LIVRE 3
CHAPITRE 1 : On propose une dispute
sur l’antichrist
CHAPITRE 2 : L’antichrist sera un
homme
CHAPITRE 3 : On montre que l’antéchrist
n’est pas encore venu
CHAPITRE 4 : On explique la première
démonstration : l’antéchrist n’est pas encore venu.
CHAPITRE 5 : On explique la deuxième
démonstration
CHAPITRE 6: On explique la troisième
démonstration
CHAPITRE 7 : On explique la quatrième
démonstration
CHAPITRE 8 : On explique la cinquième
démonstration
CHAPITRE 9 : On explique la sixième
démonstration
CHAPITRE 10 : Le nom de l’antéchrist
CHAPITRE 11 : La marque de l’antéchrist
CHAPITRE 12 La génération de l’antéchrist
CHAPITRE 13 : Le siège de l’antéchrist
CHAPITRE 14 : La doctrine du Christ
CHAPITRE 15 : Les miracles de l’antéchrist
CHAPITRE 16 : Le règne et les guerres
de l’antéchrist
CHAPITRE 17 : Gog et Magog
CHAPITRE 18 : On réfute les accusations
délirantes des hérétiques par lesquelles ils affirment, sans jamais
pouvoir le prouver, que le pape est l’antéchrist.
CHAPITRE 19 : On réfute les billevesées
du synode smalchadique des luthériens
CHAPITRE 20 : On réfute les mensonges
de Calvin
CHAPITRE 21 : On réfute les mensonges
d’Illyricus
CHAPITRE 22 : On réfute les inepties
de Tilmann
CHAPITRE 23 : On réfute les mensonges
de Chytraeus
1 Première antithèse « De la vraie
connaissance et de la vraie invocation de Dieu »
2 La deuxième antithèse « Du rôle
et des bénéfices du Christ »
3 La troisième antithèse
4 La quatrième antithèse
5 La cinquième antithèse
6 La sixième antithèse
7 La septième antithèse
8 La huitième antithèse
9 La neuvième antithèse
10 La dixième antithèse
11 La onzième antithèse
CHAPITRE 24 : On réfute les arguments
de Calvin et d’Illyricus avec lesquels ils cherchent à prouver que le
pape n’est plus évêque. On réfute aussi la fable de la papesse Jeanne.
2017 11 06 19h24 début
LIVRE 3
CHAPITRE 1 : On propose une dispute sur l’antichrist
Nous avons démontré que le pontife
romain a succédé à Pierre dans la principauté suprême de toute
l’Église. Il nous reste à voir si le pape a été
déchu de ce grade à un certain moment de l’histoire. Car,
nos adversaires soutiennent que l’évêque de Rome d’aujourd’hui
n’est plus ce qu’il était autrefois. C’est ainsi, en
effet, que s’exprime Nil, à la fin de son libelle sur le primat du pontife
romain : « Le résumé et le point capital de mon discours consiste en
ceci : tant que le pape conserve l’ordre convenable, céleste,
et antique, tant qu’il garde et protège la vérité céleste, et tant
qu’il adhère au Christ, seigneur, tête suprême et véritable de l’Église,
je supporte facilement qu’il soit la tête de l’église et le prêtre
suprême, et s’il lui plait, le successeur de Pierre et des autres apôtres.
Je supporte aussi que tous lui obéissent, et qu’on ne diminue
en rien l’honneur qui lui revient. Mais s’il s’éloigne
de la vérité, et s’il ne veut pas y revenir, il doit être avec
raison considéré comme un damné et un réprouvé. » Il
avait donc l’obligation de montrer dans quelles erreurs les pontifes
romains étaient tombés, et quand et par qui ils ont été condamnés.
Car, nous savons qu’au concile général du Latran, sous Innocent 111,
de Lyon sous Grégoire X, et de Florence sous Eugène 1V, les Grecs, convaincus
d’erreur, étaient revenus à la foi des Latins, mais étaient toujours
retournés ensuite à leur vomissement, et avaient été punis par Dieu
gravement à cause de cela. Mais on ne peut nous montrer aucune
sentence ecclésiastique portée contre les latins, comme nous en présentons
beaucoup contre les Grecs.
Voici ce qu’écrit Calvin (livre
4, chapitre 7, verset 23 des institutions) : « Que soient vraies toutes
les choses que nous leur avons déjà arrachées des mains, à savoir que
Pierre ait été constitué par la voix du Christ tête de l’Église
universelle, qu’il ait déposé dans le siège romain cet honneur qui
lui avait été accordé personnellement, que cela ait été sanctionné
par l’autorité de l’ancienne église, que tous aient toujours reconnu
que le pouvoir suprême appartenait au pontife romain, qu’il était le
juge de tous les hommes et de toutes les causes, qu’il ne pouvait être
jugé par personne, et qu’ils en ajoutent encore, s’ils le veulent,
je répons à cela par une seule phrase : tout cela ne vaut rien
s’il n’y a présentement ni église ni évêque de Rome. »
Et plus bas (verset 24) : « Que les papistes me réfutent s’ils le peuvent
: je nie que leur pontife soit le prince des évêques, parce qu’il n’est
même pas évêque. » Et plus bas : « Rome a vraiment été autrefois
la mère des églises. Mais, à partir du moment où elle devint le siège
de l’antichrist, elle cessa d’être ce qu’elle était. » Et,
plus bas (25) : « Quelques-uns nous considèrent comme des révoltés
et des maudits quand nous appelons le pontife romain antichrist.
Mais, ceux qui pensent ainsi ne comprennent pas que saint Paul a simulé
l’immodestie. Nous parlons comme lui, et, pour ainsi dire, par
sa bouche. Et pour que personne ne nous reproche de détourner Ã
tort sur le pontife romain les paroles de saint Paul qui s’adresseraient
à un autre, je montrerai brièvement qu’on ne peut entendre ses
paroles que de la seule papauté. »
Tous les autres hérétiques de
ce temps disent des choses semblables, et surtout Luther (dans la supputation
des temps, articles 28, et 36, et souvent ailleurs). De même, les
magdebourgeois (centurie 1, livre 2, col 134; et dans les centuries suivantes
chapitres 4, 7, et 10), Illyricus (dans le livre de la primauté),
David Chytraeus (chap 9 et 13 de l’apocalypse). De même Wolfgang
Musculus (lieux communs, église). Théodore de Bèze (dans
son commentaire de 2 thessl 2), Theodore de Bibliander (chronique, tables
10, 11, 12, 13, 14), Henri Pantaléon (chronologie), Henri Bullingerus
(préface de ses homélies sur l’Apocalypse). Et, avant eux tous, Jean
Wiclef (article 30), un de ceux qui furent condamnés au concile de Constance,
session 80). Il avait déclaré que le pape était l’antichrist.
Pour bien expliquer cette question nous
la traiterons en neuf chapitres. Le nom de l’antichrist.
L’antichrist est-il un homme, ou un groupe d’hommes ? Le
temps de son avènement et de sa mort. Son nom propre. De quelle nation
naîtra-t-il, et par qui sera-t-il surtout reçu ? Où fixera-t-il son
siège ? Sa doctrine et ses mœurs. Son règne et ses guerres.
Toutes ces choses montreront clairement avec quelle impudence les hérétiques
font du pape l’antichrist. Nous ajouterons ensuite un chapitre
dans lequel nous prouverons que non seulement le pape n’est pas l’antichrist,
mais qu’il n’a jamais cessé d’être le pasteur et la tête de toute
l’Église. Et les objections de Calvin s’envoleront en
fumée.
Quelques-uns de nos adversaires
prétendent que le nom d’antichrist signifie vicaire du Christ, et donc
le pape, qui se dit vicaire du Christ. L’antichrist serait donc,
pour eux, le pape en tant que vicaire du Christ. C’est ce qu’enseigne
Wolgang Musculus (lieu cité, chapitre du pouvoir du ministre). Et
il le prouve en disant que « anti » signifie « vice » (à la
place de). L’antichrist serait donc un remplaçant du Christ.
Comme antispatègos : celui qui a pris la place du chef, c’est-à -dire
qui veut être considéré comme le vicaire du chef. Les magdebourgeois
(centurie 1, livre 2,chapitre 4, col 435) enseignent que le pape est le
véritable antichrist parce qu’il s’est fait vicaire du Christ.
Mais, ils se trompent lourdement, ou ils font tout ce qu’ils peuvent
pour se tromper. Car, le nom d’antichrist ne peut, en aucune
manière, signifier vicaire du Christ, mais seulement quelqu’un qui lui
est contraire. Non contraire d’une façon quelconque, mais
à la manière de quelqu’un qui convoite son siège et sa dignité,
qui est l’émule, le rival du Christ; et qui, après l’avoir
rejeté, veut être considéré comme le vrai Christ.
Que ce soit cela le véritable sens
du mot, on peut le prouver de trois façons. D’abord, parce que,
chez les Grecs, ce préfixe signifie proprement l’opposition. Et
comme on oppose non seulement des choses qui sont différentes, mais aussi
celles qui sont semblables, il s’ensuit que anti signifie tantôt la
contrariété, tantôt l’équivalence, mais jamais la subordination,
comme on peut le prouver par tous les noms semblables. Antipalos
signifie un émule à la lutte; antidote un remède contraire; antiphrasis,
une locution contraire; antisrophos : équivalent; antitheos : égal Ã
Dieu; antikeip : pouce, parce qu’il est opposé aux autres doigts par
un espace, et parce qu’il équivaut à tout le reste de la main.
Or, le vicaire ne représente pas une opposition, mais une subordination
à quelque chose. Il ne peut donc pas être rendu par le préfixe
anti.
De plus, le mot antispatègos ne
signifie pas vicaire du chef, mais, ordinairement, un chef contraire.
Comme antispateuomai. Une guerre est livrée par un inférieur. Mais
dans la mesure où il prend la place du chef, il ne combat pas en
tant que sujet mais en tant qu’égal. De la même façon, en latin,
pro préteur ou pro consul ne signifie pas vicaire du préteur ou du consul,
mais celui qui est ce qu’est un préteur dans une province, ou un consul
dans une ville. Et voilà ce qui a induit Musculus en erreur. Ayant
lu dans Buda qu’antispatègos signifiait pro préteur, il a pensé qu’il
signifiait vicaire du préteur, ce qui est un contre sens.
On le prouve en deuxième lieu Ã
partir de l’Écriture. Même si ce mot était en lui-même ambigu,
il ne l’est pas dans l’Écriture, si on considère la façon dont il
est employé. Alors, la question n’est pas : que signifie le mot
antikristos en lui-même, mais quel sens lui donne l’Écriture ?
Or, dans l’Écriture, l’antichrist est décrit comme (2 thessal 2)
: « Celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui est dit Dieu. » Il
n’est donc pas un vicaire, mais un ennemi du vrai Christ de Dieu.
Et en 1 Jean 2, on dit que l’antichrist est celui qui nie que Jésus
est le Christ, et qui se fait passer pour le Christ. En, en
Matt 24, on dit que l’antichrist affirmera qu’il est lui-même le Christ,
ce qui n’est point le fait d’un vicaire, mais d’un émule ou d’un
rival.
On le prouve en troisième lieu
par tous les commentateurs de ces textes, et par l’idée que tous les
chrétiens se font de lui. Par antichrist, ils entendent tous
un puissant pseudo christ. Et c’est de cette façon qu’expliquent
ces textes, chez les Grecs, saint Jean Damascène (livre 4 de la foi, chapitre
28), et saint Jérôme chez les Latins, lequel fut aussi un grand connaisseur
de la langue grecque (question 2 Ã Algasie). Enfin, Henri Stephanus
commente ces textes de la même façon, même s’il est du nombre des
hérétiques de Genève. Voilà donc quel est notre premier argument
contre nos adversaires. Comme le mot antichrist signifie un ennemi
et un rival du Christ, et comme le pontife romain se présente comme un
disciple du Christ, et son humble serviteur, et comme il ne dit pas
qu’il est le Christ, ni ne s’égale jamais à lui, il est manifeste
qu’il n’est pas l’antichrist.
CHAPITRE 2 : L’antichrist sera un homme
En ce qui a trait à cette deuxième question,
nous sommes du même avis que nos adversaires sur un point, et d’un avis
contraire sur un autre. Nous sommes d’accord avec eux
qu’on peut entendre le nom de Christ de deux façons. Tantôt pour
le Christ proprement dit qui est Jésus de Nazareth, tantôt pour tous
ceux qui ont en commun avec le Christ le fait d’avoir été oints.
On appelle christ, en effet, les prophètes, les rois et les prêtres (psaume
104) (« Ne touchez pas à mes christ. » On peut également aussi
entendre le mot antichrist de deux façons. Au sens strict, pour
celui qui est l’ennemi par excellence du Christ, dont parlent saint Paul
(2 thess 2) et saint Jean (5), l’antichrist proprement dit. On
peut entendre aussi le mot, dans un sens général, de tous ceux qui, d’une
façon ou d’une autre, combattent le Christ, comme nous le montre saint
Jean (1,2) : « Vous avez entendu que l’antichrist vient. Et maintenant,
plusieurs sont devenus des antichrist. » Il ne peut vouloir dire
que ceci . Vous avez entendu dire que viendrait l’antichrist.
Et même si cet antichrist n’est pas encore venu, plusieurs séducteurs
sont cependant déjà venus, qu’on peut appeler aussi antichrist.
Mais ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord
avec eux, c’est la question suivante : l’antichrist est-il une seule
personnelle individuelle ? Les catholiques sont tous unanimes Ã
penser et à enseigner que l’antichrist est une seule personne. Mais
les hérétiques que nous avons déjà cités enseignent que l’antichrist
proprement dit n’est pas une personne unique, mais une lignée
royale ou un royaume tyrannique et le siège apostat de ceux qui président
dans l’Église. Les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre
4, col 435) écrivent : « Les apôtres enseignent que l’antichrist ne
sera pas une seule personne, mais une dynastie qui règnera, dans le temple
de Dieu, c’est-à -dire l’Église, par le moyen de faux docteurs,
qui présideront dans la grande ville, c’est-à -dire Rome, un royaume
obtenu par l’opération du démon, par la fraude et la duplicité. »
Ceux que nous avons cités plus haut disent des choses semblables.
Voici les raisons qu’ils mettent de
l’avant. La première. Saint Paul dit (2 thessal 2) que,
déjà , en son temps, l’antichrist avait commencé à séduire
dans l’Église: « Le mystère d’iniquité opère déjà . »
Et pourtant, il dit au même endroit que l’antichrist sera tué à la
fin du monde. Bèze en tire l’enseignement suivant : « Ce sont
manifestement des demeurés ceux qui pensent que ces paroles se rapportent
à un seul homme. Il faudrait, en effet, pour me convaincre,
qu’ils soient capables de me présenter un homme qui a vécu depuis
le temps de saint Paul jusqu’à aujourd’hui. » Jean Calvin
raisonne de la même façon. Et il confirme son point de vue par
saint Jean (épitre 1, chapitre 4) : « Tout esprit qui divise Jésus n’est
pas de Dieu, et c’est celui-là l’antichrist, de qui vous avez
entendu qu’il vient. Et il est maintenant dans le monde. »
Le deuxième argument est celui de Bèze. Par les noms
des bêtes (ours, lion, léopard, chapitre 7), Daniel n’entend pas des
rois particuliers, mais des lignées royales. De la même façon,
dans le texte (2 thessal 2) qui ressemble à celui de Daniel, saint Paul
n’entend pas, par fils de perdition, une seule personne, mais une
succession de tyrans. Le troisième argument est celui
de Calvin. « Ils errent et ils délirent ceux qui pensent que l’antichrist
dont nous parle saint Paul aux thessaloniciens est un seul homme, et que
l’apostasie sera l’œuvre d’un seul homme. Car l’apostasie
généralisée est un éloignement de la foi de toute une société et
de tout un royaume. Et cela ne peut pas se faire en quelques
années, ni ne peut s’accomplir sous un seul roi ».
Nonobstant ce qui précède, la vérité
est que l’antichrist est un seul homme. On le prouve facilement
à l’aide de tous les textes de l’Écriture et des pères qui traitent
de ce sujet. Il y a, dans toute l’Écriture, cinq passages qui
parlent de l’antichrist. Le premier est celui de saint Jean
(évangile 5) : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez
pas reçu. Un autre viendra en son nom, et vous le recevrez. »
Musculus et Calvin (dans leurs commentaires de ces passages) prétendent
que Jésus parle ici des faux prophètes en général, et non d’un apostat
en particulier. Mais ils ont contre eux l’interprétation
de tous les anciens, et le sens obvie du texte lui-même. Car,
que ces paroles se rapportent à l’antichrist, saint Jean Chrysostome
et saint Cyrille l’attestent dans leurs commentaires de ce texte.
Enseignent aussi la même chose saint Ambroise (2 Thessal 2), saint Jérôme
(dans son épitre à Algasie, question 2), saint Augustin (traité 29 sur
Jean), saint Irénée (livre 5 contre l’hérésie de Valentin), Theodoret
(dans l’épitre des décrets divins, chapitre sur l’antichrist), et
les autres.
De plus, le Seigneur s’oppose ici lui-même
à un autre homme. Il s’agit donc d’une opposition de personne à personne,
et non de royaume à royaume, ni de secte à secte, comme le choix des
mots le montre : moi, autre, en mon nom; en son nom, moi, lui.
Comme le Christ a été un seul et même homme, l’antichrist sera un
seul et même homme. Jésus dit ensuite que les Juifs
verront dans l’antichrist le messie. Or, il est certain que
les Juifs attendent un homme, et non une dynastie. De plus, tous
les autres faux prophètes vinrent dans le nom d’un autre, non dans le
leur. Saint Jérôme (14) : « C’est faussement que les prophètes vaticinent
en mon nom. Je ne les ai pas envoyés. » Or, Jésus parle
ici de quelqu’un qui vient en son nom, c'est-à -dire qui ne reconnait
pas Dieu, mais qui, comme l’explique saint Paul, s’élève au-dessus
de tout ce qui se dit dieu. » Enfin, beaucoup de faux prophètes
sont venus avant l’avènement du Christ; beaucoup d’autres avaient
à venir après. S’il avait voulu parler des faux prophètes, notre
Seigneur n’aurait donc pas dit : « si un autre vient, mais si plusieurs
viennent ».
Le second texte est celui de saint Paul
(2 Thess 2) : « À moins que ne vienne d’abord l’apostasie, et que
ne soit révélé l’homme du péché, le fils de perdition… »
Et plus bas : « Alors sera révélé l’impie que le Seigneur Jésus
tuera du souffle (l’Esprit) de sa bouche. » Même les adversaires
entendent ce passage du vrai antichrist. Il en effet évident, que
l’apôtre parle d’une seule et même personne. Épiphane insiste
sur un point : un nom avec l’article ou sans article. Sans article,
le nom a un sens général, tandis que l’article particularise et individualise,
et fait d’un homme en général un homme particulier. Or,
l’homme de péché est employé ici avec l’article. L’antichrist
est donc un homme unique. Je m’étonne que nos adversaires,
qui se vantent de leur connaissance du grec, n’aient pas noté ce point.
Le troisième est celui de saint Jean
(1 Jean 2) : « Vous avez entendu que l’antichrist vient. Or, maintenant,
beaucoup sont devenus des antichrist. » À l’antichrist proprement
dit, il donne l’article, et aux autres, non. Autre preuve, donc,
que l’antichrist proprement dit est une seule et même personne.
Car, quand l’antichrist est formé de tous les hérétiques, il n’a
pas d’article. Le quatrième texte est celui de Daniel (7, 11,
et 12, et les chapitres où il parle de l’antichrist). Les saints
pères nous enseignent que Daniel parle de l’antichrist. Saint
Jérôme et Théodoret, (dans leurs commentaires sur ce texte), saint Irénée
(livre 5), saint Augustin (livre 20 de la cité de Dieu, chapitre 23),
ainsi que Calvin, les magdebourgeois et Bèze (lieux cités). Dans
ce texte, on n’appelle pas l’antichirst une dynastie, mais un
seul roi qui, des dix rois qu’il trouvera dans le monde, en éliminera
trois et s’assujettira les sept autres. Ajoutons que Calvin
enseigne que Daniel parle littéralement du célèbre Antiochus ,
et allégoriquement, de l’antichrist, dont Antiochus était un type.
C’est ce qu’enseignent aussi saint Cyprien (chapitre 2 du livre sur
l’exhortation au martyre, et saint Jérôme (dans Daniel chapitre 2 et
12). Or, Antiochus a été une personne particulière, un individu, un
être unique; l’antichrist doit donc être lui aussi une personne
particulière, un être unique.
Le cinquième et dernier passage est celui
de l’apocalypse (13 et 17). Que ces passages portent sur l’antichrist,
c’est ce qu’enseigne saint Irénée (livre 5), et la similitude de
leurs mots avec ceux de Daniel et de saint Jean. Car l’un et l’autre
font mention de dix rois, qui seront sur la terre quand viendra l’antichrist,
et ils auront eux aussi, comme durée de règne, trois ans et demi. Or,
Daniel parle d’un seul et même roi, ainsi que saint Jean dans son apocalypse.
On peut prouver la même chose avec des
citations des pères, qui enseignent à l’unanimité que ces passages
se rapportent à l’antichrist. Il sera, d’abord, nous dit-on,
un instrument de choix du diable, de façon telle qu’en lui, habitera
corporellement la plénitude de la malice diabolique, comme dans le Christ
habite corporellement la plénitude de la divinité. Ils ajoutent
ensuite qu’il ne règnera que trois ans et demi. Ils enseignent
donc qu’il sera un seul homme, et qu’il viendra dans le futur.
Voir saint Irénée (livre 5, vers la fin), saint Cyrille de Jérusalem
(catéchèse 15), saint Jean Chrysostome (commentaire de 2 Thessal 2),
Theodoret (chapitre 7 de Daniel), Lactance (épitre de la divine justice,
chapitre 11), saint Ambroise (chapitre 21, Luc), saint Jérôme (chapitre
7 de Daniel, et question à Algasie), saint Augustin (livre 20 de la cité
de Dieu, plusieurs chapitres, et le psaume 9), saint Grégoire (livre 32
de la morale, chap 12), Damascène (livre 4, fhapitre 28), saint Hyppolite
martyr (dans la consommation du monde).
Au premier argument de Bèze, je déponds
que l’antichrist a commencé à séduire au temps des apôtres, mais
dans ses précurseurs, non en personne. Comme le Christ est venu
depuis l’origine du monde, dans les patriarches et les prophètes qui
le précédaient et préfiguraient, de sorte qu’on peut dire que le mystère
de piété a commencé à se manifester dès le début du monde, bien qu’il
ne vînt en personne que quand il naquit de la bienheureuse vierge Marie,
de la même façon l’antichrist a commencé à agir dans ses précurseurs,
après l’ascension du Seigneur. Le mystère d’iniquité se manifesta
,en effet, dans les hérétiques et les tyrans qui persécutèrent l’Église,
et surtout dans Simon le magicien qui se disait le Christ, ainsi que dans
Néron qui fut le premier empereur romain à persécuter les chrétiens.
Mais il ne viendra néanmoins en personne qu’à la fin du monde.
Voilà pourquoi la persécution spirituelle de Simon le magicien et celle
du temps de Néron portent le nom de mystère d’iniquité, car elles
sont des signes et des figures de la persécution de l’antichrist.
Que ce soit là la vraie explication du
texte de saint Paul, nous pouvons en donner deux preuves. La première.
Tous les commentateurs de ce passage entendent par mystère d’iniquité
ou la persécution de Néron, comme saint Ambroise, saint Jean Chrysostome
et saint Jérôme (question 2 à Algasie), ou les hérétiques qui trompent
sournoisement, comme Theodoret et Sedulius, et saint Augustin (livre 20,
chapitre 19 de la cité de Dieu). La seconde est tirée de la confession
des adversaires, car ils disent que l’antichrist est, au sens propre,
le siège du pontife romain. Si l’antichrist proprement dit
est né au temps des apôtres, il s’ensuivrait que saint Pierre et saint
Paul ont été des antichrist proprement dits, bien que cachés; et Néron
et Simon le magicien, le véritable Christ. Car il appert qu’au
temps des apôtres, il n’y a pas eu à Rome d’autres évêques que
Pierre et Paul. Saint Irénée, en effet, affirme en toutes lettres
(livre3, chapitre 3), que le siège romain a été fondé par Pierre et
Paul, et qu’ils ont été les premiers à y présider. Et c’est
ce que tous les auteurs anciens enseignent, comme nous l’avons montré
plus haut. Et il est avéré, également, que Simon et Néron ont
lutté contre Pierre et Paul. Si les adversaires répugnent à entendre
que Pierre et Paul aient été l’antichrist, et Simon et Néron
le vrai Christ, ne se voient-ils pas forcés d’admettre qu’au temps
des apôtres, l’antichrist n’est pas apparu en personne, mais seulement
dans ses types ? Donc, la conclusion que tirait Bèze à savoir que
le Christ ne pouvait être un seul homme puisqu’il aurait du vivre jusqu’Ã
la fin du monde, cette conclusion, dis-je, après ce que nous venons
de démontrer, s’avère risible.
Au sujet de la confirmation, je réponds
que saint Jean s’exprime de la même façon que le Seigneur quand il
parle d’Élie (Matt 17) : « Élie viendra et restituera toute chose.
Je vous dis même qu’Élie est venu, et que vous ne l’avez pas connu
». C’est-à -dire, qu’Élie viendra en personne, mais qu’il
est déjà venu dans son type, saint Jean-Baptiste. Au
sujet du second argument, je nie d’abord que chaque bête signifie un
certain règne. Car, par bête, il entend tantôt un royaume, comme au
chapitre 7, où par lion il entend le royaume des Assyriens, par
ours, le royaume des Perses, et par léopard, celui des Grecs; et par une
autre bête innommée le règne des Romains. Tantôt un seul roi,
comme au chapitre 8, où, par bélier, il entend Darius, le dernier roi
des Perses, et par bouc le roi Alexandre. Je nie ensuite la
conséquence de l’argument. Car, par homme du péché, saint Paul
ne désigne pas une des quatre bêtes décrites, mais une petite corne,
qui, chez Daniel, prévalut sur les dix cornes de la quatrième bête,
un seul roi, donc, qui a cru de telle façon qu’il se soit assujetti
tous les autres rois.
Au dernier argument, je réponds de plusieurs
façons, afin que l’on comprenne avec quelle impudence Calvin a
parlé quand il a dit qu’ils s’aveuglent eux-mêmes ceux qui ne concluent
pas de son argument que c’est le pontife romain qui est l’antichrist.
La première réponse. On peut facilement comprendre que, par apostasie,
saint Paul parle de l’antichrist. C’est ainsi que l’entendent
unanimement tous les commentateurs de ce passage. Saint Jean Chrysostome,
Theodoret, Theophylactus et Oecumenius, et surtout saint Augustin (dans
la cité de Dieu, livre 20, chapitre 19). On dit que l’antichrist
est l’apostasie, autant par métonymie, parce qu’il sera, pour beaucoup,
une cause de se détacher de Dieu, que par l’excellence, car il sera
un apostat si complet et parfait qu’on pourra lui donner le nom d’apostasie.
La deuxième. Par apostasie, on peut aussi entendre une sécession
de l’empire romain, comme plusieurs auteurs latins l’expliquent : saint
Ambroise, Seculius, et Primasius. Car, comme nous le démontrerons
au chapitre suivant, l’antichrist ne viendra pas avant que soit complètement
détruit l’empire romain.
La troisième réponse. Si, par apostasie,
nous entendons une défection de la vraie foi et de la religion du Christ,
(comme le montreCalvin), nous ne serons quand même pas contraints de baisser
pavillon. Car, rien n’obligeait saint Paul à parler d’une apostasie
de plusieurs siècles. Il a tout à fait bien pu parler d’une apostasie
générale exceptionnelle qui ne sévirait que pendant peu de temps, celui
du règne de l’antichrist. Et c’est ainsi qu’ont entendu ce
texte plusieurs pères, comme saint Augustin (la cité de Dieu, 20, 19).
Ils enseignaient qu’à l’apparition de l’antichrist, tous les hérétiques
occultes, et les chrétiens fictifs, se joindraient à lui, formant une
apostasie d’une grandeur telle qu’on n’en a jamais vu de semblable,
et qu’on n’en verra jamais. La quatrième. Même si nous
accordions à Calvin que saint Paul parle d’une apostasie de plusieurs
siècles, il n’y gagnerait rien. Car, nous pourrions dire que cette apostasie
n’appartient pas à un seul corps, à un seul règne de l’antichrist,
ni ne possède une seule tête, mais qu’elle est une préparation du
règne de l’antichrist, ce qui a lieu dans différents lieux, sous différents
rois, dans des circonstances variées. Ne voyons-nous pas, par exemple,
une Afrique tombée entre les mains de Mahomet ? Une grande partie de l’Asie,
sous la coupe de Nestorius et d’Eutychès, et d’autres provinces dans
d’autres sectes ?
La cinquième et la dernière. Si
nous accordions à Calvin que le règne de l’antichrist est une apostasie
générale qui durera plusieurs années, il ne s’ensuivrait pas automatiquement
que le pape soit l’antichrist, car il faudrait ensuite se demander quels
sont ceux qui se sont éloignés de la vraie foi, et de la religion du
Christ : nous ou eux, les catholiques ou les luthériens. Car, même
s’ils disent que ce sont les catholiques qui se sont éloignés de la
foi du Christ, ils ne peuvent pas le prouver, et ils ne peuvent présenter
aucun juge commun qui le déclare. Et il est plus facile à nous
de prouver que ce sont les luthériens qui ont fait scission. Qu’ils
se soient éloignés de l’église dans laquelle ils étaient, eux-mêmes
ne peuvent pas le nier. Car, pour omettre le reste, citons Erasmus
Sarcerius qui avoue ingénument, en commentant « alors sera révélé
l’impie », que lui-même et les prédécesseurs des luthériens obéissaient
au pape. Ils se sont donc séparés de l’église et de la religion
de leurs prédécesseurs. Mais que nous nous soyons séparés
de l’église, nous, ils n’ont jamais pu le démontrer jusqu’à maintenant,
et ne le pourront jamais. Donc, quand on lit chez saint Paul : «
à moins que ne vienne l’apostasie et ne soit révélé l’impie »,
s’ils réalisent que ce sont eux qui se sont séparés de l’église
dans laquelle ils étaient, alors que nous y sommes, nous, toujours demeurés,
comment ne leur viendrait-il pas à la pensée que c’est d’eux que
saint Paul parle ?
CHAPITRE 3 : On montre
que l’antéchrist n’est pas encore venu
Au sujet du troisième développement,
le temps de l’avènement de l’antichrist, beaucoup de fausses
interprétations, et beaucoup d’erreurs pullulent, tant chez les catholiques
que chez les protestants. Mais avec la différence majeure que les
catholiques, sachant que l’antichrist ne viendra qu’à la fin du monde,
ne se sont trompés qu’en pensant qu’elle était plus proche qu’elle
ne l’était en réalité. Les hérétiques, eux, se trompent en
estimant que l’antichrist viendra longtemps avant la fin du monde, et
est même déjà venu. Disons donc ce que nous pensons de chacune
de ces erreurs. Frappés par la malice de leur temps,
les auteurs anciens ont souvent pronostiqué une venue imminente de l’antichrist.
Comme les Thessaloniciens, au temps des apôtres, qui croyaient qu’approchait
le jour du Seigneur. Saint Paul (2 Thessal 2) leur a expliqué qu’il
fallait d’abord qu’arrivent l’apostasie et l’antichrist.
De même, saint Cyprien (letre 3, épitre 1) : « A l’approche imminente
de l’antichrist, que les soldats se préparent au combat ! » Et
(dans le livre 4 de l’épitre 6) : « Vous devez savoir, croire et tenir
pour certain, que le jour du châtiment plane au-dessus de nos têtes,
et qu’approchent la fin du monde et le temps de l’antichrist. »
Saint Jérôme (dans sa lettre à Ageruchie sur la monogamie) écrit :
« Celui qui tenait lâche pied, et nous ne comprenons pas que l’antichrist
approche ? » Saint Grégoire (livre 4, épitre 38) : « Tout ce
qui a été prédit arrive, le roi de l’orgueil est proche ».
Et, dans son homélie sur cet évangile, il déclare audacieusement que
la fin du monde est imminente. Mais c’étaient plutôt des appréhensions
que des erreurs, car ces saints Pères n’ont jamais osé fixer une date.
Mais d’autres n’ont pas hésité Ã
préciser une année ou un jour. Un certain Judas (comme le rapporte
saint Jérôme, dans son livre des hommes illustres), prédit que l’antichrist
viendrait, et que le monde finirait en l’an 200. Les faits ont
démontré qu’il s’était trompé. Lactance (livre 7, chapitre
25, des institutions divines), écrit : « Il semble qu’on n’ait encore
à attendre que deux cents ans. » Il enseigne, là , que le Christ
viendra, et que le monde finira dans deux cents ans. Or, il vivait au temps
de l’empereur Constantin, l’en 300. Il pensait donc que le monde
finirait en l’an 500. Mais les faits ont montré que lui
aussi s’était trompé. Saint Augustin rapporte ( au livre 18,
chapitre 53 de la cité de Dieu) l’erreur de certains qui disaient que
le monde finirait 400 ans après l’ascension du Seigneur, et d’autres
qui enseignaient le millénarisme. Ils se sont, eux aussi, trompés.
Une chose semblable est arrivée même aux païens qui, s’appuyant sur
un oracle divin, affirmaient que la religion chrétienne ne durerait que
365 ans. C’est ce que rapporte saint Augustin au même endroit.
Il y eu aussi un évêque florentin qui affirmait qu’en l’an
1105, l’antichrist était né, et que la fin du monde approchait.
C’est même pour cette raison qu’a été convoqué, par Pascal 11,
le concile de Florence, auquel ont assisté 340 évêques.
Voir la chronique de Matthieu Palmeri, et Platina dans la vie de Pascal
11.
Enfin, il y eut la célèbre opinion de
ceux qui enseignaient que le monde durerait six mille ans, comme c’est
en six jours que Dieu a créé le monde, mille ans étant pour Dieu comme
un seul jour. C’est ce qu’ont enseigné saint Justin (question
71 aux Gentils), saint Irénée (livre 5), Lactance (livre 7, chapitre
14), saint Hilaire (Matt 17), saint Jérôme (psaume sur le psaume 89 Ã
Cyprien). Sont également de cette opinion les Talmudistes
qui disent savoir, par une prophétie d’Élie, que le monde durera six
mille ans. Cette opinion, on ne peut pas la réfuter ni par des faits.
Car, selon la vraie chronologie, ne se sont écoulés, depuis la
création du monde, que plus ou moins cinq fois mille six cents ans.
C’est pourquoi saint Ambroise se trompe manifestement quand (dans
livre, chapitre 2 sur Luc), il rejette cette opinion, en donnant pour raison
que les six mille ans sont déjà passés. Il faut plutôt louer
la modération de saint Augustin qui estime cette opinion probable.
Il l’a même présentée comme vraisemblable dans la cité de Dieu
(livre 20, chapitre 7). Il ne suit pas de là que nous connaissions
le temps du dernier jour. Car, si nous disons qu’il est probable
que le monde ne durera que six mille ans, nous n’en faisons pas un dogme.
2017 11 06 19h24 début fin
2017 11 08 20h02 début
Voilà pourquoi le même saint Augustin
reprend âprement ceux qui prédisent que le monde finira à telle date,
car le Seigneur a dit (actes 1) : « Ce n’est pas à nous à savoir les
temps et les moments que le Père a déterminés dans sa puissance. »
Voir Augustin (épitre 80 à Hésychius sur le psaume 89, et le livre 18
de la cité de Dieu, chapitre 530. » Mais laissons cela de côté,
et venons-en aux hérétiques.
Tous les hérétiques de notre temps affirment
que l’antichrist est le pontife romain, qu’il est déjà venu, et qu’il
est à l’œuvre dans le monde. Mais ils ne s’entendent pas sur
le moment de sa venue. Il y a même, à ce sujet, six opinions
divergentes. La première est celle des Samosates, qui se sont établis
en Hongrie et en Transylvanie. Dans leur livre intitulé «
prémonitions du Christ et des apôtres sur l’abolition du véritable
Christ par l’antichrist », ils enseignent que l’antichrist est apparu
un peu après le temps des apôtres, c’est-à -dire quand on commença
à prêcher que le Christ est le Fils éternel de Dieu. Car, estiment-ils,
le Christ n’est qu’un homme ordinaire, et en Dieu, il n’y a qu’une
seule personne. C’est cette foi, selon eux ,qui a été prêchée par
le Christ et les apôtres. Mais, après la mort des apôtres, l’antichrist
romain est venu, et après avoir aboli le vrai Christ pur homme, il a introduit
un autre Christ éternel, a fait Dieu trine, et le Christ binaire.
Cette hérésie, sans répéter toutes
les raisons que nous avons déjà apportées contre les autres hérétiques,
peut facilement être réfutée de deux façons. La première. Quand
l’antichrist viendra, il se fera Dieu, comme l’apôtre l’enseigne
(2 Thessal 2). Or, le pontife romain, comme eux-mêmes le reconnaissent,
ne se fait pas lui-même Dieu, mais prêche le Christ, et enseigne
que cet homme est Dieu. La deuxième. Ils
disent qu’après la dormition du Christ et des apôtres, la vraie foi
du Christ a été complètement éteinte par l’antichrist, quand,
dans l’univers entier, on adora le Christ Dieu. Or, le Christ a
prédit (Matt 16) que les portes de l’enfer ne prévaudraient point
contre son église; et l’ange a prédit aussi (Luc 1) que le règne du
Christ serait éternel. David prédit également, (psaume 71), que
tous les rois serviraient le Christ. Comment ces prédictions
peuvent-elles être vraies si, dés le début, l’église naissante a
été corrompue par l’antichrist ?
La deuxième opinion est celle d’Illyricus
qui, dans son catalogue des témoins, enseigne que l’antichrist est venu
quand l’empire romain commençait à tomber en ruines. Or, il est établi
que l’empire romain commença à décliner après la dixième année
du règne d’Honorius, quand Rome fut occupée et saccagée, c’est-à -dire
en l’année 412 du Seigneur, comme Blondus le montre (livre 1, décade
1, de son histoire, à la décadence de l’empire romain).
Mais Illyricus semble parler non de la naissance, mais de la conception
de l’antichrist. En effet, il enseigne lui-même (centurie 6, chapitre
1, au début) que l’antichrist a été conçu au début de l’année
400, qu’il s’est développé et a grandi dans le sein de sa mère
jusqu’à l’année 500, qu’il est né ensuite en l’année 606, quand
l’empereur Phocas a concédé au pontife romain le titre de tête de
toute l’Église. Et il enseigne (dans la centurie 1, livre 2, chapitre
4, col 437) que l’antichrist règnera et sévira par le glaive spirituel
pendant 1260 ans, et par le glaive temporel pendant 666 ans. Et c’est
alors que viendra la fin du monde. Le premier chiffre,
il le tire de l’Apocalypse (11 chap) où il est dit que le règne de
l’antichrist durera 1260 jours, prenant un jour pour une année.
L’autre chiffre, il va le chercher dans l’Apocalypse 13, où il est
dit que le numéro de la bête est 666.
On peut réfuter de deux façons cette
interprétation. La première. Il s’ensuivrait que l’antichrist
n’est pas seulement né, mais est déjà mort, et que la fin du monde
serait déjà arrivée. Car, le pontife romain a commencé son glaive
temporel, c’est-à -dire a commencé à avoir un gouvernement temporel,
au moins en l’année 699, quand Aripertus donna au pontife romain cette
partie des Gaules où se trouve maintenant Gènes. Et, en l’année
714, Luitprand confirma cette donation, comme l’écrivent Adon de Vienne,
dans la chronique de ces années, et Blondus (livre 10, décade 1). Les
Magdebourgeois enseignent la même chose (centurie 8, chapitre 10, colonne
685). Et Thodore Bibliander note que la première province papale
a été faite en 714.
Peu de temps après, c’est-à -dire
en l’année 755, Pépin a donné aux pontifes romains l’exarchat de
Ravenne, avec une grande partie de l’Italie, comme l’attestent Rhegino,
Adon Sibergitus, Blondus (livre 2, décade), P. Aemilius, et les centuriates
eux-mêmes (centurie 8, chapitre 10, colonne 724), ainsi que Theodore Bibliander
dans sa chronique. Si le royaume de l’antichrist a commencé
en 755 et a duré 666 ans, il s’est donc terminé en 1421; et 150
ans se sont écoulés depuis la mort de l’antichrist. Si on place
plus haut le début de son règne, c’est-à -dire en 699, il se terminera
donc en 1365, et il sera mort depuis 200 ans. Ils répondront
peut-être qu’après avoir régné temporellement pendant 666 ans, l’antichrist
ne mourra pas, mais ne fera que perdre son pouvoir temporel. Puisqu’ils
disent que le règne spirituel de l’antichrist durera 1260 ans, -qui
ne sont pas encore terminés,- ils devraient conclure, si ces temps commençaient
en l’an 606, que le règne spirituel de l’antichrist durera encore
un peu de temps après la fin de son règne temporel. Mais, c’est
une absurdité, et une prétention qui a contre elle tous les auteurs.
Et il s’ensuivrait que les pontifes romains aient du perdre leur pouvoir
temporel avant les années 200, ce qui ne tient pas debout.
On peut réfuter cette erreur de
cette autre façon. Il s’ensuivrait que les centuriates ont
connu la date exacte de la fin du monde, ce qui est contraire aux paroles
de Jésus déjà citées par saint Augustin. Car ils savent,
eux, que l’antichrist a commencé à régner avec son glaive spirituel
en l’an 606. Ils savent aussi qu’il règnera jusqu’en 1260,
et que c’est alors que viendra le Seigneur pour juger le monde.
Ils savent donc que le jugement dernier aura lieu en 1866. Car, s’ils
ne savent pas cela, ils seront forcés de reconnaitre qu’ils ne savent
pas non plus que le Christ est venu.
La troisième opinion est celle de David
Chytraeus, qui (dans son commentaire sur l’apocalypse, chapitre 9), enseigne,
avec Illyricus, que l’antichrist est apparu vers l’an 600; et
il affirme doctoralement que c’est le saint pape Grégoire le grand qui
a été l’antichrist. Mais, dans son commentaire sur les
chapitres 11 et 13, Chytraeus n’est pas d’accord avec Illyricus sur
le temps de la durée, mais il avertit prudemment qu’il ne faut pas témérairement
le préciser. Il donne trois raisons pour prouver que l’antichrist
est apparu en 600.
La première. Parce que c’est
en ce temps que saint Grégoire instaura l’invocation des saints et les
messes pour les défunts. La deuxième. Parce que c’est
en 606 que le pape Boniface 111 obtint de l’empereur Phocas le titre
d’évêque universel. Il ajoute une troisième raison (dans
son commentaire du chapitre 13), Ã savoir que ce temps est en rapport
étroit avec le chiffre de l’antichrist 666 (apocalypse, chapitre 13).
Le même Chytraeus ajoute que de ce seul chiffre de l’antichrist, on
peut déduire le temps où fut confirmé par Pépin le règne de l’antichrist.
Car, depuis l’année 97 où saint Jean écrivit l’Apocalypse jusqu’Ã
Pépin, 666 ans se sont écoulés. On arrive à la même somme, prétend-il,
à partir du temps où le pape a été dégradé par Jean Huss et déclaré
antichrist. Car, de Pépin jusqu’à Huss, il y a, selon lui,
666 ans.
Cette opinion est facile à réfuter,
car elle repose sur des mensonges. Tout d’abord, saint Grégoire
ne fut pas le premier à invoquer les saints et à prier pour les morts.
Tous les anciens auteurs ont enseigné cela, comme nous l’avons déjÃ
démontré. Je ne citerai, pour le moment, que le seul saint Ambroise,
qui a précédé saint Grégoire de 200 ans. Dans son livre
sur les veuves, il écrit ceci : « Il faut prier les anges et les martyrs
». Et dans le livre 2 de son épitre à Faustin sur la mort de sa
sœur : « Je pense qu’il ne faut pas tant la pleurer que la soulager
par des prières. Ne pas l’attrister par tes larmes, mais recommander
son âme au Seigneur par des oblations. » De plus, Phocas ne donna
pas au pape le titre de pape universel, mais de tête des églises.
Mais cela, l’avaient fait avant lui Justinien (dans son épitre à Jean
11), et avant lui le concile de Chalcédoine (dans sa lettre au pape saint
Léon). Il n’a donc aucune raison valable pour placer l’avènement
de l’antichrist au temps de Phocas.
Ce que Chytraeus ajoute au sujet
du chiffre 666 est inexact, car les dates réelles ne concordent pas vraiment
avec ce chiffre. En effet, du Christ jusqu’à la sanction de Phocas,
il y a 607 ans, non 666. De la composition de l’apocalypse
jusqu’à Pépin, il y a 658 ans. De pépin à Jean Huss, 640.
Or, il est certain que, dans l’Apocalypse, saint Jean n’a pas donné
un chiffre approximatif, mais précis et exact. Ajoutons que Huss
ne fut pas le premier à déclarer que le pape était l’antichrist.
Car, dans l’article 19 du concile de Constance qui le condamnait, Wiclef
affirme que, par leur avarice, les clercs préparent la voie à l’antichrist.
Enfin, tous les luthériens se targuent de ce que c’est Luther qui a,
pour la première fois, détecté l’antichrist.
La quatrième opinion est celle
de Luther (dans la supputation des temps). Il enseigne deux avènements
de l’antichrist. Un, avec le glaive spirituel, après 600 ans, c’est-à -dire
quand Phocas a appelé le pontife romain la tête de toutes les églises.
Il dit aussi, en cet endroit, que saint Grégoire a été le dernier pontife
romain. Un autre avènement, avec le glaive temporel, après l’an mille.
C’est ce qu’enseigne aussi Bibliander (dans sa chronique, tables 11
et 13). Au sujet du premier avènement, Luther et Bibliander sont
donc du même avis que les centuriates et Chytraeus. Mais pas en
tous points, car Luther soutient que Grégoire a été un bon et saint
pape, tandis que les centuriates (centurie 6, chapitre 1, col 2)
et Chytraeus enseignent que Grégoire a préparé les voies à l’antichrist,
et qu’il fut donc un très mauvais pape, ce qui est un horrible blasphème.
Au sujet du second avènement, Luther et les centuriates diffèrent totalement.
Cette interprétation est facile
à réfuter. Car, c’est sans aucune raison valable que Luther place
l’avènement du Christ en l’an 600, et en l’an 1000. Nous avons
déjà parlé de l’an 600 en réfutant Chytraeus. Il sera encore
plus facile de réfuter l’an mille. Car, la raison pour laquelle
Luther plaça la date de l’avènement de l’antichrist en l’an 1000,
c’est parce que c’est alors que le pape Grégoire V11 qui régnait
temporellement, et livrait des guerres, a déposé l’empereur Henri 1V.
Mais toutes ces choses-là eurent lieu aussi dans les siècles précédents.
Car, Grégoire 11 excommunia l’empereur Léon, et le priva du royaume
d’Italie, en l’an 715, au témoignage de Cedreno et de
Zonara, dans la vie du même pape Léon. Nous avons déjÃ
démontré que le royaume temporel a commencé dans les années 700 ans,
c’est-à -dire trois cents ans avant l’an mille. Enfin, les magdebourgeois
attestent (centurie 8, chapitre 10) que Stéphane a livré des combats
en l’année 750, et Adrien premier, ainsi que ses successeurs ont
fait la même chose. En l’an 850, Léon 1V, un saint homme illustré
par des miracles, a fait la guerre contre les Sarrasins, et a remporté
contre eux une insigne victoire. Il a aussi muni de tours et de remparts
la ville de Rome, et a entouré de murailles le mont Vatican.
Et c’est à cause de lui que Rome a été appelée ville léonine.
Tous les historiens de l’époque rapportent ces choses, et même les
magdebourgeois (centurie 9, chapitre 10.)
La cinquième opinion est celle
de Henri Bullinger, qui (dans sa préface à ses homélies sur l’apocalypse),
écrit que l’antichrist est apparu en l’an 763. Cette opinion
est différente de celle de tous les autres, et peut facilement, elle aussi,
être réfutée, parce qu’elle est sans fondement solide. Henti
Bullingerus enseigne que le chiffre 666 de l’apocalypse (chapitre 18)
signifie le temps de la venue de l’antichrist, c’est-à -dire le nombre
d’années existant entre le temps où l’apocalypse a été écrite
et celui de la venue de l’antichrist. Et comme saint Irénée nous
apprend que l’apocalypse a été composée à la fin du règne de Domitien,
c’est-à -dire environ en 97, il en déduit que l’antichrist viendra
en 763 après avoir ajouté 97 à 666.
Cela n’est pas sans faire penser
à l’opinion de certains catholiques, qui, comme le rapporte Jodocus
Clictovaeus, (commentaires au chapitre 28, livre 4, de la foi, Jean Damascène),estiment
que l’antichrist proprement dit a été Mahomet, qui vint autour de 666,
comme saint Jean l’avait prédit. Les magdebourgeois soutiennent,
pour leur part, que le chiffre donné dans l’apocalypse ne se rapporte
pas au temps de la nativité de l’antichrist, mais de sa mort.
Mais saint Jean rejette autant le commentaire d’Illyricus que celui
de Bullinger, quand il explique lui-même que le chiffre 666 ne signifie
pas le temps, mais le nom de l’antichrist. C’est-à -dire que
les lettres grecques du nom antichrist formeront le chiffre 666, comme
saint Irénée (livre 5) et tous les autres l’expliquent. De plus,
en 763, on ne lit nulle part qu’un pontife romain ait remplacé un autre,
et que Mahomet soit venu, car il est né en 597, et est mort en 637,
au témoignage de Palmerius dans sa chronique. Il n’a donc
pas vécu jusqu’à l’année 666.
La sixième opinion est celle de Wolfgang
Musculus (commentaire de Eccl, chapitre 2) qui affirme que l’antichrist
est venu un peu après le temps de saint Bernard, c’est-à -dire autour
de 1200. Et il donne pour preuve le commentaire du psaume 90, fait
par saint Bernard, dans son sixième sermon. Après avoir énuméré les
nombreux vices des hommes de son temps, et surtout des ecclésiastiques,
et après avoir déploré les nombreuses persécutions infligées à l’église,
le saint ajoute : « Il ne reste plus à l’homme du péché qu’à se
révéler. » Mais, cette opinion ne nécessite aucune réfutation,
car, à la vue des maux de son époque, il craignait que la fin du monde
ne soit proche, comme saint Cyprien, saint Jérôme, saint Grégoire, et
d’autres. De plus, les pontifes du dixième siècle, furent, sans
comparaison possible, pires que ceux du douzième siècle. Si ceux
du dixième siècle n’ont pas été des antichrist, pourquoi les autres
le seraient-ils ?
CHAPITRE 4
On explique la première démonstration
: l’antichrist n’est pas encore venu.
La véritable doctrine est donc que l’antichrist
n’a pas encore commencé à régner, qu’il n’est pas encore venu,
et qu’il règnera vers la fin du monde. Cette fin du monde est-elle encore
bien loin, personne ne le sait. Cette proposition, qui détruit
toutes les précédentes, et qui démontre clairement que les pontifes
romains ne sont pas l’antichrist, nous la prouverons par six raisons.
Il faut d’abord savoir que, dans les lettres divines, l’Esprit Saint
nous a donné six signes certains de la venue de l’antichrist.
Deux qui précèdent l’antichrist : la prédication de l’évangile
dans tout l’univers, et la destruction de l’empire romain. Deux
qui sont concomitants : la prédication d’Énoch et d’Élie, et une
persécution extrême qui fera cesser les sacrifices. Deux consécutifs
: la mort de l’antichrist après trois ans et demi de règne, et la fin
du monde. Nous ne voyons encore aucun de ces signes apparaître.
La première démonstration, on la tire
du premier signe qui précède l’antichrist. Les Écritures attestent
que l’évangile sera prêché dans tout le monde avant que ne vienne
la dernière persécution suscitée par l’antichrist (Matt 24) : « Cet
évangile du royaume sera prêché dans tout l’univers en témoignage
à toutes les nations. » Que cela doive arriver avant la venue de
l’antichrist, on peut le prouver par la cruauté de la dernière
persécution qui empêchera tout exercice public de la religion.
Mais parce que les adversaires n’admettent pas cette raison, et que nous
n’avons pas le temps de la tirer de leurs principes, prouvons-la par
les témoignages des pères. Saint Hilaire (dans son commentaire
de Matt 25) enseigne clairement que l’antichrist, qu’il appelle
abomination de la désolation, ne viendra pas avant que ne soit prêché
l’évangile dans tout l’univers. C’est ce qu’enseignent aussi
saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 15), Theodoret (2 Thessal 2),
saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 28), et d’autres.
Cette vérité, on peut la déduire du
texte lui-même. Car il est dit que doit être prêché l’évangile
avant que ne vienne une dernière et grande tribulation, comme il n’y
en a jamais eu, et comme il n’y en aura jamais plus. Que cette
tribulation signifie la persécution déclenchée par l’antichrist, c’est
ce qu’enseignent les pères, et notamment saint Augustin (livre 20 de
la cité de Dieu, chapitres 8 et 19). Or, l’évangile n’avait
pas été prêché dans tout l’univers en l’an 200 ou 300, quand l’antichrist
est apparu, selon les nouveaux samosatiens. Nous le saurions de toute
façon, même si Origène (traité 28 sur Mathieu) ne notait pas que l’évangile
du royaume n’avait pas encore été prêché partout. Ruffin atteste
la même chose (livre 10, chapitre 9 de son histoire). Il dit que
c’est en 300, à l’époque de l’empereur Constantin. que l’évangile
avait été prêché pour la première fois dans les Indes éloignées.
Et il dit explicitement que ces indiens n’avaient auparavant jamais entendu
parler de l’évangile. Saint Augustin (épitre 80), écrivait
qu’en son temps, il y avait encore beaucoup de peuples qui n’avaient
jamais encore entendu parler du Christ.
Que la prédication de l’évangile n’ait
pas été faite partout en l’an 600 ou 700, années de la venue de l’antichrist
selon les centuriates, Chrystaeus, Luther et Bullinger, le démontre
la conversion des vandales, des polonais et des moraves, qui n’eut
pas lieu avant l’année du Christ 800, comme les centuriates eux-mêmes
le reconnaissent (centurie 9, chapitre 2, colonnes 15, 18; centurie
10, chapitre 2, colonnes 18,19. L’évangile n’avait pas,
non plus, été prêché dans tout l’univers au temps de saint Bernard,
époque où Wolfgang Musculus place l’antichrist. Saint Bernard
le déplore lui-même (dans le livre de la considération). Il dit
qu’à son époque il y avait encore des peuples qui n’avaient pas encore
entendu parler de l’évangile. Enfin, que même Ã
notre époque, l’évangile n’ait pas encore été prêché partout,
nul ne peut en douter. Car, on a découvert en Orient et en
Occident de vastes régions où l’on ne trouve aucune trace de l’évangile.
On ne peut pas dire que la foi a brillé autrefois, puis s’est éteinte
ensuite, car il resterait au moins quelques vestiges, dans les récits,
dans les écrits ou dans les monuments. Nous savons aussi que les
lieux où prêchèrent les apôtres étaient connus de tous. Or, une nouvelle
terre a été découverte dont les apôtres eux-mêmes ne soupçonnaient
pas l’existence.
Contre cette démonstration, on ne peut
faire qu’une seule objection. Quand l’Écriture parle de toute
la terre, elle emploie peut-être une métonymie, c’est-à -dire
une partie pour le tout, comme s’exprime Luc (2) : « Est sorti un décret
de César Auguste ordonnant à toute la terre de s’enregistrer. »
Autrement, saint Paul aurait dit une fausseté (Romains 10) quand
il a écrit qu’en son temps « toute la terre avait entendu la voix des
apôtres ». Et quand il a écrit (épitre 1 aux Colossiens) : «
Par l’espoir de l’évangile qui est parvenu jusqu’à vous, comme
dans tout l’univers, fructifiant et croissant. » Et plus bas :
« Ce qui a été prêché sur toute terre qui est sous le ciel. »
Je réponds que ce n’est pas en figure,
mais réellement et véritablement que c’est dans tout l’univers, Ã
toute nation du monde, que doit être prêché l’évangile, et
que doivent être érigées des églises. Car, c’est ce qu’enseigne
explicitement saint Augustin (dans sa lettre 80 à Hesych), et c’est
ce que pensent aussi les autres pères cités, ainsi qu’Origène
et saint Jérôme. Et cela, on le peut le prouver par trois raisons.
La première. Le Seigneur a dit que la prédication dans
l’univers entier serait un signe de la consommation du monde. Car
il a ajouté les mots suivants : « alors viendra la consommation ».
Or, si l’évangile ne devait pas être prêché dans l’univers réellement,
mais en figure, ce signe serait sans aucune valeur. Car c’est de
cette façon, au figuré, que dans les premières 20 années, l’évangile
a été prêché dans tout le monde par les apôtres.
La deuxième. Toutes les nations sont
promises au Christ, comme l’enseigne saint Augustin dans son commentaire
du psaume 71 : « toutes les nations le serviront ». Et le « Christ est
mort pout tous ». Voilà pourquoi, dans l’apocalypse, on nous
présente des élus de toutes les nations, de tous les peuples, de
toutes les langues, et de toutes les tribus. Et il en conclut que
la prédication doit être universelle au sens propre. Enfin, en
Matthieu 24, il est dit que l’évangile du royaume doit être prêché
dans l’univers entier en témoignage pour tous les peuples, c’est-à -dire
pour que, au jour du jugement, aucun peuple ne puisse excuser son infidélité
en plaidant l’ignorance. Avant le jugement général, une prédication
universelle doit donc avoir eu lieu.
Aux citations de saint Paul, saint Augustin
répond dans sa lettre 80. Il écrit que, quand saint Paul
dit (Romains 10) : « toute la terre a entendu leur voix), il emploie le
passé pour un futur, comme a fait David, dont il cite les paroles.
Il ajoute aussi que quand Paul dit (colloss 1) : « l’évangile
est dans tout le monde », il ne veut pas dire qu’il y soit en acte,
mais en vertu, parce que la semence du verbe divin avait déjà été lancée
dans tout le monde par les apôtres. En croissant et en fructifiant,
elle finirait par remplir en acte tout l’univers. Exemple.
Quelqu’un qui aurait allumé des feux dans différentes parties d’une
ville aurait vraiment allumé le feu dans toute la ville, car en se développant
et en s’étendant, ce feu recouvrera toute la ville. Et c’est
ce que veut dire l’apôtre en employant les mots croissant et fructifiant.
Le feu n’occupait pas encore toute la ville, mais, dans la mesure où
il se propageait, on peut dire qu’il l’occupait, non en acte, mais
en puissance.
On pourrait aussi répondre avec saint
Jérôme (chapitre 20 de Matthieu) et avec saint Thomas (chapitre 10 aux
Romains), que l’évangile est parvenu de deux façons à toutes les nations.
La première, par la rumeur publique et par la transmission de bouche Ã
bouche, l’autre, par les prédicateurs patentés, et par la fondation
des églises. De la première manière, l’évangile s’est fait connaître
à toutes les nations du monde connu au temps des apôtres. Et c’est
ainsi qu’on doit comprendre le commentaire de saint Jean Chrysostome
du chapitre 24 de saint Matthieu. De la deuxième manière, l’évangile
n’est pas encore parvenu dans l’univers entier, mais il y parviendra
en son temps, et à son heure. Ajoutons enfin, qu’il
ne serait pas absurde de concéder que le Seigneur ait parlé au sens propre,
et l’apôtre au sens figuré. Car les raisons qui nous obligent
à prendre les paroles de Jésus au sens réel, n’ont pas la même force
dans le cas de saint Paul. Surtout parce que le Seigneur parle du
futur, et saint Paul du passé.
CHAPITRE
5 : On explique la deuxième démonstration
On tire la deuxième démonstration de
l’autre signe qui précède les temps de l’antichrist : la dissolution
de l’empire romain. Car, il faut savoir qu’à la fin, l’empire
romain sera divisé en douze rois dont nul ne sera ou ne sera dit le roi
des romains, même si tous occuperont certaines provinces de l’empire
romain. Comme actuellement le roi de France, d’Espagne, la reine
d’Angleterre, et peut-être d’autres, détiennent des parties
de l’empire romain, sans être des rois ou des empereurs romains.
Tant que cela n’arrivera pas, l’antichrist ne peut pas venir.
Cela, saint Irénée le prouve avec Daniel (capitres 2 et 7), et l’Apocalypse
(chapitre 17). Car, au chapitre 2, Daniel décrit la succession des
principaux règnes jusqu’à la fin du monde par une certaine statue
dont la tête en or représente le premier royaume, celui des Assyriens,
la poitrine en argent, le second, le royaume des Perses, le ventre en bronze,
le troisième, celui des Grecs, et les jambes en fer, le quatrième, celui
des romains. Il a été longtemps bipartite, comme les jambes qui
sont au nombre de deux, et qui sont longues.
2017 11 08 20h02 fin
2017 11 11 17h06 début
Ensuite, de ces deux jambes sont sortis dix doigts, et c’est dans ces
doigts, que toute la statue se survivait, car tout l’empire romain devra
être divisé en dix rois, dont aucun ne sera le roi des romains, comme
aucun doigt n’est une jambe. Et, au chapitre 7, Daniel désigne
les quatre mêmes royaumes par quatre bêtes. Et il ajoute que de
la dernière bête, sortiront dix derniers rois qui proviendront, certes
de l’empire romain, mais qui ne seront nullement des empereurs romains,
comme les cornes qui naissent de la bête ne sont pas la bête elle-même.
Enfin, saint Jean (chapitre 15 de l’apocalypse), décrit une bête avec
sept têtes et dix cornes, sur laquelle une femme était assise.
Et il explique que cette femme est la grande ville qui est sise sur sept
collines, la ville de Rome. Les sept têtes sont les sept monts,
et aussi sept rois, lequel chiffre indique tous les empereurs romains.
Il dit que les dix cornes sont dix rois qui règneront ensemble à une
certaine époque. Et, pour que nous ne pensions pas que ce seront
des rois romains, il ajoute que ces rois auront en haine la prostituée,
et la persécuteront, parce qu’ils se diviseront l’empire romain entre
eux, au point de le détruire complètement.
On prouve ensuite la même chose
par une citation de saint Paul (1 Thess 2) où il dit : « Et vous savez
ce qui le retient maintenant, pour qu’il ne soit révélé qu’en son
temps. Que celui qui le retient le retienne jusqu’à ce qu’il
ne le puisse plus. Et c’est alors que se révèlera l’impie.
» Saint Paul n’ose pas mettre par écrit ce qu’il leur avait
expliqué oralement sur la destruction de l’empire romain. Mais,
voici le sens de ses paroles. Vous savez ce qui empêche l’antichrist
de veni. Je vous ai déjà dit que c’était l’empire romain
qui l’empêchait, parce qu’il n’a pas encore mis le comble à ses
péchés. Or, l’antichrist ne viendra pas avant que l’empire romain
ne soit détruit à cause de ses péchés. Donc, que celui qui tient
l’empire romain, qu’il le tienne, c’est-à -dire qu’il règne jusqu’Ã
ce que l’empire soit aboli, et c’est alors que se révèlera l’impie.
C’est ainsi qu’expliquent ce texte les pères grecs et latins.
Saint Cyrille (catéchèse 15) écrit, en commentant ce texte : « Il viendra
l’antichrist prédit, quand seront accomplis les temps de l’empire
romain. » Saint Jean Chrysostome, commentant lui aussi ce texte,
écrit : « Quand sera renversé l’empire romain, alors viendra l’antichrist.
» Theophylacte et Oecumenius disent la même chose.
Chez les latins. Tertullien
(apologie, chapitre 32) écrit que les chrétiens prient pour que perdure
l’empire romain, parce qu’ils savent que quand il aura été
détruit, la suprême calamité du monde sera imminente. Et Lactance
(livre 7, chapitre 15) écrit, en expliquant ce qui précèdera l’antichrist
et la fin du monde : « Le nom romain qui régit maintenant le monde (mon
âme a horreur de le dire, mais je le dis parce que cela arrivera) sera
enlevé de la terre, et l’empire retournera en Asie, et l’Orient règnera
de nouveau, et l’Occident servira. » Dans son commentaire de ce
passage, saint Ambroise écrit que l’antichrist viendra après l’effondrement
et la chute de l’empire romain. Saint Jérôme (question 11 Ã
Algasie) écrit en commentant ce même passage : « Tant que ne sera pas
venue, d’abord, la dissolution, qui fera en sorte que se séparent
de l’empire romain tous ceux qui en sont sujets, tant que l’empire
romain n’aura pas été détruit, et tant que l’antichrist ne sera
pas apparu, le Christ ne viendra pas. Que se dissolve seulement l’empire
romain qui contient tous les peuples, et qu’il soit aboli, alors se révèlera
l’impie, qui n’est autre que l’antichrist, comme tous le comprennent.
»
Que ce signe n’ait pas encore
été accompli au temps ou les transylvaniens antitrinitaires placent la
venue de l’antichrist, en l’an 200, qui peut le nier ? Car, alors
l’empire romain était florissant, et l’a été encore longtemps. Que
ce signe ne soit pas encore accompli à notre époque, qui en doute, car
demeurent encore la succession et le nom des empereurs romains. Par
une providence admirable, quand disparut l’empire romain en Occident
qui était une des jambes de la statue de Daniel, il est demeuré intact
et indemne en Orient, comme étant l’autre jambe de la même statue.
Et comme l’empire d’Orient devait être détruit par les Turcs, comme
il l’a été en effet, Dieu a dressé en Occident une autre jambe, c’est-à -dire
l’empire occidental de Charlemagne, qui dure encore aujourd’hui.
Il importe peu que, selon la prophétie de saint Jean, Rome tombe et perde
l’empire. Car, l’empire romain peut très bien continuer sans la ville
de Rome, et on peut appeler empereur romain un roi qui est privé de Rome,
pourvu qu’il succède à un autre empereur en dignité et en pouvoir,
et qu’il soit le maître d’un plus ou moins grand nombre de provinces.
Autrement, on ne pourrait appeler empereurs romains ni Valens, ni Arcadius,
ni Théodose junior, ni leurs successeurs jusqu’à Justinien, puisqu’ils
n’ont jamais régné sur Rome. Ni même Charlemagne et ses successeurs,
car ils n’ont pas non plus régné sur Rome.
Que l’empire romain continue,
on peut le prouver par cette seule raison, parce que celui qui est maintenant
empereur précède tous les rois chrétiens, même les plus grands et les
plus puissants. Enfin, parce qu’il est admis que c’est du consentement
des Romains, que Charles a été créé empereur, d’après Paul diacre
(livre 23) et que l’empereur grec, par ses légats, l’a salué comme
empereur, comme l’atteste Adon (dans sa chronique en l’an 810), et
que les Perses et les Arabes l’ont comblé de présents à titre d’empereur,
comme le rapporte Othon Frisigensis (livre 5, chapitre 31). Les luthériens
eux-mêmes se glorifient d’avoir de leur parti trois princes électeurs.
Ils ne peuvent donc pas nier que l’empire romain dure encore. En
comparant l’empire babylonien avec l’empire romain, Orosius a raison
de dire (livre 2, chapitre 4) que Dieu a agi avec plus de douceur envers
les Romains qu’envers les Babyloniens. Car, 1164 ans après sa
fondation, Babylone, la capitale de l’empire, a été prise en un jour.
L’empereur a été tué, l’empire a été démantelé et anéanti.
Après le même nombre d’années depuis sa naissance, 1164, Rome a été
prise par les Goths, mais l’empereur Honorius en est sorti sain et sauf,
et l’empire a été épargné.
C’est ici qu’apparait la mauvaise
foi des adversaires. Ils pensaient, en effet, qu’un affaiblissement de
l’empire romain suffisait pour qu’arrive l’antichrist. Or,
ce n’est pas un affaiblissement mais une destruction que jugeaient nécessaire
saint Paul, saint Jean, Daniel, ainsi que les pères Irénée, Cyrille,
Chrysostome, Theophylacte, Oecumenius, Tertullien, Ambroise, Lactance,
Jérôme, Augustin. Mais, Luther, Illyricus et Chytraeus objectent
que cette démonstration apporte de l’eau à leur moulin. Car saint
Jean avait prédit (apocalypse 13) que la bête qui signifiait l’empire
romain, serait blessée mortellement, mais serait guérie par l’antichrist.
Ce qui est arrivé, selon eux, quand le pape a réinstauré l’empire
occidental qui avait déjà péri, en donnant à Charlemagne le titre et
la dignité d’empereur. Cette translation ou cette instauration
d’un empire manifeste clairement, selon eux, que le pape de Rome est
le vrai antichrist. Voir Illyricus (dans son livre contre la primauté
du pape, et la centurie 8, chapitre 10, colonne 751), et Chytraeus (chapitre
13 de l’apocalypse). Illyricus cite même un texte de saint Ambroise
pour confirmer son opinion : « L’antichrist rendra aux Romains la liberté,
mais sous son nom. » C’est, dit-il, ce que le pape a fait quand
il a créé un empereur des romains qui dépendait de lui.
Je réponds que, dans l’Apocalypse,
on ne lit nulle part que l’antichrist devait guérir la bête qui représentait
l’empire romain. Voici plutôt ce que nous y lisons : « une des
têtes de la bête mourra, et ressuscitera un peu après, par l’opération
du dragon, c’est-à -dire du diable ». Presque tous les anciens
auteurs appliquent ce passage à l’antichrist, qui fera semblant d’être
mort, pour imiter la vraie mort et la vraie résurrection du Christ, et
séduire ainsi un grand nombre. C’est ce qu’explique saint Grégoire
(livre 2, épitre 3), ainsi que Primasius, Bède, Haymo, Anselme, Richard,
et Rupert, au chapitre 13 de l’apocalypse. Et le texte lui-même
nous oblige à ne pas voir Charlemagne dans cette tête de
la bête qui est mort et qui revient à la vie, mais l’antichrist.
Cette tête, en effet, comme Jean l’écrit, n’eut de pouvoir que pendant
quarante-deux mois. Elle blasphémait Dieu et ceux qui habitent dans le
ciel; elle commandait à tous les peuples, toutes les tribus, toutes les
langues, et était adorée par tous les habitants de la terre. Or,
dans la vie de Charlemagne ou de ses successeurs, nous ne lisons rien de
semblable. Car, il a régné plus longtemps que quarante-deux mois,
n’a blasphémé ni Dieu ni les saints, mais les a plutôt grandement
honorés, et sa très grande piété fut imitée par beaucoup de ses successeurs.
Enfin, ni Charlemagne ni ses successeurs
n’ont eu un empire qui s’étendait sur toutes les nations, toutes les
tribus, tous les peuples et toutes les langues. C’est une chose universellement
connue et admise. Au sujet de saint Ambroise. Il n’a pas dit que
l’antichrist devait créer un nouvel empereur, comme le fit le pape,
mais qu’après avoir détruit l’empire romain, il restituerait la liberté
aux Romains, ce que le pape n’a pas fait.
CHAPITRE 6: On explique
la troisième démonstration
La troisième démonstration on
la tire de la venue d’Énoch et d’Élie, qui vivent encore, et qui
continuent à vivre pour s’opposer un jour au retour de l’antichrist,
pour garder les élus dans la foi du Christ, et, finalement, convertir
des (ou les ) Juifs. Or, il est certain que rien de tout cela n’est
encore arrivé. Quatre textes nous parlent de ce sujet.
Le premier est de Malachie (4) : « Je vous enverrai Élie le prophète,
avant que vienne le grand jour du Seigneur, et il convertira les cœurs
des pères aux fils, et les cœurs des fils aux pères. » Le deuxième
(Eccl 48). Nous y lisons au sujet d’Élie : « Toi qui as été reçu
dans un tourbillon de feu, et dans un char igné de chevaux. Toi qui es
inscrit dans les jugements des temps pour apaiser la colère du Seigneur,
réconcilier le cœur du père avec celui du fils, et restituer les tribus
de Jacob. » Et au chapitre 44 : « Énoch plut à Dieu, et il fut
transporté dans le paradis, pour qu’il donne aux nations la pénitence.
» Le troisième est Matthieu 17 : « Élie viendra, et restituera
tout. » Enfin, le quatrième : « Je donnerai à mes deux témoins
de prophétiser pendant 1260 jours. »
Theodore Bibliander rapporte
ces quatre textes dans sa chronique (table 14), mais il soutient que, par
Énoch et Élie, il faut entendre tous les ministres fidèles que Dieu
a suscités au temps de l’antichrist, tels que Luther et Zwingli, et
les autres. Et il conclut ainsi : « Voilà pourquoi c’est la preuve
d’une imagination infantile ou d’une rêverie judaïque que d’attendre
que vienne en personne, en chair et en os, Énoch et Élie. »
Chystraeus enseigne la même chose, et il le prouve en affirmant que ce
qui est dit d’Élie, le Seigneur l’a appliqué à saint Jean-Baptiste
(Matthieu 11) : « C’est lui l’Élie qui viendra. » Il présente
aussi pour preuve que saint Jérôme entend, par le chœur de tous
les prophètes, la doctrine de tous les prophètes.
Nous ne pensons pas, nous, que ce
soit la preuve d’une imagination infantile ou d’une rêverie judaïque
de penser qu’Énoch et Élie viendront réellement, en personne, en chair
et en os. Et nous pensons même que ceux qui enseignent le contraire professent
une hérésie, ou une erreur voisine de l’hérésie. Et nous en
ferons la démonstration par quatre textes de l’Écriture. Qu’on ne
puisse pas entendre les paroles de Malachie au sens de docteurs, comme
l’enseignent Luther et Zwingli, cela saute aux yeux. Car, Malachie
annonce qu’Élie convertira les (ou des) Juifs, et que c’est pour les
Juifs qu’il est principalement envoyé, « pour restituer les tribus
d’Israël). Or, Luther et Zwingli n’ont converti aucun Juif.
Qu’on ne puisse pas non plus l’entendre,
à la lettre, de saint Jean-Baptiste, mais seulement d’Élie, rien
n’est plus clair. Car, Malachie parle du second avènement du Christ,
quand le Messie viendra pour juger le monde. Voici, en effet, ses
propres paroles : « Avant que ne vienne le jour du Seigneur grand et redoutable
». Or, le premier avènement n’est pas appelé jour grand et redoutable,
mais temps acceptable, jour de salut. Voilà pourquoi il est dit
: « De peur que, à ma venue, je ne frappe la terre d’anathème. »
C’est-à -dire, de peur que, venant pour juger, et ne trouvant que
des méchants, je ne condamne toute la terre. J’enverrai donc Élie,
pour que j’en aie quelques-uns que je puisse sauver. Or, dans le premier
avènement, le Seigneur n’est pas venu pour juger, mais pour être jugé,
non pour perdre, mais pour sauver. Je répondrai un peu plus loin
aux paroles de Mathieu 11. Au sujet de saint Jérôme, je réponds
que même si dans son commentaire de Malachie, il ne pensa pas que le prophète
parlait du véritable Élie, il pensa et enseigna le contraire dans son
commentaire de Matthieu 11 et 17. Que ce soit là l’interprétation commune
des fidèles, saint Augustin l’atteste dans la cité de Dieu (livre 20,
chapitre 29).
Nous allons prouver maintenant que
l’Ecclésiastique parle vraiment d’Énoch et d’Élie. Car le
livre inspiré dit qu’Enoch viendra pour que « celui qui a été transporté
dans le paradis apporte la pénitence aux Gentils. ». Il dit aussi
que celui qui a été enlevé dans un char de feu viendra pour restituer
les tribus d’Israël. Toutes ces caractéristiques ne peuvent s’appliquer
qu’à ces deux personnages. Je n’en finis plus de m’étonner
de l’idée qui est passée par la tête de Jansénius. En
commentant ce passage, il écrit que même si tous les anciens sont de
l’opinion que c’est Élie lui-même qui viendra, ce texte n’a pas
ce qu’il faut pour nous en persuader, car on peut dire que l’Ecclésiastique
a écrit ces choses selon l’interprétation qu’on faisait en son temps
des paroles de Malachie, selon lequel Élie viendrait en personne.
Or, cette prédiction ne devait pas se réaliser dans la personne d’Élie,
mais dans celle de saint Jean-Baptiste, qui viendrait dans l’esprit et
la vertu d’Élie. S’il en est vraiment comme l’enseigne Jansénius,
il s’ensuit que l’Écriture s’est trompée, et a écrit des faussetés.
Mais, si je ne me trompe, Jansénius aurait plus tard changé d’avis,
car, commentant le chapitre 17 de saint Matthieu, il enseigne qu’on
ne peut entendre le passage de Malachie que littéralement. Il est donc
forcé d’enseigner la même chose au sujet de celui de l’Ecclésiastique.
Il est évident que les paroles
de Jésus en saint Matthieu (17) se rapportent à Élie lui-même et non
à saint Jean-Baptiste, parce que saint Jean-Baptiste était déjà venu
et avait terminé son parcours quand le Seigneur a dit : « Élie viendra
». On peut également prouver que ce passage ne s’applique
pas à tous les docteurs, mais au seul Élie. D’abord, parce que
les apôtres qui posèrent une question sur Élie furent Pierre, Jacques
et Jean. Et ce qui les incita à poser cette question ce fut la transfiguration
du Seigneur, pendant laquelle ils virent Moïse et Élie. Donc, quand
ils lui demandent : « que penser de ce que les scribes disent qu’Élie
doit venir d’abord », ils parlent de cet Élie qu’ils viennent
de voir sur la montagne. C’est pourquoi, en répondant :
« Élie viendra et restituera toutes choses », le Seigneur parle de cet
Élie particulier qui est apparu dans la transfiguration. Ensuite,
on peut conclure la même chose des paroles : « Et il restituera toutes
choses. » Car, restituer toutes choses c’est ramener à la vraie
foi les (des) Juifs, les hérétiques, et peut-être beaucoup de catholiques,
qui ont été trompés par l’antichrist.
Mais Bibliander insiste. En
disant, en Matthieu 11, au sujet de saint Jean Baptiste, que « c’est
lui l’Élie qui viendra », c’est comme s’il disait que c’est lui
l’Élie promis par Malachie. Je réponds. Voici ce que le
Seigneur veut dire. Jean a été l’Élie promis, non à la lettre, mais
en figure. Voilà pourquoi il dit d’abord : « et si vous voulez
l’accepter. » C’est comme s’il disait : l’Élie promis
viendra en personne lors du dernier avènement. Mais, si vous le voulez,
recevez aussi Élie dans le premier avènement, dans la personne de saint
Jean-Baptiste. Ce n’est pas pour rien qu’il ajoute : celui qui
a des oreilles pour entendre, qu’il entende. Il indique par
là clairement qu’ en disant que Jean-Baptiste est Élie, il a
énoncé un mystère. Que les paroles de saint Jean dans l’Apocalypse
(11) doivent s’entendre d’Énoch et d’Élie, et non de tous les docteurs,
le même saint Jean nous le fait comprendre clairement en disant qu’ils
seront tués par l’antichrist, que leurs corps demeureront sans sépulture
sur la place publique de Jérusalem pendant trois jours, qu’ils
ressusciteront après trois jours, et qu’ils monteront au ciel.
À aucun des docteurs ne sont arrivées ces choses.
Chytraeus essaie quand même de
répondre dans son commentaire de ce passage. Il dit que saint Jean
parle des nombreux ministres luthériens qui devaient être tués par les
papistes, à qui Dieu a rendu la vie, quand il les a reçus en vainqueurs
dans son ciel. Il ajoute ensuite, plus bas, qu’à ces ministres
massacrés, la vie du corps sera restituée au jour ultime de la
résurrection. Il ajoute aussi, au même endroit, que la restitution
de cette vie peut signifier, ce que nous voyons de nos yeux, l’appel
de nombreux ministres qui, avec le même zèle et la même vertu, remplaceront
ceux qui ont été tué. Mais ces réponses ont peu de poids.
On ne peut soutenir la première, car la béatitude de l’âme n’est
pas la restitution de la vie perdue, mais l’acquisition d’une nouvelle
vie. De plus, les deux témoins de l’Apocalypse ressusciteront
à la vue de tous, et leurs corps seront emportés dans les airs.
Ce qui est sans rapport avec la béatitude de l’âme.
La deuxième réponse ne vaut guère mieux. Car, saint Jean
dit que ces deux témoins ressusciteront avant le dernier jour, quand le
monde continuera, donc,encore à exister. Saint Jean ajoute que cette
résurrection des témoins frappera leurs ennemis d’une grande frayeur;
et qu’après, il y aura un tremblement de terre, et que sept mille hommes
périront. La troisième réponse est à côté de la question.
Car, l’Écriture dit que ce sont ceux qui sont morts qui ressusciteront
et qui seront élevés dans le ciel. Or, nous n’avons encore vu aucun
ministre ressusciter et monter au ciel. Et que penser de ce que saint
Jean nous dit au sujet des sacs qu’Élie et Énoch porteront pour prêcher
? Ils les détestent tellement ces sacs que s’ils en avaient auparavant,
ils s’en défont immédiatement quand ils deviennent luthériens.
Une deuxième preuve. Nous
savons, par l’enseignement unanime des pères, qu’Élie et Énoch
viendront en personne. Car, c’est ce que disent Hilaire,
Jérôme, Origène, Chrysostome, et tous les autres commentateurs de Matthieu
chapitre 17. De même Lactance (livre 7, chapitre 17), Theodoret
(dans le dernier chapitre de Malachie), et saint Augustin (traité 4 sur
saint Jean), et Primasius (chapitre 11 de l’apocalypse).
Ceux qui commentèrent l’apocalypse affirmèrent la même chose, comme
Bède, Richard. Arethas dit même explicitement que toute l’Église
croit depuis toujours dans la venue future d’Énoch et d’Élie, et
dans leur lutte à l’antichrist. De même saint Jean
Damascène (livre 4, chapitre 18), Hyppolite martyr (dans son discours
sur la consommation du monde), ainsi que saint Grégoire (livre 14, chapitre
11 ou 12, et livre 9, chapitre 4 des morales) , et saint Augustin (livre
9, chapitre 6, de la Genèse à la lettre,)
Troisième preuve. Car, autrement
on ne pourrait pas donner de raison pour laquelle ils ont été enlevés
avant la mort, pourquoi ils continuent à vivre dans une chair mortelle,
et doivent mourir un jour. Car, voici ce qu’enseignent les
Juifs, comme le rabbi Salomon, au chapitre 5 de la Genèse : « Énoch
a été tué par Dieu avant le temps, parce qu’il était doux et changeant.
Ils soutiennent aussi que, quand Élie a été transporté par un char
de feu, il a été entièrement consumé par ce feu. Et c’est peut-être
ce que pensent aussi les luthériens qui nient qu’ils reviendront en
chair et en os. Mais, cependant, tous les catholiques croient d’une
foi vive qu’ils continuent à vivre avec leurs corps. Qu’Énoch
ne soit pas encore mort c’est ce qu’enseigne l’Apôtre aux Hébreux
(11) : « Énoch a été enlevé pour qu’il ne voie pas la mort. »
Qu’Énoch et Élie ne soient pas encore morts, mais qu’ils mourront
un jour, l’enseignent en plus de ceux qui ont été cités, Irénée,
Tertullien, Jérôme, Augustin et Épiphane. En parlant d’Énoch
et d’Élie, saint Irénée écrit : « Les prêtres qui sont les disciples
des apôtres enseignent qu’Élie et Énoch ont été transportés dans
le paradis terrestre, et qu’ils y demeureront jusqu’à la consommation,
défiant toute corruption. » Tertullien : (livre contre les Juifs,
chapitre 2), dit, au sujet d’Énoch : « Celui qui n’a pas encore goûté
la mort, vrai candidat de l’éternité. » Épiphane (dans Ancor,
au sujet d’Énoch et d’Élie) : « Ces deux là demeurent, dans leur
corps et dans leur âme, à cause de l’espoir. » Et saint Jérôme
(dans son épitre à Pammachus contre Jean de Jérusalem) : « Énoch a
été transporté dans sa chair. C’est dans sa chair aussi qu’Élie
a été emporté dans le ciel. Ils ne sont pas encore morts, et ils habitent
le paradis. » Saint Augustin (livre sur le péché originel, chapitre
23) : « Nous ne doutons nullement qu’Énoch et Élie continuent à vivre
avec les corps dans lesquels ils sont nés. »
CHAPITRE 7 : On explique
la quatrième démonstration
La quatrième démonstration on
la tire de ce qu’on est certain que la persécution déclenchée par
l’antichrist sera la plus grande et la plus cruelle de toutes; et qu’elle
fera cesser toute cérémonie religieuse publique, et interdira les sacrifices.
Or, nous ne voyons encore rien de tout cela. Que cette persécution
sera très grande, nous le savons par Matthieu (24) : « Il y aura alors
une tribulation d’une grandeur telle qu’il n’y en a jamais eu de
semblable depuis le début du monde, et qu’il n’y en aura jamais. »
Et nous lisons dans l’Apocalypse : « Alors, Satan sera libéré, »
lui qui, jusqu’à ce moment, a été lié. Commentant ce passage
(dans la cité de Dieu, livre 20, chapitre 8 et 9), saint Augustin enseigne
qu’au temps de l’antichrist, Satan sera relâché. Et la persécution
qui s’ensuivra sera d’autant plus acharnée et cruelle qu’elle sera
guidée par un Satan déchainé et délié. Il conclut donc que Satan
déploiera toutes ses énergies et toutes ses ressources pour abattre l’église.
Et Hyppolite martyr (dans discours sur la consommation du monde) ainsi
que saint Cyrille (catéchèse 15) enseignent que les martyrs que l’antichrist
torturera et tuera seront plus illustres que leurs prédécesseurs, car
ceux du passé luttaient contre des hommes ministres du diable, mais ceux
du futur se battront contre le diable en personne. Or, il est certain que
nous n’avons rien vu de semblable arriver en l’année 600, ni non plus
en l’an mille.
Les hérétiques disent que ce sont
eux qui subissent maintenant la persécution de l’antichrist, parce
que quelques-uns d’entre eux finissent sur le bucher. Mais quelle
comparaison peut-on faire entre cette persécution et celles de Néron,
de Domitien, de Dèce et d’autres ? Car, pour un hérétique qui,
aujourd’hui, meurt sur le bucher, mille chrétiens étaient autrefois
mis à mort. Et cela, dans tout l’empire romain, et non dans une
seule province. Aujourd’hui, le pire châtiment est celui
du feu, mais les tourments d’alors étaient d’un sadisme et d’un
raffinement dans la cruauté inimaginables et inconcevables. Lire,
à ce sujet, Cornelius Tacite dans Néron, et Eusèbe, dans son histoire
ecclésiastique. Dans la vie de saint Marcellin, saint
Damase rapporte que, pendant un mois seulement, dix-sept mille chrétiens
ont été mis à mort par Dioclétien. Et Eusèbe, qui vivait Ã
cette époque, écrit (au livre 8, chapitre 6 de son histoire), que les
prisons étaient tellement bondées de martyrs que la barbarie satanique
ne disposait plus d’aucun lieu. Dans tout son livre véridique,
il rapporte que, pendant deux ans, il y eut tellement de martyrs couronnés
qu’il est impossible de les énumérer tous. Ajoutons que nos hérétiques
ont tué, en France et en Flandre, pendant ces dix ou quinze dernières
années, beaucoup plus de catholiques que les inquisiteurs n’ont brulé
d’hérétiques pendant cent ans. On ne peut donc pas appeler cela
une persécution, mais une guerre civile. Car, comme l’enseigne
saint Augustin, (épitre 80 à Hésych), quand arrivera la vraie persécution
de l’antichrist, seuls les fils de l’Église seront tourmentés.
Au temps de Diocléltien et des autres empereurs persécuteurs, les
chrétiens ne cédaient pas, comme ceux de maintenant ne cèdent pas non
plus.
S’il faut vraiment parler de persécution,
ce sont les catholiques qui sont persécutés plutôt que les luthériens
et les calvinistes. Car, ce sont les catholiques qui sont été expulsés
de plusieurs provinces, qui ont perdu leurs églises, leur patrimoine,
et même leur patrie, pendant que les nouveaux ministres de l’évangile
envahissaient les biens d’autrui. Et comme nous pouvons l’apprendre
des commentaires de Laurent Surius, et des autres historiens de ce temps,
la fureur des calvinistes a, pendant peu d’années, tué plus de
catholiques que le tribunal des princes catholiques n’a condamné d’hérétiques
pour avoir abjuré leur foi. Que cette persécution
ultime doive arriver dans le futur, saint Augustin (livre 20, chapitre
11 de la cité de Dieu) le prouve par les paroles mêmes de l’Apocalypse
: « Et ils encerclèrent les camps des saints, et la cité bien-aimée.
» Ces paroles signifient que les impies seront tous ensemble dans
l’armée de l’antichrist, et qu’ils combattront ouvertement toute
l’église des saints. Car, il y a maintenant plusieurs chrétiens fictifs
dans l’Église qui, cachant leur malice, sont de cœur en dehors de l’Église,
mais corporellement seulement dans l’Église. « Mais alors, dit saint
Augustin, ils sortiront précipitamment des antres de leurs haines pour
persécuter ouvertement l’Église. » Il est évident que cela
n’est pas encore accompli en notre temps qui connait, comme jamais, un
grand nombre de faux frères et de chrétiens fictifs. Mais pourtant,
cette fameuse persécution n’est encore ni connue ni déclarée, de sorte
que ni ceux qui affirment en être les victimes, ni nous qu’on accuse
d’en être les auteurs ne peuvent dire quand elle a commencé.
Il est certain, pourtant, que les
persécutions de Néron, de Domitien et des autres empereurs ont été
décrites minutieusement par Eusèbe, Orose, Sulpice. Personne n’a
de doute sur la date où elles ont commencé et où elles ont fini.
Il en est de même de l’avènement du Christ. Comme il a vraiment
et réellement eu lieu, nous savons parfaitement en quel temps il s’est
produit, et à qui il a été manifesté en premier lieu. Et il n’y
pas, parmi nous, à ce sujet, d’opinions divergentes. Or, les hérétiques
qui disent que l’antichrist est déjà venu, et qu’il a persécuté
l’Église pendant un si grand nombre d’années, ne peuvent pas présenter
un seul auteur qui raconte à quel moment l’antichrist est venu, à qui
il est apparu en premier, ou quand a commencé la persécution. Et
ils diffèrent tellement d’opinion entre eux que l’un prétend qu’il
est venu en l’an 200, un autre en l’an 606, un autre encore en l’an
773, et d’autres, enfin, en l’an 1000, et 1200. De sorte qu’ils
ne ressemblent pas à des gens qui veillent, mais à ceux que le calme
endort.
Enfin, qu’au temps de l’antichrist
cesseront, à cause de l’atrocité de la persécution, le culte public
de l’Église, et, en particulier, le saint sacrifice de la messe, Daniel
l’enseigne clairement au chapitre 12 : « Depuis le temps où sera aboli
le sacrifice perpétuel, 1290 jours ». Tous les anciens sont unanimes
pour dire que ce texte parle du temps de l’antichrist. C’est
ce que disent saint Irénée (livre 5), saint Jérôme et Theodoret, dans
leurs commentaires de ce passage, Hyppolite le martyr (dans son discours
sur la consommation du monde), et Primasius (chapitre 11 de l’apocalypse).
Voici quel en est le sens. L’antichrist interdira tout le culte
divin qui se pratique actuellement dans les églises, et surtout le sacrosaint
sacrifice eucharistique. Les faits démontrent que cela n’est pas
encore arrivé.
On peut, de ce texte, tirer trois
conclusions. La première. L’antichrist n’est pas encore
en action personnellement dans le monde, puisque le saint sacrifice est
toujours offert dans les églises catholiques. La deuxième.
Le pontife romain n’est pas l’antichrist. Il en est plutôt tout
le contraire, car ce sacrifice qu’il devrait abolir, il l’honore, et
en prend soin comme de la prunelle de ses yeux. La troisième.
Les hérétiques de notre temps sont, plus que les précédents, des précurseurs
de l’antichrist, car ils ne désirent rien tant qu’abolir le saint
sacrifice de la messe.
CHAPITRE 8 : On explique
la cinquième démonstration
La cinquième démonstration on
la tire de la durée du règne de l’antichrist. L’antichrist,
en effet, ne règnera que trois ans et demi, tandis que le pape a régné
spirituellement dans l’Église plus de 1500 ans. On n’en trouve
aucun qui aurait ceci en propre avec l’antichrist de n’avoir régné
que trois ans et demi. Le pape n’est donc pas l’antichrist; et
l’antichrist n’est pas encore venu. Que le règne de l’antichrist
ne durera que trois ans et demi on l’apprend de Daniel (chapitres 7 et
12), ainsi que de l’apocalypse (chapitre 12) où nous lisons que le règne
de l’antichrist durera un temps, des temps, et un demi temps. Or, par
temps on entend un an, par des temps, deux ans, et par un demi-temps, la
moitié d’une année. Et c’est ainsi que l’explique saint Jean lui-même.
Car, dans l’Apocalypse (11 et 13), il dit que l’antichrist règnera
42 mois, c’est-à -dire trois ans et demi. Et, dans le chapitre
11, il dit qu’Énoch et Élie prêcheront pendant 1260 jours, c’est-à -dire
trois ans et demi. En effet, les Hébreux utilisaient les années
et les mois lunaires. Et même s’ils les convertissaient en années
et en mois solaires, en ajoutant à tous les six ans une lunaison, treize
années lunaires et demi font exactement 42 mois, ou 1260 jours, car l’année
lunaire pleine et parfaite se compose de douze mois de trente jours chacun,
comme l’enseigne saint Augustin (livre 15, chapitre 14 de la cité de
Dieu ).
Il ne faut pas voir une contradiction
dans ce que Daniel enseigne. Il dit, en effet, que l’antichrist
règnera pendant 1290 jours, donc 30 jours de plus de ceque saint
Jean ne lui assigne. Or, Jean parle d’Énoch et d’Élie qui seront
tués par l’antichrist un mois avant que ne périsse l’antichrist.
À cette explication, les hérétiques opposent trois réponses.
La première. Chytraeus (chapitres 11 et 13 de l’Apocalypse). Il
dit qu’on ne peut pas accepter le trois années et demi, parce que les
faits le démentent, et que saint Paul enseigne formellement que l’antichrist
continuera à régner jusqu’à l’avènement du Christ. La seconde.
Bellingerus (dans son sermon 46 sur l’apocalypse), dit la même
chose. Et la raison qu’il apporte est la même que celle de Luther
(dans sa supputation des temps). Le chapitre 20 de l’apocalypse
enseigne que l’antichrist sera relâché en l’an mille. L’avènement
de l’antichrist avec le glaive temporel a donc eut lieu en l’an mille
après Jésus-Christ. Il a donc régné plus que cinq cents ans.
On doit en conclure que les 42 mois indiquent un chiffre incertain.
La troisième. Les magdebourgeois (centurie 1, livre
2, chapitre 4, col 438) répondent que Daniel et Jean ont pris un jour
pour une année. On doit donc comprendre que les mille deux cent
soixante jours signifient mille deux cent soixante années. Et la raison
en est peut-être que tous voient dans les 70 semaines de Daniel soixante
années, non soixante jours. Et, dans Ézéchiel 4, il est dit :
« Je t’ai donné un jour pour une année ». Et Luc 13 : « Il faut
que je marche aujourd’hui, demain et après-demain », c’est-à -dire
j’ai trois années à vivre. Chytraeus y va de son explication
personnelle. Il dit que les ans et les mois dont parle l’Apocalypse
au chapitre 11 sont angéliques et non humains.
Mais il faut leur opposer sans gauchir
la sentence commune unanime des anciens. Ils enseignent tous que,
d’après les textes cités, l’antichrist ne règnera que trois ans
et demi.
2017 11 11 17h06 fin
2017 11 14 19h24 début
CHAP 8 suite et fin
Le martyr Hyppolite (dans son discours
sur la consommation du monde) écrit : « L’antichrist règnera trois
ans et demi sur la terre, et après ces trois ans, son règne et sa gloire
lui seront enlevés ». Saint Irénée (fin du livre 5) : « Il règnera
trois ans et six mois, et ensuite viendra le Seigneur dans le ciel. »
Saint Jérôme (chapitre 7 de Daniel) : « Un temps signifie un an, des
temps, deux ans, et un demi temps, six mois, pendant lesquels les saints
seront soumis au pouvoir de l’antichrist. » Saint Cyrille (catéchèse
15) : « L’antichrist règnera trois ans et demi seulement. Cela, ce
n’est pas des livres apocryphes que nous l’apprenons, mais de Daniel.
» Et saint Augustin (livre 20, chapitre 12 de la cité de Dieu)
: « Le règne de l’antichrist, qui sera extrêmement pénible pour l’église,
n’aura à être supporté que pendant un court laps de temps. Même celui
qui lit à moitié éveillé ne peut se permettre de douter qu’un temps,
des temps et un demi-temps signifient une année, deux années et six mois.
Et ces trois années et demi sont même converties en jours et en mois.
» Enseignent la même chose Theodoret (chapitre 7 de Daniel), Primasius,
Bède, Anselme, Haymo, Arethus, Richard, et Rupert dans l’Apocalypse.
On le prouve aussi par l’enseignement
de l’Écriture sur la libération du démon. « Malheur à la mer et
à la terre (apocalypse 12) parce que le démon descend vers vous avec
une grande colère, sachant que le temps qui lui est alloué est bref.
» Et l’apocalypse 20 : « Il l’a lié pendant mille années,
après quoi il sera délié pour un peu de temps. » Comment cela
peut-il être vrai, je le demande, si l’antichrist doit régner 1260
ans ? Il sera ainsi délié plus longtemps qu’il aura été lié.
Troisième preuve. Comme le disent saint Augustin (livre 20,
chapitre 8 de la cité de Dieu) et saint Grégoire (livre 3, chapitre 12
de la morale) : « Si cette persécution extrêmement cruelle n’était
pas aussi brève, beaucoup périraient qui ne périront pas. » C’est
ce que dit d’ailleurs le Seigneur, en saint Matthieu 24 : « Si ces jours
n’étaient pas abrégés, aucune chair ne serait sauvée ». Or, comment
pourra-t-elle être brève, si elle dure plus de mille années?
Quatrième preuve. Le Christ
n’a prêché que trois ans et demi. Il convient donc qu’on ne
permette pas à l’antichrist de prêcher plus longtemps. La cinquième.
Le nombre mil deux cent soixante ans, que les adversaires imaginent,
ne concorde en aucune façon aux paroles de Daniel et de Jean.
Car, par temps, on doit, de toute nécessité, entendre un chiffre, un
jour, une semaine, un mois, une année, un lustre, un jubilé, un siècle
ou un millénaire. Si l’on entend un millénaire, l’antichrist
aura régné trois mille cinq ans, ce que les adversaires eux-mêmes n’admettent
pas. Si nous parlons d’un siècle, les temps de l’antichrist
formeront trois cent cinquante ans. Ce qu’ils n’admettent pas, non
plus. On peut dire la même chose d’un jubilé, etc. Sixième
preuve. Quand nous lisons, dans Daniel, que le roi Nabuchodonosor
sera privé de son trône pendant sept temps, tous entendent par ces sept
temps, sept années. Si, dans le cas de l’antichrist, on voulait
entendre des années d’années, comme le veulent les adversaires, il
faudrait dire que Nabuchodonosor a été privé de son trône pendant mille
cinq cent cinquante cinq années.
Il n’est pas difficile de réfuter
leurs arguties. Car, quand Chytraeus soutient qu’on ne peut pas
entendre les trois ans et demi de Daniel et de Jean au sens propre du terme,
parce que l’histoire enseigne que l’antichrist a régné bien plus
longtemps, il fait manifestement ce que les philosophes appellent une pétition
de principe. Il s’accorde, en effet, ce qui est à prouver.
Car, ce qu’on cherche c’est : est-ce que l’antichrist est déjÃ
venu ? Quand, donc, il ajoute que l’antichrist règnera jusqu’au
second avènement du Christ, et qu’il conclut de là qu’il doit régner
plus longtemps que trois ans et demi, ne voit-il pas qu’il fait une pétition
de principe, ou bien qu’il parle pour ne rien dire ? Car, il ne peut
tirer cette conclusion que dans la mesure où il assume que l’antichrist
est déjà venu, ce sur quoi porte la controverse.
Chytraeus et Bullingerus affirment
que Daniel et Jean ont pris un chiffre précis pour un chiffre imprécis.
Je réponds que cela ne peut se faire que quand le chiffre est plein et
parfait, comme 10, 100 et 1000, et non quand les chiffres sont d’une
grande diversité, et quand sont mêlés les grands avec les petits.
On doit prendre un chiffre précis pour un chiffre imprécis quand, par
exemple, l’Écriture nous dit que le démon sera lié pendant 1000 ans,
comme l’expliquent saint Augustin (livre 20, chapitre 8 de la cité de
Dieu) et saint Grégoire (33, chapitre 12, morale). Mais pas quand
elle présente un temps, des temps et un demi temps, 1260 jours, ou 42
mois. Car à quoi servirait la diversité des chiffres, si
ces chiffres désignaient un temps incertain ?
À l’argument d’Illyricus, je
réponds qu’on trouve effectivement dans l’Écriture, correctement
employées, des semaines d’années, mais non des jours à la place d’années,
ni des mois d’années. Nous lisons, en effet, dans le Lévitique
(25), des semaines d’années : « Tu te compteras sept semaines d’années.
» On comprend parfaitement pourquoi on le dit, car, en grec, en
latin et en hébreu, la semaine tire son nom du chiffre sept.
Donc, comme sept jours forment une semaine de jours, sept années forment
une semaine d’années. Des mois ou des jours d’années, jamais
nous ne lisons cela. Et ce serait parler incorrectement, parce
que le mot mois ne provient pas d’un chiffre, mais du cours de la lune,
qui est de 30 jours. Voilà pourquoi les Hébreux appellent un mois une
lune. Les Grecs en font autant. Semblablement, le mot
jour ne signifie pas un chiffre, mais le temps de la lumière (Genèse
1) : « Dieu appela le jour lumière, et la nuit ténèbres. »
Le texte d’Ézéchiel ( « je t’ai donné un jour pour un an ») est
loin de nous contredire. Il ne veut pas dire que des jours
signifient, littéralement, des années, car, il aurait fallu alors qu’il
dorme sur son côté gauche pendant 390 années. Mais, il n’a pas
vécu si longtemps. Il faut donc dire que ces jours correspondent,
quand même, vraiment à des années, parce que ces 390 jours de
dormition étaient le signe des 390 années pendant lesquelles Yahvé a
toléré les péchés des Israélites.
À l’objection de Chytraeus
tirée de saint Luc, chapitre 13 ( « il faut que je marche aujourd’hui,
demain et après-demain »), je réponds que ces paroles ne peuvent pas
signifier que Jésus prêchera pendant trois ans, parce que ces paroles
il les a prononcées pendant sa dernière année de vie publique.
Car, comme l’écrit saint Jérôme (dans son livre sur les écrivains
ecclésiastiques à Jean), et comme le texte le dit de lui-même, saint
Matthieu, saint Marc et saint Luc n’écrivirent pas les paroles
et les actes des deux premières années de Jésus, mais seulement
de la troisième. Par ces trois jours, le Seigneur indique peut-être
le nombre de jours qu’il devra marcher pour se rendre à Jérusalem,
comme le pensent saint Albert et Cajetan, ou tout simplement le peut de
temps qu’il lui restait à vivre et à prêcher, comme Jansénius
l’interprète intelligemment. Quand aux jours et aux mois angéliques,
Illyricus et Chytraeus devront nous montrer à quel endroit ils les ont
trouvés. Certainement pas dans l’Écriture.
CHAPITRE 9 : On explique
la sixième démonstration
On tire la sixième démonstration
du dernier signe qui viendra après l’antichrist, la consommation du
monde. Car l’avènement de l’antichrist se produira un
peu avant la fin du monde. Donc, si l’antichrist était déjÃ
venu, comme le prétendent nos adversaires, le monde aurait déjà pris
fin. En parlant deux fois de l’antichrist, Daniel (chapitre 7) raconte
et explique une vision. Dans les deux cas, il ajoute : après l’antichrist,
suivra immédiatement le jugement ultime. « Je considérais les
cornes, et voici qu’apparut une autre corne petite, et trois des premières
cornes furent chassées de sa face. Je regardais jusqu’à ce que
des trônes soient posés, et s’assoie l’ancien des jours, etc. »
Et plus bas, expliquant sa vision : « Les quatre bêtes sont quatre royaumes.
Les dix cornes seront des rois, et un viendra après eux, et il sera plus
fort que ceux qui l’ont précédé, et il humiliera trois rois.
Et ils seront livrés dans sa main pendant un temps, des temps et un demi-temps.
Et le jugement commencera. » La prophétie de Jean dans l’apocalypse
29 est semblable : « Après ces choses, il faut qu’il soit relâché
pendant un peu de temps; et j’ai vu des sièges, sur lesquels ils
s’assirent, et le jugement leur a été donné etc. » Et après
avoir dit que l’antichrist règnerait mille deux cent quatre-vingt dix-jours,
il ajouta : « Bienheureux celui qui espère et se rend jusqu’à mille
trois cent trente cinq jours », c’est-à -dire jusqu’à 45 jours
après la mort de l’antichrist. Car, c’est alors que le Seigneur
viendra pour juger, et qu’il rendra les couronnes de justice aux victorieux,
comme l’expliquent saint Jérôme et Theodoret, dans leurs commentaires
de ces passages.
On tire la même chose de Matthieu
24 : « Cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier en
témoignage à toutes les nations, et alors ce sera la consommation ».
C’est-à -dire qu’un peu après, ce sera la fin du monde. Et plus
bas : « Aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil s’obscurcira,
la lune ne donnera plus sa lumière. Et, alors apparaîtra le signe du
Fils de l’Homme. » Même chose dans 2 Thessaloniciens 2 : « Alors,
se révèlera l’impie, que le seigneur Jésus tuera par le souffle de
sa bouche, et détruira par l’éclat de son avènement. » L’apôtre
enseigne là que presqu’immédiatement après l’antichrist, le Seigneur
viendra. Car très bref est le temps des ruses et des tromperies de l’antichrist
que commenceront à détruire Énoch et Élie, et dont triomphera totalement
le Christ par sa venue, et les horribles signes qui la précèderont.
Saint Jean nous enseigne la même chose : « Petits enfants, c’est la
dernière heure. Et comme vous avez entendu dire que l’antichrist vient,
et que maintenant beaucoup sont devenus des antichrist, nous savons par
là que c’est la dernière heure. » Saint Jean dit là que
l’époque qui va du Christ à la fin du monde est la dernière heure,
c’est-à -dire la dernière époque, le dernier âge, comme saint Augustin
l’explique. Et il le prouve par la raison suivante : parce
que nous savons que l’antichrist viendra à la fin du monde. Voici
donc, en bonne et due forme, l’argument de saint Jean. Nous
savons que l’antichrist viendra à la fin du monde. Or, nous voyons qu’il
y a déjà plusieurs de ses précurseurs, qui sont des antichrist mineurs.
Comme ce signe est certain, voici la dernière heure, ou le dernier âge.
On pourrait aussi raisonner ainsi sur la dernière heure de la nuit.
Nous savons que le soleil se lèvera à la fin de la nuit. Or, nous voyons
déjà beaucoup de ses rayons percer à travers les nuages.
Nous savons donc que c’est la dernière heure de la nuit.
Nous trouvons la même chose dans
l’enseignement unanime des anciens pères. Saint Irénée
(fin du livre 5), Tertullien (livre sur la résurrection), saint Augustin
(livre 20 chapitre 19 et autres de la cité de Dieu). Nous l’apprenons
aussi de la confession de nos adversaires. Car, nos adversaires admettent
que l’antichrist règnera jusqu’à la fin du monde, et qu’un peu
après sa mort, arrivera la fin du monde. Ce signe,
joint au précédent, démontre irréfutablement que l’antichrist n’est
pas encore venu, et qu’il n’est pas le souverain pontife. Car,
si le monde finit tout de suite après la mort de l’antichrist, et si
l’antichrist, après son apparition, ne règne que trois ans et demi,
le temps qui s’écoulera entre la mort de l’antichrist et la fin du
monde sera si bref, qu’il peut passer pour une seconde. Or, avec
l’un et l’autre glaive, le pape a, selon le témoignage même de nos
adversaires, régné plus de 500 ans. Et, pourtant, le monde dure
encore.
CHAPITRE 10
Le nom de l’antichrist
Suit la quatrième dispute qui portera
sur le nom et la marque de l’antichrist. Tous reconnaissent que
ces mots de saint Jean se rapportent à l’antichrist : « Et il fera
en sorte que tous, les petits comme les grands, les riches comme les pauvres,
les hommes libres comme les esclaves, aient une marque sur la main droite
ou sur le front. Et personne ne pourra acheter ou vendre sans
avoir la marque, le nom ou le chiffre de la bête. Voici ce
qu’est la sagesse. Celui qui a de l’intelligence qu’il compte
le chiffre de la bête, car c’est un chiffre d’homme, et son numéro
ou son chiffre est 666. » Au sujet de ce chiffre, il y a plusieurs
opinions. La première. Ce numéro ne désigne pas le
nom de l’antichrist, mais le temps de son avènement et de sa mort.
C’est ainsi que Bellingerus (préface d’une homélie sur l’apocalypse)
veut que soit désigné là le temps de l’avènement de l’antichrist.
Les magdebourgeois sont à peu près du même avis. Car (dans la centurie
1,livre 2, chapitre 4), ils veulent que ce soit le temps de la mort de
l’antichrist qui est désigné là . De même, certains auteurs
qui, au témoignage de Clictoveus (livre 4 sur Damascène, 28) veulent
que ce soit la mort de l’antichrist Mahomet qui soit désignée là .
Lyranus est de leur avis, même s’il ne considère pas que Mahomet soit
l’antichrist, car il pense que ce chiffre 666 indique la date de
la mort de Mahomet.
Cette opinion est d’une grande
absurdité. D’abord, parce que saint Jean dit explicitement qu’il parle
du chiffre du nom de la bête. Deuxièmement, parce que cette bête,
dont c’est le chiffre, prescrira à tous les marchands et consommateurs
de se servir de ce signe dans leurs achats et leurs contrats. Ce
passage de l’apocalypse (13) ne présente donc pas le numéro de la mort
de la bête, puisqu’il se rapporte à elle quand est encore en vie.
Troisièmement, parce qu’il est faux que Mahomet soit mort en l’an
666. Certains, en effet, disent qu’il est décédé en l’an 637,
comme Matthieu Palmerius, d’autres en 630, comme Cedrenus (dans son histoire),
d’autres, enfin, en 638, comme Jean Vaseus (dans sa chronique de l’Espagne.)
La deuxième opinion est celle de
David Cytraeus (chapitre 13 de l’apaocalypse). Il enseigne que
le nom de l’antichrist est, en grec, lateinos, ou, en hébreu romanus.
L’antichrist est donc le pape puisqu’il est le prince latin, que c’est
le pontife romain qui règne et domine dans le Latium. Theodore
Bibliander enseigne la même chose à la table 10. Et, à la page onze
de sa chronologie qui commence par l’année 600, il inscrit les
papes latins. Les raisons qu’ils donnent sont au nombre de deux.
La première, parce que saint Irénée enseigne (livre 5) qu’il est vraisemblable
que ce chiffre soit le futur nom de l’antichrist. L’autre,
parce que les lettres de ce nom forment le chiffre 666.
Prenons le mot grec lateinos : l(30), a(1), t(300), e(5), i(10), n(50),
o(70), s(200) : 666. Le mot hébreu qui correspond à romanus
a six lettres, dont voici les chiffres respectifs : 200, 6, 40, 10, 10,
400 : 666.
Cette opinion est des plus téméraires.
Car, d’abord saint Irénée dit, il est vrai, que le mot lateinos
peut avoir des rapports avec l’antichrist. Mais, il ajoute qu’il
est plus probable que le nom de l’antichrist ne soit pas lateinos mais
teitan, car ce mot donne aussi le chiffre 666, et il est beaucoup plus
noble, puisqu’il signifie le soleil. Voici les lettres du
mot teitan : t(300), e(5), i(10), t(300), a(1), n(50) : 666. De plus,
la conjecture de saint Irénée, qui avait une certaine valeur à l’époque,
est aujourd’hui dénuée de toute vraisemblance. Car, il dit qu’il
est probable que l’antichrist porte le nom de latin, non parce qu’il
dominerait le latium, mais parce que c’étaient alors des latins qui
régnaient dans le monde de son temps. Comme l’antichrist doit
être un roi très puissant, il contrôlera certainement les puissants
royaumes qui se trouvaient alors. Or, dit saint Irénée, le plus puissant
de tous les royaumes est celui des latins, car ce sont eux qui règnent
véritablement. Cette façon de voir les choses, qui est propre Ã
une époque particulière, ne vaut plus aujourd’hui. Car, ce ne
sont plus les latins qui règnent sur le monde. Les plus puissants
sont les Turcs. Et en Occident, ce sont les Espagnols ou les Gaulois,
non les romains.
De plus, pour que le mot latini
signifie romain, il doit s’écrire avec un simple i. Et alors, il ne
rend pas ce chiffre 666. On peut aussi réfuter de cette façon le
commentaire sur le mot hébreu (romanus), car il ne peut pas se terminer
par la lettre hébraïque (…) puisqu’il est un nom masculin.
Cette terminaison, en effet, est une terminaison féminine en hébreu.
Or, si on enlève cette lettre hébraïque, il manque 400 chiffres pour
former le 666. De même, pour que le nom grec lateinos soit le nom
de l’antichrist, il faut qu’il soit un nom propre et beaucoup usité,
comme Arethas l’enseigne. Car il doit être exhibé comme signe
par tous ceux qui achètent et qui vendent. Or, le mot lateinos est
un mot commun. Aucun pape, non plus, n’a eu comme nom propre le
mot latin. Ce n’est pas non plus un mot usité. En effet, les papes
ne s’appellent jamais latins, mais évêques ou papes. De plus,
le mot romain fut le nom propre d’un seul pape, qui n’a pas pu être
l’antichrist car il n’a vécu que quatre mois. En dehors de là ,
ce nom est un nom commun.
Enfin, si les mots lateinos et romanus
étaient les seuls à former le chiffre 666, nos adversaires compteraient
peut-être un point. Mais, on peut en trouver un grand nombre qui
rendent ce chiffre. Le martyr Hyppolite (dans son discours sur la
consommation du monde) a indiqué un mot dont les lettres donnent 666 :
apnoumai, qui signifie en latin nego, et en français, je nie. Arethas
en a trouvé sept : lampètès, qui veut dire illustre; teitan, le soleil;
onikrètès, vainqueur; kakos o dèxos, un chef dépravé, alèthès blaberos,
vraiment nuisant, palai baskanos, aurefois enviant; adikos, agneau
innocent. Primasius en a ajouté un autre : antemos, contraire.
Rupert, et avant lui, Haymo, en ont découvert deux autres : gensèrikos,
qui est un nom gothique, et DCLXVL latin, qui fait 666, si à la manière
des latins, on entend par D ,50, par C, 100, par L, 500, par X, 10, et
par V, 5, par L, 1.
Parmi les auteurs récents, Guillaume
Lindanus (livre 3 sur les doutes) note que Martinum Lutherum rend le chiffre
666, si, à la manière des grecs et des hébreux, on prend les lettres
latines pour des chiffres. A=l B=2 C=3 D=4 E=5 F=6 G=7 H=8
I-9 K=10, L=20, M-30, N=40, O=50, P=60, Q=70, R=80, S=90, T=100, V=200,
X=300, Y=400, Z=500. Gilbert Gnebrardus a noté qu’en
hébreu, le nom Luther donnait le chiffre 666. Voici les chiffres
correspondant aux lettres hébraïques que je ne puis écrire : 4, 2, 4,
10, 4, 20, 10, 400, 200, 10, 6, : 666. Et voici les chiffres
du mot saxoneios : s=200, a=1, x=60, o=70, n=50, e=5, i=10, o=70, s=200
: 666.
La troisième opinion est celle
de beaucoup de catholiques qui pensent que l’antichrist doit s’appeler
antemos, parce que ce nom lui convient, et parce que ses lettres correspondent
au chiffre 666. C’est ce que pensent Primasius, Anselme et Richard.
Cette opinion a déjà été réfutée par Rupert, parce que le nom
que Jean insinue ne sera pas un nom imposé par les adversaires, mais un
nom qu’il usurpera lui-même, et dont il se targuera au point d’ordonner
qu’on l’inscrive sur le front des hommes. Or, il n’est pas
crédible qu’il assumera un nom odieux ou vil, tel qu’est entemos,
ainsi que tous les autres noms précédemment proposés.
La quatrième opinion est celle de Rupert, qui estime que ce nom ne signifie
pas le nom de l’antichrist, mais la triple prévarication du diable accomplie
dans l’antichrist. Car, parce qu’il ne parvient pas au septennat
où se trouvent le repos et la béatitude, le chiffre six est le numéro
d’une créature qui, par la prévarication, échappe au repos.
Or, le diable n’a pas commis une triple prévarication, mais il en a
plutôt triplé une. Il a d’abord prévariqué quand il a
péché contre lui. Ensuite, quand il a fait pécher le premier homme.
C’est alors qu’au simple six, il ajouta le chiffre soixante.
Et quand il séduira l’univers, il ajoutera six cent à soixante.
La cinquième opinion est celle
de Bède, qui, par une voie contraire, enseigne que le chiffre six est
le chiffre parfait, parce que Dieu a fait le ciel et la terre en six jours.
Il ajoute que le chiffre soixante est encore plus parfait, et que le chiffre
six cent est le plus parfait. Il en déduit que l’antichrist
est décrit par le chiffre 666, parce qu’il a usurpé le tribut parfait
de louanges qui est du au seul Dieu. En figure de quoi, nous lisons (3
Rois, chapitre 10), que le poids de l’or qu’apportait Salomon dans
le temple à chaque année, était de six cent soixante six talents.
Mais ces deux opinions ne semblent pas suffisamment cadrer avec ce que
dit saint Jean à propos du nombre, à savoir qu’il sera le nombre d’un
nom, et non d’une dignité ou d’une prévarication. Mais, ces
opinions les pères ne les présentèrent que comme des hypothèses ou
des conjectures.
L’opinion la plus vraie on la
trouve donc chez ceux qui confessent leur ignorance, et qui avouent
qu’on ne connait pas encore le nom de l’antichrist. C’est
ce que pense saint Irénée (livre 5), Aretha (dans son livre sur l’apocalypse).
Il me plait de transcrire au complet les propres paroles de saint Irénée,
ne fût-ce que parce que Chytraeus nous exhorte à le lire : « J’exhorte
les doctes à parcourir les pages 333 et 334, qui sont les dernières,
qui traitent de l’apocalypse. Dans ces pages, il discute sobrement
et pieusement sur le nombre de la bête, et il indique, entre autres, que
l’antichrist sera un latin ou un romain, et portera le nom de lateinos,
etc. » Mais laissons plutôt la parole à saint Irénée :
« Il est plus sur et moins périlleux de soutenir l’accomplissement
de la prophétie, que de rechercher des noms qui correspondent au
chiffre 666, puisqu’on ne peut, dans l’Écriture, trouver aucun
nom formant ce chiffre. On ne cessera pas, pour autant, de se poser
des questions. Car, comme on trouve beaucoup de noms
ayant ce chiffre, il est difficile d’apercevoir cette aiguille
dans ce tas de foin. Ce n’est donc pas à cause du manque
de noms ayant ce chiffre que nous disons cela, mais à cause de la
crainte de Dieu et du zèle pour la vérité. Enarxas, par exemple,
est un nom qui a le nombre de lettres voulues, mais nous n’affirmons
rien à son sujet. Le mot lateinos, qui a le chiffre
666, a une certaine vraisemblance, car le véritable royaume a ce nom :
ce sont en effet des latins qui règnent aujourd’hui. Mais, nous n’irons
pas pavoiser à cause de cela. Le mot teitan, par contre, est
de tous les noms qui forment le chiffre 666, celui qui me semble le plus
remarquable. » Et plus bas : « Même si le mot teitan a une si
grande vraisemblance qu’il ne serait pas surprenant que, parmi tous les
mots suggérés, ce soit ce nom que porte celui qui viendra, nous ne nous
attarderons pas là -dessus, et nous n’affirmerons pas non plus que c’est
ainsi qu’il s’appellera, car s’il avait fallu que son nom soit connu
à notre époque, l’auteur de l’apocalypse l’aurait donné lui-même.
»
Que Chytraeus écoute donc comment
saint Irénée parle prudemment, pieusement et sagement. Et qu’il
ne lui impute pas faussement ce qu’il n’a pas dit. Car,
saint Irénée n’a pas jugé que l’antichrist serait un latin ou un
romain. Mais il a dit, et répété plusieurs fois, qu’on ne pouvait
pas, en ce temps, connaitre le nom de l’antichrist. Et cela pour
deux raisons, dont il approuva la meilleure. La première, parce
qu’on trouve beaucoup de noms qui forment ce chiffre. Et, parmi
cette multitude, il est difficile de découvrir lequel est le bon.
La deuxième. Si Dieu avait voulu que cela soit connu à notre époque,
il l’aurait fait savoir par saint Jean lui-même. Et il ajoute
que ce n’est pas le grand nombre des mots qui le fait parler ainsi, mais
la crainte de Dieu et le zèle de la vérité. Voilà pourquoi il
a présenté trois noms enarxas, lateinos, et teitan. Le second lui
paraissait plus vraisemblable que le premier, et le troisième plus que
le deuxième; mais aucun comme certain.
On peut ajouter une troisième raison
tirée de saint Irénée. Car, disputant un peu avant, avec ceux
qui, à leur gré, attribuaient à l’antichrist de faux noms, il
déclara qu’ils en subiront de grands inconvénients. Car, ils s’exposent
au péril de se tromper, et de tromper les autres, et d’être ainsi plus
facilement séduits par l’antichrist. Car, quand il viendra, et qu’il
arborera un autre nom que celui qu’ils avaient imaginé, ils ne le considéreront
pas comme l’antichrist, et ils ne l’éviteront pas.
Ces inconvénients, les luthériens ne les ont certainement pas évités,
et surtout le dernier. Car, comme ils sont persuadés que le pape
est l’antichrist, comment pourront-ils reconnaitre le véritable antichrist
quand il viendra ? Comment pourront-ils l’éviter?
Il est à noter que le nom de l’antichrist sera archiconnu quand il viendra.
Car, avant que le Christ vienne, les Juifs ne savaient pas de quel nom
l’appeler, même si les prophètes avaient dit beaucoup de choses sur
lui. Il y eut même une Sybille (premier livre des chants des sybilles)
qui fit connaitre le numéro du nom du Christ futur, 888. Cependant,
personne ne pouvait dire qu’il s’appellerait Jésus. Mais
après la venue du Christ, toutes les controverses prirent fin, et tous
savent à n’en pas douter que son vrai nom est Jésus. Ce nom qui avait
été annoncé pourtant par la sybille.« Mais, dit la Sybille, j’enseignerai
quelle la est la somme de son nom. Huit nonades, autant de décades
d’ajoutées, et huit hécatontades le signaleront aux infidèles.
C’est un nom humain. Garde-le en mémoire ! : I(J)=10, è=8, s=200,
0=70.
Il arrive souvent que les prophéties
paraissent obscures et ambigües jusqu’à ce qu’elles soient accomplies,
comme saint Irénée l’enseigne, et le prouve (livre 4, chapitre 43).
On peut de ces prophéties, tirer un argument irréfutable
pour prouver que le pontife romain n’est pas l’antichrist, et que l’antichrist
n’est pas encore venu. Car, si l’antichrist était venu, et s’il
était le pontife romain, cela sauterait aux yeux. Car, depuis
que le Christ est venu, il n’y a, parmi les turcs, les Juifs et les païens,
aucune controverse au sujet de son nom. Mais la controverse fait
toujours rage au sujet du nom de l’antichrist, comme il appert des opinions
citées et réfutées. On est donc en droit de conclure que la prophétie
de saint Jean n’est pas encore réalisée, que l’antichrist n’est
pas encore venu, et que le pape n’est pas l’antichrist.
Ajoutons comme confirmation, la
confession d’Augustin Marloratus, qui dans sa longue explication du nouveau
testament d’après différents commentateurs luthériens et calvinistes,
écrit, au sujet de ce passage : « Il y a, de ce texte, autant de commentaires
que de commentateurs, ce qui le fait paraître obscur et énigmatique.
» Si cette prophétie est donc encore obscure et énigmatique,
c’est donc qu’elle n’est pas encore accomplie. L’antichrist
n’est donc pas encore venu, car, une fois accomplies, les prophéties
sont d’une clarté éblouissante. Pourquoi donc, Marloratus, dis-tu
dans ta préface, avec forfanterie et outrecuidance, qu’il est tellement
évident que le pontife romain soit l’antichrist, que s’ils se taisaient,
eux, les pierres le crieraient ?
CHAPITRE 11
La marque de l’antéchrist
Au sujet de la marque de l’antichrist,
il y a deux ou trois opinions. La première est celle des hérétiques
de ce temps, qui enseignent que la marque de l’antichrist est un signe
quelconque, marquant l’obéissance due au pontife romain et l’union
du papiste avec lui. Mais ils ne s’entendent pas tous sur la nature
de ce signe. Henricus Bellingerus (sermon 61 sur l’apocalypse)
veut que ce soit l’onction du saint chrême, par laquelle tous les chrétiens
inscrivent sur leur front qu’ils obéiront au pape. Théodore BIbliander
(chronique, table 10) veut que la marque de l’antichrist soit la profession
de la foi romaine, qui empêche à tout jamais de professer la vraie foi
chrétienne. Car, en professant la foi romaine, il ne peut pas, pense-t-il,
professer la vraie foi chrétienne. David Chytraeus, en plus de ces
deux choses, ajoute le serment de fidélité que plusieurs sont obligés
de prêter au souverain pontife; ainsi que l’onction sacerdotale,
qui est reçue sur le front et la main, et « qui imprime, comme le racontent
les papistes, un caractère indélébile. » Enfin, les génuflexions
devant les statues, le pain consacré, les messes pour les morts.
Ne sont pas différentes les choses
qu’enseignent Sébastien Meyer, et les autres cités par Augustin Marloratus
dans son commentaire sur ce passage de l’apocalypse. Mais, il est
facile de réfuter ces rêvasseries. D’abord, parce que leurs
explications ne concordent pas avec le texte lui-même. Ensuite,
parce que toutes choses étaient présentes dans l’église catholique
avant que le christ ne vienne selon eux. La première raison.
On lit que le caractère sera unique, non multiple. Car, c’est
toujours au singulier que l’Écriture parle de la marque, du nom, et
du numéro du nom de l’antichrist. Il n’y aura donc qu’une
seule marque. L’antichrist n’aura de même qu’un seul nom propre,
et un seul numéro de son nom. En multipliant les marques,
nos adversaires indiquent donc qu’ils ne connaissent pas celui dont parle
saint Jean. La deuxième raison. Cette marque sera, pendant
tout le temps du règne de l’antichrist, commune à tous les hommes,
comme l’indiquent clairement ces paroles : « Il fera en sorte que tous,
petits et grands, riches et pauvres, libres ou esclaves reçoivent la marque.
» Or le serment d’obéissance et l’onction sacerdotale ne sont
le fait que de quelques personnes. Troisièmement, l’Écriture
indique que la marque sera reçue indifféremment sur le front ou sur la
main : « Il fera en sorte que tous reçoivent la marque sur la main ou
sur le front. » De toutes les choses dont parlent nos adversaires,
aucune ne convient à cette description. Car, l’onction du saint
chrême ne peut pas être reçue sur la main; la profession de la foi romaine
ne se fait ni par le front, ni par la main, mais par la bouche et le cœur.
Le serment de fidélité est prêté par la main et la bouche, mais jamais
sur le front. L’onction sacerdotale ne se fait ni sur la
main droite, ni sur le front, mais sur la tête, et sur les doigts des
deux mains. Enfin, les génuflexions devant les statues et l’eucharistie
ne se font pas avec les mains et le front, mais avec tout le corps, et
surtout avec les genoux.
Quatrièmement. L’Écriture
dit que, pendant le règne de l’antichrist, personne ne pourra vendre
ou acheter sans montrer la marque, ou le nom ou le numéro de son nom.
Or, comme ils sont nombreux ceux qui achètent et vendent dans les états
pontificaux sans avoir été oints par le saint chrême, sans être prêtres,
et sans avoir prêté de serment de fidélité ! Dans la ville de
Rome elle-même, où siège le pontife romain, les Juifs ne font-ils pas
publiquement du commerce ? Ne vendent-ils et n’achètent-ils pas
sans avoir reçu aucune de ces marques ? Venons-en
à l’autre raison, et prouvons que tous ces signes sont antérieurs au
soi-disant avènement de l’antichrist. Selon l’opinion de nos adversaires,
l’antichrist n’est pas venu avant l’année 606. Et pourtant,
Tertullien qui a vécu autour de 200, parle de l’onction du saint chrême
dans son livre sur la résurrection de la chair : « Le chair est lavée
pour qu’elle soit purifiée; la chair est ointe pour que l’âme soit
consacrée. » Saint Cyprien a vécu autour de 250, et il se souvient
des onctions (livre 1, épitre 12) : « Il est nécessaire que soit oint
celui qui a reçu le baptême, pour qu’en recevant l’onction, il devienne
un oint de Dieu, et puisse avoir la grâce du Christ. » Saint Augustin
a vécu autour de 420. Et pourtant, il dit dans son traité 118 sur
saint Jean : « Que dire de ce que tous savent que le signe du Christ n’est
autre que la croix du Christ ? Si ce signe n’est pas tracé
sur le front des croyants, ou sur l’eau par laquelle ils sont régénérés,
ou sur l’huile par laquelle ils sont oints du saint chrême, ou sur le
sacrifice par lequel ils sont vivifiés, leurs rites ne produisent aucun
effet ».
Pour une raison semblable, appartenir
à l’église catholique fut, avant l’an 600, le signe et la marque
d’un homme vraiment catholique. Saint Augustin (épitre 162)
écrit au sujet de Cécilien qui vécut autour de 300 : « Il pouvait ne
faire aucun cas de la multitude des ennemis qui conspiraient contre lui,
quand il se voyait uni par lettres à l’Église romaine, dans laquelle
est toujours demeurée en vigueur la principauté de la chaire apostolique,
et aux autres pays qui ont apporté la foi en Afrique ». Saint Ambroise
vécut autour de 390. Dans son oraison funèbre sur la mort de son
frère Satyre, il dit : « Celui qui se sentirait découragé, agirait-il
en évêque, ou serait-il en communion avec les autres évêques
catholiques ? C’est-à -dire serait-il en union de pensée et de sentiment
avec l’église romaine ? » Victor Uticensis vécut autour de l’année
490. Dans son livre 1 sur la persécution des Vandales, il écrit
: « Pour persuader le roi de ne tuer aucun catholique, un prêtre arien
lui dit : « Si tu en fais périr un par le glaive, les romains commenceront
à le prier comme un martyr ». Par le mot romains, il désignait
les catholiques africains, car les ariens n’employaient ce mot pour aucune
autre raison pour que signifier qu’ils professaient la foi de l’église
romaine, et qu’ils ne suivaient pas la perfidie arienne.
Le serment d’obéissance fait
au pape nous le trouvons au temps de saint Grégoire (livre 10 de ses épitres,
épitre 31), et donc avant l’an 606. Au sujet de l’onction sacerdotale,
nous avons le témoignage de saint Grégoire de Naziance, qui a vécu autour
de 380. Dans son apologie à son père, quand il fut sacré évêque
de Sasime, il écrit : « Sur moi de nouveau l’onction et l’esprit.
Et de nouveau je pleure et je me sens triste. » Dans cette lettre,
il fait mention de deux onctions, une qui lui fut donnée quand il fut
consacré prêtre, et l’autre lors de son ordination épiscopale.
De même, dans le discours 1 sur la paix, il dit, parlant de Basile qui,
après avoir été créé évêque, récusa la province : « Bien que lui
ait été accordé l’intelligence, le talent de la négociation, que
le soin de tout le troupeau lui ait été remis, qu’il ait été oint
par l’huile du sacerdoce et de la perfection, il hésite encore, dans
sa sagesse, à accepter la préfecture. » Au sujet du
sacrifice offert pour les défunts, que suffise le témoignage de saint
Augustin qui (livre sur les hérésies, chapitre 10), enseigne qu’un
des dogmes qui était propres à l’hérétique Arius était justement
qu’il ne fallait pas offrir d’oblations pour les morts.
Au sujet de l’adoration des images, nous nous contenterons de saint Jérôme
qui a vécu autour de 400. Voici ce qu’il dit dans sa vie
de Paula : « Prostrée devant le crucifix comme si elle le voyait pendant,
elle l’adorait. » Enfin, au sujet de l’adoration de l’eucharistie,
saint Ambroise, lui aussi, suffira. Il écrit (dans son livre
3, chapitre 12, sur le Saint-Esprit) en expliquant : adorez l’escabeau
de ses pieds : « Par escabeau, on entend la terre, par terre, la chair
du Christ, que nous adorons aujourd’hui dans nos mystères, que les apôtres,
comme nous avons dit plus haut, adorèrent dans le Seigneur Jésus. »
Saint Augustin dit à peu près la même chose dans son explication du
psaume 98.
2017 11 14 19h24 fin
2017 11 20 19h41 début
Donc, comme ces choses dans lesquelles
nos adversaires veulent voir des marques de l’antichrist, ont existé
plusieurs années avant sa naissance, il faut, de toute nécessité,
ou que l’antichrist les ait apprises de l’Église, --et dire cela,
c’est confondre l’antichrist avec le Christ- ou qu’aucune de ces
marques n’ait de rapport avec l’antichrist. Et c’est ce que
nous affirmons. Que ces considérations suffisent pour anéantir
ces opinions téméraires et absurdes de nos adversaires, qu’ils
ne sont capables de prouver par aucun texte ou aucun argument qui
tient la route.
L’autre opinion est celle de certains
catholiques qui estiment que la marque de l’antichirst se trouve
dans les lettres qui servent à former son nom. C’est ce que pensent
Primasius, Bède et Rupert. Leur erreur semble provenir de
la traduction qu’ils ont utilisée : « À moins que quelqu’un ait
la marque du nom de la bête, ou le numéro de son nom. » Car ce
n’est pas ce qu’a dit Jean. Voici, en effet, ce qu’il a vraiment
écrit : « À moins que quelqu’un n’ait la marque ou le nom de la
bête, ou le numéro de son nom. » Cette traduction est, de toute
évidence, plus conforme au texte grec. La troisième
opinion est celle du martyr Hippolyte (dans son discours sur la consommation
du monde) et d’autres auteurs. La marque de la bête consisterait
à interdire le signe de la croix, à l’exécrer et à l’abhorrer,
comme le font les calvinistes, qui s’affichent ainsi comme d’authentiques
précurseurs de l’antichrist. Je suis porté à penser, pour ma
part, qu’il est en de la marque comme il en est du nom, c’est-à -dire,
que la marque véritable de l’antichrist sera inconnue de tous,
tant qu’il ne viendra pas en personne.
CHAPITRE 12
La génération de l’antichrist
Au sujet du cinquième point, la
génération de l’antichrist, il y a des opinions qui sont manifestement
erronées, d’autres simplement probables, et d’autres enfin,
éprouvées et certaines. Parlons d’abord des erreurs qui
foisonnaient autrefois. La première. L’antichrist
naitra d’une vierge par l’opération du démon, comme le Christ est
né d’une vierge par l’opération du Saint-Esprit. On trouve
cette erreur dans l’opuscule sur l’antichrist, attribué à saint
Augustin (fin du tome neuf), et qui est probablement de Raban Maure.
Il est certain que saint Augustin ne peut pas en être l’auteur, car
produire un homme sans semence virile ne relève que de Dieu.
Il est le seul en effet à pouvoir suppléer aux causes efficientes,
car il est le seul à avoir un pouvoir infini, lui qui contient virtuellement
les perfections de toutes les créatures. Or, le diable, qui n’est
qu’une créature, peut opérer des merveilles en appliquant rapidement
de l’actif à du passif; mais suppléer aux vertus actives
des causes, il ne le peut pas. Voilà pourquoi saint Augustin écrit
(dans la lettre 3 à Volus) que le miracle accompli à la conception du
Christ fut tel, qu’on ne doit pas en attendre un plus grand. Ce
ne serait cependant pas une erreur si quelqu’un disait que l’antichrist
naitrait du démon et d’une femme, comme on le dit de ceux qui naissent
des succubes. Car, même si le démon ne peut pas, de lui-même,
produire sans semence un homme vivant, il peut très bien, dans un corps
assumé ayant la forme d’une femme, exercer avec un homme un acte charnel,
recevoir une semence, ou exercer le même acte avec une femme sous la forme
d’un homme, et faire pénétrer dans l’utérus la semence reçue de
l’homme, et, de cette façon, engendrer un homme. C’est ce qu’atteste
saint Augustin, (livre 15, chapitre 23 de la cité de Dieu). Et il
ajoute que cela a été tellement démontré par l’expérience que vouloir
encore le nier semblerait de l’impudence.
La deuxième erreur fut celle du
martyr Hippolyte qui (dans le discours sur la consommation du monde), enseigne
que l’antichrist sera le diable lui-même; qu’il assumera une
fausse chair d’une fausse vierge. Car, comme le Verbe de
Dieu, qui est la vérité même, assuma une chair d’une vraie vierge,
Hippolyte estima probable que le diable, qui est le père du
mensonge, feigne avoir assumé une chair humaine d’une vierge.
On réfute cette opinion en rappelant que (selon 2 thessal 2) l’antichrist
est appelé homme, et que les pères ont tous, d’un commun accord, enseigné
qu’il serait un homme. Selon la troisième erreur, l’antichrist
sera un vrai homme, mais aussi un démon, par l’incarnation du diable,
comme le Christ est, par l’incarnation de Dieu, homme et Dieu.
Cette erreur est rapportée, et réfutée par saint Jérôme (chapitre
7), Bède (chapitre 13 de l’apocalypse), saint Jean Damascène (livre
4, chapitre 27). Origène pensait que la chose était possible,
car il enseignait (tome 5 sur Jean) que des anges s’étaient vraiment
incarnés. Position réfutée par saint Jérôme (dans sa préface de Malachie,
et au chapitre 1 d’Aggée). Il est certain que cette
opinion est erronée, car il est impossible à une personne créée, et
donc finie, d’assumer deux natures parfaites, comme le peut le Verbe
de Dieu, parce qu’il est infini. Les théologiens n’ont pas de
désaccord là -dessus. Car, même si les uns estiment que cela implique
une contradiction, et que d’autres pensent qu’il n’y a là aucune
contradiction, tous, cependant, admettent que ça ne peut pas se
faire par les seules forces d’une simple créature, comme est le démon.
La quatrième erreur. Néron
va ressusciter, et c’est lui qui sera l’antichrist; ou bien,
il est encore en vie, et il est maintenu dans la vigueur de sa jeunesse,
pour apparaître en son temps. C’est Sulpitius qui insinue cette
erreur (au livre 2 de son histoire sainte). Mais (au livre
2 de son dialogue sur les vertus de saint Martin), il écrit, en toutes
lettres, que ce n’est pas Néron qui est l’antichrist, mais qu’il
viendra avec l’antichrist, et qu’il sera tué avec lui.
Or, comme ces choses sont affirmées à tort et à travers, saint Augustin
(livre 20, chapitre 19 de la cité de Dieu) a raison d’appeler cette
opinion une semble hypothèse. En plus de ces erreurs, on découvre,
chez les pères, deux opinions probables. La première. L’antichrist
naitra, non d’un mariage légitime, mais d’une prostituée.
C’est ce qu’enseignent saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 27)
et d’autres auteurs. Ils disent, cependant, qu’on ne peut pas
le démontrer par l’Écriture, que ce n’est qu’une probabilité,
et non une certitude. La deuxième. L’antichrist
naitra de la tribu de Dan. C’est ce qu’enseignent saint
Irénée (livre 5), Hippolyte (lieu cité), saint Ambroise (livre sur la
bénédiction des patriarches, chapitre 7), saint Augustin (question
24 sur Josué), Prosper (de la promesse, et de la prédication de
Dieu, par 4), Theodoret (questionm 109, Genèse), saint Grégoire
(livre 31, chapitre 10, Morale), Bède, Rupert, Richard et Anselme, dans
l’apocalypse 7. Ils le prouvent par un texte de la Genèse
(49) : « Que Dan soit un serpent sur le chemin, un céraste sur le sentier
! » Jérémie dit la même chose de lui (8) : « De Dan nous avons
entendu le frémissement de ses chevaux ». Ensuite, dans l’apocalypse
(7), ou sont nommés par l’ange douze mille de chaque tribu des fils
d’Israël, la tribu de Dan a été omise. Ce qui semble avoir
été fait en haine de l’antichrist.
Cette opinion est certainement très
probable, à cause de l’autorité d’un si grand nombre de pères, mais
elle est loin d’être absolument certaine. Parce que, d’abord,
la plupart de ces pères ne disent pas qu’ils le savent, mais que c’est
une chose probable. Ensuite, parce qu’aucun des textes cités ne
peut nous convaincre. Car, dans Genèse (40), il semble que Jacob
parle plutôt de Samson, quand il dit : « il sera un serpent sur le chemin
et un céraste sur le sentier, qui mord le cheval au jarret, et qui fait
tomber le cavalier à la renverse ». Car, Samson fut de la tribu
de Dan, et fut vraiment, pour les philistins, comme un céraste
sur le sentier, car, partout où il accourait, il les terrassait.
C’est ainsi que l’explique saint Jérôme (dans ses questions hébraïques).
Et Jacob semble avoir prié pour son fils quand il dit
ces paroles, et n’avoir, en conséquence prophétisé que de bonnes choses,
non des mauvaises. Or, si c’est de façon allégorique qu’on
l’applique à l’antichrist, on ne pourra en tirer qu’une conclusion
probable, comme cela se produit pour les sens mystiques. Quant Ã
Jérémie, il est certain que, dans le chapitre 8, il ne parle pas de l’antichrist,
mais de Nabuchodonosor, qui viendra renverser Jérusalem en passant par
cette région qui portait le nom de Dan, comme l’explique saint
Jérôme. On ne connait malheureusement pas la raison pour laquelle
l’apocalypse a omis Dan. D’autant plus qu’Éphraïm a été
omis aussi, une des plus importantes tribus.
En plus de ces deux probables, il
y en a deux qui sont très certaines. Une. L’antichrist viendra
surtout pour les Juifs, et il sera reçu, par eux, comme le Messie. L’autre.
Il naitra de la nation des Juifs, il sera circoncis et il observera le
sabbat, du moins pour un temps. La première, on la prouve
par la parole du Seigneur aux Juifs (Jean 5) : « Je suis venu au nom de
mon Père, et vous ne m’avez pas reçu. Un autre viendra en son
nom, et vous le recevrez. » Que ce texte parle vraiment de l’antichrist,
nous l’avons prouvé plus haut, au chapitre 2 (de 2 Thessal 2 de
saint Paul ): « Et parce qu’ils n’ont pas reçu la charité de la
vérité pour être sauvés, Dieu leur a envoyé une opération d’erreur,
pour qu’ils croient au mensonge ». Ce passage, Calvin et les autres
hérétiques de notre temps l’appliquent à nous, parce que, séduits
par l’antichrist romain, nous ne recevons pas leur évangile.
Mais ils n’ont aucun témoignage à présenter, tandis que nous avons
pour nous tous les interprètes qui appliquent ce passage aux Juifs.
Voir Ambroise, Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, et Oecumenius.
En plus de ceux-là , voici ce que
dit saint Jérôme (question 11 à Algasie) : « Que l’antichrist fasse
toutes ces choses pour les Juifs, non par le pouvoir de Dieu mais par sa
permission, parce qu’ils ne voulurent pas recevoir la charité
de la vérité, c’est-à -dire l’esprit de Dieu par le Christ, pour
être sauvés par l’accueil du Sauveur. Que le Seigneur leur envoie non
l’opérateur de l’erreur, mais l’opération elle-même, c’est-à -dire
la fontaine de l’erreur, pour qu’ils croient au mensonge. » Et même
sans le commentaire des pères, le texte dit lui-même que
l’apôtre parle des Juifs. C’est lui, en effet, qui dit que l’antichrist
doit être envoyé à ceux qui n’ont pas voulu recevoir le Christ.
Ne sont-ce pas les Juifs qui n’ont pas voulu le Messie qui leur
avait été envoyé ? Il est à noter, là , que l’apôtre ne parle
pas de ceux qui ne voulaient pas recevoir la vérité, mais qui n’ont
pas voulu le recevoir. Il parle donc de ceux qui n’ont pas
voulu croire à la prédication du Christ et des apôtres. C’est
une chose bien connue qu’au temps des apôtres, les Gentils ont accepté
l’évangile avec enthousiasme et avidité, et que les Juifs ont refusé
de l’accepter. En plus de saint Jérôme et des auteurs déjÃ
cités, tous les autres pères enseignent la même chose. Saint
Irénée (livre 5), Hippolyte martyr (lieu cité), Theodoret (épitre sur
les décrets divins, au chapitre de l’antichrist), Sulpitius sur
saint Martin, livre 2, dialogues), saint Cyrille de Jérusalem (catéthèse
15), saint Hilaire (can 25 sur Matthieu), saint Ambroise (livre 10, chapitre
21, sur saint Luc), saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Cyrille
d’Alexandrie (Jean, chapitre 5), saint Grégoire (livre 31, chapitre
10 morale), saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 37).
Et c’est ce que persuade
aussi la raison. Car l’antichrist s’adjoindra d’abord ceux
qui sont prêts à le recevoir. Or les Juifs font partie de ceux
là , puisqu’ils attendent un Messie temporel, comme le sera l’antichrist,
tandis que les Gentils n’attendent personne. Les chrétiens, il
est vrai, attendent l’antichrist, mais dans la crainte et le tremblement,
non dans la joie et le désir. Donc, comme le Christ est d’abord
venu pour les Juifs, à qui il avait été promis, et par qui il était
attendu, puis s’est associé les Gentils, de la même façon, l’antichrist
se montrera d’abord aux Juifs qui l’attendent, et ensuite seulement
aux Gentils, qu’il se soumettra. Que l’antichrist soit un Juif,
et qu’il soit circoncis, c’est une chose certaine, qui se déduit facilement
de ce qui précède. Car, les Juifs ne reçurent jamais pour leur
Messie, un non Juif ou un non circoncis. Et parce que les Juifs attendent
un Messie de la famille de David et de la tribu de Juda, l’antichrist
feindra de provenir de cette tribu, même s’il était de la tribu de
Dan. Voilà pourquoi saint Ambroise enseignait
(2 Thessal 2) qu’il serait circoncis, saint Jérôme (11
Daniel) qu’il naitrait du peuple des Juifs, et saint Martin (selon Sulpice
livre 2 des dialogues) qu’il ordonnerait que tous soient circoncis
selon la loi de Moïse. Saint Cyrille (catéchèse 15) enseigne que,
pour bien montrer qu’il descend de David, il déploiera un grand
zèle en faveur du temple de Jérusalem. Enfin, saint Grégoire
(livre 11, épitre 3) annonce qu’il promouvra le sabbat et
toutes les autres cérémonies judaïques.
Nous avons ici une démonstration
à toute épreuve que le pape n’est pas et ne peut pas être l’antichrist.
Car, depuis l’année 606, date où, selon nos adversaires, l’antichrist
est venu, aucun pape n’a été Juif, ni de race, ni de religion,
ni d’aucune autre façon, (à l’exception, peut-être, de
l’antipape Anaclet 2, petit-fils d’un Juif converti.) Et il est
évident que les Juifs n’ont jamais considéré aucun des papes comme
leur messie, mais plutôt comme leur ennemi et leur persécuteur. VoilÃ
pourquoi, dans leurs prières quotidiennes, ils demandent à Dieu de donner
au pontife régnant de bonnes dispositions envers les Juifs, et d’envoyer
le messie qui les délivrera du pouvoir du pape et des évêques.
Ils donnent même au pape, un nom syrien qui signifie queue, qu’ils opposent
à tête. Parce que nous appelons le pape, nous, la tête
du peuple, ils lui donnent par mépris et dérision le nom de queue.
Ils sont donc bien loin de recevoir le pape comme l’antichrist !
Enfin, le rabbi Levi Gerson (chapitre 7 et 10 de Daniel) applique
au pontife romain tout ce qui est dit de l’antichrist, qu’il appelle
un autre Pharaon, et qu’il oppose au Messie à venir. Voir prière
Mahafor, fol 26.
CHAPITRE 13 : Le siège
de l’antichrist
Au sujet du sixième point, les
adversaires ont la témérité d’affirmer que le siège principal de
l’antichrist est Rome, ou la chaire apostolique fondée à Rome.
Car, ils disent que l’antichrist envahira le siège de Pierre, et qu’il
sera élevé au poste suprême, et que, de là , il présidera sur toute
l’église, et la dominera en tyran. Que Rome soit le siège
de l’antichrist, ils le prouvent avec Apocalypse 17, où, parlant du
siège de l’antichrist, saint Jean dit que c’est une grande ville ayant
sept collines, et qui règne sur les autres rois de la terre.
Que ce ne soit pas dans le palais de Néron, mais dans l’Église du Christ
elle-même qu’il établira son siège, ils le prouvent avec un texte
de saint Paul, 2 Thessal 2, où il est dit que « l’antichrist
s’assoira dans le temple de Dieu ». En disant « le temple
de Dieu » au sens général et fort du terme, il ne peut parler
que du vrai temple de Dieu. Il ne peut donc parler que de l’Église
catholique, car les temples des Gentils sont de vrais temples, mais des
temples des démons, non de Dieu. Le temple de Jérusalem était
autrefois le temple de Dieu, mais il a cessé de l’être, quand
ont pris fin en même temps le sacrifice et le sacerdoce juif.
Car, ces trois choses (le temple, le sacrifice et le sacerdoce) étaient
si étroitement liées que l’une ne pouvait pas exister sans l’autre.
De plus, le temple des Juifs devait être détruit, et ne jamais être
reconstruit, comme le dit Daniel (chapitre 9) : « Et jusqu’à la consommation
et la fin perdurera la désolation. » L’apôtre ne peut donc pas
parler du temple des Juifs.
Ils confirment leur argumentation
par des témoignages des pères. Saint Jérôme (question 11
à Aalgasie) a écrit : « Il siègera dans le temple de Dieu, à Jérusalem,
comme quelques-uns pensent, ou dans l’Église, ce que nous pensons être
plus vrai. » Et Oecumenius : « Il ne parle pas du temple des Juifs,
mais des églises du Christ. » Theodore Bibliander ajoute le témoignage
de saint Grégoire (livre 4, épitre 38, à Jean de Constantinople) : «
Le roi de l’orgueil est proche, et, ce qui n’est pas permis de dire,
une armée de prêtres est préparée pour lui. » De ces paroles,
on tire deux conclusions. La première. Jean de Constantinople
est un précurseur de l’antichrist, parce qu’il a voulu être
appelé évêque universel. Il sera donc le vrai antichrist
celui qui se fera vraiment l’évêque universel, et qui siègera dans
l’Église comme la tête de tous. La deuxième. Les prêtres
seront l’armée de l’antichrist; l’antichrist sera donc le
prince des prêtres. Les hérétiques pensent que ces textes
leur permettent de prouver irréfutablement que c’est le pontife romain
qui est l’antichrist. Car, quand il dominera dans Rome, l’antichrist
siégera dans le temple de Dieu, se dira évêque universel et prince des
prêtres.
Néanmoins, la vraie proposition
est que l’antichrist siègera à Jérusalem, non à Rome, dans le temple
de Salomon et sur le trône de David, et non dans le temple de Pierre,
et sur le siège apostolique. On peut le prouver de deux façons.
D’abord, par un argument ad hominem, et ensuite, par l’Écriture et
les pères. Je développe d’abord cet argument. L’antichrist,
nous dit-on, s’assoira dans l’église du Christ, sera considéré comme
prince et chef de l’église, et il la gouvernera en roi, comme l’écrit
Melanchton (apologie, article 6 de l’apologie de la confession d’aout),
Calvin (livre 4 des institutions, chapitre 2, verset 12, chapitre 4, colonn
435, et tous les sectaires de ce temps. Et comme ils l’enseignent
tous en chœur dans les lieux cités, le pape de Rome est assis dans la
véritable église du Christ, et en est le prince et la tête.
Mais, l’église du Christ ne peut qu’être une, comme le Christ est
un, et comme Calvin lui-même l’enseigne (livre 4 des institutions, chapitre
1, verset 2). Donc, les luthériens et les calvinistes et tous ceux
qui sont étrangers à l’église dont le pape est le chef, sont en dehors
de la véritable église du Christ. Calvin avait prévu
cet argument, et a donné d’avance comme réponse que, sous le
pape, ce n’est pas tant une église qu’on voit, que les ruines de l’Église
du Christ. C’est ce qu’il dit (livre 4 des institutions,
chapitre 2, verset 11) : « Demeuraient autrefois, entre les Juifs, des
prérogatives ecclésiales particulières. Ainsi, nous n’enlevons
pas non plus aux papistes les vestiges d’Église que le Seigneur
a voulu laisser subsister après la dissipation. » Et plus bas :
« Par sa providence, Dieu a fait en sorte que subsistent quelques reliques,
pour que l’église ne périsse pas au complet. Et comme quand s’effondrent
des édifices, des fondements ou des ruines, ou des gravats subsistent,
il n’a pas non plus permis que l’Église soit détruite de fond en
comble par l’antichrist , ou que de la combustion universelle, ne demeure
qu’un édifice à demi brulé. » Et plus bas (verset 12)
: « On peut déduire clairement de ces textes qu’il est impossible
de nier que c’est sous sa tyrannie que demeurent les églises. »
Nous répondrons par deux arguments.
Si les églises du Christ ne sont que des ruines, les portes de l’enfer
l’ont donc emporté sur elles, et le Christ a donc menti quand
il a promis que cela n’arriverait jamais. Si tout est en ruine
dans l’Église, même les fondements, et s’il ne reste qu’un édifice
à demi brulé qu’occupent les papistes, les luthériens et les calvnistes
n’ont pas d’église, car ils ne possèdent pas l’église intégrale
du Christ, puisqu’elle est corrompue, et que seules des ruines subsistent.
Ils n’ont même pas à leur disposition un édifice à demi brûlé.
Seuls les papistes l’ont, et il est au pouvoir de l’antichrist.
Qu’est-ce qui leur reste donc ? Un nouvel édifice ? Mais, par
le fait même qu’il est nouveau, il n’est pas du Christ. Qui,
à moins d’être un aveugle, ne voit pas qu’il est plus sur d’être
dans la vraie église du Christ, même à moitié brûlée, et qui continue
à exister, que d’être nulle part ?
J’en viens, maintenant aux Écritures
qui démontrent que le siège de l’antichrist ne sera pas à Rome, mais
à Jérusalem. Le premier. Saint Jean dit dans l’apocalypse
(chapitre 11), qu’Énoch et Élie se battront contre l’antichrist Ã
Jérusalem, et que c’est là qu’ils seront tués par l’antichrist
: « Et leurs cadavres seront exposés sur la place publique de la grande
ville, qui est appelée spirituellement Sodome et Égypte, là où le Seigneur
a été crucifié ». Arethas écrit, en commentant ce passage : « Il
les jettera, après les avoir privés de sépulture, sur la place publique
de Jérusalem. Car, c’est là qu’il règnera en tant que roi
des Juifs ». Tous les autres commentateurs interprètent ce passage
de la même façon. Car, qui pourrait nier qu’il s’agisse ici
de la ville de Jérusalem ? Existe-t-il une autre ville que celle
de Jérusalem, où le Christ ait été crucifié ? C’est pourquoi,
Chytraeus, qui veut à tout prix que cette ville soit Rome, laisse de côté,
comme si elles étaient interpolées, les paroles « où le Seigneur
a été crucifié ». Peu importe que saint Jérôme s’efforce
de montrer (dans sa lettre à Marcella) que Jérusalem ne peut pas être
appelée Sodome, puisqu’elle est souvent appelée ville sainte.
Car, dans cette lettre, il cherche à persuader Marcelle de quitter
Rome pour venir en Palestine. Et, pour cette raison, il accumule
toutes les louanges qu’on peut faire à Jérusalem et tous les reproches
qu’on peut faire à Rome. Et il insiste sur tout ce qui peut excuser
Jérusalem. Cela, il ne le fait pas en son nom, mais au nom de Paula
et d’Eustochius, à qui il pensait devoir demander pardon si elles lui
reprochaient d’avoir expliqué les choses autrement qu’elles étaient.
Car, que la Jérusalem terrestre puisse être appelée Sodome à cause
de sa luxure, et de ses infamies, Isaïe nous le montre dans sa préface
du chapitre premier : «Vision d’Isaïe, qu’il a eue sur la Judée
et Jérusalem ». Il ajoute ensuite : « Écoutez la parole de Dieu,
princes des Sodomites. Percevez, par mes oreilles, les mots de mon
Dieu, peuple de Gomorrhe. » Ne vaut donc pas l’argument suivant
lequel Jérusalem, parce ce qu’elle est sainte, ne peut pas être appelée
Sodome. Car, comme le dit le même saint Jérôme dans la même lettre,
Rome est appelée, par Jean, à cause des empereurs païens, Babylone et
prostituée vêtue de pourpre. Et pourtant, la même ville est sainte Ã
cause de l’église du Christ, et des sépulcres de saint Pierre et de
saint Paul. Jérusalem, elle aussi, est sainte à cause des
prophètes et des apôtres qui y ont prêché, à cause de la croix du
Christ et de son sépulcre, et à cause de choses semblables.
Mais elle est cependant une Sodome et une Égypte à cause des crimes et
de la cécité des Juifs infidèles.
La seconde citation est celle de
l’apocalypse (17), où Jean dit que dix rois, qui se sont divisé l’empire
romain, et qui règneront au temps de l’antichrist, prendront en haine
la prostituée vêtue de pourpre, c’est-à -dire Rome, la saccageront
et la détruiront par le feu. Comment donc pourra-t-elle être
le siège de l’antichrist si elle doit, en ce temps, être renversée
et brûlée ? Ajoutons, comme je l’ai déjà démontré, que l’antichrist
sera un Juif, le Messie et le roi des Juifs. Il établira donc, Ã
n’en point douter, son siège à Jérusalem, et s’efforcera de reconstruire
le temple de Salomon. Car les Juifs ne rêvent à rien d’autre
qu’à Jérusalem et au temple. Et on ne peut concevoir qu’ils
accepteront pour Messie quelqu’un qui ne siègera pas à Jérusalem,
et ne reconstruira pas le temple. C’est pourquoi Lactance dit (livre
7, chapitre 15), qu’au temps de l’antichrist, le pouvoir suprême sera
en Asie, que l’Orient dominera et que l’Occident servira.
Et, au chapitre 17, il précise dans quelle partie de l’Asie sera ce
règne, et il affirme que ce sera la Syrie, c’est-à -dire la Judée,
qui est une partie de la Syrie. De même, saint Jérôme et Theodoret
(au chapitre 11 de Daniel) concluent que l’antichrist établira
sa demeure dans la région de Jérusalem, et qu’il sera tué sur le mont
des oliviers. Et saint Irénée (livre 5) dit clairement que
l’Antichrist règnera sur la Jérusalem terrestre.
La troisième citation est celle
de Paul (2 thessal 2) : « De façon à ce qu’il siège dans le temple
de Dieu. » Les pères proposent plusieurs explications pour ce texte.
Par temple de Dieu, quelques-uns entendent l’esprit des fidèles, dans
lequel, après les avoir séduits, l’antichrist semblera trôner, comme
l’enseigne saint Anselme. D’autres entendent, par temple, l’antichrist
lui-même avec tout son peuple, car l’antichrist veut être considéré,
lui et les siens, comme le temple spirituel de Dieu, c’est-à -dire la
vraie église, comme l’expose saint Augustin (livre 20, chapitre 19 de
la cité de Dieu.) Il déduit ce sens de la façon de s’exprimer
de saint Paul. Car il ne dit pas en grec dans le temple de Dieu,
mais en temple de Dieu (en tant que temple de Dieu), comme si l’antichrist
et les siens étaient le temple de Dieu. Mais cette explication de
saint Augustin ne s’impose pas, car même si, en latin, on ne peut pas
dire « s’asseoir en temple »à la place de « dans le temple », en
grec on peut le dire. Et l’auteur donne deux phrases écrites en
grec pour le prouver. Quelques-uns entendent, par temples,
les églises des chrétiens, comme si l’antichrist ordonnerait de les
mettre à son service.
Mais cependant l’interprétation la
plus commune, la plus vraisemblable, et la plus littérale, voit
dans le temple de Dieu le temple de Salomon, dans lequel, après l’avoir
reconstruit, siègera l’antichrist. Car, premièrement, dans le
nouveau testament, par temple de Dieu, on n’entend jamais les églises
des chrétiens, mais toujours le temple de Jérusalem. Et,
ce qui a encore plus de poids, les pères grecs et les pères latins, pendant
un grand nombre de siècles, ne donnèrent jamais le nom de temples
aux églises des chrétiens. Les noms qu’ils leur donnaient étaient
oratoires, maisons de prière, basiliques, martyriums, mais jamais temples.
Il est certain que Justin, Irénée, Tertullien, Cyprien
n’ont jamais employé le mot temple pour désigner l’église des chrétiens.
Et saint Jérôme dit (dans sa lettre à Ripar) que Julien l’apostat
avait ordonné que les basiliques des saints soient détruites, ou soient
converties en temples.
Les apôtres avaient deux bonnes
raisons de ne pas appeler temples les églises des chrétiens.
La première. Car ils n’avaient pas alors des temples, mais seulement
des locaux, dans les maisons privées, destinés à la prière, à la prédication
et à la célébration des saintes messes. La deuxième.
Parce que, étant encore vif le souvenir du temple de Jérusalem, les apôtres
ne voulaient pas paraitre en introduire un autre semblable.
Et c’était aussi pour différencier l’Église de la synagogue, qu’ils
s’interdisaient le mot temple. Pour la même raison, les apôtres,
dans l’Écriture, ne donnèrent jamais le nom de prêtres aux prêtres
chrétiens, mais seulement d’évêques ou de presbytres. Mais quand
Jérusalem fut détruite, incendié le temple, et disparu le souvenir du
vieux temple et de l’ancien sacerdoce, les saints docteurs se mirent
progressivement à employer les mots temples et prêtres. Puisque,
en écrivant que l’antichrist siègerait dans le temple de Dieu, saint
Paul entendait parler de façon à être compris par ceux à qui
il écrivait, et parce que ces mêmes personnes auxquelles il écrivait
ne voyaient dans le mot temple que le temple de Salomon, on a de bonnes
raisons de penser que c’était de ce temple qu’il parlait.
Et c’est ce que confirme le commentaire
des pères. Irénée (livre 5) : « Quand l’antichrist
siègera dans le temple de Jérusalem, alors viendra l’antichrist. »
Hyppolyte martyr (œuvre citée) : « Il reconstuira le temple à Jérusalem.
» Saint Martin enseigne la même chose, d’après Sulpice Sévère
(livre 2, dialogues). Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 15)
: « De quel temple parle l’apôtre ? Du temple rebâti des Juifs.
Impossible qu’une pareille chose n’arrive dans le temple où nous sommes.
» Saint Hilaire (chapitre 25, Matthieu) : « L’antichrist,
qui sera reçu par les Juifs, demeurera dans le lieu de sanctification.
» Il désigne clairement le temple des Juifs quand il appelle
lieu de sanctification ce que le Christ en Matthieu (24) appelle lieu saint
: « Vous verrez l’abomination de la désolation dans le lieu saint.
» Saint Ambroise (chapitre 21, Luc) : « Selon l’histoire, l’antichrist
siègera dans le temple où, au temps de l’empereur Titus, ils
jetèrent la tête du romain Porcius. Au second sens, qui est plutôt
mystique, il s’assoira dans le temple intérieur des Juifs, c’est-à -dire
dans leurs perfides esprits. » Sedulius, dans son commentaire de
ce passage : « Il essaiera de reconstruire le temple de Jérusalem. »
Saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 27) : « Non dans le nôtre,
mais dans le vieux judaïque. »
Saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylacte
disent qu’il siègera dans les églises des chrétiens, mais qu’il
s’assoira aussi dans celui de Salomon. C’est ce que dit saint
Jean Chrysostome sur ce texte : « Il ordonnera qu’on l’adore
lui-même comme dieu, qu’on le place dans le temple non seulement Ã
Jérusalem, mais aussi dans les églises. » Theophylacte et Theodoret,
saint Augustin (livre 20, chapitre 19 de la ciré de dieu), et saint
Jérôme (question 11 à Algasie) disent la même chose. Ils
ne nient donc pas que l’antichrist siègera dans le temple de Salomon.
Oecumenius est le seul à enseigner que ce n’est pas dans le temple de
Salomon que siègera l’antichrist. Et comme il est le moins ancien,
on ne peut pas le préférer aux autres pères plus anciens. Son
texte a peut-être aussi été corrompu, car il ne manque qu’une
seule particule. Il est peu vraisemblable qu’un auteur qui,
comme lui, suit toujours saint Jean Chrysostome, Theophylacte, et
Thedoret, ait eu l’intention, sur un sujet de cette importance,
de leur fausser compagnie.
Répondons maintenant aux arguments
que nous avons présentés plut haut contre nos adversaires.
Au premier, je réponds de trois façons. La première. On peut dire
avec saint Augustin (psaume 26), qu’Aretha, Haimone, Bède et Rupert
n’ont pas, par prostituée assise sur sept montagnes qui domine tous
les royaumes de la terre, entendu Rome, mais la cité universelle du diable,
que l’Écriture appelle Babylone, et qu’elle oppose à la cité de
Dieu, l’Église, qu’elle appelle Jérusalem. Les sept montagnes
signifieraient le grand nombre des superbes, et surtout des rois
de la terre. On peut répondre, ensuite, d’une façon plus
satisfaisante, me semble-t-il, que la prostituée représente Rome,
comme l’expliquent Tertullien (livre contre les Juifs, et livre 3 contre
Marcion), et saint Jérôme (épitre 17 à Marcella, et question 11
à Algasie), mais la Rome païenne régnante, adoratrice d’idoles, persécutrice
des chrétiens. Non la Rome chrétienne. C’est ce qu’expliquent
ces auteurs.
Je n’en reviens pas de l’impudence
des hérétiques qui, pour prouver que Rome est la prostituée revêtue
de pourpre, ont le front de citer Tertullien et saint Jérôme. Car,
comme à cette époque, la Rome païenne était l’ennemie de la
Rome chrétienne, laquelle, je le demande, les pères
appellent-ils la prostituée revêtue du pourpre ? Si c’est la
Rome païenne, pourquoi les hérétiques abusent-ils de leurs témoignages
? Si c’est la Rome chrétienne, l’Église chrétienne était
déjà dégénérée, et l’antichrist régnait déjà , ce qu’ils ne
concèdent pas eux-mêmes. De plus, si la Rome chrétienne
était une Babylone, pourquoi Tertullien dit-il dans les prescriptions
: « Heureuse église, celle pour qui les apôtres versèrent toute la
doctrine avec leur sang ! » Et pourquoi saint Jérôme, parlant
de Rome (livre 2 contre Jovinien), dit-il : « C’est à toi que
je parle, toi qui as, par la confession du Christ, effacé le blasphème
inscrit sur ton front ! » On peut voir la même chose chez
Jean. Il dit, en parlant de la ville de Rome, quelle détient le
gouvernement sur tous les rois de la terre, qu’elle était ivre du sang
des saints, et du sang des martyrs de Jésus. Il est
certain que ces choses ne se sont passées que dans la Rome de Néron et
de Domitien, qui tuait les chrétiens.
Troisièmement, je dis que même
si cette Rome était la Rome chrétienne, comme le veulent les hérétiques,
leur argument quand même, tournerait court. Car, comme
nous l’avons montré plus haut, l’antichrist haïra Rome, païenne
ou chrétienne, peu importe. Il luttera contre elle, il la
pillera, la saccagera et l’incendiera. Il s’ensuit donc manifestement
que Rome n’est pas le siège de l’antichrist. À
la deuxième citation, j’ai déjà dit que Paul, dans ce texte, parle
du temple de Salomon. Mais j’ajoute que, quand cessèrent le sacrifice
et le sacerdoce, le temple cessa aussi d’être le temple des Juifs.
Mais il n’a pas cessé, tant qu’il resta debout, d’être le
temple des chrétiens, comme il l’était devnu. Car les apôtres
prêchaient dans le temple, ils y priaient même après l’ascension du
Christ et la venue de l’Esprit-Saint, comme saint Luc nous l’apprend
: « Ils étaient toujours dans le temple louant et bénissant le Seigneur.
» De même (actes 3) : « Pierre et Jean montaient au temple Ã
l’heure de none de la prière. » Et (actes 5), un ange a dit aux apôtres
: « Racontez au peuple dans le temple toutes les paroles de sa vie. »
Et à la citation de Daniel, je réponds qu’il a voulu dire que le temple
ne devait plus jamais être réédifié, sauf à la fin du monde, comme
il est vrai de le dire, car ce sera le premier projet de l’antichrist
à la fin du monde. Ou bien, en disant que la désolation perdurera
éternellement, il veut dire que, même réédifié, le temple, après
avoir été renversé par Titus, serait toujours un temple profané.
Car, du fait que ce sera l’antichrist lui-même qui le ressuscitera,
l’abomination de la désolation ne fera qu’empirer, puisque l’antichrist
est l’abomination de la désolation et que le futur temple sera son image.
Il veut peut être dire que le temple ne sera jamais reconstruit au complet,
qu’une partie seulement serait édifiée, et que c’est là que siègera
l’antichrist.
Nous avons déjà répondu aux citations
des pères. Ou ils affirment ou ils ne nient pas que l’antichrist
siègera à Jérusalem. Que quelques-uns d’entre eux ajoutent qu’il
siègera aussi dans les églises des chrétiens, cela est vrai, mais
ne nous contredit pas. Car les pères n’ont pas voulu dire que
l’antichrist siègera dans l’église en tant qu’évêque, comme l’imaginent
les hérétiques, mais en tant que Dieu. Car, il ordonnera que tous
les temples du monde soient affectés à son culte à lui, pour que lui
seul soit adoré. C’est ce qu’enseigne saint Jean Chrysostome
: « Il ordonnera qu’on l’adore et qu’on le vénère comme dieu,
et que sa statue soit placée non seulement dans le temple de Jérusalem,
mais dans toutes les églises. » Les autres parlent comme lui.
Je réponds aux arguments tirés
des paroles de saint Grégoire, qu’on peut en déduire une conclusion
contraire. Voici comment ils raisonnent, eux : l’évêque
de Constantinople était un précurseur de l’antichrist, parce
qu’il se nommait évêque universel. L’antichrist sera donc cet
évêque universel qui aura tout usurpé à son profit. Mais, c’est
le contraire qui découle de ses paroles. Car le précurseur
ne doit pas être semblable à celui qu’il annonce, mais de beaucoup
inférieur, même s’il lui ressemble à un certain point de vue, comme
on le voit dans le cas de saint Jean-Baptiste et de Jésus.
Si le précurseur de l’antichrist est celui qui se veut évêque universel,
ce n’est pourtant pas ce que voudra l’antichrist, car on sait
très bien qu’il s’élèvera contre tout ce qui est dit dieu.
Or, si le seul titre que se donnera l’antichrist est celui d’évêque
universel, ce Jean de Jérusalem, qui se disait évêque universel,
n’était donc pas un précurseur de l’antichrist, mais l’antichrist
lui-même. Ce que ni saint Grégoire ni nos adversaires n’ont jamais
dit. Le sens véritable des paroles de saint Grégoire est donc celui-ci.
Parce que l’antichrist sera très orgueilleux et le prince de tous les
orgueilleux, de façon à ne pas supporter de pairs, quiconque
usurpe quelque chose à son profit sans aucun droit, veut exceller
et dépasser tous les autres, est un de ses précurseurs, comme étaient
les évêques de Constantinople qui, de simples archevêques, se
sont faits par la suite patriarches, et évêques universels.
Semblablement, quand saint Grégoire
enseigne « qu’une armée de prêtres lui est préparée », il ne veut
pas dire que les prêtres appartiendront à l’armée de l’antichrist
en tant que prêtres, car il serait ainsi entré lui-même dans cette
armée. Ce qu’il veut dire c’est que, par leur orgueil, les prêtres
prépareront une armée pour l’antichrist. Car il parlait de ce
Jean de Constantinople et des autres prêtres qui leur ressemblaient,
qui voulaient s’élever injustement au-dessus de tous. Il ne suit
pas de cela que l’antichrist sera le prince des prêtres, mais des superbes.
Et nous avons au chapitre 6 un argument de première valeur qui prouve
que le pape n’est pas l’antichrist, puisque son siège n’est
pas à Jérusalem, ni dans le temple de Salomon. Et on peut être
assuré qu’en l’an 600, aucun pape n’a mis les pieds à Jérusalem.
CHAPITRE 14 : La doctrine
du Christ
Au sujet de la doctrine de l’antichrist,
il y a entre eux et nous un désaccord profond. L’Écriture nous
enseigne, comme les hérétiques le reconnaissent, la doctrine du
Christ en quatre chapitres. Le premier. Voici comment le décrivent
les magdebourgeois (lieu cité). « Il montrera qu’il tient la
place de Dieu, et qu’en tant que vicaire du Christ et tête de l’église,
il peut composer et recomposer des articles de foi ». Ils disent
enfin que l’antichrist ne rejettera pas les idoles, mais qu’il sera
adoré en public. Ils le prouvent par Daniel (chapitre 11), qui,
après avoir dit que l’antichrist s’élèvera contre tous les dieux,
ajoute : « Le Dieu Moazim sera vénéré en son lieu, un Dieu couvert
d’or et d’argent, et de pierres précieuses qu’ont ignoré leurs
pères. » Par Moazim, les hérétiques entendent les décorations
des temples, la messe, les images, les reliques etc. C’est ce que
pense Illyricus (livre contre Prim) et les autres. Et ce que
l’apôtre dit en 2 thessal 2 qu’il s’élèverait sur tout ce qui
est dit dieu, ou est adoré en tant que dieu, ils l’appliquent
au pontife romain qui s’est fait le vicaire du Christ, en usurpant même
une plus grande autorité que n’eut jamais le Christ. C’est ce
que démontre Illyricus (dans le catalogue des témoins), car je n’ai
pas encore vu comment ils prouvent les autres choses.
Le Christ ayant déclaré (en Matthieu 24), que se montrer Dieu, et se
mettre au-dessus de tout dieu n’est rien d’autre que venir au nom du
Christ, il s’ensuit qu’en se faisant vicaire du Christ, le pape est
le vrai antichrist. Le Christ lui-même s’est soumis à l’Écriture,
quand il disait que les choses qu’il faisait et subissait, il les faisait
et les subissait pour que s’accomplissent les Écritures.
Or, le pape dit qu’il peut, contrairement à un apôtre et à un évangéliste,
rendre bon ce qui est mauvais, et mauvais ce qui est bon. VoilÃ
donc un résumé de la partie principale de la doctrine des adversaires
sur l’antichrist, qui est toute entière fondée sur des passages
de l’Écriture expliqués en neuf gloses. Mais ils ne peuvent citer
aucun interprète ancien, aucun commentateur, aucun père de l’église
qui abonde dans leur sens.
Commençons donc par le premier
point. L’antichrist niera publiquement que Jésus est le
Christ, et il foulera aux pieds tous les sacrements comme ayant été inventés
par un séducteur. Ils le prouvent d’abord par ce qui a été dit
aux chapitres 5 et 6. Car, si l’antichrist est Juif de religion
et de race, et est reçu par les Juifs comme le messie, ainsi que nous
l’avons montré, il ne prêchera certainement pas Jésus-Christ, mais
le combattra publiquement. Car, autrement, c’est notre
Christ que les Juifs recevraient pour leur messie, ce qui est le comble
de l’absurdité. De plus, comme il ne peut pas y avoir deux Christ,
comment l’antichrist pourra-t-il montrer aux Juifs qu’il est le Christ,
à moins qu’il enseigne d’abord que notre Christ qui a précédé,
n’était pas le vrai Christ ? Ils le prouvent ensuite par
un autre texte de saint Jean (1 Jean 2) : « Qui est menteur si ce n’est
celui qui nie que Jésus est le Christ ? C’est lui l’antichrist.
» Car, sont appelés des antichrist tous les hérétiques qui nient
que Jésus est le Christ. Donc, l’antichrist en personne niera
plus que tout autre que Jésus est le Christ. Et ils confirment en
disant que c’est par les hérétiques que le diable opère le mystère
d’iniquité, parce qu’ils nient le Christ en secret. Or, l’avènement
de l’antichrist est dit une révélation, parce que c’est ouvertement
qu’il niera le Christ.
Les témoignages des pères. Saint
Hilaire (livre 6 de la trinité) dit que le diable, par les Ariens, a essayé
de persuader les hommes que le Christ n’est pas le fils naturel de Dieu,
mais un simple fils adoptif; et que, par l’antichrist, il s’efforcera
de persuader qu’il n’est même pas un fils adoptif, pour éteindre
totalement le nom du vrai Christ. Le martyr Hippolyte (dans son discours
sur la consommation du monde), enseigne que la marque du Christ sera l’obligation
de renier le baptême, le signe de la croix, et les sacrements. Saint
Augustin (livre 20, chapitre 8 de la cité de Dieu) se demande si, pendant
le plus fort de la persécution de l’antichrist, demeurera l’obligation
de baptiser les croyants. Et il répond : « Assurément.
Les parents auront tellement de force pour faire baptiser leurs enfants,
ainsi que ceux qui se convertiront alors, qu’ils vaincront l’antichrist
au sommet de sa force, avant même qu’il soit lié. » Saint
Augustin suppose donc que l’antichrist interdira le baptême, et que
les parents pieux seront prêts à souffrir n’importe quoi plutôt que
de ne pas baptiser leurs enfants. Saint Jérôme (Daniel,
chapitre 11) : « L’antichrist surgira d’une nation modeste, c’est-à -dire
du peuple Juif, et elle sera si humble et si méprisée qu’on ne
lui donnera pas l’honneur de la royauté. Ce sera par la fraude
et par les intrigues qu’il obtiendra la principauté. Et il l’obtiendra
cela parce qu’il feindra d’être le chef de l’alliance, c’est-à -dire
de la loi et du testament de Dieu. » Saint Jérôme enseigne lÃ
que c’est chez les Juifs que l’antichrist acquerra un royaume, parce
qu’il se montrera un zélé promoteur de la loi judaïque. Sedulius
(dans 2 Thessal 2) enseigne que l’antichrist restaurera toutes les cérémonies
judaïques pour écarter l’évangile du Christ. Saint Grégoire
(livre 11, épitre 3) : « C’est parce que l’antichrist contraindra
le peuple chrétien à judaïser, rétablira le rite de la loi externe,
et se soumettra à la perfidie des Juifs, qu’il veut qu’on prie
le sabbat. »
Enfin, au temps de l’antichrist,
la véhémence de la persécution fera cesser les offices publics et les
sacrifices divins, comme nous l’avons montré au troisième chapitre.
Ce qui nous montre avec évidence que l’antichrist ne corrompra pas la
doctrine au nom du christianisme, comme les ennemis l’enseignent; mais
qu’il combattra ouvertement le nom du Christ et les sacrements,
et réintroduira les cérémonies judaïques. Puisque le pape n’a
pas fait, et ne fait pas cela, il est évident qu’il n’est par l’antichrist.
Et que l’antichrist dira publiquement qu’il est le Christ, non
son ministre ou son vicaire, ce sont les propres paroles de Notre Seigneur
qui nous le font comprendre : « Si un autre vient en son nom, vous le
recevrez. » Le Seigneur semble avoir ajouté à dessein « en son
nom », prévoyant que les luthériens et les calvinistes diraient que
l’antichrist ne viendrait pas en son nom, mais au nom de notre Christ,
en tant que son vicaire. Les Pères enseignent cela souvent.
Saint Irénée (livre 5) : « Il cherchera à montrer qu’il est le Christ.
» Saint Ambroise (Luc, chapitre 21) : « À l’aide de l’Écriture,
il démontrera qu’il est le Christ. » Theodoret (2 thessal 2)
: « Il se nommera Christ. » Saint Cyrille (catéchèse 15) : «
Il induira quelqu’un à l’appeler faussement Christ, trompant, par
ce nom de Christ, les Juifs qui attendent sa venue. » En résumé,
tous les pères, comme nous l’avons démontré, enseignent que l’antichrist
sera reçu par les Juifs comme leur Messie. Et c’est pour cette raison
qu’il se donnera le nom de Messie, c’est-à -dire Christ. Le pontife
romain qui, comme tous le savent, n’a jamais fait cela, n’est
pas et ne peut pas être l’antichrist. Car, du seul fait qu’il
s’appelle vicaire du Christ, il déclare qu’Il n’est pas le Christ,
mais son ministre.
Que l’antichrist se nommera Dieu
et voudra être adoré comme dieu, usurpant non seulement l’autorité
de Dieu, mais son nom, le prouvent les paroles mêmes de l’apôtre
(2 Thessal 2) : « De sorte qu’il s’assoie dans le temple de
Dieu, montrant qu’il est Dieu. » Saint Paul ne dit pas seulement
que l’antichrist s’assoira dans le temple de Dieu, car nous aussi,
nous nous assoyons dans le temple de Dieu, et nous ne sommes pas des antichrist.
Mais il explique la manière dont il s’assoira, c’est-à -dire en tant
que Dieu, pour qui seul est érigé le temple. Le texte grec ne dit
pas : ôs theos : en tant que Dieu, mais oti esi theos : montrant
qu’il est Dieu. Et c’est ainsi que l’ont entendu tous les anciens.
Saint Irénée (livre 5) : « Étant apostat et voleur, il veut être adoré
comme Dieu. » Saint Jean Chrysostome, commentant ce texte : « Il
ordonnera qu’on lui rende un culte divin, et que sa statue soit placée
dans le temple. » Et (dans l’homélie 40 sur saint Jean) en commentant
ce texte, il dit : « Il déclarera être le dieu de tous. » Et
plus bas : « Il tirera gloire d’être le plus grand des dieux. »
Saint Ambroise (2 thessal 2) : « Il affirmera qu’il est Dieu,
non le fils de Dieu ». Les autres pères donnent la même explication.
Ce qui nous fait comprendre que le pontife romain qui ne dit pas qu’il
est Dieu, mais le ministre de Dieu, ne peut pas être l’antichrist.
Que l’antichrist ne supportera
pas d’autre dieux, ni vrai ni faux, ni aucune idole, on le prouve d’abord
par les paroles de l’apôtre (2 thessal 2) : « Qui s’élèvera au-dessus
de tout ce qui est dit dieu, ou qui reçoit un culte. » Il faut
noter ici que « ce qui reçoit un culte » se dit en grec sebasma.
Les magdebourgeois l’entendent au sens de l’acte de rendre un culte,
non de celui à qui on le rend. Et ils en concluent que l’apôtre
veut dire que l’antichrist n’adorera pas d’idole, mais déformera
le culte du vrai Dieu, en s’attaquant aux sacrements, et en ajoutant
diverses cérémonies. Or, il est certain que le mot sebasme, au
sens propre, ne signifie pas un acte, mais l’objet qui est adoré, comme
l’arche, un sanctuaire, une statue, une idole. Le culte se
dit sebas, ou seosebeia, non sebasma. Nous trouvons chez saint Paul
le mot sebasma au pluriel : sebasmata : « Et poursuivant mon chemin, regardant
vos statues (sebasmata), j’ai trouvé un autel. Il est clair que,
dans ce texte, saint Paul entend par sebasmata les choses auxquelles on
rend un culte, comme les statues, les sanctuaires, les autels et
les idoles. Et dans Sagesse 15 nous trouvons aussi le mot sebasmatôn
au sens d’idoles : « L’homme est meilleur que les idoles (sebasmatôn)
qu’il a faites. Car il vit, et eux n’ont jamais existé. »
Je ne sais pas qui aura l’audace de fausser le sens de ce texte pour
nier que sebasmata signifie des idoles ou des statues qui sont fabriquées
par les hommes, qui semblent avoir la vie, alors qu’elles ne sont pas
vivantes. C’est pourquoi tous les Grecs, et Érasme lui-même,
à qui doivent beaucoup les hérétiques, tant dans leurs traductions
que dans leurs commentaires, enseignent qu’on doit traduire le mot sebasma
par numen, une divinité. Les paroles de Daniel (chapitre 11) deviennent
alors d’une grande clarté : « Il ne s’occupera d’aucun dieu, mais
il s’élèvera contre tous. » Écrivant sur ce passage,
saint Jérôme affirme qu’on ne peut pas entendre ces mots d’Antiochus,
comme le voulait Porphyre, car, il est connu de tous qu’Antiochus
adorait les dieux des Grecs; mais plutôt de l’antichrist, qui n’adorera
aucun dieu.
Se présente finalement le consentement
unanime des pères. Saint Irénée (livre 5) : « Il se présentera
comme une idole, ou en persuadant qu’il est lui-même Dieu, ou en se
montrant comme l’un d’entre eux. » Hippolyte martyr (sermon
de la consommation) : « L’antichrist n’admettra pas l’idolâtrie
». Saint Cyrille (catéchèse 15) : « L’antichrist aura en haine
les idoles. » Saint Jean Chrysostome : « Il s’élèvera au-dessus
de tout ce qui est dit dieu, ou idole, car il n’orientera
pas l’humanité vers l’idolâtrie. » Enseignent la même chose
Théophylacte, Oecumenius, Theodoret, lequel précise que le diable
séduira avec de faux miracles, et que c’est avec les fils de perdition
qu’il les fera. Dans les temps anciens il persuadait le monde de
l’existence de plusieurs faux dieux, et de différentes idoles,
et c’est de cette façon qu’il en acquérait un grand nombre.
Mais au temps de l’antichrist, voyant que, par la doctrine du Christ,
les idoles ont été éliminées, ainsi que la multitude des faux dieux,
il se déclarera contre les idoles, et, de cette façon, en trompera plusieurs.
Il apparait clairement de tout ce que nous avons dit, que le pontife
romain qui adore le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et qui adore
donc plusieurs idoles, selon les hérétiques, ne peut en aucune
façon être l’antichrist.
Mais, disent-ils, Daniel (chapitre
11) affirme que l’antichrist adorera le dieu Moazim, avec de l’or,
de l’argent et des pierres précieuses. Je réponds d’abord
que par dieu Moazim, qui se traduit par force, c’est-à -dire le plus
fort, on peut entendre l’antichrist. Comme le mot il vénèrera,
n’est pas, en hébreu, il adorera, mais il glorifiera, comme dans le
psaume 90, Dieu dit : « Je le délivrerai et je le glorifierai (selon
le mot hébreu). Il est certain que Dieu ne glorifie pas les hommes
en les soumettant aux autres, mais en les exaltant. C’est donc
lui-même que l’antichrist glorifiera. quand il se fera adorer
par tous. Voilà pourquoi les septante ont traduit doxasei, et c’est
ainsi que l’explique Thedoret : « Il s’appellera lui-même le dieu
fort et puissant, car c’est ce que signifie Moazim. Il a employé
ce mot pour parler de lui-même. Il se fera édifier des temples,
et les fera orner d’or, d’argent et de pierreries. »
Deuxièmement. Je pense,
ce qui me plait énormément, que l’antichrist sera un grand sorcier,
et que, comme c’est le cas pour les autres sorciers, il sera le diable
lui-même. C’est par son aide qu’il fera de faux miracles, qu’il
sera adoré. Et ce qui sera appelé Moazim ce ne sera pas le nom
de Dieu, mais d’un lieu fortifié et secret, où seront gardés les principaux
trésors de l’antichrist, et où le diable lui-même sera adoré.
Et, selon Daniel, il fera en sorte de fortifier Moazim avec un dieu
étranger, qu’il connait. Et ce mot hébreu signifie tout
autant force que citadelle. C’est ainsi que l’explique Lyranus.
Il faut nécessairement dire que l’antichrist est ce dieu Moazim.
Et s’il est un autre dieu, ne devrait-il pas être adoré dans
un endroit secret, par tous, sur ordre de l’antichrist ? Ce sont
les paroles même de Daniel qui nous forcent à parler ainsi. Autrement,
elles se contrediraient. Car, s’il ne se soucie d’aucun
dieu, comment pourra-t-il adorer publiquement des idoles ?
En vérité, les deux arguments
d’Illyricus, ont peu de poids. Car, dans son premier argument,
il fait trois fautes. D’abord, quand il dit que les paroles de
Paul sont expliquées par le Christ, alors que c’est plutôt Paul qui
explique les paroles du Christ. Ensuite, quand il dit
(Matt 24) que venir « au nom du Christ » est la même chose que « en
tant que vicaire » du Christ. Car, l’explication que le Christ
a lui-même donnée de ses paroles contredit Illyricus. Jésus,
en effet, a dit : « Plusieurs viendront en mon nom ». Et,
tout de suite après, il ajoute, pour donner une explication : « en disant,
c’est moi qui suis le Christ. » Venir au nom du Christ, c’est
donc s’attribuer par usurpation le nom du Christ. C’est ce que
Simon le magicien a fait, au témoignage de saint Irénée (livre 1, chapitre
20), et, à notre époque, David Georcius. Et, c’est ce que
fera l’antichrist. Du seul fait qu’il s’appelle le vicaire
du Christ, le pape ne se prend pas pour le Christ. Il commet une
troisième faute en se révélant un commentateur inepte de saint Paul.
Car, il n’explique pas comme : « il s’élèvera au-dessus de tout
dieu », : et « beaucoup viendront en mon nom », en leur faisant
dire : ils se feront mes vicaires. Car, le vicaire de Dieu n’est
pas au-dessus de tout dieu, mais en-dessous de tout dieu, comme le vicaire
d’un roi est en-dessous du roi. Car, on ne peut ni penser ni imaginer
que celui qui professe être le vicaire d’un roi puisse se glorifier
d’être au-dessus de tous les rois. Apparaissent ici la cécité
ou l’impudence de nos adversaires qui soutiennent des choses que
le gros bon sens abhorre.
À cet autre argument d’Illyricus
voulant que le pape ait usurpé une autorité plus grande que celle
du Christ lui-même, je réponds que la proposition et l’argument lui-même
contiennent deux mensonges, que la conclusion ne vaut donc rien.
D’abord, il est faux que le Christ se soit soumis à l’Écriture, puisqu’il
appert qu’il est lui-même l’auteur de l’Écriture, et donc, au-dessus
des Écritures. Quand nous lisons que le Christ a fait ce qu’il
a fait pour accomplir les Écritures, ce « pour » ne signifie pas une
cause, mais un avènement, comme l’enseignent saint Jean Chrysostome
et saint Augustin, au chapitre 12 de Jean. Car, le Christ n’est
pas mort parce que c’était écrit qu’il mourrait; mais c’est parce
que cela arriver ait que le prophète Isaïe l’a écrit ainsi.
Ensuite, il est faux que le pontife romain ait jamais dit ou laissé entendre
par ses actions qu’il pouvait donner des dispenses contraires Ã
l’enseignement des évangélistes et des apôtres. Car, même
s’il peut donner des dispenses dans les préceptes positifs des apôtres,
il n’agit pas en cela contrairement aux apôtres, mais selon l’apôtre
qui savait, sans aucun doute, que le pouvoir apostolique qu’il
possédait continuerait dans ses successeurs, lequel leur permettrait de
faire des modifications ou des changements qui correspondraient aux
besoins du moment. Mais, les préceptes divins évangéliques, aucun
catholique n’a jamais prétendu que le pape avait le pouvoir d’en
dispenser.
La conclusion qu’il en tire est
forcément mauvaise. Car, dans la proposition majeure, Illyricus
parle de la sujétion du Christ aux Écritures, non à ses préceptes,
mais à ses prophéties. Car, il ne pouvait pas ignorer que le Christ
avait aboli le sabbat, et abrogé les lois cérémoniales.
Or, dans la mineure, c’est des préceptes qu’il parle. Son argument
a donc quatre termes, et ne peut, en conséquence, rien conclure.
CHAPITRE 15 : Les miracles de l’antichrist
Au sujet des miracles de l’antichrist, nous avons trois choses dans l’Écriture. La première. Il fera des miracles. La deuxième. La nature de ces miracles. La troisième. On donne trois exemples. Que l’antichrist fera des miracles, c’est ce qu’enseigne l’apôtre, (2 Thess 2) : « Son avènement se manifestera par l’opération de satan, dans des signes et des prodiges. » Et le Seigneur dans l’évangile (Matt 24) : « Ils donneront des signes et feront de grands prodiges, de façon à induire en erreur, si la chose était possible, même les élus. » Ils donneront, au pluriel, donc, non il donnera, au singulier. Parce que l’antichrist ne sera pas le seul à faire de faux miracles, mais aussi ses disciples. Ce qui fait dire à saint Grégoire livre 32, chapitre 12 de la morale) que même les tortionnaires des saints martyrs feront des signes et des prodiges. Il y a aussi cet autre passage de l’Apocalypse 13 : « Et il fit de grands signes aux yeux de tous. »
Mais ces mensonges seront faux en raison de toutes les causes : finale, efficiente, matérielle, formelle. Car, la fin de ces miracles sera de montrer que l’antichrist est Dieu et Messie, ce qui sera un mensonge des plus pernicieux. Saint Jean Chrysostome explique ce passage en disant que ces prodiges s’appelleront des mensonges, car ils induisent au mensonge. Saint Ambroise enseigne, lui aussi, que la fin des mensonges de l’antichrist sera de prouver qu’il est Dieu, comme notre Seigneur a fait des miracles pour démontrer sa divinité. Ensuite, ces miracles sont appelés des mensonges à cause de celui qui les fait, car leur cause efficiente principale sera le père du mensonge, le diable. C’est ce que dit l’apôtre : « Dont l’avènement est selon l’opération du démon ». Et tous les pères enseignent que l’antichrist sera un puissant sorcier, que le diable aura habité en lui depuis sa conception, ou depuis son enfance, et que c’est par lui qu’il fera ses faux miracles. Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 15) dit que l’antichrist sera un sorcier versé dans les philtres, les incantations, l’alchimie, l’hermétisme, l’occultisme, et tous les procédés magiques. En parlant ainsi, il nous enseigne que ses pseudos miracles seront des mensonges, parce que c’est du père du mensonge qu’ils procéderont.
Ses miracles seront aussi des mensonges en raison de leur matière, car ils n’auront que l’apparence de la réalité, comme l’enseignent Thedoret et saint Cyrille. Ils feront comme s’ils ressuscitaient des morts et guérissaient des malades, mais il n’y aura rien de vrai dans tout cela. Ils ne feront que jeter de la poudre aux yeux. Les miracles dont parle l’apocalypse (chapitre 13) ne seront dont que fiction et illusion, non de vrais miracles. En raison de la forme, ces soit disant miracles ne seront que des mensonges. Ils pourront être vrais en raison de la matière, mais faux en raison de la forme, en faisant des choses qui ne transcendent pas les forces de la nature. Car, les vrais miracles sont ceux que Dieu seul peut faire, c’est-à -dire qui n’ont pas de causes naturelles, ni occultes ni visibles. Voilà pourquoi ils sont admirables non seulement aux yeux des hommes, mais des démons et des anges. Or, les miracles de l’antichrits auront tous des causes naturelles, mais inconnues des hommes.
L’apocalypse (13) nous présente trois
exemples des miracles de l’antichrist. Il fera descendre un feu du ciel;
il fera parler la statue d’une bête. Il fera semblant de mourir
et de ressusciter. C’est ce dernier miracle qui lui obtiendra l’admiration
de tout l’univers. Les deux premiers miracles seront vrais par rapport
à la matière, non à la forme. Le troisième ne sera vrai en aucune façon.
On peut nous objecter qu’il n’apparait pas clairement que ces miracles
soient attribués à l’antichrist, car, en cet endroit, saint Jean introduit
deux bêtes, une qui a sept têtes, dont l’une semble mourir et ressusciter,
et une autre mineure, qui a fait descendre du feu du ciel et fait parler
une image ou une statue. Or, si l’antichrist est la première bête,
on ne peut pas lui attribuer les miracles du feu et de l’image parlante.
S’il est l’autre bête, on ne peut pas lui attribuer le miracle de
la résurrection.
Je réponds que la première bête
signifie ou l’empire romain ou la multitude des impies, comme nous avons
dit plus haut; que la tête unique et principale qui semblait mourir et
ressusciter est l’antichrist, car l’antichrist sera le chef par excellence
et ultime des impies, et le dernier roi qui tiendra l’empire romain,
mais sans le nom d’empereur romain. Que ce miracle d’une résurrection
fictive doive être attribué à l’antichrist l’enseignent Primasius,
Bède, Haymo, Richard, Rupert et Anselme, dans les commentaires qu’ils
font de ce passage. Saint Anselme également (dans son commentaire)
et saint Grégoire (livre 11, épitre 3). Leur explication est contraire
à celle de Lyranus, qui enseigne qu’il faut entendre cela du fils d’un
certain roi des Perses, Cosdroae, qui, dans un combat, avait fait
semblant d’être mort, mais n’avait été que blessé. Or, aucune histoire
reconnue par les historiens ne rapporte une pareille chose du fils de Cosdroaeus.
Et ne peut non plus convenir à ce fils ce qu’ajoute l’apocalypse :
« Toute la terre admirait la bête, et disait : qui est semblable à la
bête ? »
Selon Rupert, la seconde bête de
l’apocalypse signifie l’antichrist, car c’est le même antichrist
qui est décrit par deux bêtes. Par une, en raison de la puissance de
son gouvernement et de son caractère tyrannique, qui soumet les hommes
par la violence. Par l’autre, en raison de ses pouvoirs magiques, qui
séduisent et ensorcèlent les hommes. Et, selon Richard, Anselme et les
autres, la bête postérieure signifie les prédicateurs de l’antichrist,
qui s’efforceront de démontrer, par des miracles, que l’antichrist
est le vrai Messie. Tous ces miracles seront donc vraiment ceux de l’antichrist
ou de ses ministres. Il suit de là que le pontife romain n’est pas l’antichrist,
car aucun pape n’a jamais fait semblant de mourir et de ressusciter;
aucun n’a, par lui-même, ou par ses ministres, fait descendre
du feu ciel, ni fait parler des images ou des statues.
Mais les magdebourgeois objectent (centurie 1, livre 2, chapitre 4, colonne
436) que les pontifes ont fait beaucoup de faux miracles : « Comme sont
les visions d’âmes du purgatoire demandant qu’on célèbre des
messes pour elles, les guérisons des maladies, toutes choses
qui se sont produites en faveur de ceux qui adorent des statues, ou qui
font des vœux aux saints. »
Je réponds d’abord que, selon la description
que nous en fait saint Jean, ce ne sont pas ces miracles que fera
l’antichrist. Les miracles dont il parle sont « mourir et ressusciter,
faire descendre du feu du ciel, et faire parler des statues ». Qu’ils
montrent donc que ces pseudos miracles ont été faits par des souverains
pontifes, ou sur l’ordre des souverains pontifes. Ensuite, ces trois
genres de miracles illustrèrent l’église de Jésus-Christ avant le
temps de l’apparition de l’antichrist, selon nos adversaires. Car,
saint Grégoire (livre 4, chapitre 40 des dialogues) raconte que le diacre
Pascase, qui vivait au temps du pape Symmaque, autour de l’année 500,
a bénéficié de l’apparition de l’âme de l’évêque
de Capoue, saint Germain, qui lui demandait de prier pour lui, pour le
libérer des tourments du purgatoire. Il est certain que ce miracle
est arrivé cent ans avant l’avènement de l’antichrist, de l’avis
même de tous les hérétiques de ce temps. Car personne ne place la venue
de l’antichrist avant ou après 600, et après la mort de saint Grégoire
le grand. Ce même saint Grégoire rapporte d’autres apparitions d’âmes
du purgatoire demandant des prières, et surtout le saint sacrifice de
la messe (livre 4, chapitre 55).
Au sujet des guérisons de maladies
obtenues en vénérant des images, nous avons un exemple raconté par Eusèbe
(livre 7, chapitre 14 de l’histoire ecclésiastique). Il dit qu’une
statue de la femme, que le Seigneur a guérie d’un flux de sang, avait
été érigée en l’honneur du Seigneur; qu’une herbe avait coutume
de pousser en dessous de la statue, qu’en croissant elle montait jusqu’
à la statue; et qu’elle guérissait tous les genres de maladie.
Ce miracle nous prouve avec évidence que Dieu approuve le culte des saintes
images.
Au sujet des guérisons obtenues par ceux
qui invoquent les saints, les exemples pullulent, et on n’a que l’embarras
du choix. Theodoret (livre 8, aux gresc, les martyrs) nous en rapporte
un qui est resté célèbre. En son temps, les temples des
martyrs étaient pleins de béquilles, de simulacres de mains, de pieds,
d’yeux, et d’autres membres, qui manifestaient une grande diversité
de guérisons obtenues par des vœux et des prières aux saints et aux
martyrs.
fin chap 15.
2017 11 23 16h24 début
CHAPITRE 16 : Le
règne et les guerres de l’antichrist
Sur le règne et les guerres
de l’antichrist, nous lisons quatre choses dans l’Écriture.
D’abord, on raconte qu’il viendra d’un lieu très humble, et qu’il
s’emparera du royaume des Juifs par la fraude et la ruse.
On nous dit aussi qu’il se battra contre trois rois, de l’Égypte
et de la Lybie et de l’Éthiopie; et, qu’après les avoir vaincus,
il s’emparera de leurs royaumes; qu’il se soumettra ensuite sept autres
rois, et qu’il deviendra ainsi le roi de la planète. On nous dit,
enfin que, avec une armée innombrable, il pourchassera les chrétiens
par toute la terre; et que cette bataille portera le nom de Gog et
Magog. Puisqu’aucune de ces choses ne convient manifestement au
pontife romain, il s’ensuit qu’il ne peut, en aucune façon, être
appelé antichrist.
Le premier texte. Voici ce
que dit Daniel (chapitre 11) : « Il sera méprisé dans sa ville
natale, et on ne lui accordera pas l’honneur de la royauté. Mais
il viendra sournoisement, et obtiendra le règne par la fraude. »
Commentant ce texte, saint Jérôme écrit que, bien que ces choses s’appliquent
à Antioche Épiphane, elles se rapportent plus directement à l’antichrist.
Ce que le psaume 71 raconte au sujet de Salomon ne s’applique-il pas,
d’abord et avant tout, au Christ ? Voilà pourquoi, après avoir
appliqué ces paroles à Antioche Épiphane, à la suite de Porphyre, saint
Jérôme ajoute : « Les nôtres ont une meilleure et une plus exacte compréhension
de ce texte, car ils y voient ce que l’antichrist viendra à la
fin des temps. Il proviendra d’un peuple modeste, le peuple
des Juifs, et il sera si effacé et méprisé qu’on lui refusera les
honneurs royaux. C’est par fraude et par ruse qu’il obtiendra
ensuite la suprématie.» Saint Jérôme nous enseigne par
là que c’est ainsi que les chrétiens interprètent ce texte.
Pour la même raison, Daniel (chapitre 7) compare l’antichrist
à la petite corne, à cause de son origine vile et obscure.
Et il est absolument certain que
ce premier texte ne convient pas du tout au pontife romain.
Car, il faudrait dire que jusqu'à l’année 606, le pape a été très
obscur, et d’aucune renommée, et que c’est subitement, et par fraude,
qu’il s’est emparé de la première place. Mais cela est, évidemment,
d’une fausseté criante. Car, voici, par exemple, ce que dit saint
Augustin (épitre 162) : « Dans l’église romaine, la principauté de
la chaire apostolique a toujours été en vigueur. » Et Prosper
(livre 2, chapitre 6, de la vocation des Gentils) : « Par la principauté
du sacerdoce, Rome est devenue plus ample comme citadelle de la religion
que comme pays puissant. » Et le concile de Chalcédoine (dans
l’épitre à Léon) déclare que « les rayons apostoliques brillent
à Rome, qu’ils se diffusent partout, et qu’ils communiquent
leurs bienfaits aux autres. » Enfin, même un auteur païen,
Ammianus Marcellinus (livre 27), dit ceci, en écrivant sur le schisme
de Damase et d’Ursicinus : « Je ne me surprends pas que les hommes jouent
des coudes pour accéder au pontificat romain, puisque son pouvoir et son
autorité sont si imposants. »
Le second. Voici ce que dit
Daniel (chapitre 7) : « Je regardais les cornes, et voici qu’une autre
corne, petite, apparut au milieu des autres. Et, trois des
premières cornes furent chassées de sa face. » Et plus bas, il explique
: « Les dix cornes seront dix rois, et un viendra après eux, et
sera plus puissant que ceux qui sont venus avant lui, et il humiliera trois
rois. » Et, dans le chapitre 11, expliquant ce que sont ces trois
rois, il dit : « Il s’emparera des terres, et la terre d’Égypte n’y
échappera pas. L’or et l’argent lui appartiendront, ainsi que
les pierres précieuses de l’Égypte. Il traversera aussi la Lybie et
l’Éthiopie. » Commentant ce texte, surtout le chapitre
7, saint Jérôme écrit : « Disons ce que tous les écrivains ecclésiastique
nous ont transmis : lors de la consommation du monde, quand le royaume
des Romains aura été détruit, dix rois se partageront l’empire
romain, et un onzième surgira, un petit roi, (l’antichrist)
qui vaincra trois des dix rois, c’est-à -dire l’Égypte, l’Afrique
et l’Éthiopie, après quoi les autres rois feront leur soumission. »
Enseignent également que c’est l’antichrist, qui tuera les trois rois,
saint Irénée (livre 5), Lactance (livre 7, chapitre 16), et Theodoret
(chap 7 et 11 de Daniel.)
Voilà qui réfute la divagation
des hérétiques qui font, du pape, un antichrist. Qu’ils
disent donc, s’ils le peuvent, à quel moment le pape a occupé l’Égypte,
la Lybie et l’Éthiopie, et s’est emparé de leurs royaumes.
Theodorus Bibliander (dans sa chronique) dit que le pontife romain est
la petite corne, et qu’elle est née des dix cornes, quand le pape Grégoire
11 détrôna l’empereur grec Léon iconoclaste, et interdit aux
italiens de lui payer le tribut; et que c’est ainsi que, peu Ã
peu, il obtint l’exarchat de Ravenne. Il dit aussi que la seconde
corde a triomphé quand le pape Zacharie a déposé le roi des francs,
Childeric, et a ordonné de le remplacer par Pépin. Il ne
parle pas directement de la troisième, mais il semble vouloir indiquer
qu’elle a triomphé quand le pape Grégoire V11 a excommunié et déposé
l’empereur Henri 1V. Il existe encore une lettre de l’empereur
Frédéric 11, qui déblatère contre le pape. Il y affirme
que les trois cornes rejetées par l’antichrist sont l’Italie, l’Allemagne
et la Sicile, que le pontife romain s’est par la force asservies.
Mais toutes ces paroles ne sont
que du babillage. Car, d’abord, Daniel ne parle pas de l’Allemagne
ou de la France, mais de l’Égypte, de la Lybie et de l’Éthiopie.
Et le pape ne s’est emparé d’aucun de ces royaumes. L’antichrist,
par contre, tuera les rois de ces pays, comme le dit saint Jérôme.
Ensuite, l’antichrist ne livrera pas ces royaumes
à d’autres, mais se les assujettira. Or, le pontife romain, a
livré à Pépin le royaume de France, il ne l’a pas accaparé.
Et, après avoir déposé un empereur, il n’usurpa pas l’empire, mais
sacra un autre empereur. Et quand il priva Léon de Ravenne,
il ne la rangea pas sous son autorité temporelle, mais permit aux
rois Lombards d’en prendre possession. Et c’est quand il eut
défait les Lombards, que Pépin en fut don au pontife romain. Donc,
si déposer des princes c’est agir en corne, il faudra compter quatre
rois, plutôt que trois, qui ont été écartés par l’antichrist.
Car, qui ne sait que, en plus de l’empereur grec Léon 111 et du roi
franc Childeric, Henri 1V a été déposé par Grégoire V11,
Othon 1V par Innocent 111, Frédéric 11, par Innocent 1V ?
Le troisième. Au sujet du
troisième, nous avons un grand nombre de témoignages anciens. Lactance
(livre 7, chapitre 16) et Irénée (livre 5) disent au sujet de l’antichrist
que, après avoir tué trois des dix rois, et après s’être ensuite
soumis les autres, il est devenu le premier de tous. Saint Jérôme
(chapitre 11 de Daniel, sur in illud) dit qu’il fera ce que n’ont pas
fait ses pères : « Aucun Juif, avant l’antichrist, n’a régné sur
toute la terre. » Saint Jean Chrysostome (2 Thessal 2) déclare
que l’antichrist sera un roi, et qu’il succèdera aux Romains dans
la monarchie, comme les romains ont succédé aux Grecs, les Grecs aux
Perses, les Perses aux Assyriens. Ensuite, saint Cyrille de
Jérusalem (catéchèse 15), dit que l’antichrist héritera de la monarchie
qui appartenait avant aux Romains. Cette opinion des pères
semble bien découler logiquement des mots de l’apocalypse (17)
: « Et ces dix cornes que tu as vues sont dix rois. Ils ont un seul
dessein, et une seule force, et ils donneront leur pouvoir à la
bête. » Il est certain que rien de tout cela ne convient au souverain
pontife, car il n’a jamais été le roi de toute la terre.
Le quatrième. Saint Jean dit (apocalypse
20) : « Et quand les mille ans seront révolus, Satan sera relâché
de sa prison. Il sortira, et il séduira les nations, qui sont aux
quatre coins du monde. Gog et Magog. Et il rassemblera pour
le combat une armée aussi nombreuse que le sable de la mer. Et ils
avanceront sur toute la surface du globe, et ils investiront les camps
des saints et la cité bien-aimée. Et un feu descendra
du ciel, et les dévorera. Et le diable qui les séduisait est envoyé
dans l’étang de feu et de souffre, là où la bête et les pseudos
prophètes seront torturés jour et nuit pendant les siècles de siècles.
» C’est en ces mots qu’est décrite la dernière persécution,
ainsi que sa fin. Voici ce que saint Augustin a à dire là -dessus
: « Ce sera la dernière persécution, que la sainte église aura à supporter
sur toute la terre. C’est-à -dire que la cité universelle du Christ
sera persécutée par la cité universelle du diable, telles qu’elles
seront à ce moment sur la terre. » Ezéchiel (38 39) dit
des choses semblables qu’il faut expliquer à cause des nombreuses erreurs
d’interprétation.
CHAPITRE 17 : Gog
et Magog
La première interprétation erronée
est celle des Juifs qui enseignent que Gog est l’antichrist, que
Magog représente les nombreux peuples scythes, qui se cachent dans les
montagnes Gaspiennes. Gog, l’antichrist, viendra donc
avec Magog, c’est-à - dire avec l’armée des Scythes, au temps où
le Messie commencera à apparaître à Jérusalem. Et, alors
on se battra en Palestine, et l’armée de Gog fera un tel ravage
que pendant sept ans, les Juifs ne pourront plus couper d’arbres pour
faire du feu, fabriquer des javelots ou des boucliers, et d’autres
instruments qui joncheront le sol avec les cadavres, et pendant longtemps
après. C’est saint Jérôme qui rapporte cette opinion des Juifs
(Ezéchiel, chapitre 38), et Pierre Galatinus (livre 5, chapitre 12, contre
les Juifs), et le rabbi David Khimhi (dans son commentaire des psaumes).
Mais les Juifs commettent là deux erreurs. Confondant le premier
avènement avec le second, ils s’imaginent que Gog et Magog apparaitront
lors du premier avènement du Messie. Et pourtant, l’Écriture
enseigne clairement que, dans son premier avènement, le Christ viendra
dans l’humilité, et comme un doux agneau devant être immolé,
(comme nous le décrit Isaïe à 54 et ailleurs). Ils se trompent,
ensuite, en pensant que l’antichrist viendra contre eux, et qu’il
se battra avec leur Messie, alors qu’en réalité, l’antichrist sera
leur messie, et qu’il se battra, pour les Juifs, contre le Christ
notre Sauveur.
La deuxième explication est celle de
Lactance (livre 4, chapitres 24, 25, 26). Il estime que la bataille
de Gog et de Magog surviendra mille ans après la mort de l’antichrist.
Il enseigne, en effet, que c’est six mille ans après la
création du monde que viendra l’antichrist; qu’il règnera trois
et ans et demi, et que, quand le temps de tuer l’antichrist sera venu,
le Christ apparaitra; que c’est alors qu’aura lieu la résurrection
des morts; et que, une fois les infidèles exterminés, les saints
régneront sur la terre avec le Christ pendant mille ans, dans la paix
et la tranquillité. À la fin des mille ans, le démon sera relâché,
et il suscitera une guerre atroce contre ces saints, dans toutes les nations
qui leur obéirent pendant mille ans. Et voilà en quoi consiste,
selon eux, la guerre de Gog et Magog, dont parlent Ézéchiel et saint
Jean. Ils ajoutent qu’un peu après, tous les impies seront tués
par une intervention divine, et que c’est alors qu’aura lieu
la deuxième résurrection, ainsi que le renouvellement total du monde.
Cette opinion fut soutenue par plusieurs autres pères anciens, comme Justin,
Irénée, Tertullien, Apollinaire, et d’autres dont parle saint Jérôme
(au chapitre 36 d’Ezechiel) et Eusèbe (livre 3, dernier chapitre de
son histoire). Mais cette opinion a déjà été convaincue de n’être
qu’une erreur. Car, le Seigneur (Matth 24 et 25) enseigne clairement
que c’est immédiatement après la persécution de l’antichrist qu’aura
lieu le jugement dernier, et que les bons iront à la vie éternelle.
Ce ne sera donc pas après d’autres milliers d’années et d’autres
guerres.
La troisième opinion est celle
d’Eusèbe qui (livre 9, chapitre 3 de sa démonstration évaangélique)
estime que Gog est un empereur romain, et Magog son empire. Mais
cette opinion repose sur un faux fondement. Il la déduit, en effet, du
chapitre 24 de la version des septante, où nous lisons : « Gog annoblira
et agrandira son royaume. Dieu l’a tiré de l’Égypte. »
Il a pensé que l’Écriture voulait dire que quand le Christ retournera
de l’Egypte, au temps de son enfance, c’est alors que s’élèverait
le règne de Gog. Mais la preuve a été faite que, pendant l’enfance
du Christ, aucun autre royaume ne s’est formé que celui des Romains.
Et on a de bonnes raisons de penser que la traduction des septante ait
été faussée, car le texte hébreu ne donne pas Gog, mais Agag.
Ou que, selon d’autres, Saul s’élèvera au dépends d’Agag, c’est-à -dire
qu’il prévaudra, et l’emportera sur Agag. Les deux sont
vraies. Et il est certain que ce texte des Nombres parle du royaume
des Juifs, non de celui des chrétiens ou des romains. Car, c’est ainsi
qu’il commence : « Qu’ils sont beaux tes tabernacles, Jacob,
qu’elles sont belles tes tentes, Israël » La quatrième
opinion est de ceux qui, par Gog et Magog, entendent les guerres
du diable et de ses anges avec les bons anges, qui eurent lieu
jadis dans le ciel. Saint Jérôme la réfute (chapitre 38 Ezéchiel)
en la déclarant destructrice du sens littéral.
La cinquième est celle de Théodore
Bibliander, que suit Chytraeus (chapitre 20 du commentaire de l’apocalypse).
Dans la table 14 de sa chronologie, où il traite explicitement de Gog
et de Magog, Bibliander enseigne que les prophéties d’Ezéchiel
et de Jean ne portent pas sur la même époque. Que celle d’Ézéchiel
a été accomplie au temps des Macchabées, et que Gog et Magog ont
été Alexandre le grand, et ses successeurs en Syrie et en Égypte,
qui ont livré de farouches combats contre les Juifs, et qui ont été
finalement vaincus par les Macchabées. Que celle de Jean a été
accomplie au temps du pape Grégoire V11 et de ses successeurs. Que
Gog et Magog ont été les pontifes, les princes et les armées des chrétiens
qui se sont battus pendant longtemps avec les Sarrasins pour récupérer
la terre sainte et le sépulcre du Christ. La première partie de
cette opinion est aussi de Theodoret (chapitre 38 d’Ezechiel), mais elle
est indéfendable. Car, d’abord les prophéties d’Ézéchiel
et de Jean sont d’une seule et même coulée, les deux devant donc se
réaliser après l’avènement du Christ. Car, saint Jean
dit que l’armée de Gog viendrait des quatre coins de la terre, et Ézéchiel
dit la même chose, en précisant que, dans l’armée de Gog, il y aura
des Perses venant de l’orient, des Éthiopiens, venant du midi,
Tubal, c’est-à -dire des Espagnols venant de l’occident, et des Phrygiens
venant de l’aquilon. Saint Jean dit ensuite qu’un feu venant
du ciel réduira en cendres cette armée. Ézéchiel dit la même
chose (à la fin du chapitr 38) : « Je ferai pleuvoir du feu et
du soufre sur lui, et sur son armée. » Et c’est tout de suite
après cette défaite, que saint Jean place le renouvellement de
Jérusalem, la glorification de l’Église. Du chapitre 40
jusqu’à la fin de son livre, Ézéchiel ne parle que du merveilleux
renouvellement de Jérusalem.
Deuxièmement, il est facile de
prouver que la prophétie d’Ezéchiel ne s’est pas réalisée au temps
des Macchabées, car, au chapitre 38, on dit à Gog : tu viendras à la
fin des années. Or, Alexandre le grand et ses successeurs sont venus
au milieu des années. Ensuite, Ézéchiel dit clairement que, dans
l’armée de Gog, il y aura des Éthiopiens, des Lybiens, des Espagnols,
et des Cappadociens etc. Or, les soldats de ces nations n’ont
jamais livré de guerre à Israël, et encore moins au temps des Macchabées.
Les seuls à s’être battus contre les Macchabées sont les Syriens
et les Égyptiens. Ensuite, la victoire contre Gog et Magog,
que décrit Ezéchiel, sera si décisive qu’aucun ennemi ne sera plus
à craindre, et qu’elle marquera la fin de tous les combats.
Or, la victoire que remportèrent les Macchabées sur les rois de Syrie
et d’Égypte ne fut pas si éclatante et si définitive, car, quelques
années après, les Juifs ont été vaincus et conquis par les Romains,
et n’ont jamais pu, par la suite, recouvrer leur indépendance,
comme saint Augustin le prouve (livre 18, chapitre 45 de la cité de Dieu).
La prophétie d’Ezéchiel n’a donc pas été accomplie avant l’avènement
du Christ.
L’autre partie de l’opinion de Bibliander,
qui lui est propre, est non seulement fausse, mais impie. Ce que
dit saint Jean, selon lui, c’est que les camps des saints et la cité
bien-aimée auxquels Gog et Magog livreront la guerre, ne sont autres
que la vraie église du Christ. Or, la guerre des chrétiens
pour récupérer la terre sainte se fit entièrement contre les Sarrasins
mahométans. Veut-il donc dire que les mahométans sont la vraie Église
du Christ, et les camps des saints ?
Saint Jean dit aussi que les soldats
de l’armée de Gog viendront des quatre points cardinaux. Or, dans
l’armée chrétienne, il n’y avait que des Occidentaux, des Gaulois,
des Italiens, et des Allemands. Saint Jean dit ensuite qu’Ã
la fin de la guerre contre Gog et Magog, Jérusalem sera renouvelée et
glorifiée; que le diable, l’antichrist et les pseudos prophètes seront
jetés dans la fournaise du feu éternel. Or, les croisades
ont pris fin depuis longtemps, et nous n’avons aperçu aucun renouvellement
de Jérusalem; nous n’avons pas vu non plus le diable et les pseudos
prophètes être jetés dans le tartare. Car, de nos jours, comme
nos adversaires eux-mêmes le reconnaissent, le diable et ses pseudos prophètes
combattent l’Église plus que jamais. De plus, par des signes évidents
et des prodiges qui se sont produits autant à Antioche de Syrie que dans
d’autres villes, Dieu a manifesté que cette guerre lui avait été agréable.
C’est ce dont parlent Guillaume de Tyr (livre 6, de la guerre sacrée),
et Paul Émilien (livre 4, des gestes des francs. » Ensuite, saint
Bernard, que Bibliander appelle saint, dans sa chronique, quand il
parle de l’époque d’Eugène 111, fut un des principaux promoteurs
des croisades. Car, par ses prédications enflammmées et ses miracles,
il a persuadé une multitude de Gaulois et de Germains d’entreprendre
ce voyage, (comme il l’indique lui-même dans son livre 2 sur la considération).
Et l’auteur de la vie de saint Bernard raconte que, à la fin de la deuxième
croisade, il a, pour montrer que c’était au nom de Dieu qu’il avait
prêché cette croisade, rendu la vie à un aveugle.
La sixième opinion est celle des
magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 4, colonne 435). Ils
enseignent là que Gog et Magog représentent le royaume des Sarrasins,
ou des Turcs. Cette opinion entre en contradiction avec celle
de Bibliander. Elle est donc un peu meilleure, mais elle n’est
qu’un moindre mal. Elle est quand même complètement fausse, car
Gog viendra à la fin des temps, et ne règnera pas longtemps, comme nous
l’apprennent Ézéchiel et Jean. Le royaume des Sarrasins
a commencé au septième siècle, et a duré jusqu’à présent, pendant,
donc, près de mille ans. Ce n’est certes pas ce qu’on peut appeler
un temps bref. La septième est celle d’Ambroise (dans le
livre 2, chapitre dernier de la foi). Il dit que Gog représente
les Gaulois qui saccagèrent plusieurs provinces de l’empire romain.
C’est saint Jérôme (questions hébraïques, Genèse, chapitre 10),
qui rapporte cette opinion, et il ajoute : « Est-elle vraie ou fausse
? L’issue de la guerre nous le dira. » Et l’issue de cette guerre
a enseigné que cette opinion n’était pas vraie. Car, après les
guerres des Goths, aucun renouvellement de l’Élise ne s’est manifesté,
et les guerres ne prirent pas fin.
La huitième est celle de saint
Jérôme (chapitre 38 d’Ézéchiel). Voyant à quel point il est
difficile de donner une explication claire de ce texte, il laissa
tomber le sens littéral, et l’entendit des hérétiques, au sens mystique.
Il a donc enseigné que Gog, qui en hébreu signifie toit, représentait
les hérésiarques qui, étant orgueilleux, sont élevés comme des toits;
que Magog, qui en hébreu signifie lit, représentait ceux qui croient
dans les hérétiques, et qui s’y soumettent comme un édifice
le fait avec son toit. Cette interprétation est certainement vraie
au sens mystique, mais ne vaut rien au sens littéral. Car Ezéchiel
(chapitre 38) dit que Gog viendra à la fin des temps, et Jean (apocalypse
20) dit qu’il viendra après les mille ans. Par les mille ans,
tous les chrétiens entendent le temps qui s’écoulera de la venue du
Christ à l’avènement de l’antichrist. Comme Gog ne viendra
qu’à la fin du monde, et que les hérétiques ont sévi dès le début
de l’église, et du vivant même des apôtres, il est évident que le
mot Gog, au sens littéral, ne peut pas signifier les hérétiques.
Il faut savoir aussi que quand saint Jérôme déclare que Gog signifie
toit et Magog lit, il ne veut pas dire que ce soit cela le sens réel
de ces mots, mais quelque chose d’approchant, car, en hébreu toit ne
se dit pas Gog, mais Gag, et lit non magog, mais miggag.
La neuvième opinion est celle de
saint Augustin (livre 20, chapitre 11 de la cité de Dieu). Par Gog,
il entend le diable, qui ressemble à un grand toit, c’est-à -dire Ã
une grande maison, où habitent tous les méchants. Par magog,
il entend l’armée de l’antichrist formée de toutes les nations de
la terre. Cette opinion est certainement très vraie, et on
peut la faire sienne dans la mesure où elle situe Gog et Magog au
temps de l’antichrist. Et c’est celle qu’ont suivie tous les
auteurs catholiques qui ont commenté l’apocalypse : Arethas, Primasius,
Bède, Haumo, Rupert, Richard, Anselme, et d’autres. Et aussi
parce que tout ce qui est dit de Gog et Magog convient parfaitement Ã
l’antichrist. Car, c’est alors qu’aura lieu la plus pénible
et l’ultime persécution, et c’est après elle, que sera renouvelée
et glorifiée l’église, et que les canons se tairont définitivement.
Mais que Gog soit le diable, cela n’a aucune chance d’être
vrai. Car, saint Jean dit en toutes lettres qu’après
avoir été relâché, le diable convoquera Gog et Magog, pour
qu’ils engagent un combat. Comme autre est celui qui appelle et
autre, celui qui est appelé, autre est le démon et autre est Gog.
Notre opinion, qui est la
dixième, comprend trois points. Le premier. Nous affirmons
que la guerre de Gog et de Magog est une guerre de l’antichrist contre
l’Église, comme l’enseigne saint Augustin avec raison.
Le deuxième. Il est probable que Gog signifie l’antichrist,
et Magog son armée. Car Ézéchiel appelle toujours
Gog un prince, et Magog un pays ou une nation. Le troisième.
Il est probable que le mot gog vienne de magog, car il est le prince
d’une nation qui se dit magog. De plus c’est de la nation des
Scythes que magog tire son nom, non de ces Scythes que les Juifs croyaient
habiter au-delà du Caucase et de la mer gaspienne, mais des barbares
de la Scythie orientale, des turcs, des tartares, et d’autres,
ou parce que la plus grande partie de cette armée proviendra de ces barbares,
ou parce que cette armée sera cruelle et inhumaine. Car nous
appelons scythes des gens cruels et inhumains. Que le mot magog ne
signifie pas vraiment la nation des scythes, nous le comprenons par la
Genèse (10), qui nous dit que le fils de Japhet a été appelé Magog,
et que le nom de Magog a été donné à la région que ses descendants
habitèrent. Joseph (livre 1, chapitre 11, antiquités ) et saint
Jérôme (questions hébraïques, Genèse, chapitre 10) enseignent que
c’est la Scythie. Comme par les fils de Cham, Chus, Mizraim, et
Chanaham ont été donnés les noms de d’Éthiopie (Chus), d’Égypte
(Mizraïm) et de Palestine (Chanaham), c’est par le fils
de Japhet, Magog, que la Scythie a reçu le nom de Magog. Il
est évident que, en en nommant Magog, Ezéchiel pensait à un peuple
qui avait reçu son nom du fils de Japhet, Magog. Cela
est clair, parce que, au même endroit, il ajoute comme étant associés
à Gog, d’autres peuples qui ont reçu leurs noms d’autres fils ou
neveux de Japhet, comme Gomer, Togorma, Mosoch, Tubal etc.
Ne nous contredit pas ce qu’écrit
Ézéchiel au sujet de Gog et Magog. Il dit que pendant sept ans
on brûlera des armes par le feu, puisqu’il appert que, après
la mort de l’antichrist, il n’y aura que 45 jours avant la fin du monde
(Daniel, 12). Car, Ezéchiel n’écrit pas comme un historien, mais
comme un prophète, et ce qu’il veut dire c’est que ces armes devront
être détruites par le feu durant sept années. Mais le combat Ã
venir sera si gigantesque qu’il faudrait un plus grand temps pour détruire
par le feu toutes les épées et tous les boucliers. Il reste encore
un point à éclaircir. En raison de la cruauté et de l’universalité
de la persécution, la foi sera-t-elle complètement éteinte, la religion
sera-t-elle complètement abolie ? Car Dominique a Soto (livre4,
sentence 46, question 1, art, 1) est de cet avis : « L’éloignement
et la défection de toute la terre de ce siège sera la signe de la consommation
du siècle. » Et plus bas : « Une fois la foi éteinte par le rejet
du siège apostolique, la terre entière aura perdu sa raison d’être,
et courra donc à sa perte. » Et plus bas encore : « Les humains
éprouveront ce qu’est l’amour pestilentiel de soi. Car, de lÃ
vient l’orgueil et la superbe, qui, sous la conduite de l’antichrist,
fera s’écrouler la cité de Dieu ». Mais, cette opinion,
selon moi, est indéfendable. Car, d’abord, elle répugne à saint
Augustin qui (dans le livre 20, chapitre 11 de la cité de Dieu) enseigne
que l’Église demeurera invaincue par l’antichrist : « Elle ne perdra
pas ses soldats celle qui est appelée un camp fortifié. » Elle
semble aussi répugner à l’évangile, car Jésus a prophétisé en Mathieu
16 : « Sur cette pierre je bâtirai mon église, et les portes de l’enfer
ne prévaudront point contre elles. » Or, comment ne prévaudront-elles
point, si elle est totalement éteinte ? Le Seigneur parle
ainsi des ministres de l’antichrist : « Il feront des signes tels qu’ils
pourraient induire en erreur, si la chose était possible, même les élus.
» Le Christ ne dit-il pas là clairement qu’il y aura alors beaucoup
d’élus qui ne se laisseront pas séduire par les miracles de l’antichrist?
Enfin, tous les auteurs qui parlent de la persécution future de l’antichrist,
comme Ézéchiel, Jean, Daniel et Paul prédisent une victoire de l’Église
sur la bête ou sur la persécution ultime. Et c’est ce que la
raison elle-même nous enseigne. Qui peut croire, en effet, que,
dans ce combat au cours duquel Dieu et le diable, le Christ
et l’antichrist, se battront de toutes leurs forces, et avec toutes leurs
armées, Dieu sera vaincu par le diable, et le Christ par l’antichrist
?
CHAPITRE 18
On réfute les accusations délirantes
des hérétiques par lesquelles ils affirment, sans jamais pouvoir le prouver,
que le pape est l’antichrist.
Même si ce que nous avons déjÃ
écrit sur l’antichrist devrait largement suffire, --car nous avons démontré
que rien de ce que l’Écriture attribue à l’antichrist ne convient
au souverain pontife- cependant, pour que rien ne reste à désirer,
et pour faire apparaître en pleine lumière l’impudence de nos adversaires,
je réfuterai ce que présentent comme preuves Luther, Calvin, le libelle
smalchadicus, Illyricus, Tilman, et Chytraeus. D’abord, Luther.
Même s’il appelle souvent le souverain pontife antichrist, comme dans
son livre sur la captivité de Babylone, son livre sur la bulle exécrable,
son article contre Ambroise, je n’ai pu trouver qu’un seul argument
avec lequel il s’efforce de le prouver. Car (dans assert, art 27),
il écrit : « L’antichrist sera un roi d’un visage impudent, c’est-à -dire,
comme le dit le texte hébreu, il sera puissant en pompes et cérémonies
des œuvres extérieures, l’esprit de foi étant éteint, comme
nous le voyons réalisé dans tant de religions, d’ordres, de collèges,
de rites, de vêtements, de gestes, d’édifices, de statues, de règlements,
d’observances, si nombreux qu’on ne peut les énumérer tous. »
Et ces différents visages de l’antichrist, comme il les appelle, il
les a longuement décrits (dans son libre contre Ambroise Catharin de vis.
Dan).
Mais cet argument de Luther pèche au
moins de trois façons. La première, par le fondement.
Car le mot hébreux, qu’il cite, signifie robuste de visage. Le
sens de cette phrase en hébreu est celui-ci : un homme au front de pierre,
c’est-à -dire qui ne sait pas rougir. Car, c’est ainsi que l’ont
traduit les septante, ainsi que saint Jérôme et Theodoret. Et c’est
ainsi que l’explique François Valablus à partir des règles d’interprétation
des rabbins : « Celui qui est fort de face est celui qui ne rougit pas,
qui n’a pas de pudeur. »
2017 11 23 16h24 fin
2017 11 25 17h13 début
On peut tirer la même chose de paroles
semblables d’Ezéchiel : « La maison d’Israël a un front impudent
et un cœur dur. J’ai donné à ta face d’être plus forte que leurs
faces, et à ton front d’être plus dur que leurs fronts. » En
hébreu, nous avons : « La maison d’Israël sont plus robustes de front,
et j’ai donné à ta face d’être plus robuste que leurs faces. »
Cette phrase ne peut pas avoir un autre sens que le suivant (come le dit
fort bien saint Jérôme ) : « Ce sont des impudents, mais ne cède pas
à leur impudence. Et comme c’est avec audace et sans pudeur qu’ils
commettent le mal, reprends-les avec audace et sans pudeur ».
Puisqu’il en est ainsi, que Luther ne se rende pas impudent de face en
voulant faire passer sa traduction avant celle des septante, de saint Jérôme,
de Theodoret, et d’un rabbin ! L’argument de Luther pèche en
second lieu parce que, Ã partir du vrai sens de la phrase, on ne peut
pas conclure que le pape est l’antichrist. Car, même s’il était
prouvé que l’antichrist serait puissant en pompes et en cérémonies
externes, on ne pourrait pas en déduire qu’il suffit que quelqu’un
soit puissant en pompes et en cérémonies extérieures pour être un antichrist.
Car, comme l’enseignent les logiciens, on ne peut rien conclure d’affirmations
particulières. Autrement, Moïse lui-même aurait été
un antichrist, puisqu’il institua un si grand nombre de cérémonies
dans l’Exode et le Lélvitique qu’on peut à peine les compter.
Et comme, au même endroit, on dit d’Antioche et de l’antichrist que
leur intelligence sera si grande qu’elle pénétrera toutes les
énigmes, il s’ensuivrait, selon le raisonnement de Luther, que
tous ceux qui sont capables de résoudre des énigmes sont des antichrist.
Ce qui est non seulement faux, mais ridicule.
Il pèche, en troisième lieu, en
attribuant au pontife romain l’institution de tous les ordres et de toutes
les cérémonies ecclésiastiques. Il appert, pourtant, qu’un
grand nombre d’entre elles et d’entre eux ont été institués par
les autres saints pères. Car l’église grecque a toujours eu et
a encore des monastères, des rites, des règlements, des cérémonies
qu’elle a reçus non des papes, mais de saint Basile, de saint
Pachome et d’autres grands moines. Voir les livres de Cassien, et la
constitution de saint Basile. En Occident, les ordres de saint Benoit,
de saint Romuald, de saint Bruno, de saint Dominique et de saint François
ont été, certes, approuvés par le pape, mais ils ont été conçus et
fondés par ces saints hommes sous l’inspiration du Saint-Esprit.
De telle sorte que si ces ordres constituent la face de l’antichrist,
c’est plutôt les fondateurs de ces ordres qu’il faut appeler antichrist
que le pape lui-même.
Ajoutons enfin que les paroles de
Daniel ne s’appliquent à aucun homme aussi bien qu’à Luther (à l’exception
du véritable antichrist qui sera révélé en son temps). C’est
lui, en effet, qui éleva son front impudent au-dessus de tous. Car,
en étant prêtre et moine, il épousa publiquement une religieuse consacrée
à Dieu, chose que l’antiquité n’a pas connue. Il a ensuite
écrit un grand nombre de mensonges qui ont été relevés et publiés.
Jean Cochlaeus écrit, en effet, en l’année 1523 que quelqu’un a découvert,
dans un seul livre de Luther, cinquante mensonges. Un autre
en a trouvé 874. Et de quelle impudence n’a-t-il pas fait
preuve quand, dans son livre contre la bulle du pape Léon X, le même
Luther a osé excommunié le souverain pontife et toute l’église qui
l’appuyait ? Qui a jamais entendu dire qu’un simple prêtre
pouvait excommunier un évêque ? Le concile de Chalcédoine eut
horreur de l’audace d’un certain Dioscore qui, pendant qu’il présidait
le concile d’Éphèse 11, avait eu la témérité d’excommunier le
pape Léon. Mais quelle comparaison peut-on faire entre Dioscore,
le patriarche du second siège, président d’un concile général, et
Luther, un simple moine qui écrit dans sa cellule ? Mais, laissons
Luther de côté, et venons-en à Mélanchton.
CHAPITRE 19 : On réfute les billevesées du synode smalchadique des luthériens
Demeure toujours en circulation un libelle
sur le pouvoir et la primauté du pape, ou sur le règne de l’antichrist,
édité sous le nom du synode smalchadique, qui me semble être de Mélanchton,
mais qui, quel qu’en soit l’auteur, ne contient que des mots et une
vaine jactance. Voici ce que dit son auteur : « Il a été démontré
que les pontifes romains avec leurs membres défendent une doctrine impie,
et des cérémonies impies, et qu’au règne du pape et de ses membres
convient parfaitement la marque de l’antichrist. » Après avoir
entendu l’énoncé de la proposition, écoutons-en maintenant les preuves
: « Car, Paul, décrivant l’antichrist aux Thessaloniciens, l’appelle
l’adversaire du Christ, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui
est dit dieu ou adoré comme dieu, qui s’assoit dans le temple comme
Dieu ». Il parle donc de quelqu’un qui règne dans l’Église,
non des rois païens, et il l’appelle l’adversaire du Christ,
parce qu’il élaborera une doctrine qui est contraire à celle de l’évangile,
et s’arrogera l’autorité divine. » Même si ces choses
étaient vraies, elles nous feraient peu de tort. Je demande,
cependant, sur quel fondement repose cette accusation ? Saint Paul
dit clairement que l’antichrist s’élèvera au-dessus de tout
dieu, et s’assoira dans le temple, non en roi, non en évêque, mais
en tant que Dieu. Et c’est ce qu’enseignent éloquemment saint
Jean Chrysostome, saint Ambroise, et les autres anciens commentateurs
de ce texte. De quel droit, donc, affirmez-vous, sans témoin
et sans raison, que l’antichrist est celui qui s’assoit dans le temple
non comme Dieu, mais comme évêque, qui non seulement ne s’élève pas
au-dessus de ce tout qui est dit dieu, mais qui adore le Père, le Fils
et le Saint-Esprit, qui se prosterne en présence de tout le peuple
devant le sacrement de l’eucharistie, devant les sépulcres du Seigneur
et des martyrs, devant la croix, les images du Christ et des saints, que
vous avez coutume, vous, d’appeler, à la façon des impies, des dieux
étrangers et des idoles ? Mais voyons de près comment vous
appliquez ce texte au pape.
« Il est évident que le pape règne
dans l’Église, et que, sous le prétexte d’une autorité et
d’un ministère ecclésiastique, il s’est constitué un royaume, en
abusant de ces mots : « Je te donnerai les clefs. » Vous
dites que le pape règne dans l’Église, mais vous ne le prouvez pas.
Nous pouvons, nous, sans difficulté, démontrer le contraire.
Car, celui qui règne ne reconnait personne qui lui soit supérieur.
Or, le pape se reconnait vicaire et serviteur du Christ. Et même
si dans toute la maison de Dieu et dans le règne universel du Christ,
il jouit d’un grand pouvoir, ce pouvoir ne dépasse pas celui d’un
intendant, ou la condition d’un serviteur. Car, « Moïse,
lui aussi, fut (selon Paul aux Hébreux, 3) fidèle dans toute la maison
de Dieu, mais en tant que serviteur. Le Christ, lui, en tant que Fils ».
« Ensuite, la doctrine du pape
est de multiples façons contraire à celle de l’évangile, et il s’arroge
l’autorité divine de trois façons. Il s’est accordé à lui-même
le droit de changer la doctrine du Christ, et le culte institué par Dieu;
et il veut que sa doctrine et son culte soient observés comme s’ils
étaient divins. » Il se contente, là , d’affirmer gratuitement
des choses sans les prouver. Mais ce qu’il dit n’est pas
seulement faux, mais c’est un mensonge éhonté. Car, vous n’ignorez
pas, puisque tous le savent, que la doctrine du Christ et le culte ne peuvent
être changés ni par un homme, ni par un ange. Et vous savez pertinemment
qu’il n’a jamais été question entre nous de croire ou de faire autre
chose que ce que Jésus a enseigné ou commandé; jamais autre chose
que : est-ce vous ou nous qui interprétons le mieux la doctrine et les
commandements du Seigneur ? Mais, à ce sujet, vous ne savez présenter
que votre interprétation personnelle. Car le consentement
des pères, les décrets de l’Église, et les traditions nous ne les
opposons pas, comme vous, à la parole de Dieu, mais à votre interprétation
et à votre jugement. Mais écoutons la deuxième preuve. «
Car il s’attribue le pouvoir de lier et de délier non seulement dans
cette vie, mais il s’accorde même un droit sur les âmes, après cette
vie ». Cela, aussi, on le dit sans le prouver.
Car, le pontife romain ne s’accorde
pas un droit sur les âmes des défunts. Ce n’est pas, en effet,
par son autorité, qu’il les absout de péchés ou de peines, puisque
c’est seulement par le moyen des prières de suffrage et des bonnes
œuvres des fidèles vivants qu’il communique avec elles. Que les
défunts soient secourus par les prières et les aumônes des vivants,
tous les anciens l’enseignent. Comme nous avons traité de
cette question au long et au large ailleurs, une seule citation de
saint Augustin suffira pour le moment. Voici ce qu’il dit ( sermon
34 sur la parole apostolique) : « Par les prières de la sainte église,
par le sacrifice salutaire, et par les aumônes qui leur sont offerts,
il n’est pas douteux que les morts soient aidés. » Et voici la
troisième preuve. « Le pape ne veut être jugé ni par l’église ni
par personne d’autre; et il met son autorité à l’abri du jugement
des conciles et de toute l’Église. Or, ne vouloir être
jugé par personne s’est se faire dieu. » On avance ici deux choses
sans les prouver. Car, par quelles Écritures, par quels conciles,
pour quelle raison le pape devrait-il être jugé par les conciles ou par
l’Église ? Car ce que nous, nous lisons (pour omettre le reste,
qui a déjà été exposé dans le livre précédent), c’est qu’il
a été dit par le Christ à Pierre (Jean 21) : « Pais mes brebis. »
Et nous ne croyons pas qu’il soit possible d’imaginer que le pasteur
doive être conduit et jugé par ses brebis. Nous pensons plutôt
que c’est le rôle du pasteur de diriger et de juger ses brebis.
Nous lisons aussi en Luc 12, qu’il a été dit de Pierre : « Qui
penses-tu être le dispensateur fidèle et prudent que le Seigneur a établi
sur sa famille ? » Dans ce passage, nous voyons qu’un intendant
est préposé à la famille du Christ pour la diriger, certainement pas
pour être dirigée par elle.
Et, pour que quelqu’un n’objecte
pas : si l’intendant est méchant, par qui sera-t-il jugé s’il est
au-dessus de tous et n’est soumis à personne, le Seigneur ajoute : «
si ce serviteur dit dans son cœur que son Seigneur ne viendra pas de si
tôt, s’il se met à frapper serviteurs et servantes, à bambocher, Ã
boire et à s’enivrer, le Seigneur de ce serviteur viendra à un moment
qu’il n’attend pas, à une heure qu’il n’avait pas prévue, il
le dépouillera, et le placera avec les infidèles. » Vous avez
entendu quel était le juge de ce mauvais intendant, que le Seigneur avait
établi sur toute sa famille. Le Christ n’a pas dit qu’il serait
jugé par un concile, mais que le Seigneur viendra à l’improviste.
Le Seigneur se réserve donc le jugement de ce serviteur. Quand il n’accepte
pas d’être jugé par les conciles et l’église, le pape ne leur enlève
donc pas le pouvoir de le juger, car il ne peut pas enlever ce qui
n’a jamais été donné. Et jamais aucun concile, canoniquement
convoqué, ne s’est arrogé le droit ou le pouvoir de juger le
pape, en dehors du cas d’hérésie. Mais nous parlerons plus
longtemps de ce sujet en son temps et en son lieu.
Une autre chose que vous dites sans
le prouver c’est que refuser d’être jugé par quiconque c’est se
faire Dieu. Car, quand vous dites « par personne », vous
voulez certainement dire par aucun homme. Vous n’êtes pas,
en effet, sans savoir que le pontife croit et enseigne qu’il sera jugé
par le Christ. Comment donc peut-il se faire dieu celui qui reconnait devoir
être jugé par Dieu ? De plus, il est certain que les rois de la terre
ne reconnaissent, en ce qui a trait à la politique, aucun juge; et, par
votre sentence, vous qui dépouillez les évêques de tout pouvoir, ils
n’ont même pas de vrais juges dans les affaires ecclésiastiques.
Il y aura donc autant de dieux que de rois ? Je ne pense pas que
vous soyez devenus déraisonnables au point d’enseigner cela. Il
reste donc qu’il n’est pas vrai que celui qui ne veut être jugé par
personne se fasse Dieu.
Vous ajoutez à la fin : « Ces si horribles
erreurs et cette si grande impiété il les maintient par les plus cruels
supplices, et en tuant les dissidents. » Que vous mentez effrontément,
vous pouvez l’apprendre de mon exemple personnel. Car c’est dans
la ville de Rome que j’écris (ce que le pape ne peut pas ignorer) qu’il
n’est pas permis au pape de changer la doctrine ou le culte du Christ,
d’enseigner de nouvelles doctrines ou un nouveau culte, en opposition
avec l’évangile, et de les faire passer pour divins. Cherche-t-on
à me tuer, à m’emprisonner, à me torturer ? Car, le souverain
pontife sait très bien que je dis la vérité, et que c’est vous qui
mentez. Comme quand vous ajoutez un peu après : « La doctrine de
la pénitence a été déformée par le pape et par ses membres.
Car, il enseigne que les péchés sont remis à cause de la dignité de
nos œuvres. Et jamais il n’enseigne que les péchés sont remis gratuitement
par le Christ. » Ce ne sont surement pas là nos dogmes,
mais vos mensonges. Car, ce n’est pas ce que nous enseignons, mais
le contraire, comme l’atteste le concile de Trente (session 6,
chapitre 5, 6, 7, 8.) Mais que cela suffise. Passons à Calvin.
CHAPITRE 20 : On réfute les mensonges
de Calvin
Commentant le texte de saint Paul
(2 Thess 2 : « celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui est dit
dieu »), il dit beaucoup de choses, a le verbe haut, mais est incapable
de prouver quoi que soit. Voici ses paroles : « Saint Paul a voulu
dire par ces paroles, que l’antichrist s’attribuera les choses qui
sont propres à Dieu, pour s’élever au-dessus de toute divinité,
pour mettre sous ses pieds toute la religion et tout le culte. »
Et plus bas : « Car quiconque aura appris par l’Écriture quelles sont
les choses qui sont le plus propres à Dieu, et quelles sont celles que
le pape a usurpées, il n’éprouvera aucune difficulté, même s’il
n’a que dix ans, à reconnaitre l’antichrist. » Mais écoutons
les preuves qu’il donne. Elles doivent logiquement être
telles qu’un enfant de dix ans n’ait aucune difficulté à les reconnaitre
: « L’Écriture déclare que Dieu est l’unique législateur (Isaïe
33, verset 22), qui peut sauver et perdre (Jacques, 4, verset 12); qu’il
est le seul roi dont l’office est de gouverner les âmes par sa parole,
et qui se fait l’auteur de toutes les choses saintes. Elle enseigne
qu’on demande la justice et le salut au seul Christ; et elle en
explique le comment et le pourquoi. Or, il n’y a aucune de ces
choses que le pape ne déclare pas tomber sous sa juridiction.
Il se glorifie de posséder le droit de lier les consciences par les lois
qu’il lui semblera bon d’imposer, et de les soumettre à des peines
éternelles. Les sacrements, ou il en a, à sa guise, créé
de nouveaux, ou il a corrompu et vicié ceux qui avaient été institués
par le Christ. Il les a plutôt abolis complètement pour y
substituer des sacrilèges de son invention, en y mêlant des moyens d’obtenir
le salut qui sont étrangers à l’évangile. Il n’hésita donc
pas à changer toute la religion selon son caprice. Qu’est-ce donc,
je le demande, s’élever au-dessus de tout ce qui est dit dieu, si ce
n’est pas précisément ce que le pape fait ? »
N’avais-je pas raison de dire
que Calvin a beaucoup déblatéré, mais peu prouvé ?
Car que le pape se glorifie de lier les consciences par les lois qu’il
invente de toutes pièces, qu’il ait institué de nouveaux sacrements,
qu’il ait aboli les anciens, qu’il ait mêlé à la pure doctrine évangélique
des moyens de salut étrangers à la doctrine du Christ, qu’il
ait changé toute la religion, Calvin le dit, mais ne le prouve pas.
Si, pour lui, dire c’est prouver, nier devra donc être pour lui,
réfuter. Il est tout à fait certain que, même si nous sommes
de vrais catholiques et que nous obéissons au vicaire romain du Christ,
nous sommes libres de dire, et nous le disons sans offenser personne,
qu’il n’est permis à personne de lier les hommes par des lois iniques
et pernicieuses, d’instituer de nouveaux sacrements, de corrompre ou
d’abolir ceux qui ont été institués par le Christ, d’ajouter
des moyens de faire son salut étrangers à la doctrine évangélique,
de fausser ou de changer la religion chrétienne. Nous disons cela
d’autant plus librement que nous savons parfaitement que c’est
ce que pense et professe le pontife romain. Car, s’il ne pense
pas ainsi, s’il s’imagine qu’il lui est permis de fabriquer des lois
iniques, d’inventer de nouveaux sacrements, d’abolir les anciens, et
de tout faire à sa fantaisie, comment supporte-t-il que nous parlions
ainsi, nous qui sommes en son pouvoir, qui enseignons non dans un coin
retiré quelconque, mais dans la ville même de Rome, avec son approbation
et son autorisation ?
Mais ils répliqueront : le
pape ne parle peut-être pas ainsi, mais ce sont les faits qui le proclament.
Qu’on prouve donc qu’il a fait une de ces choses. Car, autrement,
s’accorder d’avance ce que l’on doit prouver, comme ont coutume de
faire nos adversaires, n’est rien d’autre qu’une pétition
de principe. De plus, les deux citations d’Isaïe
(33) et de saint Jacques (4) que nos adversaires nous jettent à la face,
ne font que mordre la poussière. Car ce que disent Isaïe
et Jacques : « Nous avons un seul roi, un seul juge, un seul législateur
», ne s’oppose certes pas aux paroles des proverbes : « C’est par
moi que règnent les rois, et que les législateurs discernent ce
qui est juste. » Ni non plus au psaume 2 : « Et maintenant rois, comprenez,
apprenez vous qui jugez la terre. » Ni comme soixante autres
passages du même genre. Car ce n’est pas pour n’importe raison
qu’Isaïe et Jacques font de Dieu un roi, un juge et un législateur
unique. Mais pour la raison précise qu’il est le seul roi,
le seul juge et le seul législateur qui n’ait de comptes à rendre Ã
personne, qui ne dépende de personne, qui règne, juge, fasse des lois
de par sa propre autorité, non de par celle d’autrui, qu’il
est le seul, enfin, Ã pouvoir perdre et sauver efficacement. Or,
nous n’attribuons rien de tout cela au pape, ou aux autres princes.
CHAPITRE 21 : On réfute les mensonges
d’Illyricus
Dans le livre qu’il a écrit contre
la primauté du pape, Illyricus dit : « Mais, parmi tous les autres arguments,
il y en a un qui doit être considéré comme extrêmement probant,
car il a été démontré en toute clarté et précision par plusieurs,
à notre époque, à savoir que le pape enseigne et impose une doctrine
impie, et qu’il est lui-même l’antichrist. Je redonnerai ici
leurs raisons. Jean (1,2) définit que l’antichrist est celui
qui nie que Jésus est le Christ. Cela, le pape ne le fait
pas en paroles, mais en actes. Car le Messie, en hébreu, ou le Christ
en grec, est une personne envoyée divinement, pour qu’il soit
le prêtre et le roi perpétuel du peuple de Dieu. Or, le prêtre
a le devoir de prêcher, de prier, et de sacrifier; le roi de gouverner
et de protéger. » Écoutons maintenant comment le pape à extorqué
ces pouvoirs au Christ, et voyons quels témoignages et quelles raisons
il apporte. Hélas, nous n’entendons que des mots.
Voici donc comment il continue : « Le pape a donc dérobé le sacerdoce
au Christ. Car, loin de vouloir qu’on n’écoute que le Fils bien-aimé,
il veut qu’on l’écoute lui-même d’abord et avant tout, lui et ses
pseudos apôtres, qui annoncent un autre évangile.
Il a, de même, remplacé le Christ par un grand nombre d’autres
médiateurs dans le ciel, qui intercèdent pour nous devant le Père,
après avoir mis de côté le Christ qu’ils ne voient plus que comme
un juge sévère. Ils ont substitué à l’unique sacrifice
du Christ une infinité de petits sacrifices qui apaisent Dieu pour
les crimes de l’humanité, et qui leur font dire que le sacerdoce est
passé du Christ à Pierre. Enfin, il veut que nous soyons sauvés
par les mérites des religieux et des saints. »
Avec quels textes bibliques évidents
nous convainc-t-il ? Et que penser, que dire, si nous parvenons Ã
démontrer que toutes ces accusations ne sont que des mensonges ?
Car, je le demande, où avez-vous lu que le pape veut qu’on l’écoute,
lui, plus que le Christ ? Je le nie. C’est vous qui avez
le fardeau de la preuve. Nous voyons, nous, au contraire, que le
pape honore et vénère grandement les saintes Écritures; et que
tous les papes ont toujours considéré comme un hérétique quiconque
enseigne une doctrine contraire à l’Écriture. Ensuite, n’est-ce
pas un mensonge éhonté que le pape ait substitué des médiateurs
au Christ qui soient seuls à intercéder auprès du Père, et que le Christ
ait été mis de côté ? Nos litanies ne commencent-elles pas ainsi
: kyrie eleison, christe eleison ? Toutes les prières que nous disons
à la messe et au bréviaire ne sont-elles pas dirigées à Dieu par le
Christ notre Seigneur ? Ne reconnaissons-nous pas la médiation et
l’intercession du Christ puisque, quand nous demandons quelque
chose à Dieu, ou quand nous désirons que les saints le demandent pour
nous, nous le demandons toujours intégralement par les mérites du Christ
? Nous ne mettons pas les saints à la place du Christ, mais nous
demandons quelque chose par eux pour qu’ils unissent leurs prières Ã
nos prières, pour, par ce moyen, obtenir plus facilement ce que nous demandons
à Dieu par le Christ.
C’est un autre mensonge aussi
grotesque, que le pape ait substitué des petits sacrifices au sacrifice
du Christ, ou que nous disions que le sacerdoce du Christ ait été,
par Pierre, transmué en petits sacrifices. Vous n’avez jamais
rien prouvé de tout cela, et vous ne pourrez jamais le faire.
Or, on ne peut avoir aucun doute que, si vous aviez des preuves,
vous les crieriez sur tous les toits. Voici ce que nous disons,
nous, vraiment : le Christ, qui est prêtre pour l’éternité,
et qui vit toujours pour interpeller pour nous, s’est offert une
fois comme une hostie expiatrice, par la mort de la croix. Et maintenant,
par les mains des prêtes, il continue à s’offrir dans le sacrement
de l’autel. Car, bien que beaucoup baptisent, demeure
toujours vrai ce que nous lisons dans Jean 1 : « C’est lui qui baptise
dans l’Esprit Saint. » Le pouvoir de baptiser n’est donc
pas passé du Christ aux prêtres, mais c’est le Christ, qui, par le
ministère des prêtres, continue toujours à baptiser. Il en va
de même du sacerdoce. Même si, aujourd’hui, un grand
nombre de prêtres offrent le Christ dans ces mystères redoutables,
le Christ demeure toujours le premier prêtre et le vrai pontife suprême,
qui s’offre lui-même par le ministère des prêtres. Comme
le dit saint Jean Chrysostome (homélie 83, sur Matthieu) : « Ces œuvres
ne viennent pas de la vertu humaine. Il opère maintenant à chaque
jour ce qu’il a fait alors, à la dernière cène. C’est lui
qui fait tout. Nous ne remplissons que le rôle de ministres.
» Mais, Illyricus, il me plairait d’apprendre de toi,
quand tu vois tous les anciens écrivains, tant grecs que latins,
faire mention du sacrifice eucharistique et du sacerdoce des chrétiens--
ce que personne ne peut nier sauf ceux qui ne lisent pas- pourquoi tu attribues
au seul pontife romain le transfert du Christ aux petits sacrifices
ecclésiastiques ? Mais passons à ce qui reste.
2017 11 25 17h13 fin
2017 11 27 17h17 début
Ce qu’il ajoute ensuite,
qu’il veut que nous soyons sauvés par les mérites des moines et des
saints, est un pur mensonge. Aie donc le courage de citer les
vraies paroles du pape quand il dit : « nous croyons être sauvés par
la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, comme aussi l’ont été nos
pères », comme le dit saint Pierre (actes 15). « Nous ne reconnaissons
comme Sauveur que Jésus, et Jésus crucifié, qui s’est donné lui-même
comme rédemption pour nous » (1 Thimotée 2). Que les mérites
et les prières des saints puissent nous être profitables,
ne peut le nier que celui qui ne sait pas ou ne croit pas qu’il y ait
une communication et une union entre les membres du corps mystique,
dite communion des saints. Comme nous avons traité longuement de
ce sujet ailleurs, deux citations suffiront pour le moment.
Saint Augustin (Exode, question 149) : « Quand nos mérites nous affaissent
au point de ne plus être aimés de Dieu, on nous enseigne que nous pouvons
être relevés par les mérites de ceux que Dieu aime. »
Et encore (dans la cité de Dieu, livre 21, chapitre 27), il répète souvent
qu’il y en a qui ne recevront le pardon que par les mérites des saints,
et que c’est ce que veut dire le Seigneur quand il enseigne : «
Faites-vous des amis avec le Mammon d’iniquité, pour que, quand vous
défaillirez, ils vous reçoivent dans les tabernacles de l’éternité
». (Luc 16). Et saint Léon le grand (dans son sermon
1 sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul) : « Comme
nous l’avons expérimenté nous-même, et comme nos ancêtres l’ont
aussi éprouvé, nous croyons et nous confessons que, pour obtenir la miséricorde
de Dieu, au milieu des labeurs de cette vie, nous sommes toujours aidés
par les prières de patrons spéciaux, pour que nous soyons autant soulevés
par leurs mérites apostoliques que nous sommes abattus par nos propres
péchés. »
Et bien que nous n’ayons pas coutume
de dire, comme Illyricus nous le reproche, que c’est par les mérites
des moines et des saints que nous sommes sauvés, si quelqu’un s’exprimait
ainsi, en ne voulant dire rien d’autre que les mérites des saints
nous apportent une certaine aide pour l’obtention de notre salut, il
n’y aurait pas plus lieu de le rependre, lui, que saint Paul, quand
il dit (1, Cor, 9) : « Je me suis fait tout à tous, pour sauver tous.
» Et que saint Jude : « Ceux-là considérez-les comme condamnés.
Mais les autres, sauvez-les en les dérobant du feu. » On
peut dire, évidemment, cela aussi du sacerdoce du Christ.
Illyricus continue : « Il enlève au Christ le royaume parce que, sur
la terre, il veut être la tête de l’Église. Et, dans le ciel
il établit d’autres intercesseurs et d’autres sauveurs, auprès desquels
il ordonne que nous nous réfugiions dans nos misères. Le pape nie
donc que Jésus soit le Christ. » Je lui demande d’abord,
à quel endroit, quand et où un pape, ou un catholique quelconque
a-t-il jamais donné le nom de sauveurs à des saints ? Et j’ajoute
: si affirmer que la tête de l’église est sous le Christ, en tant que
son ministre et son vicaire, comme le fait le pape, c’est nier
que Jésus est le Christ, celui qui déclare être un pro roi ou le gouverneur
d’une province nie-t-il, par le fait même, qu’il ait un seigneur,
et que ce soit ce seigneur qui est le vrai roi ? De plus, si,
dans nos misères, se réfugier auprès des saints, à titre d’intercesseurs,
c’est nier Jésus-Christ, comment, je vous le demande, saint Paul n’a-t-il
pas nié Jésus quand il a dit (Romains 15) : « Je vous supplie, frères,
par notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit, de
m’aider auprès de Dieu par vos prières (dites) pour moi, pour
que je sois libéré des infidèles qui sont en Judée. » Comment
le grand Basile n’a-t-il pas nié Jésus-Christ, quand, dans son sermon
sur les 40 martyrs, il dit : « Que celui qui se sent accablé par la tristesse
se réfugie auprès d’eux. Que celui qui se réjouit les prie !
Celui-là pour qu’il soit libéré de ses malheurs, celui-ci pour qu’il
continue à être heureux. » J’omets les autres pères car
je crains que, si je les énumérais tous, je n’en
trouverais aucun qui ne nie que Jésus est le Christ, si était vraie,
il va sans dire, la doctrine d’Illyricus.
Illyricus continue en
citant Daniel (chapitre 11 ) : « L’antichrist sera connu par plusieurs
signes : il fera en sorte qu’il puisse voler. Le pape, lui aussi,
ne fait que ce qui lui plait. Quand Daniel dit que l’antichrist
volera, il veut dire qu’il ne reconnaitra aucun homme qui lui soit supérieur,
même pas Dieu. Car, il ajoute tout de suite après : « et il s’élèvera
contre tout Dieu. » Après avoir rejeté la loi et le pouvoir de
Dieu, l’antichrist vivra en n’ayant pour loi et dieu que sa seule
volonté. Cela, le pape ne le fait pas, puisqu’il ne nie pas qu’il
soit lié par la loi de Dieu, et qu’il reconnaisse le Christ comme son
supérieur et son juge. « Il professe, dit Illyricus (dist. 40)
que même si le pape entraînait une infinité d’âmes en enfer, personne
ne doit lui dire : que fais-tu ? Et la glose ajoute que le pape a
pour seule raison son bon plaisir. » Le canon qui commence
par « si le pape », n’est pas de quelque pontife romain (comme le prétend
faussement Illyricus), mais de saint Boniface, apôtre des Germains et
martyr. Le même saint Boniface ne nie pas, pourtant, qu’on
doive admonester un pape, par charité fraternelle, s’il se conduit mal.
Ce qu’il nie c’est qu’on puisse lui intenter un procès et le juger,
puisqu’il est lui-même le juge de tous les hommes. Et dans les
mots qui précèdent ce canon, il appelle l’église romaine la tête
de toutes les églises, et il déclare que, après Dieu, le salut
de toute l’Église dépend de la conservation du pontife
romain. Je demande donc à Illyricus : cette parole de saint
Boniface, évêque des Allemands, est-elle vraie ou fausse ?
Si elle n’est pas vraie, pourquoi nous en fait-il un reproche ?
Si elle est vraie, pourquoi ne l’accepte-t-il pas ? J’essaierai
de m’exprimer plus clairement. Si cette phrase n’est pas vraie,
il n’est donc pas vrai qu’au pontife romain, qui entraîne plusieurs
âmes dans l’enfer, on ne puisse pas dire : que fais-tu ? Si elle
est vraie, le pontife romain est vraiment la tête de toutes les églises;
et celui qui juge tout le monde ne peut être jugé par personne.
Qu’Illyricus cesse donc d’alléguer des choses qui ne lui sont d’aucun
profit. Au sujet de la glose, qu’il sache que, dans la nouvelle
édition, elle est rejetée par le pape comme fausse, ou comme n’ayant
jamais fait partie du décret.
Illyricus continue toujours, en
citant cette fois Daniel. « Il dit que l’antichrist s’élèvera
au-dessus de Dieu, et que c’est ce qu’a fait le pape, comme il
apparait dans ce qui précède. De même, il veut qu’on l’écoute,
lui, plus que Dieu, et il déclare hautement, en blasphémant, que l’Écriture
est la source de toutes les hérésies, et des schismes, qu’elle est
obscure et ambigüe. » Il aurait du rapporter fidèlement les paroles
de Daniel, car il ne dit pas qu’il s’élèvera au-dessus de Dieu, mais
contre tout Dieu. » Et, plus bas : « Il ne se souciera d’aucun dieu,
car il s’élèvera contre toutes choses. » Ce trait, qui est propre
à l’antichrist, démontre clairement que le pape n’a rien de commun
avec l’antichrist, car l’antichrist ne se souciera d’aucun
dieu, alors que le pape adore un seul Dieu en trois personnes : le Père,
le Fils et le Saint-Esprit. Il ne fait pas seulement cela,
mais (pour parler comme vous) il adore publiquement autant de saints qu’il
y en a dans le ciel, et sur terre, ainsi que leurs images et leurs
reliques. Et ce que tu ajoutes : « que le pape vocifère en disant
que l’Écriture est la source de toutes les hérésies et les schismes
», je ne le vois écrit nulle part. Mais j’ai entendu dire que
c’est une des paroles de ton Luther (préface de l’histoire, Strasfort,
en l’an 36). Je ne vois, pourtant, pas trop ce qu’on peut
reprocher à cette parole si on l’entend dans un bon sens. Car,
même un saint Hilaire de Poitiers (dans son livre sur les synodes) démontre,
en conclusion, que « plusieurs hérésies sont nées de textes de l’Écriture
mal compris. » Et Tertullien, dans son livre sur les prescriptions,
dit avec encore plus d’audace : « Je ne crains pas de dire que les saintes
Écritures sont, par la volonté de Dieu, composées de telle façon qu’elles
fournissent une matière aux hérétiques. N’est-il pas écrit
: « il faut qu’il y ait des hérésies ». Mais, sans l’Écriture,
il ne peut pas y en avoir. »
Que les Écritures soient ambigües
et obscures en plusieurs passages, le pape n’est pas le seul Ã
le déplorer, tous les pères anciens s’en sont plaints également.
Luther lui-même a du, bon gré mal gré, le reconnaître. N’a-t-il
pas écrit, dans sa préface des psaumes : « Je ne veux pas qu’on pense
de moi, ce que n’a pu faire aucun des plus saints et des plus savants
docteurs, que je comprenne et enseigne le psautier et tous ses versets
dans son sens légitime. Il suffit que j’en aie compris quelques-uns
en partie. Mais le Saint-Esprit s’en est réservé beaucoup pour nous
maintenir toujours comme des disciples, il en montre beaucoup pour
nous allécher, et il en cache beaucoup pour nous éprouver. » Et
plus bas : « Je sais que ce serait le propre d’une très impudente témérité
d’oser affirmer qu’il y a un seul livre de la sainte Écriture qui
puisse être compris par tous dans toutes ses parties. » Le même
Luther n’affirme-t-il pas que c’est en suant à grosses gouttes qu’il
a cherché le sens véritable et naturel de l’Écriture. Et enfin,
tant de traductions différentes de l’Écriture, dans de sectes chez
nos adversaires ne crient-elles pas que l’Écriture est difficile
à comprendre ?
Illyricus ajoute ensuite « que
Daniel a prédit que l’antichrist réussirait dans toutes ses entreprises,
jusqu’à ce que s’apaise la colère de Dieu. Or, le pape opprime
à son gré, avec tyrannie et impiété, autant les nombreux royaumes
que les innombrables églises. » Où sont les preuves de cette accusation
? Quel auteur cite-t-il ? Et que se passera-t-il si nous, nous démontrions,
que c’est une note contraire à cette troisième note de l’antichrist
qui convient au pape. Car, depuis le moment où, selon vous, l’antichrist
a commencé à régner, son empire, bien loin de croitre, est
allé en décroissant. Au temps de saint Léon le grand, c’est-à -dire
150 ans avant que, selon vous, ne naisse l’antichrist, le pape
romain présidait sur un plus grand nombre de peuples que ne comprenait
l’empire romain. Voici ce qu’écrit saint Léon (semon 1 de la
naissance au ciel est apôtres Pierre et Paul ) : « Devenue, par le siège
sacré de Pierre, tête de la terre, Rome, ton royaume s’étend
plus loin, par la religion divine, que par la domination terrestre.
» Et Prosper (dans son livre sur l’ingratitude) : « Siège de Pierre,
Rome, que l’honneur du pasteur a fait tête du monde, tout ce qu’elle
n’a pas possédé par les armes, elle le tient par la religion.
»
Et ensuite, sous le règne de l’antichrist,
depuis 606 (selon vous), le siège de Rome perdit peu à peu presque toute
l’Afrique, une grande partie de l’Asie, et toute la Grève. Or,
à notre époque, où, selon vous, sévit plus que jamais l’antichrist,
où tout devait lui réussir, le pape a perdu une grande partie de l’Allemagne,
la Suède, la Gothie, la Norvège, le Danemark, une bonne partie de l’Angleterre,
de la Gaule, de la Suisse, de la Pologne, de la Bohème et de la Pannonie.
Donc, si réussir dans ses entreprises est une note de l’antichrist,
ce n’est pas le pape qui a acquis ces pays, mais Luther, qui, par la
prédication d’une liberté charnelle, a séduit tant de peuples,
et qui a obtenu tant de succès qu’un simple moine inconnu est devenu
le prophète de toute l’Allemagne, et presque leur pape. On pourrait
donc avoir de bonnes raisons de l’appeler l’antichrist. Mais,
poursuivons. Il dit, comme quatrième accusation, que
Daniel prédit que l’antichrist ne se souciera plus du Dieu
de ses pères. « Cela est vraiment prophétisé du pape, comme nous l’avons
clairement prouvé plus haut dans le livre de Jean. » Et nous, au
même, endroit, nous l’avons clairement réfuté.
Il dit, en cinquième lieu,
qu’il ne portera aucun intérêt à l’amour des femmes. C’est ce
que le pape a fait par l’imposition du célibat aux siens,
et par ses débauches sodomiques. » Je ne dis rien ici sur
votre indigne témérité qui vous fait affirmer tout ce qui vous passe
par la tête. Puisque vous parlez sans réflexion, êtes-vous
seulement capables de prouver ce que vous avancez, oui ou non ?
Mais ceci, cependant, je le dirai. Même si les paroles de
Daniel que vous citez sonnent ainsi en grec, saint Jérôme les a traduites
tout autrement à partir du texte hébreu. Voici quelle est sa traduction
: « Et il sera en concupiscence de femmes. » Et même si les mots
hébreux (…..) ne signifient que « en concupiscence de femmes », et
n’ont aucun ajout qui nous permette de dire si oui ou non l’antichrist
sera en concupiscence de femmes, il y a deux raisons qui rendent la version
de saint Jérôme plus probable. La première. Il est
prouvé qu’Antiochus, de qui Daniel parle, selon la lettre, et qui était
un type de l’antichrist, a été adonné à l’amour des femmes.
C’est ce que dit saint Jérôme dans le commentaire de ce passage : «
Antiochus fut un débauché, et, par ses rapts et ses obscénités
il abaissa tellement la majesté royale qu’il marchait en public avec
des mimes et des courtisanes, et satisfaisait ses passions en présence
du peuple. » Puisqu’il en est ainsi, est-ce d’un tel roi
que Daniel pouvait dire qu’il était indifférent aux femmes ?
L’autre raison est que, comme l’antichrist sera le futur Messie des
Juifs, que les Juifs attendront du Messie, en plus d’autres faveurs,
la multitude des femmes, il est tout à fait improbable que l’antichrist
prescrive ou loue le célibat. J’ajoute, pour finir, que si l’imposition
du célibat aux prêtres est une marque de l’antichrist, ce n’est pas
seulement le pape qui sera antichrist, mais tous les anciens pères.
Car (pour ne pas parler de ce qui sera expliqué en son lieu), écoutez
ce que disent les pères du concile 2 de Carthage : « Il a plu à tous
que les évêques, les prêtres, les diacres, ou ceux qui touchent les
sacrements, s’abstiennent de leurs femmes, en tant que gardiens
de la pudicité, pour que ce que les apôtres ont enseigné, et ce que
l’antiquité a observé et conservé, nous le gardions, nous aussi.
»
Il dit, en sixième lieu, « que
l’antichrist adore le dieu Mozim, qu’il lui rend un culte avec de l’or
et de l’argent, plaçant toute sa piété en lui, construisant
plusieurs grands temples ornés de toutes sortes de pierres précieuses,
où résonnent de magnifiques chants. » Du dieu Mozim, nous
avons déjà dit plus haut plusieurs choses. Nous avons montré lÃ
qu’il était ou l’antichrist, ou le diable que l’antichrist
adorait secrètement. Mais, il me semble que notre Illyricus
veut faire de Jésus Christ le dieu Mozim, ce qui est un blasphème intolérable.
Car, tous les temples qui sont splendidement ornés, et qui ont été,
par les souverains pontifes, recouverts d’or et d’argent, sont
consacrés et dédiés au Christ, nul ne l’ignore. Or, si
celui qui est adoré dans ces temples est le dieu Mozim, qui ne voit
que, pour les mêmes raisons, le Christ lui-même est le dieu Mozim ?
Et la construction et l’embellissement des temples n’ont pas commencé
en l’année 606, année où ils veulent que soit apparu l’antichrist,
mais trois cents ans auparavant.
Écoutez l’historien Eusèbe,
livre 9, chapitre 10, selon la traduction de Ruffin : « Tous étaient
remplis d’une grand joie infusée par Dieu, surtout en voyant ces lieux
qui avaient, peu avant, été détruits par les engins des tyrans impies,
surgir de terre plus brillants, plus éclatants qu’auparavant, comme
s’ils avaient été construits par Dieu, et remplacer les humbles lieux
de culte d’autrefois. » Et Cyrille de Jérusalem : « Les rois
qui sont maintenant, par leur piété, ont revêtu d’or et d’argent
la sainte église de la résurrection, dans laquelle nous sommes maintenant,
et l’ont rendue splendide par les statues, les autels, les colonnes,
les vases et les décorations de toutes sortes. » Au sujet
de la magnificence des temples et des vases sacrés de l’Église, voir
Eusèbe livre 3 et 4 de la vie de Constantin, saint Grégoire de Nysse
( sur le martyr Theodore) saint Grégoire de Naziance (discours 1 sur Julien),
saint Jean Chrysostome, (homélie 66 au peuple d’Antioche), saint Cyrille
d’Alexandrie (livre de la foi droite aux reines), saint Damase (vie de
saint Sylvestre ) saint Ambroise (livre 1, chapitre 21, des devoirs) saint
Jérôme (commentaire du chapitre 8 de Zacharie), saint Augustin (psaume
133 ), saint Paulin (troisième sermon sur la naissance au ciel de saint
Félix), Prudence (dans l’hymne à saint Laurent ), Procopium (dans
le livres des édifices de Justinien). Tous ces auteurs ont
surement vécu avant l’année de naissance de l’antichrist, et
pourtant, ils attestent que, à leur époque, il y a avait des églises
immenses décorées et édifiées avec un grand art, et ornées richement.
Elles étaient si magnifiques et si splendides que celles que nous
voyons maintenant ne peuvent pas en souffrir la comparaison.
Il déclare. en septième lieu,
que Daniel dit de l’antichrist qu’il enrichira ses compagnons, ce que
le pape a fait. Voulez-vous dire qu’il a enrichi Jean Eck, Jean Cochlaeus,
Jean Roffensen, Latomus, Driedonem, Tapperus, Petrus a Soto, et d’autres
grands savants qui ont travaillé jour et nuit pour réprimer vos fureurs,
sans recevoir jamais une obole du souverain pontife ? C’est qu’ils
n’attendaient aucune récompense des hommes, puisqu’ils travaillaient
pour Dieu seul. Si le souverain pontife a attribué à des cardinaux
et des évêques de riches évêchés, ce n’est pas tant lui qui les
a enrichis que la piété des fidèles. Illyricus continue. « Paul,
2 Thessal 2, a attribué 5 notes à l’antichrist. « La première,
qu’il s’assoira dans le temple de Dieu (car chaque évêque s’assoit
dans le temple de Dieu). C’est ce que fait le pape en s’imaginant être
le vicaire du Christ, et en régnant sur les consciences des hommes.
Car, s’il se présentait comme un ennemi du Christ, il serait, comme
Mahomet, en dehors de l’Église. » Mais Paul, Illyricus, a dit
non seulement que l’antichrist s’assoirait dans le temple de Dieu,
mais il explique la façon dont il s’assoirait dans ce temple, en se
montrant lui-même comme Dieu. Le pape, tu peux en témoigner
toi-même, se fait le vicaire du Christ, il ne se fait donc pas Dieu.
Car, un vicaire de Dieu ne peut pas être Dieu, à moins que tu imagines
des dieux supérieurs et inférieurs. Je te demande donc :
si le pape n’est pas à l’extérieur de l’Église, comme tu le dis
dans ton commentaire, il est donc dans l’Église. Où es-tu donc,
toi et les tiens ? En dehors de l’Église ? Car, l’Église
est une, et c’est en elle que siège le pape. Donc, si vous n’êtes
pas dans cette église-là , vous n’êtes dans aucune. Mais écoutons
le reste.
« Quand il dit qu’il s’agit
d’un mystère, je pense que cela se rapporte à ce que, peu à peu, l’évêque
de Rome se soit élevé au-dessus des autres. » J’ai déjà annoté
cela brièvement, car il ne fait que répéter ce qu’on avait écrit
avant lui. Pour vous, c’est saint Pierre qui
doit être l’antichrist, et Simon le magicien et Néron,
le Christ. Car, saint Paul n’a pas dit que le mystère d’iniquité
opèrera plus tard, mais qu’il opère maintenant. Or, si ce mystère
d’iniquité se rapporte au pontife de Rome, il doit nécessairement s’appliquer
à Pierre. Et si, ce qui est horrible à penser et difficile à écrire,
c’est saint Pierre qui est l’antichrist, qui ne voit, que Simon
et Néron, les ennemis de Pierre, sont Christ et Dieu ? Prends
pour toi ce genre de Christ et de Dieu, si ça te plait. Nous ne
te les envions pas. Mais il persiste : « L’Écriture
dit que l’antichrist viendra avec des signes menteurs. Ce que fait
le pape, comme l’histoire l’atteste. » Il ajoute : « Dieu lui
donnera un grand pouvoir de tromperie, ce que nous voyons aussi dans la
papauté. Nous croyons, en tout, au pape beaucoup plus qu’à Dieu.
» Nous avons parlé plus haut des miracles de l’antichrist au
chapitre 15. Et Illyricus ment impudemment quand il dit que les faits
nous enseignent cela, car les papes n’ont fait ni de vrais ni de faux
miracles, ni à notre époque, ni dans les siècles où, selon eux,
l’antichrist régnait d’une façon toute particulière. Et ce
qu’il ajoute au sujet du pouvoir de tromperie, il n’y a personne
qui ne voie à quel point il est facile de leur retourner l’accusation.
Car quel plus grand pouvoir de tromperie peut-on imaginer que de trouver
des gens, à notre époque, qui préfèrent prêter foi à deux ou trois
apostats plutôt qu’à l’église universelle, à tous les conciles,
à tous les pères, qui, en plus d’avoir brillé par une doctrine admirable
et une grande sainteté de vie, ont corroboré leur enseignement
divin par un grand nombre de miracles éclatants ? Et
ce qu’il fait dire à saint Ambroise a été réfuté dans la seconde
démonstration, là où nous avons prouvé que l’antichrist n’était
pas encore venu.
Illyricus ajoute une citation de
saint Paul (Timothée 1 ) : « Saint Paul enseigne à Timothée que, dans
les derniers temps, plusieurs s’éloigneront de la foi. Or, le
pape nie qu’il y a une autre foi en plus de l’historique.
Ils feront confiance à des imposteurs. Or, le pape approuve tout par les
visions des esprits et des âmes. Ils interdiront le mariage, et
l’usage des aliments. Il est connu de tous que c’est ce
que fait le pape ». Mais, mon bon, le pape a appris de saint
Paul (Ephes 4) qu’il n’y a qu’une seule foi : « Un seul Dieu, une
seule foi, un seul baptême. Or, cette foi, saint Paul ne l’a jamais
définie comme une confiance qui s’appuie sur la promesse et la parole
de Dieu, comme vous la définissez, vous (centurie 1, livre 2, chapitre
4, colonne 262). Mais, il a dit aux Romains (chapitre 10) : « Voici quelle
est la parole de la foi que nous prêchons. Si tu confesses de bouche le
Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité
d’entre les morts, tu seras sauvé. » Et aux Hébreux (chapitre 11),
il dit : « Nous croyons par la foi que les siècles trouvent leur accomplissement
dans la parole de Dieu. » Qui ne sait qu’appartiennent Ã
l’histoire sacrée et la résurrection du Christ et l’accomplissement
des siècles par la parole de Dieu ? Mais la foi par laquelle nous
croyons tout ce que Dieu a daigné révéler par les prophètes et les
apôtres nous ne l’appelons par seulement historique, mais catholique.
Car nous vous laissons l’invention de nouveaux mots. Quand
tu oses dire que tout ce que le pape approuve c’est par les visions d’esprit
et d’âmes qu’il le fait, je suis curieux de savoir quel esprit
t’a révélé cela. Il est vrai que pour confirmer ce qui se rapporte
à l’état des âmes, nous nous appuyons sur des récits d’apparitions
d’âmes, racontés par des auteurs anciens approuvés. Comme, par
exemple, ce qu’écrit Eusèbe (livre 6, chapitre 5 de son histoire ecclésiastique)
sur l’apparition de sainte Potamienne, et aussi ce qu’écrit saint
Augustin (dans son livre les soins à apporter aux morts, chapitre 16),
sur l’apparition de saint Félix de Nolin. Mais, pour confirmer
les autres dogmes, je ne connais personne qui ait jamais eu recours aux
apparitions d’âmes du purgatoire ou de saints. Mais, ce n’est
pas votre premier mensonge.
Ce que tu dis ensuite au sujet de
la prohibition du mariage et des aliments, a déjà été réfuté
parfaitement par saint Augustin (livre 30, chapitre 6, contre Faust ) :
« Vous avez en horreur la virginité, comme nous en exhorte la doctrine
apostolique : « celui qui la donne en mariage fait bien, celui qui
ne la donne pas fait mieux ». Apprenez donc que le mariage est bon, mais
que la virginité est meilleure, comme le pratique l’Église qui est
vraiment l’église du Christ. Ce n’est pas le Saint Esprit
qui vous interdirait de vous marier. Car celui qui l’interdit c’est
celui qui dit qu’il est mauvais, non celui qui fait passer le mieux avant
le bien. » Et plus bas : « Vous voyez donc qu’il y a une grande
différence entre exhorter à la virginité, en donnant la priorité
à un bien supérieur sur un bien inférieur, et interdire le mariage,
en blâmant l’accouplement qui vise à la propagation, qui est le seul
à être proprement nuptial. Il y a, de même, une grande différence
entre s’abstenir de nourritures dans un but saint, ou par mortification,
et refuser de manger ce que Dieu a créé, en prétendant que ce n’est
pas Dieu qui l’a créé. La première doctrine est celle
des prophètes et des apôtres, et l’autre des démons et des apostats.
» Ce qu’il a dit pour les hérétiques de son temps vaut parfaitement
pour ceux de notre temps. Il n’y a rien à ajouter.
Illyricus conclut en déclarant
que « tous ces signes démontrent clairement que le pape est le vrai antichrist
prédit par les Écritures. » Mais, on pourrait conclure plus
justement qu’Illyricus est un des précurseurs de celui qui parlera impudemment,
comme l’a prédit Daniel bien avant son avènement.
2017 11 27 17h17 fin
2017 11 30 20h33 début
CHAPITRE 22 : On réfute
les inepties de Tilmann
Au lieu de claironner les six cents erreurs
des pontifes, Tilmann Heshusius aurait du plutôt dénoncer les six
cents mensonges de Luther. Il consacre un chapitre entier à l’antichrist,
le trente-troisième, qu’il consolide par quatre erreurs
de son cru. La première. Les pontifes romains enseignent que
l’antichrist proviendra de Babylone, et sera issu de la tribu
de Dan (compendium theologiae, livre 7, chapitre 8). Nous rendons
grâce à Tilmman pour nous avoir persuadés que les
pontifes romains sont très antiques et très saints.
Car, si ce sont les pontifes romains qui enseignent que l’antichrist
sera issu de la tribu de Dan, sont donc des pontifes romains Irénée,
Hyppolite, Ambroise, Augustin, Prospère, Theodoret, Grégoire, Bède,
Arethas, Rupert, Anselme et Richard. Ce sont eux, en effet,
qui, comme nous l’avons montré plus haut (chapitre 12) enseignent Ã
l’unisson que l’antichrist naitra de la tribu de Dan. Mais continuons.
La deuxième. Les papistes
nient que le pontife romain, avec toute sa cour, soit l’antichrist,
bien que cela ait été démontré et prouvé par des témoignages
très convaincants et très clairs. Mais nous, ces témoignages,
nous ne les avons pas encore aperçus. Et il ne s’en trouve aucun
dans nos bibles hébraïques, grecques ou latines. Les témoignages
présentés par vos auteurs ne nomment même pas le pontife romain.
La troisième. Ils enseignent que l’antichrist ne règnera
que trois ans et demi. Je te rends des actions de grâces immortelles
pour avoir admis que sont papistes tous les anciens pères, et même
Daniel le prophète et Jean l’évangéliste. Et vous me faites
pitié, vous, qui vous vous réservez le rebut des écrivains, en
rangeant dans le camp des papistes tous les savants anciens
et tous les pères les plus illustres. Examine, si le cœur t’en
dit, ce que nous avons enseigné plus haut (chapitre 8), et tu trouveras
que les plus célèbres pères ont enseigné ce que tu appelles l’enseignement
des papistes : saint Irénée, Hyppolite, saint Cyrille, saint Jérôme,
saint Augustin, Theodoret, Primasius, Arethas, Bède.Ansemble, Richard,
Rupert, et même Daniel et saint Jean.
La quatrième. Les pontifes
romains enseignent que l’antichrist sera tué sur le mont des oliviers
(compendium theologiae, livre 7, chapitre 14). Que l’antichrist
doive être tué sur le mont des oliviers, saint Jérôme (commentaire
du chapitre 11) le déduit de Daniel et d’Isaïe. En commentant
ce passage, Theodoret enseigne, même s’il ne nomme pas expressément
le mont des oliviers, que l’antichrist sera tué près de Jérusalem.
Mais voyons plutôt par quels arguments tu réfutes ces soit disant erreurs.
Car, tu apportes immédiatement l’antidote par les paroles suivantes
: « Les rêveries pontificales sur l’antichrist, on doit les détester
et les rejeter, car elles ne s’appuient sur aucun témoignage de la sainte
Écriture. Car, comme le dit à juste titre saint Jérôme, ce qui
n’est pas basé sur l’Écriture est méprisé avec autant de facilité
qu’on a eue à l’affirmer. Et saint Paul (Coloss 2) nous demande
de nous mettre en garde contre les traditions humaines : « Je vous dis
cela pour que personne ne vous en impose par des traditions purement humaines.
» Et : « Voyez à ce que personne ne vous détourne de la voie droite
par la philosophie ». On doit donc se demander ce qu’il faut penser
de l’antichirst d’après la parole de Dieu. Comme, par exemple,
saint Jean 1,2 : « Qui est menteur si ce n’est celui qui nie que Jésus
est le Christ. C’est lui l’antichrist. » De même (2 Thessal
2) : « L’homme de péché et le fils de perdition s’élève au-dessus
de tout dieu ». De même Matth 24 : « Apparaitront des pseudos
christ et des pseudos prophètes, et ils donneront des signes. »
Daniel (11) : « Et il munira le temple du dieu Mozim ». Apocalypse
17 : « Et j’ai vu la femme ivre du sang des saints, et du sang
des martyrs de Jésus. » De ces témoignages sacrés de l’Écriture,
apparait clairement en quoi consiste la foi chrétienne dans l’antichrist,
dont le Christ et les apôtres ont prédit la venue. Et il est plus
clair que la lumière du jour que tout ce qui est écrit là se rapporte,
dans tous ses détails, au pontife romain. On ne peut avoir
aucun doute que le tyran romain ne soit le pire antichrist. »
Tu n’auras pas d’objection,
je crois, si je donne à tes arguments frustres une forme logistique, et
termine par là la dernière réfutation de tes écrits. Car, c’est
ainsi qu’a été réfutée la première erreur. Il faut rejeter
les rêveries pontificales parce qu’elles ne sont fondées sur
aucun texte de l’Écriture. Or, le Verbe de Dieu crie : celui qui
nie que Jésus est le Christ est l’antichrist. C’est donc une
erreur de dire que l’antichrist sera issu de la tribu de Juda.
On réfute de la même manière l’autre erreur. Saint Jérôme
a dit : « tout ce qui n’est pas fondé sur l’Écriture s’écroule
aussi vite qu’il a été formulé ». Or, saint Paul a dit : l’homme
du péché et le fils de perdition s’élèvera au-dessus de tout ce qui
est dieu. Donc, les papistes se trompent quand ils nient que le pape est
l’antichrist. Pour la troisième, on peut procéder de la même
manière, et avec plus de raison encore. Parce que saint Paul
a écrit : « je vous dis cela pour que personne ne vous trompe par de
fausses raisons » » Or, « apparaitront des pseudos prophètes
et des pseudos Christ, et ils feront des signes ». L’erreur
des pontifes est donc intolérable, celle qui enseigne que l’antichrist
ne règnera que trois ans et demi. Enfin, avec encore plus
de raison : Paul nous avertit de ne pas nous laisser égarer par
la philosophie, et l’antichrist munit le temple du Dieu Mozim.
Or, Jean a vu une femme ivre du sang des martyrs. Ils se trompent
donc les papistes qui disent que l’antichrist sera tué sur
le mont des oliviers.
Que le lecteur me pardonne
d’avoir tourné Tilmman en ricidule. Car, c’est l’impudence
de l’homme qui m’y a forcé. Il ne présente, en effet, rien
qui vaille la peine d’être réfuté, et, comme un vrai matador
du verbe, il se vante d’avoir apporté des démonstrations plus certaines
et plus claires que les mathématiques.
CHAPITRE 23 : On réfute les mensonges
de Chytraeus
David Chytraeus décrit la
vision de saint Jean (Apocalypse, chapitre 9). Au son de la trompette
du cinquième ange, on a vu d’abord une immense étoile tomber
du ciel sur la terre, à qui a été donnée la clef du puits de l’abyme.
On a vu ensuite une fumée très épaisse monter de l’abyme, qui obscurcit
le ciel et empoisonna l’air. À la fin, on vit sortir de la fumée
des locustes mystérieuses, qui prirent ensuite la forme de chevaux, de
lions, de scorpions et d’hommes armés. Chytraeus explique ensuite
cette vision, et déclare qu’elle convient parfaitement au pontife romain.
Il ajoute même : « On ne peut douter que, dans cette vision, soit décrit
l’antéchrist, ou le règne de la papauté romaine. » Il
place le début de cette vision en l’an 606, et il voit, dans l’étoile
tombée, le pontife saint Grégoire le grand, et ses successeurs, qui,
après avoir rejeté les clefs du royaume des cieux, ont reçu les clefs
du puits de l’abyme. Il dit aussi que la fumée qui sort du puits
représente la corruption de la doctrine, et les différentes traditions
des pontifies romains. Enfin, l’armée des locustes lui semble
être les évêques, les clercs, et les moines. Et, pour dissiper
cette fumée, il oppose, sous forme d’antithèses, la doctrine pontificale
à l’évangélique, c’est-à -dire celle de l’antichrist, à celle
du Christ. Cette doctrine évangélique différente de celle
du pape, il la présente en douze articles, qui forment un autre
symbole des apôtres.
Mais ce qu’il enseigne là on
peut le réfuter de bien des façons. Premièrement.
Son affirmation ne s’appuie sur aucun témoignage. Car tous les
commentateurs anciens de ce passage, comme Arethas, Bède, Primatius,
Anselme, Rupert, ont vu le démon dans cette étoile tombée du ciel,
non un évêque quelconque. Et Isaïe a dit du démon : « Comment
es-tu tombé du ciel, Lucifer, étoile du matin ? »
Et parce que le diable est tombé du ciel bien avant que saint Jean ne
l’écrive dans son Apocalypse, les pères ont noté que saint Jean
n’a pas dit : « J’ai vu une étoile descendre du ciel », mais
« j’ai vu une étoile qui était descendue du ciel sur la terre. »
Car saint Jean a vu par terre cette étoile qui brillait autrefois dans
le ciel. Convient parfaitement aussi au démon ce qu’on ajoute
après : « Et la clef du puits de l’abyme lui fut donnée. »
Car comme le Christ a et communique aux siens la clef du royaume
des cieux, et règne dans les esprits des fidèles et des dévots,
le diable a, lui aussi, et communique les clefs du puits de l’abyme,
et il règne dans le fils de l’impiété. Et, dans l’Écriture,
on l’appelle souvent « le prince des ténèbres, le prince de ce monde,
le Dieu de ce siècle (Jean 12, 14, 2 Corinth, 4 Éphésiens, 6 Colossiens,
1, et ailleurs). C’est lui qui, avec la permission de Dieu,
a émis la fumée des erreurs du puits de la haine; et qui, presque
à chaque siècle, a envoyé, jusqu’aux frontières de l’église,
de nouvelles armées de locustes, c’est-à -dire de nouveaux hérésiarques
avec leurs satellites. Deuxièmement. L’interprétation
que donne Chytraeus répugne à ce que Jean dit, dans le même chapitre,
du sixième ange, et de la sixième persécution. Car, saint Jean
(chapitres 8 et 9 de l’apocalypse) par les trompettes des six anges,
entend six persécutions d’hérétiques, qui vont du temps des
apôtres à la consommation finale. Le même Chytraeus a raison
de voir dans la première trompette l’hérésie des Ébionites, qui a
sévi au temps des apôtres; dans la deuxième, celle des gnostiques;
dans la troisième celle de Samosate et d’Arius, et dans la quatrième,
celle de Pélage.
Or, si par la cinquième, on entend
la persécution de l’antichrist romain qui, comme eux-mêmes le reconnaissent,
sera la dernière, que penser de la sixième ? Chytraeus répond
que par la sixième, on entend la persécution de Mahomet et des Turcs.
Mais cela, on ne peut le dire, car les mahométans ne sont pas des chrétiens,
mais des païens; et la persécution de Mahomet ne suit pas celle
de l’antichrist, mais la précède, comme nous le pensons.
Et Chytraeus sera forcé de confondre la cinquième trompette avec la sixième,
alors qu’il semble clair que chacune appartienne à une époque différente.
Les catholiques ont donc de bonnes raisons de voir dans la sixième trompette
la persécution de l’antichrist, qui sera la dernière et la pire de
toutes; et dans la cinquième trompette, l’hérésie extrêmement pernicieuse
qui précède les temps de l’antichrist, celle des luthériens
et de tous les autres protestants. Troisièmement, il fait
une grosse bourde quand il enseigne que saint Grégoire est l’étoile
tombée du ciel. Car, si on prête quelque peu foi aux témoignages
des historiens anciens, saint Grégoire n’est pas une étoile tombée
du ciel sur la terre, mais montée de la terre au ciel. Car, de préteur
il est devenu moine, de moine évêque; et il n’est jamais retourné
de l’épiscopat à la préture, ni de la vie monastique au siècle.
De la même façon, saint Basile, saint Grégoire de Naziance, saint Jean
Chrysostome, parmi les Grecs, saint Martin, saint Paulin, et saint Augustin
sont des séculiers devenus moines, et des moines devenus évêques; mais
on n’a jamais prétendu que, à cause de cela, ils étaient tombés du
ciel. De plus, saint Grégoire n’eut pas son pareil pour
la continence, la sobriété, et l’amour des choses célestes.
Il l’emporta même sur tous pas l’humilité. Et cependant, Chytraeus
a le front de dire qu’il est tombé du ciel, c’est-à -dire de la vie
céleste à la vie terrestre. Ne sait-il donc pas que Luther ( dans
la supputation des temps) a déclaré que le pape Grégoire était
un saint; que Theodore Bibliander (chronologie, table 18) a, Ã la
suite de Luther, comblé saint Grégoire d’éloges, en précisant «qu’on
peut, par ses livres, se faire une idée de son zèle pour la piété et
la doctrine »
Ne tient pas debout, non plus, ce qu’il
dit au sujet de la fumée épaisse qui sort du puits. Il y voit la
corruption de la doctrine introduite dans l’Église par saint Grégoire
et ses successeurs. Il doit pourtant savoir que saint Grégoire n’a
rien innové en ce qui a trait à la doctrine. Mais, dans le
domaine des rites et de la discipline, il a corrigé les abus
qui s’étaient glissés avec le temps, il a restitué plusieurs choses
que la négligence avait laissé tomber, et, après mure réflexion, il
a ajouté aussi de nouvelles choses, comme on peut le voir dans les quatre
livres de sa vie écrits par le diacre Jean, et par sa soixantième-troisième
épitre (livre 7) où il explique pourquoi il a rénové et institué
certains rites. Mais tout deviendra beaucoup plus clair si
on examine de près les antithèses de la doctrine évangélique et pontificale,
qu’il expose longuement, et à laquelle il renvoie souvent ses lecteurs.
1 Première antithèse « De la vraie connaissance et de la vraie invocation de Dieu »
« L’Évangile enseigne qu’il
ne faut invoquer et adorer qu’un seul Dieu, comme lui-même l’a ordonné
en paroles; et il faut placer toute la confiance de notre salut dans
la seule bonté et dans la seule miséricorde de Dieu. Les papes
enseignent qu’il ne faut pas invoquer seulement le seul vrai Dieu, mais
même des hommes morts, c’est-à -dire des saints; qu’il faut
demander et attendre d’eux du réconfort et du secours dans nos
périls. Enfin, à la façon des païens, ils lient l’invocation
de Dieu et son culte à certaines statues, supposant que l’invocation
de ces statues leur rendra Dieu plus propice. »
Comme nous avons déjà ailleurs
discuté amplement de ces choses, que cette brève démonstration suffise
! La doctrine que Chytraeus appelle pontificale n’est
pas contraire à la parole de Dieu, et n’a pas commencé au temps de
saint Grégoire. La parole de Dieu, en effet, enseigne que
Dieu seul doit être invoqué et adoré, de l’invocation et de
l’adoration qui ne sont dues qu’à Dieu seul. Car le Dieu vrai,
qui est un Dieu jaloux, ne souffre pas qu’une créature quelconque soit
considérée comme Dieu. Et pourtant, la même parole de Dieu enseigne
d’honorer les créatures excellentes, et même de les invoquer non comme
dieux, mais comme chers à Dieu et amis de Dieu. On peut dire la
même chose des rois. Ils voient d’un mauvais œil qu’on
rende à leurs serviteurs des honneurs royaux; mais ils se réjouissent
de les voir honorés et reconnus. David ne dit-il pas (psaume
98) : « Adorez l’escabeau de ses pieds » ? Et job (chapitre 5)
: « Appelle pour voir si quelqu’un te répondra. Et tourne-toi
vers un des saints. » Abdias, (Rois 3, 18) un grand homme
et un saint, ne s’est-il pas agenouillé et prostré devant
Élie ? Et quand les fils des prophètes entendirent dire que l’esprit
d’Élie reposait sur Élisée, ne l’ont-ils pas adoré par une prostration
? Et l’apôtre Paul, dans presque toutes ses épitres, supplie
les chrétiens de prier pour lui, pour qu’il soit libéré de ses nombreux
périls. On ne peut donc donner aucune raison qui prouverait
que les prières qu’on adresse aux saints diminuent l’honneur qui est
du à Dieu. Pa plus qu’on ne peut dire que l’aide qu’on demande aux
vivants diminue l’honneur qui n’est du qu’à Dieu.
Saint Ambroise, qui a vécu 200
ans avant saint Grégoire, parle ainsi (dans son livre sur les veuves)
: « Il faut prier les anges, qui nous sont donnés comme aides. Il faut
prier les martyrs. » Et plus bas : « Ne rougissons pas, dans
notre faiblesse, de nous en servir comme des intercesseurs. »
Aux statues des saints, aux tombeaux des martyrs, et aux autres monuments,
nous ne lions pas notre culte et notre invocation autrement que Dieu ne
se lie à un sanctuaire, ou au temple de Salomon. Car, même si Dieu
est partout, et même si nous pouvons lever nos mains vers lui dans n’importe
lequel lieu, ce n’est pas sans raison que le Saint-Esprit, dans Isaïe
(chapitre 6), et le Christ (matth, chapitre 21) ont appelé le temple
de Dieu maison de prière. Ce n’est pas, non plus, sans raison
que le très pieux empereur Theodose (pour omettre un grand nombre
d’exemples anciens) allait à pied, avec les prêtres et le peuple,
dans tous les lieux de prière, se prosternait, revêtu d’un cilice,
devant les reliques des apôtres et des martyrs, et demandait, avec foi,
de l’aide par l’intercession des saints. Et il est certain que
Théodose, qui a agi ainsi, et Ruffin qui l’a rapporté dans son histoire
ecclésiastique (livre 2, chapitre 33), ont précédé saint Grégoire
d’au moins deux cents ans.
2 La deuxième antithèse « Du rôle
et des bénéfices du Christ »
« L’évangile éternel enseigne
que la rémission des péchés et le salut éternel sont donnés
à cause du seul Fils unique Jésus-Christ crucifié, mort et ressuscité
pour nous, gratuitement, non à cause d’aucune de nos œuvres ou de nos
mérites. Et que cela est le propre de Dieu seul, comme il est dit
dans Isaïe (43) : «C’est moi, moi, qui efface les iniquités.
» De même, il n’y a pas de salut en d’autre. Les pontifes,
au contraire, enseignent que ce n’est pas seulement à cause des
mérites du Christ, que nous sommes justifiés et sauvés, mais en partie
à cause du Christ, en partie à cause de notre contrition, de notre
obéissance et de nos bonnes œuvres. »
Ce n’est pas cela la doctrine
catholique. L’Église n’enseigne pas que les pécheurs sont justifiés
en partie par le Christ, et en partie par leurs bonnes œuvres. Nous
distinguons, en effet, trois genre d’œuvres. Le premier
est celui où les œuvres ne se font que par les forces de la nature, sans
la foi et sans la grâce de Dieu. Et, de ces œuvres nous disons
ce que dit l’apôtre, que, sans la foi, elles ne justifient pas l’homme.
Car, si des œuvres de ce genre justifiaient, c’est l’homme qui en
retirerait l’honneur, non Dieu, comme saint Paul le dit d’Abraham
(Romains 4). Donc, de ces œuvres, il n’est pas question entre
nous, même si, sans rougir, et en mentant, vous nous les attribuez, comme
si nous enseignions que, sans le Christ, les œuvres étaient méritoires
par elles-mêmes. Il y a un autre genre d’œuvres. Celles
qui procèdent de la foi et de la grâce de Dieu, et disposent
à la rémission des péchés, comme la prière, les aumônes, les jeûnes,
la contrition, et d’autres du même genre. Ces œuvres nous
ne disons pas qu’elles sont méritoires pour la réconciliation en vertu
de la justice, c’est le plutôt le contraire que nous enseignons.
Écoutons donc le concile de Trente (session 6, chapitre 8).
« Les hommes sont justifiés gratuitement parce que ni la foi ni les œuvres
qui précèdent la justification ne la méritent, en vertu de la justice,
comme si la justification était due à ces œuvres. Nous déclarons,
cependant, que ces œuvres, du fait qu’elles proviennent de la
foi et d’un secours divin, sont divines, et sont méritoires Ã
leur manière, c’est-à -dire qu’elles implorent la rémission des péchés.
» Cela, même si vous ne l’admettez pas, la parole de Dieu, elle,
l’admet. Qu’est-ce donc que dit Ézéchiel au chapitre
18 ? « Quand l’impie se détournera de son impiété, il vivifiera son
âme. » Que dit donc aussi Daniel ? « Par les aumônes, rachète
tes péchés ! » Que dit également Jonas, au chapitre 3 ? «
Dieu a vu leurs œuvres (les jeûnes et les cilices), et a eu pitié d’eux.
» Et que dit le Christ (Luc 7) : « Beaucoup de péchés lui sont remis
parce qu’elle a aimé beaucoup. »
Cette doctrine, ce n’est pas seulement
saint Grégoire qui l’a enseignée, mais, avant lui, un grand nombre
de prêtres. Saint Ambroise (livre 10 sur Luc) : « Les larmes
ne méritent pas le pardon, mais elles le demandent. » Saint Jérôme
(livre 2 contre Pélage) : « Ceux qui confessent avec sincérité leurs
péchés méritent, par leur humilité, la clémence du Seigneur. »
Saint Augustin (épitre 105) : « Cette rémission des péchés n’est
pas non plus sans mérite, si c’est la foi qui la demande. Car
n’est pas nul n’est le mérite de cette foi par laquelle il disait
: « Aie pitié de moi pécheur. » Et il descendit,
méritoirement justifié, le croyant qui s’était humilié.
» Et, dans l’épitre 106 : « Si quelqu’un dit que la foi mérite
la grâce de bien agir, nous ne pouvons pas le nier, nous le confessons,
au contraire, de tout notre cœur. »
Le dernier genre d’œuvres, enfin,
est de celles qui sont faites par l’homme justifié, et par le Saint-Esprit
qui habite dans le cœur de l’homme, et qui procèdent de la charité
infuse. À ces œuvres, que vous le vouliez ou non, nous attribuons
le mérite. Nous ne disons pas qu’elles méritent la
rémission des péchés qui les précédent, elle qui, au sens propre,
ne peut pas entrer dans la catégorie du mérite; mais qu’elles
méritent vraiment et proprement la gloire et la béatitude éternelle.
S’il n’en était pas ainsi, comment saint Paul pourrait-il dire (2
Timothée 4) : « J’ai livré le bon combat, j’ai terminé ma
course, j’ai conservé la foi, est déjà préparée la couronne de justice
que le juste juge me rendra en ce jour ?» Car si la vie éternelle
n’est pas une récompense des bonnes œuvres, pourquoi l’appelle-t-il
une couronne de justice, et non plutôt un don de clémence ? Pourquoi
dit-il qu’elle doit être rendue et non qu’elle doit être donnée
? Pourquoi par un juste juge, et non plutôt par un roi débonnaire?
C’est donc avec raison que saint Augustin enseigne dans son épitre 105
: « La vie éternelle sans fin, qui aura lieu à la fin, est
rendue par les mérites précédents. Mais ces mérites, par
lesquels elle nous est rendue, n’ont pas été préparés par nous,
par notre suffisance, mais ont été faits en nous par la grâce, et sont
appelés eux-mêmes grâce. On ne peut donc pas dire
que la vie éternelle n’est pas donnée aux mérites, mais que sont donnés
ces mêmes mérites par lesquels elle est donnée.
Ne nous ébranlent pas non plus
ses deux citations de l’Écriture : « Je suis celui qui efface les iniquités
», et « il n’y a dans aucun autre de salut ». Car, ces textes
excluent d’autre dieu, d’autre christ, d’autre sauveur, d’autre
médecin des âmes, qui, à l’exclusion du seul vrai Dieu et du Christ
Jésus Sauveur, apporteraient le salut. Ils n’excluent pas la foi,
la charité, la pénitence, les sacrements, par lesquels, comme par des
moyens et des instruments, le mérite du Christ, par l’opération de
Dieu, nous est appliqué. Autrement, comment pourraient-ils cohabiter
avec les phrases déjà citées (« Je suis celui qui efface les iniquités;
il n’y a de salut dans aucun autre ») ces autres textes de l’Écriture
: « Ta foi t’a sauvée (Luc 7)», et « Il sauvera ceux qui espèrent
en lui (psaume 36), « Il vivifiera lui-même son âme (Ézéchiel 18)
», « La crainte du Seigneur expulse le péché (Eccl 1) », « Celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé, (Marc dernier chapitre) », «
Celui qui mange ce pain vivra éternellement (Jean V1) ». Que cela
suffise. Chytraeus continue.
3 La troisième antithèse
« L’évangile enseigne que celui,
qui fait pénitence et écoute la promesse, doit croire à la promesse
et affirmer que les péchés sont remis, à cause du Christ,
non seulement aux autres, Pierre ou Paul, mais à lui aussi; qu’il plait
à Dieu, qu’il est reçu et exaucé par Dieu; et que cette foi lui donne
accès auprès du Dieu qu’il invoque à chaque jour. Les pontifes
prétendent, eux, qu’on doit toujours douter qu’on ait
reçu la rémission des péchés. Ce doute milite contre la foi,
et est tout-à -fait païen. » Notre évangile enseigne assez
clairement qu’il faut prêter foi aux promesses de Dieu; et tous les
catholiques enseignent qu’il n’y a aucune raison d’en douter.
Mais que la rémission des péchés soit promise inconditionnellement
à tous les hommes, on ne le lit pas dans notre évangile. On lit
encore beaucoup moins que chacun doit être sur que ses péchés
sont remis par Dieu, qu’il plait à Dieu, qu’il est reçu et exaucé
par Dieu. Et ce n’est pas pour rien qu’on ne le lit pas, car
cette assurance réduirait à néant d’autres passages qui sont écrits
en toute clarté et limpidité. Le sage ne dit-il pas (Eccles 9)
: « Ils sont justes et savants, et leurs œuvres sont dans la main de
Dieu, et pourtant, l’homme ne sait pas s’il est digne d’amour ou
de haine ». Job ne dit-il pas lui aussi : « Même si j’étais
innocent, mon âme ignorera cela ? » Et plus bas : « Je redoutais
toutes mes œuvres, sachant que tu n’épargnes pas le fautif. »
Et que dire de ce que les promesses divines sont presque toutes liées
à une condition que personne ne peut connaitre avec certitude,
ou remplir comme il le faut ? Matthieu 19 : « Si tu veux entrer
dans la vie, observe les commandements. » Luc 14: « Si quelqu’un
vient à moi, et ne hait pas son père, sa mère, son épouse,
ses fils, ses frères, ses sœurs, et aussi son âme, il ne peut pas être
mon disciple. » Romains 8 : « L’Esprit rend témoignage à notre
esprit que nous sommes fils de Dieu. Si nous sommes fils, nous sommes
aussi des héritiers, des héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ,
pour que nous soyons glorifiés avec lui. » Enfin, saint Ambroise
qui est bien plus ancien que saint Grégoire, a dit (dans son sermon 5
sur le psaume 118) : « Il voulait que soit enlevé son opprobre, dont
il soupçonnait l’existence, ou parce qu’il n’avait pas fait
ce qu’il avait résolu dans son cœur, ou parce que, après avoir
été absous par la pénitence, il craignait que ne demeure encore un opprobre.
Il prie donc Dieu pour que l’enlève celui qui seul sait ce que ne peut
savoir celui qui l’a contracté ».
4 La quatrième antithèse
« L’évangile enseigne qu’il
n’y a, dans le monde, qu’un seul sacrifice qui soit propitiatoire (Hébreux
7, 10). Le Christ s’est offert une fois pour enlever les péchés.
Les pontifes enseignent que le Christ doit être offert à Dieu le Père,
à chaque jour, en sacrifice à la messe, par les prêtres. »
L’évangile enseigne, il est vrai, qu’il n’existe au monde qu’un
seul sacrifice propitiatoire, celui qui a été offert une fois sur la
croix. Les catholiques ne nient pas cela. Mais que cet unique
sacrifice ne puisse pas être répété à chaque jour dans le sacrement,
par le même pontife, l’évangile ne l’enseigne nulle part. Et
c’est ce que les catholiques affirment. Et ceux qui l’affirment,
ce ne sont pas uniquement ceux qui ont vécu après saint Grégoire, mais
tous les pères absolument qui l’ont précédé. Écoute
saint Augustin parler au nom des autres (épitre 23 à Boniface)
: « Le Christ n’a-t-il pas été immolé une fois pour toutes ?
Mais cependant, dans le sacrement, il est immolé pour les peuples,
non seulement à la fête de Pâque, mais à chaque jour. »
5 La cinquième antithèse
« L’évangile enseigne que le
péché n’est pas seulement dans les actions externes contraires à la
loi de Dieu, mais dans les doutes sur Dieu, dans la sécurité
charnelle, la contumace, et la concupiscence qui est née avec nous, et
qui demeure dans les renés, (Romains 7). Les pontifes nient que
ces mauvaises choses, qui restent dans les renés, soient des péchés
qui sont en guerre avec la loi de Dieu. » Les pontifes,
c’est-à -dire les catholiques n’ont jamais enseigné que seules les
actions externes sont des péchés. Mais, à vous, il est permis
de mentir. Cela, vous l’avez appris de votre père qui n’a pas
sur demeurer dans la vérité. Les doutes envers Dieu, la sécurité
charnelle, la contumace, et la concupiscence, si elles sont volontaires,
nous ne doutons pas qu’elles soient des péchés. Si elles sont
involontaires, comme étaient ces désirs de la chair contre l’esprit,
que ressentait saint Paul sans y consentir, nous avons toujours nié qu’elles
soient des péchés. Notre différent ne consiste pas
en ce que les paroles de saint Paul que vous trouvez vraies nous
les trouvions fausses, mais en ce que nous les interprétions autrement.
Et vous ne devez pas vous sentir humiliés de ce que nous préférons saint
Augustin et tout le chœur des saints à vos auteurs récents. Car,
voici ce que disait saint Augustin livre 1, deux épitres contre
Pélage, chapitre 13) : « Mais je crois qu’il y en a qui sont trompés
ou qui trompent les autres au sujet de cette concupiscence contre laquelle
même un baptisé doit lutter pieusement, avec grande attention et
sous le souffle de l’Esprit. Car, elle est appelée péché non
parce qu’elle est un péché, mais parce qu’elle a été faite par
le péché, comme l’Écriture appelle main ce que la main a fait.
»
6 La sixième antithèse
« L’évangile enseigne que, dans
cette imbécilité de nature, l’homme ne peut jamais satisfaire à la
loi de Dieu, et que c’est par le parfait accomplissement de la loi que
l’homme devient juste et exempt de tout péché (Romains 8). Le
sens charnel est en inimitié avec Dieu, car personne n’obéit à la
loi de Dieu, ni ne peut le faire. Les pontifes soutiennent que l’homme
peut satisfaire à la loi de Dieu, et que c’est par l’accomplissement
de cette loi qu’on devient juste et qu’on mérite la vie éternelle.
» Les pontifes, c’est-à -dire les fils de l’église catholique
ne disent pas que l’homme, dans cette imbécilité de nature, est exempt
de tout péché. Car, nous reconnaissons et nous professons qu’est
très vrai ce que dit saint Jean dans sa première épitre : « Si nous
disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes.»
Mais, parce que ces péchés quotidiens n’enlèvent pas la justice, et
qu’ils ne sont pas tant contre la loi qu’en marge de la loi de Dieu,
parce que chaque saint prie en temps opportun (psaume 31) pour la rémission
de ses fautes, et parce qu’on enseigne à tous les fils de Dieu qui sont
justes et saints de dire à chaque jour : « pardonnez-nous nos offenses
», nous ne craignons pas d’affirmer que l’homme justifié peut,
par la grâce de Dieu, et par le secours de cette grâce, accomplir la
loi et mériter la vie éternelle. Car nous connaissons celui qui
a dit (Jean 5) : « Mes commandements ne sont pas lourds à porter. »
Et qui a dit aussi (Matt 20) : « Appelez les ouvriers, et donnez-leur
à chacun leur récompense. » Et aussi : « Venez, les bénis de
mon Père, et possédez le royaume préparé pour vous. Car, j’ai
eu faim, et vous m’avez donné à manger.»
C’est pourquoi, saint Augustin,
(dans le livre de la grâce et du libre arbitre, chapitre 16) dit : «
Il est certain que nous pouvons observer les commandements si nous le voulons,
parce que notre volonté est préparée par Dieu pour que nous demandions
de vouloir seulement ce qui suffit pour que nous le fassions volontairement.
» Et (dans l’esprit et la lettre, chapitre 10) : « La grâce
n’est pas donnée parce que nous avons accompli la loi, mais pour que
nous puissions l’accomplir. » Ne nous contredit pas cette parole
de l’apôtre : « Le sens charnel est en inimitié avec Dieu. »
Car, le même apôtre avait dit auparavant (Romains 7) : « Donc,
moi-même, avec mon esprit, j’observe la loi de Dieu, mais par la chair,
la loi du péché. » Ce que nous faisons avec l’esprit, c’est
nous qui le faisons, mais ce que nous faisons avec la chair,
si cela répugne à l’esprit, n’est pas de nous, comme le dit
le même apôtre : « Si je fais ce que je ne veux pas, c’est comme
si ce n’était pas moi qui le faisais. »
7 La septième antithèse
« L’évangile enseigne
que les bonnes œuvres ne sont que celles qui sont commandées par Dieu.
C’est-à -dire, fais ces choses selon seulement la règle
que je te prescris, sans rien y ajouter, sans rien y enlever.
Les pontifes, au contraire, ont encombré toute l’Église de traditions.
» Ces choses ont été répétées des milliers de fois par vous,
et autant de fois réfutées par nous. Est faux, d’abord, ce que tu dis
que dans l’évangile les œuvres bonnes ne sont que les choses que Dieu
a ordonnées. Car, où Dieu a-t-il prescrit la virginité ?
Or, Paul n’a-t-il pas dit : « Au sujet des vierges, je n’ai pas de
commandement du Seigneur. » Et, cependant (aux Corinthiens 7) n’a-t-il
pas dit que c’était une excellente chose de demeurer vierge ?
« Celui qui marie sa fille fait bien, celui qui ne la marie pas fait mieux.
» Ne t’est donc pas d’un grand service cette règle : ne fais
que ce que je te commande de faire. Car, dans ce passage, tout ce
que Dieu prohibe c’est que nous ne corrompions pas ses préceptes, que
nous les observions intégralement, comme il les a prescrits, sans décliner
à gauche ou à droite. C’est pourquoi, saint Augustin (dans son
livre sur la virginité, chapitre 30), dit, en distinguant les préceptes
des conseils : « Car on ne dit pas : tu ne te marieras pas, comme tu ne
tueras pas. L’un est exigé, l’autre est offert librement.
On loue quelqu’un s’il fait ce qui n’est que conseillé, mais on
blâme quelqu’un qui ne fait pas ce qui est commandé. Dans l’un,
il exige un du, dans l’autre, il vous rendra ce que vous avec donné
en surplus. »
8 La huitième antithèse
« L’évangile enseigne que les
deux parties de la cène du Seigneur doivent être distribuées. Et au
sujet du calice, il a dit expressément : buvez-en tous. Les pontifes
ont statué et défini en sens contraire. » Nous n’avons pas encore
vu ce texte de l’évangile où il est dit qu’il faille donner l’une
et l’autre espèce à tous les chrétiens. Même au sujet du calice,
le Seigneur n’a pas dit : buvez-en tous, vous, les chrétiens.
Mais buvez de cela tous : tous ceux qui étaient là . Marc l’explique
quand il dit : « Ils en burent tous » : manifestement pas tous les chrétiens,
mais tous ceux qui prenaient leur repas avec le Seigneur.
9 La neuvième antithèse
« L’évangile enseigne que la
vraie pénitence, ou la vraie conversion à Dieu, est une douleur
sincère du cœur pour les péchés commis, et la foi qui nous assure
que les péchés nous sont surement remis à cause du Christ. Les pontifes,
au contraire, même s’ils énumèrent la contrition parmi les parties
de la pénitence, s’imaginent que cette rémission des péchés
est méritée. Et ils ajoutent une confession auriculaire qui n’a
pas été commandée par Dieu, et une satisfaction, ou des œuvres
non dues, par lesquelles on satisfait pour les peines éternelles
des pécheurs. Et ils imaginent même que toutes les choses peuvent
être rachetées par de l’argent. » Ce qui est un blasphème
contre la doctrine des mérites du Fils de Dieu, qui seul satisfait pour
nos péchés. » Je ne vois aucune preuve de tout cela, aucun
texte de l’Écriture. Seulement des mots creux mêlés à autant
de mensonges.
2017 11 30 20h33 fin
2017 12 04 17h14 début
9 : La Neuvième antithèse (suite et
fin)
10 : La dixième antithèse
11 : La onzième antithèse
12 : La douzième antithèse
CHAPITRE 24 : [début]
On réfute les arguments de Calvin et d’Illyricus avec lesquels ils cherchent
à prouver que le pape n’est plus évêque. On réfute aussi la fable
de la papesse Jeanne.
Ce que tu dis sur la conversion et sur
la componction, tu aurais fort bien pu l’omettre. Car nous
exigeons des pénitents un vrai regret du péché, et le ferme propos
de ne plus pécher à l’avenir. Alors que vous n’avez, vous,
pour toute contrition, je ne sais quelles terreurs de l’âme. Ce
que tu ajoutes ensuite au sujet de la foi qui certifie que nos péchés
nous sont remis, cela a déjà été réfuté plus haut. Tu
dis aussi que les pontifes romains enseignent que les pénitences temporelles
satisfont pour les peines éternelles. C’est un mensonge grossier.
Car nous ne pensons pas devoir satisfaire pour les peines éternelles,
que nous ne doutons pas avoir été remises dans la justification,
mais pour les peines temporelles, que Dieu exige de nous, ici-bas
ou dans le purgatoire, et qui servent, après le baptême,
de pénitence et de réconciliation. C’est ce qu’écrit saint
Augustin (traité 124 sur Jean) : « La peine dure plus longtemps que la
faute, de peur que la faute n’apparaisse petite si la peine finissait
avec elle. » Tu dis ensuite que la confession auriculaire n’a
pas été commandée, et que la satisfaction entre en opposition
avec le mérite du Christ. Tu le dis, cela, mais tu ne le prouves
pas. Si tu as le cœur de lire le sermon du bienheureux Cyprien
sur les renégats, tu y trouveras que la confession et la satisfaction
sont nécessaires. Il ne le dit pas seulement une fois, mais il le
répète souvent. Au sujet de l’argent qui tient lieu de satisfaction
(n’y vois pas une négociation honteuse), ce n’est rien
d’autre, pour les catholiques, qu’un changement de satisfaction
qui est fait au jugement du prêtre, comme quand le jeûne est changé
en aumônes. Mais continuons.
10 La dixième antithèse
« L’évangile enseigne que le
mariage est accordé et permis à tous les hommes, qu’ils soient laïcs
ou prêtres; et que la prohibition du mariage et des aliments est
une doctrine diabolique. Les pontifes, au contraire, interdisent
le mariage à une grande partie des hommes, aux prêtres et aux religieux,
et prescrivent l’abstention de certains aliments à certains jours.
» Mais ici, je fais la demande suivante. L’évangile enseigne-t-il
que le mariage soit permis à ceux qui ont fait un vœu de chasteté
? Peut-être à Hébreux 13 ? : « Le mariage est honorable
pour tous ». Mais non, car si « pour tous » signifiait vraiment
tous les hommes, il serait honorable à un père de se marier avec
sa fille, à une mère avec son fils, et à un frère avec sa sœur.
Et si cela ne vous plait pas, il ne nous plait pas non plus qu’on
doive appeler honorable un mariage entre un moine et une moniale,
et entre des hommes qui se sont engagés par vœu à ne pas se marier.
Ce que l’apôtre enseigne c’est que le mariage est honorable pour ceux
qui sont licitement et légitimement unis. Il vous reste donc Ã
prouver que peuvent légitimement et validement se marier ceux qui ont
fait le vœu de chasteté perpétuelle. Écoute ce que saint Jean
Chrysostome écrit (dans sa lettre 6) à un moine, Théodore, qui voulait
se marier, et qui l’avait peut-être déjà fait : « Le mariage est
honorable, mais il ne te convient plus de conserver les privilèges des
époux. Même si tu lui donnes plusieurs fois le nom de mariage,
je l’estime, moi, pire qu’un adultère. »
11 La onzième antithèse
« L’évangile enseigne qu’il
n’y a qu’un seul fondement solide et véritable sur lequel le Christ
a construit son église, le Seigneur Jésus-Christ (1 Cor. Actes 4, et
Matth 16). Saint Augustin l’interprète ainsi : sur cette pierre
que tu as connue, en disant « tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant
». C’est-à -dire que c’est sur mon Fils, le Fils du Dieu vivant,
que j’édifierai mon Église. Je t’édifierai sur moi, non toi
sur moi. Le pontife romain, au contraire, crie à haute voix
que c’est sur la pierre de l’Église romaine, et sur la succession
ordinaire des pontifes romains que l’Église de toute la planète est
édifiée. » Saint Paul ne se contredit certainement pas quand
il écrit aux Éphésiens 2 que « nous sommes surédifiés sur le
fondement des apôtres et des prophètes ». Sains Jean ne
contredit pas non plus saint Paul (« personne n’est un fondement de
l’Église en dehors du Christ, 1 Cor 3 ») quand il écrit (Apocalypse,
chapitre 21) : « Les douze apôtres sont les douze fondements de l’Église.
» Car, Paul (1 Cor 3) parlait du premier fondement, et lui-même
(Éphésiens 2) et saint Jean (apocalypse, chapitre 21) des fondements
secondaires. C’est de ce même fondement secondaire dont parle
saint Augustin contre le parti de Donat : « Énumérez les pontifes qui
proviennent du siège de Pierre. Car, c’est elle la pierre que
ne vaincront pas les portes orgueilleuses des enfers. » Sur
ce sujet, nous avons dit plusieurs choses dans le livre 1, chapitre 2 du
souverain pontife.
12 La douzième antithèse
« L’évangile enseigne qu’aucun
apôtre, aucun évêque, aucun ministre de l’évangile, n’est supérieur
à un autre, n’a un pouvoir plus grand, ni ne domine les autres
en ce qui a trait au ministère; mais que tous les ministres obtiennent
un pouvoir égal d’enseigner l’évangile, d’administrer les
sacrements, de lier les impénitents, et d’absoudre les repentants,
comme l’enseigne clairement l’Écriture (Luc 22, 1, 1 Cor 3,
verset 4, Jean 20, et Matth 18). C’est à tous les apôtres également
qu’ont été remises les clefs du royaume des cieux.
Le pontife romain, au contraire, se vante de posséder un pouvoir suprême
sur les autres évêques et sur toute l’Église, et de dégainer, de
droit divin, les deux glaives, le spirituel et le temporel. »
Je n’ai pas encore pu repérer le passage où l’Écriture enseigne
qu’un évêque ou un ministre ne possède pas un pouvoir plus grand qu’un
autre. Car les textes que tu cites enseignent le contraire.
Il est vrai que, en Luc 22, le Seigneur exhorte les siens à devenir humbles,
et interdit à ceux qui président dans les églises de gouverner à la
manière des tyrans. Il a, quand même déclaré qu’un des douze
était plus grand que les autres, et il l’a établi leur chef.
Car il a dit : « Celui qui est le plus grand parmi vous, qu’il se fasse
le plus petit, et celui qui est le chef, qu’il agisse comme celui
qui sert. » Quand l’apôtre dit (1 Cor 3) que là où il
avait planté, Apollon a arrosé, et que, comme un architecte, il
a posé les fondations, sur lesquelles les autres ont construit l’édifice,
ne dit-il pas qu’il était plus grand qu’Apollon, et que
les autres n’ont été que ses coadjuteurs ? IL est vrai
qu’en Jean 20, c’est à tous les apôtres qu’il a été dit : «
Les péchés à qui vous les remettrez seront remis. ». Mais, au
chapitre, 21 les apôtres et les autres fidèles sont placés sous
les ordres de Pierre, comme des brebis sous leur pasteur. Et c’est
au seul Pierre qu’il a été dit : « Pais mes brebis ».
Il est vrai aussi que, en Matthieu 18, il a été dit à tous les apôtres
: « Tout ce que vous délierez ». Mais, c’est au seul Pierre
qu’il a été dit (en Matt 16) : « Je te donne les clefs du royaume.
» Et il est certain qu’il ne lui aurait pas promis quelque chose
à lui seul, s’il n’avait pas voulu exprimer par là quelque
chose qui lui appartînt en propre. Mais nous avons parlé longuement
de ce sujet dans le livre premier, aux chapitres 12, 13, et 14.
À ce que tu objectes aux deux glaives de l’extravagant Boniface
V111, en te moquant de ses arguments, j’ai une réponse toute prête
à te donner. Il a puisé tout cela chez saint Bernard, qu’ont
coutume d’appeler un grand saint Mélanchton, Calvin, et
d’autres parmi les vôtres. Voir les livres 2 et 4 de la considération,
ou, si tu préfères, ce que nous en dirons dans le dernier livre
sur le souverain pontife. Que cela suffise pour ton antithèse.
Nous démontrerons maintenant que
cette vision de saint Jean s’applique parfaitement à Luther et
aux luthériens. Oui, on peut penser que c’est Luther qui
est symbolisé par cette étoile qui tombe du ciel sur la terre.
Car, de moine il est devenu laïc, de célibataire, marié, de pauvre,
riche, et il a échangé des repas sobres et frugaux contre des ripailles
et des beuveries. Qu’est-ce d’autre cela que de tomber d’une
vie céleste à une vie terrestre ? Et ensuite, la fumée du puits de l’abyme
qui a suivie sa chute, il faut être stupide ou complètement aveugle pour
ne pas comprendre sa signification. Car, avant que Luther ne se détourne
de l’Église catholique, tout l’Occident était de la même religion
et de la même foi. À quel qu’endroit que quelqu’un allât,
il y trouvait des frères, qui tous étaient dans la lumière. Mais
après la chute de Luther, une telle fumée d’erreurs, de sectes et de
schismes s’est élevée dans le ciel de l’Église, que dans la
même province, voire dans la même ville ou dans la même maison, personne
ne reconnait plus personne. Et, comme le dit l’Apocalypse,
cette fumée a obscurci le soleil et l’air. Car par soleil on entend
le Christ, et par air, les Écritures, qui nous permettent de respirer
dans cette vie, comme nos commentateurs et ceux de nos adversaires l’expliquent.
Et à quel point cette fumée a obscurci le Christ, le témoignent
la Transylvanie et les régions avoisinantes où l’on nie ouvertement
la divinité du Christ. Le témoigne aussi l’Allemagne où les
anabaptistes, par leur profession publique d’ubiquité, nient, en l’obscurcissant,
l’humanité du Christ. Il y eut certes, autrefois, des hérétiques
qui ont combattu le Christ, mais jamais aussi impudemment que les
hérétiques de notre temps. Car, plusieurs d’entre eux nient non
seulement que le Christ est Dieu, mais ils ajoutent même qu’on ne peut
pas l’invoquer, et qu’il ne sait pas ce que nous faisons. C’est
une chose horrible d’avoir à écouter ou à lire avec quelle témérité
on traite aujourd’hui des mystères du Christ.
Et, chose incroyable, avec quelle
véhémence cette fumée n’a-t-elle pas obscurci les Écritures ?
Il y a tellement de versions différentes, tant de commentaires contradictoires
que les choses qui semblaient claires autrefois sont devenues d’une épaisse
obscurité. Exemple. Qu’est-ce qu’on peut dire plus
clairement que cette parole de saint Paul : « Au sujet des vierges, je
n’ai pas de précepte du Seigneur. C’est un conseil que je donne.
» Et, cependant, tous les hérétiques de notre temps
nient, sans broncher, que, sur la virginité, il existe un conseil.
Ils ajoutent même que, dans ce passage, loin de conseiller la virginité,
saint Paul cherchait plutôt à en détourner les hommes. Qu’y
a-t-il de plus clair que cette parole du Seigneur : « Cela (hoc) est mon
corps. » Et pourtant, à notre époque, rien n’est plus obscur.
Que dire des transylvaniens ? Il est clair pour tous que saint Jean
a écrit son évangile principalement contre Cérinthe et Ébion,
qui niaient la divinité du Christ. Or, par leurs commentaires,
les transylvaniens ont fait de cet évangile une arme
contre la divinité du Christ.
Venons-en maintenant aux locustes
qui sont sorties de la fumée du puits. Par locustes, Chytraeus
entend les évêques, les clercs, et les moines. Mais son explication
déraille, car avant l’époque de saint Grégoire, il y avait des évêques,
des clercs et des moines, dans l’Église, avant même, donc, que
ne sortent ces mystérieuses locustes. Or, tout ce que saint Jean
dit de ces locustes s’applique parfaitement aux luthériens et aux hérétiques
de ce temps. Car, les locustes viennent toujours en grand nombre,
et elles ont l’habitude de foncer sur nous en escadrons. Proverbe
30 : « La locuste n’a pas de roi, et elle avance sur toutes choses en
masses désordonnées. » De la même façon, les luthériens n’ont
pas de roi, car ils nient qu’il existe une personne qui soit la tête
de toute l’Église. Néanmoins, en un bref instant, ils se
multiplièrent au point de devenir une multitude informe, sans
qu’on ait à s’en étonner, car ils ouvraient la porte à tous les
vicieux. Les gloutons accoururent à eux, parce que,
les luthériens ne connaissent pas le jeûne; les impudiques, parce
que chez eux, tous les vœux de chasteté sont réprouvés, et parce qu’ils
accordent le droit de se marier aux moines, aux prêtres, et aux vierges
consacrées; les apostats parce que, chez eux, tous les monastères
sont vidés et transformés en palais; les princes avares et ambitieux,
parce que les biens ecclésiastiques et les personnes ecclésiastiques
sont soumis à leur pouvoir; les lâches et les ennemis des bonnes
œuvres, parce que, pour eux, la foi seule suffit, et les bonnes œuvres
ne sont pas nécessaires au salut. Enfin, tous les pécheurs invétérés
et les criminels parce que, chez eux, a été enlevée la nécessité de
confesser ses péchés, et de rendre des comptes à son propre pasteur,
chose qui représentait, pour les pécheurs invétérés, un frein
important.
Saint Jean fait une description
admirable de ces locustes. Car il dit qu’elles ont une face
humaine, féminine même, que leur queue est celle des scorpions,
et leur corps celui des locustes. Elles portent sur la tête
une couronne quasi dorée, ont des dents de lions, et leur
poitrine est armée d’une cuirasse de fer. Ensuite, elles
ressemblaient à des chevaux qui piaffent d’impatience; et
le son bruyant de leurs ailes était semblable à celui de charriots
qui courent au combat. Et elles avaient au-dessus d’elles le roi
de l’abyme qui leur servait de roi, celui qu’on appelle l’exterminateur.
Leur visage attrayant signifie le début de leur prédication, qui commence
toujours par un passage de l’évangile, car ils promettent qu’ils
ne diront rien d’autre que la pure parole de Dieu. C’est
de cette façon qu’ils enjôlent facilement les simples. La queue
de scorpion signifie une fin empoisonnée et létale.
Car, après avoir présenté la parole de Dieu, ils la corrompent par une
interprétation perverse; leur queue se redresse, pique,
et infuse un virus létal. Le corps de la locuste qui n’est presque
rien d’autre qu’un ventre, (car la locuste est un animal ventru qui
ne peut ni avancer ni voler correctement, qui monte en sautant,
et qui retombe vite par terre). Elle représente les hérétiques
de ce temps qui sont des hommes qui chérissent leur ventre, qui
sont ennemis des jeûnes et de la chasteté, qui ne peuvent pas se maintenir
dans les voie des commandements, ni voler vers les contemplations célestes.
Ils essaient, parfois, de se redresser et d’amender leurs mœurs, mais,
à la façon des locustes, ils retombent par terre. On
peut en donner comme exemple la visite de Luther en Saxe. Car,
quand Luther se rendit compte qu’à cause de sa prédication de la liberté
évangélique et de l’abrogation de toutes les lois ecclésiales, les
gens se ruaient, sans aucun frein, vers les vices, il prescrivit
une visite pastorale, et rappela aux pasteurs qu’ils avaient à prêcher
la pénitence, la peur de Dieu, l’obéissance et les bonnes œuvres.
Mais sans résultat. Voir Cochlaeus dans la vie et les actes de Luther,
en l’année 1527.
De la même manière, ils essaient
de voler par la contemplation, et ils écrivent des livres sur la
trinité, sur l’incarnation et les autres mystères. Mais,
ils tombent dans de très graves erreurs, et même dans des hérésies
pernicieuses, comme leur enseignement sur l’ubiquité qui détruit tout
le mystère de l’incarnation et de la trinité. Les couronnes
sur la tête de ces locustes signifient l’arrogance et la superbe avec
lesquelles ils se placent au-dessus de tous. Luther ne dit-il pas
au prince Georges : « Depuis le temps des apôtres, aucun docteur, aucun
écrivain, aucun théologien, aucun juriste n’a si magnifiquement et
si clairement confirmé, instruit et consolé les consciences des
membres des états séculiers, comme je l’ai fait moi-même. Par une
grâce singulière de Dieu, je sais avec certitude que ni Augustin,
ni Ambroise, qui étaient pourtant les meilleurs dans ce domaine,
ne sont mes égaux.» Et que dire de ce que non seulement Luther
et Calvin ne fassent aucun cas de mille Cyprien et de mille Augustin,
mais que le dernier des luthériens n’ait que du mépris pour les papistes,
qu’il considère comme des ânes et des demeurés?
Ces couronnes étaient quasi dorées,
c’est-à -dire qu’elles paraissaient être dorées sans l’être vraiment,
car les hérétiques donnent l’impression que c’est le zèle de l’honneur
de Dieu et la charité qui les poussent à parler comme ils font,
alors que zèle de Dieu est le cadet de leurs soucis. Les dents
des lions signifient les accusations, les délations et les dénonciations
par lesquelles, dans des lettres et des sermons, ils détruisent la réputation
des pontifes, des clercs et des moines, et même des saints qui règnent
avec Dieu dans le ciel. Ils semblent se nourrir de cette chasse
aux sorcières, et ils soulèvent tant de choses qui n’existent
pas, qui n’ont pas existé, et qui probablement n’existeront jamais,
qu’ils semblent avoir éteint en eux la voix de la conscience.
Les textes que nous avons déjà cités suffisent comme preuve. La
poitrine recouverte d’une cuirasse de fer signifie l’entêtement, l’obstination.
Car, ils sont si opiniâtres que même quand on les convainc d’erreur,
ils ne cèdent pas. Ils préféreraient connaitre plusieurs
fois la mort plutôt que de reconnaitre qu’ils se sont trompés.
Leur ressemblance à des chevaux qui piaffent manifeste leur audace et
leur témérité. Car, ils jettent le gant facilement, et toisent
et narguent leurs contradicteurs, mais ils n’ont que
des mensonges à donner comme arguments. N’est-ce pas ce que conseille
Luther dans son assertion, article 25 ?
La ressemblance avec les oiseaux
signifie la rapidité avec laquelle s’est répandue, dans différents
pays, cette hérésie tentaculaire. Car elle occupa, en
peu de temps, non seulement les pays septentrionaux, mais elle osa se rendre
jusqu’aux Indes, où Dieu ne permit pas qu’elle prit racine.
Car cette nouvelle et fervente église du Christ ne méritait pas
une telle punition. Enfin, c’est le roi de l’abyme que les locustes
ont pour roi, car même si les locustes n’ont pas de chef visible,
elles ne peuvent pas être privées d’un chef invisible. « Car (Job,
41) c’est lui qui est le chef de tous les fils de l’orgueil. » Le
roi des locustes est appelé exterminateur car, par aucune autre
hérésie ou persécution, le démon n’a dévasté ou exterminé autant
l’Église que par celle de Luther. Les autres hérésies, en effet,
rejetaient un article ou l’autre du credo, mais ne renversaient pas tout
l’ordre et toute la discipline de l’Église. Or l’hérésie
de Luther, par lui-même directement, ou par ses enfants les anabaptistes,
les calvinistes, les trinitaires, les libertins, a saccagé complètement
tous les biens de l’Église dans les lieux où ils ont pu s’établir.
Car, elle enlève la trinité à Dieu, et la divinité au Christ,
par les nouveaux samosatiens. Par les anabaptistes, elle enlève
au Christ son humanité, aux anges et aux saints, le culte et l’invocation,
au purgatoire, le suffrage des vivants. Ce purgatoire,
elle a même fini par l’exterminer. Elle a enlevé à l’Église
militante, plusieurs livres de la sainte Écriture, presque
tous les sacrements, toutes les traditions, le sacerdoce, le sacrifice,
les vœux, les jeûnes, les jours de fête, les temples,
les autels, les reliques, les croix, les images, tous les monuments de
la piété. Elle a exterminé aussi les lois ecclésiastiques,
la discipline, et tout l’ordre de l’Église.
Mais elle a peut-être épargné
l’enfer pour ne pas faire injure à son roi, Lucifer. Oh
que non ! Car, plusieurs, parmi les luthériens, nient que l’enfer
soit véritable, ou qu’il soit un lieu; et ils s’imaginent
je ne sais trop quel enfer fantastique, comme nous l’avons démontré
plus haut à la descente du Christ aux enfers. Cette hérésie
peut donc véritablement être appelée exterminatrice, et elle est
vraiment digne de ce chef qui, en hébreu, se dit exterminateur.
Et je suis fort étonné que les luthériens ne déplorent
pas eux-mêmes cette extermination, aveuglés qu’ils sont par la fumée
qui sort de l’abyme. Mais, dans toute cette désolation,
une consolation demeure : les locustes ne font pas de mal aux herbes,
aux arbres couverts de feuilles ou de fruits, mais seulement aux
hommes qui n’ont pas la marque du Dieu vivant. Car, comme
cette hérésie est tout entière charnelle, elle ne peut pas
facilement tromper les bons, ceux donc les âmes sont verdoyantes, c’est-à -dire
là où bourgeonnent et fleurissent la religion, et la piété.
Voilà pourquoi nous constatons que rarement ou jamais
quelqu’un n’est passé de l’Église aux luthériens, sans avoir
commencé par mener une vie de relâchement ou de débauche.
CHAPITRE 24 : On réfute les arguments de Calvin et d’Illyricus avec lesquels ils cherchent à prouver que le pape n’est plus évêque. On réfute aussi la fable de la papesse Jeanne.
Il reste à traiter de ce que nous
avions réservé pour la fin, à savoir que non seulement le pontife romain
n’est pas l’antichrist, mais qu’il n’a jamais perdu son pontificat.
Car, Calvin et Illyricus ont cherché à prouver, l’un par la raison,
l’autre par de simples conjectures, que le pape n’est plus aujourd’hui
un vrai pape. Commençons donc par Calvin (livre 4, chapitre
7, versets 23 et 24 des institutions) : « Je voudrais savoir ce qu’est
un pontife qui est vraiment évêque. Il doit être la tête de la
charge qui est propre à un évêque, enseigner la parole de Dieu au peuple.
Il doit être différent et proche de ce même peuple, administrer
les sacrements, avertir et exhorter, corriger les pécheurs, et contenir
les fidèles dans la sainte discipline. Or, que fait le pape
de tout cela ? Ou plutôt, que fait-il semblant de faire ? Que l’on
dise donc pour quelle raison on veut que soit évêque quelqu’un qui
ne met pas la main à la pâte, qui n’est même par prêt à lever le
petit doigt ? Car, il n’en est pas d’un évêque comme d’un
roi. Si le roi n’accomplit pas le travail propre à un roi,
il conserve les honneurs et le titre. Mais, pour juger un évêque,
il faut regarder le mandat du Christ qui doit toujours être en vigueur
dans l’Église. Que les romanisants me dénouent ce nœud !
Leur pontife n’est donc pas le prince des évêques puisqu’il
n’est même pas évêque. »
Si je ne me trompe, tout ce raisonnement
peut être ramené à ce simple syllogisme. La différence qui existe
entre un évêque et un roi est la suivante. Le roi est le nom d’un
pouvoir et d’une préfecture, auquel est annexé le devoir de gouverner
le peuple; tandis que l’évêque n’est le nom que d’un devoir, celui
de proclamer la parole de Dieu et d’administrer les sacrements.
Si ni le roi ni l’évêque n’accomplissent leur devoir, le roi
retiendra son nom et sa dignité, mais l’évêque les perdra. Or,
Le pontife romain ne remplit pas la charge d’un évêque diocésain,
puisqu’il ne prêche ni ne distribue les sacrements. Il perd donc son
nom et sa dignité, et ne peut plus être appelé évêque.
Les magdebourgeois (centurie 9, chapitre 20, colonne 500) essaient de confirmer
la même chose par une conjecture et un signe. Ils disent, en effet,
que le signe évident de la mutation de l’église romaine en Babylone
la prostituée, consiste en ceci. Dieu a voulu qu’à l’époque
où cette mutation s’est opérée, une prostituée trône sur le siège
de Rome, du nom de papesse Jeanne. Les auteurs qu’ils citent sont
Platina, Martino Polo, Sigebertus, et Mariano Scoto. Ils invoquent,
aussi, comme preuve, les vestiges de cette chose qui sont demeurés jusqu’Ã
notre époque : un certain siège de porphyre perforé au centre, qui demeurerait
dans le palais de saint Jean du Latran, dont on se serait servi pour
détecter si le pontife nouvellement élu était un mâle ou non. Et d’une
statue de femme avec enfant, qui jusqu’à notre époque, est demeurée
dans le lieu où l’on dit que la papesse Jeanne accoucha. Et du fait
que, quand ils vont du Vatican au Latran, les pontifes romains ont
toujours coutume de se détourner de l’endroit où cette femme
a enfanté, en haine de ce lieu. Mais il n’est pas difficile de
dénouer ces nœuds.
Nous répondons d’abord à Calvin.
Calvin parle ou de la signification du nom, ou de la chose
elle-même, quand il dit que l’évêque est le nom d’un office, le
roi celui d’une dignité. S’il parle de la signification du nom,
il se fourvoie manifestement, car le mot episcopus vient du mot grec épiskopein,
c’est-à -dire considérer, inspecter, et se rapporte à une fonction
d’inspecteur. Le mot roi vient du verbe regere, et se rapporte
à une fonction de gouverneur. Et comme roi est le nom d’un magistrat,
épiskopos état aussi, chez les païens le nom d’un magistrat, comme
on le voit dans la comédie d’Aristophane, les oiseaux. Et
ce qui est encore plus surprenant, c’est que le nom de pasteur est donné,
dans les Écritures (Éphésiens 4, Isaïe 44), aussi bien au roi qu’Ã
l’épiscope. Si c’est
de la chose elle-même que l’on parle, il ne se fourvoie pas moins.
Car l’autorité royale n’est pas une simple tâche de juge, mais
une vraie préfecture dans les choses politiques, c’est-à -dire
le pouvoir de régir les hommes qui leur sont soumis, en commandant
et en punissant. De la même manière, le pontificat n’est pas
une simple charge de prédication, car beaucoup prêchent sans être
pontifes, mais est une vraie préfecture ecclésiastique, c’est-à -dire
un pouvoir de régir les hommes dans les choses spirituelles et divines,
et donc de commander et de punir. Nous avons déjà dit beaucoup
de choses là -dessus, plus haut, et nous en ajouterons d’autres,
au chapitre suivant. Pour l’instant quelques citations fort claires
suffiront. Saint Paul (1 Cor 11) : « Le reste, je le règlerai
quand je reviendrai. » Et (2 Cor 13) : « Pour que, présent, je
n’agisse pas avec plus de dureté, selon le pouvoir que m’a donné
le Seigneur. » Et (Hébreux 13) : « Obéissez à vos préposés, et soumettez-vous
à eux ! » Et 1 Timothée : « Ne reçois pas une accusation contre
un prêtre, sans qu’il n’y ait deux ou trois témoins. »
Ajoute aussi qu’il est faux que
les pontifes romains n’exercent pas de ministère épiscopal. Car,
ils ne sont pas tenus de prêcher et de distribuer les sacrements par eux-mêmes,
si une juste raison les en empêche. Il suffit qu’il voie à ce
que ces choses soient accomplies par d’autres. Autrement,
les évêques seraient tenus à l’impossible. Car, il n’existe
pas de diocèse si petit qui permette à un évêque de prêcher et d’administrer
les sacrements dans toutes les paroisses à la fois. Il le fait donc
là où il le peut, et, là où il ne le peut pas, il le fait faire
par d’autres. On ne manque pas d’exemples de cela dans l’antiquité.
Possidius écrit, dans la vie de saint Augustin, que l’évêque d’Hippone,
Valère, avait confié à son prêtre Augustin la charge de prêcher.
Et, au même endroit, Possidius rapporte que, dans l’église orientale,
plusieurs évêques avaient coutume de confier à des prêtres la charge
de prêcher, qu’ils n’étaient plus capables de remplir. Nous
ne nous permettons pas de dire, cependant, comme Valère ou d’autres,
que ceux qui ne prêchaient pas la parole de Dieu par eux-mêmes, n’étaient
plus évêques.
À l’argument des magdebourgeois,
je réponds que cette histoire de la papesse Jeanne est une fable, que
réfute avec beaucoup de précision Onuphrius, dans ses additions à Platina.
Que ce soit une fable, on le prouve par les témoignages des écrivains
grecs et latins. Le premier qui a pu écrire sur cette chose,
en connaissance de cause, est Athanase le bibliothécaire, qui vécut Ã
l’époque où l’on imagine qu’une Jeanne V111 a été pape, c’est-à -dire
autour de l’année 850. Il participa au couronnement de plusieurs
papes qui ont précédé ou suivi cette Jeanne. Il écrit que, après
Léon 1V, le siège est resté vacant pendant quinze jours, et que
c’est Benoit 111 qui lui a succédé. Il démontre, par ces
paroles, qu’il n’y a pas eu de papesse Jeanne. Car, tous ceux
qui admettent l’existence de cette papesse, la font siéger après Léon
1V et avant Benoit 111, et la font régner pendant deux ans et cinq mois.
On dira, peut-être, que, pour plaire aux pontifes, Anastase a omis ce
Jean V111. Mais, il aurait fallu qu’il parle d’une vacance du
siège qui a duré deux et ans et demi. Et cela, il ne pouvait le faire
sans commettre une erreur dans la chronologie, que pouvaient facilement
relever les contemporains. Ils répondront peut-être qu’il n‘y
a pas d’erreur dans la chronologie, car ces deux années de Jean
ont été ajoutées aux années de Léon IV. Anastase dit que
Léon IV a siégé huit ans, c’est-à -dire six ans de Léon et deux de
la papesse Jeanne. Mais, Anastase n’est pas le seul à donner
huit ans de règne à Léon. Martin Polonus, Platina, les magdebourgeois,
Bibliander et les autres, parmi ceux qui racontent que la papesse Jeanne
a régné deux ans et demi, donnent, eux aussi, huit ans de règne
au pape Léon. Il est donc forcé qu’il y ait une erreur dans la
chronologie d’Anastase, si on place Jeanne tout de suite après Léon.
Anastase n’est pas la seule autorité
en ce domaine. L’évêque de Vienne, Adon, qui vivait Ã
cette époque, et qu’on ne peut pas soupçonner d’avoir menti pour
plaire aux papes, enseigne qu’il n’y a eu aucun pape entre Léon
IV et Benoit III. Voici ce qu’il dit dans sa chronique, en l’année
865 : « Le pontife romain Grégoire mourut, et, à sa place, Serge est
ordonné. À sa mort, il est remplacé par Léon. Au décès de celui-ci,
Benoit lui a succédé sur le siège apostolique. » Parlent
de la même façon Rheginus, Lambertus, Hermanus, Contractus, Abbas Uspergensis,
Otho Frisigensis, et tous les autres historiens, fort nombreux, jusqu’Ã
Martin Polonus, qui vécut quatre cents ans après l’évènement.
Il fut le premier à raconter cette histoire de la papesse Jeanne, à l’encontre
de tous les témoignages antérieurs. C’est de lui que la reçut
Platina et les autres écrivains contemporains.
Non seulement les latins, mais les
grecs qui ont écrit avant Martin Polonus, comme Zonaras, Cedrenus,
Joannes Curopalates, ne font aucune mention de cette curieuse historiette.
Ils ne faisaient surement pas la cour aux pontifes romains, et ils
auraient certainement sauté sur une occasion de se moquer des latins,
s’ils l’avaient pu. Comment peut-on croire qu’un Martin
Polonus, qui a vécu quatre cents ans après les évènements, connaisse
mieux l’histoire que les historiens contemporains ?
Les magdebourgeois prétendent que, avant Martin Polonus, Sigebertus et
Marianus Scotus ont été les premiers à parler de la papesse Jeanne.
Mais cela est faux. Car, mêmes si dans les écrits de ces auteurs
qui sont imprimés aujourd’hui, on trouve le récit de la papesse Jeanne,
on ne le trouve pas dans les anciens manuscrits. Il est donc
facile de voir qu’on a corrompu le texte. Au monastère de Gemblacensi,
où vécut le moine Sigebertus, est conservé un très
ancien manuscrit qu’on croit avoir été écrit par l’auteur lui-même.
Or, dans ce livre, il n’est fait aucune mention de la papesse Jeanne.
Jean Malonanus, docteur de Louvain, qui vit encore, atteste avoir
vu ce manuscrit. C’est le même qui certifie que, dans les anciens exemplaires
de Marianus Scot, on ne trouve rien sur la fable de la papesse Jeanne.
Que ce soit une fable, le récit
de Martin sur la papesse Jeanne le prouve lui-même. Il dit d’abord
que ce Jean a été un anglais de Moguntia. Or, Moguntia n’est
pas en Angleterre, mais en Allemagne. Et ceux qui ont tenté de corriger
cette erreur se sont contredits. Car, Platina dit que ce Jean fut
un anglais, mais originaire de Moguntia. Les magdebourgeois, au contraire,
qu’il est né en Moguntia , mais qu’il était originaire de l’Angleterre.
Theodore Bibliander, dans sa chronique, affirme qu’il n’est ni
né ni n’est originaire de l’Angleterre, mais qu’il a été
éduqué et formé en Angleterre. De plus, Martin et
ceux qui le suivent, racontent qu’il est allé étudier à Athènes.
Mais il appert que ni à Athènes, ni ailleurs en Grèce, il n’y
a avait de gymnase littéraire à l’époque. Sinesyus écrit
dans sa dernière lettre à son frère, que, en son temps, il n’y avait
d’académie que de nom. Ce Synisius a vécu après saint Basile
et saint Grégoire de Naziance. Cedrenus et Zonaras (dans la vie
des empereurs Michel et Theodose), rapportent que c’est vers
la fin du règne de Michel, quand il régnait seul après avoir écarté
sa mère Théodora, que les écoles de belles lettres et de philosophie
ont été restaurées par Barda César. Car, jusqu’à cette époque,
et pendant un grand nombre d’années, les études de sagesse étaient
tellement éteintes en Grèce qu’il n‘en restait plus aucun vestige.
Or, l’on sait que la période où Michel régna seul après avoir éloigné
sa mère, coïncide avec l’époque où Nicolas I succéda à Benoit
111, qui avait lui-même succédé, comme ils l’imaginent, à Jeanne
V111. En effet, toutes les chronologies, et même celle de Bibliander,
placent le début du règne de Michel, quand il gouverna seul, en l’année
du Christ 856, et le pontificat de Jeanne, en l’année 854.
Il s’ensuit donc que c’est après la mort de cette Jeanne qu’a commencée
en Grèce, la renaissance des études théologiques.
Troisièmement. Les magdebourgeois
racontent que cette Jeanne VIII a enfanté en chemin, quand elle quitta
le Vatican pour aller visiter l’église du Latran. Or, il est très certain,
comme Onuphrius le démontre (dans le livre des sept églises) que les
pontifes romains demeuraient alors dans le palais du Latran, et qu’ils
n’ont habité dans le palais du Vatican qu’au temps de Boniface IX,
c’est-à -dire en 1390. Une question se pose donc. Si elle habitait
dans le palais du Latran, comment a-t-elle pu quitter le palais du Vatican,
pour aller voir le palais du Latran ? Il n’est que trop certain que si
quelqu’un écrivait aujourd’hui que le pape a quitté le Latran pour
aller visiter l’église du Vatican, il ferait rire de lui, puisque tous
savent que le pontife habite au Vatican. Quatrièmement, Martin et les
autres disent qu’elle a enfanté lors d’une cérémonie publique
et solennelle. Il est tout à fait improbable qu’une femme enceinte,
sur le point d’enfanter, voulut s’imposer cette démarche, puisqu’elle
risquait d’accoucher en chemin.
On prouve cela, en troisième lieu, par
une lettre de Léon 1X, un saint pontife, à l’empereur de Constantinople,
Michel (chapitre 23). Il lui dit qu’une rumeur persistante veut
que plusieurs eunuques aient siégé sur le siège de Constantinople,
et qu’une femme ait même été patriarche. Saint Léon ne reprocherait
certainement cela aux Grecs si une chose pareille s’était passée Ã
Rome. Et, c’est peut-être de là qu’est née la fable de la papesse
Jeanne. Il y eut d’abord cette rumeur qu’une femme avait été
patriarche de Constantinople. Et, par la suite, le nom de Constantinople
a pu facilement disparaitre, et seul demeurer le souvenir d’une
femme pontife, et pontife universel. Et, en haine de l’Église
romaine, quelques-uns auraient alors commencé à raconter qu’une femme
avait été pape. Et, il est vraisemblable que c’est au temps où
Martin vécut que cette rumeur a pris naissance. Il est certain,
en tout cas, que Martin Polonus, qui est le premier à raconter cette
histoire, ne cite aucun auteur, et ne fait que dire : on raconte
que. Il n’a donc pu le savoir que d’une rumeur incertaine.
Il n’y a pas lieu de s’étonner
que quelqu’un ait inventé cette fable en haine de l’église romaine,
quand on sait les énormes frictions et tensions qui existaient alors
entre les papes et les empereurs bysantins. Car, même aujourd’hui,
nous constatons que les Magdebourgeois ont inventé des choses incroyables.
Martin, en effet, avait seulement affirmé que la femme était une anglaise
de Moguntia, sans rien dire de ses parents, de son nom à elle, ou d’autres
choses. Or, les magdebourgeois ont ajouté que le père de
cette femme avait été un prêtre anglais, qu’elle avait reçue au début
le nom de Gilberte, qu’elle avait été nourrie sous un habit d’homme
dans le monastère de Fuldens, et avait écrit des livres sur la magie.
Choses écrites sans aucune référence, et sans aucune justification.
Ajoutons que ce Martin Polonus était un homme un peu simplet, qui a raconté
aussi beaucoup d’autres fables, comme si elles étaient des récits
historiques avérés. À l’objection qu’ils nous font du
siège perforé, de la statue de la femme, et du détournement de la route,
il est facile de répondre. Car, comme nous le constatons dans le
livre 1 des cérémonies sacrées, ( livre 1, section 2), il y avait
trois sièges en pierre dans la basilique du Latran, sur lesquels s’assoyait
le nouveau pontife, le jour de son couronnement. Le premier
était placé avant l’entrée dans le temple. Il était vil et
abject, et c’est là que le nouveau pontife était d’abord amené.
Il y restait assis pendant un certain temps, pour signifier par cette cérémonie,
qu’il était élevé d’un lieu bas à un lieu élevé.
Le soulevant, ensuite, ils chantaient ce texte de 1 Rois 2 : « Il relève
l’indigent de la poussière, et du fumier il élève le pauvre
pour qu’il s’assoit avec les princes, et détienne le trône de la
gloire. » Voilà pourquoi ce siège portait un nom qui se rapportait
au fumier et aux excréments. L’autre siège était de porphyre,
dans le palais lui-même, et le nouveau pape s’y assoyait, en signe de
possession; et c’est pendant qu’il était assis sur ce siège
qu’il recevait les clefs de l’église du palais du Latran.
Le troisième siège était semblable au deuxième, et il n’en était
pas éloigné. Après s’y être assis, le nouveau pape remettait
les clefs à celui qui les lui avait données, pour figurer peut-être
la mort, par cette cérémonie, c’est-à -dire qu’il lui faudra
bientôt céder sa place à un autre. D’un siège pour détecter
le sexe, il n’est jamais fait mention.
Quant à la statue de la femme avec
un enfant, elle n’était certainement pas de la papesse Jeanne.
Car, si les adversaires disent que les historiens anciens ont tu la vérité
sur cette affaire, pour ne pas offenser les pontifes romains, comment concevoir
que les pontifes romains eux-mêmes aient voulu, par une statue, immortaliser
cette honte et cette aberration ? De plus, si cette statue était
la statue de la papesse Jeanne, elle représenterait un enfant nouveau-né.
Or, l’enfant qui a été sculpté était déjà grand, et avait plusieurs
années. Voilà pourquoi certains supposent que c’était la statue d’un
prêtre païen, aux pieds de laquelle il sacrifiait. Enfin,
si les papes évitent ce raccourci quand ils vont au Latran, ce n’est
pas en haine de cette infamie, mais parce que cette rue est étroite, raboteuse,
et donc inappropriée au cortège qui accompagne le pape. Ajoutons, comme
l’atteste Onuphrius, qu’il ne manque pas de pontifes qui empruntent
parfois cette voie.
2017 12 04 17h14 fin
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 2019.