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Rupert de Deutz (1070 ? - 1129 ?)

DIALOGUE ENTRE UN JUIF ET UN CHRÉTIEN
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LIVRE PREMIER

 Le Chrétien  :   Moi, par le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,  j’ai effacé en moi la tache du péché originel,  la faute de désobéissance du premier homme.  Et contre la nourriture de l’arbre interdit, que le même premier homme a mangé,  j’ai reçu, comme un don de dieu,  de l’arbre de la croix,  le corps et le sang du Christ.  En mangeant l’un et en buvant l’autre,  j’obtiens la grâce et la gloire des fils adoptifs de Dieu.

 Le Juif :  Moi, par la vertu de la circoncision que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a sanctionnée de sa propre  autorité,  je suis son fils premier né, comme Dieu lui-même l’a attesté à Pharaaon : Israêl est mon premier né.  Je te dis : laisse aller  mon fils, pour qu’il me serve. Et tu n’as pas voulu le laisser aller.  Voici que moi je tuerai ton fils premier-né. (Ex. 1V)

 Le Chrétien :  Je suis en mesure de te dire, et je te le dirai, pour quelle raison et en vue de quelle utilité  il me fallait recevoir le baptême.  Pourquoi cela était tout à fait nécessaire.  Dis-moi d’abord, si seulement tu le sais,  pour quelle raison et en vertu de quel avantage  tu as été circoncis.   Quant à moi, je suis disposé à te démontrer que la plaie de la circoncision ne peut pas, actuellement, te rendre fils de Dieu.  Récite maintenant la tradition elle-même de Dieu,  celle de la circoncision.

 Le Juif :  Dieu a dit à Abraham mon Père :  Tu garderas donc mon alliance, toi et ta descendance après toi, de génération en génération.  Voici  l’alliance que vous garderez entre vous et moi, et ta descendance après toi.  Tout mâle parmi vous sera circoncis.  Vous circoncirez la chair de votre prépuce,  pour que ce soit un signe de l’alliance entre vous et moi.  Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. Qu’il soit né dans la maison ou acheté à prix d’argent à quelque étranger qui n’est pas de ta race, on devra circonscrire celui qui est né dans la maison et celui qui est acheté à prix d’argent.  Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle.  L’incirconcis, le mâle dont on n’aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté.  Il a violé mon alliance.  (Gen 17)

 Le chrétien :  Cette tradition je l’ai, jusqu’à maintenant, lue et relue.  Je l’ai en vénération et  je ne cesserai jamais de la vénérer,  car elle vient de Dieu.  Nous devons, cependant, moi aussi bien que toi, considérer l’intention de l’auteur de cette prescription. Car, après avoir dit  et vous circoncirez la chair de votre prépuce, il a ajouté  comme un signe d’alliance entre moi et vous.  Je te demande donc d’abord :  ce qu’on appelle alliance et signe de l’alliance, qu’est-ce que c’est ?  Dis donc en quoi consiste l’alliance ?

 Le Juif :  Un pacte d’amitié c’est une entente,  une union de personnes qui s’aiment.

 Le chrétien :  Tu as bien répondu.  Le Créateur s’est associé avec sa créature.  Dieu s’est uni par amitié avec l’homme Abraham,  et de cette alliance mutuelle il a voulu que le signe soit la circoncision de la chair.  Dis donc en quoi a consisté ce pacte,  en  signe duquel Dieu a donné la circoncision.

 Le Juif :  En quoi d’autre qu’en la bonté de notre père Abraham.  Il fut un saint, et en vivant saintement, il a plu à Dieu.

 Le chrétien :  Je ne veux pas que tu me répondes en tes mots.  Mais réponds-moi par une citation de l’Écriture sainte.  Il est tout à fait vrai qu’Abraham a été un homme bon.   Mais ce que je veux recevoir du texte même de l’Écriture  ce sont ces mots où l’on trouve un témoignage indubitable  de sa bonté et de sa sainteté.  Pourquoi es-tu figé ?  Pourquoi te tais-tu et hésites-tu ?  Ce sera donc moi qui te le dirai :  Abraham crut en Dieu, et cela lui fut imputé à justice.  (Gen. XV,  Rom 1V, Gal 111)  D’aucune autre de ses œuvres il n’a été dit ou écrit qu’elle lui a été imputée à justice,  si ce n’est de sa foi.

 Le Juif :  Je suis forcé de le reconnaître.  Car il est manifeste qu’il en est ainsi.

 Le chrétien :   En ce jour-là,  dit l’Écriture,  Dieu conclut une alliance avec Abraham.  (Gen. XV)  Et après cela,  après rien de moins que quatorze ans,  le Seigneur lui apparut, et lui dit les paroles que tu as rappelées.  Tout mâle d’entre vous sera circoncis, et vous circoncirez  la chair de votre prépuce, pour que ce soit un signe d’alliance entre moi et vous.   L’alliance est donc une chose différente du signe, car l’alliance  est le mérite de la foi.  Or, c’est à cause de la foi qu’Abraham a été justifié devant Dieu,  et que Dieu s’est allié avec Abraham.  La circoncision est un signe de l’alliance,  prescrite  après un bon nombre d’années.   En conséquence,  quand Dieu dit :  Mon pacte sera dans votre chair comme une alliance éternelle. je ne veux pas que tu fasses dire à Dieu :  et vous circoncirez votre chair éternellement, parce que l’alliance est éternelle.  La circoncision ne peut pas être pratiquée éternellement,  puisque la succession elle-même des circoncis n’est pas éternelle.

 Le Juif :  Elle est pourtant nécessaire au salut éternel, car le mâle, est-il dit, dont la chair du prépuce ne sera pas circoncise,  son âme sera retranchée du peuple, parce qu’il aura rendu nul mon pacte.

 Le chrétien :  Elle fut nécessaire aussi longtemps  qu’il a fallu l’observer.

 Le Juif :   A-t-elle été donnée et imposée pour un temps seulement ?  Ou est-il changeant le Dieu qui a ordonné  de l’observer ?  Que veux-tu donc dire quand tu affirmes : aussi longtemps qu’il a fallu l’observer.

 Le chrétien :  Rappelle-toi ce dont nous sommes convenus, à savoir que la circoncision n’est pas l’alliance, n’est pas le pacte,  mais le signe du pacte et de l’alliance; que le père Abraham n’a pas été justifié  ni n’est devenu ami de Dieu par la circoncision, mais par la foi, avant même la circoncision.

 Le Juif :  Je m’en souviens très bien.  Mais il appert, néanmoins, que la circoncision a été donnée sans limite de temps par un Dieu éternel et immuable.

 Le chrétien :  La circoncision est donc le sceau de la justice de Dieu. (Rom 1V)   Je veux maintenant savoir de toi la substance de la foi, c’est-à-dire  en quoi Abraham eut-il foi, qu’est-ce qu’il a cru;  quelle chose lui fut  proposée à laquelle il a été trouvé fidèle ?   Pourquoi demeures-tu inerte ? Pourquoi hésites-tu ?  Je te dirai donc  que le premier et dernier article de cette foi fut la promesse de la descendance  dans laquelle seraient bénies toutes les nations.  Car en lui parlant d’abord, il lui dit : Quitte  ta terre, et  ta parenté etc  jusqu’à :  En toi seront bénies toutes les tribus de la terre. (Gen. X11)  Et il crut alors.  Il sortit donc comme le lui avait commandé le Seigneur.  Après les peines  de la pérégrination et de l’attente, le Seigneur lui apparut une quatrième fois et lui dit :  Regarde le ciel et compte les étoiles, si tu le peux. C’est ainsi que sera ta descendance.  (Gen. XV)   C’est alors que dit l’Écriture :  Abraham crut en Dieu, et cela  lui fut imputé à justice. (ibid.)

 Le Juif :  Quelle était cette descendance (semence) ?   Que veux-tu que je comprenne dans ce que tu racontes  et en toi, ou dans ta descendance (ta semence) seront bénies toutes les nations ?

 Le chrétien :  Interroge ton père,  et il te répondra ton père Jacob, que tu te glorifies d’avoir pour père selon la chair :  Il viendra, dit-il,  celui qui doit être envoyé, et c’est lui qui sera l’attente des nations. (XL1X)   Ce qu’il appelle attente  des Gentils comprends-le au sens de bénédiction  des Gentils, et vois dans cette bénédiction la rémission des péchés, car la malédiction vient du péché, par lequel la mort est entrée dans le monde. (Rom V)  Cette descendance (semence) d’Abraham est donc le Messie qu’ont attendu vos pères.  Et c’est la foi d’Abraham dans cette semence ou descendance qui a été imputée à justice.  Et c’est à cause du mérite de cette foi et de cette justice que Dieu a contracté un pacte avec lui, dont il a voulu que la circoncision soit le signe.

 Le juif :  Si, comme tu le dis, la circoncision est le  signe de l’alliance et de la foi,  pourquoi a-t-il été  posé ce signe sur cette partie du corps qui est cachée ?  Un signe, en effet, ou tout ce qui sert  de signe, doit être placé de façon à être vu.  Pourquoi le signe n’a-t-il pas été plutôt placé dans la face, ou sur l’oreille, ou à une autre partie du corps où il serait visible ?

 Le chrétien : A Dieu rien n’est invisible, mais tout est à découvert et visible aux yeux de Dieu. (Hebr. 1V)  Il est donc meilleur et plus raisonnable,  puisque c’était dans une semence à venir qu’était la foi, que le signe de la foi fut posé sur cette partie du corps par laquelle la semence est naturellement transmise.  On peut dire la même chose de Noé qui fut, de la même façon, justifié par la foi, quand il crut à ce que Dieu dit : Je vais envoyer les eaux du déluge. (Gen. V1), alors que presque tous les autres demeurèrent incrédules.  A cause de quoi l’Écriture dit aussi de lui qu’il marcha avec Dieu dans la justice et la perfection. (ibid.)  Il reçut donc un signe approprié au motif de sa foi.  Car, parce qu’il crut sans hésiter à ce qu’avait dit Dieu : Je vais envoyer les eaux du déluge sur la terre;  ainsi que :  Je ferai pleuvoir sur la terre pendant  quarante jours et quarante nuits, et parce qu’il construisit une arche comme Dieu le lui avait demandé,  il reçut un signe non n’importe où, mais dans les nuées du ciel, d’où était descendue la pluie, comme il l’avait cru.  Car voici,  dit Dieu, que j’établirai un pacte avec vous, et ceci sera le signe de mon alliance avec vous : je mettrai mon arc dans les nuées du ciel.  (Gen. 1X)

 Le Juif :  Quelle nécessité y avait-il de donner la circoncision comme un signe de  l’alliance ?

 Le chrétien :  Pourquoi cette question ?   Demande-toi aussi pourquoi il fut nécessaire de placer un signe dans les nuées du  ciel, et à quoi cela a servi.  Si tu ne le demandes pas, ce n’est pas moi qui répondrai mais Dieu :  Je le verrai, et je me souviendrai de l’alliance sempiternelle. Pour qu’il n’y ait jamais plus d’autres eaux de déluge à ravager toute la terre.

 Le Juif :  Dieu a donc tendance à oublier, et il a besoin d’un signe pour se souvenir ?

 Le chrétien :  Il n’oublie rien.  Mais on a raison de dire qu’il se souvient quand il nous fait nous souvenir.

 Le Juif :  Je suis d’accord.  Car il a dit à Abraham maintenant je sais que tu crains Dieu, celui qui connaissait cela comme il connait toutes choses avant qu’elles n’arrivent.

 Le chrétien : Si donc tu te demandes pourquoi il fut nécessaire de donner la circoncision comme signe de l’alliance,  c’est lui qui te répondra,  même si non dans les mêmes paroles ni dans le même sens.  Je verrai le signe, et je me souviendrai de mon alliance, que j’ai contractée à cause de la foi.  Parce qu’il a cru dans la descendance (semence) que je lui ai promise.  Je m’en souviendrai, dis-je, et je  le rappellerai à la mémoire des descendants d’Abraham pour qu’ils soient sûrs que je ne cesserai pas d’être fidèle et véridique,  tant que je n’aurai pas accompli la parole de la promesse.

 Le Juif :  Pourquoi toutes ces paroles ?  Où veux-tu en venir,  ou où veux-tu m’amener ?

 Le chrétien :  Ne t’ai-je pas plus haut proposé de te démontrer que la plaie de la circoncision ne peut pas, à notre époque, faire de toi le fils de Dieu dont Dieu parlait au Pharaon :  Israël est mon fils premier né. Libère mon fils pour qu’il aille m’offrir un sacrifice. (Ex 1V)  Attends un peu.  Nous arriverons vite au but.    Je te dis encore que Dieu, à qui il est impossible de mentir,  non content d’avoir donné la circoncision comme signe de la promesse et de l’alliance,  avait ajouté un serment en ces mots, comme redoublant la promesse :  Je le jure par moi-même.  Parce que tu as fait cela, parce que tu n’as pas épargné ton fils unique, je te bénirai et seront bénies dans ta descendance (semence) toutes les nations de la terre. (Gen.X11)   Car le Dieu fidèle souhaitait que les hommes soient assurés de l’immuabilité de son dessein.  Et c’est pour cette raison qu’au dit signe de l’alliance il a ajouté un serment,  jurant par lui-même, car il n’y avait pas de plus grand par qui il aurait pu jurer. (Hebr, V1)

Et voilà qu’il a accompli ce qu’il avait promis, sans avoir oublié ce qu’il avait juré.   Dieu a été trouvé juste dans ses paroles, comme le dit David en priant (Ps 1);  il n’a pas oublié son serment. Il s’est montré fidèle dans toutes ses paroles, comme le dit encore David (Ps CXL1V).  Car, de la semence d’Abraham, est né le Messie appelé le Christ,  et dans cette semence sont déjà bénies toutes les nations.

 Le Juif :  Comme ils sont nombreux ceux qui ne recherchent pas cette bénédiction.  Comme ils sont nombreux, partout sur cette planète, ceux qui méprisent celui que tu appelles Christ !  Comment donc peux-tu dire que,  comme il a été promis à Abraham,  ce soit lui la semence dans laquelle sont bénies toutes les nations ?

 Le Chrétien :  A-t-il été promis à Abraham que, dans sa semence, seraient bénis tous les hommes ? Non pas.   Mais toutes les nations, toutes les tribus.  C’est-à-dire quiconque, parmi toutes ces nations,  croirait, sans faire de distinction entre mâle et femelle, Gentil et Juif,  circoncision et prépuce, barbare et Scythe,  esclave ou homme libre.  Autrefois, avant que vienne cette semence,  il n’en était pas ainsi.   La bénédiction ne valait que pour la seule Judée, et c’est dans cette Judée que la promesse  de la bénédiction était contenue.  C’est elle qui avait  entendu les paroles des prophètes.  Mais cette promesse de bénédiction  n’était pas prêchée aux autres peuples.

 Le Juif :  Au contraire.  Elle a été prêchée aux autres peuples.  Et nous l’avons écrit  en toutes lettres, dans les prophètes.   Elle a été prêchée en Assyrie, prophétisée  à Babylone, annoncée à Moab, proclamée en Egypte, racontée au Mède comme à l’Iduméen.  On n’a pas refusé d’en parler en Arabie, elle était commandée à Tyr la mérétrice. Ce qui devait arriver dans le futur a été annoncé par Isaïe, Jérémie et Ezechiel.

 Le chrétien :  Nous savons parfaitement qu’à plusieurs nations des calamités ont été annoncées,  à l’Assyrie, à Babylone, à l’Egypte,  et à d’autres nations qu’il serait trop long d’énumérer.   Mais ce n’était pas cela  prêcher aux nations la bénédiction de la semence d’Abraham.   Une chose était d’avoir un prophète assis avec sa plume dans un coin restreint  du domaine Juif, qui décrit à l’avance en langue hébraïque des calamités qui frapperont les nations.  Autre chose est de voir des apôtres aller chez les Nations, leur prêcher dans leurs langues la pénitence et la rémission des péchés, au nom de la semence d’Abraham.

 Le Juif :  Le prophète Jonas alla lui aussi chez les Gentils.  Il a été envoyé à la capitale  des Assyriens, et y a prêché.

 Le chrétien :  Qu’est-ce qu’il a prêché,  je  le demande.   Cette prédication portait-elle sur une bénédiction, sur le royaume de Dieu ?  Pas le moins du monde.  Mais sur ceci seulement : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. (Jon 111)   Il n’a pas prêché.  Il n’a pas été non plus envoyé pour que les Gentils se convertissent au Seigneur, car le temps de la conversion des Gentils n’était pas encore arrivé.  Mais cela arrivait pour que les Assyriens, dans les mains desquels Israël serait livré en captivité,  soient trouvés à l’épreuve,  plus fidèles qu’Israël.  Car ces mêmes Assyriens crurent à l’annonce prophétique  d’une destruction prochaine de leur ville.  Mais Israël est demeuré incrédule quand la même captivité leur a été prédite par plusieurs prophètes, et corroborée par de nombreux miracles, surtout ceux que Dieu a opérés par le moyen d’Elie et d’Elisée.

  Pourquoi demeures-tu sans voix ?   Je constate que tu n’as rien à m’opposer pour me contredire,  rien avec quoi tu puisses infirmer la vérité d’une chose  aussi évidente, à savoir que la semence d’Abraham est venue pour la bénédiction de toutes les nations, comme le Dieu fidèle l’a promis et l’a juré à Abraham.

 Le Juif :  Toutes les choses dont tu parles sont miennes.  Et tu les as tirées de mes livres.   En quoi cela te concerne-t-il ?  Qu’as-tu en commun avec mes Écritures ?

 Le chrétien :  Ne suis-je pas fourbe pour mon plus grand bien, et ne dois-je pas l’être ?  Isaac a dit à son premier-né Ésaü :  Jacob a reçu ta bénédiction.  (Gen. XXV11)  Il n’y a pas à s’étonner  que, comme la mère Rébecca,  il m’ait orné, moi chrétien, des vêtements excellents d’Ésaü, que toi, Judée, tu déclares tiens.    Mais venons-en à notre propos, à ce que je m’étais engagé de te démontrer, à savoir  qu’à notre époque,  la circoncision n’est d’aucun profit; et qu’elle devait cesser après l’avènement de la semence d’Abraham.

 Le Juif :  Il ne vaut pas la peine de prêter  plus longtemps l’oreille à des paroles de ce genre.   J’ai d’autres chats à fouetter.  Je reviendrai pour écouter et répondre en temps opportun.

 Le chrétien : O Judée, combien de fois as-tu  mis fin à brûle pourpoint à des rencontres comme celle-ci par des  faux-fuyants ?  Combien de fois as-tu  respecté les rendez-vous ?   Tu prends la fuite parce que tu ne peux pas supporter la vérité  dont tes yeux réverbèrent la lumière.    C’est ainsi que fuyaient tes pères,  incapables de supporter,  à moins qu’elle ne  soit voilée,  la clarté lumineuse de la face de Moïse.  Mais, demeure maintenant,  je t’en prie, car, aimant la vérité,  je cherche autant que toi  ton salut.  Je ne te reproche pas de ne pas être savant selon ce qu’a dit un de tes prophètes :  Mon peuple a été réduit en captivité parce qu’il n’a pas eu la science. (Is,V) Comme un autre qui a dit : Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai de mon sacerdoce. (Os,V1)  Et beaucoup d’autres de semblables.  Mais je veux  te laisser entendre que  tu ne dois pas penser  que tu sais déjà,  et qu’il te convient de  refuser d’apprendre quoi que ce soit.  Ne sois pas  sage à tes yeux au point de contredire la vérité quand tu l’entends.

 Le juif :  Dis le reste.  Continue  à ta guise.

 Le chrétien :  C’est ce que je fais.  Si tu te rappelles correctement,  et si en récitant les paroles de l’Écriture  tu en perçois le vrai sens, tu constateras que le signe de l’alliance, le sceau de la foi,  la circoncision de la chair, que le père Abraham a reçu sur l’ordre de Dieu,  fut un résumé ou un compendium de la profession  présentant aux hommes fidèles un témoignage de la foi et de l’attente de la venue de la bienheureuse semence d’Abraham, le Christ, en laquelle ils croyaient et qu’ils attendaient.   Et possédant ce témoignage, par la juste miséricorde et par la justice miséricordieuse, ils devaient, à son avènement, être justifiés en perfection.  Et au Dieu qui avait promis, ce fut un rappel pour qu’en voyant ce signe il se souvienne de son alliance, et envoie cette semence qu’il avait promise par serment.

Et s’il en est ainsi, ou plutôt parce qu’il en est ainsi, en toute vérité, après la venue de cette semence  la circoncision devait absolument prendre fin,  puisque être circoncis c’est dire :  Envoie celui que tu enverras.   Envoie-le parce que tu ne l’as pas encore envoyé.  Car nous ne recevons pas celui que tu dis avoir envoyé.  Et cela est renier celui qui est déjà venu,  béni au nom du Seigneur.  Toi qui au début voulais me persuader de  me faire circoncire, tu me parlais comme on parlait aux premiers païens qui avaient écouté la prédication de l’évangile.  On leur disait :  Si vous ne vous circoncisez  pas à la façon de Moïse, vous ne pourrez pas être sauvés. (actes XV)  Mais je pense que c’est avec plus de justesse et de rectitude qu’on me dit :  Si tu te circoncis, le Christ ne t’est d’aucun profit. (Gal V)

 Le Juif :  Si toi, tu  veux que la circoncision ne te soit  d’aucun profit,  à moi il est profitable d’être circoncis comme l’ont été le huitième jour mes pères, mon père Isaac, mon Père Jacob.

 Le catholique :  Pourquoi ne dis-tu pas plutôt  comme a été circoncis Esaü, comme a été circoncis Ismaël ?   Car la circoncision d’Ismaël et d’Ésaü diffère autant de celle d’Isaac et de Jacob que ne diffère ta circoncision de celle d’un fidèle quelconque d’avant la venue de la bienheureuse semence.  Dis-moi, si tu le sais, ce que la circoncision d’Isaac avait de plus que celle d’Ismaël;  celle de Jacob plus que celle d’Ésaü.  Ils avaient tous reçu en leur chair la plaie de la circoncision.  Ismaël et Isaac  étaient deux fils du même père. Abraham.  Jacob et Ésaü furent deux fils selon la chair du même père, circoncis le même jour.
 Le juif :  Réponds, toi, à la question que tu as posée.  Quelle différence y eut-il entre leurs circoncisions ?

 Le chrétien :  Je le dirai brièvement.  Car, comme il y a deux alliances et un signe de l’alliance,  ainsi qu’il a été clairement démontré,   Isaac et Jacob, comme leur père Abraham,  ont reçu une alliance dans l’esprit et un signe de l’alliance dans la chair, i. e. la circoncision.  Mais Ismaël et Ésaü ont reçu le signe, la circoncision,   sans qu’elle soit le trésor de la foi, le sceau de l’alliance.   Ils ont été marqués par un signe superflu comme des vases vides.  En conséquence, leur bénédiction portait en totalité sur la chair et les choses corporelles, comme a dit Dieu à Abraham :  Au sujet d’Ismaël, je t’ai aussi exaucé. Je le bénirai, je l’augmenterai, et je  le multiplierai grandement. (Gen XV11)   A Ésaü :  Dans la fertilité de la terre, et dans la rosée du ciel sera ta bénédiction. (Gen XXV11)

Mais la bénédiction d’Isaac et  de Jacob porte sur des biens spirituels et éternels, comme le disait Dieu à Abraham :  Mais mon alliance je l’établirai avec Isaac.  Isaac a dit à Jacob :  Que les peuples te servent et que les tribus t’adorent.  (Gen XXV11)   Ce qui a été dit pour le Messie, dans lequel sans aucun doute nous adorons la chair de Jacob.  Même si les bénédictions temporelles ne leur ont pas fait défaut,  l’abondance de la rosée du ciel et la fertilité  de la terre.   Ta circoncision, oh  Juif qui aujourd’hui te circoncises, Dieu la considère semblable à celle d’Ismaël et d’Ésaü, parce que, comme eux, tu reçois sans la foi et sans l’alliance le signe de la foi, i.e.  la plaie de la circoncision, comme un vase vide.

 Le Juif :   En autant que cela dépend de toi,   tu dissous  notre race,  tu t’appliques à abolir la mémoire de notre nation, pour que, demeurant incirconcis, nous ne soyons en rien dissemblables aux autres peuples, et qu’ainsi disparaisse le nom d’Israël.

  Le chrétien :  Je ne fonds pas ta nation dans toutes les autres.  Mais je veux que tu parviennes à la vraie gloire;  que tu ne te glorifies pas dans la chair,  mais dans la foi de la semence d’Abraham.  Car il y a un seul peuple,  le grand peuple d’Abraham promis selon  la foi dans la semence,  comme le dit Dieu :  Je ferai de toi une grande nation. Et il ajoute :  Et en toi seront bénis tous les peuples de la terre.  Qu’est-ce qui te semble préférable ?   Mourir à la foi dans un peuple et avec ton peuple petit, captif  et dispersé,  ou par la foi dans cette nation, la grande nation d’Abraham,  nation lumineuse,  décrite dans le ciel,  selon cette parole :  Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux. C’est ainsi que sera ta semence.   La semence d’Abraham ici est  comme la lune, tous les saints et les élus sont comme des étoiles, la multitude innombrable n’est comptée que par Dieu.  Fais comme tu veux.  Ta circoncision, d’après notre raisonnement,  est donc inutile.  Mais moi qui ai été baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,   j’ai, dans la foi à la semence d’Abraham, effacé le péché du premier père le vieil Adam,  et obtenu la gloire de l’adoption des fils de Dieu, des fils d’Abraham.

 Le Juif :  Si, par ton baptême, tu as effacé le péché du premier parent Adam, pourquoi meurs-tu ?  La mort n’est-elle pas la peine du péché ?   Si le péché t’est remis à toi et non à moi,  pourquoi meurs-tu tout comme moi ?  Puisque la mort est la peine du péché, et que le péché fut la cause efficiente de la mort.

 Le chrétien :  Moi je vis, et j’ai été libéré par la grâce du baptême de la mort introduite par et avec le péché.

 Le Juif :  Tu meurs à chaque jour, quotidiennement,  chrétien, puisque tu es cendre,.  Ni moins ni plus tardivement qu’un Juif  tu retourneras en poussière.

 Le chrétien :  Tu as un voile sur les yeux,  et c’est pour cela que tu ne vois qu’une seule mort, celle du corps.  Que le voile de tes yeux soit enlevé pour que tu voies qu’il y a deux morts.  Une de l’âme, par laquelle l’âme est séparée de Dieu;  l’autre de la chair, par laquelle l’âme abandonne le corps.   Le péché amena la mort de l’âme le jour même où l’homme mangea ce qui était défendu,  selon la vérité de la parole de  Dieu : Si tu en manges tu mourras de mort.  La mort de la chair Dieu, dans sa miséricorde, ne l’a pas amenée le jour même où fut mangé le fruit défendu,  mais à l’âge de quatre-vingt-treize ans.  Puisqu’Abel mourut le premier,  et que d’autres ont pu mourir aussi au cours de tant d’années, ou être tués,  celui qui a mangé le fruit défendu n’est pas mort le jour même de la mort de la chair,  mais après un grand nombre d’années.  Entre les deux morts, il y a cette différence que  la mort de l’âme a été donnée instantanément  par le démon du fait du péché.  Mais la mort de la chair a été remise à plus tard par la providence miséricordieuse de Dieu.

 Le Juif :  Comment par miséricorde ?  Plutôt que par miséricorde, n’est-ce pas  sous le coup de la colère et de l’indignation qu’il a expulsé Adam du paradis de volupté, de peur qu’il n’étende sa main, ne cueille un fruit de l’arbre de vie,  en mange et vive éternellement ?

 Le chrétien :  Ce fut le propre non de la colère mais d’une grande miséricorde  qui déjà nous entourait de sa bienveillance.  Car il a vu que ce serait chose trop inutile à l’homme de le faire vivre éternellement, s’il vivait éternellement selon le corps.  Comme il était mort selon l’âme, il serait demeuré irrécupérable  comme le sont les démons et les orgueilleux indomptables.  Mais en mourant quotidiennement,  il est à peine dompté par un esprit d’humilité.  C’est donc une bonne chose que la grâce du Libérateur  m’ait déjà libéré  de la mort du péché par le baptême.

 La mort du corps, il l’a remise à plus tard, laquelle coopère grandement avec toutes les misères de cette vie,  pour que, à la pensée d’une mort subite, tous ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle puissent plus rapidement être amenés à demander la grâce et à prévenir la colère du Juge.   Pour cette raison,  le péché n’a pas rendu impossible les naissances.  Il avait déjà été commis et corroboré par une défense quand Dieu a dit à la femme : Je multiplierai les douleurs d’enfantement.  (Gen 111)  Mais la bénédiction demeura  par laquelle il les avait bénis avant qu’ils pêchent, quand il leur avait dit : croissez et multipliez-vous. (Gen l)

 Le Juif :  Sans ton baptême mon père Abraham a été sauvé de cette mort que tu appelles mort de l’âme.  Lui qui, toi-même tu l’admettras, était un juste et un saint,  celui avec qui Dieu s’était lié par un pacte éternel d’amitié, qu’Abraham avait mérité en justice.

 Le Chrétien :  Quand penses-tu qu’Abraham a été sauvé, et est entré dans le paradis?

 Le Juif :  Oseras-tu contredire les Écritures,  oseras-tu toi aussi prétendre qu’Abraham lui-même n’a pas pu entrer dans le royaume de Dieu,  selon ce que tu as coutume d’affirmer qu’absolument personne n’y est entré avant l’avènement de ton Christ ?

 Le chrétien :  Je ne me suis jamais permis de contredire les Écritures saintes. Et de nouveau je l’affirme  que, sans leur autorité,  je n’accepte pas d’écouter ni ton avis ni celui d’un autre, surtout sur un sujet si difficile à éclaircir.  Dis donc, d’après  l’autorité des Écritures,  quand Abraham lui-même ou l’un quelconque des saints de l’ancien testament est-il entré au ciel.  Car d’Abraham,  le père excellent et très saint, nous lisons seulement à la fin de sa vie que,  il est mort dans une bonne vieillesse, avancé en âge, et plein de jours; qu’il a été réuni à son peuple, et que ses fils Isaac et Ismaël l’ensevelirent. (Gen XXV)  Si tu prétends que être réuni à son peuple  soit la même chose que  entrer dans le royaume de Dieu  ou dans le paradis,  tu te buteras sur les paroles de Jacob quand il pleurait son fils Joseph qu’il croyait mort, et qu’il refusait d’être consolé par ses fils :  Je descendrai en pleurant vers mon fils en enfer. Et ces autres : Si quelque malheur arrivait à mon fils Benjamin, en se dirigeant vers l’Égypte, vous ferez descendre mes vieux ans avec douleur dans les enfers.

  Ce n’est pas moi qui te contredis,  mais l’autorité des Écritures.  Ne veuille donc pas imaginer  que le lieu où Abraham a été réuni à son peuple ait déjà été le ciel ou le paradis.  Dans toute la durée de la vie d’Abraham,  tu ne trouveras jamais que Dieu lui ait promis autre chose qu’une semence dans laquelle il serait béni, i.e. le monde  sauvé,  ainsi que la terre de Chanaan, où pendant longtemps  devaient demeurer les fils d’Abraham, jusqu’à ce que cette promesse soit remplie.

 Le Juif :  Abraham  et les autres saints Pères sont donc descendus dans les enfers, et c’est en cela que consistait pour eux d’être réunis à leurs pères ?

 Le chrétien :  Oui, ils sont descendus dans l’enfer, mais pas dans l’enfer inférieur où sont ensevelis les impies, dont parle le prophète :  Et tu as libéré mon âme de l’enfer inférieur.  Dans un lieu ou une région plus basse non seulement que le ciel ou le paradis, mais que la demeure de ce monde.  Ils étaient là affranchis de toutes les peines des impies, et ils y recevaient fréquemment la visite des saints anges, avec lesquels ils s’entretenaient. Car notre Seigneur que je désirerais que tu connaisses déjà, a dit au sujet d’un pauvre :  il mourut et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham.  Mais pour le riche, il dit :  il mourut, et il fut enseveli dans l’enfer.

 Le Juif :  Qu’est-ce qu’il leur manquait donc s’ils n’étaient pas privés de la familiarité des saints anges.  Ou qu’est-ce qui pouvait leur fermer la porte du royaume des cieux, s’ils n’étaient même pas séparés des citoyens de ce royaume ?

 Le chrétien : Je peux te l’expliquer par le sacrement catholique que je prends pour exemple. Si toi tu ne le reçois pas,  les fidèles le reçoivent volontiers, et ils en reconnaissent la vérité tous ceux qui veulent y participer, les petits et les grands.  Je te l’expliquerai ensuite, en prenant pour exemple ce que tu appelles la loi de Moïse.  L’Église  entoure les catéchumènes de soins maternels.  Elle les fait cohabiter avec les croyants et leur apporte la nourriture tirée de l’Écriture la plus riche qu’elle peut.  Et bien qu’elle leur montre ce qu’il y a de commun aux différents ministères,  elle ne les admet pas à l’autel du saint sacrifice tant que ne leur ait pas été administré le sacrement du saint baptême, par lequel est effacée totalement la tache du péché originel.

 Mais à toi, cet exemple ne te dit probablement pas grand-chose.    La loi de Moïse interdit l’entrée du temple et l’accès à l’autel à la femme menstruée jusqu’à ce que,  après les jours prescrits, elle vienne au temple avec des hosties de purification.   Selon le premier exemple, Abraham et tous les saints anciens étaient semblables aux catéchumènes.  Parce qu’ils n’étaient pas encore purifiés,  ils n’étaient admis ni au sanctuaire ni à l’autel céleste,  la participation   véritable et éternelle duquel est la douceur de la présence,  de la douce présence de la vision de Dieu.  Je pourrais te démontrer la même chose avec l’exemple tiré de la femme menstruée.  Souviens-toi d’abord que des plus connus de ces saints, Isaïe a dit :  Nous sommes tous devenus comme un immonde, et toute notre justice comme la loque  de la menstruée..  Et Zacharie a dit là-dessus :  En ce jour-là il y aura une fontaine ouverte pour la maison de David, et pour les habitants de Jérusalem, pour l’ablution du péché et de la menstruée.

Selon cet exemple donc, puisque la justice de la loi a été comme la loque de la femme menstruée  jusqu’à ce que soit ouverte une fontaine pour la maison de David,  il te faut concéder que comme la femme menstruée  était retenue au seuil de la maison de Dieu jusqu’à ce que, après les jours prescrits pour sa purification,  elle se joigne aux offrandes légitimes, de la même façon, les saints et tous les justes, dont la justice était jusqu’à alors imparfaite,  étaient  privés du sanctuaire du ciel et de la vision de Dieu jusqu’à ce que vienne celui qui effacerait la menstruation, lui qui, comme dit le Psalmiste,  pourrait donner la bénédiction puisqu’il est le législateur.

 Le Juif :  Et qui est-il ?

 Le chrétien :  Celui de qui dit le prophète Zacharie :  Toi aussi, dans le sang de ton testament, tu as retiré tes oints du lac où il n’y a pas d’eau. Zac. 1X

 Le Juif :  Et qui est celui-là ?

 Le chrétien :  Celui qui, quand il vint à Jérusalem, pour verser le sang de son testament s’est assis sur un âne ou un ânon,  vrai contempteur  de la vanité du siècle, doux et humble de cœur.  Comme l’avait promis le prophète :  Exulte, fille de Sion.  Jubile, fille de Jérusalem. Voici que ton roi vient à toi,  juste et sauveur.  Il est le pauvre qui monte sur un âne et sur un ânon.  Et il parle de paix aux nations. »  Et puis, en se tournant vers lui :  Et toi, dans le sang de ton alliance, tu as retiré les oints du lac où il n’y a pas d’eau.

 Le Juif :  Donc ton Christ aurait retiré du lac notre père Abraham lui-même ? Où et quand, et comment a-t-il fait cela ?

 Le chrétien :  Quand mon Christ est mort.  Un des soldats ouvrit son côté d’une lance, et aussitôt sortirent de l’eau et du sang.  Dans ce sang de son alliance,  dans cette eau associée à son sang,  il a retiré du lac où il n’y a pas d’eau Abraham et tous ses vaincus.  Et il arriva, comme l’avait prédit le prophète Zacharie : En ce jour, il y aura une source ouverte pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem pour la purification du pécheur et de la menstruée.  Voilà quelle était leur espérance, comme l’attestent leurs Écritures.  Par exemple :  Asperge-moi, dit David,  et je serai purifié. Lave-moi et je serai blanc comme neige.  Et par la bouche d’Ézéchiel,  le Seigneur lui-même parle : Pour que les nations sachent que c’est moi le Seigneur quand je serai sanctifié en vous devant eux.  Je vous enlèverai des nations, et je vous rassemblerai de toutes les terres. et je vous amènerai dans votre terre,  et je verserai sur vous de l’eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos iniquités.

Voilà donc que tu as, de par l’autorité prophétique,  et une eau pure pour les purifier, et le sacrement du sang par lequel nous sommes rachetés, le sacrement de l’eau pour l’ablution, ayant tous la foi dans la bienheureuse semence d’Abraham, i.e. le Christ.  Ce n’est pas un dessein nouveau, mais avant même qu’il arrive,  de toute antiquité, le créateur et Dieu notre sauveur l’avait planifié ainsi.

 Le juif  : Ce sang dont tu parles est-il jamais descendu dans les enfers ?  Ou cette eau qui surgit dans le lac, je ne sais trop lequel, où il n’y avait pas d’eau,  causa une telle inondation ou abondance de cette eau et de ce sang qu’elle coula sur tout le peuple et le purifia,  là où le père Abraham s’était réuni à ses pères,  près duquel se tenaient Isaac et Jacob et une si grande multitude qui vivait au temps de Moïse qu’on peut les appeler globalement peuples, comme le Seigneur a dit à Moïse au mont Hor :  Qu’Aaron le fasse parvenir à tes peuples.  Quelle multitude de ce peuple ou de ces peuples crois-tu qu’il y a eu au temps de David, quand il s’endormit avec ses pères, que tu te souviens avoir dit  ou que tu penses qu’ils ont dit au sujet de ton baptême :  Asperge-moi de l’hysope et je serai pur. Lave-moi et je serai plus blanc que neige.  Bien plus.   Quand Jésus ton Christ a été crucifié et fut frappé par la lance, et que du sang et de l’eau sortirent de son côté,  il était déjà mort.  Puisque la multitude du peuple était si grande,  quelle grandeur n’a-t-elle pas du avoir la rivière  de cette eau et de ce sang pour laver tout ce monde, comme dans une inondation !

 Le chrétien :  Je ne veux pas que tu considères dans ce sang et dans cette eau seulement ce qui est visible, mais la cause de cette effusion, la vertu invisible que le monde a proclamé ne pouvoir supporter, car la terre trembla,  les pierres se fendirent,  les tombeaux s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui dormaient sont ressuscités,  non pas tout de suite ni avant sa résurrection,  mais après.   La vertu de ce sang  n’est pas du tout du même ordre que la secousse qui fit trembler la terre et jeta le trouble dans les enfers.  Sa cause a purifié tout le peuple, selon la vérité de l’esprit prophétique qui a parlé de lui par Isaïe :  S’il dépose son âme pour le péché,  il verra une longue descendance, et la volonté du Seigneur sera dirigée dans sa main. Pour ce qu’a souffert son âme, il verra et sera rassasié.  Dans sa science il justifiera lui-même mes nombreux justes serviteurs, et il portera leur iniquité. C’est pourquoi je lui ai accordé le grand nombre, et il partagera les dépouilles des forts, parce qu’il a livré son âme à la mort, et qu’il a été compté parmi les scélérats.

 Le juif : S’il en est comme du dis, quelle nécessité y a-t-il  à ce que tu sois baptisé personnellement, puisque, selon ton assertion,  il a lavé tous ceux qui croient en lui dans son sang et dans l’eau.  Pour quelle raison dois-tu être lavé de nouveau ? Crois seulement, et ne va pas te faire baptiser.

 Le chrétien : Avant de naître, je n’ai pas pu renaître.  Je n’ai pas pu être lavé avant d’être.   Mais personne ne peut efficacement être lavé avant d’avoir cru.   Ceux qui existaient déjà, ou qui avaient cru en lui alors,  comme il a déjà été dit,  furent lavés sans aucun doute.  Et, de ce grand nombre d’hommes que Dieu seul peut compter, une église solide naquit de nouveau du côté du Christ dormant du sommeil de la mort.  A moi qui veux être incorporé à cette église, est placé à ses portes le sacrement de cette régénération  de celui qui a dit : Allez, enseignez toutes les nations.  Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

 Le juif :   Tu prêches pour ton clocher.   Les paroles de l’Écriture,  tu les glanes ici et là et tu les interprètes à ta guise.  La raison me suffit  pour que je persiste  à tenir sans changement que ce Jésus que mes pères ont crucifié n’est pas le Messie,  i.e. le Christ que mes pères attendaient.  Car, si c’est lui,  où sont la bonne Jérusalem et la prospère Sion ? Où l’exultation de Jacob,  la joie d’Israël promise par la voix de tant de prophètes, qui devait abonder à son avènement ?

 Au contraire,  après la venue de ce Jésus, non seulement n’est pas arrivé ce que, par exemple, je me rappelle des paroles de Zacharie :  Et Jérusalem s’assoira en toute sécurité. Et voici quelle sera la plaie avec laquelle Dieu frappera toutes les nations qui auront guerroyé contre Jérusalem. Et les richesses de tous les Gentils seront rassemblées autour d’elle, l’or, l’argent et les vêtements en grand nombre.  A la vérité,  Jérusalem n’a jamais autant été frappée,  son or, son argent et ses vêtements autant spoliés –et elle-même fut détruite alors, comme elle l’est aujourd’hui---qu’au temps de celui que tu dis Christ, roi de Sion, roi de Jérusalem.  Est-ce de lui que le prophète  aurait dit les paroles que tu a rapportées :  Exulte, fille de Sion,  jubile, fille de Jérusalem. Voici ton roi qui vient juste et sauveur ?

 Le chrétien :  O Judée, vois à ce que ne t’arrive pas ce qu’a écrit le prophète : Que leur table devienne devant eux comme un piège, en  rétribution et scandale.  Que leurs yeux s’obscurcissent et qu’ils ne voient pas !  Et ailleurs : Il a plu des pièges sur les pécheurs.  Car je te dis que, pour les peuples pécheurs,  leur table, i.e. la sainte Écriture est pleine de pièges, surtout à cause de leur cupidité et de leur insatiable avarice,  à cause de laquelle vos pères ont tué le Christ Seigneur, roi de Jérusalem ou de Sion, le roi pauvre, comme le prophète l’a dit en ce lieu :  Exulte, fille de Sion, jubile fille de Jérusalem etc.  Et il ajoute : Il est pauvre et est monté sur un âne.  L’écriture qui est ta table,  faute d’être attentif et de déposer ta cupidité,  t’a pris au piège en te promettant de l’or, de l’argent, et la sécurité de Jérusalem.  Dis-moi maintenant ce que  tu comprends quand tu lis Sion ou Jérusalem :  des pierres ou des hommes ?

 Le Juif :  J’entends par Sion les hommes qui gardaient la citadelle de Sion;  mon peuple qui habitait alors à Jérusalem.

 Le chrétien :  D’accord.  Ainsi que les hommes des autres cités dont Jérusalem était la capitale,  qui venaient d’un peu partout aux jours de fêtes adorer à Jérusalem.  Ceux-là aussi tu les appellerais à bon droit Jérusalem.  Mais, dis-moi.  Les habitants de Jérusalem et ceux qui venaient adorer à Jérusalem, quand ils en sortaient et se réunissaient ailleurs, comme il est arrivé aux ancêtres,  cessaient-ils d’être appelés Jérusalem, cessaient-ils d’être Sion ? N’est-ce pas plutôt ce peuple au décès duquel chacun se rassemblait qui, aux yeux de Dieu, méritait ce nom, eux qui, de leur vivant étaient appelés Sion ou Jérusalem, avec son roi David qui prit la citadelle de Sion,  laquelle devint la ville de Jérusalem ?  Je passe maintenant sous silence l’interprétation mystique des noms, comme le veut la coutume.  Avec toi, je parle maintenant du nom de Jérusalem.

Un auteur profane a dit :  Quand les Gaulois occupaient Rome,  Rome était là où se trouvait Camille, à Véies.  Elle ne perdit jamais non plus ses institutions  et ses droits  quand, avec Pompée, elle changea de pays.  César n’avait que des toits désolés, des maisons abandonnées, des lois réduites au silence, des tribunaux fermés, désolés de ne plus avoir à rendre la  justice.   Et Lucain dans Pharsale : Le sénat  romain, fuyant César, s’est réfugié en Épire, dans une ville grecque, avec les consuls, sous la conduite de Pompée.    Si cela est vrai,  et s’il a pu s’exprimer correctement ainsi,  ce groupe d’hommes était Rome plutôt que les maisons abandonnées là-bas.  Cette façon de s’exprimer ne déroge pas à la coutume générale des peuples.  A plus forte raison, cela est-il vrai pour ce  peuple autour duquel tous se réunissaient à leur mort,  de  Jérusalem et des autres villes.  Jérusalem tirait proprement son nom des adorateurs de Dieu plutôt que de cette petite partie, une génération unique  qui vivait en son temps dans les toits de Jérusalem ou de Sion.

Quant du lis : Exulte fille de Sion, jubile fille de Jérusalem, ne pense pas à cette seule génération qui logeait dans les maisons de Jérusalem  en ce temps, sous les princes des prêtres Anne et Caïphe.   Ne tire pas de cette seule génération des arguments pour dire que Jésus ne fut pas roi de Sion et de Jérusalem, du seul fait que cette génération ne l’a pas reçu.  Ne dis pas non plus qu’à l’avènement de mon Christ Sion n’a pas exulté, Jérusalem n’a pas jubilé, parce  qu’après sa passion tous les maux se sont abattus sur cette génération.  Contemple toutes les générations de milliers d’années qui, en sortant de cette vie, ont été réunies en un seul peuple.  Regarde ce peuple universel ou cette multitude de peuples, la vraie Sion,  la vraie Jérusalem,  et reconnais que c’est en toute vérité et non pour rien qu’il a été dit : Exulte, fille de Sion, jubile fille de Jérusalem.

 Le Juif :   Ce que tu as tiré contre moi d’un psaume et d’autres semblables j’ai souvent entendu des gens comme vous me les objecter : Aveugle le cœur de ce peuple,  appesantis ses oreilles, et ferme ses yeux, de peur qu’il ne voie avec ses yeux, entende avec ses oreilles, et comprenne avec son cœur, qu’il ne se convertisse et ne devienne sain.   Et plusieurs parmi vous s’en servent pour nous insulter.  Dieu est-il comme tu l’imagines,  quelqu’un qui veut qu’on se trompe, et qu’on soit induit en erreur ?

 Le Chrétien :  Jérémie n’a-t-il pas dit : Tu m’as séduit Seigneur, et je suis séduit. Tu as été plus fort que moi, et tu l’as emporté sur moi.  Contre le roi Achab, parlant de l’esprit de mensonge :  Tu le tromperas et tu l’emporteras sur lui. Vas-y et fais ainsi !   Écoute-moi.   En vérité, il n’y a pas un seul mode de séduction.  Car il y a aussi une séduction par laquelle l’homme est séduit du bien au mal.  Cette séduction Dieu ne la connait pas.

 Mais il y a par contre une séduction du mal au bien, et c’est par cette séduction que Dieu t’a séduit toi et ton peuple quand il a voulu que la sainte écriture soit telle que sa lecture obscurcisse  tes yeux.  S’il n’avait pas caché ses mystères (sacrements) sous des figures et des énigmes,  s’il les avait exprimés clairement, vos pères ne les auraient jamais supportés, rebelles et incrédules comme Moïse dit qu’ils étaient.  Comme le roi Joachim qui déchira le livre de Jérémie, et le jeta dans le feu jusqu’à ce qu’il soit consumé.  Et comme tu témoignes qu’Isaïe fut scié par le roi Manassé.  Comme Dieu avait dit à Moïse :  L’homme ne peut pas me voir sans mourir.  Le comportement du peuple aurait été encore plus insensé,  ils auraient incendié tous les livres sacrés, ils auraient tué tous les prophètes,  si les prophètes leur avaient proclamé clairement ce qui arriverait au Christ, ce qui devait arriver.   Par exemple, de quelle façon il devait être exalté sur ce trône élevé et sublime, dont parle Isaïe en ces termes :  Le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime.

 C’est pour cela que les prophètes  semblaient cacher la parole, et sceller le livre;  lier le témoignage et sceller la loi.  Et ils le faisaient cela avec une grande crainte, prophétisant au risque de leur vie, comme le dit un des leurs, Jérémie :  Si le prêtre et le prophète sont tués dans le sanctuaire du Seigneur, j’ai peur, dit-il;  la prophétie et l’appel à la repentance sont devenus une fosse.  Elle fut donc bonne la séduction qui a fait en sorte que ne soient pas détruits les auteurs des écritures et les écritures elles-mêmes;  que les écritures soient plutôt conservées pour les générations à venir.

 Le Juif :  Quel bien est-ce que d’avoir, comme tu dis, les yeux obscurcis et d’avoir ma table tournée en objet de scandale, et d’entendre Dieu dire : De peur qu’il ne se convertisse et que je le guérisse.  C’est la même chose que de maudire un sourd, et de mettre des obstacles devant un aveugle.  Comprends donc qu’en voulant m’accuser à outrance,  tu m’excuses.  Car,  quelle est ma faute si, je suis mis dans l’obscurité ou aveuglé quand je veux voir,  quand je pense avoir des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et un cœur pour comprendre ?

 Le chrétien :  Personne n’est piégé ou scandalisé  sans qu’il le veuille.  Nul n’a les yeux obscurcis ou aveuglés à moins qu’il ne veuille être privé de la vue.

 Le Juif :   Et qui est-ce qui veut être  aveuglé, qui veut être piégé, qui veut ne pas voir avec ses yeux, ne pas entendre avec ses oreilles,  ne pas comprendre avec son cœur ?

 Le chrétien :  Celui qui a nourri le Christ avec du fiel, qui l’a abreuvé avec du vinaigre, comme il le dit lui-même dans le verset précédent du psaume : Et ils m’ont donné du fiel comme nourriture et m’ont abreuvé de vinaigre.  Et avant cela : Le zèle de ta maison me dévore, et les opprobres de ceux qui te méprisent sont tombés sur moi.  Celui, dis-je, qui veut absolument que Jésus ne soit pas le Christ, et qui désire tirer des Écritures des témoignages pour paraître le renier rationnellement.  C’est celui-là qui désire que ses yeux soient obscurcis, lui qui, sciemment et prudemment s’applique à mettre ses pieds dans un piège.  C’est donc avec justice qu’on accède à leurs désirs en disant :  Que leur table devienne pour eux un piège.

 Le Juif :  Quelle raison peut bien avoir Dieu de dire :  De peur qu’il ne se convertisse et que je le guérisse.  Texte que tu veux avoir été dit contre moi.

 Le chrétien :  Quelle raison a-t-il eu Dieu de dire : J’endurcirai le cœur de Pharaon pour qu’il n’envoie pas mon peuple.  J’endurerai le cœur des Égyptiens  pour qu’ils soient poursuivis en traversant la mer rouge.

 Le Juif :  Tu me trouves donc semblable à Pharaon et aux Égyptiens ?

 Le chrétien :  Oui, à un Égyptien et à un Cananéen, selon la prophétie véridique  d’Ézéchiel parlant de la Jérusalem terrestre sanguinaire.  Jérusalem, la racine de ta génération est la terre de Chanaan.  Ton père est un AmmorÉéen, et ta mère est une Céthéenne.    Et voici ce que ça signifie.   Parce que tu es née de la chair d’Abraham et non de la foi d’Abraham, tu es semblable à un Cananéen, un Amorrhéen et un Céthéen.   Donc, comme un Égyptien.  Car l’Amorrhéen  comme le Céthéen et Mesraïm, de qui proviennent les Egyptiens, n’ont pas Sem pour ancêtre mais Cham.  Comme il est dit dans le psaume : Et il frappa tout premier-né dans la terre d’Égypte, les prémices de tout leur travail dans les tentes de Cham.

 Si donc tu as bien compris pourquoi Dieu a endurci le cœur des Égyptiens pour qu’ils ne relâchent pas les Juifs, tu seras en mesure de comprendre ce qui a été dit :  Aveugle le cœur de ce peuple, appesantis ses oreilles, et ferme ses yeux de peur qu’il ne voie de ses yeux, qu’il n’écoute avec ses oreilles, et qu’il comprenne avec son cœur, qu’il ne se convertisse et que je le guérisse.

 Le Juif : Dis, toi, comment il a endurci les cœurs des Égyptiens pour pouvoir m’expliquer ensuite, par cet exemple, comment il a endurci le mien.

 Le chrétien :  Puisses-tu interroger en désirant comprendre, et puisses-tu ne pas être comme celui dont parle le  psaume écrit :  Il n’a pas voulu comprendre pour pouvoir bien agir.  Dieu a endurci les cœurs des Égyptiens  en répandant à pleines mains des bienfaits éclatants sur ceux qu’ils enviaient.  C’est le propre de cette maladie,  c’est la nature même de l’envie de procurer à celui qui est dévoré par la jalousie des tourments proportionnels aux succès de la personne enviée.  Les Égyptiens haïssaient les fils d’Israël, et les enviaient.  Toi, tu hais le salut des Gentils, et tu nous envies.  C’est cela le péché du démon par lequel la mort est entrée dans ce monde.  Comme la jalousie des Égyptiens fut la cause efficiente de l’endurcissement de leurs cœurs,  car ils enviaient les fils d’Israël, la jalousie de ton peuple a été la cause efficiente de son endurcissement, parce qu’il déteste le salut des Gentils.

Tu as accepté et  tu dois accepter que Dieu a endurci les cœurs des Égyptiens jusqu’à ce qu’ils périssent  en poursuivant les fils d’Israël qui fuyaient par la mer rouge.  Tu dois aussi accepter que le cœur de ton peuple a été endurci en poursuivant ceux qui croient dans le Christ et s’enfuient par le moyen du sacrement de baptême, jusqu’à ce qu’ils soient exterminés selon ces paroles du même psaume qui viennent tout de suite après :  Jusqu’à quand, Seigneur,  demande le Prophète. Et on lui répond :   Jusqu’à ce que soient désertes les cités  laissées sans habitant, les maisons sans hommes, et la terre abandonnée.  Et Dieu fera des hommes au loin.  C’est tout comme s’il disait :  Et ceux parmi les Juifs qui resteront seront conduits en captivité dans toutes les nations.  Ces deux maux arrivèrent alors :  l’aveuglement du cœur et la dispersion parmi les Gentils.

 La prophétie continue :  Leurs yeux seront obscurcis pour qu’ils ne voient pas, et qu’ils  tournent  leurs dos.  Et l’un et l’autre sont bons pour l’évangile du Christ.   Si tu voyais, i.e. si tu croyais dans le Christ, tu ferais un amalgame du baptême et de la circoncision,  comme ont voulu faire quelques-uns des vôtres  qui se  sont convertis et ont été baptisés au tout début du christianisme.  Ils ont provoqué des séditions contre les prédicateurs de l’évangile.  Si tu te tenais dans tes villes le corps droit et non voûté, tu prêcherais à ta fantaisie,  et tu n’accepterais d’admettre qu’un Gentil circoncis.  De cette façon, le Christ ne serait ni avec moi ni avec toi,  et l’Évangile ne serait  d’aucun profit ni à toi ni à moi.

 Le Juif :    Tu insultes à mes maux, et tu ne te souviens pas qu’il est écrit :  Quand Dieu changera la captivité de son peuple, Jacob exultera, Israël se réjouira.

 Le chrétien :  Je n’insulte pas,  mais j’exhibe les paroles de vérité comme un frère à un frère,  te rendant le bien pour le mal, parce que toi, tu hais mon salut, et moi je désire le tien.  Connais-tu cette parabole de notre Seigneur ?  Un homme avait deux fils. Et le plus jeune dit à son père :  Donne-moi ma part d’héritage. etc….Toi et moi nous sommes ces deux fils.  Car un seul Dieu nous a créés, un seul Adam nous a engendrés.  Toi, tu te tiens dehors poussé par  la colère et l’indignation,  car mon père m’a reçu sain et sauf,  et tu ne veux pas entrer pour fêter avec nous.  Moi je sors à ta rencontre, et te demande d’entrer, te montrant la première robe  que le père m’a donnée au lavage avec l’anneau de la foi, et les sandales de la science de la vérité.  Reçois avec moi cet anneau.  Accepte ce sermon fidèle,  qu’il me plaît de nommer anneau parce qu’il vient de la foi.   Et revêts cette étole, et marche avec moi dans ces sandales.

 
 

                    LIVRE DEUXIÈME
 
 

 Le chrétien :  Le Dieu tout-puissant, comme il est  fidèle dans toutes ses paroles,  a demandé la foi à l’homme avant tout chose, et sans la foi il est impossible de lui plaire.  C’est elle qu’il demanda au premier homme et qu’il ne trouva pas.  Il avait cru dans le serpent plus qu’en Dieu.  Il l’a demandée à Noé, et il l’a trouvée.  Il l’a demandée à Abraham et l’a trouvée.  Il l’a demandée à la Vierge Marie et l’a trouvée.  Alors qu’il promettait des choses neuves et inouïes,  il ne fit aucun miracle pour les disposer à  croire en lui.   Il fut content d’avoir trouvé la foi, pour qu’à la découverte de ce trésor, le Dieu associé à l’homme  appose son sceau d’alliance par un pacte indissoluble.  Pour Noé,  son arc dans les nuées du ciel.  A la vue de ce signe,  il se rappellerait son alliance avec Noé pour qu’il n’y ait jamais plus de pluie diluvienne.  Pour Abraham,  le signe de la circoncision,  pour qu’il se rappelle sa promesse, i.e. la semence ou la descendance qu’il avait promis de donner avec serment.

Le troisième signe de la foi, de cette foi qu’il a trouvée en Marie,  qui a cru qu’elle pourrait enfanter le fils de Dieu sans époux;  et qu’il a trouvée dans l’Eglise,  qui croit que la vierge a enfanté dans la foi.   Le troisième signe de foi, dis-je, est le sceau de cette croix du Christ fils de Dieu avec le sacrement du baptême, pour qu’il se souvienne de son alliance,  et ne nous condamne pas au jour du jugement comme autrefois en Egypte.  Je verrai le sang, dit-il, et je passerai tout droit, et vous ne serez pas frappés  par la plaie que j’infligerai à la terre d’Egypte.   Si tu n’es pas satisfait de ce qui a été dit sur cette foi dans le précédent livre,  fais-lui l’objection que tu voudras.

 Le Juif :  Toi, tu ne regardes qu’un aspect,et tu traites de la foi d’Abraham en faisant fi de la loi de Moïse, qui est la loi de Dieu.   Tu ne te souviens plus des miracles et des prodiges que Dieu a faits dans la terre d’Egypte,  afin de nous donner la loi sur le mont Sinaï, avec tant de signes de sa présence,  le cinquantième jour de la sortie de la terre d’Egypte.   On a entendu le roulement du tonnerre,  et on a vu les éclairs.  Tout le peuple a entendu des voix, et le son de la trompette.  Ils ont vu les flammes et la montagne qui fumait.   Tu n’as fait aucune mention de cette alliance que nous avons conclue alors,  comme le dit l’Écriture :  Moïse prit la moitié du sang, et le mit dans le cratère.  L’autre moitié il la répandit sur l’autel.  Prenant le volume de l’alliance, il le lut pendant que le peuple écoutait.  Puis il prit du sang et en aspergea le peuple en disant : voilà le sang de l’alliance, que le Seigneur a conclue avec vous par toutes ses paroles.

Dis-moi,  alors.  Si, par la foi, Abraham est justifié d’une justification suffisante,  si cette alliance qu’il avait contractée avec lui à cause de sa foi confirmait suffisamment sa justice, quel besoin y avait-il de la justification de la loi,  de l’aspersion d’un sang d’alliance,  de l’alliance du sang d’un holocauste, de tout le rite des cérémonies et des sacrifices,  qu’il nous a donnés pour nous purifier du péché ?  A quoi sert tout ce culte du tabernacle de l’alliance ?

 Le chrétien :  Je vais te poser une seule question.  Si tu y réponds, je te donnerai à mon tour toutes les raisons pour lesquelles la loi a été donnée.   Abraham, le père de notre foi, pour quelle raison est-il sorti vers la servante de Sara, l’Egyptienne Agar,  dix ans après qu’il eut habité dans la terre de Chanaan,  et cela,  après que le Seigneur eut contracté avec lui une alliance, après que l’Écriture ait dit :  Abraham crut en Dieu, et cela lui a été  imputé à justice ?

 Le Juif :  Parce que Sara, la femme d’Abraham, ne lui avait pas engendré d’enfants, dit l’Écriture.  Sara elle-même dit :  Dieu m’a rendu stérile pour que je n’aie pas d’enfants. Va vers ma servante.  Tu pourras peut-être recevoir d’elle des enfants.   Il s’est rendu à sa demande, et il engendra de sa servante un fils Ismaël.

 Le chrétien :  C’est bien comme tu as dit.  Tu dois te rappeler en même temps que Dieu a dit par un prophète :  Et moi j’ai multiplié les visions, et j’ai été assimilé à la main des prophètes.

 Le Juif :  Je m’en souviens,  et à quel propos ont été dites ces paroles du prophète Osée.
 Le chrétien :  Ton père Abraham a été prophète, et le premier des prophètes.   Il est en effet le premier  à qui fut adressée une parole de Dieu, comme il est écrit :  Tu ne m’as pas donné de descendance (semence) à moi, et un étranger sera mon héritier.  Une parole du Seigneur lui fut aussitôt adressée : ce ne sera pas lui qui sera ton héritier.  Et Dieu parla à Abimélech en sa faveur en disant : rends donc maintenant l’épouse à son mari. Car c’est un prophète, et il priera  pour toi. Et dans un psaume, il est écrit d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : il n’a pas permis à un homme de leur nuire, et il a châtié  pour eux des rois.  Ne touchez pas à mes Christ, et  ne médisez pas de mes prophètes.

 En conséquence, je dis :  si Dieu est assimilé à la main des prophètes,  parce qu’on ne peut douter que c’est lui qui a parlé par les bouche des prophètes, n’est-il pas  encore plus assimilé à la main de ceux qui ont été à la fois prophètes et pères et princes des prophètes ?  Même si tu détestes nos allégories,  et si tu as l’habitude de les mépriser,  fais un effort pour comprendre  que, pour l’accomplissement de cette chose que s’était proposée Dieu, il a été assimilé à la main d’Abraham.

 Le Juif :   Poursuis ton but,  termine ton propos,  montre, comme tu l’as promis,  l’assimilation de Dieu à la main du prophète notre père.

 Le chrétien :  En Abraham, notre père à tous,  la foi est assimilée à Sara, la loi à Agar.  La stérilité de la foi est assimilée à la stérilité de Sara.  Parce que comme cette femme libre et princière a été longtemps stérile,  de la même façon cette foi, qui est la seule vraie liberté et vraie noblesse du genre humain, a été passablement stérile, après qu’elle eut épousé notre père et créateur, après que, à cause d’elle,  Dieu a daigné s’associer à l’homme, et s’unir à l’âme de l’homme d’un lien conjugal,  d’une union matrimoniale.

 Combien de fils de la foi, de fils de la promesse peux-tu nommer en dehors d’Isaac, de Jacob et de Joseph ?  S’il y en a eu plusieurs autres  de la multitude des descendants d’Ismaël et d’Esau, je ne veux pas en parler pour l’instant.  Je parle des descendants du père Jacob.  Et si, en dehors de ceux-là,  plusieurs furent des fils de la foi, en comparaison de la multitude des fils de la chair, tu peux dire en toute vérité que la foi fut stérile et la chair féconde.

 Le Juif :  Explique-moi plus clairement ce que tu entends par fils de la foi et fils de la chair.  Qu’est-ce qui les distingue ou les sépare les uns des autres ?  Quelle différence entre les deux générations ?

 Le chrétien :  Au père Abraham, deux promesses ont été faites, dont l’une est :  En ta descendance (semence) seront bénies toutes les générations.  Et l’autre :  A ta descendance je donnerai cette terre,  la terre de Canaan.  Tous ceux qui, nés d’Abraham,  attendirent la réalisation de la promesse de la bienheureuse descendance (semence) avec foi, la regardèrent de loin, la saluèrent,  en confessant qu’ils étaient des voyageurs et des hôtes de passage sur la terre,  tous ceux-là étaient fils de  la foi.   Mais ceux qui  n’attendirent la réalisation que de la seule promesse de la terre de Canaan, ceux-là furent les fils de la chair.

 Maintenant, je te le demande, dis-moi.  Depuis les frères jaloux et traitres à leur père qui vendirent Joseph, et de Joseph à  Moïse,  combien y en a-t-il eu  qui aient dit ou qui aient su ce que disait Moïse :  Je t’en supplie, Seigneur, envoie celui qui sera envoyé. (Ex 1V)  Donc,  la foi  était stérile et la terre féconde, elle qui engendrait non pour le service de Dieu,  mais pour l’esclavage des Egyptiens,  qui allait même jusqu’à s’asservir aux dieux égyptiens.  Ce dont les prophètes et surtout Ezéchiel nous ont gardé le souvenir.   Donc, la foi des pères,  qui bien que morts au monde vivaient et vivent pour Dieu,  était unie à Dieu.   Mais elle n’enfantait pas,  selon son image Sara, laquelle toute libre et légitime qu’elle était, n’enfantait pas elle non plus.  Elle se lamentait cette foi,  demandant à Dieu avec instance que la loi au moins intervienne.

En astreignant la multitude au culte de Dieu, elle enfanterait des fils au service de la foi, selon cette similitude :  Voilà que Dieu, dit Sara,  m’a rendu stérile pour que je n’enfante pas. Va vers ma servante,  Je pourrai peut-être obtenir d’elle des fils.   Abraham acquiesça à sa demande; il alla vers la servante et engendra Ismaël.  Dieu le Père céleste acquiesça lui aussi  à la foi des pères qui s’adressait à ses oreilles sacrées;  et admettant la loi des cérémonies,  il engendra d’elle un peuple, non pas tant propre à la liberté qu’à la servitude, i,e, connaissant et rendant un culte à Dieu son Père et Créateur, non pas tant dans l’amour que dans la crainte.    Voilà ce que je veux que tu saches.    Cette loi, il ne l’a pas ordonnée, mais admise.  Il ne l’a pas voulue, mais permise.

 Le Juif :  Qu’est-ce que tu dis là ?   Dieu n’a pas voulu la loi ?  Dieu n’a pas commandé la loi ?  Il n’a pas écrit sur les tables de son doigt, et il n’a pas dit à Moïse : voici mes préceptes, voici mes jugements.  Il n’a pas prescrit ceci et cela aux fils d’Israël, et les différentes façons de faire des sacrifices pour le péché ?

 Le chrétien :  Il te faut écouter Moïse et le comprendre pour que tu sois capable aussi d’écouter et de comprendre les psaumes et les prophètes :  Je ne te reprocherai pas tes sacrifices, etc.,. jusqu’à :  Mangerai-je la chair des taureaux,  boirai-je le sang des  boucs.  Immole à Dieu un sacrifice de louange.  (ps.XL1X)  Et dans Isaïe :  Qu’est pour moi la multitude  de vos victimes, dit le Seigneur. J’en suis rassasié.   Je n’ai pas voulu l’holocauste des béliers, la graisse, le sang des veaux, des agneaux et des boucs.  Quand vous viendrez en ma présence, qui a demandé cela de vos mains pour que vous marchiez dans mes parvis.  N’apportez plus désormais de sacrifices inutiles.  L’encens m’est une abomination. La néoménie, le sabbat et les autres fêtes je ne les supporte pas.  Vos assemblées sont iniques.  Mon âme hait vos calendriers et vos solennités. (Is. 1)

 Le Juif :  Ces choses ont été dites à cause de Jéroboam, à cause des veaux qu’il a faits, qu’Israël a adorés.  Dieu n’a pas voulu des holocaustes des boucs et de la graisse parce qu’ils étaient offerts en sacrifice à des veaux.

 Le chrétien :  Les veaux n’étaient pas adorés en Judée.  Ils n’étaient pas immolés en sacrifice à Jérusalem,  mais en Samarie, par les dix tribus.  Ce texte prophétique est ainsi intitulé :  Vision du prophète Isaîe fils d’Amos,   portant sur la Judée et Jérusalem.  Cette prophétie ne portait donc pas sur Samarie à cause des veaux,  mais elle portait sur les Juifs et sur Jérusalem à cause du sang du juste.  Donc, après avoir parlé des choses qui sont déjà offertes en libation,  jusqu’à ceci :  Même si vous multipliez vos prières, je ne vous écouterai pas,  il ajoute tout de suite cette raison :  Car vos mains sont pleines de sang.

Avant que le sang du Christ ne fût versé,  il ne voulait pas, mais permettait cela. Il ne le demandait pas non plus comme il est écrit dans le psaume :   Je n’ai pas demandé d’holocauste, même pas pour les péchés. (Ps.XXX1X)  Et c’est à un point tel que non seulement il ne le veut ni le demande,  mais il le hait :  Mon âme les déteste, ils me sont insupportables.   Qu’il ne l’a jamais voulu, ni désiré ni demandé,  le témoignage qu’en donne Jérémie  est des plus importants et des plus clairs :  Voici ce que dit le Dieu des armées, le Dieu d’Israël :  vous ajoutez vos holocaustes à vos victimes et vous en mangez les chairs, ce que je n’ai pas dit à vos pères, ce que je ne leur ai pas prescrit au jour où je les ai fait sortir de la terre d’Egypte.  Je ne leur ai pas parlé d’holocaustes et de victimes.  Mais voilà ce que je leur ai prescrit : écoutez ma voix et je serai votre Dieu et  vous serez mon peuple.  Et marchez dans toute voie que je vous ai indiquée, pour votre plus grand bien.

 Le Juif :  Quelle distinction mets-tu entre la parole des holocaustes et des victimes,  ou la voix ou la parole que Dieu nous a prescrite, ou, pout mieux dire , la voie  dans laquelle il nous a commandé de marcher pour notre plus grand bien ?

 Le chrétien :  Ce n’est pas moi qui la fais cette distinction,  mais je la trouve toute faite dans les paroles prescrites.  Après l’avoir soupçonnée,  j’ai scruté plus diligemment le texte de cette loi. Et j’ai trouvé le passage qui me permettra de t’en faire la démonstration.  La parole de Dieu, ou la voie qu’il a prescrite et ordonnée, tu peux la trouver dans l’Exode avant le crime abominable du veau qu’ils avaient fait et adoré : Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi, etc…jusqu’à  observez tout ce que je vous ai dit. Vous ne jurerez pas par le nom des dieux étrangers, et que votre oreille n’en entende rien. Voilà les préceptes qui sont matière à jugement,  qui feront que l’homme vivra en les observant,  au dire du Seigneur.

Après cela, après s’être attardé sur la montagne en compagnie du Seigneur qui lui parlait,  Moïse leur imposa un très dur joug de lois cérémoniales,  à cause du crime du veau qu’ils avaient commis.  C’est ce Dieu qui dit par Ezéchiel :  Je  vous ai fait sortir de la terre d’Egypte et vous ai conduits dans le désert, et vous ai donné mes préceptes;  je vous ai montré mes jugements, que l’homme doit observer pour vivre. (Ez.XX)  Et un plus loin :  J’ai levé ma main sur eux dans le désert pour les disperser parmi les nations, et les éparpiller sur la terre parce qu’ils n’ont pas observé mes jugements et qu’ils ont rejeté mes préceptes, et ont violé mes Sabbats, et leurs yeux se sont tournés  vers les idoles de leurs pères.  Je leur ai donc donné des préceptes qui n’étaient pas bons, et des jugements par lesquels ils ne pourront pas  vivre, et je les ai pollués dans leurs dons, quand ils offraient le premier né, à cause de leurs péchés.

Considère les préceptes qu’il leur avait donnés d’abord, et les jugements qui étaient très bons, dont le résumé est :  Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas aux autres. Ou :  Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le.  Et ceux qu’il a donnés ensuite qui n’étaient pas mauvais mais qui n’étaient pas bons, parce qu’ils ne pouvaient pas être observés,  ni procurer par eux-mêmes la vie à l’homme.   Comment un homme pourrait-il trouver la vie dans le sang,  dans le sang des animaux, dans l’observation des animaux purs et impurs,  les lèpres, les lèpres non humaines, les lèpres des maisons et des vêtements et d’autres choses semblables, qui sont surtout écrites dans le Lévitique ?

 Le Juif :  Avant ce crime du veau, comme tu dis,  Moïse avait offert des holocaustes et des victimes pacifiques.  Voici ce qui est écrit :  Moïse a écrit tous les sermons du Seigneur.  En se levant le matin il dressa un autel aux pieds de la montagne, et posa  douze pierres pour les douze tribus d’Israël, envoya de jeunes fils d’Israël, et ils offrirent des holocaustes, et ils immolèrent des victimes pacifiques au Seigneur, douze veaux. (Ex XX1V)

 Le Chrétien :  Si tu lis que ça été fait, est-ce que tu lis que ça été ordonné par Dieu?  Tu pourras aussi m’objecter que Noé, longtemps avant Moïse,  après être sorti de l’arche, a dressé un autel au Seigneur, et choisissant parmi les animaux et volatiles purs, il offrit des holocaustes sur l’autel, et adora le Seigneur en odeur de suavité. (Gen. X)   Si tu me faisais cette objection,  j’ajouterais que Melchisédech, roi de Salem,  qu’on a quelque raison de penser qu’il était Sem le fils de Noé,  quand Abraham revint du saccage de Chodorlahomor et des rois qui l’accompagnaient,  Melchisédech, dis-je,  offrit, en arrivant, du pain et du vin, car il était le prêtre du Dieu très haut, et bénit Abraham.

 Voilà donc un sacrifice bien antérieur à  celui de Moïse.  Ni l’un ni l’autre n’a été commandé. L’un et l’autre était volontaire.  Pour ma part,  je n’ignore pas lequel des deux a été le plus été agréable à Dieu, et il n’est pas permis non plus à toi de l’ignorer, puisque l’Écriture dit de quelqu’un que tu veux ignorer :  Le Seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas : tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.    Mais nous parlerons de cela plus tard.

Maintenant il convient de nous demander pourquoi Dieu a admis d’abord le sacrifice du sang et de la chair d’un animal,  et pourquoi le précepteur l’a  ordonné.  Sans aucun doute,  parce que le peuple charnel ne pouvait pas être détourné de ces sacrifices;  et si Dieu ne leur avait pas permis de sacrifier ainsi, il les aurait offerts quand même.    Nous en avons la preuve.  Quand ils eurent fabriqué le veau,  ils se levèrent le matin et offrirent les holocaustes et les hosties pacifiques.    Puis le peuple s’assit pour manger et boire.  Ensuite,  ils se levèrent pour jouer.  Donc, parce que d’un côté la foi des pères, comme il a été dit, intervenait,  et comme, de l’autre, il était nécessaire pour un temps que la multitude des fils de la chair soit astreinte au culte de Dieu par la sévérité de la loi,  Dieu a acquiescé et a prescrit sous forme de commandement la loi de Dieu et le rite des sacrifices, pour que soit en eux une figure de la chose nécessaire et de la vérité.

 Le Juif :  Ne parle pas avec moi de figures ou d’ombres, mais des paroles elles-mêmes de l’Écriture,  mais du sens clair, immédiat et évident des phrases.  Qu’ai-je à faire avec les choses que la sainte Écriture ne rapporte pas,  ni ne me demande de rechercher ?

 Le Chrétien :  Ne t’ai-je pas parlé plus haut de ce texte prophétique que tu connais certainement :  Et  moi j’ai multiplié les visions,  et j’ai été assimilé aux mains des Prophètes.    N’est-ce pas  à Moïse, lui-même un grand prophète, après lequel, comme le dit l’Écriture,  il n’apparut pas de prophète semblable à lui  qui communiquât avec Dieu face à face, n’est-ce pas à lui que le Seigneur a dit quand il ordonna de faire le tabernacle : Regarde attentivement, et fais selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne.  Que penses-tu que cet exemplaire démontrait ?

 Le Juif :  Que pensé-je d’autre que ce que dit l’Écriture : Dieu avait fait un tabernacle, et il l’a montré à Moïse pour qu’il en fasse un semblable.

 Le Chrétien :  S’il en était ainsi,  n’était-il pas plus facile de le donner à Moïse, comme il lui a donné les tables, plutôt que d’en faire un autre avec un dur labeur et de grandes dépenses ?  Mais il s’agissait du sanctuaire spirituel et céleste que Dieu s’était proposé de révéler dans la plénitude des temps.  Comme le temps n’était pas encore arrivé, il a voulu faire précéder son image dans les objets sacrés faits à la main.  Il advint donc que,  selon la similitude de la femme libre et de l’esclave décrite,  à la demande même de la femme libre parce qu’elle était stérile,  le mari légitime de la femme libre entrât  chez l’esclave.  Ce qui signifie que, à cause du mérite de la foi des pères,  parce que la dite foi fructifiait en très peu de personnes,  Dieu admettrait la loi.  Ainsi,  la femme libre aurait au moins des enfants de la servante qui seraient sauvés.

 Le Juif :  Quelle nécessité y avait-il que,  selon ton opinion, la foi soit stérile, et que ce soit à cause de sa stérilité que la loi soit introduite ?  Dieu ne pouvait donc pas faire en sorte que la foi enfante ?  Auquel cas, la législation, selon toi, n’aurait plus eu de raison d’être.

 Le chrétien :  Demande plutôt pourquoi n’était pas encore venue la descendance (semence) promise à Abraham, dans laquelle toutes les générations seraient bénies par la foi. Voici ce que moi je pense.  Elle ne pouvait pas encore apparaitre parce que Dieu était irrité.  C’est ce que tu trouveras dans l’Exode.  Quand Moïse soupirait après la descendance en disant :  Je t’en supplie, Seigneur, envoie celui que tu enverras, il est dit plus loin :  Dieu se fâcha contre Moïse.  Je sais qu’Aaron, ton frère a la langue bien pendue, etc…Et en voici le sens :  parce que le Seigneur était fâché,  il n’a rien répondu à ce que lui demandait Moïse,  mais a  poursuivi ce qu’il avait entrepris.

 Le Juif :  Pour quelle raison Dieu était-il fâché ?

 Le chrétien :  A cause des péchés de la maison ou de la race d’Abraham,  à qui Dieu avait souvent promis la bénédiction;  à cause du sacrilège des fils de Jacob qui vendirent leur frère Joseph.

 Le Juif :  Est-ce que c’est Moïse qui l’a vendu ?  Comment Dieu aurait-il pu être fâché contre Moïse à cause de cela ?

 Le chrétien : Il est dit  que Dieu  s’est fâché contre Moïse   parce qu’il était à peu près le seul à maintenir sciemment l’attente de cette promesse.   Ce n’était pas une petite faute la vente d’un tel frère.  Les chaînes de cette vente ont écroué si longtemps l’âme de ce saint père.   Ce malheur a affecté Abraham lui-même quand il contracta avec Dieu une alliance.  Il eut une vision quand il entendit ces mots :  Sache d’avance que tes descendants seront des étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur,  et qu’ils seront asservis…jusqu’à la quatrième génération.  Alors ils retourneront.  Et on lit tout de suite après :  Quand le ciel s’obscurcit, les ténèbres survinrent, et voici qu’un four fumant et un brandon de feu passèrent entre les animaux  partagés.  Le four fumant et les ténèbres représentaient la jalousie noire et fumeuse qui les avait brûlés, calcinés et aveuglés au point de vendre le meilleur des frères.   Et ce brandon de feu  présageait les miracles qui les libèreraient de la servitude des Egyptiens,  auxquels ils furent livrés jusqu’à la quatrième génération à cause de leurs péchés.

Après avoir été vendu,  Joseph fut asservi pendant quatorze ans.  Il avait seize ans quand il fut vendu, et trente  quand il sortit de prison et parut devant Pharaon.   Par un juste jugement, à cause de ce péché, il convenait de différer la descendance de bénédiction promise à Abraham pendant quarante générations, en comptant autant d’années que de générations,  comme on compte ailleurs un jour pour une année.  Jusqu’au chiffre quarante, a dit le Seigneur, une année représentant un jour. Pendant quarante ans vous expierez vos péchés. (Num X1V)

 Le Juif :  Cette descendance (semence) dont tu parles,  ton Christ,  que tu prétends être cette semence que Dieu a promise à Abraham,  est-il venu tout de suite après quatorze générations ?   Beaucoup plus nombreuses furent les générations allant d’Abraham jusqu’au jour d’Hérode, pendant le règne duquel est né celui que tu appelles Christ.

 Le chrétien : Attends un peu que je te dise ce que toi-même tu ne pourras pas contredire.  Les quatorze générations depuis Abraham, à qui il a été montré à l’avance un holocauste  fumant,  se terminent à David.  Et lui n’a pas moins péché en enlevant la femme d’Urie, et en tuant ce dernier avec le glaive des fils d’Amon.  En  conséquence, a dit le Seigneur, le glaive ne s’éloignera jamais de ta maison.   La justice exigeait donc que soit différé le Christ non pendant un petit nombre de générations,  mais pendant quarante.   Après lesquelles générations il était juste de différer l’avènement du Christ,  mais surtout d’amener le peuple en captivité, avant tout  à cause des péchés de Manassé.  Ils avaient rempli Jérusalem de sang impur jusqu’à l’os.

 Le Juif :  Lequel des prophètes donne ces raisons ?  Ou dans quelle écriture as-tu lu que ces retards s’étaient produits ou devaient se produire ?

 Le chrétien :  Quand, sans un autre Esprit que celui par lequel  ont parlé les prophètes,  le saint évangéliste  a, dans l’ordre,  décliné les générations  s’étendant d’Abraham jusqu’au Christ, il les a ainsi subdivisées.  Toutes les générations d’Abraham jusqu’à David quarante. De David jusqu’à la déportation à Babylone quarante.  De la déportation jusqu’au  Christ quarante.  En disant cela, il invite l’auditeur vigilant à rechercher dans l’Écriture les causes des retards, et voici que les causes sont manifestes.

 Le Juif :  Je ne lis pas moi tes évangélistes.  La seule chose que je sais c’est que quand est né ton Christ,  l’iniquité abondait beaucoup plus qu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent, à moins que, par hasard, tu veuilles prétendre que le péché de David est plus grand que toutes les cruautés bestiales d’Hérode.

 Le chrétien :  L’impiété d’Hérode et tout le sang qu’il a répandu ne doit pas être imputée aux générations du peuple Juif, car il n’était pas un Juif mais un étranger.  Son père était un Iduméen et sa mère une arabe.  A cause précisément de cela, tu dois concéder que c’était le temps d’envoyer celui qui devait être envoyé, parce qu’en lui avait été enlevé le règne à Juda.   Le père Jacob avait dit dans la bénédiction de Juda :  Ne sera pas enlevé un sceptre à Juda et un chef de ses entrailles jusqu’à ce que vienne celui qui doit venir.

 Mais revenons à la démonstration de la similitude.  Car, si tu cherches la vérité,   si la bonne volonté ne fait pas défaut en toi,  peux-tu être content de toi si tu ne te demandes pas pourquoi Dieu a permis que la foi soit si longtemps stérile, et pourquoi il a admis  pendant tout ce temps la loi selon la similitude de la stérilité de Sara , à cause de quoi Abraham est allé vers la servante à la demande de sa femme.    Mais ce qui est encore plus admirable à la gloire de la fidélité de Dieu,  c’est qu’il fit quand même ce qu’il avait promis,  ayant été offensé par de tant de maux de la part de ceux dont les pères avaient reçu la promesse.

 Le Juif :  De cette similitude, il a été suffisamment parlé.   As-tu autre chose à présenter ?

 Le chrétien :  Je sais que ce que j’ai dit jusqu’à présent est pour toi pénible à entendre,  et je crains que, lorsque je désire soulever le voile du visage de Moïse pour que  tu en voies la luminosité,  tu ne t’enfuies comme ont fui tes pères quand ils virent sa splendide face à découvert,  et ils redoutaient d’avancer plus avant.  Je veux t’ouvrir toute la similitude jusqu’à ceci :  Mets à la porte la servante et son fils.  Le fils de la servante n’héritera pas avec mon fils Isaac.  C'est-à-dire que comme cette servante, voyant qu’elle avait enfanté,  a méprisé sa maîtresse,  la loi, après qu’elle fut introduite,  donna une occasion à la multitude charnelle de mépriser,  et de mettre en oubli que c’était la foi qui justifiait,  pensant être justifiée par les œuvres de la loi.

Toi aussi, quand je t’ai demandé plus haut par quoi Abraham avait été justifié, tu n’as pas pu répondre.  A cause de la loi servante, tu as négligé à ce point la foi  que tu ne t’aurais jamais une seule fois souvenu qu’elle existait, si je ne t’avais rappelé la phrase irréfragable et véridique :  Abraham crut en Dieu et Dieu le lui imputa à justice.  Et puis, la suite :  Voici, dit Abraham, ton esclave est en ton pouvoir. Fais-en ce que tu veux.  Elle la tourmenta au point qu’elle prit la fuite.

Tout ce que firent les juges honnêtes et les rois fidèles d’Israël  pour détourner le peuple des choses défendues, c’est la peine infligée à la servante.  C’est pour cela qu’elle a fui.  Le commencement de la fuite est à trouver dans le veau unique  qu’il s’est fabriqué dans le désert après la sortie d’Egypte.  Il adora cette statue,  trouvant sa joie dans ce culte,  avec le boire et le manger,  et s’adonna au jeu.   Cette fuite fut consommée  quand les dix tribus se séparèrent de la maison de David.  Là encore ils se firent des veaux.

 Mais voici que l’ange dit à Agar :  Agar, servante de Sara, d’où viens-tu ?  Ou : où vas-tu ? Je fuis loin de la face de ma maîtresse Sara. L’ange du Seigneur lui dit : retourne chez ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main.   La parole de Dieu par les prophètes n’a-t-elle pas de la même façon rappelé ton peuple;  et ne cesse-t-elle  pas de rappeler par les prophètes le peuple fugitif  du culte des veaux et de Baal et de tous les autres démons au culte de son Dieu ?  Or, les dix tribus que Jéroboam a séparées de la maison de David ne se sont jamais détournées du culte des veaux inauguré par Jéroboam.  Voilà pourquoi elles ont été déportées chez les Assyriens pour une captivité sans fin.  Comme l’a dit Dieu :  Je n’ajouterai pas d’autres afflictions à la maison d’Israël,  mais je les effacerai de mon souvenir. Et voici que  je prendrai en pitié la maison de Juda. (Osee 11)

En conséquence, quand la tribu de Juda fit pénitence et quand, de retour de la captivité de Babylone, elle réédifia le temple,  alors la servante retourna à sa maîtresse, et s’humilia sous sa main.  Enfin la femme libre enfanta Isaac,  i.e. la foi très noble et princière a conçu Jésus Christ,  du sein de la vierge Marie par l’opération du Saint Esprit.    Après quoi Sara vit le fils de la servante jouer avec  Isaac, son fils.   Mais la foi très libre ne vit-elle pas le judaïsme charnel jouer, se moquer  ou plutôt persécuter le Christ et les apôtres.  Et voici que fut choisi avec sa propre loi le peuple Juif selon la seule chair pour qu’il ne soit pas l’héritier du royaume de Dieu, chassé du lieu de la possession terrestre, pour qu’il n’ait plus le loisir de jouer, i.e. de persécuter la liberté de la foi.

 Le juif :  S’il en est comme tu dis, j’ai de fortes raison de détester ton Christ.  Car selon la comparaison que tu as introduite,  son avènement est pour moi la cause de tout mal, cause de destruction, de captivité,  de dispersion et de très longue captivité. Israël était le peuple de Dieu avant qu’il ne vienne.   D’après toi,  je ne suis même plus le  peuple de Dieu.  Sa venue m’a donc procuré de grands maux.

 Le chrétien :  C’est faux.  Ce n’est pas à cause de son avènement que ton peuple a cessé d’être.    Au contraire, ton peuple est demeuré en vie plus longtemps à cause de l’attente de sa venue.  Car tu as été préservé, toi et ta tribu de Juda,  à cause de lui,  pour qu’il naisse,  pour qu’à sa naissance la promesse soit accomplie,  quand  les dix tribus ont été condamnées à une captivité perpétuelle, et quand ta cité Jérusalem a été rebâtie, d’où devait venir un tel salut, selon cette prophétie : Parce que de Sion sortira la loi, et la parole de Dieu de Jérusalem. (Iaïe 11)  Car ta Jérusalem terrestre avait-elle moins péché que  Samarie ?  Elle est convaincue d’avoir plus péché par le prophète, le Seigneur parlant ainsi à Jérusalem :  Je vis.  Sodome, ta sœur, n’a pas fait ce que tu as fait, toi.  Et Samarie n’a pas commis la moitié de tes péchés.  Tu les as vaincues en scélératesse, et tu as justifié tes sœurs par toutes les abominations que tu as faites.

 Dépose donc la grandeur de la haine et de la colère  dont parle le prophète en la personne du Christ :  Et parlant dans la colère de la terre, ils préparaient des embuches.  Car ce n’est pas à cause de la venue du Christ que tu as perdu ta terre.  Au contraire,  c’est à cause de lui que tu l’as possédée si longtemps,  pour que par sa naissance, soit accomplie ce que le Dieu véridique avait promis à Abraham et juré au fidèle David.   Voilà pourquoi tu l’as possédée plus longtemps que les dix tribus ne possédèrent Samarie, elles qui ne furent pas moins justes,  mais plus justes que toi.

 Le Juif :  Tu as dit plus haut que les préceptes et les jugements qui ont été donnés avant le crime du veau étaient des préceptes et des commandements de justice, car Dieu a dit d’eux par les prophètes :  Je leur ai donné mes préceptes et leur ai montré mes jugements, par l’observances desquels l’homme vivra.  Parmi ces premiers préceptes, n’y a-t-il pas l’observance du Sabbat ?  Ainsi a parlé Dieu :  Souviens-toi de sanctifier le jour du Sabbat. Pendant  six jours tu travailleras et du accompliras tes travaux; le septième, jour du sabbat du Seigneur Dieu, tu ne feras pas de travail, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur et ta servante, ton cheval et l’étranger qui est dans ta maison.  Car Dieu fit le ciel et la terre en six jours, et le septième jour, il se reposa. Le seigneur a ainsi béni et sanctifié le jour du Sabbat.  Pourquoi ne gardes-tu pas le Sabbat ? Pourquoi condamnes-tu ce précepte, un des dix préceptes que Dieu a écrits de sa main sur les tables de pierre ?

 Le chrétien :  Parce que je n’observe pas le sabbat avec toi,  je transgresse donc le précepte, et je n’ai pas de Sabbat ?  Ou plutôt, si j’observais avec toi le sabbat,  j’encourrais la colère de Dieu.   Dieu a dit en effet en Isaïe,  et je l’ai déjà rappelé à ta mémoire plus haut :  La néoménie, le sabbat et vos festivités, vos calendes et vos solennités, mon âme les déteste.  Elles sont devenues pour moi insupportables.  J’ai donc quitté ton Sabbat, et je m’en suis choisi un meilleur,  pour observer le sabbat le premier jour, le jour où le Christ est ressuscité,  dont tu as fait couler le sang pendant ton sabbat,  te rendant par là  odieux à Dieu.  La parascève était ta Pâque; le sabbat était un grand jour quand tes pères consommèrent ce sacrilège.

 Le Juif :  Ce n’est pas le premier jour du Sabbat,  mais le sabbat lui-même que Dieu a sanctifié.  Il l’a béni parce qu’en lui il s’était reposé.

 Le chrétien :  Qu’entends-tu par septième jour ?  Est-ce le seul intervalle entre le lever et le coucher du soleil ?  Si tu n’y veux voir rien de plus,  je te dis moi que ce ne fut pas le septième jour mais le quatrième depuis celui pendant lequel Dieu fit le soleil visible.  Je demande ensuite comment et par quelle opération Dieu a fait tout cela en six jours.

 Le Juif :  En disant :  Que ce soit fait.  Et comme un autre psaume dit :  Il a parlé  et les choses ont été faites.  Il en donna l’ordre, et les choses furent crées.

 Le chrétien : Il en est comme tu dis.  Il a fait en parlant. Il a fait son œuvre par une parole.  Et le septième jour, il s’est reposé de ses œuvres.

 Le Juif :  Oui, il s’est reposé, et c’est pourquoi il a béni le septième jour, et l’a sanctifié.

 Le chrétien :  Pourquoi parles-tu le jour du sabbat ?  Si Dieu a tout fait par la parole, et que c’est de cette façon qu’il s’est reposé le septième jour,  toi qui observes le Sabbat, pourquoi prononces-tu un seul mot le jour du sabbat ?  Je te pose une autre question.  Puisque pour toi la durée du jour va du lever du soleil à son coucher, pourquoi Dieu s’est-il reposé si peu longtemps ?  Son repos a-t-il duré l’espace d’un tel jour ?  Je te dis moi qu’il s’est reposé et qu’il se reposait  encore quand il a dit à David :  Ils n’ont pas connu mes voies, ceux pour qui j’ai juré dans ma colère :  ils n’entreront pas dans mon repos.

 Le Juif :  Tu me troubles.  Et cela-même que je sais tu parviens presque à me le faire ignorer.  Car que dois-je savoir de plus que ce qu’il m’a dit clairement en toutes lettres :  Tu travailleras pendant six jours;  le septième, tu te reposeras, parce que Dieu a fait le ciel et la terre en six jours, et qu’il s’est reposé le septième.

 Le chrétien :  O Judée, la bienveillance de Dieu a nourri ton enfance.  Il a fait deux choses :  il cacha à l’intérieur les secrets de sa sagesse que tu ne pouvais pas comprendre,  et il t’a nourri avec l’extérieur de la lettre pour que tu saches ne pas fermer ton cœur à tes ouvriers, et ne pas refuser à ceux qui sont fatigués une pause dans le travail.  Il a montré clairement cette intention dans le Deutéronome.  Il a dit en parlant de l’observation du sabbat : Tu ne feras aucun travail en ce jour etc…Puis il ajoute :  Pour que se reposent ton esclave et ta servante, tout comme toi.  Souviens-toi que toi aussi tu as été esclave en Egypte, et que le Seigneur t’en a tiré d’un bras fort et étendu. C’est pour cela qu’il t’a prescrit d’observer le jour du Sabbat. (Deut. V)  C’est pour cette raison aussi qu’il a fait du premier jour du sabbat le jour du sabbat lui-même. Car mon serviteur se repose, ma servante, mon âne et mon bœuf.

 Mais je voudrais que tu connaisses mieux ce que c’est que sanctifier le sabbat selon le repos du Seigneur.  Et à ce sujet je vais te dire quelque chose.  Si tu n’acceptes pas cela, les disciples de la foi l’accepteront volontiers,  ceux dont Dieu a ouvert les cœurs pour comprendre les choses spirituelles, pour que, après avoir enlevé le voile, ils se délectent à regarder le visage de Moïse.  Quelques-uns de nos anciens ont vu dans les six premiers jours six espèces de créatures qui ont servi à la composition du monde, que Dieu fit dans sa sagesse : Tu as tout fait dans la sagesse.  Et dans le septième jour, ils ont vu la sagesse dans laquelle Dieu se reposa.  Et ce jour qui est le septième par le chiffre,  est le premier en nature.  A cause de quoi il faut noter que quand l’Écriture dit  que la lumière soit,  par laquelle lumière nous entendons la nature angélique,  elle  n’a pas dit :  il fut un soir et un matin, le premier jour,  mais il fut fait du soir et du matin un seul jour.  Celui qui, comme je l’ai dit, est septième par le nombre est premier par nature.  Et il est correctement placé le septième bien qu’il soit premier.  Car, comme toutes les choses qui ont été faites passent et changent, il demeure éternellement le jour qui n’aura pas de soir.  C’est lui qui parle contre toi dans son évangile :  S’ils appellent  dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée,  et l’Écriture ne peut pas être détruite, celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde vous dites qu’il ment parce qu’il a dit : je suis le fils de Dieu.    Car, ce que l’Écriture a dit :  Et Dieu a béni le septième jour et l’a sanctifié,  concorde avec : Que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, le Dieu fait homme, le Verbe incarné.

 Permets-moi donc de le dire  aussi de l’objection que tu m’as faite par rapport à la sanctification du sabbat, que le mot sanctification occupe une place honorable  autant dans l’Exode que dans le Deutéronome.  Dans l’Exode :  Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat.   Dans le Deutéronome :  Observe le jour du sabbat pour le sanctifier.   Qu’est-ce, je le demande, sanctifier le jour du sabbat  si ce n’est s’appliquer à la parole de Dieu  dans la fête d’un saint loisir, et chercher par tous les moyens le royaume de Dieu,  après avoir mis de côté tous les soucis qui se rapportent à la chair ?  Celui qui n’agit pas ainsi a-t-il sanctifié le jour du sabbat ?  Si, dit le prophète, tu détournes ton pied du sabbat, pour ne pas faire ta volonté dans mon saint jour, tu l’appelleras sabbat et un jour  glorieux pour Dieu.  Celui qui entreprend de célébrer le sabbat ainsi se sanctifie aussi longtemps qu’il vit;   et aussi longtemps qu’il traverse le temps présent,  il entre dans le repos de Dieu, et se repose des travaux comme Dieu lui-même s’est reposé de ses œuvres.

 Le Juif :  Toi, tu n’observes pas le sabbat ni même le jour que tu appelles dominical.  Car, tu fais du négoce, tu marches,  et tu t’appliques à n’importe quoi, et, en plus tu fais des statues,  et tu leur rends un culte  contraire au précepte du décalogue :  Tu ne te feras pas de statue, ni aucune image de ce qui se trouve dans le ciel ou sur la terre.  Tu ne vénéreras ni n’adoreras rien de qui est dans l’air, les cieux ou sur la terre.  Je suis le Seigneur ton Dieu fort, jaloux, visitant l’iniquité des pères sur les fils jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui m’on haï, et  faisant miséricorde à mille pour ceux qui m’aiment et gardent mes préceptes.

 Le chrétien :  Moi, si dans le sabbat du Seigneur qui est de vaquer pour voir que le Seigneur lui-même est Dieu, je fais quelque chose qui me détourne du loisir de cette sainte étude,  j’admets avoir péché.  Sache cependant que ma règle est différente de la tienne, et que je ne dois pas être asservi à autant de choses que tu ne l’es, toi.   Car à  toi, il  t’a été dit avec vérité comme règle de l’observance  du sabbat  ce qui est dit du repos de l’esclave et de la servante : Souviens-toi que tu as été esclave en Egypte, et que Dieu t’en as sorti à main forte et avec  bras étendu.  C’est pourquoi il t’a prescrit d’observer le sabbat.

 Moi, je n’ai pas servi en Egypte,  mais je mange mon pain, et en moi est accompli ce qui a été dit par Isaïe :  Sept femmes prirent un homme en ce jour en lui disant : nous mangerons notre pain et nous nous couvrirons de nos vêtements.  Que seulement ton nom soit invoqué sur nous, enlève notre opprobre.  (Is 1V)  Le même prophète l’avait dit avant :  Parce qu’elles se sont enorgueillies les filles de Sion et  qu’elles ont marché la tête haute, etc…jusqu’à :  Tes hommes les plus beaux tomberont sous le glaive,  et tes forts dans le combat, et tes portes pleureront et se lamenteront, et elle s’assoira sur une terre déserte.  Après ces prémices, il ajoute tout de  suite ce que j’ai dit :  Sept femmes prennent un seul homme.   Tu as été, toi, cette Sion terrestre, la femme superbe marchant la tête haute.  Comme tu ne pouvais jamais dire :  je mangerai mon pain, je me couvrirai de mes vêtements; que  ton nom soit seulement invoqué sur moi, toi qui n’avais ni pain ni vêtements,  qui plutôt servais en Egypte comme un étranger,  pour que tu invoques le nom de Dieu sur toi, il t’a donné le pain et le vêtement d’un autre,  comme il est écrit :  Et  il leur a donné les régions des gentils, et ils possédèrent les travaux des peuples, et ils gardent leurs justifications et ils cherchent leurs lois. (Ps C1V)

Mais les sept femmes qui ont dit : nous mangerons notre pain et nous nous vêtirons de nos vêtements sont les églises universelles du nom de mon Christ, lesquelles, après l’invocation du nom du Seigneur, à cause de la foi qu’elles eurent en un seul homme,  que toi aussi tu aurais du avoir, ne demandèrent ni n’acceptèrent les régions ou les travaux de personne,  mais, demeurant dans les régions qu’elles occupaient jadis,  gardent les commandements du Seigneur et demandent sa loi.   C’est pourquoi Dieu en plaçant chez toi la loi de la terre, dit dans la même loi : La terre est à moi, vous êtes mes colons.  (Lev XXV)

 Le Juif :  La terre de Chanaan que Dieu nous a donnée était-elle seule à être  la terre de Dieu ?  Toutes les terres n’appartiennent-elles pas au Seigneur ?  La terre est au Seigneur et tout ce qu’elle contient;  la planète terre et tous ceux qui y habitent.  Car c’est lui qui l’a fondée sur les mers, et qui l’a préparée sur les fleuves.

 Le chrétien :  Il est évident que toute la terre et ce qu’elle contient appartient à Dieu.  Lui-même, après le déluge, la donna aux fils des hommes, aux fils de Noé en disant :  Croissez et multipliez-vous.  Pénétrez sur la terre et remplissez-la.   Mais regarde attentivement ce qui a été fait et dit.  Les descendants de Cham, les fils de Noé,  surtout les Chananéens dont le père était Chanaan,  que Noé maudit par ces paroles, parce qu’il l’avait offensé :  Maudit Chanaan, il sera pour ses frères un serviteur de serviteurs.  La terre qu’ils obtinrent ils la perdirent à cause de leurs crimes.  Il serait plus juste de dire que la terre elle-même les a vomis, comme le fait le Seigneur quand il énumère leurs crimes :  Ne vous polluez pas dans toutes ces choses qui ont contaminé  toutes les nations que j’ai chassées en votre présence, et par lesquelles la terre est polluée, dont je visiterai les crimes pour y vomir ses habitants.  Veillez à ce que je ne vous vomisse pas de la même façon quand vous ferez des choses semblables comme j’ai vomi les nations qui étaient là avant vous.  Il a raison d’appeler sa terre celle que,  après qu’elle ait été enlevée, par un juste jugement, il a voulu quelle  soit retenue  par ses possesseurs, pour qu’il ait en elle un mémorial de son nom,  ses sains tabernacles et son temple, où son nom devait être invoqué.
 

Le Juif :  Cette terre, Dieu l’a donnée à mon père Abraham et à sa descendance que je suis, moi,  du même droit qu’il l’a donnée aux fils de Noé dont tu as parlé.  Comment peut-il dire sienne cette terre,  plutôt que les autres terres qu’il a données aux autres hommes ?

 Le chrétien :  Oui,  il l’a donnée, car il s’était promis à lui-même de la donner.  Cette terre, toutefois,  ne représente pas la totalité de la promesse, mais quelque chose qui a été ajouté par surcroit,  pour qu’à ceux qui cherchaient le royaume de Dieu, à quoi sans doute possible tendait la promesse,  ne fasse pas défaut le secours nécessaire que requérait la voie de la vie présente.  Quand Dieu s’était promis à lui-même de la donner,  tes pères, les fils de Jacob,  qui y demeuraient, s’en rendirent indignes  en vendant comme esclave leur frère Joseph.   Mais Dieu avait prévu ce qui arriverait,  qu’après être entrés dans cette terre ils la contamineraient plus que ne l’avaient contaminée les Gentils.  C’est pourquoi il n’a voulu la leur donner  que sous condition, disant cela entre autres :  C’est ma terre, vous en êtes les résidants.

Moi, donc, comme j’ai déjà dit, si dans le sabbat du Seigneur qui consiste à vaquer pour voir  que le Seigneur est Dieu,  j’admets quelque chose qui me détourne de ce loisir et de cette sainte étude,  je reconnais avoir péché.  Mais sache que la règle d’observance du sabbat que je me suis imposée n’est pas la même que la tienne, et que je ne dois pas, comme toi, être soumis en toute chose à un esclavage.  On n’exige pas de moi que ma terre se repose la septième année,  car ma terre à moi je ne l’ai reçue ni de celui ni pour celui en qui j’ai cru à l’évangile.  Ce ne sont que des biens spirituels que j’ai reçus par l’évangile, et c’est pour cela que mon sabbat doit être spirituel.  Ton sabbat était et est un sabbat de servitude et de chair;  mon sabbat est un sabbat de liberté et de foi.  Et pour le dire plus clairement,  ton sabbat était un jour unique qui t’était caché.  Tu ne pouvais pas en supporter la clarté,  sans couvrir d’un voile le visage de Moïse.

Mon sabbat comporte deux jours,  car l’unique et le même Dieu et homme, le Christ Jésus,  est le premier et le huitième jour.  Le premier parce qu’il est Dieu;  le huitième parce que, fait homme, il a été illustré par la gloire de sa résurrection.  Je t’ai dit plus haut que le septième jour que Dieu bénit et durant lequel il se reposa,  porte le nom de septième.  Mais le jour dont je parle est premier selon la nature,  huitième selon la grâce,  car c’est par grâce et pour nous que l’homme a été fait.   Et passant de ton septième jour, jour transitoire et ombrageux, au huitième jour,  j’ai été amené à considérer le huitième jour comme un jour semblable au premier, et à célébrer l’un et l’autre en une seule personne dans une fête lumineuse, à savoir que  en lui ont été faites toutes les choses terrestres et célestes, et que il est le principe, le premier-né d’entre les morts, et que   c’est par lui qu’il a plu à Dieu de tout réconcilier, autant les choses terrestres que les célestes.

 Le Juif :  Si ce jour était premier par nature,  quel besoin y avait-il qu’il soit placé septième par le chiffre ?  Ne pouvait-on pas dire ou écrire :  le premier jour Dieu se reposa, ainsi que le deuxième, le troisième, le quatrième, le cinquième et le sixième,  et le septième il fait tes œuvres.

 Le chrétien :  A vous, pour qui l’Écriture a été faite,  c’est à bon droit qu’après un jour de travail a été  placé un jour de repos, dans lequel Dieu se reposait comme avant sa création.   Mais nous,  nous ne sommes pas appelés du repos au travail,  mais après les œuvres,  lorsqu’après avoir bien agi, et avoir fait un bon usage des créatures de Dieu.  Nous entrerons dans le repos,  quand nous ressusciterons de deux façons, i.e. autant selon le corps que selon l’âme, nous tous qui croyons avec foi et amour, pour les raisons évoquées,  que le jour de Jésus-Christ est le premier et le huitième.  Voilà ce que je répondrais au sujet du sabbat.

Je répondrai aussi en disant la vérité à l’objection que tu m’as faite de transgresser un précepte du décalogue :  Tu ne te feras pas de sculpture. Tu ne l’adoreras ni ne lui rendras un culte.  Mais il me faut d’abord terminer ce que j’avais entrepris plus haut au sujet du sacrifice de la chair et du sang  qui est stipulé par Moïse dans la loi, et du sacrifice du pain et du vin que Dieu a juré au Christ selon l’ordre de Melchisédech. Et je tiens à le faire.  Mais pour te rendre réceptif à mes paroles, je voudrais t’amener à déposer le mépris que tu nourris envers les Gentils, t’estimant être le seul peuple noble, le plus noble de tous les peuples.

 Le Juif :  J’ai raison de me considérer ainsi.   Parce que je suis un Juif,  ou le peuple Juif,  je ne suis pas comme les autres hommes, comme les autres nations.   Toi-même, penses-tu autrement, ou as-tu une conception différente  de la noblesse de notre race ?

 Le chrétien :  Je ne veux pas, moi, émettre une opinion contraire à la vérité.  Mais si tu veux te glorifier de la noblesse de la chair, je peux te démontrer en toute vérité qu’il n’y a pas là pour toi de quoi te glorifier.  Et pour parler brièvement, dis-moi maintenant dans quels hommes la noblesse de ta race brille-t-elle surtout ?

 Le Juif :  Dans nos rois, surtout dans David, et dans Jérusalem, la cité de Dieu, dans le temple et dans toute la gloire de l’ordre sacerdotal et lévitique.

 Le chrétien :  Tout d’abord,  au sujet de toute ta tribu royale,  qui fut très noble,  je te dis que si tu tenais compte de ce qui est vrai,  tu n’aurais jamais dit contre mon Seigneur :  Nous ne sommes pas nés, nous, de la fornication.   Thamar a forniqué, la belle-mère de Judas, avec le même beau-père et a conçu  Pharès et Pharam,  à partir desquels toute la tribu de Juda s’est propagée.  Lévi,  de qui proviennent toutes les familles sacerdotales et lévitiques, a pour mère  Lia qui fut introduite par fraude,  pendant que Jacob servait pour Rachel.   Et si tu regardes attentivement, tu constateras que seuls Joseph et Benjamin sont nés de l’épouse légitime.  C’est ce qu’a dit Jacob à ses fils :  Vous savez que ma femme ne m’a engendré que deux fils. L’un est parti, et vous avez dit : une bête l’a dévorée.  Et jusqu’à  aujourd’hui il n’est pas reparu.  Si vous prenez aussi ce Benjamin, et s’il lui arrivait quelque chose, vous feriez descendre mes vieux ans  avec douleur dans les enfers.   En parlant ainsi, il ne considérait que Rachel comme épouse légitime.  Et il en était bien ainsi :  six fils sont nés de Lia,  et quatre des servantes.  Et comme il a été dit,  il ne servit que pour épouser Rachel.  Que dire du père Abraham ?    Il est chaldéen de nation, semblable aux autres hommes.

En parlant ainsi,  je n’estime pas ignoble ta nation ou la race israélite.  Ii est évident qu’elle fut très noble.  Mais ce que je me propose, c’est de te faire comprendre que sa noblesse ne fut pas selon la chair, mais selon la foi.

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              LE TROISIEME LIVRE
 

 Dans le livre précédent de notre dialogue,  j’estime qu’il a été suffisamment démontré que les sacrifices charnels de la loi ont été permis mais non commandés.  Ils n’ont pas été postulés, mais imposés par les hommes.   Si tu doutes encore, rappelle-toi quel est celui qui  a été le premier à  introduire le  sacrifice;  et, au témoignage de l’Écriture,  examine  si l’initiateur en avait reçu l’ordre, oui ou non.

 Le juif :  Abel en fut l’initiateur, comme il est écrit :  Abel fut pasteur de brebis, et Caïn cultivateur.  Après plusieurs jours, il arriva que Caïn offrît  des dons tirés des produits de la terre.  Abel, lui, offrit des premiers-nés des brebis de son troupeau, et de leur graisse.  Et il est vrai qu’aucun des deux, d’après le texte, n’avait reçu l’ordre de faire une offrande.  Cependant, le sacrifice des premiers-nés des brebis plut davantage à Dieu --- Dieu regarda Abel et ses dons---que les offrandes des fruits de la terre, quels qu’ils aient été.  Car on lit ensuite :  Dieu ne regarda ni Caïn ni ses dons.

  Le chrétien :    Il est certain que si le Seigneur ne regarda ni Caïn ni ses offrandes, les produits de la terre,  ce fut la faute de Caïn.  Car, si son offrande était bonne, son intention ne l’était pas, puisqu’il a maintenu  son cœur dans l’infidélité  en faisant son offrande au Seigneur.  Abel lui, s’est offert lui-même ou son cœur au Seigneur par la foi,  et son bien par amour.  Car, offrir des fruits de la terre avec foi, surtout des oblations de pain et de vin,  tu n’insinueras pas que, en tant qu’offrande,  ce soit chose  moins honorable ou moins agréable à Dieu, même si l’Écriture n’en parle jamais avant le déluge.  Surtout parce que peu de temps après le déluge, l’Écriture rappelle le souvenir de quelqu’un à l’occasion d’une oblation de ce genre :  Et puis Melchisédech, offrant le pain et le vin, car il était prêtre du Très Haut, bénit Abraham.   Le prêtre de ce sacrifice bénit donc  celui qui avait reçu les bénédictions en promesse.

Admets alors que le sacrifice du pain et du vin a toujours plu et plait encore plus que le sacrifice d’une bête quelconque,  au témoignage même de l’Écriture,  qui le présente ainsi :  Le Seigneur a juré et ne s’en repentira pas : tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.  Il te faut en toute vérité savoir et concéder  qu’aucun des deux sacrifices n’avait encore été commandé à l’époque,  mais l’un ou l’autre était reçu par le seul et même Dieu, pour autant que le méritait la foi de ceux qui offraient volontairement, comme, par exemple la foi de Noé,  la foi de Melchisédech.

 Le Juif :  Si ce n’était pas commandé, d’où leur était venue l’idée de sacrifier ? Quelle raison a poussé les hommes à offrir quelque chose au Créateur qui possède toute chose, s’il ne le leur avait pas d’abord commandé ?

 Le chrétien :  La cause de l’oblation  ou du don qui devait être offert à Dieu en sacrifice fut le péché.  Si le péché n’était pas survenu, nous n’aurions eu besoin d’aucun sacrifice, d’aucun présent de rédemption.   Le péché a été admis en mangeant.  Par la nourriture, il s’empara de l’homme désobéissant et trop désireux d’être semblable à Dieu, et le livra à la mort.   Car cette nourriture,  le fruit de l’arbre défendu, fut en fait une petite chose aux yeux de Dieu, et, en elle-même, une chose d’aucune importance.   Mais l’intention de celui qui mangea fut une chose très grave,  tout à fait horrible, selon les mots du serpent :  Mangez-en,  et vous serez semblables à Dieu.  Ne fut-ce pas là le péché du diable qui désira être le premier dans le ciel,  et semblable à Dieu ?

 Donc, après s’être emparé de ce qui était défendu et après l’avoir mangé, le péché a été admis.  La notion de justice demandait d’offrir à Dieu un sacrifice qui serait d’un tel prix qu’en le mangeant,  on satisferait et on compenserait pour cette rapine de nourriture que l’homme a mangée avec une mauvaise intention.  Mais où, d’où l’homme pouvait-il recevoir  ou trouver quelque chose de tel ?   Dieu n’a donc rien voulu ordonner ni ne devait ordonner à l’homme en fait de sacrifice, qui fût capable de racheter  son péché.  Or les hommes fidèles comme Abel, comme Noé, comme Melchisédech, comme Moïse, désirant récupérer la grâce du Créateur, se présentèrent volontairement,  sacrifièrent volontairement,  offrirent des dons volontaires, que leur travail leur fournissait. L’un, de ses troupeaux,  dont il avait la charge;  l’autre, des produits de la terre,  qu’il se procurait au moyen d’un dur labeur.   Parmi ces produits,  le pain et le vin sont les plus importants, et ils exigent beaucoup de travail.   Car a dit le Seigneur : Tu  te nourriras à la sueur de ton front, et quand tu travailleras la terre,  elle ne te  donnera pas des fruits mais des épines et des ronces.

 Dieu a vu ceux qui offraient volontairement, et a daigné regarder leur dons, bien qu’il n’eut besoin d’aucun d’entre eux, selon le Psalmiste :  J’ai dit au Seigneur : tu es mon Dieu et tu n’as pas besoin de mes biens.   Il les vit  et il les agréa, dans la mesure où la foi des offrants le méritait.  Et il honora les offrandes agréées  à ce point que, dans les choses qu’ils avaient préparées pour l’offrande et le sacrifice,  il a placé les sacrements de son unique sacrifice que lui seul pouvait donner, par lequel seul l’homme pouvait être racheté des péchés et de la mort.  Voilà ce que nous,  nous disons et savons.

Mais toi tu ne veux ni savoir ni entendre quelle était la raison pour laquelle des sacrifices d’animaux étaient offerts par surcroit.  Pourquoi  Dieu ordonna que les holocaustes soient consumés et complètement brûlés selon leur rituel, que le sang soit versé ou répandu, la graisse prélevée,   et que tout leurs rites soient fidèlement respectés.  Il a ordonné que tout se fasse dans le mystère du sacrifice à venir,  sous des figures saintes et mystiques,  selon ce qu’il a dit à un certain endroit à Moïse, comme j’en ai longuement parlé plus haut :  Regarde, et fais tout selon l’exemplaire  qui t’a été montré sur la montagne. (Ex XXV)    Melchisédech est le tout premier, selon l’Écriture, à avoir présenté le sacrifice du pain et du vin que tu connais toi-même, comme il a été dit plus haut, et à avoir donné par lui-même la cause et la vertu de ce sacrifice.  La cause, parce qu’il était déjà venu;  la vertu, parce que ce sacrifice opère la rémission des péchés, non en espérance,  mais en réalité, à celui qui le reçoit dans la foi.  Chose qui était impossible aux sacrifices charnels.

 Le Juif :  Tu dis qu’il en a donné la cause et la vertu.  Qui donc a fait cela ?

 Le chrétien :  Celui évidemment de qui est dit ce que je t’ai rappelé :  le Seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas. Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. (ps.C1X)

 Le Juif :  Mais qui est celui-là ?  Je sais où tu veux en venir,  au Christ Jésus que mes pères ont crucifié.  Mais comment a-t-il démontré qu’il était prêtre ?  Où a-t-il été consacré, et où a-t-il offert un sacrifice ?

 Le chrétien :  Il n’a jamais été prêtre selon l’ordre d’Aaron, ni ne devait l’être. Toi, tu considères que c’est le seul  sacerdoce qui existe.  Mais il a été prêtre selon l’ordre de Melchisédech.  Pourquoi demeures-tu debout comme pétrifié ?  Pourquoi hésites-tu ?  O Judée, toutes les choses dont parle l’Écriture sont vraies ou elles ne le sont pas.  Qui osera dire qu’elles ne sont pas vraies ?  Si donc elles sont vraies, ou plutôt puisqu’elles sont vraies, cherche quelqu’un dans lequel a été accomplie la vérité des Écritures.   Tu n’en trouveras aucun autre que Jésus Christ.

Je ne te renvoie pas à un grand nombre de textes d’une grande étendue.  Scrute un seul psaume qui est bref, dans lequel tu trouveras ce passage : Le Seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas.  Et tu y trouveras la personne du prêtre, l’ordre du prêtre, la vertu du prêtre,  et, dans sa vertu,  la gloire et l’honneur du précédent sacerdoce, la hauteur de son trône, et tout ce qui est grand et victorieux que, moi j’ai appris par l’Evangile du Christ Jésus, du fils de David, de la maison de David.  Je te dis qu’il a souffert et qu’il est mort,  et qu’à cause de cela,  Dieu l’a exalté par l’exaltation de l’ascension au ciel,  en présence d’un grand nombre.  Le même psaume a parlé de lui dans le dernier vers : Il a bu au torrent en chemin, c’est pourquoi il redresse la  tête.  Je te dis qu’il est assis maintenant à la droite de Dieu, selon la chair, le fils de David et le Seigneur de David.

 Que trouvons-nous  d’autre dans le premier verset du même psaume :  Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite.  Je te dis que son règne et son sacerdoce commencés à Jérusalem  s’est étendu aux païens.  Et son nom a cru parmi ses ennemis,  Juifs autant que Gentils. Son nom a grandi,  et il est prêché comme le Seigneur de tous.   Et les Juifs ont été amenés en captivité chez les Gentils qui croient en lui parce qu’ils (les Juifs)  sont ses ennemis, et qu’ils n’ont pas voulu être amis par la foi.

 Voilà pourquoi cet autre vers du même psaume : Dieu enverra de Sion la verge de ta vertu dominer au milieu de tes ennemis.  Je te dis maintenant que, avant que l’homme apparaisse  visiblement après avoir été fait,  avant le ciel et la terre,  avant toute créature visible ou invisible,  Dieu lui-même était auprès de Dieu,  né du cœur du Père,  coéternel et consubstantiel.  C’est pour cela qu’il a pu justement se donner le nom de principe, comme le Père est principe.  Que peut bien vouloir dire d’autre ce psaume dans le vers suivant :  Avec toi le principe au jour de ta vertu, dans la splendeur des saints, du sein avant Lucifer je t’ai engendré.   Je te dis qu’il est le juge des vivants et des morts, et qu’il jugera au jour du jugement tous les impies, autant les nations que les rois des nations;  et il glorifiera les justes et les humbles.  Que peuvent-ils vouloir dire d’autre les deux versets suivants :  Le Seigneur à ta droite écrasera les rois au jour de sa colère.  Il jugera dans les nations, il les remplira de ruines, il fracassera les têtes de plusieurs sur la terre.

 Le Juif :  Tu as coutume d’interpréter les Écritures à ta guise.  Tu vas chercher un peu partout ce qui te convient.

 Le chrétien :  Non, je n’interprète pas les Écritures dans mon sens.  Mais je veux te montrer comme Ezéchiel l’a vu et l’a écrit :  La roue est au milieu de la roue.  (Ez. 1)  C’est-à-dire que  l’écriture évangélique que tu n’acceptes pas est fondée sur l’autorité manifeste de l’ancienne écriture, sur la loi et les prophètes.  Je sais que tu trouves pénible et que tu détestes qu’on te présente des passages à lire.  Car le dit prophète n’a pas passé non plus  cela sous silence et ne l’a pas ignoré : Il y avait dans les roues  de la hauteur et un aspect horrible.

Je reviens maintenant à l’objection que tu m’avais faite.  Tu m’as dit :  Où a-t-il démontré son sacerdoce celui que mes pères ont crucifié ?  Où a-t-il été consacré prêtre ? Quel sacrifice a-t-il offert ?  Je te dis et je t’ai dit qu’il n’a jamais été  ni du être prêtre selon l’ordre d’Aaron, mais qu’il l’a été selon l’ordre de Melchisédech.    S’il n’avait pas fait cela, s’il n’était pas passé à un autre ordre,  comment le serment de Dieu serait-il demeuré stable, lui qui ne peut mentir ?  Car, c’est par serment que Dieu a dit :  Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.

Si tu n’avais pas le cœur endurci et opposé à la vérité,  tu penserais et tu avouerais, à cause du serment du Seigneur,  qu’il fallait que cela se produise comme Jésus l’a fait.   La nuit où il a été livré, il prit le pain, rendit grâces et dit : recevez et mangez. Ceci est mon corps qui sera livré pour vous.  Faites ceci en souvenir de moi.  De la même façon après le repas,  il prit le calice en disant : ceci est le calice du nouveau testament dans mon sang.  Faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous le boirez.   C’est ici que le sacerdoce est établi selon l’ordre de Melchisédech, en faisant, après l’immolation de l’agneau, le sacrifice du pain et du vin.   C’est ici qu’est réalisé le désir de tous les prêtres qui, n’ayant pas de sacrifice capable d’effacer le péché, ont préparé ce qu’ils ont pu pour l’oblation.  Même  un Jacob en a parlé dans sa bénédiction à Joseph :  Les bénédictions de ton père sont confirmées  par les bénédictions de ses pères, jusqu’à ce que vienne le désiré des collines éternelles. (XL1X)

En faisant et en prenant cela,  nous soignons les âmes  avec un antidote approprié, en conservant l’ordre de la justice, parce que les premiers humains ont cru ce qu’ils ne voyaient pas,  à savoir que dans le fruit, selon le dire du serpent, se trouvait une vertu effective de divinité ou de ressemblance divine, et en en mangeant ils sont morts.  Nous croyons nous aussi  à ce que nous ne voyons pas de nos yeux,  à savoir que dans le sacrifice du pain et du vin, selon le dire du fils de Dieu, se trouvent véritablement la chair et le sang,  que nous vivrons en en mangeant et en y  buvant,  et que nous obtiendrons par eux la rémission des péchés.

 Le Juif :  Du sacrifice de ce pain et de ce vin, tu me diras peut-être la même chose que tu m’as dite du baptême,  que sa vertu est descendue aux enfers, et que tous ceux qui y étaient ont refait leurs forces avec ce pain et ce vin.

 Le chrétien : C’est en plein ce que je dis.  Car,  mon Seigneur Jésus-Christ,  verbe de Dieu, est dit et est vraiment le pain des anges selon sa divinité.   Par sa visite il revigore et nourrit toute une multitude d’âmes fidèles.  Selon qu’il est corps, étant reçu dans le même ventre de terre où avaient été inhumés leurs corps, il devient pour eux une nourriture de la terre pour qu’ils ressuscitent à la vie éternelle.  En foi de quoi et en témoignage de quoi, beaucoup de corps de saints sont déjà ressuscités.   Ce qu’il a apporté aux premiers dans la forme que prenait le sacrifice quand il fut crucifié et enseveli,  il nous le confère tel quel à nous sous la forme du pain et du vin.  Nous sommes purifiés par le sacrement du sang et de l’eau qui coulèrent l’un et l’autre de son côté quand nous étions morts.  Et, purifiés des péchés et du péché originel, nous prenons, en mangeant et en  buvant, comme je l’ai déjà dit,  un antidote à l’autre nourriture  de la première prévarication,  afin que nous soyons des fils de Dieu.

 Le Juif :  Il serait préférable pour toi, si seulement tu le voulais,  de parler de la sainte loi de Dieu, de la loi de Moïse, et de l’ordre sacré de tout sacrifice.  Tu parles tout à fait comme si la rémission des péchés se trouvait dans ton seul sacrifice, et non dans les sacrifices de la loi.   Le Seigneur n’a-t-il pas dit dans la loi :  Le prêtre priera pour lui et pour son péché, et il lui sera remis. (Lev. 1V)  Cela est-il dit seulement une seule fois ?   Non pas.  Et dans l’oblation de chaque personne,  soit qu’elle ait oublié son serment,  ou qu’elle ait omis certaines cérémonies par ignorance, ou dans d’autres cas semblables,  une rémission légitime est proposée dans les paroles :  Le prêtre priera pour cette personne et le péché lui sera remis. Ou bien tu ne te souviens pas de ces textes, ou bien tu t’en souviens et tu fermes les yeux.  Pour exalter  ton sacrifice tu rabaisses le mien.  La même chose s’est produite avec l’alliance.   Tu as parlé abondamment du pacte que Dieu a contracté avec mon père Abraham à cause de la seule foi, selon toi.  Mais au sujet de l’alliance contractée sur le mont Sinaï qui portait sur des lois à observer, tu as été avare de paroles.

 Le chrétien :  Pourquoi m’étendrais-je sur ce pacte puisqu’il est devenu caduc ?   Les prophètes ou plutôt le Seigneur dans la bouche des prophètes n’a-t-il pas dit :  Voici, dit Jérémie,  des jours viennent, dit le Seigneur, où  je ferai avec la maison de Juda et celle d’Israël une nouvelle alliance, non comme le pacte que j’ai contracté avec leurs pères le jour où je les ai saisis par la main et les ai conduits hors de la terre d’Egypte, un pacte qu’ils rendirent caduc, et moi j’ai agi envers eux comme un maître.   Mais voici quel sera le pacte que je ferai avec la maison d’Israël. (Jer. XX1)

 Le pacte de foi qu’il contracta avec Abraham, sur lequel il s’est engagé par serment avec Abraham et David  n’a pas pu devenir désuet.  C’est ce que Dieu avait dit par Jérémie : Si  mon pacte avec le jour et la nuit peut être abrogé de façon à ce que le jour n’arrive pas en son temps, et si mon pacte avec David mon serviteur peut être abrogé de façon à ce qu’il n’y ait plus de ses fils qui règnent sur son trône. (XXX111)  Encore.  Si je n’ai pas établi mon pacte entre le jour et la nuit  et des lois au ciel et sur la terre, je rejetterai la semence d’Abraham et de David mon serviteur de façon à ne pas tirer de leur semence les princes de la descendance d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.  Le pacte dont tu t’enquiers a été établi si peu solide et si  peu résistant qu’il peut être dissout sans détriment pour la justice et la véracité de Dieu.

 Le Juif :  Comment ce pacte pouvait-il être dissout en demeurant sauve la véracité de Dieu plutôt que l’autre pacte, celui de la foi comme tu l’appelles,  que Dieu a contracté avec Abraham et David ?

 Le chrétien :  Tu pourras, si tu le veux, en comprendre vite la raison.  Le volume de l’alliance n’est-ce pas celui où tu lis :  Prenant le livre de l’alliance Moïse le prit et le lut pendant que le peuple écoutait.etc…jusqu’à  ceci est le sang de l’alliance que Dieu a contractée avec vous au sujet de toutes ces paroles. (Ex. XXV1)    Tout ce volume n’a-t-il pas écrit sous condition ?  Dieu a commencé ainsi ces discours qu’il avait ordonné d’écrire dans le volume  :  Vous  avez vu ce que j’ai fait aux Egyptiens, comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle, et comment je me suis glorifié. Si donc vous écoutez ma voix et gardez mon pacte, vous serez mes préférés parmi tous les peuples.

 La promesse à Abraham et à David, sanctionnée par un serment, a-t-elle été aussi conditionnelle ?  Absolument pas.  Sans l’imposition d’une condition à Abraham : Dans ta semence seront bénies toutes les nations.  Et ailleurs :  Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux. C’est ainsi que sera ta descendance.  A David maintenant :  Du fruit de ton ventre je placerai quelqu’un sur ton trône.  Et ailleurs : Quand tes jours seront complétés et que tu dormiras avec tes pères, je susciterai ta descendance après toi que je tirerai de ton sein, et j’affirmerai son règne.  C’est lui qui édifiera  une maison à mon nom, et je stabiliserai son trône éternellement.  Des promesses de ce genre, parce qu’elles n’étaient pas conditionnelles, ne pouvaient pas être abolies sans infirmer la véracité de Dieu.

Mais ces promesses de la loi, parce qu’elles étaient faites sous condition, - si vous écoutez ma voix, si vous gardez mon pacte,-  pouvaient être retirées sans porter atteinte à la véracité de Dieu.  Elles ont commencé à être compromises dès le péché du veau.  Tu te rendras compte de plus en plus vite qu’il en est bien ainsi.   Dis-moi.  Quand Dieu, irrité à cause du veau d’or,  a dit qu’il détruirait son peuple,  par quelles paroles Moïse, prosterné,  plaida-t-il devant le Seigneur  la cause du peuple ?  Rappelle-toi les paroles de l’homme qui retient le Dieu qui disait :  Laisse-moi, ma fureur va éclater contre eux, et je les exterminerai.

 Le Juif :  Je me souviens très bien de ces paroles de Moïse suppliant le Seigneur. Souviens-toi,  disait-il, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tes serviteurs, à qui tu as promis par serment : je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel, et toute cette terre dont je t’ai parlé,  je la donnerai à votre descendance.

 Le chrétien :  Pourquoi n’a-t-il pas dit :  Souviens-toi de cette alliance que tu as récemment contractée avec nous, de laquelle j’ai dit en tant qu’intermédiaire :  Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a contractée avec nous  sur toutes ces paroles.   Il n’aurait rien eu à gagner par cette commémoration puisque le peuple avait déjà violé  les conditions de cette alliance.   Il fut fort par le rappel de la première alliance, et il put retenir Dieu parce que c’est sans condition que Dieu avait promis par serment à Abraham.  David eut recours lui aussi à la même force.  Quand il craignit qu’à cause du péché qu’il avait commis envers Urie,  il deviendrait indigne de la promesse que Dieu lui avait faite par serment, à savoir  que de sa descendance naîtrait un roi éternel,  il dit : Aie pitié de moi, Seigneur, pour que tu sois trouvé juste dans toutes tes paroles.

 Le Juif :  De la différence entre pacte et pacte, promesse et promesse,  tu t’es suffisamment exprimé, et tu as amplement manifesté ta science.  Quant à moi, je proposerais d’abord et avant tout comme sujet de discussion que dans mon ordre et dans mon rite sacré de sacrifices légaux, la rémission des péchés est exprimée et manifestement donnée.  J’ai déjà cité les paroles du Seigneur dans l’Écriture :  Si quelqu’un pêche d’une façon ou d’une autre, il offrira ceci ou cela en sacrifice, le prêtre priera pour lui et son péché lui sera remis.  C’est donc sans raison que tu attribues la rémission des péchés au seul prêtre que tu dis être selon l’ordre de Melchisédech.

 Le chrétien :  Je suis prêt à te répondre à ce sujet,  et je ne l’oublierai pas.  Mais comme tu as soulevé deux difficultés,  je ne peux répondre aux deux en même temps.  Je sais très bien que le Seigneur a dit les paroles que tu as citées,  et il faut que ce qu’il a dit soit vrai.  Mais est-ce que ce que l’on appelle  pardon doit partout être pris au sens d’une rémission plénière et parfaite des péchés ?  On peut fortement en douter.  Quand Dieu avait pardonné le péché de son peuple et s’était apaisé de façon à ne pas leur faire le mal qu’il leur avait annoncé, on lit ensuite :  Mais,  moi,  au jour du jugement je visiterai encore leur péché.  Et pourtant il appert que cette rémission des péchés était meilleure que celle dont il est dit : Le prêtre priera pour lui et le péché lui sera remis.  En toute vérité,  en quantité et en qualité, elle n’approche pas de cette rémission qui est donnée dans le sacrifice du pain et du vin,  dans le sacrifice du corps et du sang du Seigneur.  Car une chose est un pardon qui ne remet que la peine, et autre chose un pardon  qui non seulement remet la peine, mais confère la gloire.

 Il y a trois sortes de pardon.   Il y a un pardon partiel par lequel on échappe à un mal temporel.  Beaucoup ne se sont souciés que de ce pardon-là, comme le roi Achab et les Ninivites. Il y aussi la rémission maximale des péchés par laquelle le pécheur non seulement évite un châtiment temporel,  mais obtient la gloire éternelle.  Il y a une rémission des péchés intermédiaire celle qui, dans la loi, remet le péché et soustrait à  la punition  des enfers,  mais ne procure pas la gloire de la vie éternelle en réalité,  mais en espérance seulement.   Cette gloire qui ne pouvait être donnée et accomplie que dans la semence d’Abraham qui est le Christ.    Dans le premier livre j’ai traité abondamment ce sujet,  textes de l’Écriture à l’appui, i.e.,  de l’espérance des saints qui attendaient dans les enfers (les limbes)

 Le juif :  Tu musardes où tu veux, et tu deviens insupportable en ressassant sans cesse les mêmes choses.  Ou tu  oublies de traiter le sujet que je t’avais proposé,  ou tu l’évites de mauvaise foi.    Car je te dis que tu n’as pas abandonné le culte de l’idolâtrie, mais tu l’as changé, en allant contre le précepte de l’Écriture qui dit :  Tu ne te feras pas de sculpture ni aucune image de ce qui est en haut dans le ciel, ou sur la terre en bas, ou dans les eaux.  Tu ne les adoreras  ni ne leur rendras un culte.  Toi, tu fais des statues et tu les adores.

 Le chrétien :  Moi, je fais et j’adore l’image de l’abaissement du Dieu très haut qui est le Dieu très haut tout en étant homme, comme l’atteste le psaume en ces mots : Un homme est né en elle, c’est le Très Haut qui l’a fondée.  Et en faisant cela,  je fuis loin du jugement du diable par lequel il déclare l’homme et lui-même coupable, pêchant lui-même le premier en disant :  Je monterai au-dessus des nuages. Je serai semblable au Très-Haut.  Et en promettant à l’homme d’être lui aussi semblable à Dieu, il a dit à Eve :  Mangez, et vous serez comme des dieux.   Car je me trouve grandement éloigné de cette présomption sacrilège dont j’ai pour toujours détaché mon âme quand j’adore l’abaissement de celui qui est pendu au  bois.  Mais le roi des fils de l’orgueil a méprisé la majesté de celui qui règne dans les cieux.

 Le Juif :  Les statues des Gentils, dit le psalmiste, en or ou en argent sont des œuvres de mains d’hommes.  Ils ont une bouche et ils ne parlent pas etc…jusqu’à  ils leur deviennent semblables ceux qui les font, et tous ceux qui mettent leur confiance en eux.  Et en Isaïe il parle ainsi : Y a-t-il un Dieu en dehors de moi, un créateur que je ne connais pas.  Les idoles fabriquées ne sont rien.  Qui a formé Dieu ?  Et une idole fabriquée est-elle utile à quelque chose ? etc. jusqu’à  Pendant combien de temps l’insensé adorera-t-il cela, sans pouvoir libérer son âme. Il ne dit pas : le mensonge est peut-être dans la droite.

 Le chrétien :  Et le même Dieu a dit après par le même prophète :  Voici que je lèverai ma main aux Gentils, et j’élèverai mon signe vers les peuples.  Ils adoreront le visage contre terre, et ils essuieront la poussière de tes pieds.  Parmi toutes les choses qui sont dites du seul et unique Seigneur, garde le juste milieu.  Comme il te faut mépriser les statues des Gentils,  tu dois quand même adorer  ce signe,  car dit-il,  je l’exalterai mon signe, et tournant vers lui leur visage  ils l’adoreront tête contre terre.

 Le Juif :  Montre-moi ce milieu si tu le peux.  Explique-moi,  si tu le peux, de quelle façon il est permis à l’homme fait à l’image de Dieu d’adorer un produit des mains des hommes, une image, une reproduction quelconque.

 Le chrétien :  Je te dis d’abord que ce avec quoi tu me calomnies, ce n’est pas un simulacre qui provient des Gentils.  Je te dis même que les Gentils en tant que tels, et tant qu’ils l’ont été, n’adorent ni non jamais adoré un tel simulacre.  Et la grande différence que je vois entre leurs simulacres et celui-là c’est que les simulacres des Gentils sont des mensonges.  Ce simulacre, au contraire, n’est pas un signe de mensonge mais de suprême vérité.  Celui donc  qui fait et adore des simulacres des Gentils fait le mensonge et adore le mensonge.

 Le Juif :  Sans faire cette distinction et sans aucune exception,  le Dieu qui ne change pas a dit :  Tu ne te feras pas de sculpture, ni aucune image de ce qui est dans les cieux, sur la terre et dans les eaux..

 Le chrétien :  Il a dit lui-même à Moïse :  Tu feras deux chérubins en or, et tu les placeras de chaque côté de l’arche. L’un d’un côté de l’arche, l’autre de l’autre.  L’un et l’autre tiendront les côtés du propitiatoire, les ailes étendues, et couvrant l’arche.  Ils se regarderont mutuellement, les yeux tournés vers le propitiatoire.  Et au livre des Nombres, il est écrit :  Fais un serpent d’airain, et place-le comme un signe.  Celui qui aura été mordu par un serpent et qui le regardera, vivra.  Moïse fit donc un serpent d’airain, et le plaça comme un signe. Tous ceux qui avaient été empoisonnés par un serpent  qui le regardaient étaient guéris.

 Le Juif :  Si Dieu a ordonné qu’ils soient faits,  (les chérubins et le serpent)   il a défendu qu’ils soient adorés ou qu’on leur rende un culte quelconque.

 Le chrétien : C’est tout à fait vrai qu’il avait ordonné qu’on les fasse,  mais qu’il ne voulait pas qu’on leur rende un culte.  Bien plus, pour que ne les adorent pas les jeunes prompts à l’idolâtrie que la beauté des formes ou du métal captivait, il a voulu qu’ils soient cachés, et défendit qu’on regardât ce qui n’était pas voilé. Quand Aaron et ses fils auront fini d’envelopper les choses sacrées et tous leurs accessoires,  alors les fils de Qehat viendront les porter mais sans toucher à ce qui est consacré,  pour ne pas mourir.   (Nom 1V)  De même :  Aaron et ses fils entreront, ce sont eux qui répartiront le travail de chacun, et décideront ce que chacun peut porter.  Que les autres ne regardent curieusement rien de ce qu’il y a dans le sanctuaire avant qu’il ne soit recouvert,  de peur de mourir.

 Le Juif :  Où as-tu pris que s’ils paraissaient à la vue les anges seraient adorés, et que quiconque les verrait mourrait, et que c’est pour cela que Dieu a dit :  Que les autres ne regardent rien avec curiosité de peur de mourir.

 Le chrétien :  L’Écriture raconte du roi Ezéchias que c’est lui qui détruisit le serpent d’airain qu’avait fait Moïse, et que jusqu’à cette époque les fils d’Israël lui offraient de l’encens.  S’ils ont pu adorer la statue d’un serpent d’airain,  ils ont à plus forte raison et plus rapidement adoré les reproductions dorées des saints chérubins.  C’est pourquoi ce que le Seigneur a interdit  en disant :  Tu ne feras ni sculpture ni image de ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans l’eau,  il l’a interdit pour que leur fabrication n’entraîne pas un culte.  C’est pourquoi il ajoute :  ni tu l’adoreras ni tu lui rendras de culte.  Et avec raison, car il n’y avait rien dans le ciel, sur la terre et dans les eaux dont on dût adorer ou vénérer  l’image en dehors de Dieu dont la substance non circonscrite  est invisible, et duquel il n’existait aucune image qu’un artiste puisse imiter.  D’où les paroles de Moïse dans le Deutéronome :  Vous n’avez vu aucune image le jour où Dieu vous a parlé sur le mot Oreb au milieu du feu,  de peur que, trompés par elle, vous vous soyez fait une statue semblable, ou une image d’un mâle ou d’une femelle.

Ce précepte de la loi ne milite donc pas contre moi mais pour moi, i.e. contre les  anthropomorphistes (humanoformistes) contre lesquels l’Eglise a du lutter jadis,  qui enseignaient que l’homme était fait à l’image et à la ressemblance de Dieu selon  son corps.   Il ne s’oppose pas à moi, car alors on n’avait pas encore vu sur la terre Dieu conversant avec les hommes.  Mais il a été vu, et il a conversé avec les hommes.  (Baruch 111)  Cette terre, Dieu l’a bien connue, ainsi que l’homme Christ qui a été crucifié.  Voilà pourquoi je fais une image et je l’adore,  en n’espérant pas en vain  la santé et le salut dans la foi  ou par la foi en celui qui a été suspendu à la croix pour moi dans cette forme.

 Si ceux qui avaient été mordus par le serpent étaient guéris en regardant le serpent d’airain posé comme un signe,  non un serpent vivant bien entendu, mais la reproduction inanimée d’un serpent,  à combien plus forte raison celui qui regarde le signe duquel il est dit, comme je l’ai rapporté plus haut :  Voici que moi je lèverai ma main vers les Gentils, et je soulèverai mon signe en direction des peuples. (Is, XL1X)   A plus forte raison, dis-je, quand je regarde et adore ce signe, visage contre terre, après avoir essuyé la poussière de ses pieds,  je dois être guéri des morsures et des blessures infligées par le serpent, i.e. être libéré des  péchés et des vices qui sont les blessures causées par les  esprits mauvais.

 Le Juif :  Le signe que tu adores est-il le signe de Dieu ou plutôt celui d’un homme mort ?  Car Dieu a dit à Moïse :  L’homme ne peut pas me voir sans mourir.  Celui-là a été vu par les hommes,  pris  et tué.

 Le chrétien :  Dieu est invisible, et il s’est fait homme pour être vu.   La cause n’en  est même pas inconnue à ceux qui  ont bonne mémoire.  Il a été écrit d’abord dans l’Exode, puis dans le Deutéronome :  Terrifiés et épouvantés, ils se tinrent au loin en disant à Moïse : parle-nous, toi, et nous écouterons.  Que le Seigneur ne nous parle pas de peur que nous mourions. (Ex XX)  Dieu se souvint de cette chose et dit à Moïse : J’ai entendu les paroles de ce peuple qui t’ont été adressées.  Ils ont bien parlé.   Et Moïse au peuple :  Le Seigneur ton Dieu te  suscitera de ta race et de tes frères un prophète semblable à moi. Tu l’écouteras, comme tu as demandé au Seigneur ton Dieu à l’Oreb quand le peuple était rassemblé et que tu as dit : je n’écouterai plus la voix du Seigneur mon Dieu, et je ne verrai plus ce grand feu  pour ne pas mourir. Et le Seigneur m’a dit :  Ils ont bien parlé. Je susciterai, du milieu de tes frères, un prophète semblable à toi, et je placerai mes paroles dans sa bouche.  Il vous dira tout ce que je lui prescrirai.  Celui qui ne voudra pas écouter les paroles qu’il prononcera en mon non, je le condamnerai.

  Ces choses et d’autres qu’il est trop long d’énumérer,  rendent évident pour quiconque a des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, que Dieu s’est  fait homme parce que l’homme ne pouvait pas voir sa substance,  à cause d’antiques inimitiés et du péché du premier homme, qui avait établi un mur entre Dieu et les hommes.  Voilà ce que toi, tu ne veux ni lire ni comprendre :  Personne n’a jamais vu Dieu.  Le Fils unique qui est dans le sein du Père l’a raconté. C’est-à-dire qu’après avoir brisé le mur des inimitiés, il a montré la vision de Dieu aux hommes.  C’est lui le prophète dont Moïse a parlé.  Le Seigneur ton Dieu te suscitera, de ta nation et de tes frères, un prophète semblable à moi.

 Le Juif :   Nous voici donc avec deux Dieux,  Dieu le Père et Dieu le fils unique.  Il est écrit dans la loi :  Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu.  Et ailleurs :  C’est moi qui suis le Seigneur, et il n’y en a pas d’autre.  En dehors de moi il n’y en a pas d’autre.
 Le chrétien :  Est-ce que le Fils unique a dit de lui-même, lui ou ceux qui croient en lui, qu’il est un Seigneur à l’extérieur de Dieu ?   En disant que le Fils unique est dans le sein du Père ai-je laissé entendre qu’il est un Dieu en dehors ou en marge de Dieu ?  Je suis dans le Père, dit-il, et le Père est en moi.  Il n’y a donc pas deux Dieux,  parce que Dieu le Fils n’est pas en dehors de Dieu le Père.  Le Fils est dans le sein du Père.

 Le Juif :  De quelque façon que tu  le présentes ou que tu veuilles que soit ton Christ, je te dis, moi, que ce que tu adores n’est pas Dieu mais un homme.

 Le Chrétien :  Comme je t’ai dit plus haut :  je n’adore pas les statues des Gentils, mais le signe de la vérité.   Cette vérité que les Gentils n’ont pas connue tant qu’ils étaient idolâtres.

 Le Juif :  Tu adores cependant un simulacre qui est l’œuvre de mains d’hommes.  L’Écriture a dit :  Et ceux qui les font leur deviennent semblables.

 Le chrétien :    En quoi leur deviennent-ils semblables ?  Selon le corps ou selon l’âme ?  Si tu prétends qu’ils leur deviennent semblables selon le corps,  il n’est jamais arrivé  que le corps de celui qui fait des statues de divinités leur soit devenu  semblable.  Si tu parles de l’âme,  tu dois dire :  ils deviennent semblables à ceux dont ils on fait les images.  Et c’est ce qui arrive.  Parce que les hommes sont réellement semblables à ceux dont ils font des reproductions, dans lesquels ils mettent leur confiance.   Par exemple,  quand tes pères se sont initiés à Beelfegor,  et mangèrent les sacrifices des morts,  ils devinrent semblables à ce Beelfegor,  au honteux  Priape,  forniquant avec les femmes Madianites d’après l’exemple de Priape,  qui fut un grand débauché.    Il en est ainsi des autres monstres des Gentils,  si tu l’entends selon l’âme : ils sont devenus semblables à ceux qu’ils faisaient.  Tu comprends très bien qu’avec Jupiter, Mercure, Junon et Vénus, ils sont condamnés d’une condamnation semblable ceux qui font ces simulacres et ceux qui mettent leur confiance en eux.

Que peut-il donc m’arriver si ce n’est que, en faisant l’image de Jésus-Christ le fils de Dieu crucifié pour moi,  et en adorant ce signe de son saint anéantissement, je devienne semblable à lui,  que je sois moi aussi fils de Dieu adoptif par grâce ?  Qu’as-tu à dire là contre ?   Comme je le constate, bien plus,  comme je le sais pertinemment depuis longtemps,  tes arguments s’écroulent,  et tu fuis quand tu ne peux riposter.  Et se trouve accompli en toi ce qui a été prononcé parmi les autres  malédictions de la loi que Moïse a ordonné de prononcer à voix haute,  le Moïse en qui tu places ta confiance :  Il te livrera à tes ennemis,  tu t’écrouleras  devant eux.. Tu entreras par une voie contre eux, et tu  fuiras  par sept.

Cela s’est accompli pour toi de deux façons, corporellement autant que spirituellement.   Corporellement, en ce que tu t’es écroulé devant les soldats romains, car tu es entré contre eux par une voie et tu t’es sauvé d’eux par sept, i.e. qu’en te confiant dans une seule ville fortifiée, tu as osé guerroyer contre eux.  Ceux que le glaive a épargnés ont été dispersés par toute la terre.   Spirituellement, te glorifiant d’une seule chose,  la chair d’Abraham, tu t’écroules quotidiennement devant les hommes qui cherchent la vérité, auxquels tu t’es rendu odieux.   Et pendant que tu places une confiance excessive,  comme cela a été dit,  dans le fait d’être de la chair d’Abraham, quant tu sors contre moi, tu tournes le dos comme un vaincu,  préférant fuir la vérité  par sept portes i.e. les paroles de vérité de l’Écriture,  plutôt que croire la vérité.

 Le Juif :  Tu es donc un ennemi pour moi,  et devant toi je m’écroule comme devant un ennemi ?  Comment donc pouvais-tu dire que tu cherches mon salut toi qui reconnais agir en ennemi ?

 Le chrétien :  Il est écrit dans le psaume : Je les ai haïs d’une haine parfaite.  La haine est parfaite quand elle ne porte pas sur les personnes mais sur les erreurs.  Surtout quand avec l’erreur il y a la défense de l’erreur.  Dis-moi maintenant pour quelle raison Dieu t’a laissé t’écrouler devant tes ennemis,  et pourquoi sont venues et t’ont frappé toutes les malédictions dont avait parlé Moïse ?

 Le Juif :  Parce que je n’ai pas écouté la parole de mon Dieu.  Je n’ai pas gardé tous les commandements et toutes les cérémonies qu’il m’avait prescrits.

 Le chrétien :  Il est vrai que tu n’a ni écouté ni observé.  Tu as coutume de me répondre cela,  et cela seulement. Mais ce que je requiers de toi c’est un passage précis qui te permette de montrer en quoi tu n’as ni écouté ni observé.  Dieu n’a-t-il pas livré vos pères entre les mains de leurs ennemis pour une cause évidente et connue à l’avance ?  Par exemple, les fils d’Israël prirent comme femmes les filles des Chananéens,  et les Chananéens livrèrent leurs filles aux fils des Juifs.   Ils firent le mal en présence du Seigneur en servant leurs dieux Baalim et Astaroth.  Dieu se fâcha et les livra aux mains de Chusan Raphataim roi de Mésopotamie.   Ce mal, qui consistait à forniquer avec d’autres dieux et à les adorer,  la sainte Écriture l’a toujours fait passer avant les autres,  relatant la colère de Dieu qui livre Israël à ses ennemis.

 Mais quand l’a-t-il livré à ses ennemis autant qu’aujourd’hui ?  Quand Israël a-t-il été captif et dispersé comme aujourd’hui ?   Quand il était livré à ses ennemis moins durement en demeurant dans sa terre, alors que Dieu permettait qu’il serve les ennemis,  la faute ou la raison de la punition devait être annoncée nominalement et montrée d’avance,  à plus forte raison la captivité présente et la dispersion qui surpassent en grandeur et en longueur toutes les calamités passées de ton peuple,  doit avoir une cause que tu devrais connaitre et confesser nommément.   La cause tu la connais,  mais tu fais semblant de l’ignorer,  ne voulant rien dire d’autre que  à cause de mes péchés.

Mais moi je te dirai, je te montrerai même que Moïse et les prophètes l’avaient prédit.   Parmi toutes les malédictions qu’il a fulminées, qui  sont toutes tombées sur toi,  il a ajouté cette cause :  Et ta vie sera comme pendante devant toi.  Tu craindras la nuit et le jour, et tu ne croiras pas à ta vie. Deut (XXV111)  Daniel le dit plus clairement :  Et après soixante-douze semaines le Christ sera tué.  Voilà quelle est la cause.   Et il ajoute tout de suite ce qui est devenu évident :  Et il ne sera plus son peuple celui qui l’aura renié.  Et un peuple détruira le temple et la ville avec un chef qui viendra.   Et sa fin sera dans la dévastation  Et à la fin de la guerre, la désolation prescrite.  Et feront défaut l’hostie et le sacrifice, et dans le temple il y aura l’abomination de la désolation, et la désolation durera jusqu’à la fin et la consommation.  Confesse donc que c’est à cause du péché de reniement du Christ, que tu as renié devant Pilate et que tu as tué,  que la ville de Jérusalem et son temple ont été saccagés par le peuple romain avec comme chef Vespasien ou son fils Titus et que perdure la désolation statuée;  et que tu n’es plus le peuple de celui que tu as renié.

 Il n’y a pas au monde de mal plus terrible que de ne plus être son peuple. C’est le tien.   Daniel n’a pas dit :  Il ne sera plus son peuple celui qui le tuera,  mais qui le reniera.   Le fait de l’avoir tué ne te nuirait pas autant si tu ne le reniais pas avec tant d’entêtement.   Voilà ta vie,  comme a dit Moïse comme pendante devant tes yeux, et tu ne crois pas dans ta vie.   Autrefois elle fut pendante non pendant une journée complète,  mais de l’heure de sexte à l’heure de nonne.  Maintenant elle est comme pendante partout où tu es dispersé, comme l’avait prédit Moïse :  Le Seigneur te dispersera chez tous les peuples du centre de la terre à ses frontières.   Car elle est là comme pendante la vie qui est le Christ, qui a été véritablement pendu, tellement que l’image du crucifié est adorée sous tes yeux dans tous les lieux de sa domination.  Comme s’il pendait et comme s’il pendra.  Comme il l’a prédit lui-même :  Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le Fils de l’homme.  Et cette image pendra devant toi, bien que tu ne veuilles pas la voir,  et  devenu enragé et ne sachant pas ce que tu dis,  tu crieras contre moi,  contre le signe élevé du Seigneur :  Les simulacres des Gentils d’or ou d’argent sont des œuvres de mains humaines.

Le Juif :  Le crucifix de celui que tu dis être ton dieu, que tu veux me persuader d’être le Messie, le Christ, est-ce le seul simulacre que tu adores ?   Tu te fais un grand nombre d’autres images, tant de femmes que d’hommes, et les églises sont pleines des images de ceux qui ne sont pas des dieux.

 Le chrétien :  Je t’ai déjà dit que même un Moïse a fait des chérubins.  Salomon augmenta le nombre des images dans le temple qu’il fonda, comme il est écrit.       Beaucoup de choses mémorables après ce temps, et en beaucoup plus grand nombre  ont été faites par le ministère des saints anges,  et beaucoup et d’innombrables palmiers et de cèdres se sont étendus en hauteur,  desquels parle le psalmiste :  Le juste, dit-il, croitra comme un palmier, et comme un cèdre du Liban il se multipliera. Plantés dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu.  Ils se multiplieront encore dans la vieillesse de l’âge.  (XC1)  Voilà pourquoi j’ornerai tous les murs des églises de créatures variées rappelant à ma mémoire les gestes mémorables des saints,  la foi des patriarches,  la véracité des prophètes,  la gloire des rois, la béatitude des apôtres, les victoires des martyrs.

Parmi toutes ces images sacrées,  resplendira en tout premier lieu la croix adorable avec l’image de mon Sauveur, pour mon plus grand émerveillement.  Tu ne pouvais pas le tuer par un autre genre de mort, qui nous en eut donné  une meilleure représentation.    Si tu l’avais précipité du haut de la montagne, comme tu as voulu le faire,  si tu l’avais lapidé comme tu as voulu une fois le faire, si tu l’avais frappé de l’épée comme le funeste Hérode  a voulu le tuer quand il était enfant,  l’image du défunt n’aurait manifestement pas  été exposée au regard de toute la terre d’une façon aussi spectaculaire.  Mais mettons fin au conflit,  et viens avec moi dans la maison du Père qui me reçoit et qui a ordonné de tuer le veau gras pour fêter mon retour.   Mangeons, dit-il, et fêtons car ce fils mien était mort et il revit;  il était  perdu et il est retrouvé.   Viens à l’intérieur pour que nous fêtions ensemble.  Crois, pour que tu sois sauvé avec moi.

 Le Juif :  Tu veux donc me persuader de manger des viandes impures en fêtant avec toi, et d’autres choses immondes interdites par la loi ?

 Le chrétien :  Il m’importe peu de parler de cela avec toi, car, comme je l’ai dit ailleurs, des préceptes de ce genre ne sont pas de bons préceptes,  et ont été imposés en grande partie à cause du crime du veau,  comme Dieu l’a dit par la bouche d’Ezéchiel :  Et ils m’ont exacerbé, et ils ne marchèrent pas dans mes préceptes, etc… jusqu’à :  et leurs yeux se portèrent sur les idoles de leurs pères,…Il ajoute ensuite :  Je leur ai donc donné des préceptes qui n’étaient pas bons, et des jugements dans lesquels ils ne vivront pas.   A moi, toutes les créatures sont bonnes, et rien ne doit être rejeté de ce qui est reçu avec action de grâce.   Car Dieu a dit à Noé et à ses fils après le déluge :  Tous les poissons de la mer sont livrés entre vos mains, et tout ce qui meurt et vit vous sera en nourriture.  Je vous ai donné comme nourriture tous les vivants. Mais vous ne mangerez pas la chair avec le sang.

 Le Juif :  Puisque tu peux manger de tous les poissons et de tout ce qui meurt et vit, pourquoi ne manges-tu pas des grenouilles, et des crapauds venimeux ?

 Le chrétien :  Je ne peux pas espérer cela de mon cœur; mes sens les ont en horreur Ma raison non plus n’y consent pas.  Mais pourquoi parler plus longtemps avec toi de ce sujet ?  Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui contamine l’homme,  a dit le Seigneur, mais ce qui vient du cœur  et qui en sort.    Voilà ce qui  contamine l’homme.  C’est du cœur que sortent les mauvaises pensées, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes. Voilà les choses qui contaminent l’homme.  C’est pourquoi mes pères m’ont a dit avec raison et m’ont écrit :  Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous de ne pas vous imposer d’autre fardeau que ce qui est nécessaire : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées, et de la fornication.  Et les choses que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ne les faites pas aux autres.  En vous gardant de tout cela,  vous agirez bien.

 Le Juif :  Quels sont ceux que tu appelles tes pères ?

 Le chrétien :  Les apôtres de Jésus-Christ qui m’ont engendré par l’évangile, la foi et la parole,  pour que je sache et que je croie que la promesse a été accomplie, celle que le Dieu fidèle avait promise et jurée à tes pères.

 Lee Juif :  Je ne fais pas grand cas, moi, de ceux que tu appelles tes pères, et je n’ai cure de leurs paroles ou de leurs écrits.  Je suis un disciple de Moïse.  Je le sais cela que Dieu a parlé à Moïse;  mais tes apôtres je ne sais pas d’où ils sont.

 Le chrétien :  D’où sais-tu que Dieu a parlé à Moïse ?  D’où sais-tu que Dieu a parlé aux prophètes ?

 Le Juif :  L’Écriture me le raconte , et des témoignages fidèles ont été présentés au moyen de signes, de prodiges et de miracles.

 Le chrétien :  Et à moi aussi, semblablement,  l’Écriture raconte de mes pères les apôtres que Dieu leur a parlé,  le Seigneur coopérant et confirmant leurs paroles par les signes suivants.

Il me reste encore à te dire une chose que tu n’as pas encore bien exposée.  D’où je sais, moi, et d’où devrais-tu savoir, toi,  que Dieu a parlé à Moïse et aux prophètes ?  En écrivant les choses qui nous instruisent et nous édifient,  ce ne fut ni selon l’homme ni de l’homme qu’ils reçurent la parole ou l’instruction.   Comme ils étaient des illettrés pour la plupart d’entre eux, de simples pasteurs, comme Amos qui était pinceur  de sycomores, et David qui passait les brebis de son père,  ils ont été instruits invisiblement par une révélation du Saint Esprit, et les faits confirmaient les paroles de leur sagesse.  C’est pour cela qu’on leur accordait et qu’on devait leur accorder une telle autorité que ne pas les écouter équivalait à ne pas écouter Dieu, comme Dieu l’a dit de l’un d’entre eux :  La maison d’Israël ne veut pas t’écouter parce qu’ils ne veulent pas m’écouter, moi. (Ez 111)  Je peux en dire autant de mes pères les apôtres.  Ils n’ont rien reçu ni rien appris des hommes,  mais bien qu’ils aient été des gens sans instruction ou sans grande intelligence,  l’Esprit Saint vint sur eux, et ils devinrent aussitôt sages et savants, capables de parler toutes les langues,  et les faits confirmèrent leur parole de sagesse.

Par exemple, quand ta cité était encore debout, quand la Jérusalem terrestre était encore dans toute sa gloire, ils annoncèrent par écrit sa destruction future comme imminente, ce qu’ils avaient entendu dire du maître de vérité :  Quand vous verrez Jérusalem encerclée, sachez que sa désolation est proche.  Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là.  Ca il y aura une grande calamité et de  la colère contre ce peuple.  Ils tomberont frappés par l’épée, et ils seront conduits en captivité chez tous les peuples.  Cela non seulement le Maître l’a prédit, mais ses disciples l’ont écrit avant que cela n’arrive.  Et cette partie au moins de la vérité tu ne peux pas la cacher, que le peuple a été conduit non dans un seul lieu mais chez tous les peuples soumis au glaive des Romains.

Mes pères les apôtres, tout comme  Moïse et les prophètes, n’ont reçu ni des hommes ni par les hommes leur instruction,  mais ont été subitement remplis de sagesse.   C’est donc  avec raison qu’on doit placer mes pères au sommet de l’autorité canonique.  Et parce que tu ne veux pas les écouter,  je te dis en toute vérité que tu ne veux pas écouter Dieu.   Et voici que j’ai deux meules  pour moudre le froment de la parole de Dieu, et faire un pain vivifiant. Mais toi qui prétends écouter Moïse et les prophètes, mais qui ne les écoutes pas véritablement,  tu n’écoutes pas non plus les apôtres,  ni tu professes vouloir les écouter.   Tu n’as qu’une seule pierre,  inférieure, gisant par terre à ne rien faire,  avec laquelle tu ne fais pas de farine, c’est-à-dire que celle, que tu penses trouver dans l’écriture, tu trouves qu’elle n’est pas une autorité fiable.

Décide-toi,  fais quelque chose, comme je t’ai déjà dit.  Ne reste pas debout dehors,  n’envie pas non plus la robe,  les sandales et l’anneau, le sceau de la foi, que le Père m’a donné à moi, son fils pénitent.  Mais viens à l’intérieur, associe-toi à ma joie,  et participe au banquet.   Si tu ne le veux pas, j’attendrai et je supporterai ton indignation jusqu’à ce que le Père sorte et te demande d’entrer.   Et, entre temps,  je dirai à la gloire du même Père :  c’est mon anneau à moi, c’est mon alliance à moi. [fin du livre]
 
 
 
 
 

traduction originale par JesusMarie.com, oeuvre de l'esprit placée sous le régime du copyleft avec seulement obligation de mentionner JesusMarie.com comme traducteur originel, 10 octobre 2016.
 

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