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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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1ere Controverse : la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, l. IV (4 livres).

livre 1 : Les livres sacrés et les livres Apocrypes (20 chap.)
livre 2 : Les Différentes éditions (16 chap.)
livre 3 : L'interprétation de la Parole de Dieu (10 chap.)
livre 4 : La parole de Dieu non écrite (12 chap.)

Livre 2 Les différentes éditions de la Parole de Dieu (16 chap.)

5 mars 2017

CHAPITRE 1 Où l’on montre que l’édition hébraïque de Moïse et des prophètes n’a jamais péri

CHAPITRE 2 Est-ce que l’édition hébraïque est corrompue ?

5 mars 2017 fin

29 juillet 2017début

CHAPITRE 3 De l’édition chaldéenne

CHAPITRE 4 L’édition syriaque

CHAPITRE 5 Les variantes des éditions grecques

29 juillet 2017 fin

11 mars 2017 à 19:21

CHAPITRE 6 La traduction des septante

CHAPITRE 7 L’édition grecque du nouveau testament

CHAPITRE 8 Les éditions latines

CHAPITRE 9 L’auteur de la traduction vulgate

11 mars 2017 à 19:21

17 mars 2017 à 17:53

CHAPITRE 10 L’autorité de la vulgate latine

CHAPITRE 11 Réponses aux objections des hérétiques contre la vulgate latine

CHAPITRE 12 On prend la défense des passages de la vulgate que Kemnitius déclare contaminés.

CHAPITRE 13 La défense des psaumes qui, selon Calvin, ont été mal traduits.

17 mars 2017 à 17:53

24 mars 2017 à 17:56

CHAPITRE 14 La défense de textes du nouveau testament que les hérétiques jugent corrompus

CHAPITRE 15 Les éditions en langue vernaculaire

CHAPITRE 16 Réponse aux objections des hérétiques

24 mars 2017 à 17:56

16 chapitres en tout.

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5 mars 2017 à 19:02

LIVRE SECOND LA PAROLE DE DIEU




CHAPITRE 1 On montre que l’édition hébraïque de Moïse et des prophètes n’a jamais péri


Dans le livre précédent, nous avons traité des livres sacrés, de leur nombre et de leur canonicité; et nous avons pris victorieusement leur défense contre les calomnies des hérétiques. Il reste à traiter des éditions des divers livres : de l’hébraïque, de la latine, de l’allemande, et de la française, et des autres qu’on appelle vernaculaires. Nous le ferons en quelques mots. Car quel serait le profit de connaître le nombre des livres divins, si nous ignorons quelle autorité accorder aux éditions de toutes sortes qui existent aujourd’hui.


Commençons par l’édition hébraïque. Il y a deux choses que nous aimerions savoir. La première. Cette écriture, que Moïse et les prophètes ont composée, s’est-elle rendue jusqu’à nous ? La deuxième. L’Écriture, qui est contenue dans les manuscrits hébraïques, a-t-elle été, par un zèle pervers des Juifs, corrompue et déformée au point de n’avoir plus, dans l’Église, aucune autorité ? À la première question, il y a deux réponses. La première est donnée par ceux qui enseignent que la sainte Écriture a péri complètement au temps de la captivité de Babylone, quand la ville de Jérusalem a été renversée et le temple brûlé; et qu’elle a été restituée ensuite par Esdras, l’Esprit saint lui suggérant et lui dictant tout ce qui avait été écrit auparavant. C’est ce que semble penser saint Basile dans son épitre à Chilon : « Ce champ, dans lequel, après la déportation, Esdras lut à voix haute, sur l’ordre de Dieu, tous les livres divins ». Certains ajoutent qu’ont pensé ainsi saint Irénée, Tertullien, et Clément d’Alexandrie. Mais ces auteurs n’enseignent pas cela ouvertement.



Cette opinion nous semble improbable. Car, le seul témoignage sur lequel elle s’appuie est le quatrième livre d’Esdras, livre apocryphe, s’il en est, où l’on nous explique longuement qu’Esdras, pendant quarante jours, a, sous l’inspiration du Saint Esprit, fait, à chaque jour, la dictée à cinq hommes, qui écrivaient avec une grande rapidité tout ce qu’il leur disait; et que c’est de cette façon que fut récupérée la sainte Écriture qui avait péri au complet. Mais non seulement ce livre est apocryphe et n’a jamais été reçu par l’Église, mais, en plusieurs endroits, il regorge de fables judaïques. Et dans ce chapitre 14, il ne parle pas autrement de certains livres occultes et mythiques que ne parlent les Talmudistes de leur cabale. C’est pourquoi le témoignage de ce livre est plutôt de nature à plaider contre la thèse qu’il devrait défendre. Les livres canoniques ne rapportent rien de semblable.


Il est, d’ailleurs si peu vrai qu’on puisse tirer cette opinion du livre 2 d’Esdras, chapitre 8, que c’est plutôt le contraire que l’on y trouve. Car voici ce qu’il contient : « Les scribes dirent à Esdras d’apporter le livre de la loi de Moïse. Il l’apporta donc ». Ils ne lui dirent pas de composer le livre de la loi, mais de l’apporter, car ils savaient pertinemment qu’on pouvait encore le trouver. De plus, même si l’Écriture qui servait publiquement au temple a été brûlée et a péri, il est incroyable que n’en soient pas demeurés d’autres exemplaires, ou certaines parties du moins, auprès d’hommes privés, et surtout auprès de Juifs comme Daniel, Jérémie, Aggée, Zacharie, Mardochée, et Esdras lui-même, hommes qui certainement ont pris le plus grand soin de la loi du Seigneur.


Il y a une autre opinion selon laquelle Esdras fut le restaurateur des livres saints, non en les dictant tous de nouveau, mais en réunissant et colligeant les Écritures éparses, dont il aurait trouvé les différentes parties en divers lieux. Et même en les corrigeant, si elles avaient été déformées par la négligence des scribes, quand, pendant tout le temps de la captivité, la loi était conservée tant bien que mal, puisque les Juifs n’avaient alors ni temple ni tabernacle. C’est ce que semblent avoir pensé de graves auteurs. Car saint Jean Chrysostome, dans sa huitième épitre aux Hébreux, enseigne qu’Esdras recomposa l’Écriture à partir de restes. Saint Hilaire, dans sa préface aux psaumes, dit qu’Esdras a réuni tous les psaumes, et en a fait un seul livre. Théodoret, dans sa préface sur les psaumes, dit : « L’ancienne Écriture, qui avait été déformée par le temps de la captivité, fut restaurée par Esdras ». C’est ce qu’il me semble que pensent aussi saint Irénée, livre 3, chap 35, Tertullien, dans son livre sur l’habillement des femmes, et Clément d’Alexandrie dans son livre 1 des stromata. Car ils disent qu’Esdras a recensé et restauré tous les livres de l’ancien testament. Mais ils n’ajoutent pas « de mémoire »; et ils ne se souvenaient pas non plus de l’histoire qui est racontée dans le quatrième livre d’Esdras.


Saint Jérôme dit, dans le prologue de la lettre aux Galates, qu’Esdras a trouvé de nouvelles lettres hébraïques. Les anciennes, il les a laissées aux Samaritains, et les nouvelles il les a communiquées aux Juifs. Ce sont celles dont on se sert encore aujourd’hui. Car, comme le même Jérôme l’atteste au chapitre 9 d’Ezéchiel, la dernière lettre de l’alphabet hébraïque antique était semblable au t des Grecs, et représentait la figure de la croix, puisque la fin de la loi est le Christ crucifié. Maintenant, la dernière lettre de l’alphabet ne semble avoir aucune analogie avec une croix. Nous avons donc, sans l’ombre d’un doute, de nouvelles lettres. Mais, d’une nouvelle édition des livres saints faite par Esdras, saint Jérôme ne dit rien, bien que ce fût alors le moment d’en parler.


De plus, si Esdras avait dicté de nouveau les livres sacrés, il ne l’aurait pas fait en langue hébraïque, mais chaldéenne, ou en un mélange d’hébreu et de chaldéen. Car telle était la langue en usage, et dans laquelle ont été écrits les livres d’Esdras et de Daniel. Or, il est certain qu’en dehors des livres d’Esdras et de Daniel, les livres sacrés ont été écrits en langue hébraïque, celle-là même dont se servaient Adam et Ève, et les autres patriarches. Ce qu’on peut découvrir par l’étymologie des mots, qu’on ne rencontre pas dans d’autre langue. Prenons quelques exemples. Adam dit de sa femme récemment créée : « elle sera appelée virago, parce qu’elle est tirée de l’homme. » (mots hébreux de l’homme et de la femme). Or, dans aucune autre langue, l’homme et la femme ont cette similitude sémantique. Car, dans la langue chaldéenne qui est apparentée à l’hébraïque, l’homme et la femme (mots chaldéens de la femme et de l’homme) n’ont aucune lettre en commun. De la même façon, les mots grecs anèr et gunè (homme et femme), et les mots latins vir et mulier (homme et femme) n’ont aucune lettre semblable. Donc, ou Adam n’a pas dit ces paroles que nous venons de citer et le plus grand des prophètes ment, ou il est nécessaire que nous admettions que la langue, dans laquelle les livres sacrés ont été écrits, était celle que parlaient nos premiers parents. On peut dire la même chose de ce que nous rapporte l’Écriture du sens des mots Éve, Caïn, Abel, Seth, Noé, Phaleg, Abraham, Isaac, Jaco et tous les autres noms. Et même des noms de montagnes, de fleuves, de villes et de plusieurs autres choses. Dans la langue hébraïque, on trouve toujours des rapports de similitude des choses avec les lettres, ce qu’on ne trouve jamais dans les autres langues ou rarement.


De plus, la langue hébraïque, dans laquelle nous voyons que les livres sacrés ont été écrits, est la plus antique et donc la première de toutes les langues. En témoignent sa brièveté et sa simplicité, et l’autorité des hommes les plus doctes. Voir Eusèbe de Césarée au livre 10, chap. 2 de sa préparation évangélique. Amorosium au chap. 3 de la lettre aux Philippiens, saint Jérôme, dans son épitre au pape Damase sur la vision d’Isaïe, saint Augustin au livre 16, chap 11, de la cité de Dieu. Ne s’oppose pas à ce qui précède l’affirmation de saint Augustin, dans son livre 16, au dernier chapitre de la cité de Dieu voulant que la langue hébraïque ait été inventée après l’exil. Car, en parlant ainsi, saint Augustin ne voulait pas enseigner qu’elle ait commencé à cette époque, mais que c’est seulement alors qu’elle en avait reçu le nom. Comme l’explique correctement Eucherius, au chapitre 11 de la Genèse, la langue hébraïque, avant la division des langues, était commune à tous les hommes, et n’avait donc pas un nom particulier. Or, au temps d’Héber, quand toutes les langues ont commencé, cette langue commune a reçu le nom d’hébraïque pour la distinguer des autres, puisque Héber demeura dans une maison, d’où le nom d’Hébreux.


Comme il est clair que le livre d’Esdras est plein de mots chaldéens, et que les livres de la loi et des prophètes ont été écrits dans le pur idiome hébraïque, il est donc évident que les livres de la loi et des prophètes que nous possédons n’ont pas été écrits par Esdras, mais par Moïse et les prophètes.


CHAPITRE 2 Est-ce que l’édition hébraïque est corrompue ?


Suit maintenant une autre question. L’édition hébraïque est-elle conforme à l’original ou viciée et corrompue ? En tout premier lieu, les hérétiques modernes, en raison de la haine qu’ils portent à l’édition de la vulgate latine, accordent trop de poids à l’édition hébraïque. Car, Calvin dans son antidote au concile de Trente, et Kemnitius dans son examen du même concile, ainsi que Georgius dans sa grande préface au psautier, veulent que tout soit examiné et amendé d’après le texte hébraïque, qu’ils appellent souvent la fontaine la plus pure.


Cette affirmation est manifestement fausse. Car, en premier lieu, Calvin, dans son institution chap 6, 11, soutient qu’il ne faut pas lire dans Isaïe 9 « et il sera appelé admirable » etc.; que le texte hébreu n’a pas « être appelé », mais « appelé ». Mais il n’ignorait pas que, en cet endroit, la traduction de la vulgate latine était supérieure à l’édition hébraïque. Car il a dit ceci : « Les Juifs n’ont rien à objecter (aboyer), et ils inversent ainsi la phrase : voici le nom que Dieu lui donnera, fort, père du siècle futur. (Ces attributs, en latin, se rapportent grammaticalement à Dieu, au nominatif, et non à l’enfant, à l’accusatif). Et le dernier nom « prince de la paix », est le seul qu’ils attribuent au Fils. Comment ont-ils pu attribuer tous ces noms à Dieu et non au fils ? » Donc, par l’aveu de Calvin lui-même, elle est trouble cette fontaine qu’il voulait partout pure. Pour une raison semblable, Calvin veut qu’on lise dans Jérémie 23 : « Et ceci est le nom qu’ils lui donneront, Seigneur, notre justice ». Mais la source hébraïque donne constamment : « il l’appellera » et non ils l’appelleront.



Ensuite, dans le psaume 21, il n’y a aucun chrétien qui ne lise pas : « ils ont percé mes mains et mes pieds ». Or les textes hébraïques ont : « comme le lion, ils ne percèrent pas ». Ce qui est dit au psaume 18, les bibles hébraïques le lisent comme suit : « sur toute la terre, est sortie leur ligne ou leur règle » Mais les septante traduisirent ainsi : « sur toute la terre ont retenti leurs voix », et cette traduction saint Paul l’a faite sienne dans l’épitre aux Romains, 10, où il cite ce psaume. Que dire de ce que saint Jérôme ait donné comme traduction littérale de l’hébreu : « est sorti leur son ? » Il faut donc, de toute évidence, ou faire un reproche à saint Paul et à saint Jérôme, ou reconnaître que, en ce lieu, la fontaine n’est pas pure. Il est vraisemblable que l’on doive lire (mot hébreu); et si, à ce mot, on ajoute seulement une lettre, il devient un autre mot (mot hébreu). Ajoutons que manquent des phrases complètes dans le texte hébreu qui sont présentes dans les septante et dans la vulgate de saint Jérôme. Prenons comme exemple l’Exode 2, où fait défaut tout ce qui suit : « Il en engendra aussi un autre, et lui donna le nom d’Éliazer en disant : le Dieu de mon Père m’a aidé, et m’a libéré de la main du Pharaon ».


Ces choses omises ne peuvent que confondre ceux qui attribuent faussement une très grande pureté à la source hébraïque. Il y en a d’autres, par contre, qui, dans un zèle certainement bon mais non selon la science, soutiennent dur comme fer que les Juifs, en haine de la foi chrétienne, corrompent volontairement, ou ont corrompu plusieurs passages de l’Écriture. C’est ce qu’enseigne l’évêque Jacques Christopolitanus dans sa préface aux psaumes, et Canus au livre 2, chapitre 13 des lieux théologiques. Contre cette assertion militent plusieurs arguments. Le premier est d’Origène, dans son livre 8 sur Isaïe, comme saint Jérôme, qui est du même avis, le rapporte au chapitre 6 d’Isaïe : « Si les Hébreux ont corrompu les Écritures, ils l’ont fait avant la venue du Christ ou après. Si c’est avant la venue du Christ qu’ils les ont corrompues, pourquoi, le Christ et les apôtres ne leur ont-ils jamais reproché un si grand crime, eux qui les ont sévèrement blâmés pour des choses beaucoup moins importantes ? Pourquoi le Christ a-t-il dit en Jean 5 : « scrutez les Écritures ? », et en Matthieu 23 : « C’est sur la chaire de Moïse que sont assis les scribes et les Pharisiens. Observez et faites donc tout ce qu’ils vous disent ? » Qui croira que le Christ, sans aucune mise en garde, invite les hommes à lire des Écritures corrompues, et les envoie écouter et suivre des corrupteurs ? Si la corruption a été faite après la venue du Christ, comment se fait-il que les citations faites par le Christ et les apôtres se trouvent maintenant presque toutes dans Moïse et les prophètes, de la façon dont elles ont été écrites ? Les ont-ils faites, ces citations, parce qu’ils savaient par l’Esprit que les Écritures seraient par la suite corrompues par les Juifs ? Donc, si les saintes Écritures n’ont été viciées ni avant ni après la naissance du Christ, il faut en conclure qu’elles n’ont jamais été viciées. Voilà quel est l’argument d’Origène et de saint Jérôme.


Un autre argument est donné par saint Augustin au livre 15, chapitre 13 de la cité de Dieu. Il ne semble aucunement crédible que les Juifs aient voulu retirer la vérité de leurs écrits pour enlever toute autorité aux nôtres. Car même s’ils l’avaient voulu, il n’aurait vraisemblablement pas pu le faire. Mais écoutons ses propres paroles : « Si je me demande qu’est-ce qu’il y a de plus croyable : que la nation juive, dispersée pendant si longtemps et si loin, ait pu conspirer, d’un commun accord, pour écrire un mensonge; et, parce qu’elle enviait les autres, se priver elle-même de la vérité ? Ou que les 70 hommes, qui étaient eux-mêmes Juifs, placés en un seul lieu, aient communiqué la vérité aux Gentils païens, et cela, d’un commun accord ? Qui ne voit ce qui est plus facile à croire ? Mais qu’un homme prudent se garde de penser les Juifs capables d’une perversité et d’une malice telles qu’ils aient fait une pareille chose à leurs manuscrits, eux qui étaient éloignés les uns des autres par de si grandes distances, et que les Septante, ces hommes mémorables, aient par envie, d’un seul chœur, refusé de communiquer la vérité aux Gentils. » Voilà ce que pense saint Augustin.


Quelqu’un dira peut-être que cette corruption des livres hébreux s’est faite après l’époque de saint Augustin et de saint Jérôme. Leurs opinions importent donc peu. Mais les raisons apportées par saint Augustin valent pour tous les temps. Si c’est après leur siècle que la corruption des livres sacrés a eu lieu, comment expliquer que la traduction de saint Jérôme correspond en tout aux texte hébreu existant actuellement ? Car, la contestation porte surtout sur la corruption des psaumes. Saint Jérôme a-t-il traduit de la façon dont les Juifs allaient plus tard corrompre le texte ? Ne nous contredit en rien la traduction de saint Jérôme du psaume 22 : « ils percèrent ». Car les rabbins qui écrivirent après le temps de saint Jérôme découvrirent là une erreur de scribes, et la corrigèrent (mot en hébreu).


Le troisième argument vient du respect incroyable que les Juifs avaient envers leur Écriture. Dans le livre de la sortie d’Égypte des fils d’Israël, Philo écrit (et Eusèbe de Césarée le cite au livre 8 chapitre 2 de la préparation évangélique) que jusqu’à son temps, c’est-à-dire pendant plus de deux mille ans, aucun mot de la loi des Hébreux n’a été changé; et que chaque Juif aurait préféré mourir cent fois plutôt que d’accepter que la loi ne soit changée d’un iota ». Au sujet de la superstition des Juifs plus récents, qui adorent presque la bible comme une divinité, et qui s’imposent un jeûne public s’ils ont le malheur de la laisser tomber par terre, voyez Jean Isaac dans sa réponse aux livres de Landan, sur la meilleure façon d’interpréter l’Écriture.


Le quatrième argument. Si Les Juifs avaient voulu falsifier les divines Écritures en haine des Chrétiens, ils auraient certainement enlevé les principales prophéties. Cela, ils ne l’ont pas fait. Les choses qui dans les codex grecs et latins sont discordantes sont souvent de peu d’importance en ce qui a trait à la foi et à la religion; et il arrive souvent que les textes hébraïques vexent plus les Juifs que les codex grecs ou latins. Il est certain que dans le psaume 2, les latins et les grecs ont : « Apprenez la discipline, de peur que ne se fâche le Seigneur ! » De ce texte, on ne peut rien tirer ouvertement contre les Juifs. Mais, dans le texte hébreu on trouve : « Embrassez le Fils pour qu’il ne se fâche pas ». Ce qui veut dire : « portez du respect au Fils de Dieu pour qu’il ne se fâche pas ! » Ce passage, sans contredit, est contre les Juifs. Sera-t-il alors croyable que les Juifs aient changé le texte pour apporter un témoignage au Fils de Dieu ? Dans Isaïe 53, nous avons, nous : « Et nous le considérions nous comme un lépreux, comme quelqu’un frappé par Dieu, et humilié ». Dans le texte hébreu nous avons : « frappé par Dieu et humilité » Le mot lépreux aurait certainement apporté une arme supplémentaire aux Juifs qui ne croyaient pas que le Christ serait Dieu.


Le cinquième et dernier argument se tire de la providence dont a toujours fait preuve Dieu envers son Église. Car, il n’est pas vraisemblable que Dieu ait supporté que les paroles de tant d’illustres prophètes soient en grande partie faussées. Surtout que c’est pour cette fin que Dieu a dispersé les Juifs par toutes les parties de la terre; et qu’il a voulu qu’ils apportent avec eux les livres de la loi et des prophètes : pour que nos ennemis rendent témoignage de la vérité chrétienne. Saint Justin a fait cette réflexion dans son discours exhortatoire, et saint Augustin dans son livre 18, chap 45 de la cité de Dieu, et on le déduit clairement du psaume 58 : « Ne les tue pas, de peur qu’on oublie mon peuple. Disperse-les dans ta vertu… ». La raison donc pour laquelle les Juifs ont été dispersés apportant avec eux les livres saints, c’était pour que, quand les païens ne croiraient pas aux prophéties que nous disons avoir été faites du Christ, et les considéreront comme des fables par nous inventées, nous les envoyions à nos ennemis, les Juifs, qui portent avec eux les prophéties.


Mais on objecte à cela d’abord des témoignages des Pères qui ont soupçonné que les Juifs aient effacé certains passages de leurs codex en haine des chrétiens, Comme saint Justin, dans son dialogue avec Triphon, Eusèbe de Césarée dans le livre 4, chap 18 de son histoire ecclésiastique, Origène dans son homélie 12 sur Jérémie, saint Jean Chrysostome, homélie 5 sur Matthieu, et saint Jérôme dans son épitre 59 à saint Augustin, au chapitre 5 de Michée, et au chapitre 3 des Galates. Je réponds que saint Justin et Eusèbe de Césarée n’ont jamais écrit que le texte hébreu a été corrompu par les Juifs, mais le texte des Septante. Voici les mots de saint Justin dans son dialogue avec Triphon : « Et je veux que vous sachiez qu’ils ont enlevé plusieurs passages entiers de la traduction faite par les anciens qui étaient avec Ptolémée, passages qui montrent clairement que celui qui a été crucifié était Dieu et homme; que sa crucifixion et sa mort avaient été annoncées d’avance ». Voilà quelles sont les paroles de saint Justin. Il n’a jamais parlé ailleurs de la corruption du texte hébreu. Eusèbe de Césarée ne dit rien d’autre que Triphon a été convaincu par saint Justin que ses ancêtres avaient enlevé quelques passages de l’Écriture. Ce qu’on ne peut comprendre qu’au sens où saint Justin l’entend.


Origène parle ouvertement de la corruption de la version des septante. Car, il dit que le mot « Juda » (Jérémie 17) a été enlevé par les Juifs de la traduction des septante : « Le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer ». Et voici ce qu’en dit Origène « Suit ensuite une autre prophétie que ne trouvant pas, je ne sais trop pourquoi, dans les Septante, nous trouvons dans d’autres éditions qui correspondent au texte hébreu. » Et plus bas : « Les Juifs, qui ont faussé quelques exemplaires, même en ce passage, ont mis leurs péchés au lieu de celui de Juda. » Saint Jérôme rapporte cette corruption du texte dans ce livre de Jérémie. Enfin, saint Jean Chrysostome parle des traducteurs Juifs, c’est-à-dire d’Aquila, de Symmachus et de Théodotion, qui, dans leur traduction de l’hébreu au grec, ont rendu faussement certains passages en haine des chrétiens, et en dépréciant la traduction des septante. Saint Jérôme parle de cela dans son épitre à saint Augustin, qui est la onzième parmi les épitres de saint Augustin. Il dit qu’il a voulu traduire, de l’hébreu, les divins livres de l’Écriture « pour restituer ce que les Juifs avaient omis ou corrompu ». Et dans les textes cités, saint Jérôme doute, mais n’affirme pas. Et dans ses commentaires sur Isaïe, qu’il a écrits après, comme on le voit dans sa préface aux commentaires d’Isaïe, et dans son livre des hommes illustres, vers la fin, il rit ouvertement de ceux qui pensent que les codex hébraïques ont été falsifiés.


En second lieu, on nous objecte la confession des Juifs qui affirment souvent que plusieurs choses ont été changées par leurs sages dans les livres sacrés; et ces corrections ils les appellent des amendements (mot hébreu) de scribe. Je réponds de deux façons. Il se peut, d’abord qu’il ne soit pas vrai qu’une émendation quelconque ait été faite par les scribes. L’origine de cette croyance est le Talmud, lequel est un livre des plus fabuleux. Pourquoi ni Épiphane ni saint Jérôme, qui sont plus anciens que le Talmud, n’ont-ils jamais parlé d’un Tikum Sophrim ? Autre chose. Tikum Sophrim n’est pas une fable, ce n’est pas une corruption mais une épuration faite non par quelques Juifs quelconques, mais par Esdras et les autres saints prophètes, qui, au retour de la captivité, réparèrent les livres sacrés. Comme les Juifs le rapportent, ils convoquèrent une grande assemblée, qu’ils nomment une grande synagogue, parce que de grands hommes y participèrent, et restituèrent dans leur intégrité les livres sacrés qui, au temps de la captivité, avaient été dispersés et corrompus. Il est certain que, dans notre édition de la vulgate, nous avons de ces passages que l’on dit avoir été corrigés par les scribes. Et saint Jérôme, dans son commentaire des prophètes, indique qu’il a lu ainsi ces passages.


On dit que, dans la Genèse 18, là où nous avons : « Abraham était encore devant le Seigneur », on avait autrefois : « Le Seigneur était encore devant Abraham ». Et que ce passage a été modifié par les Juifs. Mais l’édition de la vulgate conserve la première leçon. Ainsi, au nombre 11, là où nous avons maintenant : « Je trouverai grâce à tes yeux, et je ne verrai pas mon malheur », on prétend qu’on avait autrefois : « ton malheur »; et que c’est là une correction de scribes. La vulgate donne encore la première leçon. On ajoute, en plus, qu’en Osée 9, on lisait autrefois (mots hébreux) « dans ma chair d’eux », et que les scribes auraient corrigé le texte pour lui faire dire : « quand je me retirerai d’eux ». L’édition de la vulgate lit : « quand je me retirerai d’eux », et c’est aussi ce que lit saint Jérôme. On dit aussi que Habacuc 1 se lisait comme suit : « Seigneur, mon saint, n’as-tu pas été mon Dieu depuis le début ? Tu ne mourras pas ». Un scribe aurait corrigé : « Nous ne mourrons pas ».C’est de cette dernière façon que s’exprime la vulgate, ainsi que saint Jérôme. On dit aussi que dans Malachie, il y avait : « Et vous avez soufflé sur moi ». Et un scribe aurait corrigé : « Et vous avez soufflé cela ». Et il est certain que l’édition latine de saint Jérôme et celle des septante n’ont pas «moi », mais « cela ». Je dis la même chose des autres corrections des scribes qu’a ramassées Prochetus dans son livre de la victoire contre les Juifs, et Figuerola Valentinus au chapitre 3 de la première partie de son livre contre les Juifs.


Il appert de tout cela que c’est fort imprudemment qu’agissent ceux qui en pensant combattre les Hébreux, attaquent l’Église elle-même. Car si ces corrections des scribes sont des corruptions du texte hébreu, il s’ensuit nécessairement que l’édition de la vulgate est des plus corrompues. Or, l’Église nous la présente comme une version authentique. On nous objecte, troisièmement, que dans le psaume 13, manquent huit vers, dans toutes les bibles juives imprimées : « Leur gorge est un sépulcre ouvert. Ils agissent malicieusement avec leurs langues. Il y a un venin d’aspic sous leurs lèvres. Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume. Leurs pieds sont rapides à verser le sang. La contrition et le malheur est dans leurs voies. Et ils n’ont pas connu le chemin de la paix. Il n’y a pas de crainte de Dieu devant leurs yeux ». Ces vers sont quand même cités par l’apôtre saint Paul aux Romains 3, et se trouvent dans les Septante. Cela ne se serait pas produit par la négligence des scribes, mais par la pure malice des Juifs, qui ont enlevé ces mots de l’hébreu pour montrer que l’apôtre n’avait pas correctement cité le psaume.


Dans sa préface au livre 16 sur Isaïe, saint Jérôme répond à cette objection qui lui avait été faite en disant que ces vers n’appartiennent pas proprement au psaume 13, mais que l’apôtre avait puisé à plusieurs endroits de l’Écriture; et qu’un autre les aurait par la suite introduits dans le psaume en question. Car, on trouve le premier et le deuxième de ces versets dans le psaume 5, le troisième dans le psaume 139, le quatrième dans le psaume 9, le cinquième, le sixième et le septième sont tirés d’Isaïe 59, le dernier du psaume 35. Et il ajoute que ces versets ne se trouvent pas dans la traduction des Septante; et qu’aucun auteur grec n’a voulu faire de commentaire sur ces vers. Origène, également, dans son commentaire de l’épitre aux Romains, chap 23, affirme que ces vers ont été pris de différents passages de l’Écriture. Par ces paroles, il déclare clairement que ces vers ne se trouvent ni dans le texte hébreu ni dans celui des septante.


Mais ils insistent et prouvent que ces versets ont été autrefois dans le texte hébreu, parce qu’on les retrouve dans un certain codex anglais très ancien. Je réponds que ces versets du codex anglican sont manifestement adventices, car ces mots ne sont pas tous hébraïques, comme ce mot (mod hébreu) sort; ni même cette phrase, surtout dans le dernier vers : « dont la bouche est remplie de duplicité et d’amertume ». Car les Hébreux n’ont pas l’habitude de placer le verbe à la fin de la phrase. Pour en savoir davantage là-dessus, voir le livre des annotations aux lectures diverses de l’édition de la vulgate par le franciscain Luc Brugensis.


Tu diras : s’il en est ainsi, pourquoi l’Église, dans l’édition de la vulgate, accepte-t-elle ces vers ? Pour aucune autre raison qu’ils sont, eux aussi, des parties de la sainte Écriture. Et aussi, parce que, après un si long temps, ils ne pourraient pas être enlevés sans émoi et sans scandale. C’est de la même façon qu’on supporte quelques erreurs d’imprimerie.


Canus objecte enfin qu’il est évident que les manuscrits hébraïques ont été corrompus par les Hébreux, parce qu’on lit, en hébreu, dans Genèse 8 : « le corbeau sortait et revenait ». Mais l’édition de la vulgate, les septante et tous les Pères lisent : « il ne revenait pas ». Je réponds que, dans l’hébreu, nous n’avons pas « et revenait », mais (mots hébreux), c’est-à-dire « et il sortit, sortant et retournant jusqu’à ce que la terre soit sèche ». Ce qui ne signifie pas que le corbeau soit revenu dans l’arche, mais qu’il ait voltigé autour de l’arche, allant et retournant au toit de l’arche, et y repartant. Et cela, aussi longtemps que la terre n’ait pas été sèche. Ce qui concorde avec « il sortait et ne revenait pas », car il ne revenait pas dans l’arche. Ajoutons que ne manquent pas les codex latins qui ont « il sortait et ne retournait pas », comme on peut s’en rendre compte par les différentes leçons annotées à la bible de Louvain,


Après avoir réfuté ces deux premières objections, il en reste une troisième, que j’estime personnellement très vraie, celle de Driedon dans le livre 2, chap 1 des dogmes ecclésiastiques et de l’Écriture, et d’autres auteurs. Ils enseignent que les Écritures hébraïques n’ont pas été corrompues par l’œuvre et la malice des Juifs, mais qu’elles ne sont quand même pas intègres et pures, que s’y sont glissées quelques erreurs, par la négligence ou l’ignorance des copistes, surtout quand on considère comme il est facile, en hébreu, de se tromper en raison de la similitude des lettres (l donne des exemples), et en partie par l’ignorance des rabbins qui ajoutèrent des points. Car, en l’absence de points, on peut lire les mots de diverses façons. Il n’y a pas à s’étonner qu’ils se soient parfois éloignés du vrai dans leur annotation des points. Et il a pu aussi arriver qu’un sentiment dépravé et une haine envers les chrétiens leur ait fait choisir une lecture moins favorable aux chrétiens.


Mais, tout compte fait, ces erreurs ne sont pas importantes au point, que, dans les choses qui relèvent de la foi et de la morale, nous ayons à déplorer le manque d’intégrité de la sainte Écriture.



29 juillet 2017 à 22:51 début

CHAPITRE 3 De l’édition chaldéenne


C’est en langue chaldaïque qu’ont été édités les livres de Tobie et de Judith, et, en partie, ceux d’Esdras et de Daniel. De plus, toute l’Écriture ancienne a été traduite, sous forme de paraphrase, de l’hébreu dans le chaldéen, paraphrase qu’on nomme targum.  Rabbi Aquila rapporte que le Pentateuque aussi a été ainsi traduit, -qu’on appelle en chaldéen Onkelus-, les prophètes, anciens et récents, c’est-à-dire Josué, les juges, et les livres des Rois.  De même Isaïe, Jérémie et les autres prophètes.   Par rabbi Jonathan, fils d’Uziel, les psaumes, Job, Ruth, Esther ; et les œuvres de Salomon par le rabbi Joseph  l’aveugle.

Ces traductions paraphrasées jouissent d’une grande autorité chez les Juifs, et nous sont donc utiles à nous aussi, car elles nous servent à convaincre les Hébreux.  Mais l’Église ne l’a pas, jusqu’ici, tenue en grande estime, et on ne peut pas non plus en tirer d’argument décisif.  Et comme l’observe avec raison le cardinal François Ximenius (dans la préface compluten biblior), les paraphrases chaldaïques, à l’exception de celle de la pentateuque, sont remplies de fables judaïques, et de lubies talmudiques.  Pourra le vérifier quiconque voudra lire les paraphrases sur les thrènes, le cantique, Job, les psaumes et les prophètes.


Il est certain que le chapitre 53 d’Isaïe qui traite ouvertement de la passion du Christ, est complètement détourné par la paraphrase vers les calamités du peuple des Juifs.  Dans la paraphrase qui se trouve dans le cantique et dans les thrènes, on y lit souvent le contenu des  livres du Talmud, le troisième temple, les deux Messies, la libération de la captivité de Tite et de Vespasien, les menaces envers les chrétiens et les mahométans, représentés respectivement par Ésaü et Ismaël.  Il y a ensuite un grand nombre de fables sur la lamentation de Dieu, sur l’ascension de Moïse dans le ciel, sur les tables de la loi excisées du saphir du trône de Dieu, et d’autres choses du même genre.  Mais même la paraphrase d’Aquila sur le pentateuque ne peut être considérée comme intègre et non corrompue.  Elle a, elle aussi, ses erreurs, même si elles sont moins nombreuses et moins grosses que les autres et que celles de Joseph.


Et pour donner un exemple de traduction, dans la Genèse (chapitre 4, verset 23), le texte hébreu a : (mots hébreux), et concorde avec le grec oti andra apeikteina, et avec le latin : « parce que j’ai tué un homme ».  La paraphrase chaldéenne ajoute une négation : je n’ai pas tué d’homme, et donne le sens contraire.  Dans le chapitre 22, numéro 18, le chapitre 26, numéro 4, et le chapitre 28, numéro 14, le texte hébreu a : « seront bénies dans la semence toutes les nations de la terre ».  Le texte grec et le texte latin concordent avec celui-là.  Et l’apôtre Paul aux Galates 3 ordonne d’observer les promesses qui ont été faites à Abraham, et à sa semence, non à ses semences, mais à sa semence, comme étant unique, « ta semence qui est le Christ »  Mais la paraphrase chaldaïque rend l’idée de la multitude des semences : tous les peuples de la terre seront bénis  à cause de tes fils.

Dans l’Exode, (chapitre 12, numéro 44), nous lisons dans le texte hébreu : « tout fils d’étranger n’en mangera pas ». Le texte grec et le texte latin concordent avec ce sens.  Mais la paraphrase chaldéenne met, en haine des néophytes : tout fils d’Israël détruit. C’est ainsi que, souvent, les Juifs appelaient ceux qui, après avoir abandonné le judaïsme, se convertissaient au christianisme.  Dans le Lévitique (chapitre 10, numéro 6, chapitre 21, numéro 10), le texte hébreu a : « vous ne raserez et vous ne dénuderez pas vos têtes ».  Les textes grec et latin disent la même chose, Mais la paraphrase chaldéenne dit le contraire : tu ne multiplieras pas la chevelure.

Dans le livre des Nombres (chapitre 21, numéro 19), on présente la fable du puits.  Ils ont imaginé que le puits descendait avec les fils d’Israël vers les torrents, et des torrents, montaient avec eux jusqu’aux collines, et des collines, descendaient de nouveau dans les vallées.  Et au chapitre 23, numéro 9, là où le texte hébreu a : « seul le peuple habitera », c’est-à-dire, qu’il ne se mêlera pas aux autres peuples, la paraphrase chaldéenne traduit, d’une façon juridique : voici que seul le peuple possèdera le siècle, ce qui veut dire qu’ils espèrent qu’ils seront les seuls à dominer la terre.

Enfin, dans le Deutéronome (chapitre 4, numéro 28, et chapitre 28, numéro 64) les textes hébraïques, grecs et latins prédisent que les Juifs serviront des dieux étrangers, ce que nous savons être arrivé plusieurs fois.  La paraphrase chaldaïque fait dériver ce crime d’idolâtrie des Hébreux aux nations, car elle traduit ainsi : vous servirez des peuples qui servent des idoles.  Ajoutons maintenant quelques mots sur l’édition syriaque.



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29 juillet 2017 à 18:24
CHAPITRE 4 l’édition syriaque

Il y a trois choses à dire sur l’édition syriaque.  Premièrement, quelle différence il y a entre la langue syriaque et la chaldaïque.  Ensuite, quels livres écrits en langue syriaque avons-nous encore ? Enfin, quelle est l’autorité de cette édition.

Disons d’abord que la langue syriaque est un croisement de la langue hébraïque et  de la langue chaldéenne.  Jusqu’à la captivité de Babylone, les Hébreux n’écrivirent que dans leur langue à eux.  Quand ils furent déportés à Babylone, ils commencèrent à oublier leur propre langue, et à en apprendre une autre, la chaldaïque.   Mais comme ils n’arrivaient pas à la prononcer correctement, et qu’ils conservaient toujours des mots hébraïques, une troisième langue est née, une mixture d’hébreu et de chaldéen, et c’est cette langue qui est devenue la langue populaire et maternelle des Hébreux.  On l’appelle syriaque à cause de la région où elle a été le plus florissante, ou jérusolymite, à cause de la cité principale des Hébreux.  Tout comme la langue chaldaïque, qui tire son nom de la région chaldéenne, est appelée aussi babylonienne à cause de la cité la plus noble de la Chaldée.  Mais, ces deux langues se distinguent l’une de l’autre par leurs caractères, les conjugaisons des verbes, les liaisons, la notation des points, le son des voyelles, les idiotismes, et presque toute la structure de la langue, et par plusieurs mots qui leurs sont propres.

Disons ensuite qu’il est tout à fait certain qu’aucun livre de l’ancien testament n’a été écrit  en cette langue, à l’exception peut-être du premier livre des Maccabées, et de l’Ecclésiastique.  Mais saint Jérôme, dans le prologue Galeato, écrit avoir vu le premier,  en hébreu. Et, dans le prologue des proverbes, il dit la même chose du deuxième.  Car il est crédible que les livres qui existent aujourd’hui seulement en grec aient été écrits d’abord dans la langue vulgaire de l’hébreu, c’est-à-dire en syriaque.  Pour les autres livres, il est attesté qu’ils ont été écrits par les premiers auteurs ou en hébreu, ou en chaldéen, ou en grec.

Pour le nouveau testament, on doute grandement.  Et il est plus que probable que l’évangile de saint Matthieu et l’épitre aux Hébreux aient été écrits en langue syriaque. Cela a été prouvé avec des arguments décisifs par le chancelier de l’empereur Ferdinand Widmestadius, qui fut le premier en Occident à faire imprimer le nouveau testament en syriaque; et par Guido Fabritius qui a fait une traduction latine du nouveau testament syrien dans les bibles royales.

Les anciens écrivains (saint Irénée, Origène, Eusèbe, Athanase, Épiphane, saint Jérôme) n’ont rien à objecter,  puisqu’ils enseignent eux-mêmes que l’évangile de saint Matthieu, surtout, a été écrit en hébreu.  Car ils parlent de la langue hébraïque qui était courante au temps des apôtres, comme nous lisons souvent dans l’évangile que telle chose a été dite en hébreu, alors que c’est en syriaque qu’elle a été dite.  Exemple : saint Jean 19 : « Il sortit dans le lieu qui s’appelle calvaire, et en hébreu, golgotha. Si vous consultez saint Jérôme au sujet de ces mots (dans le livre des noms hébreux), vous verrez que sont syriaques les mots que les évangélistes appellent hébreux.  En plus de ces deux livres, tout le nouveau testament a été traduit du grec dans le syriaque par saint Marc l’évangéliste lui-même, comme le pensent les Syriens.

Si cela était vrai, on n’aurait aucune raison de douter de l’autorité de cette édition.  Mais, on ne peut pas facilement m’amener à croire qu’il ait légué à l’Église de Syrie et d’Egypte une édition syriaque du nouveau testament.   De cette édition ne font aucune mention Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, Athanase, Théophile, Épiphane,  Jérôme, Cyrille, Théodoret, saint Jean Damascène, et les autres pères qui en Syrie ou en Egypte ont été évêques ou prêtres, et qui ont disputé en connaisseurs des différentes éditions des Écritures, ou qui ont laissé d’importants commentaires de l’Écriture à la postérité.

Si l’édition syriaque est postérieure à l’époque de ces pères, comme j’en suis moi-même persuadé, son autorité ne peut pas être telle qu’elle puisse être comparée à celle des éditions latine et grecque. Je passe sous silence que ne manquent pas dans cette  édition des choses qui déplaisent aux doctes et aux pieux.  Mais cette édition a un grand avantage que ne possèdent pas les autres. Avec les titres et les divisions des chapitres, elle fait mention des jeûnes, de la vénération de la sainte croix, des prières pour les défunts, des vigiles, des mémoires des saints, et d’autres choses du même genre, que les luthériens détestent comme étant des traditions du pontife romain.  Cette édition a apporté la preuve que les luthériens étaient de fieffés menteurs.  Mais j’en ai dit suffisamment sur les éditions chaldaïque et syriaque.  Venons-en maintenant à la grecque.


CHAPITRE 5 Des diverses traductions grecques

On compte neuf éditions grecques de l’ancien testament, en plus de celle dont se souvient Clément d’Alexandrie (livre 1 stromate) qui, a été faite, avant le règne d’Alexandre, par un auteur incertain, de laquelle Platon et d’autres auteurs ont puisé certaines choses.  Mais à cause de la célébrité de la traduction des septante, cette antique traduction fut négligée et finit par tomber en désuétude, de sorte qu’on s’en souvient à peine, et qu’elle n’est plus cataloguée.

Celle dont on a coutume de parler d’abord et avant tout, est celle que, sur l’ordre de Ptolémée Philadelphie, les septante ont éditée, et dont nous parlerons dans le chapitre suivant.  Voir, à ce sujet, Eusèbe (histoire de l’église, livre 6, chapitre 13), saint Athanase dans sa synopsis, et Épiphane (dans son livre des mesures et des poids), auteurs qui recensent méthodiquement les traductions.

La deuxième traduction de l’ancien testament de l’hébreu en grec, a été faite par Aquila Pontico, la douzième année de l’empereur Adrien, comme le rapporte Épiphane à l’endroit cité.  Aquila a d’abord été  païen avant de devenir chrétien. Il fut ensuite chassé de l’Église parce qu’il s’adonnait à l’astrologie, et se tourna vers les Juifs.   Et comme c’est à cette époque qu’il fit sa traduction de l’ancien testament, on pense qu’elle n’a pas été faite complètement de bonne foi.

La troisième traduction a été faite sous l’empereur Théodotion.  Bien que cet auteur ait été un hérétique marcioniste devenu prosélyte Juif, sa traduction, au témoignage d’Épiphane, est plus fidèle que d’autres semblables.  C’est pourquoi l’Église lit toujours l’histoire de Daniel d’après la traduction de Théodotion, comme l’atteste saint Jérôme dans sa préface de Daniel.

La quatrième est celle de Symmaque, qui a été faite au temps de l’empereur Sévère Auguste.  Je ne sais trop ce qui a induit en erreur saint Athanase et Épiphane  quand ils nous expliquent que c’est sous Sévère que Symmachus a écrit, et Théodotion sous Commode, le fils de Marc-Aurèle, alors qu’il ne fait aucun doute que Commode ait précédé Sévère.  Et pourtant, les auteurs placent Symmaque en premier, et Theodotion en second.   Quand à Symmaque, il fut d’abord un ébionite, si nous en croyons Eusèbe. Et parce qu’il ne put, chez eux,  obtenir le premier rang, il s’est joint aux Juifs, et s’est fait circoncire une deuxième fois.  Épiphane explique en marge qu’il ne faut pas s’étonner que Symmaque se soit fait circoncire une seconde fois, car, avec la technique médicale de l’époque et à l’aide de certains instruments, on pouvait rétablir le prépuce coupé, ou l’étirer.  Et c’est ce que saint Paul dit aux Corinthiens (1, 7) : « Si tu étais circoncis quant tu as été appelé, ne greffe pas de nouveau un prépuce », ou comme le veulent les paroles grecques : « ne l’étire pas ! »

La cinquième édition grecque ne porte pas de nom d’auteur.  On l’a trouvée dans des ruines près de la ville de Jéricho, l’an 7 d’Antoine Caracallas, qui a succédé à son père Sévère, comme nous le rapporte Épiphane.

La sixième est également sans nom d’auteur.   Selon le témoignage d’Épiphane, on l’a trouvée dans des ruines près de la ville de Nicée, sons l’empereur Alexandre.  De toutes ces traductions, Origène en composa une autre qu’on appelait hexaple ou tetraple ou octaple.  Car, il disposa toutes les pages en six colonnes.   Dans la première, il plaça le texte hébreu en lettres hébraïques, dans la seconde le texte hébreu en lettres grecques, dans la troisième la traduction d’Aquila, dans la quatrième celle de Symmaque, dans la cinquième celle des septante, dans la sixième celle de Théodotion.  On appela ce regroupement de textes un tetraple à cause des quatre traductions, et un exhaple à cause des sept colonnes.   Il ajouta ensuite la cinquième et la sixième traductions dans les deux autres colonnes, ce qui donna le nom de octaple.

La sixième traduction d’Origène, n’est pas une traduction de l’hébreu, mais une relecture de celle des septante.   Il l’a tellement amendée en empruntant de Thedotion, et en changeant les caractères, qu’il en fit presque une nouvelle version.  Cette traduction obtint une telle autorité qu’elle remplit vite toutes les bibliothèques, comme le rapporte saint Jérôme à saint Augustin dans la lettre 89 (qui est la onzième dans les épitres de saint Augustin),  Dans sa préface d’Isaïe, saint Jérôme écrit que cette traduction d’Origène a été adoptée par tous.

La huitième édition est celle de saint Lucien prêtre et martyr.  Ayant noté plusieurs défauts aux traductions précédentes, il s’est imposé le labeur d’une nouvelle traduction.  Saint Athanase rapporte que cette traduction, écrite de la main du martyr, et conservée dans un mur, a été découverte en Nicomédie au temps de l’empereur Constantin.  Saint Lucien a été martyrisé sous Dioclétien et Maximin, alors que Maximin exerçait la tyrannie en Orient, comme l’indique brièvement saint Athanase dans synopsis, et comme le raconte plus longuement Eusèbe (histoire de l’église, livre 9, chap 6).

La neuvième et dernière édition est celle d’Hesychius, qui amenda la traduction des septante, et remit son texte aux églises d’Égypte.  De ces éditions, saint Jérôme parle ainsi dans sa préface (dans le livre des parip) : « Alexandrie et l’Égypte lisent les septante amendée par Hesychium.   De Constantinople à Antioche on utilise la traduction du martyr Lucien.  Les provinces médianes lisent les codex palestiniens, ceux qui, provenant d’Origène, ont été vulgarisés par Eusèbe de Césarée et le martyr Pamphyle.
29 juillet 2017 à 18:24  fin

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11 mars 2017 à 19:21 début




CHAPITRE 6 La traduction des septante


Cinq questions se posent au sujet de la traduction faite par les soixante-dix anciens, laquelle occupe le premier rang parmi toutes les autres traductions grecques. La première. En quel temps a-t-elle était faite ? La deuxième. De quels livres s’agit-il ? La troisième. Comment cette traduction a-t-elle était faite ? La quatrième. Quelle est son autorité ? La cinquième. Avons-nous encore aujourd’hui le texte original ?


Il est facile de répondre à la première question. Car, même si saint Irénée, (livre 3, chap 25), et Clément d’Alexandrie (au livre 1 des stromata) écrivent qu’elle a été faite sous le règne de Ptolémée, fils de Lagus, tous les autres donnent à ce Ptolémée le nom de Philadelphus (Aristée dans son histoire de la traduction, Joseph, dans le livre 12, chap 2 des antiquités, Philon dans le livre 2 de la vie de Moïse, Tertullien au chapitre 18 de son apologie, Athanase dans sa synopsis, Épiphane dans les mesures et les poids, etc) Mais le laps de temps qui les sépare n’est pas tellement grand, car ce Ptolémée a succédé de près au précédent.



Cette dernière opinion est supérieure à l’autre parce qu’elle a pour elle des témoins plus nombreux et plus anciens. De plus, Épiphane prit soin d’indiquer non seulement le règne, mais l’année. Il dit, en effet, que cette traduction a été faite la dix-septième année du règne de Ptolémée Philadelphus, et que 291 ans se sont écoulés de cette date à la naissance du Christ. Que cette traduction ait été faite tant d’années avant la naissance du Christ, ce n’est pas sans une inspiration divine. Car, comme l’écrit Eusèbe dans le livre 8, chapitre 1 de sa préparation évangélique, s’il avait fallu la faire cette traduction après le Christ, ou les Juifs, par envie, auraient caché les Écritures, ou ils nous auraient donné une traduction fautive. De toute façon, ou aurait eu de bonnes raisons de douter qu’ils nous aient donné une vraie traduction.


La seconde question est un peu plus ardue. Car, saint Jérôme (dans ses questions hébraïques, dans son chapitre 5 d’Ezéchiel, et dans le chapitre 2 de Michée), semble pencher vers l’affirmation que seul le pentateuque ait été traduit. Et il le prouve en citant Aristée dans son livre de la traduction des septante, la préface de Joseph dans son livre des antiquités 12, 2. Vous pouvez ajouter à ceux-là Philon au livre 2 de sa vie de Moïse. Ces auteurs ne font mention que de la loi. Mais d’autres affirment qu’ils ont tout traduit, (comme saint Justin dans son dialogue avec Triphon, saint Irénée livre, chap 25, Clément d’Alexandrie au livre 1 des stromata, Épiphane dans le livre des mesures et des poids, Eusèbe de Césarée au livre 8, chap 1 de sa préparation.) Cette opinion est de beaucoup plus probable, car les apôtres, en citant les psaumes, se sont servis de la traduction grecque. Or, au temps des apôtres, il n’existait pas d’autre traduction de l’ancien testament que celle des septante.


Or, il n’est pas vraisemblable que ce roi qui faisait venir de tous les pays du monde des livres pour sa bibliothèque, se soit contenté de la thora, et n’ait pas voulu que soient aussi traduits les oracles des prophètes, et les autres livres très anciens des Juifs. De plus, comment s’étonnerait-on qu’ils aient pu faire leur traduction en 72 jours, s’ils n’avaient traduit que le pentateuque, car, sans aucun miracle, on peut le traduire en moins de temps. Saint Jérôme n’enseigne pas le contraire en affirmant, mais en doutant. Car il lui arrive parfois, dans ses commentaires des prophètes, de faire mention de la traduction des soixante-dix, et de l’expliquer. Il faut savoir aussi qu’Aristée n’entendait pas, par le mot loi, le seul pentateuque, à la façon des Juifs, mais tous les livres sacrés. Car tous les livres tiraient leur nom de la loi, qui était le livre principal. C’est ce qu’on trouve dans saint Jean 10 et 15, où le Seigneur dit qu’est écrit dans la loi des Juifs ce qui est écrit dans les psaumes. Saint Paul enseigne aussi, 1 Corinth 14, qu’est écrit dans la loi ce qui est écrit dans Isaïe.


Au sujet de la troisième question, c’est une chose certaine, célébrée par le consentement unanime, que soixante-douze hommes Juifs âgés, provenant de chacune des tribus d’Israël, connaissant parfaitement l’une et l’autre langue, ont mis, auprès du Pharaon d’Égypte, 72 jours à traduire, de l’hébreu au grec, avec une unité de vue admirable, les divines Écritures. Cette traduction, l’ont-ils faite séparément, deux par deux, ou en se consultant tous les uns les autres ? La question se pose, et elle n’est pas encore pleinement résolue. Épiphane dit dans son livre des poids et des mesures, que les traducteurs se sont renfermés deux par deux dans des cellules, et que, par un miracle divin, chaque groupe de deux avait produit la même traduction, de sorte qu’ils présentèrent 36 exemplaires de la même version.


Saint Justin, lui, dans son exhortation aux Gentils, raconte qu’ils étaient tous un par cellule, et que, par un miracle plus grand encore, toutes les traductions étaient semblables; qu’il avait lui-même vu, à Alexandrie, des vestiges de ces cellules. Plusieurs ont adopté le récit de saint Justin, comme saint Irénée, livre 3, chap 25, saint Cyrille de Jérusalem dans sa catéchèse 4, Clément d’Alexandrie au livre 3 des stromata, et saint Augustin dans son livre 18, chap 42 de la cité de Dieu. Mais dans le livre 2, chap 15 de la doctrine chrétienne, il n’ose pas affirmer la chose. À ceux-ci s’joutent de plus récents témoignages sur ces cellules, comme Philon au livre 2 de la vie de Moïse, Tertullien dans son apologie, chap 19, et saint Jean Chrysostome dans son homélie 5 sur Matthieu. Mais ces trois n’ont pas de souvenir précis sur les cellules. Ils disent seulement que, d’une façon admirable, ils se sont tous rencontrés dans la même formulation des faits et des idées, et dans les mêmes mots.


Mais, saint Jérôme dans sa préface au pentateuque rit ouvertement de cette histoire : « Je ne sais pas quel est le premier auteur qui ait construit, avec son mensonge, soixante-dix cellules à Alexandrie. » Saint Jérôme estime donc que les 72 interprètes étaient assis dans le même palais royal quand, en se parlant entre eux, ils ont traduit la bible. Cela, il le prouve par le témoignage d’Aristée, qui fut présent, lequel affirme que, en se consultant les uns les autres à chaque jour jusqu’à l’heure de none, ils achevèrent la traduction en 72 jours. Saint Jérôme prouve la même chose en citant Josèphe, lequel, tout avide qu’il était de la gloire de son peuple, n’a aucun souvenir de ces cellules, quand il raconte cette histoire dans le livre 12, chap 2 des antiquités.


Nous pouvons ajouter, nous, Eusèbe de Césarée qui, dans son livre 8, chap 1 de la préparation évangélique, raconte, toute l’histoire, en citant Aristée, sans faire mention de cellules. Ajoutons également Tertullien, Philon, et saint Jean Chrysostome, cités plus haut, qui, en racontant cette histoire, on passé les cellules sous silence. Ils auraient dit un mot sur cette partie principale du récit s’ils y avaient prêté foi. Le fait de parler d’un consentement unanime dans la même phrase et dans les mêmes mots n’implique pas nécessairement qu’on se réfère à des cellules. Il est vrai que ce fut un miracle que tant d’hommes puissent arriver, en se consultant entre eux, à traduire de la même façon. Car, là où il y a une multitude, on ne peut éviter la diversité des jugements. Ou bien, on n’arrive pas à s’entendre, ou bien ce n’est qu’après de longues heures de discussion qu’on finit par tomber d’accord, et non sans faire des compromis. C’est pourquoi saint Augustin, dans le livre 2, chap 15 de la doctrine chrétienne, estime que, en admettant tous que les septante aient traduit la bible comme d’une seule bouche, ils sont d’accord sur l’essentiel autant ceux qui admettent des cellules que ceux qui les rejettent.


La position de ceux qui rejettent les cellules me semble plus probable. Elle a semblé aussi plus probable à Titelmannus dans son prologue apologétique pour l’édition de la vulgate, et à André Masio dans la préface à ses annotations sur Josué. Car, il a pu facilement arriver que les Juifs soient parvenus à persuader saint Justin de croire dans une fable inventée par eux, et, en lui montrant des ruines quelconques, de lui faire croire que c’était les cellules des septante. Et il est facile aussi de comprendre que les auteurs qui vinrent après lui l’aient cru sur parole. Mais que Aristée, qui était présent, ait pu faire un faux récit, cela n’est pas croyable. Car je ne suis pas troublé par ce que prétendent Louis Vives dans le chap 42, livre 18 de la cité de Dieu, et Leo a Castra dans sa préface au commentaire d’Isaïe, chap 35. Ils disent que ce livre n’est pas d’Aristée, mais qu’il a été composé par les Juifs. Car, tout ce que Tertullien, Eusèbe de Césarée et saint Jérôme ont cité d’Aristée, nous l’avons mot pour mot dans le texte qui nous avons de lui encore aujourd’hui.


Mais, ils répliquent. Épiphane lit Aristée, et le cite, et pourtant, il se souvient de cellules, ce qu’il n’aurait pas fait si Aristée avait exclu les cellules, Je ne sais pas ce que Leo a Castro veut prouver par ce témoignage d’Épiphane. Car, ou il veut en conclure qu’au temps d’Épiphane, le livre d’Aristée était intègre, et qu’il a été corrompu ensuite, --ce qui est manifestement réfuté par Josèphe et Eusèbe de Césarée qui ont écrit avant Épiphane, et qui pourtant ne trouvèrent pas de cellules dans Aristée—ou il veut qu’avant le temps d’Épiphane, le livre d’Aristée n’ait pas encore été inventé, mais qu’on l’avait trouvé alors. Mais, même cela on ne peut pas le dire car saint Jérôme qui vécut au même temps qu’Épiphane, et même un peu après, dit clairement que le recours au livre d’Aristée ne prouve pas les cellules, mais les réfute.


De plus, Épiphane, contrairement à l’opinion de tous, pose trente six cellules, là où les autres en mettent soixante-douze, ou aucune. Or, il n’est pas logique de faire passer Épiphane avant tous les autres. Il est donc plus vraisemblable ou qu’Épiphane n’ait pas lu Aristée, ou qu’il ait cru ce que rapportaient les autres, ou que, quant il écrivait, il n’ait pas eu le livre sous la main, et que sa mémoire l’ait trahi. Ce qui est le plus vraisemblable c’est qu’il ait reçu cette histoire des cellules de saint Justin et de saint Irénée. Et nous constatons pourtant que l’oubli lui a fait raconter la chose autrement que ces auteurs la rapportent.


Venons-en à la quatrième question. L’autorité de la traduction des septante. Dans sa préface au pentateuque, saint Jérôme affirme que les soixante-dix traducteurs ne sont pas des prophètes, mais des traducteurs; et il fait souvent des reproches à leur traduction (dans les questions hébraïques, dans son livre de la meilleure façon de traduire, dans son épitre à Sunam et Fratellam, et dans son commentaire sur les prophètes). Néanmoins, il est absolument certain que les septante ont fait une excellente traduction, et qu’ils ont bénéficié d’une manière particulière, de l’aide du Saint Esprit pour qu’ils ne fassent pas d’erreur, de sorte qu’ils ne semblent pas tellement des traducteurs que des prophètes.


On le prouve cela à partir de la sentence commune. Car c’est ce qu’affirment constamment tous les auteurs cités : Aristée, Philon, Josèphe, saint Justin, saint Irénée, Eusèbe de Césarée, Clément d’Alexandrie, Épiphane, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, et, parmi les latins, Tertullien, saint Augustin, saint Hilaire dans sa préface des psaumes, et tous les autres. On ne doit pas exclure de ce nombre saint Jérôme, lui qui dans la préface 1 au Paral a écrit : « Si on avait la traduction des 70 telle qu’ils l’ont éditée, en travaillerait en vain à faire d’autres traductions. » Et dans la préface 2, il dit que les 70 traducteurs étaient remplis du Saint Esprit et que leur traduction est véridique. Et dans son apologie contre Ruffin, il déclare qu’il n’a jamais voulu se détourner des 70.


De quoi nous pouvons déduire que, quand il blâme la traduction des septante, ce n’est pas la traduction elle-même qu’il trouve en défaut, mais les fautes qui s’y sont glissées ensuite, ou par négligence, ou par malice, ou par ignorance. Lorsqu’il dit qu’ils étaient des interprètes et non des prophètes, il ne s’oppose pas à ceux qui affirment qu’ils ont été plus des prophètes que des interprètes, car ces auteurs n’entendaient pas dire qu’ils étaient de véritables prophètes, mais qu’ils avaient reçu une aide spéciale du Saint Esprit. Saint Jérôme ne nie pas cela non plus, comme nous l’avons montré, avec ses propres paroles.


Il est même arrivé que les apôtres aient recours à cette traduction, et souvent même, comme leurs citations le révèlent. Saint Irénée l’affirme en toutes lettres, et même saint Jérôme dans sa préface de l’évangile de saint Damase. Et de plus, l’Église catholique a utilisé cette traduction pendant plusieurs siècles, comme le reconnait saint Jérôme dans sa préface 1 dans les Paralipomènes. Ce n’est donc pas sans miracle que, avec une telle rapidité et une telle unanimité, une œuvre aussi considérable ait pu être menée à bien. Et Philon rapporte que, à chaque année, dans le lieu même où a été finalisée la traduction, une fête est célébrée pour perpétuer le souvenir d’une chose aussi mémorable.


La dernière question. Je n’ignore pas qu’il y en ait qui estiment que la traduction faite par les septante soit disparue au complet. Mais je crois qu’il est plus raisonnable de penser qu’elle existe toujours, mais qu’elle est faussée et viciée au point de paraître une toute autre traduction. Qu’elle existe toujours nous le démontrent plusieurs citations faites par les anciens, que nous retrouvons telles quelles dans notre texte à nous. De plus, comme elle a toujours été la traduction la plus célèbre et la plus généralement utilisée, qui pourra croire que, après l’avoir négligée ou abolie, on en ait conservé une autre à sa place ? Qu’elle ait été corrompue, et grandement viciée en plusieurs passages, au point qu’il ne soit plus à conseiller d’y recourir pour corriger des codex latins ou grecs, on peut le prouver par plusieurs arguments.


Premièrement, par le témoignage de saint Jérôme qui, dans sa préface aux paralipomènes et à celle d’Esdras, et ailleurs, nous avertit souvent que la traduction des septante a été viciée de plusieurs et de diverses façons. Deuxièmement, les soixante-dix traducteurs ont, dit-on, traduit mot pour mot. Cela est si vrai que celui qui connaîtrait parfaitement les deux langues se rendrait donc compte immédiatement de la fidélité de leur traduction. C’est ce qu’écrit Philon au livre 2 de la vie de Moïse : « Les mots grecs employés par les traducteurs correspondent parfaitement aux mots chaldéens. En font la preuve quotidiennement aussi bien les chaldéens qui ont appris la langue grecque, que les grecs qui ont appris la langue chaldéenne. Tous s’étonnent de l’exactitude et de la fidélité de la traduction, et n’ont que de l’admiration pour le choix des mots. » Que ne trouble pas le fait qu’il appelle chaldéenne la langue hébraïque, car il parle ainsi parce que ces langues sont apparentées, et parce que la chaldéenne était alors plus connue à cause de l’empire des Assyriens. Que la chaldéenne soit différente de l’hébraïque saint Jérôme nous le fait remarquer au chapitre 1 de Daniel, où il est écrit que Daniel reçut du roi Nabuchodonosor l’ordre d’apprendre la langue chaldéenne.


Ce n’est pas seulement Philon, mais même Aristée avant lui, qui attestent qu’il y avait une correspondance admirable des choses et des mots dans les codex hébraïques et grecs. Et il ajoute à la fin de son livre que, avant d’être placée dans la bibliothèque du roi, cette traduction a été lue attentivement, examinée et discutée par plusieurs; qu’elle a été acclamée par tous comme une traduction sainte et fidèle, à laquelle il n’y avait rien à ajouter ou à ôter. Mais la version des septante que nous possédons maintenant diffère en plusieurs endroits de l’hébreu, n’a pas tous les passages que l’on trouve en hébreu, mais en a, par contre, qui ne s’y rencontrent pas, comme le savent tous ceux qui la pratiquent régulièrement. Que ceux qui, à cause de l’ignorance des langues, ne peuvent pas juger par eux-mêmes, lisent la préface de saint Jérôme au pentateuque, son épitre à Suniam et Fretellem, ses questions hébraïques, son commentaire sur les prophètes, et son livre sur l’art de traduire.


Ne parait pas satisfaisante l’objection de ceux qui prétendent que, à chaque fois qu’il diffère du grec, le texte hébreu a été corrompu. Car cela, même les hérétiques qui placent le texte grec avant l’hébreu, ne l’admettent pas. Les catholiques ne doivent pas non plus admettre ni enseigner que la vulgate latine, dont se sert l’Église depuis tant de siècles, et que le concile de Trente a jugée authentique, soit totalement corrompue. Car, à l’exception du psautier, la traduction latine correspond davantage aux codex hébreux qu’aux grecs.


Je n’ignore pas que certains Pères de l’église (Épiphane dans son livre des poids et des mesures, saint Jérôme dans sa préface au pentateuque, et dans son livre sur la traduction, saint Augustin dans le livre 18, chap 42 et 44 de la cité de Dieu) ont écrit que les soixante-dix traducteurs aient volontairement omis, ajouté ou traduit autrement certains passages, comme le leur dictait l’Esprit Saint. Mais ces Pères cherchaient pieusement des raisons pour excuser et défendre la traduction que l’Église utilisait alors. S’il en avait été vraiment ainsi, comment Philon aurait-il pu dire qu’il y avait une concordance parfaite entre les choses et les mots ? Comment Ariste aurait-il pu affirmer que tous ceux qui l’ont lue au début l’ont acclamée pour sa parfaite correspondance avec le texte hébreu ? N’auraient-ils pas plutôt déploré que tant de choses étaient été omises, tant de choses ajoutées, tant de choses traduites de travers ?


Troisièmement, on le prouve par plusieurs phrases que l’on rencontre dans cette traduction, et qui ne sont en aucune façon conformes à la réalité. Comme la computation des années de Mathusalem, Genèse, 5. Car, selon l’édition grecque, Mathusalem aurait vécu 14 ans après le déluge, sans avoir été dans l’arche. Car huit personnes seulement ont été sauvées dans l’arche, Noé, Sem, Cham, Japhet, et leurs épouses, comme le rapporte la Genèse, 6, 1, et Pierre 1, 3. Saint Jérôme (dans les questions hébraïques) et saint Augustin (au livre 15, chap 13 de la cité de Dieu), et Eucherius n’on pu solutionner ce problème qu’en admettant que le texte grec qu’ils utilisaient était fautif. Cette erreur, ils se gardaient bien de l’attribuer aux septante, mais aux copistes qui sont venus après. Ils ne purent donc pas nier que les codex que nous possédions alors étaient viciés. Voici un autre exemple tiré de la Genèse 26. Les septante écrivent que les serviteurs ont dit au sujet du puits : « nous n’avons pas trouvé d’eau », tandis que les codex hébreux et latins ont : « nous avons trouvé de l’eau ». Une seule de ces deux traductions est la bonne. Et il est certain que notre traduction est plus véridique, puisque, tout de suite après, on nous dit qu’Isaac a donné à ce lieu le nom d’abondance. Un autre exemple vient de Jean 3. Les septante écrivent : « encore trois jours, et Ninive sera détruite ». Mais les codex latins et hébreux ont : « encore quarante jours ». En commentant ce passage, saint Jérôme montre qu’on ne peut en aucune façon défendre cette traduction des septante. Et saint Augustin, au livre 18, chap 44 de la cité de Dieu, déclare que Jonas a dit quarante et non trente jours. On pourrait en citer encore d’autres, mais que ceux-là suffisent.


On le prouve, enfin, car il est connu que la traduction des soixante-dix a été corrompue en plusieurs lieux, comme saint Justin l’affirme dans son dialogue avec Triphon. Il est notoire que cette traduction est celle qui a été le plus corrigée par Origène, Lucien, Hesichius, saint Jérôme. Or on ne corrige que ce qui a été faussé. Il n’est pas croyable que cette traduction qui, pendant les trois premiers siècles, a été souillée de tant de taches, soit demeurée inviolée et intègre pendant les autres 1200 années. De plus, il est attesté qu’au temps de saint Jérôme, comme il l’écrit lui-même dans la lettre 89 à saint Augustin, qui est la onzième épitre de saint Augustin, tous les codex grecs de la version des septante avaient plusieurs choses provenant de la traduction de Théodotion, avec des guillemets d’abord, puis sans guillemets. La traduction de Théodotion étant malheureusement perdue, la plus grande confusion doit nécessairement régner là, car il n’est plus possible de distinguer ce qui vient des septante de ce qui vient de Théodotion.



CHAPITRE 7 L’édition grecque du nouveau testament


On a l’habitude de soulever deux questions au sujet de l’édition du nouveau testament. La première porte sur les auteurs de cette édition. La deuxième, sur l’autorité et sur l’intégrité de cette édition.


La première question n’est pas du tout nécessaire, et elle est très facile à résoudre. Car il est évident que le nouveau testament a été écrit en grec par les apôtres ou les disciples, dont le nom figure dans chacun de ces écrits, à l’exception des évangiles de saint Mathieu et de saint Marc, et de l’épitre aux Hébreux. Saint Matthieu a écrit son évangile en langue hébraïque, comme l’attestent saint Irénée, livre3, chap 1, saint Athanase dans sa synopsis, saint Jérôme dans sa préface au commentaire de saint Matthieu, au chap 11 d’Osée, et dans son livre des écrivains ecclésiastiques, dans Matthieu, et tous les autres.



Saint Athanase estime, au livre cité, que l’évangile de saint Matthieu a été traduit de l’hébreu en grec par l’apôtre saint Jacques. D’autres par saint Jean l’apôtre, et d’autres par saint Matthieu. Mais quel qu’en ait été le traducteur, cette traduction a été reçue par l’Église comme si saint Matthieu l’avait d’abord écrite en grec. C’est pourquoi nous ne sentons pas le besoin de l’évangile hébraïque que Munster a édité. Ni non plus de celui que Jean Tilius a pris soin récemment d’éditer, dans lequel manquent beaucoup de choses, où sont nombreuses les choses vaines, et où on se rend compte que beaucoup de choses ont été changées. Et Dieu sait si, par une astuce juive, cela n’a pas été fait pour détruire la confiance dans l’édition grecque et dans l’édition latine, car, c’est de leur arsenal qu’elle vient.


Le livre de saint Marc a été écrit en latin à Rome par saint Marc lui-même, et a été ensuite traduit en grec par lui-même à Aquilejae, d’après ce qu’enseigne Adrien Finus, dans le livre 6, chap 80, et au livre 8, chap 62 des flagellations des Juifs, ainsi que Petrus Antonius Beuther qui est de l’avis de Finus, dans ses annotations 8 et 9 à la sainte Écriture. Dans la vie de saint Pierre, qui vient en premier lieu dans le pontifical de Damase, il est indiqué assez clairement que l’évangile de Marc écrit d’abord en latin, a été traduit par lui en grec. De l’épitre aux Hébreux, nous avons déjà amplement parlé. Nous avons démontré que cette épitre a été écrite en grec par saint Paul lui-même, ou qu’elle a été traduite de l’hébreu au grec par un apôtre. En conséquence, toute l’édition grecque du nouveau testament a pour auteurs des apôtres ou des évangélistes.


En ce qui a trait à l’autorité, il ne saurait y avoir de doute que l’édition apostolique soit d’une suprême autorité, à moins d’avoir la preuve qu’elle ait été corrompue. Je pense, à ce sujet, la même chose que pour les codex hébreux, à savoir que l’édition grecque du nouveau testament n’est généralement pas corrompue; et qu’il n’y a pas de fontaines d’une pureté absolue qui nous oblige à corriger tout ce qui s’éloigne d’elles, comme le pensent faussement Calvin, Major, Kemnitius, et les autres hérétiques de ce temps.


Que les codex grecs ne sont pas, généralement parlant, corrompus, on peut facilement en faire la preuve. Car, bien que de nombreux hérétiques se soient efforcés de les corrompre, il ne manqua jamais de catholiques qui détectèrent leurs faussetés, et qui ne permirent pas que les livres sacrés en soient corrompus. L’hérétique du deuxième siècle Marcion, comme l’atteste Tertullien dans son livre 5 contre Marcion, enleva plusieurs choses du nouveau testament. Mais Épiphane les a toutes relevées, dans son hérésie 42, et tous nos codex les ont conservées. Les Ariens enlevèrent eux aussi de l’évangile de saint Jean « l’esprit est Dieu ». Mais saint Ambroise a signalé leur omission, et tous nos codex grecs ont la phrase sacrifiée.


Ils ne sont pas partout sans faute, et quelques erreurs se sont glissées ici et là par la négligence des copistes. Voilà pourquoi il n’est pas à conseiller de toujours corriger le texte latin par le texte grec. Exemple. Il est certain que dans l’épitre aux Corinthiens 1, 15, il faut lire : « le premier homme est de la terre, et il est terrestre; le second est du ciel et il est céleste », comme l’a non seulement le texte latin , mais comme le prouve Calvin au chap 7, de ses institutions, 12. Mais les Grecs lisent tous : « le second homme le Seigneur est du ciel ». Que cette déformation de la phrase provienne des corruptions faites par Marcion, le prouve le livre 5 de Tertullien dans contre Marcion.


De plus, dans Corinth 1, 7, nous avons, nous : « Celui qui est avec une femme se soucie des choses du monde, comment plaire à l’épouse, et il est divisé. La femme qui n’est pas mariée et la vierge pensent aux choses du Seigneur ». Les codex grecs ont une traduction différente, car ils unissent ce « est divisé » avec ce qui suit : « l’épouse est divisée, et la vierge ». Cette reddition du texte saint Jérôme affirme, dans son livre 1 contre Jovinien, qu’elle n’est pas conforme à la vérité apostolique. Autre exemple. Aux Romains 12, nous lisons : « servant le Seigneur ». Mais les codex ont le mot temps au lieu du mot Seigneur : « servant le temps ». Que notre traduction soit la plus véridique saint Jérôme nous l’explique dans son épitre à Marcella qui commence par les mots : « après une première épitre ». Il nous dit là que les codex grecs corrigés n’ont pas le mot temps, mais seigneur. Nous avons de plus le témoignage d’Origène, de saint Jean Chrysostome, et de Théophylacte qui ont lu et expliqué le texte comme le comporte la traduction latine.


On doit aussi ajouter que dans plusieurs codex grecs sont absentes plusieurs véritables parties de la sainte Écriture, comme l’épisode la femme adultère,(Jean 8), le dernier chapitre de saint Marc, le très beau témoignage de la trinité de saint Jean, et d’autres passages dont nous avons parlé plus haut. On trouve aussi dans les codex grecs des passages qui ne font pas partie de la divine Écriture, comme ce qui est ajouté après l’oraison dominicale, « car à toi est le règne, la puissance et la gloire dans les siècles ». Que ces mots ne fassent pas partie du texte et qu’ils soient des ajouts, deux choses peuvent nous le faire comprendre. La première. Tertullien, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Jérôme, et saint Augustin ont expliqué l’oraison dominicale, sans jamais faire mention de ces mots. Ils connaissaient pourtant bien le grec. La seconde. Les Grecs, dans leur liturgie, récitent ces mots, mais non après l’oraison dominicale.



CHAPITRE 8 Les éditions latines


Au sujet des éditions latines, nous avons trois explications à donner. D’abord, combien ont été autrefois, et quelles ont été les éditions latines ? Ensuite, quel est l’auteur de celle que nous appelons vulgate ? Enfin, quelle est son autorité ?


Pour commencer par la première, disons d’abord que les traductions latines de l’ancien testament du grec des septante, et du nouveau testament ont été innombrables avant l’époque de saint Jérôme. C’est ce qu’affirme saint Augustin dans son livre 2, chap 11 de la doctrine chrétienne : « On peut compter sur les doigts ceux qui ont traduit l’ancien testament de l’hébreu au grec. Mais, pour les traducteurs latins, ce n’est pas possible. Car, dans les premiers temps de la foi, dès que le texte grec tombait dans les mains de quelqu’un qui savait les deux langues, il n’hésitait pas à le traduire. » Saint Jérôme enseigne la même chose dans sa préface à Josué : « Chez les latins, il y a autant de traducteurs que de lecteurs; chacun, à sa guise, a ajouté ou a enlevé ce qui lui semblait bon. »



Il y en avait quand même une qui était plus usitée que les autres. On l’appelait l’ancienne édition, ou la vulgate, comme nous le montre saint Grégoire dans la préface à son livre de la morale chap 5, et saint Jérôme dans les chapitres14 et 49 d’Isaïe, et ailleurs. Il semble que ce soit cette traduction italienne que (dans le livre 2, chap 15 de la doctrine chrétienne), saint Augustin place avant toutes les autres : « Pour les traductions de ces passages, la traduction italienne est préférable à toutes les autres, car elle est plus littérale, tout en conservant le sens de la phrase ».


Saint Jérôme, pour sa part, traduisit deux fois l’ancien testament, une fois, à partir du grec, d’après le texte des septante, comme on peut le comprendre par ce qu’il dit dans son livre 2 contre Ruffin, par la lettre 10 de saint Augustin, et la onzième qui est de saint Jérôme à saint Augustin, et aussi par la préface à Job. Il fit une autre traduction à partir de l’hébreu, comme il l’atteste lui-même dans son livre des hommes illustres, à la fin, et dans les préfaces de chacun des livres qu’il a traduits en latin. Le nouveau testament, il ne l’a pas traduit du grec au latin, mais il ne l’a que corrigé en enlevant de nombreuses erreurs qui s’étaient introduites par la faute des copistes. Voici comment il parle de son travail dans son livre des hommes illustres : « j’ai rendu le nouveau testament à la foi grecque ». Et, dans sa préface des évangiles à saint Damase : « Nous avons limité notre travail à corriger seulement ce qui devait être modifié pour respecter le sens véritable du texte. Le reste, nous l’avons laissé comme il était ».


Si quelqu’un pense que saint Jérôme a traduit le nouveau testament du grec au latin parce que saint Augustin lui dit dans son épitre 10 à saint Jérôme : « ce ne sont pas de petites actions de grâce que nous rendons à Dieu parce que tu as traduit l’évangile du grec… ». qu’il écoute saint Jérôme répondre à ce même saint Augustin, dans son épitre 89, qui est la onzième de saint Augustin : « Si tu acceptes la correction que j’ai faite du nouveau testament… »


Sa traduction de l’hébreu au latin a été rapidement acceptée par les églises, et lue dans les églises, comme la lettre 10 de saint Augustin à saint Jérôme le démontre, sans que pour autant l’édition antique ne soit méprisée. Ce que l’on voit clairement chez saint Grégoire dans son épitre avant la préface de son livre de la morale au chapitre 5, où il dit qu’en son temps l’Église a coutume d’utiliser l’une et l’autre traduction, c’est-à-dire l’ancienne traduite du grec, et la nouvelle traduite de l’hébreu. » Après l’époque de saint Grégoire, toutes les traductions disparurent sauf une, que nous appelons maintenant ancienne et vulgate. Nous parlerons bientôt de son auteur. En notre siècle, il semble que nous soyons retournés à l’époque où tous ceux qui le peuvent font continuellement de nouvelles traductions des livres sacrés. Der sorte qu’on peut à peine énumérer les traductions latines, surtout celles faites par les hérétiques.


CHAPITRE 9 L’auteur de la traduction vulgate


Ce n’est pas une petite question que pose notre vulgate. Est-ce la traduction ancienne qui existait avant saint Jérôme, ou une traduction faite par saint Jérôme lui-même, ou un mélange des deux. Parmi ceux qui pensent qu’elle n’est pas de saint Jérôme, ou qui ont de forts doutes, on trouve Sanctes Pagninus dans sa préface à l’interprétation des bibles dédiée à Clément 7, pontife suprême, Paulus Foro évêque, au livre 2, chapitre 1 du jour de la passion du Seigneur. Ceux qui, au contraire, pensent qu’elle est de lui, ce sont Augustinus Eugubinus, Jean Pic de la Mirandole dans les livres qu’il a édités à ce sujet, et quelques autres. Qu’elle soit un mélange des deux l’enseignent Jean Driedo dans le livre 2, chap 1, de l’Église, des dogmes et des Écritures, et Sixte de Sienne dans le livre 8 de sa bibliothèque. Mais, nous, pour plus de brièveté et de clarté, nous présenterons notre position en quatre propositions.


Première proposition. Le nouveau testament que nous avons est l’ancienne traduction latine corrigée par saint Jérôme. Nous le prouvons ainsi. Les nombreux passages de l’ancienne version que saint Jérôme a critiqués, nous les trouvons maintenant corrigés comme il affirmait qu’il devait l’être. Prenons quelques exemples. Dans son commentaire à l’évangile de saint Matthieu, chap 2, il affirmait que : « dans Bethléem de Judée » devrait être : « dans Bethléem de Juda ». Dans son livre 1 à Jovinien, il blâme la traduction de 1 Corinth 7 : « la femme est divisée et la vierge ». Et il veut qu’on lise : « la femme non mariée et la vierge ». Dans l’épitre à Marcella, à la fin du second volume, il rejette la traduction de Romains 12 : « servant le temps », au lieu de : « servant le Seigneur ». Il reprend aussi la traduction de Timothée 1 « parole humaine », et enseigne qu’il faut lire : « parole fidèle ». Dans son commentaire de l’épitre aux Galates, chap 2, il blâme la traduction qui donne : « A qui un moment nous avons cédé ». Et il restitue : « auxquels nous n’avons pas cédé un instant ». Et dans son commentaire au chapitre 5, il reprend la traduction suivante : « votre persuasion est de Dieu ». Et il veut que nous lisions : « elle n’est pas de celui qui vous appelle ». Dans son commentaire aux Éphésiens, chapitre 1, il reprend la phrase suivante : « qui est le gage de l’hérédité dans la rédemption de l’adoption », et veut qu’on lise : « dans la rédemption de l’acquisition ». Toutes ces choses, et beaucoup d’autres semblables, nous les avons maintenant dans l’édition de la vulgate comme il voulait qu’elles soient rendues.



De plus, il est connu que c’est sous l’ordre du pape Damase que saint Jérôme a corrigé l’ancienne traduction du nouveau testament. Il est notoire également que sa traduction a été reçue, et qu’elle a plu énormément aux hommes de son temps, comme l’épitre 10 de saint Augustin à saint Jérôme nous le fait comprendre. Il n’est donc pas vraisemblable qu’elle ait été par la suite rejetée, mais plutôt retenue et conservée. Il ne faut pas se laisser troubler par le fait que quelques passages n’ont pas été corrigés comme saint Jérôme l’aurait souhaité. Comme, par exemple, (Rom 12) « goûter sobrement ». Alors que saint Jérôme (dans son livre 1 à Jovinien) voulait qu’on lise : « goûter pudiquement ». Et cet autre passage de 1 Corinth 13 : « si je livre mon corps de façon à ce qu’il brûle », que saint Jérôme (Galt, chap 5) aurait voulu qu’on lise ainsi : « au point de m’en glorifier ». Et d’autres que lui-même corrigea dans son commentaire des épitres aux Galates, aux Éphésiens et à Tite. Car lui-même reconnait, dans sa préface à l’évangile destinée à Damase qu’il n’a pas tout corrigé ce qu’il pensait devoir être corrigé, pour ne pas sembler vouloir tout bouleverser.


Il a pu aussi arriver que, pendant qu’il écrivait ces commentaires, il ait pensé a devoir changer certaines choses qu’après mure réflexion, quand il se mit au travail, il jugea préférable de ne pas changer. Car, qu’il ait écrit ces commentaires avant d’entreprendre sa correction du nouveau testament, nous l’apprenons de son livre sur les hommes illustres, à la fin. Et il est certain que notre traduction de ces deux passages est préférable à celle que saint Jérôme voulait d’abord lui substituer.


La deuxième proposition. Le psautier de l’édition de la vulgate latine n’est pas celui que saint Jérôme a traduit de l’hébreu, ni celui qu’il a traduit du texte des septante, mais celui qu’il a lui-même corrigé, et qui avait été traduit par un ancien traducteur à partir de l’édition du saint martyr Lucien. Car, saint Jérôme a travaillé quatre fois à la traduction des psaumes. Il a traduit d’abord le psautier de l’hébreu en latin, comme il le dit lui-même dans son épitre à Sophrone. Il le traduisit aussi du grec de la traduction épurée des septante, comme elle existait dans les hexaplis d’Origène, ainsi qu’il l’affirme lui-même dans sa lettre à Sunia et Fratella. Il corrigea ensuite deux fois la traduction latine dite commune et vulgate, qui avait été faite à partir du grec, comme il appert de la préface au psautier faite à l’intention de Paula et d’Eustache. Nous allons les prendre une par une pour en faire brièvement la démonstration.


Nous disons que notre psautier n’est pas celui que saint Jérôme traduisit à partir de l’hébreu. Rien n’est plus certain, car cela ressort des travaux de saint Jérôme; et le texte hébreu diffère presque partout du nôtre, du moins dans le choix des mots. Nous ajoutons que ce n’est pas celui qu’il a traduit à partir du texte établi par Origène. Mais celui de la traduction commune, dite vulgate qu’il a corrigé deux fois. C’est ce que démontre l’épitre à Sunia et à Fratella. Car il dit là que le psaume 5 « dirige sous ton regard sur ma voie », est rendu différemment dans les septante et dans toutes les autres traductions, à l’exception de la commune, dite vulgate. Et notre traduction est semblable à celle de cette vulgate. Notre traduction est donc celle de la traduction commune dite vulgate, distincte de la traduction des septante épurée d’Origène. De plus, le même saint Jérôme nous informe que le psaume 73 est traduit par tous : « Incendions, brûlons tous les jours de fête ». Et la commune, dite vulgate, est la seule à traduite : « Faisons reposer de la terre tous les jours de fête de Dieu ». Et c’est ce sens que nous avons dans notre traduction actuelle. Autre exemple, Dans le psaume 103, nous avons, nous : « pierre refuge des hérissons ». Alors que les septante disent : « refuge des lièvres ». Notre traduction n’est donc pas celle des septante.


De plus, dans toute cette épitre, il donne souvent les mots du psautier latin, tels qu’ils étaient communément employés, et chantés dans les églises. Et nous les trouvons tous tels quels dans notre traduction. Notre psautier est donc celui de la traduction commune dite vulgate. De plus, saint Jérôme donnait le nom de commune à la traduction qu’Origène et saint Lucien corrigèrent. La lettre à Sunia et à Fratella nous l’indique clairement, car voici ce que saint Jérôme dit au début de cette épitre : « Sachez qu’autre est la traduction qu’appellent commune et vulgate Origène, Eusèbe de Césarée, et tous les traducteurs grecs, et autre est la traduction faite par les septante.


La troisième proposition. Il est probable que notre traduction des livres de la Sagesse, de l’Ecclésiastique et des Maccabées, ne soit pas de saint Jérôme, mais provienne d’une ancienne traduction d’un auteur inconnu. Voici pourquoi. Saint Jérôme n’a jamais déclaré qu’il avait traduit ces livres, et nous n’avons de lui aucune préface de ces livres, alors qu’il affirme (dans l’épitre 89 à saint Augustin, qui est la onzième de saint Augustin) avoir composé des préfaces pour tous les livres qu’il a traduits. Deuxièmement. Saint Jérôme considérait ces livres comme apocryphes. Il est donc vraisemblable qu’il ait, pour cela, négliger leur traduction. Troisièmement, Plusieurs pères plus anciens que saint Jérôme ont cité des passages de ces œuvres (comme saint Cyprien dans son exhortation au martyre), dans les mêmes mots que ceux de notre traduction.


La quatrième proposition. Toutes les autres choses que saint Jérôme a traduites de l’hébreu nous les avons dans la traduction de la vulgate. En premier lieu, c’est une chose admise de tous que saint Jérôme a été le premier et le seul parmi les anciens à traduire l’ancien testament de l’hébreu au latin. Et il apparait avec évidence que notre traduction est celle qui a été faite de l’hébreu au latin, à l’exception des psaumes, de la Sagesse, de l’Ecclésiastique et des Maccabées. Qu’il ait vraiment traduit l’ancien testament de l’hébreu, lui-même l’atteste dans son livre des hommes illustres, à la fin. Qu’il ait été le premier des anciens à le faire, les lettres de saint Augustin 8 et 10, et son livre 18, chap 43 de la cité de Dieu nous l’apprennent, ainsi que toutes les préfaces de saint Jérôme, dans lesquelles ils se plaint toujours d’avoir été calomnié pour avoir osé traduire l’ancien testament de l’hébreu. Qu’après lui et jusqu’à nos jours, personne n’ait tenté rien de semblable, rien n’est plus certain.


Car, que l’édition de la vulgate soit une traduction de l’hébreu c’est elle-même qui le proclame du fait qu’elle concorde presque partout avec le texte hébreu, et diffère du grec. Il y a, de plus, de surs indices de cette chose, dans presque tous les livres. Car, dans le pentateuque, surtout dans Genèse 5, presque tous les livres anciens, parce qu’ils provenaient de la traduction des septante, contenaient une erreur dans le nombre des années. Mais notre traduction est conforme à la vérité hébraïque. Dans les livres d’Esther et de Daniel, nous rencontrons souvent des annotations de saint Jérôme disant qu’il avait exprimé fidèlement ce qui se trouvait dans le texte hébreu, et que les autres choses qu’il avait ajoutées provenaient de la vulgate et de celle de Théodotion.


Dans sa préface à Job, il dit que dans l’ancienne traduction latine et dans l’édition grecque du livre de Job, il manque 800 vers, qu’il a mis, lui, dans sa traduction à partit de l’hébreu. Or, notre édition est complète et entière, tout comme l’édition hébraïque. De plus, dans son commentaire sur les prophètes, il présente presque partout deux traductions, la sienne qui est celle de notre vulgate, et une autre qui est celle des septante. Deuxièmement, nous trouvons dans notre édition de la vulgate toutes les choses que saint Jérôme (dans sa préface au pentateuque et dans son livre de la meilleure façon de traduire) dit ne pas exister dans la traduction des septante, et qu’il a ajoutées dans sa traduction de l’hébreu. Comme, par exemple : « de l’Égypte, j’ai appelé mon fils ». Osée 11. Et cet autre : « Ils me regarderont moi, qu’ils ont transpercé », Zacharie 12. Et cet autre encore : « l’œil ne voit pas, Dieu, ce que tu as préparé à ceux qui espèrent en toi », Isaïe 64.


Troisièmement, on le prouve par ces mêmes passages que saint Jérôme nous informe avoir traduits autrement que n’avaient traduits les Septante. Or, nous les avons tous ces passages dans notre traduction, comme il les a traduits. Dans son épitre 89 à saint Augustin, qui est la onzième des épitres de saint Augustin, il dit qu’il a traduit Jonas 4 par « courge » ce que les septante avaient rendu par « lierre ». Autre exemple. Dans les questions hébraïques sur la Genèse, il dit qu’il faut lire ainsi Genèse 2 : « Dieu a complété le septième jour son œuvre », là ou les septante lisent : « le sixième jour ». Il dit aussi ailleurs qu’il faut lire « elle a été appelée virago », là où les septante lisent : « femme ». Il dit aussi qu’il faut lire : « il envoya un sommeil profond à Adam » là où les septante parlent d’ « extase ». On trouve beaucoup de choses semblables autant dans ses questions hébraïques que dans son commentaire des prophètes.


Saint Grégoire dans son livre 20 chap 32 sur la morale dit, en expliquant : « tu t’es changé pour moi en homme cruel » (Job 30) que l’ancienne traduction était très différente, mais que cette nouvelle traduction faite de l’hébreu était meilleure. Et c’est exactement ce que nous avons dans notre traduction. On le prouve quatrièmement, par les préfaces. Car lui-même déclare dans son épitre à saint Augustin déjà citée, qu’il a fait une préface pour chacun des livres qu’il a traduits de l’hébreu. Ces préfaces, nous les avons dans l’édition de la vulgate latine, et personne n’a jamais nié qu’elles étaient bel et bien de saint Jérôme. Et il n’est certainement pas croyable que tout ait été perdu à l’exception des préfaces. Car, ceux qui auraient rejeté ou mis de côté la traduction de saint Jérôme, pourquoi ont-ils été conservé ses préfaces ?


Pour prouver le contraire, on met de l’avant trois arguments. Le premier argument est celui de Paul Foro et de saint Pagini. On le tire des nombreux endroits où notre texte latin diffère de l’hébreu. Car il n’est pas possible qu’un homme versé dans l’hébreu comme saint Jérôme ait pu ainsi se tromper. Je réponds que notre texte parait différer du texte hébreu pour deux raisons. La première vient de l’incurie des copistes, dont il se plaint souvent lui-même dans ses préfaces. La seconde, est que souvent saint Jérôme ne cherche pas tant à rendre les mots que le sens, comme il enseigne qu’il faut faire dans son livre sur la meilleure façon de traduire. Prenons pour exemple ces mots de l’Ecclésiaste1 : « les pervers se corrigent difficilement, et le nombre des fous est innombrable. » Car paroles semblent très éloignées des mots de l’hébreu : « le pervers ne pourra pas changer de direction, et le fou ne peut pas être compté ». Mais il est certain que saint Jérôme en a rendu élégamment le sens. Nous parlerons plus longtemps de cet argument dans le prochain chapitre.


Le deuxième argument. Dans sa préface aux psaumes, à Job et aux paralipomènes, saint Jérôme nous avertit qu’il a marqué sa traduction par des astérisques et des obélisques. Or, dans notre vulgate actuelle, nous ne voyons pas ces signes. Notre édition de la vulgate n’est donc pas de saint Jérôme. Je réponds avec l’aide de saint Jérôme lui-même qui, dans son épitre à saint Augustin ci-haut citée, nous apprend que c’est l’édition qu’il a faite du grec qu’il a marquée de ces signes, non celle qu’il a faite de l’hébreu. Donc, dans notre psautier, les astérisques et les obélisques devraient exister, ces signes dont nous parle saint Jérôme dans sa préface, mais ils sont disparus par la négligence des copistes. Il n’y a pas là de quoi s’étonner, car, du vivant même du traducteur, ils commencèrent à disparaître, comme nous l’apprenons de sa préface à Sunia et Fretalla. Mais dans les livres de Job et des paralipomènes de notre édition de la vulgate, il n’y a jamais eu d’astérisques et d’obélisques, et il ne devait pas y en avoir. Car c’est deux préfaces que nous avons sur Job comme sur les paralipomènes. La première qui ne fait aucune mention d’obélisques et d’astérisques, se rapporte à notre traduction, laquelle a été faite de l’hébreu. La deuxième, dans laquelle il est fait mention d’astérisques et d’obélisques, se rapporte à la traduction qu’il a faite du grec.


Le troisième argument. On trouve, dans notre traduction de la vulgate, beaucoup de passages qu’il a enseignés devoir être traduits autrement. Comme, par exemple, dans ses questions hébraïques, dans son livre sur la meilleure façon de traduire, dans son commentaire des prophètes. Notre traduction ne peut donc pas être celle qu’il a faite de l’hébreu. Je réponds que c’est pour quatre raisons que saint Jérôme a blâmé des choses que nous avons dans notre texte. La première. La négligence des traducteurs. La seconde. La diversité du sens des mots. Car il peut arriver qu’un mot ait deux sens. Saint Jérôme a pu adopter un sens une fois, et un autre une autre fois, puisque les deux son possibles. Nous avons de cela un exemple dans l’Ecclésiaste. Car, il a traduit deux fois l’Ecclésiaste, comme il apparait dans son commentaire sur l’Ecclésiaste, et dans sa préface au Proverbes. Dans sa première traduction, il rend ainsi une phrase du chapitre 2 : « J’ai pensé à traîner ma chair dans le vin ». Et c’est ainsi qu’il l’a présentée dans son commentaire. Mais, dans son autre traduction, il a préféré dire : « J’ai pensé à retirer ma chair du vin ». C’est cette traduction que nous avons, et c’est la meilleure. Car le mot hébreu peut aussi bien signifier dans le vin que du vin. Le contexte plaide pour « de » plutôt que pour « dans », car voici quelle est la phrase qui vient après : « pour transférer mon âme à la patience ».


Que l’on confonde souvent deux lettres hébraïques (depuis, de, par), on peut facilement s’en rendre compte par ces passages de l’Exode 12, verset 43; 35, verset 32. Exode 38, verset 8, Lévitique 8, verset 32, paralipomène chap 16, verset 6. Que saint Jérôme ait pris pour habitude de traduire différemment quand les mots s’y prêtaient, lui-même le déclare dans son apologie 1 contre Ruffin. Il dit, en effet, qu’il a traduit « Adorez purement », mais que dans son commentaire il a donné comme explication : « Adorez le Fils », parce que le mot hébreu est ambigu.


La troisième raison est qu’il a changé d’idée, et qu’il s’est corrigé. Comme exemple, nous tirerons quelque chose de son livre sur la meilleure traduction, et sur sa préface au pentateuque. Il dit qu’on ne doit pas lire dans Isaïe 11 « la fleur montera de sa racine », mais « le nazaréen montera de sa racine ». Et il dit que les septante ont donc mal traduit. Mais le texte d’Isaïe que saint Matthieu a rendu ainsi : « pour que soit accompli ce qui a été prédit par les prophètes : « il sera appelé nazaréen », saint Jérôme, finalement, le traduit comme les septante : « la fleur montera de sa racine ». Et dans son commentaire sur Isaïe, au chapitre 11, il en donne la raison en comparant deux mots hébreux (tsade et zain). Il ajoute ensuite que ce que saint Matthieu a dit il ne l’a pas puisé dans ce passage d’Isaïe, mais de tous les prophètes qui ont prédit que le messie serait le Seigneur saint. Pour une raison semblable, dans le livre 5 de son commentaire sur Isaïe, il avoue avoir mal traduit le chapitre 19 par : « la terre de Judée sera en fête en Égypte », alors qu’il aurait du écrire : « dans l’effroi ». Et c’est cette dernière traduction que nous avons dans la vulgate.


La quatrième cause est que même si saint Jérôme a pensé, en cours de route, qu’il devait changer sa traduction, et qu’il l’a noté ainsi dans ses commentaires, l’Église, elle, a considéré comme vraie sa première traduction, et c’est elle qu’elle a préféré conserver dans sa vulgate. Car, au livre 5 de son commentaire sur Isaïe où saint Jérôme dit qu’il a traduit « fête » à la place d’ « effroi », il dit aussi avoir mal traduit quand il a mis « qui refrène » à la place de « qui rend lascif ». Et pourtant, nous voyons, dans notre vulgate actuelle que la première correction a été admise, et que l’autre ne l’a pas été. Cela ne s’est certainement pas fait par hasard, mais par le jugement de la postérité, ou plutôt de l’Église elle-même. C’est de cette façon qu’on pourrait répondre à beaucoup d’objections de ce genre. Car l’édition de la vulgate, bien qu’elle soit en très grande partie, de saint Jérôme, n’est pas exclusivement celle qu’il a traduite de l’hébreu. Elle est une sorte de mélange, car on lui a ajouté des passages des septante qui ne sont pas dans l’hébreu. Et cela est encore plus évident dans les livres des Rois 1 et des proverbes.


À toutes ces choses on peut ajouter que, à certains moments, saint Jérôme a semblé blâmer notre traduction, alors que ce n’était pas des reproches qu’il lui faisait, mais il ne faisait qu’expliquer la force d’un mot hébraïque. Comme quand, dans ses questions hébraïques, il dit que ce que nous avons, nous, dans Genèse 1 : « L’esprit du Seigneur était porté sur les eaux », se dit en hébreu : « il incubait, ou réchauffait, à la façon d’un oiseau qui couve ».



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17 mars 2017 à 17:53


CHAPITRE 10 L’autorité de la vulgate latine



Il reste une troisième question, et la plus importante de toutes. Quelle est l’autorité de l’édition de la vulgate latine ? Les hérétiques de notre temps, bien qu’ils ne soient pas tous d’accord entre eux sur l’authenticité de la traduction latine, s’accordent admirablement bien entre eux dans leur opposition à l’église romaine. Les Luthériens, pour leur part, ne veulent reconnaître pour authentique que la seule traduction faite par Luther, comme il appert du décret de Lipsis, où l’on trouve les signatures de Mélanchton, de Poméranus, de Major, et de beaucoup d’autres. Au sujet de ce décret, voyez Staphilum dans la troisième partie de la théologie luthérienne.


Quant à Zwingli, avec lequel s’accordent les Anabaptistes et les Calvinistes, il ne reconnait aucune traduction pour authentique, comme on le voit dans sa préface à l’édition de Tigurin, où il déclare que l’Église ne doit pas se lier à une seule traduction. Néanmoins, les Luthériens autant que les Zwingliens s’entendent sur la non authenticité de la vulgate latine, car, selon eux, elle regorge d’erreurs. Du camp de Luther, le premier héraut qui est sorti des rangs pour défier l’armée ennemie est Martin Kemnitius; du camp des Zwingliens, Jean Calvin. Écrivant contre le concile de Trente, ils en veulent surtout à la quatrième session, au cours de laquelle la vulgate latine a été proclamée authentique. A écrit aussi sur ce sujet Georges Major dans sa préface aux psaumes, et Tilmann Heshushius dans son livre des soixante erreurs des pontifes, titr 1.


Mais ils ne furent quand même pas peu nombreux ceux qui écrivirent en faveur de la vulgate. Comme Jean Driedo, livre 2, chapitre 1 des dogmes ecclésiastiques et de l’Écriture, François Titelmann dans son prologue apologétique pour l’édition de la vulgate du nouveau testament, André Vega, livre 15, chap 9 du concile de Trente contre Kemnitium, Lindanus, livre 1 de la meilleure manière de traduire, Melchior Cano livre 2, chap 13 des lieux, Sixte de Sienne, livre 8 de sa sainte bibliothèque, dans sa réfutation de la dernière hérésie. Désirant imiter leur zèle, nous conforterons leur position par les arguments suivants.


Le premier argument est celui du concile. Car le concile de Trente dit que l’édition latine des livres sacrés a donné elle-même la preuve de son authenticité par l’usage que l’Église en a fait pendant tant de siècles. Toute l’Église latine n’a pas craint, en effet, de se servir de cette seule édition pendant presque mille ans, c’est-à-dire, en gros, depuis l’époque de saint Grégoire. Tous les prédicateurs l’ont proposée et l’ont expliquée aux peuples; tous les conciles ont tiré de cette traduction des passages pour confirmer des dogmes de foi. De plus, pendant quatre-vingt ou quatre-vingt-dix années, l’Église a été privée d’une traduction authentique. Et dans les choses qui se rapportent à la foi et à la religion, des erreurs de traduction pour je ne sais trop quelle parole de Dieu ont poussées. C’est quelque chose d’étonnant; plutôt absurde qu’étonnant, surtout parce qu’elle a appris de l’apôtre (Timoth 2) que c’est elle qui est la colonne et le fondement de la vérité.


Le deuxième argument se dire des témoignages des anciens. Car ou notre traduction est celle de saint Jérôme, ou de cette ancienne dite commune, que saint Augustin appelait italique. Si c’est l’italique, nous avons, en sa faveur, un témoignage éloquent en la personne de saint Augustin (livre 2, chapitre 15 de la doctrine chrétienne), où il dit qu’elle doit être préférée à toutes les autres. Si elle est de saint Jérôme, comme nous l’avons prouvé plus haut, elle a le témoignage de tous les anciens qui ont pu la voir. Car, d’abord, saint Augustin dans le livre 18, chapitre 43 de la cité de Dieu, dit : « N’a pas manqué à notre temps un homme tel que le prêtre Jérôme, homme très instruit, versé dans trois langues, qui ne traduisit pas la bible du grec au latin mais de l’hébreu au latin, traduction que même les Juifs jugent véridique ». Et dans sa lettre 10 à saint Jérôme, il dit que sa traduction ou plutôt que sa correction du nouveau testament « a été approuvée par tous ». Saint Grégoire dit la même chose dans son livre 20, chap 32 de ses morales : « Parce que cette nouvelle traduction à partir de l’hébreu a rendu toutes choses avec plus de vérité, on doit croire tout ce qui est dit en elle, et il faut que nos explications et nos commentaires de la bible s’en inspirent. »


Saint Isidore au livre 6, chapitre 4 de ses Étymologies, dit : « Le prêtre Jérôme, qui connait bien trois langues, a traduit les Écritures de l’hébreu au latin, et les a transposées éloquemment. Sa traduction mérite de passer avant les autres ». Et dans le livre 1 de l’office divin, il dit : « Saint Jérôme a traduit de l’hébreu en latin les écritures sacrées. Sa traduction est utilisée généralement dans toutes les églises, parce que les phrases sont plus vraies, et les mots plus clairs ». Raban est du même avis dans le livre 2, chapitre 54 de l’éducation cléricale. Ensuite, ceux qui sont venus après, saint Anselme, saint Bernard, Rupert, Haymo, Hugo, Richard, et tous les autres montrent suffisamment que cette traduction a été approuvée par tous, puisqu’elle est la seule qu’ils cherchèrent à expliquer. On peut ajouter que ce ne sont pas seulement les Latins qui ont approuvé cette version, mais même les Grecs, qui traduisirent du latin au grec certains volumes divins que saint Jérôme avait traduits de l’hébreu en latin. Saint Jérôme lui-même l’atteste dans son livre des hommes illustres, à Sophrone, et sans son livre 2 contre Ruffin.


Le troisième argument. Les Hébreux eurent une Écriture authentique dans leur langue. Les Grecs aussi eurent en grec une écriture authentique, c’est-à-dire l’ancien testament dans la traduction des septante; et les premières sources elles-mêmes du nouveau testament. Il fut donc légitime pour l’Église latine, dans laquelle se trouve le siège de Pierre, et où la mesure de la foi chrétienne doit perpétuellement exister, d’avoir sa langue authentique des Écritures. Or, pendant mille ans, elle n’en a pas eu d’autre. C’est donc celle-là qu’on doit reconnaître comme authentique.


Le quatrième argument. Dans les conciles généraux de l’Église, on ne trouve aucun, ou très peu d’experts en langue hébraïque. L’Église serait mal en point si, dans les choses graves, elle ne pouvait se fier à une traduction latine, mais devait avoir constamment besoin de recourir à l’hébreu, et de mendier la vérité auprès de ses ennemis, les rabbins. Nous pouvons dire la même chose de la langue grecque, car si maintenant, beaucoup connaissent le grec, il n’en a pas toujours été ainsi. Car, si nous en croyons Ruffin, dans le livre 10, chapitre 21 de son livre d’histoire, parmi les six cents évêques qui assistèrent au concile d’Ariminum, personne ne savait ce que voulait dire le mot omoousios. Et voilà pourquoi, quand des hérétiques ariens retors demandèrent aux pères du concile s’ils voulaient adorer le Christ ou l’omoousios, tous crièrent en chœur qu’ils ne voulaient pas adorer un omoousios, mais le Christ.


De plus, on prouve la même chose par l’expérience. Car, nous voyons ce qui se passe maintenant chez les hérétiques. Après avoir méprisé l’ancienne traduction, ils en produisent de nouvelles qui sont si divergentes qu’on ne peut tirer d’elles rien de certain. C’est pourquoi Martin Luther dans son livre contre Zwingli sur la vérité du corps du Christ dans l’eucharistie, dit : « Si le monde dure plus longtemps, il sera de nouveau nécessaire, pour éviter les traductions différentes de l’Écriture que nous avons présentement, et pour conserver l’unité de la foi, de recevoir les décrets des conciles, et de nous y réfugier ». Il reste à résoudre les arguments des adversaires. Mais, auparavant, il nous plait de relever les mensonges que Kemnitius et Jean Calvin ont mêlé à leurs arguments.


Premier mensonge de Calvin. Ce n’est ni par un choix judicieux, ni par un discernement éclairé que des ignorants ont accordé à cette traduction le premier rang. Je réponds. Comme toutes les autres traductions ont été abolies, et que la vulgate est la seule à être demeurée dans l’Église catholique pendant tant de siècles, ou il n’y a eu aucun docte dans l’Église pendant mille ans, ou Calvin ment impudemment. Sophrone, saint Augustin, saint Grégoire, Isidore de Séville, Bède le vénérable, Anselme, Rupert, Bernard et tant d’autres, tous ces grands hommes ont donc été de grands ignorants ? Et pourtant ils ont loué cette édition entre toutes les autres, comme nous l’avons montré.


Un autre de ses mensonges. Les pères du concile de Trente auraient décrété qu’on ne doit point du tout prêter l’oreille à ceux qui puisent la pure liqueur à la fontaine elle-même, et qui réfutent le faux à l’aide de la vérité certaine. J’appelle cela un mensonge, car je ne lis rien de semblable dans le concile. Les pères, en effet, n’ont jamais fait mention d’une autre fontaine. La seule chose qu’ils ont faite c’est de choisir une version parmi toutes les traductions latines, et de la mettre avant toutes les autres. Et, il convenait à la gravité et à la permanence de l’Église, de choisir une traduction ancienne longtemps éprouvée, de préférence à des nouvelles. En somme, on en a choisi une parmi le grand nombre de celles qui diffèrent les unes des autres.


Le troisième mensonge de Calvin. Le texte est si pollué, selon lui, qu’il n’y aurait pas une seule page intègre, ni trois vers sans une erreur grave. S’il en est vraiment ainsi, pourquoi le même Calvin, quand il entreprit d’annoter les versets des psaumes, n’a-t-il décelé aucune erreur dans la traduction du premier ? Le premier psaume n’a peut-être donc pas trois versets consécutifs ? Mais j’estime qu’il ne vaut pas la peine de nous attarder à réfuter des mensonges aussi flagrants. Venons-en à Kemnitius.


Le premier mensonge de Kemnitius. Le concile de Trente a décrété que, à la place de ce qui a été écrit par le Saint Esprit dans les sources grecques et hébraïques, nous recevions ce qui a été mutilé, changé ou ajouté par les copistes. Car qui, je ne dis pas parmi les catholiques, mais parmi les hommes sensés, oserait jamais dire qu’il faille recevoir les paroles viciées de copistes plutôt que les paroles du Saint-Esprit ? De plus, le même concile, au même endroit, n’ordonne-t-il pas qu’on imprime les bibles sacrées sans le moindre nombre de fautes possible ?


Le second mensonge. Dans la liste des livres mis à l’index édité par le pape Paul 1V, se trouvent, au nom des livres condamnés, toutes les traductions de la bible, même les plus anciennes, dans lesquelles sont corrigées les erreurs les plus flagrantes de la vulgate latine. Cela, évidemment, est un mensonge parmi les plus crasses. Ne sont condamnées dans cette liste que les traductions faites par des hérétiques, ou entachées d’hérésies. Toutes les autres sont permises.


Le troisième mensonge de Kemnitius. Il cherche à prouver que l’Église a fait un usage abusif d’une veille traduction équivoque, afin de démontrer qu’elle a le pouvoir de dispenser de la substance des sacrements, contre l’institution du Christ. La vulgate, en effet, fait dire à 1 Corinth 4 : « les ministres du Christ seront appelés les dispensateurs des mystères du Christ ». Et de s’exclamer : « Dieu bon, quelle est grande l’impudence de l’Antichrist de s’amuser si puérilement dans une matière de cette importance, quand est si répandue la connaissance des langues ! Saint Paul les appelle des ministres du Christ ! » Et il nous est permis, à notre tour, de répondre : Dieu bon, quelle est grande l’impudence des hérétiques, elle qui ne craint pas d’obscurcir la vérité par les mensonges les plus grossiers ! Car le concile, au même endroit, explique longuement qu’on ne peut pas changer la substance des sacrements, mais seulement régler la manière et l’ordre dans lesquels les sacrements doivent être administrés. De plus, le concile n’abuse pas du mot « dispensateurs », comme l’imagine Kemnitius. Car, il ne dit pas que l’Église peut dispenser des sacrements comme elle peut dispenser des vœux et des lois ecclésiastiques, mais qu’elle peut « dispenser » les sacrements, c’est-à-dire les administrer, les présenter, les livrer aux fidèles. Et, à l’instar d’un dispensateur fidèle et prudent dans la gestion des affaires et dans l’alimentation de la famille, elle peut prescrire certaines règles, certains rites, pourvu qu’elle ne fasse rien contre les lois divines et civiles.


Le dernier mensonge de Kemnitius. La raison pour laquelle le concile de Trente a voulu que la traduction de la vulgate soit authentique est qu’elle avait été toute transformée par les dogmes pontificaux. Ce mensonge est non seulement celui d’un homme impudent, mais imprudent, parce qu’il milite grandement contre son auteur. Car, si les dogmes pontificaux se trouvent dans la traduction de la vulgate, il faut en conclure que ces dogmes pontificaux sont très anciens, car les hérétiques reconnaissent eux-mêmes que l’édition de la vulgate est très ancienne. De plus, si la traduction de la vulgate avait été faite après l’époque de Luther, on aurait eu quelque raison de penser qu’elle avait été volontairement ajustée aux dogmes pontificaux. Mais, elle a été faite il y a mille ans. Et toutes les choses qu’il blâme dans la vulgate latine, nous leur montrons qu’elles correspondent mot pour mot aux citations faites par les Pères de l’église; et que ces choses ont toujours fait partie de l’édition latine. Mais, ce que nos adversaires font ils pensent que les autres le font aussi, Et, parce que Martin Luther a traduit la bible de mauvaise foi, comme nous le montre Jean Cochlaeo dans la vie et les actes de Luther 1521, où nous lisons : « dans la nouvelle traduction du nouveau testament faite par Luther, on a noté mille choses ajoutées, ou enlevées, ou corrompues. », on pense que ce sont les catholiques qui ont fait cela. Mais ils se trompent certainement, car la foi catholique n’a pas besoin de l’aide des mensonges, comme en ont leurs inventions.


CHAPITRE 11 Réponses aux objections des hérétiques contre la vulgate latine


On peut réduire à trois les arguments des hérétiques contre la vulgate latine. Le premier. Saint Jérôme a traduit beaucoup de choses autrement, et a blâmé plusieurs choses que nous avons dans notre traduction. Mais, nous avons déjà répondu à cela au chapitre 8. Il faut croire davantage à la parole de Dieu qui se trouve dans les fontaines des codex hébraïques et grecs que dans les ruisseaux des traductions. Car les codex grecs et hébraïques ayant les apôtres et les prophètes pour auteurs, ils ne peuvent pas se tromper. Les codex latins, par contre, ont pour auteurs des traducteurs qui peuvent se tromper. Car autre est le traducteur, autre est le prophète, enseigne saint Jérôme, dans sa préface du pentateuque. Et le même Jérôme fait souvent des reproches aux traducteurs dans ses commentaires, et au livre 4 contre Jovinien. Et saint Augustin ne se contente pas d’affirmer en général qu’un traducteur peut se tromper (livre 2, chap 12 de la doctrine du Christ, dans les épitres 19 et 59), mais il dit à saint Jérôme lui-même, dans sa lettre 6, qu’il a pu se tromper dans sa traduction de la bible.


Il arrive que les Pères enseignent qu’il faille recourir aux sources hébraïques et grecques. Saint Jérôme (dans son livre contre Helvidius et dans son épitre à Marcella qui commence par « après la première lettre ») enseigne que la traduction latine des évangiles doit être ramenée aux sources grecques. Et il dit la même chose de l’édition latine de l’ancien testament corrigée d’après l’hébreu, dans son commentaire de Zacharie, chap 8. Saint Augustin dit la même chose dans le livre 2 de la doctrine chrétienne aux chapitres 11, 12 et 15, dans la lettre 59, et ailleurs. Et ce qui est encore plus admirable, on trouve la même chose dans le droit canonique lui-même, au canon 9 : « comme la foi des livres anciens doit être testée par les textes hébraïques, la vérité du nouveau testament requiert la norme du texte grec. »



Je réponds qu’il ne faut pas nier qu’il faille préférer les sources des Écritures aux ruisseaux des traductions, quand on est sûr que les fontaines n’ont pas été troublées. Or, nous avons montré auparavant que, en plusieurs endroits, les fontaines ont été effectivement troublées. Et on ne peut certainement pas nier que l’église latine ait montré plus de constance à conserver sa foi que la grecque. Elle fut donc plus vigilante à protéger ses codex contre la corruption. Car se réalise aujourd’hui ce que saint Jérôme écrivait au pape Damase dans son épitre sur le mot hypostase : leur patrimoine ayant été corrompu, c’est uniquement chez les latins que se conserve sans corruption l’héritage des Pères.


Au sujet de l’objection voulant que les traducteurs aient pu se tromper, il ne manque pas de gens qui répondent que l’ancien traducteur du nouveau testament et même le traducteur de l’ancien testament saint Jérôme n’ont pas pu se tromper parce qu’ils étaient éclairés par une lumière particulière du Saint Esprit. Mais il n’est pas nécessaire de recourir à ce genre d’argument. Car, nous admettons qu’un traducteur n’est pas un prophète, et qu’il peut se tromper. Mais ce que nous disons c’est qu’il ne s’est pas trompé dans cette traduction que l’Église a approuvée. Car la traduction latine de la vulgate n’est pas d’un seul auteur. Elle a des choses qui viennent de saint Jérôme, de Lucien, de Téodotion, et d’un autre traducteur au nom inconnu. Il serait idiot de prétendre que l’hérétique Théodotion ne pouvait pas se tromper, ou que saint Jérôme ne s’est jamais trompé, quand il avoue lui-même (dans le chap 19 d’Isaïe) qu’il s’est trompé, et que l’Église a reçu sa correction. L’Église n’a donc pas canonisé tous les traducteurs; elle n’a fait qu’approuver leur traduction. En l’ approuvant, elle n’a pas affirmé que leurs traductions ne comportaient aucune erreur. Mais elle a voulu que nous soyons certains que, en ce qui a trait à la foi et aux moeurs, aucune erreur ne s’y trouvait.


Je réponds autre chose au sujet de la correction des codex latins d’après les codex grecs et hébreux. De quatre façons, il nous est permis de recourir aux sources hébraïques et grecques, comme les pères l’enseignent. D’abord, dans nos codex, il semble y avoir une erreur de copistes. Voilà pourquoi nous voyons dans nos nouveaux missels ce passage 15 de l’Ecclésiastique corrigé ainsi : « Il lui donna en face des préceptes ». Nous lisions autrefois un texte corrompu : « le cœur vers les préceptes ». Car, dans le grec, nous avons kata prosôpon, mot qui ne laisse aucun doute. Il fut facile de faire cor ad avec coram. Autre exemple. Ce passage de l’Eccles. 24 : « Moi, comme le fleuve Diorix », il a fallu le corriger : « comme les fleuves de Diorix », comme le dit le grec, car il n’y a jamais eu de fleuve Diorix. Même si Raban Maure dit dans son commentaire de ce passage que certains auteurs ont parlé d’un fleuve d’Arménie qui s’appelait Dorix, aucun auteur connu n’en a soufflé mot. Adiorux est une fosse creusée par le fleuve pour irriguer la terre.


Autre exemple, Sagesse 12 : « Tu condamnes celui qui ne devait pas être puni, et tu le méprises comme étant loin de ta vertu ». Ce passage ne semble pas avoir été mal corrigé par les bibles de Louvain : « Celui qui ne doit pas être puni tu le penses étranger à ta vertu ». Car c’est ainsi qu’on le lit en grec. C’est manifestement une erreur des copistes. Et pourtant, saint Grégoire avait pieusement expliqué la première traduction dans le livre 3 chap 11 de ses morales. Autre exemple. Au psaume 41, on a pu, en toute sureté, changer : « vers Dieu, fontaine vivante » en « fort vivant », car c’est ce qu’on lit en hébreu, et même en grec. La correction s’imposait donc. On a pu facilement, dans notre codex changer le « fort » en « fontaine », surtout parce que venait juste avant : « Mon âme a eu soif ». De la même façon, nous voyons qu’il faut corriger le verset 19 de saint Jean : « il la reçut chez lui » (accusatif à la place d’un ablatif en latin), comme dans le grec.


En second lieu, quand les codex latins varient au point de ne pouvoir déterminer où se trouve le véritable texte de la vulgate latine, on peut recourir aux sources, et recevoir ainsi l’aide qui nous est nécessaire pour trouver le véritable sens. Ainsi, en Josué 5, les codex latins ont : « Auxquels il a juré de leur montrer la terre où coulent le lait et le miel ». D’autres ont : « de ne pas leur montrer ». La vraie traduction semblerait être la dernière, car en hébreu, on ajoute toujours le « non ». Au contraire, dans Josué 11 quelques codex ont : « Il n’y a pas eu de ville qui ne se livre pas ». D’autres ont : « qui se livre ». Et cette dernière est la véritable, parce que conforme à l’hébreu. Et les mots qui suivent exigent ce sens. Ainsi, en saint Luc, 1, quelques codex ont : « la rédemption de son peuple ». D’autres : « à son peuple ». Et cette dernière semble plus vraie, parce que plus conforme au grec.


Troisièmement, quand le sens des paroles ou des phrases en latin est douteux, on peut recourir aux sources s’il ne s’y trouve pas d’ambiguïté. Ainsi, ce que nous lisons dans la Genèse 3 « la terre est maudite dans ton travail », peut s’entendre du travail futur, quand tu la cultiveras, ou du passé, c’est-à-dire du péché d’Adam, pour lequel la terre a été maudite. Mais, en hébreu, il n’y a pas d’ambiguïté. Le mot hébreu employé ne peut signifier que « à cause de toi », c’est-à-dire à cause de ton péché. C’est pourquoi saint Jérôme avertit, dans ses questions hébraïques qu’ont bien traduit ceux qui ont écrit : « la terre est maudite dans ta transgression ». Et pourtant, il n’est pas impossible que les copistes aient changé Daleth en Resch.


Ainsi, ce que nous lisons dans Luc 2 : « sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté ». Ce « de bonne volonté » est ambigu, car il peut être référé aux hommes ou à la paix. Mais on peut déduire du grec que ces mots se rapportent plus à la paix. Ce qui donne le sens suivant : « et dans la terre, paix aux hommes », « la paix, dis-je, de la bonne volonté de Dieu envers les hommes ». Car le mot eudoxia n’est généralement pas la bonne volonté de l’homme, mais la bonne volonté de Dieu envers les hommes. Ainsi le psaume 2 « De peur que, quand le Seigneur se fâche ». Ou « ou quand aura brûlé brièvement sa colère ». Et : « heureux ceux qui se fient en lui ». Chez les latins, on se demande si cela a été dit du Père ou du Fils, car le psaume fait mention de l’un et de l’autre. Mais le codex hébreu indique clairement qu’il s’agit du Fils. De plus, le psaume 138 : « ma bouche ne t’est pas cachée ». Le mot, en latin est ambigu, car on ne se pas ni os se rapporte à la bouche ou aux os. Mais en hébreu, c’est clair.


Quatrièmement, et ultimement, il est permis de recourir aux sources, pour comprendre la force et le sens propre des mots. Ainsi, dans Exode 1 : « il leur a construit des maisons ». La phrase hébraïque nous fait comprendre que ces mots signifient la fécondité et l’abondance des fils. De même, pour le psaume 112 : « qui fait habiter la stérile dans une maison ». Et c’est aussi la même chose pour le psaume 138 : « tes yeux ont vu mon imparfait ». Les mots grecs indiquent clairement qu’il s’agit d’un embryon. Et la même chose au même endroit : « ta science a été admirable plus que moi ». Cette phrase se comprend facilement en hébreu. Elle signifie que la science de Dieu est plus admirable que ce que l’homme peut en comprendre. Connaissent cet hébraïsme ceux qui savent bien l’hébreu. Dans les paroles suivantes de saint Paul (Eph 3) « connaître aussi la suréminente charité de la science du Christ ». Car le sens n’est pas que la charité du Christ est un don plus grand que la science, comme les mots semblent le dire, mais qu’elle est plus grande que ce que l’on peut en comprendre par la science.


Le troisième argument ils le tirent de plusieurs endroits qui semblent montrer que la vulgate latine est remplie d’erreurs. Et même si c’est sans aucun ordre qu’ils nous jettent ces textes à la tête, nous procéderons, nous, par ordre. D’abord, les passages qui sont tirés de plusieurs livres de l’ancien testament. Ensuite, ceux qui viennent des psaumes. Enfin, ceux qui se rapportent au nouveau testament.



CHAPITRE 12 On prend la défense des passages de la vulgate que Kemnitius déclare contaminés.


Le premier est le passage de la Genèse 3 où nous lisons : « elle t’écrasera la tête ». Kemnitus prétend que ce verset a été corrompu pour établir l’intercession et le patronage de Marie. Car, il faudrait lire « il (au neutre en latin) t’écrasera la tête ». L’Écriture, en effet, parle de la semence, c’est-à-dire du Christ, comme l’enseignent les anciens. Je réponds que la vulgate a des variantes. Certains codex donnent  « il », d’autres « elle ». Je réponds qu’il n’est pas improbable de lire « elle », et que cela n’est pas une corruption du texte faite par les papistes. Car si plusieurs codex hébraïques ont « il », il y en quand même un où l’on peut voir « elle ». Et personne qui connaisse suffisamment l’hébreu ne pourra penser qu’on puisse obtenir « elle » à la place de « lui », par un simple déplacement de points. On rencontre souvent dans les livres sacrés « lui » pour « elle ». Ainsi en est-il dans Genèse 3, verset 12, et dans Exode 3, verset 8. Ajoutons qu’ont lu « elle » Claudius Marius Victor au livre 1 de la Genèse, Alcimus Avitus au livre 3 de ses chants, chapt 6, saint Jean Chrysostome, homélie 17 sur la Genèse, saint Augustin au livre 2 de la Genèse, contre les Manichéens chap 18, au livre onze de la Genèse à la lettre, chap 36, saint Ambroise au livre de la fuite du siècle, chap 7, saint Grégoire au livre 1, chap 38 des morales, Eucherius, Rupertus, Bède, Rabanus et Strabus, et Lyre, ainsi que saint Bernard, sermon 2 sur la messe. C’est donc un mensonge que profère Kemnitius quand il dit que tous les anciens ont lu « il ».


Mais tu diras : le verbe « écrasera », en hébreu, est du genre masculin. Il se réfère donc à la semence qui est du genre masculin, et non au mot femme qui est féminin. Je répons que ce ne serait pas une nouveauté dans l’Écriture qu’à des noms féminins soient joints des pronoms ou des verbes de genre masculin. Ruth dit à ses brus (Ruth 1, verset 8) (phrases exclusivement en hébreu). Et Esther 1, verset 20 (texte hébreu), et Eccl. Verset 15 (hébreu). On en trouve plusieurs de ce genre.



Le deuxième passage est celui de la Genèse 6 où nous lisons : « toute la pensée de l’homme est tournée vers le mal ». Voulant affaiblir le péché originel, Kemnitius prétend que ce passage a été corrompu, puisque nous avons en hébreu «l’image du coeur seulement du mal pendant la journée ». Je réponds que le sens est le même, car l’image du cœur se rapporte à la pensée du cœur, parce que c’est par le cœur qu’elle est imaginée et formée, comme l’enseignent les Hébreux. Car, semblable est la phrase suivante : « toute la pensée de l’homme est tournée vers le mal, et son imagination, c’est-à-dire les pensée du cœur n’est que du mal. Il ne s’ensuit pas de ce verset, comme le pensent les Luthériens, que toutes les œuvres des hommes soient mauvaises. Car c’est une hyperbole scripturaire, souvent utilisée pour mettre en relief quelque chose. Comme on dit dans le même chapitre : « toute chair avait corrompu sa voie ». Et pourtant, dans le même chapitre, on lit : « Noé fut un homme juste et parfait, en son temps ».


Le troisième verset est celui de la Genèse où nous lisons : « Celui qui versera le sang humain, son sang sera répandu  ». Ce texte a été mutilé, accuse Kemnitius, puisque le texte hébraïque dit : « Celui qui versera le sang humain, son sang sera répandu par un homme ». Je réponds que cette omission ne rend le sens ni faux ni imparfait. Elle est donc de peu d’importance. Car le sens est en latin comme en hébreu : celui qui tue un homme sera tué lui-même. Le quatrième verset est de la Genèse 14, où nous lisons : « Et Melchisedech, roi de Salem, présentant le pain et le vin, car il était le prêtre du Dieu très-haut ». Il dit que ce mot a été corrompu pour que nous puissions prouver le sacrifice de la messe, car, en hébreu, le mot « offrir » ne se trouve pas, ni le « car », comme dans la vulgate.


Je réponds que c’est faussement qu’il affirme que dans la vulgate se trouve le mot « offrir ». Car, nous ne lisons pas « il offrit », mais « il présenta » le pain et le vin. Le « car », la vulgate l’a, ainsi que le texte hébreu, même si Kemnitus n’a pas voulu le voir par ignorance ou par malice. Car, souvent en hébreu une telle lettre est prise pour telle autre lettre. Comme en Isaïe 64 : « tu t’es fâché, et nous avons péché », c’est-à-dire « parce que nous avons péché ». De même dans Genèse 20 : « Et tu mourras à cause de la femme que tu a prise, car elle a un homme ». Et en Genèse 20 encore : « J’ai appris par l’expérience parce que Dieu m’a béni ». On trouve souvent dans l’Écriture ce genre de choses.


Il est tout à fait vrai que Melchisédech a présenté du pain et du vin, pour les offrir à Dieu en sacrifice, parce qu’il était le prêtre du Dieu très-haut, et qu’en agissant ainsi, il a représenté la figure de notre sacrifice, par lequel nous offrons à Dieu, sous les espèces du pain et du vin, le corps et le sang du Christ. Cela, tous les anciens l’affirment, grecs ou latins. Comme Clément d’Alexandrie dans le livre 4 de ses stromata, Eusèbe de Césarée dans le livre 5, chapt 3 de sa démonstration évangélique, Épiphane dans hérésie 79, saint Jean Chrysostome dans son homélie 35 sur la Genèse, saint Cyprien au livre 2. épitre 3, saint Ambroise au livre 4, chap 3 des sacrements, saint Jérôme dans son commentaire de Matthieu, chap 26, saint Augustin au livre 17 de la cité de Dieu, chap 17, et Eucherius au livre 2 de la Genèse, chap 18. Ensuite, dans le psaume 109, on dit du Christ : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech », comme l’expose saint Paul aux Hébreux 5 et 7. Et pourquoi le Christ est-il prêtre, et selon l’ordre de Melchisédech, si ce n’est parce qu’il offrit du pain et du vin, c’est-à-dire lui-même, sous les espèces du pain et du vin ?


Le cinquième extrait est celui des Nombres, dernier chapitre, où nous avons : « Tous les hommes prennent pour épouses des femmes de leur tribu et de leur parenté, et toutes les femmes prennent des époux de leurs tribus ». Ce passage ce n’est pas Kemnitius qui le relève, mais Osiandre dans ses annotations, et harmonie des évangiles. Car ce précepte semble être contredit par plusieurs passages de l’Écriture. Car Josabeth, fille du roi Joram de la tribu de Juda a été l’épouse de Jojada, pontife de la tribu de Lévi, 2 parlip 22. Ruth la Moabite fut la femme de Booz de la tribu de Juda (Ruth 4). Michol de la tribu de Benjamin fut la femme de David de la tribu de Juda (1 rois 18). Ajoutons que tous les Hébreux ont juré (Juges, à la fin) de ne donner pour épouses à aucun Hébreu de la tribu de Benjamin des femmes provenant de leurs fils. On peut en conclure que s’il n’y avait pas eu de serment, il aurait été permis de se donner des épouses d’une tribu à l’autre. Et la bienheureuse Marie qui était de la tribu de Juda était cousine d’Elisabeth de la tribu de Lévi (Luc 1).


Cette traduction serait donc contraire au texte hébreu où tout ce que l’on trouve c’est que les femmes qui héritent des biens paternels ne peuvent épouser que des hommes de leurs tribus. Les hommes et les femmes qui n’héritent pas ne sont donc liés par aucune loi. Abulensis dit, en commentant ce passage, que cette loi ne s’applique pas à la tribu de Lévi, ni aux femmes étrangères en cas de nécessité, et qu’on pouvait en accorder la dispense aux princes et aux rois. C’est ainsi qu’il répond aux exemples allégués. Mais personne ne pouvait dispenser d’une loi divine. Et quand David prit Michol pour femme, il n’était pas encore roi, et son mariage avec Michol n’était pas obligatoire au point de justifier la dispense d’une loi divine.


Cano donne une meilleure réponse au livre 2, chap 4, même si son explication n’est pas entièrement satisfaisante. Le sens de la loi, autant dans la vulgate latine que dans le texte hébreu, est le suivant. Quand une femme manque de frères, et est donc héritière, elle ne peut pas épouser un membre de n’importe laquelle tribu; et aucun homme ne peut l’épouser, même s’il le désire, à moins d’être membre de sa tribu. Il y a donc une loi qui régit les hommes et les femmes, mais à cause des biens des femmes. Que cela soit le vrai sens de la loi, la fin de la loi le démontre, car la fin que l’on poursuit est de ne pas mélanger les héritages, et de les empêcher de passer d’une tribu à l’autre. En conséquence, pour obtenir cette fin, il n’était pas nécessaire d’interdire les mariages en dehors de sa propre tribu, mais seulement quand la future épouse était héritière. Et c’est ainsi qu’on satisfait à tous les exemples allégués.


À l’objection voulant que le texte hébreu s’exprime autrement, je réponds que c’est faux. Car la loi qui est donnée aux femmes dans le texte hébreu est claire même en latin. La loi donnée aux hommes, qu’ils prétendent ne pas exister en hébreu, est présente dans le texte en toutes lettres (phrase en hébreu). « Les fils d’Israël conserveront chacun pour soi les possessions de la tribu de leurs pères ». Les adversaires prétendent que « conserver » se rapporte à « possessions », et que le sens est : « ils conserveront les possessions ». Mais il n’en est pas ainsi, car il se réfère à « épouse ». C’est-à-dire : « ils contracteront des mariages, chacun d’entre eux, dans la possession de sa tribu, à savoir en ne passant pas, par le mariage, à la possession des biens d’une autre tribu. Que ce soit cela le sens on le découvre par ce qui suit : « Et toute fille héritant d’une possession s’unira à un homme de sa tribu ». C’est ainsi que comprirent ce passage Eusèbe de Césarée dans le livre 1, chap 6 de son histoire, Épiphane à l’hérésie 78, saint Ambroise au chap 3 de saint Luc, saint Jean Damascène au livre 4, chap 15.


Le sixième se trouve dans Esdras 1, 9, où il est dit que nous avons « sa paix », là ou nous devrions avoir « un étançon ». Je réponds que cela aussi est une erreur des copistes. Car le texte hébreu a « étançon » ou « clou »; et plusieurs codex latins ont « étançon ». Le septième est dans Job 5 : « Appelle pour voir s’il y a quelqu’un qui te réponde, et tourne-toi vers un des saints ». Kemnitius veut que ce lieu soit contaminé, et qu’on ait traduit ainsi pour prouver l’invocation des saints. Je répons qu’il était peut-être ivre quand il écrivit cela, car cette phrase est en hébreu en toutes lettres (phrase en hébreu). Traduite littéralement, cela donne : « Apelle maintenant, s’il y a quelqu’un qui te réponde, et regarde un des saints ». Et si on cherche vraiment quelque chose qui soit exprimé clairement en hébreu, on ne pourra trouver mieux.


Le huitième est dans les Proverbes 16 : « Poids et balance sont les jugements de Dieu. et toutes ses œuvres sont les pierres du siècle ». Mais dans l’hébreu on voit : « les pierres d’un petit sac, ou d’une bourse ». Je réponds que nous avons plusieurs lectures différentes de ce texte, et que la bonne traduction est celle qui donne « petit sac » au lieu de « siècle ». Le mot « siècle » vient d’une erreur de copistes. Le neuvième est le passage de l’Ecclésiaste où il est dit que « personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine ». Kemnitius veut voir une corruption dans ce passage, qui autorise un doute sur la foi dans la rémission des péchés. Calvin avait écrit la même chose dans son institution chap 5, 28.


Je répondrai que notre traducteur a très bien traduit le texte, non littéralement il est vrai, mais en en rendant bien le sens. Voici ce que dit le texte hébreu  (phrase en hébreu) : « l’homme n’est connaissant ni de l’amour ni de la haine, mais de toutes les choses qui sont devant leur face ». Voici le sens que saint Jérôme découvre dans ce passage dans son commentaire de ce verset : « J’ai trouvé que les œuvres des justes sont dans la main de Dieu, mais qu’ils soient aimés par Dieu ou non, ils ne peuvent pas le savoir maintenant. Ils le sauront donc dans le futur, et dans leurs visages toutes choses sont ». Ce qui veut dire : « quand ils sortiront de cette vie, ils en auront la connaissance, car alors ce sera le jugement, maintenant le combat ». Comme il est vrai qu’on ne pouvait pas mieux rendre le sens de cette phrase que par ces mots : « Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, mais toutes les choses incertaines sont réservées pour le futur ».


Mais que quelqu’un n’objecte pas que les impies se savent dignes de haine. Il faut se rappeler que l’Écclésiaste ne parle que des justes, qui, bien que conscients d’aucune faute, ne peuvent pas savoir avec certitude, tant qu’ils vivent sur la terre, s’ils sont justes ou pas. Il s’ensuit donc qu’ils ignorent s’ils sont dignes d’amour ou de haine. Le dixième est de l’Eccles 5 «  du péché expié par un sacrifice propitiatoire ne sois pas sans crainte ». Ce passage Kemnitius veut aussi qu’il soit corrompu, puisqu’il démontre l’incertitude de la rémission des péchés. Je réponds qu’il existent plusieurs lectures de ce texte, comme Corneille Jansenius le démontre. Quelques codex ont : « d’un péché pardonné », d’autres : « de la propitiation », d’autres : « de l’expiation du péché ». Cette dernière traduction semble meilleure parce que plus proche du grec.


Mais ici on se convainc qu’est faux l’enseignement des hérétiques qui ordonne que l’homme se croie sûrement juste, ou qu’il sera juste s’il le croit, car ou le sage parle d’un pardon déjà obtenu (le sens étant le même dans expiation d’un péché ou péché expié), et alors il est faux que l’homme doive être sur de son pardon, comme ils l’enseignent; ou s’il s’agit d’un pardon à obtenir dans le futur, et il est faux, là aussi, que l’homme doive être sûr de l’obtenir. Mais nous parlerons de ces choses en leur lieu.


Le onzième est dans l’Ecclésiastique 16. « La miséricorde fera un lieu à chacun selon le mérite de ses œuvres ». Kemnitius se plaint de ce que nous ayons ajouté le mot mérite qui ne se trouve pas dans le grec, et que nous ayons ainsi corrompu ce texte pour prouver les mérites des bonnes œuvres. Calvin s’en était plaint avant lui, au chapitre 10, 52. Je réponds que dans le grec le mot « mérite » ne se trouve pas, parce que c’est un mot latin, et que les Grecs écrivent en grec. Cependant, il y a quelque chose qui a le même sens et qui s’exprime très justement par le mot mérite. C’est le « kata erga ». Personne qui connaisse la langue grecque un tant soit peu ne pourra nier que kata erga signifie en latin : pour les mérites des œuvres.


La douzième est dans Joël 2 : « excellent sur la malice ». Kemnitius dit que ces mots ne signifient rien, et qu’on les chante dans notre église sans les comprendre. Je réponds. Saint Jérôme a donné une explication de ce texte. Que Kemnitius supporte patiemment que nous fassions passer l’interprétation de saint Jérôme avant la sienne. Il dit que « praestabilis surper malitia » signifie : « excellent en ayant pitié, et en pardonnant la peine », ce qui convient proprement à Dieu. C’est la même chose que : « se repentant sur la malice », ce qui est une traduction littérale de l’hébreu. Cette traduction pourrait ne pas être mauvaise si on pense à : « excellent sur la malice », au sens de : meilleur que la malice, par laquelle il ne peut pas être vaincu. Cela est très vrai car aucune monstruosité ou aucune quantité de péchés ne peut jamais l’emporter sur la bonté infinie de Dieu.


Le treizième est de Michée, 5, où nous lisons : « Et toi, Bethléem Ephrata, tu es petit parmi les milliers de Juda, de toi me sortira celui qui sera le dominateur en Israël. » Osiandre veut que ce texte soit corrompu, dans ses annotations à l’harmonie des évangiles. On doit corriger ce passage comme suit, selon lui : « Petit, il importe peu que tu sois dans les milliers de Juda ». Car il dit que le traducteur incompétent ne s’est pas rendu compte que les Hébreux n’aient pas de genre neutre, et qu’à sa place, ils mettent un masculin ou un féminin. En conséquence, bien que le mot hébreux (qu’il cite) soit du genre masculin, on doit le traduire en latin par un mot neutre, non masculin : « peu », et non « petit ». Et il pense le prouver en disant que ce qui suit (de toi me sortira) ne concorde parfaitement avec ce qui précède, qu’à moins de dire : « peu ». Je réponds que notre traducteur a bien traduit. Car le texte grec et le texte chaldéen proposent une traduction semblable. C’est aussi la lecture de saint Jérôme qu’il présente dans ses commentaires. Et ce qui est plus important, saint Matthieu, au chapitre 2, a traduit « tu es petite », et non « il est peu ». Et s’il est vrai que les Hébreux emploient les genres masculin et féminin à la place du neutre, ils ne le font pas toujours. À la raison qu’il a donnée, je réponds que ce qui suit concorde parfaitement avec ce qui précède, si on lit ce qui précède sous une forme interrogative, comme le fait saint Matthieu. Et il a traduit avec la négation : « Tu n’es pas la plus petite », parce qu’il avait lu « tu es petite ». On pourrait répondre encore mieux. Saint Matthieu ne traduit pas les mots, mais le sens. Car Bethléem était une petite cité quant à la petitesse de ses murailles et du nombre de ses habitants, comme le dit le Prophète. Cela l’évangéliste ne le nie pas. Mais elle était une très grande ville par le privilège de la nativité du Christ. C’est ce que laisse entendre le prophète quand il dit : « De toi me sortira celui qui régira mon peuple Israël. Et c’est cette grandeur que regarde l’évangéliste quand il ajoute le « car ». « Car, de toi me sortira ». Mais cette interrogation : « es-tu petite », on ne la trouve dans un aucun codex, ni grec, ni latin, ni hébreu.



CHAPITRE 13 La défense des psaumes qui, selon Calvin, ont été mal traduits.


Venons-en maintenant aux textes que, dans son antidote au concile de Trente, Calvin a déclarés viciés et corrompus. Même si Guillaume Lindanus, dans son livre de la meilleure façon de traduire, a réfuté judicieusement ses accusations, il ne semble pas inutile de voir les calomnies des hérétiques dénoncées par plusieurs.


Voici donc le premier texte : « Apprenez la discipline » (psaume 2). Calvin prétend que le traducteur a vicié ce texte en le traduisant ainsi, puisque le texte hébreu donne : « embrassez le Fils ». Cette erreur ne peut pas venir des copistes, parce que ces deux mots n’ont aucune lettre en commun. Je réponds que le texte hébreu dit bien : « embrassez ou adorez le fils », mais que le sens de ce verset a été bien rendu par : « apprenez la discipline ». Car c’est ainsi qu’il est traduit en grec, et en chaldéen. Et c’est ainsi que le lurent tous les anciens pères grecs ou latins. Car, il faut observer que, quand on dit « embrassez le fils », le sens en est : « reconnaissez que le Fils de Dieu est le vrai Roi et le vrai Messie, en lui baisant la main, comme marque d’honneur ». C’est ce qu’a expliqué saint Jérôme dans son livre 1 contre Ruffin. Et voilà pourquoi on peut aussi traduire : adorez le Fils. Mais reconnaître que le Fils est Roi et Messie nous ne le pouvons pas sans la foi et sans accepter sa doctrine. Et qu’est-ce d’autre « apprenez la discipline » si ce n’est « recevez la doctrine du Fils de Dieu ?



Le second texte (psaume 4). « Fils d’hommes, jusques à quand serez-vous d’un cœur lourd ? » Calvin trouve en faute ce texte parce que, en hébreu, on ne trouve rien de semblable, mais plutôt : « ma gloire pour l’ignominie ». Je réponds qu’il est très vraisemblable que le texte hébreu ait été corrompu par la faute des copistes, car en changeant les points (lettres hébraïques), on obtient « cœurs lourds ». Et c’est ainsi que l’on lu les septante, que tous les pères grecs et latins ont suivi, à l’exception de saint Jérôme, qui, lisant autrement, traduit autrement : « mes glorieux ». Le sens demeure, pourtant, toujours le même. Et cela suffit pour la vérité de la traduction. Dieu, en ce lieu, se plaint des hommes, qui après avoir négligé les choses éternelles, aiment les temporelles. Et, en conséquence, selon la traduction grecque et latine, il les appelle « lourds de cœur », parce qu’ils sont tels par leur vices propres. Selon le texte hébreu, comme nous l’avons maintenant, Dieu appelle sa gloire ses élus, parce qu’ils sont tels par le bienfait de Dieu, si nous considérons en eux l’image céleste, non leurs vices propres. Ensuite ce mot hébreu (mot hébreu) peut être un participe passif du verbe ou un nom verbal.


Le troisième se trouve dans le psaume 31. « Je me suis changé en misère, pendant que perce l’épine ». Calvin fait aussi des reproches à cette traduction, parce que, en hébreu, il y a d’autres mots et un autre sens : « mon suc est sans humeur, et ma vigueur est changée en sécheresses estivales ». Le sens de notre traduction est : Je me suis tourné vers la pénitence au temps de la misère et de l’affliction, pendant que l’épine de la calamité a commencé à me piquer ». Le sens de la vérité hébraïque est : « tous mes biens ont péri, comme la vigueur et l’humeur dépérissent et s’assèchent, l’été, par l’ardeur du soleil ».


Je réponds qu’on ne peut pas blâmer notre traducteur pour ce passage, car il n’a pas traduit de l’hébreu, mais du grec au latin. Le texte grec, en effet, correspond parfaitement bien avec notre texte. Il semble que les septante aient lu un autre texte que le nôtre. Il a donc pu y avoir une erreur de copistes en hébreu. Car, il suffit de faire quelques petits changement en hébreu pour aboutir à notre traduction (il en fait la démonstration avec des mots hébreux). Quand nous voyons que, en latin, une erreur des copistes a facilement pu se glisser à cause de la ressemblance des lettres, pourquoi, dans les mêmes circonstances, ne devrions-nous pas attribuer une erreur aux copistes hébreux ?


Le quatrième est dans le même psaume : « serre avec un mors les mâchoires de ceux qui ne s’approchent pas de toi ». Calvin voudrait qu’on soit obligé de lire : « qu’ils n’approchent pas de toi avec leur mors qui serrent ». Je réponds que, dans ce cas-ci, grande est son impudence, car les septante, saint Jérôme dans sa lettre à Sophrone, et tous les Pères ont toujours lu ainsi. Et il est facile de montrer que les mots hébreux ont le même sens. Le cinquième est le psaume 37 : « parce que mes reins sont remplis d’illusions ». Et qu’est-ce que nous comprenons, demande Calvin, par des reins remplis d’illusions ? Je réponds que le mot hébreu signifie de l’ignominie et de l’ardeur. Voilà pourquoi David parle de cette ardeur de la libido qui, pendant tout le temps qu’elle existe dans le corps, fait naître des illusions dans l’esprit. Le traducteur grec, que le chaldéen et le latin ont suivi, a pris l’effet pour la cause, ce qui n’est ni nouveau ni surprenant.


Le sixième est dans le psaume 67 : « qui fait habiter dans sa maison des gens d’une seule manière de vivre. » Calvin voudrait qu’on doive lire : « qui fait habiter les uniques dans sa maison », c’est-à-dire qui enrichit d’une famille les stériles et les solitaires. Je réponds que les mots hébreux peuvent recevoir plusieurs sens qui sont tous vrais. Un premier sens est : « qui dans sa maison, qui est l’Église, fait habiter des hommes d’une seule manière de vivre, c’est-à-dire d’une seule foi, d’une seule espérance, d’une seule volonté, comme le racontent les actes : « le cœur de la multitude des chrétiens était une seule chose et une seule âme ». Car, ceux qui sont d’une foi diverse, ou d’une volonté différente, comme les hérétiques et les schismatiques ne peuvent pas demeurer dans l’Église, mais ou ils sortent d’eux-mêmes, ou ils en sont expulsés. C’est ce sens qu’ont exprimé les septante, et le traducteur latin, ainsi que presque tous les pères grecs et latins. Ce sens ne s’éloigne pas non plus du texte hébreu, car (mot hébreu) vient du verbe (mot hébreu) qui signifie unir. Et de là « uni », ou « un composé de plusieurs choses ». Et parce qu’il signifie aussi unique et solitaire, l’autre sens est également vrai : « qui fait que les hommes abandonnés et solitaires, qui n’ont rien pour se défendre, habitent quand même en sécurité dans leurs maisons, l’aide divin les protégeant ». C’est ce que semble avoir compris saint Jérôme qui traduisit « solitaires ». Le troisième sens est également vrai, sans détruire les autres : « qui fait habiter dans la maison les gens seuls, c’est-à-dire les stériles ou les solitaires », c’est-à-dire, posséder une grande famille.


N’est pas absurde non plus la compréhension de ceux qui traduisent : « il fait habiter les solitaires dans la maison », c’est-à-dire : « il fait en sorte que quelques-uns, par amour de la contemplation céleste rejettent la société, et se dirigent vers des lieux déserts, et y habitent seuls. », comme autrefois Élie, saint Jean Baptiste, saint Paul, saint Antoine, saint Hilarion, et tant d’autres. Le septième se trouve dans le même psaume : « qui habitent dans des sépulcres ». Calvin prétend qu’il faille traduire : « dans un lieu aride ». On ne peut nier que le mot hébreu désigne un lieu aride et desséché. Mais on ne peut pas penser que le traducteur ait pu ignorer cela, alors qu’il s’agit d’un mot très connu. Le traducteur a donc cherché à exprimer l’horreur du désert d’où Dieu a tiré son peuple, en disant qu’il semblait être semblable à un sépulcre. Nous voyons un Ezéchiel lui-même se servir de ce mot, quand il appela la captivité babylonienne un sépulcre.


Le huitième se trouve dans le même psaume, où il est dit : « Dieu donnera aux évangélisateurs une parole avec une grande force, Le roi des vertus divise les dépouilles du bien-aimé. Si vous dormez entre les clercs, les plumes de colombe argentées, et sa queue et de la couleur d’ivoire ». Calvin blâme ce passage plus que tous les autres. Il dit que le traducteur a transformé le texte clair de David en énigmes qu’aucun Œdipe ne pourrait résoudre. Il veut, lui, qu’on lise : « Les rois des armées ont fui, ont fui, et les habitantes de la maison se sont partagées les dépouilles. Si vous avez dormi au milieu de marmites, vous serez comme les ailes de la colombe, qui est recouverte d’argent, et dont les plumes sont de couleur d’or ». Je réponds qu’on ne peut reprocher au traducteur latin d’avoir fidèlement rendu en latin ce qu’il avait trouvé en grec. Et bien que, dans la langue latine, ce passage soit très obscur, il l’est également dans le grec, et même dans la traduction que propose Calvin.


J’ajoute qu’on peut facilement rapprocher le texte hébreu du nôtre. Car thesebaoth signifie « les rois des vertus », comme le hébreu (mot hébreu) signifie « roi de justice ». Et le mot hébreu qui signifie « ils fuient », les septante, après avoir changé une lettre, l’ont entendu au sens de « aimé, ou choisi ». Nous avons ce mot dans le titre du psaume 44 où il signifie : « le cantique du bien-aimé ». Ce mot hébreu (mot hébreu) signifie habitantes d’une maison, et non habitante, comme le traduit faussement Calvin. Il signifie en fait une femme belle et délicate qui demeure presque toujours dans sa maison. Et voilà pourquoi, dans la traduction, nous trouvons les mots beauté et charme. Car, saint Jérôme, en cet endroit, a traduit « beauté’, ainsi qu’il l’a fait ailleurs. Ensuite, le mot hébreu ne signifie pas marmites, comme le pense Calvin, car il est d’un chiffre double, et il signifie donc, pour cette raison, quelque chose de double, car c’est ainsi que sont employés ces chiffres doubles en hébreu. Les marmites existent en grand nombre. Ce mot signifie deux lèvres, deux termes ou deux ordres. Car le mot hébreu qu’il cite signifie mettre de l’ordre. Saint Jérôme traduit ici : « entre des termes », et les septante : « entre des clercs », c’est-à-dire des sorts, des héritages, comme si on disait : « entre les termes de deux sorts ». La lecture que nous avons n’est donc pas étrangère au texte hébreu.


Le sens des autres mots, comme on le tire de saint Augustin et des autres Pères est tel : le Seigneur donnera la parole aux évangélisateurs avec une grande force, c’est-à-dire que le Seigneur donnera aux prédicateurs de l’Évangile la parole et une sagesse à laquelle ne pourront résister et que ne pourront contredire leurs adversaires.  Car ce qu’ils diront, ils le confirmeront par des miracles et des prodiges. Le roi des vertus, de l’aimé, de l’aimé, ce Seigneur que nous appelons le roi des vertus est le roi très puissant, le Seigneur des nombreuses armées de milliers d’anges, et en même temps le père de l’aimé, envoyées à son bien-aimé, Il donnera aussi de diviser les dépouilles de la belle maison, c’est-à-dire qu’il donnera aux prédicateurs de diviser les dépouilles des Gentils qui se convertiront au Christ, dans la beauté de sa maison qui est l’Église. Ce mot beauté est au datif, speciei, et a la même signification que l’accusatif :ad speciem. Si vous dormez au milieu des clercs, c’est-à-dire, si vous, o prédicateurs et pasteurs d’église, demeurez entre deux sorts, deux héritages, le céleste et le terrestre, de façon à ce que, tant que vous vivrez, vous ne soyez pas complètement accaparés par les choses temporelles, ni par l’action, ni non plus par la contemplation, mais dans un juste milieu, alors l’Église sera comme une colombe très belle, ayant des ailes argentées et le dos doré.


Le neuvième se trouve au même endroit. Voici : « pourquoi soupçonnez-vous les montagnes conjointes ? » Calvin veut que l’on lise : « pourquoi enviez-vous les montagnes fertiles ? » Mais comme ce mot hébreu ne se trouve pas uniquement dans ce passage, et qu’il peut revêtir plusieurs sens, il y a autant de traductions de ce mot que de traducteurs. Pourquoi, je le demande, devrions-nous suivre le sens de Campensis plutôt celui des Septante ? Calvin n’a certainement pas pu confirmer cette traduction de Campensis par d’autres passages similaires. Donc, comme il est nécessaire de s’en tenir au jugement des traducteurs, qui ne voit qu’il faille donner la préséance à la traduction des septante, si l’on considère surtout qu’elle a été approuvée par un si long usage de l’Église ?


Le dixième est au même endroit : « Car ne croyant pas que le Seigneur Dieu habite à l’intérieur ». Mais Calvin dit qu’on doit lire : « Et ceux qui contredisent que Dieu habite à l’intérieur ». Le désir de contredire est manifestement trop grand chez lui, puisque, de toute évidence, le sens est le même. Et les mots de la vulgate sont même meilleurs, car c’est de l’hébreu qu’ils ont été traduits par saint Jérôme. Le onzième est au même endroit : « Je me tournerai vers les profondeurs de la mer ». Mais Calvin enseigne que l’hébreu donne juste le contraire : « je retournerai des profondeurs de la mer ». D’abord, on peut traduire correctement le mot hébreu par « vers les profondeurs ». C’est R. David qui l’affirme en montrant qu’une lettre est prise pour une autre. Ensuite, les traductions grecques et latines sont très différentes les unes des autres. Là où certains lisent « vers », d’autres lisent « dans ». Cette dernière traduction semble plus vraie, car elle concorde assez bien avec le texte hébreu. Car qu’est-ce autre «je me tournerai vers les profondeurs de la mer » que « ceux qui sont dans les profondeurs de la mer, je les en retirerai, et je l’ai convertirai ? » C’est ainsi que Bède le vénérable, saint Augustin. Euthimus et beaucoup d’autres l’ont présenté.


Le douzième est aussi dans le même psaume : « Là Benjamin, dans un excès de son esprit ». Calvin se demande à quoi pouvait bien penser le traducteur pour traduire ainsi puisque le texte hébreu donne : « leur dominateur ». Je réponds que ce mot peut signifier « leur dominateur » du verbe (mot hébreu), et aussi « dormant profondément », du verbe (mot hébreu). Les traducteurs grec et latin ont traduit de la dernière façon, mais chaque traduction est vraie, et aucune ne détruit l’autre. Par Benjamin, les commentateurs catholiques, à la suite de saint Augustin, entendent l’apôtre saint Paul, qui fut dans une élévation de l’esprit si profondément endormi qu’il ne savait pas s’il était avec son corps; et il fut le premier maître, ou le prince spirituel de l’Église des Gentils.


Le treizième est dans le psaume 131 : « je bénirai en bénissant sa veuve ». Calvin et Kemnitius considèrent que ce verset a été corrompu, puisque dans l’hébreu on lit : « son vainvu ». Il pense qu’on a confondu « d’ pour « c,t ». et qu’après avoir ajouté la lettre a, on trouvé le mot « veuve ». Cette erreur, prétend-il, était si subtile que personne n’a pu sans rendre compte. Je réponds que Calvin profère deux mensonges en cet endroit. D’abord quand il dit que personne n’a pu voir la différence entre les lettres, car l’ont notée cette différence saint Jean Chrysostome, saint Hilaire, et saint Jérôme dans la Genèse. Et même plusieurs commentateurs modernes, comme Cajetan, Titelmanus, et d’autres. Ensuite, quand il dit que c’est un regard myope qui a corrompu ce passage, car c’est dans le grec que se trouve cette diversité de sens, non dans le latin. Dans presque tous les codex grecs se trouve le mot « veuve », et c’est ce qu’on lu saint Ambroise, saint Augustin, saint Hilaire, saint Jean Chrysostome, Prosper, Cassiodore et les autres. Je dis donc que si erreur il y a, c’est dans le grec qu’elle se trouve, là où xeran et terran ne diffèrent que pas une lettre. Il a donc facilement pu arriver que des copistes aient mis une lettre à la place de l’autre. Car, même aujourd’hui, certains codex grecs ont encore Xeran, et saint Jérôme, dans son psautier, a traduit « chasse ». Et c’est ce sens qu’expliquent saint Jean Chrysostome et Théodoret dans leurs commentaires des psaumes.


Puisque le sens est presque identique, et que les églises latine et grecque ont toujours lu et chanté « veuve », je ne crois pas qu’il faille modifier la traduction de ce passage. Car saint Jérôme nous avertit sagement (dans sa lettre à Sunia et Estrella) que les choses qui, dans le texte latin, ne semblent pas correspondre au texte hébreu, doivent être notées et expliquées par les doctes, mais qu’il ne faut pas pour cela modifier des textes qui ont été en usage pendant tant de siècles, et qui ont conquis une telle autorité. Ce conseil Calvin ne l’a pas du tout suivi, lui qui a tout modifié et changé, au point d’en faire presque un nouveau psautier.


Il semblerait bon, à la fin, de faire nôtres les paroles de Conrad Pellicani, adepte de Zwingli, pour pouvoir vraiment dire de notre traduction ce que Moise disait du Dieu vrai : ce n’est pas notre traduction, comme leurs traductions à eux, et nos ennemis en sont les juges. Car celui qui a édité deux fois le psautier traduit par lui à partir de la vérité hébraïque, rend ce témoignage à notre psautier dans sa préface, en l’année 1534. « Nous découvrons dans la traduction vulgate du psautier tant de dextérité, tant d’érudition, tant de fidélité, tant de ressemblance avec le texte originel, que nous ne doutons pas que le traducteur ait été un homme très érudit, et très pieux, et vraiment doté d’un esprit prophétique. Même si elle diffère parfois sur certains points avec les codex en usage chez les Hébreux, lesquels ont pu être différents autrefois, car il suffit de changer quelques lettres ou quelques points pour en modifier le sens ». Cela devrait suffire pour l’ancien testament.



17 mars 2017 à 17:53

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24 mars 2017 à 17:56


CHAPITRE 14 La défense de textes du nouveau testament que les hérétiques jugent corrompus


Dans le nouveau testament aussi Calvin et Kemnitius ont signalé des textes qu’ils estiment corrompus. Le premier passage est de Matthieu 9 : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs ». Cette belle phrase a été, selon Kemnitius, mutilée en latin, car le mot « pénitence » fait défaut. Je réponds qu’on trouve ce mot dans certains codex latins; qu’il est probable que ce mot soit superflu en grec, car on ne le rencontre pas dans les codex corrigés. Saint Jérôme, en effet, ne le lit pas dans son commentaire; et pourtant c’est consciencieusement qu’il a traduit du grec au latin, et qu’il a corrigé le latin à partir du grec. Que ce mot ne soit pas nécessaire, cela saute aux yeux, car appeler les pécheurs et non les justes, cela signifie clairement que sont appelés à la pénitence ceux qui en ont besoin, et non ceux qui n’en ont pas besoin. Ce que Jésus avait illustré peu avant par l’exemple du médecin.


Le second passage est de saint Jean 14 : « Le Saint-Esprit vous suggèrera tout ce que je vous aurai dit ». Ce passage, Kemnitius veut qu’il ait été déformé pour prouver que tout ce qui est défini dans les conciles doit être reçu comme des oracles du Saint Esprit. Car en grec, nous n’avons pas « je dirai » mais « j’ai dit ». Je réponds que saint Augustin et les autres anciens l’ont lu comme nous le lisons, et que le sens est le même en grec. Car nous n’entendons pas la phrase au sens de : « le Saint Esprit vous suggèrera tout ce que je vous dirai alors », mais « ce que je vous dis maintenant ». C’est-à-dire : les choses que vous entendez maintenant et que vous ne comprenez pas, le Saint Esprit vous les rappellera alors et vous les expliquera. Ce n’est pas sur ce passage que les catholiques fondent l’autorité des conciles, mais sur d’autres, dont nous parlerons plus tard.



Le troisième, dans l’épitre aux Romains 1 : « qui est prédestiné Fils de Dieu ». Calvin blâme la traduction de ce passage. Car le grec a le mot opithentos, qui signifie déclaré ou manifesté. Il blâme aussi le choix du mot car sont prédestinées les choses qui ne sont pas. Or le Christ a toujours été le Fils de Dieu. Origène avait fait lui-même ce genre d’objection. Je réponds que notre traduction rend parfaitement le sens. Car même si le mot grec opizein signifie finir, et reçoit souvent le sens de « déclarer » par les auteurs profanes, il a, cependant, dans les saintes Écritures une autre signification. Comme l’enseigne Denys l’aréopagite dans son livre des noms divins, chapitre 5, ce mot appartient en propre à la théologie, c’est-à-dire qu’il a dans l’écriture un sens particulier. Car, partout il signifie statuer, décerner, définir, et jamais déclarer, comme on le voit clairement par les actes des apôtres 2, 4, 27, par Rom 8, Eph 1, et ailleurs. Car, quand on dit dans les actes des apôtres : « celui-là, conformément à un dessein déterminé, et à la préscience de Dieu, vous l’avez tué après l’avoir livré », nous l’avons ce mot grec, mais il est pourtant clair qu’il ne signifie pas « déclaration » mais une « destination » divine. La même chose aux Romains 8 : « ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés ». Nous retrouvons ici encore le même mot, que nos adversaires eux-mêmes ne voudront pas traduire par «déclarer ».


Et comme la destination et la détermination de Dieu ne peut être temporelle, mais éternelle, notre traducteur, se rendant bien compte que l’auteur parlait d’une destination éternelle, a préféré traduire par prédestiné plutôt que destiné. Et c’est ainsi que lisent tous les latins, même les plus anciens, comme saint Irénée, livre 3, chap 32, contre Valentin, saint Hilaire livre 7 de la Trinité, saint Ambroise, Sedulius, et d’autres. Saint Augustin, dans son livre sur la prédestination chap 15, et dans Jean trat 105. Tertullien dans son livre contre Praxeas lit « défini », ce qui est la même chose que ce que nous avons. Ajoutons le concile de Tolède X1, chap 1, qui lit et explique « prédestiné ». Ce raisonnement de Calvin n’apporte aucune eau au moulin. Car nous ne disons pas qu’il a été prédestiné pour que le Verbe de Dieu éternel commence à être fils de Dieu, mais pour qu’il devienne homme, pour que celui qui a été fait par Dieu de la semence de David, comme parle saint Paul, soit Fils de Dieu. Saint Augustin et le concile de Tolède expliquent cela magnifiquement.


Le quatrième passage est tiré des Romains 1, en fin de chapitre. « Bien qu’ayant connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris que ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort, non seulement ceux qui font, mais ceux qui consentent à ce que les autres font. » Ce n’est pas seulement Kemnitius qui veut que ce passage soit corrompu, mais Valla, Érasme, Jacob Faber. D’abord parce que le grec a (le texte grec au complet). Donc, dans notre codex auraient été ajoutés les mots « ne comprirent pas », et ensuite « qui », lorsqu’on dit « ceux qui font ces choses, et qui y consentent ». En second lieu, parce que saint Jean Chrysostome, Oecumenius, Théophylactus expliquent le texte comme il se trouve dans le grec. Troisièmement ce que nous avons dans notre texte semble faux, ou peu vraisemblable. Notre texte dit : « Ceux qui ont connu la justice de Dieu n’ont pas compris que ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort ». Car s’ils n’ont pas compris cela, comment ont-ils connu la justice de Dieu ? Qu’est-ce donc la justice Dieu sinon la punition de ceux qui agissent mal ?


Je réponds que notre lecture est de tout point la meilleure. Car, le sens du grec est : «  consentir à une mauvaise action est pire que mal agir ». Le texte latin donne un sens contraire : « il est pire de mal agir que de consentir au mal ». Et il est certain qu’il est pire de mal agir que de consentir au mal. Car qui nie qu’il est pire de tuer quelqu’un que de consentir à sa mort, c’est-à-dire de permettre quand on peut empêcher. Car l’apôtre ne parle pas ici d’un ordre ou d’une incitation à commettre le mal, mais du simple consentement. Je réponds donc à la première objection. Nous ne pouvons rien tirer de certain ici de la source grecque, car les différentes traductions grecques sont divergentes. Origène lit autrement que saint Jean Chrysostome, comme leurs commentaires le révèlent. Oecuménius lui-même reconnait dans ses annotations que d’autres ont lu autrement ce que nous lisons maintenant. Titalmanus dans son commentaire à la lettre aux romains affirme avoir lu dans un ancien manuscrit grec : « ils ne comprirent pas ».


A la seconde objection opposons les auteurs les uns aux autres. Car lisent et expliquent comme nous saint Cyprien, livre 1, saint Ambroise, Sedulius Haymo, Anselme, et d’autres auteurs latins comme Hesychius livre 6 dans le Lévitique, en expliquant le chapitre 20, et le pape Symmachus dans son apolgie contre l’empereur Anastase. Je dis en troisième lieu que c’est plutôt ce qu’on lit en grec qui a des chances d’être faux. Et la phrase « ayant connu la justice de Dieu » ne s’oppose pas à « ils ne comprirent pas ». Car, quand on dit « ayant connu », on parle d’une connaissance théorique, et quand on dit qu’ils ne comprirent pas, on parle d’une connaissance pratique. Le sens est donc le suivant. Bien qu’ils aient connu la vérité, ayant été aveuglés par des affections dépravées, ils n’ont pas pu se persuader sérieusement d’agir ainsi. On pourrait aussi dire que le ils-ne-comprirent-pas ne se rapporte pas au ceux-qui-agissent-ainsi, mais à ceux qui consentent aux mauvaises actions. C’est bien cela le sens. Ces philosophes païens, après avoir connu qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, que c’était donc un mal d’adorer Jupiter ou Mars et les autres faux dieux, ne comprirent pas non seulement que c’était un mal ce que les foules faisaient, mais que c’était aussi un mal de consentir à ce qu’elles faisaient, de ne pas les admonester, les réprimander. Mais les philosophes eux-mêmes faisaient ce que faisait la foule.


Le cinquième texte se trouve dans l’épitre aux Romains, 4 où il est dit qu’Abraham n’a pas été justifié par les œuvres. Kemnitius déplore que nous ayons ajouté « de la loi », pour pouvoir entendre le mot œuvres au sens de cérémonies. Je réponds que c’est une calomnie pure, car la plus grande partie des codex latins n’ont pas ce mot « loi ». Nous n’entendons pas non plus ce passage au sens des œuvres de la loi, mais des œuvres faites avec ses forces propres. Ajoutons que saint Ambroise a le mot lois, et le commente. Les papistes n’ont donc pas corrompu ce texte, comme le dit faussement Kemnitius. Mais nous traiterons de cela plus tard.


Le sixième, aux Romains 11 : « Si c’est la grâce, ce n’est donc pas des œuvres, autrement la grâce n’est pas la grâce ». Kemnitius, en une autre calomnie, nous accuse de ne pas avoir traduit la phrase au complet : « Si c’est des œuvres, ce n’est plus de la grâce, et l’œuvre n’est déjà plus une œuvre ». Je réponds que cette phrase est dans le grec, mais seul Théophylacte l’a commentée. Les autres ne la connaissent pas. Car ni Origène, ni saint Jean Chrysostome, ni saint Ambroise, ni personne d’autre ne se souvient de ce passage. Ni même saint Augustin qui commente souvent ce passage au livre cité et dans le bien de la persévérance, livre 18. Bien plus, Érasme lui-même rejette cette addition comme superflue. Cela devrait suffire à un Kemnitius qui, à la même page, nous renvoie à Érasme pour que nous apprenions de lui les erreurs de la vulgate.


Le septième, aux Éphésiens 5 : « ce sacrement est grand ». Kemnitius nous accuse d’avoir mis sacrement à la place de mystère pour pouvoir prouver que le mariage est un sacrement. Je répons que ce qui se dit mystère en grec et sacrement en latin est la même chose. Car les grecs emploient toujours le mot mystère quand ils parlent des sacrements. Et en expliquant ce passage des apôtres, les saints Pères (Ambroise, Jérôme et les auteurs latins) ont toujours employé ce mot.


Le huitième texte est celui des Ephésiens 6 : « Recevez l’armature de Dieu pour pouvoir résister au jour mauvais, et demeurer parfaits en toute chose ». Kemnitius veut que ce passage soit corrompu, car on lit en grec : « en toutes choses parfaites ». Et c’est ainsi que l’expliquent saint Ambroise, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome et d’autres. Je réponds que le sens est le même, mais il faut joindre le mot « parfaits » au mot « tous », et non au mot « demeurer ». Le sens de l’Apôtre est : que nous nous armions de toute part avec des armes spirituelles, pour que, ainsi armés, nous pussions, dans la lutte contre le diable, ne pas tomber, mais demeurer fermes. Il dit donc : recevez l’armature de Dieu, (en grec panoplian), c’est-à-dire toutes les armes, la lance, le bouclier, l’épée, pour que, parfaits en toutes choses, c’est-à-dire munis et armés de toute part, c’est-à-dire fortifiés et perfectionnés par les vertus, vous puissiez résister au démon. Ou bien, car c’est la même chose, pour que, tous étant parfaits, c’est-à-dire, quand vous vous serez procurés toutes les armes, et vous vous en serez revêtus, vous puissiez alors rester debout etc.


Le neuvième est aux Hébreux 9 : « Pour retirerles péchés de plusieurs ». Kemnitius déplore qu’on ait mal traduit le verbe grec , car annegkein ne signifie pas retirer, mais enlever. Je réponds que le sens est le même. De plus, il semble que le traducteur ait bien rendu le mot grec, anafero par apporter en haut, retirer, ramener. Car, quand on retire de la lie, de l’eau ou des choses précieuses, on dit que les déchets ont été rejetés, la même chose vaut pour les péchés quand le Christ les apporte et les soulève des profondeurs de notre cœur. On a raison de dire qu’il les vide en puisant.


Le dixième est dans les Hébreux 13 : « Dieu méritait de telles hosties ». Kemnitius prétend que nous avons ajouté le mot mérite qui n’existe pas dans le grec. Je réponds que le verbe employé par les Grecs signifie : « se délecter », comme Érasme le traduit : « plaisent à Dieu ». Personne n’ignore qu’en latin on dit de quelqu’un qu’il a bien mérité de celui à qui il a fait une chose qui lui est agréable. C’est ce que dit notre traducteur : Dieu méritait de telles hosties, c’est-à-dire que par ces hosties on a fait une chose qui est agréable à Dieu, et il a bien mérité de Dieu celui qui les lui a offertes. Le traducteur utilise le mot mériter au sens passif.


La onzième est de saint Jacques 5 : « et Dieu le soulagera ». Kemnitiius dit qu’on a mal rendu le mot egerei, et qu’on a corrompu à dessein ce passage pour confirmer l’effet du sacrement de confirmation, alors que le mot grec ne signifie en rien cela. Je répondrai que Kemnitius ne sait pas de quoi il parle, car le mot grec exprime mieux l’effet de l’extrême onction que reconnaissent les catholiques dans ce sacrement, que ne fait le mot latin. Car les catholiques attribuent trois effets à ce sacrement. Le premier, et le principal, qui est commun aux autres sacrements, est de remettre les péchés, s’il en reste. L’autre effet propre de ce sacrement est d’enlever la torpeur et de donner la sérénité à l’homme oppressé par la tristesse et les douleurs, à l’article de la mort. Et le troisième est de le guérir corporellement. Ces trois effets, du plus petit au plus grand, saint Jacques les présente clairement dans ces paroles : « Si quelqu’un de vous est malade, qu’il fasse venir les prêtres de l’Église, pour qu’ils prient sur lui, l’oignant avec de l’huile au nom du Seigneur, et le Seigneur le soulagera, et s’il a des péchés, ils lui seront remis ». Le deuxième effet de ce sacrement, le soulagement du moribond souffrant, déprimé et tenté, est exprimé en toutes lettres par le mot grec egeiro.


Le douzième est de 1 Jean 5 : Je vous écris cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez dans le nom du Fils de Dieu ». Kemnitius prétend que cette phrase a été mutilée, car le grec dit : « Je vous écris ces choses à vous qui croyez dans le nom du Fils de Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, et pour que vous croyez dans le nom du Fils de Dieu ». Je réponds que le codex latin n’a pas été mutilé, mais que c’est le grec qui est redondant, comme l’a soupçonné Érasme, au jugement duquel Kemtiniuts rend souvent hommage. Car, après avoir écrit : Je vous écris cela à vous qui croyez dans le nom du Fils de Dieu, comment pourrait-il ajouter : pour que vous croyez dans le nom du Fils de Dieu ? Quel besoin y avait-il de leur demander de faire ce qu’ils faisaient déjà ? Ajoutons que Bède lui-même le vénérable le lit ainsi.



CHAPITRE 15 Les éditions en langue vernaculaire


Il y a un débat ouvert entre catholiques et hérétiques au sujet des traductions. Est-ce qu’il faut, ou du moins est-ce qu’il convient que l’usage ordinaire des Écritures se fasse en langue vernaculaire, dans la langue propre à chaque région. Les hérétiques de notre temps sont tous d’accord entre eux pour permettre à tous la lecture individuelle des Écritures, de la traduire dans leur langue, et d’utiliser ces traductions à l’église, à la messe, pour les chants et les lectures publiques. C’est ce que Brentius enseigne dans la confession de Wirtemberg, au chapitre des hor. Calvin dans le livre 3, cahp 20, 33 de ses institutions, Kemnitius dans l’examen de la quatrième session du concile de Trente. Tous les autres déclarent la même chose, Un bon nombre d’entre eux traduisent les Écritures en langue allemande, française, anglaise, et lisent en public les Écritures dans ces langues, et chantent des cantiques dans ces mêmes langues.


L’Église du Christ n’interdit pas absolument les traductions en langue vernaculaire, comme le dit en mentant impudemment Kemnitius, car dans l’index des livres prohibés édité (4) par le pape Pie 1V, nous voyons qu’est permise la lecture de ces sortes de livres à ceux qui peuvent les lire utilement et avec fruit, c’est-à-dire qui en ont obtenu la permission de l’Ordinaire du lieu. Ce que l’Église n’accorde pas c’est l’autorisation donnée à tous indistinctement de lire ces livres, et leur utilisation publique habituelle, comme l’enseigne le concile de Trente, session 22, chap 8. Et, au canon 9, on lit : « contentons-nous des trois langues que le Seigneur a honorées, en les utilisant pour indiquer le motif de sa condamnation; celles qui, du consentement de tous, l’emportent sur toutes les autres par l’antiquité, la noblesse et le sérieux, c’est-à-dire, celles dans lesquelles ont été écrites au tout début les Écritures, l’hébraïque, la grecque et la latine. » Voici ce qu’en dit saint Hilaire dans sa préface : « C’est principalement en ces trois langues que le sacrement de la volonté de Dieu et l’attente du bienheureux règne ont été prêchés. Et c’est ce que fit Pilate quand il écrivit dans ces trois langues : Roi des Juifs, Seigneur Jésus Christ.



Ont écrit à ce sujet, à ce que je sache, deux auteurs, Hosius, cardinal de Varmien, dans son dialogue sur la lecture en langue vulgaire, et Jacques Ledesma, prêtre de notre société, dans le livre qu’il a écrit sur ce sujet. Nous tirerons de ces livres certaines réflexions, et nous les incorporerons à notre travail, pour qu’il soit plus complet. Nous pouvons confronter la pratique de l’Église catholique avec l’usage de l’Église de l’ancien testament, du temps d’Esdras jusqu’au Christ. Car, à partir du temps d’Esdras, la langue hébraïque cessa d’être la langue usuelle du peuple de Dieu. Les soixante-dix ans de séjour en terre chaldéenne leur firent oublier leur langue maternelle, l’hébraïque, et adopter la langue chaldéenne. Et, à partir de ce temps-là, leur langue maternelle a été le chaldéen ou le syriaque. C’est ce que nous trouvons au livre 2 d’Esdras, chapitre 8, lors de la lecture de tout le livre au peuple de Dieu. Néhémie, Esdras, et les lévites interprétaient, car le peuple ne comprenait rien de ce qu’on lui lisait. Et c’est pourquoi on dit que le peuple a éprouvé une grande joie, car on comprenait la parole de Dieu lorsqu’Esdras la traduisait.


Cela apparait clairement des paroles du Christ et des évangiles, car talitha kumi (Marc 5), fille, lève-toi, est du syrien. Une fille, en effet, ne se dit pas en hébreu talitha, mais (mot hébreu). De la même façon, le mot abba est hébreu, mais hacheldema est syrien. Le mot golgotha est syrien, lui aussi. En hébreu, il se dit autrement (mot hébreu). Chez tous les évangélistes nous avons pascha, qui n’est ni grec, ni hébreu. En hébreu, on dit (mot hébreu). Pour en savoir plus long, consulter la liste que saint Jérôme a faite de ces noms. On ne peut donc avoir aucun doute qu’à cette époque la langue parlée du peuple n’était pas l’hébreu. Au temple et dans les synagogues, la parole de Dieu n’était pourtant lue et chantée qu’en hébreu. Le livre d’Esdras nous montre clairement que la lecture de la bible était faite en hébreu et non en syriaque. Car, le peuple ne comprenait plus la langue hébraïque sans traduction. Ce qui est dans saint Jean (7) se rapporte aussi à cela : « cette foule qui ne connait pas la loi ».


Et de plus, jusqu’à ce jour, les Juifs, dans leurs synagogues, lisent les Écritures en hébreu, alors qu’aucun peuple contemporain ne parle l’hébreu. Ne vaut pas l’objection qu’existe une paraphrase chaldaïque des Écritures. Car cette traduction, en totalité ou en partie, a été faite après l’avènement du Christ; elle n’a jamais été reçue par les Juifs, et ils n’en ont jamais fait une lecture publique. Et c’est de cela que nous parlons.


On le prouve aussi par l’usage des apôtres. Les apôtres ont prêché l’évangile dans tous les pays du monde; ils ont fondé des Églises, comme nous le montrent les lettres aux Romains (10) et aux Colossiens (1), et la fin de l’évangile de Marc. Comme le rapporte aussi saint Irénée (livre 1, chap 3) qui fut très proche des temps apostoliques. Il dit, en effet, qu’en son temps, il y a eu des Églises fondées en Orient, en Lybie, en Égypte, en Espagne, en Allemagne, en Italie et en Gaule. Et pourtant, ils n’écrivirent pas d’évangile ou de lettres dans les langues des gens auxquels ils prêchaient. Ils ne se servirent que de l’hébreu ou du grec, et, comme le veulent certains, du latin. Car il y en a qui pensent que, comme nous l’avons dit plus haut, saint Marc a écrit son évangile en latin, et l’a ensuite traduit en grec, A ce sujet, voyez le pape Damase dans sa vie de saint Pierre, Adrien Finum dans le livre 6 des flagellations contre les Juifs, chap 80, et au livre 8, chap 62, ainsi que Pierre Antoine Beuter, annotations 9 de la sainte Écriture.


Qu’ils n’aient écrit dans aucune des langues des Gentils qu’ils évangélisaient, même s’ils les connaissaient, puisqu’ils avaient le don des langues, on peut le démontrer de plusieurs façons. D’abord, en dehors de la langue grecque, il ne nous reste aucun vestige d’une traduction quelconque. Aucun ancien n’a traduit ou écrit sauf en hébreu, en grec, ou en latin. De plus, saint Paul a écrit aux Romains en grec, alors que c’était le latin et non le grec qui était la langue du peuple. De la même façon, saint Pierre et saint Jacques ont écrit en grec aux Juifs dispersés par toute la terre. Or, la langue maternelle de ces Juifs n’était ni le grec, ni l’hébreu, mais la langue de leur pays d’adoption, comme on le voit dans Actes des apôtres 2 : « Ceux qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Et voici que nous les entendons parler dans nos langues… » Car, c’est ce qu’on disait des Juifs qui se rassemblaient à Jérusalem de différentes régions. Saint Luc le dit aussi dans les actes des apôtres : « Il y avait alors à Jérusalem des Juifs de toutes les nations qui sont sous le ciel » De la même manière, saint Jean écrivit sa première épitre aux Parthes en grec, comme Higin l’atteste dans l’épitre 1, saint Augustin dans le livre 2, question 33 des questions évangéliques, et le pape Jean 11 dans son épitre à Valérien. La langue maternelle des Parthes n’était évidemment pas la grecque.


On le prouve en troisième lieu par l’usage universel de l’Église, car, comme l’enseigne saint Augustin dans son épitre 118, critiquer ce que fait l’Église universelle est le signe d’une folie insolente. Or, l’Église universelle n’a employé que ces trois langues (l’hébraïque, la grecque et la latine) dans l’utilisation publique et commune qu’elle a faite des Écritures, alors qu’elles avaient cessé d’être parlées, ces langues.


Qu’il en ait bien été ainsi, on le prouve d’abord par les paroles suivantes de saint Augustin. Il dit que pour la compréhension des Écritures, n’est nécessaire que la connaissance de trois langues, que c’est dans ces langues que la sainte Écriture est lue, et qu’aucun auteur ancien ne se souvient d’avoir connu d’autres traductions. Et pourtant, il y avait certainement un grand nombre de langues parlées alors par les différents peuples. Pendant au moins les quatre cents ans pendant lesquelles l’Église se développa prodigieusement, aucune lecture ne se faisait en langue vulgaire. Ensuite, selon la règle de saint Augustin (livre 4 contre Donat, chap 24) et du pape saint Léon (sermon sur le jeûne, pentateuque) ce qui est observé par l’Église universelle, du fait qu’on ne peut lui assigner un début, dépend forcément de la tradition apostolique, et c’est ce que, avec raison, on a toujours cru. Et nous voyons maintenant qu’en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Grèce, partout, les langues grecque et latine sont les seules à être utilisées pour la lecture publique. Et on ne peut à cette pratique assigner aucun commencement. Qui donc peut dire quand cet usage a débuté ?


Dans tout l’Orient, au temps de saint Jérôme, le texte grec était le seul à être employé pour la lecture publique, dans une traduction amendée par Origène, Lucien ou Hesychium. Car, comme nous l’apprenons de saint Jérôme dans sa préface aux Paralipomènes, de Constantinople jusqu’à Antioche, le texte grec pour la lecture publique était celui de Lucien; d’Antioche à l’Égypte, c’est-à-dire dans toute la Syrie, le texte grec pour la lecture publique était celui d’Origène. Dans tout le pays de l’Égypte, le texte grec était celui d’Hesychius. Et pourtant, ce n’était pas le grec qui était parlé couramment de Constantinople à Antioche, et beaucoup moins encore en Égypte et en Syrie. Par exemple, la Galatie est située entre Constantinople et la Syrie. Or, au temps de saint Jérôme, la langue parlée des Galates n’était pas le grec, mais une langue semblable à celle des Trévires, comme saint Jérôme l’atteste dans sa préface au livre 2 de l’épitre aux Galates.


De plus, le Pont, la Cappadoce, l’Asie mineure, la Phrygie et la Pamphylie sont situées entre Constantinople et Antioche, et ils n’ont pourtant pas tous la même langue, mais des idiomes différents. Et c’est au point qu’ils ne se comprennent pas entre eux, comme les actes des apôtres 2 nous le montrent. Et pourtant tous ces chrétiens n’utilisaient qu’une seule traduction des Écritures, celle faite par le martyr saint Lucien. En Syrie, à cette époque, la langue vulgaire n’était pas le grec, mais une autre qui lui était bien éloignée, comme l’atteste saint Jérôme dans sa vie de saint Hilarion, où il dit que le saint a interrogé d’abord le possédé en syriaque, puis en grec, pour que comprennent les Grecs qui étaient présents. Et saint Éphrem a écrit beaucoup de choses en syriaque, c’est-à-dire dans sa langue maternelle, comme le rapporte saint Jérôme dans son catalogue des Écritures.


Que l’Égypte ait aussi sa propre langue, saint Athanase l’atteste dans sa vie de saint Antoine, où il est dit que c’était par interprète qu’il discutait avec des philosophes grecs. Saint Jérôme nous dit même que saint Antoine a écrit des lettres en copte qui ont été en suite traduites en grec. Il est certain aussi qu’en Afrique, à tous les endroits où se trouvaient des chrétiens, les saintes Écritures n’ont été lues en public qu’en latin. Car aucune mention n’est faite d’une traduction en langue punique. Et saint Augustin nous dit (dans le livre 2, chap 13 de la doctrine ecclésiastique) que, de son temps, les psaumes étaient chantés en latin. Saint Cyprien témoigne de la même chose quand il dit, dans son sermon sur l’oraison dominicale, qu’en son temps, on avait coutume de dire à la messe la préface sursum corda (en haut les cœurs). Saint Augustin, dans le bien de la persévérance, chap 13, dit que, à la messe, après le habemus ad Domimum (nous l’avons tourné vers le Seigneur), le prêtre disait immédiatement après : gratias agamus Deo nostro (rendons grâce à notre Dieu); et on répondait : dignum et justum est (cela est digne et juste). On peut facilement conclure de ces textes que, en Afrique, la messe avait coutume d’être dite en latin, ainsi que les lectures des épitres et des évangiles, qui sont des parties importantes de la messe.


Que la langue latine n’ait pas été la langue parlée par le peuple à cette époque en Afrique, saint Augustin en est un bon témoin, car, au début de son commentaire sur l’épitre aux Romains, il dit que mot « salus » (salut) est aussi un nom punique, mais qu’il signifie « trois » en punique. Il y en avait qui ne connaissaient que le punique, et c’était le cas de tous les paysans. De la même façon dans le sermon 35 sur la parole du Seigneur, il dit que la langue punique est apparentée à langue hébraïque, et que ce que les Romains appellent le lucre, les puniques l’appellent mammon. Saint Jérôme dit même (dans sa préface au livre 2 de l’épitre aux Galates) que la langue des Africains est une langue phénicienne, avec peu de changement. Or la Phénicie est une partie de la Syrie.


En Espagne, la langue latine a été utilisée elle seule pour la lecture publique. On l’apprend par saint Isidore de Séville dans le livre 2 de l’office divin, ainsi que par le concile de Tolède 4, 2 célébré avant les années 900, dans lequel il est statué que, dans toute l’Espagne, le même ordre serait conservé pour le chant des psaumes, pour les messes, pour les lectures et pour les autres offices ecclésiastiques. Et, ensuite, aux chapitres 12, 13, 14, et 15 on nous explique assez clairement qu’on avait coutume de tout lire en latin. Et cette façon de faire s’est conservée jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a aucun souvenir ou vestige d’un changement quelconque, et pourtant, la langue latine n’est plus parlée en Espagne depuis plusieurs siècles. Car elle a été, avant 1100, séparée de l’empire romain; elle a été soumise aux Goths, aux Maures, lesquels ont introduit certainement de nouvelles langues. Que les Goths aient eu une langue à eux, saint Jérôme l’enseigne au début de sa lettre à Sunia et à Fratella. Avant que les Goths ne corrompent la langue des Espagnols, leur langue était la langue propre des Espagnols. C’est ce qu’insinue saint Jérôme dans sa préface au livre 2 de l’épitre aux Galates. Il déclare en cet endroit que, dans les îles Baléare, la langue vulgaire était proche de la langue grecque.


Bède le vénérable atteste, dans l’histoire de sa nation, que, en son temps, il y avait quatre langues vulgaires, selon les différentes régions de l’île. Mais la langue latine a été commune à tous à cause des Écritures, car tous utilisaient la traduction latine de la Bible, même si chaque tribu avait sa langue maternelle. Que la même chose se soit conservée par la suite, nous avons le témoignage de Thomas Waldensi, au tome 3 des sacrements, tit 3 et 4. Qu’en Gaule on ait continué à utiliser la langue latine pour la lecture publique des Écritures, nous l’apprenons de Albin Alcuin, précepteur du roi Charlemagne, dans le livre des offices divins, et aussi d’Amalario Trevirensi qui vécut autour de 840. Il décrit avec beaucoup de détails les offices publics, et il montre que, non seulement en Gaule, mais dans tout l’Occident, les offices divins étaient tous célébrés de la même manière. La langue maternelle n’était plus alors dans les Gaules la langue latine, car, deux cents ans avant l’époque d’Amalarico, les Francs, qui venaient de la Germanie, se sont établis en Gaule en grand nombre. Les Francs avaient, évidemment, leur langue à eux. Saint Jérôme nous le confirme dans la vie de saint Hilarion. Il dit au sujet d’un démon qui parlait par la bouche d’un possédé : « Tu entendrais de cette bouche barbare qui ne connait que la langue franque et la langue latine, sortir des paroles du syriaque le plus pur ». En effet, avant qu’ils occupent les Gaules, les Francs avaient une langue différente de la latine, comme nous le rappelle saint Jérôme dans la préface du livre 2, sur l’épitre aux Galates.


Même en Allemagne, à cette époque, seule la langue latine était utilisée pour la lecture publique des Écritures, comme nous le laisse entendre Raban, évêque de Mogutino, qui vécut 700 ans auparavant. Car, expliquant, au livre 2 des institutions des clercs, l’ordre des offices divins qui avait cours alors en Allemagne et dans le reste de l’Occident, il affirme qu’on avait l’habitude de ne lire dans l’église qu’en latin. C’est ce qu’il indique dans le même livre au chapitre 9 par ces mots : « Voilà quel est l’ordre catholique des célébrations divines qui est observé sans changement par l’Église universelle ».


On peut inférer la même chose de Rupert Tuitien qui a vécu quatre cents ans auparavant. Dans son livre 1 des offices divins, il montre clairement qu’en Allemagne, comme dans le reste de l’Église, la coutume était de ne lire qu’en latin les saintes Écritures. Il est certain qu’en Allemagne, le peuple n’a jamais parlé le latin. Nous l’apprenons par la lettre de saint Jérôme à Sunia et Fretella, et par sa vie de saint Hilarion; et par le fait que l’allemand n’a rien en commun avec le latin qui puisse nous faire comprendre qu’il serait né de la corruption du latin, comme sont nées les langues espagnole, italienne et française. En Bohème, et dans les régions limitrophes où la langue vulgaire n’a jamais été le latin, les saintes Écritures étaient lues en latin dans les Églises. Nous le montre une lettre écrite par le pape Grégoire 7 (livre 7) de sa main au duc des Bohémiens, dans laquelle il explique que, pour de justes raisons, il ne veut pas permettre qu’on célèbre les offices divins en langue slave, comme on l’avait demandé.


Ensuite, en Italie. Les divines Écritures ont toujours été lues en latin dans les églises. Car l’ordo romain des divines écritures est, quant à la substance, le même qui existait au début de l’Église. Saint Isidore, en effet, (dans les devoirs ecclésiastiques, chap 15) affirme que c’est de saint Pierre qu’a commencé cet ordo des offices divins, dont se sert aujourd’hui l’Église romaine. Gelasius 1 l’a augmenté et mieux reformulé, comme le montre le décret dist 15, canon Sancta Romana. Et saint Grégoire ensuite, comme on le voit dans le livre des sacrements édité par lui. Et puis après, le pape Grégoire V11 restitua dans sa forme première l’ordo que la négligence avait dépravé, comme on le voit dans canon in die, dist. 5. Le pape Pie V a fait la même chose dans notre temps.


En conséquence, du rappel de tous ces faits, nous pouvons conclure que, de nos jours, l’Église romaine célèbre les divins offices non seulement dans la même langue, mais dans le même ordre, et dans les mêmes numéros des leçons et des psaumes qu’elle les célébrait il y a mille ans, au temps du pape Gélase. On ne peut avoir aucun doute que, en Italie, l’emploi quotidien de la langue latine ait déjà cessé, car Radevicus (1170) a écrit (dans le livre 2 des gestes des Francs, chapitre 70) que, pour l’élection du pape Victor, le peuple l’a acclamé par ces mots : « Papa Vittore santo l’elegge ». Même le bienheureux Thomas qui a vécu 300 ans auparavant, atteste (dans son commentaire aux Cor, chap 14, 1  que, de son temps, il y a avait en Italie une langue parlée par le peuple, et une autre dans laquelle on lisait les saintes Écritures dans l’Église, comme si ces langues maternelles vulgaires n’existaient pas. Je ne vois rien de plus que cet argument qui soit plus efficace pour réprimer l’audace des novateurs de notre temps.


Mais venons-en au quatrième argument que réclame la raison. Car il convient souverainement à la conservation de l’unité de l’Église que l’usage public des Écritures se fasse dans une langue commune à tous. S’il n’y a pas cet usage public des Écritures dans une langue commune, la communication entre les Églises est interrompue. Car l’ignorant ou l’illettré ne pourra participer aux cérémonies ecclésiales que dans sa patrie, et même dans son patelin. On ne pourra non plus faire aucun concile général, les pères conciliaires n’ayant pas tous le don des langues. Voilà pourquoi les apôtres ont écrit dans la langue grecque, car elle était alors la langue la plus commune. C’est Marcus Tullius qui nous le dit dans son plaidoyer pour le poète Archia : « le grec, on le lit dans presque tous les pays, mais le latin est contenu dans un espace géographique restreint ».


Les Écritures ont ensuite été traduites en langue latine, parce que, avec la croissance de l’empire romain, le grec cessa d’être la langue commune de l’Occident. C’est la langue latine qui devint la langue commune, du moins auprès des érudits, dans toute l’Italie, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique, et dans d’autres régions. Comme, même aujourd’hui, il n’y a pas d’autre langue commune que la latine, il est certain que c’est en elle qu’on doive lire les saintes Écritures.


Cinquièmement. S’il y avait une raison qui justifierait l’usage la lecture de la parole de Dieu en langue vulgaire dans l’assemblée des fidèles, on ne pourrait en trouver de plus importante que celle-ci : pour que tous comprennent. Mais il est certain que le peuple ne comprendrait pas les psaumes, les prophètes, ainsi que d’autres textes que l’on lit à l’église, même s’ils étaient lus dans sa langue maternelle. Car nous qui connaissons le latin nous ne comprenons pas, pour cela, parfaitement les Écritures avant d’avoir lu ou écouté des commentaires. Comment des illettrés les comprendraient-ils donc ? Surtout qu’elles ont des chances de devenir encore plus obscures, une fois traduites dans des langues qui ne sont pas des langues de culture.


J’ajoute que non seulement le peuple n’en tirerait pas de profit, mais qu’il pourrait en recevoir du dommage. Car il en tirerait aisément des occasions d’errer dans la doctrine de la foi, aussi bien que dans les préceptes de vie et de mœurs. En effet, c’est de l’Écriture mal comprise que sont nées les hérésies, comme saint Hilaire de Poitiers le montre dans son livre sur les synodes; et comme le reconnait même un Luther, qui a appelé l’Écriture le livre des hérétiques. Il l’a amplement prouvé par l’exemple.


Cassien rapporte dans sa conférence 10, chap 2, 3, 4, 5, que les erreurs absurdes des anthropomorphistes étaient nées de leur seule ignorance. Et Énée Sylvius, dans son livre de l’origine des Boemmor, rapporte les erreurs crasses des Thahorites, des Orebites, et d’autres semblables qui lisaient l’Écriture dans leur langue maternelle, sans la comprendre. C’est ce qui est arrivé à David Georgio, le plus empoisonné de tous les hérétiques, qui ne connaissait aucune langue en dehors de sa langue maternelle, celle des Bataves. Il prouvait, par l’Écriture, qu’il était le Messie et le Fils de Dieu, comme on le voit dans le livre ou épitre que les gens de Bâle ont écrit sur ses erreurs.


De plus, si les gens illettrés entendaient lire dans leur langue ce passage du cantique des cantiques : « qu’il me baise d’un baiser de sa bouche », ou « sa gauche sous ma tête », et « de sa droite il m’étreindra », ou ce verset d’Osée : « va, et fais-toi des fils de la fornication », ou l’adultère de David, l’inceste de Thamar, les mensonges de Judith, comment Joseph a enivré ses frères, comment des épouses comme Sara, Lia et Rachel donnèrent des servantes à leurs maris comme concubines, et beaucoup d’autres choses qui, dans l’Écriture sont rapportées avec de grandes louanges. S’ils entendaient donc lire toutes ces choses, ou ils seraient portés à les imiter, ou ils condamneraient les saints patriarches, comme autrefois les Manichéens, ou ils penseraient que l’Écriture contient des mensonges. Et en voyant de si grandes contradictions apparentes qu’ils ne pourraient pas expliquer, il serait à craindre que, à la fin, ils ne croient plus du tout dans l’Écriture.


J’ai entendu un homme digne de foi raconter que, quand en Angleterre un ministre calviniste lisait dans un temple en langue vernaculaire le chapitre 25 de l’Écclésiatique où il est beaucoup parlé de la malice de la femme, une femme s’est levée et a dit : « Est-ce là la parole de Dieu ? Non, plutôt celle du démon ».


Sixièmement. S’il fallait lire les saintes Écritures en public en langue vulgaire, il faudrait à chaque siècle, modifier les traductions, car les langues vulgaires changent constamment, comme Horace l’enseigne par l’expérience, dans son art poétique. Ces changements continuels ne pourraient pas se faire sans danger et sans inconvénient majeur. Car, on ne trouve pas toujours des traducteurs compétents. Plusieurs erreurs pénètreraient dans le texte qu’il ne serait plus facile d’extirper, puisque ni les papes ni les conciles ne pourraient, dans ces cas, porter de jugement.


Septièmement. Il semble que la majesté des offices divins requière absolument une langue plus grave et vénérable que celle employée par le peuple. Surtout parce que, dans les mystères sacrés, il y a plusieurs choses qui doivent demeurer secrètes. C’est ce qu’enseignent des anciens, comme Denys l’Aréopagite aux chapitres 1 et dernier de sa hiérarchie ecclésiastique, Origène dans son homélie 5 sur les Nombres, saint Basile dans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 27, saint Jean Chrysostome dans son homélie 24 sur saint Matthieu, saint Grégoire le grand dans le livre 4, cahp 56, de ses dialogues. C’est en vain que Kemnitius essaie de démontrer que la langue latine n’est ni plus sacrée ni plus vénérable que les autres. Car quand nous disons qu’elle est plus sainte, nous ne parlons pas des mots de la langue en eux-mêmes, mais nous affirmons qu’elle a plus de gravité et plus de noblesse que les autres du fait qu’elle n’est pas une langue vulgaire.


À toutes ces choses s’ajoutent les témoignages des Pères les plus saints et les plus graves, comme saint Basile chez les Grecs et saint Jérôme chez les latins, qui jugeaient qu’il ne convenait pas que tous les hommes indistinctement traitent des Écritures, même s’il n’était pas facile alors de l’empêcher, puisque les langues dans lesquelles les Écritures avaient été écrites étaient des langues vulgaires. Théodoret rapporte dans le livre 4, chap 17 de son histoire de l’Église que quand un préfet de la cuisine de l’Empereur avait cité un texte quelconque de l’Écriture, il a entendu saint Basile lui faire le reproche suivant : « Il est plus sur de penser aux poulets que de réduire par la cuisson les dogmes divins ». Que dirait aujourd’hui saint Basile, je le demande, s’il voyait des pharmaciens, des cordonniers, et d’autres artisans expliquer les saintes Écritures du haut de la chaire, comme cela se fait chez les Luthériens, les calvinistes, et les anabaptistes ? Saint Jérôme, dans son épitre à Paulin sur l’étude des saintes Écritures dit ceci : « Les médecins promettent ce qui est de leur ressort, les menuisiers également. L’art des Écritures est le seul que tous revendiquent comme le leur. Des ignorants écrivent, des lettrés composent des poèmes. Mais l’Écriture, un vieil abruti, un vieillard débile, un sophiste bavard, tous présument la connaître, la mettent en pièces avant de l’avoir apprise ».


Ces plaintes de saint Jérôme s’appliquent parfaitement à ce qui se passe dans toute l’Allemagne et dans la France. Tous les ouvriers, non seulement les hommes, mais les femmes, ont la sainte Écriture dans leurs mains, et par les lectures qu’ils en font, ils ajoutent la désobéissance et l’arrogance à leur ignorance. Car, parce qu’ils peuvent réciter par coeur les paroles de l’Apôtre, et citer des livres et des chapitres, ils pensent tout savoir, et ne souffrent pas qu’on leur enseigne quoi que ce soit. Voyez Cochlaeum dans son livre de la vie et des actions de Luther, en l’an 1522.



CHAPITRE 16 Réponse aux objections des hérétiques


Mais voyons ce qu’on oppose à cela. En premier lieu, ils mettent de l’avant les paroles de saint Paul dans son épitre 1 aux Corinthiens chap 14, Saint Paul y enseigne que les lectures et les prières publiques doivent être faites en langue vulgaire dans les églises. « Car si la trompette sonne d’une voix incertaine, qui se préparera pour la guerre ? Il en va de même pour vous au sujet de la langue. Si vous ne dites pas quelque chose d’audible, comment saura-t-on ce qui se dit ? » Et plus bas : « Si je prie avec la langue, mon esprit prie. Quoi donc ? Je prierai en esprit et je prierai avec mon âme. Je chanterai un psaume en esprit et je chanterai dans mon âme. Mais si tu bénis en esprit, qui vient en aide à l’idiot ? Comment répondra-t-il amen à ta bénédiction, parce qu’il ne sait pas ce que tu dis. Toi, tu rends grâce à Dieu, mais l’autre n’est pas édifié ».


Je réponds qu’il est certain que, dans la plus grande partie de ce texte, il n’est question ni de la lecture des Écrites ni de l’office divin, mais de l’exhortation spirituelle ou d’une réunion. Comme les moines autrefois se réunissaient et parlaient entre eux des choses spirituelles, la même chose se produisait dans la primitive église, comme l’indique saint Justin à la fin de son apologie. Les chrétiens se réunissaient les dimanches, et lisaient d’abord les Écritures, puis un ancien faisait une homélie. On célébrait ensuite les mystères, puis, à la fin, ils échangeaient entre eux des paroles sur les mystères. Pour que le grand nombre d’interventions n’enfante aucun trouble, l’Apôtre avait établi que deux ou trois seulement parleraient dans les exhortations, que les autres écouteraient et jugeraient, et qu’au cas où quelqu’un aurait quelque chose de meilleur a dire, le premier se tairait, et la parole serait donnée à celui-là. Et, chez les Corinthiens, il y en avait qui, pour faire montre de leurs dons des langues, parlaient en une langue étrangère. Ils ont été réprimandés par l’Apôtre, ceux-là, car les exhortations doivent être comprises par tous.



Que ce soit là la bonne interprétation de ce passage nous pouvons le comprendre par ce qu’en ont dit les anciens, comme saint Cyprien dans sa lettre à Pompée, et dans son épitre à Quirinum sur le rebaptisage des hérétiques, sur ce qu’en dit saint Augustin dans son livre 2, chap 8 du baptême contre Donat, saint Basile dans ses brèves explications de questions, à la question 278, saint Ambroise, Sedulius, Haymo, Théodoret, et Oecumenius. On peut le comprendre aussi par les paroles elles-mêmes de l’Apôtre. Car il dit que deux ou trois prophètes parlent, et que les autres jugent; et que si un quelqu’un reçoit une révélation, celui qui parlait d’abord se tait. Et le : « que les femmes se taisent dans l’Église ». Toutes ces citations ne peutvent se rapporter qu’à l’exhortation. Car les Écritures qu’on lit, et les saints offices n’ont pas à être jugés par les prophètes. Ils ne sont pas inspirés non plus quand ils les lisent, mais récitent des choses qui ont déjà été inspirées; et les femmes n’ont jamais non plus célébré les divins mystères dans l’Église. Les mots qu’on nous oppose se rapportent donc à l’exhortation


Il demeure encore une difficulté dans ces mots. Car dans ces mots, il ne s’agit pas, d’une exhortation, mais de prières et de psaumes. On peut noter en passant que saint Ambroise et saint Jérôme ont lu ces phrases avec une double interrogation. Qui viendra en aide à l’idiot ? Comment répondra-t-il amen ? Mais, les Grecs ont toujours lu ce que nous fait lire le texte latin, « Celui qui prend la place de l’idiot comment répondra-t-il amen ? » Cette version, même Calvin et Bèze, et les autres adversaires, la jugent préférable.


Pour se défaire de cette difficulté, il y en a qui répondent : « même dans ces mots, il est question d’exhortation et non de prière ». Comme saint Basile, Théodoret et Sédulius nommés plus haut. Mais c’est une position difficile à soutenir, car les mots grecs dont l’Apôtre se sert ne signifient pas exhorter, mais prier, chanter et rendre grâces. C’est pourquoi saint Jean Chrysostome, Theophylacte, et même saint Ambroise et Harmo comprennent qu’il est question, ici, de prières. D’autres disent donc : l’apôtre parle des offices divins, mais il n’exige pas que tout le peuple comprenne, seulement celui qui répond an nom du peuple. Et c’est ce qu’il voudrait dire par les mots suivants : « Celui qui prend la place de l’idiot, comment répondrait-il amen ? » C’est ainsi que comprirent ce passage Haymo, Primasius, Pierre Lombard, saint Thomas, et quelques auteurs latins. Mais cette réponse ne semble pas tout à fait satisfaisante. Car les mots grecs employés par l’Apôtre ne signifient pas, selon leur emploi usuel, « celui qui prend la place de l’idiot », mais « qui remplit le lieu de l’idiot », c’est-à-dire « qui s’assoie dans les lieux des idiots, qui occupe les lieux des idiots, qui fait donc partie des idiots, qui est un idiot ». C’est ainsi que l’interprètent saint Jean Chrysostome et Théophylacte. Car non seulement les auteurs profanes, mais même les auteurs sacrés n’emploient pas le mot « tokos » pour dire « à la place de », mais l’adverbe « anti ». Comme nous le voyons clairement dans Macc 1, chap 9 : « Se leva à la place de Juda ». Au chapitre 11 : « Pour qu’il règne à la place de son père ». Au chapitre 13 : « À la place de Jonathas son frère). Et au chapitre 14 : « Grand prêtre à sa place ». Ce « à sa place » est toujours rendu par « anti ».


Il y en a d’autres qui ont une opinion différente. Quand l’apôtre dit « qui prend la place de l’idiot », il parle d’un idiot, mais celui qu’il appelle idiot ce n’est pas celui qui est véritablement idiot, mais qui l’est par devoir, c’est-à-dire qui répond à la place des idiots. Comme nous donnons le nom de populaire à un patricien qui se range du côté du peuple. Cette opinion ressemble à la précédente, mais elle est expliquée un peu autrement. C’est ainsi que Sixte de Sienne voulut dénouer ce nœud gordien au livre 6 de la sainte bibliothèque, à la note 263. Il nous avertit là que les paroles de saint Jean Chrysostome de son homélie 35 sur la première épitre aux Corinthiens n’ont pas été fidèlement rendues. Les paroles de saint Jean Chrysostome sont : idiôtèn de laikon legei. Le traducteur les a rendues ainsi en latin : « il appelle idiote la foule prise en bloc ». Mais il aurait du traduire ainsi : « il appelle idiot le laïc », c’est-à-dire l’homme qui dans l’Église représente les laïcs.


Mais cette explication ne semble pas non plus correspondre au texte lui-même. Car on peut facilement lui faire l’objection suivante : aux temps des apôtres, le peuple dans son ensemble répondait, et personne n’était chargé de répondre au nom du peuple. Car, à la fin de son apologie no 2, saint Justin dit en toutes lettres, que tout le peuple avait coutume de répondre amen quand le prêtre finissait une prière, ou une action de grâces. Que cette coutume ait été conservée pendant longtemps en Orient comme en Occident, nous le démontre la liturgie de saint Jean Chrysostome, que nous avons à la fin de ses œuvres, ou est clairement distingué ce que chantait le prêtre, le diacre et le peuple dans les offices divins. Nous rencontrons la même chose dans le sermon de saint Cyprien sur l’oraison dominicale, dans lequel il dit que le peuple répondait : « nous l’avons vers le Seigneur ». Et chez saint Jérôme dans la préface 2 de son épitre aux Galates. Il écrit que dans les églises de la ville de Rome, on entend comme un coup de tonnerre quand le peuple répond Amen.


La véritable explication est que, dans ce passage, l’Apôtre ne parle pas des offices divins, ni de la lecture publique des Écritures, mais des cantiques spirituels que composaient les chrétiens pour louer Dieu et pour lui rendre grâces, et pour leur consolation et leur propre édification. Que l’Apôtre ne parle ni des offices divins ni de la lecture publique des Écritures, on le prouve ainsi. Qu’en Grèce les lectures étaient surement lues en grec, et que les offices divins se faisaient en grec, même les hérétiques l’admettent. L’Apôtre parle ici de la prière et de l’action de grâces qui se fait par le don des langues, langues la plupart du temps étrangères, que personne ne comprenait comme l’arabique, la Perse, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome et d’autres. Que même celui qui la parlait ne comprenait pas ce qu’il disait, les mots suivants l’indiquent : « Si je prie en langue, mon esprit prie, mais mon intelligence n’en retire aucun fruit ». Ce qui veut dire : si je prie par le don des langues, dans une langue que je ne comprends pas, mon esprit prie, c’est-à-dire mon cœur prie, mais mon intelligence n’en retire aucun fruit, c’est-à-dire mon intelligence n’est pas instruite, parce que je ne comprends pas ce que je dis. On peut dire la même chose de ce qui suit. « Celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne n’écoute. C’est-à-dire personne ne fait attention à ce que l’on dit, car personne ne comprend. Il ne parle donc pas des offices divins qui se faisaient en grec, langue que tous comprenaient, mais il parle de la louange de Dieu ou de l’action de grâces que quelques-uns chantaient en langue étrangère dans leurs assemblées.


De plus, il est absolument certain que les chrétiens ont composé des cantiques spirituels qu’ils chantaient dans l’Église quand ils s’y rassemblaient. C’est ce qu’enseignent Eusèbe de Césarée au livre 2, chap 4 de son histoire ecclésiastique, en citant Philon, saint Denys l’aréopagite, livre 3 des noms divins, et au chapitre suivant où il fait plusieurs citations des cantiques de Hiérothus. Tertullien, au chap 39 de son apologie, décrit une agapè des chrétiens, c’est-à-dire un repas public, qui se faisait dans l’église, au cours duquel ceux qui le pouvaient avaient coutume de chanter à Dieu des choses de leur invention. De plus, l’Apôtre lui-même (Eph 5, Col. 3) les exhorte à chanter des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels. Ces cantiques, des hymnes, ce sont eux-mêmes qui les composaient, au dire de Haymo. Parce que ces cantiques sont faits pour la consolation du peuple, l’Apôtre veut qu’ils soient composés dans une langue que tous comprennent; pour que les idiots qui sont incapables d’en composer de semblables puissent au moins exprimer leur approbation par le mot amen.


Mais tu objecteras. Comme l’Apôtre a voulu que ces cantiques se déroulent en langue vulgaire pour que le peuple puisse y répondre amen, il a certainement voulu que les offices divins se fassent dans une langue populaire pour que le peuple puisse répondre amen. Je nie la conclusion, car les offices divins se tenaient en langue grecque, qu’un grand nombre connaissaient, même si pas tous, et cela suffisait. L’Apôtre ne voulait pas que tous puissent répondre. De plus, parce que les chrétiens étaient peu nombreux, tous récitaient les psaumes ensemble dans l’Église et répondaient au ministre dans les offices divins. Et plus tard, au fur et à mesure qu’augmentait le peuple, les fonctions ont été divisées, et c’est aux seuls clercs qu’on a laissé la charge de s’acquitter, dans l’Église, des prières et des louanges de tous. De plus, la fin principale de ces cantiques était l’instruction et la consolation du peuple. Dans les réunions, ils tenaient lieu d’exhortations. Et en conséquence, il était juste que la plus grande partie d’entre eux les comprennent, car s’ils étaient faits dans une langue inconnue, ou si aucune explication ne s’ensuivait, ils auraient porté peu de fruits. Mais la fin principale des offices divins n’est pas l’instruction et la consolation du peuple, mais le culte de Dieu, et c’est aux pasteurs à expliquer au peuple le sens des offices divins.


Deuxième objection. Une prière non comprise ne génère aucun profit. « Ce peuple m’honore des lèvres » (Isaïe 29, Matt 15). Et saint Paul aux Corinth 1, 14 : « Si je prie en langue, mon esprit prie, mais mon intelligence n’en tire aucun profit. » En conséquence, toutes les prières publiques autant que privées doivent être faites en langue vernaculaire. Cette objection est celle de Calvin. Elle n’offre pas une grande difficulté. Car, d’abord, il est faux que le peuple ne tire aucun fruit de la prière publique s’il n’en comprend pas le sens, car la prière de l’Église ne s’adresse pas au peuple, mais à Dieu pour le peuple. Il n’est donc pas nécessaire qu’il comprenne pour en profiter, mais il suffit que Dieu comprenne. C’est comme si un clerc plaidait devant le roi en latin en faveur d’un paysan, ce dernier pourrait quand même en tirer du profit même s’il ne comprend pas un mot du latin.


De plus, l’Église prie pour les fidèles pécheurs et pour les autres, qui non seulement ne comprennent pas, n’écoutent pas, mais qui ne veulent pas qu’on prie pour eux. L’Église ne prie quand même pas pour eux inutilement. Elle prie encore avec plus de profit pour les fidèles présents qui désirent qu’on prie pour leurs besoins. Nous voyons dans le Lévitique 16, que Dieu a ordonné que le peuple reste dehors pendant que le Prêtre entre dans le sanctuaire, prie pour lui et pour le peuple. Ce peuple non seulement il ne comprenait pas ce que disait le prêtre, mais il ne l’entendait même pas parler, et il ne le voyait pas. Que cela se faisait encore au temps de Zacharie, nous le lisons dans Luc1. Et qui oserait penser que cette prière du grand prêtre n’était d’aucun profit pour le peuple ? Voici ce que dit Origène dans son homélie 20 sur Josué : « Si tu entends lire une Écriture que tu ne comprends pas, sache d’abord que, par sa seule audition, tu en tireras du profit, et que comme par une incantation, seront chassées tes tentations et tes vexations. » Et saint Jean Chrysostome, dans son homélie 3 sur Lazare : « Qu’arrivera-t-il si on ne comprend pas ce qui est contenu dans les saints livres ? De sa seule lecture, naîtront en nous beaucoup de choses saintes, même si nous n’en saisissons pas les plus absconds mystères ».


Ce n’est pas seulement de la prière qu’un autre fait pour lui que le peuple peut tirer un profit, même s’il n’en saisit pas le sens, mais de celle qu’il adresse lui-même à Dieu. Car, comme l’enseigne saint Augustin dans son livre 3 de la doctrine chrétienne, au chapitre 9, « Comme les Juifs n’adoraient pas Dieu pour rien dans des figures et des cérémonies variées, dont peu comprenaient le véritable sens, les paysans, non plus, n’adorent pas Dieu pour rien dans des mots latins ». De plus, le même saint Augustin au livre 6, chap 25, du baptême : « Plusieurs se ruent dans des prières qui ont été composées non seulement par des incapables loquaces, mais même par des hérétiques, et comme la simplicité de l’ignorance ne leur permet pas de les distinguer des bonnes, ils s’en servent en pensant qu’elles sont valables. Mais pour autant, ce qui en elles est pervers n’évacue pas ce qui est droit, mais est plutôt évacué par lui ». Par ces paroles, saint Augustin enseigne que les prières dans lesquelles est mêlé quelque chose d’hérétique ne manquent pas de produire des fruits, quand les dit en toute simplicité celui qui ne sait pas ce qu’il dit, et pense bien dire. Car, comme le dit le même saint Augustin, la plupart du temps le sentiment de celui qui prie l’emporte sur le vice de la prière. Car Dieu ne regarde pas tant ce que nous disons que ce que nous désirons dire. Si donc des prières non comprises et mauvaises ne sont pas sans profit, combien plus profitables seront les prières les meilleures instituées par l’Église, même si elles ne sont pas comprises ?


Voici ce que Origène pense là-dessus dans Josué 20 : « Même si nous ne comprenons pas ce que nous disons avec la bouche, les vertus qui nous sont présentent comprennent. Elles approchent, comme si elles étaient invitées à un chant, et se réjouissent de nous apporter de l’aide ». Il se sert de deux comparaisons pour nous le faire comprendre. « Si on croit ce que racontent les Gentils, que quand ils entonnent certains chants qu’ils appellent des incantations, ou quand ils prononcent certains mots que ceux-là mêmes qui les profèrent ne comprennent pas, par le seul son de la voix, les serpents s’endorment, ou ils sortent des antres où ils s’étaient cachés, ne devons-nous pas croire que la récitation ou le chant d’une parole quelconque de l’Écriture a plus de pouvoir et de force que tous les chants ou toutes les paroles profanes ? » Et plus bas. « Les médecins ont coutume de prescrire tels ou tels breuvages, mais ce n’est pas en les mangeant ou en les buvant que nous sentons qu’ils sont utiles etc. C’est aussi ce que nous devons penser de la sainte Écriture. Elle est utile, et elle profite à l’âme, même si notre oreille n’en saisit pas le sens ».


De plus, si nous disions qu’il est nécessaire de tout comprendre en priant ou en louant Dieu, rares seraient ceux qui pourraient chanter les psaumes de David, ou lire les prophètes ou les apôtres dans les offices divins. Combien y en a-t-il qui comprennent toutes les phrases des psaumes, des prophètes et des apôtres ? Quelles sont nombreuses les choses que nous ne comprenons pas quand nous chantons les psaumes ! Nous ne devons pas, à cause de cela, quitter l’église pour étudier les commentaires. Et, cependant, nous ne récitons pas les psaumes pour rien, quand nous le faisons avec dévotion et révérence. Car nous savons en quoi consiste ce qui appartient à la louange de Dieu. Que penser donc de ce que saint Antoine avait coutume de dire, à savoir que la plus parfaite prière était celle où l’âme se trouvait si absorbée en Dieu qu’elle ne comprenait plus les paroles qu’elle prononçait.


Les textes de l’Écriture qu’on nous oppose ne contredisent pas ce que nous avançons. « Ce peuple m’honore des lèvres ». « Si je prie en langue, mon esprit prie, mais mon intelligence n’en tire aucun profit ». Car, dans le premier texte, il ne s’agit pas de prière ou de lecture, mais de ceux qui professent de bouche seulement la piété, qui disent aimer Dieu, et qui font le contraire. Comme l’explique saint Jérôme au chapitre 29 d’Isaïe, et saint Augustin au livre 22, chap 55, contre Faust, Mais si quelqu’un voulait rapporter ces paroles à la prière, il devrait dire que l’apôtre blâme ceux qui, quoique priant dans une langue qui leur est familière, laissent leur esprit vagabonder vers d’autres activités.


Dans l’autre texte de l’Écriture, on ne reproche pas de dire une prière qu’on ne comprend pas, mais on lui préfère une prière que l’on comprend. Car l’apôtre ne dit pas que la prière serait sans fruit, mais que l’intelligence n’en tirerait aucun profit. Ceux qui prient dans une langue qu’ils ne connaissent pas, comme quand des illettrés disent en latin les sept psaumes, leur cœur et leur esprit en tirent du profit, mais pas leur intelligence, car elle n’en reçoit aucune instruction. Il ne condamne pas cette prière comme mauvaise ou infructueuse, comme le montrent ses propres paroles : « car tu rends bien grâce à Dieu ». Saint Jean Chrysostome confirme clairement la même chose. Ajoutons, comme nous l’avons dit plus haut, que l’apôtre parle d’une langue que personne ne peut comprendre dans l’église. C’est donc inutilement qu’on présente ces paroles de l’apôtre pour s’opposer à la coutume de l’Église catholique. Car, même si l’intelligence des illettrés ne tire aucun profit des prières latines communes de l’Église, leur cœur, lui, ne demeure pas sans fruit. Il en va de même pour l’intelligence d’un grand nombre qui savent le latin. Et la perte qu’éprouve l’intelligence des illettrés est compensée par les grands avantages qui résultent du fait que les Écritures soient continuellement lues dans une assemblée publique en latin, c’est-à-dire dans une langue qui est commune à tous.


La troisième objection est celle de Brentius dans les décrétales chap « parce que dans un grand nombre », de off jud ord. Le pape Innocent 111 ordonne que quand, dans une ville, cohabitent des gens de langues différentes, l’évêque pourvoie à trouver des hommes idoines, capables de célébrer dans chacune de ces langues; et à administrer aux hommes les sacrements dans des langues différentes. Je réponds que le pape Innocent 111 ne parle ici que du latin et du grec. Car, au temps du pape Innocent 111, la ville de Constantinople avait été capturée par les latins. Et comme l’empereur et l’évêque de Constantinople étaient des latins, il y a avait beaucoup de latins mêlés aux Grecs. Dans le concile du Latran où s’étaient réunis les Grecs et les Latins, on demanda au souverain pontife la permission d’ordonner deux évêques. Le pontife en concile déclara qu’il ne convenait pas qu’il y ait deux évêques pour une seule église, mais que l’évêque devait voir à ce qu’il y ait des prêtres capables de célébrer en grec pour les grecs, et en latin pour les latins. On trouve ce décrit au chapitre 9 du concile.


Que le concile ne parle pas des langues vulgaires, le prouve ce que nous venons de dire et aussi le fait que ce décret n’a été observé, en Italie, que là où le pontife suprême résidait, et avait son état personnel. Dans le reste de l’Italie, ce décret n’a jamais été observé. Car, saint Thomas qui vécut un peu après le temps de ce décret, a composé en latin l’office de la fête du corps du Christ, que nous utilisons encore aujourd’hui, bien que, comme il le reconnait lui-même dans le commentaire de 1 Cor 14, « la langue vulgaire des Italiens de son époque n’était plus le latin ».


La quatrième objection est celle de Brentius. La fin des offices divins et des lectures publiques est l’instruction, l’édification et la consolation. Car à Romains 15, on dit : « pour que par la patience et la consolation que nous apportent l’Écriture, nous ayons bon espoir ». Et au Cor 1, 14 : « Pour instruire autrui,  je préfère dire cinq mots que je comprends plutôt que mille mots en langue ». « Quand vous vous réunissez, chacun de vous a son psaume, sa doctrine, son Apocalypse, sa langue, son interprétation, tout se fait pour l’édification ». Or, d’une langue inconnue, quelle instruction, quelle édification, quelle consolation peut provenir ?


Je réponds que la proposition et la conclusion de cet argument sont fausses. Car, la fin principale des offices divins n’est pas l’instruction ou la consolation du peuple, mais le culte qui est du à Dieu par l’Église. Car le devoir des clercs consiste à immoler à Dieu un sacrifice de louange, au nom de tout le peuple chrétien, comme Il le requiert au psaume 40; et, à la façon des soldats, à monter la garde, et à protéger le camp du Seigneur par les veilles et les prières de l’Église. Isaïe 62 : « J’ai établi des gardiens sur tes murs, Jérusalem, ils ne se tairont ni le jour ni la nuit ». Ensuite, ceux qui ne sont pas ignorants, savent le latin, et reçoivent de l’instruction des lectures qui sont faites. Les autres ne comprendraient pas plus si la lecture était faite dans leurs langues, car l’instruction ne consiste pas dans les mots, mais dans le sens. C’est pourquoi ces lectures nuisent autant qu’elles aident.


Les trois citations qu’on nous objecte ne nous réfutent en rien. Car, nous reconnaissons que les saintes Écritures apportent aux fidèles une grande consolation, comme l’enseigne saint Paul dans sa lettre aux Romains, 15, quand elles sont lues aux personnes instruites, et quand elles sont expliquées aux ignorants. Et c’est avec raison que saint Paul préfère, pour l’instruction du peuple, cinq mots compréhensibles à mille mots en langue, car une exhortation que tous peuvent comprendre, même si elle est brève, est préférable à un long discours qu’on ne comprend pas. Mais ce n’est pas par ces cinq mots, psaume, doctrine, apocalypse, langue, interprétation, que l’on peut comprendre les Écritures, mais par cinq dons gratuitement donnés. Car, un peu avant, dans ce même chapitre, l’apôtre parle ainsi des dons : « Si je venais à vous en parlant en langues, de quel profit vous serais-je si je ne vous parle ni en révélation, ni en science, ni en prophétie, ni en doctrine ? ».


Par langue, on entend le don des langues, par doctrine, le don d’enseigner ce qui se rapporte aux mœurs ou à la foi de l’Église. Par l’apocalypse, le don de la révélation, Car, souvent Dieu a révélé des choses à ceux qui étaient assis dans l’Église. Par interprétation, il entend le don d’expliquer les Écritures, et de les traduire d’une langue à l’autre, lequel don est souvent appelé prophétie par saint Paul. Par psaume, il entend le don gratuitement donné de psalmodier, comme saint Jean Chrysostome l’explique correctement, le don de composer des cantiques spirituels, et de chanter dans l’Église avec modération. Le sens est donc le suivant. Puisque, dans vos réunions et assemblées, vous pouvez exercer tous les dons de langues, de révélations etc,, voyez à ne rien faire par ostentation, mais tout pour l’utilité et l’édification.


La cinquième objection est celle de Kemnitius. Le Christ a prêché en langue vernaculaire. Les apôtres, au jour de la pentecôte, ont proclamé les grandeurs de Dieu en plusieurs langues différentes, et plus tard, quand ils se sont séparés pour aller évangéliser tous les peuples, ils parlèrent dans les langues de chacun de ces peuples. Il faut donc avoir la parole de Dieu dans les différentes langues. Car, si on ne contamine pas la parole de Dieu en la prêchant dans des langues vulgaires, pourquoi la contaminerait-on en l’écrivant en langue vulgaire ? Je réponds que cette objection ne permet de rien conclure. Car, si on peut conclure de la prédication à l’écriture, pourquoi n’ont-ils écrit qu’en grec cette parole qu’ils prêchaient dans toutes les langues ? C’est avec raison qu’on prêche la parole dans la langue parlée par le peuple, parce que la prédication comprend une explication que tous peuvent facilement saisir. Or quand on écrit, on ne fait qu’écrire, et tous n’en comprennent pas le sens. De la même façon, il ne convient pas de raisonner ainsi. Les mères donnent aux enfants du pain réduit en miettes, même mâché d’avance. Elles peuvent donc le leur donner entier et solide, parce que c’est le même pain. On ne peut pas non plus argumenter ainsi : la parole de Dieu présentée par les ministres est expliquée dans une exhortation; elle peut donc être écrite en langue vulgaire sans explication.


La sixième objection est celle de Kemnitius. Saint Jérôme atteste avoir traduit les Écritures dans la langue slave. Les Écritures ont été autrefois traduites dans la langue chaldéenne, qui était alors la langue du peuple, et ensuite, dans la langue grecque, quand elle fut la langue commune. Et les apôtres se sont servis de cette traduction. Elles ont été ensuite traduites dans la langue latine, quand celle langue devint la langue commune. Et le Christ, sur la croix, a cité l’Écriture en syriaque. Il n’y a donc rien qui empêche des les traduire en langue vulgaire. Je réponds d’abord que nous ne nions pas qu’il soit possible de traduire les saintes Écritures en langue vulgaire, mais qu’il ne faut pas permettre à tous indistinctement de lire les Écritures en langue vulgaire. Saint Jérôme a-t-il vraiment traduit les saintes Écritures en langue slave ? Je l’ignore. Mais s’il l’a fait, il ne l’a pas fait pour que ces Écritures soient lues telles qu’elles dans l’Église, mais pour la consolation de ceux qui pouvaient les lire sans danger, comme cela se fait chez nous de nos jours. Mais l’édition chaldaïque n’est pas tant une traduction qu’une paraphrase, et elle n’eut jamais une grande autorité auprès des catholiques.


Ce qu’il rapporte de la traduction en grec joue en notre faveur. Car les Écritures n’ont pas été traduites en grec; elles ont été composées en grec, non parce qu’elle était la langue parlée par tous les peuples, mais la plus commune. Car il est certain que la langue du roi Ptolémée dans laquelle elles furent traduites n’était pas la langue du peuple. Je dis la même chose de la langue latine. Elle fut traduite en latin parce que le latin était la langue commune dans tout l’Occident, même si pour certains, elle était encore une langue vulgaire.


Venons-en maintenant aux paroles du Christ. Même si Épiphane dans son hérésie 69, qui est celle des Ariens, estime que le Christ en croix a parlé tantôt en hébreu, tantôt en syriaque, il est plus probable que quand il dit : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », il ait parlé en hébreu, comme dans le psaume 21, Il n’y avait pas de raison pour que le Christ dise d’abord les paroles de David en hébreu, et passa ensuite à la langue syriaque. C’est pourquoi quand saint Jérôme, dans le livre des noms hébraïques, traite de ce passage, il ne dit pas, contrairement à son habitude, que ce sont des mots syriaques, mais il écrit les paroles prononcées par Jésus avec des lettres hébraïques (mots hébreux), et il l’écrit ainsi en lettres latines : eli, eli lamma azabthani, ce qui est sûrement hébreu.


Érasme, à qui Kemnitius doit beaucoup, enseigne, en annotant ce passage que Jésus a dit ces mots en hébreu. Ajoutons qu’il aurait dit en syriaque : « hil, hil, lemana sebactani ». C’est ce que nous avons en grec et en latin, pour pouvoir prononcer plus facilement ces mots, comme nous disons Isaïe et non Jejasahu, Ezechias et non Irmejahu, Jérémie et non Irmejahu, Assuerus et non Achascueros. Nous faisons la même chose pour tous les mots hébreux difficiles à prononcer.


La septième objection de Kemnitius. Saint Jean Chrysostome encourage souvent les laïcs à lire l’Écriture. C’est tout comme s’il permettait la lecture en langue vulgaire. Et comme Kemnitius ne cite aucun passage, nous pouvons quand même signaler quelques-uns de ses textes. Dans son homélie 9 sur son épitre aux Colossiens, il dit : « Écoutez vous tous, les séculiers, je vous en supplie. Achetez-vous des bibles, les remèdes de l’âme. Si vous n’êtes intéressés à rien de tout cela, faites au moins l’acquisition du nouveau testament, des actes des apôtres, des évangiles… ». Il dit la même chose dans son homélie 2 sur saint Matthieu, dans sa préface à l’épitre de saint Paul, dans l’homélie 3 sur 2 aux Thess, dans l’homélie 10 sur Job, et l’homélie 3 sur Lazare.


Les paroles que saint Jean Chrysostome exprime dans ses sermons, il faut toujours les comprendre dans son sens à lui, et tenir des circonstances où il se trouvait quand il les a prononcées. En son temps, les hommes étaient friands de pièces de théâtre, de spectacles, de toutes sortes de fictions, et ne lisaient jamais les saintes Écritures, même ceux qui étaient capables de le faire, Pour les arracher à leur inertie, et secouer leur paresse, il les exhortait constamment à lire les saintes Écritures, non parce qu’il voulait que tous, même les illettrés, les lisent, mais pour que les lisent ceux qui pouvaient le faire avec fruit. Car il savait comment se comporter envers ceux qui avaient besoin de plus d’instruction. Qu’il en ait bien été ainsi, on peut le démontrer par plusieurs citations. Trois suffiront.


Dans son homélie 4 sur Lazare, il dit : « Il ne peut pas arriver que quelqu’un obtienne le salut éternel s’il ne s’emploie pas constamment à la lecture spirituelle ». S’il fallait prendre ses mots à la lettre, qui ne voit qu’il dit une fausseté manifeste ? Quoi donc ? Ceux qui n’ont pas étudié les lettres ne peuvent pas être sauvés ? Il s’agit donc ici d’une hyperbole, Il ne faut pas prendre ces mots au sens strict. Dans l’homélie 15 sur le Genèse, il dit : « Il n’est permis de jurer ni dans une chose juste ni dans une chose injuste ». Et dans son homélie 17 sur saint Matthieu : « Quoi donc ? Si quelqu’un exige de toi un serment, et t’impose l’obligation de jurer, que la crainte de Dieu soit pour toi plus forte que toute nécessité ». Il semble donc qu’il ne faille en aucune façon jurer, alors qu’il est certain que c’est un acte religieux et bon de jurer dans une chose juste et nécessaire. Mais saint Jean Chrysostome avait recours à ces figures littéraires dans ses sermons, parce que son peuple était adonné sans mesure aux serments, comme on le voit dans son homélie 9 sur les actes des apôtres, et en d’autres endroits du même auteur.


Et voici la dernière objection. Il y a 600 ans, le siège apostolique accordait aux Moraves le droit de célébrer les offices divins en langue slave. Et, de nos jours, les Ruthins, les Arméniens, les Égyptiens, les Éthiopiens et d’autres célèbrent les offices divins dans leurs propres langues. Je réponds que le cas des Arméniens ou d’autres semblables nous touche moins que celui des Luthériens, des Anabaptistes, des Calvinistes qui lisent publiquement les saintes Écritures en allemand, en français, en anglais, ou en polonais. Car, on ils sont des hérétiques ou des schismatiques, et nous savons très bien que la plupart d’entre eux agissent différemment, comme nous l’avons démontré plus haut. S’il y en a quelques-uns parmi les catholiques qui agissent ainsi, comme les Maronites en Syrie, ils ne célèbrent pas, il est vrai, les divins offices en hébreu, en grec ou en latin, car ces langues sont disparues dans ces contrées même chez les érudits, mais ils les célèbrent dans une langue qui n’est pas celle de la langue du peuple. Les Maronites, en effet, parlent en langue arabique, mais célèbrent les saints mystères en langue chaldéenne. Et ceux qui se servent de la langue syriaque ou arabique, utilisent le syriaque et l’arabique érudits, non populaires. Les Grecs font la même chose. Ils ne disent pas les offices religieux dans langue grecque parlée par le peuple, mais dans la langue grecque érudite.


Au sujet de la Moravie, je réponds. On peut trouver une juste cause pour expliquer qu’il fallait alors agir ainsi. C’est que, comme le rapporte Énée Sylvius dans son livre de l’origine des Bohémiens, au chapitre 13, tout le royaume s’était converti en même temps, et on ne pouvait pas trouver de prêtres capables de célébrer en latin. Le pape a donc jugé qu’il était préférable d’avoir des cérémonies en langue populaire plutôt que rien du tout. Par la suite, au fur et à mesure que se développait l’éducation dans le pays, et que l’on trouvait des prêtres capables de célébrer en latin, il a paru préférable de laisser tomber la langue slave, et d’adopter la coutume de l’Église, comme le font en notre temps les catholiques moraves.

Que cela suffise pour les éditions des saintes Écritures.

fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin, docteur de l'Eglise Catholique Romaine : JesusMarie.com, France, Paris, juillet 2017.