JesusMarie.com


Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.  télécharger

livre 1 : Les livres sacrés et les livres Apocrypes


 
Tome 1 : Les règles de la foi : trois controverses générales : 
1ere Controverse :  la Parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, l. IV
2eme Controverse : le Christ chef de toute l’Eglise, l. V ; 
3eme Controverse : le souverain pontife, son vicaire ici-bas, l. V.

pouvoir spirituel et son pouvoir temporel.


 
 
1ere Controverse : la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, l. IV (4 livres).
livre 1 : Les livres sacrés et les livres Apocrypes (20 chap.)
livre 2 : Les Différentes éditions (16 chap.)
livre 3 : L'interprétation de la Parole de Dieu (10 chap.)
livre 4 : La parole de Dieu non écrite (12 chap.)
 

1ere Controverse : la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition (4 livres).

livre 1 : Les livres sacrés et les livres Apocrypes

CHAPITRE 1  L’ÉCRITURE EST-ELLE LA PAROLE DE DIEU ?

CHAPITRE 2 Les livres dits canoniques qui contiennent la parole de Dieu

CHAPITRE 3 Réfutation de l’objection provenant de la parole de saint Paul :la lettre tue, mais l’esprit vivifie.

CHAPITRE 4 QUELS SONT LES LIVRES SAINTS

CHAPITRE 5 LES HÉRÉTIQUES QUI S’ATTAQUÈRENT AUX LIVRES DU PREMIER ORDRE

CHAPITRE 6 Les Hérétiques qui combattirent les livres du Nouveau Testament ci-dessus énumérés.

CHAPITRE 7 Le livre d’Esther

CHAPITRE 8 Le livre de Baruch

CHAPITRE 9 De certains chapitres de Daniel

CHAPITRE 10 Les livres de Tobie, de Judith, de la Sagesse, de l’Ecclésiastique et des Macchabées.

CHAPITRE 11 Le livre de Tobie

CHAPITRE 12 Le livre de Judith

CHAPITRE 13 Le livre de la Sagesse

CHAPITRE 14 L’ Ecclésiastique

CHAPITRE 15 Les Livres des Macchabées

CHAPITRE 16 Certaines parties des livres de Marc, de Luc et de Jean

CHAPITRE 17 La lettre aux Hébreux

CHAPITRE 18 Les lettres de saint Jacques, de saint Jude, la deuxième de saint Pierre, la deuxième et la troisième de saint Jean.

CHAPITRE 19 L’Apocalypse

CHAPITRE 20 Les livres apocryphes

***

(5 février 2017)

CHAPITRE 1 : L’ÉCRITURE EST-ELLE LA PAROLE DE DIEU ?

Me proposant de traiter des livres sacrés, la première question qui s’offre à moi est la suivante : doit-on recevoir  l’Écriture prophétique et apostolique comme la parole de Dieu,  ou ne doit-on considérer comme parole de Dieu que ce que l’Esprit Saint dit en privé à chacun dans son cœur ? Cette question que les théologiens catholiques ne sauraient se poser sans rougir, c’est en partie le délire de Swenckfeld et des Libertins qui la font naître,  ainsi que la malhonnêteté et l’impudence des Luthériens.  Gaspar Swenckfeld  (comme Frédéric Staphile dans son livre sur la concorde existant entre les disciples de Luther, et Pierre Palladius dans son livre des hérésies de ce temps l’attestent), rejette la parole écrite comme la lettre qui tue, et ordonne de nous contenter du seul esprit interne.  Voici ce qui dit Jean Calvin des Libertins qui se sont faits les adeptes des auteurs Copin et Quentin, dans son instruction contre les Libertins, au chapitre 4 : «  Nous avons dit que ces gens-là ont coutume de s’esclaffer à voix haute si quelqu’un leur allègue un passage de l’Écriture.  Ils ne craignent pas d’affirmer que l’Écriture ne raconte que des fables.  Ils ne s’interdiront pas pour autant de l’utiliser s’ils peuvent l’interpréter dans leur sens.  Non parce qu’ils ont foi en elle, mais pour troubler les idiots,  et les ébranler au point de pouvoir les amener plus facilement à penser comme eux.   Quand on leur oppose un texte de l’Écriture, ils ont coutume de répondre : « Nous ne nous sentons pas liés par ce mot, car celui que nous devons suivre c’est l’Esprit qui vivifie ».  Bien plus, Porcus Quentin avait donné un surnom à chacun des apôtres, dans son patois de Picardie.  Il appelait Paul le vase fêlé, Jean le jeune fainéant, Pierre le renégat de Dieu, et Mathieu l’usurier.     Or, Martin Luther et Jean Calvin et leurs disciples ne craignent pas, en un mensonge impudent,  d’attribuer au pontife romain et  à l’Église catholique cette erreur de Swenckfeld et des libertins.  Voici ce que dit Luther dans son livre des conciles et de l’église, près de la fin : « Le pape a rempli presque toute la terre d’une masse énorme de commentaires de l’Écriture et de livres, et fit,  des lois, des peines, des droits humains et divins, des articles de fois;  du nom de péché et de la justice, des filets pour attraper les consciences.  Sa décrétale mérite donc d’être de nouveau jetée au feu. L’Église peut facilement se passer d’un tel livre qui a causé un tort horrible et irréparable dans une grande partie du genre humain;  qui a enseveli la sainte Écriture dans le fumier et la poussière, et qui a presque détruit la doctrine chrétienne dans sa totalité ».  Voilà les propres paroles de Luther. On retrouve la même chose dans son livre contre le roi d’Angleterre, et dans son livre du faux statut clérical, et ailleurs.   Voici maintenant les paroles de Calvin au début de son livre ou de son instruction contre les Anabaptistes : « Car nous ne disons pas comme les papistes qu’il faut que les saintes lettres soient envoyées pour que nous acquiescions à l’autorité des hommes.  Car cet échappatoire nous l’estimons un blasphème exécrable ».  C’est pourquoi,  pour réfuter brièvement leur erreur et leur mensonge, il faudra d’abord leur déclarer  que les livres prophétiques et apostoliques, selon que l’entend l’Église catholique, et comme l’a expliqué autrefois le concile de Carthage au chapitre 47, et de nos jours le concile de Trente, sont la vraie parole de Dieu et la règle de foi certaine et stable.  Nous le démontrerons par les arguments suivants

CHAPITRE 2 Les livres dits canoniques qui contiennent la parole de Dieu

 Moïse d’abord, puis les prophètes et ensuite le Christ ainsi que Jean l’apôtre ont confirmé par des textes scripturaires des dogmes divins.  Et il est certain qu’ils ont exhorté les autres à lire les Écritures.  Ils ne remirent au jugement interne de personne le droit de négliger les Écritures.  Nous ne  cherchons pas le témoignage des Écritures pour paraître grands aux yeux de nos adversaires, mais pour que les Écritures dont nos adversaires abusent contre nous qui les tenons en grande vénération, ne semblent pas plaider en leur faveur.  Moïse dit donc au Deutéronome 17 :  «  Si tu trouves qu’un jugement est ambigu et difficile à comprendre, tu feras tout ce que te diront ceux qui président dans le lieu qu’a choisi le Seigneur, et ils t’enseigneront conformément à sa loi. » En cet endroit, Moïse enseigne assez clairement que les controverses qui naissent dans le peuple de Dieu doivent être jugées d’après la loi.  Isaïe proclame dans le même sens : « A la loi d’abord et au témoignage ! »  Et Malachie : « Les lèvres du prêtre garderont la science, et c’est de sa bouche qu’on recherchera la loi, parce qu’il est l’ange du Seigneur des armées ».   David dit aussi dans le psaume 118 : « Bienheureux ceux qui scrutent ses témoignages ».

 Le Christ a d’abord confirmé sa mission par le témoignage de l’Écriture, en citant ces paroles du prophète : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, voilà pourquoi il m’a oint » …  Dans Marc 12, il confond les Sadducéens par le recours aux saintes lettres, en disant : « N’est-ce pas parce que vous ne connaissez pas les Écritures que vous vous trompez ? ».  Et plus bas, au sujet de la résurrection des morts :  « N’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse ? »...  Et dans Matthieu 22 : Par quel autre argument a-t-il imposé aux Pharisiens le silence que celui d’un texte de David ?  Et de nouveau, il ne renvoya pas les Pharisiens à leur esprit intérieur mais aux Écritures divines, quand il leur dit : « Scrutez les Écritures ! »

 De même, à celui qui s’enquérait de sa mission,  saint Jean Baptiste ne répondit pas en se rapportant au jugement spirituel interne, mais en citant le prophète Isaïe : « Je suis la voix qui crie dans le désert : préparez le chemin au Seigneur, comme l’a dit le prophète Isaïe ».  Ce n’est pas sans les louer qu’on rapporte dans les actes des apôtres au sujet des Juifs de Bayreuth que, après avoir entendu prêcher saint Paul, ils scrutaient chaque jour les Écritures pour s’assurer qu’il en était bien ainsi qu’il le disait.  Les apôtres eux-mêmes Pierre, Paul, Jean, Jacques, Jude, ne font pas dans chacune de leurs lettres,  que citer de temps en temps  des passages de la loi et des prophètes (ce qui serait trop long à recenser), mais en tout temps ils se réfèrent, dans leurs prédications,  à l’autorité des Écritures. « Nous avons, disait Pierre, un discours prophétique encore plus sûr, que vous ferez bien d’écouter avec attention, lequel est comme une lumière brillante dans un lieu sombre ».  Et Saint Paul, 2 Tim 3 : « Tu connais, depuis ton enfance, les  saintes Écritures.  Elles sont capables de t’instruire au sujet de ton salut.  Toute écriture divinement inspirée est utile pour l’enseignement, la réfutation, la correction, pour l’éducation à la justice, pour que l’homme qui est en instruit soit apte à toute bonne œuvre ».  Enfin, Dieu lui-même à Josué : « Que le livre de la loi ne s’éloigne pas de ta bouche, mais médite-le jour et nuit ».  C’est donc avec Moïse, avec les prophètes, aves les apôtres, avec le Christ lui-même, avec Dieu le Père et le Saint-Esprit qu’ils sont en guerre ceux qui méprisent les saintes lettres et les oracles divins.

 De plus, la règle de la foi catholique doit être certaine et connue.  Car si elle n’est pas connue, elle ne sera pas pour nous une loi.  Si elle n’est pas certaine, elle ne sera pas non plus une règle.  Or, la révélation privée de l’Esprit saint, même si elle est vraie en elle-même, ne peut nous être connue en aucune façon à moins qu’elle ne soit confirmée par  des témoignages divins, par de vrais miracles, qui font surtout cruellement défaut, en notre siècle autant que par le passé, à ceux qui se vantent d’être sous l’action de l’Esprit.   Car qu’est-ce qui me retiendra de penser que l’Anabaptiste ment quand il se dit que l’Esprit souffle en lui ?  Mais accordons-lui qu’il ne ment pas.  De quelle façon pourrai-je reconnaître la nature de cet esprit;  est-ce un esprit de lumière ou de ténèbres ? Et comme ils sont si nombreux de notre temps ceux qui prétendent avoir le Saint Esprit comme chef et docteur, et qu’entre eux ils diffèrent d’opinion au point qu’ils soient hérétiques les uns pour les autres, il ne se peut certainement pas que tous marchent dans la voie droite.  Si tous se trompent, ou si de toute nécessité quelques-uns seulement se trompent, qui osera nier  que dans leur nombre il y en ait qui soient trompés par Satan.

 Or, rien n’est plus connu, rien n’est plus certain que les saintes Écritures qui contiennent les livres prophétiques et les lettres des apôtres.   Il est donc nécessaire que soit d’une grande stupidité celui qui nie qu’on doit leur faire confiance.  Qu’elles soient archi connues en font foi  toute la chrétienté et le consentement de tous les peuples, par qui elles ont pendant plusieurs siècles été vénérées comme l’autorité suprême.  Elles sont en effet très certaines et très vraies; elles ne sont pas des inventions humaines, mais elles contiennent les oracles divins.    En premier lieu, témoigne en leur faveur la vérité des prophéties.  Saint Augustin en parle dans la cité de Dieu, livre 12, chapitre 9 : « Ce n’est pas sans raison que toute la terre et tous les peuples ont mis leur foi dans l’Écriture,  puisque parmi les choses qu’il faut croire, et toutes  les choses véritables qu’elle enseigne, il y a des prophéties qui se sont réalisées. »  Et encore : « Elles  ne méritent pas d’être crues ces lettres remplies de fables présentées comme anciennes, qui sont contraires à l’enseignement, qui fait autorité,  des livres très connus et divins.  Car il avait été prédit que toute la terre croirait en eux, et toute la terre a cru en eux, comme il avait été prédit.  Que soit vrai ce qui a été raconté des choses du passé,   le démontre l’accomplissement de ce qui avait été prédit pour le futur. »

 En deuxième lieu, témoigne en leur faveur  cette harmonie divine et cette unanimité de tant d’hommes qui en divers lieux, à diverses époques, en diverses langues et en différentes circonstances ont composé les saints livres.  Ils ne semblent pas être des auteurs différents, mais c’est comme  si tous ces roseaux à écrire  avaient été tenus par un seul homme.  C’est pourquoi Théodoret dans sa préface des psaumes, et saint Grégoire dans sa préface de Job ont estimé que les langues et les mains des écrivains sacrés ne devaient pas recevoir d’autre nom que calames du Saint Esprit.   Et saint Augustin dans la cité de Dieu, 1, 18, c. 41 parlant de cette admirable concorde existant entre les écrivains sacrés, dit : « Nos auteurs, par lesquels le canon des saintes lettres a été constitué et a reçu sa complétion, sont très loin d’avoir entre eux le moindre dissentiment.  Ce n’est donc pas sans raison qu’ont cru que quand ils écrivaient c’était Dieu qui parlait non seulement quelques docteurs et quelques disputeurs, mais les paysans et les citadins, les savants et les ignorants, un immense nombre de peuples.  Il fallait en effet qu’ils soient peu nombreux pour qu’une grande multitude n’avilisse pas ce que la religion avait de plus cher.  Mais pas au point que ne puisse se manifester leur magnifique consensus.  Car  il n’est pas facile de découvrir en quoi sont d’accord les nombreux philosophes qui nous ont légué par écrit les dogmes de leurs doctrines ».

 En troisième lieu, c’est Dieu lui-même qui témoigne en sa faveur, quand par un avertissement céleste, il défend son Écriture contre toute profanation humaine.  Au roi Ptolémée qui s’étonnait de ce qu’aucun historien, ancien aucun poète ancien ne se souvienne des livres divins, Démétrius de Phalère répondit, comme Joseph le rapporte d’Aristée (livre 12 des antiquités, chapitre 2) et Eusèbe (préparation évangélique, livre 8, chapitre 1) : « Cette Écriture est divine, et elle a été donnée par Dieu lui-même. C’est pourquoi si un profane voulait s’en emparer, il serait tout de suite frappé par Dieu, et devrait y renoncer. »   Et il affirma d’un certain Théopompe qui voulait embellir par la langue grecque une partie des divins volumes, que son esprit se troubla immédiatement par l’action de Dieu. Il fut si perturbé qu’il dut abandonner le travail commencé.  Un certain Théodore, auteur de tragédies,   avait décidé de transférer dans sa fable des enseignements de la divine Écriture.  Il fut privé de la vue.  C’est ainsi qu’une témérité insolente a été réprimée immédiatement par une calamité subite.

  Le quatrième à rendre témoignage est l’Écriture elle-même.  Car, si ont été véridiques les prédictions des choses futures, pourquoi ne seraient pas  vrais les témoignages qui portent sur les choses présentes ?  Est tout à fait  vrai ce que dit David au livre 2, Rois, chapitre 23 : « L’Esprit du Seigneur a parlé par moi, et son discours par ma langue. »  Est également vrai  ce que dit Zacharie : « Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël etc.  Comme il a parlé par la bouche des saints, qui sont du siècle, ses prophètes ».  Est vrai ce que dit 2 Pierre, chapitre 1 : « C’est inspirés de Dieu qu’ont parlé les saints hommes de Dieu ».  Et Paul 2 Tim 3 : « Toute écriture est divinement inspirée ».  Vrai est ce que répètent tous les prophètes sans distinction : « Voici ce que dit le Seigneur ».          La dernière des preuves est le nombre infini des miracles divins qui ont été faits dans tous les siècles pour prouver ces dogmes qui sont contenus dans les livres saints.

 En conséquence, puisque la sainte Écriture est une règle de croyance très certaine et très sûre, ne sera donc pas sain d’esprit celui qui, après l’avoir négligée, s’en remet au jugement de l’esprit interne souvent trompeur et toujours incertain.  Et pour preuve, écoutons saint Augustin, dans le prologue de la doctrine chrétienne, qui avertit les chrétiens par ces mots : « Gardons-nous de ces tentations superbes et si périlleuses, et rappelons-nous que l’Apôtre lui-même, même s’il avait été jeté par terre et instruit par une voix céleste divine, a été quand même envoyé à un homme pour qu’il reçoive de lui le sacrement et soit incorporé par lui  à l’Église.  Et le centurion Corneille, même si un ange lui avait annoncé que ses prières avaient été exaucées et ses aumônes bien reçues, a été remis à Pierre pour être baptisé.   De Pierre il ne reçut pas seulement le sacrement, mais il entendit par lui  ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer, et ce qu’il faut aimer.

 Cela est arrivé parce que la providence de Dieu conduit et modère toute chose selon que le demande sa nature.  Or, la nature des hommes demande que puisque nous sommes composés d’un corps et d’une âme, et que nous saisissons plus facilement les choses corporelles que les spirituelles,  nous soyons conduits, par les choses qui sont perçues par le corps,  et comme par degrés,  aux choses spirituelles.  Dieu n’enseigne donc pas communément à tous par une insufflation interne ce qu’on doit croire de lui, ce qu’il veut que fassent les siens.  Mais il a voulu nous instruire par des lettres corporelles que nous puissions voir et lire.   « De cette cité vers laquelle nous pérégrinons (dit saint Augustin sermon  2, dans psaume 90)  des lettres nous sont venues, les saintes Écritures, qui nous exhortent de bien vivre ». Du fait que   David, Moïse, Isaïe, Pierre, Paul, Jean et les autres et le petit nombre de ceux qui ont été admis dans les chœurs des anges, puisèrent pour eux la sagesse de la fontaine elle-même de vérité, s’ensuit-il que les autres hommes n’auront besoin ni de lettres divines ni d’aucun docteur ?  Autre devra donc être la règles des fondations, autre celle des murs; autre celle des montagnes, autre celle des collines ?  Tous sont-ils apôtres ? Tous sont-ils prophètes ?  Tous sont-ils des fondations, tous des montagnes ?  Et si tous sont des montagnes, où sont les collines ?  Et si tous sont des fondations, où est la maison ?  Si tous sont des apôtres et des prophètes, où est l’assemblée des fidèles, de laquelle il est écrit dans le psaume 7 : « Et la synagogue des peuples m’entourera ».   Nous sommes donc, nous,  construits (comme le dit l’apôtre au chapitre 2 de l’épitre aux Éphésiens) sur le fondement des apôtres et des prophètes, qui nous instruisent par la prédication et les lettres.  Ceux qui virent de leurs yeux, et qui furent les ministres de la parole sont sustentés et fortifiés par la suprême pierre angulaire, le Christ Jésus.

        Quand se soleil se lève, les cimes des montagnes sont illuminées, ensuite les collines.  Et les rayons du soleil se rendent jusqu’aux plus basses vallées.  Selon le psaume 71, les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice. « Les montagnes, (dit saint Augustin dans le traité 1 sur saint Jean), sont les grandes âmes, les collines les petites âmes.  Mais la raison pour laquelle les montagnes reçoivent la paix c’est pour que les collines puissent recevoir la justice.   Quelle est la justice que les collines reçoivent ? La foi, parce que le juste vit de la foi.  Les petites âmes ne recevraient pas la foi si les grades âmes que l’on appelle des montagnes n’étaient pas illuminées par la sagesse elle-même,  afin de pouvoir communiquer aux petits ce que les petits peuvent capter. »   Et plus bas : « Quand nous élevons nos yeux vers les Écritures, puisqu’elles sont communiquées par des hommes, nous levons nos yeux vers les montagnes, d’où nous viendra l’aide. »

    Enfin, si dans n’importe laquelle république, on enlevait les lois et les institutions des anciens, de sorte  qu’il serait permis à chacun de faire et de penser tout ce qu’il estimerait juste et bon par sa seule prudence naturelle, quelle perturbation s’ensuivrait, quelle confusion !  Une telle république périrait de fond en comble en peu de temps.   Et pourtant, dans les choses humaines, il n’est personne qui ne sache rien du tout,  personne qui soit privé de tout jugement.  Qu’arriverait-il donc si dans cette république qui est divine plutôt qu’humaine, et dans laquelle il faut croire de nombreuses choses qui surpassent la raison humaine, on nous enlevait les paroles divinement inspirées, pour n’attendre et ne suivre que la seul souffle interne ?  La plus grande partie des hommes n’est-elle pas constituée d’illettrés et d’ignorants, qui n’ont jamais expérimenté aucune insufflation divine,  et qui n’en ont jamais perçue même dans le sommeil ?  Devront-ils donc toujours attendre ?  Ils ne pourront rien croire entretemps ?  Ils périront pour toute l’éternité ?  Peuvent-ils sans la foi obtenir la justice, ou la béatitude sans la justice ?   Mais ils ont les arguments de  Swenckfeld et des libertins pour confirmer et appuyer leurs idées, pour qu’ils ne semblent pas devenir fous sans raison.

Examinons-les donc pour savoir ce qu’ils valent.

Chapitre 3 Réfutation de l’objection provenant de la parole de saint Paul : la lettre tue, mais l’esprit vivifie.

        L’apôtre Paul, disent-ils, par des paroles savantes, distingue la lettre de l’esprit. Il renvoie clairement la lettre à l’Ancien Testament, en disant qu’elle tue.  Il atteste que l’Esprit appartient au nouveau testament,  en disant qu’il vivifie. « Il nous a faits (2 Corinth 3) des ministres idoines du nouveau testament, non de la lettre mais de l’esprit.  Car la lettre tue, mais l’esprit vivifie. »   Donc, comme l’ancien testament est celui des Juifs et n’a rien à voir avec les chrétiens, de la même façon les Écritures qui ne sont rien d’autre que des lettres , n’ont rien à voir avec les chrétiens.

      À cet argument il est facile de répondre d’abord comme suit.  S’il en est ainsi, et si les saintes Écritures n’ont rien à voir avec nous, pourquoi le Christ dit-il en saint Jean 5 : « Scrutez les Écritures ».  Pourquoi saint Paul a-t-il écrit tant de lettres ? Pourquoi (1 Tim 4) exhorte-t-il son disciple à s’adonner à la lecture des Écritures ?  Mais l’apôtre Paul, par la lettre qui tue, n’a jamais voulu entendre la sainte Écriture, et par l’esprit qui vivifie  n’a jamais prétendu désigner la parole interne de l’Esprit.  La lettre et l’esprit ne sont rien d’autre pour saint Paul que la loi et la grâce pour saint Jean. « La loi, (dit saint Jean, chapitre 1), a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité viennent du Christ Jésus ».  Et saint Augustin (livre 15 contre Faustum, chapitre 8) : « La même loi qui a été donnée par Moïse est devenue grâce et vérité par Jésus Christ, quand l’esprit accéda à la lettre,  pour que commence à s’accomplir la justice de la loi, qui, avant d’avoir été perfectionnée, faisait des coupables par la prévarication. »  Ce que Paul entend par la loi littérale, on peut le comprendre par les paroles suivantes.  Car, quand il a dit : il a fait de nous de dignes ministres du nouveau testament, non de la lettre, mais de l’esprit, car la lettre tue, mais l’esprit vivifie, il ajoute tout de suite après : « Si le ministère de la mort déformé par des lettres de pierre  fut glorieux, de sorte que les fils d’Israël ne pouvaient contempler le visage de Moïse, à cause de la gloire de son visage qui a été évacuée, le ministère de l’esprit ne serait-il pas encore plus glorieux ? »  Par ces paroles, il ne laisse aucune raison de douter que par lettre qui tue il entend la loi écrite sur de la pierre.

 Mais il sera avantageux d’expliquer brièvement pourquoi la loi donnée par Moïse est appelée par lui lettre, pourquoi elle tue, et pourquoi elle est dite propre à l’ancien testament, de peur qu’en réfutant les Swenckfeldiens et les Libertins nous semblions concéder quelque chose aux luthériens.   Le premier doute ne sera d’aucune difficulté et sera même inexistant si l’on compare Moïse avec Jésus, et la loi avec la grâce.   Car quand Moïse apporta au peuple la loi donnée par Dieu, il ne présenta rien d’autre que des lettres inscrites dans la pierre.  Le Christ, lui, n’a écrit aucune lettre, ni ne présenta des lettre écrites par un autre, mais il insuffla  dans les cœurs des siens l’Esprit de dilection et de grâce qu’on ne peut écrire.  Voilà pourquoi la loi du Christ est esprit et grâce, et la loi de Moïse est appelée lettre.

 Pourquoi dit-on que la lettre tue ? Tous ne donnent pas la même réponse.  Pour Origène (livre 6, contre Celse, presque à la fin), il semble que la lettre qui tue signifie l’Écriture elle-même quand on l’explique selon le sens littéral des mots.  La même écriture est un esprit vivifiant si on la prend dans son sens mystique et spirituel. « Quand on entend les saintes lettres selon le sens, il les nomme lettres, esprit quand on les entend selon l’intelligence ».  Et plus clairement au livre 7, un peu avant la moitié : « Nous disons que la loi est double, une selon la lettre, et l’autre selon la sentence, comme nos plus grands l’ont enseigné.  Car celle que l’on entend comme elle est écrite, ce n’est pas tellement nous que Dieu lui-même qui l’appelle, par un certain prophète,  un droit qui n’est pas bon, des préceptes qui ne sont pas bons.  C’est en imitant ce prophète que Paul a déclaré que la lettre tue.  C’est tout comme s’il avait dit que les mots tuent.  Et quand il dit que l’esprit vivifie, cela a le même sens que s’il avait écrit qu’on ne peut obtenir la vie que par leur compréhension »  Si on  entend cette doctrine  d’Origène au sens où il est absolument impossible d’interpréter les Écritures selon le sens littéral, il est manifeste qu’elle contient une erreur évidente qui a déjà été réfutée par les Pères.  Voyez la lettre d’Épiphane à Jean.  Et au sujet de l’hérésie d’Origène, Chrysostome homélie 13 sur la genèse.  Saint Jérôme dans sa lettre à Pammachius, dans les erreurs de Jean de Jérusalem, et dans le chapitre dix de Daniel.  Saint Augustin au livre 13 de la cité de Dieu, et au livre huit de la Genèse, chapitre 1.

 Si on entend les paroles de saint Paul au sens où ce qui a été dit en figure ne doit pas être expliqué selon la lettre, il faut convenir qu’elles ne peuvent pas avoir ce sens.  Car quand l’apôtre dit que la lettre tue, il ne parle pas des figures des Écritures, mais de ces préceptes très connus qui avaient été écrits sur des tables de pierre. Car, c’est ainsi qu’il avait parlé : la lettre tue, mais l’esprit vivifie.  « Si le ministère de la mort déformé dans des tables de pierre a été glorieux » …Et de nouveau dans l’épitre aux Romains, où à toutes les fois qu’il répète que la lettre tue, il ne présente pas d’autre loi que celle-ci : tu ne convoiteras pas.  Et, pour sûr, (pour me servir des mots de saint Augustin traitant de l’esprit et de la lettre, cap. 4) « On ne parle pas de quelque chose de façon figurative quand on ne peut pas le prendre au sens littéral.  Quand on dit : tu ne convoiteras pas, il s’agit d’un précepte des plus clairs et des plus salutaires. Si quelqu’un l’observe, il n’aura pas du tout de péché ».

  Saint Jean Chrysostome dans 2 aux Corinth, chapitre 3, et ceux qui le suivent  Théodoret, Théophile, Oecumenius, et le commentaire qui est attribué à saint Ambroise, et d’autres enseignent tous  que la lettre qui tue c’est la loi qui punit, et que l’esprit qui vivifie c’est la grâce qui libère des péchés.  Car la loi ordonnait de tuer non seulement  les adultères et les voleurs, mais même ceux qui ramassaient du bois le jour du sabbat (nombres 15).  La grâce, elle, absout par le bain de la régénération ou par la parole de la réconciliation les plus scélérats des hommes, et ceux qui sont contaminés par toutes sortes de crimes.    Il est vrai que cette explication ne satisfait pas totalement.   Comme la loi divine a fixé des peines pour les méchants, elle a préparé aussi des récompenses aux bons.  Et comme il est écrit dans le deutéronome 27 : « Maudit soit celui qui ne persévère pas dans les paroles de la loi, et qui ne les transforme pas en œuvres », il est écrit aussi dans le lévitique 18 : « Gardez mes lois et mes jugements. En faisant cela, l’homme vivra en elles ». Pourquoi donc dit-on de la loi qu’elle tue, sans ajouter qu’elle procure aussi la vie ?  Car si on raison de dire que  la loi tue parce qu’elle tue ses transgresseurs, on pourra dire pour la même raison qu’elle vivifie puisqu’elle communique la vie à ceux qui l’observent.

 Elle est donc très vraie et tout à fait  conforme aux paroles de saint Paul l’explication de saint Augustin selon laquelle c’est pour deux raisons que la loi sans la grâce a reçue le nom de lettre qui tue.  D’abord, parce que ne pouvant  pas être observée, la loi  a fait un prévaricateur de celui à qui elle avait été donnée.  « La loi, dit le même apôtre aux Romains 4, opère la colère, car là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication ».   Ensuite, parce qu’elle augmente la concupiscence par la prohibition elle-même. « Nous nous maintenons toujours dans ce qui est défendu, nous convoitons ce qu’on nous refuse.  L’occasion étant acceptée, le péché opère en moi, par le commandement,  toute concupiscence » Rom. 7.   Et saint Augustin dans l’esprit et de la lettre, chapitre 4 « Cette doctrine qui ordonne tu ne convoiteras pas,  est une loi bonne et louable. Mais là où l’Esprit saint n’aide pas en inspirant une bonne concupiscence à la place de la mauvaise, c’est-à-dire en répandant la charité dans nos cœurs, cette loi, toute bonne qu’elle soit, augmente le mauvais désir en l’interdisant. Comme une rivière qui coule toujours avec le même débit devient plus haute si on lui oppose un barrage, et se précipite avec plus de violence si on le lui enlève. Et voilà comment le péché fait tomber par le commandement, et tue par lui quand arrive la prévarication, qui n’existe pas là où il n’y a pas de loi. »

 Voilà pourquoi la loi tue non par elle-même, ni par une propriété vicieuse, mais seulement quand l’occasion est acceptée, non donnée.  Car « le péché, comme l’apôtre le dit aux Romains 7, une fois acceptée l’occasion, me séduit par le commandement, et tue par lui.  La loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est devenu pour moi la mort ? Non pas.  Mais le péché, pour qu’il apparaisse péché, a opéré pour moi la mort par un bien ».

 Enfin, il reste la question suivante : pourquoi dit-on que la loi ou la lettre appartient en propre à l’ancien testament ?  Car même dans l’ancien testament la loi n’a pas été en vigueur sans la grâce, la lettre n’a pas existé sans l’esprit, puisque fleurirent un si grand nombre de grands saints, comme le dit Luc, chapitre premier, de Zacharie et d’Élisabeth : « ils marchaient dans tous les commandements et les ordres du Seigneur sans récrimination ».  Dans le nouveau testament lui-même, l’esprit ne règne pas sans la lettre, ni la grâce sans la loi.  Comme Jésus a dit en Matthieu 5 : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : tu ne tueras pas.  Celui qui tuera sera coupable du jugement.   Mais moi je vous dis : celui qui se fâche contre son frère sera coupable du jugement, » etc.   Et de nouveau Jean : « Si quelqu’un ne renait de l’eau et de l’Esprit saint, il ne peut entrer dans la royaume de Dieu ».  Et Matthieu 28 : « Allez enseigner toutes les nations, baptisez-les au nom du  Père, du Fils et du Saint Esprit, leur enseignant d’observer toutes les choses que je vous ai commandées »

 Que veut donc dire l’apôtre à 2 Corinth 3 par les paroles suivantes : « Le Seigneur a fait de nous des ministres idoines du nouveau testament, non de la lettre mais de l’esprit. »  Pour quelle raison exclut-il la lettre, c’est-à-dire la loi du nouveau testament, dans lequel nous voyons tant de lois prescrites par le Seigneur ?  Mais nous répondrons facilement à cette question si nous cherchons à reconnaître ce qui est propre à chaque testament par la fin qui leur est propre à tous deux.  La fin propre de l’ancien testament était de faire en sorte que le genre humain corrompu et vicié  dans le premier parent comme dans sa racine, prenne conscience de sa maladie et de ses plaies, et que la crainte et la douleur qu’il en ressentirait le fasse rechercher un médecin.  C’est à cette fin que la loi conduit.  « C’est par la loi que se fait la connaissance du péché », dit l’apôtre aux Romains, 3. Et de nouveau : « Je n’ai connu le péché que par la loi », Rom 1. Et saint Augustin dans la lettre 200 à Aselicum : « L’utilité de la loi est de convaincre l’homme de son infirmité, pour le forcer à demander avec larmes la médecine de la grâce qui est dans le Christ »

 Voilà pourquoi l’ancien testament, qui est contenu dans les lois et les lettres,  par lui-même et en propre,  produit la crainte, engendre dans la servitude, comme le dit saint Paul aux Romains 8,  et aux Galates 4.  Ceux de l’ancien testament  dont on lit qu’ils ont été justes et libres, n’ont pas été tels par la lettre de l’ancien testament, mais par l’Esprit du nouveau testament.  Dans sa lettre 120 à Honorat, saint Augustin enseigne que les saints de l’ancien testament relevaient de l’époque où ils vivaient, mais appartenaient au nouveau testament.  Et dans les mérites et la rémission des péchés, livre1, chapitre 11, il ajoute : « Le règne de mort seule la grâce du Sauveur l’a détruit dans tout homme. Elle a agi même dans les saints anciens, et dans quiconque participait, avant que le Christ vienne dans la chair, à sa grâce adjuvante, et non à la lettre de la loi qui ne pouvait que commander, mais pas aider. »  La fin du nouveau testament n’est rien d’autre qu’être guéri, assaini, libéré. La grâce procure tout cela. « Malheureux homme que je suis, dit saint Paul aux Rom 7, qui me libèrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ».  Et saint Augustin dans son livre de l’esprit et de la lettre, chapitre 30 : « Par la loi la connaissance du péché, par la grâce l’assainissement de l’âme du vice du péché ».

 Le nouveau testament, donc, par lui-même, et en propre, n’apporte pas la loi mais la grâce; il n’est pas le ministre de la mort  ni celui de de la lettre seule.  Il n’est rien d’autre que la charité diffusée dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous est donné, que le prophète a prédit bien avant, comme le dit  Jérémie, 31 : « Voici que des jours viendront, dit le Seigneur, et j’établirai avec la maison d’Israël, et avec la maison de Juda une nouvelle alliance, non comme le pacte que j’ai contracté avec vos pères au jour où je les ai pris par la main, pour les sortir de la terre d’Égypte.  Ce pacte ils l’ont rendu obsolète, et moi je règne sur eux, dit le Seigneur. Mais voici quel sera le pacte que je contracterai avec la maison d’Israël après ces jours.  Je donnerai ma loi dans leurs viscères et je l’écrirai dans leurs cœurs ».  C’est donc en parlant de ce qui appartient en soi et en propre au nouveau testament que saint Paul a dit en toute vérité à 2 Corinth 3 : « Il a fait de nous des ministres idoines du nouveau testament, non de la lettre mais de l’esprit ».  Saint Jean n’a pas moins dit la vérité au chapitre 1 : « La loi a été donnée par Moïse, et la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ ».

 Mais bien que le nouveau testament, de soi et en propre, n’apporte pas de lois, il en contient pour une double raison.  Premièrement, toutes ces lois qui portent sur  la façon de vivre saintement et heureusement, la grâce du nouveau testament ne les détruit pas, mais les confirme en fournissant à la faiblesse humaine des forces pour les observer. Comme le dit l’apôtre en Romains 3 : « Détruisons-nous la loi par la foi ? Non pas. Nous la stabilisons ».  Et plus bas au chapitre 8 : « Car ce qui était impossible à la loi affaiblie par la chair, Dieu en envoyant son Fils dans la similitude de la chair du péché, du péché il condamna le péché dans la chair, pour que la justification de la loi s’accomplisse en nous ».  Et saint Augustin au livre de la lettre et de l’esprit chapitre 19 : « La loi est donc donnée pour qu’on recherche la grâce; et la grâce est donnée pour que la loi soit accomplie.  Ce n’est pas à cause de son vice propre que la loi n’était pas observée, mais à cause du vice de la prudence de la chair.  Ce vice qui devait être démontré par la loi devait être guéri par la grâce ».

 De plus, le Christ a même établi d’autres lois, comme pour le baptême,  l’eucharistie, et les autres sacrements, sur la façon de les confectionner et de les recevoir.   Parce que, même si le Christ n’est pas venu vers nous comme un nouveau Moïse pour nous écraser sous le poids d’une nouvelle loi, mais pour soulager, avec l’aide de la grâce, ceux qui ployaient sous le joug de la loi, il pensa quand même ajouter aux anciens préceptes moraux des lois très salutaires qui nous conduisent vers les sacrements, et nous amènent à la grâce par les sacrements.   Non seulement elles n’écrasent pas par leur poids, mais elles soulèvent comme des ailes, comme le dit saint Augustin au livre  de la parfaite justice.  Mais nous avons suffisamment parlé de la première objection.    Les autres objections, comme elles sont communes aux Swenckfeldiens, aux Libertins   ainsi qu’aux luthériens et aux calvinistes, elles seront plus commodément examinées dans la dispute où nous traiterons, avec l’aide du Seigneur,  de l’interprétation des Écritures et du juge des controverses.

(13 février)

CHAPITRE 4  QUELS SONT LES LIVRES SAINTS

 Que l’Écriture prophétique et apostolique est sacrée  et divine nous l’avons, je pense, suffisamment démontré dans la dispute précédente. Il nous reste donc à expliquer quels sont les vrais livres prophétiques et apostoliques.  Toute cette dispute sur le nombre des livres sacrés se divise en trois parties.  Nous parlerons d’abord de ces livres dont nul catholique n’a jamais contesté l’authenticité.  Ensuite de ceux qui, tout en étant de vrais livres prophétiques et apostoliques, n’ont pas toujours joui de la même autorité.  Enfin de ceux qui ont été, pendant un certain temps,  considérés comme des livres divins par des pères très célèbres, mais qui n’ont jamais été reconnus comme tels  par l’Église.

 Les noms des livres du premier ordre sont les suivants : le pentateuque de Moïse, les livres de Josué, des Juges et de Ruth,  les quatre livres des rois, les deux des Paralipomènes, les deux d’Esdras et de Néhémie, celui de Job, le psautier des cent cinquante psaumes, les proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, les quatre grands prophètes, les douze petits prophètes, les livres des quatre évangiles, les treize épitres de saint Paul, à la seule exception de l’épitre aux Hébreux, les deux épitres canoniques, une de Pierre, l’autre de Jean.

 Le second ordre contient les livres suivants : Esther, Baruch, une partie de Daniel, Tobie, Judith, Sagesse, Ecclésiastique, le premier et le second livres des Maccabées, l’épitre de Jacques, la dernière épitre de Pierre, une partie de la première épitre de Jean, la deuxième et la troisième de Jean, l’épitre de Jude et l’Apocalypse.

 Le troisième ordre comprend tous ceux qui sont énumérés par le pape Innocent dans son épitre 3 à Exupère, dans le canon 15 de l’église romaine du pape Gélase, par Athanase dans la synopsis, par Eusèbe dans le livre 3 de son histoire, chapitre 35,   Tous ceux-là  semblent avoir en grande estime la prière de Manassé 3 et 4, les livres d’Esdras 3 et 4, le psaume 151 des Maccabées, l’addition au  livre de Job, le livre d’Hermès du nom de Pasteur.

 Que les livres du premier ordre ont toujours eu une autorité divine dans l’Église catholique en témoignent tous les souverains pontifes, tous les conciles, tous les Pères, tous ceux qui prirent à tâche d’énumérer les livres saints.  Parmi les papes, voyez Innocent 1 dans l’épitre 3 à Exupère. et  plus loin,  Gélase dans le décret des livres sacrés, cité dans le tome 2 des conciles,  Le concile de Laodicée, can 59, de Carthage 3, can, 47, de Florence, dans l’enseignement donné aux Arméniens au sujet de la foi due aux conciles, de Trente, session 4.

 Chez les pères grecs, Origène et Eusèbe dans son histoire au livre 6, chapitre 18.  Athanase dans la synopsis, Grégoire de Naziance dans son livre des véritables Écritures  écrit en vers, Épiphane dans son livre des mesures et des poids. Le même dans son livre contre les hérésies des Anoméens,  Cyrille de Jérusalem, catéchèse 4, Jean Damascène dans son livre 4 de la foi, chapitre 18.

 Chez les pères latins, Jérôme dans son prologue aux Galates, et dans sa lettre à Paulin sur l’étude des saintes Écritures, Rufin dans son explication du symbole,  Augustin, au livre 2 de la doctrine chrétienne, chapitre 8,  Isidore, au livre 6 des étymologies, chap 1. Ajoutez à ceux-là trois autres auteurs qui ne se sont occupés que de l’ancien testament : Joseph, livre 1 contre Appion, Méliton de Sardes cité par Eusèbe histoire livre 4, chapitre 26, et Hilaire, dans sa préface sur les psaumes.

 Et encore d’autres pères Justin, Irénée, Basile, Tertullien, Cyprien, Ambroise, et tous ceux qui, tant que grecs que latins, même s’ils ne font pas d’énumération exhaustive des livres saints, se servent de ces livres en les citant fréquemment.  Tous ces témoignages démontrent à l’envie que tous ces livres ont été considérés par eux comme des livres sacrés.

CHAPITRE 5 LES HÉRÉTIQUES QUI S’ATTAQUÈRENT AUX LIVRES DU PREMIER ORDRE

 Même s’il est vrai que dans l’Église catholique, par le consentement de tous les croyants, les livres énumérés ont toujours joui d’une autorité incontestée,  ne manquèrent pas les hérétiques qui s’efforcèrent de leur dénier toute valeur historique. Mais si, grâce à la grande diligence dont on fait preuve nos anciens, ces hérésies sont déjà éteintes et ensevelies, un de nos contemporains, Sixte de Sienne les a décrites pour nous  dans le dernier livre de sa bibliothèque.  Ce qui me permettra de m’en prendre non aux ennemis antiques mais à leurs ombres. Il y eut donc, en diverses époques,  dix-huit hérésies contre ces livres que nous avons placés dans le premier ordre.

 La première hérésie.  Ils rejetaient en entier les livres de l’ancien testament parce qu’ils considéraient qu’ils avaient été dictés par un dieu mauvais.  C’est ce que pensèrent les Simoniens, les Basiliens, les Marcionites d’après Irénée livre 1 chap. 20, 22, 29.  Et aussi les Manichéens selon Épihane, hérésies 66,  les Bogomiles, d’après Eutyme de Panoplie, par 2, titre 11, chap 1,   les Albigeois, chez Antonin par. 4. tit 11, c. 7.  En notre siècle, quinze prédicants des Anabaptistes, lors du colloque de Franckental, estimèrent, dans un débat sur la foi,  qu’on ne pouvait pas les considérer comme authentiques, si on veut les harmoniser avec le nouveau testament.

 Épiphane rapporte cette hérésie dans l’hérésie des Manichéens, Augustin dans son livre contre Faust le Manichéen, ainsi que dans deux autres livres contre un adversaire de la loi et des prophètes, et Pierre de Cluny dans sa lettre contre les Pétrobrusiens.     Il semble plutôt étonnant que ces hérétiques, qui vénéraient les livres du nouveau testament, aient pu mépriser les livres de l’ancien testament, puisque les livres du nouveau testament, à plusieurs reprises et de façon évidente, reconnaissent l’autorité des livres de l’ancien testament.  « Il est nécessaire, dit Jésus en Luc, que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. »  Et l’Apôtre dans Romains 1 : « Apôtre mis à part pour l’évangile de Dieu qui avait été promis  par ses prophètes dans les écritures saintes ». Et de nouveau aux Galates 4 : « Il a été écrit qu’Abraham eut deux fils, un de la servante, et un de la femme libre,  ce qui a été dit par allégorie. Ces femmes sont deux testaments ».  De même, ailleurs, aux Hébreux 1 : « De plusieurs façons Dieu a parlé autrefois aux pères dans les prophètes.  Ces derniers jours, il nous a parlé par son Fils ».

 Une autre hérésie fut celle de Ptolémée.  Elle est rapportée par Épiphane dans son livre des hérésies 33.  Il divisait la loi de Moïse en trois parties.  L’auteur d’une partie était pour lui l’ Artisan du monde; d’une autre Moïse, et de la troisième les sages de la synagogue. Le véritable auteur du monde n’était pas pour lui le Dieu créateur, mais une divinité intermédiaire entre Dieu et le démon.  Ce n’est pas seulement la loi dans son ensemble qu’ils ne considéraient pas comme sacrée et divine, mais chacune de ses parties.

 Zacharie réfute cette hérésie chez Marc, où il est affirmé que le Seigneur Dieu d’Israël a parlé par la bouche des saints de tous les siècles,  c’est-à-dire de tous ses prophètes.  Il la réfute aussi saint Paul quand il affirme que :  « Toute écriture a été inspirée divinement » 2 Timo 13.

 La troisième est l’hérésie de Théodore de Mopsuète. Il ne rejette pas absolument tous les prophètes, mais comme il a l’impudence d’affirmer qu’ils n’ont jamais rien prédit du Christ (comme on peut le comprendre à partir des bribes de ses commentaires que l’on trouve rapportées dans le cinquième synode, 4), il rabaisse grandement l’autorité et l’utilité des prophètes, et rend le Christ et les apôtres  coupables des mensonges les plus éhontés.  Que sera-ce d’autre qu’un mensonge ce que la Vérité dit d’elle-même quand, après avoir lu le témoignage d’Isaïe, elle commente : « Aujourd’hui s’accomplit cette écriture dans vos oreilles ». Que sera d’autre qu’un mensonge ce que Pierre dit aux actes 10 : « A lui tous les prophètes rendent témoignage ».

 J’omets les autres témoignages des prophètes, que les évangiles et les apôtres appliquent souvent au Christ.  Ils sont si nombreux que je ne peux, en si peu de temps, les énumérer tous. Voyez Matthieu 1. 2. 4. 12. 21. 27.  Marc 12. 15. Luc 11.  Jean 2. 12. 19. Actes 2. 4. 13.  Éphésiens 4, Hébr.  1, 10 etc.

 La quatrième hérésie rejette les psaumes de David, qu’elle considère plutôt comme des cantiques humains et profanes, écrits sans aucune insufflation divine.  Dans son catalogue d’hérésies, au chap 127,  Philastre fait des Nicolaïtes et des Gnostiques les auteurs de cette hérésie.  Dans son histoire ecclésiastique livre 7. chap 25, Eusèbe rapporte que Paul de Samosate enseignait que ces psaumes qui parlaient du Christ avaient été composés récemment par des chrétiens.  Mais ce n’est peut-être pas tant les psaumes de David que les hymnes ecclésiastiques que ce Paul rejette de son église.  Car il est à peine croyable qu’un citoyen de Samosate ait pu penser, après tant de siècles, que les psaumes de David aient été composés de son temps.  Ce délire David, le Christ et les apôtres le réfutent par les paroles plus claires : « Voici les plus récentes paroles (dit l’auteur d u livre des Rois prononcées par David 2, rois 23) de David, fils d’Isaïe. Il a dit cet homme, le célèbre psautier d’Israël,  ce qui a été statué du Christ de Dieu   L’Esprit du Seigneur a parlé par moi, et sa parole par ma langue ».  Et le Seigneur en Matthieu : « Comment donc David peut-il, dans le saint Esprit,  l’appeler Seigneur, en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite ? »  Paroles qu’on lit dans le psaume 109.   Et les apôtres d’une seule voix : « Toi, Seigneur (actes 4) qui, dans l’Esprit Saint, a dit par la bouche de notre père David, ton enfant : « Pourquoi les nations (psaume 2) frémissent-elles ? » Enfin, l’apôtre Paul dans son épitre aux Hébreux c. 3 : « Comme l’a dit le Saint Esprit : si vous entendez aujourd’hui sa voix ».  Ce sont des paroles du psaume 94.

 La cinquième hérésie est celle des Juifs qui dans le Talmud (ord. 4, trait 3)  ne comptent pas le livre de Job parmi les livres inspirés, et qui prétendent que ce Job n’a jamais vécu parmi les hommes.  Les rabbins postérieurs comme Salomon, Lévi fils de Gerson, et d’autres semblent recevoir le livre, et se sont même efforcés de le commenter, mais ils lui font souvent  de graves reproches.  Par exemple, Salomon affirme audacieusement que « Job avait supporté avec impatience la calamité qui lui était échue; qu’il n’avait pas péché en paroles, mais dans son cœur ».  Lévi est allé plus loin dans ses écrits : « Cet homme bienheureux a subi de justes peines pour avoir nié la providence divine et la résurrection des morts ».   Martin Luther dans quelques-uns de  ses sermons affirme ne pas croire que tout se soit passé comme la Bible le raconte de Job. Et de nouveau dans le livre intitulé du nouveau et de l’ancien testament, il enseigne que le livre de Job est un récit fabuleux qui propose un modèle de patience.

 Mais que l’histoire de Job n’a pas été inventée, que ce même Job a été un homme saint et parfait, le prophète Ézéchiel en est, contre les Juifs,  un témoin autorisé : « Si ces trois saints se trouvaient au milieu d’eux, Noé, Daniel et Job, à cause de leur justice, ils sauveraient leur âme ». Et nous omettons ce que Tobie dit de Job au chapitre 2,  Jacques au chapitre 5, et ce que de ce livre, comme il le fait pour toutes les autres écritures saintes, l’apôtre cite 1 Corinth 3, car les Talmudistes ne reçoivent pas leurs témoignages.

 La sixième hérésie est celle de ceux qui, au témoignage de Pilastre dans le catalogue des hérétiques, chapitre 132  et de Jacques Christopolitain, dans la préface de ses commentaires du cantique des cantiques, répudient le livre de Salomon du nom d’Ecclésiaste, livre qu’il semble que Salomon ait composé dans son extrême vieillesse quand, privé de l’amour des femmes, il avait placé le bonheur suprême dans les plaisirs corporels, et quand il ouvrait la voie aux philosophes Épicure et Aristippe.  Martin Luther, dans quelques-uns de ses sermons sur le nouveau et l’ancien testament,   affirmait que l’auteur du livre Ecclésiaste lui semblait privé de selle et de rennes, et ne chevauchait que sur les éperons, comme il avait coutume de le faire, lui, quand il était  encore dans le monastère.

 Mais l’Ecclésiaste de Salomon est si éloigné de prêcher la volupté que, comme un maître sévère et exigeant de morale, il exhorte plutôt,  par des paroles pressantes, au mépris des choses humaines et à la crainte de Dieu.   Que signifie d’autre son introduction : « Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste,1, et tout est vanité ? »   Où nous mène  cette introduction ? Voyez donc où elle tend : « Crains Dieu, observe ses commandements, car voilà tout l’homme. Eccl.12 ».  Les choses qui viennent par après ne sont pas différentes : « J’ai réputé le rire une erreur (chapitre 2), et j’ai dit à la joie : pourquoi trompes-tu pour rien ? »  Et au chapitre 3 : « J’ai dit dans mon cœur : Dieu jugera le juste et l’impie ».  Et au chapitre 4 : « Surveille ton pied en entrant dans la maison de Dieu, et approche pour écouter, car l’obéissance est beaucoup meilleure que les victimes offertes par les fous ».  Et au chapitre 5 : « Ne dis rien témérairement, que ton cœur ne soit pas prompt à proférer une parole ».  Et au chapitre 7 : « Il est préférable d’aller dans une maison où l’on pleure plutôt que dans une maison où l’on s’amuse ».  Et au chapitre 8 : « Parce qu’on ne punit pas tout de suite les méchants, les fils des hommes font le mal sans retenue ».  Et au chapitre 9 : « La sagesse est meilleure que des armes de guerre, et celui qui pèchera en une seule chose perdra plusieurs biens ».  Et au chapitre 10 : « Malheur à toi, terre dont le roi est un enfant, et dont les princes mangent le matin !  Bienheureuse la terre dont le roi est noble, dont les princes se nourrissent aux heures des repas; qui mangent pour refaire leurs forces, et non pour faire bombance. »  Enfin, au chapitre 11 : « Sache que, pour toutes ces choses, Dieu t’amènera en jugement.  Enlève la colère de ton cœur, et la malice de ta chair.  Car l’adolescence et la volupté sont éphémères ».  Est-ce que ces choses ont quelque chose à voir avec Aristippe ?   Des officines d’Épicure,  d’aussi sévères préceptes sont-ils jamais sortis ?

 Si, entretemps, l’Ecclésiaste enseigne qu’il ne faut pas mépriser le plaisir que procurent  la boisson et la nourriture, il ne parle pas ainsi pour lâcher la bride à toutes les voluptés, mais pour blâmer les avares et les pingres qui préfèrent se priver des commodités et des délectations nécessaires et licites de la vie humaine plutôt que de soulager leurs bourses du moindre écu.

 Dans ce livre, il y a un assez bon nombre de choses qui ne proviennent pas de la sagesse de Salomon mais de l’opinion du peuple et d’hommes inintelligents et voluptueux.  Ce que saint Grégoire démontre avec précision et élégance dans son livre des dialogues 4, chap. 4.    Mais il n’est pas vrai, comme l’affirment les hérétiques, que ce livre ait été composé par Salomon à l’époque où il avait été corrompu par les femmes.   Ce qu’on peut prouver de quatre façons.  D’abord, dans le livre 3 des rois, chap 4 et 11, et dans le livre appelé Ecclésiaste, chap 47, quand on nous énumère, par ordre, les actions de Salomon, on parle plus de ses livres que de ses amours.  Ensuite, dans ce livre dont nous parlons, l’Ecclésiaste, on fait constamment l’éloge de sa sagesse qu’il avait reçue comme un don divin, et on affirme qu’elle était demeurée avec lui jusqu’à l’âge qu’il avait alors.  On lit au chapitre 2 : « La sagesse a persévéré avec moi ».  Il n’est pas vraisemblable que la lumière de la sagesse céleste ait pu cohabiter avec la dépravation du cœur, dont parle  l’Écriture au 3 rois 13 : « Et les femmes détournèrent son cœur.  Quand il fut vieux, son cœur se déprava et il suivit les dieux étrangers ».

 Ensuite, dans le second chapitre de ce livre, Salomon énumère tous ses délices : ses palais, ses piscines, ses vergers, ses serviteurs, ses servantes, ses cantiques, ses chants, ses vases en or et en argent, et de nombreuses choses de ce genre.   Mais il ne fait aucunement mention de ses si nombreuses concubines et femmes, auprès desquelles tous ses autres délices pâlissaient, qui seules ont pu amollir et corrompre son cœur.  Il n’avait donc pas encore commencé à les aimer quand il composa ce livre.  Enfin, qui penserait que d’une âme si amollie et si efféminée qu’était celle de Salomon quand il fut l’esclave de soixante-dix femmes et de trois cent concubines, aient pu sortir des paroles aussi graves que celles que nous avons rapportées ?

 Je n’ignore pas que la position des Juifs anciens est à l’effet, comme le rapporte saint Jérôme c.1,  que ce livre a été composé après que Salomon ait fait pénitence pour ses péchés, opinion que saint Jérôme semble avoir fait sienne dans son commentaire d’Ezéchiel chap. 43.  Mais je trouve plus probable l’opinion de saint Augustin qui dans le psaume 126, et souvent ailleurs, écrit que Salomon a été réprouvé par Dieu, parce que l’Écriture sainte blâme très sérieusement sa vieillesse, et ne dit pas un mot sur sa pénitence.  Mais si quelqu’un préfère se ranger à l’autre opinion, je n’y vois pas d’inconvénient, puisque l’une et l’autre opinion servent à notre propos.   Que cela suffise pour l’Ecclésiaste.

 La septième hérésie n’est pas différente de la précédente, car, comme l’ont rapporté au lieu cité Pilastre c. 133 et Jacques Christopolitain, ne manquèrent pas, parmi les anciens hérétiques, des auteurs qui estimèrent que le cantique des cantiques n’avait pas été écrit par le souffle du vrai Dieu, mais par le souffle de la cupidité, et que ces cantiques ne comprenaient rien d’autre que les propos amoureux du roi Salomon et de son épouse la fille du Pharaon.  Ce cantique des cantiques est donc une œuvre profane, et voilà pourquoi on ne trouve nulle part le nom de Dieu. Castalion attribue la même idée à Théodore de Bèze dans sa préface sur Josué.

 Si l’épouse qui est célébrée dans les cantiques était la fille du Pharaon, c’est-à-dire du roi le plus puissant, combien de choses seraient dites sottement par l’homme le plus savant. Ce que l’on lit au chapitre 1 peut-il convenir à la fille d’un roi ? « Les fils de ma mère luttèrent contre moi, ils ont fait de moi une gardienne de vignes.   Je n’ai pas conservé ma vigne ? » Ou cet autre : « Va après les traces de tes troupeaux, et paix tes boucs ».  Que penser de ceci, c.5 : « Ils m’ont trouvé les gardes qui font le tour de la cité, ils m’ont frappée et m’ont blessée. »  Et de cet autre, chap. 8 : « Qui me donnera à toi, mon frère, toi  qui suce les mamelles de ma mère, pour que je te trouve dehors et que je t’embrasse ? »   Qui pense que la fille de Pharaon est une femme rustique, ou la sœur de Salomon, ou qu’elle a pu être blessée par les gardiens des murs ?

 Et c’est la même qui est tantôt appelée rustique et tantôt fille de roi. « Qu’ils sont beaux tes pas dans tes sandales, fille de roi ».  Et de plus, celle, que l’on dit au chapitre 5 avoir été blessée par les gardiens,  est présentée au chapitre 6 comme une armée rangée en bataille. Voilà plutôt la prudence de l’Esprit saint qui cherche par là à expliquer la bienveillance de Dieu envers le genre humain, et avec quelle ardente charité le Christ, par le mystère de son incarnation, s’est uni à l’Église comme à une épouse.  Il ne faut pas se surprendre qu’il ait voulu chanter cela à l’avance par un cantique nuptial.     Pour ne donner aucun prétexte de soupçonner que ce cantique célébrait la fille de pharaon ou une autre femme de haut rang, les choses qu’il a voulu raconter de cette épouse ne peuvent s’appliquer à aucune femme en particulier.

 Voilà pour quelle raison on croit que quand il décrit une épouse et  la peint de couleurs appropriées, il dit des choses qui conviennent parfaitement à l’Église, qui pourraient enlaidir une femme plutôt que l’embellir.  Car de quelle espèce est cette femme dont la tête est vaste comme le Carmel, le nez rond comme une tour, les yeux larges comme une piscine, les dents comme des troupeaux de brebis tondues, qui de surplus est totalement noire comme les tentes de Cédar ?   Il n’y a pas de quoi se surprendre que, dans cet épithalame spirituel, il ne soit question d’aucun des dix noms de Dieu que l’on rencontre souvent dans les livres de l’ancien testament, comme l’explique brièvement saint Jérôme dans sa lettre à Marcella, no, 136.   Si dans les autres livres de l’ancien testament Dieu exprimait les rapports qu’il avait avec sa servante en se nommant le Seigneur, le Fort, le Tout-puissant, dans les cantiques d’amour où le Fils de Dieu parle avec l’Église comme un époux parle à son épouse, c’est avec raison qu’il laisse tomber ces noms qui étaient aptes à susciter la crainte, et ne se donne que les noms d’époux, de père, d’ami, d’amant  et d’aimé.  Des mots qui servent à exciter et à enflammer l’amour.

 La huitième hérésie est celle de Porphyre que décrit ainsi saint Jérôme dans la préface de son commentaire sur Daniel : « Porphyre a écrit douze livres contre le prophète Daniel, ne voulant pas que son livre ait été écrit par celui dont il porte le nom, mais par un certain Juif  qui, au temps d’Anthioche Épiphane, demeurait en Judée.  Il prétendit qu’au lieu que ce soit Daniel qui ait prédit des évènements à venir, c’est cet inconnu qui a raconté des évènements déjà arrivés. En conséquence, tout ce qu’il a dit jusqu’à Antiochus Épiphane est de la vraie histoire; mais dans ce qu’il a dit après, il n’a fait que mentir,  puisqu’il ne savait pas ce qui arriverait.

 Omettons le témoignage divin du Christ sur le livre de Daniel, au chapitre 24 de saint Matthieu, que Porphyre ne reconnait pas.  Joseph écrit dans le livre 11 de ses antiquités au chapitre 8 que lorsqu’Alexandre vint à Jérusalem, les prêtres lui présentèrent le livre de Daniel, et lui montrèrent comment Daniel avait prédit et expliqué d’avance que le roi des Perses (le bélier) serait vaincu par le roi des Grecs (le bouc) et prendrait la fuite.  Puisqu’Alexandre a précédé Antiochus Épiphane de plus de cent cinquante ans, comment un livre qui a été montré à Alexandre aurait-il pu avoir été composé au temps d’Antiochus ?  Les oracles de Daniel qui viennent après l’époque d’Antiochus ne sont donc pas des mensonges comme le veut Porphyre.  Celui qui lit ces livres diligemment comprendra que ses prophéties sont très vraies, comme l’explique saint Jérôme dans son commentaire sur Daniel.

ZZZ

CHAPITRE 6 Les Hérétiques qui combattirent les livres du Nouveau Testament ci-dessus énumérés.

 La nouvelle hérésie répudie presque totalement les livres des évangiles.  Quelques-uns sont de cette hérésie selon laquelle les évangiles n’auraient été composés ni par les apôtres ni par les autres disciples du Seigneur, mais par quelques imposteurs qui mélangèrent beaucoup de choses fausses avec les vraies, et qui présentèrent leurs productions comme des écrits apostoliques.  C’est ce qu’a pensé et écrit Faust le Manichéen, comme le raconte saint Augustin dans son livre 32 contre Faust chap 2, et dans son livre 33, chapitre 3. Il y en a quelques-uns qui ne nient pas que les évangiles aient été composés par les apôtres, mais en plusieurs passages, ils s’efforcent de militer contre eux, ou contre la vérité. Parce que, étant hommes, ils se seraient trompés parfois, et parce qu’ils n’auraient pas hésité  à embellir avec zèle la vie glorieuse de leur maître par des récits conflictuels.    Cette opinion eut plusieurs adeptes.

 D’abord, des Juifs, au témoignage de saint Augustin 2 rétractation  chap 16,  ensuite Julien l’apostat, au témoignage de saint Cyrille, livre 10 sur Julien, ensuite le pseudo prophète Mahomet,  au témoignage de Jean Damascène, dans son livre sur les cent hérésies, enfin, de notre temps, Othon Brunfelsium, au témoignage de Jean Cochlac dans son livre de l’autorité de l’Écriture et de l’Église, chapitre 3 et 4.

 La première hérésie qui est celle des Manichéens saint Augustin la réfute par deux raisonnements dans son livre 32 contre Faust, chap 16 et 21, et au livre 33 chapitre 7.  En premier lieu, les Manichéens, qui s’efforcent de confirmer leurs erreurs par les Écritures, et qui prétendent en même temps qu’elles ont été composées par des imposteurs, se comportent comme quelqu’un qui dit d’abord que son témoin  a été corrompu par la fausseté, mais qui s’en sert quand même comme  témoin.  Ensuite, si  le consentement unanime et continuel de tant de siècles qui se succèdent ne suffit pas pour prouver que sont des apôtres les lettres apostoliques que l’Église affirme tenir des apôtres eux-mêmes, et qui ont été répandues par toute la terre, il est nécessaire que l’on doute de l’authenticité de  tous les livres et de toutes les lettres  profanes.   Comment se fait-il que tout le monde admette que les livres d’Hippocrate, de Platon, d’Aristote, de Cicéron et de Varron sont les leurs ?   Cela est si vrai que si quelqu’un le nie, on ne prend pas la peine de le réfuter, mais on rit de lui.    D’où cela vient-il si ce n’est que plaide en leur faveur la transmission de ces livres d’une génération à l’autre.  Et cela à tel point que celui qui en douterait passerait pour un fou.

 L’autre hérésie, saint Augustin la réfute au livre du consensus évangélique, chapitre 7 et 8 en quelques mots courts, mais incisifs.   Si nous croyons ce qu’ont écrit les disciples de Pythagore et de Socrate,  qui n’ont rien écrit eux-mêmes, pourquoi ne croirions-nous pas ce que les apôtres écrivent de leur maître ?  Est-ce que c’est parce qu’ils étaient sages que ces philosophes ont pu rendre leurs disciples véridiques ? Le Christ alors n’aurait pas pu rendre véridiques ses disciples en leur procurant à tous la sagesse, et une seule et même doctrine ?    De plus, ceux qui prétendent que les apôtres ont écrit des faussetés, considèrent que Jésus fut un homme très sage. Mais cela, ils n’ont pu l’apprendre que des écrits de ses apôtres. Ne seront-ils pas facilement convaincus que ce n’est pas par un jugement pondéré mais d’une façon toute arbitraire que tantôt ils croient aux livres inspirés, et que tantôt ils n’y croient pas.   De plus, si ses disciples avaient cherché par leurs écrits à enjoliver la vie glorieuse de leur maître, ils auraient passé sous silence l’ignominie de la croix, ou l’auraient rapporté en quelques mots brefs; et ils auraient développé longuement son retour des enfers ou son ascension au ciel.  Pour quelle raison tous  les évangélistes parlent-ils  si peu de sa résurrection et de son ascension, alors qu’ils s’attardent à décrire sa capture, sa flagellation, sa croix, les ignominies, le déshonneur, les tortures ?  Loin d’avoir  recherché les louanges de leur maître  par un faux récit, ils se sont donnés pour but de présenter en toute vérité et simplicité les paroles du Christ et ses faits et gestes.

 La dixième hérésie reconnait trois évangélistes : Matthieu, Marc, Luc.  Elle répudie Jean comme étant contraire aux autres.  Cette hérésie sans nom c’est Philastre qui la rapporte au chapitre 60. On pourrait la dire celle des Allogiens, ou Alogiens, comme l’indique Épiphane 5, suivi en cela par saint Augustin dans hérésies 30.   La onzième hérésie n’accepte que l’évangile de saint Matthieu.  Ébion fut l’auteur de cette hérésie, comme l’écrit saint Irénée, livre 1, chap 26. Voir aussi à ce sujet Épiphane, hérésies 30, et Eusèbe, livre 3 de son histoire ecclésiastique, chap. 21  La douzième qui est de Cérinthe, au témoignage de saint Irénée, 1,3, chap 11 ne reconnait que l’évangile de saint Marc.

 La treizième hérésie, celle de Marcion n’apprécie que l’évangile de Luc, comme le rapportent Saint Irénée au même endroit, et Tertullien dans son livre de la prescription des hérétiques.  Et encore, ne l’acceptent-ils pas en son entier, mais mutilé et corrompu, comme le montrent clairement le livre 4 contre Marcion de Tertullien, et  les hérésies d’Épiphane, 42.    La quatorzième hérésie  ne reconnait aucun évangéliste, à l’exception de saint Jean. Saint Irénée fait de Valentin le promoteur de cette hérésie.  Et bien qu’il semble que Luther ait souhaité ardemment que cette hérésie fleurisse, il ne pensa pas, parce qu’il a cru la chose impossible en son temps,  devoir y consacrer beaucoup de temps,  ou  déployer beaucoup d’énergie pour cette cause.   Il est certain que dans sa préface au nouveau testament, comme Jean Cochlaeus le souligne dans son livre sur l’autorité de l’Écriture et de l’Église, chap. 3, et dans le septicipit livre chap. 5, Luther a dit qu’il fallait mettre de côté la fausse opinion selon laquelle il n’y a que quatre évangiles, et selon laquelle aussi l’évangile de Jean est unique, beau, vrai, et le plus important, de loin préférable aux autres, ou que les épitres de saint Paul l’emportent de loin sur les trois synoptiques.  Ces cinq

 dernières hérésies, les anciens pères ont eu recours à plusieurs arguments pour les réfuter, que non seulement il n’y avait que quatre évangiles, mais qu’il ne pouvait n’y en avoir ni plus ni moins. Voir saint Irénée livre 111, chap. 11, Tertullien, livre 4 sur Marcion, Ambroise dans sa préface du commentaire de Luc, et au livre 10, chap 101,  Euchère livre 1 dans Genèse, c. 14, Jérôme dans la préface de son commentaire sur Matthieu, saint Augustin, dans le livre 1u du consensus évangélique, c.6, saint Grégoire, dans son homélie 4 sur Ezéchiel,  Et pour ne pas parler d’autres raisons, que peuvent bien signifier les quatre animaux qui ont été montrés à Ezéchiel et à Jean (l’homme, le lion, le veau et l’aigle), sinon les quatre évangélistes (Matthieu, Marc, Luc et Jean) ? Qu’il en soit bien ainsi non seulement les écrits et les paroles du peuple le témoignent partout, mais les murs mêmes le proclament par des symboles et des images.

  La quinzième hérésie rejette les actes des apôtres du nombre des livres inspirés.  Nous avons plus sieurs promoteurs de cette hérésie.  Cérinthe, d’après Philastre au chap. 36, Cerdon, d’après Tertullien, dans  la prescription des hérétiques, Tatien d’après Eusèbe livre 4 de son histoire ecclésiastique chap 29, Manès d’après saint Augustin au livre de l’utilité de croire  chapitre 3.

La seizième hérésie est celle des Ébionites, qui rejettent tous les écrits de saint Paul, et qui le nomment Grec et apostat.  En témoignent saint Irénée, livre 1, chap 26, et Épiphane, hérésies, 30.  Eusèbe dit aussi dans le livre 6 de son histoire ecclésiastique chap 27 que cette erreur plut aux Helcheseitis.

Suite du chapitre 6

La dix-septième hérésie, celle de Marcion, au témoignage d’Épiphane, hérésies 42, et de saint Jérôme dans la préface de son commentaire sur Tite, rejette la totalité des lettres à Tite et à Timothée. Et il dilue ce qui lui parait bon. Pierre de Cluny rapporte avec précision ces hérésies dans sa lettre contre les Henriciens et les Pétrobrusiens. Il ne vaut pas la peine de perdre du temps dans une chose aussi évidente.


La dernière est celle de ceux qui, dans les épitres de saint Paul et dans les autres livres inspirés, n’acceptent pas que tout ait été écrit sous la dictée du Saint Esprit, mais prétendent que certaines choses ne procèdent que de la raison et de la prudence humaine. Ils rejettent donc totalement l’épitre à Philémon, et la considèrent comme un écrit humain. Soutinrent aussi cette hérésie les Anoméens, d’après Épiphane dans son livre des hérésies 76, d’après saint Jérôme au chap 5 de Michée, et dans la préface de son commentaire sur l’épitre à Philémon, et d’après saint Augustin dans son livre 2 contre l’adversaire de la loi et des prophètes, chap. 2


En notre siècle, Érasme a renouvelé la même hérésie. Dans ses annotations de Matt aux chap 2 et 27, il dit en toutes lettres qu’il ne faut pas craindre que s’écroule l’autorité de toute l’Écriture si on y perçoit une légère erreur, surtout parce que saint Augustin admet que les évangélistes ont eu des trous de mémoire, dans son livre du consentement unanime des évangiles chap 7, ce qu’on ne peut nier en aucune façon, à ce qui lui semble. Cette hérésie Épiphane, saint Jérôme et saint Augustin la réfutent aux endroits déjà cités. Puisque Érasme abuse du témoignage de saint Augustin, il vaut la peine de rapporter telles quelles les paroles de docteur. Voici ce qu’il dit dans son livre 2 du consentement unanime des évangélistes chap 12 : « Il est normal que, dans les évangiles, aucune fausseté ne se trouve, qui proviendrait du mensonge ou de l’oubli. » Saint Augustin n’attribue donc pas aux évangélistes des erreurs provenant de trous de mémoire, comme le veut Érasme.


De nouveau dans sa lettre 8 à saint Jérôme, saint Augustin écrit : « Si on admet une seule fois un mensonge officieux dans ces livres inspirés, il ne restera plus aucune partie de leurs livres qui ne semblera à chacun difficile à pratiquer ou impossible à croire » Ce raisonnement de saint Augustin est très fort. Si une erreur pouvait être commise par un auteur de l’Écriture par incapacité, oubli ou par quelque défaillance humaine, dans quelque passage que ce soit, on pourrait toujours se demander si l’auteur n’était pas endormi. Mais tu demandes : que voulait dire saint Augustin, dans son troisième livre du consentement unanime des évangélistes, chapitre 7, quand il expliqua que Matthieu avait mis Jérémie au lieu de Zacharie, et qu’il attribua ce lapsus à un défaut de mémoire ? Je réponds que saint Augustin ne parle pas, comme Érasme, d’erreur ou de lapsus. Il affirme plutôt qu’il a été conduit admirablement par l’Esprit saint, sans erreur et sans lapsus. La seule chose que saint Augustin dit c’est que la providence divine a fait en sorte qu’à l’écrivain un nom se présente à la place d’un autre. Si donc il y a eu erreur ou lapsus, c’est une erreur ou un lapsus de l’Esprit saint. Que l’Esprit saint puisse tromper ou être trompé nul homme sain d’esprit n’osera le soutenir. Mais écoutons les paroles elles-mêmes de saint Augustin :


« Que comprendre si ce n’est que tout cela s’est produit selon un dessein secret de la divine providence, par laquelle sont gouvernés les esprits des évangélistes. Car on peut penser qu’il aurait corrigé facilement un mot employé pour un autre au moment où il l’écrivait, si le lui avaient fait remarqué ceux qui de son vivant lurent son évangile, s’il n’avait pas plutôt pensé qu’étant alors conduit par l’Esprit saint, il ne pouvait commettre un lapsus que parce que l’Esprit saint le voulait ainsi. Pourquoi l’a-t-il voulu ainsi l’Esprit saint ? Une première raison nous vient facilement à la pensée : tous les saints prophètes qui ont parlé dans un seul Esprit étaient tous tellement semblables qu’on croirait qu’ils aient tous parlé par la même bouche. Il faut donc accepter tout ce que l’Esprit saint a dit par eux, et considérer que ce que chacun dit tous le disent, et que ce que tout disent, chacun le dit. Donc, puisque les choses dites par Jérémie appartiennent autant à Jérémie qu’à Zacharie, et celles qui sont dites par Zacharie appartiennent à Jérémie, pour quelle raison Matthieu aurait-il corrigé son texte quand en se relisant il se serait rendu compte qu’il avait employé un nom pour un autre ? N’aurait-il pas préféré s’en tenir à l’action du Saint esprit qu’il sentait quand il écrivait, comme l’avait décidé le Seigneur, pour nous faire comprendre qu’entre les paroles des prophètes il y a une telle concordance que ce n’est pas une chose stupide mais convenable de considérer que ce qui a été dit par Zacharie l’a été par Jérémie.


Il m’a paru bon de ne pas parler des arguments avancés par Melchior Cano au livre 2 des livres théologiques chap 16, 17, 18 pour cette hérésie, parce que je ne les ai lus chez aucun hérétique, et parce que Melchior Cano les réfute très bien lui-même.



CHAPITRE 7 Le livre d’Esther



Nous avons jusqu’à présent parlé du premier ordre des livres sacrés. Nous traiterons maintenant, l’un après l’autre, de chacun des livres du second ordre qui font difficulté. Le livre d’Esther s’offre d’abord de lui-même. Trois graves auteurs l’ont placé en dehors du canon des Écritures, l’asiatique Méliton d’après Eusèbe au livre 4 de son histoire ecclésiastique, chapitre 26, Athanase dans la synopsis et Grégoire de Naziance dans le chant qu’il a composé sur les écrits authentiques de la Bible. Parmi ceux qui rangèrent le livre d’Esther parmi les livres sacrés, il y en a qui soutinrent que les sept derniers chapitres, qui ne se trouvent pas dans les textes hébraïques, ne font pas vraiment partie du livre; qu’ils sont donc à être retranchés comme interpolés, étrangers au véritable texte. De cet avis fut saint Jérôme, comme sa préface au livre d’Esther en fait foi. Ont suivi saint Jérôme avant le concile de Trente Nicolas de Lyre, Denys le Chartreux, Hugues de saint Victor et Thomas de Vio, et après le concile de Trente, Sixte de Sienne dans les livres 1 et 18 de la sainte bibliothèque.


Que ce livre soit sacré et divin le prouvent suffisamment tous les décrets des papes et des conciles, ainsi qu’un grand nombre de témoignages de pères hébreux, grecs et latins que nous avons rapportés plus haut dans le chapitre quatrième. Car, à l’exception de Méliton, d’Athanase et de Grégoire, tous les autres sont d’accord pour reconnaître l’inspiration divine de ce livre. Que les chapitres qui sont absents dans les manuscrits hébreux font partie de la sainte écriture, nous le confirmons par les raisons suivantes.


D’abord on ne peut nier que quand les anciens conciles, celui de Laodicée au chapitre 59 et celui de Carthage 111 au canon 47, les anciens pères grecs comme Origène dans le premier psaume, Eusèbe au livre 3 de son histoire ecclésiastique, chapitre 25, Cyrille dans sa catéchèse 4, et Damascène au livre 4, chapitre 18, ainsi que les Pères latins, saint Hilaire dans le premier psaume, Innocent dans l’épitre 3, Ruffin dans le symbole, et saint Augustin dans le livre deux de la doctrine chrétienne, chap 8, quand donc tous ces anciens-là énumèrent Esther parmi les livres sacrés, ils parlent du livre qu’eux et l’Église de leur temps utilisaient. Ils utilisaient alors dans l’Église universelle les livres sacrés selon l’édition que, dans le livre d’Esther et souvent ailleurs, Jérôme avait l’habitude d’appelée vulgate, laquelle contient, comme il le dit lui-même, des écrits de langue grecque. Que dans cette édition ne furent pas absents les sept chapitres dont nous parlons présentement en témoignent en premier les textes grecs des septante. En témoigne aussi saint Athanase dans sa synopsis où il fait un résumé de chaque livre, et en met les premières phrases. En témoigne également saint Jérôme qui nous informe ne pas avoir trouvé ces chapitres dans les textes hébreux, mais les avoir rencontrés dans l’édition dite vulgate. En conclusion, si les conciles et les Pères ont compté parmi les livres sacrés le livre d’Esther tel qu’ils avaient l’habitude de le lire dans le canon sacré, ils ont accepté le livre dans son intégralité avec, donc, les sept chapitres ajoutés.


Et que dire de ce que les Pères ne se bornent pas à compter Esther parmi les livres sacrés, mais font souvent des citations des sept derniers chapitres ? C’est ce que fait saint Jean Chrysostome dans son homélie 3 au peuple d’Antioche, et Augustin dans son épitre 199 à Édicie. Que dire de ce que Origène dans sa lettre à Julien l’Africain, démontre que cette partie du livre d’Esther, qui ne se trouve pas dans les textes juifs, est sacrée et canonique ? « Dans le livre d’Esther, écrit-il, les prières de Mardochée et d’Esther qui peuvent édifier les lecteurs ne se trouvent pas dans les textes hébraïques. Ni non plus les lettres, ni ce qui est écrit par Aman de la destruction du peuple juif, ni de Mardochée libérant le peuple de la mort, au nom de roi Artaxerxès, Mais toutes ces choses se trouvent dans les septante et dans la traduction de Théodotion. » Et plus bas, « Veillons donc à ce que, par imprudence et inconscience, nous n’abrogions pas ce qui se trouve dans les églises, et que nous n’imposions pas à nos frères de mettre de côté certains livres sacrés qui sont chez eux en usage. Gardons-nous de ne faire confiance qu’aux textes hébreux et de ne rechercher que des livres épurés qui ne contiennent aucune fiction. La providence n’a-t-elle pas, dans les livres sacrés, donné de l’édification à toutes les églises du Christ ? Ne se soucie-t-elle pas de ceux qui ont été rachetés à un grand prix, pour lesquels le Christ est mort ? »


Vient enfin le décret du concile de Trente sess 4, au cours de laquelle ont été approuvés dans toutes leurs parties tous les livres qui avaient été énumérés un peu avant dans ce concile, selon que l’Église a coutume de les lire, et tels qu’ils existent dans l’édition latine de la vulgate. L’autorité de ce concile, même si elle est nulle auprès des hérétiques, et très grande et très ancienne auprès de Sixte et des autres catholiques (orthodoxes). Mais le concile, dit Sixte dans le livre 1 parle des vraies parties des livres, non des ajouts, comme le sont les derniers chapitres d’Esther. Or, si cette réponse de Sixte avait quelque poids, il faudrait mettre en doute plusieurs autres parties des saints livres, de Daniel, de Marc, de Luc, de Jean. Qu’aurait donc à répondre ce Sixte si pour conserver ces parties des divins volumes le concile avait comme érigé un mur devant ceux qui prétendent que ces chapitres sont des ajouts et non des parties ? Ensuite, qui peut nier qu’en approuvant des livres sacrés, le concile reconnaissait en même temps que toutes leurs parties étaient véritables. Pourquoi le concile ajoutait-il ces mots, avec toutes leurs parties, si ce n’est pour que tous comprennent que même ces parties qui ont suscité autrefois la controverse, appartiennent au canon des livres saints.


De plus, le concile de Trente a expliqué son intention dans les mots suivants avec une telle précision qu’il ne reste plus de place à la contestation. Car il a dit : « Si quelqu’un ne reçoit pas ces livres en entier dans toutes leurs parties ». Il ajoute immédiatement après : « comme ils ont coutume d’être lus dans l’église catholique ». Qui ne sait que le jeudi d’après le deuxième dimanche du carême, on lit pendant la messe une partie du chapitre 13 d’Esther ? Ne lit-on pas dans le même chapitre d’Esther une lecture qui convient aux païens ? Dans le dimanche 22 après la Pentecôte, on dit la prière d’Esther tirée du chapitre 14, après avoir lu l’évangile et le symbole des apôtres. Mais il faut aussi prendre la peine de réfuter les arguments de nos adversaires.


Ils disent que, puisque le livre d’Esther a été écrit en hébreu, les sept chapitres écrits en grec doivent nécessairement être considérés comme adventices. Nous répondons avec Origène qu’il se peut que ces chapitres aient été écrits d’abord en hébreu, et que, pour une raison ou pour une autre, ils soient disparus. Il est certain que Joseph dans son livre 11 des antiquités, chap 6, n’omet pas, quand il raconte l’histoire d’Esther, les deux lettres d’Assuérus et la prière de Mardochée, bien qu’aucune de ces choses ne se trouve dans le texte hébraïque. Il n’est pas croyable que Joseph ait inventé quelque chose, puisque dans le livre 10. chap 12, il parle ainsi de lui-même : « Je dis d’abord, au début de cette histoire, que, pour répondre à ceux qui posent des questions ou qui s’efforcent de nous trouver en faute, je me suis proposé de traduire en grec les livres hébreux. Et en cherchant à vous en découvrir le sens, je n’ai l’intention ni de rien ajouter, ni de rien enlever ».


On peut aussi répondre que le premier auteur qui entreprit de raconter l’histoire d’Esther n’en aurai fait d’abord qu’un exposé sommaire, et que plus tard, un autre auteur en aurait écrit une histoire plus élaborée, et traduite en langue grecque par Lysimaque, au temps du roi d’Égypte Ptolémée et de Cléopâtre, comme cela est indiqué dans le même livre au chapitre 11. Et qu’ensuite nous seraient parvenus le livre hébraïque du premier auteur, mais du second seulement sa traduction.


La deuxième objection. Ces chapitres ne s’accordent pas avec ceux qui précèdent. Car au chapitre 2, on raconte les embuches des deux eunuques, et leur emprisonnement grâce à la sagacité de Mardochée. Ensuite, on nous raconte la même chose aux chapitres 11 et 12, mais au premier endroit, on nous dit que ces embuches ont été faites la septième année d’Assuérus, et au chapitre 6, on ajoute que Mardochée n’avait reçu aucune récompense pour le fait de les avoir dénoncées. Dans le deuxième endroit, on nous dit qu’elles ont été faites la deuxième année d’Assuérus, et on ajoute que des récompenses ont été données à cause du retard. Je réponds en disant que les sept chapitres du livre d’Esther qui sont les derniers dans l’édition de la vulgate, ne sont pas vraiment les derniers, mais que certains d’entre eux appartiennent au début du livre, comme les chapitres 11 et 12, d’autres au milieu comme les chapitres 13, 14, 15, 16, d’autres à la fin, comme le chapitre 10. Cela est évident puisque dans les manuscrits grecs, ils sont tous placés dans cet ordre. On le comprend aussi par l’annotation insérée par saint Jérôme aux chapitres 10 et 11, et aux autres dans les bibles latines. L’Église permet que ces chapitres demeurent ensemble jusqu’à la fin du livre d’Esther, là où saint Jérôme les a placés, pour que nous comprenions que fait partie de ce livre ce qui n’est pas dans les manuscrits hébraïques.


Le récit donc des embuches qui est fait aux chapitres douze dans les bibles latines appartient au début du livre, et on raconte là, par anticipation, les embuches qu’on décrira en leur lieu propre au chapitre 2. Elles ont eu lieu la septième année comme le rapporte le chapitre 2, et non la deuxième année, comme on peut le déduire du chapitre 11 par les mots suivants : la deuxième année du règne d’Artaxerxes. La portée de ces mots ne doit pas être étendue jusqu’au récit des embuches, mais seulement à ce qui est dit dans le chapitre 11, c’est-à-dire jusqu’au songe de Mardochée, avant qu’Esther ne s’unisse a Artaxerxes.


L’objection que l’on fait au sujet de la récompense donnée pour la délation ne cause pas de souci. Car même si Mardochée n’avait pas eu de récompense pour sa délation quand le roi ordonna qu’on lui relise ses annales, comme on le dit au chapitre 6, il eut après cela la très grande récompense qui est décrite dans le chapitre 6, Et c’est ce qu’on veut dire au chapitre 12 par les mots : faveurs données pour délation. Tu diras peut-être. Si ces choses sont dites par anticipation, pourquoi lit-on ensuite dans les textes grecs : « Et il arriva après ces choses aux jours d’Artaxerxes ? » On raconte, en effet, que le banquet du roi Assuérus eut lieu à la troisième année de son règne; et l’Écriture indique que cela s’est passé après la découverte des embuches que nous avons dit plus haut avoir eu lieu la septième année. Nous répondons. Ce « après ces choses » ne se rapporte pas à ce qui est raconté par anticipation, mais au songe de Mardochée qui avait été raconté en son lieu.


On fait la troisième objection suivante. Ces derniers chapitres s’opposent aux autres parties du livre, et rendent ainsi tout le livre suspect. En effet, dans la lettre d’Assuérus que nous avons au chapitre 16, on nous dit qu’Aman fut un macédonien de race et de cœur, et qu’il voulait transférer l’empire des Perses aux Macédoniens. Nous concluons de ces mots que l’histoire d’Esther s’est déroulée pendant les derniers temps du royaume des Perses. Car le roi Assuérus ne pouvait pas craindre que son royaume soit transféré aux macédoniens si ce royaume était déjà la propriété d’un autre. Ce royaume macédonien fut des plus obscurs jusqu’au temps de Philippe, le père d’Alexandre le grand, comme Justin l’atteste à la fin de son livre 6. Ce n’est pas au début du règne de Philippe, mais à sa vingtième année, que la puissance macédonienne devint suspecte aux yeux des Perses, comme le rapporte Diodore au livre 16. La vingtième année du règne de Philippe coïncida avec la vingt-troisième année du règne d’Artaxerxes Ochus, comme on l’apprend par la chronique d’Eusèbe. Il est donc impossible que l’histoire d’Esther tombe après la vingt-troisième année du règne d’Artaxerxes Ochus. Je demande alors : qui fut ce roi perse qui eut Esther pour épouse ? Artaxerxes Ochus ? Non, car cette histoire ne s’est pas déroulée après la vingt-troisième année, mais après la douzième année du règne d’Assuérus, comme on nous l’indique dans le livre d’Esther, au chapitre 3. Serait-ce plutôt Arses, le successeur d’Ochus ? Mais celui-là ne régna que quatre ans. Pour cette même raison, Darius le successeur d’Arses n’a pas pu être le mari d’Esther, puisqu’il ne régna que six ans.


Ajoutons que si l’histoire d’Esther appartenait à la fin du royaume des Perses, Mardochée aurait vécu près de trois cents ans. Car Mardochée fut déporté avec le roi Jéchonias de Jérusalem à Babylone par Nabuchodonosor, le roi des Chaldéens, (Esther 2 et 11), et il avait déjà un certain nombre d’années. Il demeura ensuite en captivité pendant 70 ans. Il aurait ensuite continué à vivre du début du règne de Cyrus jusqu’à la fin d’Ochus, pendant donc deux cent vingt ans. Ajoute les années 70 aux années 220, et ajoute encore les années qu’il a vécu avant la captivité, et tu aboutiras à peu près à 300 ans. Cette difficulté vaut également pour Esther, car, étant la nièce de Mardochée selon la version de Jérôme, ou sa cousine germaine d’après les manuscrits grecs et hébreux, ou elle fut du même âge que Mardochée ou pas tellement plus jeune. Et même si elle avait été cent ans plus jeune que lui, elle aurait été au moins âgée de deux cents ans quand elle épousa Assuérus. Qui peut penser que cette vieille de deux cents ans ait été la très belle vierge que le roi des Perses préféra à toutes les autres ?


Nous répondons qu’au sujet du temps où a vécu Esther, il existe plusieurs témoignages d’écrivains. Et bien qu’ils ne soient pas tous également probables, il n’y en a aucun de si improbable qu’il ne nous permette pas de réfuter l’objection. Certains auteurs situent l’histoire d’Esther avant la fin de la captivité de Babylone, et veulent qu’Assuérus soit le père de Darius le Mède dont parle Daniel. Ce serait lui qui aurait pris Esther pour épouse. Cette opinion a plu à Melchior Cano, au livre 11 des lieux, chap 6, et à Gérard Mercator dans sa chronologie. Ces auteurs répondent ainsi à l’objection voulant qu’Aman ait eu l’intention de transférer le royaume des Perses aux Macédoniens. Ce n’est pas ce que désirait Aman, disent-ils, car le royaume macédonien était alors si florissant qu’il pouvait lutter à armes égales avec les Perses pour la domination de toute la terre. Ce qu’il voulait plutôt c’était que, comme il était macédonien d’origine, il désirait rendre illustre sa lignée encore peu connue, et transférer à lui-même et aux siens l’empire.


Cette opinion ne tient pas debout. D’abord parce que le mari d’Esther a pour nom Artaxerxes, nom qui ne convient pas aux Mèdes, mais qui appartient en propre aux rois perses. Parce que l’époux d’Esther régnait de l’Inde à l’Éthiopie (Esther 1). Or, les Mèdes n’ont jamais possédé un royaume aussi vaste. Nous parlons ici des temps des rois des Mèdes avant la monarchie de Cyrus. Car même si, en ce temps, le royaume des Mèdes était plus grand que celui des Perses, comme saint Jérôme l’atteste au chapitre 5 de Daniel, il n’était pas alors aussi vaste que l’a été par la suite le royaume des Perses, ou de celui d’Assuérus, le mari d’Esther.


Troisièmement, parce que le mari d’Esther se dit clairement perse et roi des Perses. Or, l’Assuérus dont parle Daniel 9, était un mède et de descendance médique. Quatrièmement, parce que le mari d’Esther reconnait tenir son royaume du Dieu d’Esther. (Esther, dernier chapitre). Nous n’avons lu nulle part que les Mèdes aient jamais rendu un culte au Dieu des Juifs. C’est de Cyrus et de ses successeurs que nous lisons cela. Car dans les Parl, dernier chapitre, et dans 1 Esdras 1, Cyrus dit : « Le roi du ciel m’a donné tous les royaumes du monde. Et c’est lui qui m’a commandé de lui construire un temple à Jérusalem ». Et en 1 Esdras 6 et 7, on lit les lettres de Darius et d’Artaxerxes, dans lesquelles ces rois reconnaissent le Dieu des Juifs, et ordonnent qu’on lui offre des sacrifices pour eux et leur royaume. Cinquièmement, parce que le mari d’Esther avait sa capitale à Suse (Esther 1). Or Suse n’était pas la capitale des rois Mèdes mais perses, comme l’écrivent Solin au chapitre 58, Diodore au livre 11, et Plutarque dans Artaxerxes. Cela ne s’oppose pas à ce que rapportent Justin (livre 1) et Q. Curtius au livre 4, quand ils affirment que la capitale des Perses a été Persepolis. Car, comme le déclare Strabon au livre 15, Suse et Persepolis ont été toutes les deux des capitales des Perses. On appelait Persepolie une cité royale parce que c’était là que se trouvaient le trésor royal et les sépulcres. Mais c’est parce que les rois y résidaient qu’on donnait à Suse le nom de cité royale. C’est à Suse, en effet, que Cyrus établit son siège. Car, comme cette ville était aux confins de l’Assyrie, de la Persidie et de la Médie, il pouvait commodément à partir d’elle, défendre et gouverner tout son empire. Le mari d’Esther ne fut donc pas un Mède mais un Perse.


L’opinion de certains autres est à l’effet que le mari d’Esther n’a pu être nul autre que Cambyse, qu’on appelle aussi Assuérus (1 Esdras 4). Cette opinion est celle des Juifs dans leur chronologie particulière. C’est cette chronologie que suit Gilbert Génébrard dans sa chronologie à lui. Mais comme les Juifs ne nomment que trois rois Perses, Cyrus, Assuérus et Darius, qui a été vaincu par Alexandre le grand, ils ne se posent pas la question de l’âge de Mardochée et d’Esther, ou d’Aman ou du roi de Macédoine. Qu’il n’y ait eu que trois rois de Perse le prouvent deux passages de l’Écriture. Le premier est celui de Daniel 11, où après qu’il eut dit qu’après Darius le Mêde apparaîtraient dans l’avenir trois rois de Perse, il ajoute tout de suite au sujet d’Alexandre : il viendra un roi fort, et il sera dominé par lui. Le second est dans le livre 2 d’Esdras chap 12, où Néhémie énumère les grands prêtres depuis Josué fils de Josedech jusqu’à Jaddum, qui aurait exercé le sacerdoce au temps d’Alexandre le grand. Il semble découler de cela qu’il y ait eu peu de rois de Perse pendant la période à laquelle a vécu Néhémie, qui va de Cyrus à Alexandre le grand, -- lequel a détruit la monarchie perse.


Mais cette opinion des Juifs ne nous semble en aucune façon fondée. Car Assuérus, le mari d’Esther, régna au-delà de douze ans (Esther 3,) Cambyse, lui, ne régna que pendant sept ans et cinq mois, selon Hérodote au livre 3, ou seulement six ans, si l’on en croit Joseph le juif au livre 3 de ses antiquités, chapitre 2, dont tous les écrivains acceptent la datation. Les Juifs ne peuvent pas dire non plus que, en plus, il a régné plusieurs années avec son père Cyrus, puisque les Juifs eux-mêmes reconnaissent que Cyrus n’a régné que trois ans. De plus, Cambyse, pendant tout le temps de son règne, a poursuivi les Juifs de sa haine, et n’a jamais permis qu’on reconstruise un temple à Jérusalem, comme la chose apparait clairement au livre d’Esdras 1, chap 4. Qui donc peut croire que Cambyse ait été cet Assuérus qui, après la mort d’Aman, a été si ami des Juifs ? Que penser de ce que notre Assuérus, dans le livre d’Esther au dernier chapitre, indique qu’il était éloigné par un grand intervalle des temps de Cyrus, quand il dit que, par un bienfait du Dieu du ciel, le royaume a été donné à ses ancêtres, et a été conservé jusqu’à son époque ? Ce qui ne convient certainement pas à Cambyse, qui était proche de Cyrus.


N’est pas solide non plus le fondement des Juifs des trois rois perses, non seulement parce qu’à peu près tous les historiens grecs et latins les contredisent, mais même Joseph, Juif de nation et de religion, et même Daniel et Esdras. Car, Daniel au chapitre 11, après ces mots : « voici que trois rois siègeront en Perse ». on lit immédiatement après : « et le quatrième sera doté de plus grandes richesses que les autres; et quand il aura fait l’inventaire de ses richesses, il entrainera tout le monde contre le royaume des Grecs. Dans le premier livre d’Esdras, au chapitre 4, il est fait mention de Cyrus, qui ordonna que le temple soit reconstruit. Ensuite, au chapitre 6, on nous présente un autre Artaxerxes, dont on retrouve le nom au livre 2 d’Esdras, chapitre 2. Pourquoi Daniel, après Xerxes, passet-t-il immédiatement à Alexandre le grand ? La raison en est, comme l’écrit saint Jérôme, que, en ce lieu, Daniel ne se proposait pas de raconter l’histoire des rois, mais de prédire les changements de règne. Il énuméra donc les rois de Perse jusqu’à Xerxes, qui fit la guerre aux Grecs, pour nous faire comprendre que ce fut là l’occasion qui lança les Grecs contre les Perses, qui furent défaits par Alexandre le grand.


L’autre argument tiré du nombre des pontifes, Bède le vénérable l’a mis en pièces dans son livre 3 d’Esdras, chap. 32, où il enseigne que Néhémie a présenté la généalogie du pontife Josué jusqu’à Jadd, c’est-à-dire jusqu’à son enfance, comme nous le voyons dans le livre 2 d’Esdras, dernier chapitre. Au temps de Néhémie, le pontife suprême était Éliasib, neveu de Josué, bisaïeul de Jadde, qui, au temps d’Alexandre, était un grand prêtre déjà âgé. Entre la fin du règne d’Artaxerses aux longues mains, dont Néhémie était l’échanson, et le début du règne d’Alexandre, il y a quatre-vingt-quinze ans. Il se pourrait donc fort bien que le Jadde qui était âgé au temps d’Alexandre, ait été un enfant au temps de Néhémie.


D’autres veulent que le mari d’Esther ait été Darius Hystapis qui succéda à Cambyse. C’est ce que pense Jean Carion dans sa chronique, et le bénédictin Jean dans ses annotations marginales au livre d’Esther. Et bien que cette opinion semble mieux fondée que les deux précédentes, il me semble à moi qu’on doive rejeter les arguments qu’on apporte pour sa défense. Ils pensent que Darius Hyspasis est notre Assuérus d’abord parce qu’il eut deux femmes, Atossam et Artystonam, et ensuite parce qu’il demeurait dans la ville de Suze. Deux choses qu’on retrouve chez Assuérus dans le livre d’Esther. Mais Hérodote au livre 3 enseigne que les épouses d’Assuérus, Atossam et Artystonam furent toutes deux filles de Cyrus. Ce qui ne convient certainement pas à notre Esther. Avoir demeuré à Suze n’est pas quelque chose de propre à Darius, puisque c’est là que, au témoignage de Strabon, résidaient les rois de Perse.


Une autre opinion très célèbre voudrait que Artaxerxes le Mnémon ait été le mari d’Esther. C’est ce qu’enseigne Eusèbe dans sa chronique, que Bède le vénérable (dans son livre des six états) et beaucoup d’autres auteurs suivent. Mais contre cette opinion se présentent deux arguments qui ne sont pas d’une mince importance. D’abord, Joseph écrit dans le premier livre contre Appion que le canon des livres sacrés des Juifs ne possède pas ces livres qui ont été écrits après l’époque d’Artaxerxes aux longues mains. Car c’est Esdras qui a composé le canon des Écritures, dont la vie ne s’étend pas au-delà de l’époque des Longues mains. Or, le livre d’Esther a toujours été dans le canon des Hébreux, comme nous l’explique Joseph dans le livre 11 des antiquités, et dans son premier livre contre Appion. L’histoire de ce livre ne se rapporte donc pas au temps de Mnemon.


De plus, Plutarque a écrit avec beaucoup de soin la vie d’Artarxerces Mnemon, dans laquelle on ne trouve rien de ce qui est raconté dans Esther, mais plutôt le contraire. Plutarque raconte, en effet, qu’Artaxerxes Mnemon eut deux épouses Statiram et Atossam. Aucune d’entre elles ne peut être Vasthi ou Esther, qui sont les femmes de notre Assuérus, car Vasthi fut répudiée (Esther 1). Statira a été tuée empoisonnée quand elle était encore reine, à la plus grande douleur du roi. Atossa, elle, ne fut jamais répudiée, mais vécut avec Artaxerces jusqu’à sa mort. Or, Esther était juive de race, et s’était mariée avec Assuérus la septième année de son règne (Esther 2). Mais Atossa n’était pas une juive, mais une perse, et la fille d’Artaxerses lui-même. Mais Statira ne fut pas prise pour épouse la septième année du règne, mais Artaxerces l’épousa avant de régner.


Il reste donc une dernière opinion, et à mon jugement, la plus probable, celle de Joseph dans son livre 11, chap 6, et de Sulpice, dans le livre 2 de son histoire sacrée, et de beaucoup d’autres dont parle Eusèbe dans sa chronique, sans les nommer. Assuérus, le mari d’Esther, ne peut être nul autre que Artaxerxes aux mains longues. Voilà quelle est notre opinion, à nous aussi. Parce que les arguments dont nous nous sommes servis pour réfuter les autres positions n’ont aucune force dans ce cas-ci, et parce qu’est très grande l’autorité de Joseph, juif, prêtre et un grand connaisseur des choses hébraïques. Il est vraisemblable que Néhémie l’hébreu ait pu être l’échanson d’un tel roi, et que la reine Esther ait été une juive, et que le préfet du palais Mardochée ait aussi été un Juif.


Mais, dira-t-on, si Mardochée a été, avec le roi Joachim, transporté de Jérusalem à Babylone, comment a-t-il pu vivre jusqu’aux temps d’Artaxerxes aux longues mains ? Je réponds que ce n’est tout à fait incroyable. Du début de la captivité jusqu’à Artaxerxes aux longues mains, on compte 165 ans. Il n’est pas incroyable qu’à cette époque Mardochée ait atteint 165 ans quand, peut de temps après, un Paul l’ermite a vécu 115 ans, au témoignage de saint Jérôme. J’ai moi-même vu un vieillard de 105 ans qui était si robuste et si vigoureux qu’il laissait présager qu’il pourrait vivre encore longtemps. (Saint Romuald vécut 120 ans,-- note du traducteur).


De plus, on peut quand même penser que l’Écriture a raison de dire qu’il fut déporté avec le roi Joachim, même s’il n’était pas encore né alors. Il a pu quand même être transféré dans ses parents, si non en lui-même, ou dans ses ancêtres, comme on dit de Zorobabel et de Josué qu’ils sont retournés de la captivité à Jérusalem (2, Esdras 7), bien que Zorobabel fut né dans la captivité elle-même (Matt. 1). Et c’est vraisemblablement ce qui est arrivé à Josué fils de Josédech. Dans la Genèse (46) et dans le Deutéronome (10), nous lisons que sont entrés en Égypte avec Jacob soixante-dix personnes, dans le nombre duquel on fait entrer les deux fils de Joseph qui étaient nés en Égypte. On ne peut trouver d’autre raison qui permette de dire qu’ils sont entrés en Égypte que le fait d’être entrés avec Joseph qui les portait alors en lui.



TTTTTTT

16 fev 2017

CHAPITRE 8 Le livre de Baruch



Il y a eu et il y a toujours eu une controverse au sujet du livre de Baruch. D’abord parce qu’on ne le trouve pas dans les manuscrits hébraïques, ensuite parce que ni les anciens conciles, ni les papes, ni les pères que nous avons cités plus haut, ceux-là même qui ont composé le catalogue des livres sacrés, ne se souvinrent de ce livre pour en faire un long commentaire. C’est pourquoi, parmi les catholiques, on trouve un Jean Driedo qui, dans son traité des écritures et des dogmes ecclésiastiques, au dernier chapitre, dernier argument, nie que ce livre soit canonique. Parmi les hérétiques, on découvre un Jean Calvin, au livre 3 de son Institution, chap. 20, 8. Ainsi que Kemnitius dans son examen de la session 4 du concile de Trente.


Mais l’autorité de l’Église catholique nous persuade du contraire, elle qui, à la session 4 du concile de Trente, range le livre du prophète Baruch parmi les livres sacrés. Et à la fête de la Pentecôte, elle ordonne de faire la lecture du prophète Baruch avec celle des autres livres sacrés.


Ne manquent point les témoignages des anciens pères que nous pouvons opposer aux adversaires. Cyprien, dans son livre 2 contre les Juifs, chap 5 : « La même chose chez Baruch : celui-ci est notre Dieu ». Et dans son sermon sur la prière du Seigneur, il cite l’épitre de Jérémie, laquelle est le dernier chapitre de Baruch : « Par Jérémie, dit-il, l’Esprit saint suggère et enseigne que c’est avec les sens que doit être adoré Dieu par toi ». Saint Hilaire, dans la préface de son commentaire sur les psaumes, place dans le canon l’épitre de Jérémie. Le bienheureux Cyrille dans son livre 5 contre Julien, cite Baruch nommément. Clément d’Alexandrie, dans le livre 2 du pédagogue, chapitre trois : « La divine écriture dit magnifiquement ailleurs » , citant le chapitre 3 de Baruch. Le bienheureux Ambroise, dans son livre 1 de la foi, chap. 2, citant ces paroles de Baruch 3 : « Celui-ci est notre Dieu, et aucun autre ne peut être estimé Dieu en dehors de lui », dit : « L’Écriture enseigne qu’il n’y a qu’un seul Dieu ». Et un peu plus bas : « Que dirons-nous de celui de qui un si grand prophète a proclamé : L’Esprit saint dit qu’il ne peut être comparé à aucun autre » Théodoret commente tout le livre, et dans le chapitre 2, il l’appelle en toutes lettres un livre divin. Eusèbe dans sa démonstration de l’évangile, livre 6, chapitre 16, cite le chapitre 3 de Baruch, et il dit ensuite : « Il ne faut rien ajouter aux paroles divines ».


De plus, des auteurs anciens donnent souvent à ce livre le nom de Jérémie, parce que Baruch fut son secrétaire et son disciple, comme on le voit dans le livre de Jérémie, au chap 36. Voilà la raison pour laquelle les conciles anciens et les Pères ne mirent pas Baruch nommément dans le canon. C’est qu’ils estimaient que son livre était une partie des prophéties de Jérémie. Clément d’Alexandrie dans le livre 1 du pédagogue, au chap 10 cite Baruch 3 sous le nom de Jérémie : »Écoute Israël les commandements de vie », et ce passage de Baruch : « Nous sommes heureux, nous, les gens d’Israël, parce que ce qui plait à Dieu nous a été manifesté ». Le bienheureux Ambroise au livre 1 de la pénitence, chap 8, rapporte, sous le nom de Jérémie, des extraits des chapitres 3 et 5 de Baruch. Et dans son livre 3 sur l’hexameron, chap , 14, il en cite d’autres tirés du chap 4 de Baruch. Saint basile, au livre 4 d’Eunome, pas tellement loin de la fin, et saint Jean Chrysostome dans son homélie le Christ est Dieu, opposent aux Gentils ce passage de Baruch 3 « celui-ci est notre Dieu », sous le nom de Jérémie. Saint Augustin dans la cité de Dieu, au chapitre 33, dit que ce passage est cité par quelques-uns sous le nom de Baruch, mais par le plus grand nombre sous le nom de Jérémie. Le même passage est cité sous le nom de Jérémie par le pape Sixte 1, dans sa lettre à tous les fidèles, par Félix 1V dans sa lettre à Pierre d’Antioche, et par Pélage 1 dans sa lettre à Vigile.


Puisqu’il en est ainsi, on ne peut répudier Baruch qu’en répudiant Jérémie. Puisqu’il n’y a jamais eu, chez les anciens, de controverse au sujet du livre de Jérémie, il faut en conclure qu’il n’y a jamais eu non plus chez eux de controverse au sujet du livre de Baruch.


CHAPITRE 9 De certains chapitres de Daniel



Les Juifs, au témoignage de saint Jérôme, dans sa préface sur Daniel, ne tiennent nul compte de l’hymne des trois enfants qui se trouve au chapitre 3 de Daniel, ni de l’histoire de Suzanne, qui se trouve au chapitre 13, ni de l’histoire du dragon tué par Daniel, qui fait partie du chap. 14. Pour la même raison, Porphyre non plus, au livre 12, dans les quinze livres qu’il écrivit contre les chrétiens, comme l’affirme saint Jérôme dans la préface à son commentaire de Daniel. Ni non plus les hérétiques de ce temps, comme Kemnitius, dans son examen 4 du concile de trente. C’est surtout les anabaptistes qui sont les promoteurs de cette erreur.


Les hérétiques, les païens et les Juifs ne sont pas les seuls à répudier cette histoire comme fabuleuse. Parmi les catholiques, Jules l’Africain autrefois la rejeta, au témoignage d’Eusèbe dans le livre 6 chap 23 de son histoire ecclésiastique. Parmi les auteurs contemporains, Jean Driedo au livre 1 et au dernier chapitre des écritures et des dogmes ecclésiastiques fit de même, ainsi que, parmi les demi—chrétiens, Érasme dans ses annotations de la préface de saint Jérôme sur Daniel.


Néanmoins, il est certain que toutes ces parties sont canoniques, comme le prouve le concile de Trente par l’usage qu’en a fait l’Église, Cet argument a une grande force aux yeux de Driedon et des autres catholiques. Le concile ordonne à la session 4 de recevoir les livres sacrés, avec toutes leurs parties, comme ils ont coutume d’être lus dans l’Église catholique. Or, l’hymne des trois enfants est lu pendant la messe du samedi des quatre temps, et tous les jours de fête aux prières de l’office du matin. On lit l’histoire de Suzanne au complet, pendant la messe, le samedi avant le quatrième dimanche du carême. On lit aussi l’histoire du dragon qui est tué par Daniel à la messe du troisième jour après le cinquième dimanche du carême. Non seulement de notre temps, mais même avant les années 200, on lisait dans l’Église toutes les parties de Daniel comme le témoigne Ruffin, livre 2, contre saint Jérôme.


On le prouve en second lieu par le témoignage des anciens. Le bienheureux Ignace dans sa lettre aux Magnésiens, cite l’histoire de Suzanne, chap 13 de Daniel. Tertullien cite la même histoire dans son livre de la couronne du soldat. Saint Cyprien, dans son sermon sur l’oraison dominicale, présente l’hymne des trois enfants, et dit que l’histoire qui contient cet hymne est divine. Le même dit dans son sermon sur les renégats : « Elle parle l’Écriture sainte », puis cite les paroles des trois enfants dans le feu. Au premier livre de la huitième épitre, il produit l’histoire de Suzanne, et au livre 4 de sa sixième épitre, l’histoire du dragon, ainsi qu’au troisième livre de l’épitre 1, et au livre 1 de l’épitre 4. De même dans son sermon sur l’oraison dominicale et dans celui sur l’aumône, il relate l’histoire du banquet d’Habacuq interprété par Daniel. Saint Basile dans son livre sur le Saint Esprit au chap. 30, Épiphane, dans l’Ancorat, et saint Jean Chrysostome dans son homélie 4 au peuple, citent l’hymne ou l’histoire des trois enfants. Et dans son sermon sur les trois enfants, et dans celui sur Suzanne, qui se trouvent à la fin du premier tome, il explique ces histoires et les appelle divines. Théodoret dans son commentaire sur Daniel, explique l’hymne des trois enfants avec les autres parties de ce prophète. Saint Ambroise, dans son livre sur le Saint-Esprit, chap 7, traitant de l’histoire de Suzanne, enseigne clairement que cette écriture est divine, comme d’ailleurs, les autres parties de ce prophète. Saint Augustin, dans son livre sur la nature du bien, chap 16, démontre contre les Manichéens, que les choses corporelles sont bonnes à partir de l’hymne des trois enfants, là où la lumière et les ténèbres etc, louent le Seigneur. Et dans sa lettre 122 à Victorien, il cite la prière de Zacharie, celle-là même qu’il a dite dans la fournaise du feu ardent. Et dans le traité 36, dans Jean, il amène l’histoire de Suzanne. Origène a défendu avec ardeur des parties de Daniel, et surtout l’histoire de Suzanne, affirmant qu’elle était une écriture canonique. De même dans son homélie 1 sur le Lévitique, ainsi que dans sa lettre à Julien l’Africain. Saint Athanase quand, dans sa synopsis, il parvient à Daniel, donne un bref résumé de tout le livre; il consacre plusieurs paroles à l’histoire de Suzanne, à l’hymne des trois enfants, et au dragon qui est tué par Daniel. Et il indique clairement que tous ces développements appartiennent au corpus de la divine écriture.


De plus, il est évident que les anciens conciles, ceux de Laodicée et de Carthage 111, et les premiers pères qui utilisaient l’édition grecque, se référèrent, quand ils retinrent Daniel parmi les livres sacrés, aux codex écrits en langue grecque. Dans les bibles écrites en grec, toutes ces parties s’y trouvaient sans qu’on puisse en avoir le moindre doute, comme on peut sans rendre compte par la synopsis d’Athanase et le commentaire de Théodoret, ainsi que par la préface de Jérôme sur Daniel. On nous montre là que l’Église du Christ lisait Daniel dans la traduction en grec de Théodotion, dans laquelle édition toutes ces parties se trouvent.


Mais les adversaires objectent d’abord que la déclaration de Jérôme qui se trouve tant dans sa préface de Daniel traduit en latin que dans sa préface au commentaire sur Daniel, montre suffisamment que ces chapitres n’avaient pour lui aucune autorité. Mais Saint Jérôme répond à Ruffin dans son apologie 2 que ce qu’il a expliqué ce n’était pas ce qu’il pensait, lui, de Daniel, mais ce qu’en pensaient les Juifs. Mais saint Jérôme appelle fables l’histoire de Suzanne et du dragon. Je réponds. Quand il les appelle fables, il veut dire que ces histoires les Juifs les considèrent comme des fables. J’ajoute que les anciens entendaient par le nom de fables non des choses fictives, mais de vrais récits. Comme saint Luc : « Et il arriva, pendant qu’on leur racontait des fables, et qu’ils cherchaient avec eux… » Minutius Felix, au début du dialogue appelé Octave, appelle une fable un certain récit de je ne sais trop laquelle navigation. Et Clément d’Alexandrie, d’après Eusèbe, livre 3, de son histoire, chapitre 23, se propose de raconter une très vraie histoire de s. Jean. « Écoute, dit-il une fable qui n’est pas une fable ». C’est tout comme s’il disait : écoute une fable, qui n’est ni inventée ni fausse, mais certaine et vraie.


Ils objectent ensuite que, dans l’histoire de Suzanne, le Daniel qui est présenté là est un enfant : « Le Seigneur a envoyé son Esprit saint sur un jeune enfant ». Cela ne peut pas être vrai, car, plus haut, au chapitre 6, on nous dit que Daniel a été un des premiers satrapes du règne de Darius le Mède. Il n’était certainement pas un enfant en ce temps-là. Comment peut-on donc, au chapitre 13, le présenter comme un enfant? Si tu dis que l’Écriture ne rapporte pas tout par ordre, mais raconte d’abord ce qui est arrivé après, et que c’est pour cela que dans les codex des Grecs, où l’ordre chronologique est préservé, tout le livre commence par l’histoire de Suzanne, on te fera l’objection suivante. Dans ce chapitre 13, il est indiqué assez clairement que l’histoire de Suzanne s’est déroulée au début du règne de Cyrus, roi des Perses, car le chapitre finit ainsi : « Et le roi Astyages fut déposé près de ses pères, et Cyrus reçut le royaume des Perses. Ce chapitre nous montrerait donc que Daniel a été un enfant au temps de Cyrus, ce qui est manifestement faux. Car l’enfant Daniel a été déporté avec le roi Jéchonias par Nabuchodonosor, de Jérusalem à Babylone, comme on le dit dans Daniel 1. De plus, de cette époque à celle de Cyrus soixante-dix ans se sont écoulés, comme on le voit dans le livre 1 d’Estras, chapitre 1. Au début donc du règne de Cyrus, Daniel avait environ quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans. Quel enfant peut avoir quatre-vingt-dix ans ?


Ajoutons que, même au temps de Nabuchodonosor Daniel ne pouvait pas être un enfant, car il était déjà mort, puisque Ezéchiel qui prophétisa au temps de Nabuchodonosor, la cinquième année de la déportation, comme on le voit en 1, fait mention de Daniel comme de quelqu’un qui est déjà décédé. Car, c’est ainsi qu’il parle au livre 14 : « Si Noé, Daniel et Job étaient parmi nous, comme il est vrai que je suis vivant, dit le Seigneur, ils ne libèreraient pas le fils et la fille. » Daniel, donc, en ce temps aurait eu des fils et filles, et serait mort comme Noé et Job. Je réponds que l’histoire de Suzanne s’est déroulée longtemps après les temps de Cyrus, puisque Daniel était un enfant; et les Grecs ont donc raison de la placer au début du livre. Mais les latins n’ont pas mal fait quand ils l’ont rejetée à la fin du livre, pour que nous comprenions que cette histoire ne se trouve pas chez les Hébreux. Ce qui est dit à la fin du chapitre 13 après l’histoire de Suzanne (Et Astyages fut déposé près de ses pères, et Cyrus lui succéda) ne se rapporte pas à l’histoire de Suzanne que l’on vient de raconter, mais est le commencement d’une autre histoire qui se rapporte à Cyrus. Voilà pourquoi, dans les codex grecs, l’histoire de Suzanne est placée au premier chapitre du livre, tandis que ces mots (et le roi Astyages fut déposé près de ses pères) sont placés au début du dernier chapitre, là où l’on rapporte l’histoire de la destruction de Bel, et de la mort du dragon.


Au sujet du passage d’Ezéchiel, saint Jérôme répond, dans son livre 1 sur Jovinien, que le prophète ne parlait pas de quelqu’un qui est déjà mort, mais vivant et jeune. Qu’il avait été nommé avec ces hommes avancés en âge parce qu’il était connu du peuple par la libération de Suzanne, et les interprétations des songes. Ou bien, comme le dit le même Jérôme au chapitre 14 d’Ezéchiel : « Comme Noé vit la joie de vivre avant la calamité du déluge, et comme Job connut le bonheur avant son épreuve, puis sa misère dans la tentation, et de nouveau le bonheur après l’épreuve, de la même manière Daniel connut le bonheur dans le royaume de Juda avant la captivité, puis la captivité et la misère, puis de nouveau le bonheur quand il fut placé par Darius parmi les princes du royaume. Il n’est pas nécessaire que Daniel ait eu des fils et des filles, car le prophète parle par hypothèse, tout comme s’il disait : même si ces trois étaient ici et avaient des fils et des filles, ils ne pourraient pas les mettre à l’abri d’un mal imminent.


Ils objectent, en troisième lieu, ce qui est dit au chapitre quatre de Daniel, qu’il a été jeté dans la fosse aux lions pour lutter contre eux, comme il est dit au chapitre 6. Car on nous rapporte, au chapitre 6, qu’il n’y demeura qu’une nuit, mais au sixième livre, six jours. Je réponds que Daniel a été jeté deux fois en pâture aux lions, une fois par Darius le Mède, parce qu’il avait prié Dieu contre le précepte du roi, ce qu’on nous rapporte au chapitre 6. Il a été de nouveau jeté aux lions par Cyrus à cause de la mort du dragon, et c’est alors qu’il demeura avec eux six jours, comme on le dit au chapitre 14. Ajoutons qu’il n’est pas improbable que ce ne soit pas le même Daniel celui qui a libéré Suzanne, détruit Bel, tué le dragon, et soit demeuré six jours avec les lions, et celui dont il est question dans les chapitres précédents. C’est ce que plusieurs ont pensé autrefois. Jérôme, dans sa préface au commentaire de Daniel, et dans son édition des septante, affirme que le dernier est de la tribu de Levi, alors que le premier est de la tribu de Juda. S’il en était vraiment ainsi, les deux arguments déjà énoncés n’offriraient aucune difficulté.


Ils objectent en quatrième lieu, que l’histoire de Suzanne semble entrer en conflit avec le texte grec. Car là où nous avons, nous, « dis-nous sous quel arbre tu les as vus parler ensemble », comme il disait sous un lentisque, Daniel lui répondit : « Tu as menti sur ta tête, Voici qu’un ange de Dieu te fendra la tête par le milieu ». En grec, il y a une grande ressemblance entre l’arbre lentisque et l’action de fendre. Et quand l’autre lui dit qu’il les avaient vus sous un chêne, Daniel par le choix du mot faisait allusion à l’action de couper. C’est comme si, après avoir demandé : « où les as-tu vus », et répondu « sous un chêne », on ajouterait : c’est donc là que tu seras tué. Mais dans le texte hébraïque, on ne trouve aucun jeu de mots de ce genre. (Il donne ensuite les mots utilisés par le texte hébreu en lettres hébraïques).


Origène a répondu dans sa lettre à Julien l’Africain que Daniel n’a dit ni lentisque, ni chêne, mais un mot qui ne nous est pas connu, et qui dans leur langue (hébraïque oui chaldéenne) se rapportait à l’action de couper. Les Hébreux ont en effet plusieurs mots qui signifient fendre ou couper. Or le traducteur grec ne cherchait pas à rendre le mot mais le sens, et pour rendre en grec la ressemblance qu’il y avait entre deux mots, il a choisi des mots grecs qui possédaient une ressemblance semblable.



CHAPITRE 10Les livres de Tobie, de Judith, de la Sagesse, de l’Ecclésiastique et des Macchabées.



Tous ces livres sont rejetés par les Hébreux, comme l’atteste saint Jérôme dans son prologue à Galéate. Et presque tous les hérétiques de notre temps ont adopté la position des Juifs. Les Magdeburgeois, livre 2, cent 1, chap 4 ne reçoivent que les livres que les Juifs reçoivent. Martin Kemnitius est du même avis, dans son examen de la session 4 du concile de Trente. De même, Jean Brentius, dans sa confession wirtemburgeoise au chapitre de l’Écriture sainte, ne veut recevoir que les livres dont on ne peut jamais douter, et qui sont ceux-là seuls qui sont reçus par les Juifs. Calvin, au chapitre 1 de son institution chap 11, 8, accuse de mensonge le livre de la Sagesse, et dit qu’il est très éloigné de l’idée de le recevoir. Au livre 22, chap 5, 18 de son livre sur l’Ecclésiastique, il ne veut pas lui reconnaitre une autorité solide. Au livre 3, chap 5, 8, il porte un jugement identique sur les livres des Maccabées. Dans son antidote au concile de Trente, session 4, il semble répudier Tobie et Judith. Suivent Calvin ces ministres qui émirent la profession de foi de Pissiacum. Ensuite Luther et Zwingli dans les préfaces des bibles traduites par eux, rejettent ces cinq livres du sacré canon, et surtout les livres des Maccabées. Luther ne leur reconnait aucune autorité, en parlant du purgatoire à l’article 37.


Or,l’Église catholique considère que, comme les autres, ces livres sont sacrés et canoniques. Mais avant d’en faire la preuve, notons que les hérétiques et surtout Kemnitium ne nient pas que ces livres que l’on lit soient bons, saints et dignes, mais ils déclarent qu’ils ne sont pas tels qu’on puisse en tirer des arguments contraignants. C’est de cette façon qu’ils s’efforcent d’éluder les témoignes des anciens qui appellent ces livres sacrés ou ecclésiastiques. Il nous revient donc de prouver que ces livres sont sacrés au point d’être d’une vérité infaillible. Ce que nous ferons d’abord pour tous les livres pris ensemble, et ensuite pour chacun en particulier.


Premièrement, ces livres sont placés avec les autres dans le canon par les conciles de Carthage 111. can 47 et de Trente sess 4, par les papes Innocent 1 dans sa lettre à Exupère, par Gélase 1 dans le décret des livres sacrés et ecclésiastiques, avec 70 évêques. Ensuite par les pères, Augustin livre 11 de la doctrine chrétienne, chap 8. saint Isidore dans le livre 6 des étymologies, chap 1, par Cassiodore livre 1 des lectures divines, et par Raban Maure dans le livre 2 de l’institution des clercs. Ces livres sont considérés dans ces documents comme des livres d’une vérité infaillible. On le déduit du fait qu’ils sont énumérés et mis côte à côte avec ceux sont d’une vérité infaillible.


De plus, le concile de Carthage, de qui les autres conciles ont reçu le canon, ne dit pas seulement que ces livres sont canoniques, mais divins. Que signifie d’autre, pour un livre, être divin sinon avoir une autorité divine ? Le nom de canoniques, ou d’appartenant au canon, employé dans les autres conciles, signifie la même chose. Car dire d’un livre qu’il est canonique c’est dire qu’il est infaillible. Et, à la vérité, elle est sans aucun fondement la distinction que Kemnitius fait entre les livres canoniques qui sont d’une vérité infaillible, et ceux qui ne le sont pas. Car, comme lui-même le déduit du livre 11 de saint Augustin contre Faust au chap. 5, et du livre 11 contre Cresconium, c. 32, on les appelle livres canoniques parce qu’ils sont comme une norme ou une règle qui régulent l’infirmité de notre incapacité, et par laquelle on porte un jugement sur les autres livres. Comment donc des livres qui ne sont pas infaillibles peuvent-ils être une norme et une règle ?


Mais Kemnitius nous fait l’objection suivante. « Augustin, dans son livre 2 de la doctrine chrétienne, chap 8 dit que les livres canoniques qui sont reçus par toutes les Églises doivent être placés avant ceux qui ne sont pas reçus par toutes, et doivent donc avoir une plus grande autorité. Or, s’ils étaient tous d’une vérité infaillible, on ne devrait pas attacher plus d’importance à l’un qu’à l’autre, et ils auraient tous la même autorité. Ajoutons que, dans son prologue à Galéate, saint Jérôme dit que les livres se divisent en loi, prophètes et hagiopraphies. Et dans sa préface à Tobie et dans celle de Judith, il dit que ces livres sont rangés par les Juifs parmi les hagiographies, mais qu’ils ne sont pas aptes à confirmer la foi et les dogmes. Je réponds que saint Augustin était très certain que tous les livres canoniques étaient d’une vérité infaillible. Mais il n’était pas certain que tous les livres qu’il énumérait étaient canoniques. Car, même si tel était son sentiment, il savait que la chose n’avait pas encore été tranchée par un concile, et, qu’à cause de cela, il lui était possible, sans hérésie, de ne pas en recevoir certains. Voilà pourquoi il disait qu’il fallait donner une prééminence aux livres, qui sont reçus par tous, sur ceux qui ne le sont pas. Car il y avait plus de certitude que les premiers soient canoniques plutôt que les autres. Mais maintenant que des conciles généraux ont défini la chose une fois pour toutes, nous avons une égale certitude de l’autorité de tous les livres, et nous ne devons pas en considérer un plus divin que l’autre.


Que saint Augustin pense vraiment que tous les livres qu’il appelle canoniques sont d’une vérité infaillible, le prouve le concile de Carthage 111, auquel il apposé sa signature; et aussi le fait qu’on ne peut trouver aucun passage où saint Augustin déclare que tel livre est canonique, mais qu’on peut avoir des doutes sur sa véracité. Mais, à l’inverse, on peut citer un nombre infini d’endroits où il affirme que tous les livres qui sont dits canoniques sont d’une vérité infaillible. La lettre 19 à saint Jérôme : « Moi, ce sont les seuls livres des Écritures qui portent déjà le nom de canoniques que j’ai appris à vénérer et à honorer, au point de croire fermement qu’aucun de leurs auteurs ait, commis, en écrivant, une erreur quelconque. » Il dit la même chose dans les épitres 8, 9. 48. 112., au livre 2 du baptême, chap 3, au psaume 67, dans son livre 2 contre Cresconium, chap 31 et 32, au livre 11 contre Faust, chap, et ailleurs, souvent.


A la citation de saint Jérôme, je réponds : les Juifs avaient deux genres d’hagiographies, les unes dans l’arche, les autres en dehors de l’arche, comme l’enseigne Épiphane dans son livre des mesures et des poids. Les hagiographies qui se trouvaient dans l’arche distinguaient, des autres, les livres des historiens et des prophètes. Voilà ceux qu’on appelait canoniques; et c’est d’eux que parle saint Jérôme dans son prologue à Galéate. Mais ceux qui sont en dehors de l’arche, s’appelaient des hagiographies distinctes des canoniques et des sacrées. Et c’est de celles-là que saint Jérôme parle dans ses préfaces à Tobie et à Judith. Il est donc clair que saint Jérôme ne donne jamais le nom de canoniques aux livres dont on peut douter.


Deuxièmement, Kemnitius et d’autres adversaires nous font cette objection. L’Église qui existait au moment où ces livres furent édités avait des doutes au sujet de leur authenticité. Il était donc nécessaire pour l’Église qui vint après de considérer ces livres comme douteux. Car, il y a deux façons de connaître qu’un livre est vraiment divin. La première est le témoignage d’un prophète ou d’un apôtre, à qui Dieu a coutume de faire des révélations. La seconde, comme saint Augustin l’enseigne au livre 33 contre Faust, chap 6, consiste dans les témoignages certains de ceux qui vivaient quand le livre a été édité, qui certifient que ces livres ont été écrits par des prophètes ou des apôtres, et grâce au témoignage desquels, par la succession de leurs lecteurs, ces livres parviennent jusqu’à nous. Car c’est ainsi que nous jugeons non seulement des livres sacrés, mais des profanes.


Nous n’avons pas accès en notre temps à la première façon de procéder, puisque les prophètes et les apôtres ne vivent plus avec nous sur la terre. Engageons-nous donc dans la seconde voie, et c’est à partir des témoignages de la première église, que nous devons statuer quels sont les livres canoniques. Que la Synagogue des Juifs ait entretenu des doutes à leur sujet, nous l’enseigne Joseph dans son livre contre Appion. Que l’Église primitive ait eu un semblable doute, nous l’apprenons par Origène, Athanase, saint Grégoire de Naziance, Épiphane, saint Jérôme, et les autres pères cités plus haut qui ne placent pas ces livres dans le canon, et qui déclarent clairement que les doctes se sont toujours posés des questions à leur sujet.


Je réponds qu’on peut entendre de deux façons que l’église antique ait douté de l’authenticité de ces livres. Une façon serait qu’il n’y avait personne à l’époque qui puisse attester que ces livres provenaient vraiment des prophètes ou des apôtres. Et la valeur qu’a cet argument se démontre de ce que l’Église n’a pas reçu le livre d’Hénoch parce qu’il n’existait aucun témoignage de l’époque où le livre a été écrit, ni même des temps plus rapprochés , comme saint Augustin l’enseigne dans la cité de Dieu, au chap 38. Mais même si on n’accepte pas que c’est pour cette raison que l’église primitive ait eu des doutes au sujet de ces livres, il demeure qu’il y a toujours eu des hommes dignes de foi qui jugèrent que ces livres étaient canoniques.


On peut comprendre la chose autrement. L’Église a douté parce que certains doutaient, et qu’elle ne voulait pas alors se prononcer définitivement là-dessus. Et cela est très vair, comme le prouvent les témoignages allégués. Mais on ne peut pas pour autant en déduire que l’Église postérieure devait en douter, ce que nous prouvons de la façon suivante. On douta du livre de Judith au début, et pourtant le concile de Nicée le reçut parmi les livres canoniques, comme l’atteste saint Jérôme dans sa préface à Judith. Le fait que le synode et les hérétiques aient reçu ce livre, avec les trois autres, nous montre clairement qu’on n’est pas forcé de toujours douter parce qu’on a douté une fois. De plus, si on ne peut pas aujourd’hui recevoir comme canoniques certains livres parce que l’Église primitive a douté de leur authenticité, on devra pour la même raison ne pas accepter comme canoniques l’épitre de Jacques, l’apocalypse, la deuxième lettre de Pierre, la seconde et la troisième lettre de Jean, et l’épitre aux Hébreux, parce que l’Église primitive a entretenu des doutes au sujet de tous ces livres-là. Or, les calvinistes reçoivent ces livres comme canoniques, comme on peut le voir des livres de Calvin, où sont souvent cités ces livres, et la confession des ministres calvinistes art.3 que présentèrent les protestants de Passiac en 1562. Même si les luthériens pensent diversement de ces livres. Les Magdebourgeois reçoivent l’apocalypse comme canonique, cent. 1, livre 2, chap 4, col 56.


Au sujet de leur objection qui se rapporte aux deux façons de découvrir l’autorité des livres, j’admets qu’il y en ait deux, et qu’il nous faille procéder par la deuxième voie puisqu’il n’y a, de nous jours, ni prophètes ni apôtres. Mais j’affirme que pour que l’Église qui vient après puisse discerner que tel livre est canonique, il suffit qu’elle ait des témoignages d’hommes crédibles de ce temps, ou tout proches d’eux. Mais nous ne disons pas, comme Kemnitius nous le reproche impudemment, en nous calomniant, que le pape peut à sa guise, sans aucun témoignage ancien, rendre canonique un livre qui ne l’est pas; et que, si le pape le voulait, l’Écriture sainte entière n’aurait pas plus d’autorité que les fables d’Ésope. Nous disons au contraire que l’Église ne peut pas faire en sorte qu’un livre qui n’est pas canonique devienne canonique. Ce qu’elle peut, par contre, c’est déclarer quel est le livre qui est canonique, non d’une façon téméraire et capricieuse, mais en se basant sur des témoignages anciens, et sur la ressemblance qu’il y a entre les livres douteux et ceux qui ne le sont pas, ainsi que sur le goût du peuple chrétien, comme l’explique saint Jérôme quand il dit que l’épitre de Jacques a, peu à peu, au fil du temps, mérité l’autorité qu’on lui reconnait maintenant.


Car, en déclarant que des livres étaient canoniques, l’Église a toujours tenu compte de trois choses. Elle eut d’abord, de chacun, des témoignages anciens. Même si ces témoignages ne viennent pas de la Synagogue des Juifs, mais de la seule Église apostolique, cela suffit amplement. Car les apôtres pouvaient, sans autres témoignages, déclarer que tel livre était canonique. Et c’est ce qu’ils firent. Autrement, ni Tertullien ni Clément, ni d’autres que nous citerons, n’auraient pu aussi constamment les reconnaitre divins. Ils virent donc qu’ils étaient conformes aux autres. Ils observèrent ensuite que ces livres étaient peu à peu reçus par tous les chrétiens comme canoniques. Il est évident que les croyants de la primitive église n’ont pas pu utiliser cet argument.


La dernière objection est la suivante : l’Église reçoit les livres que saint Jérôme reçoit; elle rejette ceux que saint Jérôme rejette, comme on le voit au canon 15. Et pourtant, dans son prologue à Galatée, le même saint Jérôme avait affirmé que ces cinq livres n’étaient pas canoniques. C’est ainsi que Cajetan, docteur catholique et pieux raisonne à la fin de son commentaire sur Esther. Quelques-uns répondent que c’était des Juifs qu’il parlait quand il disait que ces livres n’étaient pas reconnus comme canoniques. Mais dans son prologue à Galeate, il énumère avec les livres de l’ancien testament le livre du Pasteur, qui est du nouveau testament, et c’est tous ces livres ensemble qu’il déclare ne pas être canoniques. Il ne parlait donc pas uniquement du canon des Juifs. De plus, dans le prologue des Proverbes, il dit ceci : « L’Église lit les livres de Judith, de Tobie et des Maccabées, mais ne les range pas parmi les livres canoniques. Elle se comporte de la même façon envers deux livres de l’ancien testament, la Sagesse et l’Ecclésiastique. Elle les lit pour l’édification du peuple, mais non comme une autorité capable de confirmer des dogmes catholiques. »


J’admets donc que telle fut l’opinion de saint Jérôme, et que cette opinion il a pu l’avoir parce qu’aucun concile général n’avait encore statué sur ces livres, à l’exception du livre de Judith, que saint Jérôme reçut ensuite. Ce que Gélase dit au canon 15 doit s’entendre des livres des docteurs comme Origène, Ruffin, et d’autres semblables, et non des livres sacrés. Cela saute aux yeux à la seule lecture du canon.



TTTTTT

19 fev

CHAPITRE 11 LE LIVRE DE TOBIE



Traitons maintenant de chacun des livres l’un après l’autre. Nous les défendrons par des arguments appropriés, et nous réfuterons brièvement les objections qu’on avance contre eux. Ce livre de Tobie, a, en plus des témoignages des conciles et des Pères cités plus haut, un appui tout à fait remarquable en la personne de saint Cyprien, dans son sermon sur l’aumône : « Il parle, dit-il, l’Esprit saint dans la sainte Écriture(Tobie), et déclare que les fautes sont purgées par l’aumône et la foi. » Le pape Calliste dit en faisant allusion à Tobie : « La sainte Écriture dit bien ». Et saint Ambroise, dans son livre sur Tobie, chap. 1, dit que ce livre est un écrit prophétique. Saint Basile, dans son homélie sur l’avarice, donne le nom de précepte divin à une sentence tirée du livre de Tobie. Saint Augustin nous avertit d’avance que dans son speculum il réunira des sentences tirées de l’Écriture. Or, il n’a pas omis Tobie.


Ceux qui sont contre ont l’habitude de faire l’objection suivante. Des passages de ce livre sont en contradiction avec d’autres. Car, dans le chapitre 3, il est dit que la Sara que le jeune Tobie prendra pour femme habitait à Ragès, ville des Mèdes, là ou demeurait aussi Gabel, nous dit-on (Tobie 4). Mais ensuite, cependant, au chapitre 9, quand Tobie parvint au lieu où était Sara, il envoya de là son ange à un Gabel qui demeurait à Rages. Il est donc faux que la maison de Sara se trouvait à Rages.


Michel Medina, au livre 6 de la foi droite en Dieu, voit là une faute des copistes qui auraient écrit Rages au lieu de Ecbatane. Mais il est difficile qu’une pareille erreur ait pu se produire, car entre Rages et Ecbatane, il n’y a aucune similitude. D’autres comme Lyre, pensent qu’il y a eu deux Rages en Médie, ou que, par le nom de Rages au chapitre trois, on ne désignait pas la ville elle-même, mais un lieu proche, car quelqu’un qui habite à Tusculum ou dans une campagne romaine, dira facilement qu’il habite à Rome. Cette opinion est la plus commune, et la plus vraisemblable.


CHAPITRE 12 Le livre de Judith



Le livre de Judith a reçu une approbation remarquable du concile de Nicée, le premier et le plus célèbre de tous les conciles généraux, comme l’atteste saint Jérôme dans sa préface à Judith. Et pour que Kemnitius ne dise pas que le livre de Judith est saint, mais qu’il n’a pas l’autorité voulue pour confirmer des dogmes de foi, qu’il prenne note des paroles de saint Jérôme. Le saint docteur commence par dire que le livre de Judith fait partie des saints livres qui ne sont pas aptes à servir de preuves pour la démonstration des dogmes de foi. Mais à cette opinion des Juifs, il oppose l’autorité du concile de Nicée. Selon le témoignage de saint Jérôme, le concile de Nicée a donc placé le livre de Judith parmi les livres sacrés capables de confirmer des dogmes de foi. De plus, Julius l’Africain dans son livre 1 de la divine loi, et saint Isidore, dans le livre 5, chap 1 de son étymologie, attestent que l’Église du Christ honore et prêche ces livres.


Mais contre ces livres se présente une objection très difficile à écarter. Cette histoire parait avoir été inventée de toute pièce. On nous dit, en effet, au chapitre 5, que cela s’est produit après le retour du peuple de la captivité de Babylone. Mais, au chapitre 1, on nous avait dit que Nabuchodonosor, roi des Assyriens, avait combattu contre Arphaxat, roi des Mèdes, celui-là même qui avait bâti Ecbatane. Toutes choses qui ne vont pas ensemble. Car au temps où le peuple revint de la captivité, la monarchie des Assyriens avait été renversée, et ce n’était pas Nabuchodonosor, mais Cyrus, ou Darius qui commandait aux Assyriens, aux Perses et aux Mèdes.


Cette immense difficulté mit à rude épreuve la sagacité des érudits. Ils donnent deux réponses principales. La première est de ceux qui veulent que l’histoire de Judith ait eu lieu après la captivité babylonienne, ou qui la rapportent aux temps de Cambyse, comme Eusèbe dans sa chronique, saint Augustin dans sa cité de Dieu livre 18, chap 26, Bède le vénérable dans son livre des six états, Lyre dans son livre sur Judith, chap 1. Ou de ceux qui la situent au temps de Darius Histapis, comme Gérard Mercator dans sa chronique, et d’autres. Sévère Sulpice, dans son livre 2 de l’histoire sacrée, estima qu’elle appartenait au règne d’Artaxerxes Ochus.


La deuxième réponse est présentée par ceux qui enseignent que l’histoire de Judith s’est déroulée avant la captivité de Babylone. Certains d’entre eux la renvoient au temps du roi Sédécias, comme Gilbert Genebrardus, dans son livre 2 de la chronologie; d’autres au temps du roi Josias, comme Jean Benedictus, dans ses annotations marginales au chap 4 du livre de Judith.


Mais aucune de ces opinions ne semble suffisamment probable. Et pour dire le vrai, les trois premières explications sont réfutées par des arguments péremptoires. D’abord, le Arphaxat contre lequel Nabuchodonosor a guerroyé, a construit Ecbatane (Judith 1), et celui qui édifia Ecbatane, au témoignage de saint Jérôme, livre1, et d’Eusèbe dans sa chronique, fut Diocles V, roi des Mèdes, qui est séparé de Cambyse de Darius Hystapis et d’Ochus, par un long intervalle de temps. Ne doit pas nous troubler le fait que, selon Pline, (livre 6, cap 14,) Ecbatane a été édifiée par Séleucus, longtemps après le temps de Diocles, ou le fait qu’au temps d’Arbacis, (comme l’écrit Diodore, livre 1, chap 7), dont Dioclès fut le cinquième successeur, Ecbatane existait déjà. Car il peut facilement arriver que cette ville très ancienne ait été parfois renversée et reconstruite, une fois par Dioclès, une autre par Séleucis, et restaurée ensuite par un autre.


Deuxièmement, nous n’avons jamais lu, ni dans l’histoire sacrée ni dans l’histoire profane, que des rois de Perse aient porté le nom de Nabuchodonosor. Seuls les rois de Babylone ont été appelés ainsi. Cambyse ou Darius ne sont donc pas le Nabuchodonosor dont parle l’histoire de Judith. Troisièmement, le Nabuchodonosor que nous présente l’histoire de Judith, régnait à Ninive (Judht 1). Or, au temps de Cambyse, de Darius et de Ochius, Ninive n’existait plus. Elle avait été détruite par Nabuchodonosor, roi des Chaldéens, en la première année de son règne, comme Genebrardus l’a annoté dans sa chronique. Sinon, surement par Ciaxares, roi des Mèdes, comme le veulent Hérodote, livre 1, et Eusèbe dans sa chronique. Il est certain que Nahum, qui a prophétisé au temps d’Ezéchias, a prédit ouvertement que la destruction de Nivine était pour bientôt. Voyez la-dessus le commentaire de saint Jérôme. Et c’est un fait que les rois de Perse ne régnaient pas à Ninive, mais à Suse ou à Babylone, comme on l’apprend des livres de Daniel et d’Esther, et par des historiens profanes.


Quatrièmement. Nabuchodonosor qui, dans le quatrième livre de Judith, s’efforça d’occuper la Cilicie, Damase, et la Palestine (Judith 1), ainsi que Darius et Cambyse n’avaient pas à faire cet effort, car ils possédaient déjà ces régions pacifiquement, comme il apparait au livre d’Esdras 1, chap 4 et 5. Cinquièmement, on nous dit que les fils d’Israël se préparèrent à lutter contre Nabuchodonosor (Judith 4) au temps de Cambyse et Darius. Or, les fils d’Israël ne pouvaient ni n’avaient la force de résister à ces rois, et surtout aux rois de Perse, dont ils étaient les sujets à un point tel que c’est sur leur ordre qu’ils entreprirent ou qu’ils cessèrent de reconstruire le temple, comme on le voit aux livres 1 et 2 d’Esdras.


Sixièmement, au temps de Judith, le grand prêtre était Éliacim, qu’on appelait aussi Joachim (Judith 4 et 12). Mais, au temps de Cambyse de Darius Hyspasis, le grand prêtre était Jésus Josedech, comme on le voit dans le livre 2 d’Esdras au chap 2, et dans Zacharie 3. Au temps d’Ochus, le grand prêtre était Jaddus, qui vécut au temps d’Alexandre le grand, ou son père Jonathan, comme on le découvre dans le livre 2 d’Esdras, chap 12. Septièmement. On nous dit que les fils d’Israël craignaient que Nabuchodonosor ne renverse Jérusalem, et le temple du Seigneur (Judith 4). Mais, au aux temps de Cambyse, Jérusalemt et le temple n’existaient tout simplement plus; ils avaient déjà été renversés et brûlés par les Chaldéens. Au temps de Darius Hyspasis, le temple avait été reconstruit, mais pas encore la ville. De plus, c’est sur l’ordre de Darius que le temple a été réédifié (Esdras 1, 6). Comment croire alors que les Juifs craignaient que le temple et la ville soient renversés de nouveau par lui ?


Huitièmement. Holopherne (Judith 5) voulut savoir quel était le peuple qui habitait en Judée, quelle était sa puissance, qui était son roi, quel était le nombre des habitants. Mais les rois des Perses et leurs officiers ne pouvaient ignorer aucune de ces choses, puisque, peu avant, ils avaient renvoyés les Juifs. Neuvièmement. Quand ils se préparèrent à lutter contre Holopherne, les fils d’Israël entourèrent de murailles leurs villages, de la Samarie à Jéricho (Judith 4). Mais au temps de Cambyse et de Darius, c’étaient des Gentils, non des Juifs, qui habitaient en Samarie, comme l’atteste 1 Esdras 4. Ils ne pouvaient pas non plus entourer de murailles Jérusalem, encore moins tous les villages des alentours.


Dixièmement. Il est écrit à la fin du livre de Judith que la paix régna en Israël aussi longtemps qu’elle vécut, et plusieurs années après. Or, Judith était âgée de cent cinq ans à sa mort, comme on le voit au même endroit. Or, de l’année 13 d’Ochus, année où Sulpitius veut qu’il ait livré la guerre à Holopherne, à Ptolémée Lagus, qui de nouveau fit la guerre aux Juifs, il ne s’est écoulé que trente ans. Judith aurait donc du être alors âgée de quatre-vingt ou de quatre-vingt-dix ans. Onzièmement. Nabuchodonosor fit la guerre aux fils d’Israël la treizième année de son règne (Judith 2). Or, Cambyse ne régna que huit ans, au témoignage d’Hérodote, livre 3. Ce n’est donc pas lui le Nabuchodonosor dont parle l’histoire de Judith.


Douzièmement. On peut tirer une conjecture probable du nom des ancêtres de Judith. Car, au chapitre 8 du livre de Judith, on énumère ses pères et ses ancêtres jusqu’à Simon fils de Ruben, ou comme l’indiquent avec plus de justesse les manuscrits grecs, fils d’Israël. Et on n’en trouve que quinze. Dans le livre un d’Esdras chap 5, on énumère les ancêtres de l’Esdras qui vécut du temps de Cambyse et de Darius jusqu’à Aaron. Et on en trouve dix-sept. Si, à ceux-ci, tu ajoutes les autres jusqu’à Lévi, frère de Siméon, tu en auras vingt. Comme du patriarche Jacob à Judith, les générations sont moins nombreuses que celles qui vont de Jacob à Esdras, on a des raisons de conjecturer que Judith est plus ancienne qu’Esdras, lequel, comme nous l’avons dit, a vécu aux temps de Cambyse et de Darius.


Nous avançons les deux raisons suivantes pour réfuter ceux qui prétendent que l’histoire de Judith se rapporte aux temps de Sédécias ou de Josias. La première raison, la voici. Nous lisons dans le dernier chapitre du livre de Judith, que personne n’est venu vexer Israël pendant toute la vie de Judith, et plusieurs années après. Elle vécut, comme nous l’avons déjà dit, 105 ans. Or, elle n’était pas une femme âgée, mais une jeune fille quand elle tua Holopherne. Car, au chapitre cité on l’appelle une jeune fille. Israël fut donc en paix pendant quatre-vingts ans ou quatre-vingt-dix ans. Or, du début du règne de Josias jusqu’à la guerre que le roi d’Egypte livra contre Joachaz roi de Juda, on ne compte que trente ans (Rois, 4, 23). Du début du règne de Sédécias jusqu’à la guerre entreprise par Nabuchodonosor, on ne trouve que neuf ans (4, rois 24). Donc, à moins que Judith n’ait eu quatre-vingts ans ou cent ans quand elle tua Holopherne, ne peut être vrai ce que dit l’Écriture, à savoir que dans toute la durée de sa vie, et plusieurs années après, il n’y eut personne qui vint troubler Israël.


L’autre raison est à l’effet que, aux temps de Judith, le grand prêtre était Eliachim, qu’on appelait aussi Joachim, comme on le voit en Judith, 4, et 15. Or, au temps de Josias, le grand prêtre était Helcias, (4, rois, 23). Au temps de Sédécias, c’était Saraja (4, reg. 25).


Il nous semble à nous devoir dire que l’histoire de Judith s’est déroulée au temps de Manassé, roi de Juda. En ce temps, régnait Diocles chez les Mèdes, qui construisit Ecbatane, au témoignage d’Eusèbe dans sa chronique. C’est celui que notre Écriture appelle Arphaxat. Au même moment, les rois des Assyriens régnaient dans Ninive, comme il apparait aux livres des rois, 4, 19. Après Assar Adon régna Mérodach Baladan, dont on fait mention à 4. rois, 20, et dans Jérémie 50, ainsi qu’en Isaïe 39. Il était roi de Babylone, mais s’appropria le royaume des Assyriens. Et c’est pour cette raison que dans l’Écriture, il n’est plus fait mention du royaume des Assyriens, mais seulement de Babylone.


Il commença probablement à régner la troisième année de Manassé, comme nous le conjecturons, (car aucun auteur ne peut nous indiquer avec certitude le début de son règne). La treizième année du règne d’Holopherne, au cours de laquelle il fit la guerre aux Juifs, correspond à l’année 16 de Manassé, ce Manassé qu’un peu avant il avait amené captif à Babylone. Étaient encore debout en ce temps et la ville de Jérusalem et le temple, dont fait mention l’histoire de Judith au livre 4. Vivait aussi en ce temps le grand prêtre Eliachim, comme il appert de la chronologie de Nicéphore, patriarche de Constantinople. Énumérant, en effet, les pontifes des Juifs, il place Eliachim entre Sobnam, qui fut grand prêtre au temps d’Ézéchias et Helciam, qui le fut au temps de Josias. Il est démontré que Manassé a vécu entre Ézéchias et Josias. Cela concorde donc avec le livre des Rois 4, chap 18, où Eliachim est nommé parmi les principaux prêtres; et cela cadre davantage avec la prophétie d’Isaïe, où sont prédites la déposition de l’impur pontife Sobna, et son remplacement par Éliachim.


De plus, il est facile, en procédant ainsi, de trouver la longue période de paix qui s’est écoulée pendant toute la vie de Judith, et plusieurs années après. Car, au début de son règne, Manassé fut un vrai scélérat, et, à cause de cela, Dieu permit qu’il fut vaincu par le roi de Babylone, qui dévasta la terre de Juda, et amena à Babylone le roi captif. Mais après cela, il reconnut avoir péché, et, de retour dans sa patrie, il vécut dans une grande paix, comme le rapporte le livre 2 des Parl chap. 33. De la captivité de Manassé jusqu’au règne de Joachaz, fils de Josias, la terre de Juda connut une longue paix. De quelle durée fut cette paix l’Écriture ne nous le dit pas, mais on peut facilement compter 71 années. Car Manassé régna 55 ans, dont 39 après sa captivité. Il appert que sa captivité s’est produite au début de son règne, comme le note Joseph dans son livre 10 des antiquités au chapitre 5. Et nous avons dit un peu plus haut, que la treizième année du roi des Assyriens et des Babyloniens coïncide avec la seizième année de Manassé. Aux années 39 on doit ajouter deux autres années, pendant lesquelles régna, après lui son fils Ammon (4 rois 21). Ce qui fait 41. A ces 41 années ajoutons les 31 années pendant lesquelles régna Josias (4 rois 22), et nous obtenons 72.


Nous montrerons maintenant que le même temps s’est déroulé de la mort d’Holopherne à la fin de la vie de Judith. Judith vécut, en effet, 105 ans. De ce nombre, soustrayons les années qu’elle vécut avant la mort d’Holopherne, à peu près quarante. Même s’il n’est pas possible de l’établit avec certitude, puisqu’aucun auteur n’en parle, il y a de bonnes chances qu’il en soit ainsi. À cet âge, elle pouvait être encore très belle, et être considérée par les Assyriens comme une jeune fille à cause de son incroyable beauté. Surtout parce que, comme il est dit en 10, le Seigneur lui avait, non sans un nouveau miracle, accordé une grâce éblouissante pour qu’elle apparaisse aux yeux des assyriens, d’une beauté incomparable. Et cela même si, naturellement, certaines femmes conservent leur ligne au point de paraître des jeunes filles quand elles sont déjà grands-mères. Il est certain qu’une Sara âgée de 60 ans et même de 90 ans paraissait si jeune et belle qu’à quelque endroit qu’elle allât, elle était aimée par les rois et enlevée. Voir la Génèse 12, 20. Si donc des 105 ans on en soustrait 40, il reste soixante années de paix continuelle jusqu’à la mort de Judith. Ajoutons-en encore 7 pour que soit vrai ce que raconte la bible au sujet des nombreuses années de paix qui continuèrent après la mort de Judith. Et nous trouvons le chiffre 72 que nous cherchions.


Tu diras peut-être : si cette histoire se passe au temps du roi Manassé, pourquoi, au cours de la préparation à la guerre que le livre raconte, aucune mention n’est faite du roi ? Pourquoi toute la négociation revient-elle au grand prêtre ? Je réponds que c’est peut-être parce que cette guerre a eu lieu pendant la captivité de Manassé. Que c’est parce que le roi était absent que les négociations ont été faites par le pontife. On peut aussi penser qu’on ne fait pas mention du roi parce que la guerre ne s’était pas étendue jusqu’à Jérusalem où était le roi.


Ce que rapporte l’histoire de Judith à l’effet que le grand prêtre Eliachim a écrit à tous les hébreux, et a parcouru tout Israël pour les exhorter à la constance n’a rien en soit d’étonnant. Car, même au temps d’Ezéchias, le même Éliachim, sans être alors grand prêtre, faisait beaucoup de choses au nom du roi, comme il appert au livre 4 des rois, chap 18. Et Isaïe avait prédit, au chapitre 22, qu’il serait le père de tous les habitants de Jérusalem. Il est d’autant plus croyable que des affaires nombreuses et périlleuses aient été traitées par le souverain pontife quand un roi sincèrement converti revint de la captivité. Car, s’il n’est pas improbable que la guerre ait été déclarée pendant la captivité du roi, il semble plus probable qu’elle ait eu lieu après son retour.


Mais tu me feras une autre objection. On peut tirer du cinquième chapitre du livre de Judith que cette guerre d’Holopherne contre les Juifs a eu lieu peu après le retour de la captivité de Babylone. Car voici ce que nous lisons : « Car, même avant ces années, quand ils s’écartaient de la voie que le Seigneur Dieu leur avait tracée, ils étaient exterminés dans des guerres par plusieurs nations, et plusieurs d’entre eux ont été amenés captifs dans une terre qui n’était pas la leur. Récemment, ils sont revenus au Seigneur leur Dieu, de la dispersion où ils avaient été dispersés. Ils se sont réunis, et ont gravi toutes ces montagnes, et ils possèdent de nouveau Jérusalem, où est leur sanctuaire. » Je réponds que ce texte ne se rapporte pas à la déportation babylonienne, mais aux diverses afflictions qui l’ont précédée. Car si ces paroles portaient sur la captivité babylonienne, on n’aurait pas dit qu’ils ont été exterminés par plusieurs peuples, mais par un seul, celui des Chaldéens. On n’aurait pas dit non plus qu’un grand nombre ont été faits captifs, mais tous. Car elle fut générale la déportation à Babylone, même si un petit nombre d’entre eux a été laissé par Babylone; et ce petit reste, d’ailleurs, s’enfuit, peu après, en Égypte (4 rois 25). Cette dispersion et cette désolation fut donc universelle.


L’Écriture parle donc des diverses afflictions du peuple juif que les nations lui ont infligé en différents temps. Mais surtout de la dernière qu’il avait subie quand son roi Manassé a été fait captif. Car, toute la région alors avait été dévastée, et le roi, avec un grand nombre de Juifs, avait été capturé et conduit à Babylone. Plusieurs avaient été dispersés et avaient cherché refuge en divers lieux. Les mots suivants : « récemment retournés de la dispersion » peuvent s’entendre du retour du roi Manassé et des siens; ou, si cette guerre s’est faite en son absence, du retour des Juifs des différents lieux où ils avaient fui, quand le roi d’Assyrie dévastait la région.


Il ne faut pas se laisser troubler par ce que le texte ajoute : « le temple a été, lui aussi, renversé quand les Juifs ont été dispersés ». Car ces paroles ont été sûrement été surajoutées. En effet, quand saint Jérôme traduisit fidèlement ce livre du chaldéen au latin, il ne dit pas un mot sur une destruction du temple. Et c’est peut-être cette addition au texte qui a induit en erreur de très illustres commentateurs, tels que Eusèbe, Augustin, Sulpice, Bède le vénérable.


TTTTTT

22 fev 2017



CHAPITRE 13 Le livre de la sagesse



Les anciens conciles et les pères ont rendu témoignage au livre de la Sagesse. Le concile de Sardes, dans son épitre à tous les évêques, dont se souvient Théodoret dans le livre 2 de son histoire, chap 7, l’utilise pour prouver que le Fils de Dieu est l’auteur de toutes choses, et le vrai Dieu. Le concile de Tolède 11, chap 1, appelle la Sagesse un livre sacré. Les pères enseignent la même chose. Car Denys, dans les noms divins chap 4, le cite comme un livre sacré. Méliton d’Asie, dans sa lettre à Onésime, place le livre de la Sagesse dans le catalogue des Saintes Écritures. Saint Cyprien dans son livre sur la virginité, cite, lui aussi, la Sagesse, et l’appelle la divine écriture : « La divine Écriture dit : de quel profit nous sera l’orgueil ? » De la même façon, Cyrille d’Alexandrie, dans son livre contre Julien, un peu après le milieu, appelle la Sagesse une écriture divine. Saint Augustin, dans son livre 1 sur la prédestination, au chapitre 14, enseigne explicitement et prouve que ce livre peut servir à confirmer des dogmes, et qu’il est canonique.


Kemnitius a eu l’incroyable impudence de donner une citation tronquée de saint Augustin, et d’inférer de ce passage que le livre de la Sagesse n’est ni divin, ni d’une vérité infaillible. Écoutons donc ce que nous dit vraiment saint Augustin. Voici d’abord ce que cite de lui Kemnitius : « Parce que j’ai dit qu’on ne peut pas tirer de témoignage du livre de la Sagesse, vous me rapportez que certains frères l’ont répudié au point de refuser de le considérer comme un livre canonique. Comme si une citation de ce livre ne pouvait pas illustrer une vérité qu’on enseigne ». Mais écoutons ce que, dans le même chapitre, il dit plus bas : « Il ne fallait pas répudier la sentence du livre de la Sagesse qui mérita, pendant tant d’années, d’être lu dans l’Église, du pupitre des lecteurs, et d’être écouté avec le respect du à une divine autorité, par tous les chrétiens, des évêques aux derniers des laïcs, des fidèles pénitents et des catéchumènes. » Et plus loin : « Il faut que ce livre de la Sagesse soit placé avant tous les autres traités, car ceux qui ont été proches du temps des apôtres, et qui étaient de célèbres écrivains, ont fait passé ce livre avant les leurs, et ont cru qu’il ne contenait qu’un témoignage divin ».


Ajoutons que tous les anciens attribuent ce livre à Salomon. Il ressort clairement de cette attribution que ce livre est manifestement canonique. Eusèbe, au livre 4 de son histoire, chap 22 dit qu’Égésippe, Irénée et tout le chœur des anciens estiment que ce livre est de Salomon. Tertullien dit la même chose dans la prescription, saint Cyprien dans son sermon sur la mortalité, Saint Hilaire, dans son psaume 127, Ambroise dans son sermon 8, sur le psaume 118. Basile, dans le livre 5 de son contre Eunome, et dans son épitre sur l’hérésie des Anoméens, cite ce livre sous le nom de Salomon. Dans sa préface au livre de Salomon, saint Jérôme nous apprend que plusieurs ont pensé que ce livre avait été composé par le Juif Philon. Et, dans le livre 2 de la doctrine chrétienne, chap 8, saint Augustin déclare que l’auteur en est Jésus, fils de Sarach. Cela ne s’oppose pas à la sentence commune des Pères. Car, il y a des passages qui sont de Salomon, non de Philon, comme on le voit clairement quand, au chap 9, où l’auteur dit : « Tu m’as élu pour être roi de ton peuple, et pour construire un temple sur ta sainte montagne ». Mais d’autres phrases ont été réunies par quelqu’un d’autre, que plusieurs pensent s’appeler Philon, non celui qui vécut après le Christ, mais un autre plus ancien, qui mêla des paroles grecques aux sentences de Salomon, sous la dictée du Saint Esprit, comme les 25 proverbes. On dit que les paraboles de Salomon ont été transférées dans le livre du roi Juif Ézéchias. Cette opinion saint Augustin la rétracta dans son livre des rétractations 2, chap 4.


Jean Calvin, dans son livre des institutions 1, chap 11, 8 taxe de mensonge le livre de la Sagesse. « Au sujet de l’origine des idoles, on accepte généralement ce qui est rapporté dans le livre de la Sagesse, à savoir que ceux qui en furent les premiers auteurs sont ceux qui rendirent honneur aux morts, de façon à rappeler superstitieusement leur mémoire. Et je pense que cette coutume perverse est très ancienne, et que rien n’a joué un plus grand rôle pour entraîner les hommes à la fureur de l’idolâtrie. Mais je ne concède pas que ce fut là la première source du mal. Car, le recours aux idoles fut en usage avant qu’on s’attache à consacrer les images des morts. Les auteurs profanes en font abondamment mention. Moïse lui-même l’atteste quand il raconte, par exemple, que Rachel a volé l’idole de son père. Il n’en parle pas autrement que d’un vice courant. » Voilà donc les paroles de celui qui dit assez brutalement qu’est faux ce que rapporte la Sagesse 14, au sujet du culte des idoles. Calvin détecte un faux, et il en fabrique un autre. Car il suppose qu’avant l’époque de Rachel il n’y avait pas d’idole faite à l’image de l’homme. Et comme il découvre qu’il y avait alors des idoles, il en déduit que les premières idoles ne furent pas à l’image de l’homme, comme le livre de la Sagesse l’enseigne. Il fabrique aussi un faux. Car, d’abord, cette idole qui avait été volée par Rachel était « des images d’homme », ou plutôt une image de l’homme. Car l’image était unique, mais c’est au nom d’une multitude que s’en sert l’Écriture, parce que ce nom en hébreu ne se dit pas au singulier. Le nom hébraïque est …qui signifie « des » idoles, représentant la figure d’un homme, qui, par l’art du démon, parlait et donnait des réponses. Que « les idoles » aient la figure d’un homme, nous le montre le livre des rois 1, 19, lorsque Michol voulut arracher David aux mains de Saül, et qu’elle le jeta par la fenêtre. Elle mit dans son lit, à sa place, un simulacre à figure d’homme, que nous appelons, nous, statue. Que ces idoles parlaient, on le sait par Ezéchiel 21, où nous lisons : « Il interrogea l’idole ». Et en Zacharie 10, nous lisons la même chose : « Les simulacres ont parlé inutilement ». De plus, il est certain que Bel, le premier roi des Assyriens, qui vécut avant Rachel, et même avant Abraham, a été considéré comme un dieu après sa mort, comme l’atteste Eusèbe au début de sa chronique. Et sa statue qui fut dressée par Nine, son fils, a été la première idole proposée publiquement à l’adoration, enseigne saint Ambroise dans son premier chapitre de l’épitre aux Romains, ou celui qui fut l’auteur de ces commentaires. Saint Cyrille d’Alexandrie enseigne la même chose vers la fin de son livre contre Julien. Le début des douleurs fut donc, comme l’enseigne le livre de la Sagesse, la fabrication des images humaines en souvenir des défunts. C’est ce qu’atteste saint Cyprien au début de son livre sur la vanité des idoles, et saint Jean Chrysostome dans son homélie 87 sur Matthieu; ainsi qu’Égésippe, d’après saint Jérôme, dans son livre des hommes illustres, et d’autres, souventes fois.


Mais tu me feras l’objection suivante. Si la statue érigée en l’honneur de Bel par son fils Ninus a marqué le début du culte des idoles, comment peut-être vrai ce que dit le livre de la Sagesse que la première idole a été faite par un père en souvenir de son fils ? Je réponds que la statue de Bel fut la première idole a être exposée publiquement à l’adoration, et que la première idole de toutes a été l’image d’un fils représentée par son père, et honorée en privé. Car, cette coutume dépravée se développant (comme on le dit au chap 14 de la Sagesse), on commença à rendre publiquement un culte aux images des tyrans.


CHAPITRE 14L’ecclésiastique



Calvin nourrit une haine féroce envers le livre de l’Ecclésiastique, qui sert à prouver éloquemment plusieurs dogmes de foi. « Où peut-on, dit-il dans son antidote, puiser tant de déchets ? » Mais, cependant, il n’a rien à lui objecter. Nous, par contre, nous pouvons confirmer l’autorité de ce livre par beaucoup de témoignages anciens. Clément d’Alexandrie, au livre 7 des Stromates, dit, citant le chapitre 4 de l’ecclésiastique : « Nous confirmons ce qui est dit par les Écritures suivantes ». Saint Cyprien au livre 3 de son épitre 9, citant le chapitre 7 : « Mais Salomon aussi, conduit par le Saint Esprit, atteste et enseigne ». Epiphane dans l’hérésie des Anoméens, énumère la Sagesse de Salomon parmi les livres sacrés et divins, et celui de Jésus fils de Sirach, l’ecclésiastique. Nous déduisons de ce texte que quand le même Épiphane dit, dans son livre des mesures et des poids, que ces livres ne sont pas reçus, il exprime ce que les Juifs pensent d’eux. Saint Ambroise, dans son libre 4 sur la foi, chap 4, appelle les paroles de l’Ecclésiastique « des oracles divins ». Saint Augustin, dans sa lettre à Orose contre les Priscillianistes, dit : « Elle s’écrie l’Écriture divine : ne cherche pas ce qui est au-dessus de toi ». Ce qui est une sentence de notre Ecclésiastique. Clément et Cyprien, aux lieux cités, Sixte 11 dans son épitre à Gratus, Damase dans sa lettre aux évêques d’Italie, saint Basile au livre 4 de son contre Eunome, saint Ambroise, chapitre 7 de la première aux Corinthiens, saint Jérôme au chapitre 10 de l’Ecclésiastique, saint Grégoire, au livre 10 de ses morales, chap 14, ne font pas que citer ce livre, mais ils l’attribuent à Salomon. Or, nul n’a jamais mis en doute que les livres de Salomon étaient canoniques et divins. Mais Épiphane, dans son hérésie des Anoméens, et certains autres commentateurs veulent que l’auteur de ce livre soit Jésus Sirach. Je réponds qu’il a facilement pu arriver que Jésus Sirach ait rassemblé diligemment des sentences de Salomon en un volume, de façon à ce que l’un et autre puissent en être dits l’auteur.



CHAPITRE 15 Les Livres des Maccabées



En plus de tous les autres témoignages qui leur sont rendus, les livres des Maccabées sont cités, en particulier, et louangés par saint Cyprien dans son exhortation aux martyrs, chap 11, par saint Grégoire de Naziance, dans son sermon sur les Maccabées, par saint Ambroise, au livre de Jacob, chap 10, 11, 12, et par beaucoup d’autres qui expliquent disertement que ces livres font partie de la divine écriture. Saint Cyprien, livre 1, épitre à Corneille, et Isidore au livre 6 de ses étymologies, chap 1. Saint Augustin (auquel Calvin reconnait une grande autorité), au livre 18 de la cité de Dieu, chap 36, dit : « Les livres des Maccabées que l’Église, non les Juifs, considère être canoniques ». Et au livre 2 contre les épitres de Gaudence, chap 23, il défend avec force l’autorité de ces livres, leur donnant le nom d’écriture sainte. Mais voyons les arguments des adversaires.


Calvin objecte d’abord dans le livre 3 de ses institutions, chap 5, 8, que l’auteur de ces livres loue le zèle déplacé, et le geste superstitieux de Judas qui ordonna d’offrir un sacrifice pour les morts (Macc 2, chap 12). Car, en plus du fait que c’est quelque chose de superstitieux de prier pour les morts, ces morts, pour lesquels Judas priait, avaient quitté la vie chargés d’un péché mortel, pour le pardon duquel même les catholiques enseignent qu’il ne faut pas prier. Qu’ils soient bien morts ainsi, c’est le texte lui-même qui nous l’apprend : « Ils trouvèrent sous la tunique des morts des offrandes aux idoles interdites aux Juifs par la loi ». Je réponds que prier pour les morts dont on n’est pas certain qu’ils soient au ciel ou en enfer, est quelque chose de pieux et de religieux. Il suffit ici d’opposer à Calvin saint Augustin qui se sert de ce passage pour prouver qu’il est pieux de prier pour les morts, dans son épitre 61 à Dulcitium, livre1, dans les mœurs de l’Église chap 23, et dans son livre des soins à apporter aux morts, chap 1. La différence qu’il y a entre saint Augustin et Calvin c’est que le premier estime qu’il est bon de prier pour les morts parce que l’Église considère les livres de Maccabées comme canoniques, et que l’autre considère que les livres des Maccabées ne sont pas canoniques parce qu’il croit que c’est une mauvaise chose de prier pour les morts.


A l’autre chose qu’on lui objecte, je réponds que Judas a estimé pieusement que, à l’article de la mort, ces soldats avaient ressenti de la douleur de leurs péchés devant Dieu, et avaient donc obtenu du Seigneur le pardon. C’est ce que signifient ces mots : « Parce qu’il pensait qu’à ceux qui s’étaient endormis avec piété, une grande grâce leur serait réservée ». Calvin objecte encore dans son antidote du concile : « Ce livre ne peut pas être canonique, car au livre 2, dernier chapitre, on demande le pardon de ceux qui ont erré. » Il reproche ensuite ce que l’on dit au chap 2 : « Et pour des gens comme nous qui avons entrepris d’abréger ce livre, ce n’est pas un travail facile que nous nous imposons. mais une rude corvée, lourde de veilles et de sueurs ». Ces paroles signifient, pour lui, que ce livre a été composé d’une façon purement humaine. Car, toujours selon lui, les auteurs sacrés n’ont pas écrit avec leur intelligence et leur travail, mais par une révélation du Saint-Esprit, comme il appert de Jérémie selon saint Jérôme 36, lequel dictait avec une si grande facilité à son secrétaire Baruch ce que Dieu lui révélait qu’on aurait pensé qu’il lisait un livre.


Je réponds que Dieu est l’auteur de toutes les Écritures divines, mais l’aide qu’il apporte aux prophètes n’est pas le même que celui qu’il apporte aux historiens. Car aux prophètes, ce sont des choses futures qu’il révélait, et il les aidait en même temps pour qu’ils n’ajoutent rien de faux dans leurs écrits. Voilà pourquoi les prophètes n’avaient pas d’autre travail à fournir que l’écriture et la dictée. Aux autres écrivains Dieu ne révélait pas toujours ce qu’ils devaient écrire, mais il les excitait pour qu’ils écrivent ce qu’ils avaient vu et entendu et dont ils se souvenaient, et il les assistait en même temps pour qu’ils n’écrivent rien de faux. Cette assistance divine ne faisait pas en sorte qu’ils n’aient pas à peiner en pensant et en recherchant ce qu’ils avaient à dire et à la manière de le dire. C’est pourquoi saint Luc dans la préface de l’évangile qu’il a écrit, atteste avoir fait une recherche diligente de toutes les choses qui avaient rapport à son projet, et cela auprès de ceux qui avaient entendu et vu Jésus, et qui furent les ministres de sa parole. Et au sujet de ce qui a trait aux erreurs, il ne demande pas pardon d’erreurs qu’il savait n’avoir pas commises, mais pour la pauvreté de son style. C’est comme quand saint Paul se déclare un piètre orateur (2 Cor 11).


La troisième objection vient de ceux qui reprochent au livre 2, livre 1 de dire  « quand nos pères ont été amenés en Perse », alors qu’on sait très bien qu’ils ont été transportés à Babylone. L’auteur de ce livre ne raconterait donc pas une histoire véritable. Quelques-uns font de grands efforts pour démontrer comment ils ont été déportés en Perse. Mais je pense que la réponse à cette objection est facile à trouver. Car ce que l’auteur de ce livre appelle la Perse ne comprend pas seulement la Perse proprement dite, mais aussi d’autres régions qui sont adjacentes. C’est ce que laisse entendre le livre 1 des Macc chap 6, où on dit de l’envoyé qui venait de Babylone à Antioche, qu’il arrivait de la Perse. Cette façon de s’exprimer n’est pas non plus étrangère aux autres écrivains, puisque saint Jean Chrysostome dans son homélie 6 sur Matthieu, dit que les Juifs ont été libérés de la captivité persique.


La quatrième objection. On nous dit au livre 2, chap 2, que, quand furent pillés et brûlés par les Chaldéens le temple et la ville de Jérusalem, Jérémie aurait caché le tabernacle et l’arche de l’alliance dans une caverne de la montage de Nébo. Et il aurait dit que ce lieu demeurerait inconnu jusqu’à ce que le peuple se réunisse de nouveau. Il y a deux mensonges dans ce texte. Le premier, que ce soit Jérémie qui ait fait cela. Car avant que la ville ait été détruite par les chaldéens, Jérémie était toujours en prison, et il était mal vu par presque tous à Jérusalem, (Jer 37, 38). Il n’a donc pas pu faire une chose pareille ni par lui-même ni par d’autres. Quand les Chaldéens se sont emparés de la ville, ils ont tout saccagé (Rois 4, dernier chapitre). Il ne restait donc plus rien que Jérémie eut pu cacher. L’autre mensonge est à l’effet qu’au retour de la captivité, les Juifs retrouveraient leur arche et leur tabernacle. Car ils ne les retrouvèrent jamais.


Je réponds que cela a pu se faire avant la prise de la ville et du temple (comme le suppose Épiphane dans sa vie de Jérémie), et même après, comme le conjecturent d’autres auteurs. Avant. Non au temps de Sédécias, mais de Joachim, car Nabuchodonosor vint trois fois en Judée, et a amené captifs le roi et le peuple autant de fois. D’abord, au temps de Joachim (2 Paral, dernier chap), ensuite, au temps de Joachim (4 rois 24), puis, au temps de Sédécias, 4 rois, 25. Même si, au temps de Sédécias, Jérémie était presque toujours en prison, et mal vu de presque tous, au temps de Joachim il était libre et avait une grande influence, au point qu’on puisse croire que c’est à sa persuasion que Joachim se soit livré spontanément au roi de Babylone. Il est prouvé que Jérémie a vraiment persuadé cela au roi (Jér 24), et que le roi l’a vraiment fait (Jer 29). Que ce n’ait pas été les soldats qui ont détruit la ville de Jérusalem et enlevé l’arche ou le tabernacle, on le déduit de Jérémie 52, où on nous énumère toutes les choses que les Chaldéens ont enlevées du temple du Seigneur, jusqu’aux coupes, et aux vases à piler. Mais de l’arche et du tabernacle, on ne fait aucune mention.



Ce n’est pas un mensonge de dire que l’arche serait retrouvée quand le peuple se réunirait de nouveau à Jérusalem, car Jérémie ne parlait pas du retour d’exil qui eut lieu au temps de Cyrus, mais de la dernière période qui précède de près le jour du jugement, comme le veut Épiphane dans sa vie de Jérémie. Entendue mystiquement, l’arche d’alliance qui doit apparaître c’est le Christ qui doit venir dans la chair pour un nouveau rassemblement du peuple, comme l’expose Rupert, au livre 10 de la victoire du verbe, chap 21. Cinquième objection. Au livre 1 de Macc, chap 1, on nous dit qu’Alexandre le grand fut le premier à régner sur la Grèce. Mais cela semble faux, car Alexandre ne fut pas le premier, puisque, avant lui, nombreux furent les chefs des Lacédémoniens, des Macédoniens, des Corinthiens, des Athéniens, comme il appert de la chronique d’Eusèbe. De plus, on nous dit au même endroit, que l’illustre Antiochus à régné en l’an 137 du règne des Grecs. Comme il appert, d’après le même Eusèbe, qu’Antiochus est devenu roi en 156, il y a donc eu autant d’années qui se sont écoulées de la première année de la monarchie grecque jusqu’à Antiochus. On nous dit, en plus, au livre 1 chap 8, que les Romains, à chaque année, remettent le gouvernement à un seul homme, auquel tous obéissent. Or, ceci est faux, car à cette époque, on mandatait deux consuls.


Je réponds que quand l’Écriture dit qu’Alexandre fut le premier à régner en Grèce, il ne parle pas de n’importe laquelle forme de gouvernement, mais d’une monarchie. Et quand il dit que l’illustre Antiochus est devenu roi en l’an 137 du règne des Grecs, il ne compte pas les années à partir d’Alexandre mais de Séleucus, qui, après Alexandre, fut le premier à régner en Syrie. Car de Séleucus à Antiochus, il y a, en effet, 137 ans. Si, à 137 tu ajoutes les 19 années qui vont d’Alexandre à Séleucus, tu obtiens le chiffre 156. A l’objection qui porte sur les Romains, je réponds ceci. Il ne fait mention que d’un consul car, la coutume avait établi qu’ils règnent à tour de rôle à tous les deux jours. De cela peut témoigner l’issue malheureuse de la guerre de Cannes. Car la cause en fut la témérité de l’autre consul, auquel avait échu le gouvernement ce jour-là. En effet, bien qu’il y ait eu deux consuls, le sort de la république ne semblait être dans les mains que d’un seul. Cette pratique avait été établie au tout début de l’institution de la dignité consulaire, de peur que (comme le dit Livius 1, 2), si, après l’expulsion des rois, deux consuls régnaient ensemble, la terreur ne soit pas éloignée mais redoublée.


La sixième objection. On lit, au livre des Macc. 1, chap, 4, que Judas a purifié le temple l’année 148, c’est-à-dire un an avant la mort d’Antiochus, qui est mort en 149, comme on le lit en 1 Macc. 6. Mais cela s’oppose au livre 2, chap 10 où l’on nous raconte que Judas a purifié le temple deux ans après la mort d’Antiochus. De plus, au livre 1 du chap 6, on nous dit que l’illustre Antiochus est mort à Babylone dans son lit, parce que les évènements ne s’étaient pas déroulés comme il l’espérait. Mais au livre 2, chap 1, on nous explique qu’il a été assassiné dans le temple de Nannée avec plusieurs des siens. Mais ensuite, au livre 1 chap 9, on nous dit que Judas est mort en l’année 152, et qu’il a écrit une lettre aux Romains en l’an 188. Or, si cela était vrai, il aurait écrit cette lettre 36 ans après sa mort. Tant d’incohérences sont des signes manifestes de fausseté.


Pour répondre à la première partie de l’argument, Sixte de Sienne écrit au livre 8 de sa bibliothèque sainte, qu’il y a eu deux purgations du temple. Mais cela ne semble pas être vrai, ni même nécessaire à la solution du problème. L’Écriture ne nous donne pas suffisamment d’indices pour penser que la chose soit vraie, bien que tout ce qu’elle rapporte de cette purification en un lieu, elle le rapporte également en un autre lieu. Que ce ne soit pas nécessaire, on le prouve ainsi. Car rien ne répugne à ce qu’il n’y ait eu qu’une purification en un et l’autre lieu. Car, même si la purification du temple dont parle le livre 1 au chapitre 4, a eu lieu avant la mort d’Antiochus, celle dont on parle plus tard est racontée après la mort d’Antiochus, mais n’est pas décrite comme ayant eu lieu après sa mort. L’auteur a voulu en finir avec qu’il avait à dire d’Antiochus, et revenir ensuite à Judas et à la purification du temple. Le « après deux ans » ne signifie pas deux ans après la mort d’Antiochus, mais deux ans après la profanation du temple. Car le temple a été profané en l’an 145, comme on le dit au livre 1, chap 1. Et après deux ans révolus, en 148, il a été purifié, comme on le voit au livre 1, chap 4. Voilà pourquoi Eusèbe dans sa chronique, et Joseph au livre 12 de ses antiquités, chap. 10, ont écrit que le temple a été purifié la troisième année après sa profanation, c’est-à-dire après deux ans révolus.


En ce qui a trait à la deuxième partie de l’argument, presque tous les commentateurs tombent d’accord que l’Épiphane, dont on décrit la mort au livre 1, chap 6, et au livre 2, chap 9. est ce même Antiochus. Car il a pu en chemin s’écrouler sous l’effet de douleurs d’entrailles, et tomber de son char, comme on le dit au livre 2 chap 9, arriver en cet état à Babylone, et mourir accablé par le récit des mauvaises nouvelles qui s’ajoutaient aux douleurs de sa maladie. Mais l’Antiochus dont on nous rapporte la mort au livre 2, chap 1, nous cause un gros souci. Quelques-uns veulent que ce soit Antiochus le grand, comme le pense Lyre et quelques autres. Mais cela ne peut pas être. Car Antiochus le grand mourut avant que Judas, qui a écrit cette lettre, ne fut à la tête des Juifs. Et entre les Juifs et Antiochus le grand, il n’y a jamais eu de guerre. D’autres veulent que cet Antiochus soit le fils de Démétrius, qu’Eusèbe appelle aussi Triphon ou Griphus. C’est ainsi que pense Ruptertus, au livre 10 de la victoire du verbe, chap 6. Cela non plus ne peut pas être vrai. Car, au temps de cet Antioche, ce n’est pas Judas, mais Jean Hircanus qui était chef des Juifs. De plus, la lettre est écrite par Aristobule, le précepteur de Ptolomée Philometoris, que la chronique d’Eusèbe fait vivre au temps de Judas, c’est-à-dire, longtemps avant les temps d’Antiochus Griphus.


Il faut donc dire que cet Antiochus a été Antiochus Épiphane, le même dont on parle au livre 1, chap 6 et au livre 2, chap 9. Car, c’est en ce temps que vivait le Judas qui écrivit la lettre, et même l’Aristobule à qui elle était destinée. De plus, de tous les rois de Syrie, il fut le premier et le plus grand ennemi des Juifs. Ce qui explique pourquoi sa mort a causé une telle réjoussance en Judée. Ce que l’on dit ensuite, au livre 2, chap 9, au sujet d’Antiochus l’illustre, à savoir qu’il voulait piller le temple en Perse, et qu’il s’enfuit honteusement, cela se rapporte à cet Antiochus qui est tombé et qui a été frappé dans le temple de Nannée, et dont plusieurs de ses soldas ont été tués. Il n’est pas nécessaire d’affirmer qu’il soit mort là où il est tombé. Car on peut dire qu’il est tombé du fait que son armée a été rompue et mise en fuite. Dans la genèse 14, l’Écriture divine nous raconte que le roi de Sodome est tombé au combat, mais, un peu après, elle nous le présente vivant et accourant vers Abraham. De la même façon, on nous dit que Antiochus est tombé pour nous faire comprendre que son armée a été défaite et mise en fuite, et que lui-même, échappé d’une fuite honteuse, peut-être même blessé, tomba sur le chemin de son char, et mourut peu après.


A la troisième preuve, quelques-uns répondent que ce n’est pas Judas Maccabée qui a écrit la lettre, mais quelqu’un d’autre. C’est ce que pense Rupertus au livre 10 de la victoire du verbe, chap 14. Mais cela ne semble pas être vrai. Car, en l’année 188, ce n’est pas Judas mais Jean Hircanus qui était chef des Juifs. Et parmi les chefs des Juifs aucun autre n’a jamais porté le nom de Judas, en dehors de Judas le Maccabéen. Il n’est pas non plus vraisemblable qu’avec le sénat et le peuple en tête de la lettre, un autre que le prince ne soit nommé. D’autres veulent que ce Judas soit vraiment le maccabéen, mais ils calculent les années placées au début des lettres non à la façon des Grecs depuis Séleucus, mais à la façon des Hébreux, depuis la douzième année d’Assuérus pendant laquelle ils furent, par l’interevention de la reine Esther, sauvés de l’extermination. C’est ce que pensent Lyre et le cardinal Hugo, et ils sont suivis par les auteurs les plus récents. Mais il ne semble pas crédible que, dans ces livres, les années soient toujours supputées d’après le comput des Grecs, et qu’ici seulement elles le soient à la façon des Juifs. De plus, même en comptant à partir de la douzième année d’Assuérus, on ne peut pas tomber sur l’année 188, au temps de Juda Maccabée. Car Lyre, que tous suivent, calcule ainsi. A partir de l’année douze d’Assuérus jusqu’à la fin de son règne, on compte 29 années. On ajoute ces années aux six années de règne de Darius, fils d’Assuérus, ce qui donne 35. Si, à ces 35, on ajoute de nouveau les 148 années qui vont du début du règne des Grecs à Judas, on obtient 188 ans.


Mais ce calcul comporte trois graves erreurs. La première, et qui saute aux yeux, est que 29 plus 6 plus 148 ne font pas 188, mais 183. La seconde. Ces auteurs omettent les dix-neuf années qui vont du début de la monarchie d’Alexandre jusqu’au règne de Séleucus. Car, ces 148 années des Grecs que l’on rapporte, dans le livre 1 des Maccabées au chapitre 4, jusqu’à la victoire de Juda, sont comptées non à partir de Séleucus, mais d’Alexandre, comme nous l’avons expliqué plus haut. Si donc tu ajoutes les dix-neuf années qui vont d’Alexandre à Séleucus, tu obtiens 202 ans, et non 188 ans, depuis la douzième année d’Assuérus, comme ils le veulent. La troisième erreur. Dans cette supputation, ils font d’Assuérus l’avant-dernier roi des Perses, épousant les songes des Juifs contre les assertions de tous les Grecs et les Latins. Eusèbe, par, exemple, dans sa chronique, énumère trois rois Perses après Assuérus. Joseph, à l’avis duquel je me suis rangé plus haut, en énumère sept. Il s’ensuit donc de tout cela que de la douzième année d’Assuérus jusqu’à Judas, ce ne sont pas 188 ans qui se sont écoulés, mais beaucoup plus que 200.


En conséquence, j’estime, avec Melchior Cano et quelques autres, que la solution du problème se présente ainsi. Ces mots « l’an 188 » ne forment pas le début de la lettre suivante écrite par Judas, mais la fin de la lettre précédente, qui avait été écrite par tout le peuple des Juifs, ayant Jean Hircanus pour chef. C’est ce qu’indiquent clairement les bibles grecques. Après les mots « année 188 », elles marquent un arrêt. Et la raison, certes, exige cela, car comme ces mots sont entre le début d’une épitre et la fin d’une autre, et qu’on a coutume de placer le nombre des années à la fin plutôt qu’au début, nous les référons ces mots à l’épitre précédente plutôt qu’à la suivante.


La septième objection provient du fait que le premier livre des Maccabées semble être en contradiction avec l’Évangile. Car, au livre 1, chapitre 1, l’auteur de ce livre affirme que la prophétie de Daniel sur l’abomination de la désolation érigée dans le lieu saint s’est réalisée quand Antiochus Épiphane plaça une idole dans le temple du Seigneur. Or, le Christ, en Matt 24, déclare que cette prophétie ne connaîtra sa réalisation que dans les derniers temps. Je réponds. Dans les livres des Maccabées, il n’est fait aucune mention de la prophétie de Daniel. On se contente d’appeler l’idole une abomination de la désolation, comme elle l’était en effet. La dernière objection présentée par certains est à l’effet que dans ces livres, ont semble approuver les gens qui se suicident, comme Éléazar, au livre 1, chap 6, et Razias, au livre 2, chap 14. Saint Augustin a déjà répondu à cette objection dans son épitre 61 à Dulcitium, et au livre 2 de l’épitre contre Gaudence, chap 23. Voici en résumé sa réponse. « On raconte les morts de ces hommes, dans l’Écriture, mais on ne les loue pas. Et si louange il y a, ce n’est pas pour laisser entendre que ce qu’ils ont fait était saint et pieux, mais qu’ils avaient agi avec audace et virilité. Car, on ne peut nier qu’ils avaient fait preuve de force d’âme. ».

TTTTT

27 fev 19:15

CHAPITRE 16 Certaines parties des livres de Marc, de Luc et de Jean



Il appert de la lettre de saint Jérôme à Hedibiam, question 3, que le dernier chapitre de Marc n’était pas, en son temps, reçu par tous comme canonique. La raison du doute était la présence de certains mots apocryphes qui y auraient été insérés, comme on le voit chez Jérôme, avant le milieu de son livre 2 contre les Pélagiens. Voici les mots insérés qui ont un relent de pélagianisme : « Et eux satisfaisaient en disant : ce siècle d’iniquité, cette substance d’incrédulité ne permet pas, à cause des esprits impurs, d’appréhender la vraie vertu de Dieu. Révèle donc maintenant ta justice ». Il ne nous est pas permis à nous de douter de sa canonicité, car le concile de Trente, à la session 4, a ordonné que tous les livres soient reçus en entier avec toutes leurs parties, de la façon qu’ils ont coutume d’être lus dans l’Église catholique. Or, on lit ce chapitre aux jours très solennels de la résurrection et de l’ascension; et il a été commenté par Bède le vénérable, et par saint Grégoire le grand dans ses homélies 21 et 29. Même saint Athanase, dans sa synopsis sur le commentaire de tout l’évangile de saint Marc, reconnait que ce chapitre est vraiment de Marc. De même saint Augustin, dans le livre 3 de sa concorde des évangiles, chapitre 24. Ajoutons que même Calvin, dans le chapitre 17, 47, de ses institutions, admet ce dernier chapitre de Marc comme faisant partie de son évangile. Il n’y a donc pas lieu, pour convaincre les récalcitrants, de s’attarder plus longtemps.


Au sujet du chapitre 22 de Luc, quelques-uns ont pu mettre en doute le récit des sueurs de sang, de l’apparition angélique, et de la consolation qu’elle apporta à Jésus, comme l’atteste saint Hilaire dans son livre 10 de la trinité, et saint Jérôme dans son livre 2 contre les Pélagiens. C’était pour ne pas attribuer au Christ des faiblesses de la chair ou des souffrances du coeur. Pour cette même raison, comme l’atteste Épiphane dans Ancorato, quelques catholiques ont, par un zèle dévoyé, effacé le mot « pleurer » du récit de Luc, 19 ( « voyant la cité, il pleura sur elle »). Si le Christ, en tant qu’homme, pouvait, devant l’imminence de sa passion, craindre et trembler, comme le rapportent Matt c. 26 et Marc 14, pourquoi n’a-t-il pas pu, pour la même raison, suer du sang, et accepter la consolation d’un ange ? Et s’il avait un corps passible et une âme sensible, pourquoi ne pouvait-il pas pleurer et souffrir ? Voilà pourquoi saint Athanase, dans son livre 6 à Théophile, anathématise ceux qui nient que Jésus ait sué du sang. Épiphane, aussi, dans son Ancorato, et Augustin au livre 3 de la concorde des évangélises, considèrent que ce passage est évangélique. Saint Hilaire et saint Jérôme n’enseignent pas le contraire, mais ils indiquent seulement que ce passage ne se trouvait pas dans toutes les bibles à leur époque, et que pour cette raison, il n’est pas cru de foi certaine.


Le commencement du chapitre de saint Jean qui contient l’histoire de la femme adultère, n’était pas non plus cru de foi certaine, comme l’enseigne Érasme dans ses annotations sur ce passage, citant Eusèbe, au livre 3 de son histoire ecclésiastique, chap 39, lequel s’exprime ainsi en parlant de Papias : « Il passe ensuite à l’histoire de la femme adultère, qui avait été accusée par les Juifs auprès de notre Seigneur. Cette parabole se trouve dans l’évangile dit selon les Hébreux.  Par ces paroles, il indique clairement qu’il n’a pas vu cette histoire dans l’évangile selon saint Jean; et qu’il la considère plus comme une parabole que comme une histoire vraie. » En dépit de tout cela, il ne faut pas douter que cette histoire ne soit évangélique et historique, puisqu’elle est lue dans l’Église le samedi après le troisième dimanche du carême, et que les pères latins et grecs les plus célèbres la reconnaissent comme canonique. Ammonius d’Alexandrie dans ses quatre évangiles en un seul, Athanase dans la synopsis de l’évangile de Jean, saint Jean Chrysostome dans son homélie 60 sur saint Jean, saint Ambroise dans son épitre 58, livre 7 à Studium, saint Jérôme dans son livre 2 contre les Pélagiens, et saint Augustin dans son traité 33 sur saint Jean. Tous ces auteurs la reconnaissent comme canonique. Dans le livre 2, chap 7 des conjoints adultères, le même saint Augustin raconte que c’est par les ennemis de la vraie foi que cette histoire a été rayée des bibles catholiques.


Ne nuit pas à notre cause, mais plaide plutôt en sa faveur, ce que rapporte Eusèbe au sujet de Papias, disciple de saint Jean, à savoir qu’il se souvenait de cette histoire. Mais il importe peu qu’Eusèbe ne l’ait pas eu dans sa bible, car elle a peut-être été effacée par quelqu’un. Ajoutons qu’Eusèbe ne parle peut-être pas de cette histoire de la femme adultère, mais d’une autre qui est surement apocryphe. Car, dans le texte grec d’Eusèbe, nous ne trouvons pas le mot adultère, mais pièges diaboliques. Venons-en maintenant aux mots qui se trouvent dans le dernier chapitre de la première épitre de saint Jean : « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit saint, et ces trois sont un. » Érasme prétend qu’on a douté autrefois de leur authenticité, et qu’on doit encore aujourd’hui en douter. Mais il est certain qu’on lit ces paroles à l’Église le dimanche après Pâques. Ce passage est reconnu par saint Cyprien dans son livre de la simplicité des prélats, par Athanase dans son livre 1 à Théophyle, qui traite de la déité unie, par le pape Jean 11, dans son épitre à Valère, par saint Jérôme dans son prologue aux épitres canoniques, par Idace dans son livre contre Varimundum, par Eugène de Carthage, d’après Victor, au livre 2 de la persécution des vandales. Nous n’avons donc pas de raison de douter que ces mots fassent partie de la divine écriture.



CHAPITRE 17 La lettreaux Hébreux



En ce qui a trait à cette épitre, le doute a porté sur deux choses, sur son auteur et sur son autorité. Ces deux erreurs, en pratique, n’en formaient qu’une, car ils furent bien peu nombreux ceux qui doutèrent d’une chose sans douter de l’autre. Parmi les anciens hérétiques, citons d’abord Marcion, comme l’atteste saint Jérôme dans sa préface à l’épitre à Titus; puis Arius, au témoignage de Théodoret, dans sa préface à l’épitre aux Hébreux. Ces auteurs-là enseignaient que cette épitre n’était ni de Paul, ni sacrée. Parmi les nouveaux hérétiques. Luther, dans son prologue à l’épitre aux Hébreux, affirme que cette épitre n’est ni de saint Paul, ni d’aucun autre apôtre, parce qu’elle contient des choses qui sont contraires à la doctrine évangélique et apostolique. Brentius souscrivit à l’enseignement de Luther à la confession de Wirtemberg, au chapitre de l’écriture sacrée. Ainsi que Kemnitius dans son examen de la session 4 du concile de Trente. Les Magdegourgeois aussi, dans la centurie 1 du livre 2, chap 4, col, 55; et d’autres hérétiques de ce temps, à l’exception des calvinistes. Car Calvin dans son institution imprimée en l’année 1554, au chapitre 8, 216, soutient que cette épitre est vraiment apostolique, et que les Luthériens sont dans l’erreur à son sujet. Mais il doute si elle est de Paul ou d’un autre apôtre, de Barnabée ou de Luc, comme on le voit dans le même livre, chap 10, 83, et chap, 16, 25. Quoi qu’il en soit, les ministres calvinistes dans la confession qu’ils présentèrent à Pissiac, placent cette épitre parmi les écritures divines, mais d’un auteur incertain.


En plus de ces hérétiques manifestes, ont eu des doutes sur l’auteur de cette épitre des catholiques, et surtout des latins. Et pout cette raison, elle leur parut une œuvre mineure. C’est ce qu’attestent Eusèbe dans le livre 3, chap 3 de son histoire ecclésiastique; et saint Jérôme dans son livre des hommes illustres, quand il parle de saint Paul en ces mots : « Certains auteurs latins ont enseigné que cette épitre n’était pas de Paul, mais de Barnabée, ou de Luc, ou du pape Clément ». Sixte de Sienne ajoute, dans le livre 7 de sa bibliothèque sainte, qu’il y en avait même quelques-uns qui l’attribuaient à Tertullien. De nos jours, Érasme, à la fin de ses annotations sur cette épitre, et Cajetan, au début de son commentaire de la même épitre, ont ranimé une question déjà assoupie.


Il est facile de prouver que cette épitre est canonique et de l’apôtre Paul. D’abord, parce que c’est au nom de Paul qu’on la lit dans l’Église le jour de Noël, et en beaucoup d’autres circonstances. En second lieu, parce qu’elle a été utilisée pour témoigner de la foi, en tant qu’épitre de Paul, par plusieurs pontifes anciens, comme Clément 1 dans son épitre aux Corinthiens, rapportée par Eusèbe, liv 3, chp 38; par Innocent 1 dans l’épitre 3 à Exupère; par Gélase 1 dans le concile des 70 évêques. Troisièmement, parce qu’elle a été mise dans le canon des écritures sacrées, sous le nom de Paul, par les conciles de Laodicée, can 59, de Carthage 11, can 47, et de Trente, à la session 4. Elle a même été reconnue comme étant de saint Paul au concile de Nicée, au témoignage de saint Thomas dans son épitre. Elle l’a été aussi par le concile d’Éphèse 1, par le concile de Chalcédoine qui approuva les douze chapitres de saint Cyrille, dont le deuxième se lit comme suit : « Que le Christ a été fait le pontife et l’apôtre de notre confession, la divine écriture le commémore ». Et même par le concile d’Orange 11, au dernier canon où il est dit que l’épitre aux Hébreux est l’œuvre de l’apôtre, et une écriture divine.


Quatrièmement, parce qu’elle a toujours été reçue par les Pères grecs, comme il apparait clairement de ce que tous la citent sous le nom de saint Paul, de ce que saint Jérôme l’affirme dans son épitre à Dardanum, et du fait que cette épitre a toujours été placée entre les autres lettres de saint Paul. Témoins Origène d’après Eusèbe au live 6, chap 18, de son histoire ecclésiastique, et le même Eusèbe, au livre 3, chap 3; saint Grégoire de Naziance dans son chant du canon de l’Écriture; saint Athanase dans la synopsis, Épiphane dans son hérésie 76, saint Jean Damascène dans liv 4, c. 18. Cinquièmement, elle fut, après Lactance, reçue par tous les Latins. Car les seuls qui semblaient ne pas la reconnaitre ont été Tertullien, saint Cyprien, Lactance et Arnobe. Ils ne la citent pas une seule fois, que je sache. Mais saint Hilaire, au livre 12 de la trinité, de Caïn, chapitre 12, saint Jérôme dans son épitre à Dardane sur la terre promise, saint Augustin au livre 2, chap 8 de la doctrine chrétienne, et Ruffin dans son symbole, tous ces auteurs la reconnaissent comme étant de Paul, et la citent très souvent. Dans son catalogue des hérésies, Pilastre n’hésita pas à compter parmi les hérétiques ceux qui rejettent cette épitre ou qui nient que saint Paul en soit l’auteur. Le doute de deux ou trois auteurs latins ne peut pas avoir plus de poids que la confession indiscutable de tous les autres.
 
 

Sixièmement, il semble que saint Pierre ait fait mention de cette épitre. Car sa première épitre Saint Pierre l’a écrite pour les Hébreux dispersés parmi les nations, comme il appert par le titre lui-même. C’est aussi ce qu’enseignent Oecuménius et Érasme lui-même, au début de ses annotations sur cette épitre. Dans la deuxième, saint Pierre écrit aux mêmes personnes, comme on le déduit de ces paroles qui se trouvent au chapitre 3 : « Très chers, je vous écris cette seconde lettre ». Mais dans le même chapitre, il ajoute : « comme notre très cher frère Paul vous a aussi écrit ». Nous aurions donc là un témoignage de saint Pierre sur une épitre aux Hébreux écrite par saint Paul.


Enfin, du consentement de tous les catholiques, cette épitre est ou de Paul, ou de Luc, ou de Barnabée, ou de Clément de Rome, ou même de Tertullien. Or, elle ne peut pas être de Tertullien, puisque Clément d’Alexandrie qui a écrit avant Tertullien, affirme que cette lettre est de Paul, comme on le lit dans l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe, livre 6, chap 11. Et que penser du fait que ce même Tertullien ait attribué cette épitre à Barnabée, comme le rapporte saint Jérôme dans ses hommes illustres ? Elle ne peut pas être non plus du pape saint Clément, puisque ce même Clément l’a citée comme étant de saint Paul dans son épitre aux Corinthiens, comme le rapporte Eusèbe dans le livre 3, chapitre 38 de son histoire ecclésiastique; et puisque, à la fin de cette épitre, l’auteur dit : « Je vous supplie, de plus, de faire en sorte que je vous sois rapidement rendu ». Ces mots ne peuvent pas convenir à saint Clément, qui, comme évêque romain, n’habitait pas à Jérusalem mais à Rome. De ce que je viens de dire il apparait que c’est sans raison aucune qu’Érasme s’efforce de faire de saint Clément l’auteur de l’épitre aux Hébreux. Les raisons que nous avons présentées prouvent suffisamment que ni Luc, ni Barnabée n’ont pu en être les auteurs. Mais même si elle était de saint Luc ou de saint Barnabée, elle ne manquerait pas d’autorité apostolique, puisqu’ils étaient des hommes apostoliques.
 
 

Pour justifier leur opposition à cette épitre, les Magdebourgeois formulent cinq arguments qui concordent avec ceux de Luther et de Calvin. Le premier. L’ancienneté prudente a douté de cette épitre. Je réponds. Il est déshonnête de prétendre que l’ancienneté a douté de cette épitre, puisque, parmi les Grecs, ils ne peuvent présenter que Cajum, et parmi les latins, deux ou trois seulement. Mais nous, au contraire, nous avons présenté tant de pontifes, tant de conciles, tous les Grecs, à l’exception d’un seul, et tous les latins, à l’exception de trois ou quatre. Et s’il est question d’antiquité plutôt que de quantité, saint Clément de Rome est plus ancien que Cajus, Clément d’Alexandrie plus ancien que Tertullien, et Denys l’Aréopagite plus ancien que l’un et l’autre. Saint Denys la cite pourtant, sous le nom de Paul, dans son épitre à Tite.
 
 

Le second argument. Le nom de Paul ne se trouve pas au début, comme dans les autres épitres. Ils reconnaissent eux-mêmes que cet argument n’est pas très fort. Je répondrai avec saint Jérôme dans sa préface à la lettre de saint Paul. « Si elle n’est pas de saint Paul parce qu’elle ne porte pas le nom de saint Paul, elle est donc de personne puisqu’elle ne porte le nom de personne ». La première lettre de saint Jean n’a pas non plus le nom de Jean au début, doute-on pour autant qu’elle soit de lui ? Mais il y a des évangiles qui portent le nom de Thomas, de Barthélémy, de Jacques et de Nicodème, et qui ne sont pas, sans raison grave, rejetés par tous. J’ajoute que saint Paul avait peut-être de bonnes raisons de ne pas apposer son nom à cette épitre. Car, il a peut-être agi ainsi, comme l’estime saint Jérôme, parce qu’il savait que son nom était mal vu par les Hébreux, qui, quoique convertis à la foi, continuaient à observer les prescriptions de l’ancien testament que saint Paul présentait comme abrogées. Voir actes des apôtres 21. Ou bien, comme l’enseigne saint Jérôme au chapitre premier de l’épitre au Galates, parce qu’il avait l’intention dans cette épitre, chap 3, de présenter le Christ comme l’apôtre de notre confession, il n’a pas voulu, selon sa coutume, se donner le nom d’apôtre, pour ne pas sembler se mettre sur un pied d’égalité avec le Christ. Ou, comme l’indique Théodoret, dans la préface de son commentaire de cette épitre, parce qu’il n’était pas l’apôtre des Hébreux mais des Gentils, comme il le déclare dans Galates 2, Il n’a donc pas voulu leur écrire en tant qu’apôtre, mais leur exposer fidèlement la doctrine comme un ami et un compagnon, plutôt que comme un apôtre et un maître. C’est pourquoi à la fin de la lettre, il écrit : « Je vous prie, frères, de supporter ces mots de consolation, car je vous ai écrit en peu de mots. » C’est comme s’il voulait dire : « Ne prenez pas mal que moi qui ne suis pas votre apôtre, j’aie voulu vous enseigner et vous exhorter par une lettre. J’ai fait cela pour vous consoler, non pour vous donner des ordres. » Ces raisons, Clément d’Alexandrie les présente déjà toutes, d’après Eusèbe dans son histoire ecclésiastique, au livre 6, chapitre 11.
 

Le troisième argument ils le tirent de la diversité des styles, car cette épitre est composée avec plus de densité, de clarté, de rigueur et d’harmonie que les autres. On ne satisferait pas à l’objection en répondant que cette épitre a d’abord été écrite en hébreu, et que l’Apôtre parlait sa langue maternelle mieux que la grecque. Car, il est évident que cette lettre n’a pas été écrite en hébreu mais en grec, d’abord parce que les citations de l’Écriture se font d’après les septante, ensuite parce que l’auteur de la lettre traduit en grec le nom hébreu Melchisédech (roi de la paix), ce qu’il n’aurait pas fait s’il avait écrit en hébreu. Quelques-uns répondent qu’il est vrai que cette lettre a été écrite en grec, non en hébreu, mais que quelques-unes de ses phrases sont de Paul, d’autres de Luc, d’autres de Clément; et que saint Paul ne se serait servi de toutes ces phrases qu’en tant qu’interprète et scribe. Et cette lettre serait plus littéraire que les autres parce que son plan aurait été élaboré par quelqu’un de plus instruit. C’est ce que pense Origène d’après Eusèbe au livre 6, chap 18. D’autres pensent que cette lettre a d’abord été écrite en hébreu, et traduite ensuite en grec par Luc ou Clément. C’est ainsi que répond Eusèbe au livre 3, chap 38, de son histoire ecclésiastique, et Clément d’Alexandrie, d’après Eusèbe, livre 6, chap 11. Ne s’oppose pas à cette opinion la traduction donnée au mot Melchisédech, car l’apôtre n’interprète pas le nom hébraïque en grec, mais en hébreu, comme on le voit par l’étymologie, et la signification du mot. C’est comme si on disait en latin : un homicide c’est le meurtre d’un homme; et qu’on le disait avec des mots grecs, comme si l’interprète ajoutait que ce n’est pas absurde de traduire ainsi. Comme dans l’exode : C’est la pâque, c’est-à-dire le passage de Dieu, interprétation que n’a pas le texte hébraïque. Et en Matthieu 27 : Eli, Eli, c’est-à-dire mon Dieu etc. Rien n’empêche que les citations aient été prises des septante. Car l’apôtre, s’il écrivait en hébreu, tirait ses témoignages de la source hébraïque. Cependant, l’interprète grec a voulu traduire les paroles citées par Paul de la même façon que les avaient traduites autrefois les septante, pour que rien de nouveau ne vienne offenser les oreilles des Grecs. Cela n’est pas nouveau. Car combien de citations en hébreu n’a-t-il pas faites dans le discours qu’il a donné dans la synagogue d’Antioche ? Et pourtant, saint Luc les rapporte toutes (act. 13) selon la version des Septante. De ces deux solutions, l’une ou l’autre est probable. La première semble la plus simple, l’autre plus tirée par les cheveux.
 

Le quatrième argument est celui dont se sont le plus servi les Magdebourgeois. L’auteur de cette lettre se place parmi ceux qui ont été convertis à la foi par les apôtres. Car il dit : « Comment échapperons-nous à la condamnation si nous négligeons un pareil salut ? Les choses faites par le Seigneur, qu’on a commencé au début à raconter, ont été confirmées en nous par ceux qui les ont entendues, Dieu rendant témoignage par des signes et des prodiges, etc.. ». Mais saint Paul, dans l’épitre aux Galates, affirme ne pas avoir appris l’évangile d’un homme ou par un homme, mais par révélation. Paul n’est donc pas l’auteur de cette épitre.


Je réponds d’abord que saint Paul dit cela non de lui, mais des hommes de son temps, comme Isaïe disait dans la personne du peuple : « Nous sommes tous devenus comme un immonde, et notre justice est comme la robe de la menstruée. Il n’y a personne qui invoque ton nom, qui se lève et te reste fidèle… » Il est évident qu’en ce lieu, Isaïe ne parle pas de lui-même, car, au même endroit, il invoque Dieu en une longue prière. J’ajoute, ensuite, qu’il n’y a là rien d’absurde pour Paul de se placer parmi ceux qui ont été confirmés par les apôtres. Il ne s’agit pas ici de la confirmation par la doctrine, mais par les miracles, car il est dit que le salut, c’est-à-dire la prédication du salut a été confirmée par les Apôtres, Dieu l’authentifiant par des miracles et des prodiges. Qui peut nier cela ? Quand Paul s’est converti, bien qu’il ait appris la totalité de l’évangile par révélation, il a quand même été confirmé dans sa foi par le récit des miracles opérés par Pierre et les autres apôtres, et surtout par ce miracle par lequel il a reçu de nouveau, des mains d’Ananie, la lumière des yeux.


Le cinquième argument. L’auteur de cette épitre milite contre la doctrine du Seigneur. Car, le Seigneur a dit en Matthieu 11 : « Venez tous à moi ! » Mais lui exclut ceux qui ont péché une fois. Car c’est ainsi qu’il parle : « Il est impossible à ceux qui ont été une fois illuminés d’être renouvelés de nouveau par la pénitence ». Et, au chapitre 10, qu’aucune hostie n’est laissée pour le péché de ceux qui ont volontairement péché, après avoir accepté la connaissance de la vérité ». Et, au chapitre 12, il est écrit qu’Ésaü ne trouva pas le lieu de la pénitence. Je réponds que ces paroles n’entrent pas plus en conflit avec le venez-tous-à-moi, que les paroles du Seigneur en Matt 12, à l’effet que le péché contre l’Esprit Saint ne sera remis ni dans ce siècle ni dans l’autre. Car l’apôtre ne parle pas de n’importe lequel pécheur, mais de celui qui pèche contre le saint Esprit, c’est-à-dire qui volontairement combat la vérité connue et démontrée.


On peut dire aussi que ces péchés sont irrémissibles pour trois raisons. D’abord, parce que les hommes de ce genre ne se convertissant généralement pas, leurs péchés ne sont donc pas remis, bien que le contraire puisse arriver, et arrive parfois. Comme dans le cas des maladies mortelles. On les dit mortelles parce que dans la plupart des cas elles procurent la mort, même si parfois quelques-uns en réchappent. Et on dit qu’elles sont bénignes celles dont la plupart guérissent, même si quelques-uns en meurent. Ensuite, parce que ceux qui pèchent contre le Saint esprit résistent directement à la grâce par laquelle seule ils peuvent être sauvés, comme quelqu’un qui ne peut être guéri que par une saignée, mais la récuse. Le médecin aurait raison de dire dans ce cas-là, qu’il ne peut pas guérir. On ne nie pas, pour autant, qu’il puisse se trouver un médecin très pédagogue, capable de persuader le malade d’accepter le traitement. Enfin, il peut s’agir de quelqu’un qui, à cause de la malice du péché, n’a rien en lui qui lui fasse mériter la rémission de ce péché. Pour cette raison, son péché est dit irrémissible, bien qu’il puisse être remis. Celui qui pèche par ignorance ou par infirmité, a de quoi provoquer la miséricorde de Dieu, selon le mot de l’Apôtre, 1 Tim 1 : « J’ai obtenu la miséricorde car mon incrédulité provenait de l’ignorance ».


Cette réponse semble suffisante pour écarter la difficulté rencontrée dans d’autres passages. On pourrait ajouter d’autres réponses. Car la première citation de l’épitre aux Hébreux 8, un grand nombre de pères (Chrysostome, Théodoret, Oecumenius, Théophylactus, Anselme, Sedulius, Augustin) sinon presque tous, l’entendent de la pénitence pour la rénovation dans le baptême, non de celle qui se fait dans la réconciliation après le baptême. Car, que saint Paul parle ici du baptême, les paroles qui suivent l’indiquent assez : « Le baptisé ne plaçant plus un fondement de la pénitence, de la foi ». Et les autres : « Et ceux qui ont été une fois illuminés ». Car, Denys l’aréopagite au chapitre 2 de la hiérarchie ecclésiastique, et les autres anciens appellent le baptême une illumination, parce qu’il est le sacrement de la foi. Et ces autres paroles  « être renouvelés de nouveau » se rapportent aussi au baptême, car, saint Augustin, au lieu cité, enseigne que, par le baptême, nous sommes véritablement rénovés, et, par la réconciliation, guéris. Ensuite ces autres paroles : « crucifiant de nouveau le Fils de Dieu », se rapportent aussi au baptême, car, dans le baptême nous représentons la mort du Christ et son ensevelissement, comme il est dit aux Romains, 6. Et comme Jésus n’est mort qu’une fois, nous ne pouvons être baptisés qu’une fois. Le bienheureux apôtre s’en prend donc aux déserteurs de la foi, et enseigne que personne ne doit espérer pouvoir, après le baptême dans l’Église, poser ailleurs un autre fondement, et trouver un autre baptême. Car, cela est impossible, puisqu’il n’y a qu’un seul vrai baptême, et qu’il ne peut pas être réitéré. La deuxième citation a le même sens. Car, à ceux qui pêchent volontairement, c’est-à-dire qui s’éloignent de la vérité de la foi connue et acceptée, « il ne reste plus d’hostie pour le péché ». Non parce qu’il n’y a plus lieu de faire pénitence, mais parce qu’il n’y a pas d’autre hostie vraiment efficace en dehors de la mort du Christ, qu’ils méprisent par leur apostasie. Car, on ne peut pas trouver un autre Christ, ni un autre baptême dans lequel sa mort soit représentée.


Au sujet de la citation tirée du chapitre 12, je réponds que c’est de deux façons qu’Esaü n’a pas trouvé le moyen de faire pénitence. La première, auprès de son père, car la chose perdue était irrécupérable. L’autre, auprès de Dieu, car il ne fit pas correctement pénitence, comme saint Chrysostome l’explique en cet endroit. Voulant détourner les hommes de la faute, l’Apôtre présente comme incertaine l’issue de la pénitence. Comme Ésaü n’a pas pu récupérer l’héritage parce qu’il était irrécupérable, de la même façon le pécheur ne peut pas récupérer l’innocence, la virginité et autres choses semblables. Et comme Ésaû n’a pas fait correctement sa pénitence, même s’il a pleuré, de la même façon, les pécheurs qui semblent faire pénitence, ne plaisent pas toujours à Dieu, parce qu’ils ne font pas pénitence comme il le faut.


Le sixième argument est celui de Cajetan dans son commentaire de cette épitre. L’auteur de cette épitre prouve, au chapitre 1, que le Christ est le Fils de Dieu par ces paroles tirées du livre 2 des Rois, chap 1 : « Je serai pour lui un Père ». Mais ces paroles se rapportent à Salomon au sens littéral, et ce n’est qu’à partir du sens littéral qu’on peut tirer des arguments décisifs. Cet auteur n’est donc pas saint Paul, ou les arguments de saint Paul ne sont pas solides. Je réponds que Paul a fait le même genre de raisonnement dans le chapitre 10 de son épitre aux Romains et au chapitre 9 de sa première épitre aux Corinthiens. On ne peut pas, pour cette raison, affirmer que ces épitres ne sont pas de Paul. La force de l’argument de l’Apôtre vient du fait que ses lecteurs admettaient que Salomon était un type du Christ; et, cela, on ne peut le nier, comme le prouve saint Augustin dans son livre sur l’unité de l’Église, chap 8. Car, le deuxième livre des Rois au chapitre 7 et le psaume 71 disent beaucoup de choses de Salomon qui ne lui conviennent qu’en tant que figure du Christ. Comme par exemple : « Je stabiliserai le trône de son règne éternellement ». Et cet autre : « Il dominera d’une mer à l’autre, et tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront etc ».


Le septième argument est du même Cajetan. L’auteur de l’épitre aux Hébreux dit, au chapitre 9, qu’il y avait dans l’arche une urne qui contenait la manne, la verge d’Aaron qui avait fleuri, et les tables de la loi. Mais, au livre 3 des Rois, chapitre 8, on rapporte que seules les tables étaient dans l’arche. Ou donc saint Paul a menti, ou cette épitre n’est pas de lui. Je réponds qu’au temps de Salomon, il n’y avait dans l’arche que les tables de la loi, comme il est dit à 3 Rois 8. Mais, après lui, les Juifs ont posé dans l’arche l’urne et la verge. Choses que Paul a pu connaitre par la tradition. C’est ainsi que répond Théophylactus, qui signale même que les Juifs de son temps étaient de cet avis. Ajoutons que quand l’auteur du livre des Rois dit : « il n’y avait rien d’autre dans l’arche que les tables de la loi », il semble insinuer qu’il y avait, en son temps, dans l’arche, autre chose qu’au temps de Salomon. Car, il semble vouloir dire que, si, de son temps, il y a, dans l’arche, autre chose que les seules tables de la loi, au temps où Salomon a fait entrer l’arche dans le temple, il n’y avait en elle que les tables. Et que dire, si, comme quelques-uns le pensent, la verge et l’urne n’étaient pas dans l’arche, mais quelque part à l’extérieur de l’arche ?


Le dernier argument est celui d’Érasme et de Cajetan. En parlant de testament proprement dit au chapitre 9, l’auteur de cette épitre dit qu’il a été confirmé par la mort du testateur. Et il amène en preuve les paroles d’Exode 24 : « Ceci est le sang de l’alliance que le Seigneur a contractée avec vous ». Or, dans l’Exode, le texte hébraïque ne fait aucune mention d’un testament, mais d’un pacte. (Et il cite le texte en lettres hébraïques). Ces mots ne peuvent avoir d’autre sens que ceci : « Voici le sang du pacte que le Seigneur a contracté avec vous avec toutes ces paroles ». Ou Paul ne connaissait pas la langue hébraïque, on cette lettre n’est pas de Paul. Je réponds. Il est question ou d’une chose ou d’un nom. Si c’est de la chose que l’on parle, Érasme accuse injustement cet auteur. Car, non seulement cet auteur mais même les 70 traducteurs ont constamment rendu ce mot hébreu par testament, comme il appert de la traduction qu’ils ont faite des psaumes. Nous avons aussi le témoignage de saint Jérôme au chapitre 2 de Malachie. Il nous affirme en toutes lettres que les septante ont toujours rendu ce mot par testament. Et l’apôtre Paul, aux Romains 9, aux Galates 3 et 4, ainsi qu’ailleurs, appellent toujours testament ce que les Juifs appellent pacte (mot hébreu). De sorte qu’il n’est rien que l’on dise ou que l’on entende plus souvent que nouveau testament ou ancien testament.


Si ce n’est pas du nom mais de la chose qu’il est question, si l’on pense que l’auteur de cette épitre a détourné le sens de ce passage de l’Exode, en lui faisant dire « testament » là où il parlerait de « pacte », je réponds de la façon suivante. La promesse de la vie éternelle dont l’ancien testament parle par figure, et le nouveau ouvertement, est à la fois un testament et un pacte. Un testament parce qu’il contient la disposition de l’héritage éternel qui devra être donné aux fils de Dieu, laquelle ne fut pas ratifiée avant la mort du testateur. Elle est en même temps un pacte, cette promesse de Dieu, parce qu’elle a une condition qui lui est annexée, Car le testateur divin ne veut donner l’héritage éternel qu’à ceux qui observeront ses lois. Et c’est pour cette raison qu’elle est dite à la fois un testament et un pacte. C’est donc de la même chose que parlent Moïse dans l’Exode 24, et saint Paul dans sa lettre aux Hébreux 9. Et ce que Moïse appelle pacte, il ne l’entend pas au sens de n’importe lequel pacte, mais de celui du don de l’héritage après la mort du testateur. Et c’est pour cela qu’il aspergea le peuple avec un sang qui était la figure du sang du Christ versé pour nous. Et quand saint Paul parle d’un testament, il ne pense pas à un testament quelconque, mais à un testament conditionnel, c’est-à-dire, à un testament qui est en même temps un pacte.


CHAPITRE 18 Les lettres de saint Jacques, de saint Jude, la deuxième de saint Pierre, la deuxième et la troisième de saint Jean.



Quelques-uns ont eu autrefois des doutes sur l’apostolicité de ces épitres. En témoignent Eusèbe au livre 3, chap 25 de son histoire ecclésiastique, et saint Jérôme dans son livre des hommes illustres au sujet de saint Jacques, de saint Jude, de saint Pierre, et de saint Jean. Les auteurs modernes comme Luther dans les prologues de ces épitres, Brentius, Kemnitius, et les Centuries, aux lieux cités dans le chapitre précédent, n’ont que du mépris pour les épitres de saint Jacques et de saint Jude. Et ils doutent de la canonicité des autres. Bien que Luther, dans son prologue à l’épitre aux Hébreux, ait placé la dernière épitre de saint Pierre parmi les livres canoniques. Érasme, dans ses annotations à ces épitres, estime que l’épitre de Jacques n’a pas la marque de la gravité apostolique. Sur la seconde épitre de Pierre, il a des doutes. Il prétend que la deuxième lettre et la troisième lettre de saint Jean ne sont pas de lui, mais d’un autre. De la lettre de Jude, il ne dit rien. Cajetan a des doutes sur les auteurs des épitres de saint Jacques, de saint Jude, de la deuxième et de la troisième épitre de saint Jean; et, pour cette raison, il veut qu’on leur accorde une importance moindre que celle qu’on apporte aux autres. Mais Calvin les reçoit toutes, ainsi que les Calvinistes dans la confession de Pissiacensi, art 3.


Il ne nous est pas permis à nous de penser autre chose qu’elles sont apostoliques et divines. On peut en donner la preuve pour toutes ensemble : elles sont toutes placées dans le canon aux noms des apôtres saint Pierre, saint Pacques, saint Jean, et saint Jude par le concile de Laodicée, de Carthage 111, de Florence et de Trente, aux lieux cités plus haut. Par Innocent dans sa lettre à Exupérium 3, et par Gélase au concile des 70 évêques. Pat Origène également, homélie 7 dans Josué, par Épiphane à l’hérésie 78, par saint Athanase dans sa synopsis, par saint Jérôme dans son épitre à Paulin au sujet de l’étude des saintes Écritures, par saint Augustin au livre 2 de la doctrine chrétienne, chap 8, par Ruffin, dans son exposition du symbole, par saint Isidore dans son livre 6 des étymologies, chap 1, par saint Jean Damascène, livre 4, chap 18. On peut aussi en donner la preuve pour chaque livre pris individuellement. Car le concile milevitanum se sert, au chapitre 7, de l’épitre de saint Jacques pour prouver un dogme ecclésiastique. C’est la même épitre que cite saint Denys l’aréopagite dans les noms divins, chapitre 4, saint Cyprien dans son livre à Novatien, saint Augustin dans son épitre 29, saint Jérôme et beaucoup d’autres. Cette épitre est lue dans l’Église sous le nom de Jacques l’apôtre.


La deuxième épitre de Pierre est citée sous le nom de Pierre par Higin, épitre 2, par saint Grégoire dans son homélie 18 sur l’Église, et par plusieurs autres. On la lit dans l’Église le jour de la transfiguration. De plus, ou il faut confesser que cette épitre est de Pierre, ou qu’elle contient une erreur intolérable, ce que personne, jusqu’à présent, n’a osé dire. Car, au chapitre 2, l’auteur dit : « Cette parole nous l’avons entendue, quand nous étions avec lui sur la sainte montagne ». Il est certain que quand le Seigneur s’est transfiguré sur la sainte montagne, Pierre, Jacques et Jean étaient seuls avec lui, comme le témoigne l’évangile de saint Matthieu, 17. L’auteur de cette épitre est donc ou un fieffé menteur ou un des trois apôtres qui étaient avec Jésus sur le mont Thabor. Et bien qu’en ce qui a trait à l’autorité apostolique de cette épitre, il importe peu qu’elle soit de Pierre, il est certain qu’elle n’est ni de Jacques, ni de Jean. D’abord, parce que personne ne l’a jamais prétendu, et ensuite parce que l’auteur de cette épitre, au tout début, se donne ouvertement le nom de Simon Pierre, apôtre de Jésus-Christ. Persuadé par cet argument, Bède le vénérable, dans son commentaire sur cette épitre, se demande quelle raison pourraient bien apporter ceux qui doutent de l’authenticité de cette épitre.


L’épitre de saint Jude est citée comme épitre de saint Jude par Denys l’aréopagite, dans son livre des noms divins au chapitre 4. Par Tertullien, dans son livre de l’habillement de la femme, par saint Cyprien dans son livre à Novatien, et très fréquemment par ceux qui vinrent après eux. Origène s’en sert pour lui faire témoigner d’une vérité de foi au livre 3 et chapitre 5 de la lettre aux Romains. Épiphane également, à l’hérésie 76, et saint Jérôme dans le chapitre 1 de la lettre à Titus, et dans le catalogue de l’Écriture. La deuxième épitre de saint Jean est citée par saint Cyprien dans le livre 2 des sentences du concile de Carthage, près de la fin. La troisième épitre de saint Jean est citée par Denys l’aréopagite dans sa hiérarchie céleste, chap 3.


Mais les arguments contre ne manquent pas. D’abord, l’argument d’Érasme contre la lettre de saint Jacques. Si cette lettre est de saint Jacques, elle sera certainement celle du premier évêque de Jérusalem, dont les actes des apôtres rapportent tant de choses, ainsi que l’épitre aux Galates. Mais que cet auteur ne soit pas vraiment l’un des douze, nous l’apprenons du commentaire de saint Jérôme de la lettre aux Galates, chapitre 1, où il dit qu’ils se trompent gravement ceux qui disent que cette épitre est l’œuvre de l’un des douze.


Je réponds que cet argument d’Érasme repose sur un mensonge flagrant. Car saint Jérôme ne dit pas que se trompent ceux qui pensent que ce Jacques est l’un des douze, mais ceux qui pensent qu’il est le frère de Jean, celui qu’Hérode a décapité. Que cet auteur est l’un des douze il l’enseigne et le prouve dans son livre contre Helvidius par les mots suivants : « Il n’y a aucun doute qu’il y eut deux apôtres à porter le nom de Jacques : Jacques fils de Zébédée, et Jacques fils d’Alphée. Ce ce Jacques le mineur que l’Écriture présente comme fils de Marie, mère du Seigneur, veux-tu qu’il soit un apôtre, oui ou non ? S’il est un apôtre, il sera le fils d’Alphée. S’il n’est pas un apôtre, mais un soi-disant troisième Jacques, comment peut-on penser qu’il est le frère du Seigneur ? Et pourquoi ce troisième Jacques serait-il appelé mineur pour le distinguer du majeur, puisque la différence entre mineur et majeur ne porte pas sur trois personnes, mais sur deux ? Et qu’il y ait un Jacques frère du Seigneur, saint Paul le dit en toutes lettres : « Je n’ai vu aucun autre apôtre que le frère du Seigneur ». Et cela, on peut le prouver de plusieurs façons. Mais comme je n’en vois pas la nécessité pour le moment, puisque je recherche la concision, je ne dirai que ceci. Si ce Jacques-ci n’est pas un des douze apôtres, l’Église ne fera jamais mention de l’un des douze. Car, il découle clairement de l’évangile de Matth 19, qu’il y ait eu deux Jacques dans le collège des douze apôtres, un Jacques fils de Zébédée, et un Jacques fils d’Alphée. Or, l’Église ne fait mémoire que de Jacques, frère de Jean, le 25 juillet, et du Jacques qui a écrit la lettre et qui a été évêque de Jérusalem, le premier mai. Si celui-là n’est pas le Jacob fils d’Alphée, l’Église ne fait jamais mémoire de lui, ce qui est absurde


Le deuxième argument. L’auteur de cette épitre n’utilise pas la salutation coutumière des apôtres, mais parle comme un être humain quelconque : « Jacques, serviteur de Jésus Christ, Dieu et notre Seigneur, aux douze tribus qui sont dans la dispersion, salut ». Il n’est donc pas vraisemblable que cette lettre soit de l’apôtre Jacques. Je donne la réponse qu’en a donnée Cajetan. « Si cette salutation est considérée comme profane, celle que l’on trouve dans les Actes des apôtres sera encore plus profane : « Frères apôtres et anciens, à ceux qui sont à Antioche, en Syrie et Cilicie, frères provenant des Gentils, salut ! » Or, aucun catholique n’osera blâmer cette appellation en la disant profane. Celle de Jacques ne doit donc pas être blâmée non plus.


Le troisième argument contre cette épitre est celui des Magdebourgeois dans la centurie 1, livre 1, chap 4, col. 54, et les lignes qui suivent. Eusèbe affirme dans le livre 2 de son histoire ecclésiastique, au chapitre 23 que cette épitre et celle de Jude sont apocryphes. Elles n’ont donc pas d’autorité. Je réponds que cela est un mensonge, non un argument. Voici les propres paroles d’Eusèbe au lieu cité : « On doit savoir que ces épitres ne sont pas reçues par certains. » Et il ajoute : « Cependant, nous savons, nous, que ces lettres sont reçues avec les autres par les Églises ».


Le quatrième argument. Cette épitre s’éloigne grandement de l’analogie de la doctrine apostolique. Car, au chapitre 2, elle n’assigne pas la justification à la foi seule, mais aux œuvres, alors que saint Paul dit, aux Romains, que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres. Je réponds que, par cet argument, les luthériens confessent qu’ils sont les fils de ces anciens hérétiques, contre lesquels cette épitre a été écrite. Écoute donc ce que saint Augustin écrit dans son livre de la foi et des œuvres au chapitre 14. « Pour que, par une fausse sécurité, ils ne perdent pas leur salut, veillons donc à expulser des cœurs des fidèles, l’idée que la foi suffit pour l’obtenir; et exhortons-les à ne pas négliger de marcher dans la voie de Dieu par les bonnes œuvres. Car, même au temps des apôtres, pour ne pas avoir bien compris certaines paroles obscures de saint Paul, certains ont pensé pouvoir parler ainsi ». Et plus bas : « Parce que cette hérésie naquit en ce temps, les autres épitres apostoliques, celles de Pierre, de Jacques, de Jean, de Jude se sont appliquées ardemment à la combattre. Ces apôtres ont affirmé avec force que la foi sans les œuvres n’est d’aucun profit. La foi que prêche saint Paul lui-même n’est pas une simple foi par laquelle on croit en Dieu, mais une fois évangélique et vraiment salutaire, celle d’où les œuvres procèdent par la charité ».


Je répondrai à l’argument avec la préface de saint Augustin au psaume 31 : « Les apôtres ne combattent pas l’un contre l’autre. Car saint Paul parle de la première justification par laquelle l’injuste devient juste. Et par le nom d’œuvres, il entend les œuvres qui sont faites sans la foi et la grâce, par les seules forces du libre arbitre. Jacques, lui, parle de la seconde justification, par laquelle un juste devient plus juste. Selon ce mot de l’Apocalypse : « Celui qui est juste, deviendra plus juste encore». Et par le nom d’œuvres, il entend les œuvres qui se font avec la foi et avec l’aide de la grâce de Dieu. Car, comme l’homme ne peut se procréer lui-même, ou se ressusciter des morts, il peut quand même, après être né, se nourrir et croître. De la même façon, le pécheur ne peut pas se rendre juste lui-même, mais, quand il est devenu juste, il peut, par ses œuvres, augmenter sa justice. Mais cette question sera traitée plus pleinement en son lieu.


Le cinquième argument. Cette épitre garde le silence sur l’œuvre du Christ, sur la doctrine de la foi, et ne prêche que les œuvres. Les apôtres avaient coutume de toujours insérer quelque chose qui se rapporte à la doctrine de la foi. Je réponds. C’est à dessein que saint Jacques a mis tout son effort pour recommander les œuvres, comme nous l’avons expliqué plus haut en citant saint Augustin, pace que les évangélistes et saint Paul avaient suffisamment insisté sur la foi. Et parce que ceux contre lesquels il écrivait insistaient trop sur la doctrine de la foi, et négligeaient les bonnes œuvres. Si on doit rejeter cette lettre comme apocryphe parce qu’elle porte presque en entier sur une exhortation à la pratique des bonnes œuvres, il faudra considérer comme apocryphes les proverbes et l’Ecclésiaste de Salomon, parce qu’on ne trouve rien d’autre en eux que des sermons sur les mœurs. Et si les proverbes et l’Ecclésiaste figurent parmi les livres sacrés, il n’y a aucune raison de rejeter une lettre qui leur est semblable.


Le sixième argument. Cet auteur, aux chapitres 1 et 2, appelle la loi de l’ancien testament une loi de liberté. Mais saint Paul, aux Galates 4, l’appelle une loi de servitude. Ces lettres ne peuvent donc pas être toutes les deux apostoliques. Or, comme il est certain que l’épitre aux Galates est apostolique, celle qui porte le nom de Jacques n’est donc pas apostolique, mais est contraire à la doctrine apostolique. Je réponds que saint Jacques ne parle pas de l’ancien testament mais du nouveau, quand il l’appelle une loi de liberté. Il leur parait, à eux, que saint Jacques parle de l’ancien testament parce qu’il fait mention des dix commandements, car ils se sont imaginés que la nouvelle loi ne comporte aucun précepte, mais seulement des promesses de grâce et la prédication de la foi. Ils se trompent en cela, sans aucun doute possible, car les préceptes du décalogue ne s’imposent pas moins aux chrétiens qu’aux Hébreux, comme on peut le voir chez Matt 5, et en d’autres endroits. Mais la différence entre les deux testaments consiste en ceci. L’ancien testament présentait des lois, mais ne donnait pas les forces pour les observer. C’est pour cette raison qu’on la disait, et qu’elle était, une loi de crainte et de servitude. Le nouveau testament, par contre, apporte la grâce avec les lois, avec l’aide de laquelle on observe les préceptes facilement, librement et volontairement. C’est pour cette raison qu’on dit que les chrétiens ne sont plus sous la loi, et qu’il n’y a plus de loi pour les justes. Ce n’est donc pas parce qu’ils n’ont plus l’obligation de l’observer, mais parce que la loi ne les écrase plus, ne les oppresse plus, car c’est volontairement et joyeusement qu’ils servent.


Mais écoutons saint Augustin qui enseigne ces choses dans son livre de la nature et de la grâce, au chap 57 : « Si vous êtes conduits par l’Esprit saint, vous n’êtes plus sous la loi, c’est-à-dire sous une loi qui suscite la crainte, n’accorde pas la charité, cette charité de Dieu qui est diffusée dans nos cœurs, non par la lettre de la loi, mais par l’Esprit saint qui nous est donné. Voilà quelle est la loi de liberté, non de servitude, de charité, non de crainte, de laquelle l’apôtre Jacques dit lui aussi : « Celui qui examinera soigneusement la loi de la parfaite liberté, etc ». Et, au chapitre 6 des Galates, il dit : « La même écriture, et le même commandement quand ils pressurent des esclaves qui n’aspirent qu’aux biens terrestres est appelé ancien commandement, mais ils sont appelés nouveau testament, car ils rendent libres ceux qui désirent les biens éternels ». Et au livre de la continence : « Nous ne sommes pas sous la loi qui commande le bien mais qui ne le donne pas; nous sommes sous la grâce, qui, nous faisant aimer ce que la loi ordonne, peut donner des ordres à des hommes libres ».


Le septième argument. L’auteur de cette épitre tire des témoignages des lettres de Paul et de Pierre. Il ne fut donc pas un apôtre, mais un de leurs disciples. Je réponds que, dans cette lettre, aucune parole de Pierre ou de Paul n’est citée. Leur erreur vient du fait qu’ils ont vu, en marge du texte, des citations de Pierre et de Paul. Mais même dans les marges des lettres de saint Paul, on rencontre des citations de Pierre ou d’autres apôtres. Et dans les marges de la première épitre de saint Pierre et de la première de Jean, sont cités plusieurs passages des lettres de saint Paul. On ne met pas en doute ces épitres pour cette raison. Ces annotations ne signifient donc pas qu’un apôtre en cite un autre, mais qu’on trouve des phrases semblables chez différents apôtres. C’est le Saint Esprit qui fait cela pour nous montrer qu’il n’existe qu’un seul et même auteur de toutes ces lettres. Nous voyons la même chose chez les prophètes. Isaïe et Michée ont vécu au même temps, puisque ils déclarent tous les deux, au début de leur livre, qu’ils ont vécu aux temps de Joathan, et d’Achas et Ezechias roi de Juda. Et nous découvrons que la prophétie insigne du Christ a été faite par Isaïe et par Michée dans les mêmes phrases et les mêmes mots.


Le huitième argument. L’auteur de cette épitre ne s’appelle pas apôtre du Christ, comme le fait Paul. Il n’est donc pas croyable qu’il soit un apôtre, mais plutôt un disciple d’un rang subalterne. Je réponds que si on prêtait foi à ce genre d’argument, il ne faudrait pas rejeter seulement l’épitre de saint Jacques, mais aussi celles de saint Paul et de saint Jean. Car, saint Paul dans son épitre aux Philippiens, dans ces deux épitres aux Thessaloniciens, et dans celle à Philémon ne se donne pas le nom d’apôtre du Christ, mais ou il s’appelle serviteur, ou il n’ajoute rien à sa signature. Saint Jean ne s’appelle un apôtre ni dans son apocalypse, ni dans ses épitres.


Contre l’épitre de Jude les Magdebourgeois font quatre objections. La première, qu’il ne s’appelle pas un apôtre, a déjà été résolue. La seconde. Saint Jude, citant un passage de la deuxième épitre de saint Pierre, affirme avoir vécu après les apôtres, quand il dit : « Souvenez-vous des paroles qui ont été prononcées par les apôtres de notre Seigneur Jésus Christ. Ils vous disaient que, dans les derniers temps, viendraient des hommes trompeurs… » Je réponds que Jude a vécu en même temps que les apôtres, mais que sa lettre est postérieure à celles de Pierre et de Paul. Il a donc pu facilement citer des passages de leurs lettres. D’autant plus que saint Pierre, dans sa deuxième lettre, fait mention des épitres de saint Paul, même s’ils ont vécu en même temps, et s’ils ont été couronnés ensemble.


Le troisième argument. Jude n’a pas prêché en Judée, mais en Perse. Si donc il avait écrit quelque chose, il l’aurait fait en perse et non en grec. Je réponds que même si Jude a prêché en Perse, ce n’est pas aux Perses qu’il a écrit sa lettre, mais aux Grecs dispersés par toute la terre. C’est à eux également que Pierre et Jacques écrivaient. Ce n’est pas sans raison qu’il écrivait en grec, car cette langue était alors la langue la plus usitée. De plus, qui ne voit l’ineptie de cet argument : Jude a prêché en Perse, il devait donc écrire en perse. Si cet argument avait quelque poids, il faudrait en conclure que Pierre, qui vivait à Rome, devait écrire en latin et non en grec; que Matthieu, qui a prêché en Éthiopie, devait écrire son évangile en langue éthiopienne; et que Paul, quand il prêchait en Italie devait écrire à Timothée, à Philémon ou Hébreux, en latin et non en grec ou en hébreu.


Le quatrième argument. Jude rapporte l’histoire de l’altercation de Michel Ange et du diable au sujet du corps de Moïse, et une certaine prophétie d’Hénoch. Mais on ne lit rien de cela dans les écrits reconnus. Il faut donc ranger cette épitre parmi les écrits apocryphes. Je réponds que même si Tertullien, dans son livre des vêtements féminins, prétend que le livre d’Hénoch est canonique, et même si Bède le vénérable affirme qu’aux temps des Juifs ce livre vrai et canonique était dans les mains de tous, il est quand même plus probable qu’il soit apocryphe. Mais, comme le dit saint Jérôme au chapitre premier de la lettre à Titus, et saint Augustin au livre 5 de la cité de Dieu, chap 23, et au livre 18, chap 38, il y a du vrai même dans les livres apocryphes. Ce qui n’est pas une raison suffisante pour approuver le livre au complet. Nous avons aussi l’exemple de saint Paul qui, dans les actes des apôtres 17, 1 dans sa première épitre aux Corinthiens, 15, et dans la lettre à Titus 1, cite des poètes païens, Arato , Ménandre et Épiménide, sans, pour autant, consacrer ces écrivains profanes.


Cajetan dit que saint Jude ne cite pas le livre d’Hénoch comme apocryphe, mais comme prophétique. Je réponds, avec saint Augustin, au livre 15, chapitre 23 de la cité de Dieu, qu’il n’est pas permis de douter mais de croire qu’Hénoch a écrit quelque chose de prophétique et de divin, et que c’est sa prophétie qui est contenue dans le livre cité par saint Jude. Mais ce livre est considéré comme apocryphe parce que cette véritable prophétie, que cite saint Jude, est entourée de beaucoup choses douteuses et d’affabulations.


Contre la deuxième épitre de saint Pierre on objecte la différence de style entre la première et la deuxième. Or, la première est certainement de Pierre. Cette objection vient d’Érasme. Mais les Magdebourgeois sont d’un avis en tout point contraire. Il leur semble à eux que le style de la deuxième lettre est très semblable à celui de la première. Saint Jérôme a cela à dire dans sa question 11 à Hebdibiam au sujet de la diversité du style. Elle provient, dit-il, tout simplement de la diversité des traducteurs, car saint Pierre ne se servait pas toujours du même.


Contre la deuxième épitre et la troisième épitre de saint Jean, on ne peut présenter que Papias d’après Eusèbe, au livre 3, chapitre 39 de son histoire ecclésiastique, et saint Jérôme dans son livre des hommes illustres, en parlant de Jean. Papias raconte qu’il y a eux deux Jean, un apôtre, et un ancien. Et, parce que l’auteur de ces lettres ne se donne pas le nom d’apôtre, mais d’ancien, il est vraisemblable, selon lui, que ces deux brèves épitres aient été écrites par l’ancien plutôt que par l’apôtre. Cette supposition parait bien légère quand on l’oppose au grand nombre de conciles, de pontifes et des pères qui attribuent ces deux lettres à l’apôtre saint Jean. Surtout si l’on considère que Papias n’a jamais dit que ces deux épitres n’étaient pas de l’apôtre saint Jean (car il ne fait que nommer les deux Jean, et ne dit pas un mot sur l’auteur des lettres), et qu’on a raison d’appeler ancien l’apôtre Jean, lui qui a survécu à tous les apôtres, et qui est mort à un âge très avancé. Saint Jérôme fut loin de douter de l’apostolicité de ces épitres, car sur le point de les citer dans son épitre 85 à Évagre, il commence ainsi : « Elle résonne la trompette évangélique, le fils du tonnerre que Jésus aimait plus que les autres, celui qui a bu des fleuves de doctrine de la poitrine du Sauveur ».
 

1 mars 2017 à 19:29


CHAPITRE 19 L’Apocalypse



Les Marcionistes figuraient parmi les anciens hérétiques qui rejetaient l’Apocalypse de Jean, au témoignage de Tertullien dans le livre 4 contre Marcion. Il y avait aussi les Alogiens et les Théodotiens, au témoignage d’Épiphane, dans les hérésies 51 et 54. Parmi les nouveaux hérétiques, on trouve Luther. Dans son prologue à ce livre, il dit qu’il manque quelque chose, car l’Apocalypse affirme que seront heureux ceux qui observeront les choses qui sont écrites, alors que personne ne comprend quelles sont ces choses. Dans sa préface du nouveau testament, il dit  qu’il ne reconnait l’Apocalypse ni comme un livre prophétique ni comme un livre apostolique, mais comme un écrit semblable à celui d’Esdras. Brennius et Kemnitius, aux lieux cités, se disent de l’avis de Luther. Mais les Magdebourgeois dans la centurie 1 du livre 2, chap 4, col 56, renvoient Luther à Calvin, et combattent énergiquement avec ce dernier en faveur de l’Apocalypse, contre les Luthériens. Érasme, à la fin de ses annotations, émet anxieusement plusieurs conjectures, et conclut de là que ce livre n’est pas de l’apôtre Jean.


Ne manquèrent pas non plus, par le passé, les catholiques qui doutèrent de la canonicité ou de l’auteur de ce livre. Car, un ancien auteur du nom de Cajus, attribuait ce livre à l’hérétique Cérinthe, au témoignage d’Eusèbe, dans le livre 2, chap. 28 de son histoire ecclésiastique. Denys d’Alexandrie rejette cette opinion de Cajus citée par Eusèbe, et affirme que ce livre est divin et canonique. Mais il doute s’il est de l’apôtre saint Jean ou d’un autre du même nom. Saint Jérôme, dans son épitre à Dardanum, déclare que les Grecs ont douté de l’authenticité de ce livre contre le consentement universel des Latins, comme les latins ont douté de l’authenticité de l’épitre aux Hébreux contre le consentement unanime des Grecs.


Que l’Apocalypse soit vraiment un produit de l’apôtre Jean, qu’il soit un livre divin et admirable, nous pouvons facilement le prouver. D’abord, à partir des conciles. Car, dans le concile d’Ancyre, avant 1200 années, au dernier chapitre, on le cite sous le nom de Jean. Dans celui de Carthage 111, can 47, et dans le concile romain sous Gélase 1, ce livre est énuméré parmi les livres sacrés et canoniques. De même, au concile de Tolède 4, chap 16. De nombreux papes et conciles confirment que l’Apocalypse est vraiment canonique et divin, et qu’il est l’œuvre de saint Jean l’apôtre.

On peut prouver la même chose avec les pères grecs et latins. Car Denys l’Aréopagite au chapitre 3 de sa hiérarchie ecclésiale, dit que l’apocalypse est une vision mystérieuse et divine du disciple bienaimé. Vers le milieu de son dialogue avec Triphon, saint Justin affirme que l’apocalypse est de Jean l’apôtre, et en fait des commentaires, comme l’explique saint Jérôme dans son livre des hommes illustres au mot Jean. Saint Irénée, vers la fin du livre 5, déclare que l’apocalypse est de Jean l’apôtre, et qu’elle a été écrite presque en son siècle, à la fin du règne de l’empereur Domitien. Et il en a fait des commentaires, d’après saint Jérôme dans son livre des hommes illustres au mot Jean. Théophile d’Antioche, Méliton de Sardaigne et Denys d’Alexandrie, évêques grecs très anciens et très doctes, ont reçu l’apocalypse comme un livre divinement écrit, au témoignage d’Eusèbe de Césarée, au livre 4, chap 24 et 26, et au livre 7, chap 23. Clément d’Alexandrie, livre 2, pédagogue, chap 12 cite l’Apocalypse. Origène, dans son homélie 7 sur Josué et dans le psaume premier, attribue l’Apocalypse à Jean l’apôtre. Et c’est ce que font aussi Eusèbe dans sa chronique de l’année du Seigneur 96, Athanase dans sa synopsis, Épiphane dans les hérésies 51 et 76. Saint Jean Chrysostome dans son homélie 3 sur le psaume 91, et saint Jean Damascène, livre 4, chapitre 18, reconnaissent que l’apocalypse est sacrée, et qu’elle est de Jean. Il est donc nécessaire que les Grecs qui, au témoignage de saint Jérôme, n’acceptaient pas l’apocalypse, aient été peu nombreux et obscurs.


On le prouve enfin par le consentement unanime des pères latins. Car, Tertullien, dans son livre 4 contre Marcion, affirme que l’apocalypse est de l’apôtre Jean. Saint Cyprien, dans son exhortation aux martyrs, aux chapitres 3, 8, 10, 11 et 12 cite souvent l’Apocalypse parmi les autres écritures divines. C’est ce que fait également saint Hilaire dans sa préface aux psaumes. Saint Ambroise, au psaume 40, dit que l’apocalypse est de Jean l’évangéliste. Saint Augustin dans son traité 36 sur saint Jean, dit que l’apocalypse est du même Jean qui a écrit l’évangile; et au livre 2, chapitre 8 de la doctrine du Christ, il le rapporte parmi les livres sacrés et divins. Ce que fait également le pape Innocent 1 dans son épitre 3 à Exupérium, et Ruffin dans son exposition du symbole, ainsi que saint Isidore dans le livre 6, chap 1 de ses étymologies. Ce n’est pas seulement dans lettre à Paulin sur l’étude des Écritures que saint Jérôme enseigne que l’Apocalypse est de Jean, mais dans sa lettre à Dardane sur la terre promise, il affirme que c’est là l’opinion de tous les latins. Enfin, Sulpice, au livre 2 de son histoire sacrée, déclare que c’est sottement et de façon impie que quelques-uns la rejettent.


L’objection de Luther. « L’Apocalypse nous dit qu’est bien heureux celui qui conserve ces paroles, alors que personne n’en comprend le sens ». Même s’il y a plusieurs prophéties obscures dans ce livre, il y a également des préceptes de vie très clairs, comme la constance à avoir dans les persécutions, la haine à nourrir envers les hérésies, la fuite des pseudos prophètes etc. Le dessein et la visée de ce livre ne sont rien d’autre qu’une exhortation à la persévérance et à la patience en temps de persécution. Ce qui est clair et facile à comprendre.


Mais venons-en à l’intervention d’Érasme. Il fait l’objection suivante. Il parle d’abord des auteurs qui n’avaient pas gardé de souvenir de ce livre comme Dorothée et Anastase, et de ceux qui doutèrent qu’il fût de Jean l’apôtre comme Denys d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée. Il note qu’il fait souvent mention de son nom : « moi, Jean, moi Jean », comme s’il rédigeait un contrat au lieu d’écrire un livre. Tandis que le vrai Jean, lui, parle modestement de lui, et ne se nomme jamais dans son évangile. Enfin, il dit que dans les bibles grecques on ne trouve pas Jean l’apôtre, mais Jean le théologien.


Ces objections ne valent pas grand-chose. Car, pour deux qui ne se souvenaient pas de ce livre, et pour deux qui eurent des doutes à son sujet, nous avons pu citer quatre conciles et plusieurs pères qui ont constamment attribué ce livre à l’apôtre saint Jean. Ce qui affaiblit encore l’objection c’est que cet Eusèbe de Césarée, qu’Érasme range parmi ceux qui ont des doutes, dit en toutes lettres dans sa chronique, qu’il ne doute en rien de l’auteur du libre et de sa canonicité. Dans la deuxième objection, nous déplorons le manque de modestie d’Érasme, lui qui ose accuser d’arrogance l’auteur de ce livre que toute l’Église a toujours vénéré comme sacrosaint. Ce n’est même pas vrai que ce « moi Jean » soit si souvent répété, puisqu’on ne le trouve en tout que trois fois. Ce n’est pas quelque chose de nouveau pour les prophètes de répéter souvent leur nom, car Daniel le répète au moins huit fois. Ensuite, le fait que l’auteur de ce livre ait été appelé théologien ne représente en rien une objection, car il n’y a jamais eu d’autre Jean à recevoir le surnom de théologien, en dehors de Jean l’apôtre et l’évangéliste. Et non sans motif, car, comme le note saint Augustin dans son traité 36 sur Jean, Jean est comparé à un aigle volant parce qu’il a écrit surtout sur la divinité du Christ, tandis que les autres évangélistes, qui ont parlé surtout de son humanité, sont comparés à des animaux qui marchent sur la terre. C’est pour cette raison que Denys l’Aréopagyte le salue sous le nom de théologien et d’apôtre. Saint Athanase aussi, et beaucoup d’autres l’appellent le théologien.

CHAPITRE 20 Les livres apocryphes
 

Après avoir expliqué le canon des livres saints, et après avoir répondu brièvement aux objections des adversaires, il nous reste à dire quelques mots de ces livres qui, même s’ils ont été considérés par certains comme canoniques, ne le sont aucunement, mais s’appellent de plein droit apocryphes. Le mot apocryphe vient du grec, et signifie dans leur langue une chose occulte et cachée. C’est ainsi que apokuptein signifie cacher, et apokruphè une cachette, un repaire. Mais les auteurs ecclésiastiques ne donnent pas toujours le même sens à ce mot. Car ils appellent apocryphes les écritures dont on n’est pas certain qu’elles soient canoniques et divines, même s’il est évident que ne se trouve en elles aucune erreur. C’est ainsi que saint Jérôme entend ce mot dans son prologue à l’épitre aux Galates. Il dit qu’on doit énumérer parmi les livres apocryphes tous ceux qui ne se trouvent pas dans le canon. On appelle aussi apocryphes des livres qui ont des erreurs mêlées à des vérités. C’est dans ce sens qu’Origène emploie ce mot dans son homélie 1 sur le cantique des cantiques; saint Jérôme dans sa lettre à Laeta sur l’éducation des filles, et saint Augustin dans son livre 15, chap 29 de la cité de Dieu. C’est ce sens que fait sien le pape Gélase dans son décret sur les livres ecclésiastiques : il appelle apocryphes ceux qui sont édités par des auteurs hérétiques ou suspects pour de bonnes et justes raisons.

Ne semble pas probable ce que dit la glose dans le canon de sainte romaine, dist 15, à savoir qu’on appelle apocryphes les livres dont on ignore les auteurs. Car, alors, beaucoup de livres saints seraient apocryphes, comme les livres de Judith, de Ruth, de Job, du premier des Maccabées, et de beaucoup d’autres dont on ne sait rien du nom des auteurs. Ce qui est tout à fait contraire à la façon habituelle de parler de l’Église. Car qui a déjà entendu dire qu’un livre canonique est apocryphe ? Plusieurs livres apocryphes ont été énumérés par le pape Gélase, comme on le trouve dans la distinction 15 du canon sur la sainte romaine, par le pape Innocent 1 dans son épitre 3, par Athanase dans la synopsis, et par Eusèbe de Césarée dans le livre 3, et le chapitre 25 de son histoire ecclésiastique. Mais la plupart de ces livres apocryphes n’existent plus. Ce qui a survécu jusqu’à nos jours c’es d’abord la prière du roi Manassé qu’on a coutume d’annexer aux livres Paralipomènes. Il nous semble pouvoir dire qu’elle est apocryphe ou certainement non canonique, parce qu’elle ne fait partie d’aucun livre saint, et qu’elle n’a jamais été placée nommément dans le canon par aucun concile, par aucun pontife, par aucun des pères cités plus haut. Elle ne se trouve ni dans l’édition hébraïque, ni dans la grecque, seulement dans la latine. Apocryphe aussi est le psaume 151 de David, dont se souvient Athanase dans la synopsis, et qu’on trouve dans les psautiers grecs. On dit que ce psaume est apocryphe parce que le concile de Laodicée au canon 59 et le concile romain sous Gélase, ainsi que le concile de Trente dans la session 4, ne reconnaissent, par leur nom, que 150 psaumes.
 

Apocryphe est aussi l’appendice au livre de Job qui ne se trouve que dans les bibles grecques. Car le concile de Trente, à la session 4, n’a voulu reconnaître comme canoniques que les livres de ceux qui sont dans l’édition latine de la vulgate. De plus, saint Jérôme, dans sa question sur la Genèse, montre qu’est faux ce qui se trouve dans cet appendice, à savoir que Job ait été de la lignée d’Ésaü, alors qu’il avait pour ancêtre Hus qui fut le fils de Nachor, frère d’Abraham, comme il est dit dans la Genése 22. Ajoutons que cet appendice s’appuie surtout sur l’autorité de la Genèse, chapitre 36, qui comte Jobab parmi les descendants d’Esaü. Or, le mot Job est bien différent du mot Jobab que l’on trouve dans la Genèse. Apocryphe aussi est la courte préface qui est placée au début des lamentations de Jérémie, car elle ne se trouve ni dans les codex hébraïques ni dans les bibles latines.
 

Il ne faut pas considérer comme moins apocryphe le livre d’Hermas qui porte le nom de Pasteur. Origène l’a considéré, il est vrai, comme divinement inspiré dans le livre 10 de l’épitre aux Romains. Tertullien, dans son livre sur l’oraison, en cite des passages, ainsi que saint Irénée dans son livre 4, chap 37, Clément d’Alexandrie dans son livre 6 des Stromata, saint Athanase dans son livre sur les décrets du concile de Nicée, Cassien dans la coll 15, chapitre 12. Eusèbe de Césarée a jugé ce livre utile au livre 3, chap 3 de son histoire ecclésiastique, ainsi que Ruffin dans son symbole, et saint Jérôme dans son livre sur les écrivains ecclésiastiques au nom Hermas. Mais aucun concile ne l’a jamais reçu comme canonique. Et le pape Gélase, dans son décret sur les livres ecclésiastiques, l’a rejeté du canon en termes précis. Saint Athanase, dans son livre sur les décrets de Nicée, et Théodoret dans le livre 1 de son histoire, chap 16, disent tous deux que c’était d’un livre non canonique, le pasteur, que les Ariens allaient puiser des arguments pour soutenir leur hérésie.
 

Enfin, apocryphes sont les livres 3 et 4 des Maccabées, ainsi que le troisième et le quatrième d’Esdras. Il est évident que le livre quatrième des Maccabées est un apocryphe, parce que seul saint Athanase en fait mention dans sa synopsis, en le plaçant en dehors du canon. Le quatrième livre d’Esdras est cité par saint Ambroise dans son livre sur le bien de la mort, dans son livre sur saint Luc, et dans sa lettre 21 à Horatien. Il est quand même, sans aucun doute possible, non canonique, car aucun concile ne l’a jamais considéré comme tel, et on ne le trouve ni en hébreu ni en grec. Et, au chapitre 6, il contient une fable sur le poisson Hénoch et le Léviathan que les mers ne pouvaient pas renfermer, ce qui est proche des rêveries des rabbins talmudiques. Et on se demande avec étonnement à quoi a bien pu penser Genebrardus quand, à la page 90 de sa chronologie, il a voulu faire entrer ce livre dans le canon.
 

Le troisième livre des Maccabées offre de plus grandes difficultés, car Clément d’Alexandrie, au canon 84 de son canon apostolique, place dans le canon trois livres des Maccabées. La difficulté n’est pas moins grande pour le troisième livre d’Esdras, car dans les codex grecs, c’est celui-là qu’on appelle le premier livre d’Esdras; et ceux que nous, nous appelons premier et deuxième, les Grecs les nomment deuxième. Il est donc vraisemblable que quand les pères et les anciens conciles plaçaient dans le canon les deux livres d’Esdras, ils pensaient aux trois en en nommant deux. Car ils suivaient la traduction des septante, dans laquelle nos trois livres d’Esdras sont comptés comme deux. Il est même arrivé que ce troisième livre d’Esdras soit cité par saint Athanase dans son troisième discours contre les Ariens, par sains Augustin au livre 18, chapitre 36 de la cité de Dieu, et par Clément d’Alexandrie au livre 1 de ses stromata, par l’auteur de l’homélie imparfaite 1 sur Matthieu, et par saint Cyprien dans son épitre à Pompée.
 

En ce qui a trait à la première difficulté, il semble probable que ce canon ne soit pas de saint Clément, car le pape Zéphirin, le quinzième après saint Pierre, dans son épitre 1 nous rapporte qu’il n’y a que 70 canons apostoliques. Mais d’autres n’en nomment que 60. Humbertus, dans son livre contre le concile de Nicée, n’en reconnait que 50. Or, celui-ci est le 84ième. Et il est certain que le pape Zéphirin connaissait mieux le nombre des canons que tous ceux qui sont venus longtemps après lui. Ce n’est donc pas sans raison que le pape Gélase dans la distinct 15 du canon de sainte romaine, plaça parmi les apocryphes des canons des apôtres qui semblaient avoir été corrompus ou ajoutés par des hérétiques. Il importe peu que dans les canons que l’on dit être du concile 6, au deuxième canon, 85 canons d’apôtres aient été approuvés. Car ces canons ne sont pas vraiment du sixième concile, mais d’un autre concile célébré après. Ce concile, non seulement le pape Serge, qui siégeait alors, ne l’a pas approuvé, mais il l’a réprouvé, comme il appert de Bède le vénérable, dans son livre des six âges, à Justinien.
 

De plus, dans ce canon 84, on énumère les livres canoniques, mais on en omet quelques-uns qui sont certainement canoniques, comme les livres d’Esdras, de Tobie, de Judith, de la Sagesse, de l’Ecclésiastique, de l’Apocalypse, chose qui n’est pas sans importance. Car l’Église qui exista après les apôtres, n’eut pas d’autre moyen que la tradition apostolique pour apprendre quels étaient les livres qui étaient canoniques et ceux qui ne l’étaient pas. Or, saint Clément a suivi avec la plus grande exactitude les traditions apostoliques, lui qui a vécu longtemps avec les apôtres saint Paul et saint Pierre, comme l’attestent saint Irénée, livre 3, chapitre 3, Eusèbe de Césarée au livre 5, chapitre 6 de son histoire ecclésiastique. Ceux donc que saint Clément n’a pas mis dans le canon sont manifestement non canoniques. En conséquence, ou les livres d’Esdras, de Tobie, de Judith et de l’apocalypse ne sont pas canoniques, ou ce décret n’est pas de saint Clément. Quelques-uns disent que saint Clément ne fait pas mention de l’apocalypse parce qu’elle n’avait pas encore été écrite en son temps. Mais cela ne tient pas debout, car l’apocalypse a été écrite à la fin du règne de Domitien, comme nous l’apprend saint Irénée, à la fin de son cinquième livre; et saint Clément est mort la troisième année de Trajan, comme nous l’apprend saint Jérôme dans son livre des hommes illustres. Saint Clément a donc pu lire l’apocalypse.
 

De plus, n’est-ce pas dans ce même canon 84 qu’il place l’évangile de saint Jean ? Or, l’apocalypse a été écrite avant l’évangile, comme l’attestent plusieurs graves auteurs. Eusèbe de Césarée au livre 3, chapitre 24 de son histoire ecclésiastique, dit ceci : « On rapporte que saint Jean, jusqu’à la toute fin de sa vie, a prêché l’évangile sans l’aide d’aucune écriture ». Saint Athanase dans sa synopsis dit : « L’évangile selon saint Jean a été prêché par Jean l’apôtre le bien aimé, quand il était en exil dans l’île de Patmos; et il fut édité par la suite à Éphèse ». Épiphane, dans l’hérésie 51 qui porte sur les Alogores, écrit en toutes lettres que c’est après qu’il eut quatre-vingt-dix ans qu’il édita son évangile, et après son retour de l’île de Patmos .» Théophylacte, Euthyme, Bède le vénérable et Rupert dans la préface à son commentaire sur saint Jean, enseignent d’un commun accord que c’est à Patmos, ou après son retour de Patmos que saint Jean a écrit et édité son évangile. Ne répugne pas à cela ce que dit Denys l’aréopagyte dans son épitre sur saint Jean qui s’en va en exil. Car Denys appelle Jean le soleil de l’évangile, et son théologien céleste, non à cause d’un écrit qui porterait son nom, mais à cause de sa divine et admirable prédication.
 

Ensuite, dans ce même canon 84, on énumère parmi les livres saints, non seulement le troisième livre des Maccabées, mais même les deux lettres de saint Clément, et les constitutions apostoliques de ce même Clément, livres que l’Église n’a pourtant jamais reconnus comme canoniques. Or, si canon était vraiment de saint Clément, l’Église ne pourrait pas, sans une grande témérité, ne pas recevoir ces livres, car saint Clément était souverain pontife, et les canons apostoliques c’est lui-même qui les a composés, ou, ce qui est plus vraisemblable, les a recommandés par lettres comme ayant été faits par les apôtres. Or, il n’est pas permis à l’Église de récuser des lois apostoliques, hormis celles qui ont déjà été abrogées, parce qu’elles se rapportaient plus aux besoins passagers d’un temps qu’à la vérité des dogmes, comme les prescriptions portant sur le sang et la suffocation.
 
 

À l’autre difficulté je réponds que même si dans les codex grecs les deux livres d’Esdras sont pour nous trois, il ne faut pas penser pour cela que les conciles des premiers siècles et les anciens pères, qui placent dans le canon deux livres d’Esdras, entendent par ces deux livres nos trois livres. Car un grand nombre d’anciens, comme Mélito, Épiphane, saint Hilaire, saint Jérôme, Ruffin, dans le canon qui parle de l’ancien testament, ont suivi les Hébreux, non les Grecs. Or, les Hébreux n’ont pas de troisième livre d’Esdras. Ensuite, au bréviaire et à la messe on ne lit jamais rien de ce troisième livre. Ce qui est un bon argument pour démontrer que, depuis très longtemps, ce livre n’a pas été placé parmi les livres sacrés. De plus, le pape Gélase, dans le concile romain des soixante-dix évêques, ne met qu’un seul livre d’Esdras dans le canon. Par ce livre unique il entend certainement nos deux livres, comme saint Jérôme l’atteste dans sa préface à Esdras, deux volumes contenus dans un. Voilà pourquoi le pape Gélase rejette celui qui, chez les Grecs, est le premier

Ensuite, saint Jérôme, dans sa préface à Esdras, dit clairement que le troisième livre et le quatrième livre d’Esdras ne figurent ni chez les Hébreux, ni chez les Septante. C’est pourquoi, même si certains codex grecs ont trois volumes d’Esdras en deux livres, ils ne les considéraient pas comme plus corrects. Les pères grecs se servent de temps en temps de témoignages tirés de ce livre, que même nous, nous n’estimons pas inutile, mais ils le font rarement, et ne l’appellent jamais sacré et divin.
 

TTTTTT

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, juillet 2017.