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Saint Robert Bellarmin

Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps

Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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Tome 1 : Les règles de la foi : trois controverses générales : 
1ere Controverse :  la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, l. IV

2eme Controverse : le Christ chef de toute l’Eglise, l. V ; 

3eme Controverse : le souverain pontife, son vicaire ici-bas, l. V.

pouvoir spirituel et son pouvoir temporel.

1ere Controverse : la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, l. IV (4 livres). 
livre 1 : Les livres sacrés et les livres Apocrypes (20 chap.) 
livre 2 : Les Différentes éditions (16 chap.) 
livre 3 : L'interprétation de la Parole de Dieu (10 chap.)
livre 4 : La parole de Dieu non écrite (12 chap.)

 

livre 4 : La parole de Dieu non écrite (12 chap.)

CHAPITRE 01 : Ceux qui furent les plus grands promoteurs ou les plus grands adversaires des traditions non écrites.

CHAPITRE 02 : Qu’est-ce que la tradition, et combien y en a-t-il ?
CHAPITRE 03 : Présentation de l’état de la question
et réfutation de certains mensonges des adversaires.
CHAPITRE 04 : On démontre la nécessité de la tradition
CHAPITRE 05 : On démontre par l’Écriture qu’il y a de véritables traditions
CHAPITRE 06 : On montre la même chose par les témoignages donnés par les pontifes et les conciles
CHAPITRE 07 : On prouve la même chose à l’aide des pères
CHAPITRE 08 : On prouve la même chose avec quatre arguments
CHAPITRE 09 : Explication des 5 règles qui font connaître les vraies traditions.
CHAPITRE 10 : On répond aux objections que les adversaires ont tirées des Écritures.
CHAPITRE 11 : Réfutation des objections tirées des écrits des pères
CHAPITRE 12 : Réponse aux objections des adversaires

11 avril 2017 à 16:21

LIVRE 4 : La parole de Dieu non écrite

CHAPITRE 1 : Ceux qui furent les plus grands promoteurs ou les plus grands adversaires des traditions non écrites.

Nous avons jusqu’à présent disserté de la parole de Dieu qui a été écrite. Entreprenons, maintenant, de discuter de la parole de Dieu non écrite. Qu’il nous soit permis d’abord de rendre hommage aux docteurs de notre époque qui ont le plus écrit sur les traditions, ceux du moins que nous avons lus, car il ne nous a pas été permis de les lire tous.

 

A écrit magnifiquement sur ce sujet le cardinal Hosius au livre 4 contre le prolégomène de Brentius, Pierre a solo dans sa défense contre le même Brentius, par 2 a, chap 50 à 66. Melchior Cano dans le livre 3 de ses lieux théologiques, Martin Peresius au début de son œuvre sur la tradition, Jodocus Tiletanus dans son apologie pour le concile de Trente contre Kemnitius, Alphonse a Castro dans le livre 1, chap 5 de son œuvre contre les hérétiques, l’Évêque Roffensis au début de son œuvre contre des articles de Luther, les docteurs de Cologne dans leur examen du catéchisme de Monhem, au reproche 6 du dialogue, Pierre Canisius dans son catéchisme sur les préceptes de l’Église, Guillaume Lindanus dans le livre 5 de sa panoplie, Jean de Louvain dans son livre de l’invocation des saints, chap 23, 24, 25, Félix Ninguarda, dans son livre sur la foi catholique, Gaspar Gardileus Villapandeus, dans le livre de la tradition.



Parmi les hérétiques qui ont surtout écrit contre les traditions, on trouve Jean Calvin, livre 4 de son institution, chap 8, versets 6, 7,8, et chapitre 10, versets 18, 19, 20. Et dans son antidote à la session 4 du concile de Trente, Jean Brentius dans ses prolégomènes contre Pierre a Solo, Martin Kemnitius dans son livre des principaux chapitres de la théologie jésuite, et longuement, dans son examen du concile de Trente, examinant le décret des traditions de la session 4, et un certain Harmann Harmelmannus, qui vient tout juste d’éditer un volume énorme contre les traditions, qu’il divise en trois livres, comprenant chacun trois parties.



CHAPITRE 2 : Qu’est-ce que la tradition, et combien y en a-t-il ?

Par le mot tradition, on entend généralement toute doctrine écrite ou non écrite qui a été communiquée à quelqu’un. Exode 17 « Écris cela dans un livre pour assurer sa permanence, et communique-le verbalement à Josué ». Dans les Actes des apôtres, 6, on appelle la loi écrite de Moïse une tradition : « Nous l’avons entendu dire qu’il détruirait ce lieu, et qu’il changerait les traditions que nous a léguées Moïse ». Dans l’épître 1 aux Corinthiens : « J’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis ». On appelle tradition la doctrine présentée de vive voix : « Gardez les traditions, que vous avez apprises soit par la parole, soir par l’écrit. ».

 

Le mot tradition ayant, en lui-même, un sens général, les théologiens en ont restreint le sens, pour ne lui faire signifier que la doctrine non écrite. Saint Irénée au livre 3, chap 2 : « Et ils finirent par ne reconnaître ni les Écritures ni la tradition ». Tertullien dans la couronne du soldat, chap 4 : « Si tu t’attends à trouver une loi, tu n’en trouveras aucune dans l’Écriture. C’est la tradition qui te procurera une aide ». Saint Cyprien, livre 2, épitre 3 : « Sache qu’on nous a enseigné de conserver la tradition dominicale en offrant le calice, c’est-à-dire que le calice offert en mémorial soit rempli de vin mélangé à de l’eau ». C’est faussement que Kemnitius attribue cet usage à la tradition écrite. Car jamais, dans tout l’évangile et dans toutes les épitres, on ne trouve par écrit que le vin, offert dans le calice, doive être mélangé à de l’eau. De la même façon, presque tous les anciens emploient le mot tradition au sens de doctrine non écrite. Et c’est ainsi que nous employons le mot.



On appelle une doctrine non écrite, non celle qui n’a jamais été écrite, mais celle qui n’a pas été écrite par l’écrivain originel, comme par exemple le baptême des enfants. L’obligation de baptiser les enfants porte le nom de tradition apostolique non écrite, car on ne la trouve dans aucun écrit du nouveau testament, même si elle apparaît dans les livres de presque tous les anciens pères.



On divise la tradition en deux catégories. La première est celle que l’on puise chez les auteurs des traditions; la deuxième se rapporte à la matière. La première se divise en traditions divines, apostoliques, et ecclésiastiques. On appelle divines celles qui ont été reçues du Christ lui-même enseignant aux apôtres, et qu’on ne trouve pas dans les lettres divines. Comme par exemple, la matière et la forme des sacrements. Nous avons bien peu de choses là-dessus dans les Écritures saintes, et il est pourtant certain que l’essence des sacrements n’a pu être instituée que par le Christ. C’est pour cela que l’apôtre dit aux Corinthiens 1, 12, en parlant du sacrement de l’eucharistie : « Car j’ai moi-même reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis ».



On appelle traditions apostoliques celles qui ont été instituées par les apôtres, non sans l’assistance du Saint-Esprit, mais qui ne figurent pas dans leurs écrits, comme le jeûne quadragésimal et celui des quatre-temps, et d’autres choses dont nous parlerons plus loin. Et on a coutume d’appeler apostoliques les traditions divines, et divines les traditions apostoliques. On dit que les traditions divines sont apostoliques, non parce qu’elles ont été instituées par les apôtres, mais parce que c’est par eux qu’elles ont été d’abord transmises à l’église, et que c’est du Christ qu’ils les avaient reçues. On dit que les traditions apostoliques sont divines, non parce qu’elles ont été instituées directement par Dieu, mais parce que ce n’est pas sans l’Esprit de Dieu que les apôtres les ont instituées. On dit de même que toutes les épitres des apôtres sont des écrits divins et apostoliques, même s’il y a en elles des préceptes qui sont divins et d’autres qui ne sont qu’apostoliques. Comme le montre clairement la première épitre aux Corinthiens, 7 : « Ce n’est pas moi qui prescris cela, mais le Seigneur ». Et, plus loin : « Je dis cela, moi, non le Seigneur ».



Les traditions ecclésiastiques au sens propre sont des coutumes anciennes, commencées par les évêques ou le peuple, qui obtinrent peu à peu force de loi par le consentement tacite des peuples. Si les traditions divines ont la même force que les préceptes divins ou la doctrine divine écrite dans les évangiles, les traditions apostoliques non écrites ont, elles aussi, la même force que les traditions apostoliques écrites, comme l’affirme le concile de Trente à la session 4. La raison en est claire : car ce n’est pas parce qu’elle est écrite sur des parchemins que la parole de Dieu est divine ou qu’elle a de l’autorité, mais parce qu’elle a été prononcée par Dieu immédiatement, comme dans les sermons du Seigneur, ou par le moyen des apôtres, comme le décret du premier concile de Jérusalem (actes des apôtres, 15). Les hérétiques ne nient pas cela, et ils ne peuvent pas, non plus, le nier, car, comme nous le dirons plus haut, la question ne porte pas sur la force que possède la tradition divine ou apostolique, mais sur son existence.



Les traditions ecclésiastiques ont la même force que les décrets et les constitutions écrites de l’Église. Car, même dans les sociétés civiles, les coutumes approuvées et les lois écrites ont la même force, comme le montrent les canons « coutume », et « durable » du code de loi.



L’autre division des traditions se fait selon la matière : les traditions de foi ou de mœurs. Ces traditions sont perpétuelles, ou temporaires, universelles ou particulières, nécessaires ou libres. C’est une tradition de foi, par exemple, que la sainte Vierge ait toujours été vierge, qu’il n’y ait que quatre évangiles. C’est une tradition de mœurs, par exemple, de se signer le front du signe de croix, de jeûner à certains jours, de célébrer certaines fêtes.



La tradition perpétuelle est celle qui a été instituée pour être observée jusqu’à la consommation du monde, comme dans les exemples donnés. La temporaire est celle qui a été instituée pour un certain temps, comme l’observance légale de certaines cérémonies qui devait se faire jusqu’à la pleine promulgation de l’évangile, pour que l’Église se compose plus facilement de Juifs et de Gentils.



Une tradition universelle est celle qui doit être conservée par toute l’Église. comme la fête de Pâque, de la pentecôte, et de grandes fêtes semblables, comme l’enseigne saint Augustin dans la lettre 118. Une tradition particulière est celle qui s’adresse à une ou plusieurs Églises, comme le jeûne du samedi, au temps de saint Augustin, que saint Pierre avait transmis à l’église de Rome et à quelques autres, comme le rappelle saint Augustin dans sa lettre 86 à Casulanum.



La tradition nécessaire est celle qui est transmise sous la forme d’un précepte, comme la célébration de Pâque le dimanche après le quatorzième jour de la lune de mars. La libre est celle qui est transmise sous la forme d’un conseil, comme l’aspersion de l’eau lustrale, et autres choses semblables.



CHAPITRE 3 : Présentation de l’état de la question, et réfutation de certains mensonges des adversaires.



La controverse entre nous et les hérétiques consiste en deux choses. La première. Nous affirmons que, dans les Écritures, n’est pas expressément contenue toute la doctrine de la foi et des mœurs nécessaire au salut; que la parole écrite a besoin de la parole non écrite, c’est-à-dire des traditions apostoliques et divines. Mais eux enseignent que dans les Écritures est contenu tout ce qui est nécessaire tant pour la doctrine que pour les moeurs, et qu’on n’a donc aucun besoin de parole non écrite. Voici ce que dit là-dessus Luther dans son commentaire de l’épitre aux Galates, chap 1 : « Aucune autre doctrine ne doit être transmise ou écoutée dans l’Église que la pure parole de Dieu, c’est-à-dire la sainte Écriture. Les autres docteurs ou les autres auditeurs sont anathèmes avec leurs doctrines. » Jean Brentius dans sa préface au chapitre de la tradition : « L’apôtre explique clairement qu’aucune tradition contraire aux témoignages de l’Écriture, ou en marge d’elle, ne doit être acceptée comme un dogme nécessaire au salut. » Jean Calvin dans le livre 4 de son institution, chapitre 8, verset 8 : « Que ceci soit donc un ferme axiome. Il ne doit pas y avoir d’autre parole de Dieu qui soit permise dans l’Église que ce qui est contenu dans la loi, les prophètes et les écrits apostoliques ». Martin Kemnitius dans son examen de la session 4 du concile de Trente, répète plusieurs fois que l’état de la question consiste en ceci : les Écritures contiennent-elles tous les dogmes nécessaires au salut ? Il dit oui, et nous disons non.



La deuxième chose. Ils reconnaissent que, en plus de l’Écriture, les apôtres ont institué certaines choses qui se rapportent aux rites et à l’ordre à garder dans les cérémonies. Mais ces choses ne sont pour eux ni nécessaires, ni des préceptes, mais facultatives. Les apôtres, disent-il, n’ont rien transmis, à part l’Écriture, qui appartienne nécessairement à la foi ou aux mœurs. Kemnitius enseigne cela clairement, quand il parle de la septième sorte de tradition, et Calvin dans le livre 4 de ses institutions, chap 10,verset 20. Nous reconnaissons, nous, toutes sortes de traditions apostoliques, comme nous l’avons dit plus haut.



Nous pensons différemment d’eux, troisièmement en ce qu’ils enseignent que les traditions apostoliques, si elles ont jamais existées, n’existent plus aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il est impossible de prouver que telle chose soit une tradition apostolique. Voici ce que dit Kemnitius au même endroit : « Par aucun document certain et authentique, qui ne fait pas partie des Écritures, ne peut être démontré quels sont les rites transmis par les apôtres. » Nous, au contraire, nous déclarons que ne font pas défaut les voies véritables et rationnelles par lesquelles les traditions apostoliques nous sont démontrées.



Mais maintenant, avant d’en venir à la preuve, je dirai quelques mots, comme à mon accoutumée, sur leurs contradictions et leurs mensonges. Brentius et Kemnitius, aux lieux cités, disent ouvertement qu’on ne peut rien mettre sur un pied d’égalité avec les Écritures. Brentius dit ceci : « Ne se contentant pas des Écritures divinement recommandées et confirmées, les papistes disent étourdiment que les apôtres ont transmis, par la parole, plusieurs choses qui n’ont pas une autorité inférieure à celle des paroles écrites. » Et Kemnitius : « C’est la marque d’une grande insolence de comparer quoi que ce soit avec la majesté et à l’autorité de l’Écriture canonique ».



Ils reconnaissent pourtant eux-mêmes que les apôtres ont transmis d’autre chose, en plus des Écritures. C’est ce que reconnait Brentius : « On ne doit et on ne peut nier que le Christ ait dit et fait beaucoup de choses, que les apôtres aient transmis et institué beaucoup de choses qui ne sont pas contenues dans leurs écrits. » Kemnitius : « Que les apôtres aient établi certains rites, et qu’ils les aient transmis aux Églises, cela découle clairement de leurs écrits, et il est vraisemblable que d’autres rites qui ne sont pas rapportés dans l’Écriture aient été transmis par les apôtres ». Si l’autorité de l’apôtre qui prescrit de vive voix n’est pas plus faible que celui qui donne des préceptes par écrit, il n’y a certainement pas d’audace à mettre sur le même pied le non écrit avec l’écrit.



Dégonflons d’abord les mensonges. Calvin, Brentius et Kemnitius ne se lassent pas de répéter que, sans examen, nous voulons faire de tout rite ecclésiastique une tradition apostolique. Voici ce que dit Calvin dans son livre des institutions, chap 10. verset 19 : « Les maîtres de Rome veulent inculquer l’idée qu’il n’y a, chez eux, aucune cérémonie qui ne soit apostolique ». Cela, nous ne le disons pas. Nous ne recevons, au contraire, comme apostoliques que celles dont on peut, par de sûrs témoignages, démontrer l’apostolicité. Ils ont aussi l’habitude d’insinuer que, comme ils ne défendent, eux, que les Écritures, nous ne défendons, nous, que les traditions; et que nous n’avons cure de nous demander si ces traditions sont, oui ou non, conformes à l’Écriture. Mais, il n’est est pas ainsi. Car nous nous soucions plus qu’eux des Écritures, et nous n’admettons aucune tradition contraire à l’Écriture.



Il vaut la peine de rapporter un par un les mensonges de Kemnitius. Dans son examen de la session 4 du concile de Trente, pp 68, 69, édité en 1566, il dit que nous enseignons que Dieu a décrété que la doctrine du Christ et des apôtres ne soit pas écrite dans des livres, mais qu’elle ne soit transmise que de vive voix. Et il déclare ensuite, à la page 185, que les apôtres ont reçu le mandat d’écrire. Mais l’une et l’autre affirmations sont des mensonges; et la vérité est dans le milieu. Car, jamais aucun catholique n’a enseigné que le nouveau testament ne devait pas être écrit. Que Kemnitius cite donc un auteur qui enseigne que les Évangélistes et les apôtres ont péché gravement en écrivant. Ce que nous disons c’est que l’évangile devait d’abord et avant tout être écrit dans le cœur, mais qu’il était nécessaire aussi qu’il soit écrit dans des livres.



Il est faux aussi que Dieu ait ordonné aux apôtres d’écrire. Nous lisons, dans Matthieu, à la fin, un commandement de prêcher l’évangile; mais de l’écrire, jamais. Ainsi, Dieu n’a demandé expressément ni qu’on écrive, ni qu’on n’écrive pas. Nous ne nions pas, pour autant, que c’est selon la volonté de Dieu et sous l’inspiration de Dieu que les disciples ont écrit ce qu’ils ont écrit. Car c’est une chose de présenter un Dieu qui suggère et qui inspire, et un Dieu qui ordonne. C’est de cette façon qu’il faut comprendre ce que dit saint Augustin au livre 1 du consensus évangélique : « Tout ce qu’il a voulu que nous lisions au sujet de ses actions et de ses paroles, il a ordonné que ce soit raconté par eux, comme avec ses mains à lui ». Il parle du commandement interne par lequel le Christ, en tant que tête de ses membres, incite invisiblement à des actions diverses. Ce commandement il faut le voir comme une suggestion ou une inspiration, plutôt que comme un ordre proprement dit.



Ne nous réfute pas ce que nous rencontrons souvent dans l’apocalypse : « Écris ce que tu vois ». Car ce qu’on ordonne à saint Jean d’écrire ce sont des visions mystérieuses, et non la doctrine évangélique ou les préceptes moraux, dont nous parlons maintenant.



Kemnitius dit ensuite à la fin de sa dispute sur la tradition, page 420 : « Enfin, cette observation aidera grandement le lecteur, à savoir que les pontifes romains ne craignent pas de référer à des traditions apostoliques beaucoup de choses qui ont été instituées et établies après, comme on peut le démontrer par les écrits des pontifes eux-mêmes ». Il prouve cette assertion par onze exemples dont tous sont entachés de mensonge. Le premier. Il dit que le pape Innocent 111 aurait écrit dans le chapitre 3 sur le culte de Marthe, dans son chapitre sur la célébration de la messe : « Lors de la consécration du calice, le Seigneur a dit plus de paroles que celles qui sont rapportées dans l’évangile. Mais, celles que nous avons, nous les avons de la tradition apostolique ». Et Kemnitius ajoute que les écrivains pontificaux ont indiqué en note à quels pontifes romains ces paroles étaient redevables. Mensonge. Car, s’il est vrai que les écrivains catholiques ont mis en note, dans le reste du canon, les noms des papes qui ont fait des ajouts, rien n’a jamais été ajouté aux paroles de la consécration. Il n’est donc pas possible de trouver en faute le pape Innocent 111 sur ce sujet.



Le second mensonge. « Tout le canon de la messe provient de la tradition apostolique. Si quelqu’un ose en douter, il sera anathème ». Dans le canon, on fait la commémoration de beaucoup de saints, dont certains ont vécu 200 ans après les apôtres. Qui donc pourrait douter que ce n’est pas tout le canon qui soit de tradition apostolique. Que Kemnitius nous montre où il a lu ce qu’il affirme avec tant d’audace. Nous ne disons pas que tout le canon est d’origine apostolique, mais sa partie la plus importante. Les pontifes romains, par la suite, y ajoutèrent des compléments.



Le troisième mensonge. « C’est le pape Alexandre qui a statué qu’on mêle de l’eau au vin dans la célébration de l’eucharistie. Il a également institué l’eau bénite et le sel béni. Il est donc faux de faire remonter ces rites aux apôtres ». Mensonge. Écoute les paroles du pape Alexandre dans l’épitre 1 : « Après avoir rejeté toutes les opinions superstitieuses, que l’on n’offre, dans le sacrifice, que du pain et du vin mêlé d’eau. Car il ne faut pas (comme nous l’avons appris de nos pères et comme la raison le demande) offrir dans le calice du Seigneur du vin seul ou de l’eau seule ». Saint Cyprien a donc raison de dire (livre 2, chap 3) qu’il s’agit là d’une tradition divine. Le pape Alexandre indique assez clairement que cet usage n’a pas commencé avec lui, mais qu’il l’a reçu des Pères. Il ne dit pas non plus qu’il a été le premier à confectionner de l’eau bénite, mais le premier à avoir ordonné qu’on le fasse, tout en indiquant qu’il agissait ainsi pour se conformer à une ancienne coutume. Car, voici ce qu’il dit : « Nous bénissons le peuple avec de l’eau aspergée de sel ». C’est donc avec raison que l’eau bénite est appelée une tradition apostolique par saint Clément livre 8 constitution apostolique, chap 35, et par saint Basile dans son livre sur le saint Esprit.



Le quatrième. « C’est le pape Télesphore qui a institué le jeûne quadragésimal ». Mensonge. Car, dans son épitre, le pape Télesphore ne dit pas qu’il a institué le carême, mais seulement que les clercs ajoutent trois jours au jeûne coutumier de tous les fidèles, c’est-à-dire qu’ils commencent à s’abstenir de la viande à la quinquagésime : « Apprenez qu’il a été statué par nous et par tous les évêques réunis dans de ce siège saint et apostolique, que, avant le saint jour de Pâques, tous les clercs doivent jeûner pendant sept semaines.» A ces paroles correspond manifestement ce que saint Jérôme, dans sa lettre à Marcella, dit pour réfuter les erreurs de Montan : « le carême a été institué par les apôtres sous forme de tradition non écrite ».



Cinquième mensonge. « C’est le pape Hygin qui institua le saint chrême ». Mensonge sans aucun fondement. Car, on ne trouve rien qui se rapporte au saint chrême dans les épitres d’Hygin. On ne trouve pas non plus de décret de cette sorte chez les autres papes; rien en dehors de ce que rapporte Gratien au sujet de la consécration, au canon du catéchisme. On y voit là un décret du pape Hygin où il est dit qu’une seule et même personne peut recevoir un baptisé et un confirmé, c’est-à-dire un seul et même parrain, bien qu’il soit préférable qu’ils soient différents. C’est donc avec raison que le pape Fabien a dit dans son épitre 2 « qu’il fallait renouveler le saint chrême à chaque année, et que c’est ainsi que les apôtres l’avaient établi ».



Le sixième mensonge. « C’est le pape Calixte qui a institué le jeûne des quatre temps. Il est donc faux que ce jeûne soit de tradition apostolique ». C’est un mensonge que le pape Calixte ait institué tous les jeûnes des quatre temps. Car lui-même dans sa première épitre, dit qu’il n’a fait qu’ajouter un jeûne aux trois qui existaient avant. L’affirmation du pape saint Léon (sermon 2) voulant que ces jeûnes soient d’origine apostolique n’entre donc pas en contradiction avec le décret de Callixte.



Le septième mensonge. « C’est le pape Sylvestre qui a inventé la confirmation des enfants ». Mensonge impudent. On ne trouve rien de tel qui ait été écrit pas le pape Sylvestre. Mais on possède des décrets de pontifes romains bien antérieurs au pape Sylvestre sur le catéchisme (canon 4 sur le catéchisme, et le canon non plures, etc.) où il n’est pas question de l’institution des sacrements, mais de rites pour leur administration. Le huitième mensonge. « Le pape Félix institua la consécration des autels ». Cela aussi est un mensonge. Car il est démontré que c’est le pape Sylvestre qui fut l’auteur du rite qui se rapporte à l’autel de pierre et à sa consécration solennelle. Car, avant le pape Sylvestre, comme l’écrit Denys l’aréopagite dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique, chap 5, page 1, les autels devaient déjà être oints d’huile et consacrées par l’évêque. Il semble que Kemnitius ait été lancé sur une fausse piste par l’épitre 1 du pape Félix dans laquelle beaucoup de choses sont décrites sur la consécration des autels. Mais on ne parle là d’aucune institution nouvelle. On ne fait qu’expliquer d’anciens rites.



Le neuvième mensonge. « C’est le pape Félix 1V qui a statué que les infirmes soient oints avant leur mort ». Mensonge solennel. Car les apôtres (Marc 6) oignaient les malades avec de l’huile. Et saint Jacques a ordonné aux presbytres d’oindre les malades avec de l’huile. De plus, le pape Innocent 1, qui a vécu cent ans avant Félix 1V, dit dans sa première épitre chap 8, que l’onction des infirmes est un sacrement de l’Église. Dixième mensonge. « C’est le pape Syricius qui a ajouté la mémoire et l’invocation des saints à la messe ». Cela aussi est un mensonge. Car saint Cyrille de Jérusalem, qui est plus ancien que le pape Syricius, dit dans sa catéchèse 5 : « Quand nous offrons ce sacrifice, nous faisons mention de ceux qui se sont endormis avant nous, des patriarches, des prophètes, des apôtres, pout que, grâce à leurs prières, Dieu reçoive les nôtres ». On trouve la même chose dans la liturgie de saint Basile, qui a vécu avant le pape Syricius. Nous y voyons faire une mémoire et une invocation des saints.



Le onzième mensonge. « Le pape Pélage ajouta des messes anniversaires en mémoire des morts ». Cela aussi est un mensonge. Car Tertullien qui a vécu bien avant le pape Pélage nous rappelle, dans son livre sur la monogamie, que l’anniversaire de l’oblation pour les morts remonte à la tradition apostolique.



À ceux-là nous ajoutons un douzième mensonge de Kemnitius, tiré du livre qu’il a intitulé : principaux chapitres de la théologie des jésuites : « Tu noteras, en ce lieu, cher lecteur, la différence que font les Jésuites entre les traditions des apôtres écrites, et entre celles qu’ils inventent eux-mêmes sous le nom des apôtres. Ils disent que celles qui sont écrites sont facultatives, mais que celles qu’ils inventent eux-mêmes obligent sous peine de mort. » Ce mensonge insigne Kemnitius est allé le puiser dans le livre que des gens de Cologne ont écrit contre le catéchisme de Monhémi : « Pour les catholiques, le « j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis » ne signifie pas ce que je vous ai « prescrit », mais ce que je vous ai « enseigné ». Ils ont déduit de ce mot que les laïcs ne sont pas obligés de boire au calice. » Mais si ce « que je vous ai transmis » ne signifie pas « enseigné », mais « prescrit, quel est donc son sens, je vous le demande ? Que veut-il dire ? Je vous ai « prescrit » que, la nuit où il a été trahi, il a pris du pain etc ? N’est-ce pas là le récit d’une histoire plutôt que l’institution d’une loi ? Non, les Jésuites ne disent pas que les traditions écrites n’obligent pas, mais qu’elles obligent de différentes façons. Quand la tradition porte sur une doctrine de foi ou sur un fait accompli, il y a une obligation qui se rapporte à la foi et non aux mœurs, comme la tradition de la mort du Christ. Quand la tradition prescrit des préceptes moraux, l’obligation porte sur les actions à faire. La même chose vaut pour la tradition non écrite.



CHAPITRE 4 : On démontre la nécessité de la tradition



Pour établir cette preuve, nous nous efforcerons de démontrer trois choses. D’abord, que les Écritures sans la tradition n’étaient pas absolument nécessaires, ni suffisantes. Ensuite, que les traditions apostoliques ne portent pas seulement sur les mœurs, mais aussi sur la foi. Enfin, quelle voie faut-il parcourir pour pouvoir être certains de posséder les vraies traditions ?



Je prouve le premier point par les différents âges de l’Église. Car, d’Adam jusqu’à Moïse, il y a eu une certaine Église de Dieu dans le monde. Les hommes, en effet, adoraient Dieu avec la foi, l’espérance, la charité, et des rites externes, comme la Genèse nous le montre dans les personnes d’Adam, d’Abel, de Seth, d’Enoch, de Noé, d’Abraham, de Melchisédech, et d’autres hommes justes. Saint Augustin au livre 11 de la cité de Dieu, et dans les livres suivants, décrit, à partir de ces textes, une cité de Dieu qui s’étend du début du monde jusqu’à la fin. Or, il est évident qu’avant Moïse, il n’y eut aucune écriture divine; que tous reconnaissent Moïse comme le premier auteur sacré; que dans la Bible on ne fait pas mention d’une doctrine écrite, mais transmise. « Je sais, dit Dieu (Genèse 18) qu’Abraham enseignera à ses fils et à ses descendants après lui, à garder la voie du Seigneur ». Pendant donc deux mille ans, la religion a été conservée par la seule tradition. L’Écriture n’est donc pas absolument nécessaire. Car, comme la religion antique a pu se conserver sans écriture pendant deux mille ans, la doctrine du Christ aurait pu se conserver pendant quinze cents ans sans écriture. Ensuite, de Moïse au Christ, des Écritures ont existées, mais pour les seuls Juifs; et les autres peuples, dans lesquels se trouvaient des adorateurs qui possédaient la vraie religion et la vraie foi, ne faisaient usage que de la tradition non écrite.



Car, qu’en plus des Juifs, plusieurs appartenaient à l’Église, Job et ses amis nous le laissent entendre. Saint Augustin affirme constamment (dans le livre 2 du péché originel, chap 24, dans le livre 1, chap 18 de la prédestination des saints, dans la cité de Dieu 47) que cela valait même pour le peuple de Dieu, car, même s’il possédait l’Écriture, les Juifs se servaient plus de la tradition que de l’Écriture, comme on peut le déduire de l’Exode : « Tu raconteras à ton fils en ce jour-là, tu lui diras : voici ce qu’a fait le Seigneur ton Dieu ». Et du Deutéronome : « Interroge ton père, et il te l’annoncera, et les anciens te le diront ». Job 8 : « Interroge la génération primitive, et recherche diligemment les souvenirs de tes pères ». Les Juges, 6 : « Où sont les merveilles qu’ont racontées nos pères ? ». Psaume 43 : « Dieu, nous l’avons entendu de nos oreilles, nos pères nous ont annoncé l’œuvre que tu as opérée ». Psaume 77 : « Combien de choses n’a-t-il pas prescrites aux pères d’apprendre à leurs fils, pour que le sache l’autre génération; pour que les fils qui naissent se lèvent et racontent cela à leurs fils ». Eccles. 8 : « Que ne s’éloigne pas de toi le récit des anciens, car c’est de leurs pères qu’ils ont appris, eux. » Et pourtant, l’Ecclésiastique fut un des derniers écrits de l’ancien testament.



La raison pour laquelle les Juifs utilisèrent plus la tradition que l’Écriture semble être la suivante. Jusqu’aux temps d’Esdras, les Écritures n’étaient pas rédigées sous la forme de livres qu’on pouvait facilement et commodément consulter ou posséder; mais elles étaient réparties en diverses annales et chartes. Et pendant une longue période de temps, à cause de la négligence des prêtres, elles étaient pratiquement introuvables. C’est ce qu’on peut déduire du livre des rois, 22. où l’on raconte comme quelque chose de nouveau, qu’aux temps du roi Josias, un volume de la loi du Seigneur ait été trouvé dans le temple. Après la captivité, Esdras a colligé toutes ces annales et toutes ces chartes, et les a réunies toutes en un seul volume, ajoutant à la fin du Deutéronome, pour compléter le récit, le dernier chapitre de la vie de Moïse, ainsi que d’autres choses. Voir à ce sujet Théodoret dans sa préface du psaume Bedam au chap 9, livre 1 d’Esdras, et Pierre Antoine Beuter, dans son annotation 9 de la sainte Écriture.



De plus, même après l’avènement du Christ, l’Église demeura pendant plusieurs années, sans Écritures. Et cela est tellement vrai que saint Irénée écrivait, qu’encore en son temps, il y avait des peuplades chrétiennes qui, sans l’Écriture, vivaient dévotement avec les seules traditions. Il appert donc de tout cela que les Écritures ne sont pas absolument nécessaires. Saint Jean Chrysostome enseigne dans son homélie 1 sur Matthieu que les Écritures n’ont pas été nécessaires aux patriarches et aux apôtres, mais que, à cause de la corruption des hommes, elles sont pour nous nécessaires. Il ne prend pas le mot nécessaire au sens strict, mais au sens de mieux être et d’utilité. Car, même au temps des patriarches et des apôtres, il y a eu beaucoup de méchants.



Que les Écritures ne contiennent pas tout, et qu’elles ne suffisent pas sans la tradition, je le prouve, d’abord, comme suit. Ou tout le canon des Écritures au complet est suffisant, ou chacun des livres est par lui-même suffisant. Kemnitius ne peut pas dire que chacun des livres est par lui-même suffisant, car serait faux ce qu’il a dit lui-même, à savoir que l’Église s’est servi de la tradition jusqu’à ce que soit complet le canon entier des Écritures. En effet, nous constatons que les Évangélistes pris isolément ne rapportent pas tout. Car, Jean ne dit rien de l’annonciation, de la nativité, de la circoncision, de l’épiphanie du Seigneur, et de beaucoup d’autres choses. De plus, si un livre contient suffisamment tout, quel besoin avons-nous de tant de livres ? Et pourtant, ils disent ouvertement que tout le canon est nécessaire pour avoir la doctrine suffisante au salut. On ne peut même pas affirmer que cela soit vrai, car beaucoup de livres vraiment sacrés et canoniques ont péri. Nous n’avons donc pas eu de doctrine suffisante au salut pendant quinze cents ans, si tout se trouve dans les Écritures. Saint Jean Chrysostome n’enseigne-t-il pas que beaucoup de livres de l’ancien testament ont péri, dans son homélie sur saint Matthieu, sur les mots : il sera appelé nazaréen : « Il est possible de prouver par l’histoire des paralipomènes, que beaucoup de monuments prophétiques ont péri…Certains ont péri par la négligence, d’autres ont été incendiés, d’autres détruits ». Il enseigne la même chose dans la première épitre aux Corinthiens, et on ne peut pas lui répondre que tout ce qui a été perdu a été recouvré par Esdras. Car ce que veut prouver saint Jean Chrysostome c’est que nous n’avons pas aujourd’hui tous les oracles des prophètes; et il le prouve cela, en disant que les Juifs en ont perdu beaucoup.



De plus, Esdras ne recouvra pas les livres perdus, mais il amenda et réunit en un seul volume ceux qui existaient encore. Parlalip, fin : « Les actions de David, les premières et les dernières, ont été écrites dans le livre de Samuel le voyant, et dans le livre de Nathan le prophète, et dans le volume de Gad le voyant ». Et dans 2 paralip 9 : « Les autres œuvres de Salomon ont été écrites dans les paroles de Nathan le prophète, et dans les livres d’Ajax Silonitis, et dans la vision du voyant Addo. » Et dans le livre e des rois, 4 : « Salomon a raconté trois mille paraboles, et a composé cinq mille chants. ». Où sont toutes ces choses ? Du nouveau testament, a probablement été perdue l’épitre aux Laodiciens, dont l’apôtre fait mention lui-même à la fin de l’épitre aux Colossiens. Et, sans doute, une autre aux Corinthiens, dont il semble parler à 1 Cor 5 : « Je vous ai éc dans une lettre ». Et il a pu arriver aussi qu’une autre périsse. Que les hérétiques voient comment ils suppléeront à cette grande lacune !



On le prouve, en deuxième lieu, par la grande différence qu’il y a entre la prédication des apôtres et leurs écrits. Car, si le Christ et les apôtres s’étaient proposés de confier la parole de Dieu à un texte écrit, le Christ aurait, dès le début, proclamé ouvertement une chose d’une si grande importance; et les apôtres auraient témoigné que c’était par un commandement du Seigneur qu’ils avaient écrit tout ce qu’ils avaient écrit. Mais cela, nous ne le lisons jamais. Ensuite, pour prêcher de vive voix la parole de Dieu, les apôtres n’attendirent pas qu’une occasion leur soit offerte, ou une nécessité, ils y allèrent d’eux-mêmes spontanément. Mais ils n’appliquèrent leur esprit à l’écriture que quand ils furent forcés de le faire.



Eusèbe dans le livre 3, chap 24 de l’histoire de l’église, ou au chapitre 18 dans l’autre édition, nous rapporte l’occasion qui poussa saint Matthieu à écrire son évangile. Après avoir prêché aux Hébreux, et comme il se préparait à aller vers les Gentils, il jugea utile de laisser à ceux qu’il abandonnait corporellement, un mémorial de sa doctrine et de sa prédication. Le même Eusèbe (histoire de l’Église, livre 2, chap 25) nous raconte que ce n’était ni spontanément, ni sur un ordre de Pierre, dont il était disciple, que Marc écrivit son évangile, mais comme forcé par les prières des romains. Eusèbe de Césarée raconte aussi, au livre 3, chap 24 de son histoire universelle, que la seule raison pour laquelle saint Luc a écrit son évangile, c’est qu’il en voyait plusieurs présumer témérairement de mettre par écrit des choses qu’ils ne connaissaient pas très bien, et qu’il a voulu nous immuniser contre leurs récits approximatifs.



Le même Eusèbe de Césarée écrit que saint Jean a prêché, sans Écritures, jusqu’à son extrême vieillesse; et saint Jérôme ajoute qu’il n’a écrit son évangile qu’à cause de l’hérésie naissante des Ébionites, à la demande expresse des évêques d’Asie. S’il n’y avait pas eu d’hérésie ébionite, nous n’aurions donc probablement pas l’évangile de saint Jean; ni sans doute les autres, si les occasions précitées ne s’étaient pas présentées. Eusèbe de Césarée a donc raison de noter que, sur les douze apôtres, deux seulement ont écrit; et cela ils l’ont fait quand ils ont été provoqués par une nécessité.



Il est facile de déduire de tout ce qui précède que la première intention des apôtres n’était pas d’écrire la parole de Dieu, mais de la prêcher. De plus, s’ils avaient voulu exposer explicitement leur doctrine dans des écrits, ils auraient certainement composé un catéchisme, ou quelque chose de semblable. Mais ou ils ont écrit des histoires, comme les évangélistes, ou des lettres comme Pierre, Paul, Jude, Jean, Jacques, sans jamais faire d’exposés sur les dogmes. De plus, chaque apôtre ayant la charge d’une province, chacun aurait édité un livre sur la doctrine évangélique; ou tous ensemble, avant de disparaître, ils auraient écrit en commun un livre pour toutes les provinces N’est-ce pas ce qu’ils ont fait avec le symbole de la foi ? Ils en ont composé un, qu’ils n’ont pas écrit, mais qu’ils ont transmis de vive voix. C’est ce qu’enseignent saint Irénée, dans le livre 3, chap4, saint Jérôme dans son épitre à Pammachus contre l’erreur de Jean de Jérusalem, saint Augustin dans son livre de la foi et des œuvres, chap 9, saint Ambroise dans son épitre 89 à Syricium, saint Léon dans son épitre 13 à Pulchérie, Ruffin et Maxime dans leurs exposés du symbole.



On le prouve, en troisième lieu, par plusieurs choses qu’on ne peut ignorer, mais qui ne sont pas contenues dans l’Écriture. D’abord, aux temps de l’ancien testament, les femmes, sans aucun doute possible, avaient, comme les hommes, un remède qui les purifiait du péché originel. Et pourtant, ce n’est que pour les hommes qu’a été instituée la circoncision, selon l’opinion du grand nombre, L’Écriture ne dit pas un mot de ce qui avait été donné aux femmes. De plus, on peut difficilement croire qu’il n’y ait eu aucun remède pour les jeunes garçons qui mouraient avant le huitième jour, le seul jour où la circoncision pouvait être donnée. Mais l’Écriture n’en dit mot.



Troisièmement, plusieurs Gentils pouvaient être sauvés, et l’étaient effectivement aux temps de l’ancien testament; et ils appartenaient vraiment à l’Église, comme nous l’avons déjà dit. Et pourtant, dans l’Écriture, on ne trouve rien qui se rapporte à leur purification du péché originel et des autres péchés actuels. Quatrièmement, il est nécessaire de savoir qu’il existe des livres divins, ce qu’on ne peut savoir par les Écritures elles-mêmes. Car, même si l’Écriture affirme que les livres des prophètes et des apôtres sont divins, je ne croirai pourtant cela avec certitude que si je ne crois d’abord que l’Écriture, qui dit ces choses, est divine. Car, même dans le Coran de Mahomet, nous lisons souvent que ce coran est tombé du ciel. Mais pourtant, nous n’y croyons pas. Donc, un dogme si nécessaire, comme est celui de la divinité de l’Écriture, ne peut pas se baser sur la seule Écriture. Comme la foi se fonde sur la parole de Dieu, notre foi sera nulle si nous n’avons pas de parole de Dieu non écrite.



Cinquièmement. Cela ne suffit pas de savoir que l’Écriture est divine, il faut aussi savoir quelle est celle qui l’est, chose qu’on ne peut en aucune façon obtenir de l’Écriture. Comment pouvons-nous établir, par la seule Écriture que les évangiles de saint Luc et de saint Marc sont vrais, mais que sont faux ceux de Thomas et de Barthélémy ? La raison ne nous dit-elle pas qu’il faut donner la préférence à un livre qui porte le nom d’un apôtre plutôt qu’à celui qui porte le nom d’un non apôtre ? Et où prendrai-je que l’épitre aux Romains est de Paul, et que l’épitre aux Laodiciens n’est pas de lui, puisque l’une et l’autre affichent le nom de Paul; et puisque le Paul qui affirme avoir écrit aux Laodiciens, n’a jamais dit à aucun endroit qu’il a écrit aux Romains ? Sixièmement. Il ne suffit pas de savoir en général que ces livres sont sacrés, mais il faut croire aussi que les livres que nous avons présentement entre les mains le sont. Il ne suffit pas non plus de croire que l’Évangile de Marc est vrai, mais il faut aussi croire que cet évangile que nous lisons, aujourd’hui, sous le nom de Marc, est celui-là même qu’a écrit saint Marc, qu’il n’a été ni corrompu, ni changé. L’Écriture, à elle seule, ne peut certainement pas nous enseigner cela. Car, comment donc tirerai-je de l’Écriture que cet évangile n’est pas adventice, comme le disent les musulmans, ou corrompu comme le prétendaient autrefois les manichéens, et aujourd’hui les anabaptistes ?



A ces trois questions répond Calvin dans le livre 1 de ses institutions, chap 1, versets 1 et 2. Il dit que les Écritures sont discernables par elles-mêmes, comme la lumière des ténèbres, et le doux de l’amer. Mais c’est le contraire qui est vrai, Car, s’il en était comme le prétend Calvin, pourquoi Luther jugerait-il que la lettre de saint Jacques est factice, et Calvin qu’elle est apostolique ? Pour expliquer cette discordance, Calvin ajoute qu’il n’est pas donné à tous de voir la différence entre les deux, mais à ceux-là seuls qui possèdent l’esprit. Car, il est bien connu qu’un aveugle ne sait pas faire la différence entre la lumière et les ténèbres. Mais Calvin lui-même reconnait que les apôtres et les fidèles de l’Église primitive avaient le vrai Esprit. Et pourtant, ils jugeaient que le livre de la Sagesse était sacré, comme l’atteste saint Augustin dans son livre sur la prédestination, chap 14, tandis que Calvin qui se targue de posséder le même esprit, le juge profane.



De plus, tous les anciens enseignent d’une seule voix que ce n’est de nulle part ailleurs que de la tradition non écrite que nous savons que l’Écriture que nous avons est divine, et quels sont les livres qui sont sacrés. Comme Eusèbe, par exemple, dans son livre 6, chap 10 de l’histoire de l’Église. Sérapion a rejeté certains écrits faussement attribués à saint Pierre, car la tradition qu’on lui avait transmise lui avait appris que saint Pierre n’avait jamais écrit rien de tel. Au chapitre 11, Clément d’Alexandrie, selon la tradition léguée par les anciens, enseigne quels sont les vrais évangiles. Et au chapitre 18, Origène : « De la tradition j’ai appris que les quatre évangiles étaient les seuls… » Saint Basile dit, lui aussi, dans son livre sur le Saint Esprit, que si on néglige les traditions non écrites, l’évangile en recevra de grands dommages ». Enfin, saint Augustin dans son épitre contre le fondement, chapitre 5, dit clairement « qu’il ne croirait pas à l’évangile si l’Église ne le lui prescrivait ».



Mais Calvin insiste : « Les écrits des prophètes et des apôtres sont le fondement de l’Église. Nous ne croyons donc pas que les Écritures sont divines à cause de la tradition apostolique, car alors c’est l’Église qui serait le fondement de l’Écriture ». Je réponds que les apôtres ne disent pas que ce sont les écrits des prophètes et des apôtres qui sont le fondement de l’Église, mais les apôtres et les prophètes. Ceux-là non seulement ils ont écrit, mais ils ont transmis oralement et enseigné de vive voix qu’ils avaient écrit. C’est donc par la parole non écrite des apôtres qui nous a été transmise par l’Église, que nous croyons que les évangiles et les épitres ont été écrits par eux. Mais de cela nous avons parlé antérieurement.



Brentius, dans ses prolégomènes, ne trouvant aucune porte de sortie, admet qu’il faut recevoir cette seule et unique tradition non écrite. Kemnitius enseigne la même chose en parlant du genre de traditions dans son examen du concile de Trente. S’il en vraiment ainsi, la seule Écriture n’est donc pas suffisante, comme ils le ressassent avec tant de verve et d’aplomb. Car si elle est sevrée de la tradition non écrite, et du témoignage de l’Église, elle sera de peu de profit. De plus, si cette tradition a pu nous parvenir, pourquoi, par la même voie, les autres n’ont-elles pas pu nous parvenir. Enfin, ou cette tradition est la parole de Dieu, ou elle ne l’est pas. Si elle ne l’est pas, nous n’avons pas la foi, car la foi a pour fondement la parole de Dieu. Si elle l’est, pourquoi clament-ils toujours qu’il n’y a de parole de Dieu que celle qui est écrite ?



Septièmement. Il est nécessaire non seulement de pouvoir lire l’Écriture, mais aussi de pouvoir la comprendre. Or, l’Écriture est souvent ambigüe et obscure. Elle ne pourra donc être comprise que si l’explique quelqu’un qui ne peut pas se tromper. Elle ne suffit donc pas toute seule. Les exemples abondent : l’égalité des personnes divines, la procession du saint Esprit du Père et du Fils comme d’un seul principe, le péché originel, la descente de Jésus dans les enfers. Toutes ces choses, nous les tirons des saintes Écritures, mais péniblement, de sorte que si on ne fait que se relancer des passages de l’Écriture, on ne pourra mettre fin à aucun litige. Car, il faut noter qu’il y a deux choses dans l’Écriture : les paroles écrites, et le sens qui y est renfermé. Les paroles sont comme un fourreau, et le sens est comme le glaive de l’esprit. Les mots de l’Écriture sont en possession de tous, car quiconque a appris l’orthographe peut litre des lettres. Mais la deuxième chose, le sens, tous ne l’ont pas, et personne, sans la tradition, ne peut être certain de l’avoir. Et c’est cela, peut-être, que voulait dire saint Basile, au chapitre 27 de son livre sur le Saint Esprit : « sans traditions non écrites, l’Évangile est un pur nom, c’est-à-dire seulement des mots et des paroles dénuées de sens ».



Huitièmement, on doit croire que la sainte Mère de Dieu a toujours été vierge, comme l’Église l’a toujours cru, contrairement à l’erreur professée par Helvidius. Et pourtant, nous n’avons dans l’Écriture aucun témoignage de cette vérité de foi. Neuvièmement, nous devons croire que, dans le nouveau testament, la fête de Pâques doit être célébrée le dimanche, car l’Église considère comme hérétiques les quatuordécimes. Et pourtant, nous ne trouvons rien de cela dans l’Écriture. Dixièmement, il faut croire, ce que les luthériens et les calvinistes croient comme nous contre les anabaptistes, que le baptême des enfants est valide. Mais cela, ni les catholiques ni les luthériens ne peuvent le prouver à l’aide de la seule Écriture. Car les luthériens et les calvinistes croient, que sans la foi actuelle personnelle, le baptême ne vaut rien. Ils enseignent donc que, pendant qu’ils sont baptisés, les enfants font un acte de foi. Cela non seulement Luther l’enseigne, au chap 3 de l’épitre aux Galates, mais aussi Kemnitius dans son examen de la session 7 du concile de Trente, et c’est ce que définit le synode général des Luthériens de Witembourg. Mais cela ne peut en aucune façon être démontré par l’Écriture. Car où, je le demande, l’Écriture enseigne-t-elle que, pendant qu’ils sont baptisés, les enfants font usage de leur raison avant l’âge de raison ? Sur ce point, les anabaptistes acculent les luthériens au pied du mur, et les forcent, qu’ils le veuillent ou non, à recourir à la tradition et à la pratique de l’Église.



Onzièmement. Luther croit en l’existence du purgatoire. Car c’est ce qu’il dit dans son assert article 37 : « Je crois, cependant, qu’il y a un purgatoire; et je recommande et persuade d’y croire ». Et cependant, dans ce même article 37, il affirme qu’on peut prouver, par les saintes lettres, que le purgatoire n’existe pas. Enfin. Tous les hérétiques de notre temps croient qu’il n’y a de parole de Dieu que celle qui est écrite. Mais cela, on ne le trouve nulle part dans toute l’Écriture. Ils ont coutume d’avancer pour preuve ces paroles du Deutéronome 4 : « Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous donne, et vous ne lui en enlèverez rien ». Mais Moïse ne parle pas de la parole écrite, mais ce qu’il leur dit de vive voix. 

17 avril 2017 à 17:11

CHAPITRE 5 : On démontre par l’Écriture qu’il y a de véritables traditions



Nous avons déjà démontré que, sans les traditions, les Écritures ne sont ni nécessaires ni suffisantes. Ce que je me propose maintenant de démontrer c’est qu’il y a de vraies traditions.



Nous pouvons d’abord le déduire de ce que nous avons déjà dit. Car si l’Écriture ne contient pas tout et si la parole transmise est nécessaire, il s’ensuit forcément qu’une parole transmise existe réellement, car autrement Dieu n’aurait pas pourvu à son Église comme il se doit. On peut ensuite le prouver par les témoignages de l’Écriture. Le premier témoignage (Jean 16) : « J’ai beaucoup d’autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les recevoir maintenant ». Et dans le dernier chapitre de saint Jean : « Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites. S’il fallait les raconter toutes une par une, tous les livres du monde ne suffiraient pas ». Il est donc évident que Jésus a dit et fait beaucoup de choses qui ne sont pas écrites dans les évangiles. Car les livres que nous possédons maintenant peuvent tenir dans une seule main, tandis que saint Jean affirme que le monde entier ne pourrait pas les contenir. Ensuite, les choses que Jésus avait promis qu’il leur dirait plus tard (Jean 16), il les leur a sûrement dites après la résurrection, comme l’attestent les actes des apôtres 1 : « Pendant quarante jours leur apparaissant, et leur parlant du royaume de Dieu ». Or, des paroles et des gestes de Jésus après sa résurrection, bien peu a été écrit. Il n’est nullement croyable que les apôtres n’aient pas transmis aux églises ce qu’ils avaient vu et entendu, car ni l’envie ni l’oubli n’ont pu les empêcher d’en parler.



Il répondra : même si tout ce qu’a dit ou fait Jésus n’a pas été écrit, tout ce qui est nécessaire a quand même été écrit. Mais cela a déjà été réfuté, Car, plusieurs choses nécessaires n’ont pas été écrites, surtout l’institution des sacrements, que, pendant ces quarante jours, le Seigneur a certainement transmises à ses apôtres. Le second témoignage est de 1 Cor 11. L’Apôtre traite là de deux questions différentes, une sur la façon de prier dans l’Église, l’autre sur la façon de recevoir l’eucharistie. La première prend son départ de la tradition. « Je vous loue de ce que vous vous souveniez de moi en toutes choses, et de ce que vous gardiez les préceptes que je vous ai transmis ». Ces préceptes sur la façon de prier, nous ne les voyons écrits nulle part. Saint Jean Chrysostome et Theophylactus notent qu’en cet endroit, l’Apôtre parle de préceptes non écrits. Épiphane également, dans l’hérésie 61, saint Basile dans son livre sur le Saint Esprit, chap 29, et le pape Damase dans 2 Thess, chap 2. Ensuite, parce qu’il manquait encore quelque chose aux préceptes transmis oralement, il ajoute qu’il faut aussi observer que les hommes prient la tête découverte dans l’église, et que les femmes se voilent la tête. Et pour montrer qu’il faut attribuer beaucoup de choses à la tradition et à la coutume ecclésiale, mêmes non écrites, il conclut : « Si quelqu’un se veut contestataire, nous n’avons ce genre de coutume ni nous ni l’Église du Christ ». Il veut donc réprimer les contestataires par les traditions de l’Église.



La tradition nous amène à poser une autre question. « Car moi, dit-il, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis ». Et il conclut : « Le reste, je le règlerai quand je reviendrai ». Les règlements qu’il a établis alors, on ne les trouve nulle part écrits. Les catholiques ont raison de penser qu’il n’a pas seulement pris des mesures au sujet des choses qui se rapportaient aux rites et aux cérémonies, mais qu’il leur a transmis des enseignements plus graves comme l’ordination des ministres, le sacrifice de l’autel, la forme et la matière d’autres sacrements. Les hérétiques eux-mêmes ne peuvent pas faire la preuve du contraire.



Le troisième témoignage est tiré de l’épitre aux Thessaloniciens 2 : « Frères, tenez donc les traditions que vous avez apprises, soit par la parole, soit par notre épitre ». Kemnitius et Hermannus ont deux choses à rétorquer à cela. D’abord que l’apôtre a dit la même chose oralement et par écrit; qu’il ne fait donc pas allusion à une tradition non écrite. Mais cette prétention est ridicule. Car la particule disjonctive « ou » indique clairement qu’étaient différentes les choses qu’il a transmises oralement et par écrit. Ensuite, s’il en était vraiment ainsi, l’épitre aux Thessaloniciens devrait à elle seule contenir toute la doctrine que l’Apôtre leur avait prêchée. Car, comme nous le voyons aux chapitres 1 et 2 de l’épitre précédente, il leur avait certainement prêché tout l’évangile. Elle devrait donc contenir tout l’évangile, mais elle n’en contient pas, de toute évidence, la centième partie.



Ils répondront en deuxième lieu que l’apôtre parle ici d’un enseignement qu’il avait communiqué de vive voix et qu’il n’avait pas encore écrit, mais qui l’a été depuis, par lui ou par les apôtres. Car c’est bien ce qu’ils prétendent : l’apôtre n’a rien enseigné qui ne soit écrit à quelque part dans le nouveau testament. Brentius donne son appui à cette thèse dans ses prologomena. Mais, c’est le contraire qui est vrai, Car, d’abord, dans ce même chapitre, l’apôtre dit qu’il leur a prêché sur l’antichrist, et qu’il leur a enseigné, entre autre choses, quand il viendrait. « Vous savez maintenant ce que vous devez retenir. » Et après : « Ne vous souvenez-vous donc pas que je vous ai dit ces choses quand j’étais avec vous ? » Et pourtant, à aucun endroit on ne trouve écrit le moment où l’antéchrist viendra. Et c’est pour cela que saint Augustin (dans le livre 20, chap 10 de la cité de Dieu) dit « qu’eux ont su ce que l’apôtre leur a enseigné de vive voix . Nous ne pouvons pas le savoir, nous qui n’avons pas entendu l’apôtre ». On peut donc conclure de ce passage que n’a pas été écrit tout ce que l’apôtre a enseigné. Mais que les choses qu’il a enseignées verbalement aient été écrites après coup ou ne l’aient pas été, c’est quelque chose qui n’a pas de rapport avec notre présente argumentation. Car l’apôtre n’a pas promis qu’il écrirait, lui ou par un autre, tout ce qu’il avait enseigné oralement; il a simplement commandé de ne pas recevoir moins bien les enseignements donnés de vive voix que ceux qui sont donnés par écrit. Et c’est de cette façon que les anciens ont compris ce texte.



Saint Basile, dans son livre du Saint Esprit, chap 29 : « J’estime que c’est une chose apostolique d’adhérer même aux traditions non écrites. Je vous loue de vous vous souvenir de tous mes enseignements, et d’observer comme des traditions tout ce que je vous ai transmis ». Et : « Gardez les traditions que vous avez reçues, soit par la parole, soit par écrit. » Saint Jean Chrysostome a ceci à dire sur ce passage : « Il apparaît ici clairement qu’ils n’ont pas tout transmis par écrit, mais beaucoup même sans lettres. Ce qui a été enseigné de vive voix est aussi digne d’être cru que ce qui l’a été par écrit. » Oecumenius et Theophylactus commentent ce texte de l’Écriture de la même façon. Saint Jean Damascène (livre 4 de la foi, chap 17) : « Que les apôtres ont transmis plusieurs choses oralement, c’est ce qu’écrit saint Paul lui-même. Frères, restez fermes et conservez autant les traditions qui vous ont été communiquées par la parole que celles qui vous l’ont été par l’écrit ». C’est de cette façon que l’expose le huitième synode général, acte ultime, canon 1.



À ces cinq pères qui interprètent le passage dans notre sens, Hermannus oppose cinq autres pères (saint Jérôme, saint Ambroise, Primasiium, Théodoret, et saint Anselme) qu’il prétend être d’un avis contraire. Mais je réponds que les commentaires qui portent le nom de saint Jérôme ne sont pas de lui, mais de l’hérétique Pélage, comme l’établit clairement saint Augustin dans son livre sur le péché, les mérites et la rémission des péchés, chap 1, 5 et 12. Dans ses commentaires de l’épitre aux Romains aux chap 5, 7, 8, 9, saint Augustin affirme nettement que l’auteur en est Pélage. De plus, même Pélage n’est pas contre nous en cet endroit, où il dit seulement : « Quand on veut garder ce qui est à soi, on n’ajoute pas de choses étrangères. Elle est apostolique la tradition en vertu de laquelle sont prêchés dans tout le monde les sacrements du baptême. » En quoi cela nous est-il contraire ? Car nous admettons qu’il ne faut pas ajouter de choses supplémentaires, c’est-à-dire étrangères; qu’aux vrais dogmes apostoliques on ne peut pas ajouter les commentaires factices des pseudos apôtres. Ce qui suit apporte de l’eau dans notre moulin. Car il n’a pas dit que c’était le sacrement du baptême qui était de tradition apostolique, mais les sacrements du baptême, car il savait que pour le baptême beaucoup de choses étaient observées par l’église qui provenaient d’une tradition apostolique non écrite, comme l’exorcisme, l’insufflation, l’onction etc.



Primasius aussi plaide en notre faveur. Car il rapporte d’abord presque mot pour mot l’explication de Pélage, et il ajoute ensuite que l’apôtre ne parle pas seulement des sacrements du baptême, mais de toutes les traditions qui sont observées dans le monde entier, et qui sont reconnues, à cause de cela, comme apostoliques. Hermannus pense qu’il parle de l’évangile écrit, parce qu’il est accepté dans tout le monde. Mais il aurait du observer que beaucoup de choses non écrites sont également observées dans tout le monde, pâques, l’ascension, la pentecôte, comme l’enseigne saint Augustin dans l’épitre 118. De plus, Primasius déclare que les traditions dont parle l’apôtre, qui sont apostoliques parce qu’elles sont observées par tout le monde, sont certainement des traditions non écrites. Car celui qui est disciple de saint Augustin connait surement la règle de saint Augustin (épitre 118) : ce qui est conservé dans le monde entier, sans être écrit, est une tradition apostolique.



Saint Ambroise n’est ni pour nous, ni contre nous. Tout ce qu’il dit, en cet endroit, c’est que l’apôtre nous avertit de persévérer dans la doctrine de l’Évangile. Il ne dit pas un mot sur l’écrit ou le non écrit. Saint Anselme est plutôt pour nous. Voici comment il explique ce passage : « Gardez dans votre cœur et dans vos actions les traditions que vous avez apprises soit par notre parole quand nous vivions ensemble, soit par les lettres que je vous ai envoyées quand nous étions séparés. » En quoi ces paroles sont-elles contre nous ? Ne plaident-elles pas plutôt en notre faveur ?



J’estime enfin que Théodoret lui-même est pour nous. Voici ce qu’il dit : « Vous avez une règle de doctrine, les sermons que nous vous avons transmis, ceux que nous vous avons prêchés quand vous étiez présents, et écrits quand vous étiez absents. » Hermannus prétend que ce texte va dans son sens, car il semble indiquer que l’apôtre a écrit les mêmes choses qu’il avait prêchées. Mais cela est faux. Car les paroles de Théodoret, on peut les entendre des différents sermons de cette façon : vous avez une règle de doctrine, les sermons, ceux que nous avons prêchés, et ceux que nous avons écrits. Il semble bien que ce sens soit plus conforme à la véritable pensée de Théodoret, d’abord parce qu’il est conforme à l’interprétation de saint Jean Chtysostome, que Théodoret a coutume de suivre partout, ensuite parce que le premier sens est faux, puisqu’il est certain que ne se trouve pas, dans cette épitre, tout ce qu’il a enseigné de vive voix dans ses prédications. Demeure donc dans toute sa force notre argument tiré de ce passage de saint Paul.



Le quatrième témoignage est celui de 1 Timoth, à la fin : « O Timothée, garde la dépôt ! » Et dans 2 Timothée 1 : « Conserve les saines paroles que tu as entendues de moi. Garde le bon dépôt, par le saint Esprit qui habite en nous. » Et dans le chapitre 2 : « Toi donc, mon fils, conforte-toi dans la grâce qui est dans le Christ Jésus, et ce que tu as entendu de moi par plusieurs témoignages recommande-le aux hommes fidèles qui seront idoines, et qu’ils l’enseignent aux autres ».



Par le mot de « dépôt », on ne peut entendre ici l’Écriture, mais les trésors de doctrine, l’intelligence des dogmes divins, c’est-à-dire le sens des Écritures, des dogmes, et de toute la doctrine qu’il voulait propager par la tradition, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome et Théophylactus dans le commentaire qu’ils font de ce passage. Saint Irénée lui-même y fait allusion, livre 3, chap 4 : « Les apôtres, comme dans un riche dépositoire, remplirent l’Église de tout ce qui est vrai. » Et dans le livre 4, chap 43 : « C’est pourquoi il faut obéir aux prêtres qui sont dans l’Église, qui ont la succession apostolique, qui, avec la succession de l’épiscopat, ont reçu un charisme certain de vérité, selon le bon plaisir du Père ». Il est facile de tirer de ces textes ce que nous enseignons. Car s’il parlait de paroles écrites, il ne recommanderait pas le dépôt avec autant d’anxiété, car les Écritures il est facile de les conserver dans les bibliothèques et dans les librairies. Mais c’est dans le cœur de saint Timothée que l’apôtre veut que, par l’Esprit saint, elles soient conservées. S’il ne pensait qu’aux Écritures, il n’ajouterait pas : « Recommande ces choses aux fidèles qui seront idoines, et qu’ils les enseignent aux autres ». Il aurait plutôt dit :  Demande aux libraires de les transcrire en plusieurs exemplaires ! Il n’aurait pas dit non plus : « ce que tu as entendu de moi par plusieurs témoignages », mais ce que je t’ai écrit. Ce que l’apôtre recommande à Timothée ce ne sont pas les seules paroles, mais c’est aussi et surtout le sens, et c’est ce qu’il ordonne de transmettre à ses successeurs de main à main. Voir le commentaire de ce passage par Vincent de Lérins, contre les profanes nouveautés de paroles.



Le dernier témoignage vient des épitres 2 et 3 de saint Jean : « Ayant plusieurs choses à vous écrire, je n’ai pas voulu le faire avec un parchemin et une plume ». Ces textes nous font comprendre que beaucoup de choses ont été dites par Jean à ses disciples, et par eux à l’église universelle, qui ne sont pas écrites.



CHAPITRE 6 On montre la même chose par les témoignages donnés par les pontifes et les conciles



Aux citations de l’Écriture, ajoutons quelques témoignages des saints pontifes anciens et des concilcs. Et d’abord le pape Fabien, saint et martyr, (dans la deuxième épitre aux églises orientales, où l’on parle de la consécration, et dans la dist 3 au chapitre des lettres), après avoir enseigné qu’il fallait, à toutes les années, renouveler le saint chrême, ajoute ceci : « Ces choses-là nous les avons reçues des apôtres et de leurs successeurs, et nous commandons de les conserver ». Or, il est certain que nous ne lisons rien dans l’Écriture qui porte sur le renouvellement du saint chrême.



Saint Innocent, dans son épitre 1 à Decentium dit : «Si les prêtres du Seigneur voulaient conserver intégralement les institutions ecclésiastiques qui nous ont été transmises par les bienheureux apôtres, on ne rencontrerait aucune diversité dans les ordinations et les consécrations ». Et au chapitre trois, où il traite de traditions non écrites, il décrète que la confirmation doit être conférée aux enfants, par le seul évêque, et avec les paroles prescrites. Il ajoute que comme il s’agit de traditions apostoliques non écrites, il ne lui a pas semblé bon d’inscrire, dans cette lettre, les paroles telles quelles de la confirmation, « Je ne peux pas mettre par écrit la formule sacramentelle, de peur de faire plus que répondre à une consultation, »



Saint Léon le grand dans son sermon 6 sur le carême : « Elle est apostolique l’institution de quarante jours de jeûne ». Et dans son sermon 2 sur le jeûne, à la pentecôte : « Il ne faut pas douter, mes bien-aimés, que toute observance est une prescription divine, et que tout ce que l’Église a reçu des ancêtres en fait de dévotion, provient de la tradition apostolique et de l’enseignement de l’Esprit » Voir aussi les sermons 8 et 9 sur le jeûne, septième semaine.



Le concile très ancien et très célèbre de Nicée a condamné l’hérésie d’Arius à partir d’une doctrine non écrite, comme l’expose savamment Théodoret dans le livre 1, de son histoire, au chapitre 8. On pouvait, bien entendu, opposer à Arius des paroles de l’Écriture. Mais parce qu’Arius lui-même citait les Écritures, ils le condamnèrent par une doctrine non écrite, mais transmise de main à main par les pères qui se succédèrent les uns aux autres.



Le concile de Nicée 11, acte 6, tome 4 : « De plus, comme pour beaucoup de choses qui nous ont été transmises sans écrit, la fabrication des images dans l’Église s’est répandue grâce à la prédication des apôtres ». Et à la fin de l’acte 7 : « Si quelqu’un rejette toute tradition ecclésiastique écrite ou non écrite, qu’il soit anathème ». On retrouve la même chose dans le concile général huitième, article 8. et après le dernier article, chapitre 1. Les pères professent qu’ils conservent toutes les traditions, non seulement les apostoliques, mais les ecclésiastiques. Les luthériens ne devraient donc pas trouver étrange que le concile de Trente ait enseigné quelque chose de semblable. Il n’innovait en rien.



CHAPITRE 7 :  On prouve la même chose à l’aide des pères



S’avancent maintenant les témoignages des pères grecs et latins, qui avec une admirable unanimité enseignent cette vérité. Commençons d’abord par les Grecs. Saint Ignace, d’après Eusèbe de Césarée dans son histoire de l’église, livre 3, chap 36. exorte tous les chrétiens à s’en ternir avec ténacité aux traditions léguées par les apôtres. « Ces traditions, il affirme, par manière de prudence, les avoir laissées par écrit ». Il s’ensuit donc qu’elles n’avaient pas été écrites par les Apôtres. À ce témoignage, Hermannus n’a rien d’autre à répondre que ces écrits d’Ignace n’existent pas. Mais cela est faux, car saint Jérôme écrit dans son livre des hommes illustres, déclare que saint Ignace a écrit une épitre aux Éphésiens, une épitre aux Magnésiens, une aux Tralliniens, une aux Romains, une aux Philadelphiens, une aux Smyrnéens, et une à Polycarpe, et que ces épitres sont toutes conservées. Dans ces lettres, nous trouvons le jeûne quadragésimal, les ordres mineurs, le jour du Seigneur, et d’autres choses qui ne sont pas dans les Écritures, mais que saint Ignace a certainement apprises des apôtres.



Saint Denys l’aréopagite, au chapitre 1 de la hiérarchie ecclésiastique : « Les premiers chefs de notre fonction sacerdotale nous ont transmis des choses sublimes et super substantielles en partie par des écrits, en partie par leurs institutions non écrites. » À ces choses-là et à d’autres semblables Luther, Calvin et les autres ont coutume de répondre que ne sont pas de Denys les livres qui portent son nom. Mais ces œuvres sont citées sous le nom de Denys l’aréopagite par les conciles généraux 6, 7, et 8. Ainsi que par saint Grégoire, dans son homélie sur les cent brebis, par saint Martin 1 au concile romain, et par le pape Agathon dans son épitre à l’empereur Constantin. Ces témoignages forcent les hérétiques à reconnaître que cet auteur est fort ancien, puisqu’il a écrit avant tous ces pères. Il n’est donc pas un témoin à mépriser.



Egeseppe, d’après Eusèbe de Césarée dans son histoire ecclésiastique, livre 4, chap 8 a regroupé les traditions apostoliques dans cinq livres. Ces livres, bien entendu, n’existent plus. Ils n’en montrent pas moins que les apôtres n’ont pas tout écrit ce qu’ils ont enseigné. Saint Polycarpe, d’après Eusèbe de Césarée, livre 5, chap 14, a rapporté des paroles dites par le Seigneur, qu’il avait entendues de la bouche des apôtres et qui portaient sur ses miracles et sa doctrine. Au même endroit, on apprend que saint Irénée conservait non dans un parchemin, mais dans son cœur, ce que saint Polycarpe lui avait transmis et enseigné. Il est évident qu’il s’agit ici de traditions non écrites. Car s’il était question de textes écrits, il n’y aurait rien d’étonnant dans ce qu’on rapporte de saint Polycarpe et de saint Irénée. Car, moi aussi, je peux rapporter les paroles du Seigneur que je lis dans les évangiles; et je n’ai aucun besoin de les mettre par écrit.



Néanmoins, Kemnitius trouve de quoi répondre. Il dit qu’Eusèbe parle de traditions qu’approuvent les Écritures. Car, dit-il, tout ce que Polycarpe disait était conforme à l’enseignement des évangiles. Mais Kemnitius se trompe, car être conforme à l’Écriture est une chose, et pouvoir être démontré par l’Écriture est autre chose. Car, toute vraie tradition, et pour tout dire, toute vérité est conforme avec l’Écriture. Mais on ne peut quand même pas prouver toutes les vérités par l’Écriture.



Saint Justin, à la fin de son apologie pour les chrétiens, après avoir présenté plusieurs choses qui traitent des chrétiens, et parmi celles-là certaines qu’on ne trouve pas écrites dans les saintes lettres (qu’ils aient à se réunir tous les dimanches; qu’après la lecture des écritures et une exhortation, soient offerts et consacrés le pain et le vin mêlé d’eau; et qu’il ne soit permis de participer à l’eucharistie qu’après le baptême, etc), il ajoute aussitôt : « Lorsque, après trois jours, le Christ apparut le jour du soleil à ses apôtres et à ses disciples, il leur a transmis ces choses que nous vous permettons de connaître ». Et même si saint Justin n’avait pas dit que ces choses avaient été léguées par le Christ, il aurait quand même été nécessaire de croire, que, puisqu’il était si proche des temps apostoliques, tout ce qui se faisait en ce temps dans l’Église avait été transmis par les apôtres. Quel autre auteur pouvons-nous imaginer !



À ces citations, et à d’autres semblables de saint Cyprien, de saint Ambroise, de saint Hilaire, de saint Jérôme, et d’autres, Hermannus et ses comparses n’ont rien d’autre à répondre que, en d’autres endroits, ces mêmes pères se sont trompés. Mais cela ne nous offense pas. Car même si quelques pères se sont trompés dans certains dogmes, il n’est jamais arrivé que tous ensemble se soient accordés sur une même erreur. Voilà donc ce que nous lui déclarons : tous enseignent à l’unisson qu’il faut conserver les traditions non écrites. Cela suffit pour démontrer que, sur ce point, ils ne se sont pas trompés.



Saint Irénée, dans le livre 3, chap 2, 3,4, dit plusieurs belles choses au sujet des traditions. Mais Brentius et Kemnitius les tirent dans un sens auquel saint Irénée n’a jamais pensé. Brentius dit  que saint Irénée parle de la tradition de l’Écriture, c’est-à-dire de cette tradition qui nous fait comprendre que par c’est par la succession des pères que nous décernons quelles sont les vraies Écritures. Mais que ce ne soit pas ce que veuille dire Irénée, ses propres paroles nous l’enseigneront, au livre 5, chap 4. « Que serait-il arrivé si les apôtres ne nous avaient pas laissé des Écritures ? N’aurait-il pas fallu suivre la règle de la tradition qu’ils ont enseignée à ceux à qui ils confiaient les églises ? À cette tradition donnent leur assentiment beaucoup de peuples barbares. Croyant dans le Christ, et conservant diligemment l’ancienne tradition, ils ont, sans parchemin et sans livre, le salut écrit par l’Esprit dans leurs cœurs. » Si c’est de tradition écrite que parle saint Irénée, comment ces barbares pouvaient-ils, sans posséder d’Écritures, avoir et conserver diligemment une tradition?



Mais Kemnitius rétorque que saint Irénée ne parle que de la tradition de ces dogmes qui se trouvent dans l’Écriture, et que l’on peut prouver par les Écritures. Que cela aussi soit faux le démontreront les propres paroles de saint Irénée. Car, dans les chapitres 2, 3, 4, il enseigne une voie qui fait parvenir à la vérité, laquelle consiste à consulter les Églises où les évêques se sont succédés sans interruption depuis les apôtres; à examiner ce qui s’y enseigne, et ce que ces églises appellent tradition apostolique. Saint Irénée donne donc au mot tradition un sens plus large que celui d’écritures; et il veut qu’on aille chercher dans la tradition et non dans les Écritures le sens de ce qui est plus difficile à comprendre. La tradition, en effet, se suffit à elle-même, mais non les saintes Écritures. Ce qui serait faux si la tradition ne contenait rien de plus que ce qu’on peut trouver explicitement dans l’Écriture, comme le rêve Kemnitius.



Donc, après avoir dit au chapitre 2 qu’on ne peut pas convaincre les hérétiques à partir des seules Écritures, il énumère au chapitre 3, les noms de tous les pontifes romains qui se sont succédés depuis Pierre jusqu’à Éleuthère, qui siégeait alors. Il voulait ainsi nous montrer qu’il y a dans l’Église, une succession continuelle d’évêques qui conservent la tradition des apôtres. Voici ce qu’il dit au chapitre 3 : « Comme ces choses sont d’une si grande importance, il ne faut pas chercher encore ailleurs la vérité qu’on peut facilement trouver dans l’Église. Les apôtres ont, comme dans un riche dépositoire, entièrement placé en elle toutes les choses qui ont trait à la vérité, pour que quiconque le veuille puisse y puiser le breuvage de vie. Car c’est elle l’entrée de la vie. Tous les autres sont des voleurs et des larrons. Voilà pourquoi il faut éviter ces gens-là, aimer avec une grande diligence tout ce qui se rapporte à l’Église, et accueillir la tradition de la vérité. Quoi donc ? Même si un différent portait sur une chose de peu d’importance, ne faudrait-il par recourir aux églises les plus anciennes, là où les apôtres ont demeuré, pour y trouver une réponse sûre qui mette fin à la contestation ? Quoi donc ? Si les apôtres ne nous avaient laissé aucune écriture, n’aurait-il pas quand même fallu suivre la règle de la tradition ? Etc. » A ces paroles, il avait ajouté ce qui se trouve aussi au livre 4, chapitre 43. « Ceux qui ont succédé aux apôtres, ceux qui, par la succession apostolique ont, selon le bon plaisir du Père, reçu un charisme certain de vérité. » Tu vois comment les apôtres ont transmis à leurs successeurs, non seulement les Écritures, mais un charisme certain de vérité, c’est-à-dire la vraie compréhension des Écritures et la doctrine évangélique universelle.



Clément d’Alexandrie, dans le livre de Pâque, comme le rapporte Eusèbe de Césarée dans son histoire ecclésiastique au chapitre 11, dit « avoir été forcé par ses frères de mettre par écrit et de transmettre à la postérité tout ce qui a été transmis de vive voix par les presbytres successeurs des apôtres » Je ne sais pas ce qu’on peut dire de plus clair sur la tradition que cela. Origène dans le chapitre de son commentaire sur l’épitre aux romains dit : « C’est des apôtres que l’Église a reçu la tradition de baptiser les enfants ». Et dans son homélie 5 sur le livre des Nombres : « Parmi les observances ecclésiastiques, il y en a quelques unes que tous doivent pratiquer, mais tous n’en voient pas clairement la raison. » Et il décrit ensuite plusieurs traditions non écrites.



Eusèbe de Césarée dans le livre 1, chap 8 de sa démonstration évangélique, écrit : « Moïse écrivit sur des tables de pierre, mais c’est sur des esprits dotés de vie que le Christ écrivit les documents parfaits du nouveau testament. Ses disciples, à l’incitation de leur maître, accommodant aux oreilles d’un grand nombre leur doctrine, léguèrent à ceux qui pouvaient les comprendre tout ce qui avait été prescrit par leur maître parfait. Se mettant à la portée de l’imbécilité de plusieurs, ceux qui paissaient des âmes encore affaiblies par leur attache au péché et qui avaient besoin de cure, ordonnèrent de conserver par un commandement non écrit toutes les choses qui leur semblaient convenir. »



Saint Athanase dans son livre sur le décret du concile de Nicée contre Eusèbe : « Nous venons de vous démontrer que cette sentence a été transmise de père en père comme de main à main. Mais vous, ô nouveaux Juifs et disciples de Caïphe, qui pouvez-vous montrer qui soient les pères de vos paroles ? » Saint Basile dans le chapitre 27 de son livre sur le saint Esprit : « Les dogmes qui, dans l’Église, sont conservés et prêchés nous les avons reçus en partie de la doctrine écrite, et en partie de la tradition apostolique qui nous a été transmise dans le mystère. Les deux ont, pour la piété, la même force; et personne ne dit le contraire parmi ceux qui ont la moindre connaissance des droits ecclésiastiques. » Et tout de suite après, il énumère plusieurs traditions non écrites. Il dit des choses semblables au chapitre 29.



Mais Kemnitius déclare que les choses dont parle saint Basile ne sont pas des dogmes de foi ou de mœurs, mais seulement des rites facultatifs, comme le signe de croix, l’eau bénite, la position debout tournée vers l’orient. Mais que Kemnitius se rappelle donc avoir déjà dit qu’il était impossible de prouver avec certitude qu’aucun rite n’ait été vraiment institué par les apôtres. Mais ici, saint Basile a l’audace d’énumérer un grand nombre de rites institués par les apôtres. En conclusion, même si l’observation de certains de ces rites n’est pas nécessaire au salut, il est quand même nécessaire au salut de croire qu’ils ont été bien institués, et de ne pas les mépriser. Même dans l’Écriture, il y a des choses qui ne sont pas nécessaires au salut, comme de prier la tête voilée ou découverte (1 Cor 11), mais il est pourtant nécessaire au salut d’y croire, et de ne pas les mépriser.



De plus, ce ne sont pas seulement des rites quelconques que saint Basile rapporte, mais des choses essentielles comme la confession de foi, c’est-à-dire le symbole des apôtres que nous avons reçu de la tradition, et l’onction de l’huile dans le sacrement de confirmation. Il en signale également d’autres qui, même s’ils ne sont pas d’eux-mêmes nécessaires, le deviennent tellement après avoir été commandés qu’on pêche gravement si on les omet volontairement, comme par exemple le signe de croix dans la consécration de l’eau, de l’eucharistie et du saint chrême; ainsi que le renoncement à Satan et à ses pompes dans le baptême. Car saint Augustin dit dans le traité 118 sur Job, que sans le signe de la croix aucun sacrement n’est licitement conféré. Saint Jean Chrysostome enseigne la même chose dans son homélie 55 sur saint Matthieu.



Brentius répond sans rougir que ces affirmations de saint Basile font partie de ces sortes d’erreurs que l’honneur qu’on doit rendre à un tel homme exige qu’on passe sous silence. Et il nous appelle des porcs et des imitateurs de Cham, nous qui dénudons les turpitudes des nôtres. Il ne trouve pas supportable que saint Basile enseigne que les traditions « pédagogiques » (comme il les appelle) du signe de croix et de l’eau bénite aient, pour la piété, la même force que les dogmes de la sainte Écriture. Mais, nous ne tenons pas compte des insultes, car ce n’est pas à nous de rendre le mal pour le mal, et nous répondons à son objection. C’est à bon droit que les traditions sont mises sur un pied d’égalité avec l’Écriture. Dans l’Écriture il y a des préceptes majeurs (comme d’aimer Dieu), et d’autres mineurs, (comme de ne pas dire de parole oiseuse), qu’on n’est pas également obligés d’observer, mais qu’il faut quand même croire et vénérer. Et n’est pas moins hérétique celui qui ne croit pas ou ne vénère pas cette phrase : « ils rendront compte de toute parole oiseuse au jour du jugement », que celui qui ne croit pas et ne vénère pas la phrase suivante : « tu aimeras ton Dieu ». Il en est de même pour les traditions. Quant à l’obligation de les pratiquer, il y en a qui sont majeures et d’autres qui sont mineures. Mais l’obligation d’y croire et de les vénérer vaut pour toutes. Et, de la même manière, il y a des traditions majeures qui obligent davantage que certains prescriptions de l’Écriture, d’autres moins, d’autres également. Mais toutes les traditions et toutes les Écritures sont semblables quant à la foi et à la vénération qui leur sont dues, puisqu’elles proviennent toutes du même auteur, et qu’elles nous arrivent par les mains de la même Église catholique, qui est notre mère et l’épouse du Christ.



Ne se contentant pas de ce que Brentius et Kemnitius avaient dit, Harmann ajoute : « Ces choses ne sont pas de Basile, mais elles ont été insérées dans son livre par un fumiste ». La réponse est toute prête, car il n’est que trop facile de réfuter ce genre d’objections. Il ne donne, en effet, aucune autre preuve que le témoignage d’Érasme, qui avait flairé une diversité de style dans ces derniers chapitres. Mais saint Jean Damascène qui est plus ancien et qui connaissait mieux le grec que lui, n’avait flairé rien de tel, Voici ce qu’il dit dans son discours sur les images 1 : « C’est ce que saint Basile a dit textuellement dans le 27ièmechapitre de son livre sur le saint Esprit, qu’il a composé en 30 chapitres pour Amphilochium : « Les choses qui sont conservées dans les églises, et les institutions qui sont prêchées viennent en partie de l’Écriture, et en partie de la tradition apostolique ».



Saint Grégoire de Naziance dans son discours à Julien, un peu passé le milieu, après avoir dit que la doctrine de l’Église semblait admirable à Julien à cause des dogmes de l’ancien et du nouveau testament, ajoute toute de suite après : « Elle est encore plus grande et plus merveilleuse à cause des formes ecclésiales qui nous ont été transmises, et qui sont conservées jusqu’à ce que jour.  »  Il explique un peu plus loin que par « formes » il entend la discipline, la police, l’ordre de l’Église, la façon de psalmodier, l’imposition des pénitences, les sanctuaires dans les temples, le monachisme, les monastères de religieuses, et beaucoup d’autres choses que nous n’avons que de la tradition. En toutes ces choses Julien voulait imiter les païens, pour entraîner plus facilement les chrétiens au paganisme.



Saint Jean Chrysostome (2 Thess 2) : « Il est évident que les apôtres n’ont pas tout transmis par des lettres, mais qu’ils nous ont légué beaucoup de choses sans lettres. Celles qui ont été communiquées de vive voix sont dignes de la même foi que celles qui ont été écrites. » Théophilacte et Oecuméniiux disent la même chose. Quand nous entendons saint Basile, saint Jean Chrysostome, Théophilactus et Oecumenius équiparer les traditions à l’Écriture, que faut-il penser de la censure de Kemnitius : « C’est le propre d’une insigne audace d’équiparer quoi que ce soit avec l’autorité, la majesté de l’écriture canonique ». Et il se moque souvent du concile de Trente, qui vénère avec la même piété affectueuse, l’Écriture et les traditions. Écoutons le même saint Jean Chrysostome dans son homélie 69 au peuple de Dieu, et son homélie sur l’épitre aux Philippiens : « Ce n’est pas pour rien qu’a été statué par les apôtres que, dans les célébrations des vénérables mystères, on fasse mémoire de ceux qui sont décédés là. Ils savaient qu’ils pouvaient en tirer un grand avantage, un grand profit ».



Théophile, dans son livre 1 et 3 sur Pâque, enseigne ouvertement que la loi des jeûnes est une tradition qui remonte aux apôtres. Saint Cyrille de Jérusalem dans ses catéchèses, n’enseigne presque rien d’autre que les traditions non écrites sur le baptême, et sur les autres sacrements. Épiphane, dans son hérésie 55, qui est celle des melchisédechiens, dit : « Les termes nous sont posés, les fondements et l’édifice de la foi : les traditions des apôtres, les Écritures saintes, les doctrines transmises de génération en génération, et tout ce sur quoi s’appuie la vérité de Dieu comme sur un fondement. Et que personne ne soit trompé par de nouvelles fables ». De même dans l’hérésie 61, qui est celle des apostoliques : « Il faut aussi se servir de la tradition, car on ne peut pas tout tirer de l’Écriture. Les apôtres nous ont donc légué des choses par l’Écriture, et d’autres choses par la tradition. » Il dit la même chose à l’hérésie 75, celle d’Arius, et dans un traité doctrinal.



A ces choses, ils ne répondent que par le blasphème. Épiphane était trop épris des traditions et des fables apocryphes etc. Et, entre autres, Brentius dit qu’il n’est pas supportable qu’Épiphane ait dit que l’interdiction de se marier après un vœu de virginité soit une tradition apostolique, puisque c’est ce qu’on fait leurs premiers parents Luther et Catherine. Mais de cela, plus tard. Saint Jean Damascène livre 4, chap 17 : « Les apôtres ont transmis beaucoup de choses sans écrit ». Son discours sur les saintes images en rapporte beaucoup.



Passons maintenant aux pères latins. Tertullien, dans son livre sur le courage militaire, chap 3 : « Tu dis que pour qu’il y ait une tradition, il faut l’autorité de l’Écriture. Demandons-nous donc ni nous ne devons pas recevoir aussi une tradition non écrite. Nous refuserions surement d’en recevoir, si un texte de l’Écriture pouvait seul faire autorité dans l’Église. Mais ce que nous soutenons c’est que sans l’aide d’aucune écriture, au seul titre de la tradition et sur la seule recommandation d’une coutume, nous pouvons prendre une décision. Il énumère ensuite les cérémonies du baptême, le signe de la croix, le sacrifice anniversaire pour les défunts, et d’autres semblables. Et il ajoute au chapitre 5 : « Pour toutes les règles disciplinaires de ce genre, si tu cherchais dans l’Écriture une loi qui s’y rapporte, tu n’en trouverais pas. C’est la tradition qui t’est présentée comme son auteur, la coutume comme confirmatrice, et la foi comme observatrice. » Il enseigne également qu’il faut avoir recours à la tradition dans son livre 1 contre Marcion, son livre 2 à son épouse, dans son livre du voile des vierges, dans son livre de la prescription des hérétiques. Dans ce dernier livre, il dit textuellement que ce n’est pas à l’aide de l’Écriture mais de la tradition qu’il faut réfuter les hérétiques. J’ai déjà, en parlant de saint Irénée et de saint Basile, réfuté ce que les hérétiques objectent à ces textes.



Saint Cyprien (livre 1, épitre 12) : « Il est nécessaire d’oindre celui qui a été baptisé ». Il n’est que trop clair qu’on ne trouve rien dans l’Écriture qui porte sur une onction; seulement dans la tradition. Il dit la même chose (livre 2, épitre 3) : « Sache que nous avons été avertis d’observer, en offrant le calice, la tradition dominicale que le Seigneur a faite le premier pour nous, à savoir que le calice, qui est offert en souvenir de lui, contienne du vin mêlé avec de l’eau ». Kemnitius répondra que saint Cyprien parle d’une tradition écrite. Mais cela est faux, car les évangélistes n’ont pas fait mention de l’eau. Hermannus dit : « Puisque ce n’est pas écrit que le Christ ait mis de l’eau dans le vin, il est préférable de ne pas en mettre. Car c’est ce que le Seigneur a fait ». Comme ni l’un ni l’autre n’est écrit, on se demande pourquoi il préfère croire l’un plutôt que l’autre.



Brentius se fait méprisant. Il dit que saint Cyprien a toujours été excessif et irréfléchi dans ses assertions. Et la raison qu’il apporte c’est qu’il lui semble que saint Cyprien présente une raison inepte pour prouver son point de vue. Car il dit : « On doit mêler l’eau au vin parce que le vin signifie le Christ, et l’eau le peuple de l’Église. Et quand on mélange l’eau au vin, le Christ est uni à son église. Si le vin seul était consacré, le Christ commencerait à être sans l’Église ». Ce qui semble tout à fait ridicule. Car qui croit que, si le prêtre ne coupait pas le vin avec de l’eau dans le calice, le Christ perdrait bientôt son église ?  Mais Brentius ne remarque pas, ou feint de ne pas se rendre compte que saint Cyprien ne parle pas d’une union réelle entre le Christ et son église, ni d’une séparation réelle, mais figurée. En ce qui a trait à la matière des sacrements, il est permis de tirer des preuves d’une signification imparfaite. De plus, ce n’est pas d’abord et avant tout pour cette raison que saint Cyprien veut qu’on conserve ce rite; mais parce que c’est ce que le Seigneur a enseigné. Il a ajouté cette autre explication pour montrer que la tradition est conforme à la raison. Et pour conclure, même si saint Cyprien n’était pas parvenu à donner de raison justificative, il ne faudrait pas pour autant nier que ce rite doive être conservé, et qu’il ait été transmis par le Seigneur.



Saint Hilaire de Poitiers, dans son livre contre l’empereur Constance, presque au milieu, cite la réponse suivante d’un arien : « Je ne veux pas de paroles qui ne soient pas écrites dans la loi ». Et il répond à cela : « Voici ce que je te demande : Qui donne des ordres aux évêques ? Qui interdit la règle de la prédication apostolique ? Dis plutôt, si tu penses parler correctement : je ne veux pas de nouveaux médicaments contre de nouveaux venins. » Par ces paroles, saint Hilaire exprime deux choses. La première. Que la prédication de la consubstantialité du Père et du Fils fait partie de la prédication apostolique. L’autre. Que le mot « omoousios » est un mot nouveau qu’il faut adopter, même s’il n’est pas écrit, parce qu’il est conforme à la prédication apostolique.



Hermannus commente ainsi ce passage : Voici ce que je demande. Qui ordonnera aux évêques de prêcher quelque chose qui ne soit pas dans les Écritures ?  Si cette glose est bonne, saint Hilaire est du même avis que Constance. C’est donc fort mal à propos qu’il ajoute : « Demande-toi d’abord si tu peux dire honnêtement: je ne veux pas de nouveaux remèdes contre de nouveaux poisons. » Que dire d’autre ? Son livre presque au complet explique pourquoi il faut conserver le mot consubstantiel non biblique. S’il était de l’avis d’Hermann, il chercherait plutôt à l’éliminer.



Saint Ambroise, dans son livre sur ceux qui s’initient aux mystères, chap 2 et 6, et dans son livre 1, chap 1 et 2 des sacrements, explique les rites qui sont conservés dans le baptême par toute l’Église, qu’on ne trouve pas dans les saintes Écritures, et que tous considèrent provenir des apôtres. Dans les sermons 25, 34, et 36, il enseigne que le carême est un précepte du Christ lui-même. Dans son épitre 81, et son sermon 38, il enseigne que le symbole des apôtres est une tradition apostolique non écrite. Hermann lance son venin contre saint Ambroise, mais il ne dit rien qui puisse ébranler notre position.



Saint Jérôme dans son épitre à Marcella sur les erreurs de Montan, dit : « Nous jeûnons, nous, pendant le carême, pendant le temps congru, selon la tradition des apôtres » Il dit la même chose dans son dialogue contre Lucifer, un peu avant le milieu : « Plusieurs choses qui sont observées dans les Églises par tradition, se sont attribué l’autorité d’une loi écrite. » L’orthodoxe répond : « Je ne nie pas que ce soit une coutume des églises. Ce que je rejette c’est ce qui, en elle, te permet de transférer à l’hérésie les lois de l’Église. »



Saint Augustin (épitre 118) : « Ces choses que nous conservons, qui nous ont été transmises non par écrit, mais oralement, qui sont observées par toute la terre, laissent suffisamment entendre qu’elles ont été recommandées et statuées par les apôtres eux-mêmes, ou par les conciles pléniers, qui constituent l’autorité très salutaire de l’Église. Comme, par exemple, la passion du Seigneur, la résurrection et son ascension dans le ciel, la descente du saint esprit sur les apôtres. Tous ces mystères sont célébrés solennellement à chaque année. » Hermann répond à cela avec désinvolture, et conclut à la fin : « Pourquoi, Augustin, établis-tu, avec les autres pères de l’Église, des traditions en dehors de l’Écriture ? » Ne reconnait-il pas par là que saint Augustins et les autres pères ont admis des traditions non écrites ? Cette confession, s’il avait un peu de sens commun, devrait suffire à lui rabaisser le caquet.



Brentius, lui, a deux choses à répondre. Il dit d’abord que s’il est avéré que cette tradition soit apostolique, il ne faut pas la recevoir comme une loi obligatoire, mais comme une observance facultative. Mais, c’est le contraire qui est vrai, Car au même endroit saint Augustin ajoute : « Les pratiques qui sont différentes d’un pays et d’une région à l’autre ne sont pas pour tous obligatoires ». Saint Augustin fait donc clairement ici la distinction entre les traditions qui sont obligatoires, et celles qui ne le sont pas. Brentius dit ensuite que c’est faussement que saint Augustin enseigne que ces fêtes sont de tradition apostolique, car l’apôtre reproche aux Galates, chapitre 4, d’observer les jours et les temps. Saint Augustin a déjà répondu (épitre 119, chap 7) que l’apôtre réprouve ceux qui observent les temps selon les règles des astrologues. Et dans son livre contre Adimant, chap 16, il dit que l’apôtre parle des fêtes des Juifs, non de celles des chrétiens. C’est ainsi également qu’expliquent ce passage saint Jérôme et saint Jean Chrysostome. Saint Ambroise donne lui aussi la double explication.



Saint Augustin dit de même dans son livre 2, chap 7, du baptême, contre Donat : « Je crois que cette coutume vient de la tradition apostolique, comme beaucoup de choses qu’on ne trouve pas dans les lettres des apôtres, ni dans les conciles de ceux qui vinrent après eux. Mais parce qu’elles sont observées dans l’église universelle, nous croyons que ce ne peut être que par eux qu’elles ont été transmises et recommandées ». Et dans le livre 4 au chapitre 6 : « Cette coutume, que même les hommes spirituels d’alors ne voyaient pas comme ayant été instituée par les anciens, on a de bonnes raison de croire qu’elle a été léguée par les apôtres ». Et dans son livre 4, chap 24 : « Ce que l’Église universelle a toujours tenue, qui n’a pas été institué par les conciles, mais qui a toujours été en vigueur, on croit avec raison que cela n’a pu se produire que parce que cela a été transmis par l’autorité apostolique ». Et dans le livre 5 du chapitre 23 : « Les apôtres n’ont rien prescrit par écrit au sujet de ces choses, mais il est à croire que cette coutume, que leur opposait saint Cyprien, tire son origine de leur tradition, On croit donc qu’elles ont été prescrites par les apôtres, même si on ne les retrouve pas dans leurs livres écrits ». De même dans son livre sur l’unité de l’Église, chap 22 : «  Tu diras peut-être, lis-moi comment le Christ a ordonné de recevoir ceux qui veulent passer de l’hérésie à l’église. Il est absolument clair que ni moi ni toi, nous ne le lisons. » Et il ajoute après cela : « Comme cela ne peut jamais être lu, il faut croire au témoignage de l’Église qui est véridique, comme l’atteste le Christ ». Il dit des choses semblables dans son livre 1 contre Crescon, chapitres 31, 32, 33.



Kemnitius a deux choses à répondre à cela. D’abord. « La question que pose saint Augustin en cet endroit peut être formulée ainsi : peut-on trouver, dans l’Écriture, un exemple qui nous montre qu’un hérétique a été reçu après avoir été baptisé ou sans nouveau baptême ?. Mais non : faut-il, oui ou non rebaptiser les hérétiques ? Saint Augustin avait pensé qu’on ne pouvait pas trouver un tel exemple, et c’est ce qu’il voulait enseigner dans les passages allégués ». Ensuite. « Saint Augustin croyait qu’il existait dans l’Écriture des textes certains et clairs qui démontraient qu’on ne pouvait pas rebaptiser les hérétiques; que cette tradition avait donc été écrite. »



Le premier point il le prouve à partir du livre 1 contre Cresc chap 33, où saint Augustin dit : « Bien qu’à ce sujet on ne puisse tirer de l’Écriture aucun exemple certain.» Il dit des choses semblables dans son livre sur l’unité de l’Église, chap 19. Le second, il le prouve à partir du livre 1, chap 7, contre Donat : « Pour ne pas sembler m’appuyer sur des arguments humains, je tire certains textes de l’Écriture » Ensuite, livre 2, chap 14 : « Qu’est-ce qui est le plus pernicieux, ne pas être baptisé du tout, ou ne pas être rebaptisé ? Il est difficile de porter un jugement là-dessus. Cependant, si on a recours à la balance dominicale où sont pesées les choses importantes non d’après la raison humaine, mais l’autorité divine, je trouve la sentence du Seigneur sur l’une et l’autre chose ». Troisièmement, livre 4, chap 6 : « Par la coutume antérieure de l’Église, par le renforcement postérieur d’un concile plénier, et par des arguments évidents et véritables, chacun peut comprendre que le baptême consacré par les paroles évangéliques du Christ n’a été pollué par la perversité d’aucun homme ». Sixièmement, livre 6, chap 1 : « Pouvait suffire ce que nous avons démontré tant de fois par toutes sortes de raisonnements qui viennent s’ajouter aux textes des divines Écritures ». Septième, livre 5, chap 23 : « Que ce soit contre un commandement du Seigneur que ceux qui viennent de l’hérésie ne soient pas baptisés s’ils ont déjà reçu le baptême, par quelle autorité des Écritures le démontrer ? Mais on le montre clairement ». Huitiême, livre 5, chap 26 : « Il nous avertit ainsi pour que nous recourrions à la fontaine, c’est-à-dire à la tradition apostolique, pour en puiser de quoi nous diriger dans cette époque charnelle. Il s’agit là d’une chose excellente, et qu’il faut faire sans hésitation ». C’est donc par les apôtres, comme lui-même le rappelle, que nous a été transmis qu’il y a un seul Dieu et un seul baptême..



Je réponds que Kemnitius se trompe. Car, même si, dans le livre cité (contre Crescent, 23), c’est d’un exemple qu’il parle, cependant, dans d’autres passages allégués, il parle plutôt de préceptes ou de textes de l’Écriture, surtout dans son livre 5, chap 23 contre Donat : « Toutes les choses que l’Église tient on croit êtret des préceptes des apôtres, même si on ne les retrouve pas dans leurs écrits ». Et même dans cet endroit unique, la question principale ne portait pas sur l’exemple, mais sur le fait et sur le droit. Car il est clair qu’il s’agissait de la question débattue entre les anabaptistes, les catholiques et les donatistes. Et il est tout à fait certain que les anabaptistes ne militaient pas pour des exemples, mais pour le droit.



Au milieu de leurs disputes, les hérétiques ont demandé aux catholiques qu’ils montrent un exemple scripturaire de quelqu’un qui a été reçu dans l’Église sans le baptême. Saint Augustin répondit à cela qu’on ne peut trouver dans l’Écriture aucun exemple de ces choses. Et il conclut que, puisqu’on ne trouve dans l’Écriture ni exemple ni précepte à ce sujet, il faut s’en ternir à la coutume de l’Église, qu’on a de bonnes raisons de croire qu’elle a été introduite par les apôtres eux-mêmes. Que les choses soient vraiment ainsi, on peut le déduire des textes eux-mêmes, et du fait que, si la question principale avait portée sur un exemple, les donatistes n’auraient pas été hérétiques, et n’auraient erré en rien. Car il est très vrai qu’ils affirmaient, comme le pensait lui-même saint Augustin, qu’il n’y a dans l’Écriture, rien qui se rapporte à ce sujet.



A la deuxième, je réponds d’abord : « Nous ne citons pas ces textes de saint Augustin d’abord et avant tout parce qu’il y affirme que la coutume de ne pas rebaptiser vient de la tradition apostolique, mais parce qu’ill ajoute, tout de suite après, que beaucoup de choses sont conservées par la tradition apostolique qui ne sont pas écrites. Saint Augustin tenait si fermement à ce principe que c’est par lui qu’il a voulu prouver que la coutume de ne pas rebaptiser les hérétiques avait été transmise pas les apôtres. Nous nous appuyons donc plus fermement sur ce principe que sur sa conclusion. Kemnitius, lui, nous reprochait de ne nous fonder que sur la conclusion.



Je dis en second lieu que saint Augustin n’a jamais pensé qu’on pouvait prouver suffisamment cette coutume avec la seule Écriture. Et c’est pourquoi il est allé chercher un peu partout des raisonnements et des textes d’Écriture. Mais son fondement principal, il l’a établi sur la tradition, qu’il appelait coutume de l’Église, et qu’il a ensuite appelée concile général, comme il appert des lieux cités, et du livre 2, chap 4 contre Donat. Il pensait si peu qu’il y avait des clairs témoignages de cette chose dans l’Écriture, qu’il a dit : « Nous non plus nous n’oserions affirmer une pareille chose, à moins d’être fortifiés par l’autorité coroborante de l’Église universelle. » La chose apparaîtra plus claire quand nous répondrons à chacun des passages cités par Kemnitius.



Au premier, le livre 1, chap 7, contre Donat, je réponds  que Kemnitius a, de mauvaise foi, omis des mots qui se trouvaient au milieu, et qui unissaient ce qui précédait avec ce qui suivait. Car après que saint Augustin eut dit : « pour que je ne semble pas me servir d’arguments humains », il ajoute ce que Kemnitius a omis : « l’obscurité de cette question a, tout en conservant la paix, entraîné des grands hommes, des pères évêques remplis de grande charité, à des débats et des fluctuations, de sorte que, pour enlever les doutes, il a fallu qu’un concile général statue définitivement sur ce qu’on devait penser là-dessus. » Et c’est seulement ensuite qu’il ajoute : « Je vais citer quelques passages de l’Écriture ».



Saint Augustin dit donc que cette question n’a pas pu être réglée avant la décision d’un concile plénier de l’Église; et qu’après que le concile se soit prononcé et ait enlevé tout doute, il devint possible de trouver dans l’Écriture certains textes qui vont dans le sens de la décision du concile. C’est après avoir été expliquées par le concile que les Écritures prouvèrent avec force et certitude ce qu’elles ne pouvaient pas démontrer avant. Que cela soit vrai le montre un passage de l’Écriture, que cite saint Augustin (Luc 9) : « Ne les empêchez pas. Car celui qui n’est pas contre vous est pour vous ». Ce passage nous montre que, en dehors de l’Église, peuvent exister certains dons de Dieu, comme celui d’expulser les démons. Faut-il compter parmi eux le baptême, on ne peut pas le déduire de ce seul passage.



Je réponds en second lieu. Ce passage est cité mal à propos. Car le fait que saint Augustin prouve, à partir de l’Écriture, qu’il ne faut pas rebaptiser quelqu’un qui a reçu un vrai baptême dans l’Église catholique, ne prouve pas que le baptême des hérétiques soit un vrai baptême. Et c’est de quoi nous discutons. Car, ce qu’il voulait enseigner dans ce texte c’est qu’on peut admettre à la pénitence dans l’Église ceux qui avaient conscience de mal agir quand ils rebaptisaient les hérétiques. Il ne cite de l’Écriture qu’un texte de Jean (13) : « Celui qui est pur n’a plus besoin d’être lavé de nouveau ». Personne ne déduirait de ce texte que le baptême des hérétiques est licite, mais seulement que, après un vrai baptême, on ne peut en ajouter un autre. Chose que les donatistes eux-mêmes ne niaient pas.



Aux 3, 4, 5, 6, je dis que saint Augustin présente des conjectures tirées des Écritures, parce que, après la définition du concile, et après avoir interrogé la tradition non écrite, elles avaient une valeur de confirmation, même si auparavant, elles ne suffisaient pas à elles seules. Les paroles mêmes de saint Augustin nous l’indiquent, car il place toujours l’Écriture après la coutume et le concile, et se sert de ces mots : « s’ajoute à cela », « nous pouvons ajouter », « en ajoutant même les Écritures ».



Au septième, je dis que Kemnitius a cité de mauvaise foi. Car ces paroles (« par l’autorité des Écritures saintes il est clairement démontré ») ne se rapportent pas à ce qui précède (ce qu’a prétendu Kemnitius) mais à ce qui suit (ce qu’il a tu). Car c’est ainsi que parle saint Augustin : « Il est montré clairement que plusieurs pseudos chrétiens ont le même baptême que celui des saints, même s’ils n’ont pas la même charité que celle des saints, sans laquelle ne sont d’aucun profit toutes les choses saintes qu’ils peuvent posséder ». Il dit dans ce passage qu’il est certain que beaucoup de chrétiens baptisés dans l’Église perdent la charité, sans pourtant perdre le baptême. Chose que les donatistes eux-mêmes concédaient. Il ne dit donc pas qu’il est certain d’après le témoignage de l’Écriture que le baptême donné par les hérétiques soit licite.



De plus, même si ces paroles se référaient à ce qui précède, Kemnitius n’aurait rien à y gagner. Car saint Augustin ne dit pas ici qu’il est certain que le baptême donné par les hérétiques est ratifié. Ce qu’il dit c’est qu’il est certain que celui qui a reçu le véritable baptême du Christ ne peut pas être rebaptisé, ce que même les donatistes concédaient. Il reste ensuite à répondre à la question suivante : le baptême des hérétiques est-il un vrai baptême ?



Au huitième je dis que Saint Augustin, en cet endroit, ne cherche pas à prouver son opinion par les Écritures, mais qu’il ne fait que se référer au texte scripturaire que les adversaires utilisaient pour prouver la sentence contraire.
 

CHAPITRE 8 : On prouve la même chose avec quatre arguments

 

En plus du consentement unanime des Pères dans l’acceptation des traditions, nous avons le consentement des hérétiques dans le mépris des traditions. Comme le consentement unanime des pères de tous les siècles nous incite à les recevoir, le consentement unanime des hérétiques nous invite à ne pas les rejeter. Saint Irénée (livre 3, chap 2) et Tertullien (de la prescription) nous attestent que les Valentiniens et les Marcionistes, ainsi que d’autres gnostiques, rejetaient les traditions ecclésiales non écrites.



Quand saint Cyprien voulut défendre l’erreur du « rebaptisage », il ne put procéder autrement qu’en laissant la tradition pour aller à l’Écriture, comme le montre la lettre qu’il écrivit à Pompée, et celle qu’il écrivit à Jubajanum. Il reconnaissait pourtant les traditions. Mais ce n’est qu’avant sa mort qu’il renonça à l’obligation de rebaptiser les hérétiques, comme le raconte saint Augustin dans son épitre 48 à Vincent. Aux donatistes qui ne faisaient toujours que citer l’Écriture, saint Augustin opposait la tradition et la coutume de l’Église (livre de l’unité de l’Église, et ailleurs).



Les ariens n’admettaient rien en dehors de l’Écriture, comme le témoigne saint Hilaire de Poitiers. Dans son livre contre Constance, il introduit un arien qui dit : « Je ne veux pas qu’on lise des paroles qui ne se trouvent pas dans l’Écriture ». Maxime l’arien (saint Augustin, livre 1, contre Maximin, ou au début de son débat avec Maximin) dit : « Si tu cites un passage de l’Écriture qui est reçu partout, il nous faut de toute nécessité l’écouter. Mais les paroles qui sont en dehors de l’Écriture, ne sont reçues par nous en aucun cas. Cela, c’est le Seigneur lui-même qui nous le prescrit quand il a dit : c’est en vain qu’ils me rendent un culte, eux qui enseignent des commandements et des préceptes humains. » Saint Épiphane témoigne de la même chose dans les hérésies 69 et 73.



Saint Épiphane (hérésie 75) dit, lui aussi, que les Ariens rejettent les traditions. Les Eunomiens rejetaient eux aussi les traditions, comme le montre le livre de saint Basile sur le saint Esprit, chap 27 et 29. On peut en dire autant de Nestorius, d’Eutychès, de Dioscorus, comme le rapporte Basile d’Ancyre dans sa confession catholique, qui a été lue à l’acte 1 du septième concile œcuménique. Saint Bernard de Clarivaux dit la même chose des apostoliques de son temps (homélie 66, et cantique des cantiques); la même chose de Jean Wiclef, de Thomas Waldensis (livre 2 de la doctrine de foi, chap 19). C’est donc d’eux, comme de main à main, que les luthériens ont reçu leur dogme du mépris des traditions; tandis que c’est des saints pères que nous, nous avons reçu celui de les vénérer.



Ajoutez à cela les témoignages de tous les peuples. Que les Juifs aient eu des traditions en dehors de l’Écriture, Origène l’enseigne dans son homélie 5 sur les psaumes, et au chap 3 de son commentaire sur les Romains, saint Hilaire dans le psaume 2, ainsi qu’Anatole, un très ancien auteur chrétien, d’après Eusèbe de Césarée (livre 7, chap 28 de son histoire de l’Église). Et même s’il y en a quelques-uns parmi les catholiques qui nient l’existence d’une tradition juive non écrite, je ne peux pas personnellement leur donner raison car, comme nous l’avons déjà expliqué, la loi ancienne ne contenait pas toutes choses, et, pendant un très long temps, même après la naissance de Moïse, le peuple juif a vécu sans loi écrite.



De plus, toutes les républiques profanes sont en grande partie régies par des lois non écrites. Thucydide nous raconte que Périclès a réparti le droit des Athéniens en droit écrit, et en droit non écrit. Aristote (livre 3, chap 11 du politique) statue qu’une cité doit être régie en partie par les meilleures lois, et en partie par le libre jugement d’un excellent homme. Et (au livre 5 des mœurs) il donne à un juge ou à un arbitre le nom de droit animé, vivant (fait homme), Comme si, en lui-même, le droit écrit était dénué de vie. Voilà pourquoi Lycurgue n’a voulu prescrire aucune loi écrite aux Lacédémoniens, comme le dit Plutarque. Il pensait que si leur vie était fondée sur les seules traditions, ils seraient plus soucieux de bien agir que de bien lire. Que c’est ce que préférait Cicéron, son livre 1 sur les lois l’exprime suffisamment. Et c’est ce que César raconte des sages de la Gaule (livre 6 de la guerre gauloise).



Même s’ils ont enseigné beaucoup de choses, les plus nobles des philosophes, comme Pythagore et Socrate, n’ont rien écrit du tout, comme l’enseigne saint Augustin dans son livre sur les conseils évangéliques, chap 7. Le plus loin qu’on peut aller là-dessus c’est que Socrate se soit permis de mettre en vers des fables d’Esope. De plus, le droit civil et le droit canonique accordent la même autorité à la coutume non écrite qu’à la loi écrite. La nature elle-même semble donc clamer que les traditions non écrites sont ou nécessaires ou sûrement très utiles.



Réfléchissons un instant sur la dignité de l’église catholique. Car, comme autrefois les Juifs l’emportaient sur toutes les nations parce que leur avait été confiées les paroles de Dieu (comme le dit saint Paul aux Romains 3), l’Église l’emporte maintenant sur toutes les sectes, parce qu’elle seule, en tant qu’épouse du Christ, connait tous les mystères de la vraie religion, est au courant des secrets de son époux. Voilà pourquoi on l’appelle la colonne et le firmament de la vérité (1 Tim 3). Si toutes les choses étaient écrites, si tout était évident, comme le veulent les hérétiques, l’Église n’aurait aucun privilège. Car les hérétiques, les païens et les Juifs en sauraient autant sur les mystères de notre foi que nous-mêmes et nos pasteurs. Ne serait pas vrai, non plus, ce qu’a enseigné saint Irénée (livre 3, chap 4) que c’est dans la seule Église qu’a été placée par les apôtres, comme dans un riche dépositoire, toute la science des choses divines.



Il faut aussi tenir compte de la sublimité de plusieurs mystères qui exige le silence. Il ne convient pas, en effet, que tous soient en état de les lire et de les expliquer. Car s’il n’est pas permis d’admettre des non baptisés à voir les mystères redoutables de la messe, comment pourrait-il être permis de leur livrer ces mêmes mystères par écrit ? Rappelons-nous aussi que le Sauveur expliquait à part à ses disciples le sens des paraboles qu’il enseignait au peuple (Luc 8). Et voici ce que l’apôtre disait dans 1 Cor 2 : « C’est de sagesse que nous parlons entre parfaits ». Et les auteurs anciens, quand ils parlent du mystère de l’eucharistie, ont coutume de dire : « Le savent les fidèles, le savent les initiés ». En donnent la raison saint Denys l’aréopagite, au chapitre 1 de sa hiérarchie ecclésiastique, Origène, dans son homélie 5 sur les Nombres, saint Basile, dans son livre sur le saint Esprit, chap 27, et le pape Innocent 1, dans son épitre 1.





CHAPITRE 9 : Explication des cinq règles qui nous font connaître quelles sont les vraies traditions.
 

 

Il nous reste donc à montrer quelles voies il faut parcourir, quels raisonnements il faut faire pour découvrir les traditions véritables et authentiques. Voici quelle est la première règle. Quand l’Église universelle accepte comme un dogme de foi quelque chose qui ne se trouve pas dans l’Écriture, il est nécessaire de dire que cette tradition vienne des apôtres. La raison en est que, comme l’Église universelle ne peut pas errer, puisqu’elle la colonne et le firmament de la vérité (1 Tim 3), et comme le Seigneur a dit d’elle en Matt. 16 : « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle », ce que l’Église croit est sûrement de foi. Or, rien n’est de foi que ce que Dieu a révélé par les prophètes et les apôtres, ou ce qui en découle directement. Car l’Église n’est pas régie actuellement par de nouvelles révélations, mais elle continue à se maintenir dans celles que lui ont léguées ceux qui ont été les ministres de la parole. Et c’est pour cela que saint Paul dit aux Éphésiens 2 : « Édifiée sur le fondement des apôtres et des prophètes ». Donc, toutes les choses auxquelles l’Église croit lui ont été transmises par l’intermédiaire des apôtres ou des prophètes, par l’écrit ou de vive voix. Comme, par exemple, la virginité perpétuelle de Marie, le nombre des livres canoniques, et autres choses semblables.



La deuxième règle. Quand l’église universelle conserve quelque chose que personne d’autre que Dieu n’a pu instituer, il faut reconnaitre que cette chose, même si elle n’a pas été écrite, origine du Christ et des apôtres. La raison est semblable au cas précédent. Car l’Église universelle ne peut pas errer non seulement en croyant, mais aussi en agissant, et surtout dans les rites du culte divin. C’est avec raison que saint Augustin enseigne dans son épitre 118 que c’est le propre d’une insanité insolente de penser que ce que l’Église universelle fait n’est pas fait correctement. En conséquence, les choses qu’elle observe, qui ne peuvent être correctement observées que si elles ont été instituées par Dieu, il faut dire que ces choses, même si elles ne sont pas écrites, ont été vraiment instituées par Dieu. Comme, par exemple, le baptême des enfants. Car l’église commettrait une immense erreur si elle baptisait, sans commandement de Dieu, des petits qui ne peuvent pas croire en acte. Saint Augustin (dans le livre 10 de la Genèse, chap 23) : « On ne doit pas mépriser la coutume qu’a l’Église de baptiser les enfants, ni non plus la croire superflue. Car, sans recours à la tradition apostolique, il est impossible d’y croire. » On peut dire la même chose de la validité du baptême des hérétiques. Et c’est pourquoi saint Augustin renvoie toujours à la tradition apostolique l’interdiction de renouveler le baptême donné aux hérétiques. Car l’Église ne peut pas autoriser un baptême si elle n’en pas reçu l’autorisation de Dieu.



La troisième règle. Tout ce qui, dans les touts premiers siècles, a été observé par tous dans l’Église universelle doit être considéré comme une institution apostolique, même s’il s’agit d’une chose que l’Église aurait pu instituer. Cette règle nous vient de saint Augustin, dans son livre 4 contre Donat, chap 24. On peut donner comme exemple, le jeûne du carême. Car l’Église aurait pu l’instituer, si les apôtres ou le Christ ne l’avait pas institué. Mais, nous disons et nous prouvons qu’il a été institué par le Christ ou les apôtres car, aussi loin que nous remontons dans le temps en recherchant l’origine d’une telle institution, nous ne trouvons pas d’autre époque que celle des apôtres. Même si Calvin enseigne (livre 4, chap 12 des institutions, verset 20) que le carême est une pure superstition, qu’il n’a été transmis ni par le Christ ni par les apôtres, mais par ceux qui vinrent après.



Saint Bernard, dans son sermon 3 sur le carême : « Jusqu’à none, nous avons jeûné seuls, mais jusqu’à vêpres, jeûneront avec nous tout les croyants, les rois, les princes, les clercs, le peuple, le riche et le pauvre ensemble ». Avant saint Bernard, saint Grégoire le grand dans son homélie 16 sur l’évangile du carême, explique pourquoi nous jeûnons pendant quarante jours. Avant lui, saint Augustin, dans ses épitres 118 et 119, et dans son sermon 44 sur le carême. Avant lui, saint Jérôme dans son chap 9 sur Matt, et dans le chap 3 de Jonas, et ailleurs. Saint Paulin dans l’épitre 6 à Amandum, saint Jean Chrysostome dans son homélie 1 sur la Genèse, et ailleurs. Avant eux, saint Ambroise dans son sermon 8 sur le carême, Épiphane dans son condensé de la doctrine, saint Basile dans son sermon 2 sur le jeûne. Saint Grégoire de Naziance dans son discours sur le baptême, et saint Cyrille de Jérusalem dans sa catéchèse 1. Avant eux, Origène dans son homélie 10 sur le Lévitique. Avant lui, saint Irénée, d’après Eusèbe de Césarée, au livre 5, chap 24, de son histoire ecclésiastique. Avant lui, le pape Télesphore dans une épitre décrétale. Avant lui, saint Ignace d’Antioche dans son épitre aux Philippiens, et saint Clément, dans le livre 5 des constitutions apostoliques, chap 13, canon 68 (apostolique).



Pour une raison semblable, Calvin dit que les ordres mineurs ont été nouvellement inventés, car, selon lui, nul n’en a jamais parlé en dehors des sorbonistes et des canonistes. Mais nous, nous démontrerons, avec la règle que nous avons établie, qu’ils sont de tradition apostolique. Car, avant tous les sorbonistes et les canonistes, il y a eu un Isidore de Séville qui, au livre 7, chap 12 de ses étymologies, énumère chacun des ordres mineurs, et explique la signification de leurs noms. Avant Isidore, il y a eu le concile de Carthage 4, dans lequel, du chapitre 1 au chapitre 10, on décrit les rites d’ordination des évêques, des prêtres, des diacres, des sous-diacres, des acolytes, des lecteurs, des exorcistes et des portiers. Et avant ce concile il a eu un saint Jérôme qui, au chapitre 2 à Timothée, énumère tous les ordres, à l’exception de celui des acolythes. Il en parle également dans sa lettre à Nepot.



Avant saint Jérôme, il y a eu le concile de Laodicée, dans lequel, au chapitre 24, sont énumérés tous les ordres mineurs. Et avant ce concile, le pape Corneille dans son épitre à Fabien d’Antioche (livre 6, chap 33 de l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée), affirme qu’en son temps, il y avait dans l’église romaine en plus de l’évêque et des prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, et des acolythes. Mais même avant Corneille, saint Ignace d’Antioche, dans son épitre à Antioche, salue nominalement tous les ordres.



La quatrième règle est la suivante. Quand tous les pasteurs de l’église enseignent à l’unanimité que telle chose remonte à la tradition apostolique, soit dans un concile général, soit dans leurs livres ou dans leurs lettres épiscopales, il faut croire que cette chose est vraiment de tradition apostolique. Et la raison en est que si tous les docteurs de l’Église pouvaient errer quand ils enseignent la même chose d’une seule et même voix, l’Église elle-même pourrait errer. On est donc tenu de suivre ce que tous les docteurs enseignent à l’unanimité. On peut donner comme exemple la vénération des images. Les pasteurs docteurs de l’église assemblés lors du concile 2 de Nicée, ont statué que la vénération des images était d’origine apostolique. Cet exemple peut paraître non concluant, car tous les évêques présents n’ont pas pu exprimer leur opinion. Mais il semble suffire qu’ils aient approuvé ou n’aient pas contredit ce que les pères d’un grand renom avaient expressément défini. Ce n’est donc pas une témérité d’affirmer que la décision du concile exprimait l’avis de tout le monde, car quand un des grands docteurs du passé s’est trompé en quelque chose, un grand nombre d’écrivains se sont levés aussitôt pour le contredire.



C’est avec cette règle que nous prouvons que les rites, qui sont observés dans le baptême, sont d’origine apostolique. Comme par exemple, que l’on baptise avec de l’eau bénite; que l’on ordonne au baptisé de renoncer à Satan et à ses pompes; qu’on le marque du signe de croix; qu’on l’oigne d’une huile bénite etc. Car, saint Basile parle longuement de toutes ces choses dans son traité sur le Saint Esprit au chapitre 27. Tertullien dit la même chose dans sa couronne militaire, ainsi que d’autres auteurs. Personne ne s’est jamais opposé à cela, car tous les anciens se souviennent que ces cérémonies ont été reçues par tous dans l’Église. Pour une raison semblable, le carême est de tradition divine ou apostolique. Je pourrais le prouver parce que plusieurs pères en parlent longuement, comme saint Irénée, Épiphane, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Léon. Personne n’a dit le contraire, et tous en ont gardé le souvenir.



La cinquième règle. Il faut croire, sans l’ombre d’un doute, qu’est de tradition apostolique ce qu’enseignent les églises qui remontent, par une succession ininterrompue, jusqu’aux apôtres. Cette règle c’est saint Irénée qui la formule, au livre 3, chap 3, et Tertullien dans son livre sur la prescription des hérétiques. La raison en est que c’est en leur léguant la charge de l’épiscopat, que les apôtres ont transmis à leurs successeurs la doctrine de la religion. Si donc, dans une église quelconque, on peut remonter à un apôtre, et si on ne peut pas démontrer qu’un de ses successeurs ait introduit une nouvelle doctrine, nous pouvons être certains que sont conservées là les traditions apostoliques. Et on trouvait autrefois une succession ininterrompue d’évêques non seulement à Rome, mais à Éphèse, à Corinthe, à Alexandrie, à Jérusalem, et ailleurs. C’est pour cela que Tertullien renvoie les hommes à n’importe laquelle de ces églises apostoliques où l’on trouve des traditions apostoliques. Et Théodose 1(dans sa lettre sur la trinité et la foi catholique) enseigne à tous les peuples de conserver cette foi que prêchaient, en leur temps, Damase de Rome et Pierre d’Alexandrie, deux pontifes des principales églises apostoliques. Mais maintenant, dans toutes les églises apostoliques, à part l’église romaine, fait défaut la succession ininterrompue des évêques. Et c’est pourquoi, du témoignage de cette seule église, on peut tirer un argument certain pour prouver des traditions apostoliques. Et surtout quand la doctrine ou les rites des autres églises diffèrent de la doctrine et des rites de l’église romaine.





CHAPITRE 10 : On répond aux objections que les adversaires ont tirées des Écritures.



Il reste un dernier développement à faire. Nous avons encore à présenter les objections des adversaires et à leur donner une réponse. Il y a trois sortes d’arguments, ceux qui viennent de l’Écriture, ceux qui viennent des pères, et ceux qui viennent de la raison humaine. Le premier. Les Écritures, prétendent-ils, contiennent les choses qui sont commandées, et on ne doit rien ajouter à la parole de Dieu, Le deuxième. Les choses que les Écritures enseignent expressément devraient suffire, et elles contiennent tout ce qui est nécessaire. Le troisième. Les choses qui condamnent directement les traditions.



Le premier argument provient de trois passages : Deutéronome (4 et 12) : « Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous ai prescrite, ni ne lui en enlèverez rien. » Apocalypse, à la fin : « Si quelqu’un ajoute à cela… » Galates : « Mais si nous ou un ange du ciel nous vous prêchions un autre évangile que celui que nous vous avons prêché, anathème sur nous. » Kemnitius note qu’il n’est pas question d’un évangile contraire, mais supplémentaire. Et pour que ne disions pas que saint Paul parle autant d’une parole écrite que d’une parole non écrite, il cite saint Augustin (livre 3 cont lit. Petil. Chap 6) : « Au sujet du Christ, de son église, de quoi que ce soit qui appartienne à la foi ou à votre vie, ce n’est pas moi qui le dis, mais saint Paul : si un ange du ciel vous enseignait autre chose que ce que vous avez reçu des lois de l’ancien et du nouveau testament, qu’il soit anathème ! » Et saint Basile dit des choses semblables.



Je réponds d’abord au premier. Dans ce passage, il ne s’agit pas de parole écrite, mais de tradition faite de vive voix. Car il ne dit pas que j’ai « écrit », mais  que je vous « prescris ». Je dis ensuite que la vraie interprétation de ce passage serait la suivante : Dieu veut que ses commandements soient observés intégralement et parfaitement comme il les a prescrits, et qu’ils ne soient en aucune façon corrompus par une fausse interprétation. Il ne veut donc pas dire : vous ne conserverez rien d’autre que ce que je vous prescris maintenant, mais vous ne changerez rien à ce que je vous prescris maintenant, en ajoutant ou en enlevant; et vous les observerez intégralement comme je le commande, et non autrement. C’est ce que l’Écriture a coutume de dire avec ces mots : tu ne te détourneras ni à droite ni à gauche. C’est forcément cela le vrai sens, car autrement auraient péché tous les prophètes et les apôtres qui ont, après cela, ajouté beaucoup de choses.



Brentius, Kemnitius et Calvin répondent que, en ce qui a trait à la doctrine, les prophètes n’ont rien ajouté à la loi. Ils ont énoncé des prophéties qui portaient sur le futur, et ils ont expliqué la doctrine de la loi. Et le nouveau testament n’est pas une addition à l’ancien; il n’en est que l’explication. Comme le dit saint Paul aux Romains 1, c’est l’évangile promis par Dieu aux prophètes dans les saintes Écritures. Et dans les actes des apôtres, 15, on voit que les apôtres n’ont pas décrété quelque chose dans un concile, sans apporter le témoignage de l’Écriture.



C’est le contraire qui est vrai, car, selon ce raisonnement, les traditions ne sont pas des additions, mais des explications. Car les écrits des prophètes ne sont contenus dans la loi de Moïse que d’une façon générale, comme virtuellement, comme un arbre est contenu dans la semence. C’est de la même façon que le nouveau testament est contenu dans la loi et les prophètes. Car nous avons dans le Deutéronome 18 : « Dieu suscitera un prophète etc. Tu l’écouteras ». Là se trouve contenu d’une manière générale tout ce que le Christ a fait et dit. Mais que le Christ devait prêcher la trinité des personnes en Dieu, instituer des sacrements, faite tel et tel miracle, on ne trouve rien de tout cela.



Le texte qu’ils citent en leur faveur (actes 15) se retourne plutôt contre eux. Car si saint Jacques le mineur a prouvé, à partir des Écritures, que l’Église serait construite avec l’afflux des Gentils, on ne trouve cependant dans aucun passage de l’ancien testament, le décret du concile de Jérusalem, Les apôtres, en effet, statuèrent que les Gentils ne seraient pas tenus à l’observance des prescriptions légales, à l’exception du sang et de la suffocation. Cette seconde partie du décret ne figure nulle part dans les Écritures. Car où trouve-ton qu’un prophète ait prédit qu’au temps du Messie, seraient interdits le sang et la suffocation ?



Il est écrit dans 2 Thess : « Gardez les traditions que vous avez reçues, soit par la parole, soit par l’écrit ». En Luc 10 : « Qui vous écoute m’écoute ». En Matt 18 : « S’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain ». Forts de ces textes, nous affirmons que les traditions sont comme des explications de la parole écrite. Non parce qu’elles contiennent une explication étrangère, mais parce que les traditions et les décrets de l’Église sont contenus dans les Écritures sous une forme générale. Voilà pourquoi saint Augustin dit, dans son livre 1, chap 33, contre Crescon : « Même si on ne tire pas un exemple précis des saintes Écritures, cependant, nous gardons la vérité de ces Écritures, quand nous faisons ce qui a plu à l’Église universelle, que recommande l’autorité des Écritures ».



Au second. Il est certain que quand saint Jean défend ici de corrompre ce livre, il n’entend pas interdire qu’on écrive d’autres livres ou qu’on transmette d’autres dogmes, parce que, autrement, il serait en conflit avec lui-même, puisque, selon Kemnitius (examen page 292), il a écrit l’évangile après l’apocalypse.



Au troisième, celui sur lequel Brentiius et Kemnitius fondent le plus d’espoir. Je réponds d’abord que l’apôtre ne parle pas seulement de la parole écrite, mais de toute parole, écrite ou transmise de vive voix. Car il n’a pas dit : si quelqu’un prêchait autre chose que ce que nous avons « écrit », mais que nous avons « prêché ». Ne s’opposent pas à ce que nous disons les paroles de saint Augustin ou de saint Basile. Ils ne faisaient pas une explication rigoureuse du texte. Ils disaient seulement, en se référant à ce texte, qu’on ne devait rien affirmer de contraire à l’Écriture. Nous pouvons nous servir de ce passage pour prouver qu’il n’est pas permis d’affirmer quoi que ce soit de contraire à la prédication des apôtres. Car de la négation de l’universel on peut déduire un argument qui conclut à la négation du particulier. Mais le contraire n’est pas vrai. Semblablement, nous appuyant sur ces paroles de saint Paul, nous pouvons argumenter contre ceux qui prêchent contre les traditions ecclésiales reçues, même s’il leur semble ne prêcher que l’évangile. C’est ce qu’enseignent magnifiquement saint Athanase dans son livre sur l’incarnation du Verbe, et saint Cyrille citant saint Athanase dans son livre aux reines sur la foi droite, près du début.



L’autre solution consiste à entendre le mot « praeter » (excepté) au sens de « contra » (contre), On pourrait alors dire qu’il n’interdisait de nouveaux dogmes et de nouveaux commandements que dans la mesure où ils ne seraient pas contraires à ceux qui avaient déjà été transmis. Ce qu’il prohibait c’étaient les dogmes et les préceptes contraires et étrangers. Cela semble être le sens véritable parce que, d’abord, l’apôtre a enseigné plusieurs choses après, et c’est après cette épitre que saint Jean a écrit son apocalypse et son évangile. Ensuite, on peut comprendre le vrai sens de ses paroles en considérant son intention. Car saint Paul parle contre ceux qui enseignaient qu’il fallait observer toute la loi de Moïse, alors que lui, il enseignait le contraire. Enfin, en regardant un autre passage où l’apôtre emplie le mot « praeter ». « Regardez ceux qui, contrairement (praeter) à la doctrine que je vous ai prêchée, font des dissensions et des offenses » Il est évident que, dans ce passage, le mot « praeter » signifie « contre ». Erasme lui-même l’a traduit ainsi, En l’un et l’autre endroit se trouve le mot grec « para ». Quatrièmement, on peut avoir recours à l’interprétation des pères. Saint Ambroise traduit « si contre », saint Jérôme « si autrement ». Saint Jean Chrysostome, Oecumenius et Theophylactus enseignent que l’apôtre n’a pas dit : si contre, mais si autrement que. Pour indiquer que non seulement sont anathèmes ceux qui enseignent ouvertement des choses contraires à toute la doctrine, mais aussi ceux qui, ouvertement ou hypocritement dévient de la doctrine transmise.



Saint Basile, dans sa somme morale, 72, chap 1 (texte que Kemnitius a revendiqué en sa faveur) enseigne, en cet endroit, qu’il faut accueillir ceux qui enseignent des choses qui sont conformes aux Écritures, et qu’il faut rejeter les autres. Et saint Augustin dans le livre 17 contre Faust, chapitre 3 entend le mot « praeter » au sens de « contra » (contre). Et dans son traité 98 sur saint Jean, il parle ainsi : « Il n’a pas dit « plus » que ce que vous avez reçu, mais « contrairement » à ce que vous avez reçu. Car s’il avait dit « plus » au lieu de « contre », il se serait condamné lui-même puisqu’il désirait venir voir les Thessaloniciens, pour suppléer à ce qui manquait à leur foi. Car celui qui supplée à ce qui est moindre ajoute; il n’enlève pas ce qui existait déjà. Celui qui dévie de la règle du salut n’avance pas en chemin, mais recule ».



Leur deuxième argument, ils le tirent des textes qui semblent indiquer que l’Écriture contient suffisamment toutes choses. Il y en a deux. Le premier vient de saint Jean 20 : « Jésus a fait beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom ». Jean déclare ici qu’il n’a pas tout écrit, mais tout ce qui suffisait. Si, par les choses qui sont écrites, nous pouvons avoir la vie éternelle, pourquoi chercher autre chose ?



Kemnitius confirme son opinion par trois témoignages des anciens, Par celui de saint Augustin, dans son traité 49 sur saint Jean : « Le saint évangéliste atteste que le Christ a fait et dit beaucoup d’autres choses qui ne sont pas écrites. On a choisi de mettre par écrit celles qui semblaient suffire au salut des croyants ». Le même saint Augustin dans son livre 1 sur le consensus évangélique, dernier chapitre : « Tout ce que le Christ a voulu que nous lisions de ses actions et de ses paroles, il a ordonné à ses apôtres de l’écrire, comme de ses propres mains » Saint Cyrille, livre 12 sur Jean : « N’ont pas été écrites toutes les choses que Jésus a faites, mais ce que les écrivains ont cru devoir suffire pour la doctrine et les mœurs. Afin que, rendus lumineux par la vraie foi, les œuvres et la vertu, nous parvenions au royaume des cieux ».



Le second texte qu’ils citent est de 2 Tim 3 : « Toute écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, prouver, corriger, instruire dans la justice, pour que l’homme de Dieu soit parfait, et prêt à toute bonne oeuvre ». Ce lieu est l’Achille de Brentius et de Kemnitius. Voici comment l’explique Kemnitius : « Ce toute écriture ne signifie pas n’importe lequel livre sacré, mais l’ensemble de tous les livres canoniques. Car ce qui suit (est utile à enseigner, à prouver) ne convient pas à un livre en particulier, mais à toute l’Écriture prise dans son ensemble. Le mot « utile » ne signifie pas que l’Écriture est utile en tant que ce mot se distingue de nécessaire et de suffisant, mais il signifie que l’Écriture a été faite comme un moyen de parfaire l’homme de Dieu. C’est comme si saint Paul disait : l’Écriture a cet emploi; c’est à cela qu’elle est faite; c’est vers cela qu’elle dirige. Comme nous disons, nous, que la nourriture est utile à l’alimentation de l’homme, sans laquelle, cependant, on ne peut pas vivre.



Ce « pour enseigner, pour prouver » explique que l’Écriture se suffit à elle-même. Car, il y a quatre choses qui sont nécessaires à un homme de Dieu, à un docteur chrétien. D’abord, pour qu’il puisse enseigner la doctrine de la foi. En second lieu, pour qu’il puisse repousser les erreurs contre la foi, Troisièmement, pour qu’il puisse enseigner la doctrine des mœurs. Quatrièmement, pour qu’il puisse corriger ceux qui errent au sujet des mœurs, Toutes ces choses l’Écriture les fournit. Car, elle sert à enseigner les dogmes de foi, à former dans la justice, à enseigner les préceptes moraux. A amender, à corriger ceux qui errent dans les mœurs. Ce qui permet à saint Paul de conclure que l’homme, formé par les saintes Écritures, est parfait, et apte à toute bonne œuvre.



Je réponds à la première citation que, dans ce texte, saint Jean ne parlait que des miracles du Christ. Il dit qu’il n’a pas écrit tous les miracles, mais qu’il les a écrits en assez grand nombre pour persuader le monde que le Christ est le Fils de Dieu. Car voici ce qu’il dit : « Jésus a fait beaucoup d’autres signes à la vue de ses disciples ». C’est sans raison que ce qui a été dit des miracles Kemnitius le transfère à tous les dogmes de foi et à tous les préceptes moraux. De plus, saint Jean ne parle ici que des choses qui ont été écrites par lui. Si elles suffisaient, les autres écritures seraient superflues.



Kemnitius répond que saint Jean a parlé de toute l’Écriture. Mais saint Jean lui-même repousse ce mensonge, lui qui a dit : « Jésus a fait beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre ». Le fait qu’il ait ensuite ajouté « ces choses ont été écrites », ne suffit pas que les signes seuls suffisent pour notre salut, mais qu’ils sont référés à notre salut, et ordonnés à lui; qu’il sont un des moyens requis pour notre salut, même s’ils ne suffisent pas à eux seuls.



Au sujet des textes de saint Augustin et de saint Cyrille qu’il a cités, je réponds que ces pères ne parlent que des paroles et des faits du Christ. Ce qu’ils ont voulu dire c’est donc que les choses écrites qui suffisent ce ne sont pas les paroles et les actions de tous universellement, mais toutes les paroles et les actions du Christ. En plus des actions et des paroles du Christ, beaucoup de choses sont nécessaires, autrement toutes les histoires et les documents de l’ancien testament, les actes des apôtres, les épitres des apôtres ne serviraient à rien. Cela ne s’oppose pas à ce que nous avons dit plus haut, à savoir que les Écritures n’étaient pas absolument nécessaires. Car même si est nécessaire la connaissance de toutes les choses que le Christ et les apôtres ont dites et faites, cette connaissance aurait pu être obtenue par la seule tradition, sans les écritures. On ne nie pas, en disant cela, qu’il soit fort utile que les principaux points de doctrine aient été écrits.



Ajoutons que ces pères ne prétendent pas que les paroles et les actions du Christ qui ont été écrites soient toutes nécessaires absolument parlant, mais que les apôtres ont écrit ce qu’ils pensaient suffire. Car, puisque certaines choses avaient à être écrites, et que d’autres avaient à être transmises sans écrit, et surtout l’interprétation et la compréhension des Écritures, on peut donc dire, comme saint Augustin, qu’a été écrit tout ce que le Christ a voulu qu’on lise. Les autres choses, il a voulu qu’on ne les lise pas dans les Écritures, mais qu’on les reçoive de l’Église. Ces choses sont quand même, à leur manière, contenues dans les Écritures, non en particulier, mais globalement, comme quand l’Évangile nous demande de consulter l’Église dans les choses douteuses.



À l’autre passage tiré de saint Paul on peut répondre que l’Écriture instruit suffisamment et perfectionne l’homme de Dieu, car elle contient beaucoup de choses expressément enseignées. Et ce qu’elle ne contient pas, elle indique à qui les demander. Je dis ensuite que saint Paul, en ce lieu, n’attribue pas à l’Écriture la suffisance que l’on tire des deux mots suivants : « toute écriture), et « est utile ». Car, quand il dit « toute écriture », ce n’est pas seulement à l’Écriture dans sa totalité, mais à chacun des livres en particulier, qu’il fait l’éloge d’être utile à l’enseignement, à la réfutation. Et pourtant, Kemnitius déclare que chaque livre sacré en particulier ne suffit pas.



Qu’il en soit vraiment ainsi, on peut le déduire de la façon elle-même de parler. Car, au jugement de tous ceux qui savent le latin, ce qui est dit de toute écriture inspirée est dit de chacun des livres divinement inspiré. Deuxièmement, nous avons le fait que quand cette lettre a été écrite, n’existaient encore ni l’apocalypse, ni l’évangile de saint Jean, et peut-être d’autres livres. On ne parle donc pas de la révélation dans sa totalité, de tous les livres ensemble. Troisièmement, du raisonnement de l’apôtre. Car, de ce principe général, il voulait conclure en particulier que, parce qu’elle est inspirée par Dieu, l’Écriture de l’ancien testament est utile à l’enseignement, à la réfutation etc. Car voilà ce qu’il a dit : « Tu as connu les saintes lettres depuis ton enfance ». Il s’agit bel et bien de l’ancien testament, parce que, quand saint Timothée était enfant, le nouveau testament n’existait pas encore. C’est une chose évidente, et les adversaires l’admettent aussi. « Les choses qui peuvent t’instruire dans le salut par la foi qui est dans le Christ Jésus ». L’apôtre, ici, en peu de mots, attribue aux Écritures de l’ancien testament tout ce que, un peu après, il attribue en plusieurs mots à toute Écriture. Et pour que Timothée n’en doute en rien, l’apôtre prouve ce qu’il avance en ajoutant : « toute Écriture divinement inspirée ».



Kemnitius ne nous réfute en rien quand il objecte qu’on ne trouve pas dans tous les livres de l’Écriture toutes les utilités dont parle saint Paul. Or, il est faux qu’on ne les trouve pas. Car, il n’y a pas de partie de l’Écriture plus brève que la deuxième épitre de saint Jean. Et pourtant, nous la voyons prêcher que le Christ est le vrai Fils de Dieu, ce qui est un dogme de foi. Nous la voyons ensuite prêcher de nous aimer les uns les autres, ce qui est une doctrine morale. Nous voyons aussi écrit en toutes lettres que ce sont des antichrists ceux qui disent que le Christ n’est pas venu dans la chair, ce qui se rapporte à la réfutation des hérétiques. Nous voyons enfin qu’il réprouve ceux qui saluent amicalement les hérétiques, ce qui se rapporte à la correction des mœurs.



Le mot « utile » est détourné de son sens par Kemnitius, car jamais il ne signifiera « suffisant ». Car on ne peut, comme il le fait, déduire de ce mot qu’une Écriture seule ne suffit pas. On ne peut non plus, et c’est ce qu’il avait à prouver, déduire qu’elle suffit. Car que tu dises « l’Écriture est utile à cela », ou « elle a cet usage », ou « c’est à cela qu’elle se réfère et qu’elle est ordonnée », ou quelque chose de semblable, tu ne pourras jamais lui faire dire que l’Écriture à elle seule suffit. Comme quand quelqu’un dit que le pain est utile à nourrir l’homme, il dit manifestement que c’est pour nourrir l’homme que le pain a été inventé. Mais il ne dit pas que le pain suffit à lui seul, Car, si la chaleur naturelle fait défaut, ou une partie du corps nécessaire à la nutrition, le pain ne nourrira pas. L’apôtre ne dit donc pas que l’Écriture suffit à elle seule à enseigner, à réfuter etc, mais qu’elle est utile et profitable à toutes ces choses.



Et bien que l’apôtre ne dise pas lui-même « ne suffit pas », nous le trouvons ailleurs. Comme dans 1 Cor 11 : « Je m’occuperai des autres choses quand je viendrai ». Et 2 Thess 2 : « Gardez les traditions qui vous ont été transmises soit par la parole, soit par l’écrit ». Même si on ne peut pas faire dire à ce passage que « l’Écriture ne suffit pas à elle seule », on ne peut pas non plus lui faire dire que « l’écriture suffit à elle seule », parce que ces louanges qu’il fait c’est à chaque livre canonique qu’il les fait. Et nous savons, par l’aveu même des adversaires, qu’un seul livre canonique ne suffit pas, puisque, autrement les autres, seraient superflus.



Le troisième argument porte sur les passages où l’on condamne les traditions. Comme Marc 7 : « C’est en vain que, enseignant des préceptes et des doctrines humaines, ils me rendent un culte ». Matt 15 : « Vous avez annulé le commandement de Dieu avec votre tradition ». Galt 1 : « Je suivais fidèlement les traditions de mes pères ». Coloss 2 : « Veillez à ce que personne ne vous trompe par la philosophie, et des songes creux, selon la tradition des hommes ». l Timoth 1 : « Vous avez été rachetés du vain mode de vie qui provenait de la tradition de vos pères ». Il condamne ici les traditions provenant de Moïse et des prophètes que les Juifs se vantaient d’avoir reçues de main à main. Sont donc condamnées de la même façon les traditions que nous disons provenir du Christ et des apôtres, et avoir été transmises de génération en génération.



Je réponds que le Christ n’a pas blâmé les traditions que les Juifs avaient reçues de Moïse et des prophètes, dont l’une portait sur les livres canoniques, c’est-à-dire une tradition qui permettait de distinguer les livres canoniques de ceux qui ne l’étaient pas. Les traditions qu’il a blâmées, ce sont celles qu’ils avaient reçues récemment, les unes étant vaines, d’autres pernicieuses, et d’autres enfin contraires à l’Écriture. Car ni Jésus ni les apôtres ne leur donnent le nom de traditions de Moïse ou des prophètes. Ils disent, au contraire, ouvertement que les traditions qu’il réprouve ce sont celles qui sont contraires à l’Écriture. Et de plus, les anciens pères ont enseigné savamment qui était l’auteur de ces traditions que le Christ et les apôtres rejetaient.



Saint Irénée, livre 4, chap 25, 26. Il discute contre d’anciens hérétiques qui pensaient pouvoir interpréter la loi de Moïse au nom de traditions réprouvées par le Christ et les apôtres. C’est là qu’il enseigne que ce que le Christ et les apôtres ont blâmé ce n’est pas la loi de Moïse, mais les traditions de docteurs récents qui l’ont corrompue. Épiphane dans l’hérésie de Ptolémée, enseigne que les traditions des Juifs comportaient quatre présentations des livres sacrés. La première est de Moïse, et elle n’est pas blâmée. La seconde est d’Akiba, la troisième de Juda, et la quatrième des fils d’Asmonée. Ce sont ces trois dernières que blâmait le Seigneur.



Saint Jérôme, dans le chapitre 8 sur Isaïe, et dans le chapitre 3 de l’épitre à Tite, et dans l’épitre à Algasiam, question 10, rapporte que toutes les traditions juives que Jésus a réprouvées ont eu pour initiateurs Sammai, Killel, Achiba et d’autres, qui ont vécu un peu avant la naissance du Sauveur. Au lieu de commenter la loi, ils la corrompaient. Ces traditions ils les appellent des deuteroseis. Dans le code civil de Justinien, on trouve des canons qui s’y rapportent. « Ce qu’ils appellent une « deuterosis », ou seconde tradition, nous l’interdisons absolument. Qu’elle ne fasse pas partie des livres saints, car elle ne contient pas ce qui a été transmis par les prophètes, mais des extraits d’hommes terrestres qui n’ont rien en eux de divin ». C’est de ces sources que descendirent les fables que nous trouvons maintenant dans le Talmud, et dans presque tous les livres des rabbins. Mais ces choses n’ont rien à voir avec nos traditions qui viennent du Christ et des apôtres, et qui sont tout à fait conformes aux Écritures.





CHAPITRE 11 : Réfutation des objections tirées des écrits des pères



Nous allons répondre maintenant aux objections que l’on tire des écrits des pères. Kemnitius cite saint Irénée (livre 3, chap 1) : « Car nous n’avons pas connu la dispensation du salut par d’autres que par ceux qui nous ont transmis l’évangile. Ce qu’ils avaient d’abord prêché, ils nous l’ont ensuite, par la volonté de Dieu, transmis par écrit, comme fondement futur et colonne future de notre foi ». Et il en conclut que les apôtres ont donc écrit tout ce qu’ils avaient prêché de vive voix. Je réponds que saint Irénée ne dit pas que les apôtres n’ont prêché rien d’autre que ce qu’ils ont écrit, mais seulement qu’ils ont écrit l’évangile qu’ils avaient prêché. Ce qui est vrai, et ne nous est contraire en rien. Mais même s’il disait que les apôtres avaient écrit tout ce qu’ils avaient prêché, il ne nous contredirait pas. Car il y a deux choses dont il faut prendre le plus grand soin si l’on veut bien comprendre ce passage de saint Irénée, comme ceux de beaucoup d’auteurs anciens.



D’abord, il y a des choses dans la doctrine de la foi et des mœurs qui sont, pour tous, absolument nécessaires au salut, comme ce qui est enseigné dans le symbole des apôtres. On peut ajouter la connaissance des dix commandements, et de certains sacrements. Les autres ne sont pas nécessaires au point que, sans leur connaissance explicite et leur profession de foi, l’homme ne puisse pas être sauvé, pourvu qu’il ait l’intention et le vouloir de les accepter et d’y prêter foi, quand ils seront légitimement proposés par l’Église.



On tire cette distinction de ce que, sans la foi dans les mystères du premier homme, aucun adulte ne pouvait être admis au baptême; et de ce qu’on y était admis habituellement sans la connaissance et la profession explicite des autres mystères. On voit, par exemple, dans les actes 2, que, après un seul sermon de saint Pierre, qui portait sur les mystères principaux de la foi dans le Christ, on ait baptisé, le même jour, trois mille hommes qui ne connaissaient rien d’autre que les choses vraiment nécessaires. Et c’est pour cela qu’on ajoute que, après le baptême, ils persévéraient dans la doctrine des apôtres, c’est-à-dire qu’ils apprenaient, des mystères du Christ, ce qu’ils n’avaient pas encore entendu. On trouve quelque chose de semblable chez saint Paul. Il plaçait les Thessaloniciens au nombre des saints, et portait aux nues leur foi et leur charité. Et pourtant, il leur a dit (1 Thess 3) : « Priant de voir vos visages pour que nous complétions ce qui manque à votre foi ».



Notons, ensuite, que les apôtres avaient coutume de prêcher à tous les choses qui sont absolument nécessaires. Les autres choses, ils ne les prêchaient pas à tous, mais à certains seulement, celles, par exemple, qui n’étaient pas utiles à tous, mais aux prélats, aux évêques, aux prêtres, comme la façon de gouverner les églises, d’administrer les sacrements, de réfuter les hérétiques etc. Même aujourd’hui, il y a des choses qui ne sont discutées qu’entre docteurs, et d’autres qui peuvent être expliquées dans des prédications populaires. C’est ainsi que, dans les actes, 20, nous voyons l’apôtre instruire les évêques d’Asie. Il dit également dans 1 Cor 2 que « c’est de sagesse qu’on parle parmi les parfaits ». De même Tim 2 « Ces choses recommande-les à des hommes fidèles, qui seront capables aussi d’enseigner aux autres ». Ainsi, Irénée au livre 4, chap 43 dit que « avec l’épiscopat, les apôtres ont transmis à leurs successeurs le charisme de science ».



Tout bien considéré, je dis qu’ont été écrites par les apôtres les choses qui sont nécessaires pour tous, et qu’ils ont ouvertement prêchées à tous; et que les autres n’ont pas été écrites. Donc, quand saint Irénée dit que les apôtres ont écrit ce qu’ils ont prêché dans le monde, il ne fait que dire la vérité. Il ne parle pas non plus contre les traditions car ils n’ont pas tout enseigné aux peuples dans leurs prédications, mais seulement les choses qui étaient nécessaires ou utiles. Les autres, ils les ont réservées aux plus parfaits.



Deuxièmement, Origène (dans le chap 3 aux Romains, dans Matt homélie 23, dans Ezéchiel homélie homélie 7, dans Jérémie, homélie 1) dit que nous ne devons pas parler des choses divines selon notre idée propre, mais qu’il nous faut tout confirmer par des témoignages de l’Écriture : « Il nous est nécessaire de toujours faire appel au témoignage des saintes Écritures. Notre opinion personnelle et nos commentaires n’ont aucune valeur s’ils ne s’appuient pas sur des textes de l’Écriture ». Je réponds qu’Origène parle des questions qui sont les plus obscures, c’est-à-dire, de celles qui n’ont pas le témoignage d’une tradition reçue dans toute l’Église. Car il explique ailleurs (homélie 5 sur les Nombres) clairement que plusieurs choses sont conservées dans l’Église, et qui doivent l’être par tous, bien que nous n’ayons d’elles aucun témoignage écrit.



Troisièmement, il présente comme témoin l’empereur Constantin qui, au témoignage de Théodoret (l livre 1, chap 7) a dit : « Les livres évangéliques et apostoliques, ainsi que les oracles des anciens prophètes, nous enseignent complètement sur le sens divin. En conséquence, s’il survient une discorde hostile, tirons des paroles divinement inspirées les réponses à nos questions. » Je réponds qu’il ne faut pas accorder à ce témoignage l’importance que Calvin et Kemnitius veulent lui donner. Car Constantin était un grand empereur mais pas un grand docteur de l’Église, surtout si l’on considère que, selon l’opinion des hérétiques nouveaux et anciens (ariens), Constantin n’avait pas alors encore été baptisé, qu’il n’était qu’un catéchumène, et ne connaissait donc pas les mystères de notre religion.



Mais admettons qu’il ait eu une autorité doctrinale. Les dogmes sur toutes les choses qui se rapportent à la nature de Dieu sont attestés dans l’Écriture; et l’Écriture peut à elle seule nous donner une excellente compréhension de ces dogmes, si nous en saisissons correctement le sens. Mais il n’en est pas moins vrai que le sens de ces Écritures dépend de la tradition non écrite de l’Église. Le même Théodoret qui rapporte ce discours de Constantin, écrit au chapitre 8 qu’on a lu des passages de l’Écriture. Mais comme ces textes de l’Écriture ne parvenaient pas à convaincre les Ariens, parce qu’ils les interprétaient autrement, on condamna les Ariens à partir de paroles non écrites, mais correctement comprises. Et que Constantin ait donné son assentiment à cette condamnation, personne n’en a jamais douté.



Il présente aussi saint Athanase qui dans son discours contre les Gentils, dit, au tout début : « Les Écritures divinement inspirées suffisent pour instruire totalement sur la vérité ». Car, il ne parle pas ici de tous les dogmes, mais seulement des deux qui sont le sujet des deux livres qu’il a écrits à Macaire, à savoir que les idoles ne sont pas des dieux, et que le Christ est vraiment Dieu et vraiment homme. De ces deux dogmes nous avons dans l’Écriture des témoignages certains. Ce même saint Athanase ajoute après que l’Écriture suffit pour témoigner de ces deux dogmes, mais non sans l’explication des pères. Et comme leurs livres ne sont pas à la disposition de tous, il a voulu écrire ce qu’il avait appris de ces pères.



Il cite ensuite saint Basile, dans son sermon sur la foi : « Ce fut une preuve d’infidélité et un signe certain d’orgueil de vouloir rejeter les choses qui ont été écrites, et d’en introduire d’autres qui ne le sont pas.». Il dit la même chose dans sa somme morale (t2, chap 1 et 22). Je réponds que saint Basile parle ici de ceux qui ajoutent des dogmes différents et contraires, qui répugnent à l’Écriture. Car, dans le même sermon sur la profession de foi, il déclare que, en disputant avec les hérétiques, il s’est souvent servi de paroles non écrites, mais conformes aux Écritures. Et que saint Paul n’a pas reçu des témoignages seulement de l’Écriture mais aussi des philosophes, quand ils n’étaient pas contraires à l’Écriture. J’ajoute que saint Basile parlait de ceux qui, non contents des paroles écrites, en inventaient d’autres de leur cru.. Cela, oui, c’est un signe certain d’orgueil, Il parle donc des traditions qui ont été imaginées par des hommes privés, non de celles qu’il a reçues des apôtres par la succession des évêques catholiques



Il cite un autre passage de saint Basile (épitre 80) : « Nous ne pensons pas qu’il soit équitable de considérer comme une loi et un canon de vraie doctrine ce qui a été reçu par la tradition. Tenons nous en donc à l’arbitrage de l’Écriture inspirée par Dieu. » Je réponds que Kemnitius a omis les paroles qui étaient au milieu, et qui le contredisent. Car la chose dont il était question était la suivante. Faut-il dire qu’en Dieu il y a trois hypostases et une nature ? Quelques-uns disaient qu’il ne fallait pas employer ces mots, et ils invoquaient pour raison la coutume de leurs pays qui n’en connaissait pas l’usage. Saint Basile répondait à ceux qui raisonnaient ainsi, qu’en d’autres pays la coutume autorisait l’emploi ordinaire des mots hypostase et nature. Et il ajoutait que s’ils ne voulaient pas accepter la coutume de ces pays, ils ne devaient pas non plus prétendre imposer leur coutume comme une règle qui vaut pour tous; mais qu’ils devaient s’en tenir à l’arbitrage de l’Écriture, que personne ne peut rejeter ». Tu vois donc qu’il ne s’agit pas de traditions acceptées par l’Église, mais de coutumes particulières. La raison pour laquelle saint Basile les a détournés des traditions pour les renvoyer à l’Écriture était donc, qu’à partir de traditions contraires, on ne peut rien statuer de certain.



Il cite de saint Jean Chrysostome son homélie 1 sur saint Matthieu, son homélie 3 sur 2 Thess, et son homélie 13 sur la Genèse, qui dit que l’Écriture est utile, et claire dans les choses nécessaires. Mais quelles sont ces choses ? Il le cite aussi dans son homélie 49 sur saint Matt, dans lequel il explique le passage : « alors que ceux qui sont en Judée fuient dans les montagnes ». Il dit là que, en temps d’hérésie, il n’y a pas d’autre façon de trouver la vérité que par l’Écriture. Mais ce témoignage ne vient pas de saint Jean Chrysostome, mais de l’auteur de l’œuvre imparfaite qui était d’un arien, ou qui a été corrompue en plusieurs endroits par les ariens. Car dans l’homélie 49, il dit que sont hérétiques les fauteurs du consubstantiel, et c’est contre eux qu’il parle presque tout le temps dans l’homélie 49. Et c’est pourquoi ce passage inséré par les ariens a été enlevé des testes épurés. Il cite un autre passage de saint Jean Chrysostome tiré de son homélie sur le psaume 95, vers la fin : « Si on dit quelque chose sans l’Écriture, la pensée des auditeurs boite, tantôt approuvant, tantôt hésitant. A la vérité, un témoignage qui vient de la sainte Écriture confirme la parole du prédicateur, et fortifie l’âme de l’auditeur ».



Je réponds que quand, dans les paroles qui précédaient immédiatement, saint Jean Chrysostome a dit qu’il ne faut jamais rien dire sans témoins,, nous devons comprendre : par la seule pensée de notre âme. De la même manière, quand il ajoute tout de suite après : si on dit quelque chose sans écriture, il veut dire : par la seule pensée de l’âme. Ainsi le sens de ses paroles est le suivant. C’est comme s’il disait : on ne peut pas facilement persuader par l’invention personnelle; mais on le peut si ce que l’on dit peut être confirmé par le témoignage de l’Écriture.



Il apporte un autre exemple tiré de son homélie 13 sur l’épitre 2 de saint Paul aux Corinthiens : « Comme nous avons une balance, un cadran solaire, une règle très exacte pour toutes choses, pour l’assertion même des lois divines, je vous prie de laisser tomber ce qui semble bon à l’un et à l’autre, et de vous enquérir de toutes choses auprès des Écritures ». Je réponds qu’il ne parle pas ici des dogmes obscurs de la foi ou des mœurs, mais de l’opinion des charnels qui place la richesse avant la pauvreté, alors que l’Écriture affirme explicitement que la pauvreté est de loin plus utile au salut. Saint Jean Chrysostome ne dit donc rien d’autre, dans ce texte, qu’ il faut croire plus à l’Écriture qu’à l’opinion des hommes.



Il cite, comme dernier passage de saint Jean Chrysostome, son commentaire sur saint Matt. Chjap 22 : « Ce que l’on cherche en vue du salut, tout cela est déjà contenu dans les Écritures ». Je réponds que saint Jean Chrysostome parle ici des remèdes pour les vices; et il enseigne qu’il n’y aucun vice pour lequel l’Écriture n’offre pas un remède salutaire. Et c’est ce qu’enseigne saint Basile dans son oraison sur le psaume 1. Mais en quoi ces choses s’opposent-elles aux traditions ?



En septième lieu, il présente Épiphane qui dit à l’hérésie 61 : « Pour trouver une réponse à chacune de ces questions, nous ne faisons pas confiance à nos propres raisonnements, mais nous recourrons à l’Écriture ». Je réponds qu’Épiphane ne dit pas qu’il se sert des seules Écritures, car il a dit en toutes lettres ailleurs qu’on ne peut pas tout tirer de l’Écriture, et que la tradition est nécessaire. En huitième lieu, il cite saint Cyrille qui, dans son livre à la reine sur la foi droite, dit ceci : « Il nous est nécessaire de suivre les lettres divines, et de ne nous éloigner en rien de tout ce qu’elle prescrit ». Je réponds qu’il n’enseigne pas qu’il n’est pas permis de dire ce qui n’est pas dans l’Écriture, mais qu’il n’est pas permis de parler contre les Écritures. C’est ce que veut dire ne pas s’éloigner des prescriptions de l’Écriture, et c’est ce que nous pratiquons nous-mêmes. Car nous ne soutenons jamais des traditions qui s’opposent à l’Écriture.



Il cite aussi un passage de son homélie 5 sur le Lévitique : « Je pense que, dans cet espace de deux jours, on peut voir les deux testaments, dans lesquels il faut aller chercher et découvrir toute parole qui se rapporte à Dieu, et desquels ils faut tirer toute la connaissance des choses ». Je réponds d’abord que ces homélies sur le Lévitique ne sont pas de saint Cyrille, mais d’Origène, ou d’un auteur quelconque, qui détruit souvent la lettre pour y voir un sens mystique de son invention. Ces homélies ne sont pas d’une grande autorité. J’ajoute que, dans ce passage, l’auteur de l’homélie n’exclut pas la parole de Dieu non écrite, mais seulement une troisième écriture, une écriture humaine, qui se veut divine.



En neuvième lieu, il cite Théophyle dans son livre 2 sur Pâque : « C’est le propre d’un esprit diabolique de penser que quelque chose puisse être divin en dehors de l’autorité des saintes Écritures ». Je réponds qu’il parle de livres apocryphes que quelques uns considéraient comme divins. C’est un procédé inepte, pour ne pas dire davantage, de détourner le sens d’un passage vers autre chose.



Il cite en dixième lieu Apollinaire qui, selon Eusèbe (histoire ecclésiastique, livre 5, chapitre 15) dit qu’il a depuis longtemps cessé d’écrire contre l’hérésie de Montan, de peur de paraître ajouter quelque chose à la parole évangélique de Dieu. Je réponds d’abord que ces paroles ne se trouvent pas dans tous les codex. Je réponds ensuite qu’il ne parle pas de la parole évangélique écrite. Enfin, qu’il pense à l’addition d’un nouveau dogme contraire. Car, au même endroit, il reproche à Montan de ne pas avoir conservé la doctrine qu’il avait reçue de la tradition et de la succession apostolique.



Il cite en onzième lieu Tertullien, qui dans son livre contre Hermogène, chap 22 dit : « J’adore la plénitude de l’Écriture. Si cela a été écrit, que l’enseigne l’officine d’Hermogène. Si cela n’a pas été écrit, qu’elle redoute ce qui ne sert qu’à ceux qui ajoutent ou enlèvent des choses. » Je réponds que Tertullien ne parle ici que d’un seul dogme, que Dieu a créé toutes choses à partir du néant, et non d’une matière préexistante, comme le rêvait Hermogène. Et comme ce dogme est clairement contenu dans l’Écriture, Tertullien dit qu’il adore la plénitude de l’Écriture en ce qui a trait à ce dogme. Et il ajoute qu’Hermogène qui ajoutait à l’Écriture un dogme qui lui était contraire et qui lui répugnait, tombait dans cette malédiction qui nous interdit d’ajouter ou d’enlever quoi que ce soit à l’Écriture, pour ne la modifier en rien.



Il cite en douzième lieu saint Cyprien, qui parle ainsi dans son épitre à Pompée : « D’où est cette tradition ? Descend-elle de l’autorité dominicale et évangélique, ou vient-elle des commandements ou des lettres des apôtres ? Car, qu’il faille observer les choses écrites Dieu l’atteste et l’expose à Jésus Nave en disant : « Que le livre de cette loi ne s’éloigne pas de ta bouche. Il faut observer une sainte tradition si elle est prescrite dans l’Évangile, ou si elle est contenue dans les lettres ou les actes des apôtres. » Je réponds que saint Cyprien a écrit cela quand il voulait défendre son erreur. Il ne faut donc pas se surprendre qu’il raisonnait alors à la façon de ceux qui errent dans la foi. Saint Augustin a donc eu raison de réfuter cette lettre dans son livre 5 contre les donatistes, chap 23 et suivants. De plus, si saint Cyprien rejetait cette tradition sur le baptême parce qu’il la croyait contraire à l’Écriture, il ne rejetait pas pour autant les autres traditions qui, non présentes dans l’Écriture, ne la contredisaient pas.

En treizième lieu, il cite la parole célèbre de saint Jérôme au chapitre 4 de l’épitre à Titus : « Il ne faut prêter foi à aucun bavardage qui ne s’appuie pas sur l’autorité des Écritures. ». Et au chapitre 25 de Matt : « Ce qui ne tire pas son autorité de l’Écriture est méprisé avec la même facilité avec laquelle on le prouve ». Et cet autre dans son chapitre sur Aggée : « Le glaive de Dieu transperce tout ceux qui, sans l’autorité et les témoignages de l’Écriture, trouvent ou inventent quelque chose comme venant de la tradition apostolique ». Ensuite dans son commentaire sur le psaume 86 : « Le Seigneur parlera dans les écritures de peuples et de princes qui furent en elle. Remarquez, dit-il, qu’il a dit qui furent et non qui sont. De sorte que, en dehors des apôtres, tout ce qui est dit après est retranché et n’a pas d’autorité. »



Je réponds à la première citation, qu’il a faussé le texte. Car voici ce que dit saint Jérôme : « Sans l’autorité des Écritures, ce bavardage n’est pas crédible, à moins qu’une doctrine perverse ne semble être démontrée par des témoignages divins ». Il n’appelle donc pas bavardage ce que l’on va chercher en dehors de l’Écriture, mais il dit que les hommes bavards ne sont crus par personne à moins de confirmer leurs erreurs par l’Écriture. Je réponds au deuxième texte présenté qu’il l’a mal cité, celui-là aussi. Car saint Jérôme ne dit pas, comme s’il s’agissait d’une règle générale, « ce qui ne tire pas son autorité des Écritures ». Mais il parlait plutôt d’un fait particulier qu’ils essayaient d’établir à partir d’un livre apocryphe, à savoir que le Zacharie qui avait été tué entre le temple et l’autel a été le père de saint Jean le Baptiste. Il dit donc : « Parce que cette chose n’a pas l’autorité de l’Écriture, elle est rejetée aussi facilement qu’elle est prouvée. » Et le sens en est donc qu’on rejette ou qu’on méprise facilement ce qui s’appuie sur un livre apocryphe, plutôt que sur un livre canonique. La réponse arrive facilement à la troisième citation. Il ne parle que de ceux qui inventent des choses et qui veulent que leur imagination passe pour une tradition apostolique. Je réponds à la dernière citation que, dans ce passage, saint Jérôme rejette les choses qui sont étrangères à la doctrine apostolique, c’est-à-dire qui sont contraires aux Écritures et qui leur répugnent.



Finalement, ils citent des témoignages de saint Augustin. D’abord, dans le livre 2, chap 9 de la doctrine du Christ : « Dans les choses qui sont ouvertement présentées dans les Écritures, on trouve contenu tout ce qui se rapporte à la foi et aux mœurs ». Je réponds qu’il parle des dogmes qui sont contenus dans le symbole des apôtres et dans le décalogue. C’est pourquoi le même saint Augustin dit dans le livre des mérites des pécheurs et de la rémission des péchés, au dernier chapitre : « Je crois que l’autorité de ces préceptes resterait pleine et entière même si, sans la dispensation du salut promis, il n’était pas possible à l’homme de les ignorer ». Et, en plus de ceux-là, il y en a beaucoup d’autres que nous n’avons que de la tradition, comme plusieurs citations de saint Augustin nous ont permis de le montrer.



Il cite ensuite saint Augustin dans son livre 3 contre les lettres de Petilien chapitr 6 : « Si quelqu’un ajoute au Christ, ou à son Église quelque chose qui appartient à la foi et à votre vie, ce n’est pas moi qui le dis, mais saint Paul : si un ange du ciel vous annonçait autre chose que ce que vous avez reçu dans la loi et les évangiles, qu’il soit anathème ». J’ai déjà répondu (traité 98) que ce qui est « autre » ici signifie ce qui est « contre ».



En troisième lieu, il cite un passage de la cité de Dieu, livre 19, chap 18; traité 2 dans son épitre de saint Jean; l’épitre 63, dans son livre sur les pasteurs, chap 14, et dans son livre 6 des confessions, chap 5. Mais dans tous ces textes qu’il cite, il n’y a rien contre les traditions. Saint Augustin dit seulement que c’est à partir des Écritures qu’il faut prouver les dogmes, si on y trouve des témoignages; qu’il faut croire dans les Écritures, et qu’il ne faut rien dire qui leur soit contraire, et des choses semblables. Tout cela est très vrai, mais c’est bien en vain qu’on présente ces choses comme contraires aux traditions, ou pour prouver que les Écritures se suffisent à elles seules, puisque saint Augustin ne dit rien là de tel,



Quatrièmement, il tire ce passage du bien du veuvage chap 1 : « Que t’enseignerais-je de plus que ce que nous lisons dans les lettres de l’apôtre ? Car c’est la sainte Écriture qui fixe la règle de notre doctrine, pour que nous n’osions pas savoir plus qu’il ne faut. Que t’enseigner ne soit donc pour moi rien d’autre que t’exposer les paroles du docteur. » Je réponds que saint Augustin ne parle pas ici de tous les dogmes, mais seulement de la profession du veuvage, que saint Paul a suffisamment présentée dans 1 Cor 7. Et c’est pourquoi saint Augustin affirme qu’il lui suffit d’exposer les paroles de l’apôtre. Le principe général de saint Augustin (c’est l’Écriture qui a fixé la règle de notre doctrine, n’osons pas en savoir plus qu’il ne faut), s’applique à ceux qui, de leur propre mouvement, inventent de nouveaux dogmes, qui ne sont pas conformes à l’Écriture.



Cinquièmement, (livre 5, chap 14 contre Maximin) : « Mais, pour le moment, afin de ne rien préjuger, il ne me faut pas, moi, faire mention du concile de Nicée, ni toi, de celui d’Ariminium. J’ignore pour le moment quelle est son autorité, et toi, fais de même. Que notre cause soit débattue exclusivement par les autorités des Écritures, non celles que chacun séparément reconnait pour authentiques, mais celles que nous acceptons tous les deux. Chaque chose, chaque cause, chaque raison ne sera débattue qu’à leur lumière. » De même dans le psaume 37 sur : « Les pécheurs sont étrangers à la foi. Qu’on les expulse de notre assemblée, qu’on apporte le codex de Dieu, Écoute ce que dit le Christ, écoute la Vérité qui parle ». Il dit des choses semblables au sujet de l’unité de l’Église, chapitres 3, 8, 10, 16.



Je réponds que dans ces textes on peut penser qu’il parle contre les conciles, mais pas contre les traditions. Mais il est facile de démontrer que saint Augustin n’a jamais cherché à parler contre les conciles. Car il est certain que ce n’était pas l’intention de saint Augustin d’écarter les conciles pour ne s’en tenir qu’à la seule parole de Dieu, comme s’il ne croyait pas en l’autorité des conciles légitimes. C’était plus tôt pour aller plus vite. Car s’il avait voulu tirer un argument des conciles, il aurait fallu d’abord prouver qu’il fallait recevoir les conciles, ce qui aurait pris trop de temps. Cette raison valait surtout contre les ariens qui n’admettaient en aucune façon le concile de Nicée. Et, pour ces dogmes trinitaires, il existe dans l’Écriture des témoignages très clairs qu’il faut faire passer avant les décrets des conciles. Ce qui s’imposait surtout quand il discutait de l’Église avec les donatistes. D’ailleurs, le même saint Augustin (dans ses épitres 118, 162, 165, 166, et dans son livre sur le baptême), renvoie souvent aux conciles et aux traditions, et même aux réponses des papes et des empereurs.



Sixièmement, ils citent son livre sur la punition des pécheurs et la rémission des péchés livre 2, chap 36 : « Quand la discussion porte sur une chose très obscure, ne pas chercher l’aide de textes clairs et certains de la divine Écriture doit être imputé à la présomption humaine, car on n’a rien à gagner à regarder ailleurs ». Je réponds que les questions très obscures dont il parle sont, par exemple, l’origine de l’âme. On ne peut, en dehors de l’Écriture, trouver rien de certain qui puisse jeter de la lumière sur ce sujet. Il n’y a rien, dans tout cela, qui se rapporte aux traditions qui sont corroborées par le consensus des anciens et de toute l’Église. Il enseigne, au contraire, fortement cette vérité, et surtout dans son livre contre Crescon livre1, chap 33. où il dit : : « Nous tenons la vérité de l’Écriture quand nous faisons ce qui plait à l’Église universelle, même si rien n’est écrit là-dessus ».



Septièmement, dans son livre sur l’enseignement aux illettrés, chapitres 3, 6, il dit qu’il faut présenter aux catéchumènes un bref résumé de la doctrine tirée des Écritures; et qu’il faut les baptiser quand ils diront qu’ils y croient, et quand ils promettront de les observer. Kemnitius veut faire dire à ce texte que suffit à un chrétien ce qui se trouve dans les Écritures. Je réponds que cela suffit pour qu’un catéchumène soit baptisé, mais que cela ne suffit absolument pas pour l’Église de Dieu. Autrement, il faudrait conclure que le symbole des apôtres suffit, et que tout le reste est superflu.



Voilà donc les témoignages des Anciens cités par les hérétiques. Nous pouvons, à leur sujet, noter trois choses. Nous avons cité plusieurs textes qui vont en sens contraire. Nos témoignages enseignent expressément qu’il faut recevoir les traditions non écrites. Et cela est si vrai que, ne pouvant le nier, les hérétiques n’ont pu répondre que par le blasphème. Les citations qu’ils présentent ne portent pas sur les traditions proprement dites, mais sur les mauvaises conclusions que les hérétiques en tirent. Il arrive parfois que, convaincus par nos preuves irréfutables, nos adversaires ne trouvent rien d’autre à dire que certains pères s’y sont opposés. Mais quant à nous, rien ne nous forcera jamais à admettre qu’un père, un seul, ait écrit contre les traditions.





CHAPITRE 12 : Réponse aux objections des adversaires



Il reste encore à traiter d’un troisième type d’arguments, ceux qui viennent de la raison. Voici quelle est la première objection. Il semble impossible de conserver longtemps des traditions non écrites, si on tient compte de tout ce qui les combat : l’oubli, l’incapacité, la négligence, la perversité, toutes choses qui ne font jamais défaut dans le genre humain. A cause de quoi sont complètement disparus les dogmes de Lycurgue et de Pythagore et d’autres auteurs semblables, qui enseignaient sans écrire.



Je réponds que non seulement il n’est pas impossible de conserver des traditions, mais qu’il est pratiquement impossible de ne pas les conserver. Car ce soin n’incombe pas d’abord aux hommes, mais à Dieu, qui régit l’Église. Comme Dieu a conservé jusqu’à aujourd’hui la vraie Église contre tant de persécutions de la part des empereurs, des philosophes, des Juifs, et des hérétiques, comme il a pu conserver, pendant deux mille ans, les traditions qui vont d’Adam à Moïse, et comme il a pu conserver les Écritures pendant trois mille ans et plus, de Moïse à Jésus, il a également pu, cela est certain, conserver pendant mille cinq cents ans les traditions qui vont du Christ jusqu’à nous. Car, en plus de la providence qui en est la cause principale, quatre autres causes viennent en aide.



La première est l’Écriture. Car bien que les traditions ne soient pas écrites dans les livres saints, elles le sont quand même dans les documents des anciens, et dans les livres ecclésiastiques. La deuxième est l’usage continuel. Car la plupart des traditions sont observées constamment, comme les rites pour l’administration des sacrements, les jours de fête, les époques de jeûne, la célébration de la messe et des offices divins, et autres choses du même genre. Comme sont conservées par un usage continu les langues vulgaires qui n’ont ni dictionnaire ni grammaire. Comme a été conservée la langue hébraïque dans le peuple de Dieu, pendant trois mille ans, depuis Adam jusqu’à la captivité de Babylone. C’est de cette façon, que les traditions peuvent être conservées sans écritures.



On trouve la troisième cause dans les monuments externes qui durent un très long temps, comme les églises les plus anciennes, et les autels qui s’y trouvent, ainsi que les fonds baptismaux, les images des saints, les croix, les statues, les chemins de croix et les livre ecclésiastiques. Le flamand Baleoli m’a raconté l’histoire suivante en 1571, quand j’allai visiter son pays. J’ai appris du curé de ce lieu, me dit-il, qu’un pasteur hérétique était parvenu à persuader au peuple que l’érection d’autels en pierre était une innovation de date récente, d’environ cent ans. Les paroissiens commencèrent donc à démolir leur autel, Mais quand ils se mirent en frais d’accomplir leur dessein, ils remarquèrent qu’il y avait, gravées dans la pierre, des lettres qui semblaient fort anciennes. . Ces lettres indiquaient l’année de la dédicace de l’autel. Ils comprirent alors que cet autel avait été érigé plusieurs siècles avant la date présumée par le pasteur. Ce fut donc le monument de pierre qui réfuta l’hérétique, et qui conserva la tradition ecclésiastique.



La quatrième cause est l’hérésie. Dieu se sert admirablement des ennemis de l’Église pour la conserver. Car à chaque siècle sont apparus de nouveaux hérétiques qui combattaient différents dogmes de l’Église; et à chaque siècle se sont trouvés aussi des hommes doctes qui, en résistant aux hérétiques, ont scruté plus attentivement la doctrine de l’Église et les traditions antiques, et qui les ont transmises doctoralement aux générations futures. Celui qui possède longtemps en paix ses biens perd facilement les documents et les lettres qui expliquent d’où viennent ces biens, et à quel titre il les possède. Celui, au contraire, qui doit toujours lutter, les garde avec soin, et ne les laisse détruire pour aucune raison.



La deuxième objection. Les lettres divines ont été écrites pour que nous ayons une règle et une norme de foi et de mœurs, comme l’enseigne saint Augustin dans le livre 19, chap 18, de la cité de Dieu, et dans le livre 11 contre Faustus, chap 5, à « les œuvres de Dieu sont parfaites ». L’Écriture est une règle parfaite pour notre foi, et adéquate. Or, tout ce qui est dans l’Écriture est de foi, et ce qui n’est pas dans l’Écriture n’est pas de foi. La foi seule est donc nécessaire et suffisante à la conservation de la foi. Je réponds de deux façons à la majeure. La fin propre et principale de l’Écriture n’a jamais été d’être une règle de foi, mais un utile rappel en vue de la conservation de la foi reçue de la prédication. Que la fin principale de l’Écriture ne soit pas d’être une règle de foi on le prouve ainsi. Car elle devrait alors contenir tout ce qui se rapporte de soi à la foi, et uniquement ce qui s’y rapporte, comme le symbole des apôtres qui a été composé pour être une sorte de règle de foi. Or, dans les Écritures, il y a beaucoup de choses qui, d’elles-mêmes, ne se rapportent pas à la foi, des choses qui n’ont pas été écrites parce qu’il faut nécessairement y croire, mais parce qu’il est nécessaire de croire qu’elles ont été écrites, comme c’est le cas de beaucoup d’histoires de l’ancien testament, de plusieurs histoires aussi de l’Évangile, des actes des apôtres, des salutations de Paul dans ses épitres, etc.



Qu’il faut croire beaucoup de choses qui ne sont pas écrites, nous l’avons abondamment démontré plus haut. La fin principale de l’Écriture n’est donc pas d’être la règle de foi, mais de nous aider, dans ce pèlerinage terrestre, par toutes sortes de documents, d’exemples, d’exhortations, tantôt en nous effrayant, tantôt en nous instruisant, en menaçant, en consolant. Car l’Écriture n’est pas un tout continu comme devrait l’être une règle de foi, mais elle contient différentes œuvres, des histoires, des discours, des prophéties, des chants, des épitres etc. C’est de cette fin-là que parle saint Paul aux Romains 15 : « Tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, pour que par la patience et la consolation qu’apportent les Écritures, nous ayons bon espoir ». Et 2 Pierre 1 : « Je trouve qu’il est juste, tant que je suis dans ce tabernacle, de vous rappeler à mon souvenir ». Et au chapitre 3 : « Voici la deuxième lettre que je vous écris. Dans les deux lettres je vous ai incités à vous souvenir de moi en toute sincérité. »



Je dis en second lieu que même si elle n’a pas été faite d’abord et avant tout pour être une règle de foi, elle en est quand même une, non totale mais partielle. Car la règle totale de la foi est la parole de Dieu ou la révélation de Dieu faite à l’Église, qui se divise en deux règles partielles, l’Écriture et la Tradition. Et parce que l’Écriture est une règle de foi, il s’ensuit donc qu’on doit croire qu’est nécessairement vrai tout ce qu’elle contient, et nécessairement faux tout ce qu’elle répudie, et qu’on doit répudier ce qu’elle condamne comme faux. Mais, parce qu’elle n’est pas une règle totale mais partielle, il se trouve qu’elle ne mesure pas tout, et qu’il y ait des choses de foi qu’elle ne contient pas. Et c’est de cette façon qu’il faut comprendre les paroles de saint Augustin. Car il ne dit jamais que les Écritures se suffisent à elles seules, mais il dit que l’Écriture est une règle avec laquelle on doit mesurer les écrits des anciens, pour savoir si nous pouvons les accepter : ceux qui sont conformes à l’Écriture, on les garde, les autres on les rejette.



Le troisième argument, ils le tirent du désavantage que procurent les traditions. Car si on ouvre une porte qui permet de faire entrer des dogmes qu’on ne peut en aucune façon démontrer par l’Écriture, on donnera l’occasion à un grand nombre d’inventer et d’introduire dans l’Église plusieurs faux dogmes, au nom de la tradition, Car, nous voyons que, par le passé, même de très grands saints ont été trompés. Papias, par exemple, rapporte, au nom de la tradition, que le royaume du Christ durera mille ans sur la terre, après la résurrection. Un saint Irénée y a prêté foi, ainsi qu’un Tertullien, et Lactance et d’autres. C’est ce que rapporte Eusèbe de Césarée dans le livre 3, chap 39 de son histoire ecclésiastique. De plus, saint Irénée, livre 2, chap 39 et 40, annonce, au nom de la tradition, que le Christ était dans la cinquantaine quand il est mort. Tertullien et Clément d’Alexandrie ont enseigné, au contraire, qu’il a souffert à l’âge de 30 ans. Toutes ces traditions sont fausses.



Je réponds que si cet argument valait quelque chose, il faudrait rejeter non seulement les traditions mais les Écritures. Car beaucoup de livres faux et pernicieux ont été autrefois considérés comme des livres canoniques, et ont porté le nom de Pierre, de Paul, de Barthélémy ou d’autres apôtres, comme le pape Gélase le rapporte, ou saint Jérôme, dans son livre des hommes illustres, et dans saint Luc. C’est pour cela que saint Paul a dit 2 Thess 2 : « Ne soyez troublés ni par un discours ni par une lettre que nous aurions envoyés ». Parce que de faux apôtres prononçaient de vive voix ou écrivaient des lettres au nom des douze apôtres. De plus, l’erreur du millénarisme de Papias ne provient pas d’une tradition non écrite, mais d’une écriture mal comprise. C’est de l’apocalypse qu’il l’a tirée, comme l’enseigne saint Jérôme au chap 49 d’Isaïe, et au chap 19 de Matt. C’est à la fois de l’Écriture et de la tradition que saint Irénée essaie de prouver que Jésus a atteint la cinquantaine. Car saint Irénée avait lu : « Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? » Enfin, ce n’est que de l’Écriture mal comprise que Tertullien et Clément d’Alexandrie tentent de prouver leur erreur. C’est donc vainement et témérairement que Kemnitius oppose ces textes aux traditions.



Je dis en second lieu que cet inconvénient qui est commun aux traditions et aux écrits ne fait de tort ni aux vraies traditions ni aux vraies Écritures. Car il y a, dans l’Église, une autorité, un moyen sûr, une règle certaine qui permette de distinguer les vraies traditions des fausses. Et jamais, par un jugement public de l’Église, un livre apocryphe n’a été reçu comme canonique, une fausse tradition pour une vraie.



Le quatrième argument. C’est le propre des hérétiques de cacher leurs dogmes en disant que le Christ a prêché certaines choses à tous en public, et certaines autres secrètement à quelques-uns. C’est ce que dit saint Irénée, livre 1, chap 3 des adeptes de Basilide. Ils affirment qu’ils ne doivent pas dire à voix haute leurs mystères, mais les conserver enfouis dans le silence, Et au chapitre 24 sur les disciples de Carpocrate : « Jésus a parlé à part, en secret, à ses apôtres et à ses disciples, et il leur a demandé de transmettre ces enseignements à ceux qui étaient dignes d’y donner leur assentiment à part ». Tertullien dans le livre de la prescription des hérétiques : « Ils ont coutume de dire que les apôtres n’ont pas tout su; ou qu’ils ont tout su, mais qu’ils n’ont pas transmis leur savoir à tous ».



Je réponds que les hérétiques sont des singes des catholiques, comme saint Cyprien l’enseigne dans son épitre à Jubajan. Et c’est pour cela qu’ils veulent aussi avoir des mystères. La différence qu’il y a entre leurs mystères et les nôtres consiste en ceci que leurs mystères exigent le silence, parce qu’ils sont honteux. On n’a qu’à penser à ces gnostiques qui confectionnaient l’eucharistie avec de la semence d’homme et les menstruations des femmes, comme le rapporte Épiphane. Saint Augustin raconte la même chose des Manichéens dans son livre sur les hérésies, chap 46, et des choses semblables au sujet des mystères des anabaptistes. Il y aussi à noter que ces mystères ils voulaient qu’ils restent secrets pour les doctes, et qu’on ne les révèle qu’aux seuls ignorants. Saint Irénée et Tertullien combattent les anciens hérétiques qui prétendaient que le Christ n’avait pas transmis ses mystères aux apôtres, que les apôtres ne les avaient pas transmis aux évêques leurs successeurs, mais à je ne sais quels autres.



Mais ce n’est pas parce qu’ils craignent la lumière du jour que nos mystères ne sont transmis qu’à quelques-uns. C’est plutôt parce qu’il n’est pas nécessaire que tous les sachent, ou parce que tous n’en sont pas capables. Mais ils sont tels, de leur nature, qu’ils peuvent tous être prêchés publiquement, car l’Église ne promeut que ce qui est chaste et pur. Et je pense que c’est cela qu’a voulu dire le Seigneur en Matt 10 : « Ce que vous entendez de vos oreilles, prêchez-le sur les toits ». Et en saint Jean 18 : « J’ai parlé au monde en public, et dans les synagogues où tous les Juifs se réunissent. Mais en secret, je n’ai rien dit ». C’est-à-dire que je n’ai rien dit qui ne puisse être dit partout, en ce qui a trait à la vérité et à la pureté des paroles. Ce qui ne s’oppose pas au fait qu’il ait expliqué des choses à part à ses disciples.

 

29 mars 2017 à 17:23


fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin, docteur de l'Eglise Catholique Romaine : JesusMarie.com, France, Paris, juillet 2017.