2017 12 31 a20h18 début
LIVRE 5
LE POUVOIR TEMPOREL DU PAPE
CHAPITRE 1
On propose une question sur le pouvoir temporel
Il reste une dernière dispute sur le souverain pontife, qui est celle
de son pouvoir temporel. Sur cette question, on trouve, chez
les auteurs, trois opinions différentes. La première.
C’est de droit divin que le souverain pontife a un plein pouvoir sur
toute la planète, tant dans les choses politiques qu’ecclésiastiques.
C’est ce qu’enseignent Augustin Triumphus (dans la somme du pouvoir
ecclésiastique, question1, article 1), Alvarus Pelagius (livre sur les
pleurs de l’Église, chapitre 13) et beaucoup de jurisconsultes, comme
Hostiensis (chapitre quod super his), Panormitanus (dans le chapitre des
nouveautés, les jugements), Sylvestre (dans la somme des péchés,
au mot pape, verset 2), et un certain nombre d’autres. Hostiensis
va même plus loin, car il enseigne, que, par l’avènement du Christ,
tout le domaine des princes infidèles a été transféré à l’Église,
et réside dans le souverain pontife, comme vicaire du roi véritable
et suprême, le Christ. Et que, en conséquence, le pape, de plein
droit, peut donner les royaumes des infidèles au fidèle de son
choix. L’autre, qui n’est pas tant une opinion qu’une
hérésie, enseigne, à l’extrême opposé, que le pontife, en tant que
pontife n’a, de droit divin, aucun pouvoir temporel, et ne peut, en aucune
façon, commander aux princes de ne plus régner sur leurs sujets, de les
priver de la principauté, même s’ils méritent de l’être.
Il enseigne ensuite, qu’il n’est permis ni au pontife suprême, ni
aux évêques d’accepter un domaine temporel, comme ceux qu’ils ont
dans certaines villes et certaines provinces, qu’il leur ait été donné
ou qu’ils l’aient usurpé. Car le droit divin interdit à un
seul homme de dégainer ensenble les glaives spirituel et temporel.
C’est ce qu’enseignent tous les hérétiques de notre époque, et surtout
Calvin (chapitre 11, versets 8.9.10,11,12,13,14) et Pierre Martyr
(chapitre 13 aux Romains), Brentius (prolégomènes contre Pierre a Salo),
les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre, col 435) qui
placent parmi les notes de l’antichrist que le pontife possède deux
glaives, quelle que soit la façon dont il les a obtenus. Et (dans
les centuries 8,9,10,11, chapitre 10), c’est ce que, parmi les vices
des pontifes, ils reprochent surtout.
La troisième opinion tient le juste milieu entre ces deux extrêmes,
et c’est celle que préfèrent l’ensemble des théologiens catholiques.
À savoir : le pontife n’a, directement et immédiatement, aucun pouvoir
temporel, mais uniquement le spirituel. Mais cependant, en raison
du pouvoir spirituel, il a au moins indirectement un certain pouvoir,
et même le suprême, dans les choses temporelles. C’est
ce qu’enseignent Hugo de Saint Victor (livre 2 des sacrements, p. 2,
chapitre 4), que suivent Alexander Alensis (3 par somme q 40, m.
5 et 4, p.q. 10, dans l’explication du canon de la messe in illud, et
pro rege, N, saint Bonaventure (livre sur la hiérarchie ecclésiastique
par. 2, chapitre 1), Durand (livre de l’origine de la juridiction,
q. 3, à la fin), Petrus ab Alliaco (q. du sujet choisi : est-ce
que l’église est à Pierre de foi ?), Jean de Parisius (dans le traité
du pouvoir royal et papal, chapitres 6 et 7), Jacob Ailmar (dans le traité
sur le pouvoir de l’église, leçon 23), Henri de Gandavo (quodlibet
6, q 23), Jean Driedo ( de la liberté du Christ, chapitre 2,) Jean
de Turrecremata (livre 2, somme, chapitre 113 et suivants). Albert Pighius
(livre 5 de la hiérarchie ecclésiastique),Thomas Waldensis (livre
2, doctrine de la foi, art 3, chapitre 76, 77, 78), Pierre de Palude
(dans le livre du pouvoir ecclésiastique), Cajetan (apologie, chapitre
13, 8), Francis Victoria (relecture 1, q 6 sur le pouvoir de l’Égise),
Dominique a Solo ( 4 dist. 25 question, article 1), Nicolas Sanderus
(livre 2, chapitre 4, la monarchie visible), Navarrus (relecture dans la
chapitre de la nouveauté, du jugement, troisième), Antoine Cordubensis,
livre 1, question 57, doute 3,) et beaucoup d’autres.
On ne sait pas avec certitude ce que pensait saint Thomas de
ce sujet. Car, à la fin de la sentence 2, il dit que le pape est au sommet
de l’un et l’autre pouvoir. Cependant, (Romains, chapitre 13),
il dit que c’est par un privilège des princes séculiers que les clercs
sont exempts de la taxe. Et (2,2, question 40, article 2), il dit que les
prélats peuvent disposer des guerres seulement en tant qu’elles sont
ordonnées au bien spirituel, qui est la fin de leur pouvoir. Ce
qui nous fait penser qu’il n’est pas d’un avis différent des autres.
Nous traiterons de trois choses. Nous montrerons d’abord
que le pape n’a pas, de droit divin, directement un pou voir temporel.
Ensuite que, d’une certaine façon, il a, en raison de sa monarchie spirituelle,
un pouvoir temporel suprême. Enfin, que ce n’est pas contre le
droit divin que les évêques aient, en acte, et directement, une juridiction
temporelle dans les villes, et dans les provinces que leur ont données
les rois, ou qu’ils ont acquises autrement, mais justement.
CHAPITRE 2
Le pape n’est pas le maître de l’univers
Nous prouverons trois choses. La première. Le pape
n’est pas le maître de tout l’univers. La seconde.
Il n’est pas le maître de tout l’univers chrétien. La troisième.
Il n’est le maître d’aucune province, ou ville, et il
n’a, de droit divin, aucune juridiction temporelle. Turrecremata
(livre 2, chapitre 113, somme de l’église) enseigne expressément
la première : « On ne peut pas dire que, sur les choses spirituelles,
le pape a, en vertu de sa papauté, une juridiction qui soit
en mesure de faire de lui le maître de toute la terre. »
Francis Victoria (relecture 1, le pouvoir de l’Église, question 6) dit
la même chose : « Il n’est pas le maître de la terre. » Les
autres enseignent la même chose. Et ils donnent pour preuve
que le pape n’est certainement pas le maître des provinces occupées
par les infidèles, car le Seigneur ne lui a confié que ses brebis («
pais mes brebis »). Les infidèles n’étant pas de ses brebis,
il ne peut pas les juger. C’est ce que dit saint Paul (1, Cor)
: « Qu’ai-je à juger dans ceux qui sont à l’extérieur? »
De plus, les princes infidèles sont les vrais et suprêmes princes de
leurs royaumes. Car, le pouvoir temporel n’est pas fondé sur la
grâce ou la foi, mais sur le libre arbitre et la raison. Il ne descend
pas non plus d’un droit divin, mais du droit des gens, puisqu’on voit
que Dieu approuve les royaumes des Gentils dans les deux testaments.
Daniel 2 : « Tu es le roi des rois, et c’est le Dieu du ciel qui
t’a donné le règne et l’empire. » Matthieu 22 : « Rendez
à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient
à Dieu. » Notez qu’il a dit « rendez » et non « donnez »,
ce qui appartient à César, c’est-à-dire ce qui lui est du en droit.
Et il ordonne aussi d’obéir, en conscience, aux princes païens.
Or, il est certain qu’on n’est pas obligé d’obéir à qui n’est
pas vraiment prince.
Si donc le pape n’est pas le maître des provinces que possèdent
les infidèles, il est évident qu’il n’est pas le maître de toute
la terre, à moins de dire que ces provinces ne font pas partir de la planète
terre. Ils diront que nous sommes tenus d’obéir aux princes
infidèles, parce que tous les princes sont des vicaires du pape.
On peut répondre, au contraire, que le pape ne veut pas de tels vicaires,
et que, s’il le pouvait, il donnerait volontiers les royaumes des princes
infidèles aux princes fidèles. Car il serait risible de donner
au pape un droit sur les royaumes de l’univers entier, et de ne lui donne
aucune faculté de l’utiliser à sa guise. Mais ils diront que
le pape est un monarque spirituel sur toute la terre, du fait qu’il préside
à tous les chrétiens disséminés partout. Et selon cette hypothèse,
si toute la terre se convertissait à la foi, le pape, par
sa suprématie spirituelle, régirait l’univers entier. De
là vient le droit qu’il a d’envoyer des prédicateurs de l’évangile
dans tous les pays du monde. Et Alexandre V1 n’a-t-il pas réparti
le nouveau monde entre les rois de l’Espagne et de la Lusitanie
? Je réponds qu’il ne leur a pas assigné ces terres pour
qu’ils entreprennent des guerres contre les rois infidèles de ces contrées,
et pour qu’ils s’emparent de leurs royaumes, mais seulement pour
qu’ils y amènent des prédicateurs de la foi, les protègent et
les défendent contre les autres prédicateurs, eux et ceux qu’ils
convertiront à la foi. Et aussi pour empêcher des rivalités et
des guerres entre les rois chrétiens, qui voulaient faire du commerce
de pelleterie dans ces nouvelles terres. Voir Cajetan (22, question
66 art), P. Victoria ( relecture du droit de guerre,) et Sotum (livre
4, de la justice et du droit, question 2, article 2, et dans 4 sent, d.5,
question 1, art 10, à l’argument 5).
CHAPITRE 3
Le pape n’est pas le maître de toute la terre chrétienne
Que le pape n’est pas le maître de toute la terre chrétienne,
c’est ce qu’enseigne Hugo de Saint-Victor (livre 2, sacrements, par
2, chap 4) : « La puissance terrestre a pour tête un roi. La spirituelle
a pour tête le souverain pontife. » Jean Driedo (livre 2,
chapitre 2, la liberté du Christ) le dit plus clairement : « Quand Dieu
établit Pierre pasteur de l’église universelle, il ne lui a pas donné
en même temps l’empire temporel sur tout l’univers chrétien, ni enlevé
aux rois et aux empereurs leur royaume. Il n’a pas voulu non plus
que, comme il en est du pouvoir ecclésiastique, tout pouvoir royal
descende et dérive du pouvoir de Pierre. » C’est ce qu’enseignent
la grande majorité des docteurs. Et voici comment on le prouve.
S’il en était ainsi de droit divin, l’Écriture devrait s’en porter
garant, ou la tradition des apôtres. Or,tout ce que nous avons
dans l’Écriture c’est que les clefs du royaume ont été données
à Pierre. Des clefs du royaume terrestre, elle ne fait aucune mention.
Et les adversaires ne peuvent présenter aucune tradition apostolique.
De plus, le Christ n’a pas, bien entendu, enlevé les royaumes
à ceux qui les détenaient. Car le Christ n’est pas venu pour
détruire ce qu’il y avait de bien, mais le parfaire.
En devenant chrétien, un roi ne perd donc pas son royaume terrestre, qu’il
a obtenu légitimement. Mais, il acquiert un nouveau droit au royaume
éternel. S’il en était autrement, le bienfait du Christ causerait
un tort immense aux rois, et la grâce détruirait la nature. On
le confirme par l’hymne de Sedulius que toute l’Église chante publiquement
: « L’ennemi Hérode a redouté en impie la venue du Christ. Que
crains-tu ? Il n’enlève pas les royaumes mortels celui qui donne
les célestes. »
De même. Si le pape est le maître suprême de toute la
terre chrétienne, chaque évêque est donc un prince temporel dans les
villes qui lui sont soumises. Si ce qu’est le pape dans l’église
universelle l’évêque l’est dans son diocèse, c’est-à-dire comme
le pape est le vrai pasteur et le chef de l’église universelle, de même
l’évêque est le vrai pasteur et le chef de son église particulière.
Mais nous ne nions pas que le pouvoir que le pape a sur l’église
universelle est plus grand que celui que possède l’évêque sur sa propre
église. Que les évêques soient les maîtres des villes de leurs
diocèses, même les adversaires ne l’admettent pas, et c’est complètement
faux. Voilà pourquoi saint Ambroise (tradition orale), saint Basile
: « Si l’empereur demande le tribut, on ne le lui refuse pas.
Les champs de l’église payent la taxe. » Et plus bas :
« La taxe revient à César ? On ne le nie pas. Ce qui appartient
à l’église ne doit pas non plus être revendiqué par César. »
Et dans une épitre à Athanase (pour les ermites), l’évêque Hosius
dit à l’empereur : « À toi Dieu a remis l’empire, à nous le Christ
a confié ce qui se rapporte à l’Église. »
On le prouve ensuite par la confession des pontifes.
Léon (épitre 38 à Martian, reconnait que l’empereur Martian a été
élu par Dieu à l’empire, et (dans l’épitre 43), Il admet que
c’est Dieu qui est l’auteur de l’empire de Martian. Il dit
à peu près la même chose dans toutes les lettres à Theodose, à
Martian et à Léon, empereurs qui ont succédé l’un à l’autre, auxquels
il a écrit. Gelasius (dans son épitre à l’empereur Anastase,
qui se trouve dans la décrétale dist 96, canon duo sunt : « Il
y en a deux, empereur Auguste, par qui le monde est principalement régi
: l’autorité sacrée des pontifes, et le pouvoir royal. » Il
est à noter que Gélase ne parle pas seulement de l’exercice du pouvoir,
mais du pouvoir lui-même, et de l’autorité, ne peur que les adversaires
ne disent (comme ils ont coutume de le faire) que le pape possède
l’un et l’autre pouvoir, mais qu’il laisse à d’autres de
le soin de les exercer. Saint Grégoire (livre 2, épitre 62 à l’empereur
Maurice) écrit : « Un pouvoir sur tous les hommes de mes seigneurs
à été donné à la religion par le ciel. » Et plus clairement
Nicolas (dans son épitre à l’empereur Michel) : « N’enlevez
pas à l’église le privilège que Dieu lui a accordé. Elle ne
fait, elle, aucun tort à votre empire. » Et plus bas : « Le même
médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Jésus-Christ, a défini les
tâches de chacun des deux pouvoirs, en leur donnant des activités propres
et des propriétés distinctes, de façon à ce que les empereurs
chrétiens aient besoin des pontifes pour la vie éternelle, et que
les pontifes n’aient recours, dans les choses temporelles, qu’aux
les lois impériales, » Ce pontife ne parle surement pas du
seul exercice du pouvoir, mais du pouvoir lui-même et de sa dignité.
De plus, Alexandre 111 (au chapitre si duobus, et ensuite extra
de appellat) donne l’enseignement suivant. On lui avait demandé
si le pape qui est sommé de se présenter en cour est tenu de s’y
rendre. « Il a répondu qu’il l’est pour ceux qui sont soumis
à notre juridiction temporelle; mais que, pour les autres, il n’était
pas tenu, en rigueur du droit ». On lit la même chose
au chapitre causam 2,( les fils légitimes) : « Au sujet de
ce qui appartient au roi, nous considérons qu’il ne revient pas à l’Église
de juger de telles possessions. » Ensuite, Innocent 111 (au
chapitre de la nouveauté et du jugement) dit : « Puisque nous ne suffisons
pas à mener à bien tout ce qui relève de notre juridiction, pourquoi
voudrions-nous en usurper une étrangère? » Dans ce
texte, le pape appelle usurpation d’une juridiction étrangère une tentative
d’assumer la juridiction dans le royaume des français. Et
plus bas : « Nous n’avons pas l’intention de juger du traité,
mais de nous prononcer sur le péché, car c’est certainement à nous
qu’appartient la censure. » Il dit la même chose (dans
le chapitre solitae) : « Au firmament du ciel, c’est-à-dire de l’église
universelle, Dieu a fait deux grands luminaires, c’est-à-dire qu’il
a institué deux dignités que sont l’autorité pontificale et le pouvoir
royal. Mais celle qui préside aux jours, c’est-à-dire aux choses
spirituelles, est plus grande, et celle qui préside aux choses charnelles,
est inférieure, de sorte que la différence entre le pape et les
rois est la même que celle qui existe entre le soleil et la lune.
Il faut noter ici que le soleil n’est pas un astre semblable à la lune.
Comme ce n’est pas le soleil qui a institué la lune, mais Dieu,
de même le pontificat et l’empire ne sont pas semblables, et l’un
ne dépend pas nécessairement de l’autre. » Il dit la même chose
(au chapitre per venerabilem). Il affirme que seul le pontife
a, dans le patrimoine de l’Église, plein pouvoir sur les choses temporelles
: « Même si le roi ne reconnait aucun supérieur dans les choses temporelles,
il peut, sans le viol de son droit, se soumettre à notre juridiction,
même dans des choses qu’il semblerait pouvoir dispenser, non en tant
que père avec ses fils, mais en tant que prince avec ses sujets. »
CHAPITRE 4
Le pape n’a aucune juridiction purement temporelle, directement,
de droit divin.
Il nous reste maintenant à démontrer que le pape
n’est, directement, de droit divin, le maitre temporel d’aucun lieu.
C’est ce qu’enseignent expressément Turrecremata (livre 2, chapitre
114, sur l’Église), Cajetan (apologie part 2, chapitres 13, 8,)
et Navarre (dans le chapitre de la nouveauté 4). Voici ce que dit
Cajetan : « La puissance papale est en rapport direct avec les choses
spirituelles, en raison de la fin suprême de l’humanité.
C’est pourquoi deux choses décrivent son pouvoir : il ne porte pas directement
sur les choses temporelles; et c’est seulement selon leur relation aux
choses spirituelles, qu’il porte sur les temporelles.» Cela,
on le prouve ainsi. Tant qu’il vécut sur la terre, le Christ,
en tant qu’homme, n’accepta ni ne voulut le commandement
temporel d’aucune ville ou province. Or, le souverain pontife est
le vicaire du Christ, et représente pour nous le Christ, comme il était
quand il vivait parmi les hommes. Le souverain pontife, donc, en
tant que vicaire du Christ, et donc pontife suprême, n’a le gouvernement
temporel d’aucune ville ou province. Il faut prouver l’une
et l’autre de ces propositions. La première. De ce faux
principe que Je Christ homme est roi temporel, sont nées deux erreurs
contraires. Ils déduisirent de là, comme d’un fondement
solide, qu’étant vicaire du Christ, le pape est en même temps
roi et pontife. Et les Wiclefistes en déduisirent l’extrême
opposé, à savoir que les rois étaient plus grands et plus dignes que
les pontifes, parce que les rois sont les vicaires du Christ Roi, et les
pontifes vicaires du Christ pontife. Or, le Christ a été
plus roi que pontife, car il descend de la tribu de Juda et de la famille
de David, non de la tribu de Lévi, ou de la famille d’Aaron.
Par succession héréditaire il fut donc roi, et non pontife.
On ajoute, pour expliquer et prouver ce principe, que
le Christ a toujours été, en tant que Fils de Dieu, roi et seigneur de
toutes les créatures, comme son Père; que son règne est éternel
et divin, et qu’il ne peut pas être enlevé par les royaumes des
hommes. Ce qui ne convient pas à un pontife. Il fut, de plus,
en tant qu’homme, roi spirituel de tous les hommes, tant fidèles qu’infidèles,
en vue du salut éternel, de sorte qu’il peut les obliger à croire et
à recevoir ses sacrements. Il a pu, aussi, par son pouvoir
spirituel, disposer de toutes les choses temporelles, dans la mesure où
il jugeait qu’elles avaient un rapport avec la fin surnaturelle.
Et, après le jour du jugement, ce règne spirituel du Christ sera rendu
sensible et manifeste; et la gloire de ce règne a déjà commencé
dans le Christ, notre tête, quand il ressuscita des morts.
Mais, cependant, ce règne n’est pas temporel, comme le sont les nôtres,
et il ne peut pas être communiqué au souverain pontife, car il suppose
la résurrection. Néanmoins, l’homme Christ aurait pu, s’il
l’avait voulu, et s’il l’avait trouvé avantageux, recevoir
une autorité royale. Il ne l’a toutefois pas voulu, et il
n’a donc ni reçu ni eut non seulement l’exercice du pouvoir royal,
mais l’autorité et le pouvoir de ce règne temporel. On prouve
cela ainsi. Car, s’il l’avait eu, c’est par une succession
héréditaire qu’il l’aurait eu, ou par une élection, ou par
le droit de la guerre, ou par un don spécial de Dieu, car c’est
par un de ces moyens que tous les royaumes s’acquièrent.
Or, le Christ n’a pas eu la royauté par l’hérédité, même
s’il descendait d’une famille royale. Car on ne sait pas si,
de tous les autres descendants de David, c’est lui qui était le plus
proche de David. Sans compter le fait que ce royaume avait été
enlevé à la famille de David, et cela, avec la volonté de Dieu, qui
alla même jusqu’à prédire que de la famille de Jechonias, dont le
Christ est descendu, aucun ne serait roi temporel, comme David l’avait
été, et ses successeurs. Voici, en effet, ce que Jérémie dit
de Jechonias : « Le Seigneur a dit ceci. Écris que c’est un homme stérile,
un homme qui, dans ses jours, ne prospèrera pas. Car, il n’y aura pas,
de sa semence, un homme qui s’assoit sur le trône de David, et
le pouvoir viendra d’ailleurs dans Juda. » Or, il appert que Matthieu
enseigne que le Christ est descendu de ce Jechonias. Il s’ensuit
donc manifestement que le Christ n’a pas pu avoir un pouvoir temporel
par succession héréditaire, à moins qu’ait été fausse la prophétie,
qui avait annoncé, en toutes lettres, qu’aucun successeur de Jechonias
ne serait roi en Israël. On ne peut pas répondre que
les descendants de Jechonias étaient possesseurs de ce royaume,
même si, de fait, ils ne se sont pas assis sur le trône de David. Car,
à quoi leur aurait servi un droit dont ils ne pouvaient pas faire usage
? Or, saint Jérôme et saint Ambroise se demandent comment concilier
cette prophétie de Jérémie avec la prophétie de l’archange
Gabriel (Luc 1) : « Le Seigneur Dieu lui donnera le siège de David son
père. » Et ils répondent que ces deux prophéties ne se contredisent
pas, parce que Jérémie parle du royaume temporel et charnel, et Gabriel
du royaume spirituel et éternel. Saint Augustin est du même avis
(livre 17, chapitre 7, de la cité de Dieu) : « Le peuple perdra le pouvoir,
et c’est spirituellement et non charnellement, qu’il sera donné au
Christ Jésus notre Seigneur. »
Le Christ n’a pas été roi non plus parce qu’il a été
élu, comme on le voit dans saint Luc (12) : « O homme, qui m’a
constitué juge ou arbitre entre vous ? » Ce qui veut dire : je
n’ai été élu par la république, ni empereur, ni juge.
Et de saint Jean (6) : « Quand il se rendit compte qu’ils étaient venus
pour l’enlever et le faire roi, il s’enfuit sur la montagne, seul.
» Il a montré par là qu’il refusait la royauté par l’élection.
Il ne fut pas roi non plus par le droit de la guerre, car il ne fut pas
en guerre avec les rois mortels, mais avec le prince des ténèbres, comme
on le voit dans saint Jean 12 : « C’est maintenant que le prince
de ce monde sera jeté dehors. » Et aux Colossiens 2 : «
Dépouillant les principautés et les puissances, il les fit sortir avec
confiance au grand jour, triomphant d’elles en lui-même. » Et 1 Jean
3 : « C’est pour cela que le Fils de Dieu est apparu, pour dissoudre
les œuvres du diable. » Par le droit de la guerre, c’est
un règne spirituel qu’il a acquis, pour qu’il règne dans nos cœurs
par la foi et la grâce, là où auparavant régnait le démon avec les
vices et les péchés.
Qu’il ne fut pas un roi temporel par un doit spécial de Dieu,
il nous le dit lui-même en saint Jean 18 : « Mon royaume n’est
pas de ce monde. » Et au même endroit : « Mon royaume n’est
pas d’ici. » Comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, Theophylactus,
Cyrille et augustin, et Ambroise (livre 3, sur Luc, près de la fin),
« le Seigneur, par ces paroles, a voulu libérer Pilate du soupçon qu’il
aspirait au royaume temporel des Juifs ». Le sens est donc :
Oui, je suis roi, mais pas de la même manière qu’Hérode et César.
Car, mon royaume n’est pas de ce monde, c’est-à-dire qu’il ne consiste
pas dans les honneurs, les richesses et la puissance du monde. Et
on le confirme d’abord par le témoignage des auteurs. Car,
c’est ce qu’enseignent saint Thomas (chapitre 18), saint Bonaventure
(dans son livre de la pauvreté du Christ, et dans son apologie des pauvres),
Augustin de Ancona (la puissance de l’Église, qé1. Article 9), Cornelius
Jansenius (sur ce passage de saint Luc : le Seigneur lui donnera le trône
de David), et Adam Sasbout (c. 9 Isaïe) Thomas Waldensis (livre
2, doctrine de la foi, chapitres 76, 77, 78), Alvarus Pelagius (livre
2, art 57 des pleurs de l’Église), Durand ( traité de l’origine de
la juridiction, question 3), Joannes Driedo (les dogmes de l’église,
livre 3, chapitre 4, par 1), Abulensis (chapitre 20, question 67
sur Matt), Albert Pighius (livre 5, chapitre 3 (l’église hiératchique),
Adrianus Finus (le flagèlement du jugement, livre 5, chapitre 6), (Victoria
relecture 1, le pouvoir de l’église), Sotus (livre 4, question
4, de la justice et du droit), Bartholomaeus Medina (3 par question
59, art 4), Navarrus (chapitre des nouveautés, 3, 97).
Et presque tous les commentateurs de « mon royaume n’est pas de ce monde.
» On le confirme ensuite en constatant que le Christ
n’a jamais exercé le pouvoir royal dans ce monde. Car, il est
venu pour servir et non pour être servi, être jugé et non juger.
Il aurait donc l’autorité royale pour rien, car inutile est un
pouvoir qui n’est jamais réduit à l’acte.
Je réponds que le Christ a exercé ce pouvoir quand il a chassé
du temple les vendeurs de brebis et de bœufs, (Jean 2). Or, rejeter
quelqu’un du temple est une action qui relève du prêtre et non du prince.
Car si les prêtres ont pu expulser du temple, par la force, un roi comme
le roi Ozias (2 Paralip 26), avec quelle facilité n’auraient-ils pas
pu expulser de simples marchands ? Mais il faut d’abord savoir
que le Christ n’a pas chassé du temple ces hommes par un pouvoir
pontifical ou royal, mais, emporté d’un zèle divin, comme les prophètes,
de la même façon que Phinees tua les débauchés, et Hélie
les prophètes de Baal. Voilà pourquoi les Juifs dirent au Seigneur
: « Quel signe montres-tu de ce que tu fais ? » Ce qui veut dire
: d’où savons-nous que tu es prophète, et que tu as été
envoyé par Dieu avec un tel pouvoir ? On le confirme, troisièmement,
par la même raison. Car l’autorité royale n’était ni nécessaire
ni utile au Christ, mais superflue et inutile, puisque le but de sa venue
dans le monde était la rédemption du genre humain. À cette fin, n’était
aucunement nécessaire le pouvoir temporel. Le spirituel seul.
Et par ce pouvoir spirituel, il pouvait aussi disposer de toutes les choses
temporelles dans la mesure où, selon son jugement, elles pouvaient servir
à la rédemption humaine. Que ce pouvoir temporal était inutile,
on peut le comprendre par la nature même de sa mission qui consistait
à persuader les hommes de mépriser la gloire, les délices, les
richesses, et toutes les choses terrestres, qui comptent énormément
pour les rois de ce monde. « Ceux qui s’habillent avec recherche se
trouvent dans les palais des rois. »
On le confirme, quatrièmement, par la pauvreté du Christ.
Il fut pauvre non seulement quant à l’usage des biens, mais aussi quant
à leur possession, comme le prouve saint Bonaventure, dans son livre
sur la pauvreté du Christ, à partir de l’Écriture.. C’est
ce qu’a aussi défini Nicholas 111 (chapitre : il est sorti, sur la signification
du mot, 6), en disant que le Christ a enseigné par la parole et par l’exemple,
la pauvreté religieuse, qui est privée de toute possession. Clément
V (dans je suis sorti, signification du mot), dit que le Christ a été
un exemple de la vie céleste, comme elle est décrite dans la règle de
saint François. Ce qui ne s’oppose pas à l’enseignement de
Jean XX11 (dans extravagances). S’il est vrai que Jean a affirmé
que le Christ a eu des appartements et des maisons en commun avec les apôtres
et avec leur argent, qu’ils distribuaient en aumônes, il ne nie pas
qu’il fut un temps où le Christ n’avait rien du tout, même pas en
commun. Et il enseigne clairement que le Christ a enseigné la vie
religieuse qui ne possède rien. Si le Christ fut privé parfois
de toute possession, comment aurait-il pu être un seigneur
temporel, propriétaire de toutes choses ? On le confirme enfin parce
que tous les passages de l’Écriture où il est question de règne, doivent
nécessairement s’entendre du royaume spirituel et éternel. Le
psaume 2 parle du royaume du Christ en ces termes : « J’ai été établi
roi par lui. » Et a même endroit : « Prêchant son précepte.
» pour montrer que ce royaume est spirituel. De même Daniel 2 :
« Dans les jours de ces royaumes, le Dieu du ciel établira un royaume
éternel qui ne sera jamais détruit » Luc 1 : « Et son règne
n’aura pas de fin. »
Or, les royaumes temporels ne sont pas éternels; et si
le Christ a été, pendant sa vie sur la terre, un roi des Juifs comme
les autres, il a certainement cessé de régner de cette façon, quand
il est monté vers son Père. Comment alors son règne n’avait-il
pas de fin ? Et comme ce royaume a été occupé par les Romains,
par les Sarrasins ensuite, et par les Turcs, aujourd’hui, comment
serait-elle accomplie la prophétie de Daniel, selon laquelle son règne
ne sera jamais livré à un autre peuple ? Le Christ ne fut donc
pas un roi temporel de la Judée, mais un roi spirituel de l’Église,
que figurèrent les règnes de David et de Salomon. Car,
c’est pour qu’il règne pendant toute l’éternité sur la maison
de Jacob, que le Christ a reçu de son père le trône de David.
Mais il faut expliquer le bien-fondé du premier argument.
Nous disons que le pape a cette fonction qu’a eue le Christ, quand
il vivait parmi les hommes, à la manière humaine. Nous ne pouvons
pas attribuer au pontife les fonctions que le Christ a en tant que
Dieu, ou en tant qu’homme immortel et glorieux, mais seulement celles
qu’il eut comme homme mortel. Car, étant formée d’hommes, l’Église
a besoin d’une tête visible, qui vit à la manière humaine. Voilà
pourquoi, quand le Christ cessa de vivre à la manière humaine, c’est-à-dire
après sa résurrection, il a laissé Pierre à sa place, pour qu’il
nous procure ce gouvernement visible et humain du Christ, que l’Église
avait avant la passion. Comme on le voit dans ses paroles (Jean 20)
: « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »
Ajoutons qu’un pontife n’a pas tout le pouvoir que possédait le Christ,
comme homme mortel. Étant Dieu et homme, le Christ avait un pouvoir
qu’on appelle d’excellence, par lequel il présidait autant sur les
infidèles que sur les fidèles. Or, les brebis qui ont été confiées
au pape ne sont que les fidèles. De plus, le Christ pouvait instituer
des sacrements, faire des miracles de sa propre autorité, ce qu’aucun
pontife ne peut faire. Il pouvait absoudre des péchés sans sacrements,
ce que le pontife ne peut pas faire, non plus. Il n’a communiqué
au pontife que le pouvoir qui est nécessaire pour gouverner les fidèles
de façon à ce qu’ils puissent, sans empêchement, obtenir la vie éternelle.
Il suit évidemment de tout cela, que le Christ, en tant qu’homme mortel,
n’eut aucun royaume temporel; et que le pontife, en tant
que vicaire du Christ, n’en a pas non plus.
CHAPITRE 5
On réfute les arguments contraires
Mais ils accourent et font des objections. La première,
ils la tirent des paroles du Seigneur en Matt 28 : « Tout pouvoir m’a
été donné au ciel et sur la terre. » Il découlerait de ce texte
que le Christ a eu un royaume spirituel et un royaume terrestre;
et qu’il a donné à Pierre les clefs de l’un et l’autre royaume,
comme Nicholas le dit (dans l’épitre à Milan), et comme on le
trouve dans le décret dig 22, canon brebis : « Le Christ a remis à Pierre,
le portier de la vie éternelle, les droits de l’empire terrestre et
terrestre. » Je réponds que le pouvoir dont parle ici le
Seigneur n’est pas un pouvoir terrestre comme l’est celui des rois,
mais seulement spirituel, comme saint Jérôme, saint Anselme l’expliquent.
Voici quel est, selon eux, le sens des paroles : tout pouvoir m’a été
donné sur la terre et au ciel. Comme, dans le ciel, je suis le roi
des anges, de même, par la foi, je règne dans le cœur des hommes;
ou (comme l’ajoute Theophylactus) il a un pouvoir suprême sur
toutes les créatures, non temporel mais divin, ou très semblable au divin,
qui ne peut être communiqué à aucun mortel.
Au témoignage de Nicholas, je réponds : voici ce qu’il veut dire :
le Christ a remis à Pierre les droits au royaume céleste et au
royaume terrestre, c’est-à-dire qu’il a concédé à Pierre que tout
ce qu’il lierait ou délierait sur la terre serait lié ou délié dans
les cieux. Car Nicholas fait une allusion aux paroles du Seigneur,
en Matt 16. Nous ne pouvons pas l’expliquer autrement, à moins
que nous voulions que Nicholas 11 contredise Nicholas 1 qui, dans son épitre
à Michel, enseigne expressément que le Christ a fait une répartition
d’actes, d’offices et de dignités entre le pape et l’empereur, pour
que l’empereur n’usurpe pas les droits du pontife et que le pontife
n’usurpe pas les droits de l’empereur.
La deuxième objection est tirée de Luc 22, où le Seigneur
concède deux glaives à Pierre. Car, quand les disciples lui dirent :
il y a deux glaives ici, il ne leur répondit pas que c’était trop,
mais que c’était assez. Voilà pourquoi saint Bernard, dans la
considération, et Boniface V111 (dans unam sanctam, du plus grand et de
l’obéissance) forts de ce texte, enseignent que le pape possède deux
glaives, d’institution divine. Je réponds que, selon le
sens littéral, il n’est fait aucune mention, dans l’évangile,
des glaives spirituel et temporel du souverain pontife. Par ces paroles,
le Christ ne voulait que faire comprendre à ses disciples, que pendant
le temps de la passion, ils seraient dans les angoisses et la crainte,
dans lesquelles sont ceux qui vendent une tunique pour acheter un glaive,
comme le pensent quelques pères, comme Theophylacte. Mais saint
Bernard et le pape Boniface V111 ont donné une interprétation mystique
à ce texte, et ils ne veulent pas dire qu’ils possèdent l’un et l’autre
glaive de la même façon, mais d’une autre façon, comme nous l’expliquerons
plus loin. Troisième argument. Tous les litiges et contentieux,
tant spirituels que temporels, relèvent du tribunal du souverain pontife.
C’est ce que dit expressément quicumque litem, et le canon quaecumque
contentiones 11, question 1.
Je réponds que le premier de ces canons c’est l’empereur
Theodose qui l’a promulgué par piété plus que par obligation.
De plus, ce n’est pas au seul pontife romain, mais à tous les
évêques que ce canon s’adresse, pour qu’ils puissent juger les causes
civiles qui leur sont présentées. Ce canon a ensuite été abrogé
par d’autres canons. Il est évident que le dernier canon
cité ne provient pas d’un prince qui pouvait faire des lois, mais d’un
évêque particulier d’une autorité incertaine. Et c’est pour
cela qu’il est enregistré sous le nom de palaca. On peut aussi
lui donner un bon sens, à savoir pour tous les litiges que ne peuvent
pas régler les juges séculiers, ou parce que le juge ne veut pas
juger selon la justice, ou parce qu’une partie n’accepte pas son verdict.
Alors les causes sont renvoyées au tribunal ecclésiastique, par voie
de correction fraternelle, comme Innocent 111 l’enseigne (chapitre des
nouveautés, des jugements ).
Le quatrième argument. Pendant la vacance de l’empire,
le souverain pontife succède à l’empereur dans l’administration,
et jouit de l’ autorité impériale tant qu’un autre empereur n’aura
pas été élu, comme l’écrivent Innocent 111 (chapitre licet,), et
Clément (pastoralis). Tout indique donc que le pouvoir impérial émane
du souverain pontife, en tant que prince temporel suprême.
Je réponds que le pape succède à l’empereur, pendant la vacance du
siège impérial, non en toutes choses, mais seulement dans l’autorité
de juger et de terminer les causes qui ont coutume de n’être jugées
que par le seul empereur, et qui ne souffrent pas facilement de retard.
La raison n’en est pas que le souverain pontife soit le prince temporel
suprême, mais parce que les causes, qui ne peuvent pas être définies
par les juges temporaires, sont renvoyées au juge spirituel, comme nous
le dirons plus tard, et comme nous l’avons dit en partie.
Le dernier argument, celui de saint Thomas d’Aquin (livre 3, chapitres
10 et 19, du pouvoir du prince). Il affirme que le souverain pontife
a, de droit divin, un pouvoir spirituel et temporaire sur toute la terre,
en tant que roi suprême de l’univers, de telle sorte que, pour la conservation
de la chrétienté, il peut imposer des taxes à tous les chrétiens,
et détruire des châteaux. Saint Thomas lui-même
(2 sentence, dist 44, près de la fin) dit que le pape est le sommet de
l’une et l’autre puissance, la spirituelle et la temporelle.
Plusieurs auteurs pensent comme saint Thomas, de sorte qu’on peut
dire que cette sentence est commune. Je réponds que ce n’est
pas sans cause que certains docteurs doutent de l’auteur du gouvernement
des princes, qui fait partie des opuscules de saint Thomas. Car,
bien des choses montrent qu’il n’en est pas l’auteur, mais surtout
ce qu’on lit (livre 3, chapitre 29) sur la succession des empereurs Adolphe
et Albert. L’auteur de ce livre écrit, en effet, que cela est
arrivé, en son temps, quand l’un succéda à l’autre. Or, il
est bien établi que saint Thomas est décédé en l’année du salut,
1274, et qu’Adolphe a succédé à Albert en 1292.
On ne peut pas expliquer cela par les disputes entre chronologistes
sur la supputation des dates. Il ne se peut donc pas que saint
Thomas soit l’auteur de ces livres puisqu’il a émigré de cette vie
un si grand nombre d’années avant le règne d’Alphonse et d’Albert.
On peut donc penser que ce récit aurait été ajouté après coup dans
l’œuvre de saint Thomas.
Mais quel qu’en soit l’auteur, il ne semble différer de
nous que par la façon de s’exprimer. Car, même s’il dit parfois
que le souverain pontife a pouvoir sur toutes les choses temporelles,
cependant, en plusieurs endroits, il enseigne et explique que le pouvoir
du souverain pontife, est, par lui-même, proprement et directement spirituel,
et qu’il peut, par lui, disposer des choses temporelles de tous les chrétiens,
quand la fin spirituelle de son pouvoir le demande, fin à laquelle sont
subordonnées les fins temporelles de tous les états. C’est ainsi
qu’il parle dans le livre 11, chapitre 14. Donc, le ministère
de ce règne spirituel, institué par le Christ, n’est pas, dans
la mesure où les choses spirituelles sont distinctes des choses temporelles,
commis aux rois terrestres, mais aux prêtres, et surtout au souverain
pontife, successeur de Pierre, vicaire du Christ, le pontife romain, à
qui doivent être soumis, comme à Jésus-Christ lui-même, tous les rois
de la chrétienté. Car à celui qui est chargé d’assurer l’obtention
de la fin ultime, doivent être soumis ceux qui ont à œuvrer aux fins
antécédentes. C’est par lui qu’ils doivent être dirigés.
Il distingue ici clairement les royaumes terrestres qui ont pour fin la
paix temporelle, du règne spirituel du Christ et de son vicaire,
qui ont pour fin la vie éternelle. Ce même auteur dit la même
chose au livre 3, chapitre 13.
Il est assez évident que le gouvernement du Christ est ordonné
au salut des âmes, et aux biens spirituels, même s’il n’est pas exclu
des choses temporelles, dans la mesure où elles servent aux spirituelles.
On trouve la même chose au chapitre 15 du livre 3. Il y a, dit-il,
une autre raison pour laquelle notre Seigneur a assumé un état humble,
en dépit du fait qu’il soit le Seigneur du monde. C’était pour
nous faire comprendre la différence qui existe entre son gouvernement
et celui des autres princes. Car, même s’il était, temporellement,
le Seigneur de toute la terre, c’est à la fin spirituelle qu’il a
centré directement sa seigneurie. Voilà pourquoi, (dans le même
livre 3, chapitre 19), cet auteur ne dit pas que le pontife suprême peut,
en règle générale, imposer des taxes à tous les chrétiens,
et détruire les châteaux ou les cités, mais seulement au cas où le
requerrait la conservation de la chrétienté. Pour faire
cela, suffit largement l’ample pouvoir spirituel qu’il possède
sur toute la chrétienté.
On peut répondre de deux façons à saint Thomas (sentence
2, dist 44), quand il enseigne que dans le pape se trouve le sommet de
l’un et l’autre pouvoir, le spirituel et le terrestre. La première.
Saint Thomas parle du pouvoir que le pontife romain possède dans
la gestion temporelle de l’Église romaine. Car, il avait dit,
un peu avant, que, pour les choses qui se rapportent au salut de
l’âme, il était préférable d’obéir à la puissance spirituelle
plutôt qu’à la séculière. Il ajoute ensuite une objection,
à moins qu’à la puissance spirituelle soit jointe la séculière, comme
dans le cas du souverain pontife, puissance qui est suprême dans
l’une et l’autre. Car, le pontife romain n’est pas seulement
pasteur de l’Église, mais aussi prince séculier de plusieurs provinces.
En conséquence, dans ces provinces, il faut obéir au souverain pontife
tant dans les choses civiles que religieuses, plutôt qu’à tout autre
pouvoir, temporel ou spirituel. La deuxième. Saint Thomas
veut que, dans le pape, soit, pour toute la chrétienté, le sommet
de l’un et l’autre pouvoir, mais pas de la même façon.
Car, c’est directement et par soi, que se trouve là le sommet du pouvoir
spirituel, mais indirectement et conséquemment, que se trouve là
le pouvoir séculier. Car il n’est pas vraisemblable de penser
que saint Thomas ait estimé que, dans les choses purement civiles, il
fallait obéir plutôt au pape qu’aux rois, même dans les provinces
qui n’étaient pas soumises au gouvernement de l’église romaine.
C’est le contraire, en effet, que l’on peut voir dans les rescrits
des pontifes déjà cités; et saint Thomas ne cherche certainement pas
à les contredire.
Saint Thomas ne voulait donc que, dans les choses civiles, on
obéisse au pape plutôt qu’aux princes séculiers, que si le salut de
l’âme en dépendait, non en règle générale. Car, au pouvoir
spirituel du souverain pontife, est joint, au moins indirectement et conséquemment,
un ample pouvoir de disposer des choses temporelles de tous les chrétiens,
comme nous le démontrerons au chapitre suivant. Que ce soit cela
la pensée de saint Thomas, je le conclus de qu’il a déjà affirmé
au sujet des clercs exempts de taxe par un privilège des princes séculiers,
et par le consensus des thomistes. Je vois, en effet, que les
disciples de saint Thomas enseignent que le pouvoir du pape dans les choses
temporelles est indirect et conséquent. Comme Pierre de Palude , Jean
de Turrecremata, Jean de Paris, Cajetan, Francis Victoria, Domnique
a Solo, Bartholomaeus Medina et d’autres. On ne peut penser
que ses disciples se soient à ce point distancés de lui. Et il
n’aurait pas été difficile pour les théologiens qui soutenaient
une opinion contraire, de s’entendre avec les autres. Car, même
Augustin Triumphus qui attribuait clairement au souverain pontife le pouvoir
temporel sur toute la planète, explique (dans la question 1, article 7,
sur le pouvoir du pontife) que le pouvoir temporel réside autrement dans
le pape que dans le roi. Dans le pontife, il existe, comme dans celui
qui confirme et qui corrige, et dans le roi, comme dans celui qui administre.
Il écrit plus clairement encore dans l’article 8, que le pape
a le pouvoir spirituel, et qu’il peut, par ce pouvoir, disposer aussi
des choses temporelles. Et, à l’article 9, il démontre que le
Christ n’a pas été roi temporel mais spirituel.
Par une raison semblable, Alvarus Pelagius semble (dans
la première partie de son œuvre sur les pleurs de l’Église,
article 13) vouloir faire du Christ et de son vicaire le roi temporel de
tout l’univers. Mais cependant (dans la deuxième partie
de cette même œuvre, à l’article 17) il enseigne ouvertement que le
Christ, sur la terre, n’a pas eu le gouvernement temporel de tout l’univers,
mais seulement un royaume spirituel; que le pontife romain, vicaire du
Christ, n’a, proprement et directement, aucun pouvoir temporel,
mais spirituel, même si, par ce pouvoir, il peut gouverner même
les choses temporelles, dans la mesure où le requiert la nécessité
spirituelle. C’est ainsi que parle Durand (livre sur l’origine
de la juridiction, question 3 dans réponse à argument 3).
Il faut dire que celui qui prétend que le Christ ne possédait pas tout
le pouvoir temporel et spirituel, contredit l’évangile. Et plus
bas. Après la résurrection, le Christ confia à Pierre le gouvernement
de toute l’Église, pour tout ce qui lui était nécessaire et utile.
Et comme lui sont nécessaires les pouvoirs spirituel et temporel, il a
remis à Pierre l’un et l’autre pouvoir. Il l’explique un peu
plus bas en disant : voilà quelles sont, depuis la fondation de l’Église,
les vraies frontières de la juridiction spirituelle et temporelle qu’on
ne peut transgresser, car la juridiction temporelle ne s’étend nullement
à la spirituelle, dont elle ne connait rien, tandis que la juridiction
spirituelle s’étend premièrement et principalement aux choses
spirituelles, secondement et conséquemment, aux actions temporelles
des hommes, qui sont ordonnées aux choses spirituelles comme à
leur fin. Et plus bas. Nous n’entendons pas, pour autant,
soutenir que les princes chrétiens ou les rois possèdent leurs terres
comme un fief, le domaine d’un vassal, comme on l’a perfidement insinué.
Nous voulons simplement préciser que le royaume des rois et des autres
princes chrétiens est soumis au royaume de l’Église de façon à ce
que, s’ils se laissent aller dans la subversion de la foi et des
bonnes mœurs, l’Église montre qu’elle possède un pouvoir de
direction et de correction.
Saint Bonaventure écrit (dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique
p.2. chapitre 1, vers la fin) que le pouvoir des évêques est purement
spirituel, et que le pouvoir des rois est purement temporel.
Et (au chapitre 1, page 2), il répète que le pouvoir sacerdotal, et même
celui du souverain pontife, est purement spirituel, mais plus grand que
le temporel, de façon à ce que ce soit le temporel qui soit sujet du
spirituel, et non le contraire. Ce qui est la doctrine ou la profession
de tous les catholiques. Ensuite, pour omettre les plus récents
auteurs, les premiers qui ont attribué au souverain pontife, le pouvoir
temporel de par l’institution du Christ, sont Hugo de Saint Victor, (livre
2 des sacrements, p 2, chapitre 4), saint Bernard (livre 4, chapitre 4,
de la considération), qu’ont suivis Alexandre, Bonaventure, Henri,
Durant et ceux qui sont venus après. De plus, Hugo écrit que, par
le pouvoir spirituel qui réside principalement dans le pape, est
corrigé et jugé le pouvoir temporel des rois. Mais, cependant,
au même endroit, il écrit expressément que la tête du pouvoir temporel
est le roi, comme la tête du pouvoir spirituel est le pape. S’il
est vrai que, dans le de consideratione, saint Bernard enseigne que l’un
et l’autre glaive, le spirituel et le temporel, appartiennent au pape,
il écrit cependant, dans beaucoup d’autres endroits, que le pouvoir
du souverain pontife est proprement spirituel, non temporel (livre 1, chapitre
5 de la considération). Il dit au livre 2, chapitre 5) : « Votre
pouvoir n’est pas dans les crimes ou les possessions. ». « À supposer
que, pour ne raison quelconque, tu revendiques ces choses (les biens temporels
que l’Église possède comme don des princes de la terre) mais non par
un droit apostolique, il n’ a pas pu lui-même te donner ce qu’il ne
possédait pas ». Et au chapitre 6 (je suis sorti dans le monde).
« Car le champ est le monde, celui qui t’a été confié.
Sors dedans, non comme seigneur, mais comme intendant (livre 3, chapitre
1). » « Tu as succédé aux apôtres dans leur héritage, de sorte
que tu es l’héritier, et la terre l’héritage. Or, quelle que
soit la portion qui te revient à toi et aux autres, il faut, par
une sobre considération, penser que ce n’est pas comme une possession
que t’est confiée la terre, mais comme une gérance. Et (dans
le livre 4, chapitre 4), saint Bernard donne l’un et l’autre glaive
à l’Église, mais le spirituel, il le place dans la main du pontife,
et le temporel dans la main des princes terrestres. Il dit,
quand même, que l’un et l’autre appartiennent à l’Église, parce
que le glaive temporel est soumis au glaive spirituel, comme il le déclare
dans le chapitre suivant.
2017 12 31 a20h18 fin
2018 01 04 a 16h39 début
CHAPITRE 6
Le pape a un pouvoir temporel suprême indirectement
Il faut d’abord expliquer la sentence des théologiens, et
la prouver ensuite. Nous soutenons donc que même si le pontife,
en tant que pontife, n’a aucun pouvoir temporel, il possède, quand
même, dans l’ordre du bien spirituel, le pouvoir suprême de disposer
des biens temporels de tous les chrétiens. Ce que beaucoup expliquent
en les comparant au maréchal ferrant, et au maquignon, ou à d’autres
semblables. Deux métiers différents ont des objets, des sujets
et des actions distincts; et pourtant la fin de l’un est ordonnée à
la fin de l’autre. Une précède donc l’autre, et lui prescrit ses
lois. De la même façon, le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir
civil sont deux pouvoirs différents; mais l’un est subordonné à l’autre,
parce que la fin de l’un, de par sa nature, se rapporte à la fin de
l’autre. Mais, comme on dit, toute comparaison cloche. Car, dans
ces métiers, l’inférieur n’existe que pour le supérieur, et cela
à un point tel que si on enlève le supérieur, l’inférieur n’a plus
de raison d’être. Car s’il n’y a pas de cheval à ferrer,
inutile serait le métier de maréchal ferrant Mais le pouvoir politique
n’existe pas uniquement pour le pouvoir ecclésiastique, car sans religion
ou sans culte, il est présent. C’est ce que l’on constate chez
les infidèles. Ils ont un pouvoir temporel et politique, qui
n’est nullement ordonné à un pouvoir ecclésiastique et spirituel.
Nous trouvons en nous-mêmes une comparaison plus adéquate.
C’est ce qu’explique saint Grégoire de Naziance (dans son discours
au peuple, sur la crainte du peuple et la colère de l’empereur). Et,
après lui, Hugues de Saint-Victor (livre 2, par 2, chapitre 4, des sacrements).
Thomas Waldensis (livre 2, chapitre 78, doctrine de la foi), Jean Driedo
(livre 2, chapitre, la liberté du Christ), Victoria et Sotus (livres cités).
Comme sont dans l’homme l’esprit et la chair, sont dans l’Église
le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Car le corps et l’esprit
sont comme deux républiques auxquelles correspondent des actes et des
objets propres, et dont la fin immédiate est la santé et la bonne constitution
du corps. L’esprit a l’intelligence et la volonté, des actes
et des objets proportionnels, et ont, pour fin, la santé et la perfection
de l’âme. On trouve, dans les bêtes, une chair sans un esprit;
et dans les anges, un esprit sans chair. Ce qui nous montre qu’aucun
des deux n’existe proprement à cause de l’autre. Or, dans l’homme,
l’esprit est uni à une chair; et puisqu’ils ne forment qu’une seule
personne, il est nécessaire qu’il y ait une connexion et une subordination.
L’esprit, en effet, préside au composé, et la chair est soumise à
l’esprit. Et même si l’esprit ne se mêle pas des actions de
la chair, mais lui permet de les exercer, -comme elle le fait dans les
animaux-, cependant, quand elles font obstacle à la fin de l’esprit,
il lui impose sa volonté, la châtie, et, si la chose est nécessaire,
lui inflige des jeûnes et des macérations, même au détriment du corps.
Il contraint la langue au silence, les yeux à ne rien voir. Pour
une raison semblable, si, pour obtenir la fin de l’esprit, la mort devient
nécessaire, il peut commander à la chair de se sacrifier, comme nous
le voyons dans les martyrs.
Il en va de même dans les deux pouvoirs. Le pouvoir
politique a ses princes, ses lois, ses jugements, et l’église a ses
évêques, ses canons, ses jugements. L’un a, pour
fin, la paix temporelle, et l’autre le salut éternel. Ils existent
séparément, comme au temps des apôtres, ou réunis, comme de nos jours.
Quand ils sont réunis, ils forment un seul corps. Ils doivent donc
être associés de façon à ce que l’inférieur soit subordonné
et soumis au supérieur. Ainsi donc, le pouvoir spirituel ne s’immisce
pas dans les affaires temporelles, mais leur permet de fonctionner comme
avant que les pouvoirs soient unis, pourvu qu’elles ne fassent pas obstacle
à la fin surnaturelle, ou ne soient pas nécessaires à son obtention.
Dans un cas pareil, le pouvoir spirituel peut et doit contraindre le pouvoir
politique, par tous les moyens qui paraitront nécessaires.
Pour mieux faire comprendre le rapport entre les deux pouvoirs, comparons
le pouvoir spirituel du pape aux personnes des juges, ou des princes séculiers,
avec leurs lois civiles, leurs tribunaux et leurs juges.
En ce qui a trait aux personnes, le pape en tant que pape ne
peut pas, ordinairement, déposer les princes temporels, même pour une
juste cause, de la même façon qu’il dépose les évêques, c’est-à-dire
en tant que juge ordinaire. Mais il peut changer les royaumes, enlever
à l’un ce qu’il confère à un autre, en tant que prince spirituel
suprême, si la chose devenait nécessaire pour le salut des âmes, comme
nous le prouverons. En ce qui a trait aux lois, le pape, ordinairement,
ne peut pas en tant que pape, faire une loi civile, confirmer
ou infirmer les lois des princes. Mais il peut faire tout cela si
les princes civils ne veulent pas faire une loi civile qui est nécessaire
au salut des âmes, ni abroger une loi qui nuit à leur salut. La
règle la meilleure est celle qui est donnée par la Glose, (au chapitre
du possesseur, des règles juridiques, dans le sixième) : « Quand,
sur une même chose, les lois de l’empereur et du pontife sont
contradictoires, si la matière de la loi comporte un péril pour
les âmes, la loi impériale est abrogée par la loi pontificale. »
C’est de cette façon que la loi pontificale (fin de la prescription)
a abrogé la loi impériale (qui se trouve dans le codex, prescription
30 ou 40, même avec mauvaise foi), parce qu’elle ne pouvait pas être
observée sans péché mortel. Quand la matière d’une loi est
une chose temporelle qui ne comporte pas de péril pour le salut de l’âme,
le pape ne peut pas abroger une loi impériale, et les deux lois doivent
être conservées, l’une sur le plan ecclésiastique, l’autre sur le
plan civil.
Quant aux jugements, le pape en tant que pape ne peut pas juger
ordinairement des choses temporelles. Saint Bernard (livre 1 de la
considération) avait raison de dire à Eugène : « Ces choses infimes
et terrestres ont leurs juges, les rois et les princes de la terre.
Pourquoi envahirais-tu les territoires des autres ? Pourquoi lèverais-tu
ta faux dans une moisson étrangère ? » De même : « Ton pouvoir
n’est pas dans les crimes et les possessions. » Néanmoins,
quand la chose est nécessaire au salut de l’âme, le pontife peut porter
même des jugements temporels, quand personne d’autre ne peut juger,
ou quand deux rois sont en contestation, ou quand ceux qui peuvent
et le doivent ne le veulent pas. Voilà pourquoi le même saint Bernard
dit : « Mais autre chose est pourvoir en passant à ces choses, et autre
choses s’en encombrer, comme si elles méritaient d’accaparer notre
esprit, notre temps, et nos actions. » Et Innocent 111 (chapitre
per venerabilem etc.) dit : « Le pontife ne doit exercer la juridiction
temporelle qu’occasionnellement. »
CHAPITRE 7
On prouve la sentence par les raisons données par les théologiens
On peut prouver cette sentence de deux façons : par des raisons
et par des exemples. Le pouvoir civil est soumis au pouvoir spirituel
quand ces deux parties sont les éléments constitutifs d’une république
chrétienne. Un prince spirituel peut donc commander aux princes
temporels, et disposer des choses temporelles en vue d’un bien spirituel,
car tout supérieur peut commander à son inférieur. Que tout pouvoir
politique, non en tant que chrétien, mais en tant que politique, soit
soumis au pouvoir ecclésiastique en tant que tel, on le prouve d’abord,
par les fins de l’un et l’autre. Or, la fin temporelle est subordonnée
à la fin spirituelle, du fait que la fin temporelle n’est pas absolument
la fin ultime, et qu’elle doit donc être référée à la félicité
éternelle. Aristote, enseigne en effet (Ethique, livre 1, chapitre
1) que les facultés doivent être subordonnées aux fins.
Autre preuve. Les rois et les pontifes, les clercs et les laïcs
ne font pas deux républiques. Ils forment, à eux deux, un seul
corps. Or (Rom 12 et 1, Cor 12) dans tout corps les membres sont reliés
les uns aux autres et dépendent l’un de l’autre. Comme il n’est
pas permis de penser que les biens spirituels dépendent des temporels,
il faut donc que ce soient les temporels qui soient soumis aux spirituels.
Troisièmement. Si une administration temporelle empêche le
bien spirituel, le prince temporel, selon le jugement de tous, est
tenu de modifier sa façon d’administrer, même au détriment du
bien temporel. C’est donc un signe que le pouvoir temporel est subordonné
au pouvoir spirituel.
Il ne suffirait pas de répondre que le prince est tenu de changer
la forme de son administration, non par sujétion ou subordination au pouvoir
spirituel, mais seulement par un devoir de charité, qui nous oblige à
faire passer les plus grands biens devant les plus petits. Car, pour
des motifs de charité, une république n’est pas obligée de souffrir
des torts, de peur qu’une république plus noble en souffre de semblables.
Et un homme privé qui est tenu à donner tous ses biens pour la conservation
de la république, n’a pas à faire la même chose pour une république
étrangère, même plus noble. Puisque une république temporelle
est tenue de souffrir un souci pour une spirituelle, c’est signe qu’elles
ne sont pas deux parties étrangères l’une à l’autre, mais des parties
d’un seul et même être; et qu’une est soumise à l’autre.
La deuxième raison. La république ecclésiastique doit être parfaite,
et autosuffisante par rapport à sa fin. Telles sont, en effet,
les républiques bien instituées. Elle doit donc avoir le
pouvoir nécessaire à l’obtention de sa fin. Or, est nécessaire
à la fin spirituelle le pouvoir d’user et de disposer des choses temporelles,
car, autrement, les mauvais princes pourraient impunément favoriser les
hérétiques, et renverser la religion. Elle a donc ce pouvoir-là.
De même. Parce qu’elle est parfaite et autosuffisante,
chaque république doit, quand elle ne peut pas autrement se défendre
contre ses injustices, commander à une autre république qui ne
lui est pas soumise, et la forcer à changer son administration, et même
déposer son prince et en installer un autre. Donc, une république
spirituelle pourra donc, à plus forte raison, commander à une république
qui lui est soumise, la forcer à changer son administration, déposer
ses princes et en installer d’autres, quand elle ne pourra pas autrement
défendre son bien spirituel. Et c’est de cette façon qu’on
comprend les paroles de saint Bernard au pape Eugène 111 (dans le livre
4 de la considération) et celles du pape Boniface V111 (extravangance,
une seule sainte) où ils disent que l’un et l’autre glaives sont au
pouvoir du pape. Car ils veulent dire que le pape a, par lui-même
et en propre le pouvoir spirituel, et que, parce que le glaive temporel
est soumis au glaive spirituel, le pontife peut commander à un roi,
ou s’interdire le recours au glaive temporel, selon que le requièrent
les besoins de l’ Église. Voici les paroles mêmes de saint Bernard
que le pape Boniface a imitées : « Pourquoi tentes-tu donc d’usurper
le glaive, qu’on t’a ordonné de remettre dans le fourreau
? Mais celui qui te le refuse ne me semble pas suffisamment considérer
la parole du Seigneur, quand il a dit : « Remets ton glaive dans le fourreau
! » Il est donc tien. Il doit donc être sorti sur ton ordre,
même si non par ta main. Autrement, s’il ne t’appartenait en
aucune façon, quand les apôtres lui ont dit : il y a ici deux glaives,
il n’aurait pas répondu : c’est assez, mais c’est trop. L’un
et l’autre glaive appartiennent donc à l’Église, et le spirituel
et le matériel, mais l’un doit être exercé pour l’Église,
et l’autre par l’Église. Un par la main du prêtre, l’autre
par la main du soldat, mais avec l’autorisation du prêtre et au commandement
de l’empereur. » Il faut noter ici que quand les hérétiques
qualifient l’encyclique d’Urbain V111 (extravangante) d’erronée,
d’arrogante, et de tyrannique, ils doivent se souvenir que saint Bernard
s’est servi des mêmes termes. Or, Calvin (livre 4, chapitre
11, verset 10 des institutions) n’a-t-il pas dit que « dans ces livres,
saint Bernard parle comme la vérité elle-même ? »
La troisième raison. Il n’est pas permis aux chrétiens
de tolérer un roi infidèle, ou hérétique, s’il cherche à entraîner
ses sujets dans son hérésie ou infidélité. Or, juger si un roi
entraîne ses sujets à l’infidélité, cela n’appartient-il pas de
droit au pontife, à qui est remis le soin de la religion ?
Il est donc au pouvoir du pontife de juger si un roi doit être déposé
ou non. On prouve la proposition de cet argument par le chapitre
17 du Deutéronome, où il est interdit au peuple d’élire un roi qui
n’est pas juif, de peur qu’un non juif n’entraîne les Israélites
à l’idolâtrie. Les chrétiens n’ont donc pas le droit d’élire
un roi non chrétien. C’est un précepte moral fondé sur l’équité
naturelle. De plus, comme on sait, le péril est le même à élire
un roi non chrétien et à ne pas déposer un roi non chrétien.
Les chrétiens sont donc tenus à ne pas souffrir d’être régis
par un roi non chrétien qui s’efforce de détourner ses sujets de la
vraie foi. Ajoutons ce cas particulier. Les princes infidèles
qui régnèrent sur leur peuple avant qu’il ne se convertisse à la foi,
peuvent, selon saint Thomas (1, 2,2, qu 10, art 10) être privés de leur
pouvoir, même s’ils ne forcent pas leurs sujets à renoncer à leurs
croyances. Mais l’Église ne les en prive pas toujours, ou parce
qu’elle n’en a pas la capacité, ou parce qu’elle juge que ça ne
convient pas. Mais selon l’enseignement de tous, ces princes
doivent être écartés qui s’efforcent de détourner leurs sujets
de la foi. Si les chrétiens ne déposèrent pas autrefois
Néron, Dioclétien et Julien l’apostat, ou l’arien Valence, c’est
parce qu’ils n’avaient pas de pouvoir temporel. Qu’ils auraient
pu, en droit, le faire, le montre saint Paul (1 Corinthiens 6) quand
il ordonne d’établir, chez les chrétiens, de nouveaux juges pour les
causes temporelles, pour que les chrétiens ne soient pas obligés d’aller
plaider leur cause devant un juge persécuteur du Christ. Cela vaut
aussi pour les nouveaux princes et rois, si on en avait eu la force.
De plus, tolérer un roi hérétique ou infidèle qui s’efforce
d’attirer les hommes à sa secte, c’est exposer la religion à un danger
évident. « Tel est le recteur d’une cité, tels sont ses habitants.
» (Eccl 10). Et au même endroit : « C’est à l’exemple du
roi que toute la ville agit. » Et c’est ce que l’expérience
enseigne. Quand le roi Jéroboam devint idolâtre, (3 rois, 12)
la plus grande partie de son royaume commença à adorer des idoles.
Et, après l’avènement du Christ, sous le règne de Constance, fleurit
l’arianisme; sous le règne de Julien l’apostat, renaquit le
paganisme hellénique. Et, en Angleterre, à notre époque,
sous le règne d’Henri, et ensuite d’Édouard, tout le royaume a apostasié
de la foi. Sous le règne de Marie, tout le royaume est retourné
à l’église catholique. Mais, sous le règne d’Elizabeth, le
calvinisme commença à régner, et la vraie religion à s’exiler.
Les chrétiens ne doivent pas tolérer un roi infidèle qui représente
un danger évident pour la religion. Car, c’est de droit divin
qu’on doit conserver la vraie foi et la vraie religion, qui est unique
et non multiple ou multiforme. Et c’est de droit humain seulement
que l’un ou l’autre est notre roi. De plus, pourquoi un peuple
fidèle ne pourrait-il pas se libérer d’un roi infidèle, qui les entraîne
à l’infidélité, quand un conjoint fidèle est libéré de l’obligation
de demeurer avec l’autre conjoint infidèle, lorsque l’un ne peut pas
demeurer avec l’autre sans danger pour la foi, comme l’enseignent saint
Paul (1, Cor 7) et le pape Innocent 111 (chapitre gaudemus).
Car le pouvoir d’un conjoint sur son conjoint n’est pas plus petit
que celui d’un roi sur ses sujets. Il est même parfois plus grand.
Quatrième raison. Quand les rois et les princes viennent
à l’Église pour devenir chrétiens, ils sont reçus à la condition
explicite ou tacite de soumettre leurs sceptres au Christ, de promettre
qu’ils conserveront la foi du Christ et la défendront, même sous peine
de perte du royaume. Donc, quand ils deviennent hérétiques
ou s’élèvent contre l’Église, ils peuvent être jugés par l’Église,
et même déposés de leur principauté, sans qu’on leur cause aucune
injustice. Car n’est pas digne du sacrement de baptême celui qui n’est
pas prêt à servir le Christ, et à tout perdre pour lui. Car le
Seigneur a dit en Luc (14) : « Si quelqu’un vient à moi et ne hait
pas son père, sa mère, son épouse, ses fils, et même sa propre âme,
il ne peut pas être mon disciple. » De plus, l’Église
aurait trop gravement erré si elle avait admis un roi qui
voulait impunément favoriser n’importe laquelle secte, défendre des
hérétiques, ou renverser la religion. La cinquième
raison. Quand il a été dit à Pierre « pais mes brebis »,
lui a été donné aussi tout ce qui est nécessaire pour prendre soin
du troupeau. Or, à un pasteur, un triple pouvoir est requis, un
sur les loups, pour qu’il les éloigne par tous les moyen à disposition;
un sur les boucs, pour qu’ils ne blessent pas le troupeau avec
leurs cornes. De sorte que s’ils venaient jamais à léser le troupeau,
il pourrait les exclure et les embarrer pour les empêcher d’aller plus
loin. Et un troisième pouvoir sur les brebis, afin de donner à
chacune la nourriture dont elle a besoin. Or, le souverain
pontife possède ce triple pouvoir.
On tire donc trois arguments de ce passage. Le premier.
Les loups qui dévastent l’Église du Seigneur sont les hérétiques,
comme il est dit dans Matthieu 7 : « Gardez-vous des faux prophètes !
» Si donc un prince, de mouton ou de bouc devient un loup,
c’est-à-dire, si, de chrétien il devient un hérétique, le pasteur
de l’Église pourra l’écarter par l’excommunication, et commander,
en même temps, au peuple de ne plus le suivre; de le priver ainsi
de son pouvoir sur ses sujets. Le deuxième. Le pasteur
peut séparer et enfermer les boucs furieux qui détruisent le troupeau,
quand ils sont de foi catholique, mais mauvais; quand ils font tort
à la religion et à l’église, comme quand ils vendent les épiscopats,
ou pillent les églises. Le pasteur de l’Église pourra donc les
exclure et les enfermer, ou les ravaler au rang de brebis. Le troisième.
Le pasteur peut et dont paitre toutes ses brebis à leur convenance.
Le pontife peut et doit donc commander à tous les chrétiens et les forcer
à accomplir tout ce que chacun est tenu de faire et de servir Dieu selon
son état. Or, les rois doivent servir Dieu en défendant l’Église,
en punissant les hérétiques et les schismatiques, comme l’enseigne
saint Augustin (épitre 50 à Boniface), et saint Grégoire (livre 2,
épitre 61 à Maurice). Il peut et doit donc commander aux rois de
faire cela, et, au cas où ils ne le voudraient pas, les forcer par
l’excommunication, ou par d’autres moyens. Voyez de grands développements
sur ce sujet dans Nicolaum Sanderum (livre 2, chapitre 4, la monarchie
visible). Vous y trouverez beaucoup de choses que nous avons dites.
CHAPITRE 8
On prouve la même chose par des exemples
Venons-en donc aux exemples. Le premier. Nous
lisons (dans Paralip 26) que le roi Ozias a été éjecté du temple par
le pontife, parce qu’il avait usurpé la charge des prêtres.
Et, lorsque, à cause du même péché, il fut frappé de la lèpre par
Dieu, il fut contraint de sortir de la ville, et de renoncer à son royaume
en faveur de son fils. Car, ce n’est pas par sa propre décision,
mais par la sentence du prêtre qu’il fut privé de la ville et de l’administration
de son royaume. Car, nous lisons (Lévites 13) : « Qui sera entaché
de la lèpre et séparé par la sentence du prêtre, habitera seul en dehors
des camps. » Telle fut la loi en Israël. Et nous lisons aussi
(2 paralip 26) que le roi a habité en dehors de la ville, dans une maison
solitaire, et que c’est son fils qui, dans la ville, jugea le peuple
de la terre sainte. Nous sommes donc forcés de dire que c’est,
par la décision du prêtre, que le roi été isolé et privé de l’autorité
nécessaire pour régner. Si, pour une lèpre corporelle, le
pontife pouvait autrefois juger un roi et le priver de son règne, pourquoi
cela ne pourrait pas se faire pour une lèpre spirituelle, c’est-à-dire
une hérésie, qui est figurée par la lèpre, comme l’enseigne saint
Augustin, (questions évangéliques, livre 2, question 40), surtout
quand saint Paul dit (1 corinthiens 10) que toutes ces choses sont arrivées
aux Juifs en figure.
Le second est dans 2 parlip 23. Quand l’Athalie
tyrannique occupait le trône, et prônait le culte de Baal, le pontife
Jojada appela les centurions et les soldats, et leur ordonna de tuer Athalie,
--ce qu’ils firent,-- et de créer Joas roi. Que le pontife
ne persuada pas mais ordonna, on le voit par les mots employés dans
rois (4, 11) : « Et les centurions firent tout selon que le leur avait
commandé le prêtre Jojada. » On trouva la même chose dans 2 Parail
23 : « Le prêtre Jojada sortit à l’encontre des centurions et des
princes de l’armée, et leur dit : « Conduisez-la en dehors du parvis
du temple, et tuez-la dehors, par le glaive. » La cause de
la déposition et du meurtre d’Athalie ne fut pas seulement sa tyrannie,
mais l’appui qu’elle donnait au culte de Baal. C’est ce que
l’Écriture nous raconte : « Alors, tout le peuple entra dans la maison
de Baal et la détruisit, et ils brisèrent les autels et les statues.
Ils tuèrent aussi, entre les autels. Mathan, le prêtre de Baal.
»
Le troisième exemple, celui de saint Ambroise. Étant
évêque de Milan, et donc pasteur et prêtre spirituel de l’empereur
Theodose, qui siégeait habituellement à Milan, il l’excommunia
d’abord, après la tuerie qu’il avait ordonné à ses soldats de commettre,
et ensuite il lui ordonna de porter une loi voulant que les sentences de
meurtre ou de confiscation de biens ne soient en vigueur que trente jours
après le prononcé de la sentence, pour qu’il puisse, pendant cet espace
de temps, révoquer une loi qu’il aurait dictée précipitamment sous
le coup de la colère. C’est ce que rapporte Thédoret dans son
histoire de l’église (livre 5, chapitre 17). Or, il est évident
que l’évêque Ambroise n’a pas pu excommunier Théodose à cause de
ce carnage, sans avoir étudié et jugé la cause, laquelle, toute criminelle
qu’elle fût, était du for externe. Il n’a donc pas pu investiguer
et juger une cause de ce genre sans avoir été, même au for externe,
un juge légitime de l’empereur Théodose. Ensuite, forcer
l’empereur à porter une loi politique, et lui prescrire le contenu de
la loi, cela ne montre-t-il pas clairement que l’évêque peut,
en certaines circonstances, utiliser le pouvoir politique même sur ceux
qui ont reçu un pouvoir plus grand que celui des autres ? Et si
un évêque quelconque le peut, à plus forte raison, le prince des évêques.
Le quatrième, est celui de Grégoire 1. Dans le privilège qu’il
concéda au monastère de saint Médard, on trouve à la fin : « Si quelqu’un
parmi les rois, les évêques, les juges, ou les séculiers, violait les
décrets de cette autorité apostolique, et de notre prescription, qu’il
soit privé de l’honneur de sa dignité ou de sa sublimité ! »
Le cinquième est celui de Grégoire 11 qui interdit aux Italiens de payer
la taxe à l’empereur iconoclaste, qu’il avait excommunié.
Et il le priva ensuite d’une partie de l’empire. Cette histoire
les magdebourgeois la racontent (centurie 8, chapitre 10, dans la vie de
saint Grégoire), mais en la blâmant. Ils disent même que Grégoire
a été un traître à sa patrie. Mais ils ne nous présentent
aucun historien qui aurait reproché ce fait à Grégoire, tandis que nous
pouvons en exhiber un grand nombre qui l’ont loué comme saint
et juste, tels que Cedrenum. Zonaram (dans la vie de Léon l’Isaurien),
et tous les autres historiens qui racontent ce qui s’est passé à cette
époque. Le sixième est celui de Zacharie qui,
à la demande des nobles français, déposa Childeric, mit à sa place
Pépin, le père de Charlemagne, et ordonna qu’il soit sacré roi.
La cause en est que, en raison de de la fainéantise de Childeric , la
religion et le royaume des Francs menaçaient ruine. C’est ce que
rapportent Cedrenus dans sa vie de Léon Isaurien, Paul diacre (livre
6, chapitre 5, les gestes des Lombards) et saint Boniface (évêque
de moguntino, dans son épitre à Zacharie.)
Ce fait, les hérétiques eux-mêmes le reconnaissent, en le
blâmant, comme les magdebourgeois (centurie 8, chapitre 10). Ils
disent que le pape semble s’être attribué une autorité quasi divine.
Mais, dans les écrits anciens, ils ne purent trouver personne qui
reprochât au pape cette intervention politique. Or, nous, nous pouvons
en présenter plusieurs qui l’approuvèrent : Adon, Sigebert, Rheginon
dans les chroniques. Mais dans le livre 2, chapitre 17, nous
avons déjà dit bien des choses là-dessus contre Calvin. » Le
septième exemple est celui de Léon 111 qui transféra l’empire des
Grecs aux Germains, parce que les Grecs ne pouvaient apporter
aucune aide à l’église occidentale en détresse. D’où il advint
que, même si la dignité impériale, considérée dans l’absolu, ne
relève pas du souverain pontife, mais de Dieu, conformément au droit
des gens, comme nous l’avons montré plus haut en parlant de Gélase,
Nicolas, et d’Innocent, il n’en reste pas moins vrai que les
empereurs qui ont succédé à Charlemagne lui doivent leur trône.
Que ce pouvoir impérial suprême soit, aujourd’hui, entre les
mains des allemands, c’est au pontife qu’on le doit. Et même
si, absolument parlant, il n’était pas nécessaire que le pape confirme
l’empereur, ou que l’empereur prête un serment de fidélité au pape,
cependant, depuis le temps où l’empire a été transféré aux Germains,
l’un et l’autre sont requis, comme le dit le pape Innocent 111 (chapitre
venerabilem). Et ce n’est pas injustement que cela soit requis.
Car, celui qui a pu conférer l’empire aux Germains pour le salut de
l’Église, pouvait aussi adouter certaines conditions pour la même raison,
c’est-à-dire pour qu’il n’arrive pas qu’on crée empereur un schismatique
ou un hérétique.
À cet exemple, les adversaires répondent de deux façons.
Car ils nient que le pape ait bien agi en transférant l’empire des Grecs
aux Germains. Et on trouve parmi eux les magdebourgeois (centurie
8, chapitre 10, colonne 751). Voici ce qu’ils disent : «
Ce transfert s’est opéré par un miracle de l’antichrist. »
Et Theodore Bibliander (table 10 de sa chronologie) dit que « c’est
avec une autorité usurpée, que Léon 111 a transféré l’empire des
Grecs aux Germains. » D’autres disent que cette translation s’est
faite dans les règles du droit, mais par le peuple romain, non par le
souverain pontife. C’est ce que dit Marsile de Padoue selon Pighius
(livre 5, chapitre 14, la hiérarchie ecclésiastique. » Je
réponds aux premiers que cette translation s’est faite juridiquement
et légitimement. On le constate facilement par le consensus de toute
la chrétienté. Car, tous les chrétiens ont toujours considéré
Charlemagne comme un vrai empereur, lui, et ses successeurs. Il n’y
eut jamais aucun roi chrétien qui ait voulu précéder l’empereur, même
si, en puissance, en ancienneté de règne, il le précédait.
Après avoir spolié le peuple de sa foi et de sa religion, les luthériens
sont les premiers aussi à s’efforcer de détrôner l’empereur.
On le constate en second lieu, par l’heureuse issue de cette translation.
Car, pour montrer que cela a été fait selon les règles du droit, Dieu
a rendu Charles et son règne extrêmement florissant et célèbre, et
très utile à l’Église. En troisième lieu, par la
confession des empereurs germains, qui ont souvent professé que le pontife
romain avait le droit de faire ce qu’il a fait. Car, quand l’impératrice
Irène entendit dire que Charles avait été appelé empereur par Léon,
bien loin de réclamer, elle voulut épouser Charles, et elle l’aurait
fait si des eunuques perfides ne l’avaient empêché, comme l’écrivent
Zonoras et Cedrenus dans la vie de la même Irène.
Ensuite, après la mort d’Irène, Nicéphore, l’empereur
qui lui avait succédé, a envoyé des délégués à l’empereur Charles,
comme l’écrit Adon, dans sa chronique, en l’an 803. Et, un peu
après la mort de Nicéphore, son successeur Michel envoya, lui aussi,
des délégués à Charles, qui le saluèrent publiquement en tant qu’empereur.
Comme Adon l’écrit dans sa chronique, en l’an 810. Non seulement
les Grecs, mais aussi les Perses envoyèrent des légats et des présents
à l’empereur Charles récemment créé, comme le rapportent les mêmes
historiens, et d’autres. Blondus et Platina rapportent que quand
l’empereur des Grecs Emmanuel entendit dire que le pape Alexandre 111
était réduit à toute extrémité par l’empereur Frédéric,
il offrit au pape de lui porter secours et de lui donner de fortes sommes
d’argent, s’il voulait rendre l’empire d’occident aux empereurs
de Constantinople. Le pape répondit qu’il ne voulait pas réunir
ces deux empires, parce que de plus grands que lui les avaient divisés
pour d’excellentes raisons. On doit noter ici qu’Emmanuel ne
voulait recevoir du pontife que le titre d’empereur, car, il savait très
bien que le pontife ne pouvait pas lui en donner la possession, et qu’il
ne pouvait se rendre maître de l’Occident que par la conquête militaire.
Il n’aurait certes pas voulu acheter un simple titre à si
haut prix, s’il l’avait cru faux et illégitime.
À ceux qui disent que l’auteur du transfert ne fut pas le
pape, mais le peuple romain, il est facile de répondre. Car, tout
d’abord, le peuple romain n’eut jamais le pouvoir de créer un empereur.
Les anciens empereurs reçurent le pouvoir soit par droit héréditaire,
comme Octavien, Tibère, Cajus, ou soit par l’armée, comme Claude, Vespasien
et d’autres. Que l’élection par l’armée fut la façon habituelle
de créer un empereur, l’atteste saint Jérôme (épitre à Évagre),
Au temps de Charlemagne, il n’y avait aucune armée de romains capable
de créer un empereur. Les seules armées qu’il y avait en Italie
étaient celles des Grecs et des Lombards, tous hostiles à Charles.
Et il est évident qu’il ne reçut pas l’empire de droit héréditaire.
De plus, même si les Romains avaient joué un rôle dans l’élection
d’un empereur, ils l’ont certainement perdu quand le siège impérial
a été transféré à Constantinople. Et pendant 500 ans, c’est-à-dire
de Constantin à Charlemagne, le sénat ou le peuple romain n’eut pas
son mot à dire dans l’élection d’un empereur. Ensuite,
tous les auteurs qui écrivent sur cette époque, et qui sont déjà cités,
affirment que l’empire a été transféré des Grecs aux Francs, ou aux
Germains. C’est ce qu’enseigne Innocent 111 (au chapitre vénérable,
sur l’élection) : « À eux, le droit et le pouvoir parvinrent
du siège apostolique, qui, dans la personne de Charlemagne, transféra
l’empire romain des Grecs aux Germains. » Et il ajoute que les
princes de Germanie le reconnaissent cela, ouvertement. Charlemagne
lui-même ne l’a pas exprimé obscurément dans le testament par lequel
il laissait ses fils héritiers de l’empire, puisqu’il l’envoya au
pape Léon pour qu’il le confirme par sa signature, comme l’écrit
Adon, en l’an 804. Et c’est ce qu’atteste la confession de
l’empereur grec Emmanuel, comme on l’a noté plus haut.
Le huitième exemple est Grégoire V qui écrivit la sanction
qui sert à l’élection d’un empereur par sept princes d’Allemagne,
et qui est en vigueur jusqu’à ce jour. C’est ce qu’affirment
les historiens déjà cités dans les œuvres citées. Voici ce que
disent les magdebourgeois : « Pour orner sa patrie d’une insigne dignité,
Grégoire sanctionna que seuls les Germains auraient le droit d’élire
un roi qui serait appelé Auguste, après avoir reçu le diadème du pontife
romain. Sont constitués électeurs les archevêques de Moguntinus,
de Cologne, de Trévire, les contes palatins du Rhin, le duc de Saxe,
le marquis de Brandebourg, et le roi de Bohème. » Ce qu’il
a fait, l’a-t-il fait en toute justice et équité ? Ils ne se prononcent
pas là-dessus. Mais s’ils admettent que pape avait le droit d’agir
ainsi, ils seront forcés de reconnaitre que le pape est supérieur à
l’empereur, et à tous les rois ou princes. S’ils
prétendent qu’il a agi en tyran, ils feront injure à leurs patrons
et protecteurs, notamment au duc de Saxe, au comte Palatin, et au marquis
de Brandebourg. Car qu’ont-ils de plus que le pouvoir d’élire
l’empereur ? Ce pouvoir, ils ne le possèdent pas légitimement
si celui qui le leur a donné ne pouvait pas le leur donner. Or,
nul ne conteste que ce soit le pape qui le leur ait donné.
Il est à noter ici que c’est contre la version de tous les
historiens qu’Onuphrius (dans son livre sur l’élection) attribue cette
sanction non à Grégoire V, mais à Grégoire V1. Même si c’est
sans importance, et sans rapport avec notre sujet, j’estime quand même
que ce n’est pas vrai. Car, Innocent 111, qui siégea avant
Grégoire X, dans les années 70, indique dans le livre déjà cité, que
le droit d’élire l’empereur avait déjà été concédé à certains
princes de Germanie. Et Henrisuc hostiensis qui vécut avant le temps
de Grégoire X, (qui commente ce chapitre) dit qu’Innocent parle de sept
électeurs. Et Pelagius Alvarus qui vécut un peu après l’époque
de Grégoire, affirme que le mode d’élection de l’empereur tel qu’il
existe aujourd’hui vient de Grégoire V, et il énumère les sept électeurs
que nous venons tout juste d’écrire. Le neuvième exemple
est celui de Grégoire V11 qui déposa l’empereur Henri 1V, et ordonna
d’en élire un autre, ce qui fut fait, comme le rapportent aussi les
magdebourgeois (centurie 11, chapitre 10, dans la vie de Grégoire V11).
Ils déclarent que cela a été fait en toute justice, avec l’approbation
et aux applaudissements de tous, comme nous l’avons démontré dans un
livre précédent, où nous avons réfuté les calomnies des hérétiques
sur les papes.
Le dixième exemple est Innocent 111 qui, dans le concile de
Lyon, avec le consentement de tous les Pères, déposa Frédéric 11, et
rendit l’empire vacant pendant 28 ans, comme Matthieu Palmerius le raconte
dans sa chronique. A été conservée jusqu’à aujourd’hui la
sentence portée contre Frédéric. Innocent 1V donna au roi de Lusitanie
un coadjuteur pour administrer son royaume, quand, à cause de l’insouciance
du roi, la république et la religion souffraient de grand dommages, comme
le rapporte Grandi (suppl négligence, prélature, 6). Le douzième est
Clément V1 qui déposa l’empereur Louis 1V, que Jean XX11 et Benoit
X11 avaient excommuniés. Voir Pighius (livre 5, hiérarchie ecclésiastique,
chapitres 14 et 15), et Robert arboricensem (tome 1, théorème 7, sur
l’un et l’autre glaive.)
CHAPITRE 9
Ne répugne pas à la parole de Dieu que le même homme soit
en même temps prince ecclésiastique et politique.
En ce qui a trait à la troisième partie de la question, il
faut savoir que les adversaires enseignent deux choses sur la primauté
temporelle du souverain pontife. La première. C’est une
possession obtenue par un vol. La seconde. Même si le pape la possédait
de droit, il ne pourrait pas la conserver parce qu’elle est incompatible
avec le pouvoir spirituel. C’est ce que dit Calvin (livre 4, chapitre
11, versets 8 et 11, institutions). Il faudra donc prouver que cette
principauté temporelle convient à un chef spirituel, et que celle qu’il
a, il l’a acquise justement et honnêtement. Que ne répugne pas
à un pontife d’être à la fois prince spirituel et temporel, on le
prouve pas des exemples de saints qui furent rois et princes. Car,
dans la loi de la nature, Melchisedech fut roi et pontife (Genèse 14,
Hébreux 7). Bien plus, autrefois, le premier né était toujours
roi et pontife, comme saint Jérôme l’enseigne (dans la question hébreux,
genèse 49 : Ruben mon premier né. » Il appert également que Noé,
Abraham, Isaac et Jacob ont présidé tant dans les choses qui se
rapportent à la religion, qu’à celles qui se rapportent à la vie politique.
De plus, Moïse fut à la fois un prince temporel et un souverain pontife,
comme nous le montrent les saintes Écritures. Car, dans l’Exode
18, il est dit : « Moïse s’assit pour juger le peuple ». Et,
au chapitre 32, il ordonna de tuer plusieurs Israélites, à cause du péché
d’idolâtrie. Et, au chapitre 40, il offrit au Seigneur de l’encens,
ce qui était une fonction propre à un pontife. Il consacra
aussi Aaron prêtre, sanctifia le tabernacle et l’autel, offrit des sacrifices
et des holocaustes, toutes choses que seul un prêtre peut faire.
Voilà pourquoi Philo (au livre 3 de la vie de Moïse), dit à la fin :
« Voilà quelle est la vie, voilà quelle est la sortie de cette vie de
Moïse roi, législateur, pontife et prophète. » Et saint Grégoire
de Naziance (dans son éloge funèbre à saint Grégoire de Nysse) dit
: « Moïse, prince des princes, prêtre des prêtres, se servait, pour
parler, de la langue d’Aaron. » Et saint Augustin dit au
sujet du règne de Moïse (question 68 sur l’Exode) : « Il siégeait
seul dans sa sublimité judiciaire, devant tout le peuple qui se tenait
debout. » Au sujet de son pontificat (question 23, sur le lévitique)
: « Moïse et Aaron étaient tous les deux prêtres suprêmes. »
Héli fut pontife suprême et juge politique pendant 40 ans (1Rois
c 1 et 4). Ensuite, les Macchabées Judas, Jonathan, Simon, Jean,
et les autres jusqu’à Hérode, furent à la fois pontifes et chefs politiques,
comme on le voit dans les Macchabées et dans Joseph (livre 12 des antiquités).
On le prouve, deuxièmement, par des raisons. La première.
Le pouvoir ecclésial et le pouvoir politique ne sont pas contraires, mais
bons tous les deux, comme provenant de Dieu. Les deux sont honorables,
et l’un est au service de l’autre. Ils ne sont donc pas
incompatibles, et peuvent cohabiter dans la même personne.
La deuxième. Il y a une plus grande différence entre la paix et
la guerre qu’entre les biens spirituels et temporels. Or,
un seul et même roi préside au sénat et à l’armée, aux gens de robe
et d’épée. Quelqu’un peut donc, à plus forte raison, présider
à la fois dans le temporel et le spirituel. La troisième.
Un seul et même roi peut gouverner des royaumes différents qui ont des
lois, des rites, des mœurs, des coutumes différentes. Et pour la
même raison, un même évêque peut régir plusieurs églises, comme c’était
le cas pour les anciens patriarcats, qui comptaient chacun plusieurs évêques.
Un seul homme pouvait donc aussi régir un diocèse et une province.
Car, ou il est plus difficile, plus facile ou également difficile de régir
un diocèse qu’une province. Si c’est plus difficile pour
quelqu’un de régir deux diocèses, il pourra sans trop de
difficulté régir un diocèse et une province. Si c’est plus facile
pour quelqu’un de régir deux provinces, il n’aura pas de mal
à régir une province et un diocèse. Si c’est également difficile
de régir deux provinces ou deux diocèses, quelqu’un pourra régir un
diocèse et une province.
La quatrième. Ce furent des saints hommes qui donnèrent des principautés
temporelles aux évêques, et, ils ont été, pour cette raison, vénérés
par toute l’Église, comme ce fut le cas de Constantin, Charlemagne,
et Louis son fils, appelé louis le pieux, que louent même les adversaires.
Et, au contraire, tous ceux qui cherchèrent à leur enlever le royaume,
comme Henri 1V, Othon 1V, Frédéric 1 et 11, furent des méchants,
des impies et des sacrilèges. Voici ce qu’écrit Adon (dans sa
chronique, en l’an 727 au sujet d’Aistulphe : « Aistulphe, roi des
Lombards rompit perfidement le testament de ses prédécesseurs qui léguait
des biens au bienheureux Pierre, et il donna à ses soldats les propriétés
ecclésiales. » Et plus bas : « Aistulphe, dans sa perfidie, enveloppa
tout de mensonges. » Et plus bas encore : « Pendant qu’il allait
à la chasse, Aistulphe, par un jugement divin, tomba subitement raide
mort. » Saint Bernard dans sa lettre aux Romains (242) leur
reproche vivement de s’être séparés du pape Eugène 111. La
cause de la révolte était la suivante. Ils ne voulaient pas, au dire
de Platina et des autres historiens, se soumettre aux pontifes dans les
choses terrestres, mais à la manière antique, être gouvernés par les
consuls d’une république. Au sujet d’Henri 1V, voir ce
que nous avons noté au livre 4, chapitre 13.
Ce ne furent pas seulement les meilleurs princes qui dotèrent
le siège apostolique, mais la plupart de ceux qui avaient des richesses
et qui gouvernaient un pays. Or, Léon 1V fut illustré par des miracles,
au dire de Platina. Tous les écrivains appellent Léon 1X saint,
et écrivent qu’il a brillé par des miracles. Nous avons dit plusieurs
belles choses de lui précédemment. Ensuite, tous les auteurs louent
grandement Léon 111, Nicholas 1, Innocent 111, et d’autres papes semblables
à eux, qui ont tous su concilier le pontificat avec l’administration
temporelle.
On le prouve enfin par l’expérience. Car, si,
absolument parlant, il importait grandement que les pontifes ne se soucient
que des choses spirituelles, et les rois que des temporelles, l’expérience
proclame que, à cause de la malice des temps, il n’est pas seulement
utile, mais parfois nécessaire, et hautement providentiel, que des pouvoirs
temporels soient donnés à des évêques. Car, si en Allemagne, les évêques
n’étaient pas des princes, aucun, jusqu’à ce jour, ne serait demeuré
sur son siège. Car, comme pendant l’ancien testament, les pontifes
purent durer longtemps sans posséder de pouvoir temporel, dans les derniers
temps, au temps des Macchabées, la religion n’a pas pu persister et
se défendre sans que les pontifes soient en même temps rois. Nous
voyons la même chose se reproduire dans l’Église. Dans les premiers
temps, elle n’avait pas besoin du pouvoir temporel pour conserver sa
majesté, alors qu’aujourd’hui elle semble en avoir besoin.
Que c’est légalement que le pontife romain possède la principauté
qu’il possède, on le peut le prouver facilement, car c’est de dons
des princes qu’il la tient. Car, c’est ce qu’écrit Paul
diacre sur les gestes des Lombards (livre 6, chapitre 26). Aripertus,
roi des Lombards, restitua au saint siège la donation du patrimoine Alpium
Cottiare, qui appartenait de droit au siège apostolique, mais que les
Lombards avaient usurpée depuis longtemps. Et cette donation, il
l’envoya à Rome, gravée en lettres d’or. C’est de ce don
ou restitution que se souvient le vénérable Bède (dans son livre des
six états) : « De plus, le roi Pépin céda aux apôtres Pierre
et Paul Ravenne, et toute la Pentapolis. » A été conservée,
dans le code de Gratien, dist 63, la constitution de Louis 1, fils de Charlemagne
: « Moi, Louis, Auguste, empereur des romains, je décrète et concède
par ce pacte, par nous confirmé, au bienheureux princes apôtres,
et par toi ton vicaire, le seigneur pascal, souverain pontife, et à ses
successeurs à perpétuité, que vous soyez légalement possesseurs des
biens que vous avez reçus de vos prédécesseurs, que vous disposiez
de la ville romaine, avec son duché, ses faubourgs, et ses territoires
montagneux et maritimes, des rives, des châteaux, des villes et des villas
dans des parties de la Thuscia. » Le même évêque
Léon hostiensis (livre 1 chronique du mont Cassin, chapitre 9) : « L’illustre
roi Pépin, fit don, lui et ses fils, au bienheureux Pierre et son vicaire,
de certaines villes d’Italie et de territoires bien délimités. Lunis
avec l’île de Corse, et de là dans le Suranum, dans la montagne Bardon,
le Vercet, Parme, Rhegium, Mantou, et le mont Silicis, et tout l’exarchat
de Ravenne, comme il fut dans l’antiquité, avec les provinces des Venetie
et d’Histrie, tout le duché de Spolète, et de Bénévent. »
Et plus bas : « Ensuite le même roi, venant en Italie avec le pontife
romain, remit au siège apostolique Ravenne et vingt autres cités qu’Aistulphe
avaient enlevées au pape. » De même (livre 3, chapitre 48) : «
En l’an de l’incarnation du Seigneur 1079, la comtesse Mathilde, redoutant
l’armée de l’empereur, offrit très dévotement au pape Grégoire
les provinces de Ligurie et de Thuscie. » Sont précieusement conservés
à Rome les témoignages authentiques de ces donations. Mais même
en leur absence, suffirait la prescription de 800 années. Car, même
les royaumes acquis par le vol, finissent par devenir légitimes après
un assez longtemps. Autrement, de quel doit Jules César occupait-il
le siège romain ? Et cependant, au temps de Tibère, le Christ a
dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu
ce qui est à Dieu. » De que doit les Francs ont-ils envahi la Gaule,
les Saxons la Grande Bretagne, et les Goths l’Espagne ? Et cependant,
qui oserait prétendre, aujourd’hui, que leurs royaumes sont illégitimes
?
2018 01 04 a 16h39 fin
2018 01 04 a20h57 début
CHAPITRE 10
On réfute les arguments contraires
Il nous reste à réfuter des objections. La première
est celle de Calvin (livre 4, chapitre 11, verset 8, sur Matt 20) : «
Les rois des nations dominent sur eux. Pour vous, qu’il n’en
soit pas ainsi. » Le Seigneur indique par là non seulement que
le travail du pasteur est distinct par nature de celui du prince, mais
que ces deux fonctions sont si différentes qu’elles ne peuvent pas cohabiter
dans la même personne. » Et voyant qu’on pouvait lui opposer
l’exemple de Moïse, Calvin ajoute : « Que Moïse ait pu
assumer l’une et l’autre tâches, cela est une chose si rare qu’elle
tient du miracle. Ce ne fut aussi que pour un temps, jusqu’au moment
où l’on put passer à quelque chose de mieux. Là où une règle
formelle est prescrite par le Seigneur, le gouvernement civil est
refusé au prêtre, et il doit le céder à son frère. Et avec raison,
car, porter l’un et l’autre fardeaux, est, pour un même homme, au-dessus
des forces humaines. » Je réponds de deux façons. La première.
Dans le texte cité, le Seigneur ne cherchait qu’à instituer des princes
ecclésiastiques, et à leur enseigner qu’ils devaient présider sur
leurs sujets non à la façon des rois et des seigneurs, mais des pères
et des pasteurs. On ne peut pas donc déduire de ce texte qu’une
seule et même personne ne puisse pas exercer les deux fonctions.
L’exemple de Moïse que Calvin cherche à éluder, est des
plus convaincants. Que ce soit quelque chose de tellement
rare qu’on le puisse dire miraculeux, les exemples déjà cités
de Melchisédech, d’Hélie, de Juda Macchabée et des autres, démontrent
juste le contraire. Est faux aussi ce qu’il ajoute ensuite, à
savoir que c’était une mesure purement temporaire, c’est-à-dire jusqu’à
ce que soit consacré Aaron, comme le montre saint Augustin (q, 20, dans
le Lévitique), où il dit que Moïse et Aaron furent prêtres tous
les deux simultanément. Et il le prouve ensuite en montrant que
Moïse avait déposé Aaron comme pontife, et avait consacré, à sa place,
son fils Éléazar (nombres 20). Et de plus, si après l’ordination
d’Aaron, le pouvoir temporel et le sacerdoce ne pouvaient plus habiter
dans une seule et même personne, comment Héli a-t-il pu être prince
et prêtre pendant quarante ans ? Comment les Macchabées et leurs descendants
ont-ils pu l’être pendant plus de cent ans ?
Je réponds, en second lieu, que, par ces paroles, le Seigneur
n’interdisait pas aux évêques un gouvernement de rois ou de princes
religieux, mais de rois païens, qui sont souvent plus tyrans que
rois. C’est ce que les mots grecs laissent entendre.
Car Matthieu ne dit pas simplement « ils dominent », mais « ils dominent
violemment. » On constate la même chose dans 1 Pierre 5, Josué
15. Et 2 Pierre 2. La deuxième objection est au
même endroit (verset 9, Luc 12) : « O homme, qui m’a établi
votre juge ou votre arbitre ? » Le Seigneur rejette la fonction
de juge comme incompatible avec la charge de prédicateur, et de ministre
de la parole de Dieu. Et c’est ce que dirent aussi les apôtres
(actes 6) : « Il ne convient pas que nous négligions la parole de Dieu
pour servir aux tables. » Or, celui qui est prince ne peut pas rejeter
ces fonctions.
On peut répondre à ces paroles du Seigneur que, dans ce monde,
il a choisi la personne d’un pontife, non d’un prince temporel. Et,
en parlant ainsi, il avertissait ses pontifes de ne pas se mêler d’affaires
étrangères à leur ministère. On répondrait peut-être mieux en disant
que, en gros, dans l’un et l’autre passages, on avertit les pontifes
et les princes de ne pas se laisser absorber par des besognes viles ou
de bas étage, et d’omettre d’accomplir leurs vrais devoirs.
C’est pour cette raison que quand Jethro s’aperçut que Moïse restait
assis toute la journée à juger le peuple, (exode 18) il lui suggéra
avec sagesse non pas de renoncer au gouvernement politique, pour ne conserver
que la chaire pontificale, mais de constituer des juges qui
suffiraient pour régler les litiges ordinaires, et de se réserver les
cas graves tant politiques qu’ecclésiastiques. Saint Bernard parle
dans le même sens (livre 1 de la considération). Après avoir cité
ces paroles du Seigneur, il exhorte le pontife de laisser aux autres le
jugement des choses temporelles, tout en sachant très bien qu’il était
à ce moment-là chef temporel.
De la même façon, les apôtres abandonnèrent le service des
tables pour être en mesure de s’occuper plus efficacement des choses
temporelles de l’Église. C’est pourquoi, (Gal 2), se souciant de leurs
frères de Jérusalem, Pierre, Jacques et Jean ont demandé à Paul et
à Barnabée qu’ils aient à cœur de faire une quête, et d’envoyer
la collecte à Jérusalem. Et c’est ce qu’ils firent. Et
l’argent ramassé ils le rapportèrent eux-mêmes, non aux diacres affectés
aux tables, mais aux anciens (actes 11). La troisième objection
de Calvin porte sur les paroles de saint Bernard (livre 2 de la considération)
: « Aux apôtres est interdit la domination. Toi, donc, ose t’usurper
à toi-même ou en dominant l’apostolat, ou en état dominé dans l’apostolat.
La formule ecclésiastique est la suivante : la domination est interdite,
le service est commandé. » Je réponds que saint Bernard
parle du pontife en tant que pontife de toute l’Église, et selon ce
qu’il possède de par l’institution du Christ. Car, un peu
avant, il avait dit : « Supposons que pour une autre raison tu revendiques
ces choses, ce ne sera pas par un droit apostolique, car il n’a pas pu
te donner ce qu’il n’avait pas. » Saint Bernard veut donc
que le pontife, en tant qu’il est pasteur de brebis, ne domine pas sur
elles, mais les paissent. Mais, comme, néanmoins, le prince politique
domine sur ces mêmes brebis en tant qu’elles sont des citoyennes de
la république, le pasteur peut les dominer, pour la même raison, s’il
est leur chef temporel.
La quatrième objection porte sur les paroles de saint Grégoire
(œuvre citée, verset 14), qui (livre 4, épitre 14) dit anathème à
un évêque qui envoie un huissier pour récupérer des champs appartenant
à l’Église. Je réponds qu’il n’y a pas
à se surprendre si Grégoire n’a pas voulu que les évêques, ni même
les préfets des patrimoines de l’Église romaine, se servent de huissiers
pour récupérer les champs de l’Église. Car, l’église n’avait
pas encore de principauté politique, et elle ne possédait pas encore
les biens temporels de la façon dont les possédaient les citoyens privés.
Il était donc équitable qu’elle réclame dans un jugement légitime
les biens qu’elle considérait siens, et qui avaient été accaparés
par d’autres, mais non les revendiquer de sa propre autorité.
La cinquième objection se rapporte à un texte de saint Paul à Timothée
(2,2) : « Nul de ceux qui militent pour Dieu ne s’immisce dans les affaires
des séculiers. » Je réponds que les négoces séculiers
ne veulent pas dire, dans ce passage, le régime politique, mais l’ardeur
à préparer des repas, et donc aussi le négoce, le magasinage, le marchandage.
Le mot grec signifie affaire de vie, ou nourriture. Il faut noter
aussi que, dans le grec, on ne trouve pas le mot Dieu, ni non
plus dans tous les codex latins. Et le sens est le suivant : « Je
te dis de travailler comme un bon soldat du Christ. » Or, un bon
soldat ne se soucie pas de la bouffe ou des soins à donner à son corps.
Il mange et boit quand il le peut, dort sur la dure, se vêt plus avec
du fer qu’avec du linge. L’apôtre n’interdit donc pas un régime
politique, mais les inquiétudes, les préoccupations au sujet de la vie
corporelle. Comme nous avertit saint Jean Chrysostome : « Tous,
même les laïcs, doivent être des soldats du Christ. » La sixième
objection porte sur les paroles de Nicolas 1 (épitre à Michel) où il
dit qu’avant l’avènement du Christ il y eut des rois et des pontifes,
mais que le Christ, vrai roi et vrai pontife, les a disjoints : «
Quand on arriva au vrai, aucun empereur, après lui, n’usurpa les droits
du pontificat, et aucun pontife le nom d’empereur. »
Je réponds que Nicolas n’a pas voulu nier que puisse convenir
au souverain pontife le gouvernement temporel. Car, il était lui-même
pontife et en même temps prince politique de Rome, de Ravenne, et d’autres
cités que ses prédécesseurs avaient reçues des empereurs. Il
a simplement voulu dire qu’il ne convenait pas que le même soit pontife
de toute la terre et empereur de toute la terre. Non pas parce que
cela répugne à l’évangile et ne peut absolument pas se faire, mais
parce que, pour conserver l’humilité, le Christ a voulu que le pontife
ait besoin de la protection de l’empereur dans les choses temporelles,
et que l’empereur ait besoin de la direction du pontife dans les choses
spirituelles. Que ce soit vraiment ce que le Christ a voulu, on le
comprend facilement en constatant que c’est à Tibère qu’il a laissé
l’empire, et qu’à Pierre, il n’a donné que le pontificat.
FIN DE LA TROISIÈME
CONTROVERSE GÉNÉRALE
2018 01 04 a20h57 fin
Appendice à la 3ème Controverse (4 chap., p.169-187ou188)
Fichier
placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation
de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction
en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com,
France, Paris, 2019.