommes les font, et dans une bonne que Dieu les fait.  En conséquence,  Dieu ne pèche pas, et n’est ni l’auteur ni la cause du péché.  Que ce soit cela la pensée de Calvin, de Zwingli et de Bèze, nous le montrerons facilement par leurs écrits.

La première proposition.  Dans son sermon sur la sainte providence, qu’il a écrit pour le prince Philippe, en l’an 1530, nous lisons ces blasphèmes inhumains et tout à fait tartares.   Voici ce qu’il dit au livre 5 :  « Comme Dieu ne pouvait, pour aucune raison, nous montrer  qu’il y avait  de l’injustice en lui, puisqu’il est par nature la vérité, le bien et la sainteté, c’est par la créature qu’il a produit un exemple d’injustice, non comme si la créature l’avait produit de son cru,  elle qui n’existe, ne vit,  et n’agit pas sans Dieu. Parce que Dieu lui-même est l’auteur de ce qui pour nous est l’injustice, mais  qui ne l’est nullement pour lui.»   Et plus bas :  « Quand il rend l’ange et l’homme transgresseurs,  il ne devient pas pour autant un transgresseur.»

 Et, chapitre 6 : « Ce que Dieu opère par l’homme, est pout l’homme un vice, mais non pour Dieu.   Et plus bas : « Tout crime, comme l’adultère, l’homicide, en tant qu’il a besoin de Dieu comme auteur, moteur, instigateur,  n’est pas un crime. En tant qu’il se rapporte à l’homme, il est un péché mortel et un crime.» Et plus bas : « Quand il pousse à faire quelque chose qui est une fraude pour l’instrument qui l’accomplit,  Dieu, lui,   ne commet pas de fraude.  Car, il se meut librement,  et il ne commet pas d’injustice envers l’instrument,  car toutes choses sont siennes,   et bien plus que ne le sont les instruments d’un artisan, auxquels il ne fait pas d’injure s’il change une lime en massue, et une massue en lime, et donc s’il incite un voleur à tuer un innocent, même s’il n’est pas préparé pour la mort.»

Écoutons maintenant Calvin ( 1, chapitre 17, verset 11) : « Ils  (les catholiques ?) se rappellent là le démon et toute la cohorte des réprouvés qui sont , de toutes parts, retenus par la main de Dieu, comme par un frein, de façon à ce qu’ils ne puissent lancer aucun maléfice  sur nous, ni perpétrer aucun mal, ni même lever le petit doigt que dans le mesure où il le leur permet.  Il ne les tient pas seulement les pieds liés, mais les force par la contrainte à rendre des hommages.  Car, comme cela convient à un Seigneur, il arme leur fureur, les tourne et les dirige où il  le veut bien.  C’est lui qui détermine la manière et le but, pour qu’ils ne se réjouissent pas licencieusement de faire ce qui leur plait.»  Ces mots nous indiquent la troisième proposition, car Calvin dit que Dieu non seulement permet, mais commandent à Satan de concevoir des maléfices, qu’il les pousse contre les justes,  qu’il arme leur fureur, leur fait accomplir ce qu’il veut, qu’il force satan  et les impies à lui rendre des hommages, c’est-à-dire à concevoir et  à exécuter des maléfices sur l’ordre de Dieu.

De nouveau, (le même livre, chapitre 18, verset 1) : « Il semble absurde  que par la volonté et le commandement de Dieu l’homme soit aveuglé, lui qui recevra bientôt des peines pour sa cécité.  Tergiversant, ils  (les catholiques)  s’imaginent que c’est par la permission de Dieu que tout cela se fait, non par sa volonté, alors que Dieu lui-même déclare ouvertement que c’est lui qui le fait.  Que les hommes ne fassent rien que par une motion mystérieuse de Dieu, et ne décident après réflexion que ce qu’il a déjà  décrété, on le prouve par des témoignages biblique nombreux et clairs.»   Et (au verset 2) : « Et s’il n’agissait pas intérieurement dans les esprits des hommes, on n’aurait pas de raison de dire qu’il a enlevé la parole aux véridiques, et la prudence aux sages.»

 Et un peu après : « On ne peut désirer rien de plus clair que partout où il déclare qu’il aveugle les esprits des hommes, qu’il les frappe de vertige, qu’il les enivre d’un esprit de torpeur,  qu’il cause la démence, et qu’il endurcit les cœurs.  Plusieurs veulent n’y voir qu’une permission, comme si, en abandonnant les réprouvés, il permettait à Satan de les aveugler.  Mais comme le Saint Esprit enseigne éloquemment que c’est par un juste jugement de Dieu que la cécité est infligée, ainsi que la démence, cette réponse est boiteuse.»

Et, un peu après, au sujet des crimes des Assyriens : « Il apparait qu’ils ont été expulsés à cause d’une décision certaine de Dieu.»   Et plus bas : «C’est par une juste impulsion de Dieu que l’homme fait  ce qui ne lui est pas permis.»  Et nous avons ici les quatre premières propositions.  Nous avons entendu que ce n’est pas seulement par la permission ou l’abandon de Dieu  que les hommes pensent, décident de faire et font ce qui n’est pas permis, mais que c’est Dieu qui le fait par sa volonté, son décret, sa motion, son précepte et son opération interne.   Le même Calvin (livre 2, chapitre 4, verset 2) écrit :

« Satan pousse  les esprits dépravés des Chaldéens, par ses flèches empoisonnées, à perpétrer ce crime. Eux se ruent furieusement vers l’injustice, souillent et contaminent tous leurs membres par le crime.  On dit donc que c’est satan qui agit proprement sur les réprouvés sur lesquels il exerce son règne d’iniquité.  On dit aussi que Dieu agit à sa manière propre  quand  il se sert de Satan, qui est l’instrument de sa colère pour que,  à son commandement, il exécute ses justes jugements. J’omets ici la motion universelle de Dieu qui soutient tous les hommes et leur donne la capacité d’agir.  Au sujet de cette action spéciale de Dieu, je ne parle que de celle qui apparait dans chaque crime.  Nous voyons donc qu’il n’est pas absurde d’attribuer le même crime à Dieu, à satan et à l’homme.»

De même, au verset 3.  Après que Calvin ait dit que Dieu peut aveugler les hommes en les abandonnant, il ajoute une autre raison par ces mots : « La deuxième raison qui se rapporte davantage à la propriété des termes, est que, pour exécuter ses jugements par le ministre de sa colère, satan, Dieu lui communique ses intentions, excite sa volonté et soutient son effort.»  Et, (au verset 4) : « Après, il dit qu’il a alourdi son cœur et l’a endurci.  Ne l’a-t-il pas endurci en ne le rendant pas mou ?  Cela est vrai.  Mais il a fait plus encore, il a commandé à satan d’endurcir son cœur par l’obstination.»  Ce texte contient ouvertement la troisième proposition.  Nous entendons parler d’une action spéciale dans le crime qui est attribuée à Dieu  qui, en tant qu’auteur, incite lui-même  au mal les volontés des impies, par le ministère de satan,  et endurcit leurs cœurs pour qu’ils n’obéissent pas. 

 Le même auteur (livre 3, chapitre 23, verset 4), se fait à lui-même cette objection : « Les prédestinés n’avaient-ils pas été ,avant ,destinés  par Dieu à la corruption qui est présentée aujourd’hui comme cause de damnation ?  Donc, quand ils périssent dans leur corruption, ils ne font rien d’autre que subir les peines de cette calamité, dans laquelle est tombé Adam par sa prédestination,  et a fait chuté tête première ses descendants.  N’a-t-il pas été  aussi injuste, Celui qui s’est moqué si cruellement de ses créatures ?»  À cette objection, il répond : «J’admets que c’est par la volonté de Dieu que tous les fils d’Adam sont tombés dans la condition misérable qui les tient liés aujourd’hui.  Et c’est ce que je disais au début , qu’il faut toujours revenir au seul arbitre de la volonté divine, dont la cause est cachée en lui.»

Et, au chapitre 7 `« Par des paroles spécieuses, ils nient qu’il  avait  été décrété par Dieu qu’Adam périsse par sa défection, comme si le même Dieu que l’Écriture prêche faire tout ce qu’il veut, avait créé la plus noble de ses créature pour une fin ambigüe.»  Et un peu après : « Je reconnais, dit-il, l’horrible décret.  Personne ne peut s’indigner de ce que Dieu, avant de l’avoir créé,  avait prévu quelle fin aurait l’homme.  Et la raison pour laquelle il l’avait prévue,  c’est qu’il  l’avait ordonné ainsi par son décret. »   Et au verset 8 : « Quoiqu’il ne soit pas probable que Dieu avait voulu la mort de l’homme seulement en la permettant, et non en l’ordonnant.» Et un peu après : «L’homme tombe sur l’ordre de la providence.»  Et au verset 9 : « Ils veulent qu’en péchant, les réprouvés soient excusables,  parce qu’ils ne pouvaient pas échapper à la nécessité de pécher.  Surtout parce que cette nécessité de pécher leur était imposée par un ordre de Dieu.  Nous nions, nous qu’ils soient excusés de pécher, quand même ils se plaindraient d’avoir été destinés au supplice, car son équité qui nous est inconnue est très certaine pour lui.»

Ces textes nous montrent assez clairement la première et la deuxième proposition de l’erreur de Calvin.  Car, dans des mots différents, Calvin répète plusieurs fois que le premier homme est tombé non seulement par la permission de Dieu, mais par sa volonté, sa prédestination.  Parce que Dieu, donc,  l’avait voulu et planifié ainsi.  Il avait prévu aussi que non seulement le premier homme mais aussi tous ses descendants seraient, de par la prédestination de Dieu, induits en la nécessité de pécher.  Il répète de nouveau ces choses, et les traite copieusement dans son livre sur la prédestination éternelle de Dieu.  Parce que son livre est long jusqu’à la prolixité, qu’il n’a pas de distinction de chapitres ou d’autres sections, je citerai le numéro des pages selon l’édition des ocupuscules de Gennuensem, l’an 1552.)  Voici donc ce dont il parle à la page 905 :

« Par le mystérieux conseil de Dieu,  fut pré ordonnée  la chute d’Adam afin que notre foi l’adore, avec la sobriété qui convient.»  Et, à la page 906 : « Pour la juste  damnation de l’homme, il suffisait qu’il sorte spontanément de la voie du salut dans laquelle  il avait été placé. Et il ne pouvait pas faire autrement.    Quoi donc ?   Sera-t-il libéré d’une faute  qui réside toute entière dans sa volonté ?»

Tu vois, cher lecteur, que, dans ce passage, Calvin admet que l’home n’a pas pu ne pas tomber, car sa chute était pré ordonné e par un  décret éternel de Dieu.     De plus, à la page 916, on lit : « Ce n’est que, Dieu le sachant et l’ordonnant , qu’Adam est tombé et a perdu ses descendants.»  Et à la page 917 : «Il a été statué par la prescience  et par un décret de Dieu ce qui arriverait à l’homme dans le futur, sans pourtant qu’on puisse faire entrer Dieu dans la société de la faute, comme s’il était l’auteur ou l’approbateur de la transgression,  puisque son comportement mystérieux est éloigné à mille lieux de la sagacité humaine.  C’est ce qui nous oblige à rougir de notre ignorance.  Bien plus, que personne parmi les fidèles ne rougisse d’ignorer ce qui est absorbé par l’éclat de sa lumière inaccessible». 

Ce qu’il dit là c’est qu’il est inexplicable ou plutôt incompréhensible que  Dieu ne soit pas l’auteur du péché,  quand c’est par son décret que le premier homme a péché.  Car, comme nous le démontrerons un peu après, il est absolument faux que Dieu ne soit pas l’auteur du péché si les hommes pèchent par son décret.  Et il n’est pas étonnant que ce qui est faux défie toute compréhension et toute explication.

De nouveau, à la page 914 : «On peut rapidement tirer delà avec certitude à quel point est vaine et floue cette conception de la justice divine selon laquelle les maux n’arrivent pas de par sa volonté, mais seulement par sa permission.  Il est vrai que les péchés que les hommes commettent  le sont en tant  qu’ils sont faits avec une volonté mauvaise,  et que, pour cette raison,  ils ne plaisent pas du tout à Dieu.  Je le reconnais.   Mais imaginer que Dieu ne fait que permettre ce que l’Écriture déclare être fait par la volonté de Dieu, et ayant Dieu comme auteur, c’est une dérobade beaucoup trop frivole.»  Et à la page 946 :

 « Donc, pour une juste cause à nous inconnue, procèdent de Dieu tous les maux que les hommes  commettent par scélératesse. Et même si sa volonté est la cause première de ces choses, je nie, toutefois, qu’il en soit l’auteur.  Il ne faut pas oublier la diversité des causes que j’ai expliquée, dont l’une est prochaine, et une autre éloignée, afin que nous sachions quelle immense distance il y a entre la providence équitable de Dieu et les instincts turbulents des hommes.»  Dans ces paroles, nous avons la première, la seconde et la cinquième proposition de  Jean Calvin.

Mais cette cinquième proposition, il l’explique plus au long dans son instruction contre les libertins (chapitre 13), où, après avoir dit que dans toute œuvre, bonne ou mauvaise, les hommes sont les instruments de Dieu, il ajoute les paroles suivantes : « Il y a une grande différence entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’impie, puisque Dieu s’en sert à la façon d’un instrument.  Par son avarice, son ambition, sa jalousie, sa cruauté, l’impie est poussé à commettre un crime sans avoir aucune autre fin que de satisfaire ces passions.  Voilà pourquoi, son œuvre obtient la qualité du sentiment de son âme et de la fin qu’il se propose, et c’est avec justice qu’on la juge mauvaise.  Mais Dieu poursuit un but tout à fait contraire, à savoir, exercer sa justice.»  Et plus bas, il dit que Dieu est semblable au soleil, qui, par ses rayons, génère la corruption dans le cadavre, sans, cependant, contracter aucune impureté.»

J’ajouterai, maintenant, les témoignages de Bèze pour comprendre avec exactitude ce  que pensent là-dessus Calvin et ses sectateurs. Dans sa réponse à Sébastien Castillione sur la prédestination éternelle de Dieu, (dans sa réfutation de la seconde calomnie), il parle ainsi du cas d’Adam : «Ayant l’intention de créer l’homme pour glorifier sa miséricorde et pour proclamer sa sévérité,  Dieu créa Adam à son image, c’est-à-dire saint et innocent.  Et pourquoi cela ?  Parce qu’étant bon, il ne peut rien créer de vicieux.  Il fallait pourtant qu’il y ait des vicieux.  Et il décida d’avoir pitié de certains, et il décréta qu’il en condamnerait d’autres à cause de sa gloire.  Voilà pourquoi il fallait qu’Adam soit créé saint et innocent.  Mais, parce que spontanément, et sans aucune faute de Dieu, il s’est rendu vicieux, il a ouvert la voie aux conseils éternels de Dieu, c’est-à-dire à la déclaration de sa miséricorde et de sa sévérité.  Il a donc fallu que Dieu s’ouvrit, lui aussi, cette unique voie, c’est-à-dire ordonner la chute d’Adam, mais pour la fin que j’ai déjà dite.  Car, comme il est très juste et très saint, il s’ensuit que ce décret (ordonnant la chute d’Adam) a été juste.»  

 Et un peu après : «On doit chercher quelle est l’origine du vice dans le mouvement spontané des instruments, et ce qui fait que Dieu a décrété avec justice ce qu’ils ont fait injustement.  Car, tu diras : ils n’ont pas pu résister à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à un décret divin.  Je le reconnais.   Mais, comme ils n’ont pas pu, ils n’ont pas voulu non plus.  Il est vrai qu’ils ne pouvaient pas vouloir autrement.  Je l’admets par rapport à l’évènement et  à l’energeian, mais la volonté d’Adam n’a pas été forcée.»

Le même Bèze explique, un peu après, la sentence de Calvin,  et la sienne dans trente-huit aphorismes.  Dans les dix-sept premiers, il n’enseigne rien d’autre que Dieu est la cause première de toutes choses, et que les causes secondes, qu’elles soient rationnelles ou irrationnelles, sont, dans toute œuvre, des instruments de Dieu.  Et là où il montre que Dieu n’est pas la cause du péché, il parle longuement de la variété des instruments.  Puis, il  ajoute cinq autres aphorismes  (18, 19, 20, 21, 22) qui constituent un exposé succint de toute sa thèse. Il me plait de les reproduire, mot à mot.

Aphorisme 18 : « Nous rapportons donc ces choses à Dieu dont nous avons prouvé l’action efficace en tout ce qui fait arriver quelque chose, sans aucune exception.  Et de façon telle que par les choses qu’il a créées comme des instruments, il réalise, en leur temps, les choses qu’il avait décrétées de toute éternité.»

Aphorisme 19 : «Tout ce que Dieu fait est bon, puisqu’aucun mal ne peut provenir du Bien suprême.  Il fait tout, et toutes les choses sont bonnes en tant qu’elles sont produites par Dieu.  C’est uniquement dans les instruments que se trouve la distinction entre bien et mal.»

Aphorisme 20 : «Car, si ces instruments sont bons, et regardent la volonté exprimée de Dieu, ils agissent bien, et Dieu, aussi, agit bien par eux.  Voilà pourquoi toute cette œuvre est bonne de toutes les manières.»

Aphorisme 21 : « Les instruments mauvais qui sont mauvais non par la création, mais par la corruption, agissent toujours mal, quoi qu’ils fassent.  Ils encourent donc justement la colère de Dieu.  En tant que Dieu agit par eux, ils concourent à  la bonne œuvre de Dieu, mais malgré eux, et par ignorance.  Car, par quelque instrument que Dieu agisse, il agit toujours bien.»

Aphorisme 22 : « Dieu agit par ces instruments non seulement en leur permettant d’agir, non seulement en réglant ce qui arrive, mais en excitant, en commandant, en mouvant, et en conduisant.  Et cela, à un point tel qu’il crée  aussi ce qui est le plus grand  de tout, pour faire par lui ce qu’il a décidé de faire.  Toutes ces choses Dieu les fait droitement, et sans aucune injustice.»

Ces aphorismes suffiraient parfaitement, à eux seuls, pour nous faire comprendre la sentence de Calvin et  de Bèze.  J’ajouterai, toutefois, un autre aphorisme, pour que nous apprenions avec  quelle acuité Bèze avait coutume de disserter de ces choses.  Voici ce qu’il dit dans l’aphorisme 31 : « Dieu agit en vue de son œuvre à lui.  Il permet, cependant, que, en ce qui se rapporte à son œuvre, de mauvais instruments agissent spontanément, en tant qu’ils sont actifs, non passifs, pour continuer à employer les mots usités dans les écoles.  Il permet, cependant, justement qu’ils agissent injustement, parce que les péchés, en tant qu’ils sont permis par un Dieu qui ne les veut pas, ne sont pas des péchés, mais des peines des péchés.  Car, il est juste aux yeux de Dieu que des péchés soient expiés par des péchés.   Mais, ces mêmes actions, en tant qu’elles proviennent de satan, et des mauvais par satan, et par la concupiscence, sont des péchés, que Dieu punit justement en son temps.  Car le Seigneur ne permet jamais les péchés en tant qu’ils sont des péchés.  Il les interdit, plutôt, et les prohibe.»

On peut déduire de cet élégant aphorisme, trois choses dignes de mention.  La première : les choses qui sont faites par les mauvais instruments sont permises et ne sont pas permises pour la même raison.  Car, les choses qui sont faites par les instruments mauvais en tant qu’instruments actifs, ne sont pas faites par Dieu, mais sont permises par Dieu.  Car, Dieu ne permet pas les péchés, mais les condamne, comme le dit la fin de cet aphorisme.  Mais sont des péchés  ceux qui sont faits par des instruments mauvais, en tant qu’ils sont actifs, comme le veut l’aphorisme 21.  Donc, les mêmes œuvres sont pour la même raison permises et non permises.  Il s’ensuit, en second lieu, que, pour la même raison,  elles sont  des péchés et non des  péchés.  Car, Dieu ne permet pas les péchés mais les condamne, comme l’enseigne l’aphorisme 31.  Mais, il permet les œuvres qui se font par de mauvais instruments, en tant qu’ils sont actifs, comme l’enseigne le même aphorisme.  Donc, les mêmes œuvres, sont, pour la même raison des péchés et non des péchés.

Il s’ensuit, en troisième lieu,  que les instruments mauvais, en tant qu’ils sont actifs, opèrent malgré Dieu, et sans que Dieu le sache.  S’il l’ignore, c’est donc sans qu’il le sache, que les instruments de Dieu accomplissent leurs œuvres.  S’il le sait, ou  il consent, ou il répugne ou il  permet.  On ne peut pas imaginer un quatrième membre, car celui qui  permet est à mi chemin entre celui qui consent et celui qui interdit.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans son enchiridion, chapitre 95), écrit que rien ne peut se faire sans que Dieu ne le fasse lui-même ou le permette. Car rien ne peut se faire de ce qui répugne à Dieu, c’est, croit-il, quelque chose qui est hors controverse.   Et, par l’ aphorisme de Bèze, les choses qui se font par les mauvais instruments, tout actifs qu’ils soient, se font sans l’agir et la permission de Dieu,  parce qu’elles sont des péchés, et que Dieu ne fait ni ne permet des péchés.  Donc, ces choses répugnent à Dieu , qu’il les ignore ou qu’il s’y oppose.

                                                          CHAPITRE 4

De la sentence de Calvin, de Zwingli et de Bèze, on a raison de déduire que Dieu est l’auteur des péchés que nous commettons.

Après avoir exposé la sentence de Zwingli, de Calvin et de Bèze sur la cause du péché, de la part de Dieu, nous prouverons qu’on peut en déduire à bon droit que Dieu est l’auteur du péché, même s’ils ne peuvent pas supporter eux-mêmes  l’horreur d’un tel blasphème.  En effet, ils n’osent pas l’affirmer ouvertement, et ils le réfutent même souvent.   Pour que la dispute soit plus claire, et pour qu’elle mette plus en lumière l’impiété des adversaires, je démontrerai que s’ensuivent de leur sentence quatre absurdités  blasphématoires.  La première.  Dieu est vraiment et proprement l’auteur des péchés qui se font par les hommes. La seconde.  Dieu pèche vraiment et proprement.  La troisième.   Dieu seul pèche vraiment.   Et la quatrième.  Si on niait cela, la sentence des libertins serait vraie , qu’il n’existe de péché que la fausse opinion.  Ce qui nous fait comprendre que ce dogme archi absurde des libertins, qui a été réfuté par ce même Calvin, est un rejeton qui vient de la doctrine de Calvin, comme de sa racine.

Venons-en au premier point.   Dieu ( selon la sentences de nos adversaires)  pousse les hommes à pécher, et les force ainsi à pécher.   Car, c’est ce qu’écrit Zwingli (dans son sermon sur la providence, chapitre 6 ) : « Que  personne ne dise qu’un voleur est  innocent, du fait qu’ il a agi sous l’impulsion de Dieu. Car, il a péché contre la loi.   Mais, tu répliqueras qu’il a été forcé de pécher.  J’admets qu’il a été contraint, mais pour que l’un soit transféré au ciel, et l’autre assigné à la croix.» Zwingli avoue, là, que le voleur de grand chemin est forcé par Dieu à commettre un homicide pour que celui qui est tué par le larron soit transféré au ciel, et que le larron soit condamné par le juge au supplice de la croix.  Ce sont ses propres paroles.

Calvin (livre 1, chapitre 18, verset 4), écrit : « C’est par une juste impulsion de Dieu que l’homme fait ce qu’il ne lui est pas permis de faire.»   Et plus haut (chapitre 17, verset 11), il disait que les impies sont forcés par Dieu, comme par des éperons, à concevoir et à exécuter le mal.  Or, celui qui pousse et force quelqu’un à faire une œuvre quelconque est l’auteur primaire de cette œuvre, comme le pensent tous les êtres humains de tous les pays.  Et la lumière naturelle de notre intelligence ne nous permet en aucune façon de le nier.   Donc, de la par la sentence de nos adversaires,  Dieu est l’auteur premier des péchés qui sont commis pas les hommes.

De plus, de par la sentence de nos adversaires, Dieu commande à satan et aux impies de concevoir et d’effectuer des maléfices.  Tous les hommes de tous les pays tombent d’accord pour dire qu’une action appartient plus à celui qui l’ordonne qu’à celui qui l’exécute.  Donc, les maléfices de satan et des impies appartiennent plus  à Dieu, en tant qu’auteur, qu’à satan et aux impies.  Quand les impies pèchent, ils sont des instruments de Dieu, comme Calvin et Bèze l’attestent souvent dans lieux cités.  Or, celui qui se sert d’un instrument est l’auteur premier de l’œuvre qu’il fait par un instrument.   Donc, de par la sentence de Calvin et de Bèze, Dieu est l’auteur premier de tous les péchés.

Ensuite, Dieu a voulu et décrété de toute éternité que le premier homme tombe dans le péché, non avant la prévision de la détermination de la volonté humaine, mais par le seul bon plaisir de Dieu, comme Calvin l’enseigne (au livre 2, chapitre 23, sur la prédestination, passages déjà cités par nous). Or, si Dieu avait  permis au premier homme qu’il reste debout ou tombe d’après la libre décision de sa volonté, au lieu de lui avoir procuré efficacement de tomber, ce décret aurait pu facilement être frustré.  Il fut donc nécessaire que Dieu procure efficacement la chute du premier homme.  Et c’est pour cela qu’il a mis dans le premier homme la nécessité de pécher.  Ce que Calvin admet volontiers dans les lieux cités. Or celui qui procure efficacement la chute à quelqu’un doit être appelé le véritable auteur de cette chute, à moins de vouloir nous mettre à dos la lumière elle-même de la nature humaine.  Donc, de par la sentence de Calvin, on peut et on doit dire que Dieu est le véritable  auteur du péché commis par le premier homme.

Par une simple distinction, Calvin et Zwingli semblent éluder, sans difficulté,  ces arguments composés en partie avec des citations de nos adversaires , et en partie avec la lumière de la raison humaine  et la confession de tous les peuples.  Ils admettent que Dieu pousse et force les impies à concevoir et  à effectuer des crimes.  Mais ils ajoutent que ces actions criminelles ne sont pas des crimes dans la mesure où elles ont été faites sous l’impulsion et sous l’ordre de Dieu, mais uniquement dans la mesure où elles procèdent de la mauvaise  volonté des impies.  Voilà pourquoi ce n’est pas Dieu qui est l’auteur des crimes des impies, mais ce sont   les impies eux-mêmes. Pour une raison semblable, ils disent que Dieu commande aux impies de concevoir des crimes, et qu’ensuite Dieu procure efficacement la chute des hommes;   que les œuvres des impies ne peuvent pas être appelées autrement que des péchés, en tant qu’elles procèdent d’un commandement de Dieu, et de la providence et de la motion divine; mais seulement en tant qu’elles sont faites par des instruments, c’est-à-dire, des hommes pécheurs.

Mauvaise est la volonté de l’homme qui choisit de commettre un crime, mais non la volonté de Dieu, qui veut qu’il choisisse de commettre ce crime. Pourquoi, dans la même œuvre,  bonne est la volonté de Dieu , et méchante celle de l’homme, il en donne trois raisons.  La première.  Parce que, par le vice du premier homme, la nature humaine a été totalement corrompue.  Mais cette raison n’explique rien.  Car, le premier péché du premier homme, comme celui de satan, ne tire pas son origine d’une corruption préexistante de la nature, comme les adversaires le confessent.  Ce qui nous permet également de réfuter une autre raison qu’on pourrait apporter pour prouver que Dieu n’est pas l’auteur du péché, à savoir, que Dieu ne l’a pas voulu en tant que faute,  mais en tant que peine d’un autre péché.  Car, cette raison ne peut pas s’appliquer au premier péché de l’homme ou de l’ange, car, comme le dirait Lapalisse, il n’y avait pas de péchés avant le premier péché.  Nous nous demandons donc pourquoi, dans la même œuvre, la volonté du premier homme aurait été mauvaise avant la corruption de la nature humaine,  et comment, avant une autre chute, la volonté de Dieu n’aurait pas été mauvaise.

Laissant donc tomber cette première raison, voyons quelle est la deuxième, qu’ils répètent en plusieurs lieux,  jusqu’à nous en donner la nausée.  Ils écrivent que la volonté de Dieu est bonne quand elle pousse à commettre des crimes, quand elle les commande, ou quand elle  les procure et les accomplit par les impies comme par des instruments, parce que Dieu se propose une bonne fin.  Car, Dieu veut que l’homme pèche  pour avoir certaines personnes qu’il condamne justement et d’autres dont il a libéralement pitié, pour pouvoir ainsi, par la justice et la miséricorde, magnifier sa gloire.   De plus, la volonté des impies est mauvaise, parce qu’ils se proposent une mauvaise fin  dans l’œuvre qu’ils font sous le commandement, l’impulsion et la motion de Dieu.  Cette œuvre, en effet, ils la font pour satisfaire leur libido, non pour procurer la plus grande gloire de Dieu. 

Cette raison Zwingli la présente dans son sermon sur la providence, chapitre 6 : « Ce que Dieu fait, il le fait librement,    exempt  qu’il est de toute affection mauvaise,  et donc sans péché.  Comme l’adultère de David, qui appartient à Dieu en tant que son auteur, n’est pas plus un péché pour Dieu que pour un taureau qui  charge un troupeau.»  Calvin donne la même raison  (dans le chapitre 17, verset 5, sur la prédestination de Dieu, page 946, et dans son instruction contre les libertins, chapitre 14), ainsi que Bèze, (dans sa réponse à Sébastien Castalion, lors de la réfutation de la deuxième calomnie, et dans ses aphorismes, comme nous l’avons vu plus haut).  Mais, cette doctrine qui repose sur un fondement totalement erroné, peut être solidement réfutée par nous sans effort.

D’abord, la doctrine apostolique enseigne qu’il ne faut pas commettre du  mal pour que du bien en résulte (Romains 3).   Donc, ni une bonne intention ni une bonne fin conçue par l’âme ne peut faire en sorte que soit permis ce qui par soi est intrinsèquement mauvais.  Autrement, on ne pourrait pas blâmer quelqu’un volerait pour faire l’aumône.  Ni non plus celui qui, de son autorité privée, tuerait un homme, pour qu’il ne nuise pas aux autres par son exemple et ses actions.  Tous ces gens-là  se proposeraient une bonne fin.  Si donc les vols, les homicides, et les adultères sont vraiment des péchés, et les auteurs de ces crimes justement punis, même s’ils ont fait ces crimes avec une bonne intention, comment pourrait-on excuser Dieu en prétextant que c’est dans une bonne fin qu’il  a été l’auteur de ces mauvaises œuvres ?  Il se trompe donc grandement l’adversaire. 

 Ce qui l’induit en erreur c’est qu’en constatant qu’une mauvaise intention vicie une bonne action, il en conclut  faussement qu’une bonne intention bonifie une mauvaise action.  Car bonum ex integra cause, malun ex quocum defectu.  On pourrait  traduire ainsi cet adage intraduisible mot à mot : pour être bien le bien doit l’être en entier, alors qu’un seul défaut rend une bonne chose mauvaise.  Ce que personne n’ignore parmi ceux qui ont quelques rudiments de la morale philosophique.

Je demande ensuite aux adversaires : la mauvaise intention de l’homme vient-elle de Dieu , oui ou non ?  Car, si Dieu est l’auteur de la mauvaise intention, il s’ensuit que Dieu est complètement et absolument l’auteur du péché.  Car, comment ne serait pas l’auteur du péché celui qui non seulement est l’auteur de la mauvaise action, mais aussi de l’intention mauvaise, d’où l’action, selon les docteurs  Calvin et Bèze, tient d’être mauvaise et d’être appelée proprement péché ?  Mais que Dieu soit l’auteur de l’intention mauvaise, les adversaires ne peuvent pas le nier, à moins qu’ils veuillent militer contre eux-mêmes.   Car, si Dieu, comme ils le veulent, incite les hommes à pécher, et qu’il n’y a pas de péché sans mauvaise volonté, il est forcé qu’il incite aussi à la mauvaise intention.

 Et si, pour montrer sa miséricorde et sa justice, Dieu a décrété de toute éternité que l’homme pècherait, et si le péché n’est péché que s’il est fait avec une mauvaise intention, qu’il ne peut être vraiment remis que par la miséricorde, ou vraiment puni par la justice à moins qu’il ne soit un vrai péché, c’est-à-dire, à moins qu’il soit fait avec une mauvaise intention, il s’ensuit manifestement que Dieu a voulu de toute éternité et a statué de toute éternité que l’homme agisse avec une mauvaise volonté, et de cette façon, tombe.  Et parce qu’un décret de Dieu ne peut pas être incertain, ni dépendre du libre arbitre de la créature, il fallait que Dieu procure efficacement que l’homme opère avec une mauvaise volonté, et ne soit pas moins l’auteur de la mauvaise volonté que de la mauvaise œuvre.

La troisième raison est celle de Zwingli qui nous enseigne que la raison pour laquelle, dans une œuvre mauvaise, la volonté de l’homme est mauvaise, mais celle de Dieu ne l’est pas,  est que Dieu n’est sous aucune loi, mais que l’homme est sous la loi de la nature et de la loi de Dieu.  Voilà pourquoi, au même instant la volonté de l’homme transgresse la loi et est mauvaise, et la volonté de Dieu est transgressée  sans être mauvaise.  C’est ainsi qu’il parle dans son sermon sur la providence, chapitre 6 : « Ce que Dieu fait n’est pas péché, car ce n’est pas contre la loi.  Car, il n’est soumis à aucune loi, car, comme le dit saint Paul, pour les justes, il n’y a pas de loi.  Donc, le même crime, comme l’adultère, ou l’homicide n’est pas un crime en tant qu’il a Dieu pour auteur, moteur, instigateur.  Mais, en tant qu’il vient de l’homme, il est un crime.  Dieu n’est tenu à aucune loi, mais l’homme est même damné par la loi.»

 Et plus haut, (au chapitre 5) : « Quand Dieu rend transgresseur l’homme ou l’ange, il ne transgresse pas,  et ne va  contre aucune loi.  Ce que Dieu fait n’est donc pas un péché, mais ce l’est pour l’homme et pour l’ange, car la loi les presse et les accuse. Il est permis à Dieu d’agir librement avec ses créatures, non moins  que le père, avec les choses du père de famille  ou que  le potier avec la glaise. Quoi qu’il commande à la créature ou lui fait faire, il est si éloigné de pécher puisqu’il ne fait pas cela pour autre chose que pour un grand bien. Mais l’homme à qui une loi a été imposée, pèche même quand il y est poussé,  car il opère contre la loi.»

Mais cette doctrine de Zwingli est auto répulsive, et est réfutée par la lumière du jour.  D’abord,  si (comme il le dit) Dieu pousse l’homme à commettre l’adultère, comme un artisan se comporte envers son œuvre, il veut donc que l’homme  lui obéisse en faisant un adultère, comme un artisan veut que l’instrument lui obéisse pour faire une œuvre.  Cette impulsion, ou incitation de Dieu est donc un précepte, une loi que l’homme est tenu d’observer, comme l’instrument est obligé de faire ce que lui fait faire l’artisan.  Donc, l’homme qui est poussé par Dieu pour commettre un adultère prévarique, sans prévariquer contre la loi de Dieu.  Il pèche donc sans pécher.   Et en l’incitant à pécher, Dieu veut qu’il observe et n’observe pas la loi, qu’il pèche et ne pèche pas.

Ensuite, même si Dieu n’a aucune loi qui lui est imposée par un législateur supérieur à lui,  sa sagesse est à lui-même une loi, (comme Zwingli l’enseigne au même endroit); et ce qui est pour nous une loi est pour lui une nature.  Par sa sagesse et par sa nature, Dieu n’est donc pas moins tenu que les hommes à ne pas s’opposer à loi divine.  Voilà pourquoi si Dieu poussait les hommes à faire des choses contraires à la loi éternelle, et donc à la sagesse et à la nature de Dieu, comme l’adultère, sa volonté serait mauvaise,  cela répugnerait à la règle droite de la divine sagesse, et Dieu se nierait lui-même, ce qui ne peut se faire en  aucune façon, comme le dit l’apôtre.

Troisièmement, aucune loi n’est imposée à Dieu, comme aucune ne l’est à un juste.  Or, à un juste aucune loi n’est imposée qui le terrifie, parce qu’il sert son Dieu spontanément, et non pas parce qu’il ne pècherait pas s’il faisait quelque chose contre la loi.  Car, dans Ézéchiel 18, le Seigneur atteste que le juste pèchera devra être condamné s’il fait ce qui est prohibé par la loi. À Dieu aucune loi n’est imposée parce que spontanément, de par sa propre nature, sa volonté est toujours conforme à sa sagesse.  Non parce qu’il est permis à Dieu de se nier lui-même en commandant aux hommes ces choses qui répugnent à la loi éternelle,  qui est sa sagesse et sa nature infinie.  

Quatrièmement,  Il ne peut en aucune façon se faire  que, sur l’ordre de Dieu, l’homme fasse ce qui est interdit par la loi de Dieu,  et que, en le commandant, Dieu ne soit pas l’auteur d’un crime, mais d’une œuvre.  Car est-ce autre chose un crime qu’une action contraire à la volonté de Dieu ?  Donc, comment Dieu n’est-il pas l’auteur d’une œuvre interdite pas la loi divine ?  Et comment Zwingli peut-il dire que Dieu rend l’homme et l’ange transgresseurs de la loi si Dieu n’est pas l’auteur de la transgression, mais de l’œuvre seulement.  Je ne parle pas de l’impiété qu’il y a à enseigner que les hommes sont punis par Dieu parce qu’ils font précisément ce que Dieu les force de faire.   Nous pouvons donc conclure d’après les sentences de Calvin et de Zwingli que Dieu est l’auteur du péché, même s’ils le nient en parole.

                                                            CHAPITRE 5

Il s’ensuit de la sentence de Calvin et de Bèze que Dieu pèche vraiment et proprement

Il s’ensuit de la sentence de nos adversaires que Dieu non seulement est l’auteur du péché, comme nous venons de le prouver, mais qu’il pèche vraiment et proprement. Ce qui est un blasphème horrible que même les libertins n’osent pas proférer.  Il faut donc savoir que pour que quelqu’un pèche vraiment et proprement , il n’est pas requis qu’il veuille le péché en tant que péché, c’est-à-dire qu’il élise la turpitude et la malice du péché, mais qu’il soit cause de l’action mauvaise, dans la mesure où la malice provient de cette action.  Car, il n’y a personne qui veuille le mal pour lui-même, puisque le mal est en dehors de l’objet de la volonté, et qu’il n’a rien qui le fasse désirer ou choisir.  Donc ce n’est pas la turpitude du péché que regardent  tous ceux qui commettent des péchés, mais un bien quelconque, un avantage, un plaisir.  Mais, on dit qu’ils pèchent vraiment et proprement, parce qu’ils recherchent le lucre et la volupté par une action à laquelle est annexée une turpitude; et parce qu’ils sont eux-mêmes la cause de cette action, non de n’importe laquelle façon, mais en tant que, de cette action, découle nécessairement de la turpitude.  De là vient que la turpitude leur attribuée avec raison et en toute justice.

Trois choses sont requises pour qu’une turpitude découle d’une action, et en conséquence, trois choses sont aussi requises pour qu’on dise de quelqu’un qu’il pèche vraiment et proprement.  La première.  Que la loi répugne à une loi temporelle ou éternelle, positive ou éternelle.  Car, comme nous l’avons enseigné dans le livre précédent à partir de l’Écriture et des Pères, le péché n’est rien d’autre qu’une prévarication de la loi.  Personne donc n’osera nier que n’est pas mauvaise une action qui ne va contre aucune loi.  Personne donc n’osera nier non plus qu’on doive placer comme première condition qu’une action qui engendre de la turpitude répugne à une loi.  La deuxième.  Cette action doit être faite par une cause libre.  Voilà, en effet, la seule raison pour laquelle ne peuvent pas pécher les animaux, les bébés,  les fous, ceux qui dorment. 

La troisième.  Pour qu’il y ait un péché, il ne faut pas seulement que quelqu’un viole la loi, ou agisse librement, mais aussi qu’il fasse quelque chose en tant que cause particulière, de sorte que l’action soit telle dans son espèce parce qu’elle procède de telle cause.  Car, parce que la cause universelle est limitée et est déterminée par une cause particulière, et est, par elle-même, indifférente à telle ou telle action, on ne peut pas correctement dire que cette action est telle dans l’espèce parce qu’elle provient d’une cause universelle, mais plutôt parce  qu’elle provient de telle cause particulière. Et parce que cette difformité que l’on discerne dans le péché est une conséquence de l’action, en tant qu’elle est  dans son espèce, on ne peut pas référer cette difformité à la cause universelle, mais à la cause particulière. 

Il est certain que quand naissent des monstres, chez les humains ou chez les animaux, personne ne dit que la cause de la monstruosité qui est un défaut de la nature doive être référée au ciel, ou à une autre cause universelle, mais seulement à des causes prochaines.  Car, le ciel, par son influx, ne produirait pas un homme plutôt qu’un cheval ou une fleur. Et s’il produisait un homme, il ne produirait pas plus celui-ci que celui-là, à moins que l’homme ne soit déterminé par une cause particulière.  Donc, la cause de la monstruosité qu’on aperçoit dans l’homme est un autre homme qui engendra cet homme,  non le ciel qui émet son influx de telle façon que, par lui, un homme parfait puisse naitre, à moins qu’il ne rencontre un empêchement  dans la cause prochaine.

Si donc Dieu concourt avec l’homme dans cette action qui est un péché, seulement comme cause universelle, on pourra facilement comprendre comment il est cause de cette action, sans être la cause du péché. Car il sera vraiment la cause de l’action parce qu’il concourt vraiment à la  production de la substance ou de l’entité (pour parler ainsi) de cette action.  Et, cependant, il ne sera pas la cause du péché parce qu’il a concouru  à cette action et à l’action contraire, par un influx universel et indifférencié.  Et, à cause de cela, cette action ne sera pas telle dans son espèce parce qu’elle provient de Dieu, mais parce qu’elle provient d’un homme. Et toute la faute retombera sur l’homme, car il a voulu cette action en abusant du concours de Dieu, alors qu’il aurait pu l’utiliser droitement pour une autre action.   On ne dit pas , non plus, que Dieu est la cause du péché parce qu’il a été commis par la libre volonté de l’homme, même si c’est Dieu qui a donné le libre arbitre à l’homme, et le conserve.  Car , s’il le veut, l’homme peut se servir pour le bien de sa libre volonté. Et Dieu la lui a donnée pour qu’il s’en serve pour faire le bien, non pour qu’il en abuse pour son plus grand malheur, et en injuriant son donateur.

Si Dieu ne concourt pas seulement comme cause universelle à ces actions qui sont mauvaises, mais aussi comme cause particulière, en les concevant telles dans leur espèce, en les voulant, en les commandant, en incitant l’homme à les faire, ou en les faisant dans leur espèce, par les hommes, comme par des instruments, on ne peut en aucune façon comprendre comment Dieu ne pèche pas.   Car on ne dit pas pour une autre raison que les hommes pèchent vraiment et proprement que parce qu’ils sont des causes libres et particulières d’actions qui sont en lutte avec la raison et la loi éternelle.  La difformité et la malice du péché, qui constitue le péché, est une conséquence nécessaire de ces actions, comme on  l’a montré plus haut.

Calvin et Zwingli ne nient pas que Dieu concoure aux actions qui militent contre la loi éternelle, et qui sont mauvaises par leur objet.  Ils ne nient pas, non plus, que Dieu (selon l’apôtre) opère toutes choses librement selon le conseil de sa volonté.  Nous sommes d’accord avec eux sur ces deux points.   Mais, toute la controverse porte sur la troisième chose qui est requise pour qu’il y ait un péché.  Car, nous disons, nous, que Dieu concourt à ces actions seulement comme cause universelle, par un influx indifférencié, qui ne fait donc pas la distinction entre bonnes ou mauvaises.  Et de plus, si on ne parle pas d’une cause physique, mais morale, nous disons que ces actions loin d’être voulues ou commandées   par Dieu dans leur espèce, sont réprouvées, interdites, condamnées; qu’on ne peut donc pas référer à Dieu leur turpitude et leur malice.

Or, ce n’est pas dans un seul endroit que les adversaires enseignent que Dieu ne concourt pas  à ces actions seulement comme  une cause universelle, mais aussi pour qu’elles soient telles  dans leur espèce, mais qu’il les veut, qu’il les commande, et qu’il les effectue proprement par ses instruments, et qu’il est donc une cause particulière,  autant morale que physique.  Ce qui n’est certes rien d’autre que pécher véritablement et proprement. Écoutons Calvin (livre 2, chapitre 4, verset 2) : « J’omets, ici, la motion universelle de Dieu, par laquelle toutes les créatures sont soutenues, et d’où elles tirent la capacité d’agir.  Je parle seulement de cette action spéciale qui apparait dans chaque crime.  Nous voyons donc qu’il n’est pas  absurde d’attribuer un crime à Dieu, à satan et à l’homme.»    Tu vois, là, comment Calvin a voulu que le même crime qui est perpétré par satan et par l’homme doive être assigné aussi à Dieu, dont satan et l’homme sont les instruments.  Car, Dieu ne coopère pas avec satan ou avec l’homme seulement avec un influx général, mais aussi par une action spéciale qui se voit dans le crime.  Car, c’est lui qui la veut, qui infléchit la volonté de l’homme et de satan, et qui se l’approprie.

On trouve la même chose (dans le livre 1, chapitre 18, verset 2) où il explique comment les hommes sont aveuglés et trompés.   Les écritures enseignent, selon son dire, que Dieu non seulement permet que satan séduise les hommes, mais que Dieu lui-même agit dans les esprits de l’intérieur, et que c’est de Dieu qu’émane ce qui effectue l’erreur.  Voici quelles sont ses paroles : « Certes, à moins qu’il n’opère de l’intérieur dans les esprits des hommes, on n’aurait pas le droit de dire qu’il enlève la parole aux véridiques.»  Et plus bas : « On dit aussi que satan aveugle les esprits des infidèles, mais comment, si ce n’est qu’émane de Dieu la cause efficiente de l’erreur.»

Les saints pères, comme saint Augustin (traité 26 sur saint Jean,  et dans son livre sur la prédestination des saints, chapitre 8) et saint Grégoire (livre 11, chapitre 5, morales) et d’autres enseignent que c’est en vain que les prédicateurs exhorteraient de l’extérieur  si Dieu n’opère pas à l’intérieur, de façon à ce que la conversion du pécheur soit l’œuvre de Dieu.  Calvin enseigne ici que c’est en vain que satan s’efforcerait à aveugler et à tromper les hommes si Dieu n’agissait pas de l’intérieur, et que donc la cause efficace de l’erreur émane de Dieu.  Que, comme dans la conversion d’un pécheur, Dieu est celui qui illumine proprement et convertit, de la même façon, dans la perversion d’un juste, c’est Dieu qui proprement séduit et pervertit.  Or, illuminer et convertir sont des choses bonnes,  conformes à la raison droite.  Au contraire, séduire et pervertir  sont de mauvaises actions, qui répugnent à la droite raison.  Donc, comme Dieu fait le bien en illuminant et en convertissant, il fait du mal et pèche en séduisant et en pervertissant.

Dans son sermon sur la providence (chapitre 5,)  Zwingli dit que l’injustice était nécessaire, pour qu’on puisse connaitre la justice.  Et (au chapitre 6) il dit que le mensonge a été nécessaire  pour que la vérité soit connue;  et que c’est pour cela que Dieu a poussé l’ange et l’homme à mentir, et à commettre l’injustice.    Sa volonté était donc mauvaise, et il a manifestement péché.   Bèze, dans son aphorisme 22, enseigne que Dieu non seulement incite et pousse les instruments à des actions mauvaises, qui sont des péchés pour les instruments,  mais aussi crée les instruments, les hommes à cette fin, pour que soient accomplies  les actions conçues et décrétées par lui de toute éternité.   Cette doctrine de Bèze manifeste que les actions mauvaises en tant qu’elles sont telles dans leur espèce, sont voulues par Dieu, et qu’elles doivent lui être attribuées comme la vraie et propre cause principale.  La conclusion qui s’impose manifestement c’est que, selon la sentence de Bèze, Dieu pèche vraiment et proprement.

Mais, en plus de cet argument, nous pouvons déduire la même chose de que nous avons dit dans le chapitre précédent.  Car, si de la sentence de nos adversaires, nous déduisons à bon droit que Dieu est vraiment et proprement l’auteur des péchés qui sont faits par nous, nous pouvons, certes, en déduire aussi qu’il pèche véritablement et proprement.  Car celui qui est l’auteur de ce que quelqu’un pèche, pèche automatiquement lui aussi.  Vouloir mentir ou forniquer ou punir un innocent ne milite pas plus contre la loi éternelle que vouloir faire en sorte que quelqu’un mente, fornique ou punisse un innocent.  Voilà pourquoi, dans toutes les républiques, on a coutume de moins punir celui qui a commis un homicide que celui qui l’a commandé.  Or, on ne punit que celui qui pèche.   Donc, de l’avis de tous, celui qui commande un péché pèche lui aussi.

Na vaut pas, non plus, la comparaison avec le soleil et un cadavre apportée par Calvin, pour montrer que Dieu ne pèche pas même s’il est la cause que d’autres pèchent. Cette comparaison, il a pensé qu’elle était  si pertinente et si appropriée qu’il l’a répétée en plusieurs endroits.  Dans son livre sur les institutions, chapitre 17, verset 5, dans son instruction contre les libertins, chapitre 14, et dans son épitre contre le franciscain libertin.  Dans son livre sur les institutions :  « La puanteur,  qui l’a fait sortir  d’un cadavre putréfié par la chaleur du soleil ? Tous voient que cette émanation provient des rayons du soleil.  Mais personne ne que  dit ce sont eux qui ont causé la pourriture.  De la même façon, quand dans l’homme mauvais se cache la matière du mal et de la faute, quelle contamination penses-tu que Dieu puisse en retirer, s’il se sert de son ministère selon son bon plaisir ?»

Cette comparaison pèche en trois choses.  La première.  Le cadavre est un cadavre, c’est-à-dire, un corps corrompu,  avant l’action du soleil.   Car, d’un corps en bonne santé, les rayons du soleil n’auraient jamais pu soutirer de la pesanteur.  Or, les adversaires soutiennent que Dieu a soutiré un péché de la volonté du premier homme  quand il était encore juste et innocent.  La deuxième.  Le soleil est une cause universelle qui ne cherche à produire ni la putréfaction ni la caléfaction.  La caléfaction, par elle-même produit indifféremment des effets divers.  Elle est limitée  et déterminée par des causes particulières, à faire ceci plutôt que cela.  Donc, quand elle fait sortir la puanteur d’un cadavre chauffé, et quand elle fait émaner une odeur d’un fruit ou d’un aromate chauffé,  la cause n’en doit pas être attribuée au soleil, mais à des causes particulières.   Selon la doctrine de Calvin et de Bèze, Dieu, comme nous l’avons dit plus haut, concourt aux actions mauvaises que font les hommes non en tant que cause universelle, mais en tant que cause particulière.   Dieu les veut, en particulier, les commande en particulier, et les accomplit par les volontés humaines, comme par des instruments.

La troisième.   Même si le soleil était une cause particulière, il ne serait pas corrompu en corrompant, parce qu’il n’agit pas par sa propre volonté, ni par aucune action immanente, mais par une action qui passe en un autre, et qui est nécessaire.  Or, celui qui fait pécher quelqu’un par sa volonté libre, pèche par le fait même, et il ne peut putréfier un autre par sa libre volonté  sans en même temps se putréfier lui-même.  Car, la volonté par laquelle il veut qu’un autre pèche est en lui, non dans un autre, et est mauvaise avec lui.  Donc,  puisqu’est mauvaise la  volonté qui se porte librement sur un objet qui ne convient pas à la droite raison, il s’ensuit qu’il est lui-même mauvais, et qu’il pèche.

                                                                             CHAPITRE 11

                                        On réfute les objections tirées de l’Écriture sainte

Il nous reste à répondre aux objections.  La première.    On nous objecte tous les textes de l’Écriture qui semblent vouloir dire que Dieu a voulu et décrété, de toute éternité, qu’il y ait des maux.    Genèse XLV : « Ce n’est pas par votre décision, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé ici.»  Et au chapitre 1 : «Ne craignez point. Pouvons-nous résister à la volonté de Dieu ?»  Par ces paroles, Joseph excuse les actes de ses frères , qui l’avaient vendu aux Madianites,  parce que , dit-il, Dieu l’avait voulu ainsi , et on ne peut pas résister à la volonté de Dieu.    Et ces autres. Actes 2 : « Trahi par un conseil défini , et la prescience de Dieu etc » Actes 4 : «Se rassemblèrent dans cette cité contre ton saint enfant Jésus que tu as oint Hérode, Ponce Pilate avec les nations et le peuple d’Israël , pour faire ce que ta main et con conseil avait décrété qu’il se fasse.»

Je réponds   Dans les mauvaises œuvres, il arrive souvent que l’action soit mauvaise et la passion bonne.   La vente du patriarche Joseph et la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ , si on les considère du point de vue de ceux qui l’ont faite, des vendeurs et des meurtriers, étaient des crimes très graves.   Si on les considère du point de vue de ceux  qui l’ont subie, Joseph et Jésus, qui ont supporté la vente et la mort avec équanimité, c’étaient des œuvres de patience suprême, et qui, à cause de cela, étaient bonnes.   Dieu a donc voulu et prédestiné les actes de vertu quand il a voulu et défini d’avance que Joseph serait vendu et Jésus tué.    Les œuvres mauvaises des vendeurs de Joseph et des meurtriers de Jésus il ne les a ni voulues ni décidées d’avance, mais les a permises, comme l’enseignent beaucoup de saints pères cités plus haut.  Voir saint Augustin, Prospère, et Fulgence, qui ont écrit avec beaucoup de précision sur ce sujet.

Car, pour qu’arrive infailliblement ce que Dieu avait voulu et défini d’avance, que Joseph soit vendu et que Jésus soit tué, il suffisait que Dieu ait prévu les mauvaises volonté des frères de Joseph, des Juifs et de Pilate, et qu’il ait voulu en même temps permettre que les mauvaises volontés engendrent en leur temps les crimes qu’elles avaient conçus.    Et pour expliquer brièvement tous les textes contenus dans l’objection, (dans les chapitres 45 et 50), sur le livre de la Genèse, Joseph ne dit pas que ses frères ont été poussés par Dieu à commettre ce crime, mais que Dieu avait changé le mal en bien.   Car, voici ce qu’il dit : «En me vendant dans ces régions, vous avez pensé de mauvaises actions à mon sujet.  Mais Dieu a changé le mal en bien, car  c’est pour votre salut que Dieu m’a envoyé avant vous.»  Car, ce n’est pas une petite consolation pour celui qui a péché, et qui se repent de son péché, de voir qu’un grand bien est survenu à la suite de son péché. 

Et cet autre : « Ce n’est pas par votre décision, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé ici», s’interprète de la même manière.  Car, (comme l’explique saint Jean Chrysostome, homélie 64 de la Genèse) ce texte se rapporte à la consolation des frères, et le sens est : à moins que Dieu n’ait voulu permettre ce que vous vous êtes efforcés de me faire,  vous n’auriez pu par votre seule décision, en venir à bout.  Ce n’est donc pas à votre décision mais au plan de Dieu qu’il faut assigner la cause de mon entrée en Égypte.

C’est aussi ce qu’enseigne saint Ambroise (dans son livre sur Joseph, chapitre 12) où il écrit que Joseph n’a pas  fait porter son attention sur le fait qu’il avait été envoyé à la mort par ses frères, mais qu’il avait été envoyé par Dieu à la vie.  Et voilà pourquoi, par une charité fraternelle, il tentait d’excuser le péché de ses frères en assignant son entrée en Égypte non à la volonté de ses frères, mais à la providence  de Dieu.  Et cet autre : ne craignez pas, nous ne pouvons pas résister à la volonté de Dieu, a un tout autre sens que celui qu’on perçoit à première vue.   Car, il ne signifie pas que les frères n’on pas pu résister à la volonté Dieu, qui consistait à vendre Joseph, mais,  que lui, Joseph, ne pouvait pas résister à la volonté de Dieu qui était de pardonner à ses frères.  

En effet, les mots hébraïques sont ………………………….. Et ils concordent avec le texte grec et le texte chaldéen, et saint Jean Chrysostome interprète très bien leur sens dans sa dernière homélie sur la Genèse.  Je crains Dieu, et je lui suis soumis. Je dois donc  l’imiter et lui obéir.  Puisque Dieu m’a accordé tant de bienfaits par cette vente, je ne peux pas et je ne veux  pas me fâcher contre vous, pour ne pas sembler ingrat envers Dieu.  Donc, ces mots de la traduction latine : nous ne pouvons pas résister à la volonté de Dieu doivent être référés au seul Joseph qui parle de  lui au nom de tous, chose qui n’est pas inusitée, surtout quand on parle d’une chose qui se rapporte à tous ceux qui craignent Dieu.

Les deux textes tirés des actes des apôtres n’exigent pas une autre réponse.   Voici ce qu’en pense saint Léon (dans son sermon 16 sur la passion du Seigneur) : «Est très différent et même contraire  tout ce qui a été connu  à l’avance de la méchanceté des Juifs, et ce qui est préparé dans la passion du Christ.  La volonté  d’être tué et de mourir  ne sort pas de l’esprit d’un crime atroce, mais  de la tolérance du Rédempteur.  Le Seigneur n’envoya pas sur lui les mains  impies des voleurs, mais les admit.  Il n’a pas statué que cela se fasse en prévoyant que cela devait se faire, même s’il avait pris chair pour que cela se fasse.»

On ne peut tirer rien d’autre de ces textes que Dieu a voulu et défini que, par sa passion et par sa mort, le Christ rachète le monde.  Il n’a pas voulu et défini que Judas trahisse, que les Juifs conduisent Jésus à Pilate, que Pilate le juge digne de mort, que les soldats le crucifient et qu’ils le tuent.  Mais tout cela avait été prévu comme futur, et donc permis. Et, il a permis que ce soit voulu et décrété.

 

                                                                          CHAPITRE 12

                     On réfute d’autres objections tirées d’autres témoignages des Écritures

On nous objecte ensuite des textes qui semblent vouloir dire que Dieu crée les impies, pour que,  plus tard, la justice de Dieu brille par leurs châtiments.  C’est ce que nous lirions dans les Proverbes, 16 : «  Dieu opère toutes choses à cause de Lui, et  même dans l’impie  jusqu’au jour mauvais.»  Romains 9 : « N’a-t-il pas le pouvoir  de faire de la glaise un vase d’honneur, ou un vase de mépris ?»   Exode  4 : « Je t’ai placé là pour montrer en toi ma force, et pour qu’on raconte mon nom dans toutes les terres.» Romains 9 : « Je t’ai suscité pour montrer en toi ma force.»

Je réponds que Dieu ne crée des impies que matériellement, pour employer le langage des scolastiques.   C’est-à-dire que Dieu crée ceux qu’il prévoit être impies dans le futur, pour qu’il se serve  de leur impiété, qu’il n’a pas faite lui-même, afin de  manifester sa puissance.   C’est ainsi que parle saint Augustin (dans son épitre 106 à Paulin) : « Même s’il n’a pas fait les péchés, qui, si non Dieu a créé leurs natures qui, en elles-mêmes, sont certes bonnes, mais qui, se seraient, par la suite,  librement  viciées par le péché, et par de si grands péchés qu’ils mériteraient des peines éternelles ?  Pourquoi, si ce n’est parce qu’il l’a voulu.   Pourquoi l’a-t-il voulu ? O homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ?  Le vase dit-il au potier,  pourquoi m’as-tu fait ainsi ? N’a-t-il pas le pouvoir, de faire, de la même terre cuite, un vase d’honneur et un vase de mépris ?»

On trouve la même chose dans l’enchiridion (chapitre 27).  Après avoir dit que la nature humaine avait  été infectée par le péché originel, il ajoute : « Est-ce par un manque de bonté qu’il a permis la contagion du péché originel, avec toutes ses conséquences malheureuses  ?  Non, car, il a jugé qu’il était préférable de tirer le bien du mal ,  plutôt que de ne permettre aucun mal.»  Quand donc nous lisons dans les Proverbes que Dieu opère tout pour lui-même, et dans l’impie jusqu’au jour mauvais, il n’y a rien d’autre à entendre que Dieu produit toutes choses pour sa propre gloire, qu’il a procréé quand même ceux qu’il prévoyait devenir impies, pour leur rende la peine qu’ils méritaient, et manifester la gloire de sa justice.

Nous nions donc que quelques-uns aient été créés pour la ruine sempiternelle, mais nous disons qu’ont été créés pour la gloire de Dieu  ceux qui, selon sa prévision, choisiraient le mal et la ruine éternelle.  Toute la question semble donc  consister en ceci : les impies sont-ils créés pour  que la gloire de la divine justice soit manifestée dans leurs supplices, en vertu d’un décret de Dieu qui précéderait la prévision de toute faute, comme l’enseignent Calvin et Bèze,  ou plutôt, comme nous le croyons, nous, parce qu’à cause de la prévision de leurs péchés, Dieu les avait condamnés par son décret de toute éternité ?   Nous sommes loin de penser que Salomon ait enseigné que Dieu a décrété de damner certains hommes avant la prévision de leurs péchés.  Il semble plutôt vouloir dire autre chose quand il dit que Dieu opère tout pour lui-même, c’est-à-dire pour démontrer la gloire de sa miséricorde et de sa justice.  Car, décréter une damnation à cause de péchés prévus, cela relève de la justice.  Mais, décréter leur damnation sans la prévision de leurs péchés, c’est de l’injustice pure.

C’est ce qu’écrit saint Augustin (dans son livre 3, chapitre 18 contre Julien) : « Dieu est bon, Dieu est juste.  Le Dieu juste peut libérer certains qui n’ont pas de mérites bons,  car il est bon. Mais,  il ne peut condamner personne sans mauvais mérites, cat il est juste.»  Et (dans son épitre 106 à Paulin) : « Si on pense que Dieu condamne quelqu’un qui est sans péché, on ne pense pas qu’il est étranger à l’iniquité.»  Dieu n’a donc pas pu décréter la condamnation de quelqu’un, avant la prévision de ses  péchés, pour faire montre de sa justice par cette condamnation.

Ce qui devient encore plus évident par l’explication du deuxième témoignage.  Car, quand on dit que Dieu a fait un vase pour le mépris, il ne faut pas entendre ce texte comme si, d’une matière noble ou indifférente, Dieu aurait fait un vase de déshonneur,  mais que d’une matière damnée et méprisable, il a fait des vases tels que la matière le demandait;  et que, de la même matière, il a fait des vases destinés à un noble usage, à cause de sa volonté, non à cause de la matière.  Comme la matière le requiert, il avait affecté cette matière aux ministères les plus vils.  Il avait, pour les affecter à un plus noble usage,  orné quelques unes avec de l’or ou des perles, choses qui n’appartenaient pas à la matière utilisée par le potier. Il s’ensuit de tout cela que les vases faits pour un vil usage ont Dieu pour auteur en tant qu’ils sont des vases; et que c’est de la matière qu’ils tiennent d’être utilisés vilement.  Les vases qui sont faits pour un noble usage  tiennent de Dieu et d’être des vases, et d’être employés à une fin honorable.

C’est ce qu’explique saint Augustin (dans son épitre 105 à Sixte) : « Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire, avec la même masse, condamnée méritoirement et justement, un vase d’honneur non du, à cause de la grâce de sa miséricorde, et un vase d’ignominie du, à cause de la justice de sa colère ?»  Il dit la même chose un peu plus loin : « Bien que Dieu fasse des vases de colère pour leur perte, afin  de démontrer sa puissance,  qui se sert des maux pour le bien, et pour faire connaitre les richesses de sa gloire, dans les vases de miséricorde, qu’il fait pour un usage honorable, qui n’est pas du à la masse damnable, mais qui est donné par la largesse de sa grâce.  Toutefois, l’iniquité que sa droite vérité réprouve dans les vases de colère, il la condamne parce qu’il la connait, non parce qu’il la fait.» 

Dans l’épitre 106 à Paulin : « Si cette masse était moyenne, de façon à ne mériter ni bien ni mal, ce n’est pas en vain qu’on verrait de l’iniquité en ce qu’elle soit utilisée pour produire des vases destinés au déshonneur.  Mais, comme par le libre arbitre du premier homme, elle a été tout entière détruite quand elle a été  condamnée, il est évident que ceux qui, de cette mase, sont faits pour un noble usage ne le tiennent pas d’une justice que ne précède aucune grâce, mais de la miséricorde  de Dieu.  Ce qui est fait pour un usage méprisable, cela ne vient pas de l’iniquité de Dieu, qu’on ne  pourrait sans blasphémer imputer à Dieu, mais d’un jugement.

Se rendant compte que cette explication de saint Augustin qu’il avait présentée pour confirmer son erreur, ne lui était d’aucun profit,  Théodore de Bèze  rejette l’interprétation de saint Augustin, et prétend que par masse de laquelle sont faits les vases d’honneur et d’ignominie, il faut entendre le genre humaine non encore  créé, et corrompu par le vice du premier péché, mais qui doit être créé , c’est-à-dire la glaise à  partir de laquelle Dieu façonna Adam,  et les autres hommes en lui.  Car, c’est bien ce qu’il dit en réponse aux actes du colloque de montis belgardensis, (première partie, page 155) : «  Mais André requiert quelque chose de plus précis.  Donc, comme le même apôtre atteste que, semblablement au potier, des vases d’honneur et des vases d’ignominie ont été faits par Dieu, de la même masse, comment en donner  une véritable explication sans remonter à celui qui a façonné Adam ?  Car, le nom de masse ne convient pas au genre humain créé, mais à créer. On ne dont pas non plus y voir le genre humain corrompu.  Car, s’il en était ainsi, l’apôtre n’aurait pas dit que Dieu a fait des vases de colère de cette masse, mais qu’il a laissé dans la masse misérable les vases qui étaient déjà des vases de colère.   Et l’apôtre n’aurait aucun effort à faire  pour présenter la justice de Dieu comme punition des réprouvés.  Dieu est donc comparé ici à un potier.  S’il lui est permis, selon son bon plaisir,  de faire des vases pour un usage noble ou ignoble, on ne doit penser, pour autant, qu’une injustice est commise envers la glaise.  Cela ne serait-il pas permis encore plus  à Dieu de disposer comme il lui plait de la glaise, en en amenant quelques-uns sur lesquels il exercerait sa juste colère, et d’autres qu’il rendrait heureux à cause de son insigne bonté ?  Comment a-t-il créé cela ?  Il est certain que c’est en Adam , à la création duquel se rapporte sans aucun doute l’apôtre, quand il parle du potier et de la glaise.»

Et à la page 164 : « Je ne suis pas sans savoir que saint Augustin a souvent, par masse de glaise, entendu le genre humain non seulement en tant que déjà créé, mais aussi vicié par le péché d’origine, d’où naissent ceux dont on a pitié, et ceux qu’on punit justement. Mais, si cela vaut quelque chose, serait connue autant la cause de la destination à la peine, que celle de la destination à la miséricorde.   S’il en était vraiment ainsi, pourquoi l’apôtre se serait-il exclamé : o hauteur des richesses etc.

Mais, il est facile de réfuter cette sentence de Bèze, et de répondre à ses objections. Car, pour omettre, que contre saint Augustin, saint Ambroise, Haymo, Primasius, Bède, Anselme, saint Thomas, il entend par masse le genre humaine corrompu par le péché, l’apôtre lui-même indique sa pensée dans les mots suivants : « Si Dieu, voulant démontrer sa colère, et faire connaitre sa puissance, a supporté avec beaucoup de patience des vases de colère aptes à la ruine, pour montrer les richesses de sa gloire dans les vases de miséricorde,  qu’il a préparés pour la gloire.» Ces paroles signifient que Dieu a grandement détesté les vases de contumélie,  et qu’il a voulu, dans un premier temps, montrer, dans leur destruction, sa colère et sa puissance;  qu’il a cependant supporté ces vases-là dans une grande patience, parce que cela était utile aux vases de miséricorde, qui avaient été préparés pour sa gloire. 

 Il est certain que si Dieu avait fait des vases de contumélie de par sa propre volonté, sans que ne l’exige la condition de la matière, Il ne les haïrait  pas avec justice, et c’est  sans justice qu’il voudrait les fracasser.  Car « Dieu ne hait rien de ce qu’il a fait.»  Et pourquoi, je le demande, Dieu devrait-il les  supporter avec beaucoup de patience s’il les avait faits spontanément, et les avait voulus tels quels ?  Si le potier fait de la boue des vases,  et les affecte aux ministères les plus vils, il ne les hait pas pour autant, il ne se fâche pas contre eux, et il ne désire pas les casser.

De plus, bien que Bèze répudie l’autorité de saint Augustin, il doit, qu’il le veuille ou non, adopter son raisonnement. Or, cet argument est insoluble.    Si la masse en question était moyenne, de façon à ne mériter ni bien ni mal, (comme l’estime Bèze), on ne verrait pas pour rien de l’iniquité en Dieu, si de cette masse, il faisait des vases de contumélie.  Or, il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir d’iniquité en Dieu.  Donc, la masse, de laquelle sont faits des vases de contumélie a été corrompue antérieurement par le péché, et mérite la colère et la contumélie de Dieu.  

Ce qu’enseigne Bèze quand il dit qu’ils ne sont faits des vases de contumélie que si l’on fait intervenir la chute d’Adam,  sert très peu à démontrer la  justice de Dieu.  Car, comme le même, au même endroit, (dans sa réponse au dit colloque aux pages 155, et 164) écrit : « Le décret de Dieu pour faire, de la même masse, des vases d’honneur et d’ignominie, précède toute prévision de fautes, et absolument toute cause.   Mais, comme Dieu ne pouvait pas s’ouvrir un chemin à l’exécution de son décret qu’avec le péché de l’homme, il a ordonné, à cause de cela, le péché d’Adam pour avoir quelques-uns à qui faire miséricorde, et d’autres à punir justement.»   La chute du premier homme est donc intervenue non à cause du  décret divin portant sur la perte éternelle des réprouvés, mais elle appartient à l’exécution du décret.

Cela, certes, n’enlève pas l’injustice de Dieu, mais ne fait  que l’empirer.    Car, comme il est injuste, dans l’exécution, de condamner un homme qui ne mérite aucune peine, il est injuste aussi de décréter la damnation d’un homme  qui n’a pas commis encore aucun péché, même pas en prévision, quand le décret est fait.   Car, comme la justice exige que la peine corresponde à la faute,  et comme l’exécution de la damnation est  injuste sans faute précédente, de la même manière, est aussi injuste un décret de condamnation  sans aucune prévision de faute.  J’ai dit que non seulement il n’enlève pas l’injustice, mais qu’il l’augmente, parce qu’il ajoute un nouveau genre d’injustice quand il dit que Dieu a décrété et ordonné la chute du premier homme pour avoir des gens  à punir, plutôt que de punir sans qu’aucune faute n’ait été commise.  Car, la faute est un plus grand mal que la peine; et c’est donc une plus grande injustice pour quelqu’un d’être, à cause d’aucun mal,  l’auteur de la faute plutôt que de la peine.

Mais, répondons aux arguments avec lesquels Bèze prouve que la masse, chez Augustin, n’est pas le genre humain dépravé par  le vice du péché originel.   Le premier argument.  «S’il en était ainsi, l’apôtre ne dirait pas que, de cette masse, Dieu a fait des vases de colère, mais qu’il avait laissé dans cette misérable masse des vases qui étaient déjà des vases de colère.»   Je réponds que l’apôtre a eu raison de dire que les vases ont été faits par Dieu, de la masse, et non qu’ils ont été laissés dans la masse.  Car, les hommes non encore nés ne sont pas en masse, et ils ne sont des vases qu’en puissance.   Quand ils naissent en acte, c’est alors qu’ils commencent à être des vases en acte, et formés de la masse corrompue, c’est-à-dire du genre humain propagé infecté par le vice originel.

Le second argument.   Si l’apôtre parlait de la masse déjà corrompue, il ne s’évertuerait pas à établir que la justice de Dieu doive s’exercer dans les supplices des réprouvés.  Car, la cause de la destination à la colère serait autant connue que la cause de la destination à la miséricorde.  S’il en était ainsi, pourquoi s’exclamerait-il : o altitude des richesses !»  Je réponds que l’apôtre ne peine pas à établir la justice de Dieu envers les supplices des réprouvés, mais que, dans un cas pareil, Dieu fait miséricorde à l’un et ne fait pas miséricorde à un autre.   Qu’il aime Jacob et qu’il haïsse Isaü avant qu’ils aient été forcés de faire quoi que ce soit de bon ou de mauvais, comme ils sont l’un et l’autre, par nature, des fils de la colère.  Qu’ensuite, de la même masse, corrompue et viciée, il fasse certains vases, comme le mérite la masse elle-même, pour la contumélie, et d’autres pour les honneurs, sans mérite de leur part.  De cette différence, on ne peut assigner aucune cause que la volonté de Dieu,  comme le potier qui de la même glaise, fait certains vases qui serviront pour la nourriture, et d’autres pour recevoir des excréments.  Les premiers, il les peints ou les orne avec de l’or ou des perles, et les autres, il les laisse comme ils étaient, c’est-à-dire à leur nature, qui est de  la glaise.

Et c’est à cette distinction que saint Augustin réfère l’exclamation de saint Paul (o hauteur des richesses ), et surtout dans l’épitre 105 à Sixte : «Qu’on n’ose pas porter un jugement sur ses jugements inscrutables, à savoir pourquoi dans une seule et même cause, la miséricorde de Dieu vient sur l’un, ou sa colère demeure sur un autre. Car, qui sont ceux qui peuvent  répondre à Dieu !»   Et, au même endroit : « Pourquoi libère-t-il celui-ci plutôt que celui-là, ou pourquoi ne le libère-t-il pas, qu’il réponde celui qui peut scruter la profondeur et la hauteur des jugements de Dieu.   Mais, qu’il craigne le précipice !»

Le troisième argument. C’est certainement à la création du premier homme que saint Paul pensait quand il parla du potier et de la glaise.  Je réponds que ça ne parait pas nécessaire, ni même vraisemblable, puisqu’il y a un passage semblable en Isaïe 45, auquel l’apôtre fait allusion, de l’aveu même de Calvin et  de Pierre le martyr,  que Bèze reconnait pour ses maîtres à penser : « Est-ce que la glaise dira au potier, qu’as-tu fait etc»  Le prophète ne traite pas, là, de la formation du premier homme,  mais il dit que Dieu ne peut pas moins disposer des hommes, comme il le veut, que le potier le peut  de ses vases  De plus, si nous voulions donner aux mots leurs sens propre, de la glaise dont Dieu s’est servi pour former le premier homme, il n’a pas fait plusieurs vases, mais un seul, et pour une fin honorable.  Les autres hommes, comme chacun sait, n’ont pas été faits de la vase, mai, naissent à chaque jour d’autres humains, par la propagation charnelle.  Ensuite, la masse de laquelle sont faits des vases destinés à l’honneur ou la contumélie, ce n’est pas la glaise d’où le premier homme a été seul fait, mais les hommes eux-mêmes, de qui, par la voie naturelle de la génération, les autres hommes sont procréés.

Il reste un dernier passage : Exode, chapitre 9, et Romains, chapitre 9 : « Je t’ai suscité pour montrer en toi ma puissance.»  Car, ces paroles semblent vouloir dire que le Pharaon a été créé par Dieu pour qu’il pèche, et que Dieu démontre sa puissance en le punissant pour ses péchés.  Mais on peut  facilement en donner une explication acceptable avec ce que nous avons dit précédemment.  Car, que  le «je t’ai placé ou suscité » signifie je t’ai créé ou je t’ai promu au règne, ou je t’ai conservé, -- car, de toute façon il devait mourir, --on doit toujours y voir un péché que Dieu a prévu, mais non fait, et qu’il ordonne au bien.  Le sens est donc : comme j’ai prévu que tu me serais contraire, et que tu rejetterais obstinément mes préceptes, et comme j’aurais pu empêcher que tu ne naisses, ou que tu montes sur le trône, ou t’enlever la vie immédiatement après ton péché, je t’ai,  cependant, accordé la vie et le règne, et pour un assez long temps,  pour me servir de ta malice pour former mon peuple, et pour montrer ma justice et ma puissance dans ton supplice.

Saint Augustin (dans la question 32 sur l’Exode,) commente ainsi ce passage : « Tu as été conservé pour que je démontre  en toi ma puissance, et que mon nom soit annoncé sur toute la terre.  Ces paroles de l’Écriture, saint Paul les a faites siennes,  dans un passage très difficile.   Il dit là-bas et ici, si voulant montrer sa colère et démontrer sa puissance,  Dieu a supporté avec beaucoup de patience des vases de colère, épargnant ceux qu’il prévoyait devenir mauvais, vases, qu’il dit parfaits pour la perdition.»  Et plus bas : « Dieu savait donc se servir des mauvais, dans lesquels il n’avait pas créé la nature humaine pour la méchanceté.  Il les conserve patiemment jusqu’à ce qu’il sache qu’il lui faut  s’en servir non pour rien, mais pour l’Instruction et le perfectionnement des bons.   Car, que son nom soit annoncé sur toute la terre, c’est une chose profitable aux vases de miséricorde. Pharaon a donc été conservé pour l’utilité des bons, comme l’écriture l’atteste, et la sortie de l’Égypte l’enseigne.

En expliquant ce même texte, Rupert  dit : « Dieu a suscité le pharaon, quand il lui a accordé le règne et a remis en ses mains la toute puissance, parce qu’il était un vase de colère, et parce qu’il était déjà digne de mort.  Il l’avait donc placé là pour corriger les fils de la miséricorde , pour être la verge de la fureur et le bâton dans la main de Dieu sur ceux qu’il avait décrété d’être transférés dans la gloire après la tribulation.  Donc, quand il dit : je t’ai suscité ,il veut dire je t’ai donné le pouvoir, en  le permettant seulement, et non en agissant pour que tu exerces le pouvoir suprême, pour que tu tiennes  de la méchanceté le pouvoir, et la dureté de cœur avec laquelle tu as fait souffrir mon peuple.»

Calvin et Pierre le martyr, dans leurs commentaires réciproques de Romains 9, réfèrent le «je t’ai suscité» à la désobéissance du pharaon, de façon à ce que le sens soit : je t’ai suscité pour que tu affliges mon peuple, pour que tu me résistes, et pour que je démontre en toi ma patience.  S’ils voulaient que Dieu ait suscité ou excité le pharaon pour que, ayant prévu sa désobéissance, il s’en serve pour châtier son peuple,  et montrer sa puissance, ils diraient la même chose que ce nous avons dit, avec saint Augustin.  Mais s’ils veulent dire, ce qu’ils semblent bien vouloir dire, qu’avant toute prévision d’un péché du pharaon,  Dieu a incité le pharaon à lui résister, ils font ouvertement de Dieu l’auteur du péché, et ils contredisent saint Augustin.  Car, dans un texte cité plus tôt, il dit que Dieu n’a pas créé les hommes pour qu’ils soient mauvais, mais qu’il se sert, pour le bien,  de ceux qu’il savait devenir mauvais,   On ne peut donc déduire rien d’autre des paroles de Moïse ou de saint Paul,  que le Pharaon a été créé, conservé, et promu au règne par Dieu , même s’il savait qu’il serait désobéissant et obstiné, pour manifester sa justice et sa puissance.

                                                            CHAPITRE 13

                     On réfute des objections tirées d’autres textes de l’Écriture

Ce troisième chapitre contient des passages dans lesquels Dieu semble pousser les hommes au mal, et se servir d’eux comme des instruments pour des œuvres qui ne peuvent pas être faites sans commettre de péchés.  Livre 2, Rois, chapitre 24 : « Il ajoute que la fureur du Seigneur a sévi contre Israël, qu’il a soulevé  David contre eux,  lui disant contre eux : va, fais le recensement d’Israël. »   Au même livre, chapitre 16 : « Le Seigneur a ordonné à Semei de maudire David.»   Dans le livres des Rois 22, le Seigneur dit à l’esprit mauvais qui devait, selon sa promesse, tromper Achaz : « Trompe-le, et tu prévaudras.  Va, et fais ainsi. »  De même dans le livre 3 des Rois, chapitre 11, et 12, et dans le livre 4, chapitre 9 et 10, on dit que la rébellion de  Jéroboam contre Roboam venait de Dieu, ainsi que celle de Jéhu contre Achab.  Et, cependant, il appert que  l’un et l’autre avaient péché avec le peuple, qui s’était dévoyé avec ses rois légitimes.

Job 1 : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a enlevé.»  On dit ici que le Seigneur a enlevé ce que les Chaldéens avaient enlevé, parce que, dans cette œuvre, ils avaient été les instruments de Dieu. Isaïe X .  On dit que Sennacherib est une verge dans la main du Seigneur.  Et au même en droit, la  verge de sa fureur, et le bâton de sa colère.   Et, dans le chapitre 13 : «Voici que je susciterai contre vous les Mèdes, qui ne penseront pas à l’argent, et ne désireront point l’or.  Ils transperceront les enfants de leurs flèches, et n’auront pas pitié des fruits du ventre, et leurs yeux n’épargneront pas les fils.»  Et, au tout début du chapitre : j’ai prescrit à mes sanctifiés.  Il appelle, là, les Mèdes et les Perses ses sanctifiés, parce qu’ils seront les instruments de sa colère.  Jérémie 11 : «Le Seigneur a excité l’esprit des rois mèdes, parce que leur pensée est contre Babel.»  Et, au chapitre 1,  le roi de Babylone est appelé la massue de toute la terre.   Et en Ézéchiel 12, le même roi est appelé le filet de Dieu, tendu pour attraper les Israélites.  Semblable est ce psaume XL111 : « Tu as détourné nos sentiers de ton chemin.»  Psaume C1V : « Il a converti leurs cœurs, pour qu’ils haïssent son peuple.»  Psaume CXV111 : « Incline mon cœur vers tes témoignages,  et non vers l’avarice.»  Psaume CX1 : «N’incline pas mon cœur vers les paroles de malice.»  Et enfin, Matthieu 6 : « Et ne nous induis pas en tentation.»

Je réponds qu’on peut entendre de quatre façons que Dieu incite ou incline quelqu’un au mal.  La première serait si Dieu, par lui-même, et proprement  pousserait quelqu’un physiquement, c’est-à-dire en mouvant  immédiatement sa volonté, ou moralement, en lui commandant vraiment et proprement.  Mais, cette façon est manifestement fausse, impie et blasphématoire.   Saint  Augustin dans sont traité 53 sur Jean  écrit :« Les Juifs ont commis un péché que Dieu ne  les a pas poussés à commettre, qui ne plait pas à Dieu, mais qu’il a prévu qu’ils feraient, lui à qui rien n’est caché.»  Et, un peu après :  « La piété des fidèles doit tenir sans faille ce que l’apôtre a répondu, quand il s’est posé cette question fort difficile : y a-t-il de l’iniquité en Dieu ?  Loin de nous cette pensée.» Et dans le livre de la grâce et du libre arbitre, chapitre 20, il écrit : « Comment Dieu a-t-il commandé à Semei de maudire David ?  Qui est assez sage pour comprendre cela ?   Car, il n’a pas dit en ordonnant  là où l’obéissance serait louée.  Car, s’il avait obéi à ce qui avait été commandé,  on devrait le louer plutôt que le punir, alors que nous savons qu’il a été, plus tard, puni à cause de cela.»  Saint Augustin nie donc que les pécheurs soient poussés au péché par Dieu, car, alors, il y aurait de l’iniquité en Dieu.   Et, il nie, en même temps, que Dieu ordonne proprement aux pécheurs de pécher, car ceux qui, en ce cas, obéiraient à Dieu seraient dignes de louange plutôt que de blâme.

Laissons donc de côté la première façon.  La deuxième.  Quand Dieu dit, dans l’Écriture, qu’il pousse ou provoque quelqu’un au mal, ou même qu’il  lui commande de mal faire, il s’en sert comme d’instruments en leur permettant de mal agir.  Car, bien qu’on ne puisse pas  vraiment dire qu’il permet tout ce qu’il commande qu’on fasse, ni pousser provoquer à ce qu’on le fasse, cependant, Dieu, sans la permission duquel rien ne peut se faire, quand il permet que quelque chose se fasse pour obtenir une certaine fin déterminée,  est vraiment dit, par trope, commander quelque chose, et exciter à quelque chose.   Comme nous disons aussi,  dans la vie de tous les jours, que le chasseur a lancé le chien sur le lièvre, alors que le chasseur n’a fait que relâcher la laisse qui retenait le chien pour qu’il ne poursuive pas le lièvre.

Nous apprenons cela clairement de l’histoire de Job.   Car, Dieu n’a pas poussé le diable à vexer Job. Mais il a permis de le faire à celui qui le lui demandait : « Voici que tout ce qu’il a est dans ta main.  Cependant, tu n’étendras pas sa main sur lui.»  Il n’était pas nécessaire que Dieu excitât le démon contre Job, ni qu’il lui commandât  de tourmenter atrocement ce saint homme. Car, le démon haïssait suffisamment Job par lui-même, et désirait  par lui-même exercer toute sa puissance contre lui.  Il ne pouvait cependant pas lui nuire  à moins que Dieu ne  lui permette de le faire  quand il le voudrait,  comment  il le voudrait, et jusqu’où il le voudrait.  L’Écriture attribue donc toute l’affliction de Job à Dieu plutôt qu’au démon.  Car, Job a dit lui aussi : Dieu a donné, Dieu a enlevé.  Que son saint nom soit  béni.  Et au diable, il a dit : « Étends ta main, et touche tout ce qu’il possède.»  Et Dieu lui-même a dit : « C’est toi qui m’as poussé à l’affliger pour rien.»  Nous voyons donc, ici, qu’on attribue à Dieu des actions, alors qu’il n’a fait que permettre qu’elles arrivent.

La même chose appert de saint Augustin qui (dans livre 2 question 2 à Simplicianus) dit, en expliquant le témoignage de Job, que Satan avait, de lui-même, une mauvaise volonté de nuire  à Job, qu’il n’a demandé aucune aide à Dieu, mais simplement la permission d’exécuter ce qu’il avait conçu.    Et (au livre sur la grâce et le libre arbitre, chapitre 13), il dit ainsi : «Comme vous avez entendu, moi, le Seigneur, j’ai séduit ce prophète.  Cela veut dire ou bien le Seigneur a séduit le prophète ….ou il a permis qu’il soit séduit.»

La troisième façon.  On dit que Dieu pousse au mal, ou command le mal, ou se sert des mauvaises volontés des impies comme des instruments, car, non seulement il permet aux impies de mal agir, mais  il  les abandonne  même quand ils sont affligés, et donne ainsi aux impies la victoire sur eux.  Mais, on dit que Dieu a commandé  à l’esprit de tromper Achab,  parce qu’il n’a pas seulement permis à l’esprit de proférer des mensonges, par la bouche de tous les  prophètes d’Achab, mais il ne leur a pas  non plus, donné la lumière qui leur permette de distinguer le mensonge de la vérité.  C’est ainsi aussi qu’on dit que Dieu s’est servi du roi d’Assyrie, comme d’une verge, d’un bâton ou d’une massue, ou d’une hache,  pour frapper les fils d’Israël,   mais il a aussi abandonné son peuple, a retiré l’aide de son glaive, et ne leur a pas prêté secours pendant la guerre, comme on le dit dans le psaume  LXXXV111.  Et c’est ainsi aussi que commente saint Augustin (dans son épitre 89, question 2) le verset suivant : et ne nous induis pas en tentation. « On doit entendre : ne permets pas que nous soyons tentés en nous abandonnant».

Mais, si ces façons d’interpréter ne satisfont pas tout le monde, que se présente une  autre qui satisfera complètement.   Donc Dieu non seulement permet que les impies fassent des choses mauvaises, non seulement il abandonne les pieux pour qu’ils soient forcés de souffrir ce que leur infligent les impies, mais aussi, il préside à leurs mauvaises volontés, les régit et les gouverne, les tord et les fléchit en opérant invisiblement en elles,  pour que, bien qu’elles soient mauvaises par leurs propres vices, elles soient,  par la divine providence, amenées à ce mal plutôt qu’à cet autre, non positivement, mais en le permettant.  Voici ce qu’explique  Hugues de saint Victor, (dans le livre1 sur les sacrements,  par 6, chapitre 29, par ces mots :

« Du mode de la divine modération par lequel, présidant aux volontés occultes, il les tempère et incline, selon son bon plaisir,  il convient de croire que Dieu ne donne pas la corruption aux mauvaises volontés, mais l’ordre.»   Et plus bas.   «Donc, quand la volonté est malade, le vice, par lequel elle est mauvaise, vient d’elle-même.  L’ordre qui fait vouloir ceci plutôt que cela, vient de Dieu.  Dans la volonté donc, le vice est présent, et il est mauvais, et c’est de lui que la volonté est mauvaise.  Dans le vouloir, il y a aussi le vice,  en autant que le vouloir vient d’une volonté mauvaise; et il y a un ordre, en autant que le choix de ceci plutôt que cela relève de celui qui en dispose.  La mauvaise volonté peut donc être corrompue en elle-même, et se résoudre, par son propre vice, à ce qui ne lui est pas donné de l’extérieur.  Mais, elle ne peut pas, en voulant, se précipiter en dehors d’elle, à moins qu’une voie ne lui soit ouverte.   Et celui qui veut ouvrir une voix pour qu’on s’y précipite, comme il incline quelqu’un, non ne le poussant, mais en le permettant, et en ne le retenant pas, n’est pas l’auteur de la chute, mais le moteur..» 

On peut ajouter à ces réflexions le  commentaire de saint Thomas du chapitre 9 aux Romains.   Dieu non seulement incline les mauvaises volontés à une chose plutôt qu’à une autre en permettant qu’elles se portent sur une chose et en ne permettant pas qu’elles se portent sur une autre chose, comme l’enseigne correctement Hugues de saint Victor, mais aussi positivement, en inclinant vers une chose, et en détournant d’une autre, non, il est vrai, par lui-même, et comme en mouvant physiquement la volonté à choisir une chose, et en la détournant d’une autre, ce qui semblerait préjudiciable au libre arbitre, mais occasionnellement, comme le dit saint Thomas, et moralement, en envoyant une bonne pensée, à l’aide de laquelle le méchant trouvera, à cause de son vice, une occasion de juger qu’il est préférable de nuire à celui-ci plutôt  qu’à celui-là. 

 Et c’est de cette façon que saint Augustin et Theodoret expliquent le psaume 104 : « Il a converti leurs cœurs pour qu’ils haïssent son peuple.»  Ils disent, en effet, que Dieu a fait cela non en pervertissant les cœurs des Égyptiens, mais en faisant du bien à son peuple, fournissant ainsi aux Égyptiens l’occasion d’une plus grande haine.  Donc, bien que Dieu n’ait pas fait les mauvaises volontés, il  y a quand même présidé, les a régies et a tout ordonné  pour le plus grand bien de ses élus, comme, selon l’enseignement de saint Basile, (dans son sermon sur Dieu n’est pas l’auteur des maux) quand les médecins utilisent , pour guérir les corps, le venin des vipères qu’ils n’ont pas fait eux-mêmes.

Ces réflexions préalables nous permettront d’expliquer tous les passages cités plus haut. Livre 2 des Rois, chapitre 24. On dit que Dieu a poussé David à faire le recensement de son peuple, dans lequel recensement il pécha gravement.  Voici ce que nous lisons dans le livre des paralip (chapitre 16) : « Satan conspira contre Israël, et incita David à faire le recensement de son peuple.»  Donc, celui qui incita proprement David à pécher, ce n’est pas Dieu, mais satan.  On attribue, cependant, cette intention à Dieu, parce que si Dieu ne l’avait pas permis, satan n’aurait rien pu faire.  Dieu l’a permis, parce que c’est ce que méritaient les péchés du peuple.  Et au sujet de la malédiction de Semeï, on a déjà dit comment on devait entendre que Dieu avait prescrit à Semeï de maudire David.  Il l’a incliné (comme nous l’avons dit de Hugues de saint Victor), non en le forçant, mais en lui ouvrant une voie à ce mal, et en fermant les autres, c’est-à-dire, en permettant qu’il ne veuille et n’accomplisse que ce mal, plutôt que d’autres qu’il était disposé à faire.  On donne la même réponse à l’esprit qui trompe Achab.   Car, cet esprit a obtenu de Dieu qu’il puisse tromper le roi, et il agissait non  pas tant par  un ordre,  que par une permission divine, puisqu’il était, par lui-même, prêt à commettre n’importe lequel mal, et était rempli de désirs de nuire.

Mais Calvin insiste (livre 1, chapitre 18, verset 11) : « Si cet aveuglement et cette folie d’Achab est un jugement de Dieu, le recours fictif à une pure permission s’évanouit.  Car, il serait ridicule qu’un tel juge permette sans décider aussi ce qu’il veut que l’on fasse, et sans en confier l’exécution à ses ministres.»  Mais, il n’a pas paru ridicule à saint Augustin qu’un juge ne fasse que permettre, comme il le dit (dans le livre sur la grâce et le libre arbitre, chapitre 23) : « Quand vous entendez : c’est moi qui ai trompé ce prophète, ou qu’il endurcit qui il veut, pensez aux mérites de celui qu’il permet qu’il soit obscurci et trompé.» Quand saint Augustin dit là que c’est  à causes de ce que mérite les hommes que Dieu permet l’endurcissement et la séduction, il montre assez clairement que Dieu permet cela en tant que juge.  Car, même si quelqu’un qui n’est pas juge ne fait que permettre, cependant, celui qui a en son pouvoir d’empêcher ou de permettre que l’un nuise à l’autre, et décide de ne pas empêcher, mais de permettre, pour punir celui qui est digne d’une telle peine, cet homme agit véritablement en juge dans cette permission.

À ce qui se rapporte à  Jéroboam  et à  Jéhu, on pourrait apporter la même réponse.  Mais je pense qu’on peut dire, en toute probabilité,  qu’ils furent, tous deux, des rois légitimes élus proprement par Dieu.  Car bien que Calvin (dans le livre 1, dernier chapitre)  veuille que Jéroboam et Jéhu aient gravement péché en manquant de foi à leurs propres maitres et en envahissant un royaume, et que Pierre le martyr pense la même chose de Jéroboam (rois, chapitre 11, livre 3), cependant, saint Augustin ( livre 22, de la cité de Dieu, chapitres 21 et 22) enseigne ouvertement que Jéroboam n’a pas péché, et que le peuple n’a pas péché dans cette défection : « Dans cette affaire, ni le roi ni  le peuple d’Israël n’ont péché.  Ils n’ont fait que remplir la volonté de Dieu qui voulait, par eux, exercer sa vengeance.  Et il se trouve que l’ Écriture est plutôt favorable à saint Augustin.  Car, au livre 3 des Rois, chapitre 11, après avoir, au nom de Dieu, promis le royaume à Jéroboam, le prophète ajoute ces paroles : « Si tu écoutes toutes les choses que je t’ai prescrites, et si tu marches dans mes voies, et fais ce qui est droit devant moi, si tu gardes mes commandements et mes  préceptes, comme l’a fait David, mon serviteur, je serai avec toi, et je t’édifierai une maison fidèle, comme j’ai édifiai la maison de David.»  Il est certain que Dieu n’aurait pas comparé Jéroboam avec David  et ne lui aurait pas promis sa protection dans son règne, et une succession fidèle, s’il avait pensé qu’il était  un tyran, un envahisseur, et non un vrai roi.

De plus, au chapitre 12, quand Roboam a voulu faire la guerre à Jéroboam, pour récupérer la totalité de son royaume, Dieu envoya le prophète Semaias au roi Roboam et à tout le peuple : « Vous ne monterez pas, et vous ne ferez pas la guerre contre vos frères, les fils d’Israël.  C’est à moi qu’a été adressée cette parole.»  Après l’avoir entendu, ils laissèrent tomber leur intention de faire la guerre, et reconnurent Jéroboam comme roi légitime, et créé par Dieu sur les dix tribus, comme Roboam était roi sur les tribus de Juda et de Benjamin.  Et bien que, par la suite, Jéroboam ait été coupable d’un très grand crime, et devint schismatique, cependant, quand il reçut le royaume, il était bon, et il avait commencé à régner  légitimement de par l’élection divine, et  le consentement du peuple.

On peut en dire autant de Jéhu.  Il ne convoita pas un royaume, mais quand il n’en avait encore aucune idée, il reçut un fils des prophètes envoyé par Élisée,  pour l’oindre roi d’Israël au nom de Dieu, avec l’ordre de tuer  le roi Achab et la reine Jézabel, et d’exterminer toute sa maison.  Et quand il eut accompli sa mission, il entendit le Seigneur lui dire : «Parce que tu as accompli vaillamment ce qui est juste, et que tu as fait contre la maison d’Israël  ce qui plaisait à mes yeux, et tout ce qui était dans mon cœur, tes fils siégeront sur le trône d’Israël jusqu’ à la quatrième génération. Rois, livre 4, chapitre 10)»  Qui croira que Dieu aurait loué ce qu’a fait Jéhu, et aurait dit qu’il a soigneusement fait ce qui est droit,  si  Jéhu s’était rebellé par ambition, et avait tué injustement son Seigneur, comme l’enseigne Calvin.  Calvin n’a donc pas vraiment prouvé que c’est de Dieu que viennent les choses perverses que font les hommes, du seul fait qu’il a été l’auteur des règnes de Jéhu et de Jéroboam.

Mais Calvin ne se considère pas comme battu.  Il nous objecte un texte d’Osée, (chapitre 8) où Dieu semble réprouver le règne de Jéroboam, quand il dit : « Ils ont régné, mais non de par moi.  Ils sont devenus princes, mais je ne les ai pas connus.»  Saint Jérôme applique ce texte même à Jéroboam.  Je réponds qu’on peut dire de deux façons que Jéroboam a régné non de par Dieu, c’est-à-dire, non avec l’approbation de Dieu,   Car, on peut entendre ce texte, comme le fait saint Thomas (dans son commentaire du chapitre 13 aux Romains), de l’sage qu’il fit du règne, et non de l’institution.  Et de cette façon, il est certain que le règne de Jéroboam ne venait pas de Dieu, ni non plus celui de ceux qui l’ont suivi.  Car, ils furent tous des rois impies.

On peut entendre ce texte de la cause de l’institution du royaume de Jéroboam, laquelle ne venait pas de Dieu, et, pour autant, ni l’institution elle-même.  Mais, si on regarde l’occasion, elle venait de Dieu.  Car, Dieu ne voulait pas que Salomon péchât au point de mériter la division du royaume, et il ne voulait pas non plus absolument que le royaume soit divisé. Cependant, compte tenu du péché de Salomon, il plut à Dieu que le royaume soit divisé, et c’est pour cela qu’il a livré une partie du royaume à Jéroboam.  C’est avec cette raison que nous avons  coutume de faire accorder les deux textes suivants : «Dieu n’a pas fait la mort», (Sagesse 1)  et : «Et Dieu donne la mort et la vie.» (1 Rois 1). Car Dieu donne vraiment la mort à qui il veut, mais cela il ne l’aurait pas  fait si dans le premier parent tout le genre humain ne s’était pas rendu coupable de mort.  Saint Jérôme n’a voulu regarder rien d’autre , parce que le témoignage d’Osée il ne l’applique pas seulement à Jéroboam, mais aussi à Saül.  Il appert que Saül a été un roi légitime, choisi par Dieu (1 Rois X) :  «Vous verrez assurément celui que le Seigneur a choisi, parce qu’il n’y en a pas de semblable à lui dans tout le peuple.»  Et cependant, parce que le peuple avait péché en demandant un roi, (comme nous le lisons dans 1 Rois 12), l’occasion d’élire Saül, ou d’instituer un roi dans le peuple de Dieu ne vint pas de Dieu, et Dieu pouvait vraiment dire par le prophète : « Ils ont régné, mais cela ne venait pas de moi.»

Venons-en maintenant au psaume XL111 : « Tu as détourné nos sentiers de ta voie.»  Je réponds que ce détournement des sentiers de la voie du Seigneur n’est pas un détournement vers les péchés, mais un détournement de la part de l’aide et de la valeur de Dieu.  Car, voici ce qui précède : « Toutes ces choses arrivèrent sur nous.  Nous ne t’avions pas oublié, et nous ne nous étions pas iniquement comportés dans ton alliance.»  Et un peu après, viennent ces mots : et tu as détourné nos chemins de ta voie.  Et on ajoute un peu après l’explication : « Parce que tu nous as humiliés dans lieu de l’affliction, et nous a recouverts de l’ombre de la mort.»  Ajoutons que, même s’il semble être dit affirmativement : tu as détourné nos sentiers de ta voie, nous pouvons quand même , selon les règles des Hébreux, sous-entendre la  négation qui se trouve au début du verset, pour que le sens soit : « Tu n’as pas renvoyé en arrière nos cœurs, et tu n’as pas détourné nos sentiers de ta voie, il s’en faut donc de beaucoup que notre cœur se soit éloigné de toi.»  Voilà pourquoi saint Jérôme traduit ainsi : « Notre cœur ne s’est pas retourné en arrière, et nos sentiers ne se sont pas détournés de tes voies.»  Il n’y a pas lieu de répondre aux autres, car nous avons déjà expliqué comment il faut les entendre.

                                                        CHAPITRE 14

                     On réfute des objections tirées de textes de l’Écriture

Le quatrième chapitre contient des passages dans lesquels il est dit que Dieu aveugle et endurcit les cœurs des hommes, de façon à ce qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas bien agir.  Exode 7, 8, 9 : « Le Seigneur a endurci le cœur du pharaon».  Deutéronome 2 : «Le Seigneur a endurci l’esprit de Sehon.  Josué 11 : « Le Seigneur les avait aveuglés et endurcis.» 1 Rois 2 : « Ils n’écoutèrent pas la voix de leur père,  parce que Dieu a voulu les tuer.» Rois 12 : « Le roi n’écouta pas le peuple, pace que le Seigneur l’avait aveuglé.» Job 12 : « Celui qui ferme la bouche des véridiques, et enlève la doctrine au sages, celui qui change le cœur des princes, et les trompe pour qu’ils frappent inutilement par envie, pour qu’ils tâtonnent comme dans les ténèbres, et non dans la lumière, et qui les aveugle comme des hommes ivres.»  Isaïe 9 : «  Le Seigneur a mis en eux un esprit de vertige.»  Et au chapitre LX111 : « Pourquoi nous as-tu faits errer loin de tes voies, et as-tu endurci nos cœurs pour que nous ne te craignions pas ?»  Jérémie 20 : « Tu m’as séduit, et j’ai été séduit.»  Jean X11 : « Ils ne pouvaient pas croire, parce que, comme l’avait prédit Isaïe : il a aveuglé leurs cœurs  et les a endurcis.  Il a aveuglé leurs yeux, en endurci leurs cœurs.»  Romains 1 : « Dieu les a livrés à leurs sens réprouvés, pour qu’ils fassent ce qui ne convient pas.»  Et romains 9 : « Il a pitié de qui il veut, et il endurcit qui il veut.»

Je réponds que selon la sentence unanime des pères, Dieu n’est pas la cause de l’aveuglement et de l’endurcissement des cœurs positivement (pour parler ainsi), mais négativement, c’est-à-dire, en permettant, en abandonnant, et en n’ayant pas pitié.  Nul ne peut nier que ce soit juste.  Car, Dieu n’abandonne pas à moins d’avoir été abandonné, et il est juste que ceux qui abandonnent soient abandonnés, comme saint Augustin l’enseigne (dans son livre sur la nature et la grâce, chapitre 26, traité 2 sur saint Jean.)  Et même si Pierre le martyr (dans son commentaire du  premier chapitre aux Romains) admet que tous les pères l’expliquent ainsi,  comme nous l’avons dit, je prendrai quand même la peine de citer quelques textes de saint Augustin.  Dans son épitre 105 à Sixte, il parle ainsi : « Dieu n’endurcit pas en communiquant la malice, mais en n’accordant pas la miséricorde.»  Il dit de même à Simplicius (question 2, vers le milieu) : « Endurcir, pour Dieu, c’est ne pas vouloir faire miséricorde.  Il  n’apporte pas à l’homme quelque chose qui le rendrait pire, mais qui le rendrait meilleur.»   Et au livre 5, chapitre 3, contre Julien : « Quand on dit que l’homme est livré à ses désirs, il devient coupable parce que,  après avoir été abandonné de Dieu, il tombe dans ce qu’il désire, consent, est vaincu, est saisi, trahi, possédé.»  Ensuite, (dans le traité sur saint Jean, 53) : « Dieu aveugle, Dieu endurcit en abandonnant, en n’aidant pas, ce qu’il peut faire par un jugement occulte qui n’est pas injuste.»

Saint Jean Chrysostome dit des choses semblables (dans son homélie 3 sur l’épitre aux Romains) où il donne l’exemple d’un chef qui abandonne ses soldats dans un combat.  Saint Grégoire dit aussi des choses semblables  (dans son livre 25, chapitres 12 et 12, des morales), et saint Jean Damascène  (livre 4, chapitre 20 sur la foi).  De même, saint Isidore ( livre 2, chapitre 19 sur le souverain bien).  Mais comme toute permission ou tout abandon ne peut pas être appelée un endurcissement ou un aveuglement, la chose requiert une explication plus élaborée.

Il faut d’abord observer que la cécité de l’esprit, comme aussi l’endurcissement du cœur, est un péché, une cause et un effet du péché, ou la peine du péché.  C’est ce qu’écrit saint Augustin contre Julien (livre 5, chapitre 3) : « La cécité de l’esprit que seul peut enlever l’illuminateur de l’esprit, est un péché, par lequel on ne croit pas en Dieu, et est une peine du péché, par laquelle le cœur orgueilleux  est puni par une digne animadversion.  Elle est aussi la cause du péché, quand, par une erreur du cœur, quelque chose de mauvais est commis.»  On peut dire la même chose de l’endurcissement du cœur, car, dans ce passage, saint Augustin parle indifféremment de l’endurcissement et de la cécité.  Et l’Écriture reproche aux hommes l’un et l’autre comme étant un vrai et un grand péché.  Matthieu 13 : « Le cœur de ce peuple est encrassé, et ils endurcirent  leurs oreilles, et ils fermèrent leurs yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, et ne pas entendre de leurs oreilles, pour qu’ils ne comprennent pas avec leurs cœurs, pour qu’ils ne se convertissent pas et que je ne les guérisse pas.»  

Donc, la cécité du cœur dont il est question,  n’est pas une simple absence de lumière, mais quelque chose de pervers  qui fait rejeter les inspirations divines,  et empêche Dieu d’illuminer l’âme.  Voilà pourquoi on dit de ces hommes  (Matthieu 13) que voyant ils ne voient pas, car ils voient ce à partir de quoi ils pourraient être illuminés, mais, à cause de leur malice, ils ne veulent pas en tenir compte.  C’est donc leur malice qui les aveugle.   Pour une raison semblable, le durcissement du cœur est quelque chose de pervers, par lequel quelqu’un méprise  les admonitions divines internes ou externes, et leur résiste toujours de plus en plus, jusqu’en arriver à un point où il ne ressent plus rien.  C’est alors que le cœur est dit dur, lapidaire, lourd, crasseux, quand il ne se meut pas vers les corrections et les amendements divins, car ile ne ressent plus ce genre de choses.   À l’opposé, le cœur est dit tendre, mou, charnel,  quand il acquiesce facilement aux admonestations de Dieu ou des hommes, parce que la chair moelle et tendre est facilement pénétrée, et perçoit les plus petites ponctions : « Le cœur dur, dit saint Bernard, (dans son livre 1 sur la considération),  n’a pas horreur de lui-même, parce qu’il ne se sent pas lui-même.  Il n’est pas ému par des prières, il ne cède pas aux menaces,  et  il endure les tourments.»

Nous avons ici la permission  par laquelle Dieu a permis que le premier homme chute, et par laquelle aussi, il permet que le juste chute.  On ne peut pas dire que c’est un aveuglement ou un endurcissement,  car, étant des peines du péchés, l’aveuglement et l’endurcissement ne peuvent pas être le premier péché,  et ce sont les pécheurs et non les justes qui sont aveuglés et endurcis.   Romains 1 : « Comme ils n’ont pas approuvé d’avoir Dieu dans leur pensée, Dieu les livra à leurs sens réprouvés.»  De même : «  Pace qu’ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge,  parce qu’ils adorèrent et servirent la créature plutôt que le Créateur, Dieu les livra, à cause de cela, à leurs passions d’ignominie.»  Et 2, aux Thessaliens 2 : « Parce qu’ils n’ont pas reçu la charité de la vérité, pour être sauvés,  Dieu les a envoyés à l’opération de l’erreur, pour qu’ils croient au mensonge.»

Il faut observer, en second lieu,  que pour qu’Il y ait endurcissement ou cécité, il ne suffit pas que  quelqu’un ne croie pas ou ne voie pas, mais il est requis qu’il ne puisse pas moralement  voir ou croire.  C’est ce que montrent les mots d’obscurcissement et d’endurcissement.  Car, on n’appelle pas aveugles ceux qui peuvent voir, même s’ils ne voient pas.  Et on appelle dures les choses  qui ne se brisent pas si on les frappe, et  qui ne peuvent pas se briser quand on les martèle.   À ce sujet, voici ce que nous lisons dans saint Jean (12) : « Ils ne pouvaient pas croire parce que, comme l’avait dit Isaïe : aveugle le cœur de ce peuple,  et endurcit ses oreilles.»  Et dans Ecclésiastique 7 : « Considère les œuvres de Dieu : personne ne peut corriger celui que Dieu dédaigne.»  Ce qui nous fait comprendre qu’on ne dit pas que  Dieu aveugle ou endurcit quand  il aide l’homme par son secours, de façon qu’il pourrait vraiment s’il le voulait, même s’il permet qu’il tombe,  et l’abonne parce qu’il n’accorde pas le secours pour qu’il veuille infailliblement.  Autrement, tous ceux qui pèchent seraient aveuglés et endurcis, puisque personne ne peut pécher sans que Dieu ne le permette, et ne l’abandonne d’une certaine façon. Et il est évident que tous les pécheurs ne sont pas aveuglés et endurcis au sens propre du terme.

C’est donc  la seule permission, ou l’aveuglement et l’endurcissement  qui vient de Dieu qui fait en sorte que, par un juste jugement de Dieu, qui punit les péchés passés,  l’homme est privé de l’aide de Dieu au point  de ne pouvoir pas moralement ne pas tomber.  Et c’est ce que montre la comparaison de saint Jean Chrysostome, celle du général d’armée qui abandonne ses soldats dans un combat.   Et c’est aussi ce qui me permet de réfuter l’objection  qu’a coutume de nous faire Calvin quand il soutient que l’aveuglement et l’endurcissement ne peuvent pas se rapporter à la seule permission ou abandon, parce que Dieu agit comme un juge dans cette chose, et un juge ne fait pas que permettre ou abandonner, mais punir.  Car, cette permission ou désertion est une grave punition et  une punition très grave, puisque, comme pour  une peine d’un péché passé, l’homme est laissé nu et sans armes,  au milieu des ennemis, et privé du secours de Dieu.

Il faut observer, en troisième lieu, qu’en tant qu’il est aveuglé ou en endurci, l’homme ne peut  pas voir ce qu’il devrait voir, ni faire ce qu’il doit faire, comme l’on dit. Mais ce n’est pas quelque chose de démontré, mais d’hypothétique.    Bien que, tant qu’il est aveuglé et endurci, l’homme ne peut pas voir et croire, cependant, il le peut absolument parlant, car, il peut, avec la grâce de Dieu, enlever la cécité et l’endurcissement, après quoi il pourra voir et croire.  Car, jamais Dieu n’abandonne l’homme à tout jamais.  Il l’aide toujours à obtenir la grâce et les forces avec lesquelles il peut éliminer l’aveuglement et l’endurcissement, puisque l’homme est tenu de se convertir à la foi, et que, quand il ne le fait pas, il pèche.  En conséquence, quand quelqu’un ne peut pas faire ce qu’il doit faire, c’est de sa faute s’il ne le peut pas, et il pèche parce que s’il avait demandé de l’aide, il aurait pu le faire.   Voilà pourquoi dans l’Exode (3) et ailleurs dans les Écritures, ceux qui ont le cœur endurci sont réprouvés et punis, car, c’est par leur faute qu’ils subissent cet endurcissement et qu’ils y persévèrent.

Saint Jean (chapitre 12) a dit d’eux : «  Ils ne pouvaient pas croire, parce qu’Isaïe avait dit : aveugle le cœur de ce peuple.»  De même, au chapitre 15, il dit la même chose des mêmes : «Ils n’ont pas d’excuse pour leur péché.»  Et saint Augustin (dans le traité 53 sur saint Jean), écrit, en expliquant ce verset : «c’est à cause de cela qu’ils ne pouvaient pas croire»,  explique  que, à cause de cette incapacité, personne n’ose nier le libre arbitre, ou excuser le péché. Et il en donne la raison : bien que des aveugles ne puissent pas voir, ils peuvent, s’ils le veulent, devenir des voyants.» 

Mais, accourra quelqu’un qui nous objectera que le jugement porté par Dieu nous rend incertains du futur. On ne sait pas vraiment s’il est encore en leur pouvoir de redevenir voyants en rejetant l’aveuglement et la cécité.  Je réponds que la certitude du jugement divin dépend de ce que celui qui a mérité d’être aveuglé et endurci est non seulement abandonné par Dieu, qui permet qu’i soit vaincu par les ennemis, et à être traîné de péché en péché, mais ne donne pas la grâce pour demander des forces, ce qui est une autre espèce plus occulte d’abandon.  Ce qui veut dire que, non seulement il ne l’excite pas et ne l’appelle pas, comme il le fait quand il prévoit que quelqu’un est apte à répondre à l’excitation et à l’appel, même s’il ne refuse pas absolument toute aide qui permette de demander du secours.  Cependant, il voit avec certitude qu’il ne se servira pas de cette aide. Et c’est ainsi qu’il a pitié de qui il veut, et qu’il endurcit qui il veut.  (Romains).

Il faut observer, en quatrième lieu, que, selon la façon de parler de l’Écriture, cet abandon est signifié à bon droit par des verbes qui expriment une action, même si, en fait, il ne s’agit pas d’une action, mais d’une omission d’action.  Car, (au livre 2 des  Rois, chapitre 12), on dit que David a tué Urie, alors qu’il ne l’avait pas tué par lui-même, mais avait seulement demandé à Joad de la placer à l’endroit où la bataille était la plus dense,  de l’abandonner, de le laisser seul pour qu’il y meure.  C’est de la même manière qu’on dit à bon droit que Dieu livre quelqu’un à son sens réprouvé, induit en tentation, envoie une opération d’erreur, endurcit, aveugle, même s’il ne fait tout cela qu’en permettant et en abandonnant.  Il ne s’ensuit pas que Dieu soit la cause du péché, ou qu’il pèche en abandonnant l’homme à ses tentations, même si David avait péché et avait été la cause d’un péché en commandant qu’Urie soit laissé seul dans le combat.  Car Urie était innocent, et il ne pouvait pas être justement mis à mort par David ou Joad.  Et c’est pour cela que David a péché quand il a ordonné qu’il soit laissé seul sans protection dans le combat, pour qu’il soit tué. 

 Si  Urie avait mérité la mort, David aurait pu utiliser ce moyen pour le tuer.  Et même si on disait qu’il y avait une vraie raison de faire mourir Urie, cependant, il n’aurait pas péché lui-même, et n’aurait pas été la cause du péché des Ammonite, s’il avait péri par leur glaive.  Car, David n’a pas commandé aux Ammonites de tuer Urie, mais comme ils s’élançaient d’eux-mêmes spontanément au massacre des Hébreux, David a voulu utiliser leur impiété pour le meurtre d’Urie, en le laissant seul, et non pour le meurtre des autres qu’il avait fait retirer du combat.

De la même façon, car, par un juste jugement, Dieu  livre certains à leur sens réprouvé en les abandonnant, les endurcit et les induit en tentation. Il  ne pèche pas lui-même, car c’est, en toute justice, qu’il les abandonne.  Il n’est pas, non plus, la cause du péché, car il n’excite pas satan à le tenter, et l’homme à consentir, (à moins que, comme nous avons dit plus haut, exciter soit ne pas empêche.  Mais, il se sert de la malice de l’un et de l’autre pour punir celui qui est digne d’une telle peine.  Calvin lui-même (livre 2, chapitre 4, verset 4), admet que souvent Dieu n’endurcit  qu’en abandonnant.  Cependant, il ajoute qu’il y a d’autres témoignages qui vont plus loin que cela : « Comme l’endurcissement du pharaon.     L’a-t-il endurci en ne le rendant pas mou ? C’est vrai.   Mais il fit plus, car  il a ordonné à satan d’endurcir son cœur à cause de son obstination.»  Mais on ne voit pas dans l’Écriture que Dieu ait commandé à satan d’endurcir le cœur de pharaon. Et lui-même ne cite aucun texte qui aille dans ce sens, comme nous l’avons fait nous-mêmes au sujet de David : «Le Seigneur a commandé à Semei de maudire David.»

On doit observer, en cinquième lieu, que l’action d’obscurcir et d’endurcir est attribuée, dans l’Écriture même aux choses qui sont des occasions plutôt que des causes de ces actions.  Car, on dit que les présents aveuglent les yeux des sages (Exode 23,  et Ecclésiastique 20).  On dit aussi que les créatures deviennent des ratières aux pieds des insensés.(Sagesse 14).  Ainsi, le vin et les femmes font apostasier les sages (Ecclésiastique 19).  C’est ainsi que la patience de Dieu endurcit parfois (Romains 2).  Quand, à l’occasion de telles choses, les hommes sont aveuglés ou endurcis, on ne dit pas que Dieu les a aveuglés ou endurcis, si ce n’est par accident, mais que ce sont les hommes qui, abusant des choses bonnes, se sont eux-mêmes endurcis ou aveuglés.  Quand, dans l’Écriture, on dit que Dieu aveugle ou endurcit, il le fait, cela, comme un juste juge; et c’est pour cela qu’il ne veut pas pour eux la conversion ou la pénitence, mais leur peine et leur ruine.  Or, quand il attend patiemment, ou dissimule les péchés, ce n’est pas la peine et la ruine qu’il veut, mais la conversion et la pénitence.  Sagesse 11, 1 : « Car, il dissimule les péchés des hommes, en vue de la pénitence.»  Et l’apôtre : « Ignores-tu que c’est la patience de Dieu qui t’a amené à la pénitence ?  Toi, à cause de ta dureté et de ton cœur impénitent, tu thésaurises pour toi la colère au jour de la colère et du juste jugement de Dieu.» (Romains 2, 2).

La patience de Dieu amène à la pénitence, et voilà pourquoi celui qui est aveuglé n’est pas excusé par Dieu, car c’est par leur malice qu’il les aveugle, comme le dit la Sagesse (5).  Si aveugler n’était pour Dieu rien d’autre qu’attendre patiemment, il faudrait prier Dieu pour qu’il nous aveugle, comme le dit correctement saint Augustin (livre 5, chapitre 3, contre Julien).  Donc, les passages allégués au début du chapitre, qui signifient que les hommes sont endurcis ou aveuglés par Dieu ne peuvent pas proprement être entendus au sens de patience mais d’abandon, comme nous avons dit plus haut, et comme cela deviendra évident si nous les parcourrons tous l’un après l’autre.  

Le premier témoignage a été tiré de l’Exode (chapitres 7, 8, et 9), là où il est question de l’endurcissement du pharaon.  Nous voyons, dans ces passages, que, tantôt, la cause de l’endurcissement est attribuée au pharaon, qui tirait, de la patience de Dieu, l’occasion de le mépriser, et d’endurcir son cœur dans le dessein de ne pas obéir. Et tantôt à Dieu lui-même, qui n’éclairait pas et ne mouvait pas son cœur par sa grâce, puisqu’il voyait qu’il convenait plutôt d’attendre et de le fléchir. «Voyant Pharaon (Exode 8) que du repos lui avait été donné, il endurcit son cœur, et ne les écouta pas, comme l’avait dit d’avance le Seigneur».  Voici donc comment Pharaon a abusé de la patience de Dieu, par l’endurcissement.  Et, de nouveau, au chapitre 9 : « Voyant Pharaon que la pluie avait cessé, ainsi que la grêle et le tonnerre, il augmenta son péché, et endurcit son cœur et celui de ses serviteurs, à l’excès.»  Parce que les fléaux de Dieu avaient cessé, le pharaon estima qu’il n’y avait plus rien à craindre, que c’était par hasard que le grêle et le tonnerre avaient frappé. Il confirmait donc son dessein de ne pas obéir.  Pharaon ne pensait pas que la cessation des plaies provenait des prières de Moïse, et que ces plaies étaient nées d’un juste jugement de Dieu, qui avait décrété de ne pas avoir pitié de Pharaon, ni de l’éclairer ou de l’inspirer.  Et c’est pour cela qu’on dit qie  le Seigneur endurcit le cœur du Pharaon.

On peut expliquer de la même façon des passages similaires tirés du Deutéronome, de Josué, du livre des rois, d’Isaïe  , et de l’apôtre saint Paul.  Ne présente aucune difficulté le passage suivant de Job : « Celui qui ferme les lèvres des véridiques, et enlève la doctrine aux vieillards; qui change le cœur des princes, et les trompe.»  Car, ce n’est pas en mentant que Dieu fait taire le véridique, mais en permettant qu’il soit trompé, comme nous l’avons dit au chapitre précédent, ou en les rendant muets, ou en éloignant les conseillers prudents.  Car, Dieu ne change pas le cœur des princes en faisant du bien à partir du mal, ou en leur inspirant un faux renseignement, mais en leur envoyant une bonne pensée, ou pensée qui est indifférente, qui les détournent de leur propos, et ainsi les trompe, quand la providence de Dieu fait en sorte qu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent.   Nous avons un exemple en Absalon qui, après avoir expulsé son père de la ville royale, désira  le perdre. Il réunit son conseil, par l’action de la providence de Dieu, et, après avoir entendu et approuvé l’avis de Achitophel, qui lui conseillait  ce qui était le plus utile pour l’obtention de son désir, il voulut, sous l’inspiration de Dieu,  écouter aussi le conseil de Chusai, qui était utile, mais pernicieux.  Dieu fit en sorte qu’Absalon écoute l’avis de Chusai, en soupèse les raisons, oublie le conseil d’Achitopel. Il   changea ainsi son cœur et fit lui-même en sorte qu’après avoir réprouvé le conseil d’Achitopel, il suive le conseil de Chusai, qui l’empêcha d’obtenir ce qu’il désirait le plus.  Voir, livre 2 des  Rois, chapitre 17.

La même chose est arrivée à saint Athanase. Car, quand il fuyait ses persécuteurs dans un navire, sous l’inspiration de Dieu, il fit machine arrière, et avança en direction de ses ennemis, qui le poursuivaient par le même fleuve.  Et toujours par la même divine providence, ne le reconnaissant pas, ils lui demandèrent à quelle distance était Athanse,   Il leur répondit qu’il n’était pas loin, et ils se hâtèrent alors pour l’attraper. Sans mensonge de la part d’Athanase, ses ennemis ont donc  été trompés par lui.  Ou plutôt, par un juste jugement de Dieu,  ils tâtonnaient  en plein jour, comme le dit Job,  et erraient comme des hommes ivres, parce que plus ils pensaient s’approcher de lui, plus ils s’en éloignaient.  Voir Théodoret (histoire livre 8, chapitre 8,) ou Ruffin (livre 1, chapitre 34).

Venons-en maintenant à Jérémie 20 : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit.» Il est très bien expliqué par saint Jérôme, rapportant cela non à la fausseté mais à l’ambigüité.  Car, Jérémie avait entendu : « Je te choisis comme prophète des Gentils.»  Et de nouveau : « Je t’ai établi sur les Gentils et sur les rois.»  Il accepta donc volontiers la charge de prophétiser contre les gentils qui vexaient le peuple élu.  Il se rendit compte, après coup,, que c’était toujours contre son peuple et contre ses rois, que, sous l’ordre de Dieu,  il devait prophétiser, ce qui lui fit endurer diverses  vexations et calamités. Et quand il prédit que la ville de Jérusalem serait prise par les Chaldéens, il parlait comme si cela devait arriver immédiatement.  Voilà pourquoi il a été considéré comme menteur, et on s’est moqué de lui comme d’un imposteur.  C’est donc par l’ambigüité des paroles de Dieu qu’il dit avoir été séduit, autant à cause des nations que du temps, alors qu’il voyait que se réalisait les paroles de Dieu autrement qu’il les avait annoncées.

Ensuite ce texte de saint Jean : «ils n’ont pas pu croire parce que Isaïe dit d’eux de nouveau : il a aveuglé leurs yeux etc». On peut entendre cette phrase de deux façons.  Ou bien la cause pour laquelle les Juifs ne pouvaient pas croire était que Isaïe avait prédit que cela arriverait ainsi, ou parce qu’ils avaient été aveuglés, selon la prophétie d’Isaïe. S’il s’agit de la première supposition, la chose est claire.  Car, la prescience ou la prédiction des choses futures n’impose aux  évènements  aucune nécessité.  Et voilà pourquoi on dit seulement qu’ils n’ont pas pu croire parce que le prophète Isaïe avait prédit qu’ils ne croiraient pas, car il ne pouvait pas se faire que n’arrive pas ce que, par l’esprit de Dieu, un prophète avait prédit qu’il arriverait, même si cela arrive en toute liberté.  Bien plus, il ne pouvait pas se faire que cela n’arrive pas  librement, puisque, étant un péché, ce devait être une action librement accomplie.  S’il s’agit de la deuxième supposition, ce qui est plus probable, alors la cécité serait la cause pour laquelle les Juifs ne pouvaient pas voir, mais ce sera la cause par hypothèse, non absolument parlant, comme nous avons déjà dit, car, bien qu’ils étaient incapables de croire quand ils étaient aveuglés, ils pouvaient quand même changer, avec l’aide de la grâce, et d’aveugles devenir des voyants.

Semblable est le texte de saint Jean 5 : «Comment pouvez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns auprès des autres, et qui ne recherchez pas la gloire qui ne vient que de Dieu ?»

Car, le Seigneur ne voulait pas dire  qu’il leur était absolument impossible de croire, puisque pendant tout ce chapitre et pendant le suivant, il les exhorte à croire.  Mais, il les mettait en garde contre le désir de l’humaine gloire, qui était pour eux, un empêchement de croire.  Donc, s’ils avaient désiré de croire et d’être sauvés, ils auraient répudié la gloire humaine, et auraient recherché la gloire qui ne vient que de Dieu.

                                                                          CHAPITRE 15

                                             On explique d’autres témoignages de l’Écriture

             Le cinquième et dernier chapitre. On parle des passages où l’on dit que Dieu opère et effectue le mal. Comme 2 Rois 12 : « Voici ce que dit le Seigneur.  Je susciterai  le mal, sur toi, de ta maison , j’enlèverai tes épouses sous tes yeux, et je les donnerai à quelqu’un qui t’est proche, et il dormira avec tes épouses en plein jour.      Tu as agi, toi, en cachette, et moi j’accomplirai cette parole aux yeux de tout Israël, et à la vue du soleil.»   Calvin insiste sur ce texte (au livre 2, chapitre 18, verset 1) : «Absalon accomplit un crime détestable en s’unissant d’une façon incestueuse aux épouses de son père. Or, Dieu déclare que c’est son œuvre.  Voici quelles sont ses paroles : toi, tu as agis en secret, moi j’agirai en plein jour.  

On trouve d’autres textes semblables : «Voici qu’il est placé pour la ruine et la résurrection de beaucoup en Israël.» (saint Luc 2). Et  plus clairement  : «Voici que je place en Sion une pierre d’achoppement, et de scandale.» (Romains 9, 2). C’est Dieu lui-même (comme le commente Bèze) qui dit placer en Sion une pierre d’achoppement et de scandale. (Romains 9,2). Bèze ajoute en réponse à Castallion, sur la prédestination de Dieu, dans sa  réfutation de la seconde calomnie), ce texte d’Éphésiens 1 : « Qui opère toutes choses selon le conseil de sa volonté.»  Il soutient qu’on doit appliquer ce texte à toutes choses, sans exception, qui arrivent, bonnes ou mauvaises.  Et le sens serait alors : toutes les choses qui se font, bonnes ou mauvaises, Dieu non seulement les veut en  les prévoyant ou les permettant, mais elles sont décrétées et opérées par Dieu.  Mais, par ce que nous avons déjà expliqué plus haut, il sera facile d’expliquer ces textes.

Le premier passage, l’inceste d’Absalon. On dit que c’est Dieu qui a fait ce mal, non rapport à la  faute d’Absalon, mais par rapport à la peine de David.  Car, bien que ça ait  été un mal, pour Absalon, de pécher, ce que Dieu ne voulait pas, mais interdisait, c’était une chose bonne et juste de punir David, et c’est ce  que Dieu a voulu et fait. Il le fit non en poussant Absalon au mal, ni en le lui persuadant ou commandant, mais en le lui permettant, alors qu’il aurait pu facilement détourner vers un autre mal sa volonté incline à commettre de grands crimes, ou en l’empêchant par d’autres.  Il ne lui ouvrit que cette voie-là,  ne lui permettant que de s’aventurer dans cette impasse.  Cette permission, selon la façon de parler de l’Écriture, peut être appelée l’œuvre de Dieu, soit en la faisant, soit en la commandant, comme on le voit clairement dans l’histoire de Job.  En effet, cette histoire nous montre clairement que le diable n’a pas été excité par Dieu pour affliger Job, mais qu’il n’a que demandé et obtenu la permission de Dieu.

Les  paroles des Romains et de Luc,  qui nous parlent d’un Christ placé pour la ruine ,et qui est une pierre d’achoppement et de scandale, ne signifient pas que le Christ a été envoyé par Dieu dans le monde pour qu’il soit la cause ou l’occasion de ruine ou de scandale.  Qu’il  a été envoyé pour être une cause de salut, mais qu’i serait une occasion de ruine et de scandale , non parce qu’il en apporterait l’occasion, mais à cause de la malice des hommes qui ne le recevraient pas.  C’est ce qu’enseigne saint Fulgence au roi Tradimundus, (chapitre 4) en commentant ce passage : « La pierre qui a été réprouvée par les constructeurs est devenue pierre d’angle, et est devenue une pierre d’achoppement et de scandale pour ceux qui  étaient possédés par une cécité d’incrédulité dépravée.»  Et un peu plus bas : « Voici qu’il est placé pour une ruine et une résurrection d’un grand nombre.  Donc,  pour ceux qui croient mal, la perfidie engendre la ruine, et la droite croyance exalte les fidèles.»  Ce n’est donc pas la pierre posée par Dieu qui engendre la ruine, mais la cécité, ou la perfidie  de celui qui s’en offense.

 C’est ce qu’enseigne aussi Theodoret (question 12 sur l’Exode), qui cite ces passages et un autre de saint Jean  (9) : « Moi,  je suis venu pour un jugement, pour que ceux qui ne voient pas, voient, et pour que ceux qui voient deviennent aveugles.»  Il remarque  que ce ne fut pas le but de Dieu quand il envoya le Christ, d’aveugler ceux qui voient, de jeter par terre ceux qui se tiennent debout, ou de blesser les marcheurs avec une pierre;  mais que l’Écriture ne fait qu’indiquer que c’est ce qui arrivera.   Comme nous lisons dans Jean 2 : « Détruisez ce temple, et je le reconstruirai en trois jours.»  Cela ne signifie pas que Jésus ait commandé aux Juif de détruire le temple de son corps, mais qu’il a prévu que c’est ce qu’ils feraient.   Et quand il a dit à Judas (saint Jean 13) : « Ce que tu as à faire, fais-le vite,»  il ne lui commande pas la trahison , mais il lui indique de faire et d’accomplir, avec sa permission, ce qu’il désirait depuis longtemps.  La sentence de Siméon est donc : voici qu’il est posé pour la ruine et la  résurrection d’un grand nombre. c’est-à-dire , voici : le Christ est envoyé par Dieu.  Pour tous ceux qui le mépriseront à cause de l’ignominie de sa passion et de sa croix, il sera une occasion de ruine.  Et pour tous ceux qui croiront fidèlement en lui, il sera une occasion de résurrection et de salut. 

Semblable est la sentence de saint Paul aux Romains (9) : «Je place dans Sion une pierre d’achoppement et de scandale.» En voici le sens : je place dans Sion une pierre qui sera une pierre d’achoppement et de scandale.  Et Siméon et saint Paul se réfèrent à la prophétie d’Isaïe(chapitre 8), où on ne dit pas que c’st  Dieu qui fera en sorte que le Christ soit une pierre d’achoppement et de scandale, mais où il ne fait que prédire que le Christ serait une ruine et une pierre de scandale, c’est-à-dire une occasion de ruine et de scandale, sa passion et sa mort étant une cause d’aveuglement : « Sanctifiez le Seigneur des armées, dit-il, lui votre terreur et votre épouvante, et il sera pour vous sanctification;  il sera une pierre d’achoppement, et une pierre de scandale pour les deux maisons d’Israël, un filet et une ruine pour les habitants de Jérusalem. Et plusieurs, parmi eux, achopperont, tomberont, et seront broyés et pris.»

C’e que dit saint Paul  : «Voici que je place en Sion une pierre etc.» a été tiré du chapitre 28 du même prophète, où Dieu dit pas Isaïe : «Voici que j’enverrai en Sion une pierre angulaire, éprouvée, choisie,  fondement dans le fondement.»  Mais, parce que l’apôtre a réuni en une seule phase les paroles de différents chapitres, il semble parler plus durement.   Mais si on l’explique comme les autres ont parlé, tout deviendra cohérent, et la phrase d’Isaïe n’apparaitra plus différente de celle de saint Paul.   Dieu a posé en Sion qui, dans son intention, devait être la pierre d’angle, une pierre précieuse, élue, (comme on le dit au chapitre 28), mais qui, à cause de l’incrédulité des hommes) serait pour beaucoup une pierre d’achoppement et de scandale.  Et ce verset des Éphésiens 1 : « Qui opère tout selon le conseil de sa volonté», sur lequel Bèze édifia tous ses aphorismes comme sur un excellent fondement.   L’apôtre ne dit pas que Dieu opère absolument tout ce qui se fait dans le monde, autant les choses mauvaises que les choses bonnes, alors qu’au contraire, Dieu déteste les péchés, et ne fait rien de ce qu’il hait, comme nous le lisons dans Sagesse 11.

La sentence de l’apôtre est donc que Dieu opère tout ce qu’il opère ni témérairement, ni malgré lui, mais librement et prudemment, c’est-à-dire, selon le conseil de sa volonté.  Comme quand on dit que les hommes prudents font tout après mure réflexion, on ne dit par qu’ils font tout, mais que ce qu’ils font ils le font après mure réflexion.   Voilà pourquoi saint Jérôme écrit dans ce texte, comme s’il avait prévu le commentaire de Bèze : «  Dieu opère toutes choses selon  le conseil de sa volonté, non parce que tout ce qui se fait dans le monde s’accomplit par le conseil et la volonté de Dieu, (car alors, on pourrait imputer à Dieu le mal), mais parce que tout ce qu’il fait il le fait avec sa sagesse  et sa volonté.»   

Et même si nous concédions à Bèze que ces paroles de l’apôtre signifient qu’absolument tout ce qui se fait dans le monde est fait par Dieu, il ne s’ensuivrait pas que les péchés que les hommes font sont faits par Dieu, puisque faire un péché ce n’est pas faire mais défaire, et qu’un péché n’est pas une chose réelle, mais la corruption d’une chose.  Comme Dieu fait quelque chose dans une action mauvaise, en tant qu’elle existe et qu’elle est une bonne chose, il n’est pas l’auteur de sa corruption et du défaut qui est perceptible dans cette action, comme nous l’avons expliqué au chapitre 5, et comme nous l’expliquerons de nouveau au chapitre 17.                                                                                                                                                 

 

                                                                          CHAPITRE 16

            On explique certains passages de saint Augustin qui semblent favoriser les adversaires

Après ces textes de l’Écriture, Calvin et Bèze nous objectent certains passages de saint Augustin tirés de son livre contre Julien, de l’enchiridion, et du livre sur la grâce et le libre arbitre. Ces passages, et d’autres du même genre, nous les expliquerons brièvement.

Commençons  par le premier tome de ses œuvres. Dans le livre 9, chapitre 6, des Confessions.  Parlant de sa sainte mère Monique, il raconte que, par les éclats de voix d’une servante, elle avait  été guérie d’une tendance à la colère, qu’elle commençait à développer : « Qu’as-tu fait, mon Dieu ? Comment m’as-tu guérie, comment m’as-tu soignée ?  N’as-tu pas , par tes secours occultes, utilisé la parole dure et blessante d’une autre âme comme un fer médicinal, et n’as-tu pas, d’un coup de stylet,  fait sortir le pus de l’abcès ?«  Si Calvin était tombé sur ce texte, il n’aurait pas hésité  à dire que cette servante avait été poussée par Dieu à injurier sa maîtresse, et que c’est ce que les mots employés signifient par eux-mêmes : n’as-tu pas etc.  Mais la pensée de saint Augustin était toute autre, comme nous le montre la dernière partie du chapitre : «Toi, Seigneur, qui diriges les choses terrestres et célestes, qui détournes à ton usage l’impétuosité du torrent, et  contrôle le flux turbulent des siècles, tu as guéri une âme avec la maladie d’une autre âme, pour que, en réfléchissant à cela, personne n’attribue à sa puissance  d’avoir, par sa parole,  corrigé quelqu’un qu’il voulait corriger.»

Ces paroles nous font comprendre que la dite servante n’a pas été incitée ou poussée par Dieu à injurier sa maitresse, mais que cette insulte, conçue dans l’âme et exprimée à l’extérieur, a été dirigée par Dieu pour guérir le vice de Monique.  Car, Dieu n’est pas une fontaine d’où émanent les torrents  turbulents des crimes, mais il est un Artisan admirable  qui détourne à son usage ces violents torrents, et s’en sert pour faire du bien.  On dit donc que c’est Dieu qui a tiré, de ses provisions occultes, une injure de l’âme de cette servante, comme un fer médicinal , parce que cette femme ne pouvait pas, en ce temps et en ce lieu,  concevoir et émettre une injure à une autre personne qu’à celle autorisée par Dieu.   Dieu a permis que cette femme ne pense et ne dise que ce qui était utile pour guérir Monique; et il ne l’a permis qu’au moment et que dans le lieu où il avait prévu que cels serait utile pour Monique.

On voit un autre témoignage dans l’Enchiridion (chapitre 100) que Calvin et Bèze ont souvent cité.  Voici ce que dit saint Augustin ; « Les œuvres de Dieu sont admirables dans tout ce qu’il veut.   D’une manière ineffable et admirable, rien ne se fait sans sa volonté, même ce qui est fait contre sa volonté, car cela ne se ferait pas s’il ne le permettait pas.  Ce n’est pas en ne voulant pas qu’il permet, mais en voulant;  et il ne permettrait pas  que le bien se change en mal  si, dans sa toute puissance, il ne pouvait pas faire du bien avec le mal.»  Les adversaires tirent deux choses de ce passage.   La première.  Les maux ou les péchés ne se font pas sans la volonté  de Dieu.  Dieu veut donc qu’ils soient faits.  C’est donc avec raison qu’ils disent que la chute d’Adam a été décrétée et voulue explicitement par Dieu.  La deuxième.  Dieu permet les maux non malgré lui, ou comme un pur spectateur, mais en les voulant;  et elle  est donc vaine la distinction que font les adversaires  entre la volonté et la simple permission, comme si la permission n’incluait pas la volonté.  Mais, il ne sera pas difficile de leur répondre, si nous expliquons d’abord comment la volonté de Dieu se comporte par rapport aux péchés.

Je dis, donc, que, par rapport aux péchés,  Dieu n’a pas de vouloir positif,  ni de non vouloir, mais que c’est négativement qu’il ne veut pas.  Dieu ne veut pas positivement les péchés parce qu’il est bon et juste.  Il ne serait ni bon ni juste, s’il voulait les péchés (le mal) et les iniquités. Il n’a pas non plus positivement de non vouloir parce qu’il est tout-puissant, et qu’il ne serait pas tout-puissant si quelque chose se faisait à son insu.  Quelque chose se ferait à son insu ou malgré lui, si quelque chose arrivait qu’il ne voudrait pas voir arriver.  Il n’a donc pas de vouloir ou de non vouloir, mais il ne veut pas, selon psaume 5 : «Tu es un Dieu qui ne veux pas l’iniquité.»  

Mais accourt Bèze, en réponse aux actes du colloque de Monpelgardensis,  page 183, et  il  dit : si, par rapport aux péchés, Dieu n’a par de vouloir ou d’absence de vouloir, mais seulement un non vouloir,  il s’ensuit que la plus grande partie de ce qui arrive dans le monde  se fait grâce à l’imprudence ou l’insouciance de Dieu, qui sont étrangères à sa providence et même à sa puissance. Je réponds qu’aucune de ces deux choses ne s’ensuit nécessairement.  Car, même si Dieu ne veut pas que les péchés se fassent, il sait qu’ils vont arriver,  et il pourrait les empêcher, s’il le voulait.  Ils ne se font  donc pas grâce à son imprudence.  De plus, il veut ne pas empêcher, il veut permettre, il veut ordonner, il veut punir.  Ces choses ne se font donc pas grâce à son insouciance, et sous les yeux d’un spectateur oisif.  Nous ne disons pas, non plus ce que nous reproche Bèze dans la page précédente,  que la divine providence ne s’étend qu’aux maux qu’il peut utiliser pour le bien, ou qu’il peut contrôler en leur imposant de justes limites, de sorte que, par exemple, satan aurait la liberté de tenter tout ce qu’il peut contre son église, mais sans pouvoir faire tout ce qu’il veut.  Nous ne donnons pas cela seulement à la providence de Dieu, mas nous ajoutons aussi que rien ne peut arriver qu’avec la permission de Dieu.  Et, à cause de cela, satan non seulement n’accomplit pas tout ce qu’il veut contre l’Église, mais il n’entreprend pas tout ce qu’il veut, mais seulement ce qu’il plait à Dieu de lui permettre.

Il vaut noter, de plus, comme nous l’avons déjà dit, que, pour Dieu, ne pas avoir positivement de non vouloir,  doit s’entendre de la volonté de bon plaisir, qui est absolue.  Car, Dieu ne veut pas que se fassent les péchés, par la volonté du signe, qui n’est pas absolue, mais conditionnée.  Car la volonté du signe est appelée un précepte, ou une  prohibition.  On peut l’appeler une volonté conditionnée, car, quand Dieu ordonne que quelque chose ne se fasse pas, il ajoute tout de suite une peine, si on le fait.  Donc, quand il interdit quelque chose, il ne veut pas absolument que cela ne soit pas fait, mais il veut ou qu’on ne le fasse pas, ou qu’on soit puni si on le fait.   Voilà pourquoi sa volonté demeure toujours invaincue, et  pourquoi on ne peut, en aucune façon lui résister.   Car même si quelques-uns prévariquent contre sa loi, et font ce qu’il a interdit, ils ne peuvent pas échapper au supplice, dont lui-même a menacé les prévaricateurs.

 

Avec ces réflexions préalables, on peut facilement expliquer le texte de saint Augustin.  Car, il dit que rien de ce qui se fait contre sa volonté ne se fait sans sa volonté.   Non parce qu’il veut que cela se fasse, car, il entrerait en opposition avec lui-même, mais pour deux autres causes, que le même auteur a indiquées là.  La première cause. Parce que, (comme nous l’avons dit), quand Dieu interdit les péchés, il ne veut pas absolument qu’ils ne se fassent pas, mais il veut ou qu’ils ne se fassent pas, ou punir ceux qui les font.  L’autre cause.   Bien que Dieu ne veuille pas que les péchés se fassent,  il permet qu’ils se fassent  parce qu’il est assez sage et assez puissant pour en tirer du bien.  La première cause , il l’a placée dans les mots précédents quand il a dit : « Toutes les œuvres de Dieu sont grandes et admirables ! Quand les anges et les hommes péchèrent, c’est-à-dire quand ils firent ce qu’ils voulaient, non ce que Dieu voulait, il accomplit ce qu’il voulait par la volonté elle-même de la créature  par laquelle a été fait ce que le créateur ne voulait pas, en se servant bien aussi des maux  comme d’un bien suprême, pour la damnation de ceux qu’il avait avec justice prédestinés à la peine, et pour le salut de ceux qu’il avait bénignement prédestinés à la grâce.  Car, en ce qui se rapporte à eux, ils ont fait  ce que Dieu n’a pas voulu, de la volonté du signe.  Et quand à la toute-puissance de Dieu, ils n’ont rien pu effectuer en aucune façon.  Car, en faisant quelque chose contre la volonté de Dieu , ils ont fait la volonté de Dieu.»    La raison pour laquelle rien ne se fait sans la volonté de Dieu, c’est donc parce qu’il fait des pécheurs ce qu’l veut, en les envoyant aux peines éternelles dont il les avait menacés.

La deuxième cause il la place dans les paroles suivantes, en disant : toutes les œuvres de Dieu sont admirables dans tout ce que Dieu fait.   Car, d’une façon admirable et ineffable, rien de ce qui se fait contre sa volonté ne se fait sans sa volonté.  Car, cela ne se ferait pas s’il ne le permettait pas.»  Les péchés ne se font donc pas sans la volonté de Dieu, parce qu’ils ne se feraient pas s’il ne les permettait pas.  Et, à cause de cela, même si Dieu ne veut pas que  ça se fasse, il permet que ça se fasse.  Mais, les adversaires disent que vouloir permettre inclut vouloir que ça se fasse.  Car, saint Augustin ajoute ici : «Car, il ne permet pas en ne voulant pas, mais en voulant.»  Et, un peu avant,  au chapitre 95 : « Donc, rien ne se fait si le Tout-Puissant ne veut pas que ça se fasse, ou en permettant que ça se fasse, ou en le faisant lui-même.»

 Saint Augustin dit clairement que Dieu veut que soit ce qu’il permet qu’il advienne.  Et, au chapitre 96, il dit que c’est une bonne chose qu’il y ait des maux : « Bien que les choses mauvaises ne soient pas bonnes en tant qu’elles sont mauvaises,  mais qu’il n’y ait pas seulement des bonnes choses mais aussi des mauvaises, cela est bon.»  Or, ce qui est bon Dieu le veut.   Dieu veut donc qu’il y ait ou qu’il arrive des maux.  Pierre le martyr ajoute  (au chapitre 9 de l’épitre aux Romains) que le mot permission, dans l’Écriture, signifie aussi la volonté et l’opération de Dieu, et non seulement une négation.  Et, il allègue ce texte de Corinthiens 16 ; « J’espère pouvoir demeurer un peu de temps avec vous, » si le Seigneur l’a permis.  Et, aux Hébreux : « Et cela, nous le ferons, si Dieu le permet.»

Je réponds que le mot permettre au sens propre n’inclut pas le vouloir, mais le non vouloir, le non empêcher, et qu’est très vraie la doctrine des théologiens catholiques qui enseigne que Dieu veut les biens et ne veut pas les maux, mais les permet.  Et il y a une très grande différence entre vouloir que se fassent les maux, et vouloir permettre qu’ils se fassent.  Car, vouloir que se fassent les maux c’est le propre d’une mauvaise  volonté, qui se délecte dans les maux, ou qui veut s’en servir pour une bonne fin, contre la règle suivante : on ne peut pas faire des maux pour qu’en sortes des biens (la fin ne justifie pas les moyens).  Or, vouloir permettre des maux, peut être le propre d’une bonne volonté, et surtout dans le Modérateur suprême de toutes choses, à qui il incombe de ne pas empêcher le cours de choses même défectueuses, pour montrer que ce le libre arbitre peut par lui-même.  Ensuite, ce qu’est le bénéfice de sa grâce, et le jugement de justice, comme parle saint Augustin (dans le livre de la correction et de la grâce, chapitre 12).

 Comme le même saint Augustin dit que Dieu permet les maux non en ne les voulant pas, mais en les voulant, nous comprenons que Dieu permet non malgré lui, mais en voulant permettre.  Mais, non en voulant proprement que cela se fasse.  Quand il dit que rien ne peut se faire à moins que Dieu ne le veuille, ou en permettant  que ça se fasse, ou en le faisant lui-même, lui-même en donne l’explication.  Car, il ne dirait pas ou en le permettant ou en le faisant lui-même, si Dieu voulait proprement les maux autant que les biens. Car, c’est par sa volonté que Dieu agit.   Et voilà pourquoi tout ce qu’il veut qu’il arrive, arrive.  Et cela arrive parce qu’il le fait en le voulant.

Si donc Dieu voulait que le mal arrive, il ne permettrait pas le mal, mais il le ferait.  Et pour quelle raison saint Augustin distinguerait-il  la permission de l’œuvre,  en disant que cela se ferait en le permettant ou en le faisant lui-même, s’il avait estimé que Dieu  veut proprement autant quand il permet que quand il fait, alors qu’il n’ignorait pas que Dieu fait en voulant ?  La sentence de ce passage est donc : rien ne peut se faire à moins que Dieu ne veuille que ça se fasse, au moins par accident, c’est-à-dire, à moins qu’il ne permette que cela se fasse par d’autres que lui, ou qu’il ne veuille lui-même le procurer ou le faire.

 Donc, ce qu’il ajoute, à savoir, que c’est une  bonne chose qu’il y ait des maux, on doit l’expliquer ainsi :  c’est une bonne chose que les maux existent par la simple permission de Dieu, et non par sa volonté formelle ou son opération.   Ce qui veut dire : être bon par accident, parce que ce mal est uni à  une chose bonne en elle-même.  Les maux, par eux-mêmes, n’apportent aucun ornement aux autres choses.  Cependant quand ils sont ordonnés par Dieu, et placés en leur lieu, ils font en sorte que les bonnes choses deviennent plus éminentes, comme saint Augustin l’enseigne (dans le même livre, chapitre 11), ainsi qu’au livre 3 sur le libre arbitre,  chapitre 91 : «  Comment punit-il avec justice les péchés, sans lesquels la créature ne serait ni pleine ni parfaite ?  On répondrait ici que ce ne sont pas les péchés ou la misère qui sont nécessaires à la perfection de l’univers, mais les âmes, en tant qu’elles sont des âmes, qui pèchent si elles le veulent, et qui sont misérables si elles pèchent.  Voilà pourquoi il n’est pas tant bon qu’il y ait des péchés, mais qu’ils soient ordonnés à une fin, après que Dieu ait permis qu’ils existent.

Voilà pourquoi saint Augustin n’a pas conclu de ce qu’il est bon qu’l y ait des maux que Dieu veut le mal, mais qu’il ne fait que le permettre.  Voici, en effet, ses paroles : «  On ne doit pas douter que Dieu fait bien en permettant que se fasse tout ce qui se fait de mal.   Car, cela il ne le permet que par un juste jugement,  et c’est donc bon parce que c’est juste.  Donc, bien que les maux en tant qu’ils soient des maux ne sont pas bons, cependant, c’est une bonne  chose qu’il n’y ait pas seulement des bonnes choses mais aussi des mauvaises.  Car, si ce n’était pas un bien qu’il y a ait aussi des mauvaises choses,  le Souverain Bien ne pourrait en aucune façon leur permettre d’exister.  À celui donc, à qui est facile de faire ce qu’il veut, il est aussi facile de ne pas permettre ce qu’il ne veut pas.»  

Et, dans l’Écriture, il n’est aucun endroit où le mot permettre ne puisse pas être entendu au sens d’une permission qui ne signifie pas vouloir, mais ne pas empêcher.  Car, ce qui est dit aux Corinthiens 16 : « J’espère pouvoir demeurer avec vous un certain temps, si le Seigneur le permet», peut très bien s’entendre pour si le Seigneur ne l’empêche pas.   Car, il arrivait souvent que l’apôtre désire aller à un endroit,  et que le Seigneur l’envoyait en un autre.  Actes 16 : « Traversant la Phrygie et la région de la Galilée, l’Esprit Saint leur  a défendu de parler de la parole de Dieu en Asie. Quand ils vinrent  en Missie, ils cherchèrent à aller à Bythinie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas.»  Et Romains 1 : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que je me suis souvent proposé de venir vers vous, mais que j’en ai été empêché jusqu’à maintenant.»  Et dans Hébreux 6 : « Et nous ferons cela, si le Seigneur le permet.»  Même sens.

Car l’apôtre ne veut pas parler plus longtemps des rudiments de la foi, de la pénitence, des œuvres mortes, du baptême, de l’imposition des mains, mais des choses semblables qui se rapportent à la perfection de la vie chrétienne.  Il ajoute cependant «si Dieu le permet», car il ignorait si Dieu lui permettrait de faire cela ou s’il l’appellerait à d’autres œuvres. Il montre donc, par ces paroles, que tout dépendait de la providence de Dieu,  et qu’il faut mener à la perfection les œuvres entreprises à l’incitation de Dieu et qui sont conformes à sa volonté, ou les abandonner quand Dieu les empêche.

Calvin et Bèze nous objectent un autre témoignage, tiré de l’Enchiridion, (chapitre 101), où saint Augustin s’exprime ainsi : « L’homme veut parfois, avec une bonne volonté, quelque chose que Dieu ne veut pas. Et il peut arriver, à l’inverse, que l’homme veuille avec une mauvaise volonté, une chose que Dieu estime bonne.  Tellement  grande est la  différence entre ce que Dieu veut et ce que veut l’homme, et entre la fin  à laquelle chacun des deux, en approuvant ou en réprouvant,  applique sa volonté.»  Il semble, par ces paroles, que saint Augustin admette que Dieu   veut ce que veulent les hommes mauvais, quand ils opèrent le mal.  Mais la volonté de Dieu est bonne parce qu’elle veut avec une bonne intention ce que les impies veulent avec une mauvaise intention.

Mais, il est très facile de répondre à cela.   Car, dans les choses qui sont mauvaises en elles-mêmes, et qui ne peuvent, en aucun cas, devenir bonnes, Dieu ne veut jamais ce que veulent les hommes mauvais.  Mais, dans les choses qui sont mauvaises en raison d’un précepte positif qui les interdit, ou à cause d’une circonstance quelconque, il peut facilement se faire que Dieu veuille d’une bonne volonté ce que les méchants veulent d’une mauvaise volonté, et ce que ne veulent pas d’une bonne volonté les hommes bons.  De sorte que sont plus conformes à la volonté de Dieu ceux qui ne veulent pas que ceux qui veulent ce qu’il veut.

 On en trouve des exemples dans  dans ce même texte de saint Augustin.  Dieu veut qu’un certain homme meure, parce que c’est ce qu’ont mérité ses péchés.  Cette volonté de Dieu est juste, et, par le fait  même, bonne.  Dieu veut peut-être aussi cela parce qu’il prévoit que cet homme pèchera s’il vit plus longtemps, et qu’il sera puni plus atrocement dans les enfers. Ce qui fait que la volonté de Dieu est non seulement juste, mais aussi miséricordieuse, celle qui veut enlever le pécheur du péché.  Il arrive parfois que le fils veut que le père meure, non parce qu’il sait que son père mérite la mort, mais parce qu’il le hait, ou désire posséder plus tôt l’héritage paternel.  Il est certain que cette volonté du fils est mauvaise, même s’il veut la même chose que ce que Dieu veut.  Car, le fils est tenu d’aimer ses parents, de les aider, et encore plus de ne pas les haïr.  Voilà pourquoi la volonté du fils est  plus conforme à la bonne volonté de Dieu quand il ne veut  pas ce que veut Dieu, que quand il veut ce que Dieu veut.

Mais, on ne peut, en aucune façon, déduire de tout cela que Dieu est l’auteur des péchés, ou qu’il veut que les péchés existent.  Car, même si Dieu veut parfois ce que le pécheur veut, Dieu ne le  veut pas comme l’autre  le veut.  Il veut même le contraire, du moins de la volonté du signe, qui  interdit de le faire.  Si Dieu avait commandé au fils de tuer son père, comme il a commandé à Abraham de tuer son fils, ce ne serait pas alors, avec une mauvaise volonté que le fils aurait voulu la mort de son père, puisqu’il n’aurait pas voulu la mort de son père par haine de son père, mais pour obéir à Dieu qui la lui ordonnait.  Si le fils n’avais pas de commandement de Dieu de tuer son père, mais avait une certain idée que c’est quelque chose qui plairait à Dieu, il ne devait pas murmurer contre Dieu, mais plutôt le louer, acquiescer à sa volonté, prêt à supporter la mort de son père avec équanimité, quand elle arrivera.   Mais, entre temps, il ne doit pas l’abandonner, parce qu’il a le commandement d’honorer ses parents, de les aider et de les soutenir.  Et plaira surement à Dieu le zèle du fils pour conserver son père, même si par une voie à lui inconnue, Dieu a décrété que le père soit tué.

Vient après un autre témoignage de le Genèse qu’ils nous objectent (livre 6, chapitre 15), où nous lisons que la volonté de Dieu est la nécessité des choses, et qu’arrive donc nécessairement ce que Dieu a voulu.  Calvin se sert de ce témoignage (livre 3, chapitre 23, verset 8) pour prouver que Dieu a décrété de toute éternité et a voulu que le premier homme pèche, pour qu’il encoure, lui et toute sa postérité, la peine de la damnation éternelle.

Mais il n’est pas difficile de répondre à cela.  Nous reconnaissons  que tout ce que Dieu veut s’accomplit infailliblement, car personne ne peut résister à la volonté de Dieu.  Mais Calvin avait à prouver  que,  à partir de la sentence de saint Augustin, Dieu voulait que le premier homme pèche.  Car, dans le lieu cité, ce n’est pas ce que saint Augustin a écrit.    Dissertant de la création du premier homme, il dit que l’homme  a été formé du limon parce que Dieu l’a voulu ainsi, et que ça ne répugne pas aux causes de la génération humaine, parce que c’est Dieu qui a donné à ces causes que l’homme puisse engendrer, sans pourtant borner  sa puissance à ces causes.

Ils nous objectent un autre témoignage de saint Augustin tiré de son livre contre Julien (livre 5, chapitre 3), où, expliquant ce verset « il les a livrés à une passion ignoble,»  il écrit : « Il s’ensuit que c’est à cause de cela qu’il les a livrés à une passion honteuse.  Tu entends « à cause de cela», et tu te demandes  inutilement comment il faut entendre que Dieu livre, suant à grosses gouttes pour montrer que Dieu livre en abandonnant.»    Par ces paroles, saint Augustin semble ne pas admettre  l’explication que nous avons soutenue plus haut, à savoir que Dieu livre en abandonnant.  Je réponds que saint Augustin ne blâme pas Julien parce qu’il avait dit  que Dieu livre en abandonnant, mais parce qu’il avait dit qu’un péché n’était pas la peine d’un autre péché;  et qu’il avait estimé qu’on pouvait très bien prouver cela si on montrait que Dieu livre en abandonnant.  

Saint Augustin montre donc qu’un péché est la punition d’un autre, soit que Dieu livre l’homme à ses désirs en l’abandonnant, soit d’une autre manière; et que, à cause de cela,  Julien  a travaillé inutilement  pour montrer que Dieu livre en abandonnant : « Tu entends. dit-il,  à cause de cela, et tu te demandes pour rien comment il faut entendre que Dieu livre l’homme, en travaillant péniblement, pour montrer qu’il le livre en l’abandonnant.  Mais, quelle que soit la façon dont il le livre, c’est pour cela qu’il le livre, pour cela qu’il l’abandonne.  Car, l’apôtre a pris soin de dire quelle grande peine c’est d’être livré aux passions ignominieuses,  soit en abandonnant, soit d’une autre façon explicable.  Choses que fait le Dieu suprêmement bon et infiniment juste.

Ce que reproche saint Augustin à Julien c’est que par abandonner  il n’a pas entendu destituer, ou ne pas l’aider en tombant,  mais redonner, comme quelqu’un qui hérite de désirs dans lesquels il était déjà.  Et saint Augustin démontre qu’être livré à ses désirs, ce n’est pas permettre que dans quelqu’un existent des désirs mauvais, mais abandonner, ou, en abandonnant, permettre qu’il consente à de mauvais désirs.   Car, c’est ainsi que parle saint Augustin en reprenant et en blâmant les paroles de Julien : « Ils brûlaient déjà des désirs de crimes.  Et tu ajoutes, comment donc peut-on penser que c’est par la puissance de Dieu qu’ils  soient tombés dans de si grands crimes  ?   Pourquoi aurait-il dit, je te le demande, il les a livrés aux désirs de leurs cœurs, si leurs cœurs étaient déjà possédés de ces mauvais désirs ? Peut-on dire raisonnablement  de que quelqu’un qui a déjà de mauvais désirs dans son cœur, qu’il consent à commettre ces maux ? Et que, à cause de cela, autre est avoir de mauvais désirs, et autre être livré à de mauvais désirs ?  En consentant, il est donc possédé par eux, et c’est ce qui se passe quand, par le juste jugement de Dieu, il les livre à eux.»

Que saint Augustin ne réprouve pas mais approuve que Dieu livre en abandonnant, les paroles suivantes nous le font comprendre : « Donc  quand on dit que l’homme est livré à ses propres désirs, il devient, par la suite, coupable , parce que, étant abandonné par Dieu, il leur cède, consent, est vaincu, livré, pris, possédé.  Car quelqu’un devient l’esclave de celui qui l’a vaincu; et le péché qui vient après est une peine du péché précédent.»  Mais, ils nous objectent de nouveau ces paroles du même chapitre.  Pourquoi dis-tu que quand on dit qu’ils sont livrés à leurs désirs, on doit comprendre qu’ils sont abandonnés par la puissance divine, mais non par la puissance d’accomplir des péchés ?  Comme si l’apôtre n’avait pas parlé en même temps et de la puissance et de la patience, quand il dit que si Dieu veut montrer sa colère et démontrer sa puissance, il supporte avec une grande patience les vases de colère,  qui sont parfaits pour la perdition.»  Saint Augustin semble concéder là que quelques-uns sont poussés à pécher par la puissance de Dieu.   

Je réponds que saint Augustin enseigne avec raison  que livrer quelques-uns à leurs désirs  n’est pas, pour Dieu, abandonner par la seule patience, comme si on disait que Dieu a livré quelqu’un à ses convoitises seulement parce qu’il les supporte patiemment, et les laisse pour un temps impunis.  Car, ailleurs, au chapitre suivant, le même saint Augustin en déduit que  si quelqu’un demandait  à Dieu de ne pas le livrer à ses mauvais désirs, il  demanderait cela de peur que la bonté divine ne soit pas patiente envers lui.  Ce passage nous fait donc comprendre clairement que Julien n’a pas pris le mot désertion de Dieu au sens de privation de l’aide divine, comme nous le faisons, nous, avec saint Augustin, mais au sens d’une simple permission ou tolérance, comme quand nous reconnaissons que ce n’est pas seulement par son abandon que Dieu livre quelqu’un à ses désirs.  Ce n’est donc pas seulement la seule patience de Dieu, mais aussi sa puissance, que l’on perçoit dans l’endurcissement du pécheur.

 Cela, on peut l’entendre de deux façons, selon l’enseignement de saint Augustin.   La première.   Parce que la fin de l’endurcissement , comme par une punition du pécheur endurci, qui est certainement étonnante et horrible, apparait  être la justice et la puissance de Dieu.  Et c’est ce que disent les paroles de saint Paul citées par saint Augustin : «Si Dieu voulant montrer sa colère, et démontrer sa patience etc»  Et de nouveau : « Je t’ai suscité pour que je montre en toi ma puissance.»  On ne peut douter que Dieu a plus montré sa puissance dans  les plaies d’Égypte  et dans l’engloutissement de l’entêté pharaon que dans l’endurcissement lui-même de Pharaon.

Deuxièmement,  Parce que Dieu n’abandonne pas les pécheurs seulement quand il les livre aux désirs de leurs cœurs, mais quand il tord et régit  et ordonne admirablement  les mauvaises volontés de leurs cœurs, qu’il n’a pas faites, mais qu’il n’ignorait pas devoir exister dans le futur, pour tirer d’elles du bien, et faire en sorte que, malgré elles, et contre leur volonté, elles lui servent, et du fait qu’elles agissent librement, elles soient gravement punies par le juste jugement de Dieu.  Voilà pourquoi on a tout à fait raison de dire que, par sa puissance, Dieu livre quelques-uns à leurs désirs, qu’il les aveugle et les obscurcit par sa puissance, non pas parce que abandonner, non illuminer, non amollir appartiendraient à la puissance, ou parce que Dieu incite ou force positivement, mais parce que (comme nous l’avons expliqué plus longuement au chapitre 13),  Dieu, par sa puissance admirable, régule les cœurs même des impies, et les empêche de faire autre chose, de tenter, de vouloir ou de penser autre chose que ce que lui-même permet.   Il change en peine leur faute,  et utilise pour le bien leurs mauvaises volontés.  C’est cela qu’a écrit saint Augustin dans ce livre contre Julien (au chapitre 4) quand il dit : « Il fait ces choses de façons admirables et ineffables,  celui qui opère en toute justice ses jugements non seulement dans les corps des hommes, mais aussi dans leurs cœurs, lui qui ne fait pas les volontés mauvaises, mais s’en sert comme il le veut, lui qui ne peut rien vouloir d’inique.»

Bien que nous admettions, selon la pensée de saint Augustin, que Dieu livre, par sa puissance, les impies à leurs désirs mauvais, qu’il les endurcit et les aveugle, nous n’admettons pas, toutefois, qu’ils soient forcées par la puissance de Dieu à commettre des péchés.  Car, saint Augustin n’a jamais dit cela dans ce passage, ni non plus dans les autres textes cités plus haut par nous.  Un seul texte nous suffira, le traité 53 sur saint Jean : « Les Juifs ont commis un péché que Dieu ne les a pas forcés de commettre, lui à qui le péché ne plait pas, mais il avait prévu qu’ils le commettraient, lui à qui rien n’est caché.

Ils nous présentent d’autres témoignages tirés du livre de la grâce et du libre arbitre (chapitres 20 et 21).  Voici ce que nous lisons au chapitre 20 : « Quand elle est lue attentivement, l’Écriture sainte montre non seulement les bonnes volontés des hommes qu’il a faites à partir des mauvaises, mais aussi celles qui concernent  la créature  du siècle.  Elles sont à ce point au pouvoir de Dieu que, quand il le veut, et de la façon qu’il le veut, il les fait incliner ou à infliger des peines à certains, ou à accorder des bienfaits à d’autres, comme il le juge lui-même, selon son jugement très occulte, mais tout à fait juste, sans doute possible.»   Et plus bas : « Par son jugement juste et occulte, Dieu a incliné vers son péché une âme rendue mauvaise par son propre vice.»  Et, au chapitre 21 : « Dieu opère dans le cœur des hommes, en inclinant leurs volontés partout où il le veut, ou vers  les bonnes choses, par sa miséricorde, ou vers les mauvaises, à cause de ce qu’ils ont mérité, par un jugement parfois ouvert, d’autres fois, caché et occulte, mais toujours juste.»

Je réponds que ces passages ont été suffisamment expliqués plus haut, au chapitre 13.  Nous avons montré, là, à l’aide d’Hugues de Saint Victor qui suivait saint Augustin, que Dieu opère dans les cœurs en inclinant vers ce mal plutôt que vers cet autre, non en infusant la malice, ou en pervertissant des cœurs tournés vers le bien, mais en empêchant celles qui sont inclinées vers le mal par leur propre vice de se porter vers autre chose, et en ne les empêchant pas de sévir sur l’une en particulier.  C’est ce qu’indique le même saint Augustin dans le même livre,  au chapitre 20, quand il écrit que Dieu incline la volonté mauvaise par son vice propre.  Et, plus clairement encore, au chapitre 23, quand il conclut en disant : « Donc, quand vous entendez  dire que qu’il a séduit un prophète, et qu’il a endurci celui qu’il veut, pensez aux mérites de celui qu’il permet qu’il soit séduit ou obscurci.»  Tu vois qu’il attribue au jugement divin la permission de la séduction et de l’endurcissement, parce que, si les péchés des hommes ne l’avaient pas mérité, Dieu ne permettrait pas qu’ils soient ainsi séduits et endurcis.

Il a coutume de nous objecter un autre témoignage, tiré du livre de la correction et de la grâce (chapitre 7), où saint Augustin parle ainsi : « Quand nous entendons : n’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les douze, et l’un de vous est un démon, nous devons comprendre que les onze ont été élus par la miséricorde, et le douzième (Judas), par le jugement.  Les premiers, il les a choisis pour qu’ils obtiennent son règne, et l’autre, pour qu’il répande son sang.»  Si le Christ a choisi Judas pour l’œuvre de la trahison,  qui devait être suivie par l’effusion du sang, il semble qu’il ait voulu absolument et qu’il ait décrété de toute éternité que Judas commette ce crime  inhumain.

Je réponds que le Christ à su à l’avance, de toute éternité, que Judas serait un pécheur et le traitre  scélérat de son maître et Seigneur,   et en même temps, s’il lui permettait d’être apôtre,  combien de bien pourrait advenir de ce crime, s’il le permettait.  Il a donc, en conséquence, décrété qu’il le permettrait.  Ce décret de permission, d’où s’ensuivait infailliblement l’effusion de son sang, saint Augustin l’appelle l’élection de Judas pour répandre son sang. Car, un peu avant, il avait écrit que Judas avait été élu pour une œuvre qui lui agréait.  Il veut dire, par ces paroles, que Judas convenait par lui-même à cette œuvre,  et qu’il était tel que Dieu lui permettrait de faire ce qu’il désirait.  Et, un peu après, il explique la même chose par ces paroles plus claires : « Il a été choisi par Celui qui sait se bien servir même des méchants,  pour compléter son œuvre vénérable, l’un par son œuvre damnable, l’autre par ce pourquoi il était venu.  Donc, l’élection de Judas pour qu’il répande le sang du Christ n’est rien d’autre qu’un décret du Christ de se servir  de la mauvaise volonté de Judas  qu’il avait prévue, pour accomplir sa passion et la rédemption du monde.

Enfin,  Calvin (ivre 3, chapitre 23, verset 7) et Théodore de Bèze (dans sa réponse aux actes du colloque Monpelgardensis, page 155) ajoutent un témoignage de saint Augustin tiré du livre sur la correction et la grâce (chapitre 10) pour prouver que les maux ne sont pas seulement prévus, mais décrétés par Dieu;  et que la faute d’Adam n’a pas seulement été connue d’avance par Dieu, mais voulue et décrétée : Écoutons maintenant saint Augustin parler dans le livre de la correction et de la grâce : «Nous confessons salutairement,  que c’est en toute rectitude que nous croyons  que Dieu, le Seigneur de toutes choses, qui créa toutes les bonnes choses,  et prévit (saint Augustin ne sépare jamais la prescience de Dieu de son propos) les maux qui sortiraient des biens, et sut qu’il appartenait plus à sa bonté toute puissante de faire aussi du bien aux mauvais que de permettre qu’il n’y ait pas de mal,  a planifié la vie des anges et des hommes pour montrer d’abord en elles ce que peut le libre arbitre, ensuite ce que pouvait le bien de sa grâce, et le jugement de sa justice.»

Si on enlève de ce texte la parenthèse que Bèze y a insérée (saint Augustin ne sépare jamais la prescience de Dieu de son propos), il ne prouve absolument rien.  Car, saint Augustin ne dit pas  que Dieu a décrété que  des maux proviendraient des biens, mais il dit qu’il a appartenu à sa bonté toute puissante de faire du bien à partir du mal plutôt que de ne pas permettre que le mal existe.  Il ne dit pas non plus que Dieu a planifié la vie des anges et des hommes pour qu’ils pèchent d’abord nécessairement, et qu’ensuite il les punisse à cause de leurs péchés.  Mais il dit que Dieu a pré ordonné  la vie des anges et des hommes pour montrer d’abord ce que pouvait le libre arbitre, et ensuite ce que pouvait  le bienfait de la grâce et le jugement de la justice.  C’est-à-dire, pour montrer d’abord que, avec leur libre arbitre, les anges pouvaient tomber ou ne pas tomber, et qu’ensuite, Dieu pouvait en toute justice punir ceux qui étaient tombés avec leur libre arbitre, et donner à ceux qui avaient résisté avec leur libre arbitre une si grande quantité de grâces qu’ils ne pouvaient plus tomber.

 Il en va de même pour les hommes.  Quand ils étaient encore dans leur état d’innocence, ils pouvaient, de par leur libre arbitre, tomber ou ne pas tomber;  et s’ils n’étaient pas tombés, Dieu pouvait les conduire à la béatitude parfaite.  Mais, s’ils tombaient, il pouvait les punir en justice, ou les libérer miséricordieusement, comme saint Augustin l’explique longuement dans ce qui suit.  Tout ce qu’il dit est donc vrai, et n’aide en rien la position de Bèze.

Or la parenthèse qu’il a joutée (saint Augustin ne sépare jamais la prescience de Dieu de son propos) est une pétition de principe. Car, ce qu’il avait entrepris de prouver au début, elle  le donne comme certain et concédé.  Il est donc faux, si on parle des péchés, comme il en  rdy question dans ce passage, que saint Augustin, (dans le chapitre 10 de son livre sur la prédestination) ne puisse pas séparer la prédestination de la prescience parce qu’il ne peut pas séparer la prescience de la prédestination, ou d’un décret.   Car, Dieu n’a rien décrété ou défini sans avoir prévu que ça se ferait ainsi.  Mais il a prévu plusieurs choses futures sans les avoir décrétées ou définies : «  La prédestination ne peut pas exister sans la prescience.  Par la prédestination, Dieu a connu d’avance ce qu’il ferait. Or, Dieu peut prévoir même les choses qu’il ne fait pas, comme tous les péchés.»

On peut apprendre la même chose par la réponse que fait saint Prospère aux objections vincentiennes (10 à 16).  Car, comme quelqu’un soupçonnait qu’il suivait de la doctrine de saint Augustin ce que soutiennent  actuellement Calvin et Bèze, à savoir que les maux arrivent non seulement par les prescience de Dieu, mais aussi par sa prédestination et ses décrets,   Prospère répond que ces sentences sont des blasphèmes,  et sont étrangères à la doctrine de saint Augustin.    Voici ce qu’il répond, antre autres, à la onzième objection : « Objection.  Les incestes des pères avec leurs filles et des mères avec leurs fils, ou les meurtres des maitres par les serviteurs, arrivent parce que Dieu a prédestiné que cela se ferait. 

 Réponse.  Si on objectait au démon que c’était lui qui était l’auteur de tels crimes, je pense qu’il trouverait une raison pour s’innocenter, et qu’il renverrait la responsabilité  de ces crimes sur la volonté mauvaise de ceux qui les ont perpétrés.  Par quelle folie, par quelle démence attribuerait-on à Dieu une culpabilité que satan lui-même ne reconnait  pas, sous prétexte  qu’il ne génère pas les mauvaises volontés, mais ne fait que les aider ?  Dieu n’a prédestiné aucune de ces horreurs.  Il n’a préparé aucune âme pour qu’elle soit honteusement vaincue, et pour qu’elle vive ainsi.  Mais, il n’ignora pas qu’elle aurait été ainsi, et il a prévu qu’elle aurait à porter un juste jugement pour ces crimes.  Donc, à sa prédestination on  ne peut référer rien d’autre qu’une rétribution de justice due, ou une largesse de grâce indue.»  Nous voyons ici comment, quand il s’agit des maux,  Prospère, répondant  pour saint Augustin, sépare la prescience du conseil, de la définition,  et de la prédestination de Dieu. Et avec quelle fourberie Bèze affirme sans sourciller que saint Augustin ne sépare jamais la prescience du décret, ou du propos.

                                                             CHAPITRE 17

                                  On réfute les objections tirées de la raison

Il reste à répondre brièvement aux objections des adversaires tirées de la raison.  La première raison vient de Calvin (livre 3, chapitre 23, verset 7).  Si Dieu n’avait pas décrété, de toute éternité, que le premier homme tombe avec toute sa postérité, il s’ensuivrait que c’est pour une fin ambigüe qu’il a créé la plus noble des créatures.  Car, il ne l’a pas créée pour qu’elle se tienne debout.  Cela est évident, puisqu’elle est tombée.  Ou donc il l’a créée pour qu’elle chute, et lui ouvrir ensuite la voie de la miséricorde et de la justice divine, ou il l’a créée pour une fin ambigüe et incertaine, comme si ce que Dieu ferait, après,  dépendait de qui serait arrivé, ce qui est plutôt absurde.     Je réponds que Dieu a créé l’homme pour une fin bonne et certaine, pour manifester en lui la gloire de sa miséricorde et de sa justice.  Car, bien que Dieu n’ait ni décrété ni voulu que l’homme pèche, et qu’il ne l’ait pas créé à cette fin, cependant, il a prévu qu’il pècherait s’il était créé;  et il a prévu, en même temps, qu’il pourrait apporter un remède tel au péché qu’il manifesterait grandement sa miséricorde et sa justice.

 Exemple.   Quelqu’un pense à construire une maison, et se rend compte que s’il l’érige dans tel lieu, elle serait exposée à des vents impétueux pestilentiels.   Mais il voit,  en même temps, qu’il pourrait y apporter un excellent remède, qui n’arrêterait pas seulement les bourrasques de vent, mais qui servirait d’ornement pour tout l’édifice.  S’il construisait  une maison dans ce lieu, on ne pourrait pas dire qu’il a désiré que sa maison soit exposée à la furie des vents pestilentiels.  On ne pourrait pas dire, non plus, que cela s’est produit par une imprudence de sa part, mais que, ayant  sagement pourvu à ce qui pouvait arriver, l’architecte a quant même construit une maison dans cet endroit malsain, parce qu’il avait prévu qu’il pouvait, avec son art, remédier facilement à tous inconvénients.

Mais Calvin répliquera que Dieu a prévu la chute de l’homme parce qu’il avait décrété et prédestiné cette chute.  La prédestination était donc antérieure à la prescience.  Donc, quand Dieu décréta de créer l’homme, ou il a voulu le créer pour une fin ambigüe, ou il l’a  certainement créé  avec comme fin qu’il tomberait, pour que, par la chute de l’homme,  Dieu  s’ouvre une voie à la manifestation de sa miséricorde et de sa justice.   Je réponds que, par la connaissance de sa seule intelligence, Dieu  savait que l’homme tomberait s’il était créé, non seulement avant qu’il le crée, mais avant qu’il décrète de le créer.  Donc, (selon notre manière de penser) la connaissance de cette proposition conditionnelle (si l’homme est créé, il pèchera) est antérieure au décret absolu de créer l’homme. 

Car, les choses nécessaires sont, en Dieu, avant celles qui sont libres,  car, les dernières peuvent ne pas être en Dieu, mais les premières le sont nécessairement.  Il est donc nécessaire que Dieu connaisse d’abord  toutes les choses qui peuvent être connues, qu’elles existent nécessairement dans le futur ou par hypothèse, autrement, sa science ne serait pas infinie, et il ne serait pas Dieu.  Or, ce n’est pas nécessairement mais librement que Dieu a décidé de créer l’homme.

Donc, Dieu peut connaitre non seulement les choses qui seront dans le futur absolument, mais aussi celles qui existeraient si telles ou telles causes était posées, même si elles n’existeront jamais dans la réalité.  Cela est clair dans les livres saints.  Car, dans 1 Rois 23, David a demandé au Seigneur s’il serait livré entre les mains de Saül par les citoyens de Cella, s’il demeurait dans cette ville.  Il lui a été réponde qu’ils le livreraient. Le Seigneur savait donc que David serait livré s’il demeurait dans Cella  Et puisque, en n’y restant pas,  il n’a pas été livré, cette trahison n’était donc pas un vrai fait du futur. Non un futur, mais un futurible, comme le disent les philosophes.   Et, en Matthieu 11, le Seigneur dit :  «Si à Tyr ou à Sidon avaient été faits les signes qui ont été donnés ici, ils auraient fait pénitence sur la cendre et sur le cilice.»  Le Seigneur savait donc que les Tyriens et les Sidoniens se seraient convertis si ces miracles leur avaient été montrés, chose qui pourtant n’arrivera jamais.

Saint Augustin (dans son épitre 49, question 2) enseigne que le Christ n’était pas venu dans les temps anciens, parce qu’il prévoyait que les hommes de cette époque ne croiraient pas, même à la vue des plus grands miracles.  Il veut dire la même chose quand il répète si souvent que Dieu appelle  élus ceux qu’il voit aptes à suivre celui qui appelle.  Les réprouvés ne sont pas appelés ainsi.  Il considère comme certain que, quand une telle vocation est pareillement offerte à plusieurs, , un la, et un autre ne la suivra pas.  Voir le livre 1 à Simplicien, (question 2) et le livre sur le bien de la persévérance (chapitre 14). 

Dans son livre sur la correction et sur la grâce, (chapitre 10), il écrit que Dieu a créé l’homme et l’ange  pour d’abord montrer en eux ce que pouvait le libre arbitre, et ce que pouvait, ensuite, le bienfait de la grâce, et le jugement de la justice.   Cette fin n’était ni incertaine ni ambigüe, parce que Dieu savait que, par leur libre arbitre, certains tomberaient, d’autres ne tomberaient pas, et que l’homme tomberait avec toute sa postérité, et que, à cause de cela, il pourrait démontrer dans les anges et dans les hommes, sa miséricorde et sa justice.  Et (dans le même livre au chapitre 12), il enseigne ouvertement que Dieu  avait prévu la chute du premier homme, mais qu’il ne l’avait pas forcé à chuter : « Prévoyant ce qu’il ferait injustement, le prévoyant seulement, mais ne le contraignant pas,  et sachant en même temps ce qu’il en ferait en toute justice, Dieu …»

J’ajoute, en plus, que même si nous concédions que Dieu n’a pas prévu, avant de décréter de créer l’homme, ce que l’homme ferait s’il était créé, on ne pourrait pas en conclure que c’est pour une fin ambigüe qu’a été créée la plus noble de ses créatures.   Car, Dieu opère toutes choses pour lui-même, c’est-à-dire, pour la déclaration de sa gloire. Or, cette fin ne pouvait être empêchée d’aucune façon,  quelle que soit la façon dont l’homme se servirait de la liberté de sa volonté.  Car, s’il péchait, il ne pourrait pas fuir la justice de Dieu. Et s’il ne péchait pas, il se concilierait de plus en plus la grâce de Dieu.  La gloire de Dieu brillerait toujours , que l’homme soit couronné par une grâce excellente, ou qu’il soit  puni par un juste jugement.  Est-ce la miséricorde ou la justice que l’homme devrait rencontrer,  il y aurait là  sans doute quelque ambigüité, mais sans aucun détriment pour la gloire de Dieu, car, cette ambigüité elle-même proviendrait d’un décret de Dieu qui aurait voulu laisser l’homme dans les mains de son conseil, et (comme nous avons dit), la gloire de Dieu aurait toujours lieu  en couronnant ou en punissant.

L’autre raison de Calvin au même endroit est de cette sorte.   Cela ne s’est pas fait naturellement que, par la faute d’un seul parent,  tous soient exclus du salut.  Comme donc on ne peut pas l’assigner à la nature, il est clair que cela vient d’un conseil mystérieux de Dieu.  Qu’est-ce donc qui empêche d’admettre pour le  premier homme qu’il soit tombé par un décret de Dieu, ce qu’ils  (les catholiques) professent , malgré eux, pour tout le genre humain ?  Je réponds que nous nions ce que Calvin assume que nous concédons malgré nous.  Nous affirmons que quand le premier homme a tombé, le genre humain a tombé, lui au tout naturellement. Car, le premier homme a vicié en lui la nature, en perdant la justice originelle que Dieu lui avait donnée pour lui et pour tout le genre humain.  Donc, ceux qui sont faits  par la propagation naturelle d’Adam naissent naturellement injustes et pécheurs.   C’est ce que l’apôtre enseigne dans Éphésiens 2 : «Nous étions, nous aussi, par nature, des fils de colère etc.»  Saint Augustin enseigne souvent la même chose.  Dans son traité 44 sur saint Jean, il écrit que tous les hommes sont fils de la colère par nature, parce que, en péchant, le premier homme a mêlé le vice avec la nature, ou a pris le vice pour la nature.

Et, ce qui  est encore plus étonnant,  Calvin explique ainsi les paroles de l’apôtre (dans son commentaire de ce passage), pour prouver le péché originel, parce que ce péché est en nous tous naturellement, puisque la même nature est commune à tous : « Ce passage est très efficace contre  les pélagiens, et contre quiconque nie le péché originel.  Car, ce qui est naturellement présent en tous est certainement originel.  Paul enseigne que c’est naturellement que nous sommes tous coupables de damnation.»  Donc, bien qu’Adam n’ait pas péché naturellement, mais volontairement, cependant, le péché d’Adam ayant été commis et la nature corrompue,  laquelle corruption venait du péché, nous naissons tous  pécheurs et enfants de la colère  par la seule propagation naturelle, sans autre décret de Dieu.

La troisième raison de Calvin et de Bèze.  L’homme n’a pas pu pécher malgré Dieu, à cause de l’ignorance de Dieu  ou de son insouciance, car l’un répugne au pouvoir de Dieu, l’autre à la  sagesse, et à la providence de Dieu.  Le premier homme est donc tombé parce que Dieu l’avait voulu et décrété ainsi.  Je réponds que la conclusion n’est pas correctement déduite de ces prémices.  Car, Dieu avait perms que l’homme tombe, il est vrai.  Mais, il avait, par sa puissance, sa sagesse et sa providence, tiré de cette chute un immense bien.  L’homme n’est donc pas tombé parce que Dieu l’a voulu et l’a décrété ainsi.  Il n’est pas non plus tombé contre la volonté de Dieu, à cause de son ignorance ou de son insouciance.  Exemple.   On ne dirait pas de quelqu’un  qu’il regarde oiseusement un fleuve couler spontanément, si le fleuve détournait subitement son cours pour aller se perdre  dans un champ, même si ce n’était pas lui qui avait imprimé ce mouvement au fleuve.

La quatrième raison.  On peut considérer un péché de deux façons.  La première.  En tant qu’il sort de la volonté, et est une certaine action.  La deuxième.   En tant qu’il est reçu dans la volonté, et est une passion.  En tant que le péché sort de la volonté, il n’est pas une peine, mais une faute.  Car, la peine ne signifie pas une action, mais une passion.  En tant qu’il est reçu dans la volonté, et la prive du bien de la rectitude, il est une peine, même si non tout à fait proprement, et en toute rigueur, mais au sens large.    Car, la peine proprement dite doit toujours être involontaire, comme la faute doit  toujours être volontaire.  Dieu n’est pas l’auteur du péché en tant qu’il est une faute,  ce qui convient proprement et simplement, mais  en tant qu’il est punissable,  ce qui convient au péché non absolument parlant, mais seulement à un certain point de vue.

Mais, il faut observer de plus, que Dieu n’est pas auteur du péché en tant que peine, en le poussant au péché, mais en abandonnant, en permettant, en ayant pitié (comme nous l’avons expliqué plus haut.)  De sorte que ce n’est pas tant le péché lui-même que l’abandon de Dieu qu’on doit dire être la peine infligée par le juste jugement de Dieu.   Car, c’est  ainsi que parle saint Augustin (dans son livre sur la grâce et le libre arbitre, chapitre 33) : « Quand vous entendez, moi, le Seigneur j’ai trompé tel prophète,  et il endurcit celui qu’il veut, examinez les mérites de celui que Dieu endurcit ou séduit ainsi.»

La cinquième raison pourrait être celle dont se sert Zwingli (dans son sermon sur la providence, chapitres 5  et 6).  Il fallait que l’homme connaisse la vérité et la justice de Dieu, car c’est pour la contempler qu’il a été créé.  Or, cette vérité et cette justice ne peuvent être pleinement connues que par leurs contraires, le mensonge et l’injustice.  Or, il n’a pas pu, en lui-même, donner  un exemple d’injustice et de mensonge. Il devait donc faire en sorte que la créature en présente.  Bèze présente une raison semblable dans sa réponse à Castalion souvent citée.  Car, il écrit que Dieu a décrété de toute éternité de manifester sa justice et sa miséricorde.  Et comme il ne pouvait pas le faire sans que l’homme ne  pèche, sans qu’il n’y ait personne à sévèrement punir ou à miséricordieusement libérer,  il décréta et voulut de toute éternité  la chute du premier homme et de toute sa postérité.

Je réponds qu’il y a bien des façons de réfuter cette objection.  La première.  Il est faux qu’on ne puisse connaitre  la vérité et la justice que par leurs contraires, le mensonge et l’injustice, car la vérité et la justice sont connaissables par elles-mêmes.  Elles ne dépendent pas du mensonge et de l’injustice, comme si elles ne pouvaient pas exister sans elles.  Elles sont en Dieu de toute éternité, avant que n’existent le mensonge et l’injustice.  Le mensonge, l’injustice, comme la mort et la cécité, qui signifient la privation d’un bien,  ne peuvent exister ni être compris sans un bien contraire.  Mais, il n’en va pas de même de la forme et de la privation, car la privation dépend de la forme, mais la forme ne dépend pas de la privation.

Mais, soit ! La vérité et la justice ne peuvent pas être connues sans connaitre le mensonge et l’injustice.  Il  n’est  pas, cependant, pour cela nécessaire que le mensonge et l’injustice existent réellement. La nature de l’un et l’autre mal pouvait être connue, car, autrement non seulement l’homme, mais Dieu aussi, aurait besoin de mensonge et d’injustice pour  connaitre par elles sa vérité et sa justice. On a coutume de dire, communément, que ceux qui n’ont jamais été malades, ne connaissent pas la bonne santé,  et que ceux qui n’ont jamais expérimenté les maux de la guerre ne connaissent pas les biens de la paix.  Il ne faut pas tant rapporter ces paroles à la connaissance qu’à l’estimation. Car, celui qui a été contraint de supporter un mal contraire estime, désire, recherche et conserve plus le bien de la santé que celui qui n’a jamais été malade.  Il ne faut, pas à cause de cela, mentir et commettre l’injustice pour que la vérité et la justice nous soient plus chères.  Il ne faut pas, non plus, blesser le prochain pour que la santé lui soit, ensuite, douce, parce qu’il ne faut pas commettre des maux pour qu’en arrivent des biens. (Romains 111).

On répond avec la même facilité au raisonnement de Bèze, qu’il n’était pas nécessaire , de nécessité absolue, que Dieu fasse connaître sa justice et sa miséricorde au monde. Car, ce n’est pas nécessairement qu’il a créé le monde, mais librement.  Il aurait pu ne pas le créer, car, étant heureux par lui-même, il n’a besoin de rien d’autre.  Nous ajoutons ensuite que Dieu aurait pu faire connaitre sa miséricorde et sa justice même si le péché n’avait jamais existé.  Car, ce n’est pas sans une immense miséricorde que Dieu a produit les choses crées à partir de rien, qu’il les soutient, les meut, et les comble à chaque jour de nouveaux bienfaits, et parachève son œuvre. Et ce n’est pas sans justice, non plus, qu’il couronne les bien méritants, et remplit ses promesses.

Mais, tu dis : la justice vindicative n’apparait que si les impies  sont punis selon ce qu’ils méritent.  Réponse.  Il n’est pas nécessaire que toutes les parties de la justice soient connues par les hommes. Car, que serait-il arrivé s’il avait plu à Dieu de pardonner miséricordieusement les injures de tous les pécheurs ? Ne lui aurait-il pas été permis de faire ce qu’il voulait ?  Il était donc convenable et équitable aussi, après le péché de l’ange et de l’homme, que Dieu montre ce que peut le bienfait de sa grâce et le jugement de sa justice.  Cependant, si une autre chose avait plu à Dieu, elle aurait été, elle aussi, congrue et juste. Car, ce qui est congru et équitable, c’est ce qui plait à Dieu.  Mais, si l’ange et l’homme n’avaient pas voulu pécher, ce qui était vraiment et réellement en leur pouvoir, Dieu n’aurait pas pu les forcer à pécher pour faire connaitre sa miséricorde et sa justice, parce que, comme nous l’avons souvent dit, on ne peut pas faire des maux pour qu’il en résulte des biens.  Comme le mal est en horreur à la loi éternelle, qui est la sagesse et l’intelligence de Dieu,  Dieu serait contraire à Lui-même s’il poussait quelqu’un à pécher.  Et il se renierait lui-même s’il incitait les hommes à pécher, c’est-à-dire, s’il les forçait à  faire ce qui est prohibé par la loi éternelle.

                                                        CHAPITRE 18

On réfute une objection qu’ont coutume de proposer des théologiens catholiques pour expliquer la vérité

Il reste une objection, celle que certains théologiens catholiques ont coutume de faire pour expliquer la vérité.  La voici.    Dieu est la cause de toute l’entité qu’on aperçoit dans une mauvaise action, parce que, comme l’enseigne l’Écriture, tout a été fait par lui, et sans lui rien ne se fait.  Il semble donc être aussi la cause de la difformité qui résulte de telle action.  Deuxièmement.  On dit que pèche vraiment et proprement celui qui,  en sachant et en le voulant, est la cause d’une action  à laquelle est annexée une difformité, même s’il ne veut pas peut-être, cette difformité.  Dieu est, en le sachant et en le voulant, la cause d’une action à laquelle est annexée une difformité.  On doit donc dire qu’il pèche, même s’il ne veut pas cette difformité.  Troisièmement.  Celui qui, en le sachant et en le voulant, concourt avec un autre à une action mauvaise,  participe au crime que cet autre commet.  Or, Dieu, en le sachant et en le voulant, concourt avec tous ceux  qui pèchent, à leurs actions mauvaises.  Il semble donc participer aux crimes qui sont perpétrés par tous les pécheurs.

Quatrièmement.  Certaines actions sont  par elles-mêmes intrinsèquement mauvaises, de façon à ce que la difformité soit inséparable d’elles;  et sont prohibées parce qu’elles sont mauvaises, non mauvaises parce qu’elles sont  prohibées; et elles ne peuvent jamais devenir bonnes, comme mentir, haïr Dieu, et d’autres choses du même genre.   Dieu concourt à ces actions non moins qu’aux autres.  Il ne semble donc pas qu’on puisse l’exonérer de toute faute.  Cinquièmement.  Il n’y a aucune raison pour laquelle on dise que l’homme pèche quand il ment ou blasphème,  si on ne dit pas de Dieu la même chose, puisque Dieu concourt à la production de ce blasphème et de ce mensonge.  L’un et l’autre opère librement, l’un et l’autre fait une œuvre intrinsèquement mauvaise, l’un et l’autre effectue l’action en son entier.  Or, selon le jugement de tous, l’homme pèche.  Donc, Dieu pèche aussi.

Cet argument n’est pas réfuté de la même façon par tous.  D’abord, ne manquèrent pas ceux qui estimèrent que Dieu n’était que médiatement la cause des actions faites par les êtres créés, en tant que Dieu a donné aux êtres des vertus opératives, et les conserve.  Ainsi, Durand (sentence 2, dist 1, question 5, dist 37, quest 1).  Mais cette sentence est réfutée par tous à bon droit, en tant que contraire à l’Écriture et aux saints pères.  Nous traiterons plus longtemps de cela dans le livre 4 (sur la grâce et le libre arbitre, chapitre 4), qui est le lieu propre de cette question.  L’autre solution est de ceux qui disent que Dieu est la cause de toutes les actions, et opère avec toutes les causes secondes, mais qu’il ne pèche pas parce qu’il n’est pas tenu aux lois auxquelles les hommes sont tenus.  Cette sentence est celle de l’hérésiarque Zwingli, que nous avons rapportée et réfutée plus haut (au chapitre 4).  Elle est aussi celle d’autres docteurs qui, même s’ils ne sont pas d’accord avec ce qu’enseigne Zwingli, s’efforcent de montrer que Dieu pousse les hommes à pécher, mais ne pèche pas en produisant avec l’homme cette action qui pour l’homme est un péché, parce que Dieu n’est tenu à aucune loi, et que le péché n’est rien d’autre que la prévarication d’une loi.

Cela n’est pas une défense solide de la vérité, pour deux raisons. La première.  Car, il y a plusieurs actions qui sont par elles-mêmes intrinsèquement mauvaises, qui sont en lutte avec la loi éternelle,  et la droite raison, de façon à ce qu’on ne puisse  jamais les rendre licites en leur ajoutant une circonstance.  Et bien que Dieu ne soit sujet à aucune loi, il ne peut rien faire qui répugne à sa sagesse, qui est la loi éternelle.  Il ne peut donc pas faire ces actions, ou y concourir, puisqu’il ne peut pas se renier lui-même.  Ensuite, parce que Dieu peut faire beaucoup de choses qui ne sont pas intrinsèquement mauvaises, même si elles sont interdites aux hommes, comme tuer même des innocents, et  donner à l’un ce qui appartient à un autre, sans le consentement de son propriétaire légitime.  Ces choses-là, et d’autres du même genre, Dieu peut , en tant que Seigneur de toutes choses, les faire, comme il lui plait,  par lui-même ou par d’autres.  Les hommes ne peuvent pas aider Dieu dans ces actions, parce qu’ils pècheraient en les faisant.  En effet, c’est quelque chose d’intrinsèquement mauvais d’aider quelqu’un à pécher, ou de participer au péché en accompagnant le pécheur.

Qu’Abraham et David nous servent d’exemples.   Dieu a commandé à Abraham de tuer son fils innocent. Dieu pouvait, sans doute possible, concourir avec Abraham au meurtre de l’innocent Isaac.  Ce meurtre n’était pas du tout pour Dieu un péché, parce que, en tant que Seigneur de toutes choses et de tous, il peut se servir de ses créatures comme il le veut.  Ce n’était pas un péché non plus pour Abraham, qui tuait son fils non de sa propre autorité, mais sur un commandement divin.   Quand David a ordonné  de faire tuer Uri par le  glaive des fils d’Ammon,  Dieu ne pouvait pas concourir avec David à ce meurtre d’Uri  parce que, dans cette chose, David violat un précepte du Seigneur, et il n’a pas pu aider David pour qu’il fasse ce qu’il avait prohibé qu’il fasse.  Même si Dieu avait pu commander que soit tué Uri, comme il l’avait fait pour Isaac.

C’est ce que nous voyons d’ailleurs, dans les choses humaines.    Un roi peut gracier un coupable, mais il ne peut pas coopérer avec un juge qui prononce innocent celui qu’il sait,  par le jugement même qu’il a porté, être coupable.  Quelqu’un peut prendre femme, se nourrir de viandes;  il ne peut pas, cependant, accommoder son action pour faire ce qui ne lui est pas permis de faire à cause d’un vœu fait à Dieu.   N’est donc pas dénoué le nœud de l’objection qui soutenait que Dieu ne peut pas être exempté de faute, s’il coopère avec ceux qui font le mal.

La vraie solution est celle que nous avons indiquée  (au chapitre 5), et qui, pour être expliquée plus clairement et plus longuement, requiert quelques remarques  préalables.  La première porte sur le péché qui n’est pas tant une action qu’une défection. Il ne faut donc pas lui chercher une cause  efficiente, mais déficiente.   Car, c’est ainsi que parle saint Augustin (dans le livre 12, chapitre 7 de la cité de Dieu) : « Personne ne cherche la cause efficiente d’une mauvaise volonté.  Car, elle n’est pas efficiente, mais déficiente.  Car ce n’est pas la production d’une chose, mais d’un défaut (non une «effection», mais une «défection».)»  Voilà pourquoi si plusieurs causes concourent à un seul effet, et si quelques-uns font défaut pendant que d’autres ne font pas défaut, on peut  dire que seules sont causes du péché que l’on voit dans l’effet, celles qui ont fait défaut dans l’action.

 Exemple.  Un monstre est engendré, beaucoup trop grand ou trop petit, ou privé d’un membre.  Dieu a concouru à la génération de cet homme, ainsi que le soleil, le père et la mère, et, en plus, la semence, en tant qu’instrument,  et les menstrues, en tant que matière.   Le boiteux marche d’un pas difforme.  Mais, parce que Dieu n’a pas fait défaut, ni la vertu de la matrice qui est dans l’homme, mais seulement l’os long de la jambe, qui, en raison d’une courbature, n’est pas parfaitement soumis à la vertu motrice, la cause de la claudication est attribuée au seul tibia. C’est cet exemple que donne saint Augustin (dans son livre sur la perfection de la justice, réponse 4.)

Il faut remarquer, en second lieu, que le péché qui est un mal moral consiste formellement dans la privation de la rectitude,  qui doit être présente dans l’acte de la volonté, ou de la conformité à la  règle de la droite raison, ou de la loi divine.  Or, la cause de cette privation ne peut pas être quelque chose de positif, mais une autre privation, ou un défaut, comme le montre saint Thomas, (livre 3, chapitre 10, de contre les Gentils, et dans la question 1 sur le mal, article 3.)  On peut assigner trois défauts auxquels on doit référer la cause du péché.  Le premier, et donc, le prochain et immédiat  défaut est de ne pas tenir compte de la rège de la raison.  C’est de là que vient que la volonté produise un acte non conforme à la raison,  lequel (comme nous l’avons dit) est un péché, parce que, en opérant, on ne tient pas compte de la règle de la raison. Bien que ce défaut ne soit pas un acte positif, mais une négation, il est quand même volontaire, car, autrement, il ne serait pas une cause de péché.   Cependant, il n’est pas volontaire parce qu’il est un acte élicité par la volonté, mais parce qu’il est au pouvoir de la volonté de tenir compte de la règle ou ne de pas en tenir compte. La volonté ne se comporte pas moins librement quand elle opère que quand elle n’opère pas.  Et ce n’est pas un  défaut, en tant qu’il précède un acte du péché mauvais et naturel, ou volontaire, mais en tant que  simple négation.

Ce n’est pas, dis-je, un mal naturel, parce que  serait naturel aussi le péché qui en nait, et l’homme ne pourrait pas ne pas toujours pécher, et ne pèchera pas non plus proprement.   Le mal n’est pas volontaire parce qu’il serait un péché, et qu’il faudrait chercher un défaut précédent, et on progresserait, ainsi, à l’infini.  Ce défaut, en tant qu’il précède le péché dans le temps, est ou la nature, ou la cause du mal; et en tant qu’il accompagne l’acte, il apporte la raison du mal.  Car le mal c’est ne pas tenir compte de la règle, quand on opère, ou agir sans tenir compte de la règle. 

L’autre défaut, mais plus éloigné, est que la volonté créée n’est pas le bien suprême.  De là vient que la volonté ne s’en tient pas à la règle, et qu’elle est capable de défauts, car elle n’est pas le bien suprême.    C’est ce qu’écrit saint Augustin dans l’Enchiridion, chapitre 12 : «  Toutes les natures sont bonnes, parce que le créateur de toutes les natures est le Bien suprême. Et comme elles ne sont pas, comme leur Créateur, bonnes suprêmement et immuablement, le bien peut donc, en elles, diminuer ou augmenter.»

Le troisième défaut, et le plus éloigné, est que la volonté humaine a été créée à partir de rien.  De là vient qu’elle n’est pas le bien suprême et infini, --lequel ne peut pas tomber dans ce défaut- parce qu’elle a été faite de rien.  Saint Augustin (dans son livre 2, chapitre 28, sur les noces et les concupiscences), écrit : « La volonté mauvaise ne pouvait pas naître du bien, parce que le bien est fait par le Dieu bon, mais parce qu’elle est faite à partir du néant, et non par Dieu.»  Il dit la même chose dans son livre 12, chapitre 1,  sur la cité de Dieu.

Par ces réflexions préalables, nous  comprenons qu’il n’est pas nécessaire que Dieu concoure au péché, et qu’il ne peut se faire, en aucune façon, que Dieu pèche.  Car, il n’est pas nécessaire que Dieu concoure au péché, car le péché n’est pas proprement une chose, mais une privation, et une cause, comme je l’ai déjà dit, et une origine du péché.  Semblablement, il est une négation, non une chose.  Donc, Dieu ne peut, en aucune façon pécher, parce qu’il ne peut pas être une cause déficiente, puisqu’il est le Bien suprême et infini;  et sa volonté ne peut pas ne pas toujours contempler la règle de sagesse, puisque, en Dieu, la volonté et la sagesse sont une seule et même chose,  et parce que, par le fait même, la volonté de Dieu est la règle de toute bonne action.

Il faut observer, en troisième lieu,  que, dans l’acte du péché, trois choses sont nécessairement requises,  et, que, par l’absence d’une d’entre elles, le péché cesse d’en être un.  La première. La non-conformité avec la règle.  Car, c’est précisément cet éloignement de la règle qui constitue formellement le péché.  L’autre.  Que  cet acte soit produit par le libre arbitre.  Car, un acte n’est moral par lui-même que s’il est élicité par la libre volonté.  De la même façon, les actes des autres puissances ne sont  pas moraux selon la substance, mais seulement en tant qu’ils sont commandés par la libre volonté, et font partie de l’ordre moral.  Voilà pourquoi les animaux, les fous furieux, les bébés, les dormeurs, ne possèdent aucun acte moral, ni ne peuvent non plus pécher, parce que le péché est un mal moral.    La troisième.  Qu’il soit un acte particulier, ou plutôt, singulier, déterminé, constitué dans une espèce certaine. On ne peut,  de cela, avoir aucun doute.  Car, les actes moraux ne peuvent être que certains et singuliers,  et une cause particulière, comme l’est la volonté humaine,  ne peut pas en produire d’autres,

Ces trois choses que  nous avons dit être requises pour constituer un péché,  peuvent être réduites à la première.   Car, un acte ne peut pas être non conforme à une règle, c’est-à-dire, à la loi, à moins d’être particulier, et produit par le libre arbitre.   Car la loi ne porte que sur des actes particuliers et certains, et n’est capable d’une loi que la puissance libre qu’est la volonté.  On n’a donc pas pu définir mieux et plus brièvement le péché  que ne l’a fait saint Jean par les mots suivants : «Le péché est l’iniquité»,  ou mieux, en grec, amartia estin anoma (1 Jean 3). 

Ce qui nous donnera une raison évidente pour laquelle Dieu ne pèche pas, et qu’on ne peut pas dire de Lui qu’il est la cause du péché, même s’il concourt à la production de cette action qui est, pour l’homme,  un péché.   Car, la raison en est que Dieu n’effectue pas cette action-là  en tant que cause particulière, mais en tant que cause universelle,  apportant une vertu  indifférente et un influx  indifférent, communs à cette action et à son contraire, de sorte que cette action ne soit pas telle dans son espèce parce qu’elle est faite par Dieu, mais seulement parce qu’elle est faite par une cause particulière, qui est la volonté humaine.  Car, voilà celle, qui, par son vice, ne tient pas compte de la règle, qui abuse de l’aide générale de Dieu dans cette action,  puisque elle aurait pu  et aurait du se servir en bien de la même aide pour une autre action.

C’est cette raison que donne saint Thomas (1, 2, question 80, art 1 à 3) dont Bèze fait tant de cas dans cette controverse : « On doit dire que Dieu est le principe universel de tout mouvement intérieur humain.  Mais que la volonté humaine choisisse de faire une mauvaise action, cela vient directement de la volonté humaine,  et du diable, par le moyen de la persuasion et de la séduction.»  Et, dans la même partie, (question 10, art 4), il dit que la motion divine est reçue dans les causes secondaires d’après leurs dispositions.  Et il explique plus longuement  (dans la question 3 sur le mal, art 2) : « Il faut observer que la motion du premier mouvant n’est pas reçue uniformément dans tous les mobiles,  mais, dans chacun, selon son mode propre.» Et (dans la même question, article 7, à 13), il dit que Dieu agit avec les causes secondaires, mais qu’avec les causes libres, il agit de telle sorte qu’il ne les détermine paa à une seule chose, mais qu’il laisse la détermination au pouvoir du libre arbitre.  Enfin, (dans le livre 3 contre les Gentils, chapitre 66), il dit que ce sont les  causes secondaires qui particularisent et déterminent l’action du premier agent. 

Saint Thomas veut donc que Dieu meuve  la volonté à opérer, mais que sa motion et son influx général soient déterminés par la volonté à telle action particulière, de façon à ce que l’action particulière soit de Dieu, et qu’elle soit telle non en tant qu’elle vient de Dieu, mais de la volonté.  Il importe peu au sujet présent que nous disions avec saint Thomas que Dieu concourt avec les actons des causes secondes en mouvant les causes secondes,  ou que nous pensions avec eux que Dieu concourt en opérant immédiatement dans l’effet, pourvu que nous tenions que le concours de Dieu est général, et est limité par le concours de la cause seconde.  Exemple. À la production de l’homme, le soleil concourt avec l’homme, mais celui qui nait n’est pas un homme parce qu’il est produit par le soleil, mais parce qu’il est produit par un homme.  Car, par le même concours du soleil, un bœuf ou un cheval aurait pu être produit, si  telle avait été  la cause seconde.  Et, si on trouve un défaut dans l’homme récemment né, personne n’attribuera  ce défaut au soleil, mais à l’homme, non pas tant parce que le soleil n’est pas une cause nécessaire, que parce que, avec  le concours du soleil un homme sans défaut aurait pu être engendré, s’il n’y avait eu aucun défaut dans la cause seconde.

De la même manière, Dieu concourt à l’action de la volonté humaine avec le libre arbitre, mais parce que Dieu n’est présent que par un concours général, l’action n’est pas telle parce qu’elle est produite par Dieu, mais parce qu’elle est produite par le libre arbitre de tel homme.  Et, si, par hasard, cette action est mauvaise, le défaut n’appartient en aucune façon à Dieu, puisque par le même concours il aurait pu produire une action contraire à celle qui a été produite. 

Quelqu’un dira peut-être que celui fournit un glaive à quelqu’un, en sachant très bien qu’il en fera un mauvais usage, pèche sans aucun doute, même si l’autre aurait pu en user vertueusement, s’il l’avait voulu.   Pourquoi donc  Dieu ne pècherait-il pas en fournissant son concours à quelqu’un, s’il sait qu’il en abusera ?  Je réponds que l’homme qui pèche en prêtant un glaive à quelqu’un qui s’en servira mal, pèche uniquement parce qu’il était obligé d’empêcher le mal qu’il savait devoir arriver, et qu’il pouvait facilement empêcher.   Dieu n’est pas tenu d’empêcher les maux, qu’il connait d’avance, autant parce qu’il est  le proviseur suprême,  que parce qu’il peut faire du bien à partir  du mal, et qu’il lui suffit de conserver les natures, et de ne pas leur refuser l’aide sans laquelle elles ne peuvent pas opérer.

 Et enfin, parce que si Dieu voulait empêcher tous les maux, plusieurs biens manqueraient dans le monde, car il n’y a presque rien dans les choses créées dont on n’abuse pas.   Et quoi !  N’en va-t-il pas ainsi aussi dans les choses humaines ?  Le magistrat ne pèche pas  s’il concède une demeure particulière aux travailleuses du sexe, même s’il sait qu’elles ne feront pas un bon usage de cette maison.  Car, il peut permettre un moindre mal,  pour en empêcher un plus grand. 

Quelqu’un pourra revenir à la charge en objectant que le concours de Dieu avec la volonté à  une action,  diffère, par l’espèce, du concours de Dieu avec la volonté à  une  action contraire.   Le concours de Dieu n’est donc pas toujours le même,  commun et indifférent.   Je réponds que les concours de Dieu, en tant qu’ils sont limités par la volonté humaine, diffèrent spécifiquement, dans la mesure où les actions diffèrent, mais que d’eux-mêmes, ils sont un concours commun et indifférent.   Tu objecteras aussi que l’action humaine n’est pas quelque chose  uniquement en tant que chose quelconque, mais aussi en tant qu’action telle dans son espèce,  et qu’elle est donc de Dieu en tant qu’elle est telle dans son espèce.   Je réponds que l’action humaine est toute entière de Dieu, et qu’elle tient de Dieu  d’avoir non seulement l’être générique, mais aussi l’être spécifique et singulier.  Et que cela,  elle l’a  par le concours déterminé de Dieu à telle action par la volonté humaine.  Elle ne tient donc pas l’être spécifique de la façon d’agir de Dieu, mais de la façon d’agir de la volonté humaine.

Dernière objection. Si Dieu n’est pas la cause du péché parce que c’est en tant que cause générale qu’il apporte son concours,  il ne sera pas, non plus, la cause d’une bonne action moralement,  parce qu’il ne concourt à cette action qu’en tant que cause générale.   Je réponds qu’il y a une grande différence entre les bonnes et les mauvaises actions.  Car, les bonnes actions, si elles sont surnaturelles, Dieu les fait par une aide spéciale, et elles tiennent de lui d’être telles, c’est-à-dire surnaturelles.   Si elles ne sont bonnes que moralement, elles viennent quand même de Dieu par son aide générale.  D’abord, parce qu’elles ont été pensées par Dieu.   Car, Dieu nous a donné le libre arbitre et une aide générale, pour que nous les utilisions bien  en traverser la vie selon la raison, même s’il permet que nous agissions autrement.  Comme saint Augustin l’enseigne (dans le livre 3 du libre arbitre, chapitres 1 et 6).  Enfin, parce que Dieu persuade les hommes de faire des bonnes actions, leur commande d’en faire, les loue quand ils en font, les exhorte et les invite à en faire.  

Pour la même raison, on ne peut pas attribuer à Dieu une mauvaise action, car, il ne  la conçoit pas, il ne la prescrit pas, mais il l’interdit plutôt et la réprouve, en détourne les hommes et les dissuade de les accomplir.    Donc, non seulement la turpitude du péché, mais aussi ce que les théologiens appelle le matériel, si on le considère tel qu’il est dans l’espèce,  ne doit pas être attribué à Dieu,  puisque, comme nous l’avons déjà dit, Dieu déteste non seulement la turpitude, mais prohibe, par sa loi, les actions honteuses.    Ces considérations nous permettront de répondre facilement aux arguments proposés au début du chapitre.

Le premier argument était : celui qui est la cause de la cause est aussi la cause du causé.  Dieu est la cause de la cause, c’est-à-dire, de l’action, d’où nait la difformité du péché.  Il est donc la cause de cette difformité.   Je réponds que cette proposition : ce qui est la cause de la cause est aussi la cause du causé, n’a pas sa place, la plupart du temps,  dans la cause universelle, qui communique à plusieurs choses un  influx commun et indifférent.  Car, il arrive souvent que la cause seconde sorte de l’ordre  (la zone d’influence) de la première, ou qu’il y ait un défaut dans la cause seconde, et non dans la première.  Et, à cause de cela, il peut se faire de plusieurs façons que la cause universelle soit cause de cause, mais non cause du causé.

Voilà pourquoi saint Thomas (  1, 2, quest 79, art 1) enseigne  qu’on ne conclut pas correctement que Dieu est la cause du péché parce qu’il est la cause du la volonté humaine,  qui fait le péché.  Car, la volonté humaine ne fait pas le péché en tant qu’elle a été faite par Dieu, mais en tant qu’elle sort de l’ordre de Dieu.  Et nous avons démontré plus haut que la difformité du péché ne peut pas être attribuée à Dieu, autant parce le péché n’est que dans la seule cause seconde, que parce que la difformité suit l’action en tant qu’elle est telle dans l’ espèce,qu’elle tient de la cause seconde.  Cette raison nous montre que les péchés qui viennent de la nature ne peuvent pas être attribués aux causes universelles, mais seulement aux causes propres et particulières.  

L’autre argument était le suivant.  Celui qui, sciemment et délibérément, est la cause d’une action à laquelle est annexée une difformité pèche vraiment et proprement.   Or, Dieu est, en le sachant et en le voulant,  cause d’une action à laquelle est annexée une difformité.  Il pèche dont vraiment et proprement.   Je réponds que cette proposition est vraie pour la cause particulière, non pour la cause universelle qu’est Dieu.   Car, la cause universelle est la cause d’une action par un influx général et indifférencié, d’où ne peut découler une action difforme, à moins qu’une cause seconde, abusant de cet influx qui est bon, le détourne vers le mal.   Donc, Dieu connait et veut la cause de l’action qui, en tant qu’elle se rapporte à l’influx lui-même, est bonne, et est bonne absolument parlant, à moins qu’elle ne soit corrompue par un influx de la cause seconde.

Le troisième argument était : celui qui concourt à la mauvaise action d’un autre en le sachant et en le voulant, semble participer à son crime.  Or, Dieu veut concourir avec ceux qui pèchent, à leurs mauvaises actions.  Donc, Dieu participe à tous les crimes commis par les hommes.  Je réponds que cette proposition est vraie pour ceux qui concourent en tant que causes particulières, car ce sont eux qui concourent vraiment à une action mauvaise.  Mais Dieu, et les causes universelles, ne concourent pas proprement à l’action mauvaise, mais à une action indifférente en soi, ou indifférenciée,  comme nous l’avons expliqué plus haut.

Le quatrième argument était que Dieu concourt aux actions intrinsèquement mauvaises, qu’on ne peut pas séparer de leur difformité, et que, en tant que cause de l’action, il est, par le fait même, cause de  la difformité.    Je réponds que les actions intrinsèquement mauvaises ne sont rien du tout à moins d’avoir été déterminées et rendues telles dans leur espèce.  Car, l’entité de la haine de Dieu, si on la considère en elle-même, n’est pas mauvaise, mais elle n’est mauvaise qu’en tant qu’elle est telle entité,   Or, Dieu (comme nous l’avons dit souvent), n’est pas la cause qui spécifie une action, puisqu’il est la cause universelle, qui est, en soi, indifférente à une action particulière,  et à son contraire.

Le cinquième argument était : il n’y a aucune raison qui permette de dire que l’homme pèche et que Dieu ne pèche pas,  puisque l’un et l’autre font une action en le sachant et en le voulant.   Je réponds que la raison en a déjà été donnée.  Dieu concourt à cette action en tant que cause universelle, et  l’homme y concourt en tant que cause particulière.

 

                                                                 LE LIVRE TROIS

                                                             DES CONTROVERSES  

                                                          SUR LA PERTE DE LA GRÂCE

                                                      LE PÉCHÉ DU PREMIER HOMME

On a disputé, dans le livre précédent, de la cause première du péché du premier homme. Nous allons disserter, maintenant, du péché lui-même. D’abord, de la tentation préalable.  Ensuite, de la pénitence.  Enfin, de la peine et des mauvaises conséquences.

                                                                       CHAPITRE 1

             De la tentation qui a  précédé, et que nos premiers parents ont vraiment péché

On peut d’abord se demander : nos premiers parents pouvaient-ils vraiment être tentés à commettre un  péché ?    Ne manquèrent pas dans notre siècle, où on ne peut songer à la plus absurde erreur sans en trouver un promoteur, des auteurs qui soutinrent que nos parents n’ont pas péché, et ne pouvaient pas pécher, et qu’ils n’étaient , en aucune façon, sujets à une tentation qui les aurait incités au péché.  Comme Luther le rapporte, (dans son commentaire de la Genèse, chapitre 1), on en a trouvé qui disaient que le précepte donné aux premiers humains de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal n’a pas été une  loi, mais un simple avertissement, comme sont les préceptes des médecins quand ils interdisent quelque chose de nuisible. 

Ce qu’ils confirmaient par un argument  tiré, en droite ligne,  des préceptes de Luther, dont le suivant : la loi n’est pas imposée au juste, mais au pécheur, comme l’apôtre l’écrit (1 Timothée 1).  Or nos premiers parents, du consentement de tous, étaient des justes dans le paradis.  Et, comme il ne peut pas y avoir de prévarication là où il n’y a pas de loi, (Romains 4), ils en concluaient que, quand nos premiers parents goûtèrent le fruit défendu, ils n’étaient pas tombés, et ne pouvaient pas commettre de prévarication, ni non plus de péché, puisque le péché, selon saint Jean,( épitre 1, chapitre 3), est une prévarication de la loi (anomia, en grec).

             Mais, cette erreur est si crasse et  si absurde qu’elle exige à peine une réfutation.  D’abord.   Le précepte qui portait sur un fruit défendu était une vraie loi, et nos parents ont vraiment et gravement péché en dégustant ce fruit.  Témoin, la peine qui suivit la manducation du fruit.  S’ils n’avaient péché en rien, pourquoi ont-ils été chassés du paradis, exclus de l’arbre de vie,  contraints  à mourir nécessairement, et à chercher la nourriture avec labeur et douleur ?

 S’ils répondent que la nécessité de mourir et les autres peines proviennent de la nature empoisonnée de cette nourriture,  et non d’une peine imposée au péché, ou de la sentence du juste juge, vient à notre secours l’Écriture divine qui nous fournit la réponse.  Ecclésiastique 25 : « Le commencement du péché vient de la femme.  Et c’est par elle que tous meurent. »  Romains 5 : « Le péché est entré dans le monde par un homme, et la mort par le péché.»  Romains 6 : « La peine expiatoire du péché est la mort.»  Romains 8 : « Le corps meurt à cause du péché.»  Tu vois donc que la mort n’a pas tiré son origine de la nature de l’arbre de la connaissance du bien et du mal,  mais qu’elle est née du péché.

             Ensuite, il est certain que l’arbre de la connaissance du bien et du mal était bon, car «Dieu vit que tout ce qu’il avait fait était très bon » (Genèse 1, 2).  Ce n’est donc pas de la nature de cet arbre qu’ont pu naitre des maux qui auraient infesté des innocents.  Ajoutons à ces raisons, que l’immortalité du premier homme dans le paradis (comme nous l’avons démontré dans le livre sur l’état d’innocence) n’était pas naturelle à l’homme, mais qu’elle dépendait de la grâce et de l’amitié divine. Ce n’est donc pas la  nature de cet arbre qui  pouvait  la corrompre, mais seulement la faute, la perte de l’amitié et de la grâce de Dieu.

             Si nos adversaires méprisent les Écritures, dont ils ont tellement abusé pour combattre la vérité, en soutenant que la mort vient  des péchés commis par les hommes actuellement,  la raison réfutera leur erreur.  Si, comme ils l’enseignent, nos premiers parents n’ont pas péché parce que, étant  justes, ils n’avaient pas de loi,  il s’ensuit qu’aucun homme ne pèche, car il ne se peut pas que quelqu’un pèche.   Car si le péché pré requiert une loi, puisque le péché est une prévarication de la loi,  et que la loi pré requiert un péché, parce que  la loi n’est pas imposée à un juste, mais à un pécheur, il n’y a donc pas eu de premier péché.  Et s’il n’y en pas de eu de premier, d’où les autres proviendraient-ils ?  Il est donc nécessaire qu’il y ait eu une loi avant le péché, et que soit fausse l’opinion des adversaires, ou qu’il n’y en ait pas eu, et qu’il n’y ait donc jamais eu de péchés dans le monde.  Ce qui est l’erreur des libertins (comme nous l’avons dit dans le livre précédent), qu’ils imposent non par des arguments, mais par des supplices et des tourments.

             A quoi bon utiliser des raisons avec ceux qui nient la raison, et qui renversent, en même temps, la religion,  la république,  la foi et tous les droits ?  Et il est fort crédible que ceux qui, ayant Luther pour auteur, nient le péché de nos premiers parents, fassent partie du troupeau des libertins,  que Luther et Calvin ont imprudemment engendrés.  C’est donc à eux qu’il revient en toute équité de combattre  ceux qui proviennent de leur propre école, comme ils ne peuvent pas le nier, et dont ils ne chercheront pas à réfuter les arguments  s’ils ne veulent pas les trouver répugnants.  Car, certes, l’argument qui veut que la loi ne s’impose pas à un juste, que les premiers parents étaient des justes, donc,  qu’aucune loi ne leur fut imposée, Luther, dans le lieu cité, peine énormément à le réfuter, mais, après un flot de paroles, il n’ y parvient pas.  Voici un résumé de sa réfutation.  Saint Paul parle de la loi posée après le péché, et c’est de cette loi qu’il dit qu’elle ne s’impose pas au juste, mais aux pécheurs.   Mais il y avait une autre loi portée avant le péché, et cette loi valait pour les justes.

             L’adversaire concède donc que l’apôtre parle de la loi portée après le péché, mais il formule ainsi son argument.   La loi portée après le péché vaut pour les pécheurs, et elle s’impose seulement aux pécheurs, non aux justes.  Donc, quand il n’y avait pas de pécheurs, et quand  tous étaient justes, comme dans l’état d’innocence,  aucune loi ne devait être portée.  De cette façon, la loi portée après le péché ne s’applique pas aux justes, parce qu’ils sont justes, car s’ils étaient pécheurs, elle s’appliquerait certainement aux eux aussi.   Or, Adam et Ève dans le paradis étaient justes.   La loi ne les concernait donc pas.

             Ajoutons que cette distinction de la loi portée avant le péché et après le péché est complètement vaine et inutile.   Car, après le péché, nous trouvons une loi qui s’adressait à des justes.  En effet, la loi de la circoncision a été donnée à Abraham,  après le péché , lequel était un homme juste, et à sa postérité, pour qu’elle soit un sceau de la justice de la foi (Romains 4).   Nous trouvons aussi une loi portée avant le péché, qui ne s’applique par moins aux justes qu’aux pécheurs.   Car, la loi qu’on dit naturelle, a commencé dès la création de l’homme, car elle est inscrite dans le cœur de l’homme qui se sert de sa raison; et,  sans aucun doute, elle oblige autant les justes que les pécheurs.  C’est donc en vain que Luther écrit que la loi a été donnée aux pécheurs après le péché, et que la loi donnée avant le péché s’adressait aux justes. 

Mais, laissons de côté Luther, et cherchons l’explication du texte de saint Paul dans les saints pères, comme saint Ambroise et saint Augustin.   Dans son commentaire du psaume 36, saint Ambroise, enseigne, en expliquant le verset : la loi de Dieu est dans son cœur, que les paroles de saint Paul (la loi n’a pas été donnée pour les justes, mais pour les injustes et les pécheurs) doivent être entendues  du renouvellement de la loi quand elle est écrite sur des tablettes ou dans des livres.    Car, la loi n’est  pas inscrite  sur des tablettes pour les justes qui observent la loi, et qui la retiennent fidèlement dans leurs cœurs,  (selon ces paroles du Seigneur, la loi de Dieu est dans son cœur), mais pour les des pécheurs qui oublient la loi, et qui vivent comme s’ils n’avaient pas de lois. 

Voilà pourquoi l’apôtre dit que c’est pour les injustes (anomois en grec : les sans lois), ou prévaricateurs de la loi.  Il explique là ouvertement que la loi n’est pas portée pour les injustes parce qu’ils n’y  étaient pas tenus avant la loi, mais parce qu’ils oublient la loi.  Qu’elle n’est pas imposée aux justes parce que les justes doivent être sans loi, mais parce que leurs bonnes œuvres attestent qu’ils ont la loi gravée dans leur cœur,   Il était donc possible que, dans l’état d’innocence, aient été données à nos premiers parents autant la loi naturelle qu’une loi positive,  mais il n’était pas nécessaire de la rappeler à la mémoire, ou de l’écrire sur des tablettes de pierre.   C’est ce qui a été fait, par la suite, pour les iniques, pour qu’ils connaissent le péché, comme l’apôtre l’indique aux Romains 7.

Saint Augustin (dans son livre sur l’esprit et la lettre, chapitre 10) veut que le texte de saint Paul ( Timothée 1, chapitre 1) : «la loi n’a pas été dictée pour le juste mais pour les injustes»,  soit semblable à d’autres textes de l’apôtre, comme : « Vous n’êtes plus sous la loi, mais sous la grâce» (Romains 6) et 1 Galates 5 : « Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi.»  Ces passages ne signifient, évidemment pas, que les justes ne sont pas tenus à l’observance des lois, ou qu’ils ne pèchent pas s’ils ne les observent pas, mais qu’ils n’ont pas une loi au-dessus d’eux,  toujours présente à leurs cerveaux,  les menaçant et  les terrifiant par des fustigations,  comme l’ont les injustes qui font le bien par crainte  de la peine. 

Les justes opèrent le bien par l’amour de la justice, mais librement, et en  opérant comme s’il n’y avait pas de loi, ou comme s’ils n’étaient menacés d’aucune peine.  Voilà pourquoi on dit qu’ils sont dans la loi plutôt que sous la loi, comme s’exprime l’apôtre dans Corinthiens 1, 4  quand il dit  qu’ils ne sont pas sous la loi, alors qu’ils ne sont pas sans loi, mais dans la loi du Christ.    Donc, quand, dans le paradis,   nos premiers parents  conservèrent l’innocence, ils n’étaient pas sous la loi, et aucune loi ne leur avait été imposée, c’est-à-dire qu’aucun joug n’avait été posé à des récalcitrants.  Cependant, ils n’étaient pas sans loi, mais dans la loi du Créateur.

                                                            CHAPITRE 2

Pourquoi , sachant d’avance qu’il tomberait,  Dieu a-t-il permis la tentation de l’homme

Comme on sait que les premiers parents ont été tentés, et qu’ils ont succombé à la tentation,  vient infailliblement l’autre question : pourquoi Dieu a-t-il voulu ou permis qu’ils soient tentés, alors qu’il  savait très bien qu’ils seraient vaincus ?  Bien connues sont les erreurs de Zwingli et de Calvin  et de ceux qui ont voulu s’appeler zwingliens et calvinistes plutôt que chrétiens ou catholiques.  Car, (comme nous l’avons montré dans le livre précédent), il a plu à ces deux là de soutenir que Dieu  avait voulu et décrété que nos premiers parents pèchent, et que, par conséquent, ils ont été tentés non seulement par la permission de Dieu,  mais par un ordre et un commandement de Dieu.

 Si nous en croyons Zwingli,  Dieu a voulu la chute de nos premiers parents pace que le péché était nécessaire pour que sa justice soit connue par l’homme, puisque les contraires sont connus par les contraires.  Ou, si nous en croyons Calvin,   c’est parce que Dieu ne pouvait pas  trouver de moyen de manifester sa miséricorde et sa justice , sans que l’homme misérable ne pèche, et ne devienne ainsi digne de supplice.  Mais, nous avons déjà réfuté cela dans le livre précédent, et nous préférons plutôt croire l’apôtre  Pierre,  quand il dit que Dieu ne veut la perte de personne, (2 Pierre 3), et son co apôtre quand il affirme (Romains 3)  qu’il «ne faut pas faire de maux pour qu’en sorte du bien,» et le sage prédicateur ( Eccl, 15) : «les pécheurs ne sont pas nécessaires à Dieu.»

Saint Prospère (livre 2, chapitre 49 de la vie contemplative) pense que saint Paul estimait qu’avant la tentation, nos premiers parents avaient péché en secret, en s’étant enflé la tête lors d’une tentation d’orgueil; et que c’est en tant que peine de ce péché que Dieu a permis qu’ils soient tentés : « Ils n’auraient pas été tentés, dit-il, s’ils n’avaient pas été abandonnés.  Et ils n’auraient pas été abandonnés, s’ils n’avaient pas abandonné Dieu.»   Saint Augustin semble vouloir dire la même chose (dans son livre 9, chapitre 30 sur la Genèse, quand il parle ainsi : « Comment aurait-il pu croire aux paroles de cette femme si n’avait pas été présente, dans son esprit, une superbe présomption,  qui devait être combattue  et éliminée par cette tentation ?»

  Mais cette explication est convaincue de fausseté par l’Écriture, elle qui dit que le diable a été homicide dès le début, (Jean 8).    Il n’aurait pas été  un homicide , si nos premiers parents avaient péri par un péché d’orgueil.   Ils ont péri de ce que nos premiers parents ont eu une occasion de péché dans la fausse promesse qui leur avait été donnée par le démon : vous serez comme des dieux.   Ensuite, dans le lieu cité, saint Augustin ne parle pas de la tentation en général, mais de la victoire sur la tentation.  C’est ce qu’il écrit beaucoup plus clairement  (dans le livre  onze de la Genèse à la lettre, chapitre 5) : « On ne doit pas juger que ce tentateur aurait pu  abattre l’homme  sans que  précède en  l’homme  une certaine superbe qu’il devait comprimer pour qu’il apprenne, par l’humiliation du péché , qu’il avait faussement présumé de lui.»

Donc, cet orgueil occulte ne fut pas la cause pour laquelle Dieu a permis à l’homme d’être tenté, car la tentation avait précédé la pensée d’orgueil, mais pour laquelle Dieu permit qu’il soit induit en tentation, ou qu’il soit amené par le tentateur à une désobéissance ouverte. Les paroles de saint Prospère nous pouvons peut-être les entendre dans le même sens que celles de saint Augustin.  Mais, quoi qu’il en soit, une chose est évidente : le péché n’a pas été la cause de la permission de la tentation.

Après donc avoir rejeté cette erreur, écoutons saint Augustin, qui enseigne trois choses.  La première.  Dieu ne commit aucune injustice envers l’homme,  quand il permit qu’il soit tenté par le démon,  puisqu’il l’avait armé de si puissantes armes, qu’il aurait pu facilement terrasser l’adversaire.  La seconde.  La première cause de cette permission n’est connue que de Dieu.  La troisième.  Les raisons qu’il est raisonnable de donner : c’est ce que requéraient la toute-puissance de Dieu, sa providence, sa miséricorde, et sa justice, la beauté de l’univers, la gloire et l’utilité de l’homme. 

Que Dieu n’ait pas commis d’injustice envers l’homme, saint Augustin l’enseigne (livre 14, chapitre 27 de la cité de Dieu) : « Pourquoi n’aurait-il pas permis que le premier homme soit tenté par le mauvais ange, puisqu’il avait été statué que s’il mettait sa confiance dans l’aide de Dieu, l’homme bon remporterait la victoire sur l’ange mauvais ?».  Et, (dans la correction et la grâce, chapitre 12), il dit : « Cet Adam, sans rien redouter, et usant de son libre arbitre contre l’ordre d’un Dieu menaçant, ne demeura pas dans une telle félicité,  et dans une telle facilité de ne pas pécher.»

Et plus bas : « Sa volonté avait de ses grandes forces, elle qui fut instituée sans péché, et à qui ne résistait aucune concupiscence,  qu’il fut remis au libre arbitre de persévérer dignement dans une telle bonté, et une telle joie de vivre, »  Et plus bas : « À l’Adam qui était très fort, Dieu accorda et permit de faire ce qu’il voulait .  C’est à ceux qui sont faibles, qu’il a réservé  de vouloir invinciblement ce qui est bon, en le leur donnant, et de ne pas vouloir abandonner le bien.»  Adam ne pouvait donc pas se plaindre, en toute justice,  d’avoir été tenté par le diable, puisqu’il aurait pu triompher de l’ennemi avec une grande facilité.  

Cependant, la première raison de cette permission, Dieu seule la connait, comme l’enseigne saint Augustin (dans le livre 11, chapitre 4 de la Genèse à la lettre) : « Si on demande  maintenant pourquoi Dieu a permis qu’Adam soit tenté, alors qu’il savait parfaitement bien qu’il serait vaincu par le démon, nous ne pouvons pas pénétrer jusqu’à la hauteur de son conseil, et je confesse que cela est de loin au-dessus de mes forces.»  Et, (dans l’épitre 106 à Paulin), il parvient à la même conclusion, quand il se demanda pourquoi Dieu avait procréé ceux qu’il prévoyait être condamnés au feu éternel.  Il répondit : « Dieu a fait ce qu’il a voulu.  Pourquoi l’a-t-il fait ?  Qui es-tu toi, pour répondre à Dieu ?  Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire, avec la même terre battue, des bases d’honneur et des vases d’ignominie ?»

Mais, quoi qu’il en soit de tout cela, probables sont les raisons que nous avons  énoncées un peu  avant.  D’abord, au sujet de la toute-puissance de Dieu, que nous percevons dans cette permission, saint Augustin parle ainsi  (dans son livre sur la correction et la grâce, chapitre 10) : « Celui qui a créé tous les biens, et qui a prévu que des maux sortiraient de ces biens, savait qu’il appartenait bien plus encore à sa bonté toute puissante de faire du bien avec du mal,  que de ne pas permettre les maux.»   Il enseigne la même chose dans l’Enchiridion , chapitre 11.    Saint Augustin parle de la providence (dans le livre 7, chapitre 30 de la cité de Dieu) : « Il administre toutes les choses qu’il a créées de façon telle  qu’il leur permet aussi d’agir par leurs propres mouvements.»  Dieu a donc permis aux premiers parents de tomber, car, il appartenait à sa providence  de permettre  à  tous les hommes dotés d’un libre arbitre de résister ou de céder à la tentation.  Il enseigne la même chose (dans son livre sur la correction et la grâce (chapitre 10) où il écrit que  Dieu a institué la nature des anges et des hommes pour d’abord, montrer en elles ce que pourrait le libre arbitre, et ce que pourrait ensuite  le bienfait de la grâce, et le jugement de la justice.

De la justice et de la miséricorde, saint Augustin parle  dans le texte cité sur la correction et sur la grâce, chapitre 10 : « Dieu permit donc  que l’homme soit tenté, alors qu’il savait très bien qu’il tomberait, parce qu’il voyait, en même temps, qu’il pouvait se servir de cette chute pour montrer sa miséricorde et sa justice, en punissant  avec justice quelques-uns de la masse damnée, et en libérant d’autres miséricordieusement.»

Au sujet de la beauté de l’univers qui résulte de cette permission,  le même saint Augustin parle ainsi (dans le livre 3 sur le libre arbitre, chapitre 9).  À la question posée : pourquoi Dieu n’a-t-il pas fait  en sorte qu’aucune créature ne parvienne à la misère, il répond  que ce n’est pas parce que le Tout-Puissant  n’a pas pu, ou que le Bon ait été envieux…  Car, si quelqu’un disait que la lune aurait du ne pas exister ou être égale au soleil, il envierait à l’univers un ornement non petit des choses.  De la même manière, celui qui dirait que les âmes raisonnables auraient du ne pas être créées, ou avoir été créées de façon à ne jamais pécher, de façon à ce qu’il n’y ait aucune âme qui devienne misérable en péchant, enlèverait  au monde, par envie, un de ses ornements. En effet, cette âme, bien que misérable, est meilleure que n’importe lequel corps, et orne le lieu où elle a été placée par Dieu en raison de son mérite.»

Comme le dit saint Augustin, personne, dans la maison, n’est plus noble que l’homme, et rien n’est plus abject que les excréments ou les eaux usées,  et cependant, le serviteur surpris en train de commettre un péché, et qui est digne d’être expulsé comme le fumier, orne la maison quand même,  dans sa turpitude.   Et l’une et l’autre, la turpitude de l’esclave et la puanteur des étrons réunies ensemble en une sorte d’unité générique, concourent  à l’ornementation qui convient à l’ensemble de la maison. 

Mais, bien que la toute-puissance de Dieu  tire le bien du péché, et orne ainsi l’univers,  on ne peut pas en conclure qu’à cause de cela, les péchés ont été nécessaires, ou que Dieu n’aurait pas pu libérer les anges ou les hommes de la misère.   Car ce ne sont pas les péchés ou la misère qui ornent l’univers, mais les anges et les hommes  qui, à cause de leurs péchés, sont ordonnés aux peines.   Ne pouvait pas, non plus,  manquer à Dieu une raison d’exonérer de tout blâme la totalité de l’univers.  Si aucun ange ou si aucun homme n’avait voulu pécher, et, pour parler comme saint Augustin, si aucun esclave n’avait voulu se rebeller, n’aurait pas manquer  à la discipline domestique un autre moyen de purifier le fumier, la fiente et les excréments.

C’est donc cela que fit Dieu pour la beauté de l’univers.   Il permit que soient tentés les premiers parents, alors qu’il avait prévu qu’il tomberaient,  pour pouvoir pourvoir par un autre moyen  à la beauté de l’univers.   Si l’homme n’était pas tombé, ou si Dieu n’avait pas permis qu’arrive la chute de l’homme qu’il avait prévue,  voir, à ce sujet, saint Augustin  dans livre 3, chapitre 12 du libre arbitre.

Il reste une dernière raison : l’utilité.    D’abord (comme l’écrit saint Augustin (livre 9l chapitre 4 de la Genèse à la lettre),  on ne voit pas quelle gloire, quelle louange mériterait l’homme s’il  avait pu bien vivre parce que personne ne l’aurait  persuadé de mal vivre.  Dieu prévoyait donc que la tentation était très utile à la future formation des saints.   Pour que la chute du premier homme apporte aux saints du futur un exemple qui leur permette de se méfier de  la cupidité, et d’avoir  une crainte pieuse de l’orgueil  (comme le dit saint Augustin, dans le même livre, au chapitre 6).  Dieu permit donc que les premiers parents soient tentés et vaincus par le démon, parce qu’il prévoyait que, avec l’aide de sa grâce, les saints vaincraient satan, à la plus grande gloire de Dieu., comme le dit saint Augustin  (dans le livre 14, chapitre 27 de la cité de Dieu), 

Nous pouvons, ensuite, ajouter que, à l’occasion du péché de nos premiers parents,  le Christ nous a été donné, par lequel nous avons reçu de Dieu des bienfaits plus grands que ceux que nous avions perdus en Adam.  Car, comme l’apôtre l’atteste aux Romains (5) : « Là où le délit a abondé la grâce a surabondé.»  Et saint Léon (dans son sermon 12, sur la passion du Seigneur) : « Par la passion du Seigneur, nous a été fait le don de la liberté, qui a plus de valeur que la dette de la servitude.»  Et le même (dans son sermon 3 sur le Pentecôte) : « Si  l’homme n’avait pas été trompé par la fourberie diabolique, et n’avait pas dévié, par la concupiscence, de la loi qui lui avait été imposée,  le Créateur du monde ne serait pas devenu une créature.»  C’est ce qu’enseigne aussi saint Augustin, dans sons sermon 9 sur les paroles de l’apôtre, quand il dit : « Il n’y eut pas d’autre cause à la venue du Seigneur Christ que de sauver les pécheurs.»  Voilà pourquoi l’Église chante, dans l’exultation et l’action de grâces, en la vigile pascale : « O bienheureuse faute qui nous a  valu un tel et un si grand rédempteur !

                                                              CHAPITRE 3

Le serpent qui a séduit Ève était un serpent véritable et naturel, et le démon a parlé par lui

Nous avons donc maintenant à dire quelques mots sur la tentation de nos premiers parents,  surtout, comme le dit saint Augustin,  parce qu’une partie de cette doctrine a été diversement  dépravée par les hérétiques.

L’hérésie la plus ancienne vient du mot grec ophis, qui signifie serpent.  C’est des Ophites,  dont se souviennent saint Irénée  (livre 1, chapitre 34 sur les hérésies) et Tertullien (dans son livre sur la prescription des hérésies, chapitre 47),  Clément d’Alexandrie, (livre 7 des stromates) ,  Épiphane (hérésie 27), saint Jérôme (dans le dialogue contre les lucifériens,), saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 17),  Philastrius, Theodoret, saint Jean Damascène, et d’autres auteurs qui ont écrit sur les hérésies.  Ils enseignaient que la sagesse de Dieu était le serpent,  qui apparut aux yeux de nos premiers parents,  pour leur faire connaître le bien et le mal.  Il   a fait cela en haine du Créateur, auquel il était contraire»

Manès enseigna, ensuite, une erreur semblable, au témoignage de saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 46).   Mais, il voulait que ce serpent soit le Christ.   Origène, qui à sa manière, voyait des allégories dans tout ce qui lui semblait absurde,  vit, dans le serpent,  la délectation.   La délectation d’abord des sens, qui avait comme titillé et séduit Ève.  Ensuite, la délectation de l’esprit, et c’est elle qui amena Adam à consentir et à pécher.   Voir saint Ambroise (dans son livre sur le paradis, chapitre 2),  où il rapporte cette sentence , sans nommer Origène.   Ne manquèrent pas non plus les commentateurs (au témoigne de Procopius), qui soutinrent que le démon avait revêtu un corps semblable à celui du serpent.  Enfin, Julien (comme le rapporte saint Cyrille, dans son livre 3 contre Julien),  enseigne que le récit de Moïse sur le serpent tient de la légende, surtout parce qu’un serpent parle comme un être humain.

Que le serpent de la bible ait été  un serpent réel et naturel, et que le diable ait parlé par lui,  c’est une chose si évidente qu’elle se passe presque de preuves.   Car, ce que l’on dit, au chapitre 3 de la Genèse, au sujet des peines infligées au serpent, qu’il serait maudit plus que tous les autres animaux et bêtes de la terre, qu’il se traînerait sur son ventre, qu’il mangerait de la terre,  qu’une inimitié perpétuelle existerait entre les fils d’Ève et les serpents,  tout cela cadre parfaitement avec un serpent véritable, réel et naturel.  Mais en aucune façon,  à la sagesse de Dieu et à la délectation.  Voilà pourquoi, d’une commune voix, les  saints pères enseignent  que ce fut un vrai serpent qui parla à Ève.  Comme saint Jean Chrysostome (homélie 16 sur la Genèse), saint Basile (dans son sermon que Dieu n’est pas l’auteur des maux),  Épiphane ( dans son hérésie  des Ophites), saint Augustin (livre 2, chapitre 2 sur la Genèse).

Le serpent n’a pas parlé, mais le démon par le serpent, comme l’atteste le livre sur la Sagesse  (chapitre 2)  en ces mots : « Dieu créa l’homme inexterminable, et il l’a fait à l’image de sa ressemblance.  Par l’envie du diable, la mort est entrée sur la terre.   L’imitent ceux qui sont de son côté.»  Le Christ l’atteste aussi, en saint Jean (8) en disant : « Vous êtes de votre père, et vous voulez réaliser les désirs de votre père.  Il fut homicide dès le début,  et ne demeura pas dans la vérité.»  Il n’a pas été homicide au début autrement  qu’en empoisonnant nos premiers parents avec le venin de l’envie, comme l’enseigne saint Léon .  C’est ce qu’atteste aussi saint Jean dans son apocalypse (chapitre 20), où il n’appelle  pas le diable le serpent antique pour une autre raison  que parce que, au début, le diable avait revêtu un serpent.  C’est ce qu’attestent aussi tous les pères, autant ceux qui  ont commenté le livre de la Genèse ou qui ont répondu à des questions qui se posaient sur elle, comme saint Jérôme, Théodoret,  Eucherius, Bède,  Rupert, saint Jean Chrysostome,  et saint Augustin., que ceux qui en ont parlé dans leurs sermons , comme saint Cyprien ( dans son sermon sur le zèle et la jalousie),   saint Basile (dans se sermon que Dieu n’est pas l’auteur des maux), saint Ambroise (dans son livre sur le paradis), saint Cyrille (dans le livre 3 contre Julien) etc.

Julien ne voyait qu’une fable dans le récit d’un serpent qui parle à une femme.  Saint Cyrille lui reproche de réprouver chez les catholiques ce qu’il approuve chez les païens.  En, effet, Julien admettait qu’il adoptait souvent les opinions des païens, qui  croyaient  tout bonnement que les chevaux et les fleuves pouvaient parler.  Les chrétiens, eux, n’estimaient pas que les animaux puissent parler,  mais  ils savaient que les esprits mauvais pouvaient facilement parler par eux.  Car, ce n’est pas seulement un serpent qui a parlé,  rempli qu’il état de l’esprit du diable, mais aussi  l’âne de Balaam, sous la mouvance d’un bon ange…comme le dit saint Pierre (dans sa dernière épitre, chapitre 2).  Et est connue aussi l’histoire du chapitre 22 des  Nombres.

Il reste encore un doute. Est-ce que c’est le diable qui a choisi, de lui-même, le serpent,  pour tenter de séduire Ève, ou n’a-t-il reçu  de Dieu la permission de n’assumer que cet animal ?  Dans son homélie 16 sur la Genèse, saint Jean Chrysostome enseigne que le diable a choisi cet animal en connaissance de cause, parce qu’il état le plus apte, par sa duplicité naturelle, à tendre des embuches à la femme.  Mais la sentence de saint Augustin semble la plus probable, (livre 2, chapitre 3 de la Genèse).  Il enseigne que satan n’a pas pu obtenir d’autre permission que celle de parler par la bouche d’un serpent.  Parce que , comme l’intention du démon était de tenter pour séduire, il a pensé qu’il lui serait plus facile d’obtenir ce qu’il recherchait en tendant des pièges, plutôt qu’en parlant clairement.  Il aurait tendu un beau piège, s’il avait assumé une colombe ou une  brebis, qui sont des animaux d’une nature simple et innocente.  Mais Dieu a voulu que si le diable  cherche à tenter l’homme par un animal, il ne puisse le faire que par  un serpent.  Car, en permettant au démon de tenter ainsi, il avertissait en même  temps  l’homme  d’être sur ses gardes , car Adam n’était pas sans savoir que le serpent est un animal sournois et retors.

Ce que dit saint Jean Chrysostome que le démon avait choisi un animal  apte de par sa nature à tendre des pièges, cela aurait pu avoir lieu si  Ève avait été trompée  par la fourberie qui était innée dans le serpent.  Mais comme ce n’est pas l’astuce d’un serpent muet, mais celle du diable qui fut nécessaire pour tromper  Ève, il aurait pu tout aussi bien la séduire  par une colombe ou une brebis, ou peut-être mieux encore, par une astuce encore plus grande.

                                                              CHAPITRE 4

                     Le premier péché de nos premiers parents fut l’orgueil

Nous avons parlé de la tentation.  Il nous faut maintenant disserter du péché lui-même.   Et voici la première question qui se présente : quel fut le premier et principal péché de nos premiers parents ? 

Ne manquèrent pas les anciens écrivains qui pensèrent que nos premiers parents avaient péché en ce qu’ils avaient devancé l’usage de l’arbre de  la science du bien et du mal,  comme saint Augustin le rapporte  (au livre 11, chapitre 41 de la Genèse à la lettre).  Si  on entend mystiquement cette sentence, on ne la  désapprouvera peut-être pas.  Car, il peut se faire, que par l’arbre de la science ils veulent entendre une certaine contemplation qui ne convient qu’aux seuls bienheureux, et qu’il ne fallait donc pas désirer avant le temps.  Car,  c’est ainsi qu’interprète l’arbre de la science saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur la naissance du Seigneur,  et dans son sermon 2 sur Pâque.)

Mais, il est certain que, prise à la lettre, cette sentence ne peut pas être vraie.  Car, Dieu n’avait pas prohibé pour un temps l’usage de l’arbre de la science, mais pour toujours, quand il a dit :  «Le  jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort.»

Encore moins probable est la sentence de ceux qui (au témoignage de saint Augustin, au même endroit) disaient que le premier péché d’Adam et d’Ève  ait été un péché d’intempérance, parce que, avant le temps légitime, ils avaient fait usage du mariage,  et avaient, en quelque sorte, volé leurs noces. Car, il appert suffisamment de l’histoire sainte,  qu’Adam connut sa femme après qu’il eut été expulsé du paradis, après donc  avoir commis le péché originel. (Genèse, chapitre 4).  Ensuite, le premier péché n’a pas pu être une intempérance de la chair, car, dans l’état d’innocence, il n’y a avait pas et il ne pouvait pas y avoir de concupiscence charnelle qui répugnait à la raison droite,  avant que la raison elle-même ne commençât à répugner à Dieu, comme nous l’avons démontré dans le livre sur l’état d’innocence. 

Ajoutons que, même si, après leur création, nos premiers parents avaient voulu avoir des  enfants, il n’y a aucune loi qui les aurait empêchés de le faire.  Car, ils n’avaient pas été créés bébés ou enfants, mais parfaits de taille et de force, comme il fallait s’ y attendre de l’âge adulte. Et ils avaient déjà entendu : «Croissez et multipliez-vous !»  Et Adam, inspiré par Dieu, avait déclaré : « Voici les os de mes os, et la chair de ma chair.»  Et : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et adhèrera à son épouse.»

Il y a deux autres sentences qui eurent des saints pères pour auteurs.   Saint Ambroise (dans son livre sur le paradis, chapitre 12),  écrit qu’Ève a péché parce qu’elle avait ajouté quelque chose aux paroles du Seigneur.  Car, quand le Seigneur leur a interdit de se nourrir du fruit de l’arbre de  la connaissance du bien et du mal, et que, autrement, ils mourraient, elle a retenu qu’il lui a était défendu de se nourrir de l’arbre de la science,  ou de lui toucher, sous peine de mort.  Il ajoute qu’elle mit en doute que le contact avec l’arbre lui était interdit sous peine de mort.  Car il  avait lu dans saint Jean Chrysostome (homélie 16 sur la Genèse) que le début du péché a été le colloque d’Ève avec le diable.

Les saints pères en question ne semblent pas avoir voulu traiter formellement du péché originel, mais seulement en passant, et uniquement comme d’une occasion pour exhorter le peuple à recevoir fidèlement et religieusement les paroles de Dieu;  et pour les mettre charitablement en garde contre les mauvais entretiens.   Et bien que cette addition à la parole de Dieu et ce colloque avec le diable puissent, d’une certaine manière être appelés des péchés, puisqu’ils ont été des occasions du péché qui a été commis après, ils ne furent cependant, pas des péchés au sens propre.   Car, Ève n’a pas changé la sentence du Seigneur, même si elle ne l’a pas exprimée dans les mêmes mots que le Seigneur avait employés.  Elle ne savait pas, non plus, que c’était le diable, qui lui parlait par le serpent.  Et elle était suffisamment instruite et munie du secours de la divine grâce,  pour parler avec le diable, si elle avait voulu résister à la tentation.

Laissant donc de côté ces opinions que les hérétiques réfutent aussi bien que nous, voyons donc quelle  est la controverse qui subsiste encore entre eux et nous.  Martin Luther (dans son commentaire  du chapitre 3 de la Genèse) soutient que le premier péché de nos premiers parents a été l’infidélité, c’est-à-dire, qu’ils ne  crurent pas qu’ils mourraient s’ils mangeaient de l’arbre de la science.  Cela, Luther le prouve tant par les paroles de l’Écriture, que par la raison.  Car l’Écriture, dans la Genèse, rapporte que le serpent s’est efforcé principalement de persuader la femme de croire qu’elle ne mourrait pas.    Car, la femme n’a pas osé regarder le fruit de cet arbre et encore moins le cueillir, avant d’entendre : « Vous ne mourrez pas.   Car, Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme  des dieux, connaissant le bien et le mal.»   La raison nous persuade de la même chose.   Comme le commencement et la racine de la justice est la foi, de la même façon la racine et le début du péché est l’infidélité.

Semblable est la sentence de Jean Calvin qui (dans livre 2, chapitre 1, verset 4) explique brièvement sa sentence : «L’infidélité fut la racine de la défection.  C’est d’elle qu’émanèrent l’ambition  et l’orgueil, auxquels est annexée l’ingratitude.»  Et plus bas : « L’infidélité ouvrit la porte à l’ambition. Et l’ambition fut la mère de la contumace.»  Et il en donne la raison : parce qu’elle n’aurait jamais osé s’opposer au commandement de Dieu, ni elle n’avait pas manqué de foi en ses paroles.»

Or la sentence des théologiens catholiques est commune à tous :  le premier péché d’Ève fut un péché d’orgueil.   Voir saint Thomas (dans 2, 2, question 163),  et les autres théologiens  (dans 2 sent dist 21, et 22).  Au sujet d’Adam, saint Bonaventure et Scot (au lieu cité) estiment que son premier péché a été un amour désordonné envers son épouse, un amour non de concupiscence charnelle, mais d’amitié humaine.  Saint Thomas d’Aquin (au lieu noté), enseigne que le premier péché de l’un et l’autre parent a été l’orgueil.  Et c’est c’et enseignement qu’il faut recevoir.  Car c’est ce qui convient le mieux aux lettres divines, aux témoignages des pères, et à la raison humaine.

Commençons par les Écritures.  Ecclésiastique 10 :  « C’est par l’orgueil que l’homme commença à apostasier Dieu, »  Et encore : « Le début de tout péché est l’orgueil.»  En ce passage, le sage montre par deux arguments, que l’orgueil est le vice le plus  détestable.  D’abord, parce que  l’orgueil est apparu au tout début, c’est-à-dire  que le premier acte de l’orgueil humain apparut dans la défection du premier homme, qui s’est éloigne spontanément du Dieu qui venait tout juste de le créer, ne voulant pas être soums à son empire.   Ensuite, parce que cet orgueil du premier homme a été le début de tout péché, ou de tous les péchés qui ont été commis par la suite, et qui sont commis quotidiennement.  Tobie  confirme la même  chose dans les paroles qu’il prononce au chapitre 6 : « Ne permets jamais à l’orgueil de dominer dans ta pensée ou dans ta parole. Car, c’est de là que prit son début toute perdition. »  Même si ces textes peuvent être référés au péché de Lucifer,  lequel fut le tout premier, cependant,  il est encore plus crédible que l’Ecclésiastique et Tobie  aient eu en vue le premier péché des premiers parents, qui était beaucoup plus connu que le péché de l’ange.

Ajoutons à ces textes de l’ancien testament, saint Paul (chapitre 5 de l’Épitre aux Romains) : « Comme par la désobéissance d’un seul homme plusieurs ont été constitués pécheurs,  ainsi, par l’obéissance d’un seul, plusieurs ont été constitués justes.»   C’est bel et bien du premier péché qu’il parle, et non des autres qui ont été commis après le premier.  Car, par le premier péché, l’homme a perdu la grâce de Dieu et la justice originelle, dont la privation constitue le péché originel de sa postérité.   Le premier acte de l’orgueil est  de ne pas se soumettre au pouvoir, et aux préceptes d’un autre.  Et c’est ce qui s’appelle proprement désobéissance.  Et c’est pour cela que nous lisons dans l’Ecclésiastique 10 : « Le début de l’orgueil de l’homme  est dans son apostasie de Dieu.»   Il ne faut pas ent4ndre ce passage au sens où l’apostasie serait antérieure à l’orgueil,  mais au sens où  la première partie ou le premier acte de l’orgueil est de ne pas vouloir obéir à Dieu, comme saint Thomas l’explique très bien ( 2, 2, quest 162,  art 7, à 2).  Comme nous lisons aussi dans Jérôme  2 : « Depuis le siècle, tu as rompu mon joug et mes chaînes, et tu as dit : je ne servirai pas.»

Pour le premier homme, saint Augustin parle aussi d’orgueil, et de désobéissance, au lieu de d’humilité et d’obéissance (dans le livre 14, et le chapitre 13 de la cité de Dieu) : « Il est bon d’élever notre cœur non vers soi-même, ce qui est de l’orgueil, mais vers  Dieu., ce qui est de l’obéissance,  laquelle  ne peut exister que chez les humbles.»   Et dans le même endroit : «Il aurait été bien mieux qu’ils puissent être des dieux  en adhérant, par obéissance,  au Principe suprême véritable, qu’en existant  pour soi dans l’orgueil.»  Dans ce passage, saint Augustin  oppose, comme des choses contraires, l’obéissance à l’orgueil,  parce que la désobéissance  est de l’orgueil et l’obéissance est de l’humilité. 

Et (dans le livre 3 de la Genèse à la lettre, chapitre 14), il écrit : « Il ne peut pas se faire que la volonté propre ne tombe pas sur l’homme par le poids propre d’une grande ruine, si, en l’exaltant,  il la place avant la volonté d’un supérieur.»  C’est ce qu’expérimente l’homme qui méprise un précepte de Dieu, et il apprend, par cette expérience, la différence qu’il y a entre le bien et le mal, entre le bien de l’obéissance et le mal de la désobéissance, c’est-à-dire, de l’orgueil et de la contumace.»

L’apôtre a donc considéré que le péché du premier homme a commencé par une désobéissance occulte.  Enflé d’orgueil par elle,  il a choisi de ne pas être soumis à l’empire de Dieu, mais de ne relever que de lui-même.  Et c’est ainsi qu’il a débouché sur la désobéissance ouverte, en présumant goûter le fuit interdit.  Et voilà pourquoi il dit  avec raison que beaucoup ont été constitués pécheurs par la désobéissance d’un seul.

Si le premier péché de nos premiers parents avait été l’infidélité, ou l’amour du conjoint, on aurait pu l’appeler au sens strict désobéissance.  Et bien que l’orgueil  soit plus étendu que la désobéissance,  et que toute superbe ne soit pas de la désobéissance,  toute désobéissance, au sens fort du mot, est de l’orgueil.  Et, à cause de cela, l’orgueil qui fait mépriser un précepte et qui ne veut pas obéir aux lois d’un supérieur, peut  être  appelé proprement  contumace ou désobéissance.  Comme aussi l’humilité qui  fait que quelqu’un se soumet à un supérieur, est plus large et plus étendue que l’obéissance, qu’un sujet rend à son supérieur quand il commande quelque chose.   Cependant l’humilité qui soumet un homme aux commandements d’un supérieur  est appelée à la fois humilité et obéissance.

Prouvons, maintenant, par les témoignages des pères, que le premier péché de nos premiers parents n’a pas été l’infidélité ou quelque chose d’autre,  mais la superbe ou l’orgueil.   Saint Basile (dans son discours que Dieu n’est pas l’auteur des maux), écrit : « Attaquant , pour le tromper, l’homme par la ruse,  se servant du même désir ambitieux qu’il eut lui-même au tout début,  celui d’être semblable à Dieu, il montre l’arbre par la dégustation duquel il promet que l’homme deviendrait semblable à Dieu.»    Saint Jean Chrysostome  (homélie 16 sur la Genèse) : « C’est donc pour obtenir la divinité qu’il avait imaginée,  qu’il se hâta de  manger.»  Saint Augustin (livre 8, chapitre 13 de la Genèse à la lettre), dit, en parlant du premier péché : « En fin de compte, le pécheur ne recherche rien d’autre que de ne plus être sous la domination de Dieu.»  Il le dit plus clairement encore (au livre 11, chapitre 30) : «  Comment, par ces paroles, la femme aurait-elle cru croire  que Dieu leur avait défendu une chose utile et bonne, si n’avait pas été déjà présent dans son esprit l’amour de sa volonté propre,  et une certaine présomption superbe, qui fit en sorte qu’elle devait être , par cette tentation,  humiliée  et ravalée.»

Par ces paroles, saint Augustin réfute clairement la sentence de Calvin et de Luther.   Ils veulent, eux, que la superbe soit née de l’infidélité, tandis qu’au  contraire, saint Augustin soutient que l’infidélité ne pouvait pas trouver de place dans l’âme de nos premiers parents, avant que la superbe ne l’ait précédée.  Le même saint Augustin dans Enchiridion, chapitre 45.  En énumérant les actes mauvais,   il assigne, parmi  les parties du premier péché de l’homme,  la première place à l’orgueil.   De même dans le livre 14, chapitre 13 de la cité de Dieu, il dit, en parlant de l’un et l’autre parent : « C’est en secret qu’ils ont commencé à être mauvais, pour tomber ensuite dans la désobéissance ouverte.  Car, ils ne seraient pas parvenus à commettre une mauvaise action,  si la mauvaise volonté n’avait pas précédé.   Or, le début de la mauvaise volonté  qu’a-t-il pu bien être sinon la superbe ? »  Et plus bas : « Le diable n’aurait pas été l’instigateur d’un péché manifeste et ouvert qui faisait faire à l’homme ce que Dieu avait interdit, si l’homme n’avait pas commencé à se complaire en lui-même.»

Saint Léon (dans son sermon sur Noël ): « Qu’est-ce qui convenait davantage et qu’est-ce qui  était le plus utile ?    Guérir les malades,  rendre la vue aux aveugles, ressusciter les morts ou soigner les plaies de l’orgueil  par le remède de l’humilité ?»  Il appelle ici plaies de l’orgueil  les maux infligés au genre humain par le péché d’Adam.  Et, au même endroit : «  Il a été dit à cet Adam tombé à cause de son orgueil : « Tu es terre, et tu retourneras à la terre. »  Et à  celui qui a été exalté à cause de son humilité : «Siège à ma droite !»   Saint Prospère (livre 2, chapitre 19 de la vie contemplative) : « Il me semble à moi aussi qu’ils n’auraient pas mangé du fruit défendu s’ils ne l’avaient pas convoité.   Ils ne l’auraient pas convoité à moins d’être tentés. Ils n’auraient pas été tentés à moins d’avoir été abandonnés par Dieu.   Et ils n’auraient pas été abandonnés par Dieu avant de l’avoir abandonné.  Et ils n’auraient pas abandonné Dieu  avant d’avoir été orgueilleux et désiré misérablement la ressemblance avec  Dieu.»

Saint Fulgence (livre 2, chapitre 22, sur l’incarnation et la grâce du Christ) : « Parce que le premier homme perdit l’humilité, après avoir été projeté dans l’orgueil par la persuasion diabolique.»  Saint Grégoire (livre 2, chapitre 22 sur l’incarnation et la grâce du Christ) : « Dieu fit deux créatures, l’angélique et l’humaine, pour qu’elles le connaissent.  L’une et l’autre a été frappée par la superbe, et a été expulsée de l’état de la rectitude originelle.»  Eucherius (dans son livre  1 sur le Genèse) enseigne la même chose, ainsi que beaucoup d’autres.

Accédons, maintenant, à la raison.   Parmi les actes mauvais, les actes mauvais intérieurs viennent avant les actes mauvais extérieurs, autant par rapport à l’objet intelligible qu’à l’objet sensible.   Car, comme la partie inférieure est soumise à la partie supérieure, et qu’elle ne peut pas se détourner de Dieu tant que la partie supérieure ne s’en est pas détournée, la concupiscence d’un bien sensible n’a pas  pu l’emporter dans l’âme,  avant que l’âme ne se soit détournée de Dieu pour se tourner vers ce qui n’est pas.   Voilà pourquoi il ne se peut pas qu’un amour immodéré de l’épouse ait constitué le premier péché d’Adam.  Je ne parle pas seulement de l’amour de la concupiscence charnelle, mais aussi de l’amour de bienveillance amicale,  qui, pour saint Bonaventure et Scot,  avait été  le premier péché d’Adam.  Car, même cet amour était un amour d’une chose sensible, c’est-à-dire du conjoint humain, et de la vie matrimoniale.  Voulant ne pas perdre cela, Adam aurait préféré transgresser la loi de Dieu plutôt que de contrister sa compagne de vie.

Ensuite, parmi les actes intérieurs, et, par rapport au bien intelligible,  l’acte qui porte sur la fin vient avant celui qui porte sur les moyens.  Car, les moyens sont désirés en fonction de la fin, et non la fin en fonction des moyens.  La fin des hommes mauvais est leur propre excellence, qui a la superbe pour objet.   Ce n’est donc ni l’infidélité ni aucune autre chose mais l’orgueil qui fut le premier péché de nos premiers parents.   De plus, (pour réfuter vraiment la sentence de Luther et de Calvin),  l’esprit de nos premiers parents, éclairé par une divine lumière, n’a pas pu avoir été induit en erreur avant d’avoir été privé de cette lumière divine, après s’être détourné de Dieu, comme l’enseigne saint Augustin (dans le livre 14, chapitre 13 de la cité de Dieu).  Comme personne ne peut croire que le soleil n’éclaire pas tant qu’on le regarde.

 L’infidélité de nos premiers parents a dont été précédée par le détournement de Dieu, et le péché.  L’infidélité n’est donc pas  le premier péché.  Ajoutons à tout cela que la mère de l’infidélité est l’orgueil, comme l’enseigne le même saint Augustin, (dans son livre sur les pasteurs, chapitre 8.)   Donc, l’orgueil précède l’infidélité, et non le contraire, à moins que nous voulions que la fille vienne avant la mère.

Dans les péchés, la conversion au bien créé vient avant  le détournement du Bien incréé.  Car, le détournement n’est pas désirable en lui-même, car il n’est ni une chose bonne, ni un objet de la volonté.  C’est parce que nous nous convertissons au bien créé que, comme en une conséquence, nous nous détournons de l’Incréé, la volonté ne choisissant pas le détournement en premier lieu, et pour lui-même.  Or, ne pas vouloir croire en Dieu,  ce qui est un acte de l’infidélité, c’est un détournement de Dieu.  L’infidélité n’est donc pas le premier acte mauvais, mais il vient après l’acte mauvais qui nous tourne vers les créatures.  Voilà pourquoi les saintes Écritures attestent non en un seul endroit que les mauvaises œuvres antérieures  sont une cause, et l’infidélité une conséquence.  1 Timothée 1 : « Ayant la foi et une bonne conscience, que certains, après l’avoir répudiée, ont fait naufrage dans la foi.»  Et 1 Timothée 6 : « La racine de tous les maux est la cupidité.   Parce qu’ils l’ont désirée, quelques-uns ont erré dans la foi..

                                                             CHAPITRE 5

On réfute les objections, et on explique ce que fut l’orgueil du premier homme

Il reste à réfuter les objections que l’on fait d’habitude,  contre ce que nous avons enseigné au chapitre précédent.  La première objection est celle de Luther.   La tentation de Satan tendait à ce qu’Ève ne croit pas que fût vrai ce qu’avait dit le Seigneur : que mourraient de mort ceux qui goûteraient à l’arbre de la science.  En goûtant à ce fruit défendu, elle prévariquerait contre la loi de Dieu.  Ève succomba donc à la tentation.    Elle pécha donc d’abord en ne croyant pas, et ensuite en goûtant du fruit défendu.  Réponse.   Satan ne cherchait pas seulement à amener Ève à l’infidélité et à la désobéissance, mais aussi à l’orgueil.   Car, c’est pour cela qu’il a dit : Dieu sait que le jour où  vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront,  mais vous serez comme Dieu,  connaissant le bien et le mal.  Voilà en quoi et pourquoi la femme a été  séduite par le tentateur et vaincue : s’étant enflé la tête, elle s’était imaginée être semblable au Dieu qui connait le bien et le mal.   Après avoir été aveuglée par l’orgueil,  elle crut au diable,  et elle ne crut pas à Dieu,  et elle tomba dans une désobéissance ouverte.

La deuxième objection  est de Luther et de Calvin.   La foi est la racine et l’origine de la justice.    Donc, l’infidélité est la racine et l’origine de l’injustice.  Réponse.   De  l’antécédent placé par nos adversaires, découle la conséquence opposée.  Car, c’est parce que la foi est l’origine de la justice, que l’infidélité n’est pas l’origine et la fin de l’injustice.  Car, ce qui est le premier dans la génération est le dernier dans l’exécution.   Le fondement est le début de la construction, mais le renversement du fondement n’est pas le début mais la fin de la destruction.  Car, celui qui construit commence par le fondement,  et finit dans le toit.  Or, celui qui détruit commence par le toit, et finit par le fondement.  

Et, dans les êtres vivants,  c’est le cœur qui commence à vivre,  et il est le dernier à cesser de vivre.  Voilà pourquoi on ne dit jamais dans l’Écriture, que la racine de tous les maux est l’infidélité, comme on dit que la racine de tous les maux est la cupidité, c’est-à-dire l’amour de soi-même, ou de sa propre excellence,  qui est l’orgueil.   Nous ne lisons jamais que le début de tout péché soit l’infidélité, comme nous lisons que le début de tout péché est l’orgueil.

La troisième objection de Calvin.  Adam n’aurait jamais osé s’opposer  à un ordre de Dieu , sans ne pas croire à ses paroles.  Réponse.  Je réponds qu’il ne serait pas devenu incrédule  si, à cause de son orgueil,  qui le détournait de Dieu, il n’avait pas été privé de la divine lumière, et enténébré par Dieu, comme saint Augustin l’écrit au sujet de  Ève,  (livre 9, chapitre 30 de la Genèse, et livre 14, chapitre 13 de la cité de Dieu).    Et c’est ce qui permet d’expliquer, peut-être, un autre passage de saint Augustin (livre 14, chapitre 17 de la cité de Dieu),  où le premier péché de nos premiers parents semble consister dans l’infidélité, quand il dit : « Il connurent alors ce qu’ils auraient été plus heureux d’ignorer, si croyant  en Dieu et obéissant à Dieu , ils n’avaient pas connu ce qu’ils voulaient  expérimenter,  et  le tort que leur feraient l’infidélité et la désobéissance.» C’est uniquement à partir de ce texte, qu’il prouve qu’il y eut dans nos premiers parents de l’infidélité et de la désobéissance.  Mais, cela ne prouve pas qu’une superbe ou une désobéissance occulte n’ait pas précédé, ce dont parle explicitement saint Augustin  au lieu cité, (même livre, chapitre 13.)

La quatrième objection est de saint Bonaventure et de Scot, qui allèguent le témoignage de saint Augustin (livre 11, chapitre 12 de la Genèse à la lettre,  et le livre 14, chapitre 11 de la cité de Dieu.)  Saint Augustin écrit qu’Adam était tombé dans un péché de désobéissance  par un amour immodéré de sa conjointe;  et que le premier péché d’Adam fut donc l’amour de l’épouse et non l’orgueil.   Et de peur qu’on nous réponde qu’un amour excessif envers l’épouse a été un péché commis avant la désobéissance  et que la désobéissance et l’orgueil occulte ne sont pas le premier péché, il faut noter le passage tiré  de son livre sur  la Genèse à la lettre,  11, chapitre 12, où il écrit qu’Adam  était dans l’état d’innocence,  quand il commença  à aimer son épouse d’un amour immodéré : « Adam ne voulut pas la contrister……Il n’état pas vaincu par la concupiscence de la chair,   qu’il ne ressentait pas encore comme une loi qui résistait à la loi de son esprit, mais par une bienveillance amicale.»  On peut confirmer cet argument par le chapitre 3 de la Genèse, où commémorant les péchés d’Adam, Dieu  dit d’abord qu’il a entendu la voix de son épouse,  et ensuite, qu’il a mangé du fruit de l’arbre de science.

Réponse.  Saint Augustin veut  que l’amour désordonné d’Adam pour sa femme fut un péché antérieur  à la désobéissance ouverte, comme les textes cités le démontrent, mais , cependant, il ne veut pas qu’il ait été antérieur à  la superbe.  Car, au livre 14, chapitre 13 de la cité de Dieu, il enseigne le contraire en disant : «  Ce défaut est spontané.   Car, si la volonté  était demeurée stable dans l’amour du bien supérieur immuable qui l’éclairait pour qu’il voie, qui l’embrasait pour qu’il aime, il ne se  serait pas détourné pour se complaire en lui-même,  pour, à cause de cela, s’enténébrer et se geler, et estimer vrai ce que disait le serpent, ou faire passer  la volonté de sa femme avant un précepte de Dieu.»

Donc, selon saint Augustin, il y a eut d’abord un orgueil occulte dans l’âme d’Adam, ensuite le vice d’un amour désordonné envers son épouse, et enfin, la transgression ouverte du mandat divin.  Et (dans le livre 11 de la Genèse à la lettre, chapitre 42), saint Augustin dit qu’Adam était dans l’état d’innocence quand il commença à aimer son épouse d’un amour immodéré.  Mais, il ajoute qu’il ne sentait pas encore la concupiscence de la chair qui répugne à la loi de l’esprit.  Car, il a pu se faire, que, après avoir perdu l’innocence, la justice originelle, ne se soit pas immédiatement manifesté le mouvement honteux de la chair, même s’il avait très bien pu commencer tout de suite après.   Car, pendant le temps où nous sommes privés de la justice originelle, nous ne sentons pas toujours la rébellion de la chair.  Et Ève n’était pas tombée dans le péché seulement par un orgueil interne,  mais aussi par une désobéissance externe.  Et cependant, elle n’a pas senti illico la rébellion de la chair, car, autrement, elle aurait connu sa nudité, et elle en aurait rougi avant même d’inciter son mari au péché.

La cinquième objection, qui est celle de Scot.  L’homme a connu les autres choses avant lui.   Il aima donc d’abord les autres d’un amour d’amitié, avant de s’aimer lui-même.    Adam fit donc passer l’amour désordonné de son épouse , avant l’amour de sa propre excellence.  Je réponds que cette objection pèche de plusieurs façons.  D’abord,  puisqu’Adam avait la science infuse de Dieu, il a pu se connaitre avant de connaitre les autres.   Et quoi qu’il en soit des autres créatures, il est certain qu’il s’est connu avant de connaitre son épouse, parce qu’il vécut un certain temps avant que n’existe sa femme.  Ensuite il n’est pas nécessaire qu’on aime d’abord ce qu’on connait d’abord, puisqu’on peut connaitre quelque chose sans l’aimer.   Ensuite, le premier péché de l’épouse fut son amour propre, comme le reconnait Scot.   Pourquoi donc le premier péché du premier home n’a-t-il pas pu être un amour de soi ?

La sixième objection.   Si les premiers humains étaient tombés, au début, par orgueil,  cela leur  serait arrivé  parce qu’ils avaient désiré être comme des dieux, comme satan le leur avait promis.  Je demande donc : ont-ils cru qu’ils pouvaient être comme des dieux, ou ne l’ont-ils pas cru ?  Car, s’ils l’ont cru, ils sont tombés dans l’infidélité, ou dans l’erreur avant d’avoir péché par orgueil.  S’ils n’y ont pas cru, on ne voit pas clairement comment ils ont pu désirer devenir comme des dieux.  Or, on ne désire pas ce qu’on croit ne pas pouvoir exister.

 Réponse.    Dans son explication du psaume LXV111, saint Augustin écrit que les premiers humains désiraient ravir la divinité, et qu’ils ont perdu la félicité.   Ce qu’il ne faut pas entendre au sens où ils auraient voulu changer leur  nature, et devenir Dieu par essence.  Car, le même saint Augustin explique, dans plusieurs passages, que l’orgueil de nos premiers parents était présent en eux du fait qu’ils désirèrent devenir fils de Dieu par imitation  et ressemblance.  Comme Dieu connait le bien et le mal, comme il  n’a pas besoin d’un autre gouverneur ou recteur, et comme il  n’est soumis au pouvoir de personne, de la même façon, si Adam et Ève  avaient connu le bien et le mal, ils n’auraient pas eu besoin de la providence de Dieu, et n’auraient pas été soumis à son empire ou à son pouvoir.  Dans le livre 2 de la Genèse contre les manichéens,  chapitre 15, il écrit : « Ces paroles nous font comprendre que le péché a été persuadé par l’orgueil.   Car, c’st à cela que tend le vous serez comme des dieux.»

Qu’est-ce qu’on entend là sinon qu’ils s’étaient persuadés qu’ils ne voulaient pas être sous Dieu, mais vivre sans chefs , de leur propre autorité,  de façon  à ne pas observer sa loi,  comme s’il les enviait, et ne voulait pas, par jalousie, qu’ils règnent par eux-mêmes, se servent de leur propre providence, pour connaitre avec leurs propres yeux,  pour faire la distinction entre le bien et le mal qui leur avait été interdite.   Voilà donc ce que veut dire : il leur avait persuadé d’aimer à l’excès leur pouvoir propre.  Dans le traité 4 sur l’épitre de saint Jean, il écrit : « Pendant qu’il séjournait dans le paradis, Adam a méprisé le précepte de Dieu, et a regimbé,  comme s’il désirait ne relever que de lui-même,  et ne voulait pas se soumettre à la puissance de Dieu.»  Il enseigne la même chose dans l’Enchiridion (chapitre 11, livre 8 sur la Genèse,  à la lettre, chapitre 13, livre 11, chapitre 30 de la cité de Dieu,  et au livre 14,  chapitre 13, que nous avons cités plus haut.

Donc,  le début de cette superbe n’a pu être dans l’homme qu’une irréflexion, un manque d’attention, sans aucune erreur précédente.  Car, l’orgueil de l’homme n’a pas commencé par ces paroles : je ne veux pas être sous le pouvoir de Dieu.  Mais, après avoir entendu les paroles du démon : vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal, (que la femme entendit du démon, et l’homme de la femme, alors que le précepte de Dieu c’est l’homme qui l’avait entendu de Dieu, et la femme de l’homme, au témoignage de saint Augustin, livre 11, chapitre 31 sur la Genèse), ils commencèrent à penser que c’est une belle chose de ne dépendre de personne, et  ils commencèrent tous deux à se délecter de leur pouvoir à eux, à le désirer vivement, et à s’y complaire.  Et occupés qu’ils étaient à penser ainsi, à désirer et à se délecter ainsi, ils n’élevèrent pas leur âme vers Dieu, et ils ne pensèrent pas que cela ne pouvait pas se faire, que cela ne leur convenait pas;  et après s’être peu à peu tournés vers eux, et toujours de plus en plus, ils commencèrent à se détourner de Dieu, à faire confiance aux paroles de satan,  et à mépriser le précepte et les menaces de Dieu.  Car, c’est ainsi, comme l’enseigne saint Augustin (livre 14, chapitre 28 de la cité de Dieu), qu’on avance graduellement dans la voie de l’iniquité,  en allant de l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu.  Comme on avance dans la voie de la justice en allant de l’amour de Dieu  jusqu’au mépris de soi.

Le péché de nos premiers parents semble donc avoir été semblable à celui qu’on appelle la délectation morose.  Car, ceux qui ont une délectation morose envers l’argent  ou les voluptés,  décident de s’adonner aux vols, à l’ambition ou à la fornication.  Ils ne se demandent pas si ce que l’âme veut est possible ou non,  mais ils se délectent de la seule pensée, comme s’ils devaient entrer bientôt en possession de leurs désirs, et comme s’ils avaient commis le péché non seulement en désir, mais en réalité.

                                                                       CHAPÎTRE 6

          Nos premiers parents ont perdu la foi.  En en quoi a consisté leur infidélité ?

Nous avons parlé de l’orgueil de nos premiers parents, qui fut le début du premier péché originel.   Et nous avons expliqué ce qu’était cet orgueil.  Il nous faut maintenant traiter brièvement de leur infidélité, et expliquer en quoi ils ont erré.   Car, même si nous soutenons que le premier péché de nos premiers parents ne fut pas l’infidélité, nous ne nions pas, pour autant, que, après le péché d’orgueil, ils soient tombés dans le péché d’infidélité,  comme l’enseignent l’ensemble des pères.

             Tertullien (dans le livre 2 contre Marcion, chapitre 2), écrit : « Qui hésitera à  donner le nom d’hérésie au délit d’Adam ?  Hérésie qu’il commit en préférant sa sentence à la sentence divine.»   Saint Ambroise (épitre 33, livre 5 à sa sœur Marcelline) fait parler Dieu ainsi : « Tu reconnais être nu, parce que tu as perdu les bons vêtements de la foi.»  Saint Augustin (dans l’enchiridion, chapitre 25), en énumérant les parties du premier péché, met d’abord l’orgueil, et ensuite l’infidélité. : « C’est un sacrilège, parce qu’il n’a pas cru à Dieu.»  Il dit la même chose (dans le livre 14, chapitre 17 de la cité de Dieu ): « Ils ont connu ce qu’ils auraient été plus heureux d’ignorer, si croyant en Dieu et lui obéissant,  ils n’avaient pas connu les choses nuisibles que l’infidélité et la désobéissance les forçaient d’expérimenter.»   Et (dans le livre 1 contre Julien, chapitre 3), saint Augustin cite Olympe, évêque d’Espagne.  

Prospère, (dans sa réponse aux chapitres des Génois, au doute 3), dit : « Pourquoi veut-il qu’à cette même nature,  seule la foi n’ait pas été prescrite  ?  Car, si Adam ne l’avait pas perdue, il n’aurait pas été privé de tous les autres biens.  Car, en croyant au diable, Adam n’a pas cru à Dieu. »  Et plus bas : «  Comment la foi perdue en Adam pourrait-elle être trouvée dans quelconque de ses fils, à moins que ne l’infuse l’Esprit qui opère tout en tous ?» Le même (dans le livre contre Collatore, chapitre 19 : « Adam a perdu la foi, la continence et la charité.»  Et, au chapitre 21 : « L’iniquité a chassé la justice,  l’orgueil a détruit l’humilité, l’’infidélité a dérobé la foi, la captivité a emprisonné la liberté.»  Saint Léon (dans son sermon 4 sur la naissance du Seigneur) : « Adam crut malheureusement et témérairement à l’envieux et au séducteur.»  Saint Fulgence (livre 2 sur l’incarnation et la grâce du Christ, chapitre 22) ; « Le premier homme perdit la foi, et en perdant la foi, il perdit la protection divine.  Car, il est écrit que celui qui ne croit pas en Dieu n’est pas protégé par lui.»

On a peut-être raison de se demander : qu’est-ce qu’ils n’ont pas cru ?  Au sujet de la femme, il y a deux opinions.   Quelques-uns estiment qu’elle n’a pas pu croire  qu’elle mourrait si elle mangeait du fruit défendu, sans croire en même temps que Dieu avait menti.et que c’était par envie qu’il leur avait interdit un fruit excellent et utile.  Et c’est dans ce sens qu’ils expliquent les paroles :  «Pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit »?  Et «vous ne mourrez pas».  «Car, Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez semblables à Dieu, connaissant le bien et le mal.»  C’est ce qu’enseignent saint Cyrille (dans son livre 3 contre Julien) et saint Jean Chrysostome (homélie 16 de la Genèse), saint Augustin (dans son livre 2 sur la Genèse, contre les manichéens,  chapitre 15), Rupert, Raban,  et beaucoup d’autres dans leurs commentaires  du chapitre 3 de la Genèse.  

D’autres veulent qu’Ève a cru que Dieu ne leur avait pas vraiment  interdit le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal; qu’elle et son mari n’avaient pas bien compris les paroles du Seigneur.  Et c’est dans ce sens qu’ils expliquent les paroles suivantes :  pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit de ne pas manger de tout arbre ?  Mais,   pourquoi Dieu aurait-il prescrit de ne pas cueillir le fruit de cet arbre,  si tous étaient bons et salutaires ?  Il n’y a donc pas de raison qui vous fasse croire que vous mourrez,  si  vous goûtez l’arbre de la science.  Car, Dieu sait que cet arbre est utile,  en augmentant la science.  Donc, comme il est bon, et qu’il prend soin de vous, il ne vous aurait jamais interdit une chose aussi bonne.

Saint Augustin indique cette interprétation (dans le livre 11 de la Genèse à la lettre, au chapitre 30l)  en ces mots : « J’estime  qu’Ève a pensé que c’est à cause d’un sens semblable  que Dieu avait dit :  si vous en mangez, vous mourrez de mort;  et que c’est pour cela  qu’elle prit un fruit, en mangea,  et en donna à son mari.»    Épiphane laisse entendre la même chose dans l’hérésie des disciples de Caïn, la 38ième ), où  il dit, que pour séduire Ève, le diable s’est présenté comme un ami de Dieu : « Le diable trompa Ève et Adam par le mensonge, en employant des mots à double sens, et en faisant montre d’une amitié avec le Créateur.»  En montrant qu’il était son ami, il n’a donc pas voulu faire de Dieu un menteur et un envieux.

N’est pas  peu favorable à cette interprétation ce qu’écrit saint Paul  dans 2 Corinthiens 11.   Il compare la séduction d’Ève par le serpent à  a séduction des Corinthiens par les pseudos prophètes.  Ils ne calomniaient pas ouvertement Dieu, mais se transfigurant en apôtres du Christ, ils prétendaient prêcher  le vrai évangile du Christ, en l’honneur de Dieu.  Favorable à cette sentence est le fait que la femme n’avait pas entendu directement  le précepte de la bouche de Dieu , mais l’avait reçu de son mari, comme saint Augustin le note  (dans le livre X1 de la Genèse à la lettre, chapitre 34), et saint Ambroise ( dans son livre sur les vierges chapitre 4). Il lui était donc facile de la persuader qu’aucun précepte n’avait été donné,  ou qu’il ne fallait pas l’entendre comme Adam le lui avait dit.  Favorise aussi cette interprétation le texte hébraïque.  Car, le mot que nous rendons par «pourquoi » se traduirait plus naturellement par est-il vrai.»  Est-il vrai que Dieu vous  a interdit ctc.  Nous voyons ici un doute portant sur le précepte : a-t-il, oui ou non, été donné par Dieu.

Il arrive que, selon cette explication,  apparaissent plus clairement et la séduction de  la femme et l’astuce du serpent.   Car, on séduit quelqu’un  quand on lui présente quelque chose de faux sous une vraie apparence.   Or, il ne pouvait  pas sembler vraisemblable à première vue qu’une femme juste et honnête voie en Dieu un menteur et un envieux. Mais il est parfaitement crédible qu’elle n’ait pas parfaitement compris le sens des paroles de Dieu.  Nous avons un exemple dans les hérétiques qui imitent soigneusement satan  pour séduire les fidèles.   Car, les calvinistes eux-mêmes ne disent pas que le Christ a menti  quand, après avoir pris du pain dans ses mains, il dit : ceci est mon corps.  S’ils disaient une pareille chose, ils ne séduiraient personne, mais ils seraient repoussés par tous comme des impies et des blasphémateurs.  Mais, ils disent que les catholiques ne comprennent pas correctement les paroles du Christ,  et qu’il faut accepter avec un trope ce que les catholiques acceptent sans trope.  Tous les autres hérétiques agissent ainsi.  Ils ne disent pas que Dieu est menteur, mais que les catholiques sont incompétents, et ils séduisent ainsi beaucoup de monde.

Cette interprétation me plait grandement.   Cependant, à cause du respect que je porte à de très graves auteurs, je n’ose pas la mettre avant la précédente, et je n’estime même pas qu’on puisse la juger comme probable.  Et voilà pour l’infidélité de la femme.

Au sujet de l’infidélité de l’homme, la question est moindre.   Car, au témoignage de saint Paul (épitre 1 à Timothée, chapitre 2) : « Ce n’est pas l’homme qui a été séduit, mais la femme qui a été séduite jusqu’à prévariquer.»  Et nous lisons dans l’histoire sacrée  que la femme dit (Genèse 3) :  «Le serpent m’a séduite.»  On ne dit pas de l’homme qu’il a été séduit, mais qu’il a mangé du fruit présenté par la femme.  Soit que le diable ait voulu persuader que Dieu était menteur et envieux,  ou soit que le précepte de ne pas manger du fruit de l’arbre de la science n’ait pas été entendu au sens propre, mais au sens figuré,  la femme crut ce que le diable lui avait dit, et devint prévaricatrice après avoir été séduite.   L’homme ne crut pas et ne fut pas séduit, mais il a erré pour une autre raison.

 Saint Augustin estime qu’il n’aurait péché que véniellement,  si c’est pour ne pas contrister son épouse qu’il avait mangé du fruit défendu.  Il erra en ce que, après avoir vu sa femme manger du fruit défendu sans mourir incontinent, il s’est persuadé qu’il ne mourrait pas, s’il en mangeait.  Parce qu’il était tenu de croire en la parole de Dieu (le jour où vous en mangerez vous mourrez de mort), les pères disent, avec raison, qu’Adam n’a pas cru et est devenu infidèle, ou comme le dit Tertullien, un hérétique.

Ensuite, il commença à se demander si ce que le démon avait dit était bien vrai (vous serez comme des dieux).     Car le Seigneur n’aurait pas dit avec ironie, voici qu’Adam est devenu l’un de nous, si Adam n’avait pas cru qu’il deviendrait dieu en mangeant du fruit de l’arbre défendu. Et c’est cela avoir foi dans le diable et non en Dieu.   Mais, écoutons saint Augustin (livre 14, chapitre 11  de la cité de Dieu) : «N’ayant aucune notion de la sévérité divine,  Adam a pu  faillir en pensant n’avoir commis qu’un péché véniel.»  Et au même livre, chapitre 13 :  « Ou il croyait qu’était vrai ce qu’avait dit le serpent,  ou il avait préféré la volonté de sa femme au précepte de Dieu.   Dans l’un et l’autre cas, il aurait pu penser qu’il ne transgressait que véniellement le précepte de Dieu  s’il n’abandonnait pas la compagne de sa vie, même en s’associant à son péché.»   Et, au livre   11 de la Genèse à la lettre, chapitre 30 : « Elle donna probablement à son homme le fruit défendu avec des paroles persuasives que le silence de l’Écriture nous laisse à deviner.  Cela ne lui suffisait-il pas de constater qu’elle n’était pas morte après avoir mangé du fruit défendu ?  Et elle n’avait sans doute pas besoin de paroles persuasives, puisqu’il voyait de ses yeux qu’elle était  encore vivante après en avoir mangé.» 

 Et, au même livre  (dernier chapitre), après avoir dit qu’Adam mangea du fruit défendu pour ne pas contrister son épouse,  il ajoute :  «  Il a donc été trompé par un autre moyen que par la ruse serpentine, comme l’a été sa femme, car je pense qu’il n’aurait pas pu être séduit de la façon dont la femme a été séduite.  La séduction qui lui était propre, l’apôtre la décrit  quand il dit qu’il s’était persuadé qu’était vrai ce qui est faux.»  Et plus bas : «  Mais , quand il constata que la femme n’était pas morte après avoir  mangé, le désir de tenter une expérience sollicita aussi l’homme, à cause d’une pensée d’orgueil qui n’a pas pu échapper au Scrutateur des cœurs.  Mais, s ’il était encore doté d’un esprit spirituel,  je ne crois pas, cependant,  qu’il ait, en aucune façon, pu croire  que c’était par envie que Dieu leur avait interdit de manger de cet arbre.»

                                                            CHAPITRE 7

                                       Adam n’a pas vraiment été séduit

Une autre question se pose maintenant.   Est-ce qu’on peut dire qu’Adam a été séduit au sens propre du terme ?  Car, les paroles de saint Paul sont tout ce qu’il  y a de plus clair : « Ce n’est pas Adam qui a été séduit, mais la femme.»  1 Timothée 2 : « Je crains que comme le serpent a séduit Ève par son astuce, vos sens ne  se corrompent de la même façon.» 2 Cor 11.  Aucune mention n’est faite d’Adam dans ces passages. 

D’un autre côté, la pensée commune des pères est à l’effet qu’Adam a été séduit.  Saint Ignace (épitre aux Tralliens) : « C’est par la femme que le diable séduisit Adam, le père du genre humain.»  Saint Irénée  (livre 3, chapitre 35 ou 37) : « Séduit par un autre à l’occasion de l’immortalité,  il est aussitôt transi de peur.»  Saint Épiphane (hérésie 38, qui est celle des disciples de Caïn.) dit : « Par le mensonge, le diable séduisit Adam et Ève.»  Saint Jean Chrysostome  (homélie sur l’épitre 1 à Timothée) : « Quand il le compare à la femme, il dit qu’il n’a pas été séduit.»  Il enseigne, là, qu’Adam fut séduit aussi, mais d’une séduction moindre,  de façon que, en le comparant à la femme, il semble qu’il n’ait pas été séduit.» Saint Cyrille d’Alexandrie  (livre 2, chapitre 3, sur saint Jean) : « Mais, après avoir  été séduit frauduleusement par le diable, il méprisa les préceptes de Dieu, perdit ensuite la grâce, et entendit dire qu’il était terre, et qu’il retournerait en terre.»

Venons-en maintenant aux latins.  Saint Hilaire  (Matth, chapitre 3) : « Le serpent avait trompé Adam,  et, par la ruse, il l’avait livré à la mort.»  Saint Ambroise (dans son livre sur le paradis , au chapitre 4) dit : « La femme a d’abord, été séduite,  et elle a, ensuite, séduit son mari.»  Saint Augustin dans son traité sur le psaume  68, écrit, en commentant ce verset : « Les choses que ne n’ai pas dérobées, je les payais intégralement.»  Qui a ravi  ou dérobé?  Adam.   Qui a ravi le premier ?  Celui qui séduisit Adam.»  Saint Prospère (dans son livre contre le Collaterus, chapitre 21) : « Après qu’Adam se soumit à son séducteur, il perdit le bien de la science.»  Saint Léon (dans son sermon 2 sur la nativité du Seigneur) : « Le diable se glorifiait de ce que, après avoir été frauduleusement séduit, l’homme était privé des dons divins.»  Saint Fulgence (dans son livres 2 sur l’incarnation et la grâce du Christ, chapitre 22 ): « Parce qu’il a été terrassé par la  superbe séduction diabolique , Adam  perdit l’humilité, et il perdit  aussi la foi.»

À cause de l’apparente discordance entre les paroles des pères et celles de saint Paul,  plusieurs se sont efforcés d’interpréter les paroles de saint Paul de façon à ce qu’on ne puisse pas en déduire qu’Adam n’a pas été vraiment et proprement séduit. Mais leur interprétation ne semble pas du tout convenir aux paroles et à l’intention de l’apôtre.   Je vais parcourir brièvement les principales d’entre elles   La première.    L’homme n’a pas été séduit, c’est-à-dire, par le diable.  Car, il a été séduit pas la femme.  La seconde.   L’homme n’a pas été séduit, c’est-à-dire, qu’il n’a pas été séduit en premier. Car, la femme a été séduite avant lui. La troisième.  L’homme n’a pas été séduit, c’est-à-dire, que sa séduction n’est pas décrite dans la Genèse, comme Melchisédech est dit, selon  l’apôtre,  sans père,  sa mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement de jours ni de fin, parce que rien de cela n’est dit dans l’Écriture.   La quatrième.   L’homme n’est pas séduit, c’est-à-dire il n’est pas séduit jusqu’à la prévarication, comme la femme a été séduite jusqu’au point de prévariquer.  Car, c’est la femme séduite qui fut l’auteur  de la prévarication chez son homme.  Or, quand l’homme a été séduit, il n’entraîna pas une autre personne à prévariquer.

Ces quatre explications ne semblent pas du tout cadrer avec le passage de saint Paul en question.  D’abord, parce qu’il dit en toutes lettres : l’homme n’a pas été séduit, mais c’est la femme qui a été séduite jusqu’au point de prévariquer.  Or, s’il avait dit : l’un et l’autre ont prévariqué,  l’homme sans être séduit, mais la femme, après avoir été circonvenue et séduite. il aurait pu le dire dans l’intention de démontrer que les femmes ne jouissaient pas du même jugement et de la même vigueur d’esprit que les hommes, et que, pour cette raison, elles ne devraient pas enseigner dans l’église mais être instruites par l’homme.  Car, quand il dit : «que la femme apprenne en silence , avec beaucoup de soumission», «Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de dominer l’homme,  mais de rester silencieuse», il prouve l’un et l’autre.   D’bord, que la femme ne doit pas dominer l’homme, mais lui être soumise, il ajoute : «Parce qu’Adam a été formé d’abord, et Ève ensuite.»  Et il explique ensuite que (dans 1 Corinthiens, 11)  «la femme vient de l’homme, non l’homme de la femme; » et que «la femme est pour l’homme, non l’homme pour la femme.»

Que la femme doive  apprendre, non enseigner, il le prouve par : « Pace que l’homme n’a pas été séduit, mais la femme.»  Ce qui tend à montrer que la femme est d’une nature plus simple que celle de l’homme, d’un jugement et d’une prudence moindre que ceux de l’homme.  Car, comme le note saint Jean Chrysostome dans son commentaire, l’apôtre a préféré dire que l’homme n’a pas été séduit, que la femme avait été séduite, plutôt que Adam n’a pas été séduit, Ève a été séduite, pour montrer que ce qui était arrivé à Adam et à Ève  provenait d’une différence de nature, que, naturellement, les hommes étaient plus prudents, plus ingénieux,  d’un jugement plus pondéré et plus rassis que les femmes.  Il en concluait que, parce qu’elles sont séduites si facilement, elles ne sont pas idoines à l’enseignement.

Si ces quatre interprétations étaient vraies, elles rendraient l’argument de l’apôtre infirme et débile.  Car, on ne peut pas penser que les femmes sont d’un jugement immature et sont inaptes à l’enseignement uniquement parce qu’Ève a été séduite par le diable, et Adam par Ève, ou parce qu’Ève a été séduite avant Adam, ou parce que la séduction d’Ève est racontée dans la Genèse, et la séduction d’Adam n’est pas racontée, ou qu’enfin, la séduction d’Ève fut la cause de la prévarication d’Adam, et non vice-versa.   Car, le fait que la femme ait été séduite par le diable et l’homme par la femme  est si loin de prouver que la femme est plus simple de nature que l’homme, qu’il prouverait plutôt le contraire.  Car, il est beaucoup plus difficile d’échapper aux ruses de satan qu’à celles des femmes.  Qu’Ève ait été séduite avant Adam, que la séduction d’Ève ait été écrite et non celle d’Adam, cela n’apporte pas d’eau au moulin.  Que la séduction d’Ève fut la cause de la prévarication d’Adam, cela s’est fait par accident,  d’abord, parce qu’elle a été séduite la première, ensuite, parce qu’il n’y avait personne  d’autre, pour qui Adam pouvait être une  occasion de prévarication.

La sentence qui a le plus de chance d’être vraie est donc celle de saint Augustin, que nous avons suivie au chapitre précédent, à savoir, qu’Adam ne fut pas vraiment séduit,  et qu’il faut prendre les paroles de l’apôtre sans addition, et formellement (pour parler comme les scolastiques), quand il dit : l’homme n’a pas été séduit.  La femme a été séduite jusqu’à la prévarication.  Car, (comme nous l’avons dit plus haut), Adam  (selon saint Augustin) a erré en trois choses.  En pensant que désobéir à un commandement de Dieu n’était qu’un péché véniel.  En pensant qu’il ne mourrait pas s’il mangeait du fruit défendu.  En pensant qu’il deviendrait semblable à Dieu, et  ne serait sujet à aucune providence, aucun pouvoir.

La cause de la première erreur fut un amour excessif envers sa femme, et, pour autant, non la séduction de quelque chose qui trompe par la ruse, mais plutôt  sa corruption, et la cécité consécutive à ses pensées orgueilleuses.  La cause de la deuxième erreur  fut, en plus de la cécité, la constatation que la femme n’était pas morte après avoir mangé du fruit défendu, ou peut-être aussi après l’exhortation de son épouse, qu’on ne peut pas vraiment appeler séduction, puisque  ce n’est pas dans l’intention de tromper son mari qu’elle lui proposait cela, mais en toute simplicité, et en croyant qu’elle disait la vérité.   La cause de la troisième occasion d’erreur fut la parole du serpent rapportée par la femme (vous serez comme des dieux).  La cause ne fut pas l’autorité ou la persuasion du serpent ou de la femme, mais l’expérience précédente,  qui en le faisant douter du vous mourrez,  le porta ensuite à croire au vous serez comme des dieux.  Ce qui était alors l’orgueil proprement dit, c’est-à-dire l’amour de sa propre excellence, de son propre pouvoir,  qui nous fait croire volontiers et facilement ce que nous aimons.  Voir saint Augustin (livre 11 sur la Genèse à la lettre, dernier chapitre, et livre 14 sur la cité de Dieu, chapitre 11.)

Les autres pères qui écrivent qu’Adam a été séduit ne partent pas en guerre contre l’Apôtre.  On ne peut pas dire non plus qu’ils n’ont pas lu saint Paul, ou qu’ils ne l’ont pas compris.  Mais c’est qu’ils parlent d’une autre façon de la séduction d’Adam.  Car, saint Augustin lui-même, a écrit tantôt qu’Adam a été séduit, et tantôt qu’il n’a pas été séduit, sans se contredire lui-même,  mais entendant la séduction de différentes façons.   Ainsi, les pères  voulaient seulement dire qu’Adam n’a pas été séduit par satan immédiatement  et directement, mais médiatement, occasionnellement et matériellement (pour employer les mots de l’école).  C’est dans ce sens que saint Paul entend ce mot quand il écrit : « Le péché m’a séduit par le commandement, et  il m’a tué par lui.»  Romains 7 : « Celui qui s’estime être quelqu’un alors qu’il n’est rien,   se séduit lui-même.»  Galates 6.   Le sage (14) : « Pour les pieds des insensés, les créatures sont devenues des pièges à souris.» Sagesse 14.  Et Daniel, au vieux criminel : « La beauté t’a séduit,  et la concupiscence a subverti ton cœur.» Daniel 13.

On pourrait, conformément à cette sentence, donner un sens acceptable aux deux premières interprétations des  quatre que nous avons réfutées.  Car, la première était :  l’homme n’a pas été séduit par le serpent.  Cela est vrai si on lui donne ce sens : c’est la femme qui a été vraiment et proprement séduite,  car, c’est dans l’intention de la tromper que le serpent lui parla avec astuce.  Mais, Ève a proposé à son mari une fausseté qu’elle croyait vraie.  Car, l’homme a été séduit d’une certaine façon par sa femme, mais non véritablement, parce qu’elle n’avait pas l’intention de le tromper, et parce que ne n’est pas la persuasion mais l’amour qui l’a trompé.  Et je pense que c’est ce que voulait dire saint Jean Chrysostome  quand il conçut cette interprétation.  Il en est, en effet, le premier auteur.

La seconde interprétation  qui était : l’homme n’a pas été séduit, c’est-à-dire qu’il n’ a pas été séduit le premier, est présentée par un grand nombre d’auteurs, comme saint Épiphane (hérésie 48), saint Thomas, Theodoret,  et Oecumenius.  Cette interprétation sera vraie si on la prend au sens suivant : l’homme n’a pas été séduit en premier lieu parce que, reconnaissant sa sagesse, le diable n’a pas osé l’agresser immédiatement.   IL commença par la femme qu’il pensait pouvoir plus facilement séduire, pour que, après avoir séduit la femme, il puisse abattre l’homme, même si non en le séduisant vraiment,  surement en l’infectant par les caresses de la femme,  et en le poussant à accompagner sa femme dans le péché.

                                                             CHAPITRE 8

                                Le premier péché d’Adam n’a pas pu être véniel

À l’occasion des paroles qu’a utilisées saint Augustin , en écrivant qu’Adam avait estimé qu’il ne pécherait que véniellement, ’il violait la loi de Dieu , on a coutume de se poser cette autre question :  le premier péché, dans l’état d’innocence,  aurait-il pu n’être que véniel ?  Et il ne manque certes pas d’auteurs qui estiment que le premier péché de nos premiers parents aurait pu être un péché véniel.     Comme, par exemple, Scot (sentence 2, dist 21), et quelques autres qui l’ont suivi.   Mais, les théologiens les plus graves enseignent le contraire.   Comme saint Thomas ( 1, 2, question 89,  art 3), saint Albert, saint Bonaventure, saint Richard,  Durand, Égide,  etc (dans e sentence, dist 21) et Alexandre Alensis,  (dans sa somme théologique, partie 2, question 104, numéro 6).

On peut donner deux raisons à cela.   Une que l’on tire de l’effet, l’autre,  de la cause, l’une et l’autre étant corroborées  par l’autorité de saint Augustin.   La première raison est donc  que si le péché véniel avait eu sa place dans l’état d’innocence, il s’ensuivrait que la crainte et la douleur auraient eu aussi leur place.   Or, la peine suit la faute.  Et parce que le péché véniel n’enlève ni la grâce ni l’amitié divine,  il n’aurait pas non plus enlevé la justice originelle  dans l’état d’innocence,  et il n’aurait pas, non plus , éjecté l’homme du paradis des délices;  et il y aurait eu, dans le paradis, et dans l’état de félicité, de la peine, et donc de la crainte  et  de la douleur.   Ce qui est tout à fait absurde, comme l’enseigne saint Augustin  (livre 14, chapitre 10 de la cité de Dieu.)

L’autre raison qui est tirée de la cause est la suivante :  le péché véniel est tel ou de par son genre, ou par subreption.    Ce qui est par subreption nait de l’appétit de la chair qui prévient la raison, comme le désir imparfait d’adultère, ou de la volonté elle-même qui prévient la délibération parfaite de la raison, comme un mouvement imparfait d’infidélité.  Ce qui est véniel de par son genre, comme un mensonge officieux, nait toujours d’un amour désordonné ou d’une crainte,  et, pour autant,  d’une rébellion de la partie inférieure contre la partie supérieure, ou de la volonté contre la raison.  Or, dans l’état d’innocence, ne pouvait exister aucune rébellion d’une partie contre une autre, et  il ne pouvait pas se faire  que l’appétit inférieur prévienne la volonté,  ou que la volonté prévienne la raison.   Car, la justice originelle faisait en sorte  que demeure la parfaite subordination de la partie inférieure à la partie supérieure.  Et, de plus, il n’y avait aucune erreur dans l’homme, aucune difficulté.   Donc, il n’y avait aucune voie, aucune entrée pour le péché, tant que durait dans l’homme la justice originelle.  Cette justice ne pouvait être perdue que par un péché mortel.  Le péché originel n’avait donc pas du tout sa place dans l’état d’innocence.

Voilà pourquoi saint Augustin ( livre 14, chapitre 10 de la cité de Dieu)  écrit ; «Il y a avait, dans le paradis, un évitement paisible du péché.  Et tant qu’il durait,  n’apparaissait aucun mal susceptible de procurer de la tristesse.   Désiraient-ils l’arbre défendu pour en manger, mais avaient-ils peur de mourir ?  Alors, la cupidité  et la crainte auraient déjà troublé nos premiers parents dans ce lieu.  Loin de nous   la pensée que pareille chose ait pu exister, là où il n’y avait aucun péché.» Et (dans le même livre, au chapitre 26), il écrit : « Comme dans le paradis, il n’y avait ni chaleur torride ni froid sibérien,  la volonté de leurs habitants ne recevait , non plus, aucune offense  de la cupidité ou de la crainte, et il n’y avait  ni  tristesse ni joie démesurée.  La vraie joie était perpétuée par Dieu,  vers lequel montait la charité qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi non feinte. Et, entre eux régnait l’union conjugale provenant de la fidélité et d’un amour honnête, la vigilance, la concorde de l’esprit et du corps, et l’observance sans faille du commandement.

Les arguments qu’on a coutume d’opposer à cette sentence ne représentent pas de difficulté,  et ont été réfutés par Cajetan, dans son commentaire de saint Thomas, (1, 2, quest 89, art 3).  Voilà pourquoi, il  semble préférable de les sauter à pieds joints.

                                                                   CHAPITRE 9

                              Le péché d’Adam fut plus grave que le péché d’Ève

Les docteurs traitent une autre question : qui a péché le plus gravement, Adam ou Ève ?

Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 7 au peuple d’Antioche),  enseigne que le péché de la femme  était plus grave que celui d’Adam.  La plupart des scolastiques ont suivi cette sentence.(2 sent  dist 22).  Saint Ambroise a enseigné le contraire.   Dans son livre sur l’institution des vierges, chapitre 4, il soutient à l’aide de beaucoup d’arguments que l’homme a péché plus gravement que la femme.   Parlant du premier acte mauvais des premiers parents, du mouvement de l’orgueil, (livre 11, chapitre 35 sur la Genèse à la lettre), saint Augustin dit qu’elle a péché «d’un sexe inégal, mais d’une superbe égale».  Et, autant dans ce livre que dans le livre 14 de la cité de Dieu,  il parle toujours comme s’il pensait que le péché de la femme avait été égal au péché de l’homme.  Mais, comme nous avons dit dans le chapitre 6, qu’il y a deux opinions probables,  une de l’infidélité de la femme,  qui croyait que Dieu était envieux et menteur, et une autre qui croyait que Dieu n’avait pas interdit l’arbre de la science,  quelle et son mari n’avaient pas bien compris les paroles du Seigneur.  Et nous sommes obligés d’affirmer  que sur la gravité du péché  de l’homme et de la femme, il y   aussi deux opinions probables.

Probable est la sentence de saint Jean Chrysostome, et de plusieurs scolastiques qui affirment que la femme a plus péché que l’homme.  Car, si la femme a vraiment cru que Dieu a menti par envie quand il a dit : le jour où vous en mangerez, vous mourrez, les auteurs ont de bonnes raisons de penser que le péché d’orgueil et d’infidélité de la femme a été   beaucoup plus grand que le péché d’orgueil et d’infidélité de son mari.  Car, la femme voulait devenir dieu malgré Dieu,  ce qui est un orgueil tout à fait intolérable.  Et elle a cru que Dieu était envieux et menteur,  ce qui est une espèce d’infidélité extrême, et un blasphème inouï.   Car, l’homme ne crut pas que Dieu était envieux et menteur, mais il pensa que son péché était véniel, et qu’il ne mourrait pas en transgressant le précepte, et qu’il serait peut-être comme Dieu.  Il désira certainement devenir semblable à Dieu, mais non malgré Dieu.  Il fut infidèle,  mais  sans les blasphèmes et la grave erreur qui se trouvaient (selon ces auteurs) dans le péché de la femme.

Mais, comme nous l’avons dit plus haut,  la sentence qui nous semble la plus probable est que la femme n’a pas cru que Dieu était menteur et envieux, que le précepte de Dieu n’avait pas été bien compris par l’homme et la femme.  Et, à cause de cela, nous pensons, comme saint Ambroise, que l’homme a péché plus gravement que la femme.   Bien que , par rapport à certains actes, l’homme et la femme ont péché également, comme l’enseigne saint Augustin

Mais, pour qu’on saisisse plus clairement tout cela,  il faut savoir que,  dans le péché de l’homme, il y eut sept actes mauvais, sept actes aussi dans le péché de la femme, mais  pas  tout à fait les mêmes.  Le premier acte mauvais dans le péché de l’homme a  été l’orgueil,  en préférant être sous son pouvoir plutôt que sous le pouvoir de Dieu.  Témoin saint Augustin (dans l’Enchiridion, chapitre 45.   Le second :  un amour immodéré de sa conjointe.  Le troisième : (saint Augustin, livre 11 sur la Genèse à la lettre, dernier chapitre.) : l’infidélité, parce qu’il ne crut pas aux paroles de Dieu : tu mourras de mort, et crut aux paroles du démon : vous serez comme des dieux.  Le quatrième : la curiosité. Un certain désir de tenter une expérience s’empara de lui.  C’est ce que dit saint Augustin  dans le livre 11 de la Genèse à la lettre, chapitre dernier.   Le cinquième : une désobéissance particulière et formelle : vous avez mangé du fruit que je vous avais interdit.  Le septième : l’excuse du péché : la femme que tu m’as donnée comme compagne m’a donné ceci. (Genèse 3).  Le septième : la lésion du prochain.   Car, en Adam, tous meurent (1 corinthiens 15).

Dans le péché de la femme, le premier acte fut la superbe. (Saint Augustin, livre 11, chapitre 3 de la Genèse).  Le second, l’infidélité,  par laquelle elle a cru au démon, et n’a pas cru à Dieu (sains Augustin, au même endroit).  Le troisième, le désir de manger un fruit défendu. « Car elle vit l’arbre,  elle constata qu’il était beau à voir,  et que ses fruits devaient être savoureux. .» (Genèse 3).  Le quatrième.  La désobéissance, particulière et notoire : « Elle cueillit un fruit, et le mangea.» (Genèse 3). La cinquième. Elle induisit son mari à commettre un péché. : « Elle offrit un fruit à son mari, qui en mangea, lui aussi.» (Genèse 3).  Le sixième.  L’excuse du péché. «Le serpent m’a trompée». (Genère 3).  Le septième. La lésion du genre humain.   Car : «C’est de la femme que vient le début du péché,  et c’est par elle que nous mourrons tous.» (Eccl 25, 2).

Si nous comparons les actes mauvais entre eux,  nous trouverons que le péché de l’homme est égal au péché de la femme, et qu’il est parfois plus grand.  Si nous comparons les personnes qui pèchent,  nous trouverons que,  dans beaucoup d’actes,  le péché de l’homme est plus grave,  et que c’est dans peu d’actes seulement que le péché de la femme est plus grand.

Le premier acte de l’un et l’autre fut un orgueil et une infidélité identiques, ou fort semblables.  L’un et l’autre crurent qu’ils ne mourraient pas, mais qu’ils deviendraient semblables à Dieu   La seule différence que l’on constate  c’est que la femme  estima qu’aucun précepte n’avait  été donné,  ou bien qu’elle ne comprit pas bien.   Et que l’homme crut (selon saint Augustin) qu’il ne commettrait qu’un péché véniel, ne prenant pas le mot commandement ou précepte à la lettre.  Ce qui rend à peu prés semblable l’infidélité de l’un et de l’autre.  Le deuxième acte qu’ils eurent en commun fut la désobéissance.  Le quatrième l’excuse du péché.  Et, en cela l’iniquité de l’homme a été plus grande que celle de la femme, car l’homme accusa sa compagne, et la femme son ennemi.  Et, en plus, l’homme rejeta sa faute sur Dieu, quand il lui dit : «la femme que tu m’as donnée.»  La femme, elle, rejeta la faute sur la malice du serpent et sur sa simplicité , quand elle dit : «le serpent m’a trompée.»

Le cinquième acte commun au deux fut la lésion du genre humain.  Et en cela aussi, sans controverse, Adam a plus gravement péché.  Car, Ève donna l’occasion à la perdition du genre humain,  mais Adam fut vraiment et proprement la cause de la perdition du genre humain.  Car, si Ève avait été la seule à pécher, le genre humain n’aurait pas été corrompu à cause de cela. Car : « Par la désobéissance d’un seul homme,  plusieurs ont été constitués pécheurs, et, en un seul homme, tous ont péché.» (Romains 5, 2).

Le sixième acte propre à l’homme fut un amour désordonné de son épouse.  Auquel répond le sixième acte propre à la femme :  l’incitation à pécher.  Deux actes qui semblent semblables.   Car, Ève n’a invité son marri à gouter le fruit défendu que parce qu’elle l’aimait, et pour lui communiquer un bien qu’elle pensait avoir trouvé.

Le septième acte est un acte propre à l’homme.  Le désir de découvrir si la manducation de ce fruit entrainerait la mort.  Auquel correspond  le septième acte de la femme  qui est le désir de manger de ce fruit, à cause de sa beauté et de sa saveur.  Qui ne voit pas que la faute de l’homme est plus grande que celle de la femme ?  Car, cette curiosité  n’était rien d’autre que tenter Dieu, et d’une façon périlleuse.  La tentation de la femme ne fut tout au plus qu’une tentation de gourmandise,  qui est facilement suscitée par un objet présent.  Donc,  les actes mauvais considérés en eux-mêmes condamnent plus l’homme que la femme.

Si nous considérons maintenant, les personnes,  et les autres circonstances de ces actes,  il apparaitra clairement  que la faute de l’homme a été beaucoup plus grande que celle de la femme.  D’abord, l’homme était plus sage et plus fort .  Ensuite, étant la tête de la femme, il devait l’instruire plutôt que l’écouter.  Et c’est ce que Dieu lui-même lui a reproché : «Pourquoi as-tu écouté la voix de ton épouse ?»  Troisièmement.    L’homme avait un ennemi plus faible, la femme un ennemi plus fort.  Quatrièmement.  C’est l’homme qui avait reçu de Dieu le précepte. La femme l’avait reçu de son mari.   Cinquièmement.   La femme a plus reconnu sa faute que son mari.  Car, elle confessa son erreur en disant : Le serpent m’a trompé.  L’homme n’a reconnu ni son erreur ni sa faute.   Sixièmement.   Dieu a blâmé plus fortement Adam, quand il dit, par dérision : « Voici qu’Adam est devenu semblable à l’un de nous.»  Septièmement.   Dieu menaça Adam et Ève de la peine de mort, mais, c’est au seul Adam qu’il dit :  «Tu es poussière, et tu retourneras en poussière. »

 CHAPITRE 10

Le péché du premier homme fut le péché le plus grave de tous les péchés, mais non absolument parlant.

La dernière question qui porte sur le péché du premier homme a coutume d’être la suivante :  ce péché fut-il le plus grave de tous ?  La réponse commune des docteurs  est qu’il fut le péché le plus grave de tous, mais non absolument.   Voir saint Thomas (2, 2, question 163, art 3)  et les autres théologiens  ( 2 sentence, dist 21.)

Que ce ne péché ne fut   le péché le plus grave à tous points de vue et absolument parlant, il est facile de le prouver.    Car, le péché que l’on dit être plus grave est celui qui  est plus grave selon son espèce.  Or, celui qui est le plus grave selon son espèce est le plus grave de tous.  Or, celui qui est le plus grave selon son espèce est celui dont l’objet est contraire à un plus grand bien.  Doc, comme rien ne doit être préféré à l’amour de Dieu, et comme aucune vertu n’est plus prestigieuse  que la charité,  il s’ensuit que, dans les maux, rien n’est pire que la haine de Dieu.  Or, le péché du premier homme ne fut pas proprement un péché de haine de Dieu, mais d’orgueil, de désobéissance  et d’infidélité, lesquels ne sont pas proprement opposés à la charité,  mais à l’humilité,  à l’obéissance et à la foi.

Qu’à un certain point de vue, ils aient commis le péché le plus grave de tous, saint Augustin le démontre pour trois raisons.  La première.  À cause de la facilité de ne pas pécher,  qui fut plus grande chez Adam que dans tous les autres (à l’exception de Jésus et de Marie).  Car, il n’eut qu’un seul précepte, et qui était le plus léger de tous.  Et il  eut plusieurs adjuvants qui le poussaient à l’observer : l’autorité du Dieu qui commandait, les peines très graves à être infligées aux transgresseurs,  l’absence de concupiscence qui incite à pécher.

 Mais, écoutons les paroles de saint Augustin : « Une seule sorte de fruits qu’il ne devait pas manger alors qu’il avait en abondance des fruits et des légumes de soutes sortes.  Un précepte si léger à observer,  si facile à comprendre et si facile à mémoriser, sans aucune résistance de la concupiscence, qui est arrivée après coup comme peine de la transgression, ce précepte, dis-je, a été violé avait d’autant plus d’injustice qu’il pouvait plus  facilement être observé.»

Et, dans le même livre (chapitre 15) : « Car, là ou une grande peine est annoncée à la désobéissance, et où la chose commandée par  le Créateur est d’une grande facilité,  qui pourrait expliquer suffisamment quel mal il y a à ne pas obéir à une chose si facile, au commandement du Dieu Tout-Puissant, et sous la menace d’un tel supplice ?»

L’autre raison est tirée de l’ingratitude du premier homme, qui jouissait, dans le paradis, d’une très grande félicité.  Car, maintenant, nous avons, nous, il est vrai, les biens les plus grands de Dieu, mais en partie dans la foi, comme le bienfait de l’incarnation, en partie en espérance, comme la félicité éternelle.  De là vient que nous n’en connaissons que très peu encore.   De plus, les bienfaits sont mêlés aux épreuves,  les consolations aux tribulations.  Il n’y a donc pas à se surprendre  si, dans ces ténèbres et dans cet exil, plusieurs désertent Dieu, pour se ruer  sur les biens temporels.  Or, Adam eut, lui, plusieurs grands bienfaits de Dieu, non dans la foi et l’espérance, mais dans la réalité : une très grande lumière, aucune tribulation, nulle ignorance.  Et, malgré tout cela,  il abandonna Dieu.  Voici ce que dit saint Augustin ( livre 14, chapitre 15 de la cité de Dieu) : « Parce qu’a été méprisé par lui  le Dieu législateur qui l’avait créé,  qui l’avait mis avant tous les animaux, qui l’avait placé dans un paradis,  qui lui avait donné une abondance de choses et la santé,  pour toutes ces raisons,  juste est la condamnation qui s’ensuivit.»

Et (au livre 21, chapitre 17 : « Mais la peine éternelle semble dure et injuste aux sens humains,  parce que dans l’infirmité de nos sens moribonds, fait défaut le sens très élevé et très pur  de la sagesse, qui peut nous faire sentir quel crime a été perpétré dans cette première prévarication.  Plus la jouissance que Dieu avait procurée à l’homme était grande,   plus était  grande l’iniquité avec laquelle il a abandonné Dieu.  Et il devint digne d’un malheur éternel, celui qui  détruisit en lui un bien qui aurait pu être éternel.»

La troisième raison est tirée de la lésion du genre humain.  Car,  dans la même espèce, un péché est d’autant plus grand  qu’il nuit à un plus grand nombre.  Or, il n’y eut jamais un péché qui nuisît à un si grand nombre de gens.   Car, c’est tout le genre humain qu’il condamna à la mort.  « De là vient, dit saint Augustin (au lieu cité)  que la masse universelle du genre humain a été condamnée.  Parce que  celui qui a perdu cela en premier lieu,  fut puni avec sa descendance,  qui était enracinée en lui.»  Voir le même saint Augustin dans l’Enchiridion, chapitres 26 et 27).

 

                                                                 CHAPITRE 6

                           On prouve la même vérité avec la définition ecclésiastique

Présentons maintenant des jugements  non de particuliers, mais de conciles,  par lesquels a été condamnée l’erreur de Pélage, de Célestin et de Julien, que Favre, Érasme et Zwingli ont renouvelée en notre siècle.  

D’abord, en Orient, au concile de Palestine, les quatorze évêques présents ont condamné l’erreur de Pélage d’une façon telle qu’ils ont forcé Pélage à la condamner lui aussi.  Parle de ce concile saint Augustin (dans le livre 1 contre Julien, chapitre 12, et dans l’épitre 106).  Ensuite, en Occident, nous avons le concile de Milet qui a ainsi statué dans le canon 2 : «Il a plu au concile d’anathématiser quiconque nie que les nouveaux nés doivent être baptisés, ou qui reconnait qu’ils sont baptisés en rémission des péchés, mais qu’ils n’héritent rien du péché originel d’Adam, qui doive être expié dans le bain de la régénération.»  Nous avons aussi, en Afrique, le concile  national de Carthage  constitué de 217 évêques, qui, après avoir été confirmé par le pape Zozime, a été reçu par toute la chrétienté, comme le rapporte saint Prospère, dans sa chronique  (en l’année 420).

En Espagne, nous avons le concile de Tolède 6, (canon 4) où nous lisons : « De ces trois personnes de la divinité, nous professons que seul le Fils est sorti du sein mystérieux du Père, et a assumé l’ humanité ,sans péché,  de la sainte toujours Vierge, pour  opérer  la rédemption du genre humain, à cause des dettes des fautes que nous avons contractées originellement  par la désobéissance d’Adam et par notre libre arbitre».  Voir aussi le concile de Carthage 12, canon 2.   En Gaule, nous avons le concile d’Orange 2, canon 2 : où nous lisons : « Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam a nui à lui seul, et non à toute sa progéniture, ou qui atteste que, par un seul homme, est passée dans le genre humain seulement la mort du corps, qui est la peine du péché,  mais non aussi le péché, qui est la mort de l’âme , il se montrera injuste envers Dieu, et contredira l’apôtre qui dit que par un homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort,  et  que c’est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes.»

En Allemagne, nous avons les réponses des anciens souverains pontifes  Innocent, Zozime, Célestin, Léon, Grégoire.   Le bienheureux Innocent a ouvertement condamné cette erreur née au commencement de son pontificat, comme l’atteste saint Augustin  (dans le livre 1 chapitre 2 contre Julien, et dans son épitre 157).  Nous avons encore l’épitre d’Innocent au concile de Milet, dans laquelle il confirme les décrets de ce concile. Il dit, entre autres : «Si donc ils veulent que rien ne fasse obstacle aux non renés, il est nécessaire qu’ils reconnaissent que même la sacrée fontaine de la régénération ne sert à rien.»  La lettre de Zozime n’existe plus, mais saint Augustin en cite des extraits (dans son épitre 157 à Optatus) :

« Dieu est fidèle dans œuvres.   Est fidèle aussi son baptême, en réalité et en paroles, c’est-à-dire, qu’il garde la même plénitude, par l’opération, par  la confession et par  la rémission des péchés en tout sexe, âge, condition du genre humain.  Car, nul ne peut devenir libre ou racheté, à moins d’être esclave du péché, à moins d’avoir été vraiment auparavant captif du péché, comme il est écrit :  si le Fils vous libère, vous serez libres.  Car, par lui nous renaissons spirituellement, par lui nous sommes crucifiés au monde. Par la mort introduite en nous tous par Adam,  et transmise  à toutes les âmes par la propagation,  le document qui atteste nos dettes a été contresigné,  dont personne n’est libéré avant le baptême.»  Après avoir reproduit ces mots, saint Augustin ajoute :  « Dans ces paroles du siège apostolique, la foi catholique  ancienne est si claire et si certaine qu’il n’est permis à aucun chrétien d’en douter.»

Dans sa première épitre aux Gaulois , Célestin ajoute, à la fin de l’épitre quelques petits paragraphes , en disant que tout ce qui leur est contraire ne peut pas être considéré comme catholique.  Au quatrième, il dit : «  Dans la prévarication d’Adam, tous les hommes ont perdu la possibilité et l’innocence naturelle.»  Au douzième, il dit : « Ce que dans tout l’univers, la sainte Église fait uniformément, ne le contemplons pas d’un regard oisif.  Quand les enfants ou les jeunes vont au sacrement de la régénération, ils ne se présentent pas à la fontaine de la vie avant que par les exorcismes et les insufflations des clercs, l’esprit immonde n’ait été chassé d’eux.  Pour qu’apparaisse alors véritablement de quelle façon le prince de ce monde est jeté dehors, et comment est d’abord ligoté le fort.  Et  alors ses vases passent en la possession du vainqueur qui amène captive la captivité, et donne des dons aux hommes.» 

Saint Léon (dans son épitre 86 à Nicet Aquila, parle ainsi : «  Voilà pourquoi ils disent que les enfants qui sortent de ce siècle sans baptême ne peuvent pas être damnés,  et n’ont  pas  de responsabilité  ou de culpabilité dans le péché d’Adam, mais qu’ils se rendent, sans aucun retard, dans le règne et la vie éternelle, alors que l’apôtre a dit que, par un homme, le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort,  et que c’est ainsi qu’elle est passée dans tous les hommes.  Voilà pourquoi on baptise même les petits.»   Saint Grégoire  (dans son épitre 53, livre 7 à Secundinus) : « Cela n’est pas du tout incertain.   Car, à moins que l’homme ne  soit rené par la grâce du sacré baptême, toute âme est liée par les chaînes du péché originel.»

Nous avons encore  deux conciles universels, celui de Florence et celui de Trente.  Celui de Florence enseigne dans les lettres sur l’union : « Les âmes de ceux qui décèdent dans le péché mortel actuel, ou dans le seul péché originel,  descendent  aussitôt dans l’enfer, pour être punis, cependant, par des peines différentes.»  Dans la session 5,  le concile en question reproduise mot à mot les décrets des anciens conciles de Milet et d’Orange.    Puisqu’il en est bien ainsi, il ne reste donc plus aucun doute sur la foi de l’église catholique.  Et Faber, Érasme  et Zwingli, ainsi que les anabaptistes,  n’ont pas pu, sans une témérité incroyable, renouveler une erreur si souvent condamnée.

                                                       CHAPITRE 7

                                On confirme  aussi cette vérité par la raison

La première raison est tirée du baptême.   Elle est invincible et irréfutable, et les anciens y ont souvent eu recours.  En danger de mort, les enfants doivent être immédiatement baptisés, comme l’enseigne saint Denys, au nom d’une tradition apostolique, dans le dernier chapitre de la Hiérachie ecclésiastique. Origène (homélie 8 sur le Lévitique), saint Cyprien (livre 3, épitre 8),  saint Jérôme (livre 3 contre les pélagiens, à la fin), saint Augustin (livre 4 sur le baptême contre les donatistes, chapitre 24.  Et cela, les pélagiens, Érasme et Zwingli ne l’ont pas nié.  Et toujours, dans l’église, fut présente ce souci des fidèles de pourvoir diligemment à ce que personne, adulte ou enfant, ne meure sans le baptême, comme le montre clairement la lettre du pape Siricius, à Himéricus,  ci-haut citée, chapitre 2, et la lettre 28 de saint Augustin à saint Jérôme.  Et, en plus de la tradition apostolique,  nous avons une parole écrite  que la tradition nous a clairement expliquée : « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’Esprit et de l’eau, il ne peut pas entrer dans le royaume  de Dieu »(Jean 3).

Il est certain que le baptême est donné pour la rémission du péché, car ceux qui sont baptisés renaissent de l’Esprit et de l’eau.  Pourquoi donc devrait renaître par la grâce  celui dont la génération n’a pas été corrompue par le péché ?  De même, ceux qui sont baptisés meurent au péché et ressuscitent «pour qu’ils marchent dans la nouveauté de la vie.»   Comment pourrait-il mourir au péché celui qui n’a jamais eu de péché ?  De plus, ceux qui sont baptisés  sont lavés et purifiés.   Épitre 5 : « Purifiant par  le lavement d’eau,  dans la parole de vie.»(Tite 3). et : « Par le lavement de la régénération et de la rénovation.» (Actes 22) : « Purifie tes péchés en invoquant son nom.»  Comment peut-il se faire  que soit purifié et lavé celui qui n’a aucune saleté, souillure ou tache ?»

La forme du baptême montre la même chose.  Car, soit que par forme, on entende  ces paroles : je te baptise, ou le symbole externe qui est la similitude de la chose interne, la forme du baptême sera fausse, comme l’attestent les conciles,  si le baptême n’est pas donné en rémission des péchés.  Car, qu’est-ce que c’est je te baptise, sinon je te lave ou je te purifie, selon les Écritures qui définissent le baptême,  dans le lavement de la régénération par lequel nous sommes purifiés par la parole de vie ?   Que signifie vraiment ce symbole externe d’immersion et d’émersion,  si ce n’est, comme le dit l’apôtre, la mort au péché et la résurrection à la justice ?  Voilà pourquoi on ne peut pas douter que, puisque , à cause des paroles du Christ et la tradition de l’église, le baptême est nécessaire aux enfants,  ils aient le péché qu’ils amènent avec eux du sein de leur mère.

La deuxième raison on la tire des cérémonies anciennes du baptême célébrée par l’église universelle dans l’exorcisme et l’insufflation.  Saint Augustin s’est souvent servi de cet argument, comme dans le livre sur les mérites et la rémission des péchés, (chapitre 34), dans son livre sur les noces et la concupiscence, (chapitre 20),  et dans son livre 6 contre Julien, chapitre 2.  S’en servent aussi le pape Célestin (dans son épitre aux Gaulois),  et ses successeurs.  Car, les pélagiens ne pouvaient pas et  n’osaient  pas  réprouver l’usage universel de l’Église  qui, par l’exorcisme et l’insufflation ,  expulsait l’esprit immonde des enfants qui allaient être baptisés.  Car, c’est ce qu’écrit saint Augustin (dans son livre 6 contre Julien, chapitre 2) : « Tu as crains, toi, de commémorer  l’exorcisme, comme si tu devais être expulsé de l’église de toute la terre, si tu avais voulu contredire cette insufflation par laquelle le prince de ce monde est expulsé des petits.»  Vous ne pouvez  donc nier que l’esprit immonde possède les enfants avant le baptême,   sans que l’esprit ne vous tienne captifs par le péché.  Car, Dieu ne permettrait pas que sa créature soit possédée par le diable, à moins que, auparavant, elle ne se soit elle-même soumise à lui, devenant ainsi son serviteur.

La troisième raison se tire du mystère de la circoncision. La circoncision, d’après saint Augustin, (livre 16 de la cité de Dieu, chapitre 27) et saint Grégoire (livre 4 des morales, chapitre 2, de saint Bernard (dans son épitre 77), et de Innocent 3 (chapitre majores sur le baptême et son effet) a été instituée pour purger du péché d’origine.  D’aprè s l’enseignement d’autres docteurs, la circoncision n’a pas été instituée pour purger  l’âme du péché d’origine, mais pour signifier cette purgation. Car  il avait été commandé de la faire dans ce membre où apparait plus clairement l’effet de ce péché, et par lequel le genre humain est propagé charnellement, et est infecté par la propagation.  Voir saint Augustin (traité 39 sur saint Jean).

La quatrième raison est tirée de la peine du péché.  La mort est la peine du péché, (le jour où tu mangeras de ce fruit, tu mourras, Genèse 2).  Or, tous meurent,  même les enfants qui, de leur propre volonté, n’ont rien fait en bien ou en mal.   Il y a donc, dans les enfants, un péché qui n’est pas commis par la propre volonté,  mais que les parents transmettent par la propagation.  On ne peut pas réponde que la mort a été une peine pour Adam, mais que pour les fils ce n’est pas la mort qui a été la peine, mais une infortune et une certaine calamité, comme quand quelqu’un qui est réduit par sa faute à la misère, engendre des fils pauvres.   Pour le père la pauvreté est une peine du péché, mais pour les fils ce n’est qu’une malchance et une misère.  Je dis donc qu’on ne peut pas répondre cela,   Car, Dieu atteste par l’Église, qu’il ne punit pas les enfants pour la faute de leurs pères.  C’est ce qu’explique Ezéchiel dans un passage archi connu (18).  Ne répugne pas non plus ce que nous lisons dans l’Exode, chapitre 20 : « Je suis le Seigneur ton Dieu, visitant les péchés des pères sur les fils jusqu’à la troisième et quatrième génération.»  Car Dieu ne punit pas toujours les fils pour les péchés des pères, mais seulement quand les fils imitent les péchés des pères, comme l’enseignent les saint pères, comme saint Jérôme, (dans son commentaire au chapitre 18 d’Ézéchiel, saint Augustin  (dans le psaume CV111, en expliquant ces mots :  que l’iniquité de leur pères revienne en mémoire.  Et dans son livre contre Adimante  (chapitre 17).   Saint Jean Chrysostome (dans l’homélie 20 sur la Genèse), en commentant : maudit est l’enfant de Chanaan.  Et dans son homélie 75 sur saint Matthieu.  Saint Grégoire (livre 15, morales, chapitre 22).  Et saint Thomas ( 1.2. quest 87, art 8).   Les ont suivis presque tous les auteurs récents.  Et c’est ce qu’indique l’Écriture quand elle dit : À ceux qui m’ont haï.

Les fils ne sont donc pas punis à la place des pères, comme si la faute des fils ne méritait pas cette peine là.  Ils  ne sont pas, non plus, punis plus qu’ils ne le méritent, mais parce que si les fautes des parents n’avaient pas précédé, Dieu ne les aurait pas punis de cette façon, alors qu’il n’a pas puni leurs parents.  Donc, comme les enfants ne sont pas capables de raison,  et comme, à cause de cela, ils n’imitent pas les péchés de leurs pères,  mais sont quand même punis  par une très grande peine,  qui est la mort temporelle et éternelle, il s’ensuit nécessairement qu’ils ont un autre péché pour lequel ils sont punis justement, celui que nous appelons  le péché originel.   Voilà pourquoi saint Paul déclare : la mort est l’expiation du péché (Romains 6).  Et l’aiguillon du péché est la mort (1 Cor 15.)  Et, dans le livre de la Sagesse (chapitre 12) : «Comme, donc, étant juste, tu disposes toute chose justement, tu estimes étranger à ta vertu de condamner celui qui ne doit pas être puni.»  Et Job (chapitre 4) : «Quel innocent périt ?  Ou quand les justes soit-ils détruits ?«  Ensuite, saint Augustin (dans son livre 1 sur les rétractations, chapitre 9 )  écrit : « Toute peine, si elle est juste, » est une peine du péché, et est appelée un supplice.»

La cinquième raison est tirée de la passion et de la mort de Jésus.  Car, le Seigneur a souffert et est mort pour les injustes (Isaïe 53) : « S’il dépose sa vie pour les péchés, il verra une longue descendance.  Et dans Romains 5 : « Le Christ est mort une fois , pour tous nos péchés, un juste pour des injustes.»  Or, il est mort pour tous, comme la même Écriture l’atteste (2 Corinthiens 5).  Et 1 Timothée 2 : «Il s’est donné en rédemption pour tous.»  Donc, tous sont ou furent pécheurs et injustes.

La sixième raison est tirée des paraboles et des figures.   Car, la centième brebis  qui s’est éloignée du troupeau,  et la drachme perdu dans Luc 15,  signifient, du consentement de tous, la nature humaine universelle.  Celui qui, dans Luc 10, descendant  de Jérusalem à Jéricho, tomba sur des voleurs, fut dépouillé par eux et laissé à demi mort,  et gisant sur le chemin, désigne, sans controverse, le genre humain,  qui privé par satan, dans le premier parent, du vêtement de la grâce céleste,  et couvert de plaies, gisait sur le chemin à moitié mort, comme on peut dire qu’il  est demi vivant celui auquel a été enlevée la vie de grâce de l’âme, et non la vie de la nature.

La septième raison.  D’après  le sentiment des saints et des païens, elle se trouve dans la naissance des humains.  Les païens, qui ne connaissent pas le péché originel,  se pressaient de célébrer les naissances,  et surtout les rois et les princes.   Dans la Genèse, 40, on lit que les pharaons célébraient par un banquet le jour solennel de leur naissance.  Hérode  fait la même chose (Matth, chapitre 14). Les saints, par contre, déplorent le jour de leur naissance, à cause de la corruption de l’origine : « Périsse le jour où je suis né ! (Job, chapitre 3).  Et Jérémie (chapitre 20) : «Que soit maudit le jour où je suis né !»  Les fils d’Abraham ne célébraient pas leur jour natal, mais le jour de leur ablactation.(Genèse 21).  L’ Église chrétienne célèbre  la naissance des saints par des réjouissances festives.  Mais elle appelle naissance non celle par laquelle ils naissent avec le péché à la vie mortelle, mais celle par laquelle ils passent de la mort temporelle  à la vie bienheureuse et immortelle.  Car, elle sait «qu’est précieuse, aux yeux de Dieu, la mort des saints.» (Psaume CXV). Et : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur.»

La huitième raison est tirée de l’ancienneté de la sentence catholique et de la nouveauté de l’erreur contraire.  Une des principales notes d’hérésie est la suivante : si longtemps après que la foi catholique a été prêchée, reçue et observée, une nouvelle opinion surgit qui, par sa nouveauté, perturbe les âmes des fidèles accoutumés depuis longtemps à suivre une opinion contraire.  Telle fut la doctrine de Pélage, qui nie le péché originel, comme l’atteste saint Augustin (livre sur les mérites et la rémission des péchés, chapitres 5 et 7) : «D’où nous vient soudainement cette affaire ? Je ne sais.  Car, il y a peu de temps de cela, mes oreilles  ont été choquées par les paroles de certains qui parlaient entre eux, quand nous étions à Carthage.  Ils disaient qu’on ne baptise pas les enfants pour qu’ils reçoivent la rémission des péchés, mais pour qu’ils soient sanctifiés dans le Christ.  Troublé par cette nouveauté,  et parce qu’il n’était pas opportun que je dise quelque chose contre, et parce que ce n’était pas des hommes qui jouissaient d’une grande autorité,  j’ai cru qu’il s’agissait de choses transitoires et vite oubliées.  Mais, voici que contre l’Église cette opinion est âprement défendue, et  même recommandée à la mémoire par l’écrit.  Et la chose en est venue à un point tel que les frères nous demandent ce que nous en pensons,  et que nous sommes forcés de disputer et d’écrire contre.»  Dans ce passage, saint Augustin atteste qu’il n’a jamais lu, dans aucun auteur, avant Pélage, que les hommes naissaient sans le péché originel.  Ce dogme du péché originel était si bien établi et si certain qu’on s’en servait pour solutionner d’autres questions.

En notre siècle, Jacques Faber et Zwingli ont retiré des enfers cette hérésie déjà éteinte.  Il reconnaissent, en effet, que leur sentence est contraire à la doctrine de tous les scolastiques,  et donc nouvelle, ou plutôt renouvelée, comme nous l’avons dit.

                                                        CHAPITRE 8

                          On réfute des objections tirées des Écritures

Il nous reste à résoudre des arguments qui sont tirés de l’Écriture, des Pères, et de la raison.   Je présenterai d’abord, les textes de l’Écriture que les pélagiens objectaient à l’Église.  Ensuite, ceux que Zwingli a ajoutés par la suite.

Le premier témoignage de l’ancien testament  est dans Ézéchiel 18 : «Le fils ne portera pas l’iniquité du père.»  C’est ce texte que Julien exhibait principalement autrefois, et Zwingli de nos jours (dans son livre sur le baptême, digression sur le péché originel).  Saint Augustin répond (dans son livre 6 contre Julien, chapitre 12), que les paroles d’Ézéchiel sont prophétiques, et que, par elles, est promis le bienfait du nouveau testament, qui, par la régénération, devait effacer la dette paternelle,  de façon à ce que ne nuise plus le péché d’Adam à ceux qui commenceraient à appartenir au nouvel Adam.  Ce qui est écrit encore plus manifestement par saint Jérôme  (chapitre 31) :

« En ces jours-là ils ne diront plus les pères ont mangé un raisin âcre, et les dents des fils en ont été infectées.  Mais, chacun mourra dans son péché.  Voici que des jours viennent, dit le Seigneur,  et je ferai avec la maison d’Israël une nouvelle alliance, non selon le pacte que j’ai contracté avec vos pères  le jour j’ai saisi leur main  pour les amener hors de la terre d’Égypte, un pacte qu’ils ont rendu  caduque,  et j’ai établi ma domination sur eux, dit le Seigneur.   Mais cela c’était un pacte que j’avais contracté avec la maison d’Israël.  Après ces jours, dit le Seigneur,  je donnerai  et j’écrirai ma loi dans vos viscères, et je serai Dieu pour eux,  et ils seront pour moi un peuple.  Je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés.»

Mais, il faut noter que c’est de deux façons que le fils ne portera pas l’iniquité de son père. Une première façon.   Si, par une nouvelle génération, il est transféré de son père à un autre père.  Et c’est de cette façon que Dieu promet, par Jérémie,  qu’il arrivera dans le nouveau testament que les hommes, transférés par la régénération, d’Adam au Christ, ne porteront plus l’iniquité d’Adam.  Une deuxième façon.   S’il n’imite pas l’iniquité du père,  et ne participe pas à ses péchés.  Et c’est de cette manière qu’Ézéchiel dit que le fils ne portera pas l’iniquité du père, comme nous l’avons expliqué au chapitre précédent.  Car, Ezéchiel  interdit ouvertement aux Juifs, au nom de Dieu, de se servir de ce proverbe : les pères ont mangés des raisins non murs, et les dents des fils en ont été agacées.   Et, il en donne la raison : parce que équitables sont les voies du Seigneur, et toutes les âmes sont siennes.  Et Pélage alléguait cette explication pour répondre que les fils non régénérés ne portent par l’iniquité du père, mais la leur seulement.  Car, le péché originel, même s’il vient d’Adam,  n’est pas le péché d’Adam, mais le nôtre.

Le saint Augustin qui, dans cet extrait, s’était contenté de dire que les fils ne portent pas l’iniquité du père quand ils sont régénérés,  a dit  ailleurs (livre 6, contre Julien, chapitre 4),  que même avant la régénération, les fils ne portaient pas les péchés des pères, mais les leurs propres : « Les péchés des parents sont dits étrangers d’une certaine façon, et sont nôtres d’une autre façon.  Ils sont étrangers par la propriété de l’action, et nôtres par la contagion de la propagation.  Si cela était faux,  ne serait juste en aucune manière le lourd joug  qui pèse  sur les fils d’Adam  depuis le jour de leur sortie du ventre de leur mère.

Le deuxième témoignage scripturaire, Pélage le tirait de Romains 5 : « Comme par la désobéissance d’un seul homme, plusieurs ont été constitués pécheurs.»  Car, si ce n’est pas par l’imitation mais par la propagation  que les hommes sont constitués pécheurs en raison de la désobéissance d’Adam,  l’apôtre n’aurait pas dit «beaucoup», mais «tous.»  Saint Augustin répond (dans le livre 16 contre Julien, chapitre 12)  que par beaucoup on doit entendre tous ceux qui naissent d’Adam, qui sont vraiment nombreux.     Des choses peuvent être toutes présentes  là , sans être nombreuses, comme les quatre évangiles qui, sans être beaucoup, sont tous les évangiles.  Des choses peuvent être nombreuses sans qu’elles soient toutes là, comme les chrétiens qui sont nombreux, mais qui ne sont pas tous les humains. 

L’apôtre a donc une bonne raison de dire que plusieurs sont constitués pécheurs par Adam, et plusieurs sont constitués justes par le Christ,  parce que tous ceux qui naissent d’Adam  sont pécheurs, et même s’ils sont nombreux, ils ne sont pas tous les êtres humains,  car, Ève est un être humain, mais n’a pas été constituée injuste par Adam, et le Christ est un homme, mais n’a pas été constitué pécheur par Adam.  Et, semblablement, tous ceux qui renaissent dans le Christ,  sont constitués justes, et  même s’ils sont nombreux, ils ne représentent pas tous les être humains, car, tous ne renaissent pas dans le Christ.

Ensuite, l’Écriture emploie ces deux mots l’un pour l’autre.  Car, il dit : «Comme par le délit d’un seul  la condamnation a été portée sur tous les hommes, et par la justice d’un seul  la justification de la vie pour tous les hommes.  Car, par la désobéissance d’un seul homme, beaucoup sont constitués pécheurs, de même, par l’obéissance d’un seul, plusieurs sont constitués justes.»  Quand il dit tous, il veut dire qu’il n’y a  personne venant d’Adam qui ne soit pécheur,  et personne venant du Christ qui ne soit juste.  Et semblablement, personne n’est pécheur  sans venir d’Adam,  et personne n’est juste sans le tenir du Christ.  Quand il dit plusieurs il signifie ceux qu’il a nommés tous,  qui ne le sont pas absolument parlant, mais simplement nombreux.

On peut trouver un passage semblable au chapitre 8 de la Genèse : « Je l’ai établi père de beaucoup de nations.»  Et, au chapitre 22 : « Dans ta semence, seront bénies toutes les nations.»  Nous voyons là  que les fils qui sont promis à Abraham  sont tantôt dits nombreux, tantôt tous.  Car,  tous sont fils d’Abraham, dans un certain sens, et plusieurs seulement, dans un autre sens.

Quelqu’un dira peut-être : si tous ceux qui naissent d’Adam contractent  le péché originel, pourquoi l’apôtre écrit-il dans le même chapitre : « La grâce de Dieu par le Christ a abondé en un plus grand nombre  que le péché n’a abondé par Adam.»  Je réponds que ce mot plusieurs  ne signifie pas une comparaison, dans ce passage, mais une équivalence de mots : plusieurs, beaucoup.  Car, dans le texte grec, on n’a pas pleionas, mais pollus.  Le sens est donc  que la grâce de Dieu par le Christ  n’a pas été  réduite à un,  ou à deux, mais qu’elle a abondé en plusieurs, comme le péché n’a pas infecté seulement Adam et ses fils,  mais plusieurs autres.  Et aussi : abonder en plusieurs convient beaucoup plus à la grâce qu’au péché,  puisque la grâce est plus puissante et plus efficace.

Le troisième témoignage est tiré de ce texte de l’apôtre : par un seul homme le péché est entré dans ce monde.  Car, si le péché était entré dans le monde par la génération,  l’apôtre n’aurait pas dit  par un homme, mais par deux humains.  Car, la génération requiert deux personnes.   L’auteur de l’hypognostique (livre 2) répond qu’on a parlé ainsi  parce que l’homme et la femme, unis par le mariage,  ne sont pas deux, mais une seule chair, comme le Seigneur le dit en Matthieu (19).  Le même auteur ajoute que, pour satisfaire aux curieux pélagiens, l’Écriture a dit l’un et l’autre : par un et par une.  Car, dans Romains 5, elle dit : par un seul homme,  et dans Ecclésiastique 19, elle dit : « C’est de la femme qu’est devenu le commencement du péché.  Et c’est par elle que tous nous mourons.»

Nous pouvons ajouter une troisième réponse.  L’apôtre a dit : par un seul homme, c’est-à-dire, par Adam,  parce que la cause première du péché originel fut Adam, non Ève.  Aussi parce que c’est le péché d’Adam qui est transmis par la génération, et non celui d’Ève.  Et aussi parce que l’homme est la cause active de la génération, et la femme la cause passive.  Voilà pourquoi, si après le péché d’Ève, Adam était demeuré dans son innocence, leurs fils n’auraient pas eu le péché originel, mais ils l’auraient eu  si Adam avait péché seul, Ève demeurant innocente.

Le quatrième témoignage ils l’ont pris dans ces paroles de saint Paul à 2 Corinthiens 5 : « Il faut que tous comparaissent devant le tribunal du Christ, pour que chacun présente ce que pendant sa vie dans le corps, il a fait de bien et de mal.»  Saint Augustin (dans son livre 6 contre Julien, chapitre 4)  répond  que les enfants  ou devront comparaitre, ou ne devront pas comparaitre devant le tribunal du Christ.  Si on dit qu’ils ne comparaitront pas, c’est parce que l’apôtre ne parle que des adultes, et que cette sentence n’appartient pas aux enfants.  Mais, ce passage ne prouve pas qu’il n’y ait  pas de péché originel dans les enfants.  Si les enfants non régénérés doivent comparaitre,  ils déclareront ce qu’ils ont accompli par d’autres,  le péché d’origine, comme les enfants régénérés déclareront ce qu’ils ont fait par d’autres, le mérite de la foi.  Car, comme, quand ils sont baptisés,  est profitable aux tout petits, ce qu’ils croient par d’autres,  et ils  sont donc énumérés par le Christ parmi les fidèles et les justes.   Ainsi, il n’est pas étonnant  que ceux qui ont perdu la foi et la justice par un autre et soient  énumérés par le Christ parmi les injustes et les infidèles,  et participent au troupeau de ceux  dont parle le précurseur du Seigneur quand il dit : «Celui qui ne croit pas dans le Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. (Jean 3, 2.)»

Le cinquième témoignage est ajouté par Zwingli, (dans son livre sur le baptême, chapitres 3 et 4 aux Romains : « Saint Paul nous dit que la connaissance du péché est née de la loi.  Donc, là où la connaissance de la loi est nulle,  là ne peut pas être la connaissance du péché.  Et où la connaissance du péché n’est vraiment pas, il n’y a pas là de prévarication, et donc aucune condamnation.  Saint Paul atteste la même chose  dans Romains 4, en disant  que là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de transgression.  La force de ces témoignages et leur puissance est si grande  qu’elle renverse complètement tous les commentaires des théologiens sur le péché originel.  Car une maladie ne peut pas nous apporter la damnation qui vient après , quand, après avoir contemplé la loi exposée sous nous yeux,  et poussés par la maladie et l’infection qui a corrompu notre nature, nous transgressons la loi.»

Je réponds que, de ces deux textes de l’Écriture, ce n’est pas un syllogisme que Zwingli a tissé, mais un paralogisme.   Car de ce témoignage : par la loi la connaissance du péché, (Romains 3), il a déduit que là où il n’y a aucune connaissance de la loi, il n’y a aucune prévarication.  Cette conclusion il ne la prouve pas correctement  par cet autre témoignage : où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication. (Romains 4). Car l’apôtre n’a pas dit : là où il n’y a pas de connaissance de la  loi, il n’y a pas de prévarication, mais : où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication.   Ce que l’apôtre dit est tout à fait vrai,  car on ne peut pas imaginer une prévarication sans qu’il n’y ait une loi que la prévarication viole.  Mais ce que Zwingli dit est faux, car il arrive souvent que, tout en ignorant une loi, quelqu’un prévarique contre elle.  D’où les péchés dits d’ignorance, qui peuvent être des péchés mortels si l’ignorance est volontaire, comme est celle de qui il est dit : « Il a pas voulu comprendre afin de bien agir.»

Voilà pourquoi saint Paul a dit aux Romains 2: «Ceux qui ont péché sans loi périront sans loi.  Être sans loi, au témoigne de Zwingli, (dans sa déclaration sur le péché d’origine),  c’est ignorer la loi.  Car, autrement, comme il le dit lui-même, personne n’est sans loi.  Il y en a donc qui ignorent la loi, qui pèchent et qui périssent.  Alors, est donc faux ce qu’il dit que là où il n’y pas de connaissance de la loi, il n’y a pas de prévarication , et donc pas de damnation.

Zwingli  a  qu’il  a avancé une autre proposition qu’il ne prouve pas :  là où n’y a pas de prévarication, il n’y a pas de condamnation.  Si  Zwingli parlait de la prévarication en général qu’elle soit propre ou commune, on pourrait peut-être admettre cette proposition, même s’il ne l’a prouvé par aucun raisonnement.  Mais , il ne pourrait rien en tirer contre le péché originel.   Car, les petits qui sont privés de l’usage de la raison,  n’ont pas de prévarication propre pour laquelle ils seraient damnés.  Mais, ils en ont une qui est commune à tout le genre humain, dont parle l’apôtre quand il dit : en qui tous ont péché (Romains 5), à cause de quoi tout l’univers est condamné de plein droit.   De plus, puisque, sans doute possible, Zwingli parle de la prévarication propre, c’est-à-dire, celle qui est commise de par la propre volonté,  voilà pourquoi nous soutenons que sa sentence (où il n’y a pas de prévarication, il ne peut pas y avoir de damnation) est fausse , et contraire aux Écritures.   Car, le même apôtre  dit à Romains 9, qu’ils   ne font ni bien ni mal,  et qu’ils n’ont donc  prévariqué aucune loi de par leur propre volonté.    Le même écrit aux Éphésiens 2 ; « Tous sont fils de colère par la nature.»  Et aux Romains 5 : « Par le délit d’un seul, …la condamnation pour tous les hommes.»

Ensuite Zwingli soutient que, ce qui est un point principal de notre dispute,  que seule la prévarication qui est un péché actuel  est proprement un péché, qui peut condamner un homme.  Car, c’est ce que nient tous les catholiques, et ils prouvent le contraire par des témoignages limpides de l’Écriture.  Lui-même a prouvé, par les Écritures,  que le péché est connu par la loi, et que là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication.  Deux choses qui sont hors controverse.   Mais que là où il n’y a pas de prévarication, il ne peut pas y avoir de condamnation, il devait le démontrer,  mais il ne l’a prouvé par aucune raison,  et l’a tout simplement assumé comme certain, ce qu’on appelle un vice de dialecticien, ou une pétition de principe, ce qui est la faute  la plus absurde qu’on puisse commettre dans une dispute en règle.

Le sixième témoignage le même Zwingli le demande au même livre de l’apôtre , Romains 7 : «  Sans la loi, le péché était mort.  Je vivais donc sans la loi pendant un certain temps. Quand le commandement est arrivé, le péché   a repris vie.»    Quand donc dirons-nous que l’apôtre a vécu  sans loi ?   Quand il était enfant, et d’une âme tendre.   Car, autrement, personne ne peut être sans loi.»  Mais le même Zwingli tire de ce même passage  un argument plus clair  (dans sa déclaration sur le péché originel, près de  la fin)  Car là, il prouve  que les petits et les non baptisés sont dans l’état d’innocence par cet argument : « Aussi longtemps que les petits ne sont pas capables de lois, ils sont dans l’état d’innocence.  Nous,  nous affirmons avec assurance au sujet des nôtres, munis de l’autorité de saint Paul aux Romains 4 :  car là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication.  Car, ils sont tendres, sans expérience, ignorant des lois, non moins sans la loi que Paul.  Ils ne transgressent donc pas, et ne sont pas damnés.   Saint Paul avoue qu’il vécut un temps sans la loi, (Romains 7), ce qu’il faut entendre de son enfance.  Le péché fut donc mortel pour lui  quand il a vécu avec la loi.   Et il atteste que c’est alors qu’il est mort.  De la même façon nous, ne péchions pas tant que nous étions  à l’âge où on ignore la loi.  Quand la lumière de la loi a brillé, c’est alors que nous avons été rendus coupables.»

Je réponds que cet argument ne prouve rien,  pour trois raisons.  La première.   Le  «sans la loi le péché est mort»,  ne signifie pas qu’il n’y a pas du tout eu de péché,  mais qu’il n’a pas été connu, ni réputé comme péché, quand il était un vrai péché.  Car, c’est ainsi que le même Paul enseigne aux Romains 5 : « Car, jusqu’à la loi, il n’ y avait pas de péché dans le monde. Le péché n’était pas imputé, quand il n’y avait pas de loi.»  Le non imputé signifie que ce péché n’était pas imputé comme tel par les hommes, jusqu’à ce que la loi de Moïse prohibant le péché, l’ait manifestée ouvertement.  Que le péché ait été imputé par Dieu, c’est une chose qui apparait clairement par la peine du péché qui est la mort, et qui est commune à tout le genre humain. Voilà pourquoi ,  dans les petits vivant  sans la loi, comme l’enseigne Zwingli, le péché est mort, c’est-à-dire,  occulte et latent, non complètement nul.  Et, à cause de cela, les petits ne sont pas dans l’état d’innocence, mais dans l’état de péché et de damnation,  tant qu’ils ne renaissent pas par le baptême, dans le Christ.

Ensuite le  «j’ai vécu sans la loi pendant un certain temps»,  nous ne sommes pas obligés de l’entendre, comme le veut Zwingli,  des petits  enfants et de la loi de la nature.  Car cette interprétation , qui fut celle d’Origène dans son commentaire de ce passage, a été réfutée  par saint Jean Chrysostome avec de solides arguments.  L’interprétation la plus commune aux saints pères, est que l’apôtre parle au nom de la nature humaine, comme elle était avant la loi de Moïse. Et voici quel en serait le sens :  le péché sans la loi de Moïse était mort,  parce qu’on ne connaissait pas l’offense qu’il faisait à Dieu,  ni qu’il méritait la mort.  Les hommes ont vécu un certain temps sans la loi de Moïse pendant , et voilà pourquoi,  à leurs yeux aveuglés par l’ignorance ,  le péché était mort.   Mais,  là où la loi est arrivée,  le péché a repris vie, parce qu’il a commencé à être connu.  Voir les commentaires de saint Jean Chrysostome et de Theophylacte, ainsi que de saint Ambroise (ou le pseudo Ambroise),  d’Aaymon, d’Anselme,  de saint Thomas et des autres .  Et ensuite de saint Augustin (livre 1 à Simplicianus, q. 1, et livre LXXX111, q 66.)

Enfin, si nous concédions que ce texte se rapporte proprement  aux enfants, il ne faudrait pas en conclure, pour cela, que les enfants non encore baptisés sont dans l’état d’innocence, mais que leur manque le péché actuel qui est commis par la propre volonté.  Car, ceux qui sont sans loi, comme Zwingli l’explique, n’ont pas connu la loi, et ne sont pas, non plus, capables de la connaitre, et ne peuvent pas enfreindre la loi par une action qui leur est propre.  Or la question que nous débattons présentement  est la suivante :  est-ce que, en plus du péché actuel, il y a aussi un autre péché véritable et proprement dit, qui n’est pas commis par une action propre, mais qui  est transmis par les parents dans la génération ?  Le texte cité par Zwingli ne répond en aucune façon à  cette question.

Le septième témoignage est présenté par le même Zwingli (autant dans son livre sur la baptême que dans sa déclaration sur le péché originel, chap 5 des Romains) : « La mort a régné d’Adam jusqu’à Moïse, en ceux aussi qui n’ont pas péché dans la similitude de la prévarication d’Adam.»  De ce passage, Zwingli déduit que c’est la mort qui est transmise depuis le premier parent, mais non le péché.  Mais, il n’est pas difficile de lui répondre.   Car, l’apôtre (comme nous l’avons dit  plus haut)  a voulu démontrer  qu’avant la loi , il y avait du péché dans le monde, et que tous avaient été des pécheurs, même si le péché n’était pas encore vu comme une offense faite à Dieu.  Il le prouve cela par la mort qui est la peine du péché,  et qui régnait en tous, et qui a  régné même au temps où le péché n’était pas vraiment connu, c’est-à-dire d’Adam jusqu’à Moïse.

Voilà pourquoi l’apôtre ne dit pas que la mort a régné dans ceux qui n’avaient péché en aucune façon.  Car, s’il avait dit cela, il n’aurait pas prouvé  ce qu’il voulait prouver, et il se serait contredit lui-même, puisqu’il avait déjà dit que la mort était passée dans tous les hommes, dans lequel (Adam) tous ont péché.  Mas il dit que la mort a régné sur ceux qui n’ont pas péché, par une action propre, contre la loi révélée et connue, comme a péché Adam.  Nous savons donc, des paroles de saint Paul, que tous les hommes meurent, qu’ils ont ou qu’ils ont tous eu un péché, même si tous n’ont pas péché d’un péché actuel, comme a péché Adam.

                                                  CHAPITRE 9

On explique les témoignages des pères qui semblent favoriser les pélagiens

Parmi les pères, on peut en présenter quelques-uns qui semblent favorables à Pélage.  Comme Clément d’Alexandrie, saint Ambroise, Arnobe,   saint Jean Chrysostome, Theodoret,   Clément (dans son livre les stromates, vers la fin)  parle ainsi : «  Ils nous disent donc : où a forniqué le nouveau né ? Ou , comment tombe-t-il sous l’exécration d’Adam celui qui n’a rien fait» ?» 

Réponse.   Il n’apparait pas suffisamment clairement de qui sont ces paroles, de  Clément ou des hérétiques  avec lesquels il dispute dans les stromates.   Il est probable que ces paroles contiennent les objections de Jules Cassien,  et des autres qui enseignaient  que la génération était mauvaise, et qui,  à cause de cela, condamnaient les noces.   Car, ils déduisaient de  la phrase de Job (personne n’est pur de toute souillure, même un enfant d’un seul jour) , et que les enfants naissaient immondes et pécheurs.  Et comme il était certain que les enfants ne s’étaient pas pollués par une action propre, puisqu’ils ne pouvaient ni forniquer, ni faire quelque chose de ce genre, ils se rabattaient sur la génération qu’ils considéraient comme mauvaise, et qui rendait immondes tous les hommes  qui étaient procréés.  Car, voici ce qu’ajoute Clément : « Il leur reste à dire, s’ils veulent être conséquents,  que la génération est mauvaise, non seulement celle du corps, mais aussi celle de l’âme.»  Ces hérétiques ne niaient donc pas le péché originel, mais c’est avec lui qu’ils tentaient de consolider leur doctrine.

Michel Servet cite saint Ambroise, au témoignage de Sixte de Sienne  (livre 6 de sa sainte bibliothèque, note 236) contre le péché originel, dans son commentaire des Romains 5 : « La mort est la dissolution du corps, quand l’âme est séparée du corps.  Il y a aussi une autre mort, dite la deuxième,  dans la géhenne,  que nous ne subissons pas à cause du péché d’Adam , mais que, à son occasion, nous acquérons  par nos propres péchés, dont les bons sont immunes etc.»  La réponse est facile à donner.   Ces commentaires ne sont pas considérés comme étant de saint Antoine.  Mais, l’auteur de ces commentaires n’a jamais rien écrit de contraire à la doctrine de l’église sur le péché originel.  Et dans le chapitre 5, nous avons montré qu’il la confirmait manifestement.  Dans les mots qui viennent d’être cités, l’auteur n’enseigne pas autre chose  que la peine du péché originel n’est pas la géhenne du feu, c’est-à-sire la peine du sens, comme l’appellent les théologiens récents, mais la privation de la béatitude éternelle,  qu’on a coutume d’appeler la peine du dam.  Parmi ceux qui subissent cette peine , quelques-uns se trouvent en enfer, mais dans une partie plus haute, beaucoup trop élevée pour que  la flamme de la géhenne puisse y monter.

Cette phrase de Clément on peut dont l’entendre avec les propres mots de ’auteur.  Car, après avoir dit que, à cause du péché originel, il y avait des hommes dans l’enfer, même des bons, qui ne pouvaient pas monter au ciel, il ajoute :  « Car ils soutenaient que la sentence donnée en Adam avait été abolie par le décret du mort du Christ.  La sentence du décret fut que le corps d’un seul homme  soit dissous sur la terre, mais que l’âme détenue dans les chaînes de l’enfer supporterait la ruine.»  Et plus bas : « Il était dans les enfers à cause du péché du père, de par le décret de Dieu.  La grâce de Dieu abonda dans la descente du sauveur, donnant l’indulgence à tous, les faisant tous monter au ciel en triomphe.»

On peut aussi objecter Arnobe, au lieu cité, qui parle ainsi dans son commentaire du psaume  50 : « David n’a pas dit  Jai  été engendré avec des iniquités, ou avec des péchés, mais j’ai été conçu dans les iniquités et ma mère m’a engendré dans les péchés.  En disant que sa mère l’a engendré  dans ses iniquités (à elle) il veut dire qu’elle l’a enfanté dans les péchés du siècle,  parce que tout péché est conçu dans le cœur,  et  consommé dans la bouche,  et parce que celui qui nait a la sentence de condamnation d’Adam , sans avoir de péché à lui.»

Cet auteur, quel qu’il soit, n’est certes pas Arnobe, le précepteur de Lactance,  qui a écrit sept livres contre les Gentils, mais quelqu’un de beaucoup plus récent, comme certains avant nous l’ont supposé.  Cet auteur ne  semble pas nier que les petits ont un péché,  qu’ils ont contracté d’Adam, mais affirmer qu’ils n’ont pas de ces péchés qui sont commis  par la volonté propre. Car, il dit que les petits ont la sentence de condamnation d’Adam,  et aussi la faute d’Adam communiquée par la génération.  Car la sentence de condamnation ne serait pas juste si aucune faute n’avait précédé.  Et voilà pourquoi quand il dit : celui qui nait a la sentence de condamnation d’Adam, il n’ajoute pas il n’a pas de péché, mais il n’a pas de péché à lui.  Ce péché sien doit être référé  au péché actuel dont il avait parlé plus haut,  quand il a dit que le péché est conçu dans le cœur, et consommé dans la bouche.

Le quatrième texte est tiré de saint Jean Chrysostome qui, non seulement autrefois à Julien,  premier secrétaire de Pélage, mais aussi aujourd’hui aux nouveaux pélagiens, semble avoir nié le péché originel.   Voici donc les textes de cet auteur qu’on a coutume de nous objecter.   Le premier.  Dans son homélie 10 sur l’épitre aux Romains : «  Que veut-il dire : dans lequel tous ont péché ? Que, après sa chute, ceux qui n’ont pas mangé de l’arbre sont tous devenus mortels depuis ce temps ?»   Par ces paroles, il semble dire que seule la mortalité du premier homme  a été communiquée à ses descendants, et non sa désobéissance avec laquelle il gouta du fruit défendu.  Ce qu’il écrit encore plus clairement plus bas : «Ils semblent ne pas avoir un petit souci dans ce qui est dit : beaucoup ont été  institués pécheurs par la désobéissance d’un seul homme.   Que celui qui a péché soit devenu mortel,  et que ceux qui sont sortis de lui soient tels, il n’y a rien d’absurde là-dedans.  Mais que de la désobéissance de l’un, un autre soit constitué pécheur, quelle convenance, et quelle conséquence y a-t-il, je le demande ?   Que signifie donc le mot pécheurs dans ce passage ?  Il ne me semble pas signifier autre chose qu’à cause de la mort d’Adam, tous sont devenus mortels.»

L’autre témoignage se trouve dans l’homélie 17 (sur la première épitre aux Corinthiens) : « Quoi donc, dis-moi, est-ce que tous sont morts en Adam par la mort due au péché ? Noé ne fut-il pas un juste en son siècle ?  Comment Abraham, comment Job,  et comment tous ceux qui sont vivifiés dans le Christ , et ceux surtout qui doivent être amenés dans la géhenne ?  Si donc nous voulons que cela ait été dit du corps, le sermon le confirmera,  mais si nous voulons que cela ait été dit du péché et de la justice, jamais ! »   Le quatrième témoignage  (homélie 24 sur l’épitre aux Éphésiens ) : « Notre corps est corruptible, mais notre  âme incorruptible.  Ne le corrompons donc pas !  C’est ce qu’a fait le péché du premier homme.  Mais, ce qui se fait après le baptême, peut aussi corrompre l’âme.»   Le cinquième témoignage .  Son homélie aux néophytes : « Tu vois quelles sont les largesses du baptême ?  Il semble à plusieurs que la grâce du baptême ne consiste que dans la rémission des péchés.  Les honneurs du baptême nous en avons déjà compté dix.  Et nous baptisons les enfants, bien qu’ils n’aient pas été souillés par le péché, pour leur ajouter la justice, la sainteté, l’adoption, l’héritage et la fraternité du Christ.»  Voilà donc les témoignages de saint Jean Chrysostome, à cause desquels les adversaires font du saint le patron de l’hérésie pélagienne.

Saint  Augustin s’est autrefois porté à la défense de saint Jean Chrysostome (dans son livre 1 contre Julien, chapitre 2 : « Ces paroles de saint Jean Chrysostome tu oses nous les opposer comme contraires à tant de phrases de ses collègues;  tu oses aussi  le séparer de leur société et en faire un de leurs ennemis ?  Loin de nous de croire ce mal de la part d’un si grand homme !  Loin de nous la pensée que Jean de Constantinople soit opposé à de si grands et de si nombreux co épiscopes, surtout au pape Innocent, à saint  Cyprien de Carthage, à  saint Basile de la Cappadoce, à saint Grégoire de Naziance, à saint Grégoire,  à saint Hilaire de Gaule, à saint Ambroise de Milan.»    Ensuite, saint Augustin  cite plusieurs textes tirés des écrits de saint Jean Chrysostome, avec lesquels il prouve que, sur le péché originel, il n’a pas pensé autrement que ses confrères évêques.  D’abord, dans son homélie sur les néophytes : « Le Christ est venu une fois, il a trouvé le parchemin  paternel de nos dettes qu’avait écrit Adam.  C’est  lui qui entreprit le début de la dette . Nous, par nos péchés postérieurs, nous avons haussé les intérêts.»  Nous voyons dans ces paroles le parchemin de la dette, écrit par Adam,  être appelé nôtre, et être distingué clairement des intérêts de la dette  que sont nos péchés actuels, chose que nous ajoutons.

Nous sommes donc, selon la sentence de saint Jean Chrysostome, des débiteurs de Dieu, autant à cause du  péché contracté par Adam que des péchés commis par notre volonté propre.  Nous trouvons un autre passage  dans l’homélie 10 sur l’épitre aux Romains : « Ce qui, pour le Christ a été croix et sépulcre, a été pour nous baptême, même si non dans les mêmes choses.   Car, lui est mort à la chair, et a été enseveli, nous, nous sommes morts au péché,  et nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort.»   Saint Augustin déduit clairement de cette phrase du saint orateur que les petits naissent dans les péchés.  Car, eux aussi, sont baptisés dans le Christ,  et, par là, meurent au péché.  Car, tous ceux qui sont baptisés dans le Christ sont ensevelis avec lui dans la mort, comme le dit l’apôtre.  Saint Jean explique que «être ensevelis avec lui dans la mort »n’est rien d’autre que mourir au péché et être ensevelis loin du péché, comme le Christ est mort et a été enseveli selon la chair.

À ces deux passages cités par saint Augustin, nous en ajoutons deux autres.  La même homélie commentant la même épitre aux Romains, non loin du début : «Bien que ce ne soit pas le même péché que celui qui est causé par la transgression de la loi, mais celui qui l’a été par la désobéissance d’Adam,  il était ce péché qui a tout perdu.»   Dans ces paroles, saint Jean Chrysostome distingue le péché qui nait en nous par la transgression de la loi,  qu’on appelle péché actuel, du péché provenant de la désobéissance d’Adam qui existe en nous, qu’on appelle originel.  Et  il dit que de ce péché (celui d’Adam) la mort et tous les maux ont émané, et qu’il ne faut donc pas se surprendre si la mort a régné avant que la loi  ne soit donnée.  Car, dans le monde, il y avait   un péché né de la désobéissance d’Adam, et ce péché perdait tout.

Le quatrième passage est tiré de l’homélie 40 sur l’épitre 1 aux Corinthiens : « Dans le lavage de la régénération,  Dieu touche l’esprit par sa grâce, enlève le péché «radical» et en te chauffant comme l’or ou l’argent dans le creuset, il te rend pur et neuf.  Ainsi, dans le baptême, l’Esprit Saint la fait cuire l’âme  de nouveau, comme dans une fournaise, et, en consumant le péché, il la rend resplendissante et plus pure que l’or.»  Il est certain que le péché radical ne peut être un autre péché que celui qui est à la racine, c’est-à-dire que nous avons hérité d’Adam,  qui, dans le baptême est enlevé aussi bien aux enfants qu’aux adultes.   On a coutume d’amener un autre texte tiré d’une homélie sur Adam et Ève, qu’on lit parmi les œuvres du saint.  Mais cette homélie n’est pas considérée comme étant de saint Jean Chrysostome, autant parce qu’on ne la trouve pas en grec, et qu’on pense que son auteur est un latin et non un grec,  que parce que deux chapitres entiers se retrouvent dans le livre sur les dogmes ecclésiastiques.

Avec ces textes, il ne sera pas difficile d’expliquer le sens des textes que les adversaires citent contre nous.  Le premier témoignage, celui de l’homélie 10 sur la lettre aux Romains.  Nous répondrons que le saint a écrit que, à cause du péché d’Adam, nous sommes tous devenus mortels, ce qui est tout à fait vrai,  et qu’il n’a pas nié que, à cause de ce même péché, le mérite de la mort, c’est-à-dire, le péché originel a été transmis.  Mais il l’a indiqué clairement plus tard quand il a ajouté que cette immortalité  dont nous avons été privés, a été un supplice.  Car, aucun supplice ne serait juste si nous n’avions aussi le mérite de la justice, c’est-à-dire, le péché.  Ce qui a paru absurde aux yeux du saint , à savoir que de la désobéissance de l’un , d’autres soient constitués pécheurs, doit, sans hésitation, être référé au péché actuel.  Car, il ne peut pas se faire que quand l’un pèche, un autre devienne pécheur, ou que le péché de l’un soit le péché d’un autre. 

  Et au sujet de la phrase : par la désobéissance de l’un tous ont été constitués pécheurs, il n’a pas voulu que le mot pécheurs soit entendu comme si le sens était : par la désobéissance de l’un, plusieurs sont devenus désobéissants en acte.  Mais il a voulu dire que beaucoup sont pécheurs à cause de la désobéissance de l’un,  parce qu’Adam les a engendrés tel qu’il était après le péché, le péché demeurant en lui par mode d’habitus, et donc dignes de supplice, et condamnés à mort.

Ce péché qui est en nous sous forme d’habitus, et  qui nous mérite la mort, et , en tous, la nécessité de mourir,  saint Jean Chrysostome l’a indiqué assez ouvertement  quand il l’a appelé  tantôt un péché radical, et tantôt un péché  absolu (comme nous l’avons dit plus haut), tantôt mortalité, tantôt  supplice de mort.  Mais comme les pélagiens n’avaient pas encore montré le bout du nez,  il parlait en toute sécurité, et c’est pour cela qu’il n’a nommé que la mortalité, alors qu’il n’excluait pas le péché habituel.   

Il est facile de répondre à son autre texte de l’homélie l7 (sur la première épitre de saint Paul aux Corinthiens).  En prêchant, il a réprouvé avec raison  ceux qui rejettent la cause de leur damnation en Adam.  Car, si nous n’avions commis aucun péché de notre propre volonté, nous pourrions peut-être demander au sujet d’Adam, pour quelle raison mourrons-nous à cause de lui ?  Mais, comme nous commettons des péchés si graves et si nombreux,  c’est en vain qu’on demanderait cela à Adam. Ajoutons que saint Jean Chrysostome parlait à des gens dont le péché originel avait été effacé par le baptême.  Il n’est donc pas étonnant  qu’il n’ait pas accepté qu’ils renvoient à Adam la responsabilité de leur damnation.

Au troisième texte qui vient de l’homélie 39 sur la même épitre, la réponse est vite trouvée, si nous faisons deux réflexions préalables.   La première.  Le saint se proposait, dans ce passage, de démontrer que les paroles de l’apôtre (tous meurent en Adam) ne portaient pas sur la mort du corps, mais sur celle de l’âme.  Ce qui est tout à fait vrai, et on peut s’en rendre compte par le fait que, dans tout le paragraphe, il avait  traité de la résurrection des corps.  La deuxième.  Les paroles de saint Jean Chrysostome (maintenant, tous, en Adam, sont morts de la mort du péché) ne doivent pas s’appliquer à la mort de n’importe quel être vivant, mais de la mort éternelle,  à la chute irréparable dans le péché.

 Ce qui peut se comprendre  par le contraire.  Car, quand il dit que tous ne sont pas vivifiés par le Christ, quant à la vie de l’âme, il ne parle pas de la vie de n’importe laquelle âme,  mais de la vie parfaite qui est obtenue par la gloire éternelle.  Car, il prouve que tous ne sont pas vivifiés par le Christ dans la vie de l’âme,  car plusieurs doivent être conduits à la géhenne.   Cette raison ne prouverait rien s’il parlait de la vie de l’âme par la grâce, puisque, parmi ceux qui ont eu la vie de l’âme par la grâce,  plusieurs doivent être  jetés dans la géhenne.

Si on tient compte de ces deux remarques, il ne restera plus de difficulté dans les paroles du grand orateur.  Car, le saint docteur ne nie pas que tous sont morts en Adam par une mort quelconque,  due au péché, mais par une mort  irréparable et éternelle .  Ce qui est tout à fait vrai, comme nous l’avons dit.   Au quatrième texte tiré de l’homélie 24, sur l’épitre aux Éphésiens, je réponds qu’il ne parle que de ceux qui étaient déjà baptisés, comme il appert clairement de ces paroles : « Ce qui se fait après le lavage de la régénération  peut aussi corrompre l’âme.»  Donc, ceux qui sont baptisés  ont encore un corps corruptible, car le baptême n’enlève pas la nécessité de mourir qui vient du premier péché.  Et voilà pourquoi l’apôtre  dit dans Romains 8 : «Nous attendons la rédemption de notre corps.»  Cependant, ils ont une âme incorruptible, c’est-à-dire,  qui n’est pas nécessairement corrompue par la mort du péché, mais  qui peut ne jamais être corrompue, si les hommes baptisés veulent conserver  avec soin la grâce qu’ils ont reçue dans le baptême.

Au cinquième texte tiré de l’homélie à des néophytes, saint Augustin a répondu autrefois  en expliquant que le saint n’avait pas dit que les enfants n’avaient pas été pollués par un péché qui pouvait provenir du péché originel, mais qu’il n’avaient pas de péchés, donc, évidemment, des péchés actuels.  Car les mots grecs de saint Jean sont les suivants : Aia touto kai ta pedia baptizomen,  kaitoi amartèmata  ouk  ekonta.   Mais, tu diras que saint Jean Chrysostome voulait démontrer  que le baptême n’avait pas été institué pour la seule rémission des péchés,  et qu’il  pensait avoir suffisamment démontré cela par l’exemple des enfants qui sont baptisés dans l’église, sans avoir de péchés actuels.  Or, cette raison n’aurait de valeur que  si les enfants  naissaient sans être marqués par le péché originel.

Je réponds que ceux contre lesquels il prêche, estimaient  que, par le baptême, la grâce et les dons du Saint-Esprit n’étaient pas infusés, les âmes n’étaient ni purifiées ni ornées, mais que seuls les péchés étaient remis, par une certaine donation extrinsèque, comme, entre les hommes, sont remises les offenses,  et les cœurs sont réconciliés.   Cette sentence le saint orateur la réfute avec raison par l’exemple des petits, car le péché originel n’est pas tant une offense qu’une tache.  Car, les petits n’ont rien fait de leur volonté propre qui soit de nature à offenser Dieu.  Mais on dit qu’ils ont un péché parce qu’ils ne possèdent pas la sainteté,  et ont une âme souillée, qui est habituellement détournée de Dieu, comme nous le démontrerons dans la dispute suivante.   Les enfants ont donc besoin d’un baptême  non pas tant pour que les péchés leur soient remis par le pardon des offenses, mais pour que toute tache de péché soit effacée en eux,  pour qu’ils reçoivent la grâce et les dons,  par lesquels ils sont purgés, ornés et justifiés,  et qui, de serviteurs de satan, les font devenir fils de Dieu.

Le cinquième texte pourrait avoir été tiré de Théodoret.   Car, expliquant le chapitre 5 de l’épitre aux Romains,  il semble vouloir que le péché d’Adam ne soit pas transmis à ses descendants, si ce n’est en tant qu’occasion.  Voici ce qu’il dit : « Quand Dieu eut formé Adam, et l’eut orné de la raison,  il lui a donné un précepte pour mettre à l’épreuve sa raison.  Ayant été trompé, il transgressa le commandement,  et quand,  par le décret de mort, il devint exposé à la mort, il engendra ainsi Caïn et Abel,  et les autres.  Tous ceux-là, en tant qu’engendrés de lui, avaient une nature mortelle.  Une nature de ce genre avait besoin de beaucoup de choses, de nourriture, de breuvage, de vêtements, de maison,  et de toutes sortes d’arts, dont l’usage incite souvent à la tiédeur.  La tiédeur  engendre facilement le péché.  L’apôtre divin dit donc  que quand Adam pécha,  et devint mortel à cause du péché, l’un et l’autre parvint au genre humain, c’est-à-dire, le péché et la mort.   Car,  la mort est passée en tous, dans la mesure où tous ont péché.  Car, ce n’est pas à cause du péché du premier homme, mais c’est à cause de son propre péché que chacun reçoit le décret de mort.»  Theodoret a cette même sentence, dans son explication du psaume 50, quand il commente le verset suivant : «Voici que j’ai été conçu dans les iniquités.»

De nouveau, dans l’épitomé des décrets divins (au chapitre 12, qui est celui de l’incarnation du Sauveur),  il dit, en expliquant  ce verset du ch 5 de l’épitre aux Romains : comme par la désobéissance de l’un, beaucoup ont été constitués pécheurs : «  Il est tout à fait nécessaire ce «nombreux»  qu’il a mis dans l’un et l’autre.  Car, quand Adam a péché, et que plusieurs ont transgressé les lois divines, quelques-uns sont demeurés dans les décrets de la nature,  et se sont souciés de la vertu,  comme Abel, Hénoc, Noé,  les patriarches et les prophètes, et d’autres en grand nombre non seulement chez les hébreux, mais aussi chez les autres peuples.»   

Du reste, bien que, parfois, Theodoret  ait commenté certains textes de l’écriture  comme avaient coutume de le faire les pélagiens, il ne s’est pas pour autant éloigné des pères catholiques  au sujet du péché d’origine. Car,  (dans le même chapitre 12 des décrets divins), il dit : «Quand un pécha, le décret de justice livra le genre humain à la mort.  Quand tous les hommes furent sous la malédiction,  et empêtrés dans les lacets du péché, la miséricorde divine donna le salut à tous par la justice de l’un.»  Tu vois dans cette phrase une affirmation nette du péché d’origine.  Il déclare, en effet, que  quand Adam pécha, tous les hommes ont été empêtrés dans les filets du péché, et ont été livrés à la malédiction et à la mort.

Et de nouveau, dans le même chapitre, il dit : « Quand un pécha, tous ont été condamnés.  Maintenant, quand tous pèchent, à tous ceux qui le veulent, le salut est proposé par la foi.  Comme s’il montrait  que la justice d’un juste était le médicament salutaire du péché commun.  Il montre que, par lui, fut aussi abolie la dissolution de la mort.»  Que pouvait-il dire du plus clair,  que le péché d’Adam était un péché commun à tous,  et que, quand un pèche, tous sont condamnés ?   Il ajoute, au même endroit :  «  Nous sommes conservés non par la loi, mais en obtenant la justice par la miséricorde divine.  Car, nous avons tous perpétré  le péché.  Car, si quand un a péché, le genre humaine a été condamné, la justice voulait que ceux qui étaient sous le péché subissent le supplice.»

Expliquons brièvement ce qu’on nous oppose.   Le premier témoignage tiré  de son commentaire de l’épitre aux Romains  (chapitre 5).  Quand Theodoret indiquait que le péché du premier homme était parvenu occasionnellement à ses descendants, il parlait surement du péché actuel, qui est commis avec la volonté propre.  Bien qu’il dise que c’est à l’occasion du premier péché d’Adam  que ses descendants sont tombés dans une grande diversité de péchés,  il ne  nie pas pour autant le péché originel,  mais l’affirme plutôt.  Car, il dit que le péché du premier homme a ouvert une voie à nos péchés actuels,  car notre nature corrompue et viciée, c’est de lui que nous la tenons. 

C’est ce qu’il a expliqué encore un peu plus clairement quand il a ajouté que le péché et la mort  nous était parvenus d’Adam,  et que ce n’est pas à cause du péché du premier homme, mais à cause de son propre péché, que chacun reçoit le décret de mort.  Voici ce qu’est  le sens de cette phrase.   Chacun de nous est sujet à la sentence de mort,  non à cause du péché qui fut en Adam,  mais à cause de celui qui est dérivé d’Adam, qui est présent dans chacun de nous.   Dans ce passage, c’est du péché originel que parle Theodoret, non du péché actuel. On en est certain  parce que, d’après cette sentence de Theodoret,  nos péchés actuels ne précèdent pas le décret de mort,  mais le suivent.  Voilà pourquoi nous péchons en acte parce que nous naissons  sujets à la nécessité de la mort  et  à diverses passions.

Donc, quand il dit  qu’il reçoit le décret de mort à cause de son propre péché,  il faut nécessairement l’entendre du péché originel  qui est vraiment pour nous cause de mort ou de mortalité,  alors que, au contraire, les péchés actuels ne sont pas des causes, mais des effets de cette mortalité.  En ce qui a trait à l’autre témoignage,  tiré de l’épitomé des décrets divins, où il commentait cette phrase de saint Paul (comme par la désobéissance d’un seul),  il a pu l’appliquer aux péchés actuels  qui entrèrent dans le monde à l’occasion du premier péché,  alors qu’il aurait pu plus justement l’appliquer au péché originel.  Cependant, dans le même épitomé,   il a livré la doctrine orthodoxe sur le péché originel par des témoignages très clairs.

                                                       CHAPITRE 10

                                On réfute des arguments tirés de la raison

La première objection.  Pour les non croyants, la justice du Christ n’est d’aucun profit.  On peut donc dire aussi que le péché d’ Adam ne nuit en rien aux non pécheurs.  Or, les enfants ne pèchent pas, comme le dit l’apôtre (Romains 9), donc le péché d’Adam ne nuit nullement aux enfants.  Saint Augustin répond (dans son livre 3 sur les mérites et la rémission des péchés),  que la justice du Christ n’est d’aucun profit pour ceux  qui ne croient en aucune façon, c’est-à-dire par leur propre volonté ou par la volonté d’un autre;  et, que de la même façon  le péché d’Adam n’est pas absent de ceux qui n’ont péché en aucune façon, c’est-à-dire, ni par leur volonté  ni par une volonté étrangère.  Or, les enfants ne font ou n’ont jamais fait de péché  par leur volonté propre, mais ils ont péché par une volonté étrangère,  quand pécha celui  en qui tous en péché, comme le même apôtre l’atteste aux Romains V.

La deuxième objection.  Quand Dieu remet les péchés qui sont propres à une personne, il n’est pas crédible que Dieu lui impute des péchés étrangers.  Le même saint Augustin répond  (dans le même livre, chapitre 8),  que Dieu remet aux régénérés non seulement les péchés qui leur sont propres, et qui n’ont pas été engendrés dans la chair, mais aussi  ceux qui, même s’ils sont dits étrangers, parce qu’ils ont été commis par une volonté étrangère, peuvent aussi être dits propres, parce qu’ils sont présents en ceux à qui on les impute.  Ainsi, le péché originel peut être à bon droit appelé étranger et propre à chacun, comme nous l’avons écrit  plus d’une fois plus haut.

La troisième objection. Il appartient à la nature d’un vrai péché qu’il soit volontaire. Or, pour les bébés, le péché d’origine n’est pas un péché volontaire, puisqu’il a été commis par une autre volonté que la sienne. Le péché d’origine n’est donc pas, pour les enfants, un vrai péché.  Je réponds que le péché peut être considéré de deux façons.  Si une action mauvaise est appelée péché, la tache et la culpabilité qui résident dans l’âme du pécheur sont aussi appelées péché.  Or, le volontaire a trait  en soi à une action mauvaise. M ais à la tache et à la culpabilité, il ne se rapporte qu’en raison de la cause, volontaire ou pas,  qui a accompli une mauvaise action  par une volonté libre, et qui a contracté une tache et une culpabilité en péchant.  Donc, dans les enfants, nous ne plaçons pas l’action mauvaise, mais seulement la tache et la culpabilité,  et, à cause de cela, la volonté propre n’est pas requise pour que les enfants héritent du péché originel de leurs parents, mais la volonté étrangère suffit.

Voilà pourquoi saint Augustin  enseigne en plusieurs endroits que quand Adam commit le premier péché, il représentait en personne ou personnifiait tout le genre humain, et que le précepte du fruit interdit obligeait non seulement Adam mais tous ceux qui étaient dans ses lombes.  Car, comme la grâce accordée au premier homme appartenait à tous ses descendants, de la même façon la transgression de ce précepte appartenait aussi à tous ses descendants. «Voilà pourquoi (dit saint Augustin, livre 3  sur les mérites et la rémission des péchés, chapitre 7), on n’a pas le droit de nier que la péché d’Adam a nui même aux non pécheurs, puisque l’Écriture dit : en qui tous ont péché.  On ne dit pas non plus que ce sont des péchés d’étrangers, comme s’ils n’appartenaient en aucune façon aux petits, car  en Adam, tous ont péché  quand tous furent encore un dans cette nature dans laquelle ils pouvaient engendrer tous les êtres humains.   Mais ils sont dits étrangers car ils ne vivaient pas encore une vie propre,  et la vie d’un seul homme contenait  tout ce qui était dans la propagation future.» 

Si Dieu meut chacun,  pourquoi  a-t-il voulu  que le péché d’Adam soit  imputé aux générations futures de façon à ce que tous aient commis le même péché,  nous répondrons avec saint Augustin  (dans son livre contre Julien, chapitre 3), et avec saint Bernard (dans son sermon 1 sur le dimanche 1 après l’octave de l’épiphanie), que ce jugement de Dieu est juste, mais occulte.  Voici ce que dit saint Bernard : « La faute d’Adam est la nôtre, parce que, même si c’est dans un autre, c’est nous qui avons péché. Et la condamnation de Dieu qui nous est  imputée,  est juste, même si elle est occulte.»  Ajoutons que le péché originel, même s’il est volontaire pour nous dans la mesure où quand Adam pécha il agissait au nom ou dans la personne de toute la nature humaine,  c’est, de tous les péchés, le moins volontaire,  et, en tant que volontaire, moins grave que n’importe lequel péché véniel, même s’il est très grave en raison de la malice, puisqu’il prive l’homme de la grâce de Dieu, et de la félicité éternelle.  Voir saint Thomas  (3 par quest 1, art 4, et dans la sentence 2,  dist 33,  quest, art 1, à 2,  et sur le mal, quest 5, art 1, réponse à 9.)

Quatrième objection.  Si les parents transmettent le péché originel par la génération, il semblerait que le mariage est une chose mauvaise,  qu’il serait même une cause de péché. Saint Augustin répond à cet argument en deux livres intitulés les noces et la concupiscence.  Un résumé de sa réponse se formule comme suit.  C’est par accident que les enfants naissent avec un péché.  Cela ne vient pas du mariage lui-même.  Car, les enfants ne naissent pas avec le péché parce qu’ils naissent de l’union de l’homme et de la femme, car cette union aurait existé aussi dans l’état d’innocence, et les enfants seraient nés sans péché.  Mais parce qu’il est arrivé à la nature, qui est propagée par le mariage, d’être viciée et corrompue par le premier parent.  Voilà pourquoi quand ils engendrent des enfants, les époux propagent la nature viciée et corrompue.  Mais la faute de cette corruption ne dépend pas d’eux, mais du premier homme.

Cinquième objection.   Julien disait autrefois (au temps de saint Augustin)  que «ne pèche ni celui qui nait, ni celui qui engendre, ni celui qui crée.  Par quel fissure imagines-tu l’entrée d’un péché  quand l’innocente bénéficie de tant de secours ?»  Saint Augustin a répondu (dans son livre 2 sur les noces et sur la concupiscence, chapitre 28) : «  Pourquoi cherches-tu une fissure cachée quand tu as une porte grande ouverte ?  Par un seul homme, dit l’apôtre, le péché est entré dans ce monde.»  Et dans le même livre, chapitre 26, il écrit : «Le péché volontaire du premier homme est la cause du péché originel.»  Donc,de l’argument de Julien, on pouvait nier la conclusion. Parce que ni le père qui engendre, ni le fils qui nait,  ni le Dieu qui crée ne sont  la cause du péché originel, on ne peut pas en conclure que ce péché n’a aucune cause, puisque l’apôtre dit que par un seul homme, le péché est entré dans ce monde.

La sixième objection.  Il arrive souvent que celui qui engendre soit pur de tout péché.  Comment donc peut-il transmettre au fils un péché qu’il n’a pas ?   Saint Augustin répond (dans le livre 2 des mérites et de la rémission des péchés, chapitres 25, 26, 27 et ailleurs) que l’homme justifié et régénéré dans le Christ n’engendre pas une progéniture charnelle selon qu’il est régénéré, c’est-à-dire, selon l’Esprit, mais selon de qu’il a de vétuste, c’est-à-dire, selon la chair.  Et (dans  6 contre Julien, chapitres 2 et 4), il donne pour exemple l’olivier sauvage, qui devient un olivier quand il est  inséré dans un olivier.  Et cependant, l’olivier n’est pas né de sa semence à lui, mais de l’olivier sauvage.  On peut trouver un autre exemple dans les Juifs circoncis.   Tout circoncis qu’ils soient, ils engendrent des fils incirconcis.

On pourrait donner une autre réponse. L’homme engendre un semblable à lui, selon l’espèce,  mais non en tan qu’individu.  C’est-à-dire qu’il communique a son fils tout ce qu’il y a de commun à la nature humaine, mais non ce qui distingue une personne d’une autre.  Même si le père transmet parfois quelques traits particuliers à son fils, cela n’est nullement nécessaire,  et n’arrive pas toujours.  (Que dire des fils des grands hommes ? )   Donc, quand l’homme justifié engendre  un fils, il ne lui communique pas sa justice qui est un accident personnel, mais sa nature,  telle qu’elle est en lui après le péché d’Adam.  Or, elle est viciée et corrompue.

Septième objection.  Si le péché d’origine était transmis par la génération, il serait certainement un vice naturel.   Ce qui est d’une grande absurdité, parce qu’il faudrait l’attribuer à Dieu, l’auteur de la nature, et parce que ce qui est naturel ne peut pas être un péché,  et aussi parce qu’il faudrait désespérer d’être jamais libéré du péché.  Je réponds que, d’une certaine façon, le péché d’origine peut être dit naturel, selon saint Paul (Éphésiens 2) : nous étions par nature, des fils de la colère.   Car il vient de la naissance,  et est plus un vice de la nature que de la personne, comme nous l’avons dit plus haut.  Il n’est cependant pas naturel, comme s’il était une partie de la nature,  ou comme s’il procédait de la nature.  Car, il est une privation et un défaut, qui a émané non de la nature, mais de la libre volonté du premier homme.

Il s’ensuit d’abord,  que la cause propre du péché ne doit pas être référée à Dieu, mais à Adam.  Il s’ensuit aussi qu’on peut dire qu’il est un péché au sens propre.  Car, les vices naturels ne peuvent pas être appelés des péchés proprement dits, parce qu’ils ne sont pas  en lien avec le libre arbitre,  comme, par exemple, la cécité ou la surdité, ou une monstruosité quelconque contractée à la naissance.  Il s’ensuit, enfin, qu’il ne faut  pas désespérer  de la libération de ce péché.  Car, pour que cette maladie soit guérie, il ne faut pas détruire la nature, mais la parachever,  ce que peut facilement faire le Médecin céleste qui vient chercher et sauver ce qui périssait.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 2, chapitre 4 contre Julien), écrit : « On ne doit pas désespérer de la perfection de la justice par la grâce de celui qui peut changer et guérir une nature viciée à l’origine.»

Huitième objection. On définit le péché par «ce qui est défini, dit, fait ou pensé contre la loi éternelle.  Or, les enfants ne peuvent rien dire, rien faire, rien penser contre la loi de Dieu.  Je réponds que, par ces mots, est défini le péché en tant qu’acte, non en tant que tache ou faute qui demeurent quand l’acte est passé.  Or, nous ne disons pas que dans les enfants demeure l’acte du péché, mais la tache et la faute.

Neuvième objection.  Si les hommes naissent mauvais, et soumis au pouvoir du démon,   le démon semblerait être leur créateur.  Car, ce n’est pas Dieu qui serait le créateur de ceux qui sont soumis au pouvoir du démon.  Je réponds  que  le fait que les hommes naissent mauvais  et soumis au pouvoir du diable,  n’a pas sa cause dans l’Auteur de la nature, mais dans le corrupteur de la nature.   Car, au début, Dieu créa la nature bonne, et il  propage maintenant ce qui est bon en elle.  Le vice lui est donc survenu du péché du premier homme, et c’est le vice qui soumet la nature à l’esprit impur. «Nous disons, nous, dit saint Augustin (dans le livre 2, chapitre 2 contre Julien) que ce n’est pas le diable qui est le créateur des hommes, mais  le Dieu véritable et  vraiment bon, qui opère  infailliblement le pur de l’impur, même si aucun homme ne nait pur, et si tout homme est forcé d’être sous le pouvoir de l’esprit immonde  tant qu’il n’a pas été purifié par l’Esprit Saint.

Dixième objection.   Le péché n’a pas son siège dans la chair, mais dans l’âme.  Mais l’âme n’est pas transmise par Adam, ou si elle l’est, ce n’est pas par la propagation, mais par l’imitation.  Cet argument a toujours paru à sain Augustin très difficile, et pratiquement insoluble.  Et c’est pour cette raison qu’il n’a jamais pu se persuader que les âmes étaient crées par Dieu à partir de rien , et non transmises par les parents.  Et comme, en ce siècle, ne font pas défaut ceux qui se déclarent être les héritiers de la pensée de saint Augustin,  nous avons décidé, dans le prochain chapitre, d’expliquer la question de l’origine de l’âme,  et de la façon dont le péché est transmis, et  de répondre aussi à l’objection qui nous est faite.

 

                                                                 CHAPITRE 11 (ONZE)

                                      On explique la question de l’origine de l’âme

                                   Sur l’origine de l’âme, il y a toujours eu un grand débat.  Chez les philosophes païens, d’abord, et ensuite, chez les théologiens chrétiens.    Car, c’est de l’erreur des stoïques qu’est née l’erreur de Manès et de Priscillien.   De  l’erreur de Platon est née l’erreur d’Origène.  De l’erreur d’Aristote, ou de sa sentence mal comprise, est née l’erreur d’Apollinaire.  Ce qui a permis à Tertullien  (dans son livre contre Hermogène), d’appeler à bon droit, les philosophes les patriarches des hérétiques.

             Il y eut, en tout, six opinions sur l’origine de l’âme. Nous les décrirons chacune en particulier, et nous dirons ce qu’il faut en penser.

             La première sentence.  Les âmes humaines sont des particules de la substance de Dieu.  Elles ne sont donc ni  créées  par Dieu au sens strict, ni  transmises par les parents, mais insufflées par Dieu indiciblement.   C’est cette erreur stoïque que fut le premier à défendre le Juif Philo dans son livre.  Le suivirent ensuite les gnostiques, les manichéens, les priscillianistes, (comme saint Augustin le rapporte dans son livre sur les hérésies, chapitres 6, 46 et 70.)  Cette sentence est immédiatement convaincue d’hérésie, puisque la substance divine est immuable et inviolable. Malachie 3 : «Je suis Dieu, et je ne change pas.»  Jacques 1 : «En qui n’est aucun changement, ni l’ombre d’une vicissitude.»  Psaume  C 1. 1 : « Tu es le même, et tes années ne feront pas défaut.»  Or, l’âme humaine est changeante et convertible,  puisque de bonne, elle peut devenir mauvaise, par le péché.  Voilà pourquoi c’est à bon droit qu’a été condamnée cette hérésie dans le premier concile de Bracarensis, (chapitre 5),  et par sains Léon (dans sa lettre à Turbius, chapitre 5).

             Les adversaires nous objectaient les paroles de la Genèse : «Il souffla dans sa face un souffle de vie.»  Mais on peut facilement leur répondre  que, par ces paroles, nous entendons qu’un souffle (esprit) humain a été produit par Dieu, car inspirer, insuffler, signifie donner à quelqu’un un souffle (esprit).  Mais on ne  peut pas nécessairement en déduire  que la substance de Dieu est l’esprit de l’homme.  Car, Dieu peut produire un esprit de trois manières.  D’une première manière, à partir de sa propre substance, comme il produit le Saint-Esprit. D’une autre manière, à partir de rien, comme il a produit les esprits angéliques.  D’une troisième manière, à partir d’une matière créée, comme il a produit et produit les âmes des bêtes, que l’Ecclésiastique, chapitre 3, appelle des esprits.  Or, les seuls mots : il insuffla le souffle de vie, ne peuvent pas, par eux-mêmes, nous faire comprendre de laquelle de ces trois manières Dieu a produit un esprit.  Cependant, si nous ajoutons que l’âme humaine n’a pas pu être produite à partir de la substance de Dieu, parce qu’elle est changeante, ni de la matière créée, parce qu’elle n’est pas matérielle, il reste qu’elle est produite à partir du rien.

             La deuxième sentence.  Les âmes humaines ont été créées par Dieu, et à partir de rien, mais elles ont toutes été créées ensemble et  avec les anges.  Puis, s’étant lassées des biens spirituels, dont elles jouissaient dans le ciel, elles ont commencé à aimer les choses terrestres, et elles ont été, à cause de cela, précipitées par Dieu dans des corps, comme dans des prisons.  Cette erreur platonicienne qu’avait embrassée Origène, (dans son livre 1 peri arkôn, les principes, et dans d’autres de ses œuvres)  fut condamnée par le concile  1 de Bracarensis au chapitre 6, et par saint Léon dans son  épitre à Turbius, chapitre 10.  Cette erreur avait été réprouvée auparavant par des saints pères, comme Épiphane (dans son épitre à Jean de Jérusalem, saint Jérôme (dans son épitre à Pammachiius contre le même Jean),  Théophile d’Alexandrie (dans son livre 1 sur pâques), saint Augustin (dans son épitre 28 à saint Jérôme) et surtout Cyrille d’Alexandrie, (livre 1 sur saint Jean, chapitre 9) où il combat cette erreur par vingt-trois arguments.  Nous nous contenteront des principales raisons.

             La première raison.  Si les âmes avaient été précipitées du haut du ciel, dans les corps, comme dans des prisons, il s’ensuivrait un grand nombre d’absurdités. Tout d’abord, c’est fort imprudemment qu’au temps du déluge, Dieu a tué tous les scélérats,  et a conservé le juste Noé. Et ce n’est pas avec moins d’imprudence qu’il a perdu les sodomites,  et qu’il a sauvé Lot de l’incendie. Car, cela n’était rien d’autre que libérer de leurs chaînes les réprouvés, et  retenir les justes dans leurs chaines.  Ensuite,  il faudrait rendre de grandes actions de grâce au diable qui nous a procuré la mort, c’est-à-dire qui a ouvert la porte de la prison, et a renvoyé dans une prison perpétuelle la résurrection que le Christ nous avait acquise.  De plus, ces bénédictions : « Croissez et multipliez-vous, Genèse 1 et 9 : « Je t’ai constitué père d’un grand nombre de nations, et je te ferai croître immensément. Genèse 17 : « Dieu ajoutera à ce nombre plusieurs milliers.» n’étaient pas des bénédictions, mais des malédictions.  Que serait-ce d’autre, en effet, multiplier les hommes que remplir des prisons ?

             De plus, quand Dieu donna des fils à Anne qui lui en demandait avec instance, et qu’il prolongea la vie d’Ézéchias,  et rappela à la vie Lazare et le fils de la veuve, il ne leur a pas fait un bienfait mais une injure.    Et pourquoi, dans la loi, Dieu  ordonne-t-il de tuer les méchants et de conserver les innocents ?  Et pourquoi dans toute république bien instituée, les voleurs et les homicides sont-ils éliminés ,  si c’est un supplice de demeurer dans le corps,  et un bienfait d’en sortir ? 

Une autre raison est que,  si toutes les âmes avaient péché dans le ciel, et avaient été incarcérées dans ces corps, faux serait ce que dit l’apôtre (dans Romains 5) : « La mort a régné d’Adam à Moïse, même dans ceux qui n’avaient pas péché.»  Et, aux Romains 1X : « Quand ils n’étaient pas encore nés, et qu’ils n’avaient fait aucun bien ni aucun mal». Et dans la deuxième aux Corinthiens, chapitre 5 : «Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal du Christ, et que chacun réponde pout tout ce qu’il à fait,  dans son corps, en bien ou en mal.»

Une autre raison.  Si , quand elles commencent à vivre dans un corps, les âmes descendaient du ciel à la terre, de la lumière aux ténèbres, du sublime domicile des bienheureux à la prison sinistre des damnés, fausse serait l’Écriture divine qui dit : « Il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde». (Jean 1)  Et aussi : « Plusieurs disent : qui nous montrera ce qui est bien ? Elle est exprimée au-dessus de nous la lumière de ton visage, Seigneur.» (Psaume 4, 2).   

Les arguments des Origénistes sont si tirés par les cheveux que les saints pères ont préféré les indiquer plutôt que les réfuter.  Ils citaient ce verset du psaume CX1V : « Convertis-toi, ou retourne, mon âme, dans ton repos.»  Et cet autre verset du psaume CXV111 : « Avant que je sois humilié, j’ai fauté.»  Et, ce verset du psaume CXL1 : « Sors mon âme de la prison.» Et cet extrait du chapitre 1 de saint Jean : « Il était la vraie Lumière qui illumine tout homme venant en ce monde.»

Dans le premier texte allégué, le prophète rend grâce à Dieu, parce qu’après avoir été libéré de grands dangers, il vivait sans souci et sans anxiété. Il  s’exhorte  en même temps, à toujours renouveler cette paix interne et cette tranquillité d’âme, qu’il avait presque perdue à cause des fréquentes craintes et angoisses.  On peut aussi entendre ce passage du repos éternel que le péché nous empêche d’espérer, et que la pénitence nous promet.   Dans le second texte, le prophète, comme tout autre juste, admet que ce n’est pas sans raison qu’il a été fustigé par Dieu, et humilié par les tentation, car ses péchés méritaient une peine de ce genre.  Dans le troisième texte,  David parle, au sens littéral, de la caverne où il s’était caché à cause de la persécution de Saül, comme le titre du psaume le montre clairement.  Il demande donc à  Dieu, dans sa prière, qu’il le libère de cette poursuite acharnée, pour ne pas être obligé de toujours aller se réfugier dans une caverne, comme dans une prison.  Au sens spirituel, on peut entendre ce texte de la prison de ce corps mortel,  d’où voulaient s’échapper les sains L « parce que le corps qui se corrompt alourdit et appesantit l’âme.»  Comme le dit le Sage au chapitre 9.  Et Romains 7 : «Qui me libèrera du corps de cette mort ?«

Par ces paroles, les saints pères n’expriment pas le désir de se libérer du corps en lui-même, mais du corps mortel, comme l’a noté saint Augustin dans ce passage.  Car, ils attendent d’un grand désir la résurrection de leurs corps, (Romains 8),  et si la chose était possible (2 Corinthiens 5), ils ne désireraient pas en être spoliés, mais en être vêtus  par-dessus pour que le mortel soit absorbé par la vie.  Le quatrième témoignage ne veut pas dire que l’homme vient en ce monde  parce qu’il était avant en dehors du monde,  mais parce que, comme il n’était rien, il a commencé à exister par la génération, et à vivre dans ce monde, comme saint Cyrille l’enseigne à bon droit dans son commentaire.

La troisième sentence.  Les âmes humaines ont été créées  simultanément, au tout début, en même que les anges, et sont ensuite envoyées successivement dans  les corps.  La différence qu’il y a entre cette opinion et la précédente,  c’est qu’elle n’enseigne pas que les âmes ont péché dans le ciel, ni qu’elles sont insérées dans les corps en peine du péché, comme l’enseigne la précédente.  Elle affirme seulement que toutes les âmes  ont été créées au début, de peur d’être obligée de concéder que Dieu ait créé quelque chose après le septième jour, car la Genèse dit que ce jour-là,  Dieu a cessé de travailler à ce qu’il avait institué. (Genèse 1).  Cette sentence-là  est celle de certains rabbis, comme nous le fait comprendre le commentaire du rabbi Salomon,  (au chapitre 33 du Deutérdans ome, et d’autres livres.)  Cette sentence a aussi été enseignée par saint Grégoire de Nysse (dans son livre sur l’âme, chapitre 6).  Si ce livre est vraiment de lui, et non pas plutôt de Nemesius, (dans le livre sur la fabrication de l’homme, chapitres 28 et 29.  Et dans sa lettre à Marcellin, saint Jérôme (qui est la vingt-septième parmi les lettres de saint Augustin)  nous rapporte que , parmi les docteurs catholiques, d’autres  ont été de cet avis.

Au même endroit, saint Jérôme appelle cette sentence une folle persuasion.  Et saint Léon (dans son épitre à Turbius, canon 10),  la blâme par ces paroles : «La foi catholique enseigne constamment et véritablement que les âmes des humains n’existent pas avant d’avoir insufflées dans les corps.»  Ensuite, saint Thomas (dans la première partie de la Somme, quest 118, art 3,  réfute cette sentence par l’argument suivant :  l’âme est une nature imparfaite, une partie de l’homme, non tout l’homme,   et, à cause de cela, elle est naturellement unie à un corps, comme la forme avec sa matière.  Or, il est absurde que Dieu ait commencé son œuvre par une chose imparfaite, puisque les œuvres de Dieu sont parfaites.  Et il n’est pas moins absurde qu’une partie de l’homme ait été fait au début du monde, et l’autre partie plusieurs siècles après.   Elle n’existait donc pas avant d’avoir été insufflé dans un corps.    La proposition est la seule à avoir besoin d’une preuve.  Car, si l’âme était par elle-même une substance parfaite, elle ne pourrait pas être la forme du corps.  Qu’elle soit une forme, on le sait par ailleurs, par la définition du concile du Latran  sous Léon X, session 8.

De même, si l’âme n’était pas naturellement unie avec le corps, c’est par violence qu’elle demeurerait en lui,  et la vie ne serait pas pour nous un bienfait, mais une punition.   Ensuite, si l’âme était parfaite sans le corps, elle ne serait pas une partie naturelle d’un humain.  Et on pourrait se demander si elle est unie à un humain de par sa propre volonté ou de par la volonté d’un autre.  Si c’est de sa propre volonté, trois absurdités en découleraient.  La première.  Elle chercherait pour rien de s’unir à un corps, puisqu’elle n’a pas besoin de son opération. La deuxième.  Après avoir été séparée de son corps pendant des millénaires, elle changerait tout d’un coup d’avis,  et demanderait à exister dans un corps.  La troisième.  Parce que ce serait pas hasard qu’elle descend dans un  corps.  Car, c’est une chose qui ne peut se faire que par le hasard que concourent au même moment la volonté d’un homme qui veut engendrer et disposer la matière, et  la volonté de l’âme qui désire descendre pour l’informer.  Si elle s’unit avec le corps par la volonté d’un autre, elle serait donc forcée par un pouvoir supérieur,  en punition d’un péché antérieur.  Ce qui est l’erreur d’Origène réfutée un peu auparavant.

On ne peut pas non plus répondre qu’elle n’est pas forcée en punition d’un péché, mais qu’elle  s’applique, par la volonté de Dieu à régir le corps humain comme les anges régissent les corps célestes. Car, les anges ne sont pas des formes des astres, et ils ne sont pas détenus en eux, comme dans des prisons; et c’est sans purger aucune peine qu’ils s’acquittent de leurs ministères.   Or les âmes sont unies  à des corps pour qu’elles en deviennent les formes, et, tant qu’elles sont dans les corps, elles ne comprennent que par les phantasmes corporels, et semblent vivre dans les ténèbres.   Ensuite, les maux du corps retombent dans l’âme au point  de l’alourdir et de l’appesantir.  Donc, si les âmes avaient existé dans le ciel avant de s’unir aux corps,  on ne pourrait pas nier que c’est en peine d’un péché, qu’elles ont été malgré elles jetées dans des corps, comme les criminels sont forcés d’aller en prison malgré eux.

IL ya deux arguments contraires qu’il convient de brièvement réfuter.   On nous objecte d’abord  le texte de la Genèse (chapitre 1),  qui rapporte que le, sixième jour, l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.  En suite au chapitre 2, on lit que, après le septième jour, l’homme a été façonné du limon de la terre.  Ces textes nous indiquent assez clairement que l’homme a été créé en son âme le sixième jour,  que c’est son âme qui est proprement l’image et la ressemblance de Dieu, et que son corps a été créé  du limon de la terre, le septième jour.   Et comme la même raison vaut pour les autres hommes, il semble qu’on doive dire  que toutes les âmes ont été créées le sixième jour, parmi les œuvres de la première création des choses ; et les corps sont multipliés par la génération après le septième jour.

On nous objecte, ensuite,  qu’il est absurde que quelque chose de nouveau soit créé par Dieu après le septième jour, parce que, en ce jour, il avait mis fin à toutes ses œuvres.  Or, il produirait quelque chose de neuf  s’il créait quotidiennement les âmes à partir de rien, c’est-à-dire , qui n’avaient pas été façonnées dans la vertu séminale, les six premiers jours.

Je réponds à la première objection, que dans ces deux textes, est racontée la production de tout l’homme, tant en tant qu’animal qu’en tant qu’esprit.  Mais comme la chose n’avait été que brièvement rapportée , et qu’elle était d’une grande importance,  il a plu au Saint-Esprit, de reprendre le même récit dans le deuxième chapitre; et d’expliquer plus longuement l’ordre de la création humaine.  Et bien que l’image de Dieu réside proprement dans l’âme, tout l’homme, à cause de l’âme, est dit fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Et il est certain que, dans ce chapitre de la Genèse,  l’Écriture ne dit pas que l’âme a été faite à l’image de Dieu, mais l’homme, et qu’il l’a fait mâle et femelle, et qu’il leur a dit : «Croissez et multipliez-vous !»  Ce qui ne convient certes pas à l’âme seulement,  mais à tout l’homme.

À l’autre objection, saint Augustin (dans l’épitre 28 à saint Jérôme),  dit qu’on peut répondre que Dieu a cessé de créer son œuvre le septième jour, parce qu’il n’y eut plus rien de nouveau, par la suite, mais qu’il gouverna et multiplia les œuvres qu’il avait faites les jours précédents.   La création des âmes n’était donc pas neuve, car il  avait déjà fait l’âme , le sixième jour, avec les autres de la même espèce.  On peut enfin aussi répondre  que toutes les âmes ont été créées le sixième jour, non actuellement, mais virtuellement. Car, quand Dieu produisit les principes  de la multiplication  des hommes  qui devaient être propagés par la génération,   il voulut aussi que chaque matière soit correctement préparée pour la génération humaine, que l’âme existerait illico,  pour animer le corps, pour que, à cause de cela, elle produise non seulement les corps, mais tout l’homme virtuellement, quand il créa ces deux humains, et leur communiqua le pouvoir de propager le genre humain.

Voilà pourquoi même si les âmes sont créées à partir de rien, à l’instant où elles sont infusées dans les corps, tout procède continuellement  selon  l’ordre naturel établi au tout début.  Et il faudrait considérer comme un miracle qu’une âme ne se présentât  pas à un corps disposé  et préparé à la recevoir.

La quatrième sentence est que l’âme n’est pas moins que le corps tirée des parents.  De façon à ce que l’âme du fils provienne de l’âme du père, comme le corps du fils procède du corps du père.   Parmi les chrétiens, le premier auteur de cette sentence est Tertullien, qu’Apollinaire a suivi, comme le rapporte saint Jérôme, dans son épitre à Marcellin.  Le même docteur dit là aussi,  que la plus grande partie des occidentaux était de cette opinion.  Cette sentence fut attribuée à Lucifer, comme l’atteste saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 81.)    Cette sentence est rejetée comme une erreur par tous les théologiens scolastiques, avec le maître des sentences (livre 2, dist 17 et 18) ainsi que par saint Thomas qui (dans la première partie,  quest 118, art 2) l’appelle une hérésie.

On a coutume de réfuter d’abord cette sentence avec le chapitre 2 de la Genèse.  Car, pour montrer la différence entre l’âme humaine et les âmes des bêtes, il était dit au chapitre 1 : «Les eaux produisent des reptiles à l’âme vivante et des oiseaux sur la terre.»  Et de nouveau, «La terre produit l’âme vivante ,  chacune dans son genre,  des reptiles et des bêtes.»  Mais, au sujet de l’homme, il ne dit pas que la terre le produit, mais que Dieu   lui-même forma l’homme du limon de la terre, et insuffla un souffle de vie dans sa face.  C e qui nous fait comprendre que les âmes des bêtes sont matérielles, et tirées de la matière, tandis que l’âme humaine n’a pas été tirée du limon, mais insufflée par le Créateur.

On ne doit pas se troubler par ce que dit Philastrius (dans son catalogue des hérétiques, au chapitre 99).  Il énumère parmi les hérétiques ceux qui estiment que ce souffle de vie était l’âme rationnelle, et non  plutôt  la grâce du Saint-Esprit.  Car, sur  ce sujet, Philastrius parle un peu inconsidérément, comme l’enseigne saint Augustin. (livre 13 de la cité de Dieu, chapitre 24.)   Cette sentence  est bien loin d’être hérétique, puisque le contraire répugne aux saint pères, à saint Jean Chrysostome, (homélie 12 et 13 sut la Genèse), à saint Jérôme (dans son épitre à Pammachjus, sur les erreurs de Jean de Jérusalem), à saint Augustin (livre 12 de la cité de Dieu, chapitre 23, et dans le livre 13, chapitre 24.) à Théodoret, (question 23 sur la Genèse), à Euchérius ( livre 1 sur la Genèse.)  Cela répugne aussi à l’apôtre saint Paul,  qui dit (1 épitre aux Corinthiens, chapitre 15) qu’au tout début, l’homme a été fait animal,  et que, après la résurrection, il deviendra spirituel.»  Et il le prouve par ce texte : « L’homme été fait pour une âme vivante.»  Or, ces mots que l’apôtre cite, sont écrits au chapitre 2 de la Genèse : «Il insuffla sur sa face un souffle de vie, et l’homme est devenu une âme vivante.»  Donc, ce souffle de vie n’a pas donné à l’homme d’être spirituel, comme il l’est par la grâce du Saint-Esprit, mais d’être un animal que l’on a par l’âme,  qui fournit au corpos le vivre et l’être.

Voici quelle est la vraie phrase de ce texte :  Dieu insuffla sur sa face (ou dans ses narines, comme en hébreu,)  son souffle de vie. Dieu plaça donc le souffle (l’esprit)  dans les narines de ce corps récemment tiré du limon, et fit en sorte qu’il commençât à respirer et à vivre.  Car, la respiration est le signe de la vie, parce que l’homme ne vit pas sans l’âme,  qui est le principe de la vie.  Voilà pourquoi, quand on dit que Dieu a donné à l’homme de respirer et de vivre, on comprend que l’âme a aussi été donnée, elle qui fait en sorte que l’homme  respire et vive.  Si certains pères, comme saint Irénée, saint Cyprien,  saint Basile, (que nous avons cités  dans le livre sur la grâce du premier homme), voient dans ce texte le Saint-Esprit, non l’âme rationnelle, il ne faut pas y voir une explication littérale du texte, mais mystagogique.

Mais il faut observer que ce texte est d’une grande efficacité  pour prouver que l’âme du premier homme n’a pas été tirée de la matière, mais créée par Dieu à partir de rien. Et que nous  ne sommes  pas contraints de juger de même des autres âmes.  Car, on pourrait répondre  que comme Dieu a formé le corps du premier homme du limon de la terre,  mais que c’est  du corps des parents qu’il  procrée continuellement  les autres corps, au moyen de  la génération, de la même façon l’âme du premier homme a été créée par Dieu à partir du néant, et les autres âmes sont procrées à partir de la première.  Voilà pourquoi saint Augustin fait remarquer à saint Jérôme  qu’on ne trouve aucun passage de l’Écriture où il soit clairement enseigné  que les âmes ne proviennent pas de la génération, mais du néant. (Et la mère des Macchabées ?)  Car les textes allégués  (psaume 32 : «Lui qui fait les cœurs successivement.»  Le dernier verset de l’Ecclésiastique : « Il rendra à Dieu l’esprit qu’il a reçu de Dieu.» Et Isaîe 3 : «C’est moi qui ai fait tout souffle» )  prouvent que Dieu est le créateur de toutes les âmes, mais ils n’indiquent pas la façon dont  elles ont  été créées : par la création, ou par la propagation ,  à partir de l’âme du premier parent ?

Nous allons laisser tomber tout ce qui précède, et nous nous efforcerons de démontrer, de deux façons, que les âmes ne sont pas propagées par les parents, mais qu’elles sont créées.  D’abord, par la tradition ecclésiale, ensuite par des raisons manifestement tirées de principes de foi.  En ce qui a trait à la première, présentons des témoignages des pères qui réprouvent ouvertement la sentence de la propagation des âmes.  Saint Hilaire (dans son livre 10 sur la trinité, avant le milieu du livre) : « L’âme de l’homme est l’œuvre de Dieu ; la génération de la chair vient toujours de la chair.»  Et plus bas : «Pour que par lui-même il s’assume un corps de la Vierge Marie, et qu’il s’assume par lui-même une âme, qui ne tire jamais son origine par la propagation de l’homme.»  Saint Ambroise (dans son livre sur Noé et Area, chapitre 4) : « La plupart du temps,  L’Écriture appelle  les anges fils de Dieu, parce que les âmes ne sont engendrées par aucun homme.»  De même (dans le livre sur paradis, chapitre 11) : «Considère attentivement que c’est du corps qu’il a tiré une côte, non de l’âme.  C’est-à-dire, non l’âme de l’âme, mais les des os, et la chair de la chair.»

Saint Jérôme (dans son commentaire du dernier chapitre de l’Ecclésiaste : « On doit rire de ceux qui pensent que les âmes ont été coupées des âmes, qu’elles n’ont pas  été engendrées par Dieu, mais générées par les corps des parents.»  De même (dans le livre 3 de son apologie contre Ruffin, passé le milieu, et dans son épitre à Pammachius sur les erreurs de Jean de Jérusalem, il dit, après avoir rapporté les sentences d’Origène, sur l’âme,   de Tertullien,  d’Apollinaire, et des autres hérétiques) : « C’est un dogme ecclésiastique que Dieu fabrique quotidiennement les âmes.» Là où il oppose le dogme ecclésiastique aux sentences des hérétiques, il semble estimer qu’il faut tenir de foi que les âmes des enfants sont créées par Dieu, et non transmises par les parents.   Saint Jean Chrysostome (homélie 23 sur différents textes de saint Matthieu ) :« L’âme n’engendre pas, et elle n’est pas engendrée, et elle ne connait aucun autre père  que Celui par la volonté duquel elle a été créée.»

Saint Grégoire de Nysse (livre sur l’âme, chapitre 6)  se propose de réfuter la sentence de la propagation des âmes par les parents, comme  étant une erreur manifeste.  Theodoret (dans son livre sur 5 aux Grecs, qui porte sur la nature de l’homme), dit, au milieu du livre : «Moïse dit que l’enfant est d’abord formé dans le sein de la mère, et qu’il est ensuite animé quand est parfait le corps, mais non de façon à ce que une âme préexistant à la création y soit infusée; ni qu’elle soit causée par l’insémination, mais par une institution divine, mais pour qu’elle reçoive la création, selon la loi de la nature inscrite au  tout début». Theodoret ajoute au même endroit, qu’il s’agit là d’un dogme, dans lequel concourent toutes les Écritures des apôtres et des prophètes.   Saint Cyrille (livre 1, chapitre 9 sur saint Jean) : « C’est convenable et juste qu’on nous ordonne de ne pas pécher dans ce monde, comme étant un lieu où nous parvenons à l’être à partir du rien».  Car, bien qu’il semble parler de tout l’homme quand il nous exhorte à  ne pas pécher, il ne parle, cependant, que de l’âme, par la figure de l’intellection, homme.

Saint Augustin, comme nous le dirons bientôt, croyait qu’était incertaine l’origine des âmes.  Et (dans le livre 10 sur la Genèse, chapitre 23, il écrit que «l’opinion  qui affirme la propagation des âmes est basée sur de plus forts arguments que les sentences contraires.»  Cependant (dans l’épitre 157 à Optatus, qu’il a écrite beaucoup plus tard), il réfute ouvertement cette sentence, comme nous nous efforçons, nous-mêmes,  de la réfuter : «Donc, ceux qui soutiennent la propagation des âmes avec une  folle témérité»  Et, dans la même épitre (parlant de la sentence de Tertullien), il dit : « Que peut-on dire de plus pervers ?»   Saint Léon (dans son épitre à Turbius, chapitre 10) : «La foi catholique  a prêché constamment et véritablement qu’avant d’avoir été   insérées dans les corps humains les âmes n’existaient pas, et qu’elles n’ont pas été incorpores par d’autres  que par le Créateur des âmes et des corps.»   Il dit la même chose (dans l’épitre 11 à Julien).  Il enseigne que nos âmes ont été insufflées comme l’a été l’âme de Jésus.  Or, il est certain que l’âme de jésus n’a pas été propagée par ses parents, comme l’enseigne saint Augustin dans le livre 10 sur la Genèse, chapitre 19 mais créée par Dieu.

Voir pour la même sentence, l’auteur des œuvres cardinales du Christ, (que l’on trouve parmi les œuvres de saint Cyprien), au sermon sur la résurrection), l’auteur du livre sur les dogmes ecclésiastiques, (chapitre 14, que l’on trouve dans le tome 4 des œuvres de saint Augustin), saint Bernard (sermon 27 sur les cantique des cantiques),  Innocent 111 (dans son commentaire du psaume L), ensuite le concile de Latran sous Léon X (session 8).

À ces témoignages, on pourrait ajouter le consentement des peuples.  Car, c’est quelque chose qui est si profondément incrusté dans les esprits des fidèles que les âmes ont été créées récemment par Dieu,  quand les fœtus sont animés dans le sein de leurs mères,  que même les cultivateurs, les artisans, les cordonniers, les jeunes filles et les enfants savent cela. …Comme dit saint Jérôme à Ruffin : « Tu t’étonne que les scandales frères soient soulevés contre toi, alors que tu jures ne pas savoir ce que les églises du Christ professent connaitre.»

Venons-en aux raisons tirées des principes de la foi.  Car, tout ce qu’on déduit manifestement des articles de foi appartient à la foi.  Le premier raisonnement.  Que les âmes soient immortelles, c’est un principe de foi  un principe premier et très certain, et  qui est exprimé dans l’Écriture sainte, comme tous le reconnaissent.  Or,  si les âmes des hommes sont immortelles, il est nécessaire qu’elles subsistent par elles-mêmes.  Car, si elles ne subsistaient pas par elles-mêmes, mais dépendaient du corps, comme les âmes des animaux,  elles périraient avec le corps. Or, les choses qui sont subsistantes par elles-mêmes sont produites par elles-mêmes.  Les choses  par soi subsistantes qui se produisent elles-mêmes, sont produites pour la production d’autre chose, qui existe pour l’existence d’une autre.  Donc, si les âmes des hommes se produisent d’elles-mêmes, il s’ensuit manifestement qu’elles ne deviennent pas  par la propagation, comme les âmes de toutes les bêtes,  qui ne se produisent pas elles-mêmes,  mais existent parla génération d’un composé. Donc les âmes des hommes ou se font par elles-mêmes, ce qui signifie être créé, non être tiré de, ou ne sont pas immortelles, ce qui est (comme nous l’avons dit) contre la foi.

La deuxième raison.  Si les âmes des hommes sont tirées des parents, elles sont tirées de leurs  corps ou de leurs âmes.  Si elles sont tirées des corps, elles sont donc corporelles, et donc mortelles, comme toutes les choses qui sont produites d’une semence.  Si elles sont tirées de l’âme, elles le sont en partie, ou en totalité.   Si c’est en totalité, le parent est privé de son âme puisqu’il la transfuse en totalité dans l’enfant; ou elle demeure entière dans le père et le fils.  L’une et l’autre hypothèse sont évidemment fausses.    Car, l’expérience atteste que, par la génération, le père ne perd pas son âme, et que l’âme du père et du fils ne sont pas une seule et même âme,  comme c’est le propre de la nature divine, à cause de son infinité, d’être une, numériquement, dans plusieurs personnes.   Si elle ne vient pas de la totalité de l’âme, mais d’une partie seulement de l’âme du père, l’âme est divisible, et donc, corporelle et mortelle.  On revient donc toujours à l’article de foi de l’immortalité de l’âme.

Tu diras que l’âme ne vient pas du corps,  ni, non plus, de l’âme du père, mais de la semence de l’âme qui est transfusée avec la semence du corps dans l’utérus de la mère.  Car, c’est ce que pensent ceux qui soutiennent que les âmes proviennent de la propagation, comme l’atteste saint Thomas  (dans son le livre 10 sur la Genèse, chapitre 20.  Je réponds que la semence de l’âme est spirituelle ou corporelle.  Si elle est corporelle, une âme spirituelle ne peut pas en sortir. Si elle est spirituelle, demandons-nous encore : est-elle une substance ou un accident ?  Car, si elle est une substance, ou elle a été faite du néant, ou d’une autre substance. Si c’est du néant, cette substance spirituelle sera créée par l’homme.  Si c’est d’une autre substance, nous allons nous demander de nouveau  si elle est corporelle ou spirituelle, et ainsi nous progresserons à l’infini.    Si c’est un accident, ou une certaine vertu séminale, alors la semence de l’âme ne sera pas de la matière, mais un instrument de l’agent.  Or, nous, nous cherchons une matière  qui veuille que le père fasse une âme   à partir du néant, ce qui ne convient qu’au Créateur.

La troisième raison.   Toute forme qui est produite par une vraie génération,  périt nécessairement,  si on la sépare du corps.  Car voici ce qu’est la production d’une forme par une vraie génération : c’est être tiré de la puissance de la matière  par la vertu du producteur.  Or, ce qui est tiré de la puissance de la matière, cela dépend de la matière d’une façon telle que, sans elle, elle  ne peut ni devenir, ni être.  Or,  l’âme humaine est la vraie forme du Corps,   comme le concile du Latran l’a déclaré à la session 8.  Et, si elle est tirée des parents, elle ne peut être produite que  par une vraie génération.  Car,  les hommes n’engendrent pas des humains autrement que les animaux. Mais les hommes, par une action qui leur est propre,  qui ne convient qu’aux hommes,  engendrent, ou plutôt envoient promener l’usage de la raison dans l’acte de la génération.  Voilà pourquoi, si l’âme humaine était tirée des parents, elle ne serait pas engendrée de la matière à la façon de l’âme des bêtes,  et serait engendrée de la matière, et d’une matière séparée qui la ferait s’étioler et périr.  Il a donc été démontré  que les âmes humaine ne viennent pas de la propagation, mais sont créées.  Et les arguments qu’on nous oppose n’on pas un grand poids.

On nous objecte d’abord le livre de la Genèse (XLV1) :« Toutes les âmes  qui sont sorties de la cuisse de Jacob  sont au nombre de  soixante-six.»  Je réponds que, par le mot âmes on entend  ici  les hommes qui ont une âme.  Fréquent, dans l’Écriture, l’usage de cette figure,  qui est dite intellection, qui prend le tout pour la partie, ou la partie pour le tout.  Ainsi en est-il dans le livre 1 des Rois, au chapitre 28, où on dit que Samuel est apparu à Saül, quand son âme lui était apparue.  Et dans le Lévitique, chapitre 5, l’âme est prise pour l’homme, quand on dit : si l’âme pèche et obéit à la voix du parjure  Même chose, «l’âme qui touchera quelque chose d’ignoble.»  Ou : «l’âme qui jurera.»

On nous objecte, en second lieu, l’argument tiré du chapitre 7 de l’épitre aux Hébreux, à savoir que le Christ et Lévis étaient dans les lombes d’Abraham quand il offrit la dime au  grand prêtre Melchisédech.  Et cependant on dit que c’est Lévi qui a payé la dime, quand son père Abraham l’a payée. Mais on ne dit pas que le Christ a payé la dime dans Abraham,  (avec quoi l’apôtre prouve que le sacerdoce du Christ était plus prestigieux que celui de Lévi) parce que le sacerdoce du Christ est selon l’ordre de Melchisédech qui ,dans les lombes d’Abraham a commencé à recevoir des dimes de Lévi.  Donc, non seulement le Christ et Lévi ne furent pas dans les lombes d’Abraham de la même façon, mai Lévi y fut pour des raisons lesquelles le Christ  n’y était pas.  Le Christ fut dans les lombes d’Abraham en raison du corps.  Donc, Lévi fut dans les mêmes lombes en raison du corps et de l’âme.

Cet argument c’est saint Augustin qui le propose, et qui s’efforce de le solutionner (dans le livre 5 de la Genèse, chapitre 19).  Nous, nous répondons en quelques mots,    que Lévi fut autrement dans les lombes d’Abraham que Jésus, non parce que Lévi fut dans les lombes d’Abraham en raison de l’âme et du corps,  et le Christ seulement à l’occasion de la matière, mais parce que le Christ a été dans les lombes d’Abraham selon la matière de la chair, non selon une raison séminale.  Lévi, lui,  selon l’une et l’autre.  Car, le Christ a une mère selon la propagation d’Abraham, mais non un père.  Dans la génération, la mère fournit la matière, non la force active, qui ne réside que dans semence du Verbe, comme un instrument de l’homme qui forme le corps qui est engendré.  L’Évangile nous a fait connaitre que le Christ a été conçu de la vierge par l’opération du Saint-Esprit, et qu’il est né miraculeusement de cette sainte Vierge.  Or, Lévi a eu un père et une mère de la propagation d’Adam, et il fut donc, dans ses longes, une seconde matière de la chair, par rapport à la mère,  et selon la raison séminale du père.  Mais ce n’est pas ce qui causa que le Christ n’ait pas contracté de péché originel et n’ait pas eu à contracter  le péché originel et qu’il n’eut pas à payer la dette.  Lévi était,  lui,  soumis au péché, et payait la dime dans Abraham.

La quatrième objection.  Si les âmes ne sont pas tirées des parents, mais créées par Dieu,  et insufflées pendant la génération, dans la matière disposée par les parents,  il s’ensuit cette absurdité que, dans la procréation de l’homme, Dieu coopérerait avec les fornicateurs et les adultères,  en fournissant des âmes aux conceptions adultérines.  Cet argument qui avait  été excogité par Apollinaire, et qui voulait que, en insufflant des âmes, Dieu coopérait avec les fornicateurs et les adultères, n’est pas moins absurde que la terre qui réchauffe en son sein les semences que le cordonnier avait enlevées furtivement,  ou aux choses immondes qu’il projette de sa main.  Cette comparaison est très élégante, au témoignage de saint Jérôme.

Mais si quelqu’un requiert une solution scolastique,  nous répondrons brièvement que dans la fornication et l’adultère, on peut considérer deux choses :  l’action naturelle de la génération humaine,  et le vice du transgresseur de la loi de Dieu  en accomplissant cette œuvre.  D’abord,  c’est une bonne œuvre, et Dieu y coopère en tant que c’est une bonne œuvre.  quand  il infuse l’âme dans la matière correctement disposée et préparée, L’adultère est une mauvaise chose,  et Dieu ne coopère nullement à une mauvaise intention.

La deuxième sentence est de ceux qui pensent que l’origine de l’âme est obscure et occulte,  et que ce n’est pas quelque chose  à définir témérairement.  Cette sentence fut celle de saint Augustin jusqu’à sa mort, comme on peut le comprendre du commentaire du livre 10 de la Genèse; ainsi que dans ses quatre livres sur l’origine de l’âme, qu’il écrivit quand il était déjà dans un âge avancé, afin de montrer que, dans cette affaire, il n’oserait pas, sans des raisons très sérieuses,  trancher la question une fois pour toutes.  De nouveau, dans l’épitre 28 à saint Jérôme, et dans son épitre à Optatus 157,  et ensuite dans le livre deux des rétractations,  (chapitre 56).  Saint Grégoire  a suivi l’hésitation de sain Augustin (dans son épitre à Secondinus), qui se trouve dans le registre des épitres, livre 27, chapitre 27.   Et, Eucherius (dans son commentaire du deuxième chapitre du livre de la Genèse).  Et ils ne manquent pas ceux qui, encore aujourd’hui, croient devoir persévérer dans ce doute.

Mais, de nos jours, nous estimons que cette sentence n’est pas du tout su, et nous l’inscrirons donc dans la sixième sentence  qui veut qu’à tous hommes individuels, des âmes individuelles soient créées par Dieu à partir du néant et sont ensuite infuses quand, dans l’utérus de la mère, les fœtus sont conçus,  et sont prêts pour l’animation.   Cette sentence est celle de tous les auteurs que nous avons présentés contre la quatrième sentence, à l’exception de saint Augustin et de saint Grégoire de Nysse.   Double est la raison pour laquelle nous avons jugé que la cinquième raison doit être mise de côté, et renvoyée à la sixième.  Nous avons d’abord, de cette époque, en plus des témoignages des pères qui ont précédé l’époque de saint Augustin,  le rescrit de saint Léon le grand, (cité plus haut dans la lettre à Turbius), le décret de Léon X dans le concile du Latran, le consentement universel de tous les théologiens,  qui ont vécu pendant les cinq cent dernières années,  ensuite, les raisons formidables cogitées par les théologiens, que saint Augustin ne connaissait pas.

Enfin, la raison qui a empêché saint Augustin de se persuader que les âmes étaient créées par Dieu du néant, fut l’argument des pélagiens contre le péché originel, que nous avons indiqué dans le chapitre précédent.  Car, les autres arguments contre une nouvelle création d’âmes, il était convaincu qu’il pouvait les détruire facilement, et c’est ce qu’il a fait dans son épitre 28 à saint Jérôme.  Mais, dans la même épitre, (comme dans  la 157ième, à Optatus),   il confesse ingénument qu’il n’a pas pu trouver, ni en lisant, ni en priant, ni en réfléchissant, comment défendre la création des âmes avec le péché originel.  Du reste, en dehors de cette question du péché originel, saint Augustin ne doutait pas que la sentence sur la création des âmes par Dieu est la vraie.  Car (dans le livre sur l’origine de l’âme, chapitre 19), après énuméré les quatre erreurs sur cette question,  dont on doit se garder , il écrit ainsi : « Je ne dirai rien sur ces quatre sentences, parce que chacune d’entre elles est fausse et impie, mais sur ceux qui défendent la création des âmes, non seulement sans que je m’y oppose, mais en les applaudissant, et en rendant grâce à Dieu.»  Et, dans l’épitre 28, il écrit : «Bien que personne ne puisse faire, en le désirant,  que soit vrai ce qui n’est pas vrai, cependant, si la chose était possible, j’aimerais que cette sentence soit vraie, comme je désire que, si elle vraie, elle soit défendue clairement et invinciblement.»

Et, dans son épitre 157, il écrit : «Et si tu trouves, ce que je te conseille de chercher, et  que je reconnais n’avoir pas encore trouvé, défends-le de toutes tes forces, affirme que la propagation des âmes par la génération est une nouveauté, et que les âmes ne proviennent d’aucune propagation.  Et, quand tu l’auras trouvé, communique-le-moi dans ta charité fraternelle.  Mais, si tu ne trouves rien,  ne laisse pas  témérairement dévier ton assentiment vers une autre sentence, de peur  qu’à cause de l’une d’entre elles tu croies qu’elles sont tirées de la propagation,  car un autre pourra peut-être un jour trouver ce qu’il ne peut pas maintenant,  et tu trouveras peut-être un jour ce que tu ne peux pas maintenant.»  Et plus bas : « Si tu choisis  de soutenir que les âmes sont étrangères à la propagation , de façon à ce que le parchemin de la dette et de la damnation qui ne pouvait être rompu que par la mort du Christ n’en reçoive aucun obstacle, et si tu le démontres avec des raisonnements irréfutables,  défends sans crainte la sentence de la création des âmes, et montre-moi comment je pourrai la défendre avec toi. Si tu ne le peux pas, il est préférable de laisser latente cette question de l’origine de l’âme.»

Ces textes nous montrent clairement que saint Augustin considère que la sentence de la création des âmes est plus vraie que celle de la propagation par la génération.  On ne doit pas nous objecter que (dans la lettre 10 sur la Genèse, chapitre 23),  il semble pencher du côté de la propagation.  Car, dans ce texte, il ne compare pas les sentences entre elles, mais des arguments avec des arguments.  Et il dit que la sentence de la propagation est fondée sur un argument plus fort.  Mais, cependant, il ne s’ensuit pas qu’elle soit plus vraie.  Ajoutons que l’épitre à saint Jérôme sur l’origine de l’âme, saint Augustin l’a écrite plus tard que les livres sur la Genèse  et l’épitre à Optatus, et que c’est après l’une et l’autre,  qu’il écrivit les quatre livres sur l’origine de l’âme, alors qu’il était déjà vieux, comme le livre 2 des rétractations nous le montre.  Dans ces écrits, il semble s’éloigner toujours de plus en plus de la sentence de la propagation de l’âme par la génération,  et s’approcher de la sentence de la création continue des âmes par Dieu.  Donc, seule la transmission du péché originel empêcha saint Augustin  de croire en la création des âmes.

Or, la création des âmes n’empêche pas la transmission du péché originel, comme nous le démontrerons dans le chapitre suivant.  Et la propagation des âmes à partir de l’âme d’Adam n’aide pas la propagation du péché, parce que, dans son âme, il avait été justifié du péché avant  d’engendre des fils.  Il arrive souvent que des parents jutes, et libérés du péché originel, engendrent des enfants, et que d’une âme juste, on puisse  tirer une âme injuste.  Et si l’âme vient de l’âme, comment le péché se transmet-il à l’enfant ?   Et comme cet argument qui portait sur la transmission du péché originel, est la seule raison du doute de saint Augustin, et que cet argument n’est pas moins facilement réfuté tant dans la création des âmes que dans leur propagation par la génération, (comme nous le démontrerons bientôt, si Dieu le veut),  il n’y a plus de raison de douter, et de suspendre son jugement.  Et si saint Augustin était parmi nous, non seulement il approuverait,  mais il remercierait ceux qui soutiennent notre sentence.

                                                             CHAPITRE 12

On explique comment le péché originel est transmis,  et on réfute l’argument des pélagiens présenté au chapitre 10

Après avoir expliqué la question de l’origine de l’âme, il faut expliquer la façon dont le péché  originel est transmis.   Cette solution dépend de l’argument des pélagiens, qui a toujours été trouvé très difficile.  Sur cette question, saint Augustin n’est jamais parvenu à pleinement se satisfaire.  Voilà pourquoi (dans le livre 1 sur les mœurs de l’Église, au chapitre 22,) il dit qu’il n’est rien de plus connu dans la prédication que le péché originel,  mais rien de plus difficile à comprendre.  Or, il vrai que rien n’est plus connu que le péché originel , et que rien n’est plus obscur que le mode de sa transmission. 

Voilà pourquoi (dans l’épitre 20 à saint Jérôme, il se console par ces mots) : «On raconte qu’ a été dit de façon élégante,  ce qui convient suffisamment à cette chose.  Pourquoi s’est-il rué dans un puits où il y avait tellement d’eau, de façon à préférer s’en extirper pour ne pas mourir, plutôt que suffoquer ?  N’en parlons pas.   Un autre arrive et, plein d’étonnement à sa vue, lui demande : comment es-tu tombé ?  Et lui de répondre : pense, je t’en supplie, à  me libérer de là, et non à la façon dont je suis tombé.  Et parce que nous professons et nous tenons de foi catholique que la punition du péché ressemble à un puits,  que l’âme d’un enfant nouveau né doit être libérée par la grâce du Christ, il  suffit au Christ que nous connaissions la façon dont l’âme est sauvée,  même  si nous ne connaissons pas la façon dont  elle était tombée dans ce malheur.»

Cependant, dans son livre 5 contre Julien, au chapitre 3, il explique sa sentence sur la question débattue, en ces mots : « Est-ce que l’un et l’autre  est  vicié quand il sort de l’homme ?  Ou sont-ils viciés l’un dans l’ autre, comme dans un vase corrompu,  où est incluse la justice occulte de la divine loi ?  Laquelle de ces deux choses est vraie ?  J’apprends plus volontiers que je ne parle, pour ne pas oser dire ce que je ne sais pas.»  Le sens de ces dernières paroles est le suivant : est-ce que l’âme et le corps (l’un et l’autre), selon la sentence de ceux qui soutiennent la propagation de  l’âme par la génération, sont transmis viciés ?  Ou bien est-ce que l’une est vicié dans l’autre, c’est-à-dire,  que l’âme est viciée dans le corps comme dans  un vase corrompu,  selon la sentence de ceux  qui pensent que les âmes sont créées par Dieu, et qui veulent que seule la chair corrompue par les parents soit transmise aux enfants.

La chair est transmise corrompue parce qu’elle est engendrée par la libido.  Car, ce n’est pas la génération, mais la libido qui transmet proprement le péché.  Voir, saint Augustin  (livre 1 sur les mérites et la rémission des péchés,  chapitre 9,  et le livre 1 sur les noces et la concupiscence , chapitre 21, le livre 5 sur Julien, chapitre 2, )  Et Fulgence, livre sur la foi, à Pierre, chapitre 2.)

Cette sentence,  si on la prend au sens naturel des mots, comme semblent l’avoir prise Pierre Lombard (dans la deuxième de ses sentences, dist 31),  et Grégoire d’Ariminensis,  ainsi que Gabriel,) ne semble pas  devoir être acceptable.  D’abord, on ne peut pas comprendre comment la chair qui est un corps, infecte l’âme qui est un esprit.  Ensuite, la tache de la chair ne peut pas être un péché proprement dit, surtout avant que l’âme rationnelle n’accède, car, même  si la chair infectait l’âme, elle ne l’infecterait pas par la contagion du péché.  Or, il est certain qu’en Adam le vice est entré dans l’âme avant d’entrer dans la chair, et qu’il est passé  de l’âme à la chair, non de la chair à l’âme.  Voici ce que dit saint Augustin (livre 1, chapitre 3 contre Julien) : « C’est par l’âme qu’a commencé l’orgueil, et la décision de transgresser le précepte, et c’est par la suite, et alors,  que la chair est devenue une chair de péché.»  Pourquoi donc, dans les fils d’Adam auxquels est dévolue l’hérédité de ce péché, le même ordre ne serait-il  pas conservé ?

De plus, si quelqu’un était créé, à partir du néant, tel que nous naissons aujourd’hui, ce qui peut se faire, comme nous l’avons démontré plus haut, celui-là n’aurait pas le péché originel, et le ne le transmettrait pas à ses descendants, comme le concile de Trente l’a statué (session 6, chapitre 3), où il dit que seuls peuvent avoir le péché originel ceux qui sont  procréés de la semence d’Adam.  Or, celui-là ne manquerait pas de concupiscence et d’ardeur de la libido, comme on le connait des choses enseignées plus haut.  Ce n’est donc pas le vice de la chair qui infecte l’âme, et transmet le péché aux descendants.  Ensuite, si un homme et une femme  nés d’Adam, engendraient sans libido, par un privilège singulier de Dieu, ils transmettraient quand même le péché originel à leurs enfants, parce que, en tant que fils de ces parents, ils seraient de vrais fils d’Adam, et auraient péché en celui dans lequel tous ont péché., (Romains 4), et la grâce personnelle des proches parents ne serait pas transfusée en eux.  La libido des parents n’est donc pas la cause du péché originel.

Ajoutons, finalement, que si la libido était la cause du péché, celui transmettrait le plus grand péché est celui qui aurait été conçu avec la plus grande libido.  Ce qui est manifestement faux, puisque le péché originel est égal en tous.  Il y en eut donc qui estimèrent que l’âme était viciée dans la chair non parce que le péché proprement dit inhérait dans la chair, ou parce que la chair pouvait vraiment contaminer l’esprit, mais parce que la chair, privée de la justice originelle, et devenue rebelle à la raison, entraînait l’âme vers le bas, et la rendait, par là, oblique et  biscornue.  Cette obliquité est un péché.  C’est ce que semblent avoir pensé Alexandre Alensis, (dans 2 p. question 105, membr 4, et saint Bonaventure (au même endroit, art 1 quest 2).  Mais cette sentence est réfutée par les mêmes arguments, et surtout par les quatre derniers.   Et, de plus, s’il en était ainsi, il s’ensuivrait que, avant l’usage de la raison, les bébés n’auraient pas le péché originel, même pas en puissance.   Car l’âme n’est entrainée vers le bas par la chair que quand la chair convoite contre l’esprit,  ce qui ne se fait pas avant l’âge de raison. Ensuite, ou l’esprit résiste aux mauvais désirs de la chair, ou il succombe.    S’il résiste, il ne pèche pas, s’il succombe, il commet un péché actuel.

Il y a une autre sentence  que je ne doute pas être la plus vraie de toutes, celle de saint Anselme (dans son livre sur la conception virginale, chapitres 7 et 10), et de saint Thomas (dans 1, 2, quest 81, art 1,  et dans question 4 sur le mal, art 1), et de Scot, de Durand et d’autres. (dans la deuxième des sentences dist 31). À la  transmission du péché originel,  rien d’autre n’est requis  que l’homme descende d’Adam par une vraie génération.  Car, par le fait même que quelqu’un ait été dans les lombes d’Adam,  quand il a transgressé le précepte dans le paradis,  Adam lui a communiqué son péché.  Car, comme le dit l’apôtre en Romains 5 : en lui, tous ont péché.  Tous ceux, dis-je, qui étaient dans ses lombes.»   Et les paroles de saint Augustin ne veulent pas dire autre chose. : «L’un dans l’autre, est corrompu, comme dans un vase vicié.»  Car, il veut dire, par ces paroles, que l’âme n’est pas polluée quand elle est créée par Dieu, mais quand, avec son union avec la chair tirée d’Adam, elle devient une partie de l’homme.  Car, l’âme n’est pas fille d’Adam avant d’avoir été insufflée dans le corps, mais l’homme est le fils d’Adam.  Or, l’homme existe quand l’âme est unie à la chair.

Pour une raison semblable, quand saint Augustin répète si souvent  que ce n’est pas la génération, mais la libido qui transmet le péché, il ne veut pas dire que la libido actuelle est la vraie cause du péché originel, ce qui serait absurde, comme nous l’avons démontré plus haut.  Mais, il veut indiquer que la cause du péché originel n’est pas seulement la propagation, car, dans le paradis, la propagation aurait eu lieu, sans péché, mais la propagation d’une nature corrompue, dont l’argument le plus certain est l’ardeur de la libido, sans laquelle même les plus saints époux ne peuvent pas enfanter.

Avec tout ce que nous avons dit jusqu’ici, il sera facile de réfuter l’argument des pélagiens que nous avons proposé à la fin du dixième chapitre.   Le voici : « Le péché n’a pas son siège dans la chair, mais dans l’âme. Or,  l’âme n’est pas tirée d’Adam.  Donc le péché  n’est pas tiré d’Adam.

Nous répondons à l’assomption de l’argument que l’âme n’est pas tirée d’Adam, comme  si elle provenait d’Adam, ou de l’âme d’Adam,  mais qu’elle est une partie de l’homme qui est vraiment tiré d’Adam.  Voilà pourquoi il faut nier la conséquence : donc le péché n’est pas tiré d’Adam.  Et, pour que le péché soit tiré d’Adam, il n’est pas nécessaire que l’âme vienne d’Adam, mais il suffit que l’homme, dont l’âme est une partie, vienne d’Adam.  C’est donc en toute vérité et propriété de termes qu’on dit qu’un homme engendre un homme, mais si l’âme n’est pas transmise par l’homme, mais est insufflée par Dieu.  Car la génération ne se termine pas à la production d’une forme ou d’une matière, mais d’un composé.  Donc, celui qui unit une âme avec la chair, c’est celui-là qui fait vraiment un homme.  Or, il unit l’âme avec la chair celui qui dispose la matière de façon à faire un homme par la génération, pour  que l’âme suive infailliblement. L’homme produit donc un homme par la génération,  à partir du moment où existe l’âme.

Ce qui nous fait comprendre  que non seulement la transmission du péché originel n’est pas empêchée par le fait que les âmes soient créées par Dieu, mais qu’elle en est grandement aidée, si on pense que les âmes des hommes proviennent de la propagation de l’espèce par la génération, comme c’est le cas des bêtes.   Car les âmes des bêtes ne sont pas faites depuis la propagation, comme si une partie de l’âme des parents était transmise à la  descendance (car le père donne  seulement la semence, et la mère, le sang des menstruations), mais parce que, en engendrant,  les parents disposent la matière jusqu’à l’animation.

Donc, que les âmes viennent de la propagation, ou soient insufflées par Dieu, on ne peut pas donner une meilleure raison de la transmission du péché que celle que nous avons assignée : parce que tous ceux qui sont conçus par la génération charnelle sont de vrais enfants d’Adam.  Il n’y a donc aucune raison de douter désormais de la création des âmes par Dieu à cause du péché originel.

                                                           CHAPITRE 13

        Le péché originel n’est pas transmis par Ève, mais par le seul Adam

Nous avons expliqué, jusqu’à présent, la première controverse sur le péché originel, qui se formulait comme suit :  existe-t-il un péché qui est transmis aux descendants par la génération ?   Mais avant d’en venir à la controverse principale, qui portera sur la nature du péché d’origine, il  nous faut traiter trois brèves questions.  La première : d’où ce péché est-il transmis ?  Voici ce que répond l’apôtre (Romains 5) : «Par un seul homme, le péché est entré dans le monde.»  Et, aux  1 Corinthiens 15 : «Comme, dans Adam, tous meurent, de même, dans le Christ, tous sont vivifiés.»  Il y a deux choses sur lesquelles on pourrait disserter.  La première : si Ève avait été la seule à pécher, Adam demeurant dans l’innocence première,  le péché d’Ève aurait-il été transmis à ses descendants ?  La deuxième : si les premiers parents n’avaient pas péché, et  si Caïn avait péché, ou n’importe lequel des descendants d’Adam, est-ce que ce péché aurait été attribué aux autres ?

En ce qui a trait à la première question, tous conviennent que , si Ève avait été la seule à pécher, le péché proprement dit n’aurait pas été transmis à sa progéniture. Néanmoins, quelques-uns estiment que la nécessité de mourir serait passée à des descendants, et tous les inconvénients que la mortalité amène avec elle.   D’autres, soutiennent, au contraire,  que ni le péché ni la nécessité de mourir n’auraient eu lieu, si seule Ève avait péché.

 Cette dernière sentence est celle de saint Thomas ( 1.2. question 81 art) , et , sans doute possible, la plus vraie de toutes.  Car, nous avons contracté le péché originel parce que, quand Adam a péché, nous étions en lui, comme dans un principe actif.  Nous  n’étions pas alors en Ève, mais elle fournissait seulement une matière pour engendrer des enfants.  Et si nous n’avions pas tiré d’Ève le péché d’origine, nous n’aurions certes par, non plus, tiré d’elle la mort, qui est la peine du péché.  Voilà pourquoi l’Écriture ne dit pas : en Ève, tous meurent, mais « en Adam, tous meurent.»  Et, cependant, comme c’est Ève qui a péché la première, si c’est d’Ève que nous tirons la mort, il aurait absolument fallu le dire : en Ève, nous mourrons tous.

L’Ecclésiastique écrit, au chapitre 25, que le péché a commencé par la femme, et que, par elle, tous meurent.  Mais autre chose est «par elle, «et autre chose «en elle.»  Par elle, nous mourons, parce qu’elle a donné une occasion de péché à son esprit, d’où est sortie la mort.  Mais, ce n’est pas en elle, mais en Adam que tous meurent, car ce n’est pas le péché d’Ève, mais celui d’Adam qui fut commun à tous les hommes. Et voilà pourquoi, quand il a péché, tous ont péché, et quand il mourut, tous sont morts en lui.  Ensuite, le concile d’Orange (canon 2) a statué qu’on ne peut pas enseigner que la mort puisse passer sans péché dans les hommes, sans faire une injure à Dieu, et contredire l’apôtre : par un seul homme, le péché est entré dans ce monde, et, par le péché, la mort.

Et en ce qui a trait à l’autre question, à savoir que  la sentence commune veut  que, si le premier homme n’avais pas péché, lui qui représentait en personne toute la nature humaine,  n’importe lequel autre qui aurait péché aurait commis un péché personnel et particulier, mais n’aurait pas pu vicier infecter ou vicier sa propre postérité.  Saint Thomas semble indiquer le contraire (question 5 sur le mal, art 4, à la dernière.  Mais, ce texte a pu être corrompu.

                                                          CHAPITRE 14

Le péché d’origine appartient aux enfants des fidèles de la même façon qu’il appartient aux enfants des infidèles.

L’autre question était : à qui le péché originel est-il transmis ?   Il est certain qu’on ne peut pas révoquer en doute qu’il est transmis à tous ceux qui descendent d’Adam par la génération charnelle.  On ne peut non plus douter que le Christ n’a pas connu le péché originel, parce qu’il n’est pas né de la semence de l’homme,  mais de l’opération du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge.  Et il en serait de même si , par la puissance divine, quelqu’un d’autre tirait son origine d’ailleurs que d’Adam. Et il en serait aussi de même si, par la divine puissance, quelqu’un d’autre avait tiré son origine d’ailleurs que d’Adam.  La seule question est donc :  est-ce que tous ceux qui naissent de la postérité d’Adam, contractent le péché originel ?  I

ll y a un bon nombre d’hérétiques qui veulent que les enfants des fidèles soient conçus et  naissent sans le péché originel.  Et plusieurs, parmi les catholiques,  soutiennent que la bienheureuse Vierge, Mère de Dieu a été exempte de tout péché, et même du péché originel.  Nous allons parler brièvement de l’une et l’autre de ces sentences.  Zwingli ( dans son livre sur le baptême, et dans sa déclaration sur le péché originel, enseigne comme une chose certaine et approuvée, qu’il n’y a rien dans les fils des fidèles, même avant le baptême, qui puisse être appelé proprement péché.  Le plus cocasse, c’est qu’ils peuvent  (pour d’autres raisons) dire la même chose des fils des infidèles, (comme nous l’avons vu plus haut.), et cela, sans nier aucunement le péché originel.

Jean Calvin, dans son antidote du concile de Trente, (chapitre 5, session 6), et dans son livre 4 des institutions, chapitres 24 et 25, )  enseigne qu’aux fils des fidèles, le péché d’origine n’est pas imputé,  et que même, avant le baptême, ils sont saints et membres de l’église. Martin Bucer enseigne des choses semblables, (Matth 3), ainsi que Pierre le martyr et Henri Bulinger (chapitre 7 de la première aux Corinthiens.)  Mais leur sentence ou leur hérésie répugne manifestement à la parole de Dieu, à la tradition des pères, aux décrets des conciles,  et des pontifes, et à la coutume de l’Église universelle.

Le premier de ces témoignages que nous avons présentés plus haut pour prouver le péché originel, qui sont universels, et qui comprennent tous les homes, fils de fidèles ou d’infidèles, est tiré du psaume 1 : «J’ai été conçu dans les iniquités.»  Ce n’est pas n’importe lequel homme qui enseigne cela, mais c’est David qui dit qu’il a été conçu dans le péché. Or, personne ne peut douter que le père de David n’ait été un homme juste et fidèle.  Voici ce qu’en pense Ruffin : «David était né de Jessé, un homme juste, et de sa compagne.  Que veut-il dire quand il enseigne qu’il est né dans l’iniquité, sinon qu’elle  lui avait été transmise  depuis Adam, et que nul ne nait sans hériter de la faute et de la peine du premier homme.»  L’apôtre dit la même chose dans Éphésiens 1 : « Nous étions, nous aussi, comme les autres, des fils de la colère par nature.» Il est clair que l’apôtre disait cela des fidèles de fidèles, dont était l’apôtre,  qui écrit dans Philip 3 qu’il est du genre d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreux d’hébreux. »  Et, aux Galates 2, il dit que par nature, c’est-à-dire, par sa nativité, il est un Juif non un de ces pécheurs de Gentils ; et ensuite, que  la circoncision, par un mandat de Dieu, (Genèse 17) avait été imposée aux fils des fideles.  Or, cette circoncision  enlevait le péché originel, ou signifiait l’enlèvement du péché originel.

Aux témoignages de l’écriture, s’ajoutent les témoignages des pères.  Car, saint Cyprien (sans son livre  3 épitre 8 à Fidus), avait  été interrogé au sujet des fils des fidèles.  On lui demandait si les fils des fidèles pouvaient être baptisés avant le huitième  jour  ?  Car les infidèles ne se souciaient pas de faire baptiser leurs enfants, ni ne le permettaient.  Saint Cyprien répondit qu’il fallait baptiser ces sortes d’enfants, même avant le huitième jour, en cas de besoin, à cause de la contagion de la mort antique que chacun d’eux avait contractée dans sa première naissance.  Saint Ambroise parlait, sans aucun doute, des fils des fidèles, quand il disait, dans son apologie de David : «Avant que nous naissions, il y a la contagion.»  Saint Jérôme (dans son épitre à Laeta, sur l’éducation de sa fille), écrit : «On ne nait pas chrétien, mais on le devient.»  Tertullien a écrit la même chose dans son apologétique (au chapitre 17).   Les fils des fidèles ne naissent donc pas saints, et membres de l’Église, comme l’enseignent nos adversaires.

Saint Augustin (dans sons livre 2 sur le péché originel, chapitre 40) :  « Le régénéré ne régénère pas les fils de la chair, mais les engendre.  Et en faisant cela, il transmet non ce qui a été régénéré, mais ce qui a été engendré.»  Donc, autant l’infidèle coupable  que le fidèle pardonné n’engendrent pas des pardonnés.  Mais l’un et l’autre engendre des coupables.  Voilà pourquoi non seulement les oliviers sauvages, mais aussi les semences des  oliviers  n’engendrent pas des olives, mais des  olives sauvages.  Il enseigne la même chose dans son livre sur les noces et la concupiscence, chapitres 18, 19 et 20, livres 6 contre Julien, (chapitres 2 et 3), et dans le livre 2 des mérites et de la rémission des péchés, chapitre 25 et les deux suivants.)  On pourrait encore ajouter d’autres témoignages des pères, mais il n’en est pas besoin, car nul ne peut citer un seul père qui enseigne le contraire.

En ce qui a trait aux décrets des conciles, et des pontifes, voyons d’abord le concile de Milet.(canon 2).  Il dit  anathème à ceux qui nient que les enfants nouveaux-nés doivent être baptisés pour la rémission des péchés.»  Et saint Siricius (dans son épitre 1 à Himériius, chapitre 2.)  Quand il enseigne que les enfants doivent être secourus par le baptême le plus rapidement possible, il a certainement d’abord en vue les baptêmes des enfants.   Car, comme nous l’avons dit  plus haut, les infidèles ne désiraient pas que leurs enfants soient régénérés par le baptême.

Ensuite, la coutume universelle de l’Église  doit avoir un grand poids dans ces choses.  Toujours, dans l’Église, les fidèles ont eu le souci de veiller attentivement à ce que leurs enfants ne meurent pas sans avoir reçu le baptême : « Quiconque, enseigne saint Augustin, (dans l’épitre 28 à saint Jérôme)  déclare que sont vivifiés dans le Christ même les bébés qui sortent de cette vie sans la participation à ce sacrement, celui-là vient à l’encontre de toute la prédication de l’Église et condamne toute l’église où l’on se hâte et où on se précipité pour aller faire baptiser les petits enfants.  Pourquoi ? Évidemment parce qu’on croit qu’Ils ne peuvent pas être autrement vivifiés dans le Christ.  Il reste donc que celui qui n’est pas vivifié dans le Christ demeure dans la même damnation dont parle l’Apôtre.  Or, si, dans l’église, on se hâte et si on court pour faire baptiser les enfants,  il est certain que ce sont des fidèles qui se hâtent et se précipitent ainsi.  Et pourquoi ? De peur que les fils des fidèles qui décèdent sans le baptême, ne soient pas dans le royaume des cieux avec leurs parents fidèles, mais dans l’enfer, avec les fils des infidèles.   Il est certain aussi que Zwingli et Calvin  et les autres qui enseignent que, même s’ils meurent sans la participation à ce sacrement,  les enfants des fidèles sont vivifiés dans le Christ,  vont contre la prédication des apôtres, et condamnent toute l’Église.

Se présente ensuite cette coutume qui a toujours été très célèbre dans l’Église, celle d’exorciser et de souffler sur les fils des fidèles à baptiser.  Cette coutume atteste manifestement que même les fils des fidèles sont soumis à un esprit immonde,  tant qu’ils n’auront pas été purifiés par l’Esprit Saint qui survient en nous : «Il est vrai, écrit saint Augustin (dans son livre 26 contre Julien, chapitre 11) que, selon l’antiquité de la vraie foi catholique qui est pêchée et crue partout, on n’exorciserait pas, on n’insufflerait pas, si on ne cherchait pas à  les arracher les bébés  au pouvoir des ténèbres et du prince de la mort.

Les argumentes que les adversaires nous objectent pour confirmer cette nouveauté contraire au consentement de tout l’Église, et à la parole de Dieu (comme nous l’avons démontré),  sont des plus légers.  Et ils ont déjà été réfutés dans le premier livre sur le baptême, chapitre 4.   Le fondement principal de leurs erreurs repose dans ces paroles : « Je serai ton Dieu, et de ta semence, par toi.»  Même si cela a été dit au seul Abraham, on comprend que ces paroles on été dites aussi pour sa postérité, parce que la promesse est éternelle.  Voici, en effet, ce que dit Dieu : « J’établirai mon pacte entre moi et toi, et ta semence après toi,  de génération en génération, en une alliance sempiternelle, pour que je sois ton Dieu, à toi, et celui de ta semence après toi.»  Donc, ce que Dieu a dit à Abraham, a été dit de la même façon à son fils, à son neveu, et à tous les autres descendants,  à perpétuité. 

Nous, c’est par le Christ que nous sommes faits fils d’Abraham, et unis au peuple de Dieu.  Car, nous devons penser qu’à chacun d’entre nous, il a été dit : « Je serai ton Dieu, et celui de ta semence.» Et, à cause de cela, les fils des fidèles appartiennent à cette alliance, par le fait même qu’Ils sont fils des fidèles, et sont recensés  dans le peuple de Dieu.  Je réponds que cette promesse, en tant qu’elle est spirituelle, et appartient à la vie éternelle, a été faite à la semence d’Abraham, non selon la chair, mais selon la foi, comme l’explique saint Paul aux Romains (4 et 9)  et aux Galates, ( 3 et 4).  Donc, les fils des fidèles ne participent pas à l’alliance et au peuple de Dieu du seul fait qu’ils sont des fils de fidèles selon la chair, mais ils commencent d’abord, à être réputés dans la semence,  et être contenus dans l’alliance, quand ils commencent à imiter la foi de leurs parents, ce qu’ils font en croyant, ou par la piscine de la foi, bien que recevoir le sacrement de la foi soit déjà croire, comme l’enseigne saint Augustin (dans son livre sur les mérites et la rémission des péchés, chapitre 27.)  Il réfute là, aussi, par des paroles différentes) que, avant le baptême, les enfants des fidèles  appartiennent au troupeau du Christ : « Parce que les tout petits ne commencent  à être de ses agneaux du Christ que par le baptême. S’ils ne le  reçoivent pas,  ils périront.»

                                                             CHAPITRE 15

                         La bienheureuse vierge Marie a été conçue sans le péché originel.

Ils sont désormais si nombreux parmi les catholiques, ceux qui soutiennent que la bien-heureuse Vierge Marie a été conçue sans le péché originel, que nous ne ferons que nous efforcer de disputer, car ne manquent pas les théologiens qui accusent l’église universelle et  le concile de Trente, qui parle ainsi : « Cette opinion de l’immaculée conception de Marie (qu’ils croient une erreur), ne semble pas seulement devoir être tolérée, mais être reçue comme pieuse et probable».  Ne manquent pas, non plus, ceux qui affirment impudemment  que l’Église romaine fait de la conception immaculée de la vierge Marie un article de foi. Nous entreprendrons donc de démontrer brièvement trois choses.  La première.  Les catholiques n’ont pas à tenir d’une foi certaine et éprouvée, et donc, de foi catholique, que la Bienheureuse Vierge a été conçue sans le péché originel.  La deuxième.  Cette opinion ne doit, en aucune façon, être jugée comme hérétique, ou erronée.  La troisième.   Elle ne doit pas être considérée comme téméraire, mais tout à fait pieuse et probable, et cela, à un point tel qu’elle est de loin plus probable que la position contraire.

En ce qui à trait à la première, Jean Pomeranus, un des premiers disciples de Luther, (dans son commentaire des chapitres 1 et XL1V de Jérémie,) a osé écrire que les catholiques ont pour article de foi que Marie a été immaculée dans sa conception, et qu’elle a été conçue du Saint-Esprit.   Mais ce mensonge impudent a été réfuté par deux constitutions de pontifes, et par les décrets d’un conseil œcuménique, qui exigent l’obéissance de tous les catholiques.  Sixte 4, pontife suprême, dans la constitution qui commence par grave nimis, (qui porte sur les reliques et sur la vénération des saints) prononce solennellement que la conception de la bienheureuse vierge Marie n’a pas encore été définie par l’Église romaine et le siège apostolique, et nous jetons l’anathème sur ceux qui considèrent toute autre sentence comme hérétique.  Le jugement du pape Sixte a été suivi par la session 6 du concile de Trente, dans la constitution qu’il édita sur la bienheureuse vierge Marie.  Ensuite le concile de Bâle  (à la session 36) a défini que Marie avait été conçue sans le péché.  Mais cette définition-là ne fait pas une foi certaine, parce que ce concile n’a pas été approuvé par le saint siège, et n’a pas voulu donner à cette vérité le statut d’un article de foi.  Il a dit seulement que cette sentence doit être embrassée comme pieuse, et consonante au culte ecclésiastique, à la foi catholique, aux Écritures et à la raison.

En ce qui a trait à la seconde, Mathias Illyricus (cent 9. chapitre 10, où il parle d’un auteur appelé idiot) enseigne qu’est erronée la sentence qui veut que Marie ait été conçue sans péché.  De même, Tilmannus Shehusius (dans son livre sur les six cents erreurs des pontifes, sur le péché, dernier numéro).  De même Martin Kemnitius (dans son examen de la session du concile de Trente), où il répète plusieurs fois que «l’immaculée conception de Marie est crue contre la parole de Dieu».  Et après avoir dit, dans sa dernière dispute, qu’on ne peut apporter, en faveur de cette sentence, aucun texte de l’Écriture, aucun témoignage des pères, mais seulement des révélations et des miracles, il ajoute que quand les pontifes veulent fabriquer de nouveaux articles de foi, ils n’ont cure ni de la parole écrite, ni de la tradition.

Mais les catholiques sont bien loin de la témérité que leur imputent les adversaires. Bien que ne manquent pas parmi les catholiques les théologiens qui estiment être plus près de la vérité la sentence qui vent que tous aient reçu le péché originel, cependant, même ces auteurs ne condamnent pas comme erronée la sentence contraire, et  ils ne peuvent pas, non plus, le faire à moins  de résister aux décrets du concile général de Trente, ou des papes Sixte 4 ou Pie 5.  Et s’ils le faisaient, ils ne pourraient plus être comptés parmi les catholiques.

On prouve donc que l’immaculée conception de la Vierge Marie ne répugne pas à la parole de Dieu.  Car, répugne à la foi catholique ce qui est affirmé contre une parole explicite de Dieu , comme Dieu n’est pas un, ou est corporel, ou n’a pas créé le ciel et la terre.  Ou contre une parole de Dieu déclarée par l’Église, comme le Fils de Dieu n’est pas consubstantiel au Père, ou l’Esprit-Saint ne procède pas du Père et du Fils, le Christ n’a pas deux volontés.  Que la Vierge Marie, mère de Dieu ait été exempte du péché originel, cela ne répugne à aucune parole de Dieu, ni à aucune déclaration de l’Église. Et cela est d’autant plus évident que, jusqu’à présent, aucun adversaire n’a pu citer une parole de l’Écriture ou de l’enseignement de l’Église  ou des conciles où il est affirmé explicitement que la Bienheureuse Vierge Marie a été conçue dans le péché originel.   On nous objecte certains textes de l’Écriture et de conciles généraux, mais ils sont facilement expliqués par ceux qui exemptent Marie de ces sentences.

Tu diras : s’il en est vraiment ainsi, il ne sera pas contre la foi qu’un autre soit dit exempt du péché originel.  Car, l’Écriture ou les Pères ne disent d’aucun autre homme que David qu’il a été conçu dans le péché : « J’ai été conçu dans les iniquités, et ma mère m’a conçue dans les péchés.» (Psaume L).   Je réponds : la foi catholique requiert seulement que nous croyions que tous ceux qui naissent d’Adam, par la génération charnelle, tirent de lui le péché originel, à  moins que par un privilège singulier, quelqu’un ait été exempté de la commune loi. Quand donc on  vient d’autres,  ne sera pas hérétique illico celui qui niera qu’un tel ou un tel ait été conçu dans le péché.  Cependant, c’est témérairement qu’il niera cela, et il méritera, en toute justice, d’être considéré comme un hérétique, à moins qu’il n’apporte des raisons probables, expliquant pourquoi il a jugé que ce privilège singulier convenait à celui-ci.  Or, ces raisons personne jusqu’à présent, ne les a apportées, si ce  n’est pour la bienheureuse Marie.  Mais cela apparaitra plus clairement quad les arguments des adversaires auront été réfutés.

En ce qui a trait au troisième, il nous fera prouver brièvement que ce n’est pas témérairement, mais pieusement et droitement que nous estimons, que par un privilège spécial, la vierge Marie a été immune de tout péché.  On ne doit pas s’attendre à ce que nous citions une parole claire de Dieu ou une définition claire de l’Église. Car, si nous pouvions faire cela, nous ne dirions pas seulement que c’est une chose pieuse de penser ainsi, mais nous considérerions comme des hérétiques ceux qui pensent le contraire.  Ce ne seront donc  que des raisons de probabilité et de convenance qui seront apportées, tirées d’abord des Écritures, puis des Père, ensuite du consentement de l’église, et enfin de la raison.

Dans l’Écriture, nous avons deux figures insignes.  Le premier homme représentait Jésus, comme l’apôtre l’indique : il fut la figure du futur, c’est-a-dire du Christ (Romains 5, 1 Corinthiens 15).  Il appert que le premier homme n’a pas été engendré par l’union d’un homme et d’une femme, mais qu’il a  été fait par Dieu d’une terre non encore maudite à cause du péché.  Il convenait donc que le deuxième homme qui, semblablement, n’était pas né d’un homme et d’une femme, soit formé par l’opération du Saint-Esprit et de la femme, d’une terre non maudite, c’est-à-dire de la vierge Marie qui serait  formée exempte de toute malédiction, de toute peine du péché.  Et c’est peut-être pour cela qu’elle a été saluée par l’ange : «tu es bénie entre toutes les femmes.» Saint André semble le premier à avoir observé cette figure.  Dans le récit de sa passion, les prêtres d’Achaïe rapportent des paroles de saint André : «Comme le premier homme a été fait d’une terre immaculée, il était donc nécessaire que le Christ naisse d’une vierge immaculée.»

Ensuite, Ève a été le type et la figure de Marie, comme l’enseigne Épiphane (dans l’hérésie LXV1111, et un grand nombre d’autres,)  qu’il n’est pas nécessaire d’énumérer.  Il appert manifestement qu’Ève a été conçue sans péché, quand elle a été formée.  Il convenait donc que  la mère de  tous les vivants de la vie spirituelle soit conçue sans péché, comme a été conçue sans péché la mère de tous les vivants de la vie animale.

Se présentent ensuite des textes tirés des cantiques : «Comme le lys entre les épines, ainsi est mon amie entre les filles.»  (Cantique 2),   Cantique 4 : «Tu es toute belle mon amie, et il n’y a pas de tache en toi.»  «Jardin fermé, ma sœur épouse, jardin fermé, fontaine scellée.»  Car même si ces textes peuvent s’entendre de l’église universelle telle qu’elle sera au ciel,  on ne peut pas nier qu’ils conviennent parfaitement à la vierge Marie, d’autant plus qu’un grand nombre de pères ont appliqué ces passages à la Vierge Marie, et que l’Église fait lire ces textes aux fêtes de la Vierge Marie.

Parmi les témoignages des pères, nous avons en premier lieu saint Ambroise, qui (dans son sermon 22 sur le psaume CXV111, dit, commentant le dernier vers : «Reçois-moi non de Sara, mais de Marie, pour que sans corruption  soit la vierge, mais la vierge par la grâce, intègre, intacte de toute tache de péché.» Nous avons ensuite saint Jérôme qui, dans l’explication du psaume LXXV11, dit, en commentant le verset : «il les amena dans la nuée du jour.» que cette nuée est la vierge Marie, et ajoute ces paroles : « Cela est bellement dit, car cette nuée ne fut jamais dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière.»  Nous avons, en troisième lieu, saint Augustin  qui (dans le livre de la nature de la grâce, chapitre 36), parle ainsi : « À l’exception de la vierge Marie. À cause de l’honneur du  au Seigneur, je ne veux pas  qu’il soit question  d’elle, quand il s’agit de péché.  Car, nous savons que, pour vaincre toute sorte de péché, plus de grâces ont été données  à celle qui mérita de concevoir et d’enfanter Celui qui n’eut jamais de péché.»

On a coutume de répondre à ce passage que saint Augustin parle du péché actuel, et non du péché originel.  Mais, il y a plusieurs choses qui nous obligent de penser autrement.  D’abord, parce que saint Augustin dit que, quand il s’agit du péché, il ne veut pas qu’il soit question de Marie.  Par ces paroles, il indique  suffisamment qu’il ne veut pas qu’il soit question de Marie, quand il s’agit  du péché originel.  Ensuite, parce qu’il ajoute qu’à elle, une grâce supérieure a été accordée pour vaincre toute sorte de péché.  Comment a-t-elle pu vaincre toute sorte de péchés, si elle  a  été contaminée par le péché originel ?  Enfin, quand il dit que, à cause de l’honneur du Seigneur,  il ne doit pas être question de la sainte Vierge, quand il s’agit  du péché, il est certain que l’honneur ne demandait pas moins que sa mère soit exempte du péché originel, puisque le péché originel doit nécessairement être mortel, alors que les autres peuvent  n’être que véniels. 

Parce que, d’après l’enseignement de saint Augustin, aucun de ceux qui ont eu le péché originel ne vit sans péché actuel.  Voici, en effet, ses propres paroles dans son livre 5 contre Julien, chapitre 9) : «Il aurait fait encore un plus grand péché s’il avait été petit.  Il n’y a aucun homme, à part lui, qui n’aurait pas fait un plus grand péché à un âge plus avancé, car, il n’y a personne, à part lui, qui n’ait pas eu un péché à la sortir de l’âge infantile.»    Comme, de par la sentence de saint Augustin,  la sainte Vierge ne fit jamais de péché actuel,  comme nous le tirons, ainsi que les adversaires, du livre cité sur la nature et la grâce, il s’ensuit de la sentence de saint Augustin, qu’elle n’a pas eu, non plus, le péché originel, s’il admet sa propre sentence du livre 5 contre Julien. 

Nous avons, en quatrième lieu Sedulius,  qui (dans son, livre 1 sur les merveilles divines, chante, en vers l’expulsion d’Adam du paradis) : «Et comme une rose tendre sort d’épines acerbes, n’ayant rien qui la blesse, de même, quand  Marie sacrée vient de  la souche d’Ève, la nouvelle Vierge expie le crime de l’antique Ève.»  Nous avons, en cinquième lieu, l’auteur des sermons sur les œuvres cardinales du Christ, qui sont attribués à saint Cyprien.  Voici ce qu’il dit dans le sermon sur la nativité : « La justice n’a pas supporté que ce vase d’élection (Marie) soit sujet aux  injures communes.  Car, différant grandement des autres, la nature lui a été communiquée, non la faute.»  Nous avons, en sixième lieu, le patriarche de Jérusalem, saint Sophrone, (qui dans son épitre à Sergius, évêque de Constantinople, laquelle a a été lue au sixième synode, art 2, parle ainsi : «Entrant dans l’utérus  intact de la virginité, dans la chasteté lustrée de la sainte Marie,  et dans toutes les choses qui sont du Dieu sage, Celui qui était sans chair s’incarna  sans subir aucune contagion dans le corps ou l’âme.»

Nous avons en septième lieu, saint Jean Damascène, qui (dans son sermon 1 sur la naissance de la bienheureuse vierge,) écrit beaucoup  de choses au sujet de sa conception immaculée, et il dit, antre autres :« La nature n’osa pas devancer la grâce.» Par ces paroles, il dit clairement que la sainte Vierge n’a pas reçu la nature avant la grâce.  Nous avons un huitième ancien auteur, qui portait le surnom d’Idiot, qui vécut un peu après 800.  Voici ce qu’il écrit dans la contemplation de la vierge Marie, chapitre 2 : « Tu es toute belle, vierge très glorieuse, non en partie, mais en tout, et la tache du péché mortel, véniel ou originel n’est pas en toi.»  Il écrit la même chose au chapitre  6 : « La vierge Marie a été préservée du péché originel.»  Cet auteur semble avoir existé après saint Bernard, lequel emploie les mêmes mots.

Nous avons, en neuvième lieu, saint Pierre Damien qui, dans son sermon sur la naissance de saint Jean-Baptiste, écrit que la sainte Vierge a été purifiée du péché par un genre de purification plus élevé que celui de saint Jean-Baptiste ou de Jérémie, qui ont été , selon la bible, sanctifiés dans l’utérus.  On ne peut pas imaginer un genre de sanctification plus élevé que d’avoir été préservée du péché par la grâce, tandis que saint Jean-Bastiste et Jérémie ont été sanctifiés des péchés dans lesquels ils étaient déjà tombés.»  Le même Pierre, dans son sermon sur l’annonciation de la bienheureuse vierge Marie, écrit : «Tout ce que Dieu a fait a été très bon.  Mais il a fait beaucoup mieux en se consacrant en elle un reposoir doré, dans lequel seul,  après les bruits tumultueux des anges et des hommes, il viendrait se reposer, et trouverait le repos.»

Nous avons, en dixième lieu, Bruno, qui, dans son commentaire du psaume C1 : «  Du haut du ciel, le Seigneur a jeté un regard sur la terre, quand il vint des sièges royaux dans l’utérus de la vierge.  Voilà la terre non corrompue que le Seigneur a bénie, et qui est, à cause de cela, libre de la contagion du péché.»   Nous avons, en onzième lieu, saint Anselme qui (dans le livre de la conception virginale et du péché originel),  écrit, au chapitre 18 : «Il convenait que sa conception (celle du Christ)  provienne d’une mère très pure,  pour que la Vierge brille d’une pureté plus grande que tout ce qu’on peut concevoir en-dessous de Dieu.»  Or, comment pourrait-elle avoir une plus grande pureté que tout ce qu’on peut concevoir en-dessous de Dieu, si elle avait été souillée par la tache du péché ?  Les anges, qui sont en-dessous de Dieu, brillent par la pureté.  Et  ils ne furent même jamais souillés par aucune tache.  Le même saint Anselme  (dans son commentaire du chapitre 5 de l’épitre 2 aux Corinthiens) dit :  « Tous, sans exception, sont morts dans les péchés, sauf la Vierge Marie, qui a été préservée des péchés originaux et volontaires, qui s’y ajoutent.»

Nous avons, en douzième lieu,  la cathena grecorum dans le poème composé par Theodoret.  Or, dans le livre 3, nous lisons, presque vers la fin : « La vierge Marie est appelée colombe et unique, dans le cantique, parce qu’elle vainc les chérubins et les séraphins en pureté.»   Or, elle ne vaincrait surement pas les séraphins et les chérubins en pureté, qui n’ont jamais commis de péché, s’il elle avait contracté le péché originel.   J’omets les témoignages des écrivains récents, ceux de Laurent Justinien, de saint Bernard de Sienne, et des autres.  J’ai pensé qu’on ne devait présenter que les témoignages de ceux qui vécurent avant que ne commence  cette controverse.

Venons-en au consentement de l’Église qui, depuis plusieurs années, est très fort.  D’abord, le pape Sixte 4 dans extravagants.  Il atteste ouvertement là que la sentence sur l’immaculée de la vierge est« pieuse et probable».  Furent du même avis Alexandre 6, Jules 2, et Léon 10.  Ce qui est, chez eux tout à fait remarquable, c’est qu’ils approuvèrent un ordre religieux fondé en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie.  Ensuite, le concile  de Bâle, qui décréta que cette sentence devait être tenue comme plus probable. Même si ce concile ne définit pas la foi comme un vrai concile œcuménique,   cependant, il nous fait facilement comprendre que c’est ce que pensaient plusieurs docteurs provenant de différentes provinces  ou pays.  On peut ajouter à cela que des académies illustres, et surtout celle de Paris, embrassent cette sentence.  Enfin,  le peuple chrétien de toute la terre célèbre la conception immaculée de la Vierge Marie.

Les raisons ne font pas défaut, non plus, pour confirmer cette sentence.   Car, il est certain que Dieu pouvait préserver la vierge Marie du péché originel.  IL est probable aussi qu’il l’ait voulu.  Il est donc probable qu’elle ait été préservée de cette contagion du péché.  Que Dieu ait pu faire cela, on ne peut pas  le nier.  Car, ni de la part de Dieu, ni de la part de la créature, on ne voit de répugnance.  Non de la part de Dieu, parce qu’il est tout puissant, et que rien n’est impossible à Dieu.  Non de la part de la créature,  car, rien n’empêche qu’au même temps, une âme rationnelle  soit créée par Dieu, et remplie de sa grâce.  C’est ce que nous croyons qui a été fait dans la création des anges et des âmes de nos parents, et avec encore beaucoup plus de certitude, dans l’âme du Christ.   Ensuite, si l’âme peut être justifiée après qu’elle ait commencé à faire des péchés,   et donc, d’injuste devenir juste, comme nous ne doutons pas que c’est ce qui se passe en nous,  pourquoi une âme ne pourrait-elle pas être sanctifiée dans la création même, avant qu’elle commence à pécher ?

Tu diras que préserver une âme du péché ne répugne pas à la volonté de Dieu, mais cela lui répugne depuis qu’a été posé le décret divin immuable, par lequel Dieu a statué que si Adam ne péchait pas, tous les humains seraient conçus dotés de la justice originelle, mais que s’il péchait, ils seraient conçus dans l’iniquité, et deviendraient, par nature, fils de la colère.

 Je réponds que ce décret divin doit être compris ainsi.   Si Adam avait péché, tous les humains, qui tirent de lui son origine,   auraient été pollués  par le péché. de par la vertu de la conception, et n’auraient aucun droit à la justice qu’ils avaient reçue dans le premier parent.  Mais, cependant, par ce décret, n’a pas été enlevé à Dieu le pouvoir de préserver quelqu’un du péché à cause de sa miséricorde, et par un privilège singulier.   Car, nous croyons que d’Adam ce n’est pas seulement le péché qui a rebondi sur le genre humain, mais aussi la mort, et cela, à cause d’un décret de Dieu, comme il est écrit : « Quel que soit le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort.»  Voila pourquoi l’apôtre a dit aux Corinthiens 1, chapitre 15 : « Tous meurent en Adam.»  Et cependant, qui doute que Dieu soit capable de faire quelqu’un qui ne mourra pas ?  Car, il semble qu’on satisfait au décret si tous les fils d’Adam sont sujets à la mort. 

À cause de ce décret de Dieu, tous les hommes non seulement son conçus, mais naissent dans le péché, en ce qui a trait à la vertu de la génération humaine.  Et voilà pourquoi ils doivent nécessairement naître de nouveau, car, ce qui est né de la chair est chair.    Et s’ils ne renaissent pas de l’eau et de l’Esprit Saint, ils ne peuvent pas entrer dans le royaume des cieux, comme le Seigneur l’a dit en saint Jean .  Et pourtant, nous lisons que Jérémie a été sanctifié avant qu’il sorte du sein de sa mère (Jérémie 1).  Et, au sujet de saint Jean-Baptiste,  l’ange a dit à Zacharie : «Il sera rempli de l’Esprit-Saint quand il sera encore dans le sein de sa mère (Luc 1).   Et, au sujet de la vierge Marie, aucun catholique ne doute qu’elle ait été sanctifiée dans l’utérus de sa mère.

Nous avons donc que Dieu pouvait conserver la vierge exempte de tout péché, et la faire sainte et juste dans sa création.  Qu’il l’ait voulu, nous pensons pouvoir le démontrer suffisamment par ces raison qu’apporte saint Thomas (3 par question 17 art 1) «la mère de Dieu devait être exempte de tout péché actuel.»  La première raison est que tant l’honneur que la honte de la mère rejaillit sur le fils.  La seconde.  Parce que la mère du Christ, a, avec lui, une affinité et unité singulière.  Et quelle connivence y a –t-il entre le Christ et Bélial ?  La troisième. Parce que le Fils de Dieu qui est la sagesse de Dieu, a habité dans sa mère. «La sagesse n’entrera pas dans une âme qui veut le mal.  Elle n’habitera pas, non plus, dans un corps, soumis au péché.» (Sagesse 1, 2).  La quatrième. Car, il devait, dans la vierge, accomplir  le témoignage de l’époux céleste : «Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de tache en toi.» (Cantiques 3.)

Ces raisons prouvent qu’il convenait que la mère de Dieu soit exempte de tout péché actuel,  et, si la chose était possible, du péché originel.  Et plus du péché originel que du péché véniel, puisque le péché originel pollue plus et déforme plus, et unit avec Bélial, et soumet le corps et l’âme au  péché beaucoup plus que ne le fait le véniel.   On peut ajouter une cinquième raison.  Car, quand Dieu statua d’élever la très sainte Vierge à la dignité suprême, de façon à ce qu’elle passe avant toutes les pures  créatures, et même les anges, --sur quoi il ne peut pas y avoir de controverse—c’est comme s’il avait décrété qu’il n’y aurait jamais d’autre privilège concédé à une autre créature qui ne soit aussi accordé à la sainte Vierge, à moins qu’il  ne répugne à la condition, l’état, le sexe ou la nature.   Or, être sanctifiés dans la première création a été donné à nos premiers parents; être sanctifié dans la création elle-même, et ne jamais commettre de péchés, cela a été donné aux anges.  Et ce privilège ne répugne pas à la Vierge Marie, pour les raisons citées plus haut.   Il est donc pieux de croire que la mère de Dieu n’a été privée d’aucun de ces privilèges.

Se présentent, à la fin, les révélations divines que saint Brigitte atteste avoir eues sur ce sujet (livre 1, chapitre 9, livre 6, chapitre 19 et 55.  Ces révélations sont loin d’être à rejeter, car elles ont été approuvées et recommandées par de graves docteurs.