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Jean-Jacques Scheffmacher, Joan-Jakob Scheffmacher,
Titre original : Lettres d'un Docteur Allemand de l'Université Catholique de Strasbourg à un Gentil-Homme protestant, sur les Six obstacles au Salut, qui se rencontrent dans la Religion Luthérienne
Table des matières
Courte Notice sur le P. Scheffmacher. 3
PREMIÈRE LETTRE : SUR L’ÉGLISE ROMAINE 8
1ère proposition : C’est à une Église visible que J.C. a fait ses promesses. 9
SECONDE LETTRE : DE LA RÈGLE DE FOI 25
1ère Proposition : Les protestants en doivent pas trouver en eux-mêmes de quoi se rassurer. 27
2ème proposition : Le sentiment du pasteur protestant ne peut rassurer 27
3ème proposition : L’autorité de l’Église protestante ne peut rassurer 28
4ème proposition : Le protestant ne peut compter sur l’inspiration du Saint-Esprit 29
5ème proposition : La confrontation ne suffit pas pour assurer la foi. 30
§1. La confrontation seule ne peut donner à la foi le degré de certitude nécessaire 30
§2. Le plus grand nombre des Chrétiens n’est pas capable de la méthode de confrontation 36
§3. Les protestants abandonnent dans la pratique la méthode de la confrontation 43
TROISIÈME LETTRE : SUR LA PRIMAUTÉ DU PAPE ET DES ÉVÊQUES 55
Partie I : LA RÉVOLTE CONTRE LE PAPE EST UN SUJET DE RÉPROBATION. 56
§1. PRIMAUTÉ DU PAPE RECONNUE PAR TOUTE LA TRADITION. 56
1ère proposition : St Grégoire a exercé son autorité sur toutes les églises chrétiennes 58
2ème proposition : Tous les pères ont reconnu la juridiction universelle des papes 60
4ème proposition : Les historiens ecclésiastiques reconnaissent la supériorité du pape 69
§ 2. Titres sur lesquels repose la légitimité du pouvoir des papes 71
1ère proposition : Jésus-Christ a établi St Pierre chef et pasteur de tous les fidèles 71
2ème proposition : L’autorité de St Pierre a dû passer à ses successeurs 78
3ème proposition : Les Évêques de Rome sont les successeurs de St Pierre 79
Conclusion de la 1ère partie : Excès de Luther 81
Partie 2 : LA DÉSOBÉISSANCE ENVERS L’ÉVÊQUE EST UN SECOND TITRE DE CONDAMNATION. 85
§ I. Attention de l’Église à établir dès le commencement le célibat sacerdotal. 89
§. II. Prudence de l’Église en établissant la loi du célibat sacerdotal 90
CHAPITRE 1 : PREMIÈRE ÉPOQUE JUSQU'AU PREMIER CONCILE GÉNÉRAL DE NICÉE. 90
§. 3. Preuve de cette vérité. 93
CHAPITRE 2 : DEUXIÈME ÉPOQUE JUSQU'AU DÉCRET DU PAPE SIRICE Ier. 96
§. 2. Ancienne discipline de l’Église sur le célibat des ordres sacrés, selon saint Épiphane. 97
§. 3. Douleur du pape Syrice Ier en apprenant l’incontinence de quelques ecclésiastiques. 99
§. 4. Le mariage des prêtres de l'ancienne loi ne peut autoriser ceux de la nouvelle. 100
§. 5. Peines contre ceux gui ne gardent pas le célibat. 101
§. 6. Fermeté de l’Église romaine à faire en tout temps observer le célibat sacerdotal. 101
CHAPITRE 3 : TROISIÈME ÉPOQUE JUSQU'AU PREMIER CONCILE GÉNÉRAL DE LATRAN 102
§. 1. Conciles qui ordonnent le célibat sacerdotal comme d'enseignement apostolique. 102
§. 3. Pourquoi saint Augustin ne veut pas demeurer même avec sa sœur ? 104
§. 4. Saint Grégoire-le-Grand conseille la pratique de saint Augustin. 105
§. 5. Conciles qui défendent aux prêtres de demeurer avec aucune parente. 106
§. 6. Incontinence des 11e et 12e siècles réprimée par les conciles et les papes. 107
§. 7. Savante apologie de la continence des clercs par le pape Grégoire VII. 108
§. 8. Canon du concile général de Latran, conforme à celui de Nicée. 111
CHAPITRE 4 : QUATRIÈME ÉPOQUE JUSQU'AU CONCILE GÉNÉRAL DE TRENTE. 112
§. 3. Du célibat sacerdotal. 114
CHAPITRE 5 : AVANTAGES DU CÉLIBAT CHRÉTIEN. 117
§. 2. Le célibat chrétien plus favorable que contraire à la société humaine. 118
§. 3. Il faut retrancher les abus et non abolir les lois. 119
§. 4. C'est très volontairement que le plus grand nombre embrassent le célibat chrétien. 119
§. 5. Pourquoi quelques-uns se dégoûtent de leur engagement. 120
§. 6. Inconvénients qui résulteraient des Ecclésiastiques non Célibataires. 121
LETTRES DE SCHEFFMACHER,
DOCTEUR ALLEMAND DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE STRASBOURG,
A UN GENTILHOMME ET A UN MAGISTRAT PROTESTANT ;
REVUES, CORRIGÉES, ET AUGMENTÉES DES PLUS SAVANTES DISSERTATIONS
SUR TOUS LES ARTICLES CONTROVERSÉS ;
Par A. B. Caillau,
CHANOINE HONORAIRE DU MANS ET DE CAHORS.
Jean-Jacques Scheffmacher naquit à Kientzheim, dans la haute Alsace, de parents distingués, le 27 avril 1668. Appelé par la vocation divine dans la compagnie de Jésus, il fut nommé, en 1715, à la chaire de controverse fondée dans la cathédrale de Strasbourg par Louis XIV, et ensuite recteur du collège royal et de l'université catholique de cette ville. Ses prédications et ses écrits procurèrent la conversion d'un grand nombre de luthériens, qui, convaincus par la force et la netteté de ses raisonnements , eurent le bonheur d'abjurer leurs erreurs et de rentrer dans le sein de l’Église. Les plus célèbres de ses ouvrages sont les douze savantes Lettres adressées, les unes à un gentilhomme, et les autres à un magistrat protestant, et où, après avoir montré d'abord les obstacles au salut des partisans de la nouvelle réforme, il détruit ensuite les obstacles qui pouvaient sembler s'opposer à leur réunion. Psaff, chancelier de l'université de Tubingen, et Armand de la Chapelle, pasteur à la Haye, tâchèrent d'y répondre ; mais il paraît que leurs réponses eurent peu de succès. Ces lettres, publiées d'abord successivement, furent ensuite rassemblées dans un corps d'ouvrage, et l'on en fit trois éditions en deux volumes in-4°, la première en 1733, la deuxième en 1747, et la troisième en 1750 et 1751. Il en parut une quatrième, en deux volumes in-12, à Rouen, 1769, à laquelle l'éditeur a ajouté une treizième Lettre sur la présence réelle, contre les calvinistes : nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en là laissant subsister dans celte édition.
§. II. Excellence de ses Lettres aux protestants.
Les Lettres du P. Scheffmacher ont obtenu un si éclatant succès, et acquis une réputation si méritée, qu'elles sont au-dessus de tous les éloges ; elles offrent aux protestants égarés de solides motifs de revenir à l’Église, aux catholiques fidèles des preuves victorieuses pour consolider leur foi, aux prêtres employés dans le ministère des raisonnements efficaces pour confondre l'erreur et ramener au bercail les brebis rebelles à la conduite du divin Pasteur. C'est un livre pour ainsi dire universel, un livre qui convient à toutes les conditions et à tous les étals, un livre que réclament impérieusement les bibliothèques catholiques, et cependant un livre devenu si rare dans ces derniers temps, qu'on peut à peine se le procurer avec de longues recherches et des frais considérables. Remettre dans le commerce un ouvrage si important, en rendre l'acquisition facile et la lecture familière , n'est-ce pas servir la religion et l’Église ? n'est-ce pas préparer peut-être des conversions consolantes et arracher quelques âmes aux tourments éternels pour les conduire par le chemin de la vérité à l'éternel bonheur ? C'est là le but de nos travaux ; c'est le vœu de notre cœur : puisse le Seigneur l'accomplir dans son infinie miséricorde.
§. III Défauts de cet ouvrage ; marche suivie pour les faire disparaître.
Quelque parfait que soit un ouvrage, il ne saurait guère être sans défauts ; les Lettres du savant jésuite, si recommandables par la solidité des pensées et la suite des raisonnements, ne présentent pas au lecteur ces charmes de style et cette pureté de diction qui délassent l'esprit de la fatigue d'une application soutenue : des phrases interminables, des tournures moitié latines et moitié allemandes, des pronoms relatifs qui se succèdent et s'enchaînent jusqu'à l'infini, des substantifs indéterminés qui expriment d'une manière vague et indécise des idées auxquelles il eût été facile de donner par le mot propre leur véritable couleur, ce n'est là qu'un faible aperçu des défauts de langage, qui ôtent à cet excellent ouvrage une partie de son intérêt et des effets qu'il serait susceptible de produire. Nous nous sommes efforcés de remédier à ces différents inconvénients , sans cependant rien ajouter ni retrancher aux pensées et aux phrases mêmes de Fauteur. Nous nous sommes contentés d'alléger un peu la pesanteur du style, 1 ° en coupant un grand nombre de phrases dont l'étendue fatiguait l'esprit ; 2° en supprimant une partie des pronoms dont la répétition arrêtait à chaque pas la marche du discours ; 3° en substituant l'expression choisie aux termes vagues et confus; 4° en rendant plus exactes certaines traductions des Pères, dont l'auteur donnait quelquefois le sens plutôt que le style lui-même. Ces changements qui paraissent légers au premier abord, mais qui ne laissent pas que de demander un long travail, feront de cette édition de Scheffmacher un ouvrage tout à la fois ancien et nouveau, où l'on retrouvera l'auteur tout entier, mais dépouillé en quelque sorte de la forme grossière dont il s'était revêtu. Nous ne prétendons pas cependant offrir comme un modèle de diction littéraire, un texte que nous avons seulement travaillé à rendre plus supportable ; que l'ouvrage se laisse lire avec plus de facilité et d'attrait, et notre but sera parfaitement obtenu. Nous avions d'abord regardé comme un défaut du temps où le livre a été composé l'indication des témoignages des Pères sur les anciennes éditions, moins exactes et moins correctes que les récentes mises au jour par les savants bénédictins ; nous avions môme commencé à corriger ce que nous regardions comme un inconvénient, lorsqu'une remarque du savant auteur nous a fait souvenir qu'il l'avait fait à dessein, afin de mieux convaincre les protestants en se servant des éditions les plus autorisées dans leur communion. Cette considération nous a retenus et fait prendre le parti de laisser les citations telles qu'elles se trouvent dans l'original. Dans les autres ouvrages nous avons toujours indiqué les meilleures éditions, à moins d'en faire la remarque expresse.
Nous avons aussi observé que les Lettres de Scheffmacher ne s'étendaient pas à toutes les questions controversées avec les protestants, soit parce qu'il ne s'est proposé que la conversion des luthériens, soit parce qu'il a cru devoir se borner aux points fondamentaux de la doctrine catholique. C'est une lacune qui laisse nécessairement au lecteur un besoin comme naturel d'aller plus avant, et d'embrasser d'un seul coup d'œil toutes les autres difficultés élevées dans la prétendue réforme par les sectateurs de Calvin, ainsi que par les partisans de Luther. Pour satisfaire un si juste désir, nous avons choisi dans les ouvrages les plus estimés, et souvent les moins connus, des traités sur toutes les questions soulevées par les adversaires de l’Église, et nous les avons groupés, pour ainsi dire, autour des Lettres du savant jésuite pour en faire comme un seul corps de doctrine, et un même faisceau de lumières.
§. IV. Coup d’œil sur les auteurs et les écrits qui ont servi à compléter cette édition.
On nous saura gré sans doute de donner ici une notice abrégée sur les principaux auteurs qui ont été appelés à compléter cette institution catholique, et un court abrégé de leurs ouvrages.
1 ° Philippe Vicaise, doyen et ancien professeur de théologie dans l'université de Caen, sa patrie, et curé de Saint-Pierre, en la même ville ; il était né le 24 décembre 1689, et mourut le 7 avril 1775. Il fit paraître un zèle égal et contre les erreurs du jansénisme, qui était alors dans sa plus grande effervescence, et pour la conversion des protestants qui semblaient vouloir se rapprocher de l’Église. Son meilleur ouvrage est le livre intitulé : Exposition fidèle et preuves solides de la doctrine catholique, adressées aux protestants ; Caen 1770, 4 vol. in-12. Cet excellent recueil de discussions éclairées et lamineuses nous fournira différents traités essentiels sur la tradition, sur l'honneur dû aux reliques et aux images, sur les indulgences, etc. Nous avons dû quelquefois retoucher le style généralement négligé, et renvoyer au bas des pages le latin intercalé presque partout dans le texte même.
2° M. Brueys, autrefois ministre à Montpellier, et ensuite heureusement converti à la foi de l’Église. Il a composé un grand nombre d'excellents ouvrages sur la défense de la doctrine catholique, entre autres une dissertation intéressante sur la défense du culte extérieur pour servir d'instruction aux protestants et aux nouveaux convertis ; Paris, 1686, 1 vol. in-12, Nous en reproduisons la première partie, en en retranchant ce qui se trouve développé avec plus de force et de talent dans Scheffmacher lui-même.
3° Le R. P. Bernard Meyneer, de la compagnie de Jésus. Il a recueilli dans un petit volume les témoignages de la plupart des auteurs protestants sur la possibilité de se sauver dans l’Église catholique. Ce volume a pour titre : L’Église Romaine reconnue toujours des luthériens et dès prétendus réformés pour la vraie Église de Jésus-Christ, en laquelle chacun peut faire son salut. Ge livre a eu plusieurs éditions ; nous nous sommes servis de la quatrième , imprimée à Paris en 1680, en travaillant à rendre le style plus coulant et plus correct.
4° L'abbé Pillon, bachelier et licencié en droit canon. Il a laissé un petit écrit fort curieux, intitulé : La Conférence du Diable avec Luther contre le sacrifice de la Messe, avec la réfutation d'un écrit fait par M. Ereïter, ministre de M. F ambassadeur de Suède, pour défendre cette conférence. La première édition parut en 1673, Paris, 1 vol. in-12, sans nom d'auteur. Il en publia une seconde en 1680, sans aucun changement important ; seulement il cessa de garder l'anonyme. Les docteurs chargés de l'examen de cet ouvrage en ont fait le plus grand éloge. Il ne faut pas confondre ce petit livre avec un autre écrit sur le même sujet, ayant pour titre : Récit de la conférence du Diable avec Luther, fait par Luther même, avec des remarques sur cette conférence, par l'abbé de Cordemoi, 1681, et qui fut réimprimé à la fin du premier volume des Dissertations sur les apparitions, par l'abbé Lenglet Dufresnoy.
5° M. l'abbé Devuaiers, prêtre et licencié es lois. Il a composé une Apologie du célibat chrétien, Paris, 1761, où il montre par la suite de la tradition l'ancienneté de cet usage, et par la force des raisonnements les avantages qu'il a produits et qu'il doit produire encore dans l’Église ; le mouvement de certains esprits égarés, qui, soit par inconséquence, soit par impiété, osent attaquer journellement cette pratique qui fait la gloire et l'indépendance du sacerdoce, nous a déterminés à en transcrire la plus grande partie.
6° Deux avocats Anonymes ont fait imprimer à Paris, en 1 7..., un vol. in-12, pour établir les services rendus à la société par les ordres religieux , et les venger des objections de l'incrédulité et des insultes du libertinage ; Paris, 17... Ce traité, bien écrit et bien pensé en général, a cependant un grand défaut ; c'est d'avoir craint, soit par une fausse prudence, soit par un certain esprit de parti, de faire mention des communautés persécutées de leur temps, et en particulier des jésuites, dont les auteurs ne disent presque pas un seul mot, pas même quand il s'agit de prédication, de littérature et de mission. Les bénédictins sont principalement ceux qu'ils ont pris comme sujets principaux de leurs éloges. Nous avons réparé en partie ces omissions, et corrigé çà et là quelques phrases qui sentaient un peu les erreurs du dernier siècle.
Les notes qu'auraient pu exiger les lacunes du texte deviennent inutiles par ces additions importantes, et le soin apporté à donner des explications distinctes et détaillées, nous dispenseront d'en ajouter aucune au texte de Fauteur, que nous laisserons ainsi dans toute son intégrité.
§- V. Plan et division de la nouvelle édition.
L'ouvrage entier formera quatre vol. in-8 ; chaque volume contiendra trois Lettres du P. Scheffmacher, lesquelles seront précédées et suivies de trois ou quatre traités supplémentaires.
Ainsi, le premier volume aura : 1 ° pour introduction, le Traité du P. Bernard Meynier, sur la possibilité du salut dans l’Église romaine ; 2° pour corps principal de l'ouvrage, les trois premières Lettres du savant jésuite sur l’Église, sur la règle de foi et sur la primauté du pape ; 3° pour conclusion, les preuves de l'antiquité du célibat sacerdotal, tirées en partie du traité de l'abbé Ztevilliers.
Le second volume contiendra : 1 ° un Traité sur la tradition, par M. Vicaise, curé de Caen ; 2° les trois Lettres de Scheffmacher sur la confession, sur le défaut de pouvoir des ministres protestants, et sur le renouvellement fait par eux de plusieurs anciennes hérésies ; 3° l'Apologie des ordres religieux, par deux avocats anonymes.
Le troisième volume renfermera : 1 ° la Lettre sur la présence réelle, ajoutée par l'éditeur de Rouen ; 2° la Conférence du Diable avec Luther, par M. Pillon ; 3° les trois Lettres de Scheffmacher sur le saint sacrifice de la Messe, sur la permanence de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et sur la légitimité de la communion sous une seule espèce ; 4° enfin, la Défense du culte extérieur de l’Église catholique, par M. Brueys, de Montpellier, ancien ministre protestant.
Le quatrième et dernier volume se composera : 1 ° d'un Traité du culte des reliques, par M. Vicaise, curé de Caen ; 2° d'un Traité du culte des images, par le même ; 3° des trois dernières Lettres de Scheffmacher, sur l'invocation des saints, sur le purgatoire et sur la justification ; 4° une treizième Lettre du même auteur, en réponse aux objections par lesquelles un anonyme avait voulu attaquer ses preuves sur l'invocation des saints ; 5° enfin, un Traité sur les indulgences, par le même M. Vicaise, curé de Caen.
Ainsi il ne restera rien à désirer ni au fidèle qui désire fortifier sa croyance, ni au protestant qui souhaite trouver la véritable lumière. Fasse le Ciel que, ramenés par ces invincibles raisons, nos frères égarés reviennent enfin à l'unité dont ils se sont malheureusement séparés, et que bientôt il n'y ait plus dans l'Europe pacifiée qu'un seul troupeau, et un seul pasteur.
Monsieur,
Je dis donc, Monsieur, qu’en restant dans le Luthérianisme, que vous professez, il n’y a pas de salut à espérer pour vous, et cela pour six raisons, dont je vais d’abord vous faire le précis, et que je développerai ensuite plus au long.
1° Parce que vous êtes séparé de la véritable Église de Jésus-Christ : Or çà été de tout temps un principe incontestable parmi les chrétiens, que hors de la véritable Église il n’y a point de salut.
2° Parce que vous n’avez qu’une foi humaine et chancelante, fondée sur de pures opinions, ou sur des interprétations incertaines et arbitraires de l’Écriture ; vous n’avez pas la foi divine, sans laquelle, selon S. Paul, (a) il est impossible de plaire à Dieu, la foi divine étant une foi prudemment ferme et inébranlable, appuyée sur la parole de Dieu, sûrement et infailliblement bien entendue, caractère de foi bien différent de la vôtre.
3° Parce que vous persistez dans la révolte contre les puissances ecclésiastiques établies de Dieu, en réfutant de reconnaître le pape et votre évêque, qui sont vos pasteurs légitimes. Or l’Apôtre vous avertit, (b) que ceux qui résistent aux puissances établies de Dieu, s’attirent la condamnation sur eux-mêmes.
4° Parce que la confession qui se fait à un prêtre, en lui déclarant en détail les péchés dont on se sent coupable, n’étant point en usage parmi vous, vous vous trouvez privé du moyen, que Dieu a établi comme nécessaire pour obtenir la rémission de vos péchés, et que par là, la voie de la réconciliation avec Dieu vous est fermée.
5° Parce que vous ne satisfaites point au précepte de Jésus-Christ, qui vous ordonne, sous peine de perdre la vie éternelle, de recevoir son Corps et son Sang ; ce que vous ne faîtes pas une seule fois pendant toute votre vie, vos pasteurs ne vous donnant que du pain et du vin, et rien au-delà, faute de caractère et de pouvoir pour consacrer, comme il vous sera clairement démontré.
6° Parce que vous adhérez à un corps de doctrine mêlé de plusieurs hérésies condamnées par l’Église, et reconnues pour telles par les plus savants pères de l’Église, qui, en faisant le dénombrement des hérésies, qui s’étaient élevées depuis le commencement du christianisme jusqu’à leur temps, ont mis dans le catalogue qu’ils nous en ont laissé, une bonne partie des dogmes que vous soutenez aujourd’hui. Or vous n’ignorez pas, Monsieur, que l’hérésie est un crime damnable et un vice de l’esprit, qui ne ferme pas moins l’entrée du Ciel, que les péchés les plus grossiers de la chair.
C’est sur ces six raisons, que j’établis la proposition si intéressante, et si digne de votre attention et de votre examen, que j’ai l’honneur de vous faire, en vous disant sans déguisement, qu’en restant dans votre religion, vous ne pouvez espérer de vous y sauver, je m’attache d’abord à la première de ces raisons, me réservant à vous détailler les autres dans d’autres lettres, qui suivront celle-ci, si vous le voulez bien.
Du reste, Monsieur, si je ne suis pas aussi persuadé de la vérité, dont je vais essayer de vous convaincre, que je le suis de la vérité d’un jugement à venir, je consens que le Juge qui doit me juger fut ce que j’aurai l’honneur de vous dire, et sur les vues que j’ai en vous écrivant, me traite au grand jour de son jugement, comme le plus grand de tous les fourbes, et de tous les imposteurs. Je puis bien vous dire avec l’Apôtre (a) Ex sinceritate sicut ex Deo, coram Deo, in Christo loquimus. Nous vous parlons avec toute la sincérité possible, sicut ex Deo, comme ayant charge de Dieu, par l’intérêt que nous prenons à sa gloire et à votre salut ; coram Deo, comme étant en sa présence, et faisant une attention sérieuse à l’oeil qui nous éclaire, et qui pénètre les replis les plus cachés de notre cœur, in Christo, et au nom de Jésus-Christ, pour prévenir, s’il est possible, la perte d’une âme, qui a été rachetée de son sang.
Je commence par vous dire, Monsieur, avec toute la liberté, que le sujet demande, et que vous me permettrez sans doute, que vous êtes séparé de la véritable Église de Jésus-Christ, et pour vous le prouver d’une manière nette et précise et propre à ne vous laisser aucune crainte des équivoques, ni de la surprise, je déclare d’abord, que je n’entends ici, par le mot d’Église de Jésus-Christ, autre chose, que la société des fidèles, fondée par Jésus-Christ, étendue par les Apôtres, continuée par la postérité des premiers chrétiens, perpétuée jusqu’à nous par les enfants des fidèles, toujours gouvernée par des pasteurs, héritiers aussi bien de la foi, que du siège de leurs prédécesseurs, répandue par toute la terre, visible en tout temps par l’exercice des fonctions du ministère sacré. Voilà, Monsieur, en peu de mots l’idée de l’Église dont j’ai à parler,marquée assez clairement pour que vous ne puissiez vous y méprendre. Or c’est à cette Église, que Jésus-Christ a fait ses promesses ; c’est cette Église, qui a substitué depuis son établissement, sans aucune interruption, et qui subsistera jusqu’à la fin des siècles ; c’est cette Église, qui ne peut enseigner d’erreurs contraires à la foi, ni mal administrer le sacrements ; c’est elle, dont il n’est pas permis de se séparer, et hors de la communion de laquelle il n’y a point de salut à espérer ; c’est elle, dont jamais personne ne s’est séparé, sans encourir la note de schismatique ou d’hérétique. C’est pourtant là l’Église, dont vous, Monsieur, vous vous trouvez malheureusement séparé. Tout autant de propositions, qu’il faut justifier. Car je compte bien, que vous n’en recevrez aucune sans de bonnes preuves, et que vous ne me passerez rien, sans y être forcé par les termes la plus clairs, et les plus précis de l’Écriture Trouvez donc bon, Monsieur, que je reprenne chaque proposition en particulier, et que j’essaye de vous en faire voir la vérité, d’une manière à convaincre pleinement un esprit aussi solide que le vôtre. Je vous demanderais de la patience pour lire tout cela, si le désir, que vous avez de votre salut, me permettait de vous croire capable de lire avec indifférence des choses, dont dépend si fort le sort de votre éternité.
Je dis donc premièrement, que c’est à l’Église, telle que je l’ai représentée, savoir, à une Église visible par la continuité du peuple, la fuite des pasteurs, et les fonctions extérieures du ministère sacré, que c’est à cette Église, dis-je que Jésus-Christ a fait ses promesses. Il n’y a, Monsieur, pour vous en convaincre, qu’à lire ce qui procède et ce qui suit les promesses, que Jésus-Christ a faites à son Église, et vous reconnaîtrez, que de vouloir attacher une autre idée à l’Église, dont le Sauveur parle, c’est vouloir se jouer de l’Écriture, pour se livrer sans réserve aux imaginations les plus bizarres et les plus mal fondées.
Prenez la peine, Monsieur, d’examiner la promesse faite au ch. 16 de St Mathieu, v 18 où il est dit : Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle. Et vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’incontinent après ces paroles, le Sauveur ajoute en parlant à Pierre, v 19. Je vous donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le Ciel ; tout ce que vous délierez sur la terre, sera aussi délié dans le Ciel. N’est-ce pas là, Monsieur , une Église, où il y a des pasteurs et des ouailles, où l’on absout, et où l’on condamne, où on lie les pécheurs obstinés, et où on délie les pécheurs contrits, et par conséquent, où le ministère s’exerce visiblement ? Mais l’exercice visible du ministère n’était-il que pour les temps de Pierre ? Ne devait-il pas passer aux siècles futurs, et se continuer par les successeurs de cet apôtre ? Il s’agit donc ici d’une société visible et continûment successive, et c’est à une telle Église, qu’il a été promis, que les portes de l’Enfer ne prévaudraient pas contre elle.
Examinons cette autre promesse du Sauveur au chap. 29 de St Mathieu, v 20 Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles, et observez, s’il vous plaît, Monsieur, que ces paroles ne furent dites aux apôtres, qu’après l’ordre, qu’ils reçurent d’aller prêcher par toute la terre, et de baptiser tous les peuples. Allez enseigner tous les peuples, leur dit le Sauveur, et baptisez-les au Nom du Père, et du Fils, et du St Esprit, et je serai avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles ; n’est-ce pas comme si le Sauveur eût dit : allez prêcher, je serai avec vous, lorsque vous baptiserez. Qui ne comprend ici une Église visible par la prédication de l’Évangile, et par l’administration des sacrements ? Une Église qui doit s’étendre par toute la terre, puisqu’il s’agit d’enseigner et de baptiser tous les peuples ? Et lorsque le Sauveur ajoute, tous les jours, qui ne voit que la promesse ne se fait point aux seuls apôtres, qui devaient mourir comme les autres hommes ; mais aussi à leurs successeurs, dont la suite ne doit finir qu’avec le monde, et que Jésus-Christ promet de n’abandonner jamais.
Quoi de plus fort que les paroles de St. Paul pour confirmer l’idée, que tout catholique se forme de l’Église, en réunissant sa perpétuité avec la visibilité ? Cet apôtre ne la nomme-t-il pas au chap. III de la première à Timothée v. 13 la colonne et le soutien de la vérité ? Mais de quelle Église parle-t-il en cet endroit ? Est-ce d’une société de gens épars, inconnus les uns aux autres, unis par les seuls liens d’une foi intérieure, dont ils ne donnent aucun témoignage au dehors ? Ne parle-t-il pas de la maison de Dieu parfaitement arrangée dans toutes ses parties ? D’une société visible gouvernée par les Évêques et les diacres, dont il a soin de marquer jusqu’aux moindres devoirs ? Et le même apôtre ne nous assure-t-il pas au chap. IV de l’épître aux Éphésiens v. 21 qu’il y aura toujours des pasteurs et des docteurs pour accomplir le ministère, et édifier le Corps de Jésus-Christ, qui est l’Église, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi, et de la connaissance du Fils de Dieu, qui nous sera manifesté dans tout l’éclat de sa gloire au jour de son second avènement.
Réfléchissez, Monsieur, sur tous les endroits où il est parlé de la durée de l’Église, vous la verrez toujours cette durée liée avec un état de visibilité, comme si le St. Esprit eût à tâche de prévenir les chicanes des esprits indociles ennemis de la dépendance, qui voudraient se préparer des défaites pour s’exempter de subir le joug de l’autorité.
Que si, Monsieur, nonobstant tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, il vous restait encore quelque complaisance pour le fantôme d’une Église invisible, si artificieusement imaginé pour éluder les promesses de Jésus-Christ, qui nous renvoie à l’Église (a)kk pour y porter nos plaintes, écouter ses arrêts, nous rendre dociles à ses décisions : je vous demanderais, à qui ont dû s’adresser les idolâtres, les mahométans et les juifs, pour embrasser une foi pure et orthodoxe, et entrer dans la varie voie du salut : je vous demanderais,de qui les âmes privilégiées composant ladite Église invisible, auraient reçu la dispense de professer ouvertement leur foi, le Sauveur ayant fait une loi si générale pour tous les chrétiens (b) de le confesser devant les hommes sous peine d’être renoncés devant son Père, et l’apôtre ayant déclaré en termes si formels © qu’il est nécessaire de confesser la foi de bouche pour obtenir le salut. J’aimerais de plus à savoir, si ces puristes fidèles, exempts de la contagion commune, ont communiqué dans l’usage des choses saintes avec la troupe livrée à l’erreur et à l’idolâtrie : s’ils l’ont fait, comment ne se sont-ils pas rendus coupables de la même prévarication ? Et s’ils ont évité de participer aux mystères de la multitude profane et égarée, comment ne se sont-ils pas fait remarquer et comment ne se trouve-t-il aucun historien, qui ait pris soin de nous en instruire ? Je vous prierais encore de vouloir bien me dire de quel usage, ou de quelque ressource eussent été les conciles généraux pour réprimer les hérésies, qui sont venues à s’élever depuis la naissance du christianisme ; si ce n’est point à une Église visible, qu’ont été faites les promesses de Jésus-Christ ; voilà donc toutes les décisions des conciles généraux sujettes à révision comme partant d’un tribunal, qui n’a pas de quoi nous rassurer. Voilà tous les hérétiques des temps passés, Ariens, Macédoniens, Nestoriens, Euichiens, Pélagiens, etc fort au large, vous leur ouvrez une belle porte, ils n’ont qu’à rentrer dans une Église invisible, qu’ils se formeront aussi aisément, et avec autant de droit que vous, pour se mettre à couvert de tous les anathèmes de l’Église visiblement assemblée dans les conciles.
Avouez, Monsieur, que toutes ces questions ne seraient pas peu embarrassantes, et qu’on chercherait en vain de quoi y faire de bonnes réponses, et convenez en même temps, que de tous les auteurs protestants, il n’y en a point, qui se soit expliqué plus sensément sur la matière dont il s’agit, que le célèbre Mélanchton, l’auteur de votre concession d’Ausbourg, et celui, qui après Luther a eu le plus de part à votre réforme prétendue. Voici ses paroles, que je vous ferai voir, quand il vous plaira dans la préface, qu’il a mise (aveu forcé de Mélanchton) dans ses ouvrages : * « On ne peut se dispenser, dit-il, de reconnaître une Église toujours visible ; c’est à elle, que le Sauveur nous a ordonné d’avoir recours, c’est celle dont parle St. Paul, lorsqu’il dit que nous sommes devenus un spectacle aux hommes, aux anges et à l’univers. Mais quel spectacle, reprend-il, s’il est imperceptible ? Où aboutiront les discours téméraires, par lesquels on prétend contester à l’Église sa visibilité ne voit-on pas, que c’est fouler aux pieds les témoignages de toute antiquité, anéantir tous les jugements que l’Église a jamais rendus, et établir la plus licencieuse de toutes les anarchies ?
Je crois, Monsieur, pouvoir attendre de la bonté de votre esprit, et de la droiture de votre cœur, qu’après des preuves si solides, vous recevrez la première des propositions que j’ai avancées ci-dessus : venons à la seconde.
Je dis que cette Église visible et toujours reconnaissable par la continuité du peuple, la suite des pasteurs et les fonctions extérieures du ministère sacré, n’a point cessé depuis son établissement d’être la véritable Église de Jésus-Christ, et qu’elle ne cessera pas de l’être jusqu’à la fin du monde.
Cette proposition n’est, comme vous voyez, qu’une fuite de la précédente, car si c’est à l’Église telle que je l’ai représentée, que Jésus-Christ a fait ses promesses, ce sera sans doute la même Église, qui en aura ressenti, et qui en ressentira toujours les effets, et par conséquent, lorsque nous trouvons des gens, qui disent que la foi a commencé à s’altérer dès le quatrième siècle, que les erreurs ont toujours été en augmentant, et que pendant plus de mille ans avant la réforme entreprise par Luther, l’Église gouvernée par les , au lieu de rester une épouse fidèle à Jésus-Christ, n’avait été qu’une malheureuse prostituée, que pouvons-nous penser de ceux, qui tiennent de pareils discours, sinon qu’un excès d’entêtement inconcevable les aveugle, jusqu’à leur ôter ce qu’ils devraient avoir naturellement de sens et de raison pour réfléchir, que par leur beau plan de religion, ils font de Jésus-Christ un faux prophète et un imposteur aussi infidèle, que magnifique dans ses promesses.
N’est-il pas étonnant, que des gens, qui ne cessent de nous vanter leur attention infinie à s’en tenir aux termes de l’Écriture, et qui de cette attention prétendue font la maxime fondamentale de leur réforme, lorsqu’il s’agit de l’article de l’Église, qui est le plus important de tous,e t celui qui a le plus de suite ; Article que les Apôtres ont jugé à propos de placer dans leur Symbole immédiatement après ce qu’il faut croire des trois personnes divines, n’est-il pas, dis-je, étonnant, que ces messieurs tiennent sur cet article un langage contradictoirement opposé à celui de l’Écriture ? Jésus-Christ dit que les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre son Église, et ils osent dire que les erreurs ont prévalu contre elle ; Jésus-Christ promet d’être tous les jours jusqu’à la fin du monde avec le corps successif des pasteurs, et ils osent dire que Jésus-Christ a abandonné ce corps des pasteurs pendant plusieurs siècles ; Jésus-Christ nous ordonne (4) d’écouter l’Église sous peine de passer pour païens et pour publicains,et cela sans marquer aucune limites à la docilité, qu’il exige de nous envers elle ; et ces messieurs prétendent, qu’il peut être des cas, où non seulement on peut se dispenser de recevoir les décisions de l’Église, mais où l’on est même obligé de les combattre. S. Paul nomme l’Église la colonne et le soutien de la vérité, et eux n’en font qu’un roseau faible et fragile : le même apôtre nous déclare, qu’il y aura toujours de vrais pasteurs, et des vrais docteurs, comme étant absolument nécessaires au maintien et à la conservation de l’Église, et eux prétendent, que pendant un temps très considérable il n’y a eu que de faux pasteurs, de faux docteurs, qui ne méritaient que le nom de séducteurs et de docteurs du mensonge. N’est-ce pas là, Monsieur, un beau début pour nous disposer à les en croire sur leur parole, lorsqu’ils nous assurent avec tant de confiance, que quand il s’agit de régler la créance, le premier de leurs soins, ou pour mieux dire, leur unique objet est de suivre la lettre du texte sacré, qu’ils nous donnent pour l’unique et invariable règle de leur foi ? En vérité, Monsieur, il est bien difficile, qu’un esprit aussi judicieux que le vôtre ne remarque ici des airs de forfanterie, qui bien loin de donner du crédit à ceux, qui osent s’en parer, ne peuvent que rendre fort suspecte la cause qu’ils défendent.
Que s’il y a lieu de s’étonner de voir des prétentions exprimées en termes si magnifiques, et si mal soutenues par les effets, n’y aura-t-il pas lieu d’être indigné contre les mauvais artifices de ceux qui ont intérêt à entretenir les peuples dans l’erreur ? Il n’est pas, Monsieur, qu’on ne vous ait cité cent fois les sept mille Israélites cachés du temps du prophète Élie (4). C’est là l’exemple favori, que Messieurs vos ministres aiment à rapporter pour donner quelque couleur de vérité à leur système de l’Église invisible. Le prophète croyait être le seul, disent-ils, qui sur resté fidèle, il croyait la véritable religion absolument éteinte, lorsque Dieu lui fit connaître, qu’il y avait encore sept mille Israélites, qui n’avaient pas fléchi le genou devant Baal. N’était-ce pas là, disent-ils, une Église invisible, qui subsistait tandis qu’on ne voyait plus aucune trace de l’Église visible ? Mais pourquoi ces Messieurs ne disent-ils pas en même temps, qu’il y avait deux royaumes du peuple de Dieu, celui d’Israël et celui de Juda, et que tandis que la religion était très maltraitée dans le royaume d’Israël par les persécutions du roi Achab, ce qui obligeait les serviteurs du vrai Dieu à se tenir cachés, elle était très florissante dans le royaume du Juda par la protection que lui donnaient des rois très pieux, tels qu’étaient Oza et Josaphat ? Est-ce par ignorance, qu’on omet ainsi de rapporter la véritable situation des choses ? Mais qui pourrait soupçonner ces Messieurs, qui ne manquent pas de lire les histoires sacrées, d’ignorer des faits si bien marqués ? Il n’y a donc que la mauvaise foi, et le dessein de tromper, qui puisse les engager à avoir recours à un exemple, qui ne serait d’aucune force pour établir une Église invisible, si on en rapportait toutes les circonstances.
Mais d’ailleurs quand bien on réussirait à prouver, que toute l’Église juive est venue à disparaître pendant quelque temps, quel avantage en tirerait-on pour prouver, que la même chose a pu arriver à l’Église de Jésus-Christ ? N’y a-t-il pas entre les promesses, qui ont été faites à l’une et à l’autre Église une différence essentielle ? Où trouvera-r-on dans l’ancien testament, que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre la synagogue ?
Je ne puis taire ici une autre objection, que Luther fait dans plusieurs endroits de ses ouvrages, et que la plupart de vos auteurs répètent après lui dans leurs livres de controverses, elle se fait avec aussi peu de bonne foi et de droiture, que la précédente. Mais comme elle paraît propre à éblouir les peuples, on ne laisse pas de le faire quoique la plupart de ceux qui la font, sentent bien, que ce n’est au fond qu’un misérable sophisme. La voici. Il est dit dans le Symbole des Apôtres, je crois une sainte Église, Or, disent-ils, on ne voit point ce que l’on croit, et par conséquent l’Église que l’on croit, n’est pas une Église visible. A cela, je réponds, qu’il y a des choses dans l’Église, qui se voient, et d’autres qui ne se voient pas, mais qui se croient, ce qui se voit, c’est la société des fidèles gouvernée par les pasteurs légitimes, ce qui se croit, c’est qu’il faille être membre de cette société pour pouvoir se sauver, c’est que cette société doive subsister jusqu’à la fin du monde sans aucune interruption, c’est qu’elle soit incapable de donner jamais dans l’erreur, ni dans l’égarement, voilà ce que nous croyons nous autres catholiques, et ce que nous ne voyons pas, et c’est par là que nous remplissons le sens de l’article de l’Église inséré dans le Symbole. Qui n’admirera de pareils raisonnements, avec lesquels on vous prouverait également que les Apôtres n’ont point crû en Jésus-Christ, et que vous-même vous ne croyez pas de baptême ? Car enfin les apôtres ont vu Jésus-Christ, et vous voyez tous les jours baptiser. Ne faut-il pas qu’on ait bien peu de bonnes choses à dire, pour en dire de si mauvaises! Je m’assure, Monsieur, que des difficultés aussi vaines, que celles-là ne donneront aucune atteinte dans votre esprit, ni à la première, ni à la seconde des propositions, que j’ai établies.
Je passe à la troisième, et dis que l’Église, dont je continue de parler toujours dans le même sens et sous la même idée, que j’en ai tracée d’abord, n’a pu en aucun temps, et ne pourra jamais enseigner d’erreurs contraires à la foi, ni mal administrer les sacrements. En voici la preuve, que vous ne trouverez point embarrassée. Si l’Église enseignait jamais des erreurs contraires à la foi, ou administrait mal les sacrements, elle cesserait dès lors d’être la véritable Église ; car tant qu’elle sera protection du christianisme, on ne peut rien imaginer, qui soit plus propre à lui faire perdre la qualité de véritable Église de Jésus-Christ, que les erreurs contraires à la foi, et la mauvaise administration des Sacrements. Or est-il qu’il a été prouvé, que l’Église visible répandue par tout le monde, reconnaissable par la continuité du peuple, la fuite des pasteurs, ne peut conformément aux promesses de Jésus-Christ qui lui ont été faites, cesser jamais d’être la véritable Église, dont il faut reconnaître en même temps, que ladite Église toujours prise dans le même sens, ne peut enseigner d’erreurs contraires à la foi, ni mal administrer les Sacrements. Voilà Monsieur, un raisonnement bien court et bien simple, mais qui ne laisse pas de terminer sommairement toutes les controverses, qui sont entre vous et nous : et jusqu’à ce qu’on y ait répondu de votre part, ce qu’on ne fera jamais avec succès (non j’ose le dire, on ne le fera jamais) jusque-là, dis-je, de notre part nous serons toujours en droit de refuser, si nous le voulons d’entrer dans la discussion d’aucun article particulier, et de regarder toutes les instances, qu’on pourrait nous faire pour nous y attirer comme des fins de non-recevoir. Que si par complaisance pour nos adversaires, et pour nous prêter à leur faible, qui est l’amour de la dispute, et pour rentrer toutes les voies possibles pour les faire revenir de leurs préventions, nous voulons bien nous relâcher de notre droit, et examiner avec eux, ce qui peut se dire pour ou contre sur les sujets contestés, alors l’application de notre principe général deviendra une preuve particulière en faveur de chaque dogme, que nous aurons à soutenir ; l’autorité indéclinable de l’Église munie des promesses de Jésus-Christ, nous sera un ferme rempart contre toutes les attaques, qu’on pourra nous faire, et s’il arrivait, ce que nous ne croyons pas avoir lieu de craindre, vu la bonté de notre cause dans tous ses chefs, qu’on vint à nous proposer quelque chose d’embarrassant, dont la solution ne se présentât pas d’abord à notre esprit, notre ressource serait de dire : si sur ce point nous sommes dans l’erreur, comme vous le prétendez, sauvez-nous donc les promesses de Jésus-Christ, bien sûrs, que par l’embarras, où cette instance mettrait notre adversaire, nous sortirions de celui, où il nous aurait mis, ou du moins, que le nôtre serait incomparablement moindre que le sien.
C’est la méthode, dont Luther s’est servi lui-même, et qu’il a suggérée à ses sectateurs pour être employée à se défendre aisément contre toutes les subtilités de des ennemis de la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Vous auriez peine à le croire, si je ne m’offrais à vous le faire voir, quand il vous plaira dans une lettre écrite au marquis Albert de Brandebourg insérée dans le cinquième tome allemand de ses ouvrages de l’édition de Jenz, imprimée en 1661, page 490, où vous trouverez ces mots « Si le sens réel n’est pas le véritable sens des paroles de Jésus-Christ, il faudra regarder toute l’Église comme étant tombée dans l’hérésie, il faudra condamner les Apôtres de nous avoir appris à dire, je crois une saint Église universelle, il faudra faire le procès à Jésus-Christ d’avoir dit, je serai avec vous jusqu’à la fin du monde, il faudra le faire à St. Paul d’avoir nommé l’Église la colonne et le soutien de la vérité.» Il en dit à peu près autant (a) en donnant des armes à ses gens pour combattre avec avantage les Anabaptistes. Que penser ici d’un homme, qui établit des principes, qu’il suit si mal, et qui voit si peu les conséquences, qu’on en peut tirer contre lui ? Qui dans cent endroits de ses ouvrages parle avec tant de mépris de l’autorité de l’Église, lorsqu’elle n’est pas favorable à ses erreurs, et qui sait si bien la faire valoir, lorsqu’elle condamne des dogmes, qui ne sont pas de son goût ? Certainement voilà l’homme, si spécialement éclairé du Ciel, pour le coup abandonné à un aveuglement monstrueux : Nous pourrions avec toute la justice du monde lui appliquer le reproche du maître sévère et équitable : Je vais te juger sur tes paroles, serviteur mauvais (Luc 19 22). Mais non, Monsieur, je dois et je veux éviter avec soin tout ce qui pourrait vous faire la moindre peine, je l’épargnerai à votre considération, quelque sujet , qu’il nous donne de gloser à ses dépens sur la bizarrerie de sa conduite. Je vous prierai seulement de vouloir bien remarquer, qu’il faut, que les promesses, que nous disons avoir été faites à l’Église visible, soient bien incontestables, puisque l’homme, qui avait le plus d’intérêt à les nier, y a eu recours, et en a fait le même usage que nous, avec cette seule différence, qu l’usage que nous en frison est contre lui, et qu et l’usage, qu’il en a fait, a été contre d’autres.
Qu’on cherche après cela des adoucissements tant que l’on voudra, pour éviter de dire, que l’Église soit jamais tombée en ruine ; qu’on dise, qu’elle était seulement sur son penchant, que la foi n’était pas absolument éteinte, mais qu’elle était obscurcie, que les vérités de l’Évangile souffraient, mais qu’elles n’étaient pas anéanties, tout ce beau langage ne sauvera pas les promesses, ni ceux, qui en faisant semblant de les respecter, ne laissent pas de leur donner des atteintes mortelles. Car enfin, sans prendre le change, qu’on voudrait ici nous donner, nous demanderons, qu’on parle nettement, et qu’on nous réponde par des oui ou par des non : ou l’Église, dirons-nous, a enseigné des erreurs, ou elle n’en a pas enseigné ; ou les erreurs, qu’elle a enseignées, étaient préjudiciables au salut, ou elles ne l’étaient pas ; si l’Église n’a point enseigné d’erreurs préjudiciables au salut, il ne fallait donc pas s’en séparer, la séparation n’a pu être, dans son origine,et ne peut être encore dans sa suite qu’injuste, insoutenable, criminelle et damnable ; que si l’Église a jamais enseigné des erreurs préjudiciables au salut la voilà donc tombée en ruine, car qu’est-ce qui peut la faire tomber en ruine, si ce ne sont des erreurs préjudiciables au salut ? Et pour dire la même chose en d’autres termes, qui développent encore mieux ma pensée, si l’Église a jamais enseigné des erreurs préjudiciables au salut, comment et en vérité ? De quoi lui ont servi les secours toujours présents de Jésus-Christ ? Qui pourra s’en former après cela l’idée d’une Église bâtie sur le roc, invincible à toutes les puissances de l’enfer ? S’il est vrai de dire, qu’il n’a fallu que quelques folles imaginations d’hommes entêtés pour en triompher ?
Ces instances catholiques sont si pressantes, que pour y parer il n’y a point d’absurdité quelque grande quelle soit, qu’on ne croie devoir hasarder, témoin la réponse, que fait le fameux Balthazar Babel, ci devant ministre de Strasbourg, dont la mémoire est encore si fort respectée parmi les vôtres en cette ville. Il dit dans un livre, qu’il a fait pour fortifier la foi des siens, et qu’il nomme Evangelische Glaubens-Kraft, ouvrage, qu’on nous vante comme un chef-d’œuvre, il dit que les promesses faites par Jésus-Christ à l’Église n’ont point été absolues, mais conditionnelles, c'est-à-dire, qu’il a été promis à l’Église qu’elle ne donnera jamais dans l’erreur, tant qu’elle prendra pour règle de sa créance la pure parole de Dieu, et qu’elle ne s’en écartera pas ; et j’ai ouï faire la même réponse à plusieurs des vôtres, apparemment instruits et formés par cet habile maître. En vérité, Monsieur, voilà un grand effort, qu’a fait Jésus-Christ en promettant à son Église l’infaillibilité à ce prix ? Où est l’homme quel qu’ignorant, et quelque idiot qu’il puisse être, qui ne soit assuré du même avantage ? Regardera-t-on comme un privilège accordé à l’Église, ce qui lui sera commun avec le dernier de tous les hommes ? Fallait-il l’autorité d’un Dieu qui parle, pour nous apprendre, qu’on ne se trompera pas, tant qu’on ne s’écartera pas de la règle de vérité ? Était-il nécessaire de faire sur cela à l’Église des promesses pompeuses et magnifiques ? Au lieu de lui promettre, qu’elle ne se trompera pas, tant qu’elle suivra la pure parole de Dieu, n’y aurait-il pas plus de sens à oser la défier de pouvoir se tromper tant qu’elle la suivra ? Qui ne voit que Jésus-Christ promet ici sans réserve, et que le sens de sa promesse est, qu’il n’arrivera jamais que l’Église vienne à s’écarter de la pure parole de Dieu ? Il faut qu’il y ait dans le monde des gens, qui sentent bien peu ce que c’est que le ridicule, pour faire sérieusement des réponses pareilles à celles-là. Tout l’avantage qu’ils en retirent, est de répandre le ridicule qu’ils se donnent, sur la cause qu’ils soutiennent, et il vaudrait incomparablement mieux pour eux, et pour leur parti, qu’ils avouassent franchement, qu’ils ne savent que dire à la difficulté, qu’on leur propose, que de donner pour solution des réponses si pitoyables.
Je devrais, après tout ce que je viens de dire pour l’éclaircissement et la preuve de la troisième proposition, passer à la quatrième ; mais je ne puis me résoudre à laisser rien derrière moi, pour n’être pas obligé à revenir sur mes pas ; je cherche à prévenir tout ce qui pourrait vous laisser la moindre inquiétude. La matière est importante et décisive, et comme on n’omet rien pour l’embarrasser, je dois aussi ne rien omettre pour la dégager, en écartant toutes les difficultés, qu’on forme pour attaquer l’infaillibilité de l’Église.
On nous objecte, que l’infaillibilité de l’Église est un privilège réservé à la Divinité, et que par conséquent il ne faut pas penser à en revêtir une société d’hommes tous sujets à se tromper. Je réponds, qu’une infaillibilité attachée à l’essence et à la nature de celui qui est infaillible, est un privilège réservé à la Divinité ; mais qu’il n’en est pas ainsi d’une infaillibilité de participation, et dépendante de celui qui la communique. Quoi ! Prétendra-t-on, que Dieu tout puissant qu’il est, ne pourra avec toutes les lumières, et tous les secours qu’il donnera, garantir l’Église de l’erreur, s’il le veut et le promet ? Et n’y aurait-il pas à le prétendre de la folie ou du blasphème ?
On nous objecte encore, que l’Église ne cesse de dire dans la prière dominicale, pardonnez-nous nos offenses, par où elle se reconnaît elle-même coupable de plusieurs fautes, et avoue en même temps être très sujette à faillir. Cette objection ne mériterait pas d’être rapportée, si elle ne se trouvait plus de dix fois répétée dans les ouvrages de Luther, et si le fréquent usage, qu’en font ses partisans, en nous donnait lieu de croire, qu’ils la comptent bien pour quelque chose. Je réponds donc, qu’il est très vrai, que tous les fidèles, qui composent l’Église sont chacun en particulier pécheurs et sujets à faillir et à se tromper, mais qu’on ne peut pas dire pour cela, que l’Église soit pécheresse, ni sujette à se tromper. C’est chaque particulier, qui demande dans l’oraison dominicale pardon de ses fautes, qu’elle commet en qualité d’Église. Car Saint Paul la reconnaît pour être sans ride et sans tache, exempte de tout défaut et de toute souillure. (a) Et pour mieux sentir la mauvaise ruse, qu’on emploie ici pour affaiblir l’autorité de l’Église, remarquez, s’il vous plaît, qu’il y a une infinité de choses, qui peuvent se dire de tous les particuliers, qui composent un corps, ou une assemblée, sans que pour cela ces mêmes choses puissent se dire du corps ou de l’assemblée. On dira par exemple fort bien, que les Vénitiens aiment à faire un voyage au Levant, mais on parlerait fort impertinemment en disant, que la République de Venise aime à faire un voyage au Levant. On dira fort bien, que tous ceux qui composent votre consistoire, ont été baptisés dans leur enfance, mais on serait fort surpris d’entendre dire, que votre consistoire a été baptisé dans son enfance. Il n’y aurait dans ces sortes de proposition ni sens ni vérité, il en est de même du sujet, dont nous parlons. Tous les particuliers, qui composent l’Église, sont mortels, l’Église n’est pas pour cela mortelle. Tous les particuliers, qui composent l’Église sont sujets à se tromper pour cela : la raison en est, parce que les promesses ont été faites au corps, et non aux particuliers.
Apparemment, Monsieur, qu’on ne s’aperçoit pas chez vous, qu’en voulant tirer avantage des paroles de l’oraison dominicale contre l’infaillibilité de l’Église visible, on va à ruiner également l’infaillibilité de l’Église invisible, et cela contre votre intérêt, et contre vos prétentions ; eux qui composent l’Église invisible, disent sans doute leur Pater, et y demandent pardon de leurs fautes. Ainsi nous attendrons des défenseurs de l’Église invisible la réponse, qu’ils feront pour lui conserver son infaillibilité, et nous nous en servirons également. Je suis honteux de m’arrêter si longtemps à réfuter des objections si puériles. Mais Mrs vos ministres devraient l’être beaucoup plus d’avoir recours à ces sortes de sallaces pour se jouer de la simplicité et du peu de pénétration des peuples. Il s’agit de l’éternité, et on emploie le sophisme pour entretenir un schisme, qui ne pourra manquer de la rendre malheureuse.
Car, Monsieur, hors de cette Église, dont j’ai parlé jusqu’ici il n’est pas possible de se sauver. C’est la quatrième proposition, que je n’aurai pas plus de peine à mettre en évidence, que toutes celles qui ont précédé.
Pour cet effet je vous prie, Monsieur, de remarquer, que toutes les figures et les qualités, qui conviennent à l’Église, sont autant de preuves de l’obligation, où sont tous les hommes de vivre dans la communion pour obtenir le salut. Si elle est l’épouse de Jésus-Christ, il n’y aura donc que les enfants de cette mère commune, qui auront part à l’héritage. Si elle est le corps de Jésus-Christ, il n’y aura donc que les membres de ce corps, qui auront vie, tous ceux qui en sont retranchés, sont morts comme d’inutiles sarments séparés de la vigne, et destinés au feu : Si elle est le royaume de Jésus-Christ, il ne reconnaîtra donc pour ses sujets, que ceux qui sont de ce royaume, et tous ceux, qui n’en sont pas, il les tiendra pour ses ennemis. Les saints pères semblent n’avoir eu rien plus à cœur, que de persuader cette vérité aux fidèles. Il nous crient tous d’une voix, que hors de l’Église il n’y a point de salut. Que de même que tous ceux, qui étaient hors de l’arche, ont péri dans les eaux du déluge, ainsi périront tous ceux, qui sont hors de l’Église. Que celui-là ne peut avoir Dieu pour père, qui n’a pas l’Église pour mère, que hors de l’Église catholique on peut avoir toutes choses, excepté le salut. St Augustin assure en termes express que quelque irréprochable, que puisse être la vie d’un chrétien, s’il est séparé de l’unité de l’Église catholique, il ne laissera pas de ressentir toutes les rigueurs de la colère d’un Dieu vengeur. St Cyprien et St Fulgence ajoutent, que ceux, qui ne sont pas unis à l’Église, dussent-ils verser leur sang pour la confession du nom de Jésus-Christ, ne recevront pas pour cela la couronne de la foi, mais la peine de leur perfidie.
Voilà Monsieur, quelques-unes des expressions, dont se sont servi les saints Pères pour nous faire entendre la nécessité, qu’il y a d’être membre de l’Église pour pouvoir se sauver. Or, Monsieur, je vous prie, est-ce d’une Église invisible qu’ils ont parlé ? Ou d’une Église visible, et telle que je l’ai représentés jusqu’ici ? S’ils ont prétendu qu’il fallait seulement être membre d’une Église invisible, à qui adressaient-ils donc leurs discours ? De qui ont-ils pu se plaindre ? Qui eût pris pour soi les remontrances qu’ils ont faites ? Quels fruits eussent-ils pu en retirer ? N’est-il pas évident que chacun croyant avoir droit de se regarder comme uni par sa foi à l’Église invisible, personne n’eût pris pour soi les avis pressants et énergiques des pères ? Et que même ces sortes d’avis eussent été absolument hors d’œuvre ? D’ailleurs ne savons-nous pas, que St Augustin en excluant du Ciel ceux, qui sont hors de la communion de l’Église, avait particulièrement en vue les Donatiens ; St Cyprien et St Pacien, les Novatiens St Jérôme, les Lucifériens, et St Fulgence, plusieurs sectes répandues dans l’Orient, tous gens qui s’étaient séparés de l’Église catholique gouvernée par les Évêques successeurs des premiers pasteurs ? C’était donc sur la nécessité de rentrer dans la même Église, qu’insistaient les saints Pères, et on ne peut nous disputer cette nécessité, sans prétendre, que tous les saints Pères, et tout le peuple chrétien, instruit par leurs leçons, se sont formé des idées très fausses de la nature de l’Église. Or, risquer son salut sur une prétention si hardie, pour ne pas dire si téméraire, y aurait-il de la sagesse ?
J’ajoute de plus, que tous ceux, qui se sont séparés de ladite Église, ont toujours été regardés par les reste du monde chrétien, et de leur temps, et encore beaucoup plus généralement dans les temps postérieurs, comme des schismatiques et des hérétiques, sans qu’il soit jamais arrivé depuis le commencement du christianisme jusqu’au temps de Luther qu’aucun homme particulier ni qu’aucune société d’hommes réunis entre eux , aient fait ladite démarche, sous quelque prétexte, qu’ils aient pu la faire, fut-ce de réforme, de discipline plus exacte, de foi plus pure, d’attachement inviolable à l’Écriture, qui ne soit resté flétri de la tache, que prote avec foi le schisme ou l’hérésie.
C’est la cinquième de mes propositions, dont toute la preuve consistera à prier ceux qui voudraient nous la contester, de nous nommer un seul homme, ou société d’hommes, qui ait évité ladite note, après s’être séparé du corps des chrétiens, dont ils avaient fait auparavant partie et qui a toujours été composé de peuples et de pasteurs, d’un peuple continûment suivi, où la foi du fils a été constamment uniforme à celle du Père ; de pasteurs dont la succession n’a jamais été interrompue, et dont chacun, à parler régulièrement, a cru ce qu’avait cru son prédécesseur : ce que je répète ici pour rafraîchir l’idée de l’Église à laquelle Jésus-Christ a fait ses promesses. Que si l’expérience de tant de siècles a fait voir par des exemples si fréquents, qu’on n’a jamais abandonné un tel corps, sans se rendre coupable de schisme ou d’hérésie, comment osera-t-on se flatter, que la même démarche faite au seizième siècle au préjudice de l’unité de l’Église, pourra avoir un meilleur succès ? Avouez, Monsieur, qu’on est beaucoup plus clairvoyant sur les dangers, qui regardent la vie, qu’on ne l’est sur ceux , qui regardent le salut. Vous conviendrez sans peine que si de tous les vaisseaux, qui ont quitté notre continent pour aller aux nouvelles contrées, dont on fait aujourd’hui tant de bruit, il n’y en avait aucun, qui n’eût été brisé contre quelque écueil, il se trouverait peu de gens qui voulussent tenter la même route. Comment se fait-il donc ? Qu’on se rassure si aisément chez vous en suivant la même route, qu’ont tenue une infinité de gens, dont pas un n’a évité de faire naufrage dans la foi.
Apparemment, Monsieur, que ce qui vous empêche de voir le danger tel qu’il est, c’est que vous n’êtes pas assez persuadé, que vous soyez effectivement séparé de l’Église telle que je n’ai cessé de vous la représenter dans cet écrit, c’est pourquoi je vais essayer de vous en convaincre d’une manière à mériter votre aveu : défendez-vous, si vous le pouvez, contre l’ennui d’une lecture, qui commence à devenir un peu longue. C’est ici le point le plus intéressant de tous, et la dernière de mes propositions, dont la preuve va achever le sujet que je traite, ce qui ne se fera pas, à ce que j’espère, sans vous faire comprendre la nécessité, qu’il y a de vous réunir avec nous pour pouvoir faire votre salut.
Je suppose d’abord, que vous ne ferez nulle difficulté de reconnaître, que Luther et tous ceux qui ont été les premiers à lui adhérer, n’ont pas persévéré dans la doctrine qu’ils avaient apprise de leurs pères, le père de Luther et les pères de ceux qui lui ont adhéré, ayant été tous, comme chacun sait, catholiques romains, et ayant cru sur le purgatoire, sur la messe, sur l’invocation des saints, sur le nombre des sacrements, sur la concession auriculaire, sur l’usage d’une seule espèce, ce que nous croyons encore aujourd’hui. Il est donc évident, que Luther et tous ses adhérents se sont séparés de créance du corps des chrétiens, qui les a précédé Or ce corps était l’Église de Jésus-Christ subsistante suivant ses promesses ; car si ce n’était pas là l’Église subsistante en vertu des promesses de Jésus-Christ, qu’on nous en fasse donc voir une autre, qui le fût. Donc Luther avec ses adhérents s’est séparé de l’Église, à laquelle ont été faites les promesses de Jésus-Christ.
La même vérité se fera peut-être encore mieux sentir par un autre tour, qui a plus de rapport à vos propres principes. Vous définissez l’Église dans l’article 7 de la Confession d’Augsbourg une assemblée de fidèles, où l’Évangile est prêché et les sacrements sont administrés comme il faut, et vous dites dans le même article, qu’une telle Église subsistera jusqu’à la fin du monde ; d’où il s’ensuit nécessairement, qu’immédiatement avant que Luther vint à paraître il fallait, qu’il y eût une assemblée de fidèles, où l’on prêchait l’Évangile, et où l’on administrait les sacrements, comme il faut. Or on demande, qu’elle était cette assemblée, où immédiatement avant Luther on prêchait l’Évangile et on administrait les sacrements comme il faut ; était-ce l’Église catholique romaine ? En était-ce une autre ? Si c’en était une autre, qu’on nous fasse la grâce de la nommer ; si c’était l’Église catholique romaine, qui prêchait l’Évangile et administrait les sacrements comme il faut, comme vous vous en trouvez séparés, il est évident, qu’on a droit de conclure contre vous, que vous êtes séparés de la seule Église, à laquelle on puisse attribuer les effets des promesses de Jésus-Christ.
Pour répondre à des arguments si pressants, il n’y a que deux partis à prendre ; l’un serait de nous indiquer une Église visible autre que l’Église catholique romaine, existante immédiatement avant Luther, à laquelle il se fut uni avec les siens, et par les moyens de laquelle vous puissiez remonter jusqu’au temps des apôtres ; l’autre serait de soutenir, que vous n’êtes pas séparés de l’Église romaine, en tant qu’elle est catholique, et que vous faites avec elle une même Église universelle. Car de recourir à une Église invisible par le moyen de laquelle vous établissez la continuité de la vôtre avec celle des premiers temps, la voie vous en a déjà été fermée, et l’expression de la Confession d’Augsbourg, qui dit qu’il y aura toujours une Église, où l’on prêchera l’Évangile et administrera les sacrements, comme il faut, vous en barre également le chemin. Reste donc les deux partis, que j’ai dits ci-dessus. Or, ni l’un ni l’autre n’est soutenable ; Premièrement, vous ne pouvez nous indiquer hors de l’Église catholique romaine aucune société visible existante immédiatement avant Luther, à laquelle vous puissiez remonter jusqu’au temps des Apôtres.
Car quelle pourrait être cette société ? Serait-ce celle des Hussites, à laquelle Luther donne de si grands et de si fréquents éloges, après s’être si fort défendu à la naissance des disputes, des reproches qu’on lui faisait de suivre leurs sentiments ? Mais je vous ferai voir, quand il vous plaira, que les Hussites n’ont jamais eu rien de commun avec vous, que leur aversion pour le pape, et l’idée de la nécessité du calice. Car pour ce qui est du reste, Jean Hus a positivement enseigné le sacrifice propitiatoire, la transsubstantiation, l’invocation des saints, l’obligation de confesser ses péchés, le purgatoire, et plusieurs autres articles de cette force, et rien n’a été plus commun parmi ses disciples, que de porter à toute occasion le saint sacrement par les rues et de prodiguer les bénédictions. Que si nonobstant tout cela vous ne laissez pas de vouloir les reconnaître pour vos frères, alors vous conviendrez, qu’il était donc fort inutile de faire tant de bruit sur tous les Articles, que vous leur passez, que vous pourriez nous les passer aussi bien qu’à eux, et que c’est déjà une affaire réglée, que dans tous ces points vous ne trouvez aucun sujet légitime de séparation ; amis quand bien nous vous avouerions, que leur doctrine a été la même que la vôtre en tous points, vous n’en seriez guère plus avancés pour cela. Cent ans, que vous gagneriez tout au plus, ne vous seraient pas trouver, comme vous voyez, la communication non interrompue avec le temps des Apôtres. Il en sera de même de toutes les autres sectes, auxquelles vous voudrez aller aux emprunts pour trouver des confrères, et faire montre de votre Église.
Reste donc à dire, que vous n’êtes pas séparés de l’Église romaine en tant qu’elle est catholique, et que vous faites avec elle une même Église universelle ? C’est là ce que pensent plusieurs tolérants sans oser le dire tout haut, mais quel peut être le sens de cet étrange paradoxe ? Quoi ? Deux églises qui s’excommunient, qui s’interdisent l’une à l’autre la participation des sacrements, dont les membres ne peuvent simuler la foi de la communion opposée sans la plus noire de toutes les perfidies, ne feront qu’une même Église universelle ? Les catholiques croiront, qu’il y a sept sacrements, et vous en retrancherez cinq ? Les catholiques se fixeront à l’ancien nombre des livres divins et canoniques, et vous en dégraderez six ? Nous regarderons la messe comme étant le culte le plus agréable à Dieu et elle passera chez vous pour la plus grande de toutes les abominations ? Nous révérerons le pape comme le vicaire de Jésus-Christ, et vous aurez pour lui toute l’horreur, que l’antéchrist mérite ? Vous et nous aurons des idées diamétralement opposées sur le mérite, sur la nécessité des bonnes œuvres, sur l’efficace des sacrements, sur la nature de la pénitence, sur les lois de l’Église, sur le crédit des saints, sur la prière pour les morts, etc. Et néanmoins nous serons censés tous n’avoir au fond qu’une même religion ? Et malgré des divisions si éclatantes, il y aura des liens communs, qui nous attacherons à la même Église ? Mais que faudra-t-il donc pour cesser d’être partie de l’Église universelle ? Toutes les sectes hérétiques des temps passés faisaient-elles encore partie de l’Église universelle, ou n’en faisaient-elles pas partie ? Si elles ont toujours fait partie de l’Église universelle, pourquoi donc tous les saints Pères, et tous les grands hommes, qui ont pensé juste sur la religion, leur ont-ils fait si impitoyablement le procès ? Pourquoi leur nom est-il encore aujourd’hui si odieux et si infâme dans tout le christianisme ? Et si elles ont cessé de faire partie de l’Église universelle, par quel endroit ont-elles plutôt mérité d’être regardées comme retranchées de l’Église universelle, que des sociétés nouvelles du seizième siècle ? Y a-t-il eu des dogmes, ou plus importants ou en plus grand nombre, qui les aient divisées d’avec le grand corps des chrétiens ? Qui ne sait le contraire, que les contestations de la plupart des sectes hérétiques ont roulé sur des points de bien moindre conséquence, et que les chefs de division n’ont jamais été en si grand nombre, que ceux qui nous partagent aujourd’hui.
Mais, Monsieur, si nonobstant tout cela le tolérantisme, qui réunit ainsi toutes les différentes religions pour n’en faire qu’une même Église universelle, où chaque parti peut se sauver, ne laissait pas d’être de votre goût, alors j’en appellerais au défit sincère, que je vous suppose de votre salut,e t vous prierais de réfléchir, que dans votre supposition le catholique ne courre aucun risque, puisque vous et lui convenez, qu’il est membre d’une Église, dans laquelle il peut se sauver, au lieu que vous le courrez tout entier, en vous flattant d’être membre de l’Église, tandis que tous les catholiques de la terre vous disputent cette qualité. Suivant ce plan trouverez-vous à balancer, lorsque vous verrez d’un côté la sûreté toute entière, et qu’il s’agira de prendre de sages précautions pour assurer l’affaire la plus importante, que vous puissiez avoir,et que le Sauveur dit être la seule nécessaire.
Tout ce que je viens de dire, ne devrait-il pas suffire pour vous prouver, que vous êtes très véritablement séparés de l’Église, à laquelle Jésus-Christ a fait ses promesses ? Mais les subtilités de vos ministres ne tarissent pas sur une matière qui les incommode, et qui les accablerait, s’ils n’avaient recours à la plus fine chicane. Quelque soin que j’aie eu de les suivre partout, ils n’ont point encore usé toutes leurs défaites, il leur en reste une, et il faut avant que de finir les forcer dans leur dernier retranchement. Pour trouver avant Luther une Église propre à les couvrir du reproche de la séparation, ils en composent une de pièces rapportées, et voici comment. 1° Ils y mettent tous ceux, qui dans différents temps se sont élevés contre le Pape, ou en attaquant son autorité, ou en combattant quelques points de la doctrine catholique : tels sont les Gregoires de Hambourg, les Français de Zaborellis, les Jérômes de Prague, les Pierres de Bruïs, les Nicolas Cabasilas, les Helvétius, les Vigilances, etc. Tous gens précieux au parti pour n’avoir pas épargné les injures au pape. Mais avant, que de passer outre, trouvez bon, Monsieur, que je vous prie de remarquer, qu’il ne s’agit pas ici de quelques particuliers, dont les uns aient vécu dans un siècle, les autres dans un autre, dont les uns aient enseigné un des dogmes de Luther, les autres un autre, il s’agit d’une société d’hommes, qui fassent une Église, et qui soient réunis dans la même foi ; il faut trouver un corps de fidèles et un corps de doctrine tel, que celui de Luther, et ce corps de fidèles attaché à ce corps de doctrine. Ne vous fatiguez pas, Monsieur, à le chercher, vous voyez bien que vous y perdriez vos peines après la déclaration si ingénue, que vous fait Luther de l’embarras, où il s’est trouvé de se voir seul de son sentiment. Combien de fois ma conscience n’a-t-elle pas été alarmée, dit-il, dans son traité de l’abus, des messes privées ? Combien de fois me suis-je dis à moi-mm, prétends-tu donc être le seul de tous les hommes, qui soit sage ? Prétends-tu, que tous les autres se soient trompés ? Que serait-ce si tu étais toi-mm dans l’erreur et qu’en séduisant les autres, tu fusses la cause de la damnation de tant d’âmes pendant une si longue suite d’années ?
Or, Monsieur, je vous laisse à penser, si c’est là le langage d’un homme persuadé, que de son temps et avant lui, il y avait des sociétés entières attachées à la doctrine,n qu’il entreprenait de faire valoir ? Mais avançons et voyons le reste de la belle Église, que l’on croit propre à vérifier les promesses de Jésus-Christ, et à établir heureusement la communication tant désirée. Ils y mettent en second lieu tous les enfants baptisés, ornés d’une foi pure, et exempte de toute altération. En troisième lieu toutes les personnes, qui ont vécu dans la simplicité et dans la bonne foi, et qui ont été d’une intelligence si bornée, qu’on ne peut leur imputer la part, qu’elles ont eu aux égarements communs. 4° Ceux qui étant plus éclairés ont gémi dans le secret de leur coeur sans oser expliquer ouvertement leur pensée. 5° Tous ceux qui étant au lit de la mort ont purifié les imperfections de leur foi par la confiance, qu’ils ont eue aux mérites de Jésus-Christ.
Pour ce qui est de ces derniers, permettez-moi, Monsieur, de vous demander quelque éclaircissement avant de rien dire des autres. Pense-t-on chez vous, que ce soit assez de mourir en se confiant aux mérites de Jésus-Christ pour être des vôtres ? Si cela ne suffit pas, de quoi vous sert cette cinquième espèce, pour trouver avant Luther l’Église luthérienne, que nous cherchons ? Et si cela suffit vous nous reconnaîtrez donc aussi pour vos frères ; car nous prétendons bien mourir avec la confiance aux mérites de Jésus-Christ : mais en nous reconnaissant pour frères ; car nous prétendons bien mourir avec la confiance aux mérites de Jésus-Christ : mais en nous reconnaissant pour frères, n’attendez pas de retour de nous ; car vous savez bien, que nous exigeons quelque chose de plus, que la confiance aux mérites de Jésus-Christ, pour être sauvé ; si ce n’est pas assez, pourquoi en faites-vous un titrer infaillible de prédestination à ceux, qui ont précédé Luther ? Et si c’est assez, venez donc et rangez-vous hardiment parmi les nôtres ; car les prêtres catholiques, qui vous assisteront à la mort, ne manqueront pas de vous exhorter à une pleine confiance aux mérites de Jésus-Christ. Y a-t-il rien de plus inconcevable, que la conduite de vos ministres ? Qui prétendent faire de la confiance aux mérites de Jésus-Christ un caractère distinctif de ceux de leur religion, et qui en même temps, comme il se voit en plusieurs de leurs ouvrages, entre autre dans ceux de Matthias Hôens, & d’Auguste Pfeiffer, ministres saxons, accumulent preuves sur preuves, pour faire voir, que l’usage de l’Église romaine a toujours été d’inspirer aux moribonds beaucoup de confiance aux mérites de Jésus-Christ. Ne faut-il pas que l’embarras, où ces Messieurs se trouvent, soit bien étrange, puisqu’il va jusqu’à leur ôter l’usage naturel du raisonnement, en leur faisant tenter en même la preuve de deux contradictoires, sans qu’ils s’en aperçoivent. Car leurs preuves vont à prouver, que l’Église romaine n’était pas la véritable Église, et en même temps qu’elle était la véritable Église, et en même temps qu’elle était la véritable Église. J’admire qu’en cherchant des Luthériens avant Luther, ils ne se soient pas encore avisé de nous citer tous ceux, qui ont cru l’existence d’un Dieu et le mystère de la Trinité, ou la nécessité du baptême, etc. Ou pour mieux dire, tous ceux, qui ont respiré par la bouche, tant, qu’ils ont été en vie, et qui ont cessé de le faire, dès qu’ils ont eu rendu l’âme. Mais revenons aux autres pièces de la belle Église si heureusement imaginée pour éviter la honte du schisme.
Restent
donc la seconde, la troisième et la quatrième espèce, c'est-à-dire
les enfants, les idiots et les âmes lâches et traîtresses à la
religion de leur cœur. N’est -ce pas là, Monsieur, une belle
colonne de vérité, un effet digne des promesses de Jésus-Christ,
un ouvrage répondant à la sagesse et à la puissance de l’auteur
et du consommateur de la foi des chrétiens, une liaison bien propre
et bien honorable pour vous faire communiquer avec l’Église pure
et florissante des premiers temps ? Je vous parais triompher,
Monsieur, et peut-être me trouverez-vous des airs d’un homme, qui
sent son avantage ; mais non, Monsieur, ce n’est pas moi, qui
triomphe, c’est l’Église, qui triomphe des subtilités, des
chicanes, des vaines défaites, des mauvais raisonnements de vos
ministres, ainsi qu’elle triomphera toujours contre tous les
efforts des portes de l’enfer.
En voilà bien assez,
Monsieur, sur le premier sujet, que j’avais entrepris de traiter.
Il n’y en a même que trop pour un esprit aussi pénétrant, que le
vôtre. Si je n’ai point assez ménagé votre patience, vous le
pardonnerez à la surabondance de mon zèle ; il n’y en a même
que trop pour un esprit aussi pénétrant que le vôtre. Si je n’ai
point assez ménagé votre patience, vous le pardonnerez à la
surabondance de mon zèle ; il vous en a coûté pour lire tout
cela ; pour moi je compterai la peine, que j’ai eue de
l’écrire pour rien, si vous l’avez lu avec attention, que le
sujet mérite, et que vous vouliez bien y faire de sérieuses
réflexions. Il ne se peut, qu’en rapprochant, ce que j’ai eu
l’honneur de vous dire, vous ne vous sentiez comme forcé de
reconnaître deux vérités. La première, qu’il est absolument
nécessaire d’être membre de la véritable Église, pour pouvoir
se sauver ; la seconde, que vous avez le malheur d’en être
séparé, d’où résulte un obstacle invincible à votre salut,
tant que vous persisterez à faire profession du Luthéranisme. Ne
vous raidissez pas, Monsieur, contre une conviction si achevée,
cessez de vous faire honneur d’une fermeté, qui entraînerait
votre perte ; ce n’est pas vous, qui avez fait votre religion,
vous pouvez en reconnaître le mauvais, sans vous exposer à passer
pour coupable ; n’appréhendez pas de paraître un esprit
faible un cédant aux mêmes raisons, auxquelles Saint Augustin, ce
grand et vaste génie, et celui de tous les Sts Pères, que vous
estimez le plus, a cédé. Il s’était trouvé dans le même cas
que vous, et il nous apprend, que ce qui a fait le plus d’impression
sur lui, c’est justement ce que j’ai eu l’honneur de vous
représenter ; « Ce qui me fait infiniment estimer
l’avantage, que j’ai maintenant d’être dans l’Église
catholique, dit-il en parlant aux Manichéens ses anciens confrères,
c’est premièrement le consentement général de tant de peuples et
de nations différentes, c’est l’autorité acquise à l’Église
par les miracles, affermie par la longue fuite des années, devenue
plus éclatante par les témoignages d’une espérance et d’une
charité parfaite, qu’on ne peut s’empêcher d’admirer dans
tant de grands hommes illustres en sainteté, qu’elle a produits ;
c’est la succession non interrompue des jusqu’à notre temps, à
la commencer depuis le siège de Pierre, à qui le Seigneur donna
après sa résurrection charge de paître ses ouailles. C’est enfin
le nom de catholique, qui est tellement propre aux fidèles, qu’il
n’a jamais pu leur devenir commun avec les hérétiques, quelque
effort
que ceux-ci aient fait pour l’usurper dans le monde chrétien. Car
qu’un étranger entre dans une ville, où les hérétiques aient un
temple, et les catholiques une église, et qu’il s’adresse même
aux hérétiques pour apprendre le lieu, où les catholiques vont
prier, pas un d’eux n’enverra cet étranger dans leur temple. »
Voilà ce qui avait touché ce grand homme le plus rare génie du
christianisme. N’y aura-t-il pas de quoi vous toucher également ?
Je sens votre peine, Monsieur, et j’y compatis. On parlera dans le
monde de votre changement, vos amis en seront surpris ; Oui,
Monsieur, ils en seront surpris, mais vous leur direz les raisons,
qui vous ont porté à changer, et vous les prierez d’y répondre.
L’impossibilité où ils seront d’y satisfaire, jointe à la vue
de ce que vous aurez fait, les engagera peut-être à suivre votre
exemple. En tout cas étant aussi sage, que vous l’êtes, je ne
puis vous croire disposé à porter la complaisance pour vos amis, ni
pour le public jusqu’à vouloir sacrifier votre âme pour éviter
de leur déplaire. Je prie le Seigneur de faire en sorte que les
paroles de Saint Augustin, que j’ai déjà citées ci-dessus, et
que je répète, parce qu’elles me semblent avoir été dites pour
vous, ne s’effacent jamais de votre esprit.
Quisquis ergo ab hac Catholica Ecclesia fuerit segregatus,
quantumlibet se laudabiliter vivere existimet, hoc solo scelere, quod
à Christi unitate disjunctus est, non habet vitam, sed ira Dei manet
super illum.
« Quelque régulière que puisse être la vie d’un chrétien,
s’il est séparé de l’unité de l’Église catholique, dès-là
même il ne peut avoir part à la vie éternelle, et il n’a qu’à
s’attendre à toutes les rigueurs de la colère divine. »
N’ayant rien à ajouter, qui ne parût faible après un passage si
pressant, je finis en vous assurant du profond respect et de
l’inviolable attachement, avec lequel j’ai l’honneur d’être.
Monsieur,
Votre très humble, etc
P.S. Vous ne trouverez pas mauvais, Monsieur, que je rende publique les lettres, que j’ai l’honneur de vous écrire. Si contre mon attente elles ne faisaient aucun effet sur vous, j’espère, qu’elles pourront être utiles à d’autres personnes. Il est d’ailleurs à propos de vous donner lieu de vous convaincre, qu’il n’y a rien de bon à y répliquer. Car je me persuade de deux choses l’une, ou que ces lettres resteront sans réponse, ou que si l’on entreprend d’y répondre, on ne fera qu’effleurer la matière sans toucher aux difficultés les plus pressantes. Je suis bien aise de citer Mrs vos ministres au tribunal français, leurs laissant cependant toute liberté de répondre en allemand. S’ils le font, je ne manquerai pas de traduire leur réponse, afin que grand nombre de gens d’esprit, qui sont dans la province, et qui ne parlent que français, puissent juger de la défense, je vous assure, Monsieur, ni d’un mot grec, ni d’un mot hébreu ; ni de longues digressions, ni de lieux communs, ni de discours vagues et hors d’œuvre. On voudra des réponses nettes, précises, et qui satisfassent aux difficultés. Il faudra suivre l’ordre de mes propositions, en examiner toutes les preuves, et faire voir le faible de chacune. Si l’on y manque, quelque écrit qu’on oppose à mes lettres, il ne méritera pas le nom d’une réponse, bien moins encore la peine d’une réplique. Qu’on se souvienne en répondant de garder les règles de la modération et de la charité chrétienne ; règles dont j’ai tâché de ne pas m’écarter. Si l’on y contrevient par un style aigre et désobligeant, on en sera assez puni par le mépris, qu’on s’attirera de la part de tous les honnêtes gens. Mon parti sera de me taire et d’abandonner des écrivains impolis et grossiers à la censure de Mr. Weislinger, qui tout poli qu’il est, sait traiter ces sortes de gens, comme ils le méritent. Mais à propos de cet auteur pourquoi ne se trouve-t-i personne dans toute l’Allemagne, qui réponde à son livre Fris Vogel. Convient-on de tout ce qu’il y avance ? L’aveu en serait certainement bien fâcheux : mais si l’on prétend, que son livre est plein de faussetés, que ne les fait-on connaître au public ? La patience du parti ne fut jamais plus admirable, que dans cette occasion, disons mieux, l’embarras du parti ne fut jamais plus grand.
Monsieur,
Le bon accueil que vous avez fait à la première lettre, que j’ai eu l’honneur de vous écrire, me fait espérer, que vous ne recevrez pas moins favorablement cette seconde, par laquelle j’ose vous prier de réfléchir sur la nature de votre foi, et d’examiner, si elle a les qualités requises pour faire de vous un véritable fidèle. Après vous avoir fait voir, que vous êtes véritablement séparé de l’Église de Jésus-Christ, ce qui fait le premier obstacle à votre salut, tant que vous persévérez dans la profession du Luthéranisme, souffrez que je vous en découvre un second, en vous remontrant, que votre foi n’a pas les qualités de cette foi divine, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu ; que ce n’est qu’une foi humaine fondée sur de pures opinions, et sur des explications incertaines, et arbitraires de l’Écriture.
Je fuis bien éloigné, Monsieur, de chercher à vous faire maître des scrupules, qui n’aboutissent qu’à vous laisser dans le doute et dans la perplexité. Mon dessein est au contraire de vous indiquer l’unique voie propre à vous en tirer, en vous exposant un plan de religion, qui remédie efficacement aux inconvénients de la vôtre. Trouvez bon pour cet effet, que je vous prie de remarquer, qu’il y a bien de la différence entre ce qui s’appelle opinion, et entre ce qui s’appelle acte de foi ; l’opinion s’appuie sur un fondement faible et ruineux, qui peut manquer et n’être pas ; et l’acte de foi s’appuie sur un fondement ferme et inébranlable, tel qu’est l’autorité d’un Dieu qui parle, et qui en nous révélant un objet à croire ne peut se tromper, ni tromper personne. L’opinion fait dire : Cela me paraît ainsi, mais il se peut faire, que je me trompe. L’acte de foi fait dire, non seulement cela me paraît ainsi, mais cela est, et ne peut être autrement, et je suis sûr, que je ne me trompe pas.
Mais remarquez en même temps, Monsieur, s’il vous plaît que la fermeté de la foi divine n’est point une fermeté aveugle et imprudente, qui naisse d’une volonté déterminée à croire sans raison et sans motif suffisant ; telle fermeté ne serait point louable, et ne conviendrait à rien moins qu’à un acte de vertu, ce serait plutôt un vice de l’esprit, et l’effet d’un pur entêtement. Il faut donc pour que la foi soit bien conditionnée, qu’elle soit en même temps ferme et prudente. Si elle n’était pas ferme, ce ne serait qu’une opinion, et si elle était ferme sans être prudente, ce serait un sentiment outré, pris légèrement, et soutenu avec obligation. Or, Monsieur, nous soutenons, que la foi de tout protestant manque nécessairement de l’une de ces deux qualités, et nous disons, qu’elle est ou faible et chancelante sur tous les articles, qui sont et qui ont jamais été en dispute, ou imprudente, si elle s’attache irrévocablement au parti, dont elle a fait choix sur les sujets contestés.
Voilà, Monsieur, le reproche, que nous faisons à votre foi, et il ne vous importe pas peu, comme vous voyez, d’examiner, si ce reproche est bien ou mal fondé. Car il ne s’agit pas ici de la discussion d’un point particulier, où l’on se tromperait en quelque manière avec moins de risque, et où l’erreur se bornerait à une matière déterminée. Notre accusation est générale, et nous prétendons, que votre foi est défectueuse, lors même qu’elle se termine à croire des vérités, parce que vous ne les croyez pas comme il faut. J’exposerai le plus clairement qu’il me sera possible, l’insuffisance de votre foi, et si dans le jugement que vous porterez sur ce que nous y trouvons à redire, vous mettez à part tout esprit de dispute et de contention pour n’écouter que la droite raison et ce sens si juste et si équitable, qui vous conduit dans toutes vos autres délibérations, je compte pour sûr, Monsieur, que vous ne pourrez vous empêcher de reconnaître avec nous le véritable faible de votre religion.
Nous convenons d’abord avec vous, que comme la foi humaine est fondée sur la parole de l’homme, aussi est-il nécessaire, que la foi divine soit fondée sur la parole de Dieu. Mais vous conviendrez aussi avec nous, s’il vous plaît, que ce n’est pas seulement dans la lettre de l’Écriture, que consiste la parole de Dieu, mais surtout dans le sens, que le St Esprit y a attaché. Car au moment, que nous donnons un mauvais sens à cette parole, ce n’est plus la parole de Dieu, ni la parole de vérité, elle devient la parole de celui, qui l’interprète mal, et par conséquent une source d’erreurs, et un spécieux prétexte de toutes les hérésies. Ne pensons pas, dit St Jérôme, que ce soit dans la lettre de l’Écriture, que l’Évangile de jc en l’Évangile d’un homme, ou en l’Évangile du Démon, si c’est le démon qui la suggère ; aussi St Augustin nous assure-t-il, que tous les hérétiques ont fondé leurs erreurs sur des fausses interprétations, et qu’ils ont ébloui les faibles en leur persuadant, que c’était la pure parole de Dieu, qu’ils leur proposaient, parce qu’ils n’employaient pour leur parler, que les termes de l’Écriture, auxquels ils donnaient un mauvais sens.
Quelque
infaillible que soit donc
la parole de Dieu en elle-même, si nous ne sommes pas sûrs du
véritable sens, qu’on doit lui donner, notre foi sera chancelante
et incertaine ; loin de nous rendre inébranlables sur le
Chapitre des Mystères, qu’elle nous propose, elle nous laissera de
justes inquiétudes, et nous aurons sujet de craindre, qu’en
expliquant mal l’Écriture, nous ne prenions l’erreur et le
mensonge pour la vérité. Rendons la chose plus sensible par un
exemple. Ces paroles, ceci
est mon Corps, prises
dans le sens littéral contiennent la révélation de la présence
réelle ; mais si on les prend dans le sens figuré, elles ne la
contiennent plus. Tandis que nous ne seront pas certains, lequel des
deux sens est le sens de Jésus – Christ, nous serons incertains,
de ce que ce teste signifie, et de la révélation, qu’il renferme,
si c’est celle de la réalité, ou si c’en est une autre. En ce
cas-là nous ne pourrions sans imprudence croire sur toutes choses ou
la réalité, ou la figure ; et la foi, quelque parti qu’on
pût prendre, ne serait qu’une simple opinion, qui n’exclurait
pas la crainte de se tromper. Ce ne serait donc pas une foi divine,
parce que ce ne serait pas une foi capable de nous rendre
indubitablement certains de ce qu’il faut croire, mais une créance
de sa nature douteuse et incertaine ; et si malgré ces sujets
raisonnables de douter, nous avions assez de force sur nos esprits
pour les fixer et les engager sans retour dans l’un des deux
partis, cet engagement ne pourrait passer que pour une obstination,
et pour une fermeté très imprudente.
L’infaillibilité de
la révélation nous serait donc fort inutile ans l’infaillibilité
de l’interprétation, et il nous servirait peu d’être sûrs, que
la révélation ne peut nous tromper, si nous n’étions pas sûrs
en mm temps, que nous prenons dans le véritable sens le texte, qui
contient la révélation. Or nous prétendons, Monsieur, que sur une
infinité de textes, qu’on cite de part et d’autre, et qui sont
la plupart susceptibles de deux et souvent de plusieurs sens, vous et
vos associés et généralement tout protestant ne pouvez avoir
aucune certitude, qui vous rassure dans l’interprétation desdits
textes, et que le parti, que vous prenez de préférer un sens à
l’autre, be peut mériter tout au plus que le nom et la qualité
d’opinion.
Car permettez-moi de vous demander, d’où vous tireriez cette certitude, qui pût vous rassurer parfaitement contre toute crainte de vous tromper dans le choix, que vous faites de l’un des deux sens, qui se présentent souvent avec des vraisemblances fort égales ? Tireriez-vous cette certitude de vous-même ? Ou de votre pasteur ? Ou de votre Église ? Ou de l’inspiration de St Esprit ? Ou de l’Écriture même ? Rien de tout cela ne peut vous fournir la certitude, que nous cherchons, et par conséquent vous resterez nécessairement dans la sphère des opinions, sans pouvoir jamais vous élever au-delà.
Je dis premièrement, que lorsqu’il s’agit d’expliquer des textes de la nature de ceux, dont nous venons de parler, vous ne pouvez trouver dans vous-même de quoi vous rassurer contre tout doute et contre toute crainte de donner dans le mauvais sens ; car vous ne prétendrez pas sans doute être infaillible dans l’explication de l’Écriture, tandis que vous réfuterez de reconnaître cette infaillibilité dans l’Église. Je vous laisse à penser, si un protestant aurait bonne grâce de dire, l’Église peut bien se tromper en expliquant l’Écriture, et elle s’est trompée en effet, mais moi ne ne puis pas me tromper en l’expliquant. Ne trouveriez-vous pas dans une proposition pareille à celle-là quelque chose de plus que de l’orgueil et de la présomption, je veux dire de la folie et de l’extravagance ?
De plus si chaque particulier trouvait dans lui-mm la source de l’infaillibilité pour bien expliquer l’Écriture , cet avantage serait sans doute commun à tous les chrétiens ; que s’il était commun à tous les chrétiens, il ne pourrait donc y avoir parmi eux de différence de sentiments touchant l’explication de l’Écriture : Or, qui ignore leurs divisions et leurs contestations sur ce sujet ? Puis donc qu’ils sont si partagés sur les sens de l’Écriture, ne faut- t’il pas nécessairement que les uns ou les autres se trompent en l’expliquant, et par conséquent n’est-il pas évident, que ce n’est pas chaque particulier, qui a le don d’infaillibilité pour expliquer sûrement bien l’Écriture ?
Que dirons-nous du nombre prodigieux d’hérésies, qui se sont élevées depuis le commencement du Christianisme ? Qu’ont-elles été autre chose que de fausses et de mauvaises interprétations de l’Écriture débitées et vantées par ceux, qui se flattaient de la bien entendre ? Que si tant de gens, qui se croyaient plus éclairés que les autres dans l’intelligence des livres sacrés, n’ont pas laissé de se tromper, en vertu de quoi un particulier de quelque caractère, ou de quelque religion qu’il puisse être, pourra-t-il s’assurer, qu’il ne se trompe pas ? Le mécompte de tant de prétendants à l’heureuse découverte des véritables sens de l’Écriture , n’est-ce pas une leçon aussi sensible que salutaire à tous les chrétiens, qui fait comprendre bien clairement, qu’aucun particulier ne doit se fier à ses propres lumières, et que ce serait en vain qu’il chercherait dans lui-mm des sûretés contre tout danger de se tromper ?
Je dis en second lieu, que vous ne trouverez pas non plus la certitude de la véritable explication chez votre pasteur. Car enfin ce pasteur, que nous consulterez pour vous précautionner contre l’erreur, lorsque vous ne vous croirez pas assez de lumières pour juger du véritable sens ; quelque habile qu’il puisse être, est homme, et par conséquent sujet à se tromper. Comment donc asseoir sur les éclaircissements, qu’il vous donnera, ce jugement souverainement ferme et inébranlable, qui fait le caractère de la foi divine ? Vous osez réclamer contre les décisions des conciles généraux, les avis de tant d’ et de docteurs consommés dans les sciences divines et humaines ne peuvent vous faire adhérer au sens de l’Écriture, qu’ils vous déclarent être le véritable, et l’autorité de votre pasteur suffira pour vous tirer de toute inquiétude ? Ce serait sans doute ne pas vous souvenir assez de vos principes, et les démentir incontinent après les avoir établis. Mais si les éclaircissements donnés par un pasteur attaché à la doctrine de Luther peuvent calmer justement tous les doutes du Luthérien, les éclaircissements, que donnera un pasteur attaché à la doctrine de Calvin feront indubitablement le même effet sur l’esprit du Calviniste. Nous aurons donc des gens de deux partis opposés fondés également en raison à croire deux contradictoires avec une fermeté inébranlable ; c'est-à-dire que l’un des deux sera fondé en raison à croire fermement une fausseté sans aucun risque de se tromper, ce qui est une absurdité manifeste.
Venons à l’autorité, que peut avoir votre Église ; je dis qu’elle ne suffit pas non plus pour donner à votre foi le degré de certitude nécessaire, et qu’elle ne peut vous faire dire : En expliquant l’Écriture comme notre Église luthérienne l’explique, je suis sûr, que ne ne me trompe pas. La raison est que votre Église étant une assemblée d’hommes, vous êtes les premiers à la déclarer incapable d’un don d’infaillibilité, qui lui assure la véritable explication de l’Écriture. Que si vous vouliez vous raviser, et croire avec nous, que ce don peut fort bien convenir à une société humaine en vertu des promesses faites par Jésus-Christ, certainement vous auriez en ce cas grand tort de vouloir en dépouiller l’ancienne église catholique, à qui ces promesses ont été faites, pour en revêtir la société nouvelle formée par les soins de Luther. On vous demanderait en vertu de quoi vous voudriez faire ce transport d’infaillibilité, et comment elle se serait perdue dans la première Église sans pouvoir se perdre dans la seconde.
Souvenez-vous, s’il vous plaît, Monsieur, que votre méthode n’est pas de dire : Je crois l’explication de ce texte infaillibilité bonne, parce que notre Église me la donne pour telle. L’arrangement de votre foi est tout autre, et vous dites : Je crois l’explication de ce texte infailliblement bonne, parce qu’après avoir considéré les paroles en elles-mêmes avec ce qui précède, et ce qui suit, et ce qui est dit ailleurs, je n’ai aucun lieu de douter, que ce soit là le véritable sens. Vous jugez votre Église et tout autre Église sur la doctrine, qu’elles enseignent, et vous ne formez votre jugement, à ce que vous prétendez, qu’après avoir consulté les Livres sacrés, et après avoir examiné, si la doctrine, qu’on vous propose, leur est conforme ou non ; ainsi vous rejetez bien loin cette autorité décisive de l’Église, dont nous faisons usage parmi nous pour nous rassurer dans la soumission, que nous rendons à ses jugements. Il ne sert de rien dit Luther, « de faire tant de bruit en nous opposant éternellement le nom de l’Église, nous jugeons l’Église, les Apôtres et les Anges, et ne tenons compte de ce qu’ils nous disent à moins, que ce qu’ils nous disent ne soit marqué du sceau de celui qui a dit : ite et praedicate Evangelium. Suivant ce plan n’est-t-il pas clair, que vous ne trouverez pas grand appui du côté de votre Église pour affermir votre foi ?
Peut-être compterez-vous davantage sur l’inspiration du Saint esprit, qui viendra à votre secours pour vous indiquer sûrement le sens des textes obscurs et ambigus. J’avoue, que les leçons d’un tel maître, quand il daignera vous instruire par lui-même, vous garantiront parfaitement contre toute erreur ; mais le point sera de distinguer les inspirations du St. Esprit d’avec les vaines conjectures d’un esprit prévenu et entêté, les lumières qui viennent d’en-haut d’avec les fausses lueurs, que vous présentera l’esprit séducteur ; n’y ayant rien de plus fréquent, que les artifices traîtres et trompeurs de l’Ange des ténèbres, qui aime à se transformer en Ange de lumières, comme vous en êtes suffisamment averti par l’apôtre.Vous nous direz peut-être, qu’il faut prier, que Dieu ne manque pas d’éclairer ceux qui cherchent sincèrement la vérité, et qui lui demandent avec ferveur l’éclaircissement de leurs doutes. Mais si Dieu a marqué une autre voie plus sûre et moins sujette à illusion, conviendra-t-il à l’homme d’aller par une autre route ? Mais si Dieu a établi sur la terre un tribunal sacré pour décider infailliblement sur les disputes qui se rencontrent dans l’interprétation de l’Écriture, le particulier sera-t-il en droit d’en ériger un autre, et en tentant Dieu, d’exiger de lui une révélation spéciale ? L’orgueil et la présomption, qui lui feront décliner les jugements du tribunal établi, seront-ce à votre avis de bonnes dispositions pour obtenir sûrement les lumières qu’il se promet ? Compte qui voudra sur la vertu de la prière par rapport à l’effet, dont il s’agit ici, jamais homme de bon sens ne pourra la croire d’une efficacité générale, tant qu’il verra des gens de différents partis prier tous également et persister dans une très grande diversité de sentiments. Le luthérien prie, le calviniste prie, l’anabaptiste prie, tous se croient animés d’un même zèle dans la recherche de la vérité, tous se flattent d’une ardeur égale à bien prier : néanmoins ils restent très opposés entre-eux. Le St Esprit parlerait-il à tous ? Cela ne se peut, ne parle-t-il qu’à un seul, auquel des trois ? Si le luthérien prétend s’arroger l’inspiration du St Esprit préférablement aux autres, étant aussi clairvoyant, que vous l’êtes, Monsieur, vous voyez bien, qu’on lui demandera sur quoi il se fonde, qui ne fasse un titre aussi valable pour ses antagonistes. Vous traitez d’imagination et de rêveries les leçons intérieures du St Esprit, sur lesquelles comptent les disciples de Calvin et de Müntzer, ils en useront de même à votre égard : vous ne voulez pas, qu’on les croie, quand ils se vantent d’avoir le St Esprit pour maître, ils ne voudront pas non plus qu’on vous croie, quand vous vous vanterez d’être ses disciples. Trouvez bon, que nous ne vous croyons ni les uns ni les autres, ou plutôt ne trouvez pas mauvais, que tant que vous serez avec eux dans le même principe, nous vous croyons avec eux dans la même illusion.
Mais non, Monsieur, il faut vous rendre justice, et convenir que la plupart de vos savants ont abandonné depuis longtemps la défense de cet esprit particulier, qu’on prétend amener à force de prières comme un guide infaillible pour se conduire sûrement dans les routes de la foi ; en quoi certes ils ont été beaucoup plus sages et plus sensés, que les sectateurs de Calvin, qui ont peine à renoncer à à ce père du fanatisme et à cette mère de discorde, la plus propre, qui fût jamais à nourrir d’éternelles divisions.
Quelle sera donc enfin votre ressource pour sortir de vos doutes ; et où trouverez-vous de quoi rendre votre foi ferme et inébranlable ; c’est sans doute dans l’Écriture même que vous prétendez trouver le remède à la perplexité. Il faut, dites-vous, quand il se présente quelque passage, qui souffre quelque difficulté, expliquer ce passage, qui est moins clair, par un autre qui soit plus clair, et en assurer par là la véritable explication. Voilà, Monsieur, un débouché, que vous envisagez avec complaisance, et qui vous paraît fort heureux pour sortir des inquiétudes de la foi chancelante ; mais, Monsieur, examinons, s’il vous plaît, si l’usage de cette méthode remédie efficacement aux inconvénients de votre foi, si cette méthode est praticable par le plus grand nombre de vos gens, si ceux même qui auraient quelque disposition à s’en servir, la mettent effectivement en pratique et nous trouverons, qu’il n’est rien de tout cela, et que vous vous flattez d’une idée, qui ne répond ni à votre attente, ni à vos forces, ni à votre pratique. Comme l’expédient que vous fournissez ici, est tout ce que vous croyez avoir de meilleur pour sauver votre religion, que nous attaquons vivement et avec beaucoup d’avantage par cet endroit, je n’omettrai rien pour vous faire voir le faible de votre défense, et si dans la discussion, dans laquelle je vais entrer, vous voulez bien que j’aie plutôt à parler à la droiture de votre cœur, qu’à la subtilité de votre esprit, que je ne connais que trop ingénieux à trouver des défaites, j’espère vous convaincre pleinement, que votre foi n’a pas les qualités de la foi divine, et que pour pouvoir vous sauver vous êtes obligé d’en embrasser une autre, dont les principes soient plus suivis et mieux soutenus, et qui puissent vous rassurer plus parfaitement devant Dieu.
Je dis donc en premier lieu, que la confrontation des passages, qui se fait dans la vue d’expliquer ceux qui sont moins clairs, par d’autres qui soient plus clairs, n’est nullement propre à tranquilliser un homme sage ; car vous voyez bien vous-même, Monsieur, que chaque parti se flatte d’avoir pour soi les textes les plus clairs, et que le partisan de Luther trouvera la plus grande clarté. L’un voudra, qu’on explique par exemple la passage de St Mathieu par le passage de St Luc, comme étant le plus clair, et l’autre voudra au contraire, qu’on explique le passage de St Luc par celui de St Mathieu, comme étant absolument décisif, et quand vous aurez bien écouté ce qu’on vous dira de part et d’autre, votre esprit restera flottant et incertain sur le parti qu’il aura à prendre, et s’il se détermine, ce sera avec tant de danger de prendre les mauvaises raisons pour les bonnes et de préférer la clarté prétendue à la clarté réelle, que vous ne pourrez y trouver la certitude de foi, que nous cherchons. Voyons le fait dans des exemples ; car le détail sera ici merveilleux pour dissiper vos défiances et vous empêcher de craindre, qu’on ne cherche à vous surprendre par des propositions plus éblouissantes que solides.
Vous conviendrez donc sans doute, qu’il n’est guère d’article plus important dans la créance, qui vous est commune avec nous, que la divinité de Jésus-Christ, sa présence réelle dans l’Eucharistie, la validité du baptême des enfants. Que si la confrontation des passages ne suffit pars toute seule pour vous rendre inébranlablement ferme dans la créance de ces trois articles capitaux, vous comprendrez sans peine, qu’il en sera de même à peu près et même à plus forte raison par rapport à tout autre article de moindre conséquence, dont vous disputez avec nous ou avec d’autres. Or, Monsieur, il n’y a qu’à donner un moment d’audience au socinien sur le premier article, au calviniste sur le second, et à l’anabaptiste sur le troisième, pour être obligé de convenir, que la méthode, qui s’occupe à comparer des passages, à les opposer les uns aux autres, et à éclaircir par des lumières empruntées et fournies par d’autres textes, ne peut faire l’effet de la parfaite sécurité.
Écoutez donc, s’il vous plaît, les socinien ou l’arien, qui pour vous prouver, que le Fils est moindre que le Père, vous cite ces paroles de Jésus-Christ, Mon Père est plus grand que moi ; quoi de plus clair, vous dit-il que ces paroles pour prouver l’inégalité du Fils, vous lui contesterez sans doute la clarté prétendue de ce texte, et vous direz, qu’il ne faut pas l’entendre sans restriction, qu’il faut le restreindre à l’humanité de Jésus-Christ, et qu’il y a d’autres passages, qui démontrent la nécessité de cette explication. Mais, Monsieur, si le socinien vous réplique qu’il est clair, que Jésus-Christ en disant, Mon Père est plus grand que moi, a parlé de sa personne, et que par conséquent la personne du Père est plus grande que celle du Fils, et si en même temps il s’appuie de la maxime de Luther, qui ne veut pas que la confrontation des passages ait lieu partout, limitant l’usage, qu’il en faut faire, à la seule rencontre des textes obscures et embarrassés, et prétendant, qu’il serait d’une très mauvais et très dangereuse pratique d’opposer à un texte clair d’autres textes pour l’expliquer ; suivant cette modification du principe général, le Socinien ne sera-t-il pas autant en droit de ses cantonner à l’abri de son passage prétendu très clair, sans vouloir souffrir, que vous en veniez à la confrontation ; que Luther s’est cru en droit d’en user ainsi envers Carlostat, lorsque ce cher des Sacramentaires opposait quantité de textes à ces paroles, Ceci est mon Corps, pour en affaiblir la force et les expliquer selon ses idées ? Car Luther déclara pour lors le cas privilégié, et prétendit, que l’abondance de clarté et de lumière mettait ledit texte au-dessus de la loi générale de la confrontation. Pensez-vous que le Socinien ne sera pas tenté de demander aussi une exception en faveur de son passage, qui lui paraît des plus lumineux ? Et vous, Monsieur, seriez-vous bien sûr dans les principes de Luther, que ce passage en effet ne mérite pas des égards particuliers, qui l’exemptent de la règle commune ?
Mais non, Monsieur, laissons le cours libre à votre méthode, et confrontons tant qu’il vous plaira, quel passage opposerez-vous donc à ce premier passage allégué par le Socinien ? Un de ceux que vous trouverez des plus propres à votre dessein, sera sans doute celui de St Jean trois rendent témoignage dans le Ciel, le Père, le Verbe et le St Esprit, et ces trois ne sont qu’un. Si ces trois ne sont qu’un, direz-vous, les voilà donc parfaitement égaux, rien de plus clair, ni de plus précis à votre compte, que ce texte pour fixer le sens du premier. Mais vous répondra le Socinien ne vous apercevez-vous pas de la double signification de ces mots, et ces trois ne sont qu’un. Vous prétendez entendre d’une unité d’essence, et nous soutenons, qu’il faut les entendre d’une unité morale, qui n’est autre chose qu’une parfaite unanimité, ou union de sentiments et de volontés. C’est ainsi qu’on dit de trois bons amis, qu’ils ne sont qu’un. Il appuiera même cette explication par d’autres passages en apparence très favorables à sa mauvaise cause, comme par celui, qui suit immédiatement : Trois rendent témoignage dans la terre, l’esprit, l’eau et le sang, et ces trois ne sont qu’un, et par celui de l’Évangile de St Jean, où le Sauveur prie pour ses disciples, afin qu’ils soient un, comme lui et son Père sont un. Voyez-vous, vous dira-t-il, de quelle unité il s’agit ici : les trois choses, dont il est parlé ne peuvent être un, que d’une unité de vertu et de signification, et non d’une unité de nature ; et les disciples ne peuvent en aucune façon avoir l’unité d’essence, ils ne sont capables que d’une union très étroite et d’une parfaite intelligence entre eux. Il faut donc, conclura-t-il, dire la même chose de l’unité des trois personnes, et n’en pas reconnaître d’autre, que celle, qui établit un parfait accord entre elles.
Voilà, Monsieur, où aboutira une première confrontation de textes, qui à ce que vous voyez, n’est pas des plus propres à donner à votre foi le degré de certitude, qu’elle doit avoir : Que si vous en tentez une seconde, elle ne vous réussira guère mieux, et il en sera de même d’une troisième : vous ne manquerez pas à la vérité de textes très fors et très pressants pour prouver la divinité de Jésus-Christ ; mais aussi le Socinien ne manquera jamais d’explications, ni de textes très spécieux à y opposer. Le point sera de donner sa juste préférence ou à ceux-ci, ou à ceux-là sans aucun danger de vous tromper.
Vous citerez par exemple plusieurs endroits de l’Écriture, où Jésus-Christ est nommé Dieu, à quoi vous ajouterez ce raisonnement, qui est très bon ; il ne peut y avoir qu’une divinité, Jésus-Christ, est Dieu, il faut donc qu’il ait la même divinité que son Père. Le Socinien répliquera, le Père est nommé dans St Jean chap. XVII 3 le seul vrai Dieu, et il est sûr, qu’il ne peut y en avoir qu’un seul ; à quoi il ajoutera ce raisonnement, qui est très apparent : il n’y a qu’un seul Dieu, c’est Dieu le Père, qui est le seul Dieu, par conséquent le Fils ne peut être véritable Dieu. C’est ainsi qu’il opposera texte à texte, raisonnement à raisonnement pour vous prouver, que le nom de Dieu ne peut convenir au Fils dans sa propre et stricte signification, et qu’il ne lui est donné dans l’Écriture, qu’à cause de la très excellente ressemblance, qu’il a avec son Père, et qui le fait nommer par l’Apôtre l’image du Dieu invisible, d’où il tirera un nouvel argument en faveur de son erreur en disant, que si Jésus-Christ est l’image de Dieu, il n’est donc pas la substance de celui, qu’elle représente. Et pour justifier la signification moins propre et plus étendue, dans laquelle il veut, qu’on prenne le nom de Dieu toutes les fois qu’il est donné à Jésus-Christ, il vous fera voir dans l’Écriture , que ce nom a été donné effectivement à plusieurs créatures. Puis entassant texte sur texte pour enlever à Jésus-Christ la gloire de la divinité suprême, il citera le chap. 20 de St Mathieu, où le Sauveur dit, qu’il n’est pas à lui de donner d’être assis à sa droite ou à sa gauche, que c’est pour ceux à qui son Père l’a destiné, le Chap. 13 de St Marc, où il est dit, que le Fils ignore le jour du jugement et qu’il n’y a que le Père qui le sache, le Chap. 10 de St Jean, où Jésus-Christ reproche aux Juifs leur injustice à vouloir le lapider pour s’être dit Fils de Dieu, alléguant pour sa justification, que la loi appelle des Dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée. Le Chap. 15 de la 1ere aux Corinthiens, où St Paul dit, que Jésus-Christ, après avoir mis toutes choses sous la puissance de son Père, alors le Fils lui sera lui-même sujet : Il citera, dis-je, tous ces textes et une infinité d’autres que je ne rapporte pas, et conclura de cet amas de textes, que Jésus-Christ n’a ni les mêmes connaissances ni le même pouvoir, ni la même bonté, ni la même indépendance, que son Père, et par conséquent, qu’il ne lui est en aucune façon égal.
A Dieu ne plaise, Monsieur, que par tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, je cherche à ébranler, ou à affaiblir le moins du monde votre foi touchant la divinité de Jésus-Christ. Ce serait un effet infiniment éloigné de mes vues : prêt à sacrifier mille vies à la défense de cet article, le plus important de la religion chrétienne, je n’ai ici d’autre dessein, comme vous le voyez assez, que de vous montrer, que le principe de la confrontation ne peut assez affermir votre foi, si vous n’avez soin de l’appuyer en même temps des décisions d’une Église infaillible dans ses explications, et des témoignages d’une tradition constante, qui garantisse le sens, dans lequel vous prenez les textes, soit favorables, soit contraires en apparence à la divinité de Jésus-Christ.
C’est ce qui s’est vu manifestement dans la conférence publique, qui se tint à Waradin l’an 1566 en présence du roi Jean Sigismond, entre les nouveaux Ariens, dont les chefs étaient George Blandrata et François David, et entre les ministres luthériens et calvinistes, dont les principaux étaient Pierre Melvius et Pierre Caroli. Car David ayant d’abord protesté, qu’il ne voulait pour juger de leur différend, que la parole de Dieu toute pure sans mélange de ce que les hommes y ajoutaient de leur invention, il proposa tous les passages, que les premiers Ariens avaient employés contre la divinité de Jésus-Christ, et les fortifia de beaucoup d’autres, qu’il produit de l’un et de l’autre testament, qu’il savait presque entièrement par cœur. Les ministres Luthériens et Calvinistes ne manquèrent pas de dresser une contrebatterie de passages, mais comme ce conflit de passages n’aboutissait à rien, chacun prétendant, que les siens étaient les plus clairs, il fallut que ces derniers se servissent des éclaircissements, que les Pères et les Conciles y avaient donnés pour en faire entendre le véritable sens. Alors le ministre David tirant avantage de leur réponse pour les confondre par eux-mêmes, leur dit, eh quoi donc, Messieurs, vous ne pouvez pas souffrir les Papistes, quand, pour soutenir l’interprétation, qu’ils donnent aux passages, que vous leur opposés, ils produisent l’autorité des Pères et des Conciles, et vous voulez employer contre nous ces mêmes armes, que vous méprisez ? Quittez l’autorité des hommes, que vous opposez vainement à ces passages si formels, ou si vous le suivez, faites-vous Papistes, puisque leurs dogmes, que vous rejetez aussi bien que nous, sont soutenus d’une pareille autorité de Pères et de Conciles . Cette réponse ferma la bouche aux ministres Luthériens et Calvinistes, et eut l’applaudissement du Prince et de toute l’assemblée.
Après cela qui ne serait surpris de voir, que les admirateurs de Luther regardent comme quelque chose de fort extraordinaire la prédiction claire et distincte qu’il fit dès l’an 1527 du renouvellement de l’Arianisme aboli depuis plus de huit siècles, qui ne manqua pas de renaître en effet deux ou trois ans après ladite prédiction, et de faire de grands progrès dans la Pologne et dans la Transylvanie. Luther après avoir sapé les fondements de la religion, et abandonnant l’interprétation de l’Écriture au caprice de chaque particulier, sans avoir aucun égard aux oracles de l’Église et aux bornes salutaires de la tradition, pouvait également prédire les trente-quatre nouvelles religions, qui se sont élevées de son temps,et une infinité d’autres erreurs, qui depuis ont inondé le monde, et sa prophétie n’aurait pas été plus merveilleuse, que celle d’un homme, qui en ôtant la clef d’un voûte prédirait, qu’elle va tomber, ou de celui qui en perçant une digue de Hollande annoncerait une inondation prochaine, qui va couvrir tout le plat pays.
Mais pour revenir à mon sujet et ne pas m’écarter par ces sortes de réflexions, je devrais maintenant faire paraître aussi sur les ranges le Calviniste et l’Anabaptiste armés de passages, l’un contre la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie, l’autre contre la validité du baptême des enfants : j’y trouverais certainement tous les avantages possibles pour vous faire voir d’une manière bien sensible l’inefficacité de la méthode, que vous nous donnez pour être très propre à rassurer pleinement les esprits. Mais en vérité, Monsieur, j’appréhenderais de vous fatiguer par les nombreuses citations, par les répliques qu’on y fait, par les contre-répliques qu’on y oppose, par les éclaircissements qu’on y donne, par les analogies dont on s’appuie, par les nouvelles instances, avec lesquelles on revient à la charge. Nous entrerions dans un labyrinthe, dont il ne serait pas aisé de sortir, et il ne nous resterait que l’embarras et l’incertitude des routes, que nous aurions tenues. Vous savez assez les passages des Calvinistes,et si vous réfléchissez sur la moindre partie de ceux, qu’ils citent contre vous et contre nous, sur celui de St Luc, faites ceci en mémoire de moi, et sur l’usage, qu’ils en font, en disant qu’on ne fait pas mémoire d’une chose présente ; sur celui de St Jean je laisse maintenant le monde et vais à mon Père, d’où ils concluent qu’il ne reste donc pas dans le monde pour se donner à nous dans la cène ; sur celui de St Mathieu tout ce qui entre dans la bouche, descend dans l’estomac, et va ensuite dans le lieu secret, d’où ils insèrent qu’on ne peut dire sans impiété, que le corps de Jésus-Christ, se reçoive par la bouche ; sur cet autre de St Mathieu, si quelqu’un vous dit, le Christ est ici, ou il est là, n’en croyez rien, ce qu’ils prennent pour une défense formelle de croire ce que nous disons de sa présence dans l’Eucharistie ; sur cet autre de St Jean, la chair ne sert de rien, c’est l’esprit qui vivifie, paroles, sur lesquelles ils appuient fortement leur manducation spirituelle, qu’ils disent se faire par la foi sans recevoir la chair de Jésus-Christ par la bouche. Si dis-je, vous voulez réfléchir sur ces sortes de passages, et vous remettre en même temps un très grand nombre d’expressions de l’Écriture, par lesquelles ils prétendent justifier le sens figuré et métaphorique, qu’ils donnent aux paroles de l’institution, en faisant voir, que dans cent endroits la parole est ne signifie autre chose que représente, vous serez obligé de convenir dans le fond de votre âme (car j’en appelle ici à cette droiture, qui vous est si naturelle, et dont vous ne pouvez vous dépouiller, lors même que vous faites la meilleure contenance), vous serez, dis-je obligé de convenir, qu’à s’en tenir à la seule Écriture, et aux règles de votre confrontation, il ne sera pas possible de sortir d’incertitude sur de tels articles, ni de parvenir à une fermeté également sage et inébranlable, qualités si essentielles à la foi divine, et qui la distinguent de ce qui n’est que pure opinion.
Pour ce qui est des Anabaptistes, vous ne pouvez nier, qu’ils n’aient contre vous un avantage, qui donne un poids merveilleux à tous les arguments, qu’ils tirent de l’Écriture contre contre la validité du baptême. Car comme votre doctrine fondamentale est, qu’il ne se fait point de justification que par la seule foi, ils vous réduisent à l’une ces deux choses, ou à dire, quel es enfants ne sont pas justifiés dans le baptême, n’étant pas capables de produire un acte de foi, ou de soutenir, qu’ils produisent un acte de foi, qui opère en eux la justification ; ce qui répugne au bon sens et à la raison, et est démenti par le témoignage des sens ; tout ce qui paraît dans les enfants faisant voir clairement, que leur esprit est enveloppé de ténèbres, et privé de tout usage de raison, et que par conséquent ils sont aussi peu en état de produire un ace de foi, qui est un acte d’entendement, et un assujettissement libre et volontaire de l’esprit aux vérités révélées, qu’ils sont peu en état de jouer du luth, tant qu’ils ont les mains enveloppées dans leurs langes. Que si à un raisonnement si pressant, auquel vous ne pouvez répondre sans renouveler gratuitement et sans preuve en faveur de chaque enfant le miracle, qui se fit en faveur de St Jean, on vient à ajouter les 36 arguments, que les ministres de Transylvanie ont rassemblés pour prouver la nullité du baptême des enfants, et qui se trouvent dans deux livres imprimés en 1567, l’un contre la Trinité, l’autre contre l’Incarnation, à moins que vous ne vous rassuriez par l’usage établi dans vos Églises, par les préjugés de votre éducation, par le mépris que vous faites de la doctrine des Anabaptistes sans l’avoir jamais examinée, tout autant de mauvais garants, sur lesquels vous ne pouvez faire fond, à moins de cela, dis-je, vous n’éviterez pas d’entrer dans des doutes très sérieux sur la bonté de votre baptême : et si nonobstant toutes ces objections si fortes et en si grand nombre, vous ne laissez pas de croire votre baptême bon, votre créance n’atteindra pas du moins à ce degré de fermeté, qui la mette hors du range d’une simple opinion. Quoi, vous dira l’anabaptiste, en baptisant les enfants vous faites une chose, dont vous ne trouverez aucun exemple dans l’Écriture, le Sauveur dit allez, enseignez, et baptisez : et vous baptisez avant d’enseigner renversant l’ordre qu’il a marqué. Il vous déclare que celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. N’est-ce pas pour vous faire remarquer, qu’il exige la foi pour disposition à recevoir le baptême d’une manière profitable au salut. St Pierre vous assure, que le baptême nous sauve, non en nous purifiant des souillures de la chair, mais par le témoignage d’une bonne conscience : vous souvient-il d’aucun témoignage, que votre conscience vous ait rendu au moment, qu’on vous versa de l’eau sur la tête ? Était-elle pour lors en état de vous parler, et vous en état d’entendre son langage ? Mais, Monsieur, je n’ai garde de vouloir ici transcrire les trente-six arguments des ministres transylvains : Où cela nous mènerait-il ? Le peu que j’en ai dit, suffit pour vous faire voir, que l’examen et la discussion de chaque article en rapprochant tous les textes, qui sont pour ou contre , n’est pas une bonne méthode pour calmer les esprits, ni pour rendre la foi inébranlable.
Qu’on nous dise après cela, qu’il suffit de lire l’Écriture sans aucune prévention pour juger sainement et sûrement du sens des passages contestés, le petit détail, que je viens de vous mettre devant les yeux, ne suffit-il pas pour convaincre tout homme raisonnable du contraire ; ces sortes de discours peuvent avoir quelque apparence, tant qu’on s’en tient au général, maisdès que l’on examine les choses de près, et qu’on vient à entrer dans une discussio n exacte de quelque point particulier, tout le spécieux de la belle maxime s’évanouit, et on sent malgré qu’on en ait, qu’il faut quelque chose de plus qu’un esprit libre et dégagé de toutes préventions pour prendre sûrement son parti.
D’ailleurs, Monsieur, qui conviendra de ses préventions qui en sera convenir son adversaire ? Comment s’assurer qu’on n’est pas dans le cas des préjugés ? Comment s’en garantir sûrement ? Par quel endroit rendra-t-on les reproches, qu’on fait aux autres, plus croyables que ceux, auxquels on se trouve exposé ? Comment finir la dispute ? Comment après l’avoir finie s’assurer, qu’on a raison ? Comment appuyer sur un principe, qui induit deux partis opposés à soutenir avec une égale fermeté deux contradictoires ? Dieu aurait-il attaché la sûreté de la foi à la bonne idée, que chacun a de soi-même ? La paix et la tranquillité de la république chrétienne à une règle si fautive et si équivoque ? N’est-ce pas rétablir l’esprit particulier après l’avoir proscrit ? Cet esprit libre et dégagé de tous les préjugés n’en fait-il pas toutes les fonctions ? Ne le dit-on pas également infaillible ? N’est-il pas également partial, quelque profession qu’il fasse de ne l’être pas ? N’est-il pas sujet aux mêmes inconvénients ? Aux même reproches ? Toute la différence qu’il y a entre l’un et l’autre, c’est qu’on fait venir celui-là d’en-haut, et qu’on tire celui-ci du fond de l’homme même . Que n’établit-on la même règle pour juger sûrement du véritable sens des lois civiles ? À quoi bon des juges et des magistrats pour terminer les procès ? Ne suffira-t-il pas de bannir les préjugés pour se rendre justice à soi-même et aux autres ? Le beau plan de politique ! Le beau plan de religion ! Ils sont parfaitement égaux.
Mais on se flatte, me direz-vous dans ses propres affaires, c’est pourquoi il faut d’habiles gens pour ne pas s’y méprendre. Eh ! Monsieur, ne se flatte-ton pas également dans les choses de la religion ? N’a-t-on pas encore plus d’attachement à ses sentiments qu’à ses biens ? Et le sens des oracles divins concernant des choses aussi élevées, que le sont celles de la foi, est-il dans plusieurs endroits moins caché, que le sens des lois concernant les affaires temporelles ? C’est donc pour cela qu’il a fallu, que Dieu établit un tribunal souverain et infaillible, qui arrêtât le cours et les mauvaises fuites des préventions, et qui déclarât sûrement le véritable sens des Écritures, lorsqu’il viendrait à naître sur cela des contestations.
Je crois, Monsieur, vous avoir prouvé clairement, que la méthode de la confrontation ne suffit pas pour faire l’effet, que vous en attendiez. Que si elles ne répond pas à votre attente, en ne vous donnant par la certitude, que vous y cherchiez, elle répond encore moins aux forces de la plupart de vos gens, qu’elle passe assurément de beaucoup.
Car je veux, Monsieur, que vous qui êtes homme d’esprit, et qui avez étudié votre religion avec soin, soyez en état de faire quelque usage de cette méthode, pensez-vous pour cela, qu’elle sera praticable à tout le monde ? Votre cocher, vos censiers, vos laquais, vos servantes et leurs semblables sont-ils fort capables de confronter ? Ferez-vous grand cas du résultat de leurs confrontations ? Et vos ministres, qui suggèrent cette méthode indifféremment à tout le monde sans la restreindre à aucun genre de personnes, eux qui savent les difficultés de la religion, ne se moquent-ils pas dans le fond de leur âme des vains et stupides efforts de la populace ? Vous me direz, que si tel examen est impossible à ces sortes de gens, dès-lors ils en seront dispensés. Mais non, Monsieur, dans vos principes ils ne peuvent en être dispensés, et cela même fait voir évidemment, que vos principes sont mauvais, puisqu’ils vont à établir une absurdité. Car enfin tous les hommes généralement, hommes, femmes, savants, ignorants, grands et petits sont appelés au salut, et il n’y a point d’autre chemin pour y arriver, que celui de la foi ; si donc a voie d’acquérir une foi ferme et prudente est celle de la confrontation, comme vous le dites, il est clair comme le jour, que tous indifféremment seront obligés de confronter. De là, nous concluons, que la confrontation n’est pas la bonne voie, puisque Dieu n’en a pas marqué une, qui soit impossible à la plupart des hommes, et nous disons, que le chemin étant d’y pouvoir conduire tout le monde.
Nous ajoutons, qu’on a tort de rester dans une religion, qui impose à tous une obligation, à laquelle la plus grande partie ne saurait satisfaire, et que l’unique parti, qu’on ait à prendre, est d’embrasser un autre système, où les voies de la foi soient plus aisées et mieux proportionnées aux forces de la multitude, ce qui ne se trouve que dans la religion catholique, où l’on n’exige du peuple que de la docilité, et de la soumission pour écouter dans les cas litigieux les décisions d’une autorité infaillible, chargé du soin d’examiner le fond des difficultés.
Que voulez-vous, Monsieur, que croie chez vous l’artisan, le laboureur, le marcha d,, le soldat et un sexe entier ? Comment prendront-ils sûrement et prudemment leur parti ? Je ne dis plus sur les trois articles, dont il a été parlé ci-dessus, mais aussi sur une infinité d’autres points contestés entre vous et nous, entre vous et je ne sais combien de sectes nouvelles et anciennes ? En croiront-ils leur Église ? Mais ils ne la tiennent pas pour infaillible : s’en tiendront-ils au sentiment de leur pasteur ? Mais ils le croient encore moins à l’abri de l’erreur : entreront-ils dans la recherche longue et laborieuse de chaque point particulier par la voie de la confrontation ? Mais ils n’en sont pas capables, et les habiles gens de votre parti, qui savent de quoi il s’agit, riront de leur présomptueuse simplicité, et pour peu qu’ils les suivent et les côtoient en se rendant témoins de leurs pensées et de leurs raisonnements, ils s’apercevront à tout moment de quelque lourde méprise et ne pourront avoir que de la compassion ou du mépris pour leur imbécillité.Il ne sert de rien de dire, que la foi est un don e Dieu, que Dieu éclaire les simples, c’est-là revenir à l’esprit particulier : il sert encore moins de dire, que le parti de bonnes gens est de croire avec simplicité, que ce n’est point à eux à s’engager si avant, ni à tant raisonner, tel discours serait bon dans une bouche catholique : mais chez vous tout protestant rejetant l’interprétation de l’Église catholique, qu’il accuse d’erreur pour s’attacher à sa persuasion intérieure, ou à l’Écriture expliquée par lui-même, il est évident, que par-là il s’impose l’obligation d’examiner, s’il a raison ou non de préférer son jugement à celui de l’Église. On vous entend dire tous les jours, que vous ne déférez pas à l’autorité de Luther, mais à ses raisons, que vous ne croyez pas telle chose, parce que Luther l’a dite, mais parce qu’il a bien dit ; il est donc juste de lire et d’écouter ce qu’on a dit contre lui, d’éclaircir les faits, qui lui sont contestés, de peser la force de ses raisonnements, et ceux qu’on lui oppose.
Et pour dire en détail à quoi chaque protestant est obligé, dès qu’il s’agit d’éclaircir la vérité d’un dogme (or chez lui il s’en agit toujours) il doit premièrement s’assurer, si le passage, sur lequel il prétend l’appuyer, est tiré d’un livre canonique. En second lieu, s’il est conforme à l’original, 3° S’il n’y a point diverses manières de le lire, qui en affaiblissent la preuve. 4° S’il le prend dans le véritable sens. Car si son passage manque par quelqu’un de ces endroits dès-lors il n’aura point de force et ne pourra plus faire l’appui d’une foi sage et prudente. Or, Monsieur, la nécessité d’en venir à de tels éclaircissements et d’y trouver des sûretés, à quoi ne mènera-t-elle pas notre laïc ignorant ? Et comment pourra-t-il suivre toute l’étendue de ses obligations ? Il faudra premièrement qu’il sache, quels sont les livres canoniques, et quels sont ceux qui ne le sont pas. Mais par où s’en assurera-t-il ? Sera-ce par la persuasion intérieure du St Esprit, qui lui fera discerner les uns des autres ? Ou par le témoignage des auteurs contemporains, qui attestent que tels livres ont pour auteurs ceux dont ils portent le nom, et que l’on sait avoir été inspirés de Dieu si c’est par la première voie, comment se garantira-t-il du fanatisme ? L’esprit particulier ne rentrera-t-il pas dans ses droits pour un fond beaucoup plus considérable, que s’il ne s’agissait que d’explications de passages ? D’ailleurs ce témoignage intérieur prétendu pourra-t-il n’être pas très suspect à tout homme sensé, après avoir parlé si diversement à ceux qui auraient eu la pensée de le prendre pour arbitre car vous n’ignorez pas, que les chefs de votre réforme et les Luthériens d’aujourd’hui ne s’accordent nullement sur le nombre des livres canoniques. Pour ce qui est de la seconde voie, elle adopte visiblement la tradition. Or, Monsieur, serait-ce là pour vous un garant assez sûr ? Vous n’en voulez pas pour tout autre article, comment vous paraîtrait-il recevable pour celui-ci ? Vous prétendez que la tradition est un fondement ruineux, sur lequel non ne peut établir la foi divine, voudriez-vous en faire la base de la créance, que vous donnez aux livres divins ? Mais sans nous arrêter à cette difficulté, qui est insurmontable pour vous, il s’enfuit du moins, que votre jardinier et votre cuisinier seront obligés de s’assurer du témoignage des auteurs contemporains, et de l’examiner par eux-mêmes. Or trouvera-t-on, que tels soins s’accordent avec les soins de manier la bêche ou la broche ? Non, direz-vous, ils doivent s’en fier aux habiles gens, qui par de sérieuses études ont approfondi ces matières, mais à quels habiles gens, Monsieur ? Ce sera sans doute aux ministres de Strasbourg ; mais à quels ministres ? Sera-ce à ceux qui en 1598, effacèrent du Canon des divines Écritures l’épître aux Hébreux, l’épître de St Jacques, celle de St Jude et l’Apocalypse ? Ou à ceux qui en 1670 les rétablirent ? Par où notre bon homme et bien d’autres, qui ne se croient pas des plus idiots, jugeront-ils de la plus grande habileté, ou de la plus grande attention des uns ou des autres ? Par où se détermineront-ils sûrement et prudemment pour prendre parti en faveur des premiers ou des seconds ? Comment se fieront-ils à des gens convaincus de s’être trompés de deux fois l’une, sans pourvoir discerner de quel côté réside la vérité ou le mensonge ? Croirez-vous, Monsieur, satisfaire à ces difficultés, quand vous direz avec le savant professeur de Leyde Simon Episcopius, , que dans la religion comme dans les sciences, il est des premiers principes, qu’on ne prouve pas ? C’est ainsi qu’avec tout l’esprit du monde, et avec beaucoup d’habileté on sait se repaître des plus vaines défaites, quand une fois on s’est livré avec obstination à la défense d’une mauvaise cause.
Mais, Monsieur, accordons une connaissance bien assurée des livres canoniques à tout homme du peuple, aura-t-il pour cela la sûreté requise touchant la conformité du texte vulgaire avec l’original ? Vous voudrez sans doute, qu’il s’en rapporte encore ici au jugement des savants ; oui, cela serait bon, si les savants s’accordaient entre eux à approuver une même version, mais comme ils sont très partagés dans leurs suffrages, les uns blâmant comme très défectueuse celle que d’autres regardent comme très exacte, lui qui ne peut peser le mérite des suffrages, quel moyen lui restera-t-il pour se tirer de ses doutes, si ce n’est d’apprendre à fond le grec et l’hébreu afin d’être en état d’en juger par lui-même ? Le savant Episcopius dont nous venons de parler, n’y trouve point d’inconvénient, il témoigne même désirer, que le peuple aussi bien que les savants s’applique à l’étude de ces langues ; pour vous, Monsieur, que je crois d’un autre goût, comme aussi d’un bien meilleur sens, je ne pense pas, que vous prissiez plaisir à voir des grammaires grecques et hébraïques entre les mains de vos domestiques, et quand bien vous seriez d’humeur à leur laisser tout le loisir pour des études aussi difficiles que celles-là, toujours leur faudrait-il bien du temps et des années avant de se rendre assez habiles pour pouvoir juger des contestations des savants sur la justesse des versions, et pendant tout ce temps que croiraient-ils n’ayant pas encore de texte, sur lequel ils puissent régler leur foi ?
Peut-être direz-vous, que leur texte s’accordant avec celui des adversaires sera assez sûr pour faire le fondement de leur foi ; mais Monsieur, cette réponse les charge du moins de l’obligation de confronter le texte de la Bible luthérienne avec le texte de la Bible catholique, je pourrais ajouter avec toutes les bibles de leurs adversaires. Or Monsieur, j’en appelle à votre sincérité, le font-ils ? Est-ce votre méthode d’y obliger tous ceux qui ne savent ni grec ni hébreu ? Voilà donc tout ce monde sans la sûreté que vous suggérez comme la seule, qui reste à prendre . Mais qu’ils l’aient à la bonne heure et qu’ils la puisent dans la source, que vous indiquez est-ce à votre avis une bonne espèce de sûreté que celle, qui ne se tire que de l’aveu de gens, qu’on suppose engagés dans une infinité d’erreurs ? Du moins conviendrez-vous, que lorsque les textes des deux Bibles seront différents, tout homme, qui n’a pas de connaissance des langues originales ne pourra plus trouver d’issue à son embarras.
Ne traitons pas néanmoins si fort à la rigueur notre ignorant, qui s’est engagé témérairement par les mauvais principes de sa religion dans un examen, dont il ne peut plus sortir, passons- lui les assurances, qu’il doit avoir, et qu’il n’aura jamais, sur tout ce que nous venons de dire : accordons-lui encore un choix sage et éclairé, qui lui fasse distinguer sûrement parmi les variantes la meilleure manière de lire ; le moins que nous puissions exiger de lui, est que pour s’assurer du véritable sens du passage, sur lequel il s’appuie, il sache pour sûr, qu’il n’y a pas d’autre passage, qui l’oblige à le prendre dans un autre sens. Car enfin il serait injuste de vouloir, qu’on s’arrêtât aux passages, qu’on cite en sa faveur, sans considérer ceux que les autres peuvent alléguer. Comme il est facile à toutes les sectes de renfermer leur créance dans certains passages, qui les favorisent en apparence, elles auraient autant de droit que les Luthériens de demander, qu’on ne lût que leurs passages sans s’amuser à ceux qu’on leur objecte. Or si les Ariens, les Nestoriens, les Pélagiens, et généralement les hérétiques faisaient chacun un catalogue des passages, qu’ils croient favorables à leurs sentiments, sans en citer aucun de ceux, qui les détruisent, vos ministres sûrement ne trouveraient pas, qu’il fût de la prudence de s’arrêter à l’un de ces catalogues sans vouloir en lire aucun des autres, et traiteraient de téméraires ceux qui voudraient juger de la foi par un examen si défectueux. Comment donc pourraient-ils prétendre, qu’on en usât ainsi chez eux ? Puisqu’ils n’ont aucun titre pour se faire préférer aux autres ? L’examen de tout passage renferme donc une revue de toute l’Écriture ; pour en comparer les expressions avec ce passage, il faudra donc lire l’Écriture toute entière, ou se la faire lire, si ‘on ne sait pas lire, et cela non pas une seule fois, mais plusieurs fois, et la savoir comme par cœur. Car le moyen qu’on soit toujours assez attentif pendant une première ou seconde lecture ? Or les endroits, où on aura été distrait seront comme s’ils n’avaient pas été lus, le moyen qu’on la retienne assez même par plusieurs lectures pour pouvoir juger du véritable sens d’un passage par la comparaison de tous les différents lieux, qui y ont rapport ? Que si vous voulez, qu’on se contente de voir seulement les lieux, que d’autres auront à ramasser, quel sujet aura-t-on de se tenir assuré de leur exactitude ? Vous voyez, Monsieur, que voilà une mer d’incertitudes, dont il n’est pas possible de chercher à sortir sans s’engager à un travail très fort et très sérieux, dont assurément plus des trois-quarts et demi du monde ne sont pas capables, et plus vous considérerez d’une part les obligations, dont chaque particulier se trouve chargé par le système de votre religion, et de l’autre les bornes étroites de l’esprit humain, et surtout des esprits vulgaires , qui n’ont pas été cultivés par les lettres, et moins vous trouverez de proportion entre les forces d’une infinité de gens, et le fardeau, que tous indifféremment ont entrepris de porter.
Je ne crains pas, Monsieur, après tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, que de certaines façons de parler assez ordinaires chez vous, comme de dire, que l’Écriture est claire, que chacun n’a qu’à la lire avec une disposition saine, et qu’il y trouvera aisément de quoi régler sa foi et ses mœurs, je ne crains pas, dis-je, que de tels discours puissent faire impression sur vous ; car ce serait oublier tout ce qui a été dit jusqu’ici, ou témoigner, que vous n’y avez fait aucune attention. Remettez-vous, s’il vous plaît, les difficultés, qui ont été proposées contre la divinité de Jésus - Christ , sa présence réelle dans l’Eucharistie, et le baptême des enfants, pourrez-vous en consultant la droiture de votre cœur ne pas reconnaître ; qu’elles passent de beaucoup la portée du commun des esprits, et que pour y répondre il faut de l’habileté, de la pénétration et des connaissances beaucoup plus relevées que celles, qu’on peut espérer de trouver dans le peuple.
Or, Monsieur, je n’ai fait choix de ces difficultés, parce qu’elles sont les plus grandes, mais parce qu’elles sont les premières, qui se sont présentées, ou plutôt parce qu’elles regardent des articles, qui sont les mieux établies, et qui paraissent moins sujets à être contestés. Il serait aisé d’en proposer de pareilles et même de plus considérables sur une infinité d’autres sujets, et si je pouvais les exposer toutes à vos yeux, en les réunissant dans un même point de vue, cet amas de difficultés sur tant de différents chefs ne ferait-il pas disparaître la prétendue clarté de l’Écriture ? Du moins ne jugeriez-vous pas, que telle clarté ne peut suffire pour tirer l’homme de métier et la femme de ménage d’embarras, ni les empêcher de vaciller dans la foi, tant qu’il n’y aura pas une autorité parlante, qui les rassure en donnant des éclaircissements, sur lesquels ils puissent sûrement compter. Nous convenons qu’l y a des endroits très clairs dans l’Écriture : mais nous disons en même temps, que comme il y a des passages, qui contiennent clairement certaines vérités, aussi y en a-t-il d’autres, qui paraissent les contenir clairement, et qui ne les contenant pas en effet sont un sujet d’illusion à ceux, qui suivent trop facilement les apparences, qui se présentent d’abord. Rien n’est plus aisé que d’abuser des termes, on appellera clair ce qui ne l’est pas, mais ce qui le paraît. Ne voit-on pas tous les jours des partis opposés, appuyant également sur le principe de la clarté prétendue, citer plusieurs textes, qu’ils donnent hardiment pour tels ? C’est néanmoins pour prouver deux contradictoires : la clarté se trouverait-elle des deux côtés ? Cela ne se peut ; il est donc évident, que c’est l’imagination, qui souvent substitue une fausse apparence de clarté à la clarté réelle et véritable. Or, que le vulgaire soit en état de faire un juste discernement des clartés réelles, et des apparences, de le faire sûrement sans aucun danger de s’y méprendre, et cela constamment sur tous les articles, c’est ce qu’on ne persuadera jamais à qui que ce soit, qui voudra en juger selon les lumières d’un sens droit et équitable.
J’aimerais à vous voir citer quelques exemples de ces passages prétendus si clairs, vous n’omettriez pas sans doute ceux, que vous avez coutume d’employer contre l’invocation des Saints. Invoquez-moi au jour de la tribulation et je vous délivrerai. Ps XLIX 69 15 il n’y a qu’un médiateur de Dieu et des hommes, Jésus - Christ homme. I Tim. II 5 et ces autres contre le purgatoire : De quelque côté que l’arbre tombe, soit qu’il tombe du côté du midi ou du septentrion, il restera, Ecclésiaste XI 3 le sang de Jésus - Christ nous purifie de tout péché I Joa. II 7. Voilà, direz-vous, des expressions qui condamnent très clairement l’invocation des Saints et la prière pour les morts. Mais, Monsieur, permettez-moi de vous demander, comment il s’est fait, que les trois Sts Grégoires, de Naziance, de Nice et de Rome, les deux Sts Cyrilles de Jérusalem et d’Alexandrie, St Athanase, St Basile, St Ambroise, St Augustin, St Jérôme et généralement tous les Pères du troisième, du quatrième et du cinquième siècle, qui tous ont invoqué les saints et prié pour les morts, comme je vous le ferai voir quand il vous plaira pièces sur table, n’aient pas vu cette grande clarté, qui parmi vous saute aux yeux du plus vil artisan ? Direz-vous qu’il ne suffit pas, que ces passages soient clairs en eux-mêmes, qu’ils faut encore que ceux qui les lisent, soient bien disposés ? Mais quelle disposition trouvera-t-on chez le tailleur ou chez le cordonnier, chez le charron, ou chez le maréchal, qui ne se soient trouvées beaucoup plus éminemment dans ces saints et savants docteurs ? Quelle pourrait don être cette prétendue lumière si vive d’une part, et si éclatante au regard de vos gens, et de l’autre part si obscure et si ténébreuse au regard d’une infinité de saints, très versés dans l’étude de l’Écriture sainte, qui ne l’ont jamais aperçue ? Qui ne voit, que toute l’assurance, qu’on cherche à inspirer au peuple sous le beau prétexte de clarté prétendue de l’Écriture, n’est qu’un caprice et une fantaisie sans raison, par laquelle on donne le nom de clair à tout ce qu’on juge à propose de nommer ainsi, et qui souvent doit être expliqué dans un tout autre sens, que celui qu’on prétend y apercevoir du premier coup d’œil.
Qu’on nous cite après cela tant de passages que l’on voudra pour justifier le plan de la clarté prétendue, qu’on fasse donner bien haut celui de St Pierre 2 Epi. Cap. I verset 19 Nous avons la parole des prophètes qui est plus établie, et à laquelle vous faites bien de vous attacher, étant comme une lampe, qui éclaire dans un lieu obscur, jusqu’à ce que l’étoile paraisse, cet que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. Qu’on y ajoute celui du Psaume 118 105. Votre parole est comme un flambeau, dont le brillant éclaire mes démarches, elle est la lumière, qui sert de guide à tous mes pas. Outre que nous serons en droit d’opposer à ces sertes de passages celui de St Pierre, qui dit en termes formels, 2 Ep. III 16, qu’il y a dans les Épîtres de St Paul ainsi que dans les autres Écritures des endroits difficiles à entendre, nous ne craindrons pas de dire, que Mrs vos Ministres abusent desdits passages, comme ils abusent d’une infinité d’autres pour établir leurs erreurs, et que par l’abus, qu’ils font des uns et des autres, ils se chargent du reproche, que leur fait le même apôtre au même endroit, en les désignant sous le nom d’esprits légers et indociles, qui détournent les écritures en un mauvais sens pour leur propre damnation.
En effet, Monsieur, prenez-y garde de près, s’il vous plaît, et vous verrez qu’ils concluent de ces passages tout autre chose que ce qu’ils en devraient conclure. St Pierre au lieu cité par vos gens, dit avoir vu la gloire de Jésus-Christ de ses propres yeux, et avoir entendu de ses propres oreilles la voix, qui sortit de la nuée pour lui rendre témoignage, mais comme s’il eût voulu dire : si vous avez peine à m’en croire sur ma parole, vous avez les prophètes, dont l’autorité ne peut vous être suspecte ; il ajoute, qu’ils font très bien de s’attacher à leurs paroles, qui prouvent si clairement que Jésus-Christ est le véritable Messie, que malgré toutes les difficultés, dont les Juifs obstinés cherchent à les envelopper et à les obscurcir, il n’est pas possible de rester dans le doute, ni de se refuser à l’évidence, qui résulte de l’exacte accomplissement de tout ce qui a été prédit du Messie. D’où il paraît que vos Mrs. Prétendent former ce raisonnement, les prophéties sont très propres à prouver que Jésus-Christ est le véritable Messie, donc l’Écriture est assez claire, pour que chaque homme du peuple soit en état de discuter tous les points de la religion. Je vous laisse à juger, Monsieur, si cette conséquence est juste, et si tel raisonnement mérite d’être opposé aux inductions claires et sensibles, par lesquelles je crois vous avoir démontré l’incapacité du peuple à soutenir l’examen, dont vous le chargez.
Pour ce qui est du passage du psaume 118 vous ne le trouverez pas plus favorable à vos prétentions. Qui doute que dans l’Écriture il n’y ait quantité de préceptes de morale et de belles maximes très « claires et très propres à diriger l’homme dans toutes ses actions ? Qui doute encore qu’on n’y trouve une infinité de connaissances touchant la nature de Dieu, ses perfections, sa providence, ses jugements et l’état de l’autre vie, beaucoup plus nettes et plus distinctes que toutes celles qu’on pourrait tirer des livres des Philosophes ; s’enfuit-il pour cela, que toutes les disputes, qui viennent à s’élever parmi les Chrétiens sur le sens des Écritures et généralement sur tout ce qu’il faut croire, soient décidées dans l’Écriture même, et que tout esprit quelque médiocre qu’il soit, ait assez de lumières pour y voir sûrement à quoi s’en tenir. J’avoue, Monsieur, que nous ne voyons pas assez la liaison de cette conséquence avec le véritable sens du passage cité, il n’y a que la dialectique de vos Messieurs, qui très souvent est des plus extraordinaires, qui la puisse faire apercevoir. Nous sommes donc très éloignés de penser, que l’Écriture n’ait aucune clarté : nous disons même, qu’elle abonde en lumières très vives et très pures, qui y sont répandues de toute part ; mais cela n’empêche pas, qu’elle n’ait aussi ses obscurités, qui bien loin de la décréditer, comme vous le prétendez, ne la rendent que plus respectable. Nous ne trouvons pas que ce soit marquer beaucoup de respect pour la parole divine, que d’en abandonner l’explication au caprice de chaque particulier ; comme ce ne serait pas marquer beaucoup de respect pour les lois civiles, que d’en abandonner l’intelligence au jugement de la plus vile populace. Dieu a parlé comme il lui a plu, et nous ne pouvons que louer sa sagesse d’avoir parlé d’une manière propre à humilier l’orgueil de l’homme, et à la mettre dans la nécessité de la dépendance par le besoin, qu’il a de s’instruire et de chercher des sûretés hors de lui-même. C’est en réservant à un tribunal infaillible la connaissance certaine et indubitable des véritables sens de l’Écriture, que Dieu a précautionné sa parole contre les abus, qu’on peut en faire, et qu’on en fait si souvent.
Tout le monde, dit le bienheureux Vincent de Lérins auteur du cinquième siècle, célèbre pour ses belles et judicieuses remarques sur la religion, « n’explique pas, l’Écriture de la même manière, parce qu’elle est fort élevée, et susceptible de plusieurs sens ; de sorte qu’on pourrait voir presque autant d’explications différentes, qu’il y aurait d’hommes, qui voyudraient se mêler de l’interpréter. Novation l’entend autrement qu ePhotin, Sabellius que Donat, Arius qu’Eunomius, Macedonius qu’Apollinaire, Prinscillien que Jovinien, et enfin Pelage autrement que Céleste et Nestorius. C’est donc pour démêler la vérité parmi un si grand nombre d’interprétations diverses ; qu’il faut que l’Église nous serve de guide par l’intelligence, qu’elle nous donne des prophètes et des apôtres. Car sans cela notre esprit s’égarerait en autant de détours, qu’il se présente d’erreurs, dont nous ne sortirions jamais non plus que d’un labyrinthe.
En voilà bien assez, Monsieur, pour nous purger du reproche, que vous nous faites de n’avoir pas une idée assez avantageuse de l’Écriture. Nous l’avons juste, et telle qu’il convient de l’avoir pour nous en représenter le véritable caractère. Cette sainte parole pour se concilier nos respects n’a que faire des éloges d’une clarté imaginaire et de beaucoup trop générale : nous ne dérogeons pas à son autorité en rendant l’Église juge de ses véritables sens dans les cas litigieux ; car ce n’est pas là soumettre l’Écriture à l’Église, mais soumettre les différentes explications, qu’on en peut donner au jugement de l’Église, et la laisser prononcer, qu’elle est la véritable.
Faut-il encore répondre à ce passage si rebattu par vos gens ? examinez les Écritures parce que c’est par elles, que vous croyez avoir la vie éternelle Joa V 35. Si vous exigez de moi, Monsieur, que j’y réponde, j’aurai l’honneur de vous dire, que quelque apparence de difficulté que puisse avoir ce passage étant déplacé, il n’en a plus aucune, dès qu’il reste dans sa place ; car Jésus-Christ exhorte en cet endroit les Juifs à lire ce que les prophètes ont écrit du Messie, et à voir, si ce qu’ils en ont marqué, ne convient pas très exactement à sa personne. C’est ce que faisaient avec beaucoup de soin les Juifs de Beroé, comme il est dit au chap. XVII verset 2, des actes des apôtres, d’où certainement vos plus habiles dialecticiens ne tireront jamais aucune conclusion, qui puisse donner la moindre atteinte à nos principes.
Que si vous désirez que je réponde encore à cet autre passage de St Paul, Examinez toutes choses, conservez ce qui est bon I Thess. V 21 je dirai qu’il ne s’agit ici que de choses douteuses, et non de celles, qui sont sûrement bonnes ou mauvaises, qui ne peuvent faire a matière d’un examen : Or, ce que l’Église approuve est sûrement bon, et ce qu’elle condamne est sûrement mauvais, et par conséquent ne doit point être sujet à la revue ni à la discussion des particuliers. Et pour ne rien omettre , car si je laissais la moindre chose sans réplique, vous pourriez y trouver du dessein et croire la difficulté omise d’une nature à se faire redouter, je réponds à cet autre usage de St Paul, qu’on nous objecte très souvent, l’homme spirituel juge de toutes choses, et il n’est jugé de personne I Cor. II 15 qu’il est très vrai que l’homme animal et charnel ne peut juger que des choses terrestres et sensibles, et non des choses spirituelles, qui passent de beaucoup son intelligence ; au lieu que l’homme spirituel éclairé des lumières d’en-haut et doué de l’esprit de Dieu, juge des unes et des autres, sans que les jugements puissent devenir l’objet de la censure de ces hommes terrestres et grossiers, qui n’ont point de goût pour tout ce qui est au-dessus des sens ; en quoi certes vous ne trouverez rien, qui soit favorable à votre système : car il ne s’agit là nullement d’un jugement définitif, que chaque particulier soit en droit de porter au mépris de celui de l’Église sur les matières controversées.
La même crainte de me faire soupçonner d’un silence affecté m’oblige à rapporter encore cet autre passage, que vos gens ont très souvent en bouche, lorsqu’on leur parle des obscurités de l’Écriture sainte, et du besoin d’une interprétation sûre et infaillible. Si notre Évangile est encore couvert d’un voile , c’est pour ceux qui périssent, qu’il est encore couvert 2 Cor. IV 3 et à vous prier de remarquer, qu’il ne s’agit là de l’intelligence de chaque passage de l’Évangile sur quelque sujet que ce soit, comme si elle était sûrement accordée à tous ceux qui sont du nombre des Élus ; de sorte qu’il suffise d’être de ce nombre pour ne pouvoir s’y méprendre : mais qu’il s’agit là de la connaissance de Jésus-Christ, qui est si clairement révélée par les merveilles, que l’Évangile en rapporte, qu’à moins d’être aveuglé par quelque passion déréglée, qui écarte de la voie du Ciel, il n’est pas possible de ne le pas connaître pour le véritable Messie, ni de ne pas se rendre aux leçons de ce divin Maître.
C’est ainsi que vos Ministres se jouent de l’Écriture en saisissant un son de paroles, qui leur paraissent favorables, mais qui dans le fond ne disent rien de tout ce qu’ils prétendent y faire remarquer aux peuples enchantés des promesses magnifiques, qu’ils leur sont si souvent de ne leur vouloir enseigner que la pure parole de Dieu ; artifice qu’ils emploient dans le cas présent pour soutenir un paradoxe, qui révolte la raison et le bon sens, et qui se trouve démenti non seulement par l’expérience de tous les siècles, mais aussi par la connaissance, que vos Ministres ont eux-mêmes de la faiblesse de l’esprit humain et des difficultés de la religion ; de sorte que si partout ailleurs l’abus qu’ils font de l’Écriture, se découvre en suivant les traces de la tradition, et en consultant les oracles de l’Église, l’abus qu’ils en font ici, se connaît par voie de sentiment : et ce n’est pas trop de dire, que leur dessein d’en imposer aux peuples paraît ici manifestement à tout homme, qui veut réfléchir, qu’un million de passages, qu’ils emploieraient pour le couvrir, bien loin de le déguiser, ne serait que le mettre dans un plus grand jour.
Mais Monsieur, je ne m’aperçois pas que le désir de répondre à tout, en dévoilant les artifices de vos Ministres, me mène trop loin. Je sens moi-même mes longueurs, combien ai-je plus de sujet de craindre vos ennuis ? C’est pour les prévenir, ou du moins pour vous les rendre plus supportables, que je vais abréger le plus que je pourrai le peu qui me reste à dire. Vous ne trouveriez pas, qu’il fût régulier d’abandonner une partie de la matière, que j’ai entrepris de traiter : et dans la vue que j’ai de vous faire connaître l’insuffisance de votre foi, il m’importe très fort de vous faire remarquer, que chez vous on ne profite pas de l’expédier, que vous avez suggéré comme le seul, qui vous reste pour vous rassurer dans la créance des articles contestés : je veux dire, que chez vous on fait très peu d’usage de la méthode de la confrontation, et que non seulement cette méthode ne fait pas l’effet qu’on s’en promet, non seulement elle passe les forces du plus grand nombre de vos gens, mais que de plus elle n’est point pratiquée par ceux, qui font profession de vouloir s’en servir, et qui auraient des dispositions à pouvoir le faire. Quelques courtes réflexions, que je vous prie de faire sur ce sujet, vont vous en convaincre, du moins me paraissent-elles très propres à cela.
Je vous prie, Monsieur, de faire premièrement attention, que c’est dans les catéchismes que se trouvent marqués les dogmes de la doctrine luthérienne en termes courts et précis ; on a grand soin d’en inculquer tous les points aux jeunes gens dès leur âge le plus tendre, en leur faisant apprendre par cœur les paroles, qui les énoncent clairement. C’est dans l’estime et le respect pour cette doctrine, qu’ils sont nourris, qu’ils grandissent et qu’ils parviennent à l’âge de discernement. Qui ne voit donc, que ce n’est pas par la voie de l’examen et de la discussion, qu’ils se déterminent à embrasser cette doctrine, mais que c’est par l’impression de leurs maîtres et par la déférence, qu’ils ont pour ceux qui leur en disent du bien ? Ils la reçoivent comme indubitable avant d’être en état d’examiner, si elle est vraie, et quand dans la suite ils viennent à l’examiner avec un esprit plus ouvert, ils ne le sont qu’après s’y être affermi par l’habitude et par l’amour, qu’ils ont pour la doctrine de leurs pères, et par conséquent ce n’est plus pour faire choix de sentiment sur les articles contestés, amis uniquement pour soutenir et défendre avec chaleur ceux dans lesquels ils ont été élevés ; d’où il est évident, que le parti agit en cela contre ses propres principes : car la première de vos lois est de ne recevoir aucun point de créance avant d’avoir examiné, s’il est bien établi dans l’Écriture. Or par ce que je viens de dire il est manifeste, qu’on fait recevoir à tous vos gens ce qu’ils doivent croire, avant qu’ils soient capables d’aucun examen. Il n’est donc que trop vrai, que dès les premiers pas vous vous écartez de la méthode, que vous vous étiez proposé de suivre.
Que si vous me dites, que les jeunes gens étant parvenus à un âge plus mûr, ne manquent pas de confronter avec l’Écriture ce qu’on leur a enseigné, de reconnaître la conformité de ce qu’ils ont appris avec cette divine règle, et que par là ils perfectionnent leur foi, je réponds que pour lors ils trouvent dans l’Écriture ce qu’on veut, qu’ils y trouvent, ou ce qu’ils cherchent eux-mêmes à y trouver, et que les idées de leurs Maîtres leur servent de règle pour l’entendre ; ce qui se voit manifestement dans les différents partis, qui usent de votre méthode et de vos principes. Car quelque opposés que soient entre eux ceux de votre communion, les Zwingliens, les Calvinistes, les Anabaptistes, les Piétistes, tous par l’impression, qui leur reste des instructions, qu’ils ont reçues dans leur bas âge, se persuadent voir dans l’Écriture, ce qu’on leur a dit si souvent y être. Cessez donc de mettre des catéchismes entre les mains de vos enfants, cessez même de leur faire donner par des maîtres des impressions, qui les engagent, ou cessez d’exiger, qu’on ne croie qu’après avoir examiné, car votre conduite en ce point ne s’accorde pas avec votre maxime.
Remarquez en second lieu, s’il vous plaît, Monsieur, que chez vous on reçoit les quatre premiers conciles généraux et toutes leurs décisions ; c’est de quoi vous faites une profession publique à la dixième page de votre Rituel de Strasbourg. Or Monsieur, souffrez que je vous demande, si vous connaissez un seul des habitants de cette ville, qui se soit jamais avisé d’entrer en discussion des articles, qui ont été décidés dans ces quatre conciles. En savez-vous quelqu’un qui ait examiné avec soin ce qui s’est dit pour ou contre la consubstantialité du Verbe, pour ou contre la Divinité du St Esprit ; qui par une recherche exacte de ce qui s’est dit de part et d’autre se soit mis en état de juger par lui-même, ce qui s’est dit de part et d’autre se soit mis en état de juger par lui-même , s’il y en a deux ? Avouez, Monsieur, que vous ne connaissez personne de votre rang, qui se soit jamais embarrassé du détail de ces importantes questions ; et que vous-même, tout appliqué que vous avez toujours été à vous bien instruire de votre religion, n’avez point encore pensé à les approfondir ; avec combien plus de raison pouvons-nous répondre de la même tranquillité d’esprit de la part de tous ceux qui vous le cèdent infiniment en lumière et en application ? Sur quoi donc se fonde tout ce monde avec vous, pour recevoir des vérités, qui ont été contestées pendant un temps très considérable par une infinité de gens d’un esprit rare et d’un profond savoir, vérités qui après tous les éclaircissements, qu’on y a donné, souffrent encore aujourd’hui des difficultés capables d’étonner et d’embarrasser les esprit les plus pénétrants. Est-ce sur l’autorité de vos ministres, qui assurent que les décidions de ces conciles n’ont rien que de conforme à l’Écriture ? Mais, Monsieur, ce n’est pas là satisfaire à votre engagement ; vous vous étiez chargé d’examiner le tout par vous-même, comment donc refusez-vous ici les soins d’une discussion, que vous avez jugée nécessaire pour des points de bien moindre importance ? Pourquoi vous en fier à une autorité humaine et fautive, lorsqu’il s’agit de croire avec une fermeté inébranlable des articles capitaux et les plus essentiels à la religion ? Est-ce donc l’autorité des conciles mêmes, qui donne à votre foi ce degré de fermeté, avec laquelle vous faites profession de croire tels articles ? Mais, Monsieur, les conciles généraux ne passent pas chez vous pour être infaillibles : vous prétendez même, que plusieurs ont donné dans des erreurs grossières ; qui vous garantira, que les quatre premiers ne se sont pas trompés ? Dans le temps même, que ces conciles se sont tenus, l’usage universel de l’Église était de prier pour les morts, d’invoquer les Saints, de témoigner beaucoup de respect et de vénération pour les reliques. Si ce sont là des erreurs et des abus, comme vous le soutenez, quelle sûreté trouverez-vous à croire, que l’Église après un déchet de doctrine si considérable ne se soit pas écartée de la vérité en rendant ses jugements ? C’est donc à vous, si vos principes sont bons, à revoir ces jugements, c’est à vous à les examiner avec à peu près autant de soin et d’application, que les conciles mêmes ont pu en apporter pour se mettre yez : en état de les rendre. Mais, Monsieur, c’est ce que vous ne faites pas, c’est ce que vous n’êtes pas en état de faire, quelque habile que vous soyez : on ne voit personne chez vous, qui pense à s’acquitter de la moindre partie de ce devoir. Vous en croyez tous vos ministres sur leur parole, il suffit qu’ils vous disent, que ces conciles n’ont rien décidé, qui ne soit conforme à la parole de Dieu ; en voilà assez pour vous tranquilliser parfaitement et vous épargner la peine de toute recherche. Voilà ce qui m’a fait dire dès le commencement de cet écrit, que vous ne croyez pas comme il faut, même les choses les plus vraies, que vous ne les croyez pas avec fermeté, ou du moins que vous ne les croyez pas avec une fermeté prudente, que vous ne les croyez pas d’une foi divine, mais seulement d’une foi humaine : et pour dire plus précisément, ce qui fait à la partie du sujet que je traite ici, je dois surtout remarquer, qu’en vous appuyant sur le témoignage d’autrui, après vous être chargé du soin d’un éclaircissement personnel, vous abandonnez votre méthode.
Une troisième réflexion, que je vous prie de faire, est que chez vous tout le monde de quelque âge, sexe, condition, capacité, que l’on soit, fait profession d’adhérer à vos livres symboliques, et de croire fermement tout ce qui y est contenu. Or, combien y a-t-il de choses dans ces livres symboliques, que le peuple n’entend pas ? Pensez-vous, qu’il soit fort au fait sur ce qui regarde la grâce, l’usage du libre arbitre, l’économie de la justification, le mérite des bonnes œuvres, la prédestination et d’autres matières théologique dont il est parlé dans la Confession d’Augsbourg,dans l’apologie de la confession, dans le grand et le petit catéchisme de Luther, dans l’abrégé des articles, sur lesquels se sont élevées des contestations parmi les théologiens de la Confession d’Augsbourg, comme aussi dans la déclaration plus ample des mêmes articles ? Faites-en l’expérience, s’il vous plaît, et interrogez le premier artisan, laboureur, vigneron qui se présentera, sur de telles matières : s’il sont gens de bon sens, ils vous avoueront franchement leur ignorance, et s’ils entreprennent de parler sur des sujets si élevés ils donneront dans des écarts, qui vous feront rire, ou qui vous seront pitié. Vous trouverez, que ces sortes de gens non seulement ne sont point en état de prendre leur parti d’eux-mêmes sur de tels articles par la voie de la discussion et de la confrontation, mais même qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit, qu’ils n’entendent pas l’état de la question, et que c’est pour eux un langage auquel ils ne comprennent rien, et qu’il n’est pas possible de leur faire comprendre. Ces bonnes gens néanmoins adoptent les livres symboliques dans toutes leurs parties, ils vouent un attachement inviolable pour toute la doctrine, qui y est renfermée, ils regardent ces livres comme le précis le plus exact, l’extrait le plus fidèle de l’Écriture sainte, sans pouvoir dire pourquoi, et sans être en état de rendre compte de leur sentiment à personne. On trouve à la fin du livre de la concorde, qui n’est qu’un recueil des livres symboliques et de quelques décisions sur les contestations survenues, une liste très ample des villes, états, républiques, qui ont signé et ratifié tout le corps de doctrine, qui y est développé. Les magistrats et les peuples l’ont reçu de concert, ou pour parler plus correctement chaque Magistrat l’a reçu à la persuasion de quelques ministres, qui avaient du crédit, et le peuple a acquiescé aux ordres du magistrat sans entrer en connaissance de cause, et afin que la domination sur la foi des peuples continue à s’exercer avec plus d’empire et d’une manière plus constante et plus uniforme, on y exige de tous ceux qui entrent dans le ministère, du moins dans tout le district de Strasbourg, qu’ils s’engagent par serment à ne se départir jamais en rien dans les instructions, qu’ils feront aux peuples, de la doctrine contenue aux susdits livres.
Reprochez nous après cela notre trop de bonté à nous en tenir aux décisions des conciles sans les examiner. Le plus grand nombre de vos gens n’en usent-ils pas de même malgré qu’ils en aient par rapport au résultat de vos assemblées ecclésiastiques, et comme nous venons de le dire par rapport à une infinité de choses, qui se trouvent dans vos livres symboliques, qu’ils ne comprennent pas assez pour en juger par eux-mêmes ? En quoi néanmoins vous remarquerez, s’il vous plaît, une double différence ; la première, que le Catholique en prenant le parti de la docilité et de la soumission, suit ses principes, qui le soumettent au jugement de l’Église ; au lieu que le protestant, en suivant le jugement d’autrui, abandonne son principe, qui l’oblige indispensablement à la discussion. La seconde est, que le catholique s’appuie sur une autorité, qu’il tient pour infaillible, savoir sur l’autorité de l’Église, qui lui indique sûrement le véritable sens des passages contestés ; et par conséquent se foi est avec la plus grande justice du monde ferme et inébranlable ; au lieu que le protestant dans les cas, que nous avons marqués s’appuie sur une autorité fautive et sujette à caution, n’estimant pas lui-même, que les ministres et docteurs de son parti, soit qu’on les prenne séparément, soit qu’on les regarde en corps, ayant le don d’infaillibilité ; et par conséquent sa foi est nécessairement faible et chancelante, ou si elle est ferme, elle ne peut être que très imprudente.
Je ne puis, Monsieur, me dispenser de vous faire remarquer encore, et c’est la quatrième réflexion, que je vous prie de faire, que vos ministres trouvent mauvais, que vos gens assistent à nos sermons de controverse, qu’ils leur défendent les fréquents entretiens avec les docteurs catholiques habiles, et qu’ils n’aiment pas à voir entre leurs mains de nos livres, qui traitent de la religion. Mais, Monsieur, si chaque particulier est chargé du soin de l’examen et de la confrontation, n’est-ce pas une avance pour vos gens, que de trouver d’abord sous leurs yeux les passages qu’on vous oppose ; serait-ce à votre avis faire la confrontation avec justesse et avec exactitude, si l’on se contentait de donner son attention aux passages, qui vous paraissent favorables, et qu’on la refusât à ceux q ui vous paraissent contraires ? Sied-il à vos ministres de dire : Examinez tout, mais n’écoutez pas vos adversaires, nous accusons l’Église catholique de s’être trompée dans plusieurs chefs, l’accusation et des plus importantes, et du premier abord ne paraît pas fort croyable, vu les promesses de Jésus-Christ, mais nous en apportons de bonnes preuves : On y fait à la vérité quelques répliques et nous voulons bien que vous soyez les arbitres du différent, mais gardez-vous bien de prêter l’oreille aux répliques qu’on nous fait, ni à tout ce qu’on voudra dire pour la justification de l’Église. Tel discours serait-il sensé et pourriez-vous, Monsieur, lui donner votre approbation ? Or c’est là l’équivalent de la conduite de vos ministres, et s’ils ne parlent pas ainsi, leur façon de faire dit exactement la même chose. Qui ne voit donc, qu’en cela même les pasteurs se départent de leurs principes, et que leurs ouailles s’acquittent également mal de leur commission ? Car ne trouvons-nous pas tous les jours de vos gens qui refusent de conférer avec nous, parce qu’ils nous croient plus habiles, qui conviennent de bonne foi, qu’ils n’ont point étudié les matières, dont nous leur parlons, qu’ils ne sont point capables de démêler les difficultés, et qu’ils s’en remettent sur leurs ministres de répondre aux objections embarrassantes, que nous leur faisons ? Ne font(ils pas voir par là même , que ce qui les attache au parti qu’ils suivent, n’est point une conviction de la vérité de leur religion fondée sur un examen raisonnable, mais une confiance téméraire aux lumières de leurs ministres, qui leur fait présumer sans fondement, qu’ils répondraient bien aux raisons, auxquelles ils ne sauraient répondre aux-mêmes ?
Mais Monsieur, pour achever de vous convaincre, que chez vous on ne fait que suivre les caprices de vos ministres sans se mettre en peine d’éclaircir par soi-même les points contestés, il n’y a qu’à faire attention aux différentes formes, que la religion prit à Strasbourg en moins de dix ans, le magistrat et le peuple variant sans cesse au gré des ministres, qui y avaient un crédit dominant, et cela dans le temps même, que la nouvelle maxime de la discussion personnelle était la plus fraîche, et pour ainsi dire le plus à la mode. Nous trouvons un détail de ces variations dans votre rituel même, et on n’en cache pas les auteurs, qui disposaient de la foi du magistrat et du peuple aussi librement à peu près, qu’ils eussent pu disposer de l’un de leurs propres meubles.
En l’an 1523, on faisait déjà profession du luthéranisme à Strasbourg, comme il se voit à la page 13. En l’an 24, Martin Bucer, Wolfgang Capition, comme aussi tous les autres prédicateurs protestants de Strasbour abandonnèrent la doctrine de Luther pour suivre celle de Carlostat, ainsi qu’il est dit à la page 15. En l’an 27, Bucer écrivit une apologie en faveur de Zwingle et d’Occolampade, blâmant très fort l’opinion de Luther page 18, et s’échauffant contre lui jusqu’à dire, quelle moindre novice en théologie répondrait à tous ses arguments p. 19. En l’an 29, Bucer et Hedion se trouvant au colloque de Marbourg en qualité de députés de Strasbour prirent encore ouvertement la parti de Swingle et d’Occolampade contre Luther p. 23. L’an 30, on commença à mollir et à pallier la doctrine calviniste dans une confession particulière, qu’on appela la confession des 4 villes, savoir, Strasbourg, Constance, Memingue et Lindau, confession qui fut présentée à la diète d’Augsbourg, mais qui fut rejetée, p. 25. L’an 31, les députés des quatres viles donnèrent à la diète de Smalkald des explications de leur confession, qui furent agréées sans qu’on agréât pour cela la confession même p. 28. L’an 32, le consistoire et le magistrat de Strasbourg se désistèrent de la confession particulière des 4 villes, et embrassèrent solennellement celle d’Augsbourg comme il est dit à la p. 31.
C’est ainsi que Strasbourg s’est trouvé en fort peu d’années tantôt luthérien de nouveau, et cela par quels ressorts ? Uniquement par les intrigues de Bucer, qui ayant pris un ascendant sur l’esprit de ses confrères, du magistrat et du peuple, les faisait tourner tous au gré de ses vues politiques. C’est ce qui se voit clairement par toute la suite du récit historique, qui se trouve à la tête de votre rituel imprimé et confirmé par autorité du magistrat. Comme si la république de Strasbourg en instruisant si exactement le public de toutes ses variations dans la foi, et des causes qui les ont produites, eût voulu faire à la religion catholique une espèce d’amende honorable sur la la liberté, qu’elle a prise de toucher aux bornes de ses pères, et faire voir à toute la terre et la nécessité de se soumettre à une autorité infaillible pour fixer sa créance, et la nullité du principe, qui en appelle à la confrontation, n’étant pas possible qu’à la vue de ces fréquents changements, qui se sont succédé de si près les uns les autres, on ne s’aperçoive pas aussitôt, que le magistrat et le peuple, au lieu de s’attache aux passages les plus clairs et les plus précis de l’Écriture, comme ils avaient compté de le faire, n’ont fait dans le fond que suivre aveuglément les idées fantasques de leurs docteurs présomptueux, dont l’inconstance ridicule semble avoir vengé suffisamment l’autorité de l’Église méprisée.
Remarquez donc, s’il vous plaît, Monsieur, que les chefs de votre réforme prétendue par une artificieuse manœuvre, qui se continue encore par les ministres d’aujourd’hui, n’ont buté à autre chose qu’à se rendre maîtres de la foi des peuples, en usurpant sur l’Église l’autorité, qu’ils ont osé lui disputer, et que pour y parvenir ils ont employé la même voie, dont se servit autrefois ce fils dénaturé, dont il est parlé au chap XV du 2 livre des rois, qui méditant une révolte contre l’autorité royale et paternelle, ne cessait de dire à tout venant. Il n’y a personne de nommé par le roi pour juger de vos différents, que ne suis-je en place pour les terminer par un jugement prompt et équitable ? C’est ainsi que ces Messieurs ont prétendu, que l’Église n’était point établie de Dieu pour terminer les différents en fait de religion, que c’était à eux à indiquer les véritables sens de l’Écriture, substituant leurs interprétations particulières à celle de l’Église, et débitant aux peuples leurs vaines imaginations sous le beau nom de la pure parole de Dieu. Car si vous remarquez toute la suite de l’intrigue, vous trouverez, Monsieur, qu’ils ont commencé par contester à l’Église sa qualité de juge, disant qu’elle n’était pas infaillible, qu’elle s’était trompée, et qu’on ne pouvait compter sur ses jugements ; qu’en même temps ils ont commis à chaque particulier le soin d’examiner tout, de juger de tout, leur mettant en main la Bible avec de grandes assurances, qu’ils y trouveraient clairement la décision de toutes les difficultés, que les particuliers éblouis par des promesses magnifiques, et épris de l’honneur, qu’on leur faisait de les prendre pour arbitres, se sont portés avec beaucoup d’avidité à la lecture de ladite Bible ; mais qu’ayant trouvé aussitôt une infinité d’endroits, qui leur paraissaient avoir besoin d’éclaircissement, et voyant tous les jours des contestations très âpres naître entre ceux-là même, qui en avaient appelé à la clarté de l’Écriture prétendue, ils se sont vus obligés à demander et à recevoir avec docilité des explications de ceux, qu’ils avaient déjà choisis pour maîtres et pour guides ? D’où il est évident que ne pouvant soutenir la qualité de juges et d’interprètes, dont ils s’étaient chargés trop légèrement aux dépends des droits de l’Église, ils l’ont résignée entre les mains de leurs ministres, et que pensant ne donner leur créance qu’à la pure parole de Dieu, ils ne se sont attachés en effet qu’à de pures opinions humaines.
Me voilà enfin, Monsieur, arrivé où je désirais être, pour conclure contre votre foi, qu’elle est absolument défectueuse, insuffisante pour le salut, manquant ou de fermeté ou de prudence, qualités essentielles à la foi divine ; n’ayant pas de quoi se rassurer, ni du côté de vos lumières particulières, ni du côté de celles de votre ministre, ni de côté de celles, que vous pourriez vous promettre d’en-haut, ni du côté des décision de votre Église ; ne trouvant pas non plus dans l’Écriture de quoi fixer sûrement le sens des passages susceptibles de plusieurs explications ; la voie de la confrontation, qu’on voudrait employer pour cela ne pouvant produire cet effet, étant au-dessus des forces du plus grand nombre, et se trouvant assez généralement négligée dans la pratique.
Que me reste-t-il donc à vous dire après tout cela, Monsieur, si ce n’est de vous prier de méditer cette courte, mais terrible sentence du Sauveur en St Marc ch. XVI 61. Celui qui ne croira ps sera condamné. Or, Monsieur, pouvez-vous vous flatter de croire, tandis que vous ne vous arrêtez qu’à des opinions et à des explications arbitraires de l’Écriture ? Telle foi peut-elle faire de vous un véritable fidèle ? N’est-elle pas plutôt propre à ne faire de vous qu’un philosophe sceptique, en vous donnant lieu de douter de tout, et en vous réduisant au même état, où s’est trouvé il y a peu d’années un des plus beaux esprits de Strasbourg , qui écrivant de Jena centre du luthéranisme à une dame de qualité de ce pays-ci, lui mandait, ici nous croyons le matin d’une façon et l’après-midi d’une autre, variations, qui l’ont porté depuis à chercher une règle de foi capable de fixer les agitations de son esprit, et qu’il n’a pu trouver que dans l’Église catholique. Car ce n’est que dans cette Église que se trouve une règle de foi sûre, infaillible, universelle, proportionnée à la protée de tout le monde. Et quelle est donc cette règle ? J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, Monsieur, c’est la parole de Dieu sûrement et infailliblement bien entendue, c'est-à-dire ; la parole de Dieu entendue et expliquée par l’Église : mais par quelle Église ? Par l’Église établie de Jésus – Christ, continuée par la postérité des premiers fidèles, toujours gouvernée par une fuite des pasteurs légitimes, répandue par toute la terre, visible en tout temps, en un mot par une Église telle, que j’ai eu l’honneur de vous al représenter dans ma première lettre. C’est-là une règle infaillible, parce qu’il ne se peut que l’Église en expliquant la parole de Dieu s’écarte jamais de son véritable sens, étant dirigée par l’esprit de vérité, qui lui a été promis dans les termes du monde les plus clairs, ainsi que vous l’avez déjà vu dans cette première lettre. C’est là une règle universelle, et comme jusqu’au temps de Luther il ne s’est jamais élevé de dispute sur le fait de la religion, qui n’ait été terminée par l’usage qu’on a fait de cette règle, aussi a-t-on droit d’exiger, qu’elle serve également à décider les controverses, qui sont venues à naître depuis le commencement du seizième siècle, et qui pourront naître dans la suite. C’est encore une règle proportionnée à la portée de tout le monde ; car elle est d’une part très propre à calmer les doutes des savants, en leur indiquant clairement parmi plusieurs sens qui se présentent, celui que Dieu a eu en vue, et auquel il faut s’arrêter, et de l’autre très nécessaire pour le repos et la sûreté des ignorants, en les dispensant d’entrer dans une discussion, dont ils ne sont pas capables.
Par cette règle e maintient constamment la paix dans l’Église, j’entends parmi ceux, qui restent soumis à cette règle. Car pour ceux qui l’abandonnent, comme dès lors ils cessent d’être catholiques, il n’est pas surprenant, qu’ils cessent aussi d’être unis de sentiment avec les catholiques. Par la même règle se maintient la subordination nécessaire entre les différentes parties, qui composent l’Église, tous ne devant pas être œil, comme chacun prétend l’être chez vous, mais le corps des pasteurs étant destiné à enseigner, et le peuple à apprendre les vérités de la foi avec docilité et avec soumission ; cette disposition étant la plus convenable au bien du corps de l’Église, et la plus conforme aux sages vues de la providence. En un mot par cette divine règle la foi reste inaltérable dans tous les temps, uniforme dans tous les pays, inébranlable contre toutes les attaques ; et si votre bon sens, Monsieur, ne vous dit pas aussi clairement que l’Évangile, qu’il n’y a point à douter, que l’Église n’explique plus sûrement l’Écriture sainte selon les vues du St esprit, qu’aucun particulier que ce puisse être, je consens à ce que vous n’ayez que du mépris pour la règle de foi des catholiques, et que vous regardiez comme des imbéciles les plus grands génies de l’antiquité, qui n’ont cessé d’avoir recours à cette règle toutes les fois, qu’ils ont eu à combattre les hérétiques ; un St Athanase qui ne pouvait assez s’étonner, que les Ariens eussent la hardiesse de remettre en question des matières décidées dans un concile œcuménique ; un St Ambroise qui disait : Vous tenez pour le parti du Seigneur, si vous tenez pour le parti de l’Église. L’Église est un poste sûr, où votre esprit est à couvert de tout danger de séduction ; un St Augustin qui sur une question à résoudre par l’Écriture, qui ne peut nous tromper, nous indique clairement et sans aucune ambiguïté l’Église qui doit nous instruire. Tous ces grands hommes de concert avec les autres Sts docteurs des premiers siècles ont reconnu que la même Église, qui nous met entre les mains les livres divins, en nous assurant de leur canonicité, nous assure en même temps du véritable sens, dans lequel nous devons les entendre.
Aussi est-ce dans ces principes, que St Augustin toujours des plus efficaces dans sa manière de faire la guerre aux hérétiques, faisait à un habile manichéen nommé Fauste un argument admirable, qui ne se trouve pas moins pressant aujourd’hui contre vous, qu’il l’était pour lors contre ces sortes de gens. Le voici en substance, et vous verrez qu’il n’y a qu eles noms des personnes à y changer. Ou vous voulez, disait-il, que je croie à l’Église catholique, ou vous ne le voulez pas, prenez votre parti : Si vous êtes content, que j’écoute l’Église catholique, retirez-vous ; car cette Église vous a condamné et elle m’ordonne de vous regarder comme des novateurs : Si vous me défendez de l’écouter, retirez-vous encore, et ne produisez plus contre moi aucun texte de l’Évangile, puisque l’autorité de l’Église catholique étant renversée, il n’y a plus pour moi d’Évangile ; Vous voudriez, continue-t-il, que j’obéisse à cette Église, lorsqu’elle m’ordonne de recevoir l’Évangile comme la parole de Dieu : Mais vous ne voulez pas, que je lui obéisse, lorsqu’elle m’ordonne d’expliquer ce même Évangile autrement que vous ne l’expliquez ; c'est-à-dire que vous voulez sans nulle raison que je croie ce qu’il vous plaît, et que je ne croie pas ce qui ne vous plaît pas. Je le comprends, dit ce Père, vous me traitez comme un imbécile en exigeant de moi une soumission si extravagante.
Après un tel argument ne faut-il pas, Monsieur, de deux choses l’une, ou soutenir que St Augustin en parlant ainsi ne savait ce qu’il disait, ce qui ne peut se penser sans extravagance, ou convenir que par cet argument le luthérien ne se trouve pas moins confondu que le manichéen.
Mais, Monsieur, il est temps et plus que temps de penser à finir ; je crois avoir traité toutes les parties du sujet dont je m’étais proposé de vous entretenir. J’ai tâché de vous faire sentir les inconvénients de votre système pour vous faire d’autant mieux remarquer la justesse, les avantages, et la nécessité du nôtre : Je voudrais avoir pu le faire en moins de mots : mais le défit de rendre sensibles des choses assez abstraites d’elles-même m’a rendu diffus sur un article, qui entraîne tout le reste. Il s’agit ici du fond de la religion, il s’agit de la nature et de l’essence de cette foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. Si sur un si grand sujet je vous ai dit des choses inutiles, cela s’appellera véritablement avoir abusé de votre patience : mais si par tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, j’avais pu réussir à vous exposer nettement les voies de la foi humaine, et les voies de la foi divine, je ne pourrais me savoir mauvais gré d’avoir donné quelque étendue à cette matière.
Quoi qu’il en soit, je ne puis me dispenser de répondre encore à deux difficultés, que l’on forme contre notre règle de foi ; car si la crainte de vous fatiguer à l’excès me les faisait supprimer, ce serait avec risque de rendre inutiles toutes les longueurs, que vous avez bien voulu essuyer jusqu’ici.
Voici donc ce qu’on nous objecte : les catholiques, dit-on, ne s’accordent pas entre eux sur leur règle de foi, les uns voulant, que l’Écriture expliquée par le pape soit infailliblement bien expliquée, les autres ne garantissant que les décisions des conciles généraux ; ainsi c’est en vain (ajoute-t-on) qu’on nous promet de si grandes sûretés par le moyen de cette règle, puisqu’on ne trouve pas même de sûreté à l’établir. On nous reproche en second lieu de prouver la divinité de l’Écriture par l’autorité de l’Église, et l’autorité de l’Église par l’Écriture. Quand on vous demande (nous dit-on) d’où vous savez que l’Évangile de St Mathieu est la parole de Dieu, vous répondez que c’est l’Église, qui vous en assure, et quand on demande, d’où vous savez que l’Église est infaillible, vous répondez que c’est l’Évangile de St Mathieu, qui vous en instruit ; ainsi (nous dit-on) vous ne faites que rouler dans un cercle.
Je réponds à la première difficulté, que tous les catholiques s’accordent à reconnaître pour règle de foi la parole de Dieu expliquée par l’Église ; or, l’Église (je parle ici de l’Église enseignante) n’est ni le pape seul, ni le concile sans le pape ; mais c’est le corps des joint à leur chef ; tel corps joint au chef est infaillible. C’est ce que tout catholique se fait un devoir de croire. Pour ce qui est de l’infaillibilité du pape, lorsqu’il parle ex cathedra, c'est-à-dire en qualité de pasteur universel pour instruire toute l’Église après avoir consulté Dieu et dûment examiné les matières, les sentiments des catholiques sont partagés sur cela : mais ceux-là mêmes, qui tiennent pour cette infaillibilité, et qui se fondent sur cette parole du Sauveur à St Pierre, j’ai prié pour vous Pierre, afin que votre foi ne vienne pas à manquer. Ceux-là mêmes dis-je, n’en font pas pour cela un article de foi ; ils ne regardent leur sentiment que comme une opinion, et si Dieu vous fait la grâce, Monsieur, de vous faire catholique, ce que j’espère plus que jamais, il vous sera libre de prendre parti pour ou contre, sans que votre foi puisse en souffrir. Ainsi, Monsieur, vous voyez assez en quoi notre règle de foi consiste, et en quoi elle ne consiste pas, et que c’est mal à propos que sur cela on nous chicane.
Pour ce qui est de la seconde difficulté, je réponds que nous ne prouvons l’infaillibilité de l’Église par l’Écriture, que lorsque nous avons à faire à des gens, qui reçoivent cette même Écriture. Il ne peut être que dans l’ordre de citer à un protestant l’Évangile de St Mathieu, dont il ne doute pas, pour lui prouver que l’Église est infaillible. Mais lorsque nous avons à convaincre des infidèles, des juifs, ou des mahométans, qui n’ont aucune déférence pour nos livres sacrés, nous commençons par leur exposer, ce qu’on appelle les grands motifs de crédibilité, qui caractérisent la religion chrétienne d’une manière à la rendre évidemment préférable à toute autre religion, et quand nous avons tant fait, que de les persuader de la vérité de la religion chrétienne, nous croyons avoir établi en même temps dans leur esprit toute l’autorité, que méritent les 4 évangiles ; vu que tous les chrétiens d’aujourd’hui s’accordent entre eux à regarder ces livres sur le pied de livres dictés par le St Esprit, et que la première leçon du christianisme est de donner pour tels, de sorte que la religion chrétienne ne pourrait nous tromper sur cet article sans cesser d’être la véritable. Or les quatre évangiles, et tout autre livre unanimement reçu par les chrétiens pour livre sacré, étant établis par cette voie, ou par quelque autre que vous aimerez mieux, (car nous ne donnons pas celle-ci pour la seule, qui puisse être employée efficacement, nous sommes dès lors en droit de nous en servir pour prouver l’infaillibilité de l’Église, et nous le faisons avec d’autant plus de succès, que nous appuyons les passages très clairs de l’Évangile que nous citons à cet effet, par le raisonnement suivant, qui vous paraîtra invincible, si vous en considérez toutes les paroles, et la liaison, qu’elles ont entre elles.
La religion chrétienne, disons-nous, exige de nous une foi souverainement ferme et inébranlable sur chaque article de notre créance, jusqu’à être prêt de répandre notre sang pour la défense de chaque article en particulier. Or l’Écriture étant telle qu’elle est, susceptible dans une infinité d’endroits de plusieurs sens, il n’est pas possible que nous croyons de cette foi souverainement ferme et inébranlable, à moins qu’il n’y ait une autorité infaillible, qui nous rassure touchant le véritable sens : donc il faut une autorité infaillible, distinguée de l’Écriture même, pour nous faire croire comme il faut ; or cette autorité infaillible ne peut se trouver que dans l’Église, à laquelle elle a été en effet promise ; donc il faut que l’Église soit très véritablement infaillible. Après quoi, Monsieur, vous n’aurez pas de peine à convenir, que s’il s’élève parmi les Chrétiens des contestations sur la canonicité de quelque livre, ce sera à cette Église infaillible à prononcer , et chaque fidèle à se soumettre à ses décisions.
Je me flatte, Monsieur, que vous serez content de ces deux réponses aussi solides que claires et intelligibles, et je ne vois plus rien après cela, qui puisse affaiblir chez vous l’estime, que mérite si justement notre règle de foi.
Trouvez donc bon, s’il vous plaît Monsieur, que prenant autant de part, que je fais à ce qui concerne votre repos et votre salut, je vous invite la plus fortement qu’il m’est possible à ne pas différer davantage à reconnaître et à embrasser cette divine règle, qui vous tranquillisera parfaitement l’esprit, donnera à votre foi un degré de fermeté, qu’elle n’a point eu jusque-ici, et vous fera vivre d’une vie toute nouvelle, en vous faisant vivre de la vie d’une foi divine et véritablement chrétienne.
Peut-on avoir l’honneur de vous connaître et respecter en vous autant que je le sais vos éminentes qualités, et ne pas se sentir un désir très ardent de vous voir incessamment revêtu de ce précieux don de la foi, sans laquelle toutes les plus belles vertus morales deviennent inutiles pour le ciel ? Dieu vous a comblé d’honneurs et de biens, vous jouissez de la plus belle réputation qui se puisse. Une noblesse distinguée, soutenue, ou plutôt relevée par votre mérite personnel vous attire les considérations de toute la province, chaque honnête homme s’empresse d’être de vos amis, parce qu’on trouve autant d’honneur que de douceur à cultiver votre amitié. Mais, Monsieur, à quoi aboutira tout cela si vous ne marchez pas dans les voies de la vraie foi ? St Augustin ne nous dit-il pas que la foi catholique est préférable à tous les honneurs, à toutes les richesses, et à tout ce qu’il y a de plus grand et de plus estimable dans le monde ? N’est-ce pas là la perle précieuse de l’Évangile pour laquelle il faudrait tout sacrifier s’il en était besoin. ? Mais grâce au ciel , Monsieur, vous vous trouvez dans une situation, où vous n’avez point d’autre sacrifice à faire, que celui de votre esprit, Dieu ne vous demandant autre chose, sinon que vous le soumettiez à l’autorité légitime, qu’il a établie pour votre sûreté et pour votre repos. Balancerez-vous entre les deux partis, dont nous venons d’examiner le maximes, ne voyant d’une part que suffisance, présomption, doute, perplexité, variations, divisions, contraventions perpétuelles aux principes établis, qui sont les suites nécessaires du système de votre religion, et de l’autre une soumission sage, un ordre constant, une uniformité générale, une sûreté parfaite, une tranquillité inaltérable, qui sont les fruits de notre incomparable règle de foi. Craindriez-vous que Dieu ne vous blâmât au jour de son jugement de vous être défié de vos lumières particulières, lorsqu’il s’est agi de vous assurer des véritables sens de l’Écriture, pour déférer à l’autorité la plus grande et la plus respectable qui soit dans le monde, et que Jésus-Christ vous garantit par les promesses les mieux marquées ? S’il arrivait par impossible, qu’en adhérant aux interprétations de l’Église vous vinssiez à vous tromper, votre apologie ne serait-elle pas toute prête ? Mais si la confiance en vos propres lumières vous séduit, quelle défense vous restera-t-il ? Ne vous trouverez-vous pas responsable de tous vos égarements ? Songez, Monsieur, que Dieu ne vous demandera pas moins compte de votre foi que de vos actions, et comment la justifierez-vous cette foi sur tous les chefs, que cet écrit y trouve si justement à redire ? Je connais la bonté de votre esprit, je sens la solide de nos reproches, et faisant attention à l’un et à l’autre il ne m’est pas permis de douter, que vous n’en soyez ému. Fasse le ciel qu’un désir sincère de votre salut vous fasse triompher du respect humain, qui est la seule chose, qui puisse vous empêcher de triompher de l’erreur. Ce sont les vœux que je ne cesserai de faire à l’autel jusqu’à ce que je les voie exaucés. Faites-moi l’honneur de me croire avec une vénération sans égale, et avec un attachement infini.
P.S. Je vous prie, Monsieur, de remarquer, que ceux des vôtres, qui ont recours au système d’une Église visible, pour se ménager une communication avec l’Église pure des premiers temps, auront à répondre au système d’une Église visible, pour se ménager une communication avec l’Église pure des premiers temps, auront à répondre non seulement à tout ce que j’ai dit dans ma première lettre contre l’invisibilité de l’Église, mais aussi à tout ce qui est contenu dans celle-ci. Car si la véritable Église de Jésus - Christ a pu cesser d’être visible, et qu’elle ait en effet disparu pendant plusieurs siècles, il est évident que les fidèles cachés manquant en ce cas d’une autorité visible capable de rassurer leur foi sur les articles contestés, n’auront pas eu d’autre ressource que la confrontation : or, je crois avoir démontré d’une manière à convaincre tout homme sensé, que la voie de la confrontation ne peut donner à la foi le degré de certitude nécessaire, que la multitude est incapable de cette méthode, et que ceux qui se chargent de confronter, ne font rien de moins dans la pratique, que s’acquitter de leur obligation. Voilà donc, Monsieur, votre Église invisible encore une fois sapée par les fondements, et on ne pourra penser à la relever ans se faire un devoir de répondre bien exactement à tout le contenu de cette lettre : mais comment s’y prendre pour le faire avec succès ? Car enfin ou l’on entendra la matière, dont il s’agit, ou l’on ne l’entendra pas : si on l’entend, on sera forcé par l’intelligence même de la chose à reconnaître la vérité de ce qu’on voudra combattre. C’est ici, Monsieur, un sujet digne de toute votre attention ; si personne ne se présente pour répondre à un écrit, qui attaque si directement votre religion dans ses principes, ou si, comme je crois pourvoir me le promettre, il ne paraît de réponse, que de celles qui s’écartent du sujet sans satisfaire au véritable point, de la difficulté, rendez-vous, Monsieur, rendez-vous, et ne restez pas plus longtemps dans une religion, dont les principes sont si défectueux, et où l’on est si peu en état de rendre raison de la foi.
Monsieur,
C’est vous faire un mauvais compliment, que de vous dire engagé dans un parti révolté contre les supérieurs légitimes. Je comprends qu’aimant votre devoir autant que vous le faites, vous ne prendrez nul plaisir à vous voir charger d’un reproche qui vous place parmi des gens, qui s’en sont infiniment écartés. Mais, Monsieur, faut-il vous taire une vérité salutaire, et que je crois des plus propres à faire impression sur vous ? Si vous savez vous faire rendre ce qui vous est dû, vous êtes encore plus attentif à ne manquer à rien de ce qui est dû aux autres. La modération qui vous est naturelle, vous rendant ennemi de toute entreprise violente, je ne puis vous croire disposé à approuver les fougues et les excès d’un esprit outré de dépit, qui a mis tout en œuvre pour bouleverser l’univers en renversant autant qu’il a été en lui, l’ordre que Dieu a établi.
Oui, Monsieur, Luther homme violent s’il en fût jamais, emporté par le chagrin de se voir humilié, a secoué le joug de l’obéissance, qu’il devait aux supérieurs ecclésiastiques, et a entraîné ses adhérents avec lui dans la même révolte : vous y persévérez aujourd’hui, et cette persévérance formera un obstacle infaillible à votre salut, si vous n’avez soin de le lever ; car il est écrit1 : Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous méprise me méprise, Obéissez et soyez soumis à vos pasteurs, qui veillent comme devant rendre compte de vos âmes. Quiconque s’oppose aux puissances soit spirituelles, soit temporelles, s’oppose à l’ordre de Dieu, et ceux qui leur résistent s’attirent la condamnation sur eux-mêmes. Tout autant d’oracles du St Esprit, que vous n’avez garde de contredire. Le point est d’appliquer ces règles salutaires, et de vous faire voir, que vous êtes en effet dans le cas de la désobéissance marquée. Vous ne pourrez en disconvenir, si je réussis à vous prouver, que le pape et l’évêque du diocèse sont vos supérieurs légitimes, et que Dieu vous a soumis à leur conduite. Or, Monsieur, il ne me sera pas difficile de fournir sur cela des preuves très convaincantes capables d’emporter tous vos préjugés quelque forts qu’ils puisent être, pourvu que vous ne vous armiez pas par avance de cet espèce de fermeté, qui se détermine à ne convenir de rien et à se roidir contre l’évidence même. Ce serait une disposition fort éloignée de celle, que je crois pouvoir attendre d’un esprit plein de raison et d’équité, et qui reconnaît sans doute, que le plus grand intérêt de l’homme est de ne pas s’abuser dans la recherche de la vérité, ni de s’écarter de la voie, que Dieu lui a marquée pour arriver au bonheur, qu’il lui prépare.
Je n’oublierai pas toutefois, en vous entretenant du sujet que j’ai à traiter, que c’est une lettre et non un livre que j’écris, et cette pensée sera, que je m’étudierai beaucoup plus à choisir mes preuves, qu’à les multiplier, toutes celles que je pourrais employer, étant en assez grand nombre pour faire la matière d’un juste volume. Et afin de procéder avec ordre et clarté dans un sujet si important, je vous montrerai d'abord que votre désobéissance au pape est un premier obstacle à votre salut, et ensuite que votre salut est également compromis par votre désobéissance à l'évêque du diocèse.
Que le crime de la révolte contre le premier supérieur établi par Jésus-Christ, si réellement Jésus-Christ a établi un premier supérieur, soit un sujet de réprobation éternelle pour celui qui voudrait s'y soustraire, c'est un point que vous admettrez facilement avec moi. Reste donc à prouver que le pape a été placé par Jésus-Christ à la tête de l’Église pour être le premier supérieur de tous les fidèles, et c'est ce que je prétends démontrer: 1° par la possession perpétuelle de ce pouvoir reconnu dans tous les monuments de la tradition, et 2° par l'examen des titres sur lesquels repose la légitimité de ce pouvoir.
Je compte d’abord, Monsieur, que vous ne ferez nulle difficulté de convenir, qu’avant l’éclat, que fit Luther au seizième siècle, en se séparant de l’Église romaine, le pape et les étaient en possession d’exercer leur juridiction, le pape du moins sur toutes les églises chrétiennes de l’Europe, et les chacun sur le troupeau confié à ses soins. Si vous en exceptez une poignée de Vaudois, confinés dans la vallée de Lucerne, et un malheureux reste de Hussites, caché dans le bois de Bohême, tous les royaumes de l’Europe, la France et l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, l’Angleterre et la Hollande, la Pologne et la Hongrie, la Suède et le Danemark reconnaissaient également l’autorité supérieure du souverain pontife dans toute l’étendue de l’Église, et l’autorité de chaque évêque dans son diocèse.
Vous conviendrez en second lieu sans peine, que cette forme du gouvernement de l’Église n’était pas nouvelle ni de fraîche date, mais que de l’aveu même de votre parti elle subsistait du moins depuis huit ou neuf cent ans. Luther1 et ses adhérents fixant l’origine et l’établissement de la papauté au temps de l’empire de Phocas, depuis lequel jusqu’au soulèvement de Luther vous compterez du moins neuf siècles.
Vous avouerez en troisième lieu, qu’on ne revient point contre une possession si longue et si généralement reconnue sans avoir en main des preuves très fortes, par lesquelles on fasse voir bien clairement, que la possession a été usurpée ; la présomption du droit étant pour le possesseur, qu’on ne peut dépouiller qu’après lui avoir démontré la nullité de son titre et l’injustice de sa possession ; Maxime, qui doit avoir d’autant plus lieu dans le cas présent, qu’il n’est pas concevable, comment tant de peuples, de rois, de souverains, de prélats tous naturellement jaloux de leur liberté et de l’indépendance eussent û s’accorder à reconnaître une autorité imaginaire, ni comment ceux qui se sont mis en possession d’exercer une juridiction si étendue, aient pu y réussir, s’ils n’ont été parfaitement fondés en droit ; vu surtout que rien n’eût été plus aisé, que de s’opposer à leur entreprise, et qu’il n’eût fallu pour cela ni armes ni violence, mais un simple refus d’obéir de la part de ceux, qui étaient les plus intéressés à ne pas se donner un supérieur, je veux dire de la part des , qui sûrement ne manquaient ni de lumières pour voir tout ce qui eût pu tendre à les assujettir, ni de sensibilité de cœur pour s’élever contre un joug nouveau, qu’on eût voulu leur imposer.
C’est donc à vous Messieurs les protestants, qui avez trouvé le pape en possession, à faire voir par des preuves claires, solides et palpables, qu’il a usurpé l’autorité, dont il s’est trouvé saisi : or c’est ce que vous n’avez point encore fait, et ce que vous ne ferez jamais. Luther le plus échauffé de tous les adversaires des papes l’a entrepris, mais il y a malheureusement échoué, n’ayant avancé que des faussetés évidentes pour colorer l’accusation qu’il leur intente. C’est ce qui se voit dans le livre qu’il écrivit peu de temps avant sa mort, et qu’il intitula de la papauté établie à Rome par le diable1. Au reste, Monsieur, que ce titre ne vous effraie pas, je puis vous assurer, que c’est de tout le livre l’expression la plus douce et la plus modérée. Il soutient dans ce livre 1° Que St Grégoire a été le dernier évêque de Rome, qui se soit borné au gouvernement de son diocèse, sans penser à s’arroger aucun droit d’inspection sur les autres diocèses de la chrétienté2. 2° Que St Cyprien, St Denis, St Hilaire, St Ambroise, St Jérôme, St Augustin, et généralement tous les pères qui ont précédé St Grégoire ont ignoré ce pouvoir supérieur, qu’on prétend être attaché à la papauté3. 3° Qu’on ne trouve dans les quatre premiers conciles aucun vestige de cette supériorité. 4° Que dans toute l’histoire ecclésiastique avant Boniface III il ne se trouve rien, qui soit favorable à la prétention des papes.
Voilà, Monsieur, 4 propositions, que Luther avance avec une hardiesse , qui ne peut manquer de frapper tous ceux qui ont quelque connaissance de l’antiquité. Mais trouvez bon Monsieur, qu’à ces quatre propositions j’en oppose quatre autres, qui vous feront voir, que nous ne sommes pas prêts à souscrire aux preuves, que Luther emploie pour prouver l’usurpation prétendue des papes.
Je soutiens 1° Que St Grégoire s’est crû revêtu de la même autorité, que nous reconnaissons aujourd’hui dans les papes, et qu’il a en effet étendu les soins de la vigilance pastorale sur toutes les Églises chrétiennes. 2° Que tous les pères que Luther nomme, et un très grand nombre d’autres, qu’il ne nomme pas, et de ceux qui ont vécu dans les premiers siècles de l’Église, ont reconnu un pouvoir supérieur dans les Évêques de Rome. 3° Qu’on trouve dans les quatre premiers conciles la supériorité des papes sur les bien marquée. 4° Que l’histoire ecclésiastique fournit avant Boniface III une infinité de faits qui marquent la possession constante, où les papes ont toujours été d’exercer leur juridiction sur toutes les églises de la chrétienté.
Vous voyez, Monsieur, que nous voilà bien éloignés l’un de l’autre, Luther et moi ; nous employons à la vérité les mêmes moyens, mais c’est pour des usages tout opposés, lui pour prouver l’usurpation, moi pour prouver la constante possession. Vous jugerez s’il vous plaît, qui de nous deux a raison. Quelque favorable que vous deviez être naturellement à celui, dont vous adorez les sentiments pour tout le reste, je ne récuse pas pour cela votre jugement sur les quatre articles en question ; je consens même, que si je ne porte pas mes preuves jusqu’à l’évidence, vous donniez cause gagnée au plus grand ennemi des papes. N’est-ce pas se sentir bien fort, que de laisser choisir le terrain à son adversaire, d’entrer dans les routes qu’il marque à son gré, de l’y suivre pied à pied, et de se voir en main de quoi mettre sûrement de son côté tous les avantages, qu’il se promettait de sa part. Mais venons au fait, et commençons par justifier le pape du reproche, qu’on lui fait d’avoir usurpé son autorité ; après quoi nous remonterons jusqu’à la source, et produirons le véritable titre, qui l’établit chef et pasteur de tous les fidèles ; et quand nous aurons dit tout ce qu’il faudra sur la prééminence de son siège, nous n’oublierons pas d’en dire assez sur le droit des , pour vous convaincre de la double obligation, où vous êtes sous peine de vous perdre éternellement de rentrer dans l’obéissance que vous devez à vos supérieurs légitimes.
Si ma lettre devient un peu longue, vous le pardonnerez au zèle d’un homme, qui ne peut consentir à vous voir hors de la voie du salut, et qui croira toujours n’en pouvoir jamais dire assez jusqu’à ce qu’il ait la consolation de vous y voir entrer. J’abrégerai néanmoins le plus qu’il me sera possible, et sacrifierai bien de bonnes choses à dire à l’envie, que j’ai de ne pas vous ennuyer.
Je dis donc en premier lieu, que Luther s’est fort mécompté en nous donnant St Grégoire pour le dernier évêque de Rome, comme si ce saint pontife eût borné les soins de son gouvernement au diocèse de Rome, et qu’il n’eût pas étendu sa vigilance pastorale sur toutes les églises chrétiennes. Il ne faut, Monsieur, pour vous convaincre du contraire, que parcourir les sommaires de ses épîtres, dont la plupart s’adressent, ou en particulier ou en commun à des de toutes sortes de nations, et qui presque toutes ne contiennent que des avis, ou des instructions, ou des ordres tels, qu’il convient à un supérieur de les donner.
Vous verrez dès la première lettre, qu’il ordonne à tous les évêques de Sicile de tenir tous les ans un concile provincial. Dans la 17ème, qu’il ordonne à tous les évêques d’Italie de réconcilier à l’Église les enfants des Lombards, qui ont été baptisés dans l’hérésie arienne. Dans la 65ème qu’il défend à tous les évêques de Numidie d’ordonner aucun Donatiste. Dans la 15ème du 2 livre, qu’il ordonne à tous les évêques de Dalmatie de rétablir l’archidiacre Honorat déposé par l’évêque Natale. Je ne vous parlerai ni de l’ordre qu’il donne à Démétrius évêque de Naples de recevoir à sa communion les hérétiques, qui témoigneront vouloir rentrer dans le sein de l’Église, fût-ce avec quelque danger d’y être trompé ; ni de l’instruction, qu’il donne à Léandre évêque de Séville sur l’usage d’une seule immersion, qu’il dit devoir être préféré à celui de trois, afin que les Ariens n’en tirent pas avantage ; ni de la commission, dont il charge Léon évêque de l’Isle de Corse, de faire la visite de l’église d’Alerie ; ni de la fermeté avec laquelle il exige de Janvier archevêque de Cagliari en Sardaigne, qu’il ait à réprimer l’orgueil et l’insolence du diacre Libérat ; ni des menaces, qu’il fait à tous les évêques de l’empire de les punir suivant la rigueur des canons, au cas qu’ils viennent à recevoir de l’argent ou des présents pour l’ordination des prêtres ; ni des avis, qu’il donne à Isichius patriarche de Jérusalem de veiller avec plus de soin à la conservation de la paix dans son église. Ces sortes de cas sont si fréquents dans les lettres de St Grégoire que je ne pourrais éviter en les rapportant de vous fatiguer par une multitude de faits semblables, et de même valeur.
Mais ce que je ne puis me dispenser de vous faire remarquer, c’est le ton sur lequel il parle en écrivant à tous les Évêques de France. Il leur déclare, que suivant l’ancienne coutume il a nommé Virgile évêque d’Arles pour être son légat en France, afin que s’il vient à naître quelque différents parmi les Évêques, il puisse les terminer par l’autorité, qu’il a reçue du siège apostolique, et que s’il s’élevait quelque contestation sur la foi, ou sur d’autres choses, dont l’importance demandât une discussion plus exacte, il en fasse son rapport au St Siège, pour en obtenir une sentence définitive. Il leur recommande aussi de ne point entreprendre de voyage, qui les éloigne de leur diocèse sans en avoir auparavant obtenu la permission de son légat, ajoutant que c’est là un règlement fait par ses prédécesseurs, dont ils ne doivent pas se départir.
Je ne puis de même supprimer le serment, qu’il exigea d’un évêque schismatique qui voulait revenir à l’unité de l’Église, et dont il lui prescrivit lui-même la formule. Je évêque de … ayant reconnu le piège du schisme, où j’étais engagé, je suis revenu par la grâce de Dieu et de ma volonté à l’unité du siège apostolique, et afin qu’on ne croie pas, que je ne suis pas revenu sincèrement , je voue sous peine de déposition et d’anathème, et promets à vous et par vous à St Pierre prince des apôtres, et à son vicaire le bienheureux Grégoire, et à ses successeurs, que jamais à la persuasion de qui que ce soit, je ne retournerai au schisme, mais que je demeurerai toujours en l’unité de l’Église catholique, et en la communion du pontife romain.
Or, trouverez-vous Monsieur, en examinant de telles pièces, que St Grégoire ait borné ses soins à gouverner le diocèse de Rome ? Et vous paraîtra-t-il mériter les éloges de Luther sur l’aversion invincible, qu’il lui prête pour toutes les fonctions de la papauté, non pour lui faire honneur de cet esprit humble, qui le porta à s’opposer autant qu’il pût à son élévation au pontificat, mais dans la supposition, que la dignité, qui place l’évêque de Rome au-dessus des autres , est une dignité imaginaire, et le pur ouvrage de l’ambition des homme. Avouez Monsieur, qu’il faut, que Luther n’ait jamais lu les épîtres de St Grégoire pour le dernier évêque de Rome ? Comment se serait-il avisé de le rayer du nombre des papes à la vue de tant de faits, qui démontrent, qu’il en a rempli tous les devoirs de la manière du monde la plus éclatante ? Que si Luther n’a jamais lu les lettres du saint, n’est-il pas honteux à un agresseur tel que lui après environ trente ans de guerre contre les papes , de s’être trouvé si mal instruit sur une matière, qui lui avait occupé l’esprit sans relâche ?
Si vous me permettez, Monsieur, de vous dire naturellement ma pensée, je ne puis m’imaginer autre chose, sinon que Luther aura lu quelque part, peut-être dans le livre de quelque schismatique, dont il aura emprunté l’objection, que St Grégoire ne pût souffrir, que Jean Patriarche de Constantinople prît le titre d’évêque œcuménique, ou d’évêque universel, et que pour lui faire sentir d’autant mieux l’incongruité de ce titre il lui marqua, que ni lui, ni aucun de ses prédécesseur n’avait voulu le recevoir de qui que ce fût, pas même du concile de Calcédoine : d’où Luther a conclu assurément trop légèrement, et par une très mauvaise conséquence, que ni St Grégoire, ni aucun pontife de Rome avant lui n’avait pensé à s’attribuer une juridiction universelle sur tous les Évêques du monde. Car si Luther eût examiné le fait de plus près, et dans la source, il eût vu dans l’endroit même l’exercice de cette juridiction bien marqué, puisque le saint y dit, que Pélage son prédécesseur avait cassé les actes du synode de Constantinople, par lequel Jean s’était fait appeler évêque universel, et que dans une autre lettre à l’empereur Maurice, sur le même sujet il fait remarquer à l’empereur, que St Pierre, quoique Prince des Apôtres et chargé du soin de gouverner toute l’Église, ne s’était pas fait nommer pour cela l’apôtre universel. Ce qui faisait peine à St Grégoire, était premièrement de voir que Jean affectât un titre, qui ne lui convenait en aucune façon, puisque n’étant que patriarche de Constantinople, il ne pouvait avoir de vue ni d’autorité que sur ceux de son patriarcat : en second lieu le nom d’évêque universel lui paraissait un titre odieux, plein de faste, et propre à faire naître la pensée, qu’il n’y avait dans le monde qu’un seul véritable évêque, dont tous les autres n’étaient que les vicaires et les lieutenants. Et c’est parce que ce titre est susceptible de ce sens, que le saint pape tout pape qu’il était, l’a constamment rejeté, comme il le déclare lui-même ; car s’il ne se fût agi que qu’un titre, dont l’unique effet eût été de marque une juridiction universelle, comment St Grégoire eût-il fait difficulté de le recevoir ? Lui qui dit positivement qu’il ne connaît aucun évêque, qui ne se croie soumis au St Siège ; lui qui assure que l’Évêque de Constantinople, tout fier qu’il était de sa résidence dans la capitale de l’empire, ne laissait pas de convenir de sa dépendance du siège de Rome ; lui qui écrivant à Jean patriarche de Constantinople lui déclare qu’il avait renvoyé pleinement absous un prêtre, qui avait été mal condamné à son tribunal ; lui qui nomme le siège apostolique la tête de toutes les églises du monde, et qui répond de la conservation des membres dans un état toujours sain et florissant, tant qu’ils ne se départiront pas du respect et de la soumission, qu’ils doivent au St Siège comme à leur chef.
Il est donc démontré, que Luther s’est trompé, ou a voulu nous tromper en refusant de reconnaître dans St Grégoire l’usage de l’autorité, qui est attachée à la qualité de pasteur commun des fidèles. Que si Luther s’est si lourdement mépris en voulant fixer l’époque de l’usurpation des papes, quel préjugé ne trouvons-nous pas dans une méprise si grossière contre tout ce qu’il a avancé sur le même sujet ? Pouvait-il s’y prendre mieux pour ôter d’abord tout crédit à son accusation, qu’en débutant par une fausseté si manifeste ? Pouvait-il dans une si longue suite des papes si manifeste ? Pouvait-il dans une si longue suite des papes en choisir un pour le dégrader, qui nous fournit plus de preuves propres à lui conserver son rang et sa dignité ? Mais examinons la seconde de ses propositions, nous n’y trouverons pas moins de mécompte et de témérité que dans la première, et nous en tirerons un avantage encore plus considérable pour prouver la possession confiante, où les papes ont toujours été d’exercer leur juridiction sur toutes les églises chrétiennes du monde.
Luther soutient donc en second lieu que St Cyprien, St Denis, St Hilaire, St Ambroise, St Jérôme, St Augustin et généralement tous les pères, qui ont précédé St Grégoire, ont ignoré cette étendue de juridiction, que nous reconnaissons dans les papes ; en quoi Luther mérite que je lui sache quelque gré, de ce qu’il me met sur les voies de la lui prouver invinciblement par les témoins mêmes qu’il adopte.
Commençons par St Cyprien, et continuons par les autres en suivant le même ordre, dans lequel ils viennent d’être nommés. Voici ce que je lis dans la troisième épître de St Cyprien au pape Corneille. (Du reste, Monsieur, vous voulez bien que j’aie l’honneur de vous dire une fois pour tout, que je ne vous cite aucun passage des Sts Pères, que je ne transcrive sur le livre même, que j’ai devant les yeux, et je m’offre à vous faire voir toutes mes citations non seulement dans les livres de notre bibliothèque, mais aussi dans ceux de la bibliothèque de votre université, afin que vous ne croyez pas, que je cherche à tirer avantage d’aucune édition particulière) voici dis-je les paroles de St Cyprien au pape Corneille à qui il se plaint de quelques faux schismatiques et hérétiques d’Afrique, qui étaient allés à Rome pour tâcher d’y surprendre le St Siège par leurs artifices : Ils osent, dit-il, faire voile vers la chaire de St Pierre, et aborder à l’Église principale, qui est la source et le centre de l’unité sacerdotale. Où vous remarquerez s’il vous plaît, Monsieur, 1° que le Siège de Rome est appelé le Siège de St Pierre. 2° que l’Église de Rome est appelée l’Église principale, sans doute du chef qui la gouverne, 3° que cette Église est nommée la source et le centre de l’unité sacerdotale, c'est-à-dire, que tous les Évêques du monde doivent de nécessité être unis de communion avec le successeur de St Pierre. Et dans une autre lettre au même pape, qui est la 8ème du 4ème livre, il nomme l’Église de Rome la mère et la racine de toutes les Églises catholiques, ce qu’il répète dans l’épître à l’évêque Jubajanus, où il se glorifie d’être uni au chef et à la racine de toute l’Église catholique en désignant par là le pape Corneille.
Mais ce St docteur pouvait-il donner une instruction plus solide et plus précise à tout son peuple sur ce sujet, que celle qui se trouve dans sa huitième lettre ? Il n’y a dit-il qu’un Dieu et qu’un Christ, une Église et une chaire fondée sur Pierre par la parole du Seigneur, on ne peut ériger d’autre autel que celui qui est érigé, ni établir d’autre sacerdoce que celui qui est établi : quiconque cueille ailleurs ne fait que répandre et dissiper. Que si ces paroles ne vous paraissent pas assez décisives pour vous faire connaître le véritable sentiment de St Cyprien, pourrez-vous encore douter de ce qu’il a pensé sur ce sujet, quand vous voudrez faire attention au conseil, qu’il donna au pape St Étienne dans sa 13ème épître du 3ème livre ? Envoyez, lui dit-il, vos lettres en Provence et au peuple d’Arles pour excommunier Marcien (Évêque d’Arles) et faire substituer quelqu’un en sa place. Vous paraît-il, Monsieur, qu’on puisse excommunier et déposer une évêque et lui en faire substituer un autre, sans avoir aucun caractère de supériorité sur lui ? Avouez donc s’il vous plaît, que Luther n’a pas été plus exact à lire St Cyprien qu’à lier St Grégoire, ou du moins qu’il en a également mal profité.
Que si vous m’objectez avec Luther1 les paroles que St Cyprien prononça au Concile de Carthage : 2personne de nous autres ne se donne pour être l’Évêque des Évêques, ni n’oblige ses confrères en tyran et à force de menaces d’acquiescer à ses sentiments, puisque chaque Évêque a la liberté d’opiner comme il le juge à propos, et ne peut être jugé de personne, comme il ne peut juger les autres, il est évident que Luther par ce passage a cherché à en imposer aux simples. Car la conjoncture fait voir, qu’il parlait aux Évêques d’Afrique, qui étaient présents au Concile, et que son but était de les exhorter à dire chacun librement son avis sans se laisser gêner par qui que ce fût de l’assemblée. Comment eût-il pu parler du Pape, ou osé lui disputer le droit de juger les Évêques, après avoir reconnu si hautement ce même droit dans l’Épître à St Étienne, comme nous venons de le dire ?
Peut-être croirez-vous trouver dans la conduite que St Cyprien garda depuis envers le même Pape Étienne quelque chose de plus fort, que dans les paroles que Luther vient de citer contre nous. Tous le monde sait la contestation qu’eurent ces deux grands hommes sur le baptême des hérétiques. Vous nous direz sans doute, que St Cyprien ayant persisté dans la coutume, où il était de rebaptiser les hérétiques malgré la décision du Pape qui le défendait, il avait assez fait voir, qu’il ne se croyait pas trop soumis à ses lois.
A cela je réponds que St Cyprien a toujours a toujours regardé cette dispute comme roulant sur un point de pure discipline, ce qui paraît assez par les termes de sa lettre à St Étienne3 : Nous ne faisons violence à personne, nous ne donnons pas de loi, puisque chaque Évêque est maître dans ce qui regarde l’administration de son Église. Or St Cyprien voyant la coutume de rebaptiser les hérétiques autorisée par plusieurs conciles, par ceux d’Icône, de Synnade, de Césarée, et plusieurs autres d’Afrique, il n’est pas surprenant que pensant avoir la pluralité des Évêques pour lui, il ait cru pendant quelque temps pouvoir s’en tenir à l’usage, qu’il avait trouvé établi dans son Église. Que si dans la suite il a porté sa résistance trop loin, et qu’il ait refusé constamment de se rendre à l’avis de St Étienne, ce qui n’est pas Étienne, ce qui n’est pas certain, car St Augustin assure1, qu’on a tout sujet de croire, qu’un aussi grand homme a corrigé son erreur, mais que cela a été supprimé par ceux, qui la défendaient, et qui ne voulaient pas perdre une aussi grande autorité que celle-là. Et Bède dit en termes exprès2 qu’il a mérité d’être ramené au sentiment de l’Église universelle par des hommes spirituels. Si, dis-je, il a porté sa résistance trop loin, il faudra la regarder avec St Augustin3 comme une tache, qui ternit la candeur de cette sainte âme, mais qui fut cachée par les mamelles de la charité, ou qui fut emportée par le glaive, qui donna la mort au St Évêque ; tâche au fond, qui ne prouve en aucune manière, que St Cyprien se soit cru indépendant du St Siège, puisqu’il se trouve tous les jours des cas particuliers où les inférieurs, se croient autorisés à être d’un sentiment contraire à celui du leurs supérieurs, et à garder une conduite différente de la leur, sans prétendre pour cela se soustraire à l’obéissance qui leur est due. Ce qui est sûr, c’est que le sentiment du Pape Étienne s’est trouvé être le sentiment vrai, et a été depuis le sentiment constant de l’Église ; au lieu que celui de St Cyprien était une erreur. Que si ce grand Docteur a erré sur le dogme, quelle merveille, qu’il ait aussi été capable d’une faute de conduite en ne gardant pas dans une affaire si délicate assez exactement les règles de la juste déférence, qu’il devait à son supérieur et à son chef ? Faute néanmoins, qui lui a été d’autant plus pardonnable, qu’elle a toujours été accompagnée d’un zèle ardent pour la conservation de l’union et de la charité malgré la diversité des sentiments.
Venons présentement à St Denis que Luther n’a pas assez désigné pour nous faire connaître, qui est celui, dont il a voulu parler ; je ne puis croire qu’il ait prétendu de St Denis l’Aéropagite, la plupart des savants regardant les livres, qui portent son nom, comme des ouvrages supposés, et cela avec d’autant plus de justice, qu’ils n’ont commencé à paraître qu’au sixième siècle, et qu’ils ont été produits pour la première fois par les Sévériens, qui étaient des hérétiques : reste donc St Denis Évêque d’Alexandrie et St Denis Évêque de Rome, qui sûrement n’ont pas ignoré les droits du Siège de Rome, comme il paraît assez par un fait, dont St Athanase a eu soin de nous instruire. Ce saint nous apprend4 que St Denis d’Alexandrie combattant l’hérésie de Sabellius s’était servi de quelques expressions, qui semblaient favoriser l’erreur opposée, c’est-à-dire le sentiment, qui depuis a fait l’hérésie d’Arius. Plusieurs catholiques d’Alexandrie s’en étant scandalisés, quelques-uns d’entre eux en portèrent leurs plaintes à Rome. Celui qui occupait pour lors le St Siège, et qui portait le même nom que l’Évêque d’Alexandrie, ordonna à l’Évêque accusé de se justifier, ce que celui-ci fit en envoyant au Pape St Denis des écrits, et son apologie ; après quoi l’Évêque d’Alexandrie fut déclaré être d’une doctrine saine et orthodoxe, et ne fut plus inquiété par personne. Vous conviendrez, Monsieur, qu’on ne peut s’empêcher de remarquer dans ce fait l’idée que le peuple d’Alexandrie avait de la supériorité du Siège de Rome, puisqu’il envoya à Rome porter des plaintes contre son Évêque, et qu’on aperçoit également dans la conduite de l’un et de l’autre Évêque, d’une part un aveu bien marqué de dépendance et de subordination, et de l’autre un exercice bien formel d’une autorité supérieure. Mais il n’est pas étrange que Luther ait ignoré ces sortes de fait ; le soin d’écrire des Satyres et des invectives l’occupait plus que le soin de lire les livres des Sts Pères.
Pour
ce qui est de St Hilaire que Luther ose aussi nous opposer, il y a de
quoi faire voir également, que Luther n’a pas tout lu ; qu’il
s’en faut même beaucoup, qu’il en ait lu assez pour mériter la
qualité, qu’il a bien voulu se donner1
de Docteur par excellence, en se disant Docteur supérieur en science
et en habileté à tous les Évêques, Prêtres, Moines, etc. Car
s’il eût lu l’explication du 13. Psaume par ce Père, et son
commentaire sur le seizième chapitre de St Mathieu, il eût trouvé
dans l’un et dans l’autre endroit, que St.Pierre est nommé le
fondement de l’Église, le Dépositaire des clefs du ciel, le Juge
établi de Dieu pour rendre sur la terre des sentences
provisionnelles, qui ne manquent pas d’être ratifiées dans le
ciel. Or si Luther eût vu ces titres magnifiques donnés par St
Hilaire à St Pierre, n’eût-il pas aisément compris, que les
Évêques de Rome, qui sont les Successeurs de Pierre et les
héritiers de son Siège, ont hérité en même temps le pouvoir
exprimé par ces titres ? Et s’il eût encore lu les fragments
de l’ouvrage historique de ce Père, eût-il manqué d’y voir la
lettre du Concile de Sardique au Pape Jules, qui y est insérée
toute entière ? Et où il est dit2 :
Il
sera très bon et très convenable, que les Évêques de quelque
Province qu’ils soient, fassent au Chef, c'est-à-dire au Siège de
Pierre le rapport des difficultés, qui viendront à naître. Que
si Luther eût jamais vu de telles expressions rapportées par St
Hilaire, se serait-il avisé de nous dire comme il a fait, que ce
Saint n’a eu aucune connaissance de la primauté des Évêques de
Rome ? Il faut je vous assure, Monsieur, bien de la modération
pour ne pas s’échauffer contre un adversaire si mal instruit, et
en même temps si hardi à nous débiter tout ce qu’il lui a plu de
s’imaginer. Mais voyons s’il aura mieux réussi à citer contre
nous St Ambroise.
Un seul endroit de ses ouvrage suffira pour
nous faire connaître la juste et véritable idée, que ce Père a
eue de l’Église de Rome. Il rapporte de son frère St Satyre,
qu’ayant échappé à un naufrage par un miracle de la divine
Eucharistie, qu’on lui avait attachée au col, il résolut de se
faire baptiser, et que pour cet effet, il fit venir l’Évêque du
lieu, et lui demanda, s’il
était dans la communion des Évêques Catholiques, c'est-à-dire
dans celle de l’Église de Rome. Ce
qui suppose manifestement, que dans la pensée de ce Père tous les
Évêques Catholiques ont une relation nécessaire à l’Évêque de
Rome, comme à leur Chef.
N’oublions pas St Jérôme, qui eût le 4ème de ceux, que Luther prétend avoir été contraire aux Papes. Il se fonde particulièrement sur l’ épître de ce saint à Euagenus, ou à Evagrius, où il est dit, que tout Évêque, soit qu’il soit à Rome ou à Eugube, à Constantinople ou à Regio, à Alexandrie ou à Tannes, à partout un mérite et un sacerdoce égal. Mais Luther ne devait-il pas faire attention, que le Saint ne parle ici que d’une égalité d’ordre et de caractère, et non d’une égalité de juridiction ? Car St Jérôme pouvait-il ignorer, que la juridiction de l’Évêque d’Alexandrie était beaucoup plus ample que celle de l’Évêque de Tannes ? La première s’étendant sur trois grandes Provinces, et la seconde se bornant à une seule petite ville. La pensée du St Docteur était donc, qu’un Évêque d’un petit lieu comme celui d’un grand est également respectable à raison de son caractère, et que les Diacres, particulièrement ceux de Rome, qui affectaient je ne sais quels airs de grandeur à cause de la garde du trésor de l’Église, qui leur était confiée, devaient se souvenir de leur rang ; et ne pas se comparer aux Évêques, ni s’émanciper en leur présence. Or, Monsieur, je demande si le passage de St Jérôme expliqué en ce sens, qui est le véritable, peut donner la moindre atteinte à l’autorité des Papes, et s’il peut affaiblir tant d’autres passages, où le Saint nous a marqué si clairement sa pensée. Ne dit-il pas dans son livre contre Jovinien1 que quoique l’Église soit également fondée sur les douze Apôtres, Jésus-Christ néanmoins en a choisi un parmi eux pour être Chef, afin de prévenir les dangers du schisme en établissant une autorité propre à réunir ceux, que la diversité des sentiments pourrait diviser. N’apprenons-nous pas par son épître à Ageruchia2 qu’il avait servi de secrétaire au pape Damase, et qu’il s’était trouvé fort occupé à répondre aux consultations des Synodes, qui se tenaient en Orient et en Occident, ce qui démontre assurément la correspondance de toutes les Églises avec le Siège de Rome, qu’on consultait de toute part comme l’oracle. Mais qu’y a-t-il de plus formel que les paroles que nous lisons dans son épître à Damase même ? N’y dit-il pas3, qu’il demande à son Pasteur le secours qui est dû à une de ses ouailles. Et en nommant ainsi le Pape son Pasteur, quoique lui fût prêtre de l’Église d’Antioche, ne fait-il pas voir qu’il le reconnaissait pour être le Pasteur de tous les fidèles ? Il ajoute ensuite je m’attache à Votre Sainteté c'est-à-dire à la Chaire de St Pierre, je sais que l’Église est bâtie sur cette pierre, qu’il faut manger l’Agneau dans cette maison, si l’on ne veut passer pour un profane, et que quiconque ne se retire pas dans cette Arche, périra dans les eaux du déluge…. Je ne sais qui est Vitale, je ne veux pas me joindre à Melece, Paulin m’est inconnu. Quiconque n’amasse pas avec vous, ne fait que répandre, c'est-à-dire, que celui qui n’est point à Jésus-Christ, appartient à l’Antéchrist. Se peut-il que Luther ait ignoré un passage si connu de tout le monde, et qui se trouve cité dans une infinité de livres ? Qui pourrait se le persuader ? Mais si Luther en a eu connaissance, n’est-ce pas en lui la dernière de toutes les imprudences d’avoir voulu autoriser du témoignage de St Jérôme la querelle qu’il a faite aux Papes ? N’eût-il pas été incomparablement plus sage pour lui de supprimer un nom, qui ne peut manquer de rappeler aussitôt l’idée d’une déclaration si authentique faite en faveur du Siège de Rome ?
Trouvera-t-on que Luther ait fait plus sagement de compter St Augustin parmi les témoins de l’usurpation prétendue des Papes ? C’est le dernier de ceux qu’il a osé nommer, mais c’est aussi le plus propre à le couvrir de confusion. Si vous êtes curieux, Monsieur, de voir de vos propres yeux ce que ce Père a pensé sur ce sujet, je vous ferai voir dans son épître à Glorius qui est la 162ème, que le St Docteur dit en termes exprès que dans l’Église de Rome la prééminence du Siège Apostolique s’est toujours fait remarquer par des marques éclatantes d’une plus grande autorité. Dans la 151ème à Optat Qu’il s’est rendu à Césarée avec plusieurs autres Évêques pour obéir au Pape Zafime, dont l’ordre (c’est son expression) leur avait imposé la nécessité de s’assembler. Dans le Chap. 1er du liv. 1er à Boniface vous trouverez ces paroles adressées au Pape : « Nous qui sommes avec vous dans les fonctions de l’Épiscopat, sommes tous chargés du soin de veiller sur le troupeau, qui nous est confié ; mais il faut convenir, que vous êtes dans une place plus élevée. Qui ne sait la manière soumise et respectueuse dont les Évêques assemblés aux Concile de Carthage et de Milève écrivirent au Pape Innocent ? St Augustin rapporte les deux Lettres, on croit même la seconde de sa façon, du moins donne-t-il à l’une et à l’autre son approbation. Il est dit dans la première1 qu’on a soin d’instruire Sa Sainteté de tout, afin qu’Elle emploie l’autorité du siège apostolique, pour confirmer les décisions du Concile. Dans la seconde les Pères de Milève, parmi lesquels était St Augustin, conjurent le Pape de donner en pasteur charitable et vigilant tous les soins pour guérir les membres infirmes, qui sont en danger de se perdre par la contagion de l’hérésie. Le Pape Innocent répond aux premiers, qu’en référant ainsi leur jugement au St siège, ils avaient suivi les exemples de l’ancienne tradition, observé la discipline ecclésiastique, et rendu au St Siège , ce qui lui était dû. Aux seconds qu’ils avaient suivi la coutume de toutes les provinces, qui ne manquent pas d’avoir recours au Siège Apostolique pour puiser dans cette source des éclaircissements à leurs doutes, toutes les fois qu’il vient à naître des difficultés sur la foi. Mais ce qui prouve mieux que toute autre chose la haute idée que le St Docteur avait de la grande autorité du Siège de Rome, ce sont les paroles célèbres qu’il dit à l’occasion de l’erreur de Pélage. On a déjà envoyé sur cette affaire les ailes de deux Conciles au Siège Apostolique, les rescrits sont venus de Rome, la cause est finie, plaise à Dieu que l’erreur finisse aussi. Après cela Luther a-t-il bonne grâce de nous donner St Augustin pour un homme redoutable à l’autorité des Papes ? A-t-il pu se persuader, qu’aucun catholique de son temps n’aurait lu , ni ne lirait les ouvrages de ce Père, ou a -t-il ignoré la facilité, qu’on trouverait en tout temps à relever une fausseté si criante, et débitée avec tant de hardiesse ?
Vous voyez Monsieur, que Luther n’est pas heureux à nommer les Pères, dont il prétend s’appuyer pour prouver l’usurpation des Papes ; vous trouverez qu’il l’est encore moins à nous dire en général2 que tous les Pères, qui ont précédé St Grégoire, ont absolument ignoré la juridiction universelle des Évêques de Rome. Plus Luther donne d’étendue à ses propositions, plus il fait voir l’étendue de son impudence. Car qui ne sait , qu’il se trouve dans les Pères Grecs et Latins, même dans les plus anciens et les plus voisins du temps des Apôtres , les traits les mieux marqués en faveur de la juridiction, que nous reconnaissons dans les Papes ? Certainement, St Léon, St Optat, St Prosper, St Chrysostome, St Épiphane, St Basile, St Irénée ont vécu bien avant St Grégoire. Or pour ne parler que de ceux-là et ne pas accumuler ici des citations à l’infini, y en a-t-il un seul de ceux que je viens de nommer, qui ne fournisse amplement de quoi confondre l’ignorance, ou la malice de Luther.
St Léon nomme Rome3 la tête du monde chrétien,dit, que ce nom lui convient à raison du Siège de St Pierre, que Rome étend plus loin son autorité par les droits sacrés de la religion, que par ceux du gouvernement temporel. St Prosper dit la même chose4 en vers très élégant, qu’il serait difficile de rendre en français avec autant de grâce et de majesté. St Optat prouve contre les Donatistes5, qu’il est dans la vraie Église, parce qu’il est en communion avec le pape Sirice. La première marque de la vraie Église, ajoute-t-il, est de communiquer avec la chaire de St Pierre. Et parce que nous avons cette marque, nous montrons, que nous avons toutes les autres.
Mais venons aux Pères Grecs, dont l’autorité est encore plus décisive sur cet article. St Chrysostome n’eût-il pas recours au Pape Innocent I6 pour le prier de casser tout ce qui s’était fait contre lui dans un synode présidé par Théophile Patriarche d’Alexandrie, et pour lui demander justice contre ses injustes persécuteurs ? St Épiphane ne nous apprend-il pas1 que les deux Ariens Urface et Valens se repentant, ou du moins faisant semblant de se repentir de la conduite qu’ils avaient tenue jusques-là, étaient allés trouver le Pape Jules pour lui rendre compte de leurs sentiments ? St Basile ne nous marque-t-il pas dans sa lettre à St Athanase2, qu’on a jugé à propos de prier l’Évêque de Rome d’interposer son autorité, et d’envoyer des commissaires en Orient pour faire revenir ceux qui s’étaient laissés séduire au Concile de Rimini, et pour annuler tout ce qui s’y était fait par violence.
Mais n’y eut-il que le saint et savant Évêque de Lyon, le grand Irénée instruit et formé par les disciples des Apôtres, le fléau de tous les hérétiques de son temps, son témoignage seul en devait-il pas rendre Luther plus circonspect et plus mesuré dans ses paroles ? Car que peut-on dire de plus favorable à la cause, que nous soutenons, que ce que nous trouvons dans le 3ème livre des hérésies3. Nous confondons dit ce grand Saint, tous les hérétiques par la tradition de la grande et très ancienne Église, qui a été fondée à Rome par les très glorieux Apôtres Pierre et Paul… Car il faut que toutes les Églises s’accordent et soient unies avec celle là à cause de sa plus puissante principauté...C’est dans cette Église que la tradition a toujours été conservée par tous les Fidèles, qui sont dans l’univers.
Remarquez, s’il vous plaît Monsieur, que St Irénée a été disciple de St Policarpe, Évêque de Smirne, qui avait eu St Jean l’Évangéliste pour Maître et par conséquent qu’il a été comme petit-fils des Apôtres : Remarquez en second lieu ces paroles. Il faut que toutes les Églises s’accordent et soient unies avec l’Église de Rome. Ce n’est pas là une chose indifférente, c’en est une nécessaire. Mais pourquoi le faut-il Propter potentiorem principalitatem, à cause de sa plus puissante principauté. Et en quoi consiste cette plus puissante principauté, si ce n’est dans la plus grande autorité du Chef, qui l’a gouverné et qui l’a hérité de St Pierre établi par Jésus – Christ, pour être son Vicaire en terre ?
Dire après cela, qu’il n’y a eu avant St Grégoire aucun Père, qui ait eu connaissance de cette étendue de juridiction, que les Papes s’arrogent sur toutes les Églises chrétiennes, n’est-ce pas déclarer hautement, qu’on a entrepris de se jouer de tous ceux, qui n’ont pas de lecture, qu’on ne craint pas d’indigner tous ceux qui en ont, et que dans le temps même, qu’on paraît armé de toutes pièces pour venir à ce que l’on crie au secours de la vérité opprimée, c’est pour lors qu’on cherche le plus véritablement à satisfaire sa passion et sa vengeance par les mensonges les plus grossiers.
Que vous semble, Monsieur, me flattai-je s’il me paraît, que je me suis passablement acquitté de ma parole ? J’avais promis de porter mes preuves jusqu’à un degré d’évidence, je crois l’avoir fait en réfutant les deux premières propositions de Luther ; voyons si je ne trouverai pas la même facilité à établir ce qui me reste à dire contre la troisième et la quatrième de ses propositions.
Il soutient en 3emè lieu1 qu’on ne trouve dans les quatre premiers Conciles aucun vestige de l’autorité papale, et moi je soutiens, que l’autorité des papes, qui est celle d’être le premier de tous les pasteurs, et d’avoir vue sur tout le troupeau, a été parfaitement reconnue dans les quatre premiers Conciles. Je dirai peu de chose sur cet article pour ne pas trop grossir cet écrit ; mais le peu que je dirai, suffira pour faire voir, que Luther rencontre également mal de quelque côté qu’il se tourne.
Premièrement pour ce qui est du Concile de Nicée ce furent assurément le grand Osius Évêque de Cordoue, et Vitus et Vincentius prêtres de l’Église romaine, qui présidèrent à ce Concile. Il ne faut, Monsieur, pour vous en convaincre que le témoignage de St Athanase même, qui y fut présent, et qui y combattit le plus vivement les adversaires de la divinité de Jésus – Christ. L’historien Socrate nous assure, que dans le livre synodique, que ce grand homme fit à son retour, et où il fait le dénombrement des Évêques selon l’ordre de leur séance, il a trouvé ce qu’il nous en a laissé par écrit, et voici comme il parle. Je cru qu’il était à propos de marquer ici les noms des principaux Évêques, qui assistèrent au Concile comme je les ai pu trouver après une exacte recherche, que j’en ai faite, et les voici, Osius Évêque de Cordoue, Vitus et Vincentius Prêtres, Alexandre d’Egype te , Eustachius de la grande Antioche, Macarius de Jérusalem, Harpocration, cynon, etc. Or, Monsieur, pourquoi un simple Évêque et deux prêtres occuperaient-ils la première place, et seraient-ils à la tête des Patriarches, qui sont ici nommés selon leur ordre, s’ils ne présidaient au Concile ? Et comment pourraient-ils y présider et précéder les Patriarches, s’ils n’y étaient en qualité de Légats du St Siège ? C’est ce que Gelase Prêtre de Cizique, auteur, qui vivait il y a plus de douze cent ans, nous a marqué en termes formels dans un extrait, qu’il nous a laissé du Concile ? Le très célèbre Osius, dit-il, y était tenant la place de Sylvestre Évêque de la très grande Rome avec les Prêtres Vitus et Vincentius. Photius même le plus grand ennemi que l’Église romaine ait eu en Orient, allègue cet auteur, qui dit, que tous trois assistèrent au Concile de la part de Sylvestre, et tous trois y tenaient la première place comme nous avons vu, et comme il paraît par les souscriptions au Concile. Pourriez-vous douter après cela, qu’on n’ait eu dans ce Concile pour le Pape tous les égards que méritait sa dignité ?
Mais ce qui fait encore mieux voir la considération, que les Pères y eurent pour le St Siège, c’est qu’ils ordonnèrent, comme le rapporte l’Évêque Atticus chez le P. Sirmond, que dans la composition des lettres formées, qui étaient comme le sceau de la Communion catholique, après avoir marqué la première lettre de chacune des personnes de la Trinité, on marquât aussi la première du nom de St pierre pour servir de témoignage, qu’on était dans la Communion du St Siège centre de l’unité, sans quoi on ne devait être reçu dans aucune Église. Je n’en dirai pas d’avantage sur ce Concile ; s’il vous reste quelque difficulté, et que vous vouliez bien m’en faire part, j’espère vous satisfaire pleinement. Venons à celui de Constantinople, qui est le second Concile général.
Je conviens que le Pape Damase n’y envoya pas ses Légats, parce qu’ayant convoqué à Rome un Concile, il y voulait faire venir les Pères de Constantinople après leur assemblée, afin d’en faire en sa présence une plus générale, où tous les Évêque d’Orient et d’Occident se trouvaient réunis dans Rome sous leur chef. En effet le grand Théodose ayant reçu sur cela les lettres de Damase, convoqua une seconde fois tous les Évêques à Constantinople, et leur exposa l’ordre du Pape, qui les appelait à Rome pour y célébrer ce Concile, qui serait universel par la présence des Évêques des deux Empires : Mais ceux-ci voyant, qu’ils ne pourraient abandonner si longtemps leurs Églises sans les laisser dans un extrême danger de se perdre parmi tant d’hérétiques, qui faisaient d’étranges désordres, envoyèrent à Rome trois des leurs avec des lettres synodales, qui contenaient leurs excuses, et les actes de leur Concile, que le pape très satisfait de leur conduite confirma pour ce qui regarde les dogmes de la foi. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces lettres, et ce qui fait le plus à notre sujet, c’est qu’ils disent au Pape qu’ayant assemblé un Concile à Rome par la volonté de dieu, il les y appelle comme les propres membres, et qu’ils seraient ravis d’avoir des ailes de colombe pour aller plus vite vers lui, et pour se reposer dans son sein, s’ils pouvaient quitter leurs Églises dans un temps si dangereux. Le Pape leur répondit1, qu’en rendant, comme ils avaient fait au Siège apostolique, le respect, qui lui est dû, ils avaient fait une chose, qui leur était très avantageuse à eux-mêmes. Vous voyez donc encore ici, Monsieur, l’autorité du chef très bien reconnue par le Concile de Constantinople.
Pour ce qui est du Concile d’Éphèse, qui pourrait nous contester,que St Cyrille Patriarche d’Alexandrie n’y ait présidé de la part du Pape Célestin, puisqu’il est dit nettement au commencement de la seconde action du Concile, que ce St Patriarche y étant à la tête de tous les autres y représentait St Célestin, dont il prenait la place. Le Pape ne laissa pas d’y envoyer trois Légats Arcadius et Projectus Évêques, et Philippe prêtre de l’Église romaine, pour déclarer au Concile la sentence de déposition, qui avait déjà été portée à Rome contre Nestorius, et pour la faire exécuter : Mais ces Légats ayant été arrêtés par les mauvais temps, et par les vents contraires, n’arriveront à Éphèse qu’après la condamnation de cet impie. On leur rendit néanmoins compte de tout ce qui s’était passé. Ils remirent la lettre du Pape au Concile en faisant remarquer aux Pères assemblés le soin, que le Pape prenait de toutes les Églises, et après que la lecture en eût été faite, tous les s’écrièrent d’une voix : Ce jugement est juste, le Synode rend grâces à Célestin le conservateur de la foi, il n’y a qu’un Cyrille, il n’y a qu’une foi du Concile, une foi de toute la terre. L’un des Légats remercia le Concile de ce que de si saints membres s’étaient unis par de si saintes acclamations à leur saint Chef. Après quoi il ajouta qu’ils n’ignoraient pas que St Pierre, dont Célestin était Successeur ne fut le Prince et le Chef des Apôtres, la Colonne de la foi, et le fondement de l’Église. Ce n’est pas tout, le Concile écrivit au Pape une lettre synodale, qui contenait une relation exacte de tout ce qui s’y était fait, et lui réserva le jugement de la cause de Jean d’Antioche, qui avait tenu un Conciliabule contre St Cyrille en faveur de Nestorius. Peut-on reconnaître plus hautement l’autorité du St Siège ? Et trouverez-vous, que le Concile de Trente ait plus déféré à Paul, à Jules et à Pie, que celui d’Éphèse n’a fait à Célestin.
Il ne me reste plus pour achever de confondre Luther qu’à justifier les mêmes dispositions du Concile de Calcédoine envers l’Évêque de Rome. Or qu’y a-t-il de plus aisé ? Car qui ne sait que le Pape St Léon y envoya ses Légats, dont Paschasinus Évêque de Lylibée sur le Chef, pour y présider en sa place, comme il l’écrivit à l’Empereur et au Concile ? Dès la première action les Légats du Pape s’écrièrent qu’il n’était pas juste, que Dioscore, qu’on accusait de tant de crimes, et qui avait osé tenir un Concile sans l’autorité du St Siège, ce que personne n’avait jamais fait, eût sa place entre les Évêques qui devaient le juger. Dioscore ne parut plus dans les actions suivantes ,et après avoir refusé trois fois de comparaître pour être jugé, les Légats prononcèrent contre lui la sentence de déposition portée par St Léon, et à laquelle tous les Pères souscrivirent. Le Concile écrivit ensuite une excellente lettre synodale au Pape, où l’on traite de tyrannie violente la primauté que Dioscore avait usurpée dans son conciliabule appelé depuis brigandage, et l’on déclare, qu’il a été justement déposé pour avoir eu l’audace de s’élever avec fureur contre celui, auquel Notre-Seigneur a commis la garde de sa vigne, c'est-à-dire (ajoute le Concile) à votre sainteté ; après quoi on dit au Pape ces paroles, que je vous prie de bien remarquer : Vous présidiez au Concile comme le Chef aux membres en nous faisant paraître votre bonté par ceux, qui y tenaient votre place.
Je m’assure, Monsieur, que le peu que j’ai eu l’honneur de vous dire sur les quatre premiers Conciles, suffira pour vous faire convenir, que Luther a eu le plus grand tort du monde de faire mention de ces Conciles pour appuyer sa cause, il ne pouvait guère la rendre plus mauvaise, ni nous indiquer de meilleures sources pour combattre avec plus d’avantage l’idée chimérique, qu’il s’est formée en fixant l’usurpation des Papes au temps de l’Empire de Phocas. Si vous aimez Luther, comme il ne paraît que trop que vous l’aimez, il ne se peut, que vous ne sentiez quelque dépit de voir, que le Patriarche de votre religion se embarqué si légèrement dans une affaire qui le déshonore, et qui ne peut manquer de le faire passer pour un imposteur, ou pour un ignorant en l’Histoire Ecclésiastique. Mais il y a de quoi faire sentir encore bien mieux son ignorance en réfutant la quatrième et dernière de ses propositions, par laquelle il ose dire, que dans toute l’histoire ecclésiastique avant Boniface III, il ne se trouve rien, qui favorise la prétention des Papes à la juridiction universelle1.
Il faut en vérité, Monsieur, n’avoir jamais rien vu de
l’histoire de l’Église pour parler sur ce ton-là. Si je
ramassais tous les faits propres à donner le démentir à Luther,
vous verriez bientôt un ouvrage d’une taille à vous faire peur :
mais une demie douzaine de traits feront autant que mille pour
achever une conviction , qui en établissant la possession constante
des Papes, doit assurément troubler celle, où Luther a été
jusqu’ici de passer chez vous pour avoir de l’habileté et de la
justesse dans les sentiments. En voici quelques-uns tirés des
historiens les plus connus.
Eusèbe nous apprend dans son histoire ecclésiastique que Paul de Samosate ayant été condamné par le second concile d’Antioche, il ne voulut pas céder la maison épiscopale à Domnus élu en sa place ; et que l’Empereur Aurélien, quoique païen, ordonna que la Maison serait adjugée à celui des compétiteurs, auquel l’Évêque de Rome récrirait, c'est-à-dire, auquel il donnerait sa communion. Ne fallait-il pas, que la supériorité de l’Évêque de Rome fut dès lors bien reconnue, puisque même un Empereur païen voulait bien y avoir égard ? L’Historien Socrate dit formellement que les Sts Canons défendent de rien décerner dans l’Église sans le consentement du Pape2.
Sozomène rapporte1 que St Athanase ayant été déposé par Eusèbe de Nicomédie au Concile d’Antioche, il se rendit à Rome pour être jugé en dernier ressort avec Paul de Constantinople, et que le Pape après avoir examiné leur cause, les reçut à sa communion, et les rétablit chacun dans son Siège ; car, ajoute cet historien, « le soin de toutes choses lui appartient à cause de la dignité de son siège. »
Théodoret soutient2 que le grand nombre d’Évêques, qui se trouvèrent à Rimini ne peut préjudicier en rien à la bonne cause, puisque le Pape, dont il fallait (dit-il) avant toutes choses avoir l’avis, n’a pas consenti à ce qui s’est fait à cette assemblée.
Evagre nous apprend3 de son histoire que les Pères du Concile d’Ephèse, étant sur le point de juger Nestorius, dirent qu’ils s’étaient assemblés pour obéir aux Canons, et à la lettre du Pape Célestin, et que ce n’était qu’à regret, et après beaucoup de larmes, qu’ils se rendaient à la nécessité de porter contre lui la sentence de déposition. Il dit au même endroit, que St Cyrille réglait toutes choses au Concile, et qu’il y tenait la première place comme représentant l’Évêque de Rome.
Sévère Sulpice rapporte4 que Priscillien et ses Compagnons ayant été condamnés au Concile de Saragosse, ils se rendirent à Rome pour plaider leur cause devant le Pape Damase, et tâcher de se justifier, mais que le Pape ne voulut pas les admettre en sa présence.
Voilà, Monsieur, des historiens, comme vous savez, de beaucoup antérieurs à Boniface III qui ne fut élevé au Pontificat qu’en l’an 607, et les faits qu’ils rapportent sont encore notablement plus anciens, que les auteurs qui les ont écrits. Comment Luther a-t-il pu ignorer tout cela ? Direz-vous que Luther avait apparemment lu ces sortes de choses, mais qu’il se peut faire, qu’il les eût oubliées, et qu’il faut excuser en lui un défaut de mémoire ? Je le veux : mais convient-il à un homme, qui retient si peu ce qu’il a lu, et qui a une connaissance si mince de l’antiquité, de traiter à chaque page de ses écrits les catholiques d’ânes et d’idiots ? « Les papistes sont tous des ânes, dit-il au quatrième tome de ses ouvrages5, et restent toujours ânes en quelque sauce qu’on les mette, bouilles, rôtis, frits, trempés, pelés, battus, brisés, tournés, revirez, ce sont toujours des ânes. » Que vous semble, Monsieur, de cette expression ? N’est-elle pas des plus spirituelles et des plus nobles, et en même temps, digne de l’humble modération de Luther ? Soyons donc ânes, puisqu’il le veut ainsi ; mais est-il honorable à ce Docteur par excellence de se voir redressé, confondu, convaincu d’ignorance, ou de mauvaise foi par un âne, et même par un âne de la petite et de la moindre foi par un âne et même par un âne de la petite et de la moindre espèce ? Ce n’est pas là néanmoins de quoi il s’agit ici, mon but est bien moins d’enlever à Luther la réputation d’habile homme, que vous voulez bien lui accorder dans un si haut degré, que de défendre les papes contre ses reproches fabuleux. Je crois l’avoir fait en justifiant la possession constante, où les papes ont toujours été d’exercer leur juridiction sur toutes les Églises chrétiennes. Remontons maintenant jusqu’à la source, et faisons voir l’origine du titre, qui les établit chefs et pasteurs de tous les fidèles. p69
J’annonce trois propositions qui renferment tout ce que j’ai à dire sur ce sujet.
La
première est que Jésus-Christ a établi l’apôtre St Pierre chef
et pasteur de tous les fidèles ; la seconde, que l’autorité
dont St Pierre a été revêtu a dû passer à ses successeurs ;
la troisième que ce sont les Évêques
qui sont les
successeurs légitimes de St Pierre. Voilà Monsieur, ce qui forme le
titre des Papes, et j’espère que, quand vous l’aurez examiné,
vous ne serez plus surpris, que le monde entier se soit accordé si
généralement pendant les huit premiers siècles jusqu’au schisme
des Grecs, à reconnaître leur autorité. Mais si la validité
du titre prouve que la possession des papes a été juste et
légitime, la longue et constante possession, où ils ont été, fait
aussi voir par avance la validité
du titre ; car il n’est point à présumer, que tant de gens
se soient accordés sans raison, et par un pur principe de faiblesse
et de lâcheté, à reconnaître une autorité imaginaire.
Ne
refusez pas ici, Monsieur, de donner encore quelques moments de
votre loisir et de votre application pour entrer dans un
éclaircissement, qui ne touche pas à une chose indifférente, et de
nulle conséquence, puisqu’il vous importe infiniment de ne pas
vous soustraire à une autorité établie de Dieu, s’il est vrai
comme nous le prétendons, que vous y ayez été soumis par l’ordre
de la providence, qui a pourvu au gouvernement de son Église.
Je dis donc en premier lieu, que Jésus-Christ a établi St Pierre chef et pasteur de tous les fidèles, et c’est ici que j’en appelle à l’Écriture ; nous verrons, s’il y a aucun dogme de votre créance, pour lequel vous puissiez citer des textes aussi forts que le sont ceux , que je vais citer pour la primauté de St Pierre. C’est cependant l’article que vous combattez avec le plus de chaleur ; tant il est vrai que ce n’est rien moins que la déférence, que vous avez pour l’Écriture, qui règle vos sentiments mais bien l’intérêt du parti et la détermination, où vous êtes de soutenir votre premier engagement. Car vous n’ignorez pas, Monsieur, que St Pierre s’étant empressé de rendre un témoignage éclatant à la divinité de Jésus-Christ, le Sauveur lui dit pour récompenser la ferveur de sa foi1 vous êtes Pierre, c’est sur cette pierre, que je bâtirai mon Église, les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais contre elle. Et je vous donnerai les clefs du Royaume des Cieux, tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le Ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le Ciel. Or, Monsieur, pourquoi pensez-vous, que Jésus-Christ ait changé le nom de cet apôtre, qui s’appelait Simon en celui de Cephas, qui signifie Pierre ? Pourquoi le Sauveur dit-il, qu’il bâtira son Église sur cette pierre ? Pourquoi le Sauveur dit-il, qu’il bâtira son Église sur cette pierre ? Si ce n’est pour marquer, que de même que le fondement d’une maison en fait la principale partie, sur laquelle tout le reste est solidement appuyé, ainsi Pierre sera-t-il pour maintenir le bon ordre de l’Église et en affermir toutes les parties. Que signifient les clefs, qu’on promet de lui donner nommément et préférablement aux autres ? Ne sont-elles pas une marque d’autorité ? N’est-ce pas aux gouverneurs des villes et aux maîtres des maisons qu’on les présente pour leur dire, que c’est à eux à y donner leurs ordres ? et le Sauveur en promettant à pierre les clefs du Royaume des Cieux, c'est-à-dire de l’Église, car c’est l’expression ordinaire de l’Évangile de nous désigner l’Église par le Royaume des Cieux, qu’a-t-il prétendu autre chose que de nous marquer le rang et l’autorité, qu’il destinait à Pierre, en traçant par avance la forme du gouvernement, qu’il avait résolu de donner à son Église. Que si vous voulez, Monsieur, que les clefs ne signifient ici autre chose que le pouvoir de lier et de délier, et que vous prétendiez, que le même pouvoir ait été donné dans la même mesure aux autres Apôtres, je vous prierai de remarquer, que c’est à Pierre seul que Jésus-Christ adresse ici la parole, au lieu qu’au chapitre 18 de St Matthieu il ne parle à tous les Apôtres qu’en commun, et même qu’il ne leur parle pas de clefs. Je vous prierai de remarquer en second lieu, que le dessein de Jésus-Christ ayant été de gratifier, de distinguer Pierre en vue de la confession, qu’il venait de faire, on ne peut s’empêcher de reconnaître, que le Sauveur n’ait voulu lui accorder quelque chose de plus qu’aux autres, et enfin, que dans la supposition même que l’intention de Jésus-Christ ait été de donner les clés à tous les ministres de l’Église par les mains de Pierre, qui les représentait tous en sa personne, toujours sera-t-il vrai de dire selon la remarque de St Augustin1, que Pierre ne les représentait tous qu’en vertu de la primauté de son apostolat.
Quoi de plus naturel, Monsieur, que ces réflexions, que je tire comme vous voyez de la juste et véritable signification des paroles et des circonstances, où elles ont été dites ? Que pourra-t-on dire de raisonnable pour en éluder la force ? Prétendra-t-on que par la pierre, sur laquelle Jésus-Christ promet de bâtir son Église, il ne faille pas entendre disciple, mais le Maître ? J’avoue Monsieur, que c’est Jésus-Christ, qui est la véritable pierre angulaire, et ne pense pas, que vous trouviez de catholique, qui s’avise de vous le contester ; je dis de plus avec St Paul et dans le sens de St Paul, que « personne ne peut établir d’autre fondement, que celui qui est établi, qui est Jésus-Christ », c'est-à-dire, qu’il n’y a que Jésus-Christ, qui soit « l’auteur et le consommateur de notre foi », la source de tous nos mérites, et l’unique prix de notre rédemption. Mais prétendre que par le mot de pierre placé en cet endroit il faille entendre Jésus-Christ, c’est ne faire aucune attention à la suite et à l’arrangement des paroles, c’est faire parler Jésus-Christ de la manière du monde la plus absurde et la moins sensée. Car je vous prie, Monsieur, de remarquer, qu’il n’était pas possible, que Jésus-Christ nous fît entendre plus nettement sa pensée, et qu’un notaire ne pourrait prendre plus de précautions dans un acte public pour ne laisser aucun lieu à la méprise ; qui doute que le Sauveur ne l’ait fait dans la vue de prévenir la mauvaise chicane, qu’on nous fait aujourd’hui ? Premièrement il nomme celui, à qui il parle, et qu’il prétend privilégier, Simon, qui est le nom, qui lui avait été donné à sa naissance ; ensuite pour le distingue d’un autre Simon frère de Thaddée il l’appelle fils de Jonas ou de Jean, en marquant le nom de son père. En troisième lieu il le nomme Pierre, qui est le nom nouveau, qu’il lui donne, qui doit le rester pour toujours, et incontinent après il ajoute la raison, pour laquelle il l’appelle Pierre, et marque quel sera l’usage de cette pierre, en lui disant, vous êtes Pierre, et c’est sur cette pierre, que je bâtirai mon Église, afin qu’on ne puisse détacher la pensée de celui, à qui il parle, il ajoute immédiatement, c’est à vous que je donnerai les clefs. Or, figurez-vous, Monsieur, que Jésus-Christ soit ici la pierre, dont il est parlé dans le texte ou comme il plaît à Luther de l’imaginer, qu’il faille entendre par la pierre la foi en Jésus-Christ, ou la confession de sa divinité, comment pourrez-vous jamais former une construction raisonnable de tout ce que le Sauveur dit à son disciple ? Vous êtes pierre, vous Simon, à qui je parle et moi, qui vous parle, suis cette pierre, et c’est sur cette pierre c'est-à-dire, sur moi, ou du moins sur la foi en ma personne ou sur la confession de ma divinité, que je bâtirai mon Église, et vous êtes celui, à qui je donnerai les clefs. C’est ainsi qu’on voudrait faire parler Jésus-Christ. Mais, Monsieur, a-t-il de la raison à lui prêter un discours aussi bizarre que celui-là ? Avouez donc s’il vous plaît, que le texte subsiste dans toute sa force, et que si vous en aviez de semblables à produire contre nous, vous nous croiriez coulés à fond sans ressource. C’est bien pour lors que vous chanteriez notre défaite en faisant retentir bien haut les termes magnifiques de la pure parole de Dieu. Mais les textes de l’Écriture les plus clairs ne font plus d’impression sur vous, dès qu’ils présentent un sens, qui vous blesse : on a chez vous le talent admirable de se cacher les sens les plus naturels, et d’en imaginer d’autres, qui viennent promptement au secours de l’idée flatteuse, dans laquelle vous aimez à vous entretenir, que partout vous adhérez inviolablement à la pure parole de Dieu. Il faut donc dire, et c’est pour ne vous laisser aucune peine dans l’esprit, que quoique Jésus-Christ soit la véritable base et la pierre fondamentale de l’édifice de l’Église, St Pierre néanmoins comme son Vicaire ne laisse pas de participer en sa manière à cette qualité. Faites attention s’il vous plaît, Monsieur, que Jésus-Christ est la véritable lumière du monde, comme il se nomme lui-même au chapitre 8 de St Jean, et néanmoins il dit au chap. 5 de St Mathieu à ses Apôtres : Vous êtes la lumière du monde. St Pierre nomme le Sauveur au 2. chap. de sa première Épître le Pasteur et l’Évêque de nos âmes. Cela empêche-t-il, qu’il n’y ait parmi les chrétiens quantité de véritables et de véritables pasteurs des âmes ? Et St Paul, qui dans sa première aux Corinthiens nous enseigne que personne ne peut établir d’autre fondement que Jésus-Christ, ne dit-il pas aux Éphésiens ? vous êtes l’Édifice, qui a été fondé sur les apôtres et sur les prophètes.
Il est donc évident, que la qualité de pierre fondamentale n’est pas tellement attachée à Jésus-Christ, qu’elle ne puisse aussi convenir à ses ministres, quoique dans une signification infiniment moindre. Mais répliquerez-vous si tous les Apôtres sont aussi des pierres fondamentales, quel avantage St Pierre aura-t-il par-dessus les autres ? A cela je réponds par le beau passage de St Jérôme, que j’ai déjà cité, que quoique l’Église soit fondée sur les douze Apôtres comme sur autant de colonnes, qui la soutiennent également, Jésus-Christ n’a pas laissé d’en choisir un parmi les douze pour l’établir chef, et prévenir par là les dangers du schisme et de la division. Tous les Apôtres ont eu droit de prêcher l’Évangile dans toutes les parties du monde, de fonder partout des Églises, d’écrire des livres canoniques, étant tous immédiatement inspirés de Dieu, et c’est dans ce sens, qu’ils sont tous autant de pierres fondamentales de l’Église. Mais il n’y a que Pierre, qui ait été chargé du soin de veiller sur tout le troupeau, et c’est par cet endroit, que la qualité de pierre fondamentale lui convient plus particulièrement, qu’à aucun autre.
Que si vous me faites l’objection vulgaire, qu’on répète chez vous si souvent, et avec tant de complaisance en disant, que si l’Apôtre St Pierre est la pierre fondamentale de l’Église, il n’est pas concevable qu’il ait été le premier à chanceler, et qu’il ait poussé l’infidélité jusqu’à renier son Maître ? Qu’une chute si profonde marque bien mal la fermeté de la pierre inébranlable ? Mais prenez garde ; nous ne prétendons pas que le Sauveur ait mis d’abord St Pierre en possession de l’autorité qu’il lui destinait ; à ce moment il se contenta de la lui promettre en lui disant, je vous donnerai les clefs, je bâtirai, et que par là il ne fit que le désigner pour être dans la suite la pierre fondamentale sans lui en communiquer d’abord les qualités et sans le mettre en place, ce qu’il ne fit qu’après sa résurrection, lorsqu’il le chargea d la conduite de ses ouailles.
Une objection plus forte que celle-là, et que vous ne manqueriez pas de me faire, si je n’avais soin de vous prévenir, (car qu’ignorez-vous de tout ce que les plus habiles gens de votre religion savent de plus fort à nous opposer) se tire de l’autorité de St Augustin, qui déclare au chap. 21 du I livre de ses rétractations que par la pierre, dont il est parlé au passage cité, il faut entendre Jésus-Christ, et non l’Apôtre St Pierre.
A cela, je réponds I° que si vous voulez vous en tenir à l’explication des Pères, vous nous donnez cause gagnée, car hors St Augustin, dont vous nous parlez et sur qui j’ai une réflexion à faire, à ce que j’espère, vous contentera ; tous les autres Pères sont incontestablement pour nous, c’est ce que je m’engage à vous faire voir, quand il vous plaira dans Tertullien, Origène, St Cyprien, St Athanase, St Basile, St Grégoire de Naziance, St Ambroise, St Épiphane, St Chrysostome, St Jérôme, St Cyrille d’Alexandrie, St Hilaire, St Léon, St Grégoire, et de plus dans le Concile de Calcédoine composé de six cents trente Évêques. Tous les Pères, que je viens de vous citer, sont à notre bibliothèque, je vous marque ici exactement l’édition, le tome et la page, où vous trouverez leur sentiment. Si vous êtes curieux d’examiner ce qu’ils disent sur ce sujet, nous les aurons tous parcourus en moins d’un quart d’heure ! Vous verrez qu’ils s’accordent tous unanimement à reconnaître l’Apôtre St Pierre pour la pierre fondamentale de l’Église ; or y a-t-il à douter, Monsieur, que le sentiment unanime des Pères ne doive être préféré au sentiment d’un seul, quel qu’il puisse être.
Que si vous trouvez quelques Pères, qui se soient exprimés d’une manière à faire croire, que par le mot de pierre ils ont entendu la foi et la confession de la divinité de Jésus-Christ, je vous prierai d’y prendre garde de plus près, et de remarquer, qu’ils n’ont point parlé d’une foi ni d’une confession en général dans un sens détaché, et sans aucun rapport à Pierre, mais toujours relativement à Pierre, c’est-à-dire de la foi et de la confession de Pierre, ne voulant dire autre chose, si ce n’est que c’est la vivacité de sa foi et l’empressement, qu’il eut de confesser la divinité de Jésus-Christ, qui lui méritèrent la distinction, qu’en fit le Sauveur, et par laquelle il l’ établit la pierre de son Église.
Je réponds en second lieu, que si vous en tenez au sentiment de St Augustin, nous gagnons encore notre procès pour le fond, car il est incontestable que St Augustin a reconnu la primauté de St Pierre, qu’importe sur quel passage il l’ait fondée, si c’est sur celui de St Mathieu au chap. 16, ou sur celui de St Jean au chap. 21, ou sur d’autres. « C’est en lui, dit-il, en parlant de Pierre, que la primauté de l’Apostolat éclate avec des avantages singuliers1. » « C’est lui, dit-il ailleurs, qui représentait toute l’Église, comme étant le Chef et le Prince des Apôtres2. »
Je dis en troisième lieu, que si St Augustin eût su le syriaque, il serait resté dans son premier sentiment, qui était de regarder l’Apôtre comme la pierre, sur laquelle Jésus-Christ a prétendu bâtir son Église ; sentiment qu’il nous a marqué en plus d’un endroit ; mais s’étant imaginé que Cephas ne signifiait pas une pierre, mais quelque chose de dérivé de la pierre, il n’est pas surprenant, qu’il ait changé de pensée. Ce qui l’a trompé, c’est qu’il s’est figuré, qu’il y avait deux mots dans le texte syriaque, comme il y en a deux dans le latin, Petrus et Petra, et deux dans le grec Πέτρος et Πέτρά, ne faisant pas attention, que Πέτρος et Πέτρά signifient la même chose en grec, et que l’interprète a appliqué Πέτρος à la personne de Pierre comme étant plus convenable à un homme. Si ce Père si habile dans tout le reste eût su que le même mot Cephas est employé deux fois dans le texte syriaque, il se fût bien gardé de raisonner, comme il a fait en nous donnant pour raison de son sentiment, que le Sauveur n’a pas dit, tu es Petra, mais tu es Petrus. Or, quelle merveille que le raisonnement de St Augustin, étant fondé sur une supposition fausse, qui ne provient que du peu de connaissance qu’il avait de la langue syriaque, se trouve défectueux ? Mais c’est trop nous arrêter au texte, qui contient la promesse, venons à celui qui renferme l’exécution.
Nous apprenons de St Jean que le Sauveur, conversant avec ses disciples après sa Résurrection, demanda jusqu’à trois fois à St Pierre, s’il l’aimait, et qu’après s’être assuré de son amour, ou pour mieux dire, après lui avoir fait comprendre les obligations les plus essentielles de l’emploi, qu’il allait lui confier, il lui recommanda jusqu’à trois fois le soin de son troupeau en lui disant, paissez mes brebis, paissez mes agneaux1. Qui ne voit que Jésus-Christ adresse ici la parole à St Pierre en particulier, le chargeant personnellement de la conduite de son troupeau ? C’est ce que le Sauveur nous fait assez connaître en l’appelant Simon fils de Jean, qui est le même nom, dont il s’était servi pour le désigner en lui promettant les clefs, de sorte qu’il n’a pas voulu, qu’on pût douter que la conduite du troupeau n’ait été remise à celui-là même, à qui il avait promis les clefs. La précaution, que le Sauveur prend de lui demander, s’il ne se sent pas un amour supérieur à celui des autres disciples, ne marque-t-elle pas également, qu’il a prétendu lui confier quelque chose de plus qu’aux autres ? Qui ne voit encore, que le Sauveur en lui recommandant ses ouailles, les lui recommande toutes sans en excepter aucune ? Lorsqu’il dit au chap. 10 de St Jean, je connais mes brebis, et mes brebis, n’est-ce pas la même chose, que s’il disait, je connais toutes mes brebis, toutes mes brebis me connaissent, je donne ma vie pour toutes mes brebis. Comment donc ne comprendrait-il pas également toutes ses ouailles en disant à Pierre, paissez mes agneaux, paissez mes brebis. Certainement il charge Pierre de la conduite des ouailles, qui sont à lui ; or elles sont toutes à lui, donc il le charge de la conduite de toutes les ouailles, ou de la conduite de tout le troupeau. Remarquez en même temps, Monsieur, s’il vous plaît, que ce n’est pas sans mystère que le Sauveur distingue entre les agneaux, et entre les brebis, les agneaux représentant les simples fidèles, et les brebis les pasteurs, dont le devoir est d’instruire les fidèles, comme celui des brebis de nourrir les agneaux ; par où le Sauveur a voulu nous faire entendre, qu’il établissait Pierre Pasteur des uns et des autres, et que les et les pasteurs ne seraient pas moins soumis à sa conduite que le reste des fidèles.
C’est là le sens, que tous les pères de l’Église ont reconnu dans les paroles citées. Origène dit2, que le Sauveur n’exigea de Pierre d’autres dispositions que l’amour, lorsqu’il lui confia le gouvernement de toute l’Église en le déclarant pasteur de son troupeau. St Ambroise assure que le Sauveur, étant sur le point de quitter la terre pour monter au ciel, nous laissa Pierre pour vicaire de son amour en lui disant, paissez mes brebis, et qu’il préféra Pierre à tous les autres, parce qu’il avait été le premier à confesser sa divinité. St Chrysostome dit3 que « le Sauveur chargea Pierre du soin de ses frères et du soin de tout le monde ». St Léon, que « Pierre a été choisi pour être mis à la tête de tous, et que quoiqu’il y eût plusieurs Prêtres et Pasteurs, c’était néanmoins à Pierre à les régir tous4. » St Grégoire, que c’est Pierre, qui a été chargé de la conduite de toute l’Église, parce que c’est à lui que le Sauveur a dit, paissez mes brebis5. St Bernard, pour qui votre Luther témoigne des tendresses si particulières, sans doute, parce qu’il a dit de bonnes vérités aux Papes, dit en écrivant au pape Eugène : « chaque Évêque a son troupeau à conduire, pour vous, vous êtes chargé du soin de tous les troupeaux, vous êtes le pasteur non seulement des ouailles, mais aussi des pasteurs. Si vous m’en demandez la preuve, elle se trouve dans les paroles du Sauveur, qui dit à Pierre paissez mes brebis1. »
Que voudriez-vous, Monsieur, qu’on pût vous dire de plus fort pour prouver la primauté de St Pierre ? Les deux textes, sur lesquels je viens de l’établir sont très clairs en eux-mêmes, l’explication, que nous en donnons, est celle de tous les Pères, le monde entier l’a reconnu jusqu’au schisme des Grecs, et toute l’Église latine jusqu’au temps de Luther ; Pierre a agi partout en qualité de chef, et en conséquence du rang supérieur, ou nous prétendons, que le Sauveur l’a élevé. N’est-ce-pas lui qui, après l’Ascension du Sauveur, parla le premier dans l’assemblée de tous les disciples pour les engager à choisir un apôtre à la place de Judas2 ? N’est-ce pas lui qui, le jour de la Pentecôte, prêcha le premier Jésus-Christ crucifié, et convertit trois mille personnes dans sa première prédication ? N’est-ce pas Pierre qui, en plein conseil, prit la parole pour rendre raison de la doctrine évangélique ? C’est lui qui connut le premier par révélation divine, qu’on devait recevoir les gentils dans l’Église ; c’est lui, qui prononça le premier au Concile de Jérusalem, qu’il ne fallait pas obliger les chrétiens à la circoncision ; c’est chez Pierre, que Paul se rendit après avoir prêché trois ans en Arabie, tant pour lui rendre compte de ses travaux, que pour concerter avec lui les moyens les plus propres à faire fructifier l’Évangile.
Aussi voyons-nous, que les Évangélistes, en faisant le dénombrement des Apôtres, nomment toujours Pierre le premier, et rien n’est plus fréquent que de trouver chez eux cette expression Pierre et ceux qui étaient avec lui, Pierre et les autres Apôtres, ce qui assurément est une marque de distinction. Direz-vous Monsieur, que Pierre a été le premier en âge, ou le premier par rapport à la vocation apostolique ? Mais Monsieur, St Épiphane nous apprend d’un coté, qu’André était l’aîné de Pierre, vos centuriateurs mêmes ne le contestent pas, et de l’autre nous savons de St Jean, qu’André fut appelé à l’Apostolat avant Pierre ; il n’y a donc que la supériorité du rang, qui ait pu engager les Évangélistes à nommer Pierre constamment le premier, et à en parler partout avec cette distinction, qui convient au chef des autres.
Dire après cela que nous croyons légèrement bien des choses, qui ne sont pas trop fondées dans l’Écriture, ce ne sera pas assurément l’article de la primauté de St Pierre, qui pourra nous attirer ce reproche. J’ai eu l’honneur de vous en dire assez sur cet article pour me croire en droit de vous faire remarquer le ton de hardiesse, avec lequel vos ministres en appellent à l’Écriture, lors même qu’ils y sont le plus clairement condamnés. Leur artifice consiste à crier sans cesse à l’Écriture, à nous donner ce cri pour la preuve de ce qu’ils ont entrepris de croire, à supprimer les passages, qui les incommodent, à y donner des explications, que l’intérêt du parti et non la raison suggère, et à saisit les moindres apparences de difficulté pour nous les objecter avec un air de confiance capable d’éblouir les simples.
C’est ce qu’ils pratiquent dans cette occasion, ainsi que dans toutes les autres. Si St Pierre (disent-ils) eût eu le moindre caractère de supériorité, St Paul eût-il osé lui résister en face, comme il fit à Antioche3 ? Eût-il égalé son apostolat à celui de Pierre en disant que la même puissance, qui a établi Pierre l’Apôtre des Juifs, avait établi St Paul l’Apôtre des Gentils4 ? Les disciples eussent-ils contesté entre eux pour savoir lequel d’eux tous ils devaient estimer le plus grand, ainsi qu’ils firent au rapport de St Luc. Et le Sauveur leur eût-il dit ? Les Rois des Nations dominent sur elles, il n’en doit pas être de même parmi vous5. Telles sont à peu près les difficultés qu’ils forment contre la primauté de St Pierre, et qui assurément sont trop peu de chose pour mériter d’être opposées à tout ce que nous avons dit.
Je réponds à la première difficulté qu’il peut être permis en certains cas aux inférieurs de reprendre leurs supérieurs, quand l’importance de la chose le demande, et qu’on le fait avec des ménagements de respect convenables. J’ajoute que St Cyprien4, St Augustin5, St Grégoire6 au lieu de conclure de l’avis donné à St Pierre au préjudice de son autorité, en concluent en faveur de son humilité, remarquant, que celui, qui était plus élevé, a bien voulu souffrir la correction de celui, qui lui était inférieur.
Je réponds à la seconde difficulté, que St Paul n’a point prétendu égaler son apostolat à celui de St Pierre en tout sens, mais qu’il s’est contenté de marquer aux Galates, qu’il n’avait pas reçu sa doctrine et sa mission moins immédiatement de Jésus-Christ que les autres Apôtres, et cela pour fermer la bouche à de faux docteurs, qui cherchaient à décréditer son ministère, comme il se voit au chap. 2 de l’Épître aux Galates. Pour ce qui est du partage des deux peuples, dont il parle, il ne faut pas le regarder comme un partage de juridiction, mais comme une espèce de convention faite entre St Pierre et St Paul pour accélérer le progrès de l’Évangile, St Pierre s’étant proposé de s’attacher plus particulièrement à la conversion des Juifs, ce qui était la portion la plus honorable, et qui avait fait l’objet particulier du zèle du Sauveur, et St Paul ayant destiné ses soins et ses travaux à la conversion des Gentils, sans que pour cela ni l’un ni l’autre dussent négliger les occasions, qui se présenteraient chez l’une et l’autre Nation de gagner des âmes à Jésus-Christ, comme il est aisé de le justifier par plusieurs faits rapportés aux Actes des Apôtres.
Je dis à la troisième difficulté, que St Pierre n’ayant reçu l’effet des promesses de Jésus-Christ, qu’après sa Résurrection il n’y a pas lieu de s’étonner beaucoup, qu’il se soit élevé avant la Passion du fils de Dieu quelque contestation entre les Apôtres sur le fait de la prééminence. Peut-être que les marques de tendresse si particulières, que le Sauveur donnait d’une part à St Jean, et les promesses magnifiques, qu’il avait faites de l’autre à St Pierre, donnèrent lieu à la dispute en partageant les esprits en faveur de l’un et de l’autre. Quoique en soit, le Sauveur, bien loin de condamner la prééminence, semble ici la supposer en disant, que celui, qui est le plus grand, se rende comme le plus petit, et que celui, qui gouverne, soit comme le serviteur. Pour ce qui est de la domination fastueuse des Rois des Nations, il est bien sûr, que le Sauveur la défend à ses disciples, sans pourtant leur interdire l’usage d’une autorité légitime, et c’était pour régler les devoirs des Supérieurs, et non pour en abolir le rang, qu’il leur faisait ces leçons salutaires.
Vous voyez, Monsieur, que ces fortes de difficultés sont trop superficielles pour pouvoir affaiblir des preuves aussi solides, que celles, que j’ai apportées, et que j’ai tirées des paroles de l’Écriture, les plus claires et les mieux circonstanciées, paroles, que tous les Pères ont expliquées dans le sens, que nous leur donnons, et qui se trouve soutenu, et autorisé par l’usage et la pratique de tous les siècles ; la primauté de St Pierre ayant été constamment reconnue, et révérée dans ses successeurs, comme nous l’avons déjà prouvé si amplement par tout ce que nous avons dit de la constante possession des Papes.
Je passe à la seconde proposition, qu’il est nécessaire d’établir pour former le droit des Papes, et je dis, que l’autorité, dont St Pierre a été revêtu, a dû nécessairement passer à ses successeurs ; car enfin il n’est pas permis aux hommes de rien changer aux dispositions du Sauveur, quand il s’agit d’une chose aussi essentielle, qu’est celle de la forme du gouvernement de l’Église : ainsi s’il est vrai, que Jésus-Christ ait établi St Pierre chef et pasteur de tous les fidèles, il est clair comme le jour, que ses successeurs ont dû hériter de lui la même qualité avec toute l’autorité, qui l’accompagne, et si le Sauveur a voulu, qu’il y eût un chef visible, qui gouvernât l’Église naissante, qui ne comprend aussitôt la nécessité, qu’il y a d’en voir la continuité, tant que l’Église subsistera ? D’autant plus que les mêmes raisons, qui demandaient un Chef visible pour les premiers temps, en demandent un également pour tous les âges de l’Église.
Car n’est-il pas infiniment important pour conserver l’union des membres, pour maintenir l’uniformité du culte, pour arrêter le progrès des erreurs naissantes, pour étendre le royaume de Jésus-Christ, qu’il y ait une autorité supérieure, qui veille constamment et par office à tout cela. Supposez tous les égaux en autorité, et absolument indépendants les uns les autres, s’ils viennent à se diviser, qui se sentira assez de crédit pour entreprendre de les réunir, et qui pourra se promettre d’y réussir ? Que l’héritage se répande comme un poison subtil, qu’elle gagne comme la gangrène, où trouvera-t-on un remède plus prompt et plus efficace, que dans les jugements d’une autorité supérieure ? Ses jugements se rendant avec plus d’éclat, et étant plus universellement respectés, ne sont-ils pas aussi plus propres à flétrir toute doctrine pernicieuse et à précautionner les Fidèles ? Et n’est-ce pas par cette voie, que la plupart des erreurs ont été ou étouffées dans leur naissance, ou arrêtées dans leur progrès ?
Vous comprenez sans doute, Monsieur, que la vigilance d’un chef attentif à faire prêcher l’Évangile à de nouveaux peuples sert infiniment à étendre le royaume de Jésus-Christ, et vous n’ignorez pas que la plupart des nations chrétiennes sont redevables de leur conversion au zèle des Papes, qui leur ont envoyé des missionnaires ; un St Saturnin avec sa troupe envoyé en Angleterre par Grégoire le Grand, un St Boniface envoyé en Allemagne par Grégoire II. Un St Kilian envoyé par le Pape Conon en Franconie un St Anscaire envoyé dans les pays du Nord par Grégoire IV et tant de missionnaires de nos jours, qui vont porter la foi jusqu’aux Nations les plus reculées, recevant pour cela leur mission du pape, étant dirigés par ses instructions, assistez par ses libéralités ; tout cela, dis-je, ne ait-il pas assez voir l’avantage, qu’il y a pour la Chrétienté d’avoir un chef, qui se trouvant dans un poste plus élevé, porte aussi ses vues plus loin, et est plus en état de veiller à l’agrandissement de l’Église.
Faites réflexion, s’il vous plaît, Monsieur, à la différence des usages, des rites, des cérémonies, et des sentiments sur le dogme, qui se trouve parmi ceux de votre Religion dans les différentes contrées, où l’on fait profession de s’attacher à la Confession d’Augsbourg. La diversité est si notable, qu’un Luthérien, qui voyage, a souvent peine à reconnaître pour confrères ceux, qui se disent de sa communion. D’où cela vient-il, si ce n’est de ce que vos premiers pasteurs ou vos surintendants, comme vous les appelez, étant absolument indépendant les uns des autres, chacun règle dans son district la discipline et souvent la créance, comme bon lui semble, sans que son voisin puisse y trouver à redire ? L’unité d’un chef pare à cet inconvénient, et si vous remarquez, et admirez dans toutes les parties du monde catholique cette uniformité de culte et de créance, qui ne peut manquer de vous donner de l’estime pour la religion catholique, vous concevrez sans doute, que ce n’est pas là un des moindres fruits de la parfaite subordination qui est parmi nous.
Voilà, Monsieur, une partie des raisons, pour lesquelles Jésus-Christ a jugé à propos de laisser à son Église un chef visible pour tous les temps ; raisons, que votre Philippe Mélanchton a si fort goûtées, qu’il consentit par écrit à la diète de Smalkald de reconnaître la juridiction du Pape sur toutes les Églises chrétiennes, même sur les protestantes, pourvu que le Pape ne s’opposât pas à la prédication du nouvel Évangile. Il est vrai que Luther lui en sut très mauvais gré, et qu’il lui reprocha d’être tombé en contradiction manifeste en offrant de reconnaître pour supérieur, celui qu’il avait déclaré peu auparavant être l’anti-christ. Mais ces sortes d’épithètes peu obligeantes, qui se donnent dans la colère, ne sont pas toujours dictées par un sentiment de persuasion ; quand on est de sens rassis, on a bientôt oublié les injures qu’on a dites, et on revient aisément au point de raison et d’ équité.
Quoiqu’il en puisse être des raisons, que le Sauveur a eues de donner un chef visible à son Église, il nous suffit sans les examiner de savoir, que ce n’est point à nous à changer le gouvernement de l’Église établi par Jésus-Christ, et cela seul nous oblige indispensablement à reconnaître dans les successeurs de St Pierre la même autorité, qui lui a été confiée. Or, ce sont les de Rome, qui sont les successeurs de Pierre. Voila, Monsieur, la troisième proposition, qui achève de former le droit des papes, et qui fait le juste fondement de la constante et invariable possession, dont nous avons parlé.
Oui, Monsieur, ce sont les Évêques de Rome qui sont incontestablement les successeurs de St Pierre. Car c’est St Pierre, qui a fondé l’Église de Rome, qui l’a gouvernée en qualité de premier évêque, et qui ayant établi son Siège apostolique à Rome, a continué jusqu’à la mort à y exercer se fonctions pastorales. C’est une vérité, dont il ne vous sera pas possible de douter, quand vous voudrez bien faire réflexion, qu’à cette longue suite de papes, dont nous savons les noms par ordre, il faut de nécessité trouver une issue et pouvoir en nommer un, qui ait été le premier. Or qui nommera-t-on si ce n’est St Pierre ? S’est-on jamais avisé d’en nommer d’autres ? Tous ceux qui ont fait le catalogue des Évêques de Rome, n’ont-t-ils pas toujours mis St Pierre à la tête ? Je ne sais que cinq pères des premiers siècles, qui nous aient laissé une liste des Évêques de Rome jusqu’à leurs temps. St Irénée du second siècle, Tertullien du troisième, St Épiphane du quatrième, St Optat et St Augustin du cinquième. Tous ont commencé leur catalogue par St Pierre. Il ne tiendra qu’à vous de vous en convaincre par vous-même, en consultant les endroits que je marque ici 1: si vous trouvez, que je n’accuse pas juste, je consens de perdre auprès de vous toute réputation d’exactitude et de loyauté. Mais, Monsieur, que vous en semble ? ces pères si voisins du temps des apôtres, si habituellement dans la connaissance de l’histoire, si instruits des sentiments de l’Église n’auraient-ils pas su, qui a été le premier évêque de Rome ? Ne l’auront-ils pas mieux su que votre Velenus, qui n’a écrit qu’au seizième siècle, et qui a fait un livre entier pour prouver que St Pierre n’avait jamais été à Rome ? auront-ils rencontré juste pour tout le reste en nous nommant les papes les uns après les autres : et n’y aura-t-il que le premier, pour lequel ils se seraient mépris ? Qui se persuadera de tels paradoxes ? Quoi Monsieur ? Toute l’antiquité nous assurera, que St Pierre a gouverné l’Église de Rome, et qu’il y a été martyrisé sous l’empereur Néron ? Nous saurons, que dès le temps du pape Zéphirin un nommé Cajus dans le livre, qu’il composa contre Proclus attaché à la secte des Cataphriges, tire avantage des tombeaux de St Pierre et de St Paul fondateurs de l’Église de Rome, qu’il dit être exposés aux yeux de tout le monde ? Eusèbe, le plus ancien de nos historiens ecclésiastiques, et à qui nous sommes redevables de presque toutes les connaissances que nous avons des trois premiers siècles de l’Église, marquera en termes précis dans sa chronique, que Pierre le premier pontife des chrétiens après avoir fondé l’Église d’Antioche est venu à Rome l’an 44, qu’il y a fondé une Église, et l’a gouvernée pendant 25 ans en qualité d’évêque2 ? St Jérôme et St Ambroise nous diront la même chose presque dans les mêmes termes ? St Cyprien et St Augustin n’appelleront pas autrement le Siège de Rome que la chaire de St Pierre ? St Optat donnera le défi à Parmenien évêque donatiste d’oser dire, que Pierre n’ait pas établi son siège à Rome ? Le concile d’Éphèse appellera le pape Célestin le successeur légitime de St Pierre ; le concile de Calcédoine dira, que Pierre a parlé par Léon3 ? et il se trouvera des gens, qui entreprendront de soutenir sérieusement, que St Pierre n’a jamais été à Rome, ou s’il y a été, qu’il n’a jamais eu la conduite de cette Église ? Y a-t-il à cela moins de ridicule, j’ose vous le demander, Monsieur, qu’il y en aurait à vouloir soutenir, que Jules César n’a jamais été à Rome, ou qu’il n’y a jamais été dictateur, qu’Hannibal n’a jamais été à Carthage, ou qu’il n’a jamais commandé les troupes de la république.
Qui n’admirera après cela la subtilité des raisonnements, que fait Luther pour arrêter les conséquences, qui se tirent d’une vérité si bien établie ? « St Pierre, dit-il, a fondé bien d’autres églises que celles de Rome, les de ces églises ne prétendent pas pour cela être les héritiers du siège de St Pierre, ni de son autorité. Bien des gens, ajoute-t-il, ont été martyrisés à Rome, qui ne commencent pas pour cela la chaîne des Évêques de Rome4. » Oui Monsieur, St Pierre a fondé bien d’autres églises, mais il n’y est pas mort. Bien d’autres sont morts à Rome, mais ils n’étaient pas de cette église ; au lieu que nous savons par tous les témoignages de l’antiquité, que St Pierre est mort à Rome, ayant actuellement la conduite de cette église. En un mot St Pierre a établi son siège à Rome, et ne l’a pas transféré ailleurs, et c’est ce qui le met à la tête des Évêques de Rome, et qui rend les papes ses véritables et légitimes successeurs.
Je crois Monsieur, avoir prouvé assez solidement les trois propositions, qui concourent à établir le droit des papes, pour pouvoir conclure, que les papes ne sont pas moins forts au pétitoire, qu’ils le sont au possessoire. Si la longueur de cette espèce de factum n’a point affaibli votre attention, je compte que vous aurez remarqué par tout la liaison très étroite, qui se trouve dans la cause des papes entre le fait et le droit, de sorte que si la longue possession fait bien présumer du titre, la bonté du titre justifie à son tour parfaitement la longue et constante possession.
C’est néanmoins contre une autorité si bien établie, si universellement reconnue, si respectée de tous les chrétiens et si respectable en elle-même, que Luther s’est élevé avec les emportements les plus indignes, et avec une fureur et un déchaînement, qui passe tout ce qu’on peut s’en imaginer. Oui Monsieur, cet homme, qui après s’être engagé dans la dispute plus avant qu’il n’eût voulu lui-même, avait écrit au pape Léon X dans les termes du monde les plus soumis, en lui manquant dans sa lettre datée du jour de la Trinité en l’an 1518 « qu’il la jetait à ses pieds, qu’il ne tenait qu’à lui de le condamner, ou de l’absoudre, qu’il lui abandonnait entièrement et sa cause et sa personne, qu’il recevait sa décision comme venant de la bouche de Jésus-Christ même1 » ; et qui dans une autre lettre du troisième mars de l’an 1519, lui disait, que « son dessein n’avait jamais été d’attaquer ni le pape ni l’église romaine, qu’il reconnaissait, que l’Église de Rome était supérieure à tout, et qu’il n’y avait rien en terre ni au Ciel, qui pût lui être préféré hors Jésus-Christ seul2. » Cet homme, dis-je, qui avait témoigné être dans des sentiments si respectueux envers le souverain pontife, qui même dans une lettre écrite au cardinal Cajetan légat du pape avait demandé pardon au Cardinal de quelques paroles peu mesurées, qui lui étaient échappées dans la chaleur de la dispute contre la dignité du St Siège, promettant de mieux faire à l’avenir, s’offrant de profiter de toutes les occasions, qu’il aurait en chaire d’inculquer aux peuples le respect dû au souverain pontife, s‘engageant de plus à garder un silence exact dans la suite, pourvu qu’on fit aussi taire ses adversaires ; malgré des dispositions si belles en apparence, dès qu’il eût appris, qu’il y avait un jugement rendu contre lui, et qu’il vit la Bulle du pape portant condamnation de quarante et une propositions extraites de ses livres, il entra dans une fureur qui le transporta hors de lui-même, et qui ne cessa de l’agiter jusqu’à la fin de ses jours en le rendant l’ennemi le plus violent, le plus acharné et le plus implacable, qu’aient jamais eu les papes.
Au reste, Monsieur, n’allez pas croire, que le Pape ait usé de précipitation dans son jugement, où qu’on n’ait pas eu des ménagements assez charitables pour Luther, ou qu’on lui ait fait une querelle sur des choses de peu d’importance ; le pape fut plus d’un an entier à employer toutes les voies de douceur, pour tâcher de le ramener, l’avertissant et le faisant avertir avec une bonté et une tendresse de père de modérer ses excès, et de revenir de ses égarements ; Il eût même la bonté de l’inviter à faire le voyage de Rome, s’offrant à le défrayer, et à lui donner pour lui-même et pour d’autres tous les éclaircissements, qu’il pourrait désirer pour sa satisfaction. Tous cela fut inutile, Luther aussi obstiné à soutenir ses erreurs, que hardi à les débiter n’était pas homme à reculer, il donnait tous les jours dans de nouveaux écarts, et était en train d’enchérir en extravagances, qui n’étaient pas indifférentes, mais qui allaient au bouleversement entier du christianisme ; vous en jugerez Monsieur, par cinq ou six propositions, que je vais vous rapporter, et qui sont du nombre des quarante-une, qui furent condamnées par le Pape. La 9ème était conçue en ces termes « vouloir confesser tous ses péchés qu’est-ce autre chose, que vouloir soustraire à la miséricorde divine toute matière de pardon1 ? » Dans la 12ème : « quand bien le prêtre ne donnerait l’absolution que par jeu et en riant, pourvu que le pénitent croie être véritablement absous, il ne laissera pas de l’être en effet. » La 13ème portait : « lorsqu’il n’y a pas de prêtre présent, chaque chrétien fut-ce une femme ou un enfant peut aussi efficacement remettre les péchés. » La 14ème : « le prêtre doit bien se garder de demander au pénitent, s’il est marri de ses péchés, et le pénitent étant interrogé, s’il est contrit, ne doit point répondre à cette question. » La 15ème : « il faut enseigner aux chrétiens à aimer l’excommunication, et non à la craindre. » La 29ème : « Nous avons droit d’examiner les décisions des conciles généraux, et de les rejeter, si nous ne les trouvons pas bonnes. » La 34ème : « Faire la guerre aux Turcs, et les combattre, c’est combattre contre Dieu même, qui prétend punir nos péchés par l’irruption des infidèles. » La 38ème : « les âmes du purgatoire ne sont pas sûres de leur salut, elles pèchent sans cesse, tant qu’elles désirent être délivrées de leurs peines. »
Telles étaient à peu près les autres propositions comprises au nombre des quarante et une condamnées par le Pape. Or, je vous laisse à penser, Monsieur, si des erreurs aussi impertinentes et aussi pernicieuses que celles-là, pouvaient se dissimuler, et s’il n’était pas du devoir du Pape de chercher à en arrêter le cours par une censure publique intimée à tous les chrétiens.
C’est néanmoins cette censure si juste et si nécessaire, qui échauffa la bile de Luther, et qui l’enflamma si fort, qu’il crût devoir en marquer son ressentiment par une action d’éclat, dont il fût parlé dans le monde. Il assembla tous les écoliers de l’université de Wirenberg, les conduisit hors de la porte de la ville, où il trouva un bûcher prêt à être allumé. Dès que le feu y fût mis, il s’avança d’un pas grave, tenant la Bulle du Pape, et la jeta dans les flammes en disant : « Puisque tu as contristé le saint du Seigneur, puisses-tu être brûlée et consumée par le feu le l’enfer2 ». Puis il avertit ses auditeurs que c’était trop peu d’avoir brûlé la bulle du Pape, qu’il vaudrait beaucoup mieux en faire autant au Pape même, et au siège papal, afin qu’il ne restât plus de vestige, ni de l’un ni de l’autre.
Ce fut là comme le premier début de la vengeance, qui bien loin de se ralentir par la fuite des années, ne fit que croire en aigreur et en impétuosité, dégénérant enfin en une espèce de fureur et de rage, qui troublait la raison à Luther, toutes les fois qu’il était question du Pape. Sa principale étude était de chercher de nouveaux moyens propres à chagriner la Pape. Il avoue lui-même, qu’il avait été fortement tenté de nier la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie, et que Carlostat lui eût fait tout le plaisir du monde, s’il eût pu réussir à le persuader de son sentiment, « parce que, dit-il, je me serais trouvé par là en état de donner une plus rude secousse à la papauté3. »
Il prit pour devise ces mots : Pestis eram vivens, moriens ero mors tua Papa, (Vivant, je fus, ô pape, ton fléau ; mourant, je serai ta mort)
C’est ce qu’il répétait à toute occasion. Lorsqu’il prit congé des princes et des docteurs luthériens, qui étaient assemblés à Smalkald, la bénédiction qu’il leur donna fut de dire : Deus vos impleat odio Papa. (Que Dieu vous remplisse de la haine du Pape). Il employa la fiction et la fable, le crayon et le burin pour faire entrer par les yeux du peuple toute l’horreur, qu’il voulait qu’on conçut au fond de l’âme pour le Pape. Vous trouverez à la 290ème page du second tome de ses ouvrages, la figure d’un monstre horrible, qu’il dit avoir été trouvé mort dans le Tibre, et qu’il prétendit être une représentation mystérieuse du Pape. Ce monstre avait selon la peinture qu’il en fait, une tête d’âne, pour main droite un pied d’éléphant, pour main gauche la main d’un homme, son pied droit était un pied de bœuf, son pied gauche la patte d’un griffon, il avait la poitrine et le ventre d’une femme, des écailles aux bras et aux cuisses, une tête de vieillard collée sur le derrière, et pour queue une gros serpent, qui jetait feu et flamme ; assemblage ridicule et trop recherché dans toutes ses parties pour ne pas faire sentir à tout homme de bon sens, qu’un tel monstre n’exista jamais que dans l’imagination de Luther, mais assemblage fournissant autant d’applications injurieuses et diffamantes, qu’il y a de pièces, qui le composent, et dès là jugé digne de toute créance, paraissant à Luther, et à Mélanchton mériter une explication fort étendue, et fort détaillée, appuyée de quantité de passages de l’Écriture, qu’on n’a pas craint de profaner pour revêtir un conte ridicule, conte au fond beaucoup plus propre à faire connaître le mauvais génie des chefs de la réforme, qu’à flétrir en aucune manière le caractère respectable du vicaire de Jésus-Christ.
Mais sans qu’il soit besoin d’avoir recours à cette peinture pour y voir l’animosité de Luther vivement exprimée, il n’y a qu’à ouvrir ses livres en quelque endroit que ce soit, pour trouver presque à chaque page des traits de son implacable haine bien marqués. Y a-t-il injure au monde, qu’il ait épargné au Pape ? Sur quel ton ne l’a-t-il pas outragé ? « Le Pape est le diable incarné, dit-il, dans des thèses soutenues à Witenberg : comme Jésus-Christ est Dieu et Homme, ainsi le Pape est homme et diable. Si je pouvais tuer le diable, pourquoi ne le serais-je pas ? » Vous m’avouerez, Monsieur, que c’est là le ton d’un homme qui est bien en colère.
« Prenez garde à vous mon petit Pape, mon petit âne, dit-il, au livre qu’il composa contre les Papes peu avant sa mort, allez doucement, il fait glacé, la glace est fort unie cette année, parce qu’il n’a pas fait beaucoup de vent, vous pourriez aisément tomber, et vous casser une jambe et si en tombant il vous échappait quelque chose, on dirait, quel diable est ceci ? Voyez comme le petit Papelin s’est gâté, et cette liberté de parler serait un crime, que tous les pardons de Rome ne pourraient effacer. » Qu’en pensez-vous, Monsieur ? N’est-ce pas là le ton d’une basse et indigne plaisanterie ? « Le Pape est sorti du derrière du diable, dit-il au même livre, il est plein de diables, plein de mensonges, de blasphèmes, d’idolâtrie, c’est lui qui est l’auteur et le protecteur de tout cela, c’est l’ennemi de Dieu, l’antéchrist, le destructeur du christianisme, le voleur de tous les biens d’Église, le ravisseur des clefs, le plus grand de tous les maquereaux le gouverneur de Sodome. » Ne reconnaissez-vous pas ici, Monsieur, le ton d’une harengère, mais d’une des plus malignes et des plus échauffées ? « car, il ajoute incontinent, ne pensez pas au reste, que ce soient-là des injures, que je dise au Pape, ce sont autant d’éloges, que je lui donne, éloges cependant, qui ne sont dus qu’au satanissimus, c’est-à-dire à celui, qu’on nomme très Saint, mais qui au fond est celui, qui a le plus de ressemblance avec Satan1.
« Le
Pape a fait de l’Église un cloaque, qu’il a remplie de ses
ordures, dit-il, dans son traité
Traité des Conciles, tout ce
qu'il a jeté par le haut et par le bas, nous avons été obligés de
l'adorer comme autant de divinités2
(1). » Comment appellerez-vous ce badinage, Monsieur? Vous êtes
trop équitable, pour ne pas rendre ici à Luther toute la justice
qu'il mérite. Mais que dirons-nous de son ton dévot? « Il faut
bien se garder, dit-il dans une préface, de donner des malédictions;
il faut au contraire prier que le nom de Dieu soit sanctifié, et que
le nom du pape soit confondu ; que le royaume de Dieu nous
advienne, et que celui de l’Antéchrist s'abîme ; c'est là
la prière que tout bon chrétien doit faire3. »
Et pour joindre l'exemple à l'instruction : « Puisse,
dit-il, la
papauté avec tout ce qui en dépend, tomber dans l'abîme des
enfers. Ainsi soit-il4.
Que Jésus-Christ descende du ciel, et écrase le Turc et le pape,
avec tous les tyrans et tous les impies. Amen,
amen5. »
Rien de plus ordinaire à Luther que de mettre en parallèle le pape,
le Turc et le diable ; de là les jolies antithèses dont il se
sert si souvent pour animer son style : « Celui qui veut
entendre parler Dieu, dit - il, qu'il lise l’Écriture ; mais
celui qui veut entendre parler le diable, qu'il lise les décrets des
papes6.
Si le Turc s'empare de nous, nous voilà au diable ; et si nous
restons au pouvoir du pape, nous voilà en enfer ; il n'y a pour
nous que des diables à rencontrer de toutes parts7.
Je suis sûr que le diable du Turc et le diable du pape sont deux
cousins germains ou deux beaux-frères, et que sans le pape le Turc
ne serait jamais devenu si puissant8.
Qu'il serait beau de voir le pape et les cardinaux attachés à une
grande potence, en bel ordre, à peu près comme les sceaux sont
attachés aux Bulles des papes9 !
Il faudrait leur faire une incision derrière le cou pour faire
passer leur langue par là. C'est dans cette attitude, qu'il faudrait
leur permettre de se trouver assemblés, pour célébrer un concile
au gibet, ou pour le célébrer en enfer au milieu de tous les
diables10. »
Pardon, Monsieur, si j'ose vous rapporter de telles infamies ; je sens que je ne ménage pas assez votre délicatesse, et l'amour que vous avez pour Luther doit en souffrir. Mais il s'agit de votre salut ; puissé-je passer pour impoli dans votre esprit, et à ce prix vous dessiller les yeux. Voilà l'homme qui a levé l'étendard de la rébellion contre le pape, et que vous suivez comme votre guide. Tout le parti le regarde comme suscité de Dieu ; on veut que ce soit l'organe du Saint Esprit ; vos rituels même le qualifient d'instrument rare et précieux, dont la miséricorde divine s'est servi dans ces derniers temps, pour rétablir la pureté de la religion11. Quand on entend parler Luther, ou l'on rit, ou l'on rougit de ses excès, selon qu'on est disposé à son égard. Mais n'y a-t-il pas encore plus de sujet pour nous de rire, et pour vous de rougir de l'idée qu'on se forme chez vous de Luther, surtout quand on rapproche cette idée de ces expressions brutales et insensées que nous venons d'entendre, et dont tous ses livres sont remplis ? Le bon sens permet-il de penser que ce soit là le langage d'un homme plein de l'esprit de Dieu ? Dieu aurait-il voulu nous communiquer la pureté de ses lumières par une bouche aussi sale et aussi infecte ? Quel sujet de bénir Dieu, qu'il n'ait pas permis à la séduction de se masquer plus finement ! Quel effet de sa providence, d'avoir voulu que le poison ne se répandît pas sans être accompagné d'indices qui puissent servir aisément de préservatifs et de remèdes !
Mais ce n'est pas là le point principal de la question. J'ai l'honneur de vous le dire, Monsieur, et vous ne l'ignorez pas, c'est un crime damnable de se révolter contre ses supérieurs légitimes ; c'en est un plus damnable encore de persévérer dans la révolte. Si vous désapprouvez les grossièretés de Luther, comme je n'en doute pas, vous persistez cependant dans la désobéissance où il a entraîné tous ses adhérents. Vous adhérez à un parti où l'on fait une profession ouverte de mépriser et d'outrager le pape. Vos rituels le traitent hautement d’Antéchrist, et on y fait à Luther un mérite rare d'avoir dévoilé l'homme de péché, le fils de perdition1, c'est là un de ses glorieux faits qu'on y préconise, comme devant rendre à jamais immortel le nom de Luther2. Je n'en doute pas, si l'on vient à faire une nouvelle édition de votre rituel de Strasbourg, vous suggérerez sans doute à vos ministres, qu'il ne convient pas trop à des sujets de traiter d’Antéchrist celui que le prince honore comme son père, et dont il fait gloire de se dire le fils en Jésus-Christ. Mais sans prétendre vous rendre coupable des excès que vous condamnez, toujours est-il vrai de dire que vous refusez de reconnaître l'autorité de celui que Dieu a établi pour être le pasteur de tous les fidèles, et c'est là le premier chef de désobéissance qui vous rend coupable devant Dieu.
Vous refusez encore de reconnaître l'autorité de votre évêque diocésain : second chef de désobéissance, qui vous fait résister à l'ordre de Dieu, et qui sera pour vous un second titre de condamnation, si vous n'y remédiez.
Oui, Monsieur, quand je n'aurais pu réussir à vous persuader que le pape est véritablement votre supérieur et votre pasteur, du moins ne pourriez-vous pas me contester que cette qualité ne convienne de droit à l'évêque de Strasbourg, par rapport à vous, qui êtes dans son diocèse. Car enfin les évêques sont établis de Dieu pour gouverner l’Église ; c'est la parole expresse de l'Apôtre adressée aux évêques d'Asie, et par eux à tous les évêques du monde. Prenez garde à vous, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour gouverner l’Église de Dieu qu'il a acquise de son sang3. Or, si les évêques sont établis de Dieu pour gouverner l’Église, tous ceux qui veulent être membres de l’Église, ne doivent-ils pas se laisser gouverner par les évêques ? et par conséquent ne sont-ils pas indispensablement obligés à reconnaître' leur juridiction ? l'épiscopat, vous n'en disconviendrez pas, est aussi ancien que le christianisme, et dès que vos ancêtres renoncèrent au culte des idoles pour se soumettre à l’Évangile, ils se soumirent en même temps à la conduite d'un évêque4. Dès le quatrième siècle, Strasbourg avait un évêque, comme nous le voyons par les souscriptions des prélats qui se trouvent au concile de Cologne, en l'an 346. On y voit le nom d'Amandus, évêque de Strasbourg5, lequel se trouva encore l'année suivante au concile de Sardique, avec la plupart des évêques qui avaient fait partie de l'assemblée de Cologne1. On ne sait pas si avant S. Amand il y a eu d'autres évêques à Strasbourg ; mais quand bien même ce serait là le premier, il est toujours certain que depuis saint Amand jusqu'au temps de Luther, on compte quatre-vingts évêques de Strasbourg, dont Jacques Wimpfeling nous a laissé le catalogue. Cet auteur se trompe, en plaçant S. Amand évêque de Strasbourg, à la fin du sixième siècle ; François Guilleman se trompe de même en mettant le commencement de son épiscopat en l'an 640. Ce qui a fait leur erreur, c'est qu'ils l'ont confondu avec S. Amand, évêque de Mastrick , comme l'a très bien remarqué le savant Bollandus2.
Quoi qu'il en soit, n'est-il pas inouï que pendant la durée du gouvernement de ces quatre-vingts évêques, c'est-à-dire selon l'exacte chronologie, durant un espace de près de douze cents ans, il ne se soit trouvé personne dans le diocèse qui ait pensé à contester leur juridiction épiscopale, ou cherché à s'en soustraire ? Comment donc et à quel titre les habitants de cette ville ont-ils entrepris, vers l'an 22 ou 23 du seizième siècle, de secouer le joug de l'obéissance qu'ils devaient à leur évêque comme à leur pasteur légitime ? Comment, et en quelle conscience persistent-ils aujourd'hui à ne pas vouloir reconnaître une autorité si bien établie, et incontestablement émanée de Jésus-Christ ?
Vous me direz sans doute, que si au temps de Luther, l'évêque Guillaume ne se fût point opposé à la prédication du pur évangile, et protégé les anciennes erreurs contre la saine doctrine, les habitants de cette ville n'eussent point pensé à se soustraire à sa juridiction. Mais permettez-moi de vous dire, que si l'évêque de Strasbourg eût enseigné ou fait enseigner dans son diocèse une doctrine particulière qui n'eût pas été commune à tous les évêques de son temps, ou même à tous les évêques des premiers siècles, je m'abstiendrais volontiers de blâmer ceux qui ont cessé de le reconnaître pour pasteur. Mais l'évêque Guillaume n'a fait que maintenir la doctrine reçue et autorisée par tous les évêques de son temps ; il n'a fait enseigner dans son diocèse que ce qu'ont enseigné tous les évêques des quatre premiers siècles, comme je m'offre à vous le faire voir sur tel article contesté qu'il vous plaira d'examiner. Je vous le demande donc, Monsieur, à considérer les choses dans leur origine, et au moment de la séparation (car c'est là le point de vue où il faut toujours les envisager), la présomption n’est-elle pas pour la multitude des pasteurs contre quelques ouailles indociles, pour l'antiquité respectable et non suspecte, contre des nouveaux venus, pour le supérieur contre l'inférieur, pour le corps des évêques joints au chef, contre des particuliers sans caractère ? Que dis-je , Monsieur, l'expression est-elle juste ? Au lieu de parler de présomption, ne faut-il pas dire que l’ordre donné par Jésus-Christ d'écouter son Église, la promesse de n'abandonner jamais le corps des pasteurs, la nécessité d'une autorité toujours visible, toujours en état de parler et de se faire écouter, sont autant de preuves convaincantes qui démontrent par avance, et sans qu'il soit besoin d'entrer dans aucun examen, la faiblesse insoutenable du prétexte dont on voudrait colorer sa révolte contre l'évêque ? Je vous laisse à penser, si l'excuse dont on prétend s'autoriser, en donnant pour raison qu'on a vu ou cru voir son évêque avec tous les autres évêques du monde dans l'erreur, sera reçue au jugement de Dieu, et si cette excuse, bien loin de rendre la désobéissance moins criminelle, ne sera pas justement ce qui l'aggravera davantage.
Qu'il me soit donc permis, Monsieur, par la part que je prends au plus grand de vos intérêts, à votre intérêt éternel, de vous prier, de vous conjurer d'apporter une attention sérieuse aux raisonnements que j'ai eu l'honneur de vous faire, pour vous démontrer l'obligation où vous êtes de revenir à l'obéissance que vous devez à vos supérieurs ecclésiastiques. Ce n'est pas là sans doute un point indifférent pour le salut, puisque l’Écriture compare le mal de la résistance à l'autorité légitime, au désordre du sortilège et au crime de l'idolâtrie1. Pourquoi cette force d'expression, sinon pour nous frapper plus vivement, et nous empêcher d'enfreindre envers nos supérieurs la règle sacrée du devoir. Vous n'ignorez pas, Monsieur, que l'ancienne loi ordonnait de punir de mort quiconque refuserait dans son orgueil d'obéir au grand-prêtre2. Que voyons-nous dans cette punition corporelle, si ce n'est la figure du double châtiment réservé pour le corps et pour l'âme à ceux qui manqueront de soumission envers le grand-prêtre de la nouvelle loi ? Votre zèle pour le service du roi et pour le bien de l’État, vous font sentir aisément toute l'horreur du crime que l'on commet en se révoltant contre son souverain ; tout sujet rebelle ne nous paraît pas moins digne de la colère de Dieu que des vengeances de son prince. N'y aura-t-il que le mépris de l'autorité spirituelle qui vous paraîtra sans conséquence ? le croiriez-vous moins propre à fermer l'entrée du ciel, que le mépris de l'autorité séculière ?
A quoi tient-il donc, Monsieur, que vous ne suiviez cet heureux penchant qui vous porte à tout ce que réclame votre devoir ? Vous aimez partout l’ordre et l'arrangement, aimez-le aussi dans l’Église ; vous désirez être une des ouailles de Jésus-Christ, et vous voir placé à sa droite au jour de son jugement, reconnaissez donc pour pasteur le successeur de celui à qui Jésus-Christ les a toutes confiées. Une longue suite de vos illustres aïeux a respecté constamment pendant plusieurs siècles le pape et l'évêque du diocèse ; hors cinq ou six de vos ancêtres, tous les autres, à remonter jusqu'au premier établissement du christianisme en ces contrées, a vécu sous la juridiction de l'évêque et du pape. Joignez-vous aux plus nombreux et aux plus anciens de vos pères. C'est d'eux que vous tirez l'éclat de votre noblesse, ne craignez pas d'apprendre d'eux les sentiments que vous devez avoir sur la religion. Craignez plutôt de passer pour rebelle à Jésus-Christ, en refusant de reconnaître comme eux l'autorité de son vicaire et des successeurs des Apôtres. « Comment peut-il se flatter d'être attaché à Jésus-Christ, c'est saint Cyprien qui vous adresse cette question, celui qui s'élève contre ses prêtres, et se sépare de la communion du clergé ? Le malheureux, il porte les armes contre l’Église , il est rebelle aux ordres du ciel3. » « C'est une impiété, dit-il ailleurs, c'est un adultère, c'est un sacrilège d'entreprendre de violer par les institutions de la fureur humaine la disposition divine ; retirez-vous, retirez-vous de la compagnie contagieuse des révoltés4. « Voilà, Monsieur, l'exhortation du saint évêque à des infortunés qui se trouvaient dans un cas pareil à celui où vous êtes malheureusement engagé ; c'est également le précis de toutes les réflexions que j'ai eu l'honneur d'offrir à vos sérieuses méditations. Ainsi je finis , en vous assurant qu'on ne peut être plus respectueusement ni avec plus de zèle que je le suis, etc.
L'église, vivement pénétrée de l'intention de son divin fondateur, et bien persuadée que les ministres des autels ne seraient jamais plus conformes à Jésus-Christ, qu'autant qu'ils approcheraient de la sainteté et de la pureté du chef et de l'époux des vierges ; l’Église, dis-je, prit pour plan dès l'origine, et ne le perdit jamais de vue, d'établir pour ses principaux ministres la loi d'une parfaite et perpétuelle continence. En effet, si, dès les premiers siècles, ainsi que nous venons de le voir, une multitude de fidèles de l'un et de l'autre sexe ont embrassé volontairement le célibat chrétien ; comment les ministres sacrés auraient-ils pu n'être pas au moins les imitateurs de ceux qui doivent, avec raison, les regarder comme leurs maîtres en Israël, et comme d'autres saint Paul, leurs guides et leurs conducteurs dans le chemin de la perfection ? Si tant de chrétiens par pur amour pour le Sauveur l'ont pris pour leur modèle, pour leur unique et perpétuel époux ; combien à plus forte raison ceux qui offrent sans cesse le sang de l'Agneau divin, doivent-ils avoir quelque proportion à la sainteté de la Victime sacrée qu'ils immolent chaque jour ! C'est donc avec le plus juste fondement et avec la plus grande raison, que l’Église a senti la nécessité qu'il y avait d'établir le célibat sacerdotal, comme une loi à laquelle l'invitaient l'imitation de son divin chef, l'enseignement de ses Apôtres, l'exemple d'un grand nombre de fidèles, et la pratique même d'une multitude de ministres du Seigneur qui dès le commencement s'y portaient d'eux-mêmes le plus librement.
Si l'on ne peut dire (comme le pense aussi le savant cardinal Bellarmin2), que le célibat sacerdotal soit directement de droit divin, il est du moins de l'exacte vérité d'assurer qu'il est d'imitation divine, d'enseignement apostolique et de loi ecclésiastique. Je dis d'abord qu'il est d'imitation divine ; et cette vérité résulte si clairement des trois chapitres précédents, que je ne pourrais que me répéter pour le prouver davantage. Ainsi j'ajoute qu'il est d'enseignement apostolique ; car, la commune tradition est d'abord que les Apôtres, ou ont été vierges, tel que saint Jean l’Évangéliste, ou qu'ils ont gardé la continence depuis leur Apostolat, dit saint Jérôme3 ; Il est certain que d'un autre côté ce qu'ils ont pratiqué ils l'ont aussi enseigné. Il ne faut pour s'en convaincre que jeter les yeux sur le septième chapitre de la première Épître de saint Paul aux Corinthiens que j'ai déjà cité tant de fois, et dans laquelle il fait de si grands éloges de la virginité. Car, s'il y enseigne aux personnes mariées à garder la continence dans le temps de la prière, à combien plus forte raison enseigne-t-il à ceux dont l'état est de prier sans cesse, à garder sans cesse la continence ! S'il ajoute en parlant encore de la continence, Je voudrais que tous fussent comme moi4 (3) ; à combien plus forte raison enseigne-t-il, veut-il, que ceux qui sont comme lui employés aux fonctions sacrées de l'Apostolat et du sacerdoce, gardent aussi comme lui la continence perpétuelle ! Enfin, je dis que le célibat sacerdotal est de loi ecclésiastique.
Les intentions de l’Église, il est vrai, ne purent se remplir d'abord dans toute l'étendue qu'elle désirait, et il fut même de la prudence de se conduire alors avec beaucoup de ménagement, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que le mariage étant permis aux prêtres de l'ancienne loi, c'eût été heurter trop brusquement les esprits que d'exiger tout de suite, et non pas de conseiller le célibat : « Car, dit saint Jérôme, l’Église dans le commencement n'étant composée presque que de Gentils nouvellement convertis, il fallut n'exiger d'eux que ce qu'il y avait de plus facile, de peur qu'autrement ils ne s'effrayassent, et ne voulussent pas se convertir1. » D'un autre côté, les sujets étant beaucoup plus rares dans ces premiers temps, surtout à cause des persécutions, qu'ils ne le sont devenus depuis plusieurs siècles, il était très difficile de trouver dans les ministres célibataires autant de sujets que le demandaient les besoins de l’Église. Par ces motifs, il ne fut pas défendu d'élever dans ces temps au sacerdoce ceux mêmes qui étaient engagés dans les liens du mariage, pourvu cependant qu'ils ne l'eussent été qu'une fois, ainsi qu'on le voit par les Épîtres de saint Paul. Mais le nombre des ministres qui embrassaient volontairement le célibat, ne tardant pas à s'augmenter de jour en jour, l’Église commença à exiger qu'après l'ordination l’évêque se séparerait pour toujours de sa femme ; ensuite elle n'ordonna plus pour évêques ceux mêmes qui étaient mariés ; enfin elle voulut que ceux qui seraient élevés à l'épiscopat fissent auparavant vœu de continence perpétuelle. Des évêques elle tint la même conduite d'abord à l'égard des prêtres, ensuite à l'égard des diacres, enfin à l'égard des sous-diacres. Et l'on peut dire que l’Église s'est d'autant plus facilement portée à établir pour ses principaux ministres la loi du célibat sacerdotal, qu'eux-mêmes, pénétrés de toutes les saintes raisons qui les y engageaient, s'y sont portés d'autant plus librement qu'ils s'en sont fait une gloire. En sorte que l’Église en cela n'a fait que confirmer et appuyer de son autorité ce qui se pratiquait déjà le plus universellement : et elle l'a fait avec raison, tant pour rendre uniforme cette loi parmi ses ministres, que pour confirmer les uns dans leurs saints engagements, et ôter aux autres la tentation que le démon pourrait leur suggérer de s'en écarter. Je diviserai les lois et les autorités qui établissent le célibat sacerdotal en quatre époques. La première sera jusqu'au premier concile général de Nicée ; la seconde, jusqu'au décret du pape Syrice Ier ; la troisième, jusqu'au premier concile général de Latran ; et la quatrième, jusqu'au concile général de Trente.
La loi ecclésiastique la plus ancienne que l'on connaisse sur le célibat sacerdotal est le trente-troisième canon du concile dit d'Elvire en l'année 365. Voici comme il s'exprime :
« Il est généralement ordonné à tous les évêques, prêtres et diacres, et tous clercs engagés dans le ministère, de s'abstenir de leur femme et de n'avoir pas d'enfants ; quiconque contreviendra à ce canon soit privé de l'honneur de la cléricature2. »
En 314, le premier canon du concile de Neocésarée ordonne :
« Que si un prêtre se marie il soit interdit ; s'il commet fornication ou adultère, il soit entièrement dégradé, et condamné à faire pénitence1. »
Peu de temps après ces deux conciles, c'est-à-dire l'an 325, le troisième et célèbre canon du premier concile général tenu dans la ville de Nicée, s'exprima d'une manière non moins décisive sur le célibat sacerdotal : « Le grand concile défend absolument à tout évêque, prêtre, diacre et autre clerc d'avoir chez lui une femme sous-introduite ; tolère seulement d'avoir sa mère, ou sa saeur, ou sa tante, ou les seules personnes qui sont hors de tout soupçon2. »
Arrêtons-nous particulièrement à ce canon de Nicée, et remarquons qu'il renferme deux parties qui établissent clairement le célibat sacerdotal. La première, en défendant aux ministres des autels d'avoir même chez eux des femmes sous-introduites ; la seconde partie, en désignant les personnes avec lesquelles néanmoins ils peuvent demeurer, et dans lesquelles il n'est fait aucune mention d'une épouse. Par femme sous-introduite l'on entend ce que l'on appelait ailleurs les Agapètes, qui étaient des personnes du sexe vivant avec des ecclésiastiques sous le prétexte de charité et d'amitié spirituelle : ce qui était un très grand scandale dans l’Église. « D'où viennent, dit saint Jérôme, ces Agapètes, qui scandalisent l’Église, et qui sans se marier deviennent des femmes cachées sous un autre nom3? »
Or, c'est pour prévenir ces abus et ces scandales si opposés à la sainteté du célibat sacerdotal, que le concile défend absolument ces sortes de femmes. Ainsi point de règles plus authentiques ni plus respectables depuis les Apôtres pour établir le célibat sacerdotal, que ce canon du concile général de Nicée, concile qui réunissant dans sa sainte assemblée tous les évêques des différentes parties du monde chrétien, réunissait par conséquent autant de témoins vénérables de l'usage le plus universellement observé par rapport au célibat dans toutes les Églises. Aussi, autant ce grand et saint concile a été sur cela la preuve et la confirmation de cette discipline ancienne de l’Église, autant a-t-il été lui-même le fondement et la base d'un grand nombre de conciles et d'autres autorités, qui, d'après lui et comme lui, ont ordonné le célibat aux ecclésiastiques. Cependant comme malgré cette clarté du concile, reconnue et confirmée par les conciles postérieurs et les saints Pères, il s'est trouvé des auteurs dans les derniers siècles qui ont cru devoir la contester, et qui ont prétendu que ce canon n'avait établi aucune loi sur le célibat sacerdotal, j'ai pensé qu'avant d'aller plus avant, il était à propos, dans un ouvrage comme celui-ci, d'examiner les raisons sur lesquelles ils s'appuient, et en les réfutant, de faire connaître qu'une des autorités dont on a cru pouvoir se servir pour affaiblir ce canon, est au contraire, selon nous, celle qui en affermit davantage le sens naturel, et la volonté qu'a eue le concile de prescrire le célibat sacerdotal.
Il est certain d'abord (ainsi que la suite le démontrera) que les conciles et les saints Pères, tant grecs que latins, qui, jusqu'au quinzième ou seizième siècle, ont parlé de ce canon, ont reconnu qu'il obligeait au célibat les ministres des autels. Or, ce n'est tout au plus que depuis deux siècles que quelques-uns ont commencé à croire que ce concile n'avait statué aucune obligation aux ecclésiastiques de garder la continence ; et la principale autorité dont on s'est servi pour constater cette vérité, est l'histoire rapportée par Socrate d'une représentation faite par Paphnuce, évêque de la haute Thébaïde, au concile, sur la continence des ecclésiastiques mariés avant leur ordination. Les hérétiques des derniers siècles, si ennemis du célibat chrétien, ont été,ce semble, les premiers, et surtout les calvinistes, qui ont prétendu que sur la représentation de Paphnuce, le concile n'avait établi aucune loi sur le célibat sacerdotal. Plusieurs auteurs catholiques ont cru y trouver la même chose. Mais un peu plus d'attention de la part de ces derniers et un peu moins de prévention de la part des autres, aurait fait connaître que Paphnuce ne demanda aux Pères du concile autre chose, sinon qu'ils n'obligeassent pas pour le présent les clercs mariés avant leur ordination à se séparer de leurs femmes ; que du reste il approuvait fort que le concile obligeât dorénavant au célibat tous ceux qui seraient ordonnés ; et que ceux mêmes qui, depuis leur ordination, s'étaient mariés, se séparassent de leurs femmes. C'est ce dont je crois que l'on conviendra avec nous en lisant attentivement le passage rapporté par Socrate, dans son histoire, livre premier, chapitre onze. La version latine est du P. Alexandre dans sa dissertation sur le célibat des ministres sacrés.
« Les évêques avaient quelque dessein de faire encore une autre loi par laquelle ceux qui étant mariés avaient été ordonnés évêques, prêtres et diacres, se séparassent de leurs femmes. Lors donc que l'on fut près de traiter cette question, Paphnuce se leva au milieu de l'assemblée et dit à haute voix : qu'il ne fallait pas assujettir à une telle loi ceux qui avaient été ainsi ordonnés, que le mariage est honorable en tout et que son union est pure, et qu'il fallait prendre garde qu'en voulant trop en demander, il n'en résultât pour l’Église de grands inconvénients ; que tous n'étaient pas capables d'observer une règle si austère, et que ce serait peut-être exposer leurs épouses, qui ne se sentiraient pas assez de force pour garder une telle chasteté (car il regardait comme chaste un mariage légitime) ; qu'il fallait se contenter d'ordonner que ceux qui s'étaient mariés depuis leur ordination se séparassent de leurs femmes, selon l'ancienne tradition de l’Église ; mais qu'il ne fallait pas exiger la même chose de ceux qui avaient été mariés avant d'être ordonnés.
Ainsi parla au milieu du concile Paphnuce, qui non seulement n'était pas marié, mais qui avait toujours vécu dans une parfaite continence. Car dès son enfance il s'était retiré dans un monastère où il menait un genre de vie très austère, et où il s'était surtout acquis une grande réputation de chasteté la plus exemplaire. C'est pourquoi tous les évêques, prêtres et diacres ayant approuvé l'avis de Paphnuce, on ne songea plus à traiter cette question, et on laissa à chacun le pouvoir et la liberté de garder la continence avec sa femme1.
Que voit-on d'abord, je le demande dans ce passage, qui détruise ou même affaiblisse le canon que le concile vient d'établir sur l'obligation du célibat sacerdotal ? Que n'y voit-on pas au contraire qui ne le confirme ? Paphnuce, sans attaquer aucunement ce canon, mais plutôt le regardant comme conforme aux lois anciennes de l’Église, demande seulement que pour le présent l'on n'établisse pas de loi qui oblige ceux qui étaient mariés avant leur ordination à se séparer de leurs femmes ; parce que l’Église, en les ordonnant quoiqu'ils fussent mariés, était censée approuver leur mariage ; que leur mariage étant donc très légitime, leurs femmes ne pourraient en épouser d'autres sans crimes, ni être séparées malgré elles de leurs époux sans être exposées peut-être au danger de l'incontinence. Mais Paphnuce demande-t-il la même chose pour ceux qui se sont mariés depuis leur ordination ? Nullement : parce que l'ancienne tradition, l'ancienne discipline de l’Église était contre eux, parce qu'ils ont contrevenu à cette loi. Ainsi, bien loin de demander qu'ils gardent leurs femmes, il consent qu'ils en soient séparés, parce que leur mariage n'est pas légitime, et que ne l'étant pas, elles doivent être mises au rang des femmes suspectes, des femmes sous-introduites. Ainsi, demander que la rigueur du canon ne s'applique pas pour le présent aux premiers, mais consentir qu'il s'applique aux seconds, n'est-ce pas soutenir, n'est-ce pas appuyer de la manière la plus forte ce que le concile a établi sur le célibat sacerdotal ?
Sur quoi cependant quelques-uns ont-ils pu croire que la représentation de Paphnuce avait empêché ce concile de prononcer aucune loi sur ce célibat ? ou que même les Pères avaient laissé indistinctement à chacun la liberté d'habiter avec leurs femmes prises avant ou après l'ordination ? ce ne peut être, selon toute apparence, que sur ces dernières paroles du passage de Socrate où il est dit, que le concile laissa à chacun le pouvoir et la liberté de garder la continence avec leurs femmes1.
Mais encore un peu de réflexion apprendra que d'après tout ce qui a précédé, ces dernières paroles ne signifient autre chose sinon que le concile laissa la liberté à ceux-là seulement qui avaient été mariés avant leur ordination, de garder la continence avec leurs femmes, et non pas à ceux qui s'étaient mariés depuis leur ordination. Donner à ces paroles ce dernier sens, serait faire entrer Socrate ou Paphnuce dans la plus grande contradiction, ce serait en même temps taxer le concile de détruire l'ancienne discipline de l’Église. Car, qu'y aurait-il de plus ridicule de dire que Paphnuce demandant seulement qu'on n'obligeât pas ceux qui jusqu'ici avaient été mariés avant leur ordination à se séparer de leurs femmes, le concile néanmoins en eût accordé plus qu'il ne demandait, en donnant la même liberté tant à ceux-là qu'à ceux qui s'étaient mariés depuis leur ordination ou qui même se marieraient dorénavant ? Qu'y a-t-il aussi de plus révoltant d'avancer que ce saint concile, après le canon qu'il venait de former, se fût porté à se renverser lui-même et à renverser en même temps l'ancienne discipline de l’Église ? et cela, quoique Paphnuce lui eût représenté que cette ancienne discipline ne permettait aucunement à ceux qui étaient élevés aux ordres, de se marier1 ; ainsi qu'on l’a vu effectivement par les canons des deux premiers conciles que j'ai rapportés.
Rien donc de plus sage que la demande ou l'avis de Paphnuce ; mais il ne faut pas l'élever à un tel excès que l'on pense qu'il ait été le plus sage et le seul sage entre tous les Pères qui formaient ce grand et saint concile. Il s'est passé dans cette assemblée ce que l'on sait être ordinaire dans toutes celles où, lorsqu'il s'agit de porter quelque jugement, l'on discute auparavant la question, l'on charge quelqu'un de porter sur cela la parole et de prendre des conclusions, De même, dans cette respectable assemblée, après avoir établi le canon qui confirme l'obligation déjà ancienne pour les ministres des autels de garder le célibat, il aura été question de savoir quelle conduite néanmoins l'on devait tenir envers ceux qui pour le présent étaient mariés. A l'égard de ceux qui l'étaient depuis leur ordination, la chose ne paraissait souffrir aucune difficulté, leur mariage était nul, et fait contre les lois et l'ancienne tradition de l’Église ; par conséquent les femmes qu'ils avaient étaient mises au rang des sous-introduites. La difficulté était seulement plus grande à l'égard de ceux qui avaient été mariés avant leur ordination, et il s'agissait de savoir si on les obligerait à se séparer de leurs femmes ; parce que dans le nombre de celles avec lesquelles le canon du concile disait qu'ils pourraient demeurer, l'épouse était particulièrement omise. La matière étant donc importante, et demandant une mûre réflexion, l'on aura mis à en délibérer en plein concile ; et pour donner à la décision, quoique non écrite, une forme plus authentique, Paphnuce fut chargé de la part des Pères de porter sur cela la parole, d'exposer les raisons et de donner même son avis, qui a été de ne pas obliger ceux qui étaient mariés avant leur ordination à se séparer de leurs femmes. Sur quoi la matière mise en délibération, quoique les Pères suivent cet avis, ils ne disent pas cependant en termes formels, qu'ils permettent à ceux pour qui parlait Paphnuce, c'est-à-dire à ceux qui étaient mariés avant leur ordination, de continuer à habiter avec leurs femmes, mais qu'ils leur donnent la liberté de garder la continence avec leurs femmes2. Expressions qui marquent la pureté évangélique dont étaient animés tous les Pères de ce grand et saint concile, et par lesquelles ils font connaître assez clairement qu'ils conseillent néanmoins à ceux-ci de garder la continence. Ainsi, rien de plus sage que toute la conduite du concile, et rien de plus prudent ; parce qu'en effet lorsqu'on établit une loi, l'on use d'indulgence pour le passé, sauf à la faire observer exactement par la suite. Mais indulgence qui fait connaître en même temps que la volonté du concile était qu'on n'ordonnât plus dorénavant ceux qui étaient mariés, afin que ie nouveau canon fût observé dans toute son exactitude.
Tel est selon nous le véritable sens et l'explication très naturelle de ce passage tiré de l'histoire de Socrate. Ainsi, sans nous arrêter aux raisonnements de ceux qui, croyant que ce passage est opposé au troisième canon du concile de Nicée, accusent cet historien de supposition dans le rapport qu'il fait de l'histoire de Paphnuce, ou qui lui imputent de favoriser l'hérésie des Novatiens, nous soutenons au contraire ce passage, nous le regardons comme une circonstance instructive et un ancien monument qui donne au canon de Nicée une grande clarté, et qui confirme plus que jamais le sens que nous lui donnons. Et je pense que Socrate lui-même serait étonné, s'il pouvait entendre que l'on donnât à son passage un autre sens que celui que nous avons exposé, sens auquel tous ceux qui s'en sont écartés depuis quelque temps, doivent revenir avec tous les conciles et les saints Pères qui les ont précédés.
Après cette digression, revenons maintenant plus particulièrement au troisième canon du premier concile général de Nicée, et disons que quand même nous manquerions de ce passage de Socrate, que quand même il serait aussi peu favorable que le prétendent quelques-uns, la seule inspection de ce canon suffirait pour se convaincre de la volonté qu'a eue le concile d'affermir l'obligation du célibat sacerdotal. En effet, commencer par défendre à tout ecclésiastique d'avoir chez lui des femmes sous-introduites, de peur que sous ce prétexte l'intégrité du célibat n'en soit altérée, n'est-ce pas annoncer clairement que le mariage ne leur étant pas permis, ils ne doivent pas même avoir chez eux des personnes dont la société serait plutôt une occasion de scandale pour l’Église que d'édification ? Car dit saint Basile :
« L'honneur et la dignité du célibat consiste en ce que nous sommes séparés de tout commerce et de toute société avec les femmes. Si donc quelqu'un, après avoir fait vœu de continence, se comporte néanmoins de même que ceux qui sont mariés, il fait évidemment connaître qu'il voudrait se donner la gloire d'être vierge, quoiqu'il ne mène qu'une vie de volupté1. »
Mais outre cette première preuve, qu'y a-t-il encore qui établisse davantage le célibat sacerdotal que la seconde partie du canon par laquelle ce concile, tolérant néanmoins (nisi forte) que les ecclésiastiques puissent demeurer avec leur mère, leur sœur, leur tante et autres personnes qui sont hors de tout soupçon, affecte de ne faire aucune mention d'une épouse. Une exclusion si expresse prouve si fortement que le concile a voulu défendre positivement le mariage aux ministres des autels, que sans cela ce canon non-seulement n'aurait aucun sens, mais n'en présenterait qu'un très ridicule. Car, dira-t-on qu'alors la femme serait comprise dans celles qui sont hors de tout soupçon ? Mais ce serait faire la plus grande injure à l'honneur dû au mariage de ne mettre que dans ce rang celles qui doivent être mises les premières, et même avant les père et mère ; puisque de droit divin la femme peut les quitter pour demeurer avec son époux. D'un autre côté, à quoi bon cette exception pour les ecclésiastiques qui seraient mariés, plutôt que pour les laïques qui le sont ? Ne sait-on pas d'ailleurs que les épouses, selon leur rang et les besoins de leur ménage, peuvent très légitimement avoir à leur service une ou plusieurs autres personnes de leur sexe ? et le concile aurait-il prétendu les en priver ?
Ainsi, encore une fois, à quoi aurait servi ce canon ? quel sens ridicule, ou tout au moins inintelligible, ne présenterait-il pas ? mais, au contraire, quel sens clair, naturel et vrai n'offre-t-il pas, en reconnaissant qu'il a voulu confirmer l'ancienne discipline de l’Église sur l'obligation du célibat sacerdotal, et retrancher les abus qui s'y étaient introduits, en défendant pour cela premièrement aux ecclésiastiques d'avoir chez eux des femmes sous-introduites ; secondement, en désignant les personnes néanmoins avec lesquelles ils pouvaient décemment demeurer, et dans le nombre desquelles il ne fait aucune mention expresse de l'épouse. Vérité si reconnue par les conciles et les Pères qui sont venus depuis, comme je l'ai déjà dit, qu'il y a lieu de s'étonner comment dans les derniers siècles on a pu la méconnaître. Passons maintenant à la seconde époque, c'est-à-dire au temps qui s'est écoulé depuis ce concile, jusqu'au décret du pape Syrice Ier.
Je ne prétends pas en suivant cette époque et les autres, rapporter ici absolument toutes les autorités qui font connaître combien l’Église dans tous les siècles a toujours été attentive soit à exiger la continence exacte de ses ministres, soit à empêcher sur cela les abus et les relâchements qui se sont plus d'une fois introduits ; parce que le rapport de toutes ces autorités ne pourrait que devenir ennuyeux, tant à cause de ses longueurs que par ses fréquentes répétitions. Mais je choisirai les plus importantes et celles qui renferment en même temps tout ce que les autres peuvent dire de plus essentiel. En commençant donc par les autorités qui suivent de plus près le concile général de Nicée, jusqu'au décret du pape Syrice, l'on remarquera que l'autorité de ce concile sur l'obligation du célibat sacerdotal était déjà d'un si grands poids, que si quelqu'un y manquait en quelque chose, les saints Pères, tel que saint Basile, tel que saint Épiphane, qui vivaient au même siècle que le concile, s'en servaient pour faire rentrer les ministres des autels dans leurs devoirs et leurs obligations. Commençons par la lettre de saint Basile au prêtre Parégore pour lui ordonner de n'avoir pas chez lui de femme sous-introduite.
« Nous ne sommes pas les seuls ni les premiers, cher Parégore, qui défendons aux ecclésiastiques de demeurer avec des femmes : mais lisez le canon qu'en ont faits nos saints Pères assemblés au concile de Nicée, et vous y apprendrez qu'il défend qu'elles soient (sous-introduites ou) étrangères. Car l'honneur et la dignité du célibat consiste en ce que nous sommes séparés de toute société avec les femmes. Si donc quelqu'un après avoir fait vœu de chasteté se comporte néanmoins de même que ceux qui sont mariés, il fait évidemment connaître qu'il voudrait se donner la gloire d'être vierge quoiqu'il n'ait pas honte de mener une vie de volupté. Et certainement vous deviez vous conformer d'autant plus sur cela à ce que nous vous avions mandé, que vous dites que vous n'êtes nullement troublé par les désirs de la chair. Je suis en effet très porté à croire qu'un septuagénaire n'a point de mauvaise intention en demeurant avec une femme ; aussi n'est-ce pas ce motif qui m'a porté à vous signifier la défense que je vous ai faite, mais c'est parce que l'Apôtre nous enseigne à ne jamais donner occasion de scandale à notre frère. Or, l'expérience nous apprend que ce que les uns ne font pas par mauvaise volonté, ne laisse pas de donner aux autres occasion de pécher. Ainsi, en exécution du canon de nos saints Pères nous vous ordonnons de vous séparer de cette femme... Renvoyez-la de votre maison et faites-la entrer dans un monastère : qu'elle y demeure avec les personnes de son sexe, et faites-vous servir par des hommes, afin que ni l'un ni l'autre ne donniez occasion de mal parler du saint nom de Dieu... Que si, sans vous corriger, vous osez remplir les fonctions du sacerdoce, vous serez un sujet d'anathème pour tous les fidèles, et ceux qui vous recevront, seront traités comme excommuniés par toute l’Église1. »
Voilà donc une autorité qui en même temps qu'elle démontre le plus clairement combien nous avons été fondés à soutenir la loi que le concile de Nicée a établie sur le célibat sacerdotal, fait connaître en même temps combien les saints Pères s'appuyaient de l'autorité de ce canon sur cet article. Et si quelqu'un avait encore sur cela quelque doute, je lui dirais comme saint Basile au prêtre Parégore : Lisez le canon des Pères du concile de Nicée2 ; c'est en exécution de ce canon que nous vous ordonnons de vous séparer de cette femme3.
Écoutons maintenant saint Épiphane, qui des plus versés dans la connaissance des lois de l’Église, nous expose d'une manière admirable quelle était dès son temps la discipline universelle de l’Église sur le célibat sacerdotal ; et qui ajoute que si dans quelques endroits l'on n'était pas aussi soigneux à l'observer que dans tous les autres, on péchait en cela contre l'autorité des canons ; au nombre desquels on ne doit pas douter qu'il ne place des premiers celui de Nicée.
« La virginité que plusieurs pratiquent et observent4, est le fondement et le soutien de cette gloire dont jouit l’Église et qui la rend si célèbre et si recommandable dans le monde... Mais entre ceux-ci ce qui y met le comble est surtout le sacré sacerdoce qui en est comme l'école et la source , parce que c'est principalement entre les vierges, ou du moins parmi les moines qu'on choisit ceux que l'on élève à l'ordre sacerdotal : que si parmi les moines l'on n'en trouve pas d'assez propres à ces fonctions, alors on les choisit dans ceux qui gardent la continence avec leur femme, ou qui étant veufs n'ont été mariés qu'une fois. Mais l'on n'y élève point celui qui a été marié plus d'une fois, quand même il garderait la continence avec sa femme ou qu'il deviendrait veuf ; en sorte que celui-là est entièrement exclu de l'épiscopat, de la prêtrise, du diaconat et du sous-diaconat. Quant à l'ordre des lecteurs, on peut les choisir dans tous les états, c'est-à-dire entre les vierges, les moines, les continents avec leur femme, les veufs et ceux qui sont engagés dans les liens d'un légitime mariage ; l'on peut même les choisir, en cas de nécessité, parmi ceux qui ont été mariés plusieurs fois, car le lecteur n'est pas un ordre sacerdotal, mais il est mis au rang des scribes de la sainte Écriture.
« Celui qui est marié1, quoique ce soit pour la première fois, ne peut être élevé à l'ordre de diacre, de prêtre , d'évêque, ni même de sous-diacre, à moins qu'il ne garde la continence avec sa femme, ou qu'il ne devienne veuf. Voilà ce qui se pratique principalement dans les lieux où l'on observe exactement les canons de l’Église... Et quant à ceux qui n'observent pas cette règle, ils n'ont aucun canon qui les y autorise, mais il faut s'en prendre ou à la mollesse, qui quelquefois porte au relâchement, lorsque les villes sont trop peuplées, ou lorsque l'on ne peut trouver assez de ministres qui gardent la chasteté. Car pour l’Église toujours soutenue et conduite par l'Esprit saint, elle ne s'étudie en toutes choses qu'à pratiquer ce qu'il y a de plus parfait. C'est pourquoi elle a voulu que ceux qui sont consacrés aux divins mystères ne fussent, autant qu'il est possible, détournés par aucun objet étranger, afin que des fonctions aussi spirituelles ne fussent remplies que par l'âme la plus pure et la plus dégagée des soins de cette vie. En effet, qu'y a-t-il de plus convenable que des évêques, des prêtres et des diacres ne soient occupés que de Dieu seul, dans des fonctions où l'on est continuellement occupé de son service ? Car, si l'Apôtre ordonne aux simples fidèles de garder la continence lorsqu'ils doivent vaquer à la prière, à combien plus forte raison ne la prescrit-il pas aux prêtres ! afin que les embarras de cette vie ne les empêchent pas de ne s'occuper que du service de Dieu, que des choses spirituelles, et de tout ce qui concerne la dignité du sacerdoce, et l'administration des choses saintes2. »
Rien certainement de plus précieux que ces deux passages de saint Épiphane. L'on y reconnaît l'antiquité de la même discipline que l’Église observe encore aujourd'hui et l'on y voit avec la plus grande satisfaction, comment elle n'a jamais perdu de vue en quelque temps que ce fût, de ramener les ministres de l’Église à la plus exacte observation du canon de Nicée. Rapportons encore ici deux beaux passages, l'un d'Origène, qui est mort avant ce concile, et l'autre de l'historien Eusèbe, postérieur à ce concile.
« Lorsque l'Apôtre saint Paul3 enseigne à ceux qui sont mariés de se garder réciproquement la foi conjugale, à moins que d'un commun consentement ils ne gardent pour un temps la continence, principalement lorsqu'ils doivent vaquer à l'oraison ; il fait évidemment connaître que ceux qui sont occupés des soins et des embarras d'un ménage, ne peuvent continuellement offrir le sacrifice. D'où je conclus, que le sacrifice perpétuel ne peut être perpétuellement offert que par celui-là seul qui a fait vœu d'une chasteté perpétuelle1. »
« Il faut (dit Eusèbe, à l’occasion des docteurs de l’Église et des prédicateurs de l’Évangile) que pour vaquer avec plus de fruit et de liberté à de si saintes études, ils renoncent totalement aux liens du mariage ; d'autant plus qu'ils se sont chargés de donner à Dieu des enfants spirituels, d'en élever une multitude innombrable, de les instruire de la loi sainte, et de les former dans la voie du salut2.
Ainsi après ces anciennes et respectables autorités, rapportons maintenant le célèbre décret du pape Syrice 1er, et loin de croire comme quelques-uns que ce décret est la première loi que l’Église a établie sur l'obligation du célibat sacerdotal, venons y reconnaître qu'il ne dit rien de nouveau, qu'il ne fait que suivre l'ancienne discipline de l’Église, ses anciens canons, les confirmer derechef et les autoriser autant qu'il est en lui. Ce décret est adressé, en 385, à Himérius, évêque de Tarragone en Espagne. Voici ce que disent les articles septième et douzième sur la continence des ecclésiastiques.
« Parlons maintenant des très saints ministres des autels. Lorsque votre zèle pour la maison du Seigneur nous apprend combien ceux de vos provinces déshonorent la sainteté de la religion, par la vie indigne et honteuse qu'ils mènent, nous ne pouvons nous empêcher de nous écrier avec Jérémie3 : Qui me donnera une source de larmes assez abondante pour pleurer jour et nuit un tel peuple ? Or, si ce saint prophète ne trouvait pas assez de larmes pour pleurer les péchés du peuple juif, de quelle douleur n'avons - nous pas le cœur percé, lorsque nous avons à déplorer les crimes de ceux principalement qui sont engagés dans un ministère aussi saint que le notre, de ceux principalement qui devraient sans cesse se souvenir, et dire comme saint Paul4 : C'est le soin perpétuel de toutes les Églises qui m'est confié, et qui sans cesse doit être l'objet de ma sollicitude pastorale. Par conséquent, quel est le faible dont je ne doive guérir la faiblesse ? quel est le scandale que je ne doive faire cesser5 ? »
« Il y a donc, nous dites-vous, des prêtres et des diacres chez vous, qui longtemps après leur ordination vivent encore avec leurs femmes, ou avec des concubines, et en ont des enfants. Et pour autoriser leur incontinence, ils allèguent l'exemple de l'ancienne loi, où le mariage était permis aux prêtres et aux lévites. Mais que ces hommes si incontinents et d'une doctrine si pernicieuse nous disent pourquoi, si la loi de Moïse tolérait le mariage des prêtres et des lévites, pourquoi, dis-je, lorsqu'ils devaient entrer en fonctions et approcher du Saint des saints, Moïse leur disait de la part du Seigneur1 : Soyez saint parce que le Seigneur votre Dieu est saint ? Pourquoi était-il ordonné aux prêtres de l'ancienne loi de quitter leur maison pendant l'année de leur service pour demeurer dans le temple, sinon, afin qu'étant séparés de leurs femmes, ils fussent en état d'offrir avec une pureté plus parfaite un sacrifice agréable au Seigneur ? Du reste, si, le temps de leur service rempli, ils retournaient avec leurs femmes, ce n'était qu'afin de perpétuer la tribu de Lévi, à laquelle le Seigneur avait attaché les fonctions du sacerdoce à l'exclusion de toutes autre tribu. Mais depuis l'avènement du Messie, notre Seigneur Jésus qui nous a éclairés des lumières de son Évangile, et nous a assurés2, qu'il est venu non pour abolir la loi, mais lui donner son accomplissement, a voulu que la chasteté fît le plus brillant ornement de son Église, dont il est l'auguste époux, afin, comme dit l'Apôtre, de la trouver belle et sans tache au jour de son second avènement.
C'est pourquoi nous autres prêtres et lévites de la nouvelle alliance, nous sommes obligés par une loi inviolable, et en vertu de notre ordination, de garder dès ce moment la continence et la chasteté, afin que nos cœurs et nos corps, dégagés des objets terrestres, puissent offrir tous les jours à notre Dieu des sacrifices qui lui soient agréables. Car, dit saint Paul, ce vase d'élection3, ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu. Mais pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l'esprit, si néanmoins l’esprit de Dieu habite en vous. Or, dans qui l'esprit de Dieu réside-t-il plus parfaitement que dans ceux, comme dit l’Écriture, qui vivent chastement4 ? »
« Ainsi, comme entre ceux dont nous parle Votre Sainteté, nous apprenons qu'il y en a qui ont péché par ignorance et s'en repentent, nous disons qu'en usant d'indulgence à leur égard, il faut, sans les élever à un ordre supérieur, leur permettre pendant leur vie de remplir les fonctions de celui où ils étaient alors, pourvu néanmoins qu'ils gardent par la suite une exacte continence. Quant à ceux qui osent encore autoriser leur incontinence par l'exemple de la tolérance accordée dans l'ancienne loi, qu'ils sachent que l'autorité du Siège apostolique les dégrade de toute dignité ecclésiastique parce qu'ils s'en sont rendus indignes et qu'ils sont pour toujours incapables de célébrer nos redoutables mystères, dont ils se sont exclus eux-mêmes par les honteuses passions auxquelles ils se sont abandonnés. Et comme ce que nous voyons de nos jours nous avertit d'empêcher que de tels scandales n'arrivent par la suite, que tout évêque, prêtre et diacre qui donneront de tels scandales ( ce qu'à Dieu ne plaise ) apprennent aujourd'hui qu'ils n'auront plus à attendre de notre part aucune indulgence ; parce qu'il est nécessaire d'employer la rigueur aux maux que les remèdes charitables ne peuvent déraciner.
« Nous ne voulons pas1 que d'autres femmes habitent avec les clercs, sinon celles que permet le concile de Nicée, à cause de l'étroite parenté2. »
Tel est le célèbre décret du pape Syrice Ier sur l'obligation du célibat sacerdotal. Décret qui est bien, il est vrai, la première loi que nous connaissions émanée de l'autorité du siège de saint Pierre, mais non pas, comme je l'ai dit, la première émanée de l'autorité de l’Église en général ; témoin ce que nous avons cité de saint Épiphane, des conciles de Nicée, de Néocésarée et d'Elvire ; témoin le décret même de Syrice, qui dit que « nous autres prêtres et lévites de la nouvelle alliance nous sommes obligés par une loi inviolable à garder la continence et la chasteté3. » Or, comme cette loi inviolable dont parle le souverain Pontife n'est sûrement pas la sienne, qui étant toute nouvelle n'était pas encore connue, il s'ensuit nécessairement qu'il veut parler des lois précédentes déjà établies, déjà connues comme obligatoires, et dans lesquelles on voit qu'il comprend très expressément celle du concile général de Nicée. Mais en même temps qu'il est démontré qu'il y a plusieurs lois avant le décret de Syrice sur l'obligation du célibat sacerdotal, convenons et reconnaissons l'antiquité de la première loi connue être émanée du Siège apostolique pour confirmer cette discipline, puisque ce décret est du même siècle que celui du concile de Nicée ; et admirons aussi quelle a toujours été la fermeté et l'exactitude de cette Église mère et chef de toutes les autres, pour conserver de tout temps ce que Jésus-Christ a enseigné à ses Apôtres. En sorte que nous pouvons assurer que c'est principalement et peut-être uniquement à ce siège de saint Pierre, sur lequel le Sauveur a fondé son Église, que toute l’Église, du moins latine, a l'obligation d'avoir, par sa fermeté, conservé celte discipline ancienne, et de l'avoir fait mieux observer, ainsi que la suite le fera évidemment connaître.
Entrons maintenant dans la troisième époque qui comprend près de sept siècles et demi depuis le décret du pape Syrice jusqu'au premier concile général de Latran, tenu en 1123, et choisissons également toutes les autorités des conciles et des saints Pères qui confirment l'ancienne discipline de l’Église sur l'obligation du célibat sacerdotal. Voyons d'abord le second canon du concile de Carthage, tenu en 390, où Epigonius, évêque des Bullésiens, parle ainsi devant les Pères sur l'ancienne obligation du célibat des ordres majeurs, afin d'en demander la confirmation.
« Lorsque dans le précédent concile il fut question de traiter des règles de la continence et de la chasteté, l'on y obligea les trois premiers ordres du clergé, savoir, les évêques, les prêtres et les diacres ; et les raisons sur lesquelles on s'appuya, furent qu'il convenait que les saints et sacrés pontifes, les prêtres du Seigneur et les lévites, et même ceux qui sont employés aux fonctions sacrées, gardassent en tout la continence, afin que les prières qu'ils adressent à Dieu soient plus sûrement exaucées, et aussi afin de nous conformer en cela à ce que nous ont enseigné les Apôtres, et à ce que l'antiquité a pratiqué. A quoi tous les évêques de ce précédent concile répondirent : Nous ordonnons que les évêques, les prêtres, les diacres et ceux qui sont employés aux fonctions sacrées, gardent la continence et se séparent de leurs femmes.
« Tous les Pères ( du présent concile ) dirent : Nous ordonnons également que la chasteté soit gardée en toutes choses et par tous ceux qui servent à l'autel1. »
Voilà donc un concile qui ne parle du célibat sacerdotal que comme d'une ancienne discipline qu'il ne fait que renouveler, et que les Apôtres nous ont enseignée ; voyons comment quelques années après un autre concile tenu dans la même ville, en 398 ou 400, prononce des peines contre ceux qui violeraient le précédent canon.
« De plus, ayant été informés que quelques-uns d'entre le clergé, ne gardaient pas la continence, quoique avec leurs femmes, nous ordonnons que suivant les précédents canons, les évêques, les prêtres et les diacres, se séparent de leurs femmes, sinon qu'ils soient privés de toute fonction ecclésiastique2.
Ainsi, en réunissant ces deux canons des conciles de Carthage avec les autorités des précédents conciles et des saints Pères, il est aisé de reconnaître combien le célibat sacerdotal était regardé comme d'une obligation étroite et si générale dans toute l’Église, tant orientale qu'occidentale, tant grecque que latine, que si quelqu'un agissait autrement, il n'avait, dit saint Épiphane, aucun canon qui l'y autorise1. En sorte que c'est avec le plus juste fondement que saint Jérôme, au commencement du cinquième siècle, se servait de tous ces témoignages contre l'hérétique Vigilance, qui entre autres erreurs osait traiter la continence et la chasteté avec le dernier mépris, et disait que quelques évêques de sa secte obligeaient les diacres à se marier avant leur ordination.
« Quelle horreur ! des évêques, dit-on, se prêtent à ces forfaits. Mais comment peut-on encore regarder comme évêques ceux qui n'ordonnent pas les diacres qu'ils ne se soient mariés auparavant… Quoi de plus opposé à la pratique des Églises d'Orient, de celle de l’Égypte, et aussi du Siège apostolique, qui n'admettent dans le clergé que des vierges, des continents, ou que ceux qui étant mariés se séparent de leurs femmes pour garder la continence2 ? »
A ce passage de saint Jérôme, si exact par sa justesse et si conforme à toutes les autorités précédentes, je pourrais ajouter ici ce qu'il dit d'également conforme à ce que j'ai déjà rapporté, que si les prêtres doivent toujours prier, ils doivent par conséquent garder toujours la continence ; mais comme je me suis proposé d'éviter les répétitions, je m'arrêterai aux autres passages où ce Père parle de l'obligation du célibat sacerdotal, et s'appuie tant des exemples de l'ancien Testament, que de la conformité que doit avoir le ministre des autels à la pureté de l'Agneau sans tache qu'il immole tous les jours dans le saint sacrifice. Voici comme il s'exprime dans le premier chapitre de son commentaire sur l’Épître de saint Paul à Tite.
« Ouvrons le livre des Rois3, et nous y apprendrons que le prêtre Abimélech ne voulut pas donner à David et à ceux qui le suivaient, les pains de proposition, sans lui avoir demandé auparavant si lui et ceux de sa suite avaient gardé la continence même avec leurs femmes. Et si David ne l'eût assuré qu'ils ne s'en étaient pas approchés depuis trois jours, il ne leur aurait pas donné les pains qu'il leur avait refusé d'abord. Or, il y a autant de différence entre ces pains de proposition et le corps de Jésus-Christ, qu'entre un corps et son ombre, entre l'image et la figure, entre ce qui figure l'avenir et la réalité qui était figurée. Ainsi, de même que la douceur, la patience, la sobriété, la modération, le désintéressement, l'hospitalité, sont les vertus qui doivent principalement briller dans un évêque, et surpasser même celles des laïques, de même la chasteté, (ou pour me servir du terme) la pudeur sacerdotale doit être une vertu si propre à celui qui doit consacrer le corps de Jésus-Christ, que non-seulement il doit s'abstenir de toute action impure, mais qu'il doit observer la plus grande retenue dans ses regards, et que son esprit doit être entièrement dégagé de toute mauvaise pensée4. »
Pour prouver encore quelle était dans le même siècle de saint Jérôme la forte persuasion que le célibat sacerdotal était d'une obligation adhérente et indissoluble (ainsi que s'est exprimé le pape Syrice, dans son décret1), et qu'elle était regardée comme telle par tous les chrétiens depuis les premiers siècles, rapportons ici le beau passage de saint Augustin, qui pour obliger à la continence des laïques qui, étant séparés de leur femme, disaient qu'ils ne pouvaient garder la continence, leur citait pour les y engager, l'exemple des ecclésiastiques qui la pratiquaient, quoiqu'ils eussent été ordonnés malgré eux.
« Pour détourner de tout commerce adultère ces hommes qui ne s'estiment plus que les femmes, que par la plus grande licence qu'ils s'imaginent avoir de satisfaire leurs passions, non-seulement nous les effrayons par la vue des peines éternelles, mais nous avons coutume, pour les animer encore à la continence, de leur proposer l'exemple des clercs qui, quoique ordonnés malgré eux, se sentent obligés dès lors à garder la continence, et y persévèrent avec l'aide du Seigneur jusqu'à la fin de leurs jours. De même, leur disons-nous, si l'on vous enlevait par force pour vous élever au sacerdoce, ne vous croiriez-vous pas obligés de garder la chasteté ? et ne demanderiez vous pas à l'instant à Dieu la grâce d'observer ce à quoi vous n'aviez jamais pensé auparavant ? Mais, dit-on, l'honneur attaché à cet état est ce qui contribue le plus à en soutenir les obligations. A cela nous répondons à ces hommes incontinents : que la crainte soit donc aussi ce qui vous rende plus chastes. Car, si l'espérance de briller davantage dans l'héritage de Jésus-Christ, donne à l'instant aux ministres de Dieu la force de soutenir le poids dont ils sont chargés, combien à plus forte raison la crainte non-seulement de ne pas briller dans le royaume céleste, mais de brûler dans l'enfer, ne doit-elle pas vous engager à vivre dans la continence2 ! »
A ce passage de saint Augustin j'en joindrai un autre tiré non de ses écrits, mais de sa vie écrite par Possidius3, l'un de ses plus zélés disciples et qui avait vécu avec lui près de quarante ans. Voici ce que nous dit entre autres cet auteur, sur la conduite que le saint évêque observait avec les personnes du sexe.
« Aucune femme ne fréquentait jamais sa maison ni ne demeurait avec lui, pas même sa propre sœur qui était une veuve d'une grande piété, vivant avec de saintes filles dont elle était la supérieure et au milieu desquelles elle finit ses jours ; et quelque édifiantes que fussent aussi les filles de son oncle et de son frère, il observa à leur égard la même règle, quoique les conciles ne défendissent pas aux saints évêques de demeurer avec ces sortes de personnes. Il disait pour raison que quoique personne ne trouvât à redire qu'il demeurât avec sa sœur et ses nièces, cependant comme ces parentes ne peuvent se passer d'avoir avec elles des personnes du même sexe, ou qui sont à leur service, ou qui viennent leur rendre visite, cela suffisait pour donner occasion de scandale aux esprits faibles. Que de plus la fréquentation et l'habitation des personnes du sexe dans la maison d'un évêque, ou de tout autre ecclésiastique, pouvait être ou un sujet dangereux de tentation pour ceux qui demeuraient avec eux, ou tout au moins une occasion aux hommes mal intentionnés, de tenir de mauvais propos. Pour les mêmes raisons, il disait que les femmes ne doivent pas demeurer avec les ministres des autels, quelque vertueux qu'ils fussent. Si quelque femme demandait à le voir ou à lui rendre visite, il ne les recevait jamais qu'en présence de quelques clercs, et ne leur parlait point seul à seule, quelque secrète que fût l'affaire qu'elles avaient à lui communiquer1 (1). Quant aux visites, il n'en rendait, suivant le conseil de l'Apôtre saint Jacques, qu'aux veuves et aux pupilles qui étaient dans l’affliction2, et allait sans différer chez celles qui étant malades, le demandaient, soit afin de prier Dieu pour elles, soit afin de leur imposer les mains. Quant aux monastères des religieuses, il n'y entrait jamais que dans les plus grandes nécessités3. »
Passons maintenant à d'autres autorités qui, quoiqu'elles commencent à s'éloigner un peu des premiers siècles et à se rapprocher peu à peu des nôtres, n'en conservent pas moins l'esprit des premiers temps, et n'en renouvellent pas moins les anciennes règles de la discipline ecclésiastique. Voyons d'abord la lettre de saint Grégoire, pape , surnommé le Grand, écrite vers la fin du sixième siècle à Romain, défenseur du patrimoine de l’Église.
« Il nous a été rapporté que quelques évêques avaient des femmes chez eux sous prétexte de les soulager dans le soin de leur maison. C'est pourquoi nous vous enjoignons par ces présentes de veiller très attentivement et de prendre garde que sous ce voile, ils ne donnent de justes sujets de censure à la critique, ni que l'ancien ennemi du genre humain n'en prenne facilement occasion de conduire dans le précipice. Si donc vous découvrez dans l'étendue des lieux qui vous sont confiés, quelques évêques qui habitent avec des femmes, arrêtez ce désordre et ne souffrez pas qu'ils aient dorénavant chez eux des femmes, si ce n'est celles qui sont strictement permises par les saints canons, savoir : la mère, la tante, la sœur et autres parentes exemptes de tout mauvais soupçon. Il ferait mieux cependant de ne pas demeurer avec ces sortes de personnes : car nous lisons que le bienheureux Augustin ne voulait pas même demeurer avec sa sœur, parce que, disait-il, celles qui demeurent avec elle ne sont pas mes sœurs. Or, la précaution de ce docte évêque doit nous tenir lieu de la plus grande instruction : car c'est une témérité présomptueuse à celui qui n'a pas la force de ce saint, de ne pas appréhender ce qu'il appréhendait lui-même. Celui-là s'abstient facilement de ce qui est défendu, qui sait se priver de ce qui est même permis. Ce que nous disons cependant n'est pas pour y obliger ceux qui n'en ont pas la volonté ; mais si pour le rétablissement de la santé du corps, l'on prend les remèdes qu'ordonnent les médecins, quelque désagréables qu'ils soient, songeons que ceux que nous présentons ici tendent à procurer le salut de l'âme. Nous n'y forçons donc personne, mais nous laissons à la volonté de chacun de suivre l'exemple d'un évêque aussi recommandable par sa piété que par sa science, comme nous laissons à votre sagesse d'employer toute votre vigilance à faire observer ce que nous vous avons marqué être défendu1. »
Ce que saint Augustin avait exactement pratiqué, ce que d'après ce grand exemple saint Grégoire-le-Grand avait fortement conseillé, quelques conciles particuliers, pour prévenir certains désordres dont ils avaient été informés, se sont crus obligés de l'ordonner à la rigueur, surtout à ceux qui étaient engagés dans la prêtrise. Je rapporterai entre autres ceux de Mayence et de Metz, tenus tous les deux dans la même année 888.
« Quoique les saints canons2 aient désigné les femmes qui pouvaient demeurer avec les ecclésiastiques ; cependant ayant appris avec la plus vive douleur, que cette tolérance avait été souvent la source de plusieurs crimes... Ce saint concile ordonne qu'aucun prêtre n'ait chez lui aucune femme, afin d'ôter toute occasion tant au mal qu'au mauvais soupçon.
« Les prêtres représentant la personne de Moïse3, et devant ainsi que lui détourner par leurs prières la colère de Dieu lorsqu'elle est prête à éclater sur son peuple, ils doivent par conséquent se souvenir de ce qui est écrit : que les fautes des prêtres sont la source des plus grands maux qui puissent arriver au peuple. Ainsi qu'aucun d'eux ne demeure avec aucune femme, pas même avec sa mère, ni sa sœur, afin d'ôter toute occasion au démon ; mais que semblable aux Anges, il serve Dieu dans la plus grande pureté de corps et d'esprit4. »
Un concile de Nantes, tenu à la fin du neuvième ou au commencement du dixième siècle, en répétant ce que viennent d'ordonner les deux précédents, ajoute : « Que si cependant les prêtres ont des parentes dans une telle nécessité qu'elles aient besoin de leurs secours, ils pourront les loger dans quelques maisons de leur paroisse, éloignée du presbytère, et leur procurer tout ce qui leur sera nécessaire5. »
Cependant quelque prudente et sage que soit une loi, et quelque respectable que puisse en être l'autorité et l'antiquité, si l'on ne tient exactement la main à son exécution, il n'en est point, quelque sacrée même qu'elle soit, contre laquelle l'indocilité du cœur humain et ses penchants déréglés, ne se révoltent et ne tendent à renverser. Ce fut aussi le désordre que l'on vit s'introduire aux onzième et douzième siècles dans plusieurs diocèses, tant par la négligence de ceux qui y doivent veiller le plus, que par le mauvais exemple de quelques-uns de ceux-là ; en sorte que l'incontinence des ecclésiastiques de ces siècles aurait pu s'étendre et faire les plus grands ravages, si le Seigneur n'eût en même temps suscité les pasteurs vraiment apostoliques, pour rétablir, malgré les plus grandes contradictions, l'ancienne discipline de l’Église, dans sa première pureté. Tels furent particulièrement les souverains pontifes, dont le zèle anima et soutint le zèle des autres pontifes du Seigneur. Tel fut le pape Nicolas II, qui tint en 1059 à Rome un concile composé de cent treize évêques, dont le troisième canon fait connaître par les censures et les peines qu'il prononce, la grandeur du mal, et l'horreur qu'il voulait en inspirer à tous les chrétiens.
« Que personne n'entende la messe d'un prêtre que l'on sait certainement avoir une concubine ou une femme sous-introduite. C'est pourquoi le saint concile ordonne sous peine d'excommunication ce qui suit : Si depuis la constitution que notre très saint prédécesseur le pape Léon, de bienheureuse mémoire, a rendu sur la chasteté des clercs, quelque prêtre, diacre ou sous-diacre, a épousé publiquement une concubine, ou ne s'en sépare pas, nous lui ordonnons de la part du Dieu tout-puissant, et par l'autorité des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et même nous lui défendons absolument de chanter à la messe, d'y lire l’Épître et l’Évangile, de se trouver aux offices divins avec les autres prêtres qui observent ladite constitution ; et de recevoir les revenus de son bénéfice, jusqu'à ce que par la grâce de Dieu, il se soit soumis à notre décret6. »
Quatre ans après, le pape Alexandre II tint aussi à Rome un autre concile de cent évêques, dont le troisième canon répète et confirme la même disposition du précédent, et presque dans les mêmes termes. Or, tant sur celui-ci que sur le précédent concile, je remarquerai deux choses. La première, que les sous-diacres sont nommément compris dans ceux du clergé qui sont obligés à la continence. Il est vrai que le premier concile général de Nicée avait également compris, avec les évêques, prêtres et diacres, tous ceux encore qui étaient dans le clergé, omnino qui in clero est ; mais comme sous ces derniers la discipline de l’Église avait assez varié, ce fut au onzième siècle que l'on commença à déterminer d'une manière plus positive, que l'on ne pourrait être élevé au sous-diaconat sans faire vœu de chasteté et sans garder la continence : ce qui depuis ce siècle s'est toujours universellement observé, ainsi que la suite le confirmera. La seconde chose à remarquer est que ces deux derniers conciles de Rome sont les premiers où il soit fait mention d'une manière plus positive de la privation de bénéfices pour les clercs qui ne garderaient pas la continence ; car auparavant, les peines les plus ordinaires étaient les interdictions d'offices, les dégradations, ou même les excommunications ; sur quoi il faut observer que si les bénéficiaires, tant ceux qui sont engagés dans les ordres sacrés, que ceux qui n'y sont pas engagés, ne sont pas toujours extérieurement privés de leur bénéfice lorsqu'ils n'observent pas la continence ; du moins depuis le onzième siècle est-il universellement établi dans l’Église, qu'un clerc ne peut posséder de bénéfice s'il est marié : et que celui qui n'étant pas dans les ordres sacrés se marie, est dès l'instant déchu de son bénéfice. Or, cette crainte d'être privé de bénéfice ou de n'en pas posséder si l’on se marie, est peut-être ce qui souvent forme plus de célibataires que le désir de servir l’Église et de remplir les saintes fonctions du sacré ministère. Ces remarques une fois faites, reprenons la suite de notre discours.
L'on voit donc par tout ce que je viens de rapporter, que plus l'incontinence voulait faire ses efforts pour détruire l'ancienne discipline de l’Église, et plus la chaste épouse du Sauveur, bien loin de se relâcher de son antique exactitude, ne faisait au contraire que l'augmenter davantage. Le pape Grégoire VII tint aussi un concile à Rome, en 1074, où sont répétées presque les mêmes dispositions des précédents. Mais non content de suivre en cela les traces de ses prédécesseurs, il composa une savante apologie sur la continence des clercs, et qu'il envoya aux évêques de la chrétienté. J'en rapporterai le onzième article seulement. L'on y reconnaîtra, il est vrai, plusieurs autorités que j'ai déjà rapportées : mais cette répétition n'a pas paru ici hors de propos, tant parce qu'elle confirme tout ce que l'on a avancé jusqu'ici, que parce que ce précieux monument démontrera que l'on était plus instruit dans le onzième siècle des règles anciennes de l’Église, qu'on ne le pense dans notre siècle. Écoutons ce savant pape nous instruire.
« Quant à la défense qui est faite aux ministres des autels de remplir les fonctions de leur ministère, s'ils ne gardent pas la continence, nous la trouvons déjà établie par les saints Pères. Car, entre les quatre premiers conciles que l'on compare aux quatre Évangiles, le concile général de Nicée, qui est le plus grand des quatre, s'exprime ainsi dans le troisième canon : Le grand concile défend absolument à tout évêque, prêtre, diacre et autre du clergé d'avoir chez lui aucune femme sous-introduite ; voulant bien seulement qu'ils demeurent avec leur mère, leur sœur, leur tante, ou autres personnes qui ne donnent pas de mauvais soupçons. Or, afin de faire connaître davantage le but de ce canon, ne craignons pas, pour en rendre la traduction plus intelligible, de dire que ce saint concile défend absolument à tout évêque, prêtre, diacre et à tout autre du clergé, d'avoir chez lui aucune femme étrangère, sinon sa mère, sa sœur, sa tante, parce que ces sortes de personnes et autres semblables, sont hors de tout soupçon ; et qui s'écarte de ces règles est exclu des honneurs du clergé. De là, reconnaissons que le mariage est absolument interdit au clergé, puisque celui qui habite avec des femmes est non-seulement privé de tout ministère des autels, mais de droit exclu du clergé ; et que ce canon oblige non-seulement les prêtres, mais tous ceux qui sont engagés dans les ordres sacrés,
« Le concile de Néocésarée, qui a été tenu avant celui de Nicée, dit aussi au premier canon : Si un prêtre épouse une femme, qu'il soit déposé ; s'il commet fornication, ou adultère qu'il soit également déposé et condamné à la pénitence. Le dixième canon du concile de Chalcédoine, confirmant ceux de Néocésarée, de Nicée et toutes les décisions des saints Pères qui ont précédé, condamne également tous ceux qui transgressent ces saintes règles ; et il ajoute que tous ceux qui oseront violer ce qui est défendu par ce grand concile universel, soient dégradés de leur ordre. Le très heureux pape Sylvestre, qui a assemblé le concile de Nicée, et l'a confirmé par l'autorité apostolique, défend par le sixième chapitre de sa décrétale synodique à tout prêtre de se marier ; que si par négligence il transgresse cette défense, il soit privé de sa dignité pendant douze années ; que si quelqu'un la transgresse publiquement et avec connaissance, il soit condamné à la même peine toute sa vie.
« Le bienheureux pape Syrice dit au septième article de sa décrétale, que tout évêque, prêtre ou diacre qui ne garde pas la continence (ce qu'à Dieu ne plaise) apprenne qu'il n'aura plus aucune indulgence à espérer de notre part. Et au douzième article du même décret, il ajoute : Nous ne voulons pas que d'autres femmes habitent avec les clercs, sinon celles que permet le concile de Nicée à cause de l'étroite parenté. Le très saint pape Grégoire, écrivant à Romain Défenseur, parle ainsi au dixième chapitre : Si vous découvrez dans l'étendue des lieux qui vous sont confiés, quelques évêques qui habitent avec des femmes, arrêtez absolument ce désordre, et ne permettez pas qu'ils en aient dorénavant aucune chez eux, excepté celles qui sont strictement permises par les saints canons, savoir : la mère, la tante, la sœur et autres semblables, exemptes de tout mauvais soupçon. Ils feraient mieux cependant de ne pas habiter avec ces personnes ; car nous lisons que le bienheureux Augustin ne voulait pas demeurer même avec sa sœur, parce que, disait-il, celles qui sont avec elle ne sont pas mes sœurs. Or, la précaution de ce savant évêque, doit être pour nous d'une grande instruction. Quelques lignes après, le même pape ajoute : Ayez soin d'exhorter nos confrères, qu'ils avertissent les ministres sacrés de leur diocèse d'observer ces règles, dont ils seront néanmoins les premiers à leur donner l’exemple.
« Le pape Zacharie, chapitre premier de sa décrétale, dit aussi : Nous ordonnons aux évêques de n'habiter avec aucune femme, de peur que l'ancien ennemi du genre humain ne les conduise dans le précipice ; et au chapitre onzième il ajoute : Qu'aucun prêtre ou diacre n'ait chez lui aucune femme sous-introduite, qu'il puisse seulement demeurer avec sa mère ou autre parente exempte de tout soupçon, selon que l’a défini le concile de Nicée ; et si quelqu'un ose violer ces ordonnances, qu'il soit privé de sa dignité sacerdotale.
« Le bienheureux Jérôme, écrivant à Océanus, après lui avoir prouvé, par les raisons les plus solides, que les clercs ne doivent pas habiter avec les femmes , ajoute ensuite : Que si quelqu'un, après les avertissements que nous lui donnons, ose préférer ces agapètes à Jésus-Christ, qu'on lui représente ce qu'ont ordonné les canons, et qu'on lui lise ce qu'a défini le concile de Nicée ; dès lors nous nous estimerons heureux s'il se sépare de telles sociétés. Sinon que l’Église l'anathémalise. Car la société avec les femmes n'est qu'une source d'amertume, et ne fait qu'énerver l'esprit.
« Enfin, je ne finirais pas si je voulais rapporter les autorités des saints Pères qui viennent encore à l'appui de nos décrets apostoliques. Car tous les catholiques qui ont suivi la doctrine des quatre premiers conciles ont, comme nous, ordonné les mêmes choses1. »
Rien de plus précieux que cette savante apologie de Grégoire VII sur la continence des clercs. Je n'ai pas trouvé, il est vrai, dans les éditions des conciles et des Pères que j'ai pu consulter, les passages du concile de Calcédoine ni ceux de saint Sylvestre et de saint Jérôme qu'il rapporte ; mais les autres passages prouvent assez que toutes les fois que l'hérésie où la corruption des hommes ont voulu attaquer l’Église dans la foi ou dans les mœurs, elle s'est aussitôt animée d'un nouveau zèle qui a donné occasion à des recherches respectables par leur ancienneté et leurs autorités, telles que celles que remet sous les yeux Grégoire VII. L'on y remarque encore combien l'autorité du troisième canon du concile de Nicée a toujours été regardée, ainsi que je l'ai dit d'abord, comme un des plus grands fondements de tout ce qu'ont enseigné les conciles, les saints Pères, et comme le monument le plus précieux de l'antiquité de la discipline ecclésiastique sur l'obligation du célibat sacerdotal. En sorte que ceux qui de nos jours osent quelquefois taxer d'ignorance certains siècles de l’Église qui les ont précédés, rendraient plus de justice à leurs ancêtres, s'ils lisaient leurs ouvrages ; ils y reconnaîtraient aussi plus de science et de connaissance qu'ils ne se flattent d'en avoir eux-mêmes. Afin de marquer ce respect que l’Église a toujours eu pour le troisième canon du premier concile général de Nicée, je terminerai la troisième époque, par le troisième canon du premier concile général de Latran, tenu en 1123, parce que ce concile y rapporte et confirme l'autorité du premier concile général qui s'est tenu dans le monde chrétien depuis les Apôtres.
« Nous défendons absolument à tout prêtre, diacre et sous-diacre, d'avoir une épouse, une concubine, ou de demeurer avec toute autre femme que celle que permet le concile général de Nicée, à cause de l'étroite parenté, telle qu'est une mère, une sœur, une tante ou toute autre pareille , qui sont à l'abri de tout soupçon1. »
La quatrième époque dont il me reste à parler est celle qui est terminée par le saint concile général de Trente, qui, depuis le premier concile de Latran, renferme près de quatre siècles et demi. Je trouverais également la plus ample matière, si je voulais rapporter tout ce que dans cet intervalle les conciles et les auteurs ecclésiastiques ont admirablement dit sur le sujet que je traite ; mais je ne pourrais également que donner à connaître comment les uns et les autres n'ont fait que suivre en cela ce que leur avaient enseigné leurs prédécesseurs. Je n'en choisirai donc qu'autant qu'il sera nécessaire pour montrer quelle a toujours été l'exactitude de l’Église à conserver cette ancienne et précieuse discipline, et je ne choisirai pour cela que le second concile général de Latran et celui de Trente. Le second concile général de Latran, ainsi nommé, parce qu'il se tint à Rome dans le palais de Latran, fut un des plus célèbres conciles généraux, surtout par le nombre de prélats qui s'y trouvèrent, puisqu'il y en eut près de mille. Il fut tenu par le pape Innocent III, en l'année 1139 ; et l'on y dressa trois canons sur le célibat ecclésiastique, savoir : le sixième, le septième et le huitième.
« Nous ordonnons1 que les sous-diacres et ceux qui étant dans les ordres supérieurs se marieront, ou auront une concubine, soient privés de toute fonction et bénéfice ecclésiastique. Car, il est indigne que ceux qui sont et qui ne doivent être regardés que comme le temple de Dieu, les vases du Seigneur, et le sanctuaire du Saint-Esprit, se livrent aux désirs impurs de la chair et du sang.
« Afin de faire observer2 plus que jamais la loi de la continence, et cette pureté si agréable à Dieu dans ceux qui sont engagés dans les ordres sacrés, et dans toutes les personnes ecclésiastiques ; nous ordonnons que tous évêques, prêtres, diacres, sous-diaçres, chanoines réguliers, moines et autres religieux profès, qui, au mépris de la sainteté de leurs vœux oseront se marier, soient séparés de leurs femmes. Car nous ne regardons pas comme mariage une telle union contractée contre les règles les plus authentiques de l’Église. Qu'après donc avoir été séparés, ils fassent une pénitence proportionnée à un si énorme désordre.
« Nous ordonnons3 que la même chose soit observée à l'égard des religieuses si (ce dont Dieu les garde) elles voulaient se marier4. »
Plusieurs ont regardé ce concile comme le premier qui avait placé au nombre des empêchements dirimants, le mariage des clercs engagés dans les ordres sacrés et celui des religieux. Je conviens que c'est le concile où l’Église dit en termes plus formels qu'elle déclare leur mariage nul ; mais cependant je regarde moins ce canon comme une loi nouvelle de l’Église, que comme une ancienne qu'elle a remise en vigueur. Car nous devons nous ressouvenir que, du moins à l'égard du mariage des clercs, Paphnuce représentant aux Pères du premier concile général de Nicée qu'il ne fallait pas pour cette fois dissoudre le mariage de ceux qui l'avaient contracté avant leur ordination, puisque l’Église en les ordonnant ne les y avait pas obligés ; mais qu'on pouvait le faire à l'égard de ceux qui s'étaient mariés depuis leur ordination, parce qu'en cela, dit-il, ils avaient contrevenu à l'ancienne discipline de l’Église1 (1). Or la conformité de ces paroles avec celles du concile de Latran, qui déclare qu'un tel mariage est nul, parce qu'il est contracté contre les règles les plus authentiques de l’Église, fait assez sentir que ce concile de Latran, instruit de ces règles ecclésiastiques, n'a fait que confirmer et remettre en vigueur ce qui s'observait du temps du concile de Nicée, et même antérieurement.
Enfin, terminons cette quatrième et dernière époque par le grand et saint concile général de Trente, qui, par la profondeur de sa science, l'étendue de sa sagesse et de ses lumières, mérite que non - seulement on lui applique ce que disait le pape Grégoire-le-Grand, et ce que nous avons vu qu'a dit d'après lui Grégoire VII sur les quatre premiers conciles généraux ; mais qui réunit encore de la manière la plus parfaite, ce que les conciles tant généraux que particuliers et le consentement unanime des saints Pères, avaient déjà statué et enseigné, tant sur la foi que sur la discipline de l’Église. Rapportons d'abord les décrets qu'il prononça sur la sainteté du célibat, dans sa session vingt-quatrième, année 1573.
« Si quelqu'un dit2 que les ecclésiastiques qui sont dans les ordres sacrés, ou que les réguliers qui ont fait profession solennelle de chasteté, peuvent contracter mariage, et que l'ayant contracté, il est bon et valide, malgré la loi de l’Église ou le vœu qu'ils en ont fait ; que de soutenir le contraire n'est autre chose que de condamner le mariage, et qu'ainsi tous ceux qui ne se sentent pas avoir le don de chasteté, quoiqu'ils en aient fait le vœu, peuvent contracter mariage : qu'il soit anathème. Car Dieu ne refuse pas ce don à ceux qui le demandent comme il faut, et ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces.
« Si quelqu'un dit3 que l'état du mariage est préférable à l'état de la virginité ou du célibat, et que de demeurer dans la virginité ou le célibat n'est pas quelque chose de meilleur ou de plus heureux que de se marier, qu'il soit anathème4. »
Dans la vingt-cinquième session tenue la même année, voici ce qu'il dit par rapport aux religieux et religieuses :
« En quelque ordre1 de religieux que ce soit, tant d'hommes que de femmes, on ne fera pas profession avant l'âge de seize ans accomplis, et l'on n'admettra personne à la profession qu'il n'ait passé au moins un an dans le monastère depuis la prise d'habit. La profession faite avant ce temps sera nulle, et n'engagera à aucune règle ni observation de quelque ordre ou autre chose semblable que ce puisse être.
« Le saint concile2 prononce anathème contre toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, clercs ou laïques, séculiers ou réguliers, ou quelque autre dignité dont elles soient revêtues, qui contraindront en quelque manière que ce puisse être, une vierge, une veuve ou toute autre femme (excepté les cas exprimés dans le droit) à entrer dans un monastère, ou à prendre l'habit de quelque religion que ce soit, ou à faire profession, ou qui donneront sur cela conseil, aide ou faveur : ou bien qui sachant que c'est malgré elle qu'elle entre dans le monastère, ou en prend l'habit, ou fait profession, assisteront à une telle action, y consentiront ou y emploieront leur autorité. Il prononce également anathème contre tous ceux qui sans juste sujet s'opposeront par quelque moyen au saint désir qu'auront les vierges ou les femmes de prendre le voile, ou de faire leurs vœux3. »
« Enfin, dans la même session, chapitre 14e de la réformation, voici comme il s'exprime en deux articles sur l'obligation du célibat sacerdotal :
« Il ne faut que prendre à témoin et le scandale qu'en prennent tous les fidèles et l'extrême déshonneur qui en revient à tout l'ordre ecclésiastique, pour reconnaître combien il est honteux à ceux qui se sont dévoués au service de Dieu, et indigne de ceux qui portent le seul nom d'ecclésiastiques, de s'abandonner aux désordres de l'impureté et au vice du concubinage. Afin donc que les ministres de l’Église se ressouviennent toujours de cette continence et de cette pureté de vie si convenable à leur caractère, et que les peuples apprennent à les respecter d'autant plus qu'ils les verront mener la vie la plus chaste : le saint concile défend à tous ecclésiastiques de tenir dans leur maison ou dehors des concubines ou autres femmes de qui on puisse avoir de mauvais soupçons, ni même d'oser avoir avec elles aucun commerce : autrement qu'ils soient punis selon les peines portées par les saints canons ou par les statuts de chaque Église.
« Que si après en avoir été avertis par leurs supérieurs, ils ne s'en abstiennent pas, qu'ils soient privés, par le seul fait, de la troisième partie des fruits, rentes et revenus de leurs bénéfices, quels qu'ils soient, et pensions, laquelle sera appliquée à la fabrique de l’Église ou à quelque autre lieu de piété, selon qu'il plaira à l’évêque. Que si persévérant dans le même désordre avec la même femme ou avec quelque autre, ils n'obéissent pas à une seconde monition, qu'ils soient dès là même non-seulement privés de tous les fruits et revenus de leurs bénéfices et pensions, lesquels seront appliqués auxdits lieux, mais même qu'ils soient encore suspens des fonctions de leurs bénéfices, tant que l’évêque du lieu, comme délégué du siège apostolique, le jugera à propos. Que si malgré cette suspense ils ne chassent pas ces sortes de personnes ou continuent de les fréquenter, qu'alors ils soient privés pour toujours de tous bénéfices, portions, offices et pensions ecclésiastiques, et qu'ils demeurent à l'avenir indignes et incapables de tous honneurs, dignités, bénéfices et offices, jusqu'à ce qu'après un changement de vie bien constaté, leurs supérieurs jugent à propos de les rétablir. Mais si, après avoir renvoyé une fois ces sortes de femmes, ils osent renouveler avec elles leur commerce interrompu, ou en fréquenter d'autres également scandaleuses ; outre les peines susdites, qu'ils soient frappés du glaive de l'excommunication, sans qu'aucun appel ou exemption puisse arrêter l'exécution ou la suspendre.
« La connaissance de toutes ces choses ne pourra appartenir aux archidiacres, doyens ou autres inférieurs, mais aux seuls évêques, qui sur la simple vérité du fait reconnu procèdent sans éclat ni forme de justice. Quant aux ecclésiastiques qui n'ont ni bénéfices ecclésiastiques ni pensions, ils seront, selon la qualité de leur crime ou qu'ils y auront persévéré plus ou moins, ils seront punis par leur évêque, par emprisonnement, suspense d'ordre, rendus inhabiles à posséder aucun bénéfice, ou punis par toute autre voie conforme aux saints canons.
« Que si même il arrivait ( ce qu'à Dieu ne plaise ) que des évêques ne fussent pas exempts de ces sortes de crimes, et qu'après en avoir été avertis par le synode provincial, ils ne se corrigeassent pas, qu'ils soient suspens par le seul fait. Que s'ils persévèrent, qu'ils soient déférés par le même synode au très saint pontife de Rome, afin que selon la qualité de la faute, il puisse les punir, même jusqu'à les priver de leur siège, si la chose est nécessaire1. »
Je termine ici toutes les lois et les autres autorités de l’Église qui établissent le célibat sacerdotal, non pas que depuis le concile de Trente l'on ne trouve encore d'autres autorités jusqu'à nos jours ; mais c'est parce qu'elles ne disent rien de nouveau, et qu'elles ne font que suivre les anciennes. C'est ainsi que l’Église, toujours attentive à établir dès les commencements la loi du célibat sacerdotal, n'a jamais perdu de vue ce dessein, et que dans tous les siècles elle a employé toute son autorité pour que la pureté de ses ministres répondît, autant qu'il est possible, à la pureté de la victime qu'ils immolent sur les sacrés autels. L'on doit même remarquer que ces lois sont en beaucoup plus grand nombre sur le célibat sacerdotal que sur le célibat religieux ; et cela par une raison très naturelle , qui est que la clôture religieuse et la totale séparation du monde étant les moyens les plus efficaces pour conserver la vertu de chasteté dans ceux qui s'y sont engagés par vœu solennel, il a été moins nécessaire d'établir des lois pour les empêcher de s'éloigner de leurs engagements. Mais les ecclésiastiques étant plus répandus dans le monde, il a été nécessaire d'établir un plus grand nombre de lois qui suppléassent aux règles de la clôture des religieux, qui leur facilitassent les moyens, et les obligeassent à vivre au milieu du monde comme n'y étant pas. Voilà l'esprit qui a toujours animé l’Église tant grecque que latine, principalement jusqu'à la fin du septième siècle.
Lorsqu'on examine avec quelque attention les déclamations de plusieurs contre la sainteté du célibat chrétien, l'on y reconnaît que les uns ne les avancent que par esprit d'irréligion ; les autres, de libertinage ; ceux-ci, d'ignorance ou de mépris des vrais motifs qui l'ont établi ; ceux-là, d'une présomption qui se croit en droit de blâmer toujours les lois les plus sages. D'abord l'on remarque souvent que ceux qui osent le décrier davantage, ne sont pas à beaucoup près ceux qui ont passé par l'état du mariage et qui y vivent chrétiennement, mais plutôt ceux qui observant un célibat très anti-chrétien, refusent néanmoins de s'engager dans les liens d'un honnête mariage, afin de vivre avec plus de licence. Or, il est certain que sans s'arrêter à la religion seule, qui a toujours hautement condamné ces sortes de personnes, il n'est rien de plus contraire aux bonnes moeurs et aux intérêts des républiques, que leur conduite ; et que ce furent en partie ces motifs qui engagèrent autrefois les législateurs à prononcer des peines contre les citoyens qui demeureraient dans cet état. En sorte que l'on peut dire que les lois anciennes qui défendaient le célibat, ne le faisaient pas toujours tant dans la vue de le rendre odieux, que pour s'opposer aux désordres de ceux qui ne cherchaient qu'à vivre dans un libertinage aussi opposé aux bonnes mœurs, qu'au bien de la république ; et parce que, bien loin d'être une vertu chez eux, c'était un véritable scandale. Mais lorsque dans le christianisme les souverains ont reconnu la pureté des motifs qui portent les fidèles au véritable célibat, ils ont cru devoir honorer la sainteté de cet état et l'appuyer de leur autorité. Mais en laissant aux chrétiens la liberté de le pratiquer, ils n'ont jamais prétendu autoriser les désordres et la licence de ceux contre lesquels les lois anciennes s'étaient fortement élevées. Car, dit au contraire l'empereur Constantin dans le passage que j'ai rapporté, ceux-là seuls qui pèchent volontairement et par malice, méritent d'être punis selon la qualité de leurs crimes1, Juste application certainement à faire à ceux qui gardent un célibat antichrétien.
Ainsi, pour imposer davantage silence à de tels déclamateurs qui ne voudraient voir le célibat chrétien supprimé, que parce que la perfection de cet état est un reproche continuel de leur vie licencieuse, qui ne veulent pas aussi s'engager dans un mariage légitime, parce qu'ils en craignent la gène ; il faudrait établir des lois, non pour détruire la sainteté du célibat chrétien que l’Église et l’État ont justement approuvé et autorisé, mais pour obliger au mariage tous ceux qui seraient connus pour vivre dans le désordre, ou qui n'auraient pas de raisons légitimes, pures et chrétiennes pour s'en éloigner. Ce serait le moyen d'en faire des citoyens réglés et utiles à la république ; ce serait en même temps celui de leur faire baisser le ton et de les rendre plus circonspects, lorsque ne pouvant attaquer dans elle-même la sainteté du célibat chrétien, ils s'efforcent à le décrier en disant qu'il est contraire au bien de l’État, c'est-à-dire, selon leur langage, à la population. Reproche certainement d'autant plus mal fondé de leur part, qu'il se tourne et retombe entièrement sur eux. Car, quel aveuglement de ne pas s'apercevoir que le célibat anti-chrétien qu'ils gardent, est ce qu'il y a de plus contraire au bien de la république, aux bonnes mœurs et à la religion. Comment ne sentent-ils pas ce qu'on peut leur dire avec justice à eux-mêmes : Combien en effet depuis nombre d'années, peut-être même depuis plusieurs siècles, les États ne seraient-ils pas plus peuplés, si vous eussiez contracté des alliances conformes aux bonnes mœurs et aux lois les plus sages ? D'ailleurs, ne vous flattez pas de faire croire aux gens sensés que vous soyez aussi portés pour le bien public que vous voudriez le faire entendre, car il est constant que vous êtes si peu animés d'un vrai zèle de ce bien public, que si les célibataires chrétiens pratiquaient cette vie par d'autres motifs que par ceux de la religion et d'une plus grande perfection, dès lors vous cesseriez de les décrier, parce que plus vous verriez augmenter le nombre de vos semblables, et plus vous chercheriez à vous ménager les uns et les autres.
Mais d'un autre côté, quelle présomption de se croire plus prudents, plus sages que toute l’Église et tant de grands hommes ; de se croire plus instruits et mieux éclairés sur les intérêts des républiques que ceux qui les gouvernent, et qui loin de penser à faire de pareilles plaintes du célibat chrétien, en ont fait l'éloge, l'ont autorisé, ont puni ceux qui l'ont décrié, ainsi que l'on peut le voir à l'égard de Jovinien et de l'Anti-Célibataire (Avant-propos. Art. v.) ; qu'ils ont au contraire toujours condamné et prononcé des peines contre ceux qui ne gardaient le célibat que pour vivre dans une licence criminelle ! Répondons d'abord à ces ennemis du célibat chrétien, qui pour le décrier prétendent qu'il est contraire à la population ; répondons, leur dis-je, ce qu'un grand Père de l’Église leur répondait dès le quatrième siècle du christianisme.
« Qui peut se plaindre, leur disait saint Ambroise, de n'avoir pu se marier faute de trouver une femme ?... Si quelqu'un dit que les vierges consacrées à Dieu diminuent le genre humain, qu'il apprenne que là où il y a peu de ces sortes de vierges, les pays sont moins peuplés, et que les nations les plus nombreuses sont celles où l'on pratique la virginité... L'expérience de toute la terre nous convainc de l'utilité de la virginité ; car elle attire de la part du ciel sur le vaste Empire romain, une bénédiction qui le rend l'empire le plus peuplé1. »
En effet, outre cette bénédiction qui est une grâce particulière que Dieu répand, tant pour confondre les ennemis de la virginité, que pour protéger une vertu qui est si agréable, l'on peut en apporter encore une raison assez naturelle, savoir : que la même religion chrétienne qui conseille le célibat, donne d'un autre côté à ceux qui ne s'y destinent pas, des règles si sages selon les différents états, qu'elle empêche autant qu'il est possible les désordres qui, dans le mariage comme hors du mariage, seraient contraires à la multiplication du genre humain.
Ajoutons encore ici une raison puisée dans l'ordre de la providence même, afin de répondre à ceux qui pour appuyer le désir qu'ils ont de voir la destruction du célibat chrétien, font des supputations imaginaires du nombre de citoyens dont ils croient que les États augmenteraient, si on obligeait au mariage tous ceux qui y renoncent par des motifs de piété et de religion. Pour cela remarquons que si Adam et Eve ont suffi pour peupler toute la terre, si Noé et sa très petite famille l'ont repeuplée, c'est une vaine idée de dire que l'abolition du célibat chrétien rendrait le monde plus peuplé. Car puisqu'à mesure que le genre humain s'est multiplié jusqu'à un certain nombre, ce même nombre n'a pas lui-même augmenté, dans quelque partie de l'univers que ce soit, à proportion de ce qu'avait augmenté la postérité de nos premiers pères, il est évident qu'il est dans l'ordre de la providence que les hommes ne passent pas un certain nombre dans les différentes parties du monde ; en sorte que la même main du Créateur, qui a su d'un seul en produire un si grand nombre, sait, comme aux vagues de la mer, y mettre les bornes qu'il juge à propos. D'où je conclus que les nations de la terre ne gagneraient ni ne perdraient quand il n'y aurait pas de célibataires chrétiens. D'où je conclus qu'il est même quelques nations qui plutôt gagneraient considérablement à voir chez elles l'établissement du célibat chrétien, l'unité dans le mariage et la destruction de la polygamie. Car il y en a où les habitants sont si multipliés, que plusieurs périssent dé misère et d'indigence ; que par exemple à la Chine l'on ne s'y fait pas de peine d'exposer à la mort les enfants, lorsque le nombre en est trop grand.
Mais, dira-t-on, il règne quelques abus dans les célibataires même chrétiens, et voulez-vous les laisser subsister ? Non, certainement, et il est toujours à propos d'abolir ceux qu'il est possible de retrancher. Mais aussi faut-il se contenter de réformer les abus et non de détruire une loi ; mais aussi ne faut-il pas faire connaître que sous prétexte de réformer les abus, l'on désire quelquefois plutôt la destruction d'une loi, que la réformation des abus. Car, affecter de ne jamais présenter les choses que du côté des abus, se plaire à les grossir afin de rendre méprisable ce que l'on n'aime pas, c'est constamment pécher par les principes. Il n'est aucune loi, quelque sage qu'elle soit et quelque approbation universelle qu'elle puisse avoir, dans laquelle cependant la corruption du genre humain ne trouve le secret d'introduire quelque abus ; et ce serait aisément donner gain de cause à la malice humaine que d'abolir une loi dès qu'on aurait trouvé le moyen d'en abuser ou de la violer. Mais entre autres abus, continuera-t-on, l'on remarque que plusieurs déshonorent cet état, parce que les uns ont été forcés à l'embrasser, et que plusieurs se repentent de l'avoir choisi.
A cela, disons d'abord par rapport aux premiers que le nombre de ceux qui y sont forcés n'est pas à beaucoup près aussi considérable qu'on se plaît souvent à le représenter ; que dans dix mille on aurait souvent peine à en montrer un ou deux : car il est peu d'états auquel le monde soit moins porté à y forcer les autres. Disons ensuite qu'il est encore peu d'états, surtout lorsque l'engagement est perpétuel et solennel, où l'on demande plus d'épreuves, et pendant des temps assez raisonnables pour empêcher d'y être forcé. Car dans les couvents il y a toujours un an, souvent dix-huit mois d'épreuves, et avant de faire leurs vœux, celui qui leur donne le voile leur demande : « Voulez-vous persévérer dans le dessein de la sainte virginité ? » A quoi elles répondent : « Nous le voulons1. » « Promettez-vous de garder perpétuellement la virginité ? Je le promets2. » « Voulez-vous recevoir la bénédiction, être consacrées à Jésus-Christ notre Seigneur, et prendre pour votre époux le Fils du Dieu très haut ? Nous le voulons3. »
A l'égard des ordres sacrés, l'on n'y est reçu qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis ; et avant d'être élevé au sous-diaconat, l'évêque adresse ce discours aux acolytes : « Mes très chers fils qui vous présentez pour être élevés à l'ordre de sous-diacre, considérez encore une fois et avec la plus grande attention, l'obligation que vous voulez contracter aujourd'hui. Car vous êtes libres maintenant, et il vous est très permis de retourner dans le siècle pour y prendre des engagements ; mais dès que vous aurez reçu cet ordre, vous ne le pourrez plus ; vous serez obligés de vous livrer pour toujours à Dieu, dont le service vaut un royaume ; et vous serez obligés, avec le secours de sa grâce, de garder la chasteté, afin de ne vous occuper dans son Église que des fonctions du saint ministère. Pensez-y donc pendant qu'il est temps ; que si vous voulez persévérer dans le saint engagement que vous avez choisi, approchez au nom du Seigneur1.
Mais si ceux qui parlent de violence avaient plus d'expérience du monde, s'ils consultaient davantage les familles, bien loin de dire que quelqu'un y est forcé par les parents, le plus grand nombre leur apprendrait que leurs enfants n'ont pris cet état que très volontairement, et quelquefois même contre le gré de leurs père et mère. Si après tout, malgré les plus sages précautions, l'on est parvenu à y violenter quelqu'un (ce que défend, comme on l'a vu, très expressément le concile de Trente2), l'on répliquera que les lois ne sont nullement garantes de ceux qui y sont assujettis malgré eux, et qu'elles ne peuvent pour un seul renverser l'ordre et l'économie universelle. Car si cela était, combien de lois prudentes et sages ne faudrait-il pas renverser ! lorsqu'on considère, par exemple, quelquefois la précipitation et le peu de réflexion avec lesquelles se contractent certains mariages, les lois de l’Église et de l’État sont-elles responsables des inconvénients auxquels s'exposent les contractants ? Et lorsque d'ailleurs toutes les formes prescrites ont été observées, ira-t-on dissoudre l'indissolubilité de cette alliance, parce que quelqu'un prétendra y avoir été forcé ou trompé ?
Quant aux seconds que l'on dit se repentir d'avoir choisi cet état, et qui voudraient pouvoir être dispensés de leur engagement, il y a d'abord toute apparence que ceux-là ne grossissent que trop encore le nombre des déclamateurs de la sainteté du célibat chrétien. Mais, leur dira charitablement l’Église, ne vous conviendrait-il pas plutôt de cacher votre honte et de faire pénitence de vos fautes, que de la laisser entrevoir et divulguer par de tels discours ? et de faire connaître que votre regret ne vient ou que de lâcheté, ou que d'un dégoût mal placé, ou que d'un esprit d'inconstance, ou enfin parce que vous n'avez nullement employé les sages précautions que vous deviez prendre pour ne pas vous exposer au péril, ou parce qu'en un mot, vous n'avez choisi un état aussi saint que par les vues les plus mondaines ? Car il est certain que ces derniers surtout auront toujours beaucoup moins de force pour résister aux tentations, que ceux qui ne s'engagent dans cet état que par les vues les plus pures et dans le seul dessein de glorifier le Tout-Puissant, et de servir l’Église. Mais si d'autres encore ne prennent ces engagements que pour jouir des privilèges, des honneurs et des avantages temporels de l’Église, conviendrait-il pour eux de détruire la discipline sage et céleste qu'elle n'a établie que pour ceux qui ne sont employés qu'aux fonctions sacrées du saint ministère ?
Ainsi, pour remédier à tant de maux, les véritables réformes que l'on devrait proposer seraient, par exemple, d'obliger tous ceux qui possèdent des bénéfices ou à y renoncer, ou à s'engager d'une manière utile et édifiante pour la maison du Seigneur : ce serait d'éprouver plus que jamais les dispositions de ceux qui se présentent ; réduire l'état ecclésiastique uniquement à ceux qui sont utiles à l’Église, soit par leurs fonctions, soit par leurs bonnes œuvres et prières ; ce serait de diminuer peut-être la multitude de places qui ne sont briguées qu'à cause du repos et de l'indolence dont on y jouit ; ce serait, non pas comme le voudraient plusieurs, détruire l'ordre monastique, mais en modérer le trop grand nombre ; ce serait enfin de faire rester dans le monde tous ceux en qui l'on ne voit aucune des dispositions requises pour honorer l'état ecclésiastique et en remplir les engagements. Dès lors on trouverait encore par toutes ces réformes un grand nombre de sujets plus utiles aux vues politiques des souverains et moins nuisibles à l’Église. Car elle n'a établi le célibat que pour que ses ministres, dégagés des sollicitudes de ce monde, en fussent plus libres à ne s'occuper que de Dieu et des moyens de le servir d'une manière qui lui soit agréable. Elle a toujours condamné la conduite des autres, mais elle a toujours soutenu la dignité du sacerdoce et la pureté nécessaire à ses ministres. Elle a toujours regardé les premiers comme des usurpateurs des biens ecclésiastiques et des hommes qui n'excitaient que ses larmes ; mais elle n'a cessé de louer ceux-ci, de les encourager dans la vie angélique qu'ils s'efforcent de mener, et dans les saints travaux qu'ils entreprennent pour conduire les âmes dans la voie du salut.
Quelques-uns, pour soutenir jusqu'au bout leurs préjugés, n'ont pas craint d'avancer que les prêtres mariés feraient des ménages meilleurs que les autres, parce qu'ils sont par état, dit-on, mieux instruits des devoirs de la religion, qu'ils sont plus laborieux, plus vertueux, plus modérés, plus doux, plus appliqués à leurs obligations. Mais l'on ne sait si on y a réfléchi en tenant un tel langage, et si l'on a cru que ce raisonnement pourrait séduire quelqu'un. Car qui ignore que toutes ces vertus qui se trouvent dans les ecclésiastiques ne sont qu'une suite du célibat chrétien qu'ils pratiquent ; que plus ils l'observent, et plus toutes ces qualités éclatent dans leurs personnes, et que l'on ne les y verrait plus de même dès qu'ils seraient, comme les autres, obligés à s'occuper du soin d'une famille. Livrés à ces sollicitudes indispensables, ils négligeraient le soin de leur Église ; partagés entre les affaires ecclésiastiques et domestiques, ils n'auraient presque plus le temps de vaquer à l'étude, si nécessaire pour connaître les importantes fonctions de leur ministère. Les biens destinés aux indigents de leur troupeau seraient souvent détournés à celui de leur famille ; et si l'on reproche à quelques-uns d'enrichir des biens de l’Église des parents éloignés, que ne feraient-ils pas pour ceux qui leur appartiendraient de plus près ! Mais pour faire connaître d'une manière plus réelle en quoi les ecclésiastiques et les autres célibataires chrétiens sont véritablement utiles au monde même, entrons plus particulièrement dans quelque détail des avantages qui en reviennent, non-seulement à la société chrétienne, mais à la société politique ou civile.
Le mahométisme ayant pour principe de donner une entière et malheureuse liberté aux désirs de la chair, semble tirer l'homme d'un prétendu esclavage auquel d'autres s'imaginent qu'assujettit la pureté du christianisme ; mais outre cet esclavage réel et cet abrutissement auquel l'âme est assujettie par les passions de la chair, l'on doit reconnaître que Mahomet, sous cet appas trompeur d'une fausse liberté, a rendu l'homme véritablement esclave des sens, et tellement dominé par ses passions, que par ce malheureux artifice il a donné en même temps un moyen plus facile aux maîtres de ces infidèles de les subjuguer et de les assujettir à un honteux esclavage et à un tyrannique despotisme. Mais le christianisme, en ne prescrivant que des règles prudentes et sages de continence et de chasteté, retire véritablement l'homme d'un esclavage auquel il était assujetti auparavant, pour l'élever au-dessus des sens impérieux, l'établir dans un véritable empire de lui-même, et lui donner plus de facilité pour connaître sans nuages les vérités les plus sublimes. Ainsi, bien loin de décrier ceux qui, pour jouir de cette liberté et de cet avantage, se dégagent des choses sensuelles, l'on doit au contraire leur donner les plus grands éloges, comme dit Eusèbe de Pamphilie, admiratione omnium dignus est1. Et on ne peut certainement les leur refuser, lorsque l'on considère les vertus singulières qui se trouvent plus communément dans ceux qui pratiquent cet état de perfection que dans les autres.
D'abord il n'est personne, témoin le grand apôtre saint Paul, ainsi que je l'ai fait voir ci-devant, il n'est personne, dis-je, qui soit en état de parler avec plus de justesse et de sagesse, tant de l'honneur qui est dû au mariage que de la sainteté du célibat ; parce qu'étant moins dominés par les sens, ils envisagent avec plus de tranquillité, et dans l'exacte vérité, ce que demande la raison et la religion ; parce que, connaissant et les difficultés qu'il faut vaincre pour conserver la vertu du célibat chrétien, et les peines attachées aux engagements du mariage, ils sentent mieux les règles qu'il faut prescrire aux uns et aux autres. Ainsi, dit l'Apôtre, chacun a reçu de Dieu sa vocation particulière, l'un d'une façon, l'autre d'une autre2. C'est pourquoi il dit aux uns : il vaut mieux se marier que de vivre dans le dérèglement3 ; il dit aux autres, qu'attendu les peines de cette vie, il est plus avantageux à l'homme de garder le célibat4. En second lieu, le célibat chrétien forme des citoyens dont les mœurs sont plus parfaites, des hommes édifiants dans qui se trouve le trésor de toutes les vertus chrétiennes, civiles et politiques, la source de tous les grands exemples de sagesse, de science, de tempérance, de douceur et de plusieurs autres perfections. En sorte que si le célibat parait enlever à la société quelques citoyens, ce n'est que pour l'en dédommager amplement, et l'en récompenser au centuple par un choix de sujets plus propres à enseigner les autres, à graver dans leurs esprits les grands principes de religion, de probité, de justice, de sagesse, de lumières, de science, de vertus, et donner aux hommes les règles les plus prudentes pour se conduire dans les différents états de la vie.
Que dirai-je encore de cette utilité infinie que retire la religion chrétienne de ses ministres célibataires ! Qui peut égaler leur zèle pour la propagation de la foi, leur ardeur infatigable pour l'enseigner, non-seulement aux fidèles, mais pour annoncer l’Évangile dans les pays les plus éloignés ? Quels seraient les prêtres mariés qui voudraient quitter leur femme, leurs enfants, leur patrie pour annoncer l’Évangile chez les hérétiques, les infidèles, dans les nations barbares, idolâtres, et s'y exposer, comme les apôtres, aux plus cruelles persécutions et au martyre ? C'est ainsi que cette religion, en prévenant les inconvénients d'une multiplication quelquefois trop féconde, sait retirer de la société publique et former des citoyens aussi édifiants par la sainteté de leurs mœurs, qu'utiles par les grands services qu'ils rendent à la république chrétienne ; et qui, comme dit S. Eusèbe, donnent à Dieu des enfants spirituels, en élèvent une multitude, les instruisent de la loi sainte, et les forment dans la voie du salut1. Que si cependant tous ces avantages spirituels que savent parfaitement apprécier tous ceux qui sont zélés pour la religion, touchent faiblement ceux qui n'ont pas pour elle le même attachement, joignons ici les avantages temporels que produit encore le célibat chrétien, et considérons ceux qui en reviennent à la société civile. Pour cela je ne me ferai aucune peine de copier ici ce qu'en dit avec tant de justesse l'auteur d'un ouvrage intitulé : Mémoire politico-critique, donné en 1758 pour confondre un écrit qui avait osé paraître en faveur des protestants, ou plutôt des Calvinistes de France. Je renfermerai entre de petits crochets les notes qu'il a mises au bas de son excellent ouvrage.
« Une fausse philosophie2 (2) a gagné les esprits et effacé des cœurs ce respect que nos pères avaient pour les choses saintes ; de là on s'est accoutumé à regarder les ecclésiastiques comme des citoyens inutiles ou à charge à la société : de là ces mains et ces voix toujours prêtes à fondre sur cette portion de l'héritage de Dieu : de là ces discours, ces systèmes dont le but est d'abaisser, d'avilir ou même de détruire un corps qui honore la nation, qui affermit le trône, qui soutient les familles.
La génération qui nous a précédés aurait trouvé étrange que je n'eusse pas mis au rang de ces avantages les bénédictions que leurs prières attirent sur le royaume ; mais chaque chose a son temps : aujourd'hui on ne connaît que les moyens et les biens physiques3, et à force d'esprit nous sommes devenus aussi matériels que les Juifs. Si nos murs ont des brèches, si nos celliers ne regorgent pas de vin, et surtout si nous n'avons pas autant d'enfants que l’olivier a de rejetons4, nous ne comptons pour rien tout le reste. Que le clergé, par son savoir et ses mœurs fasse honneur à la France et envie aux autres nations ; que, par ses instructions et par son exemple, il apprenne aux sujets la soumission qu'ils doivent à leur souverain ; que, dispensé de servir en personne, il ne cesse de tenir les mains élevés vers le ciel, ou de les ouvrir pour répandre des secours sur des frères, des neveux, des cousins, dont la valeur indigente serait perdue pour l’État, tout cela ne l'acquitte pas de ce qu'il doit à la société, elle a besoin de citoyens et non pas de prêtres, de fabricants et non pas de docteurs, d'artisans et non pas de solitaires, de mères et non pas de vierges, d'industrie et non pas de prières. Voilà comme on parle quand on ne veut pas réfléchir, ni juger par soi-même. Il y a dans chaque nation des hommes à paradoxes dont le peuple est l'admirateur et l'écho ; malheur si on ne leur impose silence de bonne heure. Mais ce qu'il y a de singulier, ceux qui s'élèvent le plus contre le célibat sont eux-mêmes célibataires ; si c'est un mal voudraient-ils donc en être les complices, ou, si c'est un bien, le posséder tous seuls1 ? Tel est le sort du célibat, il a toujours été combattu par ceux qui lui étaient le plus attachés.
On remarqua à Rome que les consuls Marcus Pappius et Quintus Poppoeus, dont la loi s'appelle Julia Pappia Poppaea2, qui donnèrent leur suffrage et leur nom à la loi d'Auguste contre les célibataires, n'avaient ni femmes ni enfants.
Je ne me serais pas avisé de plaider la cause des ecclésiastiques, si la nécessité de réfuter ce que l'anonyme dit touchant la dépopulation ne m'y eût comme entraîné3. Mais cela me fournissant l'heureuse occasion de rendre justice à un corps contre lequel l'envie, le libertinage et l'irréligion se sont ligués, veut aussi que j'entre dans le détail de ses services.
Si les âmes qui se consacrent à Dieu dans le royaume portaient à la société un dommage très sensible du côté de la population, il y aurait des compensations physiques à faire qui excéderaient peut-être le détriment. C'est à ces âmes qu'on doit le défrichement des terres, le dessèchement des marais, les plantations des vignes. La Bourgogne doit ses vins aux religieux de Citeaux, qui, venant de la croisade, en rapportèrent des ceps. Des provinces entières ont profité des religieux et de l'émulation qu'ils inspirèrent aux peuples. Combien de pays seraient restés déserts, si la réputation de sainteté des solitaires qui s'y étaient cachés n'y avait pas attiré des personnes de tout sexe, qui y fixèrent leur demeure ! Othon III, voulant peupler l'Allemagne, y attira des religieux qui y défrichèrent des bois, qui bâtirent des villes, qui changèrent les lieux déserts et arides en des contrées fertiles et habitables4.
Le zèle de la pénitence, l'amour du silence et de la retraite, conduisirent les fondateurs de plusieurs monastères dans des contrées inhabitées et presque inaccessible : abord difficile, climat rigoureux, culture pénible, tout fut vaincu par le fervent courage de ces saints religieux, c'est à leur travail opiniâtre que la Grande-Chartreuse, que la Chaise-Dieu, que Cluny doivent leur état présent ; par eux ces lieux arides ont été changés en des terres fertiles, par eux ces déserts affreux sont devenus des pays habités : l'homme a été condamné à arroser la terre de ses sueurs : ceux-ci, pour la mieux fortifier, l'ont encore mouillée de leurs larmes ; s'ils ont défriché, s'ils ont planté, s'ils ont semé, et si à présent ils recueillent, ils ont été en cela plus utiles à la nation que s'ils s'étaient mariés. Dans l'état du mariage ils n'auraient fait que se reproduire et transmettre leur infortune à la postérité ; dans l'état du célibat ils ont créé pour ainsi dire un nouveau monde, en transformant les solitudes en villes, les antres en maisons, les marais en pâturages, les bruyères en champs, les rochers en vignobles ; ils n'auraient donné que quelques sujets à la république5, et ils ont formé pour elle des colonies par les domestiques, les fermiers, les censitaires, les âmes pieuses qu'ils ont attirés dans leurs retraites, où sans eux personne n'eût jamais habité. Qui mieux que ces citoyens pénitents peut se vanter d'avoir fourni son contingent à la société ? L'abbaye de la Trappe n'a que quinze mille livres de revenu ; une sainte industrie la met en état de nourrir cent cinquante religieux, d'exercer tous les ans l'hospitalité envers six mille étrangers, et de répandre de grandes aumônes dans le Perche.
Combien de monastères, de filles, de maisons de charité et d'hôpitaux ont été fondés par de saints évêques ? Ces asiles toujours ouverts à la vertu, à la misère et aux infirmités humaines, déposent encore du bon usage qu'on a fait de ces biens tant enviés ; combien de collèges et de séminaires où la jeunesse indigente est élevée par les libéralités de ceux qu'on dépeint comme des usurpateurs ! Je ne parle pas des églises ; bel objet pour ce siècle ! Elles ne sont que d'une utilité morale, et font, selon lui (c'est-à-dire le protestant), un tort physique par le terrain immense qu'elles occupent, sur lequel on pourrait construire des halles, des marchés, des magasins, des greniers d'abondance, des manufactures, et surtout des salles de spectacle, si nécessaires pour remplir le vide des journées que l'on donnait autrefois à Dieu et qu'un reste de préjugés fait perdre encore au commerce.
Si de tous ces avantages généraux qui s'étendent sur tous les individus, nous passons à ceux qui ne sortent pas des familles, combien de maisons, je dis des plus grandes du royaume, doivent leur illustration et leurs richesses à l’Église ! Combien d'autres retirent tous les jours en détail et avec usure les biens que la piété de leurs ancêtres avait consacrés à Jésus-Christ ! Combien de braves guerriers seraient restés inconnus et oisifs, si des frères ou des oncles, membres de ce corps inutile, et, s'il en faut croire nos mauvais politiques, si nuisible à la société, ne les avaient aidés à se produire et à se soutenir au service de leur roi ! La valeur est chez les Français la plus grande force de l’État, c'est donc un germe qu'il faut conserver dans les familles ; mais comment les transmettre à ses descendants, si on ne se marie pas, et comment se marier si un nombre de frères et de sœurs partageant un modique héritage le réduisent à rien ? C'est alors que la consécration à Dieu devient un sacrifice fait à la patrie ; si tous ces frères s'étaient mariés, ils auraient donné plus de sujets à l’État ; mais à la seconde génération qu'aurait produit leur indigence ? des enfants sans éducation, des hommes sans sentiments, des ouvriers, des mercenaires, et c'était une bonne race perdue à jamais pour le royaume, au lieu qu'une sœur religieuse met une autre sœur en situation de se marier ; un frère ecclésiastique aide ses neveux, et relève une maison qui tendait à sa ruine. »
FIN DU TOME PREMIER (4 tomes en tout).
1Luc 10 16; Hébreux 13 17; Romains 13 2.
1Tome 8 Edt. Germ. p.237
1Tome 8 Edt germ. Jen 1558 p.232
2p.242
3p.241 & 248
1Tom.1 Ed. Jen. Lat. p.143
2Ep. ad Quirinum p. 334
3Ep. 1 lib. 2 p.43
1Ep.48 ad Vincentium. T.2 Edit. Basil Froben. p.184
2L.8 q. 5
3Ep ad Vincentium T.2 p.185
4Athan. De seut. Dionisi T.1 Edit nova p.252
1T.5 Ed Jen germ. p.275
2Hilar. p.1290 Edit. Parisinae an. 1695
1T.4 edt. Paris. Martianay part. 2 p.447
2T.2 edit. Paris. Part. 2 p.744
3T.4 part. 2 p.803
1Ep.110 T.2 ed. Froben p.414
2T.8 edt. Jen. Germ. p.241 b
3Serm. De Nativ. Apost.Edit Quenel p.164
4Lib. De ingratis. ed. Paris. Novae p.119
5Lib. 2 contra Parmen. Edit Dupin p.31
6Ep. 1 ad Innocentium T.2 con. Labb p.1309
1Epiph. Haer. 68 t.1 ed. Petavii p.714
2Basil. Epist. 52 ad Athanasum. Froben p.682
3Irenaeus l.3 c. 3 edit. Colon p.232
1T.8 p. 248
1Theodoret lib. 5 cap. 9 ed. Froben p.503
1Tom8. Ed. Jen. Germ. p.241 b
2Lect. Edit. Froben. l. 2 c. 8 p.296
1Lect. Edit. Froben. livre 3. ch. 7. p.589
2Theodorus l. 2. ch. 22. Edit Froben p.462
3 Evagr. liv. I. ch. 4. Edit Froben p.726
4Sulpi. Sever. au 2. livre. Edit. Lugd. Balav. p.468
5Edit Jen.German p.388
1Matthieu 16 18-19
1Traité 124 sur Jean T. 9 ed.Froben p.572
1Lib. II contra Donatistas c.1 Tom. 7 Ed Froben
2Serm. 13 de verbis Domini Tom. 10 p.59
1Jean 21 15-17
2In c. 6 Epist ad Rom. T. 3 p.179
3Homil 87 in Joa. Edit apud Hugonem T.3 p. 88 89
4Serm. III in anniversario die assumpt. Edit Quenel p.53
5Lib IV Ep.32 T.2 ed. Pazris p.608
1T.1 ed. Mabil. p.422
2Actes 1 15; 2 14; 5 29; 10 11; 15 7. Galates 1 18
3Galates 2 11
4Galates 2 8
522 24
4Ed ad Quintinum edit Froben p.33
5Ep 19 ad Hyeronimum t.2 edit Froben p.79
6Hom.18 in Ezech. T.1 edit Paris p.1294
1Irenae l.3 c.3; Tertull. Lib. De praescr. c.32; Epiph haer. 27 T.1; Opt. l.2 ConT parm edit. Du Pin; Aug. ep. 165 T.2 edit Froben
2Ed. Nov. Tom.1 p.160
3Con. Calced. Actione 2 T.4 edit Labbe p.368
4Tom.8 ed Jen.Germ. p.233
1Édit. Germ. T.1 p.58
2Tom. 1 p.144
1Tom. 1 p.257 b
2Tom. 1 Ed Germ. Jen. p. 353 b
3Tom. 3 Ed Jen Germ. p.104
1Tome 8 p.238
2Tom. 7. [Ed. Jen. Cerm. pag. 277.
3Tom. 6. pag. 535.
4Tom. 5. Jen. Germ. pag. 302 b
5Tom. 4. pag. 446. b.
6Tom. 8. pag. 257.
7Tom. 4. pag. 486.
8Tom. 8. pag. 270.
9Tom. 8. pag.248.
10Tom. 8. pag. 12. 13. 346.
11Tom. 8. pag. 12. 13. 346.
1Pag. 18.
2Pag. 53.
3Act. XX. 28.
4Ce que l'auteur dit ici de l'Église de Strasbourg, peut se dire également de toutes les Églises catholiques.
5Tom.2 Con. Labb. p.679.
1Tom.2 p.679
2Tom. 1 Feb. p.828 et 829.
1Quasi peccatum Ariolandi est repugnare, quasi scelus idololatriae nolle acquiescere. 1. Reg. XV. 23.
2Qui superbierit nolens obedire Sacerdotis imperio, morietur homo ille. Deut. XVII. 2.
3An esse sibi cum Christo videtur, qui adversus Sacerdotes Christi facit, qui se à cleri ejus societate secernit ? Arma ille contra Ecclesiam Dei portat, contra Dei dispositionem repugnat. Cyprian. lib. 1. Ep. 8. éd. Froben. p. 33.
4Adulterum est, impium est, sacrilegum est, quodcunque humano furore instituitur, ut dispositio divina violetur; procul ab hujusmodi hominum contagione discedite. Cyprian. de Simplicitate praelatorum , éd. Froben. pag. 170.
1Cet ouvrage est de l'abbé Devilliers, prêtre et licencié en droit. Paris 1701.
2De Clericis, I. 1. c. 18.
3Apostoli, vel virgines , vel post nuptias continentes. Epist. 50, pag. 242.
4Volo enim omnes vos esse sicut meipsum. I. Cor. 7. 7.
1Quia rudis ex Gentibus constituebatur ecclesia, leviora nuper credentibus dat praecepta, ne territi ferre non possent. Lib. I. advers. Jovinian.
2Placuit in totum prohiberi episcopis, presbyteris et diaconibus, vel omnibus clericis positis in ministerio, abstinere se à conjugibus suis et non generare filios : quicumque vero fecerit, ab honore clericatus exterminetur.
1Presbyter si uxorem duxerit, ordine moveatur: si autem fornicatus fuerit, vel adulterium commiserit, penitùs excludatur, et ad paenitentiam deducatur.
2Interdixit per omnia magna synodus, non episcopo, non presbytero , non diacono , nec alicui omnino qui in clero est, licere subintroductam habere mulierem, nisi forte aut matrem, aut sororem, aut amitam, vel eas tantum personas quae suspicionem effugiunt.
3Unde in ecclesias Agapetarum pestis introït? Unde sine nuptiis aliud nomen uxorum? Epist. 18. ad Eustochium, p. 33.
1Visum erat Episcopis legem novam in Ecclesiam introducere, ut qui essent sacris initiati ( sicut episcopi, presbyten et Diaconi ) quas, cum erant laici, in matrimonium duxissent, minime dormirent. Et quoniam illis erat propositum de hac re cpnsilium inire, in medio eorum çonsessu surrexit Paphnutius, ac vehementer vociferatus est, non grave jugum cervicibus illorum imponendum esse qui erant sacris initiati , honorabile esse conjugium inter omnes, et thorum immaculatum. Vivendum ne nimis exquisita praescriptione Ecclesjam gravi incommodo afficerent. Omnes enim non posse ferre tam austeram disciplinam, neque à singulorum uxoribus fortasse eam castimoniae normam posse servari ( viri autem cum uxore legitima concubitum castimoniam appellavit) ; illud satis esse ut qui in clerum ante adscripti erant, quam duxissent uxores, hi secundum veterem Ecclesiae traditionem deinceps à nuptiis abstinerent ; non tamen quemquam ab illa quam jam pridem, cum laicus erat, uxorem duxisset, sejungi debere.
Istam in episcoporum conventu orationem habuit Paphnutius, cum ipse non modo nuptias non expertus esset, sed nec mulierem aliquando contigisset. Nam à puero in monasterio seipsum severo vitae disciplinae generi totum dediderat : qui quidem propter singularem castimoniam prae caeteris plané in magnà famae celebritate vixit. Itaque cum totus episcoporum, presbyterorum et diaconorum conventus verbis Paphnutii assensisset, controversia de hac re exorta penitus sedata est, potestasque permissa unicuique pro arbitratu ab uxorum consuetudine abstinendi.
1Potestas permissa cuique pro arbitratu ab uxorum consuetudine abstinendi.
1Ut secundùm veterem Ecclesiae traditionem deinceps a nuptiis se abstinerent.
2Potesias permissa cuique pro arbitratu ab uxorum consuetudine abstinendi.
1In hoc situm est caelibatus decus et honestas , quod separati simus à consuetudine et consortio mulierum. Quare si quis id verbo professus revera ea faciat, quae qui cum mulieribus cohabitant, aperte ostendit se virginitatis Iaudem nomine tantum prosequi, sed à turpi voluptate non recedere. S. Basilius , Epist. ad Paregorium.
1Nec primi nec soli, Paregori, sancivimus ut ne unà cum viris habitent mulieres : sed Iege canonem à sanctis nostris patribus editum in synodo Nicaena, qui manifesté sancivit extraneas mulieres non esse. Vita autem caelebs in eo honestatem habet, ut à convictu mulieris separetur. Quare si quis verbo professus, reipsa quae conjugatorum sunt, facit, palam est eum virginitatis quidem honestatem in nomine persequi, sed nequaquam ab indecora voluptate abstinere, Tanto ergo magis oportebat te postulationi nostrae credere, quanto te ajs esse liberiorem ab omni corporea libidine. Neque enim virum septuaginta annos natum existimo Iibidinosè habitare cum muliere, nec quod turpe aliquod facinus fuisset admissum, idcirco constitui quae constitui, sed quod ab Apostolo didicimus offendiculum fratri non ponere ad scandalum. Scimus autem quod à nonnullis recte agitur, aliis occasionem esse peccandi. Quare praecepimus sanctorum patrum decretum sequentes , ut à mulierculâ separeris... Ejice igitur illam ex tuis aedibus et in monasterio constitue. Sit illa cum virginibus, et apud te serviant viri, ut ne Dei nomen propter vos blasphemetur... Quod si ausus fueris citra emendationem Sacerdotium tibi vindicare, anathema eris omni populo, et qui te receperint, excommunicati per omnem Ecclesiam erunt. Epist. 55. T. 3.
2Lege canonem à sanctis Patribus editum in synodo Nicaenâ,
3Praecepimus sanctorum Patrum decretum sequentes ut à mulierculâ separeris.
4Expositio fidei catholicae , c. 21.
1Haeresi 59. N. IV
2Fundamentum igitur ac velut crepido quaedam in Ecclesia virginitas est, quae à plerisque colitur et observatur, et in illustri quadam gloria ac praedicatione versatur.... Horum omnium velut fastigium, et ut ita dicam, matris ac genitricis locum, sanctum sibi sacerdotium vindicat, quod ex virginum ordine praecipué constat ; aut si minus è virginibus certè ex monachis, aut nisi ex monachorum ordine ad illam functionem obeundam idonei coaptari possint, ex his creari sacerdotes solent, qui à suis se uxoribus continent, aut secundum unas nuptias in viduitate versantur: secundis vero nuptiis implicitus, in Ecclesiâ ad sacerdotium non admittitur, tametsi aut sese ab uxore contineat, aut sit viduus. Ejusmodi, inquam, ab episcopi, presbyteri, diaconi ac subdiaconi gradu rejicitur. Secundum hos gradus lectorum ordo ex omnibus ordinibus eligi potest, hoc est, è virginibus, monachis, continentibus, viduis et iis qui honestis matrimoniis illigantur. Imo si necessitas tulerit, ex illis etiam adciscuntur qui post prioris uxoris obitum cum alterâ sese copulaverint. Quippe lector non est sacerdos, est tanquam divini verbi scriba.
Quin eum insuper qui adhuc in matrimonio degit, ac liberis dat operam, tametsi unius sit uxoris vir, nequaquàm tamen ad diaconi, presbyteri, episcopi, aut hypodiaconi ordinem admittit : sed eum duntaxat qui ab unius uxoris consuetudine sese continuerit, aut ea sit orbatus; quod in illis locis praecipuè fit, ubi ecclesiastici canones accuratè servantur.... ( Aliter ) non illud ex canonis autoritate fieri, sed propter hominum ignaviam, que certis temporibus negligenter agere ac connivere solet, ob nimiam populi multitudinem, cum scilicet, qui ad eas se functiones applicent, non facile reperiuntur. Quod adipsam quidem Ecclesiam attinet, ea utpote à Spiritu Sancto bene ordinata atque constituta, quod decentius est in omnibus rebus considerans, ei rei studere potissimum instituit, ut quae divino numini ministeria praestantur, nullâ re, quoad fieri potest, distrahantur; utque spiritualia omnia officia, quam optimâ laetissimàque conscientiâ gerantur. Hoc igitur dico propter subitas functiones atque officia convenire, ut presbyter, ac diaconus et episcopus Deo penitus vacet. Nam si illis etiam qui è populo sunt, idipsum Apostolus praecipit, ut, inquit, ad tempus vacent orationi, quanto in magis sacerdoti praescribit! nimirùm nullis ut impedimentis avocetur; quod in spiritualibus secundum Deum negotiis, in ipso usu sacerdotii administrationeque ferietur.
3l.Cor. 7. 5.
1Dicit Apostolus iis qui in conjugiis sunt : Nolite fraudare invicem, nisi forté ex consensu ad tempus ut vacetis orationi, et iterùm in idipsum sitis : certum est quia impeditur sacrificium indesinens iis qui conjugalibus necessitatibus serviunt. Unde videtur mihi quod illius est solius offerre sacrificium indesinens, qui indesinenti et perpetuae se devoverit castitati. Homelia 23. in lib. N. Num.
2Ilis autem ipsis... ut melioribus studiis vacent liberiùs, sejunctus à re uxoriâ victus adamatur, veluti iis qui divina et incorporea sobole propagande occupati teneantur : et non unius neque duorum liberorum, sed acervatim innumerabilis multitudinis educationem, sanctamque disciplinam ac reliquae instituendae vitae curam susceperint. Lib. 10. demonstrat. Evangel. cap. 9.
3Jeremias 9. 1.
42. Corinth. 11. 28.
5Veniamus nunc ad sacratissimos ordines clericorum quos in venerandae religionis injuriam, ita per vestras provincias calcatos atque confusos, charitate tua insinuante, reperimus, ut Jeremiae nobis dicendum sit voce: Quis dabit capiti mea aquam, et oculis meis fontem lacrjmarum, et flebo populum hunc die ac nocte ? Si ergo beatus Propheta ad lugenda populi peccata, non sibi ait lacrymas posse sufficere : quanto nos possumus dolore percelli, cum eorum qui in nostro sunt corpore compellimur facinora deplorare! Praecipuè quibus, secundum beatum Paulum, instantia quotidiana et sollicitudo omnium Ecclesiarum indesinenter incumbit. Quis enim infirmatur et ego non infirmor? Quis scandalisatur, et ego non uror?
1Lévitique 11. 41.
2Matthieu 5. 17.
3Rom. 8 9
4Plurimos autem sacerdotes Cbristi atque levitas, post longa Coqsecrationis suae tempora, tam de conjugibus propriis quam etiam de turpi coitu sobolem didicimus procreasse; et crimen suum hac prescriptione defendere, quia in veteri testamento sacerdotibus ac ministris generandi facultas legitur attributa. Dicat mihi nunc quisquis ille est sectator libidinum, praeceptorque vitiorum, si aestimat quod in lege Mosis passim sacris ordinibus à Domino laxata sunt fraena luxuriae, cur eos quibus committebantur sancta sanctorum, praemonet dicens : Sancti estote quia ego sanctus sum Dominus Deus vester. Cur etiam procul à suis domibus, anno vicis suae in templo habitare jussi sunt sacerdotes ? Hac videlicet ratione, ne vel cum uxoribus possent carnale exercere commercium ; ut conscientiae integritate fulgentes acceptabile Deo munus offerrent. Quibus etiam expleto deservitionis suae tempore, uxorius usus solius successionis causa fuerat relaxatus ; quia non ex alia nisi ex tribu Levi, quisquam ad Dei ministerium fuerat praeceptus admitti. Unde et Dominus Jesus cum nos suo illustraret adventu in Evangelio protestatur, quia veneri, implere, non solvere. Et ideo Ecclesiam cujus sponsus est speciosus forma, castitatis voluit splendore radiare, ut in die judicii, cum rursùs advencrit, sine maculà et rugà eam possit sicut per Apostolum suum instituit, reperire. Quarun sanctionum sacerdotes omnes atqué Ievitae insolubili lege constringimur, ut à die ordinationis nostrae, sobrietati ac pudicitiae, et corda nostra mancipemus et corpora, dummodo per omnia Deo nostro, in his quae quotidie offerimus sacrificiis placeamus. Qui autem in carne sunt, dicit Apostolus, Deo placere non possunt. Vos autem jam nos estis in carne, sed in spiritu, si tamen Spiritus Dei habitat in vobis. Et ubi poterit, nisi in corporibus, sicut legimus sanctis Dei Spiritus habitare ?
1Idem decretum, cap. 12.
2Et quia aliquanti de quibus loquimur, ut tua Sanctitas retulit, ignoratione Iapsos esse se deflent, his, hac conditione misericordiam dicimus non negandam, ut sine ullo honoris augmento, in hoc quo detecti sunt, quandiù vixerint, officio perseverent, si tamen post haec continentes se studuerint exhibere, Hi vero qui illiciti privilegii excusatione nituntur, ut sibi asserant veteri hoc lege concessum, noverint se ab omni ecclesiastico honore, quod indigni usi sunt, apostolicae sedis auctoritate dejectos; nec unquam posse veneranda attrectare mysteria, quibus se ipsi, dum obscoenis cupiditatibus inhiant, privaverunt. Et quia exempla praesentia cavere nos promonent in futurum, si quilibet episcopus, presbjter atque diaconus ( quod non optamus ) deinceps fuerit talis inventus, jam nunc sibi omnem per nos indulgentiae aditum intelligat obseratum : quia ferro necesse est excidantur vulnera, quae fomentorum non senserint medicinam.
Feminas vero non alias esse patimur in domibus clericorum, nisi eas tantum quas, propter solas necessitudinum causas, habitare cum eisdcm synodus Nicaena permisit.
3Sacerdotes omnes atque levitae insolubili lege constringimur, ut sobrietati ac pudicitiae et corda nostra mancipemus et corpora.
1Cum in praeterito concilio de continentiae et castitatis moderamine tractaretur, gradus isti tres conscriptione quadam castitatis per consecrationes annexi sunt. Episcopos, inquam, presbyteros et diaconos ita placuit, ut condecet sacro-sanctos antistites et Dei sacerdotes, necnon et Ievitas, vel qui sacramentis divinis inserviunt, continentes esse in omnibus, quo possint simpliciter, quod à Deo postulant, impetrare ; ut quod Apostoli docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiamus. Ab universis episcopis dictum est : Omnibus placet ut episcopi, presbyteri et diaconi, et qui sacramenta contrectant, pudicitiae custodes, etiam ab uxoribus abstineant.
Ab omnibus dictum est : Placet ut in omnibus et ab omnibus pudicitia custodiatur, qui altari deserviunt.
2Praetereà cum de quorumdam clericorum, quamvis erga uxores proprias, incontinentia referretur, placuit episcopos, et presbyteros, et diaconos, secundùm priora statuta, etiam ab uxoribus continere : quod nisi fecerint ab ecclesiastico removeantur officio. Concilium Carthagin. 5. can. 3.
1Non illud ex canonis auctoritate fieri. Suprà. N. 7.
2Proh nefas! Episcopos sui sceleris dicitur habere consortes : si lamea episcopi nominandi sunt qui non ordinant diaconos nisi priùs uxores duxerint.... Quid facient Orientis Ecclesiae? Quid Aegypti et sedis apostolicae, quae aut virgines clericos accipiunt, aut continentes, aut si uxores habuerint, mariti esse desistunt?
31. Rois 21.
4Relegamus Regum libros et inveniemus sacerdotem Abimelech de panibus propositionis noluisse priùs dare David et pueris ejus, nisi interrogaret utrùm mundi essent pueri à muliere, non utique alienâ, sed conjuge. Et nisi eos audisset ab heri et nudius-tertius vacasse ab opere conjugali, nequaquàm panes quos priùs negaverat concessisset. Tantùm inter propositionis panes et Corpus Christ, quantum inter umbram et corpora, inter imaginem et veritatem, inter exemplaria futurorum et ea ipsa quae per exemplaria praefigurabantur. Quomodo itaque mansuetudo, patientia, sobrietas, moderatio, abstinentia lucri, et benignitas, pracipuè esse debent in episcopo, et inter cunctos laicos eminenlia : sic et castitas propria ( et ut ita dixerim) pudicitia sacerdolalis, ut non solùm ab opere se immundo abstineat, sed etiam à jactu oculi et cogitationis errore, mens Christi Corpus confectura sit libera.
1Voy. Ci devant ch. 2 § 3
2Undè istos qui virilem excellentiam non putant, nisi peccandi licentiam, quando terremus ne adulterinis conjugiis haerendo pereant in aeternum, solemus eis proponere etiam continentiam clericorum, qui plerùmque ad eamdem sarcinam subeundam capiuntur inviti, eamque susceptam usquè ad debitum finem, Domina adjuvante, perducunt. Dicimus ergo eis: Quid si et vos ad hoc subeundum populorum violentia caperemini, nonne susceptum caste custodiretis officium, repente conversi ad impetrandas vires à Domino, de quibus nunquam anteà cogitastis ? Sed illos, inquiunt, honor plurimùm consolatur. Respondemus et vobis ; timor multo ampliùs moderetur. Si enim hoc multi Dei ministris repente atque inopinate impositum susceperunt, sperantes se illustrius in Christi haereditate fulgere, quanto magis vos adulteria cavendo vivere continentur debetis, metuentes non in regno Dei minus lucere, sed in gehenna ignis ardere? De Conjugiis adulterinis, 1. 2. cap. 22. 10. 6. p. 418.
3S. Augustini vita â Possidio, cap. 26.
1Idem. cap. 27.
2Feminarum intra domum ejus nulla unquam conversata est, nulla mansit, ne quidem germana soror, quae vidua Deo serviens multo tempore usquè in diem obitus sui praeposita ancillarum Dei vixit. Sed nec patrui sui filiae et fratris sui filiae quae pariter Deo serviebant : quas personas sanctorum episcoporum concilia in exceptis posuerunt. Dicebat vero quia etsi de sorore et neptibus secum commorantibus nulla nasci posset mala suspicio, tamen quoniam illae personae sine aliis necessariis secumque manentibus femiuis esse non possent, et quod ad eas aliae etiam à foris intrarent, de his posse offendiculum aut scandalum infirmioribus nasci; et illos qui cum episcopo vel quolibet clerico forte manerent, ex illis omnibus feminarum personis posse unà commorantibus vel adventantibus, aut tentationibus humanis perire, aut certè malis hominum suspicionibus pessimè dilïamari. Ob hoc ergo dicebat nunquam debere feminas cum servis Dei etiam castissimis , una manere domo, ne ( ut dictum est ) aliquod scandalum aut offendiculum tali exemplo poneretur infirmioribus. Et si forte ab aliquibus feminis ut videretur vel salutaretur, rogabatur, nunquam sine clericis testibus ad eum intrabant, vel solus cum solis unquam est Iocutus, nec si secretorum aliquid interesset. In visitationibus vero modum tenebat ab Apostolo definitum; ut non nisi pupillos et viduas in tribulationibus constitutas visitaret. Et si forte aegrotantibus ob hoc peteretur pro eis in prasenti Dominum rogaret, eisque manus imponeret, sine mora pergebat. Feminarum autem monasteria non nisi urgentibus necessitatibus visitabat.
31. 27.
1Pervenit ad nos quosdam episcoporum sub praetextu quasi solatii, in unà domo cum mulieribus conversari. Et ideo ne per boc aut subsannatoribus justa obtrectationis detur occasio, aut facilem antiquus humani generis inimicus materiam deceptionis assumat, hujus tibi serie praeceptionis injungimus , ut strenuum te studeas et sollicitum exhibere. Et si quis episcoporum quos commissi tibi patrimonii finis includit, cum mulieribus degunt, hoc omnino compescas, et de caetero eus illic habitare nullo modo patiaris, exceptis eis quas sacrorum canonum censura permittit, id est matre, amita, germana et aliis hujusmodi, de quibus prava non possit esse suspicio. Meliùs tamen faciunt si etiam à talium se habitatione contineant. Nam legitur quod B. Augustinus nec cum sorore sua habitare consenserit, dicens : Quae cum sorore mea sunt, sorores meae non sunt. Docti ergo viri cautela magna nobis esse debet instructio. Nam incautae praesumptionis, est quod fortis, pavet minus validum non timere : sapienter enim illicita superat, qui didicerit etiam non uti concessis. Et quidem nos nullos in hoc nolentes adstringimus, sed sicut facere soient medici, et si ad tempus tristem curam, tamen pro salute dictamus : et idcirco non necessitatem imponimus, sed si imitari doctum sanctumque virum elegerint, ipsorum voluntati relinquimus. Tua igitur experientia ut servari debeant ea quae prohibenda mandavimus , studium et sollicitudinem gerat.
2Concilium Moguntinum , can. 10.
3Concilium Metenae, can. 5.
4Quamyis etiam sacri canones quasdam personas feminarum simul cum Clericis in una domo habitare permittant, tamen (quod multum dolendum est) saepè audivimus per illam concessionem plurima scelera esse commissa... Idcirco constituit haec sancta synodus, ut nullus presbyter ullam feminam secum in domo propria permittat, quatenùs occasio malae suspicionis vel facti iniqui penitus auferatur.
Sacerdotes qui vice Mosis iram Domini super populum saevientem precibus suis debeat mitigare, attendentes etiam ne illud fiat quod scriptum est. Maxima ruina populi in culpa Sacerdotum fuit : nequaquam in sua domo secum aliquam feminam habeant, nec matrem nec sororem; sed auferentes omnem occasionem Satanae, Angelicam vitam ducant, et Domino Deo casto corpore et mundo corde fine tenus serviant.
5Sed si quis de bis habuerit talem necessitatem patientem, cui sit necessaria sustentatio presbyteri, habeat in vico aut villa domum longe à presbyteri conversatione, et ibi eis subministret quae necessaria sunt. Concilium Nannetense, can. 3.
6Ut nullus missam audiat presbyteri quem scit concubinam indubitanter habere, aut sub-introductam mulierem. Unde etiam ipsa sancta synodus hoc capitulum sub excommunicatione statuit, dicens : Quicumque sacerdotum, diaconorum, subdiaconorum, post constitutum beatae memoriae praedecessoris nostri sanctissimi papae Leonis de castitate clericorum, concubinamque palàm duxerit, vel ductam non reliquerit, ex parte omnipotentis Dei, autoritate B. B. Apostolorum Petri et Pauli praecipimus, et omnino contradicimus ut missam non cantet : neque Evangelium, vel Epistolam ac missam legat : neque in presbyterio ad divina officia cum qui praefatae constitutioni obedientes fuerint, maneat ; neque partem ab Ecclesia suscipiat, quousque à nobis sententia super hujusmodi, Deo concedente, procedat.
1Quod incontinentibus clericis ministerium altaris interdicit, nihilominus interdictum est à sanctis Patribus. Est enim scriptum in Nicaeno concilio, quod maximum est inter quatuor concilia Evangeliis adaequata, capite tertio. Interdicit per omnia magna synodus non episcopo, non presbytero, non diacono , nec alicui omnino qui in clero est, licere subintroductam mulierem, nisi forti matrem , aut sororem , aut amitam, vel eas tantum personas quae suspicionem effugiunt. Ut autem hujus capitis intentio clariùs elucescat, apertiorem ejus translationem subnectere non pigeat. Omnimodo sancta interdixit synodus, neque episcopo, neque presbytero, neque diacono, neque ulli omnino clericorum, Iicere habere secum mulierem extraneam, nisi forte mater sit, aut amita : in his namque personis et harum similibus omnis suspicio declinatur : qui aliter praeter haec agit periclitabitur de clero suo. Videsne ergo quod penitùs clericis conjugale opus interdicatur ; qui et pro ipsa cohabitatione feminarum, non solum de ministerio altaris, sed de clericatu suo periclitari jure censentur. Nec hoc tantùm de sacerdotibus, sed de omnibus sacris ordinibus evidenter discernitur.
Item Neocaesareense concilium quod ante Nicaenum concilium fuisse legitur, capite primo decrevit : Presbyter si uxorem duxerit ab ordine deponatur ; si vero fornicatus faerit, aut adulterium perpetraverit, amplius pelli decet et ad paenitentiam redigi. Chalcedonense etiam concilium quod ipsas Neocesareenses et Nicaenas, imo omnium sanctorum Patrum sanctiones ante ipsum transactas, ut praedictum est, confirmat : etiam earumdem sanctionum praevaricatores generaliter ita condemnat capite decimo. Eos autem qui ausi fuerint per diffinitionem magnae et universalis hujus synodi, quaecumque ex his quae sunt prohibita perpetrare, decrevit sancta synodus à proprio gradu recedere. Item beatissimus papa Sylvester qui Nicaenam synodum congregavit, et eamdem apostolica autoritate corroboravit, in suis synodalibus decretis ita decernit capite sexto. Nemo presbyter a die honoris presbyterii sumat conjugium ; quod si quis neglecto hoc aliter egerit, duodecim annis evm jubemus privari honore ; quod si quis contra hoc chirographum praesens et publice dictum egerit, damnabitur in perpetuum.
Item beatus Syricius papa in decretis suis capite septimo : Quilibet episcopus, presbyter atque diaconus (quod non optamus) deinceps, si incontinens fuerit inventas, jam nunc sibi per nos omnem aditum indulgentiae intelligat obseratum. Item in eisdem capite duodecimo : Feminas etiam non alias esse patimur in domibus clericorum nisi eas tantum, quas propter solas necessitudinum causas habitare cum eisdem synodus Nicaena permisit. Item sanctissimus papa Gregorius scribens ad Romanum defensorem, ita decernit capite decimo. Si quis episcoporum quos commissi tibi patrimonii finis includit, cum mulicribus degunt, hos ut omnino compesças, jubemus, et de caetero eas inhabitare ullo modo patiaris, exceptis ils quas sacrorum canonum censura permittit, id est, matrem, amitam, germanum, et alias hujusmodi, de quibus prava suspicio non posset esse. Melius tamen faciunt si se etiam à talium cohabitatione contineant. Nam legitur quod beatus Augustinus nec cum sorore habitare consenserit, dicens: Quae cum sorore mea sunt sorores meae nonsunt. Docti ergo viri cautela magna nobis debet esse instructio. Et post pauca : Praeterea curae tua sit eosdem confratres nostros adhortari, ut subjectos sibi in saçris ordinibus constitutos, quod ipsi servant, ad similitudinem suam modis omnibus servare commoneant.
Item Zacharias papa in decretis suis capite primo : Decernimus ut episcopi cum mulieribus omnino non habitent, ne ab antiqui hostis fraude decipiantur. Item in eisdem capite undecimo : Ut presbyteri et diaconi subintroductas mulieres nullo modo secum habere audeant, nisi forsitan commatrem suam aut proximitatem generationis sibi habentes, quae suspiciones effugiunt ; sicut in Nicaeno concilio habetur : Si quis praeter haec statuta praesumpserit agere, sacerdotii sui honore privetur.
Item beatus Hieronymus scribens ad Oceanum authenticis rationibus probavit non licere clericis conversari cum feminis ; et postmodum subintulit : Quod si post nostra monita aliquis clericus agapetas amplius quaesierit amare quam Christum, secundum synodalem regulam conveniatur et praecepta in Nicoea diffinita ei legantur : jam vero si conventus praedictos fugerit et reliquerit, consecuti sumus maximum lucrum. Alioquin talis ab Ecclesia anathematizandus est ; germinant enim feminae spinas cum viris habitantes, et arcana mentium acuto mucrone percutiunt.
Sed quid dicam ulteriùs, deficit enim mihi tempus, ut enarrem viritim sanctos Patres praedictis nostri Apostolici statutis subscribentes. Nam omnes catholici eadem observanda esse censuerunt, qui et à sacratissimis quatuor conciliis dissentire noluerunt, ex quibus noster apostolicus praefata produxit decreta.
1Presbyteris, diaconibus vel subdiaconibus, concubinarum, uxorum contubernia penitùs interdicimus, et aliarum mulierum cohabitationem, præter quas synodus Nicæna per solas necessitudinum causas habitare permisit ; videlicet matrem, sororem, amitam vel materteram, aut alias hujusmodi de quibus nulla valeat justè suspicio oriri.
1Can. 6.
2Can. 7.
3Can. 8.
4Decernimus ut ii qui in online subdiaconatus et supra, uxores duxerint, aut concubinas habuerint, officio atque ecclesiastico beneficio careant. Cùm enim ipsi templum Dei, vasa Domini, sacrarium Spiritus Sanct debeant esse et dici ; iudignum est eos cubilibus et immunditiis deservire.
Ut lex continentiae et Deo placens munditia in ecclesiasticis personis, et sacris ordinibus dilatetur : Statuimus quatenùs episcopi, presbjteri, diaconi, subdiaconi, regulares canonici et monachi atque conversi professi, qui sanctum transgredientes propositum, uxores sibi copulare praesumpserint, separentur. Hujusmodi namque copulationem, quam contra ecclesiasticorum regulam constat esse contractant matrimonium non esse censemus. Qui etiam ab invicem separati, pro tantis excessibus, condignam paenitentiam agant.
Id ipsum quoque de sanctimonialibus feminis, si quod absit, nubere attentaverint, observari decernimus.
1Hi secundùm veterem Ecclesiae traditionem deinceps à nuptiis abstinerent.
2Can. 9.
3Can. 10.
4Si quis dixerit clericos in sacris ordinibus constitutos, vel regulares castitatem solemniter professes, posse matrimonium contrahere, contractumque validum esse non obstante lege Ecclesiastica vel voto ; et oppositum nihil aliud esse quam damnare matrimonium, posseque omnes contrahere matrimonium, qui non sentiunt se castitatis, etiamsi eam voverint, habere donum : anathema sit. Cum Deus id rectè petentibus non deneget, nec patiatur nos suprà id quod possumus, tentari.
Si quis, dixerint statum conjugalem anteponendum esse statui virginitatis vel caelibatus, et non esse melius ac beatius manere in virginitate aut caelibatu, quam jungi matrimonio : anathema sit.
1Cap. 15.
2Cap. 19.
3In quacumque religione, tam virorum quam mulierum, professio non liat ante decimum sextum annum expletum ; nec qui minore tempore, quàm per annum post susceptum habitum in probatione steterit, ad professionem admittatur. Professio autem antea facta sit nulla, nulIamque inducat obligationem ad alicujus regulae vel religionis, vel ordinis observationem aut ad alios quoscumque effectus.
Anathemati sancta synodus subjicit omnes et singulas personas, cujuscumque qualitatis vel conditionis fuerint, tam clericos quam laicos, seculares vel regulares, atque etiam qualibet dignitate fungentes, si quomodocumque coegerint aliquam virginem, vel viduam aut aliam quamcumque mulierem invitam, praeterquam in casibus in jure expressis, ad ingrediendum monasterium, vel ad suscipiendum habitum cujuscumque religionis, vel ad emittendam professionem, quique consilium, auxilium vel favorem dederint ; quique scientes eam non spontè ingredi monasterium, aut habitum suscipere aut professionem emittere, quoquomodo eidem actui vel praesentiam, vel consensum , vel auctoritatem interposuerint. Simili quoque anathemati subjicit eos qui sanctarum virginum vel aliarum mulierum voluntatem veli accipiendi, vel voti emittendi quoquomodo, sine juxta causa impedierint.
1Quàm turpe ac clericorum Domine qui se divino cultui addixerunt sit indignum, in impudicitiae sordibus, immundoque concubinatu versari, satis res ipsa communi fidelium omnium offensione summoque clericalis militiae dedecore testatur. Ut igitur ad eam quam decet continentiam ac vitae integritatem ministri Ecclesiae revocentur, populusque hinc eos magis discat revereri quo illos vità honestiores cognoverit, prohibet sancta synodus quibuscumque clericis, ne concubinas aut alias mulieres, de quibus possit haberi suspicio in domo vel extra detinere, aut cum iis ullam consuetudinem habere audeant ; alioquin poenis à sacris canonibus, vel statutis Ecclesiarum impositis , puniantur.
Quod si à superioribus moniti, ab iis se non abstinuerint. tertia parte fructuum, obventionum ac proventuum beneficiorum suorum quorumcumque et pensionum ipso facto sint privati, quae fabricae Ecclesiae aut alteri pio loco, arbitrio episcopi applicetur. Si vero in delicto eodem cum eadem vel alià femina perseverantes secundae monitioni adhuc non paruerint, non tantùm fructus omnes ac proventus suorum beneficiorum et pensiones eo ipso amittant, qui praedictis Iocis applicentur, sed etiam à beneficiorum ipsorum administratione, quoad ordinarius, etiam uti sedis Apostolicae delegatus, arbitrabitur, suspendantur. Et si ita suspensi nihilominus eas non expellant, aut cum eis etiam versentur, tum beneficiis, portionibus ac officiis et pensionibus quibuscumque ecclesiasticis perpetua priventur, atque inhabiles ac indigni quibuscumque honoribus, dignitatibus, beneficiis ac officio in posterùm reddantur, donec post manifestam vitae emendationem ab eorum superioribus cum iis ex causa visum fuerit dispensandum. Sed si postquam eas semel dimiserint, intermissum consortium repetere aut alias husjusmodi scandalosas mulieres sibi adjunjere ausi fuerint, praeter praedictas paenas, excommunicationis gladio plectentur. Nec quaevis appellatio aut exemptio praedictam executionem impediat aut suspendat.
Supra dictorumque omnium cognitio non ad archidiaconos, nec decanos, aut alios inferiores, sed ad episcopos ipsos pertineat, qui sine strepitu et figura judicii et sola facti veritate inspecta, procedere possint. Clerici vero beneficia ecclesiastica aut pensiones non habentes, juxtà delicti et contumaciae perseverantiam et qualitatem ab ipso episcopo carceris paena, suspensione ab ordine, ac inhabilitate obtinenda aliisve modis juxtà sacros canones puniantur.
Episcopi quoque, quod absit, si ab hujusmodi crimine non abstinuerint, et à synodo provinciali admoniti se non emendaverint, ipso facto sint suspensi. Et si perseverent, etiam ad sanctissimum Romanum Pontificem ab eadem synodo deferantur, qui pro qualitate culpae etiam per privationem, si opus erit, in eos animadvertat.
1Eos enim qui sponté ac dedita operà peccarent, congruo supplicio afficiendos esse aiebat. Cap. 4. Art. 39.
1Quis tandem quaesivit uxorem qui non invenerit ? Si quis jgitur putat consecratione virginum minui genus humanum, consideret quia ubi paucae virgines, ibi etiam pauciores homines : ubi virginitatis studia crebriora, ibi numerum quoque hominum esse majorem… Ex ipsius igitur orbis terrarum usu non inutilis virginitas existimatur, praesertim cum per virginem salus venerit orbem foecundatura Romanum. De virginitate, Cap. 7.
1Vultis in sanctae virginitatis proposito perseverare ? Volumus.
2Promittis te virginitatem perpetuo servare ? Promitto.
3Vultis benedici et consecrari, ac Domino nostro Jesus-Christo, summi Dei filio desponsari ? Volumus, Pontificale, de consecratione virginem.
1Filii dilectissimi, ad sacrum Sub-diàconatus Ordinem promovendi, iterum atque iterùm considerare debetis attenté, quod onus hodiè ultro appetitis. Hactenus enim liberi estis, licetque vobis pro arbitrario ad saecularia vota transire ; quod si hunc ordinem susceperitis, amplius non licebit à proposito resilire, sed Deo, cui servire, regnare est, perpetuo famulari ; et castitatem, illo adjuvante, servare oportebit, atque in Ecclesiae ministerio semper esse mancipatos. Proindè dùm tempus est, cogitate, et si in sancto proposito perseverare placet, in nomine Domini, huc accedite. Id. de ordinatione subdiacon.
2Chap. art. 22.
1Chap. art. 39.
2Unusquisque proprium donum habet ex Deo, alius quidem sic, alius vero sic. 1. Corinth. 7. 7.
3Melius est nubere quam uri. Id. v. 9.
4Propter instantem necessitatem bonum est homini sic esse. Id. v. 6
1Qui divina et incorporea sobole propaganda occupati teneantur, et innumerabilis multitudinis educationem, sanctamque disciplinam, ac reliquae instituendae vitae curam susceperint. Cap. 4. Art. 9. vel Iib. 1. de demonstrat. Ev. Cap. 9.
2Pag. 71
3Pag. 72.
4Ps. 127.
1Pag. 73.
2Dion. 56.
3Pag. 75.
4Pag. 76.
5Pag. 77.