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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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2017 12 08 21h03 début

LIVRE 4 :  Du pouvoir spirituel du souverain pontife

CHAPITRE 1 : Le pape est le juge suprême dans les controverses de foi et de  morale
 Nous avons montré, jusqu’à présent, avec nos faibles moyens, que l’évêque romain est le pasteur suprême de toute l’Église catholique, qu’il a été institué par Dieu, qu’il n’a jamais dégénéré en antichrist, et qu’il n’a, en aucune façon, perdu sa dignité suprême.  Nous allons disserter maintenant de son pouvoir, autant spirituel que temporel. Du pouvoir spirituel dans ce quatrième livre.  Et, avec l’aide de Dieu, nous parlerons du pouvoir temporal dans le cinquième, qui sera le dernier.   Même s’il y a un grand nombre de choses à dire sur le pouvoir spirituel du pape, quatre questions s’avèrent particulièrement importantes.  Une sur le pouvoir de juger les controverses qui portent sur la foi et la morale : est-ce que ce pouvoir réside dans le souverain pontife ? Une sur la certitude, ou, pour le dire en d’autres mots, sur l’infaillibilité de son jugement : est-ce que le pape peut errer en jugeant des controverses de foi et de mœurs ?   Une troisième, sur la puissance coercitive des lois à porter : le pape peut-il faire des lois qui obligent en conscience, et qui obligent de croire et d’agir comme il l’a jugé ?  La quatrième, la communication de ce pouvoir. La juridiction de tous les autres ecclésiastiques leur est-elle communiquée par le souverain pontife, ou immédiatement par Dieu ?
 En plus de ces quatre questions générales, on a coutume d’en présenter aussi quelques autres. Comme, par exemple, est-ce que le souverain pontife peut convoquer, transférer, ou dissoudre des conciles généraux ?  Peut-il canoniser des saints, accorder des indulgences, approuver ou réprouver des instituts religieux, nommer ou confirmer des évêques ?  Mais ces questions, et d’autres semblables, n’appartiennent pas proprement à notre propos. La première appartient à la dispute des conciles, l’autre à la dispute de la pénitence; la troisième à la dispute du culte des saints; la quatrième, à la dispute des vœux et des instituts religieux; la cinquième à la dispute sur les clercs.  Nous les traiterons donc, ces questions, eu temps et lieu.  Ne nous retiendra pas non plus longtemps la question du juge des controverses, car, dans la dispute du Verbe de Dieu, nous avons déjà démontré que le juge des controverses n’est ni  l’Écriture, ni les princes séculiers, ni les hommes privés, si honnêtes et doctes soient-ils, mais les prélats ecclésiastiques.  Dans la dispute des conciles, nous démontrerons que les conciles généraux  sont des juges dans les controverses sur la religion, et que leur jugement devient ratifié et définitif par la confirmation du souverain pontife. Le jugement ultime appartient donc au pontife suprême.   De plus, dans la dispute sur le pontife où nous avons démontré que le pape est le pasteur et la tête de toute l’Église,  qu’avons-nous démontré d’autre que c’est lui qui est le juge suprême de toute l’Église ?  Car, ou bien il ne doit y avoir aucun juge parmi les hommes, ou le juge doit être celui qui préside à tous.  Je ne pense pas que cela ait été mis en doute dans aucune controverse.
Ce qui deviendra évident dans la prochaine controverse.  Car, si nous pouvons démontrer que le jugement du souverain pontife est certain et infaillible, il apparaitra immédiatement que le souverain pontife est le juge suprême de l’Église.  Car, comment Dieu aurait-il pu attribuer l’infaillibilité au siège apostolique, sans lui attribuer le pouvoir suprême de juge ?  Néanmoins, pour ne pas garder le silence là-dessus à ce moment-ci, présentons, si le cœur vous en dit, quelques témoignages de la loi, de l’évangile et des pères.
 Dans le Deutéronome (17), se trouve un témoignage très clair, qui montre que les doutes, en matière religieuse, doivent être référés au souverain pontife : « Si tu trouves difficile de juger entre cause et cause, lèpre et lèpre, et si tu constates qu’il y a des interprétations différentes de porte à porte, lève-toi, et monte au lieu que le Seigneur ton Dieu a choisi.  Tu iras voir un prêtre de la tribu de Lévi, et le juge qui sera en fonction à ce moment-là, et tu t’enquerras auprès de ceux qui t’indiqueront la vérité du jugement, et tu feras tout ce qu’auront dit ceux qui président dans le lieu que le Seigneur a choisi, »  Il faut observer attentivement que, dans ce passage, il y a deux personnes distinctes, le prêtre et le juge, c’est-à-dire le pontife et le prince.  Et après le prononcé de la sentence par le prêtre, c’est au juge politique qu’il faut en demander l’exécution. C’est ce qu’on explique dans ce qui suit : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir à la décision du prêtre, qui, à ce moment, exerce le ministère du Seigneur ton Dieu, sera mis à mort par la sentence du juge. »
Dans l’évangile, rien ne peut avoir été dit plus clairement que ce que Jésus a dit  à Pierre devant les autres apôtres : « Pais mes brebis ! »  Car, c’est à Pierre seul qu’il parle, et il lui remet toutes ses brebis à paître, sans en excepter les apôtres.  Or,il ne peut y avoir aucun doute que, entre les devoirs d’un pasteur, se trouve aussi celui de distinguer les bons pâturages des mauvais.  Voilà pourquoi saint Jérôme, homme très savant, écrivit au pape Damase au sujet du sens du mos grec hypostase, ne se fiant ni à son érudition propre, ni à ce qu’en pensaient les évêques orientaux, ni même son propre évêque, Paulin, patriarche d’Antioche. « Moi qui suis une brebis, je demande de l’aide au pasteur.  Je ne craindrai pas de dire trois hypostases, si tu l’ordonnes. »  Theodoret, qui était un des pères grecs les plus érudits, écrit ainsi au pape Léon : « Si Paul, héraut de la vérité, trompette du Saint-Esprit, accourut au grand Pierre, pour apporter la réponse à ceux qui, à Antioche, se disputaient au sujet des institutions légales de l’ancien testament, à plus forte raison, nous, qui sommes abjects et petits, devons-nous accourir à votre siège apostolique, pour recevoir de vous une médecine à appliquer aux ulcères de l’Église. »  Prosper (dans sa chronique, à l’année 420) : « À la fin du concile de Carthage, auquel ont participé 260 évêques, les décrets du saint synode ont été transmis au pontife Zozime.  Et, après leur approbation par le pape, l’hérésie pélagienne a été condamnée sur toute la terre. »  Le monde entier ne reconnait donc pas un juge de dernière instance qui soit autre que le souverain pontife.  Saint Grégoire, qui au jugement de tous, fut le plus humble des papes, et qui ne s’est jamais arrogé ce qui ne lui appartenait pas, dit, dans sa lettre à tous les évêques de Gaule : « Si, ce qu’à Dieu ne plaise, une dispute devait éclater pour motif de foi, ou s’il survenait un souci d’une grande ampleur, et qui, en raison de sa gravité, exige le jugement du siège apostolique, pour un examen exhaustif de la question, qu’on veille à nous mettre au courant, pour que nous  apportions la solution définitive appropriée. »   Avant et après saint Grégoire, les pontifes romains ont tenu le même langage.  Et nous n’avons jamais lu que quelqu’un ait contesté ce droit.  Voir Innocent 1 (dans son épitre au concile de Carthage), Léon 1 (dans son épitre à Anastase de Thessalie), Gélase 1 ( dans son épitre à l’évêque de dard), Nicolas 1( dans son épitre à l’empereur Michel), et Innocent 111 (dans son épitre à l’évêque d’Arles (où est conservé le chapitre « majores » sur le baptême et son effet.)
                                                              CHAPITRE 2
Avant d’en venir à la deuxième question, il faut savoir, au tout début, qu’on peut considérer le pontife de quatre façons.  Une première, en tant qu’il est une personne particulière, ou un docteur particulier.  La seconde, en tant que pontife, mais seul.   La troisième, en tant que pontife, mais avec le cercle habituel de ses conseillers. La quatrième, en tant que pontife, mais avec un concile général.    On peut observer, en second lieu, qu’on peut aussi se demander, compte tenu de ces quatre modes :  quand demande-t-on s’il peut se tromper ?   Premièrement : peut-il être un hérétique ? Deuxièmement : peut-il enseigner une hérésie ?  Il faut ensuite noter, en troisième lieu, que les sentences et les décrets des pontifes portent sur les choses universelles, qu’elles sont proposées à toute l’église, comme les décrets sur la foi, et les préceptes de morale générale.  Et même sur des choses particulières qui se rapportent à peu de personnes, telles que sont presque toutes les controverses de fait :  si un tel doit être promu à l’épiscopat, ou s’il l’a été légalement, ou s’il doit être déposé.  Cela dit, les catholiques et les hérétiques s’entendent sur deux choses.  La première. Le pape peut, quand il est seul, ou avec son cercle de conseillers, ou même dans un concile général, errer dans des controverses qui portent sur des faits particuliers, même dans des questions universelles de droit, tant de foi que de mœurs, et cela, par ignorance, comme cela arrive à d’autres docteurs.  Ensuite, les catholiques, mais non les hérétiques, s’entendent sur les deux choses suivantes.  Le pontife agissant avec un concile général ne peut errer en définissant des décrets de foi et de morale.  Tous les fidèles doivent obéir au souverain pontife quand seul, ou en conseil, il se prononce sur une matière douteuse, qu’il puisse errer ou pas.
Il ne reste plus que quatre sentences différentes.  La première. Le pontife en tant que pontife, et même avec un concile général, peut être hérétiques lui-même, et enseigner à autrui des hérésies. Et cela s’est déjà produit.  C’est l’opinion des hérétiques de notre temps, et surtout de Luther qui, dans le livre des conciles, a noté les erreurs des conciles généraux que le souverain pontife a approuvées.  Et de Calvin qui, (livre, 4, chapitre 7. Verset 28 des institutions) affirme que le pontife, avec tout le collège des cardinaux, a manifestement enseigné une hérésie en disant que l’âme de l’homme s’éteint avec le corps.  Ce qui est un mensonge grossier, comme nous le démontrerons plus loin.  Il enseigne ensuite dans le même livre (chapitre 9, verset 9) que le pape peut errer, même quand il agit avec un concile général.     La deuxième sentence est qu’un pontife, en tant que pontife, peut être hérétique, et enseigner l’hérésie, s’il définit quelque chose dans un concile général, ce qui s’est parfois produit.  Cette opinion est soutenue par Nil (dans son livre contre la primauté du pape), par quelques docteurs parisiens comme Gerson et Alma (livre du pouvoir de l’Église), ainsi que par Alphonse de Castro (livre 1, chapitre 2, contre les hérésies) et le pape Hadrien V1 (questions sur la confirmation) qui tous placent l’infaillibilité dans les jugements sur les choses de foi, non dans le pontife, mais seulement dans un concile général.   L’autre sentence va à l’autre extrême.  Le pontife romain ne peut en aucune façon être hérétique, ni enseigner publiquement l’hérésie, même s’il définit une vérité à lui seul.  La quatrième sentence est dans un juste  milieu.  Qu’il puisse être hérétique ou pas, le pontife ne peut, en aucune façon, définir quelque chose d’hérétique, comme devant être cru par toute l’Église.  C’est la sentence la plus commune des auteurs catholiques.  Saint Thomas (2, 2, question 1, art 10), Tomas Waldensis (livre 2, doctrine de la foi catholique, chapitres 47 et 48),  Jean de Turrecremata (livre 2, summa, chapitre 109 et suivants, Jean Driedonis (livre 4, sur les dogmes de l’église,chapitre 3, part 3),  Cajetan (opuscule du pouvoir du pape et du concile, chapitre 9) Hosius (livre 2 contre Itrentium), Jean Eck (livre 1 sur la primauté de Pierre, chapitre 18), Jean de Louvain (livre de perpet cath Petri protect et firmit, chapitre 11), Pierre a Solo (dans son apologie par 1, chapitres 83, 84, et 85) et Melchior Cano (livre 6, chapitre 7, des lieux).
Mais ces auteurs ne semblent pas être toujours du même avis.  Car, quelques-uns soutiennent que le pontife ne peut errer s’il procède avec circonspection, et écoute l’avis des autres pasteurs.  Mais d’autres disent que, même seul, le pontife ne peut, en aucune façon, errer. Mais il n’y a pas entre eux de véritable dissentiment.  Car les derniers ne veulent pas nier que le pontife soir obligé d’agir prudemment et d’écouter ce que pensent les autres pasteurs.  Tout ce qu’ils veulent dire, c’est que cette infaillibilité ne réside pas dans le collège des cardinaux ou dans l’assemblée des évêques, mais dans le pontife seul.  Et les premiers ne veulent pas non plus placer l’infaillibilité dans les conseillers, mais dans le seul pontife. Mais, ils se croient obligés d’expliquer que le pontife doit faire tout ce qu’il peut pour consulter les doctes et les experts dans un domaine.  Et si quelqu’un posait la question suivante : le pontife errerait-il s’il faisait une définition témérairement ?  Sans aucun doute, ces auteurs répondraient qu’il ne peut arriver qu’un pontife définisse une vérité de foi ou de morale témérairement.  Car, celui qui a promis la fin a promis aussi les moyens qui sont nécessaires à l’obtention de cette fin.  Il serait de peu de profit de savoir que le pontife romain n’errera pas quand il fait une définition non témérairement, si nous ne savions pas que la providence de Dieu ne permettra pas qu’il définisse une vérité témérairement.
De ces quatre sentences, la première est hérétique.  La deuxième, nous ne disons pas qu’elle est hérétique, car nous voyons que l’Église tolère ceux qui la soutiennent.  Pourtant, elle semble tout à fait erronée, et proche de l’hérésie, et mériterait d’être déclarée hérétique par l’Église.  La troisième est probable, mais non certaine.  La quatrième est très certaine, et elle doit être soutenue.  Pour mieux expliquer et confirmer, établissons certaines propositions.
                                                            CHAPITRE 3
On établit la première proposition du jugement infaillible du souverain pontife
Que la première proposition soit formulée comme suit. Le souverain pontife ne peut errer en aucune façon quand il enseigne l’Église en matière de foi.  Elle est contre la première et la deuxième opinion, et pour la quatrième.  On la prouve par cette promesse du Seigneur (Luc 22) : « Simon, Simon, voici que Satan a demandé de vous cribler comme le froment. Mais, j’ai prié pour toi,  pour que ne défaille pas ta foi. Et toi, quant tu seras revenu à toi-même, confirme tes frères. »  On a coutume d’expliquer ce texte de trois façons.  La première est celle des Parisiens cités plus haut, à savoir que le Seigneur a prié pour l’église universelle, Pierre représentant toute l’église. Et il aurait demandé que la foi de l’Église catholique ne fasse jamais défaut.  Si l’on entendait cette interprétation au sens où, en priant pour la tête, il priait pour tout le corps qui était représenté par la tête, elle dirait la vérité.  Mais ce n’est pas le sens qu’ils lui donnent. Ils veulent, de toute évidence, qu’il ait prié pour la seule Église.
Cette interprétation est fausse,  d’abord parce que le Seigneur n’a désigné qu’une seule personne, en disant deux  fois : Simon, Simon, et en ajoutant plusieurs fois le pronom de la deuxième personne : pour toi, pour ta foi, et toi, tes frères.  Pourquoi,  si ce n’est pour que nous comprenions que quelque chose de tout à fait spécial a été demandé pour Pierre.  Ensuite, parce que le Seigneur a commencé à parler au pluriel : « Satan a demandé de vous cribler », et qu’il a ensuite changé sa façon de parler, en disant : « Et moi, j’ai prié pour toi ».  Pourquoi n’a-t-il pas dit « pour vous », en conservant le pluriel ?  Il est certain que s’il avait parlé de l’Église toute entière, il aurait du dire : j’ai prié pour vous.  De plus, le Seigneur fait une demande pour celui à qui il a dit : « quand tu seras converti ».  Il est certain que cette demande ne convient pas à l’Église, à moins de dire que toute l’Église devra être pervertie avant d’être de nouveau convertie.  Enfin, il prie pour celui à qui il a dit : «Confirme tes frères. »  Mais l’Église n’a pas de frères qu’elle puisse ou qu’elle doive confirmer.  Car, qui, je le demande, peut imaginer que l’Église universelle a des frères ?  Les fidèles ne sont-ils pas tous ses fils ?
L’autre interprétation est celle des auteurs de notre temps, qui enseignent, que, dans ce passage, le Seigneur a prié pour la persévérance finale du seul Pierre.  Mais, au contraire, parce que le Seigneur a prié un peu après pour la persévérance de tous les apôtres, et même de tous les élus (Jean 17 : « Père saint, conserve-les dans mon nom, ceux que tu m’as donnés »), il n’y avait pas de raison de demander une fois de plus la persévérance de Pierre, car la persévérance dans la foi est le don commun de tous les élus.   Troisièmement. Il est certain que, dans ce texte, le Seigneur a prié, au moins médiatement, pour les autres apôtres, quand, comme introduction à la demande, il en avait comme donné la cause en disant : « Satan a demandé de vous cribler ».  Le Seigneur n’a donc pas demandé la persévérance pour le seul Pierre, mais pour un don qui devait être communiqué à Pierre pour l’utilité de tous.  Quatrièmement. Ce don est demandé pour Pierre, mais il appartient aussi à ses successeurs.  Car c’est pour l’Église que le Christ a prié pour Pierre, puisque  l’Église a toujours besoin d’être confirmée par quelqu’un dont la foi ne puisse pas faire défaut.  Or, le diable n’a pas demande de cribler seulement ceux qui croyaient alors, mais tous les croyants de tous les temps; et le don de persévérance n’appartient pas à tous les successeurs de Pierre.  Enfin, le Seigneur n’a pas dit qu’il priait pour que ne défaille pas sa charité, mais sa foi. Et nous savons fort bien qu’ont défailli la charité et la grâce de Pierre quand il a renié le Seigneur.  Mais, nous savons aussi pertinemment que sa foi n’a jamais défailli.
Est donc vraie la troisième interprétation selon laquelle le Seigneur a demandé deux privilèges pour Pierre. Le premier.  Qu’il ne puisse jamais perdre la vraie foi, quelles que soient les tentations du démon.  Ce qui est quelque chose de plus que le don de la persévérance, car on dit qu’il persévère jusqu’à la fin, même celui qui tombe en chemin et se relève ensuite, et est trouvé fidèle à la fin.  Or, le Seigneur a demandé pour Pierre qu’il ne puisse jamais tomber, chose qui se rapporte à la foi.   Un autre privilège consiste en ce que, en tant que pontife, il ne puisse jamais enseigner quelque chose de contraire à la foi, ou que, sur son siège, ne s’assoie jamais quelqu’un qui enseignerait contrairement à la vraie foi.    Le premier de ces privilèges, il ne l’a peut-être pas communiqué aux successeurs, mais le second, il l’a surement légué.
Sur le  premier privilège, nous avons, des témoignages des anciens.  Saint Augustin (dans son livre sur la correction, chapitre 8) : « Quand il a prié pour que ne défaille pas sa foi, il a prié pour qu’il ait, dans la foi,  une volonté très libre, très forte, invincible et persévérante. »  Saint Jean Chrysostome (homélie 83 en Matthieu) : « Il n’a pas dit :  pour que tu ne renies pas, mais pour que ne défaille pas ta foi. « C’est par un soin particulier et une faveur particulière qu’il a été donné que la foi de Pierre ne s’évanouisse pas. »  Theophylacte (chapitre 22 de Luc) : « Même si, pendant un bref temps, tu dois être ébranlé, tu as, au fonds de toi, les semences de la foi.  Même si le vent fera tomber des feuilles, la racine demeurera vivante, et ta foi ne mourra pas. »  Par cette comparaison, il explique que Pierre, en reniant le Christ, a perdu la confession de la foi qui se fait par la bouche, car les feuilles signifient des paroles, mais qu’il n’a pas perdu la foi qui est dans le cœur, par laquelle on croit de façon à être justifié.  Saint Prosper donne la même explication (livre 2, de la vocation des Gentils, dernier chapitre).  Bien que ces pères ne se souviennent pas de l’autre privilège, ils ne le nient pourtant pas.  Et  ils ne peuvent non plus le nier, à moins qu’ils aient l’intention de contredire les nombreux autres pères.
De l’autre privilège nous avons les témoignages de sept anciens souverains pontifes.  Lucius premier, pape et martyr (lettre 1 aux évêques de Gaulle et d’Espagne) : « L’Église est romaine, apostolique, et mère de toutes les églises, celle qui ne s’est jamais écartée du sentier de la tradition apostolique, qui n’a jamais succombé, qui n’a jamais été corrompue par les nouveautés des hérétiques, selon cette promesse du Seigneur lui-même : « J’ai prié pour toi. » Félix 1 (dans sa lettre à Begninum), dit, en parlant de l’église romaine : « Pour que demeure intacte, en toi,  la norme de la foi chrétienne  reçue dès le début des princes des apôtres du Christ, selon cette parole : « J’ai prié pour toi… »  Saint Léon (sermon 3 de son intronisation) : « Le Seigneur a pris un soin spécial de Pierre, et il a prié en particulier pour la foi de Pierre, pour que, si l’esprit du prince n’est pas vaincu, la condition des autres soit plus assurée.  C’est donc sur Pierre que la force de tous se fonde.  Et l’aide de la divine grâce est ordonnée de telle façon que la fermeté qui est attribuée à Pierre par le Christ, soit conférée par Pierre aux autres apôtres. »  Saint Léon reconnait ici l’un et l’autre privilège.  Le premier quand il dit : « Si l’esprit du prince n’est pas vaincu », et le second quand il ajoute : « la  fermeté qui est attribuée à Pierre par le Christ est conférée aux apôtres par Pierre. »  Car, il ne peut apporter aux autres la fermeté autrement qu’en enseignant la vraie foi.  Agathon (dans l’épitre à l’empereur Constantin, qui a été lue au synode 6, acte 4, et qui a été ensuite, à acte 8, approuvée par tous) : « Voici la règle de la vraie foi que, dans la prospérité et l’adversité, a tenue vigoureusement l’église apostolique du Christ, qui, par une grâce spéciale de Dieu, ne s’est jamais détournée du chemin de la tradition apostolique, ni n’a jamais succombé aux dépravations des nouveautés hérétiques, parce qu’il a été dit à Pierre : « Simon, Simon, j’ai prié pour toi. »  En ce passage, le Seigneur a promis que la foi de Pierre ne défaillirait jamais, et il lui a demandé de confirmer ses frères. C’est ce que les prédécesseurs de ma petitesse ont toujours fait fidèlement, comme chacun peut en témoigner. »
Nicolas 1 (dans la lettre à l’empereur Michel) : « Les privilèges de ce siège sont perpétuels, divinement enracinés et implantés qu’ils sont.  On peut les lui retirer, mais on ne peut les effacer.  Les choses qui ont été faites avant votre règne, demeurent, grâce à Dieu, inchangées, et elles le demeureront après vous. Elles  ne cesseront de subsister tant que sera prêché le nom du Christ. »  Et pour montrer pourquoi il parlait avec tant d’assurance, il ajoute : « Car, parmi les autres privilèges qui nous sont accordés d’une façon toute particulière, il y a celui-ci que Pierre a entendu du Seigneur : « Quand tu seras converti, confirme tes frères. »  Léon 1X (dans sa lettre à Pierre d’Antioche) : « Il n’y en a qu’un seul pour qui le Seigneur témoigne avoir prié afin que ne défaille pas sa foi, en disant : « J’ai prié pour toi ». Cette prière vénérable et efficace a obtenu que jusqu’à présent la foi de Pierre n’ait jamais défailli, et qu’elle ne défaille pas non plus dans l’avenir, comme nous le croyons. »  Innocent 111 (dans son épitre à l’évêque d’Arles, et dans les chapitres majeurs sur le baptême et son effet) : « Les causes majeures de l’Église, surtout celles qui se rapportent aux articles de foi, celui--là comprend qu’elles doivent être référées au siège de Pierre, qui sait pour qui le Seigneur a prié afin que ne défaille pas sa foi. »  On doit prêter foi aux déclarations de ces pontifes, parce qu’ils étaient saints, et parce qu’ils étaient bien placés pour connaitre la véritable autorité du siège apostolique.
En plus de ces pontifes, ne manquent pas les auteurs qui commentent ce passage dans ce sens. Theophylactus (dans le chapitre 21, Luc) enseigne ouvertement que ce privilège a été donné à Pierre en tant que chef et tête des autres, et qu’il était donc donné à tous ceux qui lui succéderaient dans la principauté : « Parce que je te considère le chef des disciples, confirme les autres. Et cela, convient à toi qui, après moi, es pierre et fondement de l’Église. »   Pierre Chrysologue (dans son épitre à Eutychès qui se trouve dans le tome du concile d’avant le concile de Chalcédoine) : « Nous t’exhortons, frère honorable, à prendre en considération, par un acte d’obéissance, ce qui a été écrit par le bienheureux pape de l’église romaine, car, le bienheureux Pierre, qui vit et préside dans son siège propre, apporte à ceux qui la recherchent la vérité de la foi. »  Même si cet auteur ne se réfère pas explicitement au passage de l’évangile cité (j’ai prié pour toi), on ne peut douter que c’est à lui qu’il pense quand il affirme, avec tant d’assurance, que c’est le siège romain qui présente la vérité de la foi à ceux qui la recherchent.   Saint Bernard (épitre 190 à Innocent) : « Il faut référer à votre apostolat les périls et les scandales du royaume de Dieu, ceux-là surtout qui portent sur la foi.  Car  je pense que   là où la foi ne peut trouver de défaillance, se trouve  un arbitre très capable de réparer les dommages causés à la foi.  Car, à quel autre siège a-t-il jamais été dit : « J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas. »
Voici quelles sont les objections qu’on fait à cette interprétation du texte.  La première. L’église romaine n’existait pas encore quand le Christ a promis à Pierre que ne défaillirait pas sa foi.  Et le Seigneur n’a fait aucune mention du siège romain.   Comment donc peut-on  prétendre que le Seigneur ait promis quelque chose au siège de l’église romaine quand il a dit : « J’ai prié pour toi. »   La deuxième.  Si ce qui est dit à Pierre est dit aussi aux successeurs, le « quand tu seras converti » est dit aussi de ses successeurs.  Les successeurs de Pierre doivent donc tous renier d’abord le Christ, et se convertir ensuite.  Je réponds à la première qu’on dit que le Christ a prié pour le siège romain, parce qu’il a prié pour Pierre et ses successeurs qui ont fixé leur siège à Rome.  Je réponds à la deuxième qu’il n’est pas absurde de dire que la conversion de Pierre ne se réfère pas à la pénitence de Pierre, mais aux tentations des autres, et que le sens ne soit pas : « Toi, quand, du péché, tu seras retourné à Dieu par la pénitence, confirme tes frères ». Mais, « toi, dont la foi ne peut pas défaillir, quand tu en verras d’autres qui hésitent et vacillent, tourne-toi vers eux, et confirme-les dans la foi ».  Car, le Seigneur n’avait pas encore prédit à Pierre sa chute, mais, c’est plus tard qu’il le ferait.  Ne serait-il pas absurde  de penser que  la conversion a été prédite avant  le reniement, la résurrection avant la chute ?
Je dis, en second lieu, que  si nous acceptons que le sens porte sur une conversion après un reniement, la nécessité de confirmer les frères n’entraînera pas nécessairement, pour les successeurs, la nécessité de se convertir après un reniement. Car, se convertir du péché ne se rapporte aux hommes qu’en tant que personnes privées, puisque  la conversion est un don personnel.  Mais c’est en tant que chef et prince des autres que quelqu’un confirme ses frères. Voilà pourquoi ce privilège passe aux successeurs.    En second lieu, on prouve cette conclusion par la promesse elle-même faite à Pierre en Matth 16 : « Sur cette pierre, je bâtirai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »  Car, comme nous l’avons montré au livre 1, chapitre 10, le mot pierre, ou fondement de l’Église  se dit de Pierre en tant que recteur suprême de l’Église.  Et, en conséquence, chacun de ses successeurs est également pierre et fondement.   De quoi on peut tirer deux arguments.
Le premier vient du nom de pierre. Pour  quelle raison le pontife est-il appelé pierre  si ce n’est en raison de la constance et de la solidité ?  Il est certain que s’il est une pierre, il ne se fissurera pas : il ne sera pas emporté par tout vent de doctrine.  C’est-à-dire que, en tant que pontife,   il n’errera pas dans la foi. Le deuxième vient de la nature même du fondement qui soutient un édifice  qui ne peut pas s’écrouler.  Or, si, par nature, tel édifice ne peut pas s’écrouler, son fondement ne peut pas, non plus, s’écrouler.   Car, on ne peut comprendre comment un fondement puisse être détruit sans que l’édifice ne s’écroule.  On a plus de raison de penser qu’un fondement ne peut pas être détruit, si son édifice ne peut pas s’écrouler.  Car ce n’est pas le fondement qui tire sa fermeté de la maison, mais la maison du fondement.  Et, c’est dans ce sens que tous les pères ont commenté ce texte, et c’est de là qu’ils déduisirent que Pierre et ses successeurs ne pouvaient pas errer.
 Origène dit, en commentant ce texte : « Il est manifeste, même si cela n’est pas dit expressément,  que les portes de l’enfer ne peuvent prévaloir ni contre Pierre, ni contre l’Église. Car, si elles pouvaient prévaloir contre la pierre sur laquelle l’église est fondée, elles prévaudraient aussi contre l’Église. »  Saint Jean Chrysostome dit, en commentant ce texte, que seul Dieu a pu faire en sorte que l’Église, fondée sur un pêcheur et un homme du commun, ne tombe, exposée comme elle  est à tant de violentes tempêtes. »  Saint Cyrile, d’après saint Thomas (dans la chaîne) a écrit : « Selon cette promesse faite à Pierre, l’église apostolique demeure étrangère à  toute déviation et à toute séduction hérétique. »  Théodoret (dans l’épitre à René, prêtre de Rome) : « Ce siège tient le gouvernail qui guide toutes les églises de l’univers, parce qu’il a été toujours exempt de la puanteur des hérésies. »  Theodoret semble argumenter ainsi : le gouvernement de toute l’Église doit appartenir au siège qui ne peut pas errer dans la foi.  Or, nous voyons que seul le siège romain a été exempt de toute sorte d’hérésie.  Il est donc clair que c’est là que se trouve le gouvernement de toutes les églises.   Saint Jérôme (dans sa lettre à Damase sur les hypostases), après avoir dit : « Je sais que c’est sur cette pierre qu’est édifiée l’église », ajoute : « Je demande que, par écrit, tu m’autorises soit à ne pas parler soit à parler de trois hypostases.  Et je ne craindrai pas de dire trois hypostases, si tu m’en donnes l’ordre. »   Il affirme ici qu’il suit en toute sécurité la  sentence du pontife, car il sait sur qui l’église est fondée, et que le fondement de l’église ne peut pas être détruit.
Saint Augustin (dans le psaume contre le parti de Donat) parle ainsi : « Énumérez, par ordre,  les prêtres qui ont été détenteurs du siège de Pierre   Quiconque lui succède est la pierre que les portes orgueilleuses de l’enfer ne vaincront pas. »  Gélase (dans l’épitre à l’empereur Anastase) : « Voilà ce sur quoi veille très attentivement l’église romaine.  Puisque la confession glorieuse de l’apôtre est la racine du monde, elle s’applique à se tenir à l’abri de toute contagion, de toute perversion.  Car si (ce que Dieu empêche, et ce qui ne peut pas arriver, nous le croyons) une telle chose arrivait jamais, où irions-nous chercher la confiance nécessaire pour résister à l’erreur ? »  Gélase enseigne ici que le siège apostolique ne peut pas errer. Car, comme sa prédication ou sa confession est la racine du monde, tout le monde serait dans l’erreur si elle était dans l’erreur.  Saint Grégoire ( au livre 4 de son épitre, 32,  à l’empereur Maurice) démontre qu’il est impossible que l’archevêque de Constantinople soit évêque universel et tête de toute l’Église, car plusieurs évêques de Constantinople ont été des hérétiques publics, et même des hérésiarques comme Macodonius et Nestorius.  Car, si elle était universelle, il s’ensuivrait que sa ruine entraînerait la ruine universelle de toute l’Église.  De même ( au livre 6 de l’épitre 37 à Euloge) : « Qui ne sait que la sainte Église est fondée sur la solidité du prince des apôtres, à qui il a été dit : sur cette pierre je bâtirai mon église, et toi, quant tu seras converti, confirme les autres ?   Comme saint Grégoire l’enseigne ouvertement, la fermeté de l’Église dépend de la fermeté de Pierre. Pierre, peut donc moins errer que ne le peut l’Église.
On le prouve, en troisième lieu, par les paroles de Jésus en saint Jean : « Pais mes brebis ».  Car, que, par ces paroles, saint Pierre ait été institué pasteur et docteur de toute l’Église, nous l’avons démontré plus haut au livre 1, chapitres 14, 15 et 16.  On peut en déduire le raisonnement suivant. Le pontife est le pasteur et le docteur de toute l’Église.  L’Église en entier est  tenue de l’écouter et de lui obéir. S’il errait, toute l’Église serait donc dans l’erreur.   On répondra que l’Église a l’obligation de l’écouter s’il enseigne la vérité. Autrement, il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.   Mais qui jugera que le pontife enseigne la vérité ou pas ?  Car, il n’appartient pas aux brebis de juger si le pasteur se trompe, même pas dans les choses les plus douteuses. Et les brebis chrétiennes n’ont pas un docteur ou un juge supérieur auquel recourir.  Car, comme nous l’avons montré plus haut (livre 2, chapitres 13 et 14), on peut en appeler de toute l’Église au pontife.  Mais on ne peut pas en appeler du pontife lui-même.   Il sera donc nécessaire que toute l’Église erre si  le pape erre.  On répondra qu’on peut recourir à un concile général.   Mais, comme nous l’avons démontré plus haut, non seulement le pape est au-dessus des conciles, mais les conciles généraux se sont souvent trompés, et se sont vus refuser l’approbation du souverain pontife, comme les conciles d’Éphèse 11, d’Ariminensis et d’autres.
 On répondra encore qu’on peut recourir à un concile auquel participe le pape, car un concile avec le pape est supérieur à un pape seul.  C’est le contraire qui est vrai, car c’est à Pierre, non à l’assemblée des évêques, que le Christ a dit : « J’ai prié pour toi », et « Pais mes brebis ».  C’est aussi le seul Pierre qu’il a appelé pierre et fondement, non Pierre avec l’assemblée des évêques.   De plus, il arrive souvent que la convocation d’un concile soit impossible, comme ce fut le cas dans les trois premiers siècles à cause des persécutions continuelles des païens.  Ce qui n’aurait pas empêché  l’Église des premiers siècles de durer telle quelle jusqu’à la fin du monde.   Il faut donc qu’il y ait, dans l’église, en dehors des conciles généraux, un juge qui ne peut pas errer.  Et, dans le cas d’un concile tenu en présence d’un pape, qu’arriverait-il si les pères du concile étaient d’un avis contraire à celui de leur président,  le pape en personne ?  Comment sortir de cette impasse ?  Il faudrait, certes, un autre juge.  Le concile, en ce cas, ne pourrait pas être juge ultime, car  les conciles sans le pape peuvent se tromper, comme ils l’ont fait.  Il reste donc que le juge suprême et ultime doit être le pape, et qu’en conséquence, il ne peut pas se tromper.
On le prouve, en quatrième lieu, avec des textes de l’ancien testament, qui fut une image du nouveau.  Dans Exode 28, le Seigneur prescrit que la doctrine et la vérité soient placées  dans le rational du souverain pontife.  Le mot s’écrit comme ceci en hébreu.   Il est à observer que ni les Hébreux ni les chrétiens ne s’entendent sur le sens de ces deux mots.  Rabbi Salomon veut que ce soit le nom de Dieu (Yavé) écrit sur le rational, de la flamboyance duquel le prêtre connaissait la divine réponse quand quelqu’un l’interrogeait.  Arias Montanus (dans son apparatus) enseigne que ce sont douze pierres très éclatantes, sur lesquelles étaient écrits les noms des douze fils d’Israël,  que le Seigneur ordonna de placer sur le rational;  et il mêle à son récit beaucoup de fables.  Ce qu’écrit saint Augustin (question 117 de l’Exode) semble plus probable : les mots mis au milieu du rational sont, selon lui,  ceux qui pendaient sur la poitrine du prêtre.  Il ne faut pas tenir compte de l’objection faite par les Juifs et les judaïsant qui soutiennent que le mot hébreu ne signifient pas vérité, mais perfection, de la racine…. Il faut  croire saint Jérôme qui traduit doctrine et vérité, et les septante qui traduisent aussi alèteian (vérité) et dèlôsin (doctrine) plutôt que tous les rabbins.  Et il faut ajouter que le mot hébreu provient de la racine « il enseigna », et l’autre mot hébreu de la racine « il crut ».
Le Deutéronome (17) explique pourquoi les mots vérité et doctrine devaient être écrits sur la poitrine du pontife suprême, quand il dit à ceux qui ont des doutes sur le sens de la loi divine de monter voir le souverain pontife, pour en recevoir la droite explication.  Et il ajoute : « Ce sont eux qui t’indiqueront la vérité du jugement. »  Et par un signe, et par la parole, le Seigneur a promis que sur la poitrine du prêtre suprême demeureraient la doctrine et la vérité; et que, donc, il ne se tromperait pas quand il explique la loi au peuple.   Or, ce qui  convenait à l’ancien sacerdoce convient encore plus au sacerdoce chrétien.   Voilà pourquoi Pierre de Ravenne exhorte Eutychès «  à tenir compte soigneusement, dans un esprit d’obéissance, des écrits du bienheureux pape de la ville de Rome, parce que Pierre, qui vit et préside sur son propre siège, apporte la vérité à ceux qui la recherchent. »
On le prouve, en cinquième lieu, par l’histoire, et cela, de deux façons.   C’est un fait historique bien établi  que tous les sièges patriarcaux ont erré dans la foi; que des hérétiques et des hérésiarques ont été patriarches, et ont enseigné, en tant que tels, des hérésies condamnées par l’Église. Tous, sauf le siège de Rome.  Sur le siège de Constantinople ont siégé Macédoine, Nestorius, Serge.  Sur celui d’Alexandrie, les ariens Grégoire et Lucius, Dioscorus, Eutychès, Cyrus le monothélite, et d’autres.   Dans celui d’Antioche, Paul de Samosate, Pierre Gnaphaeus eutychien, Macaire le monothélite, et, avant lui, Eutychès, et les ariens Irénée et Hilaire.  On ne peut  montrer rien de tel sur le siège romain.  L’histoire nous démontre que c’est vraiment pour l’église romaine que Jésus a prié afin que sa foi ne vacille pas.  Ce qui fait dire à Rufin (dans son exposition du symbole) : « Dans l’église de la ville de Rome, aucune hérésie n’a jamais pris naissance, et c’est là qu’est conservée la tradition antique. »  On peut aussi ajouter, comme preuve historique, que le pontife romain a condamné plusieurs hérésies sans avoir recours à un concile général, comme celles des pélagiens, des priscilliens, des joviniens, des vigilants;  et  beaucoup d’autres erreurs que l’Église considéra comme de vraies hérésies ,  après qu’elles aient été condamnés par le souverain pontife.  C’est donc un signe que l’Église estime que le pape ne peut pas errer dans ces choses.  Voir Prosper (dernier livre contre Collat.) et Pierre le diacre (dans son livre à Fulgence sur l’incarnation et la grâce du Christ).
2017 12 08 21h03 fin

 2017 12 12 17h13 début

CHAPITRE 4 : l’église romaine particulière

Seconde proposition. Le pape n’est pas le seul à ne pas errer dans la foi, l’église romaine n’erre pas, non plus.  Il faut noter ici que c’est dans un sens différent qu’il faut prendre la fermeté de l’église romaine dans la foi, et la fermeté du pape dans la foi.  Car, le pontife romain ne peut pas errer en jugeant, quand il juge et définit une question de foi.  L’Église romaine, c’est-à-dire le peuple et le clergé de Rome ne peut pas errer d’une erreur située au niveau des personnes,  de façon que tous absolument errent dans la foi, et qu’il n’y ait, dans l’église de Rome, aucun fidèle qui adhère au pape.  Même si chacun peut individuellement et séparément errer, il ne peut pas arriver que tous errent simultanément, et que toute l’église romaine apostasie.  On peut entendre de deux façons cette impossibilité d’errer qui est propre à l’église romaine.  Une première. Tant que le siège du pape continue à demeurer à Rome.  L’autre.  Parce que le siège apostolique ne peut pas être transféré ailleurs.  Et selon le premier sens, notre proposition est très vraie.  Les auteurs cités, en effet, comme les papes et martyrs Lucius et Félix,  ainsi que Cyrille et Ruffin,  ont affirmé que ce n’est pas seulement le pape qui ne peut  pas se tromper, mais l’église romaine.
 De plus, saint Cyprien (livre 1, épitre 3) :  « Ils osent naviguer jusqu’à la chaire de Pierre, et l’église principale ….sans penser que ce sont des romains, et que la perfidie ne peut pas avoir accès auprès d’eux. »  Saint Jérôme (livre 3, apologie contre Ruffin) : « Sache que la foi romaine, louée par la voix apostolique, ne reçoit pas ce genre de prestiges.  Même si un ange annonçait quelque chose que ce qui a été prêché d’abord, ce qui est scellé de l’autorité de Paul ne peut pas être changé. »  Saint Grégoire de Naziance (dans le chant de sa vie, avant le milieu) : « Rome a la foi droite depuis les temps anciens.  Et elle la retient toujours, puisqu’il  convient à la ville qui, par la grâce de Dieu, préside  à tout l’univers,  de conserver la foi intègre. »  J’ajoute les témoignages de deux pontifes que les hérétiques, méprisent mais que les catholiques honorent.  Le premier est celui du pape Martin V qui, dans la bulle qu’il édita pour approuver le concile de Constance, déclara qu’étaient hérétiques ceux qui comprennent les articles de foi autrement que l’église romaine les comprend.  L’autre est celui du pape Sixte 1V qui, dans un concile, et par lui personnellement, condamna les articles d’un certain Pierre oxonien, un de ces articles étant que l’église romaine peut errer. On pourrait peut-être entendre cette phrase du seul souverain pontife. Mais comme l’église romaine n’est pas constituée du seul pontife, mais aussi du peuple, quand les pères et les pontifes soutiennent que l’église romaine ne peut pas errer, ils veulent dire que, dans l’église romaine,  il y aura toujours un pontife qui enseigne de façon orthodoxe, et un peuple qui accepte son enseignement.
 L’inerrance de l’église de Rome prise au second sens est une croyance pieuse et probable, mais non certaine.  Elle n’est certes pas certaine au point que l’opinion contraire puisse être déclarée hérétique, ou manifestement erronée, comme l’enseigne avec raison Jean Driedo (livre  4, chapitre 3, part. 3, sur les dogmes ecclésiastiques et sur l’écriture).  Que ce ne soit pas de foi que le siège apostolique ne puisse pas être séparé de l’église romaine, on le déduit de ce que ni l’Écriture ni la tradition n’enseignent que le siège apostolique soit rivé à Rome de façon à ne pouvoir jamais être transféré ailleurs.  Et tous les témoignages des pères et des pontifes, à l’effet que l’église de Rome ne peut pas errer, peuvent s’entendre de l’église romaine tant que demeurera en elle le siège apostolique, non absolument parlant et inconditionnellement.
C’est pourtant une opinion pieuse et très probable que la chaire de Pierre ne puisse pas être séparée de Rome.  On le prouve par le fait qu’il y soit demeuré si longtemps, en dépit des infinies persécutions et du grand nombre d’occasions d’en sortir.  La première occasion de transférer le siège apostolique dans un autre lieu s’est présentée aux temps des empereurs païens.  Car ces empereurs voyaient d’un mauvais œil que le siège apostolique de la chrétienté résidât à Rome; et presque aussitôt qu’ils apprenaient qu’un nouveau pape avait été sacré, ils le mettaient à mort ou ils l’envoyaient en exil.  Voilà pourquoi saint Cyprien louait la patience du pape Corneille (livre 4, épitre 2) : « Quel courage tu as manifesté en acceptant l’épiscopat !  Quelle force de caractère, quelle fermeté dans la foi ! Siéger sans peur à Rome sur la chaire épiscopale quand un tyran impie menace les prêtres de Dieu de supplices connus et inconnus; et quand ce tyran estimerait plus tolérable et plus supportable d’entendre dire qu’un prince rival s’est soulevé contre lui, qu’un nouvel évêque de Dieu a été installé à Rome. »
 Il eut, au temps des Goths, une autre occasion de transférer le siège apostolique.  Car, au temps d’Innocent 1, Alaric s’empara de la ville, la pilla, l’incendia, comme saint Jérôme le rapporte dans sa lettre ad principiam sur la mort de Marcella.  Ensuite, au temps de Léon 1,  Genséric s’empara de nouveau de la ville, et la pilla, comme l’écrit Blondus (livre 4, décade 1).  À la suite de quoi, Rome demeura sans habitant pendant un certain temps.   Au temps du pape Vigile, Totilas saccagea la ville de Rome, abattit les murailles, et incendia presque toutes les maisons. La désolation fut telle que ni homme ni femme n’y demeura, comme l’écrit Blondus (livre 6, décade 1).  Ensuite, pendant tout le temps des Lombards, les pontifes romains eurent beaucoup à souffrir, comme les lettres du bienheureux Grégoire nous le révèlent.  Les évêques de Rome n’eurent cependant jamais l’idée de déplacer le siège apostolique.  La troisième occasion se présenta au temps de saint Bernard, à cause d’une persécution provenant des citoyens romains.  Et pendant un grand nombre d’années, les citoyens romains rendirent la vie si impossible aux souverains pontifes qu’ils furent souvent forcés de s’exiler momentanément, comme le rapportent les historiens, et comme on peut le lire dans la lettre 242 de saint Bernard, et dans la lettre 243 à l’empereur Conrad.     La quatrième occasion se présenta quand les pontifes romains demeurèrent en Gaule pendant 70 ans.  Puisqu’ils avaient décidé, eux et toute la curie, de s’éloigner de Rome, pourquoi, je le demande, n’ont-ils pas transféré le siège apostolique ?  Pourquoi n’ont-ils pas changé l’épiscopat romain en épiscopat avignonnais ?  Et en dépit de toutes les autres occasions de transférer le siège, ils sont demeurés à Rome pendant 1500 ans. Il est donc très probable que le siège ne puisse pas être transféré.
 On peut le prouver, en second lieu, en affirmant que c’est Dieu lui-même qui a ordonné que le siège apostolique de Pierre soit muté à Rome, ce que Dieu ordonne ne pouvant pas être changé par les hommes. Que ce soit Dieu qui l’ait ordonné l’atteste le bienheureux Marcel, pape et martyr, dans sa lettre aux Antiochiens.  Il dit, dans cette lettre, que c’est sur l’ordre du Seigneur que saint Pierre a transféré son siège d’Antioche  à Rome.  L’atteste aussi saint Ambroise (dans son discours sur la basilique à être livrée aux ariens). Il dit que le Christ a voulu que saint Pierre meure à Rome, et que c’est pour cela que, quand saint Pierre fuyait, il lui a dit qu’il venait à Rome pour être crucifié de nouveau.  Ce qui est un signe manifeste que Dieu voulait, par la mort de Pierre, établir là son siège.   Saint Léon (sermon de la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul) : « Le trophée de la croix du Christ tu as voulu l’apporter dans la citadelle romaine, où, par des décrets divins, précédaient et l’honneur du pouvoir et la gloire de la passion. »   Quelqu’un dira que cet argument semble vouloir prouver que le siège de Rome ne peut pas être transféré ailleurs, car il est de foi que les préceptes de Dieu ne peuvent pas être modifiés. Si donc c’est Dieu qui a ordonné que le siège apostolique réside à Rome, il semble que ce soit de foi qu’il ne puisse pas être transféré ailleurs.
 Je réponds qu’on ne peut pas tirer cette conclusion, car les papes Marcel et Léon n’ont pas défini cela comme de foi,  mais ils n’ont fait que le rapporter sous forme de récit.  Seuls les décrets des papes sont de foi, non leurs récits.   Ensuite, quand ils ajoutent que c’est sur l’ordre de Dieu que saint Pierre a transféré son siège d’une ville à l’autre, on peut entendre cela de deux façons.  Une première.  Le Seigneur est vraiment apparu à saint Pierre, et lui a donné cet ordre de vive voix.   Il faudrait alors dire que c’est vraiment en vertu d’un précepte divin que le siège de Pierre a été transféré à Rome.  Une deuxième.  Que le Christ n’a pas donné cet ordre, mais qu’on dit qu’il l’ait ordonné, parce que Pierre  a fait cela sous l’inspiration de Dieu, comme on peut dire que tous les décrets et préceptes de l’église sont divins, même s’ils sont modifiables.  Et même s’il était prouvé que le Christ avait commandé à Pierre de transférer son siège à Rome, on ne pourrait pas en conclure qu’il a ordonné, par le fait même, qu’il y demeure jusqu’à la fin du monde.  Et comme il n’y a aucune preuve certaine que le Christ ait ordonné à Pierre de fixer son siège à Rome, il n’est donc pas de foi que c’est par un précepte divin et immuable que le siège de Pierre ait été situé à Rome.  Mais, comme nous l’avons déjà dit, c’est quelque chose de très probable, et de pieusement crédible.  Ne s’oppose pas à cela le fait que, au temps de l’antichrist, Rome sera désolée et consumée par le feu, comme on le déduit du chapitre 17 de l’Apocalypse.  Car, cela n’arrivera qu’à la fin du monde. Et, de plus, on appellera encore le souverain pontife évêque de Rome, même s’il n’y habite plus, comme cela est arrivé au temps du roi des Goths, Totila, comme nous l’avons dit plus haut.  Ajoutons que saint Augustin, et d’autres commentateurs anciens ne veulent pas voir Rome dans la ville enflammée, mais la cité du diable, constituée de la multitude des impies.
                                                                           CHAPITRE 5
                                                                  Les décrets sur la morale
 La troisième proposition peut être comme suit.   Le pontife suprême ne peut pas errer dans les décrets de foi, et il ne peut pas errer non plus dans les décrets sur la morale qui sont prescrits à toute l’église, et qui portent sur les choses nécessaires au salut, qui sont en elles-mêmes bonnes ou mauvaises.  Nous disons d’abord que le pontife romain ne peut pas errer  dans les préceptes qui sont prescris à toute l’église;  mais que, dans des jugements particuliers, il n’est pas absurde de penser qu’il puisse errer. Nous ajoutons, en second lieu « les choses qui sont nécessaires au salut, ou qui sont bonnes ou mauvaises en elles-mêmes », car il n’est pas erroné de dire que, dans les autres lois, il puisse se tromper, en faisant une loi superflue, ou moins appropriée.  Éclairons le tout par des exemples.  Il ne peut pas arriver que le pontife erre en prescrivant un vice, comme l’usure, ou en proscrivant une vertu, comme la restitution, car ces choses sont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, bonnes ou mauvaises.  Il ne peut pas arriver non plus qu’il prescrive quelque chose qui soit contraire au salut,  comme la circoncision, ou le sabbat, ou qu’il interdise quelque chose qui est nécessaire au salut, comme le baptême ou l’eucharistie.  Mais qu’il commande quelque chose qui n’est ni bon ni mauvais en soi, ni contre le salut, mais est tout simplement inutile, et qu’il le prescrive sous peine de péché grave, il n’est pas absurde de dire que cela peut arriver, même si les sujets n’ont pas à porter de jugement sur cette chose, mais uniquement à obéir.
 On prouve la proposition qui veut que le pape ne peut pas errer dans des préceptes moraux nécessaires au salut.  Car, alors, toute l’Église, serait grièvement blessée, et elle errerait dans des choses nécessaires au salut, ce qui va contre la promesse du Seigneur en Jean 16 : « Quand viendra l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité. »  Toute vérité, certainement, nécessaire au salut.  En second lieu, parce que, alors, le Christ manquerait à son église dans des choses nécessaires.  Or, si Dieu ne manque à personne dans les choses nécessaires, à plus forte raison, ne manque-t-il pas à son église.
 Que le pontife romain ne puisse pas errer dans ce qui est en soi bon ou mauvais, on le prouve ainsi.   Car alors, on ne pourrait plus appeler l’église sainte, comme on l’appelle dans le symbole des apôtres.   Car la sainteté implique principalement la profession de la vraie foi, qui exclut toute fausseté, tout mal.  Car, alors, elle errerait nécessairement dans la foi, puisque la foi catholique enseigne que toute vertu est bonne, tout vice mauvais.  Or, si le pape errait en prescrivant les vices, et en interdisant les vertus, c’est-à-dire en prescrivant quelque chose de manifestement vicieux, qui n’en a pas l’apparence, et en proscrivant quelque chose de vertueux qui n’aurait pas l’apparence de vertu, l’Église serait tenue à croire que les vices sont bons, et les vertus mauvaises, à moins qu’elle veuille pécher contre sa conscience.  Car, dans les choses qui sont douteuses, l’église est tenue d’acquiescer au jugement du souverain pontife, de faire ce qu’il prescrit, et de ne pas faire ce qu’il interdit.  Et pour ne pas agir contre sa conscience, elle est tenue de croire bon ce qu’il prescrit, et mauvais ce qu’il interdit.
                                                                        CHAPITRE 6
                                         Le pontife en tant que personne particulière
 La quatrième proposition.  Il est probable et pieux de croire que le souverain pontife ne peut pas errer non seulement comme pontife, mais qu’il ne peut pas être hérétique comme personne particulière, en croyant obstinément quelque chose de faux qui est contre la foi.  On le prouve en disant que son état semble requérir une disposition spécale de la providence de Dieu.  Car le pontife non seulement ne doit pas prêcher une hérésie, mais il ne le peut  pas.  Il  doit toujours enseigner la vérité.  Et il le fera, sans aucun doute, puisque le Seigneur lui a ordonné de confirmer ses frères, et qu’il a ajouté précisément à cause de cela : « J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas. »  C’est-à-dire pour que, au moins sur ton siège, ne fasse pas défaut la prédication de la vraie foi.  Et comment, je le demande, un pontifie hérétique pourra-t-il confirmer ses frères dans la foi, et prêcher toujours la vraie foi ?  Dieu peut sans doute extorquer, d’un cœur hérétique, la confession de la vraie foi, comme il a placé des paroles dans la bouche de l’ânesse de Balaam.  Mais ce serait faire violence à la nature humaine, et ne correspondre pas à la façon habituelle de la providence de Dieu, qui est de tout disposer suavement.  On le prouve ensuite par ce qui est arrivé jusqu’à aujourd’hui.   Car, jusqu’à présent, nul n’a été hérétique, et de personne on ne peut prouver avec certitude qu’il a été hérétique.  C’est donc un signe qu’il ne peut pas l’être.  Vous en apprendrez davantage en lisant Pighium.
                                                                      CHAPITRE 7
                                   On solutionne des objections qui viennent de la raison
 On tire des arguments contraires et de la raison et de différents papes.  D’abord, de la raison.  Plusieurs canons enseignent que le pape ne peut pas être jugé, à moins qu’on trouve qu’il a dévié dans la foi.  Il peut donc dévier de la foi, car, au cas où ne le puisse pas, ces canons auraient été décrétés pour rien.  Concile 5, sous Symmaque, can si papa dist 40, et le concile 8, acte 7.  Ainsi que Anaclet,  épitre 3, Eusèbe, épitre 2, et Innocent 111, sermon 2, sur la consécration d’un pontife.   Je réponds que tous ces canons parlent de l’erreur personnelle d’un pontife, non d’une erreur judiciaire.  Car, s’il peut être hérétique, le pontife ne le pourra qu’en niant une vérité  définie auparavant.  Il ne peut, en effet, être un hérétique quand il définit quelque chose de nouveau, quand cela ne va pas contre ce qui a été déjà défini par l’Église.  Or, les canons cités parlent expressément d’une hérésie.  Ils ne parlent donc pas d’une erreur judiciaire, mais personnelle du pontife.  Je dis, en second lieu, que ces canons ne veulent pas dire que le pontife peut errer comme personne privée, mais seulement que le pontife ne peut pas être jugé.  Mais, cependant, comme il n’est pas absolument certain qu’un pontife romain ne puisse pas être hérétique, voilà pourquoi ils ont ajouté, pour plus de sureté,  à moins qu’il ne devienne hérétique.
 Le deuxième argument tiré de la raison.  Si le pontife, à lui seul, peut définir infailliblement des dogmes de foi, ou les conciles sont convoqués pour rien, ou ils ne sont pas absolument nécessaires.   Je réponds qu’on ne peut pas tirer cette conclusion. Car, même si l’infaillibilité est dans les mains du pontife, il ne doit pas, à cause de cela, faire peu de cas des moyens humains et ordinaires, par lesquels on peut parvenir à la vraie connaissance d’une chose.  On peut considérer comme un moyen ordinaire un concile majeur ou mineur, selon la grandeur ou la petitesse de la chose en question.  Ce qui ressort clairement de l’exemple des apôtres.  Car, il est certain que saint Pierre ou saint Paul, pouvaient,  à eux seuls, définir infailliblement cette controverse, mais ils ont préféré convoquer un concile (actes 15).  Ensuite, les définitions de foi dépendent principalement de la tradition apostolique, et du consensus des églises, pour qu’on connaisse, quand se pose une question, quelle est l’opinion de toute l’Église, et quelle tradition les églises  du Christ conservent.   Il n’existe donc rien de mieux que de réunir les évêques de toutes les provinces, pour que chacun rapporte quelle est la tradition de son église.   De plus, les conciles sont très utiles, et très nécessaires pour imposer une fin aux controverses, et  pour qu’on ne fasse pas que composer des décrets, mais pour qu’on voie à ce qu’ils soient observés.  Car, au cours d’un concile général, tous les évêques souscrivent, et s’engagent à faire observer ce décret, et à le prêcher dans leurs églises respectives.   Sans concile général, il n’est pas aussi facile de porter à la connaissance de tous un décret sur la foi. Car, quelques-uns prétexteront l’ignorance du décret, d’autres se plaindront de ne pas avoir été invités, d’autres diront ouvertement que le pontife a pu commettre une erreur.  Mais on a déjà parlé de ces choses ailleurs, livre 1 sur les conciles, chapitres 10 et 11.
 Troisième raison. Si un jugement du pontife sur la foi était infaillible, seraient hérétiques, ou seraient du moins convaincus d’une erreur pernicieuse, et pêcheraient gravement ceux qui soutiendraient obstinément quelque chose de contraire à la définition du pontife.  Mais, cela est faux, car Cyprien a tenu tête  opiniâtrement au pontife Étienne, quand il a défini que les hérétiques ne devaient pas être rebaptisés, comme il appert de la lettre de Cyprien à Pompée. Mais, non seulement il ne fut pas hérétique, mais il ne pêcha pas mortellement.  Car, les péchés mortels ne s’effacent que par la pénitence, même si quelqu’un meurt pour la foi.  Et cependant, l’Église compte Cyprien parmi ses saints, bien qu’il  semble qu’il n’ait jamais renoncé à son erreur. On le confirme par saint Augustin (dans le livre 1 sur le baptême, chapitre 18 et ailleurs), qui dit que les églises ont vacillé sur cette question, et que Cyprien et les autres pouvaient, sans rompre le lien de la charité, penser différemment tant qu’un concile général ne se fût prononcé.   Saint Augustin ne pensait donc pas que le jugement du souverain pontife était infaillible.
 Je réponds à cet exemple, que saint Cyprien ne fut pas un hérétique. On  ne peut pas le classer parmi les hérétiques manifestes qui affirment que le pape peut se tromper, car, sans doute possible, le pape n’avait pas défini ex cathedra que les hérétiques ne devaient pas être rebaptisés, même s’il avait ordonné de ne pas les rebaptiser.  Il n’a pas, en effet,  excommunié Cyprien et les autres qui pensaient le contraire.  Et même si, dans un concile d’évêques (80), Cyprien statua qu’il fallait rebaptiser les hérétiques, il ne chercha pas en faire un article de foi, affirmant en toutes lettres qu’il ne voulait pas, à cause de cela, se séparer de ceux qui pensaient autrement.  Ne répugne pas à ce que je viens de dire ce qu’écrivent Eusèbe (livre 7, chapitre 4, histoire ecclésiastique) et saint Augustin (le livre sur l’unique baptême, chapitre 14) au sujet du pape Étienne.  Il a ordonné non seulement que ceux qui avaient été baptisés par les hérétiques ne soient pas rebaptisés, mais il a pensé qu’il devrait excommunier ceux qui n’obéiraient pas.  Mais même s’il eut l’intention d’excommunier ceux qui n’obéiraient pas, il n’est pas allé plus loin que la menace.  Car, on apprend, par le texte de saint Augustin cité plus haut, qu’Étienne et Cyprien ont toujours été en bons termes.   Ce qui nous permet aussi de répondre à la confirmation. Car, même après la définition du pontife, il fut loisible de penser autrement, comme le dit saint Augustin, car le pontife ne voulut pas, sans un concile général, en faire un article de foi.  Tout ce qu’il voulait, c’était, entretemps, conserver l’antique coutume.
 Cyprien pêcha-t-il mortellement en n’obéissant pas au souverain pontife ? Ce n’est pas du tout certain.  D’un côté, il ne semble pas avoir mortellement péché, car il ne pêcha que par ignorance.  Il pensa, en effet, que le pontife avait pernicieusement erré, et, tant qu’il demeurait dans cette opinion, il était tenu de ne pas lui obéir, parce qu’il ne devait pas agir contre sa conscience.  L’ignorance de saint Cyprien ne semble pas avoir été crasse, ni volontaire, mais probable, et donc excusant d’un péché mortel.  Car, il savait que le pontife n’en avait pas fait une définition de foi, et il constatait que les évêques d’Afrique étaient de son avis.  C’est pourquoi saint Augustin, (livre 1, chapitre 18, contre Donat), enseigne clairement que saint Cyprien n’a péché que véniellement,  qu’il a maintenu le lien de la charité, et qu’il a été purifié de cette faute par le glaive du martyre.  Et, au chapitre 19, il dit que ce péché fut, dans la blancheur de son âme,  une tache  que recouvraient les fruits de sa charité.
 Mais, d’un autre côté, il semble avoir mortellement péché quand il n’a pas obéi  à un ordre explicite du pontife suprême, et quand il dénigra sans modération la juste décision du pontife.  Car, même si le pape Étienne n’avait pas défini cela de foi, il avait ordonné expressément de ne pas rebaptiser les hérétiques, comme Cyprien lui-même le reconnait dans sa lettre à Pompée.  Cyprien devait obéir à ce commandement, et soumettre son jugement au jugement de son supérieur.  Il devait à tout le moins s’interdire d’employer des mots méprisants, scabreux,  du genre de ceux qu’il emploie dans cette lettre, le traitant d’orgueilleux, de dictateur, d’esprit aveugle et fruste.  C’est pourquoi saint Augustin, dans sa lettre 48 à Vincent, entreprend de défendre saint Cyprien autrement, prétendant que ces écrits n’étaient pas de lui, ou qu’ils avaient été interpolés;  que saint Cyprien avait changé d’idée avant sa mort, même si on ne trouve aucune rétractation de sa part.
 La quatrième raison. Le concile africain, dans sa lettre à Célestin, soutient qu’un concile provincial a moins de chance d’errer dans ses jugements qu’un pape.  Ne dit-il pas : « À moins que quelqu’un pense  que notre Dieu puisse, à n’importe qui, inspirer des décisions justes, et dénier la même chose à un grand nombre de prêtres réunis en concile. » Or, il est certain que les conciles provinciaux peuvent errer. Le pape le peut donc  encore plus.  Je réponds que le concile ne parle pas du jugement de la foi, mais du jugement d’un fait, c’est-à-dires des causes de prêtres et d’évêques accusés de quelques crimes.  Dans ce genre de causes, nous reconnaissons que le pontife suprême n’a pas cette assistance du Saint-Esprit qui l’empêche d’errer.   Ajoutons que nous ne sommes pas obligés de croire tout ce que ces évêques disent dans leur lettre.  Surtout, parce qu’il apparait assez clairement qu’ayant été mis dans tous leurs états par les crimes d’Apiarius, qui s’était réfugié auprès du souverain pontife, ils ont forcé un peu la note.  Ne s’oppose pas à ce que nous disons le fait que ce concile ait été approuvé par le pape Léon 1V (dist. 20, canon des libelles), car ce  que le pape a confirmé ce sont les décrets, non les lettres.
 La dernière raison est celle de Nil (dans son libelle sur la primauté du pape),  qui raisonne ainsi.  « Puisque le pape peut tomber dans des vices comme l’avarice et l’orgueil, il peut donc tomber aussi dans celui d’hérésie.  Car, saint Paul (1 Tim 1) dit que certains ont fait naufrage dans la foi, parce qu’ils avaient, avant,  perdu la bonne conscience. Le pape, peut, de même, en vivant mal, renier Dieu par les faits, selon ce texte de saint Paul (Tite 1) : « Ils confessent connaitre Dieu, mais ils  le nient par les faits. »  Le pape peut donc nier aussi dans les mots, car il semble plus facile de nier en parole qu’en actes ».  Je réponds au premier argument qu’on pourrait vraisemblablement conclure que le pape, de par sa nature, peut tomber en hérésie, si on ne tenait pas compte de l’assistance divine particulière que le Christ lui a obtenue par sa prière.  Car, le Christ a prié pour qu’il n’erre pas dans la foi, non pour qu’il ne tombe pas dans d’autres vices.  Je dis au suivant que, en ce passage, saint Paul n’entend pas n’importe laquelle mauvaise œuvre, mais des œuvres qui mènent  à l’infidélité du cœur.  Car, il parle des Juifs qui ne se sont pas sincèrement convertis à la foi,  qui, professant connaitre Dieu,  le renient en acte.  Car en interdisant  certains aliments comme impurs par nature, ils attestent qu’ils ne connaissent pas vraiment le Créateur de toutes choses.  Mais des actions de ce genre  le pape ne les fait pas, ni ne peut les faire.   Si par faits on entend des péchés, il est faux  que celui qui nie en paroles nie explicitement et absolument, et que celui qui nie en actes nie implicitement et relativement.
                                                    CHAPITRE 8
 Les erreurs faussement attribuées aux pontifes romains Pierre, Lin, Anaclet, Télesphore, Victor, Zéphirin, Urbain, Pontien, Corneille et Marcellin, qui furent non seulement papes, mais aussi martyrs.
 Venons-en maintenant à chacun de ces pontifes que nos adversaires accusent d’erreur.   Nil écrit (dans son livre sur la primauté du pape)  que saint Pierre a erré dans la foi, non une seule fois seulement, mais deux fois.  Et il pense pouvoir se servir de cet exemple illustre  pour démontrer que les souverains pontifes ont erré dans la foi. Aucun pontife romain n’a reçu de Dieu des privilèges plus grands que ceux que Pierre a reçus, disent-ils.  Pourtant, l’Écriture nous montre que Pierre a erré deux fois.  Car, il a renié le Christ (Matt 26) et  a forcé les Gentils à judaïser (Galates 2).  Les magdebourgeois (centurie 2, livre 2, chapitre 10, col 558, 559, 560), ajoutent à ces deux erreurs, treize autres chutes de Pierre, dont nous avons parlé plus haut au livre 1, chapitre 28.  Je réponds que quand il renia le Christ, Pierre n’avait pas encore commencé à être pontife suprême.  Il appert, en effet, que c’est après la résurrection, que la principauté ecclésiastique lui a été donnée par le Christ, quand il lui a dit : « Simon fils de Jean, pais mes brebis ! »  Ce reniement de Pierre ne doit donc  pas être énuméré parmi les errements des pontifes romains. J’ajoute, de plus, que c’est de bouche seulement que Pierre a renié le Christ, non de cœur.  Voilà pourquoi il n’a perdu que la confession de la foi, non la foi elle-même, comme nous l’avons montré plus haut au chapitre 3.
 Qu’il soit arrivé parfois à saint Pierre de forcer les Gentils à judaïser, ce ne fut pas une erreur de prédication, mais de conduite, comme Tertullien l’explique (dans son livre de la prescription des hérétiques).   Car, saint Pierre n’a jamais, par décret, statué qu’il fallait judaïser, mais il enseigna plutôt le contraire (actes 15).  Mais que, à Antioche, pour ne pas offenser les Juifs récemment convertis à la foi, il ait quitté la table des Gentils, et que son exemple est entraîné Barnabé à judaïser, nous ne le nions pas.  Nous ne nions pas, en effet,  que les pontifes puissent, par leur exemple, devenir une occasion de péché.  Ce  que nous nions, par contre, c’est qu’ils puissent prescrire, ex cathedra, cette erreur à toute l’Église. Nous ne nions pas, non plus, que les actions des pontifes puissent être aussi pernicieuses pour l’Église  que leur doctrine, selon la parole du Seigneur : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ».  Voir ce que nous avons écrit plus haut là-dessus (livre 1, chapitre 28).
 Le second pape est Lin, qui a été le premier à succéder à Pierre.  Les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 10, col 627) se moquent de lui parce qu’il a ordonné que les femmes n’entrent pas dans l’église sans avoir la tête recouverte d’un voile. Voici leurs propres paroles : « Il a ordonné (soin bien digne d’un évêque, à la vérité) que la femme n’entre pas dans l’église sans porter de voile sur la tête »  Mais si Lin avait ajouté qu’il fallait le faire à cause des anges, n’auraient-ils pas crié à la superstition ?  Je pense que les centuriates ont oublié que saint Paul n’a pas jugé indigne de sa charge pastorale de commander aux femmes (1 Cor 11) d’entrer dans l’église la tête voilée, à cause des anges.  Saint Ambroise explique que c’est par respect envers les prêtres, qui, dans les Écritures, sont appelés anges.   Le troisième est Anaclet.   Les magdebourgeois (dans la même centurie, livre 2, chapitre 20, colonne 628) lui reprochent d’avoir construit et orné un mémorial de saint Pierre, qui avait tellement démérité de l’église qu’il méritait que sa mémoire disparaisse à tout jamais.  Mais s’il faut reprocher à Anaclet d’avoir construit un mausolée pour y placer les ossements de saint Pierre, quel péché n’a-t-il pas commis le grand Constantin quand il honora la mémoire de saint Pierre par une somptueuse basilique, et par tant de dons en or et argent ?  Mais les hommes pieux ont toujours jugé ces choses autrement que ne les jugent les adversaires.  Caius, un écrivain très noble et proche des temps apostoliques (comme le rapporte Eusèbe, livre 2, chapitre 25 de son histoire ecclésiastique traduite par Ruffin) appelle les sépulcres de saint Pierre et de saint Paul les trophées des apôtres, qui, comme des colonnes très solides, soutiennent l’église romaine.
 Saint Jean Chrysostome (dans sa dernière homélie sur l’épitre aux Romains) affirme être habité d’un grand désir de venir à Rome pour venir se prosterner devant les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul.  Et écoute, je te prie, de quel ton il parle de Rome, des corps et des sépulcres des apôtres : « À la façon d’un corps grand et en bonne santé, Rome a deux yeux, c’est-à-dire les corps de deux saints illustres.   Quand il projette hors de  lui ses rayons lumineux, le ciel ne resplendit pas autant que quand la cité de Rome répand la lumière de ces lampes sur toute la terre. » Et plus bas : « De quelles couronnes la ville de Rome n’est-elle pas ornée par ces deux apôtres ?  De quelles chaînes dorées n’est-elle pas ceinte ? Quelles fontaines n’a-t-elle pas?   Je célèbre cette ville non à cause de la masse de son  or, non à cause de ses colonnes de marbre, ni pour d’autres motifs de ce genre, mais à cause des colonnes de l’Église. Qui me donnera de me tenir autour du corps de Paul, de m’établir près de son sépulcre, de voir la poussière de son corps? » Et plus bas : « C’est ce corps, et celui de saint Pierre,  qui fortifie la ville, qui la met plus en sécurité que  toutes les murailles et les tours. Car, elle l’honora de son vivant. Elle disait : descends voir Pierre ! »  Theodoret, dans son épitre à Léon, loue Rome pour beaucoup de choses, mais surtout à cause des tombeaux des apôtres qui, selon ses propres paroles, illuminent les âmes des fidèles.  J’omets beaucoup d’autres témoignages que je pourrais ajouter. Car, nous traiterons formellement de ce sujet quand nous parlerons des reliques des saints.
 Le quatrième est Télesphore, qui fut le neuvième successeur de Pierre, et qui termina sa vie par un glorieux martyre, au  témoignage de saint Irénée (livre 3, chapitre 3).  Voici quelle est l’accusation des magdebourgeois (centurie 2, chapitre 10, colonne 212) : « Il a, d’abord, commandé que, pendant les sept semaines qui précèdent Pâque, on s’abstienne de viande, ce qui est contraire à l’Écriture : « Que personne ne vous condamne à cause de la boisson ou de la nourriture. »  Il a ensuite multiplié les messes, augmenté le nombre des rites, et  fixé des dates, alors que l’institution de la cène du Seigneur ne comporte aucun nombre, aucune cérémonie, aucune date.  Il a, de plus, placé  la dignité et la sainteté des clercs beaucoup trop au-dessus du peuple de Dieu, comme s’il n’était pas écrit : « Vous êtes tous une seule et même chose dans le Christ Jésus. »  De plus, il n a pas voulu qu’on soupçonne de péché les prêtres, ni qu’on les accuse.  Et  il a appelé cette loi un mur très ferme de son ordre, construit par lui et par les pères contre les persécuteurs. »
 Voilà donc quelles sont les erreurs de Télesphore.  Elles sont considérées comme des erreurs par les centuriates, parce qu’elles dérogent aux règles établies par Luther.   Mais si nous portions un jugement inspiré par la justice, ne devrions-nous pas plutôt dire que ce sont les dogmes de Luther (qui ne supportent ni distinction entre les aliments, ni messes, ni supériorité du prêtre sur le fidèle)  qui sont erronés, parce qu’ils dérogent aux règles de Télesphore ?  Car, Télesphore est un saint martyr, proche du temps des apôtres, et qui a pu même parler avec Pierre et Jean.  N’est-il pas raisonnable de penser qu’il ait mieux connu la doctrine du Christ que Luther qui n’a pas été martyr, et qui a vécu 1500 ans après les apôtres ?  Surtout que les raisons avancées par les centuriates sont puériles, et ont été cent fois réfutées.   La citation qu’ils font de saint Paul (« que personne ne vous condamne à cause de la boisson ou de la nourriture ») ne s’oppose pas à l’abstinence de la viande qui se pratique pendant un certain temps pour dompter l’impétuosité de la chair, mais à l’abstinence judaïque qui ne mangeait jamais certains aliments parce que l’ancienne loi les déclarait impurs.  Il répète, en effet, la même chose aux Colossiens 2 : « Que personne ne vous blâme pour la nourriture ou le breuvage, pour une participation à un jour de fête, pour des néoménies ou des sabbats, qui sont des ombres des choses futures. »  Ce qu’ils ajoutent (« que la cène du Seigneur n’a pas été instituée en vue d’un nombre, un rite ou un temps »), nous ne le contestons pas.  Mais que conclure de là ?  Télesphore a-t-il erré parce qu’il a voulu que, au jour de Noël, trois messes soient célébrées ?  Car, même si la cène n’a pas été instituée en vue d’un chiffre, d’un rite ou d’un temps, il a quand même fallu, pour célébrer correctement la cène du Seigneur, déterminer des rites et un temps, à moins qu’on soit  d’avis que l’ordre convenait moins à ce sacrement que le désordre.
 L’autre citation qu’ils font de l’apôtre (« vous êtes tous dans le Christ une seule et même chose ») ne prouve pas que les clercs ne sont pas plus dignes que les laïcs.  Car, la façon dont nous sommes tous une seule et même chose dans le Christ saint Paul l’explique dans Romains 12, et 1 Corinthiens 12, où il dit que nous formons tous un seul corps, et que là où il y a différents membres, (les yeux, les mains et les pieds), les uns sont plus nobles et plus dignes que d’autres.    Le cinquième est le pape Victor, quinzième successeur de saint Pierre.  Il a été autrefois entaché d’infamie par les hérétiques qui l’accusaient d’avoir enseigné que le Christ était un pur homme, comme le rapporte Eusèbe (livre 5, chapitre 28 de son histoire ecclésiastique).  Mais que cette accusation ait été fausse, le même Eusèbe le prouve en déclarant que c’est précisément ce pape qui a condamné le promoteur de cette hérésie, Theodote.    Le sixième, Zéphyrin, le successeur de Victor, semble avoir approuvé l’hérésie de Montan.  Car, Tertullien (livre contre Prax) écrit  que le pontife romain a reconnu les prophéties de Montan, et que par cette reconnaissance, la paix a été apportée aux églises d’Asie et de Phrygie; mais que Praxeas l’aurait persuadé de révoquer les lettres de paix qu’il avait déjà envoyées.  Tous les historiens sont d’accord pour écrire qu’en ce temps Zéphyrin était évêque de Rome.  Voilà pourquoi Rhenanus, dans son annotation du livre de Tertullien, a mis en marge évêque romain montanissant.  On ne peut pas dire, non plus, qu’en ce temps,  l’hérésie de Montan n’avait pas encore été condamnée, car, comme le dit le même Tertullien : Praxeas persuada le pontife de révoquer les lettres de paix, pour cette raison principalement qu’elle avait déjà été condamnée par ses successeurs.
 Je réponds qu’on ne peut pas accepter tout ce que dit  Tertullien dans la période où il était lui-même montaniste.  Il est pensable, toutefois, que le pape Zéphyrin ait été persuadé par les montanistes que la doctrine de Montan n’était pas différente de celle de l’église romaine, et que, en conséquence, il ait voulu rétablir la paix qui avait été perdue pendant le règne de ses successeurs. Non parce qu’il aurait approuvé l’erreur que ces prédécesseurs avaient condamnée, mais parce qu’il aurait pensé que c’était faussement qu’avait été accusé Montan de ces erreurs.   Cela  n’est pas errer dans la foi, ni « montaniser », selon le mensonge de Rhenan,  mais commettre une erreur sur la personne, ce qui est arrivé aussi à plusieurs saints.   Ruffin n’écrit-il pas qu’Arius avait persuadé l’empereur Constantin qu’il était catholique, et qu’il avait formulé une profession de foi avec tant de fourberie et de finauderie, qu’il paraissait catholique aux catholiques, et arien aux ariens.  Et Léon (épitre 86 à l’évêque de Nicée) avertit cet évêque d’obliger les pélagiens qui retournaient à l’église à abjurer l’hérésie par les paroles les plus claires, parce que quelques-uns avaient coutume de tromper l’église en rédigeant une profession de façon à paraître catholiques, sans l’être vraiment.  Il semble que ce soit ce qui est arrivé à ce pontife.
 Le septième, Urbain, dix-huitième successeur de Pierre.  Voici ce que les centuriates lui reprochent (centuriate 3, chapitre 10, col 277) : « Il a institué la confirmation après le baptême, mais il a blasphémé en disant que, par l’imposition des mains de l’évêque, on recevait le Saint-Esprit, et on devenait pleinement chrétien. »  Ils reprochent cette erreur aussi au pape Corneille.   Ils mentent, d’abord, quand ils prétendent que c’est par le pape Urbain qu’a été  instituée la confirmation.  Car cet usage se trouve déjà dans les actes des apôtres (8 et 19) où l’on voit les apôtres imposer leurs mains aux fidèles pour qu’ils reçoivent l’Esprit Saint.  Et, de plus, Tertullien, qui est bien plus ancien qu’Urbain et que Corneille, se souvient de la confirmation en plusieurs endroits.   Dans le livre sur la résurrection : « La chair est lavée pour que l’âme devienne sans tache; la chair est ointe pour que l’âme soit consacrée. »  Et, dans le livre de la prescription, parlant du diable qui imite notre baptême et notre confirmation, il dit : « Il mouille lui aussi ses croyants et ses fidèles, et met un signe sur le front de ses soldats. »  Et dans son livre sur le baptême : « Et puis, après être sortis de l’eau baptismale, nous sommes oints par l’onction bénite. »  Et un peu plus loin : « Ensuite, on impose les mains, invoquant et invitant l’Esprit Saint par la bénédiction. »  Ne vois-tu  pas, chez Tertullien, l’onction, le signe sur le front, l’imposition des mains, la venue du Saint-Esprit ?  Qu’est-ce qu’Urbain aurait-donc pu instituer ? Il est clair que Tertullien a vécu avant Urbain, car il vécut au temps de Sévère et de son fils Antonin, comme les magdebourgeois l’ont appris de saint Jérôme (centurie 3, chapitre 10, col 277).  Et que dire de ce que, au lieu cité, les centuriates eux-mêmes énumèrent, parmi les taches de Tertullien, le fait d’avoir considéré comme nécessaires l’onction après le baptême, et le signe de la croix ?  Comment acceuillerons-nous ces accusations contradictoires ?  Comment Urbain aurait-il pu instituer ce que les centuriates blâment en Tertullien ?
 Ensuite, ce qu’ajoutent les centuriates, à savoir qu’Urbain a blasphémé quand il a dit qu’on reçoit l’Esprit Saint, et qu’on devient pleinement chrétien par l’imposition des mains de l’évêque, ne requiert aucune réfutation, puisqu’ils ne présentent aucune preuve du contraire. Surtout parce que Corneille lui-même dit la même chose, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, ainsi que Cyprien (livre 1, épitre 12), Cyrille (catéchèse 1, mystagog), saint Augustin (épitre à Jean, traité 6), et d’autres pères.   Le neuvième est Pontin, le successeur d’Urbain.  Les centuriates (centurie 3, chapitre 10, col 27) lui reprochent d’avoir écrit que les prêtres font, de leur propre bouche,  le corps du Christ, le distribuent au peuple, et que, par les prêtres, Dieu accepte les hosties des autres, qu’il pardonne leurs péchés, et se réconcilie avec eux.  Les centuriates qualifient de blasphématoire cette doctrine, mais ils ne nous expliquent pas en quoi et pourquoi elle l’est.  Qu’ils ne se  scandalisent donc pas si nous préférons croire à un saint et à un martyr, et à ce qui a été institué par les successeurs des apôtres, plutôt qu’à Luther.  Surtout quand nous lisons la même chose dans les écrits de tous les pères.  Car, saint Jérôme a écrit (dans sa lettre à Héliode) : « Loin de moi la pensée de parler en mal de ceux qui ont succédé aux apôtres, qui, de leur bouche sacrée, font le corps du Christ, par lesquels nous sommes chrétiens nous aussi, qui, ayant les clefs du royaume des cieux, jugent, pour ainsi dire,  avant le jour du jugement. »  Et écoute saint Augustin dans son épitre 122 à Victor, où  il dit des femmes captives des barbares : « Prie Dieu pour elles, et demande-lui qu’il leur enseigne à dire ce que Azarias a demandé, entre autre choses,  dans sa prière, quand il fit sa confession  à Dieu.  Car, étant dans une terre de captivité, elles sont comme ceux qui étaient dans un pays où ils ne pouvaient pas offrir de sacrifices au Seigneur selon les prescriptions de Moïse. Elles non plus, elles ne peuvent pas présenter d’oblation à l’autel du Seigneur, ni trouver un prêtre par qui elles pourraient l’offrir à Dieu. »
 Écoute saint Jean Chrysostome (livre 3 sur le sacerdoce) : « Il était permis aux seuls prêtres des Juifs de purger la lèpre du corps, ou pour parler plus justement, non de la purger, mais de montrer qu’elle avait été purgée.  Mais, à nos prêtres il n’a pas été accordé de reconnaitre officiellement que les souillures de l’âme ont été purgées, mais de les purger. »  Ce que Pontien enseigne au sujet du corps du Christ que consacrent les prêtres, des hosties des autres reçues par Dieu, de la rémission aux hommes de leurs péchés, tout cela a été enseigné par les plus grands docteurs de l’antiquité, saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, et tous les autres, que j’omets pour faire bref.   Le neuvième est Corneille.  Les magdebourgeois (centurie 3, chapitre 6, col 145;  et chapitre 7, colonne 165) affirment qu’il a enseigné que, dans le calice du Seigneur, il ne fallait offrir que de l’eau.  Ce qui est, disent-ils, une grave erreur commise contre l’évangile.  La seule preuve qu’ils en donnent ils la tirent d’un livre de Cyprien (livre 2, épitre 3 à Corneille) où il argumente contre cette erreur.  Mais, cette erreur, saint Cyprien ne l’attribue pas au pape Corneille, mais à ceux dont il parle.  De plus, cette épitre n’est pas adressée à un certain Corneille, mais à un évêque africain du nom de Cécile, comme nous le lisons dans tous les exemplaires.   Mais les magdebourgeois avaient peut-être bu un peu plus que d’habitude, et avec leurs yeux tremblotants et clignotants, ils ont pris un nom pour un autre.   Ajoutons que le pape Alexandre, le successeur de Corneille, avait déjà décrété de ne rien offrir d’autre dans le calice du Seigneur que du vin mêlé à de l’eau.  S’ils font des reproches à d’autres à cause de cette lettre, pourquoi ne s’en font-ils pas à eux-mêmes ? Car, saint Cyprien, dans cette lettre, appelle souvent l’eucharistie un sacrifice;  et il enseigne explicitement qu’on ne peut pas offrir seulement du vin ou de l’eau, mais du vin mêlé à de l’eau.  Or, les luthériens nient obstinément que l’eucharistie soit un sacrifice, et ils pensent que, dans le calice, on ne doit consacrer que du vin sans eau.
 Le dixième est Marcellin, qui a sacrifié aux idoles, comme l’attestent le pontife Damase, le concile de sinuess (?), et une lettre de Nicolas 1 à l’empereur Michel.  Mais, Marcellin n’a jamais enseigné quoi que ce soit contre la foi; il n’a jamais été hérétique, ni infidèle, si ce n’est pas un acte extérieur, inspiré par la peur de la mort.   Est-ce que, par cet acte extérieur, il  avait déchu de son pontificat, oui ou non, cela importe peu, parce qu’il a abdiqué ensuite,  et a reçu peu après, la couronne du martyre. Je croirais plutôt qu’il n’avait pas déchu de son pontificat, parce qu’il est assez évident pour tous qu’il n’a sacrifié que par peur de la mort.  Ajoutons que saint Augustin (dans son livre sur l’unique baptême contre Petilien), dit que Marcellin est innocent, et qu’aucun ancien historien ne se souvient de sa chute.
2017 12 12 17h13 fin

2017 12 16 20h26 début
CHAPITRE 9 : Des objections qu’on fait aux papes Libère et Félix II

Le onzième pape qu’on taxe d’erreur est Libère, même si les magdebourgeois  (centurie 4, chapitre col 1284) n’ont pas osé parler en mal de lui.  Cependant, un certain Tilmann Heshushius (livre 1, chapitre 9. Eccl) a la témérité d’affirmer qu’il a été infecté de l’hérésie arienne.  Il est vrai qu’il peut revendiquer de graves auteurs qui sont de son sentiment.  Saint Athanase (dans une épitre à un solitaire), saint Jérôme (dans sa chronique, et dans le catalogue écrit contre Fortunatien) et Damase dans la vie de Libère. Je réponds que, au sujet du pape Libère,  deux choses sont certaines.  La première.  Depuis le début de son pontificat  jusqu’à son exil,  qui lui a été infligé pour la foi catholique, il fut un ardent défenseur de la religion catholique.  C’est ce qu’attestent tous les écrivains qui parlent de cette époque, comme Ammianus Marcellinus (livre 15 de son histoire),  Athanase (dans ses deux apologies), Ruffin (livre 10, chapitre 22 de son histoire), Sulpitius (livre 2 de son histoire sacrée), Socrate,  livre 2, chapitre 29 de son histoire), Sozomène (livre 4, chapitre 10),  Theodoret (livre 2, chapitres 16 et 17).  Nicéphore (livre 9, chapitres 35, 36, 37) »
 La deuxième. Après son retour de l’exil, il fut toujours orthodoxe et pieux.  Car, comme l’écrit Socrate ( livre 4, chapitre 11), après être revenu d’exil, Libère ne voulut pas recevoir les macédoniens dans l’Église, à moins qu’ils ne détestent publiquement leur hérésie.  De plus, après sa mort, il a toujours été considéré comme un saint, comme ont l’apprend des paroles de saint  Ambroise (livre 3 sur la virginité, au début) : « Il est temps, ma sœur, d’accomplir les saints préceptes de Libère de bienheureuse mémoire, pour que, plus il a été saint, plus grande soit l’action de grâce. » Des paroles aussi d’Épiphane (hérésie 15) : « Eustathius envoyait au bienheureux évêque de Rome, Libère, un légat accompagné de plusieurs évêques. »  Et saint Basile (lettre 74, aux évêques occidentaux) : « Des choses lui ont été proposées par le très bienheureux Libère. »  Et Siricius, qui fut le troisième successeur de Libère, dans une lettre à Hyméric appelle Libére « son prédécesseur  de vénérable mémoire ».  Je demande donc :   comment ces pères auraient-ils pu appeler  très bienheureux ce Libère déjà mort, s’il était mort dans l’hérésie ?
 Il reste un seul doute,  la période médiane.  Pour pouvoir retourner de l’exil, a-t-il fait quelque chose contraire à la foi ?  Sulpice, Socrate, Sozomène et Nicéphore , dans les lieux cités, indiquent que Libère fut toujours le même homme, et que la constance de sa foi n’a jamais fléchi.  Athanase et Jérôme (lieux cités) disent que, las de l’exil qui lui avait été infligé, il alla jusqu’à souscrire  à l’hérésie.  On peut ajouter à ces paroles celles de saint Hilaire, qui, dans son livre contre Constance, parle ainsi : « Tu as tourné ta guerre jusqu’à Rome, tu y as arraché son évêque, et, homme misérable, je ne sais pas si tu as manifesté plus d’impiété en l’exilant qu’en le relâchant. » Ruffin (livre livre 10, chapitre 27) affirme ne pas savoir avec certitude si Libère a réellement souscrit.
 De ces deux opinions, la deuxième nous parait plus vraie. Car, Athanase, Hilaire et Jérôme sont des auteurs plus anciens, et plus sérieux que les autres; et ils ne font pas le récit d’une chose douteuse, mais certaine. De plus, j’ai lu, à la bibliothèque du Vatican,  des lettres de Libère écrites par lui-même, qui s’adressaient en partie à l’empereur, en partie aux évêques orientaux, dans lesquelles il laisse entendre assez clairement qu’il a voulu, à la fin, acquiescer à la volonté de l’empereur. Devant ces preuves, si nous n’admettons pas que Libère, pendant un certain temps, a manqué à la constance dans la foi, nous serons forcés d’exclure du nombre des évêques Félix 11, qui exerça le pontificat du vivant de Libère, alors que l’Église vénère ce même Félix comme pape et martyr. De plus, Sozomène (livre 4, chapitre 14 de son histoire), et Nicéphore (livre 9, chapitre 37), sous entendent quelque chose de plus sérieux. Au concile de Sirmiensis, il  aurait eu une rencontre au sommet avec les ariens Valence et Ursace et c’est après avoir fait la paix avec eux qu’il aurait retrouvé son siège. Mais quoi qu’il en soit de tout cela, Libère n’a jamais enseigné d’hérésie, et ne fut jamais hérétique. Il ne pécha (s’il a vraiment péché) que par un acte externe, comme Marcellin, et, me semble-t-il, moins que Marcellin.
 Qu’il ne fut jamais un hérétique, saint Athanase l’enseigne quand il dit (au lieu cité) que c’est malgré lui et forcé par la férocité des tourments qu’il aurait agi ainsi; qu’il ne faut pas tenir compte des paroles que les menaces ou la terreur ont pu lui arracher, mais plutôt de l’enseignement qu’il a donné quand il était libre de dire ce qu’il pensait. Car, d’après ce qu’on peut comprendre des paroles d’Athanase et des lettres de Libère, il aurait fait deux fautes. Il aurait souscrit à la condamnation d’Athanase, et il aurait communié avec les hérétiques. Dans aucune de ces fautes il n’a expressément violé la foi. Car, même si les hérétiques persécutaient Athanase pour des motifs de foi, ils ne l’accusaient pas de fautes contre la foi, mais de crimes contre les mœurs. On peut dire aussi qu’il a communié avec les hérétiques parce qu’ils feignaient d’être chrétiens. Car, dans ses lettres, il explique qu’il a communié avec des évêques orientaux parce qu’il avait trouvé que leur foi concordait avec celle des catholiques et était étrangère à l’hérésie arienne.  De plus, Sozomène (livre 4, chapitre 14), et Nicéphore (livre 9, chapitre 37) racontent que, dans cette paix que Libère fit avec les évêques orientaux, on n’a demandé rien d’autre à Libère que de souscrire à la confession de Sirmiensis contre Photin, et à la confession d’Antioche éditée dans les Encénies. Ces confessions, même si elles  n’ont pas le mot consubstantiel, sont tout à fait catholiques, et saint Hilaire, dans son livre sur les synodes, les considère comme telles.
 Mais, dira quelqu’un, s’il en est vraiment ainsi, comment un saint Jérôme et un Fortunatien ont-ils pu entacher la mémoire de Libère du nom d’hérétique ? Je réponds que Libère n’a pas formellement et expressément consenti à l’hérésie, mais a  posé un geste qui pouvait être interprété dans ce sens. Car, il permit qu’Athanase soit condamné, alors qu’il savait fort bien qu’il était persécuté pour la foi; et  il communia avec Valence et Ursace qui se disaient catholiques,  mais qu’il savait être des hérétiques. C’est ce que saint Jérôme voulait dire.
 Le douzième qui est accusé d’avoir erré dans la foi par les hérétiques est Félix 11.  Tilmannus Heshushius (livre 1, chapitre 9, eccl) déclare qu’il a été hérétique, en s’appuyant sur un texte de saint Jérôme qui (dans son catalogue scripturaire contre Acacius) a écrit : « Acacius, qui, parce qu’il était borgne, avait pour surnom monophthalmon, était évêque de l’église de Césarée en Palestine…Félix fut si célèbre,  au temps de l’empereur Constantin, que, à la place de Libère, il fut institué évêque arien de Rome. »  Mais nous répondons que Félix ne fut jamais arien, même s’il a parfois communié avec des ariens, quand il n’était pas encore pape.  Ensuite, quand il a commencé à être un vrai pape, il a non seulement combattu publiquement les ariens, mais a reçu la couronne du martyre par la persécution des ariens.    Il faut donc expliquer le plus brièvement possible toute cette histoire des pontificats de Libère et de Félix, et par quelle providence du Dieu admirable, la foi a été conservée dans le siège apostolique.
 Après que Libère eut été exilé pour sa fidélité à la foi catholique, le clergé romain jura de n’admettre aucun autre pontife, du vivant de Libère.  C’est ce que rapporte saint Jérôme (dans sa chronique), en changeant certains mots.  Car ces mots « après l’exil duquel, tous les clercs jurèrent etc », qui sont assignés à l’année 351, auraient du être placés après ces paroles : « Libère, évêque des romains, est envoyé en exil », qui sont assignées à l’année 361.    C’est donc sous l’influence des ariens, et surtout de l’évêque de Césarée, Acace,  que le diacre romain Félix est créé évêque à la place de Libère, lequel Félix, en reconnaissance de cette faveur, communiait avec eux, même s’il n’était pas arien.  C’est ainsi que l’écrit Ruffin (livre 10, chapitre 22 de son histoire ecclésiastique) : « À la place du pape exilé,  le diacre romain Félix est substitué à Libère, lequel a été entaché non pas tant par la profession d’une fausse foi, que par sa communion avec les hérétiques dont il était redevable de son poste. »    Et  Theodoret (livre 2, chapitre 17, de son histoire) : « Succéda à Libère un de ses diacres orthodoxe, du nom de Félix,  qui, même s’il conserva intégralement la foi enseignée dans le concile de Nicée, communia librement avec ceux qui travaillaient à la détruire.  Et, pour cette raison, tant qu’il fut là, aucun Romain ne voulut entrer dans l’église. »
 Sozomène écrit la même chose (livre 4, chapitre 10 de son histoire).  Et saint Jérôme ne les contredit nullement,  car le mot arien semble avoir été ajouté, puisque les codex anciens ne l’ont pas, comme l’a noté Marianus Victorius,  ni la traduction en grec  de Sophronius.  Et, ce dont je fais le plus grand cas, Freculphus (livre 4, chapitre 8)  et Adon de Vienne dans sa chronique, auteurs récents, n’ont pas, eux non plus, le mot arien.   De plus, il n’est pas vraisemblable que saint Jérôme et Ruffin, deux contemporains, aient pu, dans une histoire connue de tous, diverger au point où l’un nie ce que l’autre affirme.  Mais, à supposer même que Félix ait été arien (ce qui jusqu’à présent n’a jamais été prouvé), il n’aurait fait aucun tort au siège apostolique. Car, s’il avait été schismatique, il n’aurait pas été un pape véritable et légitime, puisque  le vrai pontife était encore en vie.   Voilà pourquoi (comme nous l’avons entendu de la bouche  Théodoret), aucun catholique n’a voulu aller à l’église du vivant du pape Libère.  Puis, deux ans après, arriva la chute de Libère.   C’est alors que le clergé romain, après avoir enlevé à Libère la dignité pontificale, se tourna vers Félix, qu’il savait être catholique.   Et, à partir de ce moment, il commença à être un vrai pontife.   Car, même si Libère n’était pas un hérétique, il était considéré comme tel par le peuple à cause de la paix faite avec les ariens.  Et à cause de cette présomption, on a pu avoir de bonnes raisons de lui dénier le pontificat.   Car, les hommes ne sont pas tenus à scruter les cœurs, et ils en sont manifestement  incapables.   Celui qui, par ses actions externes, semblait être un hérétique a donc été considéré comme un hérétique pur et simple, et condamné comme tel.   C’est ce qu’explique saint Jérôme dans sa chronique, quand il dit que plusieurs clercs se parjurèrent,  et se tournèrent vers Félix.  Il dit qu’ils s’étaient parjurés, parce qu’ils n’avaient pas respecté le serment qu’ils avaient fait  de ne recevoir personne d’autre du vivant de Libère.  De plus, Félix,  étant alors vrai pape, prit conscience du grand péril qui menaçait l’Église et la foi.  Sous l’inspiration du Dieu qui n’abandonne jamais son église, non seulement il se retira de la communion d’avec les ariens, mais il convoqua un concile, et déclara hérétiques l’empereur Constance, les évêques Ursace et Valence, avec lesquels Libère avait fait la paix.  Et, pour cette raison,  quand Libère revint dans la ville,  Félix fut éjecté par les ariens avec les siens, et il fut soit décapité soit poignardé à mort, nous l’ignorons.
 Qu’après la chute de Libère, Félix se soit conduit  comme un vrai pontife, et soit mort pour la foi catholique, nous le prouvons par les arguments suivants.  Le premier.   C’est ce qu’atteste Damase, ou quiconque est l’auteur de la vie de Félix.  Saint Jérôme semble dire la même chose, dans sa chronique, quand il écrit, au sujet du clergé romain :  « Après une année, ils ont été éjectés avec Félix, parce qu’entra comme un vainqueur à Rome  Libère vaincu par la dureté de son exil, et souscrivant à une mauvaise entente avec les hérétiques. »  Ces paroles indiquent qu’une persécution a été montée contre Félix par les ariens qui l’avaient appuyé.  Il s’ensuit donc que Félix a souffert la persécution pour la foi catholique.   En second lieu, tous les martyrologues anciens, et même plus récents comme celui de Béde, d’Adon et d’Usuard, et tous les manuscrits placent,  au 4 des calendes d’août, la mémoire de saint Félix,  pape et martyr, qui a déclaré Constance hérétique.  Ajoutons que saint Grégoire le grand, autant dans son antiphonaire que dans son livre sur les sacrements,  place un office complet à être lu à la messe, le 4 des calendes d’aout, le jour de la mort de saint Félix, pape et martyr.   Que ce Félix romain soit celui donc nous parlons c’est ce qu’atteste Micrologus (libre d’observations ecclésiastiques, chapitre 43).  Il dit que puisque l’église catholique, depuis mille ans, vénère Félix comme pape et martyr, on ne doit pas l’exclure du nombre des papes, même si on ne pouvait pas apporter d’autres raisons.
Troisièmement. Le pape Félix, l’ancêtre du pape saint Grégoire, a été appelé Félix 1V par d’anciens écrivains, comme par Jean le diacre (livre 1 de la vie de saint Grégoire, chapitre 1), et par Léon Hostiensis (livre 1 de la chronique du mont Cassin, chapitre 1).  Il n’a pas pu être évêque du quatrième siècle sans être notre Félix.  Car, il n’y a eu que deux Félix, à part le nôtre, avant  Félix 1V.  C’est donc avant mille ans, que ce  Félix a été mis au nombre des pontifes.  Les schismatiques ne marquent pas les chiffres.   Quatrièmement.  Ce saint Félix devrait être inscrit dans le nouveau martyrologue, car, en, 1582, on a trouvé, par hasard, sur un coffre en marbre, dans la basilique de saint Côme et saint Damien, avec l’inscription suivante en caractères antiques : « Ici git le corps de saint Félix, pape et martyr, qui condamna l’hérétique Constance. »  Cette découverte se fit le 28 juillet, c’est-à-dire la veille du jour où on avait coutume de célébrer la mémoire de ce même Félix. Ce qui n’est pas arrivé sans une intervention spéciale de la providence.    Après la mort de saint Félix, Libère se réconcilia avec  le clergé romain, et  devint un guide dans la foi catholique, comme nous l’avons montré avec un extrait de Socrate dans la cause des macédoniens.  Et, par la suite, avec le consentement de tous, il commença à siéger légitimement de nouveau, et exerça le ministère pontifical jusqu’à sa mort.   La raison pour laquelle, dans le catalogue des pontifes, quelques-uns, parmi les anciens, ne placèrent pas Félix, comme l’expliquent saint Augustin,  dans la lettre 165, et Optatus, dans le livre 2, c’est que toute la durée du temps du pontificat de Félix semble avoir été incluse dans le temps du pontificat de Libère.
Le treizième est le pape Léon, que quelques-uns disent avoir succédé à Félix11, et avoir été ouvertement un arien, et être mort de la même mort qu’Arius, d’un éclatement de ses intestins pendant qu’il déféquait.  C’est ce que rapportent Vincent (livre 14, chapitre 23, dans son histoire) et Conrad Halberstatensis (dans sa chronique) les magdebourgeois (cent 4, chapitre 10, dans la vie de Félix. Et ils  ne croient pas que cela soit improbable.  Mais il est hors de tout doute que ce Léon soit un pape fictif.   Car, il appert que ce Léon premier est celui qui siégea au temps du concile de Chaldécoine, c’est-à-dire cent ans après le temps de Félix 11.  Tous les auteurs (anciens comme Jérôme, Augustin, Optatus, Theodoret, Ruffin, et récents comme Sigebert, Marticus Polunus, Platina)  font succéder Damase à Libère et Félix.  Cette fable est peut-être née de l’opinion qu’on s’était faite de l’hérésie de Libère, et de la persécution qu’il aurait intentée aux catholiques après l’expulsion de Félix.   C’est en suivant l’exemple de Léon, qu’il aurait commencé à sévir contre les catholiques, comme ils l’enseignent faussement.   Certains hommes oisifs ont imaginé qu’un certain pontife romain arien avait siégé après Félix 11.  Mais il faut ranger ce récit parmi les fables.
                                                                CHAPITRE 10
                                        Siricius, Innocent et sept autres pontifes
Le quatorzième est Siricius.  Jean Calvin (livre 4, chapitre 12, verset 24 de ses institutions) l’accuse d’avoir, dans son épitre aux évêques d’Espagne appelé le mariage une pollution.  Mais, Calvin, à sa manière accoutumée, ment impudemment.  Car, ce n’est pas  la véritable et légitime union conjugale qu’il appelle pollution, mais l’union illicite de ceux qui, après avoir fait une pénitence publique, reviennent à la même union pour laquelle ils avaient fait pénitence, celle qui empêchait tout mariage légitime.   Le quinzième est Innocent 1.  Les magdebourgeois (centurie 5, chapitre 10) dans la vie de ce même Innocent, prétendent qu’il a gravement erré en déclarant (épitre 2, chapitre 12) qu’une vierge consacrée qui se marie ou qui fornique, ne soit pas reçue à la pénitence tant que vivra celui avec qui elle a péché.  Car, il semble inique qu’une femme pénitente ne puisse pas recevoir l’absolution avant que ne meure celui qui l’a séduite.  Ils lui reprochent aussi ce qu’il a écrit (lettre 18) à Alexandre d’Antioche, à savoir que le baptême des ariens était ratifié, mais qu’il ne conférait pas l’Esprit Saint, parce qu’ils s’étaient séparés de l’Église.  Il semble là laisser entendre que l’efficacité du sacré baptême dépende de la bonté du ministre, ce qui est contraire à la doctrine commune de l’Église.  Ils lui reprochent aussi ce qu’il a enseigné dans l’épitre 22, chapitre 1, à savoir que ne pourrait pas devenir prêtre celui qui a épousé une veuve, parce que Moïse, dans le Lévitique, a prescrit qu’un prêtre prenne une vierge comme épouse.  Comme si les chrétiens étaient tenus par les prescriptions de l’ancien testament.
Je réponds à la première accusation que ce que voulait dire Innocent c’était ceci : on ne doit pas recevoir à la pénitence ces vierges consacrées mariées qui ne veulent pas se séparer de leurs maris, si ce n’est après la mort de ceux-là.  Et cela est très juste, car l’Église ne peut pas donner l’absolution à ceux qui veulent demeurer dans le péché.  À la deuxième accusation, je réponds que, dans ce passage, Innocent parle de ceux qui ont été baptisés ou ordonnés par des hérétiques, comme s’ils étaient pollués de la même hérésie.  Ils reçoivent le sacrement de baptême ou d’ordination, mais non la grâce du Saint-Esprit qui ne peut pas habiter dans les hérétiques. Et, dans cette ordination, ceux qui sont ordonnés par des hérétiques non seulement ne reçoivent pas la grâce, ni le droit  d’exercer légitimement ces ordres.   Car, l’ordonnant ayant perdu ce droit pas l’hérésie, il ne peut pas donner ce qu’il n’a pas.  Voir glosse 1, question 1, chapitre sur les ariens.    À la troisième  accusation,  je réponds que le pape Innocent n’a pas voulu dire que nous tenons cela des lois judaïques, mais il voulait donner une raison tirée de quelque chose de semblable, ou plutôt de plus grand, de la façon suivante.  Dans l’ancien testament, les prêtres étaient tenus, par un précepte divin, de ne pas épouser une veuve.  Il convient d’autant plus, qu’aux prêtres de la nouvelle alliance, l’Église demande qu’ils n’épousent pas de veuve, à cause de l’excellence du sacerdoce chrétien.
Le seizième est Célestin.  Laurentius Valla affirme qu’il fut infecté par l’hérésie, dans sa déclaration sur la fausse donation de Constantin.   Mais Laurentius ment effrontément.  Non seulement ce Célestin ne fut jamais noté de cette  hérésie, mais c’est lui-même qui l’a condamnée le plus vigoureusement, comme nous le rapportent Prosper (chronique année 430) et le concile d’Éphèse.  Valla a été trompé par la ressemblance du nom, car il y a eu un Célestin hérétique pélagien, qui a eu des choses en commun avec les nestoriens.    Le dix-septième est Léon le grand qui dans son épitre 79 au synode de Nicée,  déclara sans péché les femmes qui s’étaient remarier en pensant que leurs maris étaient morts, ou qu’ils ne reviendraient jamais de la captivité; mais que si leur maris revenaient, elles étaient tenues de revenir à leur première union;  s’ils ne voulaient pas d’elles, elles n’était pas tenues de les reprendre.    Il semble, selon lui, y avoir là deux erreurs.   Une première.  Que la femme ne pèche pas en épousant un autre homme quand elle pense que sont mari vit encore, mais ne reviendra jamais.   La deuxième, qu’elle puisse demeurer avec son second mari si le premier mari ne veut pas d’elle.  Cette erreur, ce sont les magdebourgeois qui l’ont notée (centuriate 5, chapitre 10) dans la vie de Léon.
Je réponds que Léon n’a erré dans aucune de ses  réponses.  La première.  Quand il dit que ne pèche pas la femme qui se remarie, du vivant du son premier mari, il ne parle que de celle qui se marie en pensant que son mari est mort, comme il l’explique clairement. Celle  qui se remarie parce qu’elle pense que son premier mari ne reviendra jamais, il ne dit pas qu’elle pèche ou qu’elle ne pèche pas, car il estimait que c’était une chose qui allait de soi, c’est-à-dire qu’elle péchait.  Et quand il dit que la femme doit retourner à son premier mari, s’il veut d’elle, il faut comprendre que l’homme doit aussi retourner à son épouse, si elle veut de lui, même si autrement lui ne voudrait pas d’elle.  Car, dans cette affaire, l’homme et la femme sont égaux.  Si donc un des époux veut revenir à son conjoint, l’autre est tenu de lui obéir.  Si aucun des deux ne veut revenir à l’autre, ils pourront demeurer séparés.  Voilà  ce que permet le pape Léon.  Il ne s’ensuit pas que la femme puisse demeurer avec un second mari.   Car le même Léon dit clairement que le mariage est indissoluble, et qu’il doit nécessairement  être recomposé après une séparation.
Le dix-huitième est le pape Gélase.  Les centuriates (centurie 5, chapitre 4, sur la cène du Seigneur; et chapitre 10 de la vie de Gélase) rangent deux de ses phrases parmi les erreurs catholiques.   La première est tirée de son livre contre Eutychès : « le vrai pain demeure dans le sacrement avec la chair du Christ ». L’autre est tirée de Gratien (sur la consécration, d. 2, canon comperimus) : « on ne peut, sans un sacrilège énorme, prendre une partie de l’eucharistie sans l’autre ». Et ils concluent : ou Gélase a erré dans ces deux propositions, ou c’est nous qui errons qui pensons le contraire.  Je réponds à la première.  Ce livre n’est pas de Damase, mais de Gennadius, qui a dédié ce livre au pape Damase, ou de Damase, évêque de Césarée, dont parle saint Jérôme à la fin de son catalogue sur les écrivains ecclésiastiques.  Le vrai Gélase a écrit cinq livres contre Eutychès, comme le rapporte Trithemius.  Celui-ci est un tout petit livre, dont l’auteur s’engage à recueillir les enseignements de tous les anciens sur l’incarnation du Seigneur. Il présente 15 pères grecs,  et seulement deux latins, Ambroise et Damase, en omettant Cyprien, Hilaire, Jérôme, Augustin, Innocent, Léon, Prosper, et d’autres.  Ces docteurs le pape Damase ne les aurait jamais omis, s’il avait été l’auteur de l’opuscule.  Par la préférence presque exclusive donnée aux auteurs grecs, il est vraisemblable de penser que l’auteur a été un grec, non un latin.  Mais, quel qu’en soit l’auteur, nous avons démontré au livre 2 du sacrement de l’eucharistie, que sa proposition peut être comprise dans un bon sens.  La deuxième.  Je réponds que ce canon parle du prêtre sacrifiant, qui ne peut pas prendre une espèce sans l’autre,  sans rendre imparfait le sacrifice.
Le dix-neuvième est Athanase 11 qui est accusé de trois erreurs.   La première.  Sans le concile des évêques, des prêtres et des clercs de toute l’Église, il a communié avec Photin qui avait communié avec l’hérétique Acace.  La deuxième.  Il a voulu rappeler en secret Acace, qu’avaient condamné les papes Félix et Gélase.  La troisième.  Il aurait approuvé les baptêmes et les ordres conférés par le même Acace.   On dit que, à cause de ces mêmes erreurs et péchés, Anastase aurait été surnaturellement foudroyé par une maladie subite qui l’aurait immédiatement conduit au trépas.   C’est ce qu’écrit un auteur pontifical dans la vie de ce même Anastase, et c’est cet auteur qu’ont suivi Tilmann Heshushius (livre 1, chapitre 9, sur l’Église) et Gratien (dist. 19, canon Anastase) et les magdebourgeois  (centurie 6, chapitre  10, dans la vie d’Anastase).   Je réponds que c’est absolument faux qu’il ait voulu rappeler Acacius.  Car, il appert de la lecture d’Évagre (livre 3, chapitre 23)  de Nicéphore (livres 15 et 17), et de Libératus (chapitre 19) qu’Acace mourut au temps du pape Félix, dont Anastase a été le troisième successeur.  Comment  Anastase aurait-il pu ramener sur son siège quelqu’un qui était déjà mort ?  Mais, ils diront peut-être qu’il ne voulait que réhabiliter son nom.  Mais c’est le contraire qui est vrai.  Car nous avons encore une lettre de cet Anastase à l’empereur Anastase, dans laquelle il demande que l’empereur ordonne que le nom d’Acace soit rayé dans l’église, parce que c’est en toute justice qu’il a été condamné par son prédécesseur le pape Félix.  Gratien soutient que le pape Anastase a erré en admettant la validité des sacrements de baptême et d’ordre conférés par Acacius. Mais cela ne permet pas de conclure que le pape Anastase était un hérétique, mais plutôt que Gratien était incompétent.  Car, quel est le catholique qui ignore que ceux qui sont baptisés par des hérétiques sont vraiment baptisés,  et que ceux qui sont ordonnés par des hérétiques sont vraiment ordonnés, quand l’ordinant hérétique était évêque auparavant, ou l’était encore, du moins quant au caractère ?   Ce qui est dit sur Photin est peut-être un mensonge comme le rappel d’Acace.  Mais, supposons que ce soit vrai.  Cela empêchera-t-il Anastase d’être un catholique ?  N’est-il donc pas permis à un pape d’absoudre un excommunié sans l’aide d’un concile d’évêques, de prêtres, et de clercs ?  Ce qu’ils ajoutent ensuite, à savoir le pape Anastase est décédé d’une mort subite, foudroyé par Dieu, semble provenir de ce qu’on rapporte de l’empereur hérétique du même nom, qui est mort à cette époque, frappé par la foudre, comme l’écrivent Bède, Cedrenus, et Zonaras, et  le diacre Paul dans sa vie.  Mais pour l’autre Atanase du même nom, il n’y a rien de vrai dans ce qu’on rapporte.
Le vingtième est Vigile.  Liberatus raconte  (bréviaire chapitre 42) qu’il a écrit une lettre à l’impératrice Theodora et aux autres hérétiques, dans laquelle il confirmait leur hérésie, et anathématisait ceux qui confessent deux natures dans le Christ.  Je réponds que plusieurs croient que ce texte de Liberatus a été corrompu par les hérétiques, du fait que dans le pontifical, on raconte précisément le contraire.  Mais si aucun signe de corruption n’apparaissait dans le livre de Liberatus, et si le récit de Liberatus n’était pas contraire à celui du pontifical, il faudrait apporter une autre réponse.   Je dis donc que Vigile a écrit cette lettre, et a condamné la foi catholique, au moins dans sa profession extérieure.  Mais cela est sans rapport avec notre débat, puisqu’il l’a fait cela quand le pape Sylvère vivait encore, au temps où Vigile n’était pas pape, mais pseudo pape.  Car, il ne peut pas y avoir deux vrais papes en même temps; et tous admettent que, même exilé, Sylverius était le vrai pape.    Il faut savoir, en effet, que l’hérétique Anthemius avait été déposé de son épiscopat de Constantinople par le pape romain Agapet; que l’impératrice avait ensuite demandé à Sylvère, successeur d’Agapet,  de restituer Anthemius.  Sur  le refus du pape, Vigile aurait promis à l’impératrice qu’il rétablirait Anthemius s’il pouvait devenir pape.  Sur l’ordre de l’impératrice, par l’opération de Bélisaire, le pape Sylvère a été  immédiatement chassé de son siège et envoyé en exil, et Vigile créé pape, ou plutôt antipape.
 Il n’y aurait pas à s’étonner si, à cette époque, il avait erré dans la foi, ou aurait même été un hérétique.  Mais, même alors, il n’a jamais, en tant que pontife,  défini quoi que ce soit  de contraire à la foi; et il ne fut pas non plus un hérétique par la pensée.   S’il a écrit une lettre infâme, et indigne d’un chrétien, il n’a pas condamné la foi chrétienne.   Il ne fut pas non plus un hérétique par conviction, mais par calcul, c’est-à-dire par soif du pouvoir, comme le dit Libératus, et comme sa lettre le démontre.  Il leur écrit d’être sur leurs gardes, de ne montrer cette lettre à personne,  pour que tout reste secret jusqu’au bon moment.  Il était en ce moment agité par de grandes angoisses, dans lesquelles son ambition l’avait précipité.  Car, s’il était connu publiquement pour être un hérétique, il aurait à redouter les romains qui n’auraient jamais souffert qu’un hérétique siège dans la chaire de Pierre.  Si, au contraire, il s’affichait publiquement comme catholique,  il aurait à redouter l’impératrice, de qui il attendait le pontificat.   Il avait donc adopté la règle de conduite suivante : il se conduirait à Rome comme un catholique,  et, dans ses lettres à l’impératrice, il feindrait l’hérésie.
La mort de Sylvère survint peu après. Et Vigile, qui jusqu’à ce moment, siégeait en schismatique, commença, par l’acceptation et la confirmation du clergé et du peuple,  à être l’unique pape, et le pape légitime.  À partir de ce moment, on n’a trouvé dans Vigile aucune erreur,  réelle ou simulée, mais une admirable constance dans la foi jusqu’à sa mort.  C’est comme si, avec le pontificat, il avait reçu la fermeté de la foi, et d’une légère paille il avait été transformé en une pierre très solide.  Car, quand l’hérétique impératrice Theodora lui rappela, dans des lettres secrètes, la promesse qu’il lui avait faite de restituer le patriarche Anthemius, il lui répondit que c’est avec une grande témérité qu’il lui avait promis cela, et qu’il avait grandement péché en le lui promettant; et que, en conséquence, il ne voulait ni ne pouvait accomplir ce qu’il avait promis, de peur d’ajouter d’autres péchés à ceux qu’il avait déjà commis.  L’impératrice irritée l’envoya en exil, où il vécut misérablement jusqu’à sa mort.
 Ce récit n’est pas seulement raconté dans le pontifical, mais on le trouve aussi chez Paul le diacre (la vie de Justinien), chez Aimonius (livre 3, chapitre 32, des gestes des francs) et même chez les magdebourgeois,  (centurie 6, chapitre 10, dans la vie de Vigile).  Liberatus lui-même l’indique brièvement à la fin du chapitre 22 où il dit : « Vigile fut par la suite misérablement traité par cette même hérésie qu’il avait, au début, favorisée secrètement. »   De plus, après la mort de Sylvère,  Vigile fut un vrai et saint pontife.   Tous les écrivains contemporains l’attestent.  Saint Grégoire  (1 livre 2, épitre 36 aux évêques d’Espagne) : « Le pape Vigile, dont il faut se rappeler la mémoire, établi pape dans la ville reine, promulgua une sentence d’excommunication contre l’impératrice Theodora. »  Cassiodore (livre de la lecture divine, chapitre 1) : « Il appert qu’à cette époque, Origène a été condamné par le pape Vigile. »   Arator (dans sa préface aux actes des apôtres écrite en vers, et qu’il avait dédiée au pape Vigile) commence ainsi : « Au saint et très béni seigneur apostolique, et au pape Vigile, premier de tous les prêtres dans tout l’univers. »  Nous savons aussi, par Évagre (livre 4, chapitre 37) que Vigile a confirmé le cinquième synode général dans lequel a été condamnée cette hérésie que fomentait l’impératrice Theodora, de laquelle Vigile est accusé par les adversaires.
On pourrait même dire que cette lettre de Vigile, dont se souvient Libératus, a été forgée par les hérétiquesl; que Libératus a cru la fausse rumeur répandue par eux.  Car, que les hérétiques aient forgé une lettre au nom de Vigile adressée à Theodora et Justinien, le synode 6, acte 14, nous le laisse penser.  Mais, quoi qu’il en soit, il nous suffit qu’il n’ait pas erré pendant tout le temps où il a été pontife.   Le vingt-et-unième est saint Grégoire le grand qui est accusé d’erreur par Durand (dist. 7, question 4).  Dans une lettre à l’évêque de Caralitan (lettre 26, livre 3) il aurait permis aux prêtres de conférer le sacrement de confirmation, qui, de droit divin, est réservé aux évêques.  Ce serait à cause de ce texte de saint Grégoire qu’Hadrien (question sur la confirmation, dernier article) a affirmé que le pontife romain peut se tromper en définissant des dogmes de foi.   Je réponds que ce n’est pas le pape Grégoire, mais Durant, ou plutôt Hadrien qui a erré.   Le concile de Florence, dans son instruction aux Arméniens, et le concile de Trente (session 7, dernier canon), enseignent que l’évêque est le ministre ordinaire de la confirmation. Ce qui signifie qu’un non-évêque peut, occasionnellement, et par exception, être ministre extraordinaire de la confirmation.   De plus, saint Grégoire n’émit pas de décret sur cette question, mais il n’a que permis à certains prêtres, en l’absence de leurs évêques, d’administrer le sacrement de confirmation.  Et même si le pape Grégoire avait erré en cela, son erreur n’en aurait pas été une de doctrine, mais d’exemple ou de fait.   Il y a aussi une autre erreur qu’on attribue faussement au pape saint Grégoire, dont parlerons plus bas quand viendra le tour de Grégoire 111.
Le vingt-deuxième est Boniface V que blâment sévèrement les magdebourgeois (centurie 7, chapitre 10).  Dans l’épitre au roi d’Angleterre  Edwin (que cite Bède, livre 2, chapitre 10 de son histoire anglaise) il aurait enseigné que le Christ ne nous a libérés que du seul péché originel.  Je réponds que ce sont les centuriates qui ont ajouté le mot « seul », car voici ce qu’a dit Boniface : « Accédez donc à la connaissance de celui qui vous a créés, qui a insufflé en vous l’esprit de vie, qui a envoyé son Fils unique pour votre rédemption, pour vous délivrer du péché originel. »  Il n’a pas parlé des autres péchés, parce que le péché originel est le principal, et c’est d’abord et avant tout pour l’effacer que le Christ est mort.  C’est bien ce que nous lisons dans Jean 1 : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui efface le péché du monde. »  En grec : tèn amartian tou cosmou.   Le seul péché qui soit commun à tout le monde; car, plusieurs n’en ont pas d’autres, comme les enfants.
                                                        CHAPITRE 11
                                                           Honorius 1
Le vingt-troisième est Honorius l.  Nil (dans son livre sur la primauté du pontife romain) l’accuse d’avoir été un hérétique monothélite.  Les magdebourgeois font la même accusation (centurie 7, chapitre 10, dans sa vie, et chap 11, colonne 553), et le placent parmi les hérétiques manifestes.  Non seulement les hérétiques, mais aussi quelques catholiques soutiennent qu’Honorius a été un vrai hérétique, comme Melchior Cano (livre 6 des lieux, chapitre ultime).  Voici quels sont leurs arguments. Ils le prouvent d’abord à partir de ses lettres à Serge, une au synode 6, acte 12, l’autre au même endroit, acte 13.  Dans l’un et l’autre cas, Honorius approuve la doctrine de Serge, le prince des monothélites, et ordonne de ne pas dire que dans le Christ il y a ait deux natures ou deux opérations.  On donne aussi comme preuve sa condamnation par le concile 6, article13, où il a été condamné comme hérétique, et brûlées ses épitres, laquelle condamnation a été répétée dans les sessions suivantes.   Le concile 7, acte ultime, où tout le concile a dit anathème à Honorius, Serge, Cyr et les autres monothélites, condamnation répétée dans les lettres envoyés à tous les clercs.  Le synode 8 (acte 7)  où est lue et approuvée l’épitre du concile romain sous Hadrien 11, au cours duquel le pape en concile déclare que, après sa mort, Honorius a été condamné par le concile 6, parce qu’il avait été accusé d’hérésie.  Une lettre du pape Agathon à l’empereur Constant ( acte 4), dans laquelle il aurait dit anathème à Honorius, comme à un monothélite.  Léon 11, dans une lettre au même empereur, qui se trouve à la fin du concile, exècre le même Honorius, comme quelqu’un qui a contaminé le siège apostolique par son hérésie.  Des écrivains de toutes sortes, latins autant que grecs, ont attesté qu’Honorius a été hérétique.  C’est, par exemple, ce qu’affirme Tharasius, évêque de Constantinople, dans son épitre au patriarche, que l’on trouve dans le septième synode, acte 3.  De même, Théodore, évêque de Jérusalem, dans son épitre au synode que l’on trouve dans le même synode 7, acte 3.  De  même, Épiphane, diacre catholique, dans une dispute avec l’hérétique Grégoire, que l’on trouve à l’acte 6 du synode 7, tome 2.   Pselles dans son chant sur les synodes,  Bède dans les six états de la vie : la vie de Constantin 4, et le livre pontifical, dans la vie de Léon 11.
En faveur d’Honorius ont écrit Albert Pighius (livre 4, chapitre 8, hiérarchie ecclésiastique,  Hosius (livre 2, contre Brent) et Jean de Louvain (livre de la catéchèse perpétuelle : la protection  et la fermeté de Pierre, chapitre 11), Onophrius dans les annotations de Platina sur la vie de Libère.   Les raisons qu’ils apportent sont beaucoup plus efficaces, que celles des adversaires, comme il apparaitra quand nous réfuterons leurs arguments. Je réponds à la première que ces lettres ont peut-être été inventées, et insérées dans un concile général par les hérétiques. On peut le dire avec une certaine assurance, car il est démontré que, dans le concile général 5, ont été insérées par les mêmes hérétiques des lettres fictives du pape Vigile et du  patriarche de Constantinople Mennas. C’est en relisant les actes du cinquième concile pendant le sixième concile (actes 12 et 14) qu’on a détecté la supercherie.  Trois paragraphes avaient été ajoutés par les hérétiques dans lesquels se trouvent précisément ces lettres.  Faut-il se surprendre qu’ils aient tenté la même chose pour le sixième concile général ?  Et j’ajoute que  ces lettres d’Honorius ne contiennent aucune erreur.  Il reconnait, en effet, dans le Christ, deux volontés et deux opérations, et ne fait qu’interdire les noms d’une ou deux volontés, dont on n’avait jusqu’alors jamais parlé.  Qu’il confesse le mystère lui-même, sa deuxième lettre nous le montre : « Nous devons confesser l’une et l’autre nature dans le Christ, associées par une unité naturelle, opérant par la communion de l’une et de l’autre : une divine, opérant ce qui est divin, et une humaine, ce qui est de la chair,  sans division ou confusion,  sans que la nature divine soit convertie  en un homme, et sans que  la nature humaine  soit convertie en Dieu, mais  maintenant intègres les différences des natures. »  Cette confession est catholique, et détruit complètement l’hérésie des monothélites.
Que c’est par prudence qu’Honorius prohiba les noms d’une ou deux opérations, on le prouve ainsi.  Cette hérésie en était à ses tous débuts, et l’Église n’avait encore rien défini au sujet de ces noms.  Et c’est Cyrille d’Alexandrie qui fut  le premier à prêcher une seule opération dans le Christ.  S’opposant à Cyrus,   Sophronius, évêque de Jérusalem,  enseigna deux opérations dans le Christ.  Cyrus fit rapport de ce différend à Serge, patriarche de Constantinople, et l’un et l’autre au pape Honorius.  Craignant donc, comme cela est arrivé, que cette dispute ne dégénère et ne devienne un grave schisme, et voyant que, sans ces mots, on pouvait garder la foi sauve, il a voulu réconcilier l’une et l’autre opinion,  et écarter la matière d’un scandale et d’une division.  Voilà pourquoi il a écrit, dans la première épitre, qu’on devait s’abstenir des mots « d’une seule volonté », de peut de sembler, comme les Eutychiens, mettre une seule nature dans le Christ;  et aussi  de « deux opérations, » de peur de paraître, avec Nestor, poser deux personnes : « De peur que, ou, offensés par les mots  deux opérations, ils pensent que, à la suite de Nestor, nous nous complaisons dans des folies, ou, si nous estimons devoir confesser une seule opération, on imagine que nous approuvons la folle démence des euthychiens. »  Et puis,  dans la deuxième épitre, enseignant une façon de parler, et réconciliant les opinions, il dit : « Enlevant donc le scandale de cette nouvelle expression,  vous ne devez prêcher ni une ni deux opérations.  Et, à la place de l’opération unique, dont parlent certains, il nous faut confesser un seul Christ Seigneur opérant dans les deux natures.  Et à la place des deux opérations, laissant de côté le mot opération, prêcher plutôt deux natures, celle de la divinité et celle de la nature assumée, unies sans confusion, division, ou conversion, dans l’unique personne du Fils unique de Dieu le Père, opérant chacune des actions qui leur sont propres. »  Voilà pour toi.  À ces paroles, on ne peut donner que des louanges.
Et un peu plus bas, il prêche clairement une seule volonté par les paroles suivantes.  « Voilà pourquoi nous ne confessons qu’une seule volonté de notre Seigneur Jésus-Christ. »  Je réponds qu’en ce passage, Honorius ne parle que de la nature humaine, et qu’il veut dire : il n’y eut pas, dans l’homme Christ, deux volontés contraires, une de chair, l’autre d’esprit, mais une seulement, celle de l’esprit. Car, dans le Christ, la chair ne demandait absolument rien contre l’esprit.  Que ce soit vraiment la pensée d’Honorius, on s’en rend compte par la raison qu’il apporte. Voici ses propres paroles : « Nous confessons donc une seule volonté de notre Seigneur Jésus-Christ, car c’est notre nature qui a été assumée par la divinité, non la faute; celle qui a été créée avant le péché, et non celle qui a été  viciée après la prévarication. »  Cette raison n’aurait aucun sens si elle était présentée pour démontrer que dans le Christ Dieu et homme, il n’y a qu’une seule volonté.  Mais elle prend tout son sens si son intention était de prouver que, dans le Christ, il n’y avait pas deux volontés contraires, celle de la chair et celle de l’esprit, car l’apposition entre les deux est née du péché, et le Christ a la nature humaine sans le péché.
       Ensuite, parce qu’on pouvait lui objecter cette parole de l’évangile : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté », et « non ce que je veux, mais ce que tu veux, toi, » où il semble que le Christ, en tant qu’homme, ait deux volontés contraires, une mauvaise qui ne voulait pas souffrir, et une autre bonne qui ne voulait pas satisfaire cette première volonté, mais écouter la deuxième qui était conforme à la volonté de Dieu, il répond un peu après.  « Il est écrit : je ne suis pas venu pour faire ma propre volonté, mais celle de Celui qui m’a envoyé », et non ce que je veux, mais ce que tu veux, Père.   Ces choses ne proviennent pas de volontés différentes, mais de la dispensation de la nature assumée.  Car, ces choses sont dites pour nous, à qui il a donné un exemple pour que nous marchions sur ses traces.  Le pieux maître incitait par là  ses disciples à ne pas faire leur propre volonté, mais  à préférer, en toutes choses,  celle de Dieu. »  Ce qui veut dire que le Christ n’a pas eu des volontés qui fussent contraires au point ou l’une devait vaincre l’autre.  Mais il parle comme s’il avait eu des volontés contraires, pour nous apprendre à mortifier notre propre volonté qui milite souvent contre Dieu.
Et on peut confirmer tout cela par le témoignage de saint Maxime qui vécut au temps du pape Honorius. Ce Maxime écrivit un dialogue (qui est encore dans la bibliothèque vaticane) contre Pyrrhus, successeur de Serge.  Dans ce dialogue, il introduit l’hérétique Pyrrhus présentant en sa faveur  le témoignage d’Honorius.  Maxime lui répond qu’Honorius a toujours été catholique.  Il le prouve  par le témoignage du secrétaire d’Honorius, qui écrivit lui-même les lettres dictées par Honorius,  et qui était encore vivant alors.  Le secrétaire a attesté que l’intention d’Honorius ne fut jamais de nier deux volontés dans le Christ; et que, quand il semblait nier deux volontés,  il parlait de deux volontés contraires en lutte l’une contre l’autre dans la même nature humaine, qui existent en nous à cause du péché, mais qui n’existaient pas dans le Christ.
Voici donc qu’écrivait Maxime dans son dialogue.  « Pyrrhus : Qu’as-tu à répondre au sujet d’Honorius qui, dans ses lettres, celles qu’il écrivit il y a quelque temps à Serge,  professe clairement une unique volonté de notre Seigneur Jésus-Christ ? »  Maxime : «  L’interprétation la plus vraie et la plus certaine de ces lettres est celle du secrétaire qui les écrivit au nom d’Honorius, d’autant plus qu’il est encore vivant, et qu’il est orné par la splendeur de toutes les vertus, par la discipline religieuse. Ou faut-il lui préférer les citoyens de Constantinople qui parlent à travers leurs chapeaux ? »  Pyrrus : « Celui qui a écrit les lettres est plus véridique ».   Maxime :  « Et ce secrétaire c’est à l’empereur Constantin qu’il écrit au sujet de cette épitre, sur l’ordre du pontife Jean.  Voici ce qu’il dit :  Quand nous avons dit qu’en notre Seigneur Jésus-Christ,  il n’y a qu’une seule volonté, il ne faut pas penser que nous parlions des deux natures du Christ, la divine et l’humaine, mais de l’humaine seulement.  Car, quand Serge a écrit que quelques-uns prêchaient  deux volontés contraires du Christ, nous avons répondu que le Christ n’avait pas deux volontés contraires. »
Ensuite, comme dans toute sa lettre, Honorius s’efforçait d’expliquer que, dans le Christ Jésus, Dieu et homme, il ne fallait dire ni une ni deux volontés,  comment aurait-il pu, en oubliant tout ce qu’il venait de dire, affirmer à brûle pour point qu’il n’y en a qu’une ?  Il n’a donc pas dit une seule volonté de Dieu et de l’homme, mais une seule de l’homme seulement, comme les paroles qui suivent et le secrétaire l’attestent.  Nous n’avons donc, dans ces lettres, aucune erreur.
 Je réponds à la deuxième accusation qu’il est vrai que le nom d’Honorius figure parmi ceux  qui ont été condamnés  par le sixième synode, mais que son nom  a été inséré par les émules de l’église romaine, ainsi que tout ce qui est dit là contre Honorius.  Je le prouve d’abord par le témoignage du bibliothécaire Anastase  dans son histoire tirée du grec Theophane Isaurus.   Ensuite, parce que c’était la coutume habituelle des grecs de corrompre les textes. Car, comme nous l’avons déjà dit, on a découvert plusieurs corruptions faites par les hérétiques dans le cinquième concile général.  Et le pape saint Léon (dans l’épitre 83 aux palestiniens) se plaint des grecs qui, de son  vivant, avaient corrompu sa lettre à Flavien.  Saint Grégoire le grand (livre 5, épitre 14 à Narsem) affirme que les constantinopolitains ont corrompu le synode de Chalcédoine, et il soupçonne  la même chose de celui d’Éphèse.  Et il ajoute que les codex des romains sont de loin plus fiables et véridiques que ceux des grecs. « Parce que les Romains n’ont ni leur intelligence, ni leur imposture. »  De plus, Nicholas 1, dans son épitre à Michel, renvoyant l’empereur à la lettre d’Hadrien : « Si, toutefois, elle n’a pas été faussée, selon la manière coutumière des grecs, mais est demeurée telle qu’elle a été envoyée par le siège apostolique, elle est conservée jusqu’ici, près de l’église de Constantinople. »  Ce n’est pas sans raison qu’il disait cela, car ce qu’il dit dans l’épitre à Photius au sujet de l’épitre d’Hadrien à Tharasius,  ne se trouve pas dans la même épitre qui a été lue au septième  synode.  Les Grecs ont supprimé ce passage, qu’ils trouvaient déshonorant pour Tharasius.  Surtout quand on se souvient qu’un peu après la fin du sixième concile, plusieurs évêques sont retournés à Constantinople pour y voter les canons de Trullo, dont le seul but visible était de blâmer et d’accuser l’église romaine.
2017 12 16 20h26 fin
2017 12 20 22h09 d
 Troisièmement, car le concile ne pouvait pas condamner Honorius comme hérétique à moins de contredire la lettre d’Agathon,  et sans, surtout, se contredire lui-même.  Voici ce que dit la lettre d’Agathon qui a été lue dans le concile à la session 4 : « Voici quelle est la règle de la vraie foi que dans la prospérité et l’adversité a vigoureusement tenue et défendue cette mère spirituelle de votre empire paisible,  l’église apostolique du Christ qui, par la grâce du Dieu tout-puissant n’a jamais, comme il est démontré,  erré en dehors du sentier de la tradition apostolique, ni n’a jamais succombé aux inventions des nouveautés hérétiques,  mais qui, depuis le début de la foi chrétienne, demeure fermement dans la foi immaculée qu’elle a reçue de ses auteurs, les princes des apôtres du Christ, selon la promesse divine du Seigneur Sauveur qui, dans les saints évangiles, a été faite au prince des apôtres, quand il a dit : « Pierre, Pierre, voici que Satan a demandé de vous cribler comme du froment, mais j’ai prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. »   Que votre clémence sérénissime  considère donc que  le Seigneur et Sauveur de tous, de qui est la foi,  a promis à Pierre que sa foi de ne défaillira jamais,  lui  a demandé de confirmer ses frères, et  que c’est ce qu’ont toujours fait les pontifes apostoliques, prédécesseurs de ma nullité, comme tous le reconnaissent. »
 Qu’on veuille bien noter qu’Agathon ne dit pas seulement là que la foi n’a pas dévié dans le siège apostolique,  ni ne pouvait dévier, et donc qu’aucun pontife ne peut rien décréter, en tant que tel,  qui soit contraire à la foi, mais que tous ses prédécesseurs, y compris Honorius, ont toujours résisté aux hérésies, et ont toujours confirmé leurs frères dans la vraie foi.  Et plus bas, après avoir énuméré les hérétiques monothélites Cyrus, Serge, Pyrrhus, Paul, Pierre et Theodore, il dit : « Il faut donc, avec de grands efforts, retirer et libérer la sainte Église du Christ des erreurs de tels docteurs, pour que la rectitude apostolique et évangélique de la foi orthodoxe, qui a été fondée sur la pierre ferme du bienheureux Pierre, prince des apôtres et de l’église, demeure, par la grâce et le secours de Dieu, exempte de toute erreur, dans cette foi que tous les membres du clergé et du peuple professent et prêchent avec nous. »
 Je raisonne ainsi sur cette lettre.   Si Honorius avait été un hérétique monothélite, de quel front, parlant de cette hérésie, pouvait-il affirmer qu’aucun de ces prédécesseurs n’avait jamais erré; et que, pendant que les autres églises ont été entachées d’erreurs, seule l’église romaine est demeurée fidèle ?  De plus, si le concile déclare que Pierre a parlé par Agathon quand il a dit que les pontifes romains ont toujours confirmé leurs frères dans la foi, et n’ont jamais succombé aux hérésies, par quelle témérité ou incohérence le concile, dans un seul de ses actes, aurait-il pu anathématiser Honorius ?  De deux choses l’une, le concile ou la lettre ont été falsifiés,   ou le concile déclare le contraire de ce qu’enseigne le pape Agathon.  Mais cette dernière hypothèse, personne ne l’a jamais soutenue, ni même les hérétiques.  On n’a jamais non plus mis en doute l’authenticité de la lettre d’Agathon.  Il ne reste donc qu’une explication plausible : le texte du concile a été bidouillé.   Nil tente de répondre ainsi  à cette argumentation : « Agathon s’est peut-être senti poussé à ne dire que ce que la situation demandait, comme il arrive souvent, alors qu’en fait, l’église romaine n’a fait qu’errer  plus rarement que les autres.  Est-ce que la situation demandait qu’Agathon fasse un éloge de son autorité et de celle de ses prédécesseurs ?  Demandait-elle qu’il mente impudemment ?  Et ce mensonge n’était-il  pas intolérable (que tous ses prédécesseurs ont toujours résisté aux hérétiques) si Honorius avait été contaminé par cette hérésie dont il était question ?  Mais il ne suffit pas de dire que  l’église romaine a erré plus rarement, quand on doit  dire en toute vérité qu’elle n’a jamais erré. Mais écoutons le reste : « Autrement, s’il était vrai, absolument et sans exception, qu’aucun pape romain n’a erré, comment serait véridique cette parole : tous ont dévié et sont devenus nuisibles; il n’y en a aucun qui fasse le bien, même pas un seul. »  Raison magistrale, vraiment !  Comme si David parlait de la foi, et non des mœurs.  Le psaume, en effet, ne dit pas : il n’y en pas un qui croit correctement, mais qui fait le bien. « Car tous nous péchons en beaucoup de choses, »  dit saint Jacques.  Autrement, s’il était question de la foi,  il faudrait dire que Paul, Jean et Pierre pouvaient errer, même après avoir reçu l’Esprit Saint.
 Nil insiste.  « On pourrait dire qu’Agathon a dit la vérité en parlant des temps passés, lorsqu’il affirma que l’Église romaine n’avait jamais erré, mais non en affirmant que, dans l’avenir, l’église romaine ne pourra jamais se tromper ».  Mais, mon bon, c’est dans les temps anciens qu’Honorius a existé.  Il précède même Agathon de plusieurs années.  Ce n’est donc pas en parlant du futur qu’Agathon dit que la foi de défaillira jamais dans le siège de Pierre ?  Nil ajoute à la fin : « Il est certain qu’Agathon a écrit avant le sixième synode; et il ne connaissait pas très bien alors les sujets sur lesquels le concile a délibéré.  Il ne serait pas étonnant qu’un saint synode ait perçu des choses dont un homme seul ne pouvait pas se faire une claire idée. »   S’il en est ainsi,   Agathon a erré par ignorance.  Pourquoi, alors, le synode (actes 8 et 18) a-t-il approuvé cette lettre comme ayant été écrite par l’apôtre Pierre ?  Qu’est-ce autre que de dire ou qu’il a approuvé une erreur, ou qu’il s’est contredit ouvertement lui-même ?  Omettant tout le reste, j’ajoute seulement ceci.  Personne ne connaissait mieux les dogmes d’Honorius qu’Agathon, puisque cette affaire avait été souvent examinée par Jean 1V, Theodore, Martin, et les autres prédécesseurs d’Agathon.
Quatrièmement, on le prouve par la lettre de Nicolas à Michel, dans laquelle Nicolas parle des pontifes romains : « Jamais la plus faible rumeur ne les a jamais accusés de penser de mauvaises choses avec les savants, et de comploter avec eux la moindre erreur. »  Or, comment cela pourrait-il être vrai si, publiquement, dans un concile général qui regroupe un grand nombre d’évêques, Honorius avait été anathématisé par acclamation ?
 Cinquièmement, on le prouve ainsi.  Ou il est nécessaire de dire que ce concile où a été condamné Honorius a été faussé par des envieux, ou il faut accuser ce concile d’avoir enseigné une erreur intolérable, et de s’être comporté impudemment.  La deuxième partie de l’alternative n’a jamais été soutenue par personne, même pas par les hérétiques.  Il reste donc la première.  Le concile ne pouvait pas, sans une impudence et sans une erreur intolérables, condamner Honorius pour hérésie.  Le concile, en effet, n’a pas eu d’autre indice de l’hérésie d’Honorius que ses lettres à Serge, où Honorius défend de parler d’une ou de deux volontés dans le Christ.  Or, ces lettres témoignent clairement qu’Honorius admet et enseigne deux opérations, et qu’il voulait seulement qu’on s’abstienne des mots « un ou deux », pour enlever toute occasion de scandale, et calmer le débat.  On ne peut pas condamner comme hérétique quelqu’un qui confesse la chose, même si, pour une juste raison, il juge devoir la taire,  surtout avant la définition de l’église.  Autrement, il faudrait taxer saint Jérôme d’hérésie, parce que, dans sa lettre à Damase, il pensait qu’il ne fallait pas parler de trois hypostases en Dieu, alors que l’Église a, par la suite, défini de foi le contraire.  Ajoutons que, dans le concile romain célébré, avant le synode,  par Martin premier, pape et martyr, ont été condamnés nommément les fauteurs de l’hérésie monothélite : Serge, Cyrus, Pyrrhus et Paul.  Honorius n’a pas été nommé.  On ne peut pas attribuer cela à l’acception de personnes,  car c’étaient de grands saints, ni non plus à l’ignorance ou à l’oubli.  Car,  quels sont ceux qui connaissent mieux les accomplissements des pontifes que leurs successeurs ?  Si donc le concile romain, qui possédait l’original des lettres  et qui comptait des témoins vivants de ses paroles et de ses gestes,  ne blâma pas Honorius, comment est-ce crédible que le concile l’ait fait, à partir des seules lettres ?
 Si quelqu’un ne parvient pas encore à croire que le sixième concile ait pu être corrompu,  qu’il accepte une autre solution qui est celle de Turrecremata (livre 2, chapitre 93). Il enseigne là que les pères du sixième concile général ont effectivement condamné Honorius, parce qu’ils avaient été mal informés, et qu’ils auraient donc porté un jugement erroné.  Car bien qu’un concile général ne puisse  pas errer dans les définitions de dogmes de foi, il peut errer dans les questions de fait.    Nous pouvons avancer prudemment que ces pères ont été trompés par de fausses rumeurs, et, sans avoir saisi le sens réel des lettres d’Honorius, l’ont classé sans raison valable parmi les hérétiques.  Tu diras peut-être :  tu n’as pas mieux compris ses lettres que les pères du concile.  Je réponds que ce n’est pas seulement moi qui les ai mieux comprises, mais aussi Jean 1V, Martin 1, Agathon et Nicholas 1, et tous les nombreux pères du concile romain.  Mais, tu me demanderas : pourquoi les légats d’Agathon n’ont-ils par réclamé quand Honorius a été condamné ?  Je réponds que cela s’est fait pour éviter un moindre mal.  Car les légats craignaient que, s’ils réclamaient, ils empêcheraient la définition de la vraie foi, et qu’il serait impossible de mettre fin à un schisme qui durait depuis 60 ans.  Car, dans ce concile, étaient condamnés plusieurs patriarches de Constantinople, d’Alexandrie et d’Antioche.  Leurs successeurs auraient difficilement accepté une telle condamnation si Honorius, qui avait été accusé avec eux,  n’avait pas été  condamné avec eux.
 Au troisième argument, je réponds que les pères du septième concile ont suivi le sixième concile, et n’ont fait que reproduire ce qu’ils y lisaient.  Ils ont donc été trompés par le sixième concile qui avait été faussé, ou ils condamnèrent Honorius par ignorance.  Au quatrième argument je réponds qu’Hadrien et le concile romain ne déclarèrent pas qu’Honorius a été un hérétique, mais seulement qu’il a été anathématisé par les évêques orientaux, car ils savaient très bien qu’il n’avait pas été condamné par le concile de saint Martin.  Hadrien ajouta, au sujet d’Honorius, que les évêques orientaux n’auraient pas osé condamner Honorius,  à  moins d’avoir prévu le consentement de Rome, parce qu’ils savaient que les légats d’Agathon avaient consenti à la condamnation d’Honorius.  Cela je le dis si l’on considère que les canons du sixième concile sont demeurés tels quels.  Mais si nous pensons qu’ils ont été faussés, il faudra dire qu’Hadrien a été trompé par ces actes fautifs.
Tu diras que les membres de ce concile pensaient certainement que le pape peut errer, puisqu’ils considéraient Honorius comme un hérétique.  Je réponds que ces pères pensaient que le pape peur errer comme homme privé, ce qui est une opinion probable, même si l’opinion contraire est plus probable.  Car, Honorius était accusé d’avoir fomenté l’hérésie par des lettres privées.  Au cinquième je réponds que Melchior Cano semble avoir été induit en erreur par la somme des conciles, car l’auteur de cette somme des conciles, contrairement au sens obvie de ces lettres qui sont citées intégralement dans le concile au tome 2, ajoute le nom d’Honorius.  Il se trompe donc quand il dit que ces lettres ont été écrites au sixième concile, alors qu’elles ont été envoyées toutes deux à l’empereur.   Au sixième,  je dis que l’épitre de Léon a été corrompue par ceux qui ont corrompu le sixième concile œcuménique, puisque cette lettre est considérée comme une partie du concile, et possède la même autorité que le concile.  Il est certain que Léon adopta le jugement des légats d’Agathon pour ne pas retourner le fer dans la plaie.  Mais rien ne nous oblige à suivre ce Léon plutôt que tant d’autres souverains pontifes.  Surtout dans une question de fait, qui ne se rapporte pas à la foi.
 Le septième.    J’oppose des auteurs aux auteurs, le grand nombre au petit nombre, et les plus anciens aux plus récents.  D’abord, saint Maxime (dans le dialogue contre Pyrrhus) qui a vécu au temps d’Honorius, Theophane Isaurus (dans l’histoire que cite Onuphrius), et Emmanuel Galeca (dans le livre qu’il a écrit pour les latins contre les grecs) ont attesté qu’Honorius a toujours été catholique.  Ensuite, Photius, grec et ennemi de l’église romaine, (les synodes, 7) dit, quand il en vient au sixième concile général, que furent condamnés Cyrus, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre.   Mais, de Honorius il ne rien de tel.   De même Zonoras, dans la vie de Constantin 1V, omet Honorius en énumérant les noms de ceux qui ont été condamnés par le sixième concile.  Le diacre Paul fait la même chose dans la vie du même Constantin 1V.  Ensuite, les historiens latins font, presque tous, d’Honorius, un pontife saint et orthodoxe : Bède, Anasthase le bibliothécaire, Blondus (livre 9, decade 1), Nauclerus, Sabellicus, Platina, et les autres.
J’ai ajouté Bède le vénérable, même si Melchior Cano s’y oppose.   Je ne doute pas que c’est ce qu’il pensait  lui-même, même si, dans le livre des six âges, il a rayé le nom d’Honorius du groupe de ceux qui ont été condamnés par le concile 6.  Il semble que ce soit un copiste qui ait ajouté le nom d’Honorius dans le livre de Bède, du fait que, dans le concile 6, son nom se trouve partout associé aux hérétiques.  Mais que Bède ait considéré Honorius comme un saint, même après sa mort, nous le montre son histoire ecclésiastique des anglais (livre 2, chapitres 17, 18, 19), où il l’appelle souvent un excellent pasteur; ainsi que sa vie de l’abbé Bartolfus, où il l’appelle tantôt bienheureux, tantôt saint.  Voici ce qu’il dit, entre autres : « Le vénérable président Honorius, était sagace, reconnu pour son jugement, célèbre pour sa doctrine, doux et humble de cœur. »  Et plus bas : « Le pape fit  au vénérable Bartolfo un don hautement désiré, c’est-à-dire un privilège du siège apostolique, selon lequel aucun évêque ne pourrait  tenter d’imposer son autorité ou sa juridiction au dit monastère. »  Voilà ce que dit d’Honorius Bède le vénérable.  Il ne parlerait pas ainsi de lui,  s’il le considérait comme un hérétique, comme le prétendent nos adversaires.
                                                                               LIVRE 12
                                                                      Sept autres pontifes

Le vingt-quatrième pontife qui est accusé par eux d’avoir erré est saint Martin premier.  Les magdebourgeois (centurie 7, chapitre 20) l’accusent d’avoir enseigné, dans sa lettre à Armand, qu’il ne fallait pas accorder de pardon aux prêtres ou aux diacres qui pèchent après leur ordination, ce qui est une sorte de novatianisme.  Je réponds que saint Martin ne parle pas du pardon des péchés, mais du retour aux ministères sacrés, car il voulait que soient déposés de leur grade les prêtres ou les diacres qui pêchaient gravement; et que, s’ils récidivaient et demandaient l’absolution, ils la reçoivent, mais ne soient jamais rétablis dans leurs grades. C’est ce qu’enseignent d’ailleurs tous les anciens.  Le vingt-cinquième est Grégoire 111.   Les magdebourgeois (centurie 8, chapitre 10, dans sa vie) l’accusent de deux choses.  La première.   D’avoir ordonné, dans une lettre à Boniface, que soient consacrés de nouveau ceux qui ont été consacrés par d’autres que par  ceux que le pape avait envoyés.  Mais cela est un mensonge éhonté, car Grégoire ordonne seulement que soient consacrés de nouveau ceux qui ont été ordonnés par ceux qui ne sont pas de vrais évêques.  La seconde.    Ils l’accusent d’avoir, dans une autre lettre à Boniface, permis à un homme d’épouser une autre femme, parce que, à cause d’une maladie quelconque, sa propre femme ne pouvait pas remplir ses devoirs conjugaux.  Ce qui est expressément contre l’évangile, comme l’avait annoté Gratien (32, question 7, canon quod proposuisti).  Grégoire premier est accusé, par certains, de la même erreur, à cause de sa lettre à Augustin, évêque d’Angleterre.  Il aurait employé des mots similaires.
 Je réponds d’abord qu’il est stupéfiant que les luthériens considèrent cela comme une erreur, puisque Luther lui-même, comme l’atteste Jean Cochlaeus, dans son chapitre sur le mariage, a enseigné la même chose. J’ajoute que Grégoire ne parle pas de n’importe laquelle incapacité, mais d’une impuissance perpétuelle et naturelle,  qui rend la femme inapte au mariage.  De tels mariages, en effet, s’ils sont contractés par erreur, sont jugés nuls et non avenus, et sont dissous par les tribunaux ecclésiaux.  C’est ce que nous avons dans les décrétales, (titre de  frig, chapitre ex litteris) : et c’est que répond la glossa (dans 20 dist  canon de libellis).  Mais on objecte que Grégoire semble juger que le premier mariage a été un vrai mariage, et qu’on ne doit pas tant le dissoudre qu’en ajouter un autre.  Car, il écrit que l’homme ne doit pas cesser d’apporter du secours à sa première épouse,  c’est-à-dire qu’il doit encore la nourrir et la sustenter.  Mais on peut dire comme la même glosse (32, question 7, canon quod autem proposuisti) que le pontife donne un conseil, non un ordre quand il demande au mari de continuer à prendre en  charge la première femme, si elle a besoin d’être secourue, et si elle n’a commis aucune faute qui l’empêche d’être encore son épouse.  Il faut noter que cet enseignement ne vient pas de Grégoire 1, mais de Grégoire 111.  Car, cette épitre à Auguste est une seule et même épitre que celle à Boniface que l’on sait être de Grégoire 111. On ne la trouve pas, en effet, parmi les œuvres de saint Grégoire, mais seulement dans les tomes des conciles.  Dans le concile romain sur les grades qui prohibent le mariage, cette lettre est attribuée à Grégoire le grand, alors qu’elle ne peut être que de Grégoire 111,  comme on le voit pas les empereurs qui sont nommés au début et à la fin du concile.
 Le vingt-sixième est Nicholas premier.  Certains lui reprochent d’avoir enseigné qu’était valide un baptême administré au seul nom du Christ, sans la mention des trois personnes de la trinité, ce qui est contraire non seulement à l’institution évangélique du baptême, mais même aux décrets des autres pontifes, comme les papes Pélage et Zacharie qui réprouvent le baptême de ceux qui n’ont été baptisés qu’au nom du Christ, et non expressément au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme on le voit dans le synode (dist. 4,  canon multi, et canon in synodo).  On ne peut pas, non plus répondre que, au temps de Nicolas, l’église n’avait pas encore défini qu’était invalide un baptême conféré au seul nom du Christ, car cela avait été défini dans un concile anglais, sous le souverain pontife Zacharie, qui avait précédé Nicolas, lequel concile avait été confirmé par le pape, comme on le voit dans le canon du synode, sur la consécration, dist. 4.  Je réponds que Nicolas a dit cela sans vouloir en faire une définition de foi; qu’il n’avait que donné son opinion, en passant,  en tant que docteur particulier.  Car, ce qu’il entendait définir dans ce canon ne portait pas sur la forme du baptême,  mais seulement sur le ministre,  au sujet duquel on l’avait interrogé.  C’est pourquoi, après avoir répondu et décrété  qu’était valide un baptême donné par un juif ou un païen, il a jouté, en passant,  que le baptême était valide,  qu’il ait été donné au nom des trois personnes, ou au non du Christ seul.  Il se rangeait, en parlant ainsi, comme il le dit lui-même,  à l’avis de saint Ambroise (livre 1, chapitre 3, sur le Saint-Esprit).  Cette opinion est fausse à mon avis, mais non hérétique.  Mais, on ne trouve aucune définition sure de l’Église sur ce sujet, et les pères ont, là-dessus, des opinions différentes.
 Les canons des papes Pélage et Zacharie ne nous sont pas d’un grand secours.  Car, Pélage n’a rien défini, mais ne fait, dans sa lettre à Gaudentius,  qu’expliquer son opinion personnelle. Quant au canon de Zacharie, il m’est grandement suspect.  Gratien, en écrivant ce canon, a cité la lettre  en question de Zacharie à Boniface.  Mais cette lettre on ne la trouve pas dans les épitres de Zacharie à Boniface qui sont éditées dans les tomes des conciles.  Ensuite, le vénérable Bède, qui a fait mention des autres conciles,  ne s’est pas souvenu de ce concile anglais dans son histoire ecclésiastique d’Angleterre.  Il a même une opinion tout à fait contraire.   Car, au chapitre 10 des actes, il approuve l’opinion de saint Ambroise sur le baptême au nom du Christ, alors qu’il ne pouvait ignorer un décret d’un concile anglais, qui aurait été célébré de son temps, et du vivant du pape Zacharie.  On ne peut en aucune façon croire  qu’il ait voulu contredire un concile tenu dans son pays, et confirmé par le siège apostolique.
 Mais si on admet la légitimité de ce concile confirmé par le pape Zacharie, on peut répondre de deux façons.  La première.  Ce concile (canon 4, dist, 3) a défini que le baptême était invalide sans l’invocation des trois personnes de la sainte trinité.  Mais il n’a pas défini si ces personnes devaient être nommées explicitement ou implicitement.  Ce canon ne contredit donc pas l’opinion  d’Ambroise et de Nicolas qui enseignèrent que suffisait l’invocation implicite des trois personnes dans le nom du Christ.  Et c’est de cette façon que saint Bernard a entendu ce canon dans sa lettre 340, ainsi que Hugo de saint Victor, et tous les autres docteurs du moyen-âge qui, en dépit du canon anglais, enseignèrent que le baptême administré au seul nom du Christ était valide.   La seconde.  Je dis que le concile n’a pas été vraiment et formellement approuvé par le siège apostolique, et qu’il ne fait donc pas, de cette décision, une matière de foi.  Zacharie, il est vrai, loua ce concile anglais, et cita ses décrets dans le but qu’il se proposait, non proprement comme pontife. Et ce n’était pas dans l’intention de confirmer les actes de ce concile qu’il l’approuva.  Car, c’est une chose différente pour un pontife de confirmer sérieusement les actes d’un concile, et de les recommander dans un but précis.
 Le vingt-septième est Stéphane V1, auquel on ajoute Serge 111, comme on le voit dans Platine (28) et d’autres. On l’accuse d’avoir annulé  les actes du pape Formose, son prédécesseur, et d’avoir prescrit d’ordonner, de nouveau, ceux qui avaient été ordonnés par lui.  Il a estimé ensuite que le sacrement dépendait de la vertu du ministre, ce qui est une erreur manifeste dans la foi.  Voilà pourquoi Jean 1X annula les actes de Stéphane V1, et approuva ceux de Formose.  Mais, un peu après, Serge 111 annula de nouveau les actes de Formose, et aussi ceux de Jean, et approuva les actes de Stéphane.  Comme ces pontifes se sont manifestement contredits, il est absolument nécessaire que certains d’entre eux aient erré, comme le remarquent les magdebourgeois (centurie 9, chapitre 10, dans la vie de Stephane 6, et centurie 6, chapitre 10, dans la vie de Jean1X et de Serge 111).
Je réponds que Stéphane V1 et Serge 111 ont erré, mais dans une question de fait, non de droit, en donnant un mauvais exemple, mais non une fausse doctrine.  Voici comment les choses se sont réellement passées.  Formose, cardinal et évêque portugais, déposé, dégradé et réduit à l’état laïc par le pape Jean V11, quitta la ville, et jura de ne jamais retourner ni à la ville ni à l’épiscopat.  Puis, après la mort de Jean V111, son successeur Martin 11, absout Formose d’un serment fait sans réflexion, et le rétablit dans sa dignité première. Et un peu après, ce même Formose fur créé  pape, vécut encore pendant cinq ans, et s’endormit avec ses pères.   Stéphane V1 lui succéda.  Enflammé de haine envers Formose, ignorant ou ne croyant pas qu’il avait été relevé de son serment par le pape Martin, il décréta publiquement, dans un concile d’évêques, que Formose n’avait jamais été un pape légitime, et que ses actes étaient donc nuls.  Et il força ceux qui avaient été ordonnés par lui d’être ordonnés de nouveau, comme s’ils n’avaient reçu absolument rien de lui.   Ce comportement déplut à tout le monde.  Voilà pourquoi les trois pontifes qui lui ont succédé Romain 1, Theodore 11, et surtout Jean 1X, convoquèrent un autre concile et déclarèrent que Formose avait été un véritable pape, et renversèrent la décision de Stéphane V1,
 Sergius fut élu après eux qui imita, en tout, Stephane V1.   La question principale était la suivante : Formose a-t-il, oui ou non, été un pape légitime ?  Nous ne nions pas que, dans ce genre de questions, les pasteurs peuvent errer, et que, de fait, ont erré Stéphane et Serge.   Mais tu m’objecteras que Stéphane et Serge n’ont pas seulement jugé que Formose n’avait pas été un vrai pape, mais qu’ils avaient considéré invalides les ordres qu’il avait conférés, ce qui est manifestement une erreur contre la foi.  Car, même si Formose n’avait pas été un vrai pape, et était demeuré constamment déposé et dégradé, cependant, du fait qu’il avait été évêque et qu’il l’était toujours quant au caractère et au pouvoir de l’ordre, que nul ne peut enlever, c’est une erreur dans la foi de dire que les ordres sacrés qui ont été conférés par lui n’étaient pas de vrais ordres sacrés.  Je réponds que Stéphane et Serge n’ont émis aucun décret qui stipulerait que ceux qui sont ordonnés par un évêque dégradé doivent être de nouveau ordonnés.  Il a seulement  casuellement ordonné qu’ils soient de nouveau ordonnés.  Ce commandement ne provenait pas de l’ignorance, ou d’une hérésie, mais d’une haine envers Formose.  Sigebert (dans sa chronique, année 903), note dans sa chronique, que c’est comme cédant à la violence que  lui faisaient les réclamations de tous, qu’il ordonna que soient réordonnés ceux qui avaient été ordonnés par Formose.
 Le vingt-neuvième est Jean X111, ou comme d’autres disent, X1V.  Les magdebourgeois (centurie 10, chapitre 6, colonne 294) l’accusent d’une erreur horrible et sacrilège. Contre l’institution du Christ, il a commencé à baptiser des cloches, ce que d’autres hérétiques nous reprochent souvent.  Je m’étonne qu’ils ne disent pas que nous les avons avant catéchisées et instruites,  pour qu’elles puissent sonner le symbole de foi de façon orthodoxe.  Ou c’est le mot baptême qui fait problème, ou c’est ce que signifie le mot.  Si c’est la signification du mot, ils se trompent ou ils mentent, car les cloches ne sont pas vraiment baptisées, mais seulement bénites et dédiées au culte divin, de la même façon que le sont les églises, les autels, les calices, et les vases sacrés.  Comme on peut le voir dans le pontifical, où l’on trouve une bénédiction de cloches qui ne fait aucune mention du mot baptême.  On ne dit pas non plus à la cloche : je te baptise au nom du père, du fils et du Saint-Esprit, mais on ne fait qu’offrir des prières à Dieu, comme dans les autres bénédictions.  Si c’est le nom qu’ils blâment,  qu’ils apprennent que ce nom de baptême n’a pas été donné par les pontifes, mais par le peuple, qui assimila la bénédiction à un baptême parce que les cloches sont aspergées d’eau bénite, et qu’on leur donne un nom pour les distinguer des autres.
 Le trentième est Sylvestre 11, qui, selon eux, fut mage et nécromancien, et qui fut mis en pièces par le diable dans l’église de la sainte croix de Jérusalem, comme le rapporte Martin Polonus dans sa chronique.  Et c’est cet auteur que citent les magdebourgeois (centurie 10) et Tilmannus (livre 1, chapitre 9 de l’Église). Tous savent que les nécromanciens, pour la plupart, sont des infidèles, et qu’ils adorent le diable à la place de Dieu.   Je réponds que ce que l’on raconte de la magie, de la nécromancie et de la mort du pape Sylvestre 11 est une fable.  Car, aucun auteur ancien de bonne foi n’a osé présenter cela comme une certitude.  Et, dans l’église du Latran, existe encore le sépulcre de ce pontife, avec une épitaphe inscrite par le pape Serge 1V, un homme d’une sainteté reconnue par tous, qui ne fut postérieur à Sylvestre que de cinq ans.  Dans cette épitaphe, il loue son prédécesseur en l’appelant un excellent pontife.   L’occasion de la fable de la magie du pape Sylvestre vint du fait qu’il était versé en astronomie, et qu’il a écrit cinq livres sur ce sujet.  En son siècle, c’est-à-dire au dixième (900),  personne ne pouvait exceller  dans l’astronome ou la géométrie sans être considéré, par le peuple, comme un mage.
                                                                               CHAPITRE 13
                                                                                Grégoire VII
 Le trente-et-unième à être accusé d’erreur par les adversaires, est Grégoire, le septième du nom.  Les magdebourgeois le représentent comme un hérétique, un nécromancien, un séditieux, un simoniaque, un adultère, et le pire non seulement de tous les pontifes, mais de tous les hommes.  Et c’est pourquoi ils ne lui donnent pas le nom de Grégoire, comme il fut appelé dans son pontificat, ni d’Hildebrand, comme on l’appelait avant son pontificat, mais de Hellebrand, ce qui signifie en allemand  tison d’enfer.   Theodore Bibliander veut que ce Grégoire soit le Gog prince de Magog.  Et tous les autres pontifes de ce temps ne détestèrent aucun pontife autant que celui-là. Et  surtout Tilmannus (livre 1, chapitre 9 de l’église) où il ment effrontément, en assurant que tout le mal qu’on raconte de Grégoire se trouve dans les livres des moines,  les adulateurs du pape.  Mais ce Tilmann et les centuriates ne présentent, en tout et pour tout, qu’un seul témoin, un ennemi juré de Grégoire V11.  Ils n’ont donc, pour prouver leurs allégations, que le témoignage du seul pseudo cardinal Bennonus,  qui vécut à cette époque, et qui nous laisse une vie de Grégoire V11.
 En lisant le livre de ce Bennonus, que je trouvai infesté des mensonges les plus  abracadabrants, je me persuadai d’une ou l’autre de ces choses : ou Bennon n’a rien écrit de tel à cette époque, ou un certain luthérien  en est l’auteur, ou le but de l’écrivain n’était pas tant de raconter la vie de Grégoire V11 que de dépeindre le modèle parfait du pire pontife, de la façon que Xénophon écrivit la vie de Cyrus, roi des Perses, en ne racontant pas tant  ce qu’a fait Cyrus, que comment devait se comporter le meilleur des princes.  Qu’on ne puisse accorder aucun crédit à cet auteur, en font foi tous les autres auteurs qui ont écrit juste le contraire, qui étaient eux aussi, des contemporains, et qui sont plus crédibles que ce Bennonus.  Ils sont très  nombreux à faire son éloge, et il est le seul, lui,  à le diaboliser. Et ce Bennonus ne fut pas fait cardinal par le vrai pape Grégoire V11, comme l’affirme mensongèrement Bibliander dans sa chronique (table 13) en précisant qu’il fut un cardinal de Grégoire V11, et un de ses intimes.  Il a plutôt été nommé cardinal par l’antipape Clément 111, que l’empereur avait imposé en haine de Grégoire V11, comme le rapporte Onuphrius dans son livre sur le pontife.  Étant une créature de l’antipape, il pouvait difficilement parler en bien du vrai pape.  Les autres auteurs qui n’étaient d’aucun parti, n’avaient pas les mains liées par des bienfaits reçus, et étaient donc en état de porter un jugement plus juste.  Or, il est facile de démontrer que les autres écrivains ont écrit à  l’opposé de ce que raconte Bennonus.
 On peut regrouper en quatre chefs d’accusation les dénonciations de Bennonus.  Le premier.   Grégoire V11 a, par une force militaire qu’il avait payée de son propre argent, envahi le pontificat, sans le consentement ni du clergé ni du peuple.   Mensonge flagrant ! Car voici ce qu’a écrit saint Anselme, évêque de Lucques, qui vivait à cette époque, dans une épitre à Guibert, pape schismatique du nom de Clément 111 : « Pour dire donc de notre pape ce que saint Cyprien a écrit de Corneille : il a été  fait évêque par le jugement de Dieu et de son Christ, et de presque tous les clercs.  Et, pour dire encore plus vrai, par le témoignage d’absolument tous, par le suffrage du peuple qui était présent, des prêtres âgés, et par le collège des hommes bons.  Ce qui n’est arrivé à personne quand, ou à Alexandrie ou à Rome, la chaire pontificale vaquait. »  C’est l’abbé Uspergensis qui rapporte cette lettre dans sa chronique, et il ajoute : « Cet Anselme fut un homme très saint et très savant, au point d’avoir été illustré par les miracles qu’il a faits de son vivant et après sa mort. »
 Platina fait ainsi le récit de l’élection de ce pontife : « Nous, cardinaux de la sainte église romaine, clerc, acolytes, sous-diacres, prêtres,  en présence des évêques, des abbés, d’un grand nombre d’ecclésiastiques et de laïcs,  nous élisons aujourd’hui, ce  dix des calendes de mai, dans la basilique de saint Pierre aux liens, en l’an du salut 1073, comme vrai vicaire du Christ, l’archidiacre Hildebrand, homme d’une grande doctrine, d’une grande piété, d’une grande prudence, justice, constance, et religion, homme sobre, modeste et continent. »   Ce texte ancien semble n’avoir été conservé que pour réfuter les calomnies de Bennonus.  Disent la même chose tous les auteurs que nous allons citer plus loin.
 Bennonus dit ensuite qu’Henri 1V a été excommunié par Grégoire V11, alors qu’il était innocent.  Les magdebourgeois osent affirmer la même chose (centurie 11, chapitre 6, colonne 264). Or, Étienne, évêque de Halberfatensis, homme saint et instruit, écrit ceci dans son épitre à l’évêque  Walramum, au témoignage de Dodechinus dans son addit à Marian Scott, en l’an 1090, et de Trithemius dans sa chronique : « Entends des choses vraies, non fardées, puissantes, non plaisantes : celui qui vend les dignités spirituelles est un simoniaque.  Le seigneur Henri, qu’on appelle roi, a trafiqué les évêchés et les abbayes.  Il a vendu ceux de Constance, de Bamberg, de Moguntin, et plusieurs autres, pour de l’argent.  Ceux de Ratisbonne, d’Augustensem, et de Strasbourg, pour le  glaive.  L’abbaye de Fuldens pour un adultère.  Le monastère épiscopal, ce qui n’est permis ne de dire ni d’entendre, pour l’immondice sodomite.  Si tu veux nier cela impudemment, le ciel et la terre en témoigneront, et même ceux qui retourneront,  de la fournaise, sur la terre  crieront qu’il est un hérétique.  À cause de ces méfaits abominables,  il a été excommunié par le siège apostolique, et il ne pourra désormais avoir aucun pouvoir sur nous, qui sommes catholiques. »
 Marianus Scotus, qui vécut au temps d’Henri 1V, écrit, dans sa chronique à l’année 1075.   Voyant et entendant parler des crimes inouïs et inénarrables du roi Henri, des hommes catholiques établis en autorité dans l’église à cette époque, enflammés du zèle du Seigneur comme le prophète Élie pour la maison d’Israël, ont envoyé des légats à Rome auprès d’Alexandre, le détenteur du siège apostolique, pour se plaindre  par écrit, de vive voix, et en pleurant, de toutes les insanités simoniaques et hérétiques qui avaient pour auteur et patron le roi Henri. »  Le même Dodechinus, continuateur de Marianus, écrit, en 1106 : « C’est par un juste jugement que  Henri, homme pervers, a été éjecté par l’Église, car il est prouvé qu’il a vendu tous les biens spirituels. »  Le même auteur rapporte, dans les années 1090 et 1093, beaucoup d’autres crimes honteux d’Henri 1V.  Saint Anselme, qui était évêque de Kant à cette époque, appelle Henri 1V dans une lettre à Walram (qui précède le livre sur l’asime), «  le successeur de Néron, de Domitien et de Dioclétien. »
 De plus, Lambert Schaffnaburgensis, abbé d’Usbergensis,  rapporte plusieurs crimes d’Henri 1V, dans sa chronique.  Ainsi que   Albertus Krantius (livre 5, metrop, et livre 6 saxoniae) et Jean Aventinus (livre 5, annales des Bojorum), auteurs auxquels les magdebourgeois ont coutume d’attacher beaucoup d’importance.   Et que dire de ce que Calvin lui-même le reconnait ?  Car, voici ce qu’il écrit dans ses institutions (livre 4, chapitre 11, verset 13) : « L’empereur Henri, quatrième du nom, homme léger et téméraire, dénué de jugement, d’une grande audace, et d’une vie dissolue, avait fait, dans son palais, de tous les évêques de Germanie, des simoniaques et des prédateurs. »
Voici quelle est la troisième accusation de Bennonus.  «  Le pape Grégoire fut un hérétique bérengérien, c’est-à-dire qu’il ne croyait pas avec certitude que le vrai corps du Christ était présent sous les espèces du pain. »  Mais il est certain que, sur ce pontife, on ne peut pas faire d’accusation moins fondée que celle-là.  Car, pour omettre qu’il a toujours été appelé saint par tous les écrivains, qu’il fut toujours en communion avec Léon 1X et Nicolas 11, qui condamnèrent Bérenger, qu’aucun autre auteur, enfin, pas même Sigebertus qui ne le prise guère, n’a osé affirmer rien de semblable, ce même Grégoire, dans le concile de Tours qu’il présidait au nom du souverain pontife, réfuta personnellement ce même Bérenger.  Voici ce  qu’écrit à ce sujet Guitmundus (livre 3, sur l’eucharistie) : « L’Église elle-même, par le pape saint Léon 1X, condamna les divagations bérengériennes à leur naissance.  Ensuite par le pape actuel, Grégoire V11, qui était alors archidiacre du siège romain, elle convainquit dans le concile de Tours ce même Bérenger.   Comme il semblait ramené sur la voie droite, et qu’il professa le mystère par écrit,  il le reçut avec clémence.  Mais, l’hérésiarque  étant retourné un peu après à son vomissement, agissant au nom du pape Nicolas de sainte mémoire, Grégoire  le réfuta de nouveau dans le concile général de Rome. »
 Et pour qu’on ne dise pas que Grégoire sept était catholique quand il était archidiacre, mais hérétique quand il fut pape, qu’on lise Thomas Waldensis (tome, chapitre 43, sur les sacrements), où il rapporte mot pour mot la sentence de ce pape Grégoire V11 qu’il a prononcée, l’an 6 de son pontificat, dans un concile romain.  Ce nouvel éclairage fera apparaitre une fois de plus Bennonus comme un fourbe.   Voici quelle est la quatrième accusation de Bennonus.  Grégoire été un homme méchant, simoniaque, magicien, adultère, homicide,  enfin il est chargé de tous les crimes.  Et, pour démontrer ses dires, il raconte des histoires dont on ne trouve aucune trace dans les bons auteurs, et que paradent comme des oracles Ilyricus et Tilmann.  Mais c’est le contraire qu’ont écrit de lui les écrivains contemporains, et ceux des autres siècles, pour ne citer que les auteurs allemands.
Trithemius, dans sa chronique,  parle de cette façon du conciliabule de  l’empereur : « À ce concile des méchants qui l’avait convoqué, l’abbé Guillaume de Hirsaugiensis ne daigna pas aller, car il savait que le vicaire du Christ était saint et innocent. »  Otho Frisingensis (livre 6, chapitre 32 de son histoire) écrit : « Hildebrand est toujours demeuré très constant dans la discipline ecclésiastique. »  Et, au chapitre 34 : « Étant devenu la forme du troupeau, ce qu’il enseigna par la parole il le démontra par l’exemple;  et se conduisant en toutes choses comme un athlète d’une grande force, il ne craignit pas de se dresser comme un mur pour protéger la maison de Dieu. »  Et, au chapitre 36 : « L’Église n’a pas peu pleuré la perte d’un si grand pasteur, qui, parmi tous les prêtres et les pontifes romains, excella surtout dans le zèle et l’autorité. »  Krantius (dans Metrop livre 5, chapitre 20) écrit : « Henri 1V a envahi les droits des églises, en instituant des évêques selon son bon plaisir, et en destituant le souverain pontife Grégoire V11. »
 L’abbé Usbergensis ne semble pas avoir osé louer trop ouvertement Grégoire V11.  Mais, en trois endroits, il dit ce qu’il en pense. Un premier, où, dans des termes très clairs, il vitupère Henri 1V.  Voici ce qu’il dit :  « L’an 1018, abusant de la liberté effrénée de l’adolescence, le roi Henri 1V commença,  à l’exclusion de tout le reste de l’empire romain,  à ne demeurer que dans la seule Saxonie, à mépriser les princes, à opprimer les nobles,  à soudoyer les inférieurs par la chasse, les jeux et d’autres loisirs semblables.  Au lieu de rendre la justice, il s’évertua à donner en mariage les filles des nobles à des bourgeois,  et il choisit ses gardes du corps  parmi les soldats,  parce qu’il se méfiait des  nobles. »  Et plus bas : « Voici la fin, la mort et le sort ultime d’Henri, appelé par les siens quatrième empereur romain de ce nom, mais par tous  les catholiques, qui continuent à obéir et à conserver leur fidélité à Pierre et à ses successeurs, archi pirate, hérésiarque, apostat, et persécuteur plus des âmes que des corps. »
Il enseigne là qu’Henri, dès son adolescence, a glissé vers la tyrannie; et il démontre que le jugement que Grégoire porta sur lui fut juste.  Ensuite, plus bas, quand il cita les paroles du conciliabule contre le pape saint Grégoire, et la défense de saint Anselme en faveur du même Grégoire, l’abbé ajoute : « L’évêque Anselme écrivit des choses très contraires à la première sentence, lui qui était un lettré et un érudit, d’une grande intelligence, et qui avait la parole facile, et, ce qui importe plus que tout, il était célèbre pour sa crainte de Dieu et la sainteté de sa vie, tellement qu’on rapporte des miracles qu’il a opérés pendant sa vie, et après sa mort. »   Même s’il ne semble pas facilement porté à louanger Grégoire V11,  et s’il préfère son louangeur à tous ses accusateurs, il ajoute quand même, plus bas, au sujet du successeur de Grégoire V11 : « Desiderius, cardinal romain et abbé du mont Cassin, un vrai disciple du Christ, lui succéda, à son corps défendant.  Mais, comme il était gravement malade quand il fut élevé au sommet du pouvoir, il obtint, par ses prières, d’être, après seulement quelques jours de pontificat, retiré de ce monde. »   Qui peut hésiter à penser que ce Désiré n’aurait jamais approuvé la cause de Grégoire, s’il avait été persuadé qu’elle n’était pas juste ?
 Nauclerus (dans sa chronique des générations, 37) écrit : « Grégoire fut un homme religieux, craignant Dieu, amoureux de la justice et de l’équité, constant dans les adversités, et qui ne craignait en aucune façon d’accomplir ce qui se rapportait à la justice. »  Marianus Scotus, moine de Fuldens, qui vécut au temps de Grégoire V11, écrit (dans sa chronique, à l’année 1075) : « Grégoire, après avoir entendu les récriminations et les justes plaintes des catholiques envers l’empereur Henri 1V, et l’inhumanité de ses crimes, enflammé du zèle de Dieu, excommunia le dit roi, surtout pour cause de simonie.  Ce qui plut grandement aux catholiques, mais déplut fortement aux simoniaques et aux favoris du roi. »    L’abbé Dodechinus, le continuateur de Marien, écrit en 1085 : « Urbain confirma les écrits et les paroles du vénérable pape Grégoire V11 contre les schismatiques. »   Et en l’année 1090, il le déclare bienheureux.  Lambertus Schaffnaburgensis, qui vivait à la même époque, écrit ceci, dans son histoire des Germains : « La constance d’Hildebrand et son âme aguerrie contre l’avarice, faisaient fi de tous les arguments de la faiblesse humaine. »  De même : « Les signes et les prodiges qui s’opéraient souvent par des prières à saint Grégoire, et son zèle très fervent envers Dieu et les lois ecclésiastiques le munissaient suffisamment contre les langues empoisonnées des détracteurs. »
Au même endroit, il raconte la mort de l’évêque Guillaume qui, avec Bennonus, avait milité contre Grégoire : «  Il fut subitement atteint d’une maladie chronique.  En  des hurlements misérables, il vociférait devant tous, pour, par un juste jugement de Dieu, avoir perdu la vie présente et l’éternelle, parce qu’il avait prêté la main à tout ce que le roi entreprenait de mal, et parce qu’au pontife romain innocent,  très saint, et homme de toutes les vertus, il avait infligé toutes sortes d’avanies, sciemment et consciemment,  dans sa fausse prudence. »   Ensuite, au même endroit : « Pendant la célébration d’une messe solennelle, le pape prit dans sa main le corps du Seigneur,  l’éleva en direction du roi, en lui disant : « J’ai entendu dire par toi et par tes semblables que le siège de Rome est atteint de l’hérésie simoniaque, et que sa vie est entachée d’autres crimes. En guise de satisfaction, pour enlever à tous une occasion de scandale,   je prie Dieu, aujourd’hui, de, par son jugement, de m’absoudre de tout soupçon de crime personnel si je suis innocent, ou qu’il me frappe d’une mort subite si je suis coupable.  Et il prit ensuite une parcelle du corps du Christ et l’avala.  En voyant avec quelle facilité le pape avait communié, le peuple remercia Dieu pour l’innocence du pontife, l’acclama en louant  Dieu à haute voix.   Le pape se tourna alors vers le roi, et lui dit : « Fais, mon fils, s’il te plait, ce que tu viens de me voir faire. »  Après avoir demandé un temps de réflexion,  le roi refusa finalement de se purger de cette façon.  Et, dès qu’il rejoignit les siens, il renoua avec sa rancune, et ne trouva pas de repos tant qu’il n’eut pas expulsé Grégoire de la ville, et installé en sa place Gilbert, évêque de Ravenne. »
 Jean Aventin, allemand qui a vécu à cette époque, nous a laissé quelques-uns de ses écrits.  Même s’il déblatère contre notre Grégoire, en marchant sur les traces d’un auteur au nom inconnu, et donc de nulle autorité, il lui arrive parfois de s’avouer vaincu par la vérité, c’est-à-dire de louer Grégoire, et de blâmer Henri.  Voici ce qu’il dit (livre 5, annales Bojor, pages 563) : « Que l’empereur Henri ait été avili par les rapts, l’impudicité,  la luxure, les adultères, ses amis eux-mêmes ne le nient pas. »  Et plus bas : « Grégoire, un très saint homme, est présenté comme un méchant homme par Paul bernietensis, qui a raconté sa vie en deux volumes, et qui donne la parole aux plus acharnés ennemis du pontife. »  Et, plus bas (pate 579), après avoir décrit les crimes que ses adversaires lui oppose il ajoute : « Contre ces accusations, Anselme, évêque de Lucques (qui attribue à ce Grégoire  les hymnes et les autres prières qui sont prescrits pour les souffrances de notre sauveur), et Guillaume Hursunus ont beaucoup écrit.  Et ils déclarent que sa mémoire et ses actes ont été lavés de  tout soupçon d’injustice par les miracles qui ont eu lieu après sa mort. »
 L’innocente du pape Grégoire est donc prouvée de trois façons : par le témoignage des écrivains, par le témoignage d’un adversaire mourant, et par le témoignage de Dieu quand il a été invoqué par le pontife.  Il ne reste qu’une seule calomnie, celle de Sigebert, qui écrit, dans sa chronique, que Grégoire pensait qu’un prêtre concubinaire qui tenait, malgré son état, à célébrer la messe, ne pouvait pas consacrer validement;  et  qu’il interdisait, pour cette raison,  aux chrétiens d’assister au saint sacrifice offert par des prêtres concubinaires.
Je réponds que Sigebert faisait parti des fidèles d’Henri 1V, comme le rapporte Trithemius dans son catalogue des écritures,  et que c’est pour cette raison qu’il a mal interprété l’interdiction du pape Grégoire.  Ce que le pape Grégoire ordonne vraiment l’évêque Anselme, qui est plus ancien et plus saint que lui,  le raconte plus au long,  et plus fidèlement.   Dans son épitre 8 à l’abbé Guillaume, il dit : « Au  sujet des prêtres qui s’affichent comme des réprouvés et des gens exécrés par Dieu, à cause de leur commerce libidineux,  il faut conserver ce que la providence apostolique a décrété  par la rigueur d’un jugement ecclésiastique.  Il ne convient aucunement  qu’on assiste avec révérence là où ceux qui sont souillés par une luxure impudente, publique et obstinée, desservent les saints autels, ou qui plutôt, loin de les desservir, les maculent honteusement, en autant que cela dépend d’eux.  Non parce qu’on pense devoir mépriser ce qu’ils font, puisque ce sont eux qu’on doit considérer comme exécrables, eux qui n’ont aucun respect de la présence de Dieu et des anges.  Afin que, rabroués par l’indignation des hommes, ils cessent de contaminer les mystères. »  Ce contemporain a parfaitement expliqué le sens du décret de saint Grégoire.
 Il nous plait maintenant d’ajouter la liste de ceux qui ont parlé honorablement de saint Grégoire. Léon, contemporain, écrivit autour de l’année 1080 (livre 3 de l’histoire du mont Cassin) beaucoup de choses sur la sainteté du pape, y compris de ses révélations célestes, des visions que n’ont que les serviteurs de Dieu les plus éprouvés.  À la même époque, Marianus Scotus (livre 3, chronique,  an 1075 jusqu’à 1083) parla de lui comme d’un saint pontife.   Lambertus dans sa lettre 8 à Guibert, d’après l’abbé  d’Uspergen,  Stephane Halberstatensis, dans l’épitre à Walramum, d’après Dodechinum,  dans son addition à Maian Scot, Bernard Corbejensis, dans son apologie pour Grégoire, au témoignage de Trithemius (dans son catalogue des Écritures), Guilmundus (livres 1 et 3 sur le sacrement de l’eucharistie).  Ensuite, Paul bernietensis,  et Gerochus reicherspergensis,  qui ont écrit pour Grégoire, et ont été exliés à cause de cela, comme l’atteste Jean Aventinus (livre 5, anales Bojor).  Ces dix saints et doctes écrivains ont écrit pour défendre Grégoire pendant sa vie.  Le seul écrivain qui nous reste de cette époque à écrire contre le pape Grégoire est ce pseudo cardinal Bennon.
 Ensuite, en l’an 1100, Sigebert, dans sa chronique, même s’il était un partisan de l’empereur Henri, comme nous l’avons dit plus haut, n’osa accuser Grégoire d’aucun des crimes dont parlent Bennon et les centuriates.  Tout ce qu’il lui reproche c’est un zèle inconsidéré, et une erreur sur les ministres du sacrement, donc Anselme l’a suffisamment purgé.  Ensuite, ce même Sigebert ne cache pas qu’Anselme de Lucques a écrit en faveur de Grégoire, et que la sainteté d’Anselme a été démontrée par des signes et des prodiges.  Ce qui contribue surement à la gloire de Grégoire.  Un peu plus tard, Gratien, en l’an 1150, rapporte un décret de Grégoire (question 15, canon 6 nos sanctorum).  Et il écrit admirablement en faveur de notre Grégoire.  Otho frisingensis,  anobli par sa sagesse et la probité de sa vie (livre 6 de son histoire),  et Godefridus viterbiensis, en l’an 1200, dans sa chronique ne loue ni ne critique Grégoire.  Il le loue quand même (comme nous l’avons déjà dit) indirectement de plusieurs manières, en ne lui reprochant rien.  À la même époque, Dodechinus, dans son addition à Marian, loue ouvertement Grégoire, et blâme Henri.  Vincent, en l’an 1250 (dans son livre d’histoire, livre 25, chapitre 44), atteste que saint Grégoire a brillé par le don des miracles et des prophéties.   Saint Thomas le cite avec honneur (2,2, question 12, article 2).  Martin Polonus, en l’an 1300, dans sa vie de Grégoire, Jean Villanus (livre 4, chapitre 21, de l’histoire florentine), Blondus, en l’an 1400, (dec. 2, livre 3), Malthaeus Palmerius, dans sa chronique, Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 43), saint Antonin, 1450, (partie 2 de la somme historique, tit 16, chapitre 1, verset 21), Plaina dans la vie de Grégoire, Aeneas Sylvius (dans le comput), Blondi Joannes Trithemius, 1500, dans sa chronique, Joannes Nauclerus (chronique gener 37), Albertus Krantius (livre 5, Metrop),Sabellicus ( Enneade 9, livre 3) Volaterranus (livre 22, anthropologie, les actions de grégoire, tous ces auteurs ont décrit Grégoire comme un grand saint.   Voilà les autorités que nous opposons à l’unique Bennon, et aux perroquets centuriates, à l’impudence et au mensonge d’un Tilmann, qui a osé écrire que les crimes de Grégoire avaient été mis en lumière par les moines et les adulateurs des papes.  Nous avons, nous, au contraire, montré  qu’il a été loué par tous.
 2017 12 20 22h09 fin
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  2019 09 25 14h43 correction de l'oubli
 

CHAPITRE 14 Des autres pontifes qu’on accuse d’avoir erré dans la foi

Le trente-deuxième est Alexandre 111 qui (dans le chapitre cum esses des testaments) dit qu’il est contraire à la loi divine et à la pratique de l’Église de requérir, pour les serments, plus que trois témoins. Et, au même endroit, il interdit, sous peine d’excommunication, de résilier des testaments faits avec trois témoins. Or, c’est le contraire qui est observé dans toute la chrétienté : on ne considère ratifiés que les testaments qui ont sept témoins.  Le même Alexandre, (au chapitre il est permis à l’épouse de deux) dit que quelques-uns de ses prédécesseurs ont jugé qu’un mariage validement contracté,  mais non consommé, pouvait être invalidé par un autre mariage.  Mais que lui était d’un avis contraire. Il s’ensuit donc que c’est lui qui a erré, ou ses prédécesseurs.   Je réponds à la première accusation par une glose des canonistes.  Le pape Alexandre n’a donné cette loi qu’à ceux qui lui étaient soumis dans le temporel et le spirituel.  Ce canon ne déroge donc pas aux lois civiles, ni à la pratique du reste de la chrétienté.  Ou bien, s’il avait imposé cette loi à toute l’église, il faudrait l’entendre seulement des causes pieuses dont l’église est juge.  C’est-à-dire que le pontife a voulu que certains testaments, non tous, mais seulement ceux qui font héritiers une église ou un lieu pieux soient valides, même s’ils ne sont certifiés que par trois témoins. À la deuxième accusation, je réponds que ni Alexandre ni ses prédécesseurs n’ont défini quoi que ce soit là-dessus.  Ils ont seulement expliqué ce qu’ils en pensaient.
 Le trente-troisième est Célestin 111.  Alphonse de Castro (livre 1, chapitre 4, les hérésies)  affirme qu’on ne peut, en aucune façon, l’excuser d’hérésie,  parce qu’il a enseigné que le mariage est dissous par l’hérésie, et que, en conséquence, celui dont le conjoint est tombé dans une hérésie, peut contracter un nouveau mariage avec une autre femme.  Et même si ce décret de Célestin ne se trouve plus aujourd’hui, on le lisait autrefois dans les anciennes décrétales (au chapitre laudabilem, sur la conversion des infidèles).  Ce décret, Alphonse dit l’avoir vu. Or, il est évident que cette sentence de Célestin est hérétique parce que le pape Innocent 111 (chapitre quanto du divorce) a enseigné le contraire, ainsi que le concile de Trente (session 4, canon 5).  Je réponds que ni Célestin, ni Innocent n’ont statué sur cette question. Ils ont répondu, l’un et l’autre, ce qui leur semblait le plus probable.  C’est ce que nous font comprendre les paroles qu’emploie Innocent.  Car, après avoir dit que son prédécesseur avait jugé autrement, il ajoute que, jusqu’à présent, cette chose est laissée à la libre opinion de chacun.  Qu’Alphonse ait dit que la lettre de Célestin se trouvait parmi les lettres des décrétales, cela est vrai.  Mais, on ne peut pas en déduire que Célestin a fait un décret pleinement apostolique, et ex cathedra, puisque, dans les autres épitres des décrétales, il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas à considérer comme de foi.  Elles ne font que nous déclarer les opinions des pontifes sur ces questions.
 Le trente-quatrième est Innocent 111, qui (au chapitre per venerabilem qui filii sint legitimi) enseigne que l’ancienne loi n’est pas encore totalement abrogée : « Quand on interprète la deuxième loi du deutéronome, les mots qui sont utilisés enseignent par eux-mêmes que ce qui est décrété là doit être observé dans le nouveau testament. »  Or, ce décret d’Innocent 11 s’oppose au décret de Pierre dans Actes 15.   Je réponds qu’Innocent, dans ce passage, ne voulait pas dire que l’ancien testament doit être observé à la lettre, mais que tout ce qui y était raconté était des figures du nouveau testament.  Il a parlé en particulier de la deuxième loi du deutéronome, parce qu’elle contient beaucoup de choses qui se rapportent, en figure, au nouveau.   Le trente-cinquième est Nicolas 1V.   Il a défini (dans le chapitre il est sorti, sur la signification du mot, dans sixième) que le Christ avait enseigné, par la parole et par l’exemple, la pauvreté parfaite, qui consiste dans le rejet de toutes choses, sans avoir conservé aucune possession, ni en particulier, ni en général; et que cette pauvreté était sainte et méritoire.  Mais Jean XX11 (dans in extremis, de la signification du mot)   enseigne que cela est faux et hérétique.  À l’auteur de ces canons, il enseigne qu’une telle pauvreté est impossible, celle par laquelle quelqu’un renonce à toute possession des biens terrestres, en n’en conservant que l’usage.  Entre autres choses, il déclare hérétique celui qui prétend que c’est ce genre de pauvreté que le Christ nous a donné en exemple en paroles et en actes.  Dans in extremis, il enseigne la même chose, en insistant davantage.   Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 112, dans sa somme) s’efforce de concilier ces deux pontifes, et Jean XX11 lui-même sent le besoin de montrer qu’il ne pense pas autrement que les pères du concile de Nicée.
 Et de fait, à moins que je ne me  trompe, on ne peut les concilier en tout.  Il faut d’abord noter que Jean et Nicolas ont traité de trois choses.   La première.  Dans les choses dont on a besoin pour vivre, peut-on séparer l’usage de la possession ?  La deuxième.  Est-ce que la pauvreté qui rejette toute possession des biens en n’en conservant que l’usage, est sainte et méritoire ?  La troisième. Est-ce que c’est cette pauvreté-là que le Christ a enseignée par la parole et par l’exemple ?  À la première question, Jean XX11 répond qu’on ne peut séparer l’usage  de ces choses de leur possession.  Car, posséder c’est pouvoir détruire quelque chose. Il est donc impossible de pouvoir détruire une chose en en usant, comme en mangeant du bien, sans en être le possesseur.  Mais Nicolas enseigne que cela est possible et louable.  Et Clément 1, plus tard, enseigna clairement la même chose (dans je suis sorti du paradis, définition du mot). Car être le maître de quelque chose ne consiste pas à pouvoir détruire une chose n’importe comment, mais à pouvoir la détruire librement, quand, où et de la façon dont quelqu’un le veut; mais aussi à la donner, la vendre ou l’échanger.  Il est évident que tous les vrais religieux ont l’usage du pain qu’ils mangent et du vin qu’ils boivent, mais qu’ils ne peuvent ni les donner, ni les vendre, ni les échanger, ni les jeter à la poubelle.  Tu diras : Jean XX11 a donc erré.  Il semble qu’il se soit trompé sur cette question, mais non en matière de foi.  Car, comme il le dit lui-même, cette chose ne relève pas de la foi, et différents auteurs pensent différemment.
 La deuxième.  Nicolas a estimé que cette pauvreté était sainte et méritoire.  Jean le nie.  Même si le sentiment de Nicolas semble préférable, il n’a pas voulu en faire un article de foi, ni n’a cherché à contredire Jean XX11. Car il ne pensait qu’à la possession des choses qui étaient données aux franciscains.  La troisième, qui est la plus importante et qui se rapporte à la foi.   Nicolas et Jean sont là du même avis.  Nicolas dit que le Christ a tantôt enseigné par la parole et par l’exemple cette pauvreté parfaite, et a tantôt donné l’exemple d’une pauvreté moins rigide, comme le père et le docteur commun de tous.  Jean a défini comme  hérétique que le Christ n’ait jamais rien eu en propre, ni en particulier, ni en commun.  Ces deux choses ne se contredisent pas.  Car, Nicolas ne nie pas que le Christ ait eu quelque chose en propre, au moins en commun.  Il nie seulement qu’il ait vécu ce genre de vie.  Jean ne nie pas que le Christ ait eu quelque chose en propre, en particulier ou en commun, mais il nie qu’il a toujours vécu une telle vie.
 Que le Seigneur ait enseigné l’un et l’autre par la parole et par l’exemple, il est facile de le prouver, car la pauvreté il l’a enseignée en termes formels (Matt 10) : « Ne possédez ni or, ni argent, dans vos ceintures, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton. »  Il importe peu, pour l’instant, que ces paroles soient des préceptes ou des conseils, ou qu’on puisse leur donner un autre sens que le renoncement absolu à toute possession.  Cette phrase suffit pour justifier l’enseignement du pape Nicolas, et on peut l’entendre au sens de renoncement à toute possession.  Car, même si le Christ a dit qu’un ouvrier est digne d’un salaire, il a obligé les peuples à soutenir les prédicateurs, et il concéda ainsi aux prédicateurs le droit d’exiger un soutien matériel populaire.  Il n’a cependant pas obligé les prédicateurs à l’exiger comme un du.  Saint Paul (1 Corinth 9) leur permit de vivre de leurs labeurs, en acceptant comme un don ce qui leur était du en justice.  C’est dans ce sens que saint François interpréta ces paroles, dont Dieu et l’église universelle approuva l’institut  qui a été illustré d’un grand nombre de miracles, et qui a produit un grand nombre de saints.     Que le Seigneur ait aussi  enseigné la pauvreté par l’exemple, un passage de Matthieu, 8,  nous le montre : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. »; et de Luc 8 : « Des femmes le suivaient qui s’occupaient de lui avec leurs biens personnels. »  Pendant sa vie publique, le Seigneur n’avait pas de demeure fixe, et  il ne vivait que des aumônes des fidèles.
 Le Seigneur a donné aussi l’exemple d’un autre  genre de vie.  Nous lisons (en Jean 13) qu’il avait des locaux où  il vivait en commun avec ses disciples.  Et on ne peut douter que les disciples possédaient de l’argent, du moins en commun, dont ils faisaient des aumônes, comme le montre le même passage.  C’est cette vie qu’ont imitée les fidèles qui étaient à Jérusalem sous la conduite des apôtres (actes 4), ainsi que presque tous les ordres religieux.  Car, à l’exception des franciscains, tous ont, en commun,  la possession des biens matériels.   Le trente-sixième est Jean XX11.  Plusieurs lui ont reproché, surtout Guillaume d’Ockam (dans son œuvre des 93 jours) et Adrien (question sur la confirmation) d’avoir enseigné que les âmes des bienheureux ne verraient pas Dieu avant la résurrection. Érasme (livre 5 d’Irénée,) affirme la même chose : « Dans cette erreur a été aussi le pontife romain Jean, le vingt-deuxième de ce nom.  Il a été forcé par les écrits des théologiens de Paris de s’excuser devant le roi français, Philippe, non sans brui de trompette.  C’est ce que raconte Gerson dans son sermon de Pâques. »    Il ajoute Calvin (livre 4, chapitre 7, verset 28 de  ses institutions) : « Qu’ils veulent que le privilège qu’ils obtiennent soit ratifié, qu’ils excluent du nombre des pontifes Jean XX11, qui enseigna ouvertement que les âmes étaient mortelles, qu’elles mouraient avec le corps jusqu’au jour de la résurrection.  Et, comme tu le vois, tout le siège avec ses principaux thuriféraires s’est écrasé subitement, et aucun des cardinaux n’osa s’opposer à cette insanité.  Mais l’école de Paris incita le roi de France à le forcer à une rétractation.  Le roi interdit aux siens la communion, tant qu’il ne viendrait pas à résipiscence.  Cela il  le fut proclamer par un crieur public.  Acculé au pied du mur, il renonça à son erreur. »  Mais  il ne donne pas d’autre preuve de son récit que le témoignage d’un contemporain, Gerson.
 Je réponds d’abord à Adrien, qu’il est vrai que Jean XX1 a pensé que les âmes ne verraient Dieu qu’après la résurrection.  Il a pensé cela quand il était permis de le faire sans risque d’hérésie, car l’Église n’avait encore rien statué sur ce sujet.    Il songeait à  en faire une définition, mais quand il était encore dans la phase de consultations préparatoire, il mourut, comme l’atteste Benoit X11, le successeur de Jean XX11 (dans Extravag , qui commence par Dieu béni, que cite au complet Alphonse de Castro (livre 3 contre les hérésies, au mot béatitude).  Jean Villanus rapporte (livre 22, chapitre 19 de son histoire)  que, avant sa mort, le pape s’était rétracté.  Il aurait d’abord attesté que, lorsqu’il parlait de cela, il n’avait jamais eu l’intention d’en faire une définition de foi, mais qu’il ne faisait qu’en discuter pour rechercher en quoi consistait  la vérité. Il ajouta, ensuite, qu’il estimait plus probable l’opinion de ceux qui soutiennent que les bienheureux jouissent de la vision béatifique avant le jour du jugement universel.  Que c’était cette opinion qu’il favorisait, à moins que l’Église ne décide le contraire; et qu’il soumettait très volontiers toutes ses opinions personnelles à une définition officielle de l’Église. Cette rétractation montre que le pape Jean a toujours été un bon et vrai catholique.
 À Calvin je réponds que, en peu de mots, il a impudemment proféré cinq mensonges.  Le premier.  Que Gerson ait vécu au temps de Jean XX11, ni Jean Villanus (livre 11, chapitre 19), ni tous les autres historiens ne le reconnaissent.  Jean XX11 est mort en l’an du Seigneur 1334, (Trithemius, les hommes illustres), et Gerson est né en 1363.  Il n’était donc pas né quand mourut le pape Jean XX11.  Le deuxième mensonge.  Gerson aurait dit que le pape niait l’immortalité de l’âme.  Or, c’est d’un certain Jean dont parle Gerson dans un sermon pascal,  (tome 4), le seul à parler de cette erreur. Voici ses propres paroles : «  Cela l’a fait le larron, qui n’avait vraisemblablement pas complété sa pénitence pour ses nombreux péchés.  Il  fut, en cette heure même, béatifié, et il vit Dieu face à face comme les saints dans le paradis.  C’est ce qui démontre la fausseté de la doctrine du pape Jean XX11. »  Il n’explique pas davantage quelle était cette doctrine, mais il dit que la fausseté de cette doctrine apparait manifestement par le fait que le larron crucifié avec le Christ a, tout de suite après sa mort, vu Dieu.  Il indique par là assez clairement que le pape Jean XX11 a erré en ce qu’il croyait que les âmes des saints ne voyaient pas Dieu immédiatement après leur mort.  Que ce pape ait nié l’immortalité de l’âme, ni Gerson, ni aucun auteur avant Calvin, ni même Guillaume d’Ockam, qui fut son plus acharné ennemi, ne l’en a accusé.   Mais je vois pourquoi Calvin a cogité un si horrible mensonge, car, pour Calvin, la soi disant erreur du pape Jean n’en est pas une erreur, mais une doctrine très vraie.  Car, lui-même (livre 3, chapitre 20 des institutions) dit que seul le Christ est dans le ciel, et que les saints attendent dans un lieu quelconque jusqu’à la consommation du monde.  Et, au verset 24, il ajoute que les saints nous sont encore unis par la foi, et que comme ils ont encore la foi, ils ne voient pas Dieu.  Et parce qu’il a vu que ce que les autres blâmaient en Jean XX11 était  blâmable aussi en lui, alors qu’il ne voulait par laisser passer une occasion d’accuser le pontife, il se réfugia près de son maître, le père des mensonges, et il reçut de lui, en échange, cette insigne calomnie.
 Le troisième mensonge. Il prétend qu’aucun cardinal ne s’est opposé à cet enseignement du pape Jean XX11.  Mais cela est faux, d’abord, parce que ni Gerson, ni aucun autre historien n’a jamais raconté cela, ensuite parce que plusieurs ont pensé justement le contraire, comme on le voit par la définition que, après la mort de Jean XX11,  a fait le pape  Benoit X11, du consentement de tous les cardinaux, et comme la lettre même du pape nous le révèle.  Et il n’y avait aucune raison qui aurait justifié que ceux qui pensaient le contraire, aient craint de contredire le pape, de son vivant.  Car, le pape Benoit X11, dans sa bulle Extravag affirme que le pape Jean XX11 avait sévèrement prescrit aux cardinaux et à tous les docteurs de dire sincèrement ce qu’ils en pensaient, pour qu’on puisse découvrir la vérité.  Ensuite, Jean Villanus (livre 10, chapitre dernier de son histoire), qui vivait alors, rapporte que la doctrine du pape répugnait à  la plus grande partie des cardinaux, quand le pape vivait encore.   Le quatrième mensonge est que le roi de France interdit aux siens la communion de Jean.  Que le roi Philippe ait eu, dans cette question,  plus de confiance dans les docteurs parisiens de la Sorbonne qua dans le pape, comme docteur privé, Gerson en témoigne clairement.  Mais qu’il ait, pour cette raison, excommunié le pape, nul  ne le rapporte.  Et, il n’est pas croyable qu’un roi chrétien ait osé poser un tel acte.   Le cinquième mensonge.   Le pape aurait abjuré son erreur.  Ni Gerson, ni aucun autre historien n’écrit que le pape ait du abjurer son erreur, puisqu’il n’était tombé dans aucune erreur.  Il a, à la vérité, rétracté sa doctrine, il est vrai, la veille de sa mort,  non sur l’ordre du roi, mais parce que ses amis l’avaient persuadé de le faire.  Voir Jean Villanum (livre 11, chapitre 19) qui met à nu les calomnies d’Érasme.  Il n’est pas vrai, non plus, que Jean XX11 ait été contraint à une rétractation, et c’est encore moins vrai que ce soit le roi qui l’ait forcé à la faire.
 Le trente-septième est Jean XX111, qui, au concile de Constance (session 11), a été accusé d’une pernicieuse hérésie.  On dit qu’il a nié la vie future et la résurrection de la chair.  Je réponds qu’il est absolument certain, et hors de tout doute, que Jean XX11 n’a pas été pape.  Il n’y a donc aucune obligation de prendre sa défense.  Il y en avait trois, à cette époque, qui voulaient être considérés comme pape : Grégoire X11, Benoit X111, et Jean XX111.  On ne pouvait pas facilement déterminer qui était le vrai et légitime pontife, puisque chacun avait des protecteurs très puissants.  Mais j’ajoute qu’il est à peu près certain que ce fut par erreur que le pontificat ait été attribué à Jean.  Car, dans la session du concile où on énuméra les articles qu’on objectait au pape Jean, on en réunit 53 qui se rapportent tous aux mœurs, et qui étaient tous confirmés par des témoins crédibles.  On en présenta ensuite cinq autres, qui n’étaient confirmés par aucune témoin sérieux, dont voici le pénultième.  Or, cet article ne fut approuvé que par la rumeur publique. Car, en voyant que Jean avait une vie dissolue, on commença à dire qu’il ne croyait pas à la vie éternelle et à la résurrection de la chair.   Mais qui ne voit pas qu’on ne peut pas tirer une hérésie de mauvaises mœurs ?  On peut en énumérer un grand nombre qui ont la fraie foi, mais qui vivent comme s’ils ne croyaient pas.  Et finalement, dans la session 12 du concile, on prononça la sentence contre Jean XX111.  On fit un bref exposé des causes de sa condamnation et de sa déposition, dans faire aucune mention d’erreur ou d’hérésie.  On peut considérer cela comme un argument évident que Jean XX111 n’a pas été rejeté pour cause d’hérésie.  Car, pour qu’on puisse prouver cela, il faudrait que l’hérésie ait figurée parmi les causes de sa condamnation, car on ne peut pas trouver de cause plus juste pour destituer un pape que l’hérésie. Et c’est même la seule raison qui permette de le juger.
 Le trente-huitième est Benoit X111, qui a été condamné comme hérétique par le concile de Constance, à la session 37.   Mais ce Benoit ne fut pas un pape légitime, puisqu’il a succédé à Clément V11, qui, du vivant du vrai pontife, Urbain V1, avait envahi le siège.  Il ne fut pas, non plus un vrai hérétique, car la seule chose qu’on lui reproche c’est qu’il ne croyait pas que le concile avait un pouvoir plus grand que le pape.  Ce en quoi il n’erra nullement.  Mais, cela, plus tard.   Le trente-neuvième est Eugène 1V, qui, à la session 34, abolit le concile de Bâle, parce qu’il était tombé dans une hérésie.   Mais ce pape, n’a erré en rien contre la vérité.  Il annula les actes antérieurs du concile de Lausanne qui avait continué; et vénéra comme vrai pontife Nicolas V, successeur d’Eugène.  Et, par les lettres de ce même Nicolas, on peut connaitre qu’on a coutume, dans les tomes des conciles,  d’ajouter ses actes au concile de Valence.
 Le quarantième est Innocent V111.  Il semble avoir erré en ce qu’il a permis aux norvégiens de célébrer le sacrifice sans vin, comme le rapporte Raphaël Volterranus (livre 7, de la géographie).  Mais il est facile de répondre.   Il n’a pas édité de décret à l’usage de toute la chrétienté dans lequel il statuerait ex professo qu’on peut, sans vin, offrir le sacrifice.  Donc, s’il a erré, c’est une erreur de fait, non de dogme.  De plus, il ne permit pas de consacrer un autre liquide à la place du vin, ce qui aurait été une perversion de la matière du sacrement,  mais de consacrer l’eucharistie dans une seule espèce, et cela seulement dans les nécessités extrêmes, là où le vin ne peut être conservé sans tourner en vinaigre.  Ce qui n’est surement pas une erreur.  Mais il semble étrange qu’à cette époque, ils ne buvaient pas de vin à table, ou qu’ils ne pouvaient pas le conserver, alors qu’il était si abondant que, sans lui, ils ne voulaient pas socialiser.  Ce qui nous fait penser que Volaterre ait pu commettre lui-même une erreur.

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2017 12 26 22h45 début
CHAPITRE 15 : On propose une question : le souverain pontife a-t-il une juridiction coercitive, qui lui permette non seulement de faire des lois qui obligent en conscience, mais de juger et de punir les transgresseurs ?
 Nous avons démontré jusqu’à présent, que le souverain pontife est le juge suprême des controverses, qui naissent dans l’Église, et que son jugement est certain et infaillible.  Suit donc une troisième question : le souverain pontife peut-il contraindre les fidèles à croire et à faire ce qu’il a décidé ?  Peut-on, toute proportion gardée, dire la même chose des évêques ?  Mais avant d’en venir à nos raisons et à celles de nos adversaires, il vaudra la peine de dire quelques mots sur l’état de la question et sur la doctrine de nos adversaires.  Il faut d’abord noter que  nous ne parlons pas, ici, du souverain pontife en tant que prince temporel d’un état.  Car, il est certain qu’à ce titre, il peut faire des lois pour ses sujets, et les imposer même par le glaive, ce que les hérétiques ne nient pas.  Même s’ils nient qu’ils soient un prince temporel, ils admettent quand même qu’il aurait ce pouvoir s’il l’était vraiment.  Nous ne parlons, ici, du pontife qu’en tant que chef de toute l’église catholique.  Et voici ce que nous nous demandons : a-t-il, sur les fidèles, dans les choses spirituelles, le même pouvoir qu’ont les rois dans les choses temporelles ?  Peuvent-ils, comme eux, faire des lois, et  punir les transgresseurs par des peines temporelles ? Peuvent-ils faire des lois ecclésiastiques  qui obligent vraiment en conscience, et punir les transgresseurs au moins par des peines spirituelles, comme l’excommunication, la suspension, l’interdiction ?  Car, c’est dans le livre 5 que nous traiterons du pouvoir temporel ou civil  que possède directement ou indirectement le pape.  Nous n’entreprenons, maintenant, de discuter que du seul pouvoir spirituel ou ecclésiastique, dont la fin est la vie éternelle.
 Il faut noter ensuite que ne nous enquérons que des lois justes, car les lois injustes ne sont pas des lois proprement dites, comme l’enseigne saint Augustin (livre 1, chapitre 5, du libre arbitre).  Or, pour qu’une loi soit juste, il faut quatre conditions.   La première, de la part de la fin.  Elle doit être ordonnée au bien commun.  Le roi, en effet, selon Aristote (livre 8, chapitre 10 des éthiques) diffère du tyran  parce que  le premier cherche l’utilité commune, et l’autre l’utilité privée.  La deuxième, de la part de l’agent.  Elle doit être faite par quelqu’un qui a l’autorité de la faire, car personne ne peut imposer une loi à quelqu’un qui n’est pas son sujet.  La troisième, de la part de la matière.  Le vice ne peut pas être prescrit, et la vertu prohibée.  La quatrième, de la part de la forme. Elle doit être composée et promulguée de la manière qui est due, c’est-à-dire que la loi proportionne les honneurs et les charges à l’ordre qui existe entre les sujets dans la république.  Si, par exemple, le souverain pontife ordonnait que, pendant le carême, les enfants et les hommes murs, les forts et les faibles, les hommes en santé et les malades, jeunent de la même façon, sa loi serait injuste.   De même, s’il statuait que seuls les riches et les nobles peuvent être admis à l’épiscopat, à l’exclusion des pauvres et de ceux du tiers ordre, plus savants et plus saints, sa loi serait injuste, même si, en raison de certaines circonstances particulières, elle pouvait être juste.
 Même si la loi injuste n’est pas une vraie loi, et n’oblige pas, par elle-même, en conscience, il faut quand même faire la distinction entre lois et lois.  Les lois qui sont injustes en raison de la matière, c’est-à-dire qui sont contraires au droit divin ou naturel, non seulement n’obligent pas, mais ne doivent en aucune façon être observées, selon cette parole des apôtres (actes 5) : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. »  Et c’est ce qu’enseignent saint Jérôme (chapitre 6, Éphésiens), saint Augustin (psaume 124, sermon 6 sur la parole du Seigneur), et saint Bernard (livre des préceptes et des dispenses).  Celles qui sont injustes en raison de la fin, de l’auteur ou de la forme, doivent être  respectées si leur non observation causait un scandale.  C’est ce qu’on peut déduire de Matthieu 5 : « Celui qui te réquisitionnera pour mille pas, fais-en le double avec lui.  Si quelqu’un t’enlève ta tunique, donne-lui aussi ton manteau. »  Le sens qu’on doit donner à ce passage, ce n’est pas qu’on doit toujours faire ces choses, mais qu’on doit toujours être prêt à le faire, quand ce sera nécessaire à la gloire de Dieu.  Saint Pierre a parlé dans le même sens : « Esclaves, soyez soumis à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et modestes, mais même à ceux qui sont sévères. »
 Il faut noter, enfin, qu’à plusieurs hérétiques a plu la sentence qui enseigne que l’Église ne possède pas l’autorité voulue pour faire des lois qui obligent en conscience.  C’est ce qu’ont pensé autrefois les Waldenses, au témoignage d’Antonino, (part 4, tit 11, chapitre 7, verset 2 de sa somme théologique).  Marsilius de Padoue enseigna, ensuite, la même chose dans le livre intitulé : le défenseur de la foi.  Et c’est contre lui que Pigius a écrit dans le livre 5 de sa hiérarchie apostolique.  Jean Wiclef enseigna aussi la même chose, comme on le constate par l’article 38 condamné à la session 8 du concile de Constance.  Il déduisait de ce principe, que les décrétales des pontifes romains étaient des apocryphes,  et qu’ils étaient sans cervelle ceux qui brûlaient des énergies à les connaitre.  Jean Hus pensa aussi la même chose, comme on le voit à l’article 15. La même chose également Jean de Westphalie.  Nous est parvenu le livret de condamnation des articles de ce Jean, de l’année 1479,  dont le premier était que les prélats de l’Église ne pouvaient pas faire de lois qui obligent en conscience, mais seulement exhorter à observer les commandements.
 Or, à notre époque, c’est ce qu’enseignent aussi tous les luthériens et les calvinistes.  Voici ce qu’a à nous dire Luther là-dessus (dans son livre de la captivité de Babylone, les baptisés) : « De quel droit, le pape nous impose-t-il des lois ?  Qui lui a donné le pouvoir de rendre captive notre liberté,  qui nous été donnée par le baptême ? Car, aucun pape, aucun évêque, ni aucun homme n’a le droit de faire un commandement d’une seule syllabe à un chrétien, sans son consentement. »   Il dit la même chose dans son livre sur la liberté chrétienne,  que réfute Clictoveus (livre 1 de son anti Luther), et dans l’article 27 de son Assertion, que combat Jean Roffensis.  Mais il l’a exprimée avec véhémence dans son explication de la vision de Daniel.   Et pour condamner aussi par des actions les lois ecclésiastiques, il brûla publiquement le livre du droit canon, comme le rapporte Jean Cochlaeus dans sa vie de Luther.  Philippe Melanchton enseigne la même chose dans la confession de saint Augustin (article 28), et dans l’apologie de saint Augustin.  Calvin (livre 4, chapitres 20, 11, 12 des institutions) pense à peu près de la même manière.  On peut réduire sa doctrine à quatre chapitres.   Il enseigne d’abord que les évêques et le pape peuvent établir un certain ordre dans l’Église, pour conserver une utile discipline, pour définit à quel jour on ira à l’église,  comment et par qui seront chantés les psaumes, dans les églises,  ou lus les livres saints.  Mais de façon à ce que ces déterminations n’obligent pas en conscience, sauf en cas de scandale, de sorte qu’on soit libre de les observer ou pas, pourvu qu’on ne cause pas de scandale.  Et il ajoutait que le pape, ou les évêques, ne peut pas prescrire une loi qui ne soit pas contenue explicitement dans l’Écriture.
 Ils enseignent ensuite que non seulement le pape ou les évêques ne peuvent pas faire de nouvelles lois, mais qu’ils ne peuvent pas non plus contraindre les chrétiens à observer la loi de Dieu, en ordonnant d’autorité qu’elle soit observée,  ni procéder sous forme de jugement contre les transgresseurs.  Seulement en exhortant, en  avertissant, en réprouvant.    Ils enseignent, en troisième lieu, qu’existe, dans l’Église le pouvoir d’excommunier, c’est-à-dire de rejeter de son assemblée les hommes incorrigibles. Mais ce pouvoir, ils ne veulent pas qu’il réside dans le pape ou dans les évêques, en vertu de leur charge, mais seulement dans l’église, c’est-à-dire dans l’assemblée des ministres, et avec le consentement du peuple.  Il n’y a pas à s’étonner de cela, car ils ne veulent pas que, quant à l’autorité,  le pape soit plus grand qu’un évêque,  un évêque plus qu’un prêtre.  Aux prêtres, ils n’accordent le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements qu’à ceux que le magistrat séculier autorisera.
 Mais, dans l’église catholique, on a toujours cru que les évêques, dans leurs diocèses, et le pontife romain, dans toute l’église, étaient de vrais princes ecclésiastiques,  qui pouvaient, en vertu de leur propre autorité, sans le consentement du peuple, et sans l’avis des prêtres, faire des lois qui obligent en conscience, juger dans les causes ecclésiastiques à la façon des autres juges, et, enfin, punir.  Ces trois, choses, il nous faut, maintenant, les démontrer.
                                                                 CHAPITRE 16
 On prouve, par des témoignages de la parole de Dieu, que les pontifes peuvent faire de vraies lois.
 La position catholique se prouve donc par plusieurs genres d’arguments.  D’abord, par des textes de l’Écriture.   Le premier est celui du Deutéronome, 17 : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir à un ordre du prêtre, cet homme sera mis à mort par un décret du juge, et tu enlèveras le mal d’Israël. »  Pour des raisons semblables, ou même supérieures, ce texte doit s’appliquer aux pontifes chrétiens.  Car, autrefois, c’était le peuple juif qui était le peuple de Dieu; mais, maintenant, c’est le peuple chrétien.  Nous ne pouvons pas dire, non plus, que le prince ecclésiastique de la loi nouvelle doit être d’une autorité inférieure à celui de l’ancien, alors que, au contraire, nous voyons que tout y est plus grand, plus sublime.  Or, les décisions des prêtres juifs étaient de vrais ordres, non des conseils, ou des exhortations, comme le texte lui-même nous le montre clairement : « par l’ordre du prêtre. »  Et ils obligeaient manifestement en conscience, car, autrement,  les transgresseurs n’auraient pas été punis si sévèrement.  Or, s’ils ne péchaient pas ceux qui désobéissaient aux prêtres, ils étaient donc tués sans avoir commis aucune faute.    Ils répondent à ce passage et à d’autres semblables, que pêchaient en conscience ceux-là seulement qui méprisaient leurs supérieurs,  et refusaient d’obéir par orgueil. Mais qu’on ne peut pas déduire de ce texte que pêchaient en conscience  ceux qui, sans mépriser personne et sans causer de scandale, n’observaient pas ces lois qui portaient sur des choses indifférentes.
 Commentaire.  Ici, nous avons,  dans le pontife, un  vrai pouvoir de commander, semblable à celui d’un prince séculier, ce que niaient les Waldenses, Marsile de Padoue, et les autres.  Nous nous sentons en droit de déduire de ce pouvoir que les lois du pontife engagent en conscience, même sans mépris et risque de scandale.  Car, quiconque peut prescrire quelque chose peut aussi rendre nécessaire, par un ordre, un acte indifférent, et bon en lui-même.  Or, omettre un acte nécessaire qui est bon en lui-même est un péché contre la conscience, même sans mépris et occasion de scandale.  Ce que l’on prouve comme suit.  Car un acte indifférent deviendra nécessaire s’il est prescrit;  autrement, il est serait prescrit pour rien.  Et, il s’ensuivrait que les lois de Dieu positives n’engagent pas en conscience.   Car, pourquoi la circoncision était-elle obligatoire pour les Juifs, et le baptême pour nous, alors que ce sont des choses indifférentes en soi ?  N’est-ce pas parce que la venue du précepte de Dieu a fait de ces choses des actes de religion nécessaires ?  De même, pourquoi les Juifs sont-ils obligés en conscience de ne pas manger de porc, et cela, au point de préférer mourir comme les Macchabées, alors qu’il s’agit d’une chose indifférente ?  N’est-ce pas parce que le précepte de Dieu faisait de cette abstinence un acte de tempérance nécessaire ?  Or, ces choses Dieu ne les faisait pas en tant que Dieu, mais seulement en tant que législateur.  Donc, tout vrai législateur, et qui peut commander, surtout au nom de Dieu, peut faire la même chose.  Or, le pontife peut commander, comme nous l’avons déjà démontré et le démontrerons plus loin.  Il peut donc rendre nécessaire une chose indifférente, et donc obliger en conscience, même quand il n’y a ni mépris, ni danger de scandale.
 La deuxième citation est de saint Matthieu 16 : « Tout ce que tu lieras sur cette terre sera lié dans les cieux. »  Ces paroles peuvent et doivent être référées à toutes les choses que l’Écriture considère comme étant liées.  Car le Seigneur parle en termes généraux, puisqu’il ne dit pas : quelle que soit la personne que tu lieras, mais quoi que tu lieras.  Nous trouvons en Matthieu 23 que lier signifie imposer une loi : « Car ils lient de lourds fardeaux et placent des choses importables sur les épaules des hommes, qu’ils ne veulent pas déplacer, eux,  même du bout du doigt. »  Le Seigneur a donc promis à Pierre que tout ce qu’il lierait, c’est-à-dire tout ce qu’il imposerait aux fidèles en l’ordonnant sous forme de précepte, serait lié aussi dans le ciel, c’est-à-dire serait ratifié. Le précepte de Pierre est donc le précepte du Christ.  Pêche donc celui qui n’obtempère pas.  On confirme cet enseignement par le témoignage de saint Jérôme sur Matthieu 18  (tout ce que vous lierez) : « Il a été accordé aux apôtres ce pouvoir,  pour que l’on comprenne qu’il a été donné à de tels hommes que leur sentence humaine soit corroborée par la sentence divine. »  La troisième citation est celle de Jean 21 : « Pais mes brebis ». Il a employé un mot qui fait partie du vocabulaire royal.  Voir au livre 1, chapitre 15.  La quatrième citation est celle de Jean 20 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »  En commentant ce passage, saint Jean Chrysostome dit : « Il leur a laissé son propre ministère. »  Et Theophylacte : « Recevez mon travail ».  Le Seigneur a donc laissé à ses disciples sa propre place, comme s’il avait voulu que, dans le gouvernement de son royaume, ils jouissent de la même autorité.  Ce qui est confirmé par ce passage de Luc 10 : « Celui qui vous écoute m’écoute, celui qui vous méprise me méprise ».
 Que ces paroles qui étaient adressées directement aux apôtres s’appliquaient aussi à leurs successeurs, l’enseignent saint Cyprien (livre 4, épitre 9),  et saint Basile (constitution de monastères, chapitre 23).  Or, le Christ a été envoyé par le Père avec le pouvoir non seulement de prêcher, et d’administrer les sacrements, mais de prescrire et de juger, comme tous le reconnaissent.  Il a donc accordé la même chose aux apôtres, et, en premier lieu,  à Pierre.  On ne peut pas répondre que cela a été donné à tous les apôtres collégialement, mais non à chacun en particulier, car les apôtres devaient se séparer très tôt, et aller individuellement dans chacune des parties du monde.  Chose que le Seigneur ne pouvait pas ignorer. Ce qu’il a donné à tous, il l’a donc donné à chacun en  particulier.
La cinquième citation est celle des Actes 15.  Pierre avec les autres membres du concile de Jérusalem écrit aux Gentils convertis à la foi : « Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous de ne pas vous imposer de fardeau supplémentaire, en dehors de ceux qui sont nécessaires : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, de la suffocation, du sang et de la fornication. »   Les apôtres font ici une loi nouvelle, comme le remarque saint Jean Chrysostome, car le Christ n’a rien prescrit au sujet de la suffocation et du sang.  Et ce sont des choses qui, selon la loi naturelle, ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais indifférentes.  De ces choses précisément que l’Église ne peut pas rendre nécessaires, selon l’enseignement des hérétiques.  Que ces prescriptions des apôtres aient été une vraie loi obligeant en conscience, du moins pendant tout le temps où elles ont été en vigueur, on le prouve de la façon suivante.  D’abord parce que les apôtres leur donnent le nom de fardeau; ensuite, parce qu’ils disent qu’elles sont nécessaires.  On n’était donc pas libre de les observer, (comme les hérétiques veulent qu’on observe les prescriptions de l’Église), mais il fallait nécessairement les observer. Enfin, parce que saint Luc leur donne le nom de préceptes.  Et il répète ce mot plus loin, en parlant de saint Paul : « Parcourant les cités, il leur prescrivait de garder les préceptes des apôtres et des anciens. »  Et, au chapitre 16 : « Il leur transmettait de garder les dogmes qui avaient été décrété par les apôtres et les anciens, qui étaient à Jérusalem. »  Quatrièmement, au témoignage de saint Jean Chrysostome (homélie 33 sur les actes) : « Vois, dit-il, la brève épitre qui n’a ni raisonnements ni syllogismes, mais seulement un ordre. »  Car, c’était la législation de l’Esprit.  Enfin, parce que, dans les canons des apôtres (canon 62), de graves peines sont imposées aux prévaricateurs de ce précepte,  car étaient déposés les clercs  qui mangeaient de la viande avec du sang ou qui avait été suffoquée;  et excommuniés les laïcs.   Ce qui a été renouvelé dans le concile 2 (Aurélien, canons 19 et 20).   On ne peut imposer une peine si atroce que pour un péché mortel.
 Calvin répond (livre 4, chapitre 10, verset 21 de ses institutions) que, par cette loi, les apôtres n’ont rien prescrit de neuf, mais seulement ce qui avait toujours été un précepte de droit divin, pour ne pas être pour les faibles une cause de scandale, en mangeant de la viande consacrée aux idoles, avec son sang, ou suffoquée.   Les chrétiens n’ont donc pas été obligés en conscience de s’abstenir des idolothytes, du sang et de la suffocation,  mais seulement pour ne pas scandaliser.   Calvin s’efforce de prouver cela de trois façons.  D’abord, le but du décret apostolique était de libérer les Gentils du joug des cérémonies judaïques.  Ils auraient détourné le décret de son but s’ils les avaient obligés à l’observation de ces cérémonies. Ensuite,  ce précepte ne vaut plus aujourd’hui, parce qu’a cessé la cause du scandale.  Ce précepte ne prohibait donc que le scandale.  Enfin, saint Paul qui participa à ce concile, et qui le comprenait très bien, l’a expliqué en Cor 8, où il dit qu’il n’est pas illicite de manger des idolothytes, si on ne scandalise personne en le faisant.  « Quelques-uns mangent des idolothytes comme une viande consacrée à des idoles, et leur conscience est polluée, parce qu’elle est faible. »  Et plus bas : « Voyez à ce que votre liberté n’offense pas les infirmes.  Car si quelqu’un voit un chrétien, qui a la science, attablé à un repas de viandes d’idole, sa conscience qui est faible ne sera-t-elle pas entraînée à en manger.  Et, à cause de ta conscience,  périra le frère pour qui le Christ est mort. » Et, au chapitre 10 : «Si quelqu’un fait remarquer que ça a été immolé aux idoles, n’en mangez pas, à cause de celui qui en fait la remarque,  et en conscience.  Quand je parle de conscience, je ne parle pas de la tienne, mais de la sienne. »  Que cette lettre ait été écrite après le concile de Jérusalem, les actes nous le montrent. Car c’est au chapitre 15 qu’on nous raconte le concile, et c’est au chapitre 18 qu’on nous relate la première entrée de Paul dans la ville de Corinthe. Et il appert que cette lettre a été écrite après que saint Paul ait prêché aux Corinthiens.  Il dit, en effet, au chapitre 2 : « Quand je suis venu vers vous, mes frères, je ne suis pas venu en rhéteur. »
 Mais, il est facile de réfuter ces choses.  Même si le précepte apostolique avait pour but de ne pas scandaliser les faibles,  le précepte lui-même ne portait pas sur l’évitement du scandale, mais sur l’abstinence des viandes immolées, sur le sang et la suffocation, qui était comme le moyen d’une fin.  Comparaison.  La fin de tous les préceptes divins est la charité, mais, pourtant, les préceptes particuliers qui interdisent le vol et le meurtre n’obligent pas à aimer, mais à s’abstenir du vol et du meurtre.  Et bien que la raison de la loi, comme le disent les jurisconsultes, soit l’âme de la loi, et que, en conséquence, quand prend fin la raison et la fin de la loi, la loi doit être abrogée et cesser, tant que ne cesse pas la raison de la loi, sauf en un point particulier, elle est toujours en vigueur;  et comme elle est générale, elle oblige tout le monde, même celui dans lequel ne se trouve pas la raison ou la fin de la loi.  La loi sur le jeûne peut nous servir d’exemple.  La fin du jeûne est la mortification de la chair pour mâter la concupiscence.  Quand donc cette raison cessera pour tous, après la résurrection, la loi du jeûne cessera aussi.  Et, maintenant, même si l’un ou l’autre n’ont pas besoin de cette mortification, ils sont tenus de jeuner, eux aussi, parce que la loi est toujours en vigueur, et elle s’applique à tous.
 Que ce soit bien  ainsi qu’il faille envisager cette loi apostolique qui porte sur les viandes immolées, le sang et la suffocation, on le prouve de la manière suivante.  Saint Jean Chrysostome déclare que c’est une nouvelle loi tirée des préceptes cérémoniaux de Moïse; et que ne pas scandaliser est une loi très antique et morale.   Ce n’est donc pas le scandale mais les aliments que les apôtres prohibèrent. Autre raison.  Dans tout le décret des apôtres, aucune mention n’est faite de scandale à éviter.  Ce qu’il prescrit, de façon absolue, c’est qu’on s’abstienne des viandes immolées, du sang et de la suffocation.  C’est donc sur ces trois choses que tombe le précepte.  Autrement, il serait permis de détourner de leur sens toutes les lois, même les divines.
 Et c’est ainsi que l’ont entendu les pères des premiers siècles.  Tertullien (apologie chapitre 9) écrit : « Nous n’avons pas le sang des animaux dans nos repas. Et, pour la même raison, nous nous abstenons des animaux suffoqués ou immolés, pour que nous ne soyons pas contaminés par le sang, ou pour qu’il ne soit pas enseveli dans les viscères. »  Notez que Tertullien ne dit pas que les chrétiens s’abstiennent du sang à cause du scandale, mais pour ne pas être contaminés.  Ce sang, ils le considèrent contaminé, non de par sa nature (comme l’enseignèrent plus tard les manichéens), mais à cause de la prohibition des apôtres, comme dans la loi beaucoup d’animaux sont dit impurs parce qu’ils sont interdits.  Notez ensuite que les païens forçaient les chrétiens à boire du sang, parce qu’ils savaient que cela leur était défendu.  Tout cela démontre clairement que l’horreur du sang qu’avaient les premiers chrétiens ne se justifiait pas seulement par la crainte de scandaliser, mais par la connaissance qu’ils avaient que le sang avait été prohibé par les apôtres.  Le scandale, en effet, était inexistant parce que les païens se nourrissaient de sang.
 Origène (contre Celse, livre 8) discutant des mets prohibés dit que c’est pour obéir au précepte des apôtres que les chrétiens s’abstiennent des viandes immolées, du sang et de la suffocation.  Il ne fait aucune mention du scandale donné aux Juifs. Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 4) : « Impose-toi de ne jamais manger ce qui a été consacré aux idoles. »  Dans cette catéchèse, saint Cyrille parlant de la nourriture, dit que « le vin et la viande sont des choses indifférentes, et qu’on peut s’en abstenir pour de bonnes ou de mauvaises raisons.  De bonnes quand on le fait pour se mortifier, ou pour une autre bonne fin; de mauvaises quand on le fait en pensant que le vin ou la viande sont immondes. »  Et quand il en vient aux viandes immolées, au sang et à la suffocation qui ont été interdits par les apôtres, il ne fait aucune distinction, mais enseigne catégoriquement qu’on ne doit pas les manger, car ils avaient été rendus illicites par l’interdiction des apôtres.
 Eusèbe, (livre 5, chapitre 1 de son histoire), rapporte que quand les païens objectèrent aux chrétiens qu’ils se nourrissaient en secret de la chair et du sang d’enfants, la martyre sainte Blandine répondit : « Vous vous trompez grandement, o hommes qui pensez que se nourrissent de chairs d’enfants ceux qui ne font même pas usage du sang d’animaux muets. »  Par ces paroles, sainte Blandine indique qu’ils ne se servaient pas de sang même clandestinement, quand il n’était pas possible de ne pas scandaliser.   Saint Augustin (dans son épitre 154 à Publicola, à la fin) pose cette question :  « Un voyageur épuisé qui ne trouve rien d’autre pour apaiser sa faim que de la nourriture consacrée à une idole, et qui n’est vu de personne, devra-t-il mourir de faim ou manger ce mets ? »  Et  il répond : « Ou il est certain que c’est un idolothyte, ou il en doute, ou il l’ignore complètement.  S’il en est certain, il est préférable de le repousser avec la vertu chrétienne.  S’il en doute ou s’il l’ignore complètement, il peut, sans scrupule, le manger. »  Il est certain que dans l’exemple donné par saint Augustin, aucun scandale ne pouvait avoir lieu.  Mais saint Augustin estima, quand même, qu’il était préférable de s’abstenir de ces sortes de mets.   La seule raison qu’on puisse donner pour justifier cette décision est l’autorité du précepte apostolique.  Saint Léon a écrit quelque chose de semblable (épitre 79, chapitre 5 à Nicéta) : « Doivent faire pénitence ceux qui, sciemment et volontairement ont mangé de la viande consacrée aux idoles, parce qu’ils craignaient des châtiments ou parce qu’ils avaient faim. »   Ensuite, le concile gangrens (chapitre 2) dit que n’ont aucun espoir de salut ceux qui se nourrissent de viandes immolées, de sang  et de suffocation, et qu’ont bon espoir de salut ceux qui se nourrissent d’autres viandes.  On ne peut pas entendre ce texte uniquement pour ceux qui  mangent de la viande immolée, du sang et des animaux suffoqués, en scandalisant les autres, car pêche même celui qui mange n’importe laquelle viande en scandalisant autrui.  Car l’apôtre a dit : « Si telle nourriture scandalise mon frère, je n’en mangerai jamais pour ne pas scandaliser mon frère. »  Nous avons donc un précepte apostolique qui oblige vraiment en conscience, même sans scandale.
 Au premier argument de Calvin je réponds que l’obligation du précepte n’entre pas en conflit avec la raison et la fin du décret.  Car les apôtres décrétèrent que les Gentils devaient être libérés de l’observance de la loi mosaïque, mais non de l’obéissance à leurs prélats.  Or, ce précepte de l’abstinence des viandes immolées, suffoquées ou du sang n’a pas été imposé au nom de la loi mosaïque,  mais comme un décret apostolique et ecclésial.   De plus, les apôtres ont exempté les Gentils devenus chrétiens de l’observance d’innombrables cérémonies.  Ils n’en n’ont commandé qu’une, qui était facile à observer, et pour un temps seulement.  Au deuxième argument je dis qu’on n’observe plus ce précepte parce que le danger de scandaliser est disparu non d’une certaine manière, mais absolument parlant.  Et voilà pourquoi, surtout en Occident, cette loi est tombée en désuétude.  Au troisième argument, certains répondent qu’au temps où saint Paul écrivit cette lettre, la loi apostolique commençait à être abrogée.  Et que c’est pour cette raison qu’il permit à quelques-uns de se nourrir des idolothytes, pourvu qu’ils évitent le scandale.
 Mais cette explication ne me parait pas solide.  Car, il est difficile de croire qu’une telle loi ait pu si tôt être abolie, surtout parce que, au moment où saint Paul écrivit cette lettre, la raison pour laquelle elle avait été promulguée existait encore, et qu’elle demeurera même pendant quelques siècles, comme le démontrent les textes que nous avons cités.    Je réponds donc de deux façons.  La première.  Il se peut que, quand saint Paul écrivit cette lettre aux Corinthiens, le précepte apostolique en question ne leur était pas encore parvenu, car les apôtres n’écrivirent qu’aux églises de Syrie et de Cilicie.  C’est ainsi, en effet, que débute la lettre : « Les apôtres et les frères anciens aux frères parmi les Gentils  qui sont à Antioche, Syrie et Cilicie, salut ! »  Or, Corinthe n’est ni en Syrie ni en Cilicie, mais en Grève, province européenne, la Syrie et la Cilicie étant elles, en Asie.  De plus, si les Corinthiens avaient reçu le précepte de l’abstinence des animaux immolés, pourquoi auraient-ils demandé par écrit à saint Paul s’il était permis de manger des viandes immolées ?  Qu’ils  aient effectivement demandé cela, la lettre aux Corinthiens (1, 8) nous le montre.    Je dis donc que les Corinthiens n’avaient pas encore, à cette date, entendu parler de ce précepte apostolique, car ils ne l’avaient pas reçu du concile de Jérusalem. Et Paul a indiqué qu’il ne convenait pas de le leur présenter encore, car ils savaient qu’ils étaient très superstitieux.  Il leur répondit donc ce qu’on doit répondre selon le droit naturel, qu’ils n’étaient pas tenus de s’abstenir de tels aliments, s’ils pouvaient agir ainsi sans être une occasion de scandale pour les faibles.
Je réponds deuxièmement, que les Corinthiens avaient peut-être déjà  pris connaissance du décret apostolique, mais que quelques-uns,  se fiant à leur science qui leur faisait comprendre que les idoles n’étaient rien, et qu’ils ne pouvaient donc leur faire aucun tort, se nourrissaient publiquement et audacieusement des animaux immolés.  Saint Paul en aurait entendu parler, et leur aurait réécrit pour leur expliquer, en donnant la raison du précepte apostolique, que ce n’est pas pour rien qu’avait été interdit l’usage des animaux immolés aux dieux; que c’était autant pour éviter le scandale, que pour se protéger contre le péril d’idolâtrie.  Voilà pourquoi toute la lettre de saint Paul tourne autour non du précepte, mais de la raison du précepte.  Il ne s’ensuit pas  que saint Paul ait enseigné que les idolothiques n’étaient rien en eux-mêmes, mais qu’ils ne l’étaient qu’à cause du danger de scandale, comme s’il avait dit : s’il n’y a pas de danger de scandale, on peut licitement les consommer.  On ne peut pas, non, tirer cette conclusion.  Car, même si elles n’étaient pas mauvaises pour l’une et l’autre raison, elles pouvaient quand même être prohibées de façon absolue.  Car beaucoup de choses licites sont prohibées pour qu’elles ne nous entraînent pas à des illicites, et qui deviennent illicites après avoir été prohibées.
La sixième citation est celle des Romains (13) : « Toute âme est soumise aux pouvoirs supérieurs, car il n’y pas de pouvoir qui ne vienne pas de Dieu, toutes choses ayant été organisées par Dieu. Celui donc qui résiste au pouvoir, résiste à l’ordonnance de Dieu.  Ceux donc qui résistent s’acquièrent la damnation. » Et, peu plus bas : « Soyez soumis de toute nécessité, non à cause de la colère, mais en conscience. »   Ce passage ne s’applique pas seulement aux princes séculiers, mais même aux ecclésiastiques. C’est ce que reconnait Calvin  (livre 4, chapitre 10, verset 5 des institutions). Et c’est une chose qui est évidente de soi.  Car l’apôtre parle, en général, de toutes les autorités, quand il dit qu’il n’existe pas de pouvoir qui ne vienne pas de Dieu. Ce qui revient à dire : toute autorité vient de Dieu.    Qu’un certain pouvoir ecclésiastique existe, le même Paul l’enseigne (2 Cor 13).  Voici ce qu’il dit : « Ces choses je le ai écrites en mon absence, pour ne pas, quand je serai présent, être plus sévère, selon le pouvoir que m’a donné le Seigneur Jésus ».   Et même si Paul n’avait  parlé que des pouvoirs séculiers, pour des raisons semblables ou supérieures, il faudrait étendre ses paroles aux pouvoirs ecclésiastiques.
Que les lois de ceux qui sont constitués en autorité obligent en conscience, les paroles suivantes nous le montrent : « Celui qui résiste au pouvoir résiste à l’ordre de Dieu ».  Ainsi que : « Ceux qui résistent s’acquièrent eux-mêmes la damnation. »  Qu’il s’agisse autant d’une damnation temporelle qu’éternelle, plusieurs pères de l’Église  le pensent, comme saint Jean Chrysostome, Oecumenius, Theophylactus, Ambroise, et le martyr Pierre calviniste.  En voici un autre : « Soyez donc soumis de toute nécessité, non si on le veut bien, mais parce qu’il le faut. Et un autre : «  Ce n’est pas  seulement à cause de la colère, mais en conscience qu’il vous faut obéir sciemment et consciemment.  Non seulement par peur de la peine, mais aussi par peur de la faute que vous commettrez si vous agissez contre votre conscience.  Il importe peu, que, en ce passage, saint Jean Chrysostome et ceux qui le suivent Theophylacte et Oecumenius aient entendu le mot conscience de cet extrait au sens de conscience des bienfaits, en commentant la phrase ainsi : « Il est nécessaire d’obéir aux princes, non seulement par à cause de la colère, c’est-à-dire de la vindicte, mais aussi à cause de votre propre conscience, parce que vous êtes conscients des grands bienfaits que vous recevez des princes. »   Il importe peu que la plupart y voient la conscience du péché, comme l’expliquent Theodoret, Ambroise, Bède, Anselme, et d’autres comme saint Augustin (épitre 54 à Macédoine), et que c’est cette interprétation qui agrée aux adversaires comme Calvin et le martyr Pierre; et que saint Paul emploie toujours le mot dans ce sens.   Calvin répond (livre 4, chapitre 10, verset 5 des institutions) que l’obligation de conscience dont parle ici l’apôtre ne se rapporte pas à chacune des lois des princes, mais au précepte de Dieu en général par lequel nous sommes tenus d’honorer les princes, et même à la fin des lois, qui est la paix et l’amour du prochain.
Mais nous, nous avons démontré plus haut qu’il était évident que nous étions obligés d’obéir aux supérieurs, et que nous étions aussi tenus en conscience d’observer leurs lois, même sans mépris ou scandale. Ensuite, quand l’apôtre dit : « Soyez soumis de nécessité, non seulement à cause de la colère, mais aussi en conscience, car ce qui vaut pour la colère vaut aussi pour la conscience.  Non seulement pour éviter mépris ou le scandale, mais pour l’observation des lois en particulier.  Car le prince ne punit pas seulement celui qui méprise, mais aussi ceux qui n’observent pas chacune de ses lois en particulier.  Car, il crucifie un voleur, décapite un homicide, fait brûler un faussaire, même s’il s’avère qu’ils ont péché non par mépris du prince, mais par la soif de l’argent.  Pour la même raison, donc,  ce « à cause de la conscience » doit s’appliquer à la violation de la loi.   Car l’apôtre ne dit pas : soyez soumis de nécessité non seulement à cause de la colère dans l’observation des lois particulières, mais aussi en conscience dans l’observation du commandement général de ne pas mépriser les princes. Mais, il dit tout simplement, et sans faire aucune distinction : non seulement à cause de la colère, mais à cause de votre conscience.  Et de plus, que ce soit  une mauvaise chose de s’enorgueillir et de mépriser les supérieurs, c’est une chose tellement évidente que saint Paul n’avait pas à l’inculquer par tant de mots et à tant de reprises.  Car, il n’enseigne pas seulement cela, mais aussi ce dont pouvaient encore douter les chrétiens de son époque, comme le notent justement saint Jean Chrysostome, et d’autres commentateurs, à savoir qu’ils étaient tenus en conscience d’observer les préceptes et les lois des princes même temporels.
Le septième texte est celui de saint Paul (1 Cor 1) où il dit : « Que voulez-vous ?  Que je vienne vers vous avec la verge, ou en esprit de douceur ? »   Par verge, les pères de l’Église (saint Augustin livre 3, chapitre 2, contre les parméniens) ainsi que saint Jean Chrysostome et d’autres entendent le pouvoir judiciaire de punir les pécheurs.  Car, le Christ, en tant que roi de l’Église, a une verge, qui, dans le psaume 2, est dite de fer, parce qu’elle est inflexible.  Et, dans le psaume 14, elle est appelée verge de direction, hébraïsme qui signifie verge droite, car elle punit justement.  Cette verge il la communique aux évêques qui régissent l’Église en son nom.  À partir de quoi saint Augustin (livre 2, chapitre 30, du consensus évangélique) dénoue une contradiction apparente chez Mathieu et Marc.  En Matthieu, chapitre 10, le Seigneur leur commande de ne pas porter de verge, et en Marc, chapitre 6, il leur dit d’en porter.  Saint Augustin réconcilie ces deux ordres du Seigneur en expliquant qu’en Matthieu, Jésus parlait de la verge corporelle, et en Marc, de la spirituelle, c’est-à-dire du pouvoir apostolique qui leur donnait le droit d’être nourri par le peuple.  Comme ceux qui sont régis par une verge royale doivent payer le tribut, de même ceux qui sont régis par une verge spirituelle doivent payer la dime.
Pierre martyr répond (dans son commentaire de chapitre 1,5 aux Corinthiens) qu’il y a, il est vrai, dans l’Église, une verge pour punir;  mais que ce pouvoir ne réside dans aucun homme, comme le pape ou un évêque, mais dans l’assemblée de l’église.  Car, Paul ( 1 Cor 5) voulant frapper un incestueux avec la verge ecclésiastique dit : « Quand vous serez tous rassemblés en mon esprit. »  Pierre le martyr dit la même chose.    Et portant, c’est bien  à la verge apostolique qu’est redevable la mort d’Ananie et de Saphyra, l’aveuglement d’Élima, et des supplices semblables infligés par les apôtres.  Il est certain,  que c’est Pierre seul qui a tué par la parole Ananie et Saphira, et Paul seul qui a rendu aveugle Élima, et non l’assemblée des fidèles qui n’ont même pas été consultés.  De plus, c’est Paul seul qui a livré à Satan, c’est-à-dire qui a excommunié Alexandre et Himénée, et qui a permis au diable de les vexer, comme il le dit lui-même (dans 1 Thimotée 1 et 2, et dans 2 Corinthien 13) : « Je le dis à l’avance, parce que, à mon retour, je n’épargnerai personne. » Et au même endroit : « Pour que, en votre présence, je n’agisse pas plus durement, selon le pouvoir que m’a donné le Seigneur Jésus. »   Il est certain que la verge et le pouvoir sont une seule et même chose;  que ce pouvoir a été attribué à Paul et non à l’assemblée des fidèles, comme saint Paul le déclare lui-même.  J’omets d’autres exemples classiques, comme par exemple, saint Ambroise qui  a excommunié  à lui seul  l’empereur Théodose.
Le « quand vous serez assemblés » ne contredit pas ce que nous venons d’enseigner. Car, saint Paul ne voulait pas qu’ils se réunissent pour délibérer s’ils devaient oui ou non excommunier un incestueux, mais pour proclamer publiquement et solennellement sa condamnation.  Il en va de même encore  aujourd’hui.  Les excommunications solennelles de ceux qui sont condamnés nommément ne se font qu’en présence de l’Église, mais par la seule autorité du prélat.  Comme Paul, en son absence, sans demander l’avis ou la permission à l’assemblée, avait décrété de livrer cet homme à Satan,  il leur écrit non pour les consulter sur cette question, mais pour leur ordonner de réunir les fidèles pour en faire publiquement la promulgation.
Le huitième texte est celui de saint Paul (1 Timothée 3).  Il interdit d’ordonner des bigames.   Que cette loi oblige en conscience, même si elle est positive et ecclésiastique, la chose est claire.  On le constate par la pratique de l’Église qui n’osa jamais ordonner un bigame, et par le concile de Carthage 4 (chapitre 69),  qui a puni gravement un évêque qui, sciemment, avait ordonné un bigame, et il  l’avait privé de son pouvoir d’ordonner.  Le neuvième est celui de Timothée 5 : « Ne reçois aucune accusation contre un prêtre, sans qu’il y ait deux ou trois témoins. »   Dans ce texte, l’apôtre montre clairement que l’évêque possède son tribunal à lui qui vaut même au for externe, qu’il  entend les accusations et les réfutations à la manière des juges civils, et qu’il juge les allégations d’après les preuves qu’on lui présente. Par prêtre, saint Jean Chrysostome entend un ancien, prêtre ou laïc.  Ce qui nous fait comprendre que même des laïcs pouvaient être jugés par  un évêque pour des crimes commis au for externe.  Par le nom de presbyte, saint Ambroise entend un prêtre, avec peut-être plus de raison, mais il ne faut pas, à cause de cette interprétation, exclure les laïcs du tribunal épiscopal.  Ils sont inclus de plein droit.  Car, ce que l’apôtre veut dire, comme l’explique saint Ambroise, c’est que, contre des laïcs, on admet et on écoute plus facilement des accusateurs; mais que contre des prêtres, on ne devrait pas procéder de cette façon, car il faut exiger la présence de deux ou trois témoins.  Il y a, ensuite, beaucoup d’autres textes moins percutants, mais qui ne sont pas sans importance.
Le dixième est celui de Luc 10 : « Celui qui vous écoute, m’écoute ! »  Saint Cyprien (livre 4, épitre 9) et saint Basile (constitution, chapitre 22) enseignent que ce texte s’applique proprement aux évêques.  Le onzième est de saint Paul (1 Cor 11) : « Je vous loue parce que vous observez mes préceptes. »  Et (1, 4,Thessal) : « Vous connaissez les préceptes que je vous ai donnés. » Et, au même endroit : « Celui qui les méprise, ce n’est pas un homme qu’il méprise, mais Dieu, qui nous a donné son Esprit Saint ». Et (2 Thessal 3) : « Si quelqu’un n’obéit pas à notre parole, notez-le par écrit, et ne le fréquentez plus. »   Le douzième (Hébreux 13) : « Obéissez à vos préposés, soumettez-vous à eux, car eux veillent sur vous,  comme ayant à rendre compte à Dieu de vos âmes. »  C’est dans cette épitre qu’il dit qu’il est préférable de ne pas avoir de préposé plutôt que d’en avoir un sans lui obéir.  Car, ceux qui n’en ont pas ne souffrent que du manque de direction pastorale, tandis que ceux qui n’écoutent pas un pasteur qu’ils possèdent,   pèchent, et sont punis par Dieu.  De même, saint Basile (dans sa constitution, chapitre 22) dit, en commentant ce passage, que l’apôtre a jouté : « Cela ne vous est pas utile », pour indiquer le grand péché que commettent ceux qui n’obéissent pas à leurs préposés, et le grand dommage qu’ils encourent.  Car, dans le texte grec, on ne dit pas, négativement : « cela ne vous convient pas », mais positivement : cela vous incommode, ou vous cause un dommage.  Saint Basile voit dans ce mot la peine due à une transgression.  Voilà donc ce qu’on peut apprendre des Écritures sur ce sujet.
Cherchons donc des preuves chez les pères.  D’abord, il n’y a pratiquement jamais eu de concile qui ne commande ou qui n’interdise sous peine d’anathème   Pour une raison semblable, les épitres des pontifes qui sont dans les tomes des conciles, ou qu’on peut lire dans le droit canon, sont remplies de préceptes et de censures.  Nous avons déjà présenté les principaux textes ou lettres des pontifes anciens, comme saint Léon, Gélase, Hilaire, Anastase et Grégoire dans le livre 2, chapitre 19.  Nous ne les répéterons donc pas, mais nous ne présenterons, des témoignages des anciens, que ceux qui se rapportent à une seule loi ecclésiastique, que les hérétiques réprouvent âprement, car en prouvant celle-là nous prouverons aussi toutes  les autres.  Que la loi du jeûne quadragésimal, des quatre temps, ou des vigiles soit positive ou ecclésiastique, les adversaires eux-mêmes l’admettent.  Qu’elles obligent en  conscience, même sans mépris, tous les anciens l’enseignent.   Le canon 68 des apôtres ordonne de déposer un clerc ou d’excommunier un laïc qui rejette l’obligation de jeûner comme l’Église le prescrit.  Le concile gangrens (chapitre 19) prescrit d’excommunier ceux qui, sans nécessité, ne jeunent pas, le carême. Et le concile de Tolède 8 (chapitre 9) prive de la sainte communion à Pâque ceux qui ont violé le jeûne du carême, et les condamne à s’abstenir de viande pendant toute l’année. Et il est à noter qu’il ne parle pas de deux qui n’ont pas jeûné par mépris, mais par intempérance.
Saint Basile (dans son deuxième sermon sur le jeûne) dit : « Tous entendent également le précepte, et le reçoivent avec joie. »  Et plus bas : « Veille à ne pas encourir de dommage à cause de la gourmandise, et te rende coupable du crime de désertion. »  Saint Jean Chrysostome (homélie 6 au peuple d’Antioche), dit : « Quand vient le temps du jeûne quadragésimal, même si on le demandait à quelqu’un mille fois, et on le menaçait d’une infinité de choses, on le forçait à prendre une gorgée de vin, ou à goûter quelque chose que ne permet pas la loi du jeûne, il préférera tout supporter plutôt que de toucher à une nourriture prohibée. »  Et, dans l’homélie 2 sur la Genèse, il dit : « Le carême engage la conscience de tous, même celle des empereurs. »  Saint Ambroise, dans le sermon 25 : « Ce n’est pas, pour les fidèles, un simple péché véniel de violer le jeûne quadragésimal imposé par l’Église, et de dissoudre les jeûnes sacrés par la voracité du ventre. »
 Saint Jérôme (dans son épitre à Marcella sur l’erreur de Montan) : « Nous, c’est pendant l’unique carême qui nous vient de la tradition des apôtres, dans le temps marqué, que nous jeûnons.  Non parce que  n’importe quand ou pendant toute l’année, il ne soit  pas, en dehors de la pentecôte, permis de jeûner, mais parce que autre est offrir quelque chose par obligation, et autre est l’offrir de soi-même.  Notez le mot nécessité (ou obligation).  Saint Augustin (dans le sermon 62 de l’année liturgique) : « Jeuner les autres jours, c’est un remède ou une récompense, mais ne pas jeûner pendant le carême, c’est un péché. »  Saint Léon (sermon 3 du jeûne du dixième mois) : « Il est pieux de faire quelque chose qui n’est pas commandé, mais impie de négliger ce qui est prescrit. »  Enfin, Épiphane (dans l’hérésie 75) et saint Augustin (hérésie 63) placent Arius parmi les hérétiques parce qu’il enseignait qu’il fallait jeûner,  non à cause d’un précepte de l’Église, mais selon le bon plaisir de chacun.  Voici ses propres paroles selon Épiphane : « Le jeûne n’a pas été, lui non plus, ordonné, ce sont là des choses judaïques, et sous le joug de la servitude.  Cette loi n’a pas été prescrite pour le juste.  Si je veux vraiment jeûner, je choisirai moi-même le jour qui me convient, et je jeûnerai en toute liberté. »  C’est le même discours que tiennent habituellement les luthériens.
Qu’il soit nécessaire qu’existent certaines lois ecclésiastiques, il est facile de le prouver.   Car, dans l’église, les lois sont aussi nécessaire que dans n’importe laquelle république.  La raison pour laquelle les lois sont nécessaires dans une république est que, pour bien vivre, les hommes doivent vivre selon la raison. Et, comme les hommes sont formés d’un corps et d’une âme, d’une raison et de sens, ils sont à peine capables, à la seule lumière de la raison, de se conduire humainement.  Voilà pourquoi des lois ont été inventées qui ne contiennent rien d’autre que le jugement de la raison, de sorte qu’en les suivant, les hommes sont forcés de suivre leur raison.  Or, cette raison vaut également pour l’Église.  Car, bien que les chrétiens, par la grâce de Dieu, soient libérés du péché, ils ne sont quand même pas libérés de la concupiscence et des passions qui luttent continuellement contre la raison.  Tu diras que les chrétiens ont une loi évangélique qu’ils peuvent suivre.  Je réponds qu’ils en ont une, il est vrai, mais que cette loi est trop universelle.  Elle ne peut diriger toutes nos actions que si elle est reformulée en des déterminations particulières  par le prince ecclésiastique.  Les républiques possèdent elles aussi la loi naturelle, mais  il est évident que, étant trop générale,  cette loi ne suffit pas, à moins qu’elle soit particularisée par les décisions des princes.  Donc, comme dans une république civile, les lois civiles sont nécessaires, qui sont comme des conclusions déduites du droit naturel,  naturelle, ou des déterminations du droit de la nature, dans l’église, également, des lois ecclésiastiques sont nécessaires, qui sont comme des  conclusions déduites des principes évangéliques, ou des déterminations de ces mêmes principes.  Exemple. Jésus  dit : « Celui qui est mon ministre me suit ».  L’Église a déduit de ce texte, comme d’une conclusion, qu’il serait utile de statuer, sous forme de loi, de ne pas admettre au ministère sacré ceux qui ne voudraient pas être continents.  De même, l’évangile ordonne de recevoir l’eucharistie, mais ne détermine pas le quand et le comment.  Les princes de l’Église ont donc déterminé qu’on communie au moins à Pâque.  Et les apôtres ont établi par  loi qu’elle passe avant toutes les autres nourritures, au moyen du jeûne.  Voilà pourquoi saint Augustin (épitre 18, chapitre 6) écrit : « Le Seigneur n’a pas prescrit de quelle façon on communierait. Il a laissé à ses disciples de préciser tout cela. »
Il reste maintenant à prouver que toute vraie loi est coercitive.   Saint Thomas enseigne cela clairement (1, 2, question 96, art 5, et 2,2 question 67, article 1, leçon 3, chapitre 2 aux Romains.  Et, on le prouve par la nature elle-même de la loi.  Car la loi est une règle des actions humaines établie par Dieu immédiatement ou médiatement.  Voilà pourquoi Aristote (livre 10, chapitre 9 de l’éthique) écrit : « La loi est une parole issue de la prudence et du jugement, ayant le pouvoir de contraindre. »  L’essence de la loi consiste donc en ce qu’elle ait la force de contraindre et de lier, de façon à ce qu’agir autrement que ce qu’elle ordonne soit un péché.  Et que montre d’autre la définition du péché qu’une transgression de la loi ?   Voici comment l’apôtre définit le péché (1 Jean 5) : « la faute est un éloignement de la loi ».  On ne peut pas dire,  non plus, que la loi oblige à ne pas mépriser.  Car, la loi qui oblige à ne pas mépriser le roi est une  loi générale et divine.  Or, celle dont nous parlons maintenant est particulière et humaine. Quand le pontife te dit de jeûner pendant le carême, il ne t’oblige pas à ne pas mépriser ton supérieur, mais à jeûner.
                                                         CHAPITRE 17
On solutionne les arguments des adversaires provenant de textes de l’Écriture.
Il nous reste encore à réfuter leurs objections.  La première.  Ils se servent de ce texte de saint Matthieu (à la fin de son évangile) : « Baptisez toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur enseignant d’observer tout ce que je vous ai commandé. »  Ils font remarquer qu’il n’a pas été dit : enseignant vos commandements, mais les miens.  Et ils en concluent qu’il n’est pas permis à un évêque de faire des préceptes.   C’est l’argument de Jean de Wesphalie.  Je réponds que parmi les commandements du Christ, se trouve aussi celui où il dit qu’il faut observer les préceptes des prélats, quand il dit : « Celui qui vous écoute m’écoute. »  Le second est tiré du Deutéronome 4 : « Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous donne, et vous n’en retrancherez rien. »  Il est question ici des préceptes cérémoniaux et judiciaires.   Car, il avait dit au chapitre 4 : « Israël, écoute les préceptes et les commandements ».  Si Dieu a prescrit aux Israélites de n’ajouter aucun précepte à ceux qui se trouvaient dans l’ancien testament, à plus forte raison peut-on penser qu’il a formellement interdit qu’on ajoute aux paroles de l’Évangile, lequel est de loin plus parfait que l’Ancien testament. Cet argument Luther, Calvin et presque tous l’emploient.  Et Pierre le martyr l’a tellement  fait sien que dans commentaire à Cor (chapitre 8, 1), il a écrit en marge : « bon argument ».
Je réponds qu’on peut comprendre l’addition  aux préceptes ou leur soustraction de deux manières.  Une première.  Qu’on ajoute un précepte à un précepte, comme si aux dix commandements, on en ajoutait deux autres pour en avoir douze, ou on en enlevait deux pour se trouver avec huit.  Une deuxième. Que sans multiplier les préceptes, on fasse en sorte qu’un précepte ordonne plus ou moins.  Comme si quand Dieu commanda à chaque famille, à Pâque, de manger un agneau, certaines familles en mangerait deux, d’autres une demi seulement.  Je dis donc que l’Écriture n’interdit pas l’addition du premier genre, mais du second : elle n’interdit pas d’ajouter au nombre des préceptes, mais au contenu des préceptes.  Ce qui est facile de prouver parce que nous avons vu les Juifs ajouter au nombre des préceptes autant des cérémoniaux que des judiciaires.   Au sujet de l’addition de préceptes cérémoniaux, il y a beaucoup d’exemples.  Car, dans Esther 9, : «  Mardochée prescrivit que le quatorzième et le quinzième jour du mois d’Adar deviennent des jours de fête, et qu’ils soient célébrés solennellement à chaque année ».  Et plus bas : « Les Juifs s’engagèrent eux, leurs descendants et tous ceux qui voudront se marier avec eux, à ce que personne ne laisse passer ces deux jours sans  les fêter solennellement. » De même, dans Judith (à la fin du dernier chapitre) : « Le jour de cette fête a été mis par les Hébreux au nombre des jours saints, et est célébré par eux depuis cette époque  jusqu’à aujourd’hui. »  De même en Macchabée 1,4 : « Judas, ses frères et toute l’église d’Israël statuèrent que soit fêté le jour de la dédicace de l’autel,  d’année en année pendant huit jours. »  Cette fête, même si elle est nouvelle et ajoutée, le Seigneur l’a honorée par sa présence, comme on le voit par Jean 10.
Au sujet des fêtes judiciaires nous avons l’exemple de 1 Rois, où David formula une nouvelle loi voulant que la part du butin soit la même pour ceux qui descendent au combat et ceux qui gardent les bagages : « Et cela a été fait, constitué et défini comme une loi en Israël ».  Il importe peu qu’on dise « comme une loi », car en hébreu le comme n’existe pas : on en fait un précepte ou un commandement.  Ces deux mots on les trouve dans le Deutéronome 4 et 12.    L’Écriture n’interdit donc pas d’ajouter de nouveaux préceptes, mais elle interdit de modifier son contenu par addition ou soustraction.  On le confirme cela par le Deutéronome 3 et 12.  Car, Moïse ne parle pas aux princes à qui il incombe de faire des lois, mais au peuple qui n’a qu’à obéir.   Il ne prescrivait donc que ce qu’il convient de prescrire au peuple, pour qu’ils observent intégralement les préceptes, sans n’y rien ajouter ou enlever.  C’est ce qu’explique encore plus clairement Moïse (Deutéronome 5) où, en parlant de la même chose, il dit : « Faites ce que le Seigneur vous a prescrit, en ne déclinant ni à gauche, ni à droite. »  Car, il est certain que, là, Moïse parle de l’accomplissement des préceptes, non de la formulation de nouvelles lois.
Il faut aussi noter que quand Moïse ordonne de ne rien ajouter à ce que la loi prescrit, il faut voir, dans ces paroles, une addition qui corrompt le précepte, non qui le perfectionne.  Car, quand la loi dit : tu ne voleras pas, celui qui, loin de voler les biens d’autrui, donne les siens, fait plus que ce que la loi prescrit.  On ne dit pas, cependant, qu’il ajoute, car il ne détruit pas le précepte, mais le conserve mieux.  Et quand la loi dit de ne sacrifier que des brebis, des bœufs et des oiseaux qui sont purs, si quelqu’un veut aussi sacrifier des chiens, des cochons et des hommes, il ajoute au précepte sans le corrompre.   C’est l’exemple que donne le Deutéronome (12)  quand il prohibe l’addition, de peur qu’ils ne sacrifient leurs fils, comme les Gentils.
On peut réfuter cet argument même si on admet que l’Écriture a prohibé l’addition de nouvelles lois.  Il ne faudrait entendre cette prohibition que de l’addition de lois contraires aux premières, comme saint Thomas le remarque (chapitre aux Gal lect 2 et 3). Et comme on le voit par des lois qui ont été ajoutées après, comme nous l’avons déjà démontré.   On peut répondre, en troisième lieu, que l’ancien et le nouveau testament n’ont pas la même valeur.  En effet, parce que  la loi de l’ancien testament avait été donnée à un seul peuple, et pour un certain temps, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement du Christ, elle pouvait facilement tout déterminer en détail, comme elle l’a fait. Car, elle prescrit dans le détail tout ce qui se rapporte au culte de Dieu, aux jugements et aux différends. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle prohibe d’autres lois.  Mais la loi évangélique est donnée à tout l’univers, c’est-à-dire à des peuples ou nations très différentes, et elle doit durer jusqu’à la fin du monde.  Elle ne pouvait donc pas facilement tout déterminer en particulier, de façon à rendre non nécessaire l’existence d’autres lois, civiles ou ecclésiastiques.  Car à des peuples très différents les uns des autres,  ne peuvent pas convenir les mêmes lois et les mêmes rites.  Voilà pourquoi Dieu a jugé préférable de ne donner dans l’évangile qui est commun à tous, que les lois les plus générales sur les sacrements, et de laisser aux apôtres et à leurs successeurs d’établir des lois plus particulières, selon la diversité des temps et des lieux.
Le troisième argument Calvin le tire d’Isaïe chapitre 33 : « Le Seigneur est notre Juge, notre Législateur, et notre Roi. »  Ces paroles signifient  que  le Seigneur est le seul juge, le seul  législateur, et le seul roi, comme nous l’enseigne saint Jacques dans son épitre, au chapitre quatre : « Il n’y a qu’un seul législateur et un seul juge qui peut perdre et sauver. »  Je réponds qu’Isaïe et Jacques parlent du premier des législateurs, de celui qui, par sa propre autorité, peut juger et légiférer.  Nous ne disons pas que le souverain pontife lui soit semblable.  Ce législateur n’est, pour nous, que le Christ.   Nous ne faisons, en effet, pas du pape le roi suprême, le juge suprême, ou le législateur suprême, mais le vicaire du Christ  roi, du Christ  juge et du Christ  législateur, qui peut faire des lois par l’autorité qu’il a reçue du Christ.   C’est dans ce sens que saint Cyprien (livre 1, épitre 3) dit que le souverain pontife est juge à la place du Christ.  Mais, tu feras la demande suivante.   En disant :  car il n’y a qu’un seul législateur et juge qui peut perdre et sauver, saint Jacques explique pourquoi tous les hommes doivent obéir aux lois,  et non en faire. Voilà pourquoi il exclut tous les autres législateurs qui veulent obliger en conscience, perdre les prévaricateurs et sauver les obéissants.  Car, c’est ainsi qu’il parle : « Ne vous dénigrez pas les uns les autres.  Celui qui trahit et juge son frère, trahit et juge la loi. »  C’est-à-dire que celui qui dénigre son frère qui fait du bien, comme quand il pardonne des injures, dénigre la loi qui prescrit d’accomplir cette bonne chose.  « Si tu juges la loi, tu n’est pas un observateur de la loi, mais son juge.  Car il n’y a qu’un seul législateur et un seul juge, qui peut perdre et sauver. »  Et c’est après ces paroles qu’on nous fait sous entendre la proposition : si tu juges la loi, tu n’es pas un observateur de la loi, mais son juge.  C’est-à-dire : tu dois être, o homme, un observateur de la loi, non un juge.  Et il en donne la raison : il n’y a qu’un seul législateur, un seul juge.
Je réponds que Jacques parle de tous les hommes en tant qu’ils sont soumis à certaines lois,  et qu’il veut dire qu’il n’est permis à personne de juger la loi de son supérieur, puisqu’il n’y a qu’un seul législateur et juge qui est si antérieur et suprême qu’il ne doit que donner des lois, non en recevoir, et qui peut perdre et sauver de façon à ne craindre personne, et à n’attendre rien de personne.  Or, le pape et les autres évêques, même s’ils peuvent juger et donner des lois, doivent être jugés par Dieu, et conserver ses lois.    Le quatrième argument, Calvin le tire d’Isaïe, chapitre 29 : « Parce que ce peuple s’approche de moi par la bouche, et me glorifie avec ses lèvres,  et que son cœur est loin de moi, et qu’ils m’ont craint par un commandement et des doctrines des hommes, j’ajouterai… »  Le Seigneur se plaint de ce que le peuple d’Israël le craigne par un commandement humain, c’est-à-dire que le culte ou la religion de Dieu ils en ont prescrit l’observance par des commandements humains.  Disent la même chose Matthieu (15) et Marc (7).  Je réponds que, dans l’Écriture, les commandements humains ne sont pas appelés préceptes d’hommes, mais  ceux seulement qui sont exclusivement  humains, c’est-à-dire qui ont été faits sans que Dieu les aient commandés ou inspirés, et qui ne peuvent, en aucune façon, se réclamer de l’autorité de Dieu.  Ils sont de deux sortes.  Les uns sont contraires aux commandements divins (Isaïe 29, Matt 15, Marc 7, Coloss 2,1, 1 Timothée 4, Titus 1.)  Ensuite, nous voyons que le Seigneur a reproché trois fois aux pharisiens leurs traditions humaines.  D’abord, en Matthieu 15, où il leur reproche d’observer des commandements humains contraires à la loi divine.  Car, en Matthieu 15, après avoir dit que les pharisiens avaient ordonné de donner au temple ce que les fils devaient donner à leurs parents, il ajouta : « Vous avez annulé le commandement de Dieu par votre tradition. »  Et il cite tout de suite le passage d’Isaïe en question.  En commentant ces passages de Matthieu et de Marc, saint Irénée enseigne qu’il faut comprendre qu’il s’agit de préceptes pharisaïques qui s’opposent aux lois divines.
Deuxièmement.  Il réprouve, en Marc 7, les traditions ou les mandats des hommes qui portent sur des cérémonies inutiles ou frivoles inventées pour des motifs humains; et dont les Juifs faisaient un si grand cas qu’ils les faisaient passer avant les commandements divins.  « Abandonnant le commandement de Dieu, vous gardez des traditions humaines, comme les baptêmes des cruches et des calices, et beaucoup d’autres semblables ».  Troisièmement, il leur reproche, en Matt 23, de faire passer certaines bonnes lois avant la  loi divine.  Il ne dit pas que ce ne sont que des lois humaines, mais il dit qu’il fallait les faire sans omettre les autres.  Car, ils ne péchaient qu’en faisant consister l’essentiel de la religion  dans des cérémonies de troisième ordre, toutes externes qu’elles étaient.   Ils étaient semblables au chien d’Esope qui a abandonné un pain pour son ombre, comme l’explique saint Irénée (livre 2, chapitre 12) au sujet des hérétiques valentiniens, qui préférèrent avoir un ange comme créateur plutôt que Dieu.  Or, les commandements pontificaux et ecclésiastiques, même si on peut les dire humains, ne sont pas blâmables, parce qu’ils n’entrent pas en lutte avec les commandements divins, ne sont pas inutiles, et ne passent pas avant les préceptes divins.
Le cinquième argument il le tire des paroles de saint Paul (2 Cor 3) qui déclarent les chrétiens affranchis des commandements des hommes : « Où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. »  Et (Galates 4) : « Nous ne sommes pas des fils de la servante, mais de la femme libre,  de cette liberté par laquelle le Christ nous a libérés. »  Et (Galates 5) : « Demeurez comme vous êtes, et ne vous placez pas de nouveau sous le joug de la servitude. »  Je réponds que la liberté chrétienne consiste en trois choses.  La première.  Dans la libération de la servitude du péché, dont parle saint Paul (Romains 6) : « Libérés du péché, devenus esclaves de la justice. »   La deuxième.  Dans la libération de la servitude de la loi divine morale, car, sans la grâce, la loi ne peut pas être observée.  Elle menace quand même de punition, au cas où elle n’est pas observée. Et c’est ainsi qu’elle opprime, et maintient les hommes esclaves.  Mais la grâce du Christ nous libère de cette crainte et de cette servitude, non en nous exemptant de l’obligation d’accomplir la loi, mais en inspirant la charité qui nous la fait observer facilement et volontairement.  C’est ce dont parle l’Apôtre en 2 Cor 3 : « Là  où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ».  Et en Galates 3 : « Dieu nous a rachetés de la malédiction de la loi, en  se faisant maudit pour nous. »  Et c’est aussi ce que dit saint Augustin (livre sur la continence, chapitre 3) : « Nous ne sommes pas sous une loi qui commande le bien, ni même qui le donne, mais nous sommes sous la grâce, ce qui veut dire que ce que la loi commande nous le faisons, elle peut, en nous le faisant aimer, commander à des personnes libres. »   La troisième.   Dans la libération de la servitude des préceptes cérémoniaux et judiciaires de Moïse, dont parlent les Actes (15) : « Pourquoi cherchez-vous à imposer un joug sur les têtes des disciples ? »  Et en Galates 5 : « Demeurez comme vous êtes, et ne cherchez pas à être contenus de nouveau par le joug de la servitude. »  Mais que nous soyons libérés de l’obéissance des prélats, nous ne le lisons jamais.  C’est plutôt le contraire qui est vrai, puisque saint Paul nous clame : « Obéissez à vos préposés. »
C’est pourquoi,  saint Pierre et saint Paul, prévoyant en esprit les hérétiques de notre temps qui, sous prétexte de liberté, ne peuvent supporter ni les jeûnes prescrits par l’Église, ni aucune loi, se sont efforcés très souvent d’inculquer l’obéissance aux supérieurs, même païens.  Saint Pierre (1, Pierre 2) : « Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu. »  Et plus bas : « Comme des enfants qui n’ont pas, comme un voile, la liberté de la malice. »  Et 1 Pierre 2 : « Leur promettant la liberté alors qu’ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption. »  Et saint Paul (Galates 5) : « Vous, vous êtes appelés à la liberté, pourvu que cette liberté ne soit pas pour vous une occasion de fautes de la chair. »
2017 12 26 22h45 fin
2017 12 28 17h34 début
CHAPITRE 18 : On réfute l’argument tiré de la comparaison des lois
Sixième argument.    Si Dieu a voulu que les chrétiens soient libérés des cérémonies judaïques et des autres loirs positives de l’ancien testament, il a voulu également qu’ils le soient des cérémonies que les pontifes ont introduites, et des autres lois humaines.  Car, s’il avait fallu que nous ayons  des lois positives, il aurait été préférable d’en avoir des divines,  plutôt que des humaines.  De plus, cette libération des lois judaïques nous aurait plutôt nuis que servis, car ces lois saint Pierre les appelle des jougs insupportables, tant à cause de leur grand nombre, que parce qu’elles obligeaient en conscience.  Car, prises une par une, ces choses  ne sont ni lourdes ni insupportables,  comparées aux lois positives des chrétiens qui sont dix fois plus nombreuses, comme on le voit quand on compare au pantateuque de Moïse les volumes de droit canon et les tomes des conciles.  Si donc toutes ces lois ecclésiastiques obligent en conscience, il aurait été préférable de conserver les lois de Moïse.    Calvin confirme son argument par le témoignage de saint Augustin qui (dans l’épitre 110,  chapitre 19) se plaint des rites ecclésiastiques témérairement introduits : « Cette même religion que la miséricorde Dieu a voulu libre dans le petit nombre et la clarté des symboles de nos célébrations,  on l’opprime par des poids serviles,  de sorte qu’était plus tolérable la condition des Juifs qui, même s’ils n’avaient pas connu le temps de la liberté, étaient soumis à des poids légaux, non à des prescriptions humaines présomptueuses. »  Et Calvin ajoute : « Si ce saint homme survenait dans notre siècle,  par quelles plaintes ne déplorerait-il pas notre servitude présente ?  Car le nombre en des décuplé, et chaque prescription est cent fois plus pénible que celles d’autrefois.  Et voilà ce qui a coutume d’arriver quand s’emparent du pouvoir des législateurs qui n’en finissent jamais de commander et de défendre, tant qu’on n’aura pas atteint les bas fonds.
 Je réponds que le Christ nous a délivrés des cérémonies et des préceptes de Moïse, parce que ces choses étaient des figures du nouveau testament.  Nous sommes, comme eux, tenus de nous abstenir d’œuvres serviles les jours de fête, et d’aller à la messe, mais avec beaucoup d’exceptions.  Car, ne doivent pas cesser les œuvres nécessaires, ni très utiles aux corps humains, comme celles des médecins, des pharmaciens, des cuisiniers.  Pour une raison semblable, celui, qui, pour une juste cause, ne participe pas à la messe, n’est pas considéré comme ayant péché.  Mais les Juifs étaient si sévèrement tenus de vaquer à toute activité, qu’ils ne pouvaient ni allumer de feu, ni faire cuire de nourriture.  Et il est même arrivé que quelqu’un, qui avait porté du bois sur ses épaules, ait été, sur l’ordre du Seigneur, lapidé à mort.
Au sujet d’Augustin,  je dis que c’est malicieusement que Calvin a voulu abuser de ses paroles.  Car, il ne se plaint pas des rites institués par les pontifes, mais des coutumes particulières du peuple, et de gens peu instruits,  qui finissaient avec le temps par obtenir force de loi, et qui, quand elles croissaient démesurément, devaient être enlevées ou abrogées par l’autorité.  Voici ce qu’il dit ; « Toutes les choses qui ne sont ni contenues dans les auteurs des saintes Écritures, ni trouvées dans les statuts des conciles épiscopaux, ni corroborées par la coutume de l’Église universelle, mais varient considérablement d’après les mœurs différentes de différents lieux, de sorte qu’on  est souvent incapables de trouver pour quelle raison elles ont été instituées, j’estime que, quand il est possible de le faire, il faut les éliminer sans aucune hésitation. »  Tu vois donc que saint Augustin voulait absolument conserver les lois que les évêques avaient promulguées dans les conciles,  ou que la coutume de l’Église universelle avait corroborées. Les lois de cette sorte sont celles que nous appelons ecclésiastiques, car elles n’auraient pas été conservées dans les tomes des conciles ou dans les livres du droit canon si elles n’avaient pas été faites par des évêques,  mais par le premier venu.
 CHAPITRE 19
 On réfute un argument tiré d’exemples
 Le septième argument Calvin le tire de trois exemples qui se trouvent dans l’Écriture.  Aux Rois 4, 16, on rapporte un fait du roi Achaz et du pontife Urie, qui ajoutèrent au temple un autre autel.    Ils le firent cela pour embellir le temple, mais comme Dieu ne l’avait pas commandé,  cette innovation fut réprouvée comme une invention humaine.  Et, au chapitre 14, on parle de ceux que le roi d’Assyrie transporta de Babylone en Samarie.  Dieu lâcha sur eux des lions pour les punir, car ils adoraient Dieu avec de nouvelles cérémonies que Dieu n’avait pas prescrites.  Enfin, aux Rois 21, on rapporte, du roi Manassé, qu’il pécha surtout parce qu’il érigea dans le temple des autels que Dieu n’avait pas commandés.   Je réponds qu’elle est stupéfiante l’impudence de Calvin qui enseigne qu’Achaz, Manassé et les Babyloniens ont été punis par Dieu parce qu’ils avaient institué des cérémonies non prescrites par Dieu, alors que l’Écriture explique clairement qu’ils avaient tous péché d’un péché d’idolâtrie.  Car Achaz a été blâmé non parce qu’il avait érigé un nouvel autel dans le temple,  mais parce qu’il avait construit un autel semblable  à l’idole  qui était à Damase, et parce qu’il avait enlevé l’autel de Yahvé de sa place, et ne voulait plus offrir des sacrifices à l’autel du Seigneur, mais seulement au nouvel autel consacré à l’idole.  Manassé n’est pas réprouvé parce qu’il avait érigé des autels dans le temple, mais parce qu’il avait érigé les autels de la milice universelle du ciel,  c’est-à-dire en l’honneur de tous les astres, et qu’il avait fait entrer dans le temple l’idole,  qui demeurait jusque là dans le bois sacré.   Car que ce n’était pas une mauvaise chose de dresser de nouveaux autels dans le temple,  même si Dieu n’en avait pas donné l’ordre, on s’en rend compte en lisant les Rois  (2, 8,).  Nous y lisons que quand Salomon vit que l’autel de bronze (ou d’airain) ne pouvait pas contenir tous les holocaustes qui étaient offerts,  il sanctifia un autre lieu du temple, et y offrit là aussi des holocaustes.   Or, ce qu’a fait Salomon, Dieu ne l’a ni commandé ni réprouvé.  On doit plutôt dire qu’il l’a approuvé,  parce qu’il lui est apparu durant son sommeil, l’a loué et lui a promis beaucoup de bonnes choses.
 Quant aux Babyloniens qui habitaient en Samarie, ils étaient, comme tous le savent, des idolâtres.  Voici ce qu’on lit d’eux dans l’Écriture ( 4 Rois, chapitre 17) : « Quand ils commencèrent à habiter là, ils ne craignaient pas Dieu, et le Seigneur leur envoya des lions qui les tuèrent. »  Et plus bas : « Chacune de ces nations fabriqua son Dieu propre,  et les posèrent ces dieux dans des temples situés au sommet des montagnes. » Et plus bas : « Et quand ils adoraient le Seigneur,  ils servaient aussi leurs propres dieux, selon la coutume des peuples d’où ils provenaient. »  C’est ce péché que l’Écriture réprouve, non les nouvelles cérémonies non commandées par Dieu.
                                                                CHAPITRE 20
                            On réfute deux arguments tirés de motifs  de conscience.
Voici quel est le huitième argument de Calvin.  Paul n’a permis en aucune façon que les consciences des fidèles retournent à l’esclavage des hommes.  C’est ce qu’il dit (1 Cor 7) : « Vous avez été achetés à grand prix. Ne devenez pas serviteurs des hommes. »  Saint Paul ne prescrit pas là que les esclaves ne doivent pas obéir à leurs maîtres dans les choses extérieures, car (dans Ephés 6) il a dit :  « Serviteurs (esclaves) obéissez à vos maîtres avec crainte et tremblement. »  Il ne prescrit pas non plus à ceux qui sont des hommes libres de se faire des esclaves, car, dans le même chapitre (1 Cor 7), il dit : « Tu as été appelé quand tu étais esclave, n’en fais pas de cas.   Et même si tu peux être affranchi, demeure comme tu es. »  C’est-à-dire, si tu peux devenir un homme libre, il est mieux pour toi de servir, et de te maintenir dans la condition de servitude, pour conserver l’humilité.  Il reste donc qu’il interdit de servir les hommes par la peur du péché, et l’anxiété de la conscience, puisque c’est Dieu seul qu’on doit servir.    Je réponds que, dans ce passage, saint Paul prescrit seulement de ne pas servir les hommes pour les hommes, mais pour Dieu, de façon à ce que nous servions plutôt Dieu dans les hommes, que les hommes eux-mêmes.  C’est ce que lui-même explique (Éphésiens 6) : « Serviteurs, obéissez aux maîtres charnels avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre cœur, comme au Christ, ne servant pas au doigt et  à l’œil, comme pour plaire aux hommes, mais comme serviteurs du Christ,  faisant la volonté de Dieu avec empressement,  comme servant Dieu avec une bonne volonté, et non les hommes. »
Ils deviennent serviteurs des hommes (ce que l’Apôtre interdit) ceux qui regardent surtout les hommes, et qui les servent, même s’ils prescrivent des péchés, et qui les adulent même quand ils agissent mal.   Voir saint Jean Chrysostome (1 Cor 7) et saint Jérôme (chapitre 6, Éphes).   Le neuvième argument de Calvin.  La conscience n’appartient qu’au for interne divin, car c’est Dieu qui scrute les reins et les cœurs :  les hommes ne peuvent donc pas obliger en conscience. Et il confirme cet argument ainsi.   Un homme ne peut pas condamner quelqu’un à l’enfer; il ne peut donc pas, sous peine de mort éternelle, obliger à l’observation d’une loi.   Il est ridicule, en effet, que quelqu’un menace d’une peine qu’il ne peut pas infliger.    Je réponds qu’on peut entendre de deux façons l’affirmation qui veut que la conscience ne relève que du tribunal de Dieu.  Une première.   Dieu seul peut voir les consciences, et juger les actes internes qui n’apparaissent pas à  l’extérieur, et qui n’ont pas d’autres témoins que Dieu et la conscience de ceux qui les fait.  Et, dans ce sens, il est très vrai que la conscience ne relève que de Dieu. La deuxième. On peut l’entendre au sens où seul Dieu peut lier l’homme par ses lois, de façon à ce que, s’il n’accomplit pas le précepte, il juge lui-même, dans sa conscience, qu’il fait mal.  Et, de cette façon,  il est faux que la conscience ne relève pas de l’homme.  Car, pour que quelqu’un oblige un autre en conscience, il n’est pas requis qu’il puisse voir sa conscience, ni qu’il scrute ses reins et ses cœurs,  ni non plus qu’il soit  juge de ses actes internes.  Il suffit qu’il puisse légitimement lui commander, et, en lui commandant, l’obliger à faire une œuvre extérieure,  de façon à ce que, s’il ne la fait pas, il comprenne ou puisse comprendre qu’il a mal agi.
C’est pourquoi Jean Calvin (livre 4, chapitre 10, verset 5) est trompé ou désire tromper les autres quand il parle ainsi : « Car ce n’est pas avec les hommes, mais avec Dieu seul que nos consciences ont un rapport.  C’est à lui qu’il appartient de marquer la différence existant entre un jugement terrestre et le tribunal de la conscience. Lorsque le monde entier est enfoncé dans les ténèbres de la plus épaisse ignorance,  cette petite étincelle de lumière demeure, qui nous fait reconnaitre que la conscience de l’homme est supérieure à tous les juges humains.  Ce qu’ils reconnaissent en parole, ils le renient dans la réalité.   Mais Dieu a voulu que continue à exister un certain témoignage de la liberté chrétienne qui affranchit les consciences de la tyrannie des hommes. »   Quand nous disons, nous, catholiques, que la conscience est supérieure à tous les jugements humains, nous ne voulons rien dire d’autre que celui qui est conscient de bien agir ne doit pas craindre d’être damné par Dieu, même si tous les hommes qui ne voient pas le cœur, jugent autrement de ses actions.  Mais, pouvons-nous aller plus loin ?  Pouvons-nous dire que celui qui a violé  les lois de l’Église ne pèchera pas à cause du témoignage de sa conscience ?
Je réponds à la confirmation,   qu’une loi humaine n’oblige pas sous peine de mort éternelle, si ce n’est dans la mesure où Dieu est offensé par la violation d’une loi humaine, dont les ministres sont tous les princes, non seulement ecclésiastiques, mais aussi politiques.   Car, comme celui qui transgresse les lois d’un pro roi offense le roi, et peut être puni par le roi, même d’une peine qu’un pro roi ne peut infliger, de la même façon ceux qui n’observent pas les lois justes des princes  qui, selon saint Paul (Rom 13, 1, Cor 4) et la Sagesse (6) sont des ministres de Dieu, sont punis par lui d’une peine de mort éternelle.  Si donc nous imaginons que Dieu n’est pas dans la nature des choses, ceux qui violeront des lois justes pècheront en conscience, mais  ils n’offenseront pas Dieu, et n’iront pas en enfer pour cela.   Tu diras : si par loi humaine en tant qu’humaine tu entends  celle qui n’est en rien divine, je nie que le transgresseur d’une loi humaine en tant qu’humaine ne pèche pas mortellement.  Mais si par loi humaine en tant qu’humaine tu entends celle que l’homme porte de sa propre autorité, qu’il n a pas reçue de Dieu, mais qui vient de lui-même, ou qu’il a reçu d’autres hommes, j’admets que les transgresseurs d’une telle ne pèchent pas mortellement.   Du reste, des lois de ce genre sont nulles, car tout pouvoir est de Dieu (Romais 13), et sans le vrai pouvoir,  aucune vraie loi ne peut être portée.
CHAPITRE 21
On réfute les objections tirées des pères
Le dixième argument est tiré des témoignages de certains pères, qu’au nom d’autres personnes,  rapporte Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 45).  Le premier.  Celui d’Origène (traité 12, dans Matthieu), où expliquant Matthieu 20, « Les rois des nations dominent sur eux, Vous, qu’il n’en soit pas ainsi. » il écrit : « Comme toutes les choses charnelles relèvent de la nécessité et non de la volonté, les choses spirituelles ne relèvent pas de la nécessité, mais de la volonté.  Il en va ainsi pour les princes spirituels. Leur principauté réside dans l’amour de leurs sujets, non dans la crainte corporelle. »   Je réponds qu’Origène n’exclut pas du prince ecclésiastique le pouvoir coercitif, mais qu’il ne cherche qu’a avertir les princes de leur devoir.  Car, la différence qui existe entre un prince séculier et un prince ecclésiastique est que le prince séculier a pour fin la paix temporelle et externe de la république.  Il atteint donc sa fin quand tous ses sujets vivent paisiblement, qu’ils le fassent volontairement ou malgré eux.   Mais le prince spirituel a pour fin la vie éternelle, et la paix tant externe qu’interne des sujets.  Et pour cette raison, il doit voir à ce que ses sujets soient conduits  plus par l’amour que par la crainte.   Et comme il ne peut pas ordonner à ses sujets de vivre joyeusement et avec amour, il doit, lui aussi, user du pouvoir coercitif, pour que, au moins  par la crainte, ne soit pas troublée la paix de l’Église.  Voilà pourquoi saint Grégoire dit (au livre 29, chapitre 6, morales) : « Envers les sujets, doivent être présents chez les supérieurs une miséricorde qui console avec justice, et une discipline qui sévit pieusement. »
Le second est de saint Jean Chrysostome (livre 2 sur le sacerdoce), avant le milieu,  où il compare un pontife avec un pasteur de brebis dépourvues de raison.   Voici ce qu’il dit : « Car, il n’est pas permis à un homme de prendre soin des hommes avec la même autorité qu’un pasteur prend soin de ses brebis.   Il lui est permis à lui d’attacher un animal avec une corde, de l’éloigner des alpages,  de brûler, de couper, car une médecine ou  un traitement n’est pas déterminée par le malade, mais par le médecin.  Il compare ensuite le pontife à un magistrat séculier et dit  : « Il n’est permis de corriger par force la faute de tous les pécheurs.  Les juges externes quand ils arrêtent des hommes coupables qui ont transgressé les lois, se montrent investis  d’une grande autorité et d’un grand pouvoir, et ils les forcent de changer leurs mœurs malgré eux.  Mais, ici, il ne faut pas déployer de  force, mais persuader seulement, et  rendre ainsi meilleur celui que tu as reçu pour l’amender.  Les lois ne nous donnent pas la faculté de contraindre les délinquants, car si elles nous la donnaient, nous aurions la même force, nous pourrions exercer le même pouvoir que le Christ quand il donnera une couronne éternelle non à ceux qui ont agi par contrainte, mais qui se sont abstenus du péché par une décision volontaire personnelle. »  Jean de Turrecremata répond que saint Jean Chrysostome parle de ceux qui sont à l’extérieur de l’Église, des païens,  que l’Église ne peut pas contraindre à embrasser la foi.  Au contraire, saint Jean Chrysostome parle clairement des brebis qui sont à l’intérieur de l’Église, et qui sont confiées à un évêque.
Il faut donc dire que saint Jean Chrysostome n’a jamais voulu nier le pouvoir coercitif des pontifes, puisqu’il l’affirme en toutes lettres constamment.   Car, dans l’homélie 70 au peuple, il interdit aux chrétiens, qui sont sous sa juridiction, d’engager une femme pour pleurer aux funérailles.  Et il leur dit : « Pour que je ne les force pas à pleurer pour de vrais maux, et pour ceux qui  leur sont  propres. »   Et plus bas : « S’il arrivait, --ce que Dieu ne permette pas- que nous soyons méprisés, nous serions forcés d’avoir recours  à des menaces, pendant que vous les châtieriez par des lois ecclésiastiques, comme ils le méritent. »   Et plus bas : « Que personne ne méprise les chaînes ecclésiastiques, car celui qui lie ce n’est pas l’homme, mais le Christ, qui nous accordé ce pouvoir, et nous a constitués maîtres d’un tel honneur. »  Et, dans l’épitre 1 au pape Innocent, il lui demande de punir, par des lois ecclésiastiques  Théophile, évêque d’Alexandrie, et les autres qui l’avaient injustement expulsé de son siège.   Et dans son homélie 83 sur saint Matthieu, parlant à un diacre, il dit : « Si un chef quelconque, si un consul, si quelqu’un qui est orné d’un diadème se conduit indignement, corrige-le et contrains-le de bien agir. »   Saint Jean Chrysostome a donc compris que les prélats peuvent attacher leurs brebis, les expulser de l’église, et les punir sévèrement, choses qu’il semblait, avant, ne pas approuver.
Je réponds à ces paroles doublement.  D’abord, entre le pasteur de brebis irrationnelles et rationnelles, il fait la différence suivante.   Comme le premier a cure des maladies naturelles des brebis, il peut les soigner même malgré elles. Comme le second s’occupe des maladies de brebis qui sont volontaires,  il ne peut guérir les brebis sans qu’elles le veuillent, et voilà pourquoi son travail médicinal est plus délicat que l’autre.   Je dis la même chose du pouvoir séculier.  Le juge séculier s’occupe des actions externes, et il peut donc, à cause de cela,  forcer quelqu’un, malgré  lui,  à changer ses mœurs externes.  Mais  l’évêque, lui, veille aux mœurs internes, qui ne peuvent pas être changés sans l’assentiment du délinquant.  Car, même si l’évêque peut excommunier,  et infliger d’autres peines, elles seront sans profit si celui qui les reçoit ne les accepte pas.   Et c’est ainsi que je comprends ces paroles : « car à nous n’a pas été donnée par les lois une telle faculté de contraindre les délinquants ».   Car, l’évêque n’a pas la capacité de forcer un homme à changer sa conduite, comme un juge a le pouvoir de forcer un homme à changer ses mœurs externes.  Ensuite, on peut dire que saint Jean Chrysostome ne parle, en ce passage, que du pouvoir sacerdotal au for interne, celui de la conscience.  Nous ne pouvons, là, corriger le pénitent que s’il le veut bien.  Car, le plus que nous pouvons faire c’est le renvoyer sans absolution.
Le troisième témoignage est celui de saint Augustin (livre 22, chapitre 27, contre Faust), où il définit ainsi le péché : « Le péché est une parole, un fait ou un désir contraire à la loi éternelle de Dieu. »  On en déduit que la transgression d’une loi humaine n’est pas un péché.  Saint Ambroise donne une définition semblable dans son livre sur le paradis (chapitre 8) : « Le péché est une prévarication de la loi divine. »   Je réponds que tout péché est contre la loi de Dieu, non positive, mais éternelle, comme l’enseigne avec raison saint Augustin.  Car, toute loi juste, qu’elle vienne de Dieu ou des hommes, dérive de la loi éternelle de Dieu.  Car, que le péché soit la violation d’une règle, c’est la loi éternelle qui le dit.    Le quatrième témoignage est celui de saint Bernard (livre 1, de la considération) : « Je pense qu’ils ne pourront jamais en faire la démonstration ceux qui disent qu’un quelconque des apôtres se soit constitué un juge des hommes. Je lis que les apôtres se sont tenus debout  pour être jugés; qu’ils se soient assis  pour juger, je ne le lis pas. »  Je réponds que saint Bernard parle de jugement dans les causes civiles,  car il dit ailleurs : « Pourquoi méprisent-ils de juger les possessions terrestres des hommes ceux qui, dans les cieux, jugeront même les anges ?  Donc, c’est dans les crimes, non dans les possessions qu’est votre pouvoir. Car c’est,  pour celles-ci et non pour celles-là, que vous avez reçu les clefs du royaume des cieux.   Ajoutons que saint Bernard ne parle pas tellement de ce qui est permis que de ce qui convient à un pontife dans les jugements sur des litiges terrestres

CHAPITRE 22 : On propose une dernière question : le Christ a-t-il immédiatement conféré au seul pontife suprême la juridiction ecclésiastique ?
 Il reste une dernière question : la dérivation du pouvoir ecclésiastique du pontife suprême aux évêques.  On doit savoir qu’un triple pouvoir existe dans le pontife suprême et les autres évêques : un d’ordre, et un autre de juridiction intérieure, et un troisième de juridiction extérieure.   Le premier se rapporte à la confection et à l’administration des sacrements; le second à la régie du peuple chrétien,  au for interne de la conscience; et le troisième à la régie du peuple chrétien aux for externe. Il n’est question ici ni du premier ni du second. Seul le troisième nous intéresse.  Car, au sujet du premier pouvoir, il est certain que le souverain pontife et les évêques le reçoivent également,  et immédiatement de Dieu.  Il est conféré, en effet, par la consécration qui opère le même effet en tous.  Voir, au sujet de ce pouvoir, Jean de Turrecremata (livre1, chapitre 93).  Au sujet du second pouvoir, il y a une dissension entre les auteurs, car Abulensis (dans le livre qu’il appelle le défensorium, par 2 chap 63) soutient que ce pouvoir est conféré immédiatement par Dieu à tous les prêtres au moment de leur ordination. Et le fait qu’un prêtre ne puisse pas absoudre et lier les chrétiens cela vient de ce que l’Église, pour enlever toute confusion,  a fait des divisions de diocèses, a soumis un peuple à un évêque, et les prêtres à cet évêque.  Mais Jean de Turrecremata (livre 1, chapitre 96 de sa somme) enseigne que ce pouvoir n’est pas conféré par Dieu à l’ordination, mais par un homme au moyen d’une simple injonction.  Tous les deux, cependant, conviennent que l’usage de ce pouvoir dépend d’une juridiction extérieure, et qu’il suffit donc de ne parler que d’elle.
 Nous ne traiterons donc que de la troisième, de laquelle nous avons déjà parlé plus haut.  Tous admettent, au moins en général,  que la juridiction épiscopale est de droit divin.  Car c’est le Christ lui-même qui a structuré son Église de façon à ce qu’il y ait en elle des pasteurs, des docteurs etc.  C’est ce que saint Paul dit aux Éphésiens 4 : « C’est lui qui a donné des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs. ».  Car, s’il n’en était pas ainsi, le pape pourrait changer la hiérarchie, et décréter qu’il n’y aura plus d’évêques dans l’Église, ce qu’il ne peut manifestement pas  faire.  La question se formule donc comme suit : est-ce que les évêques canoniquement élus reçoivent de Dieu leur juridiction, comme la reçoit le souverain pontife ?  Trois opinions existent, chez les théologiens, à ce sujet.   La première veut que, autant les apôtres que les autres évêques aient reçu et reçoivent immédiatement de Dieu leur juridiction.  C’est ce qu’enseigne François Victoria (dans sa relecture 2 du pouvoir de l’église, question 2) et Alphonse a Castro (livre 2, chapitre 24, la juste punition des hérétiques).  La deuxième opinion veut que ce soit de Pierre, non du Christ, que les apôtres aient reçu leur juridiction, et les évêques non du Christ, mais des successeurs de Pierre.  C’est ce qu’enseignent Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 54) et Dominique Jacobatius (livre 10, article 7, des c onciles). La troisième occupe une position médiane.  Elle veut que les apôtres aient reçu immédiatement du Christ leur juridiction, mais les évêques du pape.  C’est ce qu’enseignent Cajetan (dans son traité sur l’autorité du pape et des conciles, chapitre 3), Dominique a Soto (4 dist 20, question 1, article 2), François Vargas (dans son opuscule sur cette question), Hervacus (livre sur le pouvoir du pape),et Gabriel, (dans le canon de la messe, lecture 3).   Et c’est ce que pensaient les anciens scolastiques  comme saint Bonaventure, saint Albert, Durant (dist 18 ou 20 ou 24) et d’autres  qui considéraient cette opinion comme très vraie.   Il faut donc la confirmer brièvement.
CHAPITRE 23 : Les apôtres ont reçu toute leur juridiction du Christ
 Que les apôtres aient reçu toute leur juridiction immédiatement du Christ l’attestent ces paroles du Seigneur (en Jean 29) : « Comme le Père m’a envoyé je vous envoie moi aussi. »  En commentant ce passage, saint Jean Chrysostome et Theophylactus  professent que, par ces paroles, les apôtres ont été faits vicaires du Christ, et qu’ils ont même reçu la charge et l’autorité du Christ.  Saint Cyrille ajoute que, par ces paroles, les disciples ont été créés apôtres et docteurs de toute la terre; et que pour nous faire comprendre que, dans l’autorité apostolique,  était contenu tout le pouvoir ecclésial, le Christ a jouté tout de suite après : « Comme le Père m’envoie. »  Or, le Père envoie le Fils muni de la puissance suprême.  Saint Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’Église) : « Le Seigneur a dit à Pierre : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et, après sa résurrection, il lui dit : « Pais mes brebis ».  Et, même si, après sa résurrection, il a donné à tous les apôtres un pouvoir semblable, quand il a dit : « Comme le Père m’envoie, moi aussi je vous envoie »,  cependant, pour manifester l’unité, il a établi une seule chaire. »  Ce passage nous fait comprendre qu’a été donné  à ses apôtres, par  le je-vous-envoie, ce qui avait été promis à  Pierre par le je-te-donnerai-les-clefs, et conféré plus tard par le  pais-mes-brebis.  Il appert que par le je-te-donnerai-les-clefs, et par le pais-mes-brebis, a été conférée une juridiction plénière, et même externe.  Comment ces choses ne font pas obstacle au primat de Pierre, nous l’avons suffisamment démontré ailleurs.
 La deuxième citation de l’Écriture porte sur l’élection de Matthias à l’apostolat.  Nous lisons, en effet, que Matthias ne fut pas choisi par les apôtres, qu’on ne lui a pas donné d’autorité,  mais qu’après avoir, par la prière, remis à Dieu son élection,  on le compta immédiatement parmi les apôtres.   Or, si c’est de Pierre que les autres apôtres avaient reçu leur juridiction,  cette intervention de Pierre serait apparue clairement dans la consécration de Matthias.  On le prouve ensuite par un texte de saint Paul, où il enseigne qu’il a reçu du Christ l’autorité et la juridiction.  Et c’est la preuve qu’il donne pour montrer qu’il est un vrai apôtre.  (Galates 1) : « Paul apôtre non des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père. »  Et pour montrer qu’il n’a pas reçu sa juridiction de Pierre ou d’un autre apôtre, il ajoute : « Quand il a plu à celui qui m’a choisi dès le sein de ma mère, et m’a appelé par sa grâce,  je n’ai écouté ni la chair ni le sang,  ne ni suis venu à Jérusalem vers les anciens, les apôtres, mais je suis allé en Arabie, puis je suis retourné ensuite à Damase.  Ce n’est qu’après trois ans que je suis venu à Jérusalem pour voir Pierre ». Et au chapitre 2 : « Ceux qui semblaient être quelque chose ne m’ont rien apporté. »
 Quatrièmement.  On le prouvera par une raison évidente.  C’est par le seul Christ que les disciples ont été faits apôtres, comme on le voit dans Luc  6 : « Il a appelé ses disciples,  et en choisit douze parmi eux,  qu’il appela apôtres. »  Et Jean 6 : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze ? »  Que les apôtres aient eu la juridiction,  on le dédit des actions de Paul qui (1 Cor 5) excommunie,  et (1 Cor, 6, 7, 11, 14, et souvent ailleurs) fait des lois;   et aussi de ce que la dignité apostolique est la dignité première et suprême dans l’Église, comme on le voit (dans 1 Cor 12, et Ephsiens 4) : « Et il en a institué certains en autorité dans l’église, des apôtres d’abord, puis des prophètes. »  Il n’y a pas à s’étonner que, avant la passion du Christ, les apôtres n’aient été ni évêques, ni prêtres, et qu’ils ne possédaient aucune juridiction.  C’est dans des temps différents que le Seigneur a accordé à ses apôtres divers pouvoirs.  Et c’est surtout après sa passion (Jean 20), qu’il termina ce qu’il avait commencé.
CHAPITRE 24 : Tous les évêques reçoivent du pape leur juridiction
 Que toute juridiction ordinaire des évêques descende immédiatement du pape, on le prouve ainsi. La première preuve, on la tire d’une figure de l’ancien testament.  Car, nous lisons, dans les Nombres 11,  que, quand Moïse ne parvenait pas à gouverner seul tout le peuple, Dieu ordonna qu’il s’adjoigne soixante-dix anciens.  Et enlevant de l’esprit de Moïse, il le leur donna pour qu’ils puissent gouverner avec Moïse.  Il faut noter une question que s’est posée saint Augustin (question 18, livre des Nombres) : ce prélèvement de l’esprit de Moïse signifie-t-il une diminution de l’esprit de Moïse ?  Et il répond non, car, dit-il, il n’aurait pas été profitable à Moïse d’avoir des collaborateurs, si cela avait du l’affaiblir spirituellement.  Mais, par cette dérivation de l’esprit de Moïse vers les anciens, Dieu a voulu montrer que c’est dans Moïse que réside toute l’autorité, et que celle que les autres ont, ils la reçoivent de lui.  Or, il est tout à fait clair que le pape occupe, dans l’Église,  la même place que détenait Moïse dans le peuple de Dieu.  En second lieu, le royaume ecclésiastique est monarchique, comme nous l’avons démontré plus haut.  Donc, toute l’autorité est en lui, et c’est de lui qu’elle est dérivée dans un autre.  C’est ainsi que fonctionnent toutes les monarchies.  Ils répondront que le régime ecclésiastique est monarchique, mais tempéré par l’aristocratie.  En conséquence, en plus de la monarchie, il y a d’autres préfets inférieurs qui ne sont pas des vicaires suprêmes de la monarchie, mais des princes absolus.  Ils seraient des vicaires, s’ils recevaient d’un autre l’autorité.
 Au  contraire. L’aristocratie requiert, il est vrai, que les évêques soient des princes,  et non de simples vicaires,  mais elle ne requiert pas que ces princes soient institués par Dieu ou par le pape, mais seulement que le pontife soit forcé, par la divine loi, de constituer dans diverses parties de l’Église divers princes ecclésiastiques.  Comme si le roi était tenu, à certains endroits, d’instituer dans chaque province non des préfets ou des préteurs, mais de vrais chefs et princes,  qui régissent une province comme leur appartenant en propre,  mais, toutefois, en dépendance du roi.  Troisièmement, on le prouve avec quatre images dont se sert saint Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’église), où il compare le siège de Pierre à une tête, une racine, une source, et au soleil.  Car, dans tout le corps, c’est de la tête que dérive la force des membres; dans tout arbre, la force des branches vient de la racine; dans toutes les rivières, l’eau vient d’une source; et la lumière de tous les rayons vient du soleil.  Quatrièmement, on le prouve de l’inégalité des juridictions.  Car si c’était Dieu qui donnait la juridiction, tous auraient une juridiction égale, comme ils ont un pouvoir d’ordre égal.  Dieu, en effet, n’a jamais déterminé la juridiction des évêques.  Si donc un évêque a la juridiction sur une seule ville, sur cent villes, ou sur plusieurs provinces, ce n’est donc pas de Dieu, mais des hommes que provient cette juridiction.  Si donc quelqu’un régit un petit peuple et  un autre un grand peuple, c’est parce qu’il a plu ainsi à celui qui donne la juridiction, au prince de toute l’Église.
 Cinquièmement, si les évêques recevaient leur juridiction de Dieu, le pontife suprême ne pourrait pas la leur enlever, ou la changer, car le pape ne peut rien faire de contraire à ce que le Christ a institué.  Or, il est certain que le pape peut le faire, et qu’il l’a fait souvent.  Et c’est ce que dit saint Bernard (épitre 131 à Milan) : « L’église romaine peut instituer de nouveaux diocèses, là où il n’y en avait pas.  Ceux qui existent déjà, elle peut les abaisser, les ennoblir, selon les raisons et les besoins, comme, exemple, faire d’un évêque un archevêque, et même vice versa, si la chose était préférable. »    Ils répondront que les évêques ont leur juridiction d’en haut, mais sous un pontife, et que c’est pour cela que le pape peut enlever ou changer.  Mais c’est le contraire qui est vrai, car c’est sous Pierre, que les apôtres ont reçu immédiatement du Christ leur juridiction.  Et cette juridiction Pierre ne pouvait ni l’enlever, ni la diminuer.   De plus, le pouvoir d’ordre c’est de Dieu qu’ils le reçoivent, et le pape ne peut pas le leur enlever,  au point où ils ne pourraient pas l’utiliser s’ils le voulaient.   Car, le prêtre pourra consacrer véritablement même s’il est excommunié, suspendu, interdit ou dégradé.   De plus, dans chaque ville,  les clercs et le peuple sont soumis à l’évêque.  Mais si un clerc ou le peuple reçoit directement du pape une autorité quelconque, un évêque ne peut ni l’enlever, ni la diminuer.  Semblablement, si les évêques avaient du Christ leur autorité, le vicaire du Christ ne pourrait ni la leur enlever, ni la diminuer.  Mais les adversaires diront que le Seigneur a soumis les évêques au pontife,  en voulant qu’il puisse changer ce qu’il leur avait accordé.
 Ils répondront que le pontife peut au moins enlever la matière qui est sujette à l’évêque, c’est-à-dire confier son peuple à un autre évêque, et de ce façon non à lui enlever la juridiction donnée par Dieu, mais de faire en sorte indirectement qu’il la perde.  Comme le pouvoir de juridiction signifie une relation d’un prélat à des subordonnés,  c’est-à-dire  dans les  choses qui sont équivalentes,  on prend une chose et on enlève une autre, on enlève une chose et on prend une autre.   Si la juridiction ne peut pas être enlevée à un évêque, il ne peut pas arriver que le peuple ne lui soit pas soumis.  Il serait donc tout à fait étrange que la divine providence qui dispose toutes choses suavement, n’ait pas voulu que soit donnée la juridiction par celui qui, selon la volonté de Dieu, peut ou l’enlever, ou l’augmenter ou la restreindre.   Sixièmement.   Si c’est de droit divin que les évêques ont leur juridiction, il faut qu’ils montrent une parole de Dieu sur laquelle est fondée cette juridiction.  Mais ils ne présentent rien, et les adversaires ne peuvent présenter rien d’autre que les paroles du Seigneur dites aux apôtres.   Par ces paroles, est donnée aux apôtres une ample juridiction sur l’église universelle, que les adversaires ne concèdent certainement pas aux évêques.  C’est à eux de voir sur quel fondement ils appuient leurs opinions.
 Septièmement. Se présentent des témoignages lourds de sens, de deux anciens et très saints  pontifes.  Innocent 1 (épitre au concile de Carthage, la 91 parmi les lettres d’Augustin) : « C’est de Pierre que tout l’épiscopat et toute l’autorité de ce nom sont sortis. »  Et, dans son épitre au concile de Milet (la 93 lettre de saint Augustin) : « Je pense que tous nos frères et co- évêques doivent reconnaitre Pierre comme l’auteur de leur nom et de leur honneur ».  Saint Léon (sermon 3 sur son couronnement) : « Si Dieu a voulu qu’il (le pape) ait en commun quelque chose avec d’autres, il n’a  jamais donné que par lui (le pape) ce qu’il n’a pas refusé aux autres »  Et, dans l’épitre 89 : « Le sacrement de ce ministère le Seigneur a voulu qu’il corresponde à la charge de tous les apôtres, mais de façon à ce qu’il demeure principalement  dans le bienheureux Pierre, chef de tous les apôtres, pour que de lui, comme d’une tête, il diffuse ses dons dans tout le corps. »  Il importe peu que ce ne soit pas de Pierre que les apôtres aient reçu leur juridiction.  Car ici, le pape Léon parle de la façon ordinaire dont Dieu confère par les évêques ses dons à l’église.  Et il dit qu’il les confère ordinairement par Pierre.   Mais les apôtres, par un privilège extraordinaire, reçurent du Christ lui-même leur juridiction.   Voici,  enfin, les paroles qu’utilise le pontife  en créant des évêques :  Nous pourvoyons à la vie de l’Église par telle ou telle personne. Et nous l’établissons comme père, pasteur et évêque de cette église, lui confiant l’administration des choses spirituelles et temporelles, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

CHAPITRE 25 : Réfutation des arguments des adversaires
 Ils nous objectent que notre doctrine se détruit elle-même, car les évêques succèdent aux apôtres comme le pape à Pierre.  Si donc les apôtres ont reçu du Christ la juridiction, comme l’affirme notre première conclusion,  il s’ensuit que les évêques la reçoivent, eux aussi, du Christ, ce que nie la deuxième conclusion. Et vice-versa,  si c’est du pontife que les évêques reçoivent leur juridiction,  comme l’affirme la deuxième conclusion, les apôtres la reçoivent de Pierre, ce que nie la première conclusion.  Car, un successeur reçoit sa juridiction de celui de qui l’a reçue son prédécesseur. Car, autrement il ne lui succèderait pas vraiment, mais il serait institué d’une autre façon.  Que les évêques succèdent aux apôtres  saint Augustin l’enseigne (dans le psaume 44)  « Pour remplacer tes pères te sont nés des fils », qu’il explique ainsi : « Les apôtres sont envoyés.  Pour les remplacer, des fils sont nés, des évêques ont été institués. »  C’est aussi ce qu’enseignent le concile de Florence (instruction armenor) et le concile de Trente (session 23, chapitre 4,) : « les évêques enseignent en tant que successeurs des apôtres, dont ils ont pris la place. »
 Je réponds qu’il y a une grande différence entre la succession de Pierre et celle des autres apôtres.   Car le pontife romain succède à Pierre  en tant qu’apôtre, mais en tant que pasteur ordinaire de toute l’Église.  Et voilà pourquoi le pontife romain a la juridiction de celui qui l’avait donnée à Pierre.  Mais les évêques ne succèdent, pas à proprement parler, aux apôtres, parce que les apôtres ne furent pas des pontifes ordinaires, mais extraordinaires, et comme des pasteurs délégués, à qui on ne succède pas.   On dit quand même que les évêques ont succédé aux apôtres non proprement de la façon dont un évêque succède à  un autre, et un roi à un autre roi, mais pour deux raisons.  La première.  En raison de l’ordre sacré épiscopal.   La seconde.  Par une certaine ressemblance et proportion.  Car, comme pendant que le Christ vivait sur la terre, les douze apôtres ont été d’abord choisis,  et ensuite les 72 disciples, les premiers, les évêques,  sont maintenant sous le pontife romain, et après eux, sont les prêtres et les diacres.  Que c’est ainsi, et non autrement que  les évêques ont succédé aux apôtres,  on le prouve ainsi : ils n’ont aucune part à la véritable autorité apostolique.  Les apôtres, en effet, pouvaient partout prêcher et fonder des églises, comme on le voit dans les derniers chapitres de Matthieu et de Marc.  Cela, les évêques ne le peuvent pas.   Les apôtres pouvaient aussi écrire des livres canoniques que tous devaient accepter.  Les évêques ne le peuvent pas.  Les apôtres eurent le don des langues et des miracles : les évêques ne l’ont pas.  Les apôtres avaient la juridiction sur toute la planète : les évêques, non.
 De plus, on ne succède, à proprement parler, qu’à  un prédécesseur.  Or, il y eut en même temps des apôtres et des évêques, comme Timothée, Tite, Évodius et beaucoup d’autres.   Si donc les évêques succèdent aux apôtres, à qui a succédé Tite ou Timothée ?  Ensuite, les évêques succèdent aux apôtres de  la même façon que les prêtres succèdent aux 72 disciples, comme l’expliquent Anaclet (épitre 3) et Bède le vénérable (chapitre 10 de Luc).   Mais il appert que les prêtres ne succèdent pas proprement aux 72, mais seulement par la ressemblance, car ces 72 disciples ne furent pas prêtres; ils ne reçurent, non plus, du Christ, aucun ordre, aucune juridiction.  En effet, Étienne et Philippe, et cinq autres diacres ordonnés par les apôtres (actes 6) faisaient partie de ces 72 disciples, comme Épiphane l’enseigne (hérésie 20, qui est celle des hérodiens).  Car il est certain qu’ils n’auraient pas été ordonnés diacres s’ils avaient été prêtres.
 Ils nous objectent ensuite Actes 20 : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau, vous que le Saint-Esprit a placés comme épiscopes pour régir l’église du Christ. »  Même chose aux Éphésiens : « C’est lui qui a donné à l’Église des apôtres, des pasteurs et des docteurs. »   Par le nom de pasteurs et docteurs, il entend les évêques, comme l’explique saint Jérôme.  Et on le confirme avec le témoignage des pères.   Denys l’aréopagite dit (livre de la hiérarchie ecclésiastique, chapitre 6) que la hiérarchie des évêques se termine immédiatement à Jésus, comme les ordres inférieurs des prêtres, des diacres, et des autres se terminent à l’évêque.   Saint Cyprien (livre 3, épitre 9 à Rogatien) dit que « les évêques ont été faits par le Christ, par lequel les apôtres ont été créés. »  Saint Bernard (livre 3 de la considération) : « Tu te trompes si tu penses que votre pouvoir apostolique est le seul à avoir été institué par Dieu. »
 Je réponds à la première citation.  On dit que les évêques sont constitués tels par l’Esprit-Saint non immédiatement, mais médiatement, parce que ce sont les apôtres, sous l’inspiration de Dieu, et par une vertu reçue du Saint-Esprit, qui les ont consacrés évêques.  Comme on le voit dans les actes 15 : « Il a semblé bon à l’Esprit Saint et à nous. », médiatement ou immédiatement.  À la deuxième. Est exprimée là la disposition ordonnée générale de l’Église qui, sans doute possible, est de Dieu.  Car c’est Dieu qui a déterminé qu’il y ait, dans son église, des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs, même s’il ne leur a pas donné  immédiatement l’autorité.   À la troisième, je dis que Denys parle de l’ordre épiscopal, non de la juridiction.   À la quatrième, je dis que saint Cyprien veut dire que l’ordre épiscopal a été institué par le Christ, et que c’est de droit divin qu’il a été introduit dans l’Église; que l’ordre des diacres a été d’abord conçu par les apôtres.  La dernière partie de cet enseignement les théologiens la rejettent dans leur ensemble.  Mais qu’elle soit vraie ou fausse, cela n’a rien à voir avec notre propos.   À la cinquième, je dis que saint Bernard parle de la même façon que saint Paul, quand il dit (Romains 13) : « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne pas de Dieu. »
 Voici ce qu’ils objectent en troisième lieu.   Si c’est du pape que les évêques reçoivent leur juridiction,  l’autorité des évêques cesse donc à la mort du pontife, comme quand la tête est coupée, tous les membres meurent.  Je réponds qu’il y a une grande différence entre un chef naturel et un chef mystique.  Il est vrai que les membres d’un corps naturel ne peuvent pas se conserver sans recevoir, de la tête, un influx continuel.  Mais, les membres d’une tête mystique, surtout ministérielle et externe, dépendent de cette tête pour qu’ils soient membres, mais pas pour qu’ils se conservent membres.  Voilà pourquoi la juridiction épiscopale, qui a été une fois donnée, n’est pas perdue par la mort de celui qui l’a donnée, mais par la mort de celui qui la reçoit, ou par l’annulation de celui qui peut l’annuler.    Voici quelle est leur quatrième objection.  Pour exercer l’ordre épiscopal, la juridiction est nécessaire.  En conférant l’ordre, Dieu confère donc aussi la juridiction.   Je réponds que l’un et l’autre sont conférés par Dieu, mais l’un immédiatement, et l’autre médiatement. Car, premièrement, le pouvoir d’ordre requiert un caractère et une grâce que Dieu seul peut conférer. Deuxièmement, la juridiction requiert seulement la volonté du supérieur.
 Ils objectent ceci en cinquième lieu.  Le souverain pontife appelle les évêques ses frères et ses collègues.  Ils n’ont donc pour président qu’un seul père commun, Dieu de l’église.   Je réponds qu’il les appelle  d’abord, frères en raison de l’ordre épiscopal, selon lequel ils sont égaux. Et ensuite, en raison de la juridiction, car les évêques sont admis par le pape comme supporteurs de sa charge à lui,  non à un ministère inférieur.  La sixième objection.  Si tous les évêques doivent recevoir leur juridiction du pape, plusieurs évêques ne furent jamais évêques, car, surtout en Asie et en Afrique, les évêques n’ont jamais été créés par le pape.  Je réponds qu’il n’est pas nécessaire que le pontife crée immédiatement des évêques,  mais qu’il suffit qu’il le fasse médiatement, par les patriarches et les archevêques. Car, au début, Pierre établit un patriarche à Antioche et à Alexandrie qui, après avoir reçu leur autorité du pape, présidèrent à toute l’Afrique et à toute l’Asie.  Ils purent ainsi créer des archevêques qui créèrent ensuite des évêques.
2017 12 28 17h34 fin

fin du livre 4 sur le pouvoir spirituel du pape
suite = livre 5 sur le pouvoir temporel du pape

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.