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Jean-Jacques Scheffmacher, Joan-Jakob Scheffmacher,

Titre original : Lettres d'un Docteur Allemand de l'Université Catholique de Strasbourg à un Gentil-Homme protestant, sur les Six obstacles au Salut, qui se rencontrent dans la Religion Luthérienne

Table des matières du Tome 2

TRAITÉ DE LA TRADITION 3

§. Ier. De la nécessité d'admettre et de reconnaître la Tradition, prouvée par l'Écriture-Sainte. 6

§. II. La nécessité de reconnaître et d'admettre les traditions divines et apostoliques, établie par les plus précieux monuments de l'antiquité. 17

§. III. La nécessité d'admettre la tradition prouvée par de solides raisons théologiques. 28

§. IV. Aveux faits par les ministres protestants en faveur de la tradition. 31

§. V. Réponses aux objections. 34

4ème LETTRE : DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE. 42

1ère proposition : Innocent III ne peut être l’auteur du précepte de la confession. 44

2ème proposition : Les passages des SS.Pères, dans les premiers siècles, prouvent clairement l’obligation de confesser en détail le péchés secrets aux Prêtres. 58

3ème proposition : Les pères ont prétendu que l’obligation de se confesser était de droit divin. 68

5ème LETTRE : SUR LE DÉFAUT DE POUVOIR DANS LES MINISTRES PROTESTANTS. 80

1ère proposition : il n’est pas vrai que chaque Chrétien soit véritable prêtre, et ait le pouvoir de consacrer et d’absoudre. 84

2ème proposition : Le pouvoir de consacrer et d’absoudre ne peut être donné que par la communauté. 95

3ème proposition : il n’y a que l’Évêque qui puisse conférer le pouvoir de consacrer et d’absoudre. 105

4ème proposition : Les ministres ne sont ordonnés par aucun Évêque. 114

6ème LETTRE : HÉRÉSIES RENOUVELÉES PAR LES PROTESTANTS. 123

1ère proposition : Luther a renouvelé plusieurs des anciennes hérésies. 123

§. Ier L'hérésie d'Aërius renouvelée par Luther. 123

§. II. Luther a renouvelé l'hérésie d'Eunomius. 128

§. III. Luther a renouvelé la doctrine de Jovinien. 128

S. IV. Luther a pensé comme les Lampétiens sur l'état religieux. 129

§. V. Luther a pensé comme Vigilance sur le culte et l'invocation des Saints. 129

§. VI. Luther a pensé comme Novat sur la Confirmation. 130

§. VII. Luther parle comme Pétilien de la Chaire de saint Pierre. 130

§. VIII. Luther enseigne sur l'Eucharistie la même erreur qu'enseignaient certains esprits égarés du temps de saint Cyrille. 131

§. IX Luther contredit les décisions des conciles généraux. 131

2ème proposition : Luther a donné naissance à plusieurs hérésies nouvelles. 136

CONCLUSION. 149

TRAITÉ DE L'ÉTAT RELIGIEUX. 155

INTRODUCTION. 155

CHAPITRE 1 : DE L'ESPRIT DE L'ÉTAT MONASTIQUE. 156

§. Ier Vœu d'obéissance. 157

§. II. Vœu de pauvreté 159

§. III. Vœu de chasteté. 160

§. IV. Des observances régulières. 162

CHAPITRE 2 : DE L'ORIGINE ET DE L'ÉTABLISSEMENT DES ORDRES RELIGIEUX. 166

CHAPITRE 3 : DES SERVICES QUE LES RELIGIEUX ONT RENDUS A L'ÉGLISE. 175

§. I.er Les religieux ont été utiles à l'Église par leurs vertus. 175

§. II. Les religieux cultivant les sciences ecclésiastiques. 177

§. II. Les religieux appliqués aux différentes fonctions du ministère. 181

CHAPITRE 4 : DES SERVICES QUE L’ÉTAT RELIGIEUX A RENDUS À LA SOCIÉTÉ 185

§. I.er Les religieux défrichent. 185

§. II. Ils secourent et protègent les malheureux. 187

§. III. Ils cultivent les sciences. 188

§. IV. Écoles des monastères. 189

§. V. Ils répandent parmi nous le goût des arts. 191

§. VI. Ils nous ont conservé les monuments de l'Histoire. 191

§. VII. Découvertes utiles. 192

§. VIII. Autres titres de gloire. 194

CHAPITRE 5 : L'UTILITÉ ACTUELLE DES ORDRES RELIGIEUX. 196

§. Ier. On trouve encore dans le cloître de grandes vertus. 196

§. II. Les religieux cultivent les sciences ecclésiastiques. 197

§. III. Religieux missionnaires. 204

§. IV. Religieux appliqués aux différentes fonctions du ministère. 207

§. V. Les religieux travaillent aux différentes parties de notre histoire. 209

§. VI. Monuments de notre Droit public. 213

§. VII. Les religieux physiciens. 216

§. VIII. Les religieux littérateurs. 217

§. IX. Religieux dévoués au service des malheureux et à l'éducation de la jeunesse. 218

CHAPITRE 6 : DES BIENS DES CORPS MONASTIQUES. 223

§. Ier Origine des biens des religieux. 223

§. II. Usage des biens monastiques. 226

§. III. Propriété des religieux. 231

CONCLUSION. 234



TRAITÉ DE LA TRADITION1

Pour procéder avec ordre, et pour écarter toute discussion étrangère à notre sujet, il faut d'abord expliquer ce que l'on entend par tradition, et ensuite exposer le véritable état de la question.

Le terme de tradition pris en général et dans toute l'étendue de sa signification, convient à toute doctrine enseignée par parole et de vive voix, ou par écrit ; mais dans la question présente il est un peu restreint, et il se prend pour une doctrine enseignée de vive voix, et non contenue dans les Saintes Écritures.

On distingue différentes sortes de traditions: les unes s'appellent traditions divines, les autres traditions apostoliques, et d'autres enfin traditions ecclésiastiques.


Par traditions divines on entend la parole de Dieu non écrite, certaines vérités qui concernent la foi ou les mœurs, non contenues dans les Saintes Écritures mais révélées aux Apôtres par Jésus-Christ, ou inspirées par l'Esprit-Saint, et enseignées de vive voix par les Apôtres à l'Église, c'est-à-dire à leurs successeurs dans le sacré ministère, et aux premiers fidèles, et transmises de siècle en siècle jusqu'à nous sans interruption.


Par traditions apostoliques, nous entendons certains règlements, certaines pratiques appartenant à la foi et aux mœurs, qui ne se trouvent point dans les livres sacrés, mais qui ont été données et prescrites de vive voix par les Apôtres, assistés et inspirés par l'Esprit Saint, et transmises jusqu'à nous par une succession non interrompue.


Quand nous disons que ces traditions divines ou apostoliques ont été transmises de vive voix à l'Église, nous entendons qu'à la vérité elles ne se trouvent pas dans les Saintes Écritures, mais nous ne prétendons pas qu'il n'en soit pas fait mention dans les ouvrages des Pères et dans les actes des conciles : c'est au contraire principalement par le canal de ces précieux monuments de la foi de nos pères, qu'elles se sont conservées dans l'Église, et qu'elles sont parvenues jusqu'à nous.


Par traditions ecclésiastiques, nous entendons certaines coutumes anciennes établies d'abord par les pasteurs, et pratiquées par les fidèles de la primitive Église : lesquelles coutumes ont ensuite acquis peu à peu, par l'usage, force de loi.


Il faut observer que les traditions divines sont quelquefois appelées apostoliques, et les apostoliques quelquefois divines, et en voici la raison : les divines sont appelées apostoliques, non que les Apôtres en soient les premiers auteurs, mais parce que ce sont les Apôtres qui les ont reçues de Jésus-Christ, et qui les ont confiées de vive voix à l'Église. Les apostoliques sont appelées divines, non qu'elles viennent immédiatement de Jésus-Christ, mais parce que ce sont des règlements faits avec l'assistance ou par l'inspiration de l'Esprit-Saint.


Il est bon d'expliquer quelle autorité nous donnons à ces différentes sortes de traditions. En nous conformant au concile de Trente, nous donnons à celles qui sont divines, c'est-à-dire aux vérités enseignées par Jésus-Christ aux Apôtres, et par eux transmises de vive voix à l'Église, la même autorité qu'aux vérités enseignées par Jésus-Christ aux Apôtres, et par eux rédigées par écrit dans Saintes Écritures, et dans les autres livres divins. Aux traditions apostoliques, c'est-à-dire aux règlements que les Apôtres inspirés de Dieu ont faits et confiés de vive voix à l'Église, nous donnons la même autorité qu'aux règlements qu'ils nous ont transmis dans les livres saints1.


A l'égard des traditions ecclésiastiques nous leur donnons la même autorité qu'on attribue aux règlements et aux constitutions de l'Église couchés par écrit.


Après ces observations préliminaires il s'agit d'exposer nettement et avec précision l'état de la question, car ce fidèle exposé ne servira pas peu à éclaircir cette importante matière, et à mettre la vérité dans tout son jour.


Prenez garde d'abord à la fausseté de certaines accusations que vos ministres intentent contre nous pour rendre odieuse notre doctrine sur la tradition. Ils nous accusent de mépriser l’Écriture Sainte, et de ne point la regarder comme règle de foi, afin de donner plus de crédit et d'autorité à la tradition. En tenant ce langage ils vous en imposent et nous calomnient : nous confessons hautement que nous devons le plus grand respect à l’Écriture Sainte, que nous la révérons comme règle de foi ; nous ajoutons seulement, avec le saint concile de Trente, que ce même respect dû à l’Écriture Sainte est pareillement dû aux traditions divines et apostoliques ; et la raison en est sensible. Pourquoi, en effet, déférons-nous un si grand respect à l'Écriture ? Pourquoi la regardons-nous comme règle de foi ? Ce n'est pas à raison du papier, de l'encre et des caractères qui ont servi à rédiger par écrit, ou à imprimer les maximes et les vérités qui y sont contenues ; c'est parce que les maximes et les vérités qui y sont renfermées sont la parole de Dieu, c'est-à-dire des vérités révélées par Jésus-Christ aux Apôtres, ou des règlements faits par les Apôtres assistés et inspirés de l'Esprit-Saint. Or, les traditions divines et apostoliques sont également la parole de Dieu, et des vérités enseignées par Jésus-Christ aux Apôtres, ou des règlements faits par les Apôtres assistés et inspirés de l'Esprit-Saint.


Vos ministres nous reprochent encore de donner pour traditions divines ou apostoliques, jusqu'aux moindres cérémonies de l'Église. « Les romanesques, dit Calvin, prétendent qu'il n'y a si petit fatras de cérémonies entre eux qui n'ait été établi par l'autorité des Apôtres2 ». Ce reproche n'est pas mieux fondé que le premier : jamais nous n'avons reconnu, et jamais nous ne reconnaîtrons, en effet, pour traditions divines ou apostoliques, les coutumes et les cérémonies introduites dans l'Église, postérieurement au temps des Apôtres. Nous n'admettons et ne reconnaissons pour traditions divines et apostoliques, que les vérités, les usages, les préceptes et les cérémonies qui nous viennent manifestement des Apôtres et de Jésus-Christ : toute tradition qui n'est pas de cette source, ne peut être regardée comme tradition divine et apostolique. Il est des usages, des préceptes et des cérémonies fort anciennes, établies et adoptées par les pasteurs et les fidèles de la primitive Église ; ce sont là des traditions, mais non des traditions divines ou apostoliques : ce sont des traditions seulement ecclésiastiques, qui n'ont pas la même autorité que celles émanées de Jésus-Christ ou des Apôtres, comme nous l'avons expliqué plus haut.


Ce n'est point de ces traditions ecclésiastiques que j'ai dessein de vous entretenir dans la question présente. Il s'agit uniquement ici des traditions divines ou apostoliques : vos ministres prétendent qu'on ne doit reconnaître pour parole de Dieu que les oracles contenus dans les livres de l'ancien et du nouveau Testament ; encore retranchent-ils quelques-uns de ces livres divins. L'Écriture-Sainte, disent-ils, « est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire pour le service de Dieu et notre salut1. » D'où ils concluent qu'il ne faut point reconnaître et admettre de traditions divines ou apostoliques. Nous, au contraire, nous disons que, quoique dans l'Écriture-Sainte soient contenues les principales vérités et maximes concernant la foi et les mœurs, il en est cependant d'autres qui les intéressent pareillement, que les Apôtres instruits par Jésus-Christ et assistés des lumières de l'Esprit-Saint, n'ont pas jugé à propos de rédiger par écrit, mais qu'ils ont confiées de vive voix à leurs successeurs et aux premiers fidèles, pour être conservées dans l'Église, et transmises jusqu'à la consommation des siècles. Nous soutenons que, comme les vérités enseignées et les principes contenus dans les Saintes Écritures, sont la parole de Dieu écrite, de même aussi les vérités et les règlements faits par les Apôtres inspirés de l'Esprit-Saint, et transmis de vive voix à leurs successeurs, sont la parole de Dieu non écrite, Vous rejetez ces traditions, et nous au contraire nous prétendons qu'il faut nécessairement les admettre. Qui de vous ou de nous a raison ? C'est ce que nous allons examiner.


Au reste, ne regardez pas, Messieurs, cette question comme indifférente ou de peu de conséquence, car de là dépend la décision de plusieurs articles essentiels. C'est par la voie de la tradition qu'on fixe le nombre des livres sacrés ; par elle que les Pères et les conciles ont déclaré valide le baptême conféré par les hérétiques ; par elle que l'on prouve l'efficacité du baptême conféré aux enfants ; par elle qu'on établit la sanctification du dimanche, etc... La tradition est encore très utile et quelquefois même nécessaire pour fixer et déterminer le véritable sens de l'Écriture. Vous n'ignorez pas que quand on objecte aux hérétiques les paroles du texte sacré, ils les interprètent à leur mode, et leur donnent des sens forcés et étrangers, afin de mettre à couvert leurs erreurs. Ainsi les Ariens autrefois, et dans ces derniers temps les Sociniens, ont donné un sens forcé aux textes de l'Écriture, qui prouvent invinciblement la divinité et la consubstantialité du Verbe. Or, comment réfuter ces interprétations fausses et erronées ? C'est en recourant à la tradition. On montre aux hérétiques que jamais on n'a entendu les textes de l'Écriture dans le sens étranger qu'ils leur prêtent ; qu'au contraire, on y a toujours cru voir les dogmes par eux contestés, et qu'on en a dans tous les temps, comme aujourd'hui, trouvé la preuve dans ces mêmes textes de l'Écriture qu'on leur oppose. Ils ne sauraient disconvenir de ces faits, parce qu'on leur produit des citations claires et décisives, tirées des Pères et des conciles de la primitive Église. Par là il est constant que les dogmes et les vérités qu'ils contestent ont été crus et regardés comme révélés et comme établis dans l'Écriture-Sainte : qu'ainsi en ont jugé les anciens Pères de l'Église et les conciles, ces illustres témoins de la foi instruits par la bouche même des Apôtres ou de leurs successeurs, et qu'ainsi on a reçu des Apôtres mêmes, les vérités par eux contestées, et l'intelligence des textes de l'Écriture-Sainte qu'ils nous opposent. A ce raisonnement point de réplique, dès qu'on connaît la nécessité d'admettre les traditions divines et apostoliques. Basnage fait, à cette occasion, un aveu qui mérite toute votre attention : « Les anciens, dit-il, se sont servis de traditions, et ils avaient raison de le faire : car c'est un argument qu'on peut employer souvent contre les ennemis de la vérité. La succession d'une doctrine qui s'est conservée dans tous les siècles qui ont précédé, forme un préjugé en sa faveur1 . » Ce ministre ajoute même que dans leur réforme ils s'en servent eux-mêmes contre les Sociniens. Il est donc, comme vous voyez, de la dernière importance d'examiner et de bien approfondir cette question.


Mais pour cet effet que voulez-vous consulter ? L'Écriture-Sainte ? Les monuments les plus respectables de l'antiquité ? Les anciens conciles et les plus grands docteurs de l'Église ? La raison même, et vos ministres ? J'y consens, et j'espère vous montrer clairement que tout concourt à établir la nécessité d'admettre et de reconnaître la tradition.


§. Ier. De la nécessité d'admettre et de reconnaître la Tradition, prouvée par l'Écriture-Sainte.


Entre les différents textes de l'Écriture qui établissent la nécessité d'admettre les traditions divines et apostoliques, j'en choisis deux ou trois qui sont clairs et évidents. Le premier est tiré de la première Épître aux Corinthiens : « Je vous loue, mes frères, dit ce grand Apôtre, de ce que vous vous souvenez en tout de moi, et de ce que vous gardez avec soin mes commandements, comme je vous les ai donnés2. » Remarquez, je vous prie, Messieurs, l'expression de l'Apôtre ; il ne dit pas qu'il leur ait laissé ses commandements par écrit, il dit simplement qu'il les leur a donnés, sicut tradidi vobis. Que si nous consultons le texte grec, il est encore plus positif, car on y voit le mot napádos, qui dans son sens propre et naturel signifie tradition. Bèze lui-même dans son nouveau Testament a traduit ce mot grec par le mot latin traditiones, qui signifie traditions. Or, de là que conclure ? Ce qu'ont conclu les Pères et en particulier saint Chrysostôme, dont voici les paroles : « Saint Paul dit, vous vous SOUVENEZ EN TOUT DE MOI ET VOUS GARDEZ LES TRADITIONS AINSI QUE JE VOUS LES AI DONNÉES. Donc il a donné plusieurs leçons, sans les rédiger par écrit, ce qu'il indique encore en plusieurs autres textes3. » Telle est pareillement la conséquence que saint Basile en a tirée : « Je crois que pour se conformer à la doctrine des Apôtres, il faut se tenir constamment attaché même aux traditions non écrites. JE VOUS LOUE, dit l'Apôtre, DE CE QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE TOUT CE QUI VIENT DE MOI, ET DE CE QUE, COMME JE VOUS L'AI RECOMMANDÉ, VOUS TENEZ LES TRADITIONS QUE VOUS AVEZ REÇUES, SOIT PAR NOS DISCOURS, SOIT PAR NOS ÉPÎTRES1. Écoutez encore saint Épiphane au sujet du même passage de l'Apôtre, il vous dira « qu'il faut recourir aussi à la tradition, parce qu'on ne trouve pas tout dans les Saintes Écritures. Les Apôtres nous ont transmis dans les Saintes Écritures une partie de leurs leçons, et les autres par traditions, comme nous en assure l'Apôtre2. » Est-il en effet rien de plus naturel que cette conséquence ? Car suivant la remarque des plus habiles critiques, la première Épître de saint Paul aux Corinthiens est la première de toutes celles qu'il a écrites on ne peut donc pas supposer que les préceptes dont il parle dans cette lettre eussent été donnés auparavant par écrit : c'étaient donc des préceptes donnés de vive voix, ou, ce qui est la même chose, des traditions dont il faut entendre le texte en question.


La fin de ce même chapitre fournit une nouvelle preuve en faveur de cette vérité. Après avoir exposé l'institution de la sainte Eucharistie, et la nécessité de s'y préparer par de saintes dispositions, il ajoute ces paroles : « LE RESTE JE LE RÉGLERAI QUAND JE REVIENDRAI3. » Il est visible que dans ces paroles il s'agit de règlements concernant la célébration de la sainte Eucharistie : montrez-nous donc ces règlements et ces dispositions promises par saint Paul aux Corinthiens sur ce grand mystère : montrez-les-nous, couchés par écrit, ou convenez de bonne foi que cet Apôtre a fait et donné de vive voix des préceptes et des leçons qui ne se trouvent point dans les Saintes Écritures. Pour moi j'ai lu et relu, avec la plus grande attention, les Épîtres de saint Paul, et je n'ai pu les y découvrir.


Dumoulin, pour se tirer d'affaire, répond « qu'on ne peut nier sans impiété que Jésus-Christ n'ait institué la Cène comme il faut, et sans y rien omettre de ce qui est nécessaire4 . » Qui en doute ? jamais vos ministres ne citeront aucun de nos auteurs qui ait pensé autrement : mais moi je demande à Dumoulin et à vos ministres, qui leur a dit que Jésus-Christ, au sujet de ce grand mystère, n'a pas donné des leçons et fait des règlements que les Apôtres instruits par lui et dirigés par le Saint-Esprit, n'ont pas jugé à propos de rédiger par écrit ? N'est-ce pas là même le seul sens dans lequel on puisse raisonnablement entendre les paroles de l'Apôtre : « LE RESTE JE LE RÉGLERAI QUAND JE VIENDRAI ? » Il était aisé de joindre ces sages règlements aux saintes leçons qu'il a données dans ses épîtres ; il lui était même, dans votre sentiment, naturel de les joindre à l'exposé qu'il faisait par écrit de l'institution de l'Eucharistie, et de la préparation nécessaire pour la recevoir il ne l'a cependant pas jugé à propos, et instruit comme il l'était par l'Esprit-Saint, il a sans doute eu de bonnes raisons pour ne les donner que de vive voix : « LE RESTE JE LE RÉGLERAI QUAND JE VIENDRAI. »


Vous demanderez peut-être, pourquoi tant de réserve de la part de l'Apôtre sur ce mystère ? Je vous répondrai premièrement que quand je ne pourrais en donner la raison, on ne devrait pas pour cela douter que saint Paul n'ait été sur ce point, comme dans toutes ses autres opérations, conduit par l'Esprit de Dieu. En second lieu, je vous dirai que les raisons de l'Apôtre sont celles que dans les premiers siècles l'Église a eu d'être elle-même fort réservée sur l'explication de ce divin mystère. Vous savez que dans ces premiers temps, on n'admettait point les catéchumènes à la célébration des mystères divins, et qu'on ne donnait l'explication aux néophytes qu'après avoir, pendant un certain temps, éprouvé leur fidélité et leur attachement à la religion. Et pourquoi ? Pour ne pas exposer les choses saintes au mépris et aux railleries des infidèles, suivant l'avertissement de Jésus-Christ. NE Donnez PAS CE QUI EST SAINT AUX CHIENS, ET NE JETEZ PAS LES PERLES DEVANT LES POURCEAUX, DE PEUR QU'ILS NE LES FOULENT AUX PIEDS, ET QUE SE TOURNANT CONTRE VOUS ILS NE VOUS DÉCHIRENT1. C'était encore, selon l'expression du Sauveur, par ce que les néophytes n'étaient pas, dans les commencements, en état de porter les vérités et les leçons sublimes renfermées dans nos divins mystères2. « Il n'est pas, disait saint Ambroise, donné à tous d'entrer dans ces immenses profondeurs. Les lévites les cachent de peur que ceux-là ne les voient, qui ne doivent pas les voir3. » Saint Chrysostome dans son homélie soixante-douzième sur saint Matthieu, fait la même remarque. « Il n'y a, dit-il, que les initiés qui connaissent les grandes miséricordes attachées à l'Eucharistie4. » Saint Basile s'exprime encore d'une manière plus précise : « La vénération des mystères se conserve par le silence, car il ne convenait pas de publier par écrit la doctrine que les non-initiés n'avaient pas la permission de voir5 . »


« Saint Paul, ajoute Dumoulin, se réservait seulement de régler à sa venue l'ordre extérieur, et ce qui concerne la bienséance de l'action6. » Calvin avant lui en avait dit autant. « Je ne veux point nier, dit-il, qu'il n'y ait eu quelques ordonnances des Apôtres qui ne sont pas écrites ; mais je ne confesse pas que telles ordonnances concernassent la doctrine, et qu'elles contiennent chose nécessaire à salut, mais ce qui appartient à l'ordre et police de l'Église7. » Je voudrais bien que vous me disiez où vos ministres ont puisé cette belle restriction. Sont-ils plus croyables que les Pères de l'Église qui, voisins du temps des Apôtres, étaient certainement plus en état de savoir ce que les Apôtres avaient dit et enseigné ? Sont-ils plus croyables qu'un saint Augustin qui assure que « les Apôtres ont établi l'usage de communier à jeun, » et qui ajoute que « cet usage est un des règlements que cet Apôtre, écrivant aux Corinthiens, avait promis de faire à son arrivée par ces paroles : LE RESTE JE LE RÈGLERAI QUAND JE SERAI VENU8 ». Sont-ils plus croyables que Tertullien, saint Cyrille de Jérusalem9, et saint Cyprien, qui n'ont pas craint de donner l'usage d'offrir pour les défunts le saint sacrifice de l'Eucharistie, comme venant des Apôtres, ainsi que j'en ferai la remarque dans l'occasion.


Allons plus loin et servons-nous de l'aveu de vos ministres. Est-ce de son propre mouvement que saint Paul a donné aux Corinthiens ces règlements faits de leur aveu mème « pour l'ordre extérieur et la bienséance de l'action Eucharistique », ou est-ce par le mouvement et avec l'assistance du Saint-Esprit ? Si c'est de son propre mouvement, voilà saint Paul accusé par vos auteurs d'avoir ajouté à la parole de Dieu ; ce qui selon l'article V de votre confession de foi « n'est licite ni aux hommes, ni même aux Anges ». Si c'est par le mouvement et l'inspiration du Saint-Esprit, voilà donc des règlements donnés, non par écrit, mais de vive voix, par le mouvement et l'inspiration du Saint-Esprit : règlements par conséquent qui, quoique non contenus dans l'Écriture-Sainte, sont la parole de Dieu, à laquelle on est obligé de déférer et de se soumettre. Voilà encore une fois ce qu'on appelle tradition.


« Il n'est pas croyable, reprend encore Dumoulin, que saint Paul, après avoir proposé l'institution de l'Eucharistie, ait eu intention de la corriger, et de contrevenir à ce que lui-même avait ordonné1. Non, sans doute, cela n'est pas croyable, et il faudrait être impie et dépourvu de bon sens pour le penser. Nous protestons que Jésus-Christ seul a institué l'Eucharistie, et que ni saint Paul, ni aucun des Apôtres n'a pu corriger ce qui a été institué par ce divin maître, et contrevenir à ce qu'ils avaient appris de lui ; mais dire que saint Paul, instruit par Jésus-Christ et guidé par l'Esprit-saint, a donné de vive voix des préceptes et des leçons touchant l'administration et l'explication de ce grand mystère, ce n'est certainement pas dire que saint Paul ait corrigé l'institution de l'Eucharistie, et contrevenu à ce qu'il avait enseigné lui-même par écrit à ce sujet. Nous disons, Messieurs, que ces leçons et ces ordonnances, données de vive voix par saint Paul, sont parfaitement conformes à l'institution de l'Eucharistie : nous croyons que c'est en conséquence des institutions de Jésus-Christ, par l'inspiration céleste et sous la direction de l'Esprit-Saint, qu'il les a données de vive voix à l'Église ; d'où suit évidemment la nécessité de les reconnaître et de les admettre comme traditions divines et apostoliques.


Dumoulin, pour vous faire perdre de vue la force des paroles de l'Apôtre, et les conséquences qui en résultent, vous dit que les pratiques dont parle saint Paul « ne sont point celles que l'Église romaine a ajoutées à ace sacrement, par lesquelles est renversée l'institution du Seigneur ; car Jésus-Christ n'a point levé d'hostie, il n'a point commandé aux assistants d'adorer le sacrement, etc.2. » Nous n'entrerons point ici dans ce détail ; nous le ferons, lorsque nous traiterons en particulier de l'Eucharistie : alors nous vous démontrerons que ces traditions ne renversent en aucune manière l'institution du Seigneur. Dumoulin le dit, mais sans en donner aucune preuve. Au reste, ce n'est pas là ce dont il est présentement question : il s'agit d'examiner non en particulier, si telle ou telle maxime, telle ou telle vérité, sont ou ne sont pas de tradition divine ou apostolique ; mais de savoir en général s'il faut en admettre, et j'ose dire que le texte de saint Paul aux Corinthiens en fournit la preuve de la manière la plus claire et la plus évidente.


En voici cependant un second encore plus décisif, c'est celui du même Apôtre en sa seconde épître aux Thessaloniciens, chapitre second, verset quinzième : « Mes frères, dit-il, soyez fermes, et tenez les traditions que vous avez apprises, soit par notre parole, soit par notre épître3. » Pesons, Messieurs, la force de ces paroles : Tenez les traditions, tenete traditiones. Voilà le terme de tradition consacré par l'Écriture-Sainte, et pour qu'on ne puisse restreindre ce terme aux seules instructions données par écrit, il prend grand soin d'ajouter « que vous avez apprises soit par notre parole, soit par notre épître1. »


Peut-être me direz-vous que vous ne trouvez pas dans vos bibles françaises le terme de traditions ; cette remarque est vraie, si vous n'en avez pas les premières éditions : car vos ministres, sentant bien le coup mortel que leur portait ce passage, n'ont rien omis pour en énerver la force. Dans les premières éditions, c’est-à-dire dans celles que vos ministres ont fait imprimer à Genève, avant 1560, ils ont conservé le terme de traditions ; depuis 1560, ils l'ont retranché, et y ont substitué celui d'enseignements ; mais en 1575 on le lisait encore, non plus à la vérité dans le texte, mais dans les notes marginales de certaines éditions postérieures à l'année 1560 ; enfin dans les éditions plus récentes on ne le trouve plus, ni dans le texte ni dans les notes marginales. Je suis en état de justifier ce que je vous avance, par la représentation de ces différentes éditions.


Vous ne sauriez d'ailleurs alléguer pour prétexte de ces changements, que le terme de tradition n'est pas français, puisqu'il l'est en effet ; vos ministres l'ont eux-mêmes si bien reconnu, que dans les passages de l'Écriture, où se trouvé ce mot grec napadóses et le terme latin traditio, ils l'ont traduit par le terme de tradition dans le chapitre XV de saint Matthieu, et toutes les fois qu'ils ont cru que cette interprétation ne tirait point à conséquence contre eux et contre leur système. Que conclure donc de ce changement, sinon que vos ministres ont parfaitement remarqué que ce texte, tel qu'il était dans vos bibles des premières éditions, établissait clairement et invinciblement la nécessité de reconnaître et d'admettre la tradition. Cette manœuvre de leur part ne devrait-elle pas vous ouvrir les yeux, et vous engager à être en garde contre eux et contre tous leurs artifices ?


Mais malgré ce changement, je soutiens que le texte de saint Paul, tel qu'on le lit aujourd'hui dans vos bibles les plus récentes, est encore suffisant pour décider la question, le voici tel qu'il est conçu : FRÈRES, SOYEZ FERMES, ET TENEZ LES ENSEIGNEMENTS QUE VOUS AVEZ APPRIS, SOIT PAR NOTRE PAROLE, SOIT PAR NOTRE ÉPÎTRE. N'est-il pas évident que dans ce passage l'Apôtre distingue deux sortes d'enseignements, les uns qu'il a laissés par écrit, et les autres qu'il a donnés par paroles et de vive voix2 ? Ceux qu'il a donnés dans les lettres, sont Écriture-Sainte ; ceux qu'il a donnés de parole et de vive voix sont tradition. Ceux-ci sont aussi recommandés que ceux-là, et conséquemment l'Apôtre veut que l'on ait le même respect pour les uns et pour les autres. Ce ne sont pas nos théologiens qui sont les auteurs de ce raisonnement, c'est saint Chrysostome : « Il est clair, dit-il, que les Apôtres n'ont pas écrit tout ce qu'ils ont enseigné ; mais qu'ils ont laissé beaucoup de vérités sans les rédiger par écrit, et ces vérités n'en sont pas moins dignes de foi c'est pourquoi nous croyons aussi que la tradition de l'Église est digne de foi ; c'est la tradition, n'en demandez pas davantage3 .»


Vous me direz peut-être que vous sentez à la vérité toute la force des textes que je viens de citer en faveur de la tradition ; mais que vos ministres y en opposent d'autres non moins clairs et non moins décisifs en leur faveur. Comment concilier les uns avec les autres ? II est juste, Messieurs, de satisfaire à cette difficulté ; remarquez d'abord, je vous prie, que dans les textes allégués ici, il est dit en termes formels, qu'il existe des préceptes et des traditions données de vive voix, dont il faut admettre l'autorité, et qu'au contraire parmi tous ceux rapportés par vos ministres, il n'y en a pas un seul où il soit dit en termes formels ou même équivalents qu'il faut rejeter toute tradition. Vous en trouverez quelques-uns qui proscrivent les fausses traditions des scribes et des pharisiens, et les raisonnements vains et trompeurs qui ne sont fondés que sur la tradition des hommes, mais vous ne sauriez en produire aucun où il soit dit qu'il faut rejeter toute tradition, et que l'Écriture seule est le fondement de la foi ; aucun d'où les Pères de l'Église aient inféré une pareille conclusion. Entrons maintenant dans le détail, et examinons les textes que vos ministres nous objectent.


D'abord ils en opposent deux, tirés l'un du chapitre quatrième et l'autre du chapitre douzième du Deutéronome1. Dans l'un et l'autre, Moïse recommande aux Hébreux de garder les commandements qu'il leur avait donnés de la part de Dieu, sans y rien ajouter, ni diminuer. VOUS N'AJOUTEREZ, dit-il dans le premier, NI NE DIMINUEREZ RIEN A LA PAROLE QUE JE VOUS ANNONCE : GARDEZ LES COMMANDEMENTS QUE JE VOUS INTIME DE LA PART du Seigneur votre Dieu2. FAITES SEULEMENT, dit-il dans le second, CE QUE JE VOUS ORDONNE EN L'HONNEUR DU SEIGNEUR, SANS Y RIEN AJOUTER ET SANS EN RIEN RETRANCHER3.


Je conviens que ce sont là les paroles de Moise ; mais que voulez-vous en conclure ? Qu'il ne faut reconnaître comme parole de Dieu, que ce qui est contenu dans les livres de Moïse ? La proposition serait évidemment fausse et absurde : car en ce cas, il faudrait rejeter tout le Nouveau-Testament, à l'exception du Pentateuque, tous les livres de l'Ancien, écrits postérieurement à ceux de Moïse.


Calvin ne pouvant se cacher à lui-même cette conséquence, qui se présente naturellement à l'esprit, a voulu la prévenir, en disant que « les prophéties et le Nouveau Testament tendent plus à accomplir la loi, qu'à y ajouter ou en retrancher4. »


Si vous adoptiez cette réponse, il me serait aisé de vous faire voir, que dans ce même sens on peut dire des traditions comme des prophéties, « qu'elles tendent plus à accomplir la loi, qu'à y ajouter ou en retrancher » ; d'où il s'ensuit que comme on ne peut pas inférer des deux textes du Deutéronome, qu'il faille rejeter les prophéties et le Nouveau-Testament, de même aussi on ne peut pas en conclure qu'on doive proscrire les traditions divines et apostoliques.


Mais non, Messieurs, je ne puis me persuader que vous goûtiez une réponse si frivole et d'ailleurs évidemment fausse. Comment, en effet, ne pas convenir qu'il y a dans les prophéties et dans le Nouveau-Testament, plusieurs vérités, plusieurs préceptes et plusieurs maximes qui, à la vérité, ne sont pas contraires à la doctrine de Moise, mais qui ne se lisent point dans les livres écrits de sa main : ce que ce saint législateur a en vue par les paroles ici objectées, c'est qu'il faut observer exactement les enseignements et les commandements institués par son ministère de la part de Dieu, et qu'il n'est permis d'y faire aucune addition ni aucun changement capables d'y donner atteinte. En voilà le vrai sens, et ce sens n'exclut nullement les traditions divines et apostoliques ; car bien loin d'être contraires à la parole de Dieu, elles sont elles-mêmes paroles de Dieu annoncées de vive voix et non par écrit ; paroles transmises par le mouvement et l'inspiration du Saint-Esprit, et qui conséquemment ont la même autorité et ne peuvent en aucune façon leur être contraires.


Aussi, Messieurs, remarquez que Moïse ne dit pas : Vous n'ajouterez rien à la parole et aux préceptes que je vous ai laissés par écrit ; mais, Vous n'ajouterez rien à la parole que je vous annonce, aux préceptes que je vous intime de la part de Dieu1 ; expressions qui certainement ne désignent pas moins les enseignements et les préceptes donnés de vive voix, que les préceptes et les enseignements rédigés par écrit. Je veux vous en faire convenir vous-mêmes : dans la loi de Moïse n'y avait-il pas un remède contre le péché originel pour les femmes, n'y en avait-il pas un pour les enfants mâles qui mouraient avant le huitième jour, temps auquel on ne pouvait pas les circoncire ? Ne fallait-il pas user de ce remède ? Il n'en est cependant pas dit un mot dans les livres saints ; voilà donc sous la loi de Moise une tradition que l'on était obligé de reconnaître et d'admettre.


Vos ministres objectent encore un autre texte, tiré du quinzième chapitre de saint Matthieu, ISAÏE, dit Jésus-Christ en parlant des traditions des Pharisiens, LES APPELLE UN CULTE VAIN, DES PRÉCEPTES ET DES DOCTRINES HUMAINES2. Jésus-Christ ensuite ajoute qu'elles ne servent qu'A ÉLUDER ET ANÉANTIR LES PRÉCEPTES DU SEIGNEUR3. Or, il est bien constant que l'on doit proscrire et rejeter tout culte vain et superstitieux, tout ce qui tend à éluder et anéantir les préceptes du Seigneur. Il faut donc, selon les oracles du prophète Isaïe et de Jésus-Christ, proscrire et rejeter les traditions,


Voilà sans doute l'objection dans toute sa force. Pour y répondre je ne demande qu'un peu d'attention aux paroles du prophète et de Jésus-Christ. Que reproche Isaïe aux Juifs ? Que leur culte était vain et non conforme à la loi du Seigneur, que c'était un culte selon des maximes et des doctrines humaines. Or, Messieurs, je m'en rapporte à vous : par préceptes, par maximes et par doctrines humaines, peut-on entendre les traditions divines et apostoliques qui prennent leur source de Moïse et des prophètes, de Jésus-Christ et des Apôtres ? je l'ai dit, et je le répète encore, nous ne reconnaissons pour auteurs de ces traditions, ni le pape, ni les pères, ni les conciles ; mais uniquement Dieu, parlant dans l'ancienne loi par la bouche de Moïse et des prophètes, et dans la nouvelle par son Fils et par les apôtres. Or, personne de bon sens ne s'avisera de traiter de maxime et de doctrine purement humaine, des traditions et des enseignements dont Dieu est auteur, ou immédiatement en parlant par Jésus-Christ, ou médiatement en parlant par le ministère des prophètes et de ceux qui ont été envoyés de la part de Dieu pour enseigner les Juifs. Il est donc manifeste que dans le texte d'Isaïe il ne s'agit nullement des traditions divines et apostoliques.


Il n'est pas moins évident qu'il n'en est nullement question dans ce qu'ajoute Jésus-Christ. A qui ce divin Maître adresse-t-il la parole ? Aux Scribes et aux Pharisiens. Quel reproche leur fait-il ? DE TRANSGRESSER LA LOI DE DIEU, À CAUSE DE LEURS TRADITIONS1. Remarquez, Messieurs, que dans ce chapitre, les Scribes et les Pharisiens, quelque intérêt qu'ils eussent à accréditer leurs traditions, n'osent cependant les qualifier de traditions divines, ou même de traditions venues de Moïse ou des prophètes ; ils se contentent de les appeler TRADITIONS DES ANCIENS2. Jésus-Christ de son côté ne les appelle pas non plus traditions de Moise et des prophètes, mais TRADITIONS DES SCRIBES ET DES PHARISIENS3. Allons plus loin : quelles étaient ces traditions ? Le texte sacré nous l'apprend : c'était de LAVER SES MAINS AVANT LE REPAS4 ; c'était de détourner, sous prétexte de piété et de religion, les enfants de secourir leur père et mère dans le besoin ; obligation néanmoins fondée sur la loi naturelle, et sur le précepte divin d'honorer ses parents. DIEU, reprend Jésus-Christ, ORDONNE D'HONORER SES PÈRE ET MÈRE ET DÉCLARE QUE CELUI QUI OUTRAGERA DE PAROLE SON PÈRE ET SA MÈRE SOIT PUNI DE MORT ; ET VOUS AUTRES VOUS DITES : QUICONQUE AURA DIT A SON PÈRE ET A SA MÈRE : TOUT DON QUE J'OFFRE A DIEU VOUS EST UTILE, ET IL N'Y A QUE FAIRE D’HONORER SON PÈRE ET SA MÈRE : ET AINSI VOUS AVEZ RENDU LE COMMANDEMENT DE DIEU INUTILE PAR VOTRE TRADITION5. Voilà les traditions que Jésus-Christ condamne, et qui, comme remarque ce divin Sauveur, avaient été par avance proscrites et condamnées par le prophète Isaïe comme TRADITIONS VAINES, contraires à la loi de Dieu, et dictées par esprit d'orgueil, d'avarice et d'HYPOCRISIE, COMME MAXIMES ET DOCTRINES HUMAINES6. Que peut-on donc conclure des textes du prophète Isaïe et de Jésus-Christ ? Qu'il faut proscrire et condamner les traditions vaines, fausses et contraires à la loi de Dieu, auxquelles étaient attachés les Juifs et les pharisiens, mais de là iĮ ne s'ensuit nullement qu'on doive proscrire et rejeter les traditions divines et apostoliques, qui, loin d'être des préceptes et des doctrines purement humaines et opposées à la loi de Dieu, sont au contraire des vérités et des pratiques établies de Dieu dans l'ancienne loi, par la bouche de Moïse et des prophètes, et dans la nouvelle, par la bouche de son Fils Jésus-Christ ou des Apôtres, guidés et dirigés par le Saint-Esprit pour enseigner les nations.

Je crois que toute personne qui raisonne doit être pleinement satisfaite de cette réponse. Votre ministre Dumoulin affecte néanmoins de n'en paraître pas content ; mais les vains et ridicules efforts qu'il fait pour la combattre, montrent combien, malgré lui, il en sent la solidité. « Les traditions des pharisiens, dit-il, étaient des doctrines qui ne commandaient pas des choses défendues expressément dans la loi de Dieu, mais simples additions et dévotions volontaires, hors la parole de Dieu : comme nettoyer le dehors des pots, se laver les mains avant le repas avec une dévotion scrupuleuse, dîmer la mente et le cumin, allonger leurs phylactères, jeûner trois fois la semaine, faire de longues oraisons, faire conscience de guérir un malade le jour du Sabbat1. » L'eussiez-vous cru, Messieurs, que dans votre prétendue réforme on eût osé contredire si ouvertement Jésus-Christ, et excuser ce que ce divin Sauveur reprend d'une manière si expresse et si énergique dans les scribes et les pharisiens ? Jésus-Christ les accuse de TRANSGRESSER LA LOI DU SEIGNEUR À CAUSE DE LEUR TRADITION2 ; et votre ministre dit, que « ces traditions ne commandaient point des choses défendues expressément en la loi de Dieu. » Jésus-Christ dit, « qu'ils rendaient par leurs traditions le commandement de Dieu inutile3 et votre ministre avance que leurs traditions étaient « de simples additions » à la loi de Dieu : encore les décore-t-il du nom de « dévotion volontaire. » Jésus-Christ dit que c'était par orgueil et par hypocrisie qu'ils étaient attachés à leurs traditions4, et votre ministre dit que c'était par « dévotion volontaire », par principe de conscience. Une de leurs traditions était, selon Dumoulin, « de faire conscience de guérir un malade au jour du Sabbat : » c'était donc aussi par principe de conscience qu'ils en faisaient un crime à Jésus-Christ : pourquoi votre ministre n'ajoute-t-il pas aussi que c'était par principe de conscience qu'ils attribuaient à Belzébuth, prince des démons, les miracles du Sauveur ? l'un n'est guère plus révoltant que l'autre, et il en est une suite nécessaire. En vérité, Messieurs, n'est-il pas surprenant que l'on embrasse un parti où l'on avance de telles extravagances et de tels blasphèmes ?

Une troisième objection, fort commune parmi vous, est appuyée sur ces paroles de saint Paul aux Galates, chapitre premier : QUAND BIEN MÊME NOUS, OU UN ANGE DU CIEL VOUS ÉVANGÉLISERAIT OUTRE CE QUE NOUS VOUS AVONS ÉVANGÉLISÉ, QU'IL SOIT ANATHÈME. Notez, dit Dumoulin, en la douzième section de son Bouclier de la foi que « l'Apôtre dit outre, et non pas contre ce que nous vous avons évangélisé. » Il faut donc réprouver non-seulement tout ce qui est contre, mais encore tout ce qui est outre l'enseignement des Apôtres : or les traditions sont outre ce qu'ont évangélisé les Apôtres ; il faut donc les rejeter.

On vous vante cette objection comme insurmontable ; il n'en est cependant peut-être pas de plus frivole.

Car en premier lieu, vous savez cet axiome universellement reçu : Qui prouve trop, ne prouve rien : or tel est le raisonnement de Dumoulin et de vos ministres : il prouverait que l'on doit rejeter non-seulement les traditions, mais encore tous les livres du Nouveau Testament, postérieurs à l’épître de saint Paul aux Galates, comme l'Apocalypse, l’Évangile selon saint Jean, et même plusieurs des autres épîtres de saint Paul, écrites après celle-là, puisque tous ces ouvrages sont outre ce qu'il avait évangélisé aux Galates. L'absurdité de cette conséquence doit vous faire sentir que le sens donné par vos ministres aux paroles de saint Paul, est un sens tout-à-fait éloigné de l'esprit de cet Apôtre : c'est en effet la remarque de saint Augustin, dans son traité quatre-vingt-dix-huitième sur saint Jean ; voici ses paroles : « Saint Paul ne dit pas plus que vous avez entendu ; mais outre ce que vous avez entendu. S'il eût dit plus, poursuit ce grand docteur, il se serait contredit et condamné lui-même, puisqu'il souhaitait aller à Thessalonique pour suppléer à ce qui manquait à la foi des fidèles de cette ville : celui qui supplée ajoute ce qui était de moins, et n'ôte pas ce qui est ; mais celui qui transgresse la règle de la foi, ne marche pas dans la voie, il s'en écarte1. »

Je réponds donc en second lieu, que quand l'Apôtre dit anathème à quiconque évangélise outre ce qu'il a évangélisé, il veut dire anathème à quiconque évangélise d'une manière contraire à ce qu'il a évangélisé. Cette solution est appuyée sur l'autorité de saint Ambroise, de saint Chrysostome, de saint Jérôme, d'OEcuménius, de Théophylacte et de beaucoup d'autres qui ont ainsi interprété le texte de l'Apôtre. Ajoutons que l'on peut très bien interpréter le terme latin præter, qui se trouve dans la Vulgate, par celui de contre ; vos bibles françaises en fournissent la preuve. Lisez le verset dix-septième du dernier chapitre de saint Paul aux Romains, vous y verrez le terme præter traduit en français par terme de contre ; et certainement il n'y a pas plus de raison de le traduire de la sorte dans le verset de l'épître aux Romains que dans celui de l’épître aux Galates.

En troisième lieu, je vous demande si saint Paul n'a pas évangélisé de vive voix autant que par écrit, et si le plus grand nombre des Apôtres, chargé d'enseigner les nations, ne s'est pas contenté d'annoncer de vive voix toutes les vérités de la religion, sans les enseigner par la voie de l'Écriture ? Ces faits, qui pourrait en disconvenir ? Je demande encore si les Apôtres qui n'ont enseigné que de vive voix et par leurs prédications, n'étaient pas, comme ceux qui ont enseigné par écrit, en droit d'exiger une parfaite soumission à leurs enseignements, et si saint Paul lui-même, en ce qu'il a annoncé de vive voix, ne méritait pas également d'être cru et obéi, comme en ce qu'il a décidé ou prescrit dans ses épîtres ? En un mot je demande, si ce qu'ils ont enseigné de vive voix n'était pas la parole de Dieu, comme ce qu'ils ont enseigné dans leurs ouvrages. Conclure donc des paroles de saint Paul, qu'il ne faut ni croire comme de foi, ni révérer comme parole de Dieu, que ce que les Apôtres ont annoncé, soit de vive voix, soit par écrit, rien de plus juste que cette conséquence. Mais inférer de là, que les traditions divines et apostoliques, qui sont autant d'instructions données de vive voix par les Apôtres, n'ont pas dû être regardées dans la primitive Église, et dans la suite, comme parole de Dieu ; inférer de là qu'on ne doit tenir et révérer comme parole de Dieu, que ce que les écrivains sacrés nous ont laissé par écrit, et non ce qu'ils ont enseigné de vive voix ; ce serait là une conséquence fausse, absurde et même ouvertement contraire à l'esprit de l'Apôtre, qui dans la seconde épître aux Thessaloniciens, chapitre second, recommande de tenir aux traditions orales avec la même fidélité qu'aux leçons et aux enseignements donnés par écrit. Aussi voyons-nous que l'Apôtre n'a pas dit: ANATHÈME A QUICONQUE ÉVANGÉLISE OUTRE CE QUE NOUS AVONS LAISSÉ PAR ÉCRIT; mais, ANATHÈME A CEUX QUI ÉVANGÉLISENT OUTRE CE QUE NOUS AVONS ÉVANGÉLISÉ, expression qui ne convient pas moins aux instructions rédigées par écrit, qu'aux instructions données de vive voix.

Il y a un autre texte, sur lequel je ne m'arrêterais pas si je ne l'avais souvent entendu objecter par les partisans de votre réforme ; car, je vous avoue que je ne vois pas quel avantage ils en peuvent tirer : ce texte est pris du dernier chapitre de l'Apocalypse : JE PROTESTE, dit saint Jean, A TOUS CEUX QUI ENTENDENT LA PROPHÉTIE DE CE LIVRE, QUE SI QUELQU’UN Y AJOUE, DIEU AJOUTERA SUR LUI LES PLAIES QUI Y SONT ÉCRITES, ET QUE SI QUELQU'UN EN RETRANCHE QUELQUES PAROLES, DIEU LE RETRANCHERA DU LIVRE DE VIE ET DE LA SAINTE CITÉ.

Il est visible, par les termes mêmes dont se sert saint Jean, qu'il parle dans ce texte de son livre de l'Apocalypse, qui est en effet le livre prophétique du Nouveau Testament : « Si quelqu'un ajoute à la prophétie de ce livre, si quelqu'un ôte des paroles de ce livre de prophétie, » ainsi parle saint Jean. Or, cela supposé, que résulte-t-il de ce texte ? Dire que saint Jean, par ce texte, entend que tout ce qui n'est pas contenu dans le livre de l'Apocalypse doit être proscrit et rejeté, ce serait, j'en conviens, proscrire et rejeter toute tradition ; mais ce serait en même temps rejeter tous les autres livres de la bible, et ne reconnaître pour livre sacré que le seul livre de l'Apocalypse ; prétention aussi impie qu'extravagante, que l'on ne peut prêter à l'écrivain sacré. Il faut donc que la vraie interprétation de ce texte soit que celui qui serait assez téméraire pour vouloir ajouter à ce livre, et donner comme partie de ce livre quelque texte nouveau, ou en retrancher quelqu'un de ceux qui en font partie, celui-là se rendrait coupable et digne des plaies qui sont écrites dans ce livre de prophétie. Voilà le sens naturel, et qui répond parfaitement aux paroles de l'Apôtre, sens d'ailleurs dont on aperçoit du premier coup-d'œil la vérité, personne n'ignorant que les livres saints sont un dépôt sacré auquel il n'est pas permis de toucher, mais sens qui ne saurait nous porter aucun préjudice ; car quoique nous admettions les traditions divines et apostoliques, nous sommes néanmoins bien éloignés de prétendre qu'on doive ou qu'on puisse ajouter, comme partie de l'Écriture Sainte, aucun texte nouveau, ou en retrancher quelqu'un de ceux qui en font partie. Nous regarderions une telle entreprise comme une horrible prévarication, digne de toute la colère et des plus horribles châtiments du Ciel. Nous disons, il est vrai, que les traditions sont parole de Dieu ; mais, en même temps, nous convenons qu'elles sont parole de Dieu non contenue dans les livres saints, mais donnée de vive voix par les Apôtres à leurs successeurs et aux premiers fidèles. Bèze, lui-même, a tellement senti la solidité de ces réflexions, que malgré son attention à faire valoir dans ses notes sur le Nouveau Testament tous les textes qu'il s'imagine être propres à combattre les traditions, il ne s'est pas hasardé à citer celui-ci en sa faveur.

Vos ministres se prévalent encore de quelques autres textes de l'Écriture ; mais ils sont si peu favorables à leur cause, que vouloir y répondre ce serait perdre le temps. Si cependant il y en a quelqu'un qui vous fasse impression, ayez la bonté de me le communiquer, et aussitôt je me ferai un plaisir de l'examiner avec vous. En attendant, je passe au témoignage que rend en faveur des traditions la plus respectable antiquité.

§. II. La nécessité de reconnaître et d'admettre les traditions divines et apostoliques, établie par les plus précieux monuments de l'antiquité.

J'appelle précieux monuments de l'antiquité les ouvrages des Pères et les actes des conciles. Quoi qu'en pensent et qu'en disent les auteurs de votre prétendue réforme, je ne crains pas d'avancer qu'un des plus sûrs moyens de s'assurer des sentiments de la primitive Église, et même des Apôtres, c'est de consulter ces sources respectables. Comme ce sont les Apôtres, ou leurs successeurs qui ont instruit les premiers ministres préposés à l'établissement et au gouvernement de ces anciennes Églises, on ne peut raisonnablement douter que leur doctrine ne soit celle qu'ils avaient reçue des Apôtres.

Comment, en effet, se persuader que dans ces premiers temps, où la ferveur était si grande, et où l'on était si curieux de conserver le précieux dépôt de la foi, ceux qui ont été mis à la tête des fidèles et chargés du ministère de la parole ; ceux qui ont soutenu les intérêts de la religion aux dépens de leur repos, de leur fortune, et assez souvent de leur vie, aient conspiré à renverser la religion, en abandonnant la doctrine des Apôtres et en introduisant dans l'Église des nouveautés profanes ? Comment s'imaginer que dans les anciens conciles, c'est-à-dire dans ces saintes assemblées composées des plus grandes lumières et des plus saints évêques du monde chrétien, où l'on ne saurait douter que l'Esprit saint n'ait présidé, pour peu qu'on fasse attention aux glorieuses victoires remportées par elles sur l'erreur ; comment s'imaginer, dis-je, que dans ces saintes assemblées on ait ignoré, déguisé, ou dissimulé ce qu'on devait croire et penser en matière de religion ? Cette supposition paraîtra toujours incroyable à quiconque pense sainement et sans préjugés. C'est donc avec raison et avec confiance, que dans la question présente, ainsi que dans les autres, j'en appelle à ces précieux monuments de l'antiquité la plus respectable, et que j'ose vous dire, comme autrefois Moïse au peuple d'Israël : « SOUVENEZ-VOUS DES SIÈCLES ANCIENS, CONSIDÉREZ CHACUNE DES GÉNÉRATIONS PASSÉES : INTERROGEZ VOS PÈRES ET VOS AÏEUX, ET ILS VOUS INSTRUIRONT1. » Mettons à la tête de ces illustres témoins de la foi et des sentiments des Apôtres, ceux qui ont vécu de leur temps, et qui ont été imbus immédiatement de leur doctrine.

Lisez, Messieurs, le chapitre dix-neuvième du cinquième livre de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, et vous y entendrez saint Irénée attester que saint Polycarpe rapportait souvent ses étroites liaisons avec saint Jean et les autres disciples qui avaient vu le Seigneur ; que ce même Polycarpe racontait dans les assemblées publiques plusieurs discours conformes aux Saintes Écritures, que ceux qui avaient vu le Seigneur, avaient entendus de la bouche de ce divin Sauveur, touchant ses miracles, sa doctrine et ses vertus. Saint Irénée ajoute, qu'ayant recueilli ces discours de la bouche de saint Polycarpe, auquel il était fort attaché, « il avait grand soin de les graver, non sur le papier, mais dans son cœur1. » Il est évident que par ces vérités reçues de la bouche de Jésus-Christ, par ceux qui avaient vu le Seigneur, on ne doit pas entendre seulement les instructions contenues dans les Saintes Écritures ; car ce ne serait pas un trait particulier à saint Polycarpe et à saint Irénée d'avoir rapporté les leçons renfermées dans les divines Écritures ; tout chrétien en pouvait faire autant : il faut donc reconnaître ici les enseignements donnés de vive voix et appelés traditions. « Ces enseignements, dit Kemnitius, étaient, selon le passage de saint Irénée, conformes à l'Écriture. » Oui, sans doute, ils y étaient conformes ; et les traditions que nous admettons y sont aussi parfaitement conformes : mais être conforme à l'Écriture ou y être contenu, ce sont deux choses bien différentes. Il est dit, dans le texte de saint Irénée, que ces discours étaient conformes à l'Écriture2 : mais le texte ne dit pas qu'ils fussent contenus dans l'Écriture, et la raison que je viens de vous exposer montre clairement que l'on ne doit pas l'entendre de la sorte.

Que nous dit Eusèbe de saint Ignace, évêque d'Antioche après Evodius, qui avait occupé ce siège immédiatement après saint Pierre ? Il nous rapporte que ce saint évêque « exhortait tous les fidèles à s'attacher fermement aux traditions des Apôtres, et que pour les réserver avec plus de sûreté à la postérité, il avait cru devoir les rédiger par écrit3. » Il est constant que dans ce texte il s'agit des traditions données de vive voix : pourquoi en effet les rédiger par écrit, si elles l'eussent été auparavant dans les livres sacrés ?

Trouve-t-on, me direz-vous, ces traditions que saint Ignace doit avoir laissées par écrit : Oui, Messieurs : Usserius, protestant, et un de vos plus savants auteurs en Irlande et en Angleterre, nous a donné en grec et en latin les lettres de ce grand évêque, adressées aux Éphésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Romains, aux Philadelphiens, aux Smyrniens ; et dans ces lettres il est fait mention du jeune du carême, des ordres moindres, de la sanctification du dimanche, et autres points dont il n'est point parlé dans l'Écriture, et qui conséquemment sont véritablement des traditions apostoliques car soupçonner ce grand saint, si attaché à la religion, d'avoir voulu de lui-même et de sa propre autorité débiter une doctrine nouvelle, ou faire des règlements et établir des usages contre l'intention des Apôtres, ce serait une imagination aussi injurieuse à la mémoire de ce généreux martyr, que contraire au bon sens.

Saint Justin, ce grand philosophe encore plus recommandable par son zèle pour la religion que par la beauté de son génie, fait mention, dans sa seconde Apologie, de plusieurs pratiques religieusement observées parmi les premiers chrétiens : il y parle entre autres de la sanctification du dimanche, article dont il n'est point parlé dans les Saintes Écritures1. Remarquez que par le jour du soleil, dies solis, il entend le jour du dimanche, ainsi qu'il s'en explique lui-même, disant que le jour du soleil est celui auquel Dieu a créé le monde, et auquel Jésus-Christ est ressuscité2. Et ne regardez pas ces pratiques et ces préceptes comme une tradition purement humaine, ou même ecclésiastique ; ce grand saint assure en termes formels, que c'est de Jésus-Christ même que les Apôtres et les Disciples les avaient reçus3.

Saint Irénée, qui avait connu particulièrement saint Polycarpe, et qui avait été lui-même disciple de saint Jean, était si persuadé de l'utilité et de l'autorité des traditions, qu'il renvoie aux églises, où il y avait une succession non interrompue d'évêques depuis les Apôtres, pour savoir quelles étaient les traditions apostoliques et le vrai sens des Écritures ; voici ce qu'il ajoute pour prouver sa proposition : « Quoi donc ? si les Apôtres n'avaient point laissé les Saintes Écritures, n'aurait-il pas fallu suivre l'ordre de la tradition que les Apôtres avaient confié à ceux qu'ils avaient préposés au gouvernement des églises ? Combien de nations barbares, qui avec le secours de la tradition croient en Jésus-Christ, conservant écrit, non sur le papier, mais dans leurs cœurs, ce qui regarde le salut, et gardant soigneusement l'ancienne tradition4 ! »

Saint Clément d'Alexandrie atteste, dans son livre sur la pâque, ainsi que nous le rapporte Eusèbe dans le livre sixième de son histoire ecclésiastique, chapitre onze, qu'il avait été engagé, par les sollicitations de ses amis, à transmettre par écrit à la postérité, les traditions dont il avait recueilli le dépôt de la bouche des anciens prêtres5.

Origène, sur le chapitre sixième de l’épître aux Romains, déclare que « l'Église avait reçu des Apôtres la tradition qu'il fallait donner le baptême, même aux enfants6. »

Saint Cyrille de Jérusalem, dans ses Catéchèses mystagogiques, fait mention de plusieurs pratiques enseignées dans l'Église, dont il n'est point parlé dans l'Écriture. Dans les trois premières, il rapporte qu'en recevant le baptême, on renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, par paroles expresses, et que l'onction est pareillement en usage dans la réception de ce sacrement, et il conclut en ces termes dans la seconde : « Vous avez suffisamment appris ceci, et je vous prie de le retenir, afin que, tout indigne que je suis, je puisse dire de vous : Je vous aime de ce que vous vous souvenez en tout de moi, et de ce que vous retenez les traditions que je vous ai données1. » Dans la cinquième il décrit la forme de la liturgie, et il rapporte que dans la célébration de l'Eucharistie, on faisait mémoire des saints, et on priait pour les défunts, puis il conclut par ces paroles : « retenez ces traditions2.

Saint Basile, dans son livre sur le Saint-Esprit, non seulement reconnaît, mais encore prouve la nécessité d'admettre la tradition, et il s'en sert pour établir contre les Eunoméens la divinité du Saint-Esprit et le culte qui lui est dû. « De tous les dogmes que l'on tient dans l'Église, dit-il, il y en a que nous avons dans les Saintes Écritures, et d'autres que nous avons reçus de la tradition des Apôtres, et qui nous ont été donnés en mystères3 » Il ajoute que « les uns ont autant d'autorité que les autres, et que personne n'y contredit, pour peu de teinture qu'il ait des lois ecclésiastiques4. » Répondant ensuite à l'objection que faisaient les Eunoméens, qu'on ne trouve point dans l'Écriture l'obligation de glorifier le Saint-Esprit avec le Père et le Fils, il réplique : « Si l'on ne reçoit pas d'autres vérités non écrites, ne recevez pas non plus celle-ci ; pour moi je crois apostolique celui qui demeure attaché aux traditions non écrites » ; et il prouve sa proposition par les deux textes de saint Paul, que je vous ai rapportés ci-devant, et par une raison naturelle et sensible, prise de ce que dans les tribunaux séculiers on admet également les preuves par écrit et les preuves par témoin : ce qui répond aux deux genres de preuves, dont on se sert pour établir les vérités qui intéressent la foi et les mœurs, savoir : l'Écriture-Sainte et la tradition.

Saint Chrysostome et saint Épiphane ne sont pas moins décidés sur la présente question ; je vous en ai ci-devant donné la preuve, en vous rapportant la conclusion qu'ils ont eux-mêmes tirée des textes où saint Paul recommande en termes exprès d'admettre les traditions. Il serait inutile de répéter deux fois les mêmes passages.

Jusqu'ici je ne vous ai cité que les Pères grecs ; consultons maintenant les latins, afin de constater en ce point l'uniformité de sentiments entre les uns et les autres.

Tertullien, qui florissait au commencement du troisième siècle, dans son livre DE LA COURONNE DU SOLDAT, fait l'énumération de plusieurs articles crus et observés dans l'Église ; il y fait mention entre autres des cérémonies du baptême, du signe de la croix, de l'usage d'offrir le saint sacrifice pour les défunts, et ensuite il ajoute : « Si vous voulez autoriser ces usages et ces cérémonies par l'Écriture-Sainte, vous ne le pouvez ; elle n'en parle pas, c'est par la tradition que nous les avons reçus, l'usage les a confirmés, la foi les observe5. » Saint Cyprien était pareillement si persuadé de cette vérité, qu'elle est le fondement sur lequel il établit l'usage de mêler l'eau avec le vin dans l'offrande du calice. « Sachez, dit-il, que nous avons été avertis de garder les traditions divines, et de ne faire autre chose que ce que le Seigneur a fait le premier, savoir : de mêler l'eau avec le vin dans le calice qui est offert en mémoire de lui1. »

Le grand archevêque de Milan, saint Ambroise, dans ses sermons 25, 34, 36 et 38, ainsi que dans son épître 81, nous enseigne que le carême a été commandé et ordonné par Jésus-Christ. Ce n'est pas dans l'Écriture que nous trouvons ce précepte, c'est donc par la tradition que nous en avons connaissance.

Saint Jérôme, réfutant les erreurs de Montan, assure que le jeûne du carême est de tradition apostolique2. Saint Augustin se sert principalement et souvent de la tradition, pour prouver contre les Donatistes qu'on ne doit pas réitérer le baptême conféré par les hérétiques. « Les Apôtres, dit-il, ne nous ont pas laissé par écrit de préceptes à ce sujet ; mais on doit regarder cette coutume, quoique opposée au sentiment de saint Cyprien (de ne point rebaptiser ceux qui avaient été baptisés par les hérétiques), comme une tradition prenant sa source des Apôtres : Il est en effet plusieurs choses que l'Église universelle tient, et qui pour cette raison sont avec justice regardées comme établies et commandées par les Apôtres, quoiqu'elles ne se trouvent point écrites3. » Ce grand docteur répète la même chose dans plusieurs autres endroits de ses ouvrages, comme il serait aisé de le montrer, si l'on en doutait.

A ce concert admirable des Pères de la primitive Église, que répondrez-vous, Messieurs ? Qu'ils ne sont pas infaillibles, et qu'aucun n'a été exempt d'erreur, au moins en certains points. C'est la réponse de vos ministres ; mais pitoyable défaite, dont ils devraient avoir honte car ce n'est pas seulement un ou deux Pères qui se seraient trompés. Je viens de vous le prouver ; les Pères grecs et latins ont reconnu et recommandé les traditions ; croyez-vous que les Pères, lors même qu'ils sont tous d'accord sur un point qui intéresse la religion, puissent se tromper, et se soient en effet trompés ? Je ne crains pas d'en trop dire, cette proposition est non-seulement des plus injurieuses à la mémoire de ces grands hommes, mais encore destituée de toute vraisemblance.

Tout particulier est sujet à se tromper; l'Écriture le dit, il est vrai4 ; mais la même Écriture nous atteste que Jésus-Christ est et sera tous les jours avec le corps des pasteurs qui, successeurs des Apôtres, sont chargés du ministère de la parole pour enseigner tous les peuples : « Allez, enseignez les nations... Voilà que je suis tous les jours avec vous jusqu'à la consommation des siècles1. »

Vous pouvez donc bien supposer que les particuliers ont pu se tromper, et si vous voulez même, qu'ils se sont trompés en certains points ; mais comment supposer que ce corps entier, établi par Jésus-Christ pour enseigner les nations, et pour conserver le sacré dépôt de la foi, ait donné dans l'erreur ? Comment se persuader que tant de grands hommes qui ont été instruits par les Apôtres, ou leurs successeurs, et par eux ou leurs successeurs préposés au gouvernement de l'Église, se soient tous, malgré leur zèle pour la religion, laissés séduire ; que la saine doctrine ne se soit pas conservée parmi eux ?

Quand donc nous les voyons réunis sur les points qui intéressent la foi et les mœurs, nous ne pouvons douter de la vérité, de la catholicité et de l'apostolicité de leur doctrine les écouter, c'est écouter Jésus-Christ ; les mépriser, c'est le mépriser lui-même2.

Vos ministres vous tiennent un langage bien différent ; mais sont-ils eux-mêmes infaillibles, pour que vous donniez à l'aveugle dans leurs faux préjugés ? Peuvent-ils entrer en parallèle avec ces grands hommes qui de tous temps, révérés comme les appuis de la religion, ont fait, et par leurs doctes écrits, et par leurs travaux apostoliques, tant et de si belles conquêtes à Jésus-Christ ? Pensez-vous, Messieurs, que Calvin, Bèze, Dumoulin, Daillé, et tant d'autres venus au monde quinze ou seize cents ans après les Apôtres, aient mieux su ce que les Apôtres ont enseigné que ces saints évêques, dont les uns ont été leurs contemporains et leurs disciples, dont les autres ont vécu dans les premiers siècles de l'Église, et qui tous ont donné des preuves si éclatantes de leur zèle pour la conservation du sacré dépôt de la foi ? Le bon sens ne suggère-t-il pas quand on veut s'assurer de ce que l'on a pensé et dit en certain temps, d'avoir recours aux auteurs contemporains, et qui ne sont point soupçonnés de partialité ?

Tous les Pères se sont trompés : dites plutôt que s'écarter de leur sentiment en matière de religion, c'est vouloir se tromper et s'égarer soi-même : c'est à eux que les Apôtres et leurs successeurs ont confié le sacré dépôt de la foi ; ce sont eux qui nous ont délivré des ténèbres de l'idolâtrie, et engendrés à Jésus-Christ ; ils ont été témoins auriculaires et non suspects de ce que l'on a pensé et pratiqué dans la primitive Église ; nous ne pouvons choisir de plus sûrs garants de nos sentiments et de notre foi.

Au reste, vos ministres eux-mêmes ont bien prévu que le mépris qu'on faisait paraître pour les Pères de l'Église dans leur prétendue réforme, n'était propre qu'à indisposer et à révolter des esprits droits et accoutumés à révérer une autorité en effet si respectable.

De là les efforts qu'ils font, quoique inutilement, pour s'étayer de leurs suffrages, lorsqu'ils trouvent dans leurs ouvrages quelques textes, ou plutôt quelques lambeaux de texte qu'ils s'imaginent être favorables à leurs systèmes. Nous en avons la preuve dans la présente question : ils nous objectent saint Basile, saint Chrysostôme, saint Épiphane.

Saint Basile donne comme « une preuve certaine d'infidélité et d'orgueil, de vouloir rejeter ce qui est contenu dans l'Écriture, ou introduire des choses qui ne sont pas écrites1. »

Saint Chrysostome prononce que, « si l'on avance quelque proposition sans la prouver par l'Écriture Sainte, celui qui l'entend est incertain, tantôt l'admettant, tantôt balançant à l'admettre ; mais dès que le témoignage de la voix divine se manifeste par l'Écriture, le discours de celui qui parle et l'esprit de celui qui écoute se trouvent également confirmés2. »







Saint Épiphane ajoute : « Pour nous, les questions que nous proposons ne sont pas de notre invention, ni fondées sur nos raisonnements particuliers ; elles sont appuyées sur des conséquences tirées de l’Écriture3. »

De ces passages, vos ministres concluent qu'il faut rejeter, ou du moins qu'on n'est pas obligé de croire ce qui n'est pas contenu dans l'Écriture-Sainte, mais se trouve seulement fondé sur la tradition. Voyons ce que l'on doit penser de ce raisonnement.


Je ne crois pas, Messieurs, qu'une personne dépouillée de prévention et de préjugé, veuille mettre en contradiction avec eux-mêmes ces grandes lumières de l'Église grecque. Donnez-vous la peine de relire les textes de ces trois Pères que je vous ai cités plus haut, et vous les verrez enseigner de la manière la plus nette et la plus précise, que les Apôtres n'ont pas laissé par écrit toutes les vérités dont la connaissance intéresse la religion, qu'ils ont donné de vive voix plusieurs enseignements dont l'autorité est la même que celle des préceptes et des décisions dont ils ont laissé le développement par écrit. Vous les verrez assurer qu'il n'est personne, pour peu qu'il ait quelque teinture des lois ecclésiastiques, qui contredise ces principes, vous les verrez prouver la nécessité de recevoir les traditions par les livres saints, spécialement par la première épître de saint Paul aux Corinthiens, chapitre 11 ; il n'est donc pas possible de leur imputer d'avoir voulu, dans les textes cités en objection, rejeter et condamner ce qu'ils ont établi dans leurs ouvrages d'une manière si claire et si positive ; il faut donc nécessairement convenir que dans ces textes qu'on nous objecte, il ne s'agit nullement des traditions divines et apostoliques.


De quoi y est-il donc question ? D'opinions que voulaient introduire des esprits superbes et sans religion, qui rejetaient les Saintes Écritures, comme le dit saint Basile. Remarquez ces paroles, « introduire des choses qui ne sont pas écrites », c'est-à-dire des opinions inventées ; par qui ? Par des esprits sans religion, et enflés d'orgueil, qui rejetaient ce qui était contenu dans les Saintes Écritures. Oseriez-vous bien avancer que telles sont les traditions que nous vous proposons de recevoir et d'admettre ? Non, Messieurs, je vous l'ai déclaré dès le commencement de la présente question ; ce que nous entendons, et ce que l'on doit entendre par traditions divines et apostoliques, ce sont des enseignements non contenus dans les livres saints, il est vrai, mais nullement contraires à l'Écriture, et donnés par les Apôtres instruits eux-mêmes par Jésus-Christ, ou éclairés et dirigés par l'Esprit saint.


Saint Chrysostome parle des propositions avancées sans preuves et fondées uniquement sur l'imagination des particuliers auxquels, dit-il avec raison, on est incertain si l'on doit, ou l'on ne doit pas acquiescer. Ce sens est manifeste d'après les paroles qui précèdent immédiatement celles que l'on nous objecte : « Il ne faut, dit-il, rien avancer sans témoins, et d'après la seule pensée de son Esprit1. » Est-ce là parler des traditions venues par le canal des Apôtres et attestées par tous les Pères de la primitive Église, et par saint Chrysostome lui-même ?


Saint Épiphane pareillement proscrit les sentiments des particuliers fondés uniquement sur des raisonnements purement humains.


Dites donc que ces grands docteurs ont proscrit les opinions contraires à l'Écriture-Sainte, ou qui n'ont d'autre fondement que l'imagination des particuliers. Nous en conviendrons volontiers avec vous ; mais vous, de votre côté, avouez de bonne foi que dans les textes objectés, il n'est nullement question des traditions reçues par le canal des Apôtres.


Autre difficulté tirée de Tertullien : « J'adore, dit ce Père, la plénitude des saintes Écritures. Qu'Hermogène prouve sa doctrine par l'Écriture, sinon qu'il craigne la malédiction prononcée contre ceux qui osent ajouter, ou retrancher quelques paroles des saintes Écritures2 » Tels sont, disent vos ministres, nos sentiments et notre langage : nous adorons la plénitude des saintes Écritures ; mais nous prétendons que les traditions étant des additions à l'Écriture-Sainte, quiconque les admet, attire sur soi la malédiction prononcée contre ceux qui ajoutent à l'Écriture-Sainte : voilà l'objection dans toute sa force.


Si vos ministres vous avaient fait remarquer à quelle occasion Tertullien parle de la sorte, et quels sont les principes de ce Père, vous auriez honte pour eux de cette objection. Tertullien réfute l'hérétique Hermogène qui soutenait que le monde n'avait pas été créé de rien, mais formé de la matière qui existait avant la création de l'univers ; il combat cet hérétique par l'Écriture-Sainte, et c'est avec raison qu'il lui demande de prouver sa doctrine par cette même Écriture, s'il veut éviter la malédiction portée contre ceux qui osent y ajouter ou les diminuer ; parce qu'en effet sa doctrine était une opinion nouvelle, introduite de sa propre autorité, contraire au témoignage des écrivains sacrés, qui loin de dire que Dieu a créé le monde de la matière auparavant existante, disent en termes formels qu'il l'a créée par sa parole. Aujourd'hui tout catholique en dirait autant à quiconque s'aviserait de renouveler l'hérésie d'Hermogène ; serait-on pour cela en droit de l'accuser de rejeter les traditions ?


Vous répliquerez, sans doute, que le raisonnement de Tertullien suppose que la malédiction est prononcée contre ceux qui ajoutent à l'Écriture-Sainte : j'en demeure d'accord ; mais de quelles additions veut-il parler ? D'additions faites par de simples particuliers postérieurement au temps des Apôtres, d'additions contraires à l'Écriture-Sainte, telles qu'étaient celles de l'hérétique Hermogène ; mais à l'égard des traditions divines et apostoliques, il est si éloigné de les improuver, que c'est lui-même qui dans ses ouvrages, et en particulier dans son livre de la Couronne du soldat, en fait l'énumération, en ajoutant que « c'est la foi qui les observe. » Entrez donc, Messieurs, dans l'esprit de ce Père : dites, si vous voulez, que les traditions sont des additions à l'Écriture-Sainte ; mais ajoutez que les Apôtres inspirés de Dieu en sont les auteurs, et que ce sont eux, et en particulier saint Paul, qui recommandent d'y être constamment attaché : CONSERVEZ LES TRADITIONS QUE VOUS AVEZ APPRISES ET PAR NOS DISCOURS ET PAR NOS LETTRES1 : en raisonnant de la sorte, je suis persuadé que vous ne serez plus tenté de les traiter d'observances vaines et superstitieuses, et qu'au contraire vous reconnaîtrez la nécessité de les admettre. En cela nous adorons, suivant l'expression de Tertullien, la plénitude des saintes Écritures, parce que nous recevons et embrassons, non-seulement tout ce qui est écrit, mais encore tout ce qui y est recommandé. Puissiez-vous, Messieurs, en faire autant et aussi sincèrement que nous !

On nous oppose encore deux textes. L'un tiré d'une épître de Théophile, patriarche d'Alexandrie, qui dit « que c'est l'effet d'un esprit diabolique de donner pour divin ce qui n'est point appuyé de l'autorité des saintes Écritures2 ; »


L'autre, de saint Jérôme, qui dit « que quand une proposition n'est point appuyée par l'autorité des saintes Écritures, on la méprise avec la même facilité qu'on ose l'avancer3. » De là vos ministres concluent que l'on ne doit pas ajouter foi aux traditions.


Pour peu que vous fassiez attention à l'exhortation de saint Paul aux fidèles, pour se tenir constamment attachés aux traditions qu'ils ont reçues de lui, soit de vive voix, soit par ses épîtres, vous remarquerez que l'obligation de les admettre est appuyée sur l'autorité des saintes Écritures, et conséquemment on ne peut appliquer les deux textes de Théophile et de saint Chrysostôme à ces traditions divines et apostoliques ; mais vous le sentirez encore bien davantage, en considérant le but qu'ils se proposent l'un et l'autre.


Théophile se propose de réfuter Origène, qui, s'appuyant sur différents auteurs apocryphes, voulait faire passer comme divins ses sentiments contraires à l’Écriture. A cette occasion Théophile prononce, que vouloir donner pour divins ses sentiments particuliers, ou, pour me servir du terme de Théophile, ses sophismes, et avancer des principes non autorisés par les saintes Écritures, c'est une inspiration du diable.


Saint Jérôme attaque l'opinion de certains particuliers, qui, pour prouver que Zacharie mis à mort entre le temple et l'autel, était le père de saint Jean-Baptiste, se servaient de livres apocryphes. A ce sujet il remarque que ces sortes de raisonnements, dépourvus de l'autorité des saintes Écritures, sont méprisés avec la même facilité qu'on les propose. De bonne foi peut-on supposer que dans ces deux textes il soit question des traditions divines et apostoliques ?


Si ce n'est pas les attaquer directement, répliquerez-vous, c'est du moins les attaquer indirectement, parce que les traditions n'étant pas contenues dans les saintes Écritures, elles doivent être regardées du même œil que les livres apocryphes, et on ne doit pas y ajouter plus de foi. En raisonnant de la sorte, vous vous tromperiez étrangement ; car il y a une différence essentielle entre les traditions et les livres apocryphes. Ceux-ci ont pour auteurs des gens sujets à se tromper, qui se conduisent par leurs propres lumières et par leurs imaginations singulières ; au lieu que les traditions nous ont été transmises par les Apôtres mêmes, instruits de la bouche de Jésus-Christ ou inspirés de l'Esprit-Saint.


On se prévaut encore parmi vous des passages de certains Pères, comme saint Irénée, saint Athanase, saint Augustin, etc., qui assurent que dans l’Écriture on trouve ce qui est nécessaire pour être sauvé, et qu'elle suffit pour connaître toute vérité.


A cela je réponds en distinguant deux sortes de vérités que l'on est obligé de croire, sous peine de damnation : il en est qu'il faut croire d'une foi explicite, c'est-à-dire en détail et particulièrement : tels sont les mystères de la Sainte-Trinité, de l'Incarnation et autres contenus dans le symbole des Apôtres ; tels sont encore les préceptes du décalogue. Il en est d'autres qu'on n'est pas obligé de croire d'une foi explicite, mais qu'il suffit de croire d'une foi implicite, en tant que l'on croit en général tout ce que l’Église propose de croire : tels sont entre autres certains articles qui concernent l'administration des sacrements et le gouvernement de l’Église. Nous convenons que les vérités que l'on est obligé de croire d'une foi explicite pour être sauvé, sont contenues dans les saintes Écritures, et c'est ce que les saints Pères, et en particulier saint Irénée, saint Athanase et saint Augustin entendent, lorsqu'ils disent que l'on trouve dans les saintes Écritures tout ce qui concerne le salut, et qu'elles suffisent pour que l'on soit instruit de toutes les vérités essentielles.


A l'égard des autres articles qu'il suffit de croire d'une foi implicite et générale, en tant qu'on est disposé à les croire si l'on savait qu'ils intéressent la religion, et qu'on veut en effet croire tout ce qui concerne la foi et les mœurs ; nous disons qu'il en est plusieurs qui ne se lisent point dans l’Écriture, et qui n'ont été enseignés que de vive voix par les Apôtres, et nous le disons, appuyés sur l'autorité même de saint Paul qui, comme nous le voyons dans sa première épître aux Corinthiens, n'a pas jugé à propos de donner par écrit, mais seulement de vive voix, une partie des règlements qui concernent l'administration de la sainte Eucharistie : nous le disons sur l'autorité des mêmes Pères qu'on nous objecte et qui enseignent eux-mêmes la nécessité d'admettre les traditions, ainsi que je l'ai montré ci-devant. Nous ajoutons avec ces mêmes Pères, que ces traditions, quoique non contenues dans les saintes Écritures, y sont néanmoins autorisées, en ce que les livres sacrés nous recommandent en termes formels les traditions ou enseignements donnés de vive voix, comme les enseignements laissés par écrit.


Enfin ce qui doit pleinement vous convaincre du concert unanime des Pères sur ce sujet, c'est que dans tous les temps ils se sont servis de la tradition pour combattre les hérésies naissantes, et pour défendre la foi, comme il est encore aisé de le démontrer par la pratique constante de l’Église dès les premiers siècles.


En effet, sur quel fondement est appuyée la décision du pape Victor et des évêques, contre les Quarto-Décimants ? Eusèbe nous l'apprend dans le livre cinquième de son histoire ecclésiastique, chapitre vingt-deuxième, ce fut sur la tradition apostolique ; sur ce fondement le pape Victor et les évêques assemblés en divers conciles, réglèrent qu'on célébrerait la fête de Pâques le saint jour du dimanche, après le quatorzième jour de la lune de Mars.


Sur quel fondement est encore appuyée la décision du pape Étienne contre l'erreur des rebaptisants ? Sur la tradition. Que l'on n'innove rien, que l'on s'en tienne à la tradition1. Saint Augustin se sert pareillement de la tradition, pour prouver qu'on ne doit pas réitérer le baptême conféré par les hérétiques, ainsi que le prétendaient les Donatistes2. Je pourrais encore vous citer plusieurs exemples pareils ; mais je passe tout d'un coup aux conciles œcuméniques des premiers siècles.

Ce n'est pas seulement par l'Écriture-Sainte, mais encore par la tradition, que les Pères du concile de Nicée ont confondu les Ariens, et déclaré le Fils de Dieu consubstantiel à son Père. Théodoret l'assure dans le premier livre de son histoire ecclésiastique, chapitre huitième le concile de Nicée ayant prononcé « que le Fils de Dieu est consubstantiel au Père, les Ariens se récrièrent contre cette décision, sous prétexte que le terme de consubstantiel ne se trouve point dans l’Écriture ; on leur répondit qu'ils n'étaient pas recevables à faire ce reproche, puisqu'eux-mêmes, pour soutenir leur hérésie, se servaient de termes qui ne s'y trouvent point, disant que le Fils de Dieu avait été créé, et qu'il avait été un temps auquel il n'était point : expression qu'on ne lit point dans les Livres saints ; que les termes dont on s'était servi pour les condamner n'étaient point dans l’Écriture, mais qu'ils étaient suggérés par la piété... Que les évêques ne les avaient point inventés d'eux-mêmes, mais qu'ils les avaient reçus des Pères ; que plus de cent trente ans auparavant, des évêques anciens, tant à Rome que dans la ville d'Alexandrie, faisaient un crime à quiconque disait que le fils de Dieu avait été créé et qu'il n'était pas consubstantiel au Père, et qu'Eusèbe de Césarée, qui d'abord avait favorisé l'Arianisme, a et qui avait ensuite souscrit à la décision du concile de Nicée, était lui-même convenu dans une lettre adressée à ses concitoyens, que des évêques et des écrivains anciens, habiles et illustres, s'étaient servis du terme de consubstantiel, en expliquant la divinité du Père et du Fils3. »


Nous voyons pareillement que dans le concile d’Éphèse, troisième œcuménique, après avoir produit les textes de l’Écriture pour combattre l'hérésie de Nestorius, Flavien, évêque de Philippie, demanda que l'on eût à lire et à examiner ce que pensaient les saints Pères sur la question dont il s'agissait : on produisit les témoignages des Pères, on les opposa aux blasphèmes de Nestorius, et ensuite tous les suffrages se réunirent à déclarer qu'il fallait s'en tenir à l'ancienne tradition, et proscrire ce qui était inventé de nouveau, ainsi que l'atteste Vincent de Lérins1.


Il est encore aisé de remarquer ce même attachement pour la tradition dans les Pères du cinquième concile général. « Nous professons, disent-ils, la foi donnée par notre grand Dieu et par Notre-Seigneur Jésus-Christ aux saints Apôtres, et par les saints Apôtres prêchée au monde entier, cette foi que les saints Pères, et surtout ceux qui ont été assemblés dans les quatre conciles, ont confessée, expliquée et donnée aux saintes Églises ; nous les suivons et recevons en tout. Nous suivons les saints Pères et docteurs Athanase, Hilaire, Basile, Grégoire le théologien, Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Théophile, Jean de Constantinople, Cyrille, Léon, Procle ; nous recevons toutes les expositions qu'ils nous ont « données de la vraie foi, et pour la condamnation des hérétiques. Nous embrassons pareillement la doctrine des autres saints Pères orthodoxes qui ont prêché, jusqu'au dernier soupir de leur vie, la vraie foi dans l’Église de Dieu2. »

A quelle fin ces conciles œcuméniques ont-ils cité avec tant d'éloge le témoignage et la doctrine des anciens docteurs qui les avaient précédés, sinon pour constater quelle était la tradition de l’Église dès la naissance du christianisme ? et pourquoi faisaient-ils tant valoir la tradition de l’Église, sinon parce qu'ils étaient convaincus qu'on doit la recevoir et l'embrasser, obligation solidement établie dans les épîtres de saint Paul et par le témoignage des Pères et des conciles de la primitive Église ? Reste à prouver cette même vérité par de solides raisons théologiques, et par les aveux de vos ministres, et c'est à quoi nous allons satisfaire dans les deux articles suivants.


§. III. La nécessité d'admettre la tradition prouvée par de solides raisons théologiques.


Je me borne à quatre ou cinq qui me paraissent et qui sont en effet décisives.


I. Depuis Adam jusqu'à Moïse, c'est-à-dire, pendant l'espace de deux mille ans, vous ne doutez pas qu'il n'y ait eu plusieurs saints et plusieurs prédestinés sur la terre : tels ont été les Hénoch, les Noé, les Abraham, les Jacob, etc. D'un autre côté, on ne peut supposer que ces Saints aient été sauvés sans la foi, puisque sans elle, suivant l'oracle de saint Paul, il est impossible de plaire au Seigneur1. Il faut donc nécessairement convenir que pendant tout ce long espace de temps, la foi s'est perpétuée dans le monde, et a passé des pères aux enfants ; mais comment s'est-elle ainsi perpétuée de siècle en siècle ? Ce n'était pas par le moyen des saintes Écritures ; car on ne saurait en disconvenir, Moise, postérieur de deux mille ans à la création du monde, est le plus ancien de tous les écrivains sacrés ; c'était donc par le canal de la tradition : il est donc constant que la foi des vérités essentielles au salut peut se conserver et s'est en effet conservée, pendant près de deux mille ans, sans Écriture-Sainte, et par la seule et unique voie de la tradition.


II. Je pourrais vous dire que parmi les Juifs la foi se conservait autant, et peut-être même plus par la tradition que par les Écritures saintes, puisque par le quatrième livre des Rois, chapitre vingt-deuxième, il paraît que les Livres saints étaient si rares, qu'on regarda comme une chose extraordinaire d'en avoir trouvé un exemplaire dans le temple, du temps de Josias. Mais je passe à quelque chose de plus sensible et de plus frappant.


Dans la loi de Moïse il y avait certainement un remède contre le péché originel pour les femmes et pour les enfants mâles qui mouraient avant le huitième jour, terme avant lequel il n'était pas permis de les circoncire, Comment a été donnée aux Juifs, et comment s'est conservée et perpétuée parmi ce peuple la connaissance de ce remède ? on ne peut pas dire que ce soit par l'Écriture-Sainte, qui garde un profond silence sur cet article ; c'est donc par la tradition.


III. Dites-moi, je vous prie, Messieurs, par quel canal êtes-vous certains que le baptême conféré par les hérétiques est valide et ne doit point être réitéré ? Saint Augustin, tout versé qu'il est dans les saintes Écritures, convient, ainsi que je vous l'ai fait remarquer plus haut, que c'est par la tradition ; lorsqu'il cite en sa faveur quelques textes de l’Écriture, il sent bien qu'ils ne sont pas absolument décisifs, et voilà pourquoi sur cet article il en revient toujours à la tradition, comme avait fait saint Étienne en s'opposant à l'erreur des rebaptisants. Par quel canal savez-vous encore que ce n'est plus le jour du sabbat, mais le dimanche qu'il faut garder et sanctifier ? par quelle voie tenez-vous la perpétuelle virginité de Marie ? Ces deux derniers articles ont fort embarrassé votre ministre Dumoulin.


A l'égard du premier, c'est-à-dire de la sanctification du dimanche, il cite d'abord, ou plutôt il indique2 trois textes de l’Écriture, savoir le chapitre 20 des actes, verset 7 ; la première épître aux Corinthiens, chapitre 16, verset 2, et l'Apocalypse, chapitre 1, verset 10 ; j'ai dit qu'il se contente de les indiquer, il n'en rapporte point les paroles, et il a ses raisons ; c'est que les paroles annoncent bien certains faits arrivés le dimanche, mais il n'y est nullement fait mention de l'obligation de garder et de sanctifier spécialement ce jour, au lieu du samedi. Aussi a-t-il recours à une autre solution, que peut-être vous ne croiriez pas être de lui, si je ne vous copiais mot à mot ses paroles : « L'observation des jours, dit-il, n'est pas un point qui de sa nature soit une doctrine ou un point nécessaire au salut. » Ainsi donc, selon Dumoulin, le précepte de garder et de sanctifier le saint jour du dimanche est rejeté comme une pratique vaine et inutile.


A l'égard de la perpétuelle virginité de Marie, il ajoute pareillement, que ce n'est point « une doctrine et un point nécessaire au salut, et que parmi eux on la croit plus par bienséance que par nécessité. » Je vous laisse à juger ce que l'on doit penser d'un système qui oblige de recourir à de pareils paradoxes.


IV. Quel moyen avez-vous pour constater le nombre des Livres sacrés, et pour discerner ceux qui le sont en effet de ceux qui ne le sont point ? Comment savez-vous, par exemple, que l’épître de saint Jacques et l'Apocalypse sont des livres canoniques ou apocryphes ? comment prouvez-vous que l’Évangile selon saint Marc et selon saint Luc, sont des écrits inspirés, et que l’Évangile selon saint Thomas et selon saint Barthélemy, n'ont pas le même caractère ? A ne consulter que les lumières de la raison, ne semblerait-il pas plus naturel d'ajouter foi aux livres qui portent le nom des Apôtres, qu'à ceux qui portent seulement le nom de quelques-uns des soixante-dix disciples ? Qui vous autorise à admettre comme canonique l’épître aux Romains, et à rejeter comme apocryphe l’épître aux Laodiciens ? L’épître aux Romains est intitulée comme l’épître de saint Paul ; celle qui est adressée aux Laodiciens porte le même titre, et de plus, pour accréditer celle-ci, on peut produire le témoignage de saint Paul qui, dans son épître aux Colossiens, chapitre quatrième, semble insinuer qu'il avait écrit aux Laodiciens : il est cependant certain que cette lettre doit être rejetée parmi les livres apocryphes. En un mot, Messieurs, comment donner à toutes ces questions une réponse juste et satisfaisante ? Ce ne peut être qu'en ayant recours à la tradition.


C'est là en effet l'unique moyen que nous ayons, et dont l’Église s'est servie pour discerner les livres canoniques, et en déterminer le nombre. Eusèbe rapporte que Sérapion, huitième évêque d'Antioche, auteur célèbre, qui vivait sur la fin du second siècle et au commencement du troisième, réfutait certains écrits faussement attribués à saint Pierre, parce que la tradition lui apprenait que saint Pierre n'en était pas l'auteur. Voici ses paroles qu'Eusèbe nous a transmises : « Nous recevons la doctrine de saint Pierre et des autres Apôtres, comme la doctrine de Jésus-Christ ; mais nous rejetons certains livres qui portent faussement leur nom, parce qu'étant parfaitement au fait de la supposition, nous savons avec certitude que nous ne les avons pas reçus d'eux1. »


Au rapport du même auteur, Origène, dans le premier livre de ses commentaires sur saint Matthieu, atteste qu'il n'y a que quatre Évangiles, et qu'il en est assuré par la tradition2.


Saint Basile, dans son livre sur le Saint-Esprit, affirme que si l'on négligeait les traditions non écrites, l’Évangile même en souffrirait un grand dommage : sans doute, parce que ce serait là ôter la preuve de sa canonicité. Saint Augustin ne fait pas difficulté de confesser que sans l'autorité de l’Église il ne croirait pas à l’Évangile1. Voulez-vous encore l'autorité d'un ancien concile ? c'est le troisième de Carthage. Il fixe le nombre des livres canoniques et divins, et c'est la tradition qui sert de fondement à cette décision. « Pour confirmer ce canon, dit le concile, que notre frère et notre collègue Boniface, et les autres Évêques de ces cantons sachent que ce sont nos pères qui nous ont donné ces livres à lire dans l'Église2.


V. Il est encore aisé de montrer de quel secours est la tradition, pour fixer nos doutes et terminer nos différends sur le sens des textes de l’Écriture. Car il n'est pas douteux que les Apôtres en confiant le sacré dépôt des Livres saints aux églises qu'ils ont fondées, et aux pasteurs qu'ils ont préposés pour les gouverner, leur en ont en même temps donné l'intelligence et expliqué le vrai sens. En vain leur auraient-ils mis en main ce riche trésor, s'il ne leur en eussent donné la clé, pour s'en servir utilement dans l'occasion.

D'ailleurs, il est évident que ces pasteurs établis par les Apôtres, jaloux de conserver la foi dans toute sa pureté, se seraient fait un crime d'innover et de s'écarter en rien de la doctrine et des enseignements qu'ils avaient reçus des Apôtres. Il s'ensuit donc que la doctrine des pasteurs de ces églises primitives, est la doctrine des Apôtres, et que le sens dans lequel ils ont interprété les divines Écritures, est le sens dans lequel les Apôtres leur ont enseigné qu'elles doivent être entendues. C'est encore par ce même moyen de la tradition, que l’Église de nos jours, assistée de l'Esprit saint, découvre et montre clairement la doctrine de la primitive Église, le sens dans lequel elle a interprété les textes de l'Écriture, et par conséquent le sens dans lequel les Apôtres ont enseigné qu'on doit les entendre.


Ces raisonnements sont si solides, et portent avec eux une telle évidence, qu'ils ont forcé les ministres de votre réforme à faire certains aveux décisifs en faveur des traditions, ainsi que vous allez le voir.


§. IV. Aveux faits par les ministres protestants en faveur de la tradition.


Les centuriateurs de Magdebourg conviennent que dès le second siècle on a tenu qu'il fallait observer et croire les traditions : « L'erreur, disent-ils, qu'il fallait observer les traditions s'accrut peu à peu. Mais si dès le second siècle on a cru qu'il fallait observer les traditions, n'est-il pas naturel de conclure que ce sont les Apôtres eux-mêmes qui ont imposé cette obligation aux fidèles ? Comment en effet se persuader que l'Église, qui dans le second siècle était si zélée pour conserver le dépôt de la foi, et qui était alors gouvernée par des pasteurs et des prélats, dont les uns avaient été instruits par les Apôtres mêmes, et les autres par leurs successeurs immédiats, eussent ignoré le sentiment de leurs maîtres, et s'en fussent écartés sur un point aussi essentiel ? Cette supposition est-elle croyable ?


Brentius et Kemnitius, luthériens, mais aussi ennemis des traditions que les ministres calvinistes, n'ont pu s'empêcher d'avouer, l'un dans ses Protégomènes, l'autre dans son Examen du concile de Trente, qu'il faut admettre la tradition sur le fait des livres canoniques. Ils ajoutent, il est vrai, qu'il ne faut l'admettre que sur cet article ; mais à quoi bon cette distinction, ou plutôt cette restriction, sinon à faire sentir le ridicule de leur système ? Car enfin, ou cette tradition sur la canonicité des Livres sacrés vient des Apôtres et est parole de Dieu, ou elle n'est pas parole de Dieu et ne vient pas des Apôtres : si elle ne vient pas des Apôtres et n'est pas parole de Dieu, la canonicité et l'authenticité des Livres saints ne sera pas un article de foi, puisque tout article de foi doit être appuyé sur la parole de Dieu, et nous venir des Prophètes et des Apôtres ; si au contraire elle vient des Apôtres et est parole de Dieu, il est donc certain qu'outre la parole de Dieu rédigée par écrit, il faut encore reconnaître des leçons données, non par écrit, mais de vive voix par les Apôtres, et qui sont parole de Dieu. Or, c'est là précisément ce que nous entendons par tradition divine et apostolique. Je vais plus loin, si la tradition sur l'authenticité et la canonicité dés saintes Écritures a bien pu se perpétuer de siècle en siècle, et de génération en génération dans l'Église, pourquoi ne croirons-nous pas que les autres traditions aient pu s'y conserver pareillement et s'y perpétuer ? l'un est-il plus incroyable que l'autre ?


Le fameux Dumoulin n'est pas moins frappé que Brentius et Kemnitius de la solidité de nos raisons ; il ne sait à quoi s'en tenir ; il voudrait admettre les traditions, il n'ose cependant le dire absolument. Il paraît s'offenser de ce qu'on l'accusé de les rejeter, et aussitôt après il s'efforce de les combattre : « Il est faux, dit-il, que nous rejetions les traditions, puisque l'Écriture même est une tradition, et qu'il y a plusieurs choses qui concernent la police ecclésiastique et l'ordre extérieur, qui ne sont point spécifiés en l'Écriture. Nous rejetons seulement les traditions, lesquelles étant reçues, il s'ensuivrait que l'Écriture sainte ne contient pas toute chose nécessaire au salut1. » A s'en tenir aux premières paroles de ce ministre, qui ne le croirait ouvertement et nettement décidé pour les traditions ? Il s'offense de ce qu'on l'accuse de les rejeter : « Il est faux, dit-il, que nous rejetions les traditions, puisque l'Écriture même est une tradition ; » ce n'est point assez : outre l'Écriture il y a encore plusieurs choses qui concernent la police ecclésiastique et l'ordre extérieur, qui ne sont point spécifiées en l'Écriture ; » il les reçoit cependant, et il ne peut souffrir qu'on lui impute de les rejeter. Je m'en rapporte à vous, Messieurs, n'est-ce pas là se déclarer formellement et ouvertement en faveur de la tradition ?

Il est vrai qu'immédiatement après il ajoute cette restriction : « Nous rejetons les traditions, lesquelles étant reçues, il s'ensuivrait que l'Écriture ne contient pas toute la doctrine nécessaire au salut. » Je vous avoue que je ne conçois pas, et il est en effet bien difficile de concevoir le sens de cette restriction. Si cependant Dumoulin entendait seulement que ces traditions ne sont pas du nombre des articles qu'il faut croire d'une foi explicite pour être sauvé, mais qu'il suffit de croire d'une foi implicite, ainsi que je l'ai exposé ci-devant, alors je comprendrais, sa pensée et nous pourrions aisément nous concilier ; mais s'il entend que ces traditions n'étant pas spécifiées dans l'Écriture, on peut à son gré les admettre ou les rejeter, je le répète, cela me paraît inconcevable. Quoi ! des leçons qu'on sait avoir été données par des hommes inspirés de Dieu, tels qu'étaient les Apôtres, pourront sans préjudice du salut être contestées et regardées comme fausses ? Des règlements qu'on sait avoir été faits par l'inspiration de Dieu, pourront être méprisés et transgressés impunément ? N'est-ce pas là blasphémer contre le Saint-Esprit, mépriser et même rejeter du moins une partie des leçons qui ont été dictées par ceux que Jésus-Christ a envoyés pour enseigner les nations et gouverner son Église ?

Écoutons encore Daillé, un des plus zélés défenseurs de votre prétendue réforme : « Les différends, dit-il, entre nous et vous sur les articles de la foi, est proprement une question de fait, où nous cherchons simplement s'il est vrai ou non que les Apôtres aient reçu du Seigneur, et baillé aux églises qu'ils ont fondées, la transsubstantiation par exemple... et autres créances ou cérémonies que vous soutenez et que nous rejetons : car s'il conste une fois que le Seigneur Jésus les ait baillées à ses Apôtres, et que ses Apôtres les aient communiquées à leurs premiers disciples, nous serons hors de combat, et confesserons que nous avons eu tort de les rejeter... Mais de l'autre côté, si vous ne pouvez montrer qu'elles aient été révélées et ordonnées par Jésus-Christ, et annoncées et prêchées par les Apôtres, s'il se trouve même que nous puissions faire voir qu'elles n'ont été en effet baillées, ni par le Seigneur, ni par les premiers ministres, il me semble que dans l'un et l'autre de ces deux cas vous ne pouvez nier que votre chef et son concile n'aient eu tous les torts du monde de nous avoir anathématisés, parce que nous faisons difficulté de recevoir pour vrais articles de la religion chrétienne des choses qui ne le sont pas en effet. » Quelques lignes après il ajoute « Puisqu'au fond il est question d'un fait, à savoir si les Apôtres ont enseigné les doctrines que nous vous contestons, ou non, après ces saints hommes mêmes qui parlent dans les Écritures, il n'y a point de témoins plus capables de nous dire ce qui en est, que ceux qui ont vécu au temps le plus proche des Apôtres, qui sont sans doute les écrivains des trois premiers siècles. Nous alléguons donc les Pères comme témoins de la tradition, et de l'usage de l'Église, chacun de celle du siècle où il a vécu ; et il est hors de doute que la tradition des Apôtres était mieux connue à l'Église de leurs premiers et plus anciens disciples, qu'à ceux qui sont venus longtemps depuis1. » Il n'est pas besoin de beaucoup de réflexion pour apercevoir que parler de la sorte, c'est admettre la tradition, et les témoignages des Pères des trois premiers siècles.

Basnage va encore plus loin, il avoue que « les anciens se sont servis de traditions, et qu'ils avaient raison de le faire ; et que c'est un argument qu'on peut souvent employer contre les ennemis de la vérité ; que la succession d'une doctrine qui s'est conservée dans tous les siècles qui ont précédé, forme un préjugé en sa faveur2. » De cet aveu il est aisé de conclure, que « les anciens ayant eu raison de se servir de la tradition, et la tradition étant un argument qu'on peut souvent employer contre les ennemis de la vérité, » il ne faut pas la mépriser et la rejeter. Pourquoi donc vos ministres la rejettent-ils avec tant de mépris ?

Basnage dit que la succession d'une doctrine qui « s'est conservée dans tous les siècles qui ont précédé, forme un préjugé ; » il aurait dû dire forme une démonstration en sa faveur ; car une doctrine qui s'est conservée dans tous les siècles qui ont précédé, est une doctrine qui a été enseignée dès le temps des Apôtres : si elle est plus récente, elle ne s'est pas conservée dans le siècle des Apôtres, et par conséquent elle ne s'est pas conservée dans tous les siècles qui ont précédé. Or montrer qu'une doctrine est aussi ancienne que le temps des Apôtres, et qu'elle prend sa source dès ce temps-là, est-ce former un simple préjugé, ou plutôt n'est-ce pas donner une démonstration claire et évidente de la catholicité et de la sainteté de cette doctrine ? Si du temps des Apôtres, on eût enseigné une doctrine contraire à la foi ou aux bonnes mœurs, n'est-il pas évident que les Apôtres l'auraient vivement combattue, et que l'Église qui était fondée par eux et si attachée à leurs divines leçons, ne l'aurait pas adoptée ? Il faut donc convenir que la succession d'une doctrine qui s'est conservée dans tous les siècles qui ont précédé, forme non un simple préjugé, mais une vraie démonstration en sa faveur : convenez de cette proposition, et nous voilà d'accord sur l'obligation de tenir les traditions divines et apostoliques. Basnage a senti malgré lui la justesse de ces réflexions, et la nécessité de ces conséquences : c'est sans doute pour cette raison, que dans tout le reste du chapitre il s'étudie à persuader que l'Église a varié sur les traditions ; et que ce qu'on donne aujourd'hui pour tradition, ne l'était pas du temps des anciens. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans ce détail ; il ne s'agit pas de savoir si tel ou tel article controversé entre vous et nous, est ou n'est point de tradition divine et apostolique.

Présentement il ne s'agit que de la question générale, savoir s'il faut admettre les traditions divines et apostoliques, je vous l'ai prouvé par l'Écriture sainte, par les monuments de la plus respectable antiquité, par de solides raisons théologiques, et par les aveux même de vos ministres. En voilà, ce me semble, plus qu'il n'en faut pour vous convaincre et vous engager à reconnaître la nécessité d'admettre ces traditions. Il sera bon cependant de résoudre encore certaines difficultés que vos ministres ont coutume de proposer contre ce dogme de foi.

§. V. Réponses aux objections.



Pourquoi recourir aux traditions, et ne pas s'en tenir à la seule Écriture ? N'est-il pas convenable et naturel de croire que l'Esprit saint, pour réunir les esprits, et pour fixer la foi de tous les fidèles, aura réuni et rassemblé dans les Livres sacrés toutes les vérités et toutes les maximes qui intéressent la foi et les mœurs ? Recourir aux traditions, n'est-ce pas ouvrir la porte à toutes sortes d'opinions humaines et étrangères ?

Pour répondre à cette objection, je commence à faire à vos ministres deux ou trois questions qui font évanouir la difficulté. Pourquoi Dieu a-t-il laissé le monde entier sans Écriture sainte depuis Adam jusqu'à Moïse ? N'était-il pas convenable que dès le commencement du monde, les vérités nécessaires au salut fussent exposées et rassemblées dans quelque livre sacré et divin pour réunir les esprits, et fixer la foi des fidèles ? Dieu cependant ne l'a point jugé à propos, et il a voulu que pendant ce long espace de temps, la foi se perpétuât par la seule voie de la tradition. Était-ce là ouvrir la porte aux opinions humaines et étrangères ?

Pourquoi, sous la loi de Moïse, Dieu n'a-t-il point inspiré aux écrivains sacrés d'insérer, dans les Livres saints de l'Ancien-Testament, le remède établi contre le péché originel pour les femmes, et pour les garçons qui mouraient avant le huitième jour ? N'était-il pas convenable d'en conserver le souvenir par la même voie qui conservait la mémoire des autres préceptes de la loi ?

Pourquoi Jésus-Christ, notre divin Législateur, s'est-il contenté de prêcher de vive voix les vérités de l’Évangile, sans les confier à l'Écriture ? Pourquoi du moins les Apôtres ne les ont-ils pas, de son vivant, rédigées toutes par écrit ? Pourquoi n'ont-ils donné les livres du Nouveau-Testament, qu'après avoir pendant plusieurs années prêché de vive voix l’Évangile ? N’était-il pas naturel qu'ils commençassent leurs travaux apostoliques par la communication de ces ouvrages divins ? Pourquoi du moins n'ont-ils pas donné dans quelqu'un de ces écrits inspirés, le symbole, appelé symbole des Apôtres ? N'était-il pas convenable qu'ils donnassent eux-mêmes par écrit ce précieux monument, qui, comme vous en convenez dans votre catéchisme, est un sommaire de la vraie créance que l'on a toujours tenue dans la chrétienté ?

Que répondront vos ministres à ces différentes questions ? Croyez-moi, Messieurs, ce n'est point à des esprits aussi bornés que les nôtres, de vouloir sonder les desseins de Dieu ; c'est à nous de croire et d'adorer ce qu'il a dit, ce qu'il a fait : GARDEZ-VOUS BIEN, dit le Sage, DE VOULOIR PÉNÉTRER CE QUI EST AU-DESSUS DE VOUS1. Contentons-nous de nous écrier avec l'Apôtre : O PROFONDEUR DES RICHESSES DE LA SAGESSE ET DE LA SCIENCE DE DIEU ! QUE SES JUGEMENTS SONT IMPÉNÉTRABLES, ET SES VOIES INCOMPRÉHENSIBLES ! QUI A CONNU LES DESSEINS DE DIEU, OU QUI EST ENTRÉ DANS SES CONSEILS2 ? » Voilà les sentiments et le langage que doit tenir un vrai fidèle.

Voulez-vous cependant rechercher les raisons de convenance qui ont pu déterminer les Apôtres inspirés de Dieu, à donner, non par écrit, mais seulement de vive voix, certaines vérités et certaines maximes qui intéressent la foi et les mœurs ? je vous dirai, 1° que guidés par l'Esprit saint, ils ont jugé à propos de confier de vive voix à l'Église certains secrets dont la connaissance ne serait communiquée que par son canal, afin de nous inspirer un plus grand respect pour elle et un plus inviolable attachement à sa doctrine. Cette assertion ne sera peut-être pas de votre goût, parce que dès l'enfance vous avez été nourris dans je ne sais quel esprit d'indépendance, et prévenus de je ne sais quels préjugés contre l'Église et son autorité ; mais quand vous ferez attention que cette Église est l'épouse et la bien-aimée de Jésus-Christ, quand vous vous rappellerez les anathèmes prononcés contre ceux qui refusent de l'écouter, quand vous penserez que Jésus-Christ a promis son assistance au corps des pasteurs, et qu'il a déclaré que QUICONQUE LES ÉCOUTE, L'ÉCOUTE, ET QUICONQUE LES MÉPRISE, LE MÉPRISE, alors vous reviendrez de vos préventions, et vous sentirez la solidité de cette réponse.

2° Une autre que nous fournissent les Pères, et en particulier saint Basile, c'est que les Apôtres pour faire mieux comprendre la grandeur et la dignité de nos divins mystères, n'ont pas cru devoir, dans l'établissement de la religion, en confier indifféremment aux enfants et aux étrangers, aux fidèles et aux païens, aux forts et aux faibles la parfaite connaissance ; ce qui n'aurait pas manqué d'arriver, s'ils avaient laissé par écrit toutes les saintes leçons qu'ils donnaient à ce sujet. « Convenait-il, dit saint Basile, d'écrire et de donner en public la doctrine des mystères qu'il n'est pas permis de regarder à ceux qui ne sont pas initiés1 », c’est-à-dire à ceux qui ne sont encore que catéchumènes ?

Vous savez avec quelle attention on en dérobait la connaissance aux païens et aux idolâtres, dans la crainte de les exposer au mépris, à la profanation et aux insultantes railleries de ces impies blasphémateurs. En cela l'Église se conformait à cette belle maxime qu'elle avait reçue de la bouche de Jésus-Christ : NE DONNEZ POINT LES CHOSES SAINTES AUX CHIENS, ET NE JETEZ POINT LES PERLES PRÉCIEUSES DEVANT LES POURCEAUX2.

Vous n'ignorez pas non plus que l'on ne permettait point aux catéchumènes d'assister aux divins mystères : « non pas, comme remarque saint Chrysostome, que nos mystères ne soient certains et respectables, mais parce que les âmes non encore initiées ne paraissaient pas en état de soutenir, et, suivant l'expression de Jésus-Christ, de porter l'explication et la vue de ces augustes mystères3 » : telle était l'attention de la primitive Église. Pourquoi ne dirons-nous pas que les mêmes motifs ont engagé les Apôtres à ne pas mettre indifféremment certaines vérités entre les mains de tous, en les insérant dans les Livres sacrés ? ou plutôt n'est-il pas naturel de penser que si l'on a été si réservé par rapport à l'explication de certaines vérités dans les premiers siècles de l'Église, c'est que les Apôtres en avaient eux-mêmes donné l'exemple, en ne voulant pas les confier au papier, mais en les expliquant seulement de vive voix aux ministres chargés du ministère de la parole, et aux fidèles qui étaient en état de les recevoir avec édification, et d'en profiter ?

N'est-il point à craindre, répliquerez-vous peut-être, qu'en autorisant ainsi les traditions, l'on ouvre la porte à toute sorte d'opinions particulières et étrangères à la foi ? Qui empêchera, par exemple, les hérétiques de donner leurs erreurs pour de vraies traditions ? N'a-t-on pas vu les Millénaires donner ce titre à leurs vaines opinions ? Et en pareil cas, comment les réfuter et les confondre ?

La difficulté n'est pas si grande que vos ministres veulent le persuader ; car cet inconvénient dont ils exagèrent les conséquences, ne touche pas moins sur les saintes Écritures, que sur les traditions divines et apostoliques. Je veux que les hérétiques, et entre autres les Millénaires, aient prétendu prouver leurs faux dogmes par la tradition, quoique, si vous voulez rendre témoignage à la vérité, vous conviendrez qu'ils s'appuyaient moins sur la tradition que sur l'Écriture ; mais supposons que ces hérétiques aient voulu faire passer pour vraies traditions leurs opinions nouvelles, il faut que de votre côté vous conveniez que souvent l'on a vu des hérétiques vanter pour saints et pour divins des livres apocryphes. N'a-t-on pas publié un évangile selon saint Thomas, un autre selon saint Barthélemy ? N'a-t-on pas publié sous les noms de certains Apôtres plusieurs épîtres supposées, ainsi que l'ont déclaré lé pape Gélase et saint Jérôme ? Vos ministres en conviennent eux-mêmes : de là s'ensuit-il, qu'admettre des Livres divins et sacrés, ce soit donner lieu de faire passer pour divins et sacrés des ouvrages apocryphes et pleins de fausseté ? Pourquoi ne pas penser et raisonner de même au sujet des traditions divines et apostoliques ? Non, Messieurs, cet inconvénient n'est point à craindre : comme il ne peut arriver que l'on fasse passer et recevoir dans l'Église pour canoniques et divins des livres qui ne le sont pas en effet, de même aussi il est impossible qu'on y fasse passer et recevoir pour traditions divines et apostoliques, des opinions fausses et étrangères à la foi ; et pourquoi ? Parce que l'Église, à qui Dieu a confié le sacré dépôt des traditions, ainsi que celui des Écritures, est toujours assistée de l'Esprit saint, et qu'elle a des moyens sûrs pour connaître et discerner les vraies traditions, comme pour connaître et discerner les livres sacrés et divins. Ne perdez point de vue, Messieurs, cette comparaison de la parole de Dieu écrite, avec la parole de Dieu non écrite, que nous appelons tradition divine et apostolique ; et de vous-mêmes vous remarquerez qu'elle détruit tous les vains raisonnements imaginés par vos ministres pour combattre la nécessité de reconnaître et d'admettre la tradition.

J'ai dit que l'Église a des moyens sûrs pour connaître et discerner les vraies traditions : or, ces moyens quels sont-ils ? C'est une question qui se présente naturellement à l'esprit, et sur laquelle il faut encore vous satisfaire.


Nous avons, Messieurs, les actes des conciles les ouvrages des Pères de l'Église et des docteurs, qui par leur zèle pour la conservation du sacré dépôt de la foi, et pour l'extirpation des hérésies, se sont fait un devoir dans tous les temps, d'exposer et de transmettre à la postérité la foi qu'ils avaient reçue de leurs pères. Ce sont là autant de monuments précieux et respectables, qui attestent sûrement ce que l'on a pensé et cru dans tous les temps.


Nous avons les auteurs de l'histoire ecclésiastique, et les anciennes liturgies, qui constatent certains dogmes, certains usages, certaines coutumes, et certaines pratiques usitées dans l'Église, par rapport à la discipline, à l'administration des sacrements, à l'établissement de quelques fêtes, à la célébration de la sainte messe, à la prière pour les morts, etc.


Nous avons certains édifices antiques qui subsistent encore aujourd'hui, où dont il est fait mention dans l'histoire, comme, par exemple, les vieilles basiliques, les temples anciens, les autels, les croix, les images, et tant d'autres monuments dont il est parlé dans les narrations primitives.


Nous avons plusieurs catalogues qui nous présentent le dénombrement des principales hérésies suscitées à différentes époques, dans le sein du christianisme ; nous avons les lettres et les décrets des papes conservés avec soin dans les archives de la religion, autant de témoignages précieux dont l'Église, assistée de l'Esprit saint, se sert pour connaître ce que l'on a pensé et cru de tout temps ; et c'est par ce moyen qu'elle parvient à connaître et à discerner les traditions divines et apostoliques.


Vous répliquerez peut-être que ces moyens montrent bien quels ont été les sentiments de certains Pères et de certaines Églises, ou même de l'Église universelle en certains temps, mais qu'ils ne montrent pas quels ont été les sentiments des Apôtres et des Églises fondées par leur ministère, parce que tous ces conciles et ces Pères, sont pour la plupart postérieurs aux temps apostoliques. Il faut quelque chose de plus pour établir l'authenticité des traditions, il faut montrer et être certain qu'elles viennent des Apôtres or comment avoir cette certitude ?


Je conviens qu'il y a dans l'Église certains usages, certaines pratiques établies postérieurement au temps des Apôtres ; on connaît l'époque de leur établissement ; on sait où, comment, et par qui il s'est fait, ou du moins on voit que pendant un temps il n'en a pas été question : en ce cas il n'y a pas de difficulté. Il est constant que ces usages et ces pratiques établies postérieurement au temps des Apôtres, ne sont pas traditions divines et apostoliques ; et l'Église, toujours guidée par l'Esprit saint, ne les a jamais proposées, et ne les proposera jamais comme telles. Ces sortes d'usages et pratiques sont seulement des traditions et des coutumes ecclésiastiques, respectables par l'autorité et de ceux qui les ont établies, et de l'Église qui les a adoptées ; mais elles ne sont pas à mettre au rang des traditions divines et apostoliques, ainsi que je l'ai remarqué dès le commencement. Je conviens encore que certains Docteurs et certains Pères ont eu des opinions particulières qui ne doivent point être regardées comme des traditions venant de Dieu et des Apôtres.


Mais il est des vérités et des maximes qui, quoique non contenues dans les saintes Écritures, ont néanmoins été crues et observées de tout temps dans l'Église, comme relatives à la foi et aux mœurs. L'Église, assistée de l'Esprit saint, consultant les actes des conciles et les ouvrages des Pères, voit le concert unanime des pasteurs et de toutes les branches de la catholicité sur ces articles ; elle voit que ces vérités ont été dans tous les siècles regardées comme essentielles à la religion, et que même plusieurs Pères assurent en termes formels, qu'elles remontent jusqu'aux Apôtres. Voilà, Messieurs, les vérités, les pratiques et les maximes que l'Église propose comme traditions divines et apostoliques, sans doute avec raison ; car en ce cas il n'est pas possible de douter que les Apôtres n'en soient les auteurs. Comment en effet supposer que les conciles et les Pères des premiers siècles, si zélés pour la conservation du sacré dépôt de la foi, qu'ils ont soutenue aux dépens de leur repos, et même pour la plupart aux dépens de leur vie ; comment, dis-je, se persuader que ces héros du christianisme aient voulu se départir de la doctrine des Apôtres, qu'ils aient tous conspiré à introduire dans l'Église des nouveautés profanes et des opinions contraires à la saine doctrine, et cela malgré le précepte que l'Apôtre leur a fait, dans la personne de Tite, d'éviter AVEC SOIN LES NOUVEAUTÉS PROFANES ? D'ailleurs comment supposer que ces nouveautés profanes aient été tout d'un coup adoptées universellement dans l'Église, qu'aucun évêque, qu'aucun Père ait réclamé contre l'innovation ? Une pareille imagination est aussi absurde qu'injurieuse à la mémoire de ces grands hommes, qui ont été et seront toujours en vénération parmi les fidèles.

Ces principes une fois posés, voici, Messieurs, quelques moyens sûrs de connaître et de discerner les traditions qui viennent de Dieu et des Apôtres.


1° Quand l'Église universelle croit et propose, comme dogme de foi, quelque article non contenu dans l'Écriture, il faut nécessairement convenir qu'il est de tradition divine ou apostolique : et pourquoi ? Parce que l'Église étant, comme dit l'Apôtre, L'APPUI ET LA COLONNE DE LA VÉRITÉ, et LES PORTES DE L L'ENFER NE POUVANT PRÉVALOIR CONTRE ELLE, elle ne peut rien croire, ni rien proposer comme dogme de foi, qui ne le soit réellement et en effet. Or il n'est, et il ne peut être aucun dogme de foi sans révélation divine faite aux Prophètes ou aux Apôtres ; car l'Église fait profession de ne point reconnaître de nouvelles révélations pour fondement de la foi ; elle s'en tient uniquement à celles qu'elle a reçues DES PROPHÈTES ET DES APÔTRES1, QUI SONT LE FONDEMENT SUR LEQUEL EST BÂTI L'ÉDIFICE DE L'ÉGLISE. Quand donc cette Église croit et propose quelque article non contenu dans l'Écriture, comme dogme de foi, il faut nécessairement qu'elle l'ait reçu de vive voix par le canal des Apôtres ; et conséquemment c'est là un tradition divine ou apostolique. Suivant ce principe nous regardons comme tradition divine et apostolique, la virginité de Marie, le nombre des livres canoniques, la prière pour les trépassés, le purgatoire, etc.


2° Quand il s'agit de quelque maxime, ou de quelque pratique observée dans l'Église universelle, dont Dieu seul peut être auteur, et dont néanmoins il n'est pas fait mention dans l'Écriture, il faut encore reconnaître et admettre cette maxime et cette pratique, comme venant par le canal des Apôtres inspirés de Dieu, et conséquemment comme tradition apostolique. En voici la raison : c'est que comme l'Église ne peut se tromper en ce qui concerne la foi, elle ne peut pareillement se tromper en ce qui concerne les mœurs. Quand donc l'Église universelle, qui, toujours guidée par l'Esprit saint, ne peut s'arroger des droits qu'elle n'a pas, propose et commande d'observer quelque rite, quelque maxime, ou quelque usage dont Dieu seul peut être auteur, il faut nécessairement conclure que Dieu en est véritablement l'auteur, et comme il n'en est point fait mention dans l'Écriture, il faut que ce soient les Apôtres, instruits par Jésus-Christ et inspirés par l'Esprit saint, qui aient de vive voix prescrit ce rite, ou établi cet usage dans l'Église, et conséquemment c'est encore là une tradition apostolique. C'est sur ce principe que, d'après saint Augustin, l'on ne doit pas mépriser la coutume de baptiser les enfants; coutume « qui ne serait pas à observer, dit-il, si ce n'était une tradition apostolique. » C'est encore sur ce même principe qu'est appuyé l'usage de ne point réitérer le baptême conféré par les hérétiques. L'Église en effet ne pourrait point autoriser cette défense, si elle n'y était elle-même autorisée par Jésus-Christ, qui peut seul donner aux sacrements la vertu de conférer la grâce.


3° Quand il s'agit de quelque règlement, s'il a été observé de tout temps dans l'Église sans que l'on puisse ni assigner l'époque de son origine, ni connaître le nom de ses premiers auteurs, on doit le regarder comme règlement fait par les Apôtres, et comme tradition apostolique ; la raison en est bien sensible ; car si les Apôtres n'en avaient pas été les auteurs, on aurait été du moins quelque temps sans s'y conformer, et on ne remarquerait pas un concert unanime à l'observer, dans tous les temps et dans toutes les églises. C'est saint Augustin qui nous donne cette règle1, et c'est en conséquence de cette même règle, que les anciens Pères de l'Église, et en particulier les Irénée, les Ambroise, les Jérôme, les Chrysostome et les Léon, disent en termes formels que le carême est d'institution apostolique.


Voilà autant de moyens pour discerner sûrement les traditions divines et apostoliques, et vous en reconnaîtriez aisément vous-même la solidité et l'efficace, si vous cessiez une bonne fois d'écouter vos préventions et vos préjugés.


Permettez-moi de vous le dire : ce qui vous trompe, Messieurs, c'est que vous jugez trop humainement des choses : vous n'envisagez pas l'Église comme l'ouvrage de Dieu, ou du moins vous ne croyez point que ce Dieu fort, qui, après l'avoir acquise au prix de son sang, l'a fondée et établie en dépit de toutes les puissances de l'enfer, veuille la conserver et la soutenir contre tous les efforts de ces mêmes puissances jusqu'à la fin des siècles. Vous vous récriez quand on vous vante ses oracles et ses décisions ; et loin de vous soumettre, comme doit faire tout fidèle, à son autorité, vous vous donnez la liberté de réviser ses jugements, et de contredire ses oracles ; je vous l'ai déjà dit, et je ne saurais me lasser de le répéter : si vous étiez bien convaincus que Jésus-Christ EST ET SERA TOUJOURS AVEC ELLE, et que LES PORTES DE L'ENFER NE PRÉVAUDRONT POINT CONTRE ELLE, vous changeriez bien de langage et de sentiment, et vous diriez avec nous : C'est à l'Église qu'a été confié le sacré dépôt des traditions, comme c'est à elle qu'a été confié celui des Saintes-Écritures ; il ne lui est pas plus difficile de connaître et de discerner ces traditions divines et apostoliques, que de connaître et de discerner les livres sacrés et divins : elle est toujours assistée de l'Esprit saint dans ses oracles et ses décisions ; L'ÉCOUTER, C'EST ÉCOUTER JÉSUS-CHRIST ; LA MÉPRISER, c'est mépriser JÉSUS CHRIST : en me soumettant et me conformant donc à ses enseignements et à ses décisions, je ne risque rien, et je suis sûr de ne me pas tromper.


Je sens bien l'opposition que, conséquemment à vos préjugés, vous devez avoir pour ce raisonnement : c'est reconnaître l'Église pour juge des controverses qui peuvent naître en fait de religion ; et il n'est peut-être point de principe contre lequel vos ministres aient plus d'intérêt et en même temps plus de soin de vous prémunir, parce qu'en effet il est encore un de ceux qui sapent votre prétendue réforme jusque dans ses fondements ; mais il n'en est pas pour cela moins vrai et moins certain ; c'est ce que vous verrez clairement dans la suite de cet ouvrage.




4ème LETTRE : DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE.


SOUFFREZ, s'il vous plaît, Monsieur, que je continue à vous entretenir des obstacles que vous ne pouvez manquer de trouver à votre salut, tant que vous resterez séparé de nous. Nous voici au quatrième chef, qui formera à votre bonheur éternel une difficulté insurmontable, si vous n'avez soin de prévenir ce malheur en prenant le parti de vous réunir à la véritable Église. On ne se confesse pas dans votre société, du moins ne fait-on pas au prêtre, comme il le faudrait, une confession détaillée de tous les péchés dont on se sent coupable. C'en est assez, Monsieur, pour rester à jamais chargé des fautes que vous avez commises pendant toute votre vie, puisque négliger de les déclarer au prêtre, c'est négliger la seule voie de réconciliation que Dieu vous a marquée. Tel sera le sujet de cette quatrième lettre, que je vous adresse avec la même confiance qui m'a porté à vous écrire les précédentes ; j'espère que vous ne vous rebuterez pas des tentatives réitérées de mon zèle : je ne saurais rester tranquille, tant que je vous verrai dans une funeste tranquillité. Le mal que je crains pour vous est trop grand, et ma crainte est trop vive, pour que je puisse me dispenser de vous montrer toute l'étendue du péril. Il ne vous coûtera pas beaucoup, Monsieur, d'examiner si j'ai sujet ou non de craindre pour vous. Si vous trouvez ma crainte vaine, vous aurez une espèce de contentement à vous rassurer contre la fausse inquiétude que j'aurai prise trop légèrement pour vous, et voulu mal à propos vous communiquer ; mais si vous venez à reconnaître que ma crainte est bien fondée, il ne vous sera pas difficile de prévenir le mal qui excite mes justes alarmes.


Venons au fait, et permettez-moi d'abord de marquer les bornes dans lesquelles je prétends me renfermer. Je soutiens que l'usage de tous les siècles et les paroles expresses de l'Écriture démontrent la nécessité de la confession, telle qu'elle est en usage parmi nous. Cette proposition combat directement l'enseignement de votre Kemnitius sur ce sujet. Car cet auteur, qui s'est fait beaucoup de réputation parmi vous par son ouvrage contre le concile de Trente, avance hardiment sur la fin de la première partie, « que « notre confession n'a pour elle ni les témoignages de l'antiquité, ni ceux de l'Écriture-Sainte1. »


Comme son livre est une des principales sources où vos ministres puisent ce qu'ils nous opposent de plus plausible, et que l'auteur y traite cette matière avec un artifice propre à en imposer aux esprits superficiels, j'ai cru devoir m'attacher à le réfuter, et je crois qu'une réponse exacte à ses difficultés, fera disparaître toutes celles qu'on pourrait nous objecter d'ailleurs. Rien, à mon avis, ne relèvera davantage la force de nos preuves, que leur évidente supériorité sur les raisonnements captieux et séduisants de cet artificieux ministre.


Voici son plan sur la confession : il prétend qu'avant le commencement du treizième siècle les fidèles ne connaissaient aucune obligation de confesser leurs péchés secrets en détail ; que c'est Innocent III qui, au quatrième concile de Latran, établit pour la première fois la loi de la confession auriculaire2 ; qu'avant ce temps chacun se croyait libre de confesser ses péchés à Dieu seul ou au prêtre1 ; qu'il se trouvait, il est vrai, de temps en temps des fidèles qui découvraient en secret aux prêtres les péchés qui leur faisaient le plus de peine, mais que c'était seulement pour leur demander conseil ou recevoir quelque instruction, ou calmer les inquiétudes d'une conscience agitée, sans se croire obligés par un précepte divin à la déclaration qu'ils en faisaient2. Il ajoute que dans les premiers siècles de l'Église on avait pratique d'obliger les pécheurs publics qui avaient déshonoré la qualité de chrétien par des fautes scandaleuses, à les confesser publiquement en présence des prêtres et de l'assemblée des fidèles, pour en faire une pénitence publique et réparer le scandale qu'ils avaient donné, sans quoi ils restaient exclus pour toujours de la participation aux sacrements3 ; que quelques fidèles, poussés par le mouvement d'une dévotion particulière, se portaient aussi à s'accuser eux-mêmes publiquement de leurs fautes, quoique secrètes, et se soumettaient ainsi volontairement à la pénitence publique4 ; que d'autres, après s'être contentés de déclarer leurs péchés secrets à un prêtre particulier, ne laissaient pas par ordre du prêtre de se mettre au rang des pénitents publics, pour faire connaître en général par cette démarche qu'ils étaient tombés en quelque faute griève, sans néanmoins en marquer l'espèce5 ; qu'ensuite quelques incidents étant survenus, la confession et la pénitence publique avaient été changées en confession et pénitence secrète, et qu'ainsi d'une pratique libre et volontaire, suggérée par une dévotion particulière, on en avait fait enfin une obligation générale et indispensable à tous les chrétiens, avec un surcroît de charges qui en rendent le joug insupportable6.


Telle est l'idée que Kemnitius s'est formée de la confession, et telle est l'idée qu'on s'en forme encore aujourd'hui généralement chez vous, d'après les impressions qu'en a données ce ministre.


Or, Monsieur, pour vous faire voir bien clairement combien cette idée est fausse dans toutes ses parties, je dis en premier lieu, que rien n'est moins soutenable que de vouloir rendre le pape Innocent III auteur du précepte de la confession. Je soutiens en second lieu, que les passages des Pères que nous citons pour la confession, prouvent clairement qu'ils ont toujours pensé ce que nous pensons aujourd'hui ; savoir, que ce n'est pas assez de confesser ses péchés à Dieu seul, qu'il faut aussi les confesser au prêtre ; que ce n'est pas assez de les confesser en général, qu'il faut aussi les déclarer en détail et en marquer l'espèce ; que ce n'est pas assez d'en confesser une partie, selon les besoins où l'on se trouve de demander conseil, ou d'apaiser les remords d'une conscience inquiète, mais qu'il faut se confesser de toutes les fautes graves dont on se reconnaît coupable, sans excepter aucune de celles qui se présentent à la mémoire après une sérieuse recherche. Je dis en troisième lieu, que les Pères, qui ont reconnu dans les pécheurs une obligation de confesser en détail, au prêtre, leurs péchés, même les plus secrets, ont prétendu voir dans cette obligation un précepte de droit divin, et j'ajoute qu'ils ont eu grande raison de le prétendre ainsi.


Vous voyez, Monsieur, que voilà un compte bien différent de celui de Kemnitius. On ne me reprochera pas d'avoir mal pris sa pensée, ou de ne l'avoir pas combattue. Si donc je réussis dans mes preuves auprès de vous, vous ne pourrez plus regarder tout le système de cet auteur que comme le pur ouvrage d'une imagination hardie à supposer des faits ; et vous trouverez que Kemnitius a été d'autant plus hardi à nous débiter ses fictions, qu'il s'est cru plus assuré de la disposition favorable de son lecteur : il sentait bien, on le voit, qu'il parlait à la décharge de ceux qui liraient son livre, et qu'il flattait la répugnance naturelle de l'homme à déclarer ses misères.


Mais, malgré cet avantage, unique supériorité que le ministre de Brunswick conservera sur nous, j'espère, avec l'aide du Seigneur, prouver mes trois propositions de manière à vous contenter ; et si je ne viens pas à bout de vous persuader entièrement, je compte pour le moins vous faire revenir de cette espèce de pitié à laquelle on veut bien se laisser aller chez vous, en nous regardant comme de bonnes gens à qui la simplicité a fait subir un joug pesant sous le bon plaisir de ceux qui ont cherché à dominer les consciences. Que serait-ce, Monsieur, si après avoir lu les raisons solides sur lesquelles nous établissons la nécessité de la confession, vous veniez de plus à nous envier notre sort ! C'est un sentiment que je ne désespère pas de voir naître dans votre âme. Car enfin, quel préjudice peut-il y avoir pour nous à nous confesser ? mais vous, Monsieur, si vous manquez à ce que Dieu exige pour accorder le pardon du péché, où en serez-vous ? Cette droiture, qui ne vous abandonne jamais, ne vous dicte-t-elle pas que dans une affaire aussi importante, le parti de la sagesse est de prendre ses sûretés ? Or, l'avantage que nous avons de pratiquer le plus sûr, en nous acquittant d'une obligation clairement prouvée, ne peut-elle pas aisément devenir un objet d'émulation pour vous ? Puissiez-vous, Monsieur, nous envier si bien l'avantage dont nous jouissons en nous confessant, que cette envie vous porte efficacement à nous imiter ! Mais il est temps de venir à la preuve de la première proposition.


1ère proposition : Innocent III ne peut être l’auteur du précepte de la confession.


J'ai donc l'honneur de vous dire qu'il est insoutenable de prétendre qu'Innocent III soit l'auteur du précepte de la confession. Le quatrième concile de Latran, tenu en l'an 1215, sous le pape Innocent III, a fait, il est vrai, un règlement par lequel il est ordonné au canon 21 que tous les fidèles de l'un et de l'autre sexe confesseront leurs péchés au moins une fois chaque année, et qu'ils recevront avec respect au moins à Pâques le sacrement de l'Eucharistie, sous peine, s'ils y manquent, de se voir retranchés de l'assemblée des fidèles, et d'être privés, après leur mort, de la sépulture des chrétiens1 ; mais est-ce là un précepte qui ait établi la nécessité de la confession ? Ce précepte au contraire ne la suppose-t-il pas déjà établie ? N'est-ce pas seulement un règlement qui détermine le temps auquel il faut y satisfaire ? L'obligation de confesser ses péchés aussi ancienne que le christianisme, était parfaitement reconnue avant le concile ; mais comme plusieurs chrétiens lâches et négligents tardaient trop à s'en acquitter, l'Église a jugé à propos de les presser par une loi salutaire qui réveillât leur attention. Sans doute qu'on aurait grand tort de dire que le concile de Latran a établi le précepte de la communion, pour avoir enjoint de communier à Pâques ; ne serait-on pas aussi mal fondé à soutenir que le concile a établi le précepte de la confession, pour avoir ordonné de se confesser au moins une fois l'an ?


Dites-moi, Monsieur, si les auteurs les plus célèbres, qui ont écrit pendant quatre ou cinq siècles avant le concile de Latran, ont unanimement reconnu la nécessité de se confesser ; si dès lors l'usage de la confession n'était pas moins établi dans les armées et dans la cour des princes, que dans les cloîtres ; si dans les périls de mort on a cru la confession nécessaire, pour se mettre en état de paraître devant Dieu ; si, avant que de s'approcher de la Sainte Table, on s'est fait un devoir indispensable de se présenter à un prêtre pour lui déclarer ses péchés, et en recevoir l'absolution ; si de tout temps on a regardé comme hérétiques ceux qui ont osé nier la nécessité de la confession, disconviendrez-vous que Kemnitius n'ait eu grand tort de fixer l'origine du précepte de la confession au commencement du treizième siècle, et de nous donner le pape Innocent III pour celui qui l'a fait recevoir et agréer au concile de Latran ? Or, rien n'est plus aisé que de fournir sur tous ces chefs un détail de preuves capables de faire revenir les partisans les plus obstinés du sentiment de Kemnitius.


Examinons d'abord ce qu'ont dit sur ce sujet les auteurs qui ont écrit peu avant le quatrième concile de Latran ; puis remontant jusqu'au-delà du huitième siècle, ce qui suffira de reste par rapport à l'article dont il s'agit ici maintenant, faisons voir par les témoignages les plus respectables, que l'obligation de se confesser était universellement reconnue avant le concile de Latran ; et qu'ainsi on y chercherait en vain l'origine du précepte de la confession.


Pierre de Blois, aussi recommandable par sa piété que par sa science, est mort en 1200, et par conséquent a composé ses ouvrages plus de 15 ans avant le quatrième concile de Latran. Nous y trouvons néanmoins un traité entier sur la confession, où il en prouve la nécessité : Voici quelques-unes de ses paroles : « Que personne ne dise en soi-même : Je me confesse en secret ; je fais pénitence devant Dieu ; car si cette confession est suffisante, c'est donc en vain que les clés ont été données à Pierre... La honte s'oppose-t-elle à votre confession : souvenez-vous que les livres des consciences seront ouverts devant tous au jour du jugement1.


Richard de Saint-Victor, un des plus grands théologiens de son siècle, mort en 1173, ne fait pas moins sentir la nécessité de la confession, dans son Traité du pouvoir de lier et de délier ; il dit au chap. 5 que « la véritable pénitence est la détestation du péché avec une ferme résolution de l'éviter, de le confesser, et d'en faire satisfaction2 » ; et il ajoute, au chap. 8, que « si le pénitent néglige de chercher un prêtre pour se confesser, et en recevoir l'absolution, il n'évitera pas le péril éternel3. »

Saint Bernard, si recommandable par la sainteté de sa vie, et si célèbre par l'éclat de ses miracles, si digne de considération aux yeux de Luther lui-même, qu'il l'a plus estimé que tous les autres Pères de l'Église, dit en parlant des sept degrés de la confession : « Que sert-il d'accuser une partie de ses péchés, et de supprimer l'autre ; de se purifier à demi, et de rester à moitié souillé ? Tout n'est-il pas découvert et comme à nu aux yeux de Dieu ? Quoi ! vous osez cacher quelque faute à celui qui tient la place de Dieu dans un si grand sacrement1 ? » Et s'adressant aux chevaliers du Temple, il emploie ces paroles du Deutéronome : La parole est proche de vous, elle est dans votre cœur et dans votre bouche2, pour leur dire que « la parole doit être non-seulement dans le cœur, mais aussi dans la bouche ; que dans le cœur elle opère une contrition salutaire, et que dans la bouche elle retranche la mauvaise honte, principal obstacle de la confession ; confession, ajoute-t-il, qui est absolument nécessaire ; » et peu après il recommande aux prêtres « de ne point absoudre le pécheur même contrit, s'ils n'ont d'abord reçu sa confession3. » Saint Bernard est mort en l'an 1153 : comment a-t-il nous marquer si distinctement une obligation que l'on prétend être l'ouvrage du concile de Latran, tenu plus de soixante ans après ?


Hugues de Saint-Victor, originaire de Saxe, si renommé par l'éminence de sa doctrine, qu'on le nommait un second Augustin, demande comment il faut entendre ces paroles du cinquième chapitre de saint Jacques : Confessez vos péchés l'un à l'autre et priez l'un pour l'autre, afin que vous soyez sauvés ; et il répond que « ces paroles veulent dire, Confessez-vous non-seulement à Dieu, mais aussi à l'homme pour Dieu ; confessez-vous l'un à l'autre, c'est-à-dire les brebis aux pasteurs, les inférieurs aux supérieurs, ceux qui ont des péchés, à ceux qui ont la puissance de les remettre. Mais à quoi bon se confesser ? Pourquoi ? pour quelle raison ? Afin que vous soyez sauvés, c'est-à-dire vous ne serez point sauvés, si vous ne vous confessez pas4 ». Cet auteur est mort en 1139, et a écrit l'ouvrage que je viens de vous citer, plus de quatre-vingts ans avant le concile de Latran.


Mais en parlant des grands hommes du douzième siècle, qui ont parlé clairement de l'obligation de se confesser, je ne dois pas omettre Yves de Chartres, l'oracle de son temps et saint Anselme, que Baronius nomme à juste titre la lumière de l'Église d'Angleterre. Le premier est mort en 1115, le second en 1109. Voici comme s'exprime Yves de Chartres, en parlant à son peuple au commencement du carême : « Toutes les fautes que vous avez commises, soit par une suggestion secrète du démon, soit par des conseils étrangers, doivent être tellement déclarées dans la confession, que vous les fassiez sortir en même temps de votre cœur ; telle est la confession qui efface les péchés5 . »


Saint Anselme, dans son homélie sur les dix lépreux, explique ces paroles que JÉSUS-CHRIST leur adresse : Allez, montrez-vous aux prêtres1, de l'obligation que les pécheurs ont de s'adresser aux ministres de l’Évangile pour être purifiés par la confession : « Découvrez, dit-il, fidèlement aux prêtres par une confession humble toutes les taches de votre lèpre intérieure, afin d'en être purifiés... Lorsqu'ils y allaient ils furent guéris, parce que dès lors que les pécheurs abandonnent leurs crimes, et les condamnent avec l'intention de se confesser, et la résolution d'en faire pénitence de toute leur âme, ils en sont délivrés devant les yeux de celui qui lit dans le cœur... Il faut néanmoins venir aux prêtres, et leur en demander l'absolution2. »


Voilà, Monsieur, des hommes illustres par leur piété et par leur science, qui ont vécu dans le siècle antérieur au concile de Latran. Peut-être penserez-vous que je cherche ici à faire valoir leur autorité pour prouver la nécessité de la confession : non, Monsieur, ce n'est pas là présentement mon dessein. Je ne prétends que tirer cette conséquence : Tous ces grands hommes, morts avant le concile de Latran, ont reconnu l'obligation de se confesser comme une obligation toute établie, donc cette obligation ne tire pas son origine du concile de Latran, comme ose le dire Kemnitius.


Mais n'en demeurons pas là, remontons plus haut, et cherchons des témoins dans des temps encore plus reculés. Il me serait aisé d'en citer autant de chaque siècle, que du douzième ; mais je dois éviter de vous fatiguer par un trop grand nombre de passages, et je me borne à vous citer un ou deux auteurs des différentes époques, ce qui suffira pour atteindre mon but.


Le onzième siècle nous présente d'abord le bienheureux Pierre Damien moins illustre par la noblesse de sa famille et par l'éclat de la pourpre romaine, que par son éminente piété jointe à un profond savoir. Ce saint et docte cardinal, mort en 1072, nous a laissé un sermon où il ne traite que des règles d'une bonne confession, et des obstacles qui empêchent de la bien faire3 : « Rien, dit-il, n'est plus fort pour combattre et surmonter la grâce de Dieu que la crainte humaine ; rougir de confesser nos péchés, c'est craindre Dieu moins que les hommes ; la raison nous sollicite à nous confesser, et Dieu qui voit tout nous y oblige. »


Reginon, abbé du monastère de Prum, au diocèse de Trèves, célèbre par l'exactitude de l'histoire qu'il nous a laissée dans ses chroniques, et par l'érudition qu'il a fait paraître dans ses deux livres de la Discipline Ecclésiastique, a écrit au commencement du dixième siècle, et terminé sa vie vers l'an 909. Voici comme il parle au chapitre 286 de son premier livre : « Quiconque se sent coupable d'avoir souillé la robe sans tache du baptême, doit venir à son pasteur, et lui confesser humblement toutes les transgressions et tous les péchés par lesquels il se souvient d'avoir encouru la haine de Dieu, et s'acquitter avec exactitude des pratiques imposées par le prêtre4. »



Jonas, évêque d'Orléans, et Raban-Maur, archevêque de Mayence, le premier, une des plus brillantes lumières de l'Église de France, et le second, un des plus grands ornements de l'Église d'Allemagne, florissaient au neuvième siècle, et se sont exprimés sur l'obligation de se confesser, de manière à ne le point céder aux auteurs qui ont écrit depuis le concile de Latran. « Les péchés, dit le premier, seront remis aux malades s'ils les confessent ; sans la confession qui les corrige, ils ne sauraient être remis1. » Raban-Maur déclare tout net, « que le voluptueux qui a passé les bornes de la modération dans les concupiscences de la chair, doit nécessairement rejeter par la confession les ordures de ses désordres pour retourner en son premier état de santé2. » Jonas est mort en 841, et Raban en 856.


Il serait aisé d'ajouter à l'autorité de ces grands hommes l'autorité de plusieurs conciles ; je me contenterai d'en rapporter deux tenus au neuvième siècle, et dont les témoignages sont également décisifs pour prouver qu'alors comme aujourd'hui on était intimement persuadé de la nécessité de confesser ses péchés en détail au prêtre. « Nous avons remarqué une chose digne de correction, disent les Pères du deuxième concile de Chalons, célébré l'an 813, c'est que plusieurs, en confessant leurs péchés aux prêtres, ne le font pas avec intégrité : il faut examiner ses péchés avec attention et avec soin, afin que la confession soit pleine et entière3. »


Le concile de Pavie ordonna, en l'an 850, que les pécheurs publics seraient obligés de faire une pénitence publique ; mais il ajoute incontinent, au même canon, qui est le sixième « que tous ceux qui ont péché secrètement, se confessent aux prêtres que les évêques ont choisis comme des médecins propres à guérir les blessures secrètes. Si les confesseurs ont quelque doute dans l'exercice de leur charge, qu'ils n'hésitent pas à consulter leur évêque, sans toutefois nommer la personne qui s'est confessée4. »


Passons au huitième siècle, nous y remarquerons une uniformité constante de la même doctrine sur la nécessité de la confession. Le vénérable Bède, si respecté dans l'Église, qu'on y lit publiquement ses homélies comme celles des saints Pères, dit « qu'il faut distinguer les fautes légères des péchés considérables : pour les fautes légères, il est utile de s'en avouer coupable devant ses égaux, afin de demander leurs prières, et de s'en corriger ; mais pour la lèpre des péchés griefs, il faut nécessairement les découvrir au prêtre pour satisfaire à la loi5. » Bède est mort en 735.


Théodulphe, qui a gouverné l'Église d'Orléans, et dont le mérite rare donna la pensée à Charlemagne de l'attirer auprès de sa personne, fit en 797 de très beaux règlements qui sont rapportés au 7° tome des conciles du P. Labbe. le 31° porte « qu'il faut accuser au prêtre tous les péchés ou d'action, ou de parole, et que le confesseur doit interroger le pénitent pour savoir comment et à quelle occasion il a péché1. » Or, Monsieur, pourquoi tant d'exactitude à s'informer des occasions et des circonstances, si pour lors on ne reconnaissait aucune obligation de confesser ses péchés en détail au prêtre ?


Faut-il encore passer plus avant, et chercher des témoins dans le septième siècle ? Il ne sera pas difficile d'en trouver. Saint Jean Climaque, ainsi nommé à cause de l’Échelle Sainte qu'il a composée, rapporte qu'un fameux voleur s'étant fait religieux, l'abbé du monastère l'obligea à déclarer devant tous les frères assemblés dans l'église les crimes énormes de sa vie. Comme saint Jean Climaque témoignait sa surprise d'une telle conduite, l'abbé lui dit « qu'il en avait usé ainsi pour engager par cet exemple ses religieux à découvrir librement leurs misères ; car, ajouta-t-il, sans la confession personne ne peut obtenir le pardon de ses péchés2. »


Avouez, Monsieur, que sans aller plus loin, en voilà déjà bien assez pour faire naître un doute raisonnable sur la justesse de l'époque marquée par Kemnitius. Quelque prévenu qu'on puisse être en faveur du sentiment de cet auteur, qui a osé fixer l'origine du précepte de la confession au commencement du treizième siècle, pourra-t-on réfléchir sur tous les passages que je viens de rapporter, et ne pas se sentir comme forcé de l'abandonner ? Mais je prétends rendre la méprise ou la mauvaise foi de Kemnitius encore plus sensible, en vous faisant voir que pendant le cours de plusieurs siècles antérieurs au concile de Latran, tous les fidèles se confessaient, et que l'usage de la confession n'était pas moins établi dans les cours des princes et dans les armées, que dans les cloîtres ; preuve évidente qu'on regardait dès lors la confession comme nous la regardons aujourd'hui, je veux dire, comme de précepte, comme nécessaire pour obtenir la rémission du péché. Car il n'est point à présumer qu'on se fût soumis généralement à une pratique difficile et humiliante, si l'on ne s'y était cru obligé par un devoir indispensable de religion.


Je parle d'abord des empereurs et des rois, qui avaient des confesseurs, comme nos princes catholiques en ont aujourd'hui ; je me contenterai de vous en nommer quelques-uns, en vous indiquant les auteurs qui nous en instruisent. Le roi Thiery Ier avait, au septième siècle, pour confesseur saint Ansberg, archevêque de Rouen3 ; saint Viron, évêque de Ruremonde, était au même siècle confesseur de Pépin, père de Charles-Martel4. Saint Aidan, évêque de Wexford en Irlande, confessa le roi de cette île, nommé Brandubh, après l'avoir ressuscité comme il est marqué dans sa vie5. Saint Martin, moine de Corbie, fut confesseur de Charles-Martel au huitième siècle6. Corbinien, évêque de Frisinguen, entendit la confession de Grimoald, duc de Bavière1. Offa, roi des Merces en Angleterre, au rapport d'un protestant, eut pour confesseur un nommé Humbert2. Nous trouvons au neuvième siècle que saint Aldric, évêque du Mans fut, selon M. Baluze, confesseur de Louis-le-Débonnaire3, et Donat Scot, évêque de Féluse, selon Ughel, confesseur de Lothaire, fils et successeur de Louis4 ; au dixième siècle, saint Udalric, évêque d'Ausbourg, fut confesseur de l'empereur Othon5 ; Guillaume, archevêque de Mayence, confessa sainte Mathilde, femme de Henri, surnommé l'Oiseleur, dans sa dernière maladie6 ; Didacus Fernandus fut confesseur du roi d'Espagne, Ordonnie ou Orderic II7. Je ne vous citerai du onzième siècle, que la reine Constance, femme du pieux Robert, qui eut pour confesseur un prêtre du diocèse d'Orléans, nommé Etienne8 ; et du douzième, que Henri Ier roi d'Angleterre, qui eut pour confesseur Atheldulf, prieur de saint Ofwald, et ensuite premier évêque de Carlile, le roi ayant fondé ce nouvel évêché pour en gratifier son confesseur9.


Ne pensez pas, Monsieur, que pendant les siècles que nous venons de parcourir, les armées aient manqué de confesseurs ; il y en avait aussi bien que dans les cours des princes. C'est le premier concile de Germanie, célébré par les soins de saint Boniface en l'an 742, qui nous en instruit ; il est dit au 2° canon, que chaque colonel aura un prêtre, pour entendre les confessions des soldats et leur imposer une pénitence10. Charlemagne fit à peu près la même ordonnance ; elle se trouve au quatrième article de ses capitulaires ecclésiastiques11. Guillaume de Sommerset, religieux de Malmesbury, loue les Normands de ce qu'ils employèrent « toute la nuit à se confesser de leurs péchés avant de donner bataille12. »


Il n'en faudrait pas davantage, Monsieur, pour vous convaincre qu'antérieurement au concile de Latran, l'usage de la confession était général parmi les fidèles ; mais la multitude et la foule des pénitents qui se présentaient au tribunal de la pénitence me fournit une nouvelle preuve que je ne dois pas supprimer.


Nicéphore, garde des archives, auteur grec du septième siècle, selon le sieur Labigne, et du neuvième, selon Coccius, nous apprend que les évêques, appliqués seuls d'abord au ministère de la réconciliation, ne pouvant suffire à la multitude des pénitents, s'étaient déchargés du soin de les entendre sur les moines qui joignaient au sacerdoce une vertu éprouvée13.


Telle était la pratique de l'Église grecque ; quant à l'Église latine, il ne paraît pas qu'il y ait eu aucune distinction sur cet article entre les prêtres séculiers et réguliers, les uns et les autres ayant été indifféremment employés à entendre les confessions ; il paraît même que tout ministre honoré du sacerdoce, était en même temps chargé du soin de diriger les consciences ; nous en pouvons juger par la messe gallicane que votre Illyricus a donnée au public, et qui par là même ne doit pas vous être suspecte. Elle est au moins du huitième siècle. Le prêtre y prie en plus de six endroits « pour tous ceux qui avaient coutume de se confesser à lui 1, » d'où il est aisé de voir que tout prêtre qui disait la messe, était aussi pour l'ordinaire confesseur de plusieurs pénitents.


Mais pourquoi m'arrêter à prouver la généralité de l'usage de la confession avant le concile de Latran, pour en conclure l'existence d'une loi qui obligeât les fidèles à cet acte religieux, puisque nous avons des monuments du dixième siècle, et même du huitième, où le temps de satisfaire à cette loi est positivement déterminé ?


Reginon, que j'ai déjà cité, rapporte au commencement de son second livre de la Discipline Ecclésiastique, un règlement du concile de Rouen, où il est dit que l'évêque ne doit pas manquer, dans la visite de son diocèse, de demander, s'il n'y a personne dans la paroisse d'assez irréligieux pour passer toute l'année sans se confesser, ou d'assez négligent pour ne le pas faire du moins au commencement du carême2. Vous voyez, Monsieur, que c'était là le temps marqué pour s'acquitter de l'obligation imposée par la loi de la confession.


Chrodogand, évêque de Metz, mort en 767, en exigeait encore davantage ; il ordonne dans sa règle « que chaque religieux se confessera tous les samedis, et que les autres fidèles de son diocèse le feront du moins trois fois pendant le cours de l'année, savoir, devant les fêtes de Pâques, de Noël et de la Saint-Jean, pendant les trois carêmes qui s'observaient pour lors ; » exhorte de plus les uns et les autres « à s'armer de force pour déclarer leurs péchés avec beaucoup de sincérité, » et ajoute « que le pardon est le fruit de la confession, et que sans la confession il n'y a point de pardon3. »


Dire après cela qu'avant le treizième siècle on ignorait le précepte de la confession, que l'obligation de se confesser a pris naissance au concile de Latran, que c'est Innocent III qui en est le père, n'est-ce pas faire un aveu public de son ignorance et de sa témérité à parler de choses qu'on n'entend pas, et sur lesquelles on n'a pas voulu prendre la peine de s'instruire ? Mais je ne suis pas encore au bout de mes preuves, et je ne prétends pas rester en si beau chemin. Si dans ce que j'ai dit jusqu'ici il y a de quoi presser Kemnitius, vous trouverez, à ce que j'espère, Monsieur, que dans ce qui me reste à dire, il y aura de quoi l'accabler.


Bède rapporte qu'un courtisan du roi des Merces, étant tombé dangereusement malade, reçut la visite de son prince, qui l'affectionnait pour ses bons services, et voulut l'exhorter lui-même à mettre ordre à sa conscience par une bonne confession. Le malade lui répondit, qu'il avait dessein de se confesser, mais qu'il ne voulait pas le faire durant sa maladie ; qu'il attendrait le retour de la santé, pour éviter le reproche de s'être confessé par la crainte de la mort. Le roi, zélé pour le salut de son courtisan, et inquiet sur le cours d'une vie libertine, continuait à le presser par de nouvelles instances ; mais ce malheureux lui déclara qu'il était trop tard, et qu'il avait déjà reçu son jugement1. Vous voyez, Monsieur, par ce trait de l'ancienne histoire d'Angleterre la persuasion où l'on était dès le huitième siècle, que pour se mettre en état d'aller paraître devant Dieu, il fallait nécessairement penser à faire une bonne confession.


Mais ce n'est pas là le seul exemple que j'ai à vous produire sur ce sujet ; je pourrais vous en citer un grand nombre d'autres ; je me contenterai de vous en marquer deux ou trois. Il est dit dans la vie de saint Philibert, fondateur et abbé de Jumiège, au septième siècle, que se trouvant auprès d'un de ses moines, réduit à l'extrémité et déjà sans parole, il lui demanda avec douceur et tendresse, de lui marquer en lui serrant la main s'il avait quelque péché sur la conscience dont il ne se fût pas encore confessé ; le malade lui donna cette marque, et saint Philibert entra dans l'église, pour demander à Dieu qu'il lui plût de rendre l'usage de la parole au mourant, de peur que faute d'avoir confessé son péché, il ne fût entraîné par le démon dans les abîmes de l'enfer. Sa prière fut exaucée ; le malade se trouva en état de parler, se confessa, et mourut dans la paix du Seigneur2.


Pierre Damien nous apprend qu'un religieux de Clugny, cassé de vieillesse et de maladie, craignant d'avoir omis l'accusation de quelque péché, supplia Notre-Seigneur de l'éclairer sur l'état de son âme. Il obtint l'effet de sa demande ; une voix du ciel l'avertit d'un péché qu'il n'avait pas encore confessé, et il en fit promptement l'aveu à saint Hugues, son abbé3.


Pierre-le-Vénérable, homme de la première qualité, qui avait cultivé soigneusement les talents de la nature et les avantages de la naissance, dit avoir appris d'un moine de Saint-Angeli, témoin oculaire, qu'un religieux de ce monastère, après avoir été pendant quelques heures à l'agonie, en revint tout à coup, et déclara avoir vu un personnage vénérable, qui l'avait averti de se confesser d'une certaine faute cachée jusque-là, en lui disant très distinctement qu'il n'y avait pas de salut à espérer pour lui s'il ne confessait son péché avant de mourir4.


Je comprends, Monsieur, que vous ne vous croirez pas obligé d'ajouter foi à ces histoires ; mais quand bien même vous penseriez être en droit de regarder comme fabuleux ces faits rapportés par des auteurs très dignes de créance, vous ne pourrez pas du moins vous empêcher de reconnaître la persuasion où l'on était alors de la nécessité de la confession. Mais sans avoir recours au merveilleux pour prouver cette nécessité, rien n'est plus aisé que de vous faire voir qu'on a toujours pris de grandes précautions pour empêcher les malades de mourir sans confession.


Les moines de Fulde présentèrent à Charlemagne une requête pour le supplier d'empêcher qu'on n'emmenât les infirmes et les vieillards dans quelques dépendances éloignées des monastères, de peur qu'ils ne mourussent sans confession1.


Le sixième concile de Paris, tenu en 829 défend aux évêques de donner aux curés des commissions qui les obligent à s'absenter de leur paroisse, parce qu'il en arrive souvent, ajoute le concile, que les malades meurent sans confession, et les enfants sans baptême2.


Il faut, dit le premier concile de Mayence, tenu en l'an 846, porter les malades en danger de mort, à faire une confession pure et sincère de leurs péchés, et leur marquer la pénitence qu'ils devraient faire, s'ils étaient en santé, sans néanmoins en exiger d'accomplissement durant la maladie3. Un concile d'Angleterre, tenu dans le royaume de Kent en l'an 787, alla jusqu'à défendre de prier pour ceux qui par leur faute seraient morts sans confession4.


Voilà, Monsieur, des pièces sur lesquelles je vous prie de juger si Kemnitius a eu raison d'avancer, qu'avant le concile de Latran on ignorait l'obligation de confesser ses péchés au prêtre : n'est-ce pas plutôt un dessein formé de décrier la pratique de la confession en la faisant passer pour une nouveauté, et l'envie de se donner l'air d'un fort habile homme, en déterminant avec précision le temps et le lieu de son origine, qui ont porté cet auteur à avoir recours à la fiction ?


Mais, Monsieur, vous en jugerez encore mieux par le soin que les fidèles ont toujours eu de purifier leur conscience par la confession avant que d'approcher de la Sainte Table. Se peut-il rien de plus pressant sur ce sujet, que les exhortations d'un saint religieux du sixième siècle ? « Si vous aviez les mains sales, dit Amascotase de Sina, vous n'oseriez toucher les vêtements d'un roi, et comment oserez-vous recevoir le roi des rois dans un cœur souillé par le péché ? Confessez donc vos péchés à Jésus-Christ par les prêtres, ajoute-t-il, condamnez vos actions, et ne rougissez pas d'être humilié ; car il est une confusion qui cause le péché, et une confusion qui donne la gloire et la grâce5.


Ce qui se trouve sur le même sujet dans les Documents salutaires de saint Paulin, patriarche d'Aquilée, docteur du huitième siècle, n'est pas moins précis ni moins énergique, pour nous faire comprendre l'obligation de se confesser avant la communion. « Que chacun s'éprouve soi-même, dit ce célèbre auteur avec l'Apôtre, avant de recevoir le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ. Avant d'en approcher ayons recours, comme nous le devons, à la confession et à la pénitence ; examinons avec soin toutes nos œuvres ; et si nous remarquons en nous des péchés capables de nous en éloigner, hâtons-nous de les effacer par la confession et par une véritable pénitence, de peur que tenant le démon caché au-dedans de nous-mêmes à l'exemple du traître Judas, nous ne périssions avec lui1.

Aussi dans les anciennes formules de confession semblables à peu près à nos Examens modernes, trouve-t-on parmi les grands péchés dont on doit s'accuser, le crime d'une communion reçue avec une conscience souillée, que n'a point auparavant purifié une bonne et sincère confession. C'est ce que nous voyons expressément marqué dans la formule de saint Fulgence2, mort au commencement du sixième siècle, et dans celle d'Egbert, archevêque d'York3, qui mourut au huitième. L'un et l'autre exprime ce péché avec les mêmes termes : « Je m'accuse, disent-ils, d'avoir reçu indignement le corps et le sang du Seigneur avec un corps souillé, sans confession et sans pénitence4. » D'où il est aisé de voir que tout fidèle qui se sentait la conscience chargée de quelque péché grief, regardait comme un devoir indispensable de se confesser avant de participer aux saints mystères. Dieu même fit souvent connaître d'une manière sensible et miraculeuse à ceux qui avaient manqué de prendre cette précaution, combien ils étaient indignes d'en approcher.


Fortunat, évêque de Poitiers, auteur du sixième siècle, raconte de saint Marcel, évêque de Paris, dont il a écrit la vie, un trait que nous trouvons également rapporté dans le bréviaire de ce diocèse : Un homme, au moment de s'approcher de la communion, resta tout à coup immobile sans pouvoir s'avancer vers l'autel, il demeurait comme lié par une chaîne invisible, tandis que les autres passaient suivant leur rang pour aller à la Sainte Table. Saint Marcel surpris d'un événement si extraordinaire, lui en demande la cause : il lui avoue qu'il avait eu la témérité de se présenter sans avoir fait l'aveu d'un péché considérable ; il répare sa faute par une bonne confession, et se trouve bientôt en état de pouvoir communier avec les autres5.


Pierre-le-Vénérable raconte un événement presque semblable : Un jeune homme, engagé dans un mauvais commerce avec une femme mariée, tomba dangereusement malade. On fit venir un prêtre, dit cet auteur, « selon la « coutume de l'Église, » pour recevoir sa confession et lui donner le Saint-Viatique ; ce jeune homme ne confessa pas son crime, il fit plus, interrogé par le prêtre, il osa le nier. Après quoi, voulant recevoir la sainte Hostie, il ne put jamais l'avaler, quoique en état de prendre toute autre nourriture : effrayé de ce prodige, il rentra en lui-même et fit une confession sincère de tous ses péchés. L'auteur qui rapporte ce fait, nomme les personnes présentes au miracle, et dit l'avoir appris de leur bouche6.


Peut-on voir des traces mieux marquées de l'usage constant de la confession, et de l'idée invariable des fidèles sur sa nécessité ? Qu'en pensez-vous, Monsieur ? ai-je eu tort de prétendre que la multitude et la variété des pièces que j'avais à produire formeraient une démonstration accablante contre Kemnitius ? Que dire à de tels arguments ? Vous le voyez, ce ne sont pas là des preuves tirées du raisonnement, et faciles à éluder ; ce sont autant de faits et de sentiments rapportés par des auteurs non suspects, et bien antérieurs au concile de Latran ; je cite le livre, la page ; je marque l'édition ; ne tiendra qu'à vous de les consulter ; je m'offre à vérifier toutes mes citations, du moins celles dont il pourrait vous prendre envie de douter. Ce n'est pas là néanmoins tout ce que j'ai à dire sur ce sujet, il me reste encore d'autres témoins à produire ; leur témoignage est plus fort que tout ce que vous venez d'entendre. Ils nous apprennent qu'on a toujours regardé comme hérétiques, ceux qui ont osé contester la nécessité de la confession.


Oui, Monsieur, nous trouvons que dès le troisième siècle, on regardait l'usage des clés pour absoudre le pénitent, après s'être humblement confessé, comme une marque distinctive de la véritable Église. « Il faut savoir, dit Lactance, l'homme le plus éloquent de son temps, et encore plus recommandable par son zèle pour la religion que par son éloquence, il faut savoir que l'Église véritable est celle dans laquelle est la confession et la pénitence, qui guérit efficacement les plaies auxquelles la faiblesse humaine nous rend sujets1. »


Alcuin, le maître de tous les gens de lettres qui fleurirent de son temps, et si consommé dans toute sorte de littérature qu'on l'appelait communément l'homme universel, et le secrétaire des arts libéraux, nous apprend qu'il s'était élevé de son temps, c'est-à-dire sur la fin du huitième siècle, des hérétiques qui refusaient de se confesser. C'est contre eux qu'il a écrit son épître 7°, selon l'édition de M. du Chêne, et la 26°, selon celle de Canisius. Il y exhorte les auteurs et les sectateurs de cette erreur à suivre les traces des saints Pères, et à ne pas introduire de nouvelles sectes contre la religion et contre la foi catholique. « Prenez bien garde, dit-il, au levain empoisonné qu'on a apporté depuis peu, et mangez les pains très purs de la foi sacrée dans la sincérité et dans la vérité2. »


Geofroy, abbé de Vendôme, mort en 1130, instruit qu'un nommé Guillaume, autrefois son régent, penchait vers un sentiment préjudiciable à l'intégrité de la confession, et que pour le favoriser il abusait d'un passage de Bède, lui écrivit une lettre très forte et très pressante, pour le faire revenir de son erreur ; il lui dit que la foi ne pouvait subsister, ni se conserver entière, qu'en donnant aux paroles de Bède un autre sens que celui qu'il lui donnait3 ; il finit sa lettre en assurant que l'obligation de confesser tous les péchés mortels, de quelque nature qu'ils puissent être, est tellement certaine, que rien ne saurait être plus certain4.


Après tant de preuves qui démontrent l'erreur insoutenable de Kemnitius sur l'origine du précepte de la confession, souffrez, Monsieur que j'ose vous demander ce que vous pensez à présent de cet auteur ? croyez-vous qu'il ait eu connaissance de tout ce que je viens de rapporter, ou pensez-vous qu'il l'ait ignoré ? s'il en a eu connaissance, avec quel front a-t-il osé fixer au concile de Latran, la date de cette obligation prétendue nouvelle ? et s'il l'a ignoré en tout ou en partie, ne mérite-t-il pas de perdre toute la réputation qu'on lui accorde si libéralement chez vous, en le regardant comme un génie rare, profondément versé dans la connaissance de l'antiquité ? Trouvez-vous, Monsieur, que Kemnitius ait fait prudemment d'oser marquer le siècle et l'année de cette institution ? n'eût-il pas été plus sage pour lui de se contenter d'une accusation vague et générale de nouveauté, sans marquer le point fixe, auquel il prétend qu'on l'a vu naître ? Avancer un si étrange anachronisme, n'est-ce pas fournir aux catholiques des armes invincibles contre lui ? Il y a faussetés et faussetés, et avant de hasarder celles qui peuvent attirer le reproche d'être un calomniateur d'user de mauvaise foi, ou du moins de parler en aventurier, sans avoir eu soin de s'instruire de la matière à traiter, on devrait y penser plus d'une fois. Ce sont là des titres trop odieux, pour témoigner par la liberté de ses fictions que l'on s'en met si peu en peine.

Du reste, Monsieur, je sens toute l'obligation que nous avons à vos Messieurs, quand ils veulent bien en venir jusqu'à marquer l'origine prétendue de quelques-uns de nos dogmes. C'est toujours nous ouvrir un grand champ où nous pouvons les combattre avec avantage. Vous voyez que Kemnitius n'a pas été plus heureux à vouloir marquer l'origine de la confession, que Luther à fixer l'époque de l'usurpation prétendue des papes, ainsi que je vous l'ai fait voir dans ma lettre précédente. Il en sera de même de tout autre article sur lequel vos docteurs voudront s'expliquer, en nous indiquant la date de l'innovation prétendue.


Et c'est ce qui rend ici Kemnitius moins excusable ; car il ne pouvait ignorer, sans doute, que les Grecs schismatiques se confessent encore aujourd'hui comme les catholiques romains. Ce point seul devait lui fournir une réflexion toute naturelle, propre à le précautionner contre l'erreur dans laquelle il a donné, et qu'il nous a débitée avec tant d'assurance. Car enfin je demanderais volontiers à cet habile chronologiste, si c'est avant ou après le concile de Latran que les Grecs schismatiques se sont assujettis à la pratique de la confession auriculaire ? si le précepte de la confession a été reconnu et pratiqué chez eux avant le concile de Latran, ce n'est donc pas ce concile qui en est l'auteur ; et si le concile de Latran en est l'auteur, comment les Grecs schismatiques ont-ils eu assez de complaisance pour nous imiter dans une pratique nouvelle et gênante, eux qui, comme tout le monde sait, ont reproché aux Latins avec tant d'aigreur les moindres changements dans la discipline ? Quoi ! ils auront chicané à toute outrance sur la tonsure et la barbe de nos prêtres, sur le jeûne du samedi, sur le chant de l’Alléluia, et quand il s'est agi d'assujettir les consciences à une loi difficile et nouvelle, quand on a entrepris d'ériger en dogme la nécessité de la confession, non-seulement ils se seront tus sur un changement si considérable arrivé dans la doctrine, mais ils auront encore agi de concert avec les Latins, pour subir un joug contre lequel l'orgueil de l'homme n'est que trop disposé à se roidir et à se récrier ? Qui se persuadera de tels paradoxes ? Vous n'ignorez pas, Monsieur, que depuis plus de huit siècles, les Grecs schismatiques se sont séparés de l'Église romaine ; ainsi, puisque la pratique de la confession auriculaire leur est commune avec nous, et qu'ils sont persuadés comme nous de sa nécessité, il faut nécessairement que cette pratique, et la persuasion générale de tous les chrétiens touchant la nécessité de cette pratique, soit antérieure à la séparation des Grecs d'avec nous. Voilà, Monsieur, la réflexion que le bon sens devait naturellement suggérer à Kemnitius, et qui, au défaut de la connaissance des livres et des auteurs dont les passages sont si formels en faveur de la confession, devait, elle seule, l'empêcher de donner dans l'écart et de s'exposer à de si justes reproches. C'est là une de ces ignorances qu'on appelle volontaires et affectées, nourries et entretenues par la passion, par l'esprit de parti, par un fol entêtement, par une envie maligne de rendre méprisables les pratiques les plus saintes de la religion catholique, ignorance qui ne se peut excuser, ni devant Dieu, ni devant les hommes.


Mais en voilà bien assez pour faire sentir tout le tort de Kemnitius sur le premier article. S'il nous objecte Gratien, pour nous prouver par nos propres auteurs, qu'avant le concile de Latran on n'était nullement persuadé de la nécessité de la confession, je lui réponds qu'il a mal pris la pensée de cet auteur. Il est vrai que Gratien, antérieur de cinquante ans au concile de Latran, propose cette question, savoir : « Si quelqu'un peut obtenir le pardon de ses péchés par la seule contrition du cœur sans la confession de bouche ; » et qu'après avoir rapporté les deux sentiments opposés, il ajoute : « Nous avons exposé en peu de paroles les autorités et les raisons sur lesquelles sont fondées l'une et l'autre opinion touchant la confession ; mais à laquelle faut-il plutôt s'attacher ? C'est ce que nous laissons au choix et au jugement du lecteur, parce que l'une et l'autre ont pour défenseurs des hommes sages et religieux. » D'où Kemnitius conclut qu'il était donc libre en ce temps-là de tenir pour ou contre la nécessité de la confession ; et que par conséquent jusque-là l'obligation de se confesser n'était pas encore passée en dogme.


Malheureusement Kemnitius n'a pas pris la question de Gratien dans le sens où cet auteur l'a proposée ; car Gratien a prétendu dire seulement que des théologiens de son temps reconnaissaient dans la contrition parfaite la vertu de justifier l'homme même avant la confession. Ce sentiment est vrai, et c'est celui du concile de Trente, qui l'enseigne en termes exprès ; mais ce sentiment n'exclut nullement la nécessité de se confesser : car la contrition qui justifie le pécheur, renferme toujours nécessairement en soi le désir et la volonté de s'accuser au prêtre, quand on en aura l'occasion1.


L'autre sentiment opposé au précédent par Gratien, était celui de quelques théologiens qui croyaient la rémission des péchés indispensablement attachée à la puissance des clés et à l'absolution donnée par le prêtre, après la confession ; c'est sur ce point que roulait la dispute, et tous les passages des auteurs rapportés par Gratien, ne tendent qu'à prouver l'une ou l'autre de ces deux opinions, comme vous le reconnaîtrez aisément, quand vous voudrez prendre la peine de l'examiner.


Mais je veux que Gratien ait été dans le sentiment de Kemnitius, quel préjudice en recevra la cause catholique ? Gratien a été un compilateur diligent, a recueilli beaucoup de textes utiles ; mais il ne passa jamais chez nous pour un fort grand théologien, et sa réputation en ce genre d'érudition, fût-elle aussi éminente qu'elle est médiocre, que serait-il après tout, sinon un auteur particulier qui nous aurait exprimé sa pensée ? Or de quel poids peut être l'autorité d'un particulier contre le torrent des auteurs qui l'ont précédé, et contre le sentiment d'un concile général qui l'a suivi ? Croit-on qu'il nous coûterait beaucoup de dire que Gratien s'est trompé ? Pourquoi nous ferions-nous scrupule de dire ce qu'il dirait infailliblement lui-même, s'il revenait au monde, et qu'il eût été en effet dans le sentiment qu'on lui prête ? Il y aura toujours cette différence entre lui et Kemnitius, que la piété et la religion de Gratien ne permettent pas de douter de sa soumission au décret du concile général, s'il eût vécu jusque-là, au lieu que Kemnitius a compté pour rien de le mépriser. Mais, me dira-t-on, Gratien n'a pas été le seul dans la pensée que la confession n'était pas nécessaire ; il cite un grand nombre d'auteurs pour appuyer cette opinion, et il assure que ces auteurs sont des hommes sages et religieux. Supposons un moment, je le veux bien, que Gratien ait été dans l'erreur, que pourra-t-on en conclure ? il a dû, et rien n'est moins surprenant, chercher à défendre son opinion par l'autorité d'écrivains respectables, dont il s'est flatté d'avoir pour lui le témoignage ; il s'est trompé aussi bien pour la preuve que pour la thèse ; quelle conséquence veut-on tirer de là contre le sentiment catholique ? Mais c'en est déjà trop pour répondre à cette objection, la plus forte cependant et la plus apparente que Kemnitius ait pu former contre nous. Passons présentement au second article, et faisons voir que ce ministre n'a pas mieux réussi à vouloir éluder la force des passages des saints Pères, que nous citons pour la confession.


2ème proposition : Les passages des SS.Pères, dans les premiers siècles, prouvent clairement l’obligation de confesser en détail le péchés secrets aux Prêtres.


La plupart des autorités que j'ai rapportées jusqu'ici, ne vont guère au-delà du septième siècle ; ces témoignages m'ont suffi pour prouver, comme j'en avais le dessein, que l'obligation de confesser ses péchés était reconnue avant le concile de Latran, et que Kemnitius a eu tort d'en référer l'origine à ce concile. Si je ne suis pas remonté plus haut pour trouver des témoins plus anciens, ce n'est pas par indigence, comme vous le verrez assez par ce qui me reste à dire, car les premiers siècles nous fournissent un grand nombre de témoins, qui ne parlent pas moins clairement sur la nécessité de la confession, que ceux dont nous avons déjà ouï les dépositions. Kemnitius, pour affaiblir les preuves que nous en tirons, a imaginé plusieurs espèces de confessions, qu'il prétend avoir été en usage parmi les premiers chrétiens : celle qui se faisait à Dieu seul, et non au prêtre ; celle qui se faisait en général, et non en détail ; celle qui se faisait par dévotion et non par obligation ; celle par laquelle on consultait le confesseur sur quelque point particulier, sans lui déclarer tout l'état de sa conscience ; celle où l'on s'accusait des péchés publics, sans faire mention des péchés qui n'étaient venus à la connaissance de personne1 : et c'est en rapportant les témoignages de l'antiquité à quelqu'une de ces différentes espèces de confessions, qu'il prétend se tirer d'affaire, et arrêter toutes nos conséquences ; mais il est aisé de lui montrer que les passages des saints Pères prouvent clairement une obligation stricte et indispensable de confesser au prêtre tous les péchés mortels dont on se sent coupable, même les plus secrets, pour en recevoir l'absolution.


Je compte, Monsieur, que le désir d'être éclairci sur un point d'une extrême conséquence pour votre salut, soutiendra votre attention dans l'examen où nous allons entrer, et que Kemnitius, déjà convaincu d'erreur sur le premier article, ne vous paraîtra pas mériter d'être cru sur sa simple parole, lorsqu'il prononce d'un ton décisif, que nous n'avons pas pour nous les témoignages de l'antiquité. Voyons et discutons.


Tertullien sera le premier témoin que je produirai devant vous, non que je ne puisse en citer encore de plus anciens, mais parce que je me suis proposé de ne rapporter que des passages clairs et décisifs, et au-dessus de toute espèce de contestation. Cet auteur, qui florissait dès la fin du second siècle, s'exprime ainsi dans son Livre de la pénitence : « J'estime que plusieurs évitent de déclarer leurs péchés, ou qu'ils diffèrent de jour en jour à le faire, parce qu'ils ont plus de soin de leur honneur que de leur salut ; semblable à ces malades qui, tourmentés par des infirmités secrètes, cachent leur mal au médecin, et meurent ainsi par une malheureuse honte. O le grand avantage d'une pudeur déplacée ! Que nous reviendra-t-il d'avoir caché cette faute ? nous l'aurons dérobée à la connaissance des hommes, échappera-t-elle à celle de Dieu1 ? » Ici, Monsieur, il s'agit des péchés secrets ; d'après Tertullien, il faut les déclarer, non à Dieu seul, mais aux hommes ; dans sa pensée le salut est intéressé à cet aveu. Entendez présentement ses paroles comme il vous plaira, ou d'une confession publique et en pleine assemblée, ou d'une confession secrète et au seul prêtre, peu m'importe si Tertullien a exigé une confession publique, et en pleine assemblée, il en a donc exigé plus que nous, et il n'a pas voulu dispenser les pécheurs, comme vous faites, de se confesser du moins au prêtre ; s'il n'a exigé qu'une confession secrète, telle qu'elle se pratique parmi nous, le voilà donc entièrement dans notre sentiment.


Origène, qui a suivi de près Tertullien, compare les péchés secrets qui chargent la conscience, aux viandes indigestes qui chargent l'estomac, et dit qu'il faut avoir recours à la confession, pour rejeter avec nos péchés la cause intérieure de notre mal2 ; il ajoute qu'il faut un grand discernement pour choisir un médecin spirituel auquel on découvre les plaies de son âme, mais qu'après en avoir fait choix, on doit lui obéir en tout, même jusqu'à déclarer ses fautes devant toute l'assemblée des fidèles, s'il le jugeait à propos. Par où vous voyez, Monsieur, qu'avant de faire une confession publique, on en faisait auparavant une secrète au prêtre, et qu'on ne déclarait pas dans celle-là tout ce qu'on avait déclaré dans celle-ci.


Kemnitius s'est avisé ici de distinguer entre les péchés secrets et les péchés publics ; il a prétendu que dans la doctrine d'Origène les fautes cachées doivent être confessées à Dieu seul, et les fautes notoires accusées au prêtre, pour apprendre de lui si elles peuvent être déclarées dans l'assemblée des fidèles avec fruit et avec édification, sans s'exposer aux mauvais effets de la médisance. Il soutient que cette doctrine se trouve renfermée dans les deux homélies sur le psaume 37, dont la première traite, selon lui, des péchés de la première espèce, et la suivante a pour objet ceux de la seconde ; mais il n'y a qu'à lire les deux homélies pour voir qu'il est parlé dans l'une et dans l'autre des péchés en général, et que cette distinction n'a pas le moindre fondement. Origène fait assez connaître ailleurs, combien il est persuadé de la nécessité de confesser ses péchés les plus secrets, lorsqu'il dit « que le seul moyen de prévenir l'accusation du démon, notre ennemi, est de nous accuser nous-mêmes ; que celui qui nous a porté à offenser Dieu, ne manquera pas de nous accuser de nos péchés les plus secrets, même de ceux commis par la pensée ; mais qu'en nous en accusant nous-mêmes, nous éviterons sa malignité1 ; bien entendu sans doute que nous nous accuserons de nos péchés les plus secrets, sans quoi ils ne manqueraient pas de nous être reprochés par notre ennemi. Se peut-il rien de plus fort pour réfuter la distinction imaginaire de Kemnitius ? et ne trouve-t-il pas également encore sa condamnation dans ces autres paroles d'Origène : « Si nous confessons nos péchés, non-seulement à Dieu, mais encore à ceux qui peuvent guérir nos plaies, nos péchés seront effacés par celui qui a dit : Je dissiperai vos péchés ainsi que je dissipe les nuées2 ? »


Que dirai-je de saint Cyprien, contemporain d'Origène, et martyr en l'an 258. Ce grand homme n'emploie-t-il pas toutes les forces de son éloquence, pour porter les fidèles à se confesser exactement de leurs péchés ? « Que chacun, dit-il, confesse sa faute tandis qu'il est encore en ce monde, tandis qu'on peut recevoir sa confession, tandis que la satisfaction est encore agréable à Dieu3. » Ne rapporte-t-il pas l'exemple d'une fille qui fut punie de Dieu, pour n'avoir pas expié son péché avant de communier4 ? Ne dit-il pas qu'on voit tous les jours des gens possédés par des esprits impurs, parce qu'ils ne confessent pas le secret de leurs péchés5 ? N'insiste-t-il pas sur l'œil de Dieu qui voit tout, qui pénètre tout, et à qui rien n'échappe de tout ce que la dissimulation voudrait couvrir ?


Mais, dit Kemnitius, saint Cyprien loue la grandeur de la foi de ceux qui s'accusaient d'avoir eu la seule pensée de sacrifier aux idoles, sans en être jamais venus à l'effet, par conséquent il ne fait pas à tout le monde une obligation de déclarer ses pensées criminelles6. Belle conséquence ! Saint Cyprien voulait porter les fidèles à découvrir leurs mauvaises actions, même les plus cachées, et il les anime par l'exemple de ceux qui déclaraient jusqu'aux pensées les plus secrètes de leur cœur s'il les loue sur ce sujet, ce n'est pas pour leur en faire un mérite de surérogation, mais pour leur en faire un mérite d'obéissance ; car il ajoute incontinent qu'ils en avaient usé ainsi, sachant bien qu'on ne se moque pas de Dieu impunément ; ce qui fait assez connaître qu'ils n'avaient pas cru pouvoir s'en dispenser7. Et il ne sert à rien de dire, comme fait encore Kemnitius, que si les pénitents croyaient devoir s'accuser de la pensée de sacrifier aux idoles, c'est parce que cette pensée avait rapport à un péché public, dont elle pouvait aisément devenir la cause, car par la même raison ils auraient été obligés également d'accuser les pensées d'adultère, d'homicide, de parjure, etc., puisque ces sortes de pensées ont le même rapport aux péchés publics, dont ils peuvent aisément devenir la cause. Kemnitius pose pour fait incontestable, que dans la primitive Église on ne se croyait obligé qu'à confesser les péchés publics et scandaleux ; comment peut-on appeler péché public une pensée qui ne se produit jamais au-dehors ? Quel scandale avaient donné ceux qui n'avaient eu qu'une pensée interne de sacrifier ? Trouvez-vous, Monsieur, les idées de Kemnitius bien justes et bien raisonnables ? Mais avançons, sans trop nous arrêter aux chicanes de ce ministre.


Lactance, qui a écrit sur la fin du troisième siècle, nous avertit de ne point tenir notre cœur couvert et enveloppé, c'est-à-dire, comme il l'explique lui-même, de ne garder dans le secret de notre conscience aucun crime caché sous le voile de la dissimulation. Il voit dans la circoncision des Juifs la figure de la confession, qu'il regarde comme la circoncision du cœur, dont les prophètes ont parlé. « Dieu, dit-il, qui par une bonté infinie nous a fourni tous les moyens nécessaires au salut, nous a tracé dans la circoncision de la chair l'idée de la véritable pénitence, afin que si nous mettons notre cœur à nu, c'est-à-dire si nous confessons nos péchés pour satisfaire à Dieu, nous obtenions de lui le pardon qu'il refuse aux pécheurs opiniâtres et dissimulés1. »


Faites réflexion, Monsieur, je vous prie, sur ce passage ; pourrions-nous en désirer un plus clair ? Pourrions-nous rien trouver qui nous fit mieux entendre l'obligation de confesser nos péchés les plus secrets ?


Saint Basile, mort en 378, dit en termes exprès, « qu'il est nécessaire de confesser ses péchés à ceux qui ont reçu la dispensation des mystères de Dieu2. » Or qui sont ceux à qui la dispensation des mystères a été confiée, sinon les prêtres ? Que voudriez, Monsieur, de plus formel, et de plus opposé aux prétentions de Kemnitius ? Que ce ministre nous dise maintenant : « Il est bon, il est avantageux de confesser les péchés qui chargent le plus la conscience, pour demander conseil au prêtre, ou pour en recevoir quelque instruction3. » Mais ce n'est pas là ce que dit saint Basile : ce Père assure, qu'il est nécessaire, necessarium est. Que le ministre dise encore, « qu'il ne s'agit là que de la confession faite en termes généraux, par laquelle on s'avoue pécheur et coupable4. » Mais d'après saint Basile la confession doit se faire, afin que la pénitence puisse être proportionnée à la qualité du péché5. Or comment le prêtre pourra-t-il proportionner la pénitence, s'il n'a pas une connaissance exacte du péché ? Il dit encore, « que comme on ne fait pas connaître les infirmités du corps à tous indifféremment, mais seulement à ceux qui savent les guérir, aussi ne doit-on faire la confession de ses péchés qu'à ceux qui peuvent y apporter remède6. » Mais, Monsieur, se contente-t-on de dire en général qu'on est malade ? n'a-t-on pas soin de spécifier tous ses maux au médecin, afin qu'il puisse y appliquer des remèdes convenables ? On sent donc parfaitement que la pensée de saint Basile est d'exiger du pénitent qu'il en use de même envers le médecin de son âme, et c'est là justement l'avis que saint Grégoire de Nysse, frère de saint Basile, donne aux pénitents : « Découvrez hardiment, dit-il, à votre père spirituel, tout ce que vous avez de plus secret, faites-lui connaître le fond de votre cœur, comme vous montreriez à un médecin vos plaies cachées1. »


N'eussions-nous pas d'autres témoignages sur la nécessité d'une confession détaillée, en faudrait-il davantage pour confondre Kemnitius ? Mais, Monsieur, nous sommes beaucoup plus riches en passages, que cet auteur ne se l'est figuré ; ceux qui me restent à produire sont encore plus concluants, et qu'il faut ou qu'il ne ne les ait pas connus, ou qu'il ait fait semblant de les ignorer, ou qu'il n'ait pas voulu en sentir la force.


Saint Ambroise dit « qu'il a été ordonné par le Seigneur d'admettre les plus grands pécheurs à la participation des biens célestes, pourvu qu'ils fassent pénitence de leurs péchés par le repentir du cœur, et la sincérité de la confession2. » Remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, la condition que le Saint exige comme nécessaire pour être rétabli dans les droits sacrés : il faut que le pécheur manifeste ses péchés par une confession humble et sincère. Prétendrez-vous qu'il s'agit là de péchés publics et de confession publique ? Mais il est aisé de vous faire voir que saint Ambroise demande également l'accusation des péchés les plus secrets ; car il dit au chapitre 16° de son Livre de la pénitence, que celui qui fait une exacte pénitence de ses péchés cachés, ne reçoit pas pour cela les avantages de la réconciliation, s'il n'y est rétabli par le ministère des prêtres3. Mais pourquoi avoir recours aux paroles du Saint, lorsque nous trouvons dans sa conduite une preuve complète de cette vérité ? N'est-il pas dit dans sa vie, qui a été écrite par Paulin, l'un de ses diacres, et par conséquent auteur contemporain, qu'il répandait beaucoup de larmes en entendant les confessions des pénitents, et que par là il les obligeait à pleurer avec lui ? l'auteur n'ajoute-t-il pas que le Saint gardait un profond secret sur tout ce qui lui avait été confié, et qu'il ne s'en entretenait qu'avec Dieu seul pour implorer ses miséricordes4 ?


Ce que nous lisons dans une Exhortation à la pénitence, de saint Pacien, évêque de Barcelone, n'est-il pas également fort pour faire sentir qu'on exigeait des pénitents au quatrième siècle les mêmes dispositions qu'aujourd'hui ? Ce saint évêque ne les conjure-t-il pas par celui à qui les choses les plus secrètes sont connues de ne rien cacher, de ne point voiler leur conscience blessée5 ? Ne se plaint-il pas de ceux qui s'adressent à des prêtres ignorants ou peu instruits, dans la vue de les surprendre6 ? Ne dit-il pas qu'il y en a qui confessent bien leurs péchés et les expliquent assez soigneusement, mais qui refusent de se soumettre aux exercices pénibles de la pénitence ? Il les compare aux malades qui appellent le médecin et lui découvrent fidèlement leurs plaies, mais qui négligent d'y mettre l'appareil, et n'exécutent point ses ordonnances7.


Venons à saint Augustin, dont l'autorité vous paraît aussi bien qu'à nous mériter des égards particuliers. Ce saint docteur pouvait-il nous marquer plus clairement la nécessité de confesser ses péchés les plus secrets aux prêtres, que par les paroles suivantes, tirées de sa quarante-neuvième homélie : « Que personne ne dise, Je fais pénitence en secret et devant Dieu ; celui qui me pardonne connaît la pénitence de mon cœur ? Eh quoi ! est-ce donc en vain que JÉSUS-CHRIST a dit à ses Apôtres et à leurs successeurs, Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le Ciel ? est-ce en vain que les clés ont été confiées à l'Église ? prétendons-nous frustrer l’Évangile de son effet ? rendrons-nous vaines les paroles de JÉSUS-CHRIST ? oserons-nous promettre ce qu'il refuse1 ? » C'est pour cela qu'il ajoute dans l'homélie suivante, qu'une âme chargée de péchés mortels, n'a point de salut à espérer sans le recours aux clés de l'Église2. Or il est aisé de voir, que parmi les péchés mortels dont il fait le dénombrement, plusieurs sont des péchés secrets et cachés qui ne viennent guère à la connaissance du public. Il veut donc qu'un pécheur résolu sincèrement à se convertir, aille trouver à l'instant même les prêtres chargés du ministère des clés, pour leur exposer l'état de sa conscience, et apprendre d'eux la satisfaction convenable à ses péchés3, prêt, s'il a donné du scandale, à le réparer par une confession publique, selon l'avis du dépositaire des secrets de sa conscience.


Saint Léon, mort environ trente ans après saint Augustin, a le premier retranché la confession publique dans l'Église latine, pour ne conserver que l'usage de l'accusation secrète faite au prêtre ; d'où il résulte que la confession publique était une affaire de discipline sujette au changement, et que la nécessité de se faire absoudre par un prêtre, après lui avoir déclaré ses péchés, a toujours été regardée comme invariable. Voici les paroles de ce grand pape : « Je défends, dit-il, de faire réciter en public la déclaration que les pécheurs auront faite de toutes leurs fautes en détail et par écrit ; il suffit de découvrir aux prêtres par une confession secrète les péchés dont on se sent coupable. Ils sont louables, sans doute, ceux qui dans la plénitude de leur foi ne craignent pas de se couvrir de confusion devant les hommes, parce qu'ils sont pénétrés d'une crainte salutaire envers le Seigneur ; cependant, comme parmi les pénitents il peut s'en trouver qui appréhendent à juste titre de publier leurs péchés, il faut abolir une coutume si blâmable, de peur que plusieurs ne se privent des remèdes de la pénitence, soit par honte, soit par crainte de découvrir à leurs ennemis des actions dignes d'être punies par l'autorité des lois : car elle est suffisante la confession faite premièrement à « Dieu, et ensuite au prêtre4. » Vous voyez assez, Monsieur, par ces paroles, ce que saint Léon a jugé d'une pratique absolument nécessaire, ce qu'il a regardé comme de surérogation, ce qu'il a condamné comme une superfluité dangereuse.


Finissons par saint Grégoire-le-Grand ; car je ne dois pas multiplier ici les citations à l'infini, ce serait trop vous fatiguer. Ce saint pontife, qui a gouverné l'Église, comme vous savez, sur la fin du sixième siècle, nous a tracé dans la résurrection du Lazare une figure admirable de la conversion du pécheur ; rien de plus propre à nous faire comprendre sa pensée : « Tout pécheur, dit-il, est enseveli dans le fond du tombeau, tandis qu'il retient ses péchés dans le secret de sa conscience ; mais le mort sort du tombeau, lorsque le pécheur confesse de son propre mouvement ses iniquités. Il est dit à Lazare, Sortez du tombeau, comme si l'on disait à tous ces coupables, à tous ces morts spirituels : Pourquoi gardez-vous vos péchés cachés dans votre conscience ? Sortez du sépulcre par la confession, que le mort paraisse au grand jour, c'est-à-dire que le pécheur confesse sa faute ; alors il pourra être délié par le ministère des prêtres, comme Lazare fut délié par les mains des disciples du Sauveur1. »


Ici, Monsieur, saint Grégoire parle de tous les pécheurs coupables de péchés mortels, omnis peccator, cuilibet mortuo in culpa ; il parle nommément de ceux dont les péchés sont cachés, introrsùm latet, in suis penetralibus occultatur ; il soumet tous les pécheurs à l'obligation de se confesser, puisque ce n'est qu'à ce prix qu'ils doivent être déliés par les prêtres, venientem foras solvant discipuli.


De quoi servent donc ici toutes les distinctions de Kemnitius ? et à quoi aboutissent les neuf espèces de confessions différentes qu'il a imaginées pour se tirer d'intrigue ? en eût-il imaginé trente autres, de quelle ressource tout cela lui serait-il pour éluder la force des passages que vous venez de lire ? ne sera-t-il pas toujours vrai de dire que les Pères des premiers siècles ont reconnu une obligation stricte et indispensable de confesser tous les péchés mortels, même les plus secrets, non-seulement à Dieu, mais aussi au prêtre ?


Je sais, Monsieur, ce que vous allez m'objecter : vous prétendrez, sans doute Kemnitius, que si nous avons des Pères favorables à notre cause (car il est resté à cet auteur encore assez de bonne foi pour n'oser en disconvenir2, il en est d'autres aussi absolument contraires à nos prétentions, et vous ne manquerez pas de nous opposer nommément saint Chrysostôme, qui dans plusieurs endroits semble s'être exprimé de manière à faire croire qu'il suffit au pénitent de se confesser à Dieu seul.


Mais, Monsieur, je vous prie de remarquer 1° que par la confession faite au prêtre, on entend aussi fort bien la confession faite à Dieu, puisque le prêtre tient la place de Dieu, et que c'est Dieu qui par le ministère du prêtre absout le pécheur. C'est dans ce sens qu'Anastase de Sina dit : « Confessez vos péchés à Jésus-Christ par le prêtre3. » C'est dans ce sens qu'il faut entendre la formule de saint Fulgence : « Je me confesse à vous, Seigneur, Père du ciel et de la terre4, » quoiqu'il y soit marqué que la confession se faisait devant le prêtre, coram hoc sacerdote ; ainsi les passages de saint Chrysostôme, qui semblent marquer que la confession faite à Dieu suffit, n'excluent pas celle qui se fait au prêtre.

Je vous prie 2° de remarquer la circonstance où se trouvait S. Chrysostome ; il succédait à Nectaire, patriarche de Constantinople, qui avait aboli dans son Église la pénitence et la confession publique ; il a donc dû s'intéresser vivement à justifier et à maintenir les actes de son prédécesseur. C'est dans cette vue qu'il dit : « Je ne vous expose pas en plein théâtre, je ne prétends pas que vous serviez de spectacle aux hommes en leur confessant vos désordres ; découvrez-vous à Dieu, montrez-vous à celui qui ne vous reprochera pas vos dérèglements, mais qui les guérira1. » On trouve dans ce Père plusieurs passages semblables, qui, sans exclure la confession faite à Dieu par le prêtre, déclarent fort inutile la confession faite en présence de témoins, ou en pleine assemblée.


3° Remarquez, s'il vous plaît, que le Saint avait fort à cœur la pratique de l'examen de conscience, et qu'il y exhortait ses auditeurs à toute occasion. Or il est bien sûr que dans cet examen c'est devant Dieu seul qu'on fait la revue de ses péchés, c'est à Dieu seul qu'on les expose pour lui en demander pardon, et pour chercher des remèdes propres à guérir ses misères. Aussi est-ce de cette manière qu'il faut interpréter les paroles de la seconde homélie sur le cinquantième psaume : « Si vous avez peine à déclarer vos péchés aux hommes, dites-les tous les jours dans le fond de votre âme ; je ne vous dis pas de les dire à celui qui comme vous est serviteur, afin de recevoir ses reproches ; dites-les à Dieu, afin d'obtenir votre guérison2. » Que penser ici de Kemnitius, qui nous reproche de négliger la confession faite à Dieu, pour ne nous attacher qu'à des aveux faits à l'homme ? Qu'est-ce donc que l'examen de conscience, sinon une confession faite à Dieu ? La pratique de cet examen est-elle plus en usage chez vous que chez nous ? Qui pourrait se le persuader ? D'ailleurs le prêtre ne dit-il pas tous les jours à la messe, et tous les assistants avec lui : Confiteor Deo omnipotenti, Je me confesse à Dieu tout-puissant, et n'est-ce pas par ces paroles qu'on a coutume de commencer sa confession en se présentant au prêtre ? Il faut en vérité que Kemnitius ait été bien de loisir, pour s'amuser à des reproches aussi frivoles ; mais achevons d'éclaircir les difficultés qu'il nous forme sur les expressions de saint Chrysostôme.


Remarquez donc en dernier lieu, s'il vous plaît, Monsieur, qu'il n'y a aucune obligation de confesser les péchés véniels, parce qu'ils ne nous privent pas de la grâce de Dieu. Il est très sûr qu'on peut les effacer par la confession faite à Dieu seul, par les gémissements du cœur et par d'autres bonnes œuvres ; c'est de ces péchés que parle le saint docteur, lorsqu'il dit qu'on peut approcher de la Sainte Table, après avoir réformé devant Dieu les défauts intérieurs de sa conscience. Et si d'ailleurs l'on prétend que saint Chrysostôme reconnaît dans la confession faite à Dieu seul, la vertu d'effacer même les péchés mortels, nous prétendons bien l'y reconnaître aussi, lorsqu'elle est accompagnée d'une contrition parfaite, et d'une volonté sincère de se confesser au prêtre à la première occasion. Qui doute de plus que cette confession faite à Dieu ne soit, comme la prière, le jeûne, l'aumône, et d'autres bonnes œuvres, une excellente disposition à la réconciliation, un remède très salutaire pour se corriger de ses péchés, et de plus un moyen très propre à expier les restes des péchés, je veux dire, à acquitter les peines temporelles dont on se trouverait encore redevable à la justice de Dieu après avoir obtenu la rémission de la coulpe du péché ? c'est là tout ce que le Saint a voulu dire dans les passages allégués contre nous. Vous voyez, Monsieur, que nous ne manquons pas de solutions pour y répondre ; en voilà de plus d'une espèce, il n'y a qu'à les appliquer ; elles sont d'autant plus solides, qu'il ne saurait d'ailleurs y avoir aucun doute sur le sentiment de ce Père par rapport à la nécessité de confesser ses péchés en détail au prêtre.


Ignoreriez-vous, Monsieur, vous qui savez tout, ignoreriez-vous la différence que ce saint docteur établit entre les prêtres de l'ancienne loi, et entre les prêtres de la loi nouvelle ? Ne dit-il pas « que ceux-là avaient seulement le pouvoir de déclarer la guérison de la lèpre au lieu que ceux-ci la guérissent effectivement1. » Comment accorder ce langage avec le principe de Kemnitius ? Comment prétendre avec lui que le ministère du prêtre se borne à déclarer le bienfait de la réconciliation, et non à prendre comme juge connaissance de la cause2 ? C'est sur ce principe qu'il établit la dispense de se confesser en détail ; mais ce principe étant déclaré faux par saint Chrysostôme, comment peut-il chercher à s'appuyer de l'autorité de ce Père ? Ce saint docteur n'ajoute-t-il pas dans le même endroit « que Dieu a donné aux prêtres un pouvoir qu'il n'a pas accordé aux Anges, ni aux Archanges ; car jamais il n'a dit à ces esprits célestes : Les péchés que vous remettrez seront remis3. » Mais s'il ne s'agit que d'annoncer le bienfait de la réconciliation, pourquoi un Ange ne pourrait-il pas s'en acquitter aussi bien que le prêtre ? Et quelques lignes plus bas, le Saint ne dit-il pas « que le Père Éternel a donné à son Fils la puissance de juger dans toute son étendue ? » Or dira-t-on que le Fils n'est pas véritable juge ? Comment donc peut-on disputer cette qualité aux prêtres, s'il est vrai, selon saint Chrysostôme, qu'elle leur ait été communiquée par Jésus-Christ, sans aucune réserve4 ? » et si les prêtres sont véritables juges, comment jugeront-ils, s'ils ne se sont instruits de ce qui doit faire la matière de leurs jugements ?


Mais pourquoi chercher dans les principes du Saint la preuve de la nécessité de se confesser en détail aux prêtres, puisque ses paroles marquent si formellement cette obligation ? N'exige-t-il pas « comme le premier des devoirs de la pénitence, qu'on condamne ses péchés, et qu'on les confesse5 ? » Et pour faire voir que c'est au prêtre qu'il faut les confesser, n'ajoute-t-il pas un peu plus bas, qu'il faut rendre aux prêtres le respect convenable, parce que c'est à eux à remettre les péchés ? N'exhorte-t-il pas les fidèles à faire une confession sincère pendant la semaine sainte, en leur représentant la commodité du temps pour déclarer leurs péchés au prêtre, et pour découvrir leurs plaies au médecin spirituel6 ? Ne dit-il pas « que l’Évêque, ou celui qui est chargé du soin des âmes, doit entrer dans tous les replis du cœur par une exacte recherche, ne rien laisser échapper, et prendre une connaissance entière de toutes les maladies pour leur appliquer des remèdes convenables7 ? » Ne se sert-il pas de l'exemple de la Samaritaine, pour exhorter les fidèles à ne pas rougir de confesser leurs péchés ? Ne leur dit-il pas, « que s'ils manquent à déclarer leurs péchés les plus secrets, ils n'éviteront pas la honte d'une confusion publique, devant le monde entier, au jour du jugement1 ? » Quoi de plus clair que tous ces témoignages ?


Comment donc Kemnitius a-t-il osé soutenir que la confession auriculaire ou secrète a été abolie du temps de Nectaire et de saint Jean Chrysostôme, pour en tirer une fausse conclusion contre la divinité de son institution2 ? Quand nous compterions pour rien tout ce que nous venons de voir de saint Chrysostôme, Sozomène, qui a suivi ce Père de fort près, et est mort vers le milieu du cinquième siècle, ne pose-t-il pas pour principe incontestable que, pour demander et obtenir le pardon de ses péchés, il faut nécessairement les confesser au prêtre3 ? S'il était vrai que Nectaire et saint Chrysostome eussent supprimé la confession secrète, comment Sozomène eût-il pu trente ou quarante ans après la suppression prétendue, tenir un langage si contraire à la pratique et aux règlements faits par les patriarches de Constantinople ? Peut-on nier que la confession secrète n'ait été en usage parmi les Grecs aux sixième, septième et huitième siècles ? Les passages d'Anastase de Sina, et de Nicéphore, garde des archives, que j'ai cités, et le canon 102 du concile de Constantinople, nommé in Trullo4, ne le démontrent-ils pas clairement ? Qu'on nous dise donc, qui a rétabli la confession parmi les Grecs, si jamais elle a été abolie chez eux ? ou si l'on ne peut en nommer le restaurateur, qu'on cesse de prétendre qu'elle ait jamais été abolie.


Lors donc que Socrate et Sozomène nous apprennent que Nectaire permit à chacun d'approcher des mystères selon le mouvement de sa conscience, ils ne prétendent pas dire qu'il fût permis indifféremment à tous les fidèles de se présenter à la Sainte Table, sans s'être auparavant soumis au jugement d'un prêtre par la confession : ils veulent dire seulement que les pénitents furent dispensés de se présenter dorénavant devant le tribunal de la pénitence publique ; que chacun consulterait sa conscience ; que ceux qui se trouveraient sans péché mortel, pourraient en toute sûreté participer aux saints mystères, et que ceux qui se sentiraient coupables de quelque péché grief, auraient la liberté de s'adresser à un prêtre selon leur choix pour se confesser, sans être obligés de comparaître devant le juge établi pour administrer la pénitence publique.


C'est là tout le sens des paroles de ces deux historiens, qui, comme vous voyez, Monsieur, ne donnent aucune atteinte à la nécessité de la confession, quoi qu'en puisse dire Kemnitius. Mais il est temps de passer au troisième article. Je crois en avoir dit assez sur le second pour nous assurer les témoignages de l'antiquité, et faire voir l'inutilité des distinctions que le ministre de Brunswick a mis en œuvre pour en éluder la force. Reste présentement à examiner la nature de l'obligation que les Pères ont reconnue.


3ème proposition : Les pères ont prétendu que l’obligation de se confesser était de droit divin.


Je dis que les Pères ont prétendu, et non sans raison, que l'obligation de confesser ses péchés en détail au prêtre était de droit divin : c'est la seule chose qui me reste à prouver, pour achever de détruire tout cet assemblage de fausses idées, dont Kemnitius a composé son système sur la confession ; j'abrégerai le plus que je pourrai, et si j'ai le malheur de vous ennuyer, je n'aurai pas du moins à me reprocher de vous avoir entretenu de choses inutiles.


1° Vous venez de voir que les Pères ont reconnu dans les pécheurs l'obligation de confesser leurs péchés en détail ; or il est bien sûr que cette obligation ne peut être fondée que sur un précepte divin, ou sur un précepte ecclésiastique : nous ne trouvons nulle part, que les Pères aient cité aucune loi de l'Église pour le fondement de cette obligation ; reste donc à dire qu'ils n'ont pas connu d'autre source de cette obligation que le précepte divin.


2° Plusieurs Pères enseignent en termes exprès, que la confession a été instituée par le Seigneur. Tertullien dit « que le Seigneur a établi l'exomologèse1 : » Or, l'exomologèse est ou la confession même, ou un exercice de pénitence qui la supposait. Saint Cyprien dit « que l'exomologèse est nécessaire selon la discipline du Seigneur2, » c'est-à-dire, selon l'ordre établi par le Seigneur. Saint Léon dit « que Jésus-Christ a donné aux préposés de l'Église le pouvoir d'admettre à la participation du sacrement ceux qui se seraient confessés, et qui auraient été réconciliés par les prêtres3. » Jean de Raithe, ami de saint Jean-Climaque, dit « que nous sommes obligés par une nécessité de précepte divin à confesser simplement nos péchés4. »


3° La plupart des Pères attribuent à la confession une vertu qu'elle ne peut avoir des hommes. Tertullien dit que l'exomologèse éteint le feu de l'enfer5 ; » Origène, « que la confession a la vertu d'effacer les péchés6 ; » saint Chrysostôme, « que c'est une abolition des crimes commis7 ; » saint Ambroise « qu'elle nous garantit d'un châtiment que nous n'éviterons pas en cherchant à excuser nos fautes8 ; » saint Augustin, « qu'elle opère dans l'âme du pécheur la joie et la santé9. » Or, Monsieur, sont-ce là les effets d'une institution humaine ?


4° La même autorité qui a donné au prêtre le pouvoir de juger, est la même qui exige de la part du pénitent la déclaration des péchés, afin de mettre le prêtre en état de porter son jugement. Or, d'après le sentiment général des Pères, c'est Jésus-Christ même qui a chargé les prêtres de faire les fonctions de juge ; j'ai déjà cité sur ce point saint Chrysostôme, je me contenterai d'y ajouter saint Ambroise, qui reconnaît expressément dans le prêtre la commission de juge donnée par Jésus-Christ aux Apôtres et à leurs successeurs1 ; et saint Jérôme, qui voit entre les mains des successeurs des Apôtres les clés du royaume des Cieux, pour prévenir en quelque façon, par leurs jugements, le jour du jugement divin2. C'est donc par l'autorité de Jésus-Christ même que les pécheurs se trouvent obligés de se confesser aux prêtres, comme à des hommes établis par lui, et incapables de juger des péchés passés, comme de l'état présent du pénitent, sans en être instruits par le pénitent lui-même.


5° Enfin, si les Pères ont cité les mêmes passages de l’Écriture que nous, pour prouver la nécessité de la confession, il ne pourra plus rester aucun doute qu'ils ne l'aient cru d'institution divine aussi bien que nous. Or, Monsieur, vous trouverez dans les endroits que j'ai soin de marquer ici, que saint Athanase3, saint Hilaire4, saint Chrysostôme5, saint Augustin6, citent le passage du dix-huitième chapitre de saint Matthieu : Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lie dans le Ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le Ciel ; qu'Origène7, Bède8, Alcuin9, saint Bernard10, Hugues de Saint Victor11, citent le passage du cinquième chapitre de l’Épître de saint Jacques : Confessez vos péchés les uns aux autres ; vous les verrez tous dans les endroits marqués tirer de ces passages les mêmes conséquences que nous, pour établir l'obligation de se confesser. Il est donc démontré par cinq raisons sans réplique, que les Pères ont partagé nos sentiments sur la nature de cette obligation ; je veux dire qu'ils en ont reconnu la source dans le précepte divin.


J'ajoute qu'ils ont eu raison de regarder la confession, comme étant d'institution divine. Car enfin, Monsieur, pour examiner ici la chose en elle-même, n'est-il pas incontestable que Jésus-Christ a donné aux Apôtres, et en leur personne aux ministres de l'Église, le pouvoir de lier et de délier, d'absoudre et de condamner ? Penserions-nous que c'est pour en user témérairement, et sans connaissance de cause ? Dieu n'a-t-il pas eu soin de nous marquer lui-même que LE PREMIER DEVOIR DES DISPENSATEURS DE NOS MYSTÈRES C'EST D'ÊTRE EXACTS ET FIDÈLES12 ? » Lorsque le Sauveur, pour accomplir la promesse qu'il avait faite à ses Disciples au chapitre 18 de saint Matthieu, leur dit avant de monter au Ciel, comme il est rapporté au chapitre 20 de saint Jean : Les péchés seront pardonnés à ceux à qui vous les pardonnerez, et retenus à ceux à qui vous les retiendrez, ne les chargea-t-il pas de faire le discernement entre les péchés qu'il faudrait pardonner, et ceux qu'il faudrait retenir ? ce discernement peut-il se faire sans connaître le détail ? ce détail peut-il se connaître sans l'aveu du pénitent ? Qui ne voit donc ici la nécessité de la confession parfaitement établie, non par une conclusion amenée de fort loin, mais par la conséquence la plus naturelle ?


Peut-être, Monsieur, le passage cité ne nous montre la confession faite au prêtre que comme un moyen d'obtenir la rémission de ses péchés ; peut-être il ne va point à conclure qu'il soit nécessaire de s'adresser au prêtre, comme à son juge, pour se faire absoudre ; peut-être il laisse supposer d'autres voies pour parvenir à la réconciliation avec Dieu. Mais, Monsieur, vous ne faites donc pas attention à ces paroles : Les péchés que vous retiendrez, seront retenus. Comment seront-elles vraies, s'il y a d'autres voies indépendantes de la confession propres à réconcilier le pécheur avec Dieu ? Je suppose que le prêtre refuse l'absolution au pénitent ; dans ce cas il lui retient sans doute ses péchés : vous dites que le pénitent a d'autres moyens de faire sa paix avec Dieu ; vous prétendez donc que les péchés lui seront remis, quoique le prêtre les lui retienne ; mais en le prétendant, ne formez-vous pas une prétention contraire à celle de Jésus-Christ ? Il est donc absolument nécessaire de se faire absoudre par le prêtre, après lui avoir donné une connaissance suffisante de l'état de sa conscience, et, à parler régulièrement c'est l'unique moyen de rentrer en grâce avec Dieu. La contrition toute seule justifie, il est vrai, dans les cas où l'on ne peut pas se confesser, mais elle ne peut pas avoir cet effet, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le faire observer, à moins qu'elle ne soit accompagnée d'un désir sincère de se confesser au plus tôt.


Et pourquoi, Monsieur, cette expression de l’Évangile ? Pourquoi ces clés données aux ministres de l'Église ? Est-ce sans dessein que le Sauveur a employé cette métaphore, pour exprimer le pouvoir qu'il leur conférait ? Non, sans doute ; car de même que l'on ne peut entrer dans une maison fermée à moins d'en avoir la clé, de même aussi personne ne peut entrer dans le Ciel fermé par le péché, s'il ne lui est ouvert par le ministère des prêtres. Si l'on y pouvait entrer d'ailleurs, ce serait en vain les Apôtres et leurs successeurs auraient reçu les clés du royaume des Cieux ; que servirait-il d'avoir les clés d'une maison, si l'entrée en était ouverte indifféremment à tous, malgré celui qui en posséderait les clés ?


Ajoutez, Monsieur, qu'on ne donne pas les clés à un homme pour lui faire déclarer que la porte est ouverte ou fermée, mais pour l'ouvrir ou la fermer effectivement ; ce qui marque parfaitement bien la qualité du pouvoir qui a été donne aux ministres de l'Église. Car c'est ainsi que leur pouvoir ne consiste pas à déclarer seulement le pécheur lié ou délié, mais à le lier ou à le délier en effet ; ce qui est absolument contraire aux principes par lesquels vous prétendez éviter l'obligation de vous confesser.

Pour ce qui est du passage de saint Jacques au 5° chapitre de son Épître : Confessez donc vos péchés les uns aux autres, qui ne comprend la pensée de l'Apôtre ? N'est-ce pas que les pécheurs doivent confesser leurs péchés aux ministres chargés de les remettre ? La suite de ces paroles ne le fait-elle pas assez connaître, puisque immédiatement auparavant il avait parlé des prêtres ? La particule donc marque ici une liaison, et il n'y en aurait aucune, s'il n'était parlé de la confession qui doit se faire au ministre de Jésus-Christ.


Le passage de saint Jean au chapitre 1er de sa première Épître n'est pas moins propre à nous faire comprendre, que la confession est une condition avec laquelle Dieu est prêt à nous pardonner nos péchés, et sans laquelle il ne nous les pardonnera jamais : Si nous confessons nos péchés, dit cet Apôtre, Dieu est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute injustice1. Je sais que plusieurs de vos docteurs prétendent qu'il faut entendre ce passage de la confession faite à Dieu seul ; mais je leur demanderai volontiers en quel lieu de l’Écriture Dieu a promis le pardon à ceux qui se confesseraient à lui seul, pour avoir donné lieu à l'Apôtre de dire que Dieu sera fidèle à s'acquitter de sa promesse ? je ne pense pas, Monsieur, que vous sachiez de texte où cette promesse soit contenue ; mais vous n'ignorez pas celui où il est dit : Les péchés que vous remettrez seront remis ; et c'est en accomplissant cette parole envers ceux qui se font absoudre par les prêtres, que Dieu se trouve fidèle dans sa promesse.


Les premiers fidèles, qui vivaient du temps des Apôtres, n'ont pas ignoré le précepte de la confession, puisqu'au rapport de saint Luc ILS VINRENT CONFESSER ET DÉCLARER LEURS FAUTES2, et cette confession était bien détaillée, puisque d'après une exacte connaissance de leur action saint Paul leur ordonna de brûler les mauvais livres où ils avaient longtemps cherché un aliment à leur curiosité criminelle ; ils en brûlèrent pour une somme considérable.


Soyez équitable, Monsieur, je vous prie, et je vous en prie d'autant plus librement, que vous vous êtes fait une grande habitude de l'être partout ailleurs : si, pour appuyer quelqu'un de vos dogmes, vous aviez des textes aussi forts et aussi clairs, ne croiriez-vous pas votre cause parfaitement et invinciblement établie ? Souffririez-vous qu'on vînt vous dire de sang-froid, que vous n'avez pour vous aucun témoignage de l’Écriture ? et si quelqu'un vous le disait, ne le regarderiez-vous pas en pitié ? n'admireriez-vous pas ou sa hardiesse, ou sa stupidité ? Que voulez-vous donc que nous pensions de votre Kemnitius, qui a cru porter un rude coup à notre confession auriculaire, en disant froidement, qu'elle n'a pour elle ni les témoignages de l’Écriture, ni ceux de l'antiquité ? Je pense, Monsieur, vous avoir fait voir clairement le contraire par tous les raisonnements que j'ai eu l'honneur de vous faire ; et le moins que je puis me promettre de vous, c'est que vous vous tiendrez en garde pour ne pas vous en laisser imposer par ces airs d'assurance qu'affectent vos prétendus héros. Plus ils sentent leur cause faible, plus ils prennent un ton élevé, plus ils redoublent leurs vanteries, comme s'ils ne suivaient que le pur Évangile ; et quand nous leur citons les textes de l’Écriture les plus clairs, quand nous insistons sur le sens le plus naturel, en leur montrant nos explications appuyées sur le sentiment de tous les Pères, autorisées par la pratique de tous les siècles, soutenues par l'usage universel de l'Église, alors ils osent encore nous blâmer de nous attacher au fatras des traditions humaines, d'aimer la servitude, et de nous assujettir bonnement aux caprices de ceux qui ont entrepris de dominer sur nos consciences.


Encore un coup, Monsieur, j'en appelle à votre équité, est-ce nous qui sommes blâmables d'avoir retenu un usage que nous avons reçu de nos pères, un usage dont on ne peut trouver l'origine dans aucun siècle postérieur à celui des Apôtres, un usage qui a été constamment pratiqué par les empereurs, les rois et tous les plus grands princes chrétiens de la terre, un usage qui certainement n'eût pas trouvé des personnes, d'ailleurs si ennemies de la gêne et de la contrainte, dociles à s'y soumettre, s'il n'était venu d'une autorité supérieure à celle des hommes ? Est-ce nous qui sommes blâmables d'avoir conservé une pratique si utile à entretenir l'innocence, si propre à ramener les pécheurs, si efficace pour tranquilliser les consciences humbles et sincères, si convenable pour mettre un frein aux passions, et si heureuse dans ses ressources pour rétablir l'ordre, pour ramener à la justice, et pour réparer des dommages irréparables par toute autre voie ? ou plutôt n'est-ce pas votre Luther, homme sans aveu et sans caractère, qui a mérité un blâme éternel en entreprenant de son autorité particulière de retrancher une coutume aussi divine dans son institution que salutaire dans ses effets, et dont la suppression enlèverait à la fragilité humaine le seul remède qui lui reste pour se relever de ses chûtes, et fermerait à tous les pécheurs la porte du ciel, en les privant de la seule voie de réconciliation que Dieu leur a laissée sur la terre ?


Vos ministres de Strasbourg ont eux-mêmes si bien reconnu les avantages, l'importance et la nécessité de la confession privée, qu'ils ont tout fait pour la rétablir dans leurs églises. Voici en peu de mots cette histoire singulière, elle mérite sans doute d'être rappelée à votre souvenir.


Vers l'an 1670 ils pensèrent à faire une nouvelle édition de leur rituel ; leur premier soin fut d'examiner avec attention ce qu'il conviendrait d'y changer ; leurs remarques faites, ils présentèrent aux magistrats un écrit contenant trente et un articles en forme de doute et de questions sur les corrections qu'ils croyaient ou convenables ou nécessaires ; ils remettaient néanmoins le tout avec une profonde soumission, comme ils s'expriment, à la dernière et souveraine décision des magistrats. Au reste, Monsieur, n'allez pas me soupçonner de n'avoir qu'une connaissance confuse ou incertaine du fait que je vous rapporte. J'ai eu en main la pièce originale qui a été présentée aux magistrats, et je vous en ferai voir quand il vous plaira, une copie bien et dûment collationnée. Le sixième article de ce mémoire parlait de la communion, et l'on y témoignait désirer que le peuple reçût dorénavant la communion à genoux tant pour se conformer à la pratique de l'Église de Saxe, dont on disait avoir reçu le pur Évangile, que pour marquer sa foi touchant la présence réelle de JÉSUS-CHRIST dans l'Eucharistie ; on ajoutait que saint Paul voulant que tout genou fléchît au nom de Jésus-Christ, il était encore bien plus juste d'exiger que tout genou fléchît devant sa personne. Les magistrats répondirent à cet article en deux mots, qu'il ne fallait rien innover.


Le dernier article du mémoire parlait de la confession, et cet article seul se trouve avoir plus d'étendue que tout le reste ; il contient 27 pages, tandis que tous les autres ensemble n'en contiennent que 22 ; il paraît que c'est celui auquel on attachait le plus d'importance, et pour lequel on croyait devoir plaider le plus fortement. Aussi y emploie-t-on toute sorte de preuves, pour porter les magistrats à consentir au rétablissement de la confession privée. Il en était dès lors comme aujourd'hui : on se confessait par bandes et par troupes ; vingt et trente personnes se présentaient en même temps pour recevoir de compagnie la même absolution. Les ministres voulaient changer cet usage ; ils désiraient que chacun en particulier fit connaître l'état de sa conscience, pour se faire absoudre seul et séparément ; et c'est pour faire agréer ce changement aux magistrats, qu'ils citaient dans leur mémoire le onzième article de la confession d'Augsbourg, l'apologie de la confession, le huitième article de Smalcade, le livre de la Concorde au titre de la prédestination, l'accord fait avec l'Église de Wittemberg, plus de douze auteurs luthériens, les paroles mêmes du rituel de Strasbourg, p. 32 et p. 295, le sentiment de Jean Marbach et de Jean Schmidt, ministres singulièrement considérés en cette ville, et par-dessus tout le texte du chap. 20 de saint Jean : Les péchés que vous remettrez, etc. ; puis ils finissaient leur requête en disant, qu'eu égard au serment qu'ils avaient fait à leur ordination de ne rien souffrir qui pût donner atteinte à la doctrine contenue dans la confession d'Augsbourg, et dans l'apologie, ils s'étaient crus obligés de faire cette remontrance sur la confession, et de peur qu'on ne les soupçonnât d'agir par quelque vue d'intérêt, ils déclaraient renoncer à tous les émoluments qui pourraient leur en revenir, et promettaient de ne pas recevoir la pièce que les pénitents ont coutume de présenter dans les autres églises luthériennes. Les magistrats, pour toute réponse à cet amas de raisonnements de preuves, de citations, se contentèrent de mettre à la marge de la requête ces deux petits mots : C'est là une nouveauté qu'il ne faut pas introduire.


J'avoue que les ministres avaient eu grand soin de dire qu'ils ne pensaient pas à rétablir la confession des papistes ; ils l'avaient rendue trop odieuse, pour qu'ils eussent osé tenter une pareille entreprise : c'était encore selon eux une gêne insupportable, une torture cruelle des consciences ; c'est ainsi qu'ils l'appellent dans leur écrit. Toujours est-il vrai de dire qu'ils n'étaient pas contents de la manière de se confesser, telle qu'elle se pratiquait pour lors dans leur société, et telle qu'elle s'y pratique encore aujourd'hui ; ils voulaient quelque chose de plus : ils désiraient que chacun fît connaître en particulier à son confesseur ses dispositions intérieures, et que s'il se sentait coupable de quelque péché grief, il eût assez de confiance en lui, pour oser le lui déclarer. Mais je demanderais volontiers à ces Messieurs, s'ils prétendaient faire aux pénitents une obligation de déclarer leurs péchés secrets, ou s'ils leur laissaient une pleine liberté de ne les confesser qu'à Dieu seul ; s'ils ont prétendu qu'il n'y eût aucune obligation pour les pénitents de déclarer leurs péchés, comment ont-ils pu se flatter qu'on viendrait les déclarer sans y être amené par le devoir, et quel eût été l'effet de la nouvelle ordonnance sur des esprits raisonnables ? Mais s'ils ont prétendu en faire un devoir, n'était-ce pas alors rétablir la confession des papistes sous un autre nom ? Quoi qu'il en soit, ils ont assez fait voir par cette conduite combien ils estimaient la confession des péchés secrets, et s'ils n'ont osé l'exiger, du moins l'ont-ils fortement conseillée, et leur grand désir a-t-il été de la revoir en pratique.


Pour ce qui est des idées noires qu'on s'est formées de notre confession, et qu'on a pris à tâche d'entretenir dans l'esprit des magistrats, elles ne sont fondées que sur les anciennes calomnies des chefs de votre réforme, et nommément sur celles de Kemnitius, qui pour sa part seule nous en impose en cinq ou six chefs.


Premièrement, il nous impute d'exiger une chose impossible, et prétend que nous demandons des pénitents, qu'ils se souviennent de tous les péchés qu'ils ont commis1 ; or nous n'avons jamais dit qu'on fût obligé de se souvenir de tous ses péchés, mais bien de déclarer ceux dont on pourra se souvenir après un examen raisonnable. Il nous fait, en second lieu, une obligation de confesser tous les péchés sans aucune distinction1 ; or, nous distinguons entre les péchés mortels ou véniels ; et nous n'enseignons pas que ces derniers fassent partie de la matière nécessaire de la confession. Troisièmement, il suppose que nous exigeons un détail exact de toutes les circonstances2 ; or nous demandons seulement qu'on fasse connaître celles qui changent l'espèce, ou qui augmentent notablement le péché. Il y a, sans doute, de la différence entre dérober cent écus, et n'en dérober que deux, entre pécher avec une personne libre, et pécher avec une personne mariée. Telles sont les circonstances dont il est nécessaire d'instruire le confesseur ; quant aux détails indifférents, non-seulement on dispense volontiers les pénitents de les dire, mais on les prie même de n'en point embarrasser leur confession. Quatrièmement, si l'on en croit Kemnitius, nous faisons tellement dépendre la rémission du récit de nos péchés, que si nous venons à en omettre un seul, tout le reste doit être compté pour rien3 : or, nous disons constamment qu'une omission faite involontairement et par oubli, ne préjudicie en rien à la validité de la confession. Il nous impute en cinquième lieu de vouloir mériter la rémission de nos péchés par l'exactitude de notre confession, et nous reproche de donner par là atteinte à la justification gratuite, qui se fait uniquement en vue des mérites de Jésus-Christ4. Or, nous déclarons avec le concile de Trente, que rien de ce qui précède la justification, ne mérite cette grâce précieuse ; et que nous ne regardons pas la confession du pécheur, à parler dans un sens strict, comme une œuvre méritoire, mais comme une condition que Dieu exige, et sans laquelle il ne veut pas nous recevoir en grâce, ni nous appliquer les mérites de son divin Fils. Trouvez-vous, Monsieur, que votre Kemnitius mérite de grands éloges pour sa fidélité à rapporter les sentiments de ses adversaires ? ou plutôt ne vient-il point d'être convaincu d'imposture et de mauvaise foi ? Sied-il à un honnête homme d'employer de si mauvaises voies pour rendre odieuse la doctrine de ses antagonistes ?


Mais revenons à vos ministres de Strasbourg ; que penser de leur conduite, de celle des magistrats, et de toute l'économie de votre religion ? Tout le corps de vos ministres, depuis le président de votre assemblée ecclésiastique jusqu'au dernier de vos vicaires, juge qu'il y a des changements importants à faire dans les usages de l'Église de Strasbourg, et nommément dans l'administration des sacrements. On fait sur cet article de vives représentations aux magistrats, et c'est le corps entier des ministres qui les signe ; mais pourquoi ce corps ne fait-il pas par lui-même, et de son chef, les règlements qu'il juge nécessaires ? N'est-ce pas lui qui est le dépositaire de l'autorité ecclésiastique ? Pourquoi avoir recours à une autorité purement séculière qui est établie de Dieu pour terminer des procès et faire des règlements de police civile, mais qui n'a aucun caractère pour juger de ce qui concerne la religion ? Ce n'est pas tout ; on s'adresse aux magistrats, non pour agir de concert avec eux, et se ménager un appui une telle démarche serait en quelque façon tolérable ; mais c'est pour soumettre, à ce qu'on dit, avec une pleine et entière déférence le résultat des délibérations ecclésiastiques à la dernière et souveraine décision des magistrats. Et qui est-ce qui soumet ainsi toutes ses pensées et toutes ses lumières ; et à qui les soumet-on ? Ce sont ceux qu'on regarde chez vous comme les maîtres et les docteurs de la religion, qui viennent recevoir humblement des leçons ; les voilà prêts à écouter comme des oracles leurs propres écoliers, de simples laïques dont toute la connaissance en matière de religion se borne à ce qu'ils ont appris, dans leur jeunesse, des maîtres mêmes qui aujourd'hui les consultent ; ce sont les pasteurs qui se soumettent au jugement de leurs ouailles ; ce sont des savants, que le devoir de la profession attache à une étude constante de la religion, qui témoignent une déférence entière pour se rendre à toutes les décisions de ceux que les soins domestiques, le maniement des affaires publiques, le négoce, ou des études profanes appliquent à toute autre espèce d'idées.


Vous ne penserez pas, sans doute, Monsieur, que ceux qui composaient le corps des magistrats au temps dont j'ai l'honneur de vous parler, aient été plus habiles sur le fait de la religion que ceux d'aujourd'hui ; du moins n'y a-t-il aucun sujet de le penser. Outre que nous vivons dans un siècle fort éclairé, on redouble encore chez vous les soins de l'instruction, depuis qu'on croit votre religion en danger sous un maître catholique. Or, quelle idée avez-vous de l'habileté théologique des principaux membres de votre magistrature ? Certainement Messieurs vos stettmeistres, ammeistres, assesseurs de la chambre des Treize et des Quinze, sont des gens d'un très bon esprit ; ils ont beaucoup de politesse et de savoir-vivre ; ils font paraître une grande sagesse dans leur conduite ; ils montrent une expérience consommée dans les affaires ; ils entendent parfaitement les intérêts de la ville et de ses dépendances ; plusieurs parmi eux excellent dans la connaissance du droit ; mais pour ce qui est d'être grands théologiens, je réponds qu'eux-mêmes ne s'en piquent pas, et vous n'oseriez leur attribuer ce genre de mérite. Tels sont néanmoins les personnages qui apprennent à vos ministres, qu'il ne faut ni donner des marques extérieures de respect par la génuflexion en recevant la cène, ni se confesser seul à seul, de manière à faire connaître en détail l'état de sa conscience. Il est vrai que tout le corps de vos ministres tenait pour le sentiment contraire ; mais il est à croire que les chefs du gouvernement politique ont des lumières supérieures en fait de religion. C'est là sans doute le principe qui a réglé la démarche de vos ministres, et qui les a rendus si tranquilles au refus sec par lequel on a répondu à leurs demandes.


Qu'on est à plaindre, Monsieur, quand on s'écarte des routes que la providence a marquées ! Vos ministres ont crié contre l'autorité impérieuse des conciles, et refusé de se soumettre au jugement des évêques, qui sont les juges-nés de la religion, les juges ÉTABLIS PAR LE SAINT-ESPRIT POUR GOUVERNER L'ÉGLISE1, et voilà ces mêmes ministres si difficultueux et si indociles, quand il s'agit d'écouter l'autorité légitime, les voilà rampants aux pieds d'un magistrat séculier, s'offrant à recevoir la leçon de ceux qu'ils devraient instruire, et passant la contradictoire de leur sentiment sans réplique. Qu'ils viennent ensuite nous vanter la conformité de leur doctrine et de leurs rites avec l'Écriture-Sainte. Leur sentiment est, qu'il faut adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie, confesser ses péchés en particulier ; ils citent pour cela l’Écriture : le magistrat ne le trouve pas propos ; ils acquiescent au sentiment du magistrat, et répètent toujours également aux oreilles du peuple, qu'ils suivent partout l’Écriture. L'illusion peut-elle aller plus loin, et se manifester plus sensiblement ?


Pardonnez-moi, Monsieur, cette digression : elle est un peu longue, mais elle m'a paru propre, non-seulement à vous montrer l'estime qu'on ne peut refuser chez vous à la confession secrète et détaillée, mais aussi à vous faire remarquer les défauts essentiels de votre croyance. Pour peu que vous réfléchissiez sur l'exposé que je viens de faire, vous trouverez qu'il n'y a dans votre société ni méthode, ni juste subordination, ni règle sûre sur laquelle on puisse compter et que tout se dément, faute d'une liaison de principes qui puisse donner de la consistance à votre religion.


Je reviens à l'obligation de se confesser, et après vous l'avoir invinciblement démontrée, je finis en vous priant d'en peser sérieusement les conséquences. Rester chargé de ses péchés, c'est se livrer à la justice d'un Dieu irrité, et s'en faire la victime pour l'éternité tout entière ; se procurer le pardon de ses péchés, c'est se retirer du bord du précipice, et s'établir dans le sein de la miséricorde; c'est rétablir les affaires de son salut, en quelque mauvais état qu'elles puissent être. Or, Monsieur, tous les chrétiens depuis le temps des Apôtres jusqu'à Luther, ont été constamment persuadés que pour obtenir le pardon de ses péchés, il fallait les soumettre par une confession humble et sincère au jugement d'un prêtre : quand je ne vous aurais pas apporté sur ce point tant de preuves positives, il me suffirait de vous faire souvenir de la belle maxime de saint Augustin : il veut que tout usage généralement établi dans la chrétienté, et dont on ne peut trouver l'origine ni dans l'autorité des conciles, ni dans les décisions des papes, ni dans les règlements des évêques, soit nécessairement rapporté au temps et à l'institution apostolique1. Or, Monsieur, c'est là justement le cas de la confession auriculaire. Avant Luther elle était établie, et généralement pratiquée dans toute la chrétienté ; on ne peut dire ni quel concile, ni quel pape, ni quel évêque lui a donné commencement. Si l'on pouvait en nommer l'instituteur, celui qu'on indiquerait avec le plus de vraisemblance serait sans doute Innocent III : or, je vous ai prouvé clairement que ce pape ne pouvait passer pour être l'auteur du précepte de la confession ; reste donc à dire que l'obligation de nous confesser nous est venue du temps des Apôtres ; et comme le ministère des Apôtres n'a pu aller jusqu'à attacher la grâce et la rémission des péchés à une pratique qui serait de leur institution, il faut conclure nécessairement que la confession est d'institution divine, et qu'elle n'a pas d'autre auteur que Jésus-Christ même.


CONCLUSION.


Mais je ne cherche point ici à rentrer dans de nouvelles preuves, j'en ai donné bien assez. Le seul désir qui me reste, est de vous amener à réfléchir sur le danger que vous courez en ne vous confessant pas : vous êtes, je le sais, Monsieur, d'une conduite sage et réglée ; mais cette sagesse l'avez-vous toujours pratiquée ? c'est ce que je ne sais pas ; la bouillante jeunesse est-elle toujours restée dans les justes bornes du devoir ? la pureté du cœur a-t-elle toujours répondu à la régularité des actions ? Ce n'est point à moi à sonder votre cœur ; mais si vous le sondez vous-même, ne vous reprochera-t-il rien ? Que nous sommes savants, nous autres confesseurs, sur les misères de l'homme ! que nous avons de peine à nous persuader que dans une religion ou il n'y a pas de frein, on ait toujours vécu selon les lois exactes du christianisme ! Je connais votre modestie, Monsieur, et je ne doute pas que vous ne soyez le premier à vous condamner sur mille articles ; je suis sûr que vous dites avec le Prophète : Seigneur, n'entrez point en jugement avec votre serviteur1 ; que vous sentez, avec saint Paul, le besoin que vous avez de cette grâce, qui procure à Dieu la gloire d'un généreux pardon2 : mais, que ne faites-vous donc ce qui est nécessaire pour obtenir miséricorde ? Dieu, qui connaît la faiblesse de l'homme, a préparé un remède à ses chutes ; que ne vous en servez-vous pour vous relever des vôtres ? Si vous étiez actuellement au lit de la mort, et que vous eussiez la commodité de vous confesser, pourriez-vous faire attention à toutes les preuves que j'ai apportées sur la nécessité de la confession, et ne pas vous croire obligé par les règles de la prudence et par les lois de la charité personnelle, de prendre vos sûretés ? Quoi ! Monsieur, vous est-il évident que tous les chrétiens s'en sont laissé imposer ? que les Latins et les Grecs ont agi de concert pour se forger une chaîne qui vous paraît si pesante ? que tout l'univers a été la dupe du pape Innocent III ? Vous est-il évident que tous les témoignages de l'antiquité que j'ai cités, ne prouvent rien ? que toutes nos preuves tirées de l’Écriture sont illusoires ? J'ai peine à croire, Monsieur, que vous vouliez dire ou penser que vous trouvez là la certitude de l'évidence ; mais si des doutes, et c'est le moins que je puisse supposer, si des doutes s'élèvent en vous sur un point si important, quel risque ne courez-vous pas en restant dans une religion où l'on ne se confesse pas ! n'est-ce pas vous exposer à aller paraître devant le tribunal de Dieu, chargé du poids de tous les péchés que vous avez commis depuis votre tendre jeunesse ? n'est-ce pas rester dans un danger volontaire de trouver votre juge inflexible, après avoir négligé le moyen qu'il vous avait mis en main pour le fléchir ?


Supposons pour un moment que la confession ne soit pas nécessaire : peut-elle être nuisible ? Peut-elle n'être pas infiniment avantageuse à ceux qui se confessent ? un pénitent humilié aux pieds du prêtre, un pénitent qui se fait violence pour obéir à la loi, et n'omet rien de ce qu'il croit nécessaire pour recouvrer l'amitié de son Dieu, un pénitent couvert d'une honte salutaire qui aide ses regrets, et qui anime ses résolutions, ne vous paraît-il pas, Monsieur, un objet bien digne de toucher le cœur de Dieu, et d'obtenir miséricorde ? mais si, pour apaiser Dieu, vous manquez à la condition qu'il exige comme nécessaire, ne vous livrez-vous pas à toutes les suites des péchés non pardonnés et réservés à la vengeance divine ?


Permettez-moi donc, Monsieur, de vous dire ici à peu près, ce que les domestiques de Naaman dirent à leur maître : QUAND BIEN ON EXIGERAIT DE VOUS QUELQUE CHOSE DE BIEN DIFFICILE, TOUJOURS DEVRIEZ-VOUS VOUS Y SOUMETTRE puisqu'il s'agit de guérir de votre lèpre ? mais maintenant que le prophète ne vous demande autre chose, sinon que vous VOUS BAIGNIEZ DANS LES EAUX DU JOURDAIN3, comment pourriez-vous vous refuser de pratiquer un remède si aisé ? Dieu, eût-il, Monsieur, attaché le pardon de vos péchés aux conditions les plus dures, y a-t-il rien au monde que vous ne dussiez être prêt à faire pour l'obtenir ? Maintenant il exige uniquement de vous, que vous déclariez avec un cœur contrit et humilié vos misères et vos faiblesses à celui qu'il a établi pour son lieutenant ; pourquoi donc feriez-vous difficulté de vous servir du remède qu'il a ordonné pour la guérison de votre âme ? Et qu'y a-t-il dans la confession qui puisse tant vous effrayer ou vous rebuter ? craindriez-vous que le secret ne vous fût pas assez exactement gardé ? mais ignorez-vous, Monsieur, la sévérité de nos lois, ne savez-vous pas jusqu'où nous portons l'obligation du sceau ? peut-elle être et plus étroite, et plus universelle ? figurez-vous tous les cas possibles ; jamais vous n'en imaginerez aucun où il puisse être permis de révéler ce que l'on connaît par la seule voie de la confession : fallût-il sacrifier mille vies et expirer dans les plus horribles tourments, tout confesseur doit y être déterminé plutôt que de porter jamais, par le moindre mot, atteinte au secret de la confession ; aussi ne pensé-je pas, Monsieur, que vous ayez jamais ouï parmi nous faire aucune plainte sur ce sujet ; vous pouvez compter qu'il ne vous arrivera pas d'avoir sujet d'en faire. Mais, me direz-vous, du moins est-il dur d'être obligé à faire des aveux secrets et humiliants qui ne peuvent manquer de laisser de fâcheuses impressions dans l'esprit du confesseur. Oserai-je vous dire, Monsieur, ce qui en est, et m'en croirez-vous ? on ne fait jamais tort à sa réputation dans l'esprit du confesseur, quand on est résolu de se corriger ; il est beaucoup plus édifié des bonnes et saintes dispositions qu'il voit actuellement dans son pénitent, qu'il ne peut être frappé de tous ses dérèglements passés. Un aveu humble et sincère, accompagné d'un vif regret et d'une généreuse volonté pour l'avenir, charme le cœur de Dieu même, qui a été offensé ; comment pourrait-il déplaire à un homme qui ne se trouve en rien lésé par tous les excès auxquels on a pu s'abandonner, et qui sent en lui-même les mêmes principes de misère et de faiblesse ? Croyez plutôt, Monsieur, que le confesseur, plein d'amour pour Dieu et de charité pour le prochain, bénira mille fois le Seigneur de ce qu'il veut bien se servir de son ministère, pour rappeler à la vie le pécheur qui allait périr.


Quand vous vous serez une fois déterminé à faire votre première confession (car je m'attends toujours à vous en voir prendre la résolution ; et je ne cesserai d'espérer ce que je ne puis me lasser de demander à Dieu ) ; quand, dis-je, vous serez prêt à faire votre première confession, la plus difficile de toutes, comme la plus chargée comme celle où l'on a le moins d'usage, il vous sera libre de vous adresser à qui il vous plaira ; s'il vous est plus aisé de vous confesser à un étranger qui ne vous connaisse pas, et avec qui vous ne deviez jamais avoir de rapports, vous en serez pleinement le maître ; et si vous aimez mieux vous adresser à un prêtre de votre connaissance, j'ose vous assurer, Monsieur, qu'il se trouvera honoré de votre confiance, et que bien loin de rien perdre de son estime, vous verrez redoubler en elle tous les sentiments qui peuvent vous attacher son cœur.


Je sais bien, Monsieur, que malgré tous ces motifs d'encouragement, je ne dissiperai pas entièrement la difficulté que vous pouvez éprouver à vous confesser ; Dieu a voulu que la confession fût accompagnée de quelque peine, tant pour se venger de la légèreté avec laquelle on l'a offensé, que pour apporter par cette répugnance salutaire une espèce de frein aux passions ; mais, Monsieur, dès que Dieu vous déclare sa volonté, y a-t-il à balancer pour vous ? s'il ne veut vous rendre son amitié qu'à ce prix, croirez-vous l'acheter trop cher ? je vous crois trop d'empire sur vous-même, pour céder à une difficulté si légère, lorsqu'il s'agit de contenter Dieu, et de vous mettre à l'abri de ses redoutables jugements. Mais, s'il vous en coûte, vous ne tarderez pas à être dédommagé de ce faible sacrifice ; la paix et la joie intérieure que vous goûterez, vous feront sentir que vous avez trouvé grâce devant le Seigneur ; les fruits du Saint-Esprit, qui habitera dans votre cœur, mettront votre âme dans une situation toute nouvelle, et vous feront trouver un contentement que vous n'aurez pas encore éprouvé. Je ne vous dis rien, Monsieur, dont je n'aie vu mille fois l'expérience dans les nouveaux convertis, après leur première confession. Dieu ne vous traitera pas moins favorablement que les autres : j'en connais plusieurs qui, en se faisant catholiques, ont eu spécialement en vue de calmer les remords de leur conscience par un aveu salutaire, et qui ont parfaitement réussi à trouver par cet acte d'humilité le repos qu'ils avaient cherché vainement ailleurs. Je sais une dame de qualité, qui ne passait jamais par la cathédrale, lorsqu'elle était encore des vôtres, sans envier à ceux qu'elle voyait dans nos confessionnaux, l'avantage qu'ils avaient de déclarer leurs faiblesses. Dieu lui a fait depuis la grâce de les imiter, et elle s'acquitte aujourd'hui de ce devoir avec autant de contentement que d'édification.


Puisse le ciel, Monsieur, vous faire participer au même avantage, et vous inspirer une volonté efficace de prévenir le plus grand de tous les malheurs, le malheur de mourir dans le péché ! on y meurt, quand on négligé d'en obtenir le pardon ; et on n'en obtient le pardon que par une bonne confession, lorsqu'on est état de pouvoir se confesser.


Vous me direz peut-être que sans être obligé à changer de religion, vous pouvez avoir tous les avantages de la confession en vous confessant à un de vos ministres. Mais 1° il serait difficile de comprendre comment vous pourriez être persuadé de la nécessité de la confession, et estimer encore une religion qui ne la regarde pas comme nécessaire ; 2° je ne vous crois pas assez persuadé de la fidélité de vos ministres sur le secret, pour oser leur faire une confession aussi sincère qu'elle le doit être ; leurs maximes sur l'obligation du secret, et la conduite qu'ils ont tenue plus d'une fois sur ce sujet, ne sont pas du moins fort propres à vous inspirer beaucoup de confiance ; 3° quand vous vous sentiriez pour quelqu'un d'entre eux toute la confiance requise en pareil cas, la confession que vous lui feriez serait fort inutile, puisque vos ministres n'ont aucun caractère pour donner des absolutions valables devant Dieu.


C'est ce que j'espère vous démontrer dans la lettre suivante. Je finis pour le présent, et c'est en vous demandant pardon de mes longueurs ; je n'ai pas le talent de m'expliquer en peu de mots sur des obligations aussi importantes que celles dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir. Le zèle infini que je me sens pour votre salut me suggère toujours de nouvelles pensées, et ne me laisse pas la liberté de les supprimer ; je joins à ce zèle un vif désir de vous persuader de l'attachement sincère et respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.



5ème LETTRE : SUR LE DÉFAUT DE POUVOIR DANS LES MINISTRES PROTESTANTS.



MONSIEUR,


Plus j'avance dans le dessein dont vous avez vu le plan dans ma première lettre, plus je sens redoubler en moi le zèle qui m'intéresse à votre salut. Vous avez un caractère si loyal, Dieu a mis en vous des dispositions si heureuses, et qui, à la religion près, paraissent si propres à faire de vous un prédestiné ; pourrais-je vous voir engagé dans cette multitude d'attaches qui vous éloignent de la route du Ciel, sans avoir le cœur pénétré de douleur, et sans me croire obligé de chercher toutes les voies possibles pour vous les faire connaître et vous engager à en sortir. Les obstacles que j'ai eu l'honneur de vous exposer jusqu'ici, sont aussi réels que funestes dans leurs effets ; il est difficile que vous n'en soyez pas convaincu, pour peu que vous ayez voulu donner votre attention à les examiner : mais celui dont j'ai à vous entretenir aujourd'hui, semble avoir encore quelque chose de plus sensible et de plus effrayant, soit que l'on considère la vérité du reproche que nous vous faisons, soit que l'on regarde les terribles suites du défaut important que nous vous reprochons dans la plus exacte vérité.


Nous prétendons, Monsieur, que vous n'avez pas de prêtres chez vous ; je veux dire, que vous n'avez pas d'hommes qui aient le pouvoir de vous administrer le sacrement d'Eucharistie, ni de vous absoudre de vos péchés ; car des ministres, qui aient le pouvoir d'offrir en sacrifice le corps et le sang de Jésus-Christ, vous n'en avez pas, vous en convenez aisément vous-même, et vous êtes bien éloigné de vous en mettre en peine, puisqu'ils sont à vos yeux non-seulement inutiles, mais profanateurs. Je prends donc ici le mot de prêtre dans le sens que j'ai marqué ; je le restreins au seul ministère de la consécration et de la réconciliation, et je soutiens que vous n'avez chez vous personne qui puisse vous donner le corps et le sang de Jésus-Christ ; personne de qui vous puissiez recevoir une absolution valable devant Dieu.


Vous le sentez bien, Monsieur, ce n'est pas de mon chef que je hasarde de vous adresser ici ce reproche. Ce reproche est celui de tous les catholiques de la terre, et la persuasion où ils sont tous sur le défaut de pouvoir dans vos ministres, n'est point un sentiment sur lequel ils n'appuient que faiblement, comme ils feraient sur une opinion qui leur laisserait la liberté de penser le contraire ; c'est chez nous un article de foi de croire vos ministres destitués de ce pouvoir, car le concile de Trente a décidé en termes exprès au canon 7° de la vingt-troisième session, qu'il n'y a que l'évêque qui puisse valablement ordonner des prêtres, et que le pouvoir d'administrer les sacrements, conféré par toute autre voie, doit être réputé pour nul1.


Si ce sentiment n'était passé chez nous en dogme que depuis la décision du concile de Trente, je comprends comment, suivant vos préjugés, vous pourriez croire ne devoir pas beaucoup vous en inquiéter ; mais, Monsieur, remontez jusqu'aux premiers siècles de l'Église, et vous verrez cette doctrine constamment soutenue dans tous les temps. La protestation même de Luther sur ce sujet contre l'antiquité et contre l'usage des siècles passés1, protestation qui se trouve à la tête d'une lettre qu'il écrivit aux magistrats et au peuple de Prague pour les détourner d'envoyer prendre les ordres chez les évêques catholiques, cette protestation, dis-je, fait assez sentir qu'il n'a pas cru l'antiquité favorable à sa nouvelle manière d'ordonner, et cette seule réflexion suffirait déjà pour troubler la sécurité dans laquelle vous vivez touchant le pouvoir de vos ministres.


Peut-être ne vous est-il jamais venu en pensée de révoquer en doute leur autorité ; mais Monsieur, pour avoir le droit de continuer à rester dans cette tranquillité, il faut nécessairement supposer comme un fait incontestable, que toute l'antiquité s'est trompée, qu'aucun des saints Pères n'a vu clair dans ce qui regarde l'ordination, que tous les peuples chrétiens de la terre n'ont eu que des idées fausses et extravagantes du ministère, que l'Église s'est écartée constamment pendant plus de quinze siècles de la pratique et de la doctrine des Apôtres ; à moins de supposer toutes ces assertions comme autant de vérités certaines et incontestables, vous ne pourrez nullement rester tranquille sur le chapitre dont il s'agit, comme vous le verrez assez par la suite des raisonnements que je dois avoir l'honneur de vous développer. Or, vous m'avouerez, Monsieur, que cette supposition est un peu forte, et que vos docteurs ne sont pas tout à fait en droit d'exiger qu'on la leur passe comme un préliminaire. Vous trouverez sans doute bien plus raisonnable d'examiner qui des deux s'est trompé, de Luther ou de toute l'antiquité ; le sujet en vaut certainement bien la peine, il s'agit ici du tout : si vous restez dans un parti où il n'y ait pas de pouvoir de consacrer ni d'absoudre, vous voilà hors d'état de satisfaire au précepte de Jésus-Christ, qui vous ordonne sous peine de damnation éternelle de recevoir son corps et son sang2 ; vous voilà de plus retenu pour toujours dans les liens de vos péchés, sans pouvoir profiter du bénéfice des clés pour vous faire délier. Comment pourrez-vous donc espérer de vous sauver dans un parti où ne se trouvent pas les ressources les plus nécessaires au salut ? comment même pourra-t-on appeler votre société une Église, s'il est vrai qu'elle manque de ministres et de sacrements ? or, n’est-ce pas en manquer, que d'avoir des ministres sans pouvoir, et des sacrements sans vertu ?


Aussi votre Kemnitius a-t-il si bien compris l'importance de cet article, qu'il n'a pas craint de dire « que par cette prétention contre le pouvoir des nouveaux ministres, nous ne cherchions pas tant à critiquer et à blâmer vos Églises, qu'à les suffoquer, à les égorger, à les détruire, et à les renverser de fond en comble3 ; » ce sont ses propres termes, dont l'exagération même et la singularité rendent plus énergique l'expression de la pensée.


Non, Monsieur, notre dessein n'est ni d'étouffer, ni d'égorger : nous voulons seulement, s'il est possible, empêcher des âmes rachetées du précieux sang de Jésus-Christ, de périr éternellement, faute de la nourriture nécessaire à la conservation de leur vie, ou des remèdes dont elles ont absolument besoin pour guérir les blessures mortelles du péché. Ce sont là, comme vous voyez, Monsieur, de vues de charité que vous ne sauriez désapprouver ; vous conviendrez même aisément, que supposé notre persuasion, nous ne devons pas nous dispenser de vous avertir de votre indigence.


Sans doute, si je voyais un aventurier vendre de l'eau commune dans de petites fioles, comme des essences exquises, comme des spécifiques d'une admirable vertu, comme des remèdes souverains à toutes sortes de maux, je me croirais obligé à détromper des gens trop crédules que je verrais dans la pensée de vouloir en acheter, de peur qu'une vaine confiance dans un remède que je saurais ne devoir leur servir de rien, ne leur fît négliger les remèdes véritables et propres à leur conférer le bienfait de la guérison. Comment donc pourrions-nous nous taire, lorsque nous vous voyons prendre des ressemblances et des fantômes de sacrements pour des réalités, persuadés que nous sommes de l'incompétence de vos ministres et de la non-valeur de vos sacrements ?


Je comprends que Messieurs vos ministres n'aiment pas qu'on vienne à toucher à cet article ; la seule proposition que nous faisons avec cet air de vérité que lui concilie d'abord l'usage de tous les temps, semble déjà par avance les dégrader et les avilir dans l'opinion des peuples, ce qui ne peut manquer de leur être sensible. Mais, faut-il par complaisance et par ménagement pour eux trahir les intérêts de Jésus-Christ ? Serait-il juste de sacrifier le salut de tant d'âmes à la crainte qu'on pourrait avoir de leur déplaire ? je proteste ici que je ne cherche pas à leur faire la moindre peine. Mon caractère vous est assez connu, Monsieur ; vous me ferez, j'espère, la justice de croire que je n'aime point à chagriner personne ; si néanmoins je ne puis dire ici la vérité sans provoquer la mauvaise humeur de vos ministres, à qui vous montrerez sans doute cet écrit pour leur demander leur sentiment, comme vous avez coutume de le faire, il faudra bien se résoudre à supporter leur colère, plutôt que de consentir à vous voir tranquillement rester dans une erreur si préjudiciable à votre salut. Mais ce n'est là déjà que trop de préambules ; je dois me hâter d'entrer en matière : si je ne puis assez mériter votre attention par l'élégance du style, accordez-la, s'il vous plaît, à l'importance du sujet, elle semble vous la demander tout entière.


Vous n'ignorez pas, Monsieur, qu'avant la naissance de Luther tous les chrétiens de l'univers étaient si fort persuadés de la nécessité de se faire ordonner par un évêque pour pouvoir faire les fonctions de prêtre, que les Hussites même de Bohême, tout séparés qu'ils étaient de l'Église catholique, ne laissaient d'envoyer ceux qu'ils destinaient au ministère, vers des évêques catholiques, pour recevoir de leurs mains les ordres sacrés : pour y parvenir il fallait employer la surprise et dissimuler sa religion ; et néanmoins on les vit pendant plus d'un siècle, à commencer depuis leur séparation jusque plusieurs années après celle de Luther, pratiquer ce misérable artifice, dans la persuasion où ils étaient que ni dans le royaume de Bohême ni ailleurs, il n'y avait aucun évêque de leur faction capable d'ordonner des prêtres Hussites, et qu'ainsi c'était là l'unique voie qui leur restât pour se donner des pasteurs revêtus d'un pouvoir légitime.


Or, Luther, après avoir imaginé un nouveau mode d'ordination, crut devoir leur faire part de sa découverte, et ce fut pour les faire changer de sentiment et les amener à sa méthode, qu'il écrivit aux magistrats de Prague la lettre dont j'ai eu l'honneur de vous parler ; c'est dans cet écrit que se trouve soigneusement développé le secret de la nouvelle ordination avec tous les titres que Luther a jugés les plus propres à l'accréditer. Il y soutient premièrement, que tout chrétien est prêtre à raison de son baptême, expression qu'on lui passerait aisément, s'il ne prétendait l'employer que comme une tournure figurée et métaphorique, et exprimer seulement par là que chaque chrétien est en état d'offrir des sacrifices à Dieu, ne fût-ce que celui d'un cœur contrit et humilié1. Mais ce n'est pas là le sens qu'il a eu en vue : il prétend que chaque chrétien est véritable prêtre, et a un pouvoir aussi réel de consacrer et d'absoudre, que celui dont nous reconnaissons le prêtre catholique revêtu par la force de son ordination2. Il dit en second lieu, que quoique chaque chrétien ait tous les pouvoirs attachés à la prêtrise, il ne doit pas néanmoins en faire les fonctions, sans être appelé au ministère par la multitude des suffrages, et il prétend que c'est le choix de la communauté, qui fait entrer légitimement le sujet choisi, dans l'exercice du pouvoir sacerdotal primitivement conféré par le baptême ; de là ce mot favori, « qu'on est prêtre par naissance et ministre par élection3 ; » d'où il conclut que l'ordre de prêtrise reçu par l'imposition des mains de l'évêque, est parfaitement inutile.


Voilà, Monsieur, en peu de mots toute la doctrine de Luther sur ce sujet, doctrine qui ne se trouve pas seulement renfermée dans la lettre que je viens de citer, mais que Luther répète et inculque dans plusieurs autres ouvrages, comme dans la défense des articles condamnés4, dans son livre de la captivité de Babylone5, dans le livre contre la messe privée6, dans la réfutation prétendue du livre de Jérôme Emser7 ; or dans tous ces endroits Luther ne traite pas cette matière superficiellement, mais il mais il y parle en homme qui fait tous ses efforts pour expliquer avec toute la netteté possible ce qu'il a pensé sur cet article.


Je sais, Monsieur, que plusieurs de ses disciples ont notablement changé cette doctrine; mais quelque changement qu'ils y aient apporté, le tour qu'ils donnent à leur système, est pour le fond si lié avec le sentiment de Luther, qu'on ne peut réfuter l'un sans réfuter l'autre. Je les suivrai exactement dans leurs variations ; je combattrai les uns et les autres, je veux dire, et les disciples fidèles de Luther, qui s'en tiennent à la doctrine originaire de leur maître, et les esprits plus hardis qui ont voulu le surpasser en sagesse, et cherché à modifier ses principes, et afin de les confondre tous également, j'avance trois propositions : premièrement, il n'est pas vrai que chaque chrétien soit véritable prêtre et ait pouvoir de consacrer et d'absoudre ; secondement, il est également insoutenable de reconnaître dans une communauté de laïques l'autorité de communiquer ce pouvoir ou le droit de l'exercer ; troisièmement, l'ordination de l'évêque est absolument nécessaire pour conférer le pouvoir d'administrer la cène et la pénitence, et tout acte de ce genre fait par un homme que l'évêque n'a pas ordonné, est indubitablement de nul effet et de nulle valeur.


Voilà, Monsieur, trois propositions aussi certaines qu'elles sont fatales à votre ministère, de quelque manière qu'on s'y prenne pour le défendre. Vous ne m'en croirez pas sur ma parole, mais aussi ne refuserez-vous pas d'en examiner les preuves, et vous les trouverez telles, je l'espère, que vous n'aurez pas à me reprocher de m'être trop avancé. Je vous prie seulement de remarquer ici qu'il me suffira de justifier une de ces trois propositions, pour convaincre votre ministère de nullité, du moins dans le plan de Luther. Mais si je viens à les justifier toutes trois, il vous sera encore bien moins possible de ne pas reconnaître dans votre religion ce défaut essentiel, qui entraîne après soi de si terribles suites.


1ère proposition : il n’est pas vrai que chaque Chrétien soit véritable prêtre, et ait le pouvoir de consacrer et d’absoudre.


Faut-il commencer par entreprendre de prouver que tous les chrétiens ne sont pas de véritables prêtres, et que chaque personne baptisée n'a pas le pouvoir de consacrer et d'absoudre ? mais, Monsieur, n'y a-t-il pas à craindre pour moi, que je ne paraisse vouloir faire injure au sens commun en tentant sérieusement la preuve d'une vérité si généralement reconnue ? la proposition contraire n'a-t-elle pas tout l'air d'un de ces paradoxes qui étonnent et révoltent l'esprit, dès qu'on les entend proposer, et qu'on ne peut espérer de faire recevoir à personne qu'à force de subtilités et de sophismes ? Luther a été le premier qui a avancé une proposition si incroyable ; une infinité de faits des premiers temps du christianisme démontrent qu'on a toujours cru le contraire ; toutes les raisons alléguées par Luther pour établir un dogme si inouï sont pitoyables, et ne peuvent parvenir à lui donner le moindre degré de vraisemblance ; vos propres partisans, les pasteurs aussi bien que le peuple témoignent assez par leur conduite n'en rien croire eux-mêmes. Tel est le fondement de votre ministère évangélique ; jugez du reste de l'édifice.


Je dis premièrement, que Luther a été le premier qui ait osé avancer le dogme étonnant du pouvoir sacerdotal commun à tous les chrétiens ; car quoique on trouve quelques semences de cette erreur dans les livres de Jean Wiclef, et dans la doctrine des Vaudois, le sentiment de Luther n'est pas néanmoins tout à fait le même que celui de ces hérétiques. Jean Wiclef a prétendu après Aërius, qu'un simple prêtre avait aussi bien que l'évêque le pouvoir d'ordonner, et que les femmes étaient capables comme les hommes de recevoir les ordres. Les Vaudois soutenaient que tout homme juste et ami de Dieu était prêtre par la grâce sanctifiante, mais ils n'étendaient par le sacerdoce à tous les chrétiens ; il n'y a que Luther qui ait été si libéral envers tous, et qui ait fondé le pouvoir sacerdotal sur la grâce du baptême, et non sur celle de l'ordination. Si quelqu'un veut cependant prétendre trouver une parfaite conformité de sentiments dans la doctrine de Luther, de Wiclef et des Vaudois, je m'en mettrais assez peu en peine ; ce n'en sera pas moins une nouveauté, et il y aura aussi peu d'honneur que de profit pour Luther de l'avoir puisée dans des sources si empoisonnées. Qu'importe que ce soit au commencement du seizième siècle, temps de Luther, ou sur la fin du douzième, temps des Vaudois, ou vers le milieu du quatorzième, temps de Wiclef, qu'on ait ouï parler pour la première fois de cette doctrine ? la date de son origine sera toujours bien assez fraîche pour faire comprendre la fausseté du nouveau dogme à quiconque voudra réfléchir sur la nature de son objet ; car comment un article si important, qui intéresse généralement tous les chrétiens, et qui dans une infinité d'occasions aurait été d'une très grande ressource, a-t-il pu être ignoré de tous les chrétiens pendant un temps si considérable ? Quoi ! les chrétiens sont tous des prêtres, et ils n'en ont rien su pendant douze, quatorze on quinze siècles ? ils ont le pouvoir de consacrer et d'absoudre, et dans un million de besoins qui se sont présentés, ils n'en ont jamais fait aucun usage ? personne ne les a avertis de l'excellence et de la vertu de leur sacerdoce ? personne ne leur a appris à en faire les fonctions dans les occasions pressantes, où les ministres de l'Église seraient pas à portée de donner du secours ? comment donc se vérifiera la parole du Sauveur, par laquelle il a promis à son Église DE LUI ENVOYER L'ESPRIT-SAINT, QUI LUI ENSEIGNERA TOUTE VÉRITÉ1, si une vérité aussi essentielle, une vérité de pratique et d'usage, et d'un usage aussi fréquent que nécessaire, a été soustraite pendant tant de siècles à la connaissance des fidèles ?


Peut-être me direz-vous, Monsieur, que le Saint-Esprit l'a bien assez clairement révélée dans les écrits des Apôtres, et que les chrétiens de leur temps en ont été parfaitement instruits ; nous verrons un peu plus bas ce que nous devons penser de ce prétendu enseignement apostolique ; mais en attendant, permettez-moi, Monsieur, de vous demander ici, comment il s'est donc fait que les chrétiens l'aient oubliée dans la suite ? S'est-il jamais vu de roi qui ait oublié qu'il fût roi ? de général, de magistrat, qui ne se soient plus souvenus de ce qu'ils étaient ? comment donc les chrétiens, s'ils ont été tous de véritables prêtres, ont-ils pu oublier pendant plus de mille ans qu'ils le fussent en effet ? l'ont-ils été sans le savoir ? ou ont-ils cru l'être, sans daigner en faire les fonctions dans les plus pressants besoins ? Avouez, Monsieur, qu'on découvre ici dans la prétention de Luther quelque chose de fort difficile à combiner, pour ne pas dire quelque chose de fort approchant de la chimère, au lieu que rien n'est plus simple ni plus naturel que notre façon de raisonner : si les chrétiens, disons-nous, ont été en tout temps de véritables prêtres, il est impossible qu'ils l'aient constamment ignoré ; or ils l'ont ignoré constamment jusqu'au temps de Luther, du moins jusqu'au temps de Pierre Valdo : car je défie que, pendant tout le temps qui s'est écoulé depuis les Apôtres jusqu'à cette époque, on puisse produire aucun acte, aucun fait, aucun monument, aucun témoignage qui fasse preuve de la persuasion où auraient dû nécessairement être tous les chrétiens : donc la dignité de prêtre, communiquée à chaque chrétien avec tous les droits et apanages de la prêtrise, ne peut être regardée que comme une pure rêverie. Que Luther vienne ensuite nous dire que nous n'avons pas d'autre argument à lui opposer que celui de la multitude ? qu'il nous fasse parler à son gré, et nous attribuer ce beau raisonnement. « Nous sommes en grand nombre, et nous le pensons ainsi, donc cela est vrai2. » Je ne tarderai pas à lui faire voir combien nous avons d'autres preuves que celles tirées du grand nombre ; mais je lui dis ici par avance qu'il prend mal notre pensée, et qu'il nous prête un langage bien différent de celui que nous tenons en effet. Nous ne disons pas, « Nous sommes en grand nombre, en nous le pensons ainsi, donc cela est vrai ; » mais nous disons : Avant Luther ou avant Valdo, personne ne pensait autrement que nous, ou tous pensaient comme nous ; donc nous pensons juste, donc Luther a avancé une erreur insoutenable, puisque le sujet était de nature à ne pouvoir être ni ignoré ni oublié de tant de personnes, toutes si fort intéressées à le savoir, à s'en souvenir et à le retenir dans la pratique.


Mais si le silence de l'antiquité est si éloquent pour réfuter l'opinion de Luther, que sera-ce de tant de faits antiques, qui parlent si hautement en faveur du sentiment catholique ! Oui, Monsieur, non-seulement Luther ne trouve rien pour lui dans les siècles passés, mais nous y trouvons une infinité de traits qui lui sont absolument contraires. Vous ne manquez pas, sans doute, de vénération pour le premier concile général de Nicée, si respectable, et par le grand nombre de saints et savants évêques dont il a été composé, et par le zèle que les Pères y ont témoigné pour la défense de la divinité de Jésus-Christ. Or, vous verrez dans le dix-huitième canon de ce concile, qu'il est défendu aux diacres de donner la communion aux prêtres, parce que les diacres n'ont pas le pouvoir d'offrir le corps de Jésus-Christ comme les prêtres1 ; c'est-à-dire, qu'ils n'ont pas le pouvoir de consacrer. Je ne m'arrêterai pas à vous faire remarquer que l'expression du concile fait connaître clairement l'usage constant, perpétué dans l'Église, d'offrir le corps de Jésus-Christ en sacrifice ; cette observation n'entre pas dans mon sujet : je me contente de vous faire considérer que, si le concile a déclaré les diacres privés du pouvoir de consacrer, à plus forte raison a-t-il reconnu que ce pouvoir n'était pas commun à tous les chrétiens.


Saint Jérôme, conformément à cette doctrine du concile, remarque également dans son traité contre les Lucifériens, que le diacre Hilaire, s'étant séparé seul de l'Église, ne pouvait ni consacrer, ni administrer l'Eucharistie au peuple, faute d'avoir dans son parti des prêtres et des évêques2. Théodoret rapporte dans son histoire ecclésiastique, qu'Eusèbe de Samosate, évêque orthodoxe et zélé pour la conservation de la vraie foi, voyant que la persécution de Valens avait dispersé les pasteurs, et que la plupart des Églises se trouvaient abandonnées, se travestit en habit de soldat, parcourut ainsi la Syrie, la Phénicie et la Palestine, et ordonna partout en secret des prêtres et des diacres3, afin que les Églises ne manquassent pas de secours spirituels. Mais pourquoi se donnait-il tant de peine et de mouvement, s'il est vrai que chaque fidèle soit prêtre, et qu'il ne faille que le choix de l'assemblée pour le mettre en état d'en faire les fonctions ?


On pourrait faire une question semblable au sujet de ce qui se passait, du temps de saint Cyprien, dans les prisons. Ce saint évêque nous apprend qu'il y avait alors grand nombre de chrétiens arrêtés pour la confession de la foi ; que les fidèles encore libres les allaient voir avec beaucoup de charité et d'empressement ; que les prêtres mêmes avec leurs diacres pénétraient dans les prisons, non sans courir un grand risque de leur vie ; et pour quoi ? pour y célébrer les mystères et administrer les sacrements aux prisonniers. Or, c'est pour régler cette ardeur, et empêcher les mauvaises suites qu'elle pouvait avoir, que le Saint crut devoir écrire la quatrième lettre, selon l'édition de Rigault, où il avertit les fidèles de ne point s'y rendre en troupe, mais séparément, afin de ne pas donner d'ombrage, et s'exposer à allumer davantage le feu de la persécution ; quant aux prêtres et aux diacres, il leur conseille de n'y pas aller toujours les mêmes, mais de changer souvent afin de ne se pas faire trop remarquer1. Mais à quoi bon toutes ces précautions, ou plutôt à quoi bon tous les empressements de ces saints prêtres, devaient-ils ainsi exposer leur vie sans nécessité ? et pouvait-il y en avoir aucune, supposé que les prisonniers fussent eux-mêmes munis de tous les pouvoirs pour consacrer et pour absoudre ? que s'il ne faut que le choix de l'assemblée pour légitimer l'exercice de ce pouvoir, pourquoi les prisonniers n'en choisissaient-ils pas un parmi eux, qui administrât les sacrements aux autres, et qui épargnât aux prêtres du dehors des visites si dangereuses ? Dira-t-on que l'assemblée des prisonniers n'était pas assez nombreuse pour être en droit de choisir un ministre ? mais n'eussent-ils été qu'une douzaine, ou qu'une demi- douzaine, qui sera fondé à dire que le nombre n'était pas suffisant ? qui nous marquera avec justesse la quantité précise des suffrages nécessaires à une bonne élection ? si une assemblée de douze ne suffit pas, une de trente, de cinquante, de cent suffira-t-elle ? où est l’Écriture, où est la raison qui détermine rien sur cet article ?


Rien de plus juste que la réponse de saint Augustin à l'évêque Honorat au sujet d'un cas de conscience qui lui avait été proposé ; mais si le dogme du sacerdoce commun eût été reçu dès lors, y aurait-il rien de moins sensé que la décision de ce saint docteur ? On lui avait demandé s'il était permis aux pasteurs de se retirer d'une ville qu'ils croyaient prête à être assiégée, et qui ne pourrait que très difficilement échapper à la fureur des barbares : il répond que si ce sont des prêtres aisés à remplacer dans l'exercice de leur ministère, ils pourront s'absenter pour certaines considérations, sans manquer à leur devoir ; mais que si leur présence est nécessaire pour administrer les sacrements, ils ne pourront abandonner le peuple, ni l'exposer à manquer de secours spirituels, sans trahir leur devoir par une fuite aussi criminelle que honteuse2. Mais si tous les assiégés sont autant de prêtres, de quoi saint Augustin se met-il en peine ? Que tous les pasteurs se retirent où bon leur semblera, quoi de plus facile que de leur trouver des suppléants ? il ne faudra tout au plus qu'une assemblée du peuple pour choisir de nouveaux ministres, et voilà tout le mal réparé. Me direz-vous qu'on n'était pas sûr de trouver d'abord des gens aussi propres au ministère que ceux qui étaient en fonction ? je le veux ; mais prouverait-on aisément, que ces pasteurs timides seraient obligés de sacrifier leur vie, pour que leur troupeau fût un peu mieux servi ? sans vous charger de l'obligation de le prouver, je me contenterai de dire que saint Augustin n'insiste nullement sur cette raison, mais bien sur l'état fâcheux où se trouverait le peuple par la privation du secours des sacrements. C'est là le seul mal que saint Augustin craignait, mal qui n'est nullement à craindre dans votre système. Vous voyez, Monsieur, que les idées de Luther sont bien différentes de celles des anciens docteurs ; je ne m'arrêterai pas à le prouver plus amplement, puisque Luther lui-même ne fait pas de difficulté d'en convenir : « Si vous ne passez, dit-il, les yeux fermés sur l'usage, l'antiquité, la multitude, et si vous n'ouvrez les oreilles pour vous attacher tout entier à la parole de Dieu, vous ne vaincrez pas le scandale qui résulte de l'ancienne coutume3. » Il faut certainement que Luther ait cru avoir des raisons bien fortes, tirées de l’Écriture, pour oser tenir ce langage. Mais si les passages qu'il cite, sont aussi clairs et aussi concluants pour lui qu'il le prétend, comment s'est-il pu faire qu'aucun des anciens docteurs, si consommés dans l'étude des livres saints, n'ait jamais rien aperçu de cette clarté ? préjugé terrible contre la prétention de Luther. Ce n'est pas néanmoins par là que je prétends attaquer ses raisonnements, ils ont bien assez de faible et de ridicule en eux-mêmes pour faire plus de tort à leur inventeur qu'à la cause contre laquelle ils ont été employés ; oui, Monsieur, il est étonnant qu'un homme, regardé dans le monde comme doué d'esprit et d'habileté, ait pu faire un si mauvais usage de sa raison. Vous verrez vous-même que ses fausses conséquences sont beaucoup plus propres à faire rire un adversaire, qu'à l'intriguer.


Le premier passage qu'il cite contre nous1, est celui de la première épître de saint Pierre : Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal2. Il ajoute celui de l'Apocalypse, qui dit également : Vous nous avez rendus rois et prêtres pour notre Dieu3. Or, voici comme il raisonne sur le premier de ces passages4 : Saint Pierre parle ici à tous les chrétiens, puisqu'il leur dit de désirer le lait spirituel, afin de croître pour le salut5 : or, tous doivent chercher à croître pour le salut ; donc saint Pierre adresse ici la parole à tous les chrétiens, donc tous les chrétiens sont la race choisie, et l'ordre des prêtres. C'est pour ce motif, continue Luther, que saint Pierre exhorte dans le même endroit tous les chrétiens à former une maison spirituelle, et un saint corps de prêtres pour offrir des victimes agréables à Dieu6. Voilà l'argument de Luther dans toute sa force ; de tous ceux qu'il propose, c'est celui qui a le plus d'apparence. Quoi néanmoins de plus faible que tout ce raisonnement ? au lieu d'y trouver la moindre solidité, n'y trouve-t-on pas au contraire toute espèce d'avantage pour réfuter solidement la prétention de Luther ? Car, remarquez, Monsieur, et il est étonnant que Luther, qui se piquait de savoir si bien l’Écriture, n'y ait pas pris garde, remarquez, s'il vous plaît, qu'on trouve à peu près les mêmes paroles, au chapitre 19 de l'Exode, adressées à tous les Juifs : Vous êtes un royaume sacerdotal et un peuple saint7. Or, voici comme nous raisonnons à notre tour : Quoique ces paroles s'adressent à tout le peuple Juif, on aurait tort néanmoins d'en conclure que tous les Juifs étaient de véritables prêtres, puisqu'il est constant qu'il ne pouvait y avoir de véritables prêtres parmi les Juifs, que dans la race d'Aaron. Donc quoique le passage de saint Pierre s'adresse à tous les chrétiens, on en conclut également mal à propos, qu'ils sont tous de véritables prêtres. J'ajoute une autre réflexion, qui explique parfaitement la pensée de saint Pierre par son expression : Les chrétiens sont autant rois qu'ils sont prêtres, et autant prêtres qu'ils sont rois : or ils ne sont rois que dans un sens spirituel et métaphorique, en tant que la sainteté de leur profession exigent qu'ils aient l'empire sur leurs passions, donc ils ne sont prêtres que dans un sens spirituel et métaphorique, en tant qu'il est de leur devoir d'offrir des sacrifices de prières et de louanges. Et c'est ce que saint Pierre fait entendre clairement par les paroles qu'il ajoute au même endroit en disant que c'est pour offrir des victimes spirituelles. C'est ainsi que les armes employées par Luther se tournent contre lui, et qu'au lieu d'avoir sujet de triompher ici, comme il se l'imagine, il ne fait que se rendre ridicule, et montrer son peu de jugement.


Mais voyons s'il est plus heureux à raisonner sur la suite de ce texte, ou plutôt s'il ne se trompe pas également, en cherchant dans les paroles qui le suivent, un nouvel appui à son opinion. Saint Pierre après avoir dit en parlant à tous les chrétiens, vous êtes la race choisie, l'ordre des prêtres rois, ajoute incontinent, afin que vous publiiez la puissance de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière1 ; d'où Luther conclut, que le ministère de la parole a été confié à tous les chrétiens2 ; car enfin, dit-il, tous ont été tirés des ténèbres, donc tous sont chargés de publier les merveilles de la puissance divine ; donc tous ont ordre de prêcher la parole de Dieu ; donc tous sont de véritables prêtres ; car on ne peut, à ce qu'il prétend, avoir ordre de prêcher la parole de Dieu sans être véritable prêtre, vu que la prédication est selon lui la principale fonction de la prêtrise. Je ne sais, Monsieur, ce que vous penserez de ce raisonnement ; pour moi, il me paraît si extraordinaire et si bizarre, que je ne comprends pas comment il a pu venir en pensée à Luther de le proposer sérieusement. Quoi ! saint Pierre, pour avoir exhorté les chrétiens à marquer hautement leur reconnaissance de la grâce que Dieu leur a faite en les tirant des ténèbres, les a chargés de prêcher la parole de Dieu ? quelle connexité y a-t-il entre ces deux idées ? mais qu'il en soit ainsi, j'y consens ; il s'ensuivra donc que tous les chrétiens doivent être prédicateurs de profession, et que non-seulement ils auront droit de monter tous en chaire, mais aussi, que s'ils ne le font, ils manqueront à leur devoir : c'est bien là ce que Luther dit en termes exprès ; vous auriez peine à le croire ; mais voici ses paroles que vous trouverez en deux différents endroits : « Saint Pierre ne s'est pas contenté de donner à tous les chrétiens le droit de prêcher la parole de Dieu, il leur en a de plus fait un précepte et une obligation3. » Mais s'il en est ainsi, à quoi bon le choix de l'assemblée pour nommer des ministres de la prédication ? que chacun monte au plus vite en chaire pour satisfaire au précepte de l'Apôtre, sans attendre de nomination. Vous le voyez, Monsieur ; Luther, en voulant prouver contre nous, ne s'aperçoit pas que par sa preuve il renverse ses propres principes. Mais qui lui a dit qu'il suffisait de prêcher pour être prêtre ? Qu'un avocat change la matière de son plaidoyer, et qu'il entretienne les juges d'un discours édifiant et propre à porter au bien, à ce compte il sera prêtre. O les jolies choses que nous dit là Luther ! vous les eussiez sans doute ignorées, Monsieur, s'il ne vous les eût apprises. Mais avançons, et attendons-nous à des difficultés plus sérieuses et plus embarrassantes.


Le Sauveur, dit Luther, en instituant la Cène, et en disant à ses disciples : Faites ceci en mémoire de moi, leur a donné par ces paroles le pouvoir de consacrer, de l'aveu même des catholiques ; or, ajoute-t-il, ces paroles n'ont point été adressées aux seuls Apôtres, mais aussi à tous les chrétiens : donc tous les chrétiens ont aussi le pouvoir de consacrer4. Je réponds, que tous ceux qui célèbrent la Cène, ont ordre de le faire en mémoire de Jésus-Christ, mais chacun en sa manière, les prêtres en consacrant, et les laïques en recevant la communion.


Ainsi quand le prophète Samuel ordonna, de la part de Dieu, au roi Saül, de détruire entièrement les Amalécites, de renverser leurs maisons, de tuer hommes et femmes, de n'épargner ni enfants ni bétail1, il prétendit sans doute donner le même ordre à toute l'armée ; croira-t-on cependant que Saül a été chargé de la même mission que le soldat ? Qui ne comprend que Saül devait présider à l'exécution, et les soldats se servir de leurs épées ? On dit tous les jours que César a défait l'armée de Pompée dans les plaines de Pharsale ; bien entendu que les troupes n'y ont pas moins fait leur devoir que le général ; mais l'action du général était dans la sagesse du commandement, et celle du soldat dans l'intrépidité de la bravoure. Il en est de même de la parole de Jésus-Christ adressée aux Apôtres, et, si vous voulez, à tous les fidèles : Faites ceci en mémoire de moi. Tous en participant à la Cène doivent faire mémoire de Jésus-Christ, mais tous n'ont pas le pouvoir de consacrer en vertu de ces paroles, qui ont été adressées directement aux Apôtres et à leurs successeurs. Si vous étendez le pouvoir de consacrer à tous les fidèles, il faudra étendre aussi à tous les fidèles l'ordre de consacrer car l'ordre et le pouvoir sont ici joints ensemble, ou, pour dire encore mieux, le pouvoir n'est donné qu'en vertu de l'ordre. Il faudra donc dire que les femmes et les enfants ont ordre de consacrer, et qu'en ne le faisant pas, ils désobéissent les uns et les autres au précepte de Jésus-Christ. Vous voyez, Monsieur, où aboutissent les beaux raisonnements de Luther.


Peut-être réussira-t-il mieux en appelant à son secours les principes de la raison naturelle : jugez-en par ce qui suit : « Si Dieu, dit-il, a donné des pouvoirs plus grands, il n'en a pas sans doute refusé de moindres : or, ajoute-t-il, c'est un pouvoir plus grand de baptiser et de prêcher que de consacrer, et cependant tout chrétien a le pouvoir de baptiser et de prêcher ; donc il faut dire, conclut-il, que tout chrétien a aussi le pouvoir de consacrer2. » Je conviens, Monsieur, que tout chrétien peut baptiser, et même qu'il le doit, en cas de nécessité. Dieu a jugé à propos de rendre ce pouvoir commun à tous, afin qu'on fût moins en danger de manquer d'un sacrement si nécessaire. Nous savons par l’Écriture que Philippe, n'étant que diacre, baptisa l'eunuque de la reine Candace3 ; mais nous ne trouvons nulle part, qu'aucun chrétien laïque ait jamais entrepris de consacrer, ou du moins qu'il ait passé pour l'avoir fait validement. Sans entrer ici, pour savoir quelle est la plus excellente des fonctions ecclésiastiques, dans une discussion où Luther ne trouverait pas son compte, et où il aurait saint Chrysostome absolument contre lui, il me suffira de dire qu'il ne convient ni à lui ni à nous de marquer les règles que Dieu doit observer dans la dispensation des grâces et des pouvoirs qu'il accorde aux hommes ; tous ses dons sont un pur effet de sa libéralité ; ils se règlent selon le bon plaisir de Dieu, et non selon nos idées. Si le raisonnement de Luther est juste, vous vous passerez désormais fort bien de médecins. Car nous vous dirons avec lui : Si Dieu a donné à vos ministres le pouvoir de produire de plus grands effets, il leur aura donné aussi le pouvoir d'en produire de moindres ; or, la guérison des âmes l'emporte infiniment sur la guérison des corps ; si donc vos ministres ont reçu de Dieu le pouvoir de guérir les âmes, comme vous le prétendez, ils auront aussi reçu le pouvoir de guérir le corps ; ainsi plus d'autres médecins que vos ministres. Vous ririez sans doute, Monsieur, d'un semblable raisonnement : permettez-nous donc de rire aussi du raisonnement de Luther, car l'un et l'autre sont parfaitement semblables.


Je ne rapporterai plus qu'un de ses arguments, et c'en sera bien assez pour vous donner une juste idée du genre et de la force de ses preuves ; si je me dispense d'en réfuter quelques-unes, c'est qu'elles tendent seulement à prouver que le nom de prêtre peut se donner à tout chrétien dans un sens spirituel et figuré ; or, Luther ne devait pas faire grand effort pour démontrer un fait dont nous n'avons pas de peine à convenir. Voici donc le dernier de ses raisonnements, qui semble mériter encore une réponse : « Jésus-Christ, dit-il, est véritable prêtre, selon cette parole du Prophète : « Vous êtes prêtre éternellement selon l'ordre de Melchisédech1. Or, tous les chrétiens sont frères de Jésus-Christ, car nous lisons dans le même prophète : Je raconterai votre nom à vos frères2, ces frères ne peuvent être que les chrétiens ; donc, conclut Luther, chaque chrétien doit avoir part aux titres, qualités, droits, prérogatives de Jésus-Christ ; donc chaque chrétien est prêtre dans un sens aussi réel que le Sauveur lui-même3. » Que dire ici à un homme qui ne daigne pas seulement faire attention au temps auquel il parle ? Nous savons bien que dans l'Ancien Testament la conclusion d'un frère à l'autre était bonne et légitime pour s'assurer que, si l'un était prêtre, l'autre l'était également, parce que tous les descendants mâles d'Aaron étaient également prêtres ; mais il n'en est pas ainsi dans le Nouveau : vous avez un parent catholique qui est prêtre ; certainement, Messieurs, ce n'est pas une raison pour que ses frères le soient. D'ailleurs Jésus-Christ est prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et non selon l'ordre d'Aaron, autre endroit par lequel la conséquence de Luther n'est pas juste. De plus il n'eût pas suffi d'être frère par adoption pour avoir part au sacerdoce de l'Ancien Testament, il fallait être frère par naissance : or, nous ne sommes frères de Jésus-Christ que par adoption. Si pour être frères de Jésus-Christ dans le sens où nous le sommes, tous les droits, pouvoirs, prérogatives, doivent nous être communs avec lui, il faudra donc aussi que nous ayons comme lui le pouvoir de faire des miracles. Vous voyez, Monsieur, combien de défauts se réunissent pour condamner le raisonnement de Luther, et cependant admirez la complaisance qu'il prend en lui-même d'avoir si bien raisonné. Il trouve tous les arguments dont vous venez de voir le faible et le ridicule, si forts et si pressants, qu'il ose bien les nommer des foudres qui mettent en poudre la multitude des Pères, l'autorité des conciles et l'éternité de la coutume4. » Ah ! s'il les eût nommés de fausses lueurs capables tout au plus d'éblouir les yeux faibles, ou des feux follets propres à conduire les âmes imprudentes dans l'égarement et dans le précipice, il eût beaucoup mieux rencontré. Pour moi, je ne sais quelle force ou quelle justesse de raisonnement on exigeait du temps de Luther dans l'Université de Wittemberg, pour accorder le bonnet de docteur à ceux qui se présentaient pour demander les honneurs du doctorat ; mais je sais bien que si dans notre Université de Strasbourg, quelque prétendant faisait de semblables raisonnements, et croyait encore dire des merveilles, pas un seul des examinateurs ne lui donnerait son suffrage. Ce langage inouï est néanmoins au jugement de Luther, la pure parole de Dieu : « Il vous paraîtra incroyable, dit-il, en écrivant aux magistrats de Prague, que Dieu ait abandonné ainsi le monde tout entier ; mais que voulez-vous y faire ? c'est ainsi que le décide la Sainte-Écriture5. Lorsque nous disputons avec vous sur quelque point de controverse, vous ne manquez guère de nous opposer que vous avez la pure parole de Dieu pour vous ; et quand nous vous répliquons, que vous voulez nous donner vos propres pensées et votre interprétation particulière pour la pure parole de Dieu, il semble que vous ayez peine à nous comprendre ; mais dans le cas présent, quoi de plus sensible que la vérité de notre reproche ? Luther se vante ici de ne parler qu’Écriture, et, sous ce beau nom, il ne nous débite que ses imaginations et ses rêveries ; vous venez, je crois, de le voir bien clairement.


J'avais donc raison de dire dès le commencement de cet écrit, que Luther avait établi pour fondement de sa nouvelle ordination un principe qu'on n'a jamais cru, dont on a toujours cru le contraire, et que tous ses raisonnements n'ont pas pu rendre croyable : j'ajoute, qu'on ne la croit pas même encore chez vous ; c'est tout ce qui reste à prouver, pour achever ce qui regarde la première partie de cet écrit.


Souffrez, pour cet effet, Monsieur, s'il vous plaît, que je vous invite à faire une expérience qui ne sera pas difficile : prenez la peine de demander en particulier à plusieurs bourgeois et bourgeoises de cette ville, s'ils croient avoir le pouvoir d'absoudre et de consacrer : je pose en fait, que plus des trois quarts et demi de ceux que vous interrogerez, vous répondront nettement et sans hésiter qu'ils ne croient pas avoir un tel pouvoir. Mais pourquoi vos pasteurs n'ont-ils pas soin d'instruire les peuples d'une doctrine contenue dans vos livres symboliques ? Ne trouve-t-on pas dans un écrit, dressé par vos docteurs assemblés à Smalcade, et reçu de toutes les Églises luthériennes, les paroles suivantes : « Dans le cas de nécessité chaque laïque peut absoudre, et devient le ministre et le pasteur de celui qui a besoin de son secours1. » Ne trouve-t-on pas également dans Luther ces autres paroles : « Autre chose est d'user publiquement de son droit, autre chose de s'en servir dans la nécessité : on ne peut en user publiquement sans le consentement de la communauté ; mais dans le cas de nécessité, il est libre à chacun de s'en servir2 ? »


Or, Monsieur, j'en appelle ici à votre sincérité ; vous avez entendu bien des sermons en votre vie, en avez-vous jamais entendu un seul, où l'on ait exposé la doctrine qui accorde à chaque particulier le pouvoir d'absoudre et de consacrer dans les besoins pressants ? de quelle conséquence néanmoins ne serait-il pas que tout le monde fût instruit de cette vérité, si elle passait en effet sérieusement chez vous pour une vérité ? Quel avantage et quelle consolation n'en tirerait-on pas dans une infinité d'occasions ! Qu'il serait commode dans un siège, dans une bataille, où l'aumônier luthérien ne peut être partout, si les soldats blessés à mort pouvaient se faire absoudre par le plus proche camarade ! Qu'un voyageur luthérien, surpris par une maladie subite dans un pays entièrement catholique, se trouverait heureux de pouvoir se faire administrer les sacrements par un compagnon de voyage, qui serait de sa religion ! Combien de villages luthériens, où il n'y a pas de ministres ! et combien n'arrive-t-il pas tous les jours de cas inopinés, où le ministre voisin ne peut accourir assez promptement ; qu'une chute, une blessure, une apoplexie, laisse à peine une heure de temps à vivre ! Quelle consolation pour une femme accablée non-seulement de la perte dont elle est menacée, mais aussi du triste sort de son mari, si elle pouvait lui donner une bonne absolution de ses péchés, et de plus lui administrer le saint viatique sous les deux espèces, pour le fortifier dans le terrible passage de la vie à l'éternité ! Rien néanmoins de tout cela ne se fait chez vous ; pourquoi, si ce n'est parce que les particuliers ne sont ni instruits, ni persuadés de leur pouvoir ? Mais encore une fois, pourquoi Messieurs vos ministres n'ont-ils pas soin d'en instruire tout le monde ? serait-ce dans l'appréhension d'avilir leur caractère, et de mettre de niveau avec eux le simple peuple, qui perdraient beaucoup de l'estime dont ils sont pénétrés pour leurs pasteurs s'ils venaient à apprendre qu'ils ont un pouvoir égal au leur ? ou serait-ce par la crainte de leur faire tirer cette conclusion encore plus fâcheuse : Si mon ministre n'a pas plus de pouvoir que moi, il faut qu'il n'en ait aucun, car je sens bien que je n'en ai pas ? Dispensons-nous, autant que nous pourrons, de prêter des vues si politiques et si intéressées à des hommes qui font profession d'avoir du zèle pour le salut de leurs ouailles ; il faudra bien néanmoins en venir là, ou reconnaître, comme seule conséquence qui reste à supposer, qu'ils ne sont pas eux-mêmes persuadés de la doctrine de leurs livres symboliques sur le pouvoir commun à tous les chrétiens. Car s'ils regardaient cette doctrine comme vraie, il serait de leur devoir de l'annoncer et de l'inculquer dans les sermons, dans les catéchismes, dans les rituels, dans les livres de piété, afin de ne la laisser ignorer à personne, et de prévenir par là les funestes suites qui sont à craindre dans une infinité d'occasions, si, faute de la savoir, on manquait de la mettre en pratique. Le profond silence que vos ministres gardent sur cet article, marque donc assez qu'ils ne croient pas eux-mêmes ce qu'ils ne daignent pas enseigner au peuple ; ou s'ils le croient, il faudra dire qu'ils se taisent uniquement par désespoir de pouvoir jamais l'en persuader. Et certes, leur crainte sur ce point serait loin d'être déraisonnable.


Car enfin, comment réussiraient-ils à faire croire au peuple, que le sacerdoce du Nouveau Testament est commun à tous, tandis qu'au su de tout le monde le sacerdoce de l'ancienne loi, incomparablement moins noble que celui de la nouvelle, était confié aux seuls descendants d'Aaron ? Quoi ! les enfants de Caath, destinés à porter les vases sacrés, n'osaient pas même les toucher avant que les fils d'Aaron ne les eussent enveloppés1 ; le roi Ozias fut frappé de lèpre pour avoir osé mettre la main à l'encensoir2 ; Coré, Dathan et Abiron furent engloutis dans la terre pour avoir prétendu avoir part aux fonctions sacerdotales3 ; et l'on persuadera au peuple chrétien que chacun a tous les pouvoirs attachés au sacerdoce nouveau, et est suffisamment autorisé à s'en servir, pourvu qu'il se borne aux cas particuliers et pressants ? s'il a fallu du choix pour oser manier des ombres et des figures, est-il à présumer qu'il ne faudra aucune distinction pour être revêtu du pouvoir d'administrer les sacrements, c'est-à-dire les réalités elles-mêmes ?


Qui ne sait le soin qu'a pris saint Paul de distinguer les différentes fonctions de ceux dont le ministère est nécessaire ou utile à l'Église : Tous sont-ils apôtres ? tous sont-ils prophètes ? tous sont-ils docteurs ? tous font-ils des miracles ? tous ont-ils la grâce de faire des guérisons ? tous savent-ils interpréter4 ? Mais pourquoi distinguer ainsi et les emplois et les dons ? pourquoi établir entre les membres de l'Église une aussi grande différence qu'il peut y en avoir entre les membres du corps humain5, s'il est vrai que tous soient également prêtres ? Vous m'avouerez, Monsieur, que cette comparaison de l'Apôtre, qui n'est point inconnue au peuple, ne le dispose nullement à entrer dans les idées de Luther. Personne n'ignore que LA GRACE de la prêtrise n'ait été communiquée à Timothée PAR L'IMPOSITION DES MAINS1. Tout le monde sait également l'avis donné par saint Paul à Timothée, DE NE POINT SE PRESSER D'IMPOSER LES MAINS A PERSONNE2. Mais à quoi bon cette imposition des mains, si chaque fidèle, avant de la recevoir, était déjà prêtre en vertu de la grâce du baptême ?


Les Apôtres n'ont-ils pas reçu le pouvoir de consacrer par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi3 ? Je ne dirai pas que c'est là le sentiment de tous les Pères ; il me suffira de demander si l'on pourrait raisonnablement penser que les Apôtres ont eu le pouvoir de consacrer avant que le sacrement de l'Eucharistie ait jamais été institué. N'ont-ils pas reçu pareillement le pouvoir d'absoudre par ces autres paroles : Les péchés que vous remettrez seront remis4 ? ou voudrait-on dire qu'ils ont eu ce pouvoir avant que Jésus-Christ le leur ait communiqué par une cérémonie si bien marquée ? Qui doute néanmoins que les Apôtres n'aient été baptisés avant la Cène ? Serait-il permis de dire qu'ils ont participé à la divine Eucharistie avant d'avoir été purifiés par les eaux du baptême ? Oserait-on soutenir qu'ils se sont nourris de cette viande céleste avant d'être nés spirituellement ? Il est donc clair comme le jour que les Apôtres ont été baptisés avant que de recevoir le pouvoir de consacrer et d'absoudre. Il est donc démontré qu'ils n'ont pas reçu le pouvoir au moment de leur baptême. Mais si les Apôtres ne l'ont point reçu en vertu du baptême, pourquoi les autres fidèles l'auraient-ils par la grâce du sacrement qui les fait chrétiens ?


Comparez, Monsieur, je vous prie, ces raisons avec celles de Luther, et vous verrez un contraste de force et de faiblesse, de solidité et de faux brillant, bien propre à vous faire revenir au sentiment de tous les siècles comme de tous les peuples, et de vous faire juger combien votre chef a eu tort de s'écarter de la doctrine constante des Pères et des conciles.


C'est apparemment pour ces raisons, jointes à bien d'autres que je pourrais également placer ici, mais que je réserve pour une autre place, parce que j'ai dessein d'en faire un autre usage ; c'est, dis-je, apparemment pour ces raisons que MM. Vos ministres désespèrent de faire goûter au peuple le dogme du sacerdoce commun à tous les chrétiens, et qu'ils sont si réservés à en parler. Mais s'ils ont eux-mêmes honte de ce dogme, pourquoi donc ne l'effacent-ils pas de leurs livres symboliques ? ou pourquoi reçoivent-ils encore pour livres symboliques des écrits qui contiennent une erreur si monstrueuse ? pourquoi souffrent-ils que Luther en fasse le fondement du ministère évangélique ? fondement que je crois n'avoir point mal ébranlé : serait-ce même trop me flatter que de penser l'avoir entièrement renversé ? Jugez-en vous-même, Monsieur, mais jugez-en équitablement, et de manière à ne pas craindre la censure du souverain Juge.


Il est temps de passer à la seconde partie, et de vous faire voir que si chaque chrétien n'a pas le pouvoir de consacrer et d'absoudre, ce pouvoir ne saurait lui être donné par la communauté.


2ème proposition : Le pouvoir de consacrer et d’absoudre ne peut être donné que par la communauté.


Vous aimez votre religion, Monsieur, je ne le sens que trop, et c'est peut-être le motif qui vous donne quelque peine de la voir attaquée si vivement, et par un endroit si essentiel ; mais, d'un autre côté, vous êtes d'un caractère à goûter les bonnes raisons ; et comme je crois n'en avoir que de très bonnes à vous donner, je compte que vous ne vous rebuterez pas de les lire, malgré l'espèce de contrariété que pourra souffrir votre penchant naturel. Il s'agit ici, Monsieur, de vous rétablir dans la jouissance des plus grands biens que Jésus-Christ nous ait laissés en ce monde ; nous vous en croyons malheureusement privé ; je ne puis me taire, tant qu'il me reste quelque espérance de vous porter à réparer une perte si considérable, et je ne puis cesser d'espérer, tant que vous ne refuserez pas d'examiner la question aussi sérieusement qu'elle le mérite.


Vous concevez aisément, Monsieur, que si chaque chrétien n'a pas le pouvoir de consacrer et d'absoudre, la communauté ne pourra en nommer aucun pour exercer légitimement ce pouvoir ; car il n'est pas possible de rendre légitime l'exercice d'un pouvoir qui n'existe pas. Ainsi, dès que j'ai détruit la première partie de la prétention de Luther, la seconde, qui en est dépendante, se trouve également réfutée. Mais il y a plusieurs docteurs luthériens entre autres Kemnitius, Drejerus et Henri Meyer, qui, sans faire mention du pouvoir sacerdotal, commun à tous les chrétiens, prétendent que chaque communauté a droit de nommer pour ministre de la parole et des sacrements celui qu'elle juge à propos, et de lui conférer pour cet effet tous les pouvoirs nécessaires. Luther suppose le fond du pouvoir dans chaque particulier, et ne laisse à la communauté que le soin d'en accorder l'usage ; mais aujourd'hui plusieurs docteurs luthériens font résider dans la communauté le pouvoir qu'ils font passer par la nomination dans le particulier, auquel, avant la nomination, ils ne reconnaissent aucun pouvoir.


Vous voyez, Monsieur, que cette division entre le maître et les disciples n'est pas de trop bonne augure ; il est déjà bien évident que ces derniers n'ont pas aperçu dans les passages cités par Luther la même clarté que Luther a cru y voir, et qu'il a proclamée sur un si haut ton. Vous trouverez pareillement que cette diversité de langage n'est pas très propre à établir solidement le ministère évangélique, de même que la différence des langues ne fut guère propre à affermir et à avancer l'ouvrage que les enfants de Noé avaient commencé dans la plaine de Sennaar pour immortaliser leur nom.


C'est contre ceux qui parlent ce langage nouveau, et différent de celui de Luther, que j'entreprends de prouver ici que la communauté ne peut conférer à qui que ce soit le pouvoir de consacrer et d'absoudre. Je pourrais dire d'abord que le bon sens a peine à comprendre comment une communauté laïque et purement séculière peut conférer un pouvoir tout spirituel, un pouvoir élevé au-dessus de toutes les forces de la nature, un pouvoir qui ne se trouve dans aucun des membres de la communauté ; mais sans m'arrêter ici à ce que la simple raison suggère, remontons jusqu'à la source et à l'origine du pouvoir, pour y trouver des preuves capables de convaincre pleinement les esprits, et de dissiper en même temps toutes les difficultés qu'on pourrait nous opposer.


Remarquez donc, s'il vous plaît, Monsieur, que le droit de gouverner l'Église, et de lui administrer les sacrements, appartenant à Jésus-Christ, il a pu le communiquer aux hommes à telles conditions qu'il a voulu.


Remarquez en second lieu, qu'il ne faut pas vouloir décider par raisonnement des questions et des matières qui dépendent uniquement de l'autorité : or le ministère ecclésiastique appartient à ce genre de questions, parce que le principe de sa validité ne dépend point de nos fantaisies et de nos conjectures, mais de la seule volonté de Jésus-Christ.


Remarquez en troisième lieu, que, selon l'Église catholique, Jésus-Christ a voulu attacher à l'ordination la vertu de communiquer cette autorité, et confier le soin de donner cette ordination aux premiers pasteurs, c'est-à-dire aux évêques chargés de la conférer par l'imposition des mains ; au lieu que vos docteurs nouveaux font dépendre le pouvoir ecclésiastique du plus grand nombre des suffrages de l'assemblée ; en sorte que le nouvel élu soit revêtu de tous les pouvoirs du ministère en vertu de l'élection même, sans que les cérémonies qui suivent l'élection soient absolument nécessaires. C'est la doctrine expresse de Jean Danhauerus, fameux professeur de votre université1, et de Nicolas Hunnius, professeur de Leipsick2. Il est certain Jésus-Christ a pu que établir la première et la seconde de ces deux méthodes pour communiquer ses pouvoirs, et que s'il a établi la nôtre, toute ordination faite par une autre voie sera nulle. Or comment nous assurer de la volonté de Jésus-Christ, si ce n'est par l’Écriture, ou du moins par la tradition ? Faites-nous donc voir, s'il vous plaît, dans toute l’Écriture une seule parole, dans toute l'antiquité un seul exemple qui prouve que l'élection du peuple toute seule, sans qu'il soit besoin d'y rien ajouter, suffise par elle-même pour donner le pouvoir de consacrer et d'absoudre.


Il ne sert de rien de dire ici, comme fait Henri Meyer, ministre d'Osnabruck, que les sacrements sont des biens appartenant à la communauté, et que par conséquent la communauté est en droit de commettre quelqu'un pour en être dispensateur3. Il est vrai que ce sont des biens destinés à l'usage et à l'utilité de la communauté ; mais il a été libre à Dieu de les faire passer par tels canaux qu'il a jugé à propos ; et si d'après l'institution divine ils ne peuvent être donnés que par des mains consacrées par l'évêque, ils n'en seront pas moins des biens appartenant à la communauté, ou réservés à son utilité et à son usage. Les sacrements de l'ancienne loi n'étaient-ils pas également des biens appartenant à la communauté ? peut-on en conclure que la société des Juifs pouvait choisir ses ministres et leur donner les pouvoirs nécessaires ? ne fallait-il pas s'en tenir indispensablement à ceux que Dieu avait marqués, je veux dire à ceux qui étaient de la race d'Aaron ?


Il est également inutile de dire que le ministère étant absolument nécessaire à l'Église pour se conserver et pour s'accroître, il a été de la providence divine de donner à l'Église le pouvoir de se pourvoir elle-même de ministres, afin de ne pas la laisser manquer de moyens nécessaires à sa conservation et à son accroissement. Ce raisonnement est sans doute très beau ; mais quelque nécessaire que le ministère soit à l'Église, est-il nécessaire pour cela à l'Église de pouvoir créer des ministres par des laïques ? Dieu n'a-t-il pu lui en procurer par une autre voie, en conservant toujours en elle un ordre d'évêques qui lui fournissent des pasteurs ? C'est donc là une affaire qui dépend uniquement de sa volonté, et sa volonté ne nous est manifestée que par sa parole.


On fait de belles parités que l'on croit fort concluantes, et dont on croit avoir grand sujet de s'applaudir. Les sociétés civiles, dit-on, choisissent leurs magistrats, et ce sont les sociétés mêmes qui donnent à leurs chefs tous les pouvoirs nécessaires pour s'acquitter de leurs fonctions ; pourquoi donc les sociétés chrétiennes et religieuses n'auraient-elles pas le même droit de se choisir des pasteurs, et de leur donner tous les pouvoirs nécessaires à la conduite du troupeau ? Mais qui ne comprend aisément qu'en certaines républiques il est libre au peuple de choisir des chefs pour se soumettre à eux selon l'étendue du pouvoir qu'ils jugent à propos de leur donner, parce que ce pouvoir est naturel, extérieur, temporel ? dépendra-t-il pour cela du peuple d'accorder des pouvoirs tels que sont ceux d'absoudre et de consacrer ? pouvoirs qui passent toutes les forces de la nature, et qui ne peuvent s'exercer que par le concours d'une puissance toute divine, appliquée par la volonté souverainement libre de celui qui suit ses propres lois, et non celles des peuples. Le raisonnement humain ne peut donc ici terminer notre différend sur le sujet en question, il faut que l’Écriture ou la tradition en décide.


Souffrez donc, Monsieur, que je vous prie derechef de m'indiquer quelque passage où soit contenu clairement ce point de créance : « Une assemblée de laïques peut conférer le pouvoir de consacrer et d'absoudre. » Vous faites profession de ne rien croire qui ne soit formellement dans l’Écriture, ou du moins qui ne puisse s'en tirer par une conséquence juste et légitime ; c'est ici un article de foi pour vous : supposé que la doctrine du sacerdoce commun ne soit pas de votre goût, il ne vous reste plus autre chose à croire ; l'article n'est pas, comme vous voyez, sans importance ; il est, dans le plan nouveau, le fondement du ministère évangélique, et l'appui de toute la confiance que vous pouvez avoir à la vertu de vos sacrements. Où est donc le texte sur lequel vous fondez sur ce point votre créance ? où est-il le texte qui énonce clairement le droit et le pouvoir de l'assemblée ? où est le texte dont on puisse du moins tirer légitimement cette conséquence : « Donc le sujet choisi par l'assemblée pour exercer le ministère, a, en vertu de l'élection seule, le pouvoir de consacrer et d'absoudre, sans qu'il soit absolument besoin d'y ajouter aucune autre cérémonie. » Vous savez fort bien l’Écriture, Monsieur, j'ai été surpris plus d'une fois de vous la voir citer sur toutes sortes de sujets avec une merveilleuse facilité ; vous l'aurez souvent, je n'en doute pas, lue avec beaucoup d'attention ; vous souvient-il d'aucun passage propre à fournir la preuve que j'ose vous demander ? ne vous fiez pas à votre mémoire pour vous assurer qu'il n'y en a pas, adressez-vous à celui de vos ministres que vous croirez avoir le plus d'intelligence et d'habitude par rapport à la Bible, et vous verrez que sur ce sujet il n'en sait pas plus que vous. Ne suffit-il pas pour vous convaincre de la disette de preuves où vous êtes, de voir les vains et pitoyables efforts de vos auteurs pour en trouver ?


Vous connaissez Christian Dreyer, professeur de l'Université de Konigsberg en Prusse, cet homme qui a écrit avec plus de méthode et de modération que la plupart de vos auteurs ; or, croiriez-vous, Monsieur, que cet auteur emploie ici contre nous les paroles du Sauveur à saint Pierre1 : Tu es Pierre, et sur cette pierre, etc. Et je te donnerai les clés du royaume des cieux !  « Les clés, dit-il, ne marquent autre chose que l'autorité ecclésiastique ; cette autorité consiste particulièrement à donner les pouvoirs nécessaires pour les fonctions du ministère ; or, ajoute-t-il, saint Augustin nous apprend que les clés ont été données, non pas seulement à saint Pierre, mais aussi à toute l'Église ; c'est donc, conclut-il, l'Église et chaque communauté en particulier, qui peut donner ces pouvoirs2. » Mais, Monsieur, nous demandons une preuve de l’Écriture, et on nous cite l'autorité de saint Augustin, qu'on méprise dans cent occasions : est-ce là satisfaire à notre demande ? nous demandons un passage qui favorise la prétention de votre assemblée de laïques, et on nous en produit un qui est évidemment favorable au pape et aux évêques. N'est-ce pas être bien pauvre que de se trouver réduit à mendier un secours, je ne dis pas si impuissant, mais propre à nuire plutôt qu'à servir ?


Ne croyez pas, Monsieur, d'après cette première réponse, que nous pensions à vous abandonner saint Augustin. Il est fort aisé d'expliquer sa pensée, sans donner dans celle du professeur de Konigsberg ; il sera toujours très vrai de dire, que les clés ont été données à toute l'Église en la personne de saint Pierre, quand on dirait seulement, et nous le disons bien volontiers, que saint Pierre a reçu les clés non pour lui seul, mais aussi pour tous ses successeurs ; qu'il les a reçues, non pour son avantage particulier, mais aussi pour l'avantage de toute l'Église ; que les clés n'ont pas été données uniquement à Pierre, mais aussi à tous les autres Apôtres, et à leurs successeurs les évêques avec la proportion convenable, pour le bien et le salut de tous les fidèles ; or, quand même on ne pourrait donner aux paroles de saint Augustin d'autre sens que celui-là, n'en serait-ce pas déjà bien assez pour justifier son expression ?


Comment le docteur prussien a-t-il pu penser à vouloir s'autoriser du sentiment de saint Augustin, s'il a eu la moindre connaissance de la doctrine de ce Père touchant l'ordination ? ce Père n'enseigne-t-il pas en termes exprès, « que l'ordination est un sacrement aussi véritable que le baptême lui-même3 ? que l'ordination comme le baptême ne peut pas se réitérer4 ; que si des clercs sont ordonnés pour avoir soin d'une nouvelle paroisse, quand bien même la nouvelle paroisse ne se formerait pas, ils ne laisseront pas de conserver en eux le sacrement de l'ordination5 ; que si un prêtre vient à être privé de son office pour quelque faute, jamais cependant il ne pourra être privé du caractère imposé par le sacrement du Seigneur, quoique ce caractère ne demeure en lui que pour son jugement1 ; que les ministres saints, ordonnés avant de tomber, s'ils viennent à quitter le schisme, ne sont pas ordonnés de nouveau, mais qu'ils continuent à remplir le ministère qu'ils remplissaient auparavant, ou que, s'ils ne reprennent pas le même ministère, ils portent cependant toujours le caractère de leur ordination2. » Je vous laisse à penser, Monsieur, si tous ces points de doctrine s'accordent avec les principes de ceux qui prétendent trouver dans l'élection du peuple la source du pouvoir ecclésiastique. Qui ne voit donc que le sieur Dreyer a ignoré la doctrine de saint Augustin ? ou que s'il l'a sue, il a cherché à en imposer à son lecteur, en alléguant un passage de ce Père, pour prouver ce que ce Père a toujours été infiniment éloigné de croire. Mais n'y aurait-il pas quelque autre auteur qui eût mieux réussi à citer l’Écriture pour soutenir le droit et le pouvoir prétendu de l'assemblée des laïques ?


Henri Meyer, curé de l'Église Notre-Dame dans la ville d'Osnabruck, connu par la guerre qu'il a eue à soutenir contre le P. Henri Colendal, Jésuite, prédicateur pour lors de la cathédrale de la même ville, et depuis recteur du collège de Dusseldorf, fut chargé en 1710, par le consistoire d'Osnabruck, de répondre à ce savant religieux, qui avait attaqué vivement le pouvoir des ministres dans un sermon prêché le jour de la fête du Saint-Sacrement, et peu après dans un imprimé portant pour titre CONFÉRENCE AMICALE SUR LA PRÊTRISE DES LUTHÉRIENS. Vous pouvez bien juger, Monsieur, que ce ministre animé par l'ordre de ses supérieurs, par l'honneur d'être chargé de défendre la cause commune, par l'intérêt de tout le parti, et le sien en particulier, aura fait tous ses efforts pour trouver dans l’Écriture des passages clairs et propres à prouver, comme il l'avait avancé, et comme il le soutenait encore, « que c'était au peuple à conférer le pouvoir de consacrer et d'absoudre. » Il fit pour cet effet un livre intitulé : LA VÉRITÉ DE LA PRÊTRISE DES MINISTRES ÉVANGÉLIQUES, il y ramassa jusqu'à dix preuves tirées de l’Écriture, qu'il crut ou fit semblant de croire fort avantageuses à son dessein. Mais le P. Colendal lui opposa un DIALOGUE ENTRE UN PAYSAN DU PAYS D'OSNABRUCK ET UN DOCTEUR LUTHÉRIEN ; il rend le pauvre ministre Henri Meyer, avec ses dix prétendues preuves, souverainement ridicule, et fait voir clairement que le moindre villageois est en état de démonter le plus habile docteur luthérien qui entreprendra de lui prouver par l’Écriture la thèse en question. Je ne m'amuserai pas ici à rapporter et à réfuter toutes les dix preuves du ministre ; cette discussion nous mènerait trop loin, et vous me sauriez mauvais gré de m'être attaché à des difficultés qui en valent si peu la peine, et qui ne manqueraient pas de vous ennuyer ; je me contenterai d'en choisir trois qui sont les plus apparentes de toutes, et qui suffiront pour vous faire juger du reste. Elles sont fondées sur les trois textes suivants. Le premier est en saint Matthieu : Lorsqu'il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d'elles3. Le second, dans l’Épître aux Éphésiens : Jésus-Christ a donné ses grâces aux hommes... pour être les uns apôtres, les autres prophètes, les autres docteurs... afin d'accomplir le ministère, et d'édifier le corps de Jésus-Christ4. Le troisième, dans la deuxième aux Corinthiens. Nous prêchons Jésus-Christ comme étant vos serviteurs par Jésus5.


Permettez-moi, Monsieur de vous demander, si du premier coup d’œil vous apercevez aucune liaison de ces textes avec la conclusion qu'on prétend en tirer : « Donc une assemblée de laïques peut conférer le pouvoir de consacrer et d'absoudre. » Et avouez en même temps, s'il vous plaît, qu'il faudrait avoir des yeux bien perçants pour y découvrir qui favorise tant soit peu la prétention du sieur Henri Meyer. Développons néanmoins les pensées de ce ministre, et voyons si dans les réflexions qu'il lui a plu de faire, et qui sûrement ne sont pas Écriture, nous pourrions trouver plus aisément que dans le texte même, de quoi rassurer un protestant sur la validité du ministère.


« Si Jésus-Christ, dit-il, est au milieu de l'assemblée, c'est sans doute pour agir avec l'assemblée, et pour ratifier tout ce que l'assemblée fera ; c'est pour choisir avec elle celui qui sera choisi ; ainsi Jésus-Christ ne peut manquer de donner à celui qu'il a choisi lui-même tous les pouvoirs nécessaires. » Mais est-il possible que ce ministre ne voie pas les suites de son raisonnement, qui va à ôter toute pratique à ses confrères ? car enfin que deux ou trois s'assemblent dans une même famille pour choisir un pasteur, Jésus-Christ, qui se trouve au milieu de deux ou trois assemblés en son nom, ne manquera pas à ce compte de se trouver parmi eux, de ratifier leur choix, et de donner à celui qui aura été choisi tous les pouvoirs nécessaires pour exercer les fonctions du ministère ; ainsi on n'aura plus que faire d'aller à l'église pour y recevoir les sacrements. Prenez la peine, Monsieur, de comparer ce raisonnement avec celui du sieur Meyer, et vous verrez qu'il lui est parfaitement semblable, ou plutôt, que c'est entièrement le même. Qu'on est à plaindre, quand on s'est accoutumé à prendre les imaginations des ministres pour la pure parole de Dieu ! on croit fonder ici les pouvoirs prétendus du ministère sur le texte sacré, et il se trouve qu'on les fonde sur une explication nouvelle, inouïe jusque là, et même contraire aux intérêts de ceux qui la donnent. Le sens du texte est, que lorsque deux ou trois personnes s'unissent entre elles pour prier de concert, ou pour délibérer sur les intérêts de Jésus-Christ, si elles le font avec une foi vive et avec une confiance animée, Jésus-Christ se trouvera au milieu d'elles pour exaucer leurs prières, pour leur inspirer des conseils salutaires, et pour les assister d'un puissant secours. Qu'y a-t-il en tout cela, qui puisse établir le pouvoir de consacrer et d'absoudre dans ceux qui ont été choisis par le peuple ?


Le second texte n'en dit pas plus que le premier. Il est bien vrai, que Jésus a donné ses grâces aux hommes, pour que les uns fussent pasteurs et docteurs. Mais il n'est pas dit dans le texte, si Jésus a voulu que ces grâces fussent communiquées par le choix du peuple, ou par l'imposition des mains épiscopales. C'est bien pour accomplir le ministère, que ces grâces ont été données ; mais le ministère ne s'est-il pas toujours accompli par l'ordination épiscopale, qui a été constamment en usage dans l'Église jusqu'au temps de Luther ? Que trouve-t-on dans le texte cité, qui fasse sentir la nécessité de conclure en faveur de la compétence du peuple, pour donner les pouvoirs de consacrer et d'absoudre ? Avouez, Monsieur, qu'on ne peut citer de pareils textes que dans la vue d'éblouir les simples, et qu'on ne peut guère imaginer de plus pitoyables preuves.


Mais voyons s'il n'y aura pas plus de sens et de raison dans l'usage qu'on a fait du troisième texte. « Saint Paul, chargé du ministère de la parole de Dieu, dit le ministre d'Osnabruck, se déclare le serviteur de ceux qui composaient l'Église de Corinthe : il en doit être de même de tous ceux qui sont employés au ministère, et on ne doit les regarder que comme serviteurs des communautés. Or, poursuit-il, les serviteurs sont appelés et choisis par ceux qui les emploient, et c'est de leurs commettants qu'ils reçoivent tout le pouvoir qu'on veut bien leur donner pour agir : c'est donc aux communautés à choisir leur pasteur, et à leur donner tous les pouvoirs nécessaires pour la fin à laquelle ils sont appelés. » Que dire à cela ? n'est-ce pas là une objection bien embarrassante pour nous ? ou plutôt n'est-elle pas propre à vous faire conclure, Monsieur, que tous ceux qui ont l'honneur de vous écrire et de se dire vos très humbles serviteurs, ont dès la même le pouvoir de vous administrer les sacrements ? Il est vrai que saint Paul s'est dit le serviteur des Corinthiens : mais aussi n'ignorez-vous pas, Monsieur, que le même saint Paul a demandé aux mêmes Corinthiens, lequel aimez-vous mieux, ou que j'aille vers vous avec la verge à la main, ou dans un esprit de douceur1 ? Je veux que les ouvriers de l’Évangile soient autant de serviteurs des communautés, et même qu'ils le soient dans un sens aussi strict et aussi exact qu'il vous plaira ; que s'ensuivra-t-il de là ? les serviteurs peuvent-ils recevoir des maîtres qui les emploient, des pouvoirs qui passent de beaucoup l'autorité de ceux dont ils reçoivent leur commission ? les ministres de l’Évangile servent les communautés, j'y consens, et c'est en procurant leur bien et leur avantage ; mais est-ce en qualité de valets qu'ils les servent, ou plutôt n'est-ce pas en qualité de pasteurs, de directeurs, de ministres du Seigneur, d'ambassadeurs de Jésus-Christ, de dispensateurs des sacrements ? ils ont un pouvoir que n'ont pas les rois et les empereurs ; leur pouvoir passe celui des anges et des archanges, et même celui de la sainte Vierge. Qui leur donne ce pouvoir ? est-ce une assemblée de laïques ? on le dit chez vous ; mais comment le prouve-t-on ? y a-t-il ombre de preuve dans tout ce que nous avons vu jusqu'à présent ? n'espérons pas de rien trouver de plus solide, quand nous y emploierions de plus longues recherches ; la dure nécessité où se trouvent vos partisans d'avoir recours à de si misérables preuves, fait voir évidemment l'impuissance absolue où ils sont de prouver par l’Écriture ce qui est ici en question.


Que vos Messieurs souffrent donc à leur tour, que nous leur fassions la même demande qu'ils nous font si souvent : Ubi scriptum est ? « Où est-il écrit ? » Quand il s'agit de quelque point de doctrine, ou de quelque usage universellement reçu dans l'Église, ils ne veulent avoir égard, ni à l'antiquité la plus respectable, ni à la pratique la plus constante de tous les temps et de tous les lieux ; ils insistent toujours, et demandent qu'on leur fasse voir dans l’Écriture une décision claire et précise. Nous avons beau leur dire que les prédications faites de vive voix par les Apôtres, ne sont pas moins vraies que les principes dont ils nous ont légué le souvenir par écrit ; qu'une tradition constante et universelle, dont on ne peut trouver l'origine dans aucun temps postérieur à celui des Apôtres, ne laisse aucun lieu de révoquer en doute la certitude de l'enseignement apostolique ; que les protestants eux-mêmes croient bien des articles qu'ils seraient fort embarrassés de prouver par l’Écriture ; toutes ces réflexions ne les contentent pas, ils persistent toujours à crier à l’Écriture ; ce principe, qu'il ne faut croire aucun article s'il n'est écrit, leur est si cher, que, quoique ce principe n'ait jamais été prouvé par l’Écriture, et qu'il soit impossible de le prouver jamais, ils ne laissent pas de le regarder parmi eux comme une vérité incontestable et fondamentale, dont il n'est jamais permis de s'éloigner. Qu'ils suivent donc ici ce principe si chéri ; qu'ils s'acquittent avec justice de ce qu'ils exigent de nous avec importunité ; Ubi scriptum est ? qu'ils nous disent où il est écrit qu'une assemblée de laïques peut donner le pouvoir de consacrer et d'absoudre ; ou, ce qui revient au même, que la communauté a droit de commettre quelqu'un pour faire l'acte d'ordination, acte qui ratifie le choix fait par l'assemblée et confirme tous les pouvoirs accordés par elle. Car c'est là le précis de la doctrine nouvelle récemment imaginée, sans craindre de donner à Luther un démenti aussi honteux que formel.


Que Dieu est admirable! il a voulu que les esprits superbes révoltés contre l'Église, trouvassent leur honte et leur défaite dans le premier des principes qu'ils ont établis. Ils se sont forgé une arme qu'ils ont crue meurtrière contre nous, et le premier effet de cette arme est de leur couper la gorge, et de les mettre hors d'état de parler. Leur maxime, qui interdit la créance de tout dogme non écrit, est le spécieux prétexte de la plupart de leurs contradictions, et voilà qu'il devient en même temps le renversement de leur ministère, et par conséquent la ruine de votre Église. Était-il de l'intérêt de vos pasteurs d'établir un principe si propre à les dégrader, et à montrer à tous qu'ils n'ont pas plus de pouvoir que le moindre des laïques ?


Mais, nous dit-on, du temps des Apôtres le commun des fidèles a eu part aux choix des ministres et des pasteurs, comme il se voit dans l'élection d'un nouvel Apôtre à la place de Judas. Car il est dit que les fidèles en proposèrent deux, Barsabas et Mathias et qu'ils jetèrent le sort sur eux, pour connaître la volonté de Dieu1. On voit encore dans les mèmes Actes que l'assemblée des fidèles choisit sept diacres, et que les Apôtres leur imposèrent les mains2. Kemnitius prétend que Paul et Barnabé ordonnèrent dans plusieurs Églises des prêtres, choisis d'abord et approuvés par le peuple ; et pour le prouver, il cite le texte grec du XIV chap. des Actes des Apôtres, v. 22 il appuie beaucoup sur le mot de xelpotovńcavτes, et prétend que ce mot marque l'approbation du peuple donnée, et signifiée par un geste qui consistait à étendre la main vers celui dont on avait fait choix3. Je ne contesterai pas beaucoup sur toutes ces imaginations ; je vous prierai seulement, Monsieur, de remarquer qu'il y a ici deux questions à distinguer fort différentes l'une de l'autre : la première est de savoir si, pour créer des pasteurs, les suffrages du peuple sont absolument nécessaires ; la seconde, de décider si ces mêmes suffrages du peuple suffisent pour conférer les pouvoirs du ministère. Vous affirmez également ces deux articles, et nous nions également l'un et l'autre. Je n'entrerai pas dans la discussion de la première question, parce qu'elle n'est pas tellement liée à notre sujet, qu'elle n'en puisse être séparée. Si je n'écartais avec soin tout ce qui pourrait trop grossir cet écrit, il me serait aisé de montrer, que si vous trouvez dans l’Écriture des exemples où le peuple paraît avoir eu part à l'élection de ses pasteurs et de ses ministres, on en trouve aussi d'autres où le peuple paraît n'y avoir eu aucune part. Il me serait encore aisé de montrer, que si vous avez des canons dans les conciles, ou des textes dans les pères, qui semblent attribuer au peuple le droit de choisir des prêtres et des pasteurs (quoique, à regarder les paroles de près, vous y verrez seulement qu'il ne faut élever personne au sacerdoce sans s'être assuré auparavant par le témoignage du peuple, de la dignité du sujet), il me serait, dis-je, aisé de montrer que nous pouvons aussi citer plusieurs décrets des conciles et plusieurs textes des saints Pères, qui refusent positivement au peuple le droit de suffrage dans les élections ; n'y eût-il que le treizième canon du premier concile de Laodicée, qui dit en termes exprès, « qu'il ne faut pas permettre au peuple de choisir ceux qui doivent être promus au sacerdoce1. »


Mais, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, Monsieur, ce n'est pas là le point précis du sujet en question. Quand vos docteurs seraient venus à bout de prouver la nécessité des suffrages du peuple pour les élections, ce qu'ils ne feront jamais, ils n'auraient pas prouvé par là la compétence du peuple, pour conférer les pouvoirs de consacrer et d'absoudre. Autre est le droit de la nomination, autre le pouvoir de l'ordination. Le droit de la nomination peut convenir à une communauté séculière, quoiqu'il ne lui appartienne pas nécessairement ; mais le pouvoir de l'ordination peut-il aussi lui convenir ? une assemblée de laïques peut-elle ordonner ? ou est-elle censée ordonner un sujet, dès qu'elle le choisit ? ou a-t-elle droit de commettre quelqu'un, qui fasse en son nom l'acte d'ordination, pour ratifier et déclarer au public les pouvoirs qu'on suppose avoir été accordés par l'assemblée ? C'est sur ce point, Monsieur, que j'ai demandé des preuves tirées de l’Écriture, et je crois vous avoir démontré qu'il n'est pas possible d'en trouver.


La tradition ne vous en fournira pas davantage ; car je soutiens que, depuis le commencement du christianisme jusqu'au temps de Luther, il ne se trouvera pas un seul exemple, par lequel on puisse faire voir que jamais personne ait cru être revêtu des pouvoirs ecclésiastiques pour avoir été choisi par le peuple si avant ou après l'élection il n'a été ordonné par un évêque. Bien loin de trouver dans l'antiquité de quoi favoriser le droit et le pouvoir prétendu des communautés, nous y trouvons au contraire une infinité de faits qui démontrent, qu'on a toujours été dans des idées absolument opposées à celles de vos nouveaux docteurs. Je me contenterai d'en rapporter trois ou quatre ; l'aveu de Luther, si bien connu par sa protestation contre l'antiquité, me dispense d'en rapporter davantage.


Tertullien, qui, comme vous savez, florissait dès la fin du second siècle, reprend fortement les Marcionites, « de ce que chez eux le même homme était aujourd'hui prêtre et demain laïque, et de ce que les laïques étaient chargés de faire les fonctions de prêtres2. »


Or si votre système est juste, Monsieur, quel blâme pouvaient mériter en cela les Marcionites ? supposé que les pouvoirs de consacrer et d'absoudre se donnent par le choix de la communauté : dès que la communauté, peu satisfaite des services d'un pasteur, le congédiera, ses pouvoirs cesseront absolument, et il sera réduit au rang des simples laïques ; je sais bien que Luther n'y trouve aucun inconvénient, car il dit : « Comme le prêtre ne diffère du laïque que par le ministère, je ne vois pas pourquoi le prêtre ne pourrait pas devenir laïque3. » Mais Luther en parlant ainsi ne fait-il pas voir que ses idées s'accordent parfaitement bien avec les idées des Marcionites, et très mal avec celles des premiers Pères de l'Église ?


Combien n'y a-t-il pas eu de prêtres qui n'ont jamais eu charge d'âmes, et qui, n'ayant pas de communauté à conduire, n'ont pu recevoir d'aucune communauté les pouvoirs attachés à la prêtrise ? Saint Jérôme était prêtre, comme tout le monde sait, et cependant il vivait séparé du commerce du monde, retiré dans le désert, vaquant uniquement à l'étude et à la prière. Si l'on n'est fait prêtre que par le choix d'une communauté, quelle communauté a choisi saint Jérôme pour aller vivre dans la solitude ?


Vous n'ignorez pas sans doute le fait de Frumentius, rapporté par la plupart des historiens ecclésiastiques1. Jeté par la tempête sur le rivage d'un pays habité par des Indiens idolâtres, il sut si bien, par ses belles qualités, s'insinuer dans l'esprit du roi et de la reine, qu'ils lui confièrent les affaires les plus importantes du royaume. La faveur où il était, et le zèle dont il brûlait pour la religion chrétienne, lui firent entreprendre de bâtir une chapelle, où il rassemblait les marchands chrétiens qui venaient d'Italie trafiquer aux Indes ; les naturels du pays se mêlèrent peu à peu avec ces marchands étrangers, et prirent goût aux exercices de la religion chrétienne ; alors Frumentius se transporta à Alexandrie pour annoncer à saint Athanase les espérances d'une abondante récolte, et lui demander en même temps un évêque et des prêtres qui pussent cultiver et étendre cette nouvelle chrétienté. Saint Athanase crut ne pouvoir mieux faire que de sacrer Frumentius même, et de le renvoyer pour évêque à ces Indiens. Mais si les communautés peuvent elles-mêmes ordonner des prêtres et des évêques, qu'était-il besoin d'un si vaste trajet pour aller en demander ? Frumentius ne se fût-il pas épargné bien des fatigues et bien des dangers, si pour lors on avait été dans le sentiment des nouveaux docteurs luthériens ?


Vous ne disconviendrez pas, Monsieur, que les saints Pères n'insistent très fort sur la nécessité d'une mission légitime. Rien de plus fréquent dans leurs écrits que les reproches qu'ils font aux hérétiques sur le défaut de mission ; mais y aurait-il rien de plus frivole que ces reproches, s'il était vrai que chaque communauté fût autorisée à donner les pouvoirs ? où est l'hérésiarque qui, après avoir formé un parti, ne puisse dire dans vos principes, s'ils sont bons, qu'il tient ses pouvoirs et sa mission du peuple attaché à sa doctrine ? peut-il à ce compte y avoir une secte, quelque méprisable qu'elle puisse être, fût-ce une troupe de fanatiques parvenus au comble de l'extravagance et du ridicule, qui, en choisissant ses ministres, ne puisse s'assurer avec autant de droit que vous, d'avoir des pasteurs légitimes et véritables, munis de tous les pouvoirs nécessaires et suffisants pour exercer les fonctions du ministère ?


Vous trouverez sans doute, Monsieur, que c'est beaucoup d'attribuer à l'élection la vertu de conférer tous les pouvoirs du ministère ecclésiastique ; mais si l'on ajoute, comme font vos nouveaux docteurs, que cette voie d'ordination est la seule légitime, et que toute autre reste sans effet, que faudra-t-il penser de tant de ministres luthériens nommés et choisis, non par les suffrages de la communauté, mais par le bon plaisir du seigneur, ou de la dame du lieu, ou de quelque autre collateur étranger, comme cela se pratique chez vous en une infinité d'endroits ? Que faudra-t-il dire de tous les évêques, curés, vicaires, prêtres, qui ont vécu avant Luther ? leur ordination aura-t-elle été valide, quoique faite d'une manière opposée aux règlements de Luther, et aux idées de vos nouveaux docteurs ? mais si elle n'a pas été valide, voilà donc tout le peuple chrétien pendant quinze siècles sans pasteurs légitimes et sans sacrements, c'est-à-dire que pendant tout ce temps il n'y aura pas eu d’Église de Jésus-Christ ; car comment l'Église aurait-elle pu subsister sans ministres et sans sacrements ? Vous êtes bien éloigné, Monsieur, d'admettre de si horribles suites ; mais elles sont inévitables si votre ordination est bonne car si la vôtre est bonne, la nôtre ne l'est pas ; Dieu ne l'a pas établie de deux sortes, et il ne dépend pas du caprice des hommes d'en imaginer de nouvelles qui soient efficaces.


Je crois, Monsieur, avoir réfuté aussi solidement, dans la seconde partie de cet écrit, le sentiment nouveau de vos docteurs actuels, que le sentiment de Luther dans la première. Mais si les pouvoirs de la prêtrise ne viennent ni par la grâce du baptême à tous les chrétiens, comme le prétend Luther, ni par les suffrages de la communauté à ceux qui sont choisis, comme le soutiennent la plupart de ses disciples, de quelle source sortiront donc les pouvoirs de vos ministres ? vos savants en connaissent-ils d'autres que ces deux-là ?


Je pourrais donc à bon droit, et avec tout l'avantage que me donnent des preuves si pressantes, finir ici sans m'étendre davantage, et conclure que vous n'avez personne chez vous capable de vous administrer l'Eucharistie, personne en état de vous absoudre de vos péchés ; mais la vérité que je traite se montre par tant d'endroits, et il est si important que vous en soyez pleinement convaincu, que je ne dois pas négliger de vous la présenter encore sous un autre point de vue. Quand même vous ne feriez attention qu'à ce que j'ai eu l'honneur de dire jusqu'ici, il y en aurait déjà bien assez pour vous rendre votre ministère suspect ; mais j'ajoute que quand vous oublieriez tout ce qui a été dit, pour ne faire attention qu'à ce qui me reste à dire, il y aurait encore là de quoi ruiner absolument toute la confiance que vous avez jamais pu avoir aux pouvoirs prétendus de vos ministres. Voici le raisonnement qui me reste à faire; il est aussi court qu'il est clair, et va faire le sujet de la troisième partie de cet écrit.


3ème proposition : il n’y a que l’Évêque qui puisse conférer le pouvoir de consacrer et d’absoudre.


Pour avoir le pouvoir de consacrer et d'absoudre, il faut avoir été ordonné par un évêque : or vos ministres n'ont été ordonnés par aucun évêque ; donc ils n'ont point le pouvoir de consacrer et d'absoudre ; ne refusez pas, Monsieur, d'examiner les deux propositions qui concluent si directement à la nullité de votre ministère. Vous n'êtes pas fait pour vous borner à un demi-examen puisque vous avez bien voulu entrer dans la discussion de cette matière, procurez-vous la consolation de pouvoir vous assurer que vous ne vous êtes rien caché de toutes les objections proposées par vos adversaires contre les pouvoirs prétendus de vos ministres ; vous êtes certainement assez intéressé à la solution de cette importante question pour aimer à en prendre une exacte connaissance.


Je dis donc premièrement que, pour être prêtre, et en faire validement les fonctions, il faut avoir été ordonné par un évêque. C'est là une vérité si généralement et si constamment reconnue dans l'Église, qu'un prêtre ambitieux, nommé Aérius, chagrin d'avoir manqué l'épiscopat, ayant osé enseigner, vers le milieu du quatrième siècle, que le pouvoir de conférer l’ordre de prêtrise appartenait aux prêtres comme aux évêques, ce dogme nouveau parut tellement étrange au monde chrétien, que les Pères qui nous ont laissé un catalogue des hérésies, n'ont pas manqué de mettre cette erreur au nombre de celles qui, depuis le commencement du christianisme, avaient infecté l'Église. Saint Épiphane, évêque de Salamine en Chypre, auteur du quatrième siècle, a été également illustre, et par son érudition, et par sa sainteté, et par les miracles qu'il a faits pendant sa vie et après sa mort, ainsi qu'il est rapporté par Sozomène1 et par Nicéphore2.


Le second concile général de Nicée va même jusqu'à le qualifier d'homme divin pour l'excellence de ses ouvrages3. Or voici comme il s'exprime sur le sujet en question : « Le dogme d'Aérius, dit-il, est un dogme dont la folie et la monstruosité surpasse l'intelligence de l'homme, surtout en ce qu'il prétend que l'évêque n'a rien au-dessus des prêtres, et qu'ils sont parfaitement égaux pour l'ordre, l'honneur et la dignité4. »


C'est dans le livre où il a fait un recueil de quatre-vingts hérésies, qu'il tient ce langage ; livre que le même concile général de Nicée dit être « en grande réputation dans tout l'univers5 ; » que saint Augustin cite avec respect en traitant le même sujet6, et que vos centuriateurs nomment « un ouvrage très noble et très exquis7. » « Il n'y a pas d'homme sensé, ajoute le même saint Épiphane à la page suivante, qui ne reconnaisse facilement dans la doctrine d'Aérius un tissu de folies et d'extravagances, comme quand il cherche à établir une égalité parfaite entre l'évêque et le prêtre. Comment pourrait-il en être ainsi ? l'ordre des évêques est destiné à fournir des pères spirituels à l'Église, au lieu que l'ordre des prêtres, destitué de ce pouvoir, peut bien donner des enfants à l'Église par le baptême de la régénération, mais ne saurait lui engendrer des pères et des maîtres. Car comment pourrait-il faire et établir des prêtres celui qui pour en former n'a aucun droit d'imposer les mains8 ? »


Saint Augustin n'a pas moins fait le procès à Aérius pour avoir avancé une erreur si insoutenable. Voici ses paroles : « Aérius, tombé dans l'hérésie Arienne, y a, dit-on, ajouté quelques dogmes de sa façon ; il a soutenu qu'il ne fallait offrir ni prières ni sacrifice pour les morts, qu'il ne fallait pas non plus garder les jeûnes établis par l'Église, mais que chacun devait jeûner selon le mouvement de sa dévotion, afin de ne pas paraître être sous la loi ; il disait aussi, qu'il n'y a aucune différence à faire entre l'évêque et le prêtre1. »


Je m'abstiendrai de faire ici sur le texte de saint Augustin toutes les réflexions que je serais en droit de faire, je me réserve à les développer plus amplement dans ma sixième lettre dont le sujet me rappellera au même passage, pour en examiner toutes les parties avec plus d'exactitude. Je me contenterai pour le présent de vous prier, Monsieur, de donner votre attention aux dernières paroles du texte cité, et de remarquer que saint Augustin s'accorde parfaitement avec saint Épiphane, à mettre le dogme et l'égalité prétendue au nombre des hérésies. Saint Jean Damascène2 et saint Isidore, évêque de Séville, en ont fait autant, et ont également placé la doctrine d'Aérius sur le point en question dans le catalogue des hérésies, dont ils nous ont laissé le détail, à l'imitation de saint Augustin et de saint Épiphane.


Quoi ! des docteurs si habiles et si bien instruits des matières de la foi et des sentiments de leurs temps, auront, dans l'entreprise qu'ils ont formée de laisser à la postérité une idée nette de toutes les mauvaises doctrines fatales à la paix de l'Église, noté le sentiment de ceux qui égalent le pouvoir du prêtre à celui de l'évêque, comme un sentiment hérétique, et l'on croira pouvoir, sans tomber dans la plus grande de toutes les témérités, et se rendre aussi coupable qu'Aérius, contredire tous ces grands et savants hommes, condamner l'Église de leur temps, dont ils ont parfaitement su et expliqué la doctrine, soutenir aussi avec une audace inexplicable, qu'une ordination faite par un prêtre n'est pas moins valide, que celle qui est faite par un évêque ?


Je n'ignore pas, Monsieur, la réponse de vos théologiens, pour parer aux autorités que je viens de citer : Si les Pères, disent-ils, ont blâmé Aérius, c'est uniquement sur une entreprise qui regardait le temps même où il vivait ; il prétendait que l'ordre épiscopal et l'ordre sacerdotal était parfaitement le même du temps des Apôtres ; que l'Église, pour remédier aux désordres excités entre les prêtres par la division et la cabale, avait jugé à propos d'établir des chefs pour gouverner le clergé ; et que ces chefs avaient seuls conservé depuis le nom d'évêques, comme propre à les distinguer des prêtres soumis à leur conduite. Aérius avait trouvé cet arrangement tout établi de son temps, et quelque convenable qu'il fût au bien de l'Église de le conserver, il entreprit néanmoins de le troubler, de le changer, et de remettre tout sur l'ancien pied ; or, c'est uniquement pour avoir voulu abolir cette distinction établie par le droit ecclésiastique, et non par le droit divin, qu'il s'est attiré le blâme et les reproches des Pères.


En vérité, Monsieur, quand je vois de semblables réponses, je ne sais quelle idée me former de ceux qui les font : ces gens-là, me demandé-je à moi-même, ont-ils des yeux, ou n'en ont-ils pas ? ont-ils de la conception, ou en sont-ils entièrement privés ? voient-ils le ridicule, ou ne le voient-ils pas ? ont-ils de la bonne foi, ou l'ont-ils absolument abjurée ? je me fais ces questions, et je ne sais que me répondre. Quoi ! Aérius aura été mis au catalogue des hérésiarques, uniquement pour avoir enseigné une chose contraire à la disposition de l'Église ? depuis quand est-on hérétique chez vous pour avoir voulu changer une pratique ecclésiastique, qui n'est pas fondée dans l’Écriture ? votre principe n'est-il pas, que l'hérésie n'est autre chose qu'un attachement opiniâtre à une doctrine clairement condamnée par la parole de Dieu ? il faut donc, ou que la doctrine enseignée par Aérius, comme son dogme particulier, soit une doctrine contraire à la parole de Dieu, ou si vous ne voulez pas la regarder comme telle, que vous le rayiez du catalogue des hérésiarques, et que vous condamniez les Pères d'avoir commis une injustice insigne à son égard, en le flétrissant d'un nom si odieux pour un sujet qui ne le méritait pas.


Je demande en second lieu, pourquoi saint Épiphane traite le dogme d'Aérius de dogme monstrueux et de dogme insensé au-delà de toute imagination ? Aérius soutenait que le prêtre était égal à l'évêque en pouvoir et en dignité : vos théologiens prétendent que l'égalité était parfaite du temps des Apôtres, mais qu'elle a cessé depuis par une sage et prudente économie de l'Église. Si Aérius n'a parlé que pour rétablir une égalité qui était du temps des Apôtres, comment sa doctrine a-t-elle pu passer pour être monstrueuse, insensée, pleine de folie et d'extravagance ? si saint Épiphane a été dans la pensée que vous lui prêtez, comment a-t-il pu être si outré dans ses qualifications ? des expressions si fortes ne font-elles pas assez sentir, que le sujet des reproches de saint Épiphane était bien différent de celui qu'il vous a plu d'imaginer ? selon vos théologiens il est vrai, dans un sens, de dire que le prêtre est égal à l'évêque, et faux dans un autre de le soutenir : ils sont égaux, à ne considérer que le droit divin ; et ils ne le sont pas, à considérer le droit ecclésiastique. Mais comment tous ces Pères, qui ont condamné comme une hérésie cette simple proposition d'Aérius : « le prêtre est égal à l'évêque » ne se sont-ils pas avisés de la distinguer comme vous, de l'éclaircir, et de nous faire voir en quel sens elle était mauvaise ? pour nous, nous prétendons que la proposition est mauvaise absolument, et en tout sens ; et c'est pour cela, disons-nous, que les Pères l'ont condamnée simplement, et sans aucune modification.


Saint Épiphane demande comment il se peut faire qu'un simple prêtre, qui n'a aucun droit d'imposer les mains, puisse ordonner des prêtres1 ? Si le saint docteur a eu les mêmes idées que vous sur la matière dont il s'agit, comment a-t-il pu faire cette question ? n'eût-il pas vu qu'il était infiniment aisé de lui répondre : « Ce qui vous paraît impossible peut fort bien se faire, il suffit de quitter l'usage ordinaire de l'Église, et de se servir d'un pouvoir que Jésus-Christ a donné aux prêtres comme aux évêques : un prêtre qui ordonnerait, ferait mal, parce qu'il agirait contre la défense de l'Église ; mais, au fond l'ordination faite par un prêtre ne laisserait pas d'être valide, parce qu'elle ne passerait pas les pouvoirs du prêtre. » Telle eût été la réponse naturelle que tout homme eût pu lui faire, supposez qu'on eût été pour lors dans les sentiments où vous êtes aujourd'hui. Saint Épiphane était assez éclairé pour ne pas ignorer ce qu'on pouvait dire à sa question, dans une combinaison semblable. Mais, non, le saint jugeait la chose absolument impossible ; c'est pourquoi il demande : « Comment se peut-il faire ? »


Quand je n'aurais pas d'autres remarques à faire sur les textes des Pères, contre Aérius, il y en aurait déjà bien assez pour faire sentir à tout homme d'un sens droit et équitable, le faible et le ridicule de la misérable défaite employée ici par vos théologiens pour se tirer d'intrigue ; mais je trouve encore de quoi vous faire observer l'énorme négligence de vos auteurs à s'instruire des sentiments des saints Pères, ou de leur peu de sincérité à les rapporter.


Le croiriez-vous bien, Monsieur ? saint Épiphane prouve par l’Écriture à Aérius, que le prêtre n'est pas égal à l'évêque, c'est-à-dire que dès le temps des Apôtres c'étaient deux ordres très distingués. Voici ses preuves que vous trouverez à la 910° page du premier tome de l'édition du Père Petau : l'Apôtre écrivant à Timothée, parle ainsi : Ne reprenez pas sévèrement un prêtre, mais plutôt exhortez-le comme votre père1. Or, ajoute le Saint, pourquoi défendre à un évêque de reprendre avec aigreur un prêtre, si l'évêque n'a pas plus de pouvoir et d'autorité lui ? Je sais, Monsieur, que par le mot grec πperbúrepos employé dans le texte, plusieurs entendent un vieillard ; la vulgate même favorise ce sens ; mais je ne parle ici que du dessein de saint Épiphane, il a voulu prouver par ce texte que le prêtre était déjà, du temps des Apôtres, d'un ordre inférieur à celui de l'évêque. Il cite un second texte du même chapitre au verset 19 : Ne recevez point d'accusation contre un prêtre, si ce n'est sur la déposition de deux ou trois témoins. Sur quoi il fait cette réflexion : Où trouverez-vous qu'il ait été défendu par l'Apôtre à un prêtre de recevoir aucune accusation contre l'évêque ? puis il conclut : « Vous voyez donc comment Aérius, séduit par le démon, a fait une déplorable chute. » Non content d'apporter des preuves tirées de l’Écriture pour prouver, que du temps des Apôtres les évêques et les prêtres étaient très distingués pour le rang et pour le pouvoir, il répond encore aux objections par lesquelles Aérius avait entrepris de prouver le contraire. Ces objections sont tirées du chapitre quatrième de la première à Timothée, et du chapitre premier de l’Épître aux Philippiens, et entièrement les mêmes que celles que vous avez coutume de proposer contre nous. Il serait trop long de les rapporter ici ; il me suffira de remarquer, que vos auteurs nous mettent dans une nécessité fâcheuse à leur égard. Nous ne pouvons nous dispenser de porter contre eux un de ces deux jugements, ou qu'ils se copient les uns les autres, sans prendre la peine d'examiner les sources, ou que, s'ils les examinent, ils ont entrepris, de dessein formé, d'en imposer à leurs lecteurs. Car enfin, si Kemnitius, Dreyerus et Meyer, trois auteurs allemands, ont vu dans saint Épiphane, d'un côté les raisonnements de ce Père, qui tendent à prouver une différence primitive entre l'évêque et le prêtre, même dès le temps des Apôtres, et de l'autre les objections d'Aérius, qui vont à combattre la même différence primitive, comment pourront-ils encore soutenir qu'Aérius a seulement été blâmé pour avoir voulu introduire de son temps une égalité qui n'était plus de saison, et ne pas reconnaître dans leur sentiment une parfaite conformité avec celui qui a été mis dans le catalogue des hérésies ? Je demande ici, où est la bonne foi germanique ? sied-il à des hommes qui veulent passer pour habiles, de citer des auteurs qu'ils n'ont jamais lus ? ou leur sied-il de prêter à ces auteurs des sentiments et des vues qu'ils n'ont jamais eus, et dont on découvre manifestement le contraire, pour peu qu'on apporte d'attention à les lire ?


Il ne vous reste donc qu'un parti à prendre ; c'est de dire que saint Épiphane, saint Augustin, saint Jean Damascène et saint Isidore se sont trompés avec toute l’Église de leur temps, dont ils nous ont rapporté le sentiment ; qu'à la vérité ils ont condamné votre doctrine en condamnant celle d'Aérius, mais qu'ils ont eu tort, et que vous en appelez de leur jugement. Voilà comme il faut parler, quand on veut parler avec franchise. C'est à la vérité être un peu hardi pour ne pas dire téméraire à l'excès, que de mépriser l'autorité de ces grands hommes si parfaitement instruits de la doctrine de leur temps et de toute l'antiquité, mais au moins ce n'est pas être fourbe et imposteur ; ce n'est pas être déterminé à vouloir s'aveugler sur un fait qui ne peut se cacher ; ce n'est pas entreprendre de fasciner les yeux de ceux qui savent lire, ni compter pour rien de révolter contre soi tous les gens d'honneur, qui voudront prendre la peine d'examiner la question par eux-mêmes. Que le sieur Dreyer se plaigne donc amèrement « du peu de modération que font paraître les catholiques, en confondant votre doctrine avec celle d'Aérius1 : » si par ces plaintes il vient à bout d'exciter la pitié des personnes éclairées, ce ne sera sûrement pas sur l'injustice qu'on lui fait, mais bien sur l'aveuglement où il est de ne pas voir qu'on lui rend, à lui et à son parti, la justice la plus exacte. Je suis fort tenté de croire que ce professeur de Konigsberg n'a jamais lu saint Épiphane que par les yeux de Kemnitius ; car s'il eût vu de ses propres yeux ce que je viens d'en rapporter, il me paraît qu'il eût été assez honnête homme pour ne pas crier sans sujet à la calomnie ; son parti eût été de garder un modeste silence et il se fût bien gardé de relever une accusation trop véritable, et dont la preuve est si aisée.


Que vous en semble, Monsieur ? ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire sur le sentiment des Pères, vous paraît-il indifférent au sujet que je traite ? n'est-ce rien de vous avoir prouvé invinciblement par leur témoignage, que dès le quatrième siècle on regardait comme hérétique la doctrine qui accorde aux prêtres le pouvoir d'ordonner ? Mais ce n'est pas tout, j'ai de quoi faire voir que l’Église a toujours agi conséquemment à cette persuasion, n'ayant jamais approuvé aucune ordination faite par de simples prêtres, et ayant constamment rejeté comme nulles celles qui n'ont pas été faites par des évêques.


Il n'est pas, Monsieur, que vous n'ayez ouï parler d'un certain Ischyras, qui du temps de saint Athanase s'ingérait à faire les fonctions de prêtre, quoiqu'il n'eût été ordonné que par Colluthe, qui sans être évêque s'était émancipé à donner les ordres. Voici comme s'expriment sur son sujet les Pères du concile d'Alexandrie dans leur lettre Synodique, adressée au pape Jules, et à tous les évêques catholiques du monde : « D'où Ischyras aurait-il la prêtrise ? par qui a-t-il été ordonné ? est-ce par Colluthe ? or tout le monde sait que Colluthe est mort simple prêtre, que toutes les impositions des mains faites par lui ont été déclarées nulles, et que tous ceux qu'il avait ordonnés dans son schisme, ont été réduits à l'ordre des laïques, et se rangent aujourd'hui parmi les laïques dans l'Église. C'est un fait notoire, et dont personne ne doute2. » Il est dit dans la même Épître, que les prêtres ordonnés par Mélèce, quoique Mélèce fût schismatique, et même auteur d'un schisme très fâcheux, n'avaient pas laissé d'être reconnus pour prêtres légitimes. Mais pourquoi les ordinations faites par Mélèce étaient-elles censées bonnes, tandis que celles de Colluthe passaient pour être nulles, quoique l'un et l'autre fussent également engagés dans le schisme ? c'est que Mélèce était un véritable évêque, au lieu que Colluthe comme s'explique le clergé de la Maréote, dans sa relation au gouverneur d’Égypte, n'était qu'un évêque imaginaire, c'est-à-dire s'était arrogé la qualité d'évêque, quoiqu'il ne fût que simple prêtre. « C'est pour ce motif, ajoute le même clergé, que le concile de Nicée a défendu à Colluthe de faire d'autres fonctions que celles de simple prêtre. C'est encore en conséquence du même motif que tous les individus ordonnés de sa main, se trouvent réduits par l'ordre du concile au rang des simples laïques, tels qu'ils étaient auparavant1. »


Le premier concile de Constantinople, qui a suivi d'assez près le concile de Nicée, rendit un jugement tout semblable au sujet de ceux qui avaient été ordonnés par Maxime Cynique ; car ayant reconnu que ce Maxime n'avait jamais été évêque, il prononça, que tous ceux qu'il avait prétendu faire prêtres, ne l'étaient en aucune façon2.


Le pape Damase, mort en l'an 385, parlant des Corévêques, qui n'étaient que de simples prêtres, établis pour gouverner la paroisse de quelque petite ville ou de quelque gros bourg, déclare pareillement tout net dans sa cinquième lettre, que ceux d'entre eux qui ont entrepris sur les fonctions épiscopales, en s'ingérant de vouloir ordonner comme les évêques, y ont perdu leur peine, et qu'il faut regarder comme nuls et non avenus tous leurs actes en ce genre. Grégoire III, mort en 741, écrivant à saint Boniface, apôtre d'Allemagne, l'avertit de faire ordonner de nouveau ceux qui exerçaient les fonctions de la prêtrise, s'il était douteux que ceux dont ils tenaient l'ordination fussent de véritables évêques3. » En un mot, Monsieur, on ne trouvera pas une seule ordination faite par un simple prêtre, qui ait jamais passé pour bonne et valable, au lieu que nous produisons un grand nombre de faits d'où il résulte évidemment qu'on a toujours regardé ces sortes d'ordinations comme des entreprises vaines et sans effet.


Sur quoi je vous prie, Monsieur, de faire deux réflexions qui se présentent assez naturellement à l'esprit : la première est que, si le pouvoir d'ordonner est commun au simple prêtre et à l'évêque, en vertu de la première institution de Jésus-Christ, comme on le prétend chez vous, il faudra dire nécessairement qu'il n'a pas été au pouvoir de l'Église de déclarer nulles les ordinations faites par de simples prêtres. Car enfin, quelque défense que l'Église ait pu faire d'exercer un pouvoir accordé par Jésus-Christ, pour en réserver l'exercice aux seuls évêques, cette défense a bien pu rendre l'ordination faite par des prêtres, illicite, mais non pas invalide. Il est défendu aux laïques de baptiser, hors du cas de nécessité. Qu'un laïque s'avise de conférer le baptême à un enfant contre cette défense, son action sera blâmable et contre l'ordre, mais le baptême ne laissera pas d'être très valide, et l'Église n'ordonnera jamais de rebaptiser cet enfant. Puis donc que l'Église a déclaré nulles les ordinations faites par de simples prêtres, et que dans plusieurs occasions elle a fait ordonner de nouveau par des évêques ceux qui avaient reçu les ordres de la main d'un ministre du second ordre, il est évident qu'elle a toujours jugé que le pouvoir d'ordonner n'appartenait pas aux prêtres en vertu de l'institution divine.


La seconde réflexion que je vous prie de faire, Monsieur, c'est que l'Église ne peut pas changer la nature et l'essence des sacrements ; or, l'Église en ôtant aux prêtres le pouvoir d'ordonner, pouvoir accordé dans la première institution, comme vous le supposez, eût changé l'essence d'un sacrement. Car, quoi qu'on en puisse dire chez vous, on a toujours regardé l'ordination dans l'Église comme un sacrement. Je vous cite pour témoin de la doctrine constante de l'Église sur ce sujet, saint Augustin, qui dit en termes formels, « que l'ordination est un sacrement comme le baptême, et que personne n'en doute1. » Il n'est pas de mon sujet d'entrer plus avant dans la preuve de cette vérité, il me serait aisé de la prouver efficacement par l’Écriture, puisqu'il est dit dans les deux épîtres à Timothée, que l'imposition des mains confère la grâce2 ; or, la grâce ne peut être conférée par une cérémonie d'institution humaine, il faut donc qu'elle ait Jésus-Christ même pour auteur. Mais si l'ordination est un rite extérieur et sensible, institué par Jésus-Christ pour conférer la grâce de la prêtrise, que peut-il lui manquer pour être un véritable sacrement ? votre Apologie même ne fait pas difficulté de la reconnaître pour telle3. Mais, Monsieur, je m'en tiens à la parole de saint Augustin, elle me suffit pour vous faire connaître que de son temps, et avant lui, l'ordination était mise au nombre des sacrements. Comment donc l'Église a-t-elle osé entreprendre d'en changer l'essence, en retranchant aux prêtres une partie si considérable du pouvoir qu'ils avaient reçu de Jésus-Christ ? Quoi! vous prétendez, Monsieur que la première ordination établie du temps des Apôtres communiquait aux prêtres aussi bien qu'aux évêques le pouvoir d'ordonner ; mais daignez donc nous dire, s'il vous plaît, par quelle autorité l'Église a changé cette ordination, et comment elle s'y est prise pour en restreindre la vertu, jusqu'à ne conférer plus aux prêtres que le pouvoir de consacrer et d'absoudre. Si l'Église avait fait véritablement ce que vous lui prêtez, n'eût-elle pas donné atteinte à l'institution de Jésus-Christ ? n'eût-elle pas changé la nature et l'essence du sacrement ? reconnaissez-vous dans l'Église un pouvoir qui aille jusque là ? vous en êtes certainement bien éloigné. Convenez donc, s'il vous plaît, Monsieur, que rien n'est plus chimérique, que ce pouvoir d'ordonner prétendu commun aux prêtres comme aux évêques en vertu de la première institution.


Je demanderais encore ici volontiers, quand s'est faite la séparation de ces pouvoirs unis dans leur origine ? en quelle année, en quel lieu les prêtres ont-ils été dépouillés pour la première fois des droits et des pouvoirs réservés aux seuls évêques ? quel concile, quel synode les a réduits à un ordre inférieur ? par l'autorité de qui ont-ils cessé d'être ce qu'ils étaient auparavant ? comment ont-ils souffert si tranquillement qu'on les dégradât, sans crier à l'injustice, et sans chercher à se relever ? ne trouvons-nous pas dès le temps même des Apôtres, des évêques établis dans plusieurs villes capitales ? saint Jacques n'était-il pas évêque de Jérusalem ; saint Marc, évêque d'Alexandrie ; saint Evode, évêque d'Antioche ; saint Polycarpe, évêque de Smyrne, tous établis de la main des Apôtres mêmes, comme je puis vous le faire voir par saint Irénée, Tertullien, Eusèbe, saint Jérôme ? ces évêques n'avaient-ils pas sous eux des prêtres qui travaillaient de concert avec eux à étendre la foi, à instruire et à fortifier les fidèles ? ne trouvons-nous pas chez Clément d'Alexandrie, si voisin du temps des Apôtres, les trois ordres d'évêques, de prêtres et de diacres parfaitement bien distingués1 ? n'a-t-on pas conservé soigneusement le catalogue des évêques de toutes les villes que je viens de nommer ? nous savons exactement les noms de ceux qui ont succédé aux premiers évêques établis par les Apôtres : d'où vient qu'on n'a pas conservé également la liste des prêtres qui ont eu part avec eux à la sollicitude pastorale, si ce n'est parce qu'on a toujours regardé les évêques comme d'un rang supérieur, et bien différent de celui des prêtres ? mais cette distinction de rang ne s'est-elle pas toujours fait sentir spécialement par le droit et le pouvoir d'ordonner ? Consultez les deux premiers canons apostoliques, qui, pour n'être pas des Apôtres, comme on le reconnaît assez unanimement aujourd'hui, ne laissent pas d'être fort anciens, et bien antérieurs au concile de Nicée, au jugement même des critiques les plus difficiles ; n'y est-il pas dit qu'un évêque doit être ordonné par trois évêques, et le prêtre par un évêque2 ? ne lisons-nous pas dans les constitutions qui, quoique faussement attribuées au pape saint Clément, ne laissent point d'avoir chez les Pères de l'Église tout le prix de l'antiquité, que le prêtre doit recevoir l'ordination de l'évêque suivant l'usage constant de l'Église, et qu'il n'est pas au pouvoir d'un prêtre d'ordonner d'autres prêtres3 ? combien de canons dans les conciles, qui défendent aux évêques d'ordonner d'autres sujets que ceux de leur diocèse ! cette défense ne se trouve-t-elle pas au seizième canon du concile de Nicée4, au treizième du concile d'Antioche5, au dix-neuvième du concile de Sardique6, au cinquième du premier concile de Carthage7, au quarante-quatrième du troisième concile tenu dans la même ville8, au huitième du concile d'Orange9 ? toutes ces autorités, Monsieur, ne font-elles pas voir évidemment que les évêques seuls ont ordonné dans tous les temps, et qu'il n'a jamais été question des prêtres, quand il s'est agi du droit ou du pouvoir de l'ordination ?


Mais, Monsieur, n'en voilà que trop pour justifier la tradition constante de l'Église sur la nécessité de l'ordination épiscopale. Voulez-vous, de plus, consulter l’Écriture, comme vous êtes toujours très disposé à le faire ? vous y trouverez également que tout est infiniment favorable au dogme catholique. Car enfin prenez la peine d'examiner tous les endroits où il est parlé d'ordinations, et voyez si elles n'ont pas été toutes faites par des pasteurs du premier ordre, qui avaient le caractère d'évêque ; ne sont-ce pas les Apôtres qui ordonnèrent les sept diacres10 ? n'est-ce pas saint Paul qui imposa les mains à Timothée11 ? ne regardez-vous pas le même Timothée comme évêque ? et l'Apôtre ne lui dit-il pas de n'imposer les mains à personne avec précipitation12 ? Tite ne passe-t-il pas pareillement chez vous pour avoir été revêtu de la même dignité ? et l'Apôtre ne lui dit-il pas, qu'il l'a laissé à Crète pour ordonner des prêtres dans chaque ville13 ? Paul et Barnabé n'ordonnèrent-ils pas des prêtres à Lystre, à Icone, à Antioche, et dans plusieurs autres Églises1 ? et peut-on douter que les Apôtres n'aient eu du moins le caractère épiscopal ? saint Augustin et tant d'autres Pères n'enseignent-ils pas positivement, que les évêques ont succédé aux Apôtres2 ? et cette assertion peut-elle être vraie, si les Apôtres n'ont renfermé en eux la qualité d'évêque ? Faites-nous voir, de votre part, dans toute l’Écriture, si vous le pouvez, un seul exemple d'une ordination faite par un simple prêtre, et nous cesserons d'insister sur la nécessité de l'ordination épiscopale.


Je crois, Monsieur, avoir prouvé aussi solidement que vous pouvez le désirer, la première des deux propositions que je m'étais chargé de démontrer dans la dernière partie de cet écrit, savoir que l'ordination épiscopale est absolument nécessaire pour conférer les pouvoirs de la prêtrise, tels que sont les pouvoirs de consacrer et d'absoudre.


4ème proposition : Les ministres ne sont ordonnés par aucun Évêque.


Il me reste présentement à prouver, que vous n'avez pas d'ordination épiscopale chez vous, je veux dire que vos ministres n'ont pas été ordonnés par des évêques. Je n'aurai point grand effort à faire pour confirmer cette vérité ; je regarde même déjà la démonstration comme établie, car si votre Luther et ses consorts, simples prêtres séculiers ou religieux apostats, n'ont pu ordonner des prêtres, comme je l'ai prouvé si amplement, et, j'ose m'en flatter, si invinciblement, il est évident qu'ils ont encore bien moins pu ordonner des évêques. D'où vous viendraient donc vos évêques, au cas que vous prétendiez en avoir ? nous direz-vous que vos surintendants sont de véritables évêques, puisqu'ils en font toutes les fonctions, visitent les paroisses, ordonnent des ministres, président aux assemblées ecclésiastiques, et veillent sur la conduite de leurs inférieurs ? mais, Monsieur, il ne s'agit pas ici des apparences, ni des simples fonctions extérieures ; il s'agit du titre et du pouvoir ; il s'agit de savoir si ces fonctions, faites à l'imitation des fonctions épiscopales, sont légitimes et valides, ou si ce ne sont que de vaines ressemblances. Vos ministres donnent aussi des absolutions, et prononcent les paroles de la consécration, consacrent-ils pour cela ? remettent-ils en effet les péchés ? nous disons que non, parce qu'ils n'ont pas reçu le caractère de la prêtrise, n'ayant été ordonnés par aucun évêque. Il en est de même de vos surintendants : ils ont beau vouloir ordonner et en faire tous les semblants, s'ils n'ont pas le caractère épiscopal, comme ils ne l'ont pas en effet, puisque jamais ils ne l'ont reçu d'une autorité légitime, capable de le leur donner, tous les actes d'ordination qu'ils entreprennent de faire, ne peuvent manquer d'être nuls, et de rester sans effet.


Nous savons que Luther entreprit en l'an 1540, le 22 avril, d'ordonner pour évêque ou surintendant un nommé Schuman, et qu'il a fait encore d'autres ordinations en d'autres temps et en d'autres lieux ; mais nous demandons à Luther, qui lui a donné le pouvoir d'ordonner et des prêtres et des évêques ? Luther était prêtre, il est vrai ; par qui avait-il été fait prêtre ? est-ce par le prieur de son monastère, ou par l'évêque ? Non, il n'avait pas été élevé à cette dignité par l'autorité de son prieur ; l'imposition des mains de l'évêque l'en avait seule revêtu ; jusqu'au temps de Luther personne n'avait jamais été ordonné autrement, du moins personne n'avait-il passé pour être véritable prêtre, sans avoir été ordonné par un évêque. Comment donc, et par quel privilège spécial Luther a-t-il pu entreprendre de faire des prêtres ? qu'il nous fasse voir ses pouvoirs et sa commission ? qu'il nous produise un seul exemple de l'antiquité qui autorise son entreprise ? Le pouvoir que Luther s'est arrogé, lui a-t-il été communiqué par les hommes ? par qui ? lui est-il venu immédiatement du ciel par un privilège rare et singulier ? où sont les attestations et les certificats qui nous garantissent le fait ? que si les pouvoirs de Luther ont été trop courts pour faire de véritables prêtres, comment auraient-ils pu aller jusqu'à faire de véritables évêques ? Le bonhomme Schuman avait donc beau se porter pour évêque, et en imiter toutes les fonctions, il était aussi peu véritable évêque qu'un roi de théâtre est peu véritable roi ; son titre était aussi mal, et même beaucoup plus mal fondé pour ordonner, que celui d'un roi de théâtre pour gouverner des États. Il en est de même de tous vos autres surintendants.


Peut-être me direz-vous, Monsieur, qu'il y a eu des royaumes entiers, tels que la Suède et le Danemark, qui ont embrassé la doctrine de Luther ; qu'il y avait dans ces pays plusieurs évêques, qui, quoique devenus Luthériens, ont pu en ordonner d'autres, et que par là le pouvoir épiscopal et les ordinations légitimes et valides ont pu se perpétuer jusqu'à vous. J'avoue, Monsieur, que la chose a pu se faire ainsi que vous le dites ; mais s'est-elle faite réellement ainsi ? c'est une autre question. Je doute fort que vos ministres de Strasbourg veuillent répéter du fond de la Suède et du Danemark la légitimité de leur ordination. Vos principes sont, que l'ordination est une cérémonie libre dont on peut fort bien se passer, et qui ne sert qu'à ratifier et faire connaître l'élection faite canoniquement par le peuple ; que c'est le choix même de l'assemblée, qui de soi donne les véritables pouvoirs du ministère1. Avec de tels principes, il n'y a pas grande apparence qu'on se soit mis fort en peine en Suède et en Danemark de conserver la succession épiscopale. Sans doute, ceux qui depuis ont porté le nom d'évêque dans ces royaumes, n'auront pas été fort attentifs à se faire ordonner par ceux qui avaient reçu le caractère épiscopal des anciens évêques déserteurs de la religion catholique ; si tant est qu'il se soit trouvé des successeurs, qui effectivement se soient mis en peine de le recevoir par cette voie, Il y a d'autant plus de sujet de douter qu'on ait constamment observé l'exactitude requise à la propagation des évêques, que Luther a témoigné un mépris infini pour toutes les ordinations qui se font par l'imposition des mains de l'évêque, telles qu'elles sont et ont toujours été en usage dans l'Église romaine jusqu'à dire, « que les ordres ne se confèrent nulle part moins validement que sous le règne du pape2. »


Mais je veux, Monsieur, que dans les royaumes du Nord on soit resté constamment persuadé de la nécessité de l'ordination épiscopale, et qu'on y ait toujours agi conséquemment à cette persuasion ; je veux que de ces royaumes il se soit répandu dans les pays voisins quantité de surintendants qui fussent de véritables évêques, et même qu'il en soit venu jusque dans nos quartiers, toujours est-il incontestable que Luther en a ordonné plusieurs de sa main, qui jamais n'ont reçu le caractère épiscopal, et qu'une infinité d'autres ont été ordonnés par les communautés suivant la forme prescrite par Luther dans sa lettre aux magistrats de Prague ; forme qui exclut positivement l'ordination de l'évêque. Comment donc pourrait-on démêler parmi les ministres d'aujourd'hui, ceux qu'on suppose tenir leur pouvoir des anciens évêques, d'avec ceux qui ne peuvent remonter jusque-là ? il faudrait, pour pouvoir en faire le discernement dresser un arbre généalogique de tous les ministres et de tous les surintendants qui ont jamais été depuis le commencement de la prétendue réforme ; mais comment cette recherche serait-elle praticable ? et quand même on pourrait y réussir, et qu'on y réussirait effectivement, si les ministres qui peuvent faire preuve de leur origine en remontant jusqu'aux anciens évêques, prétendaient l'emporter sur ceux qui ne pourraient faire la même preuve ; s'ils voulaient se regarder seuls comme légitimes, et tenir les autres pour illégitimes ; si les peuples donnaient leur confiance aux premiers, et qu'ils la refusassent aux seconds, quelle division ces prétentions ne mettraient-elles pas parmi vos ministres, et quel bouleversement n'y aurait-il pas dans tout le parti ! Vous voyez donc clairement, Monsieur, que vous ne pouvez vous flatter d'avoir des évêques chez vous, et que quand vous en auriez, il ne vous serait pas possible de les connaître ni de les distinguer ; ainsi ils ne vous serviraient de rien pour assurer votre ministère.


Que reste-t-il après ces réflexions, sinon de conclure par la conséquence la plus directe que vos ministres n'ont aucun pouvoir de consacrer ni d'absoudre ? Car les deux propositions qui concourent à établir la justesse et la nécessité de cette conclusion, ont été parfaitement bien prouvées. Je les répète et les réunis, pour vous faire sentir d'autant mieux la justesse et la force de l'argument : Pour avoir le pouvoir de consacrer et d'absoudre, il faut avoir été ordonné par un évêque ; vos ministres n'ont été ordonnés par aucun évêque ; donc ils n'ont pas le pouvoir de consacrer ni d'absoudre.


Rien de plus simple ni de plus pressant, Monsieur, que cet argument, et rien en même temps de plus propre à vous faire connaître la mauvaise ruse de Kemnitius, qui emploie ici un misérable sophisme pour accréditer votre ministère. Voici son raisonnement ; c'est l'unique qu'il fasse, il lui donne beaucoup d'étendue, et croit dire merveilles : il faut avant de finir répondre, de peur que quelqu'un de ses admirateurs n'entreprenne de le faire valoir auprès de vous, et que vous ne vous y laissiez surprendre. Le ministère de ceux, dit-il, que Dieu choisit et appelle lui-même, ne peut manquer d'être efficace. Or, c'est Dieu même qui choisit et appelle ceux qui sont choisis par la communauté ; donc leur ministère ne peut manquer d'être efficace. Voilà à quoi se réduit tout ce que dit Kemnitius dans sept grandes pages1.


Je réponds que le ministère de ceux que Dieu choisit et appelle est efficace, quand ils satisfont aux conditions exigées de Dieu, et nullement s'ils ne le font pas. Je puis passer à Kemnitius la seconde partie de sa proposition : ceux qui sont choisis par la communauté, sont choisis et appelés par Dieu même ; mais dans quel cas ? c'est lorsque la communauté est autorisée à choisir, qu'elle choisit comme il faut, et qu'elle satisfait aux conditions requises. Or, je demande si ceux qui sont choisis par la communauté, sont choisis pour avoir le pouvoir de consacrer et d'absoudre, sans être ordonnés par l'évêque ? non, sans doute, car il n'est pas au pouvoir de la communauté de les choisir pour cet effet, sans satisfaire aux lois que Dieu a marquées. Ainsi, quand on y manque, Dieu n'appelle pas efficacement ; ce n'est plus une vocation qui puisse avoir aucun effet.


Avec un argument semblable que ne prouverait-on pas ? un homme a promis d'épouser une jeune fille ; sa promesse a été réciproquement agréée, donc il a déjà tous les droits d'un mari sur la personne et sur les biens de sa prétendue. Car le prétendant est maître de la personne et des biens de celle que Dieu a choisie lui-même pour être sa femme légitime ; or celle que le prétendant a choisie pour être son épouse, a été aussi choisie de Dieu. Oui, Monsieur, elle a été choisie du prétendant et de Dieu en même temps, bien entendu que les deux personnes promises comparaîtront devant le curé et se marieront suivant la forme prescrite par l'Église : sans cette formalité, le choix du prétendant et celui de Dieu ne sera qu'un choix commencé ; il pourra faire une fiancée, il ne fera pas une femme légitime. Il en est de même du choix de la communauté, et si vous le voulez, du choix de Dieu même qui tombe sur une personne non ordonnée ; tel choix peut faire un prétendant à l'ordination, mais non pas un ministre, qui dès là même ait le pouvoir de consacrer et d'absoudre.


Voilà donc la misérable défaite d'un homme qui a osé combattre les décisions des hommes les plus habiles de l'univers assemblés en concile ; de ces vénérables pasteurs aussi respectables par leur nombre que par leur profond savoir ; de ces organes vivants du Saint-Esprit, dont l'assistance leur a été promise si formellement ! N'est-il pas honteux à un homme si plein de suffisance de faire un si pitoyable raisonnement dans une matière de la dernière importance, où il avait à défendre non-seulement la cause commune de son parti, mais aussi ses intérêts particuliers, son honneur et son caractère ? N'est-il pas honteux dans une pareille circonstance de ne dire que ce que vous venez de voir, de le dire sans ordre, de l'envelopper dans une infinité de termes, et de le dire avec des airs d'assurance et de confiance qu'on ne prend pas d'ordinaire sans avoir la certitude d'avancer des propositions claires ou du moins plausibles ? Confiez, après cela, Monsieur, votre âme et votre salut à un ministère si bien prouvé, et risquez sur la justesse de ce raisonnement le sort de votre éternité !


Voilà, Monsieur, tout ce que j'avais à dire sur l'incompétence de vos ministres, et sur l'inefficacité de vos sacrements. Vous jugez bien, Monsieur, que je n'ai pas prétendu attaquer votre baptême ; nous le reconnaissons pour bon et valide ; car il n'est pas nécessaire d'être prêtre pour le conférer d'une manière utile au salut ; j'ai déjà eu l'honneur de vous en donner la raison. Mais pour ce qui est de votre Cène et de votre absolution, nous soutenons hautement, fondés sur les raisons invincibles dont nous vous avons donné le détail, que vous recevez uniquement du pain et du vin, et qu'une absolution donnée par vos ministres n'a pas plus d'effet pour vous réconcilier avec Dieu, que n'en aurait une donnée par l'homme d'affaires chargé du recouvrement de vos rentes.


CONCLUSION.


Ainsi, Monsieur, toutes ces préparations qui se font dès la veille, tout l’appareil de piété qui paraît le jour même de la communion, cette propreté d'habit jointe à un extérieur grave et modeste, l'ordre et l'arrangement avec lequel on fait avancer ceux qui doivent communier, leur contenance et leur maintien, quelque édifiants qu'ils puissent être, tout ce que font et disent vos ministres pour retracer la mémoire du banquet sacré institué par Jésus-Christ, tout cela n'aboutit qu'à mettre sur la langue de chaque communiant une petite parcelle de pain bien mince et bien légère, et à faire passer quelques gouttes de vin dans leur estomac. Quelque sérieuse que soit la cérémonie dans l'idée de ceux qui y ont part, ce n'est au fond qu'une ombre et une simple représentation, où il ne se trouve aucune réalité. Voilà, Monsieur, ce qui est un article de foi chez nous, et ce que nous croyons sous peine de damnation éternelle. Mais le croyons-nous légèrement ? est-ce pour vous faire de la peine que nous vous faisons des reproches si peu obligeants ? où est-ce un motif de charité qui nous presse, et qui ne nous permet pas de nous taire sur une privation si certaine et si fâcheuse pour vous ? Remettez-vous, s'il vous plaît, Monsieur, le précis de tout ce qui est contenu dans cette longue lettre, et voyez vous-même si vous pourrez encore vous dissimuler la perte que vous souffrez. D'où vos ministres auraient-ils le pouvoir de consacrer ? est-ce la qualité de chrétien qui le leur donne ? mais ce sentiment de Luther n'est-il pas assez généralement abandonné ? et la plupart de vos savants ne le regardent-ils pas aujourd'hui comme une véritable extravagance ? est-ce le choix de la communauté qui donne le pouvoir surnaturel de consacrer et d'absoudre ? comment vous persuaderiez-vous, Monsieur, qu'une colonie de laboureurs et de soldats, qui s'établiraient dans quelque contrée inculte du Nouveau Monde, sans avoir de prêtres avec eux, pût en choisir un de la troupe, qui en vertu de ce choix eût un pouvoir réel et effectif d'administrer la Pénitence et l'Eucharistie ? qu'on vous produise sur cet article une seule parole de l'Écriture, un seul exemple de l'antiquité pour vous rassurer. Sont-ce les prêtres et les moines apostats de la religion catholique, qui ont communiqué à vos ministres les prétendus pouvoirs en question ? mais, Monsieur, outre qu'il vous siérait assez mal d'avoir recours à une source que votre Luther a si fort méprisée, n'est-ce pas, comme vous l'avez vu, une hérésie reconnue de tous les temps, de soutenir qu'un simple prêtre puisse ordonner des prêtres ? Qu'est-ce qui peut donc faire encore l'appui de votre confiance au ministère luthérien ? car il n'est pas possible d'imaginer d'autres sources du pouvoir ecclésiastique, que celles dont il a été parlé.


Rien donc de plus triste que la situation où vous êtes, Monsieur, ni de plus pressant que les motifs qui vous sollicitent d'en sortir sans délai. Quoi ! pourrez-vous vous résoudre à rester privé de la divine nourriture de nos âmes, de ce gage si précieux du salut, de ce qui fait la plus douce consolation et le plus ferme appui de l'espérance d'un chrétien ? renoncerez-vous pour toujours au bénéfice des clés ? exposé à tant de chutes, ne vous mettrez-vous aucunement en peine de pouvoir profiter du remède qui a été préparé à la faiblesse humaine ? Jésus-Christ ne vous avertit-il pas en termes formels que VOUS N'AUREZ PAS LA VIE EN VOUS, SI VOUS NE MANGEZ SON CORPS, ET NE BUVEZ SON SANG1 ? » Se peut-il un obstacle plus réel à votre salut que celui de rester, comme vous faites, dans une impuissance volontaire de satisfaire à ce précepte ? Vos partisans nous reprochent sans cesse que nous enlevons au peuple le sang de Jésus-Christ ; nous répliquons, qu'on ne peut donner le corps sans donner en même temps le sang ; que ce serait se former une idée bizarre de l'état du corps de Jésus-Christ, que de supposer le sang répandu hors des veines, et séparé du corps ; que d'après l'avertissement de l'Apôtre, CELUI QUI MANGE OU QUI BOIT INDIGNEMENT, soit qu'il fasse l'un ou l'autre, seul et séparément, ne laisse pas de SE RENDRE ÉGALEMENT COUPABLE DU CORPS ET DU SANG DE JÉSUS-CHRIST2, ce qui ne peut se faire sans recevoir l'un et l'autre en même temps ; d'où il suit que Jésus-Christ est nécessairement tout entier sous une seule espèce : rien de plus solide que cette réponse ; rien de plus capable de satisfaire tout esprit raisonnable. Mais tandis que vos ministres nous font un reproche si mal fondé sur l'enlèvement prétendu d'une partie, avec combien plus de justice leur reprochons-nous l'enlèvement du tout ! Car enfin, s'ils s'arrogent un pouvoir qui leur manque effectivement, n'est-il pas évident que par l'exercice d'un pouvoir imaginaire, ou plutôt par le faux-semblant d'un pouvoir réel, ils frustrent le peuple de tout ce que Jésus-Christ a renfermé dans cet auguste sacrement ? comparez, s'il vous plaît, les reproches que nous nous faisons de part et d'autre ; celui que nous vous faisons, n'est-il pas et plus considérable et mieux fondé que le vôtre ? Jugez en vous-même, et prenez sur ce point votre parti.


Si quelqu'un de vos amis pensait à aller s'établir parmi les infidèles, dans un pays éloigné, où il fût sûr d'être privé pour toujours de l'usage des sacrements, ne croiriez-vous pas devoir lui remontrer combien il est triste de vivre et de mourir sans ces secours du salut ? faites-vous donc à vous-même, Monsieur, les mêmes remontrances, et ne restez pas plus longtemps dans une religion, qui vous met dans une indigence aussi fâcheuse des ressources les plus nécessaires au salut, que si vous étiez en effet au bout du monde, éloigné du commerce de tous les chrétiens.


C'est là une des considérations qui a eu le plus de force pour porter le duc Antoine Ulric de Wolfenbutel à se faire catholique ; arrivé à un âge fort avancé, il appréhenda de mourir sans avoir jamais reçu d'absolution valable devant Dieu, et sans être muni du précieux gage de l'immortalité. Il y avait déjà longtemps que les savants Messieurs de Wallembourg lui avaient adressé un petit livre, dans lequel ils lui faisaient voir clairement que les ministres n'avaient aucun pouvoir de consacrer ni d'absoudre. Le duc en avait été frappé, et il a avoué depuis plus d'une fois que ses réflexions sur ce sujet avaient eu beaucoup de part à sa conversion.


Croiriez-vous bien, Monsieur, que Jean, électeur de Saxe, qui avait si fort protégé Luther dans sa révolte contre l'Église, effrayé des approches de la mort, refusa de recevoir les sacrements des ministres luthériens, demanda à se confesser à un prêtre catholique, et voulut recevoir la communion de sa main ? ce qu'il fit après avoir fait promettre à son fils d'employer tous ses efforts pour bannir de ses États toutes les nouveautés introduites depuis peu en fait de religion, et pour mettre tout sur l'ancien pied. C'est un fait dont le détail se trouve bien marqué dans une lettre adressée aux ducs Guillaume et Louis, comtes palatins du Rhin, et ducs de la Haute et Basse-Bavière, par l'électeur Jean-Frédéric de Saxe, fils et successeur de Jean, immédiatement après la mort de son père. L'original de cette lettre se conserve encore aujourd'hui dans les archives de Munich, et je puis vous en faire voir, quand il vous plaira, une copie dûment collationnée, et signée par main de notaire.


Ne tardez pas, Monsieur, à imiter ces exemples de sagesse ; ce serait trop risquer que de différer à le faire jusqu'à une dernière maladie, ou jusqu'à un âge décrépit : il y a bien assez longtemps que vous êtes privé du plus précieux don de l'amour de Jésus-Christ, et du bonheur de pouvoir vous réconcilier avec un Dieu offensé : hâtez-vous de vous faire UN CŒUR NOUVEAU ET UN ESPRIT NOUVEAU1, en vous nourrissant du pain des forts, qui vous donnera un nouveau courage pour résister à la violence des tentations. JETEZ BIEN LOIN DE VOUS LE POIDS DE VOS PÉCHÉS1, sous lequel vous avez marché courbé jusqu'à présent. Qu'y a-t-il de comparable à la tranquillité d'une bonne conscience, et à l'allégresse d'une âme qui a pris de justes et sages mesures pour rentrer en grâce avec son Dieu, et cimenter avec lui une amitié éternelle ? eh quoi donc, Monsieur, N'ÊTES-VOUS PAS DE LA MAISON D’ISRAËL ? je veux dire, n'avez-vous pas en vertu de votre baptême tous les droits que peut avoir un chrétien à l'héritage que Jésus-Christ nous a laissé en terre ? et pourquoi donc vous LAISSERIEZ-VOUS MOURIR2 de langueur et de défaillance, faute de la nourriture et des remèdes qui vous ont été préparés ? EST-CE QU'IL N'Y A PAS DE BAUME DANS GALAAD, OU NE S'Y TROUVE-T-IL PAS DE MÉDECINS3 ? Non, Monsieur, non, il n'y a chez vous ni médecin ni baume ; si l'on veut en trouver, c'est chez nous qu'il faut les chercher ; personne ne conteste à nos prêtres catholiques le pouvoir de consacrer et d'absoudre ; du moins personne ne peut-il le faire sans se rendre ridicule : Luther lui-même avoue nettement que dans la papauté se trouvent le véritable sacrement de l'autel, et les véritables clés pour la rémission des péchés ; il ajoute même, que sous le pape se trouve la véritable chrétienté, et qui plus est, le choix et l'élite des véritables chrétiens4. Je m'attache aux premières paroles, et vous laisse faire vos réflexions sur les dernières. Les premières nous suffisent, pour nous rassurer pleinement par l'aveu même de notre adversaire le plus échauffé. Luther, il est vrai, se contredit ici manifestement, après avoir dit ailleurs que les ordres ne se conféraient nulle part moins validement que sous le règne du pape ; mais, Monsieur, il n'y a pas là de quoi vous surprendre ; rien de plus fréquent à Luther que de tomber dans ces sortes de contradictions, qui ne manquent pas d'avoir un double effet le premier, de rendre ridicule celui qui les fait ; le second, de rendre témoignage à la vérité ; car on conçoit aisément que la force de la vérité peut seule arracher un aveu favorable aux adversaires, et que la proposition contraire ne peut être dictée que par passion, ou l'envie de récriminer.


Vous trouverez, Monsieur, dans la même lettre que je viens de citer, un argument dont Luther se sert pour prouver contre les Anabaptistes la bonté du baptême des enfants, et qui prouve également et invinciblement en faveur de notre ordination. « Si le baptême des enfants, dit-il, n'était pas bon, il s'ensuivrait que pendant plus de mille ans il n'y aurait pas eu de chrétienté ni de véritable Église ; car pendant plus de mille ans on n'a baptisé que des enfants5. Que Luther applique le même argument au sujet présent, et il verra qu'il a tout autant et plus de force pour prouver la validité de l'ordination épiscopale, qui a été constamment en usage depuis le commencement de l'Église. Car, si cette ordination n'a pas son effet, qui est de faire de véritables prêtres, il faudra dire que pendant plus de quinze siècles les Chrétiens n'ont eu ni ministres légitimes, ni sacrements ; et alors qui pourra regarder une société ainsi destituée de tout pouvoir, comme la véritable Église de Jésus-Christ ?


Ne tardez donc pas davantage à préférer le certain à l'incertain, suivant la belle et sage maxime de saint Augustin : Tene certum, dimitte incertum. Oui, Monsieur, je veux que je n'en aie pas dit assez, pour vous persuader entièrement sur l'inefficacité de votre ministère ; n'y a-t-il pas du moins de quoi faire naître les doutes les plus légitimes à quiconque voudra réfléchir ? Il s'agit ici de votre salut et de votre éternité ; si votre ministère n'a pas de pouvoir, vous voilà pour toujours retenu dans les liens de vos péchés ; vous voilà pour toujours privé du germe de l'immortalité ; votre confiance trompée ne pourra réparer la perte que votre erreur vous aura fait faire, et elle vous rendra inexcusable devant Dieu, de n'avoir pas mieux pris vos sûretés dans l'affaire la plus importante que vous ayez à ménager en ce monde.


Comment en useriez-vous, Monsieur, si vous aviez un testament à faire, et que l'on vous présentât deux notaires, dont l'un, de l'aveu de tout le monde, serait bien et dûment autorisé par le magistrat, tandis que le plus grand nombre disputerait à l'autre la qualité et les pouvoirs de notaire ? et si dans une maladie dangereuse on vous parlait de deux médecins, dont l'un aurait des remèdes généralement regardés comme bons et efficaces, tandis que l'autre ne présenterait, selon le jugement commun, qu'un charlatanisme illusoire uniquement propre à amuser le malade, sans le guérir, à quel notaire vous adresseriez-vous pour disposer de vos biens ? à quel médecin auriez-vous recours pour guérir promptement de votre maladie ? ne suivriez-vous pas en ces cas la règle de prudence qui engage à préférer le certain à l'incertain ? comment donc pourrez-vous vous déterminer à négliger cette règle, lorsqu'il s'agit d'intérêts bien plus considérables, des intérêts de votre salut et de votre éternité ?


Vous n'êtes pas assez inconsidéré, Monsieur, pour vous rassurer par les impressions de l'habitude, et je vous crois bien éloigné de donner dans le faible sur lequel Luther a si fort compté en disant aux Hussites, pour les encourager à se contenter de sa nouvelle méthode d'ordonner, « que le temps et les années ne manqueraient pas de corriger et d'adoucir ce que la nouveauté pouvait avoir de rebutant1. » Si vous ne trouvez pas l'ordination luthérienne bonne dans son origine, je me persuade aisément qu'un usage de deux cents ans ne pourra pas la rectifier dans votre esprit.


Voilà, Monsieur, bien des observations que j'ai eu l'honneur de vous faire ; j'appréhende que vous n'en soyez fatigué. Mais l'espérance de vous toucher en essayant de vous faire sentir l'énorme perte que vous faites, m'a rendu plus diffus que je ne voulais. J'avoue que je n'ai pas été assez maître de ma matière, elle m'a entraîné et comme forcé à en dire plus que je n'avais projeté. J'ai parlé de l'abondance du cœur, j'ai voulu répondre à tout, prévenir tous vos doutes, donner sur chaque point les éclaircissements que les chicanes de vos ministres peuvent faire désirer, et par là je me suis mis en danger de vous ennuyer : c'est, Monsieur, un motif de plus pour rester convaincu qu'aucun inconvénient ne m'arrête, quand il s'agit de vous procurer des avantages aussi considérables que le sont ceux dont je désire vous procurer la jouissance. Je suis, avec un attachement infini, et une sainte impatience de voir l'heureux moment de votre retour à l'Église,


Monsieur,


Votre très humble, etc.



6ème LETTRE : HÉRÉSIES RENOUVELÉES PAR LES PROTESTANTS.


MONSIEUR,


Vous attendez sans doute de moi que j'achève de satisfaire à ma promesse. Je me suis engagé à vous exposer dans six lettres les six obstacles au salut qui se trouvent dans votre religion, et qui en sont inséparables. Nous voici au sixième : il fera le sujet de la dernière lettre que j'aurai l'honneur de vous écrire sur cette matière. Ne vous offensez pas, Monsieur, de la proposition que j'ai à vous faire. Je suis pénétré de respect pour votre personne, vous le savez ; mais je ne pense pas que le respect que je me sens pour vous, et dont vous voulez bien être persuadé, exige de moi des réserves qui m'empêchent d'appeler les objets par leur nom ; surtout lorsqu'il est du devoir de mon zèle de les nommer sans déguisement. Ce serait conniver au mal que de vous en dissimuler la qualité, et je croirais me rendre responsable de toutes les tristes suites qui sont à craindre pour vous, si je ne vous représentais en termes clairs et expressifs le danger de votre état.


1ère proposition : Luther a renouvelé plusieurs des anciennes hérésies.


J'ose donc vous dire, Monsieur, que vous adhérez à un corps de doctrine mêlé de plusieurs hérésies condamnées par l'Église des premiers temps, et reconnues comme telles par les plus savants Pères de l'Église. C'est là un reproche qui, vous le voyez, roule uniquement sur un fait, et le fait n'est pas difficile à discuter. Il n'y a pour s'assurer de la vérité qu'à confronter plusieurs de vos dogmes avec les erreurs relevées dans le catalogue que les Pères nous ont laissé des anciennes hérésies et en constater la ressemblance. Si mon assertion est fausse, Monsieur, je consens à passer dans votre esprit, et dans l'esprit de tous les hommes, pour le plus hardi des calomniateurs ; mais si le reproche que nous vous adressons ici par le seul principe de la charité, et dans l'unique vue de vous faire connaître le triste état de votre âme, est véritable et sans réplique, comment pourrez-vous rester encore dans une religion qui adopte des doctrines pernicieuses et flétries par les censures de l'ancienne Église, dont vous respectez vous-même les jugements ?


§. Ier L'hérésie d'Aërius renouvelée par Luther.


Prenez la peine, Monsieur, de vous éclaircir par vous-même de la vérité du fait. J'ai actuellement devant moi le sixième tome des Œuvres de saint Augustin, de l'édition d’Érasme par Froben, édition qui ne doit pas vous être suspecte. Il ne tiendra qu'à vous, Monsieur, de vérifier ma citation, et de vous en assurer par vos propres yeux. Voici ce que je lis dans le livre que le saint docteur a composé sur les hérésies : « Les Aériens ont pris leur nom d'un certain Aérius, qui, élevé seulement à la prêtrise, et chagrin, dit-on, de n'avoir pu se faire ordonner évêque, se jeta dans l'hérésie d'Arius, à laquelle il ajouta quelques dogmes de sa façon, disant qu'il ne fallait offrir ni prières, ni sacrifices pour les morts, et qu'on ne devait pas célébrer avec solennité les jeûnes ordonnés par l'Église, mais que chacun devait jeûner lorsqu'il le trouverait à propos, pour ne pas paraître être asservi à la loi ; il disait aussi, qu'il n'y avait aucune différence ou distinction à faire entre l'évêque et le prêtre1. »


Vous voyez, Monsieur, que saint Augustin et toute l'Église de son temps a regardé les trois dogmes d'Aérius, que je viens de rapporter, comme autant d'hérésies. Car je vous prie de remarquer qu'Aérius n'a pas été mis dans le catalogue des hérésiarques pour s'être attaché au sentiment d'Arius, puisque saint Augustin a entrepris de faire une liste, non des sectateurs, mais des chefs ou auteurs d'hérésies ; c'est donc pour les dogmes qui lui ont été particuliers qu'il a été compté au nombre des hérésiarques. Arius avait déjà trouvé sa place dans le catalogue, Aérius y trouve la sienne à son tour ; c'est donc pour une doctrine nouvelle, et différente de celle du chef des Aériens, qu'il y a été placé ; et comme il n'est pas permis de douter qu'un Père aussi savant et aussi éclairé n'ait été parfaitement instruit de la doctrine de l'Église, et ne nous l'ait rapportée avec une exacte fidélité dans un livre où il s'agissait de parler avec exactitude et précision ; dès que nous voyons les trois dogmes d'Aérius rangés par le saint docteur au nombre des hérésies, n'avons-nous pas le droit de conclure que toute l'Église de son temps portait le même jugement sur la doctrine d'Aérius. Je vous connais, Monsieur, trop de bonne foi pour appréhender de votre part un désaveu sur une remarque aussi évidente.


Saint Épiphane, qui a écrit avant saint Augustin, attribue à Aérius les mêmes erreurs, et le place également dans son catalogue des hérésies. Voici comme il le fait parler en rapportant sa doctrine : « Que revient-il à un mort des prières et des aumônes que les vivants font pour lui2 ? A quoi bon établir des jours de jeûne ? ce sont là des jougs et des servitudes qui conviennent aux Juifs, et non aux chrétiens3. Quel pouvoir a l'évêque que n'ait pas le prêtre ? il n'existe entre l'un et l'autre aucune différence4. »


Telle est, Monsieur, la doctrine que saint Épiphane traite d'hérétique, d'extravagante, d'insensée, et qu'il compte pour la cinquante-cinquième hérésie qui a infecté le christianisme5. Vous trouverez dans les catalogues que nous ont laissés saint Jean Damascène6 et Isidore de Séville, la condamnation des mêmes articles, conçue à peu près dans les mêmes termes dont s'est servi saint Augustin. Ainsi je me dispenserai de rapporter les paroles de ces deux Pères.


Voilà donc le fait, Monsieur, c'est que tous les Pères qui ont dressé un catalogue des hérésies, depuis le commencement du christianisme, tous, sans en excepter un seul, y ont placé les trois dogmes d'Aérius, et ont prétendu que regarder la prière et le sacrifice pour les morts comme inutile, se croire affranchi de l'obligation de jeûner aux jours marqués par l'Église, confondre l'ordre de la prêtrise avec celui de l'épiscopat, comme si l'un et l'autre avaient les mêmes pouvoirs, formaient autant de sentiments condamnables et hérétiques.


Or, Monsieur, je vous le demande, ces trois articles ne font-ils pas partie de votre doctrine ? n'enseigne-t-on pas chez vous, qu'il est inutile de prier pour les morts ? Dès que vous n'admettez après la vie que le paradis ou l'enfer, et sans vouloir reconnaître un troisième endroit que nous nommons purgatoire, de quoi serviraient aux morts les prières des vivants ? Votre Mélanchton a beau nous dire dans l'article douzième de l'Apologie de la Confession d'Augsbourg1, que vous ne défendez pas de prier pour les défunts, que vous ne prétendez pas prendre parti pour Aérius, et soutenir comme lui l'inutilité de la prière pour les morts2 : votre conduite ne dément-elle pas un langage si peu sincère ? qui d'entre vous prie pour les morts ? qui ne regarde pas la pratique des catholiques comme une pratique superstitieuse ? quel serait l'objet ou le but de votre prière ? n'entendons-nous pas tous les jours les railleries que vous nous faites, sur le soin que nous avons de prier pour nos proches et amis décédés ? Mais à quoi a pensé Mélanchton d'ajouter au même endroit qu'Aérius n'a pas été condamné pour avoir rejeté le sacrifice pour les morts3 ? avait-il lu le texte de saint Augustin que j'ai cité ? y avait-il pris garde ? s'en souvenait-il lorsqu'il écrivait son Apologie ? ou a-t-il cru pouvoir nous en imposer par le ton assuré avec lequel il a osé débiter une si grande fausseté ? Prenez-y garde, Monsieur, rien n'est plus formel que les paroles de saint Augustin : « Le dogme d'Aérius, dit-il, était de soutenir qu'il ne fallait ni prier, ni offrir des sacrifices pour les morts4. » Vous voyez, Monsieur, comme le Saint joint ici le sacrifice à la prière, et comme il condamne Aérius pour avoir rejeté l'un et l'autre. Peut-être me direz-vous, pour disculper en quelque sorte Mélanchton, qu'il n'avait apparemment pas lu cet endroit de saint Augustin. Je le veux, Monsieur ; mais son ignorance empêche-t-elle que votre doctrine sur la prière et les sacrifices pour les morts ne soit entièrement la même que celle d'Aérius ? les paroles de saint Augustin, qui sont si claires, ne font-elles pas assez voir la vérité ? la négligence de Mélanchton à s'instruire, et sa hardiesse à parler sans réflexion, peuvent-elles vous mettre à couvert ? Ce n'est pas tout


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Mais n'en voilà que trop sur le premier article de la doctrine d'Aérius. Le second, qui regarde l'obligation du jeûne aux jours marqués par l'Église, ne vous est pas moins commun avec lui que le premier. Car vous l'avouerez, Monsieur, vous ne qualifiez les jeûnes établis par l'Église que de traditions humaines ; vous les méprisez souverainement ; vous soutenez qu'ils ne peuvent obliger personne en conscience. On ne sait chez vous garder ni carême, ni vigile, ni quatre-temps : vous voulez être libres pour jeûner quand il vous plaît ; et si vous le faites quelquefois, c'est par le mouvement d'une dévotion particulière, sans prétendre jamais vous astreindre à aucune loi. Votre Luther témoigne dans cent endroits de ses écrits sa jalousie pour la liberté qu'il appelle évangélique, c'est-à-dire pour l'exemption parfaite de tout joug qu'on voudrait imposer aux consciences par des lois humaines. Les Aériens, au rapport de saint Jean Damascène, ne gardaient aucune abstinence, et mangeaient aux jours de jeûne, sans aucun discernement de viandes, tout ce qui flattait leur appétit : ils n'observaient ni mercredis, ni vendredis, jours consacrés dans l'Église d'Orient à l'abstinence, comme le vendredi et le samedi le sont encore aujourd'hui dans l'Église d'Occident1. Se peut-il sur le précepte du jeûne une plus grande conformité de sentiment et de pratique ? n'êtes-vous pas les parfaits imitateurs de ces anciens hérétiques ?


Peut-être me direz-vous, Monsieur, que vous ne manquez pas de bonnes raisons pour en user comme vous faites ? que saint Paul défend positivement à qui que ce soit de vous juger pour le boire ni pour le manger2. Mais permettez-moi de vous dire que nous n'en sommes pas là présentement. Il ne s'agit pas de discuter la question qui regarde le droit, nous en sommes à examiner un simple fait ; le fait est, que vous pensez sur l'obligation du jeûne ce qu'en a pensé Aérius, et que ce qu'il en a pensé, a été traité d'hérésie par les plus savants Pères de l'Église, et regardé comme tel par tous les fidèles de leur temps. Convenez premièrement du fait, et quand vous aurez reconnu que vous êtes dans le cas pour lequel les Aériens ont été flétris, alors nous penserons à satisfaire à vos difficultés, et à toutes celles qu'ont pu avoir avant vous ces anciens hérétiques.


Quant au troisième dogme d'Aérius, par lequel il confondait la Prêtrise avec l'épiscopat, en accordant aux prêtres les pouvoirs qui ne sont propres qu'à l'évêque, j'ai déjà eu l'honneur, Monsieur, de vous faire voir assez au long dans la lettre précédente, que le sentiment de vos théologiens sur ce sujet était parfaitement conforme à celui de cet ancien novateur. J'ajouterai, seulement ici, qu'il est marqué expressément dans vos articles de Smalcad, que chaque pasteur sans être évêque a le droit et le pouvoir de conférer les ordres dans son Église3 : doctrine qui confond les pouvoirs du prêtre avec ceux de l'évêque ; doctrine qui a fait le sujet de l'étonnement de saint Épiphane, et que ce saint docteur a blâmée et réfutée dans Aérius. Avec quel mépris ne l'a-t-il pas traitée ? c'est à ses yeux un dogme monstrueux et insensé4 ; il demande avec surprise comment pourrait s'opérer un semblable prodige5 ? » il ajoute, comme un fait notoire et dont personne ne doutait, « que l'ordre des évêques est destiné à fournir des Pères spirituels à l'Église, mais que les prêtres destitués de ce pouvoir, ne peuvent lui engendrer que des enfants spirituels par le baptême de la régénération6. »


Il est donc clair comme le jour que vous avez adopté en tous points la doctrine particulièrement condamnée dans Aérius ; sur quoi il me vient dans l'esprit un doute qui ne me paraît point aisé à résoudre ; souffrez, Monsieur, que je vous le propose ; il est, vous le croirez, beaucoup plus de votre intérêt que du mien d'y chercher une légitime solution : Ou votre Luther et ses premiers associés au dessein de réformer la religion, avaient lu les catalogues des hérésies dressés par les saints Pères, ou ils ne les avaient pas lus avant de commencer l'ouvrage de la prétendue réforme. S'ils ne les avaient pas vus, quelle négligence dans des réformateurs ! quel peu d'acquit ! quelle faible capacité dans des hommes qui se sont crus députés du ciel pour démêler les bonnes doctrines d'avec les mauvaises, et donner de savantes leçons à tout l'univers sur ce qu'il faut croire ou rejeter ! Le moindre de leurs soins devait-il être de s'instruire des sentiments de l'antiquité ? décidés à entrer dans de nouvelles routes, ne devaient-ils pas prendre une connaissance exacte des écueils funestes aux anciens novateurs, pour éviter d'y donner à leur tour ? Aimez-vous mieux supposer que les chefs de votre réforme avaient lu ces catalogues ? Comment ont-ils donc eu assez de hardiesse pour renouveler des erreurs qu'ils savaient avoir été proscrites et condamnées comme autant de détestables hérésies ? ont-ils osé préférer leur jugement au jugement de ces grands et savants docteurs de l'Église ? ont-ils raisonnablement pu se flatter de trouver plus de créance dans les esprits, que des autorités si respectables ? Que dis-je, Monsieur, s'agit-il ici du jugement des Pères ? ne s'agit-il pas du jugement de toute l'ancienne Église ? qui pourra se figurer que ces quatre Pères aient tous également ignoré ce qui de leur temps passait pour être ou n'être pas une doctrine appartenant à la foi ? qui pourra les soupçonner ou d'infidélité ou d'inexactitude à rapporter les sentiments de l'Église de leur temps, eux qui n'avaient d'autre but en faisant leur recueil, que de donner à tous les chrétiens présents et à venir une instruction nette et précise, pour prémunir leur foi contre la séduction des hérétiques ?


Supposons pour un moment que ces Pères se soient trompés, et aient donné pour hérétique une doctrine bonne et innocente en elle-même, ne se sera-t-il trouvé personne ni dans leur temps, ni dans les temps postérieurs, qui ait eu assez de lumière et de zèle pour relever une si lourde méprise ? Quoi ! Saint Épiphane nous déclare au quatrième siècle, que les trois dogmes d'Aérius sont trois dogmes hérétiques ; saint Augustin au cinquième confirme le même témoignage ; saint Isidore au sixième renouvelle la même déposition ; saint Jean de Damas la renouvelle encore au septième, et personne ne les contredit, tout le monde applaudit à leur ouvrage, chacun lit leurs catalogues comme l'instruction la plus exacte, comme un excellent préservatif contre toutes sortes d'erreurs : pourra-t-on soupçonner ces Pères de ne nous avoir dit que leur sentiment particulier, et de s'être écartés du sentiment général de l'Église, en traitant d'hérésie ce qui ne méritait pas cette dénomination ? Ce ne sera pas vous, Monsieur, qui vous laisserez aller à des pensées si peu raisonnables, j'en réponds : vous avez trop de justesse dans l'esprit pour écouter jamais de pareils soupçons.


Mais si c'est toute l'Église qui depuis tant de siècles a abhorré la doctrine d'Aérius, comment a-t-il pu venir en pensée à Luther de chercher à la rétablir ? comment ses partisans ne se sont-ils pas révoltés à la seule proposition qui leur en a été faite ? qu'en pensez-vous, Monsieur, est-ce Luther qui a raison ? est-ce l'Église des siècles de saint Épiphane et de saint Augustin qui a tort ? interrogez, s'il vous plaît, sur cela le plus habile de vos ministres, et observez-le au moment qu'il vous répondra. Qu'il réponde sans rougir, je l'en défie ; il ne saurait, sans qu'il lui en coûte, taxer toute l'ancienne Église d'injustice, pour sauver l'honneur de Luther. Il faut cependant nécessairement en venir là, ou reconnaître que les trois dogmes qui vous sont communs avec Aérius se trouvent justement insérés dans le catalogue des hérésies.


Quand nous n'aurions, Monsieur, d'autres reproches à faire à vos partisans, que d'être sectateurs d'Aérius sur les trois articles dont il a été parlé, n'en serait-ce pas assez, n'en serait-ce pas trop pour vous faire comprendre clairement l'obstacle que vous mettez à votre salut, en vous rendant les défenseurs d'une doctrine si authentiquement réprouvée ? car vous savez, Monsieur, qu'il suffit d'un seul sentiment hérétique pour perdre et ruiner entièrement la foi dans une âme chrétienne, puisque la foi divine est de sa nature absolument incompatible avec l'hérésie. C'est donc particulièrement en cette matière, plus qu'en toute autre, que se vérifie la parole de saint Jacques : CELUI QUI PÈCHE EN UN SEUL POINT DEVIENT COUPABLE DEVANT LA LOI1.


Mais, Monsieur, ce ne sont pas là les seuls articles qui vous font participer à la condamnation des anciens hérétiques ; il en est bien d'autres, qui vous associent à leur triste sort. Souffrez que je vous en indique encore quelques-uns ; nous en trouverons, et dans les mêmes catalogues, et dans d'autres écrits des saints Pères, et dans les décisions des conciles généraux ; soyez persuadé, Monsieur, de ma répugnance à vous rien dire qui puisse vous faire la moindre peine : si je vous annonce des vérités peu agréables, c'est que le désir de vous remettre sous les yeux des connaissances si nécessaires, l'emporte chez moi sur toute autre considération. J'aurais tort d'user ici de ménagements qui me feraient trahir vos plus solides intérêts.


§. II. Luther a renouvelé l'hérésie d'Eunomius.


Reprenons, s'il vous plaît, le catalogue des hérésies, et vous y trouverez que la cinquante-quatrième a été celle d'Eunomius, qui prétendait qu'on pouvait, sans préjudice du salut, commettre les plus grands péchés, et y persévérer, pourvu que l'on eût une foi conforme à ses idées2. » Peut-être ignorez-vous, Monsieur, que Luther a enseigné la même doctrine presque dans les mêmes termes ; voici ses paroles : « Un homme baptisé ne peut se perdre quand il le voudrait, même par les plus grands crimes, à moins qu'il ne refuse de croire ; nul péché ne peut le damner si ce n'est la seule incrédulité3. » Si vous me dites, Monsieur, qu'on ne prêche plus aujourd'hui cette doctrine chez vous, je n'aurai pas de peine à vous en croire sur votre parole. Mais Luther en aura-t-il moins enseigné crûment l'hérésie d'Eunomius ? et dès qu'il est convaincu d'avoir donné dans des erreurs si grossières, comment pourrez-vous le regarder encore comme un homme spécialement éclairé de Dieu ?


§. III. Luther a renouvelé la doctrine de Jovinien.


La quatre-vingt-deuxième hérésie rapportée au catalogue de saint Augustin est celle de Jovinien ; il égalait l'état des vierges à celui des gens mariés, et ne voyait pas plus de mérite dans la virginité et la continence que dans la chasteté et la fidélité conjugale1. » Saint Augustin remarque que cette doctrine porta plusieurs vierges romaines consacrées à Dieu à se marier, mais qu'elle ne put séduire aucun prêtre2. Il n'en a pas été de même des faux principes de Luther ; ils ont fait un égal ravage dans les monastères de l'un et de l'autre sexe ; on doit même dire que Luther a porté l'égarement beaucoup plus loin que Jovinien, puisque peu content d'établir une égalité de mérite et de perfection entre les deux états, il a de plus cherché à avilir le célibat, et à le ravaler au-dessous de l'état des gens mariés, jusqu'à dire, « que l'état du mariage était de l'or, et que l'état ecclésiastique n'était que de la boue3, et que toutes les religieuses de l'univers, qui se flattent d'être dans un état plus parfait que les gens mariés, ne méritaient pas de donner de la bouillie à un petit bâtard baptisé4. »


S. IV. Luther a pensé comme les Lampétiens sur l'état religieux.


Saint Jean Damascène fait mention, dans son catalogue, des Lampétiens, condamnés pour une erreur fort approchante de celle de Jovinien : « Ils permettaient à ceux qui avaient embrassé la vie religieuse, de quitter leur état pour vivre à leur gré5. » Or, prenez la peine, Monsieur, de lire le sixième article de la confession d'Augsbourg sur les vœux monastiques, et vous verrez que toute la substance de cet article ne tend qu'à établir la même liberté6. La princesse de Monsterberg s'était évadée secrètement du couvent de Freyberg, dont elle était abbesse, pour goûter la liberté prêchée par les nouveaux prédicateurs : Luther applaudit à son dérèglement, et il n'hésita pas à appeler son évasion un véritable miracle du nouvel évangile7. Je ne sais, Monsieur, quelle réflexion vous ferez ici sur la doctrine et sur la conduite de Luther ; pour moi je ne puis m'empêcher de penser que Luther devait être emporté par des passions bien fougueuses et bien indomptées, puisque pour les satisfaire, et pour grossir son parti par les déserteurs de la chasteté, il n'a pas craint de renouveler des erreurs qui ont fait horreur à toute l'antiquité. Il a voulu couvrir la honte d'un mariage sacrilège contracté avec une religieuse ; et pour y réussir, il n'a pu éviter de tomber dans l'infamie des anciens hérétiques. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, Monsieur, que je ne parlais ici que des faits, sans entreprendre d'entrer dans une discussion du droit.


§. V. Luther a pensé comme Vigilance sur le culte et l'invocation des Saints.


Mais avançons, et nous ne manquerons pas de trouver encore chez d'autres Pères de nouvelles preuves de la témérité avec laquelle Luther a cherché à faire revivre les anciennes hérésies. Se peut-il une guerre plus forte que celle suscitée par saint Jérôme contre Vigilance ? Mais pourquoi la lui a-t-il faite ? n'était-ce pas pour venger les saints martyrs des mépris de cet hérétique, qui ne voulait pas qu'on gardât leurs reliques avec respect, ni qu'on passât la nuit en prières auprès de leurs tombeaux, ni qu'on qu'on leur demandât le secours de leurs suffrages ? « Vous prétendez, lui dit le Saint, que nous pouvons prier utilement les uns pour les autres, tandis que nous sommes encore en cette vie, mais qu'après la mort, la prière d'autrui ne pourra plus être utile à personne. Quoi ! les Apôtres et les Martyrs, encore revêtus de leur corps mortel, peuvent prier pour leurs frères, alors qu'ils avaient encore quelques inquiétudes sur leur propre sort, combien plus ne le seront-ils pas après leurs couronnes, leurs triomphes et leurs victoires ! L'Apôtre saint Paul nous apprend que dans le vaisseau Dieu daigne lui accorder la conservation de deux cents soixante et seize personnes, et maintenant que, délivré de ses liens, il est avec Jésus-Christ, il fermera la bouche et ne pourra pas même prononcer un mot en faveur de ceux qui dans tout l'univers ont cru à son saint Évangile ? Ainsi, selon la parole du Sage, un chien vivant vaudra mieux qu'un lion mort1 ; c'est-à-dire la prière de Vigilance qui vit, aura plus d'effet que la prière du grand Paul qui n'est plus2 ? » Que vos ministres si accoutumés à offrir leurs prières à leurs ouailles, tandis qu'ils ne témoignent que du mépris pour l'intercession des Saints, se gardent ici de cette piquante raillerie ; ils la méritent certainement toute entière, en persistant, comme ils font, dans les mêmes sentiments que saint Jérôme a si sévèrement condamnés dans Vigilance.


§. VI. Luther a pensé comme Novat sur la Confirmation.


Vous savez, Monsieur, que le sacrement de confirmation n'est point en usage chez vous, et qu'on n'y fait aucun état du saint chrême ; mais savez-vous également qu'Eusèbe reproche à Novat, chef des Novatiens, d'avoir négligé de se faire confirmer après avoir reçu le baptême3 ? savez-vous que Théodoret rapporte des Novatiens comme une pratique qui leur était particulière et dont il les blâme fortement, qu'ils ne faisaient pas d'onction avec le saint chrême dans l'administration du baptême4 ? Le même auteur remarque que si quelque partisan de cette hérésie venait à se convertir, les évêques ne manquaient pas de suppléer les onctions qu'il n'avait pas reçues. Vous voyez, Monsieur, que les idées, des Novatiens sur la confirmation et sur le saint chrême étaient parfaitement semblables aux vôtres.


§. VII. Luther parle comme Pétilien de la Chaire de saint Pierre.


Avec quelle indignité vos auteurs ne traitent-ils pas le siège de Rome ! ne l'appellent-ils pas d'ordinaire la chaire empestée, le siège de l’Antéchrist, le trône de la tyrannie papale, le centre des superstitions et de l'idolâtrie ? Sont-ils les premiers à outrager ainsi le Saint-Siège ? où plutôt ne sont-ce pas là des termes empruntés à je ne sais combien d'hérétiques qui ont rompu avec Rome avant vous, et nommément des donatistes, à qui saint Augustin reproche de s'être répandus en injures et en invectives contre le Siège apostolique ? « Que vous a fait la chaire de saint Pierre, demande-t-il à un de leurs principaux chefs, pour l'appeler une chaire de pestilence1 ? » Avouez, Monsieur, qu'on est en droit de vous faire la même demande ou plutôt le même reproche, puisque votre déchaînement contre le Saint-Siège surpasse évidemment tous les excès des donatistes.


§. VIII. Luther enseigne sur l'Eucharistie la même erreur qu'enseignaient certains esprits égarés du temps de saint Cyrille.


Votre doctrine sur l'Eucharistie a eu quelques partisans dès le temps de saint Cyrille d'Alexandrie, mais des partisans que ce Père traite d'extravagants et d'insensés. D'après vos enseignements Jésus-Christ n'est présent que dans l'usage, c'est-à-dire au moment de la manducation, ou tout au plus pendant la durée de la Cène, d'où il s'ensuit clairement qu'une hostie consacrée, gardée jusqu'au lendemain, ne contiendrait plus le corps de Jésus-Christ, et ne serait plus que du pain sans aucune vertu et sans nulle efficacité pour la sanctification des âmes. Or, c'est là justement ce qu'enseignaient certains esprits égarés du temps de saint Cyrille ; ce Père les traite comme des insensés, voici ses paroles : « Il en est, à ce que j'apprends, qui prétendent que la bénédiction mystique ne sert de rien pour la sanctification s'il en reste quelque parcelle pour le lendemain. C'est avoir perdu l'esprit que d'avancer une pareille assertion2.



§. IX Luther contredit les décisions des conciles généraux.


En est-ce assez, Monsieur, pour vous faire voir par le témoignage des Pères, que sur un grand nombre d'articles vous avez épousé le sentiment, et emprunté le langage des anciens hérétiques ? Venons aux décisions des conciles généraux, nous en trouverons plusieurs que vous n'avez pas craint de contredire et en les contredisant, ne vous êtes-vous pas encore chargés par cet endroit de tout ce que l'hérésie a de funeste et d'odieux ? car enfin, Monsieur, qu'est-ce que la décision d'un concile général, si ce n'est une déclaration authentique du sentiment de l'Église ? quand est-ce que l'Église sera censée parler, si ce n'est lorsqu'elle s'explique par la bouche de tous ses chefs assemblés, je veux dire par la bouche de tous les évêques du monde chrétien ? Peut-on résister aux décisions émanées d'un tel tribunal, sans encourir l'anathème prononcé par Jésus-Christ même ? Peut-on, sans se mettre au rang des païens et des publicains, pousser l'indocilité jusqu'à oser combattre les oracles rendus par voix la plus éclatante que l'Église puisse employer pour se faire entendre ? quel caractère plus visible de l'opiniâtreté coupable qui fait l'hérétique, que d'oser préférer son sentiment particulier au sentiment général de tous les premiers pasteurs établis de Dieu pour gouverner l'Église, et pour veiller à la conservation du dépôt de la foi ? Vincent de Lérins, auteur du cinquième siècle, qui nous a laissé un recueil admirable des plus belles pensées et des plus solides réflexions des saints Pères sur la religion, ne nous recommande-t-il pas avant tout de nous tenir invariablement attachés aux décisions des conciles généraux, si nous voulons nous garantir sûrement des pièges de l'hérésie1 ? Or, Monsieur, combien ne vous êtes-vous pas écarté de cette règle ? et sur combien de chefs ne soutenez-vous pas une doctrine absolument contraire à celle des conciles généraux ?


Vous rejetez avec mépris le dogme de la transsubstantiation, qui a été décidé il y a plus de cinq cents ans par le quatrième concile de Latran tenu sous Innocent III. Les paroles de ce concile ne peuvent être plus claires ni plus formelles, car il y est dit : « Nous croyons que le corps et le sang de Jésus-Christ sont véritablement présents sous les espèces du pain et du vin ; la substance du pain et du vin est, par la puissance divine, changée en la substance du corps et du sang de Jésus-Christ.2 » Ce concile n'a fait que déclarer le sens le plus naturel des paroles de l'institution ; car enfin, si le corps de Jésus-Christ, comme le texte sacré le marque si expressément, ce n'est donc plus du pain, puisque le même objet ne saurait être pain et chair en même temps. Mais nonobstant une conséquence si naturelle, si légitime et si sensible, vous aimez mieux soutenir votre impanation, en donnant aux paroles du Sauveur un sens extraordinaire entièrement éloigné de l'usage établi, que de déférer à l'autorité légitime d'un concile universel, reconnu de tout temps pour juge infaillible des sens de l’Écriture, et muni des promesses les plus formelles du Sauveur pour rassurer la soumission des fidèles.


Que ne dites-vous pas contre l'usage d'une seule espèce ? Y a-t-il artisan chez vous, quelque ignorant qu'il soit, qui ne se croie plus éclairé que tous les Pères du concile général de Constance, pour juger comme il faut de la nécessité du calice. Ce concile, tenu plus de cent ans avant que Luther se soit avisé de trouver à redire à notre manière de communier, déclare que la coutume de donner la seule espèce du pain aux laïques, introduite par l'Église et les saints Pères pour d'importantes raisons et observées pendant de longues années, doit être regardée comme une loi ; qu'il n'est pas permis à un particulier de la condamner ou de la changer selon son caprice, sans l'autorité de l'Église elle-même3 ; qu'il faut croire fermement et sans aucun doute que le corps et le sang de Jésus-Christ sont véritablement renfermés sous une seule espèce comme sous les deux4 ; qu'il faut traiter comme hérétiques ceux qui osent blâmer cet usage général de l'Église comme sacrilège ou illicite5. » Mais cette auguste assemblée a beau rendre ainsi raison d'un règlement où elle ne fait que confirmer une ancienne pratique, quelque sensée que soit en elle-même cette déclaration, quelque conforme qu'elle paraisse à la conduite de Jésus-Christ, qui s'est contenté de donner une seule espèce à deux de ses disciples, lorsque à table avec eux dans le bourg d'Emmaüs, il leur présenta le pain sacré qu'il avait béni, et dont la vertu leur dessilla les yeux1 ; quoique le Sauveur répète jusqu'à quatre fois dans un même chapitre, que c'est assez de manger de ce pain pour vivre éternellement2 ; quoique d'ailleurs nous puissions justifier par cent exemples de l'antiquité, que les premiers chrétiens n'ont jamais regardé l'usage du calice comme nécessaire ; vos petits bourgeois néanmoins, gens sans aucune connaissance de l'antiquité et sans aucune teinture des lettres, prononcent hardiment que le concile de Constance s'est trompé ; et lorsqu'ils condamnent ainsi le concile d'être tombé dans une erreur grossière, n'allez pas croire, Monsieur, qu'ils se fondent sur l'autorité de Luther, ou sur celle de leurs ministres, pour porter ce jugement : ils déclarent hautement qu'ils ne se laissent pas gouverner par ces autorités qui ne pourraient assez affermir leur foi, mais que c'est par leurs propres lumières qu'ils en jugent ainsi, après s'être convaincus par eux-mêmes de l'égarement du concile ; de sorte que vos fileuses de laine et vos rouleurs de tabac ont assez bonne opinion d'eux-mêmes, pour se persuader qu'ils voient clairement dans l’Écriture la nécessité du calice, tandis que les hommes les plus habiles de l'Univers, assemblés en concile, n'ont jamais pu l'y apercevoir ; et quand nous leur disons que si l'usage de la coupe était nécessaire au salut, comme ils le soutiennent avec tant de chaleur, il s'ensuivrait que les chrétiens eussent été privés pendant plusieurs siècles d'un secours nécessaire au salut, et qu'ainsi une erreur très-préjudiciable eût prévalu contre l'Église malgré la promesse du Sauveur, qui l'a rassurée contre les efforts de l'enfer même les plus redoutables ; et quand nous ajoutons que, dans le cas de l'injustice criante commise par tous les évêques du monde, en enlevant au peuple une partie essentielle du sacrement contre l'ordre et l'institution de Jésus-Christ, il s'ensuivrait encore manifestement que Jésus Christ aurait abandonné tous les pasteurs de l'Église pendant un temps considérable, contre sa parole expresse de demeurer avec eux tous les jours jusqu'à la consommation des siècles, alors nous voyons ces bonnes gens ouvrir de grands yeux, rester sans réplique, et témoigner par leur contenance la disposition d'admettre plutôt toutes ces horribles conséquences, que de convenir de leur ignorance sur le sens des paroles où ils croient lire un précepte. Peut-il y avoir une témérité plus imprudente que d'oser combattre les jugements d'une autorité infaillible, quand on a d'ailleurs des lumières si courtes, qu'on n'est pas en état de pouvoir prendre même une connaissance médiocre du point décidé ? or, Monsieur, n’est-ce pas là la situation du plus grand nombre de vos partisans ?


Mais ce ne sont pas là les seules décisions de l'Église contre lesquelles Luther et ses adhérents n'ont pas craint de s'élever : il en est bien d'autres qu'ils n'ont pas respectées davantage ; je puis vous en faire remarquer jusqu'à trois dans le seul concile de Florence. Vous n'ignorez pas, Monsieur, que ce concile s'est tenu environ quatre-vingts ans avant la naissance des disputes de Luther, que les plus grands personnages de l'Église grecque s'y sont trouvés, que le pape Eugène IV y a présidé en personne, et que l'empereur grec Jean Paléologue y a été présent avec les ambassadeurs de la plupart des princes chrétiens. Ainsi nulle assemblée plus propre à représenter l'Église universelle ; vu surtout le grand nombre d'évêques réunis de l'Orient et de l'Occident, pour régler la créance des fidèles sur les points contestés, et chercher à opérer un solide rapprochement entre les deux Églises. Or, Monsieur, ce concile déclare aux Arméniens, « que la foi constante de l'Église est de croire qu'il y a sept sacrements : le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Pénitence, l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage1 ; » il déclare encore dans l'acte de l'union avec les Grecs, qu'il y a un purgatoire où les âmes des justes achèvent d'expier les peines dont elles sont redevables à la justice divine, pour ne les avoir pas assez expiées en cette vie par de dignes fruits de pénitence2 ; que Jésus-Christ a donné à l'évêque de Rome en la personne de saint Pierre, dont il est successeur, le pouvoir et la charge de régir et de gouverner toute l'Église3. » Or, tous ces articles vous les combattez aussi librement que si le concile n'en avait jamais fait aucune mention ; vous vous érigez chacun en juge du concile, et citez à votre tribunal le tribunal suprême établi de Dieu pour juger des difficultés de la religion.


Je sais que Luther se vante d'avoir trouvé un expédient, pour ne point se laisser gêner pas les décisions des conciles généraux. Cet expédient consiste à ne faire aucun cas de leur autorité, et à soutenir hardiment nos opinions sans examiner ce qui a pu être condamné ou approuvé par leurs décisions. C'est là une de ses maximes contenues dans la vingt-neuvième proposition censurée par le pape Léon X4. Luther n'a pas tout-à-fait tort de se vanter ici de s'être frayé une nouvelle route ; car il est bien sûr qu'avant lui personne n'avait encore pensé comme lui sur ce sujet. On avait toujours regardé jusque-là les décisions des conciles généraux comme autant d'oracles du Saint-Esprit : les décrets du premier concile de Jérusalem, dictés par le Saint-Esprit même, comme l’Écriture nous en assure5, n'avaient pas permis de se former une moindre idée des conciles suivants : on savait que le Sauveur avait promis à ses apôtres et à ses successeurs, je veux dire aux premiers pasteurs de l'Église, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, POUR LEUR ENSEIGNER TOUTE VÉRITÉ6, et l'on ne voyait pas de conjoncture où l'on pût être plus assuré de l'effet de cette promesse, que dans ces saintes assemblées, où tous les pasteurs du premier ordre concourent à chercher le véritable sens des Écritures sur les points contestés pour l'enseigner à leurs peuples. On jugeait que l'Église comme tout autre état ne devait pas manquer de ressource pour terminer les différends, et on ne trouvait que dans ces derniers jugements, réputés comme infaillibles, le moyen de fixer l'agitation des esprits.


Aussi avait-on regardé de tout temps comme un acte hérétique le refus d'acquiescer aux décisions des conciles généraux, de même que la soumission rendue à leurs arrêts avait toujours passé pour la marque la moins équivoque d'une foi pure et non suspecte. Saint Grégoire de Nazianze dispensait volontiers les apollinaristes de justifier leur doctrine, pourvu qu'ils montrassent leur orthodoxie reconnue par un concile1. Saint Basile ne trouvait pas de meilleur expédient pour s'assurer de la foi des chrétiens suspects, que de leur proposer les décrets du concile de Nicée, et de savoir d'eux s'ils les recevaient ou non2. Saint Augustin excuse saint Cyprien d'avoir donné dans l'erreur de ceux qui regardaient comme nul le baptême conféré par les hérétiques, sur ce qu'aucun concile général n'avait encore rien déterminé à ce sujet3. Saint Grégoire, pape, dit anathème4 à tous les esprits rebelles qui de son temps ne recevaient pas les cinq premiers conciles généraux ; or il ne s'en était pas tenu un plus grand nombre jusqu'à cette époque. Tel avait été jusqu'au temps de Luther l'attachement inviolable de tous les fidèles aux décisions des conciles généraux : mais Luther, homme à nouvelles découvertes, s'ouvre, comme il le dit lui-même, une voie qui n'avait pas encore été frayée, et cette voie c'est d'opposer son jugement particulier au sentiment universel de tous les premiers pasteurs de l'Église. Vous savez, Monsieur, que dans la plupart des disputes de religion il ne s'agit que du sens de l’Écriture et de l'intelligence des passages sur lesquels on conteste ; or jusque-là les lumières de la droite raison, de concert avec celles de la foi, avaient fait croire que tous les supérieurs ecclésiastiques, assemblés en corps, étaient plus propres qu'aucun particulier à découvrir sûrement la véritable signification du texte sacré pour le notifier au peuple chrétien. Mais non, Luther en juge tout autrement, ce n'est plus l'Église qui doit juger, c'est chaque particulier qui doit juger l'Église. L'ordre de Jésus-Christ était d'écouter l'Église ; Luther dispense de cet ordre et sauve l'anathème à quiconque se croira plus éclairé que le corps des pasteurs. Plus des deux tiers du monde ne sont pas capables de juger par la voie de l'examen, n'importe ; il vaut mieux qu'ils s'en rapportent à leurs lumières défectueuses, ou aux jugements bien équivoques de leur ministre, que d'adhérer aux décisions des conciles généraux.


Voilà, Monsieur, le bel expédient que Luther a imaginé pour rendre la foi de tous les chrétiens uniforme, prudente, ferme et inébranlable. C'est par cette heureuse méthode que les disputes cesseront, que la paix et la tranquillité se maintiendra, et que chacun saura précisément à quoi s'en tenir. Regrettons que Luther n'ait point étendu ses réflexions jusque sur le civil ; avec un peu plus de méditation il fût sans doute parvenu à abolir aussi toutes les cours de justice, en faisant voir leur inutilité ; car il n'avait qu'à renvoyer les plaideurs au corps de droit, et leur suggérer le secret admirable d'y chercher les passages les plus clairs, et de s'en tenir aux textes les plus favorables à l'une ou à l'autre partie. Mais, Monsieur, le sujet est trop sérieux pour le tourner en plaisanterie ; je sens que je ne vous ferais pas plaisir de continuer sur le même ton ; ainsi je vous l'avouerai bien sérieusement, je n'ai jamais pu comprendre comment tant de gens d'esprit, car il n'en manque pas dans les différentes sociétés protestantes, ont pu s'accorder à recevoir un principe si contraire au bon sens, à l'ordre, à la paix et à la pratique de tous les siècles, principe si chimérique dans la théorie, et si insoutenable dans l'exécution. Je dis si insoutenable dans l'exécution ; car ceux-là mêmes qui ont rejeté avec hauteur l'autorité des conciles généraux, pour abandonner au caprice de chaque particulier la discussion des articles controversés, se sont vus obligés plus d'une fois à convoquer des assemblées, afin de régler à la pluralité des voix les différends de religion, et ils n'ont pu parvenir à rétablir la paix et la concorde troublée par l'erreur, qu'en obligeant sous de grièves peines tous les pasteurs à souscrire à la décision du plus grand nombre. Les assemblées de Dordrech, de Francfort, de Torga, de Naumbourg peuvent en fournir des preuves évidentes. Mais revenons au sujet principal.


J'ai entrepris de prouver que Luther, en composant son corps de religion, avait adopté plusieurs hérésies condamnées par l'antiquité la plus respectable, et je pense, Monsieur, vous l'avoir montré clairement par la simple exposition des faits, sans y ajouter ni pensée personnelle, ni raisonnement suspect. Les pièces que j'ai produites sont le catalogue des anciennes hérésies, d'autres écrits des saints Pères et les décisions des conciles généraux. Un simple coup d'œil sur les endroits que j'ai eu l'honneur de vous indiquer suffira pour vous faire remarquer une conformité parfaite entre vos sentiments et les erreurs condamnées et flétries dès les premiers siècles de l'Église, ou du moins bien antérieurement aux disputes de Luther. La vérité que j'ai pris la liberté de vous annoncer en vous accusant d'adhérer à un corps de doctrine mêlé de plusieurs hérésies, porte sans doute avec elle son amertume ; c'est, j'en conviens moi-même, un reproche peu agréable à entendre ; mais le genre de preuves que j'ai employé pour l'établir doit, ce me semble me disculper pleinement à vos yeux. Pouvais-je, Monsieur, sans manquer à ce que la sincérité de mon zèle exigeait de moi, vous laisser ignorer des connaissances si importantes et si propres à vous suggérer de salutaires réflexions ? Ne croyez pas cependant que nos reproches se bornent là ; vous n'avez encore vu que la moitié du mal ; si nous blâmons Luther pour avoir réveillé d'anciennes hérésies, nous ne le blâmons pas moins pour avoir créé lui-même un grand nombre d'hérésies nouvelles.


2ème proposition : Luther a donné naissance à plusieurs hérésies nouvelles.


Je vous avouerai franchement, Monsieur, je n'ai pas osé vous faire d'abord l'ouverture entière de tout ce que nous pensons sur votre doctrine ; j'aurais craint de vous aigrir et de vous indisposer contre mon sujet. J'ai cru devoir en user comme les médecins discrets, qui, voyant plusieurs maux compliqués, n'en découvrent d'abord qu'une partie pour ne pas trop effrayer le malade. L'essai que je viens de faire semble me donner droit d'en entreprendre davantage. Vous eussiez eu peine à vous persuader que le premier reproche intenté à Luther d'avoir ressuscité plusieurs anciennes hérésies, fût aussi bien fondé que vous venez de le voir ; l'évidence de ma première proposition vous aura, je l'espère, disposé à examiner avec la même attention ce qui me reste à dire pour vérifier le second reproche fait à Luther d'avoir donné naissance à de nouvelles hérésies.


Et en effet, Monsieur, qu'est-ce qu'une hérésie ? n'est-ce pas une opinion nouvelle et particulière en matière de foi, soutenue avec opiniâtreté contre le sentiment général des fidèles ? l'étymologie du mot ne nous fait-elle pas assez connaître la nature de la chose ? Vous le savez aussi bien que moi ; ce mot hérésie est dérivé du verbe grec aiptoμai1 qui signifie choisir faire choix d'un parti, s'y attacher fortement. Or le choix d'une opinion nouvelle et particulière dans les matières de foi se fait en deux manières ; la première est de préférer une opinion nouvelle à un sentiment général, qui, pour n'être pas marqué expressément dans l’Écriture, n'en est pas moins universellement établi, parce qu'enseigné de vive voix par les Apôtres, il a été transmis à la postérité par la doctrine constante de l'Église Ainsi Helvidius a été mis dans le catalogue des hérésiarques pour avoir enseigné que la Mère de Dieu, après avoir mis le Sauveur au monde, n'était pas restée constamment vierge2. Quoiqu'il ne se trouve nulle part marqué positivement dans l’Écriture que Marie ait persévéré pendant toute sa vie dans la pureté virginale, sans avoir jamais cohabité avec Joseph son époux, dès que le sentiment général des chrétiens et la tradition constante de l'Église lui assurent la gloire d'une constante virginité, Helvidius n'a pu s'élever contre ce privilège sans se rendre coupable d'hérésie.


La seconde manière de s'attacher à une opinion particulière et contraire à la foi est de donner à des textes de l’Écriture susceptibles de deux sens une explication nouvelle et jusque-là inouïe, de préférer cette explication à celle de l'Église universelle et de la soutenir malgré sa défense. Ainsi Arius, Macédonius, Nestorius, Eutychès, Pélage et la plupart des autres hérésiarques ont appuyé leur doctrine sur des passages de l’Écriture qu'ils ont appliqués dans un sens nouveau et entièrement éloigné de l'interprétation reçue et établie avant eux.


Car vous n'ignorez pas, Monsieur, que tous les auteurs d'hérésies n'ont jamais manqué d'avoir recours à l’Écriture, d'en faire leur fort, d'y chercher avec soin des moyens pour appuyer leurs erreurs, et de provoquer les orthodoxes au combat, en s'engageant hautement à ne se servir d'autre règle pour terminer la dispute que de la pure parole de Dieu. Telle a été de tout temps la méthode et la ruse des hérétiques, comme nous l'apprend Tertullien. « Ces sortes de gens, dit-il, ne vous parlent qu’Écriture, et par leur audace à la citer, ils viennent à bout d'en ébranler quelques-uns dans cette espèce de lutte ; ils fatiguent les âmes fermes dans la foi, ils surprennent les faibles, et jettent du moins des inquiétudes dans ceux qui tiennent le milieu entre les deux extrêmes3. Que gagnerez-vous avec eux, ajoute-t-il, vous qui vous piquez de bien savoir l’Écriture ? si vous défendez le véritable sens d'un passage, ils vous le nieront ; si vous niez leurs fausses interprétations, ils en défendront la prétendue vérité. Quelle sera l'issue et le fruit de votre dispute ? vous y perdrez la voix à force de crier, et vous n'y gagnerez que de vous échauffer la bile4.


A Dieu ne plaise néanmoins, Monsieur, que je donne ici pour marque d'attachement à l'hérésie la citation fréquente de l’Écriture ; je prétends dire seulement que comme ces citations ne sont pas moins communes dans la bouche des hérétiques que dans la bouche des orthodoxes les plus habiles, elles ne peuvent assurer par elles-mêmes la bonté de la cause, ni suffire pour mettre personne à couvert du reproche ou du soupçon d'hérésie. Le mal n'est pas d'en appeler à l’Écriture, ni d'y chercher la vérité. Il est bien sûr qu'elle s'y trouve comme dans la source la plus pure ; et où serait donc la vérité, si elle n'était dans la parole immuable de celui qui ne peut se tromper, ni tromper personne ? mais le mal est d'en appeler à l’Écriture avec un esprit d'orgueil et de présomption, avec une vaine et sotte confiance en ses propres lumières, jusqu'à se flatter d'être plus infaillible que l'Église universelle pour la bien entendre, et abandonner l'explication du corps des pasteurs pour s'attacher aux vaines interprétations du caprice de la nouveauté. Voilà, Monsieur, ce qui fait proprement l'essence et le véritable caractère de l'hérésie ; voilà ce que saint Hilaire a si bien exprimé par ces paroles aussi précises qu'élégantes : « L'hérésie vient, non de l’Écriture, mais de la mauvaise manière de l'entendre ; le mal est, non dans les paroles, mais dans le sens qu'on leur donne1. » Saint Augustin fait la même remarque : « La source des hérésies, dit-il, est de ne pas entendre bien les Écritures bonnes en elles-mêmes, et d'affirmer avec audace et témérité ce qui en elles échappe à notre intelligence2. »


Supposé donc, Monsieur, les deux voies de donner dans l'hérésie que je viens de marquer, pourra-t-on nier que les points de doctrine inventés par Luther Luther, en contradiction avec la doctrine de l'Église catholique, ne soient autant d'hérésies qu'il a surajoutées aux hérésies empruntées des anciens hérétiques ? Car d'abord combien n'a-t-il pas osé blâmer de coutumes et d'usages établis dès les premiers temps du christianisme, et constamment observés par tous les fidèles de l'univers ! Combien d'anciennes pratiques n'a-t-il pas critiquées comme des abus dignes de censure et de réforme ! Avec les connaissances que vous avez de l'antiquité, pouvez vous disconvenir, Monsieur, qu'on ait offert le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ pour les morts dès les premiers temps du christianisme, et qu'on n'ait continué à le faire jusqu'au temps de Luther3 ? N'en est-il pas de même de la confiance qu'on a toujours témoignée aux prières des saints martyrs régnants avec Jésus-Christ dans le ciel ? Pourriez-vous nier que les premiers chrétiens aient honoré leurs cendres avec respect, qu'ils se soient recommandés à leurs prières avec empressement, et que depuis on ait toujours également compté sur leur puissant crédit auprès de Dieu4 ? Vous ne savez pas moins que dans toutes les parties de l'univers on s'est fait une loi constante de jeûner avant Pâques, et que cet usage remonte jusqu'aux temps apostoliques5. Si quelqu'un moins instruit que vous, Monsieur, sur l'antiquité entreprenait de nier ces vérités, rien ne me serait plus aisé que de l'en convaincre ; je lui produirais des témoins fidèles et non suspects qui nous ont conservé le souvenir de ce qui s'est pratiqué de leur temps. Je lui ferais voir dans les écrits des saints Pères, non les sentiments des Pères mêmes, car il se pourrait que, peu touché de leur autorité, il crût pouvoir préférer ses lumières aux pensées de ces grands hommes ; mais je lui ferais voir des faits, des usages, des pratiques généralement établies parmi les chrétiens de leur temps, usages et pratiques sur lesquels ces Pères se sont exprimés de manière à nous laisser aussi peu de doute que si nous avions vu nous-mêmes les objets de nos propres yeux.


Supposons maintenant, si vous le voulez qu'il ne se trouve rien dans l’Écriture pour autoriser ces pratiques : dès-là seul qu'il est indubitable qu'elles nous sont venues des premiers chrétiens, et que l'usage en a été constant et universel dans l'Église, Luther a-t-il pu entreprendre de les supprimer ? a-t-il pu combattre les sentiments sur lesquels elles sont fondées sans donner dans le même écueil qu'Helvidius ? car qui pourra nous dire par quel endroit Helvidius a mérité d'être mis sur la liste des hérésiarques, si Luther ne l'a mérité conjointement avec lui ? Helvidius a osé disputer à Marie la gloire de sa constante virginité, et soutenir qu'après la naissance du Sauveur elle avait eu plusieurs enfants de Joseph. Il se trouve assez peu de passages dans l’Écriture pour réfuter cette rêverie : on peut même dire qu'il s'en trouve d'assez apparents pour l'appuyer. Mais Helvidius, en avançant sa nouvelle opinion, a contredit le sentiment général des chrétiens de tous les temps ; voilà son attentat. Luther en a-t-il moins fait ? ou plutôt n'en a-t-il pas fait beaucoup plus en s'élevant contre la tradition constante et universelle de l'Église par rapport au sacrifice de la Messe pour les morts, l'invocation des saints, à l'obligation du jeûne et à plusieurs autres articles dont je ne parle pas ? Qu'on efface donc Helvidius du catalogue des hérésiarques, ou qu'on mette Luther sur le même rôle ; qu'on crie contre l'injustice des Pères et de toute la savante antiquité pour avoir flétri la mémoire d'un innocent, ou, si l'on souscrit à leur jugement contre Helvidius, qu'on reconnaisse que Luther a mérité le même sort, et qu'il l'a mérité à double et à triple titre puisqu'il ne s'est pas contenté, comme Helvidius, d'attaquer la tradition sur un seul chef ; mais qu'il l'a fait sur autant d'articles que l'amour de la nouveauté lui a fait naître de désirs.



Ce ne serait donc pas rendre une justice pleine et exacte à Luther, que de se borner précisément à l'accuser d'avoir enseigné sur les articles en question une grande partie des erreurs reprochées aux anciens hérétiques. Le tour nouveau qu'il leur a donné, l'excès où il les a portées, les nouveaux principes qu'il s'est fait pour les établir, et surtout sa détermination à attaquer la tradition universelle sur presque tous les points, lui ont mérité plus que la qualité de copiste et de sectateur ; sa démangeaison d'innover l'a entraîné plus loin qu'aucun des hérésiarques qui l'ont précédé, comment-pourrait on lui refuser la malheureuse gloire de l'invention ?


Veuillez, Monsieur, faire attention en second lieu au droit que Luther s'est arrogé d'expliquer l’Écriture selon ses idées, et à l'orgueilleuse témérité qui l'a porté à préférer ses explications nouvelles et particulières à celles de l'Église universelle. Vous sera-t-il possible de ne pas remarquer dans sa conduite les traits les plus essentiels qui ont caractérisé la plupart des chefs d'hérésies ? car enfin, Monsieur, examinez la question de plus près, et vous verrez que toutes les disputes suscitées entre vous et nous, roulent uniquement sur différentes interprétations de l’Écriture. On cite de part et d'autre des passages ; ces passages sont susceptibles de plusieurs sens : le catholique prétend rester en possession du sens qu'on y a toujours donné ; Luther a imaginé un sens nouveau, qu'il a voulu faire valoir préférablement au sens ancien et universellement reçu. Voilà partout le sujet de nos différents. Expliquons cette vérité par des exemples.


Le point capital de la doctrine luthérienne est, à ce que dit Luther en plus d'un endroit, l'article de la justification. Il soutient que les bonnes œuvres n'ont aucune part à la justification du pécheur ; et pour le prouver il cite ce passage de l'épître aux Romains : Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi1. Vous voyez, Monsieur, que ce passage peut s'entendre de deux façons, ou en excluant seulement les œuvres de la loi judaïque et de la loi naturelle, ou en excluant aussi les œuvres de la loi chrétienne. l'Église catholique a constamment enseigné que les œuvres de la loi judaïque et de la loi naturelle ne pouvaient avoir aucune part à la justification du pécheur ; mais que plusieurs œuvres de la loi chrétienne étaient des dispositions absolument nécessaires pour le justifier : Luther au contraire exclut également et les œuvres de la loi chrétienne, et les œuvres de toute autre loi, réservant tout l'ouvrage de la justification à la foi seule comme au seul moyen propre à saisir les mérites de Jésus-Christ ; voilà le sens nouveau et inouï jusques-là. La preuve de sa nouveauté et de sa singularité, c'est que Luther avoue franchement que les Pères l'ont ignoré ; car il se plaint que sur cette matière leurs écrits ne renferment que ténèbres et obscurité, et il ajoute que dans tous leurs commentaires sur les épîtres aux Romains, et aux Galates, on ne trouve rien de cette doctrine pure et saine, qu'il se flatte d'avoir si bien développée lui-même sur l'article de la justification2. Que signifie cet aveu, sinon que le sens donné par Luther aux passages de saint Paul, a été absolument inconnu à toute l'antiquité ?


Il en est de même par rapport au texte : Buvez-en tous3, que vous citez avec Luther, pour prouver l'obligation de prendre le calice. La parole tous peut s'entendre, ou comme adressée à tous les Apôtres, ou comme adressée à tous les chrétiens. l'Église avant Luther n'a jamais cru que ces paroles renfermassent un précepte pour tous les chrétiens, puisque plusieurs siècles avant Luther l'usage universel était de ne donner aux laïques qu'une seule espèce. Les premiers chrétiens dans mille occasions se sont dispensés de participer au calice. Un concile général, pour maintenir l'uniformité, et obvier constamment à de grands inconvénients, avait confirmé par un règlement stable la pratique déjà universellement établie. Tous ces faits ne font-ils pas voir clairement que l'Église avait pris jusques-là le mot de tous dans un sens limité aux Apôtres et à ceux qui leur ont succédé dans le pouvoir d'offrir le saint Sacrifice, au lieu qu'il a plu à Luther de l'étendre à tous les chrétiens. Voilà encore la nouveauté et la singularité d'une explication fondée sur la bonne opinion que Luther a eue de lui-même ; il s'est cru plus éclairé que tous les fidèles qui l'avaient précédé, et que tout le corps des pasteurs qui gouvernaient l'Église de son temps. C'est ainsi qu'il en a usé pour tout autre article de sa doctrine. Non, Monsieur, il ne s'en trouvera pas un seul, dont la preuve n'appuie sur un sens nouvellement imaginé au préjudice des sens anciens, reçus et autorisés de tous les temps dans l'Église. Si vous avez peine à en convenir, je vous prierai de faire attention, que dans tout le monde chrétien on ne peut nommer aucune Université, qui avant Luther ait entendu l’Écriture dans le sens de ce novateur. Qui ne sait au contraire que de toutes les Universités auxquelles Luther en appela, pour les rendre juges et arbitres de sa doctrine, il n'y en eut pas une qui ne l'ait hautement condamné ? Qui peut encore nier que ses partisans les plus zélés, que ses premiers coopérateurs dans l'ouvrage de la prétendue réforme, n'aient été tous comme lui élevés dans des principes et des sentiments absolument contraires ? Mais qu'y a-t-il de plus décisif sur ce sujet que le témoignage de Luther lui-même ? « Combien de fois, dit-il, en écrivant aux Augustins de Wittemberg, n'ai-je pas ressenti les agitations les plus étranges, et les palpitations de cœur les plus cruelles, en me disant en moi-même : Eh quoi donc ? prétends-tu être le seul qui soit sage ? tout le reste des hommes serait-il dans l'erreur, tous y auraient-ils été si longtemps ? que serait-ce, si tu étais toi-même dans l'égarement, et que séduisant tant d'âmes tu fusses cause de leur damnation éternelle1 ? » Or, je vous demande, Monsieur, ce sentiment peut-il subsister avec la persuasion d'une conformité parfaite entre ses explications et celle de tout l'univers avant lui ? Luther par cet aveu ne ferme-t-il pas la bouche à tous ceux de ses disciples qui voudraient entreprendre de contester sur le fait de ses explications nouvelles et singulières ?


Faut-il, Monsieur, de plus amples raisonnements, pour montrer à tout esprit impartial le peu de raison qu'ont vos partisans de se glorifier, comme s'ils ne suivaient que la doctrine des Apôtres, et celle du pur Évangile ? Il n'est besoin d'entrer ici dans un détail contentieux et fatigant ; deux mots suffisent pour vous débouter de votre prétention ? La doctrine apostolique et évangélique, disons-nous, n'a jamais pu être supprimée dans l'Église, ou, ce qui revient au même, il a toujours été nécessaire, qu'en vertu des promesses de Jésus-Christ si souvent réitérées, la doctrine des Apôtres et du pur Évangile fût constamment enseignée dans l'Église, et que par conséquent les chrétiens avant Luther en aient été instruits dans tous les temps ; or, la doctrine luthérienne n'a pas été constamment enseignée dans l'Église : les chrétiens qui ont précédé Luther l'ont absolument ignorée, comme nous venons de le voir ; donc la doctrine luthérienne n'est pas celle des Apôtres, ni celle du pur Évangile. Voilà, Monsieur, un argument court et simple, qui en matière de religion peut passer pour une démonstration. Tous les passages que vous accumulerez, et tous les sens que vous vous efforcerez d'en tirer pour justifier le détail de vos articles, ne pourront jamais affaiblir une preuve qui tire sa force des promesses formelles et incontestables de Jésus-Christ.


Distinguons donc, s'il vous plaît, Monsieur, deux choses, le texte et l'explication ; pour les textes que Luther cite avec profusion, nous avouons qu'ils sont véritablement pour la plus grande partie des textes tirés de l’Évangile et des Apôtres ; mais quant à l'explication que Luther y donne, nous soutenons qu'elle est uniquement de lui, sans que les évangélistes ni les Apôtres y aient aucune part ; car si le sens de Luther était celui que les Apôtres et les évangélistes ont eu en vue, il eut toujours été, comme je viens de le dire, le sens dominant dans l'Église ; mais s'il a été ignoré pendant tant de siècles, il ne peut plus être qu'un sens nouveau, particulier, sans fondement, le sens d'un homme entêté, plein de lui-même, téméraire à l'excès, tranchons le mot, le sens d'un chef d'hérésie.

Peut-être me direz-vous que le sens dans lequel Luther a expliqué l’Écriture, n'est pas un sens si particulier, qu'il n'ait été embrassé aussitôt par une infinité de personnes répandues dans toutes sortes de provinces et d'états et même par des peuples et des royaumes entiers. Je l'avoue, Monsieur ; mais permettez-moi de vous dire que ce n'est pas là le remède au mal, que c'en est plutôt le comble. Car pour juger sainement de la chose, il faut la considérer dans son origine. Luther s'est d'abord trouvé seul de son sentiment ; il ne fut pas longtemps sans y engager quelques-uns de ses confrères, et quelques docteurs de l'Université de Wittemberg ; les livres qu'il composa, et qu'on eut grand soin de répandre partout, trouvèrent des esprits disposés à goûter une doctrine plus commode, et moins gênante que ne l'avait été l'ancienne l'amour de la nouveauté animé par le spécieux prétexte de réforme, et encore plus par le nom de liberté évangélique, acheva de grossir la troupe de ses disciples. Mais, regardez, s'il vous plaît, le chef de cette troupe dans les premiers moments de sa singularité, regardez-le isolé du reste des chrétiens, ou tout au plus entouré d'une demi- douzaine de docteurs saxons. C'est dans ce point de vue, Monsieur qu'il faut envisager Luther : or, c'est dans cette situation qu'il osa contredire tout l'Univers, et que se faisant une idole de ses idées nouvelles et particulières, il ne craignit pas de s'élever contre le sentiment général des chrétiens. Dès la même le voilà hérétique, selon l'étymologie du mot, et bientôt après, par le funeste progrès de sa doctrine, chef d'une secte malheureusement abusée. La foule de ses disciples ne changea rien à sa qualité, elle y participa ; la chute de plusieurs ne put servir à le relever, jamais hérésiarque ne cessa de l'être, pour avoir eu grand nombre de sectateurs ; il en devint plus coupable devant Dieu, pour avoir fait un plus grand ravage dans l'Église. C'est ce qui est arrivé à Luther et à tant d'autres que vous reconnaissez vous-même avoir été de véritables séducteurs : la rapidité de leurs progrès, et l'étendue des sectes qui ont eu le malheur de les suivre, n'a jamais su rendre meilleur le sort ni des maîtres ni des disciples.


Vous m'objecterez peut-être encore, Monsieur, qu'on ne se rend coupable d'hérésie qu'en combattant une vérité clairement révélée dans l’Écriture : puis vous ajouterez que Luther n'en a combattu aucune de cette espèce, et vous croirez enfin par ce double raisonnement l'avoir mis tout-à-fait à couvert de nos reproches. Mais l'idée que vous vous formez de l'hérésie est-elle juste et complète ? est-elle propre à convaincre un hérétique, et à discerner celui qui l'est de celui qui ne l'est pas ? Je veux cependant m'en tenir un moment à la notion que vous en donnez vous-même, Luther ne laissera pas d'être convaincu de s'être fait auteur de plusieurs hérésies. Car permettez-moi, Monsieur, de vous demander ce que vous appelez des vérités clairement révélés dans l’Écriture ? n'est-il pas par exemple clairement révélé dans l’Écriture, que l'Église est infaillible, qu'elle doit toujours subsister sans aucune interruption1, qu'elle doit toujours être visible2 ; que les clés de l'Église, symbole de l'autorité ecclésiastique, ont été données à Pierre et à ses successeurs3 ; que toutes les ouailles lui ont été confiées4 ; que les Apôtres et leurs successeurs ont reçu le pouvoir d'absoudre des péchés, avec charge d'en faire le discernement5 ; que le pain que Jésus-Christ nous donne dans l'Eucharistie est sa chair, et qu'il n'y a plus de pain dans le sacrement6 ; que les malades doivent appeler les prêtres pour se faire oindre avec l'huile sainte7 ; que l'homme est justifié par les œuvres, et non-seulement par la foi1 ; que les bonnes œuvres sont nécessaires au salut2 ? Si ce ne sont pas là des vérités clairement révélées dans l’Écriture, faites-nous donc, Monsieur, la grâce de nous dire ce qu'il faut pour qu'elles soient sensées clairement révélées ? Car examinez, je vous prie, les textes qui les contiennent, et que j'ai cités à la marge ? vous verrez s'il se peut rien de plus précis, et de moins ambigu que les paroles qui les énoncent ? si vous aviez à vous exprimer sur les mêmes sujets que nous prétendons y être marquées, vous serait-il possible d'employer des expressions plus propres et plus significatives que celles dont le Saint-Esprit a fait usage ? Si tant de clarté ne suffit pas, que faudra-t-il donc pour mériter à ces articles le nom et la qualité de vérités clairement révélées ? exigerez-vous, Monsieur, que la vérité de la révélation frappe tellement les yeux de tous les chrétiens, qu'il n'y en ait aucun qui ne l'aperçoive et n'en convienne ? Mais à ce compte il ne pourra plus y avoir d'hérétique car dès qu'il se trouvera un homme à contester une vérité, et à se figurer qu'elle n'est pas assez marquée dans l’Écriture, dès lors cette vérité cessera d'être du nombre des vérités clairement révélées, et par conséquent ceux qui la combattraient, ne pourraient plus, si votre définition est bonne, être hérétiques. Direz-vous, que pour être vérité clairement révélée, il suffit qu'elle soit regardée comme telle par le plus grand nombre des chrétiens ? Mais alors il est évident que les catholiques faisant le plus grand nombre, auront la vérité clairement révélée de leur côté. Voulez-vous, pour plus grande assurance, qu'elle ait été aperçue et reconnue du grand corps des chrétiens avant les contestations survenues ? ne trouvons-nous pas encore dans le consentement général des fidèles de tous les temps une forte preuve en faveur des sens catholiques, c'est néanmoins contre de telles vérités, contre des vérités si bien marquées dans l’Écriture, et si généralement reconnues, que Luther a osé s'élever, sans respecter ni la clarté qui brille dans le texte, ni le sentiment général du monde chrétien qui en a toujours été frappé. Voilà donc Luther convaincu à votre tribunal même, et d'après la forme de procédure que vous avez jugé à propos de nous marquer, le voilà, dis-je, convaincu encore par cet endroit, d'avoir donné naissance à plusieurs hérésies.


Mais revenons à examiner la notion que vous donnez de l'hérésie, je soutiens qu'elle n'est ni assez étendue pour comprendre tous les hérétiques, ni assez spécifique pour distinguer toujours aisément ceux qui le sont de ceux qui ne le sont pas. Elle ne comprend pas tous les hérétiques, car elle ne comprend pas ceux qui attaquent la tradition constante et universelle de l’Église. C'est néanmoins uniquement pour ce fait qu'Helvidius et plusieurs autres ont été mis au catalogue des hérésiarques, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le faire remarquer. Oui, certes, contredire la parole non écrite prêchée par les Apôtres, et venue jusqu'à nous par le canal de la tradition, n'est pas une moindre témérité, ni un moindre crime, que d'oser contredire la parole écrite, puisque les Apôtres n'ont pas eu moins l'assistance du Saint-Esprit en enseignant de vive voix, qu'en nous laissant leurs instructions par écrit.


Je dis de plus, que votre notion n'est pas assez propre à convaincre aisément tout hérétique, et à distinguer toujours sûrement celui qui l'est de celui qui ne l'est pas. Car vous le savez fort bien, Monsieur, les hérétiques saisissent avec beaucoup de soin tous les passages qui paraissent favorables à leurs dogmes, et ne manquent guère d'en trouver d'assez apparents, qui par rapport à la mauvaise disposition où ils sont, font à peu près le même effet sur leur esprit, que pourraient faire des textes d'une clarté réelle. « Si vous leur demandez, dit l'incomparable Vincent de Lérins, quelles preuves ils vous donnent pour vous montrer la nécessité de quitter la foi universelle et antique de l’Église catholique, ils vous répondront tout d'abord : Oh ! c'est qu'il est écrit, etc. Et aussitôt ils produiront mille passages, mille exemples, mille autorités tirées de la loi, des psaumes, des Apôtres et des prophètes1. Qu'ils conversent, ajoute ce père, avec leurs partisans, ou avec ceux d'une autre religion, qu'ils soient en particulier ou en public, qu'ils composent des livres, ou qu'ils prononcent des discours, qu'ils se trouvent à un festin, ou qu'ils causent dans les places publiques, à peine énoncent-ils une partie de leur propre fonds qu'ils s'efforcent de lui donner une teinte plus vive par quelque passage de l’Écriture2. Or, que feront les fidèles, demande cet auteur dans ses solides réflexions, comment les hommes catholiques discerneront-ils toujours sûrement le faux du vrai dans les écritures ? ils auront soin d'en interpréter les passages selon la tradition de l'Église universelle, et les règles du dogme catholique ; car il est nécessaire qu'en cette matière comme dans tout le reste, ils suivent l'universalité, l'antiquité, et le consentement de l'Église catholique et apostolique3.


Vous voyez, Monsieur, que dès le cinquième siècle on avait sur la nature de l'hérésie les mêmes idées que nous en avons aujourd'hui. Que dis-je, Monsieur, dès le cinquième siècle ? l'Auteur fait une haute profession au commencement de son ouvrage de ne rapporter que des maximes puisées dans l'antiquité4. Oui, c'est de tout temps qu'on a regardé l'hérésie comme un écart de l'universalité, sans penser jamais à charger chaque fidèle en particulier de la discussion des passages plus ou moins clairs, persuadé qu'on était que la véritable et réelle clarté se trouvait toujours du côté de l'Église, et que du côté de ceux qui se détachent du grand corps des chrétiens, pour adhérer à leur opinion particulière il ne pouvait se trouver qu'une clarté fausse et apparente. La clarté plus ou moins grande dans le conflit des passages, si on la considère par rapport à l'impression qu'elle fait sur les esprits, ne peut être auprès d'une infinité de gens qu'une marque fort équivoque ; car comme la supériorité de clarté est souvent relative aux différents génies et aux différentes dispositions, qu'elle se fait sentir aux uns, tandis qu'elle disparaît aux yeux des autres, il est évident que son impression dépend assez souvent du caprice, et que dès là même elle ne peut conduire assez sûrement le jugement de chaque chrétien, pour lui faire discerner l'hérésie d'une manière à ne pouvoir s'y méprendre. C'est le consentement général des chrétiens, ce sont les décisions de l'Église qui, seules, peuvent être de bons et de sûrs garants de l'héréticité d'une doctrine, lorsqu'on la trouve opposée à l'une ou à l'autre de ces deux règles.


Mais, je m'étends trop sans doute, Monsieur, sur la juste notion de l'hérésie ; j'ai tout lieu de craindre que vous n'en soyez fatigué ; il me reste néanmoins encore une remarque à faire qui ne mérite pas moins votre attention que toutes les réflexions précédentes. Si vous ne me la refusez pas, et qu'après avoir considéré la nature de l'hérésie, vous en examiniez aussi les propriétés, vous arriverez par une voie beaucoup plus abrégée à comprendre qu'il n'est rien de plus juste ni de plus exact que la qualification donnée par nous à la doctrine de Luther.


Remarquez donc, s'il vous plaît, Monsieur, que de toutes les hérésies qui se sont jamais élevées dans le christianisme et ont fait quelque bruit dans l'Église, il n'en est aucune dont on ne puisse marquer un certain nombre de circonstances, qui, toutes réunies, forment un assemblage singulièrement propre à caractériser l'hérésie. On peut nommer l'auteur de l'hérésie, marquer l'année qui l'a vue naître, indiquer le lieu qui lui a servi de berceau, dire le dogme nouveau qui a révolté les orthodoxes, faire connaître les adversaires qui ont été les premiers à le combattre, montrer enfin le concile qui l'a condamné. Par exemple, on sait que c'est Arius prêtre et curé, qui a été l'auteur de l'hérésie arienne ; que c'est en l'an 316 qu'il commença à prêcher sa doctrine impie ; que c'est dans Alexandrie, ville d’Égypte, que cette doctrine fit les premiers progrès ; que le dogme d'Arius fut de nier la consubstantialité du Verbe ; que le patriarche Alexandre et saint Athanase signalèrent leur zèle et leur érudition à le combattre aussitôt ; et que ce dogme a été foudroyé par les anathèmes du concile de Nicée.


Voilà, Monsieur, ce qu'on sait également touchant les hérésies de Nestorius, d'Eutychès, de Pélage, et généralement de tous ceux qui ont jamais troublé la paix de l'Église. Or, à considérer les six articles que je viens de marquer, puis-je douter que vous n'y voyiez du premier coup d'œil le rapport parfait du luthéranisme avec toutes les anciennes sectes reconnues de vous et de nous pour hérétiques ? car premièrement le nom seul de votre religion n'en fait-il pas assez connaître l'auteur ? y eût-il jamais eu ni luthéranisme, ni luthériens dans le monde, si Luther n'y eût paru ? tout le corps de votre doctrine n'étant fondée que sur les explications qu'il a plu à Luther de donner de son chef à l’Écriture, ne voyez-vous pas que, s'il y avait eu une tête de moins dans le monde, l'ancienne religion serait restée telle qu'elle était, et qu'il n'eût jamais été parlé des sujets de séparation élevés aujourd'hui entre nous. C'est ici où j'appliquerais volontiers à Luther les belles paroles dont se servit autrefois un saint et savant évêque de Barcelone contre les novatiens. « D'où cet homme a-t-il reçu l'autorité qu'il s'est donnée de changer de religion, demande saint Pacien, qui vivait au quatrième siècle ? a-t-il eu le don des langues ? a-t-il été prophète ? a-t-il ressuscité des morts ? car il ne fallait pas moins que des miracles de cette espèce, pour être en droit de prêcher un évangile nouveau. Écoutez comme l'Apôtre réclame contre ce désordre : Quand même, dit-il, ou nous-même ou un ange descendu du ciel viendrait annoncer un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Mais Novatien a compris ainsi : donc, Jésus-Christ a ainsi enseigné ; donc, depuis Jésus-Christ jusqu'au temps de l'empereur Dèce, personne n'a entendu l’Évangile1. « Changez, Monsieur, les noms et les temps, et les paroles de saint Pacien auront fait le procès à Luther.


On sait en second lieu la date de votre origine. Ce fut en l'an 1517, le 13 octobre, que Luther afficha à la porte de l'Église des thèses qui contenaient déjà une partie de ses nouveautés, et donnèrent occasion à de grandes disputes. Pendant les années 18 et 19, Luther ne laissa pas de rester encore attaché au Saint-Siège ; car il écrivit deux lettres fort respectueuses au pape, l'une en l'an 1518, datée du jour de la Trinité2, l'autre en 1519, avec la date du troisième mars3 ; il y faisait de grandes protestations de soumission et d'obéissance ; il ajoutait néanmoins ne pouvoir se rétracter, il offrait seulement de garder un profond silence, pourvu qu'on le fit aussi garder à ses adversaires. Le pape, instruit des intrigues de Luther et de tous les mouvements qu'il continuait à se donner pour répandre et faire valoir sa nouvelle doctrine, après avoir tenté inutilement toutes les voies de la douceur pour le ramener, se porta enfin à condamner quarante et une de ses propositions, par une bulle publiée le 14 juin l'an 1520. Ce fut pour lors que Luther ne se posséda plus, et en vint aux dernières extrémités ; car le lundi d'après la Saint-Nicolas de la même année, il brûla publiquement, et avec beaucoup d'appareil la bulle du pape, comme pour motiver par ce coup d'éclat à tout l'Univers sa rupture avec l'Église romaine. Depuis ce moment il ne pensa plus qu'à fortifier son parti, et à le rendre irréconciliable par les changements qu'il fit de jour en jour à la religion, soit pour la discipline, soit pour le dogme. Permettez-moi, Monsieur, de citer ici un petit mot d'un des plus anciens auteurs de l'Église. Rien de plus propre à vous faire connaître tout le crime de l'entreprise de Luther : « Qui êtes-vous, disait Tertullien aux marcionites et aux valentiniens en la personne de l'Église ? quand et d'où êtes-vous venus ? que faites-vous en moi, vous qui n'êtes plus à moi ? par quelle autorité changez-vous mes limites, que semez-vous ici selon votre caprice ? la possession est à moi ; je possède depuis longtemps, l'origine de ma propriété est inattaquable ; je la tiens des premiers auteurs à qui le bien sacré a appartenu, je suis l'héritier des Apôtres4. » Tel était le langage qu'on adressait aux hérétiques du second siècle. Faites-nous, Monsieur, la justice de reconnaître que nous sommes parfaitement en droit d'en dire autant de Luther et de ses premiers associés.


Pour ce qui est du lieu où le luthéranisme a pris naissance, personne ne le peut ignorer ; c'est dans les écoles de l'Université de Wittemberg, ville de Saxe, que les premières leçons du luthéranisme ont été débitées ; c'est par la protection de l'électeur Frédéric, que sa doctrine se répandit promptement dans tout l’Électorat, et de là se communiqua aux pays voisins, surtout à ceux du Nord, Cependant elle ne passa jamais ni les Alpes, ni les Pyrénées, ni l'Océan, ni la Méditerranée ; ainsi resserrée dans des bornes si étroites, elle ne peut passer pour être la doctrine des Apôtres, qui doit être annoncée à toutes les parties du monde. Car, comme saint Augustin l'a parfaitement bien remarqué, « les Apôtres n'ont reçu le don des langues à la descente du Saint-Esprit, que pour prêcher l’Évangile à tous les peuples, ainsi qu'il est prédit au dix-neuvième psaume : Il n'est pas de nation, quelque langage qu'elle parle, qui n'entende leur voix1. Et parce que David, continue ce Père, prévoyait que l’Évangile de Jésus-Christ devait être prêché chez toutes les nations, et dans toutes les langues, et que les vérités de la religion qui sont comme le corps du Sauveur, y retentiraient partout et dans tous les idiomes, il continue et ajoute : Le bruit de leurs paroles s'est répandu par toute la terre, et leur langage s'est fait entendre jusqu'à l'extrémité du monde2. » C'est sur le même fondement que le même Père appuyait l'argument qu'il faisait aux donatistes, en leur disant : « la véritable Église de Jésus-Christ est connue à toutes les nations, le parti de Donat est inconnu à plusieurs, ce n'est donc pas le parti de Donat qui est la véritable Église3. Il faut ici, Monsieur, de deux choses l'une, ou que vous regardiez le raisonnement de saint Augustin contre les donatistes comme faible et défectueux, ou que vous en tiriez également contre vous une funeste conclusion.


Nous pouvons en quatrième lieu marquer aussi les dogmes nouveaux dont on n'avait pas encore entendu parler avant Luther, et nous pouvons non pas seulement en indiquer un ou deux, comme à la naissance des autres hérésies, mais, passez-moi cette expression, les nommer à la douzaine ; car qui avant Luther s'était jamais avisé d'enseigner que la contrition et le bon propos ne sont pas des dispositions nécessaires à la justification ; que les jeûnes et les macérations du corps sont nuisibles, lorsque ces œuvres de pénitence se font dans la vue d'acquitter les peines temporelles dont on est redevable à la justice de Dieu ; que les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires au salut, comme vos livres symboliques l'enseignent si expressément4 ; que l'humanité de Jésus-Christ est partout ; que c'est à la communauté, et non à l'évêque à conférer les pouvoirs de consacrer et d'absoudre ; que le sacrifice de la messe est une abomination ? etc. Je ne chercherai point ici à étendre le détail des innovations de Luther ; j'en ai déjà dit bien assez sur ce sujet dans tout le cours de cet écrit. Souffrez seulement, Monsieur, si vous avez peine à convenir de la nouveauté des articles dont je viens de vous parler, que j'ose vous demander si vous connaissez dans le monde chrétien une seule Université, qui avant le seizième siècle ait enseigné aucun de ces dogmes. Pourriez-vous nous faire voir un seul livre soit imprimé, soit manuscrit de quelque théologien antérieur à Luther où cette doctrine soit contenue ? Pourriez-vous indiquer une seule province, une seule ville, un seul bourg, où l'on ait fait profession de cette croyance ? Qu'appellera-t-on dogmes nouveaux, si ceux dont on ne peut trouver aucun vestige, et dont on ne peut nommer aucun sectateur, ne sont pas regardés comme tels ?


Enfin si pour achever le parallèle entre le luthéranisme et les anciennes hérésies, il faut aussi nommer les adversaires qui se récrièrent aussitôt contre les mouvements de Luther, et citer le concile qui ne tarda pas à condamner sa doctrine, ne savons-nous pas que le célèbre Jean Eckius, le savant Jérôme Emser, l'infatigable Jean Cochlée, le vigilant et courageux archidiacre de Cologne, Jean Gropper, et plusieurs autres habiles gens s'empressèrent de défendre l'ancienne religion contre les nouvelles entreprises que les Universités de Paris, de Louvain, de Cologne, de Leipsick, d'Ingolstat, signalèrent aussitôt leur zèle par la censure d'un grand nombre de propositions extraites de ses livres, qui avaient mis tous les esprits en rumeur ?


Mais ce qu'il y a de plus décisif sur ce sujet, et qui met le parti de Luther dans son tort autant qu'aucun parti convaincu d'hérésie y ait jamais été, c'est que sa doctrine a été condamnée comme hérétique par un concile général, tribunal suprême et indéclinable de l'Église. Je n'ignore pas, Monsieur, tous les prétextes auxquels on a recours chez vous, pour se dispenser de reconnaître l'autorité du concile de Trente ; mais est-ce par là que vous prétendrez vous distinguer des hérétiques ? ou plutôt n'est-ce pas là justement le trait le plus essentiel de ressemblance que vous puissiez avoir avec eux ? Car y en eut-il jamais qui aient manqué de raisons et de prétextes, pour chercher à éluder l'autorité des conciles qui les avaient condamnés ? S'ils s'y étaient soumis, dès lors ils eussent cessé d'être hérétiques ; c'est leur obstination à ne pas vouloir écouter les chefs de l'Église assemblés, qui a mis le dernier sceau à la qualité d'hérétiques qui leur est restée. Ainsi, Monsieur, cherchez tant qu'il vous plaira à faire valoir vos prétextes contre le concile de Trente, il sera toujours vrai de dire que les sentiments de Luther ont été condamnés par ceux que Dieu a établis pour juges de la doctrine ; par ceux qui ont toujours fait les fonctions de juges, toutes les fois qu'il est survenu quelque différend considérable dans l'Église1 ; par ceux qui, avant les contestations, étaient certainement les supérieurs légitimes du corps dans lequel les contestations se sont élevées, et qui par conséquent en devaient être naturellement les arbitres ; par ceux que Luther et ses adhérents ont reconnus eux-mêmes pour juges, en interjetant appel au premier futur concile général, concile qui devait sans doute être composé comme tous ceux qui avaient été tenus jusque-là ; je veux dire composé de tous les premiers pasteurs des Églises particulières et présidée par le pape ou ses légats, ainsi que je l'ai prouvé amplement dans ma troisième lettre. Or c'est contre les décisions d'une assemblée si auguste, si autorisée à parler au nom de l'Église et à instruire tous les fidèles, si respectable par les promesses de Jésus-Christ, si accréditée par la déférence que les chrétiens ont eue de tout temps pour ces imposantes réunions, si digne d'être écoutée préférablement à toute autorité humaine quelle qu'elle soit ; c'est contre les décisions d'un tel corps, dont la voix passa toujours pour être la voix de l'Église et l'organe du Saint-Esprit que vous vous êtes roidis, et que vous vous roidissez encore. Nommeriez-vous bien, Monsieur aucun parti, qui ait jamais porté la résistance jusque-là, sans rester flétri dans l'esprit de la postérité comme digne des anathèmes de l'Église et de la malédiction du Fils de Dieu ? à quel titre vous croiriez-vous privilégié ? Il est donc vrai que les six caractères distinctifs de l'hérésie concourent ici parfaitement à faire voir tous les rapports du luthéranisme avec les hérésies des temps passés.


Cessez donc de regarder la doctrine de Luther du même œil dont vous l'avez regardée jusqu'à présent. A force d'entendre les vains éloges de vos ministres, qui ne cessent de l'appeler la doctrine pure et saine de l’Évangile, vous vous en êtes formé une idée qui ne vous a pas permis jusqu'ici d'y apercevoir le poison fatal de l'hérésie. Mais je crois avoir prouvé solidement dans cet écrit deux vérités : la première, que Luther, en composant son nouveau système de religion, avait adopté et fait revivre plusieurs anciennes hérésies ; la seconde, qu'il en a ajouté quantité de nouvelles de sa façon ; en sorte que le corps de doctrine, par lequel il a cherché à se distinguer de nous, n'est à n'est à proprement parler qu'un mélange d'hérésies anciennes et nouvelles. Si Luther diffère sous quelque rapport des hérésiarques passés, c'est en deux points qui ne le rendent que plus coupable : premièrement, les autres hérésiarques n'ont été pour l'ordinaire chefs d'hérésie que pour un ou deux articles ; Luther s'est fait le père et le restaurateur de plus de trente erreurs condamnées. En second lieu les hérésiarques qui ont précédé Luther n'ont pas touché à l'ordination, mais ce sont contenté d'innover sur quelque point de doctrine, sans frustrer les peuples du sacerdoce ni des sacrements ; Luther, en substituant à l'ancienne ordination une ordination nouvelle qui n'est d'aucune valeur, a enlevé à son parti et les prêtres, et les moyens les plus nécessaires au salut. D'où il s'ensuit qu'il ne s'est jamais fait dans la religion chrétienne un bouleversement ni plus général, ni plus funeste que celui qui s'y est fait par l'entreprise de Luther.


CONCLUSION.


Voilà, Monsieur, le sujet que j'avais entrepris de traiter assez bien développé, je crois, pour mériter de votre part de sérieuses réflexions. J'ai pris la liberté de vous dire que vous adhériez à un corps de doctrine mêlé de plusieurs hérésies anciennes et nouvelles. Mais me suis-je contenté de le dire ? l'ai-je dit sans le prouver ? est-ce un zèle amer qui m'a suggéré les termes d'une proposition qui vous a paru dure ? est-ce l'inconsidération qui me l'a fait avancer légèrement, et sans avoir de quoi la justifier ? Réfléchissez, s'il vous plaît, Monsieur, sur la nature de mes preuves : en est-il de plus convaincantes ? J'ai fait voir, par une simple exposition de faits, que plusieurs de vos sentiments étaient entièrement les mêmes que ceux qui ont été condamnés dans les anciens hérétiques. J'ai de plus examiné la nature et les propriétés de l'hérésie, et démontré que l'idée la plus juste qu'on puisse s'en former, convenait parfaitement à la doctrine de Luther sur un grand nombre de chefs, et que tous les indices les plus propres à désigner l'hérésie se trouvaient ici rassembles pour rendre témoignage contre le luthéranisme.


A quoi tiendra-t-il donc, Monsieur, que vous ne vous hâtiez de quitter une religion si féconde en erreurs pernicieuses et damnables ? peut-il y avoir un plus grand obstacle au salut que l'hérésie ? Une seule ne suffirait-elle pas pour vous perdre ? que sera-ce donc de cet amas d'erreurs foudroyées par les anathèmes de l'Église, si vous continuez à y rester attaché d'esprit et de cœur, et à en faire profession publique ? Vous persuaderez-vous qu'il n'y a que les vices grossiers, je veux dire ceux qui mettent le dérèglement dans les sens, ou qui troublent le commerce de la vie civile, tels que l'ivrognerie, l'impudicité, les fourberies, les rapines qui puissent fermer l'entrée du ciel ? compterez-vous pour rien celui qui les renferme tous, et qui de plus les surpasse tous par la malignité de son espèce ? Si vous faites l'analyse de l'hérésie, qu'y trouverez-vous, si ce n'est orgueil, présomption, entêtement, amour de l'indépendance, révolte contre l'autorité légitime, mépris de tout ordre, et de toute subordination, et cela en fait de religion, et pour se soustraire à la soumission que l'on doit à la révélation divine notifiée dans les règles les plus justes et les plus sûres ? n'est-ce rien de dire en soi-même, ou d'adhérer à ceux qui le disent, ou qui l'ont dit : « Je suis beaucoup plus éclairé que tout le corps des pasteurs, l'Église peut se tromper en expliquant l’Écriture, et s'est trompée en effet ; mais moi je ne puis me tromper en l'expliquant : je suis sûr que je ne me trompe pas. » Tel est le langage intérieur de tous les hérétiques. Or, je le demande, Monsieur, une pensée si extravagante ne fera-t-elle pas le juste sujet de leur condamnation ? entreprendront-ils de la justifier au jugement de Dieu ? quand le charme qui leur fascinait yeux cessera, et qu'un vif rayon de l'éternité leur donnera une juste idée des choses, ne verront-ils pas alors parfaitement tout le ridicule et tout le dérèglement d'un sentiment si peu raisonnable, et si outré en fait d'orgueil, de présomption et de témérité ? C'est sans doute ce que saint Paul a voulu leur faire entendre lorsqu'il a dit que L'HÉRÉTIQUE ÉTAIT UN HOMME ABSOLUMENT DÉRANGÉ DANS SES PENSÉES, QUI PAR SA MALHEUREUSE PERSÉVÉRANCE DANS L'ERREUR NE CESSAIT DE PÉCHER, SANS POUVOIR ÉVITER D'ÊTRE CONDAMNÉ PAR LE JUGEMENT DE SA PROPRE CONSCIENCE (Tite 3 11).


J'aurais tort, Monsieur, de faire de plus grands efforts pour vous représenter vivement toute la noirceur de l'hérésie. Vous en savez sur cet article plus que je ne puis vous en dire, et vous serez le premier à convenir que si les disciples de Luther sont effectivement engagés dans l'hérésie, ils ne pourront éviter de se damner en mourant dans leur religion ; il ne s'agit ici que de la vérité du reproche. Mais ce reproche, d'après les raisonnements que je vous ai proposés ne doit-il pas cesser de vous paraître injurieux ? pouvez-vous vous empêcher d'en reconnaître la justice, et de convenir qu'il ne vous est adressé que dans les règles les plus exactes de la charité ? Si j'ai osé vous le faire, je n'ai eu en vue que de vous sauver les funestes suites de l'hérésie. Il a fallu, il est vrai, vous parler franchement et ne vous rien déguiser. Mais je me suis étudié à ne point séparer le respect que je vous dois du zèle qui m'anime ; et si je n'avais pas réussi à vous persuader, j'aurais du moins à me consoler d'avoir fait tous mes efforts pour éviter de vous aigrir.


Me voici enfin, Monsieur, par la grâce de Dieu, arrivé au terme de ma correspondance. Vous vous souviendrez sans doute de la proposition que j'ai pris la liberté d'avancer dès l'entrée de ma première Lettre ; je vous ai dit qu'en continuant à professer le luthéranisme vous ne pouviez espérer vous y sauver : je m'engageai pour lors à vous prouver cette proposition par six différentes raisons. Je viens de vous exposer la sixième, après avoir donné aux cinq autres toute l'étendue qu'elles m'ont paru mériter. Ainsi je crois avoir satisfait pleinement à ma parole.


Serait-il possible, Monsieur, que vous eussiez lu, médité, approfondi tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur un sujet si intéressant, et que vous n'en eussiez pas été frappé ? Tant d'obstacles au salut, si réels et si propres à se faire sentir, n'auraient-ils fait naître dans le fond de votre âme aucune inquiétude sur l'avenir ? Conserverez-vous toujours un secret penchant pour le tolérantisme ? penchant que je regarde comme le plus dangereux adversaire qu'on ait à combattre pour vous gagner à l'Église de Jésus-Christ ? Oui, Monsieur, sondez votre cœur, et voyez si l'étonnante sécurité dans laquelle vous avez vécu jusqu'à présent n'a pas pour source une idée de religion qui les trouve toutes bonnes. Cette idée n'est que trop commune parmi les gens d'esprit de votre communion. Ne seriez-vous pas de ce nombre ? ne penseriez-vous pas comme eux, qu'il suffit de vivre en homme de bien dans quelque société chrétienne que ce soit pour arriver infailliblement au salut ? N'iriez-vous pas même jusqu'à regarder tout changement de religion comme une faiblesse, ou comme une légèreté d'esprit ; jusqu'à dire en vous-même qu'un homme d'honneur doit vivre et mourir dans la religion dans laquelle Dieu l'a fait naître ? Quoi ! Monsieur, il ne saurait il ne saurait y avoir de mauvaise religion ? toutes conduiraient également au ciel ? nulle secte damnable ne saurait sortir du cerveau échauffé de l'homme ? il serait permis de suivre les caprices de chaque novateur ? un siècle ou deux en coulant sur les erreurs les auraient autorisées, purifiées, légitimées ? on aurait franchi toutes les barrières, méprisé toutes les lois, renversé tout l'ordre établi par Jésus-Christ, aboli les usages les plus saints et les plus anciens du christianisme, donné cours aux égarements les plus pernicieux, et il n'y aurait aucun mal à applaudir à tous les écrits, à les ratifier, à y adhérer adhérer par état ? pourvu qu'on n'en soit pas l'auteur, et qu'on trouve le désordre établi, on ne serait plus responsable de rien ? Et de quel usage sera donc l'esprit que Dieu a donné à l'homme si ce n'est pour être employé à discerner le bien et le mal? dans quelle vue Dieu nous a-t-il fait naître libres, si ce n'est pour nous faire une obligation de nous attacher au bien, et de nous détacher du mal ? Or n'est-ce pas un mal qu'une mauvaise religion ? en est-il un plus grand ? en est-il qui ait de plus terribles suites ? Suffira-t-il d'y être né pour y rester en toute sûreté de conscience ? depuis quand la naissance fut-elle un titre légitime pour persévérer dans le mal, et dans un mal du premier ordre ? Vous voulez sans doute, Monsieur, que ceux qui sont nés avec de mauvais penchants, travaillent sérieusement à les réformer, et à prendre de meilleures inclinations : par quelle raison voudriez-vous que ceux qui sont nés dans une mauvaise religion ne pensassent pas également à corriger le malheur de leur naissance, et à se mettre dans les bonnes voies dont ils se trouvent malheureusement écartés.


Votre naissance dans le luthéranisme ne peut vous autoriser à y vivre, bien moins encore à y mourir. Vous êtes séparé de la véritable Église de Jésus-Christ ; hors de l'Église point de salut.


Vous n'avez qu'une foi humaine, fondée sur des interprétations incertaines et arbitraires de l’Écriture. De pures opinions ne peuvent faire un fidèle. Sans la foi divine, que vous n'avez pas, il n'est pas possible de plaire à Dieu.


Vous persévérez dans la révolte contre les pasteurs légitimes établis d'en haut. Tout soulèvement contre l'autorité légitime est un soulèvement contre Dieu même, et un titre de condamnation inévitable.


En vain vous flatterez-vous du pardon de vos péchés, si vous ne satisfaites à la condition que Dieu exige de vous. Il veut que vous déclariez vos péchés à un prêtre : c'est ce que vous ne faites pas ; et en continuant à rejeter l'unique moyen de réconciliation que Dieu vous offre, vous n'éviterez pas de mourir dans vos péchés.


Le céleste aliment que le Sauveur vous a préparé est absolument nécessaire au soutien de la vie de l'âme : Jésus-Christ vous ordonne de le recevoir sous peine de damnation éternelle. C'est bien volontairement que vous en restez privé, puisque, pour le recevoir vous vous adressez à des gens qui n'ont aucun caractère pour pouvoir vous le donner : de vaines ressemblances ne suppléèrent jamais à la réalité.


Enfin, s'il est permis de le dire, et pourquoi ne le dirais-je pas après l'avoir si bien prouvé ? vous vous trouvez engagé dans un grand nombre d'hérésies anciennes et nouvelles.


Qu'en pensez-vous, Monsieur ? Sont-ce là des articles de nulle conséquence ? N'y a-t-il rien dans tout cela qui doive vous intéresser ? Ces reproches vous paraissent-ils frivoles ? sont-ils faits sans preuve, ou ne regardent-ils que des minuties ? Faites réflexion, s'il vous plaît, à la nature des reproches que nous faisons à votre religion. Sont-elles de nature à pouvoir devenir innocentes pour vous, en égard à l'éducation que vous avez reçue ? Votre naissance fera-telle votre apologie ? Comptez-vous d'être bien reçu dans vos justifications lorsque, présenté au souverain Juge qui doit vous examiner, et à qui vous ne rendrez pas moins compte de votre foi que de votre vie, vous n'alléguerez pour vous disculper d'autres raisons que celle de l'engagement dans lequel la Providence vous a fait naître ? Il est vrai que ce premier engagement ne vous a pas été libre : aussi ne serez-vous pas blâmé pour être né luthérien. Mais il vous est libre aujourd'hui de quitter cet engagement ; et si vous ne le faites pas, vous serez condamné justement pour n'avoir pas fait de votre raison et de votre liberté l'usage que vous en deviez faire. Il ne peut plus vous être permis de rester dans une religion dans laquelle vous trouvez des obstacles essentiels au salut, obstacles que vous ne pourrez plus désormais vous dissimuler, après avoir lu tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire pour vous les faire remarquer.


Ah ! Monsieur, ne fermez pas les yeux à de si vives lumières, rendez-vous à la grâce qui vous presse de retourner à la religion de vos pères. Pouvez-vous douter que bien des âmes ne se soient sauvées dans la religion catholique, avant qu'il ait jamais été question de la vôtre ? N'est-il pas également certain que vous y trouverez encore aujourd'hui les mêmes secours pour le salut qu'y ont trouvés tant de grands saints, dont Dieu a manifesté les vertus et la gloire par une infinité de miracles ? Que tardez-vous ? qu'est-ce qui peut encore vous arrêter ? n'y a-t-il pas déjà bien assez de vos années écoulées dans le schisme, dans l'hérésie, dans la privation de sacrements, et dans l'éloignement des voies du ciel ? Aimerez-vous toujours à multiplier vos pertes, et à courir de nouveaux risques ? Songez qu'il ne s'agit ici de rien moins que de votre éternité. Si vous venez à la rendre malheureuse, qu'est-ce qui pourra vous dédommager ? Les jugements des hommes, l'étonnement d'un ami, le murmure du parti pendant quelques jours, sont-ce là des suites de conversion plus à craindre que toutes les suites d'une malheureuse éternité ? Je proteste ici dans les mêmes termes dont se servit autrefois saint Paul en parlant aux chefs de l'Église d’Éphèse, lorsqu'il fut sur le point de les quitter : je proteste et je vous prends à témoin que si vous venez à vous perdre, je suis pur de votre sang1 et n'ai aucune part à la perte de votre âme ; car j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour la prévenir. Je n'ai omis de vous annoncer aucune des vérités qui vous étaient utiles2. Je n'ai point évité de vous déclarer tout le conseil de Dieu3. Je vous ai dit nettement ce qui vous rend le salut absolument impossible dans l'état où vous êtes, et ce que Dieu exige indispensablement de vous, pour vous faire part de ses miséricordes.


Si mon étude et mon application à recueillir et à mettre en ordre ce qui m'a paru le plus propre à faire impression sur vous, devait rester sans effet, je me consolerais aisément de voir mes peines perdues et mes travaux inutiles. Mais si les six lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire pour vous porter à entrer dans les véritables voies du salut, devaient jamais servir à votre condamnation ; si ce qui a été destiné à vous marquer l'ardeur de mon zèle et la sincérité de mon attachement à votre personne, n'aboutissait qu'à devenir la preuve de votre attachement inexcusable à l'erreur ; si Dieu, vous jugeant après la mort, produisait contre vous ces lettres comme autant de témoignages de la volonté sincère qu'il a eue de vous sauver, en vous faisant voir que le dessein en est venu de lui, que lui seul m'a animé à les continuer et à les finir à travers mille sujets de distractions, et que ces moyens surabondants de conviction vous ont été ménagés par des vues d'une miséricorde toute spéciale à votre égard ; s'il devait vous reprocher votre négligence, vous représentant de plus qu'il n'avait tenu qu'à vous de consulter les plus habiles docteurs de votre religion sur le contenu de ces lettres ; que vous n'avez pas daigné le faire, ou que si vous leur avez proposé quelqu'une des difficultés où vous avez trouvé le plus à penser, vous n'avez jamais tiré d'eux aucune réponse capable de satisfaire un homme d'un sens droit et d'un esprit raisonnable ; et par conséquent que si vous êtes mort dans la mauvaise religion où vous vous êtes trouvé engagé par votre naissance et par votre éducation, vous ne pouvez vous en prendre qu'à une indocilité volontaire, et une résistance coupable aux lumières du Saint-Esprit ; hélas ! si mes lettres devaient jamais vous attirer de pareils malheurs, et avoir un effet si différent de celui que je me suis proposé ; et qu'à ce moment je pusse en avoir connaissance ou craindre du moins de votre part la funeste détermination à rester dans l'erreur, je vous l'avoue, Monsieur, ce serait pour moi la plus accablante de toutes les afflictions d'avoir fourni, contre mon intention, les plus fâcheuses pièces du procès que vous aurez à soutenir devant le tribunal qui décidera de votre éternité.


Mais non, Monsieur, l'espérance l'emporte beaucoup dans mon âme sur la crainte. Je connais la bonté de votre esprit, la droiture de votre cœur, le désir sincère que vous avez de vous sauver, et votre courage à suivre tout ce que vous croyez être de votre devoir ; je sens en même temps combien les six obstacles au salut, dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir, ont de réalité, et, quelque imparfaite que soit l'exposition que j'en ai faite, je connais assez votre goût et votre discernement quand il s'agit de la vérité, pour ne pas douter que vous n'en restiez vivement frappé. Je serai, si vous le voulez, celui qui aura planté ; les prières des bons amis que vous avez parmi nous, vous obtiendront les grâces qui arroseront ; mais au fond Dieu seul donnera l'accroissement. Votre conversion ne peut être que son ouvrage : elle ne pourra jamais être le mien. J'attends beaucoup des réflexions que vous ferez sur cette lecture, beaucoup de cette régularité de vie qui vous dispose à profiter des lumières du ciel, beaucoup de prières que vous ferez vous-même pour connaître bien sûrement les voies de la vérité et du salut. Mais ce qui fait le plus grand fondement de mon espérance, ce sont les marques d'une bonté spéciale de Dieu à votre égard, marques que je ne puis m'empêcher d'apercevoir ; l'empressement que Dieu m'a donné pour travailler à vous réunir à la véritable Église de Jésus-Christ, est si vif, que je ne mourrai jamais content si je ne vous vois des nôtres, que j'obtienne la consolation de vous voir catholique, et il me semblera dès lors que j'aurai moins d'attachement à la vie, après avoir obtenu ce qui fait le plus ardent de mes souhaits. C'est avec cette vivacité de zèle, joint à un très profond respect, que j'ai l'honneur d'être, etc.



TRAITÉ DE L'ÉTAT RELIGIEUX1.


INTRODUCTION.


DEPUIS quelques années la profession religieuse fixe l'attention publique : citée au tribunal des écrivains et des sociétés, elle trouve peu de juges favorables. La plupart de ceux qui paraissent avoir donné le ton à notre siècle, ont prétendu qu'elle est à la fois absurde et onéreuse à l’État. Pour suppléer à la faiblesse de leurs preuves, ils ont employé le ridicule, cette arme si puissante parmi nous ; et la multitude, qui ne juge jamais, souscrit aveuglément à la proscription des religieux, en répétant les sophismes ou les sarcasmes d'un auteur célèbre. Il ont encore, nous l'avouons, d'autres adversaires plus respectables : ce sont ceux qui, vivement touchés des scandales de quelques hommes voués à la pratique de toutes les vertus, étendent leur anathème sur le corps entier. Si leur zèle trop amer les rend injustes, leur attachement à la religion et leur amour du bien semblent autoriser les déclamations universelles.


Cependant les instituts monastiques furent toujours chers à l'Église ; et en les favorisant, les princes crurent laisser un double monument de leur piété et de leur affection pour leurs sujets. Longtemps les cloîtres ont été l'objet de la vénération des peuples, et souvent l'école des rois.


Frappés de ce contraste, cette protection constante de nos Pères, avons-nous dit, n'a-t-elle donc été que l'effet de leur ignorance ? Sans doute nous sommes plus éclairés ; les sciences et les arts ont fait de grands progrès ; le temps nous a révélé des vérités importantes : mais ces avantages nous donnent-ils le droit de rejeter tout ce qu'ils ont estimé bon et utile ?


Après avoir étudié dans l'histoire les motifs qui ont déterminé les évêques et les souverains à propager la vie religieuse, nous pensons qu'on peut les soumettre avec confiance à la critique de la raison dégagée de tout préjugé, persuadés que cet examen doit en faire désirer la conservation. Quoique soutenus du témoignage de quatorze siècles, nous avons besoin d'une sorte de courage pour en prendre la défense au milieu des opinions nouvelles ; nous aurons celui qui naît de la conviction. Comme on est peu disposé à lire des dissertations volumineuses sur ce sujet, la brièveté sera au moins un mérite de cet ouvrage. On y trouvera des raisonnements simples, appuyés de faits authentiques et d'autorités irréprochables : notre plume impartiale le marquera du sceau de la vérité : nous parlerons sans amertume contre les détracteurs des religieux, comme sans ménagement pour ceux qui déshonorent leur profession.



CHAPITRE 1 : DE L'ESPRIT DE L'ÉTAT MONASTIQUE.


POUR juger sainement d'une institution, il ne suffit pas de calculer les services qu'elle a rendus ou les inconvénients qu'elle a produits ; il faut surtout en étudier avec soin les principes fondamentaux. Un établissement, est nécessairement nuisible quand sa constitution est vicieuse ; et le bien qu'elle aurait fait, ne devant être attribué qu'à des causes étrangères, ne saurait légitimer son existence aux yeux d'un gouvernement éclairé. Au contraire, si on ne peut reprocher à un corps que d'avoir oublié quelquefois ses propres principes, avoués de la religion et de la politique, la prudence dit alors : Redressez, mais conservez un arbre utile.


Lorsque le relâchement commença à s'introduire parmi les chrétiens, plusieurs de ceux qui avaient conservé la ferveur des temps apostoliques, se retirèrent dans les déserts pour s'y vouer à l'observance des conseils de l’Évangile, qui mènent plus sûrement à la perfection. Tel est l'objet de l'état monastique, et telle est la vocation des religieux.


D'abord, chacun de ces pieux solitaires se livrait aux exercices de la pénitence, suivant son attrait particulier et l'impulsion de la grâce : par des voies différentes, ils arrivaient tous au même but. Bientôt se réunissant, ils se choisirent un chef qui les ramena à l'unité de prières et d'occupations, et dont la volonté leur servait de loi. Saint Augustin nous représente ces premiers cénobites, écoutant avec attention, exécutant avec docilité les instructions et les préceptes que les supérieurs leur donnaient de vive voix. Cette forme de gouvernement ne convenait qu'à des jours de ferveur et à une société naissante. L'état monastique ayant fait des progrès, on sentit la nécessité d'une législation ; et la prudence ne permettant plus que le sort des monastères dépendît entièrement de ceux qui les dirigeaient, les maximes, les conseils, les ordonnances des abbés et des plus saints solitaires furent recueillies, et l'on en forma des règles à l'usage des maisons religieuses. C'est dans ces codes primitifs que nous allons chercher quel est l'esprit de l'état monastique, quels sont les engagements des religieux et les raisons de leur manière de vivre, si différente de celle du reste des chrétiens. Nous consulterons spécialement la règle de saint Benoît : sa sagesse, les éloges qu'elle a reçus de l'Église pendant douze siècles, le grand nombre de ceux qui l'ont embrassée, placent son auteur à la tête des législateurs des cloîtres1.


Une règle a nécessairement trois objets, la piété chrétienne, les vœux et les observances régulières. Avant de pratiquer les conseils de l’Évangile, il faut en avoir accompli les préceptes. Presque toutes ces règles ne sont que des abrégés de la morale évangélique. Lorsque saint Basile ou saint Benoît disent : « Aimez Dieu, votre prochain ; priez sans cesse ; mortifiez vos sens ; soyez humbles » ils prescrivent des vertus commandées à tous les disciples de Jésus-Christ. Outre ces engagements communs, le cénobite en a contracté de particuliers, qui distinguent et constituent son état.


« Un religieux est un chrétien engagé par un vœu solennel à pratiquer toute sa vie les conseils de l’Évangile, suivant une règle approuvée de l'Église2. » Au commencement, la profession n'obligeait que dans le for intérieur, sans produire aucun effet public : elle rendait bien le mariage illicite ; mais elle n'était pas encore un empêchement dirimant. En plusieurs endroits de sa règle, saint Benoît suppose qu'un religieux peut sortir du cloître : il passait alors sous l'autorité de l’évêque, comme les autres laïques.


« On regardait toujours comme un grand péché, dit M. Fleury, si un moine, par légèreté ou autrement, quittait sa sainte profession pour retourner dans le siècle, on le mettait en pénitence ; mais pour le temporel, il n'était puni que par la honte du changement2. » Frappées des inconvénients qui naissaient de la liberté laissée aux religieux, la puissance religieuse et la civile se réunirent pour fixer leur inconstance et assurer le repos des familles, et établirent l'irrévocabilité des vœux. On doit regarder la profession monastique comme un contrat synallagmatique, par lequel le religieux renonce à tous droits, à toute propriété, sous la condition que l’État le fera jouir de toute exemption et des privilèges réguliers. Les vœux sont donc des liens tissus par la religion et par la politique.


Les anciens moines ne promettaient autre chose que de tendre à la perfection en se conformant aux usages du monastère où ils entraient. Saint Benoît, qui le premier voulut que le religieux signât ses engagements, à la promesse de conversion de mœurs et d'obéissance, ajouta le vœu de stabilité. Saint François alla plus loin, et fit promettre à ses disciples l'obéissance, la pauvreté et la chasteté, par trois vœux distincts. Mais dans tous les temps, quelle qu'ait été la formule de profession, ces trois vœux ont constitué l'essence de la vie monastique3.


Quelle est leur étendue ? Quelle est leur utilité ? Sont-ils proportionnés au but que se propose le religieux ? C'est ce qu'il faut examiner.


§. Ier Vœu d'obéissance.


Avant toute institution humaine, l'homme était déjà soumis à des lois : son cœur fut son premier code. En réunissant les hommes, la civilisation établit de nouveaux rapports et multiplia nos devoirs. Les lois nous suivent partout ; partout elles nous montrent l'ordre pour lequel nous sommes nés. Comme sociétés particulières, les ordres religieux ont des règles qui leur sont propres et qui dérivent de leur nature : mais c'est à l'obéissance que les lois les plus sages doivent leur force et leur effet ; souvent un état se maintient florissant, moins parce que ceux qui gouvernent commandent bien, que parce que les sujets obéissent avec docilité. D'ailleurs, si l'orgueil est un vice qu'il faut combattre, l'humilité une vertu recommandée par l'auteur de notre religion, l'obéissance doit être le premier pas d'un religieux vers la perfection.


Celui qui fait trop légèrement le sacrifice de sa liberté, s'expose à un malheur terrible et irréparable. Si le regret naît dans son cœur, il le déchirera. Pour prévenir les funestes effets d'un engagement imprudent, saint Benoît veut qu'on éprouve la vocation du novice par les traitements les plus durs, qu'on ne lui parle d'abord que de ce que la règle a de pénible. « Quand quelqu'un se présente, qu'on l'entretienne des rigueurs et des austérités qui l'attendent. S'il persiste, on lui expliquera la règle ; on lui dira : Voilà la loi sous laquelle nous vivons : Si vous vous croyez capable de l'observer, entrez ; sinon, vous êtes libre encore, retirez-vous1. » C'est ainsi qu'avant de s'engager irrévocablement, le novice est forcé de modérer sa ferveur et son zèle, d'étudier et de remplir les obligations de son nouvel état ; pendant ce temps d'épreuve, il soulève, il essaie le joug qu'il va s'imposer. Si dans la suite ses désirs l'emportent au delà du cercle de ses devoirs, la règle devient un point d'appui qui le soutient ; et sa vertu est le prix de son obéissance.


Ce qui la justifie et la rend plus aisée, c'est la sagesse du gouvernement. « La police des monastères, dit le savant P. Thomassin, a été formée sur celle de l'Église, et ses plus saints enfants ont été aussi ses plus fidèles imitateurs2. » Un abbé, un prévôt, des doyens destinés à soulager l'abbé dans ses fonctions spirituelles et temporelles ; un cellérier, chargé du détail de l'administration, de la subsistance de la communauté, du soin des malades, des enfants et des pauvres ; voilà les principaux officiers que saint Benoît a jugés nécessaires pour une grande communauté. Quand on lit dans sa règle les qualités qu'il exige de l'abbé dont il confie le choix aux religieux, on admire l'esprit de modération et de sagesse, qui a tracé ses devoirs et déterminé ses fonctions. « Le nom d'abbé, dit-il, qui signifie père, oblige celui qui le porte d'aimer ses inférieurs comme ses enfants. Il faut qu'il tempère l'autorité par la douceur et qu'il soit plus jaloux d'être aimé que d'être craint3. » On est touché de la tendre sollicitude avec laquelle il lui recommande le soin des enfants et des vieillards ; d'une main vraiment paternelle, il écarte devant eux les épines de la vie religieuse : « Je veux que les sentiments que l'humanité nous inspire par ces deux âges, soient consacrées pour la règle. »


Ordinairement on se représente les religieux comme autant d'esclaves asservis aux caprices de ceux qui les gouvernent. D'après cette idée, on les plaint ou on les méprise : le vœu d'obéissance paraît même une arme dangereuse dans la main des supérieurs.


Étouffer les suggestions de l'amour-propre et de la cupidité, toujours ennemis de l'ordre, tel est l'objet du dévouement religieux : mais il a des bornes qu'ont posées la raison et la religion. « S'il n'en était ainsi, dit saint Bernard, il faudrait effacer de l’Évangile ces paroles adressées à tous les chrétiens : Soyez prudents comme des serpents4. » La prudence chrétienne, selon Van-Espen, règle la soumission du religieux. Si, par ignorance, ou par corruption, un supérieur lui ordonne quelque chose de contraire à la loi de Dieu, il est obligé de lui résister : sa déférence serait un crime1. Pour qu'elle soit un devoir, la volonté de celui qui commande doit être conforme aux statuts, dont il est le conservateur et qu'il ne peut changer. Saint Benoît n'a pas prescrit à ses disciples une obéissance indéfinie, mais l'obéissance selon la règle. « On ne saurait exiger de moi, dit saint Bernard, que ce que j'ai promis2. » Ce vœu n'est donc point imprudent, puisque le religieux en connaît l'étendue ; il n'a rien de dangereux pour l’État, puisqu'il approuve la règle, mesure de l'obéissance. Ajoutons que de la fidélité des particuliers à remplir leurs engagements, résulte l'harmonie de la société.


§. II. Vœu de pauvreté


La propriété de nos biens est aussi sacrée que celle de notre vie, dont ils sont l'aliment et le soutien. Ce principe a été la première base de toute société. De la certitude de posséder naquit le désir d'augmenter ses possessions, qui bientôt, peu délicat sur les moyens, enfanta les rixes, les dissensions, les procès, et tous les maux que la cupidité verse sans cesse sur les humains. Le monde fut souillé des vices de l'opulence et des crimes de la misère. Fatigué de ce spectacle, l'homme en accusa la propriété ; on crut qu'il y avait un temps où les peuples, usant des biens de la terre comme des enfants qui s'asseyent à la table de leur père, coulaient des jours heureux dans une entière égalité. Cette communauté de biens est encore un des traits les plus séduisants dont on nous peint l'âge d'or, cette chimère de tous les âges. Des législateurs en firent une loi : Minos l'établit en Crète, Lycurgue à Lacédémone ; et il faut avouer que les beaux jours de ces deux peuples sont marqués par la durée de cette institution.


Dieu, descendu parmi les hommes, leur prêcha le mépris des richesses, et se montra pauvre à l'univers étonné. SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, dit-il au jeune homme de l’Évangile, VENDS TOUT ET SUIS-MOI3. Les premiers chrétiens, fidèles imitateurs de leur Maître, se dépouillaient de leurs biens pour en former le patrimoine de l'Église. Leur nombre croissant tous les jours, rendit impraticable la désappropriation et la vie commune, qui se réfugièrent dans les cloîtres. C'est là qu'on voit, dit saint Augustin, des hommes qui n'ont qu'une âme et qu'un cœur : leur habit et leur nourriture sont simples et semblables à ceux des pauvres. « Mais, selon M. Fleury, la pratique de la pauvreté ne consiste pas tant pour les religieux à manquer des commodités de la vie, qu'à n'avoir rien en propre dont ils puissent disposer4. » De toutes les choses à leur usage, il n'en est aucune dont il leur soit permis de dire : Ceci est à moi. En un mot, le dépouillement des premiers fidèles ayant été introduit par les fondateurs dans les monastères, ils doivent offrir, comme l'offrit autrefois l'Église de Jérusalem, « l'exemple sensible et réel de cette égalité de biens, que les législateurs et les philosophes de l'antiquité avaient regardée comme le moyen le plus propre de rendre les hommes heureux, sans pouvoir y atteindre : ils voyaient bien que, pour faire une société parfaite, il fallait ôter le tien et le mien, et tous les intérêts particuliers1. »


§. III. Vœu de chasteté.


Les détracteurs de l'état monastique en attaquent surtout avec complaisance le dernier vœu. La reproduction, disent-ils, est une loi imposée à chaque individu ; et, en promettant la continence, on s'engage à violer la nature. Si la reproduction n'était que l'effet d'un appétit sensuel, dont l'engagement n'eût de durée et de suites que celles du désir, peut-être on pourrait croire que nous sommes tous soumis à cette loi. Mais si la continence publique est naturellement jointe à la propagation de l'espèce2 ; si tous les chrétiens sont rigoureusement obligés à la chasteté ; si le mariage est un nœud sacré, formé par la religion et la politique ; si ce contrat impose des obligations immenses ; si enfin une union mal assortie fait le supplice des époux, trouble les familles, et cause dans la société un scandale funeste, il faut convenir que tous les hommes ne sont pas indistinctement appelés à cet état respectable. Aussi M. Morin a-t-il prouvé que le célibat est de tous les lieux, comme de tous les temps3 ; et, parmi ceux qui s'élèvent contre le vœu de continence, combien ne pourrions-nous pas compter de célibataires ! Ajoutons que le nombre de mariages est nécessairement subordonné aux moyens de subsistance.


Aussi, puisqu'on trouve des célibataires chez tous les peuples et dans tous les temps, qu'importe qu'ils vivent dans le monde ou dans le cloître ? En effet, pour que le reproche qu'on fait au célibat religieux, d'avoir arrêté la population, fut fondé, il faudrait l'appuyer sur des faits, il faudrait que l'histoire nous montrât toujours les progrès de l'un en raison des pertes de l'autre. Or, une simple observation prouve précisément le contraire. L'époque où l'état monastique a été le plus nombreux, est sans contredit celle des croisades. M. de Voltaire, qui s'est plu à calculer les millions d'hommes que ces guerres malheureuses ont coûté à l'Occident, en nous effrayant par ses résultats, nous apprend que l'Europe ne fut jamais si peuplée. On lit dans le dictionnaire encyclopédique, art. Population, que la France s'est accrue de plusieurs grandes provinces ; et que, malgré ces réunions, ses peuples sont diminués d'un cinquième. Oserait-on dire que les corps religieux se soient multipliés dans cette proportion ?


Un auteur estimé a traité de nos jours la matière de la population et des moyens de l'augmenter. Sans doute, si les ordres monastiques ont dépeuplé la terre, il se déclarera contre cette institution pernicieuse. Ouvrons l'Ami des Hommes : « J'ai habité, dit M. de Mirabeau, dans le voisinage d'une abbaye à la campagne. L'abbé, qui partage avec les moines, en tirait 6,000 livres ; je veux bien que la portion conventuelle fût plus forte, mais c'est de peu de chose. Sur les 6,000 livres de rente restantes, ils étaient trente-cinq ; à savoir, quinze de la maison, et vingt jeunes novices étudiants, attendu qu'il y avait un cours dans cette maison. Ces trente-cinq maîtres avaient en comparaison peu de domestiques ; mais ils en avaient au moins quatre. Or, je demande si un gentilhomme, vivant dans sa terre de 6,000 livres de rente, en aurait eu davantage ? Ainsi donc, entre lui, sa femme, et quelques enfants, à peine auraient-ils vécu dix dans ce territoire ; et en voilà quarante d'arrangés en vertu d'une institution particulière. En conséquence donc du principe établi, qu'il ne saurait s'élever de nouveaux habitants dans un État, qu'à proportion des moyens de subsistance ; que plus cette subsistance est volontairement resserrée par ceux qui occupent le terrain, plus il en reste pour fournir à une nouvelle peuplade, il serait impossible de nier que, toutes autres choses mises à part, les établissements des maisons religieuses ne soient très utiles à la nombreuse population. Que ce soit de par le roi, de par saint Benoît, de par saint Dominique, qu'un grand nombre d'individus s'engagent volontairement à ne consommer que cinq sous par jour, toujours est-il vrai que ces sortes d'institutions aident fort à la population, simplement en donnant de la marge et laissant du terrain à d'autres plançons.


Si les États protestants sont plus peuplés et plus florissants que ceux où la discipline ecclésiastique de la communion romaine est aussi exactement observée et réglée qu'elle l'est en France (fait, à tout prendre, dont je voudrais d'autres preuves que des allégations), je crois qu'il serait aisé d'en donner d'autres raisons que la suppression des moines. 1° La prétendue réforme fit universellement des révolutions dans tous les États ; et il est certain qu'il est des secousses qui avivent les esprits politiques, et régénèrent les ressorts du gouvernement et de l'industrie. La Suède changea entièrement son gouvernement en embrassant la prétendue réforme ; mais qui l'eût considérée après les règnes durs et absolus de Charles XI et de Charles XII, eût été bien étonné d'y voir si peu de moines, et tant de dépopulation et de misère. Ce n'est pas le rétablissement des moines qui a fait tomber de moitié le commerce et la richesse de la Hollande depuis le commencement de ce siècle ; mais le luxe y a enfin engrainé, la consommation y a doublé, et le commerce diminué. Ces célèbres danois d'autrefois, qui ont fait trembler toute l'Europe, sont morts ; mais depuis deux cents ans qu'ils ont chassé les moines, il serait temps de voir cette antique pépinière se repeupler de héros. Henri IV et Louis XIV ensuite trouvèrent le moyen de rétablir leur royaume sans rien changer à la religion établie. Je vois que le judicieux David Hume et plusieurs autres anglais se plaignent que leur patrie se dépeuple ; ils en cherchent des raisons de détail, faute d'avoir touché au vrai point, qui est que l'Angleterre est devenue riche, que la richesse augmente la consommation, et diminue en conséquence d'autant la population. » Tr. de la Pop. ch. 2.


Les charges inséparables du mariage, celles que le luxe ajoute, l'égoïsme, ce principe anti-social, tout semble concourir à le faire regarder comme un état pénible. Un jeune homme, né avec les qualités qui font l'époux honnête et le bon père, craint de le devenir ; parce que, obligé de partager un médiocre patrimoine, il ne trouverait dans le mariage qu'une vie mal aisée. Son frère se consacrant à la religion, sa fortune est doublée ; il se marie, et la société est par là enrichie d'une nouvelle famille.


Mais si tous les hommes étaient religieux !... Qui ne sait que la nature leur donne des mœurs, un caractère, des talents différents, et que cette heureuse diversité fait l'ornement de la société, comme dans le monde physique l'ordre naît des éléments opposés ? Ce n'est pas quand le célibat ne promet qu'austérités, pauvreté et pénitence, que ses progrès sont à craindre. Il est séduisant, lorsqu'il offre à l'homme l'affranchissement de tout lien, la facilité de se livrer indistinctement à ses désirs, et l'exemption de toute peine. Celui qui s'engage par le vœu de chasteté, se voue à la pratique de toutes les vertus ; c'est au luxe et à l'amour de l'indépendance, que la plupart des célibataires sacrifient les nœuds du mariage, coupables envers la postérité et corrupteurs de la génération présente. Voilà le célibat qui doit alarmer et qu'il faut flétrir. Enfin, et c'est notre dernière réponse, à laquelle n'ont rien à opposer les disciples de Jésus-Christ, l'homme, par cette vertu s'élève à une perfection plus qu'humaine.


§. IV. Des observances régulières.


Les vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté sont, comme nous l'avons dit, l'essence de la profession monastique. Pour en rendre l'observation plus facile, on a établi certaines pratiques de discipline et de police, qui forment la seconde classe des devoirs d'un religieux. Elles portent à la fois l'empreinte de la modération et du zèle. Saint Pacôme, premier législateur des cénobites, enjoint à chacun de jeûner et de se mortifier suivant ses forces ; c'est d'après les mêmes principes que saint Benoît ordonne à l'abbé de mettre les exercices à la portée des plus faibles, afin qu'ils n'en soient pas accablés, et que les plus forts aient quelque chose à désirer au delà de ce qu'on leur commande1. Toutes ces observances, selon M. Fleury, peuvent se rapporter à quatre articles principaux : la solitude, le travail, le jeune et la prière2.


Les premiers solitaires vivaient dans des déserts, non seulement inhabités, mais inhabitables. Saint Basile les rapprocha des villes, en bâtissant un monastère au faubourg de Césarée. En Occident, ils restèrent séparés des hommes, moins par la distance des lieux que par le peu de communication qu'ils entretenaient avec eux. Suivant la règle de saint Benoît, les monastères doivent être pourvus de tout ce qui est nécessaire à la vie, pour éviter les occasions de dissipation ; cependant il ne défend pas absolument à ses disciples de sortir, puisqu'il prescrit la manière dont ils en demanderont la permission, et la prière qu'ils feront en rentrant. Mais les religieux ne sauraient user de cette liberté avec trop de circonspection ; c'est au sein de la retraite qu'ils sont venus chercher le bonheur, là seulement ils le trouveront. Si, lorsqu'ils vont au milieu du monde, il leur était donné de lire au fond des cœurs, les inquiétudes et les soucis qui les agitent seraient pour eux une nouvelle raison de chérir la tranquillité de leur cloître. Trop souvent ils n'en aperçoivent que les dehors trompeurs ; ils y rencontrent des hommes qui, libres de leurs obligations, goûtent des plaisirs auxquels ils ont renoncé ; les liens de leur état leur paraissent alors des chaînes trop pesantes, et ce commerce devient la source du dégoût et de l'ennui qui les consument dans leur solitude. Combien est différent le sort de ceux qui l'aiment ! se plaisant avec leurs frères, ils s'excitent mutuellement à l'amour de la vertu, et chacun regarde comme aisé ce qu'il voit pratiqué par tous.


Quittant le monde après avoir distribué tous leurs biens aux pauvres, les anciens cénobites n'avaient d'autres moyens de subsister que le travail des mains. Cassien nous montre ceux de la Thébaïde, occupés à des ouvrages qu'ils vendaient pour vivre et pour faire l'aumône. Saint Benoît l'impose à ses disciples, moins à la vérité pour fournir aux besoins du monastère, qu'afin de combattre l'oisiveté, qu'il appelle avec raison l'ennemie des âmes ; il veut qu'on y applique même le dimanche, ceux qui n'auront pas la force ou la bonne volonté de lire ou d'étudier. Il suppose des maisons rentées, lorsqu'il dit que les frères ne doivent pas s'attrister, si la pauvreté du lieu le rend nécessaire. Quant au genre de travail, ils ne le spécifie pas ; seulement il exhorte l'abbé à le proportionner aux forts, aux faibles, aux vieillards et aux enfants, de sorte qu'ils ne soient ni oisifs ni surchargés.


Par cet article de sa règle, saint Benoît conservait ou rétablissait une pratique commune parmi les clercs des premiers siècles. A l'imitation de Jésus-Christ et des Apôtres, presque tous travaillaient des mains, et plusieurs canons d'Afrique leur ordonnent d'apprendre un métier1. Cette vie dure et laborieuse n'inspirant que du mépris aux peuples grossiers qui enlevèrent l'Occident à la faiblesse de l'empire romain, l'Église fut forcée de changer sa discipline sur ce point. Les religieux, appelés aux fonctions du ministère, durent s'y conformer. Dans un concile d'Aix-la-Chapelle, les évêques, par honneur pour le sacerdoce, leur interdirent expressément le travail des mains, et lui substituèrent un certain nombre de psaumes à chanter2.



Dégagés de tous les embarras de la vie, les religieux sont plus particulièrement obligés à la prière continuelle, recommandée à tous les fidèles. On sait combien les prières faites en commun sont puissantes auprès de Dieu ; c'est d'ailleurs une dette que leur ont imposée la plupart des fondateurs. Les frères, dit saint Benoît, se lèveront au milieu de la nuit pour prier ; cet usage, rare aujourd'hui, était autrefois général. Longtemps les laïques assistèrent aux nocturnes qu'on chantait à minuit ; la ferveur s'étant ralentie, presque toutes les églises cathédrales et collégiales transportèrent cet office au matin, d'où lui vient le nom de matines. Cette ancienne coutume, tant louée par nos pères, le plus grand nombre de nos monastères l'observent encore religieusement.


Les premiers chrétiens renonçaient aux grands repas, et ne mangeaient rien qui fût apprêté avec art. Ils prenaient à la la lettre ce que dit saint Paul: IL EST BON DE S'ABSTENIR DE CHAIR ET DE NE POINT BOIRE DE VIN3. Les solitaires d’Égypte poussaient encore plus loin cette abstinence, ne vivant que de pain et d'eau ; par ce régime ils arrivaient cependant à une extrême vieillesse. Aucune règle n'exige une telle austérité. Saint Benoît dit, d'après saint Basile, que ce n'est qu'avec une sorte de scrupule qu'il règle la nourriture : tant les forces et les tempéraments sont différents ! Pour s'accommoder aux mœurs et à la faiblesse des occidentaux, il accorde à ses disciples deux mets cuits et un peu de vin. Quoiqu'il défende la chair des quadrupèdes, il semble permettre la volaille ; cette distinction, qui nous paraît une bizarrerie, est fondée sur l'usage des temps anciens et sur l'économie. « Si les premiers chrétiens, dit M. Fleury, mangeaient quelquefois de la chair des animaux, c'était plutôt du poisson ou de la volaille que de la grosse viande des animaux à quatre pieds, qu'ils estimaient trop nourrissante et trop succulente4. » Au mont Cassin les oiseaux étaient abondants, et la grosse viande rare et chère. Au reste, tous les détails des différentes règles touchant les aliments ne tendent qu'à établir la frugalité et la tempérance. On trouve l'esprit qui les a dictées dans ces paroles de saint Basile à ses religieux : « Pour la nourriture, conformez-vous aux usages de chaque pays, choisissant la plus commune et la moins dispendieuse, de crainte que, sous prétexte d'abstinence, vous ne paraissiez rechercher les mets les plus délicats1. »


Mais pourquoi les religieux ont-ils un extérieur si singulier et des habits si différents des nôtres ? Condamnés par la mode, ne seraient-ils pas absous par la raison ? Il faut autant qu'il est possible, instruire les hommes par les sens ; cette leçon se grave bien mieux dans l'esprit : ainsi, la politique a marqué pour diverses fonctions de la société un costume particulier, propre à rappeler aux individus leurs obligations et leurs engagements ; l'habit du militaire diffère de celui du magistrat. Quand les devoirs d'un homme sont plus difficiles, et les occasions de les violer plus fréquentes, alors il est bon de les écrire en quelque sorte autour de lui : voilà pourquoi les religieux furent toujours distingués du reste des fidèles par leurs habillements. « Les moines d’Égypte, dit Cassien, ont en leurs habits plusieurs choses, qui servent moins aux besoins du corps qu'à faire connaître quelles doivent être leurs mœurs, de manière que la modestie et la simplicité de leur conduite étaient exprimées par leur vêtement2. Parlons, dit saint Jérôme, comme nous sommes vêtus, ou soyons vêtus comme nous parlons3. »


En occident, leur habit ne fut guère remarquable que par la couleur qui était uniforme, et par la grossièreté de l'étoffe, qui annonçait l'humilité dont ils faisaient profession. M. Fleury prouve que saint Benoît ne donna à ses disciples que celui des paysans de son temps4. Notre amour seul pour le changement et notre mobilité l'ont rendu singulier. Faut-il s'étonner que les religieux gardent un habit qu'ils portent depuis douze cents ans, et sous lequel ont vécu les saints et les grands hommes qu'ils se proposent pour modèles ? Comme une espèce de barrière, il sert à garantir les cloîtres des vices du siècle. Le moyen le plus sûr de conserver les mœurs, est de conserver les usages et les manières, qu'on peut appeler des mœurs extérieures : ce n'est que l'écorce, il est vrai ; mais cette écorce défend l'arbre.


Que les jeunes gens honorent les anciens ; que les anciens traitent les jeunes avec amitié ; que tous se respectent et se chérissent d'un amour fraternel5 : ainsi s'exprime saint Benoît. Ces noms de Pères et de Frères sont aujourd'hui un objet de ridicule ; on a donc oublié qu'ils étaient communs parmi les premiers chrétiens ? Eh ! quels noms pouvaient mieux convenir à ceux à qui Jésus-Christ avait dit : AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES ; A CETTE MARQUE ON VOUS RECONNAÎTRA POUR MES DISCIPLES6 ? Ce mépris n'est-il pas contradictoire avec les sentiments d'humanité, qui sans doute échauffent tous les cœurs, puisqu'ils se trouvent dans toutes les bouches et sous toutes les plumes. La philosophie, qui s'afflige de voir partout l'opulence et le crédit opprimer l'humble vertu et le mérite indigent, ne doit-elle pas se reposer avec complaisance sur ces asiles peuplés de frères ? Dans le monde, les hommes se donnent des titres qui désignent les rangs et prescrivent la dépendance et le respect ; ici les noms rappellent l'égalité, et commandent l'attachement réciproque.


Ne croyons pas que, concentrant en eux-mêmes toutes leurs affections, ils aient rompu tous les liens qui les unissaient à leurs semblables. « Les moines, dit saint Augustin, qui semblent se passer du reste des hommes, ne peuvent se passer de les aimer1. » Malgré son zèle pour la retraite, saint Benoît ouvre ses monastères aux voyageurs et aux malheureux. Il avait tellement à cœur l'hospitalité, qu'il trace jusqu'aux moindres détails la manière de l'exercer. « Qu'on reçoive les étrangers comme si c'était Jésus-Christ lui-même ; que le prieur ou les frères aillent au devant d'eux, et les servent avec les égards et les soins de la charité la plus officieuse ; que le jeûne et le silence soient rompus, quand l'hospitalité l'exige2. »


Telles sont les principales observances régulières, qu'on ne méprise que parce qu'on en ignore la nature et l'objet. Reconnaissons enfin, avec M. Fleury, que « les saints législateurs ne cherchaient point à introduire des nouveautés, ni à se faire admirer par une vie singulière et extraordinaire, mais seulement à vivre en véritables chrétiens3. » Moyens sages de faciliter aux moines l'accomplissement de leurs vœux, ces institutions sont encore vénérables comme vestiges et monuments des usages et des mœurs des premiers fidèles dont l'Église propose sans cesse l'exemple à ses enfants.


Ce que nous venons de dire des principes et des obligations de la vie monastique, nous l'avons puisé, comme on l'a vu, dans les règles des fondateurs, ou dans des sources aussi respectables. Maintenant, quelle idée doit-on avoir d'un religieux véritablement animé de l'esprit de son état ? C'est un chrétien appelé à la pratique des conseils évangéliques ; effrayé des dangers dont il aurait été environné au milieu du monde, il vit au sein de la retraite. La règle qu'il a choisie est comme le creuset où il épure toutes ses affections ; il combat la cupidité et l'égoïsme par la pauvreté et la fidélité à ne rien posséder en propre, l'impureté et l'intempérance par la prière et par le jeune, la paresse par le travail, la vanité et l'orgueil par la simplicité et l'obéissance ; son cœur devient ainsi le sanctuaire des mœurs et de la religion. Aimant les hommes, parce qu'il aime vraiment Dieu, il s'efforce de se rendre utile à l'Église et à l’État, suivant la destination particulière du corps dont il est membre.


Tel a toujours été aux yeux de l'Église le bon religieux ; et telle est la perfection à laquelle, dans tous les temps, ils doivent tous aspirer. Ne soyons donc plus étonnés, que les Jérôme, les Basile, les Augustin, les Chrysostome, les Grégoire, etc., ces hommes aussi grands par leurs lumières que par leur sainteté, aient loué, vengé, et embrassé la vie monastique. Entre les grands, les princes et les rois, plusieurs se sont revêtus de l'habit religieux, et tous l'ont honoré ; enfin, au rapport de l'histoire, la profession religieuse mérite cet éloge, qu'elle n'a jamais compté ses ennemis que parmi les libertins et les hérétiques4.




CHAPITRE 2 : DE L'ORIGINE ET DE L'ÉTABLISSEMENT DES ORDRES RELIGIEUX.


Pendant les deux premiers siècles de l'Église, la foi fut vive et la sainteté commune. Le sang des martyrs, qui coulait en abondance, devenait le germe de sa fécondité : mais les enfants ne se montrèrent pas toujours dignes de leurs pères ; et vers le milieu du IIIe siècle, plusieurs étaient déchus de la première ferveur. C'est à ce relâchement que, selon saint Cyprien, doit être attribuée la persécution de Dèce, plus longue et plus cruelle que les précédentes. La terreur qu'elle inspirait, porta un grand nombre de chrétiens à assurer leur salut par la fuite. Paul, déféré aux juges, aima mieux abandonner ses biens que de s'exposer à perdre son âme. Il choisit la solitude comme un tombeau, où il s'ensevelit tout vivant : il est le premier auteur connu de la vie érémitique. A la vue du scandale naissant, Antoine se sentit embrasé du désir de pratiquer la perfection évangélique dans toute son étendue ; après avoir distribué son patrimoine aux pauvres, il se sépara du commerce des hommes. La juste défiance de la faiblesse humaine au milieu des tourments qu'il fallait endurer pour conserver sa foi, et le zèle pour la réforme des mœurs, voilà les deux motifs qui ont peuplé les déserts et produit au monde tant de sublimes vertus.


La sainteté d'Antoine, ses instructions, ses miracles, lui attirèrent des disciples ; en peu de temps il se trouva le chef d'une famille immense ; sa sœur ouvrit un asile à la faiblesse du sexe, et conduisait une communauté de filles. Dans la retraite vivaient en même temps Ammon et Pacôme, qui le premier traça une règle aux cénobites et les réunit en congrégation. Les deux Macaire s'animaient à la pratique des plus grandes austérités, et donnaient tous leurs soins à la conduite des frères. Hilarion transporta la vie monastique en Palestine, en Syrie, d'où elle se répandit en Mésopotamie. Saint Basile, qui n'avait trouvé la vraie philosophie que chez ces solitaires, en devint le disciple et le protecteur, et tira de leurs actions des maximes qui servent encore de loi aux monastères d'Orient. Tous ceux qui s'élevaient, par leur piété ou par leurs lumières, au dessus du commun des fidèles, étaient moines ou honoraient les moines. De ce nombre sont saint Grégoire de Nazianze, saint Ephrem, saint Arnoë, et saint Moïse, qui les établit dans la Perse dont il est l'apôtre, d'où ils passèrent aux Indes.


L’Égypte et les pays voisins virent ce nouveau genre de vie se former et s'étendre si rapidement, qu'avant la fin du IVe siècle, on y comptait soixante-seize mille moines et vingt mille religieuses. Pour leur établissement, ils n'avaient besoin d'aucun secours humain ils se retiraient dans des déserts qu'on croyait inhabitables, plaines immenses de sables arides, coupés par des montagnes et des rochers regardés comme inaccessibles. Un ruisseau, quelques arbres, étaient toutes leurs richesses et suffisaient à leur nourriture. Loin de chercher les hommes, ils les fuyaient, et de toutes parts on venait à eux. Bientôt les lieux affreux où ils avaient fixé leur séjour, furent changés en des champs fertiles et en de vastes ateliers.


Sans nous arrêter au développement des causes morales et physiques qui ont contribué à la propagation de la vie religieuse, nous observerons en passant, qu'elle n'est pas moins digne de faire partie de l'histoire de l'esprit humain que de l'histoire ecclésiastique.


Comme née en Orient et comme nouvelle, cette profession ne fut qu'un objet de mépris pour les occidentaux, jusqu'à ce que saint Athanase, qui, pendant son exil au désert, en avait étudié l'esprit et le régime, l'eut fait connaître à Rome. Dans tout l'Occident, c'est sous les auspices de la puissance ecclésiastique qu'elle se propage : les évêques fondent les premiers monastères. Eusèbe de Verceil forme une communauté de religieux, et allie les austérités de leur état avec les travaux du sacerdoce. Leur naissance chez nous est due au zèle de saint Martin, et Marmoutier en est encore un témoignage subsistant. Maxime, son disciple, les deux frères, Romain et Lupicin, se retirèrent sur les montagnes du Dauphiné et du Lyonnais : la Provence devient l'émule de l’Égypte ; et Lérins, l'école des savants et la pépinière des évêques. Par le concile de Saragosse, en 380, nous apprenons qu'il y avait dès lors des religieuses en Espagne. Saint Ambroise entretenait la piété parmi celles de Milan.


En Afrique, saint Augustin, dans le cinquième siècle, avait engagé son clergé à mener la vie commune, et prouvait aux manichéens que la vertu des religieux était plus grande et plus vraie que celle des stoïciens. Saint Chrysostôme les vengeait, et des railleries des mauvais chrétiens, et de la fureur des hérétiques. Au sein de sa retraite, saint Jérôme se livrait aux travaux les plus utiles. En Syrie, sur les bords de l'Euphrate, saint Alexandre avait réuni des syriens et des grecs, des latins avec des égyptiens, qui, divisés par chœur, chantaient nuit et jour les louanges de Dieu. Saint Séverin, à qui toute la nature était soumise, ne quitta sa solitude que pour aller prêcher la foi dans la Norique (aujourd'hui l'Autriche). Quelques années après sa mort, Clovis fit asseoir la religion chrétienne sur le trône des Francs.


Il n'a fallu que l'espace de deux siècles pour que la profession monastique ait été répandue, même au-delà des bornes de l'empire. Sans le secours vivifiant des souverains, malgré la diversité des mœurs et du génie, des climats et des gouvernements, chez tous les peuples policés ou barbares, s'était introduite cette vie obscure, laborieuse et pénitente : tant la vertu a de pouvoir sur les hommes, quelque soit leur caractère ! Les rois et les empereurs, convertis au christianisme, devinrent les protecteurs de l'Église et de sa discipline. Cette qualité leur donnait le droit ou leur imposait l'obligation de veiller à ce qui se passait dans son sein ; et leur autorisation formelle ou présumée, désormais nécessaire, devait consolider les nouveaux établissements. D'après ces principes, dont on remarque l'exécution aussitôt que la religion chrétienne fut la loi des princes, nous les voyons traiter favorablement les religieux, louer leur institut et leur piété, leur fonder des monastères, leur accorder des privilèges, les rapprocher des villes, et permettre aux évêques de les y appeler. Constantin honore Antoine et ses nombreux disciples. Théodose détrompé révoque l'ordonnance sévère qu'il avait rendue contre eux. Si la plupart des autres empereurs les persécutent, c'est qu'au lieu de veiller à la défense de l'empire attaqué de toutes parts, ils ne s'occupent que de discussions dogmatiques, et semblent ne conserver quelque vigueur que pour propager, par des châtiments, les hérésies que l'imagination orientale multiplie sans fin. Ils sévissent surtout contre les moines, qu'ils ont vainement tenté de séduire, et dont ils n'ont pu faire servir la vertu à l'appui de leurs fausses opinions. Clovis exempte de toute contribution plusieurs monastères, pour ne pas diminuer le patrimoine qu'assurait aux pauvres le travail des religieux. Ses successeurs en dotent d'autres, où ce travail, regardé par les francs comme ignoble, était négligé ; où l'on consacrait tout son temps à la prière, à l'étude, et à copier des livres, et où se formaient des missionnaires zélés. Les évêques avaient déjà renoncé à une partie de l'autorité qu'ils exerçaient sur eux, soit en leur laissant le choix de leur abbé, et à l'abbé l'entière administration des biens, soit en n'élevant les moines aux ordres sacrés que de son consentement, parce que l'ordination les émancipait en quelque manière de son autorité, et les assujettissait à l'évêque. C'est ainsi qu'en s'agrandissant dans l'Église, les corps monastiques acquéraient une existence dans l’État.


Le sixième siècle vit paraître parmi eux deux grands législateurs, saint Benoît et saint Colomban. Jusqu'ici les religieux avaient suivi l’Évangile, les canons, et les écrits des Pères ; la discipline claustrale n'était pas uniforme ; ils s'attachaient indistinctement aux règles de saint Pacôme, de saint Basile, de saint Macaire, de saint Augustin, et de Cassien. Les maisons religieuses ne conservaient aucune dépendance les unes des autres, à un petit nombre près, que conduisait un seul abbé qui les avait fondées. Les nouvelles règles, en fixant les devoirs des supérieurs et des inférieurs, en déterminant l'emploi de chaque moment, et pourvoyant à tout ce qui constitue un gouvernement sage, maintinrent les corps religieux au milieu des invasions, des troubles, des cruautés, et de la barbarie. Les cloîtres devinrent alors presque l'unique asile des vertus et des lumières : aussi les plus saints évêques qui illustraient l'Église en étaient-ils sortis ; et tous ceux qui dans l’État aimaient les mœurs ou avaient quelque habileté, les favorisaient. La fondation des monastères était regardée comme une des expiations des grands crimes qui étaient fréquents, c'est la double cause de cette multitude de monastères érigés sous les descendants de Clovis jusqu'à Charlemagne.


Dans ces nouvelles maisons on introduisait la règle de saint Benoît ; les anciennes l'adoptaient volontairement ; et insensiblement elle fut la seule qu'observaient les moines. Au septième siècle, saint Augustin, disciple de saint Grégoire, l'apporta de Rome en Angleterre. Les princes qui gouvernaient alors les sept provinces dont elle était composée, convertis successivement par les religieux missionnaires apostoliques, bâtirent et enrichirent beaucoup de monastères ; saint Wilfrid, et Benoît Biscop en furent les principaux ornements. En France ils se multipliaient par les soins de saint Éloi, de saint Ouën, de la reine Bathilde. On leur accordait de grands biens ; déjà ils avaient des serfs, et depuis longtemps les désordres du clergé avaient fait passer leurs privilèges en droit commun, comme l'attestent les formules de Marculphe. Saint Isidore et saint Fructueux, en Espagne, les affermissaient, en leur donnant des règlements pleins de sagesse. Les Lombards les ravageaient en Italie ; les Musulmans les attaquaient partout et les détruisaient en Afrique ; en différentes parties de l'Orient la première ferveur se soutenait malgré les guerres des Perses et la fureur des hérétiques. La vie religieuse fut encore établie chez les Frisons, par les moines anglais, qui vinrent leur annoncer l’Évangile ; nous la voyons ensuite tomber au siècle suivant dans la langueur et le dépérissement.


La plus stupide et la plus profonde ignorance, qui entraînait après soi la barbarie des mœurs et des lois et les superstitions les plus grossières ; les irruptions des Lombards et des Sarrasins ; la faiblesse des empereurs et celle de nos rois ; la violence des seigneurs laïques, qui usurpaient les biens des monastères et s'en rendaient abbés ; la trop grande part que les ecclésiastiques et les moines même les plus vertueux prenaient aux affaires séculières, voilà les principales sources de l'affaiblissement de la discipline monastique.


Deux souverains, qui regrettaient les pertes de l'état religieux, s'occupèrent de sa régénération, Alfrède et Charlemagne. Alfrède, à qui l'Histoire, comme le dit M. de Voltaire, ne reproche ni défaut ni faiblesse, et qu'elle met au premier rang des héros utiles au genre humain, rechercha de tous côtés ceux des religieux qui se distinguaient encore par leur science et par leur vertu. Il retint les uns auprès de sa personne pour s'instruire avec eux ; il en plaça d'autres dans les nouveaux monastères qu'il fondait, et dans les anciens où l'on savait à peine lire les constitutions écrites en latin. A la persuasion d'un religieux, nommé Néot, son parent, il établit l'Université d'Oxfort. C'est avec le secours de ces vertueux et savants hommes, qu'il releva les études, et renouvela la piété par tout son royaume1.


Au sein des erreurs et des préjugés, Charlemagne, tout à la fois conquérant et législateur, traça ce beau plan de réforme générale, dont la plupart des dispositions seront utiles aux temps les plus éclairés mais son siècle était trop au dessous de son génie, et sa postérité dégénéra trop promptement, pour que sa législation produisît des effets durables ; cependant la révolution qu'il avait préparée pour les monastères fut consommée sous son successeur, par les soins de Benoît d'Aniane.


Ce saint moine, du neuvième siècle, pénétré de l'esprit de son état, et revêtu de l'autorité qué lui avaient donnée Louis-le-Débonnaire et le fameux concile d'Aix-la-Chapelle en 817, remit en vigueur la règle de saint Benoît. Quelque grand que fût son zèle, et quelque étendue que fût son inspection, le renouvellement ne put être universel ; on était trop peu instruit ; il resta beaucoup de relâchement. On vit bientôt les anciens abus renaître : soit goût, soit nécessité, les abbés, à la tête de leurs serfs et de leurs vassaux, se mêlaient de toutes les guerres civiles. Les Normands, qui ne trouvaient que peu ou point de résistance, causaient partout les plus tristes ravages ; le gouvernement féodal commençait à se former ; la puissance des évêques et du pape ne connaissait plus de bornes : tout dans l’État et dans l'Église se ressentait de la décadence de la maison régnante. « Au milieu de tant de désordres, dit M. l'abbé Millot, la réforme de Cluny présenta un spectacle édifiant ; elle rétablit la discipline monastique, aussi méprisée que les canons2. »


Guillaume, comte de Toulouse et duc d'Aquitaine, avait fondé ce monastère en 910, et l'avait soumis au pape, à l'exclusion de toute autre puissance, afin d'empêcher les usurpations tant des évêques que des laïques. Ses premiers abbés, aussi distingués par leur vertu que par leur science, y firent fleurir l'exacte observance de la règle de saint Benoît, l'étude de la religion, et la charité envers les pauvres. Les souverains, les évêques, les seigneurs se disputèrent, comme à l'envi, l'avantage de combler de biens ces religieux, de leur bâtir de nouvelles maisons, et de les préposer aux anciennes pour y renouveler l'esprit primitif. Dans plusieurs Églises on les substitua aux chanoines séculiers, dont la plupart étaient scandaleux et ignorants : ainsi, Cluny devint une congrégation qui s'étendit par toute la France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, Saint Dunstan opérait en même temps la même révolution en Angleterre ; saint Romuald et saint Nil de Calabre retraçaient, par leurs austérités et par un désintéressement universel, la vie des premiers moines d’Égypte. Ces deux hommes vénérables sont ceux qui, au Xe siècle, ont le mieux compris quel est l'esprit de l'état religieux ; cet esprit avait été étouffé en Orient par les persécutions des empereurs protecteurs des hérésies, par la pente au schisme que fomentaient toujours les patriarches de Constantinople, par l'amour des fables et des superstitions, et par les progrès de l'ignorance, mère de tous ces désordres. On ne voit alors de religieux fervents, parmi les Grecs, que saint Nicon, surnommé le Métanoïte, saint Paul de Lâtre, et saint Luc le jeune ; encore étaient-ils plus occupés de la conversion des pécheurs, que du renouvellement de la vie cénobitique.


En Occident, la réforme de Cluny la soutenait avec splendeur. Malgré des possessions immenses et des privilèges trop étendus, elle conserva, par une espèce de prodige, l'intégrité de sa discipline pendant deux cents ans. Ulric, qui à la fin du onzième siècle réunit les coutumes de Cluny, en est garant. Dans cet intervalle parurent plusieurs ordres pour le bien de l'humanité et pour la restauration des mœurs. Jean Gualbert forma la congrégation de Valombreuse ; Étienne de Muret, fut fondateur de Grammont ; saint Bruno institua les Chartreux. L'épidémie, appelé feu sacré ou feu de saint Antoine, donna naissance aux Antonins. A Valombreuse, il y eut entre les moines une distinction inconnue jusqu'alors, et qu'adoptèrent ensuite tous les fondateurs : saint Gualbert admit, au nombre de ses disciples, des laïques ou frères convers, qui, chargés des travaux du dehors, ne devaient jamais être promus aux ordres sacrés, Les enfants de Bruno présentent un exemple unique dans l'histoire des peuples, celui d'une association d'hommes, perpétuant, depuis six cents ans, l'esprit de leur père, et observant avec une fidélité entière le genre de vie qu'il leur a tracé la solitude, l'occupation, le silence perpétuel, les fréquentes visites des supérieurs, tels sont les moyens qui rendent parmi eux la sainteté héréditaire.


Le dernier des instituts que vit naître le onzième siècle, est celui de Citeaux. En 1098, Eudes Ier en jeta les fondements, par la donation de cette abbaye, chef de la nouvelle congrégation ; et son premier abbé, Robert de Molesme, y fit suivre la règle de saint Benoît, avec quelques modifications. Au gouvernement monarchique il substitua le gouvernement aristocratique, en ordonnant l'assemblée annuelle des chapitres généraux, et renonçant d'ailleurs à toute espèce d'exemptions, pour ne pas donner lieu aux plaintes des évêques et des curés. Saint Bernard fut l'ornement de cet ordre, comme celui de l'Église. La vertu de ces religieux était si grande, la protection des évêques et des seigneurs si active, qu'en moins de cent ans il y eut environ deux mille monastères de cisterciens répandus par toute la chrétienté. Calixte II confirma la charte de charité dressée en 1119, qui consolida leur union ; et, pour arrêter les exactions simoniaques qu'exerçaient sur eux la plupart des évêques, Innocent IV les déclara exempts de leur visite et de leur correction ; ce remède au mal présent produisit les abus les plus funestes.


Guillaume-le-Conquérant augmentait le nombre des maisons religieuses, soit en Angleterre, soit en Normandie ; sur son lit de mort, son âme se consolait par le souvenir des bienfaits qu'il leur avait accordés, et par l'espérance qu'elles continueraient le bien qu'elles faisaient.


Robert d'Arbrisselles dévoua ses disciples à l'obéissance des religieuses qu'il fondait, et au service des pauvres, des estropiés et des lépreux. La maison seule de Fontevrault réunit jusqu'à trois mille personnes, que le désir de se sanctifier y avait amenés ; par un ancien privilège, son abbesse est encore chef de l'ordre, et jouit d'une jurisdiction quasi-épiscopale. Deux amis de cet homme apostolique imitèrent son exemple, Bernard de Tiron et Vital de Savigni, pères de deux congrégations nombreuses, dont la première s'étendit en Écosse et en Angleterre, et l'autre se confondit avec celle de Citeaux. La piété pratiquée par les moines de Tiron leur mérita tant de considération et de respect, que Louis-le-Gros voulut que deux abbés, successeurs de Bernard, tinssent sur les fonts baptismaux ses deux fils aînés, Philippe et Louis.


Depuis longtemps les mœurs altérées du clergé avaient besoin d'une entière régénération. La règle de saint Chrodegand, et les ordonnances du concile d'Aix-la-Chapelle, en 816, étaient ouvertement violées ; l'incontinence et la simonie couvraient les ecclésiastiques de mépris, et ne servaient pas peu à relever les vertus des religieux et leur application à l'étude : malgré la sévérité des canons, ces vices subsistèrent jusqu'à ce que les congrégations des chanoines réguliers, celle de saint Ruf entre autres formée par quatre prêtres de l'Église d'Avignon, et celle des Prémontrés, par saint Norbert, archevêque de Magdebourg, vinrent produire un changement heureux. Ces nouveaux chanoines embrassèrent la règle de saint Augustin, qui ordonne la vie commune, et furent destinés à unir les rigueurs des monastères aux fonctions de la cléricature. Du temps même de saint Norbert, il y eut à Cappenberg, en Westphalie, une maison de son ordre, où les religieux n'étaient admis qu'en faisant preuve de cinq quartiers de noblesse, tant paternels que maternels.


On vit alors une autre alliance inconnue à toute l'antiquité, et qui devait paraître incompatible, celle de l'état religieux avec la profession des armes. Valeureux et pieux, suivant le génie du temps, nos pères crurent sanctifier leur bravoure, en la dirigeant contre les ennemis de la religion, et pouvoir observer les trois vœux monastiques au milieu des exercices militaires. Il faut bien présumer qu'ils marquèrent leurs commencements par quelque ferveur, puisque les papes et les rois contribuèrent de concert à l'agrandissement de ces ordres. Tels furent à Jérusalem les chevaliers de Saint-Jean, fixés à Malte depuis 1530 ; les Templiers, dont les crimes peu vraisemblables, quoique constatés par des procédures juridiques, augmentent le nombre des problèmes de l'histoire, ceux de l'ordre Teutonique, employés d'abord au service des pauvres malades de la nation allemande, et qui prirent ensuite les armes pour la défense de la Palestine ; et ceux de saint Lazare, confirmés par une bulle de 1255 : tels en Espagne ceux de Calatrava, de Saint-Jacques d'Alcantara, et plusieurs autres semblables, qui, établis postérieurement, subsistent encore dans divers royaumes de l'Europe.


Jean de Matha, et Pierre de Nolasque connurent mieux l'esprit de l'Église, en fondant au treizième siècle, l'un l'ordre des Trinitaires, et l'autre l'ordre de la Merci, tous deux consacrés à échanger ou à racheter des mains des infidèles les chrétiens captifs, dont le nombre s'était beaucoup multiplié, surtout depuis les croisades. Saint Louis ramena de ses voyages d'outre-mer des hermites qui menaient sur le mont Carmel une vie très pénitente, conformément à la règle que leur avait donnée Albert, patriarche de Jérusalem, environ l'an 1190, et qui fut confirmée par le pape Honorius en 1226. Sous le règne de ce prince, parurent à Paris les hermites de Saint-Augustin, en 1259. Trois ans auparavant, Alexandre IV avait rassemblé, en une seule observance, différentes congrégations indépendantes, qui prétendaient suivre la règle de l'évêque d'Hippone ; elles embrassèrent la pauvreté absolue et s'appliquèrent aux études : telle est l'origine des Augustins, religieux mendiants.


L'esprit humain avait fait quelques efforts pour briser le joug de l'ignorance sous lequel il était asservi depuis tant de siècles ; mais nos pères se livrèrent d'abord en entier aux vaines subtilités d'une fausse dialectique ; et la manie de sophistiquer, appliquée surtout aux mystères de la religion, enfanta une foule d'hérésies. Celle des Albigeois, la plus étendue, donna naissance à deux ordres religieux, dévoués à combattre les erreurs et les vices qu'on imputait aux novateurs : et parce que les richesses étaient la cause du relâchement et du discrédit des anciens religieux, saint François et saint Dominique, renchérissant sur la règle de saint Benoît, défendirent à leurs disciples toute espèce de propriété, même en commun ; ils devaient vivre d'aumônes, quand leur travail ne fournirait pas à leur subsistance. « Ces premiers religieux, dit M. l'abbé Millot, humbles, patients, zélés, infatigables, charmèrent les peuples, autant par la singularité d'une perfection inconnue, que par leurs travaux apostoliques. » Cette mendicité, qu'ils choisirent comme humiliante et les ravalant au dessous des derniers rangs de la société, parut en quelque sorte divine ; saint François renonça d'ailleurs à toute espèce de privilèges, et défendit de donner à sa règle aucune interprétation. C'est le dernier article de son testament.


Mais l'esprit de chicane et la corruption des mœurs qui régnaient au treizième siècle, ne laissèrent pas subsister longtemps une si grande simplicité ; néanmoins, surpassant leurs contemporains dans les études, et forçant leur estime par leurs vertus et leur zèle pour la propagation de la foi, les frères mineurs et les frères prêcheurs se rendirent également chers à l’Église et à l’État. Ils obtiennent des chaires dans les Universités naissantes de Paris et de Boulogne ; la charge de maître du sacré palais est créée pour les dominicains ; ils président les uns et les autres au tribunal de l'inquisition ; on les soustrait à la juridiction des évêques ; les papes les emploient à des négociations importantes. On en voit plusieurs des deux ordres élevés aux premières dignités de l'Église, même à la papauté ; saint Louis aurait voulu pouvoir se donner à eux par égale moitié, et la charité des fidèles leur fournit des ressources certaines et abondantes.


Tant de faveurs et tant de prérogatives, récompense de leurs vertus et de leurs travaux, produisirent des effets divers. Les anciens moines, réveillés de leur assoupissement, reprirent les études, qui autrefois leur avaient mérité la considération publique. La fondation du collège des Bernardins à Paris, le premier de l'Université, remonte à cette époque. Les nouveaux ordres se répandirent partout et firent beaucoup de bien ; mais la raison n'était pas assez formée pour peser et pour prévoir les inconvénients inséparables des exemptions de toute espèce qu'on leur accordait.


Ces inconvénients se manifestèrent bientôt d'une manière déplorable. A la faveur de leurs privilèges, ils s'emparaient aisément de la confiance des peuples, et de là les richesses dans les deux ordres et les plaintes du clergé contre eux. Trop occupés d'ailleurs d'affaires temporelles, pouvaient-ils conserver l'amour du recueillement et de la prière, et cette tranquillité d'esprit si nécessaire à la faiblesse humaine, pour se maintenir dans la ferveur de la vie religieuse ? Les dominicains troublèrent l'Université de Paris, et à force de bulles et d'excommunications, ils triomphèrent de ses docteurs. Par leurs longues et chimériques disputes sur la propriété des choses, les franciscains scandalisèrent la chrétienté, l'agitèrent ensuite par leur désobéissance aux décisions de Jean XXII ; et soutenu par Louis de Bavière, l'un d'entre eux osa rendre à ce pontife anathème pour anathème, prononça sa déposition, et fut antipape.


Les grands mouvements qui bouleversèrent l'Europe, et les maux de toute espèce qui désolèrent l'Église pendant le quatorzième siècle, ne contribuèrent certainement pas à épurer les mœurs générales. Au milieu des troubles et de la dépravation, comment les corps religieux auraient-ils conservé la pureté de leur institut ? Quelques vertus et quelques talents qu'offrent alors les cloîtres, il faut avouer qu'on y voit aussi de grands désordres. Les disciples de saint Benoît, tant de l'ancienne observance, que de celles de Cluny et de Citeaux, jouissaient mollement de leurs richesses, négligeant entièrement le travail des mains, s'appliquant peu à la prière, et méprisant les mendiants. Parmi ceux-ci, la rivalité avait dégénéré en jalousie, et la diversité de leurs opinions scolastiques devenait pour eux un sujet éternel de querelles. Le concile de Vienne, d'après les remontrances du célèbre Durandi, évêque de Mende, connut le mal sans y remédier : les papes, qui résidèrent à Avignon, et ceux qui, pendant le schisme, se disputèrent la tiare, étaient peu propres à renouveler l'esprit primitif. La réforme de Benoît XII, ne produisit pas des effets durables. La peste, qui fit de si terribles ravages en Europe, fut encore une occasion de relâchement chez les religieux, surtout chez les mendiants ; dévoués au service des malades, ils ne pouvaient observer leur règle dans toute sa rigueur ; les plus fervents, victimes de leur zèle, furent enlevés par ce fléau ; et après que la maladie eut cessé, on ne pensa point à réparer la discipline affaiblie. Tel a été l'état des ordres monastiques jusqu'aux réformes, qui au seizième siècle les ont relevés de la décadence où ils étaient tombés. Il y eut néanmoins, durant cet intervalle, différentes congrégations qui embrassèrent la pratique de la pénitence et de l'humilité ; celle du mont Olivet, des Jésuates, des minimes, des filles pénitentes, et autres.


Tandis que Luther et Calvin, sous prétexte de réformer l'Église, attaquaient ses dogmes, ses rites, sa hiérarchie, et qu'ils alléguaient la conduite scandaleuse des prêtres et des religieux, comme une preuve convaincante de l'absurdité de notre croyance et de la profession monastique, des hommes remplis de zèle, afin de couper le mal par la racine, épuraient les mœurs des chrétiens, et rétablissaient la régularité dans le clergé et dans les monastères.


Cajetan et ses compagnons, instituteurs des Théatins, firent revivre l'esprit des apôtres, en se consacrant au ministère avec la même ferveur et le même désintéressement : non-seulement ils renoncèrent à toute espèce de propriété, mais, pour être un exemple toujours subsistant de la providence, ils se privèrent de la dernière ressource des indigents, la mendicité. A ces obligations, les clercs réguliers de Saint-Paul, connus sous le nom de Barnabites, ajoutèrent celle d'occuper des collèges et des séminaires, où ils élèveraient la jeunesse et la rendraient propre aux missions. Cette congrégation, née à Milan, s'est étendue en Allemagne, en Bohême, en France, en Italie ; et dès son origine, la république des lettres compta plusieurs de ses membres parmi ses citoyens. Vers le même temps, Ignace de Loyola formait la société dont nous avons vu la destruction : on connaît les grands hommes qui l'ont illustrée, dont la mémoire ne périra jamais ; et tout le monde sait le bien et le mal qu'on en a dit. L'instruction du peuple est le but que se proposa Philippe de Néri, en instituant l'Oratoire de Rome.


Pendant que le clergé recouvrait ainsi et par d'autres établissements son ancien lustre, les corps monastiques recevaient une nouvelle vie. En Espagne, en Italie, en France, parurent de grandes réformes de l'ordre des frères mineurs, celle des capucins, des récollets, et des pénitents du tiers-ordre de Saint-François, vulgairement appelés picpus. Les papes les approuvèrent, comme ressuscitant l'esprit de saint François et son amour pour la pauvreté. Favorisés par les souverains, ils se sont répandus dans toute la chrétienté, et de tous les ordres religieux, c'est celui des capucins qui est le plus multiplié. Ils refusèrent la permission de posséder des immeubles, donnée aux mendiants par le concile de Trente. Aux mitigations que les carmes avaient obtenues, sainte Thérèse fit succéder la première austérité de la règle ; et en soumettant un sexe délicat à la vie la plus dure et la plus mortifiante pour la vanité, elle l'a conduit au bonheur. Nous avons vu une fille de roi sacrifier à ce régime tous les agréments d'une cour brillante, donner un grand exemple à un siècle qui méprise les moines comme le rebut de la société, et acquérir en échange cette paix de l'âme si précieuse aux yeux du vrai philosophe et si rare hors du cloître. Par les conseils de la courageuse réformatrice des carmélites, Jean de la Croix fit la même révolution parmi les carmes. Saint Bernard parut être rendu au monde en la personne de Jean de la Barrière, qui rappela les feuillants à l'observance sévère de Clairvaux, si bien accueillie au onzième siècle, et tant traversée par ses contemporains. Jean Michaëlis, dominicain, surmonta également tous les obstacles que le relâchement opposait à son zèle. Enfin, à l'honneur de la religion et pour le bien de l'humanité, Jean de Dieu établit ce corps dont les membres s'obligent, par un quatrième vœu, au service des indigents malades, et qui vient de prendre un nouvel accroissement aux portes de cette capitale. Pourquoi cet ordre si utile est-il le moins étendu ? En l'introduisant dans leurs États, les souverains pourvoiront d'une manière aussi sûre que religieuse à la conservation de leurs sujets.


Pendant que la vie cléricale et monastique se renouvelait par toute l'Europe, Henri VIII, roi d'Angleterre, prince bizarre, cruel et despote, persécutait les religieux, détruisait leurs maisons, et sacrifiait à ses penchants la religion de ses pères. Par les dispositions du concile de Trente, la discipline claustrale venait d'être raffermie, et restreignant les exemptions, il avait prévenu le renouvellement des anciens abus et des anciennes plaintes.


Dans l'histoire des ordres religieux, Vincent de Paul remplit presque seul celle du dix-septième siècle, soit par ses propres établissements, soit par la part qu'il eut à tous ceux qu'on forma de son temps. Il fut également l'homme de la religion, de l'humanité et de la patrie. Conduire ses semblables à Dieu par la voie des bienfaits, tels ont toujours été et ses moyens et son but.


Tout, au milieu de ce siècle, prit un caractère de grandeur, qui assure sa supériorité sur les siècles précédents et sa célébrité jusque dans la postérité la plus reculée, par les modèles qu'il fournit en tout genre. Les bénédictins, qui embrassèrent les réformes naissantes de Saint-Vannes et de Saint-Maur, ne crurent pas s'éloigner de l'esprit de leur fondateur, en alliant à la piété la culture des lettres. Ces congrégations ont produit des hommes aussi religieux que savants, dont les ouvrages ne sont pas un des moindres ornements du règne de Louis XIV. Le cardinal de la Rochefoucauld, évêque de Senlis, et abbé de Sainte-Geneviève, en réunit tous les chanoines en une seule congrégation que la régularité a multipliée parmi nous ; et le célèbre abbé de Rancé, qui, par la beauté de son esprit et par son caractère doux et insinuant, avait charmé le monde, l'étonna par sa retraite à la Trappe, où il observa à la lettre la règle primitive de Citeaux. Cette abbaye, celle de Sept-Fonts, et quelques autres, sont encore aujourd'hui des asiles où s'ensevelissent des âmes admirables qui, ne soupirant qu'après les biens de l'éternité, font tant d'honneur à la nature humaine.


Telle est l'histoire abrégée des principaux ordres religieux et des différentes révolutions qu'ils ont éprouvées. Nous les avons vus naître d'abord obscurément dans l’Égypte, se répandre promptement dans le reste du monde, et croître partout sous la protection de l'Église et des empires.


CHAPITRE 3 : DES SERVICES QUE LES RELIGIEUX ONT RENDUS A L'ÉGLISE.


En faisant connaître la sainteté de la destination des ordres religieux1 et la sagesse de leurs règles, nous avons assigné la première cause de leur établissement et de leurs progrès. Nous allons en développer une seconde : ce sont les services qu'ils ont rendus ; nous commençons par ceux qu'en a reçus l'Église.


§. I.er Les religieux ont été utiles à l'Église par leurs vertus.


La paix donnée à l'Église fit fleurir l'état monastique. Ce nouveau peuple, qui, pour principes de gouvernement, avait pris, non-seulement les préceptes, mais aussi les conseils évangéliques, était fidèle à ses engagements. Des milliers d'hommes renonçaient à leurs proches, à leurs biens, à leur patrie, étouffaient tout désir d'ambition au milieu des révolutions qui bouleversaient l'empire, et se privaient volontairement des douceurs et des avantages que procurent le travail, la naissance, ou le génie. C'est le premier pas qui les conduisait à la profession religieuse. Préférer à toute espèce de curiosité l'étude de la morale et le soin de son âme ; pratiquer les plus grandes austérités, pour conserver son innocence ou pour la réparer ; vouer une éternelle chasteté et un silence perpétuel ; à la prière et à la lecture unir et faire succéder le travail des mains ; se regarder tous comme membres d'une même famille ; immoler jusqu'à sa propre volonté, et renouveler chaque jour ce sacrifice de soi-même ; se séquestrer du commerce des hommes, afin de se dérober à leur admiration ; tels étaient les devoirs imposés à ces premiers moines, et ils les remplissaient avec autant de sagesse que de persévérance. Selon le judicieux Fleury, « leur dévotion était de même goût, si on ose le dire, que les pyramides et les autres ouvrages des anciens égyptiens, c'est-à-dire grande, simple et solide. Vivant dans une chair étrangère, dit saint Basile, ils montraient par les effets ce que c'est que d'être voyageurs ici-bas, et citoyens du ciel. » Leur vertu croissait avec leurs années ; et l'extrême vieillesse, à laquelle ils arrivaient communément, ne la rendait que plus vénérable.


Ce fut un grand triomphe pour la religion, d'avoir formé ces sociétés d'hommes, que le dépouillement de toutes choses élevait à une si haute perfection. Quelle idée de la morale évangélique ne devaient pas donner ces pieux solitaires, aux nations qui ne la suivaient point encore ! et quels exemples n'offraient-ils pas aux chrétiens, dont le nombre ne s'était accru qu'au détriment de la ferveur ! Aux yeux des uns et des autres, ils justifiaient la sainteté de la doctrine qu'ils professaient, et prouvaient que ses préceptes les plus pénibles ne sont pas impossibles à observer. Aussi les Pères opposaient-ils leur pénitence aux macérations hypocrites des hérétiques, et leurs vertus aux vertus fausses ou incomplètes des païens. En naturalisant la profession religieuse parmi les occidentaux, avec les modifications qu'exigeait la différence des mœurs, saint Benoît rappela la piété des temps apostoliques ; et ceux qui, dans le cours des siècles, réformèrent son ordre, et ceux qui en fondèrent de nouveaux, conservèrent la vertu au sein de la férocité des temps barbares et parmi les désordres des temps de fausse science.


Sans doute, toutes ces institutions renfermaient en elles mêmes des germes d'affaiblissement. Elles sont nées en des siècles de ténèbres ; et l'homme, quelque éclairé qu'il puisse être, n'imprime-t-il pas à tous ses ouvrages le sceau de son imperfection ? à moins de contredire tous les monuments historiques, il faut l'avouer, la réforme de Cluny rétablit une régularité édifiante ; celle de Citeaux, la plus rigide austérité ; à Fontevrault, à Tiron, à Savigny, etc., se formèrent de nombreuses colonies de saints pénitents ; les chartreux donnèrent l'idée de cette piété éminente, qu'une profonde retraite met à couvert de toute vicissitude. L'esprit ecclésiastique fut renouvelé par les chanoines réguliers ; les religieux mendiants firent connaître au monde une simplicité touchante et le désintéressement de toutes choses ; et la ferveur primitive a été rajeunie en chacun de ces ordres, par les changements heureux qu'ils ont adoptés dans les derniers siècles.


Constamment vertueux, les religieux ont été aussi constamment qu'universellement protégés. La sainteté de leur institut paraissait une raison suffisante, non-seulement pour le tolérer, mais pour en favoriser la propagation. A différentes époques, il fallut le consentement des souverains, afin de pouvoir être admis dans le clergé ; l'entrée des cloîtres était moins gênée, parce qu'ils n'offraient ni richesses ni délices ; Justinien la permit même aux esclaves, que leur maître n'aurait pas réclamés pendant les trois années de noviciat, et qui devaient retomber en servitude, si par légèreté ils abandonnaient leur monastère. Quand Maurice l'eut défendue aux soldats, saint Grégoire s'opposa avec autant de courage que de respect à l'exécution de cette loi, comme contraire aux intérêts de la religion et de la justice, quia plerique, dit-il, nisi omnia reliquerint, salvari apud Deum nullatenus possunt. On continua de les recevoir, pourvu qu'ils ne fussent pas comptables des deniers publics ; et l'empereur ne désapprouva pas la résistance du pontife : Qua de re, etiam serenissimus et christianissimus imperator omnimodo placatur, et ibenter eorum conversionem suscipit, etc.


La mode de l'irréligion ne régnait pas encore. On regardait, comme des citoyens très utiles, ces solitaires, que leur vie évangélique rendait si vénérables. On ne pensait pas s'écarter des principes d'une saine politique, en multipliant ces pieux intercesseurs auprès de l'arbitre des destinées et du souverain modérateur des choses. Au contraire, nos pères, convaincus de la nécessité des prières ferventes, mirent à ce prix presque toutes leurs donations ; une vertu aussi pure leur paraissait inaltérable et à l'abri des atteintes de l'opulence. Quand la ferveur s'affaiblit dans un ordre, on la voit renaître en d'autres lieux ; et de sages réformes, mûries par le temps, lui rendent la vigueur que le relâchement des anciennes congrégations lui fait perdre. C'est ainsi que, d'âge en âge, la profession religieuse a transmis la pratique de la vie pénitente, de la fuite du monde, du renoncement à soi-même ; et que, depuis Antoine jusqu'à Ignace et Vincent-de-Paul, les cloîtres ont été le sanctuaire de la piété, et celui des sciences ecclésiastiques.


§. II. Les religieux cultivant les sciences ecclésiastiques.


A l'exception du dogme, dont l'immutabilité n'est susceptible que de simples développements, il en est des sciences ecclésiastiques comme des lettres qu'on appelle profanes ; elles ont leur temps de splendeur et d'affaiblissement, et florissent tantôt chez un peuple, tantôt chez un autre, subissant les vicissitudes des choses humaines. En attestant que tel a été leur sort depuis la naissance de l'Église, jusqu'à nos jours, ses annales nous représentent les corps religieux constamment appliqués à les cultiver. Nous voyons, en effet, dès le premier établissement de la vie monastique, sortir des déserts de l'Orient saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, son ami, saint Épiphane, saint Ephrem, Théodoret ; vivre et se former parmi les moines occidentaux, saint Jérôme, saint Isidore de Peluse, les savants de Lérins, saint Grégoire-le-Grand, saint Fulgence, et tant d'autres qui ont été la gloire de l'Église, lors même qu'elle nourrissait en son sein une pépinière de grands hommes. Par leurs doctes ouvrages, ces auteurs ont fixé le véritable sens des saintes Écritures ; conservé le dépôt de la tradition ; réfuté les hérésies anciennes, qui avaient encore des partisans, et les nouvelles, qui cherchaient des sectateurs. Ils nous ont laissé des abrégés de la Morale chrétienne, des vies des saints, des sermons, une foule de lettres sur des objets dogmatiques et moraux, des histoires de différentes Églises, des recueils de canons propres à constater la discipline primitive et à donner une jurisprudence aux siècles futurs ; en un mot, ils ont mesuré toute l'étendue de la science ecclésiastique.


Les conquêtes des peuples du Nord furent également funestes à l'Église et à l'empire. Sous un gouvernement purement militaire, qui méprisait toute culture de l'esprit, comme ne pouvant qu'énerver les courages, l'ignorance fit de rapides progrès. La religion chrétienne était, à la vérité, la religion dominante des États ; mais les mœurs triomphèrent de sa douceur. « Dans ces temps misérables, les monastères, dit le profond Fleury, sont un des principaux moyens dont la providence se sert pour conserver la religion. » C'est à leurs écoles et à celles des Églises cathédrales, desservies presque toutes par les réguliers, que, sans exclure les sciences humaines, on enseigne principalement et on étudie la théologie, le droit et l'histoire ecclésiastique.


Les théologiens de ce moyen âge puisaient toutes leurs connaissances dans l’Écriture et dans les Pères des six premiers siècles ; ils se bornaient à les copier, à les compiler, à les abréger, et c'est toujours leur autorité qu'ils opposent aux hérétiques. Ainsi, saint Jean Damascène a vengé le culte des images et exposé la foi orthodoxe, d'après la tradition et le témoignage des Pères, dont il augmente le nombre. Bède appuie des principes de saint Augustin tous les commentaires des différents livres des saintes Écritures. Alcuin, dont les ouvrages suffisent pour faire juger de l'état de toutes les sciences, au neuvième siècle, s'est spécialement appliqué à l'étude des Pères, et nous a laissé des explications de l’Écriture et des traités de théologie. Ratram, de Corbie, établit, contre les grecs, la procession du Saint-Esprit, par des preuves tirées de saint Grégoire de Nazianze, et surtout des latins. Loup, de Ferrières, défendit la doctrine de l'Église touchant la grâce et la prédestination, en rappelant celle de l'évêque d'Hippone ; et Lanfranc, moine du Bec, a fait connaître ce que pensaient du mystère de l'Eucharistie les anciens docteurs, dont Bérenger altérait les sentiments. Ces savants, et tant d'autres que nous ne citerons pas, se ressentent du temps où ils ont vécu, et il est aisé de trouver des défauts à leurs ouvrages ; mais ils ont rendu un service essentiel à l'Église, en perpétuant l'étude de l’Écriture et des Pères, et en arrêtant toute innovation sur la croyance.


Elle était constatée dans les monastères, par un moyen plus sensible encore. On y observait, avec plus de pompe et de fidélité que partout ailleurs, les cérémonies qu'emploie l'Église pour ses offices. Ce témoignage leur est rendu par Fleury, ce savant connaisseur de l'antiquité ecclésiastique. Ces différentes cérémonies forment un symbole tacite, qui déclare quel est l'état de la foi. En les pratiquant telles qu'ils les avaient reçues de leurs pères, et les transmettant soigneusement à leurs successeurs, les religieux attestaient qu'ils croyaient ce qu'avaient cru les premiers, et léguaient aux seconds des preuves toujours faciles contre les changements en cette matière. Ce sont ces faits précieux qu'il faut extraire de leurs traités de liturgie et des offices divins, sans s'arrêter aux significations mystiques que recherchait avidement une piété peu éclairée.


Pendant ce laps de temps, où l'ignorance, universelle parmi les laïques, était trop commune dans le clergé, les moines ont non-seulement étudié, enseigné, et vengé la foi catholique, ils se sont encore appliqués à cette science qui règle sa discipline. Chez une société naissante, dont chaque membre était fortement animé de l'amour de la vertu, la police exigeait peu de lois. La législation ecclésiastique n'est devenue difficile et obscure, que par les funestes atteintes qu'elle a reçues de la férocité des mœurs, de la barbarie des temps, et des troubles des empires. Cependant, en ces temps malheureux, cette branche de la science ecclésiastique n'était pas, à beaucoup près, négligée : des hommes, à qui il n'a manqué, pour être estimés sans réserve de la postérité, que d'être nés plus tôt, ou plus tard, la cultivaient avec zèle. Hincmar, tranféré du cloître sur le siège de Rheims, et Réginon, abbé de Prom, Abbon de Fleuri, et Rathier, religieux de Lobbes, depuis évêque de Véronne ; Bouchard, moine de Liége et évêque de Worms ; Pierre de Damien, saint Bernard, Ives, d'abord abbé de Saint-Quentin de Beauvais, évêque de Chartres par la suite ; voilà les plus habiles canonistes qui ont veillé à l'observation de la discipline, et dont les compilations réunissent les canons des conciles anciens et nouveaux, les sentiments des Pères, les décrétales des papes, et plusieurs dispositions des capitulaires des empereurs.


Ce n'est pas un médiocre service rendu à l'Église, que d'avoir soigneusement recueilli tout ce qui, durant le cours des siècles, a intéressé, ou sa croyance, ou sa discipline, ou les mœurs des chrétiens. Ses décisions, ses lois, ses progrès, ses pertes, les hommes qui l'ont illustrée ou par leur science ou par leur vertu, ceux qui ont déchiré son sein ou par l'hérésie ou par le schisme, la protection que lui ont accordée les souverains, les persécutions qu'elle a essuyées de la part de ses ennemis ; tels sont les objets que nous ont transmis les religieux. Ils manquaient de trop de choses, pour qu'ils aient pu écrire leurs Histoires universelles avec ordre et discernement. Celle des Églises particulières, celle de leur temps, et la vie des Saints leurs contemporains, ou dont la mémoire était encore entière, méritent plus de confiance ; ce sont aussi des décombres, si l'on veut ; mais en des temps plus heureux, des architectes habiles ont su en tirer des matériaux pour construire de beaux édifices. Qu'aurait fait Ussérius, Bollandus, Tillemont, Fleury, et les autres historiens ecclésiastiques, si, depuis Hugues, chanoine régulier de Saint-Victor, écrivain du douzième siècle, jusqu'au moine Pallade, qui vivait au cinquième, les monastères ne leur eussent offert unę succession de témoins qui attestent les événements de leur âge ? C'est à eux encore que nous devons les meilleurs Martyrologes ; après celui d'Eusèbe, ceux de saint Jérôme de Bède, d'Usuard, sont les plus connus. En un mot, sans les moines, nous ignorerions ce qui s'est passé dans l'Église pendant sept à huit siècles.


Quand le goût de l'étude ne fut plus concentré dans les cloîtres, et que le clergé s'y consacra avec une ardeur aussi vive que générale, on vit les religieux parcourir encore avec distinction la carrière qu'ils ne fournissaient plus seuls. Pour suppléer à la rareté des livres et pour faciliter les études saintes, on composa, à ce premier réveil de l'esprit, des sommes en tout genre. Pierre Lombard, évêque de Paris, publia son Maître des Sentences ; Pierre Comestor, chancelier de la même église, son Histoire ecclésiastique, et le moine Gratien, sa Concorde des Canons. Avec ces trois ouvrages, on croyait avoir un corps de doctrine complet, et pouvoir devenir habile en théologie scolastique et positive et en jurisprudence ecclésiastique. A peine les Universités furent elles établies, que les religieux s'y rendirent considérables. L'école de Saint-Victor, fondée par Guillaume de Champeaux, eut, dès sa naissance, une grande célébrité, et fut la pépinière de savants et pieux théologiens1. Quelles que fussent les études, « agissant, dit M. Fleury, avec des intentions pures, ne cherchant que la gloire de Dieu, ils réussissaient mieux que les autres étudiants. » Albert-le-Grand, Alexandre de Alès, saint Thomas, saint Bonaventure, etc., passèrent pour les lumières de leur siècle. Nous ne saurions, à la vérité, justifier, d'après leurs ouvrages, les titres scientifiquement fastueux qu'on leur a indistinctement prodigués ; mais en les déprisant entièrement, ne sommes-nous pas injustes ? Sous ces bons moines, tant exaltés et tant rabaissés, l'état des sciences ecclésiastiques, il est vrai, était bien différent de ce qu'il avait été sous les Augustin, les Basile, les Cyprien ; on avait trop perdu, et on pouvait peu réparer : leur application au travail n'en est pas moins étonnante ; ce n'est d'ailleurs que par l'emploi des secours qu'ils ont conservé, que les études se sont renouvelées. Ce renouvellement était-il possible avant l'invention de l'imprimerie ? De plus grands moyens ont procuré des avantages plus solides.


Avant de passer à des siècles plus heureux, nous devons distinguer deux savants, qui se sont élevés au-dessus des temps que nous venons de parcourir, et qui seront toujours comptés parmi les hommes célèbres : saint Bernard, le dernier Père de l'Église, et saint Thomas, le premier docteur de l'école. Saint Bernard a écrit une multitude de lettres, où il donne la décision de plusieurs questions de discipline et de morale, et des avis sages et mesurés sur les affaires pour lesquelles on le consultait. Son Traité de la Considération, adressé au pape Eugène III, son disciple, et le Livre des Mœurs et des Devoirs des évêques, renferment d'importantes instructions pour ces premiers pasteurs. Ses différents traités de piété prouvent une grande connaissance de l'homme, et de ses relations avec son auteur et ses semblables. Ce sont les sermons sur le Cantique des Cantiques, qui font principalement connaître le talent de saint Bernard : les pensées morales, nobles et profondes y abondent avec une fécondité prodigieuse ; son éloquence a tous les tons, tantôt forte et vive, tantôt douce et pleine d'onction ; et si quelquefois son style est trop chargé d'ornements, c'est qu'il fallait payer le tribut à son siècle. Ajoutons que sa sainteté et son zèle le rendirent l'oracle de l'Église, l'arbitre des affaires, et qu'il semble avoir tenu les rênes de la chrétienté.


Saint Thomas, moins distrait de l'étude que saint Bernard, a laissé un plus grand nombre d'ouvrages ; ils peuvent être divisés en philosophiques et théologiques, en commentaires sur l’Écriture sainte, et opuscules ou divers traités. En éclaircissant cinquante-deux livres d'Aristote, il s'est proposé de répondre aux sophistes qui, pour attaquer les dogmes de la foi, abusaient de l'autorité de cet ancien philosophe alors si respecté. Ceux de ses écrits théologiques les plus estimés sont, les Traités de l'Incarnation, des Vertus et des Vices, la Somme contre les gentils, où, à l'exemple de saint Augustin, il démontre l'existence et l'unité de Dieu, établit avec force toutes les vérités qu'enseigne la religion, combat toutes les superstitions païennes et toutes les hérésies ; et où l'auteur est toujours au niveau de son sujet par l'élévation de son génie et l'étendue de ses lumières ; enfin, cette autre Somme qui contient l'exposition et la preuve de tous les dogmes et de presque toutes les questions qu'agitaient les écoles, ainsi que des maximes, des principes et des lois que suivent les ministres de l'Église et ceux de la justice ; elle passe pour une bibliothèque entière, où l'on apprend ce qu'il faut croire et pratiquer. De tous ses commentaires sur divers livres de l’Écriture, nous ne citerons que celui des quatre évangélistes d'après les Pères ; le texte et le sens de l'auteur sacré y sont expliqués par un enchaînement de passages de ces saints docteurs, de sorte que l'un paraît continuer le discours de l'autre ou développer sa pensée. N'est-il pas bien étonnant que cet ouvrage, où toute l'antiquité est fondue, ait été composé dans un temps où les livres, comme l'on sait, étaient d'une rareté extrême ? Nous avons encore de lui des sermons et de petits traités, soit contre les grecs, soit contre Averroès, philosophe arabe ; une Théologie abrégée, où toute la doctrine chrétienne est réduite à la foi, l'espérance et la charité, etc., etc.


« Saint Thomas, dit Fontenelle, dans un autre siècle et dans d'autres circonstances, aurait été Descartes. » La Théologie entière a été embrassée par saint Thomas ; il expose sa doctrine avec un ordre admirable. On ne peut être bon théologien sans l'avoir lu ; mais, en le lisant, il faut passer plusieurs questions ou inutiles ou particulières à son temps. Tel est le jugement qu'en porte un des hommes les plus instruits de notre siècle.


A l'exemple et à la persuasion des moines, les religieuses cultivaient les sciences et les belles-lettres. Il y avait, dans leurs monastères, deux sortes d'écoles, une pour les jeunes filles qui y recevaient les instructions convenables à leur âge et à leur sexe ; l'autre, pour les religieuses mêmes, à qui l'on donnait les connaissances qu'exigeait leur état. Hildebert, parlant de l'Abbaye du Roncerai, à Angers, dit qu'on y envoyait les filles pour être plus solidement instruites, maturioris doctrinæ causa. Abeilard nous apprend qu'Héloïse, placée à Argenteuil dès son enfance, y avait puisé cette ardeur de savoir qu'elle conserva toute sa vie. Au Paraclet, on y étudiait l’Écriture sainte, les Pères, le plain-chant, la musique, la médecine, la chirurgie, l'hébreu, le grec et le latin. Sous l'inspection du bienheureux abbé Frédéric, prémontré, les religieuses de Bethléem, au diocèse d'Utrecht, embrassaient toute la littérature ; Emme, supérieure de Saint-Amand, de Rouen, écrivait en vers ; Mathilde, abbesse de Fontevrault, entretenait des relations avec les savants ; et Cécile, fille de Guillaume-leConquérant, abbesse de la Trinité, de Caën, avait été l'élève d'Arnould, depuis patriarche de Jérusalem. Enfin, jusqu'au quatorzième siècle, on n'a reçu, à la profession religieuse, que les filles qui savaient le latin, quoique depuis environ deux cents ans, il eût cessé d'être la langue vulgaire1.


Dans les deux derniers siècles, les savants de tous les Ordres, dominicains, franciscains, augustins, barnabites, jésuites, bénédictins, qu'il n'est plus possible de nommer parce qu'ils sont trop nombreux, ont concouru à faire rentrer l'Église en possession de ses anciennes richesses. Les recherches les plus rebutantes, les études les plus arides, les veilles si pénibles à l'homme, naturellement paresseux, rien n'a pu affaiblir leur zèle pour l'utilité de l'Église. Toutes les sources découvertes, l’Écriture étudiée dans les langues originales, entendue et traduite d'une manière digne de son auteur ; les Pères mieux connus ; la Théologie débarrassée de toutes ses entraves, réduite au dogme, à la morale, et rendue formidable aux hérétiques ; les lois de l'Église recueillies ; ses vœux, son but, observés à travers les changements de sa discipline ; sa jurisprudence rétablie sur ses antiques fondements, et circonscrite en de justes bornes ; la liturgie présentée telle qu'elle est, vénérable sous tous les rapports; la vie des Saints, les histoires particulières, et l'histoire générale, éclairée par le flambeau de la critique, écrites d'un style simple, noble et édifiant ; l'éloquence de la chaire entièrement régénérée ; voilà les services qu'ils ont rendus à l'Église. Leurs doctes mains ont déchiré une grande partie du voile qui avait caché si longtemps la majesté de la religion. Ils ont si bien justifié et la certitude de ses dogmes et la sainteté de ses préceptes, que nous serions à jamais croyants et bons, si la vérité et la vertu nous servait de guide.


§. II. Les religieux appliqués aux différentes fonctions du ministère.


Après avoir honoré la religion par leur piété, l'avoir vengée et perpétuée par leurs lumières, il fallait encore, pour mériter entièrement de l'Église, remplir la carrière de l'apostolat et les fonctions du ministère ecclésiastique ; c'est ce que les religieux ont fait avec succès. Quoique leur principale destination ait été, comme nous l'avons dit, de se sanctifier loin du monde, ils sont néanmoins sortis de leur désert, pour rendre témoignage à la foi, que combattaient les hérétiques, et pour l'annoncer aux nations idolâtres. Antoine, qui avait encouragé constamment les martyrs pendant la persécution de Maximin, confond l'audace des ariens, qui, afin d'accréditer leur erreur, la lui attribuaient. « Les disciples de saint Basile, dit M. Fleury, servirent très utilement l'Église contre les hérésies d'Eunomius et d'Apollinaire ; les peuples ne voulaient pas abandonner une doctrine que professaient des hommes si vénérables par la sainteté de leur vie. » Les moines étaient principalement l'objet de la haine des iconoclastes. La fureur de l'empereur Constantin Copronyme fut aussi barbare que ridicule ; les tourments épuisés et reconnus inutiles, il rechercha tous ceux qui avaient un moine pour parent, pour ami, ou pour voisin ; il les envoya en exil, après les avoir déchirés de coups. Il est aussi facile qu'inutile de faire ici une longue énumération de semblables faits, qu'on trouve à chaque pas dans l'Histoire ecclésiastique. Il suffit d'observer que les religieux ont été calomniés et persécutés par tous les hérétiques, depuis les ariens jusqu'à ceux de nos jours.


Le premier soin de saint Pacôme et de saint Benoît fut de s'appliquer, eux et leurs disciples, à la conversion des peuples voisins de Tabennes et du mont Cassin. Saint Jérôme ne suspendait ses doctes travaux, que pour préparer les catéchumènes au baptême. Saint Euthyme le conféra à une multitude de Sarrasins qu'il avait instruits. Ce sont les moines choisis par saint Chrysostôme, qui rendirent la Phénicie chrétienne ; la Perse le devint, comme nous l'avons dit, par les prédications de saint Moïse ; et l'Autriche, par celles de saint Séverin. On peut voir plus en détail, dans le Philotée de Théodoret1, combien, dès leur naissance, les religieux ont servi à la propagation de la foi.


Saint Grégoire, à qui les révolutions de son siècle annonçaient une partie de ces maux, indiqua par quels moyens on pouvait les réparer ou les compenser. Il avait employé les ressources que lui offrait le cloître, et l'événement répondait à ses espérances. L'Angleterre était soumise à l’Évangile ; le moine saint Augustin et ses compagnons avaient enfin dompté la férocité de ces peuples. En lisant l'histoire des commencements de cette Église, on croit être témoin des vertus et des prodiges qui illustrèrent les premiers jours du christianisme ; les religieux composaient tout le clergé de ces îles ; la profession monastique s'y était propagée avec la foi, et de ces monastères sortirent les apôtres de l'Allemagne et du Nord. Saint Vilfrid, saint Villebrod, d'autres saints moines instruisirent successivement les Frisons ; saint Boniface cimenta et féconda par son sang son apostolat en Allemagne ; saint Anscaire et ses coopérateurs portèrent la lumière évangélique en Suède, en Danemarck et en Norwège. Les autres terres septentrionales, la Prusse, la Livonie, la Sibérie, etc., la reçurent des religieux de Citeaux, des frères prêcheurs, et d'autres religieux de différents Ordres. Les dominicains et les frères mineurs pénétrèrent en Tartarie et jusques en Chine. Jean de Montcorvin, archevêque de Cambalu2, nous a donné une relation où sont détaillés les progrès qu'avait faits la foi dans le Levant.


Afin d'affermir ces nouvelles Églises, on y fonda des monastères. C'étaient des séminaires, où l'on élevait les enfants du pays, pour les instruire de la religion et des lettres, les former à la vertu, et les rendre capables des fonctions ecclésiastiques3. Ainsi, en peu du temps ces Églises furent en état de se soutenir elles-mêmes, sans avoir besoin de secours étrangers. Par les soins de ces pasteurs la religion et les mœurs, affaiblies en France et en Italie aux septième et huitième siècle, se fortifient en Angleterre, d'où ils les ramènent en France, et les transportent ensuite, ce semble, en Allemagne et dans le Nord.


Longtemps auparavant, et dès l'origine même de la profession religieuse, il était ordinaire, dit le guide que nous suivons constamment, de prendre les plus saints d'entre les moines pour en faire des prêtres et des clercs1. C'était un fonds où les évêques étaient assurés de trouver d'excellents sujets ; et les abbés préféraient volontiers l'utilité générale de l'Église à l'avantage de leur communauté. Saint Pacôme cède deux de ses disciples pour être élevés à l'épiscopat ; saint Athanase cite au moine Draconce l'exemple de sept solitaires qui l'avaient accepté. Cet usage, confirmé par la sanction que lui donna Honorius2, fut d'abord très fréquent, et devint sous les autres empereurs, protecteurs des canons, une loi générale et exclusive. Le clergé renonça lui-même à cette dignité, parce que, pour y être promu, il fallait observer la continence, qu'il ne voulut point garder, et à laquelle s'engageaient les religieux. Telle est encore la pratique journalière de l'Orient ; par les décrétales des papes Syrice, Innocent, Boniface, etc., nous voyons qu'elle était également approuvée par l'Église latine. Les successeurs des disciples qu'avait formés saint Augustin, furent la force de l'Église d'Afrique ; saint Fulgence en est témoin. D'autres saints religieux rendirent les mêmes services à l'Église d'Espagne ; saint Ildefonse et saint Fructueux en fournissent des preuves irréprochables. L'île de Lérins a été longtemps en possession de donner aux Églises des Gaules leurs plus grands évêques et leurs prêtres les plus vénérables3. Nous prenons au hasard nos exemples de ces temps reculés, parce qu'alors le ministère ecclésiastique n'était confié qu'à ceux qui réunissaient le double mérite de la science et de la vertu.


On a pu remarquer que les religieux mendiants furent principalement institués pour en exercer les fonctions ; ils travaillèrent avec succès à la conversion des pécheurs et à l'instruction des fidèles. C'est cet objet que se sont aussi proposés les nouveaux instituts et les dernières réformes.


La plupart de ces évêques, tirés du cloître, se sont distingués dans les conciles. On y appela par la suite les abbés, et même de simples religieux ; on en voit de fréquents exemples, dit Mabillon4, en France et en Espagne pendant les sixième et septième siècles. Le troisième concile de Constantinople, contre les monothélites, voulut avoir le suffrage de plusieurs d'entre eux. Pierre, abbé de Sabas de Rome, fut l'un des légats qui présidèrent, au nom du pape, le second de Nicée, contre les iconoclastes. Souvent ils y assistaient et signaient comme les représentants de leurs évêques. Enfin, depuis le premier concile de Nicée jusqu’à celui de Trente, toutes ces vénérables assemblées ont trouvé en eux et des Pères zélés et de savants docteurs.


Il serait trop long d'entrer dans de plus grands détails sur tout le bien qu'a retiré l'Église des divers Ordres monastiques, et peut-être impossible de rapporter ici le nombre des saints, des papes, des cardinaux, des archevêques, des évêques, et des auteurs qu'ils lui ont fournis1. Nous nous bornons à justifier tout ce que nous venons de dire, par le témoignage de Fleury, d'autant plus digne de foi, qu'il n'atténue jamais, ni les inconvénients des instituts, ni le relâchement des religieux. « Je regarde, dit-il, ces saints solitaires comme les modèles de la perfection chrétienne. C'étaient les vrais philosophes, comme l'antiquité les nomme souvent... La plupart des écoles étaient dans les monastères, et les cathédrales mêmes étaient servies par des moines. C'étaient des asiles pour la doctrine et la piété : on y suivait l'ancienne tradition, soit pour la célébration des offices, soit pour la pratique des vertus chrétiennes... On y gardait des livres de plusieurs siècles, et on en écrivait de nouveaux exemplaires : c'était une des occupations des moines ; et il ne nous resterait guère de livres, sans les bibliothèques des monastères... Malgré les incursions redoublées des barbares, le renversement des empires, l'agitation de toute la terre, l'Église, fondée solidement sur la pierre, a subsisté toujours ferme et toujours visible ; elle a toujours eu des docteurs, des vierges, des pauvres volontaires, et des saints d'une vertu éclatante... Je sais que, dans tous les temps, il y a eu de mauvais moines, comme de mauvais chrétiens ; c'est le défaut de l'humanité et non de la profession. Vous, qui avez vu dans cette histoire leur conduite et leur doctrine, jugez par vous-même de l'opinion que vous devez en avoir... Enfin, les siècles moyens ont eu leurs Apôtres, qui ont fondé de nouvelles Églises chez les infidèles, aux dépens de leur sang ; et ces apôtres ont été des moines2. »






CHAPITRE 4 : DES SERVICES QUE L’ÉTAT RELIGIEUX A RENDUS À LA SOCIÉTÉ


A la chute de l'empire d'Occident, quand les Goths, les Huns et les Francs se partagèrent le patrimoine du faible Honorius, l'Europe éprouva la plus cruelle révolution que l'histoire nous ait transmise. Ces conquérants, peuples guerriers et farouches, méprisaient l'art paisible de l'agriculture ; la plupart habitaient des forêts ; leurs maisons n'étaient que des antres souterrains ; et leur ignorance allait si loin, qu'ils ne connaissaient pas même l'usage des lettres ou caractères. Sous la domination de ces barbares, les sciences et les arts furent traités comme les vaincus ; et, pour comble de malheur, le système féodal et les longues guerres qu'il enfanta, naturalisèrent, dans les pays conquis, la férocité de leurs nouveaux habitants.


Enfants de ces barbares, nous sommes nés en des temps plus heureux. Par le travail et l'industrie, tout a pris une forme nouvelle  ; par tout la terre offre un aspect riant et fécond ; et les voies de communication des provinces entre elles sont comme de longues allées d'un jardin magnifique. Des connaissances précieuses au bien de l'humanité ont été le fruit de l'étude et des recherches, et les hommes, éclairés sur leurs vrais intérêts, se correspondent par le commerce d'une extrémité du monde à l'autre. Si nous jouissons mal de nos avantages, c'est qu'oubliant la condition de nos aïeux, nous ne sommes frappés que de ce qui nous reste à faire. Transportons-nous quelquefois au milieu du chaos qui couvrit si longtemps la face de l'Occident : suivons le fil des événements dont l'influence a concouru au rétablissement de l'ordre examinons ce que l'état de civilisation où nous sommes arrivés, a coûté de temps et d'efforts observons quels individus, quelle classe de citoyens ont le plus contribué à cette heureuse révolution. Cette étude, digne d'un philosophe, aura le double mérite de nous faire mieux sentir notre bonheur, et de nous acquitter envers ceux qui l'ont préparé. Nous allons chercher ici quelle part les ordres religieux ont eue aux progrès de l'esprit humain et de la société en Europe.


§. I.er Les religieux défrichent.


A l'époque de la fondation des plus fameuses abbayes, on ne voyait que vastes forêts et marécages, que les religieux défrichèrent1 ; et ces nouveaux établissements furent dotés avec des biens qui n'étaient d'aucun rapport. Pour s'éloigner encore plus du monde, la plupart des instituteurs des Ordres monastiques choisirent leur retraite au fond de vallées affreuses, ou sur des montagnes inaccessibles. Dans la nécessité de tirer leur subsistance de ces lieux incultes, obligés d'ailleurs par leur règle à travailler des mains, les moines tantôt desséchaient un marais malfaisant, afin d'en rendre le sol fécond ; tantôt, défrichant des bruyères et portant de la terre sur les rochers, il les forçaient à devenir fertiles. Par les travaux d'une utile pénitence, ils ont exécuté ce que n'eût jamais tenté l'intérêt des particuliers ; et le voyageur s'étonne encore aujourd'hui de trouver des habitations en des endroits que la nature semblait avoir condamnés à une éternelle stérilité. Si Pline, ce sage naturaliste, a osé écrire que les champs d'Italie, fiers d'être cultivés par les mains triomphantes des généraux romains, se couvraient de plus abondantes moissons ; ne serait-il pas permis de dire, qu'arrosée de la sueur de ces pieux solitaires, la terre répondait avec complaisance à leurs vœux ? Mais, sans avoir recours au langage de l'enthousiasme, il est aisé d'expliquer comment l'agriculture se perfectionna parmi les religieux. La faveur dont ils jouissaient, la continuité de leurs travaux, des expériences faites avec soin et transmises avec exactitude, voilà les moyens par lesquels ils parvinrent à changer des déserts arides qu'on leur avait donnés, en des campagnes riches et agréables. De cette utilité particulière, résulta le bien public. Avertis par les établissements monastiques des avantages de l'agriculture, accoutumés à voir des hommes que leur vie rendait recommandables, cultiver la terre de leurs propres mains, nos pères, qui n'estimaient que la force et la valeur, posant les armes de la discorde, prirent les paisibles instruments du labourage.


L'agriculture, ce premier des arts, la source de tout commerce et de toute vraie richesse, doit être regardée comme la base de la société. Aussi les Grecs avaient-ils un temple consacré à Cérès législatrice. Avoir détruit, dans l'esprit de nos pères trop guerriers, le préjugé qu'ils avaient conçu contre l'agriculture, est donc un bienfait important dont l'Europe est redevable à l'ordre monastique. Si l'influence n'en fut pas aussi active qu'elle aurait pu l'être, il faut en accuser une constitution politique qui s'opposait à toute espèce de civilisation.


Les religieux possédaient des domaines trop étendus pour suffire seuls à leur culture ; ils s'associèrent une foule de malheureux, qui trouvaient auprès d'eux une existence moins pénible et plus assurée. A plusieurs, ils distribuaient une partie de leurs terres à titre de ferme, et fournissaient à ces nouveaux colons les avances nécessaires pour les mettre en valeur. D'autres s'établissaient autour des monastères, attirés par la consommation abondante qui s'y faisait, et par les arts qu'entretient l'agriculture. Tous, vivant à l'ombre de la protection qu'on accordait à leurs bienfaiteurs, s'enrichirent, se multiplièrent ; et les peuples étonnés virent les déserts qu'on avait cédés aux moines, couverts d'habitants heureux.


On peut dire, en général, que presque toutes les paroisses où les religieux sont curés doivent leur origine aux monastères ; mais, indépendamment de ces petites peuplades, combien de bourgs, de villes, même épiscopales, n'ont d'autres fondateurs que ceux de l'abbaye qu'elles environnent ! M. Fleury, parlant des missions faites en Allemagne les religieux, s'exprime ainsi : « Ils furent utiles à l'Allemagne, même pour le temporel, par le travail de leurs mains. Ils commencèrent à défricher les vastes forêts qui couvraient tout le pays ; par leur industrie et leur sage économie, les terres ont été cultivées ; les serfs qui les habitaient, se sont multipliés ; les monastères ont produit de grosses villes ; et leurs dépendances sont devenues des provinces considérables. Qu'était autrefois la nouvelle Corbie, qu'était Brême, aujourd'hui deux villes de Saxe ? Qu'étaient Fritzlar, Herfeld, villes de la Thuringe ? Qu'étaient avant les moines, Salzbourg, Frizengue, Echstet, villes épiscopales de la Bavière ? Qu'étaient les villes de Saint-Gal, Kempten, dans la Suisse ? Qu'étaient enfin tant d'autres villes d'Allemagne, avant l'établissement des moines dans cet empire1 ? Qu'étaient en France, aurait-il dire encore, Luxeuil, Saint-Claude, Abbeville, et une foule d'autres lieux aussi considérables ?


§. II. Ils secourent et protègent les malheureux.


Pendant que les religieux augmentaient leurs revenus par leurs défrichements et par leur économie, l'humanité et la charité étaient les heureux canaux qui la reversaient sur la société. Si, au rapport de saint Augustin1, les moines d’Égypte, vivant dans des solitudes affreuses, occupés à faire des corbeilles, ou à des métiers aussi simples, chargeaient cependant des vaisseaux entiers de leurs aumônes ; combien ne durent pas être abondantes celles des religieux d'Occident ! Pour en donner une idée, il suffit de dire que Cluni a nourri quelquefois jusqu'à dix-sept mille pauvres en un seul jour2. On conteste peu ce genre de bien ; mais on prétend que ces aumônes manuelles, toujours accordées à la fainéantise, entretiennent une pépinière d'hommes dangereux à l’État. Aux temps dont nous parlons, des guerres intestines ou étrangères ruinaient tout à coup une foule de citoyens ; lorsque ces infortunés sans ressources allaient chercher leur subsistance à la porte d'un monastère, il faut convenir que les religieux, en satisfaisant promptement à des besoins pressants, se conduisaient en sages administrateurs des biens des pauvres et en fidèles ministres de la providence.


Outre ces secours les cloîtres procuraient encore aux malheureux un asile contre l'injustice et l'oppression. Combien n'évitèrent les tourments, la mort même, qu'à la faveur du respect qu'on avait pour les monastères ! Dans un gouvernement où l'administration de la justice est telle que l'innocent est toujours en sûreté, le coupable toujours puni, celui qui échappe au glaive des lois les énerve, en donnant l'espérance de l'impunité. Mais quand on sait que des combats et des épreuves, cruellement absurdes, faisaient alors l'innocence ou le crime, on doit penser que le droit d'asile était aussi cher à la justice qu'à l'humanité.


De simples religieux, à qui leur vertu avait attiré une considération particulière, devenaient les protecteurs du peuple auprès des grands, et plus d'une fois ils arrêtèrent les effets d'une vengeance souvent féroce ; adoucissement heureux préparé à la faiblesse au milieu de ces mœurs barbares. Par cette conduite généreuse, ils imitaient l'exemple des moines d'Orient, dont les premiers pas vers les villes eurent pour objet de consoler Antioche, menacée de l'indignation de Théodose, justement irrité3. La sainteté de leur vie, leur extérieur pénitent et mortifié, donnant de l'autorité à leurs vives remontrances, ils obtinrent des juges le pardon des coupables.


Au bien que les établissements monastiques ont fait aux hommes, en ces temps reculés, pourquoi n'ajouterions-nous pas le bonheur même des religieux ? Ils étaient heureux, puisqu'ils jouissaient, au sein de la solitude, de la paix et de la tranquillité, tandis que l'Europe, livrée à une foule de petits tyrans, ne connaissait qu'un gouvernement monstrueux, qui réunissait à la fois et les malheurs de l'anarchie, et ceux du despotisme. Sans doute, l'humanité applaudit alors à une institution qui venait arracher plusieurs milliers d'hommes à la misère universelle. « Ce fut longtemps une consolation pour le genre humain, dit M. de Voltaire, qu'il y eut de ces asiles ouverts à tous ceux qui voulaient fuir les oppressions du gouvernement Goth et Vandale. Presque tout ce qui n'était pas seigneur de château, était esclave. On échappait, dans la douceur des cloîtres, à la tyrannie et à la guerre1. »


§. III. Ils cultivent les sciences.


Après avoir défriché des provinces entières, après avoir mis l'agriculture en honneur, les moines ne pouvaient rien faire de plus utile aux progrès de la civilisation, de plus important au bonheur de la société, que de cultiver les sciences et d'en inspirer le goût. Si l'homme est le roi de la nature, s'il est au-dessus des animaux, c'est par l'âme intelligente qu'il a reçue de son auteur ; mais quand elle est négligée, sa raison est un guide moins sûr que leur instinct ; l'étude et les recherches peuvent seules l'étendre et la perfectionner. La culture de l'esprit est donc un besoin comme un devoir pour l'homme, et les arts et les sciences en sont les heureux fruits.


Loin de cette ignorance première, que rachètent en quelque sorte la simplicité et l'innocence, nos aïeux étaient livrés à l'erreur et à la superstition, violents dans leurs passions et féroces dans leurs mœurs : la société n'avait encore fait que les corrompre, et toute idée nouvelle devait être un bienfait pour eux. Au sein de cette barbarie, les cloîtres servirent d'asile aux lettres. Les religieux s'appliquèrent d'abord à un travail aussi pénible qu'intéressant ; les bibliothèques avaient été ruinées, on ne connaissait presque plus l'art d'écrire, et nous allions perdre pour toujours les modèles, en tout genre, que les Grecs et les Romains nous ont laissés  ; quand de toute part, et avec un zèle égal, les moines se vouèrent à recueillir les exemplaires des meilleurs, ouvrages de l'antiquité. Ceux du monastère de Tours préféraient cette occupation à toute autre : Ars ibi, exceptis scriptoribus, nulla habebatur2. Au temps de saint Benoît, les moines d'Italie y consacraient leurs loisirs : « J'avoue, dit aussi Cassiodore, écrivant à ses religieux du monastère de Viviers, que, de tous les travaux du corps, celui de copier des livres a toujours été le plus de mon goût : Antiquariorum studia mihi non immeritò forsitan plus placere : d'autant plus que pendant cet exercice l'esprit s'instruit par la lecture, et que d'ailleurs c'est une espèce de prédication pour ceux à qui ces livres se communiquent3 . » Pierre-le-Vénérable, et Guigues, ce célèbre général des Chartreux, en parlent à peu près de même. La réforme de Citeaux rétablit ce genre de travail ; saint Nicolas, de Clairvaux, secrétaire de saint Bernard, appelle sa cellule Scriptoriolum4. « Il nous reste encore de précieux monuments de cette sage et utile occupation dans les abbayes de Citeaux et Clairvaux, et dans la plus grande partie des abbayes de l'ordre de saint Benoît. »


Si l'on pensait que les religieux ne transcrivaient que les livres de l’Écriture sainte, ou ceux qui ont quelque rapport aux sciences ecclésiastiques, qu'on lise les Institutions de Cassiodore ; il recommande de rassembler avec soin, non-seulement les ouvrages des saints Pères et des historiens, mais encore les écrivains qui traitent de la cosmographie, de la géographie, les rhétoriciens, et jusqu'à ceux qui ont écrit sur l'orthographe. Enfin, comme s'il craignait de ne pas embrasser toutes les sciences, il veut qu'on recherche les principaux auteurs de la médecine, afin, dit-il, que ceux qui sont chargés de l'infirmerie, y puissent trouver les moyens de soulager les malades. On sait que l'abbaye de Corbie nous a conservé les cinq premiers livres de Tacite ; c'est ainsi que, sans cesse occupés à copier et à transcrire, les moines empêchèrent les effets de la barbarie et du génie destructeur des Omar d'Occident, et l'on est forcé de convenir que nous leur devons tout ce qui nous reste de l'antiquité, tant sacrée que profane. « Les Alexandre, les César, les Homère et les Virgile nous seraient inconnus sans de pauvres solitaires, qui n'ont pas même attaché leur nom à ceux qu'ils ont sauvés de l'oubli. »


Par leurs recherches et leurs travaux soutenus, ils formèrent ces précieuses collections de livres, les premières connues en Europe. Suivant la règle de Tarnate et celle de saint Benoît, chaque monastère était obligé d'avoir une bibliothèque, et on regardait celui qui en manquait, comme un camp dépourvu des choses les plus nécessaires à sa défense : Claustrum sine armario, quasi castrum sine armamentario1. On n'en confiait le soin qu'à un religieux élevé dans la maison dès sa plus tendre enfance. Rien dans la suite des temps ne devint plus célèbre que les bibliothèques des monastères ; on y conservait les livres de plusieurs siècles, dont on avait soin de renouveler les exemplaires ; et sans ces bibliothèques, il ne nous resterait guère d'ouvrages des anciens ; c'est de là, en effet, que sont sortis presque tous ces manuscrits, d'après lesquels on a donné au public, depuis l'invention de l'imprimerie, tant d'excellents ouvrages en tout genre de littérature.


§. IV. Écoles des monastères.


En même temps que les religieux travaillaient avec tant d'ardeur et de constance, à sauver de la barbarie de nos pères les chefs-d'œuvre de l'antiquité, ils s'efforçaient de leur en montrer les beautés et de leur en faire sentir le prix. Ils avaient deux sortes d'écoles : les unes intérieures, destinées aux moines ; les autres extérieures, où se rendaient les séculiers. On peut rapporter l'origine de cette double école à saint Pacôme2, qui recevaient des enfants outre les catéchumènes, qu'on disposait au baptême. Pour ne parler que de celle d'Occident, au mont Cassin furent élevés, par saint Benoît, saint Maur et saint Placide, ainsi que la plupart des enfants des premières familles de Rome. Les moines qu'envoya saint Grégoire aux îles Britanniques, y bâtirent des monastères, qui furent des écoles de vertu et de science. Au siècle suivant, le vénérable Bède les enseignait avec succès à ses frères dans le cloître, et au public dans l'église d'Yorck ; saint Anselme et plusieurs autres suivirent cet exemple : Glatemburi, Malmesburi, Croyland, etc., étaient des écoles fameuses ; c'est de là que saint Boniface les transporta à Fulde et à Fritzlar. Vers le même temps fleurirent celles de Saint-Gal, de Richenau et de Prom.


Au commencement du règne de Charlemagne, les écoles monastiques étaient faibles et languissantes ; la discipline régulière se ressentait des troubles précédents. Une foule d'abbayes avaient été ruinées par les Sarrasins, et d'autres accordées à des ducs ou comtes, en récompense de leurs services militaires. Ces événements, funestes au bon ordre des maisons régulières, en bannirent les bonnes études.


Quoique Charlemagne n'eût d'autres connaissances que celles de son temps, saisissant avec avidité tout ce qu'il trouvait de grand et de beau, en quelque genre que ce fût, son génie semblait être échappé du siècle d'Auguste. Au second voyage qu'il fit à Rome, il connut Alcuin, savant moine anglais, et sentit son mérite. Il importait à sa gloire et à ses projets de s'attacher un tel homme ; il l'attira et le fixa en France, par ses bienfaits et par son amitié. Honoré de la confiance de son nouveau maître, Alcuin ne s'en servit que pour faire fleurir les sciences et les lettres. Afin de les rendre d'abord respectables à un peuple ignorant et grossier, il plaça leur sanctuaire dans le palais des rois ; à Aix-la-Chapelle se forma une académie, où l'on s'occupait de toutes les sciences ; l'empereur tenait à honneur d'être de cette société aussi utile qu'agréable ; il assistait assidûment à toutes les conférences, et donnait son avis sur toutes les matières. Il aimait à se regarder comme le disciple d'Alcuin, et en lui écrivant il l'appelait toujours son maître ; c'était l'Aristote de ce nouvel Alexandre. Charlemagne apprit de lui la rhétorique, la dialectique, et surtout l'astronomie, pour laquelle il avait un goût particulier, comme on le voit par ses annales, qui renferment des observations astronomiques fort curieuses.


Qu'on juge de l'effet que dut produire cet établissement sur l'esprit des Français, cette nation qui prit toujours les mœurs de ses souverains avec encore plus de docilité qu'elle ne reçut leurs lois. Les grands voulurent être de l'académie de l'empereur ; et les autres tâchèrent, par leurs travaux et par leurs efforts, de s'en rendre dignes. Bientôt les provinces demandèrent des écoles sur le modèle de l'académie impériale. En Occident, tous les esprits se portèrent vers les sciences avec une émulation si vive, qu'elle mérita à Charlemagne le titre de Restaurateur des lettres1. Pour en maintenir le goût parmi ses sujets, il crut surtout nécessaire de le ranimer dans les cloîtres et dans les églises, comme dans leur véritable foyer. Tel est l'objet d'une lettre circulaire qu'il écrivit aux évêques et aux abbés, adressée à celui de Fulde : « Ayant résolu, dit ce prince, de remettre le bon ordre dans les églises cathédrales et dans les monastères, nous avons pensé, qu'outre la pratique exacte de la discipline régulière, et de tout ce qui peut faire refleurir la religion et les mœurs, il était à propos d'y renouveler l'étude des lettres, afin que chacun s'y applique suivant sa capacité ; parce qu'il est bienséant que ceux qui mènent une vie conforme aux bonnes mœurs que la religion prescrit, soient aussi capables de parler d'une manière sage et réglée, et que ceux qui s'efforcent de plaire à Dieu par une conduite irréprochable, puissent aussi édifier les autres par leurs discours2. »


Dès cette époque, les religieux se livrèrent à l'étude avec une ardeur nouvelle ; ils rétablirent partout leurs écoles, où venaient s'instruire le peuple et le clergé. En France, les plus distinguées étaient celle de Fontenelle, célèbre sous saint Vandrille et saint Ansbert ; celle de Fleuri, connue par les Aimoin, les Mommol et les Abbon, qui la présidaient. Il serait facile d'en citer un grand nombre d'autres, qui soutinrent l'amour des lettres et l'honneur de l'ordre monastique. On y donnait à la jeunesse la meilleure éducation qu'elle pût recevoir alors. Quand nous lisons les coutumes de Cluni, nous sommes forcés de convenir avec Ulric, que le moindre des jeunes gens y était élevé ayec autant de soin que les enfants des rois au sein de leurs palais3. Aussi, plusieurs monastères ont eu la gloire de former des héritiers de la couronne. Lothaire, fils de Charles-le-Chauve, fut confié dès son enfance à l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre ; Robert II, ainsi que Louis-le-Gros et beaucoup d'autres, le furent à Saint-Denis. Les études suivaient le cours et le sort de la discipline régulière ; leur rétablissement fut toujours le premier pas vers la réforme, ou le premier règlement des ordres nouveaux ; et si le flambeau des sciences s'éteignait dans un monastère, on le voyait se rallumer dans un autre.


On y apprenait la rhétorique, la dialectique, l'astronomie, la grammaire et la musique. Au temps de Pierre le Vénérable, un écrivain ayant reproché aux clunistes de s'appliquer aux lettres profanes, et d'enseigner les auteurs du paganisme, ils s'en justifièrent par l'exemple des monastères les plus fameux. Obéissant à un capitulaire de Charlemagne, qui leur ordonne d'étudier la médecine, les religieux la cultivent avec succès. Par leurs soins, les ouvrages des Arabes, nos premiers maîtres, commencèrent à se répandre en Europe. Pendant plusieurs siècles, on ne connut point d'autres médecins que les clercs et les réguliers ; eux seuls exerçaient aussi la profession d'avocat. Quoique l'ignorance des laïques les autorisât en quelque manière, la plupart des conciles leur interdirent ces fonctions, comme contraires à la retraite et à la discipline régulière ; exclus du barreau, ils pouvaient encore s'adonner à l'étude des lois ; et c'est à un religieux que l'Angleterre doit la connaissance du droit romain. Thibaud, abbé du Bec, devenu archevêque de Cantorbéri, en 1138, y porta le code de Justinien, découvert depuis peu en Italie.


§. V. Ils répandent parmi nous le goût des arts.


Les religieux contribuèrent aussi à répandre parmi nous le goût des arts, et les cloîtres furent souvent des ateliers. Au douzième siècle, les prémontrés de l'abbaye de Vigogne firent une châsse qui excita l'admiration de tous leurs contemporains ; les ouvriers les plus renommés en tout genre étaient appelés de toute part, pour la construction des églises. Les plus belles du monde, en général, et de Paris en particulier, sont leur ouvrage. Quoi de plus beau que le sanctuaire du mont Cassin, la Chartreuse de Naples, les monuments élevés et décorés par les Jésuites, l'abbaye des Bénédictins de la rue Saint-Martin à Paris, l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, etc ?... La plupart des grands établissements du gouvernement actuel ne sont-ils pas formés dans les vastes et magnifiques bâtiments élevés par la patience des religieux ? Plusieurs d'entre eux nous ont laissé des preuves qui attestent encore aujourd'hui leurs connaissances en architecture. Cluni a été bâti par le moine Hézelon ; et Prémontré, par Hugues, compagnon de saint Norbert.


Nous leur devons en outre des monuments d'utilité publique. Le Petit-Pont et celui de Notre-Dame, sont l'ouvrage d'un cordelier, nommé Jean Joconde. De nos jours même, le frère Romain, dominicain, architecte et ingénieur du roi, a dirigé le Pont-Royal, si estimé des gens de l'art.


§. VI. Ils nous ont conservé les monuments de l'Histoire.


Mais c'est surtout par les services rendus à l'histoire, qu'ils ont bien mérité de la société. Lorsque le peuple ne savait pas même lire, ils recueillaient les événements dont ils étaient témoins. Il était d'usage, en plusieurs monastères, de choisir un écrivain exact et habile qui rassemblait les actions du souverain, et tout ce qui arrivait de plus mémorable sous son règne. A sa mort chacun rapportait au chapitre général le plus prochain ce qu'il avait observé. Après un mûr examen, on le rédigeait en forme de chronique, qu'on conservait pour l'instruction de la postérité. Ces chroniques nous ont fourni la plupart des matériaux de l'Histoire sacrée et profane, générale et particulière. Aussi le chevalier Marsham ne craint pas de dire que, sans les moines, les Anglais ne seraient que des enfants dans celle de leur pays1.


En effet, combien ne doit-elle pas à Bède, à Ingulf, à Turgot, à Guillaume Malmesburi, aux deux Matthieu, Matthieu de Westminster et Matthieu Paris ? celle de France, à l'archevêque de Vienne Adom, à Guillaume de Saint-Germer, à Odric de Saint-Evroul, à l'un et l'autre Aimoin, à Hugues, abbé de Flavigny ; celle d'Italie,à Crkempert, à Léon de Marsiac, au diacre Pierre ; celle d'Allemagne, à Réginon, abbé de Prom, à Wittekind et Lambert de Schasnabourg, à Dithmar et Herman-le-Raccourci ?


En sauvant de l'oubli les monuments des siècles passés, les religieux acquéraient des droits à la reconnaissance de la noblesse, dont ils assuraient l'état. Sans leurs archives, combien de descendants de ces grands hommes que l'Histoire offre à notre admiration, languiraient dans la classe des hommes obscurs ! par le soin qu'ils ont pris de conserver les preuves de leur origine, ils les ont placés au rang qui leur appartient, les ont environnés de dignité, et ont attaché à leur nom le respect que la nation aime à rendre au sang de ses chefs et de ses défenseurs.


§. VII. Découvertes utiles.


Aidés des secours que leur fournissaient les cloîtres, plusieurs sont devenus les bienfaiteurs de la société par des découvertes dont nous jouissons, sans en connaître les auteurs. Sous le règne de Hugues Capet, parut Gerbert, moine d'Aurillac, dont les connaissances en mathématiques passèrent pour des enchantements. On lui attribue la première horloge à balancier ; on s'en est servi jusqu'à ce que Huyghens eût inventé l'horloge avec un pendule. Il introduisit encore en France, à ce que l'on croit, le chiffre arabe, ou indien, qu'on emploie dans les mathématiques et l'astronomie. « Celui qui trouva le premier les roues et les pignons, dit M. d'Alembert, eût inventé les montres dans un autre siècle ; et Gerbert, placé au temps d'Archimède, l'aurait peut-être égalé2. »


C'est à Gui, moine d'Arezzo, que la musique, cet art si puissamment employé par les anciens législateurs, et qui fait aujourd'hui partie de toute éducation soignée, doit un de ses plus grands pas vers la perfection. Avant lui, elle consistait dans le chant d'une ou plusieurs voix, l'une après l'autre. Maintenant encore les Orientaux n'aiment que la mélodie, et ne peuvent souffrir le contraste des sons graves et aigus. Gui, né musicien, découvrit à force de méditation, qu'en gardant certaines proportions, il était possible de faire chanter ensemble plusieurs voix différentes, et d'en former une harmonie, qui charmât l'esprit et l'oreille. Il imagina les lignes et la gamme, et prit, dit-on, les six fameuses syllabes de la première strophe de l'hymne de saint Jean-Baptiste, Ut queant1. L'Europe applaudit à l'invention du Bénédictin d'Arezzo ; et par ce moyen, un enfant sut au bout de quelques mois ce qu'auparavant un homme n'apprenait qu'en plusieurs années.


Entre les docteurs de l'école, distinguons un Albert-le-Grand, religieux dominicain, qui s'appliqua avec succès à la mécanique, et fut l'auteur d'une foule d'inventions ingénieuses, entre autres d'une tête parlante, ou bien d'une figure parfaitement semblable à l'homme2. Admirons Roger Bacon, cordelier, dont le génie entrevit presque toutes les découvertes des siècles postérieurs : par des expériences multipliées, ce savant homme trouva les miroirs ardents, et toutes sortes de lunettes propres à grossir et à diminuer les objets. Ses connaissances en astronomie, en chimie et en physique, étonnèrent tellement ses contemporains, qu'ils l'accusèrent de sortilège. On sait combien cette imputation était commune au temps où il vivait ; la jalousie et l'ignorance ne manquaient jamais de se servir de cette arme contre le mérite distingué. Roger vengea les sciences dans son fameux ouvrage intitulé : De secretis operibus Naturæ et Artis. « Qu'est-il besoin, dit-il3, d'avoir recours à la magie, puisque la physique nous apprend tant de beaux secrets, qui ont le double avantage de satisfaire notre curiosité et de surprendre le vulgaire ignorant4 ? »


Si Christophe Colomb, Améric Vespuce, et Fernand Cortès sont devenus justement célèbres par la conquête de l'Amérique, ne devons-nous pas quelques éloges à celui qui le premier l'annonça, et montra, pour ainsi dire, le nouveau monde aux nations indolentes de notre continent ? « Un dominicain missionnaire, qui avait passé la ligne, dit un de nos historiens5, adressa ses découvertes à Philippe de Valois. On ne peut attribuer qu'à l'espèce d'engourdissement où l'ignorance avait plongé les plus puissantes nations de l'Europe, le peu d'ardeur qu'on témoigna de suivre ces premières connaissances du nouveau monde. Ce religieux affirmait dans son ouvrage, De mirabilibus mundi, non-seulement que les peuples chrétiens ne formaient pas la vingtième partie des habitants de l'univers, mais encore que l'existence des antipodes n'était pas une fable. »


Si les arts ne peuvent se proposer de but plus utile que d'aider nos sens, quelle reconnaissance ne devons-nous pas à cet Alexandre Spina, dominicain, qui, faisant une heureuse application de la propriété des verres convexes, inventa les lunettes, communément appelées Besicles. Jusqu'à lui, les hommes perdaient la vue longtemps avant la vie. Avec le secours de ces lunettes, les objets que n'apercevaient plus les yeux affaiblis du vieillard, ou qui lui paraissaient confus et embrouillés, il les voit d'une manière claire et distincte. Depuis Spina, la vieillesse est moins triste et moins pénible pour l'humanité1.


§. VIII. Autres titres de gloire.


Le seul homme de notre nation qui ait obtenu les honneurs du triomphe qu'à la renaissance des lettres on décernait aux plus fameux poètes, est un religieux augustin de Toulouse, nommé Bernard André ; l'Angleterre fut le théâtre de sa gloire. Il y voyageait pour s'instruire, lorsque Henri VIII, averti de son mérite, l'accueillit à sa cour et le fixa près de lui. Bientôt se prépare la pompe du couronnement ; une guirlande de myrte et de roses est posée sur la tête de ce savant cénobite au milieu des acclamations publiques, et le titre de poète lauréat lui est déféré dans une charte royale. Il l'avait mérité par des poésies sacrées et profanes, fort admirées alors, et dont trois livres d'hymnes, qu'on chante encore aujourd'hui, donnent une idée avantageuse. André s'exerça en plusieurs genres avec un égal succès ; il fut choisi pour être historiographe des îles Britanniques ; et nous avons de lui une vie très estimée de Henri VII, le Salomon de l'Angleterre. En plaçant son buste à côté de son illustre fondatrice, l'académie des jeux floraux vient de faire reverdir sur le front de Bernard André les lauriers qu'il reçut au seizième siècle2.


Français, rappelant à des français les services que les religieux ont rendus à l’État, pourrions-nous oublier qu'un de nos rois, descendant de son trône pour porter la guerre au-delà des mers, sur l'avis et le choix de la nation, alla chercher dans un monastère celui qui, pendant son absence, devait tenir les rênes de l'empire ? Par une administration également heureuse et habile, Suger y maintint la paix et la tranquillité. Quand il remit à son maître le précieux dépôt de la félicité publique, Louis VII et les Français reconnaissants lui donnèrent de concert le nom de père de la Patrie3.


Nous terminerons ce chapitre par le témoignage de l'abbé Vély. Après avoir parlé de la fondation des principales abbayes au septième siècle, et des privilèges qui leur furent accordés, « Le gouvernement, dit-il, retira de grands avantages de tant de pieux établissements. Ils ont donné des saints à la religion : c'étaient des écoles de vertu ; des historiens à la postérité : ce sont eux qui nous ont conservé les fastes de la nation ; des citoyens utiles à l’État : c'est à leur industrie que la France doit une partie de sa fécondité4. »



CHAPITRE 5 : L'UTILITÉ ACTUELLE DES ORDRES RELIGIEUX1.


Si nous honorons les descendants de ceux qui ont bien mérité de la patrie ; si presque tous les États leur accordent des privilèges et des distinctions, pour s’acquitter envers leurs aïeux ; si l'éclat du nom relève toujours les talents personnels, en prononçant sur les religieux de nos jours, peut-on, sans injustice, oublier les services et les vertus de leurs prédécesseurs, et ne pas reconnaître le droit qu'ils leur ont acquis à notre reconnaissance ? Mais fermons, si l'on veut, tous les livres d'histoire ecclésiastique et civile ; renversons, s'il est possible, tous les monuments qui attestent le bien dont nous leur sommes redevables ; dépouillons les enfants de la gloire dont les couvre le mérite de leurs pères ; pour les juger, n'examinons que les faits dont nous sommes témoins ; et voyons si l'utilité qu'en retirent encore la religion et la société, ne doit pas les rendre chers à l'une et à l'autre ?


Les corps religieux servent l'Église par leurs vertus, par la culture des saintes lettres, par leur application au ministère ecclésiastique.


§. Ier. On trouve encore dans le cloître de grandes vertus.


Quoiqu'il ne soit pas dans notre cœur, et qu'il n'entre pas dans notre plan, de faire la satire de notre siècle, nous ne saurions dissimuler que les mœurs ont reçu de funestes atteintes. Cette altération, il faut l'imputer à l'effervescence irréligieuse qui s'est emparée de toutes les têtes, à l'amour trop dominant pour les sociétés, et à celui des jouissances qu'a tant multipliées le luxe. Pour nous garantir de l'excessive crédulité de nos aïeux, leurs censeurs ont voulu lui substituer un pyrrhonisme plus dangereux : les vertus formées par la religion ont perdu leur force et leurs motifs ; et l'égoïsme, fruit des nouvelles maximes, a remplacé l'abnégation de soi-même et tous les généreux sacrifices qu'ordonne ou conseille l'évangile. A la faveur de la grande communication établie entre les différentes classes des citoyens et de la licence qui y règne, ce mépris s'est aisément communiqué. Le commerce de la vie parmi les hommes et surtout parmi les chrétiens, devrait-il être autre chose qu'un mutuel échange de bons offices ? Ne sont-ils pas obligés de s'exhorter par leurs exemples et par leurs discours à s'acquitter envers Dieu et envers la patrie ? et le besoin qu'ils ont de plaisirs ne peut-il pas être satisfait par des jouissances d'autant plus douces, que la source en est plus pure ? En observant l'état actuel de la société, on est promptement averti que nous nous ne réglons pas sur ces principes : les âmes s'énervent, les vertus domestiques deviennent rares, les devoirs civils et religieux ne sont plus respectés. Le luxe ajoute encore à ces misères : renfermé en de justes bornes, il exercerait suffisamment l'industrie, alimenterait le commerce autant qu'il est nécessaire, et, sans nuire à l'agriculture ni à la simplicité des mœurs, il procurerait de l'aisance aux nations. Quand il domine tous les ordres d'un empire, c'est de la bouffissure qu'il leur donne, et non de l'embonpoint ; excitant dans tous les cœurs l'avidité pour l'or, il étouffe la pitié, et laisse le malheureux sans ressource : on ne ressent que trop partout combien il est fécond en désordres et en crimes. Ainsi, la religion, qui commande les bonnes mœurs, qui sanctifie toutes les obligations et tous les sentiments humains, est également affligée et pour ses propres pertes et pour les pertes de l’État.


Parmi tant de sujets de larmes, elle trouve dans la piété des religieux une de ses plus douces consolations. En portant ses regards vers les cloîtres, elle en découvre encore dont la fidélité à leur profession est entière ; par la pratique des conseils évangéliques, s'élevant au plus haut degré de la perfection chrétienne, ils convainquent d'imposture tous ses calomniateurs ; loin de redouter la solitude, ils la chérissent comme la sauvegarde de leur ferveur ; observateurs exacts de la pauvreté qu'ils ont vouée, ils méprisent les biens et les commodités de la vie, ajoutent même des privations volontaires aux privations que la règle prescrit. Quel spectacle aux yeux de la religion, que celui qu'offrent des hommes sans cesse occupés à chanter les louanges de Dieu avec le respect dû à sa majesté suprême, qui, pendant quarante et soixante ans, vivent ignorés et portent un joug austère sans se lasser de leur sacrifice, qui ne sont avides que des délices de la vertu ! Qu'au sortir d'un cercle, où l'on croit avoir joui de tous les plaisirs réunis, on se transporte dans un monastère pour y voir un de ces pieux anachorètes, on sera frappé du contraste que forment avec la frivolité, sa simplicité, sa modestie, sa candeur, son aménité, son air serein, qui décèle un âme tranquille et vraiment heureuse, et ce je ne sais quoi de pénitent et de saint, qui, répandu sur toute sa personne, pénètre d'un sentiment religieux dont il est impossible de se défendre.


Voilà ce que nous avons vu plus d'une fois. Ceux de nos lecteurs qui fréquentent les cloîtres attesteront que nous n'exagérons rien, et nous ne demandons aux autres que de suspendre leur censure, jusqu'à ce qu'instruits par eux-mêmes ils puissent juger avec équité. On regrette comme inutile, mais on ne conteste pas la vertu des enfants de saint Bruno. Notre mollesse effrayée taxe d'extravagance, mais reconnaît la rigidité de la Trappe, d'Orval, de Sept-Fonts. Ces religieux ne paraissent-ils pas avoir appartenu aux plus beaux siècles de l'Église ? Quelque admiration que nous inspire leur persévérance, et quelque sincère que soit l’hommage que nous leur rendons, nous ne faisons néanmoins aucun vœu pour que leurs maisons se multiplient et deviennent plus nombreuses, parce qu'un régime si sévère ne saurait convenir à une grande multitude d'hommes. C'est ce qu'avait bien senti le vénérable Guigues1, qui fut vingt-sept ans prieur de la chartreuse de Grenoble. « Notre ordre, dit-il, ne se soutient que par le petit nombre de ceux qui l'embrassent. »


Nous citerons encore l'exemple des religieuses en général : celles surtout qui n'ont que peu de relations avec le monde, continuent de pratiquer courageusement les rigueurs de la pénitence. Il est peut-être des corps où l'esprit du fondateur ne vivifie pas tous les membres : mais il faut bien avouer que, malgré le relâchement, l'Église y compte encore un grand nombre de saints, comme un grand nombre de savants.


§. II. Les religieux cultivent les sciences ecclésiastiques.


Si les religieux sont obligés par état de s'appliquer aux sciences ecclésiastiques, nous ne craignons pas de dire que, depuis le commencement de ce siècle, ils ont été fidèles à remplir ce devoir. Marchant sur les traces de leurs prédécesseurs, ils nous ont donné des ouvrages utiles ; et, pour de nouveaux besoins, la religion a trouvé en eux de nouveaux secours. Théologie, Histoire de l'Église, Jurisprudence ecclésiastique ; voilà le champ immense dont il fallait continuer la culture. Dans quelques parties ils ont travaillé seuls et sans coopérateurs ; pour les autres, ils ont réuni leurs efforts aux efforts de tous ceux qu'animaient l'utilité et la gloire de l'Église.


Comme l’Écriture sainte est le premier fondement de notre foi, les religieux se sont voués à cette étude avec un zèle digne du sujet. En expliquer le texte, en développer les sens, en concilier les contrariétés apparentes ; tel est l'objet que se sont proposé, sur toute la Bible ou sur quelques-uns de ses livres, dom Calmet entre autres dans son Commentaire littéral ; dom Poncet, dan ses Nouveaux Éclaircissements sur le Pentateuque des Samaritains ; le P. Goudou, capucin, en exposant les Psaumes dans leur véritable sens, le P. Colomne, barnabite, dans son Dictionnaire et sa Notice de l’Écriture sainte ; dom Girardet, dans son Lexicon hebraicum et chaldæo-biblicum ; et dom Sabathier, dans son Ancienne Version italique ; Jacques Lallemant, et le P. Berthier, jésuite, sur les psaumes ; Bernard de Pequigni, capucin, sur saint Paul.


S'enfoncer dans la nuit des temps écoulés, et interroger tous les monuments et tous les livres, soit pour recueillir ce qu'on peut savoir des usages anciens, soit pour former l'histoire des auteurs inspirés ; approfondir la religion des différents peuples et assigner l'origine de leurs traditions ; débrouiller divers points de chronologie et de géographie, et par là éclaircir plusieurs endroits de l’Écriture, qui, sans ces connaissances, auraient toujours été obscurs, c'est ce qu'ont exécuté dom Calmet, par son Histoire de l'ancien Testament, et par ses savantes Dissertations ; dom Cellier, par son Histoire générale des auteurs sacrés ; dom Rousseau, par ses Lettres sur la Géographie de la Palestine ; dom Martinai, par sa Chronologie du Texte Hébreu, dom Martin, par son Explication de divers monuments qui ont rapport à la religion des peuples les plus anciens.


Démontrer l'authenticité et l'intégrité de ces livres, en prouver l'inspiration, et justifier la croyance qui leur est due, voilà la tâche qu'ont remplie le P. Barre, génovéfain, en publiant ses Vindicia Librorum deutero-canonicorum ; plusieurs qui sont déjà cités, et tant d'autres que nous ne citons pas.


Fondre tous ces travaux en un seul travail ; donner à la traduction, faite sur les langues originales, la précision et la clarté propres à relever la justesse et la beauté des idées  ; puiser des explications dans les Pères et dans les plus doctes interprètes  ; et y joindre des notes critiques, historiques, géographiques et grammaticales, appuyées de l'autorité des plus habiles grammairiens et lexicographes hébreux ; distinguer les temps et les caractères des deux alliances ; démêler la variété des sens ; rapprocher les différentes prophéties dont l'objet est le même, et faire sentir partout l'accord et l'harmonie, n'est-ce pas là ce qui occupe la société hébraïque depuis 1744 jusqu'à ce jour ? Par sa libéralité envers ces savants capucins, le clergé de France vient de consacrer leur travail et les encourage à le poursuivre.


La seconde base de notre foi, c'est la tradition perpétuelle et universellement attestée des points approfondis. Transmise d'abord dans des instructions de vive voix, elle a été soigneusement recueillie par saint Polycarpe, disciple de saint Jean l'évangéliste ; par saint Irénée, saint Clément alexandrin, contemporains de ceux qui avaient entendu les Apôtres, et ainsi d'âge en âge par les autres Pères. « Leurs ouvrages qui sont venus jusqu'à nous, dit M. Fleury, au travers de treize à quatorze siècles, après tant d'inondations de peuples barbares, tant de pillages et d'incendies, malgré la fureur des infidèles, la malice des hérétiques, l'ignorance des temps moyens ; » leurs ouvrages contiennent, outre le fond de la doctrine, la manière de l'enseigner, les règles et les exemples de la discipline et des mœurs. Leur étude, nécessaire à la Religion, est donc d'un devoir indispensable à ceux qui sont obligés de la servir.


Vers la fin du siècle dernier, la revue et la correction de tous leurs écrits fut entreprise par plusieurs savants, et surtout par les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. De nos jours, elle a été continuée exclusivement par eux et par quelques autres religieux. C'est en 1700, que sortit de Saint-Germain-des-prés le dernier volume de l'édition de saint Augustin, la plus correcte et la plus complète de toutes, et si estimée par le choix et l'arrangement des matières qui règnent dans la table, chef-d'œuvre en ce genre. En 1704, dom de Sainte-Marthe donna l'édition de saint Grégoire ; dom Massuet, celle de saint Irénée, en 1705 ; dom Martinai, celle de saint Jérôme, en 1706 ; dom le Nourri, celle de saint Ambroise, en 1707 ; dom Touttée, celle de saint Cyrille de Jérusalem, en la même année ; et en 1715, le dernier volume de son grand ouvrage de l'Apparat à la bibliothèque des Pères, où tout ce qui regarde ceux des quatre premiers siècles est éclairci avec la plus saine et la plus judicieuse critique ; dom Coustau, celle de saint Hilaire, en 1711 ; dom Garnier, en 1713, celle de saint Basile qu'a retravaillée dom Maran, à qui nous devons les œuvres de saint Cyprien et de saint Justin ; en 1762, dom Macoopérateur de tant d'autres éditions, a redonné ce dernier Père. Le Quien, dominicain, a publié l'édition de saint Jean Damascène, en 1723 ; dom de la Rue, les œuvres d'Origène, en 1729 ; dom de Montfaucon, les Hexaples du même auteur, et les ouvrages de saint Athanase et de saint Chrysostome, etc. D'autres religieux travaillèrent dans le même genre, ou à l'édition de saint Épiphane, par le Père Pétau, jésuite ; celle de saint Nil, par le père Suarez, et les lettres du même par le Père Poussines, de la même société ; saint Sidoine Apollinaire, par le Père Sirmond ; Théodoret, par le même, etc.


Pour juger tout ce que ce travail a coûté de peine, qu'on se rappelle la confusion où étaient tous ces monuments de l'antiquité. Les bibliothèques publiques n'offraient que peu de ressource : les communautés religieuses s'étant relâchées pendant les quatorzième et quinzième siècles, le zèle de les transcrire ne les animait plus, et elles en avaient laissé dissiper les anciennes copies. Il a donc fallu réunir ces précieux débris épars en différents monastères, les débrouiller, les comparer, leur rendre leur intégrité originale, et en rejeter tout ce que des mains ignorantes y avaient ajouté d'étranger. L'intelligence de ces monuments a été facilitée par des notes et des dissertations savantes, où l'on apprend, non-seulement ce qui concerne personnellement ces saints dépositaires de la doctrine, mais aussi quelles sont les hérésies de leur temps, les raisons qu'ils emploient pour les combattre, quels conciles les ont condamnées, et tout ce qui, durant leur vie, est arrivé de plus considérable à l'Église.


Enfin, après avoir posé les règles suivant lesquelles on doit étudier les Pères ; après avoir distingué judicieusement en eux les docteurs particuliers, les témoins de la croyance catholique, et les divers degrés de confiance qu'ils méritent sous ce double rapport ; après avoir assigné le triple caractère des articles de foi, conservés par la tradition1, dom Mareschal montre leur constante uniformité sur tous les points qui tiennent essentiellement au dogme, à la morale et à la discipline,


Noël Alexandre, dominicain, a développé, avec beaucoup de clarté, les importantes vérités de la morale, par son Apologie de celle des Pères. Dom Cellier montre qu'ils ne sont que les fidèles interprètes de l’Évangile, où ils ont puisé les règles des mœurs qu'ils établissent si solidement.


La controverse a eu, de nos jours, une carrière malheureusement trop vaste à parcourir. Depuis que Constantin a fait monter la Religion sur le trône des Césars, les attaques qu'elle a soutenues n'avaient été successivement dirigées que contre quelques-uns de ses dogmes. Les hérétiques reconnaissant la divinité des Écritures et l'infaillibilité de l'Église, il suffisait, pour les réduire au silence, de justifier l'explication littérale des textes dont ils abusaient ; ou bien la décision des conciles ramenait ceux qui s'égaraient de bonne foi. De toute part l'indignation s'était élevée contre les monstrueux systèmes de Vanini, de Spinosa et de quelques autres. Leurs idées, diversement fondues en une multitude d'ouvrages plus licencieux encore, et que les grâces de l'exécution rendent plus séduisants, ont été accueillies par notre siècle. Il a fallu renouveler les combats que les Pères avaient autrefois livrés aux païens ; et nous voyons plusieurs religieux entrer dans cette lice honorable. Pour repousser les coups de l'incrédulité, les uns exposent simplement les titres primitifs de la révélation ; les autres prouvent que la raison est d'accord avec la foi.


Dom Lamy établit, d'une manière victorieuse, la vérité de la religion chrétienne ; dom Maran, la divinité de J. C. ; dom Toussaint, l'autorité des miracles ; le père Hayer, récollet, la spiritualité et l'immortalité de l'âme2. Il fallait encore réfuter les erreurs de toute sorte, si audacieusement avancées par nos écrivains modernes, et leur opposer leur propre témoignage en faveur de la religion ; employer ainsi à sa défense les armes destinées contre elle, et donner aux hommes une importante leçon, en leur offrant le tableau des contradictions où sont tombés les plus grands génies, c'est ce qu'ont fait différents religieux. Nous nous contenterons de citer les Helviennes de Barruel, jésuite, le Traité de la religion de Mauduit, oratorien, Insuffisance de la religion naturelle, par Griffet, les Pensées théologiques de dom Jamin, le Catéchisme philosophique de Feller, les ouvrages de Nonotte, de Crasset, de Lamarre, de Lefebvre et de plusieurs autres dont le détail nous conduirait trop loin. Si ces ouvrages ne sont pas tous également embellis par les ornements du style dont se parent leurs adversaires, on ne peut nier qu'ils ne brillent par la clarté des preuves, et qu'il n'y domine une force de raisonnement capable d'éclairer et d'entraîner tous les esprits qui ne cherchent que la vérité. Comme ils ont attaqué les incrédules, ils ont aussi défendu la foi contre les hérétiques. Les pères Lessius, d'Orléans, Scheffmacher, Bougeant, Séédorff, Hardouin, Ribadaneira, et d'autres jésuites ; De Ceillier, dans son Apologie de la morale des Pères ; Le Quien, de l'ordre de Saint-Dominique, etc... ont établi solidement plusieurs des vérités contestées par les protestants ; les Pères Colonia, Bonnaud, Daubanton, Deschamps, Garnier, Lallemant, Barruel, ainsi qne dom Gervais, dom Lamy, dom Maran, bénédictins, Motkembourg, récollet, et Honoré de Sainte-Marie, capucin, ont écrit avec succès contre les nouvelles erreurs  ; leurs ouvrages sont assez connus pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en tracer ici le catalogue.


Nous ajouterons ici que quelques religieux ont beaucoup contribué à introduire, dans nos écoles, la dignité avec laquelle y est traitée maintenant la science de Dieu1 : que loin d'avoir à craindre qu'elles s'en écartent, nous devons espérer que, l'antiquité étant pleinement approfondie, elles adopteront, autant que le permettront les circonstances, la méthode même qu'on suivait pour l'enseignement pendant les premiers siècles de l'Église. Quoi qu'il en soit, chaque Ordre a plusieurs maisons d'études où se forment les jeunes profès. D'autres, choisis par leurs supérieurs, viennent, conformément à leurs règles, terminer leur cours en Sorbonne ; et la plupart des universités du royaume les voient ensuite occuper avec distinction les chaires qui leur sont affectées.


Par tous ces écrits, les réguliers ont vengé la Religion et affermi la foi, par d'autres, ils entretiennent la piété. Quelque dédain qu'ait conçu pour le genre ascétique une délicatesse excessive, on ne peut nier qu'il ne soit très utile au commun des fidèles. Instruits par l'expérience, les religieux ont traité divers sujets de dévotion et de morale, ont tracé la manière de passer chrétiennement différents temps de l'année, ont donné des conférences pour servir à l'instruction du peuple. La plupart de ces ouvrages offrent à leurs lecteurs des réflexions sages, des maximes solides, des principes lumineux et des sentiments pleins d'onction ; et quelques-uns sont écrits avec netteté, élégance et précision. On connaît les ouvrages des Baudran, des Berthier, des Crasset, des Croiset, des Galiffet, des Eudes, des Guillori, des Saint-Jure, des Marin, des Nepveu, des Nouet, des Surin, des Touron, des Vaubert, des Avrillon, des Gonnelieu, des Judde, etc..., qui, dans des communautés différentes, ont enseigné la même pratique et la même sainteté. C'est au même but que tendent une foule de sermons, de panégyriques, d'oraisons funèbres, composés par des religieux célèbres.


Outre ces savants auteurs et ces auteurs pieux, encore aujourd'hui les monastères fournissent à l'Église des auteurs qui, par leurs recherches sur l'histoire, ont découvert des monuments inconnus, et l'ont enrichie d'un travail nouveau. L'Oriens christianus, l'Amérique chrétienne, et le Gallia christiana, sont des mines abondantes pour l'histoire ecclésiastique.


Dans le premier, le Père Le Quien, dominicain, nous instruit de tout ce qui concerne les quatre patriarchats de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Remontant à l'origine de ces Églises mères, suivant leur agrandissement, arrivant enfin à leur décadence, il fait connaître les divers états de la foi et des mœurs, la suite des patriarches, la manière de les élire et de les sacrer, les lois canoniques et impériales d'après lesquelles ils gouvernaient, les troubles qui agitant l'Église et l'Empire, ont causé des interrègnes, les privilèges accordés à ces grands sièges, leur autorité sur les vastes provinces de leur dépendance, et, autant que le permettent la perte et la confusion des monuments, le nom de chacun des évêques de ces diocèses, et les actions qui ont illustré leur pontificat.


En lisant l'histoire du Père Touron, disciple aussi de saint Dominique, on voit, d'un côté, des peuples nombreux, humains, simples, pacifiques et dociles aux instructions des ministres de l’Évangile ; de l'autre, une nation chrétienne, en qui la soif de l'or étouffe le cri de l'humanité et de la Religion. Si les conquérants du nouveau monde n'avaient pas été presque tous des monstres, il leur était facile de l'unir à l'ancien par des alliances libres et avantageuses : entre deux hémisphères, se serait établie une correspondance plus solide et moins injuste. Sans égorger les américains, on pouvait policer ceux qui n'étaient pas encore policés, et les éclairer tous : l'Europe n'y eût rien perdu, et ces peuples auraient reçu, avec soumission et reconnaissance, la religion de leurs bienfaiteurs. C'est ce qu'il est impossible de ne pas croire, d'après l'heureuse révolution qu'opéra le zèle de quelques missionnaires aux Antilles, au Mexique, au Pérou, au Chili et au nouveau royaume de Grenade, malgré les attentats de toute espèce qu'y commettaient les Espagnols. Quoique révoltés de leurs mœurs atroces, les habitants de ces divers pays donnaient une confiance sans réserve à ces hommes apostoliques qu'ils regardaient comme leurs pères ; et dans les fastes de l'Amérique, sont écrits, avec les caractères de l'amour, les noms de Las-Casas, de Julien Garcès, d'Antoine Valdivieso, de Jean Ramirez, de François de Saint-Michel d'Alphonse de la Cerda, et de tant d'autres pieux religieux qui ont constamment protégé les Indiens. Jamais l'établissement du christianisme n'a coûté moins de sang à l'Église ; et jamais ses progrès n'ont été si rapides que chez ces hommes véritablement nés pour une religion fraternelle. Aussi vit-on se multiplier promptement parmi eux les monastères, les évêchés, les chapitres, les séminaires, les hôpitaux. On établit des écoles, où les naturels du pays furent instruits des sciences ecclésiastiques1 ; on tint des synodes et des conciles ; et cette Église naissante invoqua bientôt des saints qu'elle avait formés. Tel est l'objet de l'Amérique chrétienne. Si cet ouvrage, fruit de la vieillesse de l'auteur, était écrit d'une manière plus serrée, on sentirait mieux le prix des faits soigneusement recueillis, scrupuleusement vérifiés et disposés avec méthode et clarté.


Le Gallia christiana, modèle de l'Oriens christianus, contient tout ce qu'offre de plus remarquable l'histoire ecclésiastique de France, suivant les anciennes limites des Gaules, situées entre la Méditerranée, l'Océan, le Rhin, les Pyrénées et les Alpes. La formation des archevêchés, évêchés, abbayes et des autres Églises considérables, est suivie du catalogue des prélats qui les ont gouvernées. Le temps où ils vivaient est assigné ; leur genre de vie, et les événements notables arrivés pendant leur prélature, sont rapportés. Ainsi, le lecteur se trouve environné d'une multitude d'évêques célèbres, ou par le martyre qu'ils ont souffert, ou par leurs miracles et par l'austérité de leur pénitence, ou par leur doctrine et par leurs travaux pour la défense de la foi, ou par la pourpre romaine dont ils ont été décorés, ou par les emplois qu'ils ont remplis, ou par leur descendance des maisons régnantes, puisque parmi eux on compte des fils et des frères de nos rois ; tous enfin illustres, soit par la noblesse de leur sang, ou par celle de leur vertu. Ce grand nombre de pontifes forme comme un concile général et de tous les siècles de l'Église gallicane.


Cet ouvrage, conçu par Claude Robert, chanoine de Langres, qui, en 1626, donna un volume in-folio, augmenté par Messieurs de Sainte-Marthe, qui en publièrent quatre en 1656, n'est devenu ce qu'il doit être que de nos jours, et par les soins des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Dom Denis de Sainte-Marthe, encouragé par le suffrage et par les secours du clergé de France, l'a continué suivant un ordre plus naturel, qui classe sous chaque métropole les évêchés qui en dépendent, et dans chaque diocèse, les abbayes qui y sont situées.


C'est de l'instruction des jeunes gens que s'est occupé le Père de Graveson, dominicain. Dans un petit nombre de volumes sur l'histoire de l'ancien testament et sur l'histoire ecclésiastique poussée jusqu'en 1730, il leur facilite la connaissance de la doctrine, de la discipline et de la morale de l'Église ; employant la méthode des dialogues dont se servit autrefois Alcuin, et joignant toujours la clarté à la brièveté. Ses tables chronologiques sont faites avec beaucoup d'ordre.


Noël Alexandre, son confrère, mort en 1724, s'est arrêté à l'année 1600. On peut lire avec fruit ses dissertations historiques, chronologiques, critiques et dogmatiques ; son ouvrage serait plus parfait, si l'on voulait en retrancher des longueurs. On peut ajouter à ces historiens, d'autres auteurs non moins recommandables, tels que les Pères Avrigny, Berault-Bercastel, Charlevoy, Barruel, Crasset, Douçin, Longueval, Maimbourg, Pallavicin et bien d'autres qu'a produits dans ces derniers temps la Société de Jésus.


Si les anciens moines, en écrivant sur la liturgie, l'avaient défigurée par des interprétations arbitraires, en se bornant à nous en donner l'histoire, ceux de nos jours lui rendent sa noble simplicité. Ce motif a porté dom Martène à réunir les anciens rites. L'exposition des cérémonies employées dans l'administration des sacrements, dans les offices divins, dans les sacres, dans les punitions canoniques, suffit seule pour faire connaître quel a été, en tout temps, l'esprit de l'Église. Cette piété solide et dégagée de préjugés, semble avoir dicté les nouveaux ouvrages de ce genre.


A l'histoire ecclésiastique appartient encore la vie des Saints et des autres personnages qui ont été l'honneur du clergé et des cloîtres. Nous citerons seulement la vie de saint Charles Borromée ; celles de saint Dominique et de saint Thomas, par le père Touron ; de Berchmann et de saint Stanislas Costka, par le Père d'Orléans ; de saint François de Borgia, par Verjus ; de saint Ignace et de saint François Xavier, par le Père Bouhours, etc.


Sans la connaissance du droit canon, la théologie et l'histoire ecclésiastique ne seraient traitées qu'incomplètement. Cette science des lois de l'Église et de sa discipline ne pouvait être étrangère ni aux théologiens, ni aux historiens que nous avons nommés : nous trouvons encore d'autres religieux qui s'y sont appliqués d'une manière particulière. Dom Bessin est éditeur des Conciles de Normandie, ouvrage posthume de dom Belaise, son confrère. Par ses Lettres critiques sur le pontificat d'Eugène III, dom Dupui, bernardin, éclaircit tous les évènements ecclésiastiques de cette époque. Les bénédictins continuent le recueil des conciles de l'Église gallicane, et parmi les savants en cette partie, personne n'ignore combien elle a été enrichie par les recherches du laborieux dom Martène, qui a retiré de la poussière où ils étaient ensevelis, des conciles, plusieurs statuts synodaux, d'anciens décrets des monastères et des congrégations1.


Les membres des différentes congrégations régulières s'étant ainsi distinguées dans ces diverses sciences, il était digne de leur zèle d'entreprendre de les réunir toutes en un seul ouvrage qui formât un corps de doctrine, et fût une encyclopédie ecclésiastique d'autant plus utile, que l'usage en serait plus facile. Ce projet a été tenté par une société de dominicains, à laquelle présidait le Père Richard. Le dictionnaire universel des sciences ecclésiastiques renferme tout ce qui concerne l’Écriture sainte, la tradition, la théologie, l'histoire, la jurisprudence et les rites. De doctes dissertations sur les endroits les plus difficiles et les plus importants de la bible, et de courtes explications de tous les mots qui la composent ; le catalogue et la notice des ouvrages des Pères, d'après les meilleurs éditeurs ; des traités complets des points essentiels de la doctrine, et la simple exposition des opinions qui partagent les écoles, sans mélange de questions inutiles ; la narration abrégée des faits historiques, dans laquelle sont insérés les principaux traits de la vie de tous les personnages qui marquent par leurs vertus et par leurs travaux ; le dernier état de notre droit canon ; les vrais principes de l'éloquence chrétienne, et des modèles bien choisis, telles sont les différentes matières qu'embrasse ce grand ouvrage : faiblement exécuté, s'il ne peut être regardé comme fini, c'est au moins un heureux essai qui mérite d'être perfectionné.


§. III. Religieux missionnaires.


Après avoir exposé les travaux littéraires des religieux, il ne nous reste plus qu'à parler de leurs travaux évangéliques. Dans le temps que Luther et Calvin enlevaient à l'Église une grande partie de son ancien domaine, le nouveau monde, depuis peu découvert, lui offrait une vaste moisson capable de la dédommager de ses pertes. Par une de ces dispositions où la sagesse de la providence se manifeste visiblement, la réforme régénérait alors les ordres monastiques ; et en divers royaumes étaient établies des congrégations de clercs réguliers. Du sein de ces communautés sortirent les apôtres des deux Indes ; et leurs successeurs perpétuent encore le même ministère, soit en conservant l'antique croyance parmi les catholiques qui vivent sous la domination des Turcs et des princes séparés de nous par l'hérésie, soit en propageant la lumière évangélique chez les Infidèles ; les triomphes de saint François Xavier et de ses dignes collaborateurs, sont connus de tout le monde. Ce n'est qu'avec admiration que l'on peut parler des missions de Paraguay, du Japon, de la Chine, et de tant d'autres où les enfants de saint Ignace ont, en répandant leurs sueurs et leur sang, fécondé tant de contrées auparavant stériles pour la religion.


Pour l'Europe, nous trouvons en Hollande des carmes français ; des religieux de différents ordres, et surtout des bénédictins et des capucins de notre nation, dans les îles Britanniques. Leur nombre n'est pas si considérable en Dannemarck, en Suède, en Russie1. Les capucins de la Basse-Allemagne sont chargés de la mission des cercles voisins, comme les italiens de celle des divers cantons de la Suisse. La partie de la Hongrie soumise au Turc, est confiée aux Pères de saint Paul, premier ermite, et aux mineurs observantins ; la Valachie, aux religieux de la même observance ; la Moldavie, à d'autres franciscains. On voit avec regret que la Tartarie-Crimée soit dénuée de tout secours ; la Bosnie est mieux pourvue ; on y compte dix-huit couvents de mineurs observantins ; leurs confrères de la Bulgarie naturels du pays, en forment le seul clergé, et y observent une exacte discipline. Outre un clergé séculier, l'Albanie possède une mission de moines réformés, et quelques maisons de mineurs observantins, régies par un provincial. Ceux de Visouar prennent soin des catholiques de la Dalmatie ; les conventuels de Corfou et les capucins français de l'Archipel, de ceux de la Grèce. Ces capucins ont douze maisons répandues dans ces îles, et deux à Constantinople ; ils y partagent les fonctions du ministère avec des mineurs observantins et des disciples de saint Dominique. Non-seulement le zèle de ces missionnaires est utile aux enfants de l'Église de ces divers lieux ; ils en augmentent le nombre, en ramenant au bercail plusieurs de ceux que le schisme et l'hérésie en éloignaient. Ces religieux, et d'autres que nous n'avons pas nommés, travaillent aussi à la conversion des hérétiques qui vivent dans les différentes provinces des royaumes que nous venons de parcourir, appartenant à des princes catholiques.


Les corps religieux portent à l'Asie les mêmes secours spirituels. L'île de Cypre est entre les mains des capucins et des observantins ; les uns et les autres sont mêlés au clergé des Maronites : il y a des carmes sur le mont Carmel. « Depuis plus de quatre siècles, les récollets et les autres franciscains français entretiennent les lieux saints dans la décence convenable ; on y compte encore vingt-quatre couvents de leur ordre, qui fournissent des curés et des missionnaires à une grande partie des Églises du pays, qui, sans cela, se trouveraient sans aucun exercice de religion2. » Ce sont les carmes et les capucins français qui évangélisent par toute la Syrie. En Perse, la foi est soutenue par les augustins, les carmes, et des capucins de France. Des carmes, des dominicains et des capucins desservent l'Arabie, l'Arménie, et la Géorgie ; et, outre ceux-ci, on trouve dans la Mingrélie des théatins. Cultivant la médecine, ils se rendent recommandables au public et agréables au prince ; et si la grossièreté et l'opiniâtreté des Mingréliens pour leurs erreurs et le schisme, opposent à leur zèle des obstacles presque invincibles, ils ont au moins la consolation de donner le baptême aux enfants que les parents leur apportent lorsqu'ils désespèrent de leur vie. Comme de tous les États gouvernés par des princes mahométans, le Mogol est celui où notre religion a été le moins gênée, les capucins y travaillent avec succès, ainsi que les disciples de saint Philippe de Néri dans l'Indostan. Ils reçoivent parmi eux des naturels du pays, plus propres que les européens à avancer les progrès de la foi. Les capucins français sont établis dans le petit Thibet ; et ceux qui vivent à Surate, rendent de grands services aux missionnaires qui vont aux Indes ou en reviennent. Le Malabar est sous la direction des carmes ; et le Bengale, sous celle des augustins. Enfin, les îles Philippines sont le dépôt des missions des alentours ; presque tous les ordres monastiques y ont des sujets ; la chrétienté y est florissante, et c'est de là qu'ils partent pour le Japon et la Chine, malgré tous les périls qui les attendent. Ils arrivent avec plus de liberté à Siam, en Cochinchine, et au royaume de Ciampa. Nos dominicains français vont au Tonquin, dont la plus grande et la plus belle partie est catholique.


« En1771, les PP. dominicains, missionnaires en Asie, ramenèrent à l'unité de l'Église le patriarche des nestoriens résidant à Mosul, et cinq autres évêques de la même province. Après qu'ils eurent reconnu le Pontife romain pour seul chef de l'Église universelle, et fait une profession de foi orthodoxe, ils furent confirmés dans les dignités dont ils étaient revêtus1. » De nos jours encore, sept religieux du même ordre ont consommé leur apostolat par le martyre2.

En 1748 et en 1775, Benoît XIV et Pie VI annoncèrent leur triomphe au monde chrétien ; leurs discours, adressés au consistoire, attestent l'état de la foi parmi les habitants de la Chine et du Tonquin.


C'est aux franciscains des diverses observances, aux augustins, aux dominicains, et aux pères de la rédemption des captifs, que sont commises les missions de l'Afrique. Ainsi, on trouve des capucins français au grand Caire, des récollets à Alexandrie, des capucins, des récollets, et des observantins en Égypte. Avec eux sont, à Fez et à Maroc, les Pères de la rédemption. Aux royaumes d'Ovério et de Benin, les capucins cultivent encore la foi que leurs prédécesseurs y ont plantée. Ceux de la province de Bretagne l'ont portée et l'entretiennent chez les malheureux peuples de la Guinée. On voit des récollets à Alger et dans toute la Barbarie, des capucins à Tunis et à Tripoli, des augustins dans l’île de Tabarca, des capucins à Mélille, des Pères de la rédemption à Trémisen, l'ancienne Mauritanie césarienne ; les capucins français et les dominicains ont pénétré jusqu'aux extrémités de cette partie du monde, puisqu'ils prêchent aux royaumes de Congo, d'Angola, et au Monomotapa.


Après avoir été les premiers apôtres de l'Amérique, comme nous l'apprend le P. Touron, les Religieux en forment encore le seul clergé. Les capucins français, au nombre de soixante et treize, administrent une partie des cures de nos îles du Vent ; les carmes et les dominicains remplissent les autres. « Nous avons la satisfaction de voir, disait Louis XV dans son Edit. de 1743, que nos sujets y trouvent, par rapport à la Religion, tous les secours qu'ils pourraient espérer au milieu de notre royaume. » Les curés de la Martinique surtout maintiennent parmi leur troupeau l'ordre et les bonnes mœurs ; ils catéchisent les nègres avec une patience vraiment paternelle, et les consolent au milieu de leurs pénibles travaux, en leur donnant l'espérance d'une meilleure vie. Par les requêtes qu'adressèrent au ministère, en 1773, ces paroisses menacées de perdre leurs pasteurs, nous savons assez le bien qu'ils y font, et jusqu'à quel point elles les chérissent. Au Brésil, les capucins français et les religieux de saint Philippe de Néri soignent aussi d'une manière particulière cette portion de l'humanité la plus infortunée. Les carmes, les bénédictins, les religieux de saint François ont chacun une maison à Saint-Sébastien, capitale du pays Rio-di-Gennaro. Les Frères prêcheurs, les Frères mineurs, les Pères de la Merci et les augustins sont les missionnaires du Chili et du Pérou, Les capucins français, les observantins, les dominicains instruisent les peuples qui habitent le long de la rivière des Amazones ; leurs confrères, avec des carmes et des augustins, s'acquittent du même ministère auprès de ceux du nouveau royaume de Grenade, de Terre-Ferme et de la Californie. Il n'y a que des mineurs et des dominicains dans le nouveau Mexique  ; mais, dans l'ancien, les religieux de tous les ordres sont en grand nombre et y travaillent avec zèle.


Évangélisant sur toute la face du globe, les réguliers assurent à l'Église l'auguste caractère de catholique. Séparés par état de leur famille, pliés de bonne heure au joug de l'obéissance, voués à la pauvreté, et ne recevant rien ou presque rien du gouvernement, ne paraissent-ils pas, dans la position actuelle des choses, plus propres que le reste du clergé à un ministère où tout est sacrifice ? On ne peut au moins disconvenir que, depuis trois siècles, l'expérience dépose en leur faveur.


§. IV. Religieux appliqués aux différentes fonctions du ministère.


Ce que l'expérience journalière rend encore bien sensible, c'est leur coopération parmi nous aux travaux du Sacerdoce. Les corps monastiques fournissent en effet à l'Église de France un grand nombre de curés, de prédicateurs, et de sujets employés en différentes manières au service des fidèles1. Dès leur origine, les chanoines réguliers, tels que ceux de saint-Norbert, de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor, furent destinés à remplacer auprès des peuples le clergé séculier, vicieux ou négligent. Depuis leur établissement ou leur réforme, ils ont toujours exercé les fonctions curiales : les prémontrés de l'étroite observance, par exemple, occupent plus de cent cures dans leur seule province de Normandie ; et en général on peut dire de ce corps, que ceux de ses membres qui restent dans les cloîtres, sont moins nombreux que ceux qui desservent les paroisses. Les génovéfains en gouvernent à peu près neuf cents en divers diocèses du royaume. Entre nos pasteurs, nous comptons encore plusieurs autres chanoines qui suivent la règle de saint Augustin, plusieurs religieux de l'ordre de Fontevrault et de celui de la rédemption des captifs.


Dans tous ces Ordres, et surtout dans ceux que leur institut et nos lois excluent des bénéfices, s'est formée cette foule de prédicateurs qui sont répandus par toute la France. Le religieux de province, à qui le ministère de la parole serait étranger, ferait exception dans sa maison, si un autre genre de travail n'occupait pas ses loisirs. Aussi les réguliers sont-ils chargés de presque toutes les stations des bourgs, des petites et grandes villes ; et l'on ose assurer, sans crainte d'être démenti, qu'ils remplissent les trois quarts de nos chaires. Comment les curés et les vicaires, obligés de veiller sur leur troupeau, pourraient-ils s'en éloigner pendant l'Avent et le Carême ? la défense expresse en est prononcée par les statuts synodaux de la plupart des diocèses. Jusque même dans cette capitale, où le clergé séculier arrive de toutes les parties du royaume, les religieux prêchent et plus souvent et en plus grand nombre1. Qui ne connaît les sermons des Massillon, de l'oratoire ; des Bourdaloue, des La Rue, des Lingendes, des Cheminais, des Griffet, des Pallu, des Neuville, des Ségaud, des Pérusseau, de la société de Jésus ? N'est-ce pas du cloître que sont sortis les plus célèbres et les plus distingués de nos orateurs ? n'est-ce pas encore aux habitants du cloître, qu'ordinairement on confie les missions consacrées à l'instruction des habitants de nos provinces.


Utiles à l'Église de France par tous ces services, ne semblent-ils pas lui être devenus nécessaires pour suppléer à la rareté de ses ministres ? Il n'y a peut-être pas un diocèse où l'Ordre ecclésiastique, en lui agrégeant même les religieux curés, suffise à toutes les fonctions pastorales. Les autres viennent à son secours ; ils prônent ; ils catéchisent, ils confessent dans les paroisses, procurent à tous leurs habitants les moyens d'assister aux saints mystères, et remplacent les pasteurs en leur absence, quelquefois indispensable, et pendant leur maladie. Enfin, du sein des cloîtres sont tirés les aumôniers des vaisseaux et des régiments ; et si quelques-uns abusent d'une liberté à laquelle ils n'étaient pas accoutumés, il est aisé de remédier à ce scandale, en faisant ce choix avec plus de soin, et en n'envoyant que ceux dont la vertu, longtemps exercée, peut se conserver hors de la retraite.


Voilà les titres d'après lesquels nous croyons que les Ordres monastiques peuvent, même aujourd'hui, prétendre à la reconnaissance et à la protection de l'Église. Il nous eût été facile de les multiplier et de les étendre ; mais, quoique exposés succinctement, nous les offrons à tous ceux qui tiennent à la Religion, ecclésiastiques ou séculiers, avec l'entière confiance qu'ils les trouveront assez puissants pour ne pas nous accuser d'une indulgence molle ou aveugle, et pour s'intéresser sincèrement à la conservation de l'état religieux. Ceux qui lui sont défavorables, parce qu'ils regardent les réguliers comme inutiles à l’État, seront détrompés, nous l'espérons, par la seconde partie de ce chapitre.


On ignore trop communément parmi nous, la part qu'ont les corps religieux à la culture des sciences humaines : ils forment la classe la plus nombreuse de la république des lettres ; ils s'appliquent à y défricher des terrains qui, sans eux, resteraient toujours incultes ; et dans tous leurs travaux, ils se proposent un but d'utilité plus ou moins marqué. C'est après le développement de ce fait littéraire, qu'on jugera le premier genre de services qu'ils rendent à la société.


§. V. Les religieux travaillent aux différentes parties de notre histoire.


Une des connaissances les plus importantes à un peuple, c'est sans contredit celle de sa propre histoire. L'histoire de notre nation, qui ne laisse rien à désirer, est encore à faire ; et il paraît que les religieux ont conçu le projet de nous la donner. Pour y parvenir, ils en rapprochent et en éclaircissent toutes les parties. Dom Martin et dom Brezillac semblent en avoir préparé l'introduction, en traitant l'histoire des Gaules et des conquêtes des Gaulois, depuis leur origine jusqu'à la formation de la monarchie française. D'abord ils attaquent les préjugés répandus contre la nation gauloise par les historiens grecs et latins, et adoptés par les modernes ; ils expliquent ensuite tout ce qu'on peut savoir touchant son gouvernement, ses lois, ses mœurs, ses coutumes, sa langue, les caractères dont elle se servait et sa manière de combattre. Ils ont recueilli un grand nombre de ses monuments que le temps a respectés, temples, cirques, amphithéâtres, ponts, sépulcres, médailles, etc. ; ils se plaignent du silence qu'elle gardait sur tous ses exploits, Enfin, suivant ses colonies dans l'Italie, la Grèce, l'Asie, l'Illyrie, jusque dans la Judée, l’Égypte et la Parthie, ils représentent nos ancêtres comme vainqueurs de l'Europe et de l'Asie, comme dispensateurs des couronnes, et l'appui des royaumes et des républiques ; et lors même qu'ils sont vaincus, ils paraissent avec un éclat dont nous ne sommes pas accoutumés de les voir environnés. Si, séduits par leur sujet, ces auteurs imaginent quelquefois, au lieu d'être constamment fidèles à observer et à raconter, personne au moins jusqu'à eux, n'avait si bien éclairci les antiquités gauloises. Le second volume est précédé d'un dictionnaire géographique et topographique, qui présente les établissements des gaulois dans nos Gaules, et dans les différentes parties de l'Europe et de l'Asie. D'un simple coup d'œil, on voit combien notre histoire peut s'enrichir de ces savantes recherches, et combien elles sont propres à nous faire connaître ce que nous tenons de nos pères, et les divers avantages que nous ont procurés le cours des siècles et le changement d'opinions.


Pour le corps de l'histoire, ses différentes parties seront formées par le travail des autres bénédictins, occupés au recueil des historiens de France, à son histoire littéraire, et à l'histoire de ses provinces.


C'est à la persuasion du grand d'Aguesseau, que dom Bouquet entreprit de rassembler tout ce qu'ont écrit sur notre nation, les auteurs grecs, latins, gaulois, francs, etc. Depuis l'origine des Celtes et des Gaulois, jusque bien avant dans les temps postérieurs, lui et ses successeurs offrent tout ce qui est important, sous chaque règne, touchant le droit public, féodal et ecclésiastique du royaume, et touchant les coutumes, les mœurs, les préjugés, les arts et les sciences. Testaments des rois, des reines, des grands, apanage des princes, traités de paix et de guerre, loi salique et autres, monuments anciens, actes divers ; en un mot, tout ce qui peut servir à une histoire générale, a été aussi soigneusement que judicieusement recueilli. Chaque volume est accompagné d'une préface, d'une table et de notes critiques pour débrouiller et juger tous les textes ; et des cartes géographiques représentent l'étendue des États possédés par chaque race. Malgré les fautes qui s'y sont glissées, il faut avouer, avec M. Fréret, que « cet ouvrage a été conduit par de très habiles gens. »


Puisque l'histoire ne doit pas se borner au simple récit des combats, défaut trop ordinaire de nos historiens de France, n'est-ce pas travailler utilement pour elle, que de constater l'état des sciences dans les différents âges de notre monarchie ? Tel a été l'objet de l'histoire littéraire de la France. Au commencement de chaque siècle, sont placés des discours qui assignent leur période de splendeur et le terme de leur décadence. On y trouve réunis jusqu'au douzième, tous les auteurs français ; des analyses et des jugements de leurs œuvres, et, pour ne rien omettre, des notices des éditions qui en ont été faites. On y donne en outre la vie de ceux qui méritent d'être connus, avec la liste des livres qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Cet ouvrage d'une profonde érudition, au jugement des auteurs de l'Encyclopédie, est mis à côté des mémoires du savant Tillemont, pour l'exactitude des citations. Quoique le style en soit traînant et incorrect, il n'en offre pas moins le vaste et fidèle tableau des connaissances de nos pères, et fournit par conséquent à notre histoire une de ses parties les plus nécessaires et les plus intéressantes. On les possédera toutes rassemblées, et l'historien de la nation pourra les employer, quand les histoires particulières des provinces seront finies. Depuis plusieurs années, les bénédictins, pour l'exécution de cette entreprise, se transportent sur les lieux, fouillent tous les dépôts, interrogent tous les monuments : d'après ce qu'ils ont publié, nous savons ce que nous devons attendre. Ainsi dom Taillandier a mis la dernière main à l'histoire de Bretagne ; et c'est surtout aux auteurs de celle-ci qu'il faut appliquer les éloges donnés, dans les mémoires de Trévoux, à celle de dom Lobineau, puisqu'ils ont augmenté et perfectionné son travail. « On ne saurait leur refuser la gloire que méritent des critiques justes et délicats, qui, fidèles à n'aller pas plus loin que leurs preuves, n'imposent jamais au lecteur par un air de confiance ; qui préfèrent une sage incertitude à des conjectures hardies ; qui proposent avec netteté les raisons de se déterminer, mais qui ne cachent pas les raisons de douter. On ne leur refusera pas non plus la gloire d'avoir le style net, ferme et coulant, sans affectation et sans rudesse. » Pour compléter l'histoire de cette province, dom Pelletier a fait un dictionnaire de la langue bretonne, où il montre son affinité avec les langues anciennes ; dom Taillandier, qui en est éditeur, traite, dans une préface savante, de l'origine et de la décadence de la langue celtique.


C'est dom Plancher qui, le premier, entreprit celle de Bourgogne, si étroitement liée à l'histoire de France, et dom Merle est actuellement occupé à la finir. Les auteurs exposent d'abord l'origine, les mœurs, le gouvernement et la religion des anciens Bourguignons avant leur entrée dans les Gaules. Ils font connaître ensuite l'état de ce pays sous nos rois des trois races, comme royaume et comme duché ; ses démembrements et les réunions passagères et alternatives de ses différentes parties ; la succession de ses rois et de ses ducs, leur règne, leurs actions, leurs guerres, leurs exploits, etc. Ils ont détaillé, sans aucune omission, tout ce qui concerne les ducs révocables ou héréditaires ; et cette histoire est conduite jusqu'à l'année 1674, époque où fut terminée les guerres qui subsistaient depuis longtemps entre les deux Bourgognes, et où la Franche-Comté fut réunie à la couronne. La vérité des faits qui font la matière de cette histoire est constatée par des titres originaux, dont on voit des extraits parmi les preuves, ou par les registres des parlements et des chambres des comptes des deux Bourgognes et du bailliage de Dijon ; ou par les Cartulaires, les Inventaires etc. Si toutes les dissertations qui accompagnent cet ouvrage, ne sont pas également propres à intéresser tous les lecteurs, il y en a plusieurs aussi curieuses que savantes : telles sont entre autres celles qui regardent les rois de l'ancien royaume de Bourgogne, et le recueil des anciennes lois des Bourguignons ; l'étendue du second royaume de Provence, dit le royaume de Bozon ; la prérogative des ducs de Bourgogne, où il est prouvé qu'ils n'ont point eu la préséance sur les autres ducs et pairs du royaume avant l'an 1380. A la suite de cette histoire générale, le continuateur se propose de donner celle des grands fiefs et des terres titrées du gouvernement de Bourgogne ; elle est précédée d'une notice des gouvernements gaulois et romains, et des républiques qui formèrent le premier royaume des Bourguignons. Dans cette source, les familles de Bourgogne et des provinces voisines pourront puiser les preuves de la noblesse de leur origine ; et elles y trouveront une indication non suspecte des charges qu'ont occupées leurs ancêtres, et des grades militaires qu'ils ont obtenus en servant la patrie.


Avant les bénédictins, auteurs de l'histoire de Languedoc, elle n'était qu'ébauchée. Ils y rapportent tout ce qui s'est passé de mémorable dans cette province et dans les pays particuliers qui la composaient ; et appuient, sur les titres les plus authentiques, ses usages, ses droits, ses prérogatives. Ils ont recueilli les actions de tous ceux qui l’ont illustrée, soit par leur vertu, soit par leurs dignités ecclésiastiques ou civiles, soit par leur valeur, soit par leurs talents ou leurs ouvrages. A différentes époques est tracée la description du gouvernement et des mœurs ; ils remontent à l'origine et suivent l'accroissement de ses principales villes ; ils donnent aussi la généalogie ou la succession des ducs, comtes, vicomtes, et des principaux barons. Dans des notes placées à la fin de chaque volume, sont discutés des points importants ou curieux ; et elles sont suivies des pièces justificatives des divers monuments qui servent de fondement à cette histoire. Dom Bourrote l'a enrichie d'un mémoire sur la description géographique et historique de ce pays, du recueil des lois qui constituent son droit public en matière de nobilité et de roture, et de celui des arrêts et des décisions sur la propriété du Rhône. Comme ses habitants se sont distingués par leurs exploits militaires, avant même la conquête qu'en firent les Romains ; et que d'ailleurs, sous la dénomination de Languedoc, on a longtemps compris une grande partie des Gaules, cette histoire est plutôt l'histoire générale de nos pays méridionaux, que l'histoire particulière de cette province. Ainsi en a jugé l'abbé Des Fontaines. « Peu d'histoires générales, dit-il, sont mieux écrites en notre langue ; l'érudition y est profonde et agréable. » Elle peut être proposée comme modèle pour toutes celles que nous attendons encore en ce genre.


Dom Calmet commence l'histoire de la Lorraine à l'entrée de Jules-César dans les Gaules, et l'a continuée jusqu'à la cession qui en a été faite à la France, en 1737. Suivant sa manière, il ne passe aucun détail touchant les événements ecclésiastiques et civils, arrivés pendant ce long cours de siècles. Il accumule les pièces justificatives et les monuments, sceaux, médailles, monnaies, etc. ; il l'a ornée de cartes géographiques, et de plans de villes et d'églises. A cette histoire, la meilleure, malgré ses défauts, de toutes celles qui avaient été publiées avant l'auteur, il faut joindre sa Bibliothèque des écrivains de Lorraine.


Puisque nous reconnaissons pour nos pères les anciens Francs, peuples de la Germanie, qui, comme l'on sait, s'emparèrent de nos Gaules ; puisqu'à différentes époques, l'Allemagne et la France ont été soumises au même souverain, et que, depuis leur démembrement, il y a toujours eu entre ces deux empires, des rapports d'amitié ou de rivalité ; l'histoire de l'un rentre sans cesse dans l'histoire de l'autre. L'histoire d'Allemagne nous était donc absolument nécessaire ; mais son exécution présentait de grandes difficultés. Elle exige pour les premiers temps, la méditation la plus réfléchie de tout ce qu'en ont écrit les auteurs grecs et latins ; le moindre récit, un simple témoignage est important, soit qu'il faille y croire ou le réfuter. Pour les temps postérieurs, l'historien doit bien connaître le chef et les membres de l’empire, les intérêts qui les divisent ou les réunissent, la forme du gouvernement, sa population, son commerce, toutes ses ressources, l'autorité des tribunaux, l'ordre des jugements, les démêlés qu'ont eus ensemble et avec les puissances voisines, les divers princes de cet État, ce qui a procuré l'élévation des uns et produit l'abaissement des autres, enfin les causes de toutes les révolutions arrivées en Allemagne. Quoique le Père Barre n'ait pas toujours employé ces matériaux avec un égal succès, son histoire, cependant, est un vaste dépôt de faits, et l'on y trouve quelquefois le bon historien.


Nous pourrions citer encore ici les histoires de Normandie, de Franche-Comté, de Champagne et de Brie ; et annoncer celles du Berri, de la Tourraine, de l'Orléanais, de la Guienne et de l'Auvergne : par ce que nous venons de dire, on comprend aisément combien les travaux des réguliers en général, sont utiles à notre histoire ; et surtout l'on voit suffisamment développé le plan qu'exécutent les membres de la congrégation de Saint-Maur, que la plupart de nos provinces ont adopté pour leurs historiographes.


Outre ces grandes masses, il est d'autres parties qui, quoique d'une utilité locale ou plus circonscrite, peuvent n'être pas indignes de la majesté de notre histoire générale, ou plutôt contribuent à l'enrichir. Nous parlons des histoires des pays, des villes, de certaines époques et de quelques corps particuliers. Nous ne citerons qu'un petit nombre d'ouvrages de ce genre. Tels sont l'histoire du duché de Luxembourg, par dom Cajot, auteur plus érudit qu'élégant écrivain ; l'histoire de la ville de Paris, par dom Félibien et Lobineau ; l'histoire civile et politique de la ville de Rheims, par le père Anquetil, génovéfain ; et par le même auteur, justement estimé, celle de la Ligue, et celle des temps qui la suivirent immédiatement, sous le titre d'Intrigues du cabinet ; celles des lois et des tribunaux de justice, par le Père Barre, déjà nommé. Tels sont encore le Mémoire sur les limites de l'empire de Charlemagne, couronné par l'académie des belles-lettres1 ; les dissertations sur les anciennes villes des Séquanais, par le père Joly, capucin ; sur l'origine des Français, par dom Vaissette ; sur l'établissement des Francs dans les Gaules, par le Père Biet, etc. etc. Tels enfin les Nobiliaires ; car la noblesse en France, tient à la constitution du royaume. Dom Pelletier a composé celui de Lorraine. Le Père Caquet, augustin, a continué l'histoire généalogique et chronologique de la maison de France, laissée par le Père Anselme dans un état informe, et perfectionnée par plusieurs de ses confrères : on sait que son objet est de faire connaître l'origine et la descendance des rois des trois races, celle des officiers de la couronne et des anciens barons ; et que, malgré les fautes inséparables d'une compilation de cette nature, les recherches y sont abondantes et curieuses.


Le plan de dom Caffiaux était plus étendu, embrassant toutes les familles anciennes, nobles et bourgeoises ; pendant quarante ans il en a poursuivi l'exécution sans relâche ; et par son Trésor généalogique, imprimé en 1777, il a publié une infinité de titres qui peut-être auraient toujours été inconnus à la noblesse, ou qu'elle ne se serait procurés qu'à force d'argent. Mais en prouvant le zèle de l'auteur, cet ouvrage a fait sentir les difficultés de l'entreprise ; et, pour le continuer, ses confrères ont été obligés de le réduire à de justes bornes.


D'après la simple exposition de ces ouvrages, on voit que les bénédictins, s'étant proposé le but de rechercher les monuments de notre histoire, ne l'ont jamais perdu de vue : aussi reconnaît-on hautement que la savante congrégation de Saint-Maur « a fourni plus des trois quarts des matériaux nécessaires pour en construire l'édifice qu'elle seule peut aller tirer des souterrains, où ils sont encore ignorés, tant de débris qui nous manquent et qui doivent contribuer à lui donner sa dernière forme. »


§. VI. Monuments de notre Droit public.


La connaissance des titres de l'histoire conduisait à la connaissance des titres de la législation. Quoique distinctes, ces deux sciences sont inséparablement liées ; et souvent ce n'est que par les faits historiques qu'on parvient à expliquer le droit public d'une nation. Quelque essentielle qu'en soit l'étude, depuis la renaissance des lettres elle avait été peu cultivée. Les bénédictins s'y consacrèrent : dom Mabillon la tira de l'obscurité, et fraya le premier des routes sûres pour prévenir les écarts1. Dom Tassin est revenu sur le même sujet : dans son nouveau traité de Diplomatique, il enseigne l'art de juger sainement des anciens diplômes, en fait connaître la nature, l'usage et le prix ; les fondements de l'art examinés, les règles pour discerner le vrai du faux établies, l'auteur expose historiquement les caractères des bulles et des diplômes publiés en chaque siècle, avec des éclaircissements sur un nombre considérable de points d'histoire, de chronologie, de littérature, de critique et de discipline ; il réfute diverses accusations intentées contre beaucoup d'archives fameuses, et surtout contre celles des anciennes Églises ; il facilite la lecture, et montre la vérité de toutes les écritures dont on s'est servi dans les manuscrits et les diplômes depuis le quatrième siècle jusqu'au seizième, et elles sont représentées dans trente-huit planches. Ce traité de paléographie comme de diplomatique, est suivi d'un autre sur les sceaux et les contre-scels, qui est complet, et manquait à notre littérature : le style, l'orthographe, les formules des diplômes et autres actes, le temps où ils ont parlé la langue vulgaire, y sont éclaircis avec netteté et précision. Lors de sa publication, cet ouvrage fut jugé favorablement par les savants français, italiens et de Leipsick. En simplifiant les principes, expliquant chaque mot, indiquant les sources, et donnant à tous les articles importants un juste degré de développement, également éloigné de l'extrême concision et de l'extrême prolixité, dom de Vienne a rendu cette science accessible à tout le monde : son Dictionnaire raisonné est un livre classique pour les commençants, et économise le temps des hommes instruits.


Les règles que les uns ont posées, les autres les ont suivies. Notre histoire est informe, nous le répétons ; et notre ancienne législation, peu connue. On pouvait néanmoins en trouver les monuments dans les archives de nos rois et dans les dépôts de nos monastères ; mais il fallait les y chercher, les juger, les choisir, les employer. Les bénédictins1 et quelques autres savants isolés avaient commencé à débrouiller le chaos immense et ténébreux de notre antiquité. Le Gallia Christiana, l'histoire de plusieurs de nos provinces, les plus doctes traités de diplomatique, et d'autres précieuses collections, fruits de leurs travaux, nous ont fait jouir de richesses que nous possédions sans le savoir. Extraire de ces ouvrages ce qui appartient à notre histoire et à notre droit public ; prendre des doubles exacts d'une prodigieuse quantité de monuments que d'autres avaient dans leur porte-feuille ; diriger vers ces deux objets les veilles des nombreux littérateurs qui sont parmi eux ; leur associer une foule de collègues de tous les états, animés du zèle du bien public ; leur indiquer à tous une marche commune ; leur fournir les instruments dont ils ont besoin, donner à cette multitude d'ouvriers un centre d'activité, des encouragements d'honneur, des motifs d'émulation ; établir un magasin où ils puissent tous déposer le produit de leurs recherches, les y trouver, et s'en faire même rendre compte, voilà peut-être l'unique méthode que l'on doive suivre aujourd'hui, pour profiter des découvertes déjà faites, pour en faciliter de nouvelles, et pour assurer à la France l'inestimable avantage de pouvoir rassembler tous les matériaux de son histoire, et de connaître enfin les principes de son ancienne législation. Ce plan, agréé et protégé par le gouvernement, est précisément celui dont l'exécution a été confiée à des hommes capables d'en assurer le succès. Déjà trente mille copies de pièces inconnues pour la plupart à nos historiographes, et environ sept mille notices d'autres qu'on n'a pas trouvées encore, attestent la fécondité des mines, quoiqu'on n'en ait exploité qu'un petit nombre. Quand toutes ces archives seront reconnues, quand tous les trésors qu'elles recèlent en seront retirés, la France aussi aura son Rymer, mais plus correct et plus parfait que le Rymer dont se glorifie l'Angleterre : elle le devra principalement aux soins des bénédictins, puisqu'entre les vingt-trois membres de la société qui s'en occupe, soit à Paris, soit dans les provinces, on compte dix-sept de ces religieux qui actuellement y travaillent, et six qui pendant leur vie l'ont enrichi : puisqu'ils ont été envoyés en grand nombre en différents districts, pour en découvrir tous les chartriers et pour les dépouiller ; puisque c'est à eux surtout que l'on distribue les chartres, afin de les examiner sous toutes leurs faces et d'en faire leur rapport à l'assemblée, qui se tient régulièrement tous les quinze jours en présence du ministre des lois ; puisqu'enfin leur travail supplée à la modicité des fonds destinés à cette immense entreprise2. Outre ceux qui se sont consacrés à l'étude de notre antiquité nationale, plusieurs autres ont embrassé l'antiquité en général. De ce nombre est dom de Montfaucon, l'un des hommes les plus érudits, et peut-être l'écrivain le plus abondant de notre siècle. Dans sa Dissertation sur la vérité de l'histoire de Judith, première production qui l'annonça d'une manière si avantageuse au monde savant, il répandit de doctes éclaircissements sur l'empire des Mèdes et des Assyriens, et discuta, d'après les règles de la critique, l'histoire de ce dernier qu'on attribuait à Hérodote. Par ses Analectes grecques, son Recueil d'anciens écrivains grecs, sa Paléographie grecque, où, donnant des exemples des différentes écritures employées en divers temps, il exécute pour le grec ce que Mabillon a fait pour le latin dans sa diplomatique ; par son Diarium italicum, qui offre une description exacte de plusieurs monuments, et une notice d'un grand nombre de manuscrits grecs et latins qu'on n'avait pas encore retirés de la poussière ; par sa traduction française du livre de Philon, de la vie comtemplative ; par sa Bibliotheca bibliothecarum manuscriptorum nova, et sa Bibliotheca coisliniana ; enfin par ses Monuments de la monarchie française, et par son Antiquité expliquée et représentée en figures, où en peu de temps on apprend tant de choses, l'on voit qu'ayant cultivé avec une égale ardeur la philosophie, l'histoire sacrée et profane, la littérature ancienne et moderne, les langues vivantes et mortes, il est devenu l'homme de tous les âges. Si peu d'auteurs lui sont comparables pour l'érudition, un grand nombre l'emporte sur lui pour le style : quand on accumule autant de faits, la manière de les écrire est nécessairement négligée1.


Un ouvrage de la plus grande commodité et d'une nécessité absolue, dont notre siècle peut avec raison se glorifier, et qui obtiendra tous les suffrages de la postérité, c'est l'Art de vérifier les dates2. Le titre seul de ce livre indique suffisamment combien il est utile aux savants qui étudient l'histoire dans les sources, aux dépositaires des chartres, aux magistrats, aux avocats ; à tous ceux qui sont occupés par goût, par état, ou par intérêt, des anciens monuments et du dépouillement des titres. Le travail le plus opiniâtre, les recherches les plus étendues, les connaissances les plus variées, ont mis l'auteur en état d'en donner une nouvelle édition plus correcte et plus riche que les précédentes. Malgré quelques taches, ce livre n'est-il pas un chef-d'œuvre de connaissances, « et ne doit-on pas être étonné qu'un seul homme ait eu le courage de se livrer à un travail qui demande autant de recherches que de constance, qui présente autant de difficultés, et qui ne promet pas toute la gloire qu'on espère ordinairement de ses veilles ? Mais la reconnaissance des savants doit être un dédommagement pour l'auteur. »


§. VII. Les religieux physiciens.


En s'appliquant aux sciences que nous venons d'indiquer, et dont on sent facilement l'importance, les religieux n'avaient que peu ou point de coopérateurs et de modèles. Pour les sciences plus généralement connues, ils grossissent le nombre de ceux qui les cultivent. De leurs mains sont sortis une foule d'ouvrages de physique. Ainsi, en mathématiques, ils nous ont donné divers cours, des éléments du calcul intégral, des traités d'algèbre et de perspective: en statique, la règle des horloges, moyen de trouver le vrai méridien, en hydraulique, différents projets, dont l'exécution a procuré des eaux à plusieurs de nos villes ; en acoustique, une manière nouvelle de propager le son et la yoix à une grande distance1 ; des livres élémentaires en gnomonique2. Ils ont écrit sur la botanique, l'agriculture et le jardinage ; sur la médecine, la chirurgie et la pharmacie ; enfin, sur l'astronomie3 et la météorologie, etc.


Enfin, nous rappellerons ici le P. Feuillée, minime, associé de l'académie des sciences et botaniste du roi, mort en 1732. Il voyagea, par ordre de Louis XIV, dans différentes parties du monde ; et le premier fruit de ses voyages fut un journal d'observations physiques, mathématiques et botaniques, faites sur les côtes de l'Amérique méridionale et à la Nouvelle-Espagne. De retour de la mer du Sud, il présenta au roi un grand volume in-folio, où il avait dessiné d'après nature tout ce que ce vaste pays contient de plus curieux. A la bibliothèque du roi, on voit aussi le journal de son voyage aux Canaries, pour la fixation du premier méridien, à la fin duquel se trouve l'histoire abrégée de ces îles. Pour récompenser ce religieux, qui justifiait si bien son choix, Louis XIV lui fit construire un observatoire à Marseille.


Quel que soit le mérite de ces ouvrages, ils laissent beaucoup à désirer. Jusqu'ici les religieux physiciens ne l'ont été que par goût : entre eux nulle correspondance ; point de centre commun où pussent être rapportées leurs recherches. Nous voudrions que les ordres réguliers employassent toujours et exclusivement une partie de leurs savants à l'étude de la physique et de l'histoire naturelle. Puisqu'elles consistent, l'une à observer les opérations, l'autre à décrire exactement les productions de la nature ; qui est-ce qui pourrait les examiner d'une manière plus suivie, rassembler plus de détails, et donner, par conséquent, plus d'idées, que des corps qui, répandus par toute l'Europe, et presque sur toute la surface du globe, ne meurent jamais, et dont la subsistance est partout si peu coûteuse ? D'ailleurs, comme, dans l'univers, tout atteste aux bons esprits la sagesse, la puissance et la magnificence du Créateur, cette science, loin d'éloigner les religieux de la sainteté de leur état, les y ramènerait sans cesse ; et l'on peut juger ce qu'elle leur devrait, par les progrès qu'ont fait, entre leurs mains, celles auxquelles ils se sont livrés.


On sait que le P. Pingré, génovésain, est astronome géographe de la marine ; qu'il a été de ce voyage si fameux qui à jamais honorera le règne de Louis XV, et qu'il enrichit de savantes dissertations les mémoires de l'Académie des sciences. Son grand ouvrage sur les comètes est actuellement sous presse.


§. VIII. Les religieux littérateurs.


Séquestrés par état du monde, dont le commerce est nécessaire jusqu'à un certain point pour former l'esprit et le goût, et voués à la gravité et à l'austérité des mœurs, les réguliers n'ont pas dû s'adonner à cette littérature légère dont nous sommes si avides aujourd'hui. Mais, en écrivant sur les belles-lettres et les beaux-arts, ils ont préféré l'instruction et l'utilité des lecteurs à leur amusement. C'est dans cette vue que plusieurs d'entre eux ont publié des livres classiques, et ont traité de l'éducation ; qu'ils ont donné des traductions élégantes et fidèles de bons ouvrages latins et italiens, et qu'ils en ont composé d'autres sur la peinture, la sculpture et la gravure. Tout le monde consulte les mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres dans la république des lettres, du P. Niceron, barnabite : malgré tous ses défauts, cet ouvrage suppose des recherches et des connaissances étendues en bibliographie et en littérature ; et tout le monde doit se procurer le nouveau Dictionnaire historique de dom Chaudon, comme le meilleur en ce genre, et qui, par la suite des temps, peut devenir encore plus exact et plus utile1. On sait que le P. Mercier, ancien bibliothécaire de Sainte-Geneviève, mérite d'être compté parmi nos plus habiles bibliographes.


Cette classe de savants, nombreuse dans le corps monastique, rappelle un autre genre de service qu'ils rendent à la république des lettres ; c'est la conservation des plus vastes dépôts de livres. Il n'est presque pas de maisons religieuses qui n'ait une bibliothèque plus ou moins considérable, et composée des meilleurs ouvrages de chaque science et de saine littérature. Quand de riches amateurs forment des collections précieuses, rarement ce goût qui les honore tourne-t-il au profit du public ; plus rarement encore, se communique-t-il à leurs descendants ; inaliénables, et partageant, pour ainsi dire, l'éternité de leurs propriétaires, les richesses littéraires acquises par les religieux, ne peuvent que recevoir de nouveaux accroissements ; et pour en jouir, il ne faut que le vouloir. Les petites villes de province n'ont presque que cette ressource ; dans les grandes, dans cette capitale même, les gens de lettres savent que c'est un des avantages le plus propre à faciliter leurs travaux1.


Pour donner une juste idée du nombre des écrivains religieux et de leurs ouvrages, nous aurions pu extraire les bibliothèques et les annales des divers ordres monastiques  ; cette analyse, quelque concise qu'elle fût, aurait outrepassé les bornes que nous nous sommes prescrites. Nous nous contentons d'y renvoyer ; et, nous osons dire que le monde savant y trouvera toujours une multitude d'hommes qui l'ont éclairé. Nous ne pouvons du moins passer sous silence les noms des Jouvency, des Porée, des Rapin, des Vanière, des Ducerceau, des Lejay, et de tant d'autres savants distingués par leurs talents dans l'éloquence et dans la poésie.


Enfin, les palmes de nos différentes académies ont été souvent décernées à des religieux de différents ordres. Le P. Monges, génovéfain, a reçu la dernière qu'a distribuée l'académie des Belles Lettres de Paris. Nous ne citerons que cet exemple, parce qu'il en faudrait trop citer ; et nous terminerons ce simple exposé, par une observation dont on ne saurait contester la vérité. En France, il n'est aucune de ces sociétés littéraires qui, pendant l'espace de temps que nous venons de parcourir, n'ait admis, ou ne compte actuellement parmi ses membres quelques religieux. Nul d'entre eux n'y a été reçu sans titres ; et la plupart de ces titres, nous ne les avons pas même désignés.


Qu'on prononce maintenant : les cloîtres ne sont-ils que l'asile de l'ignorance et de l'oisiveté ? Ne doit-on pas plutôt les regarder comme des pépinières d'hommes instruits dont il est possible d'accroître le nombre, et dont on peut aisément diriger les travaux vers des objets de la plus grande utilité ? S'il est beau d'éclairer les hommes, il est encore plus beau d'adoucir et de soulager leurs peines. Les religieux remplissent cet honorable emploi ; et, après les avoir représentés dans le silence et le recueillement du cabinet, nous allons les montrer dans l'action, et occupés à rendre les services les plus touchants à l'humanité.


§. IX. Religieux dévoués au service des malheureux et à l'éducation de la jeunesse.


A combien de maux l'homme, pendant la courte durée de la vie, n'est-il pas exposé ! De tous les êtres animés, lui seul peut, en naissant, être flétri de l'opprobre de l'illégitimité, et délaissé par des parents également dénaturés et libertins. Trop souvent, lorsqu'il ouvre les yeux à la lumière, celle dont il a reçu l'existence les ferme pour toujours ; et jamais son cœur ne répondra à la tendre voix d'une mère. Quelque belle que soit son organisation, elle souffre des altérations plus fréquentes, plus longues, plus affligeantes que l'organisation des autres animaux. Il n'est pas rare qu'en courant à la fortune, il tombe dans l'esclavage. S'il ne réprime l'excès de ses penchants, il se dévoue au remords ou à l'avilissement éternel. Quelquefois sa cupidité arme la justice contre lui, et la force de demander la perte de sa liberté, et même son supplice. Son âme, faible comme son corps, ne se développe et ne se forme que par degrés ; et sa vieillesse n'est ordinairement qu'une lente dissolution. A tant de misères volontaires ou inévitables, que ressentent exclusivement, ou de la manière la plus amère, les classes de la société les plus infortunées, la bienfaisance et la religion ont préparé quelques secours ; et tous les établissements de ce genre sont confiés en France à des religieux et à des religieuses. En s'acquittant avec zèle de leurs fonctions, ils s'associent aux bienfaiteurs de l'humanité, et méritent comme eux le tribut de la reconnaissance publique.


Avant que les filles de la Charité fussent chargées du soin des enfants-trouvés, quel était leur sort ? Les uns sacrifiés au moment de leur naissance, les autres exposés à la porte des églises et ailleurs, livrés au hasard, vendus, égorgés même pour des opérations magiques et pour des bains de sang, ils n'éprouvaient de la vie que les peines et les horreurs : ni la nature ni la patrie n'avaient entendu leur cri. Saint Vincent de Paul en fut ému ; et avec le concours de quelques dames vertueuses, il jeta les premiers fondements de cet établissement, qui, dans cette seule capitale, élève annuellement quatorze mille sujets à l’État. On les y nourrit soigneusement ; dès leur enfance, on leur inculque des principes de probité et de religion, et on leur procure des moyens de subsistance, en leur donnant un métier. Nos rois leur ont accordé des aumônes et des privilèges : dẹ nouvelles Paules recueillent pour eux les charités des fidèles, et les sœurs grises règlent les détails pénibles, et sont préposées à tous les exercices.

Les orphelins ont également besoin de secours. A la vérité, l'enfant qui n'a jamais connu sa mère, a fait la plus grande des pertes : néanmoins ces infortunés retrouvent en quelque sorte le fonds inépuisable de la tendresse maternelle, dans le cœur des filles que la religion engage à veiller sur eux. Vers le milieu du siècle dernier, Mlle de Lestang établit, pour ceux de la paroisse Saint-Sulpice, un asile qui manque encore aux autres. Il n'est presque pas de ville de province un peu considérable, qui n’ait assuré leurs jours par quelque fondation semblable. C’est aussi des mains des religieuses, que reçoivent la nourriture, l'entretien et l'éducation, d'autres enfants que l'indigence chasse des foyers domestiques. On peut espérer qu'au sortir de ces maisons, les uns et les autres deviendront d'utiles citoyens, et de bonnes mères de famille.


Dès l'origine de la profession religieuse, les moines desservirent les hôpitaux. Saint Basile fit construire à Césarée un monastère et un vaste logement pour les pauvres, adossés l'un à l'autre, afin que le service fût plus facile. Par le testament de Vandemir, de l'année 691, on apprend qu'à l'Hôtel-Dieu de Paris les malades étaient assistés par des religieuses, dont la supérieure avait le titre d'abbesse. Suivant le concile d'Aix-la-Chapelle, il y aura, en chaque monastère de chanoines et de chanoinesses, un hôpital pour tous les pauvres passants malades, et invalides : vinrent ensuite les ordres hospitaliers ; en un mot, telle a été la pratique constante de l'Orient et de l'Occident ; elle s'est maintenue jusqu'à nos jours, et actuellement même, presque tous les hospices de charité, anciens et nouveaux, sont commis à des corps monastiques. Ainsi, l'on voit traiter les différentes maladies qui travaillent l'humanité, chez les disciples de Jean-de-Dieu1, et chez des religieuses de diverses observances. Plusieurs d'entre elles soignent ceux que la perte de la raison réduit à l'état le plus triste, et ceux qui attendent la mort comme un bienfait, puisque toute espérance de guérison leur est interdite ; d'autres se dévouent à panser les plaies et les blessures des pauvres. Quel est l'homme qui, après avoir été témoin de l'ordre qui règne dans les maisons des frères de la charité, ne désire qu'ils puissent se multiplier assez pour se charger du plus grand nombre de nos hôpitaux, même des hôpitaux militaires ? Qu'on calcule tous ceux de ce royaume qu'administrent les moines et les religieuses ; comptons les malheureux qu'annuellement ils soulagent, et bénissons à jamais et les pieux fondateurs et leurs généreux agents.


D'autres religieux ont été établis pour une autre classe d'infortunés, pour ceux qui, s'exposant aux périls de la navigation, sont pris par les corsaires musulmans. « Cette congrégation héroïque, car ce nom, dit M. de Voltaire, convient aux Pères de la rédemption des captifs et de Notre-Dame de la Merci, se consacre, depuis six cents ans, à briser les chaînes des chrétiens chez les Maures. Ces religieux emploient à payer la rançon des esclaves, leurs revenus et les aumônes qu'ils recueillent, et qu'ils portent eux-mêmes en Afrique. » Le dernier rachat, fait en 1767, à Saffie, dans le royaume de Maroc, leur a coûté un million : avec cette somme, à laquelle contribuèrent le roi et le clergé, ils rendirent environ deux cents citoyens à la France.


Une autre espèce d'esclavage qui dégrade la nature humaine, c'est celui où conduit l'incontinence : par elle ordinairement commence l'altération des mœurs publiques. Afin d'en prévenir et d'en arrêter les funestes effets, des hommes zélés et des femmes pieuses ont formé divers établissements parmi nous. Le quinzième siècle vit naître l'ordre des filles pénitentes, ou magdelonettes, qui reconnaissent pour fondateur le Père Tisseran, cordelier, et pour bienfaiteur, Louis XII. Sous Louis XIV, Mmes de Pollalion, de Miramion, et Combé préparèrent des asiles, soit aux jeunes personnes de leur sexe, dont la beauté et la misère exposent l'innocence, soit à celles qui, touchées de leurs désordres, veulent les expier. De là nous sont venues les maisons de l'ordre de la Providence, de Sainte-Pélagie, du Refuge, du Bon Pasteur, et autres semblables. Dans ces dernières, de solides instructions et des pénitences tempérées par la douceur, ramènent à la sagesse ; et il est rare que ce retour se démente. Au commencement, les filles publiques y étaient renfermées de force, et les suites justifièrent cette violence. C'est aux magistrats chargés de la police de nos villes, à chercher tous les moyens de les purger du libertinage, eux qui ne peuvent ignorer combien il produit de crimes.


Dès que les malheureuses victimes de la justice sont détenues dans les prisons, les sœurs de la charité leur administrent tous les secours temporels1 ; et en province, les religieux s'efforcent, en les rappelant aux sentiments de la religion, de les soustraire à des supplices plus longs et plus terribles que ceux auxquels les condamneront les lois humaines. Les forçats avaient des droits sur le cœur compatissant de saint Vincent de Paul ; il fut touché de l'état horrible où ils étaient réduits par ses soins, des scélérats dont la bouche n'exhalait que des imprécations, se familiarisèrent avec la vertu. Il parvint à leur faire bâtir un hôpital à Marseille ; et, en divers endroits, ses filles sont appliquées à les servir.


Les religieux et les religieuses rendent à la jeunesse des services non moins pénibles, mais plus consolants. Nous l'avons déjà dit, presque tous les monastères autrefois étaient des écoles nationales. A un petit nombre près, ceux qu'habitent les filles sont ouverts aux personnes de leur sexe ; pauvre ou riche, noble ou roturière, la moitié de notre jeunesse est élevée par des ursulines, des visitandines, des augustines, des dominicaines, etc. En France, elle n'a point d'autres institutrices ; et quand on remonte à l'origine de la plupart de leurs maisons, on découvre que la nécessité de pourvoir au défaut total d'instruction, ou de remédier à la licence des maîtres à qui elle était confiée, leur a donné naissance. Si cette éducation n'est pas, chez les religieuses, aussi complète qu'on le désire, comment en seraient-elles responsables ? nous n'avons pas encore, sur cet important objet, un plan universellement approuvé, et qu'il soit possible de mettre en exécution. Appliquons ces observations aux religieux.


Ils sont chargés du plus grand nombre de nos collèges. Les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur président à la plupart des écoles royales militaires nouvellement fondées. Ceux de Cluny et de Saint-Vannes, les cordeliers, barnabites remplissent les mêmes fonctions en différentes villes du royaume. Les dominicains, dans leur seule province de Toulouse, occupent trente-deux chaires ou maisons d'éducation ; à Paris et ailleurs, les jésuites avant leur destruction luttaient avec avantage contre les plus brillantes universités : ainsi, d'un bout de la France à l'autre, l’on voit les religieux et les religieuses utilement employés auprès de la jeunesse. Qui pourrait dire le bien opéré dans les classes populaires par ces frères des écoles chrétiennes, qui impriment dans les cœurs de l'enfance des sentiments de foi que les passions peuvent bien affaiblir, mais presque jamais éteindre ? Si la religion est la base de toute bonne éducation, et si les connaissances qu'il faut donner aux enfants, quoique plus approfondies et mieux déterminées qu'autrefois, exigent néanmoins qu'on s'y livre entièrement, quels hommes peuvent être plus propres à remplir cet emploi, que ceux qui, par état, sont dévoués à la vertu et à l'étude ? Pourquoi ne pas étendre ce genre d'avantages que procurent les corps monastiques ?


Comme l'enfance, la vieillesse expose à de grands besoins, et soumet aux entraves de la dépendance : triste même pour les classes riches, elle est affreuse pour les indigents. En vain la religion et l'humanité sollicitent en leur faveur ; les asiles qu'on a ouverts aux vieillards pauvres, ne sauraient les contenir. Puissent des âmes vertueuses et sensibles être touchées de leur misère, et tellement pourvoir à leur sort, qu'après avoir travaillé toute leur vie, et donné peut-être une multitude d'enfants à leur pays, ils n'aient plus qu'à mourir paisiblement, sans regretter d'avoir trop vécu ! Le petit nombre de maisons qui leur servent de retraite, sont administrées par des religieux ou des religieuses, surtout par des sœurs grises. Aux Invalides on en compte quarante ; il y en a vingt aux Incurables, et plus de quatre-vingts dans les principales paroisses de Paris. Nos provinces doivent s'applaudir de leur avoir procuré des établissements et confié leurs hôpitaux. Cette congrégation, et les autres instituts consacrés au soulagement des pauvres, méritent l'hommage que leur a rendu M. de Voltaire1. « Peut-être, dit cet auteur, n'est-il rien de plus grand sur la terre, que le sacrifice que fait un sexe délicat de la beauté et de la jeunesse, souvent de la haute naissance, pour soulager dans les hôpitaux ce ramas de toutes les misères humaines, dont la vue est si humiliante pour l'orgueil humain, et si révoltante pour notre délicatesse. Les peuples séparés de la communion romaine n'ont imité qu'imparfaitement une charité si généreuse. »


Tout ce qu'on vient de lire n'est que le commentaire, justifié par des faits, du témoignage consigné dans l'édit de 1768. « Nous avons la satisfaction, y est-il dit, de voir un nombre considérable de religieux offrir le spectacle édifiant d'une vie régulière et laborieuse... Ils ne cessent de rendre à la société les services les plus importants, par l'exemple de leurs vertus, par la ferveur de leurs prières, par les travaux du ministère, auxquels l'Église les a associés ; » ajoutons, par la culture des sciences et par tous les secours qu'ils donnent à l'humanité.


(1) peu considérable, qui n'ait assuré leurs jours par quelque fondation semblable. C'est





CHAPITRE 6 : DES BIENS DES CORPS MONASTIQUES.


Dans le dessein d'opposer un jugement impartial et motivé aux déclamations contre l'état religieux, nous en avons fait connaître l'esprit et les principes ; nous en avons tracé en peu de mots l'origine et les progrès ; les services qu'il a rendus à l'Église, ceux qu'il a rendus à la société, son utilité actuelle ont été, comme on l'a vu, l'objet de trois chapitres différents. Mais peu d'hommes examinent et discutent ; et en vain aurons-nous prouvé que les corps réguliers doivent être également chers à la religion et à la politique, il faut encore les justifier sur les biens dont ils jouissent.


Plus on est avide, moins on pardonne aux autres leurs richesses ; la plupart de ceux qui s'élèvent contre les religieux, le feraient avec moins de zèle, ou plutôt avec moins de fiel, s'ils ne possédaient rien ; ils leurs paraissent coupables parce qu'ils sont riches ; l'envie, fortifiée par le mépris pour la religion, les regarde comme des oisifs qu'enrichirent l'ignorance et la superstition, et qu'il faut dépouiller dans un siècle éclairé. Ne peut-on pas comparer la multitude qui demande ainsi leur spoliation, à la populace romaine sollicitant des lois agraires ? Cicéron, s'opposant à l'injustice et au délire de ses concitoyens, défendit avec succès la loi sacrée de la propriété.


Quelle est l'origine des biens monastiques ? Quel est leur usage ? Quelle est la propriété des religieux ? Ces trois questions, qui nous paraissent embrasser toute la matière que nous traitons, seront le sujet de ce chapitre.


§. Ier Origine des biens des religieux.


Par la sainteté de leur vie et par leur zèle contre les ennemis de la foi, les premiers moines ayant excité l'admiration de l'Orient, l'état religieux s'étendit bientôt par toute la chrétienté. Les évêques fixèrent auprès d'eux ces nouveaux athlètes de la religion, et se firent de leurs vertus et de leurs lumières un double rempart contre l'hérésie et la corruption des mœurs. Comme ils vivaient dans la retraite et loin des affaires séculières, il fallut pourvoir à leur subsistance.


Les monastères reconnaissent trois sortes de fondateurs, les évêques, les rois, et les grands.


Puisque les canons1 défendent d'en bâtir aucun sans le consentement des évêques, et qu'ils les constituent juges de l'utilité de ces établissements, on peut dire en général qu'ils ont eu part à la fondation de tous les monastères. Un grand nombre y concourut d'une manière plus directe, en les dotant des biens de leur Église. Les conciles le leur permettaient en termes exprès, et presque toutes les anciennes abbayes sont de fondation épiscopale. Il nous suffira d'attester ici celles du célèbre patriarche d'Alexandrie, de Martin de Bragues, de saint Eloi et de ses successeurs ; celles enfin de saint Ouën, père de ces fameuses abbayes que l'on rencontre dans le diocèse de Rouen. « Ces évêques pensaient, dit le P. Thomassin1, après Ives de Chartres, que les biens des pauvres ne pouvaient être trop libéralement distribués à ceux qui s'étaient dévoués à la pauvreté évangélique. » Nous ajouterons qu'associés de bonne heure aux travaux du ministère, ils avaient un droit légitime au patrimoine du clergé. Cette libéralité envers les religieux alla même si loin, que le neuvième concile de Tolède fut obligé d'y mettre un frein, en défendant aux Évêques de donner aux monastères plus de la cinquantième partie des biens de leur évêché.


Instruits par les évêques des avantages que l'Église pouvait retirer de ces pieuses colonies ; pensant d'ailleurs que c'était travailler au bonheur de leurs sujets que d'étendre une classe d'hommes consacrés à la pratique de toutes les vertus, les souverains en favorisèrent à l'envi l'établissement dans les différentes parties de leurs États. Dès le temps de Charlemagne, on distinguait déjà les abbayes royales des abbayes épiscopales. Qui ne sait combien ce grand homme s'occupa des monastères ? dix-sept furent construits ou rétablis par Louis le Débonnaire ; et depuis Clovis, il n'est pas un de nos rois qui n'ait été le fondateur, ou le bienfaiteur de quelques maisons religieuses.


De toute part les grands se firent un honneur d'imiter leurs chefs et de les égaler en magnificence. Pour apprécier leurs bienfaits, il faut se transporter au temps qui les vit naître : l'anarchie féodale versait alors sur l'Europe tous les maux qu'elle enfante ; c'était un état de guerre habituel, où tout devenait la proie de la force et de la violence : le respect pour la religion ne pouvait même défendre les biens de ses ministres ; on usurpait les dîmes, et jusques aux sanctuaires des églises. Or, il arrivait quelquefois que les ravisseurs, pressés par le cri de leur conscience, ou intimidés sur la fin de leur carrière par la crainte de l'avenir, cherchaient à réparer et leurs propres excès et ceux de leurs pères.


Sans doute il eût été plus simple et plus juste de rendre les biens usurpés à leurs véritables propriétaires ; mais souvent ils étaient inconnus. D'un autre côté, les ecclésiastiques, en négligeant leurs devoirs, avaient perdu la confiance des peuples : les religieux, au contraire, les édifiant et s'occupant avec zèle des fonctions du ministère, semblaient s'offrir naturellement à leur reconnaissance. Voilà pourquoi tant de monastères ont été dotés de ces amples restitutions : peut-être aussi les ducs et les comtes étaient-ils poussés par la gloire d'être fondateurs.


S'ils leur donnaient de leur propre patrimoine, leur libéralité ne diminuait presque pas leurs revenus : ces bienfaiteurs possédaient des terres immenses, souvent même des provinces entières, dont une grande partie, stérile et déserte, n'étaient pour eux d'aucune utilité réelle. « Les Français, dit un de nos historiens, fondèrent les grandes abbayes sans qu'il leur en coûtât beaucoup. On cédait à des moines autant de terres incultes qu'ils pouvaient en mettre en valeur ; ces troupes pénitentes, ne s'étant pas données à Dieu pour mener une vie oisive, travaillaient de toutes leurs forces à dessécher, à défricher, à bâtir, à planter2. » « On leur donnait volontiers, ajoute Fra-Paolo Sarpi, malgré sa malignité, parce que ces biens étaient employés à nourrir et faire instruire des enfants, et à des œuvres de miséricorde et de pénitence3. »


La fondation des monastères, nous le savons, est regardée comme le luxe de ces temps. Que ce luxe différait de celui qui règne aujourd’hui ! il consistait à doter la vertu.


Depuis huit ou neuf siècles, le nom de chaque fondateur retentit dans le temple qu'il a élevé ; et tous les jours de pieux cénobites s'efforcent par des vœux ardents d'attirer sur sa postérité les bénédictions célestes. Ce tribut de prières n'est pas le seul prix de ses bienfaits : si sa famille tombe dans l'indigence, le monastère lui doit des secours proportionnés à ce qu'il en a reçu et à la qualité du patron1. Ordinairement la collation du bénéfice lui appartient, et ce droit lui rend souvent beaucoup plus qu'il ne lui en a coûté pour l'acquérir, en sorte que les donateurs semblent n'avoir fait que des échanges utiles avec les religieux.


Le peuple même a contribué aux richesses et à l'agrandissement de l'ordre monastique : pour le prouver, il nous suffirait de dire que plus d'une fois des familles entières se sont données aux monastères ; et, ce qui doit surprendre, c'est que cette conduite, qui ne paraît d'abord qu'un dévouement aveugle, leur était cependant dictée par la prudence et par leur propre intérêt.


Le peuple était alors réduit à un véritable état de servitude, ou traité comme s'il eût été réellement esclave. Le roi, dépouillé de presque toutes ses prérogatives, sans autorité pour former ou faire exécuter des lois salutaires, ne pouvait ni protéger l'innocent, ni punir le coupable. Ceux qui étaient encore appelés libres, sans cesse opprimés par les grands, étaient forcés de leur vendre leur liberté, afin que, devenant leur propriété, ils fussent au moins intéressés à leur conservation. Les formes de cette soumission, connue sous le nom d'Obnoxiation, nous ont été conservées par Marculphe2. On ne doit donc pas s'étonner que plusieurs se soient donnés aux monastères.


Cette condition n'était-elle pas plus avantageuse ? ils y trouvaient des maîtres dont les mœurs étaient adoucies par les vertus de leur état et par la culture des lettres, et qui n'étaient souvent que les compagnons de leurs peines. Parmi ceux que la misère n'avait pas dégradés à ce point, pour conserver à la fois leur liberté et leurs possessions, plusieurs imploraient la protection des monastères ; et couverts, pour ainsi dire, du respect qu'on portait aux religieux, ils jouissaient de la paix et de la sûreté, tandis qu'autour d'eux régnait un désordre universel. Heureux et reconnaissants, ces colons leur payaient une redevance, ou leur rendaient quelques services. C'est ainsi que tous les ordres de la société ont concouru à former un patrimoine aux religieux : entre leurs mains laborieuses et économes, ces biens se sont accrus ; leur piété et leurs travaux, voilà les sources pures des richesses que la cupidité leur envie. Nous connaissons trop les hommes, et nous sommes trop justes pour prétendre que, dans un si long espace de temps, les religieux ne se soient jamais laissé séduire par le désir de leur agrandissement, ou même par le bon usage qu'ils faisaient de leurs acquisitions. Si quelque portion de leurs biens a été le fruit de ce zèle indiscret ou trop avide, ceux qui sont sortis de leurs mains de tant de manières différentes n'établissent-ils pas une compensation assez forte ? Combien de fois d'ailleurs n'ont-ils pas arrêté eux-mêmes les effets de la libéralité des princes et des particuliers ! d'une foule de traits, nous n'en citerons qu'un, dont la preuve est encore sous nos yeux. Le premier asile que les dominicains aient eu à Paris, celui qui leur a donné le nom sous lequel ils y sont connus, le couvent de la rue Saint-Jacques est pauvre, ses murs l'attestent ; cependant il a été fondé par saint Louis, et il a donné dix-huit confesseurs à nos rois. Un riche particulier qui s'était retiré dans cette maison, témoin de sa pauvreté, et reconnaissant des soins charitables des religieux, voulait leur léguer une fortune considérable qu'il avait faite aux îles. Il consulte celui qui dirigeait sa conscience : « Laissez, lui dit-il, à votre famille un héritage qui lui appartient. Ce que je possède, je l'ai acquis par mon industrie, je ne me connais point de parents, et je veux en disposer en faveur de l'Église. En ce cas, répond le vertueux dominicain, il est un genre de bien digne de vous intéresser. J'ai vu souvent des curés malheureux, à qui l'âge et les infirmités rendaient le repos nécessaire, et qui ne pouvaient quitter des fonctions trop pénibles, parce que la modicité de leur bénéfice et le soulagement des pauvres ne leur avaient pas permis de se ménager une ressource pour leur vieillesse : préparez-leur une retraite ; posez la première pierre d'un monument destiné à leur procurer des secours à la fin d'une carrière utile et honorable. » Son vœu fut rempli ; cette succession est le premier fonds dont a été dotée la maison de Saint-François de Sales ; et cet établissement, qui manquait à l'Église, que sollicitait l'humanité, nous le devons au désintéressement et au zèle éclairé d'un religieux1.


§. II. Usage des biens monastiques.


C'est beaucoup qu'on ne puisse reprocher aux religieux l'origine de leurs biens ; et sans doute c'est un avantage qu'ils ont sur un grand nombre de leurs ennemis : voyons maintenant si leur usage est tel qu'il puisse être avoué par la religion et par la politique. Puisque les revenus publics sont une portion de biens que chacun sacrifie pour avoir la sûreté de l'autre2, le tribut, par sa nature et sa destination, est la première dette de tout propriétaire. Sans traiter ici de l'immunité des biens ecclésiastiques, question étrangère à notre objet, nous dirons que le clergé de France jouit d'une prérogative très précieuse ; la contribution, que les autres sujets payent au roi, il l'offre comme un hommage libre de son amour et de sa reconnaissance. L'Église gallicane s'est toujours montrée digne de ce beau privilège ; dans tous les temps, on l'a vue proportionner ses secours aux besoins de l’État ; et outre les grands efforts qu'elle avait faits en 1780, et dont ses annales ne présentaient pas d'exemples3, elle a donné en 1782, de nouvelles preuves de son patriotisme, pour aider aux frais de la guerre et pour réparer les maux qu'elle a causés : si le clergé est le premier corps du royaume par le rang et les honneurs, il l'est encore par son zèle et son dévouement : les religieux, comme on sait, contribuent au don gratuit, et supportent ainsi le poids des charges publiques4.


Les bénéfices mêmes, auxquels sont attachés les biens monastiques, étant presque tous à la collation du roi, on peut les regarder comme autant de récompenses qui, sans rien coûter au peuple, doivent servir à exciter l'émulation des vertus et des talents. Pour ne parler que des avantages qu'en retire la politique, quelle ressource pour la noblesse ! Un bon gentilhomme se repose du soin de sa fortune sur la reconnaissance de sa patrie ; il ne veut s'enrichir qu'à force de gloire mais chez une nation généreuse, il y a toujours plus de services rendus, que de grâces à donner. Un bénéfice accordé au mérite du frère ou du fils d'un brave et pauvre militaire, est un bienfait pour toute sa famille, dont il devient le soutien. Combien n'a-t-on pas vu d'anciennes maisons connues par notre histoire, et dont les rejetons, victimes de la misère, languissaient obscurément au fond d'une province, reprendre leur premier lustre, aidées du revenu d'une riche abbaye ! Plus d'une branche de ce grand arbre qui croît dans le champ de l’État, pour la gloire et l'honneur, aurait péri desséchée, faute de sève et d'aliment, si l'Église, de ses sources fécondes, n'en avait souvent arrosé les racines.


Depuis l'introduction de la commende, le clergé séculier jouissant des deux tiers du patrimoine des religieux, on ne peut leur demander compte que de la portion qui forme la masse conventuelle. Selon toutes les règles monastiques, leurs besoins sont bornés à l'absolu nécessaire ; elles ne leur permettent qu'une nourriture frugale et des vêtements grossiers. Des relations indispensables, les égards dûs aux personnes en place, obligent, il est vrai, les chefs d'une communauté d'admettre quelquefois un luxe étranger sur leurs tables ; mais entrez au réfectoire, elle n'excitera ni votre envie, ni vos reproches.


Leurs maisons sont trop vastes ; des solitaires habitent des palais... Après avoir parcouru ces beaux édifices, nous avons pénétré dans les cellules. Là, nous nous retrouvions au sein de la simplicité : une chambre étroite ne présentait à nos yeux étonnés, que quelques meubles et des livres, seuls ornements de ces asiles consacrés à la retraite et à l'étude. Là souvent nous avons vu des hommes dont les ouvrages nous avaient instruits.


Les salles d'assemblées, ou destinées à recevoir les séculiers, et surtout les églises, voilà les lieux qu'ils ont pris soin d'embellir. Par ces dépenses, ils fournissent un aliment aux beaux-arts, dont les progrès et les chefs-d'œuvre fixent le rang des nations entre elles ; l'architecture, la sculpture et la peinture, presque toujours aux gages d'un luxe indécent, et devenues les complices de la corruption des mœurs, rappelées dans ces monuments à la pureté de leur origine, nous offrent des beautés que l'innocence peut admirer. Au milieu de ces maisons fragiles dont nous sommes environnés, qui périront avec leurs auteurs égoïstes, on doit voir avec satisfaction s'élever des bâtiments solides et durables qui, marqués pour ainsi dire du sceau de l'éternité, porteront aux siècles futurs un long souvenir de notre âge.


Quand les monastères situés dans les petites villes, ou des villages sans ressource, commencent leurs constructions, tout change de face ; le commerce s'anime, les artisans sont occupés, le malheureux y trouve des moyens de subsistance ; et quatre-vingt ou cent mille francs employés à rebâtir une abbaye, ont répandu l'aisance par tous les environs. Puisque tels en sont les effets, nous ne saurions les condamner ; seulement nous exhortons les religieux à se garantir du goût pour la bâtisse, qui depuis quelque temps a gagné tous les ordres de la société : un supérieur est aisément séduit par le désir d'agrandir, ou de décorer sa maison ; il croit en devenir le bienfaiteur, mais ce n'est souvent qu'une illusion de l'amour-propre ; il espère par-là sauver son nom de l'oubli, espoir qu'on peut nourrir encore après avoir renoncé au monde. Ces dépenses diminuent le bien que faisait la maison ; les dettes qu'elles lui occasionnent, sont un scandale, et quelquefois le germe de sa destruction.


Qu'ils emploient bien plus utilement et pour eux et pour l’État, le fruit de leur économie, en versant leurs épargnes dans le sein de la terre ! Depuis quelques années, on s'est beaucoup occupé en France de l'agriculture ; dans plusieurs villes se sont formées des sociétés agronomes ; il a paru une foule d'ouvrages sur les moyens de nous procurer de plus abondantes récoltes ; enfin, cette importante matière a excité pendant quelque temps, un enthousiasme presque universel. Toutes nos recherches, sans rien changer à l'état actuel des choses, n'ont servi qu'à nous apprendre combien il nous restait à faire. « Si l'on parcourt quelques-unes des provinces de la France, dit un auteur très estimé, on trouve non-seulement que plusieurs de ses terres sont en friche, qui pourraient produire des blés et nourrir des bestiaux ; mais que les terres cultivées ne rendent pas à beaucoup près, à proportion de leur bonté, parce que le laboureur manque de moyens pour les faire valoir1. »


En effet, l'unique moyen de rendre nos champs plus féconds, c'est de faire à la terre des avances qu'elle rend toujours avec usure. Mais les grands propriétaires, attirés et retenus dans nos villes par les jouissances du luxe, dédaignent les détails de l'économie rurale, et ne connaissent leurs terres que par les rapports qu'elles leur donnent avec des fermiers qu'ils foulent pour fournir à un faste ruineux. Comment attendre des améliorations de ceux qui se refusent même à l'entretien et aux réparations les plus indispensables ? Tirant tout des campagnes, et n'y reportant rien, ils dessèchent, pour ainsi dire, le sol qui les nourrit.


Pour faire des avances à la terre et les placer d'une manière intelligente et avantageuse, il faut aimer la campagne ; il faut l'habiter, pour en connaître les besoins et les ressources : telle est la position des religieux. Attachés en quelque sorte à la glèbe, et fixés au milieu de leurs possessions, ordinairement ils les font valoir eux-mêmes, ou ils surveillent l'administration de ceux à qui ils en ont confié la culture. Comme il ne leur est plus permis d'étendre leurs domaines, ils s'efforcent de les rendre plus fertiles : opposer une digue au débordement nuisible d'un étang ou d'une rivière, dessécher un marais, ou défricher des landes, voilà les objets de leur utile ambition. Leurs maisons sont donc autant d'écoles pratiques d'agriculture, répandues dans nos provinces pour la richesse de la France1.

Ces corps permanents se consolent des efforts et des sacrifices qu'exigent ces travaux longs et dispendieux, par la certitude d'en jouir. Aussi, dit l'Ami des hommes, «< il est passé en proverbe, que les bénédictins mettent cent sur un champ pour lui faire produire un2. » Les avances qu'on fait à la terre sont un bienfait pour la patrie, parce qu'elles multiplient la subsistance des citoyens ; les ouvrages des religieux occupent une multitude de bras, répandent l'argent, et favorisent la population, véritable mesure de la prospérité des empires.


Un voyageur instruit, traversant les campagnes, distingue à leur culture la classe de leurs propriétaires. S'il rencontre des champs bien environnés de fossés, plantés avec soin, et couverts de riches moissons : « Ces champs, dit-il, appartiennent à des religieux. » Presque toujours à côté de ces plaines fertiles, une terre mal entretenue et presque épuisée, présente un contraste affligeant : cependant la nature du sol est égale, ce sont deux parties du même domaine ; on voit que cette dernière est la portion de l'abbé commendataire.


Dans quelques mains que soient les biens monastiques, ils sont affectés au soulagement des malheureux. Sans établir ici de comparaison, voyons comment cette dette est acquittée par les monastères. Quand on oublierait ce que nous croyons avoir prouvé, que les religieux sont également utiles à l'Église et à l’État, ils resteront encore hommes et citoyens. Nés pour la plupart de parents peu fortunés, ils trouvent dans les cloîtres des ressources que ne leur offrait pas la maison paternelle. Les places monacales sont pour eux ce que les commendes sont pour la noblesse ; en sorte que les revenus monastiques tournent au profit de toutes les classes de la société, c'est un patrimoine commun. A l'abri du besoin, chaque religieux sollicite des secours pour sa famille indigente ; et presque tous les corps, comme la congrégation de Saint-Maur et celle de Cluny, ont des fonds destinés à cet usage respectable. Le pauvre n'est jamais refusé à la porte des maisons religieuses ; les unes, tous les jours, les autres, plusieurs fois par semaine, font d'amples distributions de pain1. Combien de jeunes gens sont élevés dans nos collèges à leurs dépens !


Mais c'est surtout lors des accidents qui affligent les campagnes, qu'éclatent le zèle et la charité des religieux. Un orage vient de détruire toute espérance de moisson, un village a été la proie d'un cruel incendie ; pères des laboureurs, ils s'empressent de les soulager, en distribuant aux uns des matériaux pour rebâtir leur habitation, aux autres des grains pour ensemencer leurs champs et pour les nourrir jusqu'à la récolte prochaine. C'est un prêt pour ceux qui peuvent rendre, c'est un don pour les malheureux. Parmi une foule de traits de cette nature, connus de nos lecteurs, nous en citerons un, trop authentique et trop honorable à l'humanité pour nous refuser au plaisir de le transcrire. En 1781, le territoire de la ville de Saint-Maximin, en Provence, fut dévasté par un ouragan terrible : non-seulement on ne recueillit rien, les vignes et les oliviers furent frappés pour plusieurs années. Tandis que Saint-Maximin réclamait les secours de la province, tandis que la province elle-même implorait les bontés du roi, les dominicains consumaient leurs épargnes à réparer des malheurs qu'ils avaient déjà partagés sur leurs domaines et sur leurs dîmes. Le monastère renvoya plusieurs de ses membres dans d'autres maisons, afin de secourir plus d'infortunés. Touchée de ce dévouement digne des plus beaux siècles de l'Église, l'assemblée des États de la province en a consigné le témoignage dans ses cahiers. « La ville de Saint-Maximin ne compte-t-elle, pas au nombre de ses bienfaiteurs, une communauté de religieux dont la fondation signala la piété d'un de nos anciens souverains, et dont la célébrité tient plus aux vertus pastorales qu'elle exerce sur tout un peuple, qu'à ses richesses ? Les greniers de cette maison ont été ouverts à la misère du peuple ; des distributions de pain, des secours manuels ont été prodigués à la porte du cloître. Avec quel empressement chaque religieux ne s'est-il pas privé de son vestiaire, pour en soulager les familles ? » Ajoutons encore un fait qui prouve que les religieux sont aussi bons citoyens que bienfaiteurs éclairés. A la naissance du prince qui a comblé l'espoir du roi et les vœux de la nation, les augustins de la ville de Montmorillon, dans le haut Poitou, outre les prières publiques et les marques de réjouissance qui ont eu lieu partout, ont cru devoir plus particulièrement signaler ce bienfait du ciel, en payant de leurs deniers, suivant le rôle des collecteurs, la quote-part des tailles et corvées de cent dix-neuf pauvres familles, tant de Montmorillon que de Comise2. »


Aujourd'hui que les déclamations contre les religieux sont universelles1, il est étonnant qu'ils ne leur opposent pas un recueil de leurs actions de charité et de patriotisme : la calomnie serait réduite au silence ; et, dans ce siècle philosophe, les religieux feraient le plus bel hymne à la bienfaisance.


§. III. Propriété des religieux.


Il n'y a donc qu'une prévention aveugle qui puisse former des vœux pour la ruine des monastères ; vœux injustes et coupables, puisqu'ils tendent à violer la loi sacrée de la propriété. Pour connaître quelle est celle des religieux, il suffit de lire les actes en vertu desquels ils possèdent. Ils annoncent tous clairement que la volonté des fondateurs a été de doter un corps utile, d'en assurer l'existence, et d'en perpétuer les services pendant la durée des siècles. « Voulant, dit Guillaume, duc d'Aquitaine, dans la charte de fondation de l'abbaye de Cluny, employer utilement pour mon âme, les biens que Dieu m'a donnés, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de m'attirer l'amitié de ses pauvres ; et afin que cette œuvre soit perpétuelle, d'entretenir à mes dépens une communauté de moines. Je donne donc, de mon propre domaine, la terre de Cluny, sise sur la rivière de Graune, à condition qu'on y bâtira un monastère en l'honneur de saint Pierre et de saint Paul, pour y assembler des moines vivant suivant la règle de saint Benoît, et que ce soit à jamais un refuge pour ceux qui, sortant pauvres du siècle, n'apporteront avec eux que la bonne volonté. Ils exerceront tous les jours les œuvres de miséricorde, selon leur pouvoir, envers les étrangers et les pèlerins. Aucun prince séculier, ni aucun évêque, ni le pape même, je les en conjure au nom de Dieu et de ses Saints, ne s'emparera des biens de ces serviteurs de Dieu, ne les vendra, échangera, diminuera, ni donnera en fief à personne2. » Cette donation est souscrite par le duc, sa femme, des évêques, et plusieurs grands seigneurs.


Tous les actes de fondation sont conçus à peu près dans les mêmes termes. Les bienfaiteurs transmettent aux monastères tous leurs droits sur les biens qu'ils leur lèguent, et les moines les ont reçus sous la garantie des deux puissances. « Que les monastères, dit le premier concile de Chalcédoine, construits et établis dans un lieu, du consentement de l'évêque, soient toujours monastères ; qu'on leur conserve soigneusement les biens qui leur ont été donnés, en sorte que ces maisons ne deviennent jamais, des habitations séculières1. » Contribuer à ce changement où le permettre sans les raisons les plus fortes, c'est, au jugement du concile de Nicée, encourir une terrible condamnation.


Mais le bien public ? « Le bien public, dit M. de Montesquieu, est que chacun conserve invariablement la propriété que lui donne la loi civile. Faire le bien public aux dépens du bien particulier, c'est un paralogisme2. » Cicéron soutenait que les lois agraires étaient funestes, parce que la cité n'était établie que pour que chacun conservât ses biens. C'est dans un siècle où l'on se vante d'avoir fixé les droits respectifs des peuples et des souverains, et ce sont des philosophes qui méconnaissent ce premier principe de droit public3.


Comment ne sont-ils pas effrayés des conséquences funestes de leur système de destruction ? Nous possédons au même titre que vous, leur répondront les religieux comme vous, nous avons acquis par les voies marquées dans le droit civil ; donations, testaments, contrats de vente, tous ces actes nous sont communs avec vous. Ce qui distingue ceux que nous vous présentons, c'est qu'ils sont appuyés sur une possession solennelle et respectée pendant plusieurs siècles ; c'est qu'ils sont spécialement revêtus du sceau de l'autorité souveraine ; c'est que les conciles, consacrant nos droits, frappent d'anathème ceux qui oseront y porter atteinte. Si ces titres, les plus authentiques et les plus sûrs qui puissent se trouver dans la main des hommes, ne nous suffisent pas, dites quel garant plus saint vous assure vos propriétés  ?


S'il était possible qu'un prince chrétien oubliât ces principes de justice et de modération, les religieux lui rappelleraient alors les conseils que donnait à son fils un prince connu par sa bravoure et par la sagesse de son gouvernement : « O mon fils, disait en mourant Hugues Capet à Robert, je vous conjure par la sainte et indivisible Trinité, de ne jamais acquiescer aux conseils des flatteurs, et de ne pas vous laisser gagner par les dons et les présents empoisonnés qu'ils pourraient vous faire, dans le dessein de vous amener à leurs vues intéressées et frauduleuses sur les abbayes que je vous confie à perpétuité : prenez garde que la légèreté d'esprit ne vous porte à en distraire et à en piller les biens, ou qu'un mouvement de colère ne vous excite à les dissiper4. »



CONCLUSION.


Faibles et obscurs dans leur origine, les divers établissements de la société ne se sont étendus et affermis que par des progrès plus ou moins rapides. Les circonstances, l'utilité qu'on en attendait, leur ont mérité la faveur publique et une existence légale. Plus d'une fois aussi ces espérances ont été trompées ; des principes mal analysés ont produit, en se développant, des inconvénients dangereux ; et pour n'en avoir pas prévu toutes les conséquences, la politique a souvent été forcée de proscrire ce qu'elle avait adopté.


Mais supposons qu'à la naissance des ordres religieux, les dépositaires de la puissance civile et ecclésiastique se fussent assemblés afin de délibérer sur cette nouvelle association, et qu'un homme savant dans la connaissance de l'avenir, ayant été admis dans ce conseil auguste, leur eût dit : Une religion sainte favorise nécessairement les principes d'un gouvernement éclairé, et concourt au but qu'il se propose, en commençant dans le temps le bonheur qu'elle promet pour l'éternité. Vous n'avez donc rien à craindre de toute institution avouée par l’Évangile. Ministres des autels, pourriez-vous ne pas admirer des chrétiens qui, prenant pour modèles les Apôtres et les premiers disciples, pratiquent la vie commune et la désappropriation, et se vouent à la perfection, en accomplissant tous les conseils que Jésus-Christ nous a laissés. Tel est l'esprit qui les anime ; voici quels en seront les effets.


C'est loin du monde, c'est au milieu des déserts que doit être placé le berceau de l'état monastique ; là va se former une source abondante de vertus qui se répandra par toute la chrétienté, pour la gloire de l'Église et de l'édification des peuples. Appelés aux fonctions du ministère et chargés des plus glorieuses et des plus pénibles, les moines, quittant leur solitude, combattront l'hérésie et porteront la lumière aux nations infidèles. Par eux, les plus sauvages connaîtront Jésus-Christ ; instruits par eux, les Bretons et les Germains idolâtres adoreront un jour le même Dieu que nous, et désormais les conquêtes du christianisme seront le prix du sang de ces zélés missionnaires.


Embrasés d'une charité sans bornes, ils se partageront pour ainsi dire tous les besoins de la religion et de l'humanité. Les uns, occupés de l'instruction des fidèles, feront sans cesse retentir nos temples des vérités du salut ; d'autres iront arracher aux fers des Musulmans, les malheureuses victimes de la guerre et du commerce, et rendront à leur patrie des citoyens utiles  ; d'autres se dévoueront au généreux et sublime emploi de soulager les infortunés qu'accablent à la fois les maladies et la misère ; enfin il viendra des jours malheureux où, le clergé oubliant ses devoirs, le vaisseau de l'Église paraîtra n'être sauvé du naufrage que par leurs soins et leurs travaux. Parmi eux, combien de docteurs, d'évêques et de souverains pontifes ! qui pourra compter les saints qui vivront dans les cloîtres ?


Ardents propagateurs de la foi, les religieux seront en même temps les bienfaiteurs des États. Encore quelques années, et le colosse de la puissance romaine tombe de toutes parts. Des barbares viennent s'asseoir sur ses vastes débris, et font régner avec eux la férocité de leurs mœurs. Sous leur domination destructrice, les plus belles contrées seront frappées de stérilité ; toutes les lois seront méconnues ou sans force, tous les droits violés et la société humaine sera prête à se dissoudre.


Dans ce bouleversement universel, les monastères serviront d'asile à la paix ; ceux qui auront été assez heureux pour l'y trouver, sensibles aux maux de leurs frères, occupés de les adoucir, lutteront contre l'influence d'un gouvernement absurde et s'efforceront de ramener l'ordre et la tranquillité publique. Par leur défrichement, l'agriculture est remise en honneur ; le fruit de leur sueur devient la richesse du pauvre ; ils associent les malheureux à leurs travaux, et les couvrent d'une protection utile. Entre leurs mains, les lieux les plus arides se changent en habitations riches et agréables ; du milieu des forêts s'élèvent des villes importantes, et chaque empire leur doit quelques-unes de ses provinces.


Ainsi que nos champs, toutes les sciences seront incultes et abandonnées, et ce sont encore les moines qui défricheront le domaine de l'esprit humain ; ils conserveront les monuments et les chefs-d'œuvres de l'antiquité. Les cloîtres deviendront autant d'écoles où les enfants des barbares iront abjurer l'ignorance de leurs pères, et les religieux répandront également l'abondance et les lumières.


N'espérons pas cependant, qu'inaccessibles aux révolutions de la politique, des mœurs et des opinions, ils restent inébranlables quand tout se troublera autour d'eux. Quelquefois, oubliant leurs propres principes, ils partageront les fautes et les erreurs de leur siècle ; mais ils auront cet avantage qu'alors ils céderont au torrent, au lieu que le bien qu'on leur devra, ils le feront souvent seuls et toujours comme religieux.


Nous en attestons leurs ennemis mêmes ; d'après cet exposé, dont chaque proposition vient d'être prouvée, avec quel empressement et quelle reconnaissance n'aurait-on pas accueilli une institution si précieuse ? Et nous parlons de l'anéantir, lorsqu'il est possible d'en accroître l'utilité par une heureuse réforme! plutôt que de les réparer, nous aimons mieux renverser des monuments antiques et respectables ! Quand l’Église manque de ministres, pourquoi la priver des ressources qu'elle trouve dans les monastères ? Quand de toutes parts elle est attaquée, quel moment pour abattre ses remparts et pour licencier ses troupes auxiliaires ! Est-ce donc pour que l'impiété marche triomphante au milieu des tombeaux des plus zélés défenseurs de la religion ? Loin de nous les fanatiques qui prétendraient que sa durée dépend de celle de l'état religieux ; mais nous pensons avec tous les Pères, que cette institution importe à la gloire du christianisme. Avant qu'on connût les moines, l’Église subsistait florissante : oui, sans doute, parce que les vertus du cloître étaient communes parmi les fidèles ; et c'est un mérite de la vie religieuse d'offrir aux siècles les plus corrompus l'image de celle des premiers chrétiens.


Nous nous flattons que nos lecteurs ne les accuseront plus d'oisiveté ni d'ignorance ; on les a montrés utiles par l'exercice des fonctions du ministère, et par la culture des lettres saintes et profanes. Eux seuls semblent avoir conservé le goût du siècle dernier, pour ces vastes dépôts de science et d'érudition. Par ordre du gouvernement, ils sont chargés de l'histoire de toutes nos provinces, de la collection des historiens de France, du recueil de toutes les chartes du royaume. Ces grands et importants ouvrages, qui exigent des recherches longues et suivies, le concours d'une multitude de coopérateurs, et qui, confiés à d'autres mains, coûteraient tant à l’État, sont exécutés avec succès par les religieux, qui, consacrant leurs veilles à la nation, ne lui demandent pour salaire que de pouvoir les continuer.


Ils sont trop riches... On ne veut donc pas voir qu'ils jouissent à peine du tiers des biens qu'ils ont acquis ; et ce tiers, nous sommes tous appelés à le partager. Nous en profitons réellement, puisque les religieux sont nos concitoyens et nos parents ; c'est comme un supplément aux fortunes particulières. Les seuls ordres riches sont ceux qui, en défrichant, ont enrichi leur pays et fait naître des peuplades qui ne subsistent aujourd'hui même que par l'emploi qu'ils font de leurs revenus1 ; en sorte qu'il n'y a pas un propriétaire dont les richesses aient une source aussi pure, et dont l'usage tourne aussi directement au bien de l’État. Si, malgré tous les services de tous les genres que les religieux ont rendus, malgré ceux qu'ils rendent encore, malgré les titres les plus sacrés, qui assurent leur existence et la conservation de leurs biens, leurs adversaires, séduits par l'espérance d'un emploi plus utile, pouvaient encore solliciter leurs dépouilles, nous leur dirions : Des ordres entiers ont été anéantis sous vos yeux, quel fruit en a retiré la société ? nos terres sont-elles mieux cultivées ? la dette du pauvre est-elle plus exactement acquittée ? vos patrimoines se sont-ils accrus ? Enfin nous leur dirions avec un auteur moderne : « Henri VIII, gorgé de richesses ecclésiastiques, ne s'en trouva que plus pauvre, et deux ans après ses rapines, il fut obligé de faire banqueroute. »


Écartons ces présages funestes : écartons l'idée d'une injuste destruction dont gémiraient à la fois les lettres, l’État et l’Église : « Tant que, disait au parlement de Paris, le 16 avril 1764, M. de Saint-Fargeau, alors avocat-général, tant que les vertus et l'esprit de leur pieux ministère subsisteront dans leur sein, les ordres religieux subsisteront eux-mêmes. Si quelque injuste préjugé s'élevait contre eux ils trouveraient des défenseurs dans les magistrats. Nous ne craignons pas que vos cœurs désavouent l'engagement dont nous sommes ici l'organe. »



1Ce traité est de M. Vicaire, curé de saint Pierre de Caen, dans son livre intitulé : Exposition fidèle et preuves solides de la doctrine catholique. Caen et Paris 1770.

1Omnes libros tam Veteris, quam Novi Testamenti, cùm utriusque unus Deus sit auctor, necnon traditiones ipsas, tùm ad fidem, tùm ad mores pertinentes tanquàm vel ore tenùs, à Christo, vel à Spiritu Sancto dictatas, et continuâ successione in Ecclesia catholicA conservatas, pari pietatis affectu ac reverentiA suscipit et veneratur. Conc. Trid. Sess. 4.

2Lib. 4° Institut. cap. 10. no 19.

1Conf. de foi. Art. 5.

1Basnage. Hist. de la Rel. des Egl. réf. part. 4. chap. 6.

2 Laudo vos, fratres, quod per omnia mel memores estis, et sicut tradidi vobis præcepta mea tenetis. 1. Cor. 11.

3 Dicit (Paulus): Per omnia mel memores estis, et sicut tradidi vobis traditiones ità tenetis ; ergo et sine scripto multa tunc illis tradebat ; quod etiam multis aliis in locis indicat. S. Chrys. Hom. 26. in cap. 11. Ep. 1. ad Cor

1Apostolicum arbitror esse etiam in non scriptis traditionibus perseverare. Laudo enim, inquit, vos quòd omnia mea meministis, et quemadmodùm tradidi vobis, traditiones tenetis, et obtinetis traditiones quas accepistis, sive per sermonem, sive per Epistolam. S. Basil. libro de Spiritu s. capite 29.

2Oportet autem et traditione uti, non enim omuia à divinâ scripturâ accipi possunt. Quapropter aliqua in scripturis, aliqua in traditione sancti Apostoli tradiderunt, quemadmodùm dicit S. Apostolus, Sicut tradidi vobis, et alibi, sic doceo et sic tradidi in Ecelesiis. S. Epiph. hæres. 55. ́

3Cætera cùm venero disponam. 1. Cor. 11.

4Dum. Boucl. de la foi, sect. 12.

1Nolite dare sanctum canibus, et ne mittatis margaritas ante porcos, ne fortè conculcent eas pedibus suis, et conversi dirumpant vos. Matth. сар. 7.

2Non potestis portare modò. Joan. 16.

3Non omnes vident alta mysteriorum, quia operiuntur a levitis, ne videant qui videre non debent. S. Ambros. lib. 1o. offic. cap. 50.

4Ipsum autem Eucharistiæ mysterium quantâ misericordiâ plenum sit, initiati solummodo noverunt. S. Chrys. Hom. 72. in Matth.

5S. Basil. lib. 1. de spiritu, cap. 27.

6Boucl. de la foi. Sect. 12.

7Dans son comm. sur le chap. 11. vers. 2. de la 1re Ep. aux Cor.

8Ep. 54.

9S. Cyril. cap. 5.

1Boucl. de la foi. Sect. 12.

2Ibid.

3Fratres state et tenete traditiones quas didicistis, sive per sermonem, sive per Epistolam nostram. 2. Thess. cap. 2. v. 15.

1Quas didicistis, sive per sermonem, sive per epistolam nostram. Ibid.

2Sive per sermonem, sive per epistolam nostram.

3Hinc est perspicuum quod non omnia tradiderunt (Apostoli ) per Epistolam, sed multa etiam sine scriptis, et ea quoque sunt fide digna : quamobrem Ecclesiæ quoque traditionem censeamus esse fide dignam. Est traditio: nihil quæras ampliùs. Sanct. Chrys. Hom. 9. in cap. 2. Ep. ad Thessal.

1Calvin. lib. 4. iust, cap. 10. n. 17.

2Non addetis ad verbum quod vobis loquor; nec auferetis ex eo : custodite mandata Domini Dei vestri quæ ego præcipio vobis. Deut. 4.

3Quod præcipio tibi, hoc tantùm facito Domino, nec addas quid¬ quam nec minuas. Deuter. 12.

4Inst. lib. 4. cap. 10. n°. 17.

1Non addetis ad verbum quod vobis loquor. Quod præcipio tibi, hoc tantùm facito, nec addas quidquam nec minuas. Deut. 4.

2In vanum colunt me, docentes mandata et doctrinas hominum, Matth. 15.

3Irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram.

1Quare et vos transgredimini mandatum Dei propter traditionem

2Traditiones seniorum.

3Propter traditionem vestram.

4Quare discipuli tui transgrediuntur traditiones seniorum ? Non enim lavant manus suas, cùm panem manducant.

5Deus dixit: Honora patrem et matrem ; et qui maledixerit patri vel matri morte moriatur. Vos autem dicitis: Munus quodcumque est ex me, tibi proderit, et non honorificabit patrem suum et matrem suam ; et irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram. Matth. 15.

6Hypocritæ, benè prophetavit de vobis Isaïas, dicens: Populus hie labiis me honorat: cor autem eorum longè est à me. Sine causâ autem colunt me, docentes doctrinas et mandata hominum. Matth. 15.

1Boucl, de la foi, sect. 11.

2Quare transgredimini mandatum Domini, propter traditionem vestram,

3Irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram

4Hypocritæ.

1Non ait : Plus quam accepistis, sed Præter quod accepistis. Nam si illud diceret, sibi ipse præjudicaret qui cupiebat venire ad Thessalonicenses, ut suppleret quæ illorum fidei defuerunt : sed qui supplet quod minus erat addit, non quod inerat tollit : qui autem prætergreditur fidei regulam, non accedit in vià, sed recedit de viâ. S. Aug. tract. 98. in Joan.

1Memento dierum antiquorum, cogita generationes singulas; inter roga patrem fuum, et annuntiabit tibi; majores tuos, et dicent tibi.

1Hæc eo tempore quo Dei misericordiam quam erga me ostendebat, studiose et attentè audiebam, atque non chartæ et litteris, sed interiori mentis cogitationi mandabam.

2Scripturis verè consentientia narraret.

3Hortatus est (Ecclesias) ut apostolorum traditioni mordicus adhærescerent, quam quidem asseveranter testificatus, quò tutiùs posteritati reservaretur, necessariò scriptis mandandam existimavit. Euseb. hist. Eccl. lib. 5., cap. 19.

1Die autem solis omnes publicè convenimus, quod is primus est dies in quo Deus tenebras et materiam cùm mutasset, mundum effecit, et quòd eodem die Jesus Christus conservator noster à mortuis excitatus est. S. Just. Apol. 2.

2Est dies in quo Deus...... mundum effecit, et quòd eodem die Christus conservator noster à mortuis excitatus est.

3Pridiè enim Saturni eum (Christum) in Crucem sustulerunt, et postridiè Saturni qui solis dies est, cum apostolis discipulisque apparuisset, hæc illis tradidit, quæ vobis quoque consideranda permittimus.

4Quid autem ? si neque Apostoli scripturas quidem reliquissent nobis, nonne oportebat sequi ordinem traditionis, quem tradiderunt iis quibus commitebant Ecclesias, cui ordinationi assentiunt multæ gentes barbarorum eorum, qui in Christum credunt, sine caractere et attramento scriptam habentes per Spiritum in cordibus suis salutem et veterem traditionem diligenter custodientes. S. Iren. Libro tertio, capite quarto.

5In libro illius quem de Paschate composuit, fatetur se à familiaribus suis compulsum, ut traditiones, quas à veteribus presbyteris accepisset, litteris proderet ad posteritatem. Euseb. 1. 5. hist. eccl. c. 11.

6Ecclesia ab Apostolis traditionem accepit, etiam parvulis baptismum dare.

1Hæc sufficienter didicistis, et quæso in memoria habetote, ut et ego indignus de vobis dicam : Diligo vos, quia semper met memores estis, et traditiones quas tradidi vobis retinetis.

2Retinete has traditiones.

3Dogmata quæ in Ecclesia servantur ac prædicantur; partim ex conscriptâ doctrinâ habemus, partim ex Apostolorum traditione in mysterio ad nos delata recipimus. S. Basil. de Spir. S.

4Quæ utraque eamdem ad pietatem vim habent, et nemo his contradicit qui vel mediocrem saltem Ecclesiasticorum jurium experientiam habet.

5Harum et aliarum hujus modi disciplinarum si legem expostules scripturarum, nullam invenies. Traditio tibi prætenditur auctrix, consuetudo confirmatrix, fides observatrix. Tertnl. lib. de coronà militis.

1Admonitos nos scias, ut in calice offerendo dominica traditio servetur : neque aliud fiat à nobis, quàm quod pro nobis Dominus prior fecit, ut calix, qui in commemorationem ejus offertur, mixtus vino offeratur. S. Cypr. Ep. ad Cæcilium.

2Nos unam Quadragesimam ex apostolicà traditione, tempore nobis congruo jejunamus. S. Hier. Ep. ad Marcellam.

3Apostoli quidem nihil ex indè præceperant, sed consuetudo illa quæ opponebatur Cypriano, ab eorum traditione exordium sumpsisse credenda est, sicut multa, quæ universa tenet Ecclesia, et ob hoc ab Apostolis præcepta benè creduntur, quamquàm scripta non reperiantur. S. Aug. libro 5. contrà Donatistas, cap. 23.

4Omnis homo mendax.

1Euntes docete omnes gentes.

2Qui vos audit, me audit; qui vos spernit, me spernit.

1Infidelitatis argumentum et superbiæ signum certissimum, si quis eorum quæ scripta sunt, aliquid velit rejicere, aut eorum quæ non scripta introducere. S. Basil. Serm. de fidei Confes.

2Si quid dicatur absque scripturâ, auditorum cogitatio claudicat, nunc annuens, nunc hæsitans. Verùm ubi ex scripturâ divinæ vocis prodiit testimonium, et loquentis sermonem et audientis animum confirmat. S. Chrys. Hom. in psal. 95.

3Nos unius cujusque quæstionis inventionem non ex propriis ratiocinationibus dicere possumus, sed ex scripturarum consequentiâ. S. Epiph. Hæres. 61.

1Neque enim oportet quidquam dicere sine testibus, solâque animi cogitatione.

2Adoro Scripturæ plenitudinem : scriptum esse doceat Hermogenis officina; si non est scriptum, timeat væ illud adjicientibus vel detrahentibus destinatum. Tert. lib. contra Hermogenem.

1Tenete traditiones quas didicistis, sive per sermonem, sive per Epistolam nostram.

2Dæmoniaci spiritùs esset instinctus sophismata humanarum mentium, et aliquid extrà Scripturarum auctoritatem putare divinum, Theoph. Ep. 2. Pasch.

3Quod de Scripturis non habet auctoritatem, eâdem facilitate contemnitur, quâ probatur. S. Hier. in cap. 23. Matth.

1Nihil innovetur, nisi quod traditum est.

2Quam consuetudinem credo ex Apostolica traditione venientem, sicut multa quæ non inveniuntur in litteris eorum, neque in conciliis posteriorum, et tamen quia per universam custodiuntur Ecclesiam, non nisi ab ipsis tradita et commendata creduntur. S. Aug. lib. 2. de Baptismo contrà Donatistas, cap. 7.

3Quod autem obstrepunt has voces in scripturis non reperiri, frustra sanè ac temerè obstrepunt. Nam illi ipsi ex vocibus non scriptis in impietatem delapsi, voces quoque non scriptas, nimirùm Filium ex nihilo creatum, et tempus fuisse quando non erat, ad suum errorem confirmandum offerunt. Quapropter ex non scriptis vocibus, piè tamen excogitatis condemnati sunt. Ipsi enim voces sui erroris ex stercore eruentes, uti verè terrenos decebat, locuti sunt. Episcopi autem non suoptè ingenio verba excogitantes, sed à Patribus testimonia petentes sic scripserunt. Nam erant Epis copi veteres ante annos ferè centum et triginta tùm Romæ, tùm in nostrâ civitate, qui criminabantur eos à quibus Filius factus dicebatur et non con substantialis Patri. Quod quidem intellexerat Eusebius Episcopus Cæsariensis, qui quanquàm antè deflexerat ad Hæresim Arianam, posteà tamen concilio Nicæno subscripsit, atque adeò suæ Ecclesiæ per litteras confirmavit, se animadvertisse hoc verbum consubstantiale, å veteribus Episcopis et Scriptoribus, iisque disertis et illustribus, in divinitate Patris et Filii explicandâ usurpatum esse. Theod. Lib. 1. hist. Eccl. cap. 8.

1Omnes Episcopi acclamaverunt, Hæ omnium voces sunt; hæc omnes dicimus; hoc omnium votum est. Quæ tandem omnium voces, atque omnium vota, nisi ut quod erat antiquitùs traditur teneretur, quod inventum nuper exploderetur. Vincentius Lirinensis in commonitorio.

2Confitemur fidem tenere et prædicare ab initio donatam à magno Deo et Salvatore nostro Jesu Christo sanctis Apostolis et ab illis in universo mundo prædicatam, quam et Sancti Patres confessi sunt et explanaverunt et sanctis Ecclesiis tradiderunt, et maximè qui in quatuor synodis convenerunt, quos per omnia et in omnibus sequimur, et suscipimus cum aliis sanctis Patribus... semper hos sequimur per omnia et sanctos Patres et Doctores Ecclesiæ Athanasium, Hilarium, Basilium, Gregorium theologum, et Gregorium Nyssenum, Ambrosium, Augustinum, Theophilum, Joannem Constantinopolitanum, Cyrillum, Leonem et Proclum. Suscipimus omnia quæ de rectâ fide et condemnatione hæreticorum exposuerunt. Suscipimus et alios Sanctos et Orthodoxos Patres, qui in sanctâ Dei Ecclesia rectam fidem irreprehensibiliter usque ad finem vitæ suæ prædicaverunt. Conc. Const. 2. Collat. 3.

1Sine fide impossibile est placere Deo.

2Bouclier de la foi, sect. 14.

1Nos et Petri et aliorum Apostolorum doctrinam recipimus, sicut et Christi; sed libros quosdam, eorum nominibus falso inscriptos, utpotė ejus rei satis experti, omninò repudiamus : idque pro certo cognoscentes nos ejusmodi non aliquandò ab illis accepisse. Euseb. lib. 6o Hist. Eccl. capite 10.

2In primo librum Commentariorum quos scripsit in Evangelium secundùm Matthæum, Canonem Ecclesiasticum observans, quatuor solùm Evangelia esse testatur. Et quod per traditionem de quatuor Evangeliis quæ sola sunt in universâ Ecclesiâ Dei quæ sub cœli complexu continetur, rata, stabilia, et quibus à nemine contradicitur, certior factus sit. Ibid. capite 19.

1Lib. contra epist. fundamenti, cap. 5.

2Hoc etiam fratri et consacerdoti nostro Bonifacio, et aliis earum partium Episcopis, pro confirmando isto canone innotescat, quia à Patribus ista accepimus in Ecclesià legenda. Conc, Carthag. 3.

1Bouclier de la foi, sect. 12.

1Daillé, Nouveauté des Traditions romaines, part. 1. ch. 11.

2Basnage, Histoire des Églises réformées, T. 11. part. 4. ch. 11.

1Altiora te ne quæsieris. Eccles. 3. 22.

2O altitudo divitiarum sapientiæ et scientiæ Dei! Quàm incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viæ ejus ! Quis enim cognovit sensum Domini, aut quis consiliarius ejus fuit ? Rom. 11. 55,

1Lib. de Spiritu Sancto, cap. 27.

2Nolite sanctum dare canibus., neque mittatis margaritas antè porcos. Matth. 7.

3Mysteria ideò januis clausis celebramus, et eos qui nondum initiati sunt, adesse prohibemus; non quia infirmitatem mysteriorum aliquam de prehendimus, sed quia ad participationem eorum illi adhuc, quos arceinfirmi sunt. S. Chrysostom. 24. in Matth. explanans hæc verba : Nolite sanctum dare canibus.

1Ad Ephes. 2.

1Quod universa tenet Ecclesia, nec conciliis institutum, sed semper retentum est, non nisi auctoritate Apostolicâ traditum rectissimè creditur. S. Aug. lib. 4. de Baptismo contra Donatistas, cap. 24°.

1Perspicuě ostendi potest, Pontificiam confessionem nec Scripturæ nec antiquitatis vera et consentanea habere testimonia. N. 50. edit. Francof. 1. 34.

2P. 358 N.40

1P. 541 N.40

2P. 351. N. 50.

3P. 554. N. 10.

4P. 546, N. 50.

5P. 347. N. 80.

6P. 348. N. 20. Item. P. 350. N. 50.

1Tom. 11. Labb.

1Nemo dicat sibi, Occultè confiteor, et ago pœnitentiam apud Deum; si enim sufficiens est ista confessio, ergò sine causa datæ sunt claves Petro. Tractatu de Confessione Sacramentali. T. 24. Biblioth. Patrum. Lugduni apud Anissonios. p. 1173.

2Vera pœnitentia est abominatio peccati cum voto cavendi, confitendi, satisfaciendi. Tract. de potest. lig. Rothomagi apud Joannem Bertelin. P. 330.

3Si facere neglexerit, periculum æternum non evadet. p. 331.

1Quid prodest partem peccatorum dicere, et partem celare; ex parte mundari, et ex parte immunditiæ deservire ? Omnia nuda et aperta oculis Dei; tu aliquid illi abscondis, qui Dei locum in tanto obtinet Sacramento? Ed. Mabillon. T. 1. p. 1168.

2Deut. 30. 14.

3Propè est verbum in ore tuo et in corde tuo. Non in altero tantum, sed in utroque habere memineris. Et quidem verbum in corde peccatoris operatur salutiferam contritionem, verbum verò in ore noxiam tollit confusionem, ne impediat necessariam confessionem.... Sacerdotes non absolvant compunctum nisi viderint et confessum, Edit. Mabillon, T. 1. pag. 556.

4Quid est Confitemini ut salvemini, hoc est Non salvamini, nisi confiteamini. Lib. 2. de Sacramentis fidei. Edit. Mogunt. apud Antonium llierat. pag. 495.

5Quæcumque à vobis vel occulta suggestione vel aliena persuasione commissa sunt, sic in confessione aperiantur, ut etiam de corde pellantur, quia tali confessione peccata purgantur. Serm, 15. in Capite jejunii apud Laurentium Cottereau part. 2. pag. 291.

1Luc. 17. 14.

2ITE, OSTENDE VOS SACERDOTIBUS, id est per humilem oris confessionem Sacerdotibus veraciter manifestate omnes interioris vestræ lepræ maculas, ut mundari possitis.... Perveniendum est tamen ad Sacerdotes, et ab eis quærenda abso.utio. In Capit. 17. Evang. Lucæ, ed. Coloniensis apud Maternum Cholinum; pag. 176.

3Sermo 58. qui est 2. de S. Andrea. Ed Paris. apud Ægidium Tempere. p. 159. Ut enim confiteamur ratio sollicitat, Deus qui videt cogit. p. 140.

4Omnes transgressiones, et omnia peccata, quibus Dei offensam incurrisse se meminerit, humiliter confiteatur, et quidquid ei à Sacerdote fuerit injunctum, cautissimè observet. Lib. 1. de Disciplina Eccles. Cap. 286. Paris. apud F. Muguet. p. 134.

1Egrotis dimittentur peccata, si confessi fuerint; sine confessione emendationis nequeunt dimitti. Jonas Lib. 3, de Instit. Laicali. Cap. 14. T. 1. Spicileg. D. Lucæ Acheri. Ed. Paris. p. 181.

2Qui transgreditur mensuram in concupiscentiis carnis, necesse est, ut per confessionem peccatorum fœditatem evomat. Lib. 7. Eccles. Cap. 7. T. 3. p. 472.

3Hoc emendatione indigere perspeximus, quod quidam dum confitentur peccata Sacerdotibus, non plenè id faciunt; solerti indagatione debent inquiri peccata, ut plena sit confessio. Can. 32. T. 7. Con. Lábl. pag. 1278.

4Qui occultè delinquunt, iis confiteantur, quos Episcopi idoneos ad secretiora vulnera mentium medicos elegerint, qui forsan dubitaverint, Episcoporum suorum non dissimulent implorare sententiam. Conc. Ticinense. Can. 6. T. S. Labb. p. 65.

5Porrò gravioris lepræ immunditiam juxta legem Sacerdoti pandamus. In Cap. 5. Jacobi. Tom. 5. Bedæ. p. 693. Coloniæ apud Joan. Wilhelmum Friessen.

1Confessiones dandæ sunt de omnibus peccatis, quæ sive in opere sive in cogitatione perpetrantur; diligenter debet inquiri quomodo, et quâ occasione peccatum perpetraverit. Cap. 31. T. 7. Con. Labb. pag. 1144.

2Ad detegenda peccata ut hoc modo commoverem; nemo quippe sine confessione veniam peccatorum impetrat. Grad. 4. T. 10. Biblioth. Patrum. pag. 401.

32. Sæcul. Benedict. p. 1055.

4Bolland. Maii. T. 2. p. 313.

5Bolland. 31. Jan. T. 2. p. 1118.

61. part. 5. sæcul. Bened. pag. 462.

11. part. 3. sæcul. Bened. p. 511.

2Spelman. Tom. 1. Conc.

3Miscell. Tom. 5. p. 5.

4Italia sacra Tom. 3. P. 275.

5Dietmar lib. 2. Chron. Auth. Brunsw. p. 333.

6Bolland. 14. Martii.T. 2. p. 369.

7Yepez. in Chron. Ord. S. Bened. T. 4. p. 450.

8Tom. 2. Spicil. Acheri. p. 676.

9Shit. d'Angleterre par André du Chêne, Edition de Duverdier, Tom. 1. Lib. 11. pag. 449.

10Quisque Præfectus unum Presbyterum secum habeat, qui hominibus peccata confitentibus judicare, et indicare pœnitentiam possit, T. 6. Labb. p. 1534.

11Tom. 7. Labb. pag. 1165.

12Tota nocte confessioni peccatorum vacantes, Lib. 3. de gestis Anglorum, , сар. 15.

13Negotii tædio frequentiâque multitudinis et turbulentiâ fatigati, id operæ ad Monachos transmisére. De potestate ligandi et absolvendi. Bibl. Patrum Edit. Colen. T. 12. p. 547.

1Pro omnibus quorum confessiones suscepi. Le Cointe, ad annum 601. T. 2. p. 499, 506 et 514.

2Si aliquis ad confessionem veniat vel unâ vice in anno, id est in capite Quadragesima? Lib. 2. interrog. 65. p. 228.

3In Tribus Quadragesimis populus fidelis suam confessionem Sacerdoti faciat, et qui plus fecerit melius facit. Monachi in uno quoque Sabbato confessionem faciant. Quando volueris confessionem facere, viriliter age, et noli erubescere, quia inde veniet indulgentia, et sine confessione non est indulgentia. Cap. 32. T. 1. Spicil. Acheri. p. 228.

1Lib. 5. Cap. 14. T. 2. Edit. Colon, apud Joan. Wilh. Friessen. Pag. 150.

2Ne adversarius animam pro abscondito crimine valeret subvertere in barathrum inferni. 2. Sæc. Bened. p. 821.

3Opusc. 34. Cap. 7. T. p. 261. Edit. Paris. apud Ægid. Tempere.

4Unde scias nullatenus te posse salvari, nisi quod perniciose celaveras, salubriter studeas confitendo manifestare. Lib. 1. miracul. Cap. 4. T. 22. Bibl. p. 1089.

1Antiquitates Fuldenses. Christoph. Broveri ex officin, Plant. Lib. 3. Cap. 12. Art. 3. libelli supplicis, p. 213.

2Can. 29. Labb. Tom. 7. pag. 1619.

3Can. 26. T. 8. Labh. p. 49.

4Concil. Calchutense. T. 6. Labb. p. 1872.

5Confitere Christo per Sacerdotes peccata tua, condemna actiones tuas, et ne erubescas, est enim confusio adducens peccatum, et est confusio adducens gloriam et gratiam. Hom. de synaxi in Auctuario Combesis. T. 1. Ed. Paris. apud Ant. Bertier, p. 890.

1Antea ad confessionem et pœnitentiam recurrere debemus, et omnes actus nostros curiosiùs discutere, et peccata obnoxia; si in nobis comperimus, citò festinemus per confessionem et veram pœnitentiam abluere, ne cum Juda proditore diabolum intra nos celantes pereamus T. 6. August. Ed. novæ Parisinæ in appendice, p. 199.

2In Sacrament. S. Gregor. Ed. Menard Parisiis; p. 226.

3Apud Morin de administr. pœnit. in appendice, p. 15.

4Ego Corpus et Sanguinem Domini pollato corpore sine confessione et pænitentia indignus accepi.

5Le 3 novembre, dans les leçons de saint Marcel, Apud Seb. Cramoisy an. 1650.

6Invitatus est ad eum more Ecclesiastico presbyter, ut ejus confessionem susciperet. Lib. 1. miracul. Cap. 3. T. 22. Biblioth. Pat. Edit. Colon. pag. 1089

1Sciendum est illam esse veram Ecclesiam, in quâ est confessio et pœnitentia, T. 5. Bib. Pat. Ed. Col. p. 588.

2Sequimini vestigia SS. Patrum, et nolite in Catholicæ fidei religionem novas inducere sectas; cavete vobis venenosum erraticæ inventionis. fermentum, sed in sinceritate et veritate mundissimos sacræ fidei come dite panes. Ep. 71. Ed. du Chesne Antuerp. apud Weston. Tom. 2. pag. 417.

3Hos juxta fidem Catholicam intelligere non possumus...... Aliter determinanda est ista sententia..... ut fidei nostræ integritas conservetur. T. 21. Bibl. Patr. Ed. Col. p. 55.

4Certum est, nihil hoc certius, omnia peccata vel crimina consessione indigere et pœnitentiâ. Ibidem.

1Sess. 14. Cap. 4. de contritione.

1Tom. 1. pag. 341.

1Plerosque publicationem sui aut suffugere, aut de die in diem differe præsumo, pudoris magis memores, quam salutis: velut illi, qui in partibus verecundioribus corporis contractâ vexatione conscientiam medentium vitant, et ita cum erubescentiâ suâ pereunt........ Grande plane emolumentum verecundiæ occultatio delicti pollicetur; videlicet si quid humanæ notitiæ subduxerimus, proinde et Deum celabimus? Tert. de Pœnit. Ed. Froben. p. 484.

2Dum accusat semetipsum et confitetur, simul evomit et delictum, atque omnem morbi digerit causam. Hom. 2, in Psalm. 37. Tom. 1. Ed. Froben. p. 529.

1Si quid in occulto gerimus, vel etiam intra cogitationum secreta commisimus, cuncta necesse est publicari ab eo, qui accusator est peccati et incentor; si ergò in vita præveniamus eum et nostri accusatores simus, nequitiam diaboli effugiemus. Hom. 3. in Levit. Tom. 1. Edit. Froben. p. 124.

2Si revelaverimus peccata nostra non solum Deo, sed et iis qui possunt mederi vulneribus nostris, delebuntur peccata nostra ab eo, qui ait: Ecce deleo ut nubem iniquitates tuas. Hom. 17. in Lucam. Tom. 1. Ed. Froben. p. 262.

3Confiteantur singuli delictum suum, dum adhuc qui deliquit in sæculo est, dum admitti ejus confessio potest, dum satisfactio apud Dominum grata est. Serm. dc Lapsis. Ed. Froben. P. 226.

4Quæ fefellerat hominem Deum sensit ultorem. Edit. Froben. pag. 225.

5Quàm multi quotidiè pœnitentiam non agentes, nec delicti sui conscientiam confitentes, immundis spiritibus adimplentur 1 Serm. de Lapsis. Ed. Rigaltii. p. 202.

6Tom. 1. pag. 546. N. 30.

7Quanto et fide majores et timore meliores sunt, qui quamvis nullo sacrificii aut libelli facinore constricti, quoniam tamen de hoc cogitaverunt, hoc ipsum apud Sacerdotes Dei dolenter et simpliciter confitentur... Scientes, scriptum esse: Deus non irridetur. Serm. de Lapsis. Ed. Froben. p. 226.

1Pœnitentiam nobis in illâ Circumcisione proposuit, ut si cor nudaverimus, id est, si peccata nostra confessi satis Deo fecerimus, veuiam consequamur, quæ contumacibus et admissa sua celantibus denegantur. Lib. 4. div. Just. T. 3 Biblioth. Patr. Ed. Colon. P. 580.

2Necessarium est confiteri iis, quibus credita est dispensatio mysteriorum Dei. Regula 288. T. 2. Ed. Paris. p. 728.

3Page 344 N. 50.

4Page 344 N. 50.

5Quoniam conversionis modus debet esse accommodatus. Regula 228. Tom. 2. Ed. Paris. p. 728.

6Omninò in peccatorum confessione eadem ratio est, quæ etiam in apertione vitiorum corporis., etc. Regula 229. Tom. 2. Edit. Paris. pag. 702.

1Audacter ostende illi, quæ sunt recondita animi arcana, tanquam occulta vulnera medico retege. In oratione in mulierem peccatricem. T. 2. Ed. Paris. apud Ægid. Morel. p. 157.

2Ergo evidentissimè Domini prædicatione mandatum est etiam gravissimi criminis reis, si ex toto corde et manifestà confessione peccati pœnitentiam gerant, Sacramenti cœlestis gratiam refundendam. Lib. 2. de Pœnit. Cap. 3. T. 2. Ed. nov. Paris. p. 420.

3Si quis occulta crimina habens propter Christum studiosè pœnitentiam egerit, quomodo ista recipit, si ei communio non refunditur? Lib. 1. de Pœnit. Cap. 16. T. 2. Ed. nov. Paris. p. 414.

4Ita flebat, ut et illos flere compelleret.... Causas autem criminum, quas illi confitebantur, nulli nisi Domino soli apud quem intercedebat, loquebatur. In vita S. Ambros. Ed. Froben. p. 10.

5Desinite vulneratam tegere conscientiam. In Parænesi ad Pœnit. Biblioth. Pat. Tom. 4. p. 316.

6Quid facies, qui decipis Sacerdotem, qui aut ignorantem fallis, aut non planè scientem? Ibidem.

7Nunc ad eos sermo sit, qui bene ac sapienter vulnera sua confitentes, quæ vulnerum medicina sit, non noverunt. Ibidem.

1Nemo sibi dicat, Occultè ago, apud Deum ago; novit Deus, qui mihi ignoscit, quia in corde ago; ergò sinè causâ dictum est, Quæ solveritis in terrâ, soluta erunt in cœlo? ergò sine causâ sunt claves datæ Ecclesiæ Dei? frustramus Evangelium Dei? frustramus verba Christi ? promittimus vobis quòd ille negat? Hom. 49. Tom. 10. Ed. Froben. pag. 549.

2Implicatus tam mortiferis peccatorum vinculis detrectat confugere ad claves Ecclesiæ, et audet sibi salutem aliquam polliceri? Hom. 30. Tom. 10. Ed. Froben. pag. 559.

3Veniat ad Antistites, per quos illi claves in Ecclesia ministrantur. Hom. 50. Tom. 10. Edit. Froben, pag. 559.

4Sufficit illa confessio, quæ primùm Deo offertur, tum etiam Sacerdoti. Ep. 136. Ed. Quenel. pag. 356.

1Omnis peccator, dum culpam suam intra conscientiam abscondit, introrsùm latet, in suis penetralibus occultatur; sed mortuus venit foras, cum peccator nequitias suas (spontè confitetur. Lazaro ergo dicitur, Veni foras, ac si apertè cuilibet mortuo in culpa diceretur, Cur reatum tuum intra conscientiam abscondis? foras jam per confessionem egredere, veniat itaque foras mortuus, id est culpam confiteatur peccator, venientem vero foras solvant discipuli. Hom. 26. in Joan. Tom. 1. Edit. Paris. Pag. 1441.

2Inveniuntur apud veteres sententiæ duriores inclinantes ad necessitatem confessionis. Tom. 1. Exam. pag. 353.

3Confitere Christo per Sacerdotem peccata tua. De sacra Sinaxi. In Actuario. P. Combesis. T. 1. Edit. Paris. apud Ant. Bertier. p. 890.

4Confiteor tibi, Domine, Pater Coeli et terræ. In Sacram. S. Greg. Ed. Menard. Paris. p. 226.

1Hom. 5. de incomprehens. Nat. divinæ. Tom. 5. apud Hugonem. pag. 1195

2Tom. 5. apud Hugonem. pag. 154.

1At verò Sacerdotibus nostris non corporis lepram, verum animæ sordes, non dico purgatas probare, sed purgare prorsùs concessum est. Lib. 3. de Sacerdot. T. 5. apud Hugonem, p. 509.

2 Tom. 1. exam. p. 356. N. 40.

3Quam potestatem Deus, neque Angelis, neque Archangelis datam esse voluit, neque enim ad illos dictum est: Quæcumque alligaveritis, etc., Lib. 3. de Sacerdot. T. 5. apud Hugonem, p. 508.

4Pater omnifariam Filio potestatem dedit, cæterum video eandem omnifariam potestatem à Deo Filio illis traditam. Ibidem.

5Medicamentum pœnitentiæ conficitur primo condemnando, et confitendo propria peccata. Hom. 9. in Ep. ad Heb. T. 4. apud Hugonem, 393. b.

6Facienda diligens et pura confessio. Hom. 30. in Genes. T. 1. p. 50. b. Per illud tempus possumus peccata confiteri, vulnera Medico ostendere, et sanitatem consequi, p. 51. b.

7Itaque nihil horum relinquendum est, quod non probè excutiat atque examinet Episcopus, tum demum illum oportet remedia congruè, apté, accommodate afferre. Lib. 2. de Sacerdot. T. 4. apud Hugonem, pag. 500.

1Errata sua in medium abducant, nisi velint in die illâ horrenda universo orbi ea manifestè patere. Hom. 33. in Joan. T. 3. op. 36.

2Tom. 1. pag. 349.

3Cum in petenda veniâ peccatorum necessariò confiteri oporteat, grave ac molestum ab initio jure merito visum est Sacerdotibus tanquam in theatro circumstante totius Ecclesiæ multitudine crimina sua evulgare. Lib. 7. Hist. C. 16. Edit. Valesii, p. 726.

4Tom. 6. Conc. Labb. p. 1185.

1Institutam à Domino exomologesin sciens. Lib. de pœnit. Edit. Froben. pag. 485

2Quanto magis hoc in gravissimis delictis secundùm disciplinam Domini observari oportet. Lib. 3. Ep. 16. Ed. Froben. p. 96.

3Præpositis Ecclesiæ hanc tradidit potestatem, ut confiter tibus actionem pœnitentiæ darent, etc. Ep. 83. ad Theod. Ed. Quénel. p. 302.

4Quia simpliciter confiteri peccata tenemur ex necessitate divini mandati. In grad. 4. Tom. 10. Biblioth. Patr. Lugd. apud Anissonios, pag. 511.

5Exomologesis extinguit gehennam. Lib. de Pœnitent. Edit. Froben. pag. 485.

6Si revelaverimus peccata, delebuntur. Hom. 17. in Lucam. Ed. Froben. Tom. 2. p. 262.

7Confessio præteritorum est abolitio delictorum. Homil. 20, in Genesim. T. 1. apud Hugonem, pag. 20.

8Plurimum suffragatur reo verecunda confessio, et pœnam, quan sine confessione non possumus, pudore sublevamus. In Psal. 37. T. 1. Edit. Paris. p. 821.

9Tristis es antequam confitearis, confessus exulta, jam sanaberis. In Ps. 66, T. 8. Froben. p. 690.

1Quod autem erat judicii sui dedit Apostolis. In Psalm. 38. T. 1.. Ed. nov. p. 858. N. 37.

2Qui claves regni Cœlorum habentes quodammodo ante diem judicii judicant. Ep. ad Heliod. de vit. solit. T. 4. Ed. Martianay. part. 2. pag. 10.

3S. Ath. in sermonem in illa verba: Profecti in pagum, qui ab Holstenio pro Genuino agnoscitur. T. 3. Ed. nov. Paris. p. 438.

4S. Hil. in 18. Matth. Ed. nov. Paris. 700.

5S. Chrysost. L. 3. de Sacerd. T. 5. Ed. Froben. p. 508.

6S. Aug. Hom. 49. T. 10. Ed. Froben. p. 549.

7Orig. Hom. 2. in Levit. T. 3. Ed. Veteris, f. 56.

8Beda in Comment. ad Caput 3. Jacobi T. 5. apud Joan. Wilh. Friessen. pag. 693.

9Alcuin, in Ep. 71. Ed. Duch. 26. Canisii Tom. 2. apud Westo pag. 416.

10S. Bern. in Lib. Med. Cap. 9. T. 1. Ed. Mab. p. 550

11Hug. Lib. 2. de Sacram. part. 14. C. T. 2. in eodem apud Ant. Hierat. p. 495.

121. Cor. 4. 2.

1Joan. 1.

2Act. 19. 18.

1T. 1. p. 254, N. 40.

1P. 358. N. 1.

2P. 559. N. 1.

3T. 1. p. 359. N. 1.

4P. 354. N. 20.

1Act. 20. 28.

1Lib. 4. de Bap. C. 24. Ed. Froben, p. 453.

1Psaume 142 2

2Romains 3 23

34. Reg. Cap. 5. 13

1Si quis dixerit, Episcopos, non esse presbyteris superiores, vel non habere potestatem confirmandi et ordinandi, vel eam quam habent, illis esse cum Presbyteris communem, vel ordines ab ípsis collatos sine populi vel potestatis sæcularis consensu aut vocatione irritos esse; aut eos qui nec ab Ecclesiastica et Canonica potestate ritè ordinati, nec missi sunt, sed aliundè veniunt, legitimos esse Verbi et Sacramentorum ministros, anathema sit.

1Parum solliciti, quid usus, quid Patres in hac re vel dederint vel fecerint. Tom. 2. Edit. Jen. Christian, Rhodii de instituendis ministris, pag. 576.

2Joan. 6. 54.

3Hic non tam suggillare quam jugulare, et fauditus nostras Ecclésias evertere conantur. 1. part. exam. Edit. Francof. p. 407. N. 40.

1De instituendi Ministris, édit. Jenensis latinae. T.2 p.580

2T.2 p.582

3Sacerdotem nasci, Ministrum fieri. De instituendis Ministris Ecclesiæ, T. 2. Edit. lat. Jenensis, p. 580.

4T. 1. Ed. Jen. Germ. p. 416.

5T. 2. Ed. Jen. lat. p. 296. b.

6T. 2. Ed. Jen. lat. p. 467. b.

7T. 1. Ed. Jen. Germ. p. 569.

1Joan. 16. 13.

2Nos multi sumus et sic sentimus, ergò est verum. De instit. Minist. T. 2. Ed. lat. Jen. p. 582.

1Nec regula nec consuetudo tradidit, ut ab his qui potestatem non habent offerendi, illi qui offerunt, oorpus accipiant. T. 2. Conc. Labb. pag. 45.

2Hilarius Condiaconus de Ecclesià recessit solus, neque Eucharistiam conficere potest, Presbyteros et Episcopos uon habens. T. 4. Edit. Martianay, p. 302.

3Cum videret multas Ecclesias carere Pastoribus, militari ornatu circuibat Syriam, Phoenicen et Palæstinam, creans Presbyteros ac Diaconos. L. 4. Edit. Froben. p. 485.

1Ita ut Presbyteri, qui apud confessores offerunt, singuli cum singulis Diaconis alternent, quia et mutatio personarum et vicissitudo convenientium minuit invidiam. Ep. 4. Ed. Rigaltii, p. 10.

2Epist. 180. ad Honoratum. T. 2. Edit. Froben, p. 802, 805

3Nisi enim hic clausis oculis usum, antiquitatem, multitudinem prætericeris, apertis auribus totus Verbo Dei adhæseris, scandalum hoc non superabis. De inst. Minist. T. 2. Ed. Jen. Lat. p. 380.

1De inst, Minist. T. 2. Ed. Jen. lat. p. 580.

2Chap. 2. 9.

3Chap. 5. 10.

4Lib. de abrog. Missæ, Tom. 2. Ed. Jen, lat. p. 468. b.

51. Petr. 2. 2.

61. Petr. 2.5

7Eritis mihi regnum Sacerdotale, gens sancta. 5. 6.

11 Pierre 2 9

2De instituendis Ministris. T. 2. edit. Jen. lat. p. 5S1. Item lib. de abrog. Missa, T. 2. p. 470. b.

3Petrus omnibus Christianis non modo dat jus, sed præceptum quoque ut annuntient virtutes Dei, quod certè est aliud nihil quam verbum Dei prædicare. De instit. Minist. T. 2. Ed. lat. Jen. p. 581. et lib. de abrog. Miss. T. 2. p. 470. b.

4De Inst. T. 2. Ed. lat. Jen. p. 582.

11. Reg. 15. 3.

2De Inst. Minist. Tom. 2. pag. 582.

3Act. 8. 58.

1Psaume 109 5

2Psaume 21 23

3De Instit. Minist. Tom. 2. Edit. lat. Jen. pag. 580. b.

4Nihil valent adversus hæc divina fulmina, infiniti Patres, innumera Concilia, æterna consuetudo. D. instit. Minist. Tom. 2. Edit. lat. Jen. pag. 581. b.

5Incredibile videtur, sic derelictum orbem totum à Deo, sed quid facies? Scriptura sacra sic definit. De Inst. Min. T. 2. Ed. lat. p. 469. 14

1In casu necessitatis etiam absolvit Laïcus, et fit minister ac pastor alterius. De potestate et juridictione Episcoporum. In libro Concordiæ, Typis Scholvi ni, p. 555.

2Aliud est jus publicè exequi, aliud jure in necessitate uti : publicè uti non licet nisi consensu Universitatis seu Ecclesiæ; in necessitate utatur quicumque voluerit. Tom. 2. Ed. Jen. p. 584. b.

1Nombres 4 15

22 Paral. 26 19

3Nombres 26 31

4Cor. 12. 29. 14.

51. Cor. 12. 14, 15, etc.

11. Tim. 4. Item. 2. Tim. 1. 6.

21. Tim. 5. 22.

3Luc. 22. 19.

4Joan. 20. 23.

1Ordinationis ritus non perinde necessarius est ut vocationis. In μusńpoloyią, p. 118. Edit. Argent. item in odosopiz, p. 106. Ordinatio ad τὸ εὖ εἶναι spectat.

2In demonstrat. Ministerii Luther. p. 284.

3Warheit des Evangelischen Priesterthums, p. 27.

1Au chap. 16 de saint Matthieu.

2In controversiis cum Pontific. sectione 4. de Clericis et Laïcis, ed. Regiomont. p. 542.

3Utrumque Sacramentum est, et quâdam consecratione utrumque homini datur, illud, cum baptizatur, istud, cum ordinatur. Lib. 2. contra Ep. Parmen. cap. 13. T. 7. p. 41.

4Adeoque in Ecclesia Catholica utrumque iterari non potest. Ibid.

5Si fiat ordinatio Cleri ad plebem congregandam, etiam si plebis congregatio non subsequatur, manet temen in illis Sacramentum Ordinationis. Lib. de bono Conjugali. Cap. 24. Tom. 6. Edit. Proben. P. 809.

1Si aliquâ culpà quisquam ab officio removeatur, Sacramento Domini semel imposito non carebit, quamvis ad judicium permanente. Ibidem.

2Redeuntes, qui prius quam recederent, ordinati sunt, non utique rursus ordinantur, sed aut administrant, quod administrabant, aut si non administrant, Sacramentum tamen Ordinationis suæ gerunt. L. 1. de Bapt. contra Donatistas. C. 1. T. 7. Ed. Froben. p. 374.

3Chap. 18. 20

4Chap. 4. 11.

5Chap. 4. 5.

11. Cor. 4. 12.

1Act. 1. 23.

2Act. 6. 25.

3In exam. Conc. Trident. de Sacramento Ordinis. T. 1. Ed. Francof. p. 410. N. 10.

1Non est permittendum turbis electionem eorum facere, qui sunt ad Sacerdotium promovendi. T. 1. Con. Labb. p. 1498.

2Hodie Presbyter, qui cras Laïcus; nam et Laïcis sacerdotalia munera injungunt. Lib. de præscript. N. 16. Ed. Froben. p. 111.

3Cum sacerdotium sit Ministerium, prorsus non video, quâ ratione rursus nequeat Laïcus fieri semel Sacerdos factus, cum à Laïco nihil differat nisi Ministerio. T. 2. Ed. lat. Jen. p. 299.

1Rufin. Lib. 1. c. 9. Edit. Froben. p. 238. Socrat. Lib. 1. c. 19. Ed. Froben. p. 283. Sozomen. Lib. 2. c. 24. Ed. Froben. p. 377.

1Sozom. Lib. 8. c. 26. Ed. Froben. p. 689.

2Niceph. Lib. 12. c. 46. Ed. Basil. ex off. Joan. Oporini, p. 690.

3Divinus enim hic Pater Epiphanus 80. capitum librum edidit, etc. Act. 6. 2. Conc. Nic. T. 7. Conc. Labb. p. 849.

4Est autem illius dogwa suprà hominis captum furiosum, immane. Imprimis enim : Quânam, inquit, in re Presbytero Episcopus antecellit? nullum, inquit, inter utrumque discrimen, est enim amborum unus ordo, par et idem honor et dignitas. Hæres. 76. Ed. Petav. Tom. 1. pag. 906.

5Libri ejus per universum terrarum orbem sunt famigerati. Act. 6. Conc. Labb. T. 7. p. 850.

6Tom. 6. Ed. Froben. p. 10.

7Eximium opus, nobilissimum opus. Centur. 4. c. 10. Ed. Opo rini, p. 1104 et 1105.

8Enim verò totum illud stoliditatis esse plenissimum prudens quis¬ que facilè perspicit : velut, cum Episcopum ac Presbyterum adæquare conatur. Hoc enim constare qui potest? si quidem Episcoporum ordo ad gignendos Patres præcipuè pertinet. Hujus enim est Patres in Ecclesiâ propagare. Alter cum Patres non possit, filios Ecclesiæ regenerationis lotione. producit, non tamen Patres aut Magistros. Quinam verò fieri potest, ut is Presbyterum constituat, ad quem creandum manuum imponendarum jus nullum habeat? Ed. Pet. p. 808.

1In Arianorum hæresim lapsus fertur, propria quoque dogmata addidisse non nulla, dicens: orare vel offere pro mortuis oblationem no oportere, nec statuta solemniter celebranda esse jejunia, sed cum qui que voluerit, jejunandum, ne videatur esse sub lege. Dicebat etia Presbyterum ab Episcopo nulla differentiâ debere discerni. Tom. 6. Froben. p. 25.

2Edit. Basileensis, p. 581.

1Καὶ πῶς οἷον τε ἦν τὸν πρεσβύτερον καθιστᾶν, μὴ ἔχοντα χειροθεσία tourxelpotovei». Éd. Pet. T. 1. p. 908.

11. Tim. 5. 1.

1Adversarii verò nullam moderationem admittentes conviciari audacter et Aërianis nos annumerare non dubitarunt. Controv. 21. cum Pont. Ed. Regiomont. p. 611.

2Unde igitur Presbyter est Ischyras? aut à quonam ordinatus ? utrùm à Collutho? atqui Colluthum in Presbyteratu mortuum esse, et omnem ab illo factam manuum impositionem irritam, omnesque, quos in schismate ordinaverat ille, ad Laïcorum gradum reductos, et inter Laïcos in Ecclesia congregari notum est, nec ulli omnino dubium. In 2. Apol. Athanasii, T. 1. Ed. Parisinæ novæ, p. 134.

1Colluthus sibi imaginarium vindicarat Episcopatum, et postea in generali synodo justus erat pro Presbytero se habere, qualis antea fuerat, et ex consequenti, omnes, qui à Collutho ordinati erant, ad eumdem locum redacti sunt, in quo antea censebantur, quemadmodum et Ischyras inter Laïcos redactus est. In relatione ad Curiosum et Philagrium. T. 1. Athan. Ed. novæ Parisinæ, p. 193.

2Tom. 2. Labb. pag. 948.

3Si dubium est eos Episcopos fuisse, qui eos ordinaverunt, ab Episcopo suo benedictionem Presbyteratus accipiant, et consecrentur. T. 6. Conc. Labb. p. 1475.

1Si enim utrumque ( nempe Baptismus et Ordinatio ) Sacramentum est, quod nemo dubitat. Lib. 2. contra Ep. Parmen. c. 13. T. 7. Ed. Froben. p. 42.

21. Timoth. 4. 14. 2. Timoth. 4. 6.

3Art. 7. de numero Sacrament. in lib. Concord. Edit. Grossii. pag. 201.

1Nam hic quoque in Ecclesiâ promotiones et ordines sunt, Episcoporum, Presbyterorum, et Diaconorum? Clem. 6. Strom. p. 667. Edit, Colon, per Jeremiam Schrey.

2Tom. 1. Conc. Labb. p. 26.

3Lib. 3. Const. c. 11. et Lib. 8. c. 28. Tom. Conc. Labb. Tom. 1. pag. 317. p. 495.

4Tom. 2 Conc. Labb. p. 57

5Tom. 2 p. 567

6Tom. 2 p. 657

7Tom. 2 p. 715

8Tom. 2 p. 1175

9Tom. 3 Conc. Labb. p. 1449

10Actes 6 6

112 Tim. 1 6

121 Tim. 5 22

13Tit. 1 5

1Actes 14. 22.

2Pro Apostolis constituti sunt Episcopi. In Ps. 44. T, 8, Ed. Froben, pag. 417.

1In Confess. Joan. Gerhardi de Sacramento ordinis, p. 1325.

2Definita sententia est, nusquam minus ordines sacros conferri, aut Sacerdotes fieri, quam sub regno Papæ. De instituendis Ministris. T. 2. Edit. Jen. pag. 578, b.

1In 2. part. exam. Ed. Fraucol, à p. 408, usque ad p. 414.

1Joan. 6. 54.

21. Cor. 11. 27.

1Facite vobis cor novum et spiritum novum. Ezech. 18.31.

1Projicite à vobis omnes vestras iniquitates, in quibus prævaricati estis. Ibid.

2Et quare moriemini, Domus Israel? Ibidem.

3Nunquid resina non est in Galaad, aut medicus non est ibi ? Jerem. 8. 22.

4In Ep. ad duos Parochos contra Anabaptistas. Tom. 4 Edit. Jen German p.320

5Tom. 4. Ed. Jen. Germ. p. 330. B. per Donatum. An 1560.

1Lenietur autem usu modico, si quid asperum est hujus novitatis, De Instit. Minist. T. 2. Ed. Jen. lat. p. 579. b.

1Aeriani ab Aerio quodam sunt nominati, qui cum esset Presbyter, doluisse fertur, quod Episcopus non potuit ordinari, et in Arianorum hæresim lapsus propria quoque addidisse dogmata nonnulla, dicens orare, vel offerre pro mortuis oblationem non oportere, nec statuta solemniter esse celebranda jejunia, sed cum quisque voluerit, esse jejunandum, ne videatur esse sub lege; dicebat etiam Presbyterum ab Episcopo nulla differentia debere discerni. T. 6. Ed. Froben. p. 25.

2Nam ut vivus oret, aut in pauperes bona sua dispenset, quid ex eå re tandem ad mortuum redit? T. 1. Ed. Petavii p. 997.

3Sed neque jejunii instituenda est ulla ratio, hæc enim omnia Judeorum propria sunt, et cuidam servitutis jugo subjecta; p. 907.

4Quanam in re Presbytero Episcopus antecellit ? nullum inter utrumque discrimen est; p. 906.

5Tom. 1. Edit. Petavii, pag. 908.

6Edit. Basil. pag. 381.

1Scimus, veteres loqui de oratione pro mortuis, quam nos non prohibemus. Edit. Grossii, p. 274.

2Aerius sensit, quod orationes pro mortuis sint inutiles, neque nos patrocinamur Aǝerio; p. 275.

3Falsò citant adversarii contra nos damnationem Aerii, quem dicunt propterea damnatum esse, quod negaverit in Missa oblationem fieri pro vivis et mortuis; pag. 274.

4Dicens orare vel offerre pro mortuis oblationem non oportere. Tom. 6. Ed. Froben. p. 25.

1Jejunium feriâ quartâ et sextâ, et quadraginta diebus servari prohibet, stata hæc damnat omnia. Carnibus et cibis omnis generis usus est sine Religione. De Hæresibus. Ed. Basileensis, p. 581.

2Col. 11. 16.

3Cum jure divino non sint diversi gradus Episcopi et Pastoris, manifestum est ordinationem in suà Ecclesià factam jure divino ratam esse. potestate et jurisd. Episcoporum. Ed. Grossii, p. 352.

4Est autem dogma illius supra hominis captum furiosum et immane. T. 1. Ed. Petav. p. 906.

5Hoc enim qul constare potest ? p. 908.

6Si quidem Episcoporum ordo ad gignendos Patres præcipuè pertinet hujus enim est Patres in Ecclesià propagare; alter cum Patres non possit, filios Ecclesiæ regenerationis lotione producit. T. 1. p. 908.

1Qui peccat in uno, factus est omnium reus. Jac. 2. 10.

2Eunomius fertur usque adeò fuisse bonis moribus inimicus, ut asseveraret, quod nihil cuique obesset quorumlibet perpetratio peccatorum, si hujus, quæ ab illo docebatur, fidei particeps esset. T. 6. Aug. Ed. Froben. pag. 25.

3Ita vides, quàm dives sit homo baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam quantiscunque peccatis, nisi nolit credere, nulla enim peccata eum possunt damnare, nisi sola incredulitas. T. 2. Ed. lat. Jen. apud Rhodium, p. 285. b.

1Virginitatem sanctimonalium et continentium sexûs virilis in sanctis eligentibus cœlibem vitam conjugiorum castorum atque fidelium meritis coæquabat. T. 6. Ed. Froben. p. 30.

2Citò hæc hæresis oppressa est, nec usque ad deceptionem aliquorum Sacerdotum potuit pervenire. T. 6. p. 50.

3Edit. Germ. apud Christ. Rodiger. pag. 301. b.

4Edit. Germ. pag. 171.

5Lampediani iis, qui vitam in communitatibus et cœnobiis degerc instituunt, sinunt quod quisque velit et probet vivendi genus, id sequi. Edit. Bas. pag. 585.

6Edit. Grossii, pag. 32.

7Tom. 4. Edit. Jen. Germ. per Donat. Ritzenhain. p. 357

1Eccl. 9. 4.

2Dicis in libello tuo, quod dum vivimus, mutuò pro nobis orare possumus; postquam autem mortui fuerimus, nullius sit pro alio exaudienda oratio.... Apostoli et Martyres adhuc in corpore constituti possunt orare pro cæteris, quando pro se debent adhuc esse solliciti, quantò magis post coronas, victorias et triumphos.... Paulus Apostolus 276 sibi dicit in navi animas condonatas, et postquam resolutus cœperit esse cum Christo, tunc ora clausurus est, et pro his, qui in toto orbe ad suum Evangelium credidernnt, mutire non poterit, meliorque erit Vigilantius canis vivens, quam ille leo mortuus? Tom. 4. Edit. Martianay, part. 2. pag. 283.

3Sed neque Novatus postquam liberatus est à morbo, ab Episcopo consignatus est, hoc autem signaculo minime percepto quomodo Spiritum sanctum potuit accipere? Lib. 6. Hist. Eccles. Cap. 43. Edit. Paris. pag. 244.

4lis qui ab ipsis baptizantur, sacrum Chrisma non præbent, quo circa etiam eos, qui ex hac hæresi corpori Ecclesiæ conjunguntur, benedicti Patres uni jusserunt. In Compend. Hæret. Fabul. lib. 3.

1Cathedra tibi quid fecit Ecclesiæ Romanæ, in qua sedit Petrus ? quare appellas Cathedram pestilentiæ Cathedram Apostolicam? Lib. 2. contra litteras Petiliani, Cap. 51. T. 7. Ed. Froben. p. 122.

2Audio esse alios, qui dicunt mysticam benedictionem nihil juvare ad sanctificationem, si quid ex eâ fiat reliqui in alium diem; insaniunt verò qui hæc asserunt. T. 6. p. 363.

1Duobus inhærere debent quicunque hæretici esse nolunt, primum si quid antiquitus ab omnibus Ecclesiæ Catholicis Sacerdotibus Universalis concilii auctoritate decretum. Tom. 7. Bibl. Patr. apud Anissonios, pag. 262.

2Cujus Corpus et Sanguis in Sacramento altaris sub speciebus panis et vini veraciter continentur, transsubstantiatis pane et vino in corpus et in sanguinem potestate divinâ. Cap, firmiter. T. 11. Conc. Labb. parte prima, pag. 143.

3Cum hujus modi consuetudo ab Ecclesià, et Sanctis Patribus ratio nabiliter introducta, et diutissimè observata sit, habenda est pro lege quam non licet reprobare, aut sine Ecclesias auctoritate pro libito mutare T. 12. Conc. Labb. pag. 100.

4Firmissimè credendum est, et nullatenus dubitandum, integrum Christi corpus et sanguinem, tam sub specie panis, quam sub specie vini veraciter contineri. Ibidem.

5Dicere, quód hanc consuetudinem aut legem observare sit sacrilegum, aut illicitum, censeri debet erroneum, et pertinaciter id asserentes tanquam hæretici arcendi et graviter puniendi sunt. Ibidem.

1Luc. 21. 30 et 31.

2Hic est panis de Cœlo descendens, ut si quis ex ipso manducaverit, non moriatur. Joan. 6. 50. Si quis manducaverit ex hoc pane, vivet in æternum. 6. 52. Qui manducat me, et ipse vivet propter me. 6. 58. Non sicut manducaverunt Patres vestri manna, et mortui sunt: qui manducat hunc panem vivet in æternum. 6. 59.

1Novæ legis septem sunt Sacramenta, videlicet Baptismus, Confirmatio, Eucharistia, Pœnitentia, Extrema-Unctio, Ordo et Matrimonium. T. 13. Concil. Labb. p. 534.

2Si verè pœnitentes charitate decesserint, antequam dignis pœnitentiæ fructibus de commissis satisfecerint, et omissis, eorum animas pœnis Purgatoriis post mortem purgari. T. 13. Conc. Labb. p. 1167.

3Pontificem Romanum esse B. Petri Principis Apostolorum successorem, et verum Christi vicarium, totiusque Ecclesiæ caput, omnium Christianorum Patrem et Doctorem existere, et ipsi in B. Petro pascendi, regendi et gubernandi universalem Ecclesiam à Domino nostro Jesu Christo plenam potestatem esse traditam. T. 15. Conc. Labb. p. 1167.

4Via nobis facta est enervandi auctoritatem Conciliorum, et liberè contradicendi eorum gestis, et judicandi eorum decreta, et quidquid verum videtur, sive probatum, sive reprobatum fuerit à quocunque Concilio. T. 2. Ed. Jen. Christ. Rhodii. p. 324.

5Act. 15. 28.

616. 13.

1Ac quidem si vel nunc vel ante suscepti sunt, qui Apollinarii placita sectantur, hoc ostendant, et nos acquiescemus. Ep. 1. ad Cledonium. T. 1. Ed. Colon. p. 758.

2Epist. 78. T. 3. Ed. Paris. p. 137.

3Illis temporibus antequam plenarii Concilii sententia, quid in hac re sentiendum 'esset, totius Ecclesiæ consentio confirmasset, visum est ei, etc. Lib. 1. de Bapt. C. 18. T. 7. Ed. Froben. p. 388

4Quisquis aliter sapit, anathema sit; quisquis vero prædictarum synodorum fidem tenet, pax sit ei à Patre per Jesum Christum. Tom. 2. Ed. Paris. 2. Novæ lib. 1. Ep. 25. ad. Joan. Constant. et cæteros Patriarchas; p. 515.

1Hæreses dicta græcâ voce ex interpretatione electionis, quâ quis sive ad instituendas, sive ad suscipiendas utitur. Tertull. lib. de Præscription. Ed. Froben. p. 97.

2Aug. hæres. 84. T. Ed. Froben. p. 31. Epiph. T. 1. Ed. Petav. p. 1033. Damas. de Basil. d. 581.

3Scripturas obtendunt, et hâc suå audacià statim quosdam movent; in ipso vero congressu firmos quidem fatigant, infirmos capiunt, medios cum scrupulo dimittunt. Lib. præscrip. Ed. Froben. p. 101.

4Quid promovebis exercitatissime Scripturarum, cum si quid defenderis, negetur ex adverso, si quid negaveris, defendatur ? et tu quidem nihil perdes, nisi vocem in contentione; nihil consequeris, nisi bilem de inflammatione. Ibidem.

1De intelligentiâ est hæresis, non de Scripturâ; sensus 9 non sermo fit crimen. Hilar. lib. 2. de Trinitate. Ed. Paris. 1693. p. 789.

2Neque enim natæ sunt hæreses, nisi dum Scripturæ bona intelliguntur non bene, et quod in eis non intelligitur, etiam temerè et audac→ ter asseritur. Tract, 18. in Joan. T. 9. Ed. Froben. p. 155.

3Tertull. de Monog. Ed. Froben. p. 578. Cypr. l. 1. Ep. 9. Edit. Froben. p. 35. Cyrill. Hieros. Cath. 5. Mystag. Ed. Paris. p. 241. 242. Chrysost. hom. 3. in c. 1. Ep. ad Philip. apud Hugonem, p. 266. Aug. lib. de cura pro mort. T. 4. Ed. Froben. p. 880. item Confess. 1. 9. cap. 12. T. 1. p. 159. etc. 15. p. 160.

4Euseb. 1. 4. c. 15. Ed. Valesii, p. 135. Basil, hom. 20. in 40. Mart. Ed. Froben. p. 233. Greg. Naz. orat. 18. Ed. de Billi, p. 490. Chrysost. hom. 66. T. 5. apud Hug. p. 428. Ambros. lib. de Vidnis. Ed. Froben. p. 196. Hieron. in Vig. Ed. Martianay. T. 4. pag. 282. Aug. tract. 84. Tom. 9. Edit. Froben. 451. Evagr. Edit. Froben. pag. 738.

5Origen. hom. 10. in Lev. T. 1. Ed. Vet. p. 82. Basil. in 2. Orat. de jejunio Ed. Frob. p. 147. Greg. Naz. Orat. 40. de Bapt. Ed. de Billi, pag. 870. Epiph, de exp, fidei Ed. Petav. T. 1. pag. 1125. Aug. Ep. ad Januar. c. 15. T. 2. Ed. Froben. p. 573. Hieron. Ed. Martianay. Ep. 27. ad Marcellam. T. 4. p. 63, Leo, serm. 6. de quad. Edit. Quesnel, pag. 108.

1Chap. 3. 28.

2In Colloq. Germ. Edit. Francof. pag. 375.

3S. Matth. 26. 27.

1Tom. 2. Edit. Germ. Jen. pag. 9. b.

1Portæ inferi non prævalebunt adversus eam. Matth. 21. 18. Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem sæculi. Math. 28. 20.

2Dic Ecclesiæ; si Ecclesiam non audierit. Matth. 18. 17. Vos estis lux mundi, non potest civitas abscondi supra montem posita. Matth. 5. 14. Corde creditur ad justitiam, ore autem fit confessio ad salutem. Rom. 10. 10.

3Tibi dabo claves regni Coelorum, et quodcunque ligaveris super terram, erit ligatum et in Cœlis, etc. Matth. 16. 19.

4Pasce agnós meos, pasce oves meas. Joan. 21. 16. 17.

5Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, et quorum retinueritis, retenta sunt. Joan. 20. 23. Quæcunque solveritis super terram, erunt soluta et in Cœlo. Matth. 18. 18.

6

7Infirmatur quis in vobis, inducat Presbyteros Ecclesiæ, et orent super eum ungentes eum oleo in nomine Domini, Jacob. 5. 14.

1Videtis, quoniam ex operibus justificatur homo, et non ex fide tantum. Jac. 2. 24. Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit multum. Luc. 7. 48.

2Si vis ad vitam ingredi, serva mandata. Matth. 19. 17. Ite maledicti in ignem æternum: esurivi enim, et non dedistis mihi manducare. Matth. 25. 42.

1Si quis interroget, unde probas, quod Ecclesiæ Catholicæ universalem, et antiquam fidem dimittere debeam, statim ille : Scriptum est enim, et continuò mille testimonia, mille exempla, mille auctoritates parat de lege, de Psalmis, de Apostolis, de Prophetis. Tom. 7. Bibl. Patrum. pag. 260. H.

2Sive apud suos sunt, sive alienos, sive privatim, sive publice, sive in sermonibus, sive in libris, sive in conviviis, sive in plateis, nihil unquam penè de suo proferunt, quod non etiam Scripturæ verbis adumbrare conentur. Ibidem.

3Quid facient Catholici homines? quomodò in Scripturis veritatem A falsitate discernent? hoc scilicet facere curabunt, ut divinum Canonem secundum universalis Ecclesiæ traditionem et juxta Catholici dogmatis regulas interpretentur; in quo item Catholicæ, Apostolicæque Ecclesiæ sequantur necesse est universitatem, antiquitatem, consensionem. T. 7. Bibl. p. 261. D.

4A Majoribus tradita apud nos deposita describam relatoris fide potiùs, quam auctoris præsumptione. Tom. 7. Bibliot. Patrum apud Anissonios, pag. 15.

1An ipse tantum auctoritatis accepit ? linguis locutus est ? Prophetavit ? suscitare mortuos potuit ? horum enim aliquid habere debuerat, ut Evangelium novi juris induceret. Etsi contra clamet Apostolus, LICET NOS AUT ANGELUS DE COELO EVANGELIZET VOBIS PRÆTERQUAM QUOD EVANGELIZAVIMUS VOBIS, ANATHEMA SIT. Novatianus sic intellexit: sed Christus sic docuit ; ergò à Christo usque ad Decii tempora nullus intelligens. Epist. 3. ad Sympronianum. T. 4. Bibl. Fat. apud Anisson. p. 304.

2Tom. 1. Ed. Jen. Germ. per Donatum Ritzenham. pag. 58.

3Tom. 1. ejusdem Ed. p. 143.

4Merito ad illos dicendum est : Qui estis? quando et unde venistis? quid in meo agitis non mei?... quâ potestate limites meos commovetis?... Quid hic ad vestram voluntatem seminatis? mea est possessio, olim possideo; habeo origines firmas ab ipsis auctoribus, quorum fuit res, ego, sum hæres Apostolorum. L. de præscript. Ed. Froben. p. 109.

1In omnibus-linguis futurum Evangelium illud tunc vinculen tendebat, quod et in Psalmo tanto ante prædictum es [...] neque sermones, quorum non audiantur voces eoru Petil. c. 32. T. 7. Edit. Froben. 108.

2Seu quia in omnibus gentibus et linguis futurum Evangelium, et Corpus Christi per totum orbem terrarum linguis omnibus personaturum significabat, secutus ait : In omnem terram exivit sonus eorum, et in fines orbis terræ verba eorum. Ibidem.

3Ecclesiæ nota est omnibus gentibus, pars autem Donati ignota est pluribus gentibus, non est ergo ipsa. Lib. 2. Contr. litt. Petiliani, c. 104. T. Ed. Froben. p. 160.

4In Epit. articulorum. Edit. Grossii, p. 590.

1Act. 20. 27. 1. Timoth. 6. 20.

1Contestor vos hodiernâ die, quia mundus sum sanguine omnium. Act. 20. 26.

2Quomodo nihil substraxerim utilium, quominus annuntiarem vobis. Act. 20. 20.

3Non subterfugi, quominus annuntiarem omne consilium Dei. 20. 27.

1Cet ouvrage est de deux anonymes, MM. les abbés de B.***, et B. de B.***, avocats au parlement. Nous avons été obligés de modifier certains passages, et de faire des additions importantes.

1Regulam discretione præcipuam. S. Greg. Dialog. Lib. 2. Cap. 36.

2Institution au Droit Ecclés. Fleury, chap. 23.

2Mœurs des Chrétiens. Fleury, pag. 353.

3S. Thom. 2. 2. Quæst. 186. art. 9, ad unum.

1Noviter quis veniens ad religionem, non ei facilè tribuatur ingressus; sed, sicut ait Apostolus, probate spiritum, si ex Deo est. Prædicentur ei omnia aspera et dura per quæ itur ad Deum. Si promiserit de stabilitatis suæ perseverantiâ, post duorum mensium circulum, legatur ei hæc regula per ordinem, et dicatur ei : Ecce lex sub quâ militare vis : si potes observare, ingredere ; si verò non potes, liber discede. Si adhuc steterit,probetur in omni patientià, et post sex mensium circulum legatur ei regula, ut sciat ad quod ingreditur; et si adhuc stat, post quatuor menses iterum relegatur ei eadem regula. Et si habità, secum deliberatione, promiserit omnia custodire et cuncta sibi imperata servare, tunc suscipiatur in congregatione, sciens se jam sub regulæ lege constitutum, quod ei ex illâ die non liceat egredi de monasterio, nec collum excutere de sub jugo regulæ, quam sub tam morosâ deliberatione licuit aut excusare aut suscipere. Regul. S. Bened. Cap. 58.

2Ancienne et nouvelle discipline de l'Église, part. 1. liv. 33, chapit. 23.

3Voyez sa règle.

4S. Bernard. Epist. 7. Admonendi sunt monachi ne plusquam expedit sint subjecti. Greg. apud Grat. 2. Quæst. 7. Can. 57.

1Quoties verò aliquid quod mandata Domini aut repugnet, aut aliquâ ex parte vitiet contaminetve, facere ab aliquo jussi fuerimus, oportet obedire Deo magis quàm hominibus. Tunc commodè illud usurpabimus, oportet, etc. S. Bas. in reg. breviter disputat. Quæst. 114.

2Is qui profitetur, spondet quidem obedientiam, non tamen omnimodam, sed determinaté secundùm regulam.-Solum id à me exigi posse arbitror quod promisi. S. Bern, de Præcept, et de Dispens. Cap. 4 et 5.

3Si vis perfectus esse, vade, vende quæ habes et da pauperibus; et veni, sequere me. Matth. 19, 21.

4Fleury, Institut, au Droit Eccl., chap. 23.

1Mœurs des Chrétiens, pag. 7.

2Esprit des Lois. Liv. 23. ch. 8.

3Voy. les Mémoires de l'Académie des Inscriptions. T. 4. p. 308. Hist. Critiq. du Célibat.

1Fortes sint qui cupiant, et infirmi non refugiant. Reg. S. Bened. cap. 66.

2Fleury, 8. Disc. sur l'Hist. Ecclés.

1Can. 51 et 52 du 4e Conc. de Carthage.

2Statuerunt episcopi, concordante D. Papâ, ut monachi à gravi opere et labore propter honestatem sacerdotii cessent, et loco laboris ad horas psalmos quosdam cantent. Fragment historique d'un concile d'Aix-la-Chapelle, recueilli par D. Bouquet, tom. 6, pag. 445.

3Bonum est non manducare caruem, et non bibere vinum. Rom. 1. 21.

4Moeurs des Chrétiens, art. 10.

1Oportet tamen omnino illis uti cibis quæ et faciliùs et viliùs comparantur, ne occasione abstinentiæ, inveniamur pretiosiora quæque et difficiliora sectari. Reg. fus. interp. cap. 19.

2Cass. Lib. 1. Instit. cap. 4.

3S. Hieron. Epist. 54, ad Pammachium.

4Mœurs des Chrétiens, art. 54.

5Reg. cap. 63. 64.

6Mandatum novum do vobis ut diligatis invicem.... in hoc cognos cent oranès quia discipuli mei estis. Joan. 13. 34., 55.

11. Retract, cap. 31.

2Ut ergo nuntiatus fuerit hospes, ei occurratur à Priore vel à Fratribus, cum omni officio caritatis. Reg. cap. 53.

3Mœurs des Chrétiens, art. 54.

4Troisième Discours de Fleury, No 22.

1Voyez Guill. de Malmesbury, de Gestis reg. Angl. Lib. 2; Polid. Virg. Angl. hist. Lib. 4, et Ingulf. hist.

2Éléments de l'Histoire de France

1Aucun d'eux, dit M. de Voltaire, n'a été fondé dans des vues criminelles, ni même politiques

1Histoire de l'Université de Paris, Liv. 1., par M. l'abbé Crevier.

1C'est de quoi l'on ne peut raisonnablement douter, disent les auteurs de l'Histoire Littéraire de France, en voyant cette multitude de Lettres, de Poésies, de Traités même entiers en cette langue, qui leur sont adressés par les plus grands hommes de leur temps. Rien n'est plus commun dans les recueils des OEuvres de Baudri, de Marbode, de Geofroi de Vendôme, de Pierre de Celle, etc. Hist. Litt. de la France, 129 siècle, tom. 10.

1Chap. 52 et 54

2Aujourd'hui Pékin.

3Fleury, discours. 3, N° 24

1Discours 2, n°3

2 Ex monachorum numero rectius ordinabunt.

3Hæc est quæ eximios nutrit monachos, et præstantissimos per omnes provincias erogat sacerdotes. S. Césaire d'Arles, Homél. 29.

4Études Monastiques.

1L'abbé Tritheme dit qu'au temps de Jean XXII, on comptait dans le catalogue des Saints quinze mille cinq cents cinquante-neuf religieux de l'ordre de S. Benoît ; dix-huit papes, cent quatre-vingt-quatre cardinaux, quinze cents soixante-quatre archevêques, trois mille cinq cents douze évêques. Pref. de la règle de S. Benoît. Les autres Ordres eurent aussi des personnages recommandables par leur dignité et par leurs vertus.

2Discours de Fleury, 2 et 3.

1Véli, Histoire de France, tom. 1, pag. 216.

1Disc. 3. N° 22.

11. Retract, cap. 68.

2Uld. Lib. 3. Consuet. Cluniac. cap. 22.

3Hist. Ecclés. Liv. 19. N° 4.

1Essai sur l'Esprit et les Mœurs des Nations, tom. 3. p. 158

2Sulp. in Vità sancti Martini.

3Cassiod. Institut. 2. сар. 3.

4Dictionn, Encyclop., au mot Bibliothèque.

1Thomass. Anc. et nouv. Discipl. Part. 1. Lib. 2. Ch, 106

2Regul. Sanct. Pac. Cap. 139.

1Hist. de France, tom. 1. pag. 410 ; Fleury. Hist. Eccl. tom. 9, Nos 17. 54 ; tom. 10. N° 18.

2Carol. Epist. ad Baugulf. abbat. pro institut, Schol, tom, 2. pag. 278.

3Consuet. Cluniac, Lib. 3. cap. 8

1Præf, ad Matth. Paris. et monast. anglic. tom. 1. p. 54 et 55

2Disc. prélim. de l'Encycl.

1Histoire de France, tom. 2. p. 323.

2Histoire de France, tom. 6. p. 443.

3Hist. critiq. de la Philos. ch. 40. art. 5.

4Dans le rapport fait à l'Académie des sciences, sur les expériences aérostatiques, qui fixent aujourd'hui l'attention du peuple et des philosophes également étonnés, MM. les commissaires rappellent en peu de mots ce qu'on a tenté, ou plutôt proposé en ce genre avant MM. de Montgolfier. Ils ne font mention que de trois physiciens, et par une singularité remarquable, ce sont trois religieux. Les circonstances nous autorisent à extraire ici ce qui les concerne.


« Nous nous contenterons de dire que l'on regarde en général Roger Bacon, ce génie si fort au-dessus de son siècle, comme le premier qui ait parlé d'une machine pour voler ; selon ce qu'il nous en dit, cette machine portait un siège dans lequel un homme étant placé, il pouvait, par son action, se donner un mouvement progressif, et voler comme un oiseau. Le P. Lana, longtemps après, ou vers la fin du siècle dernier, imagina une machine qui devait aussi se soutenir dans l'air ; mais il va plus loin que Bacon, car il en indique le moyen. La machine consistait en quatre globes de cuivre vides d'air, qui devaient, par l'excès de légèreté résultant de leur capacité, être en état de la faire flotter au milieu de ce fluide ; elle était à voiles et à rames. On voit par-là qu'il avait sagement pensé à diviser en deux parties l'action employée pour aller dans l'air : l'une, au moyen de laquelle on devait s'y soutenir ; l'autre, par laquelle on devait s'y mouvoir.


«En 1755, ou près d'un siècle après qu'eut paru l'ouvrage du P. Lana, on imprima à Avignon, un livre intitulé, l'Art de Voyager dans les Airs  ; amusement physique et géométrique. L'auteur de cet ouvrage, le P. Gallien, paraît avoir bien senti en quoi consistait principalement le moyen de surmonter la difficulté d'élever des corps creux dans l'air  ; il remarque judicieusement, que ce n'est qu'en augmentant considérablement la capacité de ces corps, qu'on pourra parvenir à les faire flotter dans ce fluide, en les remplissant d'un air beaucoup plus rare. »

5Histoire de France, tom. 11, pag. 126 et 127.

1Essai sur l'Esprit et sur les Mœurs des Nations, ch. 81.

2Le discours d'inauguration fut fait par Mme la comtesse d'Esparbės, qui consacrait ses loisirs à la culture des Lettres.

3Histoire de France, tom. 3, p. 147.

4Histoire de France, tom. 1 , P. 216.

1L'auteur remonte dans ce chapitre au commencement du 18° siècle, et ne parle presque que des religieux français : « Il lui eût, dit-il, été trop difficile de se procurer des renseignements certains sur le bien que faisaient alors ceux qui habitaient les autres Empires catholiques.

1Il mourut en 1136.

1C'est la fameuse règle donnée par Vincent de Lérins, qui cite dom Mareschal : lorsqu'il s'élève quelque contestation touchant la Foi, il faut s'en tenir à ce que tous ont toujours cru dans tous les lieux de la chrétienté : « quod ubique, quod semper, quod ab omnibus traditum est, » a dit ce savant moine.

2« Jusqu'ici, a dit M. Fréron en rendant compte de cet Ouvrage, lorsqu'on demandait quel était le meilleur livre sur l'immortalité de l'âme, on indiquait celui du docteur Sherlok, traduit de l'anglais en notre langue. Aujourd'hui, si vous vouliez lire l'ouvrage le plus philosophique', le plus profond, le mieux détaillé, le plus complet, et le mieux écrit que nous ayons sur cette matière, je vous proposerais trois volumes in-12, intitulés la Spiritualité et l'Immortalité de l'Ame, par le P. Hayer, récollet. »

1C'est Melchior Canus, dominicain, mort en 1560, qui a commencé cet heureux changement. Son traité de Locis Theologicis est très estimé, soit pour l'importance des choses, soit pour l'élégance du style.

1De ces écoles sortirent plusieurs savants indiens. Les premiers dignes d'être nommés sont : dom François d'Avila, natif de Cusco, auteur d'un Traité de Morale sur tous les Evangiles de l'année, très utile pour l'instruction des nouveaux chrétiens ; dom Jean de Salazar, religieux de St-Jacques, premier professeur de Droit Canon dans l'université de Lima, qui a fait imprimer les Primicias del nuevo mundo ; dom Guttière Velasquez, qui a composé deux volumes sur la Puissance des vice-rois, et sur la Manière de policer les Indiens ; dom François Ugarte d'Hermosa, qui a traité des Principes du gouvernement spirituel et politique, et donné les moyens de mettre ces principes en pratique dans les Indes. Les lecteurs de l'Amérique chrétienne remarqueront sans doute Jean de Castille, Jean de Lorenzana, et plusieurs autres qu'il serait trop long de citer.

1Thesaurus novus anecdotorum, et veterum scriptorum et monumentorum historicorum, dogmaticorum, moralium, amplissima collectio,» 15 volum. in-fol., ouvrages d'une érudition immense, qui font suite au Spicilège de dom Luc d'Acheri.

1Le P. Villa For, d'Alexandrie, missionnaire capucin, a passé plu→ sieurs années à Astrakan. Dans les loisirs que lui laissait son laborieux ministère, il a composé un Dictionnaire arménien, littéral et vulgaire, latin et italien. Les capucins de la société hébraïque, dépositaires de l'original, y ont ajouté les mots français. Cet ouvrage, utile à la religion, et qui enrichirait la république des Lettres, ne peut être, imprimé, faute de moyens.

2Mandement de M. de Juigné, archevêque de Paris, permettant les quêtes pour les Églises de la Terre-Sainte.

1Gazette de France, art. Rome, 5 juin 1771.

2« Ces cinq hommes, dit le magistrat chinois, établirent chacun des Églises, et ils étendirent beaucoup leur fausse secte. Les femmes, aussi bien que les hommes, l'ayant embrassée, la pratiquent et s'y soutiennent mutuellement. » Rapport de l'interrogatoire subi par le P. Pierre Martyr Sanz, ses missionnaires et les autres chrétiens arrêtés dans la cité de Fo-Gan, au mois de juin 1746... « Lorsqu'on les fit partir ( les missionnaires) pour venir à la métropole (la ville de Fo-Cheu), on vit plusieurs milliers de personnes sortir pour les accompagner, en criant et pleurant à côté des chaises sur lesquelles on les transportait. Les femmes et les filles se mettaient à genoux, leur offraient du thé et des fruits ; les uns et les autres les retenaient par leurs habits, et faisaient retentir les airs de leurs cris et de leurs sanglots. Le bachelier Tchhing-Tchheou eut bien l'audace de dire hautement à cette multitude, qu'il ne se repentirait pas d'avoir embrassé cette religion, dût-il souffrir toute sorte de tourments, et la mort même, pour le Seigneur du ciel. Et actuellement au milieu des interrogatoires les plus sévères, tous d'une voix unanime assurent avec fermeté, qu'ils ne veulent point changer ni abandonner la religion chrétienne... Ces coupables Européens ont si bien su s'attacher les cœurs, que le nombre de leurs sectateurs augmente de jour en jour, et qu'on ne saurait les dissiper... Les lettrés, comme le peuple, s'y laissent séduire, embrassent cette religion, et ne veulent plus l'abandonner quoi qu'on leur fasse. Ils l'ont si fort étendue, qu'elle a presque rempli toute la juridiction de cette cité ; jusques-là, que les satellites mêmes et les soldats s'emploient aussi pour son service. » Mémorial du vice-roi adressé à l'empereur. Voyez ce qui concerne les deux autres martyrs dans le discours de Pie VI.

1« Indépendamment des secours sans nombre que fournissent les corps réguliers pour la prédication et la confession, qui d'entre vous, Messeigneurs, n'a pas éprouvé de quelle ressource ils sont dans les campagnes, pour toutes les fonctions du saint ministère, et notamment pour la desserte des cures, par la disette des prêtres séculiers ?


« Pour moi je dois leur rendre cette justice, que je les ai toujours trouvés dans mon diocèse empressés à me fournir tous les secours dont j'ai pu avoir besoin, et que, même dans les points où ils auraient pu, avec fondement, m'opposer leur exemption, ils n'en ont pas fait usage et sont entrés avec docilité dans toutes mes vues. » Rapport fait à l'assemblée du clergé par M, l'archevêque de Paris, le 18 novembre 1775.


« Les religieux seuls remplacent dans les paroisses, et principalement dans celles de la campagne, auprès des troupes de Votre Majesté, sur terre et sur mer, le vide et la disette des prêtres séculiers. Prêts à toutes les œuvres du saint ministère, ils accourent à nos ordres dans tous les lieux où nous jugeons à propos de les employer. » Mémoire présenté au roi par la même assemblée.

1On peut aisément vérifier ce fait par les listes des Prédicateurs ; et on en compte soixante-seize dans celle de cette année (1784).

1C'est dom Lièble qui a remporté ce prix : il est éditeur des OEuvres d'Alcuin, et coopérateur de plusieurs autres ouvrages.

1La Diplomatique de dom Mabillon est le premier ouvrage lumineux sur cette matière. Il fut complet par le Supplément qu'il y ajouta en 1704, en réponse à toutes les objections qui lui avaient été faites. La meilleure édition est celle qu'en donna, en 1709, deux ans après la mort de l'auteur, dom Ruinart, qni l'augmenta de nouveaux titres.

1Doms Luc d'Acheri, Mabillon, Martène, etc. ; Ducange et Baluze. Le Glossaire donné par Ducange, en 3 volumes in-fólio, a été augmenté jusqu'à 10 volumes, par différents bénédictins, en y comprenant le Supplément de dom Carpentier, à qui nous devons aussi l'Alphabetum Tironianum.

2Ils ne montent qu'à dix mille livres. « Je ne puis me dispenser d'ajouter que ce qui, en employant des savants isolés ou répandus dans le monde, nous eût coûté mille écus par an, ne nous coûtait pas cinq cents livres avec la congrégation de Saint-Maur... Elle assigne une somme sur ses propres revenus pour les frais et les encouragements des travaux littéraires, dont elle est sans cesse occupée, et ne demande au roi que les déboursés que coûtent les copies. » Tout ce que nous venons de dire de cet établissement national, et de la manière dont y concourent nos bénédictins, est tiré du Plan des travaux littéraires ordonnés par Sa Majesté, pour la recherche, la collection et l'emploi des monuments de l'Histoire et du Droit public de la Monarchie française.

1On peut regarder comme un Supplément à l'Antiquité expliquée, l'Introduction à la science des Médailles, pour servir à la connaissance des dieux, de la religion, des sciences, des arts, et de tout ce qui appartient à l'Histoire ancienne, avec les preuves tirées des Médailles. Dom Mangeart, de la congrégation de Saint-Vannes, a réuni en ce seul volume les principes de la Science numismatique, et toutes les notions intéressantes éparses dans un grand nombre de dissertations, qu'il est difficile de rassembler et qui sont presque toujours trop longues. Dom Banduri, qui mérite d'être distingué de la foule des compilateurs, a parcouru un espace plus resserré. Son Imperium orientale, sive Antiquitates constantinopolitanæ  ; ses Numismata imperatorum romanorum à Trajano Decio ad Palæologos Augustos, répandent la lumière sur les objets qui sont la matière de cette collection. Elle est enrichie d'une Bibliothèque numismatique, que Jean-Albert Fabricius fit reparaître à Hambourg, avec un recueil de dissertations sur les Médailles, par plusieurs Savants.

2 L'art de vérifier les dates des faits historiques, des chartres, des chroniques, et autres anciens monuments depuis la naissance de N. S., par le moyen d'une table chronologique, où l'on trouve les Olympiades, les années de J. G., de l'ère Julienne de Jules-César, des ères d'Alexandrie et de Constantinople, de l'ère des Séleucides, de l'ère Césaréenne d'Antioche, de l'ère d'Espagne, de l'ère des Martyrs, de l'Hégire ; les Indictions, le Cycle pascal, les Cycles solaire et lunaire ; le terme pascal, les Pâques, les Epactes et la chronologie des Eclipses ; avec deux Calendriers perpétuels, le Glossaire des dates, le Catalogue des Saints, le Calendrier des Juifs ; la Chronologie historique du Nouveau Testament ; celle des Conciles, des Papes, des quatre Patriarches d'Orient, des Empereurs romains, grecs ; des Rois des Huns, des Vandales, des Goths, des Lombards, des Bulgares, de Jérusalem, de Chypre ; des Princes d'Antioche ; des Comtes de Tripoli ; des Rois des Parthes, des Perses d'Arménie ; des Califes, des Sultans d'Iconium, d'Alep, de Damas ; des Empereurs Ottomans, des Schahs de Perse ; des Grands-Maîtres de Malte, du Temple ; de tous les Souverains de l'Europe ; des Empereurs de la Chine, des grands Feudataires de France, d'Allemagne, d'Italie ; des Républiques de Venise, de Gênes, des Provinces-Unies, etc.

1Expérience sur la propagation du son et de la voix dans des tuyaux prolongés à une grande distance, par dom Gauthey, bernardin. MM. le marquis de Condorcet et le comte de Milli, nommés par l'académie des sciences pour examiner ce nouveau moyen d'obtenir et d'établir une correspondance très rapide entre des lieux très éloignés, déclarent, dans leur rapport du 14 juin 1782, qu'il leur a paru praticable, ingénieux et nouveau... Qu'on pourrait donner, par ce moyen, un signal à trente lieues en quelques secondes, sans stations intermédiaires ; qu'ils répondraient même du succès, du cabinet d'un prince à celui de ses ministres ; et que l'appareil n'en serait ni très cher, ni très incommode.

2Dom Bedos, qui a donné l'Art de faire des cadrans solaires avec la plus grande precision, est encore l'auteur du facteur d'orgues. Ces deux ouvrages lui valurent, en 1758, la place de correspondant de l'Académie des Sciences de Bordeaux.

3Voyez la Mappemonde projetée sur le plan de l'horison de Paris, par le P. Chrysologue, capucin, et ses Planisphères, grands et petits. Ils sont accompagnés d'une instruction courte, aisée et suffisante pour les commençants.

1On a fait depuis plusieurs éditions de cet ouvrage, qui n'est pas sans mérite, mais qui a été défiguré par des additions trop empreintes de l'esprit philosophique. Les dernières éditions, surtout, ne méritent aucune confiance.

1On ne citerait peut-être pas une seule de ces superbes bibliothèques, transmise à la troisième génération de son auteur ; elles sont presque aussitôt détruites que formées, et les monuments les plus rares passent souvent chez l'étranger. D'ailleurs, les réguliers, tels que les géno vésains, ouvrent au public leur bibliothèque sans y être obligés ; et l'entrée des autres est également aisée.

1Il n'est pas rare de trouver parmi les religieux de très habiles gens, soit par leurs connaissances en chirurgie et en médecine, soit par leur légèreté dans les opérations. Tels sont les PP. Calixte et Potentien, et le célèbre frère Côme.

1A Paris, ce sont des docteurs de Sorbonne qui accompagnent les criminels à l'échafaud. Les religieux, surtout les récollets et les capucins, y confessent les prisonniers dont la détention est longue. On sait assez combien les capucins se rendent utiles lors des incendis ; trop souvent ils sont victimes de leur zèle héroïque.

1Essai sur les Mœurs et l'Esprit des nations, tom. 3.

1Placuit ullum quidem usquàm ædificare aut construere monasterium, vel Oratorii domum, præter conscientiam civitatis episcopi. Conc. Chalc. 44.

1Ancienne et Nouvelle Discip., part. 1. Liv. 1. ch. 16.

2Le Gendre, Histoire de France, pag. 4.

3Traité des Bénéfices, art. 8.

1Habito respectu ad facultates Ecclesiæ, et qualitatem persona Yan-Espen, Jus Univ.

2Roberts. Introduct. à l'Hist. de Charles V, Not. 9.

1Il est mort dernièrement, à Sampierredarena, un particulier riche de 200,000 liv., qui, n'ayant point d'enfants, a laissé sa veuve usufruitière de ses biens, en instituant le couvent de Coronata son héritier universel. La veuve a suivi de près son mari au tombeau ; et les religieux étaient en droit de réunir l'usufruit à la propriété ; mais le supérieur, instruit que le défunt laissait des neveux indigents, nés d'une de ses sœurs, qui était pauvre, a cru devoir ne point accepter ce riche héritage ; il en a fait la renonciation entre les mains d'un notaire public, et il a écrit à Rome pour obtenir l'approbation du Saint-Siège, sans laquelle elle ne serait pas valable. Cet acte de désintéressement et de délicatesse n'a besoin que d'être présenté, et porte avec lui son éloge. Gazette de France, N° 16, art. de Gênes, 18 janvier 1784.

2Espr. des Lois, liv. 13, chap. 1.

3Voyez le procès-verbal de l'Assemblée de 1780.

4Nous aurions pu choisir dans les différentes époques de notre Histoire, une multitude de faits qui attestent le patriotisme des Ordres réguliers. Par exemple : « Pendant les troubles qui agitèrent le règne de Charles VII, les religieux de Saint-Denis donnèrent à leur légitime souverain une marque éclatante de zèle et de tendresse ; ils firent fondre jusqu'à la vaisselle de leur réfectoire, pour le paiement des troupes. De pareilles actions doivent assurer aux religieux l'estime et l'attachement de leurs compatriotes. » Hist. de France, tom. 15 et 16. Année tom. 8, 1765, No 36.

1Voyez le Dictionn. Encyclop. au mot Agriculture.

1« Depuis longtemps, en France, on ne voit de domaines supérieurement cultivés, fournis d'habitations convenables et d'habitants laborieux, que les domaines des Ordres religieux, surtout des grands propriétaires, tels que les bénédictins, les bernardins, les chartreux, etc. Cela seul, indépendamment de la reconnaissance qu'on leur doit et de l'utilité de leur profession, devait les mettre à l'abri de la destruction épidémique qui les poursuit. Il me semble qu'avant de procéder à l'abolition d'un Ordre monastique, il faudrait examiner d'une manière impartiale, si son existence est nuisible ou avantageuse à l’État ; si les biens dont on dépouillera ces moines, tomberont en de meilleures mains ; si leurs possessions seront mieux cultivées ; si, dans les cantons qu'ils habitent, les pauvres seront mieux secourus par de nouveaux propriétaires, soit laïques, soit ecclésiastiques. Je laisse à l'écart, comme on voit, l'intérêt de l'Église et de la Religion ; ces objets-là n'entrent guère aujourd'hui dans les considérations politiques. N'envisageons, dans toutes les suppressions faites ou à faire, que le bien physique et temporel ; quel sera-t-il ? Qu'y gagneront le prince et l’État ? Quelle qu'en soit la destination, elle n'enrichira ni n'embellira les campagnes. Comment seront administrés tant de riches établissements monastiques  ? car il y en a, je l'avoue, de nombreux et de considérables. Comment seront entretenus ces vastes bâtiments construits avec tant de solidité, ces magnifiques temples du Seigneur, ces belles fermes peuplées d'ouvriers et de cultivateurs ? Que tout cela soit livré à des établissements militaires, à des fermiers du domaine, à des abbés commendataires, à qui l'on voudra, nous v trouverons bientôt que les champs où fut Troie. Jetons les yeux sur les terres d'une abbaye quelconque. Quelle différence énorme entre la mense abbatiale et la mense monacale! La première a souvent l'air du patrimoine d'un dissipateur ; l'autre est comme un héritage où l'on n'épargne rien pour l'amélioration. Je ne plaide point ici la cause des moines: je plaide celle de toutes les cultures, de tous les propriétaires, des pauvres, du travail et de la population. Ressuscitons un moment Virgile, Varron, Columelle ; employons-les comme experts dans l'examen de nos campagnes. Ils riront, comme païens, de nos institutions monastiques ; mais ils combleront d'éloges, comme économes et cultivateurs, les enfants de saint Bruno, de saint Bernard et de saint Benoit. » OEuvres de M. le marquis de Pompignan.

2L'Ami des Hommes, chap. 2.

1Les chartreux de Paris donnent huit cents livres de pain par semaine. Pendant cet hiver les aumônes ont été augmentées dans toutes les maisons religieuses (1784): leurs fermiers distribuaient des secours aux habitants de la campagne ; et pour fournir à des besoins extraordinaires, plusieurs communautés ont ajouté à la rigueur de leur abstinence.

2Gazette de France, N° 5, 1782.

1Voici ce qu'on lit dans la nouvelle Encyclopédie méthodique au mot Bèze : « Abbaye de France, en Champagne, où quatre Cénobites consomment 100,000 liv. de rente aux yeux d'un village famélique. On ne s'aperçoit que trop de sa richesse dévorante, à l'indigence extrême et au délabrement du bourg de même nom, dans lequel elle est située ; il semble que le fer et le feu y aient passé ; les terres, les prés, les bois, tout est aux religieux. » Si l'auteur eût été mieux instruit, il ne se serait permis ni des reproches aussi injustes ni un ton aussi amer. L'abbaye de Bèze a été fondée en 614, par un duc de Bourgogne, pour servir de retraite à l'un de se☛ fils, qui en fut le premier abbé. Le bourg de Bèze et les villages voisins lui doivent leur origine.


En 1732, la mense abbatiale ayant été affectée à la dotation de l'évêché de Dijon, la totalité des revenus de l'abbaye ne fut estimée que 20,000 livres ; par une sage administration et par des dépenses considérables, les religieux portèrent leurs terres à leur plus haut point de valeur ; en sorte que, depuis le dernier partage, ils jouissent de près de 30,000 livres de rente. Cette abbaye est composée de dix religieux : sans doute elle est riche ; mais sa richesse n'est point dévorante ; ses domaines sont répandus dans le territoire de douze villages. Quoique le bourg de Bèze soit sujet à des inondations extraordinaires, comme le dit l'auteur lui-même, cependant les habitants, loin d'être réduits à l'indigence extrême, sont tous propriétaires. La dîme s'afferme 4,000 livres : ils jouissent donc au moins de 40,000 livres de rente, en fonds de terre  ; tout n'est donc pas aux religieux.


L'auteur du Tableau de Paris n'est pas plus exact, quand il dit que « huit religieux consomment 10,000 livres de rente dans la maison des Blancs-Manteaux. » Il y en a seize, et ils ne possèdent pas le tiers de ce ce revenu. Combien de déclamations de ce genre ne sont pas mieux fondées !

2Fleury, Histoire ecclésiastique. Liv. 54, art. 45

1Quæ semel ex voluntate episcopi dedicata sunt monasteria, perpetuo manere monasteria ; et res quæ ad ea pertinent, monasterio reservari : nec posse ea ultra fieri secularia habitacula. Conc. Chalc. Can. 28, anno 431. Ce canon est renouvelé dans le concile d'Aix-la-Chapelle, en 789, et dans le 4o de Constantinople de 870.

2Esprit des Lois, Liv. 26, chap. 15.

3« On ne peut attaquer une propriété sans alarmer les autres ; elles se soutiennent toutes ; la propriété publique est essentiellement liée à la particulière. Quand une fois l'on a franchi les limites du droit naturel, source unique du droit positif, il n'y a plus de terme pour s'arrêter : on entre dans une confusion désastreuse, où l'on ne connaît plus d'autre nom que la faiblesse qui cède, et la force qui opprime.
« Les notions les plus simples et les plus certaines de l'ordre social conduisent à cette conséquence. Chaque individu, chaque corps a une propriété, c'est elle qui l'attache à la société  ; par elle et pour elle seule il travaille ou contribue à la chose publique, qui, en échange, lui en garantit la conservation. De là tous les intérêts particuliers, dont le faisceau réuni produit l'intérêt public. Donc, toute propriété, quelle qu'elle soit, d'un citoyen, d'une communauté, d'un ordre religieux, a droit à la justice de la société, ou du Souverain qui en est le chef. »

4Optime Fili, per sanctam et individuam Trinitatem te obtestor, nequando animus subripiat acquiescere consiliis adulantium vel muneribus donisque venenatis, te ad vota sua maligna adducere cupientium ex iis abbatiis quas tibi postmodum perpetualiter delego: neve animi levitate ductus, quolibet modo distrahas, diripias, aut, irâ excitante, dissipes. Recueil des Histoires de France, tom. 10.

1A l'occasion des secours de toute espèce que les chartreux ont donnés aux habitants de Chiry, attaqués d'une épidémie cruelle, l'auteur du Journal général de France fait une observation judicieuse que nous rapporterons ici, parce que nous n'avons pu la connaître plus tôt ? « Il nous semble que ces exemples, qu'on ne saurait disconvenir être très multipliés de la part des moines rentés, devraient servir à trancher la question agitée depuis si longtemps, sur leur utilité ou leur inutilité pour l’État. Ils consomment leurs revenus dans les cantons qu'ils habitent; ils répandent, par conséquent, l'abondance dans les villages des environs; ce sont des preuves de fait, qui ne sont que trop constatées par l'opposé de ce qui arrive, lorsqu'on supprime des couvents dans certains endroits, où la plus affreuse misère succède à l'aisance dont avaient joui jusqu'alors les habitants. Les pauvres trouvent des secours dans leurs aumônes constamment soutenues. Dans quelles mains pourrait-on placer leurs biens pour en faire un meilleur usage? Il est inutile d'entrer dans des détails à cet égard; mais on peut faire toutes les suppositions qu'en voudra, et, si l'on n'est aveuglé, ni par l'intérêt personnel, ni par le préjugé, que l'on décide si, pour l'intérêt même des malheureux, il ne vaut pas encore mieux laisser les choses telles qu'elles sont dans l'état actuel. » Affiches, Ann. et Av. div. du 25 mai 1784.

Lettres de Scheffmacher – tome 2 - JesusMarie.com - p.236/236