2017 12 08 21h03 début
CHAPITRE 1 : Le pape est le juge suprême dans les controverses de
foi et de morale
Nous avons montré, jusqu’à présent, avec nos faibles moyens,
que l’évêque romain est le pasteur suprême de toute l’Église catholique,
qu’il a été institué par Dieu, qu’il n’a jamais dégénéré en
antichrist, et qu’il n’a, en aucune façon, perdu sa dignité suprême.
Nous allons disserter maintenant de son pouvoir, autant spirituel que temporel.
Du pouvoir spirituel dans ce quatrième livre. Et, avec l’aide
de Dieu, nous parlerons du pouvoir temporal dans le cinquième, qui sera
le dernier. Même s’il y a un grand nombre de choses à dire
sur le pouvoir spirituel du pape, quatre questions s’avèrent particulièrement
importantes. Une sur le pouvoir de juger les controverses qui portent
sur la foi et la morale : est-ce que ce pouvoir réside dans le souverain
pontife ? Une sur la certitude, ou, pour le dire en d’autres mots, sur
l’infaillibilité de son jugement : est-ce que le pape peut errer en
jugeant des controverses de foi et de mœurs ? Une troisième,
sur la puissance coercitive des lois à porter : le pape peut-il faire
des lois qui obligent en conscience, et qui obligent de croire et d’agir
comme il l’a jugé ? La quatrième, la communication de ce pouvoir.
La juridiction de tous les autres ecclésiastiques leur est-elle communiquée
par le souverain pontife, ou immédiatement par Dieu ?
En plus de ces quatre questions générales, on a coutume d’en
présenter aussi quelques autres. Comme, par exemple, est-ce que le souverain
pontife peut convoquer, transférer, ou dissoudre des conciles généraux
? Peut-il canoniser des saints, accorder des indulgences, approuver
ou réprouver des instituts religieux, nommer ou confirmer des évêques
? Mais ces questions, et d’autres semblables, n’appartiennent
pas proprement à notre propos. La première appartient à la dispute des
conciles, l’autre à la dispute de la pénitence; la troisième à la
dispute du culte des saints; la quatrième, à la dispute des vœux et
des instituts religieux; la cinquième à la dispute sur les clercs.
Nous les traiterons donc, ces questions, eu temps et lieu. Ne nous
retiendra pas non plus longtemps la question du juge des controverses,
car, dans la dispute du Verbe de Dieu, nous avons déjà démontré que
le juge des controverses n’est ni l’Écriture, ni les princes
séculiers, ni les hommes privés, si honnêtes et doctes soient-ils, mais
les prélats ecclésiastiques. Dans la dispute des conciles, nous
démontrerons que les conciles généraux sont des juges dans les
controverses sur la religion, et que leur jugement devient ratifié et
définitif par la confirmation du souverain pontife. Le jugement ultime
appartient donc au pontife suprême. De plus, dans la dispute
sur le pontife où nous avons démontré que le pape est le pasteur et
la tête de toute l’Église, qu’avons-nous démontré d’autre
que c’est lui qui est le juge suprême de toute l’Église ? Car,
ou bien il ne doit y avoir aucun juge parmi les hommes, ou le juge doit
être celui qui préside à tous. Je ne pense pas que cela ait été
mis en doute dans aucune controverse.
Ce qui deviendra évident dans la prochaine controverse. Car,
si nous pouvons démontrer que le jugement du souverain pontife est certain
et infaillible, il apparaitra immédiatement que le souverain pontife est
le juge suprême de l’Église. Car, comment Dieu aurait-il pu attribuer
l’infaillibilité au siège apostolique, sans lui attribuer le pouvoir
suprême de juge ? Néanmoins, pour ne pas garder le silence là-dessus
à ce moment-ci, présentons, si le cœur vous en dit, quelques témoignages
de la loi, de l’évangile et des pères.
Dans le Deutéronome (17), se trouve un témoignage très clair,
qui montre que les doutes, en matière religieuse, doivent être référés
au souverain pontife : « Si tu trouves difficile de juger entre cause
et cause, lèpre et lèpre, et si tu constates qu’il y a des interprétations
différentes de porte à porte, lève-toi, et monte au lieu que le Seigneur
ton Dieu a choisi. Tu iras voir un prêtre de la tribu de Lévi,
et le juge qui sera en fonction à ce moment-là, et tu t’enquerras auprès
de ceux qui t’indiqueront la vérité du jugement, et tu feras tout ce
qu’auront dit ceux qui président dans le lieu que le Seigneur a choisi,
» Il faut observer attentivement que, dans ce passage, il y a deux
personnes distinctes, le prêtre et le juge, c’est-à-dire le pontife
et le prince. Et après le prononcé de la sentence par le prêtre,
c’est au juge politique qu’il faut en demander l’exécution. C’est
ce qu’on explique dans ce qui suit : « Celui qui, par orgueil, ne voudra
pas obéir à la décision du prêtre, qui, à ce moment, exerce le ministère
du Seigneur ton Dieu, sera mis à mort par la sentence du juge. »
Dans l’évangile, rien ne peut avoir été dit plus clairement que
ce que Jésus a dit à Pierre devant les autres apôtres : « Pais
mes brebis ! » Car, c’est à Pierre seul qu’il parle, et il
lui remet toutes ses brebis à paître, sans en excepter les apôtres.
Or,il ne peut y avoir aucun doute que, entre les devoirs d’un pasteur,
se trouve aussi celui de distinguer les bons pâturages des mauvais.
Voilà pourquoi saint Jérôme, homme très savant, écrivit au pape Damase
au sujet du sens du mos grec hypostase, ne se fiant ni à son érudition
propre, ni à ce qu’en pensaient les évêques orientaux, ni même son
propre évêque, Paulin, patriarche d’Antioche. « Moi qui suis une brebis,
je demande de l’aide au pasteur. Je ne craindrai pas de dire trois
hypostases, si tu l’ordonnes. » Theodoret, qui était un des pères
grecs les plus érudits, écrit ainsi au pape Léon : « Si Paul, héraut
de la vérité, trompette du Saint-Esprit, accourut au grand Pierre, pour
apporter la réponse à ceux qui, à Antioche, se disputaient au sujet
des institutions légales de l’ancien testament, à plus forte raison,
nous, qui sommes abjects et petits, devons-nous accourir à votre siège
apostolique, pour recevoir de vous une médecine à appliquer aux ulcères
de l’Église. » Prosper (dans sa chronique, à l’année 420)
: « À la fin du concile de Carthage, auquel ont participé 260 évêques,
les décrets du saint synode ont été transmis au pontife Zozime.
Et, après leur approbation par le pape, l’hérésie pélagienne a été
condamnée sur toute la terre. » Le monde entier ne reconnait donc
pas un juge de dernière instance qui soit autre que le souverain pontife.
Saint Grégoire, qui au jugement de tous, fut le plus humble des papes,
et qui ne s’est jamais arrogé ce qui ne lui appartenait pas, dit, dans
sa lettre à tous les évêques de Gaule : « Si, ce qu’à Dieu ne plaise,
une dispute devait éclater pour motif de foi, ou s’il survenait un souci
d’une grande ampleur, et qui, en raison de sa gravité, exige le jugement
du siège apostolique, pour un examen exhaustif de la question, qu’on
veille à nous mettre au courant, pour que nous apportions la solution
définitive appropriée. » Avant et après saint Grégoire,
les pontifes romains ont tenu le même langage. Et nous n’avons
jamais lu que quelqu’un ait contesté ce droit. Voir Innocent 1
(dans son épitre au concile de Carthage), Léon 1 (dans son épitre à
Anastase de Thessalie), Gélase 1 ( dans son épitre à l’évêque de
dard), Nicolas 1( dans son épitre à l’empereur Michel), et Innocent
111 (dans son épitre à l’évêque d’Arles (où est conservé le chapitre
« majores » sur le baptême et son effet.)
CHAPITRE 2
Avant d’en venir à la deuxième question, il faut savoir, au tout
début, qu’on peut considérer le pontife de quatre façons. Une
première, en tant qu’il est une personne particulière, ou un docteur
particulier. La seconde, en tant que pontife, mais seul.
La troisième, en tant que pontife, mais avec le cercle habituel de ses
conseillers. La quatrième, en tant que pontife, mais avec un concile général.
On peut observer, en second lieu, qu’on peut aussi se demander, compte
tenu de ces quatre modes : quand demande-t-on s’il peut se tromper
? Premièrement : peut-il être un hérétique ? Deuxièmement
: peut-il enseigner une hérésie ? Il faut ensuite noter, en troisième
lieu, que les sentences et les décrets des pontifes portent sur les choses
universelles, qu’elles sont proposées à toute l’église, comme les
décrets sur la foi, et les préceptes de morale générale. Et même
sur des choses particulières qui se rapportent à peu de personnes, telles
que sont presque toutes les controverses de fait : si un tel doit
être promu à l’épiscopat, ou s’il l’a été légalement, ou s’il
doit être déposé. Cela dit, les catholiques et les hérétiques
s’entendent sur deux choses. La première. Le pape peut, quand
il est seul, ou avec son cercle de conseillers, ou même dans un concile
général, errer dans des controverses qui portent sur des faits particuliers,
même dans des questions universelles de droit, tant de foi que de mœurs,
et cela, par ignorance, comme cela arrive à d’autres docteurs.
Ensuite, les catholiques, mais non les hérétiques, s’entendent sur
les deux choses suivantes. Le pontife agissant avec un concile général
ne peut errer en définissant des décrets de foi et de morale. Tous
les fidèles doivent obéir au souverain pontife quand seul, ou en conseil,
il se prononce sur une matière douteuse, qu’il puisse errer ou pas.
Il ne reste plus que quatre sentences différentes. La première.
Le pontife en tant que pontife, et même avec un concile général, peut
être hérétiques lui-même, et enseigner à autrui des hérésies. Et
cela s’est déjà produit. C’est l’opinion des hérétiques
de notre temps, et surtout de Luther qui, dans le livre des conciles, a
noté les erreurs des conciles généraux que le souverain pontife a approuvées.
Et de Calvin qui, (livre, 4, chapitre 7. Verset 28 des institutions) affirme
que le pontife, avec tout le collège des cardinaux, a manifestement enseigné
une hérésie en disant que l’âme de l’homme s’éteint avec le corps.
Ce qui est un mensonge grossier, comme nous le démontrerons plus loin.
Il enseigne ensuite dans le même livre (chapitre 9, verset 9) que le pape
peut errer, même quand il agit avec un concile général.
La deuxième sentence est qu’un pontife, en tant que pontife, peut être
hérétique, et enseigner l’hérésie, s’il définit quelque chose
dans un concile général, ce qui s’est parfois produit. Cette
opinion est soutenue par Nil (dans son livre contre la primauté du pape),
par quelques docteurs parisiens comme Gerson et Alma (livre du pouvoir
de l’Église), ainsi que par Alphonse de Castro (livre 1, chapitre 2,
contre les hérésies) et le pape Hadrien V1 (questions sur la confirmation)
qui tous placent l’infaillibilité dans les jugements sur les choses
de foi, non dans le pontife, mais seulement dans un concile général.
L’autre sentence va à l’autre extrême. Le pontife romain ne
peut en aucune façon être hérétique, ni enseigner publiquement l’hérésie,
même s’il définit une vérité à lui seul. La quatrième sentence
est dans un juste milieu. Qu’il puisse être hérétique
ou pas, le pontife ne peut, en aucune façon, définir quelque chose d’hérétique,
comme devant être cru par toute l’Église. C’est la sentence
la plus commune des auteurs catholiques. Saint Thomas (2, 2, question
1, art 10), Tomas Waldensis (livre 2, doctrine de la foi catholique, chapitres
47 et 48), Jean de Turrecremata (livre 2, summa, chapitre 109 et
suivants, Jean Driedonis (livre 4, sur les dogmes de l’église,chapitre
3, part 3), Cajetan (opuscule du pouvoir du pape et du concile, chapitre
9) Hosius (livre 2 contre Itrentium), Jean Eck (livre 1 sur la primauté
de Pierre, chapitre 18), Jean de Louvain (livre de perpet cath Petri protect
et firmit, chapitre 11), Pierre a Solo (dans son apologie par 1, chapitres
83, 84, et 85) et Melchior Cano (livre 6, chapitre 7, des lieux).
Mais ces auteurs ne semblent pas être toujours du même avis.
Car, quelques-uns soutiennent que le pontife ne peut errer s’il procède
avec circonspection, et écoute l’avis des autres pasteurs. Mais
d’autres disent que, même seul, le pontife ne peut, en aucune façon,
errer. Mais il n’y a pas entre eux de véritable dissentiment.
Car les derniers ne veulent pas nier que le pontife soir obligé d’agir
prudemment et d’écouter ce que pensent les autres pasteurs. Tout
ce qu’ils veulent dire, c’est que cette infaillibilité ne réside
pas dans le collège des cardinaux ou dans l’assemblée des évêques,
mais dans le pontife seul. Et les premiers ne veulent pas non plus
placer l’infaillibilité dans les conseillers, mais dans le seul pontife.
Mais, ils se croient obligés d’expliquer que le pontife doit faire tout
ce qu’il peut pour consulter les doctes et les experts dans un domaine.
Et si quelqu’un posait la question suivante : le pontife errerait-il
s’il faisait une définition témérairement ? Sans aucun doute,
ces auteurs répondraient qu’il ne peut arriver qu’un pontife définisse
une vérité de foi ou de morale témérairement. Car, celui qui
a promis la fin a promis aussi les moyens qui sont nécessaires à l’obtention
de cette fin. Il serait de peu de profit de savoir que le pontife
romain n’errera pas quand il fait une définition non témérairement,
si nous ne savions pas que la providence de Dieu ne permettra pas qu’il
définisse une vérité témérairement.
De ces quatre sentences, la première est hérétique. La deuxième,
nous ne disons pas qu’elle est hérétique, car nous voyons que l’Église
tolère ceux qui la soutiennent. Pourtant, elle semble tout à fait
erronée, et proche de l’hérésie, et mériterait d’être déclarée
hérétique par l’Église. La troisième est probable, mais non
certaine. La quatrième est très certaine, et elle doit être soutenue.
Pour mieux expliquer et confirmer, établissons certaines propositions.
CHAPITRE 3
On établit la première proposition du jugement infaillible du
souverain pontife
Que la première proposition soit formulée comme suit. Le souverain
pontife ne peut errer en aucune façon quand il enseigne l’Église en
matière de foi. Elle est contre la première et la deuxième opinion,
et pour la quatrième. On la prouve par cette promesse du Seigneur
(Luc 22) : « Simon, Simon, voici que Satan a demandé de vous cribler
comme le froment. Mais, j’ai prié pour toi, pour que ne défaille
pas ta foi. Et toi, quant tu seras revenu à toi-même, confirme tes frères.
» On a coutume d’expliquer ce texte de trois façons. La
première est celle des Parisiens cités plus haut, à savoir que le Seigneur
a prié pour l’église universelle, Pierre représentant toute l’église.
Et il aurait demandé que la foi de l’Église catholique ne fasse jamais
défaut. Si l’on entendait cette interprétation au sens où, en
priant pour la tête, il priait pour tout le corps qui était représenté
par la tête, elle dirait la vérité. Mais ce n’est pas le sens
qu’ils lui donnent. Ils veulent, de toute évidence, qu’il ait prié
pour la seule Église.
Cette interprétation est fausse, d’abord parce que le Seigneur
n’a désigné qu’une seule personne, en disant deux fois : Simon,
Simon, et en ajoutant plusieurs fois le pronom de la deuxième personne
: pour toi, pour ta foi, et toi, tes frères. Pourquoi, si
ce n’est pour que nous comprenions que quelque chose de tout à fait
spécial a été demandé pour Pierre. Ensuite, parce que le Seigneur
a commencé à parler au pluriel : « Satan a demandé de vous cribler
», et qu’il a ensuite changé sa façon de parler, en disant : « Et
moi, j’ai prié pour toi ». Pourquoi n’a-t-il pas dit « pour
vous », en conservant le pluriel ? Il est certain que s’il avait
parlé de l’Église toute entière, il aurait du dire : j’ai prié
pour vous. De plus, le Seigneur fait une demande pour celui à qui
il a dit : « quand tu seras converti ». Il est certain que cette
demande ne convient pas à l’Église, à moins de dire que toute l’Église
devra être pervertie avant d’être de nouveau convertie. Enfin,
il prie pour celui à qui il a dit : «Confirme tes frères. » Mais
l’Église n’a pas de frères qu’elle puisse ou qu’elle doive confirmer.
Car, qui, je le demande, peut imaginer que l’Église universelle a des
frères ? Les fidèles ne sont-ils pas tous ses fils ?
L’autre interprétation est celle des auteurs de notre temps, qui
enseignent, que, dans ce passage, le Seigneur a prié pour la persévérance
finale du seul Pierre. Mais, au contraire, parce que le Seigneur
a prié un peu après pour la persévérance de tous les apôtres, et même
de tous les élus (Jean 17 : « Père saint, conserve-les dans mon nom,
ceux que tu m’as donnés »), il n’y avait pas de raison de demander
une fois de plus la persévérance de Pierre, car la persévérance dans
la foi est le don commun de tous les élus. Troisièmement.
Il est certain que, dans ce texte, le Seigneur a prié, au moins médiatement,
pour les autres apôtres, quand, comme introduction à la demande, il en
avait comme donné la cause en disant : « Satan a demandé de vous cribler
». Le Seigneur n’a donc pas demandé la persévérance pour le
seul Pierre, mais pour un don qui devait être communiqué à Pierre pour
l’utilité de tous. Quatrièmement. Ce don est demandé pour Pierre,
mais il appartient aussi à ses successeurs. Car c’est pour l’Église
que le Christ a prié pour Pierre, puisque l’Église a toujours
besoin d’être confirmée par quelqu’un dont la foi ne puisse pas faire
défaut. Or, le diable n’a pas demande de cribler seulement ceux
qui croyaient alors, mais tous les croyants de tous les temps; et le don
de persévérance n’appartient pas à tous les successeurs de Pierre.
Enfin, le Seigneur n’a pas dit qu’il priait pour que ne défaille pas
sa charité, mais sa foi. Et nous savons fort bien qu’ont défailli la
charité et la grâce de Pierre quand il a renié le Seigneur. Mais,
nous savons aussi pertinemment que sa foi n’a jamais défailli.
Est donc vraie la troisième interprétation selon laquelle le Seigneur
a demandé deux privilèges pour Pierre. Le premier. Qu’il ne puisse
jamais perdre la vraie foi, quelles que soient les tentations du démon.
Ce qui est quelque chose de plus que le don de la persévérance, car on
dit qu’il persévère jusqu’à la fin, même celui qui tombe en chemin
et se relève ensuite, et est trouvé fidèle à la fin. Or, le Seigneur
a demandé pour Pierre qu’il ne puisse jamais tomber, chose qui se rapporte
à la foi. Un autre privilège consiste en ce que, en tant
que pontife, il ne puisse jamais enseigner quelque chose de contraire à
la foi, ou que, sur son siège, ne s’assoie jamais quelqu’un qui enseignerait
contrairement à la vraie foi. Le premier de ces privilèges,
il ne l’a peut-être pas communiqué aux successeurs, mais le second,
il l’a surement légué.
Sur le premier privilège, nous avons, des témoignages des anciens.
Saint Augustin (dans son livre sur la correction, chapitre 8) : « Quand
il a prié pour que ne défaille pas sa foi, il a prié pour qu’il ait,
dans la foi, une volonté très libre, très forte, invincible et
persévérante. » Saint Jean Chrysostome (homélie 83 en Matthieu)
: « Il n’a pas dit : pour que tu ne renies pas, mais pour que
ne défaille pas ta foi. « C’est par un soin particulier et une faveur
particulière qu’il a été donné que la foi de Pierre ne s’évanouisse
pas. » Theophylacte (chapitre 22 de Luc) : « Même si, pendant
un bref temps, tu dois être ébranlé, tu as, au fonds de toi, les semences
de la foi. Même si le vent fera tomber des feuilles, la racine demeurera
vivante, et ta foi ne mourra pas. » Par cette comparaison, il explique
que Pierre, en reniant le Christ, a perdu la confession de la foi qui se
fait par la bouche, car les feuilles signifient des paroles, mais qu’il
n’a pas perdu la foi qui est dans le cœur, par laquelle on croit de
façon à être justifié. Saint Prosper donne la même explication
(livre 2, de la vocation des Gentils, dernier chapitre). Bien que
ces pères ne se souviennent pas de l’autre privilège, ils ne le nient
pourtant pas. Et ils ne peuvent non plus le nier, à moins
qu’ils aient l’intention de contredire les nombreux autres pères.
De l’autre privilège nous avons les témoignages de sept anciens
souverains pontifes. Lucius premier, pape et martyr (lettre 1 aux
évêques de Gaulle et d’Espagne) : « L’Église est romaine, apostolique,
et mère de toutes les églises, celle qui ne s’est jamais écartée
du sentier de la tradition apostolique, qui n’a jamais succombé, qui
n’a jamais été corrompue par les nouveautés des hérétiques, selon
cette promesse du Seigneur lui-même : « J’ai prié pour toi. » Félix
1 (dans sa lettre à Begninum), dit, en parlant de l’église romaine
: « Pour que demeure intacte, en toi, la norme de la foi chrétienne
reçue dès le début des princes des apôtres du Christ, selon cette parole
: « J’ai prié pour toi… » Saint Léon (sermon 3 de son intronisation)
: « Le Seigneur a pris un soin spécial de Pierre, et il a prié en particulier
pour la foi de Pierre, pour que, si l’esprit du prince n’est pas vaincu,
la condition des autres soit plus assurée. C’est donc sur Pierre
que la force de tous se fonde. Et l’aide de la divine grâce est
ordonnée de telle façon que la fermeté qui est attribuée à Pierre
par le Christ, soit conférée par Pierre aux autres apôtres. »
Saint Léon reconnait ici l’un et l’autre privilège. Le premier
quand il dit : « Si l’esprit du prince n’est pas vaincu », et le
second quand il ajoute : « la fermeté qui est attribuée à Pierre
par le Christ est conférée aux apôtres par Pierre. » Car, il
ne peut apporter aux autres la fermeté autrement qu’en enseignant la
vraie foi. Agathon (dans l’épitre à l’empereur Constantin,
qui a été lue au synode 6, acte 4, et qui a été ensuite, à acte 8,
approuvée par tous) : « Voici la règle de la vraie foi que, dans la
prospérité et l’adversité, a tenue vigoureusement l’église apostolique
du Christ, qui, par une grâce spéciale de Dieu, ne s’est jamais détournée
du chemin de la tradition apostolique, ni n’a jamais succombé aux dépravations
des nouveautés hérétiques, parce qu’il a été dit à Pierre : «
Simon, Simon, j’ai prié pour toi. » En ce passage, le Seigneur
a promis que la foi de Pierre ne défaillirait jamais, et il lui a demandé
de confirmer ses frères. C’est ce que les prédécesseurs de ma petitesse
ont toujours fait fidèlement, comme chacun peut en témoigner. »
Nicolas 1 (dans la lettre à l’empereur Michel) : « Les privilèges
de ce siège sont perpétuels, divinement enracinés et implantés qu’ils
sont. On peut les lui retirer, mais on ne peut les effacer.
Les choses qui ont été faites avant votre règne, demeurent, grâce à
Dieu, inchangées, et elles le demeureront après vous. Elles ne
cesseront de subsister tant que sera prêché le nom du Christ. »
Et pour montrer pourquoi il parlait avec tant d’assurance, il ajoute
: « Car, parmi les autres privilèges qui nous sont accordés d’une
façon toute particulière, il y a celui-ci que Pierre a entendu du Seigneur
: « Quand tu seras converti, confirme tes frères. » Léon 1X (dans
sa lettre à Pierre d’Antioche) : « Il n’y en a qu’un seul pour
qui le Seigneur témoigne avoir prié afin que ne défaille pas sa foi,
en disant : « J’ai prié pour toi ». Cette prière vénérable et efficace
a obtenu que jusqu’à présent la foi de Pierre n’ait jamais défailli,
et qu’elle ne défaille pas non plus dans l’avenir, comme nous le croyons.
» Innocent 111 (dans son épitre à l’évêque d’Arles, et dans
les chapitres majeurs sur le baptême et son effet) : « Les causes majeures
de l’Église, surtout celles qui se rapportent aux articles de foi, celui--là
comprend qu’elles doivent être référées au siège de Pierre, qui
sait pour qui le Seigneur a prié afin que ne défaille pas sa foi. »
On doit prêter foi aux déclarations de ces pontifes, parce qu’ils étaient
saints, et parce qu’ils étaient bien placés pour connaitre la véritable
autorité du siège apostolique.
En plus de ces pontifes, ne manquent pas les auteurs qui commentent
ce passage dans ce sens. Theophylactus (dans le chapitre 21, Luc) enseigne
ouvertement que ce privilège a été donné à Pierre en tant que chef
et tête des autres, et qu’il était donc donné à tous ceux qui lui
succéderaient dans la principauté : « Parce que je te considère le
chef des disciples, confirme les autres. Et cela, convient à toi qui,
après moi, es pierre et fondement de l’Église. » Pierre
Chrysologue (dans son épitre à Eutychès qui se trouve dans le tome du
concile d’avant le concile de Chalcédoine) : « Nous t’exhortons,
frère honorable, à prendre en considération, par un acte d’obéissance,
ce qui a été écrit par le bienheureux pape de l’église romaine, car,
le bienheureux Pierre, qui vit et préside dans son siège propre, apporte
à ceux qui la recherchent la vérité de la foi. » Même si cet
auteur ne se réfère pas explicitement au passage de l’évangile cité
(j’ai prié pour toi), on ne peut douter que c’est à lui qu’il pense
quand il affirme, avec tant d’assurance, que c’est le siège romain
qui présente la vérité de la foi à ceux qui la recherchent.
Saint Bernard (épitre 190 à Innocent) : « Il faut référer à votre
apostolat les périls et les scandales du royaume de Dieu, ceux-là surtout
qui portent sur la foi. Car je pense que là où
la foi ne peut trouver de défaillance, se trouve un arbitre très
capable de réparer les dommages causés à la foi. Car, à quel
autre siège a-t-il jamais été dit : « J’ai prié pour que ta foi
ne défaille pas. »
Voici quelles sont les objections qu’on fait à cette interprétation
du texte. La première. L’église romaine n’existait pas encore
quand le Christ a promis à Pierre que ne défaillirait pas sa foi.
Et le Seigneur n’a fait aucune mention du siège romain.
Comment donc peut-on prétendre que le Seigneur ait promis quelque
chose au siège de l’église romaine quand il a dit : « J’ai prié
pour toi. » La deuxième. Si ce qui est dit à Pierre
est dit aussi aux successeurs, le « quand tu seras converti » est dit
aussi de ses successeurs. Les successeurs de Pierre doivent donc
tous renier d’abord le Christ, et se convertir ensuite. Je réponds
à la première qu’on dit que le Christ a prié pour le siège romain,
parce qu’il a prié pour Pierre et ses successeurs qui ont fixé leur
siège à Rome. Je réponds à la deuxième qu’il n’est pas absurde
de dire que la conversion de Pierre ne se réfère pas à la pénitence
de Pierre, mais aux tentations des autres, et que le sens ne soit pas :
« Toi, quand, du péché, tu seras retourné à Dieu par la pénitence,
confirme tes frères ». Mais, « toi, dont la foi ne peut pas défaillir,
quand tu en verras d’autres qui hésitent et vacillent, tourne-toi vers
eux, et confirme-les dans la foi ». Car, le Seigneur n’avait pas
encore prédit à Pierre sa chute, mais, c’est plus tard qu’il le ferait.
Ne serait-il pas absurde de penser que la conversion a été
prédite avant le reniement, la résurrection avant la chute ?
Je dis, en second lieu, que si nous acceptons que le sens porte
sur une conversion après un reniement, la nécessité de confirmer les
frères n’entraînera pas nécessairement, pour les successeurs, la nécessité
de se convertir après un reniement. Car, se convertir du péché ne se
rapporte aux hommes qu’en tant que personnes privées, puisque
la conversion est un don personnel. Mais c’est en tant que chef
et prince des autres que quelqu’un confirme ses frères. Voilà pourquoi
ce privilège passe aux successeurs. En second lieu,
on prouve cette conclusion par la promesse elle-même faite à Pierre en
Matth 16 : « Sur cette pierre, je bâtirai mon église, et les portes
de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » Car, comme nous
l’avons montré au livre 1, chapitre 10, le mot pierre, ou fondement
de l’Église se dit de Pierre en tant que recteur suprême de l’Église.
Et, en conséquence, chacun de ses successeurs est également pierre et
fondement. De quoi on peut tirer deux arguments.
Le premier vient du nom de pierre. Pour quelle raison le pontife
est-il appelé pierre si ce n’est en raison de la constance et
de la solidité ? Il est certain que s’il est une pierre, il ne
se fissurera pas : il ne sera pas emporté par tout vent de doctrine.
C’est-à-dire que, en tant que pontife, il n’errera pas
dans la foi. Le deuxième vient de la nature même du fondement qui soutient
un édifice qui ne peut pas s’écrouler. Or, si, par nature,
tel édifice ne peut pas s’écrouler, son fondement ne peut pas, non
plus, s’écrouler. Car, on ne peut comprendre comment un
fondement puisse être détruit sans que l’édifice ne s’écroule.
On a plus de raison de penser qu’un fondement ne peut pas être détruit,
si son édifice ne peut pas s’écrouler. Car ce n’est pas le
fondement qui tire sa fermeté de la maison, mais la maison du fondement.
Et, c’est dans ce sens que tous les pères ont commenté ce texte, et
c’est de là qu’ils déduisirent que Pierre et ses successeurs ne pouvaient
pas errer.
Origène dit, en commentant ce texte : « Il est manifeste, même
si cela n’est pas dit expressément, que les portes de l’enfer
ne peuvent prévaloir ni contre Pierre, ni contre l’Église. Car, si
elles pouvaient prévaloir contre la pierre sur laquelle l’église est
fondée, elles prévaudraient aussi contre l’Église. » Saint
Jean Chrysostome dit, en commentant ce texte, que seul Dieu a pu faire
en sorte que l’Église, fondée sur un pêcheur et un homme du commun,
ne tombe, exposée comme elle est à tant de violentes tempêtes.
» Saint Cyrile, d’après saint Thomas (dans la chaîne) a écrit
: « Selon cette promesse faite à Pierre, l’église apostolique demeure
étrangère à toute déviation et à toute séduction hérétique.
» Théodoret (dans l’épitre à René, prêtre de Rome) : « Ce
siège tient le gouvernail qui guide toutes les églises de l’univers,
parce qu’il a été toujours exempt de la puanteur des hérésies. »
Theodoret semble argumenter ainsi : le gouvernement de toute l’Église
doit appartenir au siège qui ne peut pas errer dans la foi. Or,
nous voyons que seul le siège romain a été exempt de toute sorte d’hérésie.
Il est donc clair que c’est là que se trouve le gouvernement de toutes
les églises. Saint Jérôme (dans sa lettre à Damase sur
les hypostases), après avoir dit : « Je sais que c’est sur cette pierre
qu’est édifiée l’église », ajoute : « Je demande que, par écrit,
tu m’autorises soit à ne pas parler soit à parler de trois hypostases.
Et je ne craindrai pas de dire trois hypostases, si tu m’en donnes l’ordre.
» Il affirme ici qu’il suit en toute sécurité la
sentence du pontife, car il sait sur qui l’église est fondée, et que
le fondement de l’église ne peut pas être détruit.
Saint Augustin (dans le psaume contre le parti de Donat) parle ainsi
: « Énumérez, par ordre, les prêtres qui ont été détenteurs
du siège de Pierre Quiconque lui succède est la pierre que
les portes orgueilleuses de l’enfer ne vaincront pas. » Gélase
(dans l’épitre à l’empereur Anastase) : « Voilà ce sur quoi veille
très attentivement l’église romaine. Puisque la confession glorieuse
de l’apôtre est la racine du monde, elle s’applique à se tenir à
l’abri de toute contagion, de toute perversion. Car si (ce que
Dieu empêche, et ce qui ne peut pas arriver, nous le croyons) une telle
chose arrivait jamais, où irions-nous chercher la confiance nécessaire
pour résister à l’erreur ? » Gélase enseigne ici que le siège
apostolique ne peut pas errer. Car, comme sa prédication ou sa confession
est la racine du monde, tout le monde serait dans l’erreur si elle était
dans l’erreur. Saint Grégoire ( au livre 4 de son épitre, 32,
à l’empereur Maurice) démontre qu’il est impossible que l’archevêque
de Constantinople soit évêque universel et tête de toute l’Église,
car plusieurs évêques de Constantinople ont été des hérétiques publics,
et même des hérésiarques comme Macodonius et Nestorius. Car, si
elle était universelle, il s’ensuivrait que sa ruine entraînerait la
ruine universelle de toute l’Église. De même ( au livre 6 de
l’épitre 37 à Euloge) : « Qui ne sait que la sainte Église est fondée
sur la solidité du prince des apôtres, à qui il a été dit : sur cette
pierre je bâtirai mon église, et toi, quant tu seras converti, confirme
les autres ? Comme saint Grégoire l’enseigne ouvertement,
la fermeté de l’Église dépend de la fermeté de Pierre. Pierre, peut
donc moins errer que ne le peut l’Église.
On le prouve, en troisième lieu, par les paroles de Jésus en saint
Jean : « Pais mes brebis ». Car, que, par ces paroles, saint Pierre
ait été institué pasteur et docteur de toute l’Église, nous l’avons
démontré plus haut au livre 1, chapitres 14, 15 et 16. On peut
en déduire le raisonnement suivant. Le pontife est le pasteur et le docteur
de toute l’Église. L’Église en entier est tenue de l’écouter
et de lui obéir. S’il errait, toute l’Église serait donc dans l’erreur.
On répondra que l’Église a l’obligation de l’écouter s’il enseigne
la vérité. Autrement, il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.
Mais qui jugera que le pontife enseigne la vérité ou pas ? Car,
il n’appartient pas aux brebis de juger si le pasteur se trompe, même
pas dans les choses les plus douteuses. Et les brebis chrétiennes n’ont
pas un docteur ou un juge supérieur auquel recourir. Car, comme
nous l’avons montré plus haut (livre 2, chapitres 13 et 14), on peut
en appeler de toute l’Église au pontife. Mais on ne peut pas en
appeler du pontife lui-même. Il sera donc nécessaire que
toute l’Église erre si le pape erre. On répondra qu’on
peut recourir à un concile général. Mais, comme nous l’avons
démontré plus haut, non seulement le pape est au-dessus des conciles,
mais les conciles généraux se sont souvent trompés, et se sont vus refuser
l’approbation du souverain pontife, comme les conciles d’Éphèse 11,
d’Ariminensis et d’autres.
On répondra encore qu’on peut recourir à un concile auquel
participe le pape, car un concile avec le pape est supérieur à un pape
seul. C’est le contraire qui est vrai, car c’est à Pierre, non
à l’assemblée des évêques, que le Christ a dit : « J’ai prié
pour toi », et « Pais mes brebis ». C’est aussi le seul Pierre
qu’il a appelé pierre et fondement, non Pierre avec l’assemblée des
évêques. De plus, il arrive souvent que la convocation d’un
concile soit impossible, comme ce fut le cas dans les trois premiers siècles
à cause des persécutions continuelles des païens. Ce qui n’aurait
pas empêché l’Église des premiers siècles de durer telle quelle
jusqu’à la fin du monde. Il faut donc qu’il y ait, dans
l’église, en dehors des conciles généraux, un juge qui ne peut pas
errer. Et, dans le cas d’un concile tenu en présence d’un pape,
qu’arriverait-il si les pères du concile étaient d’un avis contraire
à celui de leur président, le pape en personne ? Comment
sortir de cette impasse ? Il faudrait, certes, un autre juge.
Le concile, en ce cas, ne pourrait pas être juge ultime, car les
conciles sans le pape peuvent se tromper, comme ils l’ont fait.
Il reste donc que le juge suprême et ultime doit être le pape, et qu’en
conséquence, il ne peut pas se tromper.
On le prouve, en quatrième lieu, avec des textes de l’ancien testament,
qui fut une image du nouveau. Dans Exode 28, le Seigneur prescrit
que la doctrine et la vérité soient placées dans le rational du
souverain pontife. Le mot s’écrit comme ceci en hébreu.
Il est à observer que ni les Hébreux ni les chrétiens ne s’entendent
sur le sens de ces deux mots. Rabbi Salomon veut que ce soit le nom
de Dieu (Yavé) écrit sur le rational, de la flamboyance duquel le prêtre
connaissait la divine réponse quand quelqu’un l’interrogeait.
Arias Montanus (dans son apparatus) enseigne que ce sont douze pierres
très éclatantes, sur lesquelles étaient écrits les noms des douze fils
d’Israël, que le Seigneur ordonna de placer sur le rational;
et il mêle à son récit beaucoup de fables. Ce qu’écrit saint
Augustin (question 117 de l’Exode) semble plus probable : les mots mis
au milieu du rational sont, selon lui, ceux qui pendaient sur la
poitrine du prêtre. Il ne faut pas tenir compte de l’objection
faite par les Juifs et les judaïsant qui soutiennent que le mot hébreu
ne signifient pas vérité, mais perfection, de la racine…. Il faut
croire saint Jérôme qui traduit doctrine et vérité, et les septante
qui traduisent aussi alèteian (vérité) et dèlôsin (doctrine) plutôt
que tous les rabbins. Et il faut ajouter que le mot hébreu provient
de la racine « il enseigna », et l’autre mot hébreu de la racine «
il crut ».
Le Deutéronome (17) explique pourquoi les mots vérité et doctrine
devaient être écrits sur la poitrine du pontife suprême, quand il dit
à ceux qui ont des doutes sur le sens de la loi divine de monter voir
le souverain pontife, pour en recevoir la droite explication. Et
il ajoute : « Ce sont eux qui t’indiqueront la vérité du jugement.
» Et par un signe, et par la parole, le Seigneur a promis que sur
la poitrine du prêtre suprême demeureraient la doctrine et la vérité;
et que, donc, il ne se tromperait pas quand il explique la loi au peuple.
Or, ce qui convenait à l’ancien sacerdoce convient encore plus
au sacerdoce chrétien. Voilà pourquoi Pierre de Ravenne exhorte
Eutychès « à tenir compte soigneusement, dans un esprit d’obéissance,
des écrits du bienheureux pape de la ville de Rome, parce que Pierre,
qui vit et préside sur son propre siège, apporte la vérité à ceux
qui la recherchent. »
On le prouve, en cinquième lieu, par l’histoire, et cela, de deux
façons. C’est un fait historique bien établi que
tous les sièges patriarcaux ont erré dans la foi; que des hérétiques
et des hérésiarques ont été patriarches, et ont enseigné, en tant
que tels, des hérésies condamnées par l’Église. Tous, sauf le siège
de Rome. Sur le siège de Constantinople ont siégé Macédoine,
Nestorius, Serge. Sur celui d’Alexandrie, les ariens Grégoire
et Lucius, Dioscorus, Eutychès, Cyrus le monothélite, et d’autres.
Dans celui d’Antioche, Paul de Samosate, Pierre Gnaphaeus eutychien,
Macaire le monothélite, et, avant lui, Eutychès, et les ariens Irénée
et Hilaire. On ne peut montrer rien de tel sur le siège romain.
L’histoire nous démontre que c’est vraiment pour l’église romaine
que Jésus a prié afin que sa foi ne vacille pas. Ce qui fait dire
à Rufin (dans son exposition du symbole) : « Dans l’église de la ville
de Rome, aucune hérésie n’a jamais pris naissance, et c’est là qu’est
conservée la tradition antique. » On peut aussi ajouter, comme
preuve historique, que le pontife romain a condamné plusieurs hérésies
sans avoir recours à un concile général, comme celles des pélagiens,
des priscilliens, des joviniens, des vigilants; et beaucoup
d’autres erreurs que l’Église considéra comme de vraies hérésies
, après qu’elles aient été condamnés par le souverain pontife.
C’est donc un signe que l’Église estime que le pape ne peut pas errer
dans ces choses. Voir Prosper (dernier livre contre Collat.) et Pierre
le diacre (dans son livre à Fulgence sur l’incarnation et la grâce
du Christ).
2017 12 08 21h03 fin
2017 12 12 17h13 début
Seconde proposition. Le pape n’est pas le seul à ne pas errer dans
la foi, l’église romaine n’erre pas, non plus. Il faut noter
ici que c’est dans un sens différent qu’il faut prendre la fermeté
de l’église romaine dans la foi, et la fermeté du pape dans la foi.
Car, le pontife romain ne peut pas errer en jugeant, quand il juge et définit
une question de foi. L’Église romaine, c’est-à-dire le peuple
et le clergé de Rome ne peut pas errer d’une erreur située au niveau
des personnes, de façon que tous absolument errent dans la foi,
et qu’il n’y ait, dans l’église de Rome, aucun fidèle qui adhère
au pape. Même si chacun peut individuellement et séparément errer,
il ne peut pas arriver que tous errent simultanément, et que toute l’église
romaine apostasie. On peut entendre de deux façons cette impossibilité
d’errer qui est propre à l’église romaine. Une première. Tant
que le siège du pape continue à demeurer à Rome. L’autre.
Parce que le siège apostolique ne peut pas être transféré ailleurs.
Et selon le premier sens, notre proposition est très vraie. Les
auteurs cités, en effet, comme les papes et martyrs Lucius et Félix,
ainsi que Cyrille et Ruffin, ont affirmé que ce n’est pas seulement
le pape qui ne peut pas se tromper, mais l’église romaine.
De plus, saint Cyprien (livre 1, épitre 3) : « Ils osent
naviguer jusqu’à la chaire de Pierre, et l’église principale ….sans
penser que ce sont des romains, et que la perfidie ne peut pas avoir accès
auprès d’eux. » Saint Jérôme (livre 3, apologie contre Ruffin)
: « Sache que la foi romaine, louée par la voix apostolique, ne reçoit
pas ce genre de prestiges. Même si un ange annonçait quelque chose
que ce qui a été prêché d’abord, ce qui est scellé de l’autorité
de Paul ne peut pas être changé. » Saint Grégoire de Naziance
(dans le chant de sa vie, avant le milieu) : « Rome a la foi droite depuis
les temps anciens. Et elle la retient toujours, puisqu’il
convient à la ville qui, par la grâce de Dieu, préside à tout
l’univers, de conserver la foi intègre. » J’ajoute les
témoignages de deux pontifes que les hérétiques, méprisent mais que
les catholiques honorent. Le premier est celui du pape Martin V qui,
dans la bulle qu’il édita pour approuver le concile de Constance, déclara
qu’étaient hérétiques ceux qui comprennent les articles de foi autrement
que l’église romaine les comprend. L’autre est celui du pape
Sixte 1V qui, dans un concile, et par lui personnellement, condamna les
articles d’un certain Pierre oxonien, un de ces articles étant que l’église
romaine peut errer. On pourrait peut-être entendre cette phrase du seul
souverain pontife. Mais comme l’église romaine n’est pas constituée
du seul pontife, mais aussi du peuple, quand les pères et les pontifes
soutiennent que l’église romaine ne peut pas errer, ils veulent dire
que, dans l’église romaine, il y aura toujours un pontife qui
enseigne de façon orthodoxe, et un peuple qui accepte son enseignement.
L’inerrance de l’église de Rome prise au second sens est
une croyance pieuse et probable, mais non certaine. Elle n’est
certes pas certaine au point que l’opinion contraire puisse être déclarée
hérétique, ou manifestement erronée, comme l’enseigne avec raison
Jean Driedo (livre 4, chapitre 3, part. 3, sur les dogmes ecclésiastiques
et sur l’écriture). Que ce ne soit pas de foi que le siège apostolique
ne puisse pas être séparé de l’église romaine, on le déduit de ce
que ni l’Écriture ni la tradition n’enseignent que le siège apostolique
soit rivé à Rome de façon à ne pouvoir jamais être transféré ailleurs.
Et tous les témoignages des pères et des pontifes, à l’effet que l’église
de Rome ne peut pas errer, peuvent s’entendre de l’église romaine
tant que demeurera en elle le siège apostolique, non absolument parlant
et inconditionnellement.
C’est pourtant une opinion pieuse et très probable que la chaire
de Pierre ne puisse pas être séparée de Rome. On le prouve par
le fait qu’il y soit demeuré si longtemps, en dépit des infinies persécutions
et du grand nombre d’occasions d’en sortir. La première occasion
de transférer le siège apostolique dans un autre lieu s’est présentée
aux temps des empereurs païens. Car ces empereurs voyaient d’un
mauvais œil que le siège apostolique de la chrétienté résidât à
Rome; et presque aussitôt qu’ils apprenaient qu’un nouveau pape avait
été sacré, ils le mettaient à mort ou ils l’envoyaient en exil.
Voilà pourquoi saint Cyprien louait la patience du pape Corneille (livre
4, épitre 2) : « Quel courage tu as manifesté en acceptant l’épiscopat
! Quelle force de caractère, quelle fermeté dans la foi ! Siéger
sans peur à Rome sur la chaire épiscopale quand un tyran impie menace
les prêtres de Dieu de supplices connus et inconnus; et quand ce tyran
estimerait plus tolérable et plus supportable d’entendre dire qu’un
prince rival s’est soulevé contre lui, qu’un nouvel évêque de Dieu
a été installé à Rome. »
Il eut, au temps des Goths, une autre occasion de transférer
le siège apostolique. Car, au temps d’Innocent 1, Alaric s’empara
de la ville, la pilla, l’incendia, comme saint Jérôme le rapporte dans
sa lettre ad principiam sur la mort de Marcella. Ensuite, au temps
de Léon 1, Genséric s’empara de nouveau de la ville, et la pilla,
comme l’écrit Blondus (livre 4, décade 1). À la suite de quoi,
Rome demeura sans habitant pendant un certain temps. Au temps
du pape Vigile, Totilas saccagea la ville de Rome, abattit les murailles,
et incendia presque toutes les maisons. La désolation fut telle que ni
homme ni femme n’y demeura, comme l’écrit Blondus (livre 6, décade
1). Ensuite, pendant tout le temps des Lombards, les pontifes romains
eurent beaucoup à souffrir, comme les lettres du bienheureux Grégoire
nous le révèlent. Les évêques de Rome n’eurent cependant jamais
l’idée de déplacer le siège apostolique. La troisième occasion
se présenta au temps de saint Bernard, à cause d’une persécution provenant
des citoyens romains. Et pendant un grand nombre d’années, les
citoyens romains rendirent la vie si impossible aux souverains pontifes
qu’ils furent souvent forcés de s’exiler momentanément, comme le
rapportent les historiens, et comme on peut le lire dans la lettre 242
de saint Bernard, et dans la lettre 243 à l’empereur Conrad.
La quatrième occasion se présenta quand les pontifes romains demeurèrent
en Gaule pendant 70 ans. Puisqu’ils avaient décidé, eux et toute
la curie, de s’éloigner de Rome, pourquoi, je le demande, n’ont-ils
pas transféré le siège apostolique ? Pourquoi n’ont-ils pas
changé l’épiscopat romain en épiscopat avignonnais ? Et en dépit
de toutes les autres occasions de transférer le siège, ils sont demeurés
à Rome pendant 1500 ans. Il est donc très probable que le siège ne puisse
pas être transféré.
On peut le prouver, en second lieu, en affirmant que c’est
Dieu lui-même qui a ordonné que le siège apostolique de Pierre soit
muté à Rome, ce que Dieu ordonne ne pouvant pas être changé par les
hommes. Que ce soit Dieu qui l’ait ordonné l’atteste le bienheureux
Marcel, pape et martyr, dans sa lettre aux Antiochiens. Il dit, dans
cette lettre, que c’est sur l’ordre du Seigneur que saint Pierre a
transféré son siège d’Antioche à Rome. L’atteste aussi
saint Ambroise (dans son discours sur la basilique à être livrée aux
ariens). Il dit que le Christ a voulu que saint Pierre meure à Rome, et
que c’est pour cela que, quand saint Pierre fuyait, il lui a dit qu’il
venait à Rome pour être crucifié de nouveau. Ce qui est un signe
manifeste que Dieu voulait, par la mort de Pierre, établir là son siège.
Saint Léon (sermon de la naissance au ciel de saint Pierre et de saint
Paul) : « Le trophée de la croix du Christ tu as voulu l’apporter dans
la citadelle romaine, où, par des décrets divins, précédaient et l’honneur
du pouvoir et la gloire de la passion. » Quelqu’un dira
que cet argument semble vouloir prouver que le siège de Rome ne peut pas
être transféré ailleurs, car il est de foi que les préceptes de Dieu
ne peuvent pas être modifiés. Si donc c’est Dieu qui a ordonné que
le siège apostolique réside à Rome, il semble que ce soit de foi qu’il
ne puisse pas être transféré ailleurs.
Je réponds qu’on ne peut pas tirer cette conclusion, car les
papes Marcel et Léon n’ont pas défini cela comme de foi, mais
ils n’ont fait que le rapporter sous forme de récit. Seuls les
décrets des papes sont de foi, non leurs récits. Ensuite,
quand ils ajoutent que c’est sur l’ordre de Dieu que saint Pierre a
transféré son siège d’une ville à l’autre, on peut entendre cela
de deux façons. Une première. Le Seigneur est vraiment apparu
à saint Pierre, et lui a donné cet ordre de vive voix. Il
faudrait alors dire que c’est vraiment en vertu d’un précepte divin
que le siège de Pierre a été transféré à Rome. Une deuxième.
Que le Christ n’a pas donné cet ordre, mais qu’on dit qu’il l’ait
ordonné, parce que Pierre a fait cela sous l’inspiration de Dieu,
comme on peut dire que tous les décrets et préceptes de l’église sont
divins, même s’ils sont modifiables. Et même s’il était prouvé
que le Christ avait commandé à Pierre de transférer son siège à Rome,
on ne pourrait pas en conclure qu’il a ordonné, par le fait même, qu’il
y demeure jusqu’à la fin du monde. Et comme il n’y a aucune
preuve certaine que le Christ ait ordonné à Pierre de fixer son siège
à Rome, il n’est donc pas de foi que c’est par un précepte divin
et immuable que le siège de Pierre ait été situé à Rome. Mais,
comme nous l’avons déjà dit, c’est quelque chose de très probable,
et de pieusement crédible. Ne s’oppose pas à cela le fait que,
au temps de l’antichrist, Rome sera désolée et consumée par le feu,
comme on le déduit du chapitre 17 de l’Apocalypse. Car, cela n’arrivera
qu’à la fin du monde. Et, de plus, on appellera encore le souverain
pontife évêque de Rome, même s’il n’y habite plus, comme cela est
arrivé au temps du roi des Goths, Totila, comme nous l’avons dit plus
haut. Ajoutons que saint Augustin, et d’autres commentateurs anciens
ne veulent pas voir Rome dans la ville enflammée, mais la cité du diable,
constituée de la multitude des impies.
CHAPITRE 5
Les décrets sur la morale
La troisième proposition peut être comme suit.
Le pontife suprême ne peut pas errer dans les décrets de foi, et il ne
peut pas errer non plus dans les décrets sur la morale qui sont prescrits
à toute l’église, et qui portent sur les choses nécessaires au salut,
qui sont en elles-mêmes bonnes ou mauvaises. Nous disons d’abord
que le pontife romain ne peut pas errer dans les préceptes qui sont
prescris à toute l’église; mais que, dans des jugements particuliers,
il n’est pas absurde de penser qu’il puisse errer. Nous ajoutons, en
second lieu « les choses qui sont nécessaires au salut, ou qui sont bonnes
ou mauvaises en elles-mêmes », car il n’est pas erroné de dire que,
dans les autres lois, il puisse se tromper, en faisant une loi superflue,
ou moins appropriée. Éclairons le tout par des exemples.
Il ne peut pas arriver que le pontife erre en prescrivant un vice, comme
l’usure, ou en proscrivant une vertu, comme la restitution, car ces choses
sont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, bonnes ou mauvaises. Il
ne peut pas arriver non plus qu’il prescrive quelque chose qui soit contraire
au salut, comme la circoncision, ou le sabbat, ou qu’il interdise
quelque chose qui est nécessaire au salut, comme le baptême ou l’eucharistie.
Mais qu’il commande quelque chose qui n’est ni bon ni mauvais en soi,
ni contre le salut, mais est tout simplement inutile, et qu’il le prescrive
sous peine de péché grave, il n’est pas absurde de dire que cela peut
arriver, même si les sujets n’ont pas à porter de jugement sur cette
chose, mais uniquement à obéir.
On prouve la proposition qui veut que le pape ne peut pas errer
dans des préceptes moraux nécessaires au salut. Car, alors, toute
l’Église, serait grièvement blessée, et elle errerait dans des choses
nécessaires au salut, ce qui va contre la promesse du Seigneur en Jean
16 : « Quand viendra l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute
vérité. » Toute vérité, certainement, nécessaire au salut.
En second lieu, parce que, alors, le Christ manquerait à son église dans
des choses nécessaires. Or, si Dieu ne manque à personne dans les
choses nécessaires, à plus forte raison, ne manque-t-il pas à son église.
Que le pontife romain ne puisse pas errer dans ce qui est en
soi bon ou mauvais, on le prouve ainsi. Car alors, on ne pourrait
plus appeler l’église sainte, comme on l’appelle dans le symbole des
apôtres. Car la sainteté implique principalement la profession
de la vraie foi, qui exclut toute fausseté, tout mal. Car, alors,
elle errerait nécessairement dans la foi, puisque la foi catholique enseigne
que toute vertu est bonne, tout vice mauvais. Or, si le pape errait
en prescrivant les vices, et en interdisant les vertus, c’est-à-dire
en prescrivant quelque chose de manifestement vicieux, qui n’en a pas
l’apparence, et en proscrivant quelque chose de vertueux qui n’aurait
pas l’apparence de vertu, l’Église serait tenue à croire que les
vices sont bons, et les vertus mauvaises, à moins qu’elle veuille pécher
contre sa conscience. Car, dans les choses qui sont douteuses, l’église
est tenue d’acquiescer au jugement du souverain pontife, de faire ce
qu’il prescrit, et de ne pas faire ce qu’il interdit. Et pour
ne pas agir contre sa conscience, elle est tenue de croire bon ce qu’il
prescrit, et mauvais ce qu’il interdit.
CHAPITRE 6
Le pontife en tant que personne particulière
La quatrième proposition. Il est probable et pieux de
croire que le souverain pontife ne peut pas errer non seulement comme pontife,
mais qu’il ne peut pas être hérétique comme personne particulière,
en croyant obstinément quelque chose de faux qui est contre la foi.
On le prouve en disant que son état semble requérir une disposition spécale
de la providence de Dieu. Car le pontife non seulement ne doit pas
prêcher une hérésie, mais il ne le peut pas. Il doit
toujours enseigner la vérité. Et il le fera, sans aucun doute,
puisque le Seigneur lui a ordonné de confirmer ses frères, et qu’il
a ajouté précisément à cause de cela : « J’ai prié pour toi, pour
que ta foi ne défaille pas. » C’est-à-dire pour que, au moins
sur ton siège, ne fasse pas défaut la prédication de la vraie foi.
Et comment, je le demande, un pontifie hérétique pourra-t-il confirmer
ses frères dans la foi, et prêcher toujours la vraie foi ? Dieu
peut sans doute extorquer, d’un cœur hérétique, la confession de la
vraie foi, comme il a placé des paroles dans la bouche de l’ânesse
de Balaam. Mais ce serait faire violence à la nature humaine, et
ne correspondre pas à la façon habituelle de la providence de Dieu, qui
est de tout disposer suavement. On le prouve ensuite par ce qui est
arrivé jusqu’à aujourd’hui. Car, jusqu’à présent,
nul n’a été hérétique, et de personne on ne peut prouver avec certitude
qu’il a été hérétique. C’est donc un signe qu’il ne peut
pas l’être. Vous en apprendrez davantage en lisant Pighium.
CHAPITRE 7
On solutionne des objections qui viennent de la raison
On tire des arguments contraires et de la raison et de différents
papes. D’abord, de la raison. Plusieurs canons enseignent
que le pape ne peut pas être jugé, à moins qu’on trouve qu’il a
dévié dans la foi. Il peut donc dévier de la foi, car, au cas
où ne le puisse pas, ces canons auraient été décrétés pour rien.
Concile 5, sous Symmaque, can si papa dist 40, et le concile 8, acte 7.
Ainsi que Anaclet, épitre 3, Eusèbe, épitre 2, et Innocent 111,
sermon 2, sur la consécration d’un pontife. Je réponds
que tous ces canons parlent de l’erreur personnelle d’un pontife, non
d’une erreur judiciaire. Car, s’il peut être hérétique, le
pontife ne le pourra qu’en niant une vérité définie auparavant.
Il ne peut, en effet, être un hérétique quand il définit quelque chose
de nouveau, quand cela ne va pas contre ce qui a été déjà défini par
l’Église. Or, les canons cités parlent expressément d’une
hérésie. Ils ne parlent donc pas d’une erreur judiciaire, mais
personnelle du pontife. Je dis, en second lieu, que ces canons ne
veulent pas dire que le pontife peut errer comme personne privée, mais
seulement que le pontife ne peut pas être jugé. Mais, cependant,
comme il n’est pas absolument certain qu’un pontife romain ne puisse
pas être hérétique, voilà pourquoi ils ont ajouté, pour plus de sureté,
à moins qu’il ne devienne hérétique.
Le deuxième argument tiré de la raison. Si le pontife,
à lui seul, peut définir infailliblement des dogmes de foi, ou les conciles
sont convoqués pour rien, ou ils ne sont pas absolument nécessaires.
Je réponds qu’on ne peut pas tirer cette conclusion. Car, même si l’infaillibilité
est dans les mains du pontife, il ne doit pas, à cause de cela, faire
peu de cas des moyens humains et ordinaires, par lesquels on peut parvenir
à la vraie connaissance d’une chose. On peut considérer comme
un moyen ordinaire un concile majeur ou mineur, selon la grandeur ou la
petitesse de la chose en question. Ce qui ressort clairement de l’exemple
des apôtres. Car, il est certain que saint Pierre ou saint Paul,
pouvaient, à eux seuls, définir infailliblement cette controverse,
mais ils ont préféré convoquer un concile (actes 15). Ensuite,
les définitions de foi dépendent principalement de la tradition apostolique,
et du consensus des églises, pour qu’on connaisse, quand se pose une
question, quelle est l’opinion de toute l’Église, et quelle tradition
les églises du Christ conservent. Il n’existe donc
rien de mieux que de réunir les évêques de toutes les provinces, pour
que chacun rapporte quelle est la tradition de son église.
De plus, les conciles sont très utiles, et très nécessaires pour imposer
une fin aux controverses, et pour qu’on ne fasse pas que composer
des décrets, mais pour qu’on voie à ce qu’ils soient observés.
Car, au cours d’un concile général, tous les évêques souscrivent,
et s’engagent à faire observer ce décret, et à le prêcher dans leurs
églises respectives. Sans concile général, il n’est pas
aussi facile de porter à la connaissance de tous un décret sur la foi.
Car, quelques-uns prétexteront l’ignorance du décret, d’autres se
plaindront de ne pas avoir été invités, d’autres diront ouvertement
que le pontife a pu commettre une erreur. Mais on a déjà parlé
de ces choses ailleurs, livre 1 sur les conciles, chapitres 10 et 11.
Troisième raison. Si un jugement du pontife sur la foi était
infaillible, seraient hérétiques, ou seraient du moins convaincus d’une
erreur pernicieuse, et pêcheraient gravement ceux qui soutiendraient obstinément
quelque chose de contraire à la définition du pontife. Mais, cela
est faux, car Cyprien a tenu tête opiniâtrement au pontife Étienne,
quand il a défini que les hérétiques ne devaient pas être rebaptisés,
comme il appert de la lettre de Cyprien à Pompée. Mais, non seulement
il ne fut pas hérétique, mais il ne pêcha pas mortellement. Car,
les péchés mortels ne s’effacent que par la pénitence, même si quelqu’un
meurt pour la foi. Et cependant, l’Église compte Cyprien parmi
ses saints, bien qu’il semble qu’il n’ait jamais renoncé à
son erreur. On le confirme par saint Augustin (dans le livre 1 sur le baptême,
chapitre 18 et ailleurs), qui dit que les églises ont vacillé sur cette
question, et que Cyprien et les autres pouvaient, sans rompre le lien de
la charité, penser différemment tant qu’un concile général ne se
fût prononcé. Saint Augustin ne pensait donc pas que le jugement
du souverain pontife était infaillible.
Je réponds à cet exemple, que saint Cyprien ne fut pas un hérétique.
On ne peut pas le classer parmi les hérétiques manifestes qui affirment
que le pape peut se tromper, car, sans doute possible, le pape n’avait
pas défini ex cathedra que les hérétiques ne devaient pas être rebaptisés,
même s’il avait ordonné de ne pas les rebaptiser. Il n’a pas,
en effet, excommunié Cyprien et les autres qui pensaient le contraire.
Et même si, dans un concile d’évêques (80), Cyprien statua qu’il
fallait rebaptiser les hérétiques, il ne chercha pas en faire un article
de foi, affirmant en toutes lettres qu’il ne voulait pas, à cause de
cela, se séparer de ceux qui pensaient autrement. Ne répugne pas
à ce que je viens de dire ce qu’écrivent Eusèbe (livre 7, chapitre
4, histoire ecclésiastique) et saint Augustin (le livre sur l’unique
baptême, chapitre 14) au sujet du pape Étienne. Il a ordonné non
seulement que ceux qui avaient été baptisés par les hérétiques ne
soient pas rebaptisés, mais il a pensé qu’il devrait excommunier ceux
qui n’obéiraient pas. Mais même s’il eut l’intention d’excommunier
ceux qui n’obéiraient pas, il n’est pas allé plus loin que la menace.
Car, on apprend, par le texte de saint Augustin cité plus haut, qu’Étienne
et Cyprien ont toujours été en bons termes. Ce qui nous permet
aussi de répondre à la confirmation. Car, même après la définition
du pontife, il fut loisible de penser autrement, comme le dit saint Augustin,
car le pontife ne voulut pas, sans un concile général, en faire un article
de foi. Tout ce qu’il voulait, c’était, entretemps, conserver
l’antique coutume.
Cyprien pêcha-t-il mortellement en n’obéissant pas au souverain
pontife ? Ce n’est pas du tout certain. D’un côté, il ne semble
pas avoir mortellement péché, car il ne pêcha que par ignorance.
Il pensa, en effet, que le pontife avait pernicieusement erré, et, tant
qu’il demeurait dans cette opinion, il était tenu de ne pas lui obéir,
parce qu’il ne devait pas agir contre sa conscience. L’ignorance
de saint Cyprien ne semble pas avoir été crasse, ni volontaire, mais
probable, et donc excusant d’un péché mortel. Car, il savait
que le pontife n’en avait pas fait une définition de foi, et il constatait
que les évêques d’Afrique étaient de son avis. C’est pourquoi
saint Augustin, (livre 1, chapitre 18, contre Donat), enseigne clairement
que saint Cyprien n’a péché que véniellement, qu’il a maintenu
le lien de la charité, et qu’il a été purifié de cette faute par
le glaive du martyre. Et, au chapitre 19, il dit que ce péché fut,
dans la blancheur de son âme, une tache que recouvraient les
fruits de sa charité.
Mais, d’un autre côté, il semble avoir mortellement péché
quand il n’a pas obéi à un ordre explicite du pontife suprême,
et quand il dénigra sans modération la juste décision du pontife.
Car, même si le pape Étienne n’avait pas défini cela de foi, il avait
ordonné expressément de ne pas rebaptiser les hérétiques, comme Cyprien
lui-même le reconnait dans sa lettre à Pompée. Cyprien devait
obéir à ce commandement, et soumettre son jugement au jugement de son
supérieur. Il devait à tout le moins s’interdire d’employer
des mots méprisants, scabreux, du genre de ceux qu’il emploie
dans cette lettre, le traitant d’orgueilleux, de dictateur, d’esprit
aveugle et fruste. C’est pourquoi saint Augustin, dans sa lettre
48 à Vincent, entreprend de défendre saint Cyprien autrement, prétendant
que ces écrits n’étaient pas de lui, ou qu’ils avaient été interpolés;
que saint Cyprien avait changé d’idée avant sa mort, même si on ne
trouve aucune rétractation de sa part.
La quatrième raison. Le concile africain, dans sa lettre à
Célestin, soutient qu’un concile provincial a moins de chance d’errer
dans ses jugements qu’un pape. Ne dit-il pas : « À moins que
quelqu’un pense que notre Dieu puisse, à n’importe qui, inspirer
des décisions justes, et dénier la même chose à un grand nombre de
prêtres réunis en concile. » Or, il est certain que les conciles provinciaux
peuvent errer. Le pape le peut donc encore plus. Je réponds
que le concile ne parle pas du jugement de la foi, mais du jugement d’un
fait, c’est-à-dires des causes de prêtres et d’évêques accusés
de quelques crimes. Dans ce genre de causes, nous reconnaissons que
le pontife suprême n’a pas cette assistance du Saint-Esprit qui l’empêche
d’errer. Ajoutons que nous ne sommes pas obligés de croire
tout ce que ces évêques disent dans leur lettre. Surtout, parce
qu’il apparait assez clairement qu’ayant été mis dans tous leurs
états par les crimes d’Apiarius, qui s’était réfugié auprès du
souverain pontife, ils ont forcé un peu la note. Ne s’oppose pas
à ce que nous disons le fait que ce concile ait été approuvé par le
pape Léon 1V (dist. 20, canon des libelles), car ce que le pape
a confirmé ce sont les décrets, non les lettres.
La dernière raison est celle de Nil (dans son libelle sur la
primauté du pape), qui raisonne ainsi. « Puisque le pape
peut tomber dans des vices comme l’avarice et l’orgueil, il peut donc
tomber aussi dans celui d’hérésie. Car, saint Paul (1 Tim 1)
dit que certains ont fait naufrage dans la foi, parce qu’ils avaient,
avant, perdu la bonne conscience. Le pape, peut, de même, en vivant
mal, renier Dieu par les faits, selon ce texte de saint Paul (Tite 1) :
« Ils confessent connaitre Dieu, mais ils le nient par les faits.
» Le pape peut donc nier aussi dans les mots, car il semble plus
facile de nier en parole qu’en actes ». Je réponds au premier
argument qu’on pourrait vraisemblablement conclure que le pape, de par
sa nature, peut tomber en hérésie, si on ne tenait pas compte de l’assistance
divine particulière que le Christ lui a obtenue par sa prière.
Car, le Christ a prié pour qu’il n’erre pas dans la foi, non pour
qu’il ne tombe pas dans d’autres vices. Je dis au suivant que,
en ce passage, saint Paul n’entend pas n’importe laquelle mauvaise
œuvre, mais des œuvres qui mènent à l’infidélité du cœur.
Car, il parle des Juifs qui ne se sont pas sincèrement convertis à la
foi, qui, professant connaitre Dieu, le renient en acte.
Car en interdisant certains aliments comme impurs par nature, ils
attestent qu’ils ne connaissent pas vraiment le Créateur de toutes choses.
Mais des actions de ce genre le pape ne les fait pas, ni ne peut
les faire. Si par faits on entend des péchés, il est faux
que celui qui nie en paroles nie explicitement et absolument, et que celui
qui nie en actes nie implicitement et relativement.
CHAPITRE 8
Les erreurs faussement attribuées aux pontifes romains Pierre,
Lin, Anaclet, Télesphore, Victor, Zéphirin, Urbain, Pontien, Corneille
et Marcellin, qui furent non seulement papes, mais aussi martyrs.
Venons-en maintenant à chacun de ces pontifes que nos adversaires
accusent d’erreur. Nil écrit (dans son livre sur la primauté
du pape) que saint Pierre a erré dans la foi, non une seule fois
seulement, mais deux fois. Et il pense pouvoir se servir de cet exemple
illustre pour démontrer que les souverains pontifes ont erré dans
la foi. Aucun pontife romain n’a reçu de Dieu des privilèges plus grands
que ceux que Pierre a reçus, disent-ils. Pourtant, l’Écriture
nous montre que Pierre a erré deux fois. Car, il a renié le Christ
(Matt 26) et a forcé les Gentils à judaïser (Galates 2).
Les magdebourgeois (centurie 2, livre 2, chapitre 10, col 558, 559, 560),
ajoutent à ces deux erreurs, treize autres chutes de Pierre, dont nous
avons parlé plus haut au livre 1, chapitre 28. Je réponds que quand
il renia le Christ, Pierre n’avait pas encore commencé à être pontife
suprême. Il appert, en effet, que c’est après la résurrection,
que la principauté ecclésiastique lui a été donnée par le Christ,
quand il lui a dit : « Simon fils de Jean, pais mes brebis ! »
Ce reniement de Pierre ne doit donc pas être énuméré parmi les
errements des pontifes romains. J’ajoute, de plus, que c’est de bouche
seulement que Pierre a renié le Christ, non de cœur. Voilà pourquoi
il n’a perdu que la confession de la foi, non la foi elle-même, comme
nous l’avons montré plus haut au chapitre 3.
Qu’il soit arrivé parfois à saint Pierre de forcer les Gentils
à judaïser, ce ne fut pas une erreur de prédication, mais de conduite,
comme Tertullien l’explique (dans son livre de la prescription des hérétiques).
Car, saint Pierre n’a jamais, par décret, statué qu’il fallait judaïser,
mais il enseigna plutôt le contraire (actes 15). Mais que, à Antioche,
pour ne pas offenser les Juifs récemment convertis à la foi, il ait quitté
la table des Gentils, et que son exemple est entraîné Barnabé à judaïser,
nous ne le nions pas. Nous ne nions pas, en effet, que les
pontifes puissent, par leur exemple, devenir une occasion de péché.
Ce que nous nions, par contre, c’est qu’ils puissent prescrire,
ex cathedra, cette erreur à toute l’Église. Nous ne nions pas, non
plus, que les actions des pontifes puissent être aussi pernicieuses pour
l’Église que leur doctrine, selon la parole du Seigneur : « Faites
ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ». Voir
ce que nous avons écrit plus haut là-dessus (livre 1, chapitre 28).
Le second pape est Lin, qui a été le premier à succéder à
Pierre. Les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 10, col
627) se moquent de lui parce qu’il a ordonné que les femmes n’entrent
pas dans l’église sans avoir la tête recouverte d’un voile. Voici
leurs propres paroles : « Il a ordonné (soin bien digne d’un évêque,
à la vérité) que la femme n’entre pas dans l’église sans porter
de voile sur la tête » Mais si Lin avait ajouté qu’il fallait
le faire à cause des anges, n’auraient-ils pas crié à la superstition
? Je pense que les centuriates ont oublié que saint Paul n’a pas
jugé indigne de sa charge pastorale de commander aux femmes (1 Cor 11)
d’entrer dans l’église la tête voilée, à cause des anges.
Saint Ambroise explique que c’est par respect envers les prêtres, qui,
dans les Écritures, sont appelés anges. Le troisième est
Anaclet. Les magdebourgeois (dans la même centurie, livre
2, chapitre 20, colonne 628) lui reprochent d’avoir construit et orné
un mémorial de saint Pierre, qui avait tellement démérité de l’église
qu’il méritait que sa mémoire disparaisse à tout jamais. Mais
s’il faut reprocher à Anaclet d’avoir construit un mausolée pour
y placer les ossements de saint Pierre, quel péché n’a-t-il pas commis
le grand Constantin quand il honora la mémoire de saint Pierre par une
somptueuse basilique, et par tant de dons en or et argent ? Mais
les hommes pieux ont toujours jugé ces choses autrement que ne les jugent
les adversaires. Caius, un écrivain très noble et proche des temps
apostoliques (comme le rapporte Eusèbe, livre 2, chapitre 25 de son histoire
ecclésiastique traduite par Ruffin) appelle les sépulcres de saint Pierre
et de saint Paul les trophées des apôtres, qui, comme des colonnes très
solides, soutiennent l’église romaine.
Saint Jean Chrysostome (dans sa dernière homélie sur l’épitre
aux Romains) affirme être habité d’un grand désir de venir à Rome
pour venir se prosterner devant les tombeaux de saint Pierre et de saint
Paul. Et écoute, je te prie, de quel ton il parle de Rome, des corps
et des sépulcres des apôtres : « À la façon d’un corps grand et
en bonne santé, Rome a deux yeux, c’est-à-dire les corps de deux saints
illustres. Quand il projette hors de lui ses rayons lumineux,
le ciel ne resplendit pas autant que quand la cité de Rome répand la
lumière de ces lampes sur toute la terre. » Et plus bas : « De quelles
couronnes la ville de Rome n’est-elle pas ornée par ces deux apôtres
? De quelles chaînes dorées n’est-elle pas ceinte ? Quelles fontaines
n’a-t-elle pas? Je célèbre cette ville non à cause de
la masse de son or, non à cause de ses colonnes de marbre, ni pour
d’autres motifs de ce genre, mais à cause des colonnes de l’Église.
Qui me donnera de me tenir autour du corps de Paul, de m’établir près
de son sépulcre, de voir la poussière de son corps? » Et plus bas :
« C’est ce corps, et celui de saint Pierre, qui fortifie la ville,
qui la met plus en sécurité que toutes les murailles et les tours.
Car, elle l’honora de son vivant. Elle disait : descends voir Pierre
! » Theodoret, dans son épitre à Léon, loue Rome pour beaucoup
de choses, mais surtout à cause des tombeaux des apôtres qui, selon ses
propres paroles, illuminent les âmes des fidèles. J’omets beaucoup
d’autres témoignages que je pourrais ajouter. Car, nous traiterons formellement
de ce sujet quand nous parlerons des reliques des saints.
Le quatrième est Télesphore, qui fut le neuvième successeur
de Pierre, et qui termina sa vie par un glorieux martyre, au témoignage
de saint Irénée (livre 3, chapitre 3). Voici quelle est l’accusation
des magdebourgeois (centurie 2, chapitre 10, colonne 212) : « Il a, d’abord,
commandé que, pendant les sept semaines qui précèdent Pâque, on s’abstienne
de viande, ce qui est contraire à l’Écriture : « Que personne ne vous
condamne à cause de la boisson ou de la nourriture. » Il a ensuite
multiplié les messes, augmenté le nombre des rites, et fixé des
dates, alors que l’institution de la cène du Seigneur ne comporte aucun
nombre, aucune cérémonie, aucune date. Il a, de plus, placé
la dignité et la sainteté des clercs beaucoup trop au-dessus du peuple
de Dieu, comme s’il n’était pas écrit : « Vous êtes tous une seule
et même chose dans le Christ Jésus. » De plus, il n a pas voulu
qu’on soupçonne de péché les prêtres, ni qu’on les accuse.
Et il a appelé cette loi un mur très ferme de son ordre, construit
par lui et par les pères contre les persécuteurs. »
Voilà donc quelles sont les erreurs de Télesphore. Elles
sont considérées comme des erreurs par les centuriates, parce qu’elles
dérogent aux règles établies par Luther. Mais si nous portions
un jugement inspiré par la justice, ne devrions-nous pas plutôt dire
que ce sont les dogmes de Luther (qui ne supportent ni distinction entre
les aliments, ni messes, ni supériorité du prêtre sur le fidèle)
qui sont erronés, parce qu’ils dérogent aux règles de Télesphore
? Car, Télesphore est un saint martyr, proche du temps des apôtres,
et qui a pu même parler avec Pierre et Jean. N’est-il pas raisonnable
de penser qu’il ait mieux connu la doctrine du Christ que Luther qui
n’a pas été martyr, et qui a vécu 1500 ans après les apôtres ?
Surtout que les raisons avancées par les centuriates sont puériles, et
ont été cent fois réfutées. La citation qu’ils font de
saint Paul (« que personne ne vous condamne à cause de la boisson ou
de la nourriture ») ne s’oppose pas à l’abstinence de la viande qui
se pratique pendant un certain temps pour dompter l’impétuosité de
la chair, mais à l’abstinence judaïque qui ne mangeait jamais certains
aliments parce que l’ancienne loi les déclarait impurs. Il répète,
en effet, la même chose aux Colossiens 2 : « Que personne ne vous blâme
pour la nourriture ou le breuvage, pour une participation à un jour de
fête, pour des néoménies ou des sabbats, qui sont des ombres des choses
futures. » Ce qu’ils ajoutent (« que la cène du Seigneur n’a
pas été instituée en vue d’un nombre, un rite ou un temps »), nous
ne le contestons pas. Mais que conclure de là ? Télesphore
a-t-il erré parce qu’il a voulu que, au jour de Noël, trois messes
soient célébrées ? Car, même si la cène n’a pas été instituée
en vue d’un chiffre, d’un rite ou d’un temps, il a quand même fallu,
pour célébrer correctement la cène du Seigneur, déterminer des rites
et un temps, à moins qu’on soit d’avis que l’ordre convenait
moins à ce sacrement que le désordre.
L’autre citation qu’ils font de l’apôtre (« vous êtes
tous dans le Christ une seule et même chose ») ne prouve pas que les
clercs ne sont pas plus dignes que les laïcs. Car, la façon dont
nous sommes tous une seule et même chose dans le Christ saint Paul l’explique
dans Romains 12, et 1 Corinthiens 12, où il dit que nous formons tous
un seul corps, et que là où il y a différents membres, (les yeux, les
mains et les pieds), les uns sont plus nobles et plus dignes que d’autres.
Le cinquième est le pape Victor, quinzième successeur de saint Pierre.
Il a été autrefois entaché d’infamie par les hérétiques qui l’accusaient
d’avoir enseigné que le Christ était un pur homme, comme le rapporte
Eusèbe (livre 5, chapitre 28 de son histoire ecclésiastique). Mais
que cette accusation ait été fausse, le même Eusèbe le prouve en déclarant
que c’est précisément ce pape qui a condamné le promoteur de cette
hérésie, Theodote. Le sixième, Zéphyrin, le successeur
de Victor, semble avoir approuvé l’hérésie de Montan. Car, Tertullien
(livre contre Prax) écrit que le pontife romain a reconnu les prophéties
de Montan, et que par cette reconnaissance, la paix a été apportée aux
églises d’Asie et de Phrygie; mais que Praxeas l’aurait persuadé
de révoquer les lettres de paix qu’il avait déjà envoyées.
Tous les historiens sont d’accord pour écrire qu’en ce temps Zéphyrin
était évêque de Rome. Voilà pourquoi Rhenanus, dans son annotation
du livre de Tertullien, a mis en marge évêque romain montanissant.
On ne peut pas dire, non plus, qu’en ce temps, l’hérésie de
Montan n’avait pas encore été condamnée, car, comme le dit le même
Tertullien : Praxeas persuada le pontife de révoquer les lettres de paix,
pour cette raison principalement qu’elle avait déjà été condamnée
par ses successeurs.
Je réponds qu’on ne peut pas accepter tout ce que dit
Tertullien dans la période où il était lui-même montaniste. Il
est pensable, toutefois, que le pape Zéphyrin ait été persuadé par
les montanistes que la doctrine de Montan n’était pas différente de
celle de l’église romaine, et que, en conséquence, il ait voulu rétablir
la paix qui avait été perdue pendant le règne de ses successeurs. Non
parce qu’il aurait approuvé l’erreur que ces prédécesseurs avaient
condamnée, mais parce qu’il aurait pensé que c’était faussement
qu’avait été accusé Montan de ces erreurs. Cela
n’est pas errer dans la foi, ni « montaniser », selon le mensonge de
Rhenan, mais commettre une erreur sur la personne, ce qui est arrivé
aussi à plusieurs saints. Ruffin n’écrit-il pas qu’Arius
avait persuadé l’empereur Constantin qu’il était catholique, et qu’il
avait formulé une profession de foi avec tant de fourberie et de finauderie,
qu’il paraissait catholique aux catholiques, et arien aux ariens.
Et Léon (épitre 86 à l’évêque de Nicée) avertit cet évêque d’obliger
les pélagiens qui retournaient à l’église à abjurer l’hérésie
par les paroles les plus claires, parce que quelques-uns avaient coutume
de tromper l’église en rédigeant une profession de façon à paraître
catholiques, sans l’être vraiment. Il semble que ce soit ce qui
est arrivé à ce pontife.
Le septième, Urbain, dix-huitième successeur de Pierre.
Voici ce que les centuriates lui reprochent (centuriate 3, chapitre 10,
col 277) : « Il a institué la confirmation après le baptême, mais il
a blasphémé en disant que, par l’imposition des mains de l’évêque,
on recevait le Saint-Esprit, et on devenait pleinement chrétien. »
Ils reprochent cette erreur aussi au pape Corneille. Ils mentent,
d’abord, quand ils prétendent que c’est par le pape Urbain qu’a
été instituée la confirmation. Car cet usage se trouve déjà
dans les actes des apôtres (8 et 19) où l’on voit les apôtres imposer
leurs mains aux fidèles pour qu’ils reçoivent l’Esprit Saint.
Et, de plus, Tertullien, qui est bien plus ancien qu’Urbain et que Corneille,
se souvient de la confirmation en plusieurs endroits. Dans
le livre sur la résurrection : « La chair est lavée pour que l’âme
devienne sans tache; la chair est ointe pour que l’âme soit consacrée.
» Et, dans le livre de la prescription, parlant du diable qui imite
notre baptême et notre confirmation, il dit : « Il mouille lui aussi
ses croyants et ses fidèles, et met un signe sur le front de ses soldats.
» Et dans son livre sur le baptême : « Et puis, après être sortis
de l’eau baptismale, nous sommes oints par l’onction bénite. »
Et un peu plus loin : « Ensuite, on impose les mains, invoquant et invitant
l’Esprit Saint par la bénédiction. » Ne vois-tu pas, chez
Tertullien, l’onction, le signe sur le front, l’imposition des mains,
la venue du Saint-Esprit ? Qu’est-ce qu’Urbain aurait-donc pu
instituer ? Il est clair que Tertullien a vécu avant Urbain, car il vécut
au temps de Sévère et de son fils Antonin, comme les magdebourgeois l’ont
appris de saint Jérôme (centurie 3, chapitre 10, col 277). Et que
dire de ce que, au lieu cité, les centuriates eux-mêmes énumèrent,
parmi les taches de Tertullien, le fait d’avoir considéré comme nécessaires
l’onction après le baptême, et le signe de la croix ? Comment
acceuillerons-nous ces accusations contradictoires ? Comment Urbain
aurait-il pu instituer ce que les centuriates blâment en Tertullien ?
Ensuite, ce qu’ajoutent les centuriates, à savoir qu’Urbain
a blasphémé quand il a dit qu’on reçoit l’Esprit Saint, et qu’on
devient pleinement chrétien par l’imposition des mains de l’évêque,
ne requiert aucune réfutation, puisqu’ils ne présentent aucune preuve
du contraire. Surtout parce que Corneille lui-même dit la même chose,
comme ils le reconnaissent eux-mêmes, ainsi que Cyprien (livre 1, épitre
12), Cyrille (catéchèse 1, mystagog), saint Augustin (épitre à Jean,
traité 6), et d’autres pères. Le neuvième est Pontin,
le successeur d’Urbain. Les centuriates (centurie 3, chapitre 10,
col 27) lui reprochent d’avoir écrit que les prêtres font, de leur
propre bouche, le corps du Christ, le distribuent au peuple, et que,
par les prêtres, Dieu accepte les hosties des autres, qu’il pardonne
leurs péchés, et se réconcilie avec eux. Les centuriates qualifient
de blasphématoire cette doctrine, mais ils ne nous expliquent pas en quoi
et pourquoi elle l’est. Qu’ils ne se scandalisent donc
pas si nous préférons croire à un saint et à un martyr, et à ce qui
a été institué par les successeurs des apôtres, plutôt qu’à Luther.
Surtout quand nous lisons la même chose dans les écrits de tous les pères.
Car, saint Jérôme a écrit (dans sa lettre à Héliode) : « Loin de
moi la pensée de parler en mal de ceux qui ont succédé aux apôtres,
qui, de leur bouche sacrée, font le corps du Christ, par lesquels nous
sommes chrétiens nous aussi, qui, ayant les clefs du royaume des cieux,
jugent, pour ainsi dire, avant le jour du jugement. » Et écoute
saint Augustin dans son épitre 122 à Victor, où il dit des femmes
captives des barbares : « Prie Dieu pour elles, et demande-lui qu’il
leur enseigne à dire ce que Azarias a demandé, entre autre choses,
dans sa prière, quand il fit sa confession à Dieu. Car, étant
dans une terre de captivité, elles sont comme ceux qui étaient dans un
pays où ils ne pouvaient pas offrir de sacrifices au Seigneur selon les
prescriptions de Moïse. Elles non plus, elles ne peuvent pas présenter
d’oblation à l’autel du Seigneur, ni trouver un prêtre par qui elles
pourraient l’offrir à Dieu. »
Écoute saint Jean Chrysostome (livre 3 sur le sacerdoce) : «
Il était permis aux seuls prêtres des Juifs de purger la lèpre du corps,
ou pour parler plus justement, non de la purger, mais de montrer qu’elle
avait été purgée. Mais, à nos prêtres il n’a pas été accordé
de reconnaitre officiellement que les souillures de l’âme ont été
purgées, mais de les purger. » Ce que Pontien enseigne au sujet
du corps du Christ que consacrent les prêtres, des hosties des autres
reçues par Dieu, de la rémission aux hommes de leurs péchés, tout cela
a été enseigné par les plus grands docteurs de l’antiquité, saint
Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, et tous les autres, que
j’omets pour faire bref. Le neuvième est Corneille.
Les magdebourgeois (centurie 3, chapitre 6, col 145; et chapitre
7, colonne 165) affirment qu’il a enseigné que, dans le calice du Seigneur,
il ne fallait offrir que de l’eau. Ce qui est, disent-ils, une
grave erreur commise contre l’évangile. La seule preuve qu’ils
en donnent ils la tirent d’un livre de Cyprien (livre 2, épitre 3 à
Corneille) où il argumente contre cette erreur. Mais, cette erreur,
saint Cyprien ne l’attribue pas au pape Corneille, mais à ceux dont
il parle. De plus, cette épitre n’est pas adressée à un certain
Corneille, mais à un évêque africain du nom de Cécile, comme nous le
lisons dans tous les exemplaires. Mais les magdebourgeois avaient
peut-être bu un peu plus que d’habitude, et avec leurs yeux tremblotants
et clignotants, ils ont pris un nom pour un autre. Ajoutons
que le pape Alexandre, le successeur de Corneille, avait déjà décrété
de ne rien offrir d’autre dans le calice du Seigneur que du vin mêlé
à de l’eau. S’ils font des reproches à d’autres à cause
de cette lettre, pourquoi ne s’en font-ils pas à eux-mêmes ? Car, saint
Cyprien, dans cette lettre, appelle souvent l’eucharistie un sacrifice;
et il enseigne explicitement qu’on ne peut pas offrir seulement du vin
ou de l’eau, mais du vin mêlé à de l’eau. Or, les luthériens
nient obstinément que l’eucharistie soit un sacrifice, et ils pensent
que, dans le calice, on ne doit consacrer que du vin sans eau.
Le dixième est Marcellin, qui a sacrifié aux idoles, comme
l’attestent le pontife Damase, le concile de sinuess (?), et une lettre
de Nicolas 1 à l’empereur Michel. Mais, Marcellin n’a jamais
enseigné quoi que ce soit contre la foi; il n’a jamais été hérétique,
ni infidèle, si ce n’est pas un acte extérieur, inspiré par la peur
de la mort. Est-ce que, par cet acte extérieur, il avait
déchu de son pontificat, oui ou non, cela importe peu, parce qu’il a
abdiqué ensuite, et a reçu peu après, la couronne du martyre.
Je croirais plutôt qu’il n’avait pas déchu de son pontificat, parce
qu’il est assez évident pour tous qu’il n’a sacrifié que par peur
de la mort. Ajoutons que saint Augustin (dans son livre sur l’unique
baptême contre Petilien), dit que Marcellin est innocent, et qu’aucun
ancien historien ne se souvient de sa chute.
2017 12 12 17h13 fin
2017 12 16 20h26 début
CHAPITRE 9 : Des objections qu’on fait aux papes Libère et Félix
II
Le onzième pape qu’on taxe d’erreur est Libère, même si les magdebourgeois
(centurie 4, chapitre col 1284) n’ont pas osé parler en mal de lui.
Cependant, un certain Tilmann Heshushius (livre 1, chapitre 9. Eccl) a
la témérité d’affirmer qu’il a été infecté de l’hérésie arienne.
Il est vrai qu’il peut revendiquer de graves auteurs qui sont de son
sentiment. Saint Athanase (dans une épitre à un solitaire), saint
Jérôme (dans sa chronique, et dans le catalogue écrit contre Fortunatien)
et Damase dans la vie de Libère. Je réponds que, au sujet du pape Libère,
deux choses sont certaines. La première. Depuis le début
de son pontificat jusqu’à son exil, qui lui a été infligé
pour la foi catholique, il fut un ardent défenseur de la religion catholique.
C’est ce qu’attestent tous les écrivains qui parlent de cette époque,
comme Ammianus Marcellinus (livre 15 de son histoire), Athanase (dans
ses deux apologies), Ruffin (livre 10, chapitre 22 de son histoire), Sulpitius
(livre 2 de son histoire sacrée), Socrate, livre 2, chapitre 29
de son histoire), Sozomène (livre 4, chapitre 10), Theodoret (livre
2, chapitres 16 et 17). Nicéphore (livre 9, chapitres 35, 36, 37)
»
La deuxième. Après son retour de l’exil, il fut toujours
orthodoxe et pieux. Car, comme l’écrit Socrate ( livre 4, chapitre
11), après être revenu d’exil, Libère ne voulut pas recevoir les macédoniens
dans l’Église, à moins qu’ils ne détestent publiquement leur hérésie.
De plus, après sa mort, il a toujours été considéré comme un saint,
comme ont l’apprend des paroles de saint Ambroise (livre 3 sur
la virginité, au début) : « Il est temps, ma sœur, d’accomplir les
saints préceptes de Libère de bienheureuse mémoire, pour que, plus il
a été saint, plus grande soit l’action de grâce. » Des paroles aussi
d’Épiphane (hérésie 15) : « Eustathius envoyait au bienheureux évêque
de Rome, Libère, un légat accompagné de plusieurs évêques. »
Et saint Basile (lettre 74, aux évêques occidentaux) : « Des choses
lui ont été proposées par le très bienheureux Libère. » Et
Siricius, qui fut le troisième successeur de Libère, dans une lettre
à Hyméric appelle Libére « son prédécesseur de vénérable
mémoire ». Je demande donc : comment ces pères auraient-ils
pu appeler très bienheureux ce Libère déjà mort, s’il était
mort dans l’hérésie ?
Il reste un seul doute, la période médiane. Pour
pouvoir retourner de l’exil, a-t-il fait quelque chose contraire à la
foi ? Sulpice, Socrate, Sozomène et Nicéphore , dans les lieux
cités, indiquent que Libère fut toujours le même homme, et que la constance
de sa foi n’a jamais fléchi. Athanase et Jérôme (lieux cités)
disent que, las de l’exil qui lui avait été infligé, il alla jusqu’à
souscrire à l’hérésie. On peut ajouter à ces paroles
celles de saint Hilaire, qui, dans son livre contre Constance, parle ainsi
: « Tu as tourné ta guerre jusqu’à Rome, tu y as arraché son évêque,
et, homme misérable, je ne sais pas si tu as manifesté plus d’impiété
en l’exilant qu’en le relâchant. » Ruffin (livre livre 10, chapitre
27) affirme ne pas savoir avec certitude si Libère a réellement souscrit.
De ces deux opinions, la deuxième nous parait plus vraie. Car,
Athanase, Hilaire et Jérôme sont des auteurs plus anciens, et plus sérieux
que les autres; et ils ne font pas le récit d’une chose douteuse, mais
certaine. De plus, j’ai lu, à la bibliothèque du Vatican, des
lettres de Libère écrites par lui-même, qui s’adressaient en partie
à l’empereur, en partie aux évêques orientaux, dans lesquelles il
laisse entendre assez clairement qu’il a voulu, à la fin, acquiescer
à la volonté de l’empereur. Devant ces preuves, si nous n’admettons
pas que Libère, pendant un certain temps, a manqué à la constance dans
la foi, nous serons forcés d’exclure du nombre des évêques Félix
11, qui exerça le pontificat du vivant de Libère, alors que l’Église
vénère ce même Félix comme pape et martyr. De plus, Sozomène (livre
4, chapitre 14 de son histoire), et Nicéphore (livre 9, chapitre 37),
sous entendent quelque chose de plus sérieux. Au concile de Sirmiensis,
il aurait eu une rencontre au sommet avec les ariens Valence et Ursace
et c’est après avoir fait la paix avec eux qu’il aurait retrouvé
son siège. Mais quoi qu’il en soit de tout cela, Libère n’a jamais
enseigné d’hérésie, et ne fut jamais hérétique. Il ne pécha (s’il
a vraiment péché) que par un acte externe, comme Marcellin, et, me semble-t-il,
moins que Marcellin.
Qu’il ne fut jamais un hérétique, saint Athanase l’enseigne
quand il dit (au lieu cité) que c’est malgré lui et forcé par la férocité
des tourments qu’il aurait agi ainsi; qu’il ne faut pas tenir compte
des paroles que les menaces ou la terreur ont pu lui arracher, mais plutôt
de l’enseignement qu’il a donné quand il était libre de dire ce qu’il
pensait. Car, d’après ce qu’on peut comprendre des paroles d’Athanase
et des lettres de Libère, il aurait fait deux fautes. Il aurait souscrit
à la condamnation d’Athanase, et il aurait communié avec les hérétiques.
Dans aucune de ces fautes il n’a expressément violé la foi. Car, même
si les hérétiques persécutaient Athanase pour des motifs de foi, ils
ne l’accusaient pas de fautes contre la foi, mais de crimes contre les
mœurs. On peut dire aussi qu’il a communié avec les hérétiques parce
qu’ils feignaient d’être chrétiens. Car, dans ses lettres, il explique
qu’il a communié avec des évêques orientaux parce qu’il avait trouvé
que leur foi concordait avec celle des catholiques et était étrangère
à l’hérésie arienne. De plus, Sozomène (livre 4, chapitre 14),
et Nicéphore (livre 9, chapitre 37) racontent que, dans cette paix que
Libère fit avec les évêques orientaux, on n’a demandé rien d’autre
à Libère que de souscrire à la confession de Sirmiensis contre Photin,
et à la confession d’Antioche éditée dans les Encénies. Ces confessions,
même si elles n’ont pas le mot consubstantiel, sont tout à fait
catholiques, et saint Hilaire, dans son livre sur les synodes, les considère
comme telles.
Mais, dira quelqu’un, s’il en est vraiment ainsi, comment
un saint Jérôme et un Fortunatien ont-ils pu entacher la mémoire de
Libère du nom d’hérétique ? Je réponds que Libère n’a pas formellement
et expressément consenti à l’hérésie, mais a posé un geste
qui pouvait être interprété dans ce sens. Car, il permit qu’Athanase
soit condamné, alors qu’il savait fort bien qu’il était persécuté
pour la foi; et il communia avec Valence et Ursace qui se disaient
catholiques, mais qu’il savait être des hérétiques. C’est
ce que saint Jérôme voulait dire.
Le douzième qui est accusé d’avoir erré dans la foi par
les hérétiques est Félix 11. Tilmannus Heshushius (livre 1, chapitre
9, eccl) déclare qu’il a été hérétique, en s’appuyant sur un texte
de saint Jérôme qui (dans son catalogue scripturaire contre Acacius)
a écrit : « Acacius, qui, parce qu’il était borgne, avait pour surnom
monophthalmon, était évêque de l’église de Césarée en Palestine…Félix
fut si célèbre, au temps de l’empereur Constantin, que, à la
place de Libère, il fut institué évêque arien de Rome. » Mais
nous répondons que Félix ne fut jamais arien, même s’il a parfois
communié avec des ariens, quand il n’était pas encore pape. Ensuite,
quand il a commencé à être un vrai pape, il a non seulement combattu
publiquement les ariens, mais a reçu la couronne du martyre par la persécution
des ariens. Il faut donc expliquer le plus brièvement
possible toute cette histoire des pontificats de Libère et de Félix,
et par quelle providence du Dieu admirable, la foi a été conservée dans
le siège apostolique.
Après que Libère eut été exilé pour sa fidélité à la
foi catholique, le clergé romain jura de n’admettre aucun autre pontife,
du vivant de Libère. C’est ce que rapporte saint Jérôme (dans
sa chronique), en changeant certains mots. Car ces mots « après
l’exil duquel, tous les clercs jurèrent etc », qui sont assignés à
l’année 351, auraient du être placés après ces paroles : « Libère,
évêque des romains, est envoyé en exil », qui sont assignées à l’année
361. C’est donc sous l’influence des ariens, et surtout
de l’évêque de Césarée, Acace, que le diacre romain Félix
est créé évêque à la place de Libère, lequel Félix, en reconnaissance
de cette faveur, communiait avec eux, même s’il n’était pas arien.
C’est ainsi que l’écrit Ruffin (livre 10, chapitre 22 de son histoire
ecclésiastique) : « À la place du pape exilé, le diacre romain
Félix est substitué à Libère, lequel a été entaché non pas tant
par la profession d’une fausse foi, que par sa communion avec les hérétiques
dont il était redevable de son poste. » Et Theodoret
(livre 2, chapitre 17, de son histoire) : « Succéda à Libère un de
ses diacres orthodoxe, du nom de Félix, qui, même s’il conserva
intégralement la foi enseignée dans le concile de Nicée, communia librement
avec ceux qui travaillaient à la détruire. Et, pour cette raison,
tant qu’il fut là, aucun Romain ne voulut entrer dans l’église. »
Sozomène écrit la même chose (livre 4, chapitre 10 de son
histoire). Et saint Jérôme ne les contredit nullement, car
le mot arien semble avoir été ajouté, puisque les codex anciens ne l’ont
pas, comme l’a noté Marianus Victorius, ni la traduction en grec
de Sophronius. Et, ce dont je fais le plus grand cas, Freculphus
(livre 4, chapitre 8) et Adon de Vienne dans sa chronique, auteurs
récents, n’ont pas, eux non plus, le mot arien. De plus,
il n’est pas vraisemblable que saint Jérôme et Ruffin, deux contemporains,
aient pu, dans une histoire connue de tous, diverger au point où l’un
nie ce que l’autre affirme. Mais, à supposer même que Félix
ait été arien (ce qui jusqu’à présent n’a jamais été prouvé),
il n’aurait fait aucun tort au siège apostolique. Car, s’il avait
été schismatique, il n’aurait pas été un pape véritable et légitime,
puisque le vrai pontife était encore en vie. Voilà
pourquoi (comme nous l’avons entendu de la bouche Théodoret),
aucun catholique n’a voulu aller à l’église du vivant du pape Libère.
Puis, deux ans après, arriva la chute de Libère. C’est
alors que le clergé romain, après avoir enlevé à Libère la dignité
pontificale, se tourna vers Félix, qu’il savait être catholique.
Et, à partir de ce moment, il commença à être un vrai pontife.
Car, même si Libère n’était pas un hérétique, il était considéré
comme tel par le peuple à cause de la paix faite avec les ariens.
Et à cause de cette présomption, on a pu avoir de bonnes raisons de lui
dénier le pontificat. Car, les hommes ne sont pas tenus à
scruter les cœurs, et ils en sont manifestement incapables.
Celui qui, par ses actions externes, semblait être un hérétique a donc
été considéré comme un hérétique pur et simple, et condamné comme
tel. C’est ce qu’explique saint Jérôme dans sa chronique,
quand il dit que plusieurs clercs se parjurèrent, et se tournèrent
vers Félix. Il dit qu’ils s’étaient parjurés, parce qu’ils
n’avaient pas respecté le serment qu’ils avaient fait de ne
recevoir personne d’autre du vivant de Libère. De plus, Félix,
étant alors vrai pape, prit conscience du grand péril qui menaçait l’Église
et la foi. Sous l’inspiration du Dieu qui n’abandonne jamais
son église, non seulement il se retira de la communion d’avec les ariens,
mais il convoqua un concile, et déclara hérétiques l’empereur Constance,
les évêques Ursace et Valence, avec lesquels Libère avait fait la paix.
Et, pour cette raison, quand Libère revint dans la ville,
Félix fut éjecté par les ariens avec les siens, et il fut soit décapité
soit poignardé à mort, nous l’ignorons.
Qu’après la chute de Libère, Félix se soit conduit
comme un vrai pontife, et soit mort pour la foi catholique, nous le prouvons
par les arguments suivants. Le premier. C’est ce qu’atteste
Damase, ou quiconque est l’auteur de la vie de Félix. Saint Jérôme
semble dire la même chose, dans sa chronique, quand il écrit, au sujet
du clergé romain : « Après une année, ils ont été éjectés
avec Félix, parce qu’entra comme un vainqueur à Rome Libère
vaincu par la dureté de son exil, et souscrivant à une mauvaise entente
avec les hérétiques. » Ces paroles indiquent qu’une persécution
a été montée contre Félix par les ariens qui l’avaient appuyé.
Il s’ensuit donc que Félix a souffert la persécution pour la foi catholique.
En second lieu, tous les martyrologues anciens, et même plus récents
comme celui de Béde, d’Adon et d’Usuard, et tous les manuscrits placent,
au 4 des calendes d’août, la mémoire de saint Félix, pape et
martyr, qui a déclaré Constance hérétique. Ajoutons que saint
Grégoire le grand, autant dans son antiphonaire que dans son livre sur
les sacrements, place un office complet à être lu à la messe,
le 4 des calendes d’aout, le jour de la mort de saint Félix, pape et
martyr. Que ce Félix romain soit celui donc nous parlons c’est
ce qu’atteste Micrologus (libre d’observations ecclésiastiques, chapitre
43). Il dit que puisque l’église catholique, depuis mille ans,
vénère Félix comme pape et martyr, on ne doit pas l’exclure du nombre
des papes, même si on ne pouvait pas apporter d’autres raisons.
Troisièmement. Le pape Félix, l’ancêtre du pape saint Grégoire,
a été appelé Félix 1V par d’anciens écrivains, comme par Jean le
diacre (livre 1 de la vie de saint Grégoire, chapitre 1), et par Léon
Hostiensis (livre 1 de la chronique du mont Cassin, chapitre 1).
Il n’a pas pu être évêque du quatrième siècle sans être notre Félix.
Car, il n’y a eu que deux Félix, à part le nôtre, avant Félix
1V. C’est donc avant mille ans, que ce Félix a été mis
au nombre des pontifes. Les schismatiques ne marquent pas les chiffres.
Quatrièmement. Ce saint Félix devrait être inscrit dans le nouveau
martyrologue, car, en, 1582, on a trouvé, par hasard, sur un coffre en
marbre, dans la basilique de saint Côme et saint Damien, avec l’inscription
suivante en caractères antiques : « Ici git le corps de saint Félix,
pape et martyr, qui condamna l’hérétique Constance. » Cette
découverte se fit le 28 juillet, c’est-à-dire la veille du jour où
on avait coutume de célébrer la mémoire de ce même Félix. Ce qui n’est
pas arrivé sans une intervention spéciale de la providence.
Après la mort de saint Félix, Libère se réconcilia avec le clergé
romain, et devint un guide dans la foi catholique, comme nous l’avons
montré avec un extrait de Socrate dans la cause des macédoniens.
Et, par la suite, avec le consentement de tous, il commença à siéger
légitimement de nouveau, et exerça le ministère pontifical jusqu’à
sa mort. La raison pour laquelle, dans le catalogue des pontifes,
quelques-uns, parmi les anciens, ne placèrent pas Félix, comme l’expliquent
saint Augustin, dans la lettre 165, et Optatus, dans le livre 2,
c’est que toute la durée du temps du pontificat de Félix semble avoir
été incluse dans le temps du pontificat de Libère.
Le treizième est le pape Léon, que quelques-uns disent avoir succédé
à Félix11, et avoir été ouvertement un arien, et être mort de la même
mort qu’Arius, d’un éclatement de ses intestins pendant qu’il déféquait.
C’est ce que rapportent Vincent (livre 14, chapitre 23, dans son histoire)
et Conrad Halberstatensis (dans sa chronique) les magdebourgeois (cent
4, chapitre 10, dans la vie de Félix. Et ils ne croient pas que
cela soit improbable. Mais il est hors de tout doute que ce Léon
soit un pape fictif. Car, il appert que ce Léon premier est
celui qui siégea au temps du concile de Chaldécoine, c’est-à-dire
cent ans après le temps de Félix 11. Tous les auteurs (anciens
comme Jérôme, Augustin, Optatus, Theodoret, Ruffin, et récents comme
Sigebert, Marticus Polunus, Platina) font succéder Damase à Libère
et Félix. Cette fable est peut-être née de l’opinion qu’on
s’était faite de l’hérésie de Libère, et de la persécution qu’il
aurait intentée aux catholiques après l’expulsion de Félix.
C’est en suivant l’exemple de Léon, qu’il aurait commencé à sévir
contre les catholiques, comme ils l’enseignent faussement.
Certains hommes oisifs ont imaginé qu’un certain pontife romain arien
avait siégé après Félix 11. Mais il faut ranger ce récit parmi
les fables.
CHAPITRE 10
Siricius, Innocent et sept autres pontifes
Le quatorzième est Siricius. Jean Calvin (livre 4, chapitre
12, verset 24 de ses institutions) l’accuse d’avoir, dans son épitre
aux évêques d’Espagne appelé le mariage une pollution. Mais,
Calvin, à sa manière accoutumée, ment impudemment. Car, ce n’est
pas la véritable et légitime union conjugale qu’il appelle pollution,
mais l’union illicite de ceux qui, après avoir fait une pénitence publique,
reviennent à la même union pour laquelle ils avaient fait pénitence,
celle qui empêchait tout mariage légitime. Le quinzième
est Innocent 1. Les magdebourgeois (centurie 5, chapitre 10) dans
la vie de ce même Innocent, prétendent qu’il a gravement erré en déclarant
(épitre 2, chapitre 12) qu’une vierge consacrée qui se marie ou qui
fornique, ne soit pas reçue à la pénitence tant que vivra celui avec
qui elle a péché. Car, il semble inique qu’une femme pénitente
ne puisse pas recevoir l’absolution avant que ne meure celui qui l’a
séduite. Ils lui reprochent aussi ce qu’il a écrit (lettre 18)
à Alexandre d’Antioche, à savoir que le baptême des ariens était
ratifié, mais qu’il ne conférait pas l’Esprit Saint, parce qu’ils
s’étaient séparés de l’Église. Il semble là laisser entendre
que l’efficacité du sacré baptême dépende de la bonté du ministre,
ce qui est contraire à la doctrine commune de l’Église. Ils lui
reprochent aussi ce qu’il a enseigné dans l’épitre 22, chapitre 1,
à savoir que ne pourrait pas devenir prêtre celui qui a épousé une
veuve, parce que Moïse, dans le Lévitique, a prescrit qu’un prêtre
prenne une vierge comme épouse. Comme si les chrétiens étaient
tenus par les prescriptions de l’ancien testament.
Je réponds à la première accusation que ce que voulait dire Innocent
c’était ceci : on ne doit pas recevoir à la pénitence ces vierges
consacrées mariées qui ne veulent pas se séparer de leurs maris, si
ce n’est après la mort de ceux-là. Et cela est très juste, car
l’Église ne peut pas donner l’absolution à ceux qui veulent demeurer
dans le péché. À la deuxième accusation, je réponds que, dans
ce passage, Innocent parle de ceux qui ont été baptisés ou ordonnés
par des hérétiques, comme s’ils étaient pollués de la même hérésie.
Ils reçoivent le sacrement de baptême ou d’ordination, mais non la
grâce du Saint-Esprit qui ne peut pas habiter dans les hérétiques. Et,
dans cette ordination, ceux qui sont ordonnés par des hérétiques non
seulement ne reçoivent pas la grâce, ni le droit d’exercer légitimement
ces ordres. Car, l’ordonnant ayant perdu ce droit pas l’hérésie,
il ne peut pas donner ce qu’il n’a pas. Voir glosse 1, question
1, chapitre sur les ariens. À la troisième accusation,
je réponds que le pape Innocent n’a pas voulu dire que nous tenons cela
des lois judaïques, mais il voulait donner une raison tirée de quelque
chose de semblable, ou plutôt de plus grand, de la façon suivante.
Dans l’ancien testament, les prêtres étaient tenus, par un précepte
divin, de ne pas épouser une veuve. Il convient d’autant plus,
qu’aux prêtres de la nouvelle alliance, l’Église demande qu’ils
n’épousent pas de veuve, à cause de l’excellence du sacerdoce chrétien.
Le seizième est Célestin. Laurentius Valla affirme qu’il
fut infecté par l’hérésie, dans sa déclaration sur la fausse donation
de Constantin. Mais Laurentius ment effrontément. Non
seulement ce Célestin ne fut jamais noté de cette hérésie, mais
c’est lui-même qui l’a condamnée le plus vigoureusement, comme nous
le rapportent Prosper (chronique année 430) et le concile d’Éphèse.
Valla a été trompé par la ressemblance du nom, car il y a eu un Célestin
hérétique pélagien, qui a eu des choses en commun avec les nestoriens.
Le dix-septième est Léon le grand qui dans son épitre 79 au synode de
Nicée, déclara sans péché les femmes qui s’étaient remarier
en pensant que leurs maris étaient morts, ou qu’ils ne reviendraient
jamais de la captivité; mais que si leur maris revenaient, elles étaient
tenues de revenir à leur première union; s’ils ne voulaient pas
d’elles, elles n’était pas tenues de les reprendre.
Il semble, selon lui, y avoir là deux erreurs. Une première.
Que la femme ne pèche pas en épousant un autre homme quand elle pense
que sont mari vit encore, mais ne reviendra jamais. La deuxième,
qu’elle puisse demeurer avec son second mari si le premier mari ne veut
pas d’elle. Cette erreur, ce sont les magdebourgeois qui l’ont
notée (centuriate 5, chapitre 10) dans la vie de Léon.
Je réponds que Léon n’a erré dans aucune de ses réponses.
La première. Quand il dit que ne pèche pas la femme qui se remarie,
du vivant du son premier mari, il ne parle que de celle qui se marie en
pensant que son mari est mort, comme il l’explique clairement. Celle
qui se remarie parce qu’elle pense que son premier mari ne reviendra
jamais, il ne dit pas qu’elle pèche ou qu’elle ne pèche pas, car
il estimait que c’était une chose qui allait de soi, c’est-à-dire
qu’elle péchait. Et quand il dit que la femme doit retourner à
son premier mari, s’il veut d’elle, il faut comprendre que l’homme
doit aussi retourner à son épouse, si elle veut de lui, même si autrement
lui ne voudrait pas d’elle. Car, dans cette affaire, l’homme
et la femme sont égaux. Si donc un des époux veut revenir à son
conjoint, l’autre est tenu de lui obéir. Si aucun des deux ne
veut revenir à l’autre, ils pourront demeurer séparés. Voilà
ce que permet le pape Léon. Il ne s’ensuit pas que la femme puisse
demeurer avec un second mari. Car le même Léon dit clairement
que le mariage est indissoluble, et qu’il doit nécessairement
être recomposé après une séparation.
Le dix-huitième est le pape Gélase. Les centuriates (centurie
5, chapitre 4, sur la cène du Seigneur; et chapitre 10 de la vie de Gélase)
rangent deux de ses phrases parmi les erreurs catholiques.
La première est tirée de son livre contre Eutychès : « le vrai pain
demeure dans le sacrement avec la chair du Christ ». L’autre est tirée
de Gratien (sur la consécration, d. 2, canon comperimus) : « on ne peut,
sans un sacrilège énorme, prendre une partie de l’eucharistie sans
l’autre ». Et ils concluent : ou Gélase a erré dans ces deux propositions,
ou c’est nous qui errons qui pensons le contraire. Je réponds
à la première. Ce livre n’est pas de Damase, mais de Gennadius,
qui a dédié ce livre au pape Damase, ou de Damase, évêque de Césarée,
dont parle saint Jérôme à la fin de son catalogue sur les écrivains
ecclésiastiques. Le vrai Gélase a écrit cinq livres contre Eutychès,
comme le rapporte Trithemius. Celui-ci est un tout petit livre, dont
l’auteur s’engage à recueillir les enseignements de tous les anciens
sur l’incarnation du Seigneur. Il présente 15 pères grecs, et
seulement deux latins, Ambroise et Damase, en omettant Cyprien, Hilaire,
Jérôme, Augustin, Innocent, Léon, Prosper, et d’autres. Ces
docteurs le pape Damase ne les aurait jamais omis, s’il avait été l’auteur
de l’opuscule. Par la préférence presque exclusive donnée aux
auteurs grecs, il est vraisemblable de penser que l’auteur a été un
grec, non un latin. Mais, quel qu’en soit l’auteur, nous avons
démontré au livre 2 du sacrement de l’eucharistie, que sa proposition
peut être comprise dans un bon sens. La deuxième. Je réponds
que ce canon parle du prêtre sacrifiant, qui ne peut pas prendre une espèce
sans l’autre, sans rendre imparfait le sacrifice.
Le dix-neuvième est Athanase 11 qui est accusé de trois erreurs.
La première. Sans le concile des évêques, des prêtres et des
clercs de toute l’Église, il a communié avec Photin qui avait communié
avec l’hérétique Acace. La deuxième. Il a voulu rappeler
en secret Acace, qu’avaient condamné les papes Félix et Gélase.
La troisième. Il aurait approuvé les baptêmes et les ordres conférés
par le même Acace. On dit que, à cause de ces mêmes erreurs
et péchés, Anastase aurait été surnaturellement foudroyé par une maladie
subite qui l’aurait immédiatement conduit au trépas. C’est
ce qu’écrit un auteur pontifical dans la vie de ce même Anastase, et
c’est cet auteur qu’ont suivi Tilmann Heshushius (livre 1, chapitre
9, sur l’Église) et Gratien (dist. 19, canon Anastase) et les magdebourgeois
(centurie 6, chapitre 10, dans la vie d’Anastase).
Je réponds que c’est absolument faux qu’il ait voulu rappeler Acacius.
Car, il appert de la lecture d’Évagre (livre 3, chapitre 23) de
Nicéphore (livres 15 et 17), et de Libératus (chapitre 19) qu’Acace
mourut au temps du pape Félix, dont Anastase a été le troisième successeur.
Comment Anastase aurait-il pu ramener sur son siège quelqu’un
qui était déjà mort ? Mais, ils diront peut-être qu’il ne voulait
que réhabiliter son nom. Mais c’est le contraire qui est vrai.
Car nous avons encore une lettre de cet Anastase à l’empereur Anastase,
dans laquelle il demande que l’empereur ordonne que le nom d’Acace
soit rayé dans l’église, parce que c’est en toute justice qu’il
a été condamné par son prédécesseur le pape Félix. Gratien
soutient que le pape Anastase a erré en admettant la validité des sacrements
de baptême et d’ordre conférés par Acacius. Mais cela ne permet pas
de conclure que le pape Anastase était un hérétique, mais plutôt que
Gratien était incompétent. Car, quel est le catholique qui ignore
que ceux qui sont baptisés par des hérétiques sont vraiment baptisés,
et que ceux qui sont ordonnés par des hérétiques sont vraiment ordonnés,
quand l’ordinant hérétique était évêque auparavant, ou l’était
encore, du moins quant au caractère ? Ce qui est dit sur Photin
est peut-être un mensonge comme le rappel d’Acace. Mais, supposons
que ce soit vrai. Cela empêchera-t-il Anastase d’être un catholique
? N’est-il donc pas permis à un pape d’absoudre un excommunié
sans l’aide d’un concile d’évêques, de prêtres, et de clercs ?
Ce qu’ils ajoutent ensuite, à savoir le pape Anastase est décédé
d’une mort subite, foudroyé par Dieu, semble provenir de ce qu’on
rapporte de l’empereur hérétique du même nom, qui est mort à cette
époque, frappé par la foudre, comme l’écrivent Bède, Cedrenus, et
Zonaras, et le diacre Paul dans sa vie. Mais pour l’autre
Atanase du même nom, il n’y a rien de vrai dans ce qu’on rapporte.
Le vingtième est Vigile. Liberatus raconte (bréviaire
chapitre 42) qu’il a écrit une lettre à l’impératrice Theodora et
aux autres hérétiques, dans laquelle il confirmait leur hérésie, et
anathématisait ceux qui confessent deux natures dans le Christ.
Je réponds que plusieurs croient que ce texte de Liberatus a été corrompu
par les hérétiques, du fait que dans le pontifical, on raconte précisément
le contraire. Mais si aucun signe de corruption n’apparaissait
dans le livre de Liberatus, et si le récit de Liberatus n’était pas
contraire à celui du pontifical, il faudrait apporter une autre réponse.
Je dis donc que Vigile a écrit cette lettre, et a condamné la foi catholique,
au moins dans sa profession extérieure. Mais cela est sans rapport
avec notre débat, puisqu’il l’a fait cela quand le pape Sylvère vivait
encore, au temps où Vigile n’était pas pape, mais pseudo pape.
Car, il ne peut pas y avoir deux vrais papes en même temps; et tous admettent
que, même exilé, Sylverius était le vrai pape. Il
faut savoir, en effet, que l’hérétique Anthemius avait été déposé
de son épiscopat de Constantinople par le pape romain Agapet; que l’impératrice
avait ensuite demandé à Sylvère, successeur d’Agapet, de restituer
Anthemius. Sur le refus du pape, Vigile aurait promis à l’impératrice
qu’il rétablirait Anthemius s’il pouvait devenir pape. Sur l’ordre
de l’impératrice, par l’opération de Bélisaire, le pape Sylvère
a été immédiatement chassé de son siège et envoyé en exil,
et Vigile créé pape, ou plutôt antipape.
Il n’y aurait pas à s’étonner si, à cette époque, il
avait erré dans la foi, ou aurait même été un hérétique. Mais,
même alors, il n’a jamais, en tant que pontife, défini quoi que
ce soit de contraire à la foi; et il ne fut pas non plus un hérétique
par la pensée. S’il a écrit une lettre infâme, et indigne
d’un chrétien, il n’a pas condamné la foi chrétienne.
Il ne fut pas non plus un hérétique par conviction, mais par calcul,
c’est-à-dire par soif du pouvoir, comme le dit Libératus, et comme
sa lettre le démontre. Il leur écrit d’être sur leurs gardes,
de ne montrer cette lettre à personne, pour que tout reste secret
jusqu’au bon moment. Il était en ce moment agité par de grandes
angoisses, dans lesquelles son ambition l’avait précipité. Car,
s’il était connu publiquement pour être un hérétique, il aurait à
redouter les romains qui n’auraient jamais souffert qu’un hérétique
siège dans la chaire de Pierre. Si, au contraire, il s’affichait
publiquement comme catholique, il aurait à redouter l’impératrice,
de qui il attendait le pontificat. Il avait donc adopté la
règle de conduite suivante : il se conduirait à Rome comme un catholique,
et, dans ses lettres à l’impératrice, il feindrait l’hérésie.
La mort de Sylvère survint peu après. Et Vigile, qui jusqu’à ce
moment, siégeait en schismatique, commença, par l’acceptation et la
confirmation du clergé et du peuple, à être l’unique pape, et
le pape légitime. À partir de ce moment, on n’a trouvé dans
Vigile aucune erreur, réelle ou simulée, mais une admirable constance
dans la foi jusqu’à sa mort. C’est comme si, avec le pontificat,
il avait reçu la fermeté de la foi, et d’une légère paille il avait
été transformé en une pierre très solide. Car, quand l’hérétique
impératrice Theodora lui rappela, dans des lettres secrètes, la promesse
qu’il lui avait faite de restituer le patriarche Anthemius, il lui répondit
que c’est avec une grande témérité qu’il lui avait promis cela,
et qu’il avait grandement péché en le lui promettant; et que, en conséquence,
il ne voulait ni ne pouvait accomplir ce qu’il avait promis, de peur
d’ajouter d’autres péchés à ceux qu’il avait déjà commis.
L’impératrice irritée l’envoya en exil, où il vécut misérablement
jusqu’à sa mort.
Ce récit n’est pas seulement raconté dans le pontifical,
mais on le trouve aussi chez Paul le diacre (la vie de Justinien), chez
Aimonius (livre 3, chapitre 32, des gestes des francs) et même chez les
magdebourgeois, (centurie 6, chapitre 10, dans la vie de Vigile).
Liberatus lui-même l’indique brièvement à la fin du chapitre 22 où
il dit : « Vigile fut par la suite misérablement traité par cette même
hérésie qu’il avait, au début, favorisée secrètement. »
De plus, après la mort de Sylvère, Vigile fut un vrai et saint
pontife. Tous les écrivains contemporains l’attestent.
Saint Grégoire (1 livre 2, épitre 36 aux évêques d’Espagne)
: « Le pape Vigile, dont il faut se rappeler la mémoire, établi pape
dans la ville reine, promulgua une sentence d’excommunication contre
l’impératrice Theodora. » Cassiodore (livre de la lecture divine,
chapitre 1) : « Il appert qu’à cette époque, Origène a été condamné
par le pape Vigile. » Arator (dans sa préface aux actes des
apôtres écrite en vers, et qu’il avait dédiée au pape Vigile) commence
ainsi : « Au saint et très béni seigneur apostolique, et au pape Vigile,
premier de tous les prêtres dans tout l’univers. » Nous savons
aussi, par Évagre (livre 4, chapitre 37) que Vigile a confirmé le cinquième
synode général dans lequel a été condamnée cette hérésie que fomentait
l’impératrice Theodora, de laquelle Vigile est accusé par les adversaires.
On pourrait même dire que cette lettre de Vigile, dont se souvient
Libératus, a été forgée par les hérétiquesl; que Libératus a cru
la fausse rumeur répandue par eux. Car, que les hérétiques aient
forgé une lettre au nom de Vigile adressée à Theodora et Justinien,
le synode 6, acte 14, nous le laisse penser. Mais, quoi qu’il en
soit, il nous suffit qu’il n’ait pas erré pendant tout le temps où
il a été pontife. Le vingt-et-unième est saint Grégoire
le grand qui est accusé d’erreur par Durand (dist. 7, question 4).
Dans une lettre à l’évêque de Caralitan (lettre 26, livre 3) il aurait
permis aux prêtres de conférer le sacrement de confirmation, qui, de
droit divin, est réservé aux évêques. Ce serait à cause de ce
texte de saint Grégoire qu’Hadrien (question sur la confirmation, dernier
article) a affirmé que le pontife romain peut se tromper en définissant
des dogmes de foi. Je réponds que ce n’est pas le pape Grégoire,
mais Durant, ou plutôt Hadrien qui a erré. Le concile de
Florence, dans son instruction aux Arméniens, et le concile de Trente
(session 7, dernier canon), enseignent que l’évêque est le ministre
ordinaire de la confirmation. Ce qui signifie qu’un non-évêque peut,
occasionnellement, et par exception, être ministre extraordinaire de la
confirmation. De plus, saint Grégoire n’émit pas de décret
sur cette question, mais il n’a que permis à certains prêtres, en l’absence
de leurs évêques, d’administrer le sacrement de confirmation.
Et même si le pape Grégoire avait erré en cela, son erreur n’en aurait
pas été une de doctrine, mais d’exemple ou de fait. Il
y a aussi une autre erreur qu’on attribue faussement au pape saint Grégoire,
dont parlerons plus bas quand viendra le tour de Grégoire 111.
Le vingt-deuxième est Boniface V que blâment sévèrement les magdebourgeois
(centurie 7, chapitre 10). Dans l’épitre au roi d’Angleterre
Edwin (que cite Bède, livre 2, chapitre 10 de son histoire anglaise) il
aurait enseigné que le Christ ne nous a libérés que du seul péché
originel. Je réponds que ce sont les centuriates qui ont ajouté
le mot « seul », car voici ce qu’a dit Boniface : « Accédez donc
à la connaissance de celui qui vous a créés, qui a insufflé en vous
l’esprit de vie, qui a envoyé son Fils unique pour votre rédemption,
pour vous délivrer du péché originel. » Il n’a pas parlé des
autres péchés, parce que le péché originel est le principal, et c’est
d’abord et avant tout pour l’effacer que le Christ est mort.
C’est bien ce que nous lisons dans Jean 1 : « Voici l’agneau de Dieu,
voici celui qui efface le péché du monde. » En grec : tèn amartian
tou cosmou. Le seul péché qui soit commun à tout le monde;
car, plusieurs n’en ont pas d’autres, comme les enfants.
CHAPITRE 11
Honorius 1
Le vingt-troisième est Honorius l. Nil (dans son livre sur la
primauté du pontife romain) l’accuse d’avoir été un hérétique
monothélite. Les magdebourgeois font la même accusation (centurie
7, chapitre 10, dans sa vie, et chap 11, colonne 553), et le placent parmi
les hérétiques manifestes. Non seulement les hérétiques, mais
aussi quelques catholiques soutiennent qu’Honorius a été un vrai hérétique,
comme Melchior Cano (livre 6 des lieux, chapitre ultime). Voici quels
sont leurs arguments. Ils le prouvent d’abord à partir de ses lettres
à Serge, une au synode 6, acte 12, l’autre au même endroit, acte 13.
Dans l’un et l’autre cas, Honorius approuve la doctrine de Serge, le
prince des monothélites, et ordonne de ne pas dire que dans le Christ
il y a ait deux natures ou deux opérations. On donne aussi comme
preuve sa condamnation par le concile 6, article13, où il a été condamné
comme hérétique, et brûlées ses épitres, laquelle condamnation a été
répétée dans les sessions suivantes. Le concile 7, acte
ultime, où tout le concile a dit anathème à Honorius, Serge, Cyr et
les autres monothélites, condamnation répétée dans les lettres envoyés
à tous les clercs. Le synode 8 (acte 7) où est lue et approuvée
l’épitre du concile romain sous Hadrien 11, au cours duquel le pape
en concile déclare que, après sa mort, Honorius a été condamné par
le concile 6, parce qu’il avait été accusé d’hérésie. Une
lettre du pape Agathon à l’empereur Constant ( acte 4), dans laquelle
il aurait dit anathème à Honorius, comme à un monothélite. Léon
11, dans une lettre au même empereur, qui se trouve à la fin du concile,
exècre le même Honorius, comme quelqu’un qui a contaminé le siège
apostolique par son hérésie. Des écrivains de toutes sortes, latins
autant que grecs, ont attesté qu’Honorius a été hérétique.
C’est, par exemple, ce qu’affirme Tharasius, évêque de Constantinople,
dans son épitre au patriarche, que l’on trouve dans le septième synode,
acte 3. De même, Théodore, évêque de Jérusalem, dans son épitre
au synode que l’on trouve dans le même synode 7, acte 3. De
même, Épiphane, diacre catholique, dans une dispute avec l’hérétique
Grégoire, que l’on trouve à l’acte 6 du synode 7, tome 2.
Pselles dans son chant sur les synodes, Bède dans les six états
de la vie : la vie de Constantin 4, et le livre pontifical, dans la vie
de Léon 11.
En faveur d’Honorius ont écrit Albert Pighius (livre 4, chapitre
8, hiérarchie ecclésiastique, Hosius (livre 2, contre Brent) et
Jean de Louvain (livre de la catéchèse perpétuelle : la protection
et la fermeté de Pierre, chapitre 11), Onophrius dans les annotations
de Platina sur la vie de Libère. Les raisons qu’ils apportent
sont beaucoup plus efficaces, que celles des adversaires, comme il apparaitra
quand nous réfuterons leurs arguments. Je réponds à la première que
ces lettres ont peut-être été inventées, et insérées dans un concile
général par les hérétiques. On peut le dire avec une certaine assurance,
car il est démontré que, dans le concile général 5, ont été insérées
par les mêmes hérétiques des lettres fictives du pape Vigile et du
patriarche de Constantinople Mennas. C’est en relisant les actes du cinquième
concile pendant le sixième concile (actes 12 et 14) qu’on a détecté
la supercherie. Trois paragraphes avaient été ajoutés par les
hérétiques dans lesquels se trouvent précisément ces lettres.
Faut-il se surprendre qu’ils aient tenté la même chose pour le sixième
concile général ? Et j’ajoute que ces lettres d’Honorius
ne contiennent aucune erreur. Il reconnait, en effet, dans le Christ,
deux volontés et deux opérations, et ne fait qu’interdire les noms
d’une ou deux volontés, dont on n’avait jusqu’alors jamais parlé.
Qu’il confesse le mystère lui-même, sa deuxième lettre nous le montre
: « Nous devons confesser l’une et l’autre nature dans le Christ,
associées par une unité naturelle, opérant par la communion de l’une
et de l’autre : une divine, opérant ce qui est divin, et une humaine,
ce qui est de la chair, sans division ou confusion, sans que
la nature divine soit convertie en un homme, et sans que la
nature humaine soit convertie en Dieu, mais maintenant intègres
les différences des natures. » Cette confession est catholique,
et détruit complètement l’hérésie des monothélites.
Que c’est par prudence qu’Honorius prohiba les noms d’une ou
deux opérations, on le prouve ainsi. Cette hérésie en était à
ses tous débuts, et l’Église n’avait encore rien défini au sujet
de ces noms. Et c’est Cyrille d’Alexandrie qui fut le premier
à prêcher une seule opération dans le Christ. S’opposant à
Cyrus, Sophronius, évêque de Jérusalem, enseigna deux
opérations dans le Christ. Cyrus fit rapport de ce différend à
Serge, patriarche de Constantinople, et l’un et l’autre au pape Honorius.
Craignant donc, comme cela est arrivé, que cette dispute ne dégénère
et ne devienne un grave schisme, et voyant que, sans ces mots, on pouvait
garder la foi sauve, il a voulu réconcilier l’une et l’autre opinion,
et écarter la matière d’un scandale et d’une division. Voilà
pourquoi il a écrit, dans la première épitre, qu’on devait s’abstenir
des mots « d’une seule volonté », de peut de sembler, comme les Eutychiens,
mettre une seule nature dans le Christ; et aussi de « deux
opérations, » de peur de paraître, avec Nestor, poser deux personnes
: « De peur que, ou, offensés par les mots deux opérations, ils
pensent que, à la suite de Nestor, nous nous complaisons dans des folies,
ou, si nous estimons devoir confesser une seule opération, on imagine
que nous approuvons la folle démence des euthychiens. » Et puis,
dans la deuxième épitre, enseignant une façon de parler, et réconciliant
les opinions, il dit : « Enlevant donc le scandale de cette nouvelle expression,
vous ne devez prêcher ni une ni deux opérations. Et, à la place
de l’opération unique, dont parlent certains, il nous faut confesser
un seul Christ Seigneur opérant dans les deux natures. Et à la
place des deux opérations, laissant de côté le mot opération, prêcher
plutôt deux natures, celle de la divinité et celle de la nature assumée,
unies sans confusion, division, ou conversion, dans l’unique personne
du Fils unique de Dieu le Père, opérant chacune des actions qui leur
sont propres. » Voilà pour toi. À ces paroles, on ne peut
donner que des louanges.
Et un peu plus bas, il prêche clairement une seule volonté par les
paroles suivantes. « Voilà pourquoi nous ne confessons qu’une
seule volonté de notre Seigneur Jésus-Christ. » Je réponds qu’en
ce passage, Honorius ne parle que de la nature humaine, et qu’il veut
dire : il n’y eut pas, dans l’homme Christ, deux volontés contraires,
une de chair, l’autre d’esprit, mais une seulement, celle de l’esprit.
Car, dans le Christ, la chair ne demandait absolument rien contre l’esprit.
Que ce soit vraiment la pensée d’Honorius, on s’en rend compte par
la raison qu’il apporte. Voici ses propres paroles : « Nous confessons
donc une seule volonté de notre Seigneur Jésus-Christ, car c’est notre
nature qui a été assumée par la divinité, non la faute; celle qui a
été créée avant le péché, et non celle qui a été viciée
après la prévarication. » Cette raison n’aurait aucun sens si
elle était présentée pour démontrer que dans le Christ Dieu et homme,
il n’y a qu’une seule volonté. Mais elle prend tout son sens
si son intention était de prouver que, dans le Christ, il n’y avait
pas deux volontés contraires, celle de la chair et celle de l’esprit,
car l’apposition entre les deux est née du péché, et le Christ a la
nature humaine sans le péché.
Ensuite, parce qu’on pouvait
lui objecter cette parole de l’évangile : « Je ne suis pas venu pour
faire ma volonté », et « non ce que je veux, mais ce que tu veux, toi,
» où il semble que le Christ, en tant qu’homme, ait deux volontés
contraires, une mauvaise qui ne voulait pas souffrir, et une autre bonne
qui ne voulait pas satisfaire cette première volonté, mais écouter la
deuxième qui était conforme à la volonté de Dieu, il répond un peu
après. « Il est écrit : je ne suis pas venu pour faire ma propre
volonté, mais celle de Celui qui m’a envoyé », et non ce que je veux,
mais ce que tu veux, Père. Ces choses ne proviennent pas de
volontés différentes, mais de la dispensation de la nature assumée.
Car, ces choses sont dites pour nous, à qui il a donné un exemple pour
que nous marchions sur ses traces. Le pieux maître incitait par
là ses disciples à ne pas faire leur propre volonté, mais
à préférer, en toutes choses, celle de Dieu. » Ce qui veut
dire que le Christ n’a pas eu des volontés qui fussent contraires au
point ou l’une devait vaincre l’autre. Mais il parle comme s’il
avait eu des volontés contraires, pour nous apprendre à mortifier notre
propre volonté qui milite souvent contre Dieu.
Et on peut confirmer tout cela par le témoignage de saint Maxime qui
vécut au temps du pape Honorius. Ce Maxime écrivit un dialogue (qui est
encore dans la bibliothèque vaticane) contre Pyrrhus, successeur de Serge.
Dans ce dialogue, il introduit l’hérétique Pyrrhus présentant en sa
faveur le témoignage d’Honorius. Maxime lui répond qu’Honorius
a toujours été catholique. Il le prouve par le témoignage
du secrétaire d’Honorius, qui écrivit lui-même les lettres dictées
par Honorius, et qui était encore vivant alors. Le secrétaire
a attesté que l’intention d’Honorius ne fut jamais de nier deux volontés
dans le Christ; et que, quand il semblait nier deux volontés, il
parlait de deux volontés contraires en lutte l’une contre l’autre
dans la même nature humaine, qui existent en nous à cause du péché,
mais qui n’existaient pas dans le Christ.
Voici donc qu’écrivait Maxime dans son dialogue. « Pyrrhus
: Qu’as-tu à répondre au sujet d’Honorius qui, dans ses lettres,
celles qu’il écrivit il y a quelque temps à Serge, professe clairement
une unique volonté de notre Seigneur Jésus-Christ ? » Maxime :
« L’interprétation la plus vraie et la plus certaine de ces lettres
est celle du secrétaire qui les écrivit au nom d’Honorius, d’autant
plus qu’il est encore vivant, et qu’il est orné par la splendeur de
toutes les vertus, par la discipline religieuse. Ou faut-il lui préférer
les citoyens de Constantinople qui parlent à travers leurs chapeaux ?
» Pyrrus : « Celui qui a écrit les lettres est plus véridique
». Maxime : « Et ce secrétaire c’est à l’empereur
Constantin qu’il écrit au sujet de cette épitre, sur l’ordre du pontife
Jean. Voici ce qu’il dit : Quand nous avons dit qu’en notre
Seigneur Jésus-Christ, il n’y a qu’une seule volonté, il ne
faut pas penser que nous parlions des deux natures du Christ, la divine
et l’humaine, mais de l’humaine seulement. Car, quand Serge a
écrit que quelques-uns prêchaient deux volontés contraires du
Christ, nous avons répondu que le Christ n’avait pas deux volontés
contraires. »
Ensuite, comme dans toute sa lettre, Honorius s’efforçait d’expliquer
que, dans le Christ Jésus, Dieu et homme, il ne fallait dire ni une ni
deux volontés, comment aurait-il pu, en oubliant tout ce qu’il
venait de dire, affirmer à brûle pour point qu’il n’y en a qu’une
? Il n’a donc pas dit une seule volonté de Dieu et de l’homme,
mais une seule de l’homme seulement, comme les paroles qui suivent et
le secrétaire l’attestent. Nous n’avons donc, dans ces lettres,
aucune erreur.
Je réponds à la deuxième accusation qu’il est vrai que le
nom d’Honorius figure parmi ceux qui ont été condamnés
par le sixième synode, mais que son nom a été inséré par les
émules de l’église romaine, ainsi que tout ce qui est dit là contre
Honorius. Je le prouve d’abord par le témoignage du bibliothécaire
Anastase dans son histoire tirée du grec Theophane Isaurus.
Ensuite, parce que c’était la coutume habituelle des grecs de corrompre
les textes. Car, comme nous l’avons déjà dit, on a découvert plusieurs
corruptions faites par les hérétiques dans le cinquième concile général.
Et le pape saint Léon (dans l’épitre 83 aux palestiniens) se plaint
des grecs qui, de son vivant, avaient corrompu sa lettre à Flavien.
Saint Grégoire le grand (livre 5, épitre 14 à Narsem) affirme que les
constantinopolitains ont corrompu le synode de Chalcédoine, et il soupçonne
la même chose de celui d’Éphèse. Et il ajoute que les codex
des romains sont de loin plus fiables et véridiques que ceux des grecs.
« Parce que les Romains n’ont ni leur intelligence, ni leur imposture.
» De plus, Nicholas 1, dans son épitre à Michel, renvoyant l’empereur
à la lettre d’Hadrien : « Si, toutefois, elle n’a pas été faussée,
selon la manière coutumière des grecs, mais est demeurée telle qu’elle
a été envoyée par le siège apostolique, elle est conservée jusqu’ici,
près de l’église de Constantinople. » Ce n’est pas sans raison
qu’il disait cela, car ce qu’il dit dans l’épitre à Photius au
sujet de l’épitre d’Hadrien à Tharasius, ne se trouve pas dans
la même épitre qui a été lue au septième synode. Les Grecs
ont supprimé ce passage, qu’ils trouvaient déshonorant pour Tharasius.
Surtout quand on se souvient qu’un peu après la fin du sixième concile,
plusieurs évêques sont retournés à Constantinople pour y voter les
canons de Trullo, dont le seul but visible était de blâmer et d’accuser
l’église romaine.
2017 12 16 20h26 fin
2017 12 20 22h09 d
Troisièmement, car le concile ne pouvait pas condamner Honorius
comme hérétique à moins de contredire la lettre d’Agathon, et
sans, surtout, se contredire lui-même. Voici ce que dit la lettre
d’Agathon qui a été lue dans le concile à la session 4 : « Voici
quelle est la règle de la vraie foi que dans la prospérité et l’adversité
a vigoureusement tenue et défendue cette mère spirituelle de votre empire
paisible, l’église apostolique du Christ qui, par la grâce du
Dieu tout-puissant n’a jamais, comme il est démontré, erré en
dehors du sentier de la tradition apostolique, ni n’a jamais succombé
aux inventions des nouveautés hérétiques, mais qui, depuis le
début de la foi chrétienne, demeure fermement dans la foi immaculée
qu’elle a reçue de ses auteurs, les princes des apôtres du Christ,
selon la promesse divine du Seigneur Sauveur qui, dans les saints évangiles,
a été faite au prince des apôtres, quand il a dit : « Pierre, Pierre,
voici que Satan a demandé de vous cribler comme du froment, mais j’ai
prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. Et toi, quand tu seras
converti, confirme tes frères. » Que votre clémence sérénissime
considère donc que le Seigneur et Sauveur de tous, de qui est la
foi, a promis à Pierre que sa foi de ne défaillira jamais,
lui a demandé de confirmer ses frères, et que c’est ce
qu’ont toujours fait les pontifes apostoliques, prédécesseurs de ma
nullité, comme tous le reconnaissent. »
Qu’on veuille bien noter qu’Agathon ne dit pas seulement
là que la foi n’a pas dévié dans le siège apostolique, ni ne
pouvait dévier, et donc qu’aucun pontife ne peut rien décréter, en
tant que tel, qui soit contraire à la foi, mais que tous ses prédécesseurs,
y compris Honorius, ont toujours résisté aux hérésies, et ont toujours
confirmé leurs frères dans la vraie foi. Et plus bas, après avoir
énuméré les hérétiques monothélites Cyrus, Serge, Pyrrhus, Paul,
Pierre et Theodore, il dit : « Il faut donc, avec de grands efforts, retirer
et libérer la sainte Église du Christ des erreurs de tels docteurs, pour
que la rectitude apostolique et évangélique de la foi orthodoxe, qui
a été fondée sur la pierre ferme du bienheureux Pierre, prince des apôtres
et de l’église, demeure, par la grâce et le secours de Dieu, exempte
de toute erreur, dans cette foi que tous les membres du clergé et du peuple
professent et prêchent avec nous. »
Je raisonne ainsi sur cette lettre. Si Honorius avait
été un hérétique monothélite, de quel front, parlant de cette hérésie,
pouvait-il affirmer qu’aucun de ces prédécesseurs n’avait jamais
erré; et que, pendant que les autres églises ont été entachées d’erreurs,
seule l’église romaine est demeurée fidèle ? De plus, si le
concile déclare que Pierre a parlé par Agathon quand il a dit que les
pontifes romains ont toujours confirmé leurs frères dans la foi, et n’ont
jamais succombé aux hérésies, par quelle témérité ou incohérence
le concile, dans un seul de ses actes, aurait-il pu anathématiser Honorius
? De deux choses l’une, le concile ou la lettre ont été falsifiés,
ou le concile déclare le contraire de ce qu’enseigne le pape Agathon.
Mais cette dernière hypothèse, personne ne l’a jamais soutenue, ni
même les hérétiques. On n’a jamais non plus mis en doute l’authenticité
de la lettre d’Agathon. Il ne reste donc qu’une explication plausible
: le texte du concile a été bidouillé. Nil tente de répondre
ainsi à cette argumentation : « Agathon s’est peut-être senti
poussé à ne dire que ce que la situation demandait, comme il arrive souvent,
alors qu’en fait, l’église romaine n’a fait qu’errer plus
rarement que les autres. Est-ce que la situation demandait qu’Agathon
fasse un éloge de son autorité et de celle de ses prédécesseurs ?
Demandait-elle qu’il mente impudemment ? Et ce mensonge n’était-il
pas intolérable (que tous ses prédécesseurs ont toujours résisté aux
hérétiques) si Honorius avait été contaminé par cette hérésie dont
il était question ? Mais il ne suffit pas de dire que l’église
romaine a erré plus rarement, quand on doit dire en toute vérité
qu’elle n’a jamais erré. Mais écoutons le reste : « Autrement, s’il
était vrai, absolument et sans exception, qu’aucun pape romain n’a
erré, comment serait véridique cette parole : tous ont dévié et sont
devenus nuisibles; il n’y en a aucun qui fasse le bien, même pas un
seul. » Raison magistrale, vraiment ! Comme si David parlait
de la foi, et non des mœurs. Le psaume, en effet, ne dit pas : il
n’y en pas un qui croit correctement, mais qui fait le bien. « Car tous
nous péchons en beaucoup de choses, » dit saint Jacques.
Autrement, s’il était question de la foi, il faudrait dire que
Paul, Jean et Pierre pouvaient errer, même après avoir reçu l’Esprit
Saint.
Nil insiste. « On pourrait dire qu’Agathon a dit la
vérité en parlant des temps passés, lorsqu’il affirma que l’Église
romaine n’avait jamais erré, mais non en affirmant que, dans l’avenir,
l’église romaine ne pourra jamais se tromper ». Mais, mon bon,
c’est dans les temps anciens qu’Honorius a existé. Il précède
même Agathon de plusieurs années. Ce n’est donc pas en parlant
du futur qu’Agathon dit que la foi de défaillira jamais dans le siège
de Pierre ? Nil ajoute à la fin : « Il est certain qu’Agathon
a écrit avant le sixième synode; et il ne connaissait pas très bien
alors les sujets sur lesquels le concile a délibéré. Il ne serait
pas étonnant qu’un saint synode ait perçu des choses dont un homme
seul ne pouvait pas se faire une claire idée. » S’il en
est ainsi, Agathon a erré par ignorance. Pourquoi, alors,
le synode (actes 8 et 18) a-t-il approuvé cette lettre comme ayant été
écrite par l’apôtre Pierre ? Qu’est-ce autre que de dire ou
qu’il a approuvé une erreur, ou qu’il s’est contredit ouvertement
lui-même ? Omettant tout le reste, j’ajoute seulement ceci.
Personne ne connaissait mieux les dogmes d’Honorius qu’Agathon, puisque
cette affaire avait été souvent examinée par Jean 1V, Theodore, Martin,
et les autres prédécesseurs d’Agathon.
Quatrièmement, on le prouve par la lettre de Nicolas à Michel, dans
laquelle Nicolas parle des pontifes romains : « Jamais la plus faible
rumeur ne les a jamais accusés de penser de mauvaises choses avec les
savants, et de comploter avec eux la moindre erreur. » Or, comment
cela pourrait-il être vrai si, publiquement, dans un concile général
qui regroupe un grand nombre d’évêques, Honorius avait été anathématisé
par acclamation ?
Cinquièmement, on le prouve ainsi. Ou il est nécessaire
de dire que ce concile où a été condamné Honorius a été faussé par
des envieux, ou il faut accuser ce concile d’avoir enseigné une erreur
intolérable, et de s’être comporté impudemment. La deuxième
partie de l’alternative n’a jamais été soutenue par personne, même
pas par les hérétiques. Il reste donc la première. Le concile
ne pouvait pas, sans une impudence et sans une erreur intolérables, condamner
Honorius pour hérésie. Le concile, en effet, n’a pas eu d’autre
indice de l’hérésie d’Honorius que ses lettres à Serge, où Honorius
défend de parler d’une ou de deux volontés dans le Christ. Or,
ces lettres témoignent clairement qu’Honorius admet et enseigne deux
opérations, et qu’il voulait seulement qu’on s’abstienne des mots
« un ou deux », pour enlever toute occasion de scandale, et calmer le
débat. On ne peut pas condamner comme hérétique quelqu’un qui
confesse la chose, même si, pour une juste raison, il juge devoir la taire,
surtout avant la définition de l’église. Autrement, il faudrait
taxer saint Jérôme d’hérésie, parce que, dans sa lettre à Damase,
il pensait qu’il ne fallait pas parler de trois hypostases en Dieu, alors
que l’Église a, par la suite, défini de foi le contraire. Ajoutons
que, dans le concile romain célébré, avant le synode, par Martin
premier, pape et martyr, ont été condamnés nommément les fauteurs de
l’hérésie monothélite : Serge, Cyrus, Pyrrhus et Paul. Honorius
n’a pas été nommé. On ne peut pas attribuer cela à l’acception
de personnes, car c’étaient de grands saints, ni non plus à l’ignorance
ou à l’oubli. Car, quels sont ceux qui connaissent mieux
les accomplissements des pontifes que leurs successeurs ? Si donc
le concile romain, qui possédait l’original des lettres et qui
comptait des témoins vivants de ses paroles et de ses gestes, ne
blâma pas Honorius, comment est-ce crédible que le concile l’ait fait,
à partir des seules lettres ?
Si quelqu’un ne parvient pas encore à croire que le sixième
concile ait pu être corrompu, qu’il accepte une autre solution
qui est celle de Turrecremata (livre 2, chapitre 93). Il enseigne là que
les pères du sixième concile général ont effectivement condamné Honorius,
parce qu’ils avaient été mal informés, et qu’ils auraient donc porté
un jugement erroné. Car bien qu’un concile général ne puisse
pas errer dans les définitions de dogmes de foi, il peut errer dans les
questions de fait. Nous pouvons avancer prudemment que
ces pères ont été trompés par de fausses rumeurs, et, sans avoir saisi
le sens réel des lettres d’Honorius, l’ont classé sans raison valable
parmi les hérétiques. Tu diras peut-être : tu n’as pas
mieux compris ses lettres que les pères du concile. Je réponds
que ce n’est pas seulement moi qui les ai mieux comprises, mais aussi
Jean 1V, Martin 1, Agathon et Nicholas 1, et tous les nombreux pères du
concile romain. Mais, tu me demanderas : pourquoi les légats d’Agathon
n’ont-ils par réclamé quand Honorius a été condamné ? Je réponds
que cela s’est fait pour éviter un moindre mal. Car les légats
craignaient que, s’ils réclamaient, ils empêcheraient la définition
de la vraie foi, et qu’il serait impossible de mettre fin à un schisme
qui durait depuis 60 ans. Car, dans ce concile, étaient condamnés
plusieurs patriarches de Constantinople, d’Alexandrie et d’Antioche.
Leurs successeurs auraient difficilement accepté une telle condamnation
si Honorius, qui avait été accusé avec eux, n’avait pas été
condamné avec eux.
Au troisième argument, je réponds que les pères du septième
concile ont suivi le sixième concile, et n’ont fait que reproduire ce
qu’ils y lisaient. Ils ont donc été trompés par le sixième
concile qui avait été faussé, ou ils condamnèrent Honorius par ignorance.
Au quatrième argument je réponds qu’Hadrien et le concile romain ne
déclarèrent pas qu’Honorius a été un hérétique, mais seulement
qu’il a été anathématisé par les évêques orientaux, car ils savaient
très bien qu’il n’avait pas été condamné par le concile de saint
Martin. Hadrien ajouta, au sujet d’Honorius, que les évêques
orientaux n’auraient pas osé condamner Honorius, à moins
d’avoir prévu le consentement de Rome, parce qu’ils savaient que les
légats d’Agathon avaient consenti à la condamnation d’Honorius.
Cela je le dis si l’on considère que les canons du sixième concile
sont demeurés tels quels. Mais si nous pensons qu’ils ont été
faussés, il faudra dire qu’Hadrien a été trompé par ces actes fautifs.
Tu diras que les membres de ce concile pensaient certainement que le
pape peut errer, puisqu’ils considéraient Honorius comme un hérétique.
Je réponds que ces pères pensaient que le pape peur errer comme homme
privé, ce qui est une opinion probable, même si l’opinion contraire
est plus probable. Car, Honorius était accusé d’avoir fomenté
l’hérésie par des lettres privées. Au cinquième je réponds
que Melchior Cano semble avoir été induit en erreur par la somme des
conciles, car l’auteur de cette somme des conciles, contrairement au
sens obvie de ces lettres qui sont citées intégralement dans le concile
au tome 2, ajoute le nom d’Honorius. Il se trompe donc quand il
dit que ces lettres ont été écrites au sixième concile, alors qu’elles
ont été envoyées toutes deux à l’empereur. Au sixième,
je dis que l’épitre de Léon a été corrompue par ceux qui ont corrompu
le sixième concile œcuménique, puisque cette lettre est considérée
comme une partie du concile, et possède la même autorité que le concile.
Il est certain que Léon adopta le jugement des légats d’Agathon pour
ne pas retourner le fer dans la plaie. Mais rien ne nous oblige à
suivre ce Léon plutôt que tant d’autres souverains pontifes.
Surtout dans une question de fait, qui ne se rapporte pas à la foi.
Le septième. J’oppose des auteurs aux auteurs,
le grand nombre au petit nombre, et les plus anciens aux plus récents.
D’abord, saint Maxime (dans le dialogue contre Pyrrhus) qui a vécu au
temps d’Honorius, Theophane Isaurus (dans l’histoire que cite Onuphrius),
et Emmanuel Galeca (dans le livre qu’il a écrit pour les latins contre
les grecs) ont attesté qu’Honorius a toujours été catholique.
Ensuite, Photius, grec et ennemi de l’église romaine, (les synodes,
7) dit, quand il en vient au sixième concile général, que furent condamnés
Cyrus, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre. Mais, de Honorius
il ne rien de tel. De même Zonoras, dans la vie de Constantin
1V, omet Honorius en énumérant les noms de ceux qui ont été condamnés
par le sixième concile. Le diacre Paul fait la même chose dans
la vie du même Constantin 1V. Ensuite, les historiens latins font,
presque tous, d’Honorius, un pontife saint et orthodoxe : Bède, Anasthase
le bibliothécaire, Blondus (livre 9, decade 1), Nauclerus, Sabellicus,
Platina, et les autres.
J’ai ajouté Bède le vénérable, même si Melchior Cano s’y oppose.
Je ne doute pas que c’est ce qu’il pensait lui-même, même si,
dans le livre des six âges, il a rayé le nom d’Honorius du groupe de
ceux qui ont été condamnés par le concile 6. Il semble que ce
soit un copiste qui ait ajouté le nom d’Honorius dans le livre de Bède,
du fait que, dans le concile 6, son nom se trouve partout associé aux
hérétiques. Mais que Bède ait considéré Honorius comme un saint,
même après sa mort, nous le montre son histoire ecclésiastique des anglais
(livre 2, chapitres 17, 18, 19), où il l’appelle souvent un excellent
pasteur; ainsi que sa vie de l’abbé Bartolfus, où il l’appelle tantôt
bienheureux, tantôt saint. Voici ce qu’il dit, entre autres :
« Le vénérable président Honorius, était sagace, reconnu pour son
jugement, célèbre pour sa doctrine, doux et humble de cœur. »
Et plus bas : « Le pape fit au vénérable Bartolfo un don hautement
désiré, c’est-à-dire un privilège du siège apostolique, selon lequel
aucun évêque ne pourrait tenter d’imposer son autorité ou sa
juridiction au dit monastère. » Voilà ce que dit d’Honorius
Bède le vénérable. Il ne parlerait pas ainsi de lui, s’il
le considérait comme un hérétique, comme le prétendent nos adversaires.
LIVRE 12
Sept autres pontifes
Le vingt-quatrième pontife qui est accusé par eux d’avoir erré
est saint Martin premier. Les magdebourgeois (centurie 7, chapitre
20) l’accusent d’avoir enseigné, dans sa lettre à Armand, qu’il
ne fallait pas accorder de pardon aux prêtres ou aux diacres qui pèchent
après leur ordination, ce qui est une sorte de novatianisme. Je
réponds que saint Martin ne parle pas du pardon des péchés, mais du
retour aux ministères sacrés, car il voulait que soient déposés de
leur grade les prêtres ou les diacres qui pêchaient gravement; et que,
s’ils récidivaient et demandaient l’absolution, ils la reçoivent,
mais ne soient jamais rétablis dans leurs grades. C’est ce qu’enseignent
d’ailleurs tous les anciens. Le vingt-cinquième est Grégoire
111. Les magdebourgeois (centurie 8, chapitre 10, dans sa vie)
l’accusent de deux choses. La première. D’avoir
ordonné, dans une lettre à Boniface, que soient consacrés de nouveau
ceux qui ont été consacrés par d’autres que par ceux que le
pape avait envoyés. Mais cela est un mensonge éhonté, car Grégoire
ordonne seulement que soient consacrés de nouveau ceux qui ont été ordonnés
par ceux qui ne sont pas de vrais évêques. La seconde.
Ils l’accusent d’avoir, dans une autre lettre à Boniface, permis à
un homme d’épouser une autre femme, parce que, à cause d’une maladie
quelconque, sa propre femme ne pouvait pas remplir ses devoirs conjugaux.
Ce qui est expressément contre l’évangile, comme l’avait annoté
Gratien (32, question 7, canon quod proposuisti). Grégoire premier
est accusé, par certains, de la même erreur, à cause de sa lettre à
Augustin, évêque d’Angleterre. Il aurait employé des mots similaires.
Je réponds d’abord qu’il est stupéfiant que les luthériens
considèrent cela comme une erreur, puisque Luther lui-même, comme l’atteste
Jean Cochlaeus, dans son chapitre sur le mariage, a enseigné la même
chose. J’ajoute que Grégoire ne parle pas de n’importe laquelle incapacité,
mais d’une impuissance perpétuelle et naturelle, qui rend la femme
inapte au mariage. De tels mariages, en effet, s’ils sont contractés
par erreur, sont jugés nuls et non avenus, et sont dissous par les tribunaux
ecclésiaux. C’est ce que nous avons dans les décrétales, (titre
de frig, chapitre ex litteris) : et c’est que répond la glossa
(dans 20 dist canon de libellis). Mais on objecte que Grégoire
semble juger que le premier mariage a été un vrai mariage, et qu’on
ne doit pas tant le dissoudre qu’en ajouter un autre. Car, il écrit
que l’homme ne doit pas cesser d’apporter du secours à sa première
épouse, c’est-à-dire qu’il doit encore la nourrir et la sustenter.
Mais on peut dire comme la même glosse (32, question 7, canon quod autem
proposuisti) que le pontife donne un conseil, non un ordre quand il demande
au mari de continuer à prendre en charge la première femme, si
elle a besoin d’être secourue, et si elle n’a commis aucune faute
qui l’empêche d’être encore son épouse. Il faut noter que
cet enseignement ne vient pas de Grégoire 1, mais de Grégoire 111.
Car, cette épitre à Auguste est une seule et même épitre que celle
à Boniface que l’on sait être de Grégoire 111. On ne la trouve pas,
en effet, parmi les œuvres de saint Grégoire, mais seulement dans les
tomes des conciles. Dans le concile romain sur les grades qui prohibent
le mariage, cette lettre est attribuée à Grégoire le grand, alors qu’elle
ne peut être que de Grégoire 111, comme on le voit pas les empereurs
qui sont nommés au début et à la fin du concile.
Le vingt-sixième est Nicholas premier. Certains lui reprochent
d’avoir enseigné qu’était valide un baptême administré au seul
nom du Christ, sans la mention des trois personnes de la trinité, ce qui
est contraire non seulement à l’institution évangélique du baptême,
mais même aux décrets des autres pontifes, comme les papes Pélage et
Zacharie qui réprouvent le baptême de ceux qui n’ont été baptisés
qu’au nom du Christ, et non expressément au nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit, comme on le voit dans le synode (dist. 4, canon
multi, et canon in synodo). On ne peut pas, non plus répondre que,
au temps de Nicolas, l’église n’avait pas encore défini qu’était
invalide un baptême conféré au seul nom du Christ, car cela avait été
défini dans un concile anglais, sous le souverain pontife Zacharie, qui
avait précédé Nicolas, lequel concile avait été confirmé par le pape,
comme on le voit dans le canon du synode, sur la consécration, dist. 4.
Je réponds que Nicolas a dit cela sans vouloir en faire une définition
de foi; qu’il n’avait que donné son opinion, en passant, en
tant que docteur particulier. Car, ce qu’il entendait définir
dans ce canon ne portait pas sur la forme du baptême, mais seulement
sur le ministre, au sujet duquel on l’avait interrogé. C’est
pourquoi, après avoir répondu et décrété qu’était valide
un baptême donné par un juif ou un païen, il a jouté, en passant,
que le baptême était valide, qu’il ait été donné au nom des
trois personnes, ou au non du Christ seul. Il se rangeait, en parlant
ainsi, comme il le dit lui-même, à l’avis de saint Ambroise (livre
1, chapitre 3, sur le Saint-Esprit). Cette opinion est fausse à
mon avis, mais non hérétique. Mais, on ne trouve aucune définition
sure de l’Église sur ce sujet, et les pères ont, là-dessus, des opinions
différentes.
Les canons des papes Pélage et Zacharie ne nous sont pas d’un
grand secours. Car, Pélage n’a rien défini, mais ne fait, dans
sa lettre à Gaudentius, qu’expliquer son opinion personnelle.
Quant au canon de Zacharie, il m’est grandement suspect. Gratien,
en écrivant ce canon, a cité la lettre en question de Zacharie
à Boniface. Mais cette lettre on ne la trouve pas dans les épitres
de Zacharie à Boniface qui sont éditées dans les tomes des conciles.
Ensuite, le vénérable Bède, qui a fait mention des autres conciles,
ne s’est pas souvenu de ce concile anglais dans son histoire ecclésiastique
d’Angleterre. Il a même une opinion tout à fait contraire.
Car, au chapitre 10 des actes, il approuve l’opinion de saint Ambroise
sur le baptême au nom du Christ, alors qu’il ne pouvait ignorer un décret
d’un concile anglais, qui aurait été célébré de son temps, et du
vivant du pape Zacharie. On ne peut en aucune façon croire
qu’il ait voulu contredire un concile tenu dans son pays, et confirmé
par le siège apostolique.
Mais si on admet la légitimité de ce concile confirmé par
le pape Zacharie, on peut répondre de deux façons. La première.
Ce concile (canon 4, dist, 3) a défini que le baptême était invalide
sans l’invocation des trois personnes de la sainte trinité. Mais
il n’a pas défini si ces personnes devaient être nommées explicitement
ou implicitement. Ce canon ne contredit donc pas l’opinion
d’Ambroise et de Nicolas qui enseignèrent que suffisait l’invocation
implicite des trois personnes dans le nom du Christ. Et c’est de
cette façon que saint Bernard a entendu ce canon dans sa lettre 340, ainsi
que Hugo de saint Victor, et tous les autres docteurs du moyen-âge qui,
en dépit du canon anglais, enseignèrent que le baptême administré au
seul nom du Christ était valide. La seconde. Je dis
que le concile n’a pas été vraiment et formellement approuvé par le
siège apostolique, et qu’il ne fait donc pas, de cette décision, une
matière de foi. Zacharie, il est vrai, loua ce concile anglais,
et cita ses décrets dans le but qu’il se proposait, non proprement comme
pontife. Et ce n’était pas dans l’intention de confirmer les actes
de ce concile qu’il l’approuva. Car, c’est une chose différente
pour un pontife de confirmer sérieusement les actes d’un concile, et
de les recommander dans un but précis.
Le vingt-septième est Stéphane V1, auquel on ajoute Serge 111,
comme on le voit dans Platine (28) et d’autres. On l’accuse d’avoir
annulé les actes du pape Formose, son prédécesseur, et d’avoir
prescrit d’ordonner, de nouveau, ceux qui avaient été ordonnés par
lui. Il a estimé ensuite que le sacrement dépendait de la vertu
du ministre, ce qui est une erreur manifeste dans la foi. Voilà
pourquoi Jean 1X annula les actes de Stéphane V1, et approuva ceux de
Formose. Mais, un peu après, Serge 111 annula de nouveau les actes
de Formose, et aussi ceux de Jean, et approuva les actes de Stéphane.
Comme ces pontifes se sont manifestement contredits, il est absolument
nécessaire que certains d’entre eux aient erré, comme le remarquent
les magdebourgeois (centurie 9, chapitre 10, dans la vie de Stephane 6,
et centurie 6, chapitre 10, dans la vie de Jean1X et de Serge 111).
Je réponds que Stéphane V1 et Serge 111 ont erré, mais dans une
question de fait, non de droit, en donnant un mauvais exemple, mais non
une fausse doctrine. Voici comment les choses se sont réellement
passées. Formose, cardinal et évêque portugais, déposé, dégradé
et réduit à l’état laïc par le pape Jean V11, quitta la ville, et
jura de ne jamais retourner ni à la ville ni à l’épiscopat.
Puis, après la mort de Jean V111, son successeur Martin 11, absout Formose
d’un serment fait sans réflexion, et le rétablit dans sa dignité première.
Et un peu après, ce même Formose fur créé pape, vécut encore
pendant cinq ans, et s’endormit avec ses pères. Stéphane
V1 lui succéda. Enflammé de haine envers Formose, ignorant ou ne
croyant pas qu’il avait été relevé de son serment par le pape Martin,
il décréta publiquement, dans un concile d’évêques, que Formose n’avait
jamais été un pape légitime, et que ses actes étaient donc nuls.
Et il força ceux qui avaient été ordonnés par lui d’être ordonnés
de nouveau, comme s’ils n’avaient reçu absolument rien de lui.
Ce comportement déplut à tout le monde. Voilà pourquoi les trois
pontifes qui lui ont succédé Romain 1, Theodore 11, et surtout Jean 1X,
convoquèrent un autre concile et déclarèrent que Formose avait été
un véritable pape, et renversèrent la décision de Stéphane V1,
Sergius fut élu après eux qui imita, en tout, Stephane V1.
La question principale était la suivante : Formose a-t-il, oui ou non,
été un pape légitime ? Nous ne nions pas que, dans ce genre de
questions, les pasteurs peuvent errer, et que, de fait, ont erré Stéphane
et Serge. Mais tu m’objecteras que Stéphane et Serge n’ont
pas seulement jugé que Formose n’avait pas été un vrai pape, mais
qu’ils avaient considéré invalides les ordres qu’il avait conférés,
ce qui est manifestement une erreur contre la foi. Car, même si
Formose n’avait pas été un vrai pape, et était demeuré constamment
déposé et dégradé, cependant, du fait qu’il avait été évêque
et qu’il l’était toujours quant au caractère et au pouvoir de l’ordre,
que nul ne peut enlever, c’est une erreur dans la foi de dire que les
ordres sacrés qui ont été conférés par lui n’étaient pas de vrais
ordres sacrés. Je réponds que Stéphane et Serge n’ont émis
aucun décret qui stipulerait que ceux qui sont ordonnés par un évêque
dégradé doivent être de nouveau ordonnés. Il a seulement
casuellement ordonné qu’ils soient de nouveau ordonnés. Ce commandement
ne provenait pas de l’ignorance, ou d’une hérésie, mais d’une haine
envers Formose. Sigebert (dans sa chronique, année 903), note dans
sa chronique, que c’est comme cédant à la violence que lui faisaient
les réclamations de tous, qu’il ordonna que soient réordonnés ceux
qui avaient été ordonnés par Formose.
Le vingt-neuvième est Jean X111, ou comme d’autres disent,
X1V. Les magdebourgeois (centurie 10, chapitre 6, colonne 294) l’accusent
d’une erreur horrible et sacrilège. Contre l’institution du Christ,
il a commencé à baptiser des cloches, ce que d’autres hérétiques
nous reprochent souvent. Je m’étonne qu’ils ne disent pas que
nous les avons avant catéchisées et instruites, pour qu’elles
puissent sonner le symbole de foi de façon orthodoxe. Ou c’est
le mot baptême qui fait problème, ou c’est ce que signifie le mot.
Si c’est la signification du mot, ils se trompent ou ils mentent, car
les cloches ne sont pas vraiment baptisées, mais seulement bénites et
dédiées au culte divin, de la même façon que le sont les églises,
les autels, les calices, et les vases sacrés. Comme on peut le voir
dans le pontifical, où l’on trouve une bénédiction de cloches qui
ne fait aucune mention du mot baptême. On ne dit pas non plus à
la cloche : je te baptise au nom du père, du fils et du Saint-Esprit,
mais on ne fait qu’offrir des prières à Dieu, comme dans les autres
bénédictions. Si c’est le nom qu’ils blâment, qu’ils
apprennent que ce nom de baptême n’a pas été donné par les pontifes,
mais par le peuple, qui assimila la bénédiction à un baptême parce
que les cloches sont aspergées d’eau bénite, et qu’on leur donne
un nom pour les distinguer des autres.
Le trentième est Sylvestre 11, qui, selon eux, fut mage et nécromancien,
et qui fut mis en pièces par le diable dans l’église de la sainte croix
de Jérusalem, comme le rapporte Martin Polonus dans sa chronique.
Et c’est cet auteur que citent les magdebourgeois (centurie 10) et Tilmannus
(livre 1, chapitre 9 de l’Église). Tous savent que les nécromanciens,
pour la plupart, sont des infidèles, et qu’ils adorent le diable à
la place de Dieu. Je réponds que ce que l’on raconte de
la magie, de la nécromancie et de la mort du pape Sylvestre 11 est une
fable. Car, aucun auteur ancien de bonne foi n’a osé présenter
cela comme une certitude. Et, dans l’église du Latran, existe
encore le sépulcre de ce pontife, avec une épitaphe inscrite par le pape
Serge 1V, un homme d’une sainteté reconnue par tous, qui ne fut postérieur
à Sylvestre que de cinq ans. Dans cette épitaphe, il loue son prédécesseur
en l’appelant un excellent pontife. L’occasion de la fable
de la magie du pape Sylvestre vint du fait qu’il était versé en astronomie,
et qu’il a écrit cinq livres sur ce sujet. En son siècle, c’est-à-dire
au dixième (900), personne ne pouvait exceller dans l’astronome
ou la géométrie sans être considéré, par le peuple, comme un mage.
CHAPITRE 13
Grégoire VII
Le trente-et-unième à être accusé d’erreur par les adversaires,
est Grégoire, le septième du nom. Les magdebourgeois le représentent
comme un hérétique, un nécromancien, un séditieux, un simoniaque, un
adultère, et le pire non seulement de tous les pontifes, mais de tous
les hommes. Et c’est pourquoi ils ne lui donnent pas le nom de
Grégoire, comme il fut appelé dans son pontificat, ni d’Hildebrand,
comme on l’appelait avant son pontificat, mais de Hellebrand, ce qui
signifie en allemand tison d’enfer. Theodore Bibliander
veut que ce Grégoire soit le Gog prince de Magog. Et tous les autres
pontifes de ce temps ne détestèrent aucun pontife autant que celui-là.
Et surtout Tilmannus (livre 1, chapitre 9 de l’église) où il
ment effrontément, en assurant que tout le mal qu’on raconte de Grégoire
se trouve dans les livres des moines, les adulateurs du pape.
Mais ce Tilmann et les centuriates ne présentent, en tout et pour tout,
qu’un seul témoin, un ennemi juré de Grégoire V11. Ils n’ont
donc, pour prouver leurs allégations, que le témoignage du seul pseudo
cardinal Bennonus, qui vécut à cette époque, et qui nous laisse
une vie de Grégoire V11.
En lisant le livre de ce Bennonus, que je trouvai infesté des
mensonges les plus abracadabrants, je me persuadai d’une ou l’autre
de ces choses : ou Bennon n’a rien écrit de tel à cette époque, ou
un certain luthérien en est l’auteur, ou le but de l’écrivain
n’était pas tant de raconter la vie de Grégoire V11 que de dépeindre
le modèle parfait du pire pontife, de la façon que Xénophon écrivit
la vie de Cyrus, roi des Perses, en ne racontant pas tant ce qu’a
fait Cyrus, que comment devait se comporter le meilleur des princes.
Qu’on ne puisse accorder aucun crédit à cet auteur, en font foi tous
les autres auteurs qui ont écrit juste le contraire, qui étaient eux
aussi, des contemporains, et qui sont plus crédibles que ce Bennonus.
Ils sont très nombreux à faire son éloge, et il est le seul, lui,
à le diaboliser. Et ce Bennonus ne fut pas fait cardinal par le vrai pape
Grégoire V11, comme l’affirme mensongèrement Bibliander dans sa chronique
(table 13) en précisant qu’il fut un cardinal de Grégoire V11, et un
de ses intimes. Il a plutôt été nommé cardinal par l’antipape
Clément 111, que l’empereur avait imposé en haine de Grégoire V11,
comme le rapporte Onuphrius dans son livre sur le pontife. Étant
une créature de l’antipape, il pouvait difficilement parler en bien
du vrai pape. Les autres auteurs qui n’étaient d’aucun parti,
n’avaient pas les mains liées par des bienfaits reçus, et étaient
donc en état de porter un jugement plus juste. Or, il est facile
de démontrer que les autres écrivains ont écrit à l’opposé
de ce que raconte Bennonus.
On peut regrouper en quatre chefs d’accusation les dénonciations
de Bennonus. Le premier. Grégoire V11 a, par une force
militaire qu’il avait payée de son propre argent, envahi le pontificat,
sans le consentement ni du clergé ni du peuple. Mensonge flagrant
! Car voici ce qu’a écrit saint Anselme, évêque de Lucques, qui vivait
à cette époque, dans une épitre à Guibert, pape schismatique du nom
de Clément 111 : « Pour dire donc de notre pape ce que saint Cyprien
a écrit de Corneille : il a été fait évêque par le jugement
de Dieu et de son Christ, et de presque tous les clercs. Et, pour
dire encore plus vrai, par le témoignage d’absolument tous, par le suffrage
du peuple qui était présent, des prêtres âgés, et par le collège
des hommes bons. Ce qui n’est arrivé à personne quand, ou à
Alexandrie ou à Rome, la chaire pontificale vaquait. » C’est
l’abbé Uspergensis qui rapporte cette lettre dans sa chronique, et il
ajoute : « Cet Anselme fut un homme très saint et très savant, au point
d’avoir été illustré par les miracles qu’il a faits de son vivant
et après sa mort. »
Platina fait ainsi le récit de l’élection de ce pontife :
« Nous, cardinaux de la sainte église romaine, clerc, acolytes, sous-diacres,
prêtres, en présence des évêques, des abbés, d’un grand nombre
d’ecclésiastiques et de laïcs, nous élisons aujourd’hui, ce
dix des calendes de mai, dans la basilique de saint Pierre aux liens, en
l’an du salut 1073, comme vrai vicaire du Christ, l’archidiacre Hildebrand,
homme d’une grande doctrine, d’une grande piété, d’une grande prudence,
justice, constance, et religion, homme sobre, modeste et continent. »
Ce texte ancien semble n’avoir été conservé que pour réfuter les
calomnies de Bennonus. Disent la même chose tous les auteurs que
nous allons citer plus loin.
Bennonus dit ensuite qu’Henri 1V a été excommunié par Grégoire
V11, alors qu’il était innocent. Les magdebourgeois osent affirmer
la même chose (centurie 11, chapitre 6, colonne 264). Or, Étienne, évêque
de Halberfatensis, homme saint et instruit, écrit ceci dans son épitre
à l’évêque Walramum, au témoignage de Dodechinus dans son addit
à Marian Scott, en l’an 1090, et de Trithemius dans sa chronique : «
Entends des choses vraies, non fardées, puissantes, non plaisantes : celui
qui vend les dignités spirituelles est un simoniaque. Le seigneur
Henri, qu’on appelle roi, a trafiqué les évêchés et les abbayes.
Il a vendu ceux de Constance, de Bamberg, de Moguntin, et plusieurs autres,
pour de l’argent. Ceux de Ratisbonne, d’Augustensem, et de Strasbourg,
pour le glaive. L’abbaye de Fuldens pour un adultère.
Le monastère épiscopal, ce qui n’est permis ne de dire ni d’entendre,
pour l’immondice sodomite. Si tu veux nier cela impudemment, le
ciel et la terre en témoigneront, et même ceux qui retourneront,
de la fournaise, sur la terre crieront qu’il est un hérétique.
À cause de ces méfaits abominables, il a été excommunié par
le siège apostolique, et il ne pourra désormais avoir aucun pouvoir sur
nous, qui sommes catholiques. »
Marianus Scotus, qui vécut au temps d’Henri 1V, écrit, dans
sa chronique à l’année 1075. Voyant et entendant parler
des crimes inouïs et inénarrables du roi Henri, des hommes catholiques
établis en autorité dans l’église à cette époque, enflammés du
zèle du Seigneur comme le prophète Élie pour la maison d’Israël,
ont envoyé des légats à Rome auprès d’Alexandre, le détenteur du
siège apostolique, pour se plaindre par écrit, de vive voix, et
en pleurant, de toutes les insanités simoniaques et hérétiques qui avaient
pour auteur et patron le roi Henri. » Le même Dodechinus, continuateur
de Marianus, écrit, en 1106 : « C’est par un juste jugement que
Henri, homme pervers, a été éjecté par l’Église, car il est prouvé
qu’il a vendu tous les biens spirituels. » Le même auteur rapporte,
dans les années 1090 et 1093, beaucoup d’autres crimes honteux d’Henri
1V. Saint Anselme, qui était évêque de Kant à cette époque,
appelle Henri 1V dans une lettre à Walram (qui précède le livre sur
l’asime), « le successeur de Néron, de Domitien et de Dioclétien.
»
De plus, Lambert Schaffnaburgensis, abbé d’Usbergensis,
rapporte plusieurs crimes d’Henri 1V, dans sa chronique. Ainsi
que Albertus Krantius (livre 5, metrop, et livre 6 saxoniae)
et Jean Aventinus (livre 5, annales des Bojorum), auteurs auxquels les
magdebourgeois ont coutume d’attacher beaucoup d’importance.
Et que dire de ce que Calvin lui-même le reconnait ? Car, voici
ce qu’il écrit dans ses institutions (livre 4, chapitre 11, verset 13)
: « L’empereur Henri, quatrième du nom, homme léger et téméraire,
dénué de jugement, d’une grande audace, et d’une vie dissolue, avait
fait, dans son palais, de tous les évêques de Germanie, des simoniaques
et des prédateurs. »
Voici quelle est la troisième accusation de Bennonus. «
Le pape Grégoire fut un hérétique bérengérien, c’est-à-dire qu’il
ne croyait pas avec certitude que le vrai corps du Christ était présent
sous les espèces du pain. » Mais il est certain que, sur ce pontife,
on ne peut pas faire d’accusation moins fondée que celle-là.
Car, pour omettre qu’il a toujours été appelé saint par tous les écrivains,
qu’il fut toujours en communion avec Léon 1X et Nicolas 11, qui condamnèrent
Bérenger, qu’aucun autre auteur, enfin, pas même Sigebertus qui ne
le prise guère, n’a osé affirmer rien de semblable, ce même Grégoire,
dans le concile de Tours qu’il présidait au nom du souverain pontife,
réfuta personnellement ce même Bérenger. Voici ce qu’écrit
à ce sujet Guitmundus (livre 3, sur l’eucharistie) : « L’Église
elle-même, par le pape saint Léon 1X, condamna les divagations bérengériennes
à leur naissance. Ensuite par le pape actuel, Grégoire V11, qui
était alors archidiacre du siège romain, elle convainquit dans le concile
de Tours ce même Bérenger. Comme il semblait ramené sur
la voie droite, et qu’il professa le mystère par écrit, il le
reçut avec clémence. Mais, l’hérésiarque étant retourné
un peu après à son vomissement, agissant au nom du pape Nicolas de sainte
mémoire, Grégoire le réfuta de nouveau dans le concile général
de Rome. »
Et pour qu’on ne dise pas que Grégoire sept était catholique
quand il était archidiacre, mais hérétique quand il fut pape, qu’on
lise Thomas Waldensis (tome, chapitre 43, sur les sacrements), où il rapporte
mot pour mot la sentence de ce pape Grégoire V11 qu’il a prononcée,
l’an 6 de son pontificat, dans un concile romain. Ce nouvel éclairage
fera apparaitre une fois de plus Bennonus comme un fourbe.
Voici quelle est la quatrième accusation de Bennonus. Grégoire
été un homme méchant, simoniaque, magicien, adultère, homicide,
enfin il est chargé de tous les crimes. Et, pour démontrer ses
dires, il raconte des histoires dont on ne trouve aucune trace dans les
bons auteurs, et que paradent comme des oracles Ilyricus et Tilmann.
Mais c’est le contraire qu’ont écrit de lui les écrivains contemporains,
et ceux des autres siècles, pour ne citer que les auteurs allemands.
Trithemius, dans sa chronique, parle de cette façon du conciliabule
de l’empereur : « À ce concile des méchants qui l’avait convoqué,
l’abbé Guillaume de Hirsaugiensis ne daigna pas aller, car il savait
que le vicaire du Christ était saint et innocent. » Otho Frisingensis
(livre 6, chapitre 32 de son histoire) écrit : « Hildebrand est toujours
demeuré très constant dans la discipline ecclésiastique. » Et,
au chapitre 34 : « Étant devenu la forme du troupeau, ce qu’il enseigna
par la parole il le démontra par l’exemple; et se conduisant en
toutes choses comme un athlète d’une grande force, il ne craignit pas
de se dresser comme un mur pour protéger la maison de Dieu. » Et,
au chapitre 36 : « L’Église n’a pas peu pleuré la perte d’un si
grand pasteur, qui, parmi tous les prêtres et les pontifes romains, excella
surtout dans le zèle et l’autorité. » Krantius (dans Metrop
livre 5, chapitre 20) écrit : « Henri 1V a envahi les droits des églises,
en instituant des évêques selon son bon plaisir, et en destituant le
souverain pontife Grégoire V11. »
L’abbé Usbergensis ne semble pas avoir osé louer trop ouvertement
Grégoire V11. Mais, en trois endroits, il dit ce qu’il en pense.
Un premier, où, dans des termes très clairs, il vitupère Henri 1V.
Voici ce qu’il dit : « L’an 1018, abusant de la liberté effrénée
de l’adolescence, le roi Henri 1V commença, à l’exclusion de
tout le reste de l’empire romain, à ne demeurer que dans la seule
Saxonie, à mépriser les princes, à opprimer les nobles, à soudoyer
les inférieurs par la chasse, les jeux et d’autres loisirs semblables.
Au lieu de rendre la justice, il s’évertua à donner en mariage les
filles des nobles à des bourgeois, et il choisit ses gardes du corps
parmi les soldats, parce qu’il se méfiait des nobles. »
Et plus bas : « Voici la fin, la mort et le sort ultime d’Henri, appelé
par les siens quatrième empereur romain de ce nom, mais par tous
les catholiques, qui continuent à obéir et à conserver leur fidélité
à Pierre et à ses successeurs, archi pirate, hérésiarque, apostat,
et persécuteur plus des âmes que des corps. »
Il enseigne là qu’Henri, dès son adolescence, a glissé vers la
tyrannie; et il démontre que le jugement que Grégoire porta sur lui fut
juste. Ensuite, plus bas, quand il cita les paroles du conciliabule
contre le pape saint Grégoire, et la défense de saint Anselme en faveur
du même Grégoire, l’abbé ajoute : « L’évêque Anselme écrivit
des choses très contraires à la première sentence, lui qui était un
lettré et un érudit, d’une grande intelligence, et qui avait la parole
facile, et, ce qui importe plus que tout, il était célèbre pour sa crainte
de Dieu et la sainteté de sa vie, tellement qu’on rapporte des miracles
qu’il a opérés pendant sa vie, et après sa mort. » Même
s’il ne semble pas facilement porté à louanger Grégoire V11,
et s’il préfère son louangeur à tous ses accusateurs, il ajoute quand
même, plus bas, au sujet du successeur de Grégoire V11 : « Desiderius,
cardinal romain et abbé du mont Cassin, un vrai disciple du Christ, lui
succéda, à son corps défendant. Mais, comme il était gravement
malade quand il fut élevé au sommet du pouvoir, il obtint, par ses prières,
d’être, après seulement quelques jours de pontificat, retiré de ce
monde. » Qui peut hésiter à penser que ce Désiré n’aurait
jamais approuvé la cause de Grégoire, s’il avait été persuadé qu’elle
n’était pas juste ?
Nauclerus (dans sa chronique des générations, 37) écrit :
« Grégoire fut un homme religieux, craignant Dieu, amoureux de la justice
et de l’équité, constant dans les adversités, et qui ne craignait
en aucune façon d’accomplir ce qui se rapportait à la justice. »
Marianus Scotus, moine de Fuldens, qui vécut au temps de Grégoire V11,
écrit (dans sa chronique, à l’année 1075) : « Grégoire, après avoir
entendu les récriminations et les justes plaintes des catholiques envers
l’empereur Henri 1V, et l’inhumanité de ses crimes, enflammé du zèle
de Dieu, excommunia le dit roi, surtout pour cause de simonie. Ce
qui plut grandement aux catholiques, mais déplut fortement aux simoniaques
et aux favoris du roi. » L’abbé Dodechinus, le continuateur
de Marien, écrit en 1085 : « Urbain confirma les écrits et les paroles
du vénérable pape Grégoire V11 contre les schismatiques. »
Et en l’année 1090, il le déclare bienheureux. Lambertus Schaffnaburgensis,
qui vivait à la même époque, écrit ceci, dans son histoire des Germains
: « La constance d’Hildebrand et son âme aguerrie contre l’avarice,
faisaient fi de tous les arguments de la faiblesse humaine. » De
même : « Les signes et les prodiges qui s’opéraient souvent par des
prières à saint Grégoire, et son zèle très fervent envers Dieu et
les lois ecclésiastiques le munissaient suffisamment contre les langues
empoisonnées des détracteurs. »
Au même endroit, il raconte la mort de l’évêque Guillaume qui,
avec Bennonus, avait milité contre Grégoire : « Il fut subitement
atteint d’une maladie chronique. En des hurlements misérables,
il vociférait devant tous, pour, par un juste jugement de Dieu, avoir
perdu la vie présente et l’éternelle, parce qu’il avait prêté la
main à tout ce que le roi entreprenait de mal, et parce qu’au pontife
romain innocent, très saint, et homme de toutes les vertus, il avait
infligé toutes sortes d’avanies, sciemment et consciemment, dans
sa fausse prudence. » Ensuite, au même endroit : « Pendant
la célébration d’une messe solennelle, le pape prit dans sa main le
corps du Seigneur, l’éleva en direction du roi, en lui disant
: « J’ai entendu dire par toi et par tes semblables que le siège de
Rome est atteint de l’hérésie simoniaque, et que sa vie est entachée
d’autres crimes. En guise de satisfaction, pour enlever à tous une occasion
de scandale, je prie Dieu, aujourd’hui, de, par son jugement,
de m’absoudre de tout soupçon de crime personnel si je suis innocent,
ou qu’il me frappe d’une mort subite si je suis coupable. Et
il prit ensuite une parcelle du corps du Christ et l’avala. En
voyant avec quelle facilité le pape avait communié, le peuple remercia
Dieu pour l’innocence du pontife, l’acclama en louant Dieu à
haute voix. Le pape se tourna alors vers le roi, et lui dit
: « Fais, mon fils, s’il te plait, ce que tu viens de me voir faire.
» Après avoir demandé un temps de réflexion, le roi refusa
finalement de se purger de cette façon. Et, dès qu’il rejoignit
les siens, il renoua avec sa rancune, et ne trouva pas de repos tant qu’il
n’eut pas expulsé Grégoire de la ville, et installé en sa place Gilbert,
évêque de Ravenne. »
Jean Aventin, allemand qui a vécu à cette époque, nous a laissé
quelques-uns de ses écrits. Même s’il déblatère contre notre
Grégoire, en marchant sur les traces d’un auteur au nom inconnu, et
donc de nulle autorité, il lui arrive parfois de s’avouer vaincu par
la vérité, c’est-à-dire de louer Grégoire, et de blâmer Henri.
Voici ce qu’il dit (livre 5, annales Bojor, pages 563) : « Que l’empereur
Henri ait été avili par les rapts, l’impudicité, la luxure,
les adultères, ses amis eux-mêmes ne le nient pas. » Et plus bas
: « Grégoire, un très saint homme, est présenté comme un méchant
homme par Paul bernietensis, qui a raconté sa vie en deux volumes, et
qui donne la parole aux plus acharnés ennemis du pontife. » Et,
plus bas (pate 579), après avoir décrit les crimes que ses adversaires
lui oppose il ajoute : « Contre ces accusations, Anselme, évêque de
Lucques (qui attribue à ce Grégoire les hymnes et les autres prières
qui sont prescrits pour les souffrances de notre sauveur), et Guillaume
Hursunus ont beaucoup écrit. Et ils déclarent que sa mémoire et
ses actes ont été lavés de tout soupçon d’injustice par les
miracles qui ont eu lieu après sa mort. »
L’innocente du pape Grégoire est donc prouvée de trois façons
: par le témoignage des écrivains, par le témoignage d’un adversaire
mourant, et par le témoignage de Dieu quand il a été invoqué par le
pontife. Il ne reste qu’une seule calomnie, celle de Sigebert,
qui écrit, dans sa chronique, que Grégoire pensait qu’un prêtre concubinaire
qui tenait, malgré son état, à célébrer la messe, ne pouvait pas consacrer
validement; et qu’il interdisait, pour cette raison,
aux chrétiens d’assister au saint sacrifice offert par des prêtres
concubinaires.
Je réponds que Sigebert faisait parti des fidèles d’Henri 1V, comme
le rapporte Trithemius dans son catalogue des écritures, et que
c’est pour cette raison qu’il a mal interprété l’interdiction du
pape Grégoire. Ce que le pape Grégoire ordonne vraiment l’évêque
Anselme, qui est plus ancien et plus saint que lui, le raconte plus
au long, et plus fidèlement. Dans son épitre 8 à l’abbé
Guillaume, il dit : « Au sujet des prêtres qui s’affichent comme
des réprouvés et des gens exécrés par Dieu, à cause de leur commerce
libidineux, il faut conserver ce que la providence apostolique a
décrété par la rigueur d’un jugement ecclésiastique.
Il ne convient aucunement qu’on assiste avec révérence là où
ceux qui sont souillés par une luxure impudente, publique et obstinée,
desservent les saints autels, ou qui plutôt, loin de les desservir, les
maculent honteusement, en autant que cela dépend d’eux. Non parce
qu’on pense devoir mépriser ce qu’ils font, puisque ce sont eux qu’on
doit considérer comme exécrables, eux qui n’ont aucun respect de la
présence de Dieu et des anges. Afin que, rabroués par l’indignation
des hommes, ils cessent de contaminer les mystères. » Ce contemporain
a parfaitement expliqué le sens du décret de saint Grégoire.
Il nous plait maintenant d’ajouter la liste de ceux qui ont
parlé honorablement de saint Grégoire. Léon, contemporain, écrivit
autour de l’année 1080 (livre 3 de l’histoire du mont Cassin) beaucoup
de choses sur la sainteté du pape, y compris de ses révélations célestes,
des visions que n’ont que les serviteurs de Dieu les plus éprouvés.
À la même époque, Marianus Scotus (livre 3, chronique, an 1075
jusqu’à 1083) parla de lui comme d’un saint pontife. Lambertus
dans sa lettre 8 à Guibert, d’après l’abbé d’Uspergen,
Stephane Halberstatensis, dans l’épitre à Walramum, d’après Dodechinum,
dans son addition à Maian Scot, Bernard Corbejensis, dans son apologie
pour Grégoire, au témoignage de Trithemius (dans son catalogue des Écritures),
Guilmundus (livres 1 et 3 sur le sacrement de l’eucharistie). Ensuite,
Paul bernietensis, et Gerochus reicherspergensis, qui ont écrit
pour Grégoire, et ont été exliés à cause de cela, comme l’atteste
Jean Aventinus (livre 5, anales Bojor). Ces dix saints et doctes
écrivains ont écrit pour défendre Grégoire pendant sa vie. Le
seul écrivain qui nous reste de cette époque à écrire contre le pape
Grégoire est ce pseudo cardinal Bennon.
Ensuite, en l’an 1100, Sigebert, dans sa chronique, même s’il
était un partisan de l’empereur Henri, comme nous l’avons dit plus
haut, n’osa accuser Grégoire d’aucun des crimes dont parlent Bennon
et les centuriates. Tout ce qu’il lui reproche c’est un zèle
inconsidéré, et une erreur sur les ministres du sacrement, donc Anselme
l’a suffisamment purgé. Ensuite, ce même Sigebert ne cache pas
qu’Anselme de Lucques a écrit en faveur de Grégoire, et que la sainteté
d’Anselme a été démontrée par des signes et des prodiges. Ce
qui contribue surement à la gloire de Grégoire. Un peu plus tard,
Gratien, en l’an 1150, rapporte un décret de Grégoire (question 15,
canon 6 nos sanctorum). Et il écrit admirablement en faveur de notre
Grégoire. Otho frisingensis, anobli par sa sagesse et la probité
de sa vie (livre 6 de son histoire), et Godefridus viterbiensis,
en l’an 1200, dans sa chronique ne loue ni ne critique Grégoire.
Il le loue quand même (comme nous l’avons déjà dit) indirectement
de plusieurs manières, en ne lui reprochant rien. À la même époque,
Dodechinus, dans son addition à Marian, loue ouvertement Grégoire, et
blâme Henri. Vincent, en l’an 1250 (dans son livre d’histoire,
livre 25, chapitre 44), atteste que saint Grégoire a brillé par le don
des miracles et des prophéties. Saint Thomas le cite avec
honneur (2,2, question 12, article 2). Martin Polonus, en l’an
1300, dans sa vie de Grégoire, Jean Villanus (livre 4, chapitre 21, de
l’histoire florentine), Blondus, en l’an 1400, (dec. 2, livre 3), Malthaeus
Palmerius, dans sa chronique, Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 43), saint
Antonin, 1450, (partie 2 de la somme historique, tit 16, chapitre 1, verset
21), Plaina dans la vie de Grégoire, Aeneas Sylvius (dans le comput),
Blondi Joannes Trithemius, 1500, dans sa chronique, Joannes Nauclerus (chronique
gener 37), Albertus Krantius (livre 5, Metrop),Sabellicus ( Enneade 9,
livre 3) Volaterranus (livre 22, anthropologie, les actions de grégoire,
tous ces auteurs ont décrit Grégoire comme un grand saint.
Voilà les autorités que nous opposons à l’unique Bennon, et aux perroquets
centuriates, à l’impudence et au mensonge d’un Tilmann, qui a osé
écrire que les crimes de Grégoire avaient été mis en lumière par les
moines et les adulateurs des papes. Nous avons, nous, au contraire,
montré qu’il a été loué par tous.
2017 12 20 22h09 fin
TTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTT
2019 09 25 14h43 correction de l'oubli
Le trente-deuxième est Alexandre 111 qui (dans le chapitre cum esses
des testaments) dit qu’il est contraire à la loi divine et à la pratique
de l’Église de requérir, pour les serments, plus que trois témoins.
Et, au même endroit, il interdit, sous peine d’excommunication, de résilier
des testaments faits avec trois témoins. Or, c’est le contraire qui
est observé dans toute la chrétienté : on ne considère ratifiés que
les testaments qui ont sept témoins. Le même Alexandre, (au chapitre
il est permis à l’épouse de deux) dit que quelques-uns de ses prédécesseurs
ont jugé qu’un mariage validement contracté, mais non consommé,
pouvait être invalidé par un autre mariage. Mais que lui était
d’un avis contraire. Il s’ensuit donc que c’est lui qui a erré,
ou ses prédécesseurs. Je réponds à la première accusation
par une glose des canonistes. Le pape Alexandre n’a donné cette
loi qu’à ceux qui lui étaient soumis dans le temporel et le spirituel.
Ce canon ne déroge donc pas aux lois civiles, ni à la pratique du reste
de la chrétienté. Ou bien, s’il avait imposé cette loi à toute
l’église, il faudrait l’entendre seulement des causes pieuses dont
l’église est juge. C’est-à-dire que le pontife a voulu que
certains testaments, non tous, mais seulement ceux qui font héritiers
une église ou un lieu pieux soient valides, même s’ils ne sont certifiés
que par trois témoins. À la deuxième accusation, je réponds que ni
Alexandre ni ses prédécesseurs n’ont défini quoi que ce soit là-dessus.
Ils ont seulement expliqué ce qu’ils en pensaient.
Le trente-troisième est Célestin 111. Alphonse de Castro
(livre 1, chapitre 4, les hérésies) affirme qu’on ne peut, en
aucune façon, l’excuser d’hérésie, parce qu’il a enseigné
que le mariage est dissous par l’hérésie, et que, en conséquence,
celui dont le conjoint est tombé dans une hérésie, peut contracter un
nouveau mariage avec une autre femme. Et même si ce décret de Célestin
ne se trouve plus aujourd’hui, on le lisait autrefois dans les anciennes
décrétales (au chapitre laudabilem, sur la conversion des infidèles).
Ce décret, Alphonse dit l’avoir vu. Or, il est évident que cette sentence
de Célestin est hérétique parce que le pape Innocent 111 (chapitre quanto
du divorce) a enseigné le contraire, ainsi que le concile de Trente (session
4, canon 5). Je réponds que ni Célestin, ni Innocent n’ont statué
sur cette question. Ils ont répondu, l’un et l’autre, ce qui leur
semblait le plus probable. C’est ce que nous font comprendre les
paroles qu’emploie Innocent. Car, après avoir dit que son prédécesseur
avait jugé autrement, il ajoute que, jusqu’à présent, cette chose
est laissée à la libre opinion de chacun. Qu’Alphonse ait dit
que la lettre de Célestin se trouvait parmi les lettres des décrétales,
cela est vrai. Mais, on ne peut pas en déduire que Célestin a fait
un décret pleinement apostolique, et ex cathedra, puisque, dans les autres
épitres des décrétales, il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas
à considérer comme de foi. Elles ne font que nous déclarer les
opinions des pontifes sur ces questions.
Le trente-quatrième est Innocent 111, qui (au chapitre per venerabilem
qui filii sint legitimi) enseigne que l’ancienne loi n’est pas encore
totalement abrogée : « Quand on interprète la deuxième loi du deutéronome,
les mots qui sont utilisés enseignent par eux-mêmes que ce qui est décrété
là doit être observé dans le nouveau testament. » Or, ce décret
d’Innocent 11 s’oppose au décret de Pierre dans Actes 15.
Je réponds qu’Innocent, dans ce passage, ne voulait pas dire que l’ancien
testament doit être observé à la lettre, mais que tout ce qui y était
raconté était des figures du nouveau testament. Il a parlé en
particulier de la deuxième loi du deutéronome, parce qu’elle contient
beaucoup de choses qui se rapportent, en figure, au nouveau.
Le trente-cinquième est Nicolas 1V. Il a défini (dans le
chapitre il est sorti, sur la signification du mot, dans sixième) que
le Christ avait enseigné, par la parole et par l’exemple, la pauvreté
parfaite, qui consiste dans le rejet de toutes choses, sans avoir conservé
aucune possession, ni en particulier, ni en général; et que cette pauvreté
était sainte et méritoire. Mais Jean XX11 (dans in extremis, de
la signification du mot) enseigne que cela est faux et hérétique.
À l’auteur de ces canons, il enseigne qu’une telle pauvreté est impossible,
celle par laquelle quelqu’un renonce à toute possession des biens terrestres,
en n’en conservant que l’usage. Entre autres choses, il déclare
hérétique celui qui prétend que c’est ce genre de pauvreté que le
Christ nous a donné en exemple en paroles et en actes. Dans in extremis,
il enseigne la même chose, en insistant davantage. Jean de
Turrecremata (livre 2, chapitre 112, dans sa somme) s’efforce de concilier
ces deux pontifes, et Jean XX11 lui-même sent le besoin de montrer qu’il
ne pense pas autrement que les pères du concile de Nicée.
Et de fait, à moins que je ne me trompe, on ne peut les
concilier en tout. Il faut d’abord noter que Jean et Nicolas ont
traité de trois choses. La première. Dans les choses
dont on a besoin pour vivre, peut-on séparer l’usage de la possession
? La deuxième. Est-ce que la pauvreté qui rejette toute possession
des biens en n’en conservant que l’usage, est sainte et méritoire
? La troisième. Est-ce que c’est cette pauvreté-là que le Christ
a enseignée par la parole et par l’exemple ? À la première question,
Jean XX11 répond qu’on ne peut séparer l’usage de ces choses
de leur possession. Car, posséder c’est pouvoir détruire quelque
chose. Il est donc impossible de pouvoir détruire une chose en en usant,
comme en mangeant du bien, sans en être le possesseur. Mais Nicolas
enseigne que cela est possible et louable. Et Clément 1, plus tard,
enseigna clairement la même chose (dans je suis sorti du paradis, définition
du mot). Car être le maître de quelque chose ne consiste pas à pouvoir
détruire une chose n’importe comment, mais à pouvoir la détruire librement,
quand, où et de la façon dont quelqu’un le veut; mais aussi à la donner,
la vendre ou l’échanger. Il est évident que tous les vrais religieux
ont l’usage du pain qu’ils mangent et du vin qu’ils boivent, mais
qu’ils ne peuvent ni les donner, ni les vendre, ni les échanger, ni
les jeter à la poubelle. Tu diras : Jean XX11 a donc erré.
Il semble qu’il se soit trompé sur cette question, mais non en matière
de foi. Car, comme il le dit lui-même, cette chose ne relève pas
de la foi, et différents auteurs pensent différemment.
La deuxième. Nicolas a estimé que cette pauvreté était
sainte et méritoire. Jean le nie. Même si le sentiment de
Nicolas semble préférable, il n’a pas voulu en faire un article de
foi, ni n’a cherché à contredire Jean XX11. Car il ne pensait qu’à
la possession des choses qui étaient données aux franciscains.
La troisième, qui est la plus importante et qui se rapporte à la foi.
Nicolas et Jean sont là du même avis. Nicolas dit que le Christ
a tantôt enseigné par la parole et par l’exemple cette pauvreté parfaite,
et a tantôt donné l’exemple d’une pauvreté moins rigide, comme le
père et le docteur commun de tous. Jean a défini comme hérétique
que le Christ n’ait jamais rien eu en propre, ni en particulier, ni en
commun. Ces deux choses ne se contredisent pas. Car, Nicolas
ne nie pas que le Christ ait eu quelque chose en propre, au moins en commun.
Il nie seulement qu’il ait vécu ce genre de vie. Jean ne nie pas
que le Christ ait eu quelque chose en propre, en particulier ou en commun,
mais il nie qu’il a toujours vécu une telle vie.
Que le Seigneur ait enseigné l’un et l’autre par la parole
et par l’exemple, il est facile de le prouver, car la pauvreté il l’a
enseignée en termes formels (Matt 10) : « Ne possédez ni or, ni argent,
dans vos ceintures, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton. »
Il importe peu, pour l’instant, que ces paroles soient des préceptes
ou des conseils, ou qu’on puisse leur donner un autre sens que le renoncement
absolu à toute possession. Cette phrase suffit pour justifier l’enseignement
du pape Nicolas, et on peut l’entendre au sens de renoncement à toute
possession. Car, même si le Christ a dit qu’un ouvrier est digne
d’un salaire, il a obligé les peuples à soutenir les prédicateurs,
et il concéda ainsi aux prédicateurs le droit d’exiger un soutien matériel
populaire. Il n’a cependant pas obligé les prédicateurs à l’exiger
comme un du. Saint Paul (1 Corinth 9) leur permit de vivre de leurs
labeurs, en acceptant comme un don ce qui leur était du en justice.
C’est dans ce sens que saint François interpréta ces paroles, dont
Dieu et l’église universelle approuva l’institut qui a été
illustré d’un grand nombre de miracles, et qui a produit un grand nombre
de saints. Que le Seigneur ait aussi enseigné
la pauvreté par l’exemple, un passage de Matthieu, 8, nous le
montre : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. »; et
de Luc 8 : « Des femmes le suivaient qui s’occupaient de lui avec leurs
biens personnels. » Pendant sa vie publique, le Seigneur n’avait
pas de demeure fixe, et il ne vivait que des aumônes des fidèles.
Le Seigneur a donné aussi l’exemple d’un autre genre
de vie. Nous lisons (en Jean 13) qu’il avait des locaux où
il vivait en commun avec ses disciples. Et on ne peut douter que
les disciples possédaient de l’argent, du moins en commun, dont ils
faisaient des aumônes, comme le montre le même passage. C’est
cette vie qu’ont imitée les fidèles qui étaient à Jérusalem sous
la conduite des apôtres (actes 4), ainsi que presque tous les ordres religieux.
Car, à l’exception des franciscains, tous ont, en commun, la possession
des biens matériels. Le trente-sixième est Jean XX11.
Plusieurs lui ont reproché, surtout Guillaume d’Ockam (dans son œuvre
des 93 jours) et Adrien (question sur la confirmation) d’avoir enseigné
que les âmes des bienheureux ne verraient pas Dieu avant la résurrection.
Érasme (livre 5 d’Irénée,) affirme la même chose : « Dans cette
erreur a été aussi le pontife romain Jean, le vingt-deuxième de ce nom.
Il a été forcé par les écrits des théologiens de Paris de s’excuser
devant le roi français, Philippe, non sans brui de trompette. C’est
ce que raconte Gerson dans son sermon de Pâques. »
Il ajoute Calvin (livre 4, chapitre 7, verset 28 de ses institutions)
: « Qu’ils veulent que le privilège qu’ils obtiennent soit ratifié,
qu’ils excluent du nombre des pontifes Jean XX11, qui enseigna ouvertement
que les âmes étaient mortelles, qu’elles mouraient avec le corps jusqu’au
jour de la résurrection. Et, comme tu le vois, tout le siège avec
ses principaux thuriféraires s’est écrasé subitement, et aucun des
cardinaux n’osa s’opposer à cette insanité. Mais l’école
de Paris incita le roi de France à le forcer à une rétractation.
Le roi interdit aux siens la communion, tant qu’il ne viendrait pas à
résipiscence. Cela il le fut proclamer par un crieur public.
Acculé au pied du mur, il renonça à son erreur. » Mais
il ne donne pas d’autre preuve de son récit que le témoignage d’un
contemporain, Gerson.
Je réponds d’abord à Adrien, qu’il est vrai que Jean XX1
a pensé que les âmes ne verraient Dieu qu’après la résurrection.
Il a pensé cela quand il était permis de le faire sans risque d’hérésie,
car l’Église n’avait encore rien statué sur ce sujet.
Il songeait à en faire une définition, mais quand il était encore
dans la phase de consultations préparatoire, il mourut, comme l’atteste
Benoit X11, le successeur de Jean XX11 (dans Extravag , qui commence par
Dieu béni, que cite au complet Alphonse de Castro (livre 3 contre les
hérésies, au mot béatitude). Jean Villanus rapporte (livre 22,
chapitre 19 de son histoire) que, avant sa mort, le pape s’était
rétracté. Il aurait d’abord attesté que, lorsqu’il parlait
de cela, il n’avait jamais eu l’intention d’en faire une définition
de foi, mais qu’il ne faisait qu’en discuter pour rechercher en quoi
consistait la vérité. Il ajouta, ensuite, qu’il estimait plus
probable l’opinion de ceux qui soutiennent que les bienheureux jouissent
de la vision béatifique avant le jour du jugement universel. Que
c’était cette opinion qu’il favorisait, à moins que l’Église ne
décide le contraire; et qu’il soumettait très volontiers toutes ses
opinions personnelles à une définition officielle de l’Église. Cette
rétractation montre que le pape Jean a toujours été un bon et vrai catholique.
À Calvin je réponds que, en peu de mots, il a impudemment proféré
cinq mensonges. Le premier. Que Gerson ait vécu au temps de
Jean XX11, ni Jean Villanus (livre 11, chapitre 19), ni tous les autres
historiens ne le reconnaissent. Jean XX11 est mort en l’an du Seigneur
1334, (Trithemius, les hommes illustres), et Gerson est né en 1363.
Il n’était donc pas né quand mourut le pape Jean XX11. Le deuxième
mensonge. Gerson aurait dit que le pape niait l’immortalité de
l’âme. Or, c’est d’un certain Jean dont parle Gerson dans
un sermon pascal, (tome 4), le seul à parler de cette erreur. Voici
ses propres paroles : « Cela l’a fait le larron, qui n’avait
vraisemblablement pas complété sa pénitence pour ses nombreux péchés.
Il fut, en cette heure même, béatifié, et il vit Dieu face à
face comme les saints dans le paradis. C’est ce qui démontre la
fausseté de la doctrine du pape Jean XX11. » Il n’explique pas
davantage quelle était cette doctrine, mais il dit que la fausseté de
cette doctrine apparait manifestement par le fait que le larron crucifié
avec le Christ a, tout de suite après sa mort, vu Dieu. Il indique
par là assez clairement que le pape Jean XX11 a erré en ce qu’il croyait
que les âmes des saints ne voyaient pas Dieu immédiatement après leur
mort. Que ce pape ait nié l’immortalité de l’âme, ni Gerson,
ni aucun auteur avant Calvin, ni même Guillaume d’Ockam, qui fut son
plus acharné ennemi, ne l’en a accusé. Mais je vois pourquoi
Calvin a cogité un si horrible mensonge, car, pour Calvin, la soi disant
erreur du pape Jean n’en est pas une erreur, mais une doctrine très
vraie. Car, lui-même (livre 3, chapitre 20 des institutions) dit
que seul le Christ est dans le ciel, et que les saints attendent dans un
lieu quelconque jusqu’à la consommation du monde. Et, au verset
24, il ajoute que les saints nous sont encore unis par la foi, et que comme
ils ont encore la foi, ils ne voient pas Dieu. Et parce qu’il a
vu que ce que les autres blâmaient en Jean XX11 était blâmable
aussi en lui, alors qu’il ne voulait par laisser passer une occasion
d’accuser le pontife, il se réfugia près de son maître, le père des
mensonges, et il reçut de lui, en échange, cette insigne calomnie.
Le troisième mensonge. Il prétend qu’aucun cardinal ne s’est
opposé à cet enseignement du pape Jean XX11. Mais cela est faux,
d’abord, parce que ni Gerson, ni aucun autre historien n’a jamais raconté
cela, ensuite parce que plusieurs ont pensé justement le contraire, comme
on le voit par la définition que, après la mort de Jean XX11, a
fait le pape Benoit X11, du consentement de tous les cardinaux, et
comme la lettre même du pape nous le révèle. Et il n’y avait
aucune raison qui aurait justifié que ceux qui pensaient le contraire,
aient craint de contredire le pape, de son vivant. Car, le pape Benoit
X11, dans sa bulle Extravag affirme que le pape Jean XX11 avait sévèrement
prescrit aux cardinaux et à tous les docteurs de dire sincèrement ce
qu’ils en pensaient, pour qu’on puisse découvrir la vérité.
Ensuite, Jean Villanus (livre 10, chapitre dernier de son histoire), qui
vivait alors, rapporte que la doctrine du pape répugnait à la plus
grande partie des cardinaux, quand le pape vivait encore. Le
quatrième mensonge est que le roi de France interdit aux siens la communion
de Jean. Que le roi Philippe ait eu, dans cette question, plus
de confiance dans les docteurs parisiens de la Sorbonne qua dans le pape,
comme docteur privé, Gerson en témoigne clairement. Mais qu’il
ait, pour cette raison, excommunié le pape, nul ne le rapporte.
Et, il n’est pas croyable qu’un roi chrétien ait osé poser un tel
acte. Le cinquième mensonge. Le pape aurait abjuré
son erreur. Ni Gerson, ni aucun autre historien n’écrit que le
pape ait du abjurer son erreur, puisqu’il n’était tombé dans aucune
erreur. Il a, à la vérité, rétracté sa doctrine, il est vrai,
la veille de sa mort, non sur l’ordre du roi, mais parce que ses
amis l’avaient persuadé de le faire. Voir Jean Villanum (livre
11, chapitre 19) qui met à nu les calomnies d’Érasme. Il n’est
pas vrai, non plus, que Jean XX11 ait été contraint à une rétractation,
et c’est encore moins vrai que ce soit le roi qui l’ait forcé à la
faire.
Le trente-septième est Jean XX111, qui, au concile de Constance
(session 11), a été accusé d’une pernicieuse hérésie. On dit
qu’il a nié la vie future et la résurrection de la chair. Je
réponds qu’il est absolument certain, et hors de tout doute, que Jean
XX11 n’a pas été pape. Il n’y a donc aucune obligation de prendre
sa défense. Il y en avait trois, à cette époque, qui voulaient
être considérés comme pape : Grégoire X11, Benoit X111, et Jean XX111.
On ne pouvait pas facilement déterminer qui était le vrai et légitime
pontife, puisque chacun avait des protecteurs très puissants. Mais
j’ajoute qu’il est à peu près certain que ce fut par erreur que le
pontificat ait été attribué à Jean. Car, dans la session du concile
où on énuméra les articles qu’on objectait au pape Jean, on en réunit
53 qui se rapportent tous aux mœurs, et qui étaient tous confirmés par
des témoins crédibles. On en présenta ensuite cinq autres, qui
n’étaient confirmés par aucune témoin sérieux, dont voici le pénultième.
Or, cet article ne fut approuvé que par la rumeur publique. Car, en voyant
que Jean avait une vie dissolue, on commença à dire qu’il ne croyait
pas à la vie éternelle et à la résurrection de la chair.
Mais qui ne voit pas qu’on ne peut pas tirer une hérésie de mauvaises
mœurs ? On peut en énumérer un grand nombre qui ont la fraie foi,
mais qui vivent comme s’ils ne croyaient pas. Et finalement, dans
la session 12 du concile, on prononça la sentence contre Jean XX111.
On fit un bref exposé des causes de sa condamnation et de sa déposition,
dans faire aucune mention d’erreur ou d’hérésie. On peut considérer
cela comme un argument évident que Jean XX111 n’a pas été rejeté
pour cause d’hérésie. Car, pour qu’on puisse prouver cela,
il faudrait que l’hérésie ait figurée parmi les causes de sa condamnation,
car on ne peut pas trouver de cause plus juste pour destituer un pape que
l’hérésie. Et c’est même la seule raison qui permette de le juger.
Le trente-huitième est Benoit X111, qui a été condamné comme
hérétique par le concile de Constance, à la session 37.
Mais ce Benoit ne fut pas un pape légitime, puisqu’il a succédé à
Clément V11, qui, du vivant du vrai pontife, Urbain V1, avait envahi le
siège. Il ne fut pas, non plus un vrai hérétique, car la seule
chose qu’on lui reproche c’est qu’il ne croyait pas que le concile
avait un pouvoir plus grand que le pape. Ce en quoi il n’erra nullement.
Mais, cela, plus tard. Le trente-neuvième est Eugène 1V,
qui, à la session 34, abolit le concile de Bâle, parce qu’il était
tombé dans une hérésie. Mais ce pape, n’a erré en rien
contre la vérité. Il annula les actes antérieurs du concile de
Lausanne qui avait continué; et vénéra comme vrai pontife Nicolas V,
successeur d’Eugène. Et, par les lettres de ce même Nicolas,
on peut connaitre qu’on a coutume, dans les tomes des conciles,
d’ajouter ses actes au concile de Valence.
Le quarantième est Innocent V111. Il semble avoir erré
en ce qu’il a permis aux norvégiens de célébrer le sacrifice sans
vin, comme le rapporte Raphaël Volterranus (livre 7, de la géographie).
Mais il est facile de répondre. Il n’a pas édité de décret
à l’usage de toute la chrétienté dans lequel il statuerait ex professo
qu’on peut, sans vin, offrir le sacrifice. Donc, s’il a erré,
c’est une erreur de fait, non de dogme. De plus, il ne permit pas
de consacrer un autre liquide à la place du vin, ce qui aurait été une
perversion de la matière du sacrement, mais de consacrer l’eucharistie
dans une seule espèce, et cela seulement dans les nécessités extrêmes,
là où le vin ne peut être conservé sans tourner en vinaigre.
Ce qui n’est surement pas une erreur. Mais il semble étrange qu’à
cette époque, ils ne buvaient pas de vin à table, ou qu’ils ne pouvaient
pas le conserver, alors qu’il était si abondant que, sans lui, ils ne
voulaient pas socialiser. Ce qui nous fait penser que Volaterre ait
pu commettre lui-même une erreur.
TTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTT
2017 12 26 22h45 début
CHAPITRE 15 : On propose une question : le souverain pontife a-t-il
une juridiction coercitive, qui lui permette non seulement de faire des
lois qui obligent en conscience, mais de juger et de punir les transgresseurs
?
Nous avons démontré jusqu’à présent, que le souverain pontife
est le juge suprême des controverses, qui naissent dans l’Église, et
que son jugement est certain et infaillible. Suit donc une troisième
question : le souverain pontife peut-il contraindre les fidèles à croire
et à faire ce qu’il a décidé ? Peut-on, toute proportion gardée,
dire la même chose des évêques ? Mais avant d’en venir à nos
raisons et à celles de nos adversaires, il vaudra la peine de dire quelques
mots sur l’état de la question et sur la doctrine de nos adversaires.
Il faut d’abord noter que nous ne parlons pas, ici, du souverain
pontife en tant que prince temporel d’un état. Car, il est certain
qu’à ce titre, il peut faire des lois pour ses sujets, et les imposer
même par le glaive, ce que les hérétiques ne nient pas. Même
s’ils nient qu’ils soient un prince temporel, ils admettent quand même
qu’il aurait ce pouvoir s’il l’était vraiment. Nous ne parlons,
ici, du pontife qu’en tant que chef de toute l’église catholique.
Et voici ce que nous nous demandons : a-t-il, sur les fidèles, dans les
choses spirituelles, le même pouvoir qu’ont les rois dans les choses
temporelles ? Peuvent-ils, comme eux, faire des lois, et punir
les transgresseurs par des peines temporelles ? Peuvent-ils faire des lois
ecclésiastiques qui obligent vraiment en conscience, et punir les
transgresseurs au moins par des peines spirituelles, comme l’excommunication,
la suspension, l’interdiction ? Car, c’est dans le livre 5 que
nous traiterons du pouvoir temporel ou civil que possède directement
ou indirectement le pape. Nous n’entreprenons, maintenant, de discuter
que du seul pouvoir spirituel ou ecclésiastique, dont la fin est la vie
éternelle.
Il faut noter ensuite que ne nous enquérons que des lois justes,
car les lois injustes ne sont pas des lois proprement dites, comme l’enseigne
saint Augustin (livre 1, chapitre 5, du libre arbitre). Or, pour
qu’une loi soit juste, il faut quatre conditions. La première,
de la part de la fin. Elle doit être ordonnée au bien commun.
Le roi, en effet, selon Aristote (livre 8, chapitre 10 des éthiques) diffère
du tyran parce que le premier cherche l’utilité commune,
et l’autre l’utilité privée. La deuxième, de la part de l’agent.
Elle doit être faite par quelqu’un qui a l’autorité de la faire,
car personne ne peut imposer une loi à quelqu’un qui n’est pas son
sujet. La troisième, de la part de la matière. Le vice ne
peut pas être prescrit, et la vertu prohibée. La quatrième, de
la part de la forme. Elle doit être composée et promulguée de la manière
qui est due, c’est-à-dire que la loi proportionne les honneurs et les
charges à l’ordre qui existe entre les sujets dans la république.
Si, par exemple, le souverain pontife ordonnait que, pendant le carême,
les enfants et les hommes murs, les forts et les faibles, les hommes en
santé et les malades, jeunent de la même façon, sa loi serait injuste.
De même, s’il statuait que seuls les riches et les nobles peuvent être
admis à l’épiscopat, à l’exclusion des pauvres et de ceux du tiers
ordre, plus savants et plus saints, sa loi serait injuste, même si, en
raison de certaines circonstances particulières, elle pouvait être juste.
Même si la loi injuste n’est pas une vraie loi, et n’oblige
pas, par elle-même, en conscience, il faut quand même faire la distinction
entre lois et lois. Les lois qui sont injustes en raison de la matière,
c’est-à-dire qui sont contraires au droit divin ou naturel, non seulement
n’obligent pas, mais ne doivent en aucune façon être observées, selon
cette parole des apôtres (actes 5) : « Il faut obéir à Dieu plutôt
qu’aux hommes. » Et c’est ce qu’enseignent saint Jérôme
(chapitre 6, Éphésiens), saint Augustin (psaume 124, sermon 6 sur la
parole du Seigneur), et saint Bernard (livre des préceptes et des dispenses).
Celles qui sont injustes en raison de la fin, de l’auteur ou de la forme,
doivent être respectées si leur non observation causait un scandale.
C’est ce qu’on peut déduire de Matthieu 5 : « Celui qui te réquisitionnera
pour mille pas, fais-en le double avec lui. Si quelqu’un t’enlève
ta tunique, donne-lui aussi ton manteau. » Le sens qu’on doit
donner à ce passage, ce n’est pas qu’on doit toujours faire ces choses,
mais qu’on doit toujours être prêt à le faire, quand ce sera nécessaire
à la gloire de Dieu. Saint Pierre a parlé dans le même sens :
« Esclaves, soyez soumis à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont
bons et modestes, mais même à ceux qui sont sévères. »
Il faut noter, enfin, qu’à plusieurs hérétiques a plu la
sentence qui enseigne que l’Église ne possède pas l’autorité voulue
pour faire des lois qui obligent en conscience. C’est ce qu’ont
pensé autrefois les Waldenses, au témoignage d’Antonino, (part 4, tit
11, chapitre 7, verset 2 de sa somme théologique). Marsilius de
Padoue enseigna, ensuite, la même chose dans le livre intitulé : le défenseur
de la foi. Et c’est contre lui que Pigius a écrit dans le livre
5 de sa hiérarchie apostolique. Jean Wiclef enseigna aussi la même
chose, comme on le constate par l’article 38 condamné à la session
8 du concile de Constance. Il déduisait de ce principe, que les
décrétales des pontifes romains étaient des apocryphes, et qu’ils
étaient sans cervelle ceux qui brûlaient des énergies à les connaitre.
Jean Hus pensa aussi la même chose, comme on le voit à l’article 15.
La même chose également Jean de Westphalie. Nous est parvenu le
livret de condamnation des articles de ce Jean, de l’année 1479,
dont le premier était que les prélats de l’Église ne pouvaient pas
faire de lois qui obligent en conscience, mais seulement exhorter à observer
les commandements.
Or, à notre époque, c’est ce qu’enseignent aussi tous les
luthériens et les calvinistes. Voici ce qu’a à nous dire Luther
là-dessus (dans son livre de la captivité de Babylone, les baptisés)
: « De quel droit, le pape nous impose-t-il des lois ? Qui lui a
donné le pouvoir de rendre captive notre liberté, qui nous été
donnée par le baptême ? Car, aucun pape, aucun évêque, ni aucun homme
n’a le droit de faire un commandement d’une seule syllabe à un chrétien,
sans son consentement. » Il dit la même chose dans son livre
sur la liberté chrétienne, que réfute Clictoveus (livre 1 de son
anti Luther), et dans l’article 27 de son Assertion, que combat Jean
Roffensis. Mais il l’a exprimée avec véhémence dans son explication
de la vision de Daniel. Et pour condamner aussi par des actions
les lois ecclésiastiques, il brûla publiquement le livre du droit canon,
comme le rapporte Jean Cochlaeus dans sa vie de Luther. Philippe
Melanchton enseigne la même chose dans la confession de saint Augustin
(article 28), et dans l’apologie de saint Augustin. Calvin (livre
4, chapitres 20, 11, 12 des institutions) pense à peu près de la même
manière. On peut réduire sa doctrine à quatre chapitres.
Il enseigne d’abord que les évêques et le pape peuvent établir un
certain ordre dans l’Église, pour conserver une utile discipline, pour
définit à quel jour on ira à l’église, comment et par qui seront
chantés les psaumes, dans les églises, ou lus les livres saints.
Mais de façon à ce que ces déterminations n’obligent pas en conscience,
sauf en cas de scandale, de sorte qu’on soit libre de les observer ou
pas, pourvu qu’on ne cause pas de scandale. Et il ajoutait que
le pape, ou les évêques, ne peut pas prescrire une loi qui ne soit pas
contenue explicitement dans l’Écriture.
Ils enseignent ensuite que non seulement le pape ou les évêques
ne peuvent pas faire de nouvelles lois, mais qu’ils ne peuvent pas non
plus contraindre les chrétiens à observer la loi de Dieu, en ordonnant
d’autorité qu’elle soit observée, ni procéder sous forme de
jugement contre les transgresseurs. Seulement en exhortant, en
avertissant, en réprouvant. Ils enseignent, en troisième
lieu, qu’existe, dans l’Église le pouvoir d’excommunier, c’est-à-dire
de rejeter de son assemblée les hommes incorrigibles. Mais ce pouvoir,
ils ne veulent pas qu’il réside dans le pape ou dans les évêques,
en vertu de leur charge, mais seulement dans l’église, c’est-à-dire
dans l’assemblée des ministres, et avec le consentement du peuple.
Il n’y a pas à s’étonner de cela, car ils ne veulent pas que, quant
à l’autorité, le pape soit plus grand qu’un évêque,
un évêque plus qu’un prêtre. Aux prêtres, ils n’accordent
le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements qu’à ceux que
le magistrat séculier autorisera.
Mais, dans l’église catholique, on a toujours cru que les
évêques, dans leurs diocèses, et le pontife romain, dans toute l’église,
étaient de vrais princes ecclésiastiques, qui pouvaient, en vertu
de leur propre autorité, sans le consentement du peuple, et sans l’avis
des prêtres, faire des lois qui obligent en conscience, juger dans les
causes ecclésiastiques à la façon des autres juges, et, enfin, punir.
Ces trois, choses, il nous faut, maintenant, les démontrer.
CHAPITRE 16
On prouve, par des témoignages de la parole de Dieu, que
les pontifes peuvent faire de vraies lois.
La position catholique se prouve donc par plusieurs genres d’arguments.
D’abord, par des textes de l’Écriture. Le premier est
celui du Deutéronome, 17 : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir
à un ordre du prêtre, cet homme sera mis à mort par un décret du juge,
et tu enlèveras le mal d’Israël. » Pour des raisons semblables,
ou même supérieures, ce texte doit s’appliquer aux pontifes chrétiens.
Car, autrefois, c’était le peuple juif qui était le peuple de Dieu;
mais, maintenant, c’est le peuple chrétien. Nous ne pouvons pas
dire, non plus, que le prince ecclésiastique de la loi nouvelle doit être
d’une autorité inférieure à celui de l’ancien, alors que, au contraire,
nous voyons que tout y est plus grand, plus sublime. Or, les décisions
des prêtres juifs étaient de vrais ordres, non des conseils, ou des exhortations,
comme le texte lui-même nous le montre clairement : « par l’ordre du
prêtre. » Et ils obligeaient manifestement en conscience, car,
autrement, les transgresseurs n’auraient pas été punis si sévèrement.
Or, s’ils ne péchaient pas ceux qui désobéissaient aux prêtres, ils
étaient donc tués sans avoir commis aucune faute. Ils
répondent à ce passage et à d’autres semblables, que pêchaient en
conscience ceux-là seulement qui méprisaient leurs supérieurs,
et refusaient d’obéir par orgueil. Mais qu’on ne peut pas déduire
de ce texte que pêchaient en conscience ceux qui, sans mépriser
personne et sans causer de scandale, n’observaient pas ces lois qui portaient
sur des choses indifférentes.
Commentaire. Ici, nous avons, dans le pontife, un
vrai pouvoir de commander, semblable à celui d’un prince séculier,
ce que niaient les Waldenses, Marsile de Padoue, et les autres. Nous
nous sentons en droit de déduire de ce pouvoir que les lois du pontife
engagent en conscience, même sans mépris et risque de scandale.
Car, quiconque peut prescrire quelque chose peut aussi rendre nécessaire,
par un ordre, un acte indifférent, et bon en lui-même. Or, omettre
un acte nécessaire qui est bon en lui-même est un péché contre la conscience,
même sans mépris et occasion de scandale. Ce que l’on prouve
comme suit. Car un acte indifférent deviendra nécessaire s’il
est prescrit; autrement, il est serait prescrit pour rien.
Et, il s’ensuivrait que les lois de Dieu positives n’engagent pas en
conscience. Car, pourquoi la circoncision était-elle obligatoire
pour les Juifs, et le baptême pour nous, alors que ce sont des choses
indifférentes en soi ? N’est-ce pas parce que la venue du précepte
de Dieu a fait de ces choses des actes de religion nécessaires ?
De même, pourquoi les Juifs sont-ils obligés en conscience de ne pas
manger de porc, et cela, au point de préférer mourir comme les Macchabées,
alors qu’il s’agit d’une chose indifférente ? N’est-ce pas
parce que le précepte de Dieu faisait de cette abstinence un acte de tempérance
nécessaire ? Or, ces choses Dieu ne les faisait pas en tant que
Dieu, mais seulement en tant que législateur. Donc, tout vrai législateur,
et qui peut commander, surtout au nom de Dieu, peut faire la même chose.
Or, le pontife peut commander, comme nous l’avons déjà démontré et
le démontrerons plus loin. Il peut donc rendre nécessaire une chose
indifférente, et donc obliger en conscience, même quand il n’y a ni
mépris, ni danger de scandale.
La deuxième citation est de saint Matthieu 16 : « Tout ce que
tu lieras sur cette terre sera lié dans les cieux. » Ces paroles
peuvent et doivent être référées à toutes les choses que l’Écriture
considère comme étant liées. Car le Seigneur parle en termes généraux,
puisqu’il ne dit pas : quelle que soit la personne que tu lieras, mais
quoi que tu lieras. Nous trouvons en Matthieu 23 que lier signifie
imposer une loi : « Car ils lient de lourds fardeaux et placent des choses
importables sur les épaules des hommes, qu’ils ne veulent pas déplacer,
eux, même du bout du doigt. » Le Seigneur a donc promis à
Pierre que tout ce qu’il lierait, c’est-à-dire tout ce qu’il imposerait
aux fidèles en l’ordonnant sous forme de précepte, serait lié aussi
dans le ciel, c’est-à-dire serait ratifié. Le précepte de Pierre est
donc le précepte du Christ. Pêche donc celui qui n’obtempère
pas. On confirme cet enseignement par le témoignage de saint Jérôme
sur Matthieu 18 (tout ce que vous lierez) : « Il a été accordé
aux apôtres ce pouvoir, pour que l’on comprenne qu’il a été
donné à de tels hommes que leur sentence humaine soit corroborée par
la sentence divine. » La troisième citation est celle de Jean 21
: « Pais mes brebis ». Il a employé un mot qui fait partie du vocabulaire
royal. Voir au livre 1, chapitre 15. La quatrième citation
est celle de Jean 20 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie. » En commentant ce passage, saint Jean Chrysostome dit :
« Il leur a laissé son propre ministère. » Et Theophylacte :
« Recevez mon travail ». Le Seigneur a donc laissé à ses disciples
sa propre place, comme s’il avait voulu que, dans le gouvernement de
son royaume, ils jouissent de la même autorité. Ce qui est confirmé
par ce passage de Luc 10 : « Celui qui vous écoute m’écoute, celui
qui vous méprise me méprise ».
Que ces paroles qui étaient adressées directement aux apôtres
s’appliquaient aussi à leurs successeurs, l’enseignent saint Cyprien
(livre 4, épitre 9), et saint Basile (constitution de monastères,
chapitre 23). Or, le Christ a été envoyé par le Père avec le
pouvoir non seulement de prêcher, et d’administrer les sacrements, mais
de prescrire et de juger, comme tous le reconnaissent. Il a donc
accordé la même chose aux apôtres, et, en premier lieu, à Pierre.
On ne peut pas répondre que cela a été donné à tous les apôtres collégialement,
mais non à chacun en particulier, car les apôtres devaient se séparer
très tôt, et aller individuellement dans chacune des parties du monde.
Chose que le Seigneur ne pouvait pas ignorer. Ce qu’il a donné à tous,
il l’a donc donné à chacun en particulier.
La cinquième citation est celle des Actes 15. Pierre avec les
autres membres du concile de Jérusalem écrit aux Gentils convertis à
la foi : « Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous de ne pas vous
imposer de fardeau supplémentaire, en dehors de ceux qui sont nécessaires
: vous abstenir des viandes immolées aux idoles, de la suffocation, du
sang et de la fornication. » Les apôtres font ici une loi
nouvelle, comme le remarque saint Jean Chrysostome, car le Christ n’a
rien prescrit au sujet de la suffocation et du sang. Et ce sont des
choses qui, selon la loi naturelle, ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais
indifférentes. De ces choses précisément que l’Église ne peut
pas rendre nécessaires, selon l’enseignement des hérétiques.
Que ces prescriptions des apôtres aient été une vraie loi obligeant
en conscience, du moins pendant tout le temps où elles ont été en vigueur,
on le prouve de la façon suivante. D’abord parce que les apôtres
leur donnent le nom de fardeau; ensuite, parce qu’ils disent qu’elles
sont nécessaires. On n’était donc pas libre de les observer,
(comme les hérétiques veulent qu’on observe les prescriptions de l’Église),
mais il fallait nécessairement les observer. Enfin, parce que saint Luc
leur donne le nom de préceptes. Et il répète ce mot plus loin,
en parlant de saint Paul : « Parcourant les cités, il leur prescrivait
de garder les préceptes des apôtres et des anciens. » Et, au chapitre
16 : « Il leur transmettait de garder les dogmes qui avaient été décrété
par les apôtres et les anciens, qui étaient à Jérusalem. » Quatrièmement,
au témoignage de saint Jean Chrysostome (homélie 33 sur les actes) :
« Vois, dit-il, la brève épitre qui n’a ni raisonnements ni syllogismes,
mais seulement un ordre. » Car, c’était la législation de l’Esprit.
Enfin, parce que, dans les canons des apôtres (canon 62), de graves peines
sont imposées aux prévaricateurs de ce précepte, car étaient
déposés les clercs qui mangeaient de la viande avec du sang ou
qui avait été suffoquée; et excommuniés les laïcs.
Ce qui a été renouvelé dans le concile 2 (Aurélien, canons 19 et 20).
On ne peut imposer une peine si atroce que pour un péché mortel.
Calvin répond (livre 4, chapitre 10, verset 21 de ses institutions)
que, par cette loi, les apôtres n’ont rien prescrit de neuf, mais seulement
ce qui avait toujours été un précepte de droit divin, pour ne pas être
pour les faibles une cause de scandale, en mangeant de la viande consacrée
aux idoles, avec son sang, ou suffoquée. Les chrétiens n’ont
donc pas été obligés en conscience de s’abstenir des idolothytes,
du sang et de la suffocation, mais seulement pour ne pas scandaliser.
Calvin s’efforce de prouver cela de trois façons. D’abord, le
but du décret apostolique était de libérer les Gentils du joug des cérémonies
judaïques. Ils auraient détourné le décret de son but s’ils
les avaient obligés à l’observation de ces cérémonies. Ensuite,
ce précepte ne vaut plus aujourd’hui, parce qu’a cessé la cause du
scandale. Ce précepte ne prohibait donc que le scandale. Enfin,
saint Paul qui participa à ce concile, et qui le comprenait très bien,
l’a expliqué en Cor 8, où il dit qu’il n’est pas illicite de manger
des idolothytes, si on ne scandalise personne en le faisant. « Quelques-uns
mangent des idolothytes comme une viande consacrée à des idoles, et leur
conscience est polluée, parce qu’elle est faible. » Et plus bas
: « Voyez à ce que votre liberté n’offense pas les infirmes.
Car si quelqu’un voit un chrétien, qui a la science, attablé à un
repas de viandes d’idole, sa conscience qui est faible ne sera-t-elle
pas entraînée à en manger. Et, à cause de ta conscience,
périra le frère pour qui le Christ est mort. » Et, au chapitre 10 :
«Si quelqu’un fait remarquer que ça a été immolé aux idoles, n’en
mangez pas, à cause de celui qui en fait la remarque, et en conscience.
Quand je parle de conscience, je ne parle pas de la tienne, mais de la
sienne. » Que cette lettre ait été écrite après le concile de
Jérusalem, les actes nous le montrent. Car c’est au chapitre 15 qu’on
nous raconte le concile, et c’est au chapitre 18 qu’on nous relate
la première entrée de Paul dans la ville de Corinthe. Et il appert que
cette lettre a été écrite après que saint Paul ait prêché aux Corinthiens.
Il dit, en effet, au chapitre 2 : « Quand je suis venu vers vous, mes
frères, je ne suis pas venu en rhéteur. »
Mais, il est facile de réfuter ces choses. Même si le
précepte apostolique avait pour but de ne pas scandaliser les faibles,
le précepte lui-même ne portait pas sur l’évitement du scandale, mais
sur l’abstinence des viandes immolées, sur le sang et la suffocation,
qui était comme le moyen d’une fin. Comparaison. La fin
de tous les préceptes divins est la charité, mais, pourtant, les préceptes
particuliers qui interdisent le vol et le meurtre n’obligent pas à aimer,
mais à s’abstenir du vol et du meurtre. Et bien que la raison
de la loi, comme le disent les jurisconsultes, soit l’âme de la loi,
et que, en conséquence, quand prend fin la raison et la fin de la loi,
la loi doit être abrogée et cesser, tant que ne cesse pas la raison de
la loi, sauf en un point particulier, elle est toujours en vigueur;
et comme elle est générale, elle oblige tout le monde, même celui dans
lequel ne se trouve pas la raison ou la fin de la loi. La loi sur
le jeûne peut nous servir d’exemple. La fin du jeûne est la mortification
de la chair pour mâter la concupiscence. Quand donc cette raison
cessera pour tous, après la résurrection, la loi du jeûne cessera aussi.
Et, maintenant, même si l’un ou l’autre n’ont pas besoin de cette
mortification, ils sont tenus de jeuner, eux aussi, parce que la loi est
toujours en vigueur, et elle s’applique à tous.
Que ce soit bien ainsi qu’il faille envisager cette loi
apostolique qui porte sur les viandes immolées, le sang et la suffocation,
on le prouve de la manière suivante. Saint Jean Chrysostome déclare
que c’est une nouvelle loi tirée des préceptes cérémoniaux de Moïse;
et que ne pas scandaliser est une loi très antique et morale.
Ce n’est donc pas le scandale mais les aliments que les apôtres prohibèrent.
Autre raison. Dans tout le décret des apôtres, aucune mention n’est
faite de scandale à éviter. Ce qu’il prescrit, de façon absolue,
c’est qu’on s’abstienne des viandes immolées, du sang et de la suffocation.
C’est donc sur ces trois choses que tombe le précepte. Autrement,
il serait permis de détourner de leur sens toutes les lois, même les
divines.
Et c’est ainsi que l’ont entendu les pères des premiers
siècles. Tertullien (apologie chapitre 9) écrit : « Nous n’avons
pas le sang des animaux dans nos repas. Et, pour la même raison, nous
nous abstenons des animaux suffoqués ou immolés, pour que nous ne soyons
pas contaminés par le sang, ou pour qu’il ne soit pas enseveli dans
les viscères. » Notez que Tertullien ne dit pas que les chrétiens
s’abstiennent du sang à cause du scandale, mais pour ne pas être contaminés.
Ce sang, ils le considèrent contaminé, non de par sa nature (comme l’enseignèrent
plus tard les manichéens), mais à cause de la prohibition des apôtres,
comme dans la loi beaucoup d’animaux sont dit impurs parce qu’ils sont
interdits. Notez ensuite que les païens forçaient les chrétiens
à boire du sang, parce qu’ils savaient que cela leur était défendu.
Tout cela démontre clairement que l’horreur du sang qu’avaient les
premiers chrétiens ne se justifiait pas seulement par la crainte de scandaliser,
mais par la connaissance qu’ils avaient que le sang avait été prohibé
par les apôtres. Le scandale, en effet, était inexistant parce
que les païens se nourrissaient de sang.
Origène (contre Celse, livre 8) discutant des mets prohibés
dit que c’est pour obéir au précepte des apôtres que les chrétiens
s’abstiennent des viandes immolées, du sang et de la suffocation.
Il ne fait aucune mention du scandale donné aux Juifs. Saint Cyrille de
Jérusalem (catéchèse 4) : « Impose-toi de ne jamais manger ce qui a
été consacré aux idoles. » Dans cette catéchèse, saint Cyrille
parlant de la nourriture, dit que « le vin et la viande sont des choses
indifférentes, et qu’on peut s’en abstenir pour de bonnes ou de mauvaises
raisons. De bonnes quand on le fait pour se mortifier, ou pour une
autre bonne fin; de mauvaises quand on le fait en pensant que le vin ou
la viande sont immondes. » Et quand il en vient aux viandes immolées,
au sang et à la suffocation qui ont été interdits par les apôtres,
il ne fait aucune distinction, mais enseigne catégoriquement qu’on ne
doit pas les manger, car ils avaient été rendus illicites par l’interdiction
des apôtres.
Eusèbe, (livre 5, chapitre 1 de son histoire), rapporte que
quand les païens objectèrent aux chrétiens qu’ils se nourrissaient
en secret de la chair et du sang d’enfants, la martyre sainte Blandine
répondit : « Vous vous trompez grandement, o hommes qui pensez que se
nourrissent de chairs d’enfants ceux qui ne font même pas usage du sang
d’animaux muets. » Par ces paroles, sainte Blandine indique qu’ils
ne se servaient pas de sang même clandestinement, quand il n’était
pas possible de ne pas scandaliser. Saint Augustin (dans son
épitre 154 à Publicola, à la fin) pose cette question : « Un
voyageur épuisé qui ne trouve rien d’autre pour apaiser sa faim que
de la nourriture consacrée à une idole, et qui n’est vu de personne,
devra-t-il mourir de faim ou manger ce mets ? » Et il répond
: « Ou il est certain que c’est un idolothyte, ou il en doute, ou il
l’ignore complètement. S’il en est certain, il est préférable
de le repousser avec la vertu chrétienne. S’il en doute ou s’il
l’ignore complètement, il peut, sans scrupule, le manger. » Il
est certain que dans l’exemple donné par saint Augustin, aucun scandale
ne pouvait avoir lieu. Mais saint Augustin estima, quand même, qu’il
était préférable de s’abstenir de ces sortes de mets.
La seule raison qu’on puisse donner pour justifier cette décision est
l’autorité du précepte apostolique. Saint Léon a écrit quelque
chose de semblable (épitre 79, chapitre 5 à Nicéta) : « Doivent faire
pénitence ceux qui, sciemment et volontairement ont mangé de la viande
consacrée aux idoles, parce qu’ils craignaient des châtiments ou parce
qu’ils avaient faim. » Ensuite, le concile gangrens (chapitre
2) dit que n’ont aucun espoir de salut ceux qui se nourrissent de viandes
immolées, de sang et de suffocation, et qu’ont bon espoir de salut
ceux qui se nourrissent d’autres viandes. On ne peut pas entendre
ce texte uniquement pour ceux qui mangent de la viande immolée,
du sang et des animaux suffoqués, en scandalisant les autres, car pêche
même celui qui mange n’importe laquelle viande en scandalisant autrui.
Car l’apôtre a dit : « Si telle nourriture scandalise mon frère, je
n’en mangerai jamais pour ne pas scandaliser mon frère. » Nous
avons donc un précepte apostolique qui oblige vraiment en conscience,
même sans scandale.
Au premier argument de Calvin je réponds que l’obligation
du précepte n’entre pas en conflit avec la raison et la fin du décret.
Car les apôtres décrétèrent que les Gentils devaient être libérés
de l’observance de la loi mosaïque, mais non de l’obéissance à leurs
prélats. Or, ce précepte de l’abstinence des viandes immolées,
suffoquées ou du sang n’a pas été imposé au nom de la loi mosaïque,
mais comme un décret apostolique et ecclésial. De plus, les
apôtres ont exempté les Gentils devenus chrétiens de l’observance
d’innombrables cérémonies. Ils n’en n’ont commandé qu’une,
qui était facile à observer, et pour un temps seulement. Au deuxième
argument je dis qu’on n’observe plus ce précepte parce que le danger
de scandaliser est disparu non d’une certaine manière, mais absolument
parlant. Et voilà pourquoi, surtout en Occident, cette loi est tombée
en désuétude. Au troisième argument, certains répondent qu’au
temps où saint Paul écrivit cette lettre, la loi apostolique commençait
à être abrogée. Et que c’est pour cette raison qu’il permit
à quelques-uns de se nourrir des idolothytes, pourvu qu’ils évitent
le scandale.
Mais cette explication ne me parait pas solide. Car, il
est difficile de croire qu’une telle loi ait pu si tôt être abolie,
surtout parce que, au moment où saint Paul écrivit cette lettre, la raison
pour laquelle elle avait été promulguée existait encore, et qu’elle
demeurera même pendant quelques siècles, comme le démontrent les textes
que nous avons cités. Je réponds donc de deux façons.
La première. Il se peut que, quand saint Paul écrivit cette lettre
aux Corinthiens, le précepte apostolique en question ne leur était pas
encore parvenu, car les apôtres n’écrivirent qu’aux églises de Syrie
et de Cilicie. C’est ainsi, en effet, que débute la lettre : «
Les apôtres et les frères anciens aux frères parmi les Gentils
qui sont à Antioche, Syrie et Cilicie, salut ! » Or, Corinthe n’est
ni en Syrie ni en Cilicie, mais en Grève, province européenne, la Syrie
et la Cilicie étant elles, en Asie. De plus, si les Corinthiens
avaient reçu le précepte de l’abstinence des animaux immolés, pourquoi
auraient-ils demandé par écrit à saint Paul s’il était permis de
manger des viandes immolées ? Qu’ils aient effectivement
demandé cela, la lettre aux Corinthiens (1, 8) nous le montre.
Je dis donc que les Corinthiens n’avaient pas encore, à cette date,
entendu parler de ce précepte apostolique, car ils ne l’avaient pas
reçu du concile de Jérusalem. Et Paul a indiqué qu’il ne convenait
pas de le leur présenter encore, car ils savaient qu’ils étaient très
superstitieux. Il leur répondit donc ce qu’on doit répondre selon
le droit naturel, qu’ils n’étaient pas tenus de s’abstenir de tels
aliments, s’ils pouvaient agir ainsi sans être une occasion de scandale
pour les faibles.
Je réponds deuxièmement, que les Corinthiens avaient peut-être déjà
pris connaissance du décret apostolique, mais que quelques-uns,
se fiant à leur science qui leur faisait comprendre que les idoles n’étaient
rien, et qu’ils ne pouvaient donc leur faire aucun tort, se nourrissaient
publiquement et audacieusement des animaux immolés. Saint Paul en
aurait entendu parler, et leur aurait réécrit pour leur expliquer, en
donnant la raison du précepte apostolique, que ce n’est pas pour rien
qu’avait été interdit l’usage des animaux immolés aux dieux; que
c’était autant pour éviter le scandale, que pour se protéger contre
le péril d’idolâtrie. Voilà pourquoi toute la lettre de saint
Paul tourne autour non du précepte, mais de la raison du précepte.
Il ne s’ensuit pas que saint Paul ait enseigné que les idolothiques
n’étaient rien en eux-mêmes, mais qu’ils ne l’étaient qu’à
cause du danger de scandale, comme s’il avait dit : s’il n’y a pas
de danger de scandale, on peut licitement les consommer. On ne peut
pas, non, tirer cette conclusion. Car, même si elles n’étaient
pas mauvaises pour l’une et l’autre raison, elles pouvaient quand même
être prohibées de façon absolue. Car beaucoup de choses licites
sont prohibées pour qu’elles ne nous entraînent pas à des illicites,
et qui deviennent illicites après avoir été prohibées.
La sixième citation est celle des Romains (13) : « Toute âme est
soumise aux pouvoirs supérieurs, car il n’y pas de pouvoir qui ne vienne
pas de Dieu, toutes choses ayant été organisées par Dieu. Celui donc
qui résiste au pouvoir, résiste à l’ordonnance de Dieu. Ceux
donc qui résistent s’acquièrent la damnation. » Et, peu plus bas :
« Soyez soumis de toute nécessité, non à cause de la colère, mais
en conscience. » Ce passage ne s’applique pas seulement
aux princes séculiers, mais même aux ecclésiastiques. C’est ce que
reconnait Calvin (livre 4, chapitre 10, verset 5 des institutions).
Et c’est une chose qui est évidente de soi. Car l’apôtre parle,
en général, de toutes les autorités, quand il dit qu’il n’existe
pas de pouvoir qui ne vienne pas de Dieu. Ce qui revient à dire : toute
autorité vient de Dieu. Qu’un certain pouvoir ecclésiastique
existe, le même Paul l’enseigne (2 Cor 13). Voici ce qu’il dit
: « Ces choses je le ai écrites en mon absence, pour ne pas, quand je
serai présent, être plus sévère, selon le pouvoir que m’a donné
le Seigneur Jésus ». Et même si Paul n’avait parlé
que des pouvoirs séculiers, pour des raisons semblables ou supérieures,
il faudrait étendre ses paroles aux pouvoirs ecclésiastiques.
Que les lois de ceux qui sont constitués en autorité obligent en
conscience, les paroles suivantes nous le montrent : « Celui qui résiste
au pouvoir résiste à l’ordre de Dieu ». Ainsi que : « Ceux
qui résistent s’acquièrent eux-mêmes la damnation. » Qu’il
s’agisse autant d’une damnation temporelle qu’éternelle, plusieurs
pères de l’Église le pensent, comme saint Jean Chrysostome, Oecumenius,
Theophylactus, Ambroise, et le martyr Pierre calviniste. En voici
un autre : « Soyez donc soumis de toute nécessité, non si on le veut
bien, mais parce qu’il le faut. Et un autre : « Ce n’est pas
seulement à cause de la colère, mais en conscience qu’il vous faut
obéir sciemment et consciemment. Non seulement par peur de la peine,
mais aussi par peur de la faute que vous commettrez si vous agissez contre
votre conscience. Il importe peu, que, en ce passage, saint Jean
Chrysostome et ceux qui le suivent Theophylacte et Oecumenius aient entendu
le mot conscience de cet extrait au sens de conscience des bienfaits, en
commentant la phrase ainsi : « Il est nécessaire d’obéir aux princes,
non seulement par à cause de la colère, c’est-à-dire de la vindicte,
mais aussi à cause de votre propre conscience, parce que vous êtes conscients
des grands bienfaits que vous recevez des princes. » Il importe
peu que la plupart y voient la conscience du péché, comme l’expliquent
Theodoret, Ambroise, Bède, Anselme, et d’autres comme saint Augustin
(épitre 54 à Macédoine), et que c’est cette interprétation qui agrée
aux adversaires comme Calvin et le martyr Pierre; et que saint Paul emploie
toujours le mot dans ce sens. Calvin répond (livre 4, chapitre
10, verset 5 des institutions) que l’obligation de conscience dont parle
ici l’apôtre ne se rapporte pas à chacune des lois des princes, mais
au précepte de Dieu en général par lequel nous sommes tenus d’honorer
les princes, et même à la fin des lois, qui est la paix et l’amour
du prochain.
Mais nous, nous avons démontré plus haut qu’il était évident
que nous étions obligés d’obéir aux supérieurs, et que nous étions
aussi tenus en conscience d’observer leurs lois, même sans mépris ou
scandale. Ensuite, quand l’apôtre dit : « Soyez soumis de nécessité,
non seulement à cause de la colère, mais aussi en conscience, car ce
qui vaut pour la colère vaut aussi pour la conscience. Non seulement
pour éviter mépris ou le scandale, mais pour l’observation des lois
en particulier. Car le prince ne punit pas seulement celui qui méprise,
mais aussi ceux qui n’observent pas chacune de ses lois en particulier.
Car, il crucifie un voleur, décapite un homicide, fait brûler un faussaire,
même s’il s’avère qu’ils ont péché non par mépris du prince,
mais par la soif de l’argent. Pour la même raison, donc,
ce « à cause de la conscience » doit s’appliquer à la violation de
la loi. Car l’apôtre ne dit pas : soyez soumis de nécessité
non seulement à cause de la colère dans l’observation des lois particulières,
mais aussi en conscience dans l’observation du commandement général
de ne pas mépriser les princes. Mais, il dit tout simplement, et sans
faire aucune distinction : non seulement à cause de la colère, mais à
cause de votre conscience. Et de plus, que ce soit une mauvaise
chose de s’enorgueillir et de mépriser les supérieurs, c’est une
chose tellement évidente que saint Paul n’avait pas à l’inculquer
par tant de mots et à tant de reprises. Car, il n’enseigne pas
seulement cela, mais aussi ce dont pouvaient encore douter les chrétiens
de son époque, comme le notent justement saint Jean Chrysostome, et d’autres
commentateurs, à savoir qu’ils étaient tenus en conscience d’observer
les préceptes et les lois des princes même temporels.
Le septième texte est celui de saint Paul (1 Cor 1) où il dit : «
Que voulez-vous ? Que je vienne vers vous avec la verge, ou en esprit
de douceur ? » Par verge, les pères de l’Église (saint
Augustin livre 3, chapitre 2, contre les parméniens) ainsi que saint Jean
Chrysostome et d’autres entendent le pouvoir judiciaire de punir les
pécheurs. Car, le Christ, en tant que roi de l’Église, a une
verge, qui, dans le psaume 2, est dite de fer, parce qu’elle est inflexible.
Et, dans le psaume 14, elle est appelée verge de direction, hébraïsme
qui signifie verge droite, car elle punit justement. Cette verge
il la communique aux évêques qui régissent l’Église en son nom.
À partir de quoi saint Augustin (livre 2, chapitre 30, du consensus évangélique)
dénoue une contradiction apparente chez Mathieu et Marc. En Matthieu,
chapitre 10, le Seigneur leur commande de ne pas porter de verge, et en
Marc, chapitre 6, il leur dit d’en porter. Saint Augustin réconcilie
ces deux ordres du Seigneur en expliquant qu’en Matthieu, Jésus parlait
de la verge corporelle, et en Marc, de la spirituelle, c’est-à-dire
du pouvoir apostolique qui leur donnait le droit d’être nourri par le
peuple. Comme ceux qui sont régis par une verge royale doivent payer
le tribut, de même ceux qui sont régis par une verge spirituelle doivent
payer la dime.
Pierre martyr répond (dans son commentaire de chapitre 1,5 aux Corinthiens)
qu’il y a, il est vrai, dans l’Église, une verge pour punir;
mais que ce pouvoir ne réside dans aucun homme, comme le pape ou un évêque,
mais dans l’assemblée de l’église. Car, Paul ( 1 Cor 5) voulant
frapper un incestueux avec la verge ecclésiastique dit : « Quand vous
serez tous rassemblés en mon esprit. » Pierre le martyr dit la
même chose. Et portant, c’est bien à la verge
apostolique qu’est redevable la mort d’Ananie et de Saphyra, l’aveuglement
d’Élima, et des supplices semblables infligés par les apôtres.
Il est certain, que c’est Pierre seul qui a tué par la parole
Ananie et Saphira, et Paul seul qui a rendu aveugle Élima, et non l’assemblée
des fidèles qui n’ont même pas été consultés. De plus, c’est
Paul seul qui a livré à Satan, c’est-à-dire qui a excommunié Alexandre
et Himénée, et qui a permis au diable de les vexer, comme il le dit lui-même
(dans 1 Thimotée 1 et 2, et dans 2 Corinthien 13) : « Je le dis à l’avance,
parce que, à mon retour, je n’épargnerai personne. » Et au même endroit
: « Pour que, en votre présence, je n’agisse pas plus durement, selon
le pouvoir que m’a donné le Seigneur Jésus. » Il est certain
que la verge et le pouvoir sont une seule et même chose; que ce
pouvoir a été attribué à Paul et non à l’assemblée des fidèles,
comme saint Paul le déclare lui-même. J’omets d’autres exemples
classiques, comme par exemple, saint Ambroise qui a excommunié
à lui seul l’empereur Théodose.
Le « quand vous serez assemblés » ne contredit pas ce que nous venons
d’enseigner. Car, saint Paul ne voulait pas qu’ils se réunissent pour
délibérer s’ils devaient oui ou non excommunier un incestueux, mais
pour proclamer publiquement et solennellement sa condamnation. Il
en va de même encore aujourd’hui. Les excommunications solennelles
de ceux qui sont condamnés nommément ne se font qu’en présence de
l’Église, mais par la seule autorité du prélat. Comme Paul,
en son absence, sans demander l’avis ou la permission à l’assemblée,
avait décrété de livrer cet homme à Satan, il leur écrit non
pour les consulter sur cette question, mais pour leur ordonner de réunir
les fidèles pour en faire publiquement la promulgation.
Le huitième texte est celui de saint Paul (1 Timothée 3). Il
interdit d’ordonner des bigames. Que cette loi oblige en
conscience, même si elle est positive et ecclésiastique, la chose est
claire. On le constate par la pratique de l’Église qui n’osa
jamais ordonner un bigame, et par le concile de Carthage 4 (chapitre 69),
qui a puni gravement un évêque qui, sciemment, avait ordonné un bigame,
et il l’avait privé de son pouvoir d’ordonner. Le neuvième
est celui de Timothée 5 : « Ne reçois aucune accusation contre un prêtre,
sans qu’il y ait deux ou trois témoins. » Dans ce texte,
l’apôtre montre clairement que l’évêque possède son tribunal à
lui qui vaut même au for externe, qu’il entend les accusations
et les réfutations à la manière des juges civils, et qu’il juge les
allégations d’après les preuves qu’on lui présente. Par prêtre,
saint Jean Chrysostome entend un ancien, prêtre ou laïc. Ce qui
nous fait comprendre que même des laïcs pouvaient être jugés par
un évêque pour des crimes commis au for externe. Par le nom de
presbyte, saint Ambroise entend un prêtre, avec peut-être plus de raison,
mais il ne faut pas, à cause de cette interprétation, exclure les laïcs
du tribunal épiscopal. Ils sont inclus de plein droit. Car,
ce que l’apôtre veut dire, comme l’explique saint Ambroise, c’est
que, contre des laïcs, on admet et on écoute plus facilement des accusateurs;
mais que contre des prêtres, on ne devrait pas procéder de cette façon,
car il faut exiger la présence de deux ou trois témoins. Il y a,
ensuite, beaucoup d’autres textes moins percutants, mais qui ne sont
pas sans importance.
Le dixième est celui de Luc 10 : « Celui qui vous écoute, m’écoute
! » Saint Cyprien (livre 4, épitre 9) et saint Basile (constitution,
chapitre 22) enseignent que ce texte s’applique proprement aux évêques.
Le onzième est de saint Paul (1 Cor 11) : « Je vous loue parce que vous
observez mes préceptes. » Et (1, 4,Thessal) : « Vous connaissez
les préceptes que je vous ai donnés. » Et, au même endroit : « Celui
qui les méprise, ce n’est pas un homme qu’il méprise, mais Dieu,
qui nous a donné son Esprit Saint ». Et (2 Thessal 3) : « Si quelqu’un
n’obéit pas à notre parole, notez-le par écrit, et ne le fréquentez
plus. » Le douzième (Hébreux 13) : « Obéissez à vos préposés,
soumettez-vous à eux, car eux veillent sur vous, comme ayant à
rendre compte à Dieu de vos âmes. » C’est dans cette épitre
qu’il dit qu’il est préférable de ne pas avoir de préposé plutôt
que d’en avoir un sans lui obéir. Car, ceux qui n’en ont pas
ne souffrent que du manque de direction pastorale, tandis que ceux qui
n’écoutent pas un pasteur qu’ils possèdent, pèchent,
et sont punis par Dieu. De même, saint Basile (dans sa constitution,
chapitre 22) dit, en commentant ce passage, que l’apôtre a jouté :
« Cela ne vous est pas utile », pour indiquer le grand péché que commettent
ceux qui n’obéissent pas à leurs préposés, et le grand dommage qu’ils
encourent. Car, dans le texte grec, on ne dit pas, négativement
: « cela ne vous convient pas », mais positivement : cela vous incommode,
ou vous cause un dommage. Saint Basile voit dans ce mot la peine
due à une transgression. Voilà donc ce qu’on peut apprendre des
Écritures sur ce sujet.
Cherchons donc des preuves chez les pères. D’abord, il n’y
a pratiquement jamais eu de concile qui ne commande ou qui n’interdise
sous peine d’anathème Pour une raison semblable, les épitres
des pontifes qui sont dans les tomes des conciles, ou qu’on peut lire
dans le droit canon, sont remplies de préceptes et de censures.
Nous avons déjà présenté les principaux textes ou lettres des pontifes
anciens, comme saint Léon, Gélase, Hilaire, Anastase et Grégoire dans
le livre 2, chapitre 19. Nous ne les répéterons donc pas, mais
nous ne présenterons, des témoignages des anciens, que ceux qui se rapportent
à une seule loi ecclésiastique, que les hérétiques réprouvent âprement,
car en prouvant celle-là nous prouverons aussi toutes les autres.
Que la loi du jeûne quadragésimal, des quatre temps, ou des vigiles soit
positive ou ecclésiastique, les adversaires eux-mêmes l’admettent.
Qu’elles obligent en conscience, même sans mépris, tous les anciens
l’enseignent. Le canon 68 des apôtres ordonne de déposer
un clerc ou d’excommunier un laïc qui rejette l’obligation de jeûner
comme l’Église le prescrit. Le concile gangrens (chapitre 19)
prescrit d’excommunier ceux qui, sans nécessité, ne jeunent pas, le
carême. Et le concile de Tolède 8 (chapitre 9) prive de la sainte communion
à Pâque ceux qui ont violé le jeûne du carême, et les condamne à
s’abstenir de viande pendant toute l’année. Et il est à noter qu’il
ne parle pas de deux qui n’ont pas jeûné par mépris, mais par intempérance.
Saint Basile (dans son deuxième sermon sur le jeûne) dit : « Tous
entendent également le précepte, et le reçoivent avec joie. »
Et plus bas : « Veille à ne pas encourir de dommage à cause de la gourmandise,
et te rende coupable du crime de désertion. » Saint Jean Chrysostome
(homélie 6 au peuple d’Antioche), dit : « Quand vient le temps du jeûne
quadragésimal, même si on le demandait à quelqu’un mille fois, et
on le menaçait d’une infinité de choses, on le forçait à prendre
une gorgée de vin, ou à goûter quelque chose que ne permet pas la loi
du jeûne, il préférera tout supporter plutôt que de toucher à une
nourriture prohibée. » Et, dans l’homélie 2 sur la Genèse,
il dit : « Le carême engage la conscience de tous, même celle des empereurs.
» Saint Ambroise, dans le sermon 25 : « Ce n’est pas, pour les
fidèles, un simple péché véniel de violer le jeûne quadragésimal
imposé par l’Église, et de dissoudre les jeûnes sacrés par la voracité
du ventre. »
Saint Jérôme (dans son épitre à Marcella sur l’erreur de
Montan) : « Nous, c’est pendant l’unique carême qui nous vient de
la tradition des apôtres, dans le temps marqué, que nous jeûnons.
Non parce que n’importe quand ou pendant toute l’année, il ne
soit pas, en dehors de la pentecôte, permis de jeûner, mais parce
que autre est offrir quelque chose par obligation, et autre est l’offrir
de soi-même. Notez le mot nécessité (ou obligation). Saint
Augustin (dans le sermon 62 de l’année liturgique) : « Jeuner les autres
jours, c’est un remède ou une récompense, mais ne pas jeûner pendant
le carême, c’est un péché. » Saint Léon (sermon 3 du jeûne
du dixième mois) : « Il est pieux de faire quelque chose qui n’est
pas commandé, mais impie de négliger ce qui est prescrit. » Enfin,
Épiphane (dans l’hérésie 75) et saint Augustin (hérésie 63) placent
Arius parmi les hérétiques parce qu’il enseignait qu’il fallait jeûner,
non à cause d’un précepte de l’Église, mais selon le bon plaisir
de chacun. Voici ses propres paroles selon Épiphane : « Le jeûne
n’a pas été, lui non plus, ordonné, ce sont là des choses judaïques,
et sous le joug de la servitude. Cette loi n’a pas été prescrite
pour le juste. Si je veux vraiment jeûner, je choisirai moi-même
le jour qui me convient, et je jeûnerai en toute liberté. » C’est
le même discours que tiennent habituellement les luthériens.
Qu’il soit nécessaire qu’existent certaines lois ecclésiastiques,
il est facile de le prouver. Car, dans l’église, les lois
sont aussi nécessaire que dans n’importe laquelle république.
La raison pour laquelle les lois sont nécessaires dans une république
est que, pour bien vivre, les hommes doivent vivre selon la raison. Et,
comme les hommes sont formés d’un corps et d’une âme, d’une raison
et de sens, ils sont à peine capables, à la seule lumière de la raison,
de se conduire humainement. Voilà pourquoi des lois ont été inventées
qui ne contiennent rien d’autre que le jugement de la raison, de sorte
qu’en les suivant, les hommes sont forcés de suivre leur raison.
Or, cette raison vaut également pour l’Église. Car, bien que
les chrétiens, par la grâce de Dieu, soient libérés du péché, ils
ne sont quand même pas libérés de la concupiscence et des passions qui
luttent continuellement contre la raison. Tu diras que les chrétiens
ont une loi évangélique qu’ils peuvent suivre. Je réponds qu’ils
en ont une, il est vrai, mais que cette loi est trop universelle.
Elle ne peut diriger toutes nos actions que si elle est reformulée en
des déterminations particulières par le prince ecclésiastique.
Les républiques possèdent elles aussi la loi naturelle, mais il
est évident que, étant trop générale, cette loi ne suffit pas,
à moins qu’elle soit particularisée par les décisions des princes.
Donc, comme dans une république civile, les lois civiles sont nécessaires,
qui sont comme des conclusions déduites du droit naturel, naturelle,
ou des déterminations du droit de la nature, dans l’église, également,
des lois ecclésiastiques sont nécessaires, qui sont comme des conclusions
déduites des principes évangéliques, ou des déterminations de ces mêmes
principes. Exemple. Jésus dit : « Celui qui est mon ministre
me suit ». L’Église a déduit de ce texte, comme d’une conclusion,
qu’il serait utile de statuer, sous forme de loi, de ne pas admettre
au ministère sacré ceux qui ne voudraient pas être continents.
De même, l’évangile ordonne de recevoir l’eucharistie, mais ne détermine
pas le quand et le comment. Les princes de l’Église ont donc déterminé
qu’on communie au moins à Pâque. Et les apôtres ont établi
par loi qu’elle passe avant toutes les autres nourritures, au moyen
du jeûne. Voilà pourquoi saint Augustin (épitre 18, chapitre 6)
écrit : « Le Seigneur n’a pas prescrit de quelle façon on communierait.
Il a laissé à ses disciples de préciser tout cela. »
Il reste maintenant à prouver que toute vraie loi est coercitive.
Saint Thomas enseigne cela clairement (1, 2, question 96, art 5, et 2,2
question 67, article 1, leçon 3, chapitre 2 aux Romains. Et, on
le prouve par la nature elle-même de la loi. Car la loi est une
règle des actions humaines établie par Dieu immédiatement ou médiatement.
Voilà pourquoi Aristote (livre 10, chapitre 9 de l’éthique) écrit
: « La loi est une parole issue de la prudence et du jugement, ayant le
pouvoir de contraindre. » L’essence de la loi consiste donc en
ce qu’elle ait la force de contraindre et de lier, de façon à ce qu’agir
autrement que ce qu’elle ordonne soit un péché. Et que montre
d’autre la définition du péché qu’une transgression de la loi ?
Voici comment l’apôtre définit le péché (1 Jean 5) : « la faute
est un éloignement de la loi ». On ne peut pas dire, non
plus, que la loi oblige à ne pas mépriser. Car, la loi qui oblige
à ne pas mépriser le roi est une loi générale et divine.
Or, celle dont nous parlons maintenant est particulière et humaine. Quand
le pontife te dit de jeûner pendant le carême, il ne t’oblige pas à
ne pas mépriser ton supérieur, mais à jeûner.
CHAPITRE 17
On solutionne les arguments des adversaires provenant de textes
de l’Écriture.
Il nous reste encore à réfuter leurs objections. La première.
Ils se servent de ce texte de saint Matthieu (à la fin de son évangile)
: « Baptisez toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
leur enseignant d’observer tout ce que je vous ai commandé. »
Ils font remarquer qu’il n’a pas été dit : enseignant vos commandements,
mais les miens. Et ils en concluent qu’il n’est pas permis à
un évêque de faire des préceptes. C’est l’argument de
Jean de Wesphalie. Je réponds que parmi les commandements du Christ,
se trouve aussi celui où il dit qu’il faut observer les préceptes des
prélats, quand il dit : « Celui qui vous écoute m’écoute. »
Le second est tiré du Deutéronome 4 : « Vous n’ajouterez rien à la
parole que je vous donne, et vous n’en retrancherez rien. » Il
est question ici des préceptes cérémoniaux et judiciaires.
Car, il avait dit au chapitre 4 : « Israël, écoute les préceptes et
les commandements ». Si Dieu a prescrit aux Israélites de n’ajouter
aucun précepte à ceux qui se trouvaient dans l’ancien testament, à
plus forte raison peut-on penser qu’il a formellement interdit qu’on
ajoute aux paroles de l’Évangile, lequel est de loin plus parfait que
l’Ancien testament. Cet argument Luther, Calvin et presque tous l’emploient.
Et Pierre le martyr l’a tellement fait sien que dans commentaire
à Cor (chapitre 8, 1), il a écrit en marge : « bon argument ».
Je réponds qu’on peut comprendre l’addition aux préceptes
ou leur soustraction de deux manières. Une première. Qu’on
ajoute un précepte à un précepte, comme si aux dix commandements, on
en ajoutait deux autres pour en avoir douze, ou on en enlevait deux pour
se trouver avec huit. Une deuxième. Que sans multiplier les préceptes,
on fasse en sorte qu’un précepte ordonne plus ou moins. Comme
si quand Dieu commanda à chaque famille, à Pâque, de manger un agneau,
certaines familles en mangerait deux, d’autres une demi seulement.
Je dis donc que l’Écriture n’interdit pas l’addition du premier
genre, mais du second : elle n’interdit pas d’ajouter au nombre des
préceptes, mais au contenu des préceptes. Ce qui est facile de
prouver parce que nous avons vu les Juifs ajouter au nombre des préceptes
autant des cérémoniaux que des judiciaires. Au sujet de l’addition
de préceptes cérémoniaux, il y a beaucoup d’exemples. Car, dans
Esther 9, : « Mardochée prescrivit que le quatorzième et le quinzième
jour du mois d’Adar deviennent des jours de fête, et qu’ils soient
célébrés solennellement à chaque année ». Et plus bas : «
Les Juifs s’engagèrent eux, leurs descendants et tous ceux qui voudront
se marier avec eux, à ce que personne ne laisse passer ces deux jours
sans les fêter solennellement. » De même, dans Judith (à la fin
du dernier chapitre) : « Le jour de cette fête a été mis par les Hébreux
au nombre des jours saints, et est célébré par eux depuis cette époque
jusqu’à aujourd’hui. » De même en Macchabée 1,4 : « Judas,
ses frères et toute l’église d’Israël statuèrent que soit fêté
le jour de la dédicace de l’autel, d’année en année pendant
huit jours. » Cette fête, même si elle est nouvelle et ajoutée,
le Seigneur l’a honorée par sa présence, comme on le voit par Jean
10.
Au sujet des fêtes judiciaires nous avons l’exemple de 1 Rois, où
David formula une nouvelle loi voulant que la part du butin soit la même
pour ceux qui descendent au combat et ceux qui gardent les bagages : «
Et cela a été fait, constitué et défini comme une loi en Israël ».
Il importe peu qu’on dise « comme une loi », car en hébreu le comme
n’existe pas : on en fait un précepte ou un commandement. Ces
deux mots on les trouve dans le Deutéronome 4 et 12.
L’Écriture n’interdit donc pas d’ajouter de nouveaux préceptes,
mais elle interdit de modifier son contenu par addition ou soustraction.
On le confirme cela par le Deutéronome 3 et 12. Car, Moïse ne parle
pas aux princes à qui il incombe de faire des lois, mais au peuple qui
n’a qu’à obéir. Il ne prescrivait donc que ce qu’il
convient de prescrire au peuple, pour qu’ils observent intégralement
les préceptes, sans n’y rien ajouter ou enlever. C’est ce qu’explique
encore plus clairement Moïse (Deutéronome 5) où, en parlant de la même
chose, il dit : « Faites ce que le Seigneur vous a prescrit, en ne déclinant
ni à gauche, ni à droite. » Car, il est certain que, là, Moïse
parle de l’accomplissement des préceptes, non de la formulation de nouvelles
lois.
Il faut aussi noter que quand Moïse ordonne de ne rien ajouter à
ce que la loi prescrit, il faut voir, dans ces paroles, une addition qui
corrompt le précepte, non qui le perfectionne. Car, quand la loi
dit : tu ne voleras pas, celui qui, loin de voler les biens d’autrui,
donne les siens, fait plus que ce que la loi prescrit. On ne dit
pas, cependant, qu’il ajoute, car il ne détruit pas le précepte, mais
le conserve mieux. Et quand la loi dit de ne sacrifier que des brebis,
des bœufs et des oiseaux qui sont purs, si quelqu’un veut aussi sacrifier
des chiens, des cochons et des hommes, il ajoute au précepte sans le corrompre.
C’est l’exemple que donne le Deutéronome (12) quand il prohibe
l’addition, de peur qu’ils ne sacrifient leurs fils, comme les Gentils.
On peut réfuter cet argument même si on admet que l’Écriture a
prohibé l’addition de nouvelles lois. Il ne faudrait entendre
cette prohibition que de l’addition de lois contraires aux premières,
comme saint Thomas le remarque (chapitre aux Gal lect 2 et 3). Et comme
on le voit par des lois qui ont été ajoutées après, comme nous l’avons
déjà démontré. On peut répondre, en troisième lieu, que
l’ancien et le nouveau testament n’ont pas la même valeur. En
effet, parce que la loi de l’ancien testament avait été donnée
à un seul peuple, et pour un certain temps, c’est-à-dire jusqu’à
l’avènement du Christ, elle pouvait facilement tout déterminer en détail,
comme elle l’a fait. Car, elle prescrit dans le détail tout ce qui se
rapporte au culte de Dieu, aux jugements et aux différends. Il ne faut
donc pas s’étonner qu’elle prohibe d’autres lois. Mais la
loi évangélique est donnée à tout l’univers, c’est-à-dire à des
peuples ou nations très différentes, et elle doit durer jusqu’à la
fin du monde. Elle ne pouvait donc pas facilement tout déterminer
en particulier, de façon à rendre non nécessaire l’existence d’autres
lois, civiles ou ecclésiastiques. Car à des peuples très différents
les uns des autres, ne peuvent pas convenir les mêmes lois et les
mêmes rites. Voilà pourquoi Dieu a jugé préférable de ne donner
dans l’évangile qui est commun à tous, que les lois les plus générales
sur les sacrements, et de laisser aux apôtres et à leurs successeurs
d’établir des lois plus particulières, selon la diversité des temps
et des lieux.
Le troisième argument Calvin le tire d’Isaïe chapitre 33 : « Le
Seigneur est notre Juge, notre Législateur, et notre Roi. » Ces
paroles signifient que le Seigneur est le seul juge, le seul
législateur, et le seul roi, comme nous l’enseigne saint Jacques dans
son épitre, au chapitre quatre : « Il n’y a qu’un seul législateur
et un seul juge qui peut perdre et sauver. » Je réponds qu’Isaïe
et Jacques parlent du premier des législateurs, de celui qui, par sa propre
autorité, peut juger et légiférer. Nous ne disons pas que le souverain
pontife lui soit semblable. Ce législateur n’est, pour nous, que
le Christ. Nous ne faisons, en effet, pas du pape le roi suprême,
le juge suprême, ou le législateur suprême, mais le vicaire du Christ
roi, du Christ juge et du Christ législateur, qui peut faire
des lois par l’autorité qu’il a reçue du Christ. C’est
dans ce sens que saint Cyprien (livre 1, épitre 3) dit que le souverain
pontife est juge à la place du Christ. Mais, tu feras la demande
suivante. En disant : car il n’y a qu’un seul législateur
et juge qui peut perdre et sauver, saint Jacques explique pourquoi tous
les hommes doivent obéir aux lois, et non en faire. Voilà pourquoi
il exclut tous les autres législateurs qui veulent obliger en conscience,
perdre les prévaricateurs et sauver les obéissants. Car, c’est
ainsi qu’il parle : « Ne vous dénigrez pas les uns les autres.
Celui qui trahit et juge son frère, trahit et juge la loi. » C’est-à-dire
que celui qui dénigre son frère qui fait du bien, comme quand il pardonne
des injures, dénigre la loi qui prescrit d’accomplir cette bonne chose.
« Si tu juges la loi, tu n’est pas un observateur de la loi, mais son
juge. Car il n’y a qu’un seul législateur et un seul juge, qui
peut perdre et sauver. » Et c’est après ces paroles qu’on nous
fait sous entendre la proposition : si tu juges la loi, tu n’es pas un
observateur de la loi, mais son juge. C’est-à-dire : tu dois être,
o homme, un observateur de la loi, non un juge. Et il en donne la
raison : il n’y a qu’un seul législateur, un seul juge.
Je réponds que Jacques parle de tous les hommes en tant qu’ils sont
soumis à certaines lois, et qu’il veut dire qu’il n’est permis
à personne de juger la loi de son supérieur, puisqu’il n’y a qu’un
seul législateur et juge qui est si antérieur et suprême qu’il ne
doit que donner des lois, non en recevoir, et qui peut perdre et sauver
de façon à ne craindre personne, et à n’attendre rien de personne.
Or, le pape et les autres évêques, même s’ils peuvent juger et donner
des lois, doivent être jugés par Dieu, et conserver ses lois.
Le quatrième argument, Calvin le tire d’Isaïe, chapitre 29 : « Parce
que ce peuple s’approche de moi par la bouche, et me glorifie avec ses
lèvres, et que son cœur est loin de moi, et qu’ils m’ont craint
par un commandement et des doctrines des hommes, j’ajouterai… »
Le Seigneur se plaint de ce que le peuple d’Israël le craigne par un
commandement humain, c’est-à-dire que le culte ou la religion de Dieu
ils en ont prescrit l’observance par des commandements humains.
Disent la même chose Matthieu (15) et Marc (7). Je réponds que,
dans l’Écriture, les commandements humains ne sont pas appelés préceptes
d’hommes, mais ceux seulement qui sont exclusivement humains,
c’est-à-dire qui ont été faits sans que Dieu les aient commandés
ou inspirés, et qui ne peuvent, en aucune façon, se réclamer de l’autorité
de Dieu. Ils sont de deux sortes. Les uns sont contraires aux
commandements divins (Isaïe 29, Matt 15, Marc 7, Coloss 2,1, 1 Timothée
4, Titus 1.) Ensuite, nous voyons que le Seigneur a reproché trois
fois aux pharisiens leurs traditions humaines. D’abord, en Matthieu
15, où il leur reproche d’observer des commandements humains contraires
à la loi divine. Car, en Matthieu 15, après avoir dit que les pharisiens
avaient ordonné de donner au temple ce que les fils devaient donner à
leurs parents, il ajouta : « Vous avez annulé le commandement de Dieu
par votre tradition. » Et il cite tout de suite le passage d’Isaïe
en question. En commentant ces passages de Matthieu et de Marc, saint
Irénée enseigne qu’il faut comprendre qu’il s’agit de préceptes
pharisaïques qui s’opposent aux lois divines.
Deuxièmement. Il réprouve, en Marc 7, les traditions ou les
mandats des hommes qui portent sur des cérémonies inutiles ou frivoles
inventées pour des motifs humains; et dont les Juifs faisaient un si grand
cas qu’ils les faisaient passer avant les commandements divins.
« Abandonnant le commandement de Dieu, vous gardez des traditions humaines,
comme les baptêmes des cruches et des calices, et beaucoup d’autres
semblables ». Troisièmement, il leur reproche, en Matt 23, de faire
passer certaines bonnes lois avant la loi divine. Il ne dit
pas que ce ne sont que des lois humaines, mais il dit qu’il fallait les
faire sans omettre les autres. Car, ils ne péchaient qu’en faisant
consister l’essentiel de la religion dans des cérémonies de troisième
ordre, toutes externes qu’elles étaient. Ils étaient semblables
au chien d’Esope qui a abandonné un pain pour son ombre, comme l’explique
saint Irénée (livre 2, chapitre 12) au sujet des hérétiques valentiniens,
qui préférèrent avoir un ange comme créateur plutôt que Dieu.
Or, les commandements pontificaux et ecclésiastiques, même si on peut
les dire humains, ne sont pas blâmables, parce qu’ils n’entrent pas
en lutte avec les commandements divins, ne sont pas inutiles, et ne passent
pas avant les préceptes divins.
Le cinquième argument il le tire des paroles de saint Paul (2 Cor
3) qui déclarent les chrétiens affranchis des commandements des hommes
: « Où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. » Et (Galates
4) : « Nous ne sommes pas des fils de la servante, mais de la femme libre,
de cette liberté par laquelle le Christ nous a libérés. » Et
(Galates 5) : « Demeurez comme vous êtes, et ne vous placez pas de nouveau
sous le joug de la servitude. » Je réponds que la liberté chrétienne
consiste en trois choses. La première. Dans la libération
de la servitude du péché, dont parle saint Paul (Romains 6) : « Libérés
du péché, devenus esclaves de la justice. » La deuxième.
Dans la libération de la servitude de la loi divine morale, car, sans
la grâce, la loi ne peut pas être observée. Elle menace quand
même de punition, au cas où elle n’est pas observée. Et c’est ainsi
qu’elle opprime, et maintient les hommes esclaves. Mais la grâce
du Christ nous libère de cette crainte et de cette servitude, non en nous
exemptant de l’obligation d’accomplir la loi, mais en inspirant la
charité qui nous la fait observer facilement et volontairement.
C’est ce dont parle l’Apôtre en 2 Cor 3 : « Là où est l’Esprit
du Seigneur, là est la liberté ». Et en Galates 3 : « Dieu nous
a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant maudit pour
nous. » Et c’est aussi ce que dit saint Augustin (livre sur la
continence, chapitre 3) : « Nous ne sommes pas sous une loi qui commande
le bien, ni même qui le donne, mais nous sommes sous la grâce, ce qui
veut dire que ce que la loi commande nous le faisons, elle peut, en nous
le faisant aimer, commander à des personnes libres. » La
troisième. Dans la libération de la servitude des préceptes
cérémoniaux et judiciaires de Moïse, dont parlent les Actes (15) : «
Pourquoi cherchez-vous à imposer un joug sur les têtes des disciples
? » Et en Galates 5 : « Demeurez comme vous êtes, et ne cherchez
pas à être contenus de nouveau par le joug de la servitude. »
Mais que nous soyons libérés de l’obéissance des prélats, nous ne
le lisons jamais. C’est plutôt le contraire qui est vrai, puisque
saint Paul nous clame : « Obéissez à vos préposés. »
C’est pourquoi, saint Pierre et saint Paul, prévoyant en esprit
les hérétiques de notre temps qui, sous prétexte de liberté, ne peuvent
supporter ni les jeûnes prescrits par l’Église, ni aucune loi, se sont
efforcés très souvent d’inculquer l’obéissance aux supérieurs,
même païens. Saint Pierre (1, Pierre 2) : « Soyez soumis à toute
créature humaine à cause de Dieu. » Et plus bas : « Comme des
enfants qui n’ont pas, comme un voile, la liberté de la malice. »
Et 1 Pierre 2 : « Leur promettant la liberté alors qu’ils sont eux-mêmes
esclaves de la corruption. » Et saint Paul (Galates 5) : « Vous,
vous êtes appelés à la liberté, pourvu que cette liberté ne soit pas
pour vous une occasion de fautes de la chair. »
2017 12 26 22h45 fin
2017 12 28 17h34 début
CHAPITRE 18 : On réfute l’argument tiré de la comparaison des
lois
Sixième argument. Si Dieu a voulu que les chrétiens
soient libérés des cérémonies judaïques et des autres loirs positives
de l’ancien testament, il a voulu également qu’ils le soient des cérémonies
que les pontifes ont introduites, et des autres lois humaines. Car,
s’il avait fallu que nous ayons des lois positives, il aurait été
préférable d’en avoir des divines, plutôt que des humaines.
De plus, cette libération des lois judaïques nous aurait plutôt nuis
que servis, car ces lois saint Pierre les appelle des jougs insupportables,
tant à cause de leur grand nombre, que parce qu’elles obligeaient en
conscience. Car, prises une par une, ces choses ne sont ni
lourdes ni insupportables, comparées aux lois positives des chrétiens
qui sont dix fois plus nombreuses, comme on le voit quand on compare au
pantateuque de Moïse les volumes de droit canon et les tomes des conciles.
Si donc toutes ces lois ecclésiastiques obligent en conscience, il aurait
été préférable de conserver les lois de Moïse. Calvin
confirme son argument par le témoignage de saint Augustin qui (dans l’épitre
110, chapitre 19) se plaint des rites ecclésiastiques témérairement
introduits : « Cette même religion que la miséricorde Dieu a voulu libre
dans le petit nombre et la clarté des symboles de nos célébrations,
on l’opprime par des poids serviles, de sorte qu’était plus
tolérable la condition des Juifs qui, même s’ils n’avaient pas connu
le temps de la liberté, étaient soumis à des poids légaux, non à des
prescriptions humaines présomptueuses. » Et Calvin ajoute : «
Si ce saint homme survenait dans notre siècle, par quelles plaintes
ne déplorerait-il pas notre servitude présente ? Car le nombre
en des décuplé, et chaque prescription est cent fois plus pénible que
celles d’autrefois. Et voilà ce qui a coutume d’arriver quand
s’emparent du pouvoir des législateurs qui n’en finissent jamais de
commander et de défendre, tant qu’on n’aura pas atteint les bas fonds.
Je réponds que le Christ nous a délivrés des cérémonies
et des préceptes de Moïse, parce que ces choses étaient des figures
du nouveau testament. Nous sommes, comme eux, tenus de nous abstenir
d’œuvres serviles les jours de fête, et d’aller à la messe, mais
avec beaucoup d’exceptions. Car, ne doivent pas cesser les œuvres
nécessaires, ni très utiles aux corps humains, comme celles des médecins,
des pharmaciens, des cuisiniers. Pour une raison semblable, celui,
qui, pour une juste cause, ne participe pas à la messe, n’est pas considéré
comme ayant péché. Mais les Juifs étaient si sévèrement tenus
de vaquer à toute activité, qu’ils ne pouvaient ni allumer de feu,
ni faire cuire de nourriture. Et il est même arrivé que quelqu’un,
qui avait porté du bois sur ses épaules, ait été, sur l’ordre du
Seigneur, lapidé à mort.
Au sujet d’Augustin, je dis que c’est malicieusement que
Calvin a voulu abuser de ses paroles. Car, il ne se plaint pas des
rites institués par les pontifes, mais des coutumes particulières du
peuple, et de gens peu instruits, qui finissaient avec le temps par
obtenir force de loi, et qui, quand elles croissaient démesurément, devaient
être enlevées ou abrogées par l’autorité. Voici ce qu’il
dit ; « Toutes les choses qui ne sont ni contenues dans les auteurs des
saintes Écritures, ni trouvées dans les statuts des conciles épiscopaux,
ni corroborées par la coutume de l’Église universelle, mais varient
considérablement d’après les mœurs différentes de différents lieux,
de sorte qu’on est souvent incapables de trouver pour quelle raison
elles ont été instituées, j’estime que, quand il est possible de le
faire, il faut les éliminer sans aucune hésitation. » Tu vois
donc que saint Augustin voulait absolument conserver les lois que les évêques
avaient promulguées dans les conciles, ou que la coutume de l’Église
universelle avait corroborées. Les lois de cette sorte sont celles que
nous appelons ecclésiastiques, car elles n’auraient pas été conservées
dans les tomes des conciles ou dans les livres du droit canon si elles
n’avaient pas été faites par des évêques, mais par le premier
venu.
CHAPITRE 19
On réfute un argument tiré d’exemples
Le septième argument Calvin le tire de trois exemples qui se
trouvent dans l’Écriture. Aux Rois 4, 16, on rapporte un fait
du roi Achaz et du pontife Urie, qui ajoutèrent au temple un autre autel.
Ils le firent cela pour embellir le temple, mais comme Dieu ne l’avait
pas commandé, cette innovation fut réprouvée comme une invention
humaine. Et, au chapitre 14, on parle de ceux que le roi d’Assyrie
transporta de Babylone en Samarie. Dieu lâcha sur eux des lions
pour les punir, car ils adoraient Dieu avec de nouvelles cérémonies que
Dieu n’avait pas prescrites. Enfin, aux Rois 21, on rapporte, du
roi Manassé, qu’il pécha surtout parce qu’il érigea dans le temple
des autels que Dieu n’avait pas commandés. Je réponds qu’elle
est stupéfiante l’impudence de Calvin qui enseigne qu’Achaz, Manassé
et les Babyloniens ont été punis par Dieu parce qu’ils avaient institué
des cérémonies non prescrites par Dieu, alors que l’Écriture explique
clairement qu’ils avaient tous péché d’un péché d’idolâtrie.
Car Achaz a été blâmé non parce qu’il avait érigé un nouvel autel
dans le temple, mais parce qu’il avait construit un autel semblable
à l’idole qui était à Damase, et parce qu’il avait enlevé
l’autel de Yahvé de sa place, et ne voulait plus offrir des sacrifices
à l’autel du Seigneur, mais seulement au nouvel autel consacré à l’idole.
Manassé n’est pas réprouvé parce qu’il avait érigé des autels
dans le temple, mais parce qu’il avait érigé les autels de la milice
universelle du ciel, c’est-à-dire en l’honneur de tous les astres,
et qu’il avait fait entrer dans le temple l’idole, qui demeurait
jusque là dans le bois sacré. Car que ce n’était pas une
mauvaise chose de dresser de nouveaux autels dans le temple, même
si Dieu n’en avait pas donné l’ordre, on s’en rend compte en lisant
les Rois (2, 8,). Nous y lisons que quand Salomon vit que l’autel
de bronze (ou d’airain) ne pouvait pas contenir tous les holocaustes
qui étaient offerts, il sanctifia un autre lieu du temple, et y
offrit là aussi des holocaustes. Or, ce qu’a fait Salomon,
Dieu ne l’a ni commandé ni réprouvé. On doit plutôt dire qu’il
l’a approuvé, parce qu’il lui est apparu durant son sommeil,
l’a loué et lui a promis beaucoup de bonnes choses.
Quant aux Babyloniens qui habitaient en Samarie, ils étaient,
comme tous le savent, des idolâtres. Voici ce qu’on lit d’eux
dans l’Écriture ( 4 Rois, chapitre 17) : « Quand ils commencèrent
à habiter là, ils ne craignaient pas Dieu, et le Seigneur leur envoya
des lions qui les tuèrent. » Et plus bas : « Chacune de ces nations
fabriqua son Dieu propre, et les posèrent ces dieux dans des temples
situés au sommet des montagnes. » Et plus bas : « Et quand ils adoraient
le Seigneur, ils servaient aussi leurs propres dieux, selon la coutume
des peuples d’où ils provenaient. » C’est ce péché que l’Écriture
réprouve, non les nouvelles cérémonies non commandées par Dieu.
CHAPITRE 20
On réfute deux arguments tirés de motifs de conscience.
Voici quel est le huitième argument de Calvin. Paul n’a permis
en aucune façon que les consciences des fidèles retournent à l’esclavage
des hommes. C’est ce qu’il dit (1 Cor 7) : « Vous avez été
achetés à grand prix. Ne devenez pas serviteurs des hommes. »
Saint Paul ne prescrit pas là que les esclaves ne doivent pas obéir à
leurs maîtres dans les choses extérieures, car (dans Ephés 6) il a dit
: « Serviteurs (esclaves) obéissez à vos maîtres avec crainte
et tremblement. » Il ne prescrit pas non plus à ceux qui sont des
hommes libres de se faire des esclaves, car, dans le même chapitre (1
Cor 7), il dit : « Tu as été appelé quand tu étais esclave, n’en
fais pas de cas. Et même si tu peux être affranchi, demeure
comme tu es. » C’est-à-dire, si tu peux devenir un homme libre,
il est mieux pour toi de servir, et de te maintenir dans la condition de
servitude, pour conserver l’humilité. Il reste donc qu’il interdit
de servir les hommes par la peur du péché, et l’anxiété de la conscience,
puisque c’est Dieu seul qu’on doit servir. Je réponds
que, dans ce passage, saint Paul prescrit seulement de ne pas servir les
hommes pour les hommes, mais pour Dieu, de façon à ce que nous servions
plutôt Dieu dans les hommes, que les hommes eux-mêmes. C’est
ce que lui-même explique (Éphésiens 6) : « Serviteurs, obéissez aux
maîtres charnels avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre
cœur, comme au Christ, ne servant pas au doigt et à l’œil, comme
pour plaire aux hommes, mais comme serviteurs du Christ, faisant
la volonté de Dieu avec empressement, comme servant Dieu avec une
bonne volonté, et non les hommes. »
Ils deviennent serviteurs des hommes (ce que l’Apôtre interdit)
ceux qui regardent surtout les hommes, et qui les servent, même s’ils
prescrivent des péchés, et qui les adulent même quand ils agissent mal.
Voir saint Jean Chrysostome (1 Cor 7) et saint Jérôme (chapitre 6, Éphes).
Le neuvième argument de Calvin. La conscience n’appartient qu’au
for interne divin, car c’est Dieu qui scrute les reins et les cœurs
: les hommes ne peuvent donc pas obliger en conscience. Et il confirme
cet argument ainsi. Un homme ne peut pas condamner quelqu’un
à l’enfer; il ne peut donc pas, sous peine de mort éternelle, obliger
à l’observation d’une loi. Il est ridicule, en effet,
que quelqu’un menace d’une peine qu’il ne peut pas infliger.
Je réponds qu’on peut entendre de deux façons l’affirmation qui veut
que la conscience ne relève que du tribunal de Dieu. Une première.
Dieu seul peut voir les consciences, et juger les actes internes qui n’apparaissent
pas à l’extérieur, et qui n’ont pas d’autres témoins que
Dieu et la conscience de ceux qui les fait. Et, dans ce sens, il
est très vrai que la conscience ne relève que de Dieu. La deuxième.
On peut l’entendre au sens où seul Dieu peut lier l’homme par ses
lois, de façon à ce que, s’il n’accomplit pas le précepte, il juge
lui-même, dans sa conscience, qu’il fait mal. Et, de cette façon,
il est faux que la conscience ne relève pas de l’homme. Car, pour
que quelqu’un oblige un autre en conscience, il n’est pas requis qu’il
puisse voir sa conscience, ni qu’il scrute ses reins et ses cœurs,
ni non plus qu’il soit juge de ses actes internes. Il suffit
qu’il puisse légitimement lui commander, et, en lui commandant, l’obliger
à faire une œuvre extérieure, de façon à ce que, s’il ne la
fait pas, il comprenne ou puisse comprendre qu’il a mal agi.
C’est pourquoi Jean Calvin (livre 4, chapitre 10, verset 5) est trompé
ou désire tromper les autres quand il parle ainsi : « Car ce n’est
pas avec les hommes, mais avec Dieu seul que nos consciences ont un rapport.
C’est à lui qu’il appartient de marquer la différence existant entre
un jugement terrestre et le tribunal de la conscience. Lorsque le monde
entier est enfoncé dans les ténèbres de la plus épaisse ignorance,
cette petite étincelle de lumière demeure, qui nous fait reconnaitre
que la conscience de l’homme est supérieure à tous les juges humains.
Ce qu’ils reconnaissent en parole, ils le renient dans la réalité.
Mais Dieu a voulu que continue à exister un certain témoignage de la
liberté chrétienne qui affranchit les consciences de la tyrannie des
hommes. » Quand nous disons, nous, catholiques, que la conscience
est supérieure à tous les jugements humains, nous ne voulons rien dire
d’autre que celui qui est conscient de bien agir ne doit pas craindre
d’être damné par Dieu, même si tous les hommes qui ne voient pas le
cœur, jugent autrement de ses actions. Mais, pouvons-nous aller
plus loin ? Pouvons-nous dire que celui qui a violé les lois
de l’Église ne pèchera pas à cause du témoignage de sa conscience
?
Je réponds à la confirmation, qu’une loi humaine n’oblige
pas sous peine de mort éternelle, si ce n’est dans la mesure où Dieu
est offensé par la violation d’une loi humaine, dont les ministres sont
tous les princes, non seulement ecclésiastiques, mais aussi politiques.
Car, comme celui qui transgresse les lois d’un pro roi offense le roi,
et peut être puni par le roi, même d’une peine qu’un pro roi ne peut
infliger, de la même façon ceux qui n’observent pas les lois justes
des princes qui, selon saint Paul (Rom 13, 1, Cor 4) et la Sagesse
(6) sont des ministres de Dieu, sont punis par lui d’une peine de mort
éternelle. Si donc nous imaginons que Dieu n’est pas dans la nature
des choses, ceux qui violeront des lois justes pècheront en conscience,
mais ils n’offenseront pas Dieu, et n’iront pas en enfer pour
cela. Tu diras : si par loi humaine en tant qu’humaine tu
entends celle qui n’est en rien divine, je nie que le transgresseur
d’une loi humaine en tant qu’humaine ne pèche pas mortellement.
Mais si par loi humaine en tant qu’humaine tu entends celle que l’homme
porte de sa propre autorité, qu’il n a pas reçue de Dieu, mais qui
vient de lui-même, ou qu’il a reçu d’autres hommes, j’admets que
les transgresseurs d’une telle ne pèchent pas mortellement.
Du reste, des lois de ce genre sont nulles, car tout pouvoir est de Dieu
(Romais 13), et sans le vrai pouvoir, aucune vraie loi ne peut être
portée.
CHAPITRE 21
On réfute les objections tirées des pères
Le dixième argument est tiré des témoignages de certains pères,
qu’au nom d’autres personnes, rapporte Jean de Turrecremata (livre
2, chapitre 45). Le premier. Celui d’Origène (traité 12,
dans Matthieu), où expliquant Matthieu 20, « Les rois des nations dominent
sur eux, Vous, qu’il n’en soit pas ainsi. » il écrit : « Comme toutes
les choses charnelles relèvent de la nécessité et non de la volonté,
les choses spirituelles ne relèvent pas de la nécessité, mais de la
volonté. Il en va ainsi pour les princes spirituels. Leur principauté
réside dans l’amour de leurs sujets, non dans la crainte corporelle.
» Je réponds qu’Origène n’exclut pas du prince ecclésiastique
le pouvoir coercitif, mais qu’il ne cherche qu’a avertir les princes
de leur devoir. Car, la différence qui existe entre un prince séculier
et un prince ecclésiastique est que le prince séculier a pour fin la
paix temporelle et externe de la république. Il atteint donc sa
fin quand tous ses sujets vivent paisiblement, qu’ils le fassent volontairement
ou malgré eux. Mais le prince spirituel a pour fin la vie
éternelle, et la paix tant externe qu’interne des sujets. Et pour
cette raison, il doit voir à ce que ses sujets soient conduits plus
par l’amour que par la crainte. Et comme il ne peut pas ordonner
à ses sujets de vivre joyeusement et avec amour, il doit, lui aussi, user
du pouvoir coercitif, pour que, au moins par la crainte, ne soit
pas troublée la paix de l’Église. Voilà pourquoi saint Grégoire
dit (au livre 29, chapitre 6, morales) : « Envers les sujets, doivent
être présents chez les supérieurs une miséricorde qui console avec
justice, et une discipline qui sévit pieusement. »
Le second est de saint Jean Chrysostome (livre 2 sur le sacerdoce),
avant le milieu, où il compare un pontife avec un pasteur de brebis
dépourvues de raison. Voici ce qu’il dit : « Car, il n’est
pas permis à un homme de prendre soin des hommes avec la même autorité
qu’un pasteur prend soin de ses brebis. Il lui est permis
à lui d’attacher un animal avec une corde, de l’éloigner des alpages,
de brûler, de couper, car une médecine ou un traitement n’est
pas déterminée par le malade, mais par le médecin. Il compare
ensuite le pontife à un magistrat séculier et dit : « Il n’est
permis de corriger par force la faute de tous les pécheurs. Les
juges externes quand ils arrêtent des hommes coupables qui ont transgressé
les lois, se montrent investis d’une grande autorité et d’un
grand pouvoir, et ils les forcent de changer leurs mœurs malgré eux.
Mais, ici, il ne faut pas déployer de force, mais persuader seulement,
et rendre ainsi meilleur celui que tu as reçu pour l’amender.
Les lois ne nous donnent pas la faculté de contraindre les délinquants,
car si elles nous la donnaient, nous aurions la même force, nous pourrions
exercer le même pouvoir que le Christ quand il donnera une couronne éternelle
non à ceux qui ont agi par contrainte, mais qui se sont abstenus du péché
par une décision volontaire personnelle. » Jean de Turrecremata
répond que saint Jean Chrysostome parle de ceux qui sont à l’extérieur
de l’Église, des païens, que l’Église ne peut pas contraindre
à embrasser la foi. Au contraire, saint Jean Chrysostome parle clairement
des brebis qui sont à l’intérieur de l’Église, et qui sont confiées
à un évêque.
Il faut donc dire que saint Jean Chrysostome n’a jamais voulu nier
le pouvoir coercitif des pontifes, puisqu’il l’affirme en toutes lettres
constamment. Car, dans l’homélie 70 au peuple, il interdit
aux chrétiens, qui sont sous sa juridiction, d’engager une femme pour
pleurer aux funérailles. Et il leur dit : « Pour que je ne les
force pas à pleurer pour de vrais maux, et pour ceux qui leur sont
propres. » Et plus bas : « S’il arrivait, --ce que Dieu
ne permette pas- que nous soyons méprisés, nous serions forcés d’avoir
recours à des menaces, pendant que vous les châtieriez par des
lois ecclésiastiques, comme ils le méritent. » Et plus bas
: « Que personne ne méprise les chaînes ecclésiastiques, car celui
qui lie ce n’est pas l’homme, mais le Christ, qui nous accordé ce
pouvoir, et nous a constitués maîtres d’un tel honneur. » Et,
dans l’épitre 1 au pape Innocent, il lui demande de punir, par des lois
ecclésiastiques Théophile, évêque d’Alexandrie, et les autres
qui l’avaient injustement expulsé de son siège. Et dans
son homélie 83 sur saint Matthieu, parlant à un diacre, il dit : « Si
un chef quelconque, si un consul, si quelqu’un qui est orné d’un diadème
se conduit indignement, corrige-le et contrains-le de bien agir. »
Saint Jean Chrysostome a donc compris que les prélats peuvent attacher
leurs brebis, les expulser de l’église, et les punir sévèrement, choses
qu’il semblait, avant, ne pas approuver.
Je réponds à ces paroles doublement. D’abord, entre le pasteur
de brebis irrationnelles et rationnelles, il fait la différence suivante.
Comme le premier a cure des maladies naturelles des brebis, il peut les
soigner même malgré elles. Comme le second s’occupe des maladies de
brebis qui sont volontaires, il ne peut guérir les brebis sans qu’elles
le veuillent, et voilà pourquoi son travail médicinal est plus délicat
que l’autre. Je dis la même chose du pouvoir séculier.
Le juge séculier s’occupe des actions externes, et il peut donc, à
cause de cela, forcer quelqu’un, malgré lui, à changer
ses mœurs externes. Mais l’évêque, lui, veille aux mœurs
internes, qui ne peuvent pas être changés sans l’assentiment du délinquant.
Car, même si l’évêque peut excommunier, et infliger d’autres
peines, elles seront sans profit si celui qui les reçoit ne les accepte
pas. Et c’est ainsi que je comprends ces paroles : « car
à nous n’a pas été donnée par les lois une telle faculté de contraindre
les délinquants ». Car, l’évêque n’a pas la capacité
de forcer un homme à changer sa conduite, comme un juge a le pouvoir de
forcer un homme à changer ses mœurs externes. Ensuite, on peut
dire que saint Jean Chrysostome ne parle, en ce passage, que du pouvoir
sacerdotal au for interne, celui de la conscience. Nous ne pouvons,
là, corriger le pénitent que s’il le veut bien. Car, le plus
que nous pouvons faire c’est le renvoyer sans absolution.
Le troisième témoignage est celui de saint Augustin (livre 22, chapitre
27, contre Faust), où il définit ainsi le péché : « Le péché est
une parole, un fait ou un désir contraire à la loi éternelle de Dieu.
» On en déduit que la transgression d’une loi humaine n’est
pas un péché. Saint Ambroise donne une définition semblable dans
son livre sur le paradis (chapitre 8) : « Le péché est une prévarication
de la loi divine. » Je réponds que tout péché est contre
la loi de Dieu, non positive, mais éternelle, comme l’enseigne avec
raison saint Augustin. Car, toute loi juste, qu’elle vienne de
Dieu ou des hommes, dérive de la loi éternelle de Dieu. Car, que
le péché soit la violation d’une règle, c’est la loi éternelle
qui le dit. Le quatrième témoignage est celui de saint
Bernard (livre 1, de la considération) : « Je pense qu’ils ne pourront
jamais en faire la démonstration ceux qui disent qu’un quelconque des
apôtres se soit constitué un juge des hommes. Je lis que les apôtres
se sont tenus debout pour être jugés; qu’ils se soient assis
pour juger, je ne le lis pas. » Je réponds que saint Bernard parle
de jugement dans les causes civiles, car il dit ailleurs : « Pourquoi
méprisent-ils de juger les possessions terrestres des hommes ceux qui,
dans les cieux, jugeront même les anges ? Donc, c’est dans les
crimes, non dans les possessions qu’est votre pouvoir. Car c’est,
pour celles-ci et non pour celles-là, que vous avez reçu les clefs du
royaume des cieux. Ajoutons que saint Bernard ne parle pas
tellement de ce qui est permis que de ce qui convient à un pontife dans
les jugements sur des litiges terrestres
CHAPITRE 22 : On propose une dernière question
: le Christ a-t-il immédiatement conféré au seul pontife suprême la
juridiction ecclésiastique ?
Il reste une dernière question : la dérivation du pouvoir ecclésiastique
du pontife suprême aux évêques. On doit savoir qu’un triple
pouvoir existe dans le pontife suprême et les autres évêques : un d’ordre,
et un autre de juridiction intérieure, et un troisième de juridiction
extérieure. Le premier se rapporte à la confection et à
l’administration des sacrements; le second à la régie du peuple chrétien,
au for interne de la conscience; et le troisième à la régie du peuple
chrétien aux for externe. Il n’est question ici ni du premier ni du
second. Seul le troisième nous intéresse. Car, au sujet du premier
pouvoir, il est certain que le souverain pontife et les évêques le reçoivent
également, et immédiatement de Dieu. Il est conféré, en
effet, par la consécration qui opère le même effet en tous. Voir,
au sujet de ce pouvoir, Jean de Turrecremata (livre1, chapitre 93).
Au sujet du second pouvoir, il y a une dissension entre les auteurs, car
Abulensis (dans le livre qu’il appelle le défensorium, par 2 chap 63)
soutient que ce pouvoir est conféré immédiatement par Dieu à tous les
prêtres au moment de leur ordination. Et le fait qu’un prêtre ne puisse
pas absoudre et lier les chrétiens cela vient de ce que l’Église, pour
enlever toute confusion, a fait des divisions de diocèses, a soumis
un peuple à un évêque, et les prêtres à cet évêque. Mais Jean
de Turrecremata (livre 1, chapitre 96 de sa somme) enseigne que ce pouvoir
n’est pas conféré par Dieu à l’ordination, mais par un homme au
moyen d’une simple injonction. Tous les deux, cependant, conviennent
que l’usage de ce pouvoir dépend d’une juridiction extérieure, et
qu’il suffit donc de ne parler que d’elle.
Nous ne traiterons donc que de la troisième, de laquelle nous
avons déjà parlé plus haut. Tous admettent, au moins en général,
que la juridiction épiscopale est de droit divin. Car c’est le
Christ lui-même qui a structuré son Église de façon à ce qu’il y
ait en elle des pasteurs, des docteurs etc. C’est ce que saint
Paul dit aux Éphésiens 4 : « C’est lui qui a donné des apôtres,
des prophètes, des pasteurs et des docteurs. ». Car, s’il n’en
était pas ainsi, le pape pourrait changer la hiérarchie, et décréter
qu’il n’y aura plus d’évêques dans l’Église, ce qu’il ne peut
manifestement pas faire. La question se formule donc comme
suit : est-ce que les évêques canoniquement élus reçoivent de Dieu
leur juridiction, comme la reçoit le souverain pontife ? Trois opinions
existent, chez les théologiens, à ce sujet. La première
veut que, autant les apôtres que les autres évêques aient reçu et reçoivent
immédiatement de Dieu leur juridiction. C’est ce qu’enseigne
François Victoria (dans sa relecture 2 du pouvoir de l’église, question
2) et Alphonse a Castro (livre 2, chapitre 24, la juste punition des hérétiques).
La deuxième opinion veut que ce soit de Pierre, non du Christ, que les
apôtres aient reçu leur juridiction, et les évêques non du Christ,
mais des successeurs de Pierre. C’est ce qu’enseignent Jean de
Turrecremata (livre 2, chapitre 54) et Dominique Jacobatius (livre 10,
article 7, des c onciles). La troisième occupe une position médiane.
Elle veut que les apôtres aient reçu immédiatement du Christ leur juridiction,
mais les évêques du pape. C’est ce qu’enseignent Cajetan (dans
son traité sur l’autorité du pape et des conciles, chapitre 3), Dominique
a Soto (4 dist 20, question 1, article 2), François Vargas (dans son opuscule
sur cette question), Hervacus (livre sur le pouvoir du pape),et Gabriel,
(dans le canon de la messe, lecture 3). Et c’est ce que pensaient
les anciens scolastiques comme saint Bonaventure, saint Albert, Durant
(dist 18 ou 20 ou 24) et d’autres qui considéraient cette opinion
comme très vraie. Il faut donc la confirmer brièvement.
CHAPITRE 23 : Les apôtres ont reçu toute leur
juridiction du Christ
Que les apôtres aient reçu toute leur juridiction immédiatement
du Christ l’attestent ces paroles du Seigneur (en Jean 29) : « Comme
le Père m’a envoyé je vous envoie moi aussi. » En commentant
ce passage, saint Jean Chrysostome et Theophylactus professent que,
par ces paroles, les apôtres ont été faits vicaires du Christ, et qu’ils
ont même reçu la charge et l’autorité du Christ. Saint Cyrille
ajoute que, par ces paroles, les disciples ont été créés apôtres et
docteurs de toute la terre; et que pour nous faire comprendre que, dans
l’autorité apostolique, était contenu tout le pouvoir ecclésial,
le Christ a jouté tout de suite après : « Comme le Père m’envoie.
» Or, le Père envoie le Fils muni de la puissance suprême.
Saint Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’Église) : « Le Seigneur
a dit à Pierre : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et, après
sa résurrection, il lui dit : « Pais mes brebis ». Et, même si,
après sa résurrection, il a donné à tous les apôtres un pouvoir semblable,
quand il a dit : « Comme le Père m’envoie, moi aussi je vous envoie
», cependant, pour manifester l’unité, il a établi une seule
chaire. » Ce passage nous fait comprendre qu’a été donné
à ses apôtres, par le je-vous-envoie, ce qui avait été promis
à Pierre par le je-te-donnerai-les-clefs, et conféré plus tard
par le pais-mes-brebis. Il appert que par le je-te-donnerai-les-clefs,
et par le pais-mes-brebis, a été conférée une juridiction plénière,
et même externe. Comment ces choses ne font pas obstacle au primat
de Pierre, nous l’avons suffisamment démontré ailleurs.
La deuxième citation de l’Écriture porte sur l’élection
de Matthias à l’apostolat. Nous lisons, en effet, que Matthias
ne fut pas choisi par les apôtres, qu’on ne lui a pas donné d’autorité,
mais qu’après avoir, par la prière, remis à Dieu son élection,
on le compta immédiatement parmi les apôtres. Or, si c’est
de Pierre que les autres apôtres avaient reçu leur juridiction,
cette intervention de Pierre serait apparue clairement dans la consécration
de Matthias. On le prouve ensuite par un texte de saint Paul, où
il enseigne qu’il a reçu du Christ l’autorité et la juridiction.
Et c’est la preuve qu’il donne pour montrer qu’il est un vrai apôtre.
(Galates 1) : « Paul apôtre non des hommes, ni par un homme, mais par
Jésus-Christ et Dieu le Père. » Et pour montrer qu’il n’a
pas reçu sa juridiction de Pierre ou d’un autre apôtre, il ajoute :
« Quand il a plu à celui qui m’a choisi dès le sein de ma mère, et
m’a appelé par sa grâce, je n’ai écouté ni la chair ni le
sang, ne ni suis venu à Jérusalem vers les anciens, les apôtres,
mais je suis allé en Arabie, puis je suis retourné ensuite à Damase.
Ce n’est qu’après trois ans que je suis venu à Jérusalem pour voir
Pierre ». Et au chapitre 2 : « Ceux qui semblaient être quelque chose
ne m’ont rien apporté. »
Quatrièmement. On le prouvera par une raison évidente.
C’est par le seul Christ que les disciples ont été faits apôtres,
comme on le voit dans Luc 6 : « Il a appelé ses disciples,
et en choisit douze parmi eux, qu’il appela apôtres. »
Et Jean 6 : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze ?
» Que les apôtres aient eu la juridiction, on le dédit des
actions de Paul qui (1 Cor 5) excommunie, et (1 Cor, 6, 7, 11, 14,
et souvent ailleurs) fait des lois; et aussi de ce que la dignité
apostolique est la dignité première et suprême dans l’Église, comme
on le voit (dans 1 Cor 12, et Ephsiens 4) : « Et il en a institué certains
en autorité dans l’église, des apôtres d’abord, puis des prophètes.
» Il n’y a pas à s’étonner que, avant la passion du Christ,
les apôtres n’aient été ni évêques, ni prêtres, et qu’ils ne
possédaient aucune juridiction. C’est dans des temps différents
que le Seigneur a accordé à ses apôtres divers pouvoirs. Et c’est
surtout après sa passion (Jean 20), qu’il termina ce qu’il avait commencé.
CHAPITRE 24 : Tous les évêques reçoivent
du pape leur juridiction
Que toute juridiction ordinaire des évêques descende immédiatement
du pape, on le prouve ainsi. La première preuve, on la tire d’une figure
de l’ancien testament. Car, nous lisons, dans les Nombres 11,
que, quand Moïse ne parvenait pas à gouverner seul tout le peuple, Dieu
ordonna qu’il s’adjoigne soixante-dix anciens. Et enlevant de
l’esprit de Moïse, il le leur donna pour qu’ils puissent gouverner
avec Moïse. Il faut noter une question que s’est posée saint
Augustin (question 18, livre des Nombres) : ce prélèvement de l’esprit
de Moïse signifie-t-il une diminution de l’esprit de Moïse ?
Et il répond non, car, dit-il, il n’aurait pas été profitable à Moïse
d’avoir des collaborateurs, si cela avait du l’affaiblir spirituellement.
Mais, par cette dérivation de l’esprit de Moïse vers les anciens, Dieu
a voulu montrer que c’est dans Moïse que réside toute l’autorité,
et que celle que les autres ont, ils la reçoivent de lui. Or, il
est tout à fait clair que le pape occupe, dans l’Église, la même
place que détenait Moïse dans le peuple de Dieu. En second lieu,
le royaume ecclésiastique est monarchique, comme nous l’avons démontré
plus haut. Donc, toute l’autorité est en lui, et c’est de lui
qu’elle est dérivée dans un autre. C’est ainsi que fonctionnent
toutes les monarchies. Ils répondront que le régime ecclésiastique
est monarchique, mais tempéré par l’aristocratie. En conséquence,
en plus de la monarchie, il y a d’autres préfets inférieurs qui ne
sont pas des vicaires suprêmes de la monarchie, mais des princes absolus.
Ils seraient des vicaires, s’ils recevaient d’un autre l’autorité.
Au contraire. L’aristocratie requiert, il est vrai, que
les évêques soient des princes, et non de simples vicaires,
mais elle ne requiert pas que ces princes soient institués par Dieu ou
par le pape, mais seulement que le pontife soit forcé, par la divine loi,
de constituer dans diverses parties de l’Église divers princes ecclésiastiques.
Comme si le roi était tenu, à certains endroits, d’instituer dans chaque
province non des préfets ou des préteurs, mais de vrais chefs et princes,
qui régissent une province comme leur appartenant en propre, mais,
toutefois, en dépendance du roi. Troisièmement, on le prouve avec
quatre images dont se sert saint Cyprien (dans son livre sur l’unité
de l’église), où il compare le siège de Pierre à une tête, une racine,
une source, et au soleil. Car, dans tout le corps, c’est de la
tête que dérive la force des membres; dans tout arbre, la force des branches
vient de la racine; dans toutes les rivières, l’eau vient d’une source;
et la lumière de tous les rayons vient du soleil. Quatrièmement,
on le prouve de l’inégalité des juridictions. Car si c’était
Dieu qui donnait la juridiction, tous auraient une juridiction égale,
comme ils ont un pouvoir d’ordre égal. Dieu, en effet, n’a jamais
déterminé la juridiction des évêques. Si donc un évêque a la
juridiction sur une seule ville, sur cent villes, ou sur plusieurs provinces,
ce n’est donc pas de Dieu, mais des hommes que provient cette juridiction.
Si donc quelqu’un régit un petit peuple et un autre un grand peuple,
c’est parce qu’il a plu ainsi à celui qui donne la juridiction, au
prince de toute l’Église.
Cinquièmement, si les évêques recevaient leur juridiction
de Dieu, le pontife suprême ne pourrait pas la leur enlever, ou la changer,
car le pape ne peut rien faire de contraire à ce que le Christ a institué.
Or, il est certain que le pape peut le faire, et qu’il l’a fait souvent.
Et c’est ce que dit saint Bernard (épitre 131 à Milan) : « L’église
romaine peut instituer de nouveaux diocèses, là où il n’y en avait
pas. Ceux qui existent déjà, elle peut les abaisser, les ennoblir,
selon les raisons et les besoins, comme, exemple, faire d’un évêque
un archevêque, et même vice versa, si la chose était préférable. »
Ils répondront que les évêques ont leur juridiction d’en haut, mais
sous un pontife, et que c’est pour cela que le pape peut enlever ou changer.
Mais c’est le contraire qui est vrai, car c’est sous Pierre, que les
apôtres ont reçu immédiatement du Christ leur juridiction. Et
cette juridiction Pierre ne pouvait ni l’enlever, ni la diminuer.
De plus, le pouvoir d’ordre c’est de Dieu qu’ils le reçoivent, et
le pape ne peut pas le leur enlever, au point où ils ne pourraient
pas l’utiliser s’ils le voulaient. Car, le prêtre pourra
consacrer véritablement même s’il est excommunié, suspendu, interdit
ou dégradé. De plus, dans chaque ville, les clercs
et le peuple sont soumis à l’évêque. Mais si un clerc ou le
peuple reçoit directement du pape une autorité quelconque, un évêque
ne peut ni l’enlever, ni la diminuer. Semblablement, si les évêques
avaient du Christ leur autorité, le vicaire du Christ ne pourrait ni la
leur enlever, ni la diminuer. Mais les adversaires diront que le
Seigneur a soumis les évêques au pontife, en voulant qu’il puisse
changer ce qu’il leur avait accordé.
Ils répondront que le pontife peut au moins enlever la matière
qui est sujette à l’évêque, c’est-à-dire confier son peuple à
un autre évêque, et de ce façon non à lui enlever la juridiction donnée
par Dieu, mais de faire en sorte indirectement qu’il la perde.
Comme le pouvoir de juridiction signifie une relation d’un prélat à
des subordonnés, c’est-à-dire dans les choses qui
sont équivalentes, on prend une chose et on enlève une autre, on
enlève une chose et on prend une autre. Si la juridiction
ne peut pas être enlevée à un évêque, il ne peut pas arriver que le
peuple ne lui soit pas soumis. Il serait donc tout à fait étrange
que la divine providence qui dispose toutes choses suavement, n’ait pas
voulu que soit donnée la juridiction par celui qui, selon la volonté
de Dieu, peut ou l’enlever, ou l’augmenter ou la restreindre.
Sixièmement. Si c’est de droit divin que les évêques ont
leur juridiction, il faut qu’ils montrent une parole de Dieu sur laquelle
est fondée cette juridiction. Mais ils ne présentent rien, et les
adversaires ne peuvent présenter rien d’autre que les paroles du Seigneur
dites aux apôtres. Par ces paroles, est donnée aux apôtres
une ample juridiction sur l’église universelle, que les adversaires
ne concèdent certainement pas aux évêques. C’est à eux de voir
sur quel fondement ils appuient leurs opinions.
Septièmement. Se présentent des témoignages lourds de sens,
de deux anciens et très saints pontifes. Innocent 1 (épitre
au concile de Carthage, la 91 parmi les lettres d’Augustin) : « C’est
de Pierre que tout l’épiscopat et toute l’autorité de ce nom sont
sortis. » Et, dans son épitre au concile de Milet (la 93 lettre
de saint Augustin) : « Je pense que tous nos frères et co- évêques
doivent reconnaitre Pierre comme l’auteur de leur nom et de leur honneur
». Saint Léon (sermon 3 sur son couronnement) : « Si Dieu a voulu
qu’il (le pape) ait en commun quelque chose avec d’autres, il n’a
jamais donné que par lui (le pape) ce qu’il n’a pas refusé aux autres
» Et, dans l’épitre 89 : « Le sacrement de ce ministère le
Seigneur a voulu qu’il corresponde à la charge de tous les apôtres,
mais de façon à ce qu’il demeure principalement dans le bienheureux
Pierre, chef de tous les apôtres, pour que de lui, comme d’une tête,
il diffuse ses dons dans tout le corps. » Il importe peu que ce
ne soit pas de Pierre que les apôtres aient reçu leur juridiction.
Car ici, le pape Léon parle de la façon ordinaire dont Dieu confère
par les évêques ses dons à l’église. Et il dit qu’il les
confère ordinairement par Pierre. Mais les apôtres, par un
privilège extraordinaire, reçurent du Christ lui-même leur juridiction.
Voici, enfin, les paroles qu’utilise le pontife en créant
des évêques : Nous pourvoyons à la vie de l’Église par telle
ou telle personne. Et nous l’établissons comme père, pasteur et évêque
de cette église, lui confiant l’administration des choses spirituelles
et temporelles, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
CHAPITRE 25 : Réfutation des arguments des adversaires
Ils nous objectent que notre doctrine se détruit elle-même,
car les évêques succèdent aux apôtres comme le pape à Pierre.
Si donc les apôtres ont reçu du Christ la juridiction, comme l’affirme
notre première conclusion, il s’ensuit que les évêques la reçoivent,
eux aussi, du Christ, ce que nie la deuxième conclusion. Et vice-versa,
si c’est du pontife que les évêques reçoivent leur juridiction,
comme l’affirme la deuxième conclusion, les apôtres la reçoivent de
Pierre, ce que nie la première conclusion. Car, un successeur reçoit
sa juridiction de celui de qui l’a reçue son prédécesseur. Car, autrement
il ne lui succèderait pas vraiment, mais il serait institué d’une autre
façon. Que les évêques succèdent aux apôtres saint Augustin
l’enseigne (dans le psaume 44) « Pour remplacer tes pères te
sont nés des fils », qu’il explique ainsi : « Les apôtres sont envoyés.
Pour les remplacer, des fils sont nés, des évêques ont été institués.
» C’est aussi ce qu’enseignent le concile de Florence (instruction
armenor) et le concile de Trente (session 23, chapitre 4,) : « les évêques
enseignent en tant que successeurs des apôtres, dont ils ont pris la place.
»
Je réponds qu’il y a une grande différence entre la succession
de Pierre et celle des autres apôtres. Car le pontife romain
succède à Pierre en tant qu’apôtre, mais en tant que pasteur
ordinaire de toute l’Église. Et voilà pourquoi le pontife romain
a la juridiction de celui qui l’avait donnée à Pierre. Mais les
évêques ne succèdent, pas à proprement parler, aux apôtres, parce
que les apôtres ne furent pas des pontifes ordinaires, mais extraordinaires,
et comme des pasteurs délégués, à qui on ne succède pas.
On dit quand même que les évêques ont succédé aux apôtres non proprement
de la façon dont un évêque succède à un autre, et un roi à
un autre roi, mais pour deux raisons. La première. En raison
de l’ordre sacré épiscopal. La seconde. Par une certaine
ressemblance et proportion. Car, comme pendant que le Christ vivait
sur la terre, les douze apôtres ont été d’abord choisis, et
ensuite les 72 disciples, les premiers, les évêques, sont maintenant
sous le pontife romain, et après eux, sont les prêtres et les diacres.
Que c’est ainsi, et non autrement que les évêques ont succédé
aux apôtres, on le prouve ainsi : ils n’ont aucune part à la
véritable autorité apostolique. Les apôtres, en effet, pouvaient
partout prêcher et fonder des églises, comme on le voit dans les derniers
chapitres de Matthieu et de Marc. Cela, les évêques ne le peuvent
pas. Les apôtres pouvaient aussi écrire des livres canoniques
que tous devaient accepter. Les évêques ne le peuvent pas.
Les apôtres eurent le don des langues et des miracles : les évêques
ne l’ont pas. Les apôtres avaient la juridiction sur toute la
planète : les évêques, non.
De plus, on ne succède, à proprement parler, qu’à
un prédécesseur. Or, il y eut en même temps des apôtres et des
évêques, comme Timothée, Tite, Évodius et beaucoup d’autres.
Si donc les évêques succèdent aux apôtres, à qui a succédé Tite
ou Timothée ? Ensuite, les évêques succèdent aux apôtres de
la même façon que les prêtres succèdent aux 72 disciples, comme l’expliquent
Anaclet (épitre 3) et Bède le vénérable (chapitre 10 de Luc).
Mais il appert que les prêtres ne succèdent pas proprement aux 72, mais
seulement par la ressemblance, car ces 72 disciples ne furent pas prêtres;
ils ne reçurent, non plus, du Christ, aucun ordre, aucune juridiction.
En effet, Étienne et Philippe, et cinq autres diacres ordonnés par les
apôtres (actes 6) faisaient partie de ces 72 disciples, comme Épiphane
l’enseigne (hérésie 20, qui est celle des hérodiens). Car il
est certain qu’ils n’auraient pas été ordonnés diacres s’ils avaient
été prêtres.
Ils nous objectent ensuite Actes 20 : « Veillez sur vous et
sur tout le troupeau, vous que le Saint-Esprit a placés comme épiscopes
pour régir l’église du Christ. » Même chose aux Éphésiens
: « C’est lui qui a donné à l’Église des apôtres, des pasteurs
et des docteurs. » Par le nom de pasteurs et docteurs, il
entend les évêques, comme l’explique saint Jérôme. Et on le
confirme avec le témoignage des pères. Denys l’aréopagite
dit (livre de la hiérarchie ecclésiastique, chapitre 6) que la hiérarchie
des évêques se termine immédiatement à Jésus, comme les ordres inférieurs
des prêtres, des diacres, et des autres se terminent à l’évêque.
Saint Cyprien (livre 3, épitre 9 à Rogatien) dit que « les évêques
ont été faits par le Christ, par lequel les apôtres ont été créés.
» Saint Bernard (livre 3 de la considération) : « Tu te trompes
si tu penses que votre pouvoir apostolique est le seul à avoir été institué
par Dieu. »
Je réponds à la première citation. On dit que les évêques
sont constitués tels par l’Esprit-Saint non immédiatement, mais médiatement,
parce que ce sont les apôtres, sous l’inspiration de Dieu, et par une
vertu reçue du Saint-Esprit, qui les ont consacrés évêques. Comme
on le voit dans les actes 15 : « Il a semblé bon à l’Esprit Saint
et à nous. », médiatement ou immédiatement. À la deuxième.
Est exprimée là la disposition ordonnée générale de l’Église qui,
sans doute possible, est de Dieu. Car c’est Dieu qui a déterminé
qu’il y ait, dans son église, des apôtres, des prophètes, des pasteurs
et des docteurs, même s’il ne leur a pas donné immédiatement
l’autorité. À la troisième, je dis que Denys parle de
l’ordre épiscopal, non de la juridiction. À la quatrième,
je dis que saint Cyprien veut dire que l’ordre épiscopal a été institué
par le Christ, et que c’est de droit divin qu’il a été introduit
dans l’Église; que l’ordre des diacres a été d’abord conçu par
les apôtres. La dernière partie de cet enseignement les théologiens
la rejettent dans leur ensemble. Mais qu’elle soit vraie ou fausse,
cela n’a rien à voir avec notre propos. À la cinquième,
je dis que saint Bernard parle de la même façon que saint Paul, quand
il dit (Romains 13) : « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne pas de
Dieu. »
Voici ce qu’ils objectent en troisième lieu. Si
c’est du pape que les évêques reçoivent leur juridiction, l’autorité
des évêques cesse donc à la mort du pontife, comme quand la tête est
coupée, tous les membres meurent. Je réponds qu’il y a une grande
différence entre un chef naturel et un chef mystique. Il est vrai
que les membres d’un corps naturel ne peuvent pas se conserver sans recevoir,
de la tête, un influx continuel. Mais, les membres d’une tête
mystique, surtout ministérielle et externe, dépendent de cette tête
pour qu’ils soient membres, mais pas pour qu’ils se conservent membres.
Voilà pourquoi la juridiction épiscopale, qui a été une fois donnée,
n’est pas perdue par la mort de celui qui l’a donnée, mais par la
mort de celui qui la reçoit, ou par l’annulation de celui qui peut l’annuler.
Voici quelle est leur quatrième objection. Pour exercer l’ordre
épiscopal, la juridiction est nécessaire. En conférant l’ordre,
Dieu confère donc aussi la juridiction. Je réponds que l’un
et l’autre sont conférés par Dieu, mais l’un immédiatement, et l’autre
médiatement. Car, premièrement, le pouvoir d’ordre requiert un caractère
et une grâce que Dieu seul peut conférer. Deuxièmement, la juridiction
requiert seulement la volonté du supérieur.
Ils objectent ceci en cinquième lieu. Le souverain pontife
appelle les évêques ses frères et ses collègues. Ils n’ont
donc pour président qu’un seul père commun, Dieu de l’église.
Je réponds qu’il les appelle d’abord, frères en raison de l’ordre
épiscopal, selon lequel ils sont égaux. Et ensuite, en raison de la juridiction,
car les évêques sont admis par le pape comme supporteurs de sa charge
à lui, non à un ministère inférieur. La sixième objection.
Si tous les évêques doivent recevoir leur juridiction du pape, plusieurs
évêques ne furent jamais évêques, car, surtout en Asie et en Afrique,
les évêques n’ont jamais été créés par le pape. Je réponds
qu’il n’est pas nécessaire que le pontife crée immédiatement des
évêques, mais qu’il suffit qu’il le fasse médiatement, par
les patriarches et les archevêques. Car, au début, Pierre établit un
patriarche à Antioche et à Alexandrie qui, après avoir reçu leur autorité
du pape, présidèrent à toute l’Afrique et à toute l’Asie.
Ils purent ainsi créer des archevêques qui créèrent ensuite des évêques.
2017 12 28 17h34 fin
fin du livre 4 sur le pouvoir spirituel du pape
suite = livre 5 sur le pouvoir temporel du pape
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.