18 sept 2019

                         CONTROVERSE SUR LE SACREMENT DE MARIAGE = 33 ch

                                                               LIVRE UNIQUE

Il y a sept controverses sur le sacrement de mariage.   La première porte sur le genre : est-il un sacrement de la nouvelle loi ?  La deuxième porte sur la matière, la forme et le ministre.  La troisième sur l’unité du mariage.  La quatrième sur l’indissolubilité ou le divorce.  La cinquième, sur les empêchements.   La sixième, sur le juge des causes matrimoniales.  La septième, sur les cérémonies.

Ont écrit sur le mariage contre les hérétiques   Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 130 et suivants),  Jean Roffensis (dans sa défense du livre du roi Henri V111),   Alphonse a Castro (livre 2 contre les hérésies, au mot nuptiae),  Ruardus  Tapperus (dans l’explications des articles 18, 19 et 20 des docteurs de Louvain),   Pierre a Soto (dans l’institution des prêtres, et dans des leçons sur le mariage),   Dominique a Soto (4,  dist 26).  Le cardinal Hosius  (explication du symbole, chapitres 55 et 56),  Guillaume Lindanus (livre 4 de la panoplie,  chapitre 94,  Jean Eck (tome 4 sur les sermons,  sermon  69, à la fin),  Tilmann  (dans son livre sur les sept sacrements, chapitre 6),   François Victoria  (dans sa relecture du mariage), Javellus (dans son livre sur la philosophie chrétienne, cinquième partie).

                                             PREMIÈRE CONTROVERSE

                   LE MARIAGE EST-IL UN SACREMENT PROPREMENT DIT

Les premières controverses auront cinq parties, car il faut d’abord expliquer l’état de la question, les erreurs des hérétiques,  la vérité prouvée par les saintes lettres,  et confirmée par la tradition et les témoignages des pères, et corroborée par des raisonnements  variés et d’un grand poids, et la réfutation des adversaires.

                                                          CHAPITRE 1

                     L’État de la question et les erreurs des hérétiques

Quand nous nous demandons si le mariage est un sacrement proprement dit, nous nous demandons si, en plus d’être le contrat civil d’un homme et d’une femme institué pour la propagation et l’éducation des enfants, il est aussi un signe, un symbole externe de la religion, auquel serait annexée, de par l’institution divine,  la promesse d’une grâce justifiante.  Sur cette définition générale à peu près tous donnent leur accord,   autant les hérétiques que les catholiques.  Il est certain que les luthériens et les calvinistes, avec lesquels nous dissertons principalement, ne nient pas que nous soyons en présence d’un sacrement de la nouvelle loi,  là où se trouvent un symbole externe, une promesse de grâce, un mandat divin ou une institution divine.   Dans presque tous les siècles, il y en a eu beaucoup qui estimèrent  qu’une de ces trois choses était absente dans le mariage, et qui, pour cette raison , ne le considérèrent pas comme un sacrement.

Les anciens hérétiques, Simon, Saturne, les gnostiques, les manichéens et d’autres  enseignèrent que le mariage ne venait pas de Dieu, et n’était donc pas un sacrement.  Simon le magicien , le prince de tous les hérétiques, introduisit la turpitude de pouvoir user indifféremment des femmes, au témoignage de saint Augustin  (livre des hérésies, chapitre 1).  Saturnin, disciple de Simon, enseigna ouvertement  que se marier et avoir des enfants  était l’œuvre du diable, au témoignage de saint Irénée (livre 1, chapitre 22).  Marcion professa la même hérésie, lui qui croyait que les noces étaient illicites, au témoignage de saint Jérôme  (livre 1 contre Jovinianus).  Tatien qui fut un auditeur de saint Justin, fut le patron de cette erreur (selon le témoignage de saint Irénée, livre 1, chapitre 30).  Et c’est de là que les Euticrates sont sortis, dont parle Épiphane dans  l’hérésie 16, et saint Augustin, dans l’hérésie 25.  Saint Augustin écrit, là, que, son Épiphane,  les encratites  étaient des Tatiens schismatiques.  Il attribue la même hérésie aux Adamiens  (hérésie 31), la même que celle des manichéens (hérésie 46).  Socrate (livre 2, chapitre 3 de sn histoire)  attribue la même hérésie  aux Eustathiens, ainsi qu’aux priscillianistes (saint Léon, pitre 91 à Turbius.  La même à certains apostoliques ou plutôt apostats du temps de saint Bernard (sermon 66 sur le cantique des cantiques).  La même aux Albigeois  (saint Antonin dans son somme théologique ( par 4 tit 11, chapitre 2, verset 5).

Les hérétiques de notre temps ne nient pas que le mariage soit licite, et qu’il ait  été institué par Dieu, mais ils nient qu’il soit un symbole auquel est annexée la promesse d’une grâce justifiante.  Et c’est surtout pour cette raison qu’ils ne voient pas un sacrement dans le mariage.  Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre sur le mariage), soutient que dans le mariage,  il n’y a aucun signe institué par Dieu,  ni aucune promesse de grâce.  Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 34) enseigne que la notion de sacrement ne convient pas plus  au mariage qu’à l’agriculture, ou qu’à une échoppe de barbier ou à un  métier de cordonnier.  Philippe (dans les lieux, au titre de mariage) et Kemnitius (2 par examen, page 1204 jusqu’à la fin),  reconnaissent dans le mariage un mandat de Dieu et une promesse de grâce, mais non  celle qui justifie et réconcilie l’homme avec Dieu.  Et, pour cette raison, ils nient que le mariage soit un sacrement proprement dit, semblable au baptême et à l’eucharistie.  Ils reconnaissent, cependant, que, d’une certaine façon, il est un sacrement.

Parmi les catholiques, il y en a un seul, Durand, qui soutient que le mariage  ne peut  être appelé un sacrement  que par équivoque ( 4 dist 26,  quest 3). Kemnitius, évidemment, s’en sert comme porte-drapeau.  Mais tous les autres théologiens, comme Durand le reconnait, enseignent le contraire.  C’est donc contre toutes ces erreurs que le concile de Trente (session 14, canon 1)  dit anathème à tous ceux qui nient que le mariage est un sacrement proprement dit, qu’il a été institué par Jésus-Christ, et qu’il procure la grâce.  Nous ne doutons aucunement que cette sentence est très vraie, et nous allons nous évertuer à la confirmer par la sainte Écriture.

                                                          CHAPITRE 2

   On prouve par l’Écriture que le mariage est un sacrement proprement dit

Pour prouver que le mariage est un sacrement proprement dit,  il faut démontrer trois choses.  Il a été institué par Dieu; il est le symbole d’une chose sacrée; et  il a la promesse de la grâce qui justifie.  Que le mariage a été institué par Dieu,  on peut l’entendre de deux façons.  Une première.  A  été voulue par Dieu l’union du mâle et de la femelle, en tant qu’elle se rapporte à la propagation du genre humain.  Une deuxième.  Cette institution est de Dieu en tant qu’elle se rapporte à la signification d’une chose sacrée, et qu’elle sanctifie les humains ainsi unis.  C’est de la première manière que les hérétiques d’autrefois qui condamnaient le mariage,  niaient que le mariage était de Dieu.  C’est de l’autre que les luthériens et les calvinistes  qui ne condamnent pas le mariage,  nient qu’il est de Dieu.

Que le mariage, vu de la première façon,  soit une bonne chose qui vient de Dieu, les saintes Écritures l’enseignent manifestement.  Et on s’étonne qu’il y en ait qui errent dans une chose aussi évidente.  Genèse 11 : « Il n’est pas bon, dit Dieu, que l’homme soit seul.   Faisons-lui une aide semblable à lui. »  Commentant ce texte (livre 9, chapitre 7 de la Genèse au sens littéral), saint Augustin enseigne que la femme n’est nécessaire à l’homme  que pour la procréation et l’éducation des enfants.  Car, en d’autres choses, les hommes sont mieux aidés par d’autres hommes.  Ces paroles de la Genèse 2 (: « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’unira à son épouse. ») sont dites par Adam, mais sous la dictée du Saint-Esprit.  Car, le Christ (en saint Matthieu 19) attribue ces paroles à Dieu. C’est donc Adam au nom de Dieu, ou plutôt Dieu par la bouche d’Adam,  qui a ainsi parlé.  Elles sont donc évidemment, une approbation du mariage.

De nouveau, en Matthieu 19, le Christ a dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »  Le Fils de Dieu ne s’est pas intéressé au mariage  et ne l’a pas orné d’un insigne miracle pour une autre raison que pour nous indiquer que c’est lui qui a fait le mariage, comme saint Augustin le note.  Et l’apôtre  (1 Corinthiens 6)  écrit : « Celui qui marie sa fille fait bien. » Et, au même endroit : « Si la vierge se marie,  elle ne pèche pas. »   Et en 1 Timothée 4, il dénonce à l’avance les hérétiques futurs   qui prohiberont le mariage.  Et au chapitre 5 : « Je veux que les jeunes filles  se marient, qu’elles procréent des enfants, qu’elles soient des mères de famille ».  Et dans Hébreux 13 : « Le mariage est honorable. »  Ensuite les Écritures sont pleines non seulement de témoignages, mais d’exemples de grands saints qui plurent à Dieu tout en étant mariés.    Se présentent les conciles anciens, comme celui de Gangre (chapitre 11) et de Bracarensis 1 (canon 1), qui ont condamné les hérésies susdites.

Selon la deuxième manière, le mariage a été institué par Dieu comme un signe  d’une chose sacrée.  C’est ce que quelques-uns tentent laborieusement de prouver avec des textes obscurs de l’Écriture.  Comme celui de saint Matthieu 9 : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »  Mais, il n’est pas nécessaire ici de tant suer, car si nous prouvons  que le mariage est le signe d’une chose sacrée, à laquelle est annexée une promesse de grâce, il s’ensuivra nécessairement qu’il a été institué par Dieu, même si nous n’avons pas de passage de l’Écriture qui nous rapporte cette institution de Dieu. Car aucun homme, aucun ange ne peut instituer un signe de cette sorte.   C’est ce que reconnaissent ingénument les adversaires.  Philippe (apologie confession d’Augusta , art 13, Calvin  (livre 4, chapitre 19, verset 2)  et Kemnitiius  (2 par examen page 13.)  Et c’est de cette manière que nous avons démontré ailleurs  que les sacrements de confirmation, d’extrême onction  et d’ordination ont été institués par Dieu.

En ce qui a trait à la deuxième manière, le mariage est le signe d’une chose sacrée, et n’est donc pas seulement un contrat civil,  mais aussi un mystère et un sacrement.  Nous allons le prouver cela  avec le chapitre 6 de l’épitre aux Éphésiens : « Cela est un grand sacrement, je dis dans le Christ et dans l’Église ».  Où il y a trois choses à  observer attentivement.  C’est fort mal à propos que Luther, Calvin et Bèze écrivent  que  les catholiques ont été induits en erreur  par la traduction latine du texte grec, qui rend le mot mystère par sacrement, car, ce qui en grec se dit mystère reçoit en latin,  le nom de sacrement.  Et l’apôtre qui écrivait en grec n’a pu nommer le sacrement que par un mot grec. 

Ce n’est pas seulement à cause de ce mot sacrement que les catholiques tiennent que le mariage est un sacrement proprement dit.  Dans plusieurs textes de l’ancien et du nouveau testament,  on lit le mot sacrement, comme en Tobie  12, Daniel 11, Colossiens 1,  1 Timothée 3,  Apocalypse 1 et 17.  Et aussi dans cette épitre aux Éphésiens, chapitres 1 et 3.  Et pourtant, à partir d’aucun de ces s textes, nous n’avons  fabriqué un nouveau sacrement proprement dit.  Ce sont ces mêmes passages que citent les adversaires pour nous enseigner que les catholiques ne doivent pas fabriquer un sacrement à partir d’un mot.  Et comme nous ne le faisons pas, ils ne citent ces passages qu’à notre avantage.  On peut même en déduire que ce n’est pas en se fondant sur un seul mot que les catholiques ont inventé un nouveau sacrement, puisqu’il n’en ont vu aucun dans  tant d’autres mots semblables.  Ce n’est donc pas à partir de ce seul mot que le mariage est un vrai sacrement.  Cependant nous prouvons ce que nous avons entrepris de prouver par ce texte, que le mariage est un signe ou symbole sacré, et non seulement un contrat civil et naturel.

Il faut considérer ensuite de quoi le mariage est un signe. De l’union du Christ et de son  église, ou de  l’union de l’homme et de la femme.   Luther et Calvin, au lieu cité, ainsi qu’Érasme et Bèze, soutiennent que l’apôtre appelle grand sacrement ou sacrement mystérieux l’union du Christ avec l’église.  Et  ils en déduisent que le mariage, en ce lieu, est appelé un symbole ou signe.  Car, ils ne veulent pas que le mot sacrement, dans ce texte, ait le sens de signe d’une chose sacrée, mais de la chose sacrée ou mystérieuse elle-même.  Leur argument n’est rien d’autre que ceci : Paul a écrit : je dis cela dans le Christ et dans l’église.  Et, comme soutient  Érasme, il n’y a pas de mystère dans l’union d’un homme avec une femme, puisque cela se voit tous les jours. »  

Mais, ils se trompent manifestement.   Car, d’abord, ils ont contre eux tous les anciens interprètes de ce texte.  Saint Ambroise : « Le grand sacrement du mystère signifie l’union de l’homme et de la femme. »  Saint Jérôme dit, en parlant de l’union d’Adam et d’Ève : « C’est cela même qui est interprété par l’allégorie dans le Christ et dans l’église. »  Et un peu plus bas, il cite saint Grégoire de Naziance  qui rapportait ainsi les paroles de saint Paul : « Je sais que ce texte est plein de sacrements ineffables, et recherche le cœur divin d’un interprète.  Or moi, à cause de la petitesse de ma compréhension, je pense qu’il faille entendre cela dans le Christ et dans l’Église. »  Quand il parle d’un texte plein de sacrements,  il pense aux paroles de la Genèse.  Et, ensuite, le grand mystère dont parle saint Paul, il le place dans le mariage en tant qu’il représente l’union du Christ et de l’église.

Saint Jean Chrysostome (homélie 20 dit, en expliquant ce passage de l’épitre aux Éphésiens, écrit : « Il a bel et bien dit que c’est un grand mystère.  Comme s’il disait : en toute vérité, cette allégorie  ne rabat pas l’amour conjugal. »  Et ensuite : « C’est vraiment un mystère, et un grand mystère, en laissant de côté celui qui engendre, qui nourrit et qui enfante, qui met au monde dans la peine et les souffrances, qui vit avec une femme qu’il n’avait jamais vue avant, et  qui la préfère à tous.  Vraiment c’est un mystère.  Et quand ces choses arrivent, les parents n’en reçoivent pas d’offense. »  Vois comment saint Jean Chrysostome reconnait que le grand mystère réside dans le mariage, où Érasme n’a pu voir aucun mystère.  Théophylacte et Oecumenius  parlent dans le même sens.  Ensuite, saint Augustin explique ce passage de la même façon (livre 1 sur les noces et la concupiscence, et au  chapitre 10, il dit : « Le sacrement des noces est recommandé aux fidèles mariés.  D’où l’apôtre dit : aimez vos épouses. »

On peut ensuite réfuter les adversaires avec ce texte.  Car, quand l’apôtre dit : cela est un grand sacrement, le pronom cela doit nécessairement référer à ce qui précède de plus près. Car c’est un démonstratif de la chose dont il s’agit.  Or, ce qui précède de plus près , c’est : « l’homme laissera son père et sa mère et adhérera à son épouse.  Et ils seront deux dans une même chair » .  La sentence de  saint Paul doit donc être la suivante : que l’homme laisse son père et sa mère et adhère à son épouse, et qu’ils soient deux dans une même chair,  c’est une grande chose, parce que ça représente l’union du Christ et de son Église. 

 De plus, on déduit la même chose de toute l’argumentation de ce chapitre.    Car, l’apôtre exhorte les époux à une bienveillance mutuelle, et parmi d’autres arguments, il avance que leur union n’est pas une chose légère et méprisable, mais qu’elle inclut un grand mystère,  du fait qu’elle réfère au Christ et à l’ Église.  Si, selon nos adversaires, tout le mystère est constitué par le Christ et l’Église, et n’a rien à voir avec le mariage, toute l’argumentation de saint Paul s’effondre, car on ne comprendra pas facilement ce que vient faire, à la fin du chapitre,  cette commémoration du mystère du Christ et de l’Église.

Ajoutons, enfin, que saint Paul ne dit pas en grec :  en kristô  kai ekkèsia, mais eis Kriston  kai eis tèn ekklèsian.  Il indique clairement par ces paroles que le Christ et l’Église ne sont pas le terme de ce mystère ou du signe mystique; et qu’en conséquence, le mystère est dans le mariage, mais que cette signification du mystère se termine dans ou est référée au Christ et à l’Église.

Les arguments des adversaires ne prouvent rien.  Car, le « moi je vous dis »  signifie, comme l’expliquent saint Jérôme et saint Grégoire de Naziance, et d’autres : moi je rapporte ce mystère du mariage au  Christ et à son église.  Et au sujet de ce qu’objectait  Érasme, qu’il n’y  avait  aucun mystère dans l’union de l’homme et de la femme, je réponds  qu’il n’y a aucun mystère dans le fait qu’un homme s’unisse à une femme, puisque les prostituées  et les animaux le font aussi.   Mais que l’un soit uni à l’autre par un lien indissoluble,  de façon telle qu’ils ne puissent pas se séparer même s’ils doivent en subir de grand inconvénients, et s’ils perdent tout espoir de progéniture, cela ne peut pas exister sans un grand mystère.

Mais Kemnitiius nous oppose deux textes de saint Augustin contre notre interprétation.  Un tiré  du traité 9 sur saint Jean, où saint Augustin nie  que le sacrement dont parle l’apôtre soit  l’union de l’homme et de la femme, et  enseigne qu’il n’est que dans le Christ et l’Église : « Ils seront, dit-il, deux dans une chair.  Ce sacrement est grand. »  Et pour que quelqu’un ne pense pas que cette grandeur de sacrement ne soit dans chaque homme ayant une femme, il dit : je dis dans le Christ et dans l’Église.  L’autre texte est tiré du livre 1 des noces et de la concupiscence, chapitre 21, où il dit : « Dans le Christ et dans l’église est un grand sacrement, c’est-à-dire dans tous les hommes et toutes les femmes, mais cependant le sacrement  d’une union inséparable. » 

 Je réponds que, quand il traite du mariage,  saint Augustin prend le mot sacrement dans un double sens.  Le premier, pour un lien sacré et indivisible, ce qu’il n’appelle pas tant sacrement que chose du sacrement (livre 1, chapitre 10 sur le mariage et la concupiscence).  Le second, pour le signe d’une union sacrée.  Selon le premier sens, il dit que le grand sacrement est dans le Christ et dans l’église, dans les hommes mariés.  Car, tous les fidèles mariés sont minimes par rapport au Christ et à l’Église. Même si autant le lien entre le Christ et l’Église qu’entre les gens mariés ne soit pas plus petit, mais plus grand,  parce que tout à fait indissoluble.  C’est de l’autre façon qu’il entend le mot (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18),  où il dit que le sacrement de chacun des mariages signifie la sujétion  d’une seule église à un seul Dieu .  Et (dans le livre 1 sur les noces et la concupiscence, chapitre 10, il dit ouvertement  que le sacrement des noces est recommandé aux fidèles mariés par saint Paul aux Éphésiens.

Troisièmement, on doit expliquer si ce grand mystère consiste, selon l’apôtre,  dans l’union d’Adam et d’Ève ou dans les autres unions ? Et bien qu’on ne puisse pas nier qu’Adam et Ève aient été des figures du Christ et de l’église, en ce qu’Ève a été formée de la côte d’Adam dormant,  cependant, dans ce passage,  l’apôtre  ne réfère pas le grand mystère au mariage d’Adam et d’Ève,  mais aux mariages des fidèles chrétiens.  Car, tout d’abord, les mots  de la Genèse qu’il allègue lui-même : (qu’il laisse son père et sa mère), s’entendent de tout mariage.  Car, il n’a pas dit : je quitterai, mais l’homme quittera.  On ne peut donc pas rapporter ces mots au mariage d’Adam et d’Ève.  Car, Adam n’a pas quitté son père et sa mère,  pour adhérer à son épouse, puisqu’il n’avait ni père mère.   C’est donc des futurs époux qu’il parle quand il dit : il laissera.   Il ne parle pas donc pas de lui, puisqu’il  savait fort bien qu’ il  était déjà uni à son épouse.        Ensuite, en Matthieu 9, le Christ conclut de ce verset de la Genèse que le mariage est indissoluble : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas.      Le Christ ne voulait certes pas  nous enseigner là que le mariage d’Adam et d’Ève était indissoluble, mais que celui des époux en général, sur lesquels les Juifs l’avaient interrogé, ne devait pas être dissous.

Au chapitre 5 aux Éphésiens, quand l’apôtre présente comme argument  ces paroles de la Genèse pour prouver la proposition générale que les hommes doivent aimer leurs femmes,            il a voulu que ces paroles soient entendues de tout mariage.  Et même si ces paroles peuvent être entendues de tout mariage, cependant l’apôtre ne place en lui le sacrement que s’il est référé au mariage entre chrétiens.           Car il ne dit pas  « ce sacrement a été grand », mais est grand dans le Christ et l’Église.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans le livre du bien conjugal), affirme souvent  que le mariage n’est un sacrement que dans l’Église.  Et saint Thomas (4 dist 26, quest 2, art 2)  que c’est seulement dans le nouveau testament que le mariage représente l’union du Christ et son église. Et c’est aussi ce qu’enseignent Ruardus (dans l’explication de l’article 18) et les autres.

Il nous reste donc à montrer par l’Écriture divine , la troisième chose qui est requise à l’existence d’un sacrement, la promesse de la grâce. On le déduit d’abord de ce passage du chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens.  Car, en ce passage, on ne nous enseigne pas seulement que le mariage est un signe de l’union du Christ avec son église par conformité de nature, mais aussi par la charité spirituelle avec laquelle le Christ aime son église, et la gouverne saintement., et l’église adhère au Christ par la foi, l’espérance et la charité, et lui est soumis par nature.  On ne peut pas douter que cela soit vrai, parce que le Christ n’est pas seulement  uni à son église par conformité de nature, mais à tout le genre humain.  Ce n’est qu’à l’Église qu’il est uni comme un époux à son épouse, par un amour spirituel.  Et c’est pour cela qu’il est nécessaire que ce mariage signifie aussi cette union spirituelle qui est entre le Christ et son église. 

 Et aussi parce que le bienheureux Paul insiste beaucoup sur cette union spirituelle quand il dit :  l’Église est soumise au Christ, et le Christ a aimé son église et s’est livré pour elle, pour la sanctifier. »  Le mot mariage ici ne peut signifier rien d’autre  qu’un contrat civil entre un homme et une femme, ainsi qu’une union spirituelle d’âmes.  Et voilà pourquoi, au même endroit, l’apôtre n’avertit pas seulement les homes d’aimer leurs épouses, comme le Christ a aimé son église, et comme les femmes obéissent à leurs maris, comme l’église obéit au Christ.  Si Dieu a uni l’homme et la femme pour cette fin,  à savoir pour que par une union spirituelle, ils signifient l’union spirituelle du Christ  et de l’église, il leur a sans aucun doute donné  la grâce sans laquelle ils n’auraient pas cette union spirituelle.                                                                                                                                                                           

Et on le confirme cela par d’autres textes de l’Écriture.  1 Timothée 2 : « Elle  sera sauvée par la génération de fils, si elle demeure dans la foi, dans l’amour, dans la sanctification, avec sobriété. »   Il faut noter là le « par la génération d’enfants » mis à la place de « pour »,  « dans. »  Car, l’apôtre ne veut pas signifier que la procréation d’enfants est une cause de salut, mais que, dans l’état de mariage, ou dans l’état de génération,  la femme  sera sauvée par ses enfants , si elle demeure dans la foi, la charité et la sanctification.  Et c’est ici qu’on se défait de certaines questions posées par certains : si la femme est sauvée par la procréation d’enfants, comment seront sauvées les vierges ou les stériles ?  On trouve souvent dans l’Écriture cette phrase : pour quelqu’un,  par quelqu’un, dans quelqu’un.  Dans les Actes 15 : « Par tout le sabbat, on lisait Moïse. »   Actes 26 : « Par toutes les synagogues, il allai les punissant. »  Romains 4 : « Pour qu’il soit le père de tous les croyants par le prépuce. »  Car, le prépuce n’était manifestement pas la cause pour laquelle Abraham était le père de tous.  Mais existant dans un prépuce, il a été fait père de tous par la foi.

Il faut noter en second lieu, que le « si elle demeure » est dans certains codex latins au pluriel : si elles demeurent.  Voilà pourquoi certains pères ont renvoyé la parole de Dieu aux  fils  plutôt qu’aux mères.    Ce qui pourrait se faire correctement si nous lisions si elle demeurait, comme le lit saint Augustin dans le psaume  LXXX111, et à la suite de saint Augustin, Bède le vénérable : si elles demeurent, comme on lit dans la plupart des codex.  Car, comme ils l’ont bien compris, et comme l’ont noté Sedulius et Primatius,  l’apôtre passe souvent du singulier au pluriel, comme dans ce chapitre : « Semblablement, que les femmes, dans un habit  orné,  et peu après : « que la femme apprenne en silence ».              Et en Galates 6 : « Vous qui êtes spirituels, instruisez-vous de cette façon, te considérant toi-même, de peur d’être tenté. »

  De la même façon, dans ce passage, le sens sera : elle sera sauvée par la procréation d’enfants,  si elles demeurent etc, c’est-à-dire si chacune d’entre elles demeure dans la  foi.Comme Cajetan l’explique non sans raison : s’ils persévèrent,  elle et son mari.  Car, il serait difficile de référer ces mots aux enfants.   Car, qui voudrait que le salut des mères dépende de la persévérance de leurs enfants ?  De plus, éduquer et instruire des enfants se rapporte  plus au père qu’à la mère.  Et ce pendant l’apôtre a voulu que ce soit quelque chose de propre aux mères,  pour les consoler parce qu’il leur avait interdit de parler dans les églises.  Ajoutons que Calvin et Bède  admettent en note que le s’ils persévèrent, se rapporte aux mères plutôt qu’aux fils.

Cette explication ayant été posée comme fondement, voyons ce que l’apôtre requiert des femmes mariées.  « Si elle demeure dans la foi, la charité et la sanctification,  avec sobriété ».  Il énumère là quatre biens du mariage chrétien,  contre quatre maux qui, sans la grâce de Dieu,  ne peuvent pas être évités dans le mariage .                 Le premier mal est ne pas conserver la fidélité à son conjoint. Le deuxième, les haines, les rixes, qui naissent subitement entre époux.  Le troisième l’immondice et la turpitude qui nait de la rébellion des membres.  Le quatrième, l’intempérance. C’est à ces maux que saint Paul oppose la fidélité, l’amour, la sanctification et la sobriété, dans lesquels il faut demeurer, comme ayant été reçus dans la célébration elle-même du mariage.  Et dans 1 Corinthiens 7,  il appelle don de Dieu le mariage, comme la virginité : « Chacun a son don de Dieu, un autre comme ceci, un autre comme cela. » Et à 1 Thessaloniciens 4, il exhorte les époux à s’abstenir de la fornication, et de posséder son vase dans la sanctification, celle qui a été reçue antérieurement par le mariage.

                                                          CHAPITRE 3

              On prouve avec les pères que le mariage est un sacrement

S’avancent les témoignages des pères qui convaincront les adversaires de mensonge manifeste.  Car, Calvin a écrit (livre 4, chapitre 19, verset 24), que « personne avant Grégoire  n’a vu que le mariage avait été donné comme sacrement ».  Bèze (dans son annotation au chapitre 5 aux Éphésiens) prétend que «  le mariage n’a jamais été appelé sacrement par saint Jérôme ou par saint Augustin ».  Kemnitius  (2 par examen page 1225), affirme qu’avant le temps de saint Augustin, « on ne peut pas montrer que  l’appellation générique de sacrement ait été attribuée au mariage ».  Mais ces déclarations sont des mensonges impudents, ou l’admission d’une grande ignorance.

Saint Léon a précédé saint Grégoire  de cent cinquante ans.  Cependant, dans son épitre  92 à Rusticus, évêque de Narbonne, il appelle le mariage un mystère et un sacrement : « Puisque la société des noces a été dès le début constituée de telle sorte qu’en plus de l’union des sexes, elle ait elle-même le sacrement du Christ et de l’Église,  on ne peut douter  que la femme n’appartienne pas au mariage où on enseigne que les noces ne sont pas un mystère. »   Saint Jean Chrysostome  qui a vécu avant saint Augustin affirme (dans son homélie 29 sur l’épitre aux Éphésiens, citée plus haut), qu’ « il y a un grand mystère dans l’union indissoluble de l’homme et de la femme. » Nous n’avons pas à exiger de saint Jean Chrysostome le mot sacrement, puisque c’est un mot latin (l’équivalent du mot grec mystère), et qu’il écrit en grec.  Saint Ambroise qui a vécu avant saint Augustin et saint Jérôme, (en plus du texte cité plus haut  portant sur le commentaire du chapitre 5 aux Éphésiens),  parlant, dans le livre 1 sur Abraham, chapitre 7, dit de celui qui veut épouser une femme déjà mariée : « Celui qui agit ainsi pèche contre Dieu, dont il viole la loi et dissout la grâce. En conséquence, comme il pèche contre Dieu, il perd   la participation au sacrement céleste ».  Il enseigne là qu’on ne peut trouver un sacrement céleste,  là où le mariage est célébré contre la loi de Dieu.

Le pape Sirice, contemporain de saint Ambroise, (épitre 1, chapitre 4),  donne le nom de sacrement au mariage.  Mais ce qui est de beaucoup plus important, il écrit qu’ « un sacrilège est commis quand du vivant du conjoint, une personne mariée contracte un autre mariage ».  Or, si le mariage est un contrat civil, sans être en même temps un sacrement de la religion,  comment, je le demande, quelqu’un pourrait-il commettre un sacrilège en le violant ?  Innocent 1 (épitre 9 à Probus), affirme que le mariage est fondé sur une grâce divine communiquée dans la célébration.  Saint Cyrille (livre 2, chapitre 22 sur Jean),  dit que « le Christ a sanctifié le mariage,  et a préparé une grâce pour les noces, afin que soit bénie l’entrée des hommes dans cette vie. »

Mais venons-en à saint Augustin et à  saint Jérôme, et au nom de sacrement attribué au mariage, contrairement au mensonge de Calvin et de Bèze, et à la témérité de Kemnitius.   Saint Augustin attribue le nom de sacrement au mariage dans tous les passages suivants : livre 4 de la Genèse au sens littéral, chapitre 7;  livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7; livre sur le bien conjugal, chapitres 7, 8, 15, 17, 18, 24 et 25;  livre sur la sainte virginité, chapitre 12;  livre 5 contre Julien, chapitre 9;  livre 2 sur le péché originel, chapitre 34;  livre 1 sur les noces et la concupiscence,  chapitres 10, 17, et 21.  Que la nature de sacrement soit attribuée au mariage dans ces passages, on le prouve par les arguments suivants.  D’abord, parce que saint Augustin emploie ce mot absolument et ordinairement dans sa dispute sur le mariage.  Car, les choses qui ne sont des sacrements qu’au sens large et improprement,  ils les appellent rarement sacrements, ou seulement avec un mot ajouté.  On peut trouver un exemple dans le pain sanctifié  qui était donné aux catéchumènes à la place de l’eucharistie.  Car, il l’appelle une fois sacrement (livre 2, chapitre 26, sur les mérites des pécheurs et la rémission des péchés).  Mais, cela, il ne l’a fait qu’une seule fois, et il avertit, au même endroit,  que ce pain n’est pas le corps du Christ, et qu’il ne suffit pas pour  conférer le salut aux catéchumènes.

Deuxièmement, parce que, dans la plupart de ces textes, saint Augustin dit que le mariage n’est un sacrement que dans l’Église. Et c’est de cette façon qu’il distingue le mariage des chrétiens de celui  des païens.  Dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18, il écrit : « Dans le mariage des nôtres, la sainteté du sacrement vaut plus que la fécondité de l’utérus. »  Et, au chapitre 21 : « Le bien des noces pour tous les gentils et tous les hommes  est dans la cause de la génération et dans la chaste fidélité.  Mais, pour le peuple de Dieu,  il est dans la sainteté du sacrement. »  Dans son livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7 : « Dans la cité du Seigneur, dans son saint mont, c’est-à-dire, dans l’Église, ce n’est pas seulement le lien des noces qui est recommandé, mais aussi le sacrement. » 

Or, les mariages des gentils sont vrais et légitimes, et donc des sacrements au sens large.  Car, Innocent (au chapitre Gaudemus, sur le divorce),  appelle sacrement le mariage des infidèles,  et Kemnitius aussi,  (page 1217 à la fin) approuve la sentence de Brentius qui estimait qu’on pouvait appeler le mariage un sacrement au sens large, parce que c’est un genre saint de vie institué et commandé par Dieu.  Donc, quand saint Augustin distingue le mariage des fidèles d’avec celui des infidèles, en enseignant que le premier est un sacrement et que l’autre n’en est pas un,  il parle d’un  sacrement proprement dit, et non d’un sacrement au sens large.

Tu déduiras aussi de cela à quel point est loin de la sentence de saint Augustin  un Jean Calvin  qui compare le mariage avec l’agriculture, le métier de cordonnier,  ou une échoppe de barbier, alors que ce n’est rien d’autre qu’un genre de vie  bon et institué par Dieu.  Car,  selon la conception de Calvin, il n’y aurait aucune différence entre le mariage des païens et celui des chrétiens.   On le prouve, troisièmement, parce que ce n’est pas en passant  que saint Augustin dit que le mariage est un sacrement, mais il soutient que c’est quelque chose de certain et un dogme ecclésiastique prouvable que le lien du mariage est indissoluble.  Or, il est certain que cet argument de saint Augustin ne vaudrait rien s’il ne parlait que du sacrement au sens large.  Nous dirons plusieurs choses sur cet argument dans le prochain chapitre.

Nous le prouvons quatrièmement, parce que saint Augustin parle de la même manière du mariage et du baptême, quand il dispute sur la nature du sacrement.  Car (au livre 1 sur les noces et la concupiscence, chapitre 10), après avoir dit que le sacrement de mariage demeurait encore en ceux qui se séparent d’un mutuel accord, et entreprennent un nouveau mariage, (car le premier lien est toujours en vigueur, et l’un et l’autre forniquent donc , car celui auquel il s’unit n’est pas son conjoint mais celui du conjoint abandonné), il ajoute que la même chose arrive dans le sacrement de baptême, qui ne peut jamais être perdu, même si quelqu’un renonce   au Christ après avoir perdu la foi.  Cette comparaison manifeste certainement que, pour saint Augustin, le mariage est un vrai sacrement.

Mais, à la page 1225, Kemnitius nous objecte un texte de saint Augustin  (bonheur conjugal, chapitre 18),  ou saint Augustin écrit  que les noces des patriarches avec plusieurs femmes  ont été un sacrement de l’union du Christ  avec la multitude des nations de l’univers,  qui se convertiraient à la foi;  que les noces des chrétiens avec une seule femme étaient un sacrement de l’unité de l’église sujette au Christ.  Ce texte semble nous indiquer que, pour saint Augustin, le mariage n’était un sacrement qu’au sens large, c’est-à-dire en tant que quelque chose de mystique  était signifié dans le Christ et l’église.   Je réponds que saint Augustin n’a pas employé partout  le mot sacrement dans ce sens.  C’est ce qu’on prouver avec Kemnitius lui-même.  Car, à la page précédente, qui est 1224, Kemnitius enseigne  que les noces des chrétiens chez saint Augustin, sont  des sacrements, parce qu’elles signifient l’union du Christ avec son église, et que c’est  parce qu’elles sont des sacrements, qu’elles ne supportent pas la polygamie.

  Donc, quand saint Augustin dit  que la polygamie des patriarches a été un sacrement, il  ne donne pas au mot le même sens que celui qu’il donnait  quand il parlait du  mariage chrétien.  Ajoutons que la polygamie des patriarches  a été un sacrement du Christ et de l’Église seulement improprement et matériellement.  Car, les différentes nations converties au Christ ne sont plusieurs églises ou épouses que matériellement,  et improprement.  Car formellement et proprement, unique est l’église, unique  l’épouse, unique le corps.  Voilà pourquoi saint Augustin emploie le mot sacrement au sens large, quand il écrit sur la polygamie des anciens patriarches.  Il le prend dans un tout autre sens quand il s’agit du mariage des chrétiens.  On peut facilement s’en rendre compte par les arguments allégués.

                                                          CHAPITRE 4

Nous prouvons avec la raison que le mariage est un sacrement proprement dit

Venons-en maintenant aux raisonnements.  La première raison, on la tire de l’indissolubilité du mariage,  et de la monogamie, qui est une des raisons dont se sert souvent saint Augustin. Le mariage des chrétiens est celui d’une seule personne avec une seule personne, et il est tout à fait indissoluble.  C’est donc un sacrement  proprement dit,  qui confère la grâce.   L’antécédent s’explique  par Marc X : « Celui qui abandonne son épouse et en prend  une autre commet un adultère sur elle. »  Et les nombreux témoignages qui seront apportés plus bas, en leur temps.  On prouve la conséquence  ainsi.  De ce qu’il est un et insoluble, on déduit deux choses.  La première :  c’est un signe sacré.  La deuxième : il confère la grâce. Or, ces deux choses effectuent un sacrement proprement dit.

La première.  Cette indissolubilité absolue des mariages à une personne, ne peut  être référée comme  cause première et certaine,  qu’au signe de l’union du Christ avec son église.  C’est à cette cause que, dans le livre sur le bien conjugal,  saint Augustin réfère continuellement cette indissolubilité.   Car, si on considérait le mariage comme un office de la nature pour la propagation de l’espèce, on pourrait difficilement trouver une raison pour laquelle il n’est pas permis, quand l’épouse est stérile, de la renvoyer et d’en prendre une autre.  Si on considérait le mariage en tant qu’il est un remède contre la fornication institutionnalisée, pourquoi ne pourrait-on pas renvoyer une épouse continuellement malade ? Et pourquoi ne pourrait-on pas en prendre une autre ?  Voilà  pourquoi le mariage a, de par le droit naturel, une indissolubilité, comme saint Thomas l’enseigne (en 4 dist 33, quest  2, art 1).  Mais pas telle que la raison ne dicte pas qu’il ne convienne parfois  de la dissoudre par dispensation divine.  La raison principale pour laquelle le mariage est indissoluble, c’est que, par une institution divine, il signifie l’union indissoluble du Christ et de son église. 

Et voilà pourquoi, même s’ils  abhorraient le divorce, les savants de ce monde, parce qu’ils ignoraient la cause principale de la fermeté du lien conjugal, séparaient les conjoints pour certaines raisons, permettaient des remariages ou plusieurs épouses.  Comme saint Augustin le rapporte au sujet de Caton (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre, et dans son livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7) qui a pensé pouvoir renvoyer une épouse qu’il aimait tendrement, à cause de sa stérilité.  Saint Jérôme (livre 1 sur Jovinianus) rapporte la même chose au sujet de Cicéron. Il est bien connu que Socrate a eu deux épouses en même temps.  Des exemples de ce genre, on pourrait facilement en fournir d’autres.

Saint Paul (1 Corinthiens 7 décrète qu’un mariage légitime et consumé,  contracté avant le baptême,  peut être dissout, mais non après le baptême.  On ne peut certes en donner d’autre raison que ce sacrement est le signe de l’indissoluble union du Christ et de son Église, tandis que l’autre ne l’était pas.  Car, si on fait abstraction du sacrement, les mariages des fidèles et des infidèles sont identiques.

La deuxième.  Pour tolérer le lien de l’indissolubilité du mariage, la grâce de Dieu est nécessaire, et, dans les choses nécessaires, Dieu ne fait jamais défaut.  Car, c’est une chose très difficile d’être lié à une seule femme, de façon à ce que ce lien ne puisse être rompu pour aucune considération, et qu’aucune autre épouse ne puisse être introduite du vivant de la première épouse.  Or, qui croirait que Dieu a institué une chose si difficile,  sans donner en même temps, l’aide d’une  grâce qui permette de surmonter cette difficulté ?  Ajoutons que la loi nouvelle, dont le joug est suave et le fardeau léger,  serait , quand on la compare avec l’ancienne, plus dure que l’autre,   si le mariage n’avait pas avec lui une grâce spéciale !  En effet, il était permis aux Hébreux d’avoir simultanément plusieurs épouses, et de répudier leurs épouses par un libelle.   La deuxième raison on la tire de la fin du mariage, qui est double : la procréation d’enfants, et le remède contre le péché de fornication, car l’une et l’autre fin requiert, dans le mariage, l’aide de Dieu.

Au sujet de la première fin, il faut savoir que le mariage n’a pas seulement pour fin  de procréer des enfants, mais aussi de les éduquer et de les élever.  C’est en cela que diverge l’union conjugale des êtres humains  de celle des animaux, qu’on n’appelle pas proprement mariages, puisque les bêtes ne font que mettre au monde et nourrir leurs enfants.  Mais en plus du devoir d’élever et d’éduquer les enfants selon les règles de la raison, --chose qui est commune à tous les êtres humains - il appartient aux couples chrétiens d’éduquer et d’instruire les enfants dans la foi et la religion, et de faire tout ce qu’ils peuvent pour qu’ils deviennent  des membres de l’église catholiques véritables et vivants.   On le sait cela, parce que les fils de l’Église se marient pour accroitre et conserver l’Église, et aussi parce que c’est ce que requiert la similitude  entre le Christ et l’Église d’une part,  et l’union de l’homme et de la femme d’autre part.   Car, le Christ et l’Église engendrent toujours des fils spirituels par le baptême , les nourrissent par  l’eucharistie, les fortifient par la confirmation, etc.  De par cette union,  les époux chrétiens sont donc obligés aux devoirs divins.  Jamais Dieu ne commande des devoirs qui transcendent la nature, sans donner en même temps une grâce qui permette de les accomplir, comme il le faut.

En ce qui a trait à l’autre fin, les théologiens ont raison de dire  que le mariage seul, sans la grâce de Dieu, n’est pas un remède suffisant contre la fornication, d’abord, parce que la concupiscence est avivée par l’acte conjugal au lieu d’être éteinte, et aussi parce qu’il arrive souvent  qu’on est forcé de pratiquer longtemps  la continence, à cause de la maladie, de la mort ou de l’absence du conjoint.   Cela semble être plus difficile aux époux que le perpétuel célibat aux vierges.  Il importait donc à l’auteur de la divine loi de fournir aux fils de l’église  un remède  parfait et suffisant.

La troisième est tirée du rite et des cérémonies.   Car, dès le début de l’Église, il appert que le mariage faisait partie des choses sacrées, et qu’il avait coutume d’être célébré par le ministère des prêtres.  Et il est certain que s’il n’était qu’un contrat humain, comme sont les contrats d’achat et de vente, etc  les saints pères n’auraient jamais rangé le mariage parmi  les choses les plus saintes.   Tertullien (dans le livre 2 à son épouse) dit, pour montrer la différence qui existe entre le mariage célébré dans l’église et celui qui est célébré par les païens : « Où trouverons-nous les mots qui suffisent à exprimer le bonheur d’un mariage que l’Église cimente, que l’oblation confirme, que la bénédiction contresigne et scelle, dont les anges rapportent la nouvelle aux cieux, et que le Père estime ratifié ? »  Saint Ambroise (épitre à Vigile) : « Car, puisque le mariage doit être sanctifié par un vêtement sacerdotal et par la bénédiction, comment peut-on l’appeler mariage,  là on n’est pas la concorde de la foi ? »  Nous rapporterons d’autres textes plus bas, en son lieu.

La quatrième raison est tirée du consentement de toute l’Église grecque et latine, depuis  au moins cinq cents ans.  Car, au temps du Maître des sentences, Pierre Lombard, tous les théologiens enseignèrent, à l’unanimité, qu’il y a sept sacrements dans la nouvelle loi;   et ils y inclurent toujours le mariage.  Voir les docteurs dans 4 dist 26.   Lucius 3, qui, avant les années 400 siégea dans un concile de beaucoup de patriarches, d’archevêques, de prélats et de princes de Vérone, prononça l’anathème contre «  ceux qui penseraient autrement que l’ Église romaine dans le sacrement du corps du Seigneur, du baptême, du mariage, de la confession des péchés, et des autres sacrements de l’Église ».  Nous voyons là que le mariage est énuméré parmi les sacrements proprement dits de l’Église.  On trouve ce décret du pape Lucius  au chapitre 4 ad abolendam, sur les hérétiques.

Avec le consentement des grecs et des latins, le concile de Florence donna son instruction aux Arméniens, où le mariage est énuméré avec le baptême, l’eucharistie et les autres sacrements.  Et pour qu’on ne pense pas que les Grecs se soient éloignés de cette foi, il y a quelques années seulement de cela, c’est-à-dire en 1576, le patriarche Jérémie de Constantinople  censura, en son nom et au nom des autres évêques,  la confession luthérienne d’Augusta.  Et, dans cette censure, nous lisons au chapitre 7, « que le mariage est un sacrement divin, et l’un des sept que le Christ et les apôtres livrèrent à l’Église », en référant explicitement au chapitre 5 des Éphésiens.  

De ce témoignage, on peut déduire deux choses en passant contre les mensonges des adversaires.  Le premier.   Si les grecs qui depuis longtemps s’étaient soustraits à l’obéissance du souverain pontife, énumèrent le mariage parmi les sacrements,  le mariage n’est donc pas un dogme propre aux papes.  Ensuite, si les Grecs, qui ne lisent l’apôtre qu’en grec dans le cinquième chapitre de la lettre aux Éphésiens, appellent le mariage un sacrement (et non un mystère), ce n’est donc pas à cause de l’ignorance de la langue grecque, ou à cause du mot sacrement qui se trouve dans la traduction de la vulgate, que les latins ont fabriqué un sacrement du mariage, comme le veut le mensonge de Luther, de Calvin, de Bèze et de Kemntius.  De plus, un tel consentement des églises devrait suffire  aux chrétiens pieux et modestes, même si nous n’avions pas d’autre argument.  Car, dans le commentaire de l’ Écriture et des pères ont peut facilement trébucher.  Or, que l’Église ne peut pas faillir,  qu’elle ne peut pas errer, cela est dit si clairement par le Christ et par l’Apôtre qu’on ne peut rien trouver qui ait  été formulé plus clairement et plus explicitement.  « Tu es Pierre, et sur cette pierre, j’édifierai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (Matth 16.)  1 Timothée 3 : « L’Église du Dieu vivant  est la colonne et le firmament de la vérité. »

Saint Augustin (livre 1, chapitre 23 contre Cresconius), dit : « La vérité des Écritures est tenue par nous quand nous faisons ce qui plait déjà à l’église universelle, que l’autorité elle-même des Écritures recommande.   De sorte que, comme la sainte Écriture ne peur errer,  quelqu’un qui craint que l’obscurité d’une question le fasse errer, qu’il consulte la même Église que la sainte Écriture démontre sans ambigüité. »

                                                           CHAPITRE 5

                          On solutionne les arguments des adversaires

Le premier est de Luther dans son livre sur la captivité de Babylone (au chapitre sur le mariage), et de Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 34) : « On ne lit nulle part que celui qui  prend femme  recevra une grâce de Dieu. Car, il n’y a pas non plus de signe institué divinement dans le mariage.  Et même si le mariage humain pouvait être le signe de l’union du Christ avec son l’Église, on ne pourrait pas,  à cause de cela, y voir un sacrement.  Car, les cieux aussi qui racontent la gloire de Dieu signifient les apôtres, comme le soleil signifie le Christ. Et les étoiles  qui diffèrent l’une de l’autre en clarté sont, d’après l’apôtre,  des signes de la résurrection des morts.  Ensuite, l’évangile nous montre plusieurs signes du royaume des cieux dans les paraboles du Seigneur. Le royaume des cieux est représenté par une semence, par le grain de sénevé, par le levain etc.  Cependant, de tous ces signes on ne fait  pas des sacrements proprement  dits.

Je réponds  d’abord, que c’est faussement que Luther prétend cela, comme nous l’avons démontré plus haut par l’Écriture et les pères.  Je réponds ensuite que n’est pas solide un argument tiré d’une autorité négative de l’Écriture, puisque les catholiques ont suffisamment prouvé que les apôtres ont transmis beaucoup de choses qu’on ne trouve pas dans l’Écriture.  Ajoutons que Philippe (dans l’apologie de la confession d’Augusta, art 13)  et Kemnitius  (2 par, examen, page 1219) reconnurent tous deux que cet argument de Luther était sans valeur.  Philippe a même admis que le mariage avait la promesse d’une grâce.  Kemnitus a admis  et le signe externe et la promesse d’une grâce, même s’ils ne veulent pas qu’il soit un sacrement proprement dit.

À la confirmation, je dis qu’on ne tire pas un sacrement de n’importe lequel signe, mais seulement d’un signe institué par Dieu, et auquel est annexée une grâce. C’est ce qu’on trouve dans le mariage, car il est le signe de l’union du Christ avec son église, et cela est clairement institué, comme nous l’avons démontré par son indissolubilité.  Et, il a, en plus, une grâce annexée, comme nous l’avons enseignée plus haut.  Mais les signes que Luther et Calvin mettent de l’avant  n’ont pas de grâce annexée, et n’ont pas été institués par Dieu.  Car, Dieu n’a pas créé les cieux pour signifier les apôtres, mais c’est de leur propriété naturelle  que l’Écriture tire cette  comparaison pour expliquer l’office des apôtres.  Il en va de même pour les autres exemples allégués.

Le second argument de Luther : « Le mariage existe depuis le début du monde,  perdure encore chez les infidèles, et n’est pas moins vrai et saint chez eux que chez nous.  On trouve même, parmi les époux chrétiens, des impies qui sont pires que les païens mariés.  Or, le mariage  n’est pas un sacrement chez les infidèles.  Il ne l’est donc pas non plus chez les chrétiens. Ou si le mariage est pour eux un sacrement, il n’est donc pas un sacrement propre à la nouvelle loi. »    Je réponds que ne manquent pas les catholiques qui admettent que le mariage n’est pas un sacrement proprement dit de la nouvelle loi, mais qu’il le fut aussi dans la loi ancienne, même s’il n’a pas été institué  tant par les Juifs que par le Christ, mais plutôt confirmé. C’est ce qu’enseigne Alphonse de Castro  (livre 11 contre les hérésies, au mot noces, hérésie 3),  et Pierre a Soto  (leçon 2 sur le mariage),  et certains autres dont les raisons sont au nombre de trois.  La première, parce que l’apôtre  dit, aux Éphésiens 5,  en parlant du mariage d’Adam et d’Ève : c’est un grand sacrement.  La deuxième.   Parce que, en Genèse 1,  Dieu a béni le mariage d’Adam et d’Ève, ce qui nous fait voir une grâce annexée à un signe.  La troisième. Parce que, dans son épitre 92 à Rusticus, saint Léon dit que les noces ont été instituées par Dieu, de façon à avoir en elles le sacrement du Christ et de l’Église.

Je ne vois pas, du premier coup d’œil,  pas comment on peut, en toute sécurité, justifier cela.  Car, le concile de Florence énumère le mariage parmi les sacrements de la nouvelle loi,  et distinguent les sacrements de la loi  nouvelle des sacrements  de la loi ancienne  par le fait que les premiers confèrent la grâce, et les autres ne la confèrent pas.  Et le concile de Trente (session 21, canon 1), enseigne longuement que le sacrement du mariage a été institué par le Christ dans la nouvelle loi.  Et dans le décret qui précède les canons, le concile enseigne que le mariage des chrétiens l’emporte par la grâce sur les mariages anciens.  C’est aussi ce qu’enseignèrent les anciens théologiens.  Car, saint Thomas  (1 dist 26, quest 2, art 2, et 3), écrit que le mariage a été institué en tant qu’office de la nature,  dans l’état d’innocence;   et, ensuite,  dans l’état de la nature corrompue, il lui avait été ajouté d’être aussi un remède.   Et, enfin, dans la loi nouvelle, il a été institué par le Christ en tant que sacrement.  Saint Bonaventure enseigne aussi  (4 dist 26,  art 2, quest 2) que, dans la loi nouvelle, le mariage a une vraie grâce qui lui est annexée.  Ce qui nous fait comprendre que quand le même auteur  affirme plus haut  que, dans l’état d’innocence, le mariage a été un sacrement, il ne parlait pas du sacrement qui existe aujourd’hui.  Scot ,  (dans la même distinction 26, question unique, conclusion 4) enseigne clairement que le mariage  n’était pas un sacrement avant l’avènement du Christ, mais que c’est dans la loi nouvelle qu’il a été institué par le Christ.  Les docteurs récents enseignent la même chose.  Ruardus (dans l’explication de l’article 18 des docteurs de Louvain), et Dominique a Soto (4 dist, 26,  question 2, art 2), et beaucoup d’autres.

S’impose rapidement une raison évidente.  Car, si le mariage avait été un sacrement avait l’avènement du Christ, s’il aurait été institué dans l’état d’innocente ou après.  Il n’a certes pas été institué dans l’état d’innocence, parce que les époux n’avaient pas alors besoin d’une grâce sacramentelle, puisqu’il n’y avait ni concupiscence, ni difficulté à l’observer, et qu’aucun remède contre le péché n’était nécessaire.  Et dans l’état de la nature corrompue, on ne lit aucune institution de mariage  dans tout l’ancien testament,  mais seulement une restriction pour les personnes contractantes (Lévitique 18).  De plus, dans l’ancien testament, par la permission de Dieu, la polygamie et la répudiation de l’épouse étaient permises.  Le mariage n’était donc pas un  signe.   Et une grâce annexée n’était pas,  alors,  aussi nécessaire qu’elle l’est à notre époque, puisque les hommes de ce temps pouvaient facilement, par la multitude des femmes, ou par la répudiation de l’épouse, obvier à des difficultés qui aujourd’hui requièrent une grâce spéciale. Et, bien qu’à cette époque, les Hébreux étaient tenus d’élever leurs enfants dans la loi  et la religion de Dieu, cependant, cette fin était extrinsèque à leur mariage, tandis qu’elle est intrinsèque au mariage chrétien.

Ces trois  arguments sont loin de convaincre.   Au premier, nous avons déjà répondu que l’apôtre Paul, en ce lieu, n’attribue pas le nom de sacrement au mariage de nos premiers parents, mais aux noces chrétiennes.  Ensuite, même si le mariage d’Adam et d’Ève avait signifié l’union du Christ et de l’Église, et l’avait signifiée à la façon d’une figure, cependant,  on ne pourrait pas l’appeler un sacrement proprement dit, comme le sont nos sacrements, parce que lui a manqué la promesse d’une grâce.    Au second, je réponds que cette bénédiction fut  temporelle, non spirituelle, car ce qui lui était attribué c’était la fécondité des corps, et non l’aide aux esprits d’une grâce spirituelle.  Ce que prouve correctement saint Augustin (livre 13, chapitre 21 des confessions), en notant que la même bénédiction avait été donnée aux poissons et aux oiseaux.  Au  troisième,  je dis que saint Léon n’a pas dit que, « dès le début du monde », les noces ont été le sacrement du Christ et de l’Église, mais « au début de son institution. »  Ce qui peut fort bien s’entendre de la nouvelle institution faite par le Christ.   À supposé même que saint Léon aurait dit « depuis le début du monde », cela aurait quand même était vrai, car le premier mariage  qui fut celui d’Adam et d’Ève a représenté l’incarnation du Seigneur.  Mais cette union, et encore moins les autres choses, ne peuvent, à cause de cela, être appelées sacrements proprement dits.

Après avoir donné ces explications, je réponds à l’argument  que le mariage a été, depuis le début du monde, et l’est encore maintenant chez les infidèles, un contrat civil et un office de la nature.  Mais qu’il ne fut un vrai sacrement qu’à la venue du Christ, comme saint Augustin l’enseigne (dans le livre sur la foi et les œuvres, chapitre 7, et dans le livre sur le bien conjugal, chapitre 28).  Voilà à quel point est fausse la prétention de Luther à l’effet que le mariage est également saint chez les fidèles et  les infidèles.  Car, saint Augustin, aux endroits cités,  écrit ouvertement  que les sacrements des infidèles furent privés de la sainteté du sacrement, qui ne manque pas du tout dans le sacrement des fidèles. 

À ce qu’ajoutait Luther  qu’on trouve chez les fidèles des conjoints impies qui sont pires que les infidèles, je réponds que la sainteté du  sacrement n’est pas polluée par les mauvaises mœurs de ceux qui reçoivent les sacrements.  Car, autrement, il faudrait nier aussi que le baptême et l’eucharistie soient des sacrements, car il y en a beaucoup parmi ceux qui reçoivent ces sacrements qui sont pires que les bons païens.  Ajoutons que, si chez les fidèles, quelques-uns sont pires  que les infidèles,  il y en a plusieurs qui sont pieux et saints.  Chez les Gentils, c’est le contraire : beaucoup sont impies, peu sont pieux.

Le troisième argument est de Calvin (livre 4, chapitre 19, 34) : « Pour être considéré comme un sacrement, il ne suffit pas que le mariage vienne de Dieu, car l’agriculture et la cordonnerie sont de Dieu, sans pourtant être des sacrements.   Mais il est requis qu’il soit une cérémonie extérieure instituée par Dieu, pour confirmer la promesse.  Or, le mariage n’est rien de tel, même un enfant  le comprendrait. »  Je réponds que nous avons déjà beaucoup disserté sur la proposition de cet argument, dans le premier livre des sacrements en général.  Nous y avons montré qu’un sacrement n’est pas institué pour confirmer une promesse, mais pour signifier et conférer une grâce.  Mais même si sa proposition était vraie, l’argument  ne conclurait rien,  parce que l’assomption est fausse.   Car, l’union externe et visible d’un époux et d’une épouse , qui a coutume de se faire par des paroles solennelles devant l’Église,  est une cérémonie externe, et instituée par Dieu.  Et on peut confirmer, à partir d’elle, que le Christ n’abandonnera jamais complètement son église,  et que c’est ce qui est signifié par mariage, comme nous l’avons démontré avec 5 Éphésiens.

I l importe peu que cette union de l’homme et de la femme soit une chose naturelle, et usitée même chez les païens.   Car, on peut appeler cérémonie les choses naturelles dans la mesure où elles signifient quelque chose.  Manger du pain, boire du vin ce sont des choses naturelles, utilisées par tous les êtres humains.  Et cependant, les calvinistes, aussi, dans leur cène sacrée, comme ils l’appellent,  n’ont pas tort de penser , quand ils mangent du pain et boivent du vin, que la cérémonie externe qu’ils font a pout  but de représenter la mort du Christ.  Et, de la même façon, quand nous baptisons quelqu’un avec de l’eau, nous purifions le corps avec de l’eau,  ce que tous font, un peu partout.  Et cependant,  nous faisons vraiment une cérémonie sacrée, parce que cette ablution externe  signifie l’ablution interne.

Le quatrième argument est celui de Calvin  (au même endroit, verset 36), et de Kemnitius  (2 par, examen, page 1207) : « Ils appellent  le mariage du pape une immondice et une pollution,  et des impuretés charnelles.  Or, ils militent contre eux,  quand ils veulent que le mariage soit un sacrement, car on ne peut pas  dire, d’un sacrement,  qu’il est une immondice et une pollution. »  Calvin ne prouve pas l’antécédent.  Il note, quand même, en marge, certains passages du maitre des sentences et de Gratien.  Mais à aucun endroit il n’a  pu trouver quelque chose qui s’y rapportait.  Kemnitius va chercher sa preuve dans l’épitre du pape Siricius à Himérius de Tarascone. Il essaie d’accommoder au mariage les mots : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu ».  Comme si ceux qui se marient sont dans la chair, et ne peuvent donc pas plaire à Dieu.  Au même endroit, le mariage est interdit aux prêtres,  à cause de ces paroles de l’Écriture qui se rapportent proprement aux prêtres : « Soyez saints, comme moi je suis saint ». Et : « Soyez purs, vous qui portez les vases du Seigneur. »  Voilà l’épitre qu’a coutume de citer Calvin  quand il  objecte aux catholiques que leur conception du mariage  doit leur faire rejeter le mariage comme une pollution. » (livre 4, chapitre 12,  verset 21).

Je réponds que tout cet argument repose sur le mensonge et la calomnie.  Car, jamais les catholiques n’appellent un mariage légitime une immondice ou une pollution.   Siricius, en effet,  le très ancien et très sage pontife, ne condamne pas les mariages, mais les sacrilèges,  que les luthériens appellent faussement mariages.   Car, il blâme  (aux chapitres 6 et 7) les moines et les prêtres qui veulent s’impliquer dans des noces illicites, alors qu’elles leur sont interdites, comme ils le savent, par la doctrine de l’apôtre  quand il a dit : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. »  Car, les prêtres sont convaincus d’être et de vivre dans la chair, quand ils aspirent à des mariages qui leur sont interdits.  Le chapitre 5, où se trouve le mot de pollution,  blâme ceux qui après avoir fait la pénitence,  retournent à leur bourbier.  Comme celui qui s’est marié légitimement, et qui a pris femme canoniquement n’a pas à faire pénitence, il s’ensuit donc que ses reproches portaient sur un mariage illégitime.

Ajoutons que si nous disions  que, dans l’acte du mariage, il y a une certaine immondice et pollution, en raison de la concupiscence et de la rébellion des membres,  nous ne dirions rien qui soit  contraire  aux saintes lettres.  Car, dans 1 Rois 21,  David interrogea le prêtre : apporte-moi les pains de proposition.  Et le prêtre leur répondit : « Si les jeunes sont purs,  surtout du contact avec les femmes. »  Et David répondit : « S’il est question de femmes, nous avons été continents à partir d’hier etc.   Saint Jérôme prouve correctement, à partir de ce texte,  (dans son livre 1 sur Jovinianus) que, même chez les époux, l’acte charnel peut être appelé une immondice. »  Et, dans Apocalypse 14 : « Voici ceux qui ne sont pas pollués avec des femmes. »  Dans ce passage, le mot « coinquinatio » désigne toute souillure qui fait périr la virginité.  Or, on ne peut nier que, par le mariage, la virginité périt.

De plus, s’il n’y a rien de honteux dans l’acte conjugal, pourquoi les hommes rougissent-ils,  et pourquoi n’osent-ils pas exercer cet acte devant les autres ?  Et pourquoi, dans le Lévitique, ( 18 et 20), les instruments de cet acte étaient-ils portaient-ils toujours  des mots honteux ?  Voilà pourquoi, à cause de cette souillure, dont parle l’Apocalypse,  et de l’immondice dont parle Abimélech,  dans les livres des Rois, et de la turpitude dont parle Moïse dans le Lévitique, on peut dire avec raison aux prêtres : purifiez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur.   Ensuite, en Corinthiens 7, quand il compare une vierge avec un homme marié, il dit : « La vierge pense aux choses du Seigneur, comment plaire à Dieu, pour qu’elle soit sainte de corps et d’esprit. »  La vierge plait donc à Dieu d’une certaine façon, en tant que consacrée, et non mariée.  Ce ne serait donc pas mal parler des époux que de dire : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu » »  C’est-à-dire ceux qui sont enlisés dans les soins charnels à cause du mariage,  pensent au monde, comment ils pourraient plaire à leur femme.  Et ils ne peuvent donc  pas plaire à Dieu au même degré où la vierge plait à Dieu.  Et, pour les mêmes raisons, on peut appliquer la phrase suivante au prêtre à cause de leur célibat : « Soyez saints », de corps et d’esprit, comme ne peuvent pas l’être ceux qui sont mariés, même s’ils  peuvent être saints aussi à leur façon.

Le cinquième argument est de Calvin et de Kemnitius, aux lieux cités : « Si le mariage est un sacrement, il ne militerait certes pas contre les autres sacrements.  Or, les papes enseignent  que le sacrement de l’ordre ne peut pas cohabiter avec le mariage.  Donc, ou le mariage n’est pas un sacrement, ou les papes se contredisent.  Je réponds que les prêtres ne sont pas interdits du sacerdoce à cause du sacrement qui se trouve dans le mariage, mais à cause des empêchements et des soucis séculiers qui accompagnent nécessairement le mariage.  Cela est si vrai que  les époux qui d’un commun accord professent la continence perpétuelle, peuvent être initiés aux ordres, tout en demeurant de vrais époux (car le lien n’est pas dissous, ou le sacrement ne périt pas un vœu de continence), et étant de vrais prêtres.  Comme quoi les sacrements ne militent pas les uns contre les autres. 

Il y a, dans le sacrement de mariage, quand on élève des enfants,   beaucoup de choses qui détournent fatalement  l’esprit des choses divines.  C’est ce que l’apôtre enseigne à 1 Corinthiens 7 : « Celui qui a une épouse a souci des choses du monde.  Il se demande comment il pourrait plaire à son épouse, et il est donc divisé. »  Et, au même endroit, il exhorte les gens mariés de s’abstenir de l’acte conjugal, au moins une fois de temps en temps, par un consentement mutuel,   pour vaquer à la prière.  Ce n’est donc pas à cause de la sainteté du sacrement  que le mariage est interdit aux prêtres, mais c’est  à cause d’empêchements de cette sorte.

Mais Calvin réplique à cette réponse  avec un nouvel argument.   C’est son sixième : « Le coït est une part du sacrement, et sans lui, le mariage n’est pas un sacrement, comme le soutient le maitre des sentences (livre 4 des sentences,  dist 26,)   et Gratien ( 27, quest 1, canon  non est dubium,  et le canon cum societas).  Car, c’est par lui qu’est figurée l’union du Christ avec l’église, par une conformité de nature,  au moment où les conjoints deviennent une seule chair.  Donc, si les prêtres ne sont pas interdits du sacrement  par le lien, ils ne doivent pas non plus l’être par le coït,  ou le mariage n’est pas un sacrement.  Et comme, confirmation,  Calvin ajoute cet argument très subtil : « Dans le sacrement, dit-il, est conférée la grâce du Saint-Esprit.  C’est du moins ce qu’ils enseignent.  Ils soutiennent que le coït est un sacrement, tout en niant que le Saint-Esprit ne peut pas être présent dans le coït. »  Cette dernière proposition, ils la prouvent  avec  le canon de Gratien connubio, 32, quest 2.

Je réponds qu’au sujet de la copule conjugale, on trouve deux opinions chez les catholiques.  Quelques-uns enseignent que cette partie n’est pas  et ne  peut pas être une partie du sacrement, mais seulement un acte ou un office du mariage,  quelque chose donc d’accidentel par rapport au sacrement du mariage.   D’autres veulent que cette copule soit une parie du sacrement, non par rapport à l’essence, mais à l’intégralité; et que c’est pour cela qu’avant la copule le mariage est dit ratifié mais non consommé.   Tous s’entendent pour dire que la copule n’est pas une partie essentielle.  Et c’est pour cela  que le sacrement du mariage se trouve entier et complet, quant aux parties essentielles, dan l’engagement mutuel contracté par les paroles des époux.  Cette sentence est celle des anciens pères, comme il est facile de s’en rendre compte par leurs témoignages.   Saint Ambroise ( au livre de l’institution des vierges, chapitre 6) : « Ce n’est pas la défloration de la virginité qui fait le mariage, mais le pacte conjugal. »  Voir le même auteur (dans le livre 2 sur le consensus des évangélistes, chapitre 1), où il enseigne  qu’entre la sainte Vierge et saint Joseph il y a eu un véritable mariage sans copule charnelle.   Pour prouver la même chose, il fait des citations de saint Jean Chrysostome, d’Isidore,  du pape Nicolas, et d’autres.  Voir aussi Gratien, 21, quest 2).

Il faut cependant observer qu’on peut citer, en sens contraire, des textes de saint Augustin et de saint Léon (canon non est dubium, et canon cum societas.)  Mais l’un et l’autre canon est tiré de l’épitre de saint Léon 92 à Rustique de Narbonne.  Voici les paroles de saint Léon : « Comme la société du mariage a été dès le début instituée  de façon à ce que, en plus de l’union des sexes, il ait en lui-même un sacrement du Christ et de l’Église, etc. »  Après avoir ajouté une négation, Gratien lit ainsi : « Comme la société du mariage a été instituée dès le début  de façon à ce que, en plus de l’union des sexes, elle n’ait pas en elle-même le sacrement du Christ et de l’Église. »  Mais, il faut corriger le texte de Gratien à partir de la lettre elle-même de saint Léon.  Il faut aussi corriger aussi le texte du maitre des sentences, où se trouve la même altération.   Que la version sans négation soit la plus vraie, on le prouve ainsi.  Parce que c’est ce qu’ont tous les codex de saint Léon, et aussi parce que la négation  ne va   pas  avec le sens du texte.  Car, saint Léon se propose d’enseigner que  la concubine n’est pas une vraie épouse.  Pour prouver cela, il n’est pas nécessaire qu’il montre  qu’est requise, pour le mariage, l’union des sexes.  Mais il doit démontrer, et c’est ce qu’il fait, que le mariage ne consiste pas tant dans la copule charnelle que dans  le contrat nuptial, par lequel est le sacrement du Christ et de l’Église.

Après ces réflexions préliminaires,  je réponds à l’argument de Calvinm  qu’il vient d’affirmer deux faussetés. La première, que le coït  est un sacrement,  ou une partie du sacrement telle que, sans lui, il ne peut y avoir de sacrement.  Cela est faux, comme l’attestent les pères que nous venons de citer.  Il importe peu que la copule signifie l’union du Christ avec son église par conformité de nature, car ce n’est pas cette seule signification qui fait le sacrement, mais aussi la signification du Christ et de l’Église, ou avec n’importe laquelle âme, par amour spirituel.   En conséquence, si la copule fait défaut, une certaine signification fera défaut, mais non pas toute la signification.  Et c’est pourquoi ce mariage sera quand même un sacrement,  mais d’une certaine manière imparfait, et non consommé.  On a déjà répondu à ce qu’on nous objectait sur les textes de saint Léon et de Gratien, et du maitre des sentences.

La deuxième.  Calvin prétend faussement  que, d’après l’enseignement des théologiens, les prêtres ne sont pas interdits du sacrement de mariage, mais seulement du coït.   Or, les prêtres ne sont pas interdits seulement du coït, mais  aussi du sacrement de mariage.  Non à cause du sacrement lui-même, comme nous l’avons expliqué plus haut,  mais à cause des choses qui sont annexées au sacrement.  Il n’est pas absurde que ceux qui  ont un sacrement soient interdits d’un autre, même si l’un et l’autre est saint et agréé  par Dieu, quand la fonction de l’un empêche le bon fonctionnement d’un autre.  Car les apôtres eux-mêmes renoncèrent au ministère du service des tables,  pour pouvoir s’occuper plus activement  des œuvres pieuses et charitables.   Et dans 1 Timothée 5, on reproche à des veuves  qui étaient passées au service de l’Église, de vouloir se marier.  Car, elles ne pouvaient pas facilement remplir ces deux fonctions.

À la confirmation, je réponds que  qu’il y a là deux vices.   Le premier.   Dans cette proposition : Ils  transmettent que le coït est un sacrement.  Je ne connais aucun auteur catholique qui ait soutenu cela.  Car comme je l’ai enseigné avant,  quelques-uns le nient absolument,  d’autres admettent qu’il  fait partie de l’intégralité du sacrement.  Il ne s’ensuit pas, de cette sentence, ce que Calvin croit devoir s’ensuivre : qu’ordinairement,  la grâce sacramentelle doit être donnée dans le coït.  La grâce est donnée quand les époux  contractent le mariage par leurs promesses verbales mutuelles.  C’est alors, que le mariage, en ce qu’il a d’essentiel, est alors proprement conféré. 

 L’autre vice est dans l’autre proposition :  ils nient que dans le coït  ne soit jamais présent le Saint-Esprit.  D’abord, ces paroles rapportées par Gratien, sont d’Origène, ( homélie 6 sur les Nombres),   Origène n’a pas une autorité telle dans l’Église qu’il nous faille  nécessairement approuver toutes ses sentences.  Mais, dans ce texte, il n’affirme pas vraiment : « Bien que jusqu’à  présent je ne me sois pas prononcé là-dessus,  ie pense que… »   De plus, ces paroles d’Origène  avec lesquelles il enseigne  que, dans l’œuvre conjugale,  la présence du Saint-Esprit n’est pas donnée,  ne signifient pas qu’il  n’est pas du tout  présent, mais qu’il ne l’est pas pour effecteur cet acte par une aide spéciale.  Car, ce qu’Origène enseigne  là, c’est que  les œuvres des saints  ne sont pas toutes opérées par  l’Esprit Saint. Car, quelques-unes sont des mauvaises actions que même des saints font, et ces actions ne viennent pas du Saint-Esprit.  Quelques œuvres sont bonnes, mais naturelles,  et n’exigent donc pas une présence spéciale du Saint-Esprit.  Bien plus, il ne convient pas de leur attribuer une aide spéciale du Saint-Esprit. 

Et c’est dans cette catégorie qu’Origène place l’œuvre conjugale, et il ne se trompe pas en estimant  qu’il  n’est pas nécessaire d’attribuer à cette œuvre une aide spéciale du Saint-Esprit.  Mais avec ce jugement d’Origène concorde l’affirmation que, par l’ace conjugal,  on peut acquérir la grâce du Saint-Esprit,  quand cet acte est un acte de justice, d’obéissance, de charité.  Car, cet acte peut relever de toutes ces vertus.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans son livre 4 contre Justinien, chapitre 5,) écrit que c’est un bien béatifique quand quelqu’un se sert du mariage charnel non pour satisfaire la sensualité, mais pour avoir des enfants,  pour la propagation de la gloire de Dieu.   Mais pour cette sorte d’action, la volonté qui choisit un acte charnel pour la progéniture ou pour  la plus grande gloire de Dieu, a surement besoin de l’aide de Dieu.  L’œuvre conjugale  suit de cette volonté par des instruments naturels, sans une aide spéciale et nouvelle de Dieu,  comme le voulait Origène.

Le septième argument est de Kemnitius  (2 par examen, page 1220 : « Aux sacrements proprement dits, doit être annexée la promesse non de n’importe laquelle grâce,  mais de la réconciliation et de la rémission des péchés.   Une telle promesse n’est pas présente dans le sacrement de mariage. »  Je réponds que son argument se base sur un faux fondement, à savoir que tous les sacrements auraient été institués pour octroyer  la rémission des péchés.  Fondements que nous avons pas renversé un grand nombre de fois,   autant dans le livre 1 sur les sacrements, que dans le livre 4 sur l’eucharistie.  Et il n’est que trop vrai qu’avec la seule eucharistie, ce fondement  est démoli.  Car, le sacrement de l’eucharistie, comme tous le reconnaissent,  n’a pas été institué  pour remettre les péchés,  mais  pour acquérir une vie spirituelle après le baptême,  pour la nourrir, et  la conserver, comme les espèces elles-mêmes du sacrement l’attestent.  C’est, en effet, sous les espèces du pain et du vin que ce sacrement est donné, pour que nous comprenions  qu’en lui, une nourriture nous est donnée  pour soutenir notre vie.

Le huitième argument du même auteur.   Il est tiré de la matière et de la forme de ce sacrement, de quoi nous parlerons dans la prochaine controverse.

Le neuvième argument, Kemnitius  le tire de ce que  les saints anciens pères et les anciens conciles , avant ceux de Constance et de Florence,  n’enseignèrent pas que le mariage était un sacrement.  Et parmi les docteurs qu’il cite, Durand enseigne avec eux  que le mariage n’est pas un sacrement proprement dit , ou du même genre que les autres.  En se servant de ces paroles, il s’efforce de taxer de mensonge les paroles du concile de Trente, que l’on trouve au début de la session 21 : « Le mariage a été énuméré comme sacrement de la nouvelle loi.  C’est ce qu’ont toujours enseigné  nos saints pères, les conciles, et la tradition de l’église universelle ».   Je réponds que, pour que soit  vraie la sentence du concile, il n’est pas nécessaire  que tous les pères et tous les conciles aient enseigné explicitement que le mariage est un sacrement.  Mais, il suffit que quelques pères et quelques conciles  nous aient transmis cela, et qu’aucun père ni aucun concile n’ait enseigné le contraire.  Et il a été montré que si une voix discordante se dissociait du  grand nombre,  cette opinion isolée  se trouvait par le fait même réprouvée par le jugement de l’ensemble.

De plus, nous avons montré que certains pères ont enseigné que le mariage est un sacrement. Il incombait donc à Kemnitius  de citer ceux qui enseignaient le contraire.  Ce qu’il n’a pas fait, et ce qu’il ne peut pas faire.  Les anciens conciles expliquaient ce qui était contesté en leur temps.  Le mariage a été institué par Dieu, c’est un fait, et  c’est une bonne chose.  Était-un sacrement proprement dit , il n’y avait pas de raison d’en disserter doctement, puisque personne n’en doutait. Mais quad le besoin s’en fit sentir, les conciles postérieurs  déclarèrent ce qui avait été omis par les anciens.   En ce qui a trait à Durand, il avait écrit au début  (comme le rapporte Capréolus dans 4 dist 26, question unique, art 3) que «  le mariage n’était pas proprement un sacrement. »   Mais parce qu’il entendit les catholique parler en mal de lui, il se rétracta dans les éditions successives,  et dit que le mariage est un vrai et propre sacrement, mais pas de façon univoque. Et il ajouta que cette question sur l’univocité ne relève que de la logique, pour laisser entendre qu’il ne différait d’avec les autres qu’en matière de logique. Bien qu’il n’ait pas réussi à camoufler son erreur par ce prétexte, nous voyons, avant le concile de Constance et de Florence, qu’ont été hérétiques ou soupçonnés de l’être,  des auteurs qui enlevaient le mariage du nombre des sacrements.

Voyons maintenant quelle force ont les arguments de Durand.  Soit donc le dixième argument, qui est celui de Durand : « Dans les autres sacrements, ce qui se fait à l’extérieur transcende le dictat de la raison naturelle,  et on ne peut en rendre compte suffisamment que  par la lumière de la foi.  Mais ce qui se fait à l’extérieur dans le mariage a une cause naturelle.  Ne sont donc pas des sacrements univoquement le mariage et les six autres.

 Il prouve ainsi la majeure.   Si quelqu’un qui ignore les mystères de notre foi  voyait un enfant qui se fait baptiser dans l’église, il ne pourrait pas comprendre la raison d’être de cette ablution.  Car elle n’est pas faite pour rafraichir ou laver corporellement l’enfant, choses qui sont des effets naturels de l’eau,  mais, pour qu’il soit justifié du péché originel, ce qui est un effet surnaturel, qui ne dépend que de la volonté de Dieu.  Et on peut dire la même chose des autres sacrements,  qui sont tous des signes volontaires institués par Dieu.   Il prouve ensuite la mineure ainsi.  Le mariage est fait pour signifier et effectuer l’union indissoluble de l’homme et de la femme, et c’est ce que signifient naturellement les paroles qui expriment le consentement mutuel.  Donc, si un païen voit la célébration d’un mariage, il comprendra facilement ce qui s’y passe. 

On ne répond pas à l’objection de façon satisfaisante  si on réplique  que le mariage est le sacrement du Christ et de l’Église, et que cet effet n’est pas signifié naturellement, et ne peut pas être connu par un païen.  Car, puisque les sacrements font ce qu’ils signifient,  la signification principale des sacrements porte sur la  chose qui est effectuée par le sacrement.   Or,   le mariage n’effectue pas l’union du Christ avec l’Église mais l’union d’un homme avec une femme.  Et c’est cette union qui, dans le bien conjugal, (chapitre 7) est appelée par saint Augustin,  « la chose du sacrement. »

Je réponds que la mineure est fausse.   Car, ce n’est pas n’importe laquelle union entre un homme et une femme  qui est « la chose de ce sacrement », mais une union tout à fait indissoluble.  Car, même si, d’un commun accord, les époux voulaient, soit par l’autorité ecclésiastique, soit par l’autorité publique,   rompre le lien d’un mariage consommé,  ils ne pourraient pas le faire.  Cette union toute spéciale n’est pas spécifiée  naturellement par les paroles  que les conjoints prononcent lors de la célébration d’un mariage : « Quels sont ceux que  ne fait pas réfléchir, dit saint Augustin au lieu cité, une telle fermeté du lien conjugal ?  Je ne pense pas que ce lien pourrait avoir une telle valeur, si le sacrement n’ajoutait pas quelque chose de plus grand  que l’infirme mortalité des hommes. »   De plus, l’union que symbolise et effectue le sacrement du mariage n’est pas seulement une union des corps, mais aussi des âmes, et non pas n’importe laquelle, mais par une vraie et divine charité, selon laquelle l’épouse est unie à l’époux comme l’église l’est au Christ, et l’époux est unie à l’épouse comme le Christ l’est à l’église.  Voilà pourquoi c’est cette union qui sacralise et sanctifie les âmes, si on n’y met pas d’obstacle.   Ces choses-là ne peuvent pas être signifiées naturellement, et ne peuvent être connues que par la lumière de la foi.  Et voilà pourquoi le mariage chrétien, de par son institution divine, ne signifie pas moins que les autres.

Le onzième argument, qui est le second de Durand : « Les autres sacrements consistent dans quelque chose de sacré  qui est appliqué extrinsèquement par le ministre à celui qui le reçoit.  Or, on ne voit rien de tel dans le mariage.   Le mariage n’est donc pas univoquement un sacrement comme les autres.  La majeure est évidente.  Car, dans le baptême on applique de l’eau ou une ablution. Dans la confirmation, de l’onction.  Dans l’eucharistie, on consacre du pain.  Dans la confession, il y a l’absolution.  La mineure est très certaine.  Dans le mariage il n’y a rien qu’on puisse ou qu’on doive appliquer, car, il suffit que la volonté des époux soit exprimée par un signe.  Et si quelqu’un répondait  que dans ce sacrement, sont appliqués les signes du consentement mutuel, sa réponse ne serait pas du tout satisfaisante, car il ne montrera jamais  que ces signes sont appliqués,  comme les signes le sont dans les autres sacrements.  En effet, dans les autres sacrements, les signes sont  nécessairement appliqués par un autre.  Personne, en effet, ne se baptise, ne se confirme ou ne s’absout lui-même.  Or, dans le mariage, ce sont les époux qui se lient eux-mêmes.  De plus, les autres sacrements ne peuvent être conférés ni à un absent,  ni à l’un par un autre.  Personne, en effet, ne baptise un homme ab sent, et personne n’est baptisé par procuration.  Or, on peut célébrer le mariage en l’absence de personnes, ou par procuration.  Le sacrement du mariage n’est donc pas univoquement un mariage comme le baptême et les autres sacrements. »

Je réponds qu’il nous faut nier la conclusion qu’il tire de cet argument.   Car, ce n’est pas de la nature du sacrement en général de consister dans quelque chose  qui est appliqué à l’extérieur, mais, il suffit qu’il soit un signe, et la cause de la grâce justifiante.  Et si cet argument avait quelque valeur, aucun sacrement ne serait un sacrement univoquement avec les autres.  Car, il n’y en pas un qui n’ait quelque chose de propre qui le distingue des autres.  Exemple.   Aucun sacrement, en dehors du baptême, n’a comme matière, un élément vrai et naturel.  On pourrait donc former ainsi un argument.  C’est quelque chose de commun aux sacrements de ne pas avoir comme matière un élément  vrai et naturel.  Or, le baptême  a un élément vrai et naturel. Le baptême n’est donc pas univoquement un sacrement comme les autres.  On pourrait faire un argument semblable sur l’eucharistie.  C’est quelque chose de commun aux sacrements de consister dans une action.  Or, l’eucharistie ne consiste pas dans une action, mais dans une chose permanente.  On peut dire la même chose des autres sacrements, comme Capreolus et Paludanus le déduisent allègrement.

Si quelqu’un demandait quelle est la raison pour laquelle le mariage ne consiste pas dans l’application d’une chose externe,  la réponse surgirait rapidement.  Dieu a institué les sacrements de différentes façons.  Il a voulu que le sacrement du baptême soit institué dans un lavement.  Il a donc voulu qu’on ait à se procurer de l’eau.  Il a voulu que le sacrement de l’eucharistie consiste dans une réfection, et il a donc choisi du pain et du vin.   Le sacrement de pénitence, il l’a voulu sous forme judiciaire,  et il a donc commandé que la sentence soit exprimée par des paroles. Et ainsi des autres. 

 Il a voulu que le mariage consiste dans un contrat, et il a donc conservé la façon de procéder des contrats.   Dans les contrats, on n’applique rien extérieurement, mais les contractants eux-mêmes  font le contrat par la signification d’un consentement mutuel.   Ce qui nous fait aussi comprendre pour quelle raison le mariage n’a pas besoin d’un autre  ministre en plus des époux, et pourquoi il peut être célébré entre absents, et par procuration.  Car la nature d’un contrat est de telle sorte que les contractants se lient eux-mêmes, et n’ont pas besoin d’une autre personne pour les lier.  Et voilà pourquoi ils peuvent, s’ils le veulent, se lier par procuration ou en étant absents.  Ces choses n’ont pas lieu dans les autres sacrements, car elles répugnent à leur nature et à leurs propriétés.  La raison n’admet pas, en effet , que quelqu’un se régénère lui-même,  ou qu’un absent lave un absent, ou que quelqu’un soit lavé à la place d’un autre, et ainsi pour les autres sacrements.

Le douzième argument, qui est le troisième de Durand : « Le sacrement de mariage ne confère par de grâce, les autres en confèrent.  Il n’est donc pas univoquement un sacrement comme les autres.  La majeure, il la prouve par l’autorité et la raison.  L’autorité c’est n’importe lequel interprète du droit canon, et des sentences de Pierre Lombard (livre 4, dist 2).  La raison est double : une des jurisconsultes, qu’il cite, et une autre, qui lui est propre.    Les jurisconsultes prouvent que le mariage ne confère pas la grâce, car le pacte du mariage est licite si on ajoute une certaine somme d’argent.  Ce qui serait illicite si le mariage conférait une grâce,  car vouloir acheter la grâce de Dieu avec de l’argent  serait un crime de simonie.  Durand se sert lui-même de cet argument : « Le mariage ne confère pas la première grâce,  qui est la justification des péchés.  Ni la seconde grâce, ni l’augmentation de la grâce.  Il ne confère donc aucune grâce. »   Il prouve qu’il ne confère par la première grâce en disant que seuls le baptême et la pénitence ont été institués pour la rémission des péchés.  Qu’il ne confère pas non plus la seconde, il le prouve en disant que le mariage aurait une grâce plus grande que la continence.  S’il celui qui se marie était  continent, le mariage le ferait croitre en grâce.

Je réponds qu’en ce qui a trait à l’autorité des interprètes du droit canon, il importe peu ce que pensent certains, puisque la sentence commune  dans la rubrique des fiançailles et des mariages, leur est contraire, comme l’a noté Navarre (dans l’enchiridion, chapitre 19,  numéro 22. Et aussi parce que, dans les choses qui sont de droit divin, comme le sont les sacrements,  il faut faire plus confiance aux théologiens  qui sont de vrais experts de droit divin, qu’aux canonistes, qui sont versés dans les seules lois humaines.

Ne vaut rien l’argumentation de Durand qui lui fait prouver que l’autorité des canonistes est très grande  parce qu’ils connaissent la sentence et la foi de l’église romaine.  Car, les canonistes n’ont connu de la sentence romaine que les choses qui se rapportent aux canons humains, non celles qui sont de droit divin.  Et dans tout le droit canon, ils ne pourront pas trouver un seul canon qui statue que le sacrement du mariage ne confère pas la grâce.   En ce qui a trait à la sentence du maitre,  saint Thomas, montre, en expliquant ce passage des sentences, que le maitre n’a rien déclaré de contraire à la sentence commune.  Le maître dit que certains sacrements ont été institués  à la fois comme des remèdes, et comme procuration  d’une grâce adjuvante, comme le baptême;  d’autres,  comme un remède seulement, comme le mariage;  et enfin d’autres, seulement comme  une grâce adjuvante, comme l’eucharistie.  Il  faut entendre ses paroles de la fin principale, et de l’effet des sacrements.  Car, même si tous les sacrements confèrent la grâce qui fait un reconnaissant, et même si toute grâce qui fait un reconnaissant  avait le pouvoir d’effacer les péchés,  et d’apporter une aide pour bien vivre, il reste que certains sacrements  ont été institués principalement  pour aider à  bien agir, comme l’eucharistie, la confirmation et l’ordre.  D’autres l’ont été pour effacer et éviter les péchés, comme la pénitence, l’onction des malades et le mariage.  D’autres,  pour l’un et l’autre effet, comme le baptême,  qui, comme il est une nouvelle génération, inclut  simultanément la vie de la grâce et la mort des vices.

À la raison des canonistes, répond très bien saint Thomas (en 2, 2, que 100, art 1, dans 4, dist 25, quest 3, art 2, quest 1.  Il écrit que, dans le mariage, on peut considérer non seulement le sacrement, mais aussi le contrat civil.   Et, à  cause de cela, bien qu’on ne puisse pas recevoir ou donner  de l’argent pour un sacrement,   on le peut pour le contrat civil, c’est-à-dire, pour supporter les frais du mariage.  Ajoutons que, même si le mariage ne conférait pas la grâce, il serait quand même un sacrement de par la sentence des canonistes eux-mêmes.  Il ne serait donc  pas permis, pour ce mariage, de recevoir ou de donner de l’argent.  Car, on ne peut légitimement vendre ou acheter rien de sacré.    À la raison de Durand, qui  est certes indigne d’un tel théologien,  je réponds que le sacrement de mariage confère la grâce qu’on ne peut appeler première ou seconde.  Car, même si ce sacrement n’avait pas été principalement institué pour remettre les péchés, il  peut les remettre de la manière dont les remettent les autres sacrements, comme l’eucharistie et l’ordre.  Et s’il fait cela, ce serait la première grâce.  S’il ne le fait pas, ce sera la seconde.

Il importe peu que la continence soit plus excellente que le mariage.  Car, autre chose est comparer un état avec  un état, et autre chose un état avec un sacrement.  L’état de la continence est plus élevé que l’état du mariage, il est d’une plus grande grâce, et d’un plus grand mérite : (1 Corinthiens 7)  « Celui qui se marie fait bien, celui ne se marie pas fait mieux. »  Cependant, le sacrement augmente toujours la grâce, dans quel qu’état où il est reçu.  Voilà pourquoi quand le continent contracte le mariage, il croit en grâce.   Mais si le même continent méprisait les noces humaines à cause de Dieu,  il trouverait une plus grande grâce  auprès de Dieu que celle qui est donnée par le sacrement du mariage.

Le treizième argument, qui est le quatrième de Durand : « Dans les autres sacrements, l’ordination de l’Église peut avoir la force d’un précepte,  mais cela n’est jamais de la nécessité d’un sacrement, car l’Église ne peut pas changer ce qu’il a y a d’essentiel à un sacrement.  Or, dans le mariage, l’ordination de l’Église est de la nécessité du sacrement, car quand l’Église  interdit des mariages à certains degrés de consanguinité,  le sacrement du mariage  n’a pas lieu entre ces personnes, même si ces personnes s’efforcent de contracter réellement un mariage.  Le mariage n’est donc pas univoquement un sacrement  comme les autres. »

Je réponds que la conclusion de cet argument est mauvaise, et que la majeure est fausse.   Car, la raison pour laquelle l’ordination de l’Église  est nécessaire au sacrement du mariage n’est pas parce que l’Église a le pouvoir de changer ce qu’il y a d’essentiel dans les sacrements, mais parce qu’elle peut changer le fondement pré requis  à ce sacrement.  Car, la matière de ce sacrement n’est pas n’importe laquelle union d’un homme et d’une femme, mais l’union de personnes légitimes. Autrement, il pourrait y avoir un sacrement de mariage entre  le père et la fille,  entre le fils et la mère.  Ce que sont les personnes légitimes, le Christ ne l’a pas défini, mais présupposant  qu’un contrat humain se fait entre personnes légitimes,  il a élevé cette union à la dignité de sacrement.  C’est l’église qui détermine quelle sont les personnes qui sont légitimes, et qui, de cette façon, prépare une matière et un fondement au sacrement du mariage.  L’essence du mariage, elle, ne change en aucune façon, et ne peut pas changer.

On trouve la même chose dans les autres exemples.    Car, comme la matière de l’eucharistie est le pain et le vin, personne ne peut faire en sorte que le pain et vin, tant qu’ils seront tels,  ne soient pas la matière de l’eucharistie.  Ni que ce qui n’est ni pain ni vin ne soit la matière de l’eucharistie.  Mais les hommes peuvent faire en sorte que le vin se change en vinaigre, et cesse alors d’être la matière de ce sacrement.  Ils peuvent faire, à l’inverse, que les raisins commencent à être du vin, et qu’ils deviennent ainsi matière de sacrement.  De la même façon, donc, l’Église ne peut pas faire en sorte  que les personnes légitimes ne soient pas la matière de ce sacrement, tant qu’elles sont légitimes. Elle ne peut pas faire non plus que des non légitimes soient la matière du sacrement.  Mais, elle peut cependant, par décret, faire des illégales avec des légales, et vice versa.  Voir saint Thomas (1 dist 31, quest 1, art, à 1.

De plus, ne semble pas être vrai ce que Durand a mis dans la majeure, à savoir qu’il est propre au mariage  que, pour lui,  l’ordination de l’Église  soit de nécessité de sacrement.  Car, nous voyons la même chose dans les sacrements  de pénitence et de confirmation.  Car, quand l’Église confie à un prêtre une certaine paroisse ou un diocèse,  si ce prêtre administre le sacrement de pénitence à des hommes qui ne sont pas ses sujets, non seulement il pèche en allant contre un précepte de l’Église, mais son absolution n’est pas ratifiée.  Et si le souverain pontife confie à un simple prêtre  d’administrer le sacrement de confirmation n’importe où, son sacrement sera vrai et ratifié.  Si un simple prêtre fait cela sans le mandat ou la permission de le faire,  son sacrement ne sera pas vrai, et il commettra un péché.

Le quatorzième argument, qui est le cinquième de Durand : « Sans le baptême, personne  n’est apte à recevoir un sacrement proprement dit.  Or, l’homme est apte à contracter un mariage avant le baptême.  Donc, le mariage n’est pas un sacrement proprement dit.  Il prouve la mineure ainsi.  Car, entre les fidèles, le baptême est aussi vrai et légitime avant le baptême qu’après.  Il importe peu que, après le baptême on appelle  ratifié ce qu’on n’appelait pas ainsi avant.  Car, on dit qu’il est ratifié, mais il n’est pas, pour cela, un plus grand sacrement qu’avant, puisqu’aucun changement n’a été opéré. »

Quelques-uns répondent, comme Pierre Pludanus, (1 dist 26, q unique, art 3 et 5), et Jean Eck (homélie 73 sur les sacrements), que les conjoints qui se convertissent à la foi, doivent, après le baptême, réitérer le mariage, et que c’est alors que le contrat devient un sacrement.   D’autres, cependant, comme Thomas d’Argentine,  (4 dist 39, quest 1, art 1, a 1 ) et Paludanus ( au lieu cité) disent que, sans un nouveau contrat, le mariage qui avant le baptême n’était pas un sacrement,  le devient subitement, car il signifie déjà  en acte ce qu’il signifiait auparavant en puissance seulement.   Mais, quoi qu’il en soit de tout cela,  la sentence commune des théologiens (  sentences, dist 39), est que le mariage des infidèles peut être vrai et légitime, mais non ratifié, et pas tout à fait indissoluble.   Mais si les deux conjoints se convertissent à la foi,  et sont baptisés,  leur mariage devient ratifié, tout à fait indissoluble, et donc un sacrement.  Car,  le  mariage des infidèles n’est pas ratifié,  parce qu’il n’est pas un sacrement,   comme l’enseigne saint Thomas (dans son deuxième écrit  sur la sentence 4, dist 39.)  Car, dit-il,  « l’insolubilité est l’effet du sacrement. »  Donc, ou les conjoints après le baptême contractent de nouveau le mariage,  ou ils persistent dans le contrat d’avant le baptême.  Le consentement mutuel exprimé par la parole, des gestes  ou au moins par la copule, fait le sacrement du mariage en ceux qui, par le baptême, étaient devenus aptes à recevoir des sacrements.

                                              DEUXIÈME CONTROVERSE

                                                         CHAPITRE 6

                  La matière, la forme et le ministre du sacrement de mariage

Même si, à l’occasion des arguments de Durand, nous avons touché à ces sujets,  il nous faut maintenant les traiter un peu plus longuement, autant à cause des calomnies de Martin Kemnitius,    que de l’opinion singulière de Melchior Cano.  Il nous semble que cela doit être fait  pour que le dogme ecclésiastique expliqué dans la question précédente, soit de tous côtés protégé et bien défendu.

L’argument de Kemnitius.  Le mariage n’est pas un sacrement proprement dit,  parce qu’on ne peut pas facilement démontrer la matière et la forme de ce sacrement, c’est-à-dire l’élément et la parole.   En prouvant sa position,  Melchior Cano se sert imprudemment d’arguments  qu’utilisent les adversaires de notre temps pour vexer l’Église.  Dans son livre 8, chapitre 5, sur les lieux théologiques, il affirme que ce ne sont pas tous les mariages légitimement contractés qui sont des sacrements, mais ceux-là seulement qui sont célébrés par un ministre ecclésiastique avec des paroles sacrées et solennelles.   Voilà pourquoi il admet que les paroles avec lesquelles les époux expriment leur mutuel consentement  sont la forme du contrat du mariage, mais non du sacrement de mariage.  Et il admet que les personnes contractantes sont les ministres du contrat de mariage, mais non du sacrement de mariage.

Or, la sentence commune et vraie ignore cette distinction, et ne fait pas de différence entre le contrat du mariage chrétien, sa matière, sa forme et son ministre, d’une part,   et le sacrement du mariage, sa matière, sa forme et son ministre, d’autre part.  De sorte que ce qui suffit pour célébrer ce contrat suffit également pour célébrer le sacrement.   De là vient que pendant que  Melchior Cano tente de prouver de toutes ses forces  que  n’est pas un sacrement un mariage   célébré par un ministre ecclésiastique sans la forme des paroles,  il prouve aussi en même temps, en autant que cela dépende de lui,  qu’il n’y a pas de vrai sacrement de mariage dans l’Église.

Pour répondre à l’un (Kemnitius)  et à l’autre (Durand), nous exposerons  brièvement ce que, selon la sentence commune,  sont la matière, la forme et le ministre de ce sacrement.  Et nous repousserons la calomnie de Kemnitius.  Nous réfuterons ensuite la sentence de Melchior Cano. En ce qui a trait à la matière du sacrement, on trouve, parmi les théologiens, deux principales sentences.  C’est Pierre Paludanus  qui les rapporte ( 4 dist 1, question 4).  La première.    Le consentement des époux exprimé par des mots,  ou les paroles exprimant le consentement  sont la matière et la forme de ce sacrement.  La deuxième.  Les corps ou les personnes des contractants sont la matière;  les paroles exprimant le consentement sont la forme.  À mon jugement personnel, ces deux sentences sont toutes les deux vraies, et peuvent facilement se concilier.   Car, le sacrement du mariage  peut être considéré de deux façons.  Une première : pendant qu’il se fait.  Une deuxième : pendant qu’il demeure après qu’il a été fait.  Car, le mariage est semblable à l’eucharistie qui est un sacrement non seulement pendant qu’elle est faite, mais aussi quand elle demeure.  Car, tant que les conjoints vivent, leur association est toujours un sacrement du Christ et de l’église.

Si on considère le mariage pendant qu’il est fait, toute son essence consiste dans les signes qui expriment le consentement mutuel.  Car, les corps des époux n’apportent pas leur concours, si ce n’est en tant que matière « de laquelle », comme cela se fait dans l’eucharistie,  où toute l’essence de la consécration est placée dans les paroles de la consécration.  Le pain et le vin, en effet, ne concourent que comme matière « de laquelle ».  Et nous voyons la même chose dans les autres contrats.  Car, quand on vend ou achète une maison, toute la vertu du contrat  repose dans le consentement mutuel.  La maison est la matière au sujet de laquelle se déroule l’opération.  Car, personne ne dit que la maison vendue ou achetée est une partie du contrat.  Mais, parce que les paroles d’un conjoint déterminent les paroles de l’autre, et que cette détermination est mutuelle,  on peut, à cause de cela,  distinguer dans les mêmes paroles, la forme de la matière.   Car, en tant qu’elles déterminent, les paroles peuvent être appelées forme, et en tant qu’elles sont déterminées, matière.

Et c’est cela la sentence de saint Thomas ( 4 dist 26, quest 2, art 1.)  Car, dans la réponse à 1, il dit que les paroles des époux sont la forme de ce sacrement.  Et en réponse à 2, il dit que la matière est l’acte des conjoints qui ont reçu le sacrement de mariage.  Par acte, il entend  les mêmes paroles qu’il avait déclarées être la forme.  Un autre acte n’est pas nécessairement requis pour parfaire ce sacrement.  Font la même distinction  Richard, Paludanus,  Capriolus, Dominique a Soto, et d’autres.

Si maintenant on considère le mariage déjà fait et célébré,  on ne peut pas nier que les époux eux-mêmes cohabitant ensemble ou l’association et  l’union conjugale externe, sont le symbole matériel externe  représentant l’union indissoluble du Christ et de son Église.  C’est comme dans le sacrement de l’eucharistie.  Après la consécration,  les espèces consacrées demeurent en tant que symbole sensible et externe d’un aliment spirituel.    Voilà pourquoi je pense que Pierre a Soto a eu raison de dire  (leçon 4 sur le mariage), qu’il appert que les personnes contractantes ne sont pas seulement la matière « de laquelle » mais aussi « avec laquelle » se fait le sacrement.  Tous les théologiens également indiquent fermement  que les corps des conjoints sont la matière de ce sacrement, quand ils affirment que l’Église a le pouvoir de déterminer certains degrés de consanguinité et d’affinité qui rendent le mariage non ratifié.  Car, en établissant ces degrés, elle fait en sorte que les personnes qui étaient, antérieurement, des matières de ce sacrement,   ne le soient plus.   Voilà ce qu’on dit au sujet de la matière.

En ce qui a trait à la forme,  ce sont, du consentement de tous les théologiens, à l’exception du seul Cano,  les paroles et les signes qui expriment le consentement.   C’est ce que dit explicitement saint Thomas  ( au lieu cité ,  4 dist 26, ques t 2, art 1, à un.), et avant lui, Hugues de Saint Victor (livre 2 sur les sacrements,  par 11, chapitre 5, ), et d’autres.     Mais Kemnitius nous objecte (à la page 1221), que Jean Gropperus  enseigne, à notre époque,  que la forme du sacrement de mariage ce sont les paroles du Christ  en Matth 9 : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Il ajoute qu’il ne manque donc pas d’auteurs qui enseignent que, contrairement à ce que disent les scolastiques,  les signes mutuels de consentement ne sont pas la forme de ce sacrement. 

 Mais, à son accoutumée, Kemnitius ne cite pas de bonne foi.  Le texte  de Gropperus est dans l’enchiridion de l’instruction chrétienne, au nom du concile de Colon, dans le traité du sacrement de mariage.  En cet endroit, Gropperus déduit la forme du mariage des paroles du Christ (ce que Dieu unit etc), mais il ne dit pas que ces paroles sont la forme,  et qu’elles doivent nécessairement être prononcées.  Il dit plutôt  expressément que les paroles du mutuel consentement sont la forme de ce sacrement : « Il nous reste à indiquer la parole et l’élément de ce sacrement, et à démontrer qu’une grâce est conférée par eux.   La parole de ce sacrement  annexée à l’élément,  fait le sacrement.  Ce qui ne veut dire rien d’autre que, quand, à cause de la piété qui est en Dieu, l’homme et la femme  se donnent  et reçoivent mutuellement la foi conjugale, il s’unissent et copulent non de n’importe laquelle façon,   mais au nom de Dieu. »  

Tu vois, lecteur, que Gropperus  ne diverge pas des autres  dans la détermination de la forme de ce sacrement.  Et la seule raison pour laquelle il a allégué les paroles du Seigneur,  c’est pour prouver que le mariage des chrétiens  n’est pas un contrat purement civil et humain,  mais que les paroles des conjoints doivent être référées à l’union divine et sacrée de laquelle il est dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».

Ce que nous venons d’expliquer nous fera aussi comprendre quel est le ministre de ce sacrement.  Car, comme il appartient proprement au ministre de prononcer les paroles de la forme,  et, par elles, de conférer le sacrement;  et comme, dans ce sacrement, les paroles de la forme sont prononcées par les conjoints, il est nécessaire que les conjoints soient les ministres de ce sacrement.  On ne doit pas trouver absurde  de voir dans les mêmes personnes la cause matérielle et la cause efficiente.  Car, c’est ce qu’exige la nature d’un contrat,  qui se fait avec les personnes contractantes.  Exemple.  Si quelqu’un se vendait lui-même pour devenir un esclave, il serait lui-même celui qui vend, et la chose vendue : la cause efficiente, et la cause matérielle.  Il en est ainsi dans le mariage, quand les époux se donnent et se livrent l’un à l’autre.  Ils sont alors la cause efficiente et la cause matérielle.  Et bien qu’un décret de l’Église requière  qu’un ministre de L’Église sollicite et approuve le consentement des époux, le déclare et le confirme par une bénédiction sacerdotale, ceux qui effectuent le sacrement du mariage au sens propre, ce sont les époux.

Avec ces précisions, on peut réfuter la calomnie de Kemnitius.  Il nous objecte (dans 2, par, examen pages 1220 et suivantes), que les scolastiques n’avaient pas encore pu imaginer quelque chose qu’on pourrait correctement appeler forme et matière de ce sacrement.  Il ajoute que nos  théologiens  et nos jurisconsultes ont des opinions divergentes et floues sur cette question.  Et il reproche au concile de Trente de ne pas s’être prononcé dans une chose aussi douteuse.  Mais, ce sont des paroles qu’emporte le vent.  D’abord, le concile n’a rien déterminé là-dessus, car il n’avait pas à le faire.    Car, comme le Seigneur lui-même  n’a pas précisé quelle était la matière ou la forme de ce sacrement,  parce qu’il n’instituait pas un nouveau symbole, mais élevait à la dignité de sacrement un contrat humain usité,  en lui attribuant une nouvelle signification, et une promesse de grâce,   de la même façon le concile a rempli son devoir  en expliquant une tradition qui remonte au Seigneur. 

 Quant aux théologiens,  ils sont tous d’accord  au sujet de la forme et du ministre.   Le dissentiment qu’ils ont quant à la matière n’est pas une vraie divergence, car leurs opinions peuvent facilement se concilier.  Et même si les théologiens catholiques divergeaient grandement  au sujet de la forme et de la matière,  cela n’enlèverait rien à la certitude que nous avons tous que le mariage est un sacrement proprement dit.   Car, pour avoir la foi catholique sur les sacrements,  et pour les administrer et les recevoir dignement et fidèlement, il suffit de savoir ce qui est nécessairement requis à la célébration du sacrement, quelles sont  et combien sont les choses sans lesquelles  on ne peut conférer un sacrement.  Mais en quoi consiste la forme ou la matière, on peut en disputer sans préjudice pour la foi,  et on peut aussi l’ignorer.

Que le curé sache  que, pour le baptême, l’eau est nécessaire avec les paroles (je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit).  Mais, est-ce qu’on doit dire que l’eau est la matière et les paroles la forme, il pourra l’ignorer sans péril pour lui et pour le baptisé.  Et même s’il pensait que la parole et l’eau sont la forme,  son erreur n’aurait pas de conséquence grave, et son baptême ne serait pas inutile.  On peut appliquer la même chose au mariage.   Si les chrétiens soutiennent  que pour qu’un mariage soit correctement célébré,  est nécessaire un mutuel consentement exprimé dans un signe sensible,  et que  la promesse d’une grâce est annexée à ce symbole, comme à un vrai sacrement de la loi nouvelle,  il serait sans péril, même s’il ne pouvait pas distinguer la matière de la forme.  Là-dedans, tous les théologiens convergent, à la seule exception de Melchior Cano.  Kemnitiius  n’a donc rien à gagner dans ce genre de dispute.

                                                         CHAPITRE 7

        Tout mariage légitime contracté entre chrétiens est un sacrement

Maintenant, contre l’opinion de Melchior Cano, il faut prouver qu’il n’y a pas d’autre forme essentielle,  et qu’il n’y a pas d’autre ministre du sacrement de mariage;  et qu’il n’y aucun mariage célébré par des chrétiens qui ne soit aussi un vrai sacrement de l’Église.  Nous le prouverons d’abord ainsi.   Si l’opinion de Cano était vraie, nous ne pourrions pas démontrer le sacrement de mariage par l’Écriture ou les conciles.   Et ce ne serait pas sans raison que les hérétiques diraient  que ce sacrement a été récemment excogité par les hommes.  Car, nous lisons dans l’Écriture que le mariage des fidèles est un sacrement.  Mais, nous ne repérons dans l’Écriture aucun vestige d’une nouvelle forme, ou d’un nouveau ministre.  Voilà pourquoi, si la forme et le ministre du contrat du mariage sont aussi la forme et le ministre du sacrement du mariage, on aura démontré par l’Écriture la forme et le ministre de ce sacrement.  S’il faut chercher une autre forme,  et un autre ministre,  c’est ailleurs que dans l’Écriture qu’il faudra les chercher.

Les conciles de Florence et de Trente qui, à cause de nouvelles hérésies, expliquent ce dogme avec grand soin,  auraient du de toute nécessité assigner une forme et un ministre de ce sacrement s’il y en avait d’autres en plus de la forme et du ministre du contrat de mariage.  Or, les conciles ne disent pas un seul mot  sur une nouvelle forme ou un nouveau ministre.   Ils  indiquent  plutôt ouvertement qu’il ne faut rien chercher en plus de qui se trouve dans le contrat de mariage.  Le concile de Florence parle ainsi : « Le septième sacrement est celui du mariage, qui est, selon l’apôtre, le signe de l’union du Christ et de son église.  La   cause efficiente du mariage est le consentement mutuel exprimé par les paroles des époux. »  Voilà ce qu’enseigne le concile. 

En ce passage, par cause efficiente du mariage, le concile entend la cause efficiente du mariage, en tant aussi qu’il est un sacrement.  Car c’est ce qu’il avait entrepris d’expliquer, quand il avait dit : le septième est le sacrement du mariage.   Et s’il n’avait pas voulu dire cela, on aurait été en droit de lui faire des reproches pour avoir omis ce qu’il fallait nécessairement expliquer,  et  pout avoir ajouté ce que personne ne demandait.  Si la cause efficiente du sacrement du mariage, selon la déclaration du concile œcuménique,  est le consentement mutuel exprimé par des mots,  il s’ensuit manifestement  que la forme de ce sacrement n’est pas la bénédiction du prêtre, mais les paroles elles-mêmes des conjoints;  et que le ministre nécessairement requis c’est l’un et l’autre époux.  Car, le ministre est la cause efficiente du sacrement,  et il ne l’effectue pas autrement  qu’en ajoutant la forme à la matière.   Donc, quiconque voudrait sécuriser   la sentence de Cano, il lui faudrait  s opposer carrément au concile œcuménique,  ou le taxer d’imprudence.

Le concile de Trente (session 24), dans son décret sur le mariage, non seulement ne lègue pas  une nouvelle forme et un nouveau ministre de ce sacrement,  mais  il indique même  ouvertement qu’il n’y en a pas.  Car, il dit d’abord  que, dans l’état d’innocence,  le mariage a été approuvé par le Christ.  Ensuite, il ajoute la grâce pour parfaire l’amour conjugal naturel,  ajoutée au mariage par le Christ,  instituteur des sacrements.   Ensuite, il conclut que le mariage de la nouvelle loi l’emportait sur les anciens mariages par la grâce, et il en conclut que ce mariage est un sacrement proprement dit.  En cet endroit, le concile ne marque pas de différence, en ce qui a trait au rite,  entre les  mariages des anciens, avant ou après le péché, et le mariage entant que sacrement de la nouvelle loi.  Mais il met une différence en ce que l’un est une cause de grâce, et l’autre ne l’est pas.  Donc, pour le concile de Trente,  la forme et le ministre du sacrement de mariage sont les mêmes que la forme et le ministre des  mariages de l’ancien testament, qui n’étaient pas des sacrements.  Car, un rite est formé d’une matière et d’une forme.  Or, en eux, il est certain que n’étaient pas de l’essence du mariage les paroles prononcées par le prêtre.    Ces paroles ne sont donc pas, pour les chrétiens,  de l’essence du sacrement du mariage.

De plus, le même concile de Trente dit, au même endroit, anathème à ceux qui prétendent  que les mariages clandestins sont  vrais et ratifiés jusqu’à ce que l’Église ne les déclare invalides.   Donc selon la manière de s’exprimer des saints canons,  sont dis vrais et ratifiés les mariages qui ne sont pas seulement des contrats civils, mais aussi des sacrements de la religion.  Car, au chapitre quanto, sur le divorce, Innocent enseigne  que le mariage des infidèles est vrai, mais non ratifié,  parce qu’ils n’ont pas l’indissolubilité de nos sacrements.  Voilà pourquoi le concile de Trente a déclaré  que les mariages clandestins étaient vrais et ratifiés, parce qu’ils étaient aussi des sacrements.    Nous avons donc deux conciles œcuméniques qui traitent de ce sacrement explicitement.  Or, non seulement  ils ne nous ont pas livré une nouvelle forme et un nouveau ministre de ce sacrement,  mais ils nous ont enseigné clairement que,  en plus de ceux qui sont déjà dans un contrat légitime de mariage,  il ne fallait pas en chercher d’autre.

On le prouve, en second lieu, avec le consentement des théologiens.  Car, d’abord, Hugues  de Saint-Victor (dans le livre 2 sur les sacrements, para 11, chapitre 5,) dit clairement que «  le sacrement de mariage est effectué  quand le consentement des deux époux est exprimé ».  Saint Thomas  (1 r dist 26, quest 2, art 1, à 1)  enseigne que « la forme du sacrement du mariage  ce sont les paroles des époux ».  Et le docteur en déduit que « la bénédiction du prêtre n’est pas de l’essence du mariage ».  Et (dans la dist 28,  question unique, art 3), il dit que les mariages clandestins sont de vrais mariages, même si n’est présent aucun ministre ecclésiastique.  Parce que, dans les mariages clandestins, on trouve tout ce qui est nécessaire dans un mariage.  Et c’est aussi ce que les autres enseignent.  Car, Cano confesse être de l’opinion des autres docteurs.  Et Dominique a Soto qui, un peu avant, avait reproduit la sentence qu’avait écrite Canon dans ses lieux théologiques,   affirme ( 4 dist 26,  quest 2, art 3) que, de son temps, ne manquèrent pas les théologiens qui soutenaient   que la forme essentielle du sacrement de mariage se trouvait dans ces paroles du prêtre : « Je vous unis. »   Mais que, jusqu’à présent personne n’a osé défendre cette opinion par écrit.

Ce qui nous fait comprendre que l’opinion de Cano est singulière et neuve.  Il s’ensuit également que ou bien l’opinion de Cano est fausse, ou bien toute l’église a erré pendant plusieurs siècles dans une chose de cette importance.  Car,  si l’opinion de Cano est vraie, ont erré tous les théologiens qui ont déclaré que les mariages clandestins ou célébrés sans ministre ecclésiastique  sont de vrais sacrements et doivent être vénérés comme tels.  L’erreur des théologiens aurait entraîné l’erreur des évêques, des curés et de tout le peuple chrétien.  Car, le jugement des théologiens dans les choses sacrées a coutume d’être suivi par les pasteurs et les par les fidèles.  Bien plus, Cano, dans le lieu cité, affirme  que le concile de Florence n’a rien voulu définir sur la matière  et la forme de ce sacrement, parce qu’il considérait que rien n’avait été vraiment défini sur cette question par les théologiens.  Si les conciles œcuméniques suivent  les jugements communs des savants, à bien plus forte raison le font les vicaires, et les prêtres.  De l’opinion de Cano  découlerait cette absurdité que, pendant plusieurs siècles,  un contrat purement civil  aurait été faussement  considéré par l’église catholique comme un sacrement.

Ce qu’il ajouts ensuite, au sujet des théologiens,  qu’ils n’ont rien écrit de certain sur le sacrement de mariage,  qu’ils diffèrent d’idée,  qu’ils n’ont jamais traité à fond cette question,  ne pourrait en rien l’aider.   Car, même si les théologiens avaient des opinions divergentes  sur la matière de ce sacrement, il n’y a, chez eux, aucune dissension au sujet de la forme et du ministre, et c’est pour cela qu’ils n’ont pas traité cette question à fond, mais se sont contentés d’affirmer ce qui est la vérité,  parce que cette chose a toujours été très certaine dans l’Église,  et qu’il n’est jamais venu à la pensée de quiconque de la contester.

Troisièmement, on le prouve par la raison.   Ou les mariages entre personnes légitimes chrétiennes,  célébrés sans une nouvelle forme par le prêtre,  contiennent un lien d’indissolubilité entre une personne et une autre, ou ils  ne le contiennent pas.  S’ils le contiennent, ils  sont de vrais sacrements de la nouvelle loi, car ce lien est la chose du sacrement, comme saint Augustin l’enseigne  (au chapitre 7);  et il est la cause pour laquelle les mariages des infidèles, même légitimes et consumés, peuvent être dissous par la conversion d’un conjoint  (1 Corinthiens 7). Parce qu’ils ne sont pas des sacrements.  Ce lien est donc tout à fait indissoluble,  c’est la chose surnaturelle, et l’effet divin du sacrement.

S’ils ne contiennent pas ce lien, ils peuvent donc être dissous, du moins en certains cas,  et avec la dispense de l’Église.  Et plusieurs femmes peuvent être prises comme épouses par des chrétiens, pourvu qu’elles le soient sans bénédiction sacerdotale.  Car si le lien de l’un avec l’autre est rendu indissoluble par le sacrement, qu’est- ce qui  empêche que, là où il n’y a pas de sacrement, les mariages soient multipliés ou dissous ?  Et on n’a jamais entendu dire, dans l’Église catholique,  que des mariages légitimement contractés et consumés soient dissous ou multipliés par une dispense quelconque, même s’ils ont été célébrés sans le ministère des prêtres.  Bien plus, le concile de Trente (session 24), dans le décret sur les mariages clandestins, déclare les hommes inaptes à contracter ces mariages parce qu’il juge ne pas pouvoir dissoudre des mariages légitiment contractés, même s’ils sont clandestins.  Et cependant, il considéra qu’il était préférable que ces mariages n’aient pas lieu.

                                                        CHAPITRE 8

                           On réfute les arguments de Melchior Cano

La première objection : « On ne peut pas prouver, par l’Écriture ou par la tradition,  qu’un mariage profane contracté sans un ministre ecclésiastique, soit un sacrement.   Donc, si un mariage est un vraiment un sacrement, il faut qu’en plus du contrat civil,  il ait une forme sacrée et un ministre ecclésiastique. »  Je réponds que l’Écriture et la tradition n’enseignent pas qu’un mariage contracté de façon profane ou qu’un mariage avec forme sacrée prononcée par un ministre ecclésiastique  soient des sacrements.  Ils ne parlent qu’en général,  et ne font qu’attester que le mariage des chrétiens est un sacrement.  Car jamais dans l’Écriture, dans un  concile, ou dans un saint docteur Cano ne trouvera que la forme du sacrement de mariage ce sont les paroles prononcées par le prêtre.  Donc, si son argument prouvait quelque chose, il prouverait que le mariage n’est pas un sacrement, ou que ce sacrement ne peut pas être défendu par l’Écriture ou la tradition.  Mais, il ne prouve aucune de ces choses.   Car, les conciles les pères  et l’Écriture divine qui  parlent du sacrement de mariage, l’on toujours entendu du contrat du mariage civil en tant qu’il a été, par l’addition d’une grâce,  élevé par le Christ à la dignité  de sacrement.

La deuxième objection :  « Dans le concile de Florence, il est défini que tous les sacrements sont constitués de choses et de paroles.  Or, dans un mariage contracté d’une façon profane sans ministre ecclésiastique, il  arrive souvent qu’il n’y a pas de paroles, mais seulement des signes de tête, ou des lettres, ou la copule elle-même des conjoints.  Un tel mariage ne peut donc pas être un sacrement.  Si quelqu’un répondait  que les signes de tête, les lettres ou la copule tiennent lieu de paroles, on pourrait rétorquer que, pour la même raison, un prêtre pourrait absoudre sans dire un mot, avec un seul signe de tête, ou un évêque conférer le sacerdoce  sans parler.  Et de plus, il semble tout à fait absurde que la copule tienne lieu de forme sacramentelle, puisque le Saint-Esprit n’y est pas présent, comme on le lit dans le canon, noces, 32, quest 2. »    

 Je réponds que, dans le concile de Florence, on doit,  par les paroles qui sont requises dans tous les sacrements, entendre non seulement  les paroles proprement dites, mais aussi les signes qui prennent la place des mots.  Car, quand le même concile expliquait chaque sacrement en particulier, il ne dit pas que, dans le mariage, des paroles étaient requises, mais il dit qu’en règle générale, étaient employées les paroles des conjoints.  Il a ajouté en règle générale,  car il arrive assez souvent qu’un simple signe de tête remplace des paroles.  Ce n’est donc pas quelque chose d’inusité ou d’étranger à la coutume de l’Écriture que les hommes s’expriment par des signes de tête, et que donc des signes de tête tiennent lieu de paroles.  Car, en Jean 13 : « Simon approuva Jean par un signe de tête, et dit ».  Commentant ce texte, saint Augustin dit  que saint Pierre a parlé par un signe de tête, et que la sainte Écriture appelait paroles ces signes de tête.

Aux objections que Cano fait sur le sacrement de pénitence  et d’ordre, je réponds qu’il y a une grande différence entre ces sacrements et le mariage.   Car le sacrement de pénitence a la forme d’un tribunal.  Dans un procès, la sentence doit être prononcée par le juge, et on n’a jamais entendu dire qu’on ait choisi un juge muet.   De plus, le prêtre doit pouvoir entendre,  évaluer les signes de la pénitence par tout le comportement du pénitent,  ainsi que son ferme propos de ne plus pécher, et sa volonté de satisfaire pour les péchés commis.  Pour une raison semblable, l’évêque, qui est sur le point de conférer les ordres, doit les ordonner en leur présence, pour pouvoir leur imposer les mains, et leur faire toucher les instruments.  Il doit aussi prononcer la forme en paroles,  pour exprimer le pouvoir particulier  qui est conféré par l’ordination.  Ensuite, (même si nous n’avions rien d’autre),  l’usage de l’église montre suffisamment que l’absolution ou l’ordination ne peuvent pas être conférées par un ministre absent ou muet.  Mais, le mariage, lui, a la forme d’un contrat.   Or, un contrat tient de la coutume qu’il peut être célébré par des absents ou des muets.  Et, au sujet de la copule, on y a déjà répondu, en répondant à Calvin.

La troisième objection : « Les sacrements sont des cérémonies sacrées, et des actes de religion. Or, le mariage est contracté d’une manière profane par les seules paroles des conjoints, et n’a rien donc de sacré.  Un tel mariage ne peut donc pas être appelé sacrement ».   Je réponds que, par lui-même, le mariage est une chose naturelle et civile.  Cependant, il est rendu pleinement sacré par la signification ajoutée et l’efficacité de la grâce.    Voilà pourquoi ces paroles : « Je te prends pour mon épouse, je te prends pour mon époux », n’ont pas la même  force pour les païens et pour les chrétiens.  Pour les païens, elles n’effectuent  qu’un contrat civil, et c’es pour cela que des paroles sacrées ne peuvent pas y être prononcées.  Pour les chrétiens,  on les appelle et elles sont de plein pied  des paroles sacrées, parce qu’elles signifient non seulement l’union des corps, mais aussi des âmes, ou la similitude de l’union du Christ et de l’église, et parce qu’elles sanctifient les âmes.  Il importe peu qu’aucune parole sacrée ne soit présentée à la réflexion des époux.  Car, il arrive même que les paroles du baptême soient prononcées sans pensée religieuse par des infidèles.  Cependant, parce que les mots sont sacrés de par leur institution, et qu’ils sont prononcés avec l’intention de faire ce que fait l’église,  ils effectuent vraiment le sacrement.

La quatrième objection : « Dans tous les sacrements,  est requis, d’après une déclaration du concile de Florence, un ministre qui confère le sacrement.  Or, dans le mariage d’un contrat profane, il n’y a aucun ministre.  Un tel mariage n’est donc pas un sacrement. »  Je réponds que le concile de Florence requiert un ministre, mais il ne nie pas que la même personne puisse être à la fois le ministre et le récipiendaire d’un sacrement.  Bien plus, ce même concile enseigne ouvertement la même chose,  quand il dit que la cause efficiente d’un mariage  est le consentement des époux exprimé  par leurs paroles.   Et il importe peu que dans les autres sacrements le ministre et le récipiendaire soient deux personnes différentes.  Car, comme nous l’avons dit plus haut, c’est quelque chose qui est propre au mariage, parce qu’il est un contrat, et que la nature d’un contrat exige  que les contractants soient eux-mêmes la cause du contrat.

La cinquième objection : « Les fidèles ne s’estiment pas sacrilèges quand ils font un contrat si profane,  s’ils sont fortement privés de la grâce de Dieu.  Il est donc inscrit dans les âmes des fidèles  qu’un contrat de ce genre n’est pas un sacrement de l’Église. »  Je ne vois pas comment Cano pourrait prouver l’antécédent de son argument.  Car, son contraire est beaucoup plus probable.  Car, quand, dans les catéchismes, tous lisent qu’il y a sept sacrements, et que l’un d’entre eux est le mariage, et que dans les sermons, ils n’ont jamais entendu dire que ce n’étaient pas tous les mariages qui étaient des sacrements, mais seulement quelques-uns,  il est probable de penser que les fidèles se tiennent dans la pensée  que tous les mariages sont des sacrements légitimes, et qu’ils ne doutent pas que la violation de ce sacrement est un sacrilège.  Il importe peu que quelques-uns se présentent à  ce sacrement avec la conscience chargée de lourds péchés.  On en trouve aussi beaucoup qui n’oseront jamais s’engager dans le mariage dans s’être purifiés par la confession.  De plus, s’ils sont si nombreux ceux qui détruisent les vases sacrés, qui polluent les temples, qui commettent ouvertement d’autres sacrilèges, même s’ils ne  doutent pas que ce soient vraiment des sacrilèges, quoi d’étonnant  que quelques-uns commettent facilement ce sacrilège, qu’ils sachent ou qu’ils ne sachent pas que ce soit un sacrilège.

La sixième objection.   Dans son épitre 23 à Boniface, saint Augustin écrit que les choses corporelles qui constituent les sacrements sont une image et une similitude  de cette sanctification,  dont on dit qu’elles sont signes et causes.  Comme le lavage externe du baptême signifie et effectue  la purgation interne,  et la manducation de l’eucharistie désigne et effectue  une réfection interne.  Or, le mariage civil et profane  ne présente pas une image de sanctification,  ni n’est exhibé pour sanctifier sous aucune forme de sainteté externe.  Il n’est donc pas proprement un sacrement. »    Je réponds que ce n’est pas en tant que civil  mais en tant qu’élevé par Dieu à l’ordre des choses sacrées, que le mariage civil  représente l’image de l’union du Christ avec son église, et avec l’âme de chacun, par la grâce et la charité.  Car, c’est ce que représente la société externe de l’homme et de la femme,  que nous disons être la matière de ce sacrement, comme l’est le lavage dans le baptême et le pain dans l’eucharistie.   Nous avons enseigné plus haut que le sacrement de mariage  sert non seulement à signifier l’union du Christ avec l’âme, mais aussi à l’effectuer.  Voilà pourquoi l’assomption de l’argument contraire est fausse, assomption qu’il aurait du prouver, et non pas seulement énoncer.

La septième objection : « Ce sont les paroles elles-mêmes du concile de Florence sur la forme des sacrements : il ne pourra jamais se faire  qu’une chose non sacrée porte un sacrement à sa perfection.  Les formes des sacrements doivent donc être des paroles sacrées.  On ne peut donc pas appeler un tel mariage un sacrement ».  Il prouve ainsi l’assomption qu’on peut facilement  nier, selon son dire,  en ajoutant  que s’il existait des paroles sacramentelles, ce ne pourrait être que : je te prends pour épouse, pour époux.  Mais que ces paroles ne sont pas des paroles sacramentelles, il le prouve de différentes façons.

 Premièrement.  Ces paroles peuvent être la matière de celui qui reçoit le sacrement, mais la forme, en aucune façon.  Car, l’agent introduit la forme  par le moyen de causes administratives.  Deuxièmement,  parce que, bien que la matière des sacrements puisse être une chose naturelle, cependant, la forme qui donne l’être au sacrement doit nécessairement être surnaturelle.  Or, les mots : je te prends pour épouse sont partout naturels, et employés par tous les peuples.  Troisièmement.   La forme du sacrement signifie l’effet spirituel dont le sacrement est dit être la cause.  Or, ces paroles : je te reçois pour mienne,  ne sont les signes d’aucun effet spirituel.  Quatrièmement.  Les paroles qui sont la forme d’un sacrement  sont déterminées par une institution divine, et ne peuvent pas être changées par le caprice de l’homme.  Or, les paroles par lesquelles le mariage est contracté n’ont jamais été définies.  Cinquièmement.   Quand certaines paroles sont la forme d’un sacrement, si un signe de tête ou un mot écrit ou un signe quelconque leur est substitué,  vaine est l’action.  Et si, aux paroles, les contractants substituent un signe de tête ou une écriture, ils confectionnent le mariage comme s’ils s’étaient servis de paroles.  Sixièmement, le nom du sacrement a coutume d’être pris pour la matière, mais non pour la forme.  C’est l’ablution qui est appelée baptême, non les mots : je te baptise.  Or, ces mots : je te prends pour mienne sont appelés mariage, ou sacrement du mariage.  Car le mariage est un contrat formé des paroles des deux conjoints.  Ces paroles sont donc la matière du sacrement, et non la forme.

Je réponds  en niant que ces paroles : je te prends pour mienne, ne puissent pas être la forme du sacrement.  À la première preuve, je réponds  qu’il n’est ni  impossible ni absurde  que la même chose soit parfois agente et patiente, surtout selon des parties diverses.  Car, quelqu’un peut, avec ses mains, se lier ou se délier les pieds.  De la même façon donc, il pourra avec des paroles et avec  la langue  se livrer à un autre, ce qui est la seule chose requise dans un mariage.  Voilà pourquoi,   si l’argument de Cano valait quelque chose, il prouverait aussi qu’en tant que contrat civil, le mariage  est, lui aussi,  impossible.   Car, le mariage ne peut pas être contracté sans que les conjoints ne se lient.  Donc, la forme  du contrat est indiquée dans le même,  en tant que patient, et en tant qu’agent .  Pourquoi ne peut-il pas se faire que quelqu’un se baptise ou se confirme, ou s’ordonne, ou s’oigne, la raison n’en est pas celle que nous donne Cano.  Car, quelqu’un n’aurait aucune difficulté à se verser de l’eau,  et à dire : je me baptise.  Mais c’est parce que répugne en eux la raison du signe, qui ne répugne pas dans le sacrement du mariage.

À la deuxième preuve, je réponds  qu’autant la matière que la forme du sacrement sont des choses naturelles, si on les regarde physiquement, et surnaturelles, si on les regarde sacramentellement.  Car, ce ne sont pas seulement les paroles qui ont, de par leur institution divine, une signification surnaturelle,  mais aussi l’ablution et l’onction.  Cela, Cano l’admet aussi, ou plutôt il en fait un argument, à l’objection six.  Voilà pourquoi vaine est la distinction qu’il fait en ce lieu.  Et, comme il l’admet lui-même, ces mots : je te prends pour mienne, sont la matière du sacrement, même si ce sont des paroles humaines et naturelles. Il pourrait aussi admettre qu’ils sont une forme.  Car, comme il est forcé de dire que ces paroles  sont, en tant que matière du sacrement, sacrées et surnaturelles,  en raison de la nouvelle signification instituée par Dieu,  nous disons, nous, que ces paroles, en tant que forme du sacrement, sont sacrées et surnaturelles.  À la troisième je réponds  que les paroles sacramentelles sont détermines par rapport au sens, mais non par rapport au nombre de syllabes, de voyelles et de consonnes.  Donc, dans le sacrement de mariage , déterminées sont  les paroles  qui expriment  suffisamment le consentement mutuel, que cela se fasse en plus ou moins de mots.

À la cinquième je réponds que  le seul cas où on ne peut pas remplacer la parole par un signe de tête c’est quand la forme du sacrement est la seule parole proprement dite.  Or, le mariage a ceci de particulier  que la forme est autant les mots proprement dits que les mots improprement dits, comme le signe de tête, comme nous l’avons dit dans la solution de la quatrième objection.  À la sixième je réponds  que cet argument prouve seulement que les paroles du conjoint sont la matière, mais il  ne prouve pas qu’elles soient aussi la forme.  Car si ce qui est seulement matière de sacrement  peut être appelé sacrement, à bien plus forte raison sera appelé sacrement  ce qui est à la fois  matière et forme.

 Ensuite que  ces paroles : je te reçois pour mienne, soient appelés un mariage, on ne l’a pas encore entendu dire.  Car, retenant la coutume sans faille de la vie,  on définit le mariage l’union d’un homme et d’une femme.  C’est ainsi que le définit Alexandre 111 (chapitre illud, sur la présomption), et avant lui Justinien ( institut de pat, potest, au début)  et cette définition, les théologiens et les canonistes la font leur.  Voilà pourquoi ces mots : je te reçois pour mienne sont la cause du mariage, mais ne sont pas le mariage lui-même.  L’argument milite donc contre son auteur. Car, il prouve  que ces mots (je te reçois pour mienne) ne sont pas la matière de ce sacrement, mais plutôt la forme,  puisque le sacrement se dit de la matière, et non de ces paroles.

La dernière objection est tirée de l’autorité des théologiens, des pères et des pontifes.  En effet, Cano prétend que notre sentence n’est pas commune à tous les théologiens.  Mais, de la grande quantité de docteurs, il en cite seulement trois ou quatre, et il ajoute ensuite plusieurs citations de pontifes ou de pères tirées du droit canon,  qui n’ont aucun rapport avec la question débattue.  Nous allons répondre  à chacune des citations.  La première.  Il cite un certain Guillaume de Paris qui traite du mariage (dans son livre sur les sacrements, chapitre 9, question 1.), et qui nie que le mariage soit un sacrement proprement dit, et ait une vertu sacramentelle,  à moins d’être consacré par le ministère d’un prêtre.  Ressemblent à ce témoignage beaucoup de sentences de canonistes qui soutiennent que si la grâce du mariage est conférée,  c’est par la bénédiction sacerdotale et par les prières qu’ils ont coutume de réciter sur les époux.  Cette sentence des canonistes Cano la considère, en cet en droit,  plus probable que celle des théologiens.

Je réponds qu’il y a deux bénédictions dans le mariage. Une qui est donnée quand l’alliance est contractée, lorsque le prêtre dit : Je vous unis au nom du Père, du Fils et  du Saint-Esprit.  Et cette bénédiction a coutume de se faire dans la maison privée.  L’autre bénédiction est celle qui est donnée à l’église pendant la messe, avec l’ajout de différentes prières.   Si Cano parle de la première, et c’est bien de celle-là qu’il semble parler,  il ne trouvera aucun auteur qui la reconnait pour sienne.  Car, Guillaume de Paris et les canonistes parlent de la bénédiction et des prières qui se font à l’église pendant le saint sacrifice.  S’il parle de la seconde, il trouvera quelques auteurs, mais peu nombreux, et qui ne font pas le poids contre toute l’école des théologiens.  Et de plus, ils tombent dans une erreur manifeste, car il est certain que cette bénédiction postérieure est quelque chose de sacramental, mais n’est pas  le sacrement.  Parc e que, dans cette bénédiction, il n’y a aucun  de ces mots qui constituent la forme du sacrement, et qu’elle  n’est pas donnée aux secondes noces,  qui sont pourtant, au jugement de tous, de vrais sacrements.  Et aussi parce qu’elle  peut être omise sans péché, sauf en cas de négligence ou de mépris, comme on le voit par le canon nostrates 30, question 5.

Ajoutons que le fondement des canonistes est débile.  Car, ils prouvent leur sentence  avec le chapitre in ecclesia, sur la simonie, où on interdit aux prêtres d’accepter de l’argent pour la bénédiction des conjoints,  car cette bénédiction est un sacrement.  Mais, dans ce passage, c’est dans un sens large qu’on appelle sacrement la bénédiction des époux.  Comme aussi, au même endroit, on appelle sacrements les cérémonies sacrées, les funérailles, l’inhumation.  En second lieu, Canon objecte les pères du concile de Cologne,  qui requièrent une autre forme du sacrement  que celle qu’ont coutume de requérir les scolastiques.  Mais, nous avons répondu à cela plus haut, en réfutant Kemnitius.  Nous avons montré avec les paroles mêmes de l’enchiridion, édité au nom du concile de Cologne,  que la forme de ce sacrement, ce  sont les paroles avec lesquelles les époux échangent leur mutuel consentement.  Troisièmement, Cano objecte Pierre Paludanus qui ( 4 dist, 5, quest 2) qui  écrit que ne pèchent pas  les conjoints qui contractent un mariage en état de péché mortel.  Il déduit de cette sentence  que le mariage contracté civilement n’est pas un sacrement,  car il n’existe pas d’auteur si inexpérimenté  qui ignore que le sacrement de mariage ne peut pas être reçu sans sacrilège par des époux en état de péché mortel.

Je réponds  que dans le texte que cite Cano, Pierre Paludanus  enseigne clairement  que le sacrement du mariage est administré par les conjoints quand ils expriment mutuellement  leur consentement, parce que c’est dans ce consentement  exprimé par des signes,  que se trouve l’essence du mariage.  Il est donc étonnant que Cano veuille que nous tirions la sentence de Paludanus de sa conclusion à lui,  plutôt que des paroles authentiques  de Paludanus.  Car, dans ce passage, Paludanus ne parle pas des conjoints en tant qu’ils reçoivent le mariage, mais en tant qu’ils l’administrent.  Il voulait, en effet, prouver que ne pèche pas toujours le ministre  qui dispense un sacrement en état de péché, comme en cas de nécessité.  Mais quoi qu’il en soit de sa sentence à lui, on ne peut douter de ce qu’il pense vraiment sur la question que nous traitons.

Quatrièmement, il objecte saint Thomas, qui aurait souscrit à sa sentence en deux endroits.  Le premier. (1 dist 1 quest 1, art 3).  Pour la pénitence, en tant qu’elle est une vertu morale, et pour le mariage, en tant qu’il est un office de la nature, des paroles déterminées ne sont pas requises, mais les gestes et les signes de tête suffisent.  Et comme la pénitence et le mariage sont des sacrements, des paroles déterminées sont requises, dans la dispensation   qu’en font les  ministres de l’église.  Un autre passage (livre 4, chapitre 78, contre les Gentils),  où saint Thomas prouve que le mariage est un sacrement, pace qu’il est dispensé par les ministres de l’église, et qu’une bénédiction est donnée aux époux.

Je réponds que le premier texte, s’il prouve quelque chose,  prouve seulement que, pour le sacrement de mariage, ne suffisent pas des gestes ou des signes,  mais que, comme dans tous les autres sacrements, les paroles sont nécessaires.  Mais, il ne prouve que pas que le mariage n’est un sacrement  que si des paroles sont prononcées par un ministre ecclésiastique, puisque le même saint Thomas, (dist 26, quest 2, art 1, 1)  dit expressément que la forme du sacrement  ce sont les paroles des conjoints; et que la bénédiction du prêtre n’est pas de l’essence du sacrement.  Ajoutons que ce même saint Thomas  (dans le second écrit in quartum  dist 1, quest 1, art 3),  ajoute après avoir écrit les mots cités plus haut : «  Ou on devra dire que, pour qu’ils soient des sacrements,  des signes sont requis à la place des paroles. »  Ce qui nous fait comprendre que saint Thomas ne fut certes pas de la première opinion.

Dans l’autre texte, saint Thomas  prouve que le mariage est un sacrement par le signe et les conjectures, comme nous avons, nous aussi, fait plus haut. Car il est un signe de cette chose que le mariage est orné par la bénédiction sacerdotale,  et qu’il appartient aux ministres de l’église de juger les causes matrimoniales.

Cinquièmement, il présente des témoignages d’auteurs graves.  Celui d’Évariste (épitre 1), de Calixte  (épitre aux évêques de Gaule), de Siricius (épitre à Émériius),  d’Hormisdas, chez Gratien (31, question 2, canon Lotarius),  d’Ambroise ( livre 9,épitre 70 à Vigile),  d’Isidore (livre 2, chap 19 sur les offices de l’Église).  Ensuite des témoignages des conciles.  Celui de Carthage 4, canon 13, de Latran  (chapitre sur le corps de l’Église, la simonie).  Celui de Vienne ,  qu’on trouve  dans la clémence religieuse,  dans les privilèges de théologiens de Louvain, dans  la fin de ce concile.

 Il est certain que ces autorités auraient de quoi nous effrayer si elles enseignaient quoi que ce soit contre notre sentence.  Mais, à l’exception du témoignage d’Évariste,  elles ne disent rien d’autre  que dans les mariages on a coutume ou on doit faire usage de la bénédiction du prêtre et des autres cérémonies que nous acceptons volontiers , et que nous défendons contre les hérétiques.   Que ces cérémonies soient de l’essence du sacrement,  ou que le mariage soit contracté par des paroles,  ou qu’il n’est pas un sacrement, on ne trouve cela dans aucun de ces témoignages.   Dans le concile du Latran, (d’où est  tiré ce chapitre sur la simonie) la bénédiction des époux est appelée sacrement, comme le sont aussi les obsèques et l’inhumation, et la marche de l’évêque vers son siège. 

Seul Évariste (épitre 1, chez Gratien 30,  question, 5, canon aliter)  semble dire qu’un mariage contracté sans prêtre n’est pas un mariage, mais un adultère, ou un viol, ou une fornication.  Mais son témoignage est exposé correctement par les théologiens et les canonistes  qui enseignent que le pontife   parle d’un mariage légitime au for externe.  Car, au for externe, l’élise ne juge qu’un mariage est légitime et n’est pas une fornication  que s’il peut être prouvé par des témoins,  même si, elle sait , au for interne,  que le mariage est véritable quand les deux époux donnent leur consentement.  Évariste jugeait illégitimes les mariages clandestins, parce qu’on présumait que manquait le consentement mutuel des époux.  Ce sens apparait assez clairement  dans les derniers mots de l’épitre, où nous lisons que le mariage est illégitime si la volonté  de l’un a été contrainte.

Cette solution,  Cano est forcé de l’accepter, à moins qu’il ne veuille croire, contre le décret du Concile de Trente, que les mariages clandestins  ne sont pas de vrais mariages, mais des adultères,  des viols ou des fornications.  Car Évariste non seulement  nie  que les mariages occultes soient des sacrements, --ce que Cano désire entendre-- mais il affirme aussi que ce sont des adultères, des viols ou des fornications.  Ce qui est manifestement une erreur, si on ne l’entend pas du for externe.  Nous ne doutons pas que Caro, comme tout bon catholique, n’hésitera pas à obéir au concile de Trente.

                                                          CONTROVERSE 3

                                                                   L’UNITÉ DU MARIAGE

                                                                          CHAPITRE 9

                                      La polygamie de plusieurs femmes successivement

              Vient ensuite la troisième controverse sur l’unité du mariage, la polygamie qui est opposée à l’unité.  Il y a deux parties principales de cette controverse : la multitude de femmes successive, la multitude femmes simultanée.

              Au sujet de la polygamie successive, quand une épouse succède à une autre épouse, il y a deux choses que les hérétiques de notre temps nous objectent.  La première chose.  Nous n’acceptons pas aux ordres sacrés les polygames.  Mais nous avons discuté là-dessus au long et au large   dans le livre 1 des clercs, où nous avons montré  que saint Paul a voulu  que ce soit des hommes d’une seule femme qui soient ordonnés évêques, prêtres ou diacres (1 Tim 3, et Tite 1).  La deuxième.  Que nous prohibons cette polygamie aux chrétiens.  Car, Kemnitius ( 2 part examen, page 1226, écrit que les catholiques estiment  qu’on ne doit pas bénir les secondes noces, car, elles ne sont pas un sacrement,  mais des fornications ou des prostitutions.  Et il allègue le décret de Gratien  (canon hac ratione, et canon quomodo,  31, quest 1.)

              Mais ce n’est rien d’autre qu’une calomnie manifeste.  Il y eut autrefois l’antique erreur de Montan (comme le rapporte saint Augustin, dans son livre sur les hérésies, chapitre 26) et Tertullien (livre sur la monogamie et les novatiens, selon Theodoret, livre 3 surles fables hérétiques) qui enseignait que les secondes noces étaient illicites.  Les catholiques, eux, enseignent, par la parole et les faits,  que les secondes noces sont licites,  et même les troisièmes, les quatrièmes et les autres;  qu’elles sont de vrais mariages, et donc des sacrements. 

C’est ce qu’on déduit de l’apôtre qui affirme aux Romains 6, que n’est pas adultère la femme qui épouse  un autre homme, après la mort de son époux.  Et qui dit, à 1 Cor 7 : « Si son mari est décédé, qu’elle se marie avec qui  elle veut, mais dans le Seigneur ! »  Saint Augustin explique longuement ce passage dans son livre sur le bien de la viduité (chapitre 12), où il observe que le bienheureux Paul n’a pas dit :  Si meurt son premier mari, ou son deuxième, ou son troisième, mais, en général, et sans préciser : son mari.  Il est donc toujours permis de se marier de nouveau après la mort du mari, ou des maris, quel qu’on soit le nombre.  Dans le même sens, l’apôtre enseigne  à Timothée ( 1, 5) : « J’exhorte les jeunes veuves à se remarier, à cause du danger d’incontinence. »

              De plus,  le concile de Nicée (canon 8) ordonne de ne  recevoir les novatiens , quand ils retournent à l’Église, que s’ils promettent de communier aussi avec ceux  qui se sont mariés deux fois.   Se présentent  ensuite  les témoignages des pères, de saint Ambroise (dans son livre sur les veuves),  de saint Jérôme (dans son épitre à Géruntia),  de saint Augustin ( dans son livre sur le bien de la viduité), saint Jean Chrysostome (homélie 20 sur l’épitre aux Éphésiens) et d’autres,  qui approuvent ouvertement les secondes noces, même s’ils préfèrent la continence.  Et puis, le concile de Florence, dans son instruction aux Arméniens, déclara qu’étaient licites non seulement les deuxièmes noces, mais les troisièmes, les quatrièmes, et toutes les autres.

              À l’objection qu’on nous fait sur la bénédiction,  nous répondons qu’il est très vrai que les secondes noces ne sont pas bénites, mais la raison n’en est pas qu’elles ne sont pas un sacrement.  D’abord, que les secondes noces ne doivent pas être bénies, c’est ce qu’affirment de très graves auteurs,  comme les pères du concile de Nicée (chapitre 7), saint Ambroise (ou quiconque fut l’auteur du commentaire sur le chapitre 7 de la première épitre aux Corinthiens, et du troisième chapitre de la première à Timothée), saint Augustin (sermon 243),  Isidore  (livre 2, chapitre 19, les offices divins), Alexandre 3 et Urbain 3. (secondes noces,  chapitre capellanum, et chapitre vir).  Les pères qu’on vient de citer n’ont jamais dit que les secondes noces n’étaient pas bénies parce qu’elles n’étaient pas un sacrement, car cette bénédiction n’appartient pas à l’essence du  sacrement, comme nous l’avons montré plus haut.  La raison pour laquelle on ne bénit pas les secondes noces c’est que la bénédiction donnée aux premières noces n’a pas péri, et qu’il ne faut pas bénir une seconde fois ceux qui ont déjà était bénis une fois, comme Urbain l’enseigne au lieu cité.

              Et il est facile de répondre aux citations que nous objecte Kemnitiius.  Car ou il blâme  leurs canons, ou il blâme  celui qui  les a codifiés.  Si ce sont les canons, c’est contre les plus anciens pères de l’Église qu’il engage le combat, non avec les scolastiques ou les auteurs les plus récents.  Car les trois canons cités qui réprouvent les secondes noces,  sont tirés d’auteurs qui vécurent dans les premiers siècles.  S’il accuse le collectionneur, il est inique et malhonnête, puisqu’au même endroit il affirme  juste le contraire,  et qu’il allègue plusieurs témoignages de saint Jérôme et de saint Augustin, pour prouver que non seulement les secondes noces, mais les troisièmes, les quatrièmes et les autres sont licites.

 Mais jetons aussi un coup d’œil sur les canons cités par Gratien.   Le premier est celui du concile de Néocésarée célébré avant 200.  Dans ce concile, au canon 7, on interdit d’être présents  aux prêtres qui ont célébré deux noces, et on impose une pénitence à ceux qui se marient plus souvent.  Ce canon, quelques-uns  l’entendent de ceux qui veulent avoir plusieurs femmes en même temps.  Que ce soit contre l’évangile, nous le démontrerons au prochain chapitre.  D’autres l’entendent de ceux qui  ont contracté plus que deux noces successivement.   Ces auteurs affirment que ceux qui agissent ainsi ne pèchent pas, mais qu’ils veulent avoir dans les secondes noces, la même célébrité qu’ils ne peuvent avoir que dans les premières.  Et, pour cette raison, une pénitence doit leur être imposée par les prêtres  par lesquels ils ont été invités à cette célébrité.

              Il peut aussi se faire que d’anciens  pères, qui étaient plus sévères en d’autres choses,  ont voulu voir un signe d’incontinence chez  ceux qui contractaient souvent le mariage.  Car, le concile de Laodicée, au canon 1, tout en reconnaissant  que sont légitimes les secondes noces, impose une pénitence de quelques jours à ceux qui désirent les secondes noces.  Mais quelle qu’ait été l’intention de ces pères, ce fut un concile particulier, auquel on a le droit d’opposer le concile général de Nicée, canon 8, qui approuve expressément les secondes noces.  Le second canon est attribué à un Chrysostome, mais manifestement pas à saint Jean Chrysostome, mais à un autre du même nom, dont il nous reste un travail inachevé sur saint Matthieu.  Cette oeuvre est ou d’un hérétique, ou elle a été  corrompue par un hérétique, car elle contient beaucoup de choses contraires à la saine doctrine. 

 Les paroles du présent canon se trouvent dans le sermon 32,  chapitre 19 de saint Matthieu, où cet auteur écrit que les secondes noces sont prescrites par l’apôtre à cause de l’incontinence des hommes,  et sont  une vraie fornication   Quelques-uns expliquent ces paroles en suggérant que c’est par hyperbole que l’auteur a appelé les secondes noces fornication.  Non parce que les secondes noces soient une vraie fornication, mais parce que  c’est quelque chose de moins bon que de vivre dans la viduité.  Mais quoiqu’il en soit de la pensée de l’auteur, il est certain que ses paroles n’ont pas d’autorité dans les dogmes.  Surtout quand le vrai saint Jean Chrysostome (homélie 20 sur l’épitre aux Éphésiens),  enseigne qu’on ne peut pas condamner les secondes noces.   Le dernier canon de saint Jean Chrysostome  se trouve dans le livre 1 contre Jovinien, où il écrit tant de choses à la louange de la virginité et de la continence, qu’il a paru à certains condamner non seulement la polygamie, mais aussi les secondes noces.   

Et dans son apologie à Pammachius pour ses livres contre Jovinien,  saint Jérôme  écrit distinctement : « Je ne condamne pas les bigames,  ni non plus les trigames,  ni même non plus les octogames,  si on peut employer ce mot. »  Et dans son commentaire  du chapitre 1 à Tite, il dit qu’est hérétique  la monogamie de Tertullien,  où sont condamnées les secondes noces.  Et, dans son épitre à Géronte sur la monogamie, il dit : « Quoi donc ? Condamnons-nous les secondes noces ?   Pas du tout.  Mais, nous louons les premières.   Séparons-nous de l’Église les bigames ? Jamais de la vie.  Mais nous provoquons les monogames à la continence. »  Saint Jérôme estimait donc que les secondes noces  n’étaient pas illicites.  Mais quand il exhortait à la monogamie avec plus de véhémence,  il le faisait cela tant par amour de la pudicité, dont brulait ce saint homme,  qu’à cause de l’incontinence de beaucoup chrétiens  qui, non contents d’un second, d’un troisième et même d’un quatrième mariage, se rendaient même jusqu’au vingtième.  Il rapporte, en effet, dans la même lettre à Gérontia,  qu’au temps de saint  Damase,  il y eut un couple  dont l’un avait enseveli  vingt épouses, et l’autre  vingt et un maris.

Il semble cependant, qu’un scrupule demeure encore.  Car, quand les catholiques enseignent  qu’à cause du défaut du sacrement, les bigames ne peuvent pas être promus aux ordres sacrés, il semble, comme le note Kemnitius, que, pour les catholiques, les deuxièmes noces ne sont pas un mariage.  Je réponds que les bigames ne peuvent pas être initiés aux ordres sacrés, non parce que leur mariage n’est pas un sacrement, mais parce que leur manque une certaine perfection du sacrement.  Car, celui qui est monogame signifie que le Christ est le mari d’une seule épouse.  Celui qui est bigame signifie que le Christ est l’époux d’une, ce qui suffit pour le sacrement. Mais il ne suffit pas qu’il est le mari d’une, de façon à ne pas l’être d’une autre.  Et c’est à cause de ce défaut de signification, et pour d’autres raisons dont nous avons discuté dans la dispute sur la bigamie des clercs,  que les bigames ne sont pas admis aux saints ordres.

                                                            CHAPITRE 10

                          De la bigamie de plusieurs femmes simultanément

Maintenant, pour en venir à l’autre partie de la controverse, le premier parmi les chrétiens qui ouvrit la porte à la polygamie simultanée  semble avoir été l’empereur Valentinien, prince pieux, par ailleurs,  et catholique.  Comme le rapporte Socrate  (livre 4, chapitre 27 de son histoire), il s’éprit d’une certaine Justine, et a voulu en faire sa femme, tout en retenant sa première épouse Sévéra, de laquelle il avait reçu son fils Gratien.  Pour couvrir d’un voile son intempérance, il promulgua une loi  qui autorisait n’importe qui à avoir simultanément deux femmes.

À notre époque, Luther s’efforça, parmi ses erreurs innombrables,  de retirer aussi  des enfer  cette erreur dont les fidèles avaient perdu le souvenir.  Car, dans ses propositions sur la bigamie des évêques (1528), il écrit ainsi aux propositions 63 et 66 : « Connus sont les droits mosaïques  au sujet de l’épouse du frère défunt,  et de la fille corrompue à l’insu du père,  qui forcent à être le mari de plusieurs femmes, qui ne sont pas plus abrogés  que les autres choses.  C’est-à-dire  qu’ils sont facultatifs : ni interdits, ni commandés. »  Et plus haut, (à la proposition 62 et suivantes), il dit que les païens se scandaliseront peut-être si les chrétiens ont deux femmes.  Mais, cependant, chez les Juifs, ce n’est pas un scandale, et on ne peut donc pas montrer que ce soit illicite.  Et parce que, dans toute l’Europe et toute l’Afrique,  il n’y a point d’autres païens que  les Juifs et les musulmans,  à qui leur pseudo prophète a concédé le droit à la multitude des femmes, selon la sentence de Luther, il serait permis aux hommes de toutes ces régions d’avoir plusieurs femmes ?  Quoi donc ?

   Le même Luther, dans l’explication de la Genèse (1525),  dispute non en passant, mais explicitement, dans son commentaire  sur le chapitre 16,  sur la question suivante : est-il permis aux chrétiens, à l’exemple d’Abraham, d’avoir plusieurs femmes ?  Il répond que ce n’est ni prohibé ni commandé, mais facultatif.  Et si quelqu’un ne veut pas introduire cette nouvelle coutume, il ne pourra pas non plus la réprouver,  puisque les exemples des pères la rendent facultative.   Les anabaptistes suivent cette sentence de Luther, comme l’atteste Kemnitius  (2 par, examen, page 1229.)  Là ou il reconnait que c’est à bon droit que le concile de Trente a condamné cette erreur de la polygamie simultanée.  Il devra donc aussi reconnaitre que c’est à bon droit qu’il condamne l’archi prophète Luther,  qui est tombé dans la même erreur.  Comme il est condamné dans le concile de Trente (session 24), par ces paroles : « Si quelqu’un dit qu’il est permis aux chrétiens d’avoir plusieurs femmes en même temps, et que c’est  quelque chose qui n’est prohibé par aucune loi divine,  qu’il soit anathème. »  Ces paroles du concile que Kemnitius approuve sont dirigées manifestement vers Luther, dont c’est la sentence propre, que la polygamie n’est ni prescrite ni interdite par Dieu.

Et cette définition du concile de Trente est loin d’être une nouveauté.  La même chose, autrefois, avait été définie par le pape Siricius (épitre 1), par le pape Innocent 1 (épitre 9), et par le pape Innocent 3, (chapitre gaudeamus sur le divorce,) et par beaucoup d’autres, et chez Gratien 24, (question 3, canon an non).

Cette vérité, on peut la confirmer par les arguments suivants.  Le premier.  Le Christ (en Matth 19) renvoie le mariage à sa première institution, et veut qu’elle ait encore la même valeur. Or, la première institution excluait la polygamie. La polygamie est donc prohibée par le Christ.  On prouve ainsi la majeure.   Quand les pharisiens demandèrent au  Seigneur  s’il était permis de répudier l’épouse, il répondit que ce n’était pas permis.  Car celui qui fit l’homme et la femme les fit mâle et femelle, en disant : à cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et ils seront deux dans une seule chair.  Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair.  Donc,  ce que Dieu a uni, que  l’homme ne le sépare pas. »

 Et comme les pharisiens insistaient en disant que Moïse avait permis le libelle de répudiation,  le Seigneur  répondit  en ramenant toute la question à la première institution : c’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos épouses.   Au commencement, il n’en était pas ainsi.     Que le mariage institué au début excluait la polygamie simultanée,  on le prouve d’abord par la manière de parler.  Car les paroles sont au singulier : il les a faits mâle et femelle.  Et : il adhèrera à son épouse.   Ils seront deux dans une même chair. Elles indiquent ouvertement  que Dieu a voulu que le mariage soit l’union  d’un seul avec une seule, non avec plusieurs.

Deuxièmement.  Par cette explication du Christ : ils ne sont donc pas deux, mais une seule chair.  Ces paroles signifient que le mariage,  institué au début, avait pour effet d’unir les conjoints en une seule chair.  Or, si quelqu’un s’unit à plusieurs,  il n’y aura pas une seule chair, mais,  plusieurs.   Ce n’est pas tant une union qu’une division que ferait un tel mariage.  Troisièmement, la chose apparait clairement  par la première création de l’homme. Car si Dieu avait voulu que le mariage soit l’union de l’un avec plusieurs, il aurait créé Adam non avec une seule femme, mais avec plusieurs, qu’il aurait pu  avoir toutes pour épouses.  Car, Adam ne pouvait prendre pour épouse que celle qui avait été créée avec lui. Il répugne aussi totalement à la nature que le père épouse sa fille ou sa nièce.  Or, en dehors d’Ève, toutes les femmes étaient soit les filles, soit les nièces d’Adam.  Dieu força donc Adam à être monogame.

Se présente ensuite le consentement des pères.   Car, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Bède, Théophylacte,  et saint Anselme, dans leurs commentaires du chapitre 19 de saint Matthieu, saint Ambroise (dans son livre sur les veuves, à la fin),  et saint Augustin (dans son livre 1, chapitre 9 sur les noces et la concupiscence) enseignent tous que le mariage, tel qu’il a été institué au début, excluait la polygamie.  Et les raisons un peu avant alléguées étaient tirées de ces mêmes pères.

Secondement.  Le Christ (Matthieu  5 et 14, Marc 10, Luc, 16) déclare  que fornique celui qui renvoie sa femme.  On déduit de ces témoignages que la polygamie est complètement illicite de droit évangélique.  Car, on dit qu’il fornique celui qui renvoie sa première femme,  parce qu’il ne pouvait pas la renvoyer.  Et si, devant les hommes, elle semble renvoyée,  elle est encore l’épouse de celui qui l’avait épousée jadis.  Car, si par la répudiation, elle cessait d’être l’épouse, il ne forniquerait pas celui qui la renvoie pour en  prendre  une autre.  Et s’il fornique celui qui en prend une autre,  du vivant de la première,  il n’est donc pas permis d’avoir plusieurs épouses, à moins de vouloir que les adultères soient licites.  Et s’il n’est pas permis d’en prendre une autre, après avoir renvoyé la première,  cela sera encore moins permis si on retient la première.  Car il n’est pas permis d’en prendre une autre après renvoyé la première, parce que la première est encore l’épouse.  Et est encore bien plus épouse, celle qui n’a pas été renvoyée.  Voilà pourquoi, du vivant de la première femme,  qu’elle soit renvoyée ou gardée,  il est illicite d’en prendre une autre.

À Cajetan, cet argument ne semble pas assez solide.  Commentant le 19ième chapitre de saint Matthieu, Cajetan dit que cet argument ne manque de pas de scrupule, à cause des paroles de saint Marc.  Et ensuite, écrivant sur le chapitre 10 de saint Marc, il explique le scrupule noté auparavant.  C’est que, en rapportant les paroles du Seigneur,  saint Marc ne dit pas : « Celui qui en prendra une autre sera adultère, mais celui qui en prendra une autre forniquera  avec elle.  Cajetan veut en déduire (si je le comprends bien. Il parle obscurément à sa manière habituelle) que le second mariage  n’est pas appelé par le Christ un adultère tout simplement,  mais un adultère qui fait injure à la première épouse. C’est-à-dire un adultère improprement dit, et selon tel ou tel point de vue,  mais non absolument et proprement. 

Mais ce scrupule peut facilement être éliminé.  Car, d’abord ces mots : sur elle, on ne les trouve pas dans Matthieu au chapitre 19, et dans Luc, chapitre 16, car, ces évangélistes disent absolument  qu’il est adultère celui qui agit ainsi.   Il importe peu que Cajetan dise  qu’il faut expliquer Matthieu et Luc d’après Marc, parce qu’il aurait ajouté ce que les autres avaient omis.  Car, même s’il arrive aux évangélistes d’omettre quelque chose que complète un autre, ce qu’ils disent est quand même toujours vrai,  et de façon qu’ils peuvent être compris même par ceux qui n’ont pas lu les autres.   Autrement, ceux qui n’ont qu’un évangéliste, seraient induits en erreur.  Voilà pourquoi l’explication d’un évangéliste par un autre ne doit jamais être telle que sans elle, deviendrait faux ce que l’un des quatre raconte.

Il faut donc que soit vrai ce que Matthieu et Luc disent, à savoir  qu’est vraiment adultère celui qui prend une deuxième femme, du vivant de la première.  Autrement, seraient induits en erreur ceux qui liraient Matthieu et Luc sans Marc.   De plus, les mots «  il  fornique à cause d’elle » (il est adultère sur elle) n’enlèvent pas l’adultère, mais le déclarent,  et ajoutent quelque chose en plus.  Car, commettre un adultère sur la femme renvoyée, c’est être un vrai adultère,  avec en surcroit, l’injure d’une injuste répudiation.  Et expliquer autrement,  c’est sans aucune raison abandonner le sens propre et naturel des mots,  et imaginer des tropes à sa guise, ce qui serait permis s’il était permis de corrompre et de détourner les Écritures de leur vrai sens.

Ajoutons que saint Augustin  (livre 1, chapitre 11, sur les mariages adultérins), et Bède (dans son commentaire du chapitre 10 de Marc, expliquent Marc comme nous l’avons dit.  Et Innocent 3 (au chapitre gaudemus, sur les divorces) a tout l’argument que  nous avons expliqué jusqu’à présent.  Et, avant lui, Innocent 1 (épitre 3  à Exuperius, chapitre 6) et tous les autres pères  que nous citerons dans la prochaine question,  qui affirment qu’est un vrai adultère  celui qui s’unit à une autre épouse, après avoir répudié  la première.   Mais, peut-être que Cajetan voulait dire que  forniquer sur elle, c’est commettre un vrai adultère,  parce qu’alors est amenée une autre épouse, en dépit de la première épouse,  qui est injustement renvoyée.  Mais que si la première consent à n’être que retenue, il n’y a pas d’adultère quand on en prend une deuxième.  Et donc que les paroles du Seigneur n’interdisent pas formellement la polygamie.

Je réponds que le consentement de l’épouse  n’est pas requis, et ne suffit pas pour rendre licite la polygamie.  Car, dans la chrétienté,  où la polygamie est interdite,  il ne serait pas permis à un mari  de prendre une autre  épouse,  même si la première le voulait absolument.  Au temps des patriarches, où la polygamie était permise, le consentement de la première épouse  n’était pas requis.  Comme on le lit des épouses de Jacob.  Car, il n’est pas vraisemblable que Lia ait consenti que Jacob couche  avec  Bala,  la servante de sa rivale Rachel.  Il n’est pas non plus vraisemblable que Rachel  ait consenti que Jacob couche avec  Zelpha, servante de Lia.  Mais, Jacob usait de son droit.  De la même façon,  David  avait plusieurs épouses, à l’insu des premières.  Et on ne lit  jamais que le mari ait demandé le consentement de sa première épouse, pour qu’il lui soit permis de coucher avec une autre.  Voilà pourquoi ce qui fait un adultère  ce n’est pas prendre une autre femme sans le consentement de la première, mais de prendre une autre femme du vivant de la première, celle qui demeure toujours l’épouse.

Troisièmement.  On le prouve par l’apôtre.   Partout où il est question de mariage, on parle toujours d’une  femme au singulier.  Comme aux Corinthiens 7 : « Que chacun ait sa femme. » Et,  « es-tu lié à une femme,  ne cherche pas de séparation. »  Ensuite, le même apôtre écrit ouvertement  qu’une femme ne peut pas, du vivant de son mari, se marier à un autre .  Romains 7 : « Du vivant de l’homme,  on appellera adultère  celle qui prendra un autre homme. »  Et 1 Corinthiens 7 : « À ceux qui sont unis par un mariage,  ce n’est pas moi qui prescris, mais le Seigneur qui  prescrit à la femme de ne pas quitter son mari.  Mais, si elle le quitte, qu’elle demeure chaste, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. »  Et plus bas : « La femme est liée à la loi,  aussi longtemps que son mari vivra.  Si sont mari décède, elle est libérée de la loi.  Qu’elle se marie avec qui elle veut. »  Ces passages prohibent expressément la polygamie de la part des hommes, c’est-à-dire  que plusieurs hommes n’épousent pas simultanément plusieurs femmes.  Car, même s’il répugne moins à la raison et à la nature qu’un homme ait plusieurs femmes,  qu’une femme ait plusieurs maris, comme nous le montrerons plus bas,  les deux répugnent  à la raison.

Et de plus, quoi qu’il en soit du droit de la nature, selon le doit évangélique, l’homme et la femme sont égaux  par rapport à la foi et au du conjugal, comme saint Paul l’explique lui-même, (1 Corinthiens 7), quand il dit : « Que l’homme rende à la femme ce qui lui est du, et la femme ce qui est du à son mari.  La femme n’a plus le pouvoir sur son corps, mais son mari.  De la même façon, l’homme n’a plus le pouvoir sur son corps, mais la femme. »  Par ces paroles, l’apôtre signifie  que, dans le contrat matrimonial chrétien,  qui est le sacrement du seul Christ avec l’Église,  le mari est uni à sa femme de façon à ce qu’il se livre totalement à elle, comme elle se livre totalement à son mari.  Il sui de là  que, comme la femme ne peut pas, sans injustice, se livrer à un autre homme, l’homme ne peut pas, lui non plus, se livrer à une autre femme sans injustice.

 Voilà pourquoi, bien que saint Augustin  ait écrit dans son livre sur le bien conjugal (chapitre 17) qu’il était plus absurde qu’une femme ait plusieurs maris qu’un homme ait plusieurs femmes, cependant (dans les mariages adultérins, livre 1, chapitre 8), il a enseigné que, dans le mariage chrétien, la femme était semblable à l’homme  en ce qui a trait à la monogamie. Et c’est pour cette raison  qu’au témoignage de l’apôtre, la femme sera adultère si, du vivant de son mari, elle vit avec un autre homme; et l’homme sera aussi adultère si, du vivant de sa femme, il vit avec une autre femme. Nous en déduisons donc, selon l’apôtre, ce syllogisme.  Selon l’apôtre, la femme ne peut pas avoir simultanément plusieurs maris.  Or, selon le même apôtre,  la femme et l’homme sont égaux à ce sujet.  Donc, l’homme ne peut pas, selon l’apôtre, avoir plusieurs femmes.

Quatrièmement.  La polygamie, tant de la part de l’homme que de la part de la femme, répugne au droit de la nature et à la nature du mariage.  Il n’est donc pas licite, surtout dans la loi évangélique, qui retire toutes les permissions qui avaient été accordées dans l’ancienne loi.  L’antécédent,  qui porte sur la polygamie d’une femme avec plusieurs maris, est sur et certain.  Car, une telle polygamie répugne à toutes les fins du mariage.  On peut, sur le plan de la doctrine,  distinguer quatre fins du mariage.  La fin première est la production et l’éducation d’enfants.  Or, comme une femme ne peut enfanter qu’une fois par année, un mari suffit.  Si elle était unie à plusieurs, elle n’enfanterait pas plus souvent, mais plus rarement,  ou jamais.  Car l’expérience nous montre que les prostituées  sont infécondes.  Et aucun de ces hommes ne connaitra ses enfants, ce qui nuirait certainement à l’éducation des enfants.

L’autre fin du mariage est la société domestique,  et le partage des tâches qui sont nécessaires à la vie.  Car, comme l’enseigne Aristote (dans son livre 8 de l’éthique, chapitre 12),  l’homme et la femme ne sont pas unis seulement pour procréer,  comme les animaux, mais aussi pour cohabiter,  pour régir ensemble la famille, et se répartir entre eux les tâches domestiques, les unes convenant aux hommes, et d’autres aux femmes.  Cette fin serait totalement empêchée par la présence de plusieurs hommes  dans la même famille.   Ce  corps aurait plusieurs têtes.   Plusieurs serviteurs peuvent être au service d’un seul maitre, mais un seul serviteur ne peut pas correctement servir plusieurs maîtres.  De la même façon, même si un mari, dans certaines circonstances, peut avoir plusieurs femmes, une femme ne peut, en aucune façon, avoir plusieurs maris.

La troisième fin est que le mariage soit un remède contre la concupiscence.  Or, le mariage d’une femme avec plusieurs hommes non seulement n’est pas un remède contre la concupiscence, mais ne peut que fomenter les rixes,  des discordes implacables entre rivaux.  Ces discordes, la femme ne peut pas les apaiser, parce qu’il lui revient de se soumettre et d’obéir, non de diriger et de dominer.   La quatrième fin est d’être le sacrement du Christ et de l’Église.  La polygamie répugne grandement à cette fin.  Car, il n’y a qu’un seul Dieu a être uni avec son église.  Et l’église ou l’âme ne peut s’unir à d’autres dieux qu’en forniquant.    Dans son livre sur la doctrine chrétienne (chapitre 12),  et dans son livre sur le bien conjugal (chapitre 17) il prouve cette sentence par les exemples d’anciens saints.   Nous lisons que parmi les saints, certains eurent plusieurs épouses.  Mais qu’une femme ait eu plusieurs maris, nous le lisons jamais. 

En ce qui a trait à la polygamie qui fait qu’un homme ait plusieurs femmes,  tous n’admettent pas qu’elle soit contraire au droit naturel. Car, Durand  (4 dist 33, quest 1) et Alphonse évêque d’Abulensis (chapitre 9, Matth question 30),  enseignent qu’elle ne répugne pas à la nature.  Mais le pape Innocent  (dans son épitre Gaudemus sur le divorce),  et la plupart des théologiens (dist 33, livre 4 des sentences), soutiennent l’opinion contraire.  Car, si la polygamie ne répugne pas à la première fin du mariage, qui est la procréation et l’éducation d’enfants,  elle répugne, cependant, ouvertement, aux autres fins.  Car, la seconde fin qui est la cohabitation sociale et le gouvernement de la maison,  n’est pas peu empêchée par la multitude des femmes. 

Car même si la femme est sujette à son mari,  elle ne n’est pas en tant que servante ou domestique, mais en tant qu’égale.  Voilà pourquoi elle a, elle aussi, la main haute dans la maison , comme l’enseigne saint Jean Chrysostome  (homélie sur l’épitre aux Éphésiens).  Et saint Thomas prouve la même chose ( 1 par quest  92, art 3), par la production de la femme.  Car, ce n’est ni de la tête, ni des pieds qu’elle a été formée, mais d’une côte, pour qu’elle ne soit pas dominée par le mari, ni traitée comme une servante,  mais comme sa compagne, et sa collatérale.    Et c’est ce qu’attestent les paroles d’honneur.  On appelle reines les épouses des rois, et impératrices les épouses des empereurs.  Or, comme  toute principauté, de par sa nature, aime la singularité, (comme l’enseigne saint Augustin dans le bien conjugal), il répugne  au mariage qu’un seul homme ait plusieurs épouses.

Et c’est ce qui nous fait comprendre l’argument de saint Augustin, au lieu cité,   par lequel  il prouve que ce n’est pas autant contre la raison qu’un homme ait plusieurs femmes qu’une femme ait plusieurs maris.  Car, ce n’est pas contre la raison qu’un maître ait plusieurs serviteurs, alors que c’est contre la raison qu’un serviteur ait plusieurs maîtres.  Cet argument ne prouve pas  qu’il ne soit pas absolument contre la raison  qu’un seul mari ait plusieurs épouses, puisqu’il y a une grande différence entre la sujétion des serviteurs à un maître et la sujétion de l’épouse à son mari.  Il prouve seulement  qu’il est moins absurde  qu’un homme ait plusieurs femmes qu’une femme ait  plusieurs maris, puisque l’homme est la tête de la femme, et la femme n’est pas la tête de l’homme.

La troisième fin, qui est le remède contre la concupiscence,  est empêchée par l’union simultanée d’un homme avec plusieurs femmes.  Car, sans aucun doute possible,  un seul homme ne peut pas rendre à chacune de ces épouses ce qui leur est du,  comme il le ferait à une seule.  Et, comme nous l’avons dit plus haut, c’est une iniquité  que l’homme ne se livre pas totalement à son épouse, quand  la femme se livre totalement à son mari.  Et de plus, comme il peut à peine se faire  qu’une ne soit pas aimée plus qu’une autre,  des rixes et des contentions  naissent facilement de la polygamie.  Comme c’est le cas même des femmes saintes, comme Sara et Agar, Lia et Rachel, et entre Anne et Phenena.  Et il n’est pas vrai ce que dit Durand que ces rixes n’arrivent que par accident, à cause de la méchanceté des femmes.   Au contraire,  c’est plutôt par accident que de telles rixes n’éclateraient pas à cause de la bonté des femmes,  puisque la polygamie les apporte avec elle.

La quatrième fin, le sacrement, répugne à la polygamie.  C’est ce qu’on voit dans l’institution elle-même du mariage.  Car, si la polygamie était conforme à la nature,   Dieu l’aurait instituée au début, parce qu’elle était, à cette époque, nécessaire à la propagation de l’espèce.  Et elle aurait donc une origine naturelle.  Mais, au contraire, c’est la monogamie que Dieu a institué au tout début.   La polygamie n’est donc  pas selon la nature .   On peut tirer un cinquième argument de l’usage de l’Église.  Car, si la polygamie était permise aux chrétiens, il faudrait le prouver en citant des exemples de chrétiens qui ont eu plusieurs femmes.  Car, il  n’y a pas à s’étonner que Luther ne puisse citer que les exemples des patriarches  pour prouver que la polygamie est licite, et pas un seul exemple de saints qui ont vécu pendant seize siècles.  Que conclure donc ?  Que non seulement les chrétiens ont toujours pratiqué la monogamie, mais aussi les païens romains.  Car, dans le droit civil romain, les polygames  sont, par les empereurs romains, marqués d’infamie et  d’autres peines, comme on le voit par ceux  qui sont notés d’infamie  (dans la loi 1 item, canon des noces incestueuses, loi cum qui).  Aristote aussi, dans les politiques, prescrit la monogamie.  Que cela suffise.

                                                           CHAPITRE 11

      On solutionne l’argument des adversaires tiré de l’exemple des patriarches

Il faut réfuter l’argument de Luther et des anabaptistes tiré de l’exemple d’Abraham,  de Jacob et de David, et des autres patriarches qui eurent plusieurs femmes, et qui ont été bien vus et bien reçus de Dieu.  Nous allons réfuter cet argument de plusieurs façons.  Quelques-uns soutiennent que les pères n’ont eu qu’une seule épouse légitime, et que les autres ont été des concubines.   Ce qu’ils prouvent d’abord par ces paroles de saint Jean 8 : «Nous ne venons pas de la fornication.»   Ils semblent vouloir dire, selon Euthymius, qu’ils ne descendent pas de Agar, la concubine d’Abraham, mais de Sara,  sa femme légitime.  Ensuite l’Écriture appelle souvent concubines les femmes que les patriarches prenaient en plus de leurs épouses.  Et elle enseigne que leurs fils n’étaient pas des héritiers, comme ces pages de la Genèse nous le montrent (25) : «Abraham donna à Isaac tout ce qu’il possédait;  et il fit des dons aux fils de ses concubines.» 

Enfin, les pères.   Saint Ambroise (livre 1 sur Abraham, chapitre 4) voulait excuser Abraham, qui, du vivant de Sara, avait connu une autre femme.  Il  apporte trois raisons.  La première. À cette époque, l’adultère n’était pas encore prohibé par une loi,  La deuxième. Ils ont agi par amour de la postérité, et non pour satisfaire leurs passions déréglées,  et avec le consentement de leurs épouses.  Ils en ont fait pénitence.  La troisième.  Ils ont fait cela pour signifier quelque chose, selon l’apôtre aux Galates 4.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 9, contre les adversaires de la loi et des prophètes. chapitre 23 contre Faustus, livre 16, chapitre 25, de la cité de Dieu) excuse le crime d’Abraham , que lui objectaient les manichéens, en répondant que ce n’était  pas pour assouvir sa passion mais pour avoir des enfants qu’il avait agi ainsi;  et de plus, qu’il l’avait fait sur la demande de sa femme.  Ils n’auraient eu qu’un mot à prononcer s’ils avaient pensé qu’Agar était la femme d’Abraham.

Ensuite saint Léon (épitre 92, chapitre 4 à Narbonne) fait une distinction entre femme et concubine,  et enseigne que la concubine n’est pas une véritable épouse, de sorte que celui qui , ayant une concubine , épouse une autre femme, n’est pas considéré comme ayant fait un deuxième mariage.   Mais cette opinion est improbable, et ne répond pas à la question.  Car, quoi qu’il en soit de Sara et d’Agar, il est certain que Rachel et Lia ont été deux vraies épouses de Jacob, car l’une et l’autre étaient libres, et l’une et l’autre sont appelées épouses.  Et on peut dire la même chose d’Anne et de Phenenna, les deux épouses d’Héléna, ainsi que de beaucoup d’autres.

 Ensuite, qui croira que le patriarche Abraham, homme très saint, et très sage, et comme le père de toute sainteté,  qui, dans l’Écriture, a toujours été nommé avec honneur par les prophètes et les apôtres, qui croirait, dis-je, qu’il ignorait que l’adultère était un péché, ou qu’il pensait pouvoir en commettre un du consentement de son épouse ?  Ajoutons que si elles n’ont pas été de vraies épouses pour les patriarches,  il faudrait dire que les patriarches ont péché non seulement une fois par fragilité humaine, mais pendant toute leur vie, et cela ouvertement et volontairement.  Car, ces femmes, ils les retinrent perpétuellement et publiquement.

Ensuite, Dieu a dit à David (2 Rois 12) : «J’ai donné les épouses de ton seigneur dans ton sein.»  Or, je le demande, comment Dieu pourrait-il être l’auteur d’un adultère ?  Et le bienheureux Paul, (Galates 6), écrit que les deux fils d’Abraham signifiaient deux testaments ou deux peuples;  et que, comme Abraham eut un fils de la femme libre et un fils de la servante, de la même façon, Dieu a eu deux peuples, un de la synagogue servante, et un de l’église libre.  Agar signifiait donc la synagogue.  Or, la synagogue ne fut pas unie  à Dieu par un adultère, mais par une union légitime.  Donc si la comparaison est vraie, si Agar signifie vraiment la synagogue, elle ne fut pas une concubine d’Abraham, mais une véritable épouse.

Mais ces arguments ne sont pas concluants.  Car, le «nous ne sommes pas nés de la fornication», doit s’entendre de la fornication spirituelle qui est l’idolâtrie, non de la fornication charnelle, selon l’explication qu’en donne saint Augustin.  Voilà pourquoi les Juifs ajoutent : «Nous avons un seul Père, Dieu».  Comme s’ils disaient : nous ne descendons pas des gentils idolâtres, qui forniquent avec plusieurs dieux, mais des patriarches adorateurs d’un seul Dieu.  La même chose découle des paroles précédentes, car ils dont dit, un peu avant, avoir Abraham pour père, et ils en concluent qu’ils ne viennent pas de la fornication.  Or, s’il s’agissait de la fornication charnelle, et si, par fornication, ils avaient entendu l’union avec Agar, ils seraient nés de la fornication, même s’ils avaient pour père Abraham. Et s’il s’agit vraiment de la fornication spirituelle, c’est-à-dire, de l’idolâtrie, ils ont raison de dire qu’ils ne viennent pas de la fornication ceux qui descendent d’Abraham, car Abraham ne fut pas un idolâtre, mais un adorateur du vrai Dieu.

Le deuxième argument n’est pas plus concluant.  Car, dans l’Écriture, de vraies et légitimes épouses sont parfois appelées concubines, et les concubines sont parfois appelés épouses. Exemples.  Genèse 21, Céthura est appelée épouse, et un peu après, elle et Agar sont appelées concubines. Jules 19, la femme véritable , légitime et unique d’un lévite est appelée tantôt épouse, tantôt concubine.    C’est qu’il y avait deux genres de femmes, autant chez les Hébreux que chez les Gentils.  Celles qu’on épousait non seulement pour avoir des enfants, mais en communion de tous les biens, et pour le gouvernement de toute la maison.  Seuls les fils de ces femmes étaient des héritiers, et ce sont elles qu’on appelait proprement mères de famille.  D’autres étaient, aussi, des épouses légitimes, mais elles n’étaient pas admises à la communion des biens et au gouvernement de la maison.  Elles n’étaient pas  non plus appelées mères  defamille, et leurs fils n’héritaient pas.  Et ce sont celles-là qu’on appelait tantôt concubines, tantôt épouses.  Que cela fut en usage chez les Hébreux, on le voit par le texte de la Genèse 25.  Et chez les Gentils, Gellius nous le montre (livre 18, chapitre 6).   Et c’est de cette façon que l’explique Gratien (distinction 34, chapitre omnibus, dernier canon du concile de Tolède.)  On dit là qu’on peut admettre à la communion ceux qui se contentent d’une seule femme, qu’elle soit leur épouse ou leur concubine.  Et il explique qu’on appelle concubine celle qui était une vraie épouse, mais qu’on avait épousée en privé, sans instruments légaux.

Au troisième argument tiré des pères , je réponds qu’Ambroise s’est efforcé de défendre Abraham de plusieurs façons, mais que c’est dans sa dernière réponse qu’il a mis sa véritable défense.  Car, dans sa dernière réponse, il écrit ouvertement que le mariage d’Abraham avec Agar ne fut pas un péché, mais un mystère, car Dieu l’a voulu ainsi pour signifier quelque chose du futur, comme saint Paul l’explique aux Galates 4.  Nous en déduisons  que saint Ambroise estimait qu’un mariage avec plusieurs épouses étaient illicite, mais qu’il avait été rendu licite par une dispense de Dieu.  Ce qui est l’explication que le pape Innocent 3 et les scolastiques ont suivie.   Ensuite, saint Augustin, dans les lieux cités, ne dit pas qu’Agar n’a pas été une épouse, ou que l’union d’Abraham avec elle ait été un adultère.  Il dit seulement qu’il n’a pas commis un péché de sensualité parce qu’il n’a fait cela que pour avoir des enfants, et à la demande de son épouse.

Mais on réplique qu’il aurait pu d’un mot repousser le crime s’il avait dit qu’Agar était sa vraie épouse, et qu’à cette époque, la polygamie était licite.  Je réponds que cela, saint Augustin l’a dit ailleurs car (dans le livre 16, chapitre 38 de la cité de Dieu,) il écrit ouvertement que le patriarche Jacob eut quatre épouses, parce que, à cette époque, il n’y avait rien qui l’interdisait.  Et (au livre 22, chapitre 47, contre Faust) il dit qu’en ce temps, ce n’était ni contre les lois, ni contre la coutume, et que la chose était permise.  Mais, parce que les manichéens accusaient le saint patriarche de luxure, saint Augustin s’est souvent senti obligé de démontrer que le patriarche n’a pas agi par passion, mais par désir d’une postérité. 

 En ce qui se rapporte à saint Léon qui distingue la femme libre de la concubine, et la libre de l’esclave, et entend par concubine celle qui n’est pas une vraie épouse, en prenant pour exemple Sara et Agar, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il veuille que soient tout à fait semblables l’esclave et la concubine, et l’épouse et la femme libre.  Car, il y a beaucoup de concubines qui sont aussi des femmes libres, et beaucoup de servantes qui sont des épouses.  Pour que soit vrai l’exemple apporté par saint Léon, il suffit qu’Agar ait été servante d’Abraham, ce qui est tout à fait vrai.  Il n’est pas nécessaire qu’elle n’ait pas été une épouse.  Je reconnais cependant que saint Léon parle obscurément.  Voilà pourquoi (dans le livre 2 sur les conciles, au chapitre 8) quand j’expliquais le canon 17 du concile de Tolède 1, j’ai dit qu’Agar, selon saint Léon, n’était pas une vraie épouse d’Abraham, mais seulement une concubine, car j’estime que dans une chose douteuse, il est préférable d’expliquer saint Léon comme je l’ai fait.

Il y l’autre opinion de ceux qui enseignent que ces femmes étaient non seulement des épouses véritables et légitimes des patriarches, mais aussi que cela n’est défendu que par le droit canon évangélique.  On veut que saint Augustin et saint Jérôme aient été de cet avis.  Car, saint Jérôme (dans l’épitre à Océan sur la monogamie des clercs) parle ainsi : «L’apôtre savait qu’il était concédé par la loi, par l’exemple des patriarches et de Moïse de s’unir à plusieurs épouses pour avoir des enfants.»  Au temps des hébreux, la polygamie était plus conforme  à la loi que contraire à la loi. 

Saint Augustin (dans son livre 3 sur la doctrine du Christ, chapitre 12) : «Ç’était , pour les hommes,  une coutume dénuée de culpabilité , d’avoir simultanément plusieurs épouses dans le but d’avoir des enfants.»  Et ( au livre 6, chapitre 38 de la cité de Dieu), il écrit : «À cette époque, aucune loi n’interdisait aux hommes d’avoir plusieurs femmes pour procréer des enfants.»  Et ensuite (au livre 13, contre Faust, chapitre 47, il écrit : «Certains péchés sont contre la nature, d’autres contre les mœurs, d’autres contre des préceptes.  Les choses étant ce qu’elles sont, pourquoi voir un crime dans la pluralité des femmes de Jacob.  Si tu t’en tiens à la nature, il n’a pas agi poussé par la sensualité , mais par le désir d’avoir des enfants. Si tu regardes les mœurs, c’était quelque chose qui se faisait à l’époque.  Si tu interroges les préceptes,  aucune loi ne prohibait la chose.

Cependant, cette explication répugne au page Innocent 111 (au chapitre gaudemus, sur le divorce).  Il dit là qu’il n’a jamais été permis à personne, sans dispense divine, d’avoir plusieurs femmes simultanément.  Enseigne la même chose saint Jean Chrysostome  (homélie 56, chapitre 30 sur la Genèse) où il enseigne que la coutume d’avoir plusieurs femmes est une chose mauvaise qui a été abolie par le Christ; qu’elle fut licite chez les pères parce que permise par Dieu.  Enseigne la même chose aussi saint Ambroise qui, comme nous l’avons vu plus haut, n’a pas pu excuser Abraham de crime qu’en y voyant un mystère, parce que Dieu les avait dispensés de la loi de la monogamie instituée au tout début.  De plus, si la polygamie était interdite seulement par l’évangile, et ne l’était pas par le droit naturel, il serait permis, de nos jours, aux infidèles d’avoir plusieurs femmes, car avant d’être chrétiens, ils ne sont tenus par aucune loi évangélique.  Or, après l’avènement du Christ et la proclamation de l’évangile, la polygamie est illicite à tous les hommes.  Et si un infidèle se présente au baptême, il sera contraint de rejeter toutes les épouses qu’il a prises en plus de la première.  Parce que l’église enseigne que seul le mariage avec la première épouse est le vrai mariage (comme on le voit au chapitre gaudemus, sur le divorce).

On ne peut pas répondre que l’infidèle est forcé, après le baptême, de renvoyer toutes ses épouses à l’exception de la première, parce que la loi chrétienne interdit d’avoir simultanément plusieurs épouses, même si cela est permis aux Gentils.  Car, la loi chrétienne interdit de résilier les vrais mariages.  Donc, s’ils avaient été de vrais mariages, ils ne seraient pas déclarés nuls par l’église, mais on ne ferait que prescrire à cet homme de ne pas prendre d’autres épouses avant que ne soient mortes celles qu’il avait épousées avant.  Comme nous voyons ce qui se passe dans les mariages contractés par des infidèles aux degrés prohibés par l’Église.  Car, parce que la loi de l’Église n’oblige pas les infidèles, leurs mariages sont censés légitimes, et ils ne sont pas invalidés quand ils se baptisent, même s’ils étaient résiliés s’ils étaient faits après le baptême.  Ce qu’on peut connaitre en lisant le même chapitre gaudemus.  On le réfute ensuite avec tous les arguments présentés dans la quatrième raison.

Ni saint Jérôme ni saint Augustin ne nous sont contraires.   Car leurs opinions sont très vraies, si on inclut la dispense divine que nous soutenons avec Innocent 111 et les scolastiques.  Avec cette dispense divine, n’était pas contre la loi de Moïse, mais selon la loi de Moïse le mariage d’un homme avec plusieurs femmes.   Saint Augustin dit que la coutume de cette époque ancienne ne comportait aucune faute.  Et, tant que cette dispense était en vigueur, il n’était donc pas contre nature pour un homme d’avoir simultanément plusieurs femmes, mais seulement si cette polygamie était inspirée par la sensualité.  Et saint Augustin a raison de dire qu’elle ne se faisait  pas contrairement à la nature, parce qu’elle n’était pas inspirée par la sensualité, mais par le désir d’avoir beaucoup d’enfants. 

Il y a donc une troisième opinion qui est commune aux savants.  Elle veut que ce soit par une dispense divine qu’il ait été permis aux hommes d’avoir plusieurs femmes à la fois.  Mais même là-dessus, il y a des opinions différentes. Les uns veulent qu’à chaque patriarche ait été communiquée une inspiration divine qui leur faisait comprendre qu’il était permis d’avoir plusieurs femmes.  D’autres pensent qu’il suffit que les premiers patriarches aient reçu cette inspiration.  Certains autres pensent que seul le peuple de Dieu a bénéficié de cette dispense, et d’autres estiment que tous les païens en ont également bénéficié.  J’exposerai en quelques propositions ce qui me semble le plus probable là-dessus.

La première proposition. Au sujet de la polygamie d’une femme avec plusieurs hommes ou d’un homme avec plusieurs femmes, aucun homme ne peut en dispenser, et surtout après la proclamation de l’évangile.  C’est là une chose évidente.  D’abord, parce que la polygamie est défendue par le droit naturel, et ensuite par le droit divin évangélique.  Un inférieur ne peut pas dispenser de la loi d’un supérieur, donc ni un homme de la loi de Dieu.

La deuxième proposition.   Pour la polygamie d’un homme avec plusieurs femmes, Dieu peut donner une dispense. Mais, par pour la polygamie d’une femme avec plusieurs hommes.  La raison en est qu’il y a deux genres de préceptes qui appartiennent à la loi naturelle. Il y en a qui sont universels et communs à tous, qui sont comme les principes premiers du droit naturel. Il y en a d’autres qui dérivent des premiers, comme des conclusions.  Les premiers contiennent universellement la règle de rectitude, de façon à ce que, en aucun cas, ils n’aient besoin d’un changement.  Et ils sont donc absolument indispensables.   Tels sont les préceptes du décalogue.  Ceux qui viennent après contiennent eux aussi la règle de rectitude.   Mais il est parfois utile de les modifier quand survient un changement de circonstances ou de personnes, mais seulement par celui qui les a instituées. Or, la polygame de la femme avec plusieurs maris appartient aux premiers principes du droit naturel, et ne peut donc devenir bonne par aucun changement de circonstances, parce que, comme nous l’avons montré plus haut, elle répugne à toutes les fins du mariage.  Aucune dispense ne peut donc tomber sur quiconque.

Tu diras : qu’arriverait-il s’il n’avait plus qu’une seule femme parmi les hommes, et si elle était mariée à un homme stérile ? Ne faudrait-il pas qu’elle reçoive une dispense qui lui permettrait de se marier avec un homme, pour que le genre humain ne périsse pas.  Je réponds qu’il y a aucun danger que pareille catastrophe n’arrive, car Dieu, par sa providence, prend soin du genre humain.  Car, autrement, nous pourrions nous demander aussi si un père doit se marier avec sa fille ou un garçon avec sa mère, si tous les autres habitants de la terre ont été anéantis.  Dans le premier cas, on devrait obtenir une dispense qui détruirait le lien avec le premier mari, plutôt que d’avoir deux maris.

La polygamie d’un homme avec plusieurs femmes appartient au deuxième genre de préceptes.  Parce que, comme nous l’avons dit, elle ne répugne pas à la première fin, mais seulement à la deuxième.  Et il peut arriver parfois que pour atteindre la première fin, il faille mépriser la seconde.  Voilà pourquoi une dispense de cette loi est possible, mais seulement par Dieu, et non pas les hommes.

La troisième proposition.   Pour qu’on puisse dire que Dieu dispense de la polygamie, une parole externe n’est pas requise, ni non plus de l’Écriture, ni même le dictat de la droite raison. Une inspiration particulière, toutefois,  est requise.  On prouve la première partie ainsi : telle loi, telle dispense.   La loi prohibant la polygamie au temps des patriarches n’était encore écrite dans aucun livre, mais seulement imprimée dans les esprits.  Car, il est évident que les livres de Moïse ont eu un commencement.  On prouve la deuxième partie en faisant remarquer que la loi qui prohibait la polygame n’était pas seulement naturelle parce qu’elle était conforme à la raison droite,  mais parce que, par une inspiration spéciale, Dieu avait enseigné à Adam quelle était la nature du mariage qu’il venait d’instituer, et qu’il voulait donc qu’il soit une monogamie.  Car, les préceptes secondaires de la loi naturelle n’ont pas de force coercitive, à moins qu’ils ne soient sanctionnés spécialement par Dieu ou par un autre principe.  Ils obligent seulement dans la mesure où la droite raison enseigne que ce doit être fait ou que ce ne doit pas être fait.  Comme l’enseigne saint Thomas (1 sentences dist 33, quest 1, art 1 à 2) .  Comme la loi de la monogamie avait été sanctionnée par Dieu par le moyen d’une sainte inspiration, elle avait besoin d’une dispense.

La quatrième proposition.  La dispense de la polygamie a été donnée par Dieu aux premiers pères, et c’est par leurs paroles et leurs exemples qu’elle est parvenue aux autres.  On le prouve ainsi,  Au temps d’Abraham, et après lui, la chose était connue par tous, au point au Sara elle-même a induit son mari à s’unir à sa servante.  Car, il n’est pas croyable que cette sainte femme aurait agi ainsi si elle n’avait pas cru que la chose était permise. Il n’est pas vraisemblable, non plus, qu’elle ait reçue cette inspiration de Dieu.  Pour une raison semblable, Laban offrit deux épouses à Jacob.  Et ces deux épouses lui ont procuré deux autres épouses.  Jacob n’a manifesté aucun étonnement, et il n’a pas protesté que cela n’était pas permis.  Et Moïse, dans le Deutéronome, en parle souvent, et comme d’une chose connue, comme, par exemple, quand il dit : «Si quelqu’un avait deux femmes, une qu’il aimait, une qu’il détestait» (21).   Il n’était donc pas nécessaire que chacun ait une inspiration divine.  Il suffisait que les premiers pères aient fait ces choses.  Et il se peut que Noé ait été le seul à recevoir cet enseignement, et qu’il ait instruit les autres.

La cinquième proposition. Il est probable que cette concession ait été faite à tous les peuples, et non seulement aux Hébreux.  Je dis que cela n’est que probable, car je n’ignore pas que plusieurs pensent que cette concession n’a été faite que pour le peuple hébreux, afin qu’il procrée le peuple d’où devait naître Jésus-Christ.  On le prouve, d’abord, avec saint Augustin (livre 16, chapitre 18 contre de la cité de Dieu,  et livre 22, chapitre 47, contre Faust).  Il écrit que dans le pays où Jacob a pris quatre femmes, existait forcément la coutume de prendre plusieurs épouses, dans le but d’avoir plusieurs enfants;  et que cette coutume n’était pas répréhensible , parce qu’il n’y avait aucune loi écrite qui l’interdisait.  Dans ce passage, saint Augustin indique  que cette dispense fut générale, en disant d’abord qu’il n’y avait alors aucune lois qui l’interdisait, car, quand il y a une dispense générale, la loi naturelle n’oblige jamais;  et en faisant remarquer, ensuite, que dans d’autres pays, comme celui où Jacob habitait, la chose était permise.  En effet, c’est dans une terre de païens que Jacob demeurait, et non en Palestine.  Le Laban, dont Jacob accepta les deux femmes, était un idolâtre (Genèse 31).  Il ajoute ensuite que la cause pour laquelle la polygamie était permise alors était la propagation de l’espèce, ou le grand nombre d’enfants.  Il ne parle jamais, que je sache, de la seule propagation du peuple hébreu.

Il le prouve, ensuite, parce que l’Écriture raconte qu’Abraham et Jacob n’ont pas été les seuls avoir plusieurs épouses, mais aussi Ésaü qui n’appartenait pas au peuple élu (Genèse 26, 28).  Il n’y a aucun doute à avoir qu’Ésaü ait agi ainsi pour imiter Abraham.  Et l’Écriture ne lui en fait pas un reproche.  Il est croyable que les Ismaélites qui ont conservé  jusqu’à aujourd’hui la coutume de la polygamie, la tiennent d’Abraham et des patriarches.  Et comme l’Écriture ne blâme pas les Gentils qui avaient plusieurs épouses, il est probable que cette permission ait été faite à l’ensemble du genre humain.

La sixième proposition.  Il est probable que cette dispense ait cessé avant l’avènement du Christ.  Et si elle n’a pas cessé avant, il est certain qu’ elle a été complètement abolie par le Christ, de façon à ce que la polygamie soit interdite non seulement aux chrétiens mais à tous les peuples.   Qu’elle ait été abolie par le Christ si elle existait encore, nous l’avons suffisamment prouvé dans le premier argument du chapitre précédent.  Qu’il est probable qu’elle ait cessé d’elle-même, nous le déduisons de ce que la cause de la dispense avait cessé d’exister.  Cette cause, c’était le petit nombre d’êtres humains sur la terre.   Car, après le déluge, les hommes étaient rarissimes. et ne vivaient pas aussi longtemps qu’avant le déluge.  Voilà pourquoi Dieu toléra la polygamie pour une plus rapide propagation de la race humaine.  Mais, avant la venue du Christ, le monde était déjà grandement peuplé. La cause de la dispense cessait donc.

Il semble que les hommes aient compris cela.  Car, au temps du Seigneur, la polygame n’était en usage ni chez les Hébreux, ni chez les Romains, sauf de rares exceptions.  Et cela est si vrai que, dans les évangiles, quand les pharisiens ou les disciples parlent des épouses, ils le font toujours au singulier.  On peut en trouver un indice dans le fait que Zacharie, le père de saint Jean Baptiste, qui avait une épouse stérile, ne chercha pas une autre épouse, mais vieillit avec elle (1 saint Luc).  Il reste encore un argument à résoudre, celui tiré de la lettre de Grégoire 3 à Boniface, où il semble avoir autorisé un second mariage à un mari dont la femme était malade.  Mais nous avons discuté de ce cas dans le livre 4, chapitre 12 du pontife.  La réponse du plus grand nombre est que , en raison d’un empêchement perpétuel, cette femme ne fut pas une vraie épouse.  Et c’est ce que le pape Grégoire aurait déclaré.

 

                                      CONTROVERSE 4

                             LA FERMETÉ DU MARIAGE

                                        CHAPITRE 12

Vient ensuite la quatrième controverse qui porte sur la fermeté du mariage.   Il faut, dès le début,  observer qu’est différent le jugement à porter sur un mariage entre fidèles et un mariage entre infidèles;  entre un mariage de fidèles ratifié et non consommé et un mariage ratifié et consommé; et entre un mariage  entre fidèles consommé, en ce qui a trait au divorce, et en ce qui a trait à la répudiation.  D’où quatre questions se posent sur la fermeté du mariage.  Mais la dernière est très propre à notre sujet, pertinente,  et difficile. Nous parcourrons donc rapidement les trois premières.

La première question porte sur le mariage des infidèles.  Car le mariage des infidèles peut être dissout même jusqu’au lien, quand l’un des conjoints se convertit à la foi, et que l’autre ne peut pas cohabiter avec lui sans injurier le Christ.  Il n’y a pas de débat là-dessus, car c’est l’enseignement de saint Paul (1 Cor 7) : «Si l’infidèle se retire, qu’il se retire !»  C’est aussi la doctrine de l’Église (39, quest 2, canon si infidelis, chapitres quanto et gaudemus, sur le divorce).    On ne peut pas nous objecter les paroles du Seigneur : «ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !»  Ou : «Celui qui renverra son épouse, sauf en cas d’adultère etc».  Ni non plus qu’on ne peut pas dissoudre un mariage à cause d’une hérésie, bien que l’hérésie soit une espèce d’infidélité.

Car, on peut répondre au premier texte que ce mariage n’est pas dissout par l’homme, mais par Dieu, dont nous avons en l’apôtre saint Paul un interprète. Au deuxième texte, Cajetan répond (dans son commentaire du chapitre de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens) que le Christ a donné aux seuls hommes le droit de renvoyer leurs épouses, pour cause de fornication, et non aux épouses le droit de renvoyer leurs maris. Saint Paul, lui, a parlé d’une cause qui est commune à l’homme et à la femme, la conversion d’un des conjoints à l’infidélité.  Mais cette  explication ne semble pas répondre à la question.  Car, tout d’abord (comme nous le démontrerons plus haut), le Seigneur parle de la séparation qui a trait  à la cohabitation et non au lien. Sur ce point, l’homme et la femme sont égaux, car la femme peut quitter un mari adultère, comme le mari peut quitter une épouse adultère.

Mais Kemnitius ne concilie pas correctement ces passages, quand il écrit (2 par, examen, page 1248) que le Christ parle de celui qui renvoie injustement, et saint Paul de celui qui est renvoyé injustement.  Car, comme saint Augustin le note (dans son livre sur les mariages adultérins, chapitres 2 et 3), saint Paul non seulement permet un nouveau mariage à l’époux abandonné par un infidèle, mais il permet aussi de quitter un infidèle, même si ce dernier veut cohabiter.  Car, il conseille seulement au conjoint fidèle, sans le lui prescrire, de ne pas renvoyer l’infidèle, s’il veut cohabiter.  Ne commet donc aucun péché celui qui renvoie un conjoint infidèle qui veut cohabiter.    De plus, si in infidèle n’abandonne pas un fidèle, et veut cohabiter avec lui en injuriant le Créateur, passant son temps à l’inciter à retourner à l’infidélité et à blasphémer le Christ, il pourra, certes, être renvoyé par le fidèle, selon cette parole du Christ : ( Luc 14) «Celui qui aime son père, sa mère ou son épouse plus que moi, n’est pas digne de moi.»

Voici donc quelle est la sentence de saint Paul : si l’infidèle se sépare, ne voulant pas cohabiter, ou ne voulant pas cohabiter sans injurier le Christ, qu’il s’en aille !  Il faut donc dire avec saint Augustin (livre 1, chapitres 1 et 2 sur les mariages adultérins) que le Christ parle du mariage entre fidèles, et saint Paul, du mariage entre infidèles.  C’est ce qu’il laisse assez clairement entendre  quand il dit : «Je prescris, non moi, mais le Seigneur, à la femme de ne pas se séparer de son mari.»  Et il ajoute : «Aux autres,  je dis, non le Seigneur, que si quelqu’un a une femme infidèle qui consent à cohabiter avec lui, qu’il ne la renvoie pas !»  Là où par les autres, il entend ceux qui ont contracté un mariage avant la foi, sur lesquels le Seigneur n’avait laissé aucune prescription. C’est au sujet de ces personnes que saint Paul donne le conseil à l’homme de ne pas renvoyer son épouse incroyante, si elle veut cohabiter avec lui sans injurier le Créateur.  Mais, comme il s’agit là d’un conseil, et non d’un précepte, il est donc permis de renvoyer l’épouse infidèle, et surtout si elle ne veut pas cohabiter.

Au troisième, il faut dire qu’il y a une grande différence entre les mariages contractés dans l’infidélité, et ceux qui sont contractés après le baptême.  Mais si, de par leur nature, les premiers sont ratifiés et fermes,  ils ne sont  cependant pas des sacrements.  On a donc deux bonnes raisons de les dissoudre.  Ce que saint Paul enseigne au sujet des mariages contractés dans l’infidélité ne  doit pas être étendu aux mariages contractés après le baptême.  Si donc un des conjoints se convertit de l’hérésie, et que l’autre ne peut cohabiter avec lui sans injurier le Christ, le mariage n’est pas dissout jusqu’au lien, non parce que l’hérésie n’est pas une espèce d’infidélité, mais parce que ce mariage a été contracté après le baptême, et est, à cause de cela, un sacrement.   Et, semblablement, si un autre conjoints chrétien devient non seulement hérétique, mais aussi apostat, païen ou athée, le lien du mariage n’est jamais dissout , parce qu’il est un sacrement.  Et c’est ainsi qu’est résolu le doute qui peut naître : pourquoi le mariage ne peut-il pas être dissout quand un conjoint fidèle ne peut cohabiter  avec un infidèle sans que soit injurié le Créateur ou sans qu’il soit continuellement incité au mal.  La réponse est simple : un mariage contracté dans l’Église est un sacrement.

                                            CHAPITRE 13

Le mariage ratifié non consommé peut être dissout jusqu’au lien par l’entrée en religion

La question du mariage ratifié non consommé a été traitée par nous dans le livre 2 sur les moines, au chapitre 38.  Nous y renvoyons donc nos lecteurs.

                                            CHAPITRE 14

Un mariage consommé peut être dissout en ce qui a trait à la cohabitation

La troisième question porte sur la dissolution d’un mariage consommé en ce qui a trait à la cohabitation, le lien conjugal demeurant intact.  Sur ce que les théologiens appellent proprement divorce, et qu’ils distinguent de la répudiation qui est une dissolution du mariage qui dissout le  lien.  Les jurisconsultes, il est vrai, entendent ces mots un peu différemment.  Car, ils appellent répudiation le renvoi de la fiancée et de l’épouse, et divorce, le renvoi de la seule épouse après le mariage, soit par rapport à la cohabitation ou au lien, comme on le voit dans le viol et le divorce.  Voilà pourquoi, autant dans le droit canonique que dans le droit  civil, il s’agit, sous le titre de divorces, de dissolution de mariages seulement quant à la cohabitation, ou quant à la cohabitation et au lien.

Mais quoi qu’il en soit des mots que nous utilisons,  Luther, dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du mariage, Philippe (dans ses lieux théologiques, mariage) et Kemnitiius (2 par examen concile de Trente), et d’autres, souvent, ne reconnaissent pas un divorce là où demeure le lien conjugal.  Kemnitius non seulement nie qu’il existe un divorce de cette sorte, mais  il réprouve l’Église parce qu’elle concède un divorce  qui a trait à  la cohabitation,  et  cela,  non pour la seule cause de fornication,

Néanmoins, la sentence des théologiens et de toute l’Église est qu’un mariage entre fidèles consommé peut être dissous sous le rapport de la cohabitation pour deux raisons.  La première.  Par un consentement mutuel, pour acquérir un état de vie plus grand et plus élevé.  Comme, par exemple, si les deux conjoints font un vœu de continence perpétuelle, et entrent en religion.  Ce dont nous avons plusieurs exemples parmi les saints, comme nous l’avons démontré dans la dispute sur les vœux.  Et nous avons même le témoignage de Jésus (Matthieu 19) : «Si quelqu’un abandonne sa maison, son champ ou son épouse...»  Jésus parle ici de l’abandon des épouses, comme les apôtres l’ont fait, pour pouvoir le suivre. 

 La deuxième.   Sans consentement mutuel, mais à cause d’un crime.  Et cela, de trois façons.   La première.  L’adultère d’un conjoint (Matthieu 5).  Si un des conjoints s’éloigne de la vérité catholique, et, à ce sujet, nous avons un précepte apostolique (Tite 3) : «Évite un hérétique après deux corrections.»  L’apôtre parle là de tous, en général. Et il n’exclut ni les conjoints ni les parents.   Et ce sont d’eux qu’on entend les paroles du Seigneur (Luc 14) : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, sa mère ou son épouse».  De même, si un conjoint pousse l’autre au péché, de sorte que le chrétien ne puisse pas cohabiter avec l’autre sans un grand danger de péché.  Et c’est de cela dont parle aussi le Seigneur quand il dit : .«Si ton œil te scandalise, arrache-le !»  Commentant ce passage, saint Jérôme enseigne que le sens de cette parole du Seigneur est que nous devons nous séparer de ceux qui sont pour nous comme des yeux, c’est-à-dire, les parents et les conjoints, s’ils sont pour nous cause de péché.

Toutes ces choses nous les avons dans les décrets de l’Église au mot divorces,  et récemment dans le concile de Trente, contre les luthériens, qui l’a confirmé à la session 24, canon 8 :« Si quelqu’un dit que l’Église a erré quand elle a décrété que, pour plusieurs causes, une séparation qui touche à la cohabitation seulement soit permise pour une période déterminée ou indéterminée, qu’il soit anathème !»

Avant d’entreprendre la réfutation des arguments des adversaires, il faut faire trois remarques préliminaires.  La première.  Le droit de divorcer pour raison de crime appartient autant à la femme qu’à l’homme.  Même si le Seigneur ne parle que de l’homme, car, ordinairement, ce sont les hommes qui renvoient leurs femmes, et il est plutôt rare que des hommes soient renvoyés par des femmes.  Néanmoins, ce que le Seigneur dit pour les hommes, vaut aussi pour les femmes.  Car, en Corinthiens 7, l’apôtre dit à l’un et à l’autre :  non moi, mais le Seigneur je prescris à la femme de ne pas se séparer de son mari, et à l’homme de ne pas renvoyer son épouse, c’est-à-dire, sans cause légitime.  Et c’est ce qu’enseignent aussi le concile de Milet  (canon 17),  Innocent 1 (épitre 3, chapitre 4)  saint Jérôme (dans son épitre à Oceanus sur la mort de Fabiola), et saint Augustin (dans son livre  2 sur les conjoints adultérins, chapitre 8).

La deuxième. Le divorce qui porte sur la cohabitation seulement peut être fait de par la propre autorité d’un conjoint, pourvu qu’il connaisse l’adultère de son conjoint.  Mais, dans la pratique, parce que le divorce quant à la cohabitation seulement est une chose publique qui peut scandaliser les autres, il ne peut se faire qu’avec le jugement de l’Église, comme nous le voyons au chapitre porro sur les divorces.   La troisième.   Le divorce en cas de fornication est licite pour quatre causes.  D’abord, si la fornication s’est faite sans crime, et ne fut donc que matérielle, comme quand une femme est violée, ou quand elle agit par ignorance, en pensant qu’un autre homme est son mari.  Deuxièmement. Si les deux conjoints ont commis le même crime.  Troisièmement. Si après avoir connu l’adultère d’un conjoint, l’autre fait la même chose.  Quatrièmement.  Si un conjoint est l’auteur de l’adultère de l’autre.  Voir Sotus (dans 1 dist 36, question unique, article 1).

Mais il faut détruire les objections de Kemnitius contre ce canon (2 par examen 1268, et suivants).   La première.  «La définition du divorce  comme séparation du mariage en ce qui a trait à la cohabitation seulement, demeurant donc intact le lien du mariage, est neuve, provient d’une mauvaise compréhension des paroles de saint Paul, et est fabriquée à tort et à travers.  Car, elle est déduite de ces paroles : « Je  prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur de ne pas se séparer de son mari.  Si elle le quitte, qu’elle demeure sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec lui.»  Or, en cet endroit, l’apôtre ne parle pas du juste divorce qui peut se faire en cas de fornication, car il ne prescrirait pas à la femme de ne pas se séparer, s’il parlait d’un juste divorce.  Il parle donc des mésententes passagères qui surgissent dans tout mariage, et donc, d’un divorce illicite, qui fait qu’on se sépare pour se réconcilier ensuite.  C’est donc à tort que les catholiques ont déduit qu’un divorce peut se faire dans l’Église, quand demeure le lien du mariage.»

Je réponds que ce n’est pas uniquement de ce passage que les catholiques ont appris que le divorce est juste et légitime, quand demeure toutefois le lien , mais aussi d’ailleurs.  Car, saint Augustin (dans son livre sur les mariages adultérins , livre 1, chapitre 1, 2, 3, 4)  voit à bon droit que l’apôtre saint Paul ne parle pas de cette dissension quand il dit : «je prescris à la femme de ne pas se séparer de son mari», et « si elle le quitte, qu’elle demeurer sans se remarier».  Car, dans le premier cas, il s’agit d’une injuste séparation, et dans le deuxième, d’une juste.   Car, si l’apôtre parlait d’une séparation illicite pour des causes frivoles quand il dit (si elle le quitte), il ne donnerait pas aux conjoints, après la séparation, l’option ou de demeurer ainsi sans se marier de nouveau, ou de se réconcilier. Il aurait prescrit tout simplement qu’elles se réconcilient à leurs maris.   Car, si le Seigneur a interdit de se séparer de son mari sans juste cause, comme l’atteste l’apôtre, comment pourrait-il se faire que le même apôtre permette à la femme, contre le précepte du Seigneur, de demeurer, sans juste cause,  séparée de son mari ?

Voici donc ce que l’apôtre veut dire.  Je prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur, de ne pas se séparer de son mari sans juste raison.  Si elle se sépare pour une juste raison, qu’elle demeure telle qu’elle est sans se marier de nouveau.  Ils errent donc manifestement les Érasme, les Kemnitius et les Calvin qui voient dans ce texte une séparation injuste, et qui nient que nous puissions en tirer un juste divorce.

La deuxième objection.  Il appert, de l’évangile, qu’il existe d’autres raisons  en plus de la fornication charnelle, pour lesquelles un mariage peut être dissout par rapport à la cohabitation seulement.  Car, dans le même chapitre, il promet le centuple en ce siècle, et la vie éternelle dans l’autre à ceux qui abandonneront leurs épouses pour la perfection évangélique.  Pour que l’évangile ne milite pas contre lui-même, il y faut  donc y voir une autre exception.  De plus, nous avons appris de l’apôtre  (1 Corinthiens 7) qu’un conjoint païen peut être renvoyé par un conjoint chrétien, même s’il n’est pas question de fornication.  Les paroles du Seigneur n’ont pas un sens universel, mais elles souffrent quelques exceptions.

 Donc, pour expliquer la sentence du Seigneur, il faut  la restreindre aux mariages contractés entre fidèles, pour accorder à l’apôtre le pouvoir de permettre de dissoudre un mariage contracté par des infidèles.  La deuxième sentence du Seigneur porte sur une dissolution causée par le crime, et non par un désir d’une plus grande perfection. Car la raison pour laquelle le Seigneur interdit de rompre un mariage est que celui qui répudie injustement est cause d’un péché de fornication par le conjoint répudié. Or, celui qui quitte par désir d’une plus grande perfection n’est pas une cause  de divorce, parce que le mariage est consommé, et qu’alors, une telle séparation ne peut pas se faire sans le libre consentement mutuel des deux parties. Ou il est seulement ratifié, et alors se fait une séparation qui dissout le lien lui-même, et un autre mariage devient possible. Voilà pourquoi, il n’y a aucun danger d’adultère.

Pourquoi le Seigneur a-t-il dit qu’une séparation ne pouvait se faire que pour cause de fornication, alors qu’il y a tant d’autres causes qui la justifient ? Saint Augustin nous en donne la raison (dans le livre 1 du sermon du Seigneur sur la montagne, chapitres 26, 27, 28),  Il dit que par fornication, on peut entendre tous les crimes.   Car, l’idolâtrie aussi, et toute superstition, est une fornication spirituelle avec de faux dieux.  Comme, selon l’apôtre, l’avarice est une servitude d’idolâtrie,  et donc une fornication, de la même façon, toute cupidité dépravée est une fornication.  Mais cette explication de saint Augustin parut suspecte à saint Augustin lui-même.  Car, on ne peut douter qu’au sens littéral, le Seigneur ne parle que de la fornication charnelle.  Et de plus, il est faux que le mariage puisse être dissous à cause de n’importe lequel crime, même en ce qui a trait à la cohabitation.  Car, comme nous l’avons montré plus haut, les mariages ne sont dissouts par l’église pour raison de crime qui sont portent un  détriment de l’autre conjoint.  Voilà  pourquoi le même  saint Augustin dans ses rétractations, (livre 1, chapitre 19), nous met en garde contre cette interprétation.

Il faut donc dire que c’est pour deux raisons que le Seigneur n’a fait d’exceptions que pour la fornication.  La première.  Parce qu’il n’y a que la fornication qui soit la raison propre de la dissolution d’un mariage.  Les autres, sont communes aux mariages et aux autres associations.  Car, pour l’ hérésie ou l’incitation à pécher, ce n’est pas seulement le conjoint qui doit être séparé du conjoint, mais aussi le fils du père, le frère du frère, et l’esclave du maître.  Le Seigneur n’a donc pas exclu ces causes, car il savait qu’elles étaient communes à toutes les associations.  Mais il a exclu celle par lesquelles les autres associations ne sont pas dissoutes, la fornication.  La raison en est que seule la fornication s’oppose directement à la foi conjugale, et à la substance elle-même du mariage.  Ce n’est que par accident que les autres crimes s’y opposent.

La deuxième raison.   Parce que le Seigneur ne parle pas d’une séparation temporaire, mais perpétuelle.   Car c’est d’elle que parlaient ceux qui l’interrogeaient.  Or, la cause d’un divorce perpétuel n’est rien d’autre que la fornication. Car, à cause de la fornication d’un conjoint, même si elle ne se produit qu’une seule fois, et même si celui qui a péché revient aussitôt à lui-même, l’autre conjoint est libéré pour toute sa vie de son devoir conjugal.  Or, pour les autres crimes, il n’est libéré que pour un temps, pendant le temps seulement où demeurent ces crimes.   Car, si un conjoint qui avait induit un conjoint à pécher, se repent et se convertit sérieusement, l’autre conjoint est tenu de l’accueillir, de cohabiter maritalement avec lui, parce que ces crimes, comme nous l’avons dit, ne s’opposent qu’accidentellement  au mariage, tandis que la fornication s’y oppose par elle-même.  Et voilà pourquoi des que, en forniquant, un conjoint trahit la foi jurée . En n’observant pas ce qu’il avait promis, il  sort  donc du droit du mariage, et n’a plus aucun droit sur le conjoint.

La troisième objection. «La séparation qui (dans 1 Cor 7) est décrite en dehors de la cause de la fornication, saint Paul ne l’a ni persuadée ni imposée, mais il enseigne qu’elle milite contre le précepte du Seigneur qui prescrit de ne pas se séparer.  Quand donc les époux, contrairement à cette doctrine de l’apôtre, se séparent pour des frictions, l’apôtre persuade alors la réconciliation.  Et s’ils ne le veulent pas, il prononce qu’ils doivent demeurer ainsi sans se remarier.  Mais le huitième canon dit que l’Église décrète que on peut , en plus de la fornication, se séparer pour plusieurs autres causes.»  Voilà ce que nous objecte Kemnitius. Je me suis appliqué à reproduire son objection mot à mot, pour qu’il ne se plaigne pas d’être mal cité par nous.

Je réponds que cette objection a déjà été réfutée, quand nous avons répondu à la première.  Il a tort de soutenir que ces paroles de l’apôtre  (si elle se sépare, qu’elle demeure ainsi sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari) doivent être entendues au sens d’une séparation illicite, comme le démontre irréfutablement saint Augustin.  C’est donc faussement qu’il dit  que dans 1 Cor 7 est décrite une séparation par une autre cause que la fornication, et qu’elle est réprouvée par saint Paul.  Mais, même si cela était vrai, nous commenterions la sentence de saint Paul comme nous avons commenté celle du Christ.

La quatrième objection. «Le Christ interdit la séparation en dehors du cas de fornication, parce que cette sorte de séparation comporte le risque de bruler, de forniquer ou d’être adultère.  Mais, de ces risques, les pontifes ne sont pas souciés. Ils ont autorisé à volonté une séparation pour un temps déterminé ou indéterminé.»  Je réponds.   Quand la séparation est juste, le péril de fornication, auquel est exposé celui qui est renvoyé, n’est pas imputé à celui qui renvoie en usant de son droit, mais à celui qui a fourni la cause pour laquelle il est renvoyé.  Car, il est certain que celui qui renvoie son épouse pour cause de fornication, dans la mesure même où c’est justement qu’il la renvoie, n’est pas considéré comme l’exposant au péril de fornication, même si, après avoir été renvoyée, elle se livre à la prostitution. 

Que la séparation que l’église permet soit juste, nous l’avons prouvé plus haut, en montrant qu’elle est conforme à l’évangile et à la droite raison.  Car, quand deux périls sont imminents, l’un du conjoint innocent s’il se permet d’habiter avec une conjointe qui est hérétique ou qui l’entraîne au mal, et l’autre du conjoint coupable, au cas où il se séparerait, qui est celui de fornication, l’église estime droitement qu’il  faut prendre soin de l’innocent plutôt que du coupable, et c’est pour cette raison qu’elle dissout le mariage quant à cohabitation.  Ce n’est donc pas parce que les pontifes n’ont pas cure des périls de fornication et d’adultère qu’ils permettent la séparation qui se rapporte à la cohabitation seulement, mais parce qu’ils se soucient davantage des périls les plus graves.

La cinquième objection. «Ils soutiennent que le divorce doit être tel que le lien du mariage demeure intact.  Et que par la  séparation pontificale, le lien du mariage peut être rompu de plusieurs façons.  Car, ce qu’est le lien du mariage, ces sentences l’enseignent. «Et il adhèrera à son épouse.» «Faisons-lui une aide qui soit avec lui.» «La femme n’a pas de pouvoir sur son corps, mais son mari.» «Réunissez-vous de nouveau, pour que satan ne vous tente pas.» «Ils ne sont pas deux, mais une seule chair.»  Et le mariage est défini par le partage continu de la même vie. Et ce sont tous ces liens que rompt le divorce selon la cohabitation.  Les hommes séparent donc ce que Dieu a uni.»

Je réponds que toute cette objection repose sur une fausse conception du lien conjugal.   On appelle lien conjugal une obligation mutuelle par laquelle l’homme devient le mari d’une seule femme de façon à ne pouvoir l’être d’une autre, tant qu’elle demeure en vie;  et la femme devient l’épouse de son mari de façon à ne pas pouvoir l’être d’un autre, tant qu’il demeure vivant.  Car, c’est ce qu’explique l’apôtre saint Paul dans Romains 7, et 1 Corinthiens 7.  La cohabitation et l’usage en commun du lit et de la table dont parlent les textes de l’Écriture allégués par Kemnitius, n’effectuent pas  et ne sont pas le lien lui-même, mais en sont une conséquence.  Autrement, à toutes les fois que l’homme ou la femme, même pour une juste cause, s’en iraient dans des régions éloignées,  et habiteraient loin l’un de l’autre, le lien du mariage serait dissout.  Ce qui est d’une grande absurdité.

 Donc, l’homme et la femme retiennent le lien du mariage quand l’un demeure en Orient et l’autre en Occident, car, l’homme ne peut pas s’unir  à une autre femme et la femme à un autre homme sans commettre un adultère, parce qu’ils sont encore de vrais époux, même s’ils ne cohabitent pas et ne se sont pas près l’un de l’autre.  De la même façon, retiennent le lien du mariage l’homme et la femme séparés par un divorce, parce qu’il est encore l’homme de cette seule femme, et elle la femme de ce seul homme.   Et ces paroles (ce que Dieu a uni que l’homme ne les sépare pas) doivent être entendues du vrai lien, non de la cohabitation, ou de l’usage commun du lit,  à moins que nous voulions que les époux séparent ce que Dieu a uni à toutes les fois qu’ils s’éloignent corporellement l’un de l’autre.

                                         CHAPITRE 15

Le mariage entre fidèles est-il soluble jusqu’au lien ?  On présente différentes réponses.

Nous sommes parvenus enfin à la quatrième et ultime question, celle de la dissolution d’un mariage consommé, cette dissolution portant sur le lien lui-même.  Nous avons, dans cette question plusieurs adversaires : les grecs, les latins, les hérétiques, les catholiques.  Certains pensent en effet, que dans le cas de fornication, le conjoint innocent peut se séparer de son conjoint coupable non seulement en ce qui a trait à la cohabitation, mais même en ce qui a trait au lien lui-même, et contracter un autre mariage.  Comme les grecs qui se sont séparés de l’Église romaine.  C’est du moins ce qu’énumère parmi leurs erreurs le carme Guido, dans sa somme des hérétiques.  Et, dans le concile de Florence, à la dernière session, le pape Eugène dit que les latins les accusent de dissoudre les mariages.  Ce qu’ils n’ont pas osé nier, mais ils en ont présenté les raisons.  Et, il est connu qu’en ce  temps, les grecs dissolvent vraiment les mariages, et, en cas d’adultère, accordent aux conjoints le droit de contracter un nouveau mariage.   Parmi les latins, tous les luthériens, les calvinistes et les anabaptistes sont tombés dans la même erreur. Mais les uns plus, les autres moins.

Luther, dans son livre sur la captivité de Babylone , au chapitre sur le mariage, n’ose rien statuer.   Mais il aurait voulu qu’il soit licite de contracter un nouveau mariage non seulement dans le cas de fornication, mais aussi dans le cas où un conjoint va demeurer dans une autre région ou un autre pays pour y vivre pendant une dizaine d’années, ou ne jamais plus retourner.  On peut noter en passant que Luther se contredit dans la même page.  Car, il écrit que le pape erre en concédant le divorce pour d’autres raisons que celle de la fornication, qui est la seule exception que le Seigneur présente.  Et, tout de suite après, il ajoute qu’il souhaiterait que soit défini qu’on permette le divorce pour une absence prolongée du conjoint.  Car, si c’est une erreur d’autoriser le divorce  pour une cause autre  que la fornication, c’en est  une aussi de l’autoriser pour une absence prolongée.  Il ajoute qu’il ne veut pas que soit défini quoi que ce soit par la seule autorité du pape et de l’Église;  mais que si deux érudits et deux hommes bons  tombent d’accord au nom du Christ,  et prononcent dans l’esprit du Christ, il placera leurs décisions avant les conciles.   Qu’est-ce autre que de la flatterie et de la démagogie ?  Car, d’où savons-nous que c’est l’esprit du Christ qui les a mis d’accord, et qu’ils prennent leurs décisions dans l’esprit saint beaucoup mieux que tant d’évêques  qui, de diverses provinces, se réunissent en un seul lieu pour expliquer la foi catholique ?  Il est certain, que pendant quinze cents ans, l’Église n’a jamais fait passer le jugement de ces deux hommes avant  les décisions des évêques en concile.

Le même Luther, trois ans après, en 1523, devenu plus docte, écrit un livre sur le chapitre 7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, où il soutient que le mariage peut être dissout pour plusieurs causes, et qu’on peut en contracter un autre.  Exemples.  Si un païen abandonne un chrétien, si un conjoint entraîne l’autre conjoint au vol ou à un autre péché, ou si la cohabitation devient difficile à cause des scènes violentes et des rixes, ou si un des conjoints s’absente longtemps.   Dans son livre sur les causes matrimoniales de 1530,  Luther juge qu’un pauvre pourrait entreprendre un autre mariage s’il a contracté et consommé un mariage avec un riche, et que ce riche est repris par sa classe sociale.

Martin Bucer (Matth chapitre 14), l’emporte, par son imprudence, sur Luther lui-même.   Car, il soutient que le mariage peut être dissout, et un autre contracté, à chaque fois que la femme ne s’accommode pas à son mari, ou l’époux à son épouse.  Ils peuvent se séparer pour n’importe quelle raison, à toutes les fois qu’ils ne se plaisent plus l’un l’autre.  Tapperus  (dans son explication de l’article 18 de Louvain) dit qu’il est plus facile, selon l’auteur Bucer, de dissoudre un mariage qu’un contrat civil.  Car, les contrats civils ne sont jamais dissous à cause du mauvais vouloir des contractants.  Philippe Melanchton (dans ses lieux théologiques, mariage) ne permet un nouveau mariage que dans deux cas : celui de fornication, ou de séparation injuste.  Cependant, dans son annotation au chapitre 5 de saint Matthieu, le même Philippe ne permet pas un nouveau mariage seulement au conjoint innocent, mais aussi au conjoint coupable, car, dit-il, on ne peut imposer à personne un fardeau qu’il ne peut porter.

Jean Brentius (dans sa confession de Wirtemberg, au chapitre du mariage, à la fin) dit espérer que les pieux évêques et les princes accorderont le droit de contracter un nouveau mariage à ceux qui se sont séparés à cause de l’adultère du conjoint.  Jean Calvin (livre 4, chapitre 19, dernier verset)  déclare qu’elle est la tyrannique la loi qui ne permet pas un mariage à celui qui s’est séparé de son conjoint pour raison d’adultère.  Et, dans le chapitre 19 de saint Matthieu, il veut que le lien du mariage soit rompu pour cause d’adultère, et il n’admet, en fait d’autres causes, que la séparation d’un conjoint  du conjoint infidèle.    Martin Kemnitius (2 par, examen page 1249), suit ouvertement Calvin.  Car, il veut qu’il n’y ait que deux causes qui permettent un nouveau mariage, l’adultère d’un conjoint, et le départ d’un infidèle.  Par, infidèle, il n’entend pas n’importe lequel injuste auteur d’une séparation, comme Luther et Philippe, mais seulement celui qui n’est pas un chrétien, un  Gentil donc.  Nous n’avons pas, là-dessus, de dispute avec eux.   Ensuite, à la page suivante, page 1250,  il dit qu’il ne parle que de la partie innocente quand il permet un autre mariage pour cause d’adultère.  En conclusion, Philippe ne concorde pas avec Luther,  et Kemnitius n’est d’accord ni avec Philippe ni avec Luther.

Érasme a suivi la même sentence dans son annotation du chapitre 7  de la première aux Corinthiens.  Il s’efforce laborieusement de prouver  qu’à cause de la fornication, il est permis à un conjoint innocent de convoler en justes noces.  Il a d’abord édité ces annotations en 1515, deux ans donc avant l’apparition de la scission de Luther.  Ce qui nous fait comprendre que ce n’est pas Érasme qui a reçu cette erreur de Luther, mais Luther d’Érasme.

Parmi les catholiques,  il y en a deux qui ont professé la même erreur.  Cajetan (dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu) ne fait qu’y toucher, et comme en passant, et Ambroise Catarinus (qui dans son 6 livre d’annotations sur les commentaires de Cajetan), disserte sur cette question, et finit par conclure qu’on ne peut pas déduire de l’évangile et de l’apôtre saint Paul  qu’il n’est pas permis, en cas de fornication, de célébrer un autre mariage;  mais qu’à cause de l’autorité de l’Église, on ne doit pas le faire,  puisque la chose est interdite par de nombreux canons.   Mais, ces trois auteurs catholiques diffèrent grandement des hérétiques ci-haut nommés, parce qu’ils se soumettent au jugement de l’Église.  Et comme l’Église a exprimé sa sentence ouvertement et publiquement  dans les canons 6 et 7 de la session 24 du concile de Trente,  où l’anathème est prononcé contre ceux qui soutiennent que le lien du mariage peut  être rompu pour une cause quelconque,  il est à souhaiter qu’ils reconnaissent leur erreur, et professent la foi catholique.

 

                                                   CHAPITRE 16

Que le mariage soit insoluble en ce qui a trait au lien, on le prouve par la parole de Dieu, les témoignages des pères, et par la raison.

            Il nous reste donc à prouver que le mariage contracté entre fidèles est à ce point insoluble qu’il ne peut même pas être résilié pour cause de fornication; et que, du vivant du premier conjoint, il n’est jamais permis de contracter un autre mariage.

            Le premier texte qui se présente est de saint Matthieu, chapitre 5 : «Quiconque renvoie sa femme, hormis pour cause de fornication, la rend adultère;  et celui qui épouse une épouse renvoyée est adultère.»  Ces paroles (et celui qui épouse une femme qui a été renvoyée est adultère) doivent être entendues universellement, ou avec une exception, l’adultère.   Si on les entend universellement, est adultère celui qui épouse une femme répudiée, même si elle l’a été pour cause d’adultère.  Elle n’a donc pas été renvoyée selon le lien,  mais seulement selon la cohabitation.  Car, celui qui épouse une femme répudiée pour cause d’adultère ne serait pas adultère si elle n’était plus liée à son mari.  Donc,  meilleure serait la condition de la fornicatrice que de l’innocente et de la chaste.  Car, la fornicatrice est libérée de son lien matrimonial et peut se marier de nouveau, tandis que l’innocente injustement chassée  ne peut avoir ni son premier mari, ni en avoir un second. Or, il est tout à fait absurde que la très juste loi du Christ veuille que l’épouse justement renvoyée soit mieux traitée que celle qui l’est injustement.

            Quelques-uns répondent que cette sentence est générale, et que la fornicatrice ne peut pas se marier de nouveau non parce que le lien du mariage n’a pas été rompu,  mais parce que la loi l’interdit en punition du péché.  Mais cette réponse ne vaut pas grand’chose.  Si le remariage était interdit en punition du péché,  alors qu’elle était vraiment libre de se remarier, et étaient donc dissouts les liens du premier mariage, elle pêcherait, certes, en se remariant, et le mariage serait peut-être illicite, mais elle ne serait adultère que si elle épousait un homme déjà marié.  Le Seigneur dit  formellement et explicitement : «Et  celui qui épousera une répudiée sera adultère.»

            Le deuxième texte est de saint Marc, chapitre 10 : «Celui qui renverra son épouse et en épousera une autre commet un adultère sur elle.  Et si la femme renvoie son mari, et en épouse un autre, elle commet un adultère.»  On trouve des choses semblables dans saint Luc 16 : «Quiconque renvoie sa femme et en prend une autre, est adultère,  et est aussi adultère quiconque prend une femme renvoyée par son mari.»  Ces paroles enseignent explicitement qu’un mariage contracté entre fidèles, et consommé,   ne peut jamais être dissout  au point qu’on puisse contracter un autre mariage.

            Les adversaires répondent que ces passages doivent être expliqués à la lumière  du chapitre 19 de saint Matthieu, où se trouve l’exception de la fornication.  Car, à moins que, dans les paroles de saint Marc et de saint Luc, nous  ne sous entendions le sauf en cas de fornication,  saint Marc et saint Luc seraient en conflit avec saint Matthieu.  Car, se contredisent manifestement les deux affirmations suivantes : qui conque renverra…sera adultère, et ce ne sont pas tous ceux qui renverront qui seront adultères.  La dernière est déduite de saint Matthieu, car c’est la même chose de dire : quiconque renverra sa femme, sauf pour cause d’adultère,    et ce ne sont pas tous ceux qui renvoient.  La première sentence est de saint Marc et de saint Luc, et l’autre est de saint Matthieu.  Elles ne seront semblables que si on inclut l’exception de la prostitution.

            Mais, c’est le contraire qui est vrai.  Car, comme nous l’avons déjà dit dans la question de la polygamie, les évangélistes omettent parfois une chose que d’autres ont racontée,  ou ajoutent des choses que d’autres ont omises.  Mais, ils ne font jamais d’omission qui rendrait leur sentence fausse.  Car, autrement, les évangélistes tromperaient ceux à qui ils ont livré leurs évangiles, s’ils ne faisaient aucune mention des autres évangélistes.  Il est certain que quand saint Marc composa son évangile qui lui venait de la prédication de saint Pierre, il n’a pas renvoyé les romains à l’évangile de saint Matthieu comme à son commentaire.  On peut même dire que si les romains avaient eu en main l’évangile de saint Matthieu, il n’aurait pas écrit le sien.  Car, saint Marc n’a pas écrit pour ajouter quelque chose à saint Matthieu, --ce qu’a fait par après saint Jean—mais seulement pour que les romains aient en main l’évangile que saint Pierre avait légué de vive voix.  C’est la raison que nous donnent saint Irénée (livre 3, chapitre 1), Eusèbe (livre 2, chapitre 15), et saint Jérôme, (dans ses hommes célèbres, sur Marc).

            On peut dire la même chose de saint Luc, qui a écrit son évangile pour ceux que saint Paul avait évangélisés, ceux à qui n’étaient pas encore parvenus les évangiles de saint Matthieu et de saint Marc.  Ils n’avaient entre les mains que les écrits de pseudos évangélistes, comme lui-même l’indique au début de son évangile, et comme on le déduit plus clairement des commentaires de saint Ambroise sur saint Luc, chapitre 1, et des hommes illustres de saint Jérôme, au  mot Luc.  Il faut donc que soit absolument vrai tout ce que racontent saint Marc et saint Luc, et que  nous n’ayons pas à dépendre des paroles de saint Matthieu pour ne pas être induits en erreur.  Ce qui serrait le cas de ceux qui liraient saint Marc et saint Luc, sans se référer à saint Matthieu.

            Mais tu nous rétorqueras que saint Augustin (livre 1, chapitre 11 sur les mariages adultérins) a écrit que le passage de saint Mathieu est obscur jusqu’à ce que nous en venions aux autres évangélistes.  Mais saint Augustin ne parle pas d’ambiguïté au sujet de ce que saint Mathieu dit, mais de ce qu’il ne dit pas.  Car, saint Matthieu dit qu’il est adultère celui qui prend une autre femme en dehors du cas de fornication.   Et cela est tout à fait vrai.   Mais il ne dit pas si c’est celui-là seulement qui est adultère, ou si c’est aussi celui qui en prend une autre, après avoir renvoyé sa femme pour raison d’adultère.  Et c’est ce dont parlent les autres évangélistes. Nos adversaires veulent que nous soyons dans l’incertitude au sujet de ce que disent saint Marc et saint Luc.  Nous nous demanderions, selon eux : faut-il s’en tenir à ce qu’ils disent, sans tenir compte de ce qu’ils ne disent pas. Or, le même saint Augustin, (livre 1, chapitre 9 du même livre)  s’en prend vivement à ceux qui ne prennent pas les paroles des évangélistes selon leur sens naturel : «Qui sommes-nous, nous, pour dire : il est adultère celui qui, après renvoyé son épouse, en prend une autre, et il n’est pas adultère celui qui fait la même chose, puisque l’évangile dit que sont adultères tous ceux qui font cela.»

            À cette objection, je réponds que les évangélistes ne disent pas des choses contradictoires.   Car, cette proposition (ce ne sont pas tous ceux qui rejettent leurs femmes et prennent une autre qui sont adultères) ne se trouve pas dans saint Matthieu, comme l’estiment les adversaires.   Car, voici quelles sont les paroles de saint Matthieu : .quiconque rejettera sa femme, pour une autre raison que celle de la fornication, et en prendra une autre, sera adultère.  On ne peut pas déduire de ces paroles que ce ne sont pas tous ceux qui rejettent leurs épouses et en prennent une autre qui sont adultères.

            Durand nous donne plusieurs raisons pour lesquelles on ne peut pas tirer cette conclusion. Il dit (dans 4 dist 35, question 2, au dernier) que, en Matthieu, le Christ parle en présupposant la loi ancienne qui ordonnait de tuer les adultères.  Car, en tenant compte de cette loi, il était permis, pour cause de fornication, de renvoyer sa femme et d’en prendre une autre, parce que, par le supplice extrême de l’adultère , le lien conjugal était rompu.  Mais, cette réponse ne me plait guère.    D’abord, parce que le Seigneur n’a pas donné sa loi seulement aux Juifs, mais aussi aux chrétiens.  Et la loi évangélique n’ordonne pas de tuer des adultères.   Jésus (Jean 8) a même libéré une femme adultère de la peine de la lapidation.  Le Christ n’ignorait pas, non plus, que, dans son Église, les lois des princes seraient différentes qui ordonneraient tantôt de tuer et tantôt de ne pas tuer des adultères.  Voilà pourquoi il n’est pas crédible que le Christ parlait en supposant la loi de la lapidation des adultères.

            De plus, s’il en était ainsi, la sentence du Christ serait fort imparfaite.  Car, il aurait pu empêcher de différentes façons  la mort d’une adultère, soit parce qu’elle se serait sauvée dans un autre pays, ou soit parce qu’on ne pouvait pas prouver l’adultère par deux témoins, même si le mari l’avait découvert.  En quoi cela aurait-il un rapport avec la doctrine du Christ ?  Ajoutons que livrer une épouse à la lapidation, ce n’est pas vraiment  ce qu’on appelle la renvoyer et en prendre une autre.  Car, de toute évidence, elle n’est pas renvoyée celle qui est tuée, et on ne dit pas, quand la première ne vit plus,  qu’une autre est prise après avoir renvoyé la première.

            Ensuite, la question ne pouvait pas être : est-il permis de prendre une autre femme quand la sienne est lapidée à cause d’adultère ?

            D’autres disent que le mot adultère doit être référé séparément à l’une et l’autre parties de la sentence, de la façon suivante : quiconque rejettera sa femme hormis pour  fornication, est adultère, et celui qui en prend une autre est adultère.  Car, il est adultère deux fois celui qui renvoie sa femme pour un autre motif que la fornication.  Une première fois par l’adultère de son épouse, parce que c’est lui qui en est la cause par une injuste séparation.  Et, une autre fois, par son adultère propre, en s’unissant avec une autre du vivant de son épouse.  C’est cette solution qu’indique brièvement Theophylactus (dans son commentaire du chapitre 9 de saint Matthieu),  où il dit que le sens de ce texte est que celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de fornication, devient adultère, c’est-à-dire est l’auteur de son adultère à elle.  Saint Augustin a enseigné la même chose avant lui (dans son livre contre Adminante, chapitre 3) : «Celui qui renvoie son épouse pour une autre raison que la fornication la rend adultère, et il devient lui-même adultère s’il en prend une autre.  Cette interprétation est tout à fait conforme aux paroles de saint Matthieu, chapitre 5, où il dit : «celui qui renvoie sa femme pour une autre raison que la fornication la fait devenir adultère.»  Il semble que dans le chapitre 19 aussi, le quiconque renvoie sa femme sauf pour fornication, il faut comprendre le mot adultère au sens de il la fait devenir adultère.

            D’autres disent avec non moins de probabilité, que le sauf pour fornication, ne se rapporte qu’au mot renvoi, avec lequel il est joint immédiatement, et qu’il doit être prononcé entre parenthèses, comme quelque chose de sous-entendu, de la façon suivante : quiconque renvoie sa femme (ce qui n’est permis qu’en cas de fornication) et en prend une autre,  est adultère.  Et ce n’est surement pas sans raison que le Seigneur n’a pas ajouté cette exception après ces mots : et en prend une autre.  Et semblablement, ce n’est pas témérairement que (en Matthieu 5 et 19) quand  le Seigneur a dit : et celui qui prend une répudiée est adultère, n’a pas ajouté si ce n’est à cause de fornication, pour indiquer que la cause de la fornication ne rendait licite que la séparation et non la célébration d’un nouveau mariage.  C’est ce qui  me semble être la sentence de saint Thomas (4 dist 35,  quest unique, art 5, à la dernière.  Et c’est ce que suggère implicitement saint Jérôme, dans son commentaire de ce passage.

            Il y a d’autres explications moins probables, excogitées par Abulensis, Alphonse de Castro, et d’autres.  Mais excellente est celle de saint Augustin (livre 1, chapitre 9 des mariages adultérins) où il enseigne que saint Matthieu, ou plutôt le Seigneur en Matthieu, a employé ce : sauf en cas de fornication comme une négation, non comme une exception.  Et le sens serait : quiconque renvoie son épouse, si ce n’est pour fornication, c’est-à-dire en dehors de la cause de fornication, et en prend une autre devient adultère. Est affirmé, par là, l’adultère de celui qui épouse une autre femme après avoir renvoyé la sienne pour une autre cause que la fornication, mais non de celui qui s’est remarié après renvoyé sa femme pour cause de fornication.   Mais les adversaires lui rétorquent, et surtout Cajetan et Catharinus :  si c’était cela la sentence du Seigneur, c’est inutilement et vainement qu’aurait été ajouté : sauf en cas de fornication.  Car, le Seigneur pouvait dire plus généralement et naturellement : quiconque prend une autre épouse après avoir renvoyé la sienne est adultère.

            Je réponds que  c’est par une prudence divine qu’il a parlé ainsi.  Car, c’est ce que demandaient le lieu et le temps.  En effet, dans ce passage, le Seigneur répondait aux pharisiens qui étaient venus pour le tenter et le prendre en faute.  Et parce qu’ils l’avaient entendu sur une certaine montagne,  parlé contre le libelle de répudiation concédé par Moïse, et donc contre la polygamie, ils lui demandaient s’il était permis à l’homme de rejeter son épouse pour n’importe laquelle raison,  afin de l’induire à se prononcer contre la loi ou l’enseignement des pères.  Quand le Seigneur se rendit compte de l’état d’esprit des auditeurs il s’en tint strictement, dans sa réponse, à la question posée.  Comme ils lui demandaient s’il était possible de se séparer d’une épouse, en dissolvant le lien, pour une raison quelconque, le Seigneur répondit que ce n’était pas permis pour n’importe laquelle raison.  Et il le prouva en disant qu’il n’est pas permis de renvoyer  une femme qui ne fornique pas pour pouvoir en prendre une autre.  Ce qui était absolument vrai, et que personne ne pouvait nier.

            Est-ce qu’il était permis de renvoyer une fornicatrice en dissolvant le lien, et d’en prendre une autre, le Seigneur n’a pas voulu le dire ouvertement  car cela était quelque chose de plus élevé que ce qu’ils pouvaient alors comprendre.  Bien que de ce que le Seigneur a dit sur l’origine du mariage on pouvait facilement le déduire.  Mais, pour ne leur donner aucune raison de calomnier ses paroles, il a voulu qu’ils le comprennent par eux-mêmes, comme il l’a fait dans la parabole de la vigne, et de bien d’autres.  Et, néanmoins, à la maison, un peu après, (Marc 10), il déclare que quiconque renvoie son épouse et en prend une autre est adultère.  Tu vois donc que les paroles du Seigneur ne contiennent rien d’inutile et de surérogatoire, et que les évangélistes ne se contredisent pas.   Est-ce qu’on peut nous objecter contre cette interprétation, que si nous expliquons les paroles du Seigneur ainsi, nous ne trouvons pas, dans ce passage, que le divorce (en ce qui a trait à la seule cohabitation)  est permis à cause de la fornication du conjoint ?  Mais, cela importe peu, car, pour confirmer ce dogme, le témoignage de saint Matthieu, au chapitre 5, suffit amplement.

            Le troisième passage est tiré de l’épitre aux Romains (dhapitre 7) : «Ignorez-vous, frères (je parle à des connaisseurs de la loi), que la loi a le pouvoir sur l’homme tant qu’il est en vie ?  Car, la femme qui est sous un mari lui est liée par  la loi , tant que son mari est vivant.  Mais, après la mort de son mari, elle est libérée de son mari, par la loi.  Donc, du vivant de son mari, elle est appelée adultère si elle connait un autre homme.  À la mort de son mari, elle est libérée de son mari par la loi, et n’est plus adultère si elle demeure avec un autre homme.»  Il dit des choses semblables dans sa première épitre aux Corinthiens,  au chapitre 7.

            Ces passages nous font comprendre que le lien du mariage n’est dissolu que par la mort; et que, parce qu’il n’est pas dissout, il demeure même après un divorce, quelles qu’en soient les causes.  Saint Augustin fait un grand cas de cet argument (au livre 2, chapitre 4 des mariages adultérins), quand il clame : «Ces paroles de l’apôtre tant de fois répétées et inculquées, sont vraies, vivantes, saintes et pleines. »  La femme ne commence à être l’épouse d’un autre homme que quand son premier mari a cessé d’être.  Elle cesse donc d’être la femme du premier mari quand son mari meurt, non quand il devient adultère.  C’est donc licitement qu’est renvoyé un conjoint pour cause de fornication, mais demeure intact le lien du premier mariage.  Et c’est pour cela que devient coupable d’adultère celui qui prend une répudiée même pour cause de fornication.

            Mais Cajetan répond que les paroles de l’apôtre doivent être prises universellement,  et non en pensant à un cas particulier, de façon à ce que le sens soit : le lien de l’homme et de la femme, ordinairement et régulièrement, dure jusqu’à la mort, et est alors dissout, à moins qu’il ne soit dissout ailleurs.  Répondent à peu près la même chose Érasme, Calvin, le martyr et Bucer, et surtout Pierre le martyr.  C’est de cette façon qu’ils veulent entendre l’exception : sauf en cas de fornication.  Kemnitius se joint à eux (2 par examen, 1257).   On peut prouver cela, d’abord parce que saint Paul dit : je parle à des gens qui connaissent la loi.  Or, la loi permettait un libelle de répudiation dans certains cas, donc régulièrement, et conformément à la loi.   Mais, on n’attendait pas toujours la mort pour que soit rompu le lien du mariage.  Ensuite, parce que saint Paul dit : «la femme qui est sous un homme», et ne dit pas simplement l’épouse.  C’est donc qu’il ne parle que de celle qui n’est pas répudiée, mais qui cohabitait encore avec son mari.  Troisièmement.  Il  semble que l’apôtre  n’affirme pas tant que le mariage dure jusqu’à la mort,  qu’il ne dure pas après  la mort.  Car, c’est cela seulement qu’il veut montrer, qu’après la mort, les conjoints sont libérés de l’autre conjoint, soit que le lien du mariage soit demeuré jusqu’à la mort, soit qu’il n’ait pas demeuré.  J’ajoute, à la fin, que comme il s’agit d’une comparaison, il n’est pas nécessaire qu’elle concorde en touts points.

            Mais que cette explication soit fausse, l’attestent d’abord les paroles que saint Augustin jugent claires.  Car, qu’y a-t-il de plus clair que :« une femme sera appelée adultère si, du vivant de son mari, elle vit avec un autre homme.»(Romains 7).   Et : «La femme est liée par la loi aussi longtemps que vit son mari.» (1 Corinthiens 7).  Et il serait, certes, surprenant que l’apôtre n’ait ajouté aucune exception, s’il avait du en ajouter une autre, puisqu’il a répété et inculqué cela si souvent.

            L’attestent, ensuite, les interprètes, comme  saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, Theophylactus, Theodoret, Oecumenius, Primasius, saint Anselme, et d’autres, dans leurs commentaires de l’un et l’autre texte de saint Paul, et surtout Origène (chapitre 19 de saint Matthieu), saint Augustin (lieu cité), saint Jérôme (dans son épitre à Amandus)  où. interrogé s’il était permis à une femme de se remarier, après avoir renvoyé son mari pour cause d’adultère, il répond que cela n’est pas permis, en raison de ces textes de saint Paul, qui (comme le dit lui-même) exclut toute exception.   L’atteste également la comparaison utilisée par saint Paul.   Car, il voulait prouver que la loi ancienne obligeait jusqu’au Christ, et qu’elle avait donc cessé d’obliger.  Et pour prouver cela, il se sert d’une comparaison tirée du mariage.  Car, comme l’homme et la femme sont obligés l’un envers l’autre aussi longtemps que l’un d’eux ou les deux meurent, de la même façon, les hommes sont sujets de la loi aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée.  Et quand elle meurt ainsi, les hommes meurent à la loi.  Par la mort du Christ, l’un et l’autre s’est produit.  Car, la loi ancienne a été abrogée, et nous sommes passés à l’état de fils de Dieu.  Et nous sommes morts à cette ancienne loi, qui était une loi de serviteurs et d’esclaves.

            Il faut noter ici, en passant, que la loi est comparée au mari,  comme l’explique saint Jean Chrysostome, et l’homme est comparé à l’épouse, parce que l’homme domine la femme, et la femme l’homme.  De la même façon, la loi domine l’homme, à qui elle est donnée, non l’homme la loi.  Et bien que l’apôtre aurait du conclure que les hommes sont libérés de la loi, comme il dit que la femme est libérée quand son mari meurt, cependant, pour ne pas offenser les Juifs, il a préféré inverser la conclusion et dire  que c’est nous qui sommes morts, plutôt que la loi, bien qu’on puisse dire aussi bien l’un ou l’autre, et c’est donc de cela qu’on parle, que ce soit l’homme, la femme ou les deux qui meurent.

              De plus, cette comparaison de saint Paul requiert absolument que l’homme et la femme ne puissent être libérés du lieu du mariage ni par le divorce, ni par la répudiation, mais seulement par la mort.   Car, quand la loi ancienne était en vigueur, les Juifs ne pouvaient jamais secouer son joug, même s’ils s’efforçaient de donner des répudiations, et de divorcer, en forniquant avec les différentes lois des faux dieux.   Donc, aussi longtemps que le mari vit, la femme ne peut jamais être libérée du lien du mariage, même si elle fornique avec beaucoup d’autres hommes.

            Les arguments contraires ne convainquent pas non plus.  Je réponds au premier que ce je parle à des connaisseurs de la loi, est entendu par Theodoret et saint Ambroise, de la loi naturelle ou évangélique, non de la loi mosaïque.  De sorte que le sens est : je parle à des hommes expérimentés, et qui connaissent bien la nature de la loi et du mariage.    Et de plus, dans la loi ancienne, la répudiation dissolvait réellement et vraiment le lien du mariage, ou elle ne le dissolvait pas.  Si elle ne le dissolvait pas, et ne le permettait pas comme quelque chose de licite, mais comme un moindre mal, comme le pensent l’ensemble des docteurs, ainsi que Calvin et Bèze (dans leurs commentaires du chapitre 19 de saint Matthieu), il importe peu de quelle loi saint Paul parle.  Si elle le dissolvait, et permettait un remariage comme quelque chose de licite, on ne peut pas alors entendre ce passage de la loi de Moïse, car faux serait ce que saint Paul dit : «la femme sera appelée adultère si elle se remarie du vivant de son mari.»  Car, elle n’était pas appelée adultère celle qui, du vivant de son mari, vivait avec un autre homme, si la répudiation était licite et dissolvait le lien du mariage.

            Au second, je réponds  que ce «la femme sous un homme» veut tout simplement dire  une femme mariée.  Or, ce nom ne convient pas moins à la femme après le divorce qu’avant le divorce, si le divorce ne dissout pas le lien, comme nous l’enseignons, nous  Et cela apparait clairement, tant par la conclusion générale que l’apôtre infère : donc, du vivant de l’homme, elle sera appelée adultère.  Car, il ne dit pas : donc, tant qu’elle est sous l’homme, ou tant qu’elle n’est pas répudiée, mais tant que son mari vit, elle est appelée adultère, si elle vivait avec un mari adultère.  Et tant par 1 Cor 7, où saint Paul dit en général : la femme est liée à la loi aussi longtemps que son mari vit.

            À la troisième, je réponds  que saint Paul n’a pas seulement voulu montrer que le lien du mariage ne dure pas après la mort, mais aussi qu’il dure pendant tout le temps de la vie de l’autre conjoint.  Car, ce il ne dure pas après la mort était quelque chose d’évident, et il n’était pas nécessaire, pour le démontrer,  d’alléguer la loi et de dire : je parle à des gens qui connaissent la loi.  La conclusion visée par l’apôtre n’était pas seulement  que es chrétiens n’étaient pas obligés par la loi de Moïse, mais aussi qu’ils étaient obligés à ne pas en recevoir d’autre, comme les Hébreux étaient obligés d’observer la loi de Moïse aussi longtemps qu’ils vivaient, sans pouvoir la quitter sous aucun prétexte, jusqu’à ce qu’elle meure par l’abrogation, ou qu’ils meurent à elle en passant à un autre état, comme nous l’avons dit.

            Au dernier je réponds que des choses qui se ressemblent n’ont pas à être semblables en tout, mais qu’elles doivent l’être en ce qui est la force de l’argument tiré de la comparaison.  La force de l’argument de saint Paul requiert  que comme le lien de la loi ne peut être rompu en aucune façon tant que la loi est vivante, de la même façon, le lien du mariage persévère tant que vit l’home ou la femme.  Ajoutons que, en Corinthiens 7, il ne  se sert pas d’une parabole pour illustrer cela, mais il le dit explicitement : la femme est liée  à la loi,  aussi longtemps que son mari vit.  Quand son mari s’endort, elle est libre.  Qu’elle se marie à qui elle veut !

            Le quatrième texte vient du chapitre 7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens : «À ceux qui sont unis par le mariage, je prescrits, non moi, mais le Seigneur, à la femme de ne pas quitter son mari.  Si elle le quitte, qu’elle demeure ainsi sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. Ce passage, nous en avons traité dans la question précédente sur le divorce quant à la cohabitation.  Nous en tirons un argument tout à fait insoluble.  Car, ou la femme dont on dit «si elle s’en sépare», se sépare pour une cause de divorce juste, comme la fornication ou l’hérésie, ou sans raison valable.  On ne peut pas dire que ce soit sans raison valable, car sains Paul ne dirait pas d’une telle femme : qu’elle demeure non mariée, ou qu’elle se réconcilie avec son mari.  Il dirait plutôt : qu’elle demeure sans se marier jusqu’à ce qu’elle se réconcilie avec son mari, et qu’elle retourne à son mari, comme elle le doit. Car, saint Paul ne pourrait pas permettre un injuste divorce, contre un précepte explicite du Christ.

            Et si, dans le même chapitre, saint Paul ne permet pas aux époux de s’abstenir du commerce charnel pour la prière, si ce n’est pour un temps, et d’un commun accord, comment permettrait-il à une épouse de demeurer séparée de son mari sans aucune cause juste de divorce, et sans que le mari le veuille ?  Il parle donc, sans doute possible, de la femme qui se sépare de son mari pour une juste cause de divorce.  Or, cette femme ne peut pas se marier de nouveau, comme saint Paul le dit clairement.  Donc, même une cause juste de divorce ne dissout pas le lien du mariage, et il n’est pas permis aux conjoints justement séparés par un divorce de convoler en juste noces.

Il  ne reste qu’une chose qu’on peut nous objecter, et qui a été objectée par Érasme.   Car, il semble que l’apôtre parle d’une femme adultère qui  n’est pas séparée de son mari de sa propre volonté,  mais qui a été renvoyée par le mari.  Car, c’est ce qu’il semble vouloir dire quand il ajoute : ou qu’elle se réconcilie avec son mari.  Car, se réconcilier appartient proprement à des coupables, qui, par leur réconciliation, retournent en grâce avec ceux qu’ils avaient offensés.  Et si c’est d’une adultère que parle saint Paul, il n’est pas surprenant qu’il veuille qu’elle demeure non mariée, car ce n’est qu’à la partie innocente que sont concédées de secondes noces.

Mais, on ne peut en aucune façon soutenir que saint Paul parle d’une adultère qui a été rejetée, car, quand il est prescrit à la femme de ne pas se séparer de son mari, il lui est prescrit de ne pas être l’auteur du divorce, et de ne pas mettre son mari à la porte, et non de ne pas être éjectée, et de ne pas s’en aller quand elle est contrainte de le faire.  Car on ne commande que ce qui est faisable. Or, il n’est pas au pouvoir de la femme de ne pas être rejetée, et de ne pas s’en aller quand son mari la met à la porte.  Ensuite, saint Paul ajoute après : et que l’homme ne renvoie pas sa femme.  Ce qui serait quelque chose de tout à fait semblable au premier précepte, et donc superflu, si, pour la femme, quitter son mari n’était rien d’autre qu’être rejetée ou expulsée par son mari.  De plus, si l’apôtre ne parlait que d’une adultère rejetée, il livrerait une doctrine fort imparfaite.  Car, on pourrait encore se demander ce que l’on doit faire à une femme qui est séparée de son mari à cause de l’adultère de l’homme, et non  à cause de sa faute à elle.

Saint Paul parle donc en général de toute femme qui est l’auteur d’un juste divorce.  Il dit, en effet : que la femme ne quitte pas.  Il ne dit pas : que la femme ne mette pas à la porte son mari, comme il dit après : que l’homme ne renvoie pas sa femme.  Car, ordinairement, la femme est dans la maison du mari, et, à cause de cela, elle fait un divorce en le quittant, non en le mettant à la porte.  Le mari, lui, parce qu’il est dans sa maison, fait un divorce en expulsant, non en sortant.

Et l’objection que l’on fait au sujet du mot réconcilier, que Kemnitius a formulée à la page 1259 pour prouver que c’était à cause de la faute de la femme que le mari l’avait expulsée,  n’a pas grand valeur.   Car, on dit que se réconcilie aussi bien celui qui a lésé que celui qui est lésé.  Car, se réconcilient proprement ceux qui étaient éloignés l’un de l’autre.  Voilà pourquoi Cicéron (livre 1, épitre 2 à Lentulus),  dit qu’a été réconciliée la volonté du sénat qui, non par sa propre faute, mais par celle des autres, était devenue ennemie de Lentulus.  Et c’est dans ce sens qu’on dit que Dieu se réconcilie avec les hommes. (Macchabée 2, chapitre 1) : «Que dieu exauce vos prières, et se réconcilie avec vous.»   Et, au chapitre 7 : «Réconcilie-toi à ton frère.», qu’il t’ait offensé justement ou injustement, explique saint Jean Chrysostome.

On peut prouver la même vérité avec la tradition.  Car, nous avons,  à tous les siècles, des témoignages des pères.  Au premier siècle, nous avons saint Clément (canons des apôtres, canon 48), où, sans aucune exception, il est commandé d’excommunier celui qui prend femme après avoir rejeté sa première épouse.  Dans le deuxième siècle, c’est-à-dire, après l’année du Seigneur 100, nous avons les témoignages de saint Justin et d’Athénagoras.  L’un et l’autre, dans leurs apologies pour les chrétiens  à l’empereur Antonin, mettent parmi les dogmes chrétiens , l’adultère de celui qui épouse une autre femme après avoir renvoyé sa première.  Et Athénagoras ajoute aussi que si quelqu’un se marie après avoir rejeté son épouse, «ce n’est pas un mariage mais un adultère.»  Et, au même siècle, Clément d’Alexandrie,  (livre stromates, le dernier) écrit : «L’Écriture estime que c’est un adultère de se remarier après la séparation.»

Au troisième siècle, après l’année du Seigneur 200, nous avons Tertullien (livre 4, contre Marcion, passé le milieu).  À Marcion qui objectait que le Christ avait contredit Moïse en prohibant le divorce que lui avait autorisé, Tertullien répond ainsi : .«Je dis que c’est conditionnellement qu’est faite maintenant l’interdiction du divorce, c’st-à-dire, si quelqu’un renvoie son épouse pour en épouser une autre.»  Il enseigne, là, que le Christ n’a pas interdit le divorce pour une cause juste, mais qu’il ’a interdit un autre mariage après le divorce.    Au même siècle, Origène (traité 7 sur Matthieu) dit (expliquant le chapitre 19), que quelques évêques ont permis à une femme de se remarier, du vivant de son mari, et il ajoute : «ils ont fait cela contre les Écritures.»

Au quatrième siècle, après l’année du Seigneur 300, (dans le concile d’Elibertin, canon 9), la femme qui s’est mariée avec un autre homme, à cause de l’adultère de son mari,  «n’est acceptée à la communion qu’après la mort de son premier mari.»  Ce qui nous fait comprendre que ce mariage a été jugé illicite, même pour la partie innocente, et dans le cas d’un adultère.  Au même siècle, saint Ambroise (dans son commentaire sur le chapitre 16  de saint Luc) écrit longuement contre ceux qui se remarient après avoir renvoyé leur première épouse.« Et il appelle souvent ce mariage un adultère.»  Et, dans cette longue dispute, il n’amène jamais l’exception de l’adultère. 

Saint Jérôme, contemporain de saint Ambroise, écrit (dans son épitre à Océan, sur la mort de Fabiola) écrit qu’après avoir quitté son mari adultère et criminel, Fabiola s’est remariée.  Mais, il ajoute qu’elle a fait cela parce qu’elle ignorait la rigueur de l’évangile.  Et, au même endroit, il écrit qu’après la mort de son second mari, une pénitence publique lui a été imposée par l’évêque, qu’elle accepta avec une grande humilité.  Ce qui nous fait comprendre qu’à cette époque, c’était, dans l’église catholique, un crime public de se remarier,  du vivant d’un conjoint adultère.  Au même siècle, saint Jean Chrysostome enseigne la même chose, (homélie 17, chapitre 5 de saint Matthieu).

Au cinquième siècle, après l’an du Seigneur 400 ans, le concile de Milet (canon 17) a défini que, selon la doctrine évangélique et apostolique, il n’est jamais permis de passer à d’autres noces, du vivant du conjoint.  Et on lit la même chose dans le concile africain (canon 69).  Pendant le même siècle, Innocent 1 (dans l’épitre 3 à Exuperius, canon 6), répondit quand on lui demanda s’il était permis de se remarier après un divorce, que ce n’état permis en aucune façon, mais «que l’homme et la femme étaient adultères si, après un divorce, ile se remariaient.»  À la même époque, saint Augustin enseigne explicitement la même chose dans les deux livres des conjoints adultérins, ainsi que dans son livre sur le bien conjugal.    Au sixième siècle, c’est-à-dire après l’année du Seigneur 500, Primasius (dans son commentaire de 1 Corinthiens, chapitre 7 : si elle le quitte, qu’elle demeure non mariée), enseigne la même chose.

Au septième siècle, après l’année du Seigneur 600,  Isidore enseigne la même chose (livre 2, chapitre 9 sur les offices divins).  Au huitième siècle, après l’année du Seigneur 700 ans, Bède le vénérable enseigne la même chose (au chapitre 10 de saint Marc),   Au neuvième siècle, après l’an du Seigneur 800, le concile de ForJulien définit explicitement la même chose au canon 10.  Ainsi que Theohylactus , au même siècle (dans Matthieu, chapitre 19, et le chapitre 7 de 1 Corinthiens).  Au dixième siècle, après l’an du Seigneur 900, le concile de Nannetensis, qui a été célébré, croit-on, sous l’empereur Alphonse, déclare la même chose au canon 12.   Au onzième siècle, après l’année du Seigneur 1000, saint Anselme enseigne la même chose (chapitres 5 et 19 de saint Matthieu),

Au douzième siècle, après l’an 1100, le pape Alexandre 3 définit la même chose (au chapitre ex parte, sur les fiançailles et les mariages).  Au treizième siècle, après l’année 1200, Innocent 111 définit la même chose  (au chapitre gaudemus, sur les divorces).  Et, au même siècle, tous les théologiens qui ont commenté le livre des sentences (dist 35), comme saint Thomas et saint Bonaveuture ont dit la même chose.  Au quatorzième siècle, après l’an 1300, plusieurs docteurs ont enseigné cela, comme Scot et Durand.  Au quinzième siècle, après l’année du Seigneur 1400, le concile de Florence a défini la même chose, dans son instruction aux Arméniens.  Et on s’étonne grandement de ce que Cajetan et Catharinus n’en aient apparemment pas tenu compte.  Au seizième siècle, après l’an du Seigneur 1500, le concile de Trente a défini la même chose à la session 24, canon 7.

Se présente, à la fin, l’argument tiré de la raison.  Le mariage des fidèles est le signe de l’union du Christ avec son église, comme l’apôtre l’enseigne au chapitre 4 des Éphésiens.  Or, cette union est indissoluble,  Le lien matrimonial est donc, lui aussi, indissoluble.  Et bien que toute l’Église ne peut pas en même temps être fornicatrice par rapport à Dieu, quelques fidèles forniquent spirituellement et commettent un divorce.  Mais, il n’est pas permis à cause d’eux, de changer de Dieu.    Et Dieu ne les rejette pas au point de ne plus vouloir se réconcilier avec eux, puisqu’il exhorte constamment à la réconciliation.  Le mariage des chrétiens doit donc être tel qu’il n’existe jamais de divorce sans espoir de réconciliation.  Et c’est cette raison tirée du sacrement que développe saint Augustin (dans son livre sur le bien conjugal, aux chapitres 7, 15, 19 et 24).   Deuxièmement. Si un autre mariage était licite, il injurierait les enfants.  Car il ne serait pas d’un bon secours pour les enfants déjà nés, qui auraient un beau-père ou paràtre à la place d’un père, et une belle-mère, ou une marâtre à la place d’une mère.  Et c’est la raison qu’emploie saint Ambroise pour faire comprendre aux parents  qu’ils doivent pardonner la faute.

Troisièmement, si un mariage du vivant du conjoint était licite, on ouvrirait la porte à une multitude de répudiations même injustes.  Car, aujourd’hui, parce que les fidèles savent qu’ils doivent vivre en célibataires ou se réconcilier avec leurs conjoints, ils n’ont pas facilement recours au divorce.  Mais, s’il savaient qu’après avoir répudié leurs épouses, ils peuvent en prendre une autre, les divorces abonderaient bientôt, et on chercherait même des occasions de dissensions, et de crimes.  Et c’est cette raison qu’invoque saint Jérôme (dans le chapitre 19 de saint Matthieu), où il écrit qu’il serait à craindre que les maris, dans le désir d’un nouveau mariage, ne calomnient leurs épouses.  Et que c’est précisément pour cela que le Seigneur a voulu qu’on puisse se séparer d’un conjoint adultère , sans qu’on ait pourtant le droit de se marier à un autre.

Quatrièmement.   Si après un divorce pour cause de fornication, il était permis à la partie innocente d’entreprendre un autre mariage, cela serait permis aussi au coupable ou cela ne lui serait pas permis.  Si ça lui est permis, l’adultère retirerait un profit de son péché, et les hommes, en ce cas, commettraient souvent l’adultère pour pouvoir se libérer de leurs épouses et en prendre une autre. Si ça ne lui était pas permis, je demande d’abord, pourquoi ?  Car, puisque cette personne est  libéré edu lien de son premier mariage (car la partie innocente n’aurait pas pu prendre un autre mariage sans que soit rompu le lien de son premier mariage), et qu’elle ne fait d’injure à personne, pourquoi ne peut-elle pas contracter un mariage ?    Tu diras que c’est parce que la loi le défend.   Mais où est donc cette loi qui l’interdit ?  Car, que je sache, il y a aucune loi existante qui concède un nouveau mariage à la partie innocente.  Ensuite, pourquoi la loi empêcherait-elle de se marier un homme dissolu et vicieux , quand il ne reste plus aucun espoir de réconciliation avec la première épouse ?  Par un jugement divin très prudent et très juste, le Christ a sanctionné  que doit être indissoluble le mariage en ce qui a trait au lien.

Ajoutons, à la fin, que même chez les païens, quand était encore en vigueur la discipline des mœurs, aucune répudiation ne se faisait.   Car, dans son apologie, au chapitre 6,  Tertullien rapporte que, pendant six cents  ans , depuis la fondation de la ville de Rome, aucune répudiation n’a été inscrite dans les registres civils.  Ensuite, quand la discipline a été renversée, la répudiation a été introduite avec les autres vices.

                                              CHAPITRE 17

                        On réfute les arguments des adversaires

Je vais exposer et réfuter les arguments de Kemnitius , autant parce qu’il a écrit le dernier et qu’il a recueilli les arguments des autres, que parce que personne ne l’a encore réfuté, tandis qu’à Érasme, Cajetan, Catharinus, Luther, Brucer, Brentius, Calvin et Philippe, ont répondu Jean Eck, Ruard, Alphonse de Castro, et d’autres catholiques en grand nombre.

La première objection de Kemnitius (page 1250) : «La loi pontificale qui, dans le cas d’un adultère , dénie au conjoint un nouveau mariage, prive l’innocent de son droit sans faute de sa part,  contre les règles du droit.»  Je réponds que ce n’est pas seulement la loi du pontife romain, mais que c’est aussi celle du Christ.  Et que c’est à tort que Kemnitius allègue la règle du droit, car voici la règle du droit canon, au canon sine culpa : «Personne ne peut être puni sans  la faute, à moins que ne subsiste la cause.»   On nous fait comprendre là que non seulement la faute, mais aussi la cause doivent être absentes,  de façon à ce quelqu’un ne puisse être puni en aucune façon.  Autrement, combien de fois les fils seraient privés de l’hérédité paternelle;  combien de fois les hommes seraient tourmentés par les juges, sans leur faute propre ?  Combien de fois, à cause d’une incurable maladie du conjoint, le conjoint serait-il privé, sans sa faute, de son du conjugal?  Et, ce qui est plus grave, du fruit du mariage : les enfants ?  C’est donc ainsi que, par l’épouse séparée par le divorce, l’homme est privé de l’acte conjugal sans sa faute, mais non sans cause.  Car, la cause subsiste grandement  puisque le lien du premier mariage demeure, et que le Christ interdit un nouveau mariage qui ferait du tort aux enfants déjà nés.

La seconde objection (page 1251) : «S’il n’était pas permis à l’homme innocent de prendre une autre épouse, le divorce concédé par le Fils de Dieu en cas de fornication, ne serait rien d’être qu’un piège  tendu à la conscience qui pousserait  les hommes â bruler ou à forniquer, et les exposerait à la colère et à la condamnation de Dieu.  Car, cette personne innocente n’aura peut-être pas le don de continence, et sera donc dans un continuel état de transe,  qui empêche d’invoquer Dieu; ou se précipitera dans les fornications et les adultères.   Voilà pourquoi le Seigneur Christ aurait mieux pourvu à son église,  s’ il n’avait permis aucun divorce, car, alors la personne innocente serait forcée d’user des remèdes ordonnés par Dieu.»

Je réponds que la personne  innocente peut soit ne pas renvoyer le conjoint et se réconcilier après la séparation,   soit être forcée de le renvoyer et ne pas pouvoir se réconcilier.  Si elle peut, ce qui arrive dans la plupart des cas, il n’y a alors, pour la conscience, aucun filet à craindre.   Car, la personne innocente a un remède tout préparé si elle  ne peut se contenir : ne pas renvoyer le conjoint, ou se réconcilier avec lui.  Et c’est à cela que l’apôtre exhorte  à 1 Corinthiens 7, et après le temps des apôtres, saint Augustin (livre 2, chapitres 6, 7, 9 des mariages adultérins).  Et que les maris ne devraient pas trouver dur de fermer les yeux sur les fautes de leurs conjointes, saint Augustin le prouve de plusieurs manières.  La première.  Si, par le sacrement de pénitence, Dieu purge le péché d’adultère, et fait d’une adultère une sainte, et se la réconcilie à lui-même, pourquoi devrait-il être si difficile à l’homme de se réconcilier avec une femme qui n’est plus adultère, mais qui est devenue une juste ?

Deuxièmement, le Christ remet aux hommes leurs adultères spirituels, à toutes les fois qu’ils veulent se réconcilier.  Donc, les hommes doivent pardonner à leurs épouses leurs adultères charnels ,quand elles veulent se réconcilier. Car,  on nous remettra nos fautes dans la même mesure avec laquelle  nous avons pardonné aux autres. (Matth 7 et Luc 6).  Et on doit craindre qu’on nous dise : «Ne devais-tu pas avoir pitié de ton frère comme j’ai eu pitié de toi ?»  Il arrive souvent que l’homme qui a répudié sa femme pour cause d’adultère soit lui-même adultère, si non en acte, du moins en désir.  Devant Dieu et dans la réalité de la chose, celui qui, en regardant une femme, la convoite, a déjà commis un adultère dans son cœur (Matthieu 5).  Donc, comme les hommes désirent ne pas être abandonnés par leurs épouses s’ils ne leur sont pas fidèles, ils doivent donc aussi ne pas les abandonner si elles sont infidèles, on se réconcilier avec elles.  Car, bien que, selon les lois du monde, l’homme et la femme ne soient pas égaux en cas d’adultère, cependant, selon la loi de Dieu, ils sont égaux.  Et s’il n’est pas possible, ou s’il ne convient pas de rappeler la femme après le crime d’adultère, même alors  ne fait pas défaut le remède de l’aide divine, qui n’est pas refusé à quiconque le demande.  Matthieu 7,3 : «Demandez et vous recevrez.»

Et que ce ne soit pas une chose nouvelle que quelqu’un soit contraint au célibat sans faute de sa part, saint Augustin le montre  par plusieurs exemples.(dans sont livre 2 sur les mariages adultérins, chapitre 11 et suivants.)  Si l’épouse tombe malade au début du mariage, et demeure dans cet état jusqu’à la mort de son mari.  Si elle  est emmenée captive, ou mise en prison, ou est contrainte de vivre chez des ennemis à perpétuité, ou si les deux époux demeurent pendant plusieurs années dans des régions différentes,   Que fera alors l’homme s’il commence à «brûler», puisqu’il n’a aucune cause juste de divorce, et qu’il ne peut pas vivre avec son épouse ?  Ne devra-t-il pas demander humblement  à Dieu le secours surnaturel voulu pour demeurer continent ?

Ce qui nous fait comprendre avec quel manque de jugement Kemnitius a écrit que le Christ aurait mieux pourvu à son église en ne permettant pas le divorce.  Car, s’il ne l’avait pas permis, il aurait contraint les hommes à affronter des périls évidents, et à subir les pires avanies pour éviter des périls mineurs, et qui n’arriveraient peut-être jamais.  Ce qui aurait été d’une extrême démence.  Car, si un des conjoints devenait hérétique, et cherchait constamment à entraîner l’autre conjoint dans l’hérésie, qui ne voit que, si le divorce n’était pas permis, ce conjoint serait en constant danger de perdre la foi ?

La troisième objection. (pages 1252, 1253).  «Quand les pharisiens  (Matth 19) demandèrent au Christ s’il était permis de renvoyer son épouse, ils parlaient de la séparation qui porte sur le lien, et non celle qui ne porte que sur la cohabitation.  Car, ils ne connaissaient pas d’autre répudiation que celle qui était autorisée dans la loi. Or, la répudiation était une séparation qui permettait un nouveau mariage, comme on le lit dans le Deutéronome 24, le Lévitique 21, Jérémie 3, et Ézéchiel XL11V.  C’est en parlant de cette séparation qui porte sur lien que le Christ indiqua l’exception de la fornication.»   Et on confirme l’argument par le sens contraire.  «Car, comme le Christ dit que celui qui renvoie sa femme, hormis pour fornication, et en prend une autre est un adultère, celui renvoie sa femme pour cause de fornication et en prend une autre, n’est pas adultère.  Ces arguments du sens contraire sont parmi les plus solides et les plus manifestes.»

«On le confirme, en second lieu, de ce que saint Augustin qui était d’un avis contraire, n’a pas pu expliquer ce texte sans le déformer misérablement.  Car, il dit que le sens de cette exception est que pèchent plus gravement ceux qui divorcent sans cause de fornication, mais que, cependant, sont coupables d’adultère ceux qui, pour cause de fornication, prennent une autre femme après avoir renvoyé la première.  On n’a qu’à bien regarder le texte pour se rendre compte que le Christ n’a pas dit cela.  De plus, les mots grecs parektos et eimè n’admettent pas cette contorsion de saint Augustin.  Comme on le voit dans 1 Rois 20 : «L’enfant ne savait pas cela., si ce n’est David et Jonathan.» 1 Rois 21 : .«Il n’y a pas d’autre glaive en plus de celui-là.»  Et 111 Rois 3 : «Personne n’était présent, si ce n’est nous deux.»  Et Actes 26 : «Je souhaiterais que tous fussent tels que je suis, à l’exception de ces chaînes..»  En effet, dans ces phrases, elle serait idiote l’interprétation selon le plus et le moins, alors que sont tout simplement exclues des exceptions, comme pour le nisi (si ce n’est) de saint Matthieu au paragraphe 19.»

Je réponds qu’on peut donner deux réponses à cette objection, selon ce que nous avons dit au chapitre précédent.  Car, les paroles de saint Matthieu (si ce n’est pour fornication) peuvent être entendues comme une exception ou une négation, comme nous l’avons dit plus haut.   Si nous les entendons comme une exception, il faut alors répondre que le Christ ne parle pas de la séparation qui inclut le lien, mais seulement celle qui ne se rapporte qu’à la cohabitation, quand il concède la séparation en cas de fornication.  «Mais les pharisiens l’ont interrogé sur la séparation qui porte sur le lien, c’est donc de cette séparation que le Seigneur parlait.»    Je concède que les pharisiens l’ont interrogé sur une séparation qui incluait le lien, mais je nie que la réponse du Seigneur portait sur elle. «Donc, dit l’adversaire, le Seigneur n’a pas donné une réponse qui satisfasse l’interlocuteur.»  Il faut nier cette conclusion.  Car, comme dans une séparation parfaite, qui inclut le lien, sont contenues la répudiation de l’un, et le pouvoir d’en prendre une autre, le Seigneur a séparé ces ceux choses.  Il en a concédé une, la séparation, avec la restriction de la fornication, et l’autre, il l’a enlevée.  Et voilà la raison pour laquelle il précisa ces deux choses : celui qui répudie,  et celui qui en prend une autre. Pour faire comprendre que la répudiation autorisée par la loi il l’approuvait en partie, et la désapprouvait en partie.

À l’argument en sens contraire, je réponds qu’il n’est pas concluant.  Car, si, comme nous l’avons dit au chapitre précédent, nous expliquons les paroles du Seigneur de cette façon : quiconque renverra son épouse, hormis pour fornication,  et en prend une autre, est adultère.  C’est-à-dire, est adultère en la renvoyant,  parce qu’il la rend adultère, et est adultère en prenant une autre, parce qu’il commet proprement un adultère.  Il est donc deux fois adultère.   Il faut alors inférer du sens contraire :  donc, celui qui renvoie son épouse à cause de  la fornication, et en prend une autre, n’est pas deux fois adultère, mais ne l’est qu’une seule fois.  C’est-à-dire qu’il n’est pas adultère en la répudiant, mais seulement en en prenant une autre.  Et, cela est très vrai.

Si nous prenons l’autre explication qui est telle : quiconque répudiera son épouse  hormis pour fornication, c’est-à-dire que cela n’est permis qu’en cas de fornication, et en prend une autre, il est adultère, on ne peut inférer du sens contraire que ceci : celui qui, à cause de la fornication, renvoie son épouse, et en prend une autre, ne pèche pas en la répudiant, mais n’est adultère qu’en en prenant une autre.   Et voilà pour la première réponse.

Si, comme saint Augustin, nous prenons le nisi (si ce n’est pour fornication) non au sens d’une exception, mais d’une négation, nous admettons alors que, comme le soutient Kemnitius, le Christ parle d’une séparation  qui va jusqu’au lien. Mais nous nions que cette séparation qui va jusqu’au lien soit permise en cas de fornication, parce que ce «sauf pour fornication» n’est pas une exception, mais une négation.  Car, le Seigneur nie que soit licite une telle séparation en dehors du cas de fornication, mais ne dit pas qu’elle soit licite en ce cas.      À  la première confirmation je réponds  que l’argument par le sens contraire ne conclut que si on entend correctement les contraires.  Car, quand nous disons négativement  que quiconque prend une autre femme après avoir renvoyé la sienne sans la cause de fornication, est adultère, on n’en infère pas correctement : donc, celui qui, à cause d’une fornication, renvoie sa femme et en prend une autre n’est  pas adultère, pace qu’il l’a renvoyée sans cette raison, mais parce qu’il en a pris une autre.  L’absence de cette cause ne la fait pas adultère, mais le fait adultère avec une injure envers la première épouse.  Et, en conséquence, celui qui, à cause de la fornication, prend une autre épouse après avoir renvoyé la première,  est adultère, mais moins gravement, parce que sans injure envers la première épouse.

Dans son livre 1 sur les mariages adultérins, chapitre 9, saint  Augustin  explique le chapitre 4 de l’épitre de saint Jacques, où se trouve le verset : «Pèche celui qui connait le bien, et ne le fait pas.»  Car, on ne doit pas inférer du sens contraire : ne pèche pas celui qui ignore le bien et ne le fait pas.  Car, il y  a aussi des péchés d’ignorance.  Mais on doit inférer ceci : donc, celui qui ignore le bien et ne le fait pas pèche moins que celui qui pèche en le sachant.  C’est comme si quelqu’un disait : quiconque vole, sauf en cas de pauvreté, pèche, on ne pourrait pas en inférer : donc, ne pèche pas celui qui vole pour raison de pauvreté.  Car, c’est uniquement en cas d’extrême nécessité qu’il serait permis de voler sans péché. Et cela ne s’appellerait même pas un vol.  

 À la seconde confirmation je réponds que Kemnitius est toujours semblable à lui, c’est-à-dire, fourbe et menteur.  Car, saint Augustin n’a jamais écrit  que le sens de cette exception (sauf en cas d’adultère) était que péchaient plus gravement ceux qui divorçaient sans cause de fornication.  Comme si la question posée était : parmi les divorces illicites, lequel est le plus grave ?  Or, saint Augustin n’a jamais rien écrit de tel.  Il a dit seulement que, dans l’évangile de saint Matthieu,  le Christ avait indiqué explicitement une espèce d’adultère, une très grave, en laissant de côté les autres, parce que c’est ce que requéraient le lieu et le temps de la dispute qu’il avait avec les  pharisiens, comme nous l’avons expliqué au chapitre précédent.

Et à l’objection qu’il nous fait sur des mots grecs, je réponds que parektos et ei mè ont souvent le sens d’une exception, comme les textes cités par Kemnitius le montrent.  Mais, ils peuvent aussi avoir un autre sens.   Comme dans l’Apocalypse 9 où nous lisons : « Et il leur a été prescrit de ne pas faire de tort à l’herbe de la terre, ni à aucune verdure, ni à aucun arbre, mais seulement aux hommes qui n’ont pas le signe de Dieu sur leurs fronts.»  Le mot grec ei mè et le mot latin nisi ne peuvent pas avoir ici le sens d’une exception, mais d’une négation, à moins qu’on veuille énumérer les hommes parmi les arbres.   Et dans le chapitre 21, où nous lisons : «N’entrera en lui rien de contaminé,  si ce n’est ceux qui sont inscrit dans le livre de vie.»  On ne peut pas, ici non plus, donner au mot grec et au mot le sens d’une exception, car le sens serait que quelques contaminés entreront dans le royaume des cieux.  

 Ensuite, même si dans le témoignage de saint Matthieu 19, le mot nisi s’entendait comme une exception,  ce pourra cependant être une exception négative.  Et cela suffit pour la sentence de saint Augustin.  Car, quand on dit : quiconque renvoie son épouse, hormis la cause de fornication, et en prend une autre est adultère, on peut faire une exception de la cause de la fornication ,  ou parce qu’on voit dans cette raison que ce n’est pas un adultère d’en épouser une autre, et ceci est l’exception affirmative,  ou bien parce que rien n’est déterminé au sujet de savoir si elle suffit , oui ou non, pour excuser l’adultère. Et c’est la négative, que saint Augustin a épousée à bon droit.  Pourquoi le Christ n’a rien déterminé alors sur cette question, nous l’avons expliqué au chapitre précédent.

La quatrième objection (pages 1259, 1260).  «Quand l’apôtre dit à 1 Corinthiens 7 : je commande, non pas moi, mais le Seigneur, à la femme de ne pas quitter son mari, et si elle le quitte, de demeurer sans se marier, ou de se réconcilier avec son époux, il veut dire que la femme doit demeurer sans se marier si elle quitte son mari pour une autre cause que la fornication, donc par sa propre faute.  Donc, si elle le quitte pour cause de fornication, elle peut donc se remarier.»  Il prouve l’antécédent d’abord  en disant que par cette parole (je lui commande de ne pas quitter) on entend l’exception en cas de fornication.   Donc, aussi, dans les mots suivants : (et si elle se sépare, qu’elle demeure sans se marier) on doit entendre la même exception.  Autrement, en quelques lignes, on trouvera une équivoque dans le mot quitter.    Ensuite, il le prouve avec le verbe réconcilier, qui ne s’applique proprement qu’aux coupables.  Car, celui qui a lésé doit se réconcilier avec celui qu’il a lésé. Il doit l’apaiser.  Voilà pourquoi saint Paul  parle de la femme qui quitte injustement sans cause légitime de divorce.  Troisièmement, un peu après , le même apôtre concède le droit de  se marier à celui qui a été abandonné par un infidèle.  Donc, il montre que la première phrase (ne pas quitter, ou si elle le quitte) ne doit pas être comprise sans exception.  Quatrièmement.  Saint Jean Chrysostome, Theophylactus,  Oecumenius et saint Ambroise, exceptent la cause de fornication, quand ils commentent ce passage.

Je réponds que j’ai suffisamment démontré au chapitre précédent qu’on ne peut expliquer saint Paul qu’en y voyant une séparation faite pour une juste cause., quand il dit : si elle l’a quitté.  Autrement, il militerait contre l’Évangile et contre lui s’il donnait au conjoint le choix ou de retourner ou de ne pas retourner à son conjoint, même s’il s’en était séparé injustement.   À la première preuve, je réponds qu’il n’y a pas d’équivoque dans les paroles de saint Paul, mais une éclipse, chose qui lui est familière.  Et en voici le sens : je lui ordonne de ne pas le quitter, c’est-à-dire, sans cause.  Et si elle l’a quitté, c’est-à-dire après en avoir trouvé une cause.   À sa deuxième réponse j’ai déjà répondu  que le mot réconcilier s’employait aussi bien pour celui qui avait lésé que pour celui qui avait été lésé.  Car, selon l’Écriture, nous nous réconcilions à Dieu, et Dieu se réconcilie à nous.  À la troisième, je réponds que l’argument n’est pas à propos.  Cat, quant saint Paul accorde le droit de se remarier à un fidèle abandonné par un infidèle, il parle d’un mariage contracté entre infidèles, sur lequel le Seigneur n’a rien prescrit.  Voilà pourquoi il ajoute : «aux autres je dis, non le Seigneur».   Or, quand il ordonne à la femme de ne pas s’éloigner de son mari, et de demeurer sans se remarier si elle s’en sépare, il parle d’un mariage contracté entre fidèles, que le Christ a déclaré insoluble.

Mais quelqu’un insistera. Si la fornication spirituelle, l’infidélité, rompt le lien du mariage, pourquoi la fornication corporelle ne le ferait-elle pas davantage ?  Quelques-uns répondent  que la fornication spirituelle est un plus grand péché que la corporelle, et qu’il ne s’ensuit donc pas que si le lien du mariage est rompu à cause d’un grand péché, il le sera aussi à cause d’un petit.  Mais, cette réponse n’est pas solide.   Car, même si la fornication spirituelle est un plus grand péché absolument, cependant la fornication charnelle répugne plus au mariage que la fornication spirituelle.  Et donc si la fornication spirituelle dissolvait le mariage, la corporelle le dissoudrait aussi.

La vraie solution est la suivante. Le lien du mariage n’est pas dissout absolument à cause d’une fornication spirituelle, car alors, il serait dissout aussi quand un des conjoints catholique deviendrait infidèle.  Mais, parmi les infidèles, le lien du mariage peut être dissout  quand l’un deux se convertit à la foi,  Car, ce mariage n’était pas un sacrement, comme nous l’avons vu plus haut.  À la quatrième, je réponds que ces pères n’ont pas mis d’exception dans la phrase : si elle l’a quitté.  C’est dans la phase je lui prescrits de ne pas le quitter, qu’ils ont mis une exception, comme nous le faisons nous-mêmes.  Et ces mêmes pères posent une inclusion  de la fornication plutôt que son exception (pour ainsi parler) dans la phrase : si elle l’a quitté.  Ce qui est manifestement contre les adversaires. Car, saint Jean Chrysostome et Theophylactus  enseignent qu’un divorce peut se faire pour un désir de continence, ou pour d’autres causes, mais quand les conjoints font cela, ils ne peuvent pas passer d’un mariage à l’autre.  Et parmi ces causes, qu’est-ce qui empêche d’énumérer la fornication comme l’une d’entre elles ?

Le commentaire de saint Ambroise ou de quiconque en fut l’auteur, dit (comme Kemnitius le cite) que l’apôtre parle de la femme qui s’éloigne de son mari à cause de son mauvais comportement.  Par mauvais comportement on ne peut penser à rien de mieux que si le mari incite sa femme au péché, ou n’observe pas la foi jurée, deux causes légitimes de divorce.   De ces causes, l’auteur nous dit qu’il en parlera plus tard.  Il affirme que la femme doit demeurer sans se marier après le divorce, parce qu’il ne lui est pas permis de se marier avec un autre, si elle s’est séparée de son mari pour cause de fornication ou d’apostasie.  Donc, les paroles alléguées par Kemnitius militent grandement contre lui, lui qui soutient que saint Paul parle de la femme qui s’est séparée de son mari sans juste cause.

La cinquième objection (page 1263) «Origène, (traité sur Matthieu 7) dit qu’un épiscope qui permet  à une femme un second mariage après un divorce pour cause d’adultère,  permet cela contre l’Écriture.   Cependant, au même endroit, il dit que ce n’est pas sans raison qu’il l’a permis. Et il compare cette permission avec  ce qu’on trouve  dans  1Corinthiens 7 : «Il est bon à l’homme de ne pas toucher à la femme,  Mais, cause de la fornication etc»  Il ne voit donc pas là la permission de commettre un crime mortel qui dévaste la conscience, mais qui procure la grâce.»  Je réponds qu’à son accoutumée, l’hérétique pervertit les textes des pères.   Car, quand, aux texte cité, Origène dit que ce n’est pas sans raison qu’ils l’ont permis, il veut dire qu’ils ont permis une chose mauvaise et illicite en choisissant, entre deux maux, le moindre mal.  Car, voici ce qu’il dit : «Ils ont permis des choses mauvaises en les comparant avec les pires.»  Il ne compare pas, non plus, cette permission avec celle de saint Paul (il est bon à l’homme etc) si ce n’est en ce que, dans les deux cas, une permission a été concédée à cause de l’infirmité humaine.  Car, si tous les chrétiens voulaient être parfaits, ils suivraient ce que l’apôtre appelle bien par excellence.  Cependant, comme tous ne comprennent pas cette parole, il concède les épouses.   Mais, cependant, Origène ne dit pas que cette permission de saint Paul est contre l’Écriture, ou qu’elle soit la permission d’une chose mauvaise, comme il parle de la permission d’un second mariage après le divorce.

Ce que Kemnitius ajoute d’après la sentence d’Origène, que ce second mariage n’est pas un crime létal, est faux.  Car, comment ne serait pas un crime létal ce qui, au témoignage même d’Origène, est contraire à l’Écriture (Romains 7) : «On l’appellera adultère, si, du vivant de son mari, elle vit avec un autre homme.».  Est-ce que, peut-être, l’adultère n’est pas un péché mortel ?  Mais, passons aux autres objections.

Sixième objection (page 1261) : «Le concile de Néocésarée, (canon 7) enjoint une pénitence à ceux qui contractent un autre mariage après le divorce, mais ne résilie pas le contrat de mariage.  Les anciens pensaient donc que ces secondes noces n’étaient pas condamnables, même s’ils conseillaient de ne pas les faire.»  Je réponds que ce concile ne parle pas des noces après le divorce, et, dans tout ce concile, il n’est aucune mention de divorce. Il parle plutôt des secondes noces qui sont contractées après la mort de la première épouse, qu’ils savaient être licites, et pour lesquelles, en tant que signe d’incontinence,  ils imposaient une certaine pénitence.  On le voit encore plus clairement dans le concile de Laodicée au septième canon.

La septième objection est au même endroit : «Dans son épitre à Océan, saint Jérôme raconte la pénitence publique de Fabiola, qui , après un divorce causé par la fornication, avait épousé un autre homme, du vivant de son mari. Et il ajoute : non parce qu’elle pensait avoir commis un péché mortel, et qu’elle n’avait suivi que les lois de Papiani, mais à cause de ces paroles de saint Paul : il vaut  mieux se marier que bruler.  Je veux que les jeunes veuves se marient.  La pénitence publique ne prouve pas non plus qu’elle avait commis un péché mortel, car, même à ceux qui retenaient une adultère sans divorcer étaient imposée une pénitence de deux ou trois ans.

Je réponds que saint Augustin  (livre 4, chapitre 8, contre Julien) a eu raison de dire que les hérétiques ont du front tout le tour de la tête.  Qui croirait qu’un homme puisse mentir ainsi impudemment, sans aucune retenue ?  Car, ces paroles de Kemnitius : ‘saint Jérôme  ajoute qu’elle ne pensait pas avoir commis un péché mortel,’  signifient que ce n’était pas un péché mortel selon l’opinion de saint Jérôme ou de Fabiola.  Si on parle de l’opinion de Fabiola, on parle pour rien, car qui se soucie de l’opinion de Fabiola.  Et on ne se demandera pas alors ce qu’en pense saint Jérôme.  Si on parle de l’opinion de saint Jérôme, comme il  le devrait, il ment, car, dans toute cette épitre, saint Jérôme n’a jamais dit que, par un second mariage du vivant de son mari, Fabiola n’avait pas péché mortellement. Et il ne pouvait pas écrire cela  à moins de se contredire.   Il ne dit pas non plus que Fabiola avait suivi la loi de Papien et de saint Paul.  Au contraire, il dit qu’elle a agi contre la loi de Papien, car c’est aux hommes que Papien lâchait les liens de la libido, non aux femmes.  Fabiola, de toute évidence, était une femme, et non un homme. «Les lois de César sont différentes de celles du Christ.  Papien prescrit autre chose que ce que prescrit saint Paul.»

Que pour excuser Fabiola, saint Jérôme cite les paroles de saint Paul (il vaut mieux se marier que brûler) et (je veux que les jeunes veuves se marient) c’est pour montrer qu’elle a péché  en partie par infirmité et en partie par ignorance.  Elle a pensé que ces paroles se rapportaient à son cas autant parce qu’elle ignorait la rigueur de l’évangile que parce qu’elle a succombé à l’ardeur de la concupiscence.  Mais, que, néanmoins, d’après le témoignage de saint Jérôme, et la conscience de Fabiola, elle ait commis un péché mortel, il est facile de le prouver.   D’abord,  parce que saint Jérôme écrit que ce qu’a fait Fabiola était contraire au précepte du Seigneur : .« Le Seigneur a prescrit à la femme de ne pas quitter son mari, sauf pour fornication.  Et que si elle le quittait  de ne pas se remarier, ou de se réconcilier avec son mari.  Il indique donc là qu’elle a agi contre la loi expresse de Dieu, et qu’elle a donc commis un péché mortel.

On le prouve aussi par les paroles mêmes de saint Jérôme : «Après avoir évité beaucoup de traits de l’ennemi, elle en reçut un , quand elle n’était pas sur ses gardes.»  Troisièmement, on le prouve par les paroles suivantes : «Pourquoi m’attarder à des choses anciennes  et abolies pour excuser une faute que la pénitence publique confesse ?»  Ce que fut cette pénitence, il le rapporte en ces mots : «À la vue de toute la ville de Rome, dans la basilique du Latran avant le jour de pâque, elle se tenait debout dans l’ordre des pénitents, les évêques, les prêtres et tout le peuple pleurant….  Elle n’entra pas dans l’église du Christ, mais elle se tint en dehors du camp, séparée comme Marie, la sœur de Moïse, afin d’être rappelée par le prêtre qui l’avait renvoyée..»   Qui a jamais entendu dire qu’une pénitence publique ait déjà été  commandée ou imposée dans l’Église pour un simple péché véniel ?  Quel évêque a jamais expulsé de l’église un chrétien  à cause d’un péché véniel, comme a été expulsée Fabiola, d’après le récit de saint Jérôme ?

Ensuite, le canon que cite Kemnitius qui impose une pénitence de deux ou trois ans à qui retient une adultère doit s’entendre de celui qui a consenti à l’adultère de son épouse, comme l’expliquent les docteurs, car ce n’est pas un si grand crime comme chacun le sait.  Car, saint Augustin (livre 2 sur les mariages adultérins)  enseigne qu’on peut tolérer une adultère, et la retenir dans l’espoir qu’elle s’amende.

La huitième objection est la page 1265 : «Ambroise, dans son commentaire du chapitre 7 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, remarque que l’apôtre n’a pas prescrit à l’homme de demeurer sans se remarier ou de se réconcilier avec son épouse, au cas ou l’aurait renvoyée.  Il en déduit que c’est à la femme seulement qu’est prohibé un second mariage après un divorce, non à l’homme.    Je réponds que Gratien  (32, question 7) et Pierre Lombard (livre 4 des sentences, dist 35),  soutiennent que ces paroles ont été insérées dans son commentaire par un faussaire.  D’autres répondent que cet auteur parle de la loi civile des César, car c’est par les lois des César qu’il est permis aux hommes et non aux femmes de se remarier après avoir répudié le premier conjoint.  Et, pour ne pas offenser César, saint Paul n’a pas voulu dire explicitement que l’homme devait rester tel qu’il était ou chercher de se réconcilier s’il répudiait sa femme.

Si ces explications paraissent peu convaincantes, la réponse est vite trouvée : l’auteur de ces commentaires n’est pas saint Ambroise, comme ne l’ignorent pas les érudits, ni aucun des pères célèbres.   De toute façon, sa seule opinion particulière ne peut pas porter préjudice à toutes les autres.  Surtout parce que son enseignement sur le droit inégal  des époux est en opposition avec l’enseignement de saint Ambroise, comme on peut le voir dans son livre 1 sur Abraham, chapitre 4.     L’argument que cet auteur tire de saint Paul ne conclut pas non plus.  Car, quand saint Paul écrit : et que l’homme ne renvoie pas son épouse, il veut dire sans doute qu’il ne doit pas renvoyer son épouse de la même façon que la femme ne doit pas renvoyer son mari.

La neuvième objection est à la même page : «Pollentius ne contredit pas Augustin, mais il l’a consulté sur une question obscure, et sur des textes difficiles de l’Écriture, comme on peut le comprendre par le début des deux livres.»    Il n’y a pas de quoi s’étonner que saint Augustin n’ait pas appelé Pollentius hérétique, ni n’ait combattu vigoureusement contre lui, car ne sont pas hérétiques ceux qui ne font qu’errer dans la doctrine, mais ceux qui ajoutent l’entêtement à l’ignorance, ce qu’on ne lit pas que Pollentius ait fait.  Voilà   pourquoi le même saint Augustin (dans sa troisième épitre à Volusien) ne fait pas de reproches à Volusien, mais l’instruit en l’avertissant gentiment, même si les questions qu’il lui pose sont clairement d’un impie, comme : est-ce que Dieu se réduira aux limites d’un petit corps en abandonnant le soin du monde ? Est-ce que la mère du Christ a toujours été vierge, ou est-il crédible qu’il soit Dieu celui qui s’est enfermé pendant neuf mois dans le sein d’une femme ?   Ajoutons qu’au temps de saint Augustin, ce dogme n’avait pas encore été défini par un concile général, et qu’on pouvait donc plus facilement excuser ceux qui erraient sur ce point.        Voilà pourquoi le même saint Augustin (dans son livre sur la foi et les mœurs, chapitre 19) dit que pèchent véniellement ceux qui, à cause de l’obscurité de l’Écriture, estiment que n’est pas adultère celui qui en marie une autre après avoir renvoyé la première.

La dixième objection à la page à la page 1266 : «Le concile de Milet, au canon 17,  interdit un nouveau mariage après un divorce, mais il ne nie pas ouvertement que ce soit licite, pour la partie innocente,  un nouveau mariage après un avortement.  Et il ajoute que le concile va demander à l’empereur une loi sur ce sujet. Nous en concluons donc qu’à cette époque il n’y avait aucune loi qui rendait invalide ce genre de mariage.»  Je réponds que les canons du concile de Milet ont été composés et édités par saint Augustin.  Voilà pourquoi, comme saint Augustin a pris plusieurs livres entiers pour explique qu’en aucun cas un nouveau mariage pouvait se faire, du vivant du conjoint,  en cas de divorce causé par un adultère, on ne peut avoir aucun doute sur le sens réel de ce canon.  De plus, du seul fait que ce canon ne souffre aucune exception, il doit être vu comme une règle générale.   Quant à loi impériale, les pères la désiraient non pour que soit déclaré illicite un nouveau mariage après un divorce, du vivant du conjoint, car, les pères affirment que cela a été statué par le Christ et saint Paul. Mais pour que soient punis sévèrement, même pas le pouvoir public, ceux qui admettraient ce crime.

La onzième objection se trouve à la même page : «Dans son épitre 85 ou 87 aux évêques d’Afrique, saint Léon rejette de son ordre un prêtre qui avait épousé une autre femme  après avoir rejeté la sienne, mais il n’invalide pas le mariage, ni ne l’expulse de la communauté de l’Église.»    Je réponds que saint Léon parle d’un prêtre qui a pris femme après son ordination sacerdotale. Car, avant l’hérésie luthérienne, il n’est jamais arrivé que quelqu’un qui s’est remarié après avoir répudié sa première femme ait été promu au sacerdoce.  Ce prêtre, saint Léon le rejette de son ordre.  Il ne dit rien ensuite sur le mariage à savoir s’il est ratifié ou non, car on ne lui avait posé de questions que sur son ordination : pouvait-on promouvoir au sacerdoce un tel homme ? Car,  il ajoute qu’il faut que demeurent saufs les décrets de ses prédécesseurs.  Or, parmi ceux-là se trouve un décret d’Innocent 1 (épitre 3)  qui déclare adultères ceux qui se remarient après avoir renvoyé leur femme, même pour cause d’adultère.

La douzième objection (pages 1266 et 1267) : «Dans le décret de Gratien (32, question 7), on se réfère à quatre canons (quod proposuisti,  quaedam, quod concubuisti, si quis eum).  Ces canons concèdent un autre mariage après le divorce.  Et deux de ces canons sont tirés de conciles, et les deux autres,  des épitres des papes Zacharie et Grégoire.»   Je réponds que le premier canon est tiré de l’épitre de Grégoire 3 à Boniface.  Nous lisons que Grégoire a concédé un remariage à un mari dont la femme était gravement malade.  Mais  ce  canon, les docteurs l’interprètent comme parlant d’une maladie qui rend une femme inapte au mariage, et qui est donc un empêchement dirimant à un contrat de mariage.    Le deuxième canon est tiré d’un certain concile dont on n’a même pas conservé le nom, et qu’on peut donc facilement ignorer.  Mais les docteurs y voient un mariage contracté après la mort du premier conjoint.  Voici les paroles du canon : «Une femme avait couché avec le frère de son mari.  Il fut décrété que jamais des adultères ne s’uniraient en mariage.  Mais ils nièrent qu’ait  été licite ce mariage.»

Je réponds que le sens de ce canon se découvre par un canon semblable  que l’on trouve un peu après dans la même question, et qui commence par : ceux-ci.   On y statue, là, qu’après la mort d’une épouse adultère, son mari peut prendre qui il voudra; et que la femme adultère ne pourra pas se remarier, même après la mort de son époux.  Ce qu’il faut entendre d’une adultère qui a péché avec un parent, et qui donc, en plus d’être adultère , est aussi incestueuse.  Car, autrement, un simple adultère n’interdirait pas un remariage après la mort du conjoint.     Le troisième canon est de Zacharie, où on lit : celui qui a couché avec la sœur de son épouse, ne pourra avoir ni l’une ni l’autre.   Cependant, son épouse peut se marier avec qui elle voudra.  Et le concile de Triburensis, parle de la même façon.  Mais tous ces canons parlent du mariage qui est concédé  à la partie innocente après la mort du conjoint.  Voilà donc dissoutes les objections de Kemnitius.

La treizième est celle de Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du mariage) : «Dieu a permis le divorce pour cause de fornication (Matthieu 5), et il ne force personne à être célibataire, quand il dit : que celui qui comprend comprenne.(Matth 19). Il permet donc de prendre une autre forme après un divorce.»  Et il le confirme avec ce texte de saint Paul : il vaut mieux se marier que bruler (1 Corinthiens 7)»   Je réponds que le Christ ne force personne à être célibataire, car il voulu que le célibat fasse partie  des conseils, et non des préceptes.  Cependant il oblige les hommes à s’en tenir à leurs promesses, et, en conséquence, il lui arrive souvent de forcer quelqu’un â être célibataire.  Car, celui qui voue la continence est forcé de respecter ses vœux, et c’est ainsi qu’on peut dire qu’il est forcé d’être célibataire.  Comme celui qui prend femme, qui promet de ne pas vivre avec une autre du vivant de cette première femme.  Car, c’est ce que requiert le lien du mariage, qui est tout à fait insoluble.  Et c’est pour cela que s’il pratique continence envers sa femme, il est forcé d’être célibataire.

La quatorzième objection est celle du Bucer (dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu) : «Il était permis aux Hébreux, à cause de la dureté de leurs cœurs, de répudier leurs épouses, et  d’en prendre d’autres.   La même chose doit donc être permise aux chrétiens quand la dureté du cœur se trouve en eux, comme quand ils ne peuvent plus vivre paisiblement ensemble.»  Il prouve ainsi la conséquence.   «Premièrement.   Si la cause de la loi demeure, il est juste que la loi demeure aussi.  Deuxièmement.    Le Christ, fils de Dieu n’a rien condamné de ce que son Père avait prescrit.  Or, le Père céleste a ordonné aux durs de cœur de répudier leurs épouses et d’en prendre d’autres.  Troisièmement.    Les noces sont tellement nécessaires que si un homme ou une femme est sans conjoint, il faut lui en accorder un.  Car, Dieu n’a pas créé l’être humain homme et femme pour qu’ils vivent séparément.  Mais il a dit : «Il n’est pas bon à l’homme d’être seul» (Genèse 2) et saint Paul : «Que chacun ait son épouse.»  Donc, si on peut obtenir que les époux ne se séparent pas, ou qu’après la séparation, ils se réconcilient, c’est ce qu’il faut désirer et se procurer.  Mais si la dureté du cœur y fait obstacle, la parole de Dieu ne pourra pas être abolie : chacun la sienne, et chacune le sien.»

Je réponds que la question que se posent les docteurs est la suivante : est-ce que cette concession (de répudier leurs femmes et de se remarier) était accordée aux Juifs en tant que quelque chose de licite, ou en tant que moindre mal.  La sentence la plus commune est celle du maitre des sentences (dist 33, livre 4), de saint Bonaventure, de Richard, et Dominique a Soto.  Elle soutient que la chose fut toujours illicite, mais qu’elle fut permise pour éviter un plus grand mal.  Car, au Deutéronome 24 l’Écriture atteste que si une femme répudiée épouse un autre homme,  elle devient polluée et abominable devant Dieu.  Ce qui nous fait comprendre que ce second mariage n’était permis à personne, et que cette union n’était pas tant un mariage qu’un adultère.  Et, Jérémie 3, nous lisons : «On dit communément que si un homme renvoie son épouse, et que si cette femme renvoyée prend un autre époux, retournera-t-elle jamais à lui ?  Cette femme-là n’est-elle pas polluée et contaminée ?  Et toi, tu as forniqué avec beaucoup d’amants.  Reviens quand même à moi, dit le Seigneur.»

Et si cette opinion était vraie, l’argument de Bucer serait facilement dissout.  Car, si pour les Juifs, nonobstant la permission de répudiation,  c’était un péché de se remarier après la répudiation, à combien plus forte raison ce le sera pour des chrétiens.

Mais quelqu’un voudra  peut-être embrasser l’opinion contraire qui, pour dire la vérité, m’a toujours semblé la plus probable.  Premièrement.   Si le lien du mariage n’avait pas été dissout par le libelle de répudiation, cette permission aurait été non seulement inégale, mais aussi injuste.  Car, il était permis aux hommes de prendre d’autres femmes, puisque, à cette époque la polygamie d’un homme et de plusieurs femmes était licite.  Tandis que les femmes, qui sont plus faibles, auraient été forcées de se contenir perpétuellement, parfois sans faute de leur part.  Car, il n’était pas permis aux femmes d’avoir simultanément plusieurs maris.  Elles auraient donc du être adultères ou continentes perpétuelles.  Or, qui peut croire que, dans l’ancienne loi, les femmes aient été contraintes de supporter perpétuellement un célibat qui était alors inusité ?  Deuxièmement.  Parce que l’ancienne loi ne punissait pas les noces des répudiées avec d’autres hommes, comme on le voit dans Deutéronome 24.  Donc, si ces noces étaient adultères, la loi tolérait des adultères publics et continus.  Or qui se persuadera facilement que la loi qui faisait lapider une femme qui n’avait été prise qu’une fois en adultère, aurait toléré tant d’adultères commis publiquement par plusieurs, et  cela, pendant toute une vie.

Troisièmement. La loi interdisait à la femme répudiée de retourner à son premier mari après la mort de son second.  Et elle le prohibait de façon à faire comprendre qu’on commettait un péché grave. (24 Deutéronome).  Or, si le lien du mariage n’était pas dissout par la répudiation, il n’y aurait ni péché ni interdiction.  Au contraire, on aurait considéré que c’était une chose bonne et souhaitable que la femme répudiée retourne à son vrai mari.  Quatrièmement.   Il y aurait de quoi s’étonner que ni Moïse ni les prophètes, qui avaient réprouvé les autres vices du peuple, n’aient pas eu un mot à dire contre ces adultères qui se commettaient avec des répudiées.   Cinquièmement. Lévitique  221.  Il n’est pas interdit au prêtre d’épouser une veuve, une répudiée ou une prostituée. La seule qu’il ne peut pas épouser c’est une vierge.  On en conclut donc qu’il était permis aux autres (les non prêtres) d’épouser une répudiée, comme il était permis d’épouser une veuve ou une prostituée.  Sixièmement.  Sur le commandement de Dieu, Abraham répudia Agar qu’il avait prise comme épouse.  Et il n’est pas probable qu’elle ait été forcée de demeurer célibataire toute sa vie.  Donc, comme Dieu, avec Abraham, dispensa  du lien du mariage en raison d’un mystère, pourquoi Dieu n’a-t-il pas pu en dispenser avec son peuple, à cause de son infirmité ?

Septièmement.  Exode 21.  La loi divine établit que si un maître donne une épouse à un serviteur, et qu’elle a des enfants, le serviteur sortira libre la septième année,  et sa femme et ses enfants seront la propriété du maître.  C’est ainsi que cet homme était privé de son épouse et de ses enfants.  Si le lien du mariage n’était pas dissout, cette femme était contrainte, sans faute de sa part,  de pratiquer la continence tout le reste  de sa vie.  Comme cela est fort improbable,  il semble qu’on doive dire qu’en ces temps là, Dieu dispensai facilement du lien du mariage, comme il l’avait d’ailleurs fait pour la polygamie.

L’argument de la première opinion ne convainc pas non plus.  Car nous lisons dans le Deutéronome, au chapitre 24, tant  dans le texte hébreux que dans le texte grec : parce que c’est une abomination devant Dieu.  Tel est le sens des mots :  la répudiée ne doit pas retourner à son premier mari quand elle a été polluée par l’autre, c’est-à-dire, quand elle a connu l’autre, parce que c’est une abomination devant Dieu qu’une femme change tant de fois de maris; et qu’elle retourne au premier après s’être familiarisée avec un autre.  Mais, selon l’édition latine qui a, au sujet de la femme : «et elle est devenue abominable devant le Seigneur,» le sens est : parce que son mari l’a jugée publiquement, et donc devant Dieu, polluée et abominable, il n’est pas juste qu’il la prenne de nouveau, même s’il désirerait le faire.

Le texte allégué de Jérémie ne conclut pas non plus.  Car, si l’homme ne reçoit pas une répudiée quand elle se marie avec un autre, combien plus devrais-je, moi, ne pas te recevoir qui ne t’es pas marié à un autre, mais qui a forniqué avec beaucoup d’amants ?  Si on admettait la sentence que défendent saint Thomas, Scot, Durant et Paludanus, (4 dist 33), Abulensis  (dans Matthieu chapitre 19, questions 49 et 50),  Eck (homélie 74 sur les sacrements), et Pierre a Soto (leçon 13 sur le mariage), il faudra nier la conclusion de l’argument de Bucer.   Car, le Seigneur a révoqué clairement la concession faite aux Juifs, quand il a dit (dans saint Matthieu 19) : «Celui qui prend une renvoyée est un adultère.»  Et (au même endroit) : «Au commencement, il n’en était pas ainsi.»  Et : «Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas.»  Et en Marc 10 : «Celui qui renverra son épouse et en épousera une autre commet une faute sur son épouse.   Et si l’épouse se remarie après avoir renvoyé son mari, elle est adultère.»

Mais, répond Bucer : il faut attribuer toutes choses à ceux qui répudient ou prennent une répudiée en fraudant la première épouse.  Car, il veut qu’one ne puisse pas contracter un nouveau mariage avant d’avoir, après le divorce, tenté une réconciliation.  Et quelqu’un qui prend une autre  femme après avoir répudié la sienne, ou qui prend une femme répudiée par un autre  avant d’avoir essayé s’il pouvait cohabiter paisiblement avec la première, c’est celui-là qui contracte un autre mariage en fraudant la première épouse; et qui, selon la sentence du Seigneur, devient adultère.  Mais, si l’autre conjoint est dur de cœur , au point de ne vouloir, en aucune façon, cohabiter pacifiquement avec le conjoint,  il dit que le Christ n’a rien prescrit  à son sujet.

Or, s’il en était ainsi, le Seigneur ne différerait en rien des pharisiens.  Car, les pharisiens ne voulaient pas, eux non plus, que les mariages soient dissouts quand les conjoints cohabitaient pacifiquement, mais seulement quand l’un des deux ne voulait pas cohabiter pacifiquement avec l’autre.  Et la loi de Moïse n’accordait le divorce qu’à cause de la dureté du cœur.  Or, si l’enseignement du Seigneur concordait si bien avec celui des pharisiens, que signifient ces paroles : «Il a été dit aux anciens…Et moi je vous dis.»   IL ne faut donc pas douter que le Seigneur a complètement répudié  cette répudiation qui avait été permise et autorisée par la loi;  et qu’il a ramené l’humanité à l’origine du premier mariage. 

 Je réponds à la première preuve, que cette cause n’a pas duré universellement.  Et que si elle avait duré, elle n’aurait pas pu être tolérée.  Car la grâce du nouveau testament est beaucoup plus grande que celle de l’ancien, si tu considères la connaissance, le sacrement ou les exemples.  Bien plus, c’est le propre du nouveau testament d’enlever le cœur de pierre, et d’en donner un neuf (Jérémie 31, et Ézéchiel 36).  Car, dans le nouveau testament, on ne juge pas difficile non seulement d’être uni indissolublement à un seul conjoint, mais même de ne pas toucher à la femme, et de pratiquer le célibat jusqu’à la fin de sa vie.

De plus, le  mariage du nouveau testament est un sacrement, et procure une grâce particulière, qui fait supporter facilement les défauts du conjoint.  Cette grâce sacramentelle, les Hébreux de l’ancien testament ne l’avaient pas. Voilà pourquoi plusieurs choses pouvaient être tolérées chez les Juifs qui ne sont pas tolérées chez les chrétiens, dont la profession requiert une plus grande perfection, et qui fournit les aides nécessaires pour l’acquérir et la conserver. Ensuite, même si nous n’avions rien à répondre aux objections qui nous sont faites, il ne serait pas permis de changer ou de pervertit l’évangile du Christ à cause de ceux qui sont durs de cœur.  Car,  comme nous en avertit avec raison saint Augustin, (au livre 2, chapitre 10 du livre sur les mariages adultérins) : «La loi du Christ déplait à tous les incontinents.  Mais ce n’est pas une raison pour la changer.»

 À la deuxième preuve, je concède que le Christ n’a jamais condamné ce que le Père avait prescrit.  On appelle condamner rejeter quelque chose comme ayant été fait injustement ou imprudemment.  Le Christ n’a jamais dit que les choses qui avaient été prescrites par son père ne l’avaient pas été correctement.  Au contraire, il dit en saint Matthieu  5 : «Je ne suis pas venu pour abolir la loi, mais pour  l’accomplir.  Et : pas un iota ne disparaitra pas de la loi avant que tout ne  soit accompli.»

Néanmoins, le Christ a changé plusieurs préceptes de Dieu qui avaient été donnés pour un temps, et qui ne convenaient qu’a statut de la synagogue.  Et celui qui ignore cela ou le nie  n’est pas un chrétien.  Car, où est maintenant dans le peuple de Dieu la circoncision ? Où le sabbat, où les sacrifices des animaux ?  Où les autres rites innombrables que Dieu avait prescrits par l’intermédiaire de Moïse ? Il n’y a pas à s’étonner qu’il en ait été ainsi avec le libelle de répudiation,  et que le Christ ait voulu le dissoudre.

À la troisième preuve,  qui convient plus à Épicure, ou à des chevaux et à des chiens qu’à des hommes, et surtout à des chrétiens,  je réponds qu’il n’est pas nécessaire que partout chaque homme ait une femme, et chaque femme un homme.  Car, autrement, les paroles de saint Paul seraient fausses : «Il est bon à l’homme de ne pas toucher à la femme.» Et : «Celui qui est libéré de son épouse, qu’il ne cherche pas une épouse.»  Et : Celui qui marie sa fille fait bien; celui qui ne la marie pas fait mieux.»(1 Corinthiens 7).   Saint Jean-Baptiste et Jésus n’auraient pas bien agi , eux qui ont vécu sans épouse. 

De plus, Dieu a voulu que l’être humain soit un homme ou une femme pour propager l’espèce, non pour forcer tout le monde à vivre avec un conjoint.  Et le : il n’est pas bon à l’homme d’être seul, signifie qu’il n’aurait pas été bon pour le genre humain qu’il n’y eut que des hommes, mais que les femmes étaient nécessaires pour la procréation.  Cela ne signifie pas qu’il n’est qu’il n’est pas permis ou qu’il n’est pas préférable que l’homme vive seul, car autrement la parole de Dieu se contredirait.   Car, l’Écriture qui a dit : il n’est pas bon à l’homme d’être seul, a dit aussi : il est bon à l’homme de ne pas toucher à la femme.

Ensuite, ce texte de saint Paul : à chacun la sienne, s’applique aux gens mariés : est-tu lié à une épouse, ne cherche pas de séparation.  Ou s’ils parlent de ceux qui ont à se marier, il ne le dit qu’à ceux qui sont libres, et qui craignent le péril de fornication.  Car, autrement, à une femme liée à son mari par le lien du mariage, qui se sépare de lui par le divorce, on ne dit pas : à chacune le sien, mais : demeure sans te remarier, ou réconcilie-toi à ton époux.  Et à une femme  qui est liée à Dieu par le vœu de continence, et qui veut se marier, on ne dit pas : à chacune le sien, mais : elle est condamnée, parce qu’elle a trahi la foi jurée. (1 Timothée V).    Enfin, à une qui est libérée et qui , espérant  en Dieu,  ne craint pas le péril de fornication, on ne dit pas : à chacune le sien, mais : «Elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi.» (1 Corinthiens 7.  En voilà assez pour la fermeté du mariage.

                                         CONTROVERSE 5

                         LES EMPÊCHEMENTS DU MARIAGE

                                             CHAPITRE 18

Il y a deux genres d’empêchements. Il y en a qui empêchent de contracter un contrat, mais ne l’invalident pas;  et d’autres qui empêchent de contracter un contrat et qui l’invalident.  On dit qu’ils empêchent  mais n’invalident pas ceux qui ne s’opposent ni à l’essence du mariage, ni à sa solennité,  ou à un ornement accidentel quelconque.  Voilà pourquoi ceux qui contractent un mariage avec ces empêchements pèchent, mais leur  mariage est ferme et ratifié    On dit qu’ils empêchent et invalident ceux qui sont contraires à l’essence du mariage, de façon à ce que, nécessairement, quelque chose d’essentiel au mariage fasse défaut, et que ne soit pas un vrai mariage celui qui a été contracté avec cet empêchement.  Voilà pourquoi on ne dit pas que ces empêchements annulent un mariage, mais déclarent nul un mariage contracté de fait, mais non de droit.  Les empêchements de ce genre sont au nombre de douze, et sont contenus dans ces vers latins : l’erreur, la condition, le vœu, la connaissance, le crime, la disparité de culte, la violence, un ordre ecclésiastique, un lien, l’honnêteté.   Si tu es apparenté, si tu es incapable de coït,   Toutes ces choses ensemble interdisent les mariages, et les résilient quand ils sont faits.

Pour s’en faire une meilleure compréhension, il faut savoir que tous ces empêchements se ramènent au consentement des époux, ou aux personnes contractantes.  Car, comme il y a trois choses qui sont nécessaires à un sacrement, la matière, la forme et l’intention du ministre, dans ce sacrement, les personnes légitimes sont la matière, comme nous l’avons dit plus haut.  Et la forme et l’intention dépendent toutes deux du consentement.  Car, le consentement est la cause efficace du mariage, et les signes qui expriment le consentement sont la forme. Donc, si le consentement est présent, les vrais signes le sont aussi.  Et si le consentement n’y est pas, les signes seront faux.  Et, semblablement, s’il y a un consentement, il y aura aussi une intention.  Car, au sacrement du mariage, rien d’autre n’est requis essentiellement qu’un consentement exprimé par des signes entre personnes légitimes.  Donc, du consentement, on peut déjà tirer deux empêchements généraux : l’ignorance et la coercition.  Car, ces deux choses le rendent involontaire.  À l’ignorance appartient l’erreur sur la personne, qui est le premier empêchement, c’est-à-dire quand quelqu’un s’unit à une personne en pensant s’unir à une autre.  De même, la condition sociale de la personne, qui est le second empêchement, c’est-à-dire quand quelqu’un marie une servante ou une esclave en la pensant une grande dame ou une femme libre.

À cela aussi appartient l’incapacité d’user du libre arbitre.  Car, ni les enfants, ni les fous, ne peuvent contracter un mariage, puisqu’ils ne peuvent pas faire un choix réfléchi.   Cet empêchement n’est pas énuméré parmi les douze, mais se rattache à l’erreur.  À la coercition appartiennent la violence ou la crainte, ce qui est le septième empêchement.   Et c’est des personnes contractantes qu’on tire les autres,  dont certains rendent une personne complètement inapte à tout contrat, et donc au mariage.  Il y en a d’autres qui rendent inaptes seulement à un certain mariage contracté avec certaine personne, mais non absolument.  Parmi ceux qui rendent quelqu’un inapte en toute circonstance  les uns sont naturels, d’autres volontaires.   Un empêchement naturel est la frigidité, et l’incapacité perpétuelle de faire le  coït, qu’elle soit innée ou qu’elle vienne d’une maladie ou d’un maléfice.  Et c’est le douzième empêchement.  Les empêchements volontaires sont les suivants : un vœu solennel de continence, un ordre sacré, le lien avec un autre mariage, qui sont les empêchements trois, huit et quatre.  Car étant  liés par le vœu monastique , par les ordres sacrés ou les liens du mariage, ils ne peuvent plus recevoir un nouveau lien de mariage.

Ceux qui rendent inaptes à un certain mariage, et non à tous les mariages en général, sont de trois sortes, le crime, une trop grande union, une trop grande désunion.  Le crime est le cinquième empêchement.  Et, par crime, on entend un adultère joint à un homicide fait en vue d’un mariage futur.  Celui qui a commis un adultère avec une femme dont il a tué le mari, ne peut jamais la prendre pour épouse, comme on l’expliquera plus bas.  Cet empêchement invalide certain mariage, mais pas tous les mariages.  Une trop grande désunion s’appelle une disparité de culte, et c’est le sixième empêchement, car un fidèle ne peut pas contracter un mariage avec un infidèle.  La trop grande union est la parenté, à laquelle trois empêchements se rapportent.   La parenté naturelle, qu’on appelle consanguinité, et  elle est le quatrième empêchement.  Et c’est à elle que se ramènent la parenté spirituelle, celle, par exemple qu’il y a entre le baptisant et la baptisé, le confirmant et le confirmé, et la parenté légale, qui se fait par l’adoption.   C’est à elle aussi qu’appartient l’affinité,  qui est acquise par la copule charnelle, qui est le onzième empêchement.  Et, enfin, l’honnêteté publique, qui est une affinité qui nait des  fiançailles, et est le dixième empêchement.

Les empêchements qui empêchent le mariage  mais ne l’invalident pas, sont au nombre de deux. une défense de l’église, un temps férié.  Par une interdiction de l’église, on entend l’interdiction que les mariages se fassent clandestinement, puisqu’ils doivent être célébrés  publiquement, devant l’église, et en présence de plusieurs témoins.  Par temps fériés, on entend certains temps sacrés, comme l’avent et le carême, pendant lesquels l’Église interdit de célébrer des mariages.   Mais, après le concile de Trente, le premier de ces empêchements ne fait pas seulement empêcher de contracter un mariage, mais il l’invalide.  Il faudra donc renvoyer cet empêchement au crime, ou en faire l’empêchement treize.

Il y a, en plus de ceux-là, quelques empêchements non dirimants,  comme le vœu de continence simple, les fiançailles, l’instruction d’un catéchumène par l’explication du catéchisme, et les crimes sexuels : l’inceste, le viol d’une autre épouse, une union sacrilège avec une moniale, le meurtre de l’épouse, l’homicide d’un prêtre, et le baptême de son propre fils.  Mais ces empêchements ne forment pas une classe à part, car  ils sont réduits au neuf dirimants, et on a coutume de les expliquer avec les autres.   Car les crimes sexuels sont ramenés au crime, le catéchisme à la connaissance spirituelle, le vœu simple au vœu solennel, et les fiançailles au lien.

Les adversaires admettent trois empêchements, ceux qui se rapportent au consentement : l’ erreur, la condition sociale, la violence ou la coercition.  Comme on le voit chez les autres hérétiques, et chez Philippe (les lieux,  le mariage).  Mais, ils ajoutent de leur cru un autre empêchement : l’absence de consentement des parents.  La première sera donc la suivante : le consentement des parents est-il requis si nécessairement au mariage des enfants que, sans lui, le mariage est invalide ?  Parmi les empêchements qui proviennent de la personne, ils en admettent deux, l’impotence et le lien.  Ils en admettent deux autres partiellement : la consanguinité et l’affinité. Car  ils les admettent selon les degrés qui sont prohibés dans le Lévitique.  Ce que d’autres rejettent.

Ils condamnent tout simplement les autres.  Voici ce que dit Luther dans son sermon sur le mariage : « Le pape admet une vingtaine de causes, dans son droit canonique, avec lesquelles il annule ou empêche des mariages.  Je les rejette et condamne presque toutes.»  Avec les hérétiques de notre temps, il n’y aura que sept questions.

                                          CHAPITRE 19

Le consentement des parents n’est pas requis à l’essence du mariage

La première question est donc : le consentement des parents est-il requis  à l’essence du mariage ?  Car, les adversaires soutiennent que, sans le consentement des parents, le mariage n’est pas ratifié.  Mais, comme ils ne sont pas tous d’accord entre eux, je rapporterai brièvement leurs sentences respectives.  Il semble que Érasme ait été le premier a révoqué la chose en doute.  Car, dans son colloque sur  le mariage où dialoguaient Eubulus et Carherine, il parle ainsi : «Quelques-uns disent qu’est valide un mariage de jeunes gens qui se fait sans la connaissance et contre la volonté des parents.  Mais, ce dogme, ni le sentiment naturel ne l’approuve, ni les anciennes lois, ni Moïse, ni la doctrine évangélique et apostolique.»

Martin Luther (dans son sermon sur le mariage) parle en faisant des distinctions.  Les enfants provenant de ce genre de mariage sont-ils déjà nés ou ne le sont-ils pas ?  S’ils sont nés, le mariage est ferme.  S’ils ne sont pas encore nés, il sera au pouvoir des parents de confirmer ou d’annuler ce mariage.  Philippe enseigne la même chose dans ses lieux, le mariage).  Bucer, au chapitre 19 de Matthieu, dit qu’il espère qu’on remette en usage les lois qui considéraient invalide un mariage contracte sans l’autorisation du père ou du grand-père.  Jean Brentius, dit, en expliquant le quatrième précepte, qu’un mariage célébré sans l’autorisation des parents doit être référer à un magistrat qui le confirmera ou l’annulera.  Car, même si la règle générale veut que les enfants ne se marient qu’avec l’autorisation de leurs parents, il y a des cas particuliers qui rendent possible aux enfants d’agir sans eux.  Martin Kemnitius est du même avis (part 2 du concile de Trente, page 1273 et suivantes), tout en confondant sans juste raison le mariage sans l’autorisation des parents avec les mariages clandestins.  Car, un mariage clandestin peut se faire avec l’autorisation des parents, et un mariage sans l’autorisation des parents peut être public, et se faire même dans l’église.

Jean Calvin (livre 4, chapitre 19, dernier verset), énumérant les lois impies et iniques des pontifes romains, dit : «Elles sont de telle nature que des mariages d’adolescents sans le consentement de leurs parents, sont fermes et valides.»

Les docteurs catholiques ne doutent pas que les mariages sans le consentement des parents soient valides.   Voilà pourquoi ils n’ont jamais énuméré parmi les empêchements le consentement des parents.  Et récemment, le concile de Trente (session 24 sur le décret des mariages clandestins), a statué ceci : «Le saint synode anathématise ceux qui affirment faussement que les mariages de jeunes gens contractés sans l’autorisation des parents sont invalides, et que les parents peuvent les rendent valides ou nuls.»  Mais, pour expliquer cette question plus rapidement et plus facilement, voici quelques propositions.

La première proposition.  Un mariage entre adolescents ne peut pas être célébré par le seul consentement des parents.  Un père ne peut donc pas forcer son fils à se marier.»  Philippe admet cette sentence dans le texte cité, et les autres ne la nient pas.  On le prouve par un exemple tiré de l’Écriture sainte.   Car, dans Genèse 24, le père et le frère de Rébecca traitant du mariage avec le procurateur d’Abraham, dirent : «Nous voulons la fille, et nous requérons son consentement.»   La deuxième preuve est tirée du droit canonique (canon sufficiat, 27, quest 2, et canon ubi non est,  quest 2, chapitre tuas dudum, de sponsa duorum,  et dans le canon unique sur la mariage des impubères, au canon 6.

On le prouve aussi par la raison. Car, on requiert nécessairement le consentement de ceux qui prononcent la formule du mariage. Car, autrement, ces paroles seraient fausses : «je te reçois comme mienne, et je te reçois comme mien.», si ceux qui les prononcent n’y consentaient pas.  Or, ceux qui se marient prononcent cette formule,  Donc, leur consentement est nécessaire.  Ensuite, le mariage est le degré suprême de l’amitié, selon le philosophe.  Il répugne donc à la nature du mariage, qu’il se fasse sans qu’on le veuille.

La deuxième proposition.   Le consentement des enfants, même s’il est seul, suffit pour rendre ferme et ratifié un mariage; et il ne peut être invalidé ni par les parents ni par un juge.  On le prouve par des exemples de l’Écriture.  En Genèse 26, Ésaü prit deux femmes qui, toutes deux, offensèrent l’âme d’Isaac et de Rébecca, ses parents.  Il les prit donc malgré ses parents.   Et, au chapitre 28, il en prit une troisième, contre la volonté de ses mêmes parents. Néanmoins, Isaac ne résilia pas ces mariages, et l’Écriture appelle tout simplement épouses celles qui furent ainsi mariées.  Ensuite, Jacob, Genèse 25, prend une autre femme selon le conseil de ses parents, mais les trois autres, et surtout les deux esclaves, il les prend à l’insu de ses parents.  Le saint patriarche Jacob n’aurait pas fait cela s’il avait cru qu’était nécessaire le consentement des parents.  Tobie aussi, comme nous le lisons au chapitre 7 du livre de Tobie, prit une femme dans une région étrangère à l’insu de ses parents.  Et l’archange Raphaël qui l’accompagnait ne l’avertit pas d’avoir à requérir le consentement des parents, et il ne pensa pas que c’était une chose contraire à la religion de se marier sans le consentement de ses parents.

On le prouve ensuite avec le droit canon.  Car, au chapitre cum virum, de regularibus, Clément 111 parle ainsi de la fille nubile :« Alors, parce qu’elle a son libre arbitre, elle n’est pas forcée, dans le choix de son époux, de suivre la volonté de ses parents.»  Ce qui n’est pas sans rapport avec ce qu’écrit saint Ambroise (dans son livre sur les vierges,) : «Celle à qui il est permis de choisir un mari, il ne lui est pas permis de le préférer à Dieu.»  Il nous enseigne, là, qu’il est permis à une fille vierge, de vouer sa continence à Dieu, malgré l’opposition du père; comme il lui est permis de choisir un homme.  Le même saint Ambroise, dans sa lettre à Sysinius, qui s’indignait de ce que son fils se fut marié sans son conseil, lui dit que son fils avait certes commis une faute, mais il lui indique assez clairement que le mariage était ratifié, tout en le louant pour avoir si généreusement pardonné la faute de son fils.

Troisièmement.  On le prouve par la raison.  Car, dans cette sorte de mariage, rien ne manque à ce qui a trait à l’essence du mariage.  Ce sera donc un mariage véritable, ratifié et indissoluble. On prouve l’antécédent.  Le consentement des contractants est présent, dont aussi l’intention des ministres.  La matière est présente, c’est-à-dire des personnes aptes à se marier;  la forme est présente, qui sont les paroles ou les signes du consentement mutuel.   Qu’est-ce donc qui manque ?  On dira, peut-être, que le consentement est suffisant mais qu’il n’est pas plénier.  Car, comme les enfants sont au pouvoir de leurs parents, ils ne peuvent pas, dans une chose aussi grave, faire un contrat sans la permission de leurs parents.

Je réponds que le consentement des enfants ne serait pas plénier s’il leur manquait l’usage du libre arbitre, ou la capacité de prendre une mure décision, ou parce que les enfants sont soumis aux parents au point de ne pas avoir le droit de disposer de leur état de vie.  On ne peut pas dire la première chose, car, alors, même avec le consentement des parents, il n’y aurait pas de mariage. On ne pas non plus dire la deuxième, car, pour contracter un mariage, on n’exige pas la maturité du jugement, mais seulement l’usage du libre arbitre, le même d’ailleurs, qui est requis pour pécher, pour mériter, ou pour faire un vœu.  Autrement, on ouvrirait facilement la porte aux déclarations de nullité.  Voilà, pourquoi , pour contracter un mariage, les canons n’exigent que la puberté.   Il arrive aussi souvent que celui qui a encore ses parents, est un homme de jugement plus que beaucoup d’autres qui ne dépendent plus de leurs parents.  Si donc ces derniers peuvent choisir une épouse sans le conseil de personne, pourquoi les premiers ne le pourraient-ils pas, eux qui sont deux fois plus prudents qu’eux ?

On ne peut pas non plus affirmer la troisième.  Car, bien que le fils doive au père l’obéissance et la révérence, cependant, quand il a l’usage du libre arbitre, il est libre, et dépend de lui non moins que son père, dans les choses qui ont trait à l’état de vie.  Il pourra peut-être pécher en ne suivant pas la volonté de son père en élisant un état de vie, mais, cependant, ce qu’il fera sera ratifié et ferme, parce que ce n’est pas d’une chose étrangère qu’il dispose, mais de ce qui lui appartient en propre.  De plus, le mariage de serviteurs fait contre la volonté des maîtres, est, selon l’enseignement des théologiens, ferme et ratifié.  Et c’est ce que nous avons dans le droit canonique, au chapitre 1 sur le mariage des serviteurs.   Car, le droit des gens, par lequel la servitude  a été introduite, n’a pas pu enlever ce que le droit naturel avait concédé. À  plus forte raison, le mariage des fils, à l’encontre de leurs parents, sera-t-il ratifié.  Car, la sujétion des serviteurs envers leurs maîtres est plus grande que celle des fils envers leurs pères.

Et on confirme l’argument par le témoignage des adversaires.   Car, Luther et Mélanchton soutiennent qu’un mariage contracté malgré les parents ne peut pas être invalidé par les parents quand il est consommé par la copule charnelle.  Or, cette copule charnelle ne rend pas l’enfant plus prudent, ni ne le soustrait au pouvoir paternel.  Donc, même avant la copule charnelle ce mariage ne pouvait pas être invalidé par les parents.  Car, s’il l’avait pu alors, il aurait pu le faire aussi après.  Ce qu’ils nient.   

Mais Mélanchton réplique : « Quand le mariage est consommé, il n’est plus question du futur, mais du présent. Et on ferait une injure aux conjoints si on les séparait.»  Or, le mariage contracté en paroles porte sur quelque chose de présent et non de futur.  Présentes sont les personnes, et le don conjugal mutuel est déjà accompli.  Pour cette raison, on ne pourra donc résilier aucun mariage, consommé ou pas.   De plus, le mariage consommé à l’encontre des parents est consommé légalement ou pas.  S’il est consommé légalement, le contrat était donc légal avant la consommation, car un mariage qui n’a pas été contracté légalement ne peut pas être consommé légalement.  Donc, avant la consommation, un mariage contracté malgré les parents, était valide,  ratifié et ferme.  S’il n’a pas été consommé légalement, on pourra à  bon droit l’annuler après la consommation, sans faire aucune injure aux conjoints.  Car, ne commet pas d’injustice celui qui use de son propre droit.

Car, autrement, si cette raison avait une valeur universelle, on ne pourrait invalider aucun mariage consommé, même contracté sans droit, et contre tout droit.  Et pour la même raison, après un viol commis sur une vierge, on ne pourrait pas invalider cette union. Et c’est pourtant le contraire que nous lisons au chapitre 22 de l’Exode.  On lit, à cet endroit que celui qui a pollué une vierge qui n’est promise à personne,  est forcé de la prendre pour femme, si le père veut la lui donner, ou à tout le moins,  de la  doter.

La troisième proposition.  Les jeunes pèchent quand, sans cause juste et raisonnable, ils contractent un mariage à l’insu de leurs parents, et contre leur volonté.  Car, il peut arriver que le fils ne pèche pas en contractant un mariage à  l’insu de son père, s’il pense qu’il l’estimera juste et valide. Et c’est ainsi que Tobie a pris une épouse à l’insu de son père.  Et il peut aussi arriver que ne pèche pas un fils en prenant une épouse contre la volonté de son père, si c’est injustement que le père interdit ce mariage, ou qu’à cause de l’héritage, il ne veuille lui donner qu’une indigne ou une hérétique.  Mais, dans la plupart des cas, les fils pèchent quand ils ne suivent pas la volonté de leurs parents.  Car, presque toujours, les parents sont plus prudents, et  il n’y pas de danger qu’ils veuillent donner à leur fils un mauvais conseil puisqu’ils l’aiment.  De plus, c’est aux parents qu’il appartient de pourvoir à leurs fils et de les diriger.    Il appartient donc aux enfants de vouloir être guidés et régis par leurs parents.  Nous avons de cela, des exemples et des témoignages dans la sainte Écriture.  Dans Genèse (chapitre 24) nous voyons qu’Isaac accepta la femme que son père lui donna, et Rebecca, son épouse, suivit le conseil que lui donna son père. 

Commentant ces passages, saint Ambroise (dans son livre 1 sur Abraham, chapitre ultime) présente plusieurs chose sà ce sujet, et, entre autres, loue Euripide pour avoir introduit une vierge qui parlait ainsi : «Mon père s’occupera de mes fiançailles. Ce n’est pas de mes affaires.»  Et, dans son épitre 43 à Sysinnius, il dit que c’est justement qu’il est indigné de ce que son fils ait pris femme à son insu.   Dans Exorde 34, et Deutéronome 7, le précepte sur le mariage des fils est donné aux parents plutôt qu’aux fils, pour qu’ils ne s’unissent pas avec des cananéennes : « Tu ne donneras pas ta fille à son fils, et tu n’accepteras pas sa fille pour ton fils.»  Et Isaac a ordonné ouvertement à son fils Jacob, de ne pas accepter pour femme les filles des palestiniens, mais une des filles de Laban.  Ce qu’il fit par obéissance.(Genèse 28).

Tu diras peut-être que si le père peut ordonner à un fils de prendre telle ou telle épouse, il peut donc le forcer à prendre ou à ne pas prendre une femme, ce qui est contre la première position.  Je réponds qu’on peut entendre de trois façons que le père puisse forcer son fils à se marier. Quand le père force un fils à se marier à telle fille, sans que le fils le désire ou le veuille.  Ce qui ne peut pas se faire ; et si le mariage a lieu, il est nul.  Et c’est ce qui est affirmé dans la première proposition.  La seconde manière.  Il force le fils à consentir en lui injectant une peur de la mort ou d’autre chose, capable d’ébranler la constance d’un adulte.  Ce mariage, non plus, n’est pas ratifié. Car, à un mariage n’est pas requis seulement le consensus, mais un consensus libre, puisque le mariage est un lien perpétuel, et qu’il requiert par sa nature la bienveillance et l’amitié au suprême degré. 

La troisième manière , quand il amène le fils à consentir, en commandant par l’autorité paternelle, de façon à ce que le fils ne puisse plus s’y opposer selon la droite raison.  Et cela est permis au père, et le fils est tenu alors d’obéir.   Comme il convient au fils de manger telle ou telle nourriture, et de s’abstenir de telle ou de telle autre, le père peut commander, et le fils est tenu d’obéir.  Et même si cela c’est contraindre, et infuser la peur de la mort éternelle, on ne dirait pas, à cause de cela, que le mariage serait contraint et nul.  Car, cette peur de la géhenne n’est pas proprement soulevée pour qu’il se marie à telle femme, mais parce qu’elle vient d’elle-même après la transgression d’un précepte.

                                            CHAPITRE 20

                           On réfute les arguments de Kemnitius

Mais réfutons les arguments de Kemnitius qu’il a ramassés ici et là,  chez Luther, Bucer, Calvin,  et chez d’autres sectaires.   Le premier. Il nous objecte les témoignages d’anciens pontifes qui reconnaissent et avouent que les mariages contractés à l’insu des parents et contre leur volonté  ne sont pas une union légitime et divine.  Et il allègue Jean Gropperus, dans l’institution de Cologne.  Je réponds que Kemnitius se trompe de plusieurs façons.  La première, parce que du seul Gropperus, l s’efforce de dégager la pensée des anciens catholiques, alors que nous pouvons lui opposer plusieurs théologiens antiques, comme saint Thomas (4 dist 28, quest 1, art 3, et plusieurs auteurs récents parmi les plus doctes, comme Ruardus, Pierre et Dominique a Soto, et d’autres qui enseignent ouvertement que le mariage, qu’il soit clandestin ou contracté à l’insu des parents, n’est pas seulement un vrai mariage, mais est aussi un vrai sacrement.

La seconde. Parce que, dans le lieu cité, Jean Gropperus ne parle pas du mariage auquel ne manque que le consentement des parents, mais de celui qui est conclu à l’insu des parents d’une façon clandestine.  Car, le mariage qui est célébré à la face de l’Église, même s’il est célébré à l’insu des parents et contre leur volonté,  Gropperus ne nie jamais qu’il soit un vrai sacrement.  Voilà pourquoi il n’y aucune dissension parmi les catholiques sur cette question.  La troisième  erreur.  Il nie qu’il nie que le mariage clandestin soit un vrai sacrement, et qu’il ait longuement été toléré par l’Église.  Mais il désire qu’il soit invalidé par l’Église, en quoi il se trompe visiblement,  et répugne à saint Thomas et aux anciens théologiens. 

Cependant, il admet que c’est un vrai mariage, qui a été longtemps toléré par l’église, mais il désire qu’il soit invalidé par l’Église. Ce qui a déjà été fait dans le concile de Trente.  Car, le concile affirme que les mariages clandestins, bien qu’ils n’aient pas été ratifiés par l’église, étaient de vrais sacrements;  mais que l’église cessa, cependant, de les ratifier, et rendit ces personnes inaptes à contracter.  Il a donc pleinement satisfait au désir de Gropperus, et de beaucoup d’autres, qui désiraient que ces mariages clandestins soient supprimés, à cause du grand nombre d’inconvénients  qu’ils apportent.  Il n’y a donc rien dans la chose, si on sépare la question du sacrement de la réalité du mariage, de laquelle seule nous nous soucions maintenant,  Groppersus fait vraiment bande à part.

Deuxièmement, Kemnitius tire un argument du droit divin (car il annonce qu’il prouvera sa sentence avec les droits divin, naturel, civil et économique) : «L’union du mariage doit être telle qu’elle puisse avoir Dieu pour auteur et conciliateur.  Or, ne sont pas tels les mariages qui sont contractés à l’insu et contre la volonté des parents.   Ils ne sont donc pas de vrais mariages. La proposition est certaine étant de Matthieu 19 : Ce que Dieu a uni etc.  Or Dieu n’est pas l’auteur et le conciliateur d’un mariage qui est contracté contre sa parole  et son précepte.  Dieu n’est donc pas son auteur et son conciliateur. On prouve l’assomption (car la proposition est très certaine).  Dans le quatrième précepte du  décalogue, on ordonne aux enfants d’obéir à leurs parents.  Et saint Paul explique aux Colossiens que cela doit se faire en toutes choses : «Fils, obéissez à vos parents en tout.»  Et parce qu’on pourrait peut-être répondre à cette loi qui oblige les enfants d’obéir  à leurs parents, le mariage excepté, au dire de l’Écriture : l’homme quittera son père et sa mère ,   et adhèrera à son épouse,  Kemnitius prouve que ce passage s’applique au mariage consommé et non aux noces, et que, en conséquence, quand ils contractent un mariage, les enfants doivent obéir  à leurs parents.  Car, c’est aux parents que l’Écriture donne les préceptes relatifs aux mariages de leurs enfants. (Deutéronome 7, Jérémie 29, et 1 Corinthiens 7).

De plus, il y a une loi divine (Exode 22 et Deutéronome 22) qui veut que quelqu’un qui viole une vierge devra donner au père un certain montant d’argent;  et qu’il ait la fille, si le père le veut, ou qu’il ne l’ait pas, si le père ne le veut pas.  Ce qui nous fait comprendre qu’il relève du pouvoir du père de rendre un mariage valide ou invalide.  Ajoutons que si la fille a fait un vœu à Dieu, son père pourra l’annuler (Nombres, chapitre 30).  Le même père pourra donc plus facilement annuler une promesse faite à un conjoint.  Ensuite, Dieu unit l’homme à la femme en un légitime mariage, mais non pas immédiatement comme il l’a fait pour Adam et Ève.  Donc, par un certain intermédiaire.  Ce qu’est cet intermédiaire, Dieu l’a expliqué lui-même en nous donnant le  quatrième commandement qui commande aux fils d’obéir à leurs parents.  Donc, ceux qui se marient en ne tenant pas compte de ces intermédiaires ne peuvent pas affirmer en toute certitude que leur mariage vient de Dieu, et est une union légitime. «Cette raison, dit Kemnitius, est très grave, et elle a été tirée du droit divin.»

Je réponds que cet argument ne prouve pas qu’un mariage contracté à l’insu et à l’encontre des parents soit nul ou puisse être annulé par les parents.  Car, c’est cela qu’il fallait prouver,  Mais seulement qu’on ne doit pas contracter un mariage à l’insu et à l’encontre des parents, et que pèchent ceux qui le font.  Et là-dessus, nous sommes tous d’accord.  Mais pour mieux comprendre la chose, examinons chaque argument en particulier. À la première proposition du premier syllogisme, je réponds que Dieu peut être l’auteur de l’union d’un mariage de deux façons.  Une première, de la part de l’union conjugale, et l’autre, de la part des parties contractantes.  Dieu sera l’auteur du mariage  sous l’aspect de l’union conjugale, si l’essence de cette union conjugale a été instituée par Dieu. Il sera l’auteur du mariage par rapport aux parties contractantes, si c’est Dieu qui leur inspire de s’unir en mariage.  Ce que nous repérons facilement dans tous les sacrements. Quand quelqu’un reçoit d’un autre le sacrement de baptême, de confirmation ou d’ordre, on peut dire que Dieu est l’auteur de cette action ou parce que c’est Lui qui a institué ces sacrements, ou parce qu’il pousse tel ministre à administrer tel sacrement, ou tel fidèle à recevoir un sacrement.  Et il arrive souvent que Dieu soit l’auteur selon la première façon, et satan, selon l’autre.  Si quelqu’un administre vraiment un sacrement, mais ne le fait pas pour la gloire de Dieu ou le salut de son âme, mais pour le lucre, ou quelque chose de plus sordide encore.

Donc, dans un mariage, Dieu sera l’auteur du mariage de la première façon,  si sont présentes la forme et la matière que Dieu a instituées.  Et cela suffit pour que le mariage soit vrai, ratifié et ferme.  Dieu sera l’auteur du mariage de l’autre façon si les époux contractent un mariage pour procréer des enfants à la gloire de Dieu, après mure réflexion, en tenant compte de l’avis des plus âgés, et en observant toutes les circonstances qui s’imposent.  Et cela est requis pour qu’un mariage soit célébré sans péché, avec mérite et louange.  Mais non pour qu’il soit vrai, ferme et ratifié.  Si on se marie seulement pour satisfaire la sensualité, avec témérité, et sans tenir compte des conseils des parents, le mariage n’aura pas Dieu pour auteur, mais le démon, en ce qui a trait à la volonté des contractants.  Ce qui n’empêchera pas que Dieu en soit l’auteur en ce qui a trait à l’essence de ce sacrement, qui se trouve toute entière dans l’union conjugale.  Comme on peut le dire, d’ailleurs, du baptême et des autres sacrements.

À l’assomption du premier syllogisme, je réponds que selon la distinction que nous venons de faire, les mariages qui sont faits à l’insu et à l’encontre des parents, n’ont souvent pas Dieu pour auteur de la seconde façon, mais qu’ils l’ont cependant, de la première, s’ils n’y mettent pas d’obstacle.  Ces mariages sont donc vrais et ratifiés, même s’ils ne sont pas contractés  la plupart du temps sans pécher.  À la preuve de l’assomption qui était que Dieu n’est pas l’auteur d’un mariage qui est contracté contre un de ses préceptes, je réponds avec la même distinction.  Car, ou le précepte de Dieu, contre lequel le mariage est célébré, se rapporte à l’essence du mariage, ou à des circonstances qui sont accidentelles au mariage, ou pour bonifier la volonté des contractants pour qu’elle désire et recherche le bien.  Si c’est de la première  façon  que quelqu’un contracte un mariage contre la volonté de Dieu, il n’a pas Dieu comme auteur de son mariage, et ce mariage est donc nul et illégitime.  Si c’est de la deuxième façon que le mariage se fait contre la volonté de Dieu, le contractant n’a pas Dieu comme auteur de sa volonté de se marier à cette femme; et il ne mérite pas une récompense, mais une peine.  Mais, il a quand même Dieu pour auteur de son mariage.

À la preuve de l’assomption du second syllogisme, qui était tiré du quatrième précepte du décalogue, que saint Paul a expliqué aux Colossiens,  je réponds que ce précepte s’applique à la réforme des mœurs, non à l’administration des sacrements.  Voilà pourquoi il faut obéir en tout au père, même pour le choix d’un conjoint, s’il commande justement et selon Dieu; mais ne pèche pas automatiquement celui qui ne le fait pas, et son mariage n’est pas automatiquement invalide.  Exemple.  On ne doit pas moins obéir en tout à l’évêque et à l’église qu’au père charnel.  Et pourtant, si un laïc baptise contre un précepte de l’évêque et de l’église, son baptême est vrai et valide, même si le laïc pèche en baptisant.  Un mariage contracté contre la volonté des parents n’est pas ratifié seulement en tant que sacrement, mais aussi en tant que contrat civil, même s’il a été contracté contre la volonté des parents.  Car, le fils, comme nous l’avons expliqué plus haut, même s’il doit suivre la direction marquée par son père,  quand il fait le choix d’un état de vie, ce n’est pas d’une chose étrangère qu’il dispose et donne, mais ce qui lui appartient en propre.  Voilà pourquoi cette disposition ou  don est ratifiée et ferme, même s’il ne le fait pas sans commettre quelque péché.

Et les témoignages qu’il présente pour prouver que l’Écriture enjoint aux pères de pourvoir aux besoins de leurs enfants, je n’ai rien à répondre à cela, car nous ne nions en aucune façon que par le mariage, le soin et l’éducation des enfants soient confiés aux parents.  Aux textes de l’Exode (chapitre 22) et du Deutéronome (chapitre 22), qu’il cite pour prouver que le père a le pouvoir de ratifier ou de résilier des mariages, je réponds qu’il ne s’agit pas, dans ce texte, d’un mariage déjà contracté, mais d’un mariage futur, à cause d’un viol antérieur.  Car, cette union entre un homme et une jeune fille que l’on décrit, dans les deux livres, avoir été faite à l’insu du père n’était pas une copule conjugale, mais un viol, comme le dit l’Écriture elle-même.  Car le violeur ne recherchait pas le mariage, mais seulement l’assouvissement de sa sensualité.  Voilà pourquoi on lui donne pour peine d’épouser la jeune ville, si le père veut la lui donner.  Ce n’est donc pas un exemple d’un contrat matrimonial en bonne et due forme invalidé par le père, mais seulement d’un mariage futur qui se ferait ou ne se ferait pas si le père le voulait ou ne le voulait pas. Ce qui pourtant n’exclut pas le consentement de l’adolescente.  Mais, qu’est-ce qui serait arrivé si l’homme et la femme étaient tous deux s’accord pour se marier sans le consentement du père ?  L’Écriture n’en parle pas.

Ajoutons que, si dans ces chapitres, Moïse parlait de l’annulation d’un mariage déjà contracté entre une vierge et son violeur, cet exemple serait contre Luther et Philippe, et contre Kemnitius lui-même, qui disent que ne peut pas être annulé  un mariage d’enfants contracté à l’encontre des parents, s’il est déjà consommé.  Car, comment un père aurait-il pu séparer sa fille d’un violeur, si ce viol était celui d’un mariage consommé ?  Et au sujet de l’annulation des vœux que nous trouvons dans les Nombres 30, je réponds que cette loi traitait des filles qui n’étaient pas encore parvenues à la puberté.  Et il s’avère que l’Écriture, dans ce chapitre, répète deux fois  que le père peut annuler les vœux de la fille qui habite dans la maison de ses parents, et qui était encore une jeune fille. 

La loi canonique est semblable à cette loi divine (canon puella 20,  question 2) : «Si, avant l’âge de douze ans, une jeune fille revêt spontanément le saint voile,  ses parents ou ses tuteurs peuvent, s’ils le désirent, invalider le geste.  Mais, si dans un âge plus avancé, une adolescente choisit de servir Dieu, les parents n’ont pas le pouvoir de l’interdire.»  La raison de la loi divine et canonique est que, avant l’âge de la puberté, les hommes n’ont pas encore la pleine capacité de porter un jugement réfléchi.  Voilà pourquoi ils ne sont pas les maîtres de leurs actes.   Mais après les années de la puberté, ils deviennent leurs propres maîtres, sont naturellement libres de leur personne et de leurs actes, et peuvent disposer d’eux-mêmes par la réflexion.

Au dernier, au sujet des moyens ou des intermédiaires, par lesquels Dieu unit les hommes en mariage, je réponds à cela que pour que le mariage soit vrai et ratifié, aucun moyen ou intermédiaire n’est requis en plus du libre consentement des époux.  Car, comme Dieu confère les autres sacrements par un ministre, c’est ce qu’il faut aussi pour le mariage.  Or les ministres du mariage, comme nous l’avons déjà expliqué, ce sont les époux eux-mêmes.  Pour que le mariage soit agréé par Dieu et utile aux époux, des intermédiaires ont été institués par Dieu : les conseils des parents et des amis, une décision murement prise, la bénédiction du prêtre, et d’autres choses de ce genre.  Celui qui méprise ces choses ne peut certes pas affirmer que son mariage plait à Dieu, ou lui sera utile à lui, bien que, au même moment, il ne puisse douter qu’il soit vrai et ferme, puisqu’il a été institué par Dieu.

La troisième objection de Kemnitius est tirée du droit naturel et civil.   Il prouve que les mariages des enfants contractés sans l’aval des parents sont invalides  de par les canons du droit civil (1 nuptiae, ff, le rite des mariages, et l, 1 et 2, les noces, et les institutions des notes, justes causes).  Qu’elles soient invalides aussi selon le droit naturel, il le prouve par la loi citée.  Car, dans cette loi, après avoir sanctionné qu’est requis aux noces le consentement des parents, ces paroles sont ajoutées : «Car, c’est ce qu’on doit faire, et c’est ce que la raison naturelle persuade, pour autant que le commandement des parents doit avoir préséance.» 

Je réponds que la loi naturelle  prescrit que le mariage ne doit pas être célébré sans l’aval des parents.  Et c’est ce que Justinien déclare en ce passage.  Par le droit de la nature, l’enfant est soumis au père, et doit être dirigé par lui, de qui il tient l’existence.  Cependant, le droit naturel n’enseigne pas que soit invalide le mariage fait sans l’aval des parents.  Ce que la loi civile a statué à ce sujet importe peu, comme, comme l’écrit le pape Lucius (chapitre 3, les clercs, les juges), l’empereur lui-même reconnait que les lois ne dédaignent pas d’imiter les sacrés canons.  Et nous avons cette confession de l’empereur dans ut clerici apud épiscopos, et l’avant dernier.  Donc, comme les sacrés canons et le concile récent l’ont défini, le mariage contracté à l’encontre des parents, est ratifié, pourvu qu’il ne soit pas clandestin.  Les lois (civiles) ne peuvent pas définir le contraire, et si elles le font, elles doivent être abrogées.

La quatrième objection contient plusieurs canons du droit canon. Nous répondrons à chacun d’entre eux.  Le premier est d’Évariste, dans son épitre décrétale, qui s’exprime ainsi : «Autrement le mariage n’est rendu valide que par ceux qui semblent avoir pleins pouvoirs sur la fille. L’épouse est demandée à ceux qui l’ont en charge, et elle est donnée en mariage par les parents et les proches.»   Je réponds que le décret d’Évariste, que l’on trouve dans le corps du droit canon, (canon aliter 30, question 5), requiert plusieurs conditions  pour que les mariages soient considérés comme légitimes, dont certaines ne plaisent nullement à nos adversaires.   Voilà pourquoi ce décret ne milite pas moins contre nos adversaires que contre nous.  Car, il requiert, parmi d’autres choses, que l’épouse soit bénie par le prêtre avec des prières et des oblations (c’est-à-dire, le sacrifice de la messe).  Et aussi que les époux vaquent à la prière pendant deux ou trois jours, en conservant la chasteté.   Si ces conditions sont nécessaires pour que les mariages soient légitimes, il n’y aura jamais, entre les luthériens, de mariages légitimes.   Car, ils n’offriront pas non plus à Dieu  d’oblation pour ceux qui sont sur le point de se marier, et ne conservent pas la continence pendant deux ou trois jours.

De plus, beaucoup de ces conditions sont si extrinsèques et accidentelles qu’il serait fou de croire que, sans elles, un mariage ne peut pas être valide.  Telles que les paranymphes qui gardent l’épouse, les parents qui l’accompagnent, le don d’une dot légitime, et une réception solennelle.   Voilà pourquoi nous sommes forcés de dire que le pape Évariste n’a jamais prétendu que tous ces conditions soient nécessaires au point ou si l’une ou l’autre manquait, le mariage serait nul.   Mais qu’un mariage est pleinement légitime quand toutes ces conditions   sont présentes; et que si aucune d’elles n’est présente, et si le mariage se fait en cachette, sans témoins et sans aucune solennité, il ne pourra pas être considéré comme légitime.  Non, en vérité, en conscience, mais au for externe, et pour l’Église, qui ne juge pas des choses cachées.

Le second canon est tiré du livre sur Abraham de saint Ambroise que l’on trouve chez Gratien (au canon honorantur  32, question 2.)  Mais il n’y a rien, dans ce canon, qui soit contraire à notre sentence.  Il y a seulement que saint Ambroise exhorte les adolescentes à permettre, comme  Rébecca, aux parents  de porter un jugement sur leurs noces.   Si elles ne le font pas, leurs noces seront-elles légitimes ou non ?  Saint Ambroise ne le dit pas en cet endroit.   Le troisième canon vient  du quatrième concile de Carthage (Gratien 30, question 5,  au canon époux).  Mais à ce canon non plus nous n’avons rien à répondre.  Il ordonne que l’époux et l’épouse soient bénis par le prêtre, qu’ils soient offerts à l’église par les parents et les paranymphes.  Que cela doive être fait, nous ne le nions en aucune façon.  Mais, il ne s’ensuit pas  que le mariage soit nul si on ne le fait pas.  Car, on ne peut douter que toutes ces choses se rapportent à la solennité du mariage, et non à son essence.

Le quatrième canon, qu’on attribue à saint Léon, se trouve dans Gratien (canon qualis 30, question 5). Dans lequel non seulement il n’y a rien contre la sentence catholique, puisqu’il ne fait que décrire le rite des mariages, sans définir qu’est invalide le mariage qui n’utilise pas ces rites.   Mais il y a là quelque chose de contraire aux adversaires.   Car, voici comment conclut ce canon : «Si l’épouse  a été une fornicatrice, le mari devrai l’envoyer, mais du vivant de sa première épouse, il ne pourra pas en prendre une autre, car les adultères ne possèderont pas le royaume des cieux.»  Si Kemnitius a tant de vénération pour ces canons, il devrait admettre cette sentence.  Le cinquième canon est celui de Tolède 3, (que l’on trouve chez Gratien, canon hoc sanctum, 32, quest 2) où nous lisons seulement qu’aucune fille ne doit être forcée de recevoir un mari sans la volonté de ses parents ou la sienne.  Si on donne à ce texte le sens qui lui revient, il se prononce certes contre les luthériens, mais contre les catholiques, nullement.  Car, le concile se bat contre ceux qui veulent empêcher les vierges de prononcer le vœu de virginité, et qui veulent leur imposer un mari, ce que font allègrement les luthériens.  Le concile a statué de ne pas forcer les filles de se marier contre leur volonté, mais de les laisser choisir leurs maris, en tenant compte de l’avis de leurs parents.

Le sixième canon est celui du pape Nicolas.  C’est le canon noastrates 30, question 5,  où est placé, parmi les autres rites du mariage, le consentement des parents.  Mais on ne peut rien en conclure, car le concile énumère les différents rites du mariage, et, il ajoute, à la fin du canon, qu’il n’y a pas de péché si on ne  les observe pas tous.  Ce qui nous fait comprendre qu’ils ne sont pas tous essentiels; et il ne fait pas non plus la distinction entre ceux qui sont essentiels et ceux qui ne le sont pas.  Le septième canon vient du concile d’Aurélie (Gratien 36, question 1, canon de raptoribus),   Nous y lisons qu’il faut rendre au père la fille violée, même si la fille violée consent au violeur.   Le huitième est de saint  Grégoire, ou plutôt de Gratien lui-même, (eadem causa 36, quest 2, canon apud)  où il est dit  que « quand la fille aura été restituée au père, si les deux pères sont d’accord, le mariage du violeur et de la violée n’est pas interdit.»  

Je réponds que autre est un viol, autre est un mariage célébré sans le consentement du père.  Car le viol porte sur celle qui n’appartient au violeur ni comme épouse ni comme fiancée.  Celui qui enlève violemment son épouse au père de son épouse n’est pas un violeur, car ce qu’il enlève c’est ce qui lui appartient en propre, non une chose étrangère.  Comme on le voit dans  Gélase (loi illa a36,  question 1.)  C’est donc avec raison que les canonistes veulent que la fille violée soit rendue à son père, même  si elle consent à son violeur.  Car, celui qui viole fait une injure au père, en s’emparant violemment de sa fille, même si il ne fait pas d’injure à la fille.  Mais si la fille violée (selon le décret du concile de Trente, session 24, chapitre 6) quand elle n’est plus au pouvoir de son violeur,  et dans un lieu sur, contracte un mariage avec son ravisseur de sa propre volonté, le mariage est ratifié et ne peut pas être invalidé par le père.  Car, le viol est un empêchement qui empêche le mariage des contractants mais qui n’invalide pas un contrat, comme l’enseignent les théologiens, et parmi eux, saint Thomas (2 2 quest 154, art 7, à  3) où il montre que le concile de Valdensis qui avait statué le contraire a été abrogé.

                                                                     CHAPITRE 21

Les empêchements qui rendent complètement inapte quelqu’un à contracter un mariage : le vœu et le lien.

              Nous avons parlé des empêchements qui proviennent du consentement.  Nous allons parler maintenant de ceux qui se rapportent aux personnes contractantes.  D’abord de ceux qui rendent complètement inaptes, et ensuite des autres.

              Les empêchements qui rendent complètement inaptes  sont au nombre de quatre (comme nous l’avons dit plus haut) : l’impuissance à faire le coït, le vœu solennel des moines et un ordre sacré.  Le premier empêchement est hors controverse.  Même si Luther  ajoute une huitième nouvelle erreur au sujet des fiançailles, que nous réfuterons plus tard.   On peut en réduire  les deux vœux  à un seul, au vœu solennel.  On considère qu’un ordre sacré est un empêchement parce que, par un décret de l’Église, un vœu solennel de chasteté y est annexé. 

 Il ne reste donc que cette question : est-ce que le vœu solennel de continence est un empêchement dirimant du mariage ?   Dans son livre sur la captivité de Babylone (chapitre sur le mariage), Luther admet que le vœu de continence est un empêchement légitime.  Mais dans les autres livres écrits après, il l’a toujours nié;  et il a  montré dans les faits ce qu’il en pensait,  en prenant une moniale pour épouse.  Ce que tous ses disciples ont enseigné par leurs écrits et leurs actions.    Les catholiques n’ont jamais douté qu’un vœu de continence simple était un empêchement qui empêchait de contracter un mariage, mais qui n’annulait pas le contrat.  Le concile de Trente (session 24, canon 9)  a défini, sous anathème,  qu’un vœu solennel est un empêchement qui empêche un contrat, et l’invalide,

Il y a donc trois choses à prouver.  La première.  Le vœu simple de chasteté est un empêchement qui empêche de contracter un mariage.  La deuxième.  Le vœu simple de chasteté n’est pas un empêchement qui invalide un contrat.   La troisième. Le vœu solennel de chasteté est un empêchement qui empêche et invalide un contrat.

Voici donc la première proposition. Un vœu simple empêche le contrat du mariage.  On peut facilement le prouver avec le fondement posé dans le livre sur les moines, où nous avons montré à partir de l’Écriture, des conciles, des pères, et de la raison, qu’un vœu de continence est licite, saint et agréable à Dieu.  Nous avons donc pu en tirer la conclusion  suivante : le vœu de continence perpétuelle est licite, donc il faut l’observer, puisque l’Écriture dit : « Si tu voues quelque chose à Dieu, ne tarde pas à le lui rendre.» (Eccles 5, Deutéronome 23).  Or, celui qui prend femme ne peut rendre à Dieu ce qu’il a promis, parce qu’il est tenu de rendre son du à celle qui le lui demande.  Il n’est donc pas permis à ceux qui font ce vœu de se marier.  De plus, dans 1 Timothée 5, le bienheureux Paul  se prononce ainsi au sujet des veuves qui ont voué la continence : «Après s’être mariées au Christ, elles ont voulu se marier à un homme, contractant la damnation,  parce qu’elles avaient forfait  à la foi jurée.»  L’apôtre ne blâme pas ici les femmes qui après avoir été luxurieuses, veulent se marier. Car, c’était cela une chose honorable et non blâmable.  Mais, parce que, voulant se marier, elles avaient annulé le vœu de continence fait à Dieu.  Et c’est ainsi que l’entendent tous les commentateurs grecs ou latins.  Ainsi que  l’entendent le concile de Carthage 4 (canon 104), le concile de Tolède 4, canon 55,  Tertullien (dans son livre sur la monogamie), saint Basile (dans son livre sur la virginité), Épiphane (hérésie 48),   saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), Innocent 1, (épitre 2, chapitre 13), saint Augustin (le livre sur le bien du veuvage, chapitres 8 et 9), Gélase (épitre 1, chapitre 23), Fulgence (épitre 1).

La seconde proposition : un vœu simple n’invalide pas un mariage contracté après ce vœu. Nos adversaires ne nient pas cela, évidemment.  Et c’est ce qu’enseigne explicitement saint Augustin (dans son livre sur le bien du veuvage, chapitres 8 et 10).  Déclarent la même chose  Alexandre 3, et Boniface 8, ( au chapitre consuluit, qui clerici, vel voventes, et au chapitre rursus, eodem, et au chapitre unique sur le vœu dans 6).   La raison est facile  à  comprendre.  Car, une promesse, telle qu’est un vœu simple,  oblige en conscience, mais cependant ne transfert pas le domaine de cette promesse de celui qui promet à celui à qui la promesse est faite.   Donc, si celui qui a fait une promesse change d’idée,  et fait don à un autre, il pèche, mais sa donation a toute sa force, à moins que ce vœu simple soit celui qui établit quelqu’un dans l’état religieux. Ce n’est pas de vœu-là que l’on parle ici.

Et c’est de cette façon qu’est réfutée l’erreur de Luther qui, (dans son livre sur la captivité de Babylone), admet avec les catholiques, en disputant de l’empêchement du lien, que le lien du mariage avec une épouse est un empêchement dirimant,  qui invalide tous les autres mariages. Mais, il ajoute, contre tous les théologiens, qu’un mariage postérieur détruit le lien des épousailles : «Ils en concluent que s’il en connait une autre, cessent les fiançailles de la première.  Ce que je ne désire vraiment pas. Et moi je juge qu’il ne relève pas uniquement de lui-même celui qui s’est joint à une autre, et c’est ce qu’interdit le droit divin.»   Mais cette erreur de Luther a déjà été condamnée (chapitre de illis,  au chapitre si inter virum,  et au chapitre adulescens, de sponsalibus, et du mariage. et au chapitre de sur l’épouse de deux). Ce chapitre est attribué à saint Augustin.  Et la raison en est que par les fiançailles, on ne fait pas un don, mais une promesse.

Les arguments de Luther ne sont pas concluants non plus.   Voici ce qu’il nous objecte d’abord : «Personne ne peut donner ce qu’il n’a pas.   Celui qui a contracté des fiançailles avec une jeune fille, ne s’appartient déjà  plus.  Il ne peut donc pas se donner à une autre. On doit donc le juger comme un second mariage invalide.»  Je réponds qu’on nie l’assomption.  Car, celui qui a contracté des fiançailles avec une jeune fille, s’appartient encore, comme il ne s’est encore donné à personne, même s’il en a fait la promesse.  Voilà pourquoi, si après avoir quitté sa fiancée, il se marie avec une autre, il contracte un vrai mariage, mais il pèche pour ne pas avoir tenu sa promesse.

Il objecte ensuite ceci : « Dieu interdit à quelqu’un de frauder son frère dans un négoce.  Ce qui doit être observé  en dépit de et plus que toutes les traditions humaines.»  Je réponds que ce qu’il dit est vrai.  Mais où veut-il en venir ?  Car nous aussi nous admettons qu’il pèche celui qui fraude son frère en ne conservant  pas la foi promise, mais ce mariage ne sera pas invalide même s’il a été contracté avec ce péché.  Car, celui aussi qui promet à quelqu’un une épouse riche, noble, ou de bonnes mœurs, et qui n’est pas telle, il le fraude, et pèche gravement envers son prochain.  Le mariage cependant ne sera pas invalide,  s’il est fait en présence des mariés.

La troisième objection : « Si le vœu de religion rend quelqu’un étranger, pourquoi pas aussi une promesse donnée et acceptée ? Puisque cela est de précepte, et un fruit de l’esprit (Galates 5), tandis que l’autre relève du libre arbitre humain.»    Je réponds que si nous comparons la promesse faite à une fiancée, avec un vœu, nous verrons que tous deux relèvent du libre arbitre humain.  Car, personne n’est forcé, par le droit divin, de vouer ceci ou cela, ou de se fiancer avec telle ou telle femme.  Si nous comparons ce que c’est conserver sa foi à une fiancée, et remplir une promesse faite à Dieu, l’un et l’autre sont de précepte et sont un fruit de l’esprit.  Car, accomplir un vœu c’est conserver sa foi en Dieu.  Saint Paul n’énumère pas non plus , entre les fruits de l’Esprit, remplir la promesse faite à un homme, et ne pas accomplir  le vœu fait à Dieu.  Voilà pourquoi Luther erre gravement, quand il enseigne que les vœux relèvent du libre arbitre humain, et les fiançailles, du droit divin.  Nous expliquerons plus tard pourquoi les vœux solennels invalident un mariage.

La quatrième objection : «Il est permis à une épouse de reprendre son mari , même s’il a fait un vœu de  religion.  Pourquoi ne serait-il pas permis à une fiancée de rependre son fiancé, même après une copule avec une autre ?»  Je réponds qu’il y a une grande différence entre une épouse et une fiancée, car l’épouse possède déjà, comme sa chose, le corps de son mari, comme l’enseigne l’apôtre, (1 Cor 7).  La fiancée ne l’a qu’en espérance et en promesse.  Mais que cela suffise.

La troisième proposition. Un vœu solennel annule un mariage fait après la profession de ce vœu.  On le prouve par les autorités et la raison.  La première autorité est celle des anciens conciles.   Le concile de Tolède 1, célébré autour de l’année 400, canon 16, a statué  que si une femme dévote (religieuse ?) se marie, elle ne pourra pas être reçue dans l’église tant que vivra son mari. Qu’elle vive donc chastement jusqu’à la mort de son mari.  Ce qui nous fait comprendre que ces noces n’ont pas été de vraies noces, parce qu’elles ont été contractées après la profession religieuse.  Car, si elles avaient été de vraies noces, pourquoi devrait-elle se contenir devant celui qu’elle a pris comme mari ?   

 Le concile général de Chalcédoine, avant l’année 1100,  (canon 16)  stipule : «Il n’est permis ni à la vierge qui s’est consacrée à Dieu,  ni à un moine de contracter de vrais mariages. Si on découvre que certains ont perpétré ce crime, qu’ils soient excommuniés.»   On ne peut pas répondre que le concile a interdit que soient contractés ces mariages, mais n’a pas jugé qu’ils fussent invalides après avoir été célébrés. Car, le concile de Tribur (au canon 23), allègue ce canon du concile de Chalcédoine,  pour prouver que n’est pas un vrai mariage celui qui a été contracté après des vœux solennels.  Ensuite, il n’y eut jamais de doute chez les chrétiens que pèchent ceux qui ne rendent pas à Dieu leur vœu de continence.  Mais ne manquèrent pas ceux qui doutèrent qu’étaient vrais et ratifiés les mariages contractés par ceux qui ont fait des vœux solennels.  Voilà pourquoi le concile a voulu se prononcer sur ce qui était douteux, et statua que n’était pas légitime un mariage célébré après un vœu solennel, comme entre moines et moniales.

Le concile de For Julien, canon 11, ( sur les vierges sacrées) avant l’an 1300 : «S’ils se marient publiquement, qu’ils soient séparés des autres par des vindictes corporelles infligées par le jugement civil, et qu’ils fassent pénitence tous les jours de leur vie.»  Le concile de Tolède 4, canon 51, en l’an 950 écrit : «Quelques moines qui sortent du monastère non seulement retournent au siècle, mais même prennent femme.  Rappelés donc dans le monastère d’où ils sont sortis, qu’on les mette en pénitence.»  Le concile de Turon 2, canon 16, l’an 1000 : «Ceux qui ont fait vœu dans un monastère, n’ont aucunement la permission d’en sortir. Et personne d’entre eux n’a le droit de prendre femme.  Et si l’un se marie, il est excommunié, et, par l’intermédiaire d’un juge,  il est séparé de la mauvaise association avec  son épouse.»  Le concile de Tribur, canon 23, célébré avant les années 700,  ordonne ouvertement de se séparer à ceux qui, après des vœux solennels, se sont unis par le mariage.

Il y a ensuite l’autorité des pontifes suprêmes et des grands saints.  Siricius (épitre 1, chapitre 6), ordonne «non seulement d’excommunier les moines à vœux solennels qui se marient, mais même de les punir dans un ergastule jusqu’à la fin de leur vie.»  Innocent 1 (dans l’épitre 2, chapitres 12 et 13, distingue ouvertement entre un vœu solennel et un vœu simple.  Car, au canon 2, il dit que si se marie une fille qui a reçu le voile sacré, et qui a donc émis un vœu solennel de continence, elle ne pourra pas être admise à la pénitence tant que vivra celui qu’elle a épousé.  Mais, au chapitre 13, celle qui a promis la continence perpétuelle sans avoir déjà le voile sacré, c’est-à-dire, qui n’avait professé que des vœux simples, et non solennels, pourra être admis à la pénitence, si elle se marie après.

Gélasius 1 (épitre 1, chapitres 22 et 23), fait une distinction semblable, et reconnait qu’il y a une grande différence entre les noces des vierges professes, qui font des vœux solennels, et les noces des veuves qui n’ont fait qu’un vœu simple.  Car, les mariages des vierges sacrées ils les appelle des unions incestueuses, et il ordonne d’excommunier ces vierges mariées.  Que signifient donc  les mots union incestueuses sinon mariages illégitimes ?  Il dit que ces veuves doivent satisfaire à Dieu par la pénitence. Mais il ne dit pas que leurs mariages sont incestueux, ni qu’Ils sont illégitimes.    Grégoire 1 (livre 1 épitre 40 à Anthemius,) écrit que les moines qui prenaient épouses devaient être séparés de leurs épouses, et ramenés dans les monastères. C’est dans ce sens que vont beaucoup de réponses d’Alexandre 3, de Célestin 3, et d’Innocent 3 (dans le tit qui clerici, vel voventes).

Troisièmement, l’autorité des pères.   Saint Cyprien (livre 1, épitre 2 à Pomponius), dit que les vierges sacrées qui ont dormi avec des hommes sont «des adultères du Christ», qu’elles doivent être séparées des autres hommes, et «il appelle cette union un inceste.«  Et bien que ceux qui dormaient avec elles, elles ne les considéraient pas comme leurs maris, saint Cyprien portait le même jugement sur eux que si elles les avaient reconnus pour maris.   Car, il les appelait «des adultères du Christ,» parce qu’elles n’avaient pas  gardé la foi jurée au Christ.  Car, elles ne  la gardent pas si elles s’unissent à un autre, qu’il soit mari ou pas.  Et saint Cyprien  appelle« inceste l’union d’un homme avec une vierge sacrée,» à cause de la relation au Christ, qui a voulu être notre frère.  Cette relation on ne  la retrouverait pas moins dans l’union qui se fait sous le nom de conjoint, ou d’un autre nom.  Voilà pourquoi quand  saint Cyprien dit dans la même épitre qu’il faut avertir ces vierges qu’elles aient à se marier publiquement si elles ne peuvent ou ne veulent pas pratiquer la continence, on doit comprendre qu’il parle de celles qui n’ont pas encore fait de vœux.  Autrement, quand saint Cyprien dit de se marier à celles qui ne peuvent pas ou ne veulent pas pratiquer la continence, il permettrait de se marier après le vœu de virginité à celle qui ne peuvent ou ne veulent pas se contenir,  ce qui serait absurde, et que même les luthériens ne devraient concéder.

Saint Basile ( dans son livre sur la virginité, un peu passé le milieu), écrit : «Quand celles qui ont professé leur virginité au Seigneur, débilitées et vaincues ensuite par la séduisante volupté,  désirent le crime du viol sous le nom honnête de mariage, elles n’ignorent pas, même si elles simulent l’ignorance, qu’elles ont  prévariqué au droit et  à l’alliance de l’époux, qu’elles ne peuvent plus être la fiancée de Celui qu’elles ont abandonné, ni par aucune loi être dite l’épouse de celui avec lequel, une fois la sensualité excitée,  elles se sont unies, après avoir abandonné  leur époux.»  Et il montre plus bas qu’on ne peut jamais dire qu’elle est l’épouse d’un homme mortel, mais toujours« l’adultère du Christ, son mari immortel.»    Saint Ambroise (dans son livre à une vierge tombée, chapitre 5) écrit : « Celle qui se fiance au Christ et prend le voile sacré, l’a déjà épousé.»   Saint Jean Chrysostome (épitre 6 à Théodore), écrit : «Ce sont des noces honorables.  Mais il ne te convient pas de conserver les privilèges des noces, car, bien que tu emploies souvent le mot noces, j’estime, cependant, ton mariage, pire qu’un adultère.»

Saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) écrit : «Tu reconnaitras certainement que ne peut pas être un évêque celui qui a des enfants pendant son épiscopat.  Et si on découvre ce qu’il a fait, on ne le considèrera pas comme un mari, mais on le condamnera comme un adultère.»  On nous objecte saint Malchus qui (au témoignage de saint Jérôme dans sa vie) a pris femme après avoir été moine pendant de ombreuses années, et a demeuré avec elle jusqu’à la fin de sa vie.  Mais il n’y a eu aucun mariage entre Malchus et cette femme , puisqu’il a été forcé de faire semblant de  la prendre pour femme.  Cette femme avait même un mari vivant, comme le rapporte saint Jérôme, quand Malchus fut forcé par son maître de l’épouser.  Donc, sous le nom de mariage, il n’y eut  entre eux qu’une union sainte et spirituelle.

Maintenant, avec une raison tirée de la parole de Dieu nous prouverons qu’un vœu solennel est un empêchement dirimant au mariage.  Mais il est nécessaire faire précéder une question qui divise les catholiques, et qui est la suivante : par quel droit un vœu solennel invalide-t-il un mariage célébré après un vœu solennel ?  Par le droit naturel et divin, ou seulement par le droit ecclésiastique et positif ?  Il y a plusieurs théologiens, et parmi les plus graves, comme saint Thomas, saint Bonaventure, saint Albert, Durand et Dominique a Soto  (dans 4 dist 38) qui soutiennent qu’un vœu solennel invalide le mariage par un droit divin et naturel.  Leur raison est la suivante.   Le vœu solennel n’est pas une simple promesse faite à Dieu, comme l’est un vœu qu’on appelle simple, mais une donation de soi-même comme une soumission respectueuse au Christ à perpétuité.  Et cette livraison  ou consécration de soi au Christ est acceptée et approuvée par ses ministres.  Voilà pourquoi le vœu solennel diffère du vœu simple, comme un mariage présentement contracté diffère des fiançailles, qui se rapportent au futur. Or, par le droit divin et naturel, personne ne peut donner à autrui ce qui ne lui appartient pas; et s’il le fait, la donation sera sans valeur.  C’est donc par le droit divin et naturel qu’un vœu solennel invalide un mariage contracté après un vœu solennel.

Si, par les Écritures, ou par une raison manifeste,  on pouvait démontrer que le vœu solennel diffère du vœu simple en ce que le premier est une donation qui porte sur le présent, et l’autre, sur le futur, on n’on aurait pas à présenter  d’autres raisons.  Toutefois, parce que beaucoup le nient, comme Scot (2, 2, quest 88, art 7),  et tous les interprètes du droit canon, comme Panomitanus l’atteste  (dans les chapitres rursus, qui clerici, ou faisant des vœux) et pensent plutôt le contraire, à savoir que seul un décret de l’Église a fait qu’un vœu solennel invalide le mariage, il nous reste donc à prouver que l’Église pouvait instituer cet empêchement.

Mais cela, il est facile de le prouver.   D’abord, par le fait que l’église agit ainsi depuis les temps les plus anciens, comme il appert des témoignages cités, autant ceux des conciles que des papes.  Il est même fort possible que cela descende d’une tradition apostolique.  Car, saint Cyprien, saint Basile, et saint Ambroise qui reconnaissent cet empêchement,  vécurent avant les conciles et les pères qui semblent avoir composé ce décret.   Voilà pourquoi les conciles et les pontifes n’ont pas tellement statué quelque chose de nouveau qu’ils ont renouvelé un ancien décret, ou ont simplement déclaré ce qu’ils en pensaient.  Ce que l’église antique (que les adversaires ne peuvent nier qu’elle fut la vraie église) a fait  et a souvent répété, il est impie et stupide de déclarer qu’elle ne pouvait pas le faire.

On le prouve, ensuite, en disant que rendre inaptes des personnes à contracter un mariage légitime, ce n’est pas changer l’essence du sacrement, comme nous l’avons dit plus haut, mais rendre nul et invalide le  contrat humain  qui est pré requis dans le sacrement de mariage.  Car, le Seigneur n’a pas déclaré quel est le contrat de mariage qu’on doit considérer comme légitime ou illégitime, mais cette déclaration étant présupposée, il a voulu qu’un contrait humain légitime entre un homme et une femme  soit un sacrement.   Que l’Église puisse, par son décret, rendre légitimes ou illégitimes ces contrats, en rendant des gens aptes ou inaptes à contracter, on le prouve de la façon suivante.  C’est à cela que servent tout les textes de l’Écriture  par lesquels nous apprenons que la charge de gouverner l’église a été remise aux apôtres et à leurs successeurs.  Comme : «Celui qui vous écoute m’écoute» (Matthieu 16) : «Je te donnerai les clefs du royaume des cieux.» (Jean à la fin). : «Pais mes brebis.»  Car, à celui qui préside de droit appartient de faire des lois sur les actions humaines, de les ratifier et de les résilier.

Dans l’ancien testament, en plus du droit divin naturel, il y avait aussi des lois positives judiciaires accommodées au peuple, autant sur les mariages que sur les autres contrats humains.  Ces lois ont été abrogées, et nous n’en avons pas d’autres prescrites par le Christ.  Il est donc nécessaire qu’il y ait dans l’Église un pouvoir de faire des lois semblables,  à être sanctionnées pour les lieux et les temps.  Autrement, la république chrétienne aurait été imparfaite et misérable.   De plus, les chefs politiques  qui président sur  une république peuvent faire des lois humaines au sujet des contrats humains, et peuvent ratifier ou résilier des lois déjà faites, pour le plus grand bien de la paix.  Les premiers chefs de l’église avaient donc ce pouvoir pour le salut éternel des  âmes.

Tu diras : s’il en est ainsi, non seulement les hommes d’église, mais aussi les princes politiques pourront faire des empêchements au mariage.  Car, du contrat du mariage ne dépend pas seulement le salut des âmes, mais la concorde des citoyens et la paix temporelle.   Je réponds que si le mariage n’était qu’un contrat civil,  les chefs religieux pourraient décréter des empêchements, en rendant certaines personnes légitimes et d’autres illégitimes, comme l’ont fait aussi des empereurs, surtout les païens, (comme on le rit dans le rite des mariages, et dans la loi de Jules sur la adultères.)  On y voit là beaucoup de lois sur le contrat du mariage.  Cependant, parce que, pour les chrétiens, le mariage est un sacrement,  et que le sacrement de l’Église dépend de ce contrat civil, et que l’administration des sacrements relève de l’Église,  le pouvoir d’instituer des empêchements au mariage relève d’abord et avant tout du prince de l’Église. Il n’appartient pas au pouvoir public, si ce n’est pas le consentement et à la subordination au prince ecclésiastique.

Voilà pourquoi saint Thomas, même si (dahs 4 dist 34, question unique, art q, a 1),  a concédé que le mariage en tant que contrat civil peut dépendre de la loi civile, cependant (dans la dist 12, question 2, art 2, à 4), il  écrit : «L’interdiction d’une loi humaine ne suffirait pas à empêcher un mariage, à moins que n’intervienne l’autorité de l’Église interdisant la même chose.»  Que l’Église avait non seulement le pouvoir de faire d’un vœu solennel un empêchement dirimant au mariage, mais qu’elle avait de bonnes raisons de le faire, on peut facilement le prouver.    Car, ceux qui font des vœux solennels de continence, changent leur état de vie, et montent de l’imparfait au parfait.  Ce serait une absurdité qu’ils aient le pouvoir de retourner à l’état d’imperfection. De plus, ceux qui font de tels vœux le font après une longue période de réflexion et de discernement, et une certaine pratique de la vie monastique.  Ce serait une incongruité qu’on change subitement ce qui a été décidé après une mure réflexion, devant Dieu et avec sa grâce. De plus, les vœux solennels se font régulièrement en public, et devant plusieurs témoins,  et après une approbation du peuple.  Ils ne peuvent donc pas être violés sans un immense scandale.  Voilà pourquoi l’Église a pourvu à ce qu’on ne puisse pas changer.  Et le moyen le plus efficace pour parvenir à cette fin, ce fut d’invalider les mariages célébrés après des vœux solennels.

Ensuite, ceux qui font des vœux solennels  ne s’obligent pas seulement envers Dieu, mais aussi se soumettent spontanément à l’Église, pour qu’ils soient forcés par elle à rester fidèles à leurs engagements, même par voie de jugement.  On ne peut donc plus se demander si l’Église les rend vraiment inaptes à contracter un mariage.  Et ces mêmes raisons montrent pourquoi l’Église n’a pas voulu que les vœux simples soient des empêchements dirimants.  Car, ceux qui font des vœux simples ne changent pas de statut,  et les font souvent sans une grande délibération, privément et sans témoins.  Et ils ne se soumettent pas plus à l’église qu’ils lui étaient soumis avant d’avoir fait ces vœux.  Ils ne peuvent donc pas être contraints d’observer leurs vœux par la voie judiciaire, mais seulement par la voie de la correction fraternelle, à moins que ces vœux simples aient été tels qu’ils constituent un homme vraiment et proprement religieux, comme sont les vœux simples de notre société qui, d’après la constitution de Grégoire 13, qui commence ainsi « le Seigneur montant», sont déclarés substantiellement religieux,  et dirimant le mariage.

                                                        CHAPITRE 22

                                            Les empêchements du crime

Il reste encore les empêchements qui rendent une personne inapte à se marier avec telle ou telle personne, mais non avec les autres.  Comme nous l’avons déjà vu, ce sont le crime, la disparité de culte, et la parenté. Le crime, d’abord.   Les canons voient un empêchement dirimant du mariage lorsque quelqu’un contracte un mariage avec celle qu’il a polluée par un adultère.  Il y a là-dessus un chapitre complet dans les décrétales, mais les docteurs observent que le mariage n’est pas toujours invalide quand quelqu’un épouse celle qu’il avait polluée par un adultère,  mais seulement dans trois cas.

Le premier. Quand l’adultère cause la mort de son épouse ou du mari de la femme adultère, pour pouvoir célébrer un mariage avec elle.  Ou, au contraire, si la femme adultère cause la mort de son mari ou du mari adultère de l’épouse pour recevoir l’adultère comme mari. Et au chapitre (super hoc), on a une définition de ce cas, de celui qui prend en mariage celle qu’il avait polluée par un adultère, comme si la mort avait réellement eu lieu.  Le second.  Si les adultères se jurent mutuellement fidélité en contractant un mariage après la mort de la femme adultère, ou du mari de la femme adultère.  Car, ceux qui se sont ainsi juré fidélité semblent plutôt être sur le point de procurer la mort de l’autre des conjoints.  Et, nous avons une décision là-dessus au canon reatum 31, question 1.   Le troisième.  Si les adultères se sont ainsi jurés fidélité par le mariage  du vivant de leurs premiers conjoints, comme on le voit dans le canon finali, de celui qui prend femme.

On se rend vite compte qu’il y a deux cas , si l’un et l’autre adultère était au courant  de la vie de l’autre conjoint.  Car si l’homme trompe une adultère affirmant que son épouse était décédée, ou si une femme trompe  un adultère en affirmant  que son mari est mort, alors ce mariage n’est pas invalide, comme on le voit dans le chapitre , au sujet de celui qui prend femme.  En dehors de ces cas, un mariage contracté entre adultères n’est pas invalide, comme l’enseigne saint Augustin (dans le livre sur le bien conjugal, chapitre 14, et dans le livre 1 sur les noces et sur la concupiscence, chapitre 10.  Et ces témoignages de saint Augustin sont rapportés parmi les canons ecclésiastiques (31,  quest 1, canon denique.  Et voilà pour le crime d’adultère.

Le crime d’homicide sans adultère ne dissout un mariage  que dans un seul cas, quand ceux qui veulent se marier conspirent pour procurer la mort d’un des conjoints . C’est ce que nous avons dans le chapitre laudabilem, sur  la conversion des infidèles.  Et si un seul procurait la mort d’un des conjoints,  à l’insu de l’autre, et si l’adultère n’avait pas précédé, ce mariage ne serait pas invalide.   On fait des reproches à l’Église à cause de cet empêchement. Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du mariage), Philippe Melanchton  (dans les lieux, le mariage), et leur argument est l’exemple de David  qui a pris pour femme Behsabée, après l’avoir polluée par l’adultère,  et  qui a fait tuer son mari (11 Rois 11).

La sentence de l’Église est fondée sur les témoignages très graves de pontifes et de conciles, que l’on trouve dans 31, quest 1, canon Nullus, qui est de saint Léon, et dans le canon illud  et le canon relatum, qui proviennent de conciles, et dans le canon  super haec, et le canon propositum, sur celui qui prend épouse une femme qu’il avait polluée par adultère.  Et c’est de plus pour une raison très grande.  Que peut-on imaginer de plus atroce dans un mariage  que l’un des deux conjoints non seulement ne conserve pas la foi jurée, mais tende des embûches pour tuer l’autre, avec lequel il devrait vivre selon le degré suprême de l’amitié ?     L’exemple de David ne nous émeut pas. Car, cet empêchement n’est pas de droit divin, mais ecclésiastique.  Et dans l’ancienne loi, beaucoup de choses étaient permises qui ne  le sont plus dans la nouvelle, parce qu’elle est plus parfaite, comme la polygamie, le libelle de répudiation etc.

 Ajoutons que, même selon la loi ecclésiastique, le péché de David et de Bethsabée n’aurait peut-être pas été un empêchement dirimant.  Car, ce n’est pas l’adultère seul,  ni l’homicide d’un conjoint  perpétré pour une raison quelconque, qu’on a coutume de juger comme un empêchement dirimant, mais seulement l’homicide d’un mari commis dans le but précis de pouvoir épouser son épouse.  Bethsabée avait consenti à l’adultère, mais elle n’avait rien à voir avec la mort de son mari.  De sa part, à elle, l’homicide de son mari n’était pas quelque chose qui pouvait l’empêcher de se marier à David.  David, lui, a jouté à un adultère l’homicide d’Urie. Mais on n’est pas certain qu’il l’ait fait  dans le but précis de s’emparer de sa femme.  Car, auparavant, il avait tenté plusieurs fois de faire retourner  Urie à son épouse, et de couvrir ainsi son adultère.

                                                         CHAPITRE 23

                                                    La disparité de culte

Un autre empêchement est la disparité du culte.  Car, les catholiques enseignent, d’une seule voix, que le mariage de fidèles avec des infidèles non baptisés, n’est pas seulement illicite, mais invalide.  Mais avec les hérétiques baptisés, les mariages sont illicites, mais valides.

Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du mariage), n’admet pas cet empêchement, sans apporter d’autre argument  que celui-ci :  parce qu’on  ne lit pas dans l’Écriture que Dieu ait prohibé aux chrétiens ces mariages;   et parce que sainte Monique, la mère de saint Augustin ,avait épousé un infidèle.  Il répète la même chose dans son sermon sur le mariage, ainsi que dans son commentaire du chapitre 7 de la première aux Corinthiens.  Philippe Melanchton (dans les lieux, sur le mariage) reconnait que  c’est dans une bonne intention que l’Église a prohibé ces mariages.  Mais il  préfèrerait qu’on n’observe pas cette règle avec la rigidité que les catholiques demandent.

Voici donc la première proposition.  Il n’est pas permis aux fidèles de se marier avec des infidèles ou avec des hérétiques.  On la prouve d’abord avec la loi de Dieu (Deutéronome 7).  Dieu a interdit à son peuple de contracter des mariages avec les Gentils.  Et même si ce principe est judiciaire, et n’oblige que les Juifs, il a quand même quelque chose de moral, et appartient même à tous, si on réfléchit sur la cause de la prohibition.  Car, la cause est vraiment d’ordre moral, et a encore aujourd’hui sa raison d’être, (3 Rois 11) : «Car elle séduira ton fils pour qu’il ne me suive pas, pour qu’il suive plutôt les dieux étrangers.»  Là où le Seigneur répète ce précepte, il ajoute : «Très certainement elles détourneront vos cœurs pour que vous suiviez les dieux étrangers.»   Salomon a agi contre  ce précepte, et il lui est arrivé ce que Dieu avait prédit : il a été dépravé par les filles étrangères, et il a adoré leurs idoles.  Et, en vérité, si un homme très sage qui avait plusieurs autres femmes païennes a pu, par de nouveaux mariages avec des Gentils, être perverti a point d’adorer le dieu de chacun, quel danger ne menace pas ceux qui n’épousent qu’une seule femme, païenne  ou hérétique, et qui ne peuvent, en aucune façon, être comparés à Salomon pour la prudence et la sagesse ?

Ensuite, ce mot de saint Paul au chapitre 7 de 1 aux Corinthiens : «Qu’elle épouse  celui qu’elle voudra, mais seulement dans le Seigneur,» est un précepte sur le mariage à ne pas contracter avec les infidèles, comme l’interprètent les saints pères, comme  saint Ambroise, Theodoret, Theophylactus, Anseleme, Sedulius, saint Thomas, Cajetan et d’autres.  Et de plus, Tertullien (livre 2 à son épouse), et saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien).   Ensuite, saint Augustin (livre 1 sur les mariages adultérins, chapitre 25) admet cette explication, même si on peut interpréter le texte autrement, comme il le dit lui-même : « Ce «dans le Seigneur »peut être expliqué de deux façons.»  Ou en se mariant avec un chrétien, ou en demeurant chrétienne.  Mais la dernière explication ne semble pas aussi probable que la première.  Car il ne pouvait pas y avoir de doute qu’il était illicite d’apostasier de la foi en se mariant, de telle sorte qu’il était tout à  fait inutile de donner cet avertissement aux chrétiens.»

Il y a un autre passage (2 Corinthiens 6) : «Ne prenez pas un joug avec les infidèles.»  Saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien, et dans son épitre à Gérontia sur la monogamie),  voit dans ce texte qu’on ne doit pas se marier avec des infidèles.   Car, si le commerce avec les infidèles est interdit, il est tout à fait certain que le mariage l’est aussi, lui qui est le commerce le plus grand et le plus périlleux de tous.

Deuxièmement, on le prouve avec les conciles.   Nous a été conservé le canon 13 du concile général de Chalcédoine où sont interdits les mariages avec les  hérétiques, les Juifs et les païens.  Nous est aussi conservé le canon 67 du concile d’Agathe, où l’on trouve ces mots : «Il ne faut pas se mêler aux hérétiques par des mariages,  ni leur donner nos fils ou nos filles.»  De la même manière, le canon 11 du troisième concile de Tolède interdit aux Juifs d’épouser une fille chrétienne.  Et le canon 61 du quatrième concile de Tolède ordonne aux Hébreux unis à des chrétiennes par le mariage ou de devenir chrétiens ou de se séparer de leurs épouses.  Dans le droit civil, il y a un canon sur les Juifs (ne quis christianum) : « La loi de Valence et de Théodose qui punit comme des adultères les mariages des Juifs avec des chrétiens, statue (dans le canon de Théodose, livre 3, tit 14) que  sont punis de la même façon les mariages des Romains avec les Gentils.

Troisièmement, on le prouve avec les Pères.  Tertullien (livre 2 à son épouse), traite dans une longue dispute,  la question suivante : il ne faut pas que les chrétiens ou les chrétiennes contractent des mariages avec des infidèles.  Saint Cyprien (dans son sermon sur les tombés pendant la persécution) énumère parmi d’autres crimes de fidèles les unions avec des infidèles. Il dit que «c’est prostituer aux Gentils les membres du Christ.»  Saint Ambroise (livre 1 sur Abraham, chapitre 9) écrit : «Que le chrétien se garde de donner sa fille en mariage à un Gentil ou à un Juif.  Veille à ce qu’un Gentil,  un Juif ou un hérétique et quiconque est étranger à ta foi ne t’arrache pas ta fille !»  Et (dans l’épitre 70, qui est la première du livre 14 à Vigile), il a institué un nouvel évêque pour qu’il enseigne à son peuple par-dessus tout à se garder des mariages avec des infidèles.   Saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien) écrit : «Et maintenant, méprisant le commandement de l’apôtre, plusieurs s’unissent à des Gentils, et prostituent les temples du Christ avec des idoles.»

Saint Augustin semble avoir eu des doutes et avoir hésité sur cette question.  Car (dans le livre 1 à Pollentius, chapitre 24) il rapporte la sentence de Pollentius qui voulait que la chose ait été interdite dans les deux testaments.  Ces paroles le maitre des sentences (livre 4, dist 39) les rapporte comme étant de saint Augustin. alors qu’elles sont de Pollentius, et qu’on ne doit pas les prendre comme des paroles de saint Augustin.  Ensuite, dans le chapitre 25, il dit seulement, parlant en son nom, qu’on ne trouve aucun passage dans le Nouveau Testament où ces mariages soient prohibés sans ambiguïté, bien que saint Cyprien confesse qu’il ne doute  en rien que ces mariages soient illicites.   Dans son livre sur la foi et les œuvres, au chapitre 19,  il répète une fois de plus que dans les livres du nouveau testament il ne trouve pas un témoignage certain là-dessus, même si saint Cyprien a placé parmi les crimes les mariages avec les païens.  Mais, il conclut finalement  qu’on devait à tout prix éviter ce genre de mariages, car, dans une chose douteuse, il convient de suivre l’opinion la plus probable : «On doit s’efforcer de toutes les manières à ce que ne se célèbrent pas de tels mariages.  Car, quel intérêt a-t-on à s’engager là où règne l’incertitude et l’ambiguïté ?»

Saint Augustin nous enseigne au moins que ces mariages sont douteux, et qu’il ne faut donc pas les contracter.   S’il a été permis à saint Augustin de douter (lui qui était le fils d’un tel mariage),  il ne sera pas permis à nous de le faire ,parce que nous avons plusieurs commentaires du texte de saint Paul, plusieurs témoignages des conciles et des pères que lui ne connaissait pas.  Et aussi de tous les théologiens qui ont écrit après le Maitre des sentences, et surtout, le consensus de toute l’Église.

Quatrièmement, on prouve par la raison que le mariage d’un fidèle avec un infidèle apporte beaucoup d’inconvénients et de dommages.  On ne doit donc pas penser qu’il est licite.  On prouve ainsi l’antécédent.  Il cause le danger le plus redoutable possible pour un fidèle, celui d’apostasier de la vraie foi.  « Celui qui aime le danger périra», nous dit l’Ecclésiastique 3.  Ensuite, les enfants ne pourront pas facilement être éduqués dans la vraie religion.  On pourra à peine trouver dans la maison la paix et la tranquillité qui est requise un mariage, puisque la dissension en matière religieuse engendre les disputes, les animosités, et même la haine.  De plus, comme Tertullien le montre éloquemment, si le mari est un païen, il empêchera tous les exercices de piété qu’une chrétienne est tenue de pratiquer.

La seconde proposition.  Le mariage entre un fidèle et un infidèle n’est pas invalide en vertu du droit divin ou du droit naturel,  mais d’une loi de l’Église.  Qu’il ne soit pas prohibé par le droit divin, c’est que pense Dominique a Soto ( 4 dist 39,quest unique, art 2), parce que, en 1 Corinthiens t, saint Paul permet à un fidèle de ne pas se séparer du conjoint infidèle.  Car, si le  mariage d’un fidèle avec un infidèle était invalide, comment saint Paul permettrait-il à des chrétiens de demeurer dans une union de cette sorte , qui est surement une fornication ?  Mais non seulement cette raison n’est pas évidente, mais elle n’est pas solide non plus.  Car, l’apôtre n’a pas permis à un fidèle de contracter un mariage avec une infidèle, mais il a permis que le contrat d’un fidèle avec une infidèle ne soit pas résilié dans l’espoir de la conversion de l’infidèle.

 Car, il ne s’ensuit pas nécessairement que si la disparité de culte n’invalide pas automatiquement un sacrement contracté auparavant de droit divin, elle n’invalide pas non plus celui qui a été contracté après.  Car, les empêchements dirimants ont ceci de propre  qu’ils invalident  le mariage s’ils viennent avant, mais non s’ils viennent après.  L’incapacité du coït et le vœu solennel de continence et d’autres choses de ce genre empêchent  le mariage s’ils le précèdent;  et en le rendant invalide s’il est fait quand même.  Mais si elles surviennent après un mariage légitimement contracté, elles ne peuvent pas l’invalider. De même, à notre époque,  la disparité de culte,  du moins selon le droit ecclésiastique, invalide un mariage contracté après; mais si elle survient après le mariage, comme si le conjoint fidèle devenait infidèle, et l’infidèle devenait chrétien, le mariage n’est pas invalidé, même pas par le droit ecclésiastique, du moins, pas par  le fait même.

Laissant donc de côté cette raison, que la disparité de culte ne soit pas un empêchement dirimant au mariage selon le droit naturel, on le prouve d’abord, parce qu’elle n’enlève pas du tout la fin du mariage, même si elle l’empêche d’une certaine façon. Car, de cette union, des enfants peuvent naitre, et peuvent même être éduqués dans la vraie religion, même si difficilement.  Et il peut arriver parfois que non seulement l’éducation religieuse soit empêchée, mais aussi la paix, si un des conjoints n’a cure de la religion, ou qu’il ne soit pas bien disposé envers la foi. En ce sens, la disparité de culte  ne sera pas seulement un empêchement de pratiquer la vrai religion, mais un grand danger d’être entrainé dans la croyance de l’autre.  Néanmoins, la raison droite dicte que ce mariage n’est pas mauvais en soi, mais bon.

On le prouve ensuite par l’exemple des saints, qui ne se seraient certes pas unis à des infidèles si ce mariage était nul et invalide de par la loi naturelle.  Nous avons de cela des exemples  dans la loi naturelle, dans la loi écrite et dans la loi de la grâce.  Dans la loi de nature, Jacob eut deux filles de l’idolâtre Laban.  Joseph épousa la fille de l’Égyptien Putiphar. Moïse la fille de Jetro l’Éthiopien.  Dans la loi écrite, Esther épousa Assuérus, le roi païen des Perses.  Salomon épousa la fille du Pharaon.  David reçut la fille du roi Gessur (2 Rois 3).   Dans l’ère de grâce, saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) et saint Augustin (dans son livre sur la foi et les œuvres, chapitre 19) rapportent que, de leur temps, de tels mariages étaient très fréquents dans l’Église. Et bien que les pères les blâmassent,  ils ne faisaient pas de déclaration de nullité.  Et il n’est pas probable qu’ils auraient toléré ces mariages , s’ils n’avaient pas été de vrais mariages.  De plus, sainte Monique eut un mari païen, au témoignage de saint Augustin (dans le livre 9 de ses confessions).  Et Clotilde, chrétienne, a épousé Clovis, roi païen des Francs, au témoignage de saint Grégoire de Tours (livre 2, chapitre 28 de son histoire).  L’une et l’autre étaient pieuses,  et l’une et l’autre ont  converti leur  mari à la foi.  Il ne se pouvait donc pas que, étant de pieuses chrétiennes, elles aient vécu dans une fornication perpétuelle.

Que ce ne soit pas, non plus, un empêchement dirimant de droit divin, on le prouve ainsi.  Dans le nouveau testament, nous n’avons pas de précepte de ce genre.  Car, les paroles de saint Paul : «seulement dans le Seigneur,» et ne portez pas le joug avec des infidèles, ne prouvent  pas qu’il ne faut pas contracter de mariage avec les infidèles. Elles ne prouvent pas, non plus, que ces mariages soient nuls et non avenus.  Dans l’ancien testament, on ne trouve pas de précepte qui interdise les mariages avaient des infidèles au point de les invalider, si ce n’est chez Esdras (livre 1, chapitres 9 et 10).  Car, pendant qu’ils interprétant la loi du Seigneur dans le Deutéronome donnée par Moïse, les fils d’Israël ont été séparés de leurs conjoints infidèles qu’ils avaient épousés.  Mais dans la mesure où il résiliait des mariages, ce précepte était judiciaire, et non naturel, et c’est pour cela qu’il a cessé avec les autres, et qu’il n’appartient pas aux chrétiens.

Qu’il ait été judiciaire, on le déduit de ce qu’il n’a été prescrit que pour les Juifs qui habitaient avec des infidèles dans la terre de Canaan, que Dieu voulait faire tuer et anéantir.  Et non avec les autres infidèles.  Voilà pourquoi c’est légitimement qu’Esther épousa la païen Assuérus, et Salomon la fille du Pharaon.  Il importe peu que (livre 1 d’Esdras, chapitre 4) parmi les Gentils dont les mariages étaient interdits aux Juifs, on énumère les Égyptiens , car Esdras parle des Égyptiens qui habitaient dans la terre de Canaan, et non des autres, comme Cajetan l’a bien vu.

Que la disparité de culte ne soit pas un empêchement dirimant en vertu d’une loi de l’Église, on le prouve en constatant qu’une loi de ce genre n’existe pas.  Les paroles que nous avons citées des conciles ne prouvent pas que le mariage soit invalide, s’il se fait entre un fidèle et une infidèle, mais seulement qu’on ne doit  pas agir ainsi.  Car, dans les conciles de Chalcédoine  et d’Agathe, ils mettent des hérétiques parmi les infidèles, et cependant, d’après l’avis de l’ensemble des catholiques, le mariage avec un hérétique n’est pas invalide.  Le concile de Tolède 4 ordonne, il est vrai, s’efforce de séparer les époux, mais il ne parle que des Juifs, et cela, dans l’Espagne. Car, ce concile ne fut pas un concile universel mais national, et c’est pour cette raison qu’il ne pouvait pas donner une loi  à  toute l’Église.

La troisième proposition.  Le mariage entre un fidèle et un infidèle non baptisé est invalide par la coutume du peuple chrétien, qui obtient force de loi.  Preuve.   Pendant un grand nombre d’années, on a cru, sans aucune controverse dans l’Église chrétienne, que ces mariages étaient nuls.  Car, et le maitre des sentences (livre 4, dist 39) et Graiten (28, quest 1) et ensuite tous les théologiens et canonistes ont transmis cela, comme une chose admise et connue par le plus grand nombre. Même si l’église a cru cela pendant de nombreux siècles, et l’a mis en application, on ne trouve pas de loi qui le prescrit textuellement.  On doit en conclure que cela a été introduit petit à petit, et que la coutume a pris force de loi.

Que cette coutume ou cette loi ne peut pas être réprouvée, on peut le démontrer par deux arguments.  Premièrement, par l’exemple de la loi.  Si, dans la loi ancienne, la disparité de culte était un empêchement dirimant , au moins entre certaines nations, on a certainement des raisons plus grandes de penser qu’une disparité de cule est un empêchement dirimant pour les chrétiens.  Car, la loi chrétienne est plus parfaite.  Et de plus, la disparité de culte entre chrétiens et les infidèles, est plus grande que celle qui existe entre les Juifs et les infidèles.   Car, la loi chrétienne est nécessaire à tous pour le salut.  Et  ceux qui ne sont pas  chrétiens sont étrangers à Dieu et à l’Église, et à la religion divine.  Or, la loi des hébreux n’est pas nécessaire à tous, et plusieurs Gentils pouvaient se sauver quand la loi était en vigueur.  Voilà pourquoi les Gentils n’étaient pas en dehors de l’Église de Dieu par cela seul qu’ils n’appartenaient pas au peuple élu.

Deuxièmement.  Le mariage, chez les chrétiens, est un sacrement.  Il ne doit donc pas être, par les chrétiens, conféré  à ceux qui ne peuvent pas recevoir les sacrements.  Elle fut donc très grande la raison qui annulait les mariages entre croyants et incroyants.  Car, un infidèle non baptisé n’est capable de recevoir aucun sacrement.  Et voilà aussi la raison pour laquelle le mariage d’un catholique avec un hérétique n’est pas invalide, parce qu’il peut être un sacrement à cause du baptême de l’un et l’autre.

La quatrième proposition.  Le souverain pontife peut, si la chose s’avère avantageuse ou nécessaire, dispenser un fidèle, pour qu’il puisse contracter un mariage avec un infidèle.  Cette proposition découle des autres.  Car, s’il est question d’un précepte invalidant les mariages de cette sorte, il n’y a aucun doute que le souverain pontife peut donner des dispenses, puisque ce précepte n’est ni divin, ni naturel, ni divin positif, mais purement ecclésiastique.  S’il s’agit d’un précepte qui prohibe universellement, -dont nous avons parlé dans la première proposition--  ce précepte est soit positif, soit naturel.   S’il est naturel, il n’oblige que dans la mesure où la droite raison dicte qu’il ne faut pas le faire, ou en cas de subversion, ou pour d’autres causes. Voilà pourquoi ces causes cessant, un mariage de cette sorte n’est pas contre le droit naturel, surtout advenant une déclaration du pasteur suprême.  Comme nous l’avons dit plus haut, Esther s’est mariée avec un infidèle, Joseph, Jacob, Moïse et d’autres hommes saints se sont unis à des infidèles, parce qu’avait cessé la cause du péril.

Mais si c’est un précepte humain positif, comme ceux de saint Paul, des conciles et des souverains pontifes, le successeur des apôtres et des successeurs des apôtres peut, sans aucun doute,  en dispenser, pour une juste cause, et le péril cessant.  Il n’y a, là-dessus, aucun précepte positif divin, comme nous l’avons montré plus haut.  Car celui que l’on trouve dans le Deutéronome 7 a été déjà abrogé en tant que positif.   En tant qu’il était en quelque sorte naturel, il n’oblige, comme nous avons dit, que quand la droite raison juge qu’est imminent le danger pour lequel la loi a été donnée.

Et c’est ce qui nous permet de réfuter tous les arguments que doivent ou que peuvent faire les adversaires.  Il ne peuvent  pas en effet en présenter d’autres , et de fait, ils ne présentent  que les exemples des fidèles qui dans l’ancien et le nouveau testament ont contracté des mariages avec des païens.  On peut leur répondre par une ou l’autre de ces quatre manières.  Ou ces exemples se rapportent à ceux à qui  de tels mariages n’étaient prohibés par aucune loi particulière, mais seulement par la loi de la nature selon la droite raison, et tel fut le cas de Jacob, Joseph, Esther.  Ou à ceux qui épousèrent des gentils mais pour les amener à la foi, car cela a toujours été permis. C’est de cette façon que Salomon a épousé Rahab la prostituée de Palestine, et que  Booz a épousé Ruth la Moabite.  Ces femmes accédèrent à la foi et à la religion judaïque, même si elles venaient de Gentils, avec lesquels il était interdit de contracter des mariages.  Ou à ceux qui sont blâmés ouvertement, pour avoir, contre la loi, contracté des mariages avec des étrangers, ce qui fut le cas de Salomon, qui dans 3, Rois 3, reçoit de grands reproches de l’Écriture parce qu’il avait, contre la loi,  épousé des femmes moabites, ammonites, et chanaanites,  et il est sévèrement blâmé par les pères comme saint Cyprien, saint Ambroise, et saint Jérôme, comme nous l’avons démontré plus haut.  Ou à ceux que l’ignorance ou une coutume établie depuis longtemps excusait. 

C’est dans ce groupe que nous posons sainte Monique, la mère de saint Augustin. Car,  à cette époque ,le mariage entre fidèles et infidèles était une chose si commune qu’on n’y voyait plus de péchés, comme l’atteste saint Augustin (dans la foi et les œuvres, chapitre 10.)   Voilà pourquoi sainte Monique, dont les hérétiques font tant de cas, était excusée de péché par l’ignorance et la coutume.  Et si elle a eu conscience d’une faute, elle l’a certainement expiée par les larmes et la pénitence.  Elle ne devait pas dissoudre son mariage, car la coutume du peuple fidèle n’avait pas encore placé la disparité de culte parmi les empêchements au mariage, comme elle l’a fait après.

                                                        CHAPITRE 24

L’empêchement de parenté.  Ce qu’est la parenté, et quels en sont les degrés.

Il reste l’empêchement de parenté au sujet de laquelle fait rage une très grande controverse. Pour en donner une explication ordonnée, on exposera d’abord ce qu’est la parenté, ce que sont les grades, et combien ils sont. Ensuite, ce qu’en pensent les hérétiques.  En troisième lieu, on prouvera la vérité, et on réfutera les arguments des adversaires.

Venons-en d’abord au premier point : ce qu’est la parenté.   Les jurisconsultes font une distinction entre la «cognation,»  la parenté par le sang, l’agnation, parenté par les mâles.  Ils appellent parents (cognatos) tous ceux du même sang qui descendent de la mère.  Et ils appellent parents (agnatos) ceux qui descendent du père.  La parenté (cognatio) est tantôt le nom du genre, tantôt le nom de l’espèce.  Mais l’agnation est toujours le nom de l’espèce.  Car on peut appeler parents ceux qui sont agnatis, mais non vice-versa, comme on le lit dans la loi parmi les agnatos. ff, d’où les légitimes,  et la foi du jurisconsulte  ff sur les degrés et les affinitésé.)  Et dans saint Ambroise (épitre 66 à Patronu, la dernière) où il nie qu’on puisse appeler agnati ceux qui ne descendent pas du père, comme des  frères utérins nés de différents pères.  Voilà pourquoi s’est trompé Dominique a Soto ( 1, 4, dist 40, question unique, art 4) où il dit que l’agnation est un genre, et la cognation (parenté) une espèce.

Dans le droit canonique , autant  la «cognation» que l’«agnation» sont appelées tout simplement consanguinité, laquelle diffère de l’affinité, en ce que la consanguinité est le lien de ceux qui descendent de quelqu’un par la propagation du sang, de façon à ce que tous participent au même sang, et sont tous réductibles à la même souche.  L’affinité est entre ceux qui sont unis non par la propagation, mais par l’union de deux dans une même chair.  Car, parce que par la copule charnelle, l’homme et la femme deviennent une seule chair,  les proches parents deviennent consanguins de l’un et «affines » de l’autre.  Les parents, les frères et les autres consanguins de l’épouse deviennent «affines» du mari, et d’un autre côté, les parents, les frères et les autres consanguins du mari deviennent, de la même façon «affines» de l’épouse.  Mais les consanguins d’un conjoint ne sont pas «affines» des consanguins de l’autre conjoint, mais seulement du conjoint lui-même.  Et dans ce degré ils deviennent affines à  l’autre, celui des conjoints dans le degré duquel sont des consanguins  de l’autre.    Car, le père de l’épouse  devient en quelque sorte le père de l’époux, et le frère de l’épouse devient en quelque sorte le frère de l’époux, etc.   Voilà pourquoi si quelqu’un connait les degrés de consanguinité, il en déduira facilement les degrés d’affinité.

En ce qui a trait aux degrés, il faut savoir qu’ils sont énumérés autrement dans le droit civil, et autrement dans le droit canonique.  Dans le droit civil, comme il appert du titre des degrés dans les Pandectis de Justinien, un double ordre est constitué.  Un, en droite ligne, comme père-fils-neveu, ou père-grand-père, arrière grand-père.  L’autre, collatéral,  frères, cousis germains, petits cousins. Dans la parenté en ligne droite, il y a autant de degrés que de personnes, en omettant la souche. Par exemple, le fils est au premier degré, le neveu au second, le petit neveu au troisième, l’arrière petit neveu au quatrième.  Le droit canon ne diffère pas en cela du droit civil. 

 Dans la lignée collatérale, le droit civil ne place aucun premier degré, mais commence au deuxième qui est celui des frères entre eux.  Et la raison en est que, même dans la ligne collatérale, le droit civil met autant de degrés qu’il y a de personnes, en ne comptant pas la souche.  Car, s’il n’y a qu’un fils, il n’est pas appelé frère, mais fils.  Il ne fait donc pas un ordre collatéral, mais il propage seulement la droite ligne.  Les frères qui sont deux au minimum effectuent le second degré.  Si un fils nait à l’un deux, ils seront alors trois, et on commencera à dire de l’autre qu’il est l’oncle paternel, par rapport au fils de son frère.  C’est dans le troisième degré   que sont l’oncle et le fils du frère.  Il en est de même pour l’oncle, la tante paternelle, et la tante maternelle.  Le quatrième de gré le font les fils des frères , qu’on appelle cousins germains si on compte au moins quatre personnes, moins la racine, les deux frères et leurs deux fils.  Le cinquième degré est entre un cousin  et le fils de l’autre.  Le sixième degré  est entre les deux  fils des cousins.

Il est à noter, en passant, que le second degré est distant également de la racine, que le troisième l’est inégalement, que le quatrième, le sixième et le huitième sont aussi également distants; que le cinquième, le septième et le neuvième sont inégalement distants.   Ce n’est pas Justinien qui a composé cet ordre de degrés dans les authenticis. et Alexandre second ne les a pas réprouvés dans le concile du Latran  (comme le soupçonne Dominique a Soto (dans quartum dist 40, art 2), mais il était dans les lois les plus anciennes des Romains, comme on le voit dans le jurisconsulte Paul ( dans ff, sur les degrés), lequel a précédé Justinien de trois cents ans.  Il a vécu au temps de l’empereur Alexandre, autour de l’année 230.  Et aussi, dans saint Ambroise, épitre 66 à Paternus) où, selon cet ordre d’énumération des degrés, il affirme que deux cousins germains sont consanguins au quatrième degré, l’oncle paternel et le fils de la sœur dans le troisième.  Or, saint Ambroise a écrit plus de cent ans avant la naissance de Justinien.

Le pape Alexandre 2, dans le concile du Latran, comme le montre le canon ad sedem,  35, question 5,  ne réfute pas Justinien, mais l’erreur de ceux qui le comprenaient mal.  Voilà pourquoi, au même endroit, le pape Alexandre répète deux ou trois fois que la loi civile est correcte, même si elle conserve un autre ordre.  Car, le droit civil  regarde le nombre des personnes,  et le droit canon la distance de la souche.  Voilà pourquoi, selon le droit canon, le premier degré, en ligne directe, est celui des fils, qui sont les premiers à dériver de la souche.  Le deuxième degré est celui des neveux, et le troisième,  des petits neveux.  Dans l’ordre collatéral, le premier est celui des frères naturels,  le second des cousins germains, et en même temps, de l’oncle paternel et du fils du frère;  le troisième des deux fils des cousins germains, et en même temps, de l’oncle paternel  et du fils de l’autre oncle paternel.  Le pape Alexandre en déduit qu’avec  deux degrés du code civil on en établit un selon le droit canonique;  et que donc, celui qui est second selon le doit civil est le premier selon le droit canonique; et que celui qui est troisième  et sixième selon le droit civil est troisième selon le droit canon; et que celui qui est septième et huitième selon le droit civil, est quatrième selon le droit canonique, etc.

La raison de la supputation canonique est donnée par les théologiens et les canonistes, et on la trouve aussi au chapitre quod dilectio sur la consanguinité et l’affinité,  et au chapitre finali eodem.  La voici.   Comme, dans l’ordre collatéral,  les personnes ne s’unissent que par rapport à la souche d’où elles procèdent, elles ne peuvent pas être plus ou moins distantes entre elles qu’elles ne le sont de la souche.  Il est donc nécessaire qu’elles soient unies entre elles , ou qu’elles soient distantes entre elles par le degré avec lequel elles sont unies à la souche, ou elles en sont distantes. 

Voilà pourquoi deux frères seront dans le premier degré, parce qu’ils sont l’un et l’autre dans le premier degré avec la souche.  Les cousins germains seront dans le deuxième degré, parce qu’ils sont l’un et l’autre dans le second degré avec la souche.  S’ils sont inégalement distants de la souche, comme l’oncle paternel et le fils du frère, ils seront alors distants entre eux du degré avec lequel ils sont distants de la souche, lequel est le plus éloigné.   Et quand ils sont unis par la souche, il ne peut pas se faire que l’on soit plus proche de son consanguin que de la souche.  Donc le fils du frère n’est donc pas moins distant de l’oncle paternel que du grand-père.  Donc, bien que l’oncle paternel soit distant d’un degré seulement de la souche, toutefois, parce que le fils du frère est distant de deux degrés de la même souche, en conséquence, l’oncle paternel et le fils du frère sont au second degré, non moins que les deux fils des frères.

Et c’est ce que veut dire le  pape Alexandre quand il enseigne qu’on fait un degré canonique avec deux degrés civils.   Selon le droit civil, l’oncle paternel et le fils du frère font un seul degré;  les deux fils des frères font l’autre, parce qu’une personne est ajoutée au nombre, et que le droit civil regarde le nombre des personnes.  Or, pour le droit canonique, le degré de l’oncle paternel et du fils du frère est le même que celui de deux oncles paternels, parce que le droit canonique ne compte pas les personnes, mais considère la distance de la souche.   Il faut observer ici que que la supputation des degrés ne s’étend pas à l’infini.  Car, la vertu paternelle transmise dans le fils, par laquelle le fils est semblable au père, non seulement comme espèce, mais aussi comme individu, comme l’apparence physique, les moeurs, la couleur, tout ce qui donne un air de famille et de ressemblance entre consanguins, diminue peu à peu, de sorte qu’elle est plus grande dans le fils que dans le neveu, plus grande dans le neveu, que dans le petit neveu, et s’évanouit enfin complètement après plusieurs générations.  Autrement, si elle durait toujours, il s’ensuivrait que tous les hommes qui descendent d’Adam, la première souche de l’arbre humain, seraient consanguins.  Or, c’est plutôt le contraire que nous observons. Non seulement tous les hommes, mais même tous les citoyens d’une même ville, n’ont pas pu conserver cet air de ressemblance que la nature donne aux consanguins.

Cependant, parce qu’on ne peut pas savoir facilement jusqu’où persévère cette vertu du sang, et qu’il est probable qu’elle ne se conserve pas également, tantôt dans plusieurs générations, tantôt dans peu, cette vertu étant plus grande dans l’un que dans l’autre, c’est pour cela que pour avoir quelque chose de certain, les législateurs ont prédéterminé un nombre de degrés.  Dans le Lévitique, chapitre 18,  Moïse a déterminé seulement deux degrés, le premier et le second.   Car, il a interdit, en ligne directe, le mariage du père avec la fille, et avec la nièce, et, semblablement, le mariage de la mère avec le fils ou le neveu.  Dans la ligne collatérale, il a prohibé le mariage du frère avec la sœur, qu’elle le soit d’un ou des deux parents, du neveu avec la tante paternelle ou maternelle.  Cependant, il n’a pas interdit le mariage de l’oncle paternel ou du grand-père paternel avec la fille du frère ou de la sœur.  Et cela quant à la consanguinité, où il y a deux degrés selon les canons, et trois selon les lois.

Quant à l’affinité, il a interdit le mariage du fils avec la belle-mère, ou avec sa fille. Et cela, en ligne droite.  Dans la ligne collatérale, il a interdit le mariage avec l’épouse du frère, et avec la sœur de l’épouse, du vivant de l’épouse,  et avec l’épouse du l’oncle paternel. Il y a, là aussi, deux degrés selon les canons, le premier et le deuxième, et trois selon les lois.  Car, la fille de la belle-mère est au second degré avec le père, et la femme de l’oncle paternel est au second degré avec son neveu.

Voilà pourquoi Luther a erré dans la captivité de Babylone (au chapitre du mariage),  quand il a dit que dans la loi divine, n’étaient prohibés que le premier degré de l’affinité, et le second de la consanguinité.  Que saint Ambroise (dans l’épitre 66) dise que, dans la loi divine, est prohibé  le mariage des oncles paternels, qui sont dans le quatrième degré selon les lois, je ne vois pas comment cela puisse être.  Le même Ambroise, au même endroit, nie que dans la loi soit expressément interdit la mariage du père et de la fille. Ce ne peut être qu’un trou de mémoire. Car, il s’agit de la première interdiction : «Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, ni la nudité de ta mère.»  Cela ne peut signifier rien d’autre que la fille n’épouse pas son père, et le fils, sa amère.

Mais bien que la loi divine se soit contentée de ces quelques degrés, la loi civile interdit ainsi aussi le mariage entre cousins germains, qui sont dans le quatrième degré selon les lois, comme l’atteste saint Ambroise, (dans son épitre 66).   Mais la loi ecclésiastique va plus loin.  Car l’Église avait défini autrefois un septième degré, au-delà duquel il n’y avait plus de consanguinité, comme on le voit dans Alexandre 11 (œuvre citée plus haut).  Mais, ensuite, dans le concile du Latran, sous Innocent 3, on a restreint la consanguinité autant que l’affinité au quatrième degré, (chapitre non debet, de la consanguinité et de l’affinité).  Ce qui nous fait comprendre pourquoi la plupart nient ce qu’on avait coutume de dire en proverbe qu’en ligne droite les mariages sont interdits infiniment.  Ce que Caius  1 a été le premier à écrire (noces, 2 ff, rite des noces.)

Nous n’avons pas à nous casser la tête avec cela, car il est fort peu probable que certains désirent que le mariage se rende jusqu’au cinquième degré en ligne droite, ou à un degré plus élevé.  Car, ou ils ne pourront pas être vivants en même temps, ou ils seront d’un âge si inégal qu’ils ne voudront jamais se marier ensemble.  Car, concédons que dans n’importe laquelle ligne chacun engendre dès que l’âge le lui permet, c’est-à-dire quand il parvient à l’âge de quinze ans,  ce qui pourtant arrive rarement ou jamais, s’ils devaient se marier dans le cinquième degré, l’un aurait 90 ans et l’autre 15.  Et s’ils se mariaient dans le huitième degré, l’un aurait 135 et l’autre 15.  Bien plus, Adam lui-même, qui a vécu 930 ans n’aurait survécu que jusqu’à la huitième génération. À cette époque, s’il avait voulu prendre femme en dehors de la consanguinité, il aurait du attendre l’âge de 900 ans pour prendre une épouse de 15 ans.

L’Église a ajouté, en plus, deux autres espèces de parenté, que le Lévitique ne contient pas : la parenté spirituelle, qui procède du baptême et de la confirmation, et la parenté légale, qui vient de l’adoption.  Elle a jouté aussi deux autres quasi espèces d’affinité :  une qui provient des fiançailles, qui s’appelle justice d’honnêteté publique; et une autre qui provient d’une union charnelle adultère, bien que quelques-uns la découvrent , non sans peine, dans le Lévitique.  Donc, le concile de Trente, à la session 21, a décrété que la parenté spirituelle  ainsi que l’honnêteté publique invalident le mariage seulement entre le premier degré; l’affinité et la copule fornicatrice entre le premier et le second.

Il y a aussi une autre affinité, qui vient d’un mariage ratifié mais non encore consommé, qui bien qu’elle ait coutume d’être appelée justice publique, est cependant, sans aucun doute, quelque chose de plus parfait.   C’est pourquoi le pape Pie V a déclaré que la restriction conciliaire de la justice publique au premier degré, n’a lieu que pour le futur dans les épousailles.

                                                            CHAPITRE 25

                                    On présente des opinions sur l’empêchement de parenté

             Après ces explications préalables, la question se pose ainsi : entre quels degrés la parenté ou l’affinité empêche-t-elle un contrat de droit ?  Car personne ne nie que la parenté ou l’affinité empêchent le mariage dans certains degrés.  Nous trouvons sur ce sujet cinq sentences d’hérétiques.    La première est  de Jean Wiclef (livre 4, chapitre 20 de sa trilogie), qui affirme que  seule la parenté au premier degré  en droite ligne, empêche un mariage, et qu’en ligne collatérale, il n’y a aucun empêchement.  Il en déduit que le mariage peut se faire entre frères et sœurs, parce que cela n’est pas interdit par le droit divin, mais seulement par une invention humaine. 

Dominique a Soto se trompe ( 4 sentences, dist 40, art 3) quand il rapporte que Wiclef a pensé que les prohibitions que contient le Lévitique retiennent leur force même pour les chrétiens, en vertu du droit divin.  Car, Wiclef n’a pas enseigné cela, mais plutôt le contraire.  Voici ses propres paroles dans son livre que j’ai à la portée de la main : « Je ne me réjouis pas de la multitude des causes de divorce, parce que plusieurs sont déterminées humainement sans aucun fondement, comme c’est particulièrement le cas pour la parenté.  Car, au temps du premier homme, les frères et les sœurs furent unis  ainsi, selon le droit divin.   Il en fut ainsi au temps des patriarches. On ne trouve d’autre raison pour laquelle ce ne serait pas permis aujourd’hui qu’une législation humaine.»  Voilà pourquoi Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 134, sur les sacrements) prouve contre Wiclef, que les préceptes du Lévitique sont de droit divin, et qu’ils obligent les chrétiens.

              L’autre  opinion est celle de Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre sur le mariage, et dans son sermon sur le mariage , 1525,)  et de Martin Bucer (dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu, ) qui ne reconnaissent  comme empêchements de mariage que les degrés de parenté qui se trouvent dans le Lévitique au chapitre 18, et qui rejettent les autres prescrits par l’Église.  Ils ne veulent donc pas qu’il soit perms de célébrer un mariage dans les degrés indiqués par le Lévitique, et ils n’admettent aucune dispense de l’Église, puisqu’il s’agit d’une loi divine et non humaine.  Et inversement, ils veulent que, dans tous les autres degrés, on puisse librement s’unir en mariage, nonobstant la loi humaine ou la coutume.  Car, elle savait parfaitement bien ce qu’il fallait prohiber et non prohiber.  Et c’est cette sentence qu’ils suivaient ceux qui persuadèrent Henri V111 que le pontife romain ne pouvait lui donner la dispense qui lui permette d’épouser la femme de son frère défunt.  Car, c’est une chose que la loi divine prohibe explicitement (Lévitique 18).

              La troisième sentence est celle de Philippe Melanchton (dans les lieux,  mariage) et de Martin Kemnitius (2 part, examen, page 1230 et suivantes).  Ils sont du même avis que Luther et Bucer, à savoir, que les préceptes du Lévitique sur les degrés de parenté contiennent la norme naturelle de la justice, et, à cause de cela, s’imposent même aux chrétiens, et sont tout à fait immuables.   Mais, ils divergent au sujet des degrés non spécifiés dans le Lévitique.  Car, quelques-uns disent que les autres degrés ont été correctement prohibés par l’église antique,  et qu’ils peuvent aussi être prohibés, pourvu que cela se fasse en préservant la liberté de conscience, c’est-à-dire qu’on ne pèche pas, si on fait autrement.

              Mais, dans la dispute de Kemnitius, il y a trois contradictions.  La première, dans la page 1231.  Il dit que les préceptes du Lévitique sur les degrés de parenté, sont des mandats naturels,  qui appartiennent à tous les hommes de tous les temps, comme des normes de justice immuables dans l’esprit et la volonté de Dieu.  Et, cependant, à la page 1230, qui précédait de peu,  il avait dit que Dieu avait donné une dispense aux fils d’Adam  pour qu’ils puissent épouser leurs sœurs.  Ce qui est le premier degré dans la ligne collatérale prohibé expressément dans le Lévitique.  Or, si cette loi du Lévitique s’étend à tous les hommes de tous les temps, et est une norme de justice immuable dans la pensée divine, pour quelle raisons a-t-elle été changée par le même Dieu dès le début du monde ?   

 Ensuite, à la page 1238, Kemnitius affirme que tous les mariages qui ne s’opposent pas aux prohibitions divines, sont unis par Dieu, et ne peuvent donc pas être annulés, car le Christ a dit : que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni.  Et cependant, dans la même page, et dans la précédente, il concédait que l’Église pouvait avec un magistrat, déterminer d’autres degrés que ceux que la loi divine avait déterminés. Et, aux  pages 1234 et 1235, il approuverait dans saint Ambroise et saint Augustin que la loi civile prohibe les mariages de cousins germains, même si la loi divine ne les prohibait pas.

              Or, si tous les mariages qui ne sont pas en lutte avec la prohibition divine sont de Dieu, et ne peuvent pas être résiliés, on ne doit  donc prohiber aucun mariage que Dieu n’a pas prohibé, ni établir aucun degré que Dieu n’a pas établi,  à moins que nous voulions prohiber et dirimer les mariages que Dieu a unis.   Comment donc les hommes peuvent-ils établir des degrés qui ne sont pas dans le Lévitique, comme pour les cousins germains ?  Finalement, à la page 1237, Kemnitiius veut que certains degrés soient institués par des lois humaines, dans lesquels les mariages ne seraient pas légitimes, mais cependant, en laissant sauve la liberté de conscience. 

Mais, ces choses se contredisent manifestement.  Car les mariages contractés  dans les degrés prescrits par la loi humaine seront ou légitimes, ou illégitimes.   Ils ne pourront pas être légitimes car ils sont contre une loi, et la loi  dont Kemnitius affirme le contraire, sera certes inique et mauvaise . Ils seront donc illégitimes.  Donc, en conscience, ce sera un mal de les contracter, à moins que peut-être ce ne soit pas un mal de commettre, en conscience, la fornication sous le nom de mariage. Donc, cette loi, même si elle n’est qu’humaine, oblige en conscience,  Kemnitius affirmant juste le contraire.

              Ajoutons aussi le mensonge manifeste de Kemnitius.  Il dit à la page 1238, que les consciences ne se sentent pas moins tenues par les prohibitions du pontife du pontife que par  celles  de Dieu. Or, cela est un mensonge éhonté, parce que le souverain pontife donne souvent des dispenses pour les prescriptions pontificales, mais pour les divines, jamais.  Car celles qui semblent à Kemnitius des prohibitions divines, dont le pape donne parfois des dispenses, ne sont pas divines pour les chrétiens, comme nous le prouverons clairement ,si Dieu le veut.

              La quatrième sentence est celle de Brentius.  Dans la confession de Wirtembergens, (au chapitre du mariage)  et dans son apologie pour la même confession, il veut que, pour les degrés de parenté, on conserve la loi civile des empereurs.   Mais il développe le sujet plus au long dans ses commentaires sur le Lévitique, chapitre 18, que l’on peut résumer en cinq chapitres.   Le premier affirme que la loi divine, qui se trouve dans le Lévitique, ne se rapporte pas aux chrétiens, et que  dans la mesure où la loi mosaïque  et lévitique est judiciaire, elle a été abrogée par le Christ. Elle ne s’y rapporte qu’en tant qu’elle contient un peu de la loi naturelle.  Car la loi de la nature enseigne qu’il y a une différence entre les personnes qui contractent le sacrement du mariage.  Mais, en quoi consiste cette différence, elle ne l’explique pas. 

 Il ajoute, en second lieu, qu’il ne faut pas laisser au jugement de tout un chacun  de décrire cette différence entre les personnes, et donc d’établir des degrés de parenté, mais que cela relève d’un autre législateur.    Troisièmement, il dit qu’il y a trois législateurs à avoir déterminé des degrés de parenté : Moïse, le Pontife romain et César, mais qu’on  ne peut admettre aucun de ceux-là absolument. Car Moïse n’a  rien à voir avec  nous, nous puisque ses lois cérémoniales ont été abrogées par le Christ.  Le pontife Romain n’a pas l’autorité de porter des lois.  César est un vrai législateur, mais puisque, dans cette affaire, il soumet ses lois aux canons du pontife, il a perdu son autorité, lui aussi.   Quatrièmement,   Comme l’autre loi sur les noces est libre, il faut suivre la voie de la nature.  Et, pour savoir quels sont les degrés probables selon le droit de la nature, il commande d’observer dans quels degrés correspondent la loi de Moïse et celle de César.  Car, les degrés qui seront prohibés par l’une et l’autre loi , on devra estimer qu’il est probable qu’ils appartiennent au droit naturel.  Et dans ces degrés, il ne faudra admettre aucune dispense.  Les degrés qui ne sont prohibés que par la loi de Moïse, ou seulement par l’empereur romain, on estimera qu’il est probable qu’ils n’aient été prohibés que par la loi politique, non par le droit de la nature.

              Cinquièmement.   Il ajoute ensuite qu’il ne faut pas observer seulement la loi naturelle dans les degrés de parenté, en ce qui a trait au mariage, mais aussi la loi de l’empereur romain, la coutume du lieu, et aussi le jugement des hommes prudents.  Car, bien que la loi de l’empereur romain perde de son autorité quand elle soumet ses canons au pontife, elle est quad même juste.  Et comme quelqu’un en appela du roi endormi au roi réveillé,  et un autre du roi saoul au roi sobre, nous en appelons, nous aussi, des trompés par la fraude,  à bien informés, ou d’administrateurs de lois aux lois elles-mêmes.

              Les choses qu’il a prononcées  en premier et en second lieu sont tout à fait vraies.   Mais, en troisième  et quatrième lieu, elles sont fausses, et devront être réfutées dans le prochain chapitre.  Ce qu’il dit en cinquième lieu est d’une grande absurdité, et est manifestement en opposition avec ce qu’il avait dit en troisième lieu.  Car, si les lois romaines avaient perdu leur autorité, comme il le dit, elles ne pourraient obliger personne, et, à cause de cela, le smariages ne seront illégitimes que ceux qui sont prohibés par la loi naturelle.  Or, on dit précisément le contraire dans le cinquième.  Ne vaut pas grand-chose cette appellation de Brentius : trompés par la fraude,  ou mieux informés.  Car, les empereurs romains sont encore ce qu’ils étaient autrefois, même si, entre temps ils sont devenus catholiques, et soumettent encore leurs lois aux canons.  Car, que je sache, Luther n’est pas encore devenu empereur.  À quel empereur Brentius en appellera-t-il donc ?

              Voilà peut-être pourquoi il ajoute qu’il en appellera des administrateurs des lois aux lois elles-mêmes. Or, c’est une chose inouïe et tout à fait absurde que quelqu’un en appelle du juge à la loi.  Et même si on pouvait tolérer qu’on en appelle d’un juge inférieur à la loi, cependant, qu’on en appelle du roi qui a fait la loi à la loi-elle-même, c’est tout à fait intolérable,  puisque la loi tire son autorité du prince, et non le prince de la loi.  Et le roi ne pourrait pas être privé de son autorité,  le jour où toutes ses lois cesseraient d’exister. 

 Mais Brentius pense peut-être que ces lois sont des lois romaines, non des lois coercitives, mais de prudentes admonitions, à la façon des lois de Platon ou d’Aristote pour la république, ou de Cicéron  (de officiis).  Car, ces lois qui manquent de l’autorité d’un roi ne rendent pas des mariages légitimes ou illégitimes,  et surtout au for externe.  Or, Brentiius parle des lois qui font des mariages légitimes ou illégitimes.  Car, il écrit que les lois des romains doivent être observées non seulement en conscience, mais pour les successions et les héritages qui reviennent à des enfants légitimes.  Et ces fils légitimes sont ceux qui proviennent d’un mariage légitime.     Brentius est donc forcé d’admettre deux choses contraires :  les lois romaines ont perdu l’autorité sur les lois de parenté,  mais elles obligent quand même, et il faut nécessairement les conserver comme de véritables lois.  Ce qui devrait suffire pour Brentius.

              Jean Calvin n’explique pas suffisamment sa sentence.  Car, c’est seulement dans  le livre 4, chapitre 19 qu’il reproche à l’Église d’avoir déterminé d’autres degrés en plus de ceux des Gentils et de Moïse; et d’avoir voulu que la parenté spirituelle soit un empêchement.  Mais il sera permis de connaitre la vraie pensée de Calvin par Théodore de Bèze, son premier disciple.

  Il y a donc une cinquième sentence qui est celle de Théodore de Bèze que l’on trouve dans son livre sur les répudiations et les divorces.   Il réprouve la façon de supputer les degrés des auteurs du canon. Il trouve qu’elle est absurde. Et il ajoute qu’on ne doit suivre que la façon de supputer des jurisconsultes civils.   Il affirme ensuite qu’il faut conserver ,de droit divin , les degrés qui sont énumérés dans le Lévitique, et d’autres similaires qu’on peut en déduire.  Par exemple.  Parce que, dans le Lévitique, le mariage du neveu avec la tante maternelle ou paternelle est interdit, Bèze en déduit qu’il est également interdit entre l’oncle paternel, ou  l’oncle maternel avec la nièce, la fille du frère ou de la sœur.

 Et, parce que, dans le Lévitique, est interdit le mariage du père avec la fille, et du grand-père avec la nièce, il en déduit que sont prohibés tous les mariages en ligne droite, parce que, dans la ligne droite, le plus âgé  tient toujours la place du père, par rapport au plus jeune.  Et, pour la même raison, il veut que soit interdit le mariage de l’oncle paternel non seulement avec la nièce, mais aussi avec la petite nièce et l’arrière petite nièce, et avec tous les inférieurs.  Il faudra donc conserver de droit divin beaucoup de degrés, même s’ils ne sont pas présents dans le Lévitique.

              Il enseigne, quatrièmement, qu’il faut conserver les lois civiles sur les degrés de parenté, de façon, cependant, à ce que les mariages ne soient pas contractés dans ces degrés, mais qu’ils ne soient pas invalidés s’ils sont contractés.  Ce qui n’est pas vraiment conserver la loi civile.  Car la loi civile invalide les mariages contractés dans les degrés prohibés.  Mais, de cela, nous parlerons plus tard.   Il faut observer ici, en passant, que Bèze, en tant qu’hérétique, se devait, dans son livre sur les calomnies et les mensonges, d’être bien renseigné.  Il lui a plus de faire ces deux notes.  À la page 44, il reproduit cette figure : 

                                                                         JEAN

                                             PIERRE                                    PAUL

                                           JACQUES                                RACHEL

                                           ANDRÉ                                    SUZANNE

                                                                                              J0ANNE

Et il dit : «Les canonistes permettent à Jeanne, petite nièce du frère,  d’épouser Pierre, grand oncle paternel, qui sont distants de six degrés.  Mais non  Jacques, même s’ils sont distants par le même nombre de degrés, six.   Bien plus, même pas André, alors qu’ils sont distants de sept degrés.  Ils permettent donc un mariage dans le sixième degré même avec celui qui tient lieu du père;  et, dans le même degré, ils ne le permettent pas à ceux qui tiennent lieu du père,  Jacques et Jean.   C’est jusque là que les force à dévier du droit chemin la règle fictive sur les degrés qu’il faut compter dans la ligne collatérale inégale.»  Et voilà.   Dans ces quelques lignes, il y a autant d’erreurs que de mots. Et c’est au point où je me demande s’il les a écrites en dormant on en étant éveillé.

              Sa première fausseté.  Il affirme que les canonistes permettent au grand oncle paternel d’épouser la petite nièce (de son frère).  Car, comme entre eux, selon les canons, il y a un quatrième degré de consanguinité, aucun canoniste ne dirait que leur mariage serait licite.   Car, il est archi connu, conne l’a reconnu plus haut Bèze lui-même, que le mariage est prohibé au quatrième degré (chapitre non debet, de la consanguinité et de l’affinité.)  Sa deuxième fausseté. Il affirme que, selon une supputation correcte, il y aurait entre eux six degrés.  Car, par correcte, il entend légale, comme  on le constate par ce qui précède, car  il se bat toujours pour la loi civile contre la loi canonique.  Or, selon la supputation légale, il y a entre Pierre et Joanne cinq degrés, non six.   Car, il y a autant de degrés que de personnes, ex excluant la personne souche.  La troisième erreur. Il affirme que les noces de Jeanne qui sont permises à Pierre sont interdites à Jacques et à André.  Car, elles sont interdites à tous.  Car, ils sont tous, avec elle, dans le quatrième degré.  Et si elles étaient permises à Pierre, elles le seraient aussi à Jacques et à André,  qui sont dans le même degré par rapport à Jeanne.  Bèze ne trouvera aucun canoniste qui enseigne le contraire.

              La quatrième fausseté.  Il affirme que, selon la supputation des lois,  Jeanne est distante d’avec Jacques avec les mêmes degrés qu’elle l’est d’avec Pierre, six degrés.  Or, personne ne peut douter que cela soit faux, puisque, selon les lois, Pierre est plus proche de Jeanne d’un degré  que ne l’est Jacques de Jeanne.  Pierre est donc distant d’elle de cinq degrés,  et Jacques de six,  et André de sept, si nous suivons la supputation des lois.  Selon les canons, cependant, ces trois sont au quatrième degré avec Jeanne.  Il s’ensuit donc de ces erreurs manifestes, que toute sa conclusion est fausse.   Il en conclut, en effet, que les canonistes permettent des mariages entre le sixième degré légal à celui qui tient lieu de père, et que dans le même degré, ils ne le permettent pas à celui qui tient lieu de père.  Voilà donc les choses que seul le délire de la fièvre a pu faire écrire.

              Ensuite, à la page 49, Bèze écrit que Martin 5 ne pouvait pas permettre à quelqu’un d’épouser sa sœur germaine, ce qu’il appelle une chose scélérate et scandaleuse.  Or, le pontife Martin 5, très sage du consentement de tous, ne permit pas le mariage avec la sœur germaine, comme le veut le mensonge de Bèze, mais avec  sa sœur qu’il avait connue auparavant par fornication, comme saint Antonin le rapporte (titre 4, chapitre 11), car, cette affinité n’est pas indiquée précisément dans le Lévitique.   Les adversaires ne peuvent nier qu’il aurait été de loin plus tolérable d’épouse une «affine» faite d’une copule fornicatrice qu’une consanguine au premier degré.  Et cependant, le pape ne permit pas cela, (selon le nouveau mensonge de Bèze) à cause d’un montant d’argent qui lui aurait été donné, mais à cause de l’énorme scandale   que la séparation du conjoint faisait redouter, le cas étant occulte.    C’est donc après mure réflexion et un long débat entre les théologiens, que la chose fut faite, comme nous le fait comprendre saint Antonin, qui vécut à cette époque.

                                                                        CHAPITRE 26

                             On défend contre Bèze la supputation canonique, qui est excellente

Contre toutes les erreurs antérieures, j’énoncerai certaines sentences ou propositions, pour pouvoir exposer plus facilement la vérité catholique par parties.

La première proposition.  La façon de supputer les degrés de parenté qu’utilisent les sacrés canons est la meilleure.  J’affirme cela contre Bèze (livre ci-haut cité sur les répudiations).  Car, comme la parenté est le lien de ceux qui  proviennent d’une personne, on ne peut pas concevoir une meilleure façon de supputer les degrés que la distance avec cette unique personne.  Et on le confirma ainsi.  Bien que la façon  civile de supputer soit bonne, elle aussi, on ne peut nier que la canonique soit la meilleure quand elle établit le premier degré dans la ligne collatérale. Car, il me semble qu’il y a un je ne sais quoi d’absurde à donner un deuxième degré sans donner d’abord un premier degré, comme le fait la supputation civile.  Et même s’ils peuvent répondre qu’on ne peut pas donner de premier degré dans cette façon de supputer, cependant, qui niera qu’ont bien fait les canonistes qui conçurent une autre façon de supputer qui éliminerait cette incongruité.

Mais, voyons l’argument de Bèze contre la façon de supputer des canonistes : « Il y a trois règles qui nous font comprendre toute la sentence des canonistes.   Et il n’y en a aucune d’elles qui ne soit inepte ou absurde.  Donc, toute leur sentence est absurde.»  Il prouve ainsi la majeure, en commençant par la première règle : « En ligne droite, on compte autant de degrés qu’il y a de personnes, en en omettant un.  Cette règle, même si elle ne dit rien qui soit étranger à la vérité, n’est toutefois pas bien conçue. Car elle nous laisse à imaginer pourquoi on en omet un, et quel est celui qu’il faut omettre.

   Pourquoi il faut en omettre un, et quel est celui qu’il faut omettre ? Je réponds qu’on ne peut pas avoir de doute sur celui qui commence l’arbre parental ou les lignes parentales.  Car, comme un degré est la distance de l’un à l’autre, la première personne ne peut pas former un degré, car elle n’est distante ni d’elle-même, ni  d’une du personne antérieure.  Autrement, elle ne serait pas la première, mais la deuxième, celle qui est la première à se distancer et à se séparer d’une autre, et qui fait ainsi le premier degré.  La première personne est donc un point d’où on tire une ligne, par laquelle  se distance la deuxième personne de la première.  Et cette ligne intermédiaire est le premier degré qui commence à la première personne et qui se termine dans la seconde.  On ne peut donc pas parler de degré avant que ne soit produite  la deuxième personne.

Il prouve la même chose au sujet de la deuxième règle : « Dans la ligne collatérale,  si deux personnes sont également distantes de la personne souche, elles sont distantes entre elles par autant de degrés que chacune d’elles est distante de la souche.  Donc, conclut Bèze, cette énumération est fausse et inepte, et contraire au gros bon sens.   Car, la nature elle-même montre qu’il y a autant de degrés que de générations; et qu’on ne peut parvenir du frère au frère qu’en passant par le père commun.» 

 Je réponds que Bèze s’abuse,  car il s’imagine qu’il faut passer du frère au frère par le père, comme si,  dans une ligne , par un point médiane, les deux frères tiendraient  deux extrêmes.  Car, ainsi, sans aucun doute, un frère serait distant de l’autre par deux degrés.  Mais cela n’est qu’une fausse imagination.  Car, il n’y a pas, au-delà du père, une progression vers une autre personne,  si ce n’est vers celle d’où le père procède, le grand-père.  Et c’est ainsi qu’en ligne droite, on passe d’une personne à l’autre, parce qu’une personne est précédée par une autre.   Comme le neveu est distant du grand-père par deux degrés, parce qu’on ne peut pas remonter du neveu au grand-père sans passer par le père.

Mais, du frère au frère, on ne passe pas par le père, car il n’y pas de procession du frère au frère, ni immédiate, ni médiate, mais l’un et l’autre frère est un au père.  Et il n’y a d’union du frère avec le frère qu’en tant que chacun est un avec le père.  Voilà pourquoi si quelqu’un désire connaitre la distance qu’il y a entre les frères, il n’a qu’une seule question à se poser : quelle distance ont-ils avec le père.  Car ils  seront autant distants entre eux, puisqu’ils n’ont aucune relation avec un autre.   Car, comme l’un est distant du père d’un degré, il est aussi, par accident, distant de l’autre frère d’un degré.

Quelqu’un dira.   Le fils semble être plus proche du père que du frère.  Car l’amour est plus intense, et la dette de justice plus grande  entre le  père et le fils qu’entre deux frères.   Or, le fils n’est séparé du père que d’un degré.  Il est donc distant de deux, à moins que quelqu’un veuille imaginer des degrés rapetissés. 

 Je réponds que la parenté entre le père et le fils est plus grande, s’il est permis de parler ainsi, selon l’intensité, non selon l’extension.  Car le frère n’est pas plus distant du frère que le fils ne l’est du père.  Mais, dans une distance égale, il y a une plus grande union, et donc un plus grand amour et une plus grande obligation.  Et la raison est que ces degrés ne sont pas de même espèce.  Car, le fils est uni au père comme l’effet à sa cause première,  et il  lui est donc semblable en vertu de la force de production, d’où naissent l’amour et l’obligation.  Mais le frère est uni au frère comme un effet procédant d’une cause commune.  Or, entre deux effets qui procèdent d’une même cause, il n’y a pas cette dépendance qui se trouve entre l’effet et la cause, même si la distance n’est pas plus grande.

Il prouve enfin que la troisième règle est fausse , et qu’elle contient une erreur  intolérable. Voici donc la troisième règle : « Dans la ligne collatérale inégale, les personnes sont distantes entre elles d’autant de degrés qu’elles le sont avec la personne souche.  Cette règle enfante une erreur si crasse et si honteuse qu’à elle seule, elle montre que ces antichrist ont été séduits par les sortilèges du grand esprit  pour que le Seigneur par eux tire vengeance dans le monde entier du mépris de sa vérité.  À qui d’autre qu’à un fou a pu venir cette idée que, étant donnée une double ligne de parenté, une à droite, et l’autre à gauche,  on fasse dans l’une une différence entre les générations, et dans l’autre, non.»

  La force de son argument vient de ce que, de notre troisième règle, découle  une absurdité , à savoir qu’une personne soit également distante de plusieurs inégalement distantes.  Car, si, de la souche qui est Thare, descendent d’une part  Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, et de l’autre Nachor, Bathuel, et Laban,  et si tu demandes de combien de degrés Joseph est distant de Nachor, on répondra : de quatre.   Si tu demandes de combien de degrés Joseph est distant de Bathuel  on répondra aussi  de quatre.  Il semble absurde  que Joseph soit également distant des trois autres, qui ne sont séparés les uns des autres que par un seul degré.

Je réponds que cet argument, s’il prouve quelque chose, vaudrait aussi contre la deuxième règle.  Car, même dans la ligne collatérale égale, celui qui est le dernier d’un côté est également distant de tous ceux qui sont de l’autre côté. On n’a donc pas raison de ne présenter cet argument que pour la troisième règle.   Mais cet argument ne vaut contre aucune de ces deux règles.  Car, ceux qui sont d’un côté n’ont de relation avec ceux qui sont de l’autre côté que par rapport à la souche, dans laquelle ils sont unis. Et voilà pourquoi c’est par accident  qu’ils soient distants ou  non distants entre eux quant à la relation aux personnes de l’autre côté.  Il  n’est  donc pas absurde, mais plutôt convenable, et même nécessaire que Joseph soit distant de Nachor autant qu’il est distant de Bathuel ou de Laban, même s’ils ne se distinguent entre eux respectivement que par  un degré.  Car, ces trois ne regardent Joseph qu’en tant que tous les trois se trouvent dans Thare, la souche, de la laquelle Joseph est distant de quatre degrés.

Mais quelqu’un demandera peut-être d’où cela vient-il que si nous considérons une personne qui est plus éloignée de la souche, nous trouvons qu’elle est également distante de toutes les personnes de l’autre côté, comme nous l’avons dit de joseph. Et si nous considérons la personne  la plus proche, nous trouvons qu’elle est inégalement distante de chacune des personnes de l’autre côté.  Car, il est certain qu’Abraham, qui est le plus proche de la souche, c’est-à-dire de Thare, est distant d’un degré d’avec Nachor, qui est le premier sur l’autre côté; de deux de Bathuel , qui est le deuxième, et de trois de Laban, qui est le troisième.

Je réponds.  La raison en est que quand nous considérons  la personne la plus éloignée, comme Joseph, nous regardons alors la distance de cette personne avec la souche;  et, par souche, nous entendons tous ceux qui sont de l’autre côté.  Et c’est pour cela que la personne la plus éloignée est autant distante de la souche qu’elle l’est de toutes les personnes de l’autre côté.  Et quand nous considérons la personne la plus proche, comme Abraham,  nous ne regardons pas la distance d’Abraham avec la souche, mais la distance de la souche aux personnes de l’autre côté;  et, dans la souche, alors, nous entendons cette personne la plus proche.  Et parce que la racine ou la souche est inégalement distante  des personnes de l’autre côté, la personne la plus proche, Abraham, est inégalement distante de toutes les personnes de l’autre côté.

Tu rétorqueras :  pourquoi, si, en considérant la personne éloignée, comme celle de Joseph, nous regardions sa distance d’avec la souche, il s’ensuivrait que les autres personnes de l’autre c ôté seraient plus proches de leur collatéral que de la souche, ce qui est tout à fait impossible, puisque les collatéraux ne sont unis que par la racine ou la souche. Il est évident que cette conclusion qu’on en tirerait serait absurde et impossible.  Car, si nous observons la distance entre Abraham et les autres personnes de l’autre côté, alors Abraham sera distant de toutes les autres personnes de l’autre côté par un seul degré, comme il est distant de la souche, Thare, par un seul degré.  Abraham et Laban seront donc au premier degré.   Et Laban sera plus proche d’Abraham que de Thare.  Car, d’Abraham, il sera distant d’un degré, et de Thare, de trois, ce qui est impossible, puisque c’est par Thare que Laban est uni à Abraham.   Voilà donc quel est le fondement de la troisième règle :  dans la ligne inégale, les collatéraux sont distants entre eux d’autant de degrés que ceux du plus éloigné de la souche, et non du plus proche.  C’est de l’ignorance de cette règle que procèdent la jactance et la témérité de Bèze.

                                                         CHAPITRE 27

               Ne sont pas de droit naturel tous les degrés de parenté du Lévitique

Voici donc la deuxième proposition : n’obligent pas les chrétiens, de droit divin, tous les préceptes sur les degrés, qui se trouvent dans le Lévitique.  Il faut d’abord, faire l’observation suivante.   Les adversaires et nous , nous sommes d’accord sur le point suivant : les préceptes lévitiques n’obligent pas les chrétiens en tant qu’ils sont proprement lévitiques, c’est-à-dire, positifs et judiciaires, mais seulement en tant qu’ils sont naturels.  La controverse se formule donc comme suit : les préceptes sur les degrés de parenté qui sont dans le Lévitique sont-ils tous naturels, ou quelques-uns d’entre eux sont-ils judiciaires ?  Or, les adversaires veulent qu’ils soient tous naturels, et donc, non dispensables  par l’Église.  Nous soutenons, nous, qu’ils ne sont pas tous naturels, et que l’Église peut donc  dispenser de quelques-uns, comme l’affirme le concile de Trente (session 24, canon 3).

Il faut faire une autre observation. Les préceptes naturels sont ceux  qui sont connus par la lumière de la raison sans étude,  ou qui sont facilement connus par la réflexion et le raisonnement, et qui sont pour tous les mêmes , tant pour la notion que pour la rectitude.  Car, ceux qui ont besoin d’une lumière divine, ce sont des préceptes positifs divins. Ceux que le prince statue par le raisonnement humain sont appelés humains, et ne sont pas semblables partout.  On peut ,de trois façons,  appeler naturel un précepte qui interdit quelque chose.  La première. Parce qu’il porte sur une chose intrinsèquement mauvaise, de façon qu’elle soit mauvaise pour tous, et qu’elle ne puisse jamais devenir bonne par un changement de circonstances.  Comme le mensonge, la fornication, la haine de Dieu etc. Ce sont ces choses qui ont force de loi, et dont on ne peut absolument pas dispenser.   La deuxième.  Parce qu’il porte sur une chose qui est mauvaise toujours et pour tous, sauf en cas d’extrême nécessité.  Alors ce qui était étranger cesse de l’être, et est commun à tous.  Et tel semble être le mariage avec sa  propre sœur.  Car, partout, chez les êtres humains,  ceux qui ont usage de leur raison  ont jugé cela mauvais, à moins d’être contraint par une extrême nécessité, comme ce fut le cas au début du monde.  Et ces préceptes ont la force de la loi naturelle, et on ne peut en dispenser, sauf en cas de nécessité extrême.

La troisième façon. Parce qu’il porte sur une chose mauvaise, et si on le regarde en lui-même seulement;  mais qui pourrait, avec le changement de circonstances, être assaini de plusieurs façons, et même devenir bon.  Comme, par exemple, tuer un homme.  Car, l’homicide pris en lui-même, et en ne regardant que sa nature, est considéré par tous comme une chose mauvaise, et c’est le sens qu’il a dans le décalogue : «Tu ne tueras pas.»  Cependant, si on y ajoute des circonstances diverses, par exemple, s’il est fait par l’autorité publique, et pour le bien commun, contre celui qui est un danger pour la société, il n’apparait plus comme mauvais.   Et, c’est pour cela que, dans la loi de Moïse, on ordonne souvent de tuer des hommes, en tant que mauvais, adultères ou homicides.  Et tel est aussi le serment.   Si on le considère en lui-même, il parait mauvais, parce qu’il est un signe d’incrédulité,  et de fourberie.  Car, si entre les hommes,  la sincérité  régnait,  et cessait le soupçon des fraudes, personne ne demanderait un serment.  Voilà pourquoi le Seigneur (en Matthieu 5) a prohibé le serment.  Et pourtant, il ne fait aucun doute que, dans certaines circonstances et dans les procès,  il  soit bon et licite. 

Ces préceptes   naturels du troisième ordre out, eux aussi, force de loi, si on les regarde en eux-mêmes.  S’il s’agit de préceptes vus avec diverses circonstances,  ils n’ont pas force de loi, parce que ces choses-là sont changeantes, et ne sont pas toutes semblables pour tous.  Il est donc nécessaire qu’elles soient sanctionnées par une loi positive spéciale, si on veut les prohiber.  Et surtout, si elles ne font pas seulement empêcher le mariage, mais l’invalider.  Car, il y a beaucoup de choses qui sont mauvaises si elles sont faites contre la droite raison, mais qui sont retenues, une fois faites, à moins qu’elles ne soient résiliées par une loi spéciale, comme nous l’avons dit plus haut du mariage sans l’autorisation des parents.

Donc, quand, en conclusion, nous nions que tous les préceptes du Lévitiques sur les degrés de parenté soient naturels, nous avons en vue la première et la deuxième façon.  Car, on pourrait concéder que, selon la troisième façon, ils sont tous naturels, comme le reconnaissent la plupart des théologiens, (4 dist, 40), comme saint Bonaventure, Richard, Paludanus etc.  Mais, il ne s’ensuit pas que tous ces préceptes aient force de loi, à moins qu’on ne parle que des degrés pris en eux-mêmes.  Comme, parmi ces degrés, plusieurs  peuvent changer, si on les considère avec différentes circonstances, ils ne seront pas interdits par le droit naturel, et ils n’annuleront pas un mariage par le droit naturel.

Il faut aussi observer, en troisième lieu, que nous ne concluons pas en disant qu’aucun des préceptes du Lévitique n’est naturel, mais qu’ils ne sont pas tous naturels, car il est loisible de penser autrement, comme nous le reconnaissons volontiers, par exemple au sujet du premier degré.  Voilà pourquoi le concile de Trente ne dit pas que l’Église peut dispenser de tous les préceptes, mais de seulement quelques-uns.

On prouve maintenant la proposition. D’abord, dans le chapitre 20 du Lévitique, et le chapitre 18 des Nombres, on porte des lois sur les degrés qui interdisent les mariages.  Dans le chapitre 20, on ajoute des peines pour ceux qui contracté un mariage entre ces degrés.  Nous déduisons de ces peines une grande diversité entre ces degrés.  Car, le mariage au premier degré d’affinité en droite ligne,  Dieu le punit de mort;  et il unit ce péché avec l’adultère et avec la sodomie, qui sont manifestement contre le droit de la nature.  Et semblable est la raison, ou plutôt plus grande, pour la consanguinité au premier degré en ligne droite.  Car, on ne peut douter que soit digne de mort celui qui épousera sa propre mère, si est digne de mort celui qui épousera sa belle-mère.   Voilà pourquoi la loi a imposé la même peine de mort pour ceux qui s’unissent dans le premier degré de consanguinité dans la ligne collatérale, comme un frère avec sa sœur.   Et le mariage au second degré de consanguinité en ligne collatérale, comme le neveu avec sa tante paternelle ou maternelle, n’est pas puni de mort, mais d’une peine plus légère.   Et semblablement, le mariage au premier degré d’affinité, comme avec l’épouse du frère défunt, et au second degré, comme avec le neveu  et la femme de son oncle paternel, n’est pas puni de mort, mais seulement de la privation des enfants, c’est-à-dire que les enfants ne leur sont pas attribués légalement.  Cette peine indique assez ouvertement  que ces mariages ne sont pas prohibés par le droit naturel, mais par le droit positif qui était propre aux Juifs.   Car il n’y a pas de raison universelle qui dicte à tous les hommes que c’est la juste peine pour ce crime.

Secondement, on le prouve ainsi.   Si tous ces préceptes étaient naturels, ils obligeraient toujours, même avant qu’une loi ait été donnée, comme oblige toujours la loi de ne pas tuer, de ne pas forniquer, de ne pas voler, de ne pas mentir, avant que Dieu ait donné la loi au peuple par Moïse.  Et si ces lois avaient toujours obligé, jamais des saints et des amis de Dieu n’auraient contracté de mariages contre ces lois. Or, nous avons les exemples d’un assez bon nombre de saints qui, dans la loi de la nature, se sont mariés à des degrés prohibés par le Lévitique.

Le premier exemple est celui du patriarche Jacob qui prit simultanément deux sœurs, de leur vivant, Lia et Rachel (Genèse 29).  Cela, le Lévitique  (18) le  prohibait expressément; et c’est le premier degré d’affinité en ligne collatérale.  Bien plus, dans ce mariage, l’affinité était double.  Car, l’une et l’autre sœur était «affine»  par rapport à l’autre.  Le deuxième exemple est celui du patriarche Juda qui (Genèse 38), donna à son fils second-né la femme du premier-né défunt.  Et après la mort du second né, il promit la même au troisième fils.   Ce degré est prohibé dans le Lévitique, et il est aussi le premier degré d’affinité en ligne collatérale.  Le troisième exemple est celui de Moïse qui est né du mariage d’un neveu avec une tante.  Car, dans l’Exode 2, nous lisons : «Amram prit pour femme Jochabed, sa tante paternelle,  qui lui enfanta Aaron et Moïse.» 

Ici le mot patruelis  est pris pour patrua, tante paternelle.  Car le mot hébreux signifie autant tante paternelle qu’oncle paternel.  Car, les Hébreux n’ont pas, comme nous les latins, de nom pour sœur du père.  Pour ne pas dire patruam,  ce qui est  inusité en latin, il a préféré dire patruelem.   Mais, en plus du mot des Hébreux , il y a un passage typique dans  les Nombres.   Car, cette Jochabed était la tante de cet Amram, comme on le voit dans le chapitre 26 des Nombres, où il est écrit qu’Amram a été le fils de Gaat, fils d’Éli, et qu’il a pris pour femme Jochabed fille de Lévi,  qui lui était née en Égypte.  Où tu vois clairement que Jochabet fut la sœur de Gaar, père d’Amram, et donc la tante de cet Amram, son mari.

À cet argument, les adversaires répondent doublement.  Quelques-uns disent que ces mariages ont été faits par une dispense de Dieu, ou à cause d’un certain mystère.  Mais cette réponse n’est pas très solide.  Car, au chapitre 28 de la Genèse, il apparait assez clairement que c’était une coutume du lieu, que deux sœurs puissent s’unir au même homme.  Car, même si Laban a trompé Jacob en lui substituant une sœur pour une autre, il lui donna quand même l’autre.  Ne se doutant de rien, il acquiesça  immédiatement.   Ses parents ne le lui reprochèrent pas, et il n’a pas cherché à se purger de ce fait.  Et, certes, s’il s’était agi d’une chose insolite et singulière, et qui pouvait causer du scandale, un saint homme comme lui ne l’aurait pas faite, ou il aurait donné des raisons de son agir.   La même chose apparait dans le cas de Juda, qui épousa la femme de son autre frère.  Il n’allégua pas de dispense, mais invoqua la coutume pour raison, c’est-à-dire pour donner une descendance à son frère défunt.  De plus, on ne voit aucune cause de dispense.  C’est quelque chose qui contient un mystère ?  Ou des consanguins sont unis entre eux ?   Et quelle était la nécessité de ces noces ?  Les trois épouses de Jacob ne lui suffisaient donc pas ?  Ou, il n’y avait pas de femme sur la terre en dehors de ces deux sœurs ?

L’autre solution est celle de Philippe (dans les lieux, mariage) et de Bèze (dans son livre sur les répudiations et les divorces), qu’il indique être aussi de Calvin. Ces patriarches ont péché, et on ne peut pas les excuser en tout.  Mais, cela ne peut en aucune façon être dit.   Car, bien que, étant des hommes, les patriarches aient péché quelquefois, cependant, demeurer perpétuellement dans le péché n’est le propre ni de saints ni d’amis de Dieu, ce qu’ils étaient surement.  Or, si tous les préceptes du Lévitique étaient du droit naturel, (comme le prétendent nos adversaires), ils seraient du droit de la nature, et les mariages faits contre eux seraient invalides et nuls.  Et ils n’auraient pas seulement péché, mais ils seraient demeurés perpétuellement dans le péché.  Et leurs fils auraient été des bâtards et des illégitimes.  Une partie des fils de Jacob, et Moïse lui-même, serait né d’un mariage illégitime.

On le prouve ainsi troisièmement.   Car, si tous ces préceptes lévitiques sur les degrés avaient été fondés sur le droit naturel, ils seraient, sans doute, universels, de sorte que, à l’intérieur d’un même degré, tous les mariages seraient illicites.  Et Moïse, dans le Lévitique, a permis et interdit certains mariages au même degré.  Cette prohibition ne vient donc pas du droit de la nature, mais elle est judiciaire et positive.  En effet, la proposition suivante  est absolument certaine : ce qui est prohibé par le droit de la nature est prohibé toujours et partout. Chose que les adversaires ne nient pas, non plus.

On prouve l’assomption. Car la loi du Lévitique interdit le mariage du neveu avec la tante paternelle et maternelle, mais n’interdit pas le mariage de l’oncle paternel ou de l’oncle maternel avec la nièce, la fille du frère ou de la sœur.  Et pourtant, le neveu et la tante sont au même degré  de parenté que l’oncle et la nièce.  De plus, la loi interdit le mariage avec la sœur du frère, même défunt, mais n’interdit le mariage avec la sœur de l’épouse que de son vivant. Elle n’interdit donc pas le mariage avec la sœur de l’épouse  défunte.  Et pourtant, le même degré d’affinité existe entre la sœur de l’épouse et la sœur du frère.

Dans son livre sur les répudiations et les divorces, Bèze répond  que tous ces mariages sont prohibés, même si l’Écriture n’en parle pas. Car, de choses semblables, on déduit des préceptes semblables.  Au contraire, l’argument tiré du semblable n’a pas coutume de valoir.  Car, les lois qui prohibent sont odieuses. Or, les lois odieuses ne doivent pas être étendues, mais restreintes, comme le veut la règle du droit.  Ensuite, les conséquences que Bèze en tire, ne viennent pas du semblable, mais du plus petit.  Car, bien que le neveu  et la tante soient dans le même degré que  l’oncle paternel et la nièce, la tante est ordinairement plus âgée que le neveu, et, en raison de son degré de parenté, elle a, par rapport à son neveu,  une autorité paternelle.  Or, la femme doit être soumis et régie.  Il est donc indécent que la tante soit l’épouse du neveu, parce qu’elle devrait mener et être menée, être soumise et présider.   L’oncle paternel est ordinairement plus âgé que la nièce, et a autorité sur elle.  Ce n’est  pas indécent qu’un homme soit plus âgé que son épouse, et la dirige.  C’est donc pour cette raison, que la loi en interdit un et en permet un autre.

Pour une raison semblable, comme il est plus honteux qu’une femme ait en même temps deux maris qu’on homme ait deux épouses , de la même façon, il est plus indécent qu’une soit l’épouse de deux frères , même successivement qu’un soit le mari de deux sœurs successivement. Et voilà  pourquoi la loi en concède un et en interdit un autre.  Mais bien que cette diversité soit une raison suffisante pour laquelle la loi positive judiciaire ait prohibé un mariage au même degré de parenté, cependant, si ce degré avait été interdit par le droit, cette diversité ne suffirait pas à faire en sorte que, dans un même degré, le mariage soit parfois licite.  Car cette diversité n’est pas dans le même degré de proximité, mais dans un autre, qui est extrinsèque et surajouté,  l’âge ou le sexe, ou une circonstance semblable.

On confirme cette raison. Car,  les mariages entre oncles paternels et nièces n’est pas interdit pas le droit de la nature, comme les adversaires le concèdent également.  Et pourtant les oncles avec leurs nièces sont dans le même degré que les tantes avec leurs neveux. Tous du second degré.  Ce second degré n’est donc pas prohibé par le droit de la nature.  En conséquence, le mariage entre la tante et le neveu est prohibé dans le Lévitique par la loi positive, non par la loi naturelle.  Il importe peu que, selon la supputation légale, les oncles paternels soient dans le quatrième degré, et la tante avec le neveu, dans le troisième.  Car, bien que, en énumérant les personnes, comme le veut la supputation légale,  les oncles et les tantes soient dans un degré différent, cependant, en ce qui a trait à la proximité et à la distance, ils sont absolument dans le même.  Car, comme nous l’avons montré plus haut, la tante ou son fils ne peut avoir de parenté avec le fils du frère  que si elle (ou lui) est uni avec lui par la souche ou la racine.  Elle n’est donc pas plus distante de lui que le neveu est distant de la même racine.  Le neveu est distant de la souche de deux degrés.  Donc, autant la tante que son fils  est distante de seulement deux degrés du fils du frère, qui est le neveu de la tante et du fils de la tante paternelle.  Donc, la prohibition des degrés regarde, sans aucun doute, la proximité, non la multiplication des personnes.  Et voilà pourquoi le troisième et le quatrième degré coïncident en ce qui a trait à la prohibition des mariages.

On confirme enfin cette autre raison par l’exemple d’Abraham et de son frère Nachor qui prirent comme femmes (Genèse 1) les deux filles de leur frère Aran.  On en déduit que ce n’est pas une chose contraire au droit naturel qu’un oncle épouse sa nièce, et que ce n’est pas, non plus,  contre le droit naturel qu’un neveu épouse sa tante, puisqu’il sont au même degré de parenté. Et il s’ensuit, enfin, que la prohibition que l’on trouve dans le Lévitique interdisant qu’on épouse une tante était judiciaire, et non naturelle.

Bèze répondrait à cela de quatre façons, si l’on en juge par ce qu’il dit dans son livre sur les répudiations.  D’abord, Aran était le père de la femme d’Abraham, non le frère d’Abraham, un homme du nom d’Aran,  différent de l’Aran frère d’’Abraham.  Mais cela répugne non seulement à l’interprétation généralisée de ce passage, mais aussi au chapitre 20 de la Genèse, où Abraham dit que Sara son épouse est sa sœur, la fille de son père, et non la fille de sa mère. On explique habituellement ce texte en disant que la nièce était paternelle non maternelle, qu’Aran et Abraham n’étaient pas utérins.  Or, si Aran, le père de Sara, était un Aran distinct du frère et du père d’Abraham, comment Sara était-elle sœur d’Abraham par le père ? 

 Il dit ensuite que Sara était peut-être la bru de Thare,  le père d’Abraham.  Mais, lui-même réfute cette opinion, en disant que si Sara avait été la bru  de Thare,   Abraham n’aurait pas dit, en parlant d’elle : elle est la fille de mon père, non la fille de ma mère.  Il aurait plutôt dit : elle est la fille de ma mère, non la fille de mon père.  Et si quelqu’un disait qu’elle était la belle-fille d’une autre épouse, non de la mère d’Abraham,  nous répondrions  que cela n’a pas pu se faire, car alors, elle ne serait pas la sœur d’Abraham, et ne lui serait «affine» en rien (Genèse 20 : «Elle est vraiment ma sœur.»

Troisièmement, il dit que  Sara a été la sœur germaine d’Abraham.  Mais, que cela soit faux, je le démontrerai plus tard, quand le lieu et le temps seront venus de parler des mariages des frères et des sœurs.  Il n’est pas nécessaire de nous y référer maintenant, car cette sentence milite contre les adversaires eux-mêmes.  Car, si Abraham avait pris pour épouse sa sœur germaine, qui est le premier degré de la parenté, il aurait été plus permis encore d’épouser une tante, ou un neveu, qui sont au deuxième degré.  

Quatrièmement, il dit qu’Abraham a péché en cela, et qu’il n’y a pas à s’en étonner, car il n’était pas encore fidèle quand il la reçut pour épouse.  Car, si ce mariage était interdit par le droit naturel, Abraham n’a pas péché seulement en se mariant, mais en demeurant  constamment dans cette union.   Car, il serait demeuré dans l’inceste pendant toute sa vie.  Ce qu’on ne peut pas croire d’un si grand saint.  Que dire donc ? Dieu a approuvé ce mariage quand il lui a promis un fils de Sara, dans lequel toutes les nations seraient bénies ? (Genèse 17).  Ce qui nous laisse  entendre qu’est faux ce que Bèze a écrit (page 48 dans son livre sur les répudiations) à savoir que : «Dieu a toléré, mais n’a jamais approuvé ce mariage.»

Comment penser qu’il ne l’a pas approuvé quand il a dit : «Tu n’appelleras plus ton épouse Sarai, mais Saram.  Je la bénirai, je te donnerai d’elle un fils par lequel je serai béni.» (Genèse 17).   Qui croira que c’est d’un mariage illégitime et incestueux  que Dieu a voulu susciter un héritier à Abraham, et duquel le Messie naitrait, et dans lequel seraient bénies toutes les nations ?»   On prouve, enfin, notre proposition avec le chapitre 25 du Deutéronome, où il est prescrit que si quelqu’un meurt sans enfants,  son frère épousera la femme du défunt, pour lui donner une descendance.  Or, cette loi n’ordonne rien contre le droit naturel, car qu’il y a-t-il de plus absurde que l’auteur de la nature milite contre la nature ?  Ce n’est donc pas contre l’ordre naturel que, pour une juste fin, quelqu’un épouse la femme de son frère.  Donc, ce que nous lisons dans le Lévitique (au chapitre 18, que personne n’épouse la femme de son frère) n’est pas un précepte naturel, comme les adversaires le veulent.

Il est à noter que plusieurs ont tenté de concilier ces deux passages, mais avec des intentions différentes.  Quelques-uns ont voulu en déduire  que le mariage avec la sœur du frère n’est pas prohibé par le droit naturel, et que le souverain pontife peut en dispenser quelqu’un.  D’autres, au contraire, ont cherché à concilier ces textes pour pouvoir soutenir que, en dépit de la loi du Deutéronome, le mariage avec l’épouse du frère va contre l’ordre naturel.  Jean Majeur (4, sent dist, 40 quest 3) dit que le mariage avec la femme du frère n’a jamais été condamné dans la loi.  Que c’est par une faute des copistes que ce précepte a été ajouté dans le Lévitique.  Or, cette conciliation donne l’occasion de nier des textes scripturaires clairs et nets, quand ils semblent en contredire d’autres.  Car, Major ne nie pas que ce texte soit dans le Lévitique pour une autre raison que parce qu’il semble contredire un texte du Deutéronome.  Or, on trouve les paroles de ce précepte  dans tous les codex hébreux, grecs, latins, chaldéens;  et on n’a aucune raison de soupçonner qu’il ait été interpolé.

Deuxièmement, il y en a qui disent  que, dans le Lévitique, le mariage avec la sœur du frère n’est pas prohibé absolument, mais seulement avec la sœur du frère vivant, comme, au même endroit,  est prohibé le mariage avec la sœur de l’épouse,  en ajoutant expressément : de son vivant.   Cette explication est celle de Radulphe  dans son commentaire de ce passage,  et favorise notre cause, c’est-à-dire celle des catholiques qui affirment constamment que le souverain pontife avait le droit de permettre au roi d’Angleterre d’épouser la femme de son frère défunt.  

Mais, cette sentence ne semble pas vraie, car le mariage avec l’épouse du frère vivant est un adultère.  Dans n’importe lequel chapitre, l’adultère est expressément prohibé. C’est donc inutilement que cette prohibition de mariage avec la sœur du frère a été ajoutée.  De plus, au Lévitique 20, l’adultère est puni de peine de mort.   Or, le mariage avec  la sœur du frère est puni avec une peine beaucoup plus légère.   Donc, par mariage avec la sœur du frère, on n’entend pas un adultère.   On n’entend donc pas le mariage avec la sœur du frère qui ne peut pas exister sans adultère.  Il importe peu que, dans le même chapitre, le mariage soit prohibé  avec la sœur de l’épouse vivante.  Car n’était pas un adultère aux temps des Juifs la coutume d’avoir plusieurs femmes, car la polygamie était licite, celle de l’homme avec plusieurs femmes, non de l’épouse avec plusieurs hommes.

Troisièmement, ils disent que dans le Lévitique, est prohibé le mariage  avec l’épouse du frère vivant, mais quand elle est  répudiée.  Cette sentence favorise les catholiques, cependant, elle n’est pas probable, parce que, dans ce passage du Lévitique, il n’est fait mention d’aucune répudiation, et parce qu’il s’ensuivrait qu’on peut, de la même manière, restreindre tous ces préceptes à la répudiée.  Mais ce serait confondre tous les préceptes.   Quatrièmement, d’autres veulent que le précepte du Deutéronome ne s’entende pas du frère germain, mais du plus proche dans l’autre degré, où il était permis, selon les lois, de contracter un mariage, comme d’un grand oncle, ou d’un cousin germain.   Car, même eux, chez les Hébreux, sont appelés frères.   C’est cette sentence que suit Calvin (dans son commentaire du chapitre 18 du Lévitique).

Mais cette sentence est improbable et fausse, et elle est réfutée par Bèze, le disciple de Calvin (dans son livre sur les répudiations, page 76).    Car, il appert, dans les Écritures, que la loi porte sur les frères germains principalement, même si elle peut être étendue à d’autres qui sont aussi proches. Dans Genèse 38,  Judas a uni la même femme à des frères germains.  Et dans Ruth 1,  Noémi  exhorte ses brus de ne pas espérer avoir comme maris les frères des hommes qu’elles avaient avant, mais qu’elles se marient à d’autre hommes. Elle parlait, elle, des frères germains, comme nous le révèlent ces paroles : «Mes fils sont-ils encore dans mon sein, pour devenir vos maris ?  Retournez, et habitez mes filles, parce que je suis trop vieille pour avoir un homme.»  En en Matthieu 22,  l’interrogation des Sadducéens sur la femme qui épousa sept frères laisse clairement entendre qu’on doit y voir des frères germains.  Ajoutons que la loi du Deutéronome elle-même semble montrer suffisamment qu’il s’agisse d’un frère germain.  Car, elle ne dit pas clairement : que le frère la prenne, mais : «Si des frères habitaient ensemble, et qu’un meurt sans enfants, sa femme ne sortira pas en dehors de la maison, mais un autre frère l’épousera.» Où on nous décrit des frères qui habitent dans la même maison, comme ne font ordinairement,que des frères germains.

Mais ils nous objectent un mot hébreu levirus, qui veut dire frère du mari défunt, comme un certain verbe hébreux signifie prendre pour épouse la femme du frère.  On trouve aussi ce mot dans Genèse (38, verset 8), et dans Ruth (1 verset 15), où, sans controverse, il s’agit de frères germains.   De plus, dans ce chapitre 25 du Deutéronome : «Si des frères habitent ensemble, et que l’un meurt sans enfants», le mot employé  ne peut signifier que le frère du défunt frère.  Ensuite, au même endroit, l’Écriture ajoute un peu après : «Le premier-né que la femme enfantera sera du frère du défunt.»   L’Écriture appelle expressément le défunt son frère, avec le mot hébreu qui montre qu’il est bel et bien le frère de celui-ci.    Ce mot hébreu est proprement ce qu’on appelle en latin levir, le frère du mari.  Même s’il s’étend à d’autres parents, comme quand la loi s’appliquait à d’autres : quand les frères étaient absents, ou ne voulaient pas la recevoir,  alors, le plus proche dans le droit de la marier lui succédait, comme l’histoire de Ruth, chapitre 4, le montre manifestement.

Cinquièmement, d’autres veulent qu’on entende la loi du Deutéronome du frère germain, mais en tant qu’exception  de la loi portée dans le Deutéronome.  C’est ce qu’enseigne saint Augustin, (question 61, sur le Lévitique) et Lyranus , et d’autres, dans leur commentaire de ce texte. Comme par exemple, Bèze (page 78, dans son livre sur les répudiations).  Cette sentence est probable.  Mais elle n’est d’aucun profit pour les adversaires.   Car, cette exception, ou cette loi, qui une est exception et une déclaration d’une autre loi, démontre ouvertement  que cette loi du Lévitique ne fut pas naturelle, mais judiciaire.  Car, cette loi du Deutéronome qui est une déclaration ou une exception de la loi lévitique, est ou naturelle ou est judiciaire.  On ne peut pas dire qu’elle est naturelle, parce que même à notre époque elle doit être observée, ce que tous nient, et surtout les adversaires, et ceux-là surtout  qui défendent le divorce de Henri V111 d’avec la reine Catherine.  Car, quand Arthur, le fils ainé d’Henri, décéda sans laisser d’enfants, il aurait non seulement pu, mais il aurait du de droit divin et naturel,  épouser la femme de son frère.  Ils sont donc forcés d’avouer, comme ils le font d’ailleurs, que la loi du Deutéronome est judiciaire, et qu’elle a donc été abolie par le Christ.   Si l’exception est judiciaire, est donc aussi judiciaire la loi dont elle est une exception.  Car, l’exception se fait pour les choses qui sont de même nature et du même ordre.  Ou bien, si la loi était naturelle, son exception serait aussi naturelle.  Comme est cette loi qui permet à un frère d’épouser une sœur, en cas d’extrême nécessité.  Car,  la loi naturelle tolère cette exception naturelle.

De plus, quelle que soit cette exception, qu’elle soit naturelle ou judiciaire, elle nous convainc que le mariage avec la sœur du frère n’est pas toujours mauvais, sauf en cas d’extrême nécessité, comme ce que nous avons dit du mariage avec la sœur germaine. Car, ce cas exceptionnel du Deutéronome n’était pas une nécessité extrême, mais plutôt une piété envers le frère mort.  Donc, le précepte du Lévitique n’est même pas un précepte naturel du second ordre, mais seulement du troisième, c’est-à-dire de ces choses qui sont mauvaises à cause d’une turpitude extrinsèque, qui peut être enlevée par certaines circonstances, dont l’honnêteté triomphe de la turpitude première.   Car, alors,  la loi positive cessant, un tel mariage est rendu licite selon la raison droite.  Et comme il n’est pas contre la raison, mais plutôt selon la raison, ce mariage fait par piété envers le frère, de la même façon, apparait une exception semblable, ou faite pour un plus grand bien, comme si, par exemple, pour conserver la paix entre les princes,  quelqu’un épouse la femme de son frère défunt, ce mariage ne sera pas contre la raison, ni, en aucune façon illicite, si ce n’est pour la loi ecclésiastique, dont l’Église peut dispenser.

Tu diras, peut-être, que ce fut une dispense faite par Dieu dans la loi de la nature.  Or, la dispense n’est pas une loi,  et ne commande pas que quelque chose soit fait, mais enlève seulement l’obligation de la loi dans un cas particulier, et permet d’agir autrement que la loi commande de faire.  Dans le Deutéronome, la loi est un commandement.  Elle ordonne de prendre pour femme l’épouse du frère mort, et détermine une peine pour la transgression de cette loi.  Ajoutons, enfin, que même si, à cause de l’autorité de saint Augustin, il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’une exception, cependant, il est plus probable que ce n’en soit pas.  Car ajouter une exception après avoir  formulé une loi., et surtout en un autre temps et en un autre lieu, c’est quelque chose qui ne convient pas à Dieu, lui qui sait tout, mais aux hommes qui apprennent petit à petit par l’expérience, que leurs lois ne peuvent être conservées que s’ils y font des exceptions.

Voilà pourquoi semble plus probable l’explication que Cajetan et d’autres auteurs avancent de ce texte qui veulent que, dans le Lévitique, ne soit pas prohibé le mariage avec la femme du frère défunt,  à moins de prendre ce précepte dans l’absolu et abstraitement, comme l’on fait avec le commandement du décalogue : tu ne tueras pas.  Ce précepte ou loi n’empêche pas que l’on fasse par la suite des lois positives particulières, qui interdisent le mariage avec la sœur du frère dans telle circonstance, et le prescrivent dans telle autre circonstance.  Comme la loi du décalogue (tu ne tueras pas) n’empêche pas que soient faites des lois particulières qui ordonnent de tuer un voleur de grand chemin et un malfaiteur, ou de ne pas tuer quelqu’un qui tue par hasard ou pour se défendre.

Le moment est venu de réfuter les arguments avec lesquels les hérétiques prouvent que tous les préceptes du Lévitique sur les degrés de parenté sont naturels, et, à cause de cela, non sujets à dispense.  Le premier argument est de Philippe (dans les lieux, le mariage), de Brentius (Lévitique, chapitre 18), de Kemnitius  ( 2 par, examen, page 1231), et de Bèze (livre sur les répudiations).  Dieu (dans le Lévitique 18 et 20) déclare qu’il punira les gens qui habitaient la Palestine avant l’arrivée des Hébreux, avec des mariages incestueux,  qui sont interdits (dans le chapitre 18 du Lévitique) et il appelle ces mariages des unions de Gentils, et une abomination devant Dieu.  Donc, les préceptes du Lévitique sur les degrés de parenté ne sont pas judiciaires mais naturels, puisqu’ils obligeaient même les peuples qui ne faisaient pas partie du peuple Israël.   Quelqu’un répondrait peut-être que Dieu voulait punir les Gentils non à cause de la transgression des préceptes sur les degrés de parenté, mais à cause des adultères,  de l’homosexualité, de la sodomie, et de l’idolâtrie, que ces peuples pratiquaient avec l’idole Moloch.  Car, ces quatre crimes qui sont vraiment contre nature, sont prohibés au chapitre 18 du Lévitique, après la prohibition des degrés de parenté.  Ce sont donc des peines infligées aux Gentils qui s’étaient pollués par ces dits crimes.

Mais cette réponse ne semble pas très solide.  Car, même si, dans le chapitre 18 du Lévitique,  des peines sont menacées contre les Gentils immédiatement après les prohibitions des degrés de parenté, on ne peut pas dire que Dieu a puni les Gentils à cause des mariages au premier degré de consanguinité, qui sont contre la loi naturelle, et non à cause des mariages dans les autres degrés.  Car, dans le chapitre 20, après l’énumération des degrés, on lit ces paroles : « Gardez mes lois, et mes jugements, et mettez-les en pratique, pour que la terre ne vous vomisse pas, vous aussi… Ne marchez pas dans les choses illégitimes des nations que j’expulserai devant vous, car elles ont fait toutes ces choses, et je les ai en abomination.»  Or, les derniers mots : elles  ont fait toutes ces choses, expriment quelque chose de général et d’universel.  On ne peut donc pas les restreindre à certains crimes.

Je réponds que tous ces préceptes sur les degrés de parenté  sont naturels, d’une certaine manière, si on les prend dans l’abstrait et en général, c’est-à-dire sans les circonstances  qui suffisent à rendre les mariages  honnêtes dans ces degrés.  Car, cette proposition générale du Lévitique 18 : «Que personne n’accède à celle qui est proche de son sang»,  relève, certes, du droit naturel,  et voilà pourquoi, même  dans certains préceptes sur les degrés de parenté, on répète le mot turpitude, parce qu’il est honteux de contracter un mariage avec une parente,  quand la nature elle-même dicte que leur est du un  respect qui est en opposition avec la copule charnelle.  Et parce que ces nations s’unissaient , sans discernement, avec des consanguins, ils péchaient, certes, dans chaque cas,  contre le  droit naturel, et méritaient donc d’être punis. 

 Et pourtant, il faut faire ici l’observation suivante.  Ces nations péchaient en contractant des mariages de ce genre,  mais pas assez gravement pour être, à cause de cela, chassés de leurs terres.  Car, cette peine se rapporte proprement au crime d’idolâtrie et d’adultère, ceux commis avec des animaux et entre mâles.   Quand l’Écriture dit : ils ont fait toutes ces choses, elle ne pense pas seulement aux mariages dans les degrés prohibés, mais  à tous les crimes nommés ci-haut.

L’Écriture ne dit pas, non plus, que c’est à cause de chacun de ces péchés qu’ils méritèrent d’être vomis de la terre, mais à cause de tous, car il y en avait qui étaient bien plus graves et plus énormes.  Que cette réponse est vraie, on peut le confirmer par des exemples de patriarches , comme Jacob, Juda et Amram,  ainsi qu’Abraham, d’après l’opinion de Théodore de Bèze.  Ils ont contracté des mariages dans les degrés prohibés, mais non pas été punis par Dieu à cause de cela, parce que ce n’est pas par témérité qu’ils ont agi ainsi, mais, par raisonnement.  Et à ces mariages, ils n’ont pas ajouté les quatre crimes pour lesquels ces peuples ont été punis.

Le second argument est de Philippe et de Kemnitius : « Sous prétexte de liberté évangélique, les Corinthiens n’observaient pas la loi lévitique des degrés de parenté.  L’un d’entre eux avait épousé sa belle-mère.  Or, saint Paul reprit âprement les Corinthiens pour cette chose, et il livra à Satan cet incestueux.  Donc, selon le jugement de saint Paul, les chrétiens sont tenus à observer les degrés de parenté du Lévitique. Cette loi n’est donc pas judiciaire, mais naturelle.

Je réponds, d’abord qu’il est probable que le premier degré d’affinité en ligne droite  soit prohibé absolument par le degré naturel.   Mais, parce que l’un d’entre eux  est naturel, il ne s’ensuit pas forcément que tous le soient.  Je réponds, ensuite,  qu’il est probable que l’apôtre parle de quelqu’un qui avait sa belle-mère comme concubine, du vivant encore du père.  Ce crime n’est pas seulement un inceste, mais aussi un très grave adultère.  C’est ce que déduisent saint Anselme et saint Thomas de ce texte : « Je vous ai écrit non à cause de celui qui  a fait cette injure, ni à cause de celui qui en a souffert, mais pour manifester notre sollicitude.»  Car, celui qui a fait l’injure c’est le fils incestueux, et celui qui en sa souffert, c’est le père, dont l’épouse a été violée.  Et comme on peut aussi penser, comme le fait Theophylactus que l’injure a été commise envers le père mort, il est cependant beaucoup plus probable que l’apôtre parle d’un père encore vivant.   Car, une fois, mort, il n’y avait plus d’injure,  puisque , par la mort, est dissout le lien du mariage.

Le troisième argument est celui de Kemnitius : « Jean-Baptiste, dont le ministère a marqué la fin de la loi ancienne, a confirmé le précepte du Lévitique de ne pas prendre pour femme l’épouse du frère, car il a dit à Hérode : « Il ne t’est pas permis d’avoir pour femme la sœur de ton frère.» (Matthieu 14, et Marc 15).»  

 Je réponds, d’abord,  que ce n’est pas saint Jean Baptiste qui a mis fin à la loi ancienne, mais le Christ, s’il est question de la mutation et de l’abrogation de la loi.  Il marqua la fin  de la loi, lui aussi,  parce qu’il fut le dernier prophète de l’ancien testament, selon saint Luc 16 : « La loi et les prophètes jusqu’à Jean.»  Voilà pourquoi, pendant tout le temps de saint Jean, la loi de Moïse était en vigueur,  et s’imposait aussi à Hérode, qui  professait l’observance de cette loi.  Il ne lui était pas permis, selon la loi, d’avoir la femme de son frère, de son vivant ou après sa mort, car des enfants étaient déjà nés de cette union, la fille Hérodiade,  qui plut au roi par la beauté de sa danse,  et qui obtint de lui la tête de saint Jean-Baptiste.

 Salomé était une fille d’Hérodiade de son premier mariage, explique saint Jean Chrysostome  (dans son homélie 49 sur saint Matthieu).  On s’en rend compte assez facilement  par le fait que la mort de saint Jean-Baptiste coïncidait avec le début du mariage d’Hérode avec Hérodiade, comme on le lit dans Joseph (livre 18, chapitre 10 des antiquités). Si, à ce moment,  la fille savait se trémousser à ce point,  sa naissance datait surement de quelques années.  Et il n’est pas vraisemblable que saint Jean ait attendu si longtemps avant de lui reprocher publiquement ce crime.

On peut répondre ensuite que le crime d’Hérode ne fut pas seulement un inceste, mais aussi un adultère, car, selon saint Jérôme, c’est du vivant de son mari qu’il a pris pour femme Hérodiade.  C’est ce que rapporte aussi Josèphe, (livre 18, chapitre 9 des Antiquités), même s’il raconte que c’est d’un autre de ses frères  encore vivant qu’Hérode a pris la femme.  Saint Jérôme appelle Philippe le frère d’Hérode, dont  Hérodiade était l’épouse.  Et ce qui est beaucoup plus important, saint Marc (chapitre 6) l’appelle Philippe.  Il faut donc ou que ce que dit Josèphe soit faux, ou que le même homme ait porté deux noms.  Que ce passage nous soit favorable, rien de plus évident,  car tous les adversaires admettent que c’est du vivant de son frère Philippe que Hérode a pris sa femme Hérodiade.

Le quatrième argument est de Kemnitius : « Dans le Lévitique 18 et 20, Dieu  a imposé différentes peines, et il en a jouté de très graves pour les préceptes sur les degrés de parenté.  Il a même ordonné de tuer les coupables  ou de les effacer du peuple, de les priver de leurs enfants, et de leur interdire l’entrée de la maison de Dieu.»    Je réponds qu’on ne peut pas conclure de ces peines, que tous ces préceptes soient naturels. Car, même aux préceptes judiciaires et cérémoniels, ont été imposées de semblables peines, comme on le lit pour la transgression de la loi sur la circoncision (Genèse 17) pour la manducation de pain fermenté le jour des azymes (Exode 12).  Enfin, les livres de l’Exode, du Lévitique et des Nombres sont pleins de peines de ce genre.

Le cinquième argument est de Jean Brentius dans son commentaire sur le Lévitique, chapitre 18 : «Les lois où concordent Moïse et  César  ne peuvent pas être judiciaires, mais naturelles.  Or, Moïse et César s’entendent sur la prohibition de plusieurs degrés de parenté. Donc, la loi qui interdit ces degrés n’est pas judiciaire, mais morale.»  Il prouve la majeure en disant que l’organisation politique de Moïse et des Romains a été approuvée par Dieu et est excellente.  Il n’est donc pas douteux que les choses qui font partie de cette organisation politique soient de droit naturel.»  

Je réponds qu’il n’est pas vrai que  soient naturelles toutes les lois où Moïse et César tombent d’accord,  et que cela n’est pas rigoureusement prouvé par Brentius.  Car, il n’allègue pas et ne peut alléguer aucun témoignage de la parole de Dieu, pour prouver sa proposition.  Nous ne sommes donc pas tenus de le croire, même si ces principes ont quelque valeur pour eux.  Ensuite, il ne dit  pas la vérité quand il affirme que l’organisation politique des Romains a été approuvée par Dieu.  Il est vrai que le Christ a dit en Matthieu 22 : «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu», et que saint Paul a dit à Romains 13 que «tout pouvoir vient de Dieu», et qu’il faut donc obéir aux princes et payer le tribut, mais il n’a pas, pour autant confirmer toutes les lois des Romains.  Autrement, il aurait confirmé aussi les lois sur l’adoration des idoles et sur l’esclavage, et sur l’usure. Car, saint Augustin écrit (dans la lettre 54 à Macédonius) qu’encore à son époque, les hommes étaient forcés par les lois romaines de payer les intérêts.  Ne manquent pas , d’ailleurs, d’autres lois injustes qu’il serait trop impie de dire qu’elles ont été approuvées par Dieu.  C’est donc une chose d’obéir aux princes qui commandent justement.  Et c’est ce que le Christ et l’apôtre veulent. Mais c’en est une autre de prétendre que toutes les lois des princes sont justes et approuvées par Dieu.  Ce qu’on ne trouve jamais dans la parole de Dieu.

Et même si les lois des Romains avaient toujours été justes, et que cela avait été prouvé et démontré, comme l’étaient les lois de Moïse,  on ne pourrait pas en déduire  qu’appartiennent au droit de la nature toutes les lois dans laquelle Moïse et César s’entendent.  Car, il peut facilement se faire qu’ils s’entendent aussi dans des lois positives.  Bien plus, comme toutes les lois de César sont positives, il est nécessaire que quand Moïse et César se rencontrent, c’est dans des lois positives.   Car la loi de César n’interdit pas  seulement ce que tous savent avoir été prohibé par la seule lumière de la raison,  mais elle impose une peine à ceux qui n’en tiendraient pas compte. Ou bien, ce que le droit naturel interdit en général, la loi civile le détermine en particulier.  

 Brentius n’a donc pas prouvé sa proposition.  Mais prouvons, nous, avec ses principes, qu’elle est fausse.  La loi de César interdit le mariage avec la sœur de l’épouse morte, mariage que n’interdit pas Moïse, comme Brentiius le concède.   Donc, cette loi est positive,  politique, et propre à César.  Elle n’est pas naturelle, selon la règle de Brentius, qui veut que soient positives et non naturelles  les lois dans lesquelles Moïse et César ne s’entendent pas.  

De plus, cette loi étant  positive et politique,  la loi qui interdit le mariage avec l’épouse du frère  et avec la sœur de l’épouse, sera donc  positive et non naturelle.  Car, il y a le même degré d’affinité avec l’épouse du frère qu’avec la sœur de l’épouse.  Car, comme l’épouse de mon frère est ma sœur par affinité, parce qu’elle est une seule chair avec mon frère,  de la même façon, la sœur de mon épouse est ma sœur par affinité, parce que sa sœur et moi  nous sommes une seule chair.  Or, si la loi qui interdit le mariage avec l’épouse du frère  n’est pas naturelle, comme nous l’avons déjà déduit,  dont fausse est la proposition de Brentius qui affirme que sont naturelles toutes les lois où convergent Moïse et César.  Car,  bien que cette loi ne soit pas naturelle, Moïse et César la prescrivent tous les deux.

Le sixième argument est de Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 134, sur les sacrements), qui cite saint Augustin (questions sur le Lévitique, question 59 ou 65).  Saint Augustin semble, là, réduire au décalogue toute la table lévitique des degrés prohibés.    Je réponds que Waldensis n’a pas lu avec assez d’attention la phrase de saint Augustin.  Car, dans les questions 64 et 65, il dit que l’adultère est prohibé dans le décalogue, et aussi dans le Lévitique, au chapitre 18.  Et il en déduit que les autres préceptes du Lévitique qui interdisent le mariage avec l’épouse du père ou du frère ou de l’oncle paternel ne doivent pas être entendus de l’épouse du père vivant, de l’oncle vivant ou du frère vivant,  mais mort,  car autrement ils seraient vains et inutiles puisque ce sont tous des adultères, déjà interdits dans le décalogue.

Le septième argument est présenté comme provenant d’innocent 3 (au chapitre gaudemus, sur les divorces) où il dit  qu’un mariage contracté entre infidèles dans les degrés deux et trois, et dans les degrés plus éloignés, est ratifié et ne doit pas être dissout, quand ils se convertissent à la foi, parce qu’ils n’étaient pas tenus par ces lois de l’Église.  D’où quelques-uns concluent  que le mariage des infidèles contracté au premier degré est invalide et interdit par le droit naturel.   Et que le mariage avec l’épouse du frère mort étant au premier degré, est lui aussi interdit par le droit de la nature.   Je réponds que cet argument ne va pas contre notre conclusion.  Car, nous soutenons seulement que ce ne sont pas tous les degrés du Lévitique qui sont prohibés par le droit de nature, ce que le pape Innocent enseigne lui aussi,  quand il ne veut pas que le second degré soit interdit par le droit de nature, alors qu’il ne pouvait pas ignorer que ce degré avait été prohibé dans le Lévitique.

Cet argument va, cependant, contre ce que nous avons dit souvent, à savoir que le mariage avec l’épouse du frère n’était pas invalide par le de droit de la nature.  Voilà pourquoi je réponds qu’Innocent n’a rien dit sur le premier degré, mais qu’il ne s’est prononcé , selon son intention, que sur le deuxième et les suivants.  De plus, même s’il avait dit ouvertement  que le premier degré est interdit par la loi naturelle, il aurait fallu l’entendre du premier degré de la ligne droite, de consanguinité, et non de l’affinité.  Car, comme nous avons dit à la fin du chapitre des divorces,  le même Innocent avait accordé une dispense pour que, en Livonie, ils retiennent les épouses de leurs frères défunts.  Ce qu’il n’aurait jamais fait  s’il  avait estimé  que ce degré était prohibé par le droit naturel.

                                                          CHAPITRE 28

Le premier degré de consanguinité, autant dans la  ligne droite que dans la ligne collatérale, et le premier degré d’affinité en droite ligne sont interdits par le droit de la nature, et les hommes ne peuvent pas en dispenser.

Voici donc la troisième proposition : Par le droit de la nature, sont interdits les mariages au premier degré de consanguinité, autant dans la ligne droite que dans la ligne collatérale, ainsi que dans le premier degré d’affinité en ligne droite seulement.  Nous avons enseigné, dans la conclusion précédente, que ce ne sont pas tous les préceptes qui portent sur les degrés prohibés qui sont de droit naturel.  Nous allons expliquer maintenant quels sont ceux que nous estimons être de droit naturel. 

Au sujet de cette troisième proposition, il faut noter, en premier lieu, que nous n’avons rien dit du deuxième degré, du troisième et des degrés suivants en ligne droite,  non parce que nous ne pensons pas qu’ils soient prohibés par le droit naturel,  mais parce que le raisonnement est le même pour le premier et les autres.   Car, c’est une sentence commune  à tous qu’entre les ascendants et les descendants, tous les mariages sont prohibés.   Car, même si, dans les degrés un peu plus éloignés, la proximité du sang est moins grande, cependant, l’inégalité de l’âge est plus grand, laquelle compense le défaut de proximité.  Exemple.  Entre le neveu et la grand-mère, la proximité du sang est moins grande, et moins grande donc l’indécence du mariage qu’entre le fils et la mère.   Cependant, plus grande est l’inégalité d’âge, et en conséquence, plus grande est l’indécence, en raison de l’âge.  Car le neveu n’est souvent qu’un adolescent, tandis que la grand-mère est une aïeule.

Pour une raison semblable, entre une arrière-grand-mère  et une petite nièce, la proximité du sang est moins grande. Cependant, l’inégalité de l’âge est beaucoup plus grande, qu’entre une nièce et une grand-mère.  Et quand on avance plus loin dans les degrés, au point où il n’y a plus de proximité du sang, comme au cinquième degré et suivants, alors, ou les ascendants sont morts, ou rabougris et décrépits,  et les descendants encore enfants, ou d’un âge tendre, de façon à ce qu’aucune union conjugale ne puisse se faire entre eux.   

Il faut noter ensuite, que nous avons placé le premier degré dans la conclusion, mais non pas universellement.  Car, le premier degré d’affinité en ligne collatérale, comme le beau-frère avec la belle-sœur, nous ne pensons pas qu’il soit prohibé par le droit naturel, comme nous l’avons montré par la conclusion précédente.  Et cela ne doit pas nous paraitre étonnant.  Car, il y a une grande différence entre le premier degré de la ligne droite et le premier degré de la ligne collatérale.  Et il ne faut pas sous estimer la différence entre la consanguinité et l’affinité.  Bien plus, dans le même degré de la ligne droite, on trouve une certaine latitude, et donc une diversité.

Nous pouvons, pour le bien de la cause, disposer ainsi l’ordre des mariages prohibés par le droit naturel.  D’abord,  celui qui est le plus honteux de tous : le mariage du fils et de la mère.  Car, il y a une très grande union entre la mère et le fils,  et elle devrait, elle qui, dans l’ordre de la nature, commande au fils,  se soumettre à lui en raison du mariage.   Le deuxième, le père avec la fille.  Car, celui-là est semblable au premier, en ce qui a trait à l’union, mais il est moins honteux parce que n’est pas inversé l’ordre d’autorité et de commandement, puisque  la fille au tant que l’épouse, doit être soumise à son mari.  Tous sont d’accord que ces deux sont prohibés par le droit naturel.

Le troisième est celui du frère avec sa sœur germaine, d’un même père et d’une même mère.  Car, là aussi, il y a une grande union, mais collatérale, et donc moindre que celle entre le père et la fille.  Le quatrième est celui du frère avec sa demi-sœur.  Il n’y a aucun doute que le mariage d’un frère avec sa sœur utérine est moins honteux qu’un mariage avec sa sœur germaine.  Le cinquième est celui du beau-fils avec la belle-mère.  Il est peu ou après pas éloigné du troisième. Car, si, d’une part, il est moins honteux, parce que c’est de l’affinité et non de la consanguinité, d’autre part, il est plus indécent, puisqu’il est en droite ligne, et inverse l’ordre du commandement.  Car, la belle-mère tient lieu de mère, et est normalement plus âgée, et, dans l’ordre de nature, est en situation d’autorité par rapport au beau-fils.  Le sixième et le dernier, le beau-père avec la belle-fille.  Ce qui est dans le même degré que le cas précédent, mais est absente l’indécence qui vient de l’inversion du rapport d’autorité et de commandement.  Car, il convient à la belle-fille d’être soumise au beau-père, qu’il lui tienne lieu de père ou de mari. Et ce qu’on a dit de la belle-mère et du beau-fils on doit l’entendre aussi du beau-père de la belle-fille.   Ne manquent pas les théologiens qui nient que ces quatre degrés soient prohibés de droit naturel, comme Cajetan (2, 2, quest 154, article 9).  Mais, la sentence la plus commune et la plus vraie enseigne le contraire.

Il faut noter, en troisième lieu, que nous avons dit en conclusion que les mariages contractés dans ces degrés ne peuvent pas être dispensés par les hommes, parce que nous pensons que Dieu peut donner des dispenses pour les mariages dans tous ces degrés.  Car, il n’y a aucun degré dans lequel le mariage soit si intrinsèquement mauvais qu’il ne puisse être bien fait.  Cela va de soi, car aucun de ces degrés n’enlève la fin première du mariage, ou la seconde, même s’il l’empêche en partie.  Car, même du mariage d’un fils avec sa mère des enfants peuvent naître et être éduqués.  Et je n’ai lu personne qui nie cela formellement.  Car, Cajetan lui-même (2, 2, quest 154, art 9) soutient que ce premier degré en ligne droite a, par lui-même, et naturellement annexé , un empêchement au mariage.  Cependant, il écrit, au même endroit, que l’Auteur de la nature peut en dispenser.  

Et, comme preuve, on peut présenter un argument tiré des filles de Loth.  Comme elles pensaient qu’aucun homme n’avait survécu sur cette terre, elles crurent qu’il leur était permis de chercher des enfants auprès de leur père (Genèse 19).  Et quoiqu’on ne puisse  pas les excuser de péché, car elles auraient du laisser à leur père un soin de cette sorte, ou lui demander d’abord un conseil, et s’en remettre à son jugement, mais non le prévenir et le tromper, ce fait indique, quand même,  que, dans un cas extrême, ce mariage n’est pas complètement contraire à la raison droite, surtout si intervient l’autorité du Dieu qui dispense.  Bien plus, saint Jean Chrysostome (homélie 44 sur le Genèse et saint Ambroise (homélie 1 sur Abraham, chapitre 6),  les libèrent absolument de tout crime.  Saint Augustin (livre 12, chapitre 43, contre Faust),  dit qu’elles ont péché, non par ardeur de la cupidité, mais par un trop grand amour de la postérité.

Après avoir fait ces remarques, on prouve la conclusion.  D’abord, parce que tous ces mariages et seuls ces mariages sont punis par le supplice ultime dans le Lévitique (chapitre 20), alors que les autres sont punis par des peines plus légères.   Deuxièmement.   Parce que nous n’avons aucun exemple de saints qui en aucun temps, aient contracté des mariages dans ces degrés, bien qu’il y en ait dans les autres degrés, comme nous l’avons montré plus haut.  Troisièmement, parce que l’Église n’a jamais accordé de dispense dans ces degrés, même si ne furent pas défaut ceux qui en firent la demande.  Car, au sujet du comte Arménien, Paul-Émile rapporte, dans Louis X1,  que par un faux document du pontife, il s’était uni en mariage avec sa sœur germaine.  Parce qu’il n’aurait jamais pu extorquer du pape une dispense, il s’en était procuré une fausse par un ministre corrompu.

Dans les degrés que nous avons dit ne pas être prohibés par le droit naturel, on ne lit pas qu’une seule dispense ait été accordée.  Nous lisons qu’une dispense a été faite par le pape Innocent 3, au premier degré d’affinité dans la ligne collatérale (chapitre final sur le divorce),  et par Martin 5 (au témoignage de d’Antoine (3 par tit 1, chapitre 11 de la somme théologique), et de nouveau dans le second degré de consanguinité par Alexandre 6 (au témoignage de Cajetan (dans 2, 2, question 154, art 9).  Bien plus,  (comme on l’a démontré plus haut),  Innocent 3 (au chapitre gaudemus, sur les divorces),  a déclaré ouvertement  que, dans les degrés seconds et suivants, les mariages contractés par des infidèles devaient être considérés comme ratifiés.

Quatrièmement.  Parce que tous les peuples ont naturellement horreur des mariages ci-haut nommés.  Et si quelques-uns se l’ont jamais permis, on les a jugés sauvages et barbares.  Les Perses, qui permettaient des mariages entre parents et sœurs, étaient blâmés par tous, comme on le lit dans Tertullien (Apologétique, chapitre 9),  dans saint Jean Chrysostome (homélie sur la Pentecôte, à la fin), dans saint Augustin (question 61, sur le Lévitique), Théodoret (livre sur les lois).  Aristote (dans son livre 2 sur les politiques) réprouve la communauté des femmes, car il s’ensuivrait que les fils s’uniraient à leurs parents, et les frères aux sœurs. Et (au livre 9 sur l’histoire des animaux, chapitre 17), il écrit que les chameaux et les chevaux ne peuvent jamais être contraints à s’unir avec leurs mères, et il en rapporte deux exemples admirables.  C’est aussi ce que fait Pline (livre 8, chapitre 12 de son histoire naturelle).   Et Suétone, dans Caius,  rapporte, entre les différents crimes de l’empereur Caius, qu’il avait voulu avoir pour épouse sa sœur Drusilla.  Et, dans la vie de l’empereur Caracallas,  les auteurs notent la même chose, à savoir, que par une trop grande impudicité, il ne s’était pas abstenu de sa nièce Julie.

Enfin, saint Ambroise  (dans son épitre 66  à Paternus),  écrit que le mariage du père avec sa fille milite contre le droit naturel écrit dans le cœur de chacun.  Et saint Augustin (livre 15 chapitre 15 de la Cité de Dieu), écrit que les mariages avec les sœurs  ne sont permis que par des lois perverses.   Car, ce qui a été fait une fois par les fils d’Adam,  sous la pression de la nécessité, a été tellement tenu en horreur après coup, quand les hommes se sont multipliés, que c’est comme si cela n’avait jamais été permis.  On peut ajouter à cela quelques raisons naturelles tirées de saint Thomas et d’autres auteurs.  Mais on le fera plus commodément pour la conclusion suivante.

Contre cette troisième proposition, on n’a coutume de nous objecter que quelques arguments.   Le premier est tiré de l’exemple des fils d’Adam, qui contractèrent des mariages avec leurs sœurs.   Car, si ces mariages avaient été contraires à la loi naturelle, ils n’auraient pas pu être contractés sans une dispense de l’Auteur de la nature. Or, on ne lit pas qu’une pareille dispense ait été accordée.  Il ne semble pas qu’il convienne que la sainte Providence dispense d’une loi au moment même  où elle l’établissait.  Voilà pourquoi, le mariage entre le frère et la sœur n’était pas prohibé par le droit naturel. 

Je réponds qu’il peut se faire que Dieu ait permis aux fils d’Adam d’épouser leurs sœurs, car une dispense orale ou écrite n’était pas nécessaire, parce qu’une inspiration interne suffisait.  Il a peut être dit cela à Adam seulement, sans en parler à ses enfants.  Il  n’est pas absurde qu’en ce début du monde, Dieu ait dispensé les fils d’Adam de cette loi, puisque l’Auteur du genre humain a voulu que tous procèdent d’un seul et même couple. Et il n’a pas jugé bon que plusieurs mâles naissent ensemble, et plusieurs femelles ensemble.

Deuxièmement, il serait plus facile de dire qu’une dispense n’a pas été nécessaire, en raison de la nécessité exceptionnelle de la propagation du genre humain, comme on le déclare dans la seconde proposition.  Le second argument était tiré de l’exemple d’Abraham qui a  épousé sa sœur utérine, comme il le dit lui-même dans la Genèse 20 : «Elle est vraiment ma sœur, et je l’ai prise pour femme.» Je réponds que, selon l’Écriture Sara est dite sœur d’Abraham, parce qu’elle lui était consanguine,  sa nièce.  

Et parce que non seulement quelques-uns parmi nous,  mais même aussi Bèze (dans son livre sur les répudiations) soutiennent que Sara fut la sœur germaine d’Abraham,  j’ai le goût de confirmer ma sentence un peu plus,  et de réfuter ce qu’on lui objecte.  Que Sara ait été la fille de son frère (sa nièce) et non sa sœur germaine, on le prouve d’abord par l’autorité des plus savants auteurs, comme saint Jérôme (dans les questions hébraïques, au chapitre 11 de la Genèse, et dans son livre contre Elvidius),  saint Augustin,(livre 16, chapitre 12 et 19 de la cité de Dieu, et dans le livre 22 contre Faust, chapitre 31), et de l’Hébreu Joseph (livre 1, chapitre 14 des Antiquités).

On le prouve en second lieu par la Genèse, chapitre onze, où nous lisons ceci : «Thare engendra Abram, Nachor et Abraham».  Et plus bas : « Abraham et Nachor épousèrent les sœurs.  Le nom de la femme d’Abraham était Sara, et le nom de l’épouse de Nachor, Melcha, fille d’Aram, père de Malcha. et du père Jescha.»    Dans ce texte, par Jescha, on ne peut entendre que Sara, qui, au témoignage de Joseph et de saint Jérôme, avait les  deux noms.  Car, il n’est aucunement crédible que l’Écriture ait voulu parler du père de Melcha et non de Sara, personne beaucoup plus digne.  Et de plus quel besoin y avait-il de faire mention d’une Melcha  différente de Sara ?    On le prouve, troisièmement, par le même chapitre, où nous lisons ceci : «Thare prit Abram son fils et Loth, le fils du fils d’Aram, et Sara sa bru, épouse de son fils Abraham.  Mais comme elle n’était pas proprement sa fille, il n’a pas voulu la compter parmi ceux qui étaient proprement ses fils.

Quatrièmement.  On le prouve ainsi.   Si Abraham et Machor avaient épousé des sœurs germaines, ils l’auraient fait cela parce que la chose était permise par les mœurs des gens de cette époque.  Comme le reconnaissent ceux qui soutiennent que Sara a été la sœur germaine d’Abraham.  Car,  il n’est nul besoin de recourir à une dispense divine, puisque cela n’était pas nécessaire,  si un tel mariage n’est pas contraire au droit naturel, comme le veulent les adversaires.   Or, si, alors, et par la coutume et par le droit naturel, un tel mariage était licite, comme le laisse entendre Genèse 26, --et c’est ce qu’Isaac a fait par la suite (Genèse 26)—car, quand on l’interrogea sur son épouse, il ne craignit pas d’être tué en disant : «C’est ma sœur, »  Il faut donc avouer que les hommes de ce temps avaient tellement en horreur le mariage avec une sœur  qu’en entendant ce mot, ils crurent tout de suite qu’elle n’était pas son épouse.

Ensuite, qui croira que c’est sans aucune nécessité qu’Abraham a épousé sa propre sœur, quand, à cause de ce crime, Dieu avait ordonné de tuer l’un et l’autre (20 Genèse, 18, Lévitique).  Mais, répondons aux objections de Cajetan, qui était d’une opinion contraire  dans le chapitre 20 sur la Genèse, et le chapitre 18 du Lévitique.)   On nous objecte ces mots : voici vraiment ma sœur.  Je réponds que ces mots signifient qu’elle était vraiment consanguine.  Car, même Isaac  (Genèse 26 ) dit, au sujet de Rébecca qu’elle est sa sœur,  alors qu’il est prouvé qu’elle était la fille de son oncle paternel, c’est-à-dire , la fille de Bathuel,  fils de Nachor, frère d’Abraham.  Au même endroit, Abraham appelle Loth son frère (Genèse 13), alors qu’il n’était que son neveu.  Et Tobie junior, fils de Tobie a dit : « Tu sais, Seigneur, que ce n’est pas par sensualité que je prends pour femme ma sœur».  Et, cependant, elle n’était pas sa sœur germaine.   En Daniel 5, Nabuchodonosor est appelé père de Balthasar, alors qu’il était son grand-père, comme le remarque saint Jérôme.  Ensuite, en Matthieu 12, on nomme des frères du Seigneur, alors que le Seigneur n’a jamais eu de frères germains.

Ils objectent en second lieu ceci.  Soit, concédons qu’on peut appeler frères des consanguins égaux, il est absurde cependant d’appeler quelqu’un oncle, alors qu’il devait être plutôt appelé père.   Je réponds que ce n’est pas absurde, comme nous l’enseignent les exemples allégués.     Ils nous objectent en troisième lieu ceci : « Quand Abraham dit : fille de mon père, il parle de son père proprement dit, non de son grand-père.  C’est donc de sa sœur qu’il parle.»   Cajetan prouve l’antécédent  en faisant remarquer qu’Abraham a ajouté : «Et non la fille de ma mère.»  Il ne pouvait parler que de sa  mère proprement dite.  Donc, quand il dit aussi : la fille de mon père, il parle de son père proprement dit.

Je réponds qu’Abraham parlait de son propre père  quand il parlait de son père et non de celui de Sara, car il dit la fille de mon père.  Car, il a dit fille de mon père, et non fille de son père.  Celui qui était proprement le père d’Abraham était improprement le père de Sara, car il était son grand-père.   La mère d’Abraham n’était pas la mère de Sara, ni sa grand-mère non plus, car Aran le père de Sara, n’était pas le frère utérin d’Abraham, mais par le père seulement, et c’est pourquoi il a dit la fille de mon père, non la fille de ma mère.  Voilà pourquoi l’impropriété des termes n’est pas dans le mot père,  mais dans le mot fille, qui était pris pour nièce. 

Et pourquoi ne dit-il pas ouvertement nièce de mon père, ou fille de mon frère ?   Pourquoi a-t-il préféré parler improprement plutôt que proprement ?  Je réponds que parce qu’il avait dit elle est ma sœur, il devait en conséquence, dire la fille de mon père.   De plus, parce que le père de Sara est mort avant le grand-père (comme on le lit dans Genèse 11),  elle ne reconnaissait d’autre père que son grand-père,  et c’est pourquoi Abraham aussi avait coutume de l’appeler sœur.   Et c’est ce que dit saint Jean Chrysostome (dans son homélie  45 sur le Genèse), qu’ils allèguent à tort pour confirmer leur sentence contraire.  Il dit qu’elle a été appelée  sœur d’Abraham, parce qu’elle appelait père le père d’Abraham;  car, depuis qu’elle avait perdu son propre père, elle n’en connaissait point d’autre  que son grand-père.

Quatrièmement, ils objectent ceci : «Si Sara n’était pas la sœur propre d’Abraham, il a trompé le roi quand il a dit : c’est ma sœur.  Je réponds qu’il ne l’a pas trompé par un mensonge, mais il l’a éludé par une ambiguïté, ce qui est permis quand quelqu’un interroge sans droit.  Il insiste .  Il aurait du au moins dire toute la vérité quand le péril était passé, pour ne pas laisser le roi penser qu’il habitait maritalement avec sa sœur.  Il est permis de penser que le roi et Abraham ont eu une plus longue conversation, au cours de laquelle Abraham a mis les points sur les i.  Mais l’écriture, à son accoutumée, se contente d’un bref compte-rendu.

On pourrait nous faire, en cinquième lieu, une objection plus difficile.  Si Sara était la fille d’Aran et la femme d’Abraham, comme nous le disons, nous, elle aurait du être engendrée quand son père Aran était âgé de sept ans, ce qui est tout à fait impossible. Que ceci suive de cela, je le prouve ainsi.  Abraham avait dix ans de plus que Sara, comme on le lit dans la Genèse, 17 : « Penses-tu qu’un fils naîtra d’un centenaire, et qu’une nonagénaire enfantera ?»  Donc, quand Sara naquit, Abraham avait dix ans.  Mais Aran était plus jeune qu’Abraham, au moins de deux ans, puisqu’il était le troisième des fils (Abraham, Nachor et Aran, Genèse 11).   Donc, si Sara est sa fille, il l’a engendré à l’âge de sept ans !

Je réponds qu’Aran était plus âgé qu’Abraham et que Nachor, même si, à cause de sa dignité, Abraham occupe le premier rang.  Ce n’est pas la témérité qui me fait parler ainsi, et je ne m’y suis pas arrêté seulement pour me tirer d’embarras. Car, c’est de la Genèse 11 que je l’ai appris : « Thare a vécu soixante-dix ans, et il a engendré Abram, Nachor et Aran.»  Ce texte nous apprend que quand Thare avait soixante-dix ans, ses trois fils étaient déjà nés.  L’Écriture ne veut pas dire qu’ils sont nés les trois, la même année, mais qu’à cet âge, il avait déjà  ces trois fils, un né cette année, et les autres avant.  C’est donc en cette année qu’est né Abraham.  Car, l’Écriture, dans la Genèse, indique toujours le temps de la naissance de ceux dont elle cache la généalogie, pour que nous sachions l’âge de tout ceux qui n’appartiennent pas à cette chronologie.  C’est ainsi que nous voyons dans la Genèse 4, que c’est la quatrième année d’Adam qu’est né Seth, par lequel est recouverte la chronologie, et non Abel ou Caïn.  Et dans la Genèse 5, on dit que c’est à l’âge de cinq cents ans que Noé engendra Sem, Cham et Japhet.  Est notée là avec précision l’année où est né Sem, parce que c’est de lui qu’est déduite la chronologie.  Il est possible d’observer la même chose dans les autres cas semblables.

Comme, parmi les fils de Thare, Abraham est le seul dont on nous explique la généalogie, et par lequel est voilée la chronologie, il est nécessaire de dire que c’est lui qui est né cette année-là, et que les autres étaient nés avant.   Aran n’avait donc pas sept ans quand il engendra Sara, mais vingt-sept ou trente-sept ans.  On peut le confirmer par le fait qu’il mourut avant les autres, et qu’il reçut la fille de Nachor.

Le troisième argument important est tiré de l’exemple de Thamar, fille de David.  Étant opprimée par son frère Ammon, on lit qu’elle a dit  (2 Rois 13) : « Ne veuille pas, mon frère, ne veuille pas m’opprimer.  Ne commets pas cette sottise. Parle-s-en plutôt au roi, et il ne me refusera pas à toi.»  Nous apprenons par ce passage que ce n’était pas quelque chose d’inusité  que les frères épousent leurs sœurs. Car, autrement, pourquoi cette fille aurait-elle pensé de lui donner ce conseil ?    Quelques-uns répondront que Thamar n’était pas vraiment la fille de David, mais une belle-fille; qu’elle était donc la sœur utérine d’Absalon, mais en aucune façon la sœur d’Ammon.  Mais cela ne peut pas être soutenu.  Car, dans ce même chapitre (13, livre 2), Thamar est appelée la fille du roi, et la sœur d’Ammon.  Et plus clairement encore dans les paralipom, chapitre 3,  l’Écriture ajoute, après avoir énuméré tous les fils de David : « Tous ces fils de David ont eu pour sœur Thamar.»   Or, Thamar n’aurait pas pu être la sœur  de tous ces fils de David qui sont nés de mères différentes, si elle n’avait pas eu le même père qu’eux.

D’autres répondent que Thamar fut la vraie sœur d’Ammon, et qu’elle savait très bien qu’une telle union était illégitime, mais qu’elle a parlé ainsi parce que, dans son angoisse, elle ne trouva point d’autre ressource, ou parce qu’elle pensait que, troublé par une passion violente, son frère ne réalisait pas qu’était illicite le mariage d’un frère avec sa sœur.  Mais on ne peut pas prétendre cela, car Thamar parle sérieusement d’un mariage futur, s’il le demande au roi.  Car, quand après avoir été saisie violemment par son frère, elle fut chassée par lui qui avait changé son amour fou en haine folle, elle lui dit : le mal que tu me fais maintenant en me chassant est pire que celui que tu m’as fait auparavant.  Elle voulait donc demeurer avec lui comme épouse.  Elle faisait donc en sorte d’être l’épouse d’Ammon, avec le consentement de son père.

Ce qui nous permet de répondre à l’argument.   On ne peut pas tirer un argument solide   de l’opinion et des paroles d’une jeune fille, qui, même si elle n’avait jamais vu un tel mariage et l’avait en horreur,  estima , quand même, que c’était un moindre mal d’être mariée à son frère, plutôt que d’être violée,  surtout avec l’assentiment du roi.   Le quatrième argument est semblable au précédent.  Car, il est tiré de l’exemple d’Adonias qui demanda en mariage sa belle-mère, la sunamite Abisag (111 Rois 2).    Je réponds d’abord qu’il n’est pas prouvé qu’Abisag ait été l’épouse de David, et qu’il n’est donc pas prouvé qu’elle ait été la belle-mère d’Adonias, fils de David.  Car, comme il est dit au lieu cité,  elle servait David dans sa vieillesse, et dormait avec lui pour le réchauffer.  Mais elle n’est jamais appelée son épouse, et David ne l’a pas connue, comme l’Écriture le dit au même endroit.

Deuxièmement.   Cet Adonias a été condamné à la peine de mort par Salomon, à cause de cette demande.  C’est donc signe qu’il avait demandé une chose illicite.  Il est certain que la sentence de Salomon, roi très sage, a plus de valeur  que la demande d’Adonias.

                                                      CHAPITRE 29

C’est à bon droit que sont prohibés par l’Église les mariages jusqu’au quatrième ou septième degré de consanguinité  ou d’affinité.

Vient ensuite, par ordre, la quatrième proposition.   C’est à bon droit que l’Église a interdit d’abord les mariages jusqu’au septième degré, et par la suite, jusqu’au quatrième degré de consanguinité et d’affinité.  Ce qui est contre tous les hérétiques ci-haut nommés.  Car, tous font des reproches à l’Église à ce sujet.  Il y deux choses qu’il faut prouver.   La première.   L’Église peut légiférer sur les degrés de parenté.  La deuxième.  Ce n’est pas sans raison qu’elle a porté ce genre de lois.  Le premier point a déjà été prouvé  plus haut, dans la dispute sur l’empêchement du vœu solennel.   On prouve donc le deuxième point par  les quatre raisons que saint Thomas a tirées des pères (dans 2, 2, question 154, art 90.)

La première raison se tire de l’honneur du aux consanguins et aux parents selon l’affinité (affines).  Car, la nature elle-même enseigne qu’un respect tout particulier , une révérence, ou un culte, ou une obéissance, est du aux parents, et donc à tous les consanguins, et «affines». À ce respect répugne tout particulièrement l’acte conjugal,  qui ne peut pas être exercé  sans honte et irrévérence.  Voilà pourquoi , quand le Lévitique (au chapitre 18) prohibe le mariage avec la mère, il en donne la raison : «Parce que c’est ta mère.»  Et quand il interdit le mariage avec la bru, il dit : « Parce que c’est l’épouse de ton fils.»  Voici ce que dit saint Augustin là-dessus (livre 15, chapitre 16 de la Cité de Dieu) : « Je ne sais comment est inné cette sorte de honte naturelle et louable qui nous interdit tout commerce avec celle qui est à l’origine de la vie.»  Ce comportement vaut tant qu’on a connaissance de la parenté.  Car, les hommes ont coutume de connaitre leurs parents jusqu’à la quatrième génération.  Et au-delà, c’est à peine si on se considère encore comme parents.

L’autre raison est tirée de l’intimité et de la familiarité qui doivent exister entre parents selon la consanguinité et l’affinité.  Car, les parents et les fils, les frères et les sœurs, les grands-pères, les neveux, et les belles-mères, et les beaux-fils,  les gendres et les brus, habitent dans la même maison que les autres parents   Pour que cette cohabitation soit innocente, il faut que les mariages soient interdits entre toutes ces personnes.  Car, autrement trois maux naitraient de cet état de choses.  Le premier.   Les mariages seraient trop tôt, trop facilement et témérairement contractés.  Ensuite, cela donnerait facilement des occasions d’inceste. Car, il est plus facile de commettre des péchés avec ceux qu’on a le droit d’épouser  qu’avec les autres.  Ensuite, les mauvais soupçons abonderaient.  Et l’affabilité, les caresses et les baisers  qui sont maintenant des marques d’affection et de respect envers les parents,  seraient considérés sans témérité comme des gestes sensuels.  Saint Ambroise développe longuement cette raison dans son épitre 66 à Paternus. 

La troisième raison est tirée du zèle charitable à exercer entre étrangers.  Car,  par le mariage, ils sont unis et liés par un lien de nécessité.  Or, si le mariage était contracté parmi les proches, périrait ce fruit plus ample d’une nécessité à propager.  Car, plusieurs choses doivent être inutilement restreintes à certaines personnes , qui pourraient être réparties à plusieurs.  Car, si, par exemple, un frère prenait sa sœur pour femme, il serait à la fois frère et mari par rapport à sa sœur. Et il en sera de même pour le fils et le père sera à la fois père et beau-père par rapport au fils.  Donc, deux liens d’amour seront réduits à un seul.  C’est sain Ambroise (dans la même épitre 66) et saint Augustin (dans le livre 15, chapitre 16 de la Cité de Dieu) qui présentent cette raison.

La quatrième raison est tirée de l’usage modéré du devoir conjugal.  Car, comme les consanguin s’aiment déjà naturellement, si y on ajoutait l’amour conjugal, croitrait plus qu’il n’est du, l’amour charnel.  Raison apportée par Aristote  (2 livres sur la politique).

Contre cette proposition, voici quels sont les arguments des adversaires.   Le premier.  Dans son commentaire sur 18 Lévitique, Jean Brentius nous objecte ceci : « Le pontife romain n’est pas au-dessus du Christ, puisqu’il ne se fait que son vicaire.  Or, le Christ n’est pas venu pour établir des lois politiques, mais annoncer la parole de Dieu.  Donc, le pontife romain ne peut pas et ne doit pas, non plus, faire des lois.»    Je réponds d’abord que le Seigneur n’a pas établi de lois politiques, mais qu’il aurait pu en faire s’il en avait eu envie.  Et ce qu’il peut par lui-même, il le peut aussi par ses vicaires, surtout quand ces lois sont jugées nécessaires au salut éternel des fidèles.   Deuxièmement.  Les lois sur le mariage ne sont pas purement politiques, mais aussi spirituelles, puisque le mariage est un sacrement.  Voilà pourquoi,  comme le Christ a établi des lois sur les autres sacrements, il l’a fait aussi pour le mariage  quand il a aboli la polygamie et la répudiation.  Et comme il a laissé à l’Église le pouvoir de statuer beaucoup de choses sur les autres sacrements, il a fait la même chose pour le sacrement du mariage.  Voilà pourquoi les anciens conciles sont remplis de canons sur le mariage, comme, par exemple, dans le concile de Tours 2, où sont allégués les canons de beaucoup de conciles.

Deuxième objection.  Luther (dans la captivité de Babylone) et Bucer (dans le chapitre 19 de saint Matthieu), écrit : « Dieu savait beaucoup mieux  que n’importe qui quelles personnes étaient aptes au mariage, et jusqu’au s’étendent les degrés da parenté.    Or, il ne prohiba  que les mariages au second degré dans la ligne inégale.  C’est donc avec une grande témérité que sont prohibés par les hommes les mariages dans les degrés ultérieurs.»    

Je réponds que c’est avec une sagesse très grande   et tout à fait divine  que Dieu a donné une loi à son peuple, et que dans la même sagesse, il n’a pas voulu qu’elle nous soit commune, mais propre à son peuple.  Car une chose convenait à son peuple, et autre chose convenait à l’Église chrétienne, diffusée parmi toutes les nations.   Car, pour le peuple juif, il ne fallait pas encore restreindre la loi du mariage, parce qu’ils étaient peu nombreux, et que les valeurs et les richesses étaient conservées dans  la même tribu, et aussi parce qu’ils étaient enclins à répudier leurs épouses.  Lorsque  les consanguines furent aimées plus que les femmes étrangères, dans la mesure où ils étaient détournés des mariages avec les consanguins, dans la même mesure était fermée la porte aux répudiations.   Comme, à cause de l’infirmité de cette nation, la répudiation et la polygamie étaient permises, étaient concédés par le fait même aux Hébreux des mariages dans les degrés interdits aux chrétiens.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 15, chapitre 16 de la cité de Dieu) reconnait qu’il était permis aux anciens de faire des mariages avec les cousins germains, et que c’est avec raison que ce n’est pas permis aux chrétiens.

Troisièmement,  Kemnitius  (dans la partie 2 de l’examen du concile de Trente, page 1235) et Bèze (dans son livre sur les répudiations) nous objectent que certains conciles anciens  (comme celui d’Epannensis, chapitre 30, celui de Tours 2, canon 12),   de Paris 1 (chapitre 4) n’ont prohibé les mariages que jusqu’au deuxième degré.  On peut leur ajouter les témoignages  de saint Grégoire (dans ses réponses aux interrogations de saint Augustin, évêque des Angles chapitre 6,) où il dit qu’on peut contracter mariage dans le troisième et le quatrième degré, pourvu qu’on s’abstienne absolument du second.  Les adversaires concluent de ces témoignages que la prohibition du quatrième et encore plus du septième, était inconnue aux anciens. 

 Je réponds qu’il est faux que fut inconnue à l’antiquité la prohibition des degrés de parenté jusqu’au septième degré.  Car, tout d’abord, Alexandre 2 qui siégea après l’année du Seigneur 1060, dans le concile de Latran (ad sedem 35, question 5) affirme que l’antique coutume de l’Église a duré pendant de  longs siècles, celle qui voulait que soient interdits les mariages  jusqu’au septième degré.   Saint Grégoire, qui siégeait en l’an 600,  c’est-à-dire 460 cents ans avant Alexandre 2,  dit (dans le livre 12, lettre 31 à Félix, évêque de Messanonsis),  que c’est aux seuls Anglais, à cause de leur conversion  récente à la foi, qu’il a permis de se marier dans les troisième et quatrième degrés, tandis qu’ailleurs les mariages sont interdits jusqu’au septième degré. Ce qui réfute l’argument fait auparavant à partir de la lettre de Saint Grégoire à saint Augustin.

De plus, le pape Jules, qui a précédé le pape saint Grégoire de  plus de deux cents ans, affirme qu’on ne doit permettre à personne de contracter un mariage  à l’intérieur du septième degré,  (canon 35, question 2) , et dans Ivon ( livre 7, décrets).  Nous a été conservé le concile de Tolède 2, célébré avant le temps de saint Grégoire, où, dans le chapitre 5, il est statué  que nul ne contracte un mariage avec ses parents, sans connaitre les degrés de parenté de consanguinité ou d’affinité.  Alexandre 2 donne le sens de ce passage : les mariages sont prohibés dans tous ces degrés, et donc aussi dans le septième.  Car, au-delà du septième degré, personne ne reconnait de parents. 

 Un décret semblable a été fait en Germanie, dans le concile de Worms, selon Gratien (canon sur la copule, 35, question 2) où sont prohibés les mariages dans sa parenté jusqu’à ce qu’on connaisse la génération, ou aussi longtemps qu’on en garde le souvenir.  Le concile d’Agathe, en Gaule, célébré avant tous les autres que les adversaires citent, ajoute  au canon 61, après  la prohibition de ces degrés, une prohibition générale , afin que personne n’épouse une consanguine.  Dans Gratien, pour la même raison, sujet, 35, quest 2,  canon  nulli, et canon contradicimus) et dans les deux conciles gaulois de Lyon et de Gabylone, les mariages sont prohibés jusqu’au septième degré.

Au sujet des trois conciles cités par les adversaires, je dis que, dans ces conciles, sont énumérés les principaux degrés, mais qu’on ne nie pas que les autres soient prohibés.  Car le concile de Tours 2 renvoie aux conciles antérieurs, comme à celui d’Epannensis,  et il déclare clairement qu’il faut conserver les statuts des anciens.  Le concile d’Epannen avait reproduit le début du canon 61 du concile d’Agathe, où sont prohibés, en général, tous les mariages avec des consanguins.  J’ajoute que même si on découvrait qu’étaient permis les mariages au-delà du deuxième degré, aucune absurdité ne s’ensuivrait.   Car, dans des choses changeantes de cette nature, une mutation et une diversité peuvent facilement apparaitre.

Quatrièmement, les mêmes Kemnitius et Bèze nous objectent la raison donnée par le concile du Latran pour laquelle la prohibition était restreinte au quatrième de gré.  Ils la trouvent ridicule et puérile.   Parce qu’il y a quatre humeurs dans le corps humain, et parce que l’homme est composé de quatre éléments.   Je réponds que la sanction de ce concile, le plus célèbre et le plus nombreux de tous, qui restreint la parenté au quatrième degré, ne se fonde pas sur cette raison, mais sur des appuis beaucoup plus graves, comme on le lit dans le chapitre 50 du même concile.   La raison principale est que l’expérience montre qu’on ne pouvait pas, à cette époque, conserver la prohibition de tant de degrés sans d’énormes dépenses.  Car, comme l’espérance de vie diminue, la charité refroidit et la concupiscence augmente, il arrive très souvent que les hommes perdent le souvenir d’une si grande multitude de consanguins et  d’«affines»; et qu’ils se trouvent vers eux comme vers des étrangers. 

Voilà pourquoi , si la prohibition avait duré, plusieurs auraient , par ignorance ou par négligence, contracté des mariages dans les degrés prohibés.  D’où seraient nés des doutes, des litiges et des scandales.  Comme ont bien agi les anciens qui ont conservé ces degrés aussi longtemps que l’expérience a montré qu’ils pouvaient être conservés, ont bien agi aussi leurs successeurs qui ont réduit ces degrés à un petit nombre, quad ils comprirent, par expérience, qu’on ne pouvait plus les observer sans d’énormes dépenses, comme l’indique le concile.

On a eu raison de mettre un terme au quatrième degré, car comme la plupart des hommes voient la quatrième génération, on a plus de chance de garder en mémoire ces degrés de parenté.  Et la raison des quatre humeurs n’est pas donnée comme la raison principale, mais comme une raison de convenance. Elle n’est toutefois, par ridicule ou inepte, mais physique, comme le montre saint Thomas (4 dist 40, quest 1, art 4).  Car, parce que l’homme est constituée de quatre éléments, il en déduit que, de la même façon, il est probable qu’au quatrième degré se soit épuisée complètement la vertu de la consanguinité, qui dérive de la première souche.  Car  dans le mélange du sang reçu du père avec un sang étranger, qui se fait dans la génération, ce qui est le plus subtil, c’est-à-dire la vertu ignée est confondue et périt.  Et,  à la quatrième génération, tout le sang semble avoir péri.

                                                         CHAPITRE 30

La parenté spirituelle et légale.  L’honnêteté publique, et l’affinité qui provient de la fornication.

La cinquième proposition.   La parenté spirituelle et légale, et l’affinité qui provient de la fornication sont à bon droit considérées par l’église comme des empêchements.  Sur la parenté spirituelle et légale ,  des paragraphes entiers existent dans les épitres décrétales.   Dans Gratien (30, questions 1 et 3), on peut lire plusieurs témoignages des anciens.   De plus, les quatre raisons données pour confirmer la proposition précédente  valent aussi pour ces sortes de parenté.  Et les adversaires n’apportent rien de solde à l’encontre, même si ces parentés les font sourire.   

Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, (au chapitre du mariage), et Bèze, à sa suite, (dans son livre sur les répudiations)  disent que tous les chrétiens sont frères  et toutes les chrétiennes , sœurs.   Ils sont donc tous entre eux des parents spirituels.  Donc, ou la parenté spirituelle n’apporte pas d’empêchement, ou les chrétiens ne devront se marier qu’avec des païens.  Mais, il n’est que trop facile de répondre à cette objection.  Car, l’empêchement de la parenté spirituelle ne provient pas du droit de la nature, mais d’une décision de l’Église.  Or, l’Église ne veut pas que toute parenté spirituelle soit un empêchement au mariage, mais seulement celle qui provient du baptême et de la confirmation.  Et, pour faire de cette parenté un empêchement, elle a eu une très bonne raison.  Car celui qui reçoit de quelqu’un la  vie spirituelle doit lui rendre un respect tout particulier. Et elle n’a vu aucune absurdité procéder de cet interdit.  Mais elle n’a trouvé aucune bonne raison pour faire un empêchement de la parenté spirituelle qui existe entre tous les chrétiens.  Et il est manifeste qu’il s’en serait suivi une énorme absurdité ; obliger les chrétiens à se marier avec des non chrétiens.

Quand  à l’honnêteté publique, c’est une affinité ébauchée, comme les fiançailles peuvent être appelées un mariage ébauché.  Donc, comme une affinité parfaite est un empêchement dirimant de mariage dans tous les peuples du monde, de la même façon, l’honnêteté publique invalide le mariage au moins dans un certain degré.   Ensuite, l’affinité qui vient de la fornication est une vraie affinité, même si elle est un peu plus imparfaite que celle qui procède d’un mariage légitime.  Et puisqu’elle est une vraie affinité, il n’y a aucune raison pour laquelle elle n’empêcherait pas un mariage. 

 Que l’affinité qui provient de la fornication soit une vraie affinité, la chose est évidente, car l’affinité nait de ce que, par le mariage, deux personnes deviennent une seule chair, au dire de l’apôtre (1 Corinthiens 6) : «Celui qui s’unit à une prostituée devient un seul corps avec elle.  Ils seront deux dans une seule chair.»   De plus, de la fornication nait une vraie parenté, puisqu’il y a un vrai père qui engendre et un vrai fils qui est engendré.  Pourquoi donc une vraie affinité ne pourrait-elle pas naître de la fornication ?

Ajoutons qu’on lit dans le livre 2 des Rois, chapitre 20, que les dix concubines de David que son fils Absalon  viola, ont été séquestrées par David, et qu’il ne les connut plus.  Car, elles étaient devenues pour lui comme des brus, à cause de leur union avec son fils.

 

                                                                     CHAPITRE 31

                                                 Deux empêchements non dirimants

Nous avons traité  jusqu’ici, des empêchements dirimants.  Il faut parler maintenant des deux empêchements dont nous avons dit, plus haut, qu’ils empêchent la mariage, mais ne l’invalident pas : l’interdiction de l’Église, et le temps férié.  Par interdiction ecclésiale, on entend les mariages clandestins qui sont interdits par le droit canon sous des peines graves, surtout dans le concile du Latran.  Et récemment, dans le concile de Trente, (session 24), ils ont été non seulement interdits, mais ils ont été rendus invalides et illégitimes, de telle sorte que ceux qui les contractent  n’ont pas de mariage, mais sont en perpétuelle fornication.  Que l’Église ait pu invalider ces mariages, ne peut pas en douter celui qui croit que l’Église a pu invalider des mariages dans certains degrés de parenté, ou à cause d’un vœu solennel de continence, ou pour d’autres raisons, dont nous avons parlé plus haut.  Car, la raison est la même pour tous.

              Les adversaires nous reprochent de déclarer maintenant illégitimes les mariages clandestins qu’avant le concile de Trente nous considérions comme légitimes quand nous les condamnions et les détestions.  Comme Martin Kemnitius  (2 par, examen, pages 1280 et 1281) : «Écoute quelles idioties le concile de Trente statue sur cette question.  Il déclare que l’Église a toujours détesté et prohibé les mariages clandestins, et il anathématise ceux qui pensent qu’ils sont valides et vrais.  Peut-on faire un vrai mariage d’une union qu’on doit détester et qui est prohibée ?  En d’autres termes, l’union qui, selon le concile de Trente doit être détestée et est prohibée est une union légitime et divine.»

              Mais, il est facile de lui répondre, car c’est le même mariage qui est vrai, légitime et ratifié, et en même temps détestable et prohibé, et mal vu par Dieu.  Les insanités ne sont que dans la tête de Kemnitius et de ses consorts.   Car, si tu regardes l’essence du mariage, le mariage clandestin, avant le concile de Trente, était décrété vrai, ratifié et légitime, car il ne lui manquait  rien des choses que Dieu requiert pour l’essence du mariage, puisqu’il y avait la forme, la matière et l’intention.  Si, cependant, on regarde l’ordre et la manière, il était détestable, prohibé et mal vu par Dieu.  Cela ne te paraitra pas étonnant si tu te rends compte que, dans les autres sacrements, la même chose se passe.  Car, si quelqu’un baptise avec de la vraie eau et la bonne formule, et  avec l’intention du ministre et du baptisé, mais sans le ferme propos d’une vie meilleure, avec l’âme détournée de Dieu et l’endurcissement dans le péché,  ce baptême sera vrai, légitime, ratifié et divin, et ne pourra pas être répété sans sacrilège, mais, cependant, il sera détestable, prohibé, mal vu de Dieu et dommageable au baptisant et au baptisé.  Voir ce que nous avons dit plus haut aux chapitres 19 et 20.

              Il y a un autre empêchement qui vient du temps férié. Cela ne signifie rien d’autre que l’interdiction de noces solennelles en certains temps de l’année.  Or, dans le droit ancien, étaient interdites les noces solennelles du début de l’avant jusqu’à l’Épiphanie;  et de la septuagésime  jusqu’à l’octave de Pâque.  Ensuite, des rogations jusqu’à l’octave de Pâque.  On peut toujours consulter les décrets des conciles anciens et des pontifes dans Gratien 33 question 4, et dans le concile de Laodicée, au chapitre 25, lequel a été célébré avant les années 1200.  Il y a aussi un autre décret sur les féries au chapitre capellanum.    La raison de cette prohibition est que les fêtes les plus célèbres de toutes sont Noël, Pâque et la Pentecôte.  Et à ces fêtes, tous étaient tenus d’aller communier, en vertu du concile d’Agathe, chapitre 18.   La solennité des noces était une grande occasion de distraction, car elles avaient coutume de se faire avec des banquets et un grand apparat.  Donc, pour que les chrétiens soient prêts pour ces fêtes spirituelles, et puissent recevoir la sainte communion, l’Église agissait sagement en interdisant les mariages pendant ces trois temps liturgiques.   Cette prohibition l’Église l’a récemment tempérée en la limitant à deux temps.  Elle n’a, en effet, interdit les noces solennelles que de l’avent à l’épiphanie, et des cendres à l’octave de Pâque.

              Pourtant, cette loi très utile est condamnée par Calvin (livre 4, chapitre 19, dernier verset).  Kemnitius  (dans 2 par examen, page 1271), la loue comme ayant été instituée par les anciens avec un grand zèle,  mais il reproche deux choses.  La première.   Avoir retenu cette institution quand la cause avait cessé.   La cause en était que les fidèles communiaient trois fois par année au sacrement du corps du Seigneur. Mais, maintenant, ils ne sont obligés de communier qu’une fois par année. L’autre. Parce qu’une nouvelle conception avait fait son apparition, à savoir que la sainteté de ces temps liturgiques ne pouvait pas supporter le mélange avec la chair dans la copule charnelle, comme, pendant les mystères de la bonne déesse , il fallait faire chambre à part.

              Kemnitius se trompe dans les deux cas.   Car, même si les chrétiens ne sont tenus, par la loi ecclésiastique, de ne communier qu’à Pâque, la coutume de communier à Noël est toujours en vigueur dans toute l’Église. Tellement qu’ils sont rares ceux qui ne le font pas.   Pour la pentecôte, la communion est plus rare, et c’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui le concile de Trente a permis des noces solennelle en ce temps liturgique.  Ajoutons que la communion n’est pas la seule cause de ce décret, mais aussi la célébrité des principales fêtes  auxquelles l’Église s’applique à préparer ses fils par le jeûne et les prières.   Les pompes des noces, les festins, les danses  et les autres signes d’allégresse ne conviennent pas très bien à cette préparation, surtout à celle de l’Avent et du Carême.  Dans aucun de leurs décrets  (33, question 4, ou aux féries) la communion est présentée comme une cause, mais seulement la célébration des fêtes.

              Dans l’autres, Kemnitius ment à son accoutumée.    Car, il ne peut présenter aucun décret pour supporter son opinion, alors que beaucoup enseignent le contraire.  Car, saint Thomas (4, dist, 32, quest 1, art 5, quest 4, a 2) et Cajetan (dans sa somme sur les péchés, sur le mot noces), et Navare (dans l’enchiridion, chapt 22, numéro 71) enseignent que la célébration des mariages n’est pas interdite en ces temps à cause de la consommation du mariage, mais seulement  à cause des danses, des baquets et des festivités de toutes sortes qu’on a coutume de voir dans les noces.       Mais, bien que, par le précepte dont nous parlons, ne soit pas prohibé le devoir conjugal. il prouve par les témoignages de beaucoup de pères  que, dans les principales solennités, et surtout quand il faut communier au corps du Christ, il est bon de s’abstenir de la copule conjugale.    Voir Gratien 33, question 4), et le maître des sentences, livre 4, dist 32.

              Et nous en avons les fondements dans la sainte Écriture.      Car, dans l’Exode 19,    étant sur le point d’accepter la loi, et de célébrer la première fête de la pentecôte, les Hébreux  reçurent l’ordre    de se préparer pendant trois jours entiers,  et de ne pas s’approcher de leurs épouses.  Et, dans 1 Rois 21,  le prêtre Abimélech aurait refusé le pain saint à David s’il n’avait pas été pur des femmes.  Saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien, et dans son apologie pour le même livre)  déduit de ce texte  qu’est beaucoup   moins digne du pain céleste celui qui ne se contient pas de la femme.    Ensuite, saint Paul (1 Corinthiens 7) veut que, d’un consentement mutuel, les époux s’abstiennent de la copule conjugale pour vaquer à l’oraison.  Or, il est certain que, dans les principales fêtes, on doit vaquer à la prière, et qu’il faut donc s’abstenir de la copule.        Car même si le devoir conjugal ne comporte aucune faute s’il est fait en temps et lieu, il ne serait certes pas sans faute s’il était fait sur la place publique, à la vue de tous, et encore moins, s’il était fait dans le temple sacré de Dieu.   Qu’y a-t-il donc d’étonnant si les catholiques s’abstiennent de l’union conjugale dans un temps sacré, et surtout quand il faut aller communier.

 

                                                                   LA SIXIÈME CONTROVERSE 

                          LES CAUSES MATRIMONIALES APPAETIENNENT AU JUGEMENT DE L’ÉGLISE   

              Il reste la sixième controverse sur les causes du mariage qu’on pourra rapidement expédier.     Parmi nos adversaires, plusieurs renvoient les causes matrimoniales à un juge civil, comme Philippe Melanchton (dans les lieux, mariage), et Jean Brentius (dans son apologie pour sa confession de Wirtemberg).

                                                                            CHAPITRE 32    

              Martin Kemnitius (2 par examen, page 1212) a pensé qu’il fallait faire des distinctions. Il écrit qu’il revient à l’Église, non à un juge civil, de se prononcer sur les cas de conscience  qui, dans le mariage, dépendent de la parole de Dieu.  Mais il soutient que faire des lois sur le mariage n’appartient pas à l’Église, mais à l’autorité civile.   Et il le prouve ainsi.   C’est l’empereur Théodose et non les évêques  qui a passé une loi interdisant le mariage des cousins germains.  Et le concile de Milet a décrété qu’il fallait demander à l’empereur une loi sur le divorce.  Au sujet du mariage, Kemnitius n’attribue donc  à l’Église d’autre pouvoir  que d’expliquer la parole de Dieu, ce pouvoir que nous concédons aux prédicateurs et aux docteurs privés.

              Les catholiques font des distinctions entre les causes matrimoniales.  Quelques-unes sont   purement politiques, comme pour les dots, les successions, et les héritages.   D’autres sont purement spirituelles,  pour les degrés de parenté, les divorces,  les empêchements, et d’autres choses semblables qui se rapportent au contrat du mariage.  Dans la mesure où le contrat est naturel, dans  la même mesure la matière est politique.  Le même contrat est le fondement du sacrement, une chose de la conscience, et est spirituel.   Nous ne nions donc pas que les causes du premier genre relèvent de droit du  magistrat civil.  Voilà pourquoi, à chaque jour, dans l’Église catholique, ces causes sont plaidées devant un juge civil.   Les causes du deuxième genre personne ne peut nier qu’elles relèvent de l’Église seule.  Autrement, quand il n’y avait aucun prince, aucun magistrat chrétien, il aurait fallu porter les causes spirituelles devant les tribunaux des païens, ou ces causes n’auraient eu aucun juge légitime. 

La question la plus importante porte sur les causes du troisième genre, celles que nous avons dites appartenir au magistrat civil  mais en subordination à l’ecclésiastique .  Elles appartiennent de plein pied au prince ecclésiastique, comme le définit le concile de Trente   (session 24, canon 12.)  Ce qui a été brièvement prouvé plus haut, dans la dispute sur l’empêchement du vœu solennel.   Et il faut de nouveau, maintenant, le confirmer par trois raisons.

              La première. Le mariage est un sacrement de l’Église. Or, les chrétiens ne séparent pas le contrat légitime du mariage du sacrement de mariage, puisque tout contrat de mariage légitime est, par le fait-même, un sacrement de mariage.   Donc, juger si tel contrat de mariage est légitime c’est juger si tel contrat est un sacrement.  Mais porter un jugement sur les sacrements, cela relève exclusivement de l’Église.  Donc, juger du contrat relève aussi de l’Église.   Deuxièmement, même si le mariage n’était pas un sacrement,  cependant, parce qu’il est une chose de la conscience,  qui dépend de Dieu, il appartiendrait quand même, sans aucun doute, aux pasteurs des âmes, comme les questions d’échanges ou de trocs, les cens, et les autres contrats dans lesquels sont cachées des usures,  sont jugés par l’Église.  Voilà pourquoi c’est une pure calomnie de la part de Kemnitius (2 par examen 1226), de dire que les catholiques ont fait un sacrement du mariage, pour que les causes matrimoniales soient soumises au seul juge ecclésiastique.

              Troisièmement, on le prouve par la pratique de toute l’Église.  Car, au tout début, le Christ n’a pas remis au pouvoir civil les causes portant sur le divorce et la répudiation, mais il a jugé lui-même (Matthieu 5 et 19).  Ensuite, l’apôtre ( 1 Corinthiens 7, ) a  porté un jugement sur la cause d’un mariage entre fidèle et infidèle, et ne l’a pas renvoyée à un magistrat civil.   De plus, les conciles et les rescrits des pontifes  sont pleins   de lois et de sentences sur la cause du mariage.  Donc, en autant qu’on peut l’apprendre par les lettres décrétales, toujours prévalut dans l’Église cette coutume  de consulter les papes et non les rois sur ces questions.    Et les jugements du Christ, de l’apôtre, des souverains pontifes et des conciles  ne furent pas seulement des interprétations de la parole de Dieu, comme le rêve Kemnitius,  mais de légitimes sentences coercitives.  Car, le Christ a ouvertement porté une loi  qui abolissait la répudiation permise par la loi de Moïse.  Car, voici ce que dit l’apôtre de cette loi du Christ : «Ceux qui sont unis par le mariage, je leur prescris non moi mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari; que, si elle se sépare, qu’elle demeure non mariée, ou qu’elle se réconcilie avec son mari.»(1 Corinthiens 7).

              De plus, dans l’ancien testament,  les questions douteuses , les hommes  les envoyaient aux prêtres, en tant que vrai juge, et non en tant que simple conseiller.   Car, dans le Deutéronome 17, il est commandé de tuer celui qui n’acquiescerait pas à la décision du prêtre.  Et il ne serait surement pas équitable de dire  que l’autorité du sacerdoce d’Aaron était plus grande que celle du pontife chrétien.   Pourquoi donc avait-on ordonné que ces causes soient portées devant les pontifes si l’on recherchait la sagesse d’un consultant et non l’autorité  d’un prêtre ? Mais, au sujet du pouvoir ecclésiastique, duquel dépend cette question particulière sur la mariage, nous avons disserté suffisamment longtemps ailleurs. 

 Les deux arguments de Martin Kemnitius ne sont pas concluants,   Car, en ce qui a trait à la loi de Théodose, nous nous sommes déjà exprimés là-dessus. Un chef politique peut porter une loi sur les empêchements de mariage, mais avec l’approbation du juge ecclésiastique. Si ce dernier ne donne pas son consentement, la loi sera nulle.  C’est ce que nous voyons dans la lettre elle-même de Théodose.   Car, comme peu longtemps après, ces fils abrogèrent cette loi, comme on le voit dans 1 Celebrandis,    chapitre sur les noces, et qu’ensuite Justinien fit une loi qui rendit licites les mariages entre cousins germains, (duorum, inst sur les mariages), le pape saint Grégoire réprouva ouvertement la loi d’Honorius et de  Justinien , dans son rescrit à l’évêque des anglais Augustin,  et statua, à l’opposé,  que les mariages entre cousins germains seraient considérés comme illicites.    Et c’est cette loi pontificale qui l’emporta, non celle de César (35, quest 2, canon quaedam lex).

              Et à ce qu’on nous objecte au sujet du concile de Milet, nous avons déjà répondu dans la dispute sur le divorce,   que les pères de ce concile n’ont pas demandé une loi qui décrèterait qu’il n’était pas permis de prendre une autre femme après un divorce,  du vivant de la première épouse, nais qui punirait par une peine externe.  Ce qu’il fit.  Car, dans ce concile, les pères avaient suffisamment défini la chose, et, à leur définition, ils avaient ajouté la peine d’excommunication.

                                                                SEPTIÈME CONTROVERSE    

                                           LES CÉRÉMONIES DU SACREMENT DE MARIAGE  

              La dernière controverse porte sur les rites et les cérémonies avec lesquels le sacrement de mariage a coutume d’être administré dans l’Église catholique.  C’est une chose commune à tous les sacrements que, en plus de la cérémonie essentielle instituée par Dieu, dans laquelle consiste l’essentiel du sacrement, on emploie d’autres rites hérités des anciens, qui permettent de recevoir le sacrement avec plus de piété et de dévotion.

              Voici quelles sont les cérémonies qu’on a coutume d’observer dans le mariage.  La première.  Les nouveaux époux sont bénis dans l’église par le prêtre.  La deuxième.  On offre pour eux l’oblation de l’eucharistie.  La troisième.  On les recouvre d’un voile. La quatrième. On les unit par un ruban blanc et rouge.  La cinquième. L’époux donne à l’épouse l’anneau béni par le prêtre.  La sixième.  Le récent contrat de mariage est recommandé à Dieu par des prières diverses. La septième.   Le prêtre exhorte les nouveaux époux à se comporter honnêtement dans le mariage.  De tous ces rites, les adversaires en conservent deux, comme on peut le voir dans le petit livre de Calvin sur l’administration des sacrements, et dans d’autres rituels des hérétiques.

              Il y a vraiment de quoi s’étonner que, dans son petit livre intitulé  «formules de l’administration des sacrements», Calvin traite si sérieusement du rite du mariage, au point même de l’unir aux rites du baptême et de l’eucharistie,   tout en niant qu’il soit vraiment un sacrement.  Mais c’est ce qui arrive parfois aux obstinés :  ce qu’ils nient de bouche, les faits l’affirment.  Les autres rites que les catholiques conservent, je ne doute pas qu’ils aient pour eux fort peu de valeur.  Cependant, ni Kemnitius, canon 11, session 24 du concile de Trente, où sont anathématisés ceux qui méprisent ces rites, n’a écrit contre ces cérémonies, ni aucun autre n’a formulé contre elles de solides arguments.  Il suffira donc de confirmer ces rites par l’autorité des anciens.

              Le premier. Nous avons encore le témoignage du pape Nicolas qui siégea au septième siècle, et que l’on trouve dans le canon nostrates (30, question 5).  Et celui d’Isidore (livre 2 de officiis, chapitre 19) où il rend raison de chacun.  Il a vécu avant 900.   Et Siricius pape,  (épitre 1, chapitre 4),  et Innocent 1 (épitre 2, chapitre 6).  Tous ces anciens ont parlé de la bénédiction sacerdotale qu’on avait coutume de donner aux mariés.  En font mention aussi les pères du concile de Carthage 4, dont saint Augustin, au chapitre 13.  Saint Ambroise, (dans son épitre 70 à Vigile,   non loin du début) ne se souvient pas seulement de la bénédiction, mais aussi du voile avec lequel le prêtre recouvrait les nouveaux mariés.  Saint Ambroise explique que le mot latin nuptias (noces) vient du voile avec lequel on recouvrait (obnubatur) les époux.    Siricius et saint Ambroise vécurent bien avant 1200, ainsi qu’Innocent et saint Augustin.  Ensuite, Tertullien, plus ancien qu’eux tous, (dans son livre à son épouse), se souvient de l’oblation qui confirme le mariage dans l’Église.

              Et voilà pour le sacrement de mariage.