18 sept 2019
CONTROVERSE SUR LE
SACREMENT DE MARIAGE = 33 ch
LIVRE UNIQUE
Il y a sept controverses sur
le sacrement de mariage. La première
porte sur le genre : est-il un sacrement de la nouvelle loi ? La deuxième porte sur la matière, la forme et
le ministre. La troisième sur l’unité du
mariage. La quatrième sur l’indissolubilité
ou le divorce. La cinquième, sur les
empêchements. La sixième, sur le juge
des causes matrimoniales. La septième,
sur les cérémonies.
Ont écrit sur le mariage
contre les hérétiques Thomas Waldensis
(tome 2, chapitre 130 et suivants), Jean
Roffensis (dans sa défense du livre du roi Henri V111), Alphonse a Castro (livre 2 contre les
hérésies, au mot nuptiae), Ruardus Tapperus (dans l’explications des articles
18, 19 et 20 des docteurs de Louvain),
Pierre a Soto (dans l’institution des prêtres, et dans des leçons sur le
mariage), Dominique a Soto (4, dist 26).
Le cardinal Hosius (explication
du symbole, chapitres 55 et 56),
Guillaume Lindanus (livre 4 de la panoplie, chapitre 94,
Jean Eck (tome 4 sur les sermons,
sermon 69, à la fin), Tilmann
(dans son livre sur les sept sacrements, chapitre 6), François Victoria (dans sa relecture du mariage), Javellus
(dans son livre sur la philosophie chrétienne, cinquième partie).
PREMIÈRE CONTROVERSE
LE MARIAGE EST-IL UN
SACREMENT PROPREMENT DIT
Les premières controverses
auront cinq parties, car il faut d’abord expliquer l’état de la question, les
erreurs des hérétiques, la vérité
prouvée par les saintes lettres, et
confirmée par la tradition et les témoignages des pères, et corroborée par des
raisonnements variés et d’un grand
poids, et la réfutation des adversaires.
CHAPITRE 1
L’État de la question et
les erreurs des hérétiques
Quand nous nous demandons si
le mariage est un sacrement proprement dit, nous nous demandons si, en plus d’être
le contrat civil d’un homme et d’une femme institué pour la propagation et l’éducation
des enfants, il est aussi un signe, un symbole externe de la religion, auquel
serait annexée, de par l’institution divine,
la promesse d’une grâce justifiante.
Sur cette définition générale à peu près tous donnent leur accord, autant les hérétiques que les catholiques. Il est certain que les luthériens et les
calvinistes, avec lesquels nous dissertons principalement, ne nient pas que
nous soyons en présence d’un sacrement de la nouvelle loi, là où se trouvent un symbole externe, une
promesse de grâce, un mandat divin ou une institution divine. Dans presque tous les siècles, il y en a eu
beaucoup qui estimèrent qu’une de ces
trois choses était absente dans le mariage, et qui, pour cette raison , ne le
considérèrent pas comme un sacrement.
Les anciens hérétiques,
Simon, Saturne, les gnostiques, les manichéens et d’autres enseignèrent que le mariage ne venait pas de
Dieu, et n’était donc pas un sacrement.
Simon le magicien , le prince de tous les hérétiques, introduisit la
turpitude de pouvoir user indifféremment des femmes, au témoignage de saint
Augustin (livre des hérésies, chapitre
1). Saturnin, disciple de Simon,
enseigna ouvertement que se marier et
avoir des enfants était l’œuvre du
diable, au témoignage de saint Irénée (livre 1, chapitre 22). Marcion professa la même hérésie, lui qui
croyait que les noces étaient illicites, au témoignage de saint Jérôme (livre 1 contre Jovinianus). Tatien qui fut un auditeur de saint Justin,
fut le patron de cette erreur (selon le témoignage de saint Irénée, livre 1,
chapitre 30). Et c’est de là que les
Euticrates sont sortis, dont parle Épiphane dans l’hérésie 16, et saint Augustin, dans l’hérésie
25. Saint Augustin écrit, là, que, son
Épiphane, les encratites étaient des Tatiens schismatiques. Il attribue la même hérésie aux Adamiens (hérésie 31), la même que celle des
manichéens (hérésie 46). Socrate (livre
2, chapitre 3 de sn histoire) attribue
la même hérésie aux Eustathiens, ainsi
qu’aux priscillianistes (saint Léon, pitre 91 à Turbius. La même à certains apostoliques ou plutôt
apostats du temps de saint Bernard (sermon 66 sur le cantique des
cantiques). La même aux Albigeois (saint Antonin dans son somme théologique (
par 4 tit 11, chapitre 2, verset 5).
Les hérétiques de notre
temps ne nient pas que le mariage soit licite, et qu’il ait été institué par Dieu, mais ils nient qu’il
soit un symbole auquel est annexée la promesse d’une grâce justifiante. Et c’est surtout pour cette raison qu’ils ne
voient pas un sacrement dans le mariage.
Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre sur le
mariage), soutient que dans le mariage,
il n’y a aucun signe institué par Dieu,
ni aucune promesse de grâce.
Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 34) enseigne que la notion de
sacrement ne convient pas plus au
mariage qu’à l’agriculture, ou qu’à une échoppe de barbier ou à un métier de cordonnier. Philippe (dans les lieux, au titre de
mariage) et Kemnitius (2 par examen, page 1204 jusqu’à la fin), reconnaissent dans le mariage un mandat de
Dieu et une promesse de grâce, mais non
celle qui justifie et réconcilie l’homme avec Dieu. Et, pour cette raison, ils nient que le
mariage soit un sacrement proprement dit, semblable au baptême et à l’eucharistie. Ils reconnaissent, cependant, que, d’une
certaine façon, il est un sacrement.
Parmi les catholiques, il y
en a un seul, Durand, qui soutient que le mariage ne peut
être appelé un sacrement que par
équivoque ( 4 dist 26, quest 3).
Kemnitius, évidemment, s’en sert comme porte-drapeau. Mais tous les autres théologiens, comme
Durand le reconnait, enseignent le contraire.
C’est donc contre toutes ces erreurs que le concile de Trente (session
14, canon 1) dit anathème à tous ceux
qui nient que le mariage est un sacrement proprement dit, qu’il a été institué
par Jésus-Christ, et qu’il procure la grâce.
Nous ne doutons aucunement que cette sentence est très vraie, et nous
allons nous évertuer à la confirmer par la sainte Écriture.
CHAPITRE 2
On prouve par l’Écriture que le mariage est
un sacrement proprement dit
Pour prouver que le mariage
est un sacrement proprement dit, il faut
démontrer trois choses. Il a été
institué par Dieu; il est le symbole d’une chose sacrée; et il a la promesse de la grâce qui
justifie. Que le mariage a été institué
par Dieu, on peut l’entendre de deux
façons. Une première. A été
voulue par Dieu l’union du mâle et de la femelle, en tant qu’elle se rapporte à
la propagation du genre humain. Une
deuxième. Cette institution est de Dieu
en tant qu’elle se rapporte à la signification d’une chose sacrée, et qu’elle
sanctifie les humains ainsi unis. C’est
de la première manière que les hérétiques d’autrefois qui condamnaient le
mariage, niaient que le mariage était de
Dieu. C’est de l’autre que les
luthériens et les calvinistes qui ne
condamnent pas le mariage, nient qu’il
est de Dieu.
Que le mariage, vu de la
première façon, soit une bonne chose qui
vient de Dieu, les saintes Écritures l’enseignent manifestement. Et on s’étonne qu’il y en ait qui errent dans
une chose aussi évidente. Genèse
11 : « Il n’est pas bon, dit Dieu, que l’homme soit seul. Faisons-lui une aide semblable à
lui. » Commentant ce texte (livre
9, chapitre 7 de la Genèse au sens littéral), saint Augustin enseigne que la
femme n’est nécessaire à l’homme que
pour la procréation et l’éducation des enfants.
Car, en d’autres choses, les hommes sont mieux aidés par d’autres
hommes. Ces paroles de la Genèse
2 (: « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’unira
à son épouse. ») sont dites par Adam, mais sous la dictée du
Saint-Esprit. Car, le Christ (en saint
Matthieu 19) attribue ces paroles à Dieu. C’est donc Adam au nom de Dieu, ou
plutôt Dieu par la bouche d’Adam, qui a
ainsi parlé. Elles sont donc évidemment,
une approbation du mariage.
De nouveau, en Matthieu 19,
le Christ a dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare
pas. » Le Fils de Dieu ne s’est pas
intéressé au mariage et ne l’a pas orné
d’un insigne miracle pour une autre raison que pour nous indiquer que c’est lui
qui a fait le mariage, comme saint Augustin le note. Et l’apôtre
(1 Corinthiens 6) écrit :
« Celui qui marie sa fille fait bien. » Et, au même endroit :
« Si la vierge se marie, elle ne
pèche pas. » Et en 1 Timothée 4,
il dénonce à l’avance les hérétiques futurs
qui prohiberont le mariage. Et au
chapitre 5 : « Je veux que les jeunes filles se marient, qu’elles procréent des enfants,
qu’elles soient des mères de famille ».
Et dans Hébreux 13 : « Le mariage est honorable. » Ensuite les Écritures sont pleines non
seulement de témoignages, mais d’exemples de grands saints qui plurent à Dieu
tout en étant mariés. Se présentent
les conciles anciens, comme celui de Gangre (chapitre 11) et de Bracarensis 1
(canon 1), qui ont condamné les hérésies susdites.
Selon la deuxième manière,
le mariage a été institué par Dieu comme un signe d’une chose sacrée. C’est ce que quelques-uns tentent
laborieusement de prouver avec des textes obscurs de l’Écriture. Comme celui de saint Matthieu 9 :
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Mais, il n’est pas nécessaire ici de tant
suer, car si nous prouvons que le
mariage est le signe d’une chose sacrée, à laquelle est annexée une promesse de
grâce, il s’ensuivra nécessairement qu’il a été institué par Dieu, même si nous
n’avons pas de passage de l’Écriture qui nous rapporte cette institution de
Dieu. Car aucun homme, aucun ange ne peut instituer un signe de cette
sorte. C’est ce que reconnaissent
ingénument les adversaires. Philippe
(apologie confession d’Augusta , art 13, Calvin
(livre 4, chapitre 19, verset 2)
et Kemnitiius (2 par examen page
13.) Et c’est de cette manière que nous
avons démontré ailleurs que les
sacrements de confirmation, d’extrême onction
et d’ordination ont été institués par Dieu.
En ce qui a trait à la
deuxième manière, le mariage est le signe d’une chose sacrée, et n’est donc pas
seulement un contrat civil, mais aussi
un mystère et un sacrement. Nous allons
le prouver cela avec le chapitre 6 de l’épitre
aux Éphésiens : « Cela est un grand sacrement, je dis dans le Christ
et dans l’Église ». Où il y a trois
choses à observer attentivement. C’est fort mal à propos que Luther, Calvin et
Bèze écrivent que les catholiques ont été induits en
erreur par la traduction latine du texte
grec, qui rend le mot mystère par sacrement, car, ce qui en grec se dit mystère
reçoit en latin, le nom de
sacrement. Et l’apôtre qui écrivait en
grec n’a pu nommer le sacrement que par un mot grec.
Ce n’est pas seulement à
cause de ce mot sacrement que les catholiques tiennent que le mariage est un
sacrement proprement dit. Dans plusieurs
textes de l’ancien et du nouveau testament,
on lit le mot sacrement, comme en Tobie
12, Daniel 11, Colossiens 1, 1
Timothée 3, Apocalypse 1 et 17. Et aussi dans cette épitre aux Éphésiens,
chapitres 1 et 3. Et pourtant, à partir
d’aucun de ces s textes, nous n’avons
fabriqué un nouveau sacrement proprement dit. Ce sont ces mêmes passages que citent les
adversaires pour nous enseigner que les catholiques ne doivent pas fabriquer un
sacrement à partir d’un mot. Et comme
nous ne le faisons pas, ils ne citent ces passages qu’à notre avantage. On peut même en déduire que ce n’est pas en
se fondant sur un seul mot que les catholiques ont inventé un nouveau
sacrement, puisqu’il n’en ont vu aucun dans
tant d’autres mots semblables. Ce
n’est donc pas à partir de ce seul mot que le mariage est un vrai
sacrement. Cependant nous prouvons ce
que nous avons entrepris de prouver par ce texte, que le mariage est un signe
ou symbole sacré, et non seulement un contrat civil et naturel.
Il faut considérer ensuite
de quoi le mariage est un signe. De l’union du Christ et de son église, ou de
l’union de l’homme et de la femme.
Luther et Calvin, au lieu cité, ainsi qu’Érasme et Bèze, soutiennent que
l’apôtre appelle grand sacrement ou sacrement mystérieux l’union du Christ avec
l’église. Et ils en déduisent que le mariage, en ce lieu,
est appelé un symbole ou signe. Car, ils
ne veulent pas que le mot sacrement, dans ce texte, ait le sens de signe d’une
chose sacrée, mais de la chose sacrée ou mystérieuse elle-même. Leur argument n’est rien d’autre que
ceci : Paul a écrit : je dis cela dans le Christ et dans l’église. Et, comme soutient Érasme, il n’y a pas de mystère dans l’union
d’un homme avec une femme, puisque cela se voit tous les jours. »
Mais, ils se trompent
manifestement. Car, d’abord, ils ont
contre eux tous les anciens interprètes de ce texte. Saint Ambroise : « Le grand
sacrement du mystère signifie l’union de l’homme et de la femme. » Saint Jérôme dit, en parlant de l’union d’Adam
et d’Ève : « C’est cela même qui est interprété par l’allégorie dans
le Christ et dans l’église. » Et un
peu plus bas, il cite saint Grégoire de Naziance qui rapportait ainsi les paroles de saint
Paul : « Je sais que ce texte est plein de sacrements ineffables, et
recherche le cœur divin d’un interprète.
Or moi, à cause de la petitesse de ma compréhension, je pense qu’il
faille entendre cela dans le Christ et dans l’Église. » Quand il parle d’un texte plein de
sacrements, il pense aux paroles de la
Genèse. Et, ensuite, le grand mystère
dont parle saint Paul, il le place dans le mariage en tant qu’il représente l’union
du Christ et de l’église.
Saint Jean Chrysostome
(homélie 20 dit, en expliquant ce passage de l’épitre aux Éphésiens,
écrit : « Il a bel et bien dit que c’est un grand mystère. Comme s’il disait : en toute vérité,
cette allégorie ne rabat pas l’amour
conjugal. » Et ensuite :
« C’est vraiment un mystère, et un grand mystère, en laissant de côté
celui qui engendre, qui nourrit et qui enfante, qui met au monde dans la peine
et les souffrances, qui vit avec une femme qu’il n’avait jamais vue avant,
et qui la préfère à tous. Vraiment c’est un mystère. Et quand ces choses arrivent, les parents n’en
reçoivent pas d’offense. » Vois
comment saint Jean Chrysostome reconnait que le grand mystère réside dans le
mariage, où Érasme n’a pu voir aucun mystère.
Théophylacte et Oecumenius
parlent dans le même sens.
Ensuite, saint Augustin explique ce passage de la même façon (livre 1
sur les noces et la concupiscence, et au
chapitre 10, il dit : « Le sacrement des noces est recommandé
aux fidèles mariés. D’où l’apôtre
dit : aimez vos épouses. »
On peut ensuite réfuter les
adversaires avec ce texte. Car, quand l’apôtre
dit : cela est un grand sacrement, le pronom cela doit nécessairement
référer à ce qui précède de plus près. Car c’est un démonstratif de la chose
dont il s’agit. Or, ce qui précède de
plus près , c’est : « l’homme laissera son père et sa mère et
adhérera à son épouse. Et ils seront
deux dans une même chair » . La
sentence de saint Paul doit donc être la
suivante : que l’homme laisse son père et sa mère et adhère à son épouse,
et qu’ils soient deux dans une même chair,
c’est une grande chose, parce que ça représente l’union du Christ et de
son Église.
De plus, on déduit la même chose de toute l’argumentation
de ce chapitre. Car, l’apôtre exhorte
les époux à une bienveillance mutuelle, et parmi d’autres arguments, il avance
que leur union n’est pas une chose légère et méprisable, mais qu’elle inclut un
grand mystère, du fait qu’elle réfère au
Christ et à l’ Église. Si, selon nos
adversaires, tout le mystère est constitué par le Christ et l’Église, et n’a
rien à voir avec le mariage, toute l’argumentation de saint Paul s’effondre,
car on ne comprendra pas facilement ce que vient faire, à la fin du
chapitre, cette commémoration du mystère
du Christ et de l’Église.
Ajoutons, enfin, que saint
Paul ne dit pas en grec : en
kristô kai ekkèsia, mais eis
Kriston kai eis tèn ekklèsian. Il indique clairement par ces paroles que le
Christ et l’Église ne sont pas le terme de ce mystère ou du signe mystique; et
qu’en conséquence, le mystère est dans le mariage, mais que cette signification
du mystère se termine dans ou est référée au Christ et à l’Église.
Les arguments des
adversaires ne prouvent rien. Car, le
« moi je vous dis » signifie,
comme l’expliquent saint Jérôme et saint Grégoire de Naziance, et d’autres :
moi je rapporte ce mystère du mariage au
Christ et à son église. Et au
sujet de ce qu’objectait Érasme, qu’il n’y avait
aucun mystère dans l’union de l’homme et de la femme, je réponds qu’il n’y a aucun mystère dans le fait qu’un
homme s’unisse à une femme, puisque les prostituées et les animaux le font aussi. Mais que l’un soit uni à l’autre par un lien
indissoluble, de façon telle qu’ils ne
puissent pas se séparer même s’ils doivent en subir de grand inconvénients, et
s’ils perdent tout espoir de progéniture, cela ne peut pas exister sans un
grand mystère.
Mais Kemnitiius nous oppose
deux textes de saint Augustin contre notre interprétation. Un tiré
du traité 9 sur saint Jean, où saint Augustin nie que le sacrement dont parle l’apôtre
soit l’union de l’homme et de la femme,
et enseigne qu’il n’est que dans le
Christ et l’Église : « Ils seront, dit-il, deux dans une chair. Ce sacrement est grand. » Et pour que quelqu’un ne pense pas que cette
grandeur de sacrement ne soit dans chaque homme ayant une femme, il dit :
je dis dans le Christ et dans l’Église.
L’autre texte est tiré du livre 1 des noces et de la concupiscence,
chapitre 21, où il dit : « Dans le Christ et dans l’église est un
grand sacrement, c’est-à-dire dans tous les hommes et toutes les femmes, mais
cependant le sacrement d’une union inséparable. »
Je réponds que, quand il traite du
mariage, saint Augustin prend le mot
sacrement dans un double sens. Le
premier, pour un lien sacré et indivisible, ce qu’il n’appelle pas tant
sacrement que chose du sacrement (livre 1, chapitre 10 sur le mariage et la
concupiscence). Le second, pour le signe
d’une union sacrée. Selon le premier
sens, il dit que le grand sacrement est dans le Christ et dans l’église, dans
les hommes mariés. Car, tous les fidèles
mariés sont minimes par rapport au Christ et à l’Église. Même si autant le lien
entre le Christ et l’Église qu’entre les gens mariés ne soit pas plus petit,
mais plus grand, parce que tout à fait
indissoluble. C’est de l’autre façon qu’il
entend le mot (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18), où il dit que le sacrement de chacun des
mariages signifie la sujétion d’une
seule église à un seul Dieu . Et
(dans le livre 1 sur les noces et la concupiscence, chapitre 10, il dit
ouvertement que le sacrement des noces
est recommandé aux fidèles mariés par saint Paul aux Éphésiens.
Troisièmement, on doit
expliquer si ce grand mystère consiste, selon l’apôtre, dans l’union d’Adam et d’Ève ou dans les
autres unions ? Et bien qu’on ne puisse pas nier qu’Adam et Ève aient été des
figures du Christ et de l’église, en ce qu’Ève a été formée de la côte d’Adam
dormant, cependant, dans ce
passage, l’apôtre ne réfère pas le grand mystère au mariage d’Adam
et d’Ève, mais aux mariages des fidèles
chrétiens. Car, tout d’abord, les
mots de la Genèse qu’il allègue
lui-même : (qu’il laisse son père et sa mère), s’entendent de tout
mariage. Car, il n’a pas dit : je
quitterai, mais l’homme quittera. On ne
peut donc pas rapporter ces mots au mariage d’Adam et d’Ève. Car, Adam n’a pas quitté son père et sa
mère, pour adhérer à son épouse, puisqu’il
n’avait ni père mère. C’est donc des
futurs époux qu’il parle quand il dit : il laissera. Il ne parle pas donc pas de lui, puisqu’il savait fort bien qu’ il était déjà uni à son épouse.
Ensuite, en Matthieu 9, le Christ conclut de ce verset de la Genèse que
le mariage est indissoluble : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare
pas.
Le Christ ne voulait certes pas
nous enseigner là que le mariage d’Adam et d’Ève était indissoluble,
mais que celui des époux en général, sur lesquels les Juifs l’avaient
interrogé, ne devait pas être dissous.
Au chapitre 5 aux Éphésiens,
quand l’apôtre présente comme argument
ces paroles de la Genèse pour prouver la proposition générale que les
hommes doivent aimer leurs femmes, il
a voulu que ces paroles soient entendues de tout mariage. Et même si ces paroles peuvent être entendues
de tout mariage, cependant l’apôtre ne place en lui le sacrement que s’il est
référé au mariage entre chrétiens. Car
il ne dit pas « ce sacrement a été
grand », mais est grand dans le Christ et l’Église. Voilà pourquoi saint Augustin (dans le livre
du bien conjugal), affirme souvent que
le mariage n’est un sacrement que dans l’Église. Et saint Thomas (4 dist 26, quest 2, art
2) que c’est seulement dans le nouveau
testament que le mariage représente l’union du Christ et son église. Et c’est
aussi ce qu’enseignent Ruardus (dans l’explication de l’article 18) et les
autres.
Il nous reste donc à montrer
par l’Écriture divine , la troisième chose qui est requise à l’existence d’un
sacrement, la promesse de la grâce. On le déduit d’abord de ce passage du
chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens.
Car, en ce passage, on ne nous enseigne pas seulement que le mariage est
un signe de l’union du Christ avec son église par conformité de nature, mais
aussi par la charité spirituelle avec laquelle le Christ aime son église, et la
gouverne saintement., et l’église adhère au Christ par la foi, l’espérance et
la charité, et lui est soumis par nature.
On ne peut pas douter que cela soit vrai, parce que le Christ n’est pas
seulement uni à son église par
conformité de nature, mais à tout le genre humain. Ce n’est qu’à l’Église qu’il est uni comme un
époux à son épouse, par un amour spirituel.
Et c’est pour cela qu’il est nécessaire que ce mariage signifie aussi
cette union spirituelle qui est entre le Christ et son église.
Et aussi parce que le bienheureux Paul insiste
beaucoup sur cette union spirituelle quand il dit : l’Église est soumise au Christ, et le Christ
a aimé son église et s’est livré pour elle, pour la sanctifier. » Le mot mariage ici ne peut signifier rien d’autre qu’un contrat civil entre un homme et une
femme, ainsi qu’une union spirituelle d’âmes.
Et voilà pourquoi, au même endroit, l’apôtre n’avertit pas seulement les
homes d’aimer leurs épouses, comme le Christ a aimé son église, et comme les
femmes obéissent à leurs maris, comme l’église obéit au Christ. Si Dieu a uni l’homme et la femme pour cette
fin, à savoir pour que par une union
spirituelle, ils signifient l’union spirituelle du Christ et de l’église, il leur a sans aucun doute
donné la grâce sans laquelle ils n’auraient
pas cette union spirituelle.
Et on le confirme cela par d’autres
textes de l’Écriture. 1 Timothée
2 : « Elle sera sauvée par la
génération de fils, si elle demeure dans la foi, dans l’amour, dans la
sanctification, avec sobriété. »
Il faut noter là le « par la génération d’enfants » mis à la
place de « pour »,
« dans. » Car, l’apôtre
ne veut pas signifier que la procréation d’enfants est une cause de salut, mais
que, dans l’état de mariage, ou dans l’état de génération, la femme
sera sauvée par ses enfants , si elle demeure dans la foi, la charité et
la sanctification. Et c’est ici qu’on se
défait de certaines questions posées par certains : si la femme est sauvée par
la procréation d’enfants, comment seront sauvées les vierges ou les stériles
? On trouve souvent dans l’Écriture
cette phrase : pour quelqu’un, par
quelqu’un, dans quelqu’un. Dans les
Actes 15 : « Par tout le sabbat, on lisait Moïse. » Actes 26 : « Par toutes les
synagogues, il allai les punissant. »
Romains 4 : « Pour qu’il soit le père de tous les croyants par
le prépuce. » Car, le prépuce n’était
manifestement pas la cause pour laquelle Abraham était le père de tous. Mais existant dans un prépuce, il a été fait
père de tous par la foi.
Il faut noter en second
lieu, que le « si elle demeure » est dans certains codex latins au
pluriel : si elles demeurent. Voilà
pourquoi certains pères ont renvoyé la parole de Dieu aux fils
plutôt qu’aux mères. Ce qui pourrait se faire correctement si nous
lisions si elle demeurait, comme le lit saint Augustin dans le psaume LXXX111, et à la suite de saint Augustin,
Bède le vénérable : si elles demeurent, comme on lit dans la plupart des
codex. Car, comme ils l’ont bien
compris, et comme l’ont noté Sedulius et Primatius, l’apôtre passe souvent du singulier au
pluriel, comme dans ce chapitre : « Semblablement, que les femmes,
dans un habit orné, et peu après : « que la femme
apprenne en silence ».
Et en Galates 6 : « Vous qui êtes spirituels, instruisez-vous de
cette façon, te considérant toi-même, de peur d’être tenté. »
De la même façon, dans ce passage, le sens
sera : elle sera sauvée par la procréation d’enfants, si elles demeurent etc, c’est-à-dire si
chacune d’entre elles demeure dans la
foi.Comme Cajetan l’explique non sans raison : s’ils
persévèrent, elle et son mari. Car, il serait difficile de référer ces mots
aux enfants. Car, qui voudrait que le
salut des mères dépende de la persévérance de leurs enfants ? De plus, éduquer et instruire des enfants se
rapporte plus au père qu’à la mère. Et ce pendant l’apôtre a voulu que ce soit
quelque chose de propre aux mères, pour
les consoler parce qu’il leur avait interdit de parler dans les églises. Ajoutons que Calvin et Bède admettent en note que le s’ils persévèrent,
se rapporte aux mères plutôt qu’aux fils.
Cette explication ayant été
posée comme fondement, voyons ce que l’apôtre requiert des femmes mariées. « Si elle demeure dans la foi, la
charité et la sanctification, avec
sobriété ». Il énumère là quatre
biens du mariage chrétien, contre quatre
maux qui, sans la grâce de Dieu, ne
peuvent pas être évités dans le mariage . Le premier mal est ne pas conserver la
fidélité à son conjoint. Le deuxième, les haines, les rixes, qui naissent
subitement entre époux. Le troisième l’immondice
et la turpitude qui nait de la rébellion des membres. Le quatrième, l’intempérance. C’est à ces
maux que saint Paul oppose la fidélité, l’amour, la sanctification et la
sobriété, dans lesquels il faut demeurer, comme ayant été reçus dans la
célébration elle-même du mariage. Et
dans 1 Corinthiens 7, il appelle don de
Dieu le mariage, comme la virginité : « Chacun a son don de Dieu, un
autre comme ceci, un autre comme cela. » Et à 1 Thessaloniciens 4, il
exhorte les époux à s’abstenir de la fornication, et de posséder son vase dans
la sanctification, celle qui a été reçue antérieurement par le mariage.
CHAPITRE 3
On prouve avec les pères que le
mariage est un sacrement
S’avancent les témoignages
des pères qui convaincront les adversaires de mensonge manifeste. Car, Calvin a écrit (livre 4, chapitre 19,
verset 24), que « personne avant Grégoire
n’a vu que le mariage avait été donné comme sacrement ». Bèze (dans son annotation au chapitre 5 aux
Éphésiens) prétend que « le mariage n’a jamais été appelé sacrement
par saint Jérôme ou par saint Augustin ».
Kemnitius (2 par examen page
1225), affirme qu’avant le temps de saint Augustin, « on ne peut pas
montrer que l’appellation générique de
sacrement ait été attribuée au mariage ».
Mais ces déclarations sont des mensonges impudents, ou l’admission d’une
grande ignorance.
Saint Léon a précédé saint
Grégoire de cent cinquante ans. Cependant, dans son épitre 92 à Rusticus, évêque de Narbonne, il appelle
le mariage un mystère et un sacrement : « Puisque la société des
noces a été dès le début constituée de telle sorte qu’en plus de l’union des
sexes, elle ait elle-même le sacrement du Christ et de l’Église, on ne peut douter que la femme n’appartienne pas au mariage où
on enseigne que les noces ne sont pas un mystère. » Saint Jean Chrysostome qui a vécu avant saint Augustin affirme (dans
son homélie 29 sur l’épitre aux Éphésiens, citée plus haut), qu’ « il
y a un grand mystère dans l’union indissoluble de l’homme et de la
femme. » Nous n’avons pas à exiger de saint Jean Chrysostome le mot
sacrement, puisque c’est un mot latin (l’équivalent du mot grec mystère), et qu’il
écrit en grec. Saint Ambroise qui a vécu
avant saint Augustin et saint Jérôme, (en plus du texte cité plus haut portant sur le commentaire du chapitre 5 aux
Éphésiens), parlant, dans le livre 1 sur
Abraham, chapitre 7, dit de celui qui veut épouser une femme déjà mariée :
« Celui qui agit ainsi pèche contre Dieu, dont il viole la loi et dissout
la grâce. En conséquence, comme il pèche contre Dieu, il perd la participation au sacrement
céleste ». Il enseigne là qu’on ne
peut trouver un sacrement céleste, là où
le mariage est célébré contre la loi de Dieu.
Le pape Sirice, contemporain
de saint Ambroise, (épitre 1, chapitre 4),
donne le nom de sacrement au mariage.
Mais ce qui est de beaucoup plus important, il écrit qu’ « un
sacrilège est commis quand du vivant du conjoint, une personne mariée contracte
un autre mariage ». Or, si le
mariage est un contrat civil, sans être en même temps un sacrement de la
religion, comment, je le demande, quelqu’un
pourrait-il commettre un sacrilège en le violant ? Innocent 1 (épitre 9 à Probus), affirme que
le mariage est fondé sur une grâce divine communiquée dans la célébration. Saint Cyrille (livre 2, chapitre 22 sur
Jean), dit que « le Christ a
sanctifié le mariage, et a préparé une
grâce pour les noces, afin que soit bénie l’entrée des hommes dans cette
vie. »
Mais venons-en à saint
Augustin et à saint Jérôme, et au nom de
sacrement attribué au mariage, contrairement au mensonge de Calvin et de Bèze,
et à la témérité de Kemnitius. Saint
Augustin attribue le nom de sacrement au mariage dans tous les passages
suivants : livre 4 de la Genèse au sens littéral, chapitre 7; livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7;
livre sur le bien conjugal, chapitres 7, 8, 15, 17, 18, 24 et 25; livre sur la sainte virginité, chapitre
12; livre 5 contre Julien, chapitre 9; livre 2 sur le péché originel, chapitre
34; livre 1 sur les noces et la
concupiscence, chapitres 10, 17, et
21. Que la nature de sacrement soit
attribuée au mariage dans ces passages, on le prouve par les arguments
suivants. D’abord, parce que saint
Augustin emploie ce mot absolument et ordinairement dans sa dispute sur le
mariage. Car, les choses qui ne sont des
sacrements qu’au sens large et improprement,
ils les appellent rarement sacrements, ou seulement avec un mot
ajouté. On peut trouver un exemple dans
le pain sanctifié qui était donné aux
catéchumènes à la place de l’eucharistie.
Car, il l’appelle une fois sacrement (livre 2, chapitre 26, sur les
mérites des pécheurs et la rémission des péchés). Mais, cela, il ne l’a fait qu’une seule fois,
et il avertit, au même endroit, que ce
pain n’est pas le corps du Christ, et qu’il ne suffit pas pour conférer le salut aux catéchumènes.
Deuxièmement, parce que,
dans la plupart de ces textes, saint Augustin dit que le mariage n’est un
sacrement que dans l’Église. Et c’est de cette façon qu’il distingue le mariage
des chrétiens de celui des païens. Dans son livre sur le bien conjugal, chapitre
18, il écrit : « Dans le mariage des nôtres, la sainteté du sacrement
vaut plus que la fécondité de l’utérus. »
Et, au chapitre 21 : « Le bien des noces pour tous les gentils
et tous les hommes est dans la cause de
la génération et dans la chaste fidélité.
Mais, pour le peuple de Dieu, il
est dans la sainteté du sacrement. »
Dans son livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7 : « Dans
la cité du Seigneur, dans son saint mont, c’est-à-dire, dans l’Église, ce n’est
pas seulement le lien des noces qui est recommandé, mais aussi le
sacrement. »
Or, les mariages des gentils
sont vrais et légitimes, et donc des sacrements au sens large. Car, Innocent (au chapitre Gaudemus, sur le
divorce), appelle sacrement le mariage
des infidèles, et Kemnitius aussi, (page 1217 à la fin) approuve la sentence de
Brentius qui estimait qu’on pouvait appeler le mariage un sacrement au sens
large, parce que c’est un genre saint de vie institué et commandé par Dieu. Donc, quand saint Augustin distingue le
mariage des fidèles d’avec celui des infidèles, en enseignant que le premier
est un sacrement et que l’autre n’en est pas un, il parle d’un
sacrement proprement dit, et non d’un sacrement au sens large.
Tu déduiras aussi de cela à
quel point est loin de la sentence de saint Augustin un Jean Calvin qui compare le mariage avec l’agriculture, le
métier de cordonnier, ou une échoppe de
barbier, alors que ce n’est rien d’autre qu’un genre de vie bon et institué par Dieu. Car,
selon la conception de Calvin, il n’y aurait aucune différence entre le
mariage des païens et celui des chrétiens.
On le prouve, troisièmement, parce que ce n’est pas en passant que saint Augustin dit que le mariage est un
sacrement, mais il soutient que c’est quelque chose de certain et un dogme
ecclésiastique prouvable que le lien du mariage est indissoluble. Or, il est certain que cet argument de saint
Augustin ne vaudrait rien s’il ne parlait que du sacrement au sens large. Nous dirons plusieurs choses sur cet argument
dans le prochain chapitre.
Nous le prouvons
quatrièmement, parce que saint Augustin parle de la même manière du mariage et
du baptême, quand il dispute sur la nature du sacrement. Car (au livre 1 sur les noces et la concupiscence,
chapitre 10), après avoir dit que le sacrement de mariage demeurait encore en
ceux qui se séparent d’un mutuel accord, et entreprennent un nouveau mariage,
(car le premier lien est toujours en vigueur, et l’un et l’autre forniquent
donc , car celui auquel il s’unit n’est pas son conjoint mais celui du conjoint
abandonné), il ajoute que la même chose arrive dans le sacrement de baptême,
qui ne peut jamais être perdu, même si quelqu’un renonce au Christ après avoir perdu la foi. Cette comparaison manifeste certainement que,
pour saint Augustin, le mariage est un vrai sacrement.
Mais, à la page 1225,
Kemnitius nous objecte un texte de saint Augustin (bonheur conjugal, chapitre 18), ou saint Augustin écrit que les noces des patriarches avec plusieurs
femmes ont été un sacrement de l’union
du Christ avec la multitude des nations
de l’univers, qui se convertiraient à la
foi; que les noces des chrétiens avec
une seule femme étaient un sacrement de l’unité de l’église sujette au
Christ. Ce texte semble nous indiquer
que, pour saint Augustin, le mariage n’était un sacrement qu’au sens large, c’est-à-dire
en tant que quelque chose de mystique
était signifié dans le Christ et l’église. Je réponds que saint Augustin n’a pas
employé partout le mot sacrement dans ce
sens. C’est ce qu’on prouver avec
Kemnitius lui-même. Car, à la page
précédente, qui est 1224, Kemnitius enseigne
que les noces des chrétiens chez saint Augustin, sont des sacrements, parce qu’elles signifient l’union
du Christ avec son église, et que c’est
parce qu’elles sont des sacrements, qu’elles ne supportent pas la
polygamie.
Donc, quand saint Augustin dit que la polygamie des patriarches a été un
sacrement, il ne donne pas au mot le
même sens que celui qu’il donnait quand
il parlait du mariage chrétien. Ajoutons que la polygamie des
patriarches a été un sacrement du Christ
et de l’Église seulement improprement et matériellement. Car, les différentes nations converties au
Christ ne sont plusieurs églises ou épouses que matériellement, et improprement. Car formellement et proprement, unique est l’église,
unique l’épouse, unique le corps. Voilà pourquoi saint Augustin emploie le mot
sacrement au sens large, quand il écrit sur la polygamie des anciens
patriarches. Il le prend dans un tout
autre sens quand il s’agit du mariage des chrétiens. On peut facilement s’en rendre compte par les
arguments allégués.
CHAPITRE 4
Nous prouvons avec la raison
que le mariage est un sacrement proprement dit
Venons-en maintenant aux
raisonnements. La première raison, on la
tire de l’indissolubilité du mariage, et
de la monogamie, qui est une des raisons dont se sert souvent saint Augustin.
Le mariage des chrétiens est celui d’une seule personne avec une seule
personne, et il est tout à fait indissoluble.
C’est donc un sacrement
proprement dit, qui confère la
grâce. L’antécédent s’explique par Marc X : « Celui qui abandonne
son épouse et en prend une autre commet
un adultère sur elle. » Et les
nombreux témoignages qui seront apportés plus bas, en leur temps. On prouve la conséquence ainsi.
De ce qu’il est un et insoluble, on déduit deux choses. La première : c’est un signe sacré. La deuxième : il confère la grâce. Or,
ces deux choses effectuent un sacrement proprement dit.
La première. Cette indissolubilité absolue des mariages à
une personne, ne peut être référée
comme cause première et certaine, qu’au signe de l’union du Christ avec son
église. C’est à cette cause que, dans le
livre sur le bien conjugal, saint
Augustin réfère continuellement cette indissolubilité. Car, si on considérait le mariage comme un
office de la nature pour la propagation de l’espèce, on pourrait difficilement
trouver une raison pour laquelle il n’est pas permis, quand l’épouse est
stérile, de la renvoyer et d’en prendre une autre. Si on considérait le mariage en tant qu’il
est un remède contre la fornication institutionnalisée, pourquoi ne pourrait-on
pas renvoyer une épouse continuellement malade ? Et pourquoi ne pourrait-on pas
en prendre une autre ? Voilà pourquoi le mariage a, de par le droit
naturel, une indissolubilité, comme saint Thomas l’enseigne (en 4 dist 33,
quest 2, art 1). Mais pas telle que la raison ne dicte pas qu’il
ne convienne parfois de la dissoudre par
dispensation divine. La raison
principale pour laquelle le mariage est indissoluble, c’est que, par une
institution divine, il signifie l’union indissoluble du Christ et de son
église.
Et voilà pourquoi, même s’ils abhorraient le divorce, les savants de ce
monde, parce qu’ils ignoraient la cause principale de la fermeté du lien
conjugal, séparaient les conjoints pour certaines raisons, permettaient des
remariages ou plusieurs épouses. Comme
saint Augustin le rapporte au sujet de Caton (dans son livre sur le bien
conjugal, chapitre, et dans son livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7) qui
a pensé pouvoir renvoyer une épouse qu’il aimait tendrement, à cause de sa
stérilité. Saint Jérôme (livre 1 sur
Jovinianus) rapporte la même chose au sujet de Cicéron. Il est bien connu que
Socrate a eu deux épouses en même temps.
Des exemples de ce genre, on pourrait facilement en fournir d’autres.
Saint Paul (1 Corinthiens 7
décrète qu’un mariage légitime et consumé,
contracté avant le baptême, peut
être dissout, mais non après le baptême.
On ne peut certes en donner d’autre raison que ce sacrement est le signe
de l’indissoluble union du Christ et de son Église, tandis que l’autre ne l’était
pas. Car, si on fait abstraction du
sacrement, les mariages des fidèles et des infidèles sont identiques.
La deuxième. Pour tolérer le lien de l’indissolubilité du
mariage, la grâce de Dieu est nécessaire, et, dans les choses nécessaires, Dieu
ne fait jamais défaut. Car, c’est une
chose très difficile d’être lié à une seule femme, de façon à ce que ce lien ne
puisse être rompu pour aucune considération, et qu’aucune autre épouse ne
puisse être introduite du vivant de la première épouse. Or, qui croirait que Dieu a institué une
chose si difficile, sans donner en même
temps, l’aide d’une grâce qui permette
de surmonter cette difficulté ? Ajoutons
que la loi nouvelle, dont le joug est suave et le fardeau léger, serait , quand on la compare avec l’ancienne,
plus dure que l’autre, si le mariage n’avait
pas avec lui une grâce spéciale ! En
effet, il était permis aux Hébreux d’avoir simultanément plusieurs épouses, et
de répudier leurs épouses par un libelle.
La deuxième raison on la tire de la fin du mariage, qui est
double : la procréation d’enfants, et le remède contre le péché de
fornication, car l’une et l’autre fin requiert, dans le mariage, l’aide de
Dieu.
Au sujet de la première fin,
il faut savoir que le mariage n’a pas seulement pour fin de procréer des enfants, mais aussi de les
éduquer et de les élever. C’est en cela
que diverge l’union conjugale des êtres humains
de celle des animaux, qu’on n’appelle pas proprement mariages, puisque
les bêtes ne font que mettre au monde et nourrir leurs enfants. Mais en plus du devoir d’élever et d’éduquer
les enfants selon les règles de la raison, --chose qui est commune à tous les
êtres humains - il appartient aux couples chrétiens d’éduquer et d’instruire
les enfants dans la foi et la religion, et de faire tout ce qu’ils peuvent pour
qu’ils deviennent des membres de l’église
catholiques véritables et vivants. On
le sait cela, parce que les fils de l’Église se marient pour accroitre et
conserver l’Église, et aussi parce que c’est ce que requiert la similitude entre le Christ et l’Église d’une part, et l’union de l’homme et de la femme d’autre
part. Car, le Christ et l’Église
engendrent toujours des fils spirituels par le baptême , les nourrissent
par l’eucharistie, les fortifient par la
confirmation, etc. De par cette
union, les époux chrétiens sont donc
obligés aux devoirs divins. Jamais Dieu
ne commande des devoirs qui transcendent la nature, sans donner en même temps
une grâce qui permette de les accomplir, comme il le faut.
En ce qui a trait à l’autre
fin, les théologiens ont raison de dire
que le mariage seul, sans la grâce de Dieu, n’est pas un remède
suffisant contre la fornication, d’abord, parce que la concupiscence est avivée
par l’acte conjugal au lieu d’être éteinte, et aussi parce qu’il arrive
souvent qu’on est forcé de pratiquer
longtemps la continence, à cause de la
maladie, de la mort ou de l’absence du conjoint. Cela semble être plus difficile aux époux
que le perpétuel célibat aux vierges. Il
importait donc à l’auteur de la divine loi de fournir aux fils de l’église un remède
parfait et suffisant.
La troisième est tirée du
rite et des cérémonies. Car, dès le
début de l’Église, il appert que le mariage faisait partie des choses sacrées,
et qu’il avait coutume d’être célébré par le ministère des prêtres. Et il est certain que s’il n’était qu’un
contrat humain, comme sont les contrats d’achat et de vente, etc les saints pères n’auraient jamais rangé le
mariage parmi les choses les plus
saintes. Tertullien (dans le livre 2 à
son épouse) dit, pour montrer la différence qui existe entre le mariage célébré
dans l’église et celui qui est célébré par les païens : « Où
trouverons-nous les mots qui suffisent à exprimer le bonheur d’un mariage que l’Église
cimente, que l’oblation confirme, que la bénédiction contresigne et scelle,
dont les anges rapportent la nouvelle aux cieux, et que le Père estime ratifié
? » Saint Ambroise (épitre à
Vigile) : « Car, puisque le mariage doit être sanctifié par un vêtement
sacerdotal et par la bénédiction, comment peut-on l’appeler mariage, là on n’est pas la concorde de la foi
? » Nous rapporterons d’autres
textes plus bas, en son lieu.
La quatrième raison est
tirée du consentement de toute l’Église grecque et latine, depuis au moins cinq cents ans. Car, au temps du Maître des sentences, Pierre
Lombard, tous les théologiens enseignèrent, à l’unanimité, qu’il y a sept
sacrements dans la nouvelle loi; et ils
y inclurent toujours le mariage. Voir
les docteurs dans 4 dist 26. Lucius 3,
qui, avant les années 400 siégea dans un concile de beaucoup de patriarches, d’archevêques,
de prélats et de princes de Vérone, prononça l’anathème contre «
ceux qui penseraient autrement que l’ Église romaine dans le sacrement du corps
du Seigneur, du baptême, du mariage, de la confession des péchés, et des autres
sacrements de l’Église ». Nous
voyons là que le mariage est énuméré parmi les sacrements proprement dits de l’Église. On trouve ce décret du pape Lucius au chapitre 4 ad abolendam, sur les
hérétiques.
Avec le consentement des
grecs et des latins, le concile de Florence donna son instruction aux
Arméniens, où le mariage est énuméré avec le baptême, l’eucharistie et les
autres sacrements. Et pour qu’on ne
pense pas que les Grecs se soient éloignés de cette foi, il y a quelques années
seulement de cela, c’est-à-dire en 1576, le patriarche Jérémie de
Constantinople censura, en son nom et au
nom des autres évêques, la confession
luthérienne d’Augusta. Et, dans cette
censure, nous lisons au chapitre 7, « que le mariage est un sacrement
divin, et l’un des sept que le Christ et les apôtres livrèrent à l’Église »,
en référant explicitement au chapitre 5 des Éphésiens.
De ce témoignage, on peut
déduire deux choses en passant contre les mensonges des adversaires. Le premier.
Si les grecs qui depuis longtemps s’étaient soustraits à l’obéissance du
souverain pontife, énumèrent le mariage parmi les sacrements, le mariage n’est donc pas un dogme propre aux
papes. Ensuite, si les Grecs, qui ne
lisent l’apôtre qu’en grec dans le cinquième chapitre de la lettre aux
Éphésiens, appellent le mariage un sacrement (et non un mystère), ce n’est donc
pas à cause de l’ignorance de la langue grecque, ou à cause du mot sacrement
qui se trouve dans la traduction de la vulgate, que les latins ont fabriqué un
sacrement du mariage, comme le veut le mensonge de Luther, de Calvin, de Bèze
et de Kemntius. De plus, un tel
consentement des églises devrait suffire
aux chrétiens pieux et modestes, même si nous n’avions pas d’autre
argument. Car, dans le commentaire de l’ Écriture
et des pères ont peut facilement trébucher.
Or, que l’Église ne peut pas faillir,
qu’elle ne peut pas errer, cela est dit si clairement par le Christ et
par l’Apôtre qu’on ne peut rien trouver qui ait
été formulé plus clairement et plus explicitement. « Tu es Pierre, et sur cette pierre, j’édifierai
mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (Matth
16.) 1 Timothée 3 : « L’Église
du Dieu vivant est la colonne et le
firmament de la vérité. »
Saint Augustin (livre 1,
chapitre 23 contre Cresconius), dit : « La vérité des Écritures est
tenue par nous quand nous faisons ce qui plait déjà à l’église universelle, que
l’autorité elle-même des Écritures recommande. De sorte que, comme la sainte Écriture ne
peur errer, quelqu’un qui craint que l’obscurité
d’une question le fasse errer, qu’il consulte la même Église que la sainte
Écriture démontre sans ambigüité. »
CHAPITRE 5
On solutionne les
arguments des adversaires
Le premier est de Luther
dans son livre sur la captivité de Babylone (au chapitre sur le mariage), et de
Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 34) : « On ne lit nulle part que
celui qui prend femme recevra une grâce de Dieu. Car, il n’y a pas
non plus de signe institué divinement dans le mariage. Et même si le mariage humain pouvait être le
signe de l’union du Christ avec son l’Église, on ne pourrait pas, à cause de cela, y voir un sacrement. Car, les cieux aussi qui racontent la gloire
de Dieu signifient les apôtres, comme le soleil signifie le Christ. Et les
étoiles qui diffèrent l’une de l’autre
en clarté sont, d’après l’apôtre, des
signes de la résurrection des morts.
Ensuite, l’évangile nous montre plusieurs signes du royaume des cieux
dans les paraboles du Seigneur. Le royaume des cieux est représenté par une
semence, par le grain de sénevé, par le levain etc. Cependant, de tous ces signes on ne fait pas des sacrements proprement dits.
Je réponds d’abord, que c’est faussement que Luther
prétend cela, comme nous l’avons démontré plus haut par l’Écriture et les
pères. Je réponds ensuite que n’est pas
solide un argument tiré d’une autorité négative de l’Écriture, puisque les
catholiques ont suffisamment prouvé que les apôtres ont transmis beaucoup de
choses qu’on ne trouve pas dans l’Écriture.
Ajoutons que Philippe (dans l’apologie de la confession d’Augusta, art
13) et Kemnitius (2 par, examen, page 1219) reconnurent tous
deux que cet argument de Luther était sans valeur. Philippe a même admis que le mariage avait la
promesse d’une grâce. Kemnitus a
admis et le signe externe et la promesse
d’une grâce, même s’ils ne veulent pas qu’il soit un sacrement proprement dit.
À la confirmation, je dis qu’on
ne tire pas un sacrement de n’importe lequel signe, mais seulement d’un signe
institué par Dieu, et auquel est annexée une grâce. C’est ce qu’on trouve dans
le mariage, car il est le signe de l’union du Christ avec son église, et cela
est clairement institué, comme nous l’avons démontré par son
indissolubilité. Et, il a, en plus, une
grâce annexée, comme nous l’avons enseignée plus haut. Mais les signes que Luther et Calvin mettent
de l’avant n’ont pas de grâce annexée,
et n’ont pas été institués par Dieu.
Car, Dieu n’a pas créé les cieux pour signifier les apôtres, mais c’est
de leur propriété naturelle que l’Écriture
tire cette comparaison pour expliquer l’office
des apôtres. Il en va de même pour les
autres exemples allégués.
Le second argument de
Luther : « Le mariage existe depuis le début du monde, perdure encore chez les infidèles, et n’est
pas moins vrai et saint chez eux que chez nous.
On trouve même, parmi les époux chrétiens, des impies qui sont pires que
les païens mariés. Or, le mariage n’est pas un sacrement chez les
infidèles. Il ne l’est donc pas non plus
chez les chrétiens. Ou si le mariage est pour eux un sacrement, il n’est donc
pas un sacrement propre à la nouvelle loi. » Je réponds que ne manquent pas les
catholiques qui admettent que le mariage n’est pas un sacrement proprement dit
de la nouvelle loi, mais qu’il le fut aussi dans la loi ancienne, même s’il n’a
pas été institué tant par les Juifs que
par le Christ, mais plutôt confirmé. C’est ce qu’enseigne Alphonse de
Castro (livre 11 contre les hérésies, au
mot noces, hérésie 3), et Pierre a
Soto (leçon 2 sur le mariage), et certains autres dont les raisons sont au
nombre de trois. La première, parce que
l’apôtre dit, aux Éphésiens 5, en parlant du mariage d’Adam et d’Ève :
c’est un grand sacrement. La
deuxième. Parce que, en Genèse 1, Dieu a béni le mariage d’Adam et d’Ève, ce
qui nous fait voir une grâce annexée à un signe. La troisième. Parce que, dans son épitre 92 à
Rusticus, saint Léon dit que les noces ont été instituées par Dieu, de façon à
avoir en elles le sacrement du Christ et de l’Église.
Je ne vois pas, du premier
coup d’œil, pas comment on peut, en
toute sécurité, justifier cela. Car, le
concile de Florence énumère le mariage parmi les sacrements de la nouvelle
loi, et distinguent les sacrements de la
loi nouvelle des sacrements de la loi ancienne par le fait que les premiers confèrent la
grâce, et les autres ne la confèrent pas.
Et le concile de Trente (session 21, canon 1), enseigne longuement que
le sacrement du mariage a été institué par le Christ dans la nouvelle loi. Et dans le décret qui précède les canons, le
concile enseigne que le mariage des chrétiens l’emporte par la grâce sur les
mariages anciens. C’est aussi ce qu’enseignèrent
les anciens théologiens. Car, saint
Thomas (1 dist 26, quest 2, art 2, et
3), écrit que le mariage a été institué en tant qu’office de la nature, dans l’état d’innocence; et, ensuite,
dans l’état de la nature corrompue, il lui avait été ajouté d’être aussi
un remède. Et, enfin, dans la loi
nouvelle, il a été institué par le Christ en tant que sacrement. Saint Bonaventure enseigne aussi (4 dist 26,
art 2, quest 2) que, dans la loi nouvelle, le mariage a une vraie grâce
qui lui est annexée. Ce qui nous fait
comprendre que quand le même auteur
affirme plus haut que, dans l’état
d’innocence, le mariage a été un sacrement, il ne parlait pas du sacrement qui
existe aujourd’hui. Scot , (dans la même distinction 26, question
unique, conclusion 4) enseigne clairement que le mariage n’était pas un sacrement avant l’avènement du
Christ, mais que c’est dans la loi nouvelle qu’il a été institué par le
Christ. Les docteurs récents enseignent
la même chose. Ruardus (dans l’explication
de l’article 18 des docteurs de Louvain), et Dominique a Soto (4 dist, 26, question 2, art 2), et beaucoup d’autres.
S’impose rapidement une
raison évidente. Car, si le mariage
avait été un sacrement avait l’avènement du Christ, s’il aurait été institué
dans l’état d’innocente ou après. Il n’a
certes pas été institué dans l’état d’innocence, parce que les époux n’avaient
pas alors besoin d’une grâce sacramentelle, puisqu’il n’y avait ni
concupiscence, ni difficulté à l’observer, et qu’aucun remède contre le péché n’était
nécessaire. Et dans l’état de la nature
corrompue, on ne lit aucune institution de mariage dans tout l’ancien testament, mais seulement une restriction pour les
personnes contractantes (Lévitique 18). De
plus, dans l’ancien testament, par la permission de Dieu, la polygamie et la
répudiation de l’épouse étaient permises.
Le mariage n’était donc pas un
signe. Et une grâce annexée n’était
pas, alors, aussi nécessaire qu’elle l’est à notre
époque, puisque les hommes de ce temps pouvaient facilement, par la multitude
des femmes, ou par la répudiation de l’épouse, obvier à des difficultés qui
aujourd’hui requièrent une grâce spéciale. Et, bien qu’à cette époque, les
Hébreux étaient tenus d’élever leurs enfants dans la loi et la religion de Dieu, cependant, cette fin
était extrinsèque à leur mariage, tandis qu’elle est intrinsèque au mariage
chrétien.
Ces trois arguments sont loin de convaincre. Au premier, nous avons déjà répondu que l’apôtre
Paul, en ce lieu, n’attribue pas le nom de sacrement au mariage de nos premiers
parents, mais aux noces chrétiennes.
Ensuite, même si le mariage d’Adam et d’Ève avait signifié l’union du
Christ et de l’Église, et l’avait signifiée à la façon d’une figure, cependant, on ne pourrait pas l’appeler un sacrement
proprement dit, comme le sont nos sacrements, parce que lui a manqué la
promesse d’une grâce. Au second, je
réponds que cette bénédiction fut
temporelle, non spirituelle, car ce qui lui était attribué c’était la
fécondité des corps, et non l’aide aux esprits d’une grâce spirituelle. Ce que prouve correctement saint Augustin
(livre 13, chapitre 21 des confessions), en notant que la même bénédiction
avait été donnée aux poissons et aux oiseaux.
Au troisième, je dis que saint Léon n’a pas dit que,
« dès le début du monde », les noces ont été le sacrement du Christ
et de l’Église, mais « au début de son institution. » Ce qui peut fort bien s’entendre de la
nouvelle institution faite par le Christ.
À supposé même que saint Léon aurait dit « depuis le début du
monde », cela aurait quand même était vrai, car le premier mariage qui fut celui d’Adam et d’Ève a représenté l’incarnation
du Seigneur. Mais cette union, et encore
moins les autres choses, ne peuvent, à cause de cela, être appelées sacrements
proprement dits.
Après avoir donné ces
explications, je réponds à l’argument
que le mariage a été, depuis le début du monde, et l’est encore
maintenant chez les infidèles, un contrat civil et un office de la nature. Mais qu’il ne fut un vrai sacrement qu’à la
venue du Christ, comme saint Augustin l’enseigne (dans le livre sur la foi et
les œuvres, chapitre 7, et dans le livre sur le bien conjugal, chapitre
28). Voilà à quel point est fausse la
prétention de Luther à l’effet que le mariage est également saint chez les
fidèles et les infidèles. Car, saint Augustin, aux endroits cités, écrit ouvertement que les sacrements des infidèles furent
privés de la sainteté du sacrement, qui ne manque pas du tout dans le sacrement
des fidèles.
À ce qu’ajoutait Luther qu’on trouve chez les fidèles des conjoints
impies qui sont pires que les infidèles, je réponds que la sainteté du sacrement n’est pas polluée par les mauvaises
mœurs de ceux qui reçoivent les sacrements.
Car, autrement, il faudrait nier aussi que le baptême et l’eucharistie
soient des sacrements, car il y en a beaucoup parmi ceux qui reçoivent ces
sacrements qui sont pires que les bons païens.
Ajoutons que, si chez les fidèles, quelques-uns sont pires que les infidèles, il y en a plusieurs qui sont pieux et
saints. Chez les Gentils, c’est le
contraire : beaucoup sont impies, peu sont pieux.
Le troisième argument est de
Calvin (livre 4, chapitre 19, 34) : « Pour être considéré comme un
sacrement, il ne suffit pas que le mariage vienne de Dieu, car l’agriculture et
la cordonnerie sont de Dieu, sans pourtant être des sacrements. Mais il est requis qu’il soit une cérémonie
extérieure instituée par Dieu, pour confirmer la promesse. Or, le mariage n’est rien de tel, même un
enfant le comprendrait. » Je réponds que nous avons déjà beaucoup
disserté sur la proposition de cet argument, dans le premier livre des
sacrements en général. Nous y avons
montré qu’un sacrement n’est pas institué pour confirmer une promesse, mais
pour signifier et conférer une grâce.
Mais même si sa proposition était vraie, l’argument ne conclurait rien, parce que l’assomption est fausse. Car, l’union externe et visible d’un époux
et d’une épouse , qui a coutume de se faire par des paroles solennelles devant
l’Église, est une cérémonie externe, et
instituée par Dieu. Et on peut
confirmer, à partir d’elle, que le Christ n’abandonnera jamais complètement son
église, et que c’est ce qui est signifié
par mariage, comme nous l’avons démontré avec 5 Éphésiens.
I l importe peu que cette
union de l’homme et de la femme soit une chose naturelle, et usitée même chez
les païens. Car, on peut appeler
cérémonie les choses naturelles dans la mesure où elles signifient quelque
chose. Manger du pain, boire du vin ce
sont des choses naturelles, utilisées par tous les êtres humains. Et cependant, les calvinistes, aussi, dans
leur cène sacrée, comme ils l’appellent,
n’ont pas tort de penser , quand ils mangent du pain et boivent du vin,
que la cérémonie externe qu’ils font a pout
but de représenter la mort du Christ.
Et, de la même façon, quand nous baptisons quelqu’un avec de l’eau, nous
purifions le corps avec de l’eau, ce que
tous font, un peu partout. Et
cependant, nous faisons vraiment une
cérémonie sacrée, parce que cette ablution externe signifie l’ablution interne.
Le quatrième argument est
celui de Calvin (au même endroit, verset
36), et de Kemnitius (2 par, examen,
page 1207) : « Ils appellent
le mariage du pape une immondice et une pollution, et des impuretés charnelles. Or, ils militent contre eux, quand ils veulent que le mariage soit un
sacrement, car on ne peut pas dire, d’un
sacrement, qu’il est une immondice et
une pollution. » Calvin ne prouve
pas l’antécédent. Il note, quand même,
en marge, certains passages du maitre des sentences et de Gratien. Mais à aucun endroit il n’a pu trouver quelque chose qui s’y
rapportait. Kemnitius va chercher sa
preuve dans l’épitre du pape Siricius à Himérius de Tarascone. Il essaie d’accommoder
au mariage les mots : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas
plaire à Dieu ». Comme si ceux qui
se marient sont dans la chair, et ne peuvent donc pas plaire à Dieu. Au même endroit, le mariage est interdit aux
prêtres, à cause de ces paroles de l’Écriture
qui se rapportent proprement aux prêtres : « Soyez saints, comme moi
je suis saint ». Et : « Soyez purs, vous qui portez les vases du
Seigneur. » Voilà l’épitre qu’a
coutume de citer Calvin quand il objecte aux catholiques que leur conception
du mariage doit leur faire rejeter le
mariage comme une pollution. » (livre 4, chapitre 12, verset 21).
Je réponds que tout cet
argument repose sur le mensonge et la calomnie.
Car, jamais les catholiques n’appellent un mariage légitime une
immondice ou une pollution. Siricius,
en effet, le très ancien et très sage
pontife, ne condamne pas les mariages, mais les sacrilèges, que les luthériens appellent faussement
mariages. Car, il blâme (aux chapitres 6 et 7) les moines et les prêtres
qui veulent s’impliquer dans des noces illicites, alors qu’elles leur sont
interdites, comme ils le savent, par la doctrine de l’apôtre quand il a dit : « Ceux qui sont
dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. » Car, les prêtres sont convaincus d’être et de
vivre dans la chair, quand ils aspirent à des mariages qui leur sont
interdits. Le chapitre 5, où se trouve
le mot de pollution, blâme ceux qui
après avoir fait la pénitence,
retournent à leur bourbier. Comme
celui qui s’est marié légitimement, et qui a pris femme canoniquement n’a pas à
faire pénitence, il s’ensuit donc que ses reproches portaient sur un mariage
illégitime.
Ajoutons que si nous
disions que, dans l’acte du mariage, il
y a une certaine immondice et pollution, en raison de la concupiscence et de la
rébellion des membres, nous ne dirions
rien qui soit contraire aux saintes lettres. Car, dans 1 Rois 21, David interrogea le prêtre : apporte-moi
les pains de proposition. Et le prêtre
leur répondit : « Si les jeunes sont purs, surtout du contact avec les
femmes. » Et David répondit :
« S’il est question de femmes, nous avons été continents à partir d’hier
etc. Saint Jérôme prouve correctement,
à partir de ce texte, (dans son livre 1
sur Jovinianus) que, même chez les époux, l’acte charnel peut être appelé une
immondice. » Et, dans Apocalypse
14 : « Voici ceux qui ne sont pas pollués avec des
femmes. » Dans ce passage, le mot « coinquinatio »
désigne toute souillure qui fait périr la virginité. Or, on ne peut nier que, par le mariage, la
virginité périt.
De plus, s’il n’y a rien de
honteux dans l’acte conjugal, pourquoi les hommes rougissent-ils, et pourquoi n’osent-ils pas exercer cet acte
devant les autres ? Et pourquoi, dans le
Lévitique, ( 18 et 20), les instruments de cet acte étaient-ils portaient-ils
toujours des mots honteux ? Voilà pourquoi, à cause de cette souillure,
dont parle l’Apocalypse, et de l’immondice
dont parle Abimélech, dans les livres
des Rois, et de la turpitude dont parle Moïse dans le Lévitique, on peut dire
avec raison aux prêtres : purifiez-vous, vous qui portez les vases du
Seigneur. Ensuite, en Corinthiens 7,
quand il compare une vierge avec un homme marié, il dit : « La vierge
pense aux choses du Seigneur, comment plaire à Dieu, pour qu’elle soit sainte
de corps et d’esprit. » La vierge
plait donc à Dieu d’une certaine façon, en tant que consacrée, et non
mariée. Ce ne serait donc pas mal parler
des époux que de dire : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas
plaire à Dieu » » C’est-à-dire
ceux qui sont enlisés dans les soins charnels à cause du mariage, pensent au monde, comment ils pourraient
plaire à leur femme. Et ils ne peuvent
donc pas plaire à Dieu au même degré où
la vierge plait à Dieu. Et, pour les
mêmes raisons, on peut appliquer la phrase suivante au prêtre à cause de leur
célibat : « Soyez saints », de corps et d’esprit, comme ne
peuvent pas l’être ceux qui sont mariés, même s’ils peuvent être saints aussi à leur façon.
Le cinquième argument est de
Calvin et de Kemnitius, aux lieux cités : « Si le mariage est un
sacrement, il ne militerait certes pas contre les autres sacrements. Or, les papes enseignent que le sacrement de l’ordre ne peut pas
cohabiter avec le mariage. Donc, ou le
mariage n’est pas un sacrement, ou les papes se contredisent. Je réponds que les prêtres ne sont pas
interdits du sacerdoce à cause du sacrement qui se trouve dans le mariage, mais
à cause des empêchements et des soucis séculiers qui accompagnent
nécessairement le mariage. Cela est si
vrai que les époux qui d’un commun
accord professent la continence perpétuelle, peuvent être initiés aux ordres,
tout en demeurant de vrais époux (car le lien n’est pas dissous, ou le
sacrement ne périt pas un vœu de continence), et étant de vrais prêtres. Comme quoi les sacrements ne militent pas les
uns contre les autres.
Il y a, dans le sacrement de
mariage, quand on élève des enfants,
beaucoup de choses qui détournent fatalement l’esprit des choses divines. C’est ce que l’apôtre enseigne à 1
Corinthiens 7 : « Celui qui a une épouse a souci des choses du
monde. Il se demande comment il pourrait
plaire à son épouse, et il est donc divisé. » Et, au même endroit, il exhorte les gens
mariés de s’abstenir de l’acte conjugal, au moins une fois de temps en temps,
par un consentement mutuel, pour vaquer
à la prière. Ce n’est donc pas à cause
de la sainteté du sacrement que le
mariage est interdit aux prêtres, mais c’est
à cause d’empêchements de cette sorte.
Mais Calvin réplique à cette
réponse avec un nouvel argument. C’est son sixième : « Le coït est
une part du sacrement, et sans lui, le mariage n’est pas un sacrement, comme le
soutient le maitre des sentences (livre 4 des sentences, dist 26,)
et Gratien ( 27, quest 1, canon
non est dubium, et le canon cum
societas). Car, c’est par lui qu’est
figurée l’union du Christ avec l’église, par une conformité de nature, au moment où les conjoints deviennent une
seule chair. Donc, si les prêtres ne
sont pas interdits du sacrement par le
lien, ils ne doivent pas non plus l’être par le coït, ou le mariage n’est pas un sacrement. Et comme, confirmation, Calvin ajoute cet argument très subtil :
« Dans le sacrement, dit-il, est conférée la grâce du Saint-Esprit. C’est du moins ce qu’ils enseignent. Ils soutiennent que le coït est un sacrement,
tout en niant que le Saint-Esprit ne peut pas être présent dans le
coït. » Cette dernière proposition,
ils la prouvent avec le canon de Gratien connubio, 32, quest 2.
Je réponds qu’au sujet de la
copule conjugale, on trouve deux opinions chez les catholiques. Quelques-uns enseignent que cette partie n’est
pas et ne peut pas être une partie du sacrement, mais
seulement un acte ou un office du mariage,
quelque chose donc d’accidentel par rapport au sacrement du
mariage. D’autres veulent que cette
copule soit une parie du sacrement, non par rapport à l’essence, mais à l’intégralité;
et que c’est pour cela qu’avant la copule le mariage est dit ratifié mais non
consommé. Tous s’entendent pour dire
que la copule n’est pas une partie essentielle.
Et c’est pour cela que le
sacrement du mariage se trouve entier et complet, quant aux parties
essentielles, dan l’engagement mutuel contracté par les paroles des époux. Cette sentence est celle des anciens pères,
comme il est facile de s’en rendre compte par leurs témoignages. Saint Ambroise ( au livre de l’institution
des vierges, chapitre 6) : « Ce n’est pas la défloration de la
virginité qui fait le mariage, mais le pacte conjugal. » Voir le même auteur (dans le livre 2 sur le
consensus des évangélistes, chapitre 1), où il enseigne qu’entre la sainte Vierge et saint Joseph il
y a eu un véritable mariage sans copule charnelle. Pour prouver la même chose, il fait des
citations de saint Jean Chrysostome, d’Isidore,
du pape Nicolas, et d’autres.
Voir aussi Gratien, 21, quest 2).
Il faut cependant observer
qu’on peut citer, en sens contraire, des textes de saint Augustin et de saint
Léon (canon non est dubium, et canon cum societas.) Mais l’un et l’autre canon est tiré de l’épitre
de saint Léon 92 à Rustique de Narbonne.
Voici les paroles de saint Léon : « Comme la société du
mariage a été dès le début instituée de
façon à ce que, en plus de l’union des sexes, il ait en lui-même un sacrement
du Christ et de l’Église, etc. »
Après avoir ajouté une négation, Gratien lit ainsi : « Comme
la société du mariage a été instituée dès le début de façon à ce que, en plus de l’union des
sexes, elle n’ait pas en elle-même le sacrement du Christ et de l’Église. » Mais, il faut corriger le texte de Gratien à
partir de la lettre elle-même de saint Léon.
Il faut aussi corriger aussi le texte du maitre des sentences, où se trouve
la même altération. Que la version sans
négation soit la plus vraie, on le prouve ainsi. Parce que c’est ce qu’ont tous les codex de
saint Léon, et aussi parce que la négation
ne va pas avec le sens du texte. Car, saint Léon se propose d’enseigner
que la concubine n’est pas une vraie
épouse. Pour prouver cela, il n’est pas
nécessaire qu’il montre qu’est requise,
pour le mariage, l’union des sexes. Mais
il doit démontrer, et c’est ce qu’il fait, que le mariage ne consiste pas tant
dans la copule charnelle que dans le
contrat nuptial, par lequel est le sacrement du Christ et de l’Église.
Après ces réflexions
préliminaires, je réponds à l’argument
de Calvinm qu’il vient d’affirmer deux
faussetés. La première, que le coït est
un sacrement, ou une partie du sacrement
telle que, sans lui, il ne peut y avoir de sacrement. Cela est faux, comme l’attestent les pères
que nous venons de citer. Il importe peu
que la copule signifie l’union du Christ avec son église par conformité de
nature, car ce n’est pas cette seule signification qui fait le sacrement, mais
aussi la signification du Christ et de l’Église, ou avec n’importe laquelle
âme, par amour spirituel. En
conséquence, si la copule fait défaut, une certaine signification fera défaut,
mais non pas toute la signification. Et
c’est pourquoi ce mariage sera quand même un sacrement, mais d’une certaine manière imparfait, et non
consommé. On a déjà répondu à ce qu’on
nous objectait sur les textes de saint Léon et de Gratien, et du maitre des
sentences.
La deuxième. Calvin prétend faussement que, d’après l’enseignement des théologiens,
les prêtres ne sont pas interdits du sacrement de mariage, mais seulement du
coït. Or, les prêtres ne sont pas
interdits seulement du coït, mais aussi
du sacrement de mariage. Non à cause du
sacrement lui-même, comme nous l’avons expliqué plus haut, mais à cause des choses qui sont annexées au
sacrement. Il n’est pas absurde que ceux
qui ont un sacrement soient interdits d’un
autre, même si l’un et l’autre est saint et agréé par Dieu, quand la fonction de l’un empêche
le bon fonctionnement d’un autre. Car
les apôtres eux-mêmes renoncèrent au ministère du service des tables, pour pouvoir s’occuper plus activement des œuvres pieuses et charitables. Et dans 1 Timothée 5, on reproche à des
veuves qui étaient passées au service de
l’Église, de vouloir se marier. Car,
elles ne pouvaient pas facilement remplir ces deux fonctions.
À la confirmation, je
réponds que qu’il y a là deux
vices. Le premier. Dans cette proposition : Ils transmettent que le coït est un sacrement. Je ne connais aucun auteur catholique qui ait
soutenu cela. Car comme je l’ai enseigné
avant, quelques-uns le nient
absolument, d’autres admettent qu’il fait partie de l’intégralité du
sacrement. Il ne s’ensuit pas, de cette
sentence, ce que Calvin croit devoir s’ensuivre : qu’ordinairement, la grâce sacramentelle doit être donnée dans
le coït. La grâce est donnée quand les
époux contractent le mariage par leurs
promesses verbales mutuelles. C’est
alors, que le mariage, en ce qu’il a d’essentiel, est alors proprement
conféré.
L’autre vice est dans l’autre
proposition : ils nient que dans le
coït ne soit jamais présent le
Saint-Esprit. D’abord, ces paroles
rapportées par Gratien, sont d’Origène, ( homélie 6 sur les Nombres), Origène n’a pas une autorité telle dans l’Église
qu’il nous faille nécessairement
approuver toutes ses sentences. Mais,
dans ce texte, il n’affirme pas vraiment : « Bien que jusqu’à présent je ne me sois pas prononcé
là-dessus, ie pense que… » De plus, ces paroles d’Origène avec lesquelles il enseigne que, dans l’œuvre conjugale, la présence du Saint-Esprit n’est pas
donnée, ne signifient pas qu’il n’est pas du tout présent, mais qu’il ne l’est pas pour
effecteur cet acte par une aide spéciale.
Car, ce qu’Origène enseigne là, c’est
que les œuvres des saints ne sont pas toutes opérées par l’Esprit Saint. Car, quelques-unes sont des
mauvaises actions que même des saints font, et ces actions ne viennent pas du
Saint-Esprit. Quelques œuvres sont
bonnes, mais naturelles, et n’exigent
donc pas une présence spéciale du Saint-Esprit.
Bien plus, il ne convient pas de leur attribuer une aide spéciale du
Saint-Esprit.
Et c’est dans cette
catégorie qu’Origène place l’œuvre conjugale, et il ne se trompe pas en
estimant qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer à cette œuvre
une aide spéciale du Saint-Esprit. Mais
avec ce jugement d’Origène concorde l’affirmation que, par l’ace conjugal, on peut acquérir la grâce du
Saint-Esprit, quand cet acte est un acte
de justice, d’obéissance, de charité.
Car, cet acte peut relever de toutes ces vertus. Voilà pourquoi saint Augustin (dans son livre
4 contre Justinien, chapitre 5,) écrit que c’est un bien béatifique quand
quelqu’un se sert du mariage charnel non pour satisfaire la sensualité, mais
pour avoir des enfants, pour la
propagation de la gloire de Dieu. Mais
pour cette sorte d’action, la volonté qui choisit un acte charnel pour la
progéniture ou pour la plus grande
gloire de Dieu, a surement besoin de l’aide de Dieu. L’œuvre conjugale suit de cette volonté par des instruments
naturels, sans une aide spéciale et nouvelle de Dieu, comme le voulait Origène.
Le septième argument est de
Kemnitius (2 par examen, page
1220 : « Aux sacrements proprement dits, doit être annexée la
promesse non de n’importe laquelle grâce,
mais de la réconciliation et de la rémission des péchés. Une telle promesse n’est pas présente dans
le sacrement de mariage. » Je
réponds que son argument se base sur un faux fondement, à savoir que tous les
sacrements auraient été institués pour octroyer
la rémission des péchés.
Fondements que nous avons pas renversé un grand nombre de fois, autant dans le livre 1 sur les sacrements,
que dans le livre 4 sur l’eucharistie.
Et il n’est que trop vrai qu’avec la seule eucharistie, ce
fondement est démoli. Car, le sacrement de l’eucharistie, comme
tous le reconnaissent, n’a pas été
institué pour remettre les péchés, mais
pour acquérir une vie spirituelle après le baptême, pour la nourrir, et la conserver, comme les espèces elles-mêmes
du sacrement l’attestent. C’est, en
effet, sous les espèces du pain et du vin que ce sacrement est donné, pour que
nous comprenions qu’en lui, une
nourriture nous est donnée pour soutenir
notre vie.
Le huitième argument du même
auteur. Il est tiré de la matière et de
la forme de ce sacrement, de quoi nous parlerons dans la prochaine controverse.
Le neuvième argument,
Kemnitius le tire de ce que les saints anciens pères et les anciens
conciles , avant ceux de Constance et de Florence, n’enseignèrent pas que le mariage était un
sacrement. Et parmi les docteurs qu’il
cite, Durand enseigne avec eux que le
mariage n’est pas un sacrement proprement dit , ou du même genre que les
autres. En se servant de ces paroles, il
s’efforce de taxer de mensonge les paroles du concile de Trente, que l’on
trouve au début de la session 21 : « Le mariage a été énuméré comme
sacrement de la nouvelle loi. C’est ce
qu’ont toujours enseigné nos saints
pères, les conciles, et la tradition de l’église universelle ». Je réponds que, pour que soit vraie la sentence du concile, il n’est pas
nécessaire que tous les pères et tous
les conciles aient enseigné explicitement que le mariage est un sacrement. Mais, il suffit que quelques pères et
quelques conciles nous aient transmis
cela, et qu’aucun père ni aucun concile n’ait enseigné le contraire. Et il a été montré que si une voix
discordante se dissociait du grand
nombre, cette opinion isolée se trouvait par le fait même réprouvée par le
jugement de l’ensemble.
De plus, nous avons montré
que certains pères ont enseigné que le mariage est un sacrement. Il incombait
donc à Kemnitius de citer ceux qui
enseignaient le contraire. Ce qu’il n’a
pas fait, et ce qu’il ne peut pas faire.
Les anciens conciles expliquaient ce qui était contesté en leur
temps. Le mariage a été institué par
Dieu, c’est un fait, et c’est une bonne
chose. Était-un sacrement proprement dit
, il n’y avait pas de raison d’en disserter doctement, puisque personne n’en
doutait. Mais quad le besoin s’en fit sentir, les conciles postérieurs déclarèrent ce qui avait été omis par les
anciens. En ce qui a trait à Durand, il
avait écrit au début (comme le rapporte
Capréolus dans 4 dist 26, question unique, art 3) que « le mariage n’était
pas proprement un sacrement. »
Mais parce qu’il entendit les catholique parler en mal de lui, il se
rétracta dans les éditions successives,
et dit que le mariage est un vrai et propre sacrement, mais pas de façon
univoque. Et il ajouta que cette question sur l’univocité ne relève que de la
logique, pour laisser entendre qu’il ne différait d’avec les autres qu’en
matière de logique. Bien qu’il n’ait pas réussi à camoufler son erreur par ce
prétexte, nous voyons, avant le concile de Constance et de Florence, qu’ont été
hérétiques ou soupçonnés de l’être, des
auteurs qui enlevaient le mariage du nombre des sacrements.
Voyons maintenant quelle
force ont les arguments de Durand. Soit
donc le dixième argument, qui est celui de Durand : « Dans les autres
sacrements, ce qui se fait à l’extérieur transcende le dictat de la raison
naturelle, et on ne peut en rendre
compte suffisamment que par la lumière
de la foi. Mais ce qui se fait à l’extérieur
dans le mariage a une cause naturelle.
Ne sont donc pas des sacrements univoquement le mariage et les six
autres.
Il prouve ainsi la majeure. Si quelqu’un qui ignore les mystères de
notre foi voyait un enfant qui se fait
baptiser dans l’église, il ne pourrait pas comprendre la raison d’être de cette
ablution. Car elle n’est pas faite pour
rafraichir ou laver corporellement l’enfant, choses qui sont des effets
naturels de l’eau, mais, pour qu’il soit
justifié du péché originel, ce qui est un effet surnaturel, qui ne dépend que
de la volonté de Dieu. Et on peut dire
la même chose des autres sacrements, qui
sont tous des signes volontaires institués par Dieu. Il prouve ensuite la mineure ainsi. Le mariage est fait pour signifier et
effectuer l’union indissoluble de l’homme et de la femme, et c’est ce que
signifient naturellement les paroles qui expriment le consentement mutuel. Donc, si un païen voit la célébration d’un
mariage, il comprendra facilement ce qui s’y passe.
On ne répond pas à l’objection
de façon satisfaisante si on réplique que le mariage est le sacrement du Christ et
de l’Église, et que cet effet n’est pas signifié naturellement, et ne peut pas
être connu par un païen. Car, puisque
les sacrements font ce qu’ils signifient,
la signification principale des sacrements porte sur la chose qui est effectuée par le
sacrement. Or, le mariage n’effectue pas l’union du Christ
avec l’Église mais l’union d’un homme avec une femme. Et c’est cette union qui, dans le bien
conjugal, (chapitre 7) est appelée par saint Augustin, « la chose du sacrement. »
Je réponds que la mineure
est fausse. Car, ce n’est pas n’importe
laquelle union entre un homme et une femme
qui est « la chose de ce sacrement », mais une union tout à
fait indissoluble. Car, même si, d’un
commun accord, les époux voulaient, soit par l’autorité ecclésiastique, soit
par l’autorité publique, rompre le lien
d’un mariage consommé, ils ne pourraient
pas le faire. Cette union toute spéciale
n’est pas spécifiée naturellement par
les paroles que les conjoints prononcent
lors de la célébration d’un mariage : « Quels sont ceux que ne fait pas réfléchir, dit saint Augustin au
lieu cité, une telle fermeté du lien conjugal ? Je ne pense pas que ce
lien pourrait avoir une telle valeur, si le sacrement n’ajoutait pas quelque
chose de plus grand que l’infirme
mortalité des hommes. » De plus, l’union
que symbolise et effectue le sacrement du mariage n’est pas seulement une union
des corps, mais aussi des âmes, et non pas n’importe laquelle, mais par une
vraie et divine charité, selon laquelle l’épouse est unie à l’époux comme l’église
l’est au Christ, et l’époux est unie à l’épouse comme le Christ l’est à l’église. Voilà pourquoi c’est cette union qui
sacralise et sanctifie les âmes, si on n’y met pas d’obstacle. Ces choses-là ne peuvent pas être signifiées
naturellement, et ne peuvent être connues que par la lumière de la foi. Et voilà pourquoi le mariage chrétien, de par
son institution divine, ne signifie pas moins que les autres.
Le onzième argument, qui est
le second de Durand : « Les autres sacrements consistent dans quelque
chose de sacré qui est appliqué
extrinsèquement par le ministre à celui qui le reçoit. Or, on ne voit rien de tel dans le
mariage. Le mariage n’est donc pas
univoquement un sacrement comme les autres.
La majeure est évidente. Car,
dans le baptême on applique de l’eau ou une ablution. Dans la confirmation, de
l’onction. Dans l’eucharistie, on
consacre du pain. Dans la confession, il
y a l’absolution. La mineure est très
certaine. Dans le mariage il n’y a rien
qu’on puisse ou qu’on doive appliquer, car, il suffit que la volonté des époux
soit exprimée par un signe. Et si quelqu’un
répondait que dans ce sacrement, sont
appliqués les signes du consentement mutuel, sa réponse ne serait pas du tout
satisfaisante, car il ne montrera jamais
que ces signes sont appliqués,
comme les signes le sont dans les autres sacrements. En effet, dans les autres sacrements, les
signes sont nécessairement appliqués par
un autre. Personne, en effet, ne se
baptise, ne se confirme ou ne s’absout lui-même. Or, dans le mariage, ce sont les époux qui se
lient eux-mêmes. De plus, les autres
sacrements ne peuvent être conférés ni à un absent, ni à l’un par un autre. Personne, en effet, ne baptise un homme ab
sent, et personne n’est baptisé par procuration. Or, on peut célébrer le mariage en l’absence
de personnes, ou par procuration. Le
sacrement du mariage n’est donc pas univoquement un mariage comme le baptême et
les autres sacrements. »
Je réponds qu’il nous faut
nier la conclusion qu’il tire de cet argument.
Car, ce n’est pas de la nature du sacrement en général de consister dans
quelque chose qui est appliqué à l’extérieur,
mais, il suffit qu’il soit un signe, et la cause de la grâce justifiante. Et si cet argument avait quelque valeur,
aucun sacrement ne serait un sacrement univoquement avec les autres. Car, il n’y en pas un qui n’ait quelque chose
de propre qui le distingue des autres.
Exemple. Aucun sacrement, en
dehors du baptême, n’a comme matière, un élément vrai et naturel. On pourrait donc former ainsi un
argument. C’est quelque chose de commun
aux sacrements de ne pas avoir comme matière un élément vrai et naturel. Or, le baptême a un élément vrai et naturel. Le baptême n’est
donc pas univoquement un sacrement comme les autres. On pourrait faire un argument semblable sur l’eucharistie. C’est quelque chose de commun aux sacrements
de consister dans une action. Or, l’eucharistie
ne consiste pas dans une action, mais dans une chose permanente. On peut dire la même chose des autres
sacrements, comme Capreolus et Paludanus le déduisent allègrement.
Si quelqu’un demandait
quelle est la raison pour laquelle le mariage ne consiste pas dans l’application
d’une chose externe, la réponse surgirait
rapidement. Dieu a institué les
sacrements de différentes façons. Il a
voulu que le sacrement du baptême soit institué dans un lavement. Il a donc voulu qu’on ait à se procurer de l’eau. Il a voulu que le sacrement de l’eucharistie
consiste dans une réfection, et il a donc choisi du pain et du vin. Le sacrement de pénitence, il l’a voulu sous
forme judiciaire, et il a donc commandé
que la sentence soit exprimée par des paroles. Et ainsi des autres.
Il a voulu que le mariage consiste dans un
contrat, et il a donc conservé la façon de procéder des contrats. Dans les contrats, on n’applique rien
extérieurement, mais les contractants eux-mêmes
font le contrat par la signification d’un consentement mutuel. Ce qui nous fait aussi comprendre pour
quelle raison le mariage n’a pas besoin d’un autre ministre en plus des époux, et pourquoi il
peut être célébré entre absents, et par procuration. Car la nature d’un contrat est de telle sorte
que les contractants se lient eux-mêmes, et n’ont pas besoin d’une autre
personne pour les lier. Et voilà
pourquoi ils peuvent, s’ils le veulent, se lier par procuration ou en étant
absents. Ces choses n’ont pas lieu dans
les autres sacrements, car elles répugnent à leur nature et à leurs
propriétés. La raison n’admet pas, en
effet , que quelqu’un se régénère lui-même,
ou qu’un absent lave un absent, ou que quelqu’un soit lavé à la place d’un
autre, et ainsi pour les autres sacrements.
Le douzième argument, qui
est le troisième de Durand : « Le sacrement de mariage ne confère par
de grâce, les autres en confèrent. Il n’est
donc pas univoquement un sacrement comme les autres. La majeure, il la prouve par l’autorité et la
raison. L’autorité c’est n’importe
lequel interprète du droit canon, et des sentences de Pierre Lombard (livre 4,
dist 2). La raison est double : une
des jurisconsultes, qu’il cite, et une autre, qui lui est propre. Les jurisconsultes prouvent que le mariage
ne confère pas la grâce, car le pacte du mariage est licite si on ajoute une certaine
somme d’argent. Ce qui serait illicite
si le mariage conférait une grâce, car
vouloir acheter la grâce de Dieu avec de l’argent serait un crime de simonie. Durand se sert lui-même de cet
argument : « Le mariage ne confère pas la première grâce, qui est la justification des péchés. Ni la seconde grâce, ni l’augmentation de la
grâce. Il ne confère donc aucune
grâce. » Il prouve qu’il ne
confère par la première grâce en disant que seuls le baptême et la pénitence
ont été institués pour la rémission des péchés.
Qu’il ne confère pas non plus la seconde, il le prouve en disant que le
mariage aurait une grâce plus grande que la continence. S’il celui qui se marie était continent, le mariage le ferait croitre en
grâce.
Je réponds qu’en ce qui a trait
à l’autorité des interprètes du droit canon, il importe peu ce que pensent
certains, puisque la sentence commune
dans la rubrique des fiançailles et des mariages, leur est contraire,
comme l’a noté Navarre (dans l’enchiridion, chapitre 19, numéro 22. Et aussi parce que, dans les
choses qui sont de droit divin, comme le sont les sacrements, il faut faire plus confiance aux
théologiens qui sont de vrais experts de
droit divin, qu’aux canonistes, qui sont versés dans les seules lois humaines.
Ne vaut rien l’argumentation
de Durand qui lui fait prouver que l’autorité des canonistes est très
grande parce qu’ils connaissent la
sentence et la foi de l’église romaine.
Car, les canonistes n’ont connu de la sentence romaine que les choses
qui se rapportent aux canons humains, non celles qui sont de droit divin. Et dans tout le droit canon, ils ne pourront
pas trouver un seul canon qui statue que le sacrement du mariage ne confère pas
la grâce. En ce qui a trait à la
sentence du maitre, saint Thomas, montre,
en expliquant ce passage des sentences, que le maitre n’a rien déclaré de
contraire à la sentence commune. Le
maître dit que certains sacrements ont été institués à la fois comme des remèdes, et comme
procuration d’une grâce adjuvante, comme
le baptême; d’autres, comme un remède seulement, comme le
mariage; et enfin d’autres, seulement
comme une grâce adjuvante, comme l’eucharistie. Il
faut entendre ses paroles de la fin principale, et de l’effet des
sacrements. Car, même si tous les
sacrements confèrent la grâce qui fait un reconnaissant, et même si toute grâce
qui fait un reconnaissant avait le
pouvoir d’effacer les péchés, et d’apporter
une aide pour bien vivre, il reste que certains sacrements ont été institués principalement pour aider à
bien agir, comme l’eucharistie, la confirmation et l’ordre. D’autres l’ont été pour effacer et éviter les
péchés, comme la pénitence, l’onction des malades et le mariage. D’autres,
pour l’un et l’autre effet, comme le baptême, qui, comme il est une nouvelle génération,
inclut simultanément la vie de la grâce
et la mort des vices.
À la raison des canonistes,
répond très bien saint Thomas (en 2, 2, que 100, art 1, dans 4, dist 25, quest
3, art 2, quest 1. Il écrit que, dans le
mariage, on peut considérer non seulement le sacrement, mais aussi le contrat
civil. Et, à cause de cela, bien qu’on ne puisse pas
recevoir ou donner de l’argent pour un
sacrement, on le peut pour le contrat
civil, c’est-à-dire, pour supporter les frais du mariage. Ajoutons que, même si le mariage ne conférait
pas la grâce, il serait quand même un sacrement de par la sentence des
canonistes eux-mêmes. Il ne serait
donc pas permis, pour ce mariage, de
recevoir ou de donner de l’argent. Car,
on ne peut légitimement vendre ou acheter rien de sacré. À la raison de Durand, qui est certes indigne d’un tel théologien, je réponds que le sacrement de mariage
confère la grâce qu’on ne peut appeler première ou seconde. Car, même si ce sacrement n’avait pas été
principalement institué pour remettre les péchés, il peut les remettre de la manière dont les
remettent les autres sacrements, comme l’eucharistie et l’ordre. Et s’il fait cela, ce serait la première
grâce. S’il ne le fait pas, ce sera la
seconde.
Il importe peu que la
continence soit plus excellente que le mariage.
Car, autre chose est comparer un état avec un état, et autre chose un état avec un
sacrement. L’état de la continence est
plus élevé que l’état du mariage, il est d’une plus grande grâce, et d’un plus
grand mérite : (1 Corinthiens 7)
« Celui qui se marie fait bien, celui ne se marie pas fait
mieux. » Cependant, le sacrement
augmente toujours la grâce, dans quel qu’état où il est reçu. Voilà pourquoi quand le continent contracte
le mariage, il croit en grâce. Mais si
le même continent méprisait les noces humaines à cause de Dieu, il trouverait une plus grande grâce auprès de Dieu que celle qui est donnée par
le sacrement du mariage.
Le treizième argument, qui
est le quatrième de Durand : « Dans les autres sacrements, l’ordination
de l’Église peut avoir la force d’un précepte,
mais cela n’est jamais de la nécessité d’un sacrement, car l’Église ne
peut pas changer ce qu’il a y a d’essentiel à un sacrement. Or, dans le mariage, l’ordination de l’Église
est de la nécessité du sacrement, car quand l’Église interdit des mariages à certains degrés de
consanguinité, le sacrement du
mariage n’a pas lieu entre ces
personnes, même si ces personnes s’efforcent de contracter réellement un
mariage. Le mariage n’est donc pas
univoquement un sacrement comme les
autres. »
Je réponds que la conclusion
de cet argument est mauvaise, et que la majeure est fausse. Car, la raison pour laquelle l’ordination de
l’Église est nécessaire au sacrement du
mariage n’est pas parce que l’Église a le pouvoir de changer ce qu’il y a d’essentiel
dans les sacrements, mais parce qu’elle peut changer le fondement pré
requis à ce sacrement. Car, la matière de ce sacrement n’est pas n’importe
laquelle union d’un homme et d’une femme, mais l’union de personnes légitimes.
Autrement, il pourrait y avoir un sacrement de mariage entre le père et la fille, entre le fils et la mère. Ce que sont les personnes légitimes, le
Christ ne l’a pas défini, mais présupposant
qu’un contrat humain se fait entre personnes légitimes, il a élevé cette union à la dignité de
sacrement. C’est l’église qui détermine
quelle sont les personnes qui sont légitimes, et qui, de cette façon, prépare
une matière et un fondement au sacrement du mariage. L’essence du mariage, elle, ne change en
aucune façon, et ne peut pas changer.
On trouve la même chose dans
les autres exemples. Car, comme la
matière de l’eucharistie est le pain et le vin, personne ne peut faire en sorte
que le pain et vin, tant qu’ils seront tels,
ne soient pas la matière de l’eucharistie. Ni que ce qui n’est ni pain ni vin ne soit la
matière de l’eucharistie. Mais les
hommes peuvent faire en sorte que le vin se change en vinaigre, et cesse alors
d’être la matière de ce sacrement. Ils
peuvent faire, à l’inverse, que les raisins commencent à être du vin, et qu’ils
deviennent ainsi matière de sacrement.
De la même façon, donc, l’Église ne peut pas faire en sorte que les personnes légitimes ne soient pas la
matière de ce sacrement, tant qu’elles sont légitimes. Elle ne peut pas faire
non plus que des non légitimes soient la matière du sacrement. Mais, elle peut cependant, par décret, faire
des illégales avec des légales, et vice versa.
Voir saint Thomas (1 dist 31, quest 1, art, à 1.
De plus, ne semble pas être
vrai ce que Durand a mis dans la majeure, à savoir qu’il est propre au
mariage que, pour lui, l’ordination de l’Église soit de nécessité de sacrement. Car, nous voyons la même chose dans les
sacrements de pénitence et de confirmation. Car, quand l’Église confie à un prêtre une
certaine paroisse ou un diocèse, si ce
prêtre administre le sacrement de pénitence à des hommes qui ne sont pas ses
sujets, non seulement il pèche en allant contre un précepte de l’Église, mais
son absolution n’est pas ratifiée. Et si
le souverain pontife confie à un simple prêtre
d’administrer le sacrement de confirmation n’importe où, son sacrement
sera vrai et ratifié. Si un simple
prêtre fait cela sans le mandat ou la permission de le faire, son sacrement ne sera pas vrai, et il
commettra un péché.
Le quatorzième argument, qui
est le cinquième de Durand : « Sans le baptême, personne n’est apte à recevoir un sacrement proprement
dit. Or, l’homme est apte à contracter
un mariage avant le baptême. Donc, le
mariage n’est pas un sacrement proprement dit.
Il prouve la mineure ainsi. Car,
entre les fidèles, le baptême est aussi vrai et légitime avant le baptême qu’après. Il importe peu que, après le baptême on
appelle ratifié ce qu’on n’appelait pas
ainsi avant. Car, on dit qu’il est
ratifié, mais il n’est pas, pour cela, un plus grand sacrement qu’avant, puisqu’aucun
changement n’a été opéré. »
Quelques-uns répondent,
comme Pierre Pludanus, (1 dist 26, q unique, art 3 et 5), et Jean Eck (homélie
73 sur les sacrements), que les conjoints qui se convertissent à la foi,
doivent, après le baptême, réitérer le mariage, et que c’est alors que le
contrat devient un sacrement. D’autres,
cependant, comme Thomas d’Argentine, (4
dist 39, quest 1, art 1, a 1 ) et Paludanus ( au lieu cité) disent que, sans un
nouveau contrat, le mariage qui avant le baptême n’était pas un sacrement, le devient subitement, car il signifie
déjà en acte ce qu’il signifiait
auparavant en puissance seulement.
Mais, quoi qu’il en soit de tout cela,
la sentence commune des théologiens (
sentences, dist 39), est que le mariage des infidèles peut être vrai et
légitime, mais non ratifié, et pas tout à fait indissoluble. Mais si les deux conjoints se convertissent
à la foi, et sont baptisés, leur mariage devient ratifié, tout à fait
indissoluble, et donc un sacrement. Car, le
mariage des infidèles n’est pas ratifié,
parce qu’il n’est pas un sacrement,
comme l’enseigne saint Thomas (dans son deuxième écrit sur la sentence 4, dist 39.) Car, dit-il, « l’insolubilité est
l’effet du sacrement. » Donc, ou
les conjoints après le baptême contractent de nouveau le mariage, ou ils persistent dans le contrat d’avant le
baptême. Le consentement mutuel exprimé
par la parole, des gestes ou au moins
par la copule, fait le sacrement du mariage en ceux qui, par le baptême,
étaient devenus aptes à recevoir des sacrements.
DEUXIÈME CONTROVERSE
CHAPITRE
6
La matière, la forme et le
ministre du sacrement de mariage
Même si, à l’occasion des
arguments de Durand, nous avons touché à ces sujets, il nous faut maintenant les traiter un peu
plus longuement, autant à cause des calomnies de Martin Kemnitius, que de l’opinion singulière de Melchior
Cano. Il nous semble que cela doit être
fait pour que le dogme ecclésiastique
expliqué dans la question précédente, soit de tous côtés protégé et bien
défendu.
L’argument de
Kemnitius. Le mariage n’est pas un
sacrement proprement dit, parce qu’on ne
peut pas facilement démontrer la matière et la forme de ce sacrement, c’est-à-dire
l’élément et la parole. En prouvant sa
position, Melchior Cano se sert
imprudemment d’arguments qu’utilisent
les adversaires de notre temps pour vexer l’Église. Dans son livre 8, chapitre 5, sur les lieux
théologiques, il affirme que ce ne sont pas tous les mariages légitimement
contractés qui sont des sacrements, mais ceux-là seulement qui sont célébrés
par un ministre ecclésiastique avec des paroles sacrées et solennelles. Voilà pourquoi il admet que les paroles avec
lesquelles les époux expriment leur mutuel consentement sont la forme du contrat du mariage, mais non
du sacrement de mariage. Et il admet que
les personnes contractantes sont les ministres du contrat de mariage, mais non
du sacrement de mariage.
Or, la sentence commune et
vraie ignore cette distinction, et ne fait pas de différence entre le contrat
du mariage chrétien, sa matière, sa forme et son ministre, d’une part, et le sacrement du mariage, sa matière, sa
forme et son ministre, d’autre part. De
sorte que ce qui suffit pour célébrer ce contrat suffit également pour célébrer
le sacrement. De là vient que pendant
que Melchior Cano tente de prouver de
toutes ses forces que n’est pas un sacrement un mariage célébré par un ministre ecclésiastique sans
la forme des paroles, il prouve aussi en
même temps, en autant que cela dépende de lui,
qu’il n’y a pas de vrai sacrement de mariage dans l’Église.
Pour répondre à l’un
(Kemnitius) et à l’autre (Durand), nous
exposerons brièvement ce que, selon la
sentence commune, sont la matière, la
forme et le ministre de ce sacrement. Et
nous repousserons la calomnie de Kemnitius.
Nous réfuterons ensuite la sentence de Melchior Cano. En ce qui a trait
à la matière du sacrement, on trouve, parmi les théologiens, deux principales
sentences. C’est Pierre Paludanus qui les rapporte ( 4 dist 1, question
4). La première. Le consentement des époux exprimé par des
mots, ou les paroles exprimant le
consentement sont la matière et la forme
de ce sacrement. La deuxième. Les corps ou les personnes des contractants
sont la matière; les paroles exprimant
le consentement sont la forme. À mon
jugement personnel, ces deux sentences sont toutes les deux vraies, et peuvent
facilement se concilier. Car, le
sacrement du mariage peut être considéré
de deux façons. Une première :
pendant qu’il se fait. Une
deuxième : pendant qu’il demeure après qu’il a été fait. Car, le mariage est semblable à l’eucharistie
qui est un sacrement non seulement pendant qu’elle est faite, mais aussi quand
elle demeure. Car, tant que les
conjoints vivent, leur association est toujours un sacrement du Christ et de l’église.
Si on considère le mariage
pendant qu’il est fait, toute son essence consiste dans les signes qui
expriment le consentement mutuel. Car,
les corps des époux n’apportent pas leur concours, si ce n’est en tant que
matière « de laquelle », comme cela se fait dans l’eucharistie, où toute l’essence de la consécration est
placée dans les paroles de la consécration.
Le pain et le vin, en effet, ne concourent que comme matière « de
laquelle ». Et nous voyons la même
chose dans les autres contrats. Car,
quand on vend ou achète une maison, toute la vertu du contrat repose dans le consentement mutuel. La maison est la matière au sujet de laquelle
se déroule l’opération. Car, personne ne
dit que la maison vendue ou achetée est une partie du contrat. Mais, parce que les paroles d’un conjoint
déterminent les paroles de l’autre, et que cette détermination est
mutuelle, on peut, à cause de cela, distinguer dans les mêmes paroles, la forme
de la matière. Car, en tant qu’elles
déterminent, les paroles peuvent être appelées forme, et en tant qu’elles sont
déterminées, matière.
Et c’est cela la sentence de
saint Thomas ( 4 dist 26, quest 2, art 1.)
Car, dans la réponse à 1, il dit que les paroles des époux sont la forme
de ce sacrement. Et en réponse à 2, il
dit que la matière est l’acte des conjoints qui ont reçu le sacrement de
mariage. Par acte, il entend les mêmes paroles qu’il avait déclarées être
la forme. Un autre acte n’est pas
nécessairement requis pour parfaire ce sacrement. Font la même distinction Richard, Paludanus, Capriolus, Dominique a Soto, et d’autres.
Si maintenant on considère
le mariage déjà fait et célébré, on ne
peut pas nier que les époux eux-mêmes cohabitant ensemble ou l’association et l’union conjugale externe, sont le symbole
matériel externe représentant l’union
indissoluble du Christ et de son Église.
C’est comme dans le sacrement de l’eucharistie. Après la consécration, les espèces consacrées demeurent en tant que
symbole sensible et externe d’un aliment spirituel. Voilà pourquoi je pense que Pierre a Soto a
eu raison de dire (leçon 4 sur le
mariage), qu’il appert que les personnes contractantes ne sont pas seulement la
matière « de laquelle » mais aussi « avec laquelle » se
fait le sacrement. Tous les théologiens
également indiquent fermement que les
corps des conjoints sont la matière de ce sacrement, quand ils affirment que l’Église
a le pouvoir de déterminer certains degrés de consanguinité et d’affinité qui
rendent le mariage non ratifié. Car, en
établissant ces degrés, elle fait en sorte que les personnes qui étaient,
antérieurement, des matières de ce sacrement,
ne le soient plus. Voilà ce qu’on
dit au sujet de la matière.
En ce qui a trait à la
forme, ce sont, du consentement de tous
les théologiens, à l’exception du seul Cano,
les paroles et les signes qui expriment le consentement. C’est ce que dit explicitement saint
Thomas ( au lieu cité , 4 dist 26, ques t 2, art 1, à un.), et avant
lui, Hugues de Saint Victor (livre 2 sur les sacrements, par 11, chapitre 5, ), et d’autres. Mais Kemnitius nous objecte (à la page
1221), que Jean Gropperus enseigne, à
notre époque, que la forme du sacrement
de mariage ce sont les paroles du Christ en Matth 9 : « Ce que
Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Il ajoute qu’il ne manque
donc pas d’auteurs qui enseignent que, contrairement à ce que disent les
scolastiques, les signes mutuels de
consentement ne sont pas la forme de ce sacrement.
Mais, à son accoutumée, Kemnitius ne cite pas
de bonne foi. Le texte de Gropperus est dans l’enchiridion de l’instruction
chrétienne, au nom du concile de Colon, dans le traité du sacrement de
mariage. En cet endroit, Gropperus
déduit la forme du mariage des paroles du Christ (ce que Dieu unit etc), mais
il ne dit pas que ces paroles sont la forme,
et qu’elles doivent nécessairement être prononcées. Il dit plutôt
expressément que les paroles du mutuel consentement sont la forme de ce
sacrement : « Il nous reste à indiquer la parole et l’élément de ce
sacrement, et à démontrer qu’une grâce est conférée par eux. La parole de ce sacrement annexée à l’élément, fait le sacrement. Ce qui ne veut dire rien d’autre que, quand,
à cause de la piété qui est en Dieu, l’homme et la femme se donnent
et reçoivent mutuellement la foi conjugale, il s’unissent et copulent
non de n’importe laquelle façon, mais
au nom de Dieu. »
Tu vois, lecteur, que
Gropperus ne diverge pas des autres dans la détermination de la forme de ce
sacrement. Et la seule raison pour
laquelle il a allégué les paroles du Seigneur,
c’est pour prouver que le mariage des chrétiens n’est pas un contrat purement civil et
humain, mais que les paroles des
conjoints doivent être référées à l’union divine et sacrée de laquelle il est
dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».
Ce que nous venons d’expliquer
nous fera aussi comprendre quel est le ministre de ce sacrement. Car, comme il appartient proprement au
ministre de prononcer les paroles de la forme,
et, par elles, de conférer le sacrement;
et comme, dans ce sacrement, les paroles de la forme sont prononcées par
les conjoints, il est nécessaire que les conjoints soient les ministres de ce
sacrement. On ne doit pas trouver
absurde de voir dans les mêmes personnes
la cause matérielle et la cause efficiente.
Car, c’est ce qu’exige la nature d’un contrat, qui se fait avec les personnes
contractantes. Exemple. Si quelqu’un se vendait lui-même pour devenir
un esclave, il serait lui-même celui qui vend, et la chose vendue : la
cause efficiente, et la cause matérielle.
Il en est ainsi dans le mariage, quand les époux se donnent et se
livrent l’un à l’autre. Ils sont alors
la cause efficiente et la cause matérielle.
Et bien qu’un décret de l’Église requière qu’un ministre de L’Église sollicite et
approuve le consentement des époux, le déclare et le confirme par une
bénédiction sacerdotale, ceux qui effectuent le sacrement du mariage au sens
propre, ce sont les époux.
Avec ces précisions, on peut
réfuter la calomnie de Kemnitius. Il
nous objecte (dans 2, par, examen pages 1220 et suivantes), que les
scolastiques n’avaient pas encore pu imaginer quelque chose qu’on pourrait
correctement appeler forme et matière de ce sacrement. Il ajoute que nos théologiens
et nos jurisconsultes ont des opinions divergentes et floues sur cette
question. Et il reproche au concile de
Trente de ne pas s’être prononcé dans une chose aussi douteuse. Mais, ce sont des paroles qu’emporte le
vent. D’abord, le concile n’a rien
déterminé là-dessus, car il n’avait pas à le faire. Car, comme le Seigneur lui-même n’a pas précisé quelle était la matière ou la
forme de ce sacrement, parce qu’il n’instituait
pas un nouveau symbole, mais élevait à la dignité de sacrement un contrat
humain usité, en lui attribuant une
nouvelle signification, et une promesse de grâce, de la même façon le concile a rempli son
devoir en expliquant une tradition qui
remonte au Seigneur.
Quant aux théologiens, ils sont tous d’accord au sujet de la forme et du ministre. Le dissentiment qu’ils ont quant à la
matière n’est pas une vraie divergence, car leurs opinions peuvent facilement
se concilier. Et même si les théologiens
catholiques divergeaient grandement au
sujet de la forme et de la matière, cela
n’enlèverait rien à la certitude que nous avons tous que le mariage est un
sacrement proprement dit. Car, pour
avoir la foi catholique sur les sacrements,
et pour les administrer et les recevoir dignement et fidèlement, il
suffit de savoir ce qui est nécessairement requis à la célébration du
sacrement, quelles sont et combien sont
les choses sans lesquelles on ne peut
conférer un sacrement. Mais en quoi
consiste la forme ou la matière, on peut en disputer sans préjudice pour la
foi, et on peut aussi l’ignorer.
Que le curé sache que, pour le baptême, l’eau est nécessaire
avec les paroles (je te baptise au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit). Mais, est-ce qu’on doit
dire que l’eau est la matière et les paroles la forme, il pourra l’ignorer sans
péril pour lui et pour le baptisé. Et
même s’il pensait que la parole et l’eau sont la forme, son erreur n’aurait pas de conséquence grave,
et son baptême ne serait pas inutile. On
peut appliquer la même chose au mariage. Si les chrétiens soutiennent que pour qu’un mariage soit correctement
célébré, est nécessaire un mutuel
consentement exprimé dans un signe sensible,
et que la promesse d’une grâce
est annexée à ce symbole, comme à un vrai sacrement de la loi nouvelle, il serait sans péril, même s’il ne pouvait
pas distinguer la matière de la forme.
Là-dedans, tous les théologiens convergent, à la seule exception de
Melchior Cano. Kemnitiius n’a donc rien à gagner dans ce genre de
dispute.
CHAPITRE 7
Tout mariage légitime contracté entre
chrétiens est un sacrement
Maintenant, contre l’opinion
de Melchior Cano, il faut prouver qu’il n’y a pas d’autre forme
essentielle, et qu’il n’y a pas d’autre
ministre du sacrement de mariage; et qu’il
n’y aucun mariage célébré par des chrétiens qui ne soit aussi un vrai sacrement
de l’Église. Nous le prouverons d’abord
ainsi. Si l’opinion de Cano était
vraie, nous ne pourrions pas démontrer le sacrement de mariage par l’Écriture
ou les conciles. Et ce ne serait pas
sans raison que les hérétiques diraient
que ce sacrement a été récemment excogité par les hommes. Car, nous lisons dans l’Écriture que le
mariage des fidèles est un sacrement.
Mais, nous ne repérons dans l’Écriture aucun vestige d’une nouvelle
forme, ou d’un nouveau ministre. Voilà
pourquoi, si la forme et le ministre du contrat du mariage sont aussi la forme
et le ministre du sacrement du mariage, on aura démontré par l’Écriture la
forme et le ministre de ce sacrement. S’il
faut chercher une autre forme, et un
autre ministre, c’est ailleurs que dans
l’Écriture qu’il faudra les chercher.
Les conciles de Florence et
de Trente qui, à cause de nouvelles hérésies, expliquent ce dogme avec grand
soin, auraient du de toute nécessité
assigner une forme et un ministre de ce sacrement s’il y en avait d’autres en
plus de la forme et du ministre du contrat de mariage. Or, les conciles ne disent pas un seul
mot sur une nouvelle forme ou un nouveau
ministre. Ils indiquent
plutôt ouvertement qu’il ne faut rien chercher en plus de qui se trouve
dans le contrat de mariage. Le concile
de Florence parle ainsi : « Le septième sacrement est celui du
mariage, qui est, selon l’apôtre, le signe de l’union du Christ et de son
église. La cause efficiente du mariage est le
consentement mutuel exprimé par les paroles des époux. » Voilà ce qu’enseigne le concile.
En ce passage, par cause
efficiente du mariage, le concile entend la cause efficiente du mariage, en tant
aussi qu’il est un sacrement. Car c’est
ce qu’il avait entrepris d’expliquer, quand il avait dit : le septième est
le sacrement du mariage. Et s’il n’avait
pas voulu dire cela, on aurait été en droit de lui faire des reproches pour
avoir omis ce qu’il fallait nécessairement expliquer, et
pout avoir ajouté ce que personne ne demandait. Si la cause efficiente du sacrement du
mariage, selon la déclaration du concile œcuménique, est le consentement mutuel exprimé par des
mots, il s’ensuit manifestement que la forme de ce sacrement n’est pas la
bénédiction du prêtre, mais les paroles elles-mêmes des conjoints; et que le ministre nécessairement requis c’est
l’un et l’autre époux. Car, le ministre
est la cause efficiente du sacrement, et
il ne l’effectue pas autrement qu’en
ajoutant la forme à la matière. Donc,
quiconque voudrait sécuriser la
sentence de Cano, il lui faudrait
s opposer carrément au concile œcuménique, ou le taxer d’imprudence.
Le concile de Trente
(session 24), dans son décret sur le mariage, non seulement ne lègue pas une nouvelle forme et un nouveau ministre de
ce sacrement, mais il indique même ouvertement qu’il n’y en a pas. Car, il dit d’abord que, dans l’état d’innocence, le mariage a été approuvé par le Christ. Ensuite, il ajoute la grâce pour parfaire l’amour
conjugal naturel, ajoutée au mariage par
le Christ, instituteur des
sacrements. Ensuite, il conclut que le
mariage de la nouvelle loi l’emportait sur les anciens mariages par la grâce,
et il en conclut que ce mariage est un sacrement proprement dit. En cet endroit, le concile ne marque pas de
différence, en ce qui a trait au rite,
entre les mariages des anciens,
avant ou après le péché, et le mariage entant que sacrement de la nouvelle
loi. Mais il met une différence en ce
que l’un est une cause de grâce, et l’autre ne l’est pas. Donc, pour le concile de Trente, la forme et le ministre du sacrement de
mariage sont les mêmes que la forme et le ministre des mariages de l’ancien testament, qui n’étaient
pas des sacrements. Car, un rite est
formé d’une matière et d’une forme. Or,
en eux, il est certain que n’étaient pas de l’essence du mariage les paroles
prononcées par le prêtre. Ces paroles
ne sont donc pas, pour les chrétiens, de
l’essence du sacrement du mariage.
De plus, le même concile de
Trente dit, au même endroit, anathème à ceux qui prétendent que les mariages clandestins sont vrais et ratifiés jusqu’à ce que l’Église ne
les déclare invalides. Donc selon la
manière de s’exprimer des saints canons,
sont dis vrais et ratifiés les mariages qui ne sont pas seulement des
contrats civils, mais aussi des sacrements de la religion. Car, au chapitre quanto, sur le divorce,
Innocent enseigne que le mariage des
infidèles est vrai, mais non ratifié,
parce qu’ils n’ont pas l’indissolubilité de nos sacrements. Voilà pourquoi le concile de Trente a
déclaré que les mariages clandestins
étaient vrais et ratifiés, parce qu’ils étaient aussi des sacrements. Nous avons donc deux conciles œcuméniques
qui traitent de ce sacrement explicitement.
Or, non seulement ils ne nous ont
pas livré une nouvelle forme et un nouveau ministre de ce sacrement, mais ils nous ont enseigné clairement
que, en plus de ceux qui sont déjà dans
un contrat légitime de mariage, il ne
fallait pas en chercher d’autre.
On le prouve, en second
lieu, avec le consentement des théologiens.
Car, d’abord, Hugues de
Saint-Victor (dans le livre 2 sur les sacrements, para 11, chapitre 5,) dit
clairement que « le sacrement de mariage est effectué quand le consentement des deux époux est
exprimé ». Saint Thomas (1 r dist 26, quest 2, art 1, à 1) enseigne que « la forme du sacrement du
mariage ce sont les paroles des
époux ». Et le docteur en déduit
que « la bénédiction du prêtre n’est pas de l’essence du
mariage ». Et (dans la dist
28, question unique, art 3), il dit que
les mariages clandestins sont de vrais mariages, même si n’est présent aucun
ministre ecclésiastique. Parce que, dans
les mariages clandestins, on trouve tout ce qui est nécessaire dans un
mariage. Et c’est aussi ce que les
autres enseignent. Car, Cano confesse
être de l’opinion des autres docteurs.
Et Dominique a Soto qui, un peu avant, avait reproduit la sentence qu’avait
écrite Canon dans ses lieux théologiques,
affirme ( 4 dist 26, quest 2, art
3) que, de son temps, ne manquèrent pas les théologiens qui soutenaient que la forme essentielle du sacrement de
mariage se trouvait dans ces paroles du prêtre : « Je vous
unis. » Mais que, jusqu’à présent
personne n’a osé défendre cette opinion par écrit.
Ce qui nous fait comprendre
que l’opinion de Cano est singulière et neuve.
Il s’ensuit également que ou bien l’opinion de Cano est fausse, ou bien
toute l’église a erré pendant plusieurs siècles dans une chose de cette
importance. Car, si l’opinion de Cano est vraie, ont erré tous
les théologiens qui ont déclaré que les mariages clandestins ou célébrés sans
ministre ecclésiastique sont de vrais
sacrements et doivent être vénérés comme tels.
L’erreur des théologiens aurait entraîné l’erreur des évêques, des curés
et de tout le peuple chrétien. Car, le
jugement des théologiens dans les choses sacrées a coutume d’être suivi par les
pasteurs et les par les fidèles. Bien
plus, Cano, dans le lieu cité, affirme
que le concile de Florence n’a rien voulu définir sur la matière et la forme de ce sacrement, parce qu’il
considérait que rien n’avait été vraiment défini sur cette question par les
théologiens. Si les conciles œcuméniques
suivent les jugements communs des
savants, à bien plus forte raison le font les vicaires, et les prêtres. De l’opinion de Cano découlerait cette absurdité que, pendant
plusieurs siècles, un contrat purement
civil aurait été faussement considéré par l’église catholique comme un
sacrement.
Ce qu’il ajouts ensuite, au
sujet des théologiens, qu’ils n’ont rien
écrit de certain sur le sacrement de mariage,
qu’ils diffèrent d’idée, qu’ils n’ont
jamais traité à fond cette question, ne
pourrait en rien l’aider. Car, même si
les théologiens avaient des opinions divergentes sur la matière de ce sacrement, il n’y a,
chez eux, aucune dissension au sujet de la forme et du ministre, et c’est pour
cela qu’ils n’ont pas traité cette question à fond, mais se sont contentés d’affirmer
ce qui est la vérité, parce que cette
chose a toujours été très certaine dans l’Église, et qu’il n’est jamais venu à la pensée de
quiconque de la contester.
Troisièmement, on le prouve
par la raison. Ou les mariages entre
personnes légitimes chrétiennes,
célébrés sans une nouvelle forme par le prêtre, contiennent un lien d’indissolubilité entre
une personne et une autre, ou ils ne le
contiennent pas. S’ils le contiennent,
ils sont de vrais sacrements de la
nouvelle loi, car ce lien est la chose du sacrement, comme saint Augustin l’enseigne (au chapitre 7); et il est la cause pour laquelle les mariages
des infidèles, même légitimes et consumés, peuvent être dissous par la
conversion d’un conjoint (1 Corinthiens
7). Parce qu’ils ne sont pas des sacrements.
Ce lien est donc tout à fait indissoluble, c’est la chose surnaturelle, et l’effet divin
du sacrement.
S’ils ne contiennent pas ce
lien, ils peuvent donc être dissous, du moins en certains cas, et avec la dispense de l’Église. Et plusieurs femmes peuvent être prises comme
épouses par des chrétiens, pourvu qu’elles le soient sans bénédiction
sacerdotale. Car si le lien de l’un avec
l’autre est rendu indissoluble par le sacrement, qu’est- ce qui empêche que, là où il n’y a pas de sacrement,
les mariages soient multipliés ou dissous ?
Et on n’a jamais entendu dire, dans l’Église catholique, que des mariages légitimement contractés et
consumés soient dissous ou multipliés par une dispense quelconque, même s’ils
ont été célébrés sans le ministère des prêtres.
Bien plus, le concile de Trente (session 24), dans le décret sur les
mariages clandestins, déclare les hommes inaptes à contracter ces mariages
parce qu’il juge ne pas pouvoir dissoudre des mariages légitiment contractés,
même s’ils sont clandestins. Et
cependant, il considéra qu’il était préférable que ces mariages n’aient pas
lieu.
CHAPITRE 8
On réfute les arguments de Melchior Cano
La première objection :
« On ne peut pas prouver, par l’Écriture ou par la tradition, qu’un mariage profane contracté sans un
ministre ecclésiastique, soit un sacrement.
Donc, si un mariage est un vraiment un sacrement, il faut qu’en plus du
contrat civil, il ait une forme sacrée
et un ministre ecclésiastique. » Je
réponds que l’Écriture et la tradition n’enseignent pas qu’un mariage contracté
de façon profane ou qu’un mariage avec forme sacrée prononcée par un ministre
ecclésiastique soient des
sacrements. Ils ne parlent qu’en
général, et ne font qu’attester que le
mariage des chrétiens est un sacrement.
Car jamais dans l’Écriture, dans un
concile, ou dans un saint docteur Cano ne trouvera que la forme du
sacrement de mariage ce sont les paroles prononcées par le prêtre. Donc, si son argument prouvait quelque chose,
il prouverait que le mariage n’est pas un sacrement, ou que ce sacrement ne
peut pas être défendu par l’Écriture ou la tradition. Mais, il ne prouve aucune de ces choses. Car, les conciles les pères et l’Écriture divine qui parlent du sacrement de mariage, l’on
toujours entendu du contrat du mariage civil en tant qu’il a été, par l’addition
d’une grâce, élevé par le Christ à la
dignité de sacrement.
La deuxième
objection : « Dans le concile
de Florence, il est défini que tous les sacrements sont constitués de choses et
de paroles. Or, dans un mariage
contracté d’une façon profane sans ministre ecclésiastique, il arrive souvent qu’il n’y a pas de paroles,
mais seulement des signes de tête, ou des lettres, ou la copule elle-même des
conjoints. Un tel mariage ne peut donc
pas être un sacrement. Si quelqu’un
répondait que les signes de tête, les
lettres ou la copule tiennent lieu de paroles, on pourrait rétorquer que, pour
la même raison, un prêtre pourrait absoudre sans dire un mot, avec un seul
signe de tête, ou un évêque conférer le sacerdoce sans parler.
Et de plus, il semble tout à fait absurde que la copule tienne lieu de
forme sacramentelle, puisque le Saint-Esprit n’y est pas présent, comme on le
lit dans le canon, noces, 32, quest 2. »
Je réponds que, dans le concile de Florence,
on doit, par les paroles qui sont
requises dans tous les sacrements, entendre non seulement les paroles proprement dites, mais aussi les
signes qui prennent la place des mots.
Car, quand le même concile expliquait chaque sacrement en particulier,
il ne dit pas que, dans le mariage, des paroles étaient requises, mais il dit
qu’en règle générale, étaient employées les paroles des conjoints. Il a ajouté en règle générale, car il arrive assez souvent qu’un simple
signe de tête remplace des paroles. Ce n’est
donc pas quelque chose d’inusité ou d’étranger à la coutume de l’Écriture que
les hommes s’expriment par des signes de tête, et que donc des signes de tête
tiennent lieu de paroles. Car, en Jean
13 : « Simon approuva Jean par un signe de tête, et dit ». Commentant ce texte, saint Augustin dit
que saint Pierre a parlé par un signe de tête, et que la sainte Écriture
appelait paroles ces signes de tête.
Aux objections que Cano fait
sur le sacrement de pénitence et d’ordre,
je réponds qu’il y a une grande différence entre ces sacrements et le
mariage. Car le sacrement de pénitence
a la forme d’un tribunal. Dans un
procès, la sentence doit être prononcée par le juge, et on n’a jamais entendu
dire qu’on ait choisi un juge muet. De
plus, le prêtre doit pouvoir entendre,
évaluer les signes de la pénitence par tout le comportement du pénitent,
ainsi que son ferme propos de ne plus
pécher, et sa volonté de satisfaire pour les péchés commis. Pour une raison semblable, l’évêque, qui est
sur le point de conférer les ordres, doit les ordonner en leur présence, pour
pouvoir leur imposer les mains, et leur faire toucher les instruments. Il doit aussi prononcer la forme en
paroles, pour exprimer le pouvoir
particulier qui est conféré par l’ordination. Ensuite, (même si nous n’avions rien d’autre), l’usage de l’église montre suffisamment que l’absolution
ou l’ordination ne peuvent pas être conférées par un ministre absent ou
muet. Mais, le mariage, lui, a la forme
d’un contrat. Or, un contrat tient de
la coutume qu’il peut être célébré par des absents ou des muets. Et, au sujet de la copule, on y a déjà
répondu, en répondant à Calvin.
La troisième
objection : « Les sacrements sont des cérémonies sacrées, et des
actes de religion. Or, le mariage est contracté d’une manière profane par les
seules paroles des conjoints, et n’a rien donc de sacré. Un tel mariage ne peut donc pas être appelé
sacrement ». Je réponds que, par
lui-même, le mariage est une chose naturelle et civile. Cependant, il est rendu pleinement sacré par
la signification ajoutée et l’efficacité de la grâce. Voilà pourquoi ces paroles : « Je
te prends pour mon épouse, je te prends pour mon époux », n’ont pas la
même force pour les païens et pour les
chrétiens. Pour les païens, elles n’effectuent qu’un contrat civil, et c’es pour cela que
des paroles sacrées ne peuvent pas y être prononcées. Pour les chrétiens, on les appelle et elles sont de plein
pied des paroles sacrées, parce qu’elles
signifient non seulement l’union des corps, mais aussi des âmes, ou la
similitude de l’union du Christ et de l’église, et parce qu’elles sanctifient
les âmes. Il importe peu qu’aucune
parole sacrée ne soit présentée à la réflexion des époux. Car, il arrive même que les paroles du
baptême soient prononcées sans pensée religieuse par des infidèles. Cependant, parce que les mots sont sacrés de
par leur institution, et qu’ils sont prononcés avec l’intention de faire ce que
fait l’église, ils effectuent vraiment
le sacrement.
La quatrième
objection : « Dans tous les sacrements, est requis, d’après une déclaration du
concile de Florence, un ministre qui confère le sacrement. Or, dans le mariage d’un contrat profane, il
n’y a aucun ministre. Un tel mariage n’est
donc pas un sacrement. » Je réponds
que le concile de Florence requiert un ministre, mais il ne nie pas que la même
personne puisse être à la fois le ministre et le récipiendaire d’un
sacrement. Bien plus, ce même concile
enseigne ouvertement la même chose,
quand il dit que la cause efficiente d’un mariage est le consentement des époux exprimé par leurs paroles. Et il importe peu que dans les autres
sacrements le ministre et le récipiendaire soient deux personnes
différentes. Car, comme nous l’avons dit
plus haut, c’est quelque chose qui est propre au mariage, parce qu’il est un
contrat, et que la nature d’un contrat exige
que les contractants soient eux-mêmes la cause du contrat.
La cinquième
objection : « Les fidèles ne s’estiment pas sacrilèges quand ils font
un contrat si profane, s’ils sont
fortement privés de la grâce de Dieu. Il
est donc inscrit dans les âmes des fidèles
qu’un contrat de ce genre n’est pas un sacrement de l’Église. » Je ne vois pas comment Cano pourrait prouver
l’antécédent de son argument. Car, son
contraire est beaucoup plus probable.
Car, quand, dans les catéchismes, tous lisent qu’il y a sept sacrements,
et que l’un d’entre eux est le mariage, et que dans les sermons, ils n’ont
jamais entendu dire que ce n’étaient pas tous les mariages qui étaient des
sacrements, mais seulement quelques-uns,
il est probable de penser que les fidèles se tiennent dans la
pensée que tous les mariages sont des
sacrements légitimes, et qu’ils ne doutent pas que la violation de ce sacrement
est un sacrilège. Il importe peu que
quelques-uns se présentent à ce
sacrement avec la conscience chargée de lourds péchés. On en trouve aussi beaucoup qui n’oseront
jamais s’engager dans le mariage dans s’être purifiés par la confession. De plus, s’ils sont si nombreux ceux qui
détruisent les vases sacrés, qui polluent les temples, qui commettent
ouvertement d’autres sacrilèges, même s’ils ne
doutent pas que ce soient vraiment des sacrilèges, quoi d’étonnant que quelques-uns commettent facilement ce
sacrilège, qu’ils sachent ou qu’ils ne sachent pas que ce soit un sacrilège.
La sixième objection. Dans son épitre 23 à Boniface, saint
Augustin écrit que les choses corporelles qui constituent les sacrements sont
une image et une similitude de cette
sanctification, dont on dit qu’elles
sont signes et causes. Comme le lavage
externe du baptême signifie et effectue
la purgation interne, et la
manducation de l’eucharistie désigne et effectue une réfection interne. Or, le mariage civil et profane ne présente pas une image de sanctification, ni n’est exhibé pour sanctifier sous aucune
forme de sainteté externe. Il n’est donc
pas proprement un sacrement. » Je
réponds que ce n’est pas en tant que civil
mais en tant qu’élevé par Dieu à l’ordre des choses sacrées, que le
mariage civil représente l’image de l’union
du Christ avec son église, et avec l’âme de chacun, par la grâce et la
charité. Car, c’est ce que représente la
société externe de l’homme et de la femme,
que nous disons être la matière de ce sacrement, comme l’est le lavage
dans le baptême et le pain dans l’eucharistie.
Nous avons enseigné plus haut que le sacrement de mariage sert non seulement à signifier l’union du
Christ avec l’âme, mais aussi à l’effectuer.
Voilà pourquoi l’assomption de l’argument contraire est fausse,
assomption qu’il aurait du prouver, et non pas seulement énoncer.
La septième objection :
« Ce sont les paroles elles-mêmes du concile de Florence sur la forme des
sacrements : il ne pourra jamais se faire
qu’une chose non sacrée porte un sacrement à sa perfection. Les formes des sacrements doivent donc être
des paroles sacrées. On ne peut donc pas
appeler un tel mariage un sacrement ».
Il prouve ainsi l’assomption qu’on peut facilement nier, selon son dire, en ajoutant
que s’il existait des paroles sacramentelles, ce ne pourrait être
que : je te prends pour épouse, pour époux. Mais que ces paroles ne sont pas des paroles
sacramentelles, il le prouve de différentes façons.
Premièrement.
Ces paroles peuvent être la matière de celui qui reçoit le sacrement,
mais la forme, en aucune façon. Car, l’agent
introduit la forme par le moyen de
causes administratives.
Deuxièmement, parce que, bien que
la matière des sacrements puisse être une chose naturelle, cependant, la forme
qui donne l’être au sacrement doit nécessairement être surnaturelle. Or, les mots : je te prends pour épouse
sont partout naturels, et employés par tous les peuples. Troisièmement. La forme du sacrement signifie l’effet
spirituel dont le sacrement est dit être la cause. Or, ces paroles : je te reçois pour
mienne, ne sont les signes d’aucun effet
spirituel. Quatrièmement. Les paroles qui sont la forme d’un
sacrement sont déterminées par une
institution divine, et ne peuvent pas être changées par le caprice de l’homme. Or, les paroles par lesquelles le mariage est
contracté n’ont jamais été définies.
Cinquièmement. Quand certaines
paroles sont la forme d’un sacrement, si un signe de tête ou un mot écrit ou un
signe quelconque leur est substitué,
vaine est l’action. Et si, aux
paroles, les contractants substituent un signe de tête ou une écriture, ils
confectionnent le mariage comme s’ils s’étaient servis de paroles. Sixièmement, le nom du sacrement a coutume d’être
pris pour la matière, mais non pour la forme.
C’est l’ablution qui est appelée baptême, non les mots : je te
baptise. Or, ces mots : je te prends
pour mienne sont appelés mariage, ou sacrement du mariage. Car le mariage est un contrat formé des
paroles des deux conjoints. Ces paroles
sont donc la matière du sacrement, et non la forme.
Je réponds en niant que ces paroles : je te prends
pour mienne, ne puissent pas être la forme du sacrement. À la première preuve, je réponds qu’il n’est ni impossible ni absurde que la même chose soit parfois agente et
patiente, surtout selon des parties diverses.
Car, quelqu’un peut, avec ses mains, se lier ou se délier les
pieds. De la même façon donc, il pourra
avec des paroles et avec la langue se livrer à un autre, ce qui est la seule chose
requise dans un mariage. Voilà
pourquoi, si l’argument de Cano valait
quelque chose, il prouverait aussi qu’en tant que contrat civil, le
mariage est, lui aussi, impossible.
Car, le mariage ne peut pas être contracté sans que les conjoints ne se
lient. Donc, la forme du contrat est indiquée dans le même, en tant que patient, et en tant qu’agent
. Pourquoi ne peut-il pas se faire que
quelqu’un se baptise ou se confirme, ou s’ordonne, ou s’oigne, la raison n’en
est pas celle que nous donne Cano. Car,
quelqu’un n’aurait aucune difficulté à se verser de l’eau, et à dire : je me baptise. Mais c’est parce que répugne en eux la raison
du signe, qui ne répugne pas dans le sacrement du mariage.
À la deuxième preuve, je
réponds qu’autant la matière que la
forme du sacrement sont des choses naturelles, si on les regarde physiquement,
et surnaturelles, si on les regarde sacramentellement. Car, ce ne sont pas seulement les paroles qui
ont, de par leur institution divine, une signification surnaturelle, mais aussi l’ablution et l’onction. Cela, Cano l’admet aussi, ou plutôt il en
fait un argument, à l’objection six.
Voilà pourquoi vaine est la distinction qu’il fait en ce lieu. Et, comme il l’admet lui-même, ces
mots : je te prends pour mienne, sont la matière du sacrement, même si ce
sont des paroles humaines et naturelles. Il pourrait aussi admettre qu’ils sont
une forme. Car, comme il est forcé de
dire que ces paroles sont, en tant que
matière du sacrement, sacrées et surnaturelles,
en raison de la nouvelle signification instituée par Dieu, nous disons, nous, que ces paroles, en tant
que forme du sacrement, sont sacrées et surnaturelles. À la troisième je réponds que les paroles sacramentelles sont
détermines par rapport au sens, mais non par rapport au nombre de syllabes, de
voyelles et de consonnes. Donc, dans le
sacrement de mariage , déterminées sont les
paroles qui expriment suffisamment le consentement mutuel, que cela
se fasse en plus ou moins de mots.
À la cinquième je réponds
que le seul cas où on ne peut pas
remplacer la parole par un signe de tête c’est quand la forme du sacrement est
la seule parole proprement dite. Or, le
mariage a ceci de particulier que la
forme est autant les mots proprement dits que les mots improprement dits, comme
le signe de tête, comme nous l’avons dit dans la solution de la quatrième
objection. À la sixième je réponds que cet argument prouve seulement que les
paroles du conjoint sont la matière, mais il
ne prouve pas qu’elles soient aussi la forme. Car si ce qui est seulement matière de
sacrement peut être appelé sacrement, à
bien plus forte raison sera appelé sacrement
ce qui est à la fois matière et
forme.
Ensuite que
ces paroles : je te reçois pour mienne, soient appelés un mariage,
on ne l’a pas encore entendu dire. Car,
retenant la coutume sans faille de la vie,
on définit le mariage l’union d’un homme et d’une femme. C’est ainsi que le définit Alexandre 111
(chapitre illud, sur la présomption), et avant lui Justinien ( institut de pat,
potest, au début) et cette définition,
les théologiens et les canonistes la font leur.
Voilà pourquoi ces mots : je te reçois pour mienne sont la cause du
mariage, mais ne sont pas le mariage lui-même.
L’argument milite donc contre son auteur. Car, il prouve que ces mots (je te reçois pour mienne) ne
sont pas la matière de ce sacrement, mais plutôt la forme, puisque le sacrement se dit de la matière, et
non de ces paroles.
La dernière objection est
tirée de l’autorité des théologiens, des pères et des pontifes. En effet, Cano prétend que notre sentence n’est
pas commune à tous les théologiens.
Mais, de la grande quantité de docteurs, il en cite seulement trois ou
quatre, et il ajoute ensuite plusieurs citations de pontifes ou de pères tirées
du droit canon, qui n’ont aucun rapport
avec la question débattue. Nous allons
répondre à chacune des citations. La première.
Il cite un certain Guillaume de Paris qui traite du mariage (dans son
livre sur les sacrements, chapitre 9, question 1.), et qui nie que le mariage
soit un sacrement proprement dit, et ait une vertu sacramentelle, à moins d’être consacré par le ministère d’un
prêtre. Ressemblent à ce témoignage
beaucoup de sentences de canonistes qui soutiennent que si la grâce du mariage
est conférée, c’est par la bénédiction
sacerdotale et par les prières qu’ils ont coutume de réciter sur les
époux. Cette sentence des canonistes
Cano la considère, en cet en droit, plus
probable que celle des théologiens.
Je réponds qu’il y a deux
bénédictions dans le mariage. Une qui est donnée quand l’alliance est
contractée, lorsque le prêtre dit : Je vous unis au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit. Et cette bénédiction a coutume de se faire
dans la maison privée. L’autre
bénédiction est celle qui est donnée à l’église pendant la messe, avec l’ajout
de différentes prières. Si Cano parle
de la première, et c’est bien de celle-là qu’il semble parler, il ne trouvera aucun auteur qui la reconnait
pour sienne. Car, Guillaume de Paris et
les canonistes parlent de la bénédiction et des prières qui se font à l’église
pendant le saint sacrifice. S’il parle
de la seconde, il trouvera quelques auteurs, mais peu nombreux, et qui ne font
pas le poids contre toute l’école des théologiens. Et de plus, ils tombent dans une erreur
manifeste, car il est certain que cette bénédiction postérieure est quelque
chose de sacramental, mais n’est pas le
sacrement. Parc e que, dans cette
bénédiction, il n’y a aucun de ces mots
qui constituent la forme du sacrement, et qu’elle n’est pas donnée aux secondes noces, qui sont pourtant, au jugement de tous, de
vrais sacrements. Et aussi parce qu’elle peut être omise sans péché, sauf en cas de
négligence ou de mépris, comme on le voit par le canon nostrates 30, question
5.
Ajoutons que le fondement
des canonistes est débile. Car, ils
prouvent leur sentence avec le chapitre
in ecclesia, sur la simonie, où on interdit aux prêtres d’accepter de l’argent
pour la bénédiction des conjoints, car
cette bénédiction est un sacrement.
Mais, dans ce passage, c’est dans un sens large qu’on appelle sacrement
la bénédiction des époux. Comme aussi,
au même endroit, on appelle sacrements les cérémonies sacrées, les funérailles,
l’inhumation. En second lieu, Canon
objecte les pères du concile de Cologne,
qui requièrent une autre forme du sacrement que celle qu’ont coutume de requérir les
scolastiques. Mais, nous avons répondu à
cela plus haut, en réfutant Kemnitius.
Nous avons montré avec les paroles mêmes de l’enchiridion, édité au nom
du concile de Cologne, que la forme de
ce sacrement, ce sont les paroles avec
lesquelles les époux échangent leur mutuel consentement. Troisièmement, Cano objecte Pierre Paludanus
qui ( 4 dist, 5, quest 2) qui écrit que
ne pèchent pas les conjoints qui
contractent un mariage en état de péché mortel.
Il déduit de cette sentence que
le mariage contracté civilement n’est pas un sacrement, car il n’existe pas d’auteur si
inexpérimenté qui ignore que le
sacrement de mariage ne peut pas être reçu sans sacrilège par des époux en état
de péché mortel.
Je réponds que dans le texte que cite Cano, Pierre
Paludanus enseigne clairement que le sacrement du mariage est administré
par les conjoints quand ils expriment mutuellement leur consentement, parce que c’est dans ce
consentement exprimé par des
signes, que se trouve l’essence du
mariage. Il est donc étonnant que Cano
veuille que nous tirions la sentence de Paludanus de sa conclusion à lui, plutôt que des paroles authentiques de Paludanus.
Car, dans ce passage, Paludanus ne parle pas des conjoints en tant qu’ils
reçoivent le mariage, mais en tant qu’ils l’administrent. Il voulait, en effet, prouver que ne pèche
pas toujours le ministre qui dispense un
sacrement en état de péché, comme en cas de nécessité. Mais quoi qu’il en soit de sa sentence à lui,
on ne peut douter de ce qu’il pense vraiment sur la question que nous traitons.
Quatrièmement, il objecte
saint Thomas, qui aurait souscrit à sa sentence en deux endroits. Le premier. (1 dist 1 quest 1, art 3). Pour la pénitence, en tant qu’elle est une
vertu morale, et pour le mariage, en tant qu’il est un office de la nature, des
paroles déterminées ne sont pas requises, mais les gestes et les signes de tête
suffisent. Et comme la pénitence et le
mariage sont des sacrements, des paroles déterminées sont requises, dans la dispensation qu’en font les ministres de l’église. Un autre passage (livre 4, chapitre 78,
contre les Gentils), où saint Thomas
prouve que le mariage est un sacrement, pace qu’il est dispensé par les
ministres de l’église, et qu’une bénédiction est donnée aux époux.
Je réponds que le premier texte,
s’il prouve quelque chose, prouve
seulement que, pour le sacrement de mariage, ne suffisent pas des gestes ou des
signes, mais que, comme dans tous les
autres sacrements, les paroles sont nécessaires. Mais, il ne prouve que pas que le mariage n’est
un sacrement que si des paroles sont
prononcées par un ministre ecclésiastique, puisque le même saint Thomas, (dist
26, quest 2, art 1, 1) dit expressément
que la forme du sacrement ce sont les
paroles des conjoints; et que la bénédiction du prêtre n’est pas de l’essence
du sacrement. Ajoutons que ce même saint
Thomas (dans le second écrit in
quartum dist 1, quest 1, art 3), ajoute après avoir écrit les mots cités plus
haut : « Ou on devra dire que, pour qu’ils soient des
sacrements, des signes sont requis à la
place des paroles. » Ce qui nous
fait comprendre que saint Thomas ne fut certes pas de la première opinion.
Dans l’autre texte, saint
Thomas prouve que le mariage est un
sacrement par le signe et les conjectures, comme nous avons, nous aussi, fait
plus haut. Car il est un signe de cette chose que le mariage est orné par la
bénédiction sacerdotale, et qu’il
appartient aux ministres de l’église de juger les causes matrimoniales.
Cinquièmement, il présente
des témoignages d’auteurs graves. Celui
d’Évariste (épitre 1), de Calixte
(épitre aux évêques de Gaule), de Siricius (épitre à Émériius), d’Hormisdas, chez Gratien (31, question 2,
canon Lotarius), d’Ambroise ( livre
9,épitre 70 à Vigile), d’Isidore (livre
2, chap 19 sur les offices de l’Église).
Ensuite des témoignages des conciles.
Celui de Carthage 4, canon 13, de Latran
(chapitre sur le corps de l’Église, la simonie). Celui de Vienne , qu’on trouve
dans la clémence religieuse, dans
les privilèges de théologiens de Louvain, dans
la fin de ce concile.
Il est certain que ces autorités auraient de
quoi nous effrayer si elles enseignaient quoi que ce soit contre notre
sentence. Mais, à l’exception du
témoignage d’Évariste, elles ne disent
rien d’autre que dans les mariages on a
coutume ou on doit faire usage de la bénédiction du prêtre et des autres
cérémonies que nous acceptons volontiers , et que nous défendons contre les
hérétiques. Que ces cérémonies soient
de l’essence du sacrement, ou que le
mariage soit contracté par des paroles,
ou qu’il n’est pas un sacrement, on ne trouve cela dans aucun de ces
témoignages. Dans le concile du Latran,
(d’où est tiré ce chapitre sur la
simonie) la bénédiction des époux est appelée sacrement, comme le sont aussi
les obsèques et l’inhumation, et la marche de l’évêque vers son siège.
Seul Évariste (épitre 1,
chez Gratien 30, question, 5, canon
aliter) semble dire qu’un mariage
contracté sans prêtre n’est pas un mariage, mais un adultère, ou un viol, ou
une fornication. Mais son témoignage est
exposé correctement par les théologiens et les canonistes qui enseignent que le pontife parle d’un mariage légitime au for
externe. Car, au for externe, l’élise ne
juge qu’un mariage est légitime et n’est pas une fornication que s’il peut être prouvé par des
témoins, même si, elle sait , au for
interne, que le mariage est véritable
quand les deux époux donnent leur consentement.
Évariste jugeait illégitimes les mariages clandestins, parce qu’on
présumait que manquait le consentement mutuel des époux. Ce sens apparait assez clairement dans les derniers mots de l’épitre, où nous
lisons que le mariage est illégitime si la volonté de l’un a été contrainte.
Cette solution, Cano est forcé de l’accepter, à moins qu’il
ne veuille croire, contre le décret du Concile de Trente, que les mariages
clandestins ne sont pas de vrais
mariages, mais des adultères, des viols
ou des fornications. Car Évariste non
seulement nie que les mariages occultes soient des
sacrements, --ce que Cano désire entendre-- mais il affirme aussi que ce sont
des adultères, des viols ou des fornications.
Ce qui est manifestement une erreur, si on ne l’entend pas du for
externe. Nous ne doutons pas que Caro,
comme tout bon catholique, n’hésitera pas à obéir au concile de Trente.
CONTROVERSE 3
L’UNITÉ DU MARIAGE
CHAPITRE 9
La
polygamie de plusieurs femmes successivement
Vient
ensuite la troisième controverse sur l’unité du mariage, la polygamie qui est
opposée à l’unité. Il y a deux parties
principales de cette controverse : la multitude de femmes successive, la
multitude femmes simultanée.
Au
sujet de la polygamie successive, quand une épouse succède à une autre épouse,
il y a deux choses que les hérétiques de notre temps nous objectent. La première chose. Nous n’acceptons pas aux ordres sacrés les
polygames. Mais nous avons discuté
là-dessus au long et au large dans le
livre 1 des clercs, où nous avons montré
que saint Paul a voulu que ce
soit des hommes d’une seule femme qui soient ordonnés évêques, prêtres ou
diacres (1 Tim 3, et Tite 1). La
deuxième. Que nous prohibons cette
polygamie aux chrétiens. Car, Kemnitius
( 2 part examen, page 1226, écrit que les catholiques estiment qu’on ne doit pas bénir les secondes noces,
car, elles ne sont pas un sacrement,
mais des fornications ou des prostitutions. Et il allègue le décret de Gratien (canon hac ratione, et canon quomodo, 31, quest 1.)
Mais
ce n’est rien d’autre qu’une calomnie manifeste. Il y eut autrefois l’antique erreur de Montan
(comme le rapporte saint Augustin, dans son livre sur les hérésies, chapitre
26) et Tertullien (livre sur la monogamie et les novatiens, selon Theodoret,
livre 3 surles fables hérétiques) qui enseignait que les secondes noces étaient
illicites. Les catholiques, eux,
enseignent, par la parole et les faits,
que les secondes noces sont licites,
et même les troisièmes, les quatrièmes et les autres; qu’elles sont de vrais mariages, et donc des
sacrements.
C’est ce qu’on déduit de l’apôtre
qui affirme aux Romains 6, que n’est pas adultère la femme qui épouse un autre homme, après la mort de son
époux. Et qui dit, à 1 Cor 7 :
« Si son mari est décédé, qu’elle se marie avec qui elle veut, mais dans le Seigneur
! » Saint Augustin explique longuement
ce passage dans son livre sur le bien de la viduité (chapitre 12), où il
observe que le bienheureux Paul n’a pas dit : Si meurt son premier mari, ou son deuxième,
ou son troisième, mais, en général, et sans préciser : son mari. Il est donc toujours permis de se marier de
nouveau après la mort du mari, ou des maris, quel qu’on soit le nombre. Dans le même sens, l’apôtre enseigne à Timothée ( 1, 5) : « J’exhorte
les jeunes veuves à se remarier, à cause du danger d’incontinence. »
De
plus, le concile de Nicée (canon 8)
ordonne de ne recevoir les novatiens ,
quand ils retournent à l’Église, que s’ils promettent de communier aussi avec
ceux qui se sont mariés deux fois. Se présentent ensuite
les témoignages des pères, de saint Ambroise (dans son livre sur les
veuves), de saint Jérôme (dans son
épitre à Géruntia), de saint Augustin (
dans son livre sur le bien de la viduité), saint Jean Chrysostome (homélie 20
sur l’épitre aux Éphésiens) et d’autres,
qui approuvent ouvertement les secondes noces, même s’ils préfèrent la
continence. Et puis, le concile de
Florence, dans son instruction aux Arméniens, déclara qu’étaient licites non
seulement les deuxièmes noces, mais les troisièmes, les quatrièmes, et toutes
les autres.
À l’objection
qu’on nous fait sur la bénédiction, nous
répondons qu’il est très vrai que les secondes noces ne sont pas bénites, mais
la raison n’en est pas qu’elles ne sont pas un sacrement. D’abord, que les secondes noces ne doivent
pas être bénies, c’est ce qu’affirment de très graves auteurs, comme les pères du concile de Nicée (chapitre
7), saint Ambroise (ou quiconque fut l’auteur du commentaire sur le chapitre 7
de la première épitre aux Corinthiens, et du troisième chapitre de la première
à Timothée), saint Augustin (sermon 243),
Isidore (livre 2, chapitre 19,
les offices divins), Alexandre 3 et Urbain 3. (secondes noces, chapitre capellanum, et chapitre vir). Les pères qu’on vient de citer n’ont jamais
dit que les secondes noces n’étaient pas bénies parce qu’elles n’étaient pas un
sacrement, car cette bénédiction n’appartient pas à l’essence du sacrement, comme nous l’avons montré plus
haut. La raison pour laquelle on ne
bénit pas les secondes noces c’est que la bénédiction donnée aux premières
noces n’a pas péri, et qu’il ne faut pas bénir une seconde fois ceux qui ont
déjà était bénis une fois, comme Urbain l’enseigne au lieu cité.
Et
il est facile de répondre aux citations que nous objecte Kemnitiius. Car ou il blâme leurs canons, ou il blâme celui qui
les a codifiés. Si ce sont les
canons, c’est contre les plus anciens pères de l’Église qu’il engage le combat,
non avec les scolastiques ou les auteurs les plus récents. Car les trois canons cités qui réprouvent les
secondes noces, sont tirés d’auteurs qui
vécurent dans les premiers siècles. S’il
accuse le collectionneur, il est inique et malhonnête, puisqu’au même endroit
il affirme juste le contraire, et qu’il allègue plusieurs témoignages de
saint Jérôme et de saint Augustin, pour prouver que non seulement les secondes
noces, mais les troisièmes, les quatrièmes et les autres sont licites.
Mais jetons aussi un coup d’œil sur les canons
cités par Gratien. Le premier est celui
du concile de Néocésarée célébré avant 200.
Dans ce concile, au canon 7, on interdit d’être présents aux prêtres qui ont célébré deux noces, et on
impose une pénitence à ceux qui se marient plus souvent. Ce canon, quelques-uns l’entendent de ceux qui veulent avoir
plusieurs femmes en même temps. Que ce
soit contre l’évangile, nous le démontrerons au prochain chapitre. D’autres l’entendent de ceux qui ont contracté plus que deux noces
successivement. Ces auteurs affirment
que ceux qui agissent ainsi ne pèchent pas, mais qu’ils veulent avoir dans les
secondes noces, la même célébrité qu’ils ne peuvent avoir que dans les
premières. Et, pour cette raison, une
pénitence doit leur être imposée par les prêtres par lesquels ils ont été invités à cette
célébrité.
Il
peut aussi se faire que d’anciens pères,
qui étaient plus sévères en d’autres choses,
ont voulu voir un signe d’incontinence chez ceux qui contractaient souvent le
mariage. Car, le concile de Laodicée, au
canon 1, tout en reconnaissant que sont
légitimes les secondes noces, impose une pénitence de quelques jours à ceux qui
désirent les secondes noces. Mais quelle
qu’ait été l’intention de ces pères, ce fut un concile particulier, auquel on a
le droit d’opposer le concile général de Nicée, canon 8, qui approuve
expressément les secondes noces. Le
second canon est attribué à un Chrysostome, mais manifestement pas à saint Jean
Chrysostome, mais à un autre du même nom, dont il nous reste un travail
inachevé sur saint Matthieu. Cette
oeuvre est ou d’un hérétique, ou elle a été
corrompue par un hérétique, car elle contient beaucoup de choses
contraires à la saine doctrine.
Les paroles du présent canon se trouvent dans
le sermon 32, chapitre 19 de saint
Matthieu, où cet auteur écrit que les secondes noces sont prescrites par l’apôtre
à cause de l’incontinence des hommes, et
sont une vraie fornication Quelques-uns expliquent ces paroles en
suggérant que c’est par hyperbole que l’auteur a appelé les secondes noces
fornication. Non parce que les secondes
noces soient une vraie fornication, mais parce que c’est quelque chose de moins bon que de vivre
dans la viduité. Mais quoiqu’il en soit
de la pensée de l’auteur, il est certain que ses paroles n’ont pas d’autorité
dans les dogmes. Surtout quand le vrai
saint Jean Chrysostome (homélie 20 sur l’épitre aux Éphésiens), enseigne qu’on ne peut pas condamner les
secondes noces. Le dernier canon de
saint Jean Chrysostome se trouve dans le
livre 1 contre Jovinien, où il écrit tant de choses à la louange de la
virginité et de la continence, qu’il a paru à certains condamner non seulement
la polygamie, mais aussi les secondes noces.
Et dans son apologie à
Pammachius pour ses livres contre Jovinien,
saint Jérôme écrit
distinctement : « Je ne condamne pas les bigames, ni non plus les trigames, ni même non plus les octogames, si on peut employer ce mot. » Et dans son commentaire du chapitre 1 à Tite, il dit qu’est
hérétique la monogamie de
Tertullien, où sont condamnées les
secondes noces. Et, dans son épitre à
Géronte sur la monogamie, il dit : « Quoi donc ? Condamnons-nous les
secondes noces ? Pas du tout. Mais, nous louons les premières. Séparons-nous de l’Église les bigames ?
Jamais de la vie. Mais nous provoquons
les monogames à la continence. »
Saint Jérôme estimait donc que les secondes noces n’étaient pas illicites. Mais quand il exhortait à la monogamie avec
plus de véhémence, il le faisait cela
tant par amour de la pudicité, dont brulait ce saint homme, qu’à cause de l’incontinence de beaucoup
chrétiens qui, non contents d’un second,
d’un troisième et même d’un quatrième mariage, se rendaient même jusqu’au
vingtième. Il rapporte, en effet, dans
la même lettre à Gérontia, qu’au temps
de saint Damase, il y eut un couple dont l’un avait enseveli vingt épouses, et l’autre vingt et un maris.
Il semble cependant, qu’un
scrupule demeure encore. Car, quand les
catholiques enseignent qu’à cause du
défaut du sacrement, les bigames ne peuvent pas être promus aux ordres sacrés,
il semble, comme le note Kemnitius, que, pour les catholiques, les deuxièmes
noces ne sont pas un mariage. Je réponds
que les bigames ne peuvent pas être initiés aux ordres sacrés, non parce que
leur mariage n’est pas un sacrement, mais parce que leur manque une certaine
perfection du sacrement. Car, celui qui
est monogame signifie que le Christ est le mari d’une seule épouse. Celui qui est bigame signifie que le Christ
est l’époux d’une, ce qui suffit pour le sacrement. Mais il ne suffit pas qu’il
est le mari d’une, de façon à ne pas l’être d’une autre. Et c’est à cause de ce défaut de
signification, et pour d’autres raisons dont nous avons discuté dans la dispute
sur la bigamie des clercs, que les
bigames ne sont pas admis aux saints ordres.
CHAPITRE 10
De la bigamie de plusieurs
femmes simultanément
Maintenant, pour en venir à
l’autre partie de la controverse, le premier parmi les chrétiens qui ouvrit la
porte à la polygamie simultanée semble
avoir été l’empereur Valentinien, prince pieux, par ailleurs, et catholique. Comme le rapporte Socrate (livre 4, chapitre 27 de son histoire), il s’éprit
d’une certaine Justine, et a voulu en faire sa femme, tout en retenant sa
première épouse Sévéra, de laquelle il avait reçu son fils Gratien. Pour couvrir d’un voile son intempérance, il
promulgua une loi qui autorisait n’importe
qui à avoir simultanément deux femmes.
À notre époque, Luther s’efforça,
parmi ses erreurs innombrables, de
retirer aussi des enfer cette erreur dont les fidèles avaient perdu
le souvenir. Car, dans ses propositions
sur la bigamie des évêques (1528), il écrit ainsi aux propositions 63 et
66 : « Connus sont les droits mosaïques au sujet de l’épouse du frère défunt, et de la fille corrompue à l’insu du
père, qui forcent à être le mari de
plusieurs femmes, qui ne sont pas plus abrogés
que les autres choses. C’est-à-dire qu’ils sont facultatifs : ni interdits,
ni commandés. » Et plus haut, (à la
proposition 62 et suivantes), il dit que les païens se scandaliseront peut-être
si les chrétiens ont deux femmes. Mais,
cependant, chez les Juifs, ce n’est pas un scandale, et on ne peut donc pas
montrer que ce soit illicite. Et parce
que, dans toute l’Europe et toute l’Afrique,
il n’y a point d’autres païens que
les Juifs et les musulmans, à qui
leur pseudo prophète a concédé le droit à la multitude des femmes, selon la
sentence de Luther, il serait permis aux hommes de toutes ces régions d’avoir
plusieurs femmes ? Quoi donc ?
Le même Luther, dans l’explication de la
Genèse (1525), dispute non en passant,
mais explicitement, dans son commentaire
sur le chapitre 16, sur la
question suivante : est-il permis aux chrétiens, à l’exemple d’Abraham, d’avoir
plusieurs femmes ? Il répond que ce n’est
ni prohibé ni commandé, mais facultatif.
Et si quelqu’un ne veut pas introduire cette nouvelle coutume, il ne
pourra pas non plus la réprouver,
puisque les exemples des pères la rendent facultative. Les anabaptistes suivent cette sentence de
Luther, comme l’atteste Kemnitius (2
par, examen, page 1229.) Là ou il
reconnait que c’est à bon droit que le concile de Trente a condamné cette
erreur de la polygamie simultanée. Il
devra donc aussi reconnaitre que c’est à bon droit qu’il condamne l’archi
prophète Luther, qui est tombé dans la
même erreur. Comme il est condamné dans
le concile de Trente (session 24), par ces paroles : « Si quelqu’un
dit qu’il est permis aux chrétiens d’avoir plusieurs femmes en même temps, et
que c’est quelque chose qui n’est
prohibé par aucune loi divine, qu’il
soit anathème. » Ces paroles du
concile que Kemnitius approuve sont dirigées manifestement vers Luther, dont c’est
la sentence propre, que la polygamie n’est ni prescrite ni interdite par Dieu.
Et cette définition du
concile de Trente est loin d’être une nouveauté. La même chose, autrefois, avait été définie
par le pape Siricius (épitre 1), par le pape Innocent 1 (épitre 9), et par le
pape Innocent 3, (chapitre gaudeamus sur le divorce,) et par beaucoup d’autres,
et chez Gratien 24, (question 3, canon an non).
Cette vérité, on peut la
confirmer par les arguments suivants. Le
premier. Le Christ (en Matth 19) renvoie
le mariage à sa première institution, et veut qu’elle ait encore la même
valeur. Or, la première institution excluait la polygamie. La polygamie est
donc prohibée par le Christ. On prouve
ainsi la majeure. Quand les pharisiens
demandèrent au Seigneur s’il était permis de répudier l’épouse, il
répondit que ce n’était pas permis. Car
celui qui fit l’homme et la femme les fit mâle et femelle, en disant : à
cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et ils seront deux dans
une seule chair. Ils ne sont donc plus
deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »
Et comme les pharisiens insistaient en disant
que Moïse avait permis le libelle de répudiation, le Seigneur
répondit en ramenant toute la
question à la première institution : c’est à cause de la dureté de votre cœur
que Moïse vous a permis de répudier vos épouses. Au commencement, il n’en était pas
ainsi. Que le mariage institué au
début excluait la polygamie simultanée,
on le prouve d’abord par la manière de parler. Car les paroles sont au singulier : il
les a faits mâle et femelle. Et :
il adhèrera à son épouse. Ils seront
deux dans une même chair. Elles indiquent ouvertement que Dieu a voulu que le mariage soit l’union d’un seul avec une seule, non avec plusieurs.
Deuxièmement. Par cette explication du Christ : ils ne
sont donc pas deux, mais une seule chair.
Ces paroles signifient que le mariage,
institué au début, avait pour effet d’unir les conjoints en une seule
chair. Or, si quelqu’un s’unit à
plusieurs, il n’y aura pas une seule
chair, mais, plusieurs. Ce n’est pas tant une union qu’une division
que ferait un tel mariage.
Troisièmement, la chose apparait clairement par la première création de l’homme. Car si
Dieu avait voulu que le mariage soit l’union de l’un avec plusieurs, il aurait
créé Adam non avec une seule femme, mais avec plusieurs, qu’il aurait pu avoir toutes pour épouses. Car, Adam ne pouvait prendre pour épouse que
celle qui avait été créée avec lui. Il répugne aussi totalement à la nature que
le père épouse sa fille ou sa nièce. Or,
en dehors d’Ève, toutes les femmes étaient soit les filles, soit les nièces d’Adam. Dieu força donc Adam à être monogame.
Se présente ensuite le
consentement des pères. Car, saint
Jérôme, saint Jean Chrysostome, Bède, Théophylacte, et saint Anselme, dans leurs commentaires du
chapitre 19 de saint Matthieu, saint Ambroise (dans son livre sur les veuves, à
la fin), et saint Augustin (dans son
livre 1, chapitre 9 sur les noces et la concupiscence) enseignent tous que le
mariage, tel qu’il a été institué au début, excluait la polygamie. Et les raisons un peu avant alléguées étaient
tirées de ces mêmes pères.
Secondement. Le Christ (Matthieu 5 et 14, Marc 10, Luc, 16) déclare que fornique celui qui renvoie sa femme. On déduit de ces témoignages que la polygamie
est complètement illicite de droit évangélique.
Car, on dit qu’il fornique celui qui renvoie sa première femme, parce qu’il ne pouvait pas la renvoyer. Et si, devant les hommes, elle semble
renvoyée, elle est encore l’épouse de
celui qui l’avait épousée jadis. Car, si
par la répudiation, elle cessait d’être l’épouse, il ne forniquerait pas celui
qui la renvoie pour en prendre une autre.
Et s’il fornique celui qui en prend une autre, du vivant de la première, il n’est donc pas permis d’avoir plusieurs
épouses, à moins de vouloir que les adultères soient licites. Et s’il n’est pas permis d’en prendre une
autre, après avoir renvoyé la première,
cela sera encore moins permis si on retient la première. Car il n’est pas permis d’en prendre une
autre après renvoyé la première, parce que la première est encore l’épouse. Et est encore bien plus épouse, celle qui n’a
pas été renvoyée. Voilà pourquoi, du
vivant de la première femme, qu’elle
soit renvoyée ou gardée, il est illicite
d’en prendre une autre.
À Cajetan, cet argument ne
semble pas assez solide. Commentant le
19ième chapitre de saint Matthieu, Cajetan dit que cet argument ne
manque de pas de scrupule, à cause des paroles de saint Marc. Et ensuite, écrivant sur le chapitre 10 de
saint Marc, il explique le scrupule noté auparavant. C’est que, en rapportant les paroles du
Seigneur, saint Marc ne dit pas :
« Celui qui en prendra une autre sera adultère, mais celui qui en prendra
une autre forniquera avec elle. Cajetan veut en déduire (si je le comprends
bien. Il parle obscurément à sa manière habituelle) que le second mariage n’est pas appelé par le Christ un adultère
tout simplement, mais un adultère qui
fait injure à la première épouse. C’est-à-dire un adultère improprement dit, et
selon tel ou tel point de vue, mais non
absolument et proprement.
Mais ce scrupule peut
facilement être éliminé. Car, d’abord
ces mots : sur elle, on ne les trouve pas dans Matthieu au chapitre 19, et
dans Luc, chapitre 16, car, ces évangélistes disent absolument qu’il est adultère celui qui agit ainsi. Il importe peu que Cajetan dise qu’il faut expliquer Matthieu et Luc d’après
Marc, parce qu’il aurait ajouté ce que les autres avaient omis. Car, même s’il arrive aux évangélistes d’omettre
quelque chose que complète un autre, ce qu’ils disent est quand même toujours
vrai, et de façon qu’ils peuvent être
compris même par ceux qui n’ont pas lu les autres. Autrement, ceux qui n’ont qu’un évangéliste,
seraient induits en erreur. Voilà
pourquoi l’explication d’un évangéliste par un autre ne doit jamais être telle
que sans elle, deviendrait faux ce que l’un des quatre raconte.
Il faut donc que soit vrai
ce que Matthieu et Luc disent, à savoir
qu’est vraiment adultère celui qui prend une deuxième femme, du vivant
de la première. Autrement, seraient
induits en erreur ceux qui liraient Matthieu et Luc sans Marc. De plus, les mots « il fornique à cause d’elle » (il est
adultère sur elle) n’enlèvent pas l’adultère, mais le déclarent, et ajoutent quelque chose en plus. Car, commettre un adultère sur la femme
renvoyée, c’est être un vrai adultère,
avec en surcroit, l’injure d’une injuste répudiation. Et expliquer autrement, c’est sans aucune raison abandonner le sens
propre et naturel des mots, et imaginer
des tropes à sa guise, ce qui serait permis s’il était permis de corrompre et
de détourner les Écritures de leur vrai sens.
Ajoutons que saint
Augustin (livre 1, chapitre 11, sur les
mariages adultérins), et Bède (dans son commentaire du chapitre 10 de Marc,
expliquent Marc comme nous l’avons dit.
Et Innocent 3 (au chapitre gaudemus, sur les divorces) a tout l’argument
que nous avons expliqué jusqu’à
présent. Et, avant lui, Innocent 1
(épitre 3 à Exuperius, chapitre 6) et
tous les autres pères que nous citerons
dans la prochaine question, qui
affirment qu’est un vrai adultère celui
qui s’unit à une autre épouse, après avoir répudié la première.
Mais, peut-être que Cajetan voulait dire que forniquer sur elle, c’est commettre un vrai
adultère, parce qu’alors est amenée une
autre épouse, en dépit de la première épouse,
qui est injustement renvoyée.
Mais que si la première consent à n’être que retenue, il n’y a pas d’adultère
quand on en prend une deuxième. Et donc
que les paroles du Seigneur n’interdisent pas formellement la polygamie.
Je réponds que le
consentement de l’épouse n’est pas
requis, et ne suffit pas pour rendre licite la polygamie. Car, dans la chrétienté, où la polygamie est interdite, il ne serait pas permis à un mari de prendre une autre épouse,
même si la première le voulait absolument. Au temps des patriarches, où la polygamie
était permise, le consentement de la première épouse n’était pas requis. Comme on le lit des épouses de Jacob. Car, il n’est pas vraisemblable que Lia ait
consenti que Jacob couche avec Bala,
la servante de sa rivale Rachel.
Il n’est pas non plus vraisemblable que Rachel ait consenti que Jacob couche avec Zelpha, servante de Lia. Mais, Jacob usait de son droit. De la même façon, David
avait plusieurs épouses, à l’insu des premières. Et on ne lit
jamais que le mari ait demandé le consentement de sa première épouse,
pour qu’il lui soit permis de coucher avec une autre. Voilà pourquoi ce qui fait un adultère ce n’est pas prendre une autre femme sans le
consentement de la première, mais de prendre une autre femme du vivant de la
première, celle qui demeure toujours l’épouse.
Troisièmement. On le prouve par l’apôtre. Partout où il est question de mariage, on
parle toujours d’une femme au
singulier. Comme aux Corinthiens
7 : « Que chacun ait sa femme. » Et, « es-tu lié à une femme, ne cherche pas de séparation. » Ensuite, le même apôtre écrit
ouvertement qu’une femme ne peut pas, du
vivant de son mari, se marier à un autre .
Romains 7 : « Du vivant de l’homme, on appellera adultère celle qui prendra un autre homme. » Et 1 Corinthiens 7 : « À ceux qui
sont unis par un mariage, ce n’est pas
moi qui prescris, mais le Seigneur qui
prescrit à la femme de ne pas quitter son mari. Mais, si elle le quitte, qu’elle demeure
chaste, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. » Et plus bas : « La femme est liée à
la loi, aussi longtemps que son mari
vivra. Si sont mari décède, elle est
libérée de la loi. Qu’elle se marie avec
qui elle veut. » Ces passages
prohibent expressément la polygamie de la part des hommes, c’est-à-dire que plusieurs hommes n’épousent pas
simultanément plusieurs femmes. Car,
même s’il répugne moins à la raison et à la nature qu’un homme ait plusieurs
femmes, qu’une femme ait plusieurs
maris, comme nous le montrerons plus bas,
les deux répugnent à la raison.
Et de plus, quoi qu’il en
soit du droit de la nature, selon le doit évangélique, l’homme et la femme sont
égaux par rapport à la foi et au du
conjugal, comme saint Paul l’explique lui-même, (1 Corinthiens 7), quand il
dit : « Que l’homme rende à la femme ce qui lui est du, et la femme
ce qui est du à son mari. La femme n’a
plus le pouvoir sur son corps, mais son mari.
De la même façon, l’homme n’a plus le pouvoir sur son corps, mais la
femme. » Par ces paroles, l’apôtre
signifie que, dans le contrat
matrimonial chrétien, qui est le
sacrement du seul Christ avec l’Église,
le mari est uni à sa femme de façon à ce qu’il se livre totalement à
elle, comme elle se livre totalement à son mari. Il sui de là
que, comme la femme ne peut pas, sans injustice, se livrer à un autre
homme, l’homme ne peut pas, lui non plus, se livrer à une autre femme sans
injustice.
Voilà pourquoi, bien que saint Augustin ait écrit dans son livre sur le bien conjugal
(chapitre 17) qu’il était plus absurde qu’une femme ait plusieurs maris qu’un
homme ait plusieurs femmes, cependant (dans les mariages adultérins, livre 1,
chapitre 8), il a enseigné que, dans le mariage chrétien, la femme était
semblable à l’homme en ce qui a trait à
la monogamie. Et c’est pour cette raison
qu’au témoignage de l’apôtre, la femme sera adultère si, du vivant de
son mari, elle vit avec un autre homme; et l’homme sera aussi adultère si, du
vivant de sa femme, il vit avec une autre femme. Nous en déduisons donc, selon
l’apôtre, ce syllogisme. Selon l’apôtre,
la femme ne peut pas avoir simultanément plusieurs maris. Or, selon le même apôtre, la femme et l’homme sont égaux à ce sujet. Donc, l’homme ne peut pas, selon l’apôtre,
avoir plusieurs femmes.
Quatrièmement. La polygamie, tant de la part de l’homme que
de la part de la femme, répugne au droit de la nature et à la nature du
mariage. Il n’est donc pas licite,
surtout dans la loi évangélique, qui retire toutes les permissions qui avaient
été accordées dans l’ancienne loi. L’antécédent, qui porte sur la polygamie d’une femme avec
plusieurs maris, est sur et certain.
Car, une telle polygamie répugne à toutes les fins du mariage. On peut, sur le plan de la doctrine, distinguer quatre fins du mariage. La fin première est la production et l’éducation
d’enfants. Or, comme une femme ne peut
enfanter qu’une fois par année, un mari suffit.
Si elle était unie à plusieurs, elle n’enfanterait pas plus souvent,
mais plus rarement, ou jamais. Car l’expérience nous montre que les
prostituées sont infécondes. Et aucun de ces hommes ne connaitra ses
enfants, ce qui nuirait certainement à l’éducation des enfants.
L’autre fin du mariage est
la société domestique, et le partage des
tâches qui sont nécessaires à la vie.
Car, comme l’enseigne Aristote (dans son livre 8 de l’éthique, chapitre
12), l’homme et la femme ne sont pas
unis seulement pour procréer, comme les
animaux, mais aussi pour cohabiter, pour
régir ensemble la famille, et se répartir entre eux les tâches domestiques, les
unes convenant aux hommes, et d’autres aux femmes. Cette fin serait totalement empêchée par la
présence de plusieurs hommes dans la
même famille. Ce corps aurait plusieurs têtes. Plusieurs serviteurs peuvent être au service
d’un seul maitre, mais un seul serviteur ne peut pas correctement servir
plusieurs maîtres. De la même façon,
même si un mari, dans certaines circonstances, peut avoir plusieurs femmes, une
femme ne peut, en aucune façon, avoir plusieurs maris.
La troisième fin est que le
mariage soit un remède contre la concupiscence.
Or, le mariage d’une femme avec plusieurs hommes non seulement n’est pas
un remède contre la concupiscence, mais ne peut que fomenter les rixes, des discordes implacables entre rivaux. Ces discordes, la femme ne peut pas les
apaiser, parce qu’il lui revient de se soumettre et d’obéir, non de diriger et
de dominer. La quatrième fin est d’être
le sacrement du Christ et de l’Église.
La polygamie répugne grandement à cette fin. Car, il n’y a qu’un seul Dieu a être uni avec
son église. Et l’église ou l’âme ne peut
s’unir à d’autres dieux qu’en forniquant.
Dans son livre sur la doctrine chrétienne (chapitre 12), et dans son livre sur le bien conjugal
(chapitre 17) il prouve cette sentence par les exemples d’anciens saints. Nous lisons que parmi les saints, certains
eurent plusieurs épouses. Mais qu’une
femme ait eu plusieurs maris, nous le lisons jamais.
En ce qui a trait à la
polygamie qui fait qu’un homme ait plusieurs femmes, tous n’admettent pas qu’elle soit contraire
au droit naturel. Car, Durand (4 dist
33, quest 1) et Alphonse évêque d’Abulensis (chapitre 9, Matth question
30), enseignent qu’elle ne répugne pas à
la nature. Mais le pape Innocent (dans son épitre Gaudemus sur le
divorce), et la plupart des théologiens
(dist 33, livre 4 des sentences), soutiennent l’opinion contraire. Car, si la polygamie ne répugne pas à la
première fin du mariage, qui est la procréation et l’éducation d’enfants, elle répugne, cependant, ouvertement, aux
autres fins. Car, la seconde fin qui est
la cohabitation sociale et le gouvernement de la maison, n’est pas peu empêchée par la multitude des
femmes.
Car même si la femme est
sujette à son mari, elle ne n’est pas en
tant que servante ou domestique, mais en tant qu’égale. Voilà pourquoi elle a, elle aussi, la main
haute dans la maison , comme l’enseigne saint Jean Chrysostome (homélie sur l’épitre aux Éphésiens). Et saint Thomas prouve la même chose ( 1 par
quest 92, art 3), par la production de
la femme. Car, ce n’est ni de la tête,
ni des pieds qu’elle a été formée, mais d’une côte, pour qu’elle ne soit pas
dominée par le mari, ni traitée comme une servante, mais comme sa compagne, et sa
collatérale. Et c’est ce qu’attestent
les paroles d’honneur. On appelle reines
les épouses des rois, et impératrices les épouses des empereurs. Or, comme
toute principauté, de par sa nature, aime la singularité, (comme l’enseigne
saint Augustin dans le bien conjugal), il répugne au mariage qu’un seul homme ait plusieurs
épouses.
Et c’est ce qui nous fait
comprendre l’argument de saint Augustin, au lieu cité, par lequel
il prouve que ce n’est pas autant contre la raison qu’un homme ait
plusieurs femmes qu’une femme ait plusieurs maris. Car, ce n’est pas contre la raison qu’un
maître ait plusieurs serviteurs, alors que c’est contre la raison qu’un
serviteur ait plusieurs maîtres. Cet
argument ne prouve pas qu’il ne soit pas
absolument contre la raison qu’un seul
mari ait plusieurs épouses, puisqu’il y a une grande différence entre la
sujétion des serviteurs à un maître et la sujétion de l’épouse à son mari. Il prouve seulement qu’il est moins absurde qu’un homme ait plusieurs femmes qu’une femme
ait plusieurs maris, puisque l’homme est
la tête de la femme, et la femme n’est pas la tête de l’homme.
La troisième fin, qui est le
remède contre la concupiscence, est
empêchée par l’union simultanée d’un homme avec plusieurs femmes. Car, sans aucun doute possible, un seul homme ne peut pas rendre à chacune de
ces épouses ce qui leur est du, comme il
le ferait à une seule. Et, comme nous l’avons
dit plus haut, c’est une iniquité que l’homme
ne se livre pas totalement à son épouse, quand
la femme se livre totalement à son mari.
Et de plus, comme il peut à peine se faire qu’une ne soit pas aimée plus qu’une
autre, des rixes et des contentions naissent facilement de la polygamie. Comme c’est le cas même des femmes saintes,
comme Sara et Agar, Lia et Rachel, et entre Anne et Phenena. Et il n’est pas vrai ce que dit Durand que
ces rixes n’arrivent que par accident, à cause de la méchanceté des
femmes. Au contraire, c’est plutôt par accident que de telles rixes
n’éclateraient pas à cause de la bonté des femmes, puisque la polygamie les apporte avec elle.
La quatrième fin, le
sacrement, répugne à la polygamie. C’est
ce qu’on voit dans l’institution elle-même du mariage. Car, si la polygamie était conforme à la
nature, Dieu l’aurait instituée au
début, parce qu’elle était, à cette époque, nécessaire à la propagation de l’espèce. Et elle aurait donc une origine
naturelle. Mais, au contraire, c’est la
monogamie que Dieu a institué au tout début.
La polygamie n’est donc pas selon
la nature . On peut tirer un cinquième
argument de l’usage de l’Église. Car, si
la polygamie était permise aux chrétiens, il faudrait le prouver en citant des
exemples de chrétiens qui ont eu plusieurs femmes. Car, il
n’y a pas à s’étonner que Luther ne puisse citer que les exemples des
patriarches pour prouver que la
polygamie est licite, et pas un seul exemple de saints qui ont vécu pendant
seize siècles. Que conclure donc ? Que non seulement les chrétiens ont toujours
pratiqué la monogamie, mais aussi les païens romains. Car, dans le droit civil romain, les
polygames sont, par les empereurs
romains, marqués d’infamie et d’autres
peines, comme on le voit par ceux qui
sont notés d’infamie (dans la loi 1
item, canon des noces incestueuses, loi cum qui). Aristote aussi, dans les politiques, prescrit
la monogamie. Que cela suffise.
CHAPITRE 11
On solutionne l’argument des adversaires
tiré de l’exemple des patriarches
Il faut réfuter l’argument de Luther et des anabaptistes tiré de l’exemple
d’Abraham, de Jacob et de David, et des
autres patriarches qui eurent plusieurs femmes, et qui ont été bien vus et bien
reçus de Dieu. Nous allons réfuter cet
argument de plusieurs façons.
Quelques-uns soutiennent que les pères n’ont eu qu’une seule épouse
légitime, et que les autres ont été des concubines. Ce qu’ils prouvent d’abord par ces paroles
de saint Jean 8 : «Nous ne venons pas de la fornication.» Ils semblent vouloir dire, selon Euthymius,
qu’ils ne descendent pas de Agar, la concubine d’Abraham, mais de Sara, sa femme légitime. Ensuite l’Écriture appelle souvent concubines
les femmes que les patriarches prenaient en plus de leurs épouses. Et elle enseigne que leurs fils n’étaient pas
des héritiers, comme ces pages de la Genèse nous le montrent (25) :
«Abraham donna à Isaac tout ce qu’il possédait;
et il fit des dons aux fils de ses concubines.»
Enfin, les pères. Saint Ambroise
(livre 1 sur Abraham, chapitre 4) voulait excuser Abraham, qui, du vivant de
Sara, avait connu une autre femme.
Il apporte trois raisons. La première. À cette époque, l’adultère n’était
pas encore prohibé par une loi, La
deuxième. Ils ont agi par amour de la postérité, et non pour satisfaire leurs
passions déréglées, et avec le
consentement de leurs épouses. Ils en
ont fait pénitence. La troisième. Ils ont fait cela pour signifier quelque
chose, selon l’apôtre aux Galates 4.
Saint Augustin (livre 2, chapitre 9, contre les adversaires de la loi et
des prophètes. chapitre 23 contre Faustus, livre 16, chapitre 25, de la cité de
Dieu) excuse le crime d’Abraham , que lui objectaient les manichéens, en
répondant que ce n’était pas pour
assouvir sa passion mais pour avoir des enfants qu’il avait agi ainsi; et de plus, qu’il l’avait fait sur la demande
de sa femme. Ils n’auraient eu qu’un mot
à prononcer s’ils avaient pensé qu’Agar était la femme d’Abraham.
Ensuite saint Léon (épitre 92, chapitre 4 à Narbonne) fait une distinction
entre femme et concubine, et enseigne
que la concubine n’est pas une véritable épouse, de sorte que celui qui , ayant
une concubine , épouse une autre femme, n’est pas considéré comme ayant fait un
deuxième mariage. Mais cette opinion
est improbable, et ne répond pas à la question.
Car, quoi qu’il en soit de Sara et d’Agar, il est certain que Rachel et
Lia ont été deux vraies épouses de Jacob, car l’une et l’autre étaient libres,
et l’une et l’autre sont appelées épouses.
Et on peut dire la même chose d’Anne et de Phenenna, les deux épouses d’Héléna,
ainsi que de beaucoup d’autres.
Ensuite, qui croira que le
patriarche Abraham, homme très saint, et très sage, et comme le père de toute
sainteté, qui, dans l’Écriture, a
toujours été nommé avec honneur par les prophètes et les apôtres, qui croirait,
dis-je, qu’il ignorait que l’adultère était un péché, ou qu’il pensait pouvoir
en commettre un du consentement de son épouse ?
Ajoutons que si elles n’ont pas été de vraies épouses pour les
patriarches, il faudrait dire que les
patriarches ont péché non seulement une fois par fragilité humaine, mais
pendant toute leur vie, et cela ouvertement et volontairement. Car, ces femmes, ils les retinrent
perpétuellement et publiquement.
Ensuite, Dieu a dit à David (2 Rois 12) : «J’ai donné les épouses de
ton seigneur dans ton sein.» Or, je le
demande, comment Dieu pourrait-il être l’auteur d’un adultère ? Et le bienheureux Paul, (Galates 6), écrit
que les deux fils d’Abraham signifiaient deux testaments ou deux peuples; et que, comme Abraham eut un fils de la femme
libre et un fils de la servante, de la même façon, Dieu a eu deux peuples, un
de la synagogue servante, et un de l’église libre. Agar signifiait donc la synagogue. Or, la synagogue ne fut pas unie à Dieu par un adultère, mais par une union
légitime. Donc si la comparaison est
vraie, si Agar signifie vraiment la synagogue, elle ne fut pas une concubine d’Abraham,
mais une véritable épouse.
Mais ces arguments ne sont pas concluants. Car, le «nous ne sommes pas nés de la
fornication», doit s’entendre de la fornication spirituelle qui est l’idolâtrie,
non de la fornication charnelle, selon l’explication qu’en donne saint
Augustin. Voilà pourquoi les Juifs
ajoutent : «Nous avons un seul Père, Dieu». Comme s’ils disaient : nous ne descendons
pas des gentils idolâtres, qui forniquent avec plusieurs dieux, mais des
patriarches adorateurs d’un seul Dieu.
La même chose découle des paroles précédentes, car ils dont dit, un peu
avant, avoir Abraham pour père, et ils en concluent qu’ils ne viennent pas de
la fornication. Or, s’il s’agissait de
la fornication charnelle, et si, par fornication, ils avaient entendu l’union
avec Agar, ils seraient nés de la fornication, même s’ils avaient pour père
Abraham. Et s’il s’agit vraiment de la fornication spirituelle, c’est-à-dire,
de l’idolâtrie, ils ont raison de dire qu’ils ne viennent pas de la fornication
ceux qui descendent d’Abraham, car Abraham ne fut pas un idolâtre, mais un
adorateur du vrai Dieu.
Le deuxième argument n’est pas plus concluant. Car, dans l’Écriture, de vraies et légitimes
épouses sont parfois appelées concubines, et les concubines sont parfois
appelés épouses. Exemples. Genèse 21,
Céthura est appelée épouse, et un peu après, elle et Agar sont appelées
concubines. Jules 19, la femme véritable , légitime et unique d’un lévite est
appelée tantôt épouse, tantôt concubine.
C’est qu’il y avait deux genres de femmes, autant chez les Hébreux que
chez les Gentils. Celles qu’on épousait
non seulement pour avoir des enfants, mais en communion de tous les biens, et
pour le gouvernement de toute la maison.
Seuls les fils de ces femmes étaient des héritiers, et ce sont elles qu’on
appelait proprement mères de famille. D’autres
étaient, aussi, des épouses légitimes, mais elles n’étaient pas admises à la
communion des biens et au gouvernement de la maison. Elles n’étaient pas non plus appelées mères defamille, et leurs fils n’héritaient
pas. Et ce sont celles-là qu’on appelait
tantôt concubines, tantôt épouses. Que
cela fut en usage chez les Hébreux, on le voit par le texte de la Genèse
25. Et chez les Gentils, Gellius nous le
montre (livre 18, chapitre 6). Et c’est
de cette façon que l’explique Gratien (distinction 34, chapitre omnibus,
dernier canon du concile de Tolède.) On
dit là qu’on peut admettre à la communion ceux qui se contentent d’une seule
femme, qu’elle soit leur épouse ou leur concubine. Et il explique qu’on appelle concubine celle
qui était une vraie épouse, mais qu’on avait épousée en privé, sans instruments
légaux.
Au troisième argument tiré des pères , je réponds qu’Ambroise s’est
efforcé de défendre Abraham de plusieurs façons, mais que c’est dans sa
dernière réponse qu’il a mis sa véritable défense. Car, dans sa dernière réponse, il écrit
ouvertement que le mariage d’Abraham avec Agar ne fut pas un péché, mais un
mystère, car Dieu l’a voulu ainsi pour signifier quelque chose du futur, comme
saint Paul l’explique aux Galates 4.
Nous en déduisons que saint
Ambroise estimait qu’un mariage avec plusieurs épouses étaient illicite, mais
qu’il avait été rendu licite par une dispense de Dieu. Ce qui est l’explication que le pape Innocent
3 et les scolastiques ont suivie.
Ensuite, saint Augustin, dans les lieux cités, ne dit pas qu’Agar n’a
pas été une épouse, ou que l’union d’Abraham avec elle ait été un
adultère. Il dit seulement qu’il n’a pas
commis un péché de sensualité parce qu’il n’a fait cela que pour avoir des
enfants, et à la demande de son épouse.
Mais on réplique qu’il aurait pu d’un mot repousser le crime s’il avait
dit qu’Agar était sa vraie épouse, et qu’à cette époque, la polygamie était
licite. Je réponds que cela, saint
Augustin l’a dit ailleurs car (dans le livre 16, chapitre 38 de la cité de
Dieu,) il écrit ouvertement que le patriarche Jacob eut quatre épouses, parce
que, à cette époque, il n’y avait rien qui l’interdisait. Et (au livre 22, chapitre 47, contre Faust)
il dit qu’en ce temps, ce n’était ni contre les lois, ni contre la coutume, et
que la chose était permise. Mais, parce
que les manichéens accusaient le saint patriarche de luxure, saint Augustin s’est
souvent senti obligé de démontrer que le patriarche n’a pas agi par passion,
mais par désir d’une postérité.
En ce qui se rapporte à saint Léon
qui distingue la femme libre de la concubine, et la libre de l’esclave, et
entend par concubine celle qui n’est pas une vraie épouse, en prenant pour
exemple Sara et Agar, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il veuille que soient
tout à fait semblables l’esclave et la concubine, et l’épouse et la femme
libre. Car, il y a beaucoup de
concubines qui sont aussi des femmes libres, et beaucoup de servantes qui sont
des épouses. Pour que soit vrai l’exemple
apporté par saint Léon, il suffit qu’Agar ait été servante d’Abraham, ce qui
est tout à fait vrai. Il n’est pas
nécessaire qu’elle n’ait pas été une épouse.
Je reconnais cependant que saint Léon parle obscurément. Voilà pourquoi (dans le livre 2 sur les
conciles, au chapitre 8) quand j’expliquais le canon 17 du concile de Tolède 1,
j’ai dit qu’Agar, selon saint Léon, n’était pas une vraie épouse d’Abraham,
mais seulement une concubine, car j’estime que dans une chose douteuse, il est
préférable d’expliquer saint Léon comme je l’ai fait.
Il y l’autre opinion de ceux qui enseignent que ces femmes étaient non
seulement des épouses véritables et légitimes des patriarches, mais aussi que
cela n’est défendu que par le droit canon évangélique. On veut que saint Augustin et saint Jérôme
aient été de cet avis. Car, saint Jérôme
(dans l’épitre à Océan sur la monogamie des clercs) parle ainsi : «L’apôtre
savait qu’il était concédé par la loi, par l’exemple des patriarches et de
Moïse de s’unir à plusieurs épouses pour avoir des enfants.» Au temps des hébreux, la polygamie était plus
conforme à la loi que contraire à la
loi.
Saint Augustin (dans son livre 3 sur la doctrine du Christ, chapitre
12) : «Ç’était , pour les hommes,
une coutume dénuée de culpabilité , d’avoir simultanément plusieurs
épouses dans le but d’avoir des enfants.»
Et ( au livre 6, chapitre 38 de la cité de Dieu), il écrit : «À
cette époque, aucune loi n’interdisait aux hommes d’avoir plusieurs femmes pour
procréer des enfants.» Et ensuite (au
livre 13, contre Faust, chapitre 47, il écrit : «Certains péchés sont
contre la nature, d’autres contre les mœurs, d’autres contre des
préceptes. Les choses étant ce qu’elles
sont, pourquoi voir un crime dans la pluralité des femmes de Jacob. Si tu t’en tiens à la nature, il n’a pas agi
poussé par la sensualité , mais par le désir d’avoir des enfants. Si tu
regardes les mœurs, c’était quelque chose qui se faisait à l’époque. Si tu interroges les préceptes, aucune loi ne prohibait la chose.
Cependant, cette explication répugne au page Innocent 111 (au chapitre
gaudemus, sur le divorce). Il dit là qu’il
n’a jamais été permis à personne, sans dispense divine, d’avoir plusieurs
femmes simultanément. Enseigne la même
chose saint Jean Chrysostome (homélie
56, chapitre 30 sur la Genèse) où il enseigne que la coutume d’avoir plusieurs
femmes est une chose mauvaise qui a été abolie par le Christ; qu’elle fut
licite chez les pères parce que permise par Dieu. Enseigne la même chose aussi saint Ambroise
qui, comme nous l’avons vu plus haut, n’a pas pu excuser Abraham de crime qu’en
y voyant un mystère, parce que Dieu les avait dispensés de la loi de la
monogamie instituée au tout début. De
plus, si la polygamie était interdite seulement par l’évangile, et ne l’était
pas par le droit naturel, il serait permis, de nos jours, aux infidèles d’avoir
plusieurs femmes, car avant d’être chrétiens, ils ne sont tenus par aucune loi
évangélique. Or, après l’avènement du
Christ et la proclamation de l’évangile, la polygamie est illicite à tous les
hommes. Et si un infidèle se présente au
baptême, il sera contraint de rejeter toutes les épouses qu’il a prises en plus
de la première. Parce que l’église
enseigne que seul le mariage avec la première épouse est le vrai mariage (comme
on le voit au chapitre gaudemus, sur le divorce).
On ne peut pas répondre que l’infidèle est forcé, après le baptême, de
renvoyer toutes ses épouses à l’exception de la première, parce que la loi
chrétienne interdit d’avoir simultanément plusieurs épouses, même si cela est
permis aux Gentils. Car, la loi
chrétienne interdit de résilier les vrais mariages. Donc, s’ils avaient été de vrais mariages,
ils ne seraient pas déclarés nuls par l’église, mais on ne ferait que prescrire
à cet homme de ne pas prendre d’autres épouses avant que ne soient mortes
celles qu’il avait épousées avant. Comme
nous voyons ce qui se passe dans les mariages contractés par des infidèles aux
degrés prohibés par l’Église. Car, parce
que la loi de l’Église n’oblige pas les infidèles, leurs mariages sont censés
légitimes, et ils ne sont pas invalidés quand ils se baptisent, même s’ils
étaient résiliés s’ils étaient faits après le baptême. Ce qu’on peut connaitre en lisant le même
chapitre gaudemus. On le réfute ensuite
avec tous les arguments présentés dans la quatrième raison.
Ni saint Jérôme ni saint Augustin ne nous sont contraires. Car leurs opinions sont très vraies, si on
inclut la dispense divine que nous soutenons avec Innocent 111 et les
scolastiques. Avec cette dispense
divine, n’était pas contre la loi de Moïse, mais selon la loi de Moïse le
mariage d’un homme avec plusieurs femmes.
Saint Augustin dit que la coutume de cette époque ancienne ne comportait
aucune faute. Et, tant que cette
dispense était en vigueur, il n’était donc pas contre nature pour un homme d’avoir
simultanément plusieurs femmes, mais seulement si cette polygamie était
inspirée par la sensualité. Et saint
Augustin a raison de dire qu’elle ne se faisait
pas contrairement à la nature, parce qu’elle n’était pas inspirée par la
sensualité, mais par le désir d’avoir beaucoup d’enfants.
Il y a donc une troisième opinion qui est commune aux savants. Elle veut que ce soit par une dispense divine
qu’il ait été permis aux hommes d’avoir plusieurs femmes à la fois. Mais même là-dessus, il y a des opinions
différentes. Les uns veulent qu’à chaque patriarche ait été communiquée une
inspiration divine qui leur faisait comprendre qu’il était permis d’avoir
plusieurs femmes. D’autres pensent qu’il
suffit que les premiers patriarches aient reçu cette inspiration. Certains autres pensent que seul le peuple de
Dieu a bénéficié de cette dispense, et d’autres estiment que tous les païens en
ont également bénéficié. J’exposerai en
quelques propositions ce qui me semble le plus probable là-dessus.
La première proposition. Au sujet de la polygamie d’une femme avec
plusieurs hommes ou d’un homme avec plusieurs femmes, aucun homme ne peut en
dispenser, et surtout après la proclamation de l’évangile. C’est là une chose évidente. D’abord, parce que la polygamie est défendue
par le droit naturel, et ensuite par le droit divin évangélique. Un inférieur ne peut pas dispenser de la loi
d’un supérieur, donc ni un homme de la loi de Dieu.
La deuxième proposition. Pour la
polygamie d’un homme avec plusieurs femmes, Dieu peut donner une dispense.
Mais, par pour la polygamie d’une femme avec plusieurs hommes. La raison en est qu’il y a deux genres de
préceptes qui appartiennent à la loi naturelle. Il y en a qui sont universels
et communs à tous, qui sont comme les principes premiers du droit naturel. Il y
en a d’autres qui dérivent des premiers, comme des conclusions. Les premiers contiennent universellement la
règle de rectitude, de façon à ce que, en aucun cas, ils n’aient besoin d’un changement. Et ils sont donc absolument
indispensables. Tels sont les préceptes
du décalogue. Ceux qui viennent après
contiennent eux aussi la règle de rectitude.
Mais il est parfois utile de les modifier quand survient un changement
de circonstances ou de personnes, mais seulement par celui qui les a
instituées. Or, la polygame de la femme avec plusieurs maris appartient aux
premiers principes du droit naturel, et ne peut donc devenir bonne par aucun
changement de circonstances, parce que, comme nous l’avons montré plus haut,
elle répugne à toutes les fins du mariage.
Aucune dispense ne peut donc tomber sur quiconque.
Tu diras : qu’arriverait-il s’il n’avait plus qu’une seule femme
parmi les hommes, et si elle était mariée à un homme stérile ? Ne faudrait-il
pas qu’elle reçoive une dispense qui lui permettrait de se marier avec un
homme, pour que le genre humain ne périsse pas.
Je réponds qu’il y a aucun danger que pareille catastrophe n’arrive, car
Dieu, par sa providence, prend soin du genre humain. Car, autrement, nous pourrions nous demander
aussi si un père doit se marier avec sa fille ou un garçon avec sa mère,
si tous les autres habitants de la terre ont été anéantis. Dans le premier cas, on devrait obtenir une
dispense qui détruirait le lien avec le premier mari, plutôt que d’avoir deux
maris.
La polygamie d’un homme avec plusieurs femmes appartient au deuxième
genre de préceptes. Parce que, comme
nous l’avons dit, elle ne répugne pas à la première fin, mais seulement à la
deuxième. Et il peut arriver parfois que
pour atteindre la première fin, il faille mépriser la seconde. Voilà pourquoi une dispense de cette loi est
possible, mais seulement par Dieu, et non pas les hommes.
La troisième proposition. Pour qu’on
puisse dire que Dieu dispense de la polygamie, une parole externe n’est pas
requise, ni non plus de l’Écriture, ni même le dictat de la droite raison. Une
inspiration particulière, toutefois, est
requise. On prouve la première partie
ainsi : telle loi, telle dispense.
La loi prohibant la polygamie au temps des patriarches n’était encore
écrite dans aucun livre, mais seulement imprimée dans les esprits. Car, il est évident que les livres de Moïse
ont eu un commencement. On prouve la
deuxième partie en faisant remarquer que la loi qui prohibait la polygame n’était
pas seulement naturelle parce qu’elle était conforme à la raison droite, mais parce que, par une inspiration spéciale,
Dieu avait enseigné à Adam quelle était la nature du mariage qu’il venait d’instituer,
et qu’il voulait donc qu’il soit une monogamie.
Car, les préceptes secondaires de la loi naturelle n’ont pas de force
coercitive, à moins qu’ils ne soient sanctionnés spécialement par Dieu ou par
un autre principe. Ils obligent
seulement dans la mesure où la droite raison enseigne que ce doit être fait ou
que ce ne doit pas être fait. Comme l’enseigne
saint Thomas (1 sentences dist 33, quest 1, art 1 à 2) . Comme la loi de la monogamie avait été
sanctionnée par Dieu par le moyen d’une sainte inspiration, elle avait besoin d’une
dispense.
La quatrième proposition. La
dispense de la polygamie a été donnée par Dieu aux premiers pères, et c’est par
leurs paroles et leurs exemples qu’elle est parvenue aux autres. On le prouve ainsi, Au temps d’Abraham, et après lui, la chose
était connue par tous, au point au Sara elle-même a induit son mari à s’unir à
sa servante. Car, il n’est pas croyable
que cette sainte femme aurait agi ainsi si elle n’avait pas cru que la chose
était permise. Il n’est pas vraisemblable, non plus, qu’elle ait reçue cette
inspiration de Dieu. Pour une raison
semblable, Laban offrit deux épouses à Jacob.
Et ces deux épouses lui ont procuré deux autres épouses. Jacob n’a manifesté aucun étonnement, et il n’a
pas protesté que cela n’était pas permis.
Et Moïse, dans le Deutéronome, en parle souvent, et comme d’une chose
connue, comme, par exemple, quand il dit : «Si quelqu’un avait deux
femmes, une qu’il aimait, une qu’il détestait» (21). Il n’était donc pas nécessaire que chacun
ait une inspiration divine. Il suffisait
que les premiers pères aient fait ces choses.
Et il se peut que Noé ait été le seul à recevoir cet enseignement, et qu’il
ait instruit les autres.
La cinquième proposition. Il est probable que cette concession ait été
faite à tous les peuples, et non seulement aux Hébreux. Je dis que cela n’est que probable, car je n’ignore
pas que plusieurs pensent que cette concession n’a été faite que pour le peuple
hébreux, afin qu’il procrée le peuple d’où devait naître Jésus-Christ. On le prouve, d’abord, avec saint Augustin
(livre 16, chapitre 18 contre de la cité de Dieu, et livre 22, chapitre 47, contre Faust). Il écrit que dans le pays où Jacob a pris
quatre femmes, existait forcément la coutume de prendre plusieurs épouses, dans
le but d’avoir plusieurs enfants; et que
cette coutume n’était pas répréhensible , parce qu’il n’y avait aucune loi
écrite qui l’interdisait. Dans ce
passage, saint Augustin indique que
cette dispense fut générale, en disant d’abord qu’il n’y avait alors aucune
lois qui l’interdisait, car, quand il y a une dispense générale, la loi
naturelle n’oblige jamais; et en faisant
remarquer, ensuite, que dans d’autres pays, comme celui où Jacob habitait, la
chose était permise. En effet, c’est
dans une terre de païens que Jacob demeurait, et non en Palestine. Le Laban, dont Jacob accepta les deux femmes,
était un idolâtre (Genèse 31). Il ajoute
ensuite que la cause pour laquelle la polygamie était permise alors était la
propagation de l’espèce, ou le grand nombre d’enfants. Il ne parle jamais, que je sache, de la seule
propagation du peuple hébreu.
Il le prouve, ensuite, parce que l’Écriture raconte qu’Abraham et Jacob n’ont
pas été les seuls avoir plusieurs épouses, mais aussi Ésaü qui n’appartenait
pas au peuple élu (Genèse 26, 28). Il n’y
a aucun doute à avoir qu’Ésaü ait agi ainsi pour imiter Abraham. Et l’Écriture ne lui en fait pas un
reproche. Il est croyable que les
Ismaélites qui ont conservé jusqu’à
aujourd’hui la coutume de la polygamie, la tiennent d’Abraham et des
patriarches. Et comme l’Écriture ne
blâme pas les Gentils qui avaient plusieurs épouses, il est probable que cette
permission ait été faite à l’ensemble du genre humain.
La sixième proposition. Il est
probable que cette dispense ait cessé avant l’avènement du Christ. Et si elle n’a pas cessé avant, il est
certain qu’ elle a été complètement abolie par le Christ, de façon à ce que la
polygamie soit interdite non seulement aux chrétiens mais à tous les
peuples. Qu’elle ait été abolie par le
Christ si elle existait encore, nous l’avons suffisamment prouvé dans le
premier argument du chapitre précédent.
Qu’il est probable qu’elle ait cessé d’elle-même, nous le déduisons de
ce que la cause de la dispense avait cessé d’exister. Cette cause, c’était le petit nombre d’êtres
humains sur la terre. Car, après le
déluge, les hommes étaient rarissimes. et ne vivaient pas aussi longtemps qu’avant
le déluge. Voilà pourquoi Dieu toléra la
polygamie pour une plus rapide propagation de la race humaine. Mais, avant la venue du Christ, le monde
était déjà grandement peuplé. La cause de la dispense cessait donc.
Il semble que les hommes aient compris cela. Car, au temps du Seigneur, la polygame n’était
en usage ni chez les Hébreux, ni chez les Romains, sauf de rares
exceptions. Et cela est si vrai que,
dans les évangiles, quand les pharisiens ou les disciples parlent des épouses,
ils le font toujours au singulier. On
peut en trouver un indice dans le fait que Zacharie, le père de saint Jean
Baptiste, qui avait une épouse stérile, ne chercha pas une autre épouse, mais
vieillit avec elle (1 saint Luc). Il
reste encore un argument à résoudre, celui tiré de la lettre de Grégoire 3 à
Boniface, où il semble avoir autorisé un second mariage à un mari dont la femme
était malade. Mais nous avons discuté de
ce cas dans le livre 4, chapitre 12 du pontife.
La réponse du plus grand nombre est que , en raison d’un empêchement
perpétuel, cette femme ne fut pas une vraie épouse. Et c’est ce que le pape Grégoire aurait
déclaré.
CONTROVERSE 4
LA
FERMETÉ DU MARIAGE
CHAPITRE 12
Vient ensuite la quatrième controverse qui porte sur la fermeté du
mariage. Il faut, dès le début, observer qu’est différent le jugement à
porter sur un mariage entre fidèles et un mariage entre infidèles; entre un mariage de fidèles ratifié et non
consommé et un mariage ratifié et consommé; et entre un mariage entre fidèles consommé, en ce qui a trait au
divorce, et en ce qui a trait à la répudiation.
D’où quatre questions se posent sur la fermeté du mariage. Mais la dernière est très propre à notre
sujet, pertinente, et difficile. Nous
parcourrons donc rapidement les trois premières.
La première question porte sur le mariage des infidèles. Car le mariage des infidèles peut être
dissout même jusqu’au lien, quand l’un des conjoints se convertit à la foi, et
que l’autre ne peut pas cohabiter avec lui sans injurier le Christ. Il n’y a pas de débat là-dessus, car c’est l’enseignement
de saint Paul (1 Cor 7) : «Si l’infidèle se retire, qu’il se retire
!» C’est aussi la doctrine de l’Église
(39, quest 2, canon si infidelis, chapitres quanto et gaudemus, sur le
divorce). On ne peut pas nous objecter
les paroles du Seigneur : «ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas
!» Ou : «Celui qui renverra son
épouse, sauf en cas d’adultère etc». Ni
non plus qu’on ne peut pas dissoudre un mariage à cause d’une hérésie, bien que
l’hérésie soit une espèce d’infidélité.
Car, on peut répondre au premier texte que ce mariage n’est pas dissout
par l’homme, mais par Dieu, dont nous avons en l’apôtre saint Paul un
interprète. Au deuxième texte, Cajetan répond (dans son commentaire du chapitre
de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens) que le Christ a donné aux
seuls hommes le droit de renvoyer leurs épouses, pour cause de fornication, et
non aux épouses le droit de renvoyer leurs maris. Saint Paul, lui, a parlé d’une
cause qui est commune à l’homme et à la femme, la conversion d’un des conjoints
à l’infidélité. Mais cette explication ne semble pas répondre à la
question. Car, tout d’abord (comme nous
le démontrerons plus haut), le Seigneur parle de la séparation qui a trait à la cohabitation et non au lien. Sur ce
point, l’homme et la femme sont égaux, car la femme peut quitter un mari
adultère, comme le mari peut quitter une épouse adultère.
Mais Kemnitius ne concilie pas correctement ces passages, quand il écrit
(2 par, examen, page 1248) que le Christ parle de celui qui renvoie
injustement, et saint Paul de celui qui est renvoyé injustement. Car, comme saint Augustin le note (dans son
livre sur les mariages adultérins, chapitres 2 et 3), saint Paul non seulement
permet un nouveau mariage à l’époux abandonné par un infidèle, mais il permet
aussi de quitter un infidèle, même si ce dernier veut cohabiter. Car, il conseille seulement au conjoint
fidèle, sans le lui prescrire, de ne pas renvoyer l’infidèle, s’il veut
cohabiter. Ne commet donc aucun péché
celui qui renvoie un conjoint infidèle qui veut cohabiter. De plus, si in infidèle n’abandonne pas un
fidèle, et veut cohabiter avec lui en injuriant le Créateur, passant son temps
à l’inciter à retourner à l’infidélité et à blasphémer le Christ, il pourra,
certes, être renvoyé par le fidèle, selon cette parole du Christ : ( Luc
14) «Celui qui aime son père, sa mère ou son épouse plus que moi, n’est pas
digne de moi.»
Voici donc quelle est la sentence de saint Paul : si l’infidèle se
sépare, ne voulant pas cohabiter, ou ne voulant pas cohabiter sans injurier le
Christ, qu’il s’en aille ! Il faut donc
dire avec saint Augustin (livre 1, chapitres 1 et 2 sur les mariages
adultérins) que le Christ parle du mariage entre fidèles, et saint Paul, du
mariage entre infidèles. C’est ce qu’il
laisse assez clairement entendre quand
il dit : «Je prescris, non moi, mais le Seigneur, à la femme de ne pas se
séparer de son mari.» Et il
ajoute : «Aux autres, je dis, non
le Seigneur, que si quelqu’un a une femme infidèle qui consent à cohabiter avec
lui, qu’il ne la renvoie pas !» Là où
par les autres, il entend ceux qui ont contracté un mariage avant la foi, sur
lesquels le Seigneur n’avait laissé aucune prescription. C’est au sujet de ces
personnes que saint Paul donne le conseil à l’homme de ne pas renvoyer son
épouse incroyante, si elle veut cohabiter avec lui sans injurier le
Créateur. Mais, comme il s’agit là d’un
conseil, et non d’un précepte, il est donc permis de renvoyer l’épouse
infidèle, et surtout si elle ne veut pas cohabiter.
Au troisième, il faut dire qu’il y a une grande différence entre les
mariages contractés dans l’infidélité, et ceux qui sont contractés après le
baptême. Mais si, de par leur nature,
les premiers sont ratifiés et fermes,
ils ne sont cependant pas des
sacrements. On a donc deux bonnes
raisons de les dissoudre. Ce que saint
Paul enseigne au sujet des mariages contractés dans l’infidélité ne doit pas être étendu aux mariages contractés
après le baptême. Si donc un des
conjoints se convertit de l’hérésie, et que l’autre ne peut cohabiter avec lui
sans injurier le Christ, le mariage n’est pas dissout jusqu’au lien, non parce
que l’hérésie n’est pas une espèce d’infidélité, mais parce que ce mariage a
été contracté après le baptême, et est, à cause de cela, un sacrement. Et, semblablement, si un autre conjoints
chrétien devient non seulement hérétique, mais aussi apostat, païen ou athée,
le lien du mariage n’est jamais dissout , parce qu’il est un sacrement. Et c’est ainsi qu’est résolu le doute qui
peut naître : pourquoi le mariage ne peut-il pas être dissout quand un
conjoint fidèle ne peut cohabiter avec
un infidèle sans que soit injurié le Créateur ou sans qu’il soit
continuellement incité au mal. La
réponse est simple : un mariage contracté dans l’Église est un sacrement.
CHAPITRE 13
Le mariage ratifié non consommé peut être dissout jusqu’au lien par l’entrée
en religion
La question du mariage ratifié non consommé a été traitée par nous dans
le livre 2 sur les moines, au chapitre 38.
Nous y renvoyons donc nos lecteurs.
CHAPITRE 14
Un mariage consommé peut être dissout en ce qui a trait à la cohabitation
La troisième question porte sur la dissolution d’un mariage consommé en
ce qui a trait à la cohabitation, le lien conjugal demeurant intact. Sur ce que les théologiens appellent
proprement divorce, et qu’ils distinguent de la répudiation qui est une
dissolution du mariage qui dissout le
lien. Les jurisconsultes, il est
vrai, entendent ces mots un peu différemment.
Car, ils appellent répudiation le renvoi de la fiancée et de l’épouse,
et divorce, le renvoi de la seule épouse après le mariage, soit par rapport à
la cohabitation ou au lien, comme on le voit dans le viol et le divorce. Voilà pourquoi, autant dans le droit
canonique que dans le droit civil, il s’agit,
sous le titre de divorces, de dissolution de mariages seulement quant à la
cohabitation, ou quant à la cohabitation et au lien.
Mais quoi qu’il en soit des mots que nous utilisons, Luther, dans son livre sur la captivité de
Babylone, au chapitre du mariage, Philippe (dans ses lieux théologiques, mariage)
et Kemnitiius (2 par examen concile de Trente), et d’autres, souvent, ne
reconnaissent pas un divorce là où demeure le lien conjugal. Kemnitius non seulement nie qu’il existe un
divorce de cette sorte, mais il réprouve
l’Église parce qu’elle concède un divorce
qui a trait à la
cohabitation, et cela,
non pour la seule cause de fornication,
Néanmoins, la sentence des théologiens et de toute l’Église est qu’un
mariage entre fidèles consommé peut être dissous sous le rapport de la
cohabitation pour deux raisons. La
première. Par un consentement mutuel,
pour acquérir un état de vie plus grand et plus élevé. Comme, par exemple, si les deux conjoints
font un vœu de continence perpétuelle, et entrent en religion. Ce dont nous avons plusieurs exemples parmi
les saints, comme nous l’avons démontré dans la dispute sur les vœux. Et nous avons même le témoignage de
Jésus (Matthieu 19) : «Si quelqu’un abandonne sa maison, son champ ou
son épouse...» Jésus parle ici de l’abandon
des épouses, comme les apôtres l’ont fait, pour pouvoir le suivre.
La deuxième. Sans consentement mutuel, mais à cause d’un
crime. Et cela, de trois façons. La première.
L’adultère d’un conjoint (Matthieu 5).
Si un des conjoints s’éloigne de la vérité catholique, et, à ce sujet,
nous avons un précepte apostolique (Tite 3) : «Évite un hérétique après
deux corrections.» L’apôtre parle là de
tous, en général. Et il n’exclut ni les conjoints ni les parents. Et ce sont d’eux qu’on entend les paroles du
Seigneur (Luc 14) : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père,
sa mère ou son épouse». De même, si un
conjoint pousse l’autre au péché, de sorte que le chrétien ne puisse pas
cohabiter avec l’autre sans un grand danger de péché. Et c’est de cela dont parle aussi le Seigneur
quand il dit : .«Si ton œil te scandalise, arrache-le !» Commentant ce passage, saint Jérôme enseigne
que le sens de cette parole du Seigneur est que nous devons nous séparer de
ceux qui sont pour nous comme des yeux, c’est-à-dire, les parents et les
conjoints, s’ils sont pour nous cause de péché.
Toutes ces choses nous les avons dans les décrets de l’Église au mot
divorces, et récemment dans le concile
de Trente, contre les luthériens, qui l’a confirmé à la session 24, canon
8 :« Si quelqu’un dit que l’Église a erré quand elle a décrété que, pour
plusieurs causes, une séparation qui touche à la cohabitation seulement soit
permise pour une période déterminée ou indéterminée, qu’il soit anathème !»
Avant d’entreprendre la réfutation des arguments des adversaires, il faut
faire trois remarques préliminaires. La
première. Le droit de divorcer pour
raison de crime appartient autant à la femme qu’à l’homme. Même si le Seigneur ne parle que de l’homme,
car, ordinairement, ce sont les hommes qui renvoient leurs femmes, et il est
plutôt rare que des hommes soient renvoyés par des femmes. Néanmoins, ce que le Seigneur dit pour les
hommes, vaut aussi pour les femmes. Car,
en Corinthiens 7, l’apôtre dit à l’un et à l’autre : non moi, mais le Seigneur je prescris à la
femme de ne pas se séparer de son mari, et à l’homme de ne pas renvoyer son
épouse, c’est-à-dire, sans cause légitime.
Et c’est ce qu’enseignent aussi le concile de Milet (canon 17),
Innocent 1 (épitre 3, chapitre 4)
saint Jérôme (dans son épitre à Oceanus sur la mort de Fabiola), et
saint Augustin (dans son livre 2 sur les
conjoints adultérins, chapitre 8).
La deuxième. Le divorce qui porte sur la cohabitation seulement peut être
fait de par la propre autorité d’un conjoint, pourvu qu’il connaisse l’adultère
de son conjoint. Mais, dans la pratique,
parce que le divorce quant à la cohabitation seulement est une chose publique
qui peut scandaliser les autres, il ne peut se faire qu’avec le jugement de l’Église,
comme nous le voyons au chapitre porro sur les divorces. La troisième. Le divorce en cas de fornication est licite
pour quatre causes. D’abord, si la
fornication s’est faite sans crime, et ne fut donc que matérielle, comme quand
une femme est violée, ou quand elle agit par ignorance, en pensant qu’un autre
homme est son mari. Deuxièmement. Si les
deux conjoints ont commis le même crime.
Troisièmement. Si après avoir connu l’adultère d’un conjoint, l’autre
fait la même chose. Quatrièmement. Si un conjoint est l’auteur de l’adultère de
l’autre. Voir Sotus (dans 1 dist 36,
question unique, article 1).
Mais il faut détruire les objections de Kemnitius contre ce canon (2 par
examen 1268, et suivants). La
première. «La définition du divorce comme séparation du mariage en ce qui a trait
à la cohabitation seulement, demeurant donc intact le lien du mariage, est
neuve, provient d’une mauvaise compréhension des paroles de saint Paul, et est
fabriquée à tort et à travers. Car, elle
est déduite de ces paroles : « Je
prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur de ne pas se séparer de
son mari. Si elle le quitte, qu’elle
demeure sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec lui.» Or, en cet endroit, l’apôtre ne parle pas du
juste divorce qui peut se faire en cas de fornication, car il ne prescrirait
pas à la femme de ne pas se séparer, s’il parlait d’un juste divorce. Il parle donc des mésententes passagères qui
surgissent dans tout mariage, et donc, d’un divorce illicite, qui fait qu’on se
sépare pour se réconcilier ensuite. C’est
donc à tort que les catholiques ont déduit qu’un divorce peut se faire dans l’Église,
quand demeure le lien du mariage.»
Je réponds que ce n’est pas uniquement de ce passage que les catholiques
ont appris que le divorce est juste et légitime, quand demeure toutefois le
lien , mais aussi d’ailleurs. Car, saint
Augustin (dans son livre sur les mariages adultérins , livre 1, chapitre 1, 2,
3, 4) voit à bon droit que l’apôtre
saint Paul ne parle pas de cette dissension quand il dit : «je prescris à
la femme de ne pas se séparer de son mari», et « si elle le quitte, qu’elle
demeurer sans se remarier». Car, dans le
premier cas, il s’agit d’une injuste séparation, et dans le deuxième, d’une
juste. Car, si l’apôtre parlait d’une
séparation illicite pour des causes frivoles quand il dit (si elle le quitte),
il ne donnerait pas aux conjoints, après la séparation, l’option ou de demeurer
ainsi sans se marier de nouveau, ou de se réconcilier. Il aurait prescrit tout
simplement qu’elles se réconcilient à leurs maris. Car, si le Seigneur a interdit de se séparer
de son mari sans juste cause, comme l’atteste l’apôtre, comment pourrait-il se
faire que le même apôtre permette à la femme, contre le précepte du Seigneur,
de demeurer, sans juste cause, séparée
de son mari ?
Voici donc ce que l’apôtre veut dire.
Je prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur, de ne pas se séparer
de son mari sans juste raison. Si elle
se sépare pour une juste raison, qu’elle demeure telle qu’elle est sans se
marier de nouveau. Ils errent donc
manifestement les Érasme, les Kemnitius et les Calvin qui voient dans ce texte
une séparation injuste, et qui nient que nous puissions en tirer un juste
divorce.
La deuxième objection. Il appert,
de l’évangile, qu’il existe d’autres raisons
en plus de la fornication charnelle, pour lesquelles un mariage peut
être dissout par rapport à la cohabitation seulement. Car, dans le même chapitre, il promet le
centuple en ce siècle, et la vie éternelle dans l’autre à ceux qui
abandonneront leurs épouses pour la perfection évangélique. Pour que l’évangile ne milite pas contre
lui-même, il y faut donc y voir une
autre exception. De plus, nous avons
appris de l’apôtre (1 Corinthiens 7) qu’un
conjoint païen peut être renvoyé par un conjoint chrétien, même s’il n’est pas
question de fornication. Les paroles du
Seigneur n’ont pas un sens universel, mais elles souffrent quelques exceptions.
Donc, pour expliquer la sentence
du Seigneur, il faut la restreindre aux
mariages contractés entre fidèles, pour accorder à l’apôtre le pouvoir de
permettre de dissoudre un mariage contracté par des infidèles. La deuxième sentence du Seigneur porte sur
une dissolution causée par le crime, et non par un désir d’une plus grande
perfection. Car la raison pour laquelle le Seigneur interdit de rompre un
mariage est que celui qui répudie injustement est cause d’un péché de
fornication par le conjoint répudié. Or, celui qui quitte par désir d’une plus
grande perfection n’est pas une cause de
divorce, parce que le mariage est consommé, et qu’alors, une telle séparation
ne peut pas se faire sans le libre consentement mutuel des deux parties. Ou il
est seulement ratifié, et alors se fait une séparation qui dissout le lien
lui-même, et un autre mariage devient possible. Voilà pourquoi, il n’y a aucun
danger d’adultère.
Pourquoi le Seigneur a-t-il dit qu’une séparation ne pouvait se faire que
pour cause de fornication, alors qu’il y a tant d’autres causes qui la
justifient ? Saint Augustin nous en donne la raison (dans le livre 1 du sermon
du Seigneur sur la montagne, chapitres 26, 27, 28), Il dit que par fornication, on peut entendre
tous les crimes. Car, l’idolâtrie
aussi, et toute superstition, est une fornication spirituelle avec de faux
dieux. Comme, selon l’apôtre, l’avarice
est une servitude d’idolâtrie, et donc
une fornication, de la même façon, toute cupidité dépravée est une
fornication. Mais cette explication de
saint Augustin parut suspecte à saint Augustin lui-même. Car, on ne peut douter qu’au sens littéral,
le Seigneur ne parle que de la fornication charnelle. Et de plus, il est faux que le mariage puisse
être dissous à cause de n’importe lequel crime, même en ce qui a trait à la
cohabitation. Car, comme nous l’avons
montré plus haut, les mariages ne sont dissouts par l’église pour raison de
crime qui sont portent un détriment de l’autre
conjoint. Voilà pourquoi le même saint Augustin dans ses rétractations, (livre
1, chapitre 19), nous met en garde contre cette interprétation.
Il faut donc dire que c’est pour deux raisons que le Seigneur n’a fait d’exceptions
que pour la fornication. La
première. Parce qu’il n’y a que la
fornication qui soit la raison propre de la dissolution d’un mariage. Les autres, sont communes aux mariages et aux
autres associations. Car, pour l’
hérésie ou l’incitation à pécher, ce n’est pas seulement le conjoint qui doit
être séparé du conjoint, mais aussi le fils du père, le frère du frère, et l’esclave
du maître. Le Seigneur n’a donc pas
exclu ces causes, car il savait qu’elles étaient communes à toutes les
associations. Mais il a exclu celle par
lesquelles les autres associations ne sont pas dissoutes, la fornication. La raison en est que seule la fornication s’oppose
directement à la foi conjugale, et à la substance elle-même du mariage. Ce n’est que par accident que les autres
crimes s’y opposent.
La deuxième raison. Parce que le
Seigneur ne parle pas d’une séparation temporaire, mais perpétuelle. Car c’est d’elle que parlaient ceux qui l’interrogeaient. Or, la cause d’un divorce perpétuel n’est
rien d’autre que la fornication. Car, à cause de la fornication d’un conjoint,
même si elle ne se produit qu’une seule fois, et même si celui qui a péché
revient aussitôt à lui-même, l’autre conjoint est libéré pour toute sa vie de
son devoir conjugal. Or, pour les autres
crimes, il n’est libéré que pour un temps, pendant le temps seulement où
demeurent ces crimes. Car, si un
conjoint qui avait induit un conjoint à pécher, se repent et se convertit
sérieusement, l’autre conjoint est tenu de l’accueillir, de cohabiter
maritalement avec lui, parce que ces crimes, comme nous l’avons dit, ne s’opposent
qu’accidentellement au mariage, tandis
que la fornication s’y oppose par elle-même.
Et voilà pourquoi des que, en forniquant, un conjoint trahit la foi
jurée . En n’observant pas ce qu’il avait promis, il sort
donc du droit du mariage, et n’a plus aucun droit sur le conjoint.
La troisième objection. «La séparation qui (dans 1 Cor 7) est décrite en
dehors de la cause de la fornication, saint Paul ne l’a ni persuadée ni
imposée, mais il enseigne qu’elle milite contre le précepte du Seigneur qui
prescrit de ne pas se séparer. Quand
donc les époux, contrairement à cette doctrine de l’apôtre, se séparent pour
des frictions, l’apôtre persuade alors la réconciliation. Et s’ils ne le veulent pas, il prononce qu’ils
doivent demeurer ainsi sans se remarier.
Mais le huitième canon dit que l’Église décrète que on peut , en plus de
la fornication, se séparer pour plusieurs autres causes.» Voilà ce que nous objecte Kemnitius. Je me
suis appliqué à reproduire son objection mot à mot, pour qu’il ne se plaigne
pas d’être mal cité par nous.
Je réponds que cette objection a déjà été réfutée, quand nous avons
répondu à la première. Il a tort de
soutenir que ces paroles de l’apôtre (si
elle se sépare, qu’elle demeure ainsi sans se remarier, ou qu’elle se
réconcilie avec son mari) doivent être entendues au sens d’une séparation
illicite, comme le démontre irréfutablement saint Augustin. C’est donc faussement qu’il dit que dans 1 Cor 7 est décrite une séparation
par une autre cause que la fornication, et qu’elle est réprouvée par saint
Paul. Mais, même si cela était vrai,
nous commenterions la sentence de saint Paul comme nous avons commenté celle du
Christ.
La quatrième objection. «Le Christ interdit la séparation en dehors du
cas de fornication, parce que cette sorte de séparation comporte le risque de
bruler, de forniquer ou d’être adultère.
Mais, de ces risques, les pontifes ne sont pas souciés. Ils ont autorisé
à volonté une séparation pour un temps déterminé ou indéterminé.» Je réponds.
Quand la séparation est juste, le péril de fornication, auquel est
exposé celui qui est renvoyé, n’est pas imputé à celui qui renvoie en usant de
son droit, mais à celui qui a fourni la cause pour laquelle il est
renvoyé. Car, il est certain que celui
qui renvoie son épouse pour cause de fornication, dans la mesure même où c’est
justement qu’il la renvoie, n’est pas considéré comme l’exposant au péril de fornication,
même si, après avoir été renvoyée, elle se livre à la prostitution.
Que la séparation que l’église permet soit juste, nous l’avons prouvé
plus haut, en montrant qu’elle est conforme à l’évangile et à la droite
raison. Car, quand deux périls sont
imminents, l’un du conjoint innocent s’il se permet d’habiter avec une
conjointe qui est hérétique ou qui l’entraîne au mal, et l’autre du conjoint
coupable, au cas où il se séparerait, qui est celui de fornication, l’église
estime droitement qu’il faut prendre
soin de l’innocent plutôt que du coupable, et c’est pour cette raison qu’elle
dissout le mariage quant à cohabitation.
Ce n’est donc pas parce que les pontifes n’ont pas cure des périls de
fornication et d’adultère qu’ils permettent la séparation qui se rapporte à la
cohabitation seulement, mais parce qu’ils se soucient davantage des périls les
plus graves.
La cinquième objection. «Ils soutiennent que le divorce doit être tel que
le lien du mariage demeure intact. Et
que par la séparation pontificale, le
lien du mariage peut être rompu de plusieurs façons. Car, ce qu’est le lien du mariage, ces
sentences l’enseignent. «Et il adhèrera à son épouse.» «Faisons-lui une aide
qui soit avec lui.» «La femme n’a pas de pouvoir sur son corps, mais son mari.»
«Réunissez-vous de nouveau, pour que satan ne vous tente pas.» «Ils ne sont pas
deux, mais une seule chair.» Et le
mariage est défini par le partage continu de la même vie. Et ce sont tous ces
liens que rompt le divorce selon la cohabitation. Les hommes séparent donc ce que Dieu a uni.»
Je réponds que toute cette objection repose sur une fausse conception du
lien conjugal. On appelle lien conjugal
une obligation mutuelle par laquelle l’homme devient le mari d’une seule femme
de façon à ne pouvoir l’être d’une autre, tant qu’elle demeure en vie; et la femme devient l’épouse de son mari de
façon à ne pas pouvoir l’être d’un autre, tant qu’il demeure vivant. Car, c’est ce qu’explique l’apôtre saint Paul
dans Romains 7, et 1 Corinthiens 7. La
cohabitation et l’usage en commun du lit et de la table dont parlent les textes
de l’Écriture allégués par Kemnitius, n’effectuent pas et ne sont pas le lien lui-même, mais en sont
une conséquence. Autrement, à toutes les
fois que l’homme ou la femme, même pour une juste cause, s’en iraient dans des
régions éloignées, et habiteraient loin
l’un de l’autre, le lien du mariage serait dissout. Ce qui est d’une grande absurdité.
Donc, l’homme et la femme
retiennent le lien du mariage quand l’un demeure en Orient et l’autre en
Occident, car, l’homme ne peut pas s’unir
à une autre femme et la femme à un autre homme sans commettre un
adultère, parce qu’ils sont encore de vrais époux, même s’ils ne cohabitent pas
et ne se sont pas près l’un de l’autre.
De la même façon, retiennent le lien du mariage l’homme et la femme
séparés par un divorce, parce qu’il est encore l’homme de cette seule femme, et
elle la femme de ce seul homme. Et ces
paroles (ce que Dieu a uni que l’homme ne les sépare pas) doivent être entendues
du vrai lien, non de la cohabitation, ou de l’usage commun du lit, à moins que nous voulions que les époux
séparent ce que Dieu a uni à toutes les fois qu’ils s’éloignent corporellement
l’un de l’autre.
CHAPITRE 15
Le mariage entre fidèles est-il soluble jusqu’au lien ? On présente différentes réponses.
Nous sommes parvenus enfin à la quatrième et ultime question, celle de la
dissolution d’un mariage consommé, cette dissolution portant sur le lien
lui-même. Nous avons, dans cette
question plusieurs adversaires : les grecs, les latins, les hérétiques,
les catholiques. Certains pensent en
effet, que dans le cas de fornication, le conjoint innocent peut se séparer de
son conjoint coupable non seulement en ce qui a trait à la cohabitation, mais
même en ce qui a trait au lien lui-même, et contracter un autre mariage. Comme les grecs qui se sont séparés de l’Église
romaine. C’est du moins ce qu’énumère
parmi leurs erreurs le carme Guido, dans sa somme des hérétiques. Et, dans le concile de Florence, à la
dernière session, le pape Eugène dit que les latins les accusent de dissoudre
les mariages. Ce qu’ils n’ont pas osé
nier, mais ils en ont présenté les raisons.
Et, il est connu qu’en ce temps,
les grecs dissolvent vraiment les mariages, et, en cas d’adultère, accordent
aux conjoints le droit de contracter un nouveau mariage. Parmi les latins, tous les luthériens, les
calvinistes et les anabaptistes sont tombés dans la même erreur. Mais les uns
plus, les autres moins.
Luther, dans son livre sur la captivité de Babylone , au chapitre sur le
mariage, n’ose rien statuer. Mais il
aurait voulu qu’il soit licite de contracter un nouveau mariage non seulement
dans le cas de fornication, mais aussi dans le cas où un conjoint va demeurer
dans une autre région ou un autre pays pour y vivre pendant une dizaine d’années,
ou ne jamais plus retourner. On peut
noter en passant que Luther se contredit dans la même page. Car, il écrit que le pape erre en concédant
le divorce pour d’autres raisons que celle de la fornication, qui est la seule
exception que le Seigneur présente. Et,
tout de suite après, il ajoute qu’il souhaiterait que soit défini qu’on
permette le divorce pour une absence prolongée du conjoint. Car, si c’est une erreur d’autoriser le
divorce pour une cause autre que la fornication, c’en est une aussi de l’autoriser pour une absence
prolongée. Il ajoute qu’il ne veut pas
que soit défini quoi que ce soit par la seule autorité du pape et de l’Église; mais que si deux érudits et deux hommes
bons tombent d’accord au nom du
Christ, et prononcent dans l’esprit du
Christ, il placera leurs décisions avant les conciles. Qu’est-ce autre que de la flatterie et de la
démagogie ? Car, d’où savons-nous que c’est
l’esprit du Christ qui les a mis d’accord, et qu’ils prennent leurs décisions
dans l’esprit saint beaucoup mieux que tant d’évêques qui, de diverses provinces, se réunissent en
un seul lieu pour expliquer la foi catholique ?
Il est certain, que pendant quinze cents ans, l’Église n’a jamais fait
passer le jugement de ces deux hommes avant
les décisions des évêques en concile.
Le même Luther, trois ans après, en 1523, devenu plus docte, écrit un
livre sur le chapitre 7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, où
il soutient que le mariage peut être dissout pour plusieurs causes, et qu’on
peut en contracter un autre.
Exemples. Si un païen abandonne
un chrétien, si un conjoint entraîne l’autre conjoint au vol ou à un autre
péché, ou si la cohabitation devient difficile à cause des scènes violentes et
des rixes, ou si un des conjoints s’absente longtemps. Dans son livre sur les causes matrimoniales
de 1530, Luther juge qu’un pauvre
pourrait entreprendre un autre mariage s’il a contracté et consommé un mariage
avec un riche, et que ce riche est repris par sa classe sociale.
Martin Bucer (Matth chapitre 14), l’emporte, par son imprudence, sur
Luther lui-même. Car, il soutient que
le mariage peut être dissout, et un autre contracté, à chaque fois que la femme
ne s’accommode pas à son mari, ou l’époux à son épouse. Ils peuvent se séparer pour n’importe quelle
raison, à toutes les fois qu’ils ne se plaisent plus l’un l’autre. Tapperus
(dans son explication de l’article 18 de Louvain) dit qu’il est plus
facile, selon l’auteur Bucer, de dissoudre un mariage qu’un contrat civil. Car, les contrats civils ne sont jamais
dissous à cause du mauvais vouloir des contractants. Philippe Melanchton (dans ses lieux
théologiques, mariage) ne permet un nouveau mariage que dans deux cas :
celui de fornication, ou de séparation injuste.
Cependant, dans son annotation au chapitre 5 de saint Matthieu, le même
Philippe ne permet pas un nouveau mariage seulement au conjoint innocent, mais
aussi au conjoint coupable, car, dit-il, on ne peut imposer à personne un
fardeau qu’il ne peut porter.
Jean Brentius (dans sa confession de Wirtemberg, au chapitre du mariage,
à la fin) dit espérer que les pieux évêques et les princes accorderont le droit
de contracter un nouveau mariage à ceux qui se sont séparés à cause de l’adultère
du conjoint. Jean Calvin (livre 4,
chapitre 19, dernier verset) déclare qu’elle
est la tyrannique la loi qui ne permet pas un mariage à celui qui s’est séparé
de son conjoint pour raison d’adultère.
Et, dans le chapitre 19 de saint Matthieu, il veut que le lien du
mariage soit rompu pour cause d’adultère, et il n’admet, en fait d’autres
causes, que la séparation d’un conjoint
du conjoint infidèle. Martin
Kemnitius (2 par, examen page 1249), suit ouvertement Calvin. Car, il veut qu’il n’y ait que deux causes
qui permettent un nouveau mariage, l’adultère d’un conjoint, et le départ d’un
infidèle. Par, infidèle, il n’entend pas
n’importe lequel injuste auteur d’une séparation, comme Luther et Philippe,
mais seulement celui qui n’est pas un chrétien, un Gentil donc.
Nous n’avons pas, là-dessus, de dispute avec eux. Ensuite, à la page suivante, page 1250, il dit qu’il ne parle que de la partie
innocente quand il permet un autre mariage pour cause d’adultère. En conclusion, Philippe ne concorde pas avec
Luther, et Kemnitius n’est d’accord ni
avec Philippe ni avec Luther.
Érasme a suivi la même sentence dans son annotation du chapitre 7 de la première aux Corinthiens. Il s’efforce laborieusement de prouver qu’à cause de la fornication, il est permis à
un conjoint innocent de convoler en justes noces. Il a d’abord édité ces annotations en 1515,
deux ans donc avant l’apparition de la scission de Luther. Ce qui nous fait comprendre que ce n’est pas
Érasme qui a reçu cette erreur de Luther, mais Luther d’Érasme.
Parmi les catholiques, il y en a
deux qui ont professé la même erreur.
Cajetan (dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu) ne fait
qu’y toucher, et comme en passant, et Ambroise Catarinus (qui dans son 6 livre
d’annotations sur les commentaires de Cajetan), disserte sur cette question, et
finit par conclure qu’on ne peut pas déduire de l’évangile et de l’apôtre saint
Paul qu’il n’est pas permis, en cas de
fornication, de célébrer un autre mariage;
mais qu’à cause de l’autorité de l’Église, on ne doit pas le faire, puisque la chose est interdite par de
nombreux canons. Mais, ces trois
auteurs catholiques diffèrent grandement des hérétiques ci-haut nommés, parce
qu’ils se soumettent au jugement de l’Église.
Et comme l’Église a exprimé sa sentence ouvertement et publiquement dans les canons 6 et 7 de la session 24 du
concile de Trente, où l’anathème est
prononcé contre ceux qui soutiennent que le lien du mariage peut être rompu pour une cause quelconque, il est à souhaiter qu’ils reconnaissent leur
erreur, et professent la foi catholique.
CHAPITRE 16
Que le mariage
soit insoluble en ce qui a trait au lien, on le prouve par la parole de Dieu,
les témoignages des pères, et par la raison.
Il nous reste donc à prouver que le
mariage contracté entre fidèles est à ce point insoluble qu’il ne peut même pas
être résilié pour cause de fornication; et que, du vivant du premier conjoint,
il n’est jamais permis de contracter un autre mariage.
Le premier texte qui se présente est
de saint Matthieu, chapitre 5 : «Quiconque renvoie sa femme, hormis pour
cause de fornication, la rend adultère; et celui qui épouse une épouse renvoyée est
adultère.» Ces paroles (et celui qui
épouse une femme qui a été renvoyée est adultère) doivent être entendues
universellement, ou avec une exception, l’adultère. Si on les entend universellement, est
adultère celui qui épouse une femme répudiée, même si elle l’a été pour cause d’adultère. Elle n’a donc pas été renvoyée selon le
lien, mais seulement selon la
cohabitation. Car, celui qui épouse une
femme répudiée pour cause d’adultère ne serait pas adultère si elle n’était
plus liée à son mari. Donc, meilleure serait la condition de la
fornicatrice que de l’innocente et de la chaste. Car, la fornicatrice est libérée de son lien
matrimonial et peut se marier de nouveau, tandis que l’innocente injustement
chassée ne peut avoir ni son premier
mari, ni en avoir un second. Or, il est tout à fait absurde que la très juste
loi du Christ veuille que l’épouse justement renvoyée soit mieux traitée que
celle qui l’est injustement.
Quelques-uns répondent que cette sentence
est générale, et que la fornicatrice ne peut pas se marier de nouveau non parce
que le lien du mariage n’a pas été rompu,
mais parce que la loi l’interdit en punition du péché. Mais cette réponse ne vaut pas grand’chose. Si le remariage était interdit en punition du
péché, alors qu’elle était vraiment
libre de se remarier, et étaient donc dissouts les liens du premier mariage,
elle pêcherait, certes, en se remariant, et le mariage serait peut-être
illicite, mais elle ne serait adultère que si elle épousait un homme déjà
marié. Le Seigneur dit formellement et explicitement : «Et celui qui épousera une répudiée sera
adultère.»
Le deuxième texte est de saint Marc,
chapitre 10 : «Celui qui renverra son épouse et en épousera une autre
commet un adultère sur elle. Et si la
femme renvoie son mari, et en épouse un autre, elle commet un adultère.» On trouve des choses semblables dans saint
Luc 16 : «Quiconque renvoie sa femme et en prend une autre, est
adultère, et est aussi adultère
quiconque prend une femme renvoyée par son mari.» Ces paroles enseignent explicitement qu’un
mariage contracté entre fidèles, et consommé,
ne peut jamais être dissout au
point qu’on puisse contracter un autre mariage.
Les adversaires répondent que ces
passages doivent être expliqués à la lumière
du chapitre 19 de saint Matthieu, où se trouve l’exception de la
fornication. Car, à moins que, dans les
paroles de saint Marc et de saint Luc, nous
ne sous entendions le sauf en cas de fornication, saint Marc et saint Luc seraient en conflit
avec saint Matthieu. Car, se
contredisent manifestement les deux affirmations suivantes : qui conque
renverra…sera adultère, et ce ne sont pas tous ceux qui renverront qui seront
adultères. La dernière est déduite de
saint Matthieu, car c’est la même chose de dire : quiconque renverra sa
femme, sauf pour cause d’adultère, et
ce ne sont pas tous ceux qui renvoient.
La première sentence est de saint Marc et de saint Luc, et l’autre est
de saint Matthieu. Elles ne seront
semblables que si on inclut l’exception de la prostitution.
Mais, c’est le contraire qui est
vrai. Car, comme nous l’avons déjà dit
dans la question de la polygamie, les évangélistes omettent parfois une chose
que d’autres ont racontée, ou ajoutent
des choses que d’autres ont omises.
Mais, ils ne font jamais d’omission qui rendrait leur sentence
fausse. Car, autrement, les évangélistes
tromperaient ceux à qui ils ont livré leurs évangiles, s’ils ne faisaient
aucune mention des autres évangélistes.
Il est certain que quand saint Marc composa son évangile qui lui venait
de la prédication de saint Pierre, il n’a pas renvoyé les romains à l’évangile
de saint Matthieu comme à son commentaire.
On peut même dire que si les romains avaient eu en main l’évangile de
saint Matthieu, il n’aurait pas écrit le sien.
Car, saint Marc n’a pas écrit pour ajouter quelque chose à saint
Matthieu, --ce qu’a fait par après saint Jean—mais seulement pour que les
romains aient en main l’évangile que saint Pierre avait légué de vive voix. C’est la raison que nous donnent saint Irénée
(livre 3, chapitre 1), Eusèbe (livre 2, chapitre 15), et saint Jérôme, (dans
ses hommes célèbres, sur Marc).
On peut dire la même chose de saint
Luc, qui a écrit son évangile pour ceux que saint Paul avait évangélisés, ceux
à qui n’étaient pas encore parvenus les évangiles de saint Matthieu et de saint
Marc. Ils n’avaient entre les mains que
les écrits de pseudos évangélistes, comme lui-même l’indique au début de son
évangile, et comme on le déduit plus clairement des commentaires de saint
Ambroise sur saint Luc, chapitre 1, et des hommes illustres de saint Jérôme,
au mot Luc. Il faut donc que soit absolument vrai tout ce
que racontent saint Marc et saint Luc, et que
nous n’ayons pas à dépendre des paroles de saint Matthieu pour ne pas
être induits en erreur. Ce qui serrait
le cas de ceux qui liraient saint Marc et saint Luc, sans se référer à saint
Matthieu.
Mais tu nous rétorqueras que saint
Augustin (livre 1, chapitre 11 sur les mariages adultérins) a écrit que le
passage de saint Mathieu est obscur jusqu’à ce que nous en venions aux autres
évangélistes. Mais saint Augustin ne
parle pas d’ambiguïté au sujet de ce que saint Mathieu dit, mais de ce qu’il ne
dit pas. Car, saint Matthieu dit qu’il
est adultère celui qui prend une autre femme en dehors du cas de
fornication. Et cela est tout à fait
vrai. Mais il ne dit pas si c’est
celui-là seulement qui est adultère, ou si c’est aussi celui qui en prend une
autre, après avoir renvoyé sa femme pour raison d’adultère. Et c’est ce dont parlent les autres
évangélistes. Nos adversaires veulent que nous soyons dans l’incertitude au
sujet de ce que disent saint Marc et saint Luc.
Nous nous demanderions, selon eux : faut-il s’en tenir à ce qu’ils
disent, sans tenir compte de ce qu’ils ne disent pas. Or, le même saint
Augustin, (livre 1, chapitre 9 du même livre)
s’en prend vivement à ceux qui ne prennent pas les paroles des
évangélistes selon leur sens naturel : «Qui sommes-nous, nous, pour
dire : il est adultère celui qui, après renvoyé son épouse, en prend une
autre, et il n’est pas adultère celui qui fait la même chose, puisque l’évangile
dit que sont adultères tous ceux qui font cela.»
À cette objection, je réponds que
les évangélistes ne disent pas des choses contradictoires. Car, cette proposition (ce ne sont pas tous
ceux qui rejettent leurs femmes et prennent une autre qui sont adultères) ne se
trouve pas dans saint Matthieu, comme l’estiment les adversaires. Car, voici quelles sont les paroles de saint
Matthieu : .quiconque rejettera sa femme, pour une autre raison que celle
de la fornication, et en prendra une autre, sera adultère. On ne peut pas déduire de ces paroles que ce
ne sont pas tous ceux qui rejettent leurs épouses et en prennent une autre qui
sont adultères.
Durand nous donne plusieurs raisons
pour lesquelles on ne peut pas tirer cette conclusion. Il dit (dans 4 dist 35,
question 2, au dernier) que, en Matthieu, le Christ parle en présupposant la
loi ancienne qui ordonnait de tuer les adultères. Car, en tenant compte de cette loi, il était
permis, pour cause de fornication, de renvoyer sa femme et d’en prendre une
autre, parce que, par le supplice extrême de l’adultère , le lien conjugal
était rompu. Mais, cette réponse ne me
plait guère. D’abord, parce que le
Seigneur n’a pas donné sa loi seulement aux Juifs, mais aussi aux
chrétiens. Et la loi évangélique n’ordonne
pas de tuer des adultères. Jésus (Jean
8) a même libéré une femme adultère de la peine de la lapidation. Le Christ n’ignorait pas, non plus, que, dans
son Église, les lois des princes seraient différentes qui ordonneraient tantôt
de tuer et tantôt de ne pas tuer des adultères.
Voilà pourquoi il n’est pas crédible que le Christ parlait en supposant
la loi de la lapidation des adultères.
De plus, s’il en était ainsi, la
sentence du Christ serait fort imparfaite.
Car, il aurait pu empêcher de différentes façons la mort d’une adultère, soit parce qu’elle se
serait sauvée dans un autre pays, ou soit parce qu’on ne pouvait pas prouver l’adultère
par deux témoins, même si le mari l’avait découvert. En quoi cela aurait-il un rapport avec la
doctrine du Christ ? Ajoutons que livrer
une épouse à la lapidation, ce n’est pas vraiment ce qu’on appelle la renvoyer et en prendre
une autre. Car, de toute évidence, elle
n’est pas renvoyée celle qui est tuée, et on ne dit pas, quand la première ne
vit plus, qu’une autre est prise après
avoir renvoyé la première.
Ensuite, la question ne pouvait pas
être : est-il permis de prendre une autre femme quand la sienne est
lapidée à cause d’adultère ?
D’autres disent que le mot adultère
doit être référé séparément à l’une et l’autre parties de la sentence, de la
façon suivante : quiconque rejettera sa femme hormis pour fornication, est adultère, et celui qui en
prend une autre est adultère. Car, il
est adultère deux fois celui qui renvoie sa femme pour un autre motif que la
fornication. Une première fois par l’adultère
de son épouse, parce que c’est lui qui en est la cause par une injuste
séparation. Et, une autre fois, par son
adultère propre, en s’unissant avec une autre du vivant de son épouse. C’est cette solution qu’indique brièvement
Theophylactus (dans son commentaire du chapitre 9 de saint Matthieu), où il dit que le sens de ce texte est que
celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de fornication, devient adultère, c’est-à-dire
est l’auteur de son adultère à elle.
Saint Augustin a enseigné la même chose avant lui (dans son livre contre
Adminante, chapitre 3) : «Celui qui renvoie son épouse pour une autre
raison que la fornication la rend adultère, et il devient lui-même adultère s’il
en prend une autre. Cette interprétation
est tout à fait conforme aux paroles de saint Matthieu, chapitre 5, où il
dit : «celui qui renvoie sa femme pour une autre raison que la fornication
la fait devenir adultère.» Il semble que
dans le chapitre 19 aussi, le quiconque renvoie sa femme sauf pour fornication,
il faut comprendre le mot adultère au sens de il la fait devenir adultère.
D’autres disent avec non moins de
probabilité, que le sauf pour fornication, ne se rapporte qu’au mot renvoi,
avec lequel il est joint immédiatement, et qu’il doit être prononcé entre
parenthèses, comme quelque chose de sous-entendu, de la façon suivante :
quiconque renvoie sa femme (ce qui n’est permis qu’en cas de fornication) et en
prend une autre, est adultère. Et ce n’est surement pas sans raison que le
Seigneur n’a pas ajouté cette exception après ces mots : et en prend une
autre. Et semblablement, ce n’est pas
témérairement que (en Matthieu 5 et 19) quand
le Seigneur a dit : et celui qui prend une répudiée est adultère, n’a
pas ajouté si ce n’est à cause de fornication, pour indiquer que la cause de la
fornication ne rendait licite que la séparation et non la célébration d’un
nouveau mariage. C’est ce qui me semble être la sentence de saint Thomas (4
dist 35, quest unique, art 5, à la
dernière. Et c’est ce que suggère
implicitement saint Jérôme, dans son commentaire de ce passage.
Il y a d’autres explications moins
probables, excogitées par Abulensis, Alphonse de Castro, et d’autres. Mais excellente est celle de saint Augustin
(livre 1, chapitre 9 des mariages adultérins) où il enseigne que saint
Matthieu, ou plutôt le Seigneur en Matthieu, a employé ce : sauf en cas de
fornication comme une négation, non comme une exception. Et le sens serait : quiconque renvoie
son épouse, si ce n’est pour fornication, c’est-à-dire en dehors de la cause de
fornication, et en prend une autre devient adultère. Est affirmé, par là, l’adultère
de celui qui épouse une autre femme après avoir renvoyé la sienne pour une
autre cause que la fornication, mais non de celui qui s’est remarié après
renvoyé sa femme pour cause de fornication.
Mais les adversaires lui rétorquent, et surtout Cajetan et
Catharinus : si c’était cela la
sentence du Seigneur, c’est inutilement et vainement qu’aurait été
ajouté : sauf en cas de fornication.
Car, le Seigneur pouvait dire plus généralement et naturellement :
quiconque prend une autre épouse après avoir renvoyé la sienne est adultère.
Je réponds que c’est par une prudence divine qu’il a parlé
ainsi. Car, c’est ce que demandaient le
lieu et le temps. En effet, dans ce
passage, le Seigneur répondait aux pharisiens qui étaient venus pour le tenter
et le prendre en faute. Et parce qu’ils
l’avaient entendu sur une certaine montagne,
parlé contre le libelle de répudiation concédé par Moïse, et donc contre
la polygamie, ils lui demandaient s’il était permis à l’homme de rejeter son
épouse pour n’importe laquelle raison,
afin de l’induire à se prononcer contre la loi ou l’enseignement des
pères. Quand le Seigneur se rendit
compte de l’état d’esprit des auditeurs il s’en tint strictement, dans sa
réponse, à la question posée. Comme ils
lui demandaient s’il était possible de se séparer d’une épouse, en dissolvant
le lien, pour une raison quelconque, le Seigneur répondit que ce n’était pas
permis pour n’importe laquelle raison.
Et il le prouva en disant qu’il n’est pas permis de renvoyer une femme qui ne fornique pas pour pouvoir en
prendre une autre. Ce qui était
absolument vrai, et que personne ne pouvait nier.
Est-ce qu’il était permis de
renvoyer une fornicatrice en dissolvant le lien, et d’en prendre une autre, le
Seigneur n’a pas voulu le dire ouvertement
car cela était quelque chose de plus élevé que ce qu’ils pouvaient alors
comprendre. Bien que de ce que le
Seigneur a dit sur l’origine du mariage on pouvait facilement le déduire. Mais, pour ne leur donner aucune raison de
calomnier ses paroles, il a voulu qu’ils le comprennent par eux-mêmes, comme il
l’a fait dans la parabole de la vigne, et de bien d’autres. Et, néanmoins, à la maison, un peu après,
(Marc 10), il déclare que quiconque renvoie son épouse et en prend une autre
est adultère. Tu vois donc que les
paroles du Seigneur ne contiennent rien d’inutile et de surérogatoire, et que
les évangélistes ne se contredisent pas.
Est-ce qu’on peut nous objecter contre cette interprétation, que si nous
expliquons les paroles du Seigneur ainsi, nous ne trouvons pas, dans ce
passage, que le divorce (en ce qui a trait à la seule cohabitation) est permis à cause de la fornication du
conjoint ? Mais, cela importe peu, car,
pour confirmer ce dogme, le témoignage de saint Matthieu, au chapitre 5, suffit
amplement.
Le troisième passage est tiré de l’épitre
aux Romains (dhapitre 7) : «Ignorez-vous, frères (je parle à des
connaisseurs de la loi), que la loi a le pouvoir sur l’homme tant qu’il est en
vie ? Car, la femme qui est sous un mari
lui est liée par la loi , tant que son
mari est vivant. Mais, après la mort de
son mari, elle est libérée de son mari, par la loi. Donc, du vivant de son mari, elle est appelée
adultère si elle connait un autre homme.
À la mort de son mari, elle est libérée de son mari par la loi, et n’est
plus adultère si elle demeure avec un autre homme.» Il dit des choses semblables dans sa première
épitre aux Corinthiens, au chapitre 7.
Ces passages nous font comprendre
que le lien du mariage n’est dissolu que par la mort; et que, parce qu’il n’est
pas dissout, il demeure même après un divorce, quelles qu’en soient les
causes. Saint Augustin fait un grand cas
de cet argument (au livre 2, chapitre 4 des mariages adultérins), quand il
clame : «Ces paroles de l’apôtre tant de fois répétées et inculquées, sont
vraies, vivantes, saintes et pleines. »
La femme ne commence à être l’épouse d’un autre homme que quand son
premier mari a cessé d’être. Elle cesse
donc d’être la femme du premier mari quand son mari meurt, non quand il devient
adultère. C’est donc licitement qu’est
renvoyé un conjoint pour cause de fornication, mais demeure intact le lien du
premier mariage. Et c’est pour cela que
devient coupable d’adultère celui qui prend une répudiée même pour cause de
fornication.
Mais Cajetan répond que les paroles
de l’apôtre doivent être prises universellement, et non en pensant à un cas particulier, de
façon à ce que le sens soit : le lien de l’homme et de la femme,
ordinairement et régulièrement, dure jusqu’à la mort, et est alors dissout, à
moins qu’il ne soit dissout ailleurs.
Répondent à peu près la même chose Érasme, Calvin, le martyr et Bucer,
et surtout Pierre le martyr. C’est de
cette façon qu’ils veulent entendre l’exception : sauf en cas de
fornication. Kemnitius se joint à eux (2
par examen, 1257). On peut prouver
cela, d’abord parce que saint Paul dit : je parle à des gens qui
connaissent la loi. Or, la loi
permettait un libelle de répudiation dans certains cas, donc régulièrement, et
conformément à la loi. Mais, on n’attendait
pas toujours la mort pour que soit rompu le lien du mariage. Ensuite, parce que saint Paul dit : «la
femme qui est sous un homme», et ne dit pas simplement l’épouse. C’est donc qu’il ne parle que de celle qui n’est
pas répudiée, mais qui cohabitait encore avec son mari. Troisièmement. Il
semble que l’apôtre n’affirme pas
tant que le mariage dure jusqu’à la mort,
qu’il ne dure pas après la
mort. Car, c’est cela seulement qu’il
veut montrer, qu’après la mort, les conjoints sont libérés de l’autre conjoint,
soit que le lien du mariage soit demeuré jusqu’à la mort, soit qu’il n’ait pas
demeuré. J’ajoute, à la fin, que comme
il s’agit d’une comparaison, il n’est pas nécessaire qu’elle concorde en touts
points.
Mais que cette explication soit
fausse, l’attestent d’abord les paroles que saint Augustin jugent claires. Car, qu’y a-t-il de plus clair que :«
une femme sera appelée adultère si, du vivant de son mari, elle vit avec un
autre homme.»(Romains 7). Et : «La
femme est liée par la loi aussi longtemps que vit son mari.» (1 Corinthiens 7). Et il serait, certes, surprenant que l’apôtre
n’ait ajouté aucune exception, s’il avait du en ajouter une autre, puisqu’il a
répété et inculqué cela si souvent.
L’attestent, ensuite, les
interprètes, comme saint Ambroise, saint
Jean Chrysostome, Theophylactus, Theodoret, Oecumenius, Primasius, saint Anselme,
et d’autres, dans leurs commentaires de l’un et l’autre texte de saint Paul, et
surtout Origène (chapitre 19 de saint Matthieu), saint Augustin (lieu cité),
saint Jérôme (dans son épitre à Amandus)
où. interrogé s’il était permis à une femme de se remarier, après avoir
renvoyé son mari pour cause d’adultère, il répond que cela n’est pas permis, en
raison de ces textes de saint Paul, qui (comme le dit lui-même) exclut toute
exception. L’atteste également la
comparaison utilisée par saint Paul.
Car, il voulait prouver que la loi ancienne obligeait jusqu’au Christ,
et qu’elle avait donc cessé d’obliger.
Et pour prouver cela, il se sert d’une comparaison tirée du
mariage. Car, comme l’homme et la femme
sont obligés l’un envers l’autre aussi longtemps que l’un d’eux ou les deux
meurent, de la même façon, les hommes sont sujets de la loi aussi longtemps qu’elle
n’a pas été abrogée. Et quand elle meurt
ainsi, les hommes meurent à la loi. Par
la mort du Christ, l’un et l’autre s’est produit. Car, la loi ancienne a été abrogée, et nous
sommes passés à l’état de fils de Dieu.
Et nous sommes morts à cette ancienne loi, qui était une loi de
serviteurs et d’esclaves.
Il faut noter ici, en passant, que
la loi est comparée au mari, comme l’explique
saint Jean Chrysostome, et l’homme est comparé à l’épouse, parce que l’homme
domine la femme, et la femme l’homme. De
la même façon, la loi domine l’homme, à qui elle est donnée, non l’homme la
loi. Et bien que l’apôtre aurait du
conclure que les hommes sont libérés de la loi, comme il dit que la femme est
libérée quand son mari meurt, cependant, pour ne pas offenser les Juifs, il a
préféré inverser la conclusion et dire
que c’est nous qui sommes morts, plutôt que la loi, bien qu’on puisse
dire aussi bien l’un ou l’autre, et c’est donc de cela qu’on parle, que ce soit
l’homme, la femme ou les deux qui meurent.
De plus, cette comparaison de saint Paul requiert absolument que l’homme
et la femme ne puissent être libérés du lieu du mariage ni par le divorce, ni par
la répudiation, mais seulement par la mort.
Car, quand la loi ancienne était en vigueur, les Juifs ne pouvaient
jamais secouer son joug, même s’ils s’efforçaient de donner des répudiations,
et de divorcer, en forniquant avec les différentes lois des faux dieux. Donc, aussi longtemps que le mari vit, la
femme ne peut jamais être libérée du lien du mariage, même si elle fornique
avec beaucoup d’autres hommes.
Les arguments contraires ne
convainquent pas non plus. Je réponds au
premier que ce je parle à des connaisseurs de la loi, est entendu par Theodoret
et saint Ambroise, de la loi naturelle ou évangélique, non de la loi
mosaïque. De sorte que le sens
est : je parle à des hommes expérimentés, et qui connaissent bien la
nature de la loi et du mariage. Et de
plus, dans la loi ancienne, la répudiation dissolvait réellement et vraiment le
lien du mariage, ou elle ne le dissolvait pas.
Si elle ne le dissolvait pas, et ne le permettait pas comme quelque
chose de licite, mais comme un moindre mal, comme le pensent l’ensemble des
docteurs, ainsi que Calvin et Bèze (dans leurs commentaires du chapitre 19 de
saint Matthieu), il importe peu de quelle loi saint Paul parle. Si elle le dissolvait, et permettait un
remariage comme quelque chose de licite, on ne peut pas alors entendre ce
passage de la loi de Moïse, car faux serait ce que saint Paul dit : «la
femme sera appelée adultère si elle se remarie du vivant de son mari.» Car, elle n’était pas appelée adultère celle
qui, du vivant de son mari, vivait avec un autre homme, si la répudiation était
licite et dissolvait le lien du mariage.
Au second, je réponds que ce «la femme sous un homme» veut tout
simplement dire une femme mariée. Or, ce nom ne convient pas moins à la femme
après le divorce qu’avant le divorce, si le divorce ne dissout pas le lien,
comme nous l’enseignons, nous Et cela
apparait clairement, tant par la conclusion générale que l’apôtre infère :
donc, du vivant de l’homme, elle sera appelée adultère. Car, il ne dit pas : donc, tant qu’elle
est sous l’homme, ou tant qu’elle n’est pas répudiée, mais tant que son mari
vit, elle est appelée adultère, si elle vivait avec un mari adultère. Et tant par 1 Cor 7, où saint Paul dit en
général : la femme est liée à la loi aussi longtemps que son mari vit.
À la troisième, je réponds que saint Paul n’a pas seulement voulu
montrer que le lien du mariage ne dure pas après la mort, mais aussi qu’il dure
pendant tout le temps de la vie de l’autre conjoint. Car, ce il ne dure pas après la mort était quelque
chose d’évident, et il n’était pas nécessaire, pour le démontrer, d’alléguer la loi et de dire : je parle
à des gens qui connaissent la loi. La
conclusion visée par l’apôtre n’était pas seulement que es chrétiens n’étaient pas obligés par la
loi de Moïse, mais aussi qu’ils étaient obligés à ne pas en recevoir d’autre,
comme les Hébreux étaient obligés d’observer la loi de Moïse aussi longtemps qu’ils
vivaient, sans pouvoir la quitter sous aucun prétexte, jusqu’à ce qu’elle meure
par l’abrogation, ou qu’ils meurent à elle en passant à un autre état, comme
nous l’avons dit.
Au dernier je réponds que des choses
qui se ressemblent n’ont pas à être semblables en tout, mais qu’elles doivent l’être
en ce qui est la force de l’argument tiré de la comparaison. La force de l’argument de saint Paul
requiert que comme le lien de la loi ne
peut être rompu en aucune façon tant que la loi est vivante, de la même façon,
le lien du mariage persévère tant que vit l’home ou la femme. Ajoutons que, en Corinthiens 7, il ne se sert pas d’une parabole pour illustrer
cela, mais il le dit explicitement : la femme est liée à la loi,
aussi longtemps que son mari vit.
Quand son mari s’endort, elle est libre.
Qu’elle se marie à qui elle veut !
Le quatrième texte vient du chapitre
7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens : «À ceux qui sont
unis par le mariage, je prescrits, non moi, mais le Seigneur, à la femme de ne
pas quitter son mari. Si elle le quitte,
qu’elle demeure ainsi sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari.
Ce passage, nous en avons traité dans la question précédente sur le divorce
quant à la cohabitation. Nous en tirons
un argument tout à fait insoluble. Car,
ou la femme dont on dit «si elle s’en sépare», se sépare pour une cause de
divorce juste, comme la fornication ou l’hérésie, ou sans raison valable. On ne peut pas dire que ce soit sans raison
valable, car sains Paul ne dirait pas d’une telle femme : qu’elle demeure
non mariée, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. Il dirait plutôt : qu’elle demeure sans
se marier jusqu’à ce qu’elle se réconcilie avec son mari, et qu’elle retourne à
son mari, comme elle le doit. Car, saint Paul ne pourrait pas permettre un
injuste divorce, contre un précepte explicite du Christ.
Et si, dans le même chapitre, saint
Paul ne permet pas aux époux de s’abstenir du commerce charnel pour la prière,
si ce n’est pour un temps, et d’un commun accord, comment permettrait-il à une
épouse de demeurer séparée de son mari sans aucune cause juste de divorce, et
sans que le mari le veuille ? Il parle
donc, sans doute possible, de la femme qui se sépare de son mari pour une juste
cause de divorce. Or, cette femme ne
peut pas se marier de nouveau, comme saint Paul le dit clairement. Donc, même une cause juste de divorce ne
dissout pas le lien du mariage, et il n’est pas permis aux conjoints justement
séparés par un divorce de convoler en juste noces.
Il ne reste qu’une chose qu’on
peut nous objecter, et qui a été objectée par Érasme. Car, il semble que l’apôtre parle d’une
femme adultère qui n’est pas séparée de
son mari de sa propre volonté, mais qui
a été renvoyée par le mari. Car, c’est
ce qu’il semble vouloir dire quand il ajoute : ou qu’elle se réconcilie
avec son mari. Car, se réconcilier appartient
proprement à des coupables, qui, par leur réconciliation, retournent en grâce
avec ceux qu’ils avaient offensés. Et si
c’est d’une adultère que parle saint Paul, il n’est pas surprenant qu’il
veuille qu’elle demeure non mariée, car ce n’est qu’à la partie innocente que
sont concédées de secondes noces.
Mais, on ne peut en aucune façon soutenir que saint Paul parle d’une
adultère qui a été rejetée, car, quand il est prescrit à la femme de ne pas se
séparer de son mari, il lui est prescrit de ne pas être l’auteur du divorce, et
de ne pas mettre son mari à la porte, et non de ne pas être éjectée, et de ne
pas s’en aller quand elle est contrainte de le faire. Car on ne commande que ce qui est faisable.
Or, il n’est pas au pouvoir de la femme de ne pas être rejetée, et de ne pas s’en
aller quand son mari la met à la porte.
Ensuite, saint Paul ajoute après : et que l’homme ne renvoie pas sa
femme. Ce qui serait quelque chose de
tout à fait semblable au premier précepte, et donc superflu, si, pour la femme,
quitter son mari n’était rien d’autre qu’être rejetée ou expulsée par son
mari. De plus, si l’apôtre ne parlait
que d’une adultère rejetée, il livrerait une doctrine fort imparfaite. Car, on pourrait encore se demander ce que l’on
doit faire à une femme qui est séparée de son mari à cause de l’adultère de l’homme,
et non à cause de sa faute à elle.
Saint Paul parle donc en général de toute femme qui est l’auteur d’un
juste divorce. Il dit, en effet :
que la femme ne quitte pas. Il ne dit
pas : que la femme ne mette pas à la porte son mari, comme il dit
après : que l’homme ne renvoie pas sa femme. Car, ordinairement, la femme est dans la
maison du mari, et, à cause de cela, elle fait un divorce en le quittant, non
en le mettant à la porte. Le mari, lui,
parce qu’il est dans sa maison, fait un divorce en expulsant, non en sortant.
Et l’objection que l’on fait au sujet du mot réconcilier, que Kemnitius a
formulée à la page 1259 pour prouver que c’était à cause de la faute de la
femme que le mari l’avait expulsée, n’a
pas grand valeur. Car, on dit que se
réconcilie aussi bien celui qui a lésé que celui qui est lésé. Car, se réconcilient proprement ceux qui
étaient éloignés l’un de l’autre. Voilà
pourquoi Cicéron (livre 1, épitre 2 à Lentulus), dit qu’a été réconciliée la volonté du sénat
qui, non par sa propre faute, mais par celle des autres, était devenue ennemie
de Lentulus. Et c’est dans ce sens qu’on
dit que Dieu se réconcilie avec les hommes. (Macchabée 2, chapitre 1) :
«Que dieu exauce vos prières, et se réconcilie avec vous.» Et, au chapitre 7 : «Réconcilie-toi à
ton frère.», qu’il t’ait offensé justement ou injustement, explique saint Jean
Chrysostome.
On peut prouver la même vérité avec la tradition. Car, nous avons, à tous les siècles, des témoignages des
pères. Au premier siècle, nous avons
saint Clément (canons des apôtres, canon 48), où, sans aucune exception, il est
commandé d’excommunier celui qui prend femme après avoir rejeté sa première
épouse. Dans le deuxième siècle, c’est-à-dire,
après l’année du Seigneur 100, nous avons les témoignages de saint Justin et d’Athénagoras. L’un et l’autre, dans leurs apologies pour
les chrétiens à l’empereur Antonin,
mettent parmi les dogmes chrétiens , l’adultère de celui qui épouse une autre
femme après avoir renvoyé sa première.
Et Athénagoras ajoute aussi que si quelqu’un se marie après avoir rejeté
son épouse, «ce n’est pas un mariage mais un adultère.» Et, au même siècle, Clément d’Alexandrie, (livre stromates, le dernier) écrit : «L’Écriture
estime que c’est un adultère de se remarier après la séparation.»
Au troisième siècle, après l’année du Seigneur 200, nous avons Tertullien
(livre 4, contre Marcion, passé le milieu).
À Marcion qui objectait que le Christ avait contredit Moïse en prohibant
le divorce que lui avait autorisé, Tertullien répond ainsi : .«Je dis que
c’est conditionnellement qu’est faite maintenant l’interdiction du divorce, c’st-à-dire,
si quelqu’un renvoie son épouse pour en épouser une autre.» Il enseigne, là, que le Christ n’a pas
interdit le divorce pour une cause juste, mais qu’il ’a interdit un autre
mariage après le divorce. Au même
siècle, Origène (traité 7 sur Matthieu) dit (expliquant le chapitre 19), que
quelques évêques ont permis à une femme de se remarier, du vivant de son mari,
et il ajoute : «ils ont fait cela contre les Écritures.»
Au quatrième siècle, après l’année du Seigneur 300, (dans le concile d’Elibertin,
canon 9), la femme qui s’est mariée avec un autre homme, à cause de l’adultère
de son mari, «n’est acceptée à la
communion qu’après la mort de son premier mari.» Ce qui nous fait comprendre que ce mariage a
été jugé illicite, même pour la partie innocente, et dans le cas d’un
adultère. Au même siècle, saint Ambroise
(dans son commentaire sur le chapitre 16
de saint Luc) écrit longuement contre ceux qui se remarient après avoir
renvoyé leur première épouse.« Et il appelle souvent ce mariage un
adultère.» Et, dans cette longue
dispute, il n’amène jamais l’exception de l’adultère.
Saint Jérôme, contemporain de saint Ambroise, écrit (dans son épitre à
Océan, sur la mort de Fabiola) écrit qu’après avoir quitté son mari adultère et
criminel, Fabiola s’est remariée. Mais,
il ajoute qu’elle a fait cela parce qu’elle ignorait la rigueur de l’évangile. Et, au même endroit, il écrit qu’après la
mort de son second mari, une pénitence publique lui a été imposée par l’évêque,
qu’elle accepta avec une grande humilité.
Ce qui nous fait comprendre qu’à cette époque, c’était, dans l’église
catholique, un crime public de se remarier,
du vivant d’un conjoint adultère.
Au même siècle, saint Jean Chrysostome enseigne la même chose, (homélie
17, chapitre 5 de saint Matthieu).
Au cinquième siècle, après l’an du Seigneur 400 ans, le concile de Milet
(canon 17) a défini que, selon la doctrine évangélique et apostolique, il n’est
jamais permis de passer à d’autres noces, du vivant du conjoint. Et on lit la même chose dans le concile
africain (canon 69). Pendant le même
siècle, Innocent 1 (dans l’épitre 3 à Exuperius, canon 6), répondit quand on
lui demanda s’il était permis de se remarier après un divorce, que ce n’état
permis en aucune façon, mais «que l’homme et la femme étaient adultères si,
après un divorce, ile se remariaient.» À
la même époque, saint Augustin enseigne explicitement la même chose dans les
deux livres des conjoints adultérins, ainsi que dans son livre sur le bien
conjugal. Au sixième siècle, c’est-à-dire
après l’année du Seigneur 500, Primasius (dans son commentaire de 1
Corinthiens, chapitre 7 : si elle le quitte, qu’elle demeure non mariée),
enseigne la même chose.
Au septième siècle, après l’année du Seigneur 600, Isidore enseigne la même chose (livre 2,
chapitre 9 sur les offices divins). Au
huitième siècle, après l’année du Seigneur 700 ans, Bède le vénérable enseigne
la même chose (au chapitre 10 de saint Marc),
Au neuvième siècle, après l’an du Seigneur 800, le concile de ForJulien
définit explicitement la même chose au canon 10. Ainsi que Theohylactus , au même siècle (dans
Matthieu, chapitre 19, et le chapitre 7 de 1 Corinthiens). Au dixième siècle, après l’an du Seigneur
900, le concile de Nannetensis, qui a été célébré, croit-on, sous l’empereur
Alphonse, déclare la même chose au canon 12.
Au onzième siècle, après l’année du Seigneur 1000, saint Anselme
enseigne la même chose (chapitres 5 et 19 de saint Matthieu),
Au douzième siècle, après l’an 1100, le pape Alexandre 3 définit la même
chose (au chapitre ex parte, sur les fiançailles et les mariages). Au treizième siècle, après l’année 1200,
Innocent 111 définit la même chose (au
chapitre gaudemus, sur les divorces).
Et, au même siècle, tous les théologiens qui ont commenté le livre des
sentences (dist 35), comme saint Thomas et saint Bonaveuture ont dit la même
chose. Au quatorzième siècle, après l’an
1300, plusieurs docteurs ont enseigné cela, comme Scot et Durand. Au quinzième siècle, après l’année du
Seigneur 1400, le concile de Florence a défini la même chose, dans son
instruction aux Arméniens. Et on s’étonne
grandement de ce que Cajetan et Catharinus n’en aient apparemment pas tenu
compte. Au seizième siècle, après l’an
du Seigneur 1500, le concile de Trente a défini la même chose à la session 24,
canon 7.
Se présente, à la fin, l’argument tiré de la raison. Le mariage des fidèles est le signe de l’union
du Christ avec son église, comme l’apôtre l’enseigne au chapitre 4 des
Éphésiens. Or, cette union est
indissoluble, Le lien matrimonial est
donc, lui aussi, indissoluble. Et bien
que toute l’Église ne peut pas en même temps être fornicatrice par rapport à
Dieu, quelques fidèles forniquent spirituellement et commettent un
divorce. Mais, il n’est pas permis à
cause d’eux, de changer de Dieu. Et
Dieu ne les rejette pas au point de ne plus vouloir se réconcilier avec eux,
puisqu’il exhorte constamment à la réconciliation. Le mariage des chrétiens doit donc être tel
qu’il n’existe jamais de divorce sans espoir de réconciliation. Et c’est cette raison tirée du sacrement que
développe saint Augustin (dans son livre sur le bien conjugal, aux chapitres 7,
15, 19 et 24). Deuxièmement. Si un
autre mariage était licite, il injurierait les enfants. Car il ne serait pas d’un bon secours pour
les enfants déjà nés, qui auraient un beau-père ou paràtre à la place d’un
père, et une belle-mère, ou une marâtre à la place d’une mère. Et c’est la raison qu’emploie saint Ambroise
pour faire comprendre aux parents qu’ils
doivent pardonner la faute.
Troisièmement, si un mariage du vivant du conjoint était licite, on
ouvrirait la porte à une multitude de répudiations même injustes. Car, aujourd’hui, parce que les fidèles
savent qu’ils doivent vivre en célibataires ou se réconcilier avec leurs
conjoints, ils n’ont pas facilement recours au divorce. Mais, s’il savaient qu’après avoir répudié
leurs épouses, ils peuvent en prendre une autre, les divorces abonderaient
bientôt, et on chercherait même des occasions de dissensions, et de
crimes. Et c’est cette raison qu’invoque
saint Jérôme (dans le chapitre 19 de saint Matthieu), où il écrit qu’il serait
à craindre que les maris, dans le désir d’un nouveau mariage, ne calomnient
leurs épouses. Et que c’est précisément
pour cela que le Seigneur a voulu qu’on puisse se séparer d’un conjoint
adultère , sans qu’on ait pourtant le droit de se marier à un autre.
Quatrièmement. Si après un
divorce pour cause de fornication, il était permis à la partie innocente d’entreprendre
un autre mariage, cela serait permis aussi au coupable ou cela ne lui serait
pas permis. Si ça lui est permis, l’adultère
retirerait un profit de son péché, et les hommes, en ce cas, commettraient
souvent l’adultère pour pouvoir se libérer de leurs épouses et en prendre une
autre. Si ça ne lui était pas permis, je demande d’abord, pourquoi ? Car, puisque cette personne est libéré edu lien de son premier mariage (car
la partie innocente n’aurait pas pu prendre un autre mariage sans que soit
rompu le lien de son premier mariage), et qu’elle ne fait d’injure à personne,
pourquoi ne peut-elle pas contracter un mariage ? Tu diras que c’est parce que la loi le
défend. Mais où est donc cette loi qui
l’interdit ? Car, que je sache, il y a
aucune loi existante qui concède un nouveau mariage à la partie innocente. Ensuite, pourquoi la loi empêcherait-elle de
se marier un homme dissolu et vicieux , quand il ne reste plus aucun espoir de
réconciliation avec la première épouse ?
Par un jugement divin très prudent et très juste, le Christ a
sanctionné que doit être indissoluble le
mariage en ce qui a trait au lien.
Ajoutons, à la fin, que même chez les païens, quand était encore en
vigueur la discipline des mœurs, aucune répudiation ne se faisait. Car, dans son apologie, au chapitre 6, Tertullien rapporte que, pendant six
cents ans , depuis la fondation de la
ville de Rome, aucune répudiation n’a été inscrite dans les registres
civils. Ensuite, quand la discipline a
été renversée, la répudiation a été introduite avec les autres vices.
CHAPITRE 17
On réfute
les arguments des adversaires
Je vais exposer et réfuter les arguments de Kemnitius , autant parce qu’il
a écrit le dernier et qu’il a recueilli les arguments des autres, que parce que
personne ne l’a encore réfuté, tandis qu’à Érasme, Cajetan, Catharinus, Luther,
Brucer, Brentius, Calvin et Philippe, ont répondu Jean Eck, Ruard, Alphonse de
Castro, et d’autres catholiques en grand nombre.
La première objection de Kemnitius (page 1250) : «La loi pontificale
qui, dans le cas d’un adultère , dénie au conjoint un nouveau mariage, prive l’innocent
de son droit sans faute de sa part,
contre les règles du droit.» Je
réponds que ce n’est pas seulement la loi du pontife romain, mais que c’est
aussi celle du Christ. Et que c’est à
tort que Kemnitius allègue la règle du droit, car voici la règle du droit
canon, au canon sine culpa : «Personne ne peut être puni sans la faute, à moins que ne subsiste la cause.» On nous fait comprendre là que non seulement
la faute, mais aussi la cause doivent être absentes, de façon à ce quelqu’un ne puisse être puni
en aucune façon. Autrement, combien de
fois les fils seraient privés de l’hérédité paternelle; combien de fois les hommes seraient tourmentés
par les juges, sans leur faute propre ?
Combien de fois, à cause d’une incurable maladie du conjoint, le
conjoint serait-il privé, sans sa faute, de son du conjugal? Et, ce qui est plus grave, du fruit du
mariage : les enfants ? C’est donc
ainsi que, par l’épouse séparée par le divorce, l’homme est privé de l’acte
conjugal sans sa faute, mais non sans cause.
Car, la cause subsiste grandement
puisque le lien du premier mariage demeure, et que le Christ interdit un
nouveau mariage qui ferait du tort aux enfants déjà nés.
La seconde objection (page 1251) : «S’il n’était pas permis à l’homme
innocent de prendre une autre épouse, le divorce concédé par le Fils de Dieu en
cas de fornication, ne serait rien d’être qu’un piège tendu à la conscience qui pousserait les hommes â bruler ou à forniquer, et les
exposerait à la colère et à la condamnation de Dieu. Car, cette personne innocente n’aura
peut-être pas le don de continence, et sera donc dans un continuel état de
transe, qui empêche d’invoquer Dieu; ou
se précipitera dans les fornications et les adultères. Voilà pourquoi le Seigneur Christ aurait
mieux pourvu à son église, s’ il n’avait
permis aucun divorce, car, alors la personne innocente serait forcée d’user des
remèdes ordonnés par Dieu.»
Je réponds que la personne
innocente peut soit ne pas renvoyer le conjoint et se réconcilier après
la séparation, soit être forcée de le
renvoyer et ne pas pouvoir se réconcilier.
Si elle peut, ce qui arrive dans la plupart des cas, il n’y a alors,
pour la conscience, aucun filet à craindre.
Car, la personne innocente a un remède tout préparé si elle ne peut se contenir : ne pas renvoyer le
conjoint, ou se réconcilier avec lui. Et
c’est à cela que l’apôtre exhorte à 1
Corinthiens 7, et après le temps des apôtres, saint Augustin (livre 2,
chapitres 6, 7, 9 des mariages adultérins).
Et que les maris ne devraient pas trouver dur de fermer les yeux sur les
fautes de leurs conjointes, saint Augustin le prouve de plusieurs
manières. La première. Si, par le sacrement de pénitence, Dieu purge
le péché d’adultère, et fait d’une adultère une sainte, et se la réconcilie à
lui-même, pourquoi devrait-il être si difficile à l’homme de se réconcilier
avec une femme qui n’est plus adultère, mais qui est devenue une juste ?
Deuxièmement, le Christ remet aux hommes leurs adultères spirituels, à
toutes les fois qu’ils veulent se réconcilier.
Donc, les hommes doivent pardonner à leurs épouses leurs adultères
charnels ,quand elles veulent se réconcilier. Car, on nous remettra nos fautes dans la même
mesure avec laquelle nous avons pardonné
aux autres. (Matth 7 et Luc 6). Et on
doit craindre qu’on nous dise : «Ne devais-tu pas avoir pitié de ton frère
comme j’ai eu pitié de toi ?» Il arrive
souvent que l’homme qui a répudié sa femme pour cause d’adultère soit lui-même
adultère, si non en acte, du moins en désir.
Devant Dieu et dans la réalité de la chose, celui qui, en regardant une
femme, la convoite, a déjà commis un adultère dans son cœur (Matthieu 5). Donc, comme les hommes désirent ne pas être
abandonnés par leurs épouses s’ils ne leur sont pas fidèles, ils doivent donc
aussi ne pas les abandonner si elles sont infidèles, on se réconcilier avec
elles. Car, bien que, selon les lois du
monde, l’homme et la femme ne soient pas égaux en cas d’adultère, cependant,
selon la loi de Dieu, ils sont égaux. Et
s’il n’est pas possible, ou s’il ne convient pas de rappeler la femme après le
crime d’adultère, même alors ne fait pas
défaut le remède de l’aide divine, qui n’est pas refusé à quiconque le
demande. Matthieu 7,3 : «Demandez
et vous recevrez.»
Et que ce ne soit pas une chose nouvelle que quelqu’un soit contraint au
célibat sans faute de sa part, saint Augustin le montre par plusieurs exemples.(dans sont livre 2 sur
les mariages adultérins, chapitre 11 et suivants.) Si l’épouse tombe malade au début du mariage,
et demeure dans cet état jusqu’à la mort de son mari. Si elle
est emmenée captive, ou mise en prison, ou est contrainte de vivre chez
des ennemis à perpétuité, ou si les deux époux demeurent pendant plusieurs
années dans des régions différentes,
Que fera alors l’homme s’il commence à «brûler», puisqu’il n’a aucune
cause juste de divorce, et qu’il ne peut pas vivre avec son épouse ? Ne devra-t-il pas demander humblement à Dieu le secours surnaturel voulu pour
demeurer continent ?
Ce qui nous fait comprendre avec quel manque de jugement Kemnitius a
écrit que le Christ aurait mieux pourvu à son église en ne permettant pas le
divorce. Car, s’il ne l’avait pas permis,
il aurait contraint les hommes à affronter des périls évidents, et à subir les
pires avanies pour éviter des périls mineurs, et qui n’arriveraient peut-être
jamais. Ce qui aurait été d’une extrême
démence. Car, si un des conjoints
devenait hérétique, et cherchait constamment à entraîner l’autre conjoint dans
l’hérésie, qui ne voit que, si le divorce n’était pas permis, ce conjoint
serait en constant danger de perdre la foi ?
La troisième objection. (pages 1252, 1253). «Quand les pharisiens (Matth 19) demandèrent au Christ s’il était
permis de renvoyer son épouse, ils parlaient de la séparation qui porte sur le
lien, et non celle qui ne porte que sur la cohabitation. Car, ils ne connaissaient pas d’autre
répudiation que celle qui était autorisée dans la loi. Or, la répudiation était
une séparation qui permettait un nouveau mariage, comme on le lit dans le
Deutéronome 24, le Lévitique 21, Jérémie 3, et Ézéchiel XL11V. C’est en parlant de cette séparation qui
porte sur lien que le Christ indiqua l’exception de la fornication.» Et on confirme l’argument par le sens
contraire. «Car, comme le Christ
dit que celui qui renvoie sa femme, hormis pour fornication, et en prend
une autre est un adultère, celui renvoie sa femme pour cause de fornication et
en prend une autre, n’est pas adultère.
Ces arguments du sens contraire sont parmi les plus solides et les plus
manifestes.»
«On le confirme, en second lieu, de ce que saint Augustin qui était d’un
avis contraire, n’a pas pu expliquer ce texte sans le déformer
misérablement. Car, il dit que le sens
de cette exception est que pèchent plus gravement ceux qui divorcent sans cause
de fornication, mais que, cependant, sont coupables d’adultère ceux qui, pour
cause de fornication, prennent une autre femme après avoir renvoyé la
première. On n’a qu’à bien regarder le
texte pour se rendre compte que le Christ n’a pas dit cela. De plus, les mots grecs parektos et eimè n’admettent
pas cette contorsion de saint Augustin.
Comme on le voit dans 1 Rois 20 : «L’enfant ne savait pas cela., si
ce n’est David et Jonathan.» 1 Rois 21 : .«Il n’y a pas d’autre glaive en
plus de celui-là.» Et 111 Rois 3 :
«Personne n’était présent, si ce n’est nous deux.» Et Actes 26 : «Je souhaiterais que tous
fussent tels que je suis, à l’exception de ces chaînes..» En effet, dans ces phrases, elle serait
idiote l’interprétation selon le plus et le moins, alors que sont tout
simplement exclues des exceptions, comme pour le nisi (si ce n’est) de saint
Matthieu au paragraphe 19.»
Je réponds qu’on peut donner deux réponses à cette objection, selon ce
que nous avons dit au chapitre précédent.
Car, les paroles de saint Matthieu (si ce n’est pour fornication)
peuvent être entendues comme une exception ou une négation, comme nous l’avons
dit plus haut. Si nous les entendons
comme une exception, il faut alors répondre que le Christ ne parle pas de la
séparation qui inclut le lien, mais seulement celle qui ne se rapporte qu’à la
cohabitation, quand il concède la séparation en cas de fornication. «Mais les pharisiens l’ont interrogé sur la
séparation qui porte sur le lien, c’est donc de cette séparation que le
Seigneur parlait.» Je concède que les
pharisiens l’ont interrogé sur une séparation qui incluait le lien, mais je nie
que la réponse du Seigneur portait sur elle. «Donc, dit l’adversaire, le
Seigneur n’a pas donné une réponse qui satisfasse l’interlocuteur.» Il faut nier cette conclusion. Car, comme dans une séparation parfaite, qui
inclut le lien, sont contenues la répudiation de l’un, et le pouvoir d’en
prendre une autre, le Seigneur a séparé ces ceux choses. Il en a concédé une, la séparation, avec la
restriction de la fornication, et l’autre, il l’a enlevée. Et voilà la raison pour laquelle il précisa
ces deux choses : celui qui répudie,
et celui qui en prend une autre. Pour faire comprendre que la
répudiation autorisée par la loi il l’approuvait en partie, et la désapprouvait
en partie.
À l’argument en sens contraire, je réponds qu’il n’est pas
concluant. Car, si, comme nous l’avons dit
au chapitre précédent, nous expliquons les paroles du Seigneur de cette
façon : quiconque renverra son épouse, hormis pour fornication, et en prend une autre, est adultère. C’est-à-dire, est adultère en la
renvoyant, parce qu’il la rend adultère,
et est adultère en prenant une autre, parce qu’il commet proprement un
adultère. Il est donc deux fois
adultère. Il faut alors inférer du sens
contraire : donc, celui qui renvoie
son épouse à cause de la fornication, et
en prend une autre, n’est pas deux fois adultère, mais ne l’est qu’une seule
fois. C’est-à-dire qu’il n’est pas
adultère en la répudiant, mais seulement en en prenant une autre. Et, cela est très vrai.
Si nous prenons l’autre explication qui est telle : quiconque
répudiera son épouse hormis pour
fornication, c’est-à-dire que cela n’est permis qu’en cas de fornication, et en
prend une autre, il est adultère, on ne peut inférer du sens contraire que
ceci : celui qui, à cause de la fornication, renvoie son épouse, et en
prend une autre, ne pèche pas en la répudiant, mais n’est adultère qu’en en
prenant une autre. Et voilà pour la
première réponse.
Si, comme saint Augustin, nous prenons le nisi (si ce n’est pour
fornication) non au sens d’une exception, mais d’une négation, nous admettons alors
que, comme le soutient Kemnitius, le Christ parle d’une séparation qui va jusqu’au lien. Mais nous nions que
cette séparation qui va jusqu’au lien soit permise en cas de fornication, parce
que ce «sauf pour fornication» n’est pas une exception, mais une négation. Car, le Seigneur nie que soit licite une
telle séparation en dehors du cas de fornication, mais ne dit pas qu’elle soit
licite en ce cas. À la première confirmation je réponds que l’argument par le sens contraire ne
conclut que si on entend correctement les contraires. Car, quand nous disons négativement que quiconque prend une autre femme après
avoir renvoyé la sienne sans la cause de fornication, est adultère, on n’en
infère pas correctement : donc, celui qui, à cause d’une fornication,
renvoie sa femme et en prend une autre n’est
pas adultère, pace qu’il l’a renvoyée sans cette raison, mais parce qu’il
en a pris une autre. L’absence de cette
cause ne la fait pas adultère, mais le fait adultère avec une injure envers la
première épouse. Et, en conséquence,
celui qui, à cause de la fornication, prend une autre épouse après avoir
renvoyé la première, est adultère, mais
moins gravement, parce que sans injure envers la première épouse.
Dans son livre 1 sur les mariages adultérins, chapitre 9, saint Augustin
explique le chapitre 4 de l’épitre de saint Jacques, où se trouve le
verset : «Pèche celui qui connait le bien, et ne le fait pas.» Car, on ne doit pas inférer du sens
contraire : ne pèche pas celui qui ignore le bien et ne le fait pas. Car, il y
a aussi des péchés d’ignorance.
Mais on doit inférer ceci : donc, celui qui ignore le bien et ne le
fait pas pèche moins que celui qui pèche en le sachant. C’est comme si quelqu’un disait :
quiconque vole, sauf en cas de pauvreté, pèche, on ne pourrait pas en
inférer : donc, ne pèche pas celui qui vole pour raison de pauvreté. Car, c’est uniquement en cas d’extrême
nécessité qu’il serait permis de voler sans péché. Et cela ne s’appellerait
même pas un vol.
À la seconde confirmation je
réponds que Kemnitius est toujours semblable à lui, c’est-à-dire, fourbe et
menteur. Car, saint Augustin n’a jamais
écrit que le sens de cette exception
(sauf en cas d’adultère) était que péchaient plus gravement ceux qui
divorçaient sans cause de fornication.
Comme si la question posée était : parmi les divorces illicites,
lequel est le plus grave ? Or, saint
Augustin n’a jamais rien écrit de tel.
Il a dit seulement que, dans l’évangile de saint Matthieu, le Christ avait indiqué explicitement une
espèce d’adultère, une très grave, en laissant de côté les autres, parce que c’est
ce que requéraient le lieu et le temps de la dispute qu’il avait avec les pharisiens, comme nous l’avons expliqué au
chapitre précédent.
Et à l’objection qu’il nous fait sur des mots grecs, je réponds que
parektos et ei mè ont souvent le sens d’une exception, comme les textes cités
par Kemnitius le montrent. Mais, ils
peuvent aussi avoir un autre sens.
Comme dans l’Apocalypse 9 où nous lisons : « Et il leur a été prescrit
de ne pas faire de tort à l’herbe de la terre, ni à aucune verdure, ni à aucun
arbre, mais seulement aux hommes qui n’ont pas le signe de Dieu sur leurs
fronts.» Le mot grec ei mè et le mot
latin nisi ne peuvent pas avoir ici le sens d’une exception, mais d’une
négation, à moins qu’on veuille énumérer les hommes parmi les arbres. Et dans le chapitre 21, où nous
lisons : «N’entrera en lui rien de contaminé, si ce n’est ceux qui sont inscrit dans le
livre de vie.» On ne peut pas, ici non
plus, donner au mot grec et au mot le sens d’une exception, car le sens serait
que quelques contaminés entreront dans le royaume des cieux.
Ensuite, même si dans le
témoignage de saint Matthieu 19, le mot nisi s’entendait comme une
exception, ce pourra cependant être une
exception négative. Et cela suffit pour
la sentence de saint Augustin. Car,
quand on dit : quiconque renvoie son épouse, hormis la cause de
fornication, et en prend une autre est adultère, on peut faire une exception de
la cause de la fornication , ou parce qu’on
voit dans cette raison que ce n’est pas un adultère d’en épouser une autre, et
ceci est l’exception affirmative, ou
bien parce que rien n’est déterminé au sujet de savoir si elle suffit , oui ou
non, pour excuser l’adultère. Et c’est la négative, que saint Augustin a
épousée à bon droit. Pourquoi le Christ
n’a rien déterminé alors sur cette question, nous l’avons expliqué au chapitre
précédent.
La quatrième objection (pages 1259, 1260). «Quand l’apôtre dit à 1 Corinthiens 7 :
je commande, non pas moi, mais le Seigneur, à la femme de ne pas quitter son
mari, et si elle le quitte, de demeurer sans se marier, ou de se réconcilier
avec son époux, il veut dire que la femme doit demeurer sans se marier si elle
quitte son mari pour une autre cause que la fornication, donc par sa propre
faute. Donc, si elle le quitte pour
cause de fornication, elle peut donc se remarier.» Il prouve l’antécédent d’abord en disant que par cette parole (je lui
commande de ne pas quitter) on entend l’exception en cas de fornication. Donc, aussi, dans les mots suivants :
(et si elle se sépare, qu’elle demeure sans se marier) on doit entendre la même
exception. Autrement, en quelques
lignes, on trouvera une équivoque dans le mot quitter. Ensuite, il le prouve avec le verbe
réconcilier, qui ne s’applique proprement qu’aux coupables. Car, celui qui a lésé doit se réconcilier
avec celui qu’il a lésé. Il doit l’apaiser.
Voilà pourquoi saint Paul parle
de la femme qui quitte injustement sans cause légitime de divorce. Troisièmement, un peu après , le même apôtre
concède le droit de se marier à celui
qui a été abandonné par un infidèle.
Donc, il montre que la première phrase (ne pas quitter, ou si elle le
quitte) ne doit pas être comprise sans exception. Quatrièmement. Saint Jean Chrysostome, Theophylactus, Oecumenius et saint Ambroise, exceptent la
cause de fornication, quand ils commentent ce passage.
Je réponds que j’ai suffisamment démontré au chapitre précédent qu’on ne
peut expliquer saint Paul qu’en y voyant une séparation faite pour une juste
cause., quand il dit : si elle l’a quitté.
Autrement, il militerait contre l’Évangile et contre lui s’il donnait au
conjoint le choix ou de retourner ou de ne pas retourner à son conjoint, même s’il
s’en était séparé injustement. À la
première preuve, je réponds qu’il n’y a pas d’équivoque dans les paroles de
saint Paul, mais une éclipse, chose qui lui est familière. Et en voici le sens : je lui ordonne de
ne pas le quitter, c’est-à-dire, sans cause.
Et si elle l’a quitté, c’est-à-dire après en avoir trouvé une
cause. À sa deuxième réponse j’ai déjà
répondu que le mot réconcilier s’employait
aussi bien pour celui qui avait lésé que pour celui qui avait été lésé. Car, selon l’Écriture, nous nous réconcilions
à Dieu, et Dieu se réconcilie à nous. À
la troisième, je réponds que l’argument n’est pas à propos. Cat, quant saint Paul accorde le droit de se
remarier à un fidèle abandonné par un infidèle, il parle d’un mariage contracté
entre infidèles, sur lequel le Seigneur n’a rien prescrit. Voilà pourquoi il ajoute : «aux autres
je dis, non le Seigneur». Or, quand il
ordonne à la femme de ne pas s’éloigner de son mari, et de demeurer sans se
remarier si elle s’en sépare, il parle d’un mariage contracté entre fidèles,
que le Christ a déclaré insoluble.
Mais quelqu’un insistera. Si la fornication spirituelle, l’infidélité,
rompt le lien du mariage, pourquoi la fornication corporelle ne le ferait-elle
pas davantage ? Quelques-uns
répondent que la fornication spirituelle
est un plus grand péché que la corporelle, et qu’il ne s’ensuit donc pas que si
le lien du mariage est rompu à cause d’un grand péché, il le sera aussi à cause
d’un petit. Mais, cette réponse n’est
pas solide. Car, même si la fornication
spirituelle est un plus grand péché absolument, cependant la fornication
charnelle répugne plus au mariage que la fornication spirituelle. Et donc si la fornication spirituelle
dissolvait le mariage, la corporelle le dissoudrait aussi.
La vraie solution est la suivante. Le lien du mariage n’est pas dissout
absolument à cause d’une fornication spirituelle, car alors, il serait dissout
aussi quand un des conjoints catholique deviendrait infidèle. Mais, parmi les infidèles, le lien du mariage
peut être dissout quand l’un deux se
convertit à la foi, Car, ce mariage n’était
pas un sacrement, comme nous l’avons vu plus haut. À la quatrième, je réponds que ces pères n’ont
pas mis d’exception dans la phrase : si elle l’a quitté. C’est dans la phase je lui prescrits de ne
pas le quitter, qu’ils ont mis une exception, comme nous le faisons
nous-mêmes. Et ces mêmes pères posent
une inclusion de la fornication plutôt
que son exception (pour ainsi parler) dans la phrase : si elle l’a
quitté. Ce qui est manifestement contre
les adversaires. Car, saint Jean Chrysostome et Theophylactus enseignent qu’un divorce peut se faire pour
un désir de continence, ou pour d’autres causes, mais quand les conjoints font
cela, ils ne peuvent pas passer d’un mariage à l’autre. Et parmi ces causes, qu’est-ce qui empêche d’énumérer
la fornication comme l’une d’entre elles ?
Le commentaire de saint Ambroise ou de quiconque en fut l’auteur, dit
(comme Kemnitius le cite) que l’apôtre parle de la femme qui s’éloigne de son
mari à cause de son mauvais comportement.
Par mauvais comportement on ne peut penser à rien de mieux que si le
mari incite sa femme au péché, ou n’observe pas la foi jurée, deux causes
légitimes de divorce. De ces causes, l’auteur
nous dit qu’il en parlera plus tard. Il
affirme que la femme doit demeurer sans se marier après le divorce, parce qu’il
ne lui est pas permis de se marier avec un autre, si elle s’est séparée de son
mari pour cause de fornication ou d’apostasie.
Donc, les paroles alléguées par Kemnitius militent grandement contre
lui, lui qui soutient que saint Paul parle de la femme qui s’est séparée de son
mari sans juste cause.
La cinquième objection (page 1263) «Origène, (traité sur Matthieu 7) dit
qu’un épiscope qui permet à une femme un
second mariage après un divorce pour cause d’adultère, permet cela contre l’Écriture. Cependant, au même endroit, il dit que ce n’est
pas sans raison qu’il l’a permis. Et il compare cette permission avec ce qu’on trouve dans
1Corinthiens 7 : «Il est bon à l’homme de ne pas toucher à la
femme, Mais, cause de la fornication
etc» Il ne voit donc pas là la
permission de commettre un crime mortel qui dévaste la conscience, mais qui
procure la grâce.» Je réponds qu’à son
accoutumée, l’hérétique pervertit les textes des pères. Car, quand, aux texte cité, Origène dit que
ce n’est pas sans raison qu’ils l’ont permis, il veut dire qu’ils ont permis
une chose mauvaise et illicite en choisissant, entre deux maux, le moindre
mal. Car, voici ce qu’il dit : «Ils
ont permis des choses mauvaises en les comparant avec les pires.» Il ne compare pas, non plus, cette permission
avec celle de saint Paul (il est bon à l’homme etc) si ce n’est en ce que, dans
les deux cas, une permission a été concédée à cause de l’infirmité
humaine. Car, si tous les chrétiens
voulaient être parfaits, ils suivraient ce que l’apôtre appelle bien par
excellence. Cependant, comme tous ne
comprennent pas cette parole, il concède les épouses. Mais, cependant, Origène ne dit pas que
cette permission de saint Paul est contre l’Écriture, ou qu’elle soit la
permission d’une chose mauvaise, comme il parle de la permission d’un second
mariage après le divorce.
Ce que Kemnitius ajoute d’après la sentence d’Origène, que ce second
mariage n’est pas un crime létal, est faux.
Car, comment ne serait pas un crime létal ce qui, au témoignage même d’Origène,
est contraire à l’Écriture (Romains 7) : «On l’appellera adultère, si, du
vivant de son mari, elle vit avec un autre homme.». Est-ce que, peut-être, l’adultère n’est pas
un péché mortel ? Mais, passons aux
autres objections.
Sixième objection (page 1261) : «Le concile de Néocésarée, (canon 7)
enjoint une pénitence à ceux qui contractent un autre mariage après le divorce,
mais ne résilie pas le contrat de mariage.
Les anciens pensaient donc que ces secondes noces n’étaient pas
condamnables, même s’ils conseillaient de ne pas les faire.» Je réponds que ce concile ne parle pas des
noces après le divorce, et, dans tout ce concile, il n’est aucune mention de
divorce. Il parle plutôt des secondes noces qui sont contractées après la mort
de la première épouse, qu’ils savaient être licites, et pour lesquelles, en
tant que signe d’incontinence, ils
imposaient une certaine pénitence. On le
voit encore plus clairement dans le concile de Laodicée au septième canon.
La septième objection est au même endroit : «Dans son épitre à
Océan, saint Jérôme raconte la pénitence publique de Fabiola, qui , après un
divorce causé par la fornication, avait épousé un autre homme, du vivant de son
mari. Et il ajoute : non parce qu’elle pensait avoir commis un péché
mortel, et qu’elle n’avait suivi que les lois de Papiani, mais à cause de ces
paroles de saint Paul : il vaut
mieux se marier que bruler. Je
veux que les jeunes veuves se marient.
La pénitence publique ne prouve pas non plus qu’elle avait commis un
péché mortel, car, même à ceux qui retenaient une adultère sans divorcer
étaient imposée une pénitence de deux ou trois ans.
Je réponds que saint Augustin
(livre 4, chapitre 8, contre Julien) a eu raison de dire que les
hérétiques ont du front tout le tour de la tête. Qui croirait qu’un homme puisse mentir ainsi
impudemment, sans aucune retenue ? Car,
ces paroles de Kemnitius : ‘saint Jérôme
ajoute qu’elle ne pensait pas avoir commis un péché mortel,’ signifient que ce n’était pas un péché mortel
selon l’opinion de saint Jérôme ou de Fabiola.
Si on parle de l’opinion de Fabiola, on parle pour rien, car qui se
soucie de l’opinion de Fabiola. Et on ne
se demandera pas alors ce qu’en pense saint Jérôme. Si on parle de l’opinion de saint Jérôme,
comme il le devrait, il ment, car, dans
toute cette épitre, saint Jérôme n’a jamais dit que, par un second mariage du
vivant de son mari, Fabiola n’avait pas péché mortellement. Et il ne pouvait
pas écrire cela à moins de se
contredire. Il ne dit pas non plus que
Fabiola avait suivi la loi de Papien et de saint Paul. Au contraire, il dit qu’elle a agi contre la
loi de Papien, car c’est aux hommes que Papien lâchait les liens de la libido,
non aux femmes. Fabiola, de toute
évidence, était une femme, et non un homme. «Les lois de César sont différentes
de celles du Christ. Papien prescrit autre
chose que ce que prescrit saint Paul.»
Que pour excuser Fabiola, saint Jérôme cite les paroles de saint Paul (il
vaut mieux se marier que brûler) et (je veux que les jeunes veuves se marient)
c’est pour montrer qu’elle a péché en
partie par infirmité et en partie par ignorance. Elle a pensé que ces paroles se rapportaient
à son cas autant parce qu’elle ignorait la rigueur de l’évangile que parce qu’elle
a succombé à l’ardeur de la concupiscence.
Mais, que, néanmoins, d’après le témoignage de saint Jérôme, et la
conscience de Fabiola, elle ait commis un péché mortel, il est facile de le
prouver. D’abord, parce que saint Jérôme écrit que ce qu’a fait
Fabiola était contraire au précepte du Seigneur : .« Le Seigneur a
prescrit à la femme de ne pas quitter son mari, sauf pour fornication. Et que si elle le quittait de ne pas se remarier, ou de se réconcilier
avec son mari. Il indique donc là qu’elle
a agi contre la loi expresse de Dieu, et qu’elle a donc commis un péché mortel.
On le prouve aussi par les paroles mêmes de saint Jérôme : «Après
avoir évité beaucoup de traits de l’ennemi, elle en reçut un , quand elle n’était
pas sur ses gardes.» Troisièmement, on
le prouve par les paroles suivantes : «Pourquoi m’attarder à des choses
anciennes et abolies pour excuser une
faute que la pénitence publique confesse ?»
Ce que fut cette pénitence, il le rapporte en ces mots : «À la vue
de toute la ville de Rome, dans la basilique du Latran avant le jour de pâque,
elle se tenait debout dans l’ordre des pénitents, les évêques, les prêtres et
tout le peuple pleurant…. Elle n’entra
pas dans l’église du Christ, mais elle se tint en dehors du camp, séparée comme
Marie, la sœur de Moïse, afin d’être rappelée par le prêtre qui l’avait
renvoyée..» Qui a jamais entendu dire
qu’une pénitence publique ait déjà été
commandée ou imposée dans l’Église pour un simple péché véniel ? Quel évêque a jamais expulsé de l’église un
chrétien à cause d’un péché véniel,
comme a été expulsée Fabiola, d’après le récit de saint Jérôme ?
Ensuite, le canon que cite Kemnitius qui impose une pénitence de deux ou
trois ans à qui retient une adultère doit s’entendre de celui qui a consenti à
l’adultère de son épouse, comme l’expliquent les docteurs, car ce n’est pas un
si grand crime comme chacun le sait.
Car, saint Augustin (livre 2 sur les mariages adultérins) enseigne qu’on peut tolérer une adultère, et
la retenir dans l’espoir qu’elle s’amende.
La huitième objection est la page 1265 : «Ambroise, dans son
commentaire du chapitre 7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens,
remarque que l’apôtre n’a pas prescrit à l’homme de demeurer sans se remarier
ou de se réconcilier avec son épouse, au cas ou l’aurait renvoyée. Il en déduit que c’est à la femme seulement
qu’est prohibé un second mariage après un divorce, non à l’homme. Je réponds que Gratien (32, question 7) et Pierre Lombard (livre 4
des sentences, dist 35), soutiennent que
ces paroles ont été insérées dans son commentaire par un faussaire. D’autres répondent que cet auteur parle de la
loi civile des César, car c’est par les lois des César qu’il est permis aux
hommes et non aux femmes de se remarier après avoir répudié le premier
conjoint. Et, pour ne pas offenser
César, saint Paul n’a pas voulu dire explicitement que l’homme devait rester
tel qu’il était ou chercher de se réconcilier s’il répudiait sa femme.
Si ces explications paraissent peu convaincantes, la réponse est vite
trouvée : l’auteur de ces commentaires n’est pas saint Ambroise, comme ne
l’ignorent pas les érudits, ni aucun des pères célèbres. De toute façon, sa seule opinion particulière
ne peut pas porter préjudice à toutes les autres. Surtout parce que son enseignement sur le
droit inégal des époux est en opposition
avec l’enseignement de saint Ambroise, comme on peut le voir dans son livre 1
sur Abraham, chapitre 4. L’argument
que cet auteur tire de saint Paul ne conclut pas non plus. Car, quand saint Paul écrit : et que l’homme
ne renvoie pas son épouse, il veut dire sans doute qu’il ne doit pas renvoyer
son épouse de la même façon que la femme ne doit pas renvoyer son mari.
La neuvième objection est à la même page : «Pollentius ne contredit
pas Augustin, mais il l’a consulté sur une question obscure, et sur des textes
difficiles de l’Écriture, comme on peut le comprendre par le début des deux
livres.» Il n’y a pas de quoi s’étonner
que saint Augustin n’ait pas appelé Pollentius hérétique, ni n’ait combattu
vigoureusement contre lui, car ne sont pas hérétiques ceux qui ne font qu’errer
dans la doctrine, mais ceux qui ajoutent l’entêtement à l’ignorance, ce qu’on
ne lit pas que Pollentius ait fait.
Voilà pourquoi le même saint
Augustin (dans sa troisième épitre à Volusien) ne fait pas de reproches à
Volusien, mais l’instruit en l’avertissant gentiment, même si les questions qu’il
lui pose sont clairement d’un impie, comme : est-ce que Dieu se réduira
aux limites d’un petit corps en abandonnant le soin du monde ? Est-ce que la
mère du Christ a toujours été vierge, ou est-il crédible qu’il soit Dieu celui
qui s’est enfermé pendant neuf mois dans le sein d’une femme ? Ajoutons qu’au temps de saint Augustin, ce
dogme n’avait pas encore été défini par un concile général, et qu’on pouvait
donc plus facilement excuser ceux qui erraient sur ce point. Voilà pourquoi le même saint Augustin
(dans son livre sur la foi et les mœurs, chapitre 19) dit que pèchent
véniellement ceux qui, à cause de l’obscurité de l’Écriture, estiment que n’est
pas adultère celui qui en marie une autre après avoir renvoyé la première.
La dixième objection à la page à la page 1266 : «Le concile de
Milet, au canon 17, interdit un nouveau
mariage après un divorce, mais il ne nie pas ouvertement que ce soit licite,
pour la partie innocente, un nouveau
mariage après un avortement. Et il
ajoute que le concile va demander à l’empereur une loi sur ce sujet. Nous en
concluons donc qu’à cette époque il n’y avait aucune loi qui rendait invalide
ce genre de mariage.» Je réponds que les
canons du concile de Milet ont été composés et édités par saint Augustin. Voilà pourquoi, comme saint Augustin a pris
plusieurs livres entiers pour explique qu’en aucun cas un nouveau mariage
pouvait se faire, du vivant du conjoint,
en cas de divorce causé par un adultère, on ne peut avoir aucun doute
sur le sens réel de ce canon. De plus,
du seul fait que ce canon ne souffre aucune exception, il doit être vu comme
une règle générale. Quant à loi
impériale, les pères la désiraient non pour que soit déclaré illicite un
nouveau mariage après un divorce, du vivant du conjoint, car, les pères
affirment que cela a été statué par le Christ et saint Paul. Mais pour que
soient punis sévèrement, même pas le pouvoir public, ceux qui admettraient ce
crime.
La onzième objection se trouve à la même page : «Dans son épitre 85
ou 87 aux évêques d’Afrique, saint Léon rejette de son ordre un prêtre qui
avait épousé une autre femme après avoir
rejeté la sienne, mais il n’invalide pas le mariage, ni ne l’expulse de la
communauté de l’Église.» Je réponds
que saint Léon parle d’un prêtre qui a pris femme après son ordination
sacerdotale. Car, avant l’hérésie luthérienne, il n’est jamais arrivé que
quelqu’un qui s’est remarié après avoir répudié sa première femme ait été promu
au sacerdoce. Ce prêtre, saint Léon le
rejette de son ordre. Il ne dit rien
ensuite sur le mariage à savoir s’il est ratifié ou non, car on ne lui avait
posé de questions que sur son ordination : pouvait-on promouvoir au
sacerdoce un tel homme ? Car, il ajoute
qu’il faut que demeurent saufs les décrets de ses prédécesseurs. Or, parmi ceux-là se trouve un décret d’Innocent
1 (épitre 3) qui déclare adultères ceux
qui se remarient après avoir renvoyé leur femme, même pour cause d’adultère.
La douzième objection (pages 1266 et 1267) : «Dans le décret de
Gratien (32, question 7), on se réfère à quatre canons (quod proposuisti, quaedam, quod concubuisti, si quis eum). Ces canons concèdent un autre mariage après
le divorce. Et deux de ces canons sont
tirés de conciles, et les deux autres,
des épitres des papes Zacharie et Grégoire.» Je réponds que le premier canon est tiré de
l’épitre de Grégoire 3 à Boniface. Nous
lisons que Grégoire a concédé un remariage à un mari dont la femme était
gravement malade. Mais ce
canon, les docteurs l’interprètent comme parlant d’une maladie qui rend
une femme inapte au mariage, et qui est donc un empêchement dirimant à un
contrat de mariage. Le deuxième canon
est tiré d’un certain concile dont on n’a même pas conservé le nom, et qu’on
peut donc facilement ignorer. Mais les
docteurs y voient un mariage contracté après la mort du premier conjoint. Voici les paroles du canon : «Une femme
avait couché avec le frère de son mari.
Il fut décrété que jamais des adultères ne s’uniraient en mariage. Mais ils nièrent qu’ait été licite ce mariage.»
Je réponds que le sens de ce canon se découvre par un canon
semblable que l’on trouve un peu après
dans la même question, et qui commence par : ceux-ci. On y statue, là, qu’après la mort d’une
épouse adultère, son mari peut prendre qui il voudra; et que la femme adultère
ne pourra pas se remarier, même après la mort de son époux. Ce qu’il faut entendre d’une adultère qui a
péché avec un parent, et qui donc, en plus d’être adultère , est aussi
incestueuse. Car, autrement, un simple
adultère n’interdirait pas un remariage après la mort du conjoint. Le troisième canon est de Zacharie, où on
lit : celui qui a couché avec la sœur de son épouse, ne pourra avoir ni l’une
ni l’autre. Cependant, son épouse peut
se marier avec qui elle voudra. Et le
concile de Triburensis, parle de la même façon.
Mais tous ces canons parlent du mariage qui est concédé à la partie innocente après la mort du
conjoint. Voilà donc dissoutes les objections
de Kemnitius.
La treizième est celle de Luther (dans son livre sur la captivité de
Babylone, au chapitre du mariage) : «Dieu a permis le divorce pour cause
de fornication (Matthieu 5), et il ne force personne à être célibataire, quand
il dit : que celui qui comprend comprenne.(Matth 19). Il permet donc de
prendre une autre forme après un divorce.»
Et il le confirme avec ce texte de saint Paul : il vaut mieux se
marier que bruler (1 Corinthiens 7)» Je
réponds que le Christ ne force personne à être célibataire, car il voulu que le
célibat fasse partie des conseils, et
non des préceptes. Cependant il oblige
les hommes à s’en tenir à leurs promesses, et, en conséquence, il lui arrive
souvent de forcer quelqu’un â être célibataire.
Car, celui qui voue la continence est forcé de respecter ses vœux, et c’est
ainsi qu’on peut dire qu’il est forcé d’être célibataire. Comme celui qui prend femme, qui promet de ne
pas vivre avec une autre du vivant de cette première femme. Car, c’est ce que requiert le lien du
mariage, qui est tout à fait insoluble.
Et c’est pour cela que s’il pratique continence envers sa femme, il est
forcé d’être célibataire.
La quatorzième objection est celle du Bucer (dans son commentaire du
chapitre 19 de saint Matthieu) : «Il était permis aux Hébreux, à cause de
la dureté de leurs cœurs, de répudier leurs épouses, et d’en prendre d’autres. La même chose doit donc être permise aux
chrétiens quand la dureté du cœur se trouve en eux, comme quand ils ne peuvent
plus vivre paisiblement ensemble.» Il
prouve ainsi la conséquence.
«Premièrement. Si la cause de la
loi demeure, il est juste que la loi demeure aussi. Deuxièmement. Le Christ, fils de Dieu n’a rien condamné
de ce que son Père avait prescrit. Or,
le Père céleste a ordonné aux durs de cœur de répudier leurs épouses et d’en
prendre d’autres. Troisièmement. Les noces sont tellement nécessaires que si
un homme ou une femme est sans conjoint, il faut lui en accorder un. Car, Dieu n’a pas créé l’être humain homme et
femme pour qu’ils vivent séparément.
Mais il a dit : «Il n’est pas bon à l’homme d’être seul» (Genèse 2)
et saint Paul : «Que chacun ait son épouse.» Donc, si on peut obtenir que les époux ne se
séparent pas, ou qu’après la séparation, ils se réconcilient, c’est ce qu’il
faut désirer et se procurer. Mais si la
dureté du cœur y fait obstacle, la parole de Dieu ne pourra pas être
abolie : chacun la sienne, et chacune le sien.»
Je réponds que la question que se posent les docteurs est la
suivante : est-ce que cette concession (de répudier leurs femmes et de se
remarier) était accordée aux Juifs en tant que quelque chose de licite, ou en
tant que moindre mal. La sentence la
plus commune est celle du maitre des sentences (dist 33, livre 4), de saint
Bonaventure, de Richard, et Dominique a Soto.
Elle soutient que la chose fut toujours illicite, mais qu’elle fut
permise pour éviter un plus grand mal.
Car, au Deutéronome 24 l’Écriture atteste que si une femme répudiée
épouse un autre homme, elle devient
polluée et abominable devant Dieu. Ce
qui nous fait comprendre que ce second mariage n’était permis à personne, et
que cette union n’était pas tant un mariage qu’un adultère. Et, Jérémie 3, nous lisons : «On dit
communément que si un homme renvoie son épouse, et que si cette femme renvoyée
prend un autre époux, retournera-t-elle jamais à lui ? Cette femme-là n’est-elle pas polluée et
contaminée ? Et toi, tu as forniqué avec
beaucoup d’amants. Reviens quand même à
moi, dit le Seigneur.»
Et si cette opinion était vraie, l’argument de Bucer serait facilement
dissout. Car, si pour les Juifs,
nonobstant la permission de répudiation,
c’était un péché de se remarier après la répudiation, à combien plus
forte raison ce le sera pour des chrétiens.
Mais quelqu’un voudra peut-être
embrasser l’opinion contraire qui, pour dire la vérité, m’a toujours semblé la
plus probable. Premièrement. Si le lien du mariage n’avait pas été
dissout par le libelle de répudiation, cette permission aurait été non
seulement inégale, mais aussi injuste.
Car, il était permis aux hommes de prendre d’autres femmes, puisque, à
cette époque la polygamie d’un homme et de plusieurs femmes était licite. Tandis que les femmes, qui sont plus faibles,
auraient été forcées de se contenir perpétuellement, parfois sans faute de leur
part. Car, il n’était pas permis aux
femmes d’avoir simultanément plusieurs maris.
Elles auraient donc du être adultères ou continentes perpétuelles. Or, qui peut croire que, dans l’ancienne loi,
les femmes aient été contraintes de supporter perpétuellement un célibat qui
était alors inusité ? Deuxièmement. Parce que l’ancienne loi ne punissait pas les
noces des répudiées avec d’autres hommes, comme on le voit dans Deutéronome
24. Donc, si ces noces étaient
adultères, la loi tolérait des adultères publics et continus. Or qui se persuadera facilement que la loi
qui faisait lapider une femme qui n’avait été prise qu’une fois en adultère,
aurait toléré tant d’adultères commis publiquement par plusieurs, et cela, pendant toute une vie.
Troisièmement. La loi interdisait à la femme répudiée de retourner à son
premier mari après la mort de son second.
Et elle le prohibait de façon à faire comprendre qu’on commettait un
péché grave. (24 Deutéronome). Or, si le
lien du mariage n’était pas dissout par la répudiation, il n’y aurait ni péché
ni interdiction. Au contraire, on aurait
considéré que c’était une chose bonne et souhaitable que la femme répudiée
retourne à son vrai mari.
Quatrièmement. Il y aurait de
quoi s’étonner que ni Moïse ni les prophètes, qui avaient réprouvé les autres
vices du peuple, n’aient pas eu un mot à dire contre ces adultères qui se
commettaient avec des répudiées.
Cinquièmement. Lévitique
221. Il n’est pas interdit au
prêtre d’épouser une veuve, une répudiée ou une prostituée. La seule qu’il ne
peut pas épouser c’est une vierge. On en
conclut donc qu’il était permis aux autres (les non prêtres) d’épouser une
répudiée, comme il était permis d’épouser une veuve ou une prostituée. Sixièmement.
Sur le commandement de Dieu, Abraham répudia Agar qu’il avait prise
comme épouse. Et il n’est pas probable
qu’elle ait été forcée de demeurer célibataire toute sa vie. Donc, comme Dieu, avec Abraham, dispensa du lien du mariage en raison d’un mystère,
pourquoi Dieu n’a-t-il pas pu en dispenser avec son peuple, à cause de son
infirmité ?
Septièmement. Exode 21. La loi divine établit que si un maître donne
une épouse à un serviteur, et qu’elle a des enfants, le serviteur sortira libre
la septième année, et sa femme et ses
enfants seront la propriété du maître. C’est
ainsi que cet homme était privé de son épouse et de ses enfants. Si le lien du mariage n’était pas dissout,
cette femme était contrainte, sans faute de sa part, de pratiquer la continence tout le reste de sa vie.
Comme cela est fort improbable,
il semble qu’on doive dire qu’en ces temps là, Dieu dispensai facilement
du lien du mariage, comme il l’avait d’ailleurs fait pour la polygamie.
L’argument de la première opinion ne convainc pas non plus. Car nous lisons dans le Deutéronome, au
chapitre 24, tant dans le texte hébreux
que dans le texte grec : parce que c’est une abomination devant Dieu. Tel est le sens des mots : la répudiée ne doit pas retourner à son
premier mari quand elle a été polluée par l’autre, c’est-à-dire, quand elle a
connu l’autre, parce que c’est une abomination devant Dieu qu’une femme change
tant de fois de maris; et qu’elle retourne au premier après s’être familiarisée
avec un autre. Mais, selon l’édition
latine qui a, au sujet de la femme : «et elle est devenue abominable
devant le Seigneur,» le sens est : parce que son mari l’a jugée
publiquement, et donc devant Dieu, polluée et abominable, il n’est pas juste qu’il
la prenne de nouveau, même s’il désirerait le faire.
Le texte allégué de Jérémie ne conclut pas non plus. Car, si l’homme ne reçoit pas une répudiée
quand elle se marie avec un autre, combien plus devrais-je, moi, ne pas te
recevoir qui ne t’es pas marié à un autre, mais qui a forniqué avec beaucoup d’amants
? Si on admettait la sentence que
défendent saint Thomas, Scot, Durant et Paludanus, (4 dist 33), Abulensis (dans Matthieu chapitre 19, questions 49 et
50), Eck (homélie 74 sur les
sacrements), et Pierre a Soto (leçon 13 sur le mariage), il faudra nier la
conclusion de l’argument de Bucer. Car,
le Seigneur a révoqué clairement la concession faite aux Juifs, quand il a dit
(dans saint Matthieu 19) : «Celui qui prend une renvoyée est un
adultère.» Et (au même endroit) :
«Au commencement, il n’en était pas ainsi.»
Et : «Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas.» Et en Marc 10 : «Celui qui renverra son
épouse et en épousera une autre commet une faute sur son épouse. Et si l’épouse se remarie après avoir
renvoyé son mari, elle est adultère.»
Mais, répond Bucer : il faut attribuer toutes choses à ceux qui
répudient ou prennent une répudiée en fraudant la première épouse. Car, il veut qu’one ne puisse pas contracter
un nouveau mariage avant d’avoir, après le divorce, tenté une
réconciliation. Et quelqu’un qui prend
une autre femme après avoir répudié la
sienne, ou qui prend une femme répudiée par un autre avant d’avoir essayé s’il pouvait cohabiter
paisiblement avec la première, c’est celui-là qui contracte un autre mariage en
fraudant la première épouse; et qui, selon la sentence du Seigneur, devient
adultère. Mais, si l’autre conjoint est
dur de cœur , au point de ne vouloir, en aucune façon, cohabiter pacifiquement
avec le conjoint, il dit que le Christ n’a
rien prescrit à son sujet.
Or, s’il en était ainsi, le Seigneur ne différerait en rien des
pharisiens. Car, les pharisiens ne
voulaient pas, eux non plus, que les mariages soient dissouts quand les
conjoints cohabitaient pacifiquement, mais seulement quand l’un des deux ne
voulait pas cohabiter pacifiquement avec l’autre. Et la loi de Moïse n’accordait le divorce qu’à
cause de la dureté du cœur. Or, si l’enseignement
du Seigneur concordait si bien avec celui des pharisiens, que signifient ces
paroles : «Il a été dit aux anciens…Et moi je vous dis.» IL ne faut donc pas douter que le Seigneur a
complètement répudié cette répudiation
qui avait été permise et autorisée par la loi;
et qu’il a ramené l’humanité à l’origine du premier mariage.
Je réponds à la première preuve,
que cette cause n’a pas duré universellement.
Et que si elle avait duré, elle n’aurait pas pu être tolérée. Car la grâce du nouveau testament est
beaucoup plus grande que celle de l’ancien, si tu considères la connaissance,
le sacrement ou les exemples. Bien plus,
c’est le propre du nouveau testament d’enlever le cœur de pierre, et d’en
donner un neuf (Jérémie 31, et Ézéchiel 36).
Car, dans le nouveau testament, on ne juge pas difficile non seulement d’être
uni indissolublement à un seul conjoint, mais même de ne pas toucher à la
femme, et de pratiquer le célibat jusqu’à la fin de sa vie.
De plus, le mariage du nouveau
testament est un sacrement, et procure une grâce particulière, qui fait
supporter facilement les défauts du conjoint.
Cette grâce sacramentelle, les Hébreux de l’ancien testament ne l’avaient
pas. Voilà pourquoi plusieurs choses pouvaient être tolérées chez les Juifs qui
ne sont pas tolérées chez les chrétiens, dont la profession requiert une plus
grande perfection, et qui fournit les aides nécessaires pour l’acquérir et la
conserver. Ensuite, même si nous n’avions rien à répondre aux objections qui
nous sont faites, il ne serait pas permis de changer ou de pervertit l’évangile
du Christ à cause de ceux qui sont durs de cœur. Car,
comme nous en avertit avec raison saint Augustin, (au livre 2, chapitre
10 du livre sur les mariages adultérins) : «La loi du Christ déplait à
tous les incontinents. Mais ce n’est pas
une raison pour la changer.»
À la deuxième preuve, je concède
que le Christ n’a jamais condamné ce que le Père avait prescrit. On appelle condamner rejeter quelque chose
comme ayant été fait injustement ou imprudemment. Le Christ n’a jamais dit que les choses qui
avaient été prescrites par son père ne l’avaient pas été correctement. Au contraire, il dit en saint Matthieu 5 : «Je ne suis pas venu pour abolir la
loi, mais pour l’accomplir. Et : pas un iota ne disparaitra pas de
la loi avant que tout ne soit accompli.»
Néanmoins, le Christ a changé plusieurs préceptes de Dieu qui avaient été
donnés pour un temps, et qui ne convenaient qu’a statut de la synagogue. Et celui qui ignore cela ou le nie n’est pas un chrétien. Car, où est maintenant dans le peuple de Dieu
la circoncision ? Où le sabbat, où les sacrifices des animaux ? Où les autres rites innombrables que Dieu avait
prescrits par l’intermédiaire de Moïse ? Il n’y a pas à s’étonner qu’il en ait
été ainsi avec le libelle de répudiation,
et que le Christ ait voulu le dissoudre.
À la troisième preuve, qui
convient plus à Épicure, ou à des chevaux et à des chiens qu’à des hommes, et
surtout à des chrétiens, je réponds qu’il
n’est pas nécessaire que partout chaque homme ait une femme, et chaque femme un
homme. Car, autrement, les paroles de
saint Paul seraient fausses : «Il est bon à l’homme de ne pas toucher à la
femme.» Et : «Celui qui est libéré de son épouse, qu’il ne cherche pas une
épouse.» Et : Celui qui marie sa
fille fait bien; celui qui ne la marie pas fait mieux.»(1 Corinthiens 7). Saint Jean-Baptiste et Jésus n’auraient pas
bien agi , eux qui ont vécu sans épouse.
De plus, Dieu a voulu que l’être humain soit un homme ou une femme pour
propager l’espèce, non pour forcer tout le monde à vivre avec un conjoint. Et le : il n’est pas bon à l’homme d’être
seul, signifie qu’il n’aurait pas été bon pour le genre humain qu’il n’y eut
que des hommes, mais que les femmes étaient nécessaires pour la
procréation. Cela ne signifie pas qu’il
n’est qu’il n’est pas permis ou qu’il n’est pas préférable que l’homme vive
seul, car autrement la parole de Dieu se contredirait. Car, l’Écriture qui a dit : il n’est
pas bon à l’homme d’être seul, a dit aussi : il est bon à l’homme de ne
pas toucher à la femme.
Ensuite, ce texte de saint Paul : à chacun la sienne, s’applique aux
gens mariés : est-tu lié à une épouse, ne cherche pas de séparation. Ou s’ils parlent de ceux qui ont à se marier,
il ne le dit qu’à ceux qui sont libres, et qui craignent le péril de
fornication. Car, autrement, à une femme
liée à son mari par le lien du mariage, qui se sépare de lui par le divorce, on
ne dit pas : à chacune le sien, mais : demeure sans te remarier, ou
réconcilie-toi à ton époux. Et à une
femme qui est liée à Dieu par le vœu de
continence, et qui veut se marier, on ne dit pas : à chacune le sien,
mais : elle est condamnée, parce qu’elle a trahi la foi jurée. (1 Timothée
V). Enfin, à une qui est libérée et
qui , espérant en Dieu, ne craint pas le péril de fornication, on ne
dit pas : à chacune le sien, mais : «Elle sera plus heureuse si elle
demeure ainsi.» (1 Corinthiens 7. En
voilà assez pour la fermeté du mariage.
CONTROVERSE 5
LES
EMPÊCHEMENTS DU MARIAGE
CHAPITRE 18
Il y a deux genres d’empêchements. Il y en a qui empêchent de contracter un
contrat, mais ne l’invalident pas; et d’autres
qui empêchent de contracter un contrat et qui l’invalident. On dit qu’ils empêchent mais n’invalident pas ceux qui ne s’opposent
ni à l’essence du mariage, ni à sa solennité,
ou à un ornement accidentel quelconque.
Voilà pourquoi ceux qui contractent un mariage avec ces empêchements
pèchent, mais leur mariage est ferme et
ratifié On dit qu’ils empêchent et
invalident ceux qui sont contraires à l’essence du mariage, de façon à ce que,
nécessairement, quelque chose d’essentiel au mariage fasse défaut, et que ne
soit pas un vrai mariage celui qui a été contracté avec cet empêchement. Voilà pourquoi on ne dit pas que ces
empêchements annulent un mariage, mais déclarent nul un mariage contracté de
fait, mais non de droit. Les
empêchements de ce genre sont au nombre de douze, et sont contenus dans ces
vers latins : l’erreur, la condition, le vœu, la connaissance, le crime,
la disparité de culte, la violence, un ordre ecclésiastique, un lien, l’honnêteté.
Si tu es apparenté, si tu es incapable
de coït, Toutes ces choses ensemble
interdisent les mariages, et les résilient quand ils sont faits.
Pour s’en faire une meilleure compréhension, il faut savoir que tous ces
empêchements se ramènent au consentement des époux, ou aux personnes
contractantes. Car, comme il y a trois
choses qui sont nécessaires à un sacrement, la matière, la forme et l’intention
du ministre, dans ce sacrement, les personnes légitimes sont la matière, comme
nous l’avons dit plus haut. Et la forme
et l’intention dépendent toutes deux du consentement. Car, le consentement est la cause efficace du
mariage, et les signes qui expriment le consentement sont la forme. Donc, si le
consentement est présent, les vrais signes le sont aussi. Et si le consentement n’y est pas, les signes
seront faux. Et, semblablement, s’il y a
un consentement, il y aura aussi une intention.
Car, au sacrement du mariage, rien d’autre n’est requis essentiellement
qu’un consentement exprimé par des signes entre personnes légitimes. Donc, du consentement, on peut déjà tirer
deux empêchements généraux : l’ignorance et la coercition. Car, ces deux choses le rendent
involontaire. À l’ignorance appartient l’erreur
sur la personne, qui est le premier empêchement, c’est-à-dire quand quelqu’un s’unit
à une personne en pensant s’unir à une autre.
De même, la condition sociale de la personne, qui est le second
empêchement, c’est-à-dire quand quelqu’un marie une servante ou une esclave en
la pensant une grande dame ou une femme libre.
À cela aussi appartient l’incapacité d’user du libre arbitre. Car, ni les enfants, ni les fous, ne peuvent
contracter un mariage, puisqu’ils ne peuvent pas faire un choix réfléchi. Cet empêchement n’est pas énuméré parmi les
douze, mais se rattache à l’erreur. À la
coercition appartiennent la violence ou la crainte, ce qui est le septième
empêchement. Et c’est des personnes
contractantes qu’on tire les autres,
dont certains rendent une personne complètement inapte à tout contrat,
et donc au mariage. Il y en a d’autres
qui rendent inaptes seulement à un certain mariage contracté avec certaine
personne, mais non absolument. Parmi
ceux qui rendent quelqu’un inapte en toute circonstance les uns sont naturels, d’autres
volontaires. Un empêchement naturel est
la frigidité, et l’incapacité perpétuelle de faire le coït, qu’elle soit innée ou qu’elle vienne d’une
maladie ou d’un maléfice. Et c’est le
douzième empêchement. Les empêchements
volontaires sont les suivants : un vœu solennel de continence, un ordre
sacré, le lien avec un autre mariage, qui sont les empêchements trois, huit et
quatre. Car étant liés par le vœu monastique , par les ordres
sacrés ou les liens du mariage, ils ne peuvent plus recevoir un nouveau lien de
mariage.
Ceux qui rendent inaptes à un certain mariage, et non à tous les mariages
en général, sont de trois sortes, le crime, une trop grande union, une trop
grande désunion. Le crime est le
cinquième empêchement. Et, par crime, on
entend un adultère joint à un homicide fait en vue d’un mariage futur. Celui qui a commis un adultère avec une femme
dont il a tué le mari, ne peut jamais la prendre pour épouse, comme on l’expliquera
plus bas. Cet empêchement invalide
certain mariage, mais pas tous les mariages.
Une trop grande désunion s’appelle une disparité de culte, et c’est le
sixième empêchement, car un fidèle ne peut pas contracter un mariage avec un
infidèle. La trop grande union est la
parenté, à laquelle trois empêchements se rapportent. La parenté naturelle, qu’on appelle
consanguinité, et elle est le quatrième
empêchement. Et c’est à elle que se
ramènent la parenté spirituelle, celle, par exemple qu’il y a entre le
baptisant et la baptisé, le confirmant et le confirmé, et la parenté légale,
qui se fait par l’adoption. C’est à
elle aussi qu’appartient l’affinité, qui
est acquise par la copule charnelle, qui est le onzième empêchement. Et, enfin, l’honnêteté publique, qui est une
affinité qui nait des fiançailles, et
est le dixième empêchement.
Les empêchements qui empêchent le mariage
mais ne l’invalident pas, sont au nombre de deux. une défense de l’église,
un temps férié. Par une interdiction de
l’église, on entend l’interdiction que les mariages se fassent clandestinement,
puisqu’ils doivent être célébrés
publiquement, devant l’église, et en présence de plusieurs témoins. Par temps fériés, on entend certains temps
sacrés, comme l’avent et le carême, pendant lesquels l’Église interdit de
célébrer des mariages. Mais, après le
concile de Trente, le premier de ces empêchements ne fait pas seulement
empêcher de contracter un mariage, mais il l’invalide. Il faudra donc renvoyer cet empêchement au
crime, ou en faire l’empêchement treize.
Il y a, en plus de ceux-là, quelques empêchements non dirimants, comme le vœu de continence simple, les
fiançailles, l’instruction d’un catéchumène par l’explication du catéchisme, et
les crimes sexuels : l’inceste, le viol d’une autre épouse, une union
sacrilège avec une moniale, le meurtre de l’épouse, l’homicide d’un prêtre, et
le baptême de son propre fils. Mais ces
empêchements ne forment pas une classe à part, car ils sont réduits au neuf dirimants, et on a
coutume de les expliquer avec les autres.
Car les crimes sexuels sont ramenés au crime, le catéchisme à la
connaissance spirituelle, le vœu simple au vœu solennel, et les fiançailles au
lien.
Les adversaires admettent trois empêchements, ceux qui se rapportent au
consentement : l’ erreur, la condition sociale, la violence ou la
coercition. Comme on le voit chez les
autres hérétiques, et chez Philippe (les lieux,
le mariage). Mais, ils ajoutent
de leur cru un autre empêchement : l’absence de consentement des
parents. La première sera donc la
suivante : le consentement des parents est-il requis si nécessairement au
mariage des enfants que, sans lui, le mariage est invalide ? Parmi les empêchements qui proviennent de la
personne, ils en admettent deux, l’impotence et le lien. Ils en admettent deux autres
partiellement : la consanguinité et l’affinité. Car ils les admettent selon les degrés qui sont
prohibés dans le Lévitique. Ce que d’autres
rejettent.
Ils condamnent tout simplement les autres. Voici ce que dit Luther dans son sermon sur
le mariage : « Le pape admet une vingtaine de causes, dans son droit
canonique, avec lesquelles il annule ou empêche des mariages. Je les rejette et condamne presque
toutes.» Avec les hérétiques de notre
temps, il n’y aura que sept questions.
CHAPITRE 19
Le consentement des parents n’est pas requis à l’essence du mariage
La première question est donc : le consentement des parents est-il
requis à l’essence du mariage ? Car, les adversaires soutiennent que, sans le
consentement des parents, le mariage n’est pas ratifié. Mais, comme ils ne sont pas tous d’accord
entre eux, je rapporterai brièvement leurs sentences respectives. Il semble que Érasme ait été le premier a
révoqué la chose en doute. Car, dans son
colloque sur le mariage où dialoguaient
Eubulus et Carherine, il parle ainsi : «Quelques-uns disent qu’est valide
un mariage de jeunes gens qui se fait sans la connaissance et contre la volonté
des parents. Mais, ce dogme, ni le
sentiment naturel ne l’approuve, ni les anciennes lois, ni Moïse, ni la
doctrine évangélique et apostolique.»
Martin Luther (dans son sermon sur le mariage) parle en faisant des
distinctions. Les enfants provenant de
ce genre de mariage sont-ils déjà nés ou ne le sont-ils pas ? S’ils sont nés, le mariage est ferme. S’ils ne sont pas encore nés, il sera au
pouvoir des parents de confirmer ou d’annuler ce mariage. Philippe enseigne la même chose dans ses
lieux, le mariage). Bucer, au chapitre
19 de Matthieu, dit qu’il espère qu’on remette en usage les lois qui
considéraient invalide un mariage contracte sans l’autorisation du père ou du
grand-père. Jean Brentius, dit, en
expliquant le quatrième précepte, qu’un mariage célébré sans l’autorisation des
parents doit être référer à un magistrat qui le confirmera ou l’annulera. Car, même si la règle générale veut que les
enfants ne se marient qu’avec l’autorisation de leurs parents, il y a des cas
particuliers qui rendent possible aux enfants d’agir sans eux. Martin Kemnitius est du même avis (part 2 du
concile de Trente, page 1273 et suivantes), tout en confondant sans juste
raison le mariage sans l’autorisation des parents avec les mariages
clandestins. Car, un mariage clandestin
peut se faire avec l’autorisation des parents, et un mariage sans l’autorisation
des parents peut être public, et se faire même dans l’église.
Jean Calvin (livre 4, chapitre 19, dernier verset), énumérant les lois
impies et iniques des pontifes romains, dit : «Elles sont de telle nature
que des mariages d’adolescents sans le consentement de leurs parents, sont
fermes et valides.»
Les docteurs catholiques ne doutent pas que les mariages sans le
consentement des parents soient valides.
Voilà pourquoi ils n’ont jamais énuméré parmi les empêchements le
consentement des parents. Et récemment,
le concile de Trente (session 24 sur le décret des mariages clandestins), a
statué ceci : «Le saint synode anathématise ceux qui affirment faussement
que les mariages de jeunes gens contractés sans l’autorisation des parents sont
invalides, et que les parents peuvent les rendent valides ou nuls.» Mais, pour expliquer cette question plus
rapidement et plus facilement, voici quelques propositions.
La première proposition. Un
mariage entre adolescents ne peut pas être célébré par le seul consentement des
parents. Un père ne peut donc pas forcer
son fils à se marier.» Philippe admet
cette sentence dans le texte cité, et les autres ne la nient pas. On le prouve par un exemple tiré de l’Écriture
sainte. Car, dans Genèse 24, le père et
le frère de Rébecca traitant du mariage avec le procurateur d’Abraham,
dirent : «Nous voulons la fille, et nous requérons son consentement.» La deuxième preuve est tirée du droit
canonique (canon sufficiat, 27, quest 2, et canon ubi non est, quest 2, chapitre tuas dudum, de sponsa
duorum, et dans le canon unique sur la
mariage des impubères, au canon 6.
On le prouve aussi par la raison. Car, on requiert nécessairement le
consentement de ceux qui prononcent la formule du mariage. Car, autrement, ces
paroles seraient fausses : «je te reçois comme mienne, et je te reçois
comme mien.», si ceux qui les prononcent n’y consentaient pas. Or, ceux qui se marient prononcent cette
formule, Donc, leur consentement est
nécessaire. Ensuite, le mariage est le degré
suprême de l’amitié, selon le philosophe.
Il répugne donc à la nature du mariage, qu’il se fasse sans qu’on le
veuille.
La deuxième proposition. Le
consentement des enfants, même s’il est seul, suffit pour rendre ferme et
ratifié un mariage; et il ne peut être invalidé ni par les parents ni par un
juge. On le prouve par des exemples de l’Écriture. En Genèse 26, Ésaü prit deux femmes qui,
toutes deux, offensèrent l’âme d’Isaac et de Rébecca, ses parents. Il les prit donc malgré ses parents. Et, au chapitre 28, il en prit une
troisième, contre la volonté de ses mêmes parents. Néanmoins, Isaac ne résilia
pas ces mariages, et l’Écriture appelle tout simplement épouses celles qui
furent ainsi mariées. Ensuite, Jacob,
Genèse 25, prend une autre femme selon le conseil de ses parents, mais les
trois autres, et surtout les deux esclaves, il les prend à l’insu de ses
parents. Le saint patriarche Jacob n’aurait
pas fait cela s’il avait cru qu’était nécessaire le consentement des
parents. Tobie aussi, comme nous le
lisons au chapitre 7 du livre de Tobie, prit une femme dans une région
étrangère à l’insu de ses parents. Et l’archange
Raphaël qui l’accompagnait ne l’avertit pas d’avoir à requérir le consentement
des parents, et il ne pensa pas que c’était une chose contraire à la religion
de se marier sans le consentement de ses parents.
On le prouve ensuite avec le droit canon.
Car, au chapitre cum virum, de regularibus, Clément 111 parle ainsi de
la fille nubile :« Alors, parce qu’elle a son libre arbitre, elle n’est
pas forcée, dans le choix de son époux, de suivre la volonté de ses
parents.» Ce qui n’est pas sans rapport
avec ce qu’écrit saint Ambroise (dans son livre sur les vierges,) : «Celle
à qui il est permis de choisir un mari, il ne lui est pas permis de le préférer
à Dieu.» Il nous enseigne, là, qu’il est
permis à une fille vierge, de vouer sa continence à Dieu, malgré l’opposition
du père; comme il lui est permis de choisir un homme. Le même saint Ambroise, dans sa lettre à
Sysinius, qui s’indignait de ce que son fils se fut marié sans son conseil, lui
dit que son fils avait certes commis une faute, mais il lui indique assez
clairement que le mariage était ratifié, tout en le louant pour avoir si
généreusement pardonné la faute de son fils.
Troisièmement. On le prouve par la
raison. Car, dans cette sorte de
mariage, rien ne manque à ce qui a trait à l’essence du mariage. Ce sera donc un mariage véritable, ratifié et
indissoluble. On prouve l’antécédent. Le
consentement des contractants est présent, dont aussi l’intention des
ministres. La matière est présente, c’est-à-dire
des personnes aptes à se marier; la
forme est présente, qui sont les paroles ou les signes du consentement
mutuel. Qu’est-ce donc qui manque
? On dira, peut-être, que le
consentement est suffisant mais qu’il n’est pas plénier. Car, comme les enfants sont au pouvoir de
leurs parents, ils ne peuvent pas, dans une chose aussi grave, faire un contrat
sans la permission de leurs parents.
Je réponds que le consentement des enfants ne serait pas plénier s’il
leur manquait l’usage du libre arbitre, ou la capacité de prendre une mure
décision, ou parce que les enfants sont soumis aux parents au point de ne pas
avoir le droit de disposer de leur état de vie.
On ne peut pas dire la première chose, car, alors, même avec le
consentement des parents, il n’y aurait pas de mariage. On ne pas non plus dire
la deuxième, car, pour contracter un mariage, on n’exige pas la maturité du
jugement, mais seulement l’usage du libre arbitre, le même d’ailleurs, qui est
requis pour pécher, pour mériter, ou pour faire un vœu. Autrement, on ouvrirait facilement la porte
aux déclarations de nullité. Voilà,
pourquoi , pour contracter un mariage, les canons n’exigent que la
puberté. Il arrive aussi souvent que
celui qui a encore ses parents, est un homme de jugement plus que beaucoup d’autres
qui ne dépendent plus de leurs parents.
Si donc ces derniers peuvent choisir une épouse sans le conseil de
personne, pourquoi les premiers ne le pourraient-ils pas, eux qui sont deux
fois plus prudents qu’eux ?
On ne peut pas non plus affirmer la troisième. Car, bien que le fils doive au père l’obéissance
et la révérence, cependant, quand il a l’usage du libre arbitre, il est libre,
et dépend de lui non moins que son père, dans les choses qui ont trait à l’état
de vie. Il pourra peut-être pécher en ne
suivant pas la volonté de son père en élisant un état de vie, mais, cependant,
ce qu’il fera sera ratifié et ferme, parce que ce n’est pas d’une chose
étrangère qu’il dispose, mais de ce qui lui appartient en propre. De plus, le mariage de serviteurs fait contre
la volonté des maîtres, est, selon l’enseignement des théologiens, ferme et
ratifié. Et c’est ce que nous avons dans
le droit canonique, au chapitre 1 sur le mariage des serviteurs. Car, le droit des gens, par lequel la
servitude a été introduite, n’a pas pu
enlever ce que le droit naturel avait concédé. À plus forte raison, le mariage des fils, à l’encontre
de leurs parents, sera-t-il ratifié.
Car, la sujétion des serviteurs envers leurs maîtres est plus grande que
celle des fils envers leurs pères.
Et on confirme l’argument par le témoignage des adversaires. Car, Luther et Mélanchton soutiennent qu’un
mariage contracté malgré les parents ne peut pas être invalidé par les parents
quand il est consommé par la copule charnelle.
Or, cette copule charnelle ne rend pas l’enfant plus prudent, ni ne le
soustrait au pouvoir paternel. Donc,
même avant la copule charnelle ce mariage ne pouvait pas être invalidé par les
parents. Car, s’il l’avait pu alors, il
aurait pu le faire aussi après. Ce qu’ils
nient.
Mais Mélanchton réplique : « Quand le mariage est consommé, il n’est
plus question du futur, mais du présent. Et on ferait une injure aux conjoints
si on les séparait.» Or, le mariage
contracté en paroles porte sur quelque chose de présent et non de futur. Présentes sont les personnes, et le don
conjugal mutuel est déjà accompli. Pour
cette raison, on ne pourra donc résilier aucun mariage, consommé ou pas. De plus, le mariage consommé à l’encontre
des parents est consommé légalement ou pas.
S’il est consommé légalement, le contrat était donc légal avant la
consommation, car un mariage qui n’a pas été contracté légalement ne peut pas
être consommé légalement. Donc, avant la
consommation, un mariage contracté malgré les parents, était valide, ratifié et ferme. S’il n’a pas été consommé légalement, on
pourra à bon droit l’annuler après la
consommation, sans faire aucune injure aux conjoints. Car, ne commet pas d’injustice celui qui use
de son propre droit.
Car, autrement, si cette raison avait une valeur universelle, on ne
pourrait invalider aucun mariage consommé, même contracté sans droit, et contre
tout droit. Et pour la même raison,
après un viol commis sur une vierge, on ne pourrait pas invalider cette union.
Et c’est pourtant le contraire que nous lisons au chapitre 22 de l’Exode. On lit, à cet endroit que celui qui a pollué
une vierge qui n’est promise à personne,
est forcé de la prendre pour femme, si le père veut la lui donner, ou à
tout le moins, de la doter.
La troisième proposition. Les
jeunes pèchent quand, sans cause juste et raisonnable, ils contractent un
mariage à l’insu de leurs parents, et contre leur volonté. Car, il peut arriver que le fils ne pèche pas
en contractant un mariage à l’insu de
son père, s’il pense qu’il l’estimera juste et valide. Et c’est ainsi que Tobie
a pris une épouse à l’insu de son père.
Et il peut aussi arriver que ne pèche pas un fils en prenant une épouse
contre la volonté de son père, si c’est injustement que le père interdit ce
mariage, ou qu’à cause de l’héritage, il ne veuille lui donner qu’une indigne
ou une hérétique. Mais, dans la plupart
des cas, les fils pèchent quand ils ne suivent pas la volonté de leurs
parents. Car, presque toujours, les
parents sont plus prudents, et il n’y
pas de danger qu’ils veuillent donner à leur fils un mauvais conseil puisqu’ils
l’aiment. De plus, c’est aux parents qu’il
appartient de pourvoir à leurs fils et de les diriger. Il appartient donc aux enfants de vouloir
être guidés et régis par leurs parents.
Nous avons de cela, des exemples et des témoignages dans la sainte
Écriture. Dans Genèse (chapitre 24) nous
voyons qu’Isaac accepta la femme que son père lui donna, et Rebecca, son
épouse, suivit le conseil que lui donna son père.
Commentant ces passages, saint Ambroise (dans son livre 1 sur Abraham,
chapitre ultime) présente plusieurs chose sà ce sujet, et, entre autres, loue
Euripide pour avoir introduit une vierge qui parlait ainsi : «Mon père s’occupera
de mes fiançailles. Ce n’est pas de mes affaires.» Et, dans son épitre 43 à Sysinnius, il dit
que c’est justement qu’il est indigné de ce que son fils ait pris femme à son
insu. Dans Exorde 34, et Deutéronome 7,
le précepte sur le mariage des fils est donné aux parents plutôt qu’aux fils,
pour qu’ils ne s’unissent pas avec des cananéennes : « Tu ne donneras pas
ta fille à son fils, et tu n’accepteras pas sa fille pour ton fils.» Et Isaac a ordonné ouvertement à son fils
Jacob, de ne pas accepter pour femme les filles des palestiniens, mais une des
filles de Laban. Ce qu’il fit par
obéissance.(Genèse 28).
Tu diras peut-être que si le père peut ordonner à un fils de prendre
telle ou telle épouse, il peut donc le forcer à prendre ou à ne pas prendre une
femme, ce qui est contre la première position.
Je réponds qu’on peut entendre de trois façons que le père puisse forcer
son fils à se marier. Quand le père force un fils à se marier à telle fille,
sans que le fils le désire ou le veuille.
Ce qui ne peut pas se faire ; et si le mariage a lieu, il est nul. Et c’est ce qui est affirmé dans la première
proposition. La seconde manière. Il force le fils à consentir en lui injectant
une peur de la mort ou d’autre chose, capable d’ébranler la constance d’un
adulte. Ce mariage, non plus, n’est pas
ratifié. Car, à un mariage n’est pas requis seulement le consensus, mais un
consensus libre, puisque le mariage est un lien perpétuel, et qu’il requiert
par sa nature la bienveillance et l’amitié au suprême degré.
La troisième manière , quand il amène le fils à consentir, en commandant
par l’autorité paternelle, de façon à ce que le fils ne puisse plus s’y opposer
selon la droite raison. Et cela est
permis au père, et le fils est tenu alors d’obéir. Comme il convient au fils de manger telle ou
telle nourriture, et de s’abstenir de telle ou de telle autre, le père peut
commander, et le fils est tenu d’obéir.
Et même si cela c’est contraindre, et infuser la peur de la mort éternelle,
on ne dirait pas, à cause de cela, que le mariage serait contraint et nul. Car, cette peur de la géhenne n’est pas
proprement soulevée pour qu’il se marie à telle femme, mais parce qu’elle vient
d’elle-même après la transgression d’un précepte.
CHAPITRE
20
On
réfute les arguments de Kemnitius
Mais réfutons les arguments de Kemnitius qu’il a ramassés ici et là, chez Luther, Bucer, Calvin, et chez d’autres sectaires. Le premier. Il nous objecte les témoignages
d’anciens pontifes qui reconnaissent et avouent que les mariages contractés à l’insu
des parents et contre leur volonté ne
sont pas une union légitime et divine.
Et il allègue Jean Gropperus, dans l’institution de Cologne. Je réponds que Kemnitius se trompe de
plusieurs façons. La première, parce que
du seul Gropperus, l s’efforce de dégager la pensée des anciens catholiques,
alors que nous pouvons lui opposer plusieurs théologiens antiques, comme saint
Thomas (4 dist 28, quest 1, art 3, et plusieurs auteurs récents parmi les plus
doctes, comme Ruardus, Pierre et Dominique a Soto, et d’autres qui enseignent
ouvertement que le mariage, qu’il soit clandestin ou contracté à l’insu des
parents, n’est pas seulement un vrai mariage, mais est aussi un vrai sacrement.
La seconde. Parce que, dans le lieu cité, Jean Gropperus ne parle pas du
mariage auquel ne manque que le consentement des parents, mais de celui qui est
conclu à l’insu des parents d’une façon clandestine. Car, le mariage qui est célébré à la face de
l’Église, même s’il est célébré à l’insu des parents et contre leur
volonté, Gropperus ne nie jamais qu’il
soit un vrai sacrement. Voilà pourquoi
il n’y aucune dissension parmi les catholiques sur cette question. La troisième
erreur. Il nie qu’il nie que le
mariage clandestin soit un vrai sacrement, et qu’il ait longuement été toléré
par l’Église. Mais il désire qu’il soit
invalidé par l’Église, en quoi il se trompe visiblement, et répugne à saint Thomas et aux anciens
théologiens.
Cependant, il admet que c’est un vrai mariage, qui a été longtemps toléré
par l’église, mais il désire qu’il soit invalidé par l’Église. Ce qui a déjà
été fait dans le concile de Trente. Car,
le concile affirme que les mariages clandestins, bien qu’ils n’aient pas été
ratifiés par l’église, étaient de vrais sacrements; mais que l’église cessa, cependant, de les
ratifier, et rendit ces personnes inaptes à contracter. Il a donc pleinement satisfait au désir de
Gropperus, et de beaucoup d’autres, qui désiraient que ces mariages clandestins
soient supprimés, à cause du grand nombre d’inconvénients qu’ils apportent. Il n’y a donc rien dans la chose, si on
sépare la question du sacrement de la réalité du mariage, de laquelle seule
nous nous soucions maintenant,
Groppersus fait vraiment bande à part.
Deuxièmement, Kemnitius tire un argument du droit divin (car il annonce
qu’il prouvera sa sentence avec les droits divin, naturel, civil et
économique) : «L’union du mariage doit être telle qu’elle puisse avoir
Dieu pour auteur et conciliateur. Or, ne
sont pas tels les mariages qui sont contractés à l’insu et contre la volonté
des parents. Ils ne sont donc pas de
vrais mariages. La proposition est certaine étant de Matthieu 19 : Ce que
Dieu a uni etc. Or Dieu n’est pas l’auteur
et le conciliateur d’un mariage qui est contracté contre sa parole et son précepte. Dieu n’est donc pas son auteur et son
conciliateur. On prouve l’assomption (car la proposition est très
certaine). Dans le quatrième précepte
du décalogue, on ordonne aux enfants d’obéir
à leurs parents. Et saint Paul explique
aux Colossiens que cela doit se faire en toutes choses : «Fils, obéissez à
vos parents en tout.» Et parce qu’on
pourrait peut-être répondre à cette loi qui oblige les enfants d’obéir à leurs parents, le mariage excepté, au dire
de l’Écriture : l’homme quittera son père et sa mère , et adhèrera à son épouse, Kemnitius prouve que ce passage s’applique au
mariage consommé et non aux noces, et que, en conséquence, quand ils
contractent un mariage, les enfants doivent obéir à leurs parents. Car, c’est aux parents que l’Écriture donne
les préceptes relatifs aux mariages de leurs enfants. (Deutéronome 7, Jérémie
29, et 1 Corinthiens 7).
De plus, il y a une loi divine (Exode 22 et Deutéronome 22) qui veut que
quelqu’un qui viole une vierge devra donner au père un certain montant d’argent; et qu’il ait la fille, si le père le veut, ou
qu’il ne l’ait pas, si le père ne le veut pas.
Ce qui nous fait comprendre qu’il relève du pouvoir du père de rendre un
mariage valide ou invalide. Ajoutons que
si la fille a fait un vœu à Dieu, son père pourra l’annuler (Nombres, chapitre
30). Le même père pourra donc plus
facilement annuler une promesse faite à un conjoint. Ensuite, Dieu unit l’homme à la femme en un
légitime mariage, mais non pas immédiatement comme il l’a fait pour Adam et
Ève. Donc, par un certain
intermédiaire. Ce qu’est cet
intermédiaire, Dieu l’a expliqué lui-même en nous donnant le quatrième commandement qui commande aux fils
d’obéir à leurs parents. Donc, ceux qui
se marient en ne tenant pas compte de ces intermédiaires ne peuvent pas
affirmer en toute certitude que leur mariage vient de Dieu, et est une union
légitime. «Cette raison, dit Kemnitius, est très grave, et elle a été tirée du
droit divin.»
Je réponds que cet argument ne prouve pas qu’un mariage contracté à l’insu
et à l’encontre des parents soit nul ou puisse être annulé par les
parents. Car, c’est cela qu’il fallait
prouver, Mais seulement qu’on ne doit
pas contracter un mariage à l’insu et à l’encontre des parents, et que pèchent
ceux qui le font. Et là-dessus, nous
sommes tous d’accord. Mais pour mieux
comprendre la chose, examinons chaque argument en particulier. À la première
proposition du premier syllogisme, je réponds que Dieu peut être l’auteur de l’union
d’un mariage de deux façons. Une
première, de la part de l’union conjugale, et l’autre, de la part des parties
contractantes. Dieu sera l’auteur du
mariage sous l’aspect de l’union
conjugale, si l’essence de cette union conjugale a été instituée par Dieu. Il
sera l’auteur du mariage par rapport aux parties contractantes, si c’est Dieu
qui leur inspire de s’unir en mariage.
Ce que nous repérons facilement dans tous les sacrements. Quand quelqu’un
reçoit d’un autre le sacrement de baptême, de confirmation ou d’ordre, on peut
dire que Dieu est l’auteur de cette action ou parce que c’est Lui qui a
institué ces sacrements, ou parce qu’il pousse tel ministre à administrer tel
sacrement, ou tel fidèle à recevoir un sacrement. Et il arrive souvent que Dieu soit l’auteur
selon la première façon, et satan, selon l’autre. Si quelqu’un administre vraiment un
sacrement, mais ne le fait pas pour la gloire de Dieu ou le salut de son âme, mais
pour le lucre, ou quelque chose de plus sordide encore.
Donc, dans un mariage, Dieu sera l’auteur du mariage de la première
façon, si sont présentes la forme et la
matière que Dieu a instituées. Et cela
suffit pour que le mariage soit vrai, ratifié et ferme. Dieu sera l’auteur du mariage de l’autre
façon si les époux contractent un mariage pour procréer des enfants à la gloire
de Dieu, après mure réflexion, en tenant compte de l’avis des plus âgés, et en
observant toutes les circonstances qui s’imposent. Et cela est requis pour qu’un mariage soit
célébré sans péché, avec mérite et louange.
Mais non pour qu’il soit vrai, ferme et ratifié. Si on se marie seulement pour satisfaire la
sensualité, avec témérité, et sans tenir compte des conseils des parents, le
mariage n’aura pas Dieu pour auteur, mais le démon, en ce qui a trait à la
volonté des contractants. Ce qui n’empêchera
pas que Dieu en soit l’auteur en ce qui a trait à l’essence de ce sacrement,
qui se trouve toute entière dans l’union conjugale. Comme on peut le dire, d’ailleurs, du baptême
et des autres sacrements.
À l’assomption du premier syllogisme, je réponds que selon la distinction
que nous venons de faire, les mariages qui sont faits à l’insu et à l’encontre
des parents, n’ont souvent pas Dieu pour auteur de la seconde façon, mais qu’ils
l’ont cependant, de la première, s’ils n’y mettent pas d’obstacle. Ces mariages sont donc vrais et ratifiés,
même s’ils ne sont pas contractés la
plupart du temps sans pécher. À la
preuve de l’assomption qui était que Dieu n’est pas l’auteur d’un mariage qui
est contracté contre un de ses préceptes, je réponds avec la même
distinction. Car, ou le précepte de
Dieu, contre lequel le mariage est célébré, se rapporte à l’essence du mariage,
ou à des circonstances qui sont accidentelles au mariage, ou pour bonifier la
volonté des contractants pour qu’elle désire et recherche le bien. Si c’est de la première façon
que quelqu’un contracte un mariage contre la volonté de Dieu, il n’a pas
Dieu comme auteur de son mariage, et ce mariage est donc nul et
illégitime. Si c’est de la deuxième
façon que le mariage se fait contre la volonté de Dieu, le contractant n’a pas
Dieu comme auteur de sa volonté de se marier à cette femme; et il ne mérite pas
une récompense, mais une peine. Mais, il
a quand même Dieu pour auteur de son mariage.
À la preuve de l’assomption du second syllogisme, qui était tiré du
quatrième précepte du décalogue, que saint Paul a expliqué aux Colossiens, je réponds que ce précepte s’applique à la
réforme des mœurs, non à l’administration des sacrements. Voilà pourquoi il faut obéir en tout au père,
même pour le choix d’un conjoint, s’il commande justement et selon Dieu; mais
ne pèche pas automatiquement celui qui ne le fait pas, et son mariage n’est pas
automatiquement invalide. Exemple. On ne doit pas moins obéir en tout à l’évêque
et à l’église qu’au père charnel. Et
pourtant, si un laïc baptise contre un précepte de l’évêque et de l’église, son
baptême est vrai et valide, même si le laïc pèche en baptisant. Un mariage contracté contre la volonté des
parents n’est pas ratifié seulement en tant que sacrement, mais aussi en tant
que contrat civil, même s’il a été contracté contre la volonté des
parents. Car, le fils, comme nous l’avons
expliqué plus haut, même s’il doit suivre la direction marquée par son
père, quand il fait le choix d’un état
de vie, ce n’est pas d’une chose étrangère qu’il dispose et donne, mais ce qui
lui appartient en propre. Voilà pourquoi
cette disposition ou don est ratifiée et
ferme, même s’il ne le fait pas sans commettre quelque péché.
Et les témoignages qu’il présente pour prouver que l’Écriture enjoint aux
pères de pourvoir aux besoins de leurs enfants, je n’ai rien à répondre à cela,
car nous ne nions en aucune façon que par le mariage, le soin et l’éducation
des enfants soient confiés aux parents.
Aux textes de l’Exode (chapitre 22) et du Deutéronome (chapitre 22), qu’il
cite pour prouver que le père a le pouvoir de ratifier ou de résilier des
mariages, je réponds qu’il ne s’agit pas, dans ce texte, d’un mariage déjà
contracté, mais d’un mariage futur, à cause d’un viol antérieur. Car, cette union entre un homme et une jeune
fille que l’on décrit, dans les deux livres, avoir été faite à l’insu du père n’était
pas une copule conjugale, mais un viol, comme le dit l’Écriture elle-même. Car le violeur ne recherchait pas le mariage,
mais seulement l’assouvissement de sa sensualité. Voilà pourquoi on lui donne pour peine d’épouser
la jeune ville, si le père veut la lui donner.
Ce n’est donc pas un exemple d’un contrat matrimonial en bonne et due
forme invalidé par le père, mais seulement d’un mariage futur qui se ferait ou
ne se ferait pas si le père le voulait ou ne le voulait pas. Ce qui pourtant n’exclut
pas le consentement de l’adolescente.
Mais, qu’est-ce qui serait arrivé si l’homme et la femme étaient tous
deux s’accord pour se marier sans le consentement du père ? L’Écriture n’en parle pas.
Ajoutons que, si dans ces chapitres, Moïse parlait de l’annulation d’un
mariage déjà contracté entre une vierge et son violeur, cet exemple serait
contre Luther et Philippe, et contre Kemnitius lui-même, qui disent que ne peut
pas être annulé un mariage d’enfants
contracté à l’encontre des parents, s’il est déjà consommé. Car, comment un père aurait-il pu séparer sa
fille d’un violeur, si ce viol était celui d’un mariage consommé ? Et au sujet de l’annulation des vœux que nous
trouvons dans les Nombres 30, je réponds que cette loi traitait des filles qui
n’étaient pas encore parvenues à la puberté.
Et il s’avère que l’Écriture, dans ce chapitre, répète deux fois que le père peut annuler les vœux de la fille
qui habite dans la maison de ses parents, et qui était encore une jeune
fille.
La loi canonique est semblable à cette loi divine (canon puella 20, question 2) : «Si, avant l’âge de douze
ans, une jeune fille revêt spontanément le saint voile, ses parents ou ses tuteurs peuvent, s’ils le
désirent, invalider le geste. Mais, si
dans un âge plus avancé, une adolescente choisit de servir Dieu, les parents n’ont
pas le pouvoir de l’interdire.» La
raison de la loi divine et canonique est que, avant l’âge de la puberté, les
hommes n’ont pas encore la pleine capacité de porter un jugement réfléchi. Voilà pourquoi ils ne sont pas les maîtres de
leurs actes. Mais après les années de
la puberté, ils deviennent leurs propres maîtres, sont naturellement libres de
leur personne et de leurs actes, et peuvent disposer d’eux-mêmes par la
réflexion.
Au dernier, au sujet des moyens ou des intermédiaires, par lesquels Dieu
unit les hommes en mariage, je réponds à cela que pour que le mariage soit vrai
et ratifié, aucun moyen ou intermédiaire n’est requis en plus du libre
consentement des époux. Car, comme Dieu
confère les autres sacrements par un ministre, c’est ce qu’il faut aussi pour
le mariage. Or les ministres du mariage,
comme nous l’avons déjà expliqué, ce sont les époux eux-mêmes. Pour que le mariage soit agréé par Dieu et
utile aux époux, des intermédiaires ont été institués par Dieu : les
conseils des parents et des amis, une décision murement prise, la bénédiction
du prêtre, et d’autres choses de ce genre.
Celui qui méprise ces choses ne peut certes pas affirmer que son mariage
plait à Dieu, ou lui sera utile à lui, bien que, au même moment, il ne puisse
douter qu’il soit vrai et ferme, puisqu’il a été institué par Dieu.
La troisième objection de Kemnitius est tirée du droit naturel et
civil. Il prouve que les mariages des
enfants contractés sans l’aval des parents sont invalides de par les canons du droit civil (1 nuptiae,
ff, le rite des mariages, et l, 1 et 2, les noces, et les institutions des
notes, justes causes). Qu’elles soient
invalides aussi selon le droit naturel, il le prouve par la loi citée. Car, dans cette loi, après avoir sanctionné
qu’est requis aux noces le consentement des parents, ces paroles sont ajoutées
: «Car, c’est ce qu’on doit faire, et c’est ce que la raison naturelle
persuade, pour autant que le commandement des parents doit avoir préséance.»
Je réponds que la loi naturelle
prescrit que le mariage ne doit pas être célébré sans l’aval des
parents. Et c’est ce que Justinien
déclare en ce passage. Par le droit de
la nature, l’enfant est soumis au père, et doit être dirigé par lui, de qui il
tient l’existence. Cependant, le droit
naturel n’enseigne pas que soit invalide le mariage fait sans l’aval des
parents. Ce que la loi civile a statué à
ce sujet importe peu, comme, comme l’écrit le pape Lucius (chapitre 3, les
clercs, les juges), l’empereur lui-même reconnait que les lois ne dédaignent
pas d’imiter les sacrés canons. Et nous
avons cette confession de l’empereur dans ut clerici apud épiscopos, et l’avant
dernier. Donc, comme les sacrés canons
et le concile récent l’ont défini, le mariage contracté à l’encontre des
parents, est ratifié, pourvu qu’il ne soit pas clandestin. Les lois (civiles) ne peuvent pas définir le
contraire, et si elles le font, elles doivent être abrogées.
La quatrième objection contient plusieurs canons du droit canon. Nous
répondrons à chacun d’entre eux. Le
premier est d’Évariste, dans son épitre décrétale, qui s’exprime ainsi :
«Autrement le mariage n’est rendu valide que par ceux qui semblent avoir pleins
pouvoirs sur la fille. L’épouse est demandée à ceux qui l’ont en charge, et
elle est donnée en mariage par les parents et les proches.» Je réponds que le décret d’Évariste, que l’on
trouve dans le corps du droit canon, (canon aliter 30, question 5), requiert
plusieurs conditions pour que les
mariages soient considérés comme légitimes, dont certaines ne plaisent
nullement à nos adversaires. Voilà
pourquoi ce décret ne milite pas moins contre nos adversaires que contre
nous. Car, il requiert, parmi d’autres
choses, que l’épouse soit bénie par le prêtre avec des prières et des oblations
(c’est-à-dire, le sacrifice de la messe).
Et aussi que les époux vaquent à la prière pendant deux ou trois jours,
en conservant la chasteté. Si ces
conditions sont nécessaires pour que les mariages soient légitimes, il n’y aura
jamais, entre les luthériens, de mariages légitimes. Car, ils n’offriront pas non plus à
Dieu d’oblation pour ceux qui sont sur
le point de se marier, et ne conservent pas la continence pendant deux ou trois
jours.
De plus, beaucoup de ces conditions sont si extrinsèques et accidentelles
qu’il serait fou de croire que, sans elles, un mariage ne peut pas être
valide. Telles que les paranymphes qui
gardent l’épouse, les parents qui l’accompagnent, le don d’une dot légitime, et
une réception solennelle. Voilà
pourquoi nous sommes forcés de dire que le pape Évariste n’a jamais prétendu
que tous ces conditions soient nécessaires au point ou si l’une ou l’autre
manquait, le mariage serait nul. Mais
qu’un mariage est pleinement légitime quand toutes ces conditions sont présentes; et que si aucune d’elles n’est
présente, et si le mariage se fait en cachette, sans témoins et sans aucune
solennité, il ne pourra pas être considéré comme légitime. Non, en vérité, en conscience, mais au for
externe, et pour l’Église, qui ne juge pas des choses cachées.
Le second canon est tiré du livre sur Abraham de saint Ambroise que l’on
trouve chez Gratien (au canon honorantur
32, question 2.) Mais il n’y a
rien, dans ce canon, qui soit contraire à notre sentence. Il y a seulement que saint Ambroise exhorte
les adolescentes à permettre, comme
Rébecca, aux parents de porter un
jugement sur leurs noces. Si elles ne
le font pas, leurs noces seront-elles légitimes ou non ? Saint Ambroise ne le dit pas en cet endroit. Le troisième canon vient du quatrième concile de Carthage (Gratien 30,
question 5, au canon époux). Mais à ce canon non plus nous n’avons rien à
répondre. Il ordonne que l’époux et l’épouse
soient bénis par le prêtre, qu’ils soient offerts à l’église par les parents et
les paranymphes. Que cela doive être
fait, nous ne le nions en aucune façon.
Mais, il ne s’ensuit pas que le
mariage soit nul si on ne le fait pas.
Car, on ne peut douter que toutes ces choses se rapportent à la
solennité du mariage, et non à son essence.
Le quatrième canon, qu’on attribue à saint Léon, se trouve dans Gratien
(canon qualis 30, question 5). Dans lequel non seulement il n’y a rien contre
la sentence catholique, puisqu’il ne fait que décrire le rite des mariages,
sans définir qu’est invalide le mariage qui n’utilise pas ces rites. Mais il y a là quelque chose de contraire
aux adversaires. Car, voici comment
conclut ce canon : «Si l’épouse a
été une fornicatrice, le mari devrai l’envoyer, mais du vivant de sa première
épouse, il ne pourra pas en prendre une autre, car les adultères ne possèderont
pas le royaume des cieux.» Si Kemnitius
a tant de vénération pour ces canons, il devrait admettre cette sentence. Le cinquième canon est celui de Tolède 3,
(que l’on trouve chez Gratien, canon hoc sanctum, 32, quest 2) où nous lisons
seulement qu’aucune fille ne doit être forcée de recevoir un mari sans la
volonté de ses parents ou la sienne. Si
on donne à ce texte le sens qui lui revient, il se prononce certes contre les
luthériens, mais contre les catholiques, nullement. Car, le concile se bat contre ceux qui
veulent empêcher les vierges de prononcer le vœu de virginité, et qui veulent
leur imposer un mari, ce que font allègrement les luthériens. Le concile a statué de ne pas forcer les
filles de se marier contre leur volonté, mais de les laisser choisir leurs
maris, en tenant compte de l’avis de leurs parents.
Le sixième canon est celui du pape Nicolas. C’est le canon noastrates 30, question
5, où est placé, parmi les autres rites
du mariage, le consentement des parents.
Mais on ne peut rien en conclure, car le concile énumère les différents
rites du mariage, et, il ajoute, à la fin du canon, qu’il n’y a pas de péché si
on ne les observe pas tous. Ce qui nous fait comprendre qu’ils ne sont
pas tous essentiels; et il ne fait pas non plus la distinction entre ceux qui
sont essentiels et ceux qui ne le sont pas.
Le septième canon vient du concile d’Aurélie (Gratien 36, question 1,
canon de raptoribus), Nous y lisons qu’il
faut rendre au père la fille violée, même si la fille violée consent au
violeur. Le huitième est de saint Grégoire, ou plutôt de Gratien lui-même,
(eadem causa 36, quest 2, canon apud) où
il est dit que « quand la fille aura été
restituée au père, si les deux pères sont d’accord, le mariage du violeur et de
la violée n’est pas interdit.»
Je réponds que autre est un viol, autre est un mariage célébré sans le
consentement du père. Car le viol porte
sur celle qui n’appartient au violeur ni comme épouse ni comme fiancée. Celui qui enlève violemment son épouse au
père de son épouse n’est pas un violeur, car ce qu’il enlève c’est ce qui lui
appartient en propre, non une chose étrangère.
Comme on le voit dans Gélase (loi
illa a36, question 1.) C’est donc avec raison que les canonistes
veulent que la fille violée soit rendue à son père, même si elle consent à son violeur. Car, celui qui viole fait une injure au père,
en s’emparant violemment de sa fille, même si il ne fait pas d’injure à la
fille. Mais si la fille violée (selon le
décret du concile de Trente, session 24, chapitre 6) quand elle n’est plus au
pouvoir de son violeur, et dans un lieu
sur, contracte un mariage avec son ravisseur de sa propre volonté, le mariage
est ratifié et ne peut pas être invalidé par le père. Car, le viol est un empêchement qui empêche
le mariage des contractants mais qui n’invalide pas un contrat, comme l’enseignent
les théologiens, et parmi eux, saint Thomas (2 2 quest 154, art 7, à 3) où il montre que le concile de Valdensis
qui avait statué le contraire a été abrogé.
CHAPITRE 21
Les empêchements qui rendent complètement inapte
quelqu’un à contracter un mariage : le vœu et le lien.
Nous
avons parlé des empêchements qui proviennent du consentement. Nous allons parler maintenant de ceux qui se
rapportent aux personnes contractantes.
D’abord de ceux qui rendent complètement inaptes, et ensuite des autres.
Les
empêchements qui rendent complètement inaptes
sont au nombre de quatre (comme nous l’avons dit plus haut) : l’impuissance
à faire le coït, le vœu solennel des moines et un ordre sacré. Le premier empêchement est hors controverse. Même si Luther ajoute une huitième nouvelle erreur au sujet
des fiançailles, que nous réfuterons plus tard. On peut en réduire les deux vœux
à un seul, au vœu solennel. On
considère qu’un ordre sacré est un empêchement parce que, par un décret de l’Église,
un vœu solennel de chasteté y est annexé.
Il ne reste donc que cette question :
est-ce que le vœu solennel de continence est un empêchement dirimant du mariage
? Dans son livre sur la captivité de
Babylone (chapitre sur le mariage), Luther admet que le vœu de continence est
un empêchement légitime. Mais dans les
autres livres écrits après, il l’a toujours nié; et il a
montré dans les faits ce qu’il en pensait, en prenant une moniale pour épouse. Ce que tous ses disciples ont enseigné par
leurs écrits et leurs actions. Les
catholiques n’ont jamais douté qu’un vœu de continence simple était un
empêchement qui empêchait de contracter un mariage, mais qui n’annulait pas le
contrat. Le concile de Trente (session
24, canon 9) a défini, sous
anathème, qu’un vœu solennel est un
empêchement qui empêche un contrat, et l’invalide,
Il y a donc trois choses à
prouver. La première. Le vœu simple de chasteté est un empêchement
qui empêche de contracter un mariage. La
deuxième. Le vœu simple de chasteté n’est
pas un empêchement qui invalide un contrat.
La troisième. Le vœu solennel de chasteté est un empêchement qui empêche
et invalide un contrat.
Voici donc la première
proposition. Un vœu simple empêche le contrat du mariage. On peut facilement le prouver avec le
fondement posé dans le livre sur les moines, où nous avons montré à partir de l’Écriture,
des conciles, des pères, et de la raison, qu’un vœu de continence est licite,
saint et agréable à Dieu. Nous avons
donc pu en tirer la conclusion suivante : le vœu de continence
perpétuelle est licite, donc il faut l’observer, puisque l’Écriture dit :
« Si tu voues quelque chose à Dieu, ne tarde pas à le lui rendre.» (Eccles 5,
Deutéronome 23). Or, celui qui prend
femme ne peut rendre à Dieu ce qu’il a promis, parce qu’il est tenu de rendre
son du à celle qui le lui demande. Il n’est
donc pas permis à ceux qui font ce vœu de se marier. De plus, dans 1 Timothée 5, le bienheureux
Paul se prononce ainsi au sujet des
veuves qui ont voué la continence : «Après s’être mariées au Christ, elles
ont voulu se marier à un homme, contractant la damnation, parce qu’elles avaient forfait à la foi jurée.» L’apôtre ne blâme pas ici les femmes qui
après avoir été luxurieuses, veulent se marier. Car, c’était cela une chose
honorable et non blâmable. Mais, parce
que, voulant se marier, elles avaient annulé le vœu de continence fait à
Dieu. Et c’est ainsi que l’entendent
tous les commentateurs grecs ou latins.
Ainsi que l’entendent le concile
de Carthage 4 (canon 104), le concile de Tolède 4, canon 55, Tertullien (dans son livre sur la monogamie),
saint Basile (dans son livre sur la virginité), Épiphane (hérésie 48), saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien),
Innocent 1, (épitre 2, chapitre 13), saint Augustin (le livre sur le bien du
veuvage, chapitres 8 et 9), Gélase (épitre 1, chapitre 23), Fulgence (épitre
1).
La seconde
proposition : un vœu simple n’invalide pas un mariage contracté après ce vœu.
Nos adversaires ne nient pas cela, évidemment.
Et c’est ce qu’enseigne explicitement saint Augustin (dans son livre sur
le bien du veuvage, chapitres 8 et 10).
Déclarent la même chose Alexandre
3, et Boniface 8, ( au chapitre consuluit, qui clerici, vel voventes, et au
chapitre rursus, eodem, et au chapitre unique sur le vœu dans 6). La raison est facile à
comprendre. Car, une promesse,
telle qu’est un vœu simple, oblige en
conscience, mais cependant ne transfert pas le domaine de cette promesse de
celui qui promet à celui à qui la promesse est faite. Donc, si celui qui a fait une promesse
change d’idée, et fait don à un autre,
il pèche, mais sa donation a toute sa force, à moins que ce vœu simple soit
celui qui établit quelqu’un dans l’état religieux. Ce n’est pas de vœu-là que l’on
parle ici.
Et c’est de cette façon qu’est
réfutée l’erreur de Luther qui, (dans son livre sur la captivité de Babylone),
admet avec les catholiques, en disputant de l’empêchement du lien, que le lien
du mariage avec une épouse est un empêchement dirimant, qui invalide tous les autres mariages. Mais,
il ajoute, contre tous les théologiens, qu’un mariage postérieur détruit le
lien des épousailles : «Ils en concluent que s’il en connait une autre,
cessent les fiançailles de la première.
Ce que je ne désire vraiment pas. Et moi je juge qu’il ne relève pas
uniquement de lui-même celui qui s’est joint à une autre, et c’est ce qu’interdit
le droit divin.» Mais cette erreur de
Luther a déjà été condamnée (chapitre de illis,
au chapitre si inter virum, et au
chapitre adulescens, de sponsalibus, et du mariage. et au chapitre de sur l’épouse
de deux). Ce chapitre est attribué à saint Augustin. Et la raison en est que par les fiançailles,
on ne fait pas un don, mais une promesse.
Les arguments de Luther ne
sont pas concluants non plus. Voici ce
qu’il nous objecte d’abord : «Personne ne peut donner ce qu’il n’a
pas. Celui qui a contracté des
fiançailles avec une jeune fille, ne s’appartient déjà plus.
Il ne peut donc pas se donner à une autre. On doit donc le juger comme un
second mariage invalide.» Je réponds qu’on
nie l’assomption. Car, celui qui a
contracté des fiançailles avec une jeune fille, s’appartient encore, comme il
ne s’est encore donné à personne, même s’il en a fait la promesse. Voilà pourquoi, si après avoir quitté sa
fiancée, il se marie avec une autre, il contracte un vrai mariage, mais il
pèche pour ne pas avoir tenu sa promesse.
Il objecte ensuite
ceci : « Dieu interdit à quelqu’un de frauder son frère dans un
négoce. Ce qui doit être observé en dépit de et plus que toutes les traditions
humaines.» Je réponds que ce qu’il dit
est vrai. Mais où veut-il en venir
? Car nous aussi nous admettons qu’il
pèche celui qui fraude son frère en ne conservant pas la foi promise, mais ce mariage ne sera
pas invalide même s’il a été contracté avec ce péché. Car, celui aussi qui promet à quelqu’un une
épouse riche, noble, ou de bonnes mœurs, et qui n’est pas telle, il le fraude,
et pèche gravement envers son prochain.
Le mariage cependant ne sera pas invalide, s’il est fait en présence des mariés.
La troisième
objection : « Si le vœu de religion rend quelqu’un étranger, pourquoi pas
aussi une promesse donnée et acceptée ? Puisque cela est de précepte, et un
fruit de l’esprit (Galates 5), tandis que l’autre relève du libre arbitre
humain.» Je réponds que si nous
comparons la promesse faite à une fiancée, avec un vœu, nous verrons que tous
deux relèvent du libre arbitre humain.
Car, personne n’est forcé, par le droit divin, de vouer ceci ou cela, ou
de se fiancer avec telle ou telle femme.
Si nous comparons ce que c’est conserver sa foi à une fiancée, et
remplir une promesse faite à Dieu, l’un et l’autre sont de précepte et sont un
fruit de l’esprit. Car, accomplir un vœu
c’est conserver sa foi en Dieu. Saint
Paul n’énumère pas non plus , entre les fruits de l’Esprit, remplir la promesse
faite à un homme, et ne pas accomplir le
vœu fait à Dieu. Voilà pourquoi Luther
erre gravement, quand il enseigne que les vœux relèvent du libre arbitre
humain, et les fiançailles, du droit divin.
Nous expliquerons plus tard pourquoi les vœux solennels invalident un
mariage.
La quatrième
objection : «Il est permis à une épouse de reprendre son mari , même s’il
a fait un vœu de religion. Pourquoi ne serait-il pas permis à une
fiancée de rependre son fiancé, même après une copule avec une autre ?» Je réponds qu’il y a une grande différence
entre une épouse et une fiancée, car l’épouse possède déjà, comme sa chose, le
corps de son mari, comme l’enseigne l’apôtre, (1 Cor 7). La fiancée ne l’a qu’en espérance et en
promesse. Mais que cela suffise.
La troisième proposition. Un
vœu solennel annule un mariage fait après la profession de ce vœu. On le prouve par les autorités et la
raison. La première autorité est celle
des anciens conciles. Le concile de
Tolède 1, célébré autour de l’année 400, canon 16, a statué que si une femme dévote (religieuse ?) se
marie, elle ne pourra pas être reçue dans l’église tant que vivra son mari. Qu’elle
vive donc chastement jusqu’à la mort de son mari. Ce qui nous fait comprendre que ces noces n’ont
pas été de vraies noces, parce qu’elles ont été contractées après la profession
religieuse. Car, si elles avaient été de
vraies noces, pourquoi devrait-elle se contenir devant celui qu’elle a pris
comme mari ?
Le concile général de Chalcédoine, avant l’année
1100, (canon 16) stipule : «Il n’est
permis ni à la vierge qui s’est consacrée à Dieu, ni à un moine de contracter de vrais
mariages. Si on découvre que certains ont perpétré ce crime, qu’ils soient
excommuniés.» On ne peut pas répondre
que le concile a interdit que soient contractés ces mariages, mais n’a pas jugé
qu’ils fussent invalides après avoir été célébrés. Car, le concile de Tribur
(au canon 23), allègue ce canon du concile de Chalcédoine, pour prouver que n’est pas un vrai mariage
celui qui a été contracté après des vœux solennels. Ensuite, il n’y eut jamais de doute chez les
chrétiens que pèchent ceux qui ne rendent pas à Dieu leur vœu de
continence. Mais ne manquèrent pas ceux
qui doutèrent qu’étaient vrais et ratifiés les mariages contractés par ceux qui
ont fait des vœux solennels. Voilà
pourquoi le concile a voulu se prononcer sur ce qui était douteux, et statua
que n’était pas légitime un mariage célébré après un vœu solennel, comme entre
moines et moniales.
Le concile de For Julien,
canon 11, ( sur les vierges sacrées) avant l’an 1300 : «S’ils se marient
publiquement, qu’ils soient séparés des autres par des vindictes corporelles
infligées par le jugement civil, et qu’ils fassent pénitence tous les jours de
leur vie.» Le concile de Tolède 4, canon
51, en l’an 950 écrit : «Quelques moines qui sortent du monastère non
seulement retournent au siècle, mais même prennent femme. Rappelés donc dans le monastère d’où ils sont
sortis, qu’on les mette en pénitence.»
Le concile de Turon 2, canon 16, l’an 1000 : «Ceux qui ont fait vœu
dans un monastère, n’ont aucunement la permission d’en sortir. Et personne d’entre
eux n’a le droit de prendre femme. Et si
l’un se marie, il est excommunié, et, par l’intermédiaire d’un juge, il est séparé de la mauvaise association
avec son épouse.» Le concile de Tribur, canon 23, célébré avant
les années 700, ordonne ouvertement de
se séparer à ceux qui, après des vœux solennels, se sont unis par le mariage.
Il y a ensuite l’autorité
des pontifes suprêmes et des grands saints.
Siricius (épitre 1, chapitre 6), ordonne «non seulement d’excommunier
les moines à vœux solennels qui se marient, mais même de les punir dans un
ergastule jusqu’à la fin de leur vie.»
Innocent 1 (dans l’épitre 2, chapitres 12 et 13, distingue ouvertement
entre un vœu solennel et un vœu simple.
Car, au canon 2, il dit que si se marie une fille qui a reçu le voile
sacré, et qui a donc émis un vœu solennel de continence, elle ne pourra pas
être admise à la pénitence tant que vivra celui qu’elle a épousé. Mais, au chapitre 13, celle qui a promis la
continence perpétuelle sans avoir déjà le voile sacré, c’est-à-dire, qui n’avait
professé que des vœux simples, et non solennels, pourra être admis à la
pénitence, si elle se marie après.
Gélasius 1 (épitre 1,
chapitres 22 et 23), fait une distinction semblable, et reconnait qu’il y a une
grande différence entre les noces des vierges professes, qui font des vœux
solennels, et les noces des veuves qui n’ont fait qu’un vœu simple. Car, les mariages des vierges sacrées ils les
appelle des unions incestueuses, et il ordonne d’excommunier ces vierges
mariées. Que signifient donc les mots union incestueuses sinon mariages
illégitimes ? Il dit que ces veuves
doivent satisfaire à Dieu par la pénitence. Mais il ne dit pas que leurs
mariages sont incestueux, ni qu’Ils sont illégitimes. Grégoire 1 (livre 1 épitre 40 à Anthemius,)
écrit que les moines qui prenaient épouses devaient être séparés de leurs
épouses, et ramenés dans les monastères. C’est dans ce sens que vont beaucoup
de réponses d’Alexandre 3, de Célestin 3, et d’Innocent 3 (dans le tit qui
clerici, vel voventes).
Troisièmement, l’autorité
des pères. Saint Cyprien (livre 1,
épitre 2 à Pomponius), dit que les vierges sacrées qui ont dormi avec des
hommes sont «des adultères du Christ», qu’elles doivent être séparées des
autres hommes, et «il appelle cette union un inceste.« Et bien que ceux qui dormaient avec elles,
elles ne les considéraient pas comme leurs maris, saint Cyprien portait le même
jugement sur eux que si elles les avaient reconnus pour maris. Car, il les appelait «des adultères du
Christ,» parce qu’elles n’avaient pas
gardé la foi jurée au Christ.
Car, elles ne la gardent pas si
elles s’unissent à un autre, qu’il soit mari ou pas. Et saint Cyprien appelle« inceste l’union d’un homme avec une
vierge sacrée,» à cause de la relation au Christ, qui a voulu être notre
frère. Cette relation on ne la retrouverait pas moins dans l’union qui se
fait sous le nom de conjoint, ou d’un autre nom. Voilà pourquoi quand saint Cyprien dit dans la même épitre qu’il
faut avertir ces vierges qu’elles aient à se marier publiquement si elles ne
peuvent ou ne veulent pas pratiquer la continence, on doit comprendre qu’il
parle de celles qui n’ont pas encore fait de vœux. Autrement, quand saint Cyprien dit de se
marier à celles qui ne peuvent pas ou ne veulent pas pratiquer la continence,
il permettrait de se marier après le vœu de virginité à celle qui ne peuvent ou
ne veulent pas se contenir, ce qui
serait absurde, et que même les luthériens ne devraient concéder.
Saint Basile ( dans son
livre sur la virginité, un peu passé le milieu), écrit : «Quand celles qui
ont professé leur virginité au Seigneur, débilitées et vaincues ensuite par la
séduisante volupté, désirent le crime du
viol sous le nom honnête de mariage, elles n’ignorent pas, même si elles
simulent l’ignorance, qu’elles ont
prévariqué au droit et à l’alliance
de l’époux, qu’elles ne peuvent plus être la fiancée de Celui qu’elles ont
abandonné, ni par aucune loi être dite l’épouse de celui avec lequel, une fois
la sensualité excitée, elles se sont
unies, après avoir abandonné leur
époux.» Et il montre plus bas qu’on ne
peut jamais dire qu’elle est l’épouse d’un homme mortel, mais toujours« l’adultère
du Christ, son mari immortel.» Saint
Ambroise (dans son livre à une vierge tombée, chapitre 5) écrit : « Celle
qui se fiance au Christ et prend le voile sacré, l’a déjà épousé.» Saint Jean Chrysostome (épitre 6 à
Théodore), écrit : «Ce sont des noces honorables. Mais il ne te convient pas de conserver les
privilèges des noces, car, bien que tu emploies souvent le mot noces, j’estime,
cependant, ton mariage, pire qu’un adultère.»
Saint Jérôme (livre 1 contre
Jovinien) écrit : «Tu reconnaitras certainement que ne peut pas être un
évêque celui qui a des enfants pendant son épiscopat. Et si on découvre ce qu’il a fait, on ne le
considèrera pas comme un mari, mais on le condamnera comme un adultère.» On nous objecte saint Malchus qui (au
témoignage de saint Jérôme dans sa vie) a pris femme après avoir été moine
pendant de ombreuses années, et a demeuré avec elle jusqu’à la fin de sa
vie. Mais il n’y a eu aucun mariage
entre Malchus et cette femme , puisqu’il a été forcé de faire semblant de la prendre pour femme. Cette femme avait même un mari vivant, comme
le rapporte saint Jérôme, quand Malchus fut forcé par son maître de l’épouser. Donc, sous le nom de mariage, il n’y eut entre eux qu’une union sainte et spirituelle.
Maintenant, avec une raison
tirée de la parole de Dieu nous prouverons qu’un vœu solennel est un
empêchement dirimant au mariage. Mais il
est nécessaire faire précéder une question qui divise les catholiques, et qui
est la suivante : par quel droit un vœu solennel invalide-t-il un mariage
célébré après un vœu solennel ? Par le
droit naturel et divin, ou seulement par le droit ecclésiastique et positif
? Il y a plusieurs théologiens, et parmi
les plus graves, comme saint Thomas, saint Bonaventure, saint Albert, Durand et
Dominique a Soto (dans 4 dist 38) qui
soutiennent qu’un vœu solennel invalide le mariage par un droit divin et
naturel. Leur raison est la
suivante. Le vœu solennel n’est pas une
simple promesse faite à Dieu, comme l’est un vœu qu’on appelle simple, mais une
donation de soi-même comme une soumission respectueuse au Christ à
perpétuité. Et cette livraison ou consécration de soi au Christ est acceptée
et approuvée par ses ministres. Voilà
pourquoi le vœu solennel diffère du vœu simple, comme un mariage présentement
contracté diffère des fiançailles, qui se rapportent au futur. Or, par le droit
divin et naturel, personne ne peut donner à autrui ce qui ne lui appartient
pas; et s’il le fait, la donation sera sans valeur. C’est donc par le droit divin et naturel qu’un
vœu solennel invalide un mariage contracté après un vœu solennel.
Si, par les Écritures, ou
par une raison manifeste, on pouvait
démontrer que le vœu solennel diffère du vœu simple en ce que le premier est
une donation qui porte sur le présent, et l’autre, sur le futur, on n’on aurait
pas à présenter d’autres raisons. Toutefois, parce que beaucoup le nient, comme
Scot (2, 2, quest 88, art 7), et tous
les interprètes du droit canon, comme Panomitanus l’atteste (dans les chapitres rursus, qui clerici, ou
faisant des vœux) et pensent plutôt le contraire, à savoir que seul un décret
de l’Église a fait qu’un vœu solennel invalide le mariage, il nous reste donc à
prouver que l’Église pouvait instituer cet empêchement.
Mais cela, il est facile de
le prouver. D’abord, par le fait que l’église
agit ainsi depuis les temps les plus anciens, comme il appert des témoignages
cités, autant ceux des conciles que des papes.
Il est même fort possible que cela descende d’une tradition
apostolique. Car, saint Cyprien, saint
Basile, et saint Ambroise qui reconnaissent cet empêchement, vécurent avant les conciles et les pères qui
semblent avoir composé ce décret. Voilà
pourquoi les conciles et les pontifes n’ont pas tellement statué quelque chose
de nouveau qu’ils ont renouvelé un ancien décret, ou ont simplement déclaré ce
qu’ils en pensaient. Ce que l’église
antique (que les adversaires ne peuvent nier qu’elle fut la vraie église) a
fait et a souvent répété, il est impie
et stupide de déclarer qu’elle ne pouvait pas le faire.
On le prouve, ensuite, en
disant que rendre inaptes des personnes à contracter un mariage légitime, ce n’est
pas changer l’essence du sacrement, comme nous l’avons dit plus haut, mais
rendre nul et invalide le contrat
humain qui est pré requis dans le
sacrement de mariage. Car, le Seigneur n’a
pas déclaré quel est le contrat de mariage qu’on doit considérer comme légitime
ou illégitime, mais cette déclaration étant présupposée, il a voulu qu’un
contrait humain légitime entre un homme et une femme soit un sacrement. Que l’Église puisse, par son décret, rendre
légitimes ou illégitimes ces contrats, en rendant des gens aptes ou inaptes à
contracter, on le prouve de la façon suivante.
C’est à cela que servent tout les textes de l’Écriture par lesquels nous apprenons que la charge de
gouverner l’église a été remise aux apôtres et à leurs successeurs. Comme : «Celui qui vous écoute m’écoute»
(Matthieu 16) : «Je te donnerai les clefs du royaume des cieux.» (Jean à
la fin). : «Pais mes brebis.» Car,
à celui qui préside de droit appartient de faire des lois sur les actions
humaines, de les ratifier et de les résilier.
Dans l’ancien testament, en
plus du droit divin naturel, il y avait aussi des lois positives judiciaires
accommodées au peuple, autant sur les mariages que sur les autres contrats
humains. Ces lois ont été abrogées, et
nous n’en avons pas d’autres prescrites par le Christ. Il est donc nécessaire qu’il y ait dans l’Église
un pouvoir de faire des lois semblables,
à être sanctionnées pour les lieux et les temps. Autrement, la république chrétienne aurait
été imparfaite et misérable. De plus,
les chefs politiques qui président
sur une république peuvent faire des
lois humaines au sujet des contrats humains, et peuvent ratifier ou résilier
des lois déjà faites, pour le plus grand bien de la paix. Les premiers chefs de l’église avaient donc
ce pouvoir pour le salut éternel des
âmes.
Tu diras : s’il en est
ainsi, non seulement les hommes d’église, mais aussi les princes politiques
pourront faire des empêchements au mariage.
Car, du contrat du mariage ne dépend pas seulement le salut des âmes,
mais la concorde des citoyens et la paix temporelle. Je réponds que si le mariage n’était qu’un
contrat civil, les chefs religieux
pourraient décréter des empêchements, en rendant certaines personnes légitimes
et d’autres illégitimes, comme l’ont fait aussi des empereurs, surtout les
païens, (comme on le rit dans le rite des mariages, et dans la loi de Jules sur
la adultères.) On y voit là beaucoup de
lois sur le contrat du mariage.
Cependant, parce que, pour les chrétiens, le mariage est un
sacrement, et que le sacrement de l’Église
dépend de ce contrat civil, et que l’administration des sacrements relève de l’Église, le pouvoir d’instituer des empêchements au
mariage relève d’abord et avant tout du prince de l’Église. Il n’appartient pas
au pouvoir public, si ce n’est pas le consentement et à la subordination au
prince ecclésiastique.
Voilà pourquoi saint Thomas,
même si (dahs 4 dist 34, question unique, art q, a 1), a concédé que le mariage en tant que contrat
civil peut dépendre de la loi civile, cependant (dans la dist 12, question 2,
art 2, à 4), il écrit : «L’interdiction
d’une loi humaine ne suffirait pas à empêcher un mariage, à moins que n’intervienne
l’autorité de l’Église interdisant la même chose.» Que l’Église avait non seulement le pouvoir
de faire d’un vœu solennel un empêchement dirimant au mariage, mais qu’elle
avait de bonnes raisons de le faire, on peut facilement le prouver. Car, ceux qui font des vœux solennels de
continence, changent leur état de vie, et montent de l’imparfait au
parfait. Ce serait une absurdité qu’ils
aient le pouvoir de retourner à l’état d’imperfection. De plus, ceux qui font
de tels vœux le font après une longue période de réflexion et de discernement,
et une certaine pratique de la vie monastique.
Ce serait une incongruité qu’on change subitement ce qui a été décidé
après une mure réflexion, devant Dieu et avec sa grâce. De plus, les vœux
solennels se font régulièrement en public, et devant plusieurs témoins, et après une approbation du peuple. Ils ne peuvent donc pas être violés sans un
immense scandale. Voilà pourquoi l’Église
a pourvu à ce qu’on ne puisse pas changer.
Et le moyen le plus efficace pour parvenir à cette fin, ce fut d’invalider
les mariages célébrés après des vœux solennels.
Ensuite, ceux qui font des vœux
solennels ne s’obligent pas seulement
envers Dieu, mais aussi se soumettent spontanément à l’Église, pour qu’ils
soient forcés par elle à rester fidèles à leurs engagements, même par voie de
jugement. On ne peut donc plus se
demander si l’Église les rend vraiment inaptes à contracter un mariage. Et ces mêmes raisons montrent pourquoi l’Église
n’a pas voulu que les vœux simples soient des empêchements dirimants. Car, ceux qui font des vœux simples ne
changent pas de statut, et les font
souvent sans une grande délibération, privément et sans témoins. Et ils ne se soumettent pas plus à l’église
qu’ils lui étaient soumis avant d’avoir fait ces vœux. Ils ne peuvent donc pas être contraints d’observer
leurs vœux par la voie judiciaire, mais seulement par la voie de la correction
fraternelle, à moins que ces vœux simples aient été tels qu’ils constituent un
homme vraiment et proprement religieux, comme sont les vœux simples de notre
société qui, d’après la constitution de Grégoire 13, qui commence ainsi « le
Seigneur montant», sont déclarés substantiellement religieux, et dirimant le mariage.
CHAPITRE 22
Les
empêchements du crime
Il reste encore les empêchements
qui rendent une personne inapte à se marier avec telle ou telle personne, mais
non avec les autres. Comme nous l’avons
déjà vu, ce sont le crime, la disparité de culte, et la parenté. Le crime, d’abord. Les canons voient un empêchement dirimant du
mariage lorsque quelqu’un contracte un mariage avec celle qu’il a polluée par
un adultère. Il y a là-dessus un
chapitre complet dans les décrétales, mais les docteurs observent que le
mariage n’est pas toujours invalide quand quelqu’un épouse celle qu’il avait
polluée par un adultère, mais seulement
dans trois cas.
Le premier. Quand l’adultère
cause la mort de son épouse ou du mari de la femme adultère, pour pouvoir
célébrer un mariage avec elle. Ou, au
contraire, si la femme adultère cause la mort de son mari ou du mari adultère
de l’épouse pour recevoir l’adultère comme mari. Et au chapitre (super hoc), on
a une définition de ce cas, de celui qui prend en mariage celle qu’il avait
polluée par un adultère, comme si la mort avait réellement eu lieu. Le second.
Si les adultères se jurent mutuellement fidélité en contractant un
mariage après la mort de la femme adultère, ou du mari de la femme
adultère. Car, ceux qui se sont ainsi
juré fidélité semblent plutôt être sur le point de procurer la mort de l’autre
des conjoints. Et, nous avons une
décision là-dessus au canon reatum 31, question 1. Le troisième. Si les adultères se sont ainsi jurés fidélité
par le mariage du vivant de leurs
premiers conjoints, comme on le voit dans le canon finali, de celui qui prend
femme.
On se rend vite compte qu’il
y a deux cas , si l’un et l’autre adultère était au courant de la vie de l’autre conjoint. Car si l’homme trompe une adultère affirmant
que son épouse était décédée, ou si une femme trompe un adultère en affirmant que son mari est mort, alors ce mariage n’est
pas invalide, comme on le voit dans le chapitre , au sujet de celui qui prend
femme. En dehors de ces cas, un mariage
contracté entre adultères n’est pas invalide, comme l’enseigne saint Augustin (dans
le livre sur le bien conjugal, chapitre 14, et dans le livre 1 sur les noces et
sur la concupiscence, chapitre 10. Et
ces témoignages de saint Augustin sont rapportés parmi les canons
ecclésiastiques (31, quest 1, canon
denique. Et voilà pour le crime d’adultère.
Le crime d’homicide sans
adultère ne dissout un mariage que dans
un seul cas, quand ceux qui veulent se marier conspirent pour procurer la mort
d’un des conjoints . C’est ce que nous avons dans le chapitre laudabilem,
sur la conversion des infidèles. Et si un seul procurait la mort d’un des
conjoints, à l’insu de l’autre, et si l’adultère
n’avait pas précédé, ce mariage ne serait pas invalide. On fait des reproches à l’Église à cause de
cet empêchement. Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, au
chapitre du mariage), Philippe Melanchton
(dans les lieux, le mariage), et leur argument est l’exemple de
David qui a pris pour femme Behsabée,
après l’avoir polluée par l’adultère,
et qui a fait tuer son mari (11
Rois 11).
La sentence de l’Église est
fondée sur les témoignages très graves de pontifes et de conciles, que l’on
trouve dans 31, quest 1, canon Nullus, qui est de saint Léon, et dans le canon
illud et le canon relatum, qui
proviennent de conciles, et dans le canon
super haec, et le canon propositum, sur celui qui prend épouse une femme
qu’il avait polluée par adultère. Et c’est
de plus pour une raison très grande. Que
peut-on imaginer de plus atroce dans un mariage
que l’un des deux conjoints non seulement ne conserve pas la foi jurée,
mais tende des embûches pour tuer l’autre, avec lequel il devrait vivre selon
le degré suprême de l’amitié ? L’exemple
de David ne nous émeut pas. Car, cet empêchement n’est pas de droit divin, mais
ecclésiastique. Et dans l’ancienne loi,
beaucoup de choses étaient permises qui ne
le sont plus dans la nouvelle, parce qu’elle est plus parfaite, comme la
polygamie, le libelle de répudiation etc.
Ajoutons que, même selon la loi
ecclésiastique, le péché de David et de Bethsabée n’aurait peut-être pas été un
empêchement dirimant. Car, ce n’est pas
l’adultère seul, ni l’homicide d’un
conjoint perpétré pour une raison
quelconque, qu’on a coutume de juger comme un empêchement dirimant, mais
seulement l’homicide d’un mari commis dans le but précis de pouvoir épouser son
épouse. Bethsabée avait consenti à l’adultère,
mais elle n’avait rien à voir avec la mort de son mari. De sa part, à elle, l’homicide de son mari n’était
pas quelque chose qui pouvait l’empêcher de se marier à David. David, lui, a jouté à un adultère l’homicide d’Urie.
Mais on n’est pas certain qu’il l’ait fait
dans le but précis de s’emparer de sa femme. Car, auparavant, il avait tenté plusieurs
fois de faire retourner Urie à son
épouse, et de couvrir ainsi son adultère.
CHAPITRE 23
La disparité de culte
Un autre empêchement est la
disparité du culte. Car, les catholiques
enseignent, d’une seule voix, que le mariage de fidèles avec des infidèles non
baptisés, n’est pas seulement illicite, mais invalide. Mais avec les hérétiques baptisés, les
mariages sont illicites, mais valides.
Luther (dans son livre sur
la captivité de Babylone, au chapitre du mariage), n’admet pas cet empêchement,
sans apporter d’autre argument que
celui-ci : parce qu’on ne lit pas dans l’Écriture que Dieu ait
prohibé aux chrétiens ces mariages; et
parce que sainte Monique, la mère de saint Augustin ,avait épousé un
infidèle. Il répète la même chose dans
son sermon sur le mariage, ainsi que dans son commentaire du chapitre 7 de la
première aux Corinthiens. Philippe
Melanchton (dans les lieux, sur le mariage) reconnait que c’est dans une bonne intention que l’Église a
prohibé ces mariages. Mais il préfèrerait qu’on n’observe pas cette règle
avec la rigidité que les catholiques demandent.
Voici donc la première
proposition. Il n’est pas permis aux
fidèles de se marier avec des infidèles ou avec des hérétiques. On la prouve d’abord avec la loi de Dieu
(Deutéronome 7). Dieu a interdit à son
peuple de contracter des mariages avec les Gentils. Et même si ce principe est judiciaire, et n’oblige
que les Juifs, il a quand même quelque chose de moral, et appartient même à
tous, si on réfléchit sur la cause de la prohibition. Car, la cause est vraiment d’ordre moral, et
a encore aujourd’hui sa raison d’être, (3 Rois 11) : «Car elle séduira ton
fils pour qu’il ne me suive pas, pour qu’il suive plutôt les dieux
étrangers.» Là où le Seigneur répète ce
précepte, il ajoute : «Très certainement elles détourneront vos cœurs pour
que vous suiviez les dieux étrangers.»
Salomon a agi contre ce précepte,
et il lui est arrivé ce que Dieu avait prédit : il a été dépravé par les
filles étrangères, et il a adoré leurs idoles.
Et, en vérité, si un homme très sage qui avait plusieurs autres femmes
païennes a pu, par de nouveaux mariages avec des Gentils, être perverti a point
d’adorer le dieu de chacun, quel danger ne menace pas ceux qui n’épousent qu’une
seule femme, païenne ou hérétique, et
qui ne peuvent, en aucune façon, être comparés à Salomon pour la prudence et la
sagesse ?
Ensuite, ce mot de saint
Paul au chapitre 7 de 1 aux Corinthiens : «Qu’elle épouse celui qu’elle voudra, mais seulement dans le
Seigneur,» est un précepte sur le mariage à ne pas contracter avec les
infidèles, comme l’interprètent les saints pères, comme saint Ambroise, Theodoret, Theophylactus,
Anseleme, Sedulius, saint Thomas, Cajetan et d’autres. Et de plus, Tertullien (livre 2 à son
épouse), et saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien). Ensuite, saint Augustin (livre 1 sur les
mariages adultérins, chapitre 25) admet cette explication, même si on peut
interpréter le texte autrement, comme il le dit lui-même : « Ce «dans le
Seigneur »peut être expliqué de deux façons.»
Ou en se mariant avec un chrétien, ou en demeurant chrétienne. Mais la dernière explication ne semble pas
aussi probable que la première. Car il
ne pouvait pas y avoir de doute qu’il était illicite d’apostasier de la foi en
se mariant, de telle sorte qu’il était tout à
fait inutile de donner cet avertissement aux chrétiens.»
Il y a un autre passage (2
Corinthiens 6) : «Ne prenez pas un joug avec les infidèles.» Saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien,
et dans son épitre à Gérontia sur la monogamie), voit dans ce texte qu’on ne doit pas se
marier avec des infidèles. Car, si le
commerce avec les infidèles est interdit, il est tout à fait certain que le
mariage l’est aussi, lui qui est le commerce le plus grand et le plus périlleux
de tous.
Deuxièmement, on le prouve
avec les conciles. Nous a été conservé
le canon 13 du concile général de Chalcédoine où sont interdits les mariages
avec les hérétiques, les Juifs et les
païens. Nous est aussi conservé le canon
67 du concile d’Agathe, où l’on trouve ces mots : «Il ne faut pas se mêler
aux hérétiques par des mariages, ni leur
donner nos fils ou nos filles.» De la
même manière, le canon 11 du troisième concile de Tolède interdit aux Juifs d’épouser
une fille chrétienne. Et le canon 61 du
quatrième concile de Tolède ordonne aux Hébreux unis à des chrétiennes par le
mariage ou de devenir chrétiens ou de se séparer de leurs épouses. Dans le droit civil, il y a un canon sur les
Juifs (ne quis christianum) : « La loi de Valence et de Théodose qui punit
comme des adultères les mariages des Juifs avec des chrétiens, statue (dans le
canon de Théodose, livre 3, tit 14) que
sont punis de la même façon les mariages des Romains avec les Gentils.
Troisièmement, on le prouve
avec les Pères. Tertullien (livre 2 à
son épouse), traite dans une longue dispute,
la question suivante : il ne faut pas que les chrétiens ou les
chrétiennes contractent des mariages avec des infidèles. Saint Cyprien (dans son sermon sur les tombés
pendant la persécution) énumère parmi d’autres crimes de fidèles les unions
avec des infidèles. Il dit que «c’est prostituer aux Gentils les membres du
Christ.» Saint Ambroise (livre 1 sur
Abraham, chapitre 9) écrit : «Que le chrétien se garde de donner sa fille
en mariage à un Gentil ou à un Juif.
Veille à ce qu’un Gentil, un Juif
ou un hérétique et quiconque est étranger à ta foi ne t’arrache pas ta fille
!» Et (dans l’épitre 70, qui est la
première du livre 14 à Vigile), il a institué un nouvel évêque pour qu’il
enseigne à son peuple par-dessus tout à se garder des mariages avec des
infidèles. Saint Jérôme (dans son livre
1 contre Jovinien) écrit : «Et maintenant, méprisant le commandement de l’apôtre,
plusieurs s’unissent à des Gentils, et prostituent les temples du Christ avec
des idoles.»
Saint Augustin semble avoir
eu des doutes et avoir hésité sur cette question. Car (dans le livre 1 à Pollentius, chapitre
24) il rapporte la sentence de Pollentius qui voulait que la chose ait été
interdite dans les deux testaments. Ces
paroles le maitre des sentences (livre 4, dist 39) les rapporte comme étant de
saint Augustin. alors qu’elles sont de Pollentius, et qu’on ne doit pas les
prendre comme des paroles de saint Augustin.
Ensuite, dans le chapitre 25, il dit seulement, parlant en son nom, qu’on
ne trouve aucun passage dans le Nouveau Testament où ces mariages soient
prohibés sans ambiguïté, bien que saint Cyprien confesse qu’il ne doute en rien que ces mariages soient
illicites. Dans son livre sur la foi et
les œuvres, au chapitre 19, il répète
une fois de plus que dans les livres du nouveau testament il ne trouve pas un
témoignage certain là-dessus, même si saint Cyprien a placé parmi les crimes
les mariages avec les païens. Mais, il
conclut finalement qu’on devait à tout
prix éviter ce genre de mariages, car, dans une chose douteuse, il convient de
suivre l’opinion la plus probable : «On doit s’efforcer de toutes les
manières à ce que ne se célèbrent pas de tels mariages. Car, quel intérêt a-t-on à s’engager là où
règne l’incertitude et l’ambiguïté ?»
Saint Augustin nous enseigne
au moins que ces mariages sont douteux, et qu’il ne faut donc pas les
contracter. S’il a été permis à saint
Augustin de douter (lui qui était le fils d’un tel mariage), il ne sera pas permis à nous de le faire
,parce que nous avons plusieurs commentaires du texte de saint Paul, plusieurs
témoignages des conciles et des pères que lui ne connaissait pas. Et aussi de tous les théologiens qui ont
écrit après le Maitre des sentences, et surtout, le consensus de toute l’Église.
Quatrièmement, on prouve par
la raison que le mariage d’un fidèle avec un infidèle apporte beaucoup d’inconvénients
et de dommages. On ne doit donc pas
penser qu’il est licite. On prouve ainsi
l’antécédent. Il cause le danger le plus
redoutable possible pour un fidèle, celui d’apostasier de la vraie foi. « Celui qui aime le danger périra», nous dit
l’Ecclésiastique 3. Ensuite, les enfants
ne pourront pas facilement être éduqués dans la vraie religion. On pourra à peine trouver dans la maison la
paix et la tranquillité qui est requise un mariage, puisque la dissension en
matière religieuse engendre les disputes, les animosités, et même la haine. De plus, comme Tertullien le montre éloquemment,
si le mari est un païen, il empêchera tous les exercices de piété qu’une
chrétienne est tenue de pratiquer.
La seconde proposition. Le mariage entre un fidèle et un infidèle n’est
pas invalide en vertu du droit divin ou du droit naturel, mais d’une loi de l’Église. Qu’il ne soit pas prohibé par le droit divin,
c’est que pense Dominique a Soto ( 4 dist 39,quest unique, art 2), parce que,
en 1 Corinthiens t, saint Paul permet à un fidèle de ne pas se séparer du
conjoint infidèle. Car, si le mariage d’un fidèle avec un infidèle était
invalide, comment saint Paul permettrait-il à des chrétiens de demeurer dans
une union de cette sorte , qui est surement une fornication ? Mais non seulement cette raison n’est pas
évidente, mais elle n’est pas solide non plus.
Car, l’apôtre n’a pas permis à un fidèle de contracter un mariage avec
une infidèle, mais il a permis que le contrat d’un fidèle avec une infidèle ne
soit pas résilié dans l’espoir de la conversion de l’infidèle.
Car, il ne s’ensuit pas nécessairement que si
la disparité de culte n’invalide pas automatiquement un sacrement contracté
auparavant de droit divin, elle n’invalide pas non plus celui qui a été
contracté après. Car, les empêchements
dirimants ont ceci de propre qu’ils
invalident le mariage s’ils viennent
avant, mais non s’ils viennent après. L’incapacité
du coït et le vœu solennel de continence et d’autres choses de ce genre
empêchent le mariage s’ils le
précèdent; et en le rendant invalide s’il
est fait quand même. Mais si elles
surviennent après un mariage légitimement contracté, elles ne peuvent pas l’invalider.
De même, à notre époque, la disparité de
culte, du moins selon le droit
ecclésiastique, invalide un mariage contracté après; mais si elle survient
après le mariage, comme si le conjoint fidèle devenait infidèle, et l’infidèle
devenait chrétien, le mariage n’est pas invalidé, même pas par le droit
ecclésiastique, du moins, pas par le
fait même.
Laissant donc de côté cette
raison, que la disparité de culte ne soit pas un empêchement dirimant au
mariage selon le droit naturel, on le prouve d’abord, parce qu’elle n’enlève
pas du tout la fin du mariage, même si elle l’empêche d’une certaine façon.
Car, de cette union, des enfants peuvent naitre, et peuvent même être éduqués
dans la vraie religion, même si difficilement.
Et il peut arriver parfois que non seulement l’éducation religieuse soit
empêchée, mais aussi la paix, si un des conjoints n’a cure de la religion, ou
qu’il ne soit pas bien disposé envers la foi. En ce sens, la disparité de
culte ne sera pas seulement un
empêchement de pratiquer la vrai religion, mais un grand danger d’être entrainé
dans la croyance de l’autre. Néanmoins,
la raison droite dicte que ce mariage n’est pas mauvais en soi, mais bon.
On le prouve ensuite par l’exemple
des saints, qui ne se seraient certes pas unis à des infidèles si ce mariage
était nul et invalide de par la loi naturelle.
Nous avons de cela des exemples
dans la loi naturelle, dans la loi écrite et dans la loi de la
grâce. Dans la loi de nature, Jacob eut
deux filles de l’idolâtre Laban. Joseph
épousa la fille de l’Égyptien Putiphar. Moïse la fille de Jetro l’Éthiopien. Dans la loi écrite, Esther épousa Assuérus,
le roi païen des Perses. Salomon épousa
la fille du Pharaon. David reçut la
fille du roi Gessur (2 Rois 3). Dans l’ère
de grâce, saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) et saint Augustin (dans son
livre sur la foi et les œuvres, chapitre 19) rapportent que, de leur temps, de
tels mariages étaient très fréquents dans l’Église. Et bien que les pères les
blâmassent, ils ne faisaient pas de
déclaration de nullité. Et il n’est pas
probable qu’ils auraient toléré ces mariages , s’ils n’avaient pas été de vrais
mariages. De plus, sainte Monique eut un
mari païen, au témoignage de saint Augustin (dans le livre 9 de ses
confessions). Et Clotilde, chrétienne, a
épousé Clovis, roi païen des Francs, au témoignage de saint Grégoire de Tours
(livre 2, chapitre 28 de son histoire).
L’une et l’autre étaient pieuses,
et l’une et l’autre ont converti
leur mari à la foi. Il ne se pouvait donc pas que, étant de
pieuses chrétiennes, elles aient vécu dans une fornication perpétuelle.
Que ce ne soit pas, non
plus, un empêchement dirimant de droit divin, on le prouve ainsi. Dans le nouveau testament, nous n’avons pas
de précepte de ce genre. Car, les
paroles de saint Paul : «seulement dans le Seigneur,» et ne portez pas le
joug avec des infidèles, ne prouvent pas
qu’il ne faut pas contracter de mariage avec les infidèles. Elles ne prouvent
pas, non plus, que ces mariages soient nuls et non avenus. Dans l’ancien testament, on ne trouve pas de
précepte qui interdise les mariages avaient des infidèles au point de les
invalider, si ce n’est chez Esdras (livre 1, chapitres 9 et 10). Car, pendant qu’ils interprétant la loi du
Seigneur dans le Deutéronome donnée par Moïse, les fils d’Israël ont été
séparés de leurs conjoints infidèles qu’ils avaient épousés. Mais dans la mesure où il résiliait des
mariages, ce précepte était judiciaire, et non naturel, et c’est pour cela qu’il
a cessé avec les autres, et qu’il n’appartient pas aux chrétiens.
Qu’il ait été judiciaire, on
le déduit de ce qu’il n’a été prescrit que pour les Juifs qui habitaient avec
des infidèles dans la terre de Canaan, que Dieu voulait faire tuer et
anéantir. Et non avec les autres
infidèles. Voilà pourquoi c’est
légitimement qu’Esther épousa la païen Assuérus, et Salomon la fille du
Pharaon. Il importe peu que (livre 1 d’Esdras,
chapitre 4) parmi les Gentils dont les mariages étaient interdits aux Juifs, on
énumère les Égyptiens , car Esdras parle des Égyptiens qui habitaient dans la
terre de Canaan, et non des autres, comme Cajetan l’a bien vu.
Que la disparité de culte ne
soit pas un empêchement dirimant en vertu d’une loi de l’Église, on le prouve
en constatant qu’une loi de ce genre n’existe pas. Les paroles que nous avons citées des
conciles ne prouvent pas que le mariage soit invalide, s’il se fait entre un
fidèle et une infidèle, mais seulement qu’on ne doit pas agir ainsi. Car, dans les conciles de Chalcédoine et d’Agathe, ils mettent des hérétiques parmi
les infidèles, et cependant, d’après l’avis de l’ensemble des catholiques, le
mariage avec un hérétique n’est pas invalide.
Le concile de Tolède 4 ordonne, il est vrai, s’efforce de séparer les
époux, mais il ne parle que des Juifs, et cela, dans l’Espagne. Car, ce concile
ne fut pas un concile universel mais national, et c’est pour cette raison qu’il
ne pouvait pas donner une loi à toute l’Église.
La troisième
proposition. Le mariage entre un fidèle
et un infidèle non baptisé est invalide par la coutume du peuple chrétien, qui
obtient force de loi. Preuve. Pendant un grand nombre d’années, on a cru,
sans aucune controverse dans l’Église chrétienne, que ces mariages étaient
nuls. Car, et le maitre des sentences
(livre 4, dist 39) et Graiten (28, quest 1) et ensuite tous les théologiens et
canonistes ont transmis cela, comme une chose admise et connue par le plus
grand nombre. Même si l’église a cru cela pendant de nombreux siècles, et l’a
mis en application, on ne trouve pas de loi qui le prescrit textuellement. On doit en conclure que cela a été introduit
petit à petit, et que la coutume a pris force de loi.
Que cette coutume ou cette
loi ne peut pas être réprouvée, on peut le démontrer par deux arguments. Premièrement, par l’exemple de la loi. Si, dans la loi ancienne, la disparité de
culte était un empêchement dirimant , au moins entre certaines nations, on a
certainement des raisons plus grandes de penser qu’une disparité de cule est un
empêchement dirimant pour les chrétiens.
Car, la loi chrétienne est plus parfaite. Et de plus, la disparité de culte entre
chrétiens et les infidèles, est plus grande que celle qui existe entre les
Juifs et les infidèles. Car, la loi
chrétienne est nécessaire à tous pour le salut.
Et ceux qui ne sont pas chrétiens sont étrangers à Dieu et à l’Église,
et à la religion divine. Or, la loi des
hébreux n’est pas nécessaire à tous, et plusieurs Gentils pouvaient se sauver
quand la loi était en vigueur. Voilà
pourquoi les Gentils n’étaient pas en dehors de l’Église de Dieu par cela seul
qu’ils n’appartenaient pas au peuple élu.
Deuxièmement. Le mariage, chez les chrétiens, est un
sacrement. Il ne doit donc pas être, par
les chrétiens, conféré à ceux qui ne
peuvent pas recevoir les sacrements.
Elle fut donc très grande la raison qui annulait les mariages entre
croyants et incroyants. Car, un infidèle
non baptisé n’est capable de recevoir aucun sacrement. Et voilà aussi la raison pour laquelle le
mariage d’un catholique avec un hérétique n’est pas invalide, parce qu’il peut
être un sacrement à cause du baptême de l’un et l’autre.
La quatrième proposition. Le souverain pontife peut, si la chose s’avère
avantageuse ou nécessaire, dispenser un fidèle, pour qu’il puisse contracter un
mariage avec un infidèle. Cette
proposition découle des autres. Car, s’il
est question d’un précepte invalidant les mariages de cette sorte, il n’y a
aucun doute que le souverain pontife peut donner des dispenses, puisque ce
précepte n’est ni divin, ni naturel, ni divin positif, mais purement
ecclésiastique. S’il s’agit d’un
précepte qui prohibe universellement, -dont nous avons parlé dans la première
proposition-- ce précepte est soit
positif, soit naturel. S’il est
naturel, il n’oblige que dans la mesure où la droite raison dicte qu’il ne faut
pas le faire, ou en cas de subversion, ou pour d’autres causes. Voilà pourquoi
ces causes cessant, un mariage de cette sorte n’est pas contre le droit
naturel, surtout advenant une déclaration du pasteur suprême. Comme nous l’avons dit plus haut, Esther s’est
mariée avec un infidèle, Joseph, Jacob, Moïse et d’autres hommes saints se sont
unis à des infidèles, parce qu’avait cessé la cause du péril.
Mais si c’est un précepte
humain positif, comme ceux de saint Paul, des conciles et des souverains
pontifes, le successeur des apôtres et des successeurs des apôtres peut, sans
aucun doute, en dispenser, pour une
juste cause, et le péril cessant. Il n’y
a, là-dessus, aucun précepte positif divin, comme nous l’avons montré plus
haut. Car celui que l’on trouve dans le
Deutéronome 7 a été déjà abrogé en tant que positif. En tant qu’il était en quelque sorte
naturel, il n’oblige, comme nous avons dit, que quand la droite raison juge qu’est
imminent le danger pour lequel la loi a été donnée.
Et c’est ce qui nous permet
de réfuter tous les arguments que doivent ou que peuvent faire les adversaires. Il ne peuvent
pas en effet en présenter d’autres , et de fait, ils ne présentent que les exemples des fidèles qui dans l’ancien
et le nouveau testament ont contracté des mariages avec des païens. On peut leur répondre par une ou l’autre de
ces quatre manières. Ou ces exemples se
rapportent à ceux à qui de tels mariages
n’étaient prohibés par aucune loi particulière, mais seulement par la loi de la
nature selon la droite raison, et tel fut le cas de Jacob, Joseph, Esther. Ou à ceux qui épousèrent des gentils mais
pour les amener à la foi, car cela a toujours été permis. C’est de cette façon
que Salomon a épousé Rahab la prostituée de Palestine, et que Booz a épousé Ruth la Moabite. Ces femmes accédèrent à la foi et à la
religion judaïque, même si elles venaient de Gentils, avec lesquels il était
interdit de contracter des mariages. Ou
à ceux qui sont blâmés ouvertement, pour avoir, contre la loi, contracté des
mariages avec des étrangers, ce qui fut le cas de Salomon, qui dans 3, Rois 3,
reçoit de grands reproches de l’Écriture parce qu’il avait, contre la loi, épousé des femmes moabites, ammonites, et
chanaanites, et il est sévèrement blâmé
par les pères comme saint Cyprien, saint Ambroise, et saint Jérôme, comme nous
l’avons démontré plus haut. Ou à ceux
que l’ignorance ou une coutume établie depuis longtemps excusait.
C’est dans ce groupe que
nous posons sainte Monique, la mère de saint Augustin. Car, à cette époque ,le mariage entre fidèles et
infidèles était une chose si commune qu’on n’y voyait plus de péchés, comme l’atteste
saint Augustin (dans la foi et les œuvres, chapitre 10.) Voilà pourquoi sainte Monique, dont les
hérétiques font tant de cas, était excusée de péché par l’ignorance et la
coutume. Et si elle a eu conscience d’une
faute, elle l’a certainement expiée par les larmes et la pénitence. Elle ne devait pas dissoudre son mariage, car
la coutume du peuple fidèle n’avait pas encore placé la disparité de culte
parmi les empêchements au mariage, comme elle l’a fait après.
CHAPITRE 24
L’empêchement de
parenté. Ce qu’est la parenté, et quels
en sont les degrés.
Il reste l’empêchement de
parenté au sujet de laquelle fait rage une très grande controverse. Pour en
donner une explication ordonnée, on exposera d’abord ce qu’est la parenté, ce
que sont les grades, et combien ils sont. Ensuite, ce qu’en pensent les
hérétiques. En troisième lieu, on
prouvera la vérité, et on réfutera les arguments des adversaires.
Venons-en d’abord au premier
point : ce qu’est la parenté. Les
jurisconsultes font une distinction entre la «cognation,» la parenté par le sang, l’agnation, parenté
par les mâles. Ils appellent parents
(cognatos) tous ceux du même sang qui descendent de la mère. Et ils appellent parents (agnatos) ceux qui
descendent du père. La parenté
(cognatio) est tantôt le nom du genre, tantôt le nom de l’espèce. Mais l’agnation est toujours le nom de l’espèce. Car on peut appeler parents ceux qui sont
agnatis, mais non vice-versa, comme on le lit dans la loi parmi les agnatos.
ff, d’où les légitimes, et la foi du
jurisconsulte ff sur les degrés et les
affinitésé.) Et dans saint Ambroise
(épitre 66 à Patronu, la dernière) où il nie qu’on puisse appeler agnati ceux
qui ne descendent pas du père, comme des
frères utérins nés de différents pères.
Voilà pourquoi s’est trompé Dominique a Soto ( 1, 4, dist 40, question
unique, art 4) où il dit que l’agnation est un genre, et la cognation (parenté)
une espèce.
Dans le droit canonique ,
autant la «cognation» que l’«agnation»
sont appelées tout simplement consanguinité, laquelle diffère de l’affinité, en
ce que la consanguinité est le lien de ceux qui descendent de quelqu’un par la
propagation du sang, de façon à ce que tous participent au même sang, et sont
tous réductibles à la même souche. L’affinité
est entre ceux qui sont unis non par la propagation, mais par l’union de deux
dans une même chair. Car, parce que par
la copule charnelle, l’homme et la femme deviennent une seule chair, les proches parents deviennent consanguins de
l’un et «affines » de l’autre. Les
parents, les frères et les autres consanguins de l’épouse deviennent «affines»
du mari, et d’un autre côté, les parents, les frères et les autres consanguins
du mari deviennent, de la même façon «affines» de l’épouse. Mais les consanguins d’un conjoint ne sont
pas «affines» des consanguins de l’autre conjoint, mais seulement du conjoint
lui-même. Et dans ce degré ils
deviennent affines à l’autre, celui des
conjoints dans le degré duquel sont des consanguins de l’autre.
Car, le père de l’épouse devient
en quelque sorte le père de l’époux, et le frère de l’épouse devient en quelque
sorte le frère de l’époux, etc. Voilà
pourquoi si quelqu’un connait les degrés de consanguinité, il en déduira
facilement les degrés d’affinité.
En ce qui a trait aux
degrés, il faut savoir qu’ils sont énumérés autrement dans le droit civil, et
autrement dans le droit canonique. Dans
le droit civil, comme il appert du titre des degrés dans les Pandectis de
Justinien, un double ordre est constitué.
Un, en droite ligne, comme père-fils-neveu, ou père-grand-père, arrière
grand-père. L’autre, collatéral, frères, cousis germains, petits cousins. Dans
la parenté en ligne droite, il y a autant de degrés que de personnes, en
omettant la souche. Par exemple, le fils est au premier degré, le neveu au
second, le petit neveu au troisième, l’arrière petit neveu au quatrième. Le droit canon ne diffère pas en cela du
droit civil.
Dans la lignée collatérale, le droit civil ne
place aucun premier degré, mais commence au deuxième qui est celui des frères
entre eux. Et la raison en est que, même
dans la ligne collatérale, le droit civil met autant de degrés qu’il y a de
personnes, en ne comptant pas la souche.
Car, s’il n’y a qu’un fils, il n’est pas appelé frère, mais fils. Il ne fait donc pas un ordre collatéral, mais
il propage seulement la droite ligne.
Les frères qui sont deux au minimum effectuent le second degré. Si un fils nait à l’un deux, ils seront alors
trois, et on commencera à dire de l’autre qu’il est l’oncle paternel, par
rapport au fils de son frère. C’est dans
le troisième degré que sont l’oncle et
le fils du frère. Il en est de même pour
l’oncle, la tante paternelle, et la tante maternelle. Le quatrième de gré le font les fils des
frères , qu’on appelle cousins germains si on compte au moins quatre personnes,
moins la racine, les deux frères et leurs deux fils. Le cinquième degré est entre un cousin et le fils de l’autre. Le sixième degré est entre les deux fils des cousins.
Il est à noter, en passant,
que le second degré est distant également de la racine, que le troisième l’est
inégalement, que le quatrième, le sixième et le huitième sont aussi également
distants; que le cinquième, le septième et le neuvième sont inégalement
distants. Ce n’est pas Justinien qui a
composé cet ordre de degrés dans les authenticis. et Alexandre second ne les a
pas réprouvés dans le concile du Latran
(comme le soupçonne Dominique a Soto (dans quartum dist 40, art 2), mais
il était dans les lois les plus anciennes des Romains, comme on le voit dans le
jurisconsulte Paul ( dans ff, sur les degrés), lequel a précédé Justinien de
trois cents ans. Il a vécu au temps de l’empereur
Alexandre, autour de l’année 230. Et
aussi, dans saint Ambroise, épitre 66 à Paternus) où, selon cet ordre d’énumération
des degrés, il affirme que deux cousins germains sont consanguins au quatrième
degré, l’oncle paternel et le fils de la sœur dans le troisième. Or, saint Ambroise a écrit plus de cent ans
avant la naissance de Justinien.
Le pape Alexandre 2, dans le
concile du Latran, comme le montre le canon ad sedem, 35, question 5, ne réfute pas Justinien, mais l’erreur de
ceux qui le comprenaient mal. Voilà
pourquoi, au même endroit, le pape Alexandre répète deux ou trois fois que la
loi civile est correcte, même si elle conserve un autre ordre. Car, le droit civil regarde le nombre des personnes, et le droit canon la distance de la
souche. Voilà pourquoi, selon le droit
canon, le premier degré, en ligne directe, est celui des fils, qui sont les
premiers à dériver de la souche. Le
deuxième degré est celui des neveux, et le troisième, des petits neveux. Dans l’ordre collatéral, le premier est celui
des frères naturels, le second des
cousins germains, et en même temps, de l’oncle paternel et du fils du
frère; le troisième des deux fils des
cousins germains, et en même temps, de l’oncle paternel et du fils de l’autre oncle paternel. Le pape Alexandre en déduit qu’avec deux degrés du code civil on en établit un
selon le droit canonique; et que donc,
celui qui est second selon le doit civil est le premier selon le droit
canonique; et que celui qui est troisième
et sixième selon le droit civil est troisième selon le droit canon; et
que celui qui est septième et huitième selon le droit civil, est quatrième
selon le droit canonique, etc.
La raison de la supputation
canonique est donnée par les théologiens et les canonistes, et on la trouve
aussi au chapitre quod dilectio sur la consanguinité et l’affinité, et au chapitre finali eodem. La voici.
Comme, dans l’ordre collatéral,
les personnes ne s’unissent que par rapport à la souche d’où elles
procèdent, elles ne peuvent pas être plus ou moins distantes entre elles qu’elles
ne le sont de la souche. Il est donc
nécessaire qu’elles soient unies entre elles , ou qu’elles soient distantes
entre elles par le degré avec lequel elles sont unies à la souche, ou elles en
sont distantes.
Voilà pourquoi deux frères
seront dans le premier degré, parce qu’ils sont l’un et l’autre dans le premier
degré avec la souche. Les cousins
germains seront dans le deuxième degré, parce qu’ils sont l’un et l’autre dans
le second degré avec la souche. S’ils
sont inégalement distants de la souche, comme l’oncle paternel et le fils du
frère, ils seront alors distants entre eux du degré avec lequel ils sont
distants de la souche, lequel est le plus éloigné. Et quand ils sont unis par la souche, il ne
peut pas se faire que l’on soit plus proche de son consanguin que de la
souche. Donc le fils du frère n’est donc
pas moins distant de l’oncle paternel que du grand-père. Donc, bien que l’oncle paternel soit distant
d’un degré seulement de la souche, toutefois, parce que le fils du frère est
distant de deux degrés de la même souche, en conséquence, l’oncle paternel et
le fils du frère sont au second degré, non moins que les deux fils des frères.
Et c’est ce que veut dire
le pape Alexandre quand il enseigne qu’on
fait un degré canonique avec deux degrés civils. Selon le droit civil, l’oncle paternel et le
fils du frère font un seul degré; les
deux fils des frères font l’autre, parce qu’une personne est ajoutée au nombre,
et que le droit civil regarde le nombre des personnes. Or, pour le droit canonique, le degré de l’oncle
paternel et du fils du frère est le même que celui de deux oncles paternels,
parce que le droit canonique ne compte pas les personnes, mais considère la
distance de la souche. Il faut observer
ici que que la supputation des degrés ne s’étend pas à l’infini. Car, la vertu paternelle transmise dans le
fils, par laquelle le fils est semblable au père, non seulement comme espèce,
mais aussi comme individu, comme l’apparence physique, les moeurs, la couleur,
tout ce qui donne un air de famille et de ressemblance entre consanguins,
diminue peu à peu, de sorte qu’elle est plus grande dans le fils que dans le
neveu, plus grande dans le neveu, que dans le petit neveu, et s’évanouit enfin
complètement après plusieurs générations.
Autrement, si elle durait toujours, il s’ensuivrait que tous les hommes
qui descendent d’Adam, la première souche de l’arbre humain, seraient
consanguins. Or, c’est plutôt le
contraire que nous observons. Non seulement tous les hommes, mais même tous les
citoyens d’une même ville, n’ont pas pu conserver cet air de ressemblance que
la nature donne aux consanguins.
Cependant, parce qu’on ne
peut pas savoir facilement jusqu’où persévère cette vertu du sang, et qu’il est
probable qu’elle ne se conserve pas également, tantôt dans plusieurs
générations, tantôt dans peu, cette vertu étant plus grande dans l’un que dans
l’autre, c’est pour cela que pour avoir quelque chose de certain, les
législateurs ont prédéterminé un nombre de degrés. Dans le Lévitique, chapitre 18, Moïse a déterminé seulement deux degrés, le
premier et le second. Car, il a
interdit, en ligne directe, le mariage du père avec la fille, et avec la nièce,
et, semblablement, le mariage de la mère avec le fils ou le neveu. Dans la ligne collatérale, il a prohibé le
mariage du frère avec la sœur, qu’elle le soit d’un ou des deux parents, du
neveu avec la tante paternelle ou maternelle.
Cependant, il n’a pas interdit le mariage de l’oncle paternel ou du
grand-père paternel avec la fille du frère ou de la sœur. Et cela quant à la consanguinité, où il y a
deux degrés selon les canons, et trois selon les lois.
Quant à l’affinité, il a
interdit le mariage du fils avec la belle-mère, ou avec sa fille. Et cela, en
ligne droite. Dans la ligne collatérale,
il a interdit le mariage avec l’épouse du frère, et avec la sœur de l’épouse,
du vivant de l’épouse, et avec l’épouse
du l’oncle paternel. Il y a, là aussi, deux degrés selon les canons, le premier
et le deuxième, et trois selon les lois.
Car, la fille de la belle-mère est au second degré avec le père, et la
femme de l’oncle paternel est au second degré avec son neveu.
Voilà pourquoi Luther a erré
dans la captivité de Babylone (au chapitre du mariage), quand il a dit que dans la loi divine, n’étaient
prohibés que le premier degré de l’affinité, et le second de la
consanguinité. Que saint Ambroise (dans
l’épitre 66) dise que, dans la loi divine, est prohibé le mariage des oncles paternels, qui sont
dans le quatrième degré selon les lois, je ne vois pas comment cela puisse
être. Le même Ambroise, au même endroit,
nie que dans la loi soit expressément interdit la mariage du père et de la
fille. Ce ne peut être qu’un trou de mémoire. Car, il s’agit de la première
interdiction : «Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, ni la nudité
de ta mère.» Cela ne peut signifier rien
d’autre que la fille n’épouse pas son père, et le fils, sa amère.
Mais bien que la loi divine
se soit contentée de ces quelques degrés, la loi civile interdit ainsi aussi le
mariage entre cousins germains, qui sont dans le quatrième degré selon les
lois, comme l’atteste saint Ambroise, (dans son épitre 66). Mais la loi ecclésiastique va plus
loin. Car l’Église avait défini
autrefois un septième degré, au-delà duquel il n’y avait plus de consanguinité,
comme on le voit dans Alexandre 11 (œuvre citée plus haut). Mais, ensuite, dans le concile du Latran,
sous Innocent 3, on a restreint la consanguinité autant que l’affinité au
quatrième degré, (chapitre non debet, de la consanguinité et de l’affinité). Ce qui nous fait comprendre pourquoi la
plupart nient ce qu’on avait coutume de dire en proverbe qu’en ligne droite les
mariages sont interdits infiniment. Ce
que Caius 1 a été le premier à écrire
(noces, 2 ff, rite des noces.)
Nous n’avons pas à nous
casser la tête avec cela, car il est fort peu probable que certains désirent
que le mariage se rende jusqu’au cinquième degré en ligne droite, ou à un degré
plus élevé. Car, ou ils ne pourront pas
être vivants en même temps, ou ils seront d’un âge si inégal qu’ils ne voudront
jamais se marier ensemble. Car,
concédons que dans n’importe laquelle ligne chacun engendre dès que l’âge le
lui permet, c’est-à-dire quand il parvient à l’âge de quinze ans, ce qui pourtant arrive rarement ou jamais, s’ils
devaient se marier dans le cinquième degré, l’un aurait 90 ans et l’autre
15. Et s’ils se mariaient dans le
huitième degré, l’un aurait 135 et l’autre 15.
Bien plus, Adam lui-même, qui a vécu 930 ans n’aurait survécu que jusqu’à
la huitième génération. À cette époque, s’il avait voulu prendre femme en
dehors de la consanguinité, il aurait du attendre l’âge de 900 ans pour prendre
une épouse de 15 ans.
L’Église a ajouté, en plus,
deux autres espèces de parenté, que le Lévitique ne contient pas : la
parenté spirituelle, qui procède du baptême et de la confirmation, et la
parenté légale, qui vient de l’adoption.
Elle a jouté aussi deux autres quasi espèces d’affinité : une qui provient des fiançailles, qui s’appelle
justice d’honnêteté publique; et une autre qui provient d’une union charnelle
adultère, bien que quelques-uns la découvrent , non sans peine, dans le
Lévitique. Donc, le concile de Trente, à
la session 21, a décrété que la parenté spirituelle ainsi que l’honnêteté publique invalident le
mariage seulement entre le premier degré; l’affinité et la copule fornicatrice
entre le premier et le second.
Il y a aussi une autre
affinité, qui vient d’un mariage ratifié mais non encore consommé, qui bien qu’elle
ait coutume d’être appelée justice publique, est cependant, sans aucun doute,
quelque chose de plus parfait. C’est
pourquoi le pape Pie V a déclaré que la restriction conciliaire de la justice
publique au premier degré, n’a lieu que pour le futur dans les épousailles.
CHAPITRE 25
On présente des opinions
sur l’empêchement de parenté
Après ces explications préalables,
la question se pose ainsi : entre quels degrés la parenté ou l’affinité
empêche-t-elle un contrat de droit ? Car
personne ne nie que la parenté ou l’affinité empêchent le mariage dans certains
degrés. Nous trouvons sur ce sujet cinq
sentences d’hérétiques. La première
est de Jean Wiclef (livre 4, chapitre 20
de sa trilogie), qui affirme que seule
la parenté au premier degré en droite
ligne, empêche un mariage, et qu’en ligne collatérale, il n’y a aucun
empêchement. Il en déduit que le mariage
peut se faire entre frères et sœurs, parce que cela n’est pas interdit par le
droit divin, mais seulement par une invention humaine.
Dominique a Soto se trompe (
4 sentences, dist 40, art 3) quand il rapporte que Wiclef a pensé que les
prohibitions que contient le Lévitique retiennent leur force même pour les
chrétiens, en vertu du droit divin. Car,
Wiclef n’a pas enseigné cela, mais plutôt le contraire. Voici ses propres paroles dans son livre que
j’ai à la portée de la main : « Je ne me réjouis pas de la multitude des
causes de divorce, parce que plusieurs sont déterminées humainement sans aucun
fondement, comme c’est particulièrement le cas pour la parenté. Car, au temps du premier homme, les frères et
les sœurs furent unis ainsi, selon le
droit divin. Il en fut ainsi au temps
des patriarches. On ne trouve d’autre raison pour laquelle ce ne serait pas
permis aujourd’hui qu’une législation humaine.»
Voilà pourquoi Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 134, sur les
sacrements) prouve contre Wiclef, que les préceptes du Lévitique sont de droit
divin, et qu’ils obligent les chrétiens.
L’autre opinion est celle de Luther (dans son livre
sur la captivité de Babylone, chapitre sur le mariage, et dans son sermon sur
le mariage , 1525,) et de Martin Bucer
(dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu, ) qui ne
reconnaissent comme empêchements de
mariage que les degrés de parenté qui se trouvent dans le Lévitique au chapitre
18, et qui rejettent les autres prescrits par l’Église. Ils ne veulent donc pas qu’il soit perms de
célébrer un mariage dans les degrés indiqués par le Lévitique, et ils n’admettent
aucune dispense de l’Église, puisqu’il s’agit d’une loi divine et non
humaine. Et inversement, ils veulent
que, dans tous les autres degrés, on puisse librement s’unir en mariage,
nonobstant la loi humaine ou la coutume.
Car, elle savait parfaitement bien ce qu’il fallait prohiber et non
prohiber. Et c’est cette sentence qu’ils
suivaient ceux qui persuadèrent Henri V111 que le pontife romain ne pouvait lui
donner la dispense qui lui permette d’épouser la femme de son frère
défunt. Car, c’est une chose que la loi
divine prohibe explicitement (Lévitique 18).
La
troisième sentence est celle de Philippe Melanchton (dans les lieux, mariage) et de Martin Kemnitius (2 part,
examen, page 1230 et suivantes). Ils
sont du même avis que Luther et Bucer, à savoir, que les préceptes du Lévitique
sur les degrés de parenté contiennent la norme naturelle de la justice, et, à
cause de cela, s’imposent même aux chrétiens, et sont tout à fait
immuables. Mais, ils divergent au sujet
des degrés non spécifiés dans le Lévitique.
Car, quelques-uns disent que les autres degrés ont été correctement
prohibés par l’église antique, et qu’ils
peuvent aussi être prohibés, pourvu que cela se fasse en préservant la liberté
de conscience, c’est-à-dire qu’on ne pèche pas, si on fait autrement.
Mais,
dans la dispute de Kemnitius, il y a trois contradictions. La première, dans la page 1231. Il dit que les préceptes du Lévitique sur les
degrés de parenté, sont des mandats naturels,
qui appartiennent à tous les hommes de tous les temps, comme des normes
de justice immuables dans l’esprit et la volonté de Dieu. Et, cependant, à la page 1230, qui précédait
de peu, il avait dit que Dieu avait
donné une dispense aux fils d’Adam pour
qu’ils puissent épouser leurs sœurs. Ce
qui est le premier degré dans la ligne collatérale prohibé expressément dans le
Lévitique. Or, si cette loi du Lévitique
s’étend à tous les hommes de tous les temps, et est une norme de justice
immuable dans la pensée divine, pour quelle raisons a-t-elle été changée par le
même Dieu dès le début du monde ?
Ensuite, à la page 1238, Kemnitius affirme que
tous les mariages qui ne s’opposent pas aux prohibitions divines, sont unis par
Dieu, et ne peuvent donc pas être annulés, car le Christ a dit : que l’homme
ne sépare pas ce que Dieu a uni. Et
cependant, dans la même page, et dans la précédente, il concédait que l’Église
pouvait avec un magistrat, déterminer d’autres degrés que ceux que la loi
divine avait déterminés. Et, aux pages
1234 et 1235, il approuverait dans saint Ambroise et saint Augustin que la loi
civile prohibe les mariages de cousins germains, même si la loi divine ne les
prohibait pas.
Or,
si tous les mariages qui ne sont pas en lutte avec la prohibition divine sont
de Dieu, et ne peuvent pas être résiliés, on ne doit donc prohiber aucun mariage que Dieu n’a pas
prohibé, ni établir aucun degré que Dieu n’a pas établi, à moins que nous voulions prohiber et dirimer
les mariages que Dieu a unis. Comment
donc les hommes peuvent-ils établir des degrés qui ne sont pas dans le
Lévitique, comme pour les cousins germains ?
Finalement, à la page 1237, Kemnitiius veut que certains degrés soient
institués par des lois humaines, dans lesquels les mariages ne seraient pas
légitimes, mais cependant, en laissant sauve la liberté de conscience.
Mais, ces choses se
contredisent manifestement. Car les
mariages contractés dans les degrés
prescrits par la loi humaine seront ou légitimes, ou illégitimes. Ils ne pourront pas être légitimes car ils
sont contre une loi, et la loi dont
Kemnitius affirme le contraire, sera certes inique et mauvaise . Ils seront
donc illégitimes. Donc, en conscience,
ce sera un mal de les contracter, à moins que peut-être ce ne soit pas un mal
de commettre, en conscience, la fornication sous le nom de mariage. Donc, cette
loi, même si elle n’est qu’humaine, oblige en conscience, Kemnitius affirmant juste le contraire.
Ajoutons
aussi le mensonge manifeste de Kemnitius.
Il dit à la page 1238, que les consciences ne se sentent pas moins
tenues par les prohibitions du pontife du pontife que par celles
de Dieu. Or, cela est un mensonge éhonté, parce que le souverain pontife
donne souvent des dispenses pour les prescriptions pontificales, mais pour les
divines, jamais. Car celles qui semblent
à Kemnitius des prohibitions divines, dont le pape donne parfois des dispenses,
ne sont pas divines pour les chrétiens, comme nous le prouverons clairement ,si
Dieu le veut.
La
quatrième sentence est celle de Brentius.
Dans la confession de Wirtembergens, (au chapitre du mariage) et dans son apologie pour la même confession,
il veut que, pour les degrés de parenté, on conserve la loi civile des
empereurs. Mais il développe le sujet
plus au long dans ses commentaires sur le Lévitique, chapitre 18, que l’on peut
résumer en cinq chapitres. Le premier
affirme que la loi divine, qui se trouve dans le Lévitique, ne se rapporte pas
aux chrétiens, et que dans la mesure où
la loi mosaïque et lévitique est
judiciaire, elle a été abrogée par le Christ. Elle ne s’y rapporte qu’en tant
qu’elle contient un peu de la loi naturelle.
Car la loi de la nature enseigne qu’il y a une différence entre les
personnes qui contractent le sacrement du mariage. Mais, en quoi consiste cette différence, elle
ne l’explique pas.
Il ajoute, en second lieu, qu’il ne faut pas
laisser au jugement de tout un chacun de
décrire cette différence entre les personnes, et donc d’établir des degrés de
parenté, mais que cela relève d’un autre législateur. Troisièmement, il dit qu’il y a trois
législateurs à avoir déterminé des degrés de parenté : Moïse, le Pontife
romain et César, mais qu’on ne peut
admettre aucun de ceux-là absolument. Car Moïse n’a rien à voir avec nous, nous puisque ses lois cérémoniales ont
été abrogées par le Christ. Le pontife
Romain n’a pas l’autorité de porter des lois.
César est un vrai législateur, mais puisque, dans cette affaire, il
soumet ses lois aux canons du pontife, il a perdu son autorité, lui aussi. Quatrièmement, Comme l’autre loi sur les noces est libre,
il faut suivre la voie de la nature. Et,
pour savoir quels sont les degrés probables selon le droit de la nature, il
commande d’observer dans quels degrés correspondent la loi de Moïse et celle de
César. Car, les degrés qui seront
prohibés par l’une et l’autre loi , on devra estimer qu’il est probable qu’ils
appartiennent au droit naturel. Et dans
ces degrés, il ne faudra admettre aucune dispense. Les degrés qui ne sont prohibés que par la
loi de Moïse, ou seulement par l’empereur romain, on estimera qu’il est
probable qu’ils n’aient été prohibés que par la loi politique, non par le droit
de la nature.
Cinquièmement. Il ajoute ensuite qu’il ne faut pas observer
seulement la loi naturelle dans les degrés de parenté, en ce qui a trait au
mariage, mais aussi la loi de l’empereur romain, la coutume du lieu, et aussi
le jugement des hommes prudents. Car,
bien que la loi de l’empereur romain perde de son autorité quand elle soumet
ses canons au pontife, elle est quad même juste. Et comme quelqu’un en appela du roi endormi
au roi réveillé, et un autre du roi
saoul au roi sobre, nous en appelons, nous aussi, des trompés par la
fraude, à bien informés, ou d’administrateurs
de lois aux lois elles-mêmes.
Les
choses qu’il a prononcées en premier et
en second lieu sont tout à fait vraies.
Mais, en troisième et quatrième
lieu, elles sont fausses, et devront être réfutées dans le prochain
chapitre. Ce qu’il dit en cinquième lieu
est d’une grande absurdité, et est manifestement en opposition avec ce qu’il
avait dit en troisième lieu. Car, si les
lois romaines avaient perdu leur autorité, comme il le dit, elles ne pourraient
obliger personne, et, à cause de cela, le smariages ne seront illégitimes que
ceux qui sont prohibés par la loi naturelle.
Or, on dit précisément le contraire dans le cinquième. Ne vaut pas grand-chose cette appellation de
Brentius : trompés par la fraude,
ou mieux informés. Car, les
empereurs romains sont encore ce qu’ils étaient autrefois, même si, entre temps
ils sont devenus catholiques, et soumettent encore leurs lois aux canons. Car, que je sache, Luther n’est pas encore
devenu empereur. À quel empereur
Brentius en appellera-t-il donc ?
Voilà
peut-être pourquoi il ajoute qu’il en appellera des administrateurs des lois
aux lois elles-mêmes. Or, c’est une chose inouïe et tout à fait absurde que
quelqu’un en appelle du juge à la loi.
Et même si on pouvait tolérer qu’on en appelle d’un juge inférieur à la
loi, cependant, qu’on en appelle du roi qui a fait la loi à la loi-elle-même, c’est
tout à fait intolérable, puisque la loi
tire son autorité du prince, et non le prince de la loi. Et le roi ne pourrait pas être privé de son
autorité, le jour où toutes ses lois
cesseraient d’exister.
Mais Brentius pense peut-être que ces lois
sont des lois romaines, non des lois coercitives, mais de prudentes
admonitions, à la façon des lois de Platon ou d’Aristote pour la république, ou
de Cicéron (de officiis). Car, ces lois qui manquent de l’autorité d’un
roi ne rendent pas des mariages légitimes ou illégitimes, et surtout au for externe. Or, Brentiius parle des lois qui font des
mariages légitimes ou illégitimes. Car,
il écrit que les lois des romains doivent être observées non seulement en
conscience, mais pour les successions et les héritages qui reviennent à des
enfants légitimes. Et ces fils légitimes
sont ceux qui proviennent d’un mariage légitime. Brentius est donc forcé d’admettre deux
choses contraires : les lois
romaines ont perdu l’autorité sur les lois de parenté, mais elles obligent quand même, et il faut
nécessairement les conserver comme de véritables lois. Ce qui devrait suffire pour Brentius.
Jean
Calvin n’explique pas suffisamment sa sentence.
Car, c’est seulement dans le
livre 4, chapitre 19 qu’il reproche à l’Église d’avoir déterminé d’autres
degrés en plus de ceux des Gentils et de Moïse; et d’avoir voulu que la parenté
spirituelle soit un empêchement. Mais il
sera permis de connaitre la vraie pensée de Calvin par Théodore de Bèze, son
premier disciple.
Il y a donc une cinquième sentence qui est
celle de Théodore de Bèze que l’on trouve dans son livre sur les répudiations
et les divorces. Il réprouve la façon
de supputer les degrés des auteurs du canon. Il trouve qu’elle est absurde. Et
il ajoute qu’on ne doit suivre que la façon de supputer des jurisconsultes
civils. Il affirme ensuite qu’il faut
conserver ,de droit divin , les degrés qui sont énumérés dans le Lévitique, et
d’autres similaires qu’on peut en déduire.
Par exemple. Parce que, dans le
Lévitique, le mariage du neveu avec la tante maternelle ou paternelle est
interdit, Bèze en déduit qu’il est également interdit entre l’oncle paternel,
ou l’oncle maternel avec la nièce, la
fille du frère ou de la sœur.
Et, parce que, dans le Lévitique, est interdit
le mariage du père avec la fille, et du grand-père avec la nièce, il en déduit
que sont prohibés tous les mariages en ligne droite, parce que, dans la ligne
droite, le plus âgé tient toujours la
place du père, par rapport au plus jeune.
Et, pour la même raison, il veut que soit interdit le mariage de l’oncle
paternel non seulement avec la nièce, mais aussi avec la petite nièce et l’arrière
petite nièce, et avec tous les inférieurs.
Il faudra donc conserver de droit divin beaucoup de degrés, même s’ils
ne sont pas présents dans le Lévitique.
Il
enseigne, quatrièmement, qu’il faut conserver les lois civiles sur les degrés
de parenté, de façon, cependant, à ce que les mariages ne soient pas contractés
dans ces degrés, mais qu’ils ne soient pas invalidés s’ils sont
contractés. Ce qui n’est pas vraiment
conserver la loi civile. Car la loi
civile invalide les mariages contractés dans les degrés prohibés. Mais, de cela, nous parlerons plus tard. Il faut observer ici, en passant, que Bèze,
en tant qu’hérétique, se devait, dans son livre sur les calomnies et les
mensonges, d’être bien renseigné. Il lui
a plus de faire ces deux notes. À la
page 44, il reproduit cette figure :
JEAN
PIERRE
PAUL
JACQUES RACHEL
ANDRÉ SUZANNE
J0ANNE
Et il dit : «Les
canonistes permettent à Jeanne, petite nièce du frère, d’épouser Pierre, grand oncle paternel, qui
sont distants de six degrés. Mais
non Jacques, même s’ils sont distants
par le même nombre de degrés, six. Bien
plus, même pas André, alors qu’ils sont distants de sept degrés. Ils permettent donc un mariage dans le
sixième degré même avec celui qui tient lieu du père; et, dans le même degré, ils ne le permettent
pas à ceux qui tiennent lieu du père,
Jacques et Jean. C’est jusque là
que les force à dévier du droit chemin la règle fictive sur les degrés qu’il
faut compter dans la ligne collatérale inégale.» Et voilà.
Dans ces quelques lignes, il y a autant d’erreurs que de mots. Et c’est
au point où je me demande s’il les a écrites en dormant on en étant éveillé.
Sa
première fausseté. Il affirme que les
canonistes permettent au grand oncle paternel d’épouser la petite nièce (de son
frère). Car, comme entre eux, selon les
canons, il y a un quatrième degré de consanguinité, aucun canoniste ne dirait
que leur mariage serait licite. Car, il
est archi connu, conne l’a reconnu plus haut Bèze lui-même, que le mariage est
prohibé au quatrième degré (chapitre non debet, de la consanguinité et de l’affinité.) Sa deuxième fausseté. Il affirme que, selon
une supputation correcte, il y aurait entre eux six degrés. Car, par correcte, il entend légale,
comme on le constate par ce qui précède,
car il se bat toujours pour la loi civile
contre la loi canonique. Or, selon la
supputation légale, il y a entre Pierre et Joanne cinq degrés, non six. Car, il y a autant de degrés que de
personnes, ex excluant la personne souche.
La troisième erreur. Il affirme que les noces de Jeanne qui sont
permises à Pierre sont interdites à Jacques et à André. Car, elles sont interdites à tous. Car, ils sont tous, avec elle, dans le
quatrième degré. Et si elles étaient
permises à Pierre, elles le seraient aussi à Jacques et à André, qui sont dans le même degré par rapport à
Jeanne. Bèze ne trouvera aucun canoniste
qui enseigne le contraire.
La
quatrième fausseté. Il affirme que,
selon la supputation des lois, Jeanne
est distante d’avec Jacques avec les mêmes degrés qu’elle l’est d’avec Pierre,
six degrés. Or, personne ne peut douter
que cela soit faux, puisque, selon les lois, Pierre est plus proche de Jeanne d’un
degré que ne l’est Jacques de
Jeanne. Pierre est donc distant d’elle
de cinq degrés, et Jacques de six, et André de sept, si nous suivons la
supputation des lois. Selon les canons,
cependant, ces trois sont au quatrième degré avec Jeanne. Il s’ensuit donc de ces erreurs manifestes,
que toute sa conclusion est fausse. Il
en conclut, en effet, que les canonistes permettent des mariages entre le
sixième degré légal à celui qui tient lieu de père, et que dans le même degré,
ils ne le permettent pas à celui qui tient lieu de père. Voilà donc les choses que seul le délire de
la fièvre a pu faire écrire.
Ensuite,
à la page 49, Bèze écrit que Martin 5 ne pouvait pas permettre à quelqu’un d’épouser
sa sœur germaine, ce qu’il appelle une chose scélérate et scandaleuse. Or, le pontife Martin 5, très sage du
consentement de tous, ne permit pas le mariage avec la sœur germaine, comme le
veut le mensonge de Bèze, mais avec sa sœur
qu’il avait connue auparavant par fornication, comme saint Antonin le rapporte
(titre 4, chapitre 11), car, cette affinité n’est pas indiquée précisément dans
le Lévitique. Les adversaires ne
peuvent nier qu’il aurait été de loin plus tolérable d’épouse une «affine»
faite d’une copule fornicatrice qu’une consanguine au premier degré. Et cependant, le pape ne permit pas cela,
(selon le nouveau mensonge de Bèze) à cause d’un montant d’argent qui lui
aurait été donné, mais à cause de l’énorme scandale que la séparation du conjoint faisait
redouter, le cas étant occulte. C’est
donc après mure réflexion et un long débat entre les théologiens, que la chose
fut faite, comme nous le fait comprendre saint Antonin, qui vécut à cette
époque.
CHAPITRE 26
On défend contre Bèze la
supputation canonique, qui est excellente
Contre toutes les erreurs
antérieures, j’énoncerai certaines sentences ou propositions, pour pouvoir
exposer plus facilement la vérité catholique par parties.
La première
proposition. La façon de supputer les
degrés de parenté qu’utilisent les sacrés canons est la meilleure. J’affirme cela contre Bèze (livre ci-haut
cité sur les répudiations). Car, comme
la parenté est le lien de ceux qui
proviennent d’une personne, on ne peut pas concevoir une meilleure façon
de supputer les degrés que la distance avec cette unique personne. Et on le confirma ainsi. Bien que la façon civile de supputer soit bonne, elle aussi, on
ne peut nier que la canonique soit la meilleure quand elle établit le premier
degré dans la ligne collatérale. Car, il me semble qu’il y a un je ne sais quoi
d’absurde à donner un deuxième degré sans donner d’abord un premier degré,
comme le fait la supputation civile. Et
même s’ils peuvent répondre qu’on ne peut pas donner de premier degré dans
cette façon de supputer, cependant, qui niera qu’ont bien fait les canonistes
qui conçurent une autre façon de supputer qui éliminerait cette incongruité.
Mais, voyons l’argument de
Bèze contre la façon de supputer des canonistes : « Il y a trois règles
qui nous font comprendre toute la sentence des canonistes. Et il n’y en a aucune d’elles qui ne soit
inepte ou absurde. Donc, toute leur
sentence est absurde.» Il prouve ainsi
la majeure, en commençant par la première règle : « En ligne droite, on
compte autant de degrés qu’il y a de personnes, en en omettant un. Cette règle, même si elle ne dit rien qui
soit étranger à la vérité, n’est toutefois pas bien conçue. Car elle nous
laisse à imaginer pourquoi on en omet un, et quel est celui qu’il faut omettre.
Pourquoi il faut en omettre un, et quel est
celui qu’il faut omettre ? Je réponds qu’on ne peut pas avoir de doute sur
celui qui commence l’arbre parental ou les lignes parentales. Car, comme un degré est la distance de l’un à
l’autre, la première personne ne peut pas former un degré, car elle n’est
distante ni d’elle-même, ni d’une du
personne antérieure. Autrement, elle ne
serait pas la première, mais la deuxième, celle qui est la première à se
distancer et à se séparer d’une autre, et qui fait ainsi le premier degré. La première personne est donc un point d’où
on tire une ligne, par laquelle se
distance la deuxième personne de la première.
Et cette ligne intermédiaire est le premier degré qui commence à la
première personne et qui se termine dans la seconde. On ne peut donc pas parler de degré avant que
ne soit produite la deuxième personne.
Il prouve la même chose au
sujet de la deuxième règle : « Dans la ligne collatérale, si deux personnes sont également distantes de
la personne souche, elles sont distantes entre elles par autant de degrés que
chacune d’elles est distante de la souche.
Donc, conclut Bèze, cette énumération est fausse et inepte, et contraire
au gros bon sens. Car, la nature elle-même
montre qu’il y a autant de degrés que de générations; et qu’on ne peut parvenir
du frère au frère qu’en passant par le père commun.»
Je réponds que Bèze s’abuse, car il s’imagine qu’il faut passer du frère
au frère par le père, comme si, dans une
ligne , par un point médiane, les deux frères tiendraient deux extrêmes. Car, ainsi, sans aucun doute, un frère serait
distant de l’autre par deux degrés. Mais
cela n’est qu’une fausse imagination.
Car, il n’y a pas, au-delà du père, une progression vers une autre
personne, si ce n’est vers celle d’où le
père procède, le grand-père. Et c’est
ainsi qu’en ligne droite, on passe d’une personne à l’autre, parce qu’une
personne est précédée par une autre.
Comme le neveu est distant du grand-père par deux degrés, parce qu’on ne
peut pas remonter du neveu au grand-père sans passer par le père.
Mais, du frère au frère, on
ne passe pas par le père, car il n’y pas de procession du frère au frère, ni
immédiate, ni médiate, mais l’un et l’autre frère est un au père. Et il n’y a d’union du frère avec le frère qu’en
tant que chacun est un avec le père.
Voilà pourquoi si quelqu’un désire connaitre la distance qu’il y a entre
les frères, il n’a qu’une seule question à se poser : quelle distance
ont-ils avec le père. Car ils seront autant distants entre eux, puisqu’ils
n’ont aucune relation avec un autre.
Car, comme l’un est distant du père d’un degré, il est aussi, par
accident, distant de l’autre frère d’un degré.
Quelqu’un dira. Le fils semble être plus proche du père que
du frère. Car l’amour est plus intense,
et la dette de justice plus grande entre
le père et le fils qu’entre deux
frères. Or, le fils n’est séparé du
père que d’un degré. Il est donc distant
de deux, à moins que quelqu’un veuille imaginer des degrés rapetissés.
Je réponds que la parenté entre le père et le
fils est plus grande, s’il est permis de parler ainsi, selon l’intensité, non
selon l’extension. Car le frère n’est
pas plus distant du frère que le fils ne l’est du père. Mais, dans une distance égale, il y a une
plus grande union, et donc un plus grand amour et une plus grande
obligation. Et la raison est que ces
degrés ne sont pas de même espèce. Car,
le fils est uni au père comme l’effet à sa cause première, et il
lui est donc semblable en vertu de la force de production, d’où naissent
l’amour et l’obligation. Mais le frère
est uni au frère comme un effet procédant d’une cause commune. Or, entre deux effets qui procèdent d’une
même cause, il n’y a pas cette dépendance qui se trouve entre l’effet et la
cause, même si la distance n’est pas plus grande.
Il prouve enfin que la
troisième règle est fausse , et qu’elle contient une erreur intolérable. Voici donc la troisième
règle : « Dans la ligne collatérale inégale, les personnes sont distantes
entre elles d’autant de degrés qu’elles le sont avec la personne souche. Cette règle enfante une erreur si crasse et
si honteuse qu’à elle seule, elle montre que ces antichrist ont été séduits par
les sortilèges du grand esprit pour que
le Seigneur par eux tire vengeance dans le monde entier du mépris de sa
vérité. À qui d’autre qu’à un fou a pu
venir cette idée que, étant donnée une double ligne de parenté, une à droite,
et l’autre à gauche, on fasse dans l’une
une différence entre les générations, et dans l’autre, non.»
La force de son argument vient de ce que, de
notre troisième règle, découle une
absurdité , à savoir qu’une personne soit également distante de plusieurs
inégalement distantes. Car, si, de la
souche qui est Thare, descendent d’une part
Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, et de l’autre Nachor, Bathuel, et
Laban, et si tu demandes de combien de
degrés Joseph est distant de Nachor, on répondra : de quatre. Si tu demandes de combien de degrés Joseph est
distant de Bathuel on répondra
aussi de quatre. Il semble absurde que Joseph soit également distant des trois
autres, qui ne sont séparés les uns des autres que par un seul degré.
Je réponds que cet argument,
s’il prouve quelque chose, vaudrait aussi contre la deuxième règle. Car, même dans la ligne collatérale égale,
celui qui est le dernier d’un côté est également distant de tous ceux qui sont
de l’autre côté. On n’a donc pas raison de ne présenter cet argument que pour
la troisième règle. Mais cet argument ne
vaut contre aucune de ces deux règles.
Car, ceux qui sont d’un côté n’ont de relation avec ceux qui sont de l’autre
côté que par rapport à la souche, dans laquelle ils sont unis. Et voilà
pourquoi c’est par accident qu’ils
soient distants ou non distants entre
eux quant à la relation aux personnes de l’autre côté. Il n’est donc pas absurde, mais plutôt convenable, et
même nécessaire que Joseph soit distant de Nachor autant qu’il est distant de
Bathuel ou de Laban, même s’ils ne se distinguent entre eux respectivement que
par un degré. Car, ces trois ne regardent Joseph qu’en tant
que tous les trois se trouvent dans Thare, la souche, de la laquelle Joseph est
distant de quatre degrés.
Mais quelqu’un demandera
peut-être d’où cela vient-il que si nous considérons une personne qui est plus
éloignée de la souche, nous trouvons qu’elle est également distante de toutes
les personnes de l’autre côté, comme nous l’avons dit de joseph. Et si nous
considérons la personne la plus proche,
nous trouvons qu’elle est inégalement distante de chacune des personnes de l’autre
côté. Car, il est certain qu’Abraham,
qui est le plus proche de la souche, c’est-à-dire de Thare, est distant d’un
degré d’avec Nachor, qui est le premier sur l’autre côté; de deux de Bathuel , qui
est le deuxième, et de trois de Laban, qui est le troisième.
Je réponds. La raison en est que quand nous
considérons la personne la plus
éloignée, comme Joseph, nous regardons alors la distance de cette personne avec
la souche; et, par souche, nous entendons
tous ceux qui sont de l’autre côté. Et c’est
pour cela que la personne la plus éloignée est autant distante de la souche qu’elle
l’est de toutes les personnes de l’autre côté.
Et quand nous considérons la personne la plus proche, comme Abraham, nous ne regardons pas la distance d’Abraham
avec la souche, mais la distance de la souche aux personnes de l’autre
côté; et, dans la souche, alors, nous
entendons cette personne la plus proche.
Et parce que la racine ou la souche est inégalement distante des personnes de l’autre côté, la personne la
plus proche, Abraham, est inégalement distante de toutes les personnes de l’autre
côté.
Tu rétorqueras : pourquoi, si, en considérant la personne
éloignée, comme celle de Joseph, nous regardions sa distance d’avec la souche,
il s’ensuivrait que les autres personnes de l’autre c ôté seraient plus proches
de leur collatéral que de la souche, ce qui est tout à fait impossible, puisque
les collatéraux ne sont unis que par la racine ou la souche. Il est évident que
cette conclusion qu’on en tirerait serait absurde et impossible. Car, si nous observons la distance entre
Abraham et les autres personnes de l’autre côté, alors Abraham sera distant de
toutes les autres personnes de l’autre côté par un seul degré, comme il est
distant de la souche, Thare, par un seul degré.
Abraham et Laban seront donc au premier degré. Et Laban sera plus proche d’Abraham que de
Thare. Car, d’Abraham, il sera distant d’un
degré, et de Thare, de trois, ce qui est impossible, puisque c’est par Thare
que Laban est uni à Abraham. Voilà donc
quel est le fondement de la troisième règle : dans la ligne inégale, les collatéraux sont
distants entre eux d’autant de degrés que ceux du plus éloigné de la souche, et
non du plus proche. C’est de l’ignorance
de cette règle que procèdent la jactance et la témérité de Bèze.
CHAPITRE 27
Ne sont pas de droit naturel
tous les degrés de parenté du Lévitique
Voici donc la deuxième
proposition : n’obligent pas les chrétiens, de droit divin, tous les
préceptes sur les degrés, qui se trouvent dans le Lévitique. Il faut d’abord, faire l’observation
suivante. Les adversaires et nous ,
nous sommes d’accord sur le point suivant : les préceptes lévitiques n’obligent
pas les chrétiens en tant qu’ils sont proprement lévitiques, c’est-à-dire,
positifs et judiciaires, mais seulement en tant qu’ils sont naturels. La controverse se formule donc comme
suit : les préceptes sur les degrés de parenté qui sont dans le Lévitique
sont-ils tous naturels, ou quelques-uns d’entre eux sont-ils judiciaires ? Or, les adversaires veulent qu’ils soient
tous naturels, et donc, non dispensables
par l’Église. Nous soutenons,
nous, qu’ils ne sont pas tous naturels, et que l’Église peut donc dispenser de quelques-uns, comme l’affirme le
concile de Trente (session 24, canon 3).
Il faut faire une autre
observation. Les préceptes naturels sont ceux
qui sont connus par la lumière de la raison sans étude, ou qui sont facilement connus par la
réflexion et le raisonnement, et qui sont pour tous les mêmes , tant pour la
notion que pour la rectitude. Car, ceux
qui ont besoin d’une lumière divine, ce sont des préceptes positifs divins.
Ceux que le prince statue par le raisonnement humain sont appelés humains, et
ne sont pas semblables partout. On peut
,de trois façons, appeler naturel un
précepte qui interdit quelque chose. La
première. Parce qu’il porte sur une chose intrinsèquement mauvaise, de façon qu’elle
soit mauvaise pour tous, et qu’elle ne puisse jamais devenir bonne par un
changement de circonstances. Comme le
mensonge, la fornication, la haine de Dieu etc. Ce sont ces choses qui ont
force de loi, et dont on ne peut absolument pas dispenser. La deuxième.
Parce qu’il porte sur une chose qui est mauvaise toujours et pour tous,
sauf en cas d’extrême nécessité. Alors
ce qui était étranger cesse de l’être, et est commun à tous. Et tel semble être le mariage avec sa propre sœur.
Car, partout, chez les êtres humains,
ceux qui ont usage de leur raison
ont jugé cela mauvais, à moins d’être contraint par une extrême
nécessité, comme ce fut le cas au début du monde. Et ces préceptes ont la force de la loi
naturelle, et on ne peut en dispenser, sauf en cas de nécessité extrême.
La troisième façon. Parce qu’il
porte sur une chose mauvaise, et si on le regarde en lui-même seulement; mais qui pourrait, avec le changement de
circonstances, être assaini de plusieurs façons, et même devenir bon. Comme, par exemple, tuer un homme. Car, l’homicide pris en lui-même, et en ne
regardant que sa nature, est considéré par tous comme une chose mauvaise, et c’est
le sens qu’il a dans le décalogue : «Tu ne tueras pas.» Cependant, si on y ajoute des circonstances
diverses, par exemple, s’il est fait par l’autorité publique, et pour le bien
commun, contre celui qui est un danger pour la société, il n’apparait plus
comme mauvais. Et, c’est pour cela que,
dans la loi de Moïse, on ordonne souvent de tuer des hommes, en tant que mauvais,
adultères ou homicides. Et tel est aussi
le serment. Si on le considère en
lui-même, il parait mauvais, parce qu’il est un signe d’incrédulité, et de fourberie. Car, si entre les hommes, la sincérité
régnait, et cessait le soupçon
des fraudes, personne ne demanderait un serment. Voilà pourquoi le Seigneur (en Matthieu 5) a
prohibé le serment. Et pourtant, il ne
fait aucun doute que, dans certaines circonstances et dans les procès, il
soit bon et licite.
Ces préceptes naturels du troisième ordre out, eux aussi,
force de loi, si on les regarde en eux-mêmes.
S’il s’agit de préceptes vus avec diverses circonstances, ils n’ont pas force de loi, parce que ces
choses-là sont changeantes, et ne sont pas toutes semblables pour tous. Il est donc nécessaire qu’elles soient
sanctionnées par une loi positive spéciale, si on veut les prohiber. Et surtout, si elles ne font pas seulement
empêcher le mariage, mais l’invalider.
Car, il y a beaucoup de choses qui sont mauvaises si elles sont faites
contre la droite raison, mais qui sont retenues, une fois faites, à moins qu’elles
ne soient résiliées par une loi spéciale, comme nous l’avons dit plus haut du
mariage sans l’autorisation des parents.
Donc, quand, en conclusion,
nous nions que tous les préceptes du Lévitiques sur les degrés de parenté
soient naturels, nous avons en vue la première et la deuxième façon. Car, on pourrait concéder que, selon la
troisième façon, ils sont tous naturels, comme le reconnaissent la plupart des
théologiens, (4 dist, 40), comme saint Bonaventure, Richard, Paludanus
etc. Mais, il ne s’ensuit pas que tous
ces préceptes aient force de loi, à moins qu’on ne parle que des degrés pris en
eux-mêmes. Comme, parmi ces degrés,
plusieurs peuvent changer, si on les
considère avec différentes circonstances, ils ne seront pas interdits par le
droit naturel, et ils n’annuleront pas un mariage par le droit naturel.
Il faut aussi observer, en
troisième lieu, que nous ne concluons pas en disant qu’aucun des préceptes du
Lévitique n’est naturel, mais qu’ils ne sont pas tous naturels, car il est
loisible de penser autrement, comme nous le reconnaissons volontiers, par
exemple au sujet du premier degré. Voilà
pourquoi le concile de Trente ne dit pas que l’Église peut dispenser de tous
les préceptes, mais de seulement quelques-uns.
On prouve maintenant la
proposition. D’abord, dans le chapitre 20 du Lévitique, et le chapitre 18 des
Nombres, on porte des lois sur les degrés qui interdisent les mariages. Dans le chapitre 20, on ajoute des peines
pour ceux qui contracté un mariage entre ces degrés. Nous déduisons de ces peines une grande
diversité entre ces degrés. Car, le
mariage au premier degré d’affinité en droite ligne, Dieu le punit de mort; et il unit ce péché avec l’adultère et avec
la sodomie, qui sont manifestement contre le droit de la nature. Et semblable est la raison, ou plutôt plus
grande, pour la consanguinité au premier degré en ligne droite. Car, on ne peut douter que soit digne de mort
celui qui épousera sa propre mère, si est digne de mort celui qui épousera sa
belle-mère. Voilà pourquoi la loi a
imposé la même peine de mort pour ceux qui s’unissent dans le premier degré de
consanguinité dans la ligne collatérale, comme un frère avec sa sœur. Et le mariage au second degré de
consanguinité en ligne collatérale, comme le neveu avec sa tante paternelle ou
maternelle, n’est pas puni de mort, mais d’une peine plus légère. Et semblablement, le mariage au premier
degré d’affinité, comme avec l’épouse du frère défunt, et au second degré,
comme avec le neveu et la femme de son
oncle paternel, n’est pas puni de mort, mais seulement de la privation des
enfants, c’est-à-dire que les enfants ne leur sont pas attribués
légalement. Cette peine indique assez
ouvertement que ces mariages ne sont pas
prohibés par le droit naturel, mais par le droit positif qui était propre aux
Juifs. Car il n’y a pas de raison
universelle qui dicte à tous les hommes que c’est la juste peine pour ce crime.
Secondement, on le prouve
ainsi. Si tous ces préceptes étaient
naturels, ils obligeraient toujours, même avant qu’une loi ait été donnée,
comme oblige toujours la loi de ne pas tuer, de ne pas forniquer, de ne pas
voler, de ne pas mentir, avant que Dieu ait donné la loi au peuple par
Moïse. Et si ces lois avaient toujours
obligé, jamais des saints et des amis de Dieu n’auraient contracté de mariages
contre ces lois. Or, nous avons les exemples d’un assez bon nombre de saints
qui, dans la loi de la nature, se sont mariés à des degrés prohibés par le
Lévitique.
Le premier exemple est celui
du patriarche Jacob qui prit simultanément deux sœurs, de leur vivant, Lia et
Rachel (Genèse 29). Cela, le
Lévitique (18) le prohibait expressément; et c’est le premier
degré d’affinité en ligne collatérale.
Bien plus, dans ce mariage, l’affinité était double. Car, l’une et l’autre sœur était
«affine» par rapport à l’autre. Le deuxième exemple est celui du patriarche
Juda qui (Genèse 38), donna à son fils second-né la femme du premier-né
défunt. Et après la mort du second né,
il promit la même au troisième fils. Ce
degré est prohibé dans le Lévitique, et il est aussi le premier degré d’affinité
en ligne collatérale. Le troisième
exemple est celui de Moïse qui est né du mariage d’un neveu avec une
tante. Car, dans l’Exode 2, nous
lisons : «Amram prit pour femme Jochabed, sa tante paternelle, qui lui enfanta Aaron et Moïse.»
Ici le mot patruelis est pris pour patrua, tante paternelle. Car le mot hébreux signifie autant tante
paternelle qu’oncle paternel. Car, les
Hébreux n’ont pas, comme nous les latins, de nom pour sœur du père. Pour ne pas dire patruam, ce qui est
inusité en latin, il a préféré dire patruelem. Mais, en plus du mot des Hébreux , il y a un
passage typique dans les Nombres. Car, cette Jochabed était la tante de cet
Amram, comme on le voit dans le chapitre 26 des Nombres, où il est écrit qu’Amram
a été le fils de Gaat, fils d’Éli, et qu’il a pris pour femme Jochabed fille de
Lévi, qui lui était née en Égypte. Où tu vois clairement que Jochabet fut la sœur
de Gaar, père d’Amram, et donc la tante de cet Amram, son mari.
À cet argument, les adversaires
répondent doublement. Quelques-uns
disent que ces mariages ont été faits par une dispense de Dieu, ou à cause d’un
certain mystère. Mais cette réponse n’est
pas très solide. Car, au chapitre 28 de
la Genèse, il apparait assez clairement que c’était une coutume du lieu, que
deux sœurs puissent s’unir au même homme.
Car, même si Laban a trompé Jacob en lui substituant une sœur pour une
autre, il lui donna quand même l’autre.
Ne se doutant de rien, il acquiesça
immédiatement. Ses parents ne le
lui reprochèrent pas, et il n’a pas cherché à se purger de ce fait. Et, certes, s’il s’était agi d’une chose
insolite et singulière, et qui pouvait causer du scandale, un saint homme comme
lui ne l’aurait pas faite, ou il aurait donné des raisons de son agir. La même chose apparait dans le cas de Juda,
qui épousa la femme de son autre frère.
Il n’allégua pas de dispense, mais invoqua la coutume pour raison, c’est-à-dire
pour donner une descendance à son frère défunt.
De plus, on ne voit aucune cause de dispense. C’est quelque chose qui contient un mystère
? Ou des consanguins sont unis entre eux
? Et quelle était la nécessité de ces
noces ? Les trois épouses de Jacob ne
lui suffisaient donc pas ? Ou, il n’y
avait pas de femme sur la terre en dehors de ces deux sœurs ?
L’autre solution est celle
de Philippe (dans les lieux, mariage) et de Bèze (dans son livre sur les
répudiations et les divorces), qu’il indique être aussi de Calvin. Ces
patriarches ont péché, et on ne peut pas les excuser en tout. Mais, cela ne peut en aucune façon être
dit. Car, bien que, étant des hommes,
les patriarches aient péché quelquefois, cependant, demeurer perpétuellement
dans le péché n’est le propre ni de saints ni d’amis de Dieu, ce qu’ils étaient
surement. Or, si tous les préceptes du
Lévitique étaient du droit naturel, (comme le prétendent nos adversaires), ils
seraient du droit de la nature, et les mariages faits contre eux seraient
invalides et nuls. Et ils n’auraient pas
seulement péché, mais ils seraient demeurés perpétuellement dans le péché. Et leurs fils auraient été des bâtards et des
illégitimes. Une partie des fils de
Jacob, et Moïse lui-même, serait né d’un mariage illégitime.
On le prouve ainsi
troisièmement. Car, si tous ces
préceptes lévitiques sur les degrés avaient été fondés sur le droit naturel,
ils seraient, sans doute, universels, de sorte que, à l’intérieur d’un même
degré, tous les mariages seraient illicites.
Et Moïse, dans le Lévitique, a permis et interdit certains mariages au
même degré. Cette prohibition ne vient
donc pas du droit de la nature, mais elle est judiciaire et positive. En effet, la proposition suivante est absolument certaine : ce qui est
prohibé par le droit de la nature est prohibé toujours et partout. Chose que les
adversaires ne nient pas, non plus.
On prouve l’assomption. Car
la loi du Lévitique interdit le mariage du neveu avec la tante paternelle et
maternelle, mais n’interdit pas le mariage de l’oncle paternel ou de l’oncle
maternel avec la nièce, la fille du frère ou de la sœur. Et pourtant, le neveu et la tante sont au
même degré de parenté que l’oncle et la
nièce. De plus, la loi interdit le
mariage avec la sœur du frère, même défunt, mais n’interdit le mariage avec la
sœur de l’épouse que de son vivant. Elle n’interdit donc pas le mariage avec la
sœur de l’épouse défunte. Et pourtant, le même degré d’affinité existe
entre la sœur de l’épouse et la sœur du frère.
Dans son livre sur les
répudiations et les divorces, Bèze répond
que tous ces mariages sont prohibés, même si l’Écriture n’en parle pas.
Car, de choses semblables, on déduit des préceptes semblables. Au contraire, l’argument tiré du semblable n’a
pas coutume de valoir. Car, les lois qui
prohibent sont odieuses. Or, les lois odieuses ne doivent pas être étendues,
mais restreintes, comme le veut la règle du droit. Ensuite, les conséquences que Bèze en tire,
ne viennent pas du semblable, mais du plus petit. Car, bien que le neveu et la tante soient dans le même degré
que l’oncle paternel et la nièce, la
tante est ordinairement plus âgée que le neveu, et, en raison de son degré de
parenté, elle a, par rapport à son neveu,
une autorité paternelle. Or, la
femme doit être soumis et régie. Il est
donc indécent que la tante soit l’épouse du neveu, parce qu’elle devrait mener
et être menée, être soumise et présider.
L’oncle paternel est ordinairement plus âgé que la nièce, et a autorité
sur elle. Ce n’est pas indécent qu’un homme soit plus âgé que
son épouse, et la dirige. C’est donc
pour cette raison, que la loi en interdit un et en permet un autre.
Pour une raison semblable,
comme il est plus honteux qu’une femme ait en même temps deux maris qu’on homme
ait deux épouses , de la même façon, il est plus indécent qu’une soit l’épouse
de deux frères , même successivement qu’un soit le mari de deux sœurs
successivement. Et voilà pourquoi la loi
en concède un et en interdit un autre.
Mais bien que cette diversité soit une raison suffisante pour laquelle
la loi positive judiciaire ait prohibé un mariage au même degré de parenté,
cependant, si ce degré avait été interdit par le droit, cette diversité ne
suffirait pas à faire en sorte que, dans un même degré, le mariage soit parfois
licite. Car cette diversité n’est pas
dans le même degré de proximité, mais dans un autre, qui est extrinsèque et
surajouté, l’âge ou le sexe, ou une
circonstance semblable.
On confirme cette raison.
Car, les mariages entre oncles paternels
et nièces n’est pas interdit pas le droit de la nature, comme les adversaires
le concèdent également. Et pourtant les
oncles avec leurs nièces sont dans le même degré que les tantes avec leurs
neveux. Tous du second degré. Ce second
degré n’est donc pas prohibé par le droit de la nature. En conséquence, le mariage entre la tante et
le neveu est prohibé dans le Lévitique par la loi positive, non par la loi
naturelle. Il importe peu que, selon la
supputation légale, les oncles paternels soient dans le quatrième degré, et la
tante avec le neveu, dans le troisième.
Car, bien que, en énumérant les personnes, comme le veut la supputation
légale, les oncles et les tantes soient
dans un degré différent, cependant, en ce qui a trait à la proximité et à la
distance, ils sont absolument dans le même.
Car, comme nous l’avons montré plus haut, la tante ou son fils ne peut
avoir de parenté avec le fils du frère
que si elle (ou lui) est uni avec lui par la souche ou la racine. Elle n’est donc pas plus distante de lui que
le neveu est distant de la même racine.
Le neveu est distant de la souche de deux degrés. Donc, autant la tante que son fils est distante de seulement deux degrés du fils
du frère, qui est le neveu de la tante et du fils de la tante paternelle. Donc, la prohibition des degrés regarde, sans
aucun doute, la proximité, non la multiplication des personnes. Et voilà pourquoi le troisième et le
quatrième degré coïncident en ce qui a trait à la prohibition des mariages.
On confirme enfin cette
autre raison par l’exemple d’Abraham et de son frère Nachor qui prirent comme
femmes (Genèse 1) les deux filles de leur frère Aran. On en déduit que ce n’est pas une chose
contraire au droit naturel qu’un oncle épouse sa nièce, et que ce n’est pas,
non plus, contre le droit naturel qu’un
neveu épouse sa tante, puisqu’il sont au même degré de parenté. Et il s’ensuit,
enfin, que la prohibition que l’on trouve dans le Lévitique interdisant qu’on
épouse une tante était judiciaire, et non naturelle.
Bèze répondrait à cela de
quatre façons, si l’on en juge par ce qu’il dit dans son livre sur les répudiations. D’abord, Aran était le père de la femme d’Abraham,
non le frère d’Abraham, un homme du nom d’Aran,
différent de l’Aran frère d’’Abraham.
Mais cela répugne non seulement à l’interprétation généralisée de ce
passage, mais aussi au chapitre 20 de la Genèse, où Abraham dit que Sara son
épouse est sa sœur, la fille de son père, et non la fille de sa mère. On
explique habituellement ce texte en disant que la nièce était paternelle non
maternelle, qu’Aran et Abraham n’étaient pas utérins. Or, si Aran, le père de Sara, était un Aran
distinct du frère et du père d’Abraham, comment Sara était-elle sœur d’Abraham
par le père ?
Il dit ensuite que Sara était peut-être la bru
de Thare, le père d’Abraham. Mais, lui-même réfute cette opinion, en
disant que si Sara avait été la bru de
Thare, Abraham n’aurait pas dit, en
parlant d’elle : elle est la fille de mon père, non la fille de ma
mère. Il aurait plutôt dit : elle
est la fille de ma mère, non la fille de mon père. Et si quelqu’un disait qu’elle était la
belle-fille d’une autre épouse, non de la mère d’Abraham, nous répondrions que cela n’a pas pu se faire, car alors, elle
ne serait pas la sœur d’Abraham, et ne lui serait «affine» en rien (Genèse
20 : «Elle est vraiment ma sœur.»
Troisièmement, il dit
que Sara a été la sœur germaine d’Abraham. Mais, que cela soit faux, je le démontrerai
plus tard, quand le lieu et le temps seront venus de parler des mariages des
frères et des sœurs. Il n’est pas
nécessaire de nous y référer maintenant, car cette sentence milite contre les
adversaires eux-mêmes. Car, si Abraham
avait pris pour épouse sa sœur germaine, qui est le premier degré de la
parenté, il aurait été plus permis encore d’épouser une tante, ou un neveu, qui
sont au deuxième degré.
Quatrièmement, il dit qu’Abraham
a péché en cela, et qu’il n’y a pas à s’en étonner, car il n’était pas encore
fidèle quand il la reçut pour épouse.
Car, si ce mariage était interdit par le droit naturel, Abraham n’a pas
péché seulement en se mariant, mais en demeurant constamment dans cette union. Car, il serait demeuré dans l’inceste
pendant toute sa vie. Ce qu’on ne peut
pas croire d’un si grand saint. Que dire
donc ? Dieu a approuvé ce mariage quand il lui a promis un fils de Sara, dans
lequel toutes les nations seraient bénies ? (Genèse 17). Ce qui nous laisse entendre qu’est faux ce que Bèze a écrit
(page 48 dans son livre sur les répudiations) à savoir que : «Dieu a
toléré, mais n’a jamais approuvé ce mariage.»
Comment penser qu’il ne l’a
pas approuvé quand il a dit : «Tu n’appelleras plus ton épouse Sarai, mais
Saram. Je la bénirai, je te donnerai d’elle
un fils par lequel je serai béni.» (Genèse 17). Qui croira que c’est d’un mariage illégitime
et incestueux que Dieu a voulu susciter
un héritier à Abraham, et duquel le Messie naitrait, et dans lequel seraient
bénies toutes les nations ?» On prouve,
enfin, notre proposition avec le chapitre 25 du Deutéronome, où il est prescrit
que si quelqu’un meurt sans enfants, son
frère épousera la femme du défunt, pour lui donner une descendance. Or, cette loi n’ordonne rien contre le droit
naturel, car qu’il y a-t-il de plus absurde que l’auteur de la nature milite
contre la nature ? Ce n’est donc pas
contre l’ordre naturel que, pour une juste fin, quelqu’un épouse la femme de
son frère. Donc, ce que nous lisons dans
le Lévitique (au chapitre 18, que personne n’épouse la femme de son frère) n’est
pas un précepte naturel, comme les adversaires le veulent.
Il est à noter que plusieurs
ont tenté de concilier ces deux passages, mais avec des intentions
différentes. Quelques-uns ont voulu en
déduire que le mariage avec la sœur du
frère n’est pas prohibé par le droit naturel, et que le souverain pontife peut
en dispenser quelqu’un. D’autres, au
contraire, ont cherché à concilier ces textes pour pouvoir soutenir que, en
dépit de la loi du Deutéronome, le mariage avec l’épouse du frère va contre l’ordre
naturel. Jean Majeur (4, sent dist, 40
quest 3) dit que le mariage avec la femme du frère n’a jamais été condamné dans
la loi. Que c’est par une faute des
copistes que ce précepte a été ajouté dans le Lévitique. Or, cette conciliation donne l’occasion de
nier des textes scripturaires clairs et nets, quand ils semblent en contredire
d’autres. Car, Major ne nie pas que ce
texte soit dans le Lévitique pour une autre raison que parce qu’il semble
contredire un texte du Deutéronome. Or,
on trouve les paroles de ce précepte
dans tous les codex hébreux, grecs, latins, chaldéens; et on n’a aucune raison de soupçonner qu’il
ait été interpolé.
Deuxièmement, il y en a qui
disent que, dans le Lévitique, le
mariage avec la sœur du frère n’est pas prohibé absolument, mais seulement avec
la sœur du frère vivant, comme, au même endroit, est prohibé le mariage avec la sœur de l’épouse, en ajoutant expressément : de son
vivant. Cette explication est celle de
Radulphe dans son commentaire de ce
passage, et favorise notre cause, c’est-à-dire
celle des catholiques qui affirment constamment que le souverain pontife avait
le droit de permettre au roi d’Angleterre d’épouser la femme de son frère
défunt.
Mais, cette sentence ne
semble pas vraie, car le mariage avec l’épouse du frère vivant est un
adultère. Dans n’importe lequel
chapitre, l’adultère est expressément prohibé. C’est donc inutilement que cette
prohibition de mariage avec la sœur du frère a été ajoutée. De plus, au Lévitique 20, l’adultère est puni
de peine de mort. Or, le mariage
avec la sœur du frère est puni avec une
peine beaucoup plus légère. Donc, par mariage
avec la sœur du frère, on n’entend pas un adultère. On n’entend donc pas le mariage avec la sœur
du frère qui ne peut pas exister sans adultère.
Il importe peu que, dans le même chapitre, le mariage soit prohibé avec la sœur de l’épouse vivante. Car n’était pas un adultère aux temps des
Juifs la coutume d’avoir plusieurs femmes, car la polygamie était licite, celle
de l’homme avec plusieurs femmes, non de l’épouse avec plusieurs hommes.
Troisièmement, ils disent
que dans le Lévitique, est prohibé le mariage
avec l’épouse du frère vivant, mais quand elle est répudiée.
Cette sentence favorise les catholiques, cependant, elle n’est pas
probable, parce que, dans ce passage du Lévitique, il n’est fait mention d’aucune
répudiation, et parce qu’il s’ensuivrait qu’on peut, de la même manière,
restreindre tous ces préceptes à la répudiée.
Mais ce serait confondre tous les préceptes. Quatrièmement, d’autres veulent que le
précepte du Deutéronome ne s’entende pas du frère germain, mais du plus proche
dans l’autre degré, où il était permis, selon les lois, de contracter un
mariage, comme d’un grand oncle, ou d’un cousin germain. Car, même eux, chez les Hébreux, sont
appelés frères. C’est cette sentence
que suit Calvin (dans son commentaire du chapitre 18 du Lévitique).
Mais cette sentence est
improbable et fausse, et elle est réfutée par Bèze, le disciple de Calvin (dans
son livre sur les répudiations, page 76).
Car, il appert, dans les Écritures, que la loi porte sur les frères
germains principalement, même si elle peut être étendue à d’autres qui sont
aussi proches. Dans Genèse 38, Judas a
uni la même femme à des frères germains.
Et dans Ruth 1, Noémi exhorte ses brus de ne pas espérer avoir
comme maris les frères des hommes qu’elles avaient avant, mais qu’elles se
marient à d’autre hommes. Elle parlait, elle, des frères germains, comme nous
le révèlent ces paroles : «Mes fils sont-ils encore dans mon sein, pour
devenir vos maris ? Retournez, et
habitez mes filles, parce que je suis trop vieille pour avoir un homme.» En en Matthieu 22, l’interrogation des Sadducéens sur la femme
qui épousa sept frères laisse clairement entendre qu’on doit y voir des frères
germains. Ajoutons que la loi du
Deutéronome elle-même semble montrer suffisamment qu’il s’agisse d’un frère
germain. Car, elle ne dit pas
clairement : que le frère la prenne, mais : «Si des frères habitaient
ensemble, et qu’un meurt sans enfants, sa femme ne sortira pas en dehors de la
maison, mais un autre frère l’épousera.» Où on nous décrit des frères qui
habitent dans la même maison, comme ne font ordinairement,que des frères
germains.
Mais ils nous objectent un
mot hébreu levirus, qui veut dire frère du mari défunt, comme un certain verbe
hébreux signifie prendre pour épouse la femme du frère. On trouve aussi ce mot dans Genèse (38,
verset 8), et dans Ruth (1 verset 15), où, sans controverse, il s’agit de
frères germains. De plus, dans ce
chapitre 25 du Deutéronome : «Si des frères habitent ensemble, et que l’un
meurt sans enfants», le mot employé ne
peut signifier que le frère du défunt frère.
Ensuite, au même endroit, l’Écriture ajoute un peu après : «Le
premier-né que la femme enfantera sera du frère du défunt.» L’Écriture appelle expressément le défunt
son frère, avec le mot hébreu qui montre qu’il est bel et bien le frère de
celui-ci. Ce mot hébreu est proprement
ce qu’on appelle en latin levir, le frère du mari. Même s’il s’étend à d’autres parents, comme
quand la loi s’appliquait à d’autres : quand les frères étaient absents,
ou ne voulaient pas la recevoir, alors,
le plus proche dans le droit de la marier lui succédait, comme l’histoire de
Ruth, chapitre 4, le montre manifestement.
Cinquièmement, d’autres
veulent qu’on entende la loi du Deutéronome du frère germain, mais en tant qu’exception de la loi portée dans le Deutéronome. C’est ce qu’enseigne saint Augustin,
(question 61, sur le Lévitique) et Lyranus , et d’autres, dans leur commentaire
de ce texte. Comme par exemple, Bèze (page 78, dans son livre sur les répudiations). Cette sentence est probable. Mais elle n’est d’aucun profit pour les
adversaires. Car, cette exception, ou
cette loi, qui une est exception et une déclaration d’une autre loi, démontre
ouvertement que cette loi du Lévitique
ne fut pas naturelle, mais judiciaire.
Car, cette loi du Deutéronome qui est une déclaration ou une exception
de la loi lévitique, est ou naturelle ou est judiciaire. On ne peut pas dire qu’elle est naturelle,
parce que même à notre époque elle doit être observée, ce que tous nient, et
surtout les adversaires, et ceux-là surtout
qui défendent le divorce de Henri V111 d’avec la reine Catherine. Car, quand Arthur, le fils ainé d’Henri,
décéda sans laisser d’enfants, il aurait non seulement pu, mais il aurait du de
droit divin et naturel, épouser la femme
de son frère. Ils sont donc forcés d’avouer,
comme ils le font d’ailleurs, que la loi du Deutéronome est judiciaire, et qu’elle
a donc été abolie par le Christ. Si l’exception
est judiciaire, est donc aussi judiciaire la loi dont elle est une
exception. Car, l’exception se fait pour
les choses qui sont de même nature et du même ordre. Ou bien, si la loi était naturelle, son
exception serait aussi naturelle. Comme
est cette loi qui permet à un frère d’épouser une sœur, en cas d’extrême
nécessité. Car, la loi naturelle tolère cette exception
naturelle.
De plus, quelle que soit
cette exception, qu’elle soit naturelle ou judiciaire, elle nous convainc que
le mariage avec la sœur du frère n’est pas toujours mauvais, sauf en cas d’extrême
nécessité, comme ce que nous avons dit du mariage avec la sœur germaine. Car,
ce cas exceptionnel du Deutéronome n’était pas une nécessité extrême, mais
plutôt une piété envers le frère mort.
Donc, le précepte du Lévitique n’est même pas un précepte naturel du
second ordre, mais seulement du troisième, c’est-à-dire de ces choses qui sont
mauvaises à cause d’une turpitude extrinsèque, qui peut être enlevée par
certaines circonstances, dont l’honnêteté triomphe de la turpitude
première. Car, alors,
la loi positive cessant, un tel mariage est rendu licite selon la raison
droite. Et comme il n’est pas contre la
raison, mais plutôt selon la raison, ce mariage fait par piété envers le frère,
de la même façon, apparait une exception semblable, ou faite pour un plus grand
bien, comme si, par exemple, pour conserver la paix entre les princes, quelqu’un épouse la femme de son frère
défunt, ce mariage ne sera pas contre la raison, ni, en aucune façon illicite,
si ce n’est pour la loi ecclésiastique, dont l’Église peut dispenser.
Tu diras, peut-être, que ce
fut une dispense faite par Dieu dans la loi de la nature. Or, la dispense n’est pas une loi, et ne commande pas que quelque chose soit
fait, mais enlève seulement l’obligation de la loi dans un cas particulier, et
permet d’agir autrement que la loi commande de faire. Dans le Deutéronome, la loi est un
commandement. Elle ordonne de prendre
pour femme l’épouse du frère mort, et détermine une peine pour la transgression
de cette loi. Ajoutons, enfin, que même
si, à cause de l’autorité de saint Augustin, il n’est pas impossible qu’il s’agisse
d’une exception, cependant, il est plus probable que ce n’en soit pas. Car ajouter une exception après avoir formulé une loi., et surtout en un autre temps
et en un autre lieu, c’est quelque chose qui ne convient pas à Dieu, lui qui
sait tout, mais aux hommes qui apprennent petit à petit par l’expérience, que
leurs lois ne peuvent être conservées que s’ils y font des exceptions.
Voilà pourquoi semble plus
probable l’explication que Cajetan et d’autres auteurs avancent de ce texte qui
veulent que, dans le Lévitique, ne soit pas prohibé le mariage avec la femme du
frère défunt, à moins de prendre ce
précepte dans l’absolu et abstraitement, comme l’on fait avec le commandement
du décalogue : tu ne tueras pas. Ce
précepte ou loi n’empêche pas que l’on fasse par la suite des lois positives
particulières, qui interdisent le mariage avec la sœur du frère dans telle
circonstance, et le prescrivent dans telle autre circonstance. Comme la loi du décalogue (tu ne tueras pas)
n’empêche pas que soient faites des lois particulières qui ordonnent de tuer un
voleur de grand chemin et un malfaiteur, ou de ne pas tuer quelqu’un qui tue
par hasard ou pour se défendre.
Le moment est venu de
réfuter les arguments avec lesquels les hérétiques prouvent que tous les
préceptes du Lévitique sur les degrés de parenté sont naturels, et, à cause de
cela, non sujets à dispense. Le premier
argument est de Philippe (dans les lieux, le mariage), de Brentius (Lévitique,
chapitre 18), de Kemnitius ( 2 par,
examen, page 1231), et de Bèze (livre sur les répudiations). Dieu (dans le Lévitique 18 et 20) déclare qu’il
punira les gens qui habitaient la Palestine avant l’arrivée des Hébreux, avec
des mariages incestueux, qui sont
interdits (dans le chapitre 18 du Lévitique) et il appelle ces mariages des
unions de Gentils, et une abomination devant Dieu. Donc, les préceptes du Lévitique sur les
degrés de parenté ne sont pas judiciaires mais naturels, puisqu’ils obligeaient
même les peuples qui ne faisaient pas partie du peuple Israël. Quelqu’un répondrait peut-être que Dieu
voulait punir les Gentils non à cause de la transgression des préceptes sur les
degrés de parenté, mais à cause des adultères,
de l’homosexualité, de la sodomie, et de l’idolâtrie, que ces peuples
pratiquaient avec l’idole Moloch. Car,
ces quatre crimes qui sont vraiment contre nature, sont prohibés au chapitre 18
du Lévitique, après la prohibition des degrés de parenté. Ce sont donc des peines infligées aux Gentils
qui s’étaient pollués par ces dits crimes.
Mais cette réponse ne semble
pas très solide. Car, même si, dans le
chapitre 18 du Lévitique, des peines
sont menacées contre les Gentils immédiatement après les prohibitions des
degrés de parenté, on ne peut pas dire que Dieu a puni les Gentils à cause des
mariages au premier degré de consanguinité, qui sont contre la loi naturelle,
et non à cause des mariages dans les autres degrés. Car, dans le chapitre 20, après l’énumération
des degrés, on lit ces paroles : « Gardez mes lois, et mes jugements, et
mettez-les en pratique, pour que la terre ne vous vomisse pas, vous aussi… Ne
marchez pas dans les choses illégitimes des nations que j’expulserai devant
vous, car elles ont fait toutes ces choses, et je les ai en abomination.» Or, les derniers mots : elles ont fait toutes ces choses, expriment quelque
chose de général et d’universel. On ne
peut donc pas les restreindre à certains crimes.
Je réponds que tous ces
préceptes sur les degrés de parenté sont
naturels, d’une certaine manière, si on les prend dans l’abstrait et en
général, c’est-à-dire sans les circonstances
qui suffisent à rendre les mariages
honnêtes dans ces degrés. Car,
cette proposition générale du Lévitique 18 : «Que personne n’accède à
celle qui est proche de son sang»,
relève, certes, du droit naturel,
et voilà pourquoi, même dans
certains préceptes sur les degrés de parenté, on répète le mot turpitude, parce
qu’il est honteux de contracter un mariage avec une parente, quand la nature elle-même dicte que leur est
du un respect qui est en opposition avec
la copule charnelle. Et parce que ces
nations s’unissaient , sans discernement, avec des consanguins, ils péchaient,
certes, dans chaque cas, contre le droit naturel, et méritaient donc d’être
punis.
Et pourtant, il faut faire ici l’observation
suivante. Ces nations péchaient en
contractant des mariages de ce genre,
mais pas assez gravement pour être, à cause de cela, chassés de leurs
terres. Car, cette peine se rapporte
proprement au crime d’idolâtrie et d’adultère, ceux commis avec des animaux et
entre mâles. Quand l’Écriture
dit : ils ont fait toutes ces choses, elle ne pense pas seulement aux
mariages dans les degrés prohibés, mais
à tous les crimes nommés ci-haut.
L’Écriture ne dit pas, non
plus, que c’est à cause de chacun de ces péchés qu’ils méritèrent d’être vomis
de la terre, mais à cause de tous, car il y en avait qui étaient bien plus
graves et plus énormes. Que cette
réponse est vraie, on peut le confirmer par des exemples de patriarches , comme
Jacob, Juda et Amram, ainsi qu’Abraham,
d’après l’opinion de Théodore de Bèze.
Ils ont contracté des mariages dans les degrés prohibés, mais non pas
été punis par Dieu à cause de cela, parce que ce n’est pas par témérité qu’ils
ont agi ainsi, mais, par raisonnement.
Et à ces mariages, ils n’ont pas ajouté les quatre crimes pour lesquels
ces peuples ont été punis.
Le second argument est de
Philippe et de Kemnitius : « Sous prétexte de liberté évangélique, les
Corinthiens n’observaient pas la loi lévitique des degrés de parenté. L’un d’entre eux avait épousé sa
belle-mère. Or, saint Paul reprit
âprement les Corinthiens pour cette chose, et il livra à Satan cet
incestueux. Donc, selon le jugement de
saint Paul, les chrétiens sont tenus à observer les degrés de parenté du
Lévitique. Cette loi n’est donc pas judiciaire, mais naturelle.
Je réponds, d’abord qu’il
est probable que le premier degré d’affinité en ligne droite soit prohibé absolument par le degré
naturel. Mais, parce que l’un d’entre
eux est naturel, il ne s’ensuit pas
forcément que tous le soient. Je
réponds, ensuite, qu’il est probable que
l’apôtre parle de quelqu’un qui avait sa belle-mère comme concubine, du vivant
encore du père. Ce crime n’est pas
seulement un inceste, mais aussi un très grave adultère. C’est ce que déduisent saint Anselme et saint
Thomas de ce texte : « Je vous ai écrit non à cause de celui qui a fait cette injure, ni à cause de celui qui
en a souffert, mais pour manifester notre sollicitude.» Car, celui qui a fait l’injure c’est le fils
incestueux, et celui qui en sa souffert, c’est le père, dont l’épouse a été
violée. Et comme on peut aussi penser,
comme le fait Theophylactus que l’injure a été commise envers le père mort, il
est cependant beaucoup plus probable que l’apôtre parle d’un père encore
vivant. Car, une fois, mort, il n’y
avait plus d’injure, puisque , par la
mort, est dissout le lien du mariage.
Le troisième argument est
celui de Kemnitius : « Jean-Baptiste, dont le ministère a marqué la fin de
la loi ancienne, a confirmé le précepte du Lévitique de ne pas prendre pour
femme l’épouse du frère, car il a dit à Hérode : « Il ne t’est pas permis
d’avoir pour femme la sœur de ton frère.» (Matthieu 14, et Marc 15).»
Je réponds, d’abord, que ce n’est pas saint Jean Baptiste qui a
mis fin à la loi ancienne, mais le Christ, s’il est question de la mutation et
de l’abrogation de la loi. Il marqua la
fin de la loi, lui aussi, parce qu’il fut le dernier prophète de l’ancien
testament, selon saint Luc 16 : « La loi et les prophètes jusqu’à
Jean.» Voilà pourquoi, pendant tout le
temps de saint Jean, la loi de Moïse était en vigueur, et s’imposait aussi à Hérode, qui professait l’observance de cette loi. Il ne lui était pas permis, selon la loi, d’avoir
la femme de son frère, de son vivant ou après sa mort, car des enfants étaient
déjà nés de cette union, la fille Hérodiade,
qui plut au roi par la beauté de sa danse, et qui obtint de lui la tête de saint
Jean-Baptiste.
Salomé était une fille d’Hérodiade de son
premier mariage, explique saint Jean Chrysostome (dans son homélie 49 sur saint
Matthieu). On s’en rend compte assez
facilement par le fait que la mort de
saint Jean-Baptiste coïncidait avec le début du mariage d’Hérode avec
Hérodiade, comme on le lit dans Joseph (livre 18, chapitre 10 des antiquités).
Si, à ce moment, la fille savait se
trémousser à ce point, sa naissance datait
surement de quelques années. Et il n’est
pas vraisemblable que saint Jean ait attendu si longtemps avant de lui
reprocher publiquement ce crime.
On peut répondre ensuite que
le crime d’Hérode ne fut pas seulement un inceste, mais aussi un adultère, car,
selon saint Jérôme, c’est du vivant de son mari qu’il a pris pour femme
Hérodiade. C’est ce que rapporte aussi
Josèphe, (livre 18, chapitre 9 des Antiquités), même s’il raconte que c’est d’un
autre de ses frères encore vivant qu’Hérode
a pris la femme. Saint Jérôme appelle
Philippe le frère d’Hérode, dont
Hérodiade était l’épouse. Et ce
qui est beaucoup plus important, saint Marc (chapitre 6) l’appelle
Philippe. Il faut donc ou que ce que dit
Josèphe soit faux, ou que le même homme ait porté deux noms. Que ce passage nous soit favorable, rien de
plus évident, car tous les adversaires
admettent que c’est du vivant de son frère Philippe que Hérode a pris sa femme
Hérodiade.
Le quatrième argument est de
Kemnitius : « Dans le Lévitique 18 et 20, Dieu a imposé différentes peines, et il en a jouté
de très graves pour les préceptes sur les degrés de parenté. Il a même ordonné de tuer les coupables ou de les effacer du peuple, de les priver de
leurs enfants, et de leur interdire l’entrée de la maison de Dieu.» Je réponds qu’on ne peut pas conclure de
ces peines, que tous ces préceptes soient naturels. Car, même aux préceptes
judiciaires et cérémoniels, ont été imposées de semblables peines, comme on le
lit pour la transgression de la loi sur la circoncision (Genèse 17) pour la
manducation de pain fermenté le jour des azymes (Exode 12). Enfin, les livres de l’Exode, du Lévitique et
des Nombres sont pleins de peines de ce genre.
Le cinquième argument est de
Jean Brentius dans son commentaire sur le Lévitique, chapitre 18 : «Les
lois où concordent Moïse et César ne peuvent pas être judiciaires, mais
naturelles. Or, Moïse et César s’entendent
sur la prohibition de plusieurs degrés de parenté. Donc, la loi qui interdit
ces degrés n’est pas judiciaire, mais morale.»
Il prouve la majeure en disant que l’organisation politique de Moïse et
des Romains a été approuvée par Dieu et est excellente. Il n’est donc pas douteux que les choses qui
font partie de cette organisation politique soient de droit naturel.»
Je réponds qu’il n’est pas
vrai que soient naturelles toutes les
lois où Moïse et César tombent d’accord,
et que cela n’est pas rigoureusement prouvé par Brentius. Car, il n’allègue pas et ne peut alléguer
aucun témoignage de la parole de Dieu, pour prouver sa proposition. Nous ne sommes donc pas tenus de le croire,
même si ces principes ont quelque valeur pour eux. Ensuite, il ne dit pas la vérité quand il affirme que l’organisation
politique des Romains a été approuvée par Dieu.
Il est vrai que le Christ a dit en Matthieu 22 : «Rendez à César ce
qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu», et que saint Paul a dit à
Romains 13 que «tout pouvoir vient de Dieu», et qu’il faut donc obéir aux
princes et payer le tribut, mais il n’a pas, pour autant confirmer toutes les
lois des Romains. Autrement, il aurait
confirmé aussi les lois sur l’adoration des idoles et sur l’esclavage, et sur l’usure.
Car, saint Augustin écrit (dans la lettre 54 à Macédonius) qu’encore à son
époque, les hommes étaient forcés par les lois romaines de payer les
intérêts. Ne manquent pas , d’ailleurs,
d’autres lois injustes qu’il serait trop impie de dire qu’elles ont été
approuvées par Dieu. C’est donc une
chose d’obéir aux princes qui commandent justement. Et c’est ce que le Christ et l’apôtre
veulent. Mais c’en est une autre de prétendre que toutes les lois des princes
sont justes et approuvées par Dieu. Ce
qu’on ne trouve jamais dans la parole de Dieu.
Et même si les lois des
Romains avaient toujours été justes, et que cela avait été prouvé et démontré,
comme l’étaient les lois de Moïse, on ne
pourrait pas en déduire qu’appartiennent
au droit de la nature toutes les lois dans laquelle Moïse et César s’entendent. Car, il peut facilement se faire qu’ils s’entendent
aussi dans des lois positives. Bien
plus, comme toutes les lois de César sont positives, il est nécessaire que
quand Moïse et César se rencontrent, c’est dans des lois positives. Car la loi de César n’interdit pas seulement ce que tous savent avoir été prohibé
par la seule lumière de la raison, mais
elle impose une peine à ceux qui n’en tiendraient pas compte. Ou bien, ce que
le droit naturel interdit en général, la loi civile le détermine en
particulier.
Brentius n’a donc pas prouvé sa proposition. Mais prouvons, nous, avec ses principes, qu’elle
est fausse. La loi de César interdit le
mariage avec la sœur de l’épouse morte, mariage que n’interdit pas Moïse, comme
Brentiius le concède. Donc, cette loi
est positive, politique, et propre à
César. Elle n’est pas naturelle, selon
la règle de Brentius, qui veut que soient positives et non naturelles les lois dans lesquelles Moïse et César ne s’entendent
pas.
De plus, cette loi
étant positive et politique, la loi qui interdit le mariage avec l’épouse
du frère et avec la sœur de l’épouse,
sera donc positive et non
naturelle. Car, il y a le même degré d’affinité
avec l’épouse du frère qu’avec la sœur de l’épouse. Car, comme l’épouse de mon frère est ma sœur
par affinité, parce qu’elle est une seule chair avec mon frère, de la même façon, la sœur de mon épouse est
ma sœur par affinité, parce que sa sœur et moi
nous sommes une seule chair. Or,
si la loi qui interdit le mariage avec l’épouse du frère n’est pas naturelle, comme nous l’avons déjà
déduit, dont fausse est la proposition
de Brentius qui affirme que sont naturelles toutes les lois où convergent Moïse
et César. Car, bien que cette loi ne soit pas naturelle,
Moïse et César la prescrivent tous les deux.
Le sixième argument est de
Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 134, sur les sacrements), qui cite saint
Augustin (questions sur le Lévitique, question 59 ou 65). Saint Augustin semble, là, réduire au
décalogue toute la table lévitique des degrés prohibés. Je réponds que Waldensis n’a pas lu avec
assez d’attention la phrase de saint Augustin.
Car, dans les questions 64 et 65, il dit que l’adultère est prohibé dans
le décalogue, et aussi dans le Lévitique, au chapitre 18. Et il en déduit que les autres préceptes du
Lévitique qui interdisent le mariage avec l’épouse du père ou du frère ou de l’oncle
paternel ne doivent pas être entendus de l’épouse du père vivant, de l’oncle
vivant ou du frère vivant, mais
mort, car autrement ils seraient vains
et inutiles puisque ce sont tous des adultères, déjà interdits dans le
décalogue.
Le septième argument est
présenté comme provenant d’innocent 3 (au chapitre gaudemus, sur les divorces)
où il dit qu’un mariage contracté entre
infidèles dans les degrés deux et trois, et dans les degrés plus éloignés, est
ratifié et ne doit pas être dissout, quand ils se convertissent à la foi, parce
qu’ils n’étaient pas tenus par ces lois de l’Église. D’où quelques-uns concluent que le mariage des infidèles contracté au
premier degré est invalide et interdit par le droit naturel. Et que le mariage avec l’épouse du frère
mort étant au premier degré, est lui aussi interdit par le droit de la
nature. Je réponds que cet argument ne
va pas contre notre conclusion. Car,
nous soutenons seulement que ce ne sont pas tous les degrés du Lévitique qui
sont prohibés par le droit de nature, ce que le pape Innocent enseigne lui
aussi, quand il ne veut pas que le
second degré soit interdit par le droit de nature, alors qu’il ne pouvait pas
ignorer que ce degré avait été prohibé dans le Lévitique.
Cet argument va, cependant,
contre ce que nous avons dit souvent, à savoir que le mariage avec l’épouse du
frère n’était pas invalide par le de droit de la nature. Voilà pourquoi je réponds qu’Innocent n’a
rien dit sur le premier degré, mais qu’il ne s’est prononcé , selon son
intention, que sur le deuxième et les suivants.
De plus, même s’il avait dit ouvertement
que le premier degré est interdit par la loi naturelle, il aurait fallu
l’entendre du premier degré de la ligne droite, de consanguinité, et non de l’affinité. Car, comme nous avons dit à la fin du
chapitre des divorces, le même Innocent
avait accordé une dispense pour que, en Livonie, ils retiennent les épouses de
leurs frères défunts. Ce qu’il n’aurait
jamais fait s’il avait estimé
que ce degré était prohibé par le droit naturel.
CHAPITRE 28
Le premier degré de
consanguinité, autant dans la ligne
droite que dans la ligne collatérale, et le premier degré d’affinité en droite
ligne sont interdits par le droit de la nature, et les hommes ne peuvent pas en
dispenser.
Voici donc la troisième
proposition : Par le droit de la nature, sont interdits les mariages au
premier degré de consanguinité, autant dans la ligne droite que dans la ligne
collatérale, ainsi que dans le premier degré d’affinité en ligne droite
seulement. Nous avons enseigné, dans la
conclusion précédente, que ce ne sont pas tous les préceptes qui portent sur
les degrés prohibés qui sont de droit naturel.
Nous allons expliquer maintenant quels sont ceux que nous estimons être
de droit naturel.
Au sujet de cette troisième
proposition, il faut noter, en premier lieu, que nous n’avons rien dit du
deuxième degré, du troisième et des degrés suivants en ligne droite, non parce que nous ne pensons pas qu’ils
soient prohibés par le droit naturel,
mais parce que le raisonnement est le même pour le premier et les
autres. Car, c’est une sentence
commune à tous qu’entre les ascendants
et les descendants, tous les mariages sont prohibés. Car, même si, dans les degrés un peu plus
éloignés, la proximité du sang est moins grande, cependant, l’inégalité de l’âge
est plus grand, laquelle compense le défaut de proximité. Exemple.
Entre le neveu et la grand-mère, la proximité du sang est moins grande,
et moins grande donc l’indécence du mariage qu’entre le fils et la mère. Cependant, plus grande est l’inégalité d’âge,
et en conséquence, plus grande est l’indécence, en raison de l’âge. Car le neveu n’est souvent qu’un adolescent,
tandis que la grand-mère est une aïeule.
Pour une raison semblable,
entre une arrière-grand-mère et une
petite nièce, la proximité du sang est moins grande. Cependant, l’inégalité de
l’âge est beaucoup plus grande, qu’entre une nièce et une grand-mère. Et quand on avance plus loin dans les degrés,
au point où il n’y a plus de proximité du sang, comme au cinquième degré et
suivants, alors, ou les ascendants sont morts, ou rabougris et décrépits, et les descendants encore enfants, ou d’un
âge tendre, de façon à ce qu’aucune union conjugale ne puisse se faire entre
eux.
Il faut noter ensuite, que
nous avons placé le premier degré dans la conclusion, mais non pas
universellement. Car, le premier degré d’affinité
en ligne collatérale, comme le beau-frère avec la belle-sœur, nous ne pensons
pas qu’il soit prohibé par le droit naturel, comme nous l’avons montré par la
conclusion précédente. Et cela ne doit
pas nous paraitre étonnant. Car, il y a
une grande différence entre le premier degré de la ligne droite et le premier
degré de la ligne collatérale. Et il ne
faut pas sous estimer la différence entre la consanguinité et l’affinité. Bien plus, dans le même degré de la ligne
droite, on trouve une certaine latitude, et donc une diversité.
Nous pouvons, pour le bien
de la cause, disposer ainsi l’ordre des mariages prohibés par le droit
naturel. D’abord, celui qui est le plus honteux de tous :
le mariage du fils et de la mère. Car,
il y a une très grande union entre la mère et le fils, et elle devrait, elle qui, dans l’ordre de la
nature, commande au fils, se soumettre à
lui en raison du mariage. Le deuxième,
le père avec la fille. Car, celui-là est
semblable au premier, en ce qui a trait à l’union, mais il est moins honteux
parce que n’est pas inversé l’ordre d’autorité et de commandement, puisque la fille au tant que l’épouse, doit être
soumise à son mari. Tous sont d’accord
que ces deux sont prohibés par le droit naturel.
Le troisième est celui du
frère avec sa sœur germaine, d’un même père et d’une même mère. Car, là aussi, il y a une grande union, mais
collatérale, et donc moindre que celle entre le père et la fille. Le quatrième est celui du frère avec sa
demi-sœur. Il n’y a aucun doute que le
mariage d’un frère avec sa sœur utérine est moins honteux qu’un mariage avec sa
sœur germaine. Le cinquième est celui du
beau-fils avec la belle-mère. Il est peu
ou après pas éloigné du troisième. Car, si, d’une part, il est moins honteux,
parce que c’est de l’affinité et non de la consanguinité, d’autre part, il est
plus indécent, puisqu’il est en droite ligne, et inverse l’ordre du
commandement. Car, la belle-mère tient
lieu de mère, et est normalement plus âgée, et, dans l’ordre de nature, est en
situation d’autorité par rapport au beau-fils.
Le sixième et le dernier, le beau-père avec la belle-fille. Ce qui est dans le même degré que le cas
précédent, mais est absente l’indécence qui vient de l’inversion du rapport d’autorité
et de commandement. Car, il convient à
la belle-fille d’être soumise au beau-père, qu’il lui tienne lieu de père ou de
mari. Et ce qu’on a dit de la belle-mère et du beau-fils on doit l’entendre
aussi du beau-père de la belle-fille.
Ne manquent pas les théologiens qui nient que ces quatre degrés soient
prohibés de droit naturel, comme Cajetan (2, 2, quest 154, article 9). Mais, la sentence la plus commune et la plus
vraie enseigne le contraire.
Il faut noter, en troisième
lieu, que nous avons dit en conclusion que les mariages contractés dans ces
degrés ne peuvent pas être dispensés par les hommes, parce que nous pensons que
Dieu peut donner des dispenses pour les mariages dans tous ces degrés. Car, il n’y a aucun degré dans lequel le
mariage soit si intrinsèquement mauvais qu’il ne puisse être bien fait. Cela va de soi, car aucun de ces degrés n’enlève
la fin première du mariage, ou la seconde, même s’il l’empêche en partie. Car, même du mariage d’un fils avec sa mère
des enfants peuvent naître et être éduqués.
Et je n’ai lu personne qui nie cela formellement. Car, Cajetan lui-même (2, 2, quest 154, art
9) soutient que ce premier degré en ligne droite a, par lui-même, et
naturellement annexé , un empêchement au mariage. Cependant, il écrit, au même endroit, que l’Auteur
de la nature peut en dispenser.
Et, comme preuve, on peut
présenter un argument tiré des filles de Loth.
Comme elles pensaient qu’aucun homme n’avait survécu sur cette terre,
elles crurent qu’il leur était permis de chercher des enfants auprès de leur
père (Genèse 19). Et quoiqu’on ne
puisse pas les excuser de péché, car
elles auraient du laisser à leur père un soin de cette sorte, ou lui demander d’abord
un conseil, et s’en remettre à son jugement, mais non le prévenir et le
tromper, ce fait indique, quand même,
que, dans un cas extrême, ce mariage n’est pas complètement contraire à
la raison droite, surtout si intervient l’autorité du Dieu qui dispense. Bien plus, saint Jean Chrysostome (homélie 44
sur le Genèse et saint Ambroise (homélie 1 sur Abraham, chapitre 6), les libèrent absolument de tout crime. Saint Augustin (livre 12, chapitre 43, contre
Faust), dit qu’elles ont péché, non par
ardeur de la cupidité, mais par un trop grand amour de la postérité.
Après avoir fait ces
remarques, on prouve la conclusion. D’abord,
parce que tous ces mariages et seuls ces mariages sont punis par le supplice
ultime dans le Lévitique (chapitre 20), alors que les autres sont punis par des
peines plus légères. Deuxièmement. Parce que nous n’avons aucun exemple de
saints qui en aucun temps, aient contracté des mariages dans ces degrés, bien
qu’il y en ait dans les autres degrés, comme nous l’avons montré plus
haut. Troisièmement, parce que l’Église
n’a jamais accordé de dispense dans ces degrés, même si ne furent pas défaut
ceux qui en firent la demande. Car, au
sujet du comte Arménien, Paul-Émile rapporte, dans Louis X1, que par un faux document du pontife, il s’était
uni en mariage avec sa sœur germaine. Parce qu’il n’aurait jamais pu extorquer du
pape une dispense, il s’en était procuré une fausse par un ministre corrompu.
Dans les degrés que nous
avons dit ne pas être prohibés par le droit naturel, on ne lit pas qu’une seule
dispense ait été accordée. Nous lisons
qu’une dispense a été faite par le pape Innocent 3, au premier degré d’affinité
dans la ligne collatérale (chapitre final sur le divorce), et par Martin 5 (au témoignage de d’Antoine
(3 par tit 1, chapitre 11 de la somme théologique), et de nouveau dans le
second degré de consanguinité par Alexandre 6 (au témoignage de Cajetan (dans
2, 2, question 154, art 9). Bien
plus, (comme on l’a démontré plus
haut), Innocent 3 (au chapitre gaudemus,
sur les divorces), a déclaré
ouvertement que, dans les degrés seconds
et suivants, les mariages contractés par des infidèles devaient être considérés
comme ratifiés.
Quatrièmement. Parce que tous les peuples ont naturellement
horreur des mariages ci-haut nommés. Et
si quelques-uns se l’ont jamais permis, on les a jugés sauvages et
barbares. Les Perses, qui permettaient
des mariages entre parents et sœurs, étaient blâmés par tous, comme on le lit
dans Tertullien (Apologétique, chapitre 9),
dans saint Jean Chrysostome (homélie sur la Pentecôte, à la fin), dans
saint Augustin (question 61, sur le Lévitique), Théodoret (livre sur les
lois). Aristote (dans son livre 2 sur
les politiques) réprouve la communauté des femmes, car il s’ensuivrait que les
fils s’uniraient à leurs parents, et les frères aux sœurs. Et (au livre 9 sur l’histoire
des animaux, chapitre 17), il écrit que les chameaux et les chevaux ne peuvent
jamais être contraints à s’unir avec leurs mères, et il en rapporte deux
exemples admirables. C’est aussi ce que
fait Pline (livre 8, chapitre 12 de son histoire naturelle). Et Suétone, dans Caius, rapporte, entre les différents crimes de l’empereur
Caius, qu’il avait voulu avoir pour épouse sa sœur Drusilla. Et, dans la vie de l’empereur
Caracallas, les auteurs notent la même
chose, à savoir, que par une trop grande impudicité, il ne s’était pas abstenu
de sa nièce Julie.
Enfin, saint Ambroise (dans son épitre 66 à Paternus),
écrit que le mariage du père avec sa fille milite contre le droit
naturel écrit dans le cœur de chacun. Et
saint Augustin (livre 15 chapitre 15 de la Cité de Dieu), écrit que les
mariages avec les sœurs ne sont permis
que par des lois perverses. Car, ce qui
a été fait une fois par les fils d’Adam,
sous la pression de la nécessité, a été tellement tenu en horreur après
coup, quand les hommes se sont multipliés, que c’est comme si cela n’avait
jamais été permis. On peut ajouter à
cela quelques raisons naturelles tirées de saint Thomas et d’autres
auteurs. Mais on le fera plus
commodément pour la conclusion suivante.
Contre cette troisième
proposition, on n’a coutume de nous objecter que quelques arguments. Le premier est tiré de l’exemple des fils d’Adam,
qui contractèrent des mariages avec leurs sœurs. Car, si ces mariages avaient été contraires
à la loi naturelle, ils n’auraient pas pu être contractés sans une dispense de
l’Auteur de la nature. Or, on ne lit pas qu’une pareille dispense ait été
accordée. Il ne semble pas qu’il
convienne que la sainte Providence dispense d’une loi au moment même où elle l’établissait. Voilà pourquoi, le mariage entre le frère et
la sœur n’était pas prohibé par le droit naturel.
Je réponds qu’il peut se
faire que Dieu ait permis aux fils d’Adam d’épouser leurs sœurs, car une
dispense orale ou écrite n’était pas nécessaire, parce qu’une inspiration
interne suffisait. Il a peut être dit
cela à Adam seulement, sans en parler à ses enfants. Il n’est
pas absurde qu’en ce début du monde, Dieu ait dispensé les fils d’Adam de cette
loi, puisque l’Auteur du genre humain a voulu que tous procèdent d’un seul et
même couple. Et il n’a pas jugé bon que plusieurs mâles naissent ensemble, et
plusieurs femelles ensemble.
Deuxièmement, il serait plus
facile de dire qu’une dispense n’a pas été nécessaire, en raison de la
nécessité exceptionnelle de la propagation du genre humain, comme on le déclare
dans la seconde proposition. Le second
argument était tiré de l’exemple d’Abraham qui a épousé sa sœur utérine, comme il le dit
lui-même dans la Genèse 20 : «Elle est vraiment ma sœur, et je l’ai prise
pour femme.» Je réponds que, selon l’Écriture Sara est dite sœur d’Abraham,
parce qu’elle lui était consanguine, sa
nièce.
Et parce que non seulement
quelques-uns parmi nous, mais même aussi
Bèze (dans son livre sur les répudiations) soutiennent que Sara fut la sœur
germaine d’Abraham, j’ai le goût de
confirmer ma sentence un peu plus, et de
réfuter ce qu’on lui objecte. Que Sara
ait été la fille de son frère (sa nièce) et non sa sœur germaine, on le prouve
d’abord par l’autorité des plus savants auteurs, comme saint Jérôme (dans les
questions hébraïques, au chapitre 11 de la Genèse, et dans son livre contre
Elvidius), saint Augustin,(livre 16,
chapitre 12 et 19 de la cité de Dieu, et dans le livre 22 contre Faust,
chapitre 31), et de l’Hébreu Joseph (livre 1, chapitre 14 des Antiquités).
On le prouve en second lieu
par la Genèse, chapitre onze, où nous lisons ceci : «Thare engendra Abram,
Nachor et Abraham». Et plus bas : «
Abraham et Nachor épousèrent les sœurs.
Le nom de la femme d’Abraham était Sara, et le nom de l’épouse de
Nachor, Melcha, fille d’Aram, père de Malcha. et du père Jescha.» Dans ce texte, par Jescha, on ne peut
entendre que Sara, qui, au témoignage de Joseph et de saint Jérôme, avait
les deux noms. Car, il n’est aucunement crédible que l’Écriture
ait voulu parler du père de Melcha et non de Sara, personne beaucoup plus
digne. Et de plus quel besoin y avait-il
de faire mention d’une Melcha différente
de Sara ? On le prouve, troisièmement,
par le même chapitre, où nous lisons ceci : «Thare prit Abram son fils et
Loth, le fils du fils d’Aram, et Sara sa bru, épouse de son fils Abraham. Mais comme elle n’était pas proprement sa
fille, il n’a pas voulu la compter parmi ceux qui étaient proprement ses fils.
Quatrièmement. On le prouve ainsi. Si Abraham et Machor avaient épousé des sœurs
germaines, ils l’auraient fait cela parce que la chose était permise par les mœurs
des gens de cette époque. Comme le
reconnaissent ceux qui soutiennent que Sara a été la sœur germaine d’Abraham. Car,
il n’est nul besoin de recourir à une dispense divine, puisque cela n’était
pas nécessaire, si un tel mariage n’est
pas contraire au droit naturel, comme le veulent les adversaires. Or, si, alors, et par la coutume et par le
droit naturel, un tel mariage était licite, comme le laisse entendre Genèse 26,
--et c’est ce qu’Isaac a fait par la suite (Genèse 26)—car, quand on l’interrogea
sur son épouse, il ne craignit pas d’être tué en disant : «C’est ma sœur,
» Il faut donc avouer que les hommes de
ce temps avaient tellement en horreur le mariage avec une sœur qu’en entendant ce mot, ils crurent tout de
suite qu’elle n’était pas son épouse.
Ensuite, qui croira que c’est
sans aucune nécessité qu’Abraham a épousé sa propre sœur, quand, à cause de ce
crime, Dieu avait ordonné de tuer l’un et l’autre (20 Genèse, 18,
Lévitique). Mais, répondons aux
objections de Cajetan, qui était d’une opinion contraire dans le chapitre 20 sur la Genèse, et le
chapitre 18 du Lévitique.) On nous
objecte ces mots : voici vraiment ma sœur.
Je réponds que ces mots signifient qu’elle était vraiment
consanguine. Car, même Isaac (Genèse 26 ) dit, au sujet de Rébecca qu’elle
est sa sœur, alors qu’il est prouvé qu’elle
était la fille de son oncle paternel, c’est-à-dire , la fille de Bathuel, fils de Nachor, frère d’Abraham. Au même endroit, Abraham appelle Loth son
frère (Genèse 13), alors qu’il n’était que son neveu. Et Tobie junior, fils de Tobie a dit : «
Tu sais, Seigneur, que ce n’est pas par sensualité que je prends pour femme ma
sœur». Et, cependant, elle n’était pas
sa sœur germaine. En Daniel 5,
Nabuchodonosor est appelé père de Balthasar, alors qu’il était son grand-père,
comme le remarque saint Jérôme. Ensuite,
en Matthieu 12, on nomme des frères du Seigneur, alors que le Seigneur n’a
jamais eu de frères germains.
Ils objectent en second lieu
ceci. Soit, concédons qu’on peut appeler
frères des consanguins égaux, il est absurde cependant d’appeler quelqu’un
oncle, alors qu’il devait être plutôt appelé père. Je réponds que ce n’est pas absurde, comme
nous l’enseignent les exemples allégués.
Ils nous objectent en troisième lieu ceci : « Quand Abraham
dit : fille de mon père, il parle de son père proprement dit, non de son
grand-père. C’est donc de sa sœur qu’il
parle.» Cajetan prouve l’antécédent en faisant remarquer qu’Abraham a
ajouté : «Et non la fille de ma mère.»
Il ne pouvait parler que de sa
mère proprement dite. Donc, quand
il dit aussi : la fille de mon père, il parle de son père proprement dit.
Je réponds qu’Abraham
parlait de son propre père quand il
parlait de son père et non de celui de Sara, car il dit la fille de mon
père. Car, il a dit fille de mon père,
et non fille de son père. Celui qui
était proprement le père d’Abraham était improprement le père de Sara, car il
était son grand-père. La mère d’Abraham
n’était pas la mère de Sara, ni sa grand-mère non plus, car Aran le père de
Sara, n’était pas le frère utérin d’Abraham, mais par le père seulement, et c’est
pourquoi il a dit la fille de mon père, non la fille de ma mère. Voilà pourquoi l’impropriété des termes n’est
pas dans le mot père, mais dans le mot
fille, qui était pris pour nièce.
Et pourquoi ne dit-il pas
ouvertement nièce de mon père, ou fille de mon frère ? Pourquoi a-t-il préféré parler improprement
plutôt que proprement ? Je réponds que
parce qu’il avait dit elle est ma sœur, il devait en conséquence, dire la fille
de mon père. De plus, parce que le père
de Sara est mort avant le grand-père (comme on le lit dans Genèse 11), elle ne reconnaissait d’autre père que son
grand-père, et c’est pourquoi Abraham
aussi avait coutume de l’appeler sœur.
Et c’est ce que dit saint Jean Chrysostome (dans son homélie 45 sur le Genèse), qu’ils allèguent à tort pour
confirmer leur sentence contraire. Il
dit qu’elle a été appelée sœur d’Abraham,
parce qu’elle appelait père le père d’Abraham;
car, depuis qu’elle avait perdu son propre père, elle n’en connaissait
point d’autre que son grand-père.
Quatrièmement, ils objectent
ceci : «Si Sara n’était pas la sœur propre d’Abraham, il a trompé le roi
quand il a dit : c’est ma sœur. Je
réponds qu’il ne l’a pas trompé par un mensonge, mais il l’a éludé par une
ambiguïté, ce qui est permis quand quelqu’un interroge sans droit. Il insiste .
Il aurait du au moins dire toute la vérité quand le péril était passé,
pour ne pas laisser le roi penser qu’il habitait maritalement avec sa sœur. Il est permis de penser que le roi et Abraham
ont eu une plus longue conversation, au cours de laquelle Abraham a mis les
points sur les i. Mais l’écriture, à son
accoutumée, se contente d’un bref compte-rendu.
On pourrait nous faire, en
cinquième lieu, une objection plus difficile.
Si Sara était la fille d’Aran et la femme d’Abraham, comme nous le
disons, nous, elle aurait du être engendrée quand son père Aran était âgé de
sept ans, ce qui est tout à fait impossible. Que ceci suive de cela, je le
prouve ainsi. Abraham avait dix ans de
plus que Sara, comme on le lit dans la Genèse, 17 : « Penses-tu qu’un fils
naîtra d’un centenaire, et qu’une nonagénaire enfantera ?» Donc, quand Sara naquit, Abraham avait dix
ans. Mais Aran était plus jeune qu’Abraham,
au moins de deux ans, puisqu’il était le troisième des fils (Abraham, Nachor et
Aran, Genèse 11). Donc, si Sara est sa
fille, il l’a engendré à l’âge de sept ans !
Je réponds qu’Aran était
plus âgé qu’Abraham et que Nachor, même si, à cause de sa dignité, Abraham
occupe le premier rang. Ce n’est pas la
témérité qui me fait parler ainsi, et je ne m’y suis pas arrêté seulement pour
me tirer d’embarras. Car, c’est de la Genèse 11 que je l’ai appris : «
Thare a vécu soixante-dix ans, et il a engendré Abram, Nachor et Aran.» Ce texte nous apprend que quand Thare avait
soixante-dix ans, ses trois fils étaient déjà nés. L’Écriture ne veut pas dire qu’ils sont nés
les trois, la même année, mais qu’à cet âge, il avait déjà ces trois fils, un né cette année, et les
autres avant. C’est donc en cette année
qu’est né Abraham. Car, l’Écriture, dans
la Genèse, indique toujours le temps de la naissance de ceux dont elle cache la
généalogie, pour que nous sachions l’âge de tout ceux qui n’appartiennent pas à
cette chronologie. C’est ainsi que nous
voyons dans la Genèse 4, que c’est la quatrième année d’Adam qu’est né Seth,
par lequel est recouverte la chronologie, et non Abel ou Caïn. Et dans la Genèse 5, on dit que c’est à l’âge
de cinq cents ans que Noé engendra Sem, Cham et Japhet. Est notée là avec précision l’année où est né
Sem, parce que c’est de lui qu’est déduite la chronologie. Il est possible d’observer la même chose dans
les autres cas semblables.
Comme, parmi les fils de
Thare, Abraham est le seul dont on nous explique la généalogie, et par lequel
est voilée la chronologie, il est nécessaire de dire que c’est lui qui est né
cette année-là, et que les autres étaient nés avant. Aran n’avait donc pas sept ans quand il
engendra Sara, mais vingt-sept ou trente-sept ans. On peut le confirmer par le fait qu’il mourut
avant les autres, et qu’il reçut la fille de Nachor.
Le troisième argument
important est tiré de l’exemple de Thamar, fille de David. Étant opprimée par son frère Ammon, on lit qu’elle
a dit (2 Rois 13) : « Ne veuille pas, mon frère, ne veuille pas m’opprimer. Ne commets pas cette sottise. Parle-s-en
plutôt au roi, et il ne me refusera pas à toi.»
Nous apprenons par ce passage que ce n’était pas quelque chose d’inusité que les frères épousent leurs sœurs. Car,
autrement, pourquoi cette fille aurait-elle pensé de lui donner ce conseil
? Quelques-uns répondront que Thamar n’était
pas vraiment la fille de David, mais une belle-fille; qu’elle était donc la sœur
utérine d’Absalon, mais en aucune façon la sœur d’Ammon. Mais cela ne peut pas être soutenu. Car, dans ce même chapitre (13, livre 2),
Thamar est appelée la fille du roi, et la sœur d’Ammon. Et plus clairement encore dans les paralipom,
chapitre 3, l’Écriture ajoute, après
avoir énuméré tous les fils de David : « Tous ces fils de David ont eu
pour sœur Thamar.» Or, Thamar n’aurait
pas pu être la sœur de tous ces fils de
David qui sont nés de mères différentes, si elle n’avait pas eu le même père qu’eux.
D’autres répondent que
Thamar fut la vraie sœur d’Ammon, et qu’elle savait très bien qu’une telle
union était illégitime, mais qu’elle a parlé ainsi parce que, dans son
angoisse, elle ne trouva point d’autre ressource, ou parce qu’elle pensait que,
troublé par une passion violente, son frère ne réalisait pas qu’était illicite
le mariage d’un frère avec sa sœur. Mais
on ne peut pas prétendre cela, car Thamar parle sérieusement d’un mariage
futur, s’il le demande au roi. Car,
quand après avoir été saisie violemment par son frère, elle fut chassée par lui
qui avait changé son amour fou en haine folle, elle lui dit : le mal que
tu me fais maintenant en me chassant est pire que celui que tu m’as fait
auparavant. Elle voulait donc demeurer
avec lui comme épouse. Elle faisait donc
en sorte d’être l’épouse d’Ammon, avec le consentement de son père.
Ce qui nous permet de répondre
à l’argument. On ne peut pas tirer un
argument solide de l’opinion et des
paroles d’une jeune fille, qui, même si elle n’avait jamais vu un tel mariage
et l’avait en horreur, estima , quand
même, que c’était un moindre mal d’être mariée à son frère, plutôt que d’être
violée, surtout avec l’assentiment du
roi. Le quatrième argument est
semblable au précédent. Car, il est tiré
de l’exemple d’Adonias qui demanda en mariage sa belle-mère, la sunamite Abisag
(111 Rois 2). Je réponds d’abord qu’il
n’est pas prouvé qu’Abisag ait été l’épouse de David, et qu’il n’est donc pas
prouvé qu’elle ait été la belle-mère d’Adonias, fils de David. Car, comme il est dit au lieu cité, elle servait David dans sa vieillesse, et
dormait avec lui pour le réchauffer.
Mais elle n’est jamais appelée son épouse, et David ne l’a pas connue,
comme l’Écriture le dit au même endroit.
Deuxièmement. Cet Adonias a été condamné à la peine de
mort par Salomon, à cause de cette demande.
C’est donc signe qu’il avait demandé une chose illicite. Il est certain que la sentence de Salomon,
roi très sage, a plus de valeur que la
demande d’Adonias.
CHAPITRE 29
C’est à bon droit que sont
prohibés par l’Église les mariages jusqu’au quatrième ou septième degré de
consanguinité ou d’affinité.
Vient ensuite, par ordre, la
quatrième proposition. C’est à bon
droit que l’Église a interdit d’abord les mariages jusqu’au septième degré, et
par la suite, jusqu’au quatrième degré de consanguinité et d’affinité. Ce qui est contre tous les hérétiques ci-haut
nommés. Car, tous font des reproches à l’Église
à ce sujet. Il y deux choses qu’il faut
prouver. La première. L’Église peut légiférer sur les degrés de
parenté. La deuxième. Ce n’est pas sans raison qu’elle a porté ce
genre de lois. Le premier point a déjà
été prouvé plus haut, dans la dispute
sur l’empêchement du vœu solennel. On
prouve donc le deuxième point par les
quatre raisons que saint Thomas a tirées des pères (dans 2, 2, question 154,
art 90.)
La première raison se tire
de l’honneur du aux consanguins et aux parents selon l’affinité (affines). Car, la nature elle-même enseigne qu’un
respect tout particulier , une révérence, ou un culte, ou une obéissance, est
du aux parents, et donc à tous les consanguins, et «affines». À ce respect
répugne tout particulièrement l’acte conjugal,
qui ne peut pas être exercé sans
honte et irrévérence. Voilà pourquoi ,
quand le Lévitique (au chapitre 18) prohibe le mariage avec la mère, il en
donne la raison : «Parce que c’est ta mère.» Et quand il interdit le mariage avec la bru,
il dit : « Parce que c’est l’épouse de ton fils.» Voici ce que dit saint Augustin là-dessus
(livre 15, chapitre 16 de la Cité de Dieu) : « Je ne sais comment est inné
cette sorte de honte naturelle et louable qui nous interdit tout commerce avec
celle qui est à l’origine de la vie.» Ce
comportement vaut tant qu’on a connaissance de la parenté. Car, les hommes ont coutume de connaitre
leurs parents jusqu’à la quatrième génération.
Et au-delà, c’est à peine si on se considère encore comme parents.
L’autre raison est tirée de
l’intimité et de la familiarité qui doivent exister entre parents selon la
consanguinité et l’affinité. Car, les
parents et les fils, les frères et les sœurs, les grands-pères, les neveux, et
les belles-mères, et les beaux-fils, les
gendres et les brus, habitent dans la même maison que les autres parents Pour que cette cohabitation soit innocente,
il faut que les mariages soient interdits entre toutes ces personnes. Car, autrement trois maux naitraient de cet
état de choses. Le premier. Les mariages seraient trop tôt, trop
facilement et témérairement contractés.
Ensuite, cela donnerait facilement des occasions d’inceste. Car, il est
plus facile de commettre des péchés avec ceux qu’on a le droit d’épouser qu’avec les autres. Ensuite, les mauvais soupçons
abonderaient. Et l’affabilité, les
caresses et les baisers qui sont
maintenant des marques d’affection et de respect envers les parents, seraient considérés sans témérité comme des
gestes sensuels. Saint Ambroise
développe longuement cette raison dans son épitre 66 à Paternus.
La troisième raison est
tirée du zèle charitable à exercer entre étrangers. Car,
par le mariage, ils sont unis et liés par un lien de nécessité. Or, si le mariage était contracté parmi les
proches, périrait ce fruit plus ample d’une nécessité à propager. Car, plusieurs choses doivent être
inutilement restreintes à certaines personnes , qui pourraient être réparties à
plusieurs. Car, si, par exemple, un
frère prenait sa sœur pour femme, il serait à la fois frère et mari par rapport
à sa sœur. Et il en sera de même pour le fils et le père sera à la fois père et
beau-père par rapport au fils. Donc,
deux liens d’amour seront réduits à un seul.
C’est sain Ambroise (dans la même épitre 66) et saint Augustin (dans le
livre 15, chapitre 16 de la Cité de Dieu) qui présentent cette raison.
La quatrième raison est
tirée de l’usage modéré du devoir conjugal.
Car, comme les consanguin s’aiment déjà naturellement, si y on ajoutait
l’amour conjugal, croitrait plus qu’il n’est du, l’amour charnel. Raison apportée par Aristote (2 livres sur la politique).
Contre cette proposition,
voici quels sont les arguments des adversaires. Le premier.
Dans son commentaire sur 18 Lévitique, Jean Brentius nous objecte
ceci : « Le pontife romain n’est pas au-dessus du Christ, puisqu’il ne se
fait que son vicaire. Or, le Christ n’est
pas venu pour établir des lois politiques, mais annoncer la parole de
Dieu. Donc, le pontife romain ne peut
pas et ne doit pas, non plus, faire des lois.» Je réponds d’abord que le Seigneur n’a pas
établi de lois politiques, mais qu’il aurait pu en faire s’il en avait eu
envie. Et ce qu’il peut par lui-même, il
le peut aussi par ses vicaires, surtout quand ces lois sont jugées nécessaires
au salut éternel des fidèles.
Deuxièmement. Les lois sur le
mariage ne sont pas purement politiques, mais aussi spirituelles, puisque le
mariage est un sacrement. Voilà
pourquoi, comme le Christ a établi des
lois sur les autres sacrements, il l’a fait aussi pour le mariage quand il a aboli la polygamie et la
répudiation. Et comme il a laissé à l’Église
le pouvoir de statuer beaucoup de choses sur les autres sacrements, il a fait
la même chose pour le sacrement du mariage.
Voilà pourquoi les anciens conciles sont remplis de canons sur le
mariage, comme, par exemple, dans le concile de Tours 2, où sont allégués les
canons de beaucoup de conciles.
Deuxième objection. Luther (dans la captivité de Babylone) et
Bucer (dans le chapitre 19 de saint Matthieu), écrit : « Dieu savait
beaucoup mieux que n’importe qui quelles
personnes étaient aptes au mariage, et jusqu’au s’étendent les degrés da
parenté. Or, il ne prohiba que les mariages au second degré dans la
ligne inégale. C’est donc avec une
grande témérité que sont prohibés par les hommes les mariages dans les degrés
ultérieurs.»
Je réponds que c’est avec
une sagesse très grande et tout à fait
divine que Dieu a donné une loi à son
peuple, et que dans la même sagesse, il n’a pas voulu qu’elle nous soit
commune, mais propre à son peuple. Car
une chose convenait à son peuple, et autre chose convenait à l’Église chrétienne,
diffusée parmi toutes les nations. Car,
pour le peuple juif, il ne fallait pas encore restreindre la loi du mariage,
parce qu’ils étaient peu nombreux, et que les valeurs et les richesses étaient
conservées dans la même tribu, et aussi
parce qu’ils étaient enclins à répudier leurs épouses. Lorsque
les consanguines furent aimées plus que les femmes étrangères, dans la
mesure où ils étaient détournés des mariages avec les consanguins, dans la même
mesure était fermée la porte aux répudiations.
Comme, à cause de l’infirmité de cette nation, la répudiation et la
polygamie étaient permises, étaient concédés par le fait même aux Hébreux des
mariages dans les degrés interdits aux chrétiens. Voilà pourquoi saint Augustin (livre 15,
chapitre 16 de la cité de Dieu) reconnait qu’il était permis aux anciens de
faire des mariages avec les cousins germains, et que c’est avec raison que ce n’est
pas permis aux chrétiens.
Troisièmement, Kemnitius
(dans la partie 2 de l’examen du concile de Trente, page 1235) et Bèze
(dans son livre sur les répudiations) nous objectent que certains conciles
anciens (comme celui d’Epannensis,
chapitre 30, celui de Tours 2, canon 12),
de Paris 1 (chapitre 4) n’ont prohibé les mariages que jusqu’au deuxième
degré. On peut leur ajouter les
témoignages de saint Grégoire (dans ses
réponses aux interrogations de saint Augustin, évêque des Angles chapitre 6,)
où il dit qu’on peut contracter mariage dans le troisième et le quatrième
degré, pourvu qu’on s’abstienne absolument du second. Les adversaires concluent de ces témoignages
que la prohibition du quatrième et encore plus du septième, était inconnue aux
anciens.
Je réponds qu’il est faux que fut inconnue à l’antiquité
la prohibition des degrés de parenté jusqu’au septième degré. Car, tout d’abord, Alexandre 2 qui siégea
après l’année du Seigneur 1060, dans le concile de Latran (ad sedem 35,
question 5) affirme que l’antique coutume de l’Église a duré pendant de longs siècles, celle qui voulait que soient
interdits les mariages jusqu’au septième
degré. Saint Grégoire, qui siégeait en
l’an 600, c’est-à-dire 460 cents ans
avant Alexandre 2, dit (dans le livre
12, lettre 31 à Félix, évêque de Messanonsis),
que c’est aux seuls Anglais, à cause de leur conversion récente à la foi, qu’il a permis de se marier
dans les troisième et quatrième degrés, tandis qu’ailleurs les mariages sont
interdits jusqu’au septième degré. Ce qui réfute l’argument fait auparavant à
partir de la lettre de Saint Grégoire à saint Augustin.
De plus, le pape Jules, qui
a précédé le pape saint Grégoire de plus
de deux cents ans, affirme qu’on ne doit permettre à personne de contracter un
mariage à l’intérieur du septième
degré, (canon 35, question 2) , et dans
Ivon ( livre 7, décrets). Nous a été conservé
le concile de Tolède 2, célébré avant le temps de saint Grégoire, où, dans le
chapitre 5, il est statué que nul ne
contracte un mariage avec ses parents, sans connaitre les degrés de parenté de
consanguinité ou d’affinité. Alexandre 2
donne le sens de ce passage : les mariages sont prohibés dans tous ces
degrés, et donc aussi dans le septième.
Car, au-delà du septième degré, personne ne reconnait de parents.
Un décret semblable a été fait en Germanie,
dans le concile de Worms, selon Gratien (canon sur la copule, 35, question 2)
où sont prohibés les mariages dans sa parenté jusqu’à ce qu’on connaisse la
génération, ou aussi longtemps qu’on en garde le souvenir. Le concile d’Agathe, en Gaule, célébré avant
tous les autres que les adversaires citent, ajoute au canon 61, après la prohibition de ces degrés, une prohibition
générale , afin que personne n’épouse une consanguine. Dans Gratien, pour la même raison, sujet, 35,
quest 2, canon nulli, et canon contradicimus) et dans les
deux conciles gaulois de Lyon et de Gabylone, les mariages sont prohibés jusqu’au
septième degré.
Au sujet des trois conciles
cités par les adversaires, je dis que, dans ces conciles, sont énumérés les
principaux degrés, mais qu’on ne nie pas que les autres soient prohibés. Car le concile de Tours 2 renvoie aux
conciles antérieurs, comme à celui d’Epannensis, et il déclare clairement qu’il faut conserver
les statuts des anciens. Le concile d’Epannen
avait reproduit le début du canon 61 du concile d’Agathe, où sont prohibés, en
général, tous les mariages avec des consanguins. J’ajoute que même si on découvrait qu’étaient
permis les mariages au-delà du deuxième degré, aucune absurdité ne s’ensuivrait. Car, dans des choses changeantes de cette
nature, une mutation et une diversité peuvent facilement apparaitre.
Quatrièmement, les mêmes
Kemnitius et Bèze nous objectent la raison donnée par le concile du Latran pour
laquelle la prohibition était restreinte au quatrième de gré. Ils la trouvent ridicule et puérile. Parce qu’il y a quatre humeurs dans le corps
humain, et parce que l’homme est composé de quatre éléments. Je réponds que la sanction de ce concile, le
plus célèbre et le plus nombreux de tous, qui restreint la parenté au quatrième
degré, ne se fonde pas sur cette raison, mais sur des appuis beaucoup plus
graves, comme on le lit dans le chapitre 50 du même concile. La raison principale est que l’expérience
montre qu’on ne pouvait pas, à cette époque, conserver la prohibition de tant
de degrés sans d’énormes dépenses. Car,
comme l’espérance de vie diminue, la charité refroidit et la concupiscence
augmente, il arrive très souvent que les hommes perdent le souvenir d’une si
grande multitude de consanguins et d’«affines»;
et qu’ils se trouvent vers eux comme vers des étrangers.
Voilà pourquoi , si la
prohibition avait duré, plusieurs auraient , par ignorance ou par négligence,
contracté des mariages dans les degrés prohibés. D’où seraient nés des doutes, des litiges et
des scandales. Comme ont bien agi les
anciens qui ont conservé ces degrés aussi longtemps que l’expérience a montré
qu’ils pouvaient être conservés, ont bien agi aussi leurs successeurs qui ont
réduit ces degrés à un petit nombre, quad ils comprirent, par expérience, qu’on
ne pouvait plus les observer sans d’énormes dépenses, comme l’indique le
concile.
On a eu raison de mettre un
terme au quatrième degré, car comme la plupart des hommes voient la quatrième
génération, on a plus de chance de garder en mémoire ces degrés de
parenté. Et la raison des quatre humeurs
n’est pas donnée comme la raison principale, mais comme une raison de
convenance. Elle n’est toutefois, par ridicule ou inepte, mais physique, comme
le montre saint Thomas (4 dist 40, quest 1, art 4). Car, parce que l’homme est constituée de
quatre éléments, il en déduit que, de la même façon, il est probable qu’au
quatrième degré se soit épuisée complètement la vertu de la consanguinité, qui
dérive de la première souche. Car dans le mélange du sang reçu du père avec un
sang étranger, qui se fait dans la génération, ce qui est le plus subtil, c’est-à-dire
la vertu ignée est confondue et périt.
Et, à la quatrième génération,
tout le sang semble avoir péri.
CHAPITRE 30
La parenté spirituelle et
légale. L’honnêteté publique, et l’affinité
qui provient de la fornication.
La cinquième
proposition. La parenté spirituelle et
légale, et l’affinité qui provient de la fornication sont à bon droit
considérées par l’église comme des empêchements. Sur la parenté spirituelle et légale , des paragraphes entiers existent dans les
épitres décrétales. Dans Gratien (30,
questions 1 et 3), on peut lire plusieurs témoignages des anciens. De plus, les quatre raisons données pour
confirmer la proposition précédente
valent aussi pour ces sortes de parenté.
Et les adversaires n’apportent rien de solde à l’encontre, même si ces
parentés les font sourire.
Luther (dans son livre sur
la captivité de Babylone, (au chapitre du mariage), et Bèze, à sa suite, (dans
son livre sur les répudiations) disent
que tous les chrétiens sont frères et
toutes les chrétiennes , sœurs. Ils
sont donc tous entre eux des parents spirituels. Donc, ou la parenté spirituelle n’apporte pas
d’empêchement, ou les chrétiens ne devront se marier qu’avec des païens. Mais, il n’est que trop facile de répondre à
cette objection. Car, l’empêchement de
la parenté spirituelle ne provient pas du droit de la nature, mais d’une
décision de l’Église. Or, l’Église ne
veut pas que toute parenté spirituelle soit un empêchement au mariage, mais
seulement celle qui provient du baptême et de la confirmation. Et, pour faire de cette parenté un
empêchement, elle a eu une très bonne raison.
Car celui qui reçoit de quelqu’un la
vie spirituelle doit lui rendre un respect tout particulier. Et elle n’a
vu aucune absurdité procéder de cet interdit.
Mais elle n’a trouvé aucune bonne raison pour faire un empêchement de la
parenté spirituelle qui existe entre tous les chrétiens. Et il est manifeste qu’il s’en serait suivi
une énorme absurdité ; obliger les chrétiens à se marier avec des non
chrétiens.
Quand à l’honnêteté publique, c’est une affinité
ébauchée, comme les fiançailles peuvent être appelées un mariage ébauché. Donc, comme une affinité parfaite est un
empêchement dirimant de mariage dans tous les peuples du monde, de la même
façon, l’honnêteté publique invalide le mariage au moins dans un certain
degré. Ensuite, l’affinité qui vient de
la fornication est une vraie affinité, même si elle est un peu plus imparfaite
que celle qui procède d’un mariage légitime.
Et puisqu’elle est une vraie affinité, il n’y a aucune raison pour
laquelle elle n’empêcherait pas un mariage.
Que l’affinité qui provient de la fornication
soit une vraie affinité, la chose est évidente, car l’affinité nait de ce que,
par le mariage, deux personnes deviennent une seule chair, au dire de l’apôtre
(1 Corinthiens 6) : «Celui qui s’unit à une prostituée devient un seul
corps avec elle. Ils seront deux dans
une seule chair.» De plus, de la
fornication nait une vraie parenté, puisqu’il y a un vrai père qui engendre et
un vrai fils qui est engendré. Pourquoi
donc une vraie affinité ne pourrait-elle pas naître de la fornication ?
Ajoutons qu’on lit dans le
livre 2 des Rois, chapitre 20, que les dix concubines de David que son fils
Absalon viola, ont été séquestrées par
David, et qu’il ne les connut plus. Car,
elles étaient devenues pour lui comme des brus, à cause de leur union avec son
fils.
CHAPITRE
31
Deux empêchements non dirimants
Nous avons traité jusqu’ici, des empêchements dirimants. Il faut parler maintenant des deux
empêchements dont nous avons dit, plus haut, qu’ils empêchent la mariage, mais
ne l’invalident pas : l’interdiction de l’Église, et le temps férié. Par interdiction ecclésiale, on entend les
mariages clandestins qui sont interdits par le droit canon sous des peines
graves, surtout dans le concile du Latran.
Et récemment, dans le concile de Trente, (session 24), ils ont été non
seulement interdits, mais ils ont été rendus invalides et illégitimes, de telle
sorte que ceux qui les contractent n’ont
pas de mariage, mais sont en perpétuelle fornication. Que l’Église ait pu invalider ces mariages,
ne peut pas en douter celui qui croit que l’Église a pu invalider des mariages
dans certains degrés de parenté, ou à cause d’un vœu solennel de continence, ou
pour d’autres raisons, dont nous avons parlé plus haut. Car, la raison est la même pour tous.
Les
adversaires nous reprochent de déclarer maintenant illégitimes les mariages
clandestins qu’avant le concile de Trente nous considérions comme légitimes
quand nous les condamnions et les détestions.
Comme Martin Kemnitius (2 par,
examen, pages 1280 et 1281) : «Écoute quelles idioties le concile de
Trente statue sur cette question. Il
déclare que l’Église a toujours détesté et prohibé les mariages clandestins, et
il anathématise ceux qui pensent qu’ils sont valides et vrais. Peut-on faire un vrai mariage d’une union qu’on
doit détester et qui est prohibée ? En d’autres
termes, l’union qui, selon le concile de Trente doit être détestée et est
prohibée est une union légitime et divine.»
Mais,
il est facile de lui répondre, car c’est le même mariage qui est vrai, légitime
et ratifié, et en même temps détestable et prohibé, et mal vu par Dieu. Les insanités ne sont que dans la tête de
Kemnitius et de ses consorts. Car, si
tu regardes l’essence du mariage, le mariage clandestin, avant le concile de
Trente, était décrété vrai, ratifié et légitime, car il ne lui manquait rien des choses que Dieu requiert pour l’essence
du mariage, puisqu’il y avait la forme, la matière et l’intention. Si, cependant, on regarde l’ordre et la
manière, il était détestable, prohibé et mal vu par Dieu. Cela ne te paraitra pas étonnant si tu te
rends compte que, dans les autres sacrements, la même chose se passe. Car, si quelqu’un baptise avec de la vraie
eau et la bonne formule, et avec l’intention
du ministre et du baptisé, mais sans le ferme propos d’une vie meilleure, avec
l’âme détournée de Dieu et l’endurcissement dans le péché, ce baptême sera vrai, légitime, ratifié et
divin, et ne pourra pas être répété sans sacrilège, mais, cependant, il sera
détestable, prohibé, mal vu de Dieu et dommageable au baptisant et au
baptisé. Voir ce que nous avons dit plus
haut aux chapitres 19 et 20.
Il
y a un autre empêchement qui vient du temps férié. Cela ne signifie rien d’autre
que l’interdiction de noces solennelles en certains temps de l’année. Or, dans le droit ancien, étaient interdites
les noces solennelles du début de l’avant jusqu’à l’Épiphanie; et de la septuagésime jusqu’à l’octave de Pâque. Ensuite, des rogations jusqu’à l’octave de
Pâque. On peut toujours consulter les
décrets des conciles anciens et des pontifes dans Gratien 33 question 4, et
dans le concile de Laodicée, au chapitre 25, lequel a été célébré avant les
années 1200. Il y a aussi un autre
décret sur les féries au chapitre capellanum.
La raison de cette prohibition est que les fêtes les plus célèbres de
toutes sont Noël, Pâque et la Pentecôte.
Et à ces fêtes, tous étaient tenus d’aller communier, en vertu du
concile d’Agathe, chapitre 18. La
solennité des noces était une grande occasion de distraction, car elles avaient
coutume de se faire avec des banquets et un grand apparat. Donc, pour que les chrétiens soient prêts
pour ces fêtes spirituelles, et puissent recevoir la sainte communion, l’Église
agissait sagement en interdisant les mariages pendant ces trois temps
liturgiques. Cette prohibition l’Église
l’a récemment tempérée en la limitant à deux temps. Elle n’a, en effet, interdit les noces
solennelles que de l’avent à l’épiphanie, et des cendres à l’octave de Pâque.
Pourtant,
cette loi très utile est condamnée par Calvin (livre 4, chapitre 19, dernier
verset). Kemnitius (dans 2 par examen, page 1271), la loue comme
ayant été instituée par les anciens avec un grand zèle, mais il reproche deux choses. La première.
Avoir retenu cette institution quand la cause avait cessé. La cause en était que les fidèles
communiaient trois fois par année au sacrement du corps du Seigneur. Mais,
maintenant, ils ne sont obligés de communier qu’une fois par année. L’autre.
Parce qu’une nouvelle conception avait fait son apparition, à savoir que la
sainteté de ces temps liturgiques ne pouvait pas supporter le mélange avec la
chair dans la copule charnelle, comme, pendant les mystères de la bonne déesse
, il fallait faire chambre à part.
Kemnitius
se trompe dans les deux cas. Car, même
si les chrétiens ne sont tenus, par la loi ecclésiastique, de ne communier qu’à
Pâque, la coutume de communier à Noël est toujours en vigueur dans toute l’Église.
Tellement qu’ils sont rares ceux qui ne le font pas. Pour la pentecôte, la communion est plus
rare, et c’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui le concile de Trente a permis
des noces solennelle en ce temps liturgique.
Ajoutons que la communion n’est pas la seule cause de ce décret, mais
aussi la célébrité des principales fêtes
auxquelles l’Église s’applique à préparer ses fils par le jeûne et les
prières. Les pompes des noces, les
festins, les danses et les autres signes
d’allégresse ne conviennent pas très bien à cette préparation, surtout à celle
de l’Avent et du Carême. Dans aucun de
leurs décrets (33, question 4, ou aux
féries) la communion est présentée comme une cause, mais seulement la célébration
des fêtes.
Dans
l’autres, Kemnitius ment à son accoutumée.
Car, il ne peut présenter aucun décret pour supporter son opinion, alors
que beaucoup enseignent le contraire.
Car, saint Thomas (4, dist, 32, quest 1, art 5, quest 4, a 2) et Cajetan
(dans sa somme sur les péchés, sur le mot noces), et Navare (dans l’enchiridion,
chapt 22, numéro 71) enseignent que la célébration des mariages n’est pas
interdite en ces temps à cause de la consommation du mariage, mais
seulement à cause des danses, des baquets
et des festivités de toutes sortes qu’on a coutume de voir dans les noces. Mais, bien que, par le précepte dont
nous parlons, ne soit pas prohibé le devoir conjugal. il prouve par les
témoignages de beaucoup de pères que,
dans les principales solennités, et surtout quand il faut communier au corps du
Christ, il est bon de s’abstenir de la copule conjugale. Voir Gratien 33, question 4), et le maître
des sentences, livre 4, dist 32.
Et
nous en avons les fondements dans la sainte Écriture. Car, dans l’Exode 19, étant sur le point d’accepter la loi, et de
célébrer la première fête de la pentecôte, les Hébreux reçurent l’ordre de se préparer pendant trois jours
entiers, et de ne pas s’approcher de
leurs épouses. Et, dans 1 Rois 21, le prêtre Abimélech aurait refusé le pain
saint à David s’il n’avait pas été pur des femmes. Saint Jérôme (dans son livre 1 contre
Jovinien, et dans son apologie pour le même livre) déduit de ce texte qu’est beaucoup moins digne du pain céleste celui qui ne se
contient pas de la femme. Ensuite,
saint Paul (1 Corinthiens 7) veut que, d’un consentement mutuel, les époux s’abstiennent
de la copule conjugale pour vaquer à l’oraison.
Or, il est certain que, dans les principales fêtes, on doit vaquer à la
prière, et qu’il faut donc s’abstenir de la copule. Car même si le devoir conjugal ne
comporte aucune faute s’il est fait en temps et lieu, il ne serait certes pas
sans faute s’il était fait sur la place publique, à la vue de tous, et encore
moins, s’il était fait dans le temple sacré de Dieu. Qu’y a-t-il donc d’étonnant si les
catholiques s’abstiennent de l’union conjugale dans un temps sacré, et surtout
quand il faut aller communier.
LA SIXIÈME CONTROVERSE
LES CAUSES
MATRIMONIALES APPAETIENNENT AU JUGEMENT DE L’ÉGLISE
Il
reste la sixième controverse sur les causes du mariage qu’on pourra rapidement
expédier. Parmi nos adversaires,
plusieurs renvoient les causes matrimoniales à un juge civil, comme Philippe
Melanchton (dans les lieux, mariage), et Jean Brentius (dans son apologie pour
sa confession de Wirtemberg).
CHAPITRE 32
Martin
Kemnitius (2 par examen, page 1212) a pensé qu’il fallait faire des
distinctions. Il écrit qu’il revient à l’Église, non à un juge civil, de se
prononcer sur les cas de conscience qui,
dans le mariage, dépendent de la parole de Dieu. Mais il soutient que faire des lois sur le
mariage n’appartient pas à l’Église, mais à l’autorité civile. Et il le prouve ainsi. C’est l’empereur Théodose et non les
évêques qui a passé une loi interdisant
le mariage des cousins germains. Et le
concile de Milet a décrété qu’il fallait demander à l’empereur une loi sur le
divorce. Au sujet du mariage, Kemnitius
n’attribue donc à l’Église d’autre
pouvoir que d’expliquer la parole de
Dieu, ce pouvoir que nous concédons aux prédicateurs et aux docteurs privés.
Les
catholiques font des distinctions entre les causes matrimoniales. Quelques-unes sont purement politiques, comme pour les dots,
les successions, et les héritages. D’autres
sont purement spirituelles, pour les
degrés de parenté, les divorces, les
empêchements, et d’autres choses semblables qui se rapportent au contrat du
mariage. Dans la mesure où le contrat
est naturel, dans la même mesure la
matière est politique. Le même contrat
est le fondement du sacrement, une chose de la conscience, et est
spirituel. Nous ne nions donc pas que
les causes du premier genre relèvent de droit du magistrat civil. Voilà pourquoi, à chaque jour, dans l’Église
catholique, ces causes sont plaidées devant un juge civil. Les causes du deuxième genre personne ne
peut nier qu’elles relèvent de l’Église seule.
Autrement, quand il n’y avait aucun prince, aucun magistrat chrétien, il
aurait fallu porter les causes spirituelles devant les tribunaux des païens, ou
ces causes n’auraient eu aucun juge légitime.
La question la plus
importante porte sur les causes du troisième genre, celles que nous avons dites
appartenir au magistrat civil mais en
subordination à l’ecclésiastique . Elles
appartiennent de plein pied au prince ecclésiastique, comme le définit le
concile de Trente (session 24, canon
12.) Ce qui a été brièvement prouvé plus
haut, dans la dispute sur l’empêchement du vœu solennel. Et il faut de nouveau, maintenant, le
confirmer par trois raisons.
La
première. Le mariage est un sacrement de l’Église. Or, les chrétiens ne
séparent pas le contrat légitime du mariage du sacrement de mariage, puisque
tout contrat de mariage légitime est, par le fait-même, un sacrement de
mariage. Donc, juger si tel contrat de
mariage est légitime c’est juger si tel contrat est un sacrement. Mais porter un jugement sur les sacrements,
cela relève exclusivement de l’Église.
Donc, juger du contrat relève aussi de l’Église. Deuxièmement, même si le mariage n’était pas
un sacrement, cependant, parce qu’il est
une chose de la conscience, qui dépend
de Dieu, il appartiendrait quand même, sans aucun doute, aux pasteurs des âmes,
comme les questions d’échanges ou de trocs, les cens, et les autres contrats
dans lesquels sont cachées des usures,
sont jugés par l’Église. Voilà
pourquoi c’est une pure calomnie de la part de Kemnitius (2 par examen 1226),
de dire que les catholiques ont fait un sacrement du mariage, pour que les
causes matrimoniales soient soumises au seul juge ecclésiastique.
Troisièmement,
on le prouve par la pratique de toute l’Église.
Car, au tout début, le Christ n’a pas remis au pouvoir civil les causes
portant sur le divorce et la répudiation, mais il a jugé lui-même (Matthieu 5
et 19). Ensuite, l’apôtre ( 1
Corinthiens 7, ) a porté un jugement sur
la cause d’un mariage entre fidèle et infidèle, et ne l’a pas renvoyée à un
magistrat civil. De plus, les conciles
et les rescrits des pontifes sont
pleins de lois et de sentences sur la
cause du mariage. Donc, en autant qu’on
peut l’apprendre par les lettres décrétales, toujours prévalut dans l’Église
cette coutume de consulter les papes et
non les rois sur ces questions. Et les
jugements du Christ, de l’apôtre, des souverains pontifes et des conciles ne furent pas seulement des interprétations
de la parole de Dieu, comme le rêve Kemnitius,
mais de légitimes sentences coercitives.
Car, le Christ a ouvertement porté une loi qui abolissait la répudiation permise par la
loi de Moïse. Car, voici ce que dit l’apôtre
de cette loi du Christ : «Ceux qui sont unis par le mariage, je leur
prescris non moi mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son
mari; que, si elle se sépare, qu’elle demeure non mariée, ou qu’elle se
réconcilie avec son mari.»(1 Corinthiens 7).
De
plus, dans l’ancien testament, les
questions douteuses , les hommes les
envoyaient aux prêtres, en tant que vrai juge, et non en tant que simple
conseiller. Car, dans le Deutéronome
17, il est commandé de tuer celui qui n’acquiescerait pas à la décision du
prêtre. Et il ne serait surement pas
équitable de dire que l’autorité du
sacerdoce d’Aaron était plus grande que celle du pontife chrétien. Pourquoi donc avait-on ordonné que ces
causes soient portées devant les pontifes si l’on recherchait la sagesse d’un
consultant et non l’autorité d’un prêtre
? Mais, au sujet du pouvoir ecclésiastique, duquel dépend cette question
particulière sur la mariage, nous avons disserté suffisamment longtemps
ailleurs.
Les deux arguments de Martin Kemnitius ne sont
pas concluants, Car, en ce qui a trait
à la loi de Théodose, nous nous sommes déjà exprimés là-dessus. Un chef
politique peut porter une loi sur les empêchements de mariage, mais avec l’approbation
du juge ecclésiastique. Si ce dernier ne donne pas son consentement, la loi
sera nulle. C’est ce que nous voyons
dans la lettre elle-même de Théodose.
Car, comme peu longtemps après, ces fils abrogèrent cette loi, comme on
le voit dans 1 Celebrandis, chapitre
sur les noces, et qu’ensuite Justinien fit une loi qui rendit licites les
mariages entre cousins germains, (duorum, inst sur les mariages), le pape saint
Grégoire réprouva ouvertement la loi d’Honorius et de Justinien , dans son rescrit à l’évêque des
anglais Augustin, et statua, à l’opposé, que les mariages entre cousins germains
seraient considérés comme illicites.
Et c’est cette loi pontificale qui l’emporta, non celle de César (35,
quest 2, canon quaedam lex).
Et
à ce qu’on nous objecte au sujet du concile de Milet, nous avons déjà répondu
dans la dispute sur le divorce, que les
pères de ce concile n’ont pas demandé une loi qui décrèterait qu’il n’était pas
permis de prendre une autre femme après un divorce, du vivant de la première épouse, nais qui
punirait par une peine externe. Ce qu’il
fit. Car, dans ce concile, les pères
avaient suffisamment défini la chose, et, à leur définition, ils avaient ajouté
la peine d’excommunication.
SEPTIÈME CONTROVERSE
LES CÉRÉMONIES DU SACREMENT DE
MARIAGE
La
dernière controverse porte sur les rites et les cérémonies avec lesquels le
sacrement de mariage a coutume d’être administré dans l’Église catholique. C’est une chose commune à tous les sacrements
que, en plus de la cérémonie essentielle instituée par Dieu, dans laquelle
consiste l’essentiel du sacrement, on emploie d’autres rites hérités des
anciens, qui permettent de recevoir le sacrement avec plus de piété et de
dévotion.
Voici
quelles sont les cérémonies qu’on a coutume d’observer dans le mariage. La première.
Les nouveaux époux sont bénis dans l’église par le prêtre. La deuxième.
On offre pour eux l’oblation de l’eucharistie. La troisième.
On les recouvre d’un voile. La quatrième. On les unit par un ruban blanc
et rouge. La cinquième. L’époux donne à
l’épouse l’anneau béni par le prêtre. La
sixième. Le récent contrat de mariage
est recommandé à Dieu par des prières diverses. La septième. Le prêtre exhorte les nouveaux époux à se
comporter honnêtement dans le mariage.
De tous ces rites, les adversaires en conservent deux, comme on peut le
voir dans le petit livre de Calvin sur l’administration des sacrements, et dans
d’autres rituels des hérétiques.
Il
y a vraiment de quoi s’étonner que, dans son petit livre intitulé
«formules de l’administration des sacrements», Calvin traite si sérieusement du
rite du mariage, au point même de l’unir aux rites du baptême et de l’eucharistie, tout en niant qu’il soit vraiment un
sacrement. Mais c’est ce qui arrive
parfois aux obstinés : ce qu’ils
nient de bouche, les faits l’affirment.
Les autres rites que les catholiques conservent, je ne doute pas qu’ils
aient pour eux fort peu de valeur.
Cependant, ni Kemnitius, canon 11, session 24 du concile de Trente, où
sont anathématisés ceux qui méprisent ces rites, n’a écrit contre ces
cérémonies, ni aucun autre n’a formulé contre elles de solides arguments. Il suffira donc de confirmer ces rites par l’autorité
des anciens.
Le
premier. Nous avons encore le témoignage du pape Nicolas qui siégea au septième
siècle, et que l’on trouve dans le canon nostrates (30, question 5). Et celui d’Isidore (livre 2 de officiis,
chapitre 19) où il rend raison de chacun.
Il a vécu avant 900. Et Siricius
pape, (épitre 1, chapitre 4), et Innocent 1 (épitre 2, chapitre 6). Tous ces anciens ont parlé de la bénédiction
sacerdotale qu’on avait coutume de donner aux mariés. En font mention aussi les pères du concile de
Carthage 4, dont saint Augustin, au chapitre 13. Saint Ambroise, (dans son épitre 70 à
Vigile, non loin du début) ne se
souvient pas seulement de la bénédiction, mais aussi du voile avec lequel le
prêtre recouvrait les nouveaux mariés.
Saint Ambroise explique que le mot latin nuptias (noces) vient du voile
avec lequel on recouvrait (obnubatur) les époux. Siricius et saint Ambroise vécurent bien
avant 1200, ainsi qu’Innocent et saint Augustin. Ensuite, Tertullien, plus ancien qu’eux tous,
(dans son livre à son épouse), se souvient de l’oblation qui confirme le
mariage dans l’Église.
Et
voilà pour le sacrement de mariage.