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Jean-Jacques Scheffmacher, Joan-Jakob Scheffmacher,

Titre original : Lettres d'un Docteur Allemand de l'Université Catholique de Strasbourg à un Gentil-Homme protestant, sur les Six obstacles au Salut, qui se rencontrent dans la Religion Luthérienne

Table des matières

LETTRE SUR LA PRÉSENCE RÉELLE DE JÉSUS-CHRIST, DANS L’EUCHARISTIE, 3

INTRODUCTION. 3

Article 1 : PREMIÈRE PREUVE TIRÉE DES PAROLES DE L'INSTITUTION. 7

1ère objection tirée de ces paroles : Je suis le cep, etc. 11

2ème objection tirée du sens de la proposition : Ceci est mon corps 14

3ème objection tirée de ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi. 15

4ème objection tirée de ces paroles : Vous ne m'aurez pas toujours. 17

Article 2 : PREUVE TIRÉE DES PAROLES DE LA PROMESSE. 18

Objection tirée de ces paroles : La chair ne sert de rien. 25

Article 3 : PREUVE TIRÉE DE SAINT PAUL. 1. Cor. 11. 28

1ère objection. Saint Paul donne le nom de pain à l’Eucharistie. 32

2ème objection tirée de ces paroles : La Pierre était le Christ. 32

Article 4 : PREUVE TIRÉE DE LA FOI CONSTANTE DE TOUTES LES ÉGLISES. 33

1ère objection tirée du témoignage des sens, et réfutée par la confession de foi de P.R. 35

2ème objection : l’impossibilité des apparences du pain et du vin sans la substance de l’un et de l’autre. 36

3ème objection : Impossibilité de la présence d’un corps dans un espace non déterminé 37

4ème objection : Impossibilité d’une présence multipliée du même corps. 38

LA CONFÉRENCE DU DIABLE AVEC LUTHER, CONTRE LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE 41

PRÉFACE 41

RÉFUTATION D'UN ÉCRIT FAIT PAR M. EREITER, MINISTRE LUTHÉRIEN, POUR DÉFENDRE CETTE CONFÉRENCE. 43

RÉPONSE DE M. EREITER 52

DU SONGE DE LUTHER. 52

SEPTIÈME LETTRE : DU SACRIFICE DE LA MESSE. 71

1ère Proposition : LE SACRIFICE DE LA MESSE A TOUJOURS ÉTÉ RECONNU ET EST ENCORE RECONNU AUJOURD'HUI PAR TOUTES LES SOCIÉTÉS CHRÉTIENNES. 72

§. I. PREMIÈRE VÉRITÉ DE FAIT : Nous avons pour nous l'usage de toutes les Églises Orientales séparées. 73

§. II. SECONDE VÉRITÉ DE FAIT : Nous avons pour nous l'usage de tous les siècles. 81

2ème Proposition : LE SACRIFICE DU CORPS ET DU SANG DE JÉSUS-CHRIST SE PROUVE PAR L'AUTORITÉ DE L'ÉCRITURE. 94

CONCLUSION. 105

HUITIÈME LETTRE. SUR LA PRÉSENCE PERMANENTE DE JÉSUS-CHRIST DANS L'EUCHARISTIE, ET SUR L'OBLIGATION DE L'Y ADORER. 108

1ère proposition : PREUVES TIRÉES DE L'ÉCRITURE. 111

2ème proposition : TOUTES LES ÉGLISES ORIENTALES SÉPARÉES DE L'ÉGLISE ROMAINE SONT DU MÊME SENTIMENT QUE NOUS SUR LE SUJET DE L'EUCHARISTIE. 120

3ème proposition : LES CHRÉTIENS DE TOUS LES SIÈCLES ONT ÉTÉ DU MÊME SENTIMENT QUE NOUS PAR RAPPORT A L'EUCHARISTIE. 130

CONCLUSION. 144

NEUVIÈME LETTRE : DE LA COMMUNION SOUS UNE SEULE ESPÈCE. 146

1ère proposition : EN RECEVANT UNE SEULE ESPÈCE ON REÇOIT AUTANT QUE SI L'ON RECEVAIT LES DEUX. 147

2ème proposition : JÉSUS-CHRIST FAIT LES MÊMES PROMESSES A CEUX QUI NE REÇOIVENT QU'UNE SEULE ESPÈCE, QU'A CEUX QUI REÇOIVENT LES DEUX. 149

3ème proposition : LES PREMIERS CHRÉTIENS DANS PLUSIEURS OCCASIONS SE SONT CONTENTÉS DE RECEVOIR UNE SEULE ESPÈCE. 152

4ème proposition : IL NE SE TROUVE AUCUN PRÉCEPTE ÉVANGÉLIQUE QUI OBLIGE LE COMMUN DES FIDÈLES A RECEVOIR LA COUPE. 169

5ème proposition : LA COMMUNION SOUS UNE SEULE ESPÈCE N'EST PAS CONTRAIRE A L'INSTITUTION DE JÉSUS-CHRIST. 179

CONCLUSION. 189

DÉFENSE DU CULTE EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE. 195

AVERTISSEMENT 195

1ère partie : RÉFUTATION DES OBJECTIONS DES PRÉTENDUS RÉFORMÉS CONTRE LE CULTE CATHOLIQUE 197

Article 1er : La passion que les prétendus réformés ont de justifier le schisme qu'ils ont fait, les oblige à contester non-seulement la doctrine de l'Église catholique, mais encore à condamner tout son culte extérieur. 198

Article 2 : Objections des prétendus réformés contre le culte extérieur de l'Église catholique, et observation générale sur ce sujet. 199

Article 3 : Réponse à la première objection: Que l'Église catholique a revêtu la religion d'une pompe mondaine. 200

Article 4 : Réponse à la seconde objection, qui est : Que l'Église catholique a accablé le christianisme d'un aussi grand nombre de cérémonies que l'alliance légale ; et que cette Église oblige les chrétiens à des observances plus rigoureuses que celles de la loi judaïque. 212

Article 5 : Réponse à la troisième objection des prétendus réformés, que l'Église catholique a pour les temples une dévotion qui a été abolie par l'Évangile. 227

Article 6 : Réponse à la quatrième objection : Que les cérémonies et les pratiques de l'Église catholique ont été tirées du paganisme. 237

Article 7 : Réponse à la cinquième objection : Que l'Église catholique se sert d'une langue non entendue. 246

Article 8 : Conclusion de cette première Partie. 254

2ème partie : OU L'ON MONTRE LES DÉFAUTS QUI SE TROUVENT DANS LE SERVICE PUBLIC DE LA RELIGION PRÉTENDUE RÉFORMÉE. 255

Article 1er : La cause de tous les défauts qu'il y a dans le culte extérieur de la religion prétendue réformée, et quelques observations générales sur ce sujet. 255

Article 2 : Défauts généraux de l'extérieur de la religion prétendue réformée. 256

Article 3 : Défauts particuliers du culte extérieur de la religion prétendue réformée. - Premier défaut : d'avoir réduit à quatre fois l'année la célébration de la mort de Jésus-Christ, qui se faisait tous les jours. 258

Article 4 : Second défaut, de ne point porter le saint sacrement de l'Eucharistie aux malades. 260

Article 5 : Troisième défaut, d'avoir rejeté la Confirmation: 262

Article 6 : Quatrième défaut, d'avoir rejeté la Confession. 269

Article 7 : Cinquième défaut, d'avoir rejeté l'Extrême-Onction 269

Article 8 : Sixième défaut, d'avoir supprimé l'usage des croix, et du signe de la croix, des images et des reliques. 273

Article 9 : Septième défaut, d'avoir rejeté l'usage de l'eau bénite et du pain bénit. 281

Article 10 : Huitième défaut, d'avoir rejeté l'observation des jours de fêtes. 285

Article 11 : Neuvième défaut, d'avoir rejeté les Heures canoniales. 286

Article 12 : Conclusion. 290



LETTRE SUR LA PRÉSENCE RÉELLE DE JÉSUS-CHRIST, DANS L’EUCHARISTIE,

Adressée à un Gentilhomme faisant profession de la religion calviniste

Par l’Éditeur des Œuvres de SCHEFFMACHER. Rouen, 1769.



INTRODUCTION.

Je vous avais promis, Monsieur, de vous adresser un exemplaire des lettres d'un docteur catholique, aussitôt que cet ouvrage serait sorti de la presse, et je ne diffère pas à remplir mes engagements ; je vois avec une véritable joie que, malgré les préjugés de l'éducation, malgré la confiance que vous avez dans les lumières des docteurs de votre prétendue réforme, vous désirez de connaître par vous-même la doctrine que professe l'Église catholique, et d'examiner les preuves sur lesquelles nous établissons notre croyance. Ces dispositions sont dignes de votre sagesse et de votre prudence, et on ne peut trop les louer dans une affaire aussi intéressante pour le salut ; mais permettez-moi, Monsieur, de ne pas les regarder en cette occasion comme des vertus purement naturelles, je crois y reconnaître un premier rayon de la grâce du Seigneur, qui prépare, quoique de loin encore, votre retour à son Église, dans laquelle seule vous pouvez trouver la voie qui conduit à lui.

J'ai tout lieu d'espérer que la solidité des preuves qui sont exposées dans ces lettres dissipera les impressions que vous avez reçues contre la doctrine de l'Église ; examinez-les chacune en particulier, vous les trouverez toutes capables de déterminer un esprit droit ; réunissez-les toutes ensemble, et vous verrez qu'elles se prêtent une force mutuelle, et qu'elles donnent au corps de la doctrine catholique une fermeté inébranlable. Toute la grâce que je vous demande est de ne pas fermer votre cœur à la voix du Seigneur, lorsqu'elle commencera à se faire entendre ; mais de lui prêter une oreille attentive, et de dire alors comme autrefois le Prophète : Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute1... Éclairez mes yeux2, afin que je puisse contempler les merveilles de votre sainte loi.

Vous remarquerez, Monsieur, en lisant ces lettres, que l'auteur attaque directement les luthériens, et que, par cette raison, il n'a pas traité expressément le dogme de la présence réelle de notre Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, qui est reconnue par les disciples de Luther ; il s'est contenté de prouver la présence permanente et la réalité du sacrifice dans la messe : ces deux dogmes tiennent nécessairement à celui de la présence réelle. Cependant, comme vous êtes spécialement attaché à la doctrine de Calvin, et que le dogme de la présence réelle est peut-être celui qui vous choque le plus dans la doctrine catholique, j'ai cru devoir le prouver directement dans cette lettre, afin que rien ne manque à votre instruction, et que vous puissiez trouver dans l'ouvrage que je vous présente un corps complet de controverse.

Vous reconnaissez, Monsieur, l’Écriture seule pour règle de votre foi, c'est par l'autorité de l’Écriture que je me propose de vous prouver le dogme de la présence réelle. Mais quel est, selon vous, le juge du véritable sens de l’Écriture ? C'est, dans vos principes, ou l'évidence du texte dans les choses claires, ou dans les articles plus obscurs, votre goût particulier pour une interprétation plutôt que pour une autre ; j'espère vous faire voir que le texte de l’Écriture décide en faveur de la présence réelle, et que vos lumières particulières vous égarent quand elles vous portent à détourner le sens naturel de ce texte à des sens figurés, sans aucun autre motif, sinon que votre raison ne peut concevoir la présence réelle, ou même qu'elle vous la représente comme impossible ; ainsi, après avoir prouvé cet article de notre foi par l'autorité de l’Écriture, je vous ferai voir que la raison ne prouve point qu'il soit impossible, et que tous les arguments de vos docteurs pour établir cette prétendue impossibilité, ne sont que des efforts vains et incapables d'ébranler notre foi.

Vous ne pouvez disconvenir, Monsieur, que le dogme catholique de la présence réelle ne se trouve à la lettre dans ces paroles de Jésus-Christ1 : Ceci est mon Corps qui sera livré pour vous, ceci est mon Sang qui sera répandu pour vous. Ma2 Chair est véritablement aliment, et mon Sang est véritablement breuvage... En vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la Chair du fils de l'homme, et si vous ne buvez son Sang, vous n'aurez pas la vie en vous. C'est toujours un grand avantage pour nous que d'avoir en notre faveur la lettre du texte sacré : or que le sens littéral dans lequel l'Église prend ces paroles soit leur sens, j'en rapporterai trois preuves véritables que j'exposerai l'une après l'autre.

La première preuve résulte de l'accord et de l'uniformité, pour ainsi dire, de trois Évangélistes à rapporter les paroles de l'institution du sacrement de l'Eucharistie, ceci est mon Corps, sans variété, sans commentaire, sans explication, quoiqu'elle fût ici plus nécessaire que partout ailleurs ; et quoique dans les autres relations, que deux ou trois Évangélistes nous donnent du même fait, on remarque toujours quelque variété dans les circonstances, ici il n'y en a pas la moindre.

La seconde preuve sera tirée du sixième chapitre de l’Évangile de saint Jean, où l'institution, à la vérité, n'est pas rapportée, mais y est clairement prédite et annoncée, et d'une manière qui ne peut s'accorder qu'avec le sens littéral de l'Église.

La troisième preuve enfin sera prise de saint Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens, chapitre 11, non-seulement dans le récit qu'il y fait de l'institution de l'Eucharistie, lequel ne présente rien de particulier, mais dans tout ce qu'il y ajoute sur la participation à ce grand mystère.

Avant d'exposer ces preuves, je crois devoir faire quelques observations générales qui nous conduiront à la parfaite intelligence de ce que les auteurs sacrés nous apprennent sur l'Eucharistie.

L'Esprit de Dieu qui a présidé au travail des écrivains sacrés et les a inspirés en tout, a tellement guidé leur plume, qu'ils ont écrit dans la pure vérité ; mais la providence qui les faisait écrire divinement et par l'impulsion de l'Esprit saint, a voulu néanmoins qu'ils écrivissent en hommes, et comme on écrit ordinairement parmi les hommes ; c'est-à-dire que chacun a écrit ce qu'il avait vu et comme il l'avait vu, ce qu'il avait appris, et comme il l'avait appris de témoins dignes de foi, ce qu'il avait remarqué, ce qui l'avait le plus touché dans les actions, ou dans les discours de notre Seigneur, et qu'il a omis ce qui lui avait paru moins remarquable ou ce qui l'avait moins affecté.

Peu de faits ou de discours de notre Seigneur sont rapportés par les quatre Évangélistes ; Jésus-Christ Fils de Dieu et Fils de l'homme, sa prédication, ses souffrances, sa mort, sa sépulture, sa résurrection, voilà ce qu'on trouve dans les quatre historiens sacrés, comme le corps de tout l’Évangile et le fondement de notre salut ; son ascension n'est rapportée que par deux évangélistes ; plusieurs autres faits très considérables n'ont pourtant qu'un seul historien ; l'Annonciation, la Nativité du Sauveur célébrée par le chant des anges, sa crèche, sa circoncision, les prophéties de Siméon et d'Anne au temple, etc., ne se trouvent que dans saint Luc.

Saint Matthieu seul nous rapporte d'autres faits très importants, comme l'apparition de l'ange à saint Joseph, l'adoration des Mages, la fuite en Égypte, le retour à Nazareth, le désespoir de Judas, le champ du potier acheté trente pièces d'argent, comme il avait été prédit ; cette terrible imprécation des Juifs, dont nous voyons encore aujourd'hui l'accomplissement : Que son Sang soit sur nous et sur nos enfants ; le sépulcre du Seigneur scellé, et des gardes mis autour ; la formule du baptême, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, etc.

Quelques faits particuliers se trouvent dans deux Évangélistes ; quelques autres, mais plus rarement, dans trois. Il est très naturel de croire que ce n'est pas sans de grandes et importantes raisons qu'un même fait se trouve dans les quatre Évangélistes, surtout s'il n'est pas d'une nécessité absolue pour la suite de la vie et de la mort de notre Seigneur.

L'ordre des temps dans les quels les Évangiles ont été publiés est encore à observer. Celui de saint Matthieu, écrit en hébreu, est sans contredit le premier et comme la base et le fondement des trois autres ; l’Évangile de saint Marc a été regardé par plusieurs comme un abrégé de celui de saint Matthieu ; et par d'autres, comme l’Évangile de saint Pierre, dont il était le disciple, et qu'il avait suivi dans ses voyages ; il rapporte quelquefois des circonstances que saint Matthieu avait omises, comme on le peut voir, par exemple, sur l'établissement des douze Apôtres, sur le paralytique descendu par le toit, sur l'hémorroïsse, la fille de Jaïre, etc.

Saint Luc écrivit après saint Matthieu et saint Marc, qu'il a copiés en plusieurs endroits ; quelques-uns ont appelé son Évangile l’Évangile de saint Paul, parce qu'il fut le compagnon des voyages de cet Apôtre, et qu'il pouvait avoir appris de lui beaucoup de choses ; son style est d'un grec plus élégant et plus poli que celui de tous les écrivains sacrés, ce qui fait voir que cette langue lui était familière.

Saint Jean a écrit assez longtemps après ces trois Évangélistes ; il paraît avoir eu une attention particulière à ne pas répéter ce que les autres avaient déjà dit, et à suppléer à ce qu'ils avaient omis ; il s'attache moins à rapporter les actions de notre Seigneur qu'à nous rendre fidèlement ses discours ; il nous ouvre des routes nouvelles sur sa génération éternelle, mais avec quelle élévation et quelle force ? C'est lui qui nous annonce1 qu'au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu ; que par lui toutes choses ont été faites, et que sans lui rien n'a été fait ; que le Verbe s'est fait chair, et qu'il a habité avec nous ; c'est encore cet Apôtre qui nous apprend seul le premier des miracles de notre Seigneur, aux noces de Cana, et la guérison du paralytique couché sur les bords de la piscine miraculeuse, la foi de la Samaritaine, l'histoire de la femme adultère, la guérison de l'aveugle-né, la résurrection de Lazare, etc.

Voilà, Monsieur, mes réflexions générales sur la conduite de l'Esprit de Dieu par rapport aux quatre Évangélistes ; faisons-en une application particulière au sujet que nous traitons, et considérons le nombre des écrivains sacrés qui ont rapporté l'institution de l'Eucharistie, ainsi que leur uniformité dans le rapport qu'ils en ont fait.

Trois Évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, rapportent sans variété et sans explication les propres paroles de Jésus-Christ ceci est mon Corps : saint Jean en a usé ici comme en plusieurs autres endroits ; il n'a pas répété ce que les autres Évangélistes avaient déjà dit sur l'institution de l'Eucharistie ; mais il a suppléé à ce qu'ils avaient omis, en nous transmettant un long entretien du Sauveur avec ses Apôtres, dans lequel il leur annonce et leur promet cette institution. Il est à propos de remarquer que saint Jean ne parle pas non plus de l'institution du baptême, rapportée par saint Matthieu ; mais qu'il nous en fait voir seul la promesse et le précepte2 : Si l'homme ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

Mais ce n'est pas encore assez ; saint Paul, qui, dans ses Épîtres, ne nous cite aucune autre action de notre Seigneur pendant le cours de sa vie mortelle, nous rapporte celle de l'institution de l'Eucharistie ; il ne nous dit point ce que les autres Apôtres lui avaient appris, il a grand soin de nous avertir que c'est de Jésus-Christ même qu'il le tient : J'ai appris du Seigneur, dit-il, ce que je vous ai enseigné, etc.

Nous n'avons pas été du conseil de Dieu quand il a réglé la plume des écrivains sacrés ; mais dans sa conduite à leur égard, nous pouvons, sans vouloir trop pénétrer dans les secrets de sa providence, remarquer un trait de cette sagesse suprême qui préside à toutes ses œuvres. Pendant que tant de circonstances de la vie et de la mort du Sauveur, tant de miracles éclatants qu'il a opérés, ne se lisent que dans un seul Évangéliste  ; que l'institution du baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, quoiqu'il soit le premier et le plus nécessaire de tous les sacrements, n'est rapportée que par un seul Évangéliste, pouvons-nous croire que ce soit par hasard et sans dessein que l'institution de l'Eucharistie n'est pas seulement rapportée par quatre Évangélistes, mais pour ainsi dire par cinq, ce qui ne se remarque par rapport à aucune des actions de Jésus-Christ ? Ne devons-nous pas observer dans cette conduite une volonté expresse du Seigneur et un motif bien important ? Le catholique n'a pas beaucoup de peine à l'apercevoir ; l'Eucharistie renferme un miracle qui est au-dessus de nos sens, et qui surpasse toute notre intelligence ; un miracle qui devait se renouveler tous les jours dans l'Église chrétienne ; un miracle dont la seule promesse avait scandalisé, par sa grandeur, plusieurs des disciples de Jésus-Christ, et de ceux même qui venaient de voir les pains se multiplier dans ses mains ; un miracle enfin qui, dans la suite des siècles, devait révolter encore une partie de ceux qui se disent disciples de Jésus-Christ : ne sommes-nous pas bien fondés à croire que le Seigneur a voulu que les paroles dont il s'est servi en instituant cet auguste sacrement, fussent répétées par tant d'auteurs sacrés, et sans la moindre variété, afin qu'il ne pût rester aucun doute sur la vérité du sens littéral de ces paroles sacrées, sens que l'Église a suivi dans tous les temps, et que nous suivons encore aujourd'hui ?

Après avoir considéré le nombre des historiens sacrés qui parlent de l'institution de l'Eucharistie, que direz-vous, Monsieur, de cette parfaite uniformité avec laquelle trois Évangélistes et saint Paul nous rapportent les paroles de Jésus-Christ, ceci est mon Corps, eux qui sur d'autres faits varient souvent dans leurs expressions et dans le détail des circonstances ? Ne puis-je pas vous demander d'où vient en ces quatre auteurs inspirés une fidélité si bien marquée à se servir des termes de Corps et de Sang, et pourquoi pas un seul des quatre n'a voulu s'expliquer, et nous faire entendre ce que les autres auraient peut-être dit d'une manière trop obscure ? il suffisait qu'un seul nous avertît que ce qui est appelé le Corps de Jésus-Christ n'en était que la figure ou la vertu ; aucun ne l'a fait, et pourquoi ? c'est qu'ils nous rapportent sur ce grand mystère tout ce qu'ils en avaient vu et entendu, tout ce qu'ils en avaient appris du Seigneur lui-même. Il a pris du pain, il l'a béni, il l'a rompu, il a dit à ses Disciples : Prenez et mangez, ceci est mon Corps ; voilà, Monsieur, tout ce que les auteurs sacrés nous rapportent ; la charité infinie de Jésus-Christ prêt à livrer son corps à la mort, et à répandre tout son sang pour notre salut, n’aurait-elle pas daigné nous faire entendre par un seul mot que ce pain n'était que la figure et le signe de son Corps ? Aurait-elle pu laisser cette Église que le Sauveur acquérait alors au prix de tout son Sang, dans une erreur aussi grossière que de prendre la simple figure de son Corps pour ce Corps adorable ; erreur qui devait commencer dès le temps des Apôtres, se répandre dans tout le monde, être adoptée par tous les chrétiens pendant seize siècles, c'est-à-dire jusqu'au moment où Zwingli et Calvin viendraient détromper les fidèles et leur apprendre le véritable sens de ces paroles sacrées ?

J'ai cru, Monsieur, devoir commencer par ces observations préliminaires, qui me paraissent jeter un grand jour sur l'importante matière que je traite. Je vais présentement vous exposer en détail les preuves que nous fournit l’Écriture sainte ; les paroles de l'institution se présentent les premières.

Article 1 : PREMIÈRE PREUVE TIRÉE DES PAROLES DE L'INSTITUTION.

Nous lisons ces paroles dans l’Évangile de saint Matthieu, chap. XXVI, v. 26 et suivants : Comme ils soupaient, Jésus prit du pain, le bénit et le rompit, et le donna à ses Disciples, et leur dit : prenez et mangez, ceci est mon Corps. Saint Luc ajoute : (qui est donné pour vous), et prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, en disant : buvez-en tous ; car ceci est mon Sang, le sang du nouveau Testament qui sera répandu pour plusieurs en rémission de leurs péchés ; la même action est rapportée, et presque dans les mêmes termes, par saint Marc, chap. XIV ; par saint Luc, chap. XXII, et par saint Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens, chap. XI.

Selon ces paroles de Jésus-Christ, la chair qu'il a donnée à ses Apôtres dans l'Eucharistie est la chair qu'il a donnée pour nous. Le sang qu'il a donné dans le calice est le sang qui a été répandu pour plusieurs en rémission de leurs péchés. Je vous demande, Monsieur, si la chair de Jésus-Christ qui a été donnée pour nous n'était pas une chair réelle et véritable, et si le sang qui a été répandu sur la croix n'était pas un sang véritable et réel ? Puis donc que la même chair et le même sang qui ont été donnés sur l'arbre de la croix pour nous et en rémission des péchés nous ont été donnés dans l'Eucharistie, comment pouvez-vous croire et soutenir que la chair et le sang de Jésus-Christ ne sont qu'en figure dans ce sacrement ?

N'est-il pas évident que ces paroles de Jésus-Christ, ceci est mon Corps, doivent être entendues dans leur sens littéral et naturel, c'est-à-dire en ce sens, que le pain eucharistique était le véritable Corps de Jésus-Christ, et non pas dans un sens figuré ; c'est-à-dire en ce sens, que le pain présenté par Jésus-Christ à ses Apôtres n'était que la figure et le signe de son Corps ? En effet, ce serait proférer un blasphème que de dire que Jésus-Christ, en prononçant ces paroles, a parlé à ses Apôtres d'une manière inintelligible, absurde et capable de les induire en erreur : ce qui serait arrivé si son intention avait été que ses Apôtres entendissent ses paroles dans ce sens-ci : Ce pain que j'appelle mon corps ne l'est pas réellement, mais est seulement la figure et le signe de mon corps. Il aurait fallu pour cela qu'il eût donné lui-même au signe et à la figure le nom de la chose signifiée ; ce qu'il n'aurait pu faire sans absurdité dans cette circonstance.

Nous connaissons deux espèces de signes les uns qui, par eux-mêmes, désignent la chose signifiée, comme une belle et ressemblante statue du roi Henri IV désigne par elle-même la propre personne de ce grand roi ; les autres, qui ne désignent la chose signifiée que par la convention des hommes, comme l'écriture désigne les mots et les propositions, parce que les hommes sont convenus que certains caractères tracés sur le papier, de telle ou telle manière, signifieraient tels mots, ou telles propositions. Dans ces différents signes on peut, sans induire ses auditeurs en erreur, donner au signe le nom de la chose signifiée. Ainsi, en montrant la statue de Henri IV, on peut dire : C'est là le roi Henri IV, et aucun des auditeurs n'imaginera que le sens de ces paroles soit que cette statue est la propre personne du roi Henri IV. De même en montrant certains caractères tracés sur le papier, on peut dire : C'est là un nom, un verbe, etc., parce que les hommes sont convenus que certains caractères arrangés d'une certaine manière signifieraient un nom, un verbe, etc. Mais on tromperait ses auditeurs si, en leur montrant la statue de Henri IV, on leur disait : C'est là Alexandre, parce que cette statue ne représente point Alexandre, et qu'elle n'a pas été faite pour le représenter ; de même si on choisissait dans les caractères de l'alphabet plusieurs lettres consonnes et qu'on les joignit sans les entremêler d'aucunes voyelles, et qu'on dit en les montrant : C'est là un nom, un verbe, on tromperait ses auditeurs, parce qu'il n'a point été convenu parmi les hommes que des lettres consonnes rassemblées signifieraient un nom, un verbe, et qu'au contraire, il a été convenu qu'elles ne signifieraient rien.

Nous avouons sans peine que, par rapport aux deux espèces de signes dont nous venons de parler, on peut donner au signe le nom de la chose signifiée ; cela est évident ; mais il ne l'est pas moins que le pain eucharistique présenté par Jésus-Christ à ses Apôtres n'était ni par lui-même, ni par convention des hommes le signe de son Corps. Un pain ne représente pas par lui-même le corps humain ; au temps de Jésus-Christ, ni avant lui, ni depuis, les hommes ne sont jamais convenus que du pain signifierait le corps d'un homme. Jésus-Christ n'a donc pu donner au pain le nom de son corps, sans jeter ses Apôtres dans une erreur monstrueuse ce qu'on ne peut lui imputer sans blasphème ; il a donc voulu que ses paroles fussent entendues dans le sens naturel et littéral.

Vous me direz peut-être, Monsieur, qu'à la vérité le pain avant la dernière Cène n'était ni signe naturel, ni signe de convention du corps humain  ; mais qu'il devint alors le signe du Corps de Jésus-Christ par l'institution et la volonté du Sauveur, qui le désigna à ses Apôtres comme devant être désormais le signe de son Corps qui allait être livré à la mort. Mais remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, que dans cette supposition la difficulté reste toujours la même. Je n'ai garde de disputer à notre Seigneur le pouvoir d'instituer un nouveau signe ; mais vous conviendrez aussi que sa vérité, sa bonté, exigeaient qu'il en avertit ses Apôtres, et qu'il leur expliquât clairement son intention. En effet, c'était pour ses Apôtres, et après eux pour tous les fidèles, que ce signe aurait été établi ; il était donc nécessaire que Jésus-Christ leur déclarât une signification qu'ils ne pouvaient jamais imaginer, et qui était absolument étrangère au pain ; autrement il les aurait induits en erreur. Lorsque le Seigneur, après le déluge, donna à Noé et à sa famille l'arc-en-ciel comme un signe de l'engagement qu'il prenait avec le genre humain de ne plus couvrir la terre d'un nouveau déluge, il ne manqua pas de les en avertir1 : Je mettrai, leur dit-il, mon arc dans les nues, et il sera le signe d'un engagement entre moi et la terre... Mon arc paraîtra dans les nues, et je me souviendrai de mon alliance avec vous, et les eaux du déluge ne détruiront plus toute chair. Il est certain que sans cet avertissement Noé et ses descendants n'auraient jamais compris l'intention du Seigneur, ni cette nouvelle signification de l'arc-en-ciel. Or aucun des Évangélistes, ni saint Paul dans sa première Épître aux Corinthiens, ne nous rapportent cette explication que Jésus-Christ aurait dû donner. Nous y lisons les paroles de l'institution purement et simplement, sans aucun commentaire ; on ne peut donc dire que Jésus-Christ ait alors institué le pain comme un signe de son Corps livré à la mort pour nous.

Mais dans quel temps et dans quelles circonstances voulez-vous que Jésus-Christ ait parlé à ses Apôtres en figures, d'une manière énigmatique, et si obscure qu'ils ne pouvaient pas l'entendre ? Dans sa dernière Cène il institua un sacrement, il faisait un testament, il contractait une nouvelle alliance avec les hommes ; il établissait un rite qui devait être observé dans toute la suite des siècles par ceux qui croiraient en lui ; il enseignait un dogme que tous les fidèles devaient tenir ; toutes circonstances qui exigeaient de lui la plus grande précision et la plus grande clarté dans ses paroles.

Quels étaient ceux à qui le Seigneur adressait ces paroles : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ? C'étaient ses Apôtres qui jouissaient, comme il le leur avait déclaré lui-même1, du privilège de connaître clairement les mystères du royaume de Dieu qui n'étaient proposés aux Juifs qu'en paraboles ; ses Apôtres, à qui nous voyons qu'il expliquait en particulier ce qu'il n'avait dit aux autres qu'avec quelque obscurité. Il leur disait alors le dernier adieu ; jamais il ne leur a parlé avec tant de bonté ; jamais il ne leur a donné tant de preuves de son affection que dans ces moments où il était près de les quitter ; et vous voulez, Monsieur, que dans de pareilles circonstances Jésus-Christ leur ait parlé du sacrement de son Corps et de son Sang qu'il leur laissait comme le gage le plus précieux de son amour, avec tant d'obscurité qu'il leur était impossible d'entendre le vrai sens de sa proposition, et qu'il ne leur ait pas donné un seul mot d'explication ! C'est ce qui ne se peut comprendre et ce qui répugne même au texte sacré, puisqu'il est rapporté que les Apôtres reconnurent que Jésus-Christ, dans cet admirable discours qui suivit la Cène, leur avait parlé sans figure2 : C'est à cette heure que vous parlez ouvertement et que vous n'usez point de paraboles.

Une explication aurait été d'autant plus nécessaire, que Jésus-Christ, à qui rien ne pouvait être caché, n'ignorait pas que toute son Église entendrait ses paroles, ceci est mon corps, dans le sens naturel et littéral ; que depuis les temps apostoliques jusqu'à nous elle croirait fermement la présence réelle dans le sacrement de l'Eucharistie ; qu'elle chargerait d'anathèmes tous ceux qui oseraient s'élever contre cette doctrine, comme elle l'a fait contre un Bérenger dans le onzième siècle, contre Zwingli et Calvin dans le seizième. Un seul mot d'explication de la part du Sauveur aurait prévenu cette erreur, et il l'aurait refusé ! il aurait mieux aimé laisser toute son Église dans une ignorance monstrueuse du vrai sens de ses paroles, que d'avertir ses Apôtres, et par eux toute son Église, que ses expressions étaient figurées, et que ce pain qu'il appelait son corps n'en était que le signe et le mémorial ! Cette conduite ne pourrait se concilier avec la bonté de ce divin Sauveur et avec son amour pour son Église.

Observez, s'il vous plaît, Monsieur, que l'Esprit saint a tellement dirigé la plume des auteurs sacrés, que si l'un d'eux avec quelque obscurité sur un article de notre foi, ou sur un fait, les autres l'ont expliqué plus clairement. « En ce qui regarde la foi et les mœurs, dit saint Augustin3, rien n'a été dit obscurément dans les Écritures qui n'ait été expliqué très clairement par d'autres textes. » Or tous les Écrivains sacrés qui ont parlé de l'institution de l'Eucharistie, saint Matthieu, saint Marc, saint Luc, saint Paul, rapportent tous ces paroles de Jésus-Christ, ceci est mon corps, de la même manière ; aucun n'y donne d'explication. Quelle autorité ont pu avoir Zwingli et Calvin pour nous en donner une qui a été inconnue à toute l'antiquité chrétienne ?

La droite raison et la prudence chrétienne nous dictent qu'on ne peut mieux juger du vrai sens d'un texte de l’Écriture que par la manière dont il a été entendu par tous les Pères de l'Église, dans tous les temps, et chez toutes les nations qui ont professé la foi chrétienne. Préférer à un témoignage si fort et si respectable l'idée d'un ou deux novateurs, c'est une témérité inconcevable et qu'aucun motif ne peut excuser. Or il est certain que tous les Pères de l'Église et tous les peuples de la terre qui ont embrassé la foi, ont entendu les paroles de l'institution de l'Eucharistie, comme les catholiques les entendent. Les Grecs comme les Latins, avant et depuis le malheureux schisme qui les a séparés de nous, tous ont tenu la même foi ; les Grecs modernes se sont élevés avec force contre Zwingli et Calvin ; nous avons leurs confessions de foi, les décisions de leurs conciles, et les condamnations qu'ils ont prononcées contre les erreurs dans lesquelles vous êtes engagé. Vous en avez vu les actes, Monsieur, dans les lettres précédentes, et vous ne pouvez douter de leur vérité ; avec un esprit droit, avec un cœur chrétien, avec cet amour sincère que vous dites avoir pour la vérité, comment pourriez-vous résister à une si grande autorité ?

Enfin, Monsieur, quand vous voulez entendre les paroles de l'institution dans un sens figuré, comment pouvez-vous vous concilier avec votre propre confession de foi, dans laquelle vous dites (Art. 5) que l’Écriture est la règle de toute vérité, à laquelle il n'est pas loisible aux hommes, même aux anges, d'ajouter, diminuer, ni retrancher ? Comment donc osez-vous ajouter aux paroles de la Cène un sens figuré qu'elles ne présentent pas, et changer le sens de réalité qu'elles présentent à l'esprit ? N'est-il pas surprenant que des chrétiens qui veulent que l’Écriture soit l'unique règle de leur foi, prennent néanmoins pour le point fondamental de leur doctrine sur l'Eucharistie un sens figuré, qui, non-seulement n'est pas contenu dans le texte, mais qui y est formellement contraire ?

1ère objection tirée de ces paroles : Je suis le cep, etc.

Vous prétendez peut-être, Monsieur, autoriser le sens figuré que vous donnez aux paroles de l'institution de l'Eucharistie par d'autres discours de Jésus-Christ, dans lesquels, en parlant de lui-même, il a dit : Je suis cep de la vigne, la porte de la bergerie, le berger, etc., expressions qui certainement ne peuvent pas être prises dans le sens littéral. Dans toutes ces circonstances, direz-vous, Jésus-Christ a donné au signe le nom de la chose signifiée. Pourquoi, en instituant l'Eucharistie comme signe et figure de son corps qui allait être livré à la mort, n'aura-t-il pas pu en user de même, lui surtout qui parlait si souvent en figures et en paraboles ?

Je vous répondrai, Monsieur, qu'il n'est pas question de savoir si, en certaines occasions, en certaines circonstances, telles qu'on pourrait les supposer ou les imaginer, ces paroles de Jésus-Christ, ceci est mon corps, pourraient être prises en un sens figuré, comme celles-ci : Je suis le cep, je suis la porte de la bergerie, le berger, etc.  ; il s'agit d'examiner si, dans l'occasion et les circonstances où Jésus-Christ a prononcé ces paroles, elles peuvent être prises en ce sens figuré et parabolique. La même façon de s'exprimer peut, dans certaines circonstances, être prise en un sens figuré, et dans d'autres en un sens littéral ; mais de ce qu'une façon de s'exprimer peut, en certaines circonstances, être prise dans le sens figuré, il ne s'ensuit pas qu'en toutes occasions et en toutes circonstances elle doive être prise en ce sens figuré et extraordinaire. Ces paroles de Jésus-Christ1, mon Père est plus grand que moi, à parler en général et hors de toutes circonstances, pourraient s'entendre dans le sens des ariens et des sociniens, qui en concluent que Jésus-Christ n'est pas consubstantiel au Père. Vous détestez cette impiété, Monsieur et vous dites fort bien avec nous que ces paroles ne peuvent être entendues au sens des ariens, en supposant ce que plusieurs autres textes de l’Écriture, les prophéties, et les miracles opérés par Jésus-Christ nous apprennent sur sa divinité. Ces paroles, ceci est mon corps, auraient donc pu absolument et dans d'autres circonstances signifier seulement ceci est la figure de mon corps ; mais nous prouvons qu'elles ne peuvent être prises en ce sens dans les circonstances où Jésus-Christ les a prononcées.

Il est vrai que notre Seigneur parlait souvent aux Juifs en figures et en paraboles, et si souvent que ses Disciples osèrent lui demander pourquoi il en usait ainsi  ; à quoi le Fils de Dieu répondit1 : C'est que pour vous autres il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais pour eux il ne leur a pas été donné. Ce style de figures et de signes n'était donc pas pour les Apôtres ; aussi voyons-nous dans le même chapitre de saint Matthieu qu'après avoir parlé aux Juifs en paraboles, il en expliqua ensuite le sens à ses Apôtres. S'il s'en est servi quelquefois avec eux, il les leur a aussitôt éclaircies, en leur découvrant le véritable sens de ses paroles. Or nous ne voyons pas qu'il leur ait expliqué les paroles dont il s'est servi en instituant l'Eucharistie ; il a donc voulu que ses Apôtres prissent ces paroles dans leur sens naturel et littéral.

D'ailleurs il faut reconnaître une grande différence entre le style d'un sermon et celui d'un précepte ; le premier admet des comparaisons et dès paraboles, pour élever l'esprit des auditeurs et les aider à comprendre les grandes vérités qu'on leur annonce ; c'est aussi principalement dans ses sermons que Jésus-Christ a employé ce style figuré et parabolique. Mais l'institution d'un sacrement et d'un nouveau précepte exige le style le plus clair et le plus précis. Tel est celui dont Jésus-Christ s'est servi dans l'institution et le précepte du baptême, comme je l'ai déjà remarqué, et tel est celui dont il s'est encore servi dans l'institution et le précepte de l'Eucharistie. Jésus-Christ, la lumière du monde, aurait-il pu instituer un sacrement sans en faire connaître l'essence à ses Apôtres et à tous les fidèles ? Jésus-Christ, la Justice éternelle, pouvait-il nous obliger à exécuter un précepte qu'il nous aurait annoncé dans des termes obscurs et inintelligibles ? Cette seule réflexion suffirait pour faire rejeter ces prétendues comparaisons de différents textes de l’Écriture par lesquelles on se laisse abuser ; mais nous avons encore quelque chose de plus fort à dire.

Je prétends, Monsieur, que toutes ces expressions figurées, dont Jésus-Christ s'est servi en parlant de lui-même : Je suis le cep, la porte, le berger, etc. bien loin d'être favorables à votre cause, tournent à l'avantage de la nôtre, et qu'elles confirment de plus en plus le sens littéral dans lequel nous prenons les paroles de l'institution de l'Eucharistie : cette proposition vous étonnera sans doute, je vais le prouver.

Je vous ai déjà fait voir que le pain n'étant ni signe naturel, ni signe de convention du corps de Jésus-Christ, le Sauveur qui ne donnait à ses Apôtres aucune explication de ces paroles, ceci est mon corps, les aurait induits en erreur, s'il avait voulu que ces paroles fussent entendues dans un sens figuré. Pour détruire mon raisonnement, il faudrait me citer en exemple des expressions figurées dont Jésus-Christ se serait servi et pareillement sans aucune explication, ni aucun commentaire. De ces exemples vous concluriez fort bien que, puisque notre Seigneur s'est servi en plusieurs occasions d'expressions figurées, sans cependant en donner l'explication à ses Apôtres, il a pu en user de même dans l'institution de l’Eucharistie.

Mais au lieu de me citer de pareils exemples, vous m'alléguez, au contraire, plusieurs expressions de Jésus-Christ dont chacune porte avec elle son explication et son commentaire ; vous me fournissez donc des armes contre vous-même, et vous m'autorisez à me servir des textes que vous m'opposez, pour assurer moi-même le sens littéral des paroles de l'institution : car je puis et je dois raisonner ainsi : Quand Jésus-Christ a parlé en style figuré, et qu'il a dit : Je suis le cep de vigne, la porte de la bergerie, le berger, etc., il a voulu que ces expressions fussent entendues dans un sens figuré ; cela est incontestable pour ne point induire en erreur ceux qui l'écoutaient alors, il a expliqué lui-même la figure, et si clairement qu'il ne pouvait rester le moindre doute ; cela se voit évidemment dans le texte sacré : donc Jésus-Christ n'ayant donné aucune explication de ces paroles, ceci est mon corps, il n'a pas voulu qu'elles fussent entendues dans le sens figuré.

Il ne me reste qu'une proposition à prouver ; c'est que chacun des textes que vous m'opposez, porte avec lui son explication ; et cela ne me sera pas difficile. Commençons par celui qui est si célébré chez vous1 : Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron, etc. Ce texte est le boulevard de votre doctrine, et je suis tenté de croire qu'on a grand soin chez vous de l'inculquer aux enfants et aux simples ; car on en trouve plusieurs qui n'ont pas d'autre réponse à donner, lorsqu'on veut leur prouver la présence réelle par les paroles de l'institution. Je suis la vigne, disent-ils, et ils croient avoir tout dit ; ces paroles sont pour eux comme un rempart inattaquable ; examinons avec attention cette expression du Sauveur dans l'admirable sermon qu'il fit à ses Apôtres après la Cène, en saint Jean, chap. X, depuis le 1er verset jusqu'au 15° : Je suis la vraie vigne, et mon père est le vigneron ; il retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi, et il taillera toutes celles qui portent du fruit, afin qu'elles en portent davantage... Comme la branche de la vigne ne saurait porter du fruit d’elle-même, si elle ne reste pas attachée au cep, ainsi vous n'en pouvez porter aucun, si vous ne demeurez pas en moi. Je suis le cep de la vigne et vous en êtes les branches ; celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car vous ne pouvez rien faire sans moi. Celui qui ne demeure pas en moi sera jeté dehors comme un sarment inutile, il séchera, et on le ramassera pour le jeter au feu et le brûler.

Peut-on voir, Monsieur, une parabole mieux caractérisée, mieux suivie, et en même temps plus clairement expliquée ? Il faudrait supposer les Apôtres absolument stupides et imbéciles, pour qu'ils n'eussent pas entendu que Jésus-Christ se disait le cep, dans le même sens dans lequel il disait son Père le vigneron, et ses Apôtres des branches de vigne ; ils ne pouvaient ignorer que le Père céleste n'était pas et ne pouvait pas être un vigneron comme on en voit sur la terre ; ils sentaient bien qu'ils n'étaient pas eux-mêmes de véritables branches de vigne telles qu'on les voit attachées à un cep ; il a donc été pour eux de la dernière évidence que ces expressions de vigneron et de branches étaient figurées, et que par conséquent celle de cep l'était aussi. Qu'on nous montre quelque chose de pareil dans le récit de l'institution de l'Eucharistie, et un seul mot qui porte avec lui une explication des paroles de Jésus-Christ. La comparaison de ces paroles : je suis le cep, avec celles-ci : ceci est mon corps, n'est donc pas tolérable.

On peut appliquer le même raisonnement aux textes que nous lisons dans le chap. X de saint Jean. La porte de la bergerie, les brebis, le berger, sont une figure manifeste de l'Église, des fidèles et de Jésus-Christ, qui en est le souverain Pasteur ; le texte sacré déclare formellement que c'est une parabole1, Jésus leur dit cette parabole, mais ils n'entendirent point ce dont il leur parlait. Alors Jésus-Christ adressait la parole à quelques pharisiens qui étaient avec lui, et non pas à ses seuls Apôtres ; nonobstant le peu d'intelligence des premiers, il continua à parler dans le sens figuré2 : En vérité, en vérité je vous le dis, je suis la porte des brebis... Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé... Je suis le bon Pasteur, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, etc. Rien de plus évident que le sens dans lequel ces paroles devaient être entendues. Quand même le texte sacré ne nous aurait pas avertis que c'était une parabole, Jésus-Christ se dit le Pasteur, comme il dit que ses disciples sont des brebis ; ses auditeurs pouvaient-ils imaginer que les disciples étaient de vraies brebis, telles que nous les voyons paître dans nos campagnes ? Jésus-Christ ne pouvait donc être pris pour un berger de l'espèce de ceux qui conduisent nos troupeaux. Cette réponse peut s'appliquer à tous les passages du même genre qu'on peut nous opposer ; on y voit partout l'explication jointe au discours figuré. L'institution de l'Eucharistie ne nous présente rien de pareil. Ces textes, bien loin de former une difficulté contre la doctrine catholique, nous fournissent donc, au contraire, une preuve très forte et très convaincante que l'intention du Sauveur a été que les paroles de l'institution de l'Eucharistie fussent prises dans leur sens naturel et littéral.

2ème objection tirée du sens de la proposition : Ceci est mon corps

Vos docteurs ne raisonnent pas mieux, Monsieur, quand ils veulent épiloguer sur le sens littéral dans le quel nous prenons la proposition de Jésus-Christ, ceci est mon corps, et qu'ils prétendent qu'en ce sens elle est inintelligible. « Que veut dire Jésus-Christ par ceci, dit le ministre Claude ? est-ce le pain ? mais comment le pain était-il son corps ? » Sont-ce des accidents sans substance ? Mais comment ces accidents sont-ils son corps ? La réponse est claire et simple. Ce que Jésus-Christ a voulu nous dire par ceci, est-ce le pain ? Oui, sans doute, et il est aisé de comprendre que si Jésus-Christ s'était arrêté à ce mot ceci, le pain qu'il tenait dans ses mains serait toujours resté pain. Mais comment le pain est-il son corps ? Le pain n'est point le corps de Jésus-Christ ; car quand ce pain désigné par le mot ceci devient le corps de Jésus-Christ, il cesse d'être pain, et est changé au corps de Jésus-Christ. Les apparences du pain qui restent visibles à nos yeux, ne sont point le corps du Fils de Dieu, ce sont des apparences séparées de cette première substance à laquelle elles étaient attachées ; elles sont toujours apparences, soutenues non plus par la substance à laquelle elles servaient, pour ainsi dire, d'enveloppe, mais par la main du souverain Maître qui leur avait donné cette substance pour soutien, et qui lui substitue sa toute-puissance ; le vrai sens de la proposition de Jésus-Christ est donc celui-ci : ceci, ce qui est du pain au commencement de ma proposition, est changé en mon propre corps à la fin de ma proposition, par ma vertu toute-puissante. Cette proposition est une proposition pratique, c'est-à-dire qui opère ce qu'elle énonce, il n'y a rien là d'inintelligible.

J'éclaircis, Monsieur, cette exposition par des exemples. Lorsque Moïse changea son bâton en serpent devant Pharaon, ne pouvait-il pas dire en montrant ce bâton ceci est un serpent ? Pharaon et toute sa cour, témoins d'une si grande merveille, auraient-ils trouvé sa proposition inintelligible ? ils l'auraient sans doute entendue ainsi ; ceci, c'est-à-dire, ce qui, au commencement de la proposition n'était qu'un bâton dans la main de Moise, est devenu dans l'instant où la proposition a été complète, et par la toute-puissance de Dieu ; un véritable serpent. Jésus-Christ de même lorsqu'il changea l'eau en vin aux noces de Cana, ne pouvait-il pas dire, ceci est du vin ? Cette proposition aurait-elle été inintelligible ? C'est de la même manière que nous entendons la proposition de Jésus-Christ : ceci est mon corps. Permettez même, Monsieur, que je vous fasse observer que le sens contraire que vous voulez lui donner est beaucoup moins intelligible ; car, selon vous, ceci est mon corps, signifie, ceci n'est pas mon corps, mais seulement la figure de mon corps. En vérité vos ministres ont mauvaise grâce de chicaner sur le sens naturel et littéral dans lequel nous prenons la proposition de Jésus-Christ, tandis qu'ils nous présentent eux-mêmes un sens figuré et extraordinaire qui n'a pu ni dû être entendu par les Apôtres, et qui est directement contradictoire à la proposition du Sauveur.

3ème objection tirée de ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi.

Jésus-Christ, nous disent encore vos docteurs, a voulu instituer un sacrement et un mémorial de lui-même ; faites ceci, dit-il à ses Apôtres, en mémoire de moi ; or on ne fait point mémoire d'une chose présente ; Jésus-Christ n'est donc pas réellement présent dans la sainte Eucharistie.

Je conviens avec vous, Monsieur, que Jésus-Christ a établi cet auguste sacrement, comme un mémorial dont l'effet devait être de rappeler sans cesse à tous les fidèles ses bienfaits, les travaux qu'il a entrepris pour leur salut, et surtout ses souffrances et la mort qu'il allait subir pour eux ; mais pouvez-vous en conclure que ce mémorial ne puisse pas contenir son propre corps présent d'une autre manière qu'il n'était alors présent et visible à ses Apôtres ? Ne voyez-vous pas que cette prétendue difficulté est la même pour vous et pour nous ? Vous convenez que le pain eucharistique fut dans la Cène le mémorial de Jésus-Christ : expliquez-nous donc comment il a pu faire cette mémoire de lui-même en sa propre présence ; car il était certainement présent quand il donna à ses Apôtres son corps, selon nous, et, selon vous, la figure et le mémorial de son corps.

L'apôtre saint Paul nous donne la solution de cette difficulté1 ; Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. Jésus-Christ vivant et faisant la Cène avec ses Apôtres, leur ordonna de la célébrer après lui en mémoire de la mort qu'il allait subir ; c'est-à-dire que Jésus-Christ vivant institua ce mémorial de lui-même mourant pour nous. Jésus-Christ présent invisiblement dans la sainte Eucharistie pour y nourrir nos âmes de cet aliment céleste, pour y converser intérieurement avec elles, pour s'unir à elles de la manière la plus intime et les combler de ses dons, est le mémorial de Jésus-Christ présent visiblement sur la terre, conversant avec ses Apôtres, instruisant les peuples et s'efforçant de les amener à la connaissance de la vérité par les prodiges qu'il opérait continuellement sous leurs yeux. Jésus-Christ présent invisiblement sur nos autels dans la sainte Eucharistie, et représenté dans un état de mort, puisque les espèces qui contiennent son corps et son sang y paraissent séparées, quoique le corps soit aussi sous les espèces du vin, et le sang sous les espèces du pain, est le mémorial de Jésus-Christ mourant réellement pour nous sur l'arbre de la croix, où son âme fut séparée de son corps, où son sang adorable coulant par toutes ses plaies, se sépara de sa chair.

Jésus-Christ vivant visiblement sur la terre et Jésus-Christ présent invisiblement dans l'Eucharistie, Jésus-Christ mourant sur la croix et Jésus-Christ représenté dans un état de mort, est réellement et substantiellement le même ; il n'y a de différence que dans la manière d'être : il était visible sur la terre, il mourut véritablement sur la croix ; dans l'Eucharistie il est invisible, sur nos autels il paraît seulement en état de mort  ; c'est la même victime, le même sacrifice, sanglant sur la croix, et non sanglant sur nos autels. Tel est, Monsieur, le mémorial que Jésus-Christ nous a laissé dans l'Eucharistie ; mémorial efficace, bien capable de nous rappeler sensiblement tous les bienfaits de ce Dieu Sauveur, et de nous pénétrer de la plus vive reconnaissance. Quel mémorial, au contraire, vous présente votre Cène ? du pain commun mangé et du vin commun bu en mémoire de Jésus-Christ, avec je ne sais quelle participation par la foi à la chair de Jésus-Christ ; participation que vos plus habiles docteurs n'ont pu bien expliquer, sur laquelle même ils se contredisent entre eux ; voilà pour vous toute la merveille. Ne nous enviez pas notre bonheur, Monsieur, et permettez-nous de gémir sur votre aveuglement.

De même que sans exclusion de la réalité, nous regardons l'Eucharistie comme un mémorial de Jésus-Christ, nous pouvons aussi dans un sens très catholique y reconnaître la figure de Jésus-Christ, non pas une figure vide et simplement représentative, mais une figure remplie de son objet, qui nous annonce sa présence et nous en assure. Ainsi la colombe qui parut au baptême du Sauveur, les langues de feu qui se reposèrent sur les Apôtres le jour de la Pentecôte, étaient le signe et la figure de l'Esprit saint invisiblement, mais très réellement présent. L'Eucharistie, quant à ce qui paraît à nos sens, c'est-à-dire quant aux espèces sacramentelles, est véritablement la figure du corps naturel de Jésus-Christ, parce que le pain rompu sur l'autel, les espèces du pain et du vin séparées nous représentent son corps dans un état de mort, comme je viens de l'expliquer. L'Eucharistie, quant aux mêmes espèces, est encore véritablement la figure du corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire de son Église, comme nous l'apprend l'Apôtre saint Paul1 : Le calice de bénédiction que nous bénissons n'est-il pas la communion du sang de Jésus-Christ, et le pain que nous rompons n'est-il pas la participation au corps du Seigneur ? Car nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et un seul corps, parce que nous participons tous à un même pain. Suivant l'Apôtre, la raison pour laquelle nous ne formons tous qu'un seul corps, est que nous participons tous à un même pain, qui est le corps de Jésus-Christ. Enfin, l'Eucharistie est encore véritablement figure, en ce que notre union passagère avec Jésus-Christ par la communion, est le gage et le signe de notre future et perpétuelle union avec lui dans le ciel, comme l'Église le reconnaît elle-même dans une de ses prières2.

C'est uniquement dans quelqu'un de ces différents sens que quelques auteurs ecclésiastiques, en considérant l'Eucharistie sous ses rapports mystiques, n'ont pas craint de dire en quelques occasions qu'elle était la figure du corps de Jésus-Christ. Les prétendus réformés qui ont abusé de ces expressions, n'en peuvent donc tirer aucun avantage, et d'autant moins que les mêmes auteurs, dans d'autres endroits de leurs ouvrages, se sont expliqués de la manière la plus précise et la plus forte sur la présence réelle.

Vos ministres nous diront-ils qu'il répugné que Jésus-Christ soit figure de lui-même ? Nous leur répondrons qu'il n'y a point de contradiction à ce qu'une chose soit signe et figure d'elle-même, pourvu qu'elle représente en un certain temps et d'une certaine manière ce qu'elle a été, ou ce qu'elle sera dans un autre temps et d'une autre manière. Jésus-Christ baptisé dans le Jourdain s'est figuré lui-même mourant et ressuscité, le baptême étant la figure de la mort et de la résurrection ; Jésus-Christ transfiguré sur le Thabor pendant le cours de sa vie mortelle, se figurait lui-même glorieux et triomphant dans le ciel après son Ascension ; ces exemples nous paraissent sans réplique.

4ème objection tirée de ces paroles : Vous ne m'aurez pas toujours.

M'arrêterai-je à réfuter les faibles arguments que vos ministres s'efforcent de tirer de quelques autres textes de l’Écriture, comme de ceux-ci : Vous aurez toujours les pauvres avec vous, mais vous ne m'aurez pas toujours ; et encore : Il est nécessaire que je m'en aille  ; car si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra point à vous ; et ailleurs, je quitte le monde, etc., d'où ces Messieurs prétendent conclure que Jésus-Christ ne peut être réellement présent dans l'Eucharistie ?



Rapportons le premier de ces passages en entier1, et nous y trouverons la réponse à cette difficulté : Vous aurez toujours les pauvres avec vous, et vous pourrez leur faire du bien toutes les fois que vous le voudrez ; mais vous ne m'aurez pas toujours. Il ne faut pas une grande pénétration pour voir que Jésus-Christ a seulement voulu dire à ses Apôtres, qu'ils ne l'auraient pas toujours présent dans un état qui le rendît susceptible des offices d'humanité, semblables à ceux que la femme de l’Évangile venait d'exercer à son égard, en répandant sur ses pieds un vase de parfums précieux ; c'est-à-dire qu'ils ne l'auraient pas toujours présent d'une manière visible, palpable et soumise au rapport des sens. Ces expressions n'excluent point un autre genre de présence invisible, impalpable, quoique très réelle. Si Jésus-Christ a dit à ses Apôtres qu'ils ne l'auraient pas toujours, et qu'il allait quitter le monde, il leur a promis aussi d’être toujours avec eux et jusqu'à la fin des siècles. Son Ascension vers son Père, son éloignement du monde, ne le séparèrent donc point entièrement de nous, puisqu'il doit être toujours avec nous suivant sa promesse2 : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. Cette façon de parler de Jésus-Christ, qui se dit absent lorsqu'il est présent, ne renferme aucune contradiction, et s'explique par la différence du genre de présence, l'une visible et palpable, l'autre invisible et impalpable. L’Évangile nous fait remarquer encore dans la personne de Jésus-Christ une autre diversité dans la manière d'être présent ; étant avec ses Apôtres, après sa résurrection, leur parlant et mangeant avec eux, il leur dit1 : Vous voyez ce que je vous avais dit lorsque j'étais encore avec vous : il était cependant réellement encore avec eux lorsqu'il leur parlait ainsi ; mais il était présent à eux dans sa chair glorifiée et impassible ; et dans cet état il leur rappelait le souvenir de ce qu'il leur avait dit pendant qu'il était avec eux dans sa chair passible et mortelle ; il était aussi véritablement et réellement présent dans ce dernier état qu'il l'avait été dans le précédent ; la différence ne consistait que dans la manière d'être présent.

Je me flatte, Monsieur, d'avoir bien établi ma première preuve en vous faisant voir que les paroles de l'institution de l'Eucharistie doivent être prises dans leur sens naturel et littéral ; que l'évidence du texte, le nombre des écrivains sacrés qui rapportent ces paroles, et leur parfaite uniformité ne permettent pas de les détourner à un sens figuré ; enfin, que ce sens figuré aurait exigé de la part de Jésus-Christ une explication qu'il n'a point donnée.

Vous me demanderez peut-être comment il aurait pu se faire que les Apôtres n'eussent marqué aucune surprise, si, convaincus que Jésus Christ leur parlait sans figures, ils avaient entendu ses paroles dans leur sens naturel. En effet, que le Sauveur eût rompu du pain et béni du vin, et les leur eût présentés comme un signe et un mémorial de son corps qui allait être livré à la mort, et de son sang qui allait être répandu ; rien de plus simple, ni qui dût moins exciter la surprise dans l'esprit des Apôtres. Mais que Jésus-Christ leur eût présenté sous les espèces du pain et du vin son propre corps à manger et son sang à boire, c'était un don si extraordinaire, un mystère si supérieur à toutes les idées qu'on pouvait s'en former, qu'il est inconcevable que les Apôtres n'en eussent marqué aucune surprise et aucun étonnement.

Cette difficulté serait spécieuse, Monsieur, si les Apôtres n'avaient pas déjà été prévenus du mystère dont ils voyaient alors l'exécution ; ils n'avaient pas oublié que dans ce long discours rapporté par saint Jean2, Jésus-Christ leur avait annoncé qu'il était le pain vivant descendu du ciel, que ce pain était sa chair qu'il donnerait pour la vie du monde, que sa chair était véritablement un aliment, et son sang véritablement un breuvage ; enfin, que celui qui ne mangerait point sa chair et ne boirait pas son sang n'aurait pas la vie en lui. Les Apôtres dans la dernière Cène virent l'effet d'une promesse sur l'exécution de laquelle ils n'avaient aucun doute, quoiqu'ils n'eussent pas encore compris de quelle manière elle devait s'accomplir ; pleins de confiance dans le souverain pouvoir de Jésus-Christ dont ils avaient eu tant de preuves, ils n'avaient pas douté qu'il ne pût faire tout ce qu'il leur promettait. Mais ils ne connurent que lors de l'institution de ce sacrement cette manière jusque-là incompréhensible pour eux de recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin, et de se nourrir de cet aliment céleste, qui, leur étant ainsi présenté, ne pouvait plus avoir rien d'effrayant pour eux  ; l'institution de ce sacrement, bien loin de les étonner, dut donc, au contraire, faire cesser la surprise que leur avaient causé les paroles de la promesse.

Cette réponse, Monsieur, me conduit à ma seconde preuve, qui consiste à vous faire voir que les paroles de la promesse rapportées par saint Jean établissent invinciblement la réalité de la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

Article 2 : PREUVE TIRÉE DES PAROLES DE LA PROMESSE.

Le sixième chapitre de l’Évangile selon saint Jean nous présente un récit exact des actions et des discours de Jésus-Christ pendant deux jours consécutifs1. On y voit d'abord la réfection de cinq mille hommes qui l'avaient suivi dans le désert, opérée par la multiplication miraculeuse de cinq pains et de deux poissons ; la retraite de Jésus-Christ seul sur la montagne, et son retour au commencement de la nuit vers ses Apôtres en marchant sur les eaux du lac de Tibériade. Le lendemain, le même peuple étant revenu auprès du Sauveur dans l'espérance d'en obtenir encore du pain en abondance, il leur dit2 : Vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger et que vous avez été rassasiés. Il les avertit de chercher désormais, non pas une nourriture périssable, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et qui consiste à croire en lui : L'œuvre de Dieu, leur dit-il, est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. Il leur déclare que c'est là le pain que le Père céleste leur a donné : C'est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel  ; le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde... Je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n'aura point de faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif ; et encore, voici le pain qui est descendu du ciel. A l'occasion de ce pain déjà descendu du ciel, dont il exhortait ses auditeurs à se nourrir spirituellement en croyant en lui, il leur annonce qu'il leur donnera un autre pain, et ce pain sera sa chair qu'il doit donner pour la vie du monde. Comme c'est de cette dernière partie du discours de Jésus-Christ que nous tirons la preuve de sa présence réelle dans le sacrement dont il prédisait alors l'institution, il est à propos de la rapporter tout au long, comme elle est dans le texte sacré.

v. 51. Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel.

v. 52. Si quelqu'un mange de ce pain il vivra éternellement, et le pain que je donnerai est ma chair (que je donnerai, suivant le texte grec), pour la vie du monde.

v. 53. Les Juifs donc disputaient entre eux, on disant: Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger?

v. 54. Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous,

v. 55. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour.

v. 56. Car ma chair est véritablement aliment, et mon sang est véritablement breuvage.

v. 57. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui.

v. 58. Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi.

v. 59. C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée et qui ne les a pas empêchés de mourir ; celui qui mangera de ce pain vivra éternellement.

v. 60. Ce fut en enseignant dans la synagogue de Capharnaum que Jésus dit ces choses.

v. 61. Plusieurs donc de ses Disciples qui l'avaient entendu, dirent: Ces paroles sont dures ; qui peut les écouter?

v. 62. Mais Jésus connaissant en lui-même que ses Disciples murmuraient sur ce sujet, leur dit: Cela vous scandalise-t-il ?

v. 63. Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était auparavant?

v. 64. C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.

v. 65. Mais il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas. Car Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui serait celui qui le trahirait :

v. 66. Et il leur disait : C'est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père.

v. 67. Dès lors plusieurs se retirèrent de sa suite, et ils n'allaient plus avec lui.

v. 68. Jésus sur cela dit aux douze Apôtres : Et vous, ne voulez-vous point aussi me quitter?

v. 69. Simon Pierre lui répondit : A qui irions-nous, Seigneur ? vous avez les paroles de la vie éternelle.

v. 70. Nous croyons et nous savons que vous êtes le Christ, Fils de Dieu, etc.

Il est aisé de remarquer dans ce chapitre trois parties parties bien distinctes du discours de Jésus-Christ, avec une transition et une progression suivie de l'une à l'autre. Il s'agit d'abord d'un pain matériel multiplié miraculeusement pour la nourriture du peuple qui avait suivi Jésus-Christ dans le désert ; à l'occasion de ce pain matériel, le Sauveur exhorte ses auditeurs à chercher plutôt le pain que le Père céleste leur avait envoyé, et dont ils se nourriraient en croyant en lui ; enfin, de ce pain déjà donné par le Père céleste, de ce pain déjà venu, notre Seigneur passe à la promesse d'un autre pain qu'il devait donner et qui sera sa propre chair et son propre sang. Telle est la juste analyse du sixième chapitre de saint Jean, comme on peut s'en convaincre en le lisant avec attention.

Pour rendre ma preuve complète, je vous ferai voir d'abord, Monsieur, que dans le sixième chapitre de saint Jean depuis le v. 51 jusqu'à la fin du chapitre, Jésus-Christ parle, non plus d'un pain spirituel et dont on pouvait se nourrir par la foi, mais de l'Eucharistie, qu'il promettait d'instituer, c'est-à-dire d'un pain vraiment céleste, et qui devait être reçu, non pas seulement par la foi, mais réellement et corporellement. En second lieu, je prouverai que ces paroles entendues de l'Eucharistie établissent clairement le dogme de la présence réelle dans ce sacrement.

Zwingli et Calvin ont avancé que dans le sixième chapitre de saint Jean il n'était pas question de l'Eucharistie, mais seulement de la foi par laquelle on doit s'attacher à Jésus-Christ et en nourrir, pour ainsi dire son âme, comme nos corps sont nourris par le pain matériel. L'intérêt de leur cause exigeait qu'ils interprétassent ainsi le texte de saint Jean ; obstinés à nier la présence réelle, ils devaient faire les plus grands efforts pour éluder l'argument que les catholiques tirent des paroles, de Jésus-Christ rapportées par cet Évangéliste. Luther a pensé comme Zwingli et Calvin, et sans qu'on en voie trop le motif, puisqu'il admettait la présence réelle ; mais, toujours curieux de nouveautés et flatté de contredire la tradition et l'autorité des Pères de l'Église, il a cru peut-être se distinguer de la foule en adoptant l'opinion de Zwingli sur cet article, quoique d'ailleurs il l'ait repris avec aigreur sur ce qu'il niait la présence réelle, et jusqu'au point de dire1 que « le diable semblait se moquer du genre humain en lui proposant une hérésie aussi ridicule et aussi contraire à la sainte Écriture. »

Vous me permettrez, Monsieur, de préférer le sentiment commun des Pères de l'Église à celui des nouveaux sectaires, et même d'un très petit nombre de nos théologiens modernes qui ont paru incliner vers la même opinion, afin de se soustraire à l'argument que les hussites et les luthériens prétendaient tirer du sixième chapitre de saint Jean, pour établir la nécessité de la communion sous les deux espèces. Nous avons pour nous la tradition, et notamment les témoignages de saint Cyprien, saint Athanase, saint Hilaire, saint Basile, des deux saints Cyrille, de saint Épiphane, saint Ambroise, saint Chrysostôme, saint Innocent, saint Augustin Théodoret, saint Léon, saint Grégoire-le-Grand, saint Isidore de Séville, saint Jean Damascène, saint Bernard, le concile général d’Éphèse ; enfin, la foule des écrivains ecclésiastiques. Voilà tout ce que l'antiquité a eu de plus éclairé et de plus respectable. Une pareille autorité n'est-elle pas plus que suffisante pour nous décider sur la véritable interprétation du sixième chapitre de saint Jean ?

Mais avons-nous besoin d'interprètes et de commentateurs, quand le texte lui-même s'énonce avec la plus grande précision ? Renoncez pour un moment à vos préjugés, Monsieur, et supposez, comme nous le croyons, que Jésus-Christ ait voulu nous donner son corps et son sang sous les espèces du pain et du vin. Je vous demande s'il lui aurait été possible avec cette intention d'exprimer plus clairement la manducation réelle de son corps ? Le pain que je donnerai est ma propre chair, que je donnerai pour la vie du monde... Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous... Car ma chair est véritablement aliment, et mon sang est véritablement breuvage. S'il pouvait y avoir quelque obscurité dans ces paroles, ne serait-elle pas dissipée par leur conformité avec les paroles de l'institution de ce sacrement : Prenez et mangez, ceci est mon corps qui est donné pour vous ? La réalité de la promesse n'est-elle pas prouvée par la réalité de l'institution ? Rien ne démontre plus clairement la vérité d'une prophétie et le sens dans lequel on doit l'entendre que son exécution ; c'est dans l'exécution qu'on découvre clairement ce que la prophétie pouvait avoir d'obscur. Ici nous trouvons une égale clarté et dans la promesse et dans l'institution, ainsi que la plus parfaite conformité dans les paroles qui énoncent l'une et l'autre.

Observez, s'il vous plaît, Monsieur, que Jésus-Christ distingue très expressément le don déjà accordé par le Père céleste, et le don qu'il promettait lui-même d'accorder dans la suite. Il en parle comme de deux dons distincts et dont la jouissance était attachée à des temps différents. Le don du Père céleste était déjà accordé  ; ceux à qui Jésus-Christ parlait pouvaient en jouir dès lors en s'attachant à Jésus-Christ par une foi ferme. Mon Père vous donne le vrai pain du ciel....... ; l'œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. Mais le don de Jésus-Christ n'était pas encore présent, il le promettait pour un temps futur ; le pain que je donnerai est ma chair. Si ce pain promis par Jésus-Christ devait s'entendre d'un pain spirituel, dont la jouissance et la manducation ne s'opèrent que par la foi, il n'y aurait plus de différence entre le pain déjà donné par le Père céleste et le pain promis par Jésus-Christ, puisque la jouissance du pain déjà donné par le Père ne s'opérait pareillement que par la foi. Jésus-Christ parle donc d'un autre pain que celui dont on ne jouit que par la foi, et par conséquent il parle du pain eucharistique.

Remarquez encore, Monsieur, que Jésus-Christ compare ici la manne dont les anciens Israélites avaient été nourris dans le désert, avec le pain qu'il devait donner lui-même, et qu'il déclare ce dernier bien plus excellent : Ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée, et qui ne les a pas empêchés de mourir ; celui qui mangera de ce pain vivra éternellement. S'il ne s'agit dans ce chapitre que d'un pain spirituel qui se mange par la foi, comment Jésus-Christ aurait-il mis une si grande différence entre la nourriture des anciens Israélites et celle qu'il promettait, puisque les anciens Israélites ont eu la foi au Médiateur à venir, comme les disciples de Jésus-Christ l'ont au Médiateur venu ? Cette foi a été nécessaire dans tous les temps, dans la loi de Moïse comme dans la loi évangélique.

Est-il possible d'imaginer que Jésus-Christ dans aucun lieu n'eût parlé de la dignité du sacrement de l'Eucharistie, ni des fruits admirables qu'il produit ? Saint Matthieu, saint Marc, saint Luc, en rapportent simplement l'institution. Si le sixième chapitre de saint Jean ne doit pas s'entendre de l'Eucharistie, il faut avouer que Jésus-Christ ne s'est point expliqué sur une matière si importante ; ce qui n'est pas croyable. Nous voyons qu'il a toujours pris soin de préparer ses disciples aux grands mystères de la religion avant qu'ils fussent exécutés. Avant d'imposer le précepte du baptême il avait dit1 que si l'homme ne renaissait pas de l'eau et de l'Esprit saint il ne pouvait entrer dans le royaume de Dieu. Avant d'être attaché à la croix et de ressusciter il avait prédit à ses Apôtres2 qu'il serait livré aux Gentils pour être outragé par eux, crucifié, et qu'il ressusciterait le troisième jour ; il avait prédit3 de même son ascension et4 la descente du Saint-Esprit. L'Eucharistie, ce mystère si sublime, si excellent, aurait-il été le seul dont Jésus-Christ n'aurait pas daigné prévenir et instruire ses Apôtres, auxquels nous avons déjà vu qu'il expliquait en particulier tout ce qu'il annonçait aux autres en termes plus obscurs ?

Enfin, est-il croyable que saint Jean, ce disciple si attaché à Jésus-Christ, cet historien si fidèle, si attentif à nous rapporter tous les mystères enseignés par son divin maître, eût gardé lé silence sur celui-là seul ? Il faudrait cependant convenir qu'il n'aurait point parlé de l'Eucharistie dans tout son Évangile, s'il n'en est pas question dans ce sixième chapitre.

Ce motif et tous ceux que j'ai exposés doivent nous persuader que le sixième chapitre de saint Jean nous présente la promesse faite par Jésus-Christ de cet auguste sacrement. Ce point une fois établi, il est aisé de prouver que la dernière partie de ce sixième chapitre ne peut s'entendre que dans le sens catholique, c'est-à-dire de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

Nous réclamons encore ici, Monsieur, l'évidence du texte sacré. Il est consolant pour les catholiques de voir la doctrine qu'ils professent, consacrée par la bouche même de Jésus-Christ, tandis que tous les novateurs ne fondent leur croyance que sur des interprétations de fantaisie, et dans lesquelles ils sont souvent en contradiction les uns avec les autres. Le sacrement de l'Eucharistie nous en fournit un exemple bien frappant. Permettez-moi, Monsieur, de m'arrêter ici un moment pour vous faire remarquer les variations de ceux que vous regardez comme vos maîtres et vos docteurs ; cette considération sera bien capable de détruire l'excessive confiance que vous avez en leurs lumières. Après une petite digression je reprendrai la suite de ma preuve.

Zwingli, le premier et le plus hardi des sacramentaires, n'admet point la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, ni aucune manducation réelle de son corps ; ce sacrement n'est, selon lui, qu'une figure, une commémoration ; mais étant reçu avec foi, il nous applique les mérites de la passion du Sauveur par la vertu et l'opération du Saint-Esprit sur nos âmes ; effet que nous obtenons pareillement, selon lui, hors du sacrement et dans tous les actes de foi que l'homme peut produire, mais avec moins d'abondance que par la réception du pain eucharistique. Ainsi Zwingli ne donne à ce sacrement qu'un peu plus d'efficacité que n'en a un simple acte de foi hors du sacrement.

Calvin, pour ménager les luthériens qu'il désirait attirer à son parti, a donné plus d'efficacité à l'Eucharistie. Quoiqu'il n'admette point la présence réelle, il reconnaît cependant dans une infinité d'endroits de son institution une manducation très réelle de la substance du corps de Jésus-Christ, laquelle se fait par la vertu vivifiante attachée à la substance de ce divin corps. Cette vertu, selon lui, ne peut se séparer du corps de Jésus-Christ, et cependant elle vient par le sacrement en tous ceux que la foi en a rendus dignes. Ce système renferme des contradictions manifestes. Car comment pouvons-nous être nourris de la substance du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, si ce corps n'y est pas ? Et comment la vertu vivifiante, attachée au corps de Jésus-Christ, peut-elle venir jusqu'à nous, si elle est inséparable de ce corps ? Mais le caractère propre de l'hérésie est d'être inconséquente. Calvin croit répondre à tout en disant1 que « cette manière, » c'est-à-dire celle par laquelle Jésus-Christ s'unit à nous dans l'Eucharistie, « est incompréhensible à l'esprit humain, et que c'est un grand miracle. »

La confession de foi des Églises réformées de France rédigée en 1569, dont Théodore de Bèze est le principal auteur, ne parle plus de cette vertu vivifiante du corps de Jésus-Christ, qui vient à nous sans cependant se séparer de ce corps ; elle dit simplement que « par l'Eucharistie on est véritablement nourri de la substance du corps et du sang de Jésus-Christ, que cela se fait par la vertu incompréhensible du Saint-Esprit, et que c'est un mystère qui surpasse en sa hauteur la mesure de notre sens et tout ordre de nature1. » Il n'y avait que cinq ans que Calvin était mort, lorsque cette profession de foi fut dressée, et le maître était déjà abandonné par ses disciples dans une partie de la doctrine qu'il leur avait enseignée.

Le ministre Claude a avoué plusieurs fois que l'opinion de Calvin ne lui paraissait pas admissible, et qu'il la trouvait aussi difficile à concevoir et à défendre que la doctrine des catholiques. Son sentiment particulier est qu'il se fait en nous par l'Eucharistie une inondation de grâces. Mais si cette inondation vient de la vertu attachée au corps de Jésus-Christ, c'est l'opinion de Calvin ; si elle n'est que l'application des mérites de Jésus-Christ opérée par la foi, c'est l'opinion de Zwingli toute pure.

Enfin, pour mettre le comble à la singularité de ces opinions, le ministre Poiret a osé avancer2 que dans ce sacrement Jésus-Christ se fait tout à tous, et qu'il accorde à un chacun suivant sa foi ; que le corps de Jésus-Christ y est réellement, et réellement reçu par le catholique et le luthérien qui croient la présence réelle ; que l'esprit de Jésus-Christ, l'efficace de sa mort et de ses mérites, sa grâce et tous ses dons y sont communiqués au prétendu réformé ou au zwinglien qui n'y voient rien de plus ; c'est-à-dire que le corps de Jésus Christ est présent dans l'Eucharistie pour ceux qui le croient, et qu'il n'y est point pour ceux qui ne le croient pas.

Quelle contradiction, Monsieur ! quelle bizarrerie dans ces opinions ! je pourrais vous en citer encore plusieurs autres. Le Sauveur du monde, en instituant l'auguste sacrement de son corps et de son sang, l'aurait-il donc abandonné aux disputes et aux vaines imaginations des hommes ? Aurait-il permis à un chacun d'en étendre, ou d'en restreindre la vertu au gré de ses caprices ? Cette conduite sans doute n'aurait pas été digne de la sagesse du Fils de Dieu. Mais non, il nous a marqué de la manière la plus précise ce que nous devons croire sur ce sacrement je vous l'ai déjà fait voir dans les paroles de l'institution, et je vais continuer cette preuve par les paroles de la promesse.

Jésus-Christ nous dit au sixième chapitre de saint Jean : le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde, et suivant le texte grec, le pain que je donnerai est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. La chair que Jésus-Christ a donnée pour la vie du monde a été sa propre chair, et non pas une chair en figure ; le pain eucharistique est donc sa propre chair et non pas seulement la figure de sa chair : cette conséquence est aussi simple, aussi claire que les paroles d'où elle est tirée. C'est un Dieu qui parle  ; pourquoi ne pas le croire ? Serait-ce parce que ses paroles sont extraordinaires et qu'elle nous annoncent un grand miracle ? Mais celui qui de rien a fait le ciel et la terre par une seule parole, celui qui a formé la substance des êtres, et qui la change comme il lui plaît, celui qui changea la substance de l'eau en celle du vin aux noces de Cana, ne pouvait-il pas changer de même la substance du pain en celle de son corps ?

Non-seulement Jésus-Christ nous dit que le pain eucharistique serait sa propre chair, et qu'il nous la donnerait à manger, mais il le répète plusieurs fois et à différentes reprises ; en sorte qu'il semble qu'il ait voulu détruire jusqu'à la moindre idée et la moindre apparence d'un sens figuré. Sa providence permet qu'il naisse des difficultés dans l'esprit de ses auditeurs ; mais plus on lui en oppose, plus il persiste à leur dire que ce qu'il a annoncé est non-seulement possible, mais qu'il sera réellement exécuté. Ces infidèles que l'Esprit saint, par des raisons qui nous sont inconnues, n'avait pas disposés à recevoir la vérité, murmurent et se scandalisent ; ils s'écrient avec une espèce d'horreur : Comment celui-ci peut-il donner sa chair à manger ? Il semble que si Jésus-Christ eût jamais dû expliquer le sens figuré de ses paroles, et autoriser la communion par la foi seulement ; si son intention avait été d'en faire la croyance de son Église, il devait, dans une occasion si pressante et par charité pour ses disciples, lever l'horreur que ses paroles avaient fait naître dans l'esprit de ceux qui l'écoutaient.

Mais bien loin d'adoucir ses expressions, l’Évangile nous apprend que, malgré le murmure de ses auditeurs et même de plusieurs de ses disciples sur la manducation réelle de sa chair, Jésus-Christ insista avec encore plus de force sur cette vérité, en ajoutant : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous ; celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; car ma chair est véritablement aliment, et mon sang est véritablement breuvage ; celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Ces expressions éloignent toute idée d'un simple signe et d'une figure. Car si la chair que Jésus-Christ doit donner n'est que la figure de sa chair, si on ne doit manger cette chair que par la foi, comment a-t-il pu dire que sa chair était un véritable aliment ? ce sont cependant les expressions du Fils de Dieu qui est la vérité même. Pouvait-il rien dire de plus formel et de plus décisif ? Ne semble-t-il pas qu'il ait voulu dès-lors nous prémunir contre toutes les difficultés qu'on a faites depuis deux siècles sur cet auguste sacrement ?

Aucun des auditeurs de Jésus-Christ ne prend ses paroles dans un sens figuré. Si dans cette multitude qui le suivait un seul homme se fut levé et eût dit : « Rassurez-vous, le Maître ne parle qu'en figures et en paraboles ; croire en lui, se nourrir de sa doctrine et de la promesse qu'il nous fait de la vie éternelle, c'est manger sa chair, et il n'a pas prétendu vous dire autre chose ; » si un seul des disciples eût parlé ainsi, il eût ramené tous les autres et aurait remis le calme dans leurs esprits. Ce peuple cherchait le Messie et marquait de l'attachement pour Jésus-Christ, l'aurait-il rebuté faute de lui faire entendre par un seul mot qu'en lui promettant sa chair à manger, il ne lui parlait qu'en figures ?

Ses paroles paraissent dures à ceux qui les entendent, et sur cela il leur dit : Ceci vous scandalise ; que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant ? Ainsi pour faire entendre qu'il donnerait réellement sa chair à manger d'une manière toute miraculeuse, il leur cite pour exemple de cette merveille le miracle de son ascension future : raisonnement qui serait destitué de toute solidité, si l'Eucharistie ne devait contenir rien de miraculeux, et si le pain et le vin ne devaient y être que des signes et des figures du corps de Jésus-Christ.

Enfin, plusieurs de ceux qui écoutaient le Sauveur, et même de ses disciples, persistant dans leur incrédulité, le quittent, et Jésus-Christ, ce Pasteur si tendre qui était venu pour sauver les brebis de la maison d'Israël, ne court point après celles-ci et les laisse aller sans regret ; il use de la même rigueur à l'égard de ses Apôtres ; Et vous aussi, leur dit-il, ne voulez-vous point vous en aller ? Mais les Apôtres dociles aux leçons de leur divin Maître croient si peu qu'il venait de leur parler en figures, et sont si peu disposés à prendre son discours pour une parabole, qu'ils ne pensent pas même à lui en demander l'explication quand ils sont seuls avec lui, comme nous voyons dans l’Évangile qu'ils le faisaient ordinairement et dans des choses bien moins importantes.

Avouons, Monsieur, que si notre Seigneur était venu pour tromper les hommes et non pas pour les instruire, pour les perdre et non pour les sauver, il n'aurait pu exécuter plus sûrement ce terrible dessein, qu'en disant et répétant en termes si précis et si forts et sans aucune explication, ce qu'on n'aurait dû cependant prendre que dans un sens figuré et totalement étranger à la façon ordinaire de s'exprimer. Il serait résulté d'une pareille conduite que ceux qui auraient eu le plus de confiance en ses paroles, le plus de soumission, en un mot, le plus de foi, auraient été précisément ceux qui se seraient le plus éloignés de sa pensée, et en même temps de leur salut.

Objection tirée de ces paroles : La chair ne sert de rien.

Vous me direz peut-être, Monsieur, que Jésus-Christ a expliqué lui-même les paroles rapportées au sixième chapitre de saint Jean, et que, par l'explication qu'il en a donnée, il a exclu de la manière la plus claire le sens que les catholiques veulent leur donner. Les Juifs qui l'écoutaient, et même plusieurs de ses disciples étant scandalisés de ce qu'il leur avait dit que celui qui mangerait du pain qu'il promettait vivrait éternellement, et que ce pain était sa chair pour la vie du monde ; pour dissiper ce scandale Jésus-Christ leur dit : C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie : ce qui signifie, selon vous, qu'il aurait été fort inutile de manger la chair de Jésus-Christ, qu'il suffisait de lui être uni par l'esprit, et que les paroles précédentes ne devaient être entendues que dans un sens spirituel et vivifiant : explication qui exclut absolument le sens que les catholiques attachent aux paroles de Jésus-Christ, et établit, au contraire, le sens que les prétendus réformés leur donnent.

Il est aisé, Monsieur, de donner aux paroles de Jésus-Christ tel sens qu'on peut imaginer, quand on prend la liberté de les transposer et de les mettre hors de leur place, pour répandre, s'il était possible, quelque obscurité sur l'intention du Fils de Dieu. C'est ce que veulent faire vos ministres par rapport aux discours de Jésus-Christ. Remettons les paroles du Sauveur dans l'ordre que nous présente le texte sacré, et cette objection, proposée avec tant de confiance et si souvent répétée, restera sans force.

Les Juifs, après avoir entendu ces paroles de Jésus-Christ : Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel ; celui qui mange de ce pain vivra éternellement, et le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde, disputaient entre eux en disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? Si Jésus-Christ leur avait répondu sur-le-champ : C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ; si par cette explication il avait fait cesser aussitôt le murmure occasionné par l'interprétation littérale des paroles précédentes : Le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde, je conviens que ces paroles : C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, etc., ainsi placées, pourraient nous indiquer que tout ce que le Sauveur avait dit précédemment, doit être pris dans un sens figuré. Mais le texte sacré nous rend d'une manière bien différente les discours et la conduite de Jésus-Christ. Entre les paroles sur lesquelles nous nous appuyons et celles que vous nous objectez il se trouve onze versets tout entiers ; et que voyons-nous dans ces versets intermédiaires ? Au scandale et au murmure des Juifs et de plusieurs des disciples qui avaient pris à la lettre les expressions précédentes, Jésus-Christ oppose la confirmation la plus énergique de la vérité dont ils étaient choqués : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous ; celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; car ma chair est véritablement aliment, et mon sang est véritablement breuvage.

Cette confirmation était bien capable d'augmenter le murmure et l'étonnement des Juifs : aussi voyons-nous qu'elle produisit cet effet : Ces paroles sont bien dures, répliquèrent-ils, et qui peut les écouter ? Jésus-Christ adoucit-il cette prétendue dureté de ses paroles ? Tout au contraire, il leur déclare que le don qu'il leur promet, est au-dessus de l'ordre de la nature ; et pour élever leurs esprits à la croyance de cette merveille, il leur cite le miracle de son ascension future : Ceci vous scandalise ; que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? Suivant les règles du raisonnement, un miracle ne peut être apporté en exemple que quand il s'agit d'établir et de prouver un autre fait miraculeux.

Ce n'est donc qu'après avoir répété plusieurs fois et confirmé qu'il leur donnerait sa chair à manger et son sang à boire, après leur avoir annoncé ce don comme une grande merveille, que Jésus-Christ leur dit : C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ; voilà le texte remis en sa place. Pour en découvrir la véritable interprétation, il ne faut point le séparer des précédents. Je crois vous avoir prouvé, Monsieur, que dans ceux-ci Jésus-Christ a promis de la manière la plus claire et la plus précise qu'il donnerait véritablement sa chair à manger et son sang à boire, mais d'une manière aussi miraculeuse que devait l'être son ascension au ciel. De ce point doit dériver l'interprétation des paroles qui suivent immédiatement : C'est l'esprit qui vivifie, etc. Je vais vous faire voir que l'interprétation que nous donnons est simple, naturelle, conforme au texte sacré ; et, au contraire, que celle que vous voulez y donner ne peut se concilier avec le texte sacré, et qu'elle y est directement opposée.

On peut observer d'abord que dans cette proposition, La chair ne sert de rien, il ne parait pas que Jésus-Christ ait voulu parler de sa propre chair, mais seulement du sens charnel et grossier dans lequel les Capharnaïtes prenaient ses paroles, comme quand il a dit à saint Pierre : Ce n'est pas la chair et le sang qui vous ont révélé cette vérité1, il a voulu dire seulement que la raison naturelle et les connaissances humaines avaient été impuissantes pour faire connaître à saint Pierre qu'il était véritablement le Fils du Dieu vivant. Jésus-Christ aurait-il pu dire que sa propre chair ne sert de rien, cette chair dans laquelle se sont opérés les grands mystères de l'Incarnation, de la Nativité, de la Mort et de la Passion du Fils de Dieu ; cette chair qui nous a tant profité et procuré tant de grâces ; cette chair, enfin, qui a été le fondement de notre salut ? C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; c’est-à-dire, vous ne devez point entendre ces paroles d'une manière charnelle et grossière, mais d'une manière spirituelle et vivifiante. Il est certain que les Capharnaïtes auxquels Jésus-Christ parlait conçurent qu'il leur donnerait véritablement sa chair pour nourriture, et jusque-là ils entendaient les paroles de Jésus-Christ dans leur véritable sens ; mais ils voulurent aller plus loin, et ils s'égarèrent dans leurs pensées. Jésus-Christ n'avait parlé précisément que du don qu'il devait faire de sa chair, et il ne s'était point expliqué sur la manière dont il ferait ce don, elle ne devait être connue et manifestée que dans la dernière Cène, où Jésus-Christ donna réellement sa chair et son sang à ses Apôtres sous les espèces du pain et du vin. Les Capharnaïtes, au lieu de s'en tenir aux paroles de Jésus-Christ sur la promesse du don, voulurent raisonner sur la manière dont elle serait exécutée : Comment celui-ci, dirent-ils, peut-il nous donner sa chair à manger ? Ils pensèrent que Jésus-Christ leur donnerait sa chair à manger de la même manière dont ils mangeaient la chair commune qui leur servait d'aliment ordinaire, c'est-à-dire une chair présentée sous sa figure naturelle, et coupée en différents morceaux en quoi ils s'éloignèrent de la pensée du Sauveur, et donnèrent dans une erreur grossière.

C'est cette interprétation charnelle que Jésus-Christ voulut exclure, en leur disant que la chair, c'est-à-dire la chair mangée de cette manière, ne sert de rien, que c'est l'esprit qui vivifie ; et que ses paroles étaient esprit et vie ; c'est-à-dire qu'elles devaient être entendues d'une manière spirituelle, vivifiante et miraculeuse, en ce que sa chair serait véritablement nourriture, mais nourriture présentée aux fidèles d'une manière qui n'aurait rien de révoltant pour la nature, et qui ne serait pas contraire au respect dû à la chair du Fils de Dieu. Cette interprétation est naturelle, et se lie parfaitement avec toute la suite du discours de Jésus-Christ.

Que si vous voulez, Monsieur, que Jésus-Christ ait entendu parler de sa propre chair lorsqu'il a dit : La chair ne sert de rien, je vous répondrai qu'il a seulement voulu dire que sa chair seule, sa chair séparée de son âme et de la divinité, ne pouvait servir de rien dans ce sacrement, que ses paroles devaient être entendues d'une manière spirituelle et vivifiante, c'est-à-dire de sa chair jointe à la divinité, puisque ce n'est que par cette union que sa chair a pu donner la vie au monde. Cette interprétation, ainsi que la précédente, s'accordent parfaitement avec tout ce qui précède le verset dont il s'agit.

Mais celle que vous voulez lui donner, Monsieur, est formellement contredite par la suite du texte sacré. Selon vous, la chair de Jésus-Christ ne peut servir de rien, de quelque manière qu'elle soit reçue ; Jésus-Christ n'a voulu apprendre autre chose aux Capharnaïtes et à ses disciples, sinon qu'après sa mort les fidèles, dans leurs assemblées, devaient rompre et manger du pain commun en mémoire de sa Passion, parce que ce pain ainsi mangé serait un mémorial de sa chair souffrante sur la croix, et que, par cette action, accompagnée d'une foi vive, ils participeraient à son corps livré et à son sang répandu pour nous. Il faut d'abord convenir qu'il n'y a là rien de merveilleux, et que, pour faire croire une pareille chose, il était fort inutile de citer en preuve le miracle de l'Ascension. Mais si vous croyez que les paroles de Jésus-Christ doivent être ainsi entendues, il est naturel de penser que les Juifs et les disciples auxquels elles ont été adressées ont pu et dû les entendre de même ; que la surprise et les murmures qu'ils avaient fait éclater d'abord ont dû cesser entièrement ; enfin, qu'ils n'ont pas dû se séparer du Seigneur, après avoir reçu de lui une explication si simple et si facile des paroles qui les avaient scandalisés.

Cependant le texte sacré nous apprend le contraire. Après cette explication, qui, selon vous, aurait dû les calmer, quelques-uns même des disciples de Jésus-Christ se séparèrent de lui : Dès-lors plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite, et ils n'allaient plus avec lui. Ils ont donc toujours trouvé quelque chose d'incompréhensible dans les paroles de Jésus-Christ, et leur attachement à leurs propres lumières a été si grand, qu'ils se sont déterminés à quitter le Seigneur, plutôt que de se soumettre à la doctrine qu'il venait de leur enseigner. L'explication des paroles de Jésus-Christ ne présenta donc pas à ces disciples infidèles le sens que vos docteurs veulent leur donner aujourd'hui. Mais où ces nouveaux maîtres ont-ils pris eux-mêmes une interprétation qui n'a été ni reçue, ni entendue sous les yeux mêmes de Jésus-Christ, et qui est si manifestement contraire à toute la suite de son discours ?

Article 3 : PREUVE TIRÉE DE SAINT PAUL. 1. Cor. 11.

Telles sont, Monsieur, les preuves que nous tirons du sixième chapitre de saint Jean pour établir le dogme de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie ; si vous voulez bien les rapprocher de celles que je vous ai déjà exposées en parlant de l'institution de ce sacrement, vous trouverez entre elles une étroite liaison et une parfaite conformité de doctrine dans les quatre Évangélistes. En voici comme un cinquième dont je vous produis le témoignage ; c'est l'apôtre saint Paul qui, dans sa première épître aux Corinthiens, chap. XI, rapporte l'institution de l'Eucharistie de la même manière qu'elle se lit dans les Évangiles, purement, simplement et sans nous donner aucune idée de figure ; sur quoi vous me permettrez de vous faire ici une question. Si tout ce que nous lisons sur l'Eucharistie dans cinq auteurs sacrés devait être entendu dans un sens figuré, comment aurait-il pu se faire que ces cinq écrivains, inspirés de Dieu, eussent toujours parlé d'une réalité que nous ne devrions pas croire dans ce sacrement, et qu'aucun d'eux n'eût parlé d'une figure que nous devrions cependant y reconnaître ? Me direz-vous que cela est arrivé par hasard ? Cette réponse ne serait pas satisfaisante, et vous avez trop de justesse dans l'esprit pour ne pas le sentir vous-même. Pour nous, de ce fait que vous ne pouvez contester, nous concluons que les cinq auteurs sacrés ont parlé de la réalité, parce que ce dogme était un point essentiel de l'enseignement qu'ils devaient donner à toute la terre, et qu'ils n'ont pas parlé de figure, parce qu'ils n'en ont point reconnu dans ce sacrement par exclusion de la réalité.

Saint Paul commence par nous dire qu'il tient de Jésus-Christ même tout ce qu'il a enseigné sur l'Eucharistie1 : J'ai appris du Seigneur ce que je vous ai enseigné. Il avait donc puisé sa doctrine dans la source de toute lumière ; et s'il ne nous parle point de figure, c'est sans doute parce que la vérité suprême ne lui avait point appris que le mystère de l'Eucharistie se bornât à une simple figure. Après avoir rapporté les paroles de l'institution comme nous les lisons dans les trois Évangélistes, il ajoute : C'est pourquoi quiconque mangera ce pain et boira le calice du Seigneur indignement sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l'homme donc s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice, car quiconque en mange et en boit indignement mange et boit sa propre condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur. C'est par cette raison qu'il y en a plusieurs parmi vous qui sont malades et languissants, et que plusieurs dorment ; c'est-à-dire du sommeil de la mort.

Ce texte de l'Apôtre nous présente une suite de vérités qui s'appuient mutuellement et qui nous conduisent comme par degrés à la persuasion la plus forte de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Saint Paul nous enseigne en premier lieu que celui qui mange de ce pain et boit de ce calice indignement se rend coupable du corps et du sang du Seigneur, c'est-à-dire qu'il outrage et qu'il profane le corps du Seigneur. Mais comment pourrait-on par une communion indigne profaner le propre corps du Seigneur, si ce corps adorable n'était pas dans l'Eucharistie ? Me direz-vous, Monsieur, que celui qui outrage le portrait de son père insulterait sa personne ? J'en conviendrai avec vous, mais vous devez convenir aussi qu'on parlerait très improprement si on disait qu'il outrage le corps de son père ; cette expression ne peut être employée que dans le cas où ce fils dénaturé aurait réellement porté une main violente sur son propre père.

Saint Paul nous ordonne un examen sévère de nous-mêmes avant de nous approcher de cette table sainte, et vous le pratiquez, Monsieur, dans votre religion. Observez que cet examen sévère ne vous est ordonné que par rapport à la réception de l'Eucharistie ; mais s'il est vrai, comme l'enseignent Zwingli et Calvin, qu'on mange aussi la chair du Seigneur hors du sacrement, et que cela se fait par le seul souvenir de ses souffrances, et par le seul acte de foi, à quoi bon ce grand examen pour une chose qu'il vous est permis de faire à toutes les heures du jour ? Vos docteurs vous ont-ils jamais dit : Examinez-vous, éprouvez-vous rigoureusement avant de faire un acte de foi ? Néanmoins, en cette occasion vous mangez, selon eux, la chair du Seigneur comme dans l'Eucharistie. Si vous vous trouvez en péché vous craignez d'approcher de la Cène  ; mais vous ne craignez pas de prier et de faire les actes de foi les plus ardents. Il faut donc que la manducation de la chair de Jésus-Christ dans l'Eucharistie soit toute autre que celle qui s'opère par ces saints exercices et par tous les actes de foi.

Vous me direz peut-être, Monsieur, que vous comptez bien recevoir une plus grande abondance de grâces par l'acte de foi qui accompagne la manducation du pain eucharistique que par tous ceux qui se font hors de la Cène ; que votre liturgie, les prières qui vous servent de préparation à la communion, les sermons de vos ministres, lors de l'administration de ce sacrement, annoncent la grandeur de cette action, et la différence que vous reconnaissez entre le fruit des actes de foi qui accompagnent la Cène et le fruit de ceux qui sont produits hors de ce sacrement.

Cette réponse, Monsieur, ne peut éblouir que ceux qui n'auront pas approfondi votre doctrine. Je soutiens toujours que, suivant vos principes, on peut chez vous manger la chair de Jésus-Christ hors de la Cène avec beaucoup plus de fruit que dans la Cène même. Vous ne pensez pas qu'aucune vertu, aucune efficacité soit attachée au pain eucharistique, qui n'est, selon vous, que le signe du corps de Jésus-Christ ; ce pain, dans vos principes, ne peut par lui-même vous procurer aucune grâce ; tout dépend de la foi avec laquelle vous le mangez ; c'est par la foi seule que vous appréhendez, pour me servir de vos expressions, le corps de Jésus-Christ, dont ce pain n'est que la figure ; plus donc votre foi est vive, plus fructueusement vous mangez la chair de Jésus-Christ. Or vous ne disconviendrez pas qu'on ne puisse faire, et qu'on ne fasse réellement quelquefois, hors de la Cène, un acte de foi beaucoup plus vif et plus ardent que ceux qui accompagnent votre communion, parce qu'il se peut faire que l'esprit et le cœur, en certaines occasions, soient mieux disposés, qu'ils ne le seraient dans les jours de votre communion ; vous mangez donc alors le corps de Jésus-Christ avec plus de fruit que dans la Cène même. Dans cette doctrine, à quoi peut servir cette épreuve si rigoureuse que l'Apôtre nous ordonne avant de nous approcher de la sainte table ?

Votre doctrine renferme une autre contradiction très sensible ; c'est que votre préparation seule à l'Eucharistie est elle-même une participation actuelle à ce sacrement, et qu'ainsi chez vous le moyen devient la fin, et la fin n'est pas autre chose que le moyen. Ayez un véritable regret de vos fautes et un ferme propos de n'y plus retomber ; embrassez en même temps avec une foi vive toutes les promesses que Dieu nous a faites ; considérez Jésus-Christ naissant, vivant, mourant et ressuscité pour vous ; voilà votre manducation spirituelle déjà faite. Qu'allez-vous chercher de plus dans la Cène sinon une cérémonie simple, un peu de pain et de vin qu'on vous donne, et qui ne peuvent tout au plus que vous faire penser de nouveau, par ces signes extérieurs, à ce que vous aviez déjà médité, et peut-être plus vivement, quand vous étiez seul et recueilli en vous-même, que vous ne le faites en public et environné d'objets qui peuvent vous distraire ?

Suivant l'Apôtre, celui qui mange de ce pain et qui boit de ce calice indignement mange et boit sa propre condamnation ; voilà l'expression la plus forte et la menace la plus terrible. Dans la doctrine catholique la peine est proportionnée au crime, puisque nous n'en connaissons pas de plus énorme que la profanation du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Mais dans le système calviniste, celui qui s'approche de la Cène en état de péché, se rend-il coupable d'un crime qui mérite une si effroyable punition ? Il n'y participe aucunement au corps et au sang de Jésus-Christ ; on ne peut y participer que spirituellement, selon vous, et cette participation toute spirituelle ne s'opère qu'en faveur de ceux qui s'en sont rendus dignes par la foi. Il reçoit à la vérité le signe du corps de Jésus-Christ : mais vous croyez encore qu'aucune vertu, aucune efficacité n'est attachée à ce signe, qu'il est purement commémoratif du corps de Jésus-Christ livré à la mort pour nous, et que toute l'efficacité de l'Eucharistie vient de la vertu vivifiante attachée au corps de Jésus-Christ, et qui se communique à nous par la foi  ; cette communication ne se fait point dans celui qui est en état de péché. Tout son crime se réduit donc à s'approcher en état de péché d'un signe vide de toute vertu et de toute efficacité ; ainsi il ne paraît pas plus coupable que celui qui, étant en état de péché, toucherait une image ou toute autre figure du Sauveur. Or pourrait-on dire de celui-ci qu'il profane le corps du Seigneur, qu'il mange et boit sa propre condamnation ? La menace faite par l'Apôtre, et qui est si redoutable pour les catholiques, est donc pour vous sans force et sans énergie, et par conséquent vous ne prenez pas les expressions de saint Paul dans leur véritable sens.

D'où vient que celui qui mange le pain et boit le calice eucharistique indignement mange et boit sa propre condamnation ? C'est, nous dit l'Apôtre, parce qu'il ne discerne pas le corps du Seigneur. Mais comment saint Paul peut-il nous recommander de discerner le corps du Seigneur dans l'Eucharistie, si le corps du Seigneur n'y est pas réellement ? Aurait-il voulu nous induire en erreur par des menaces si fortes et si expressives ? On ne peut former un pareil soupçon ; il faut donc reconnaître qu'il a voulu imprimer dans nos esprits la plus haute idée des pieuses dispositions que nous devons apporter à cette table sainte où nous recevons le propre corps et le propre sang du Seigneur.

L'Apôtre va encore plus loin ; il nous révèle un secret qu'il ne pouvait avoir appris que du Seigneur lui-même ; c'est que pour avoir outragé son corps dans l'Eucharistie, pour ne l'avoir pas discerné, plusieurs étaient languissants ou malades ; que plusieurs même avaient été frappés de mort. Que signifient ces paroles, sinon qu'une vertu divine, sortie du corps de Jésus-Christ, avait puni ceux qui ne l'avaient pas discerné, soit par une langueur inconnue à l'art humain, soit par une grande maladie, soit enfin par la mort mème, suivant qu'il avait plu au Seigneur de les châtier dans sa miséricorde, ou dans sa colère ? Cette vérité annonce aux catholiques la foudre prête à frapper le profanateur ; elle nous fait connaître que la majesté divine ne peut souffrir d'être violée dans ce sacrement par l'audace de ceux qui s'en approcheraient dans l'état du péché. Mais il faut convenir que ces paroles, toutes de feu pour nous, sont froides et sans force pour les calvinistes, qui les appliquent à la seule figure du corps de Jésus-Christ.

1ère objection. Saint Paul donne le nom de pain à l’Eucharistie.

Pourriez-vous, Monsieur, vous refuser à des preuves aussi frappantes, sous prétexte que l'Apôtre dans le même endroit donne à l'Eucharistie le nom de pain : Quiconque mange ce pain indignement, etc. Que l'homme s'éprouve avant de manger de ce pain. C'est la prétention de vos ministres, toujours inconséquents dans leurs raisonnements ; car tandis qu'ils ne veulent reconnaître que du pain dans l'Eucharistie, parce que saint Paul la désigne ici par le nom de pain, ils ne veulent pas néanmoins qu'elle soit le corps de Jésus-Christ, quoique l'Apôtre, au même endroit, le déclare de la manière la plus précise : Celui qui mange indignement de ce pain outrage le corps du Seigneur... il mange et boit sa condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur. Vos docteurs entendent donc les paroles de saint Paul dans un sens littéral, ou dans un sens figuré, suivant que l'exige leur cause ; il semble que ce soit une unique règle dans l'interprétation des divines Écritures. Pour nous, Monsieur, nous suivons des principes plus certains ; sans craindre de rendre notre foi suspecte, nous pouvons aussi désigner l'Eucharistie avec l'Apôtre, et même après Jésus-Christ par le nom de pain. Mais le Seigneur nous a appris lui-même ce que signifie ici la dénomination de pain ; il nous a déclaré que ce pain est le véritable pain du ciel ; un pain qui donne la vie au monde  ; en un mot, un pain qui est sa propre chair. Nous voilà bien avertis du sens dans lequel nous devons entendre ce mot pain, quand il s'agit de l'Eucharistie. Mais ni le Seigneur, ni saint Paul, ni aucun écrivain sacré, ne nous ont avertis que ce mot corps dût être pris dans un sens figuré, et jamais ils ne nous ont donné pareille explication.

Au reste, sans s'écarter de l'usage, on peut appeler l'Eucharistie pain, parce qu'elle l'était véritablement avant la consécration, comme nous voyons dans l'Exode que la verge d'Aaron est encore appelée verge, quoiqu'elle fût déjà changée en serpent1 : Mais la verge d'Aaron dévora leurs verges. On peut encore fonder la dénomination de pain sur ce que nos sens ne voient après la consécration que les espèces du pain, sa figure, sa couleur son étendue, comme nous voyons en plusieurs lieux de l’Écriture1, que les anges rendus visibles sur la terre sont appelés hommes, non pas qu'ils le fussent réellement, mais parce qu'ils paraissaient sous la figure humaine2. Enfin, quand nous considérons les effets de la sainte Eucharistie, nous ne craignons pas de lui donner le nom de pain, parce que, comme le pain matériel est l'aliment de nos corps, ce pain céleste est aussi le véritable aliment de nos âmes.

2ème objection tirée de ces paroles : La Pierre était le Christ.

Peut-être me direz-vous que saint Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens, parle souvent en figures, et qu'on en voit un exemple frappant dans le chapitre qui précède celui où il parle de l'Eucharistie : il y dit que les Israélites buvaient de l'eau de la pierre spirituelle qui les suivait dans le désert3, et Jésus-Christ était cette pierre ; expression visiblement figurée, et de laquelle on peut conclure que le même Apôtre, dans le chapitre suivant a encore employé un langage figuré, quand il semble nous dire que le pain eucharistique est le corps de Jésus-Christ.

Je conviens, Monsieur, que saint Paul parle de figures dans le chapitre X ; mais observez que ce n'est pas pour en proposer de nouvelles aux fidèles de Corinthe ; le temps des figures était passé. Tout au contraire, il s'attache à leur développer celles de l'ancien Testament. Son but, dans le commencement de ce chapitre, est de donner l'explication mystique de tout ce qui était arrivé aux Israélites lors de leur sortie d’Égypte ; il dit qu'ils avaient tous été baptisés dans la nuée et dans la mer, pour faire connaître que leur passage dans la mer Rouge avait été la figure de notre baptême ; il ajoute que les Israélites buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait, et que cette pierre était le Christ ; c'est-à-dire que les plus spirituels et les plus éclairés d'entre les enfants d'Israël se consolaient des souffrances et de l'ennui de leur long pèlerinage dans le désert, par l'espérance et la foi au Médiateur qui devait venir, et qui était Jésus-Christ ; enfin, pour qu'il ne restât pas le moindre doute sur le sens de ses paroles, il déclare que tout ce qui était arrivé aux Israélites était la figure de ce qui devait être exécuté dans la loi évangélique4 : Toutes ces choses leur arrivaient en figure, et elles ont été écrites pour nous servir d'instruction à nous qui sommes venus dans la fin des siècles. La proposition de saint Paul se réduit à celle-ci : Jésus-Christ était la pierre spirituelle qui suivait les Israélites dans le désert, et dont ils buvaient. Que veulent dire ces paroles, sinon que l'eau du rocher qui désaltérait les Israélites était la figure de Jésus-Christ, notre force et notre soutien dans le cours de cette vie mortelle ? L'Apôtre appelle cette pierre spirituelle, ou mystérieuse ; il dit qu'elle suivait les Israélites dans le désert : expressions qui font connaître clairement qu'il ne parlait pas du rocher physiquement existant et toujours stable dans le même lieu du désert. Ces paroles de l'Apôtre portent donc évidemment avec elles leur explication. Jésus-Christ ne pouvait être cette pierre spirituelle que spirituellement et en figure. Quelle comparaison peut-on établir entre un texte où l'Apôtre explique lui-même le sens spirituel et figuré de ses paroles, et les autres textes où, sans explication, sans commentaire, il nous assure et répète plusieurs fois dans les termes les plus précis et les plus énergiques que l'Eucharistie contient le corps et le sang de Jésus-Christ ?

Je crois, Monsieur, vous avoir prouvé que la foi de l'Église catholique sur la présence réelle a été constamment et clairement enseignée par les quatre Évangélistes et par l'apôtre saint Paul. Il ne me serait pas difficile de vous convaincre par les témoignages des saints Pères et des auteurs ecclésiastiques, que cette même foi a été tenue dans tous les temps, dans tous les lieux et par tous les peuples qui ont professé le christianisme ; mais la preuve de cette tradition conservée jusqu'à nous exigerait une discussion trop longue et excéderait de beaucoup les bornes d'une lettre. D'ailleurs, dans celles que vous avez déjà vues sur le sacrifice de la Messe et sur la présence permanente de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, vous avez dû trouver assez de textes tirés des Pères de l'Église pour vous faire connaître que leur doctrine sur ce point si important de notre sainte religion était absolument celle que tient encore aujourd'hui l'Église catholique.

Article 4 : PREUVE TIRÉE DE LA FOI CONSTANTE DE TOUTES LES ÉGLISES.

Cette doctrine était donc en possession de toutes les Églises chrétiennes du monde, lorsque dans le onzième siècle Bérenger commença à répandre ses erreurs. Aussitôt tout l'Occident s'éleva contre lui ; quinze conciles assemblés depuis l'an 1050 jusqu'en 1079 condamnèrent ses dogmes impies. Réfugié dans notre province, il y rechercha en vain la protection du duc Guillaume, devenu depuis conquérant de l'Angleterre1 ; ce prince fit assembler en 1050 les évêques de ses états à Briône, où Bérenger fut entendu et ne put sauver sa doctrine de la censure qu'elle méritait. Un autre concile, tenu à Rouen, en 1055, sous l'archevêque Maurille, le condamna pareillement, et dressa contre ses erreurs une profession et formule de foi qui fut renouvelée dans un autre concile tenu à Rouen en 1063. Je vous cite ces faits, Monsieur, pour vous faire remarquer que la foi des Églises de Normandie n'était pas moins vive, ni moins constante que celle de toutes les autres Églises d'Occident.

Lorsque, dans le XVI° siècle, Zwingli et Calvin ont voulu renouveler les mêmes erreurs, tout l'univers chrétien professait sur l'Eucharistie la même foi que nous professons encore ; c'est un fait que vous ne pouvez nier. Le cri général qui s'éleva contre ces nouveaux docteurs est une preuve incontestable que leurs dogmes étaient contraires à la croyance commune de l'Église. Ils s'attirèrent, à la vérité, des sectateurs, et en grand nombre ; ils élevèrent autel contre autel, et formèrent de nouvelles Églises. Mais toutes les provinces qu'ils ont enlevées à la religion catholique tenaient, avant leur défection, la foi de la présence réelle. De ces faits incontestables nous sommes en droit de conclure que cette doctrine nous est venue de Jésus-Christ même et des Apôtres, et que par conséquent elle seule mérite notre soumission et notre ferme croyance.

Prétendre, comme vos docteurs ont osé le faire, que, dans les temps apostoliques et dans les premiers siècles de l'Église, la doctrine de la présence réelle était inconnue, et qu'il s'est fait sur ce point un changement général dans la croyance de tous les chrétiens, permettez moi de le dire, Monsieur, c'est la plus grande des absurdités. Car, ou ce changement se serait fait tout d'un coup, ou il se serait insinué par degrés et insensiblement ; l'une et l'autre supposition sont impossibles.

Dans la première, il faudrait que tous les chrétiens, après avoir cru uniformément que le corps de Jésus-Christ n'était pas présent dans l'Eucharistie, eussent commencé tous ensemble, et au même moment, à croire qu'il y était présent ; en sorte que s'étant, pour ainsi dire, endormis un jour dans la croyance que l'Eucharistie n'était que la figure du corps de Jésus-Christ, ils se fussent réveillés le lendemain avec la persuasion qu'elle contenait réellement ce corps et ce sang précieux ; il faudrait qu'une multitude d'Églises, séparées de communion, ennemies les unes des autres, dispersées dans toutes les parties de la terre, et sans communication entre elles, se fussent accordées à rejeter toutes au même instant la croyance d'un sens figuré qu'elles auraient toujours tenue, pour reconnaître une réalité que personne ne croyait auparavant. Or que cela se soit fait sans qu'un changement aussi essentiel ait procuré la moindre contestation, vous conviendrez, Monsieur, que c'est une chose absolument impossible.

Le système d'un changement insensible et par degrés n'est pas moins contraire à la raison et à la vraisemblance. Examinons comment toutes les nouvelles opinions se sont établies dans le monde ; celle de la présence réelle, qu'il vous plaît de mettre dans cette classe, a dû nécessairement suivre la même marche. Il faut dans cette supposition qu'il y ait eu d'abord un temps où la doctrine nouvelle de la réalité n'aurait été suivie que par un petit nombre de personnes ; un autre temps où les sectateurs de cette nouveauté auraient été beaucoup plus nombreux ; un autre où ce sentiment se serait déjà rendu maître de la multitude, quoique avec résistance et opposition de plusieurs autres encore attachés à l'ancienne doctrine ; enfin, un autre temps où la nouvelle doctrine aurait régné paisiblement et sans contradiction, et c'est l'état où vos ministres sont obligés d'avouer qu'était le monde chrétien lorsque Bérenger commença à dogmatiser, et encore lorsque Zwingli et Calvin ont renouvelé les erreurs de Bérenger.

Or comment aucun historien n'aurait-il fait mention de ces différentes époques ? Comment une doctrine nouvelle et diamétralement opposée à l'ancienne sur un sacrement fréquenté par tous les fidèles, par les simples comme par les savants, aurait-elle pu s'accréditer à un tel point qu'il ne serait pas resté le moindre vestige de l'ancienne croyance ? Comment un pareil changement n'aurait-il occasionné aucun trouble, aucune contestation dans l'Église ? Comment aucun concile, aucun évêque, aucun docteur ne se serait-il élevé contre l’idolâtrie introduite de leur temps par l'adoration de Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin, quoiqu'il n'y fût pas présent ? Comment toutes les Églises d'Orient, déjà séparées de l'Église latine par un malheureux schisme, auraient-elles adopté la nouvelle doctrine venue d'Occident ? Comment, enfin, les Grecs, si animés contre les Latins ne leur auraient-ils fait aucun reproche sur un point aussi essentiel, eux qui nous en ont fait de si minutieux sur les moindres variétés dans la discipline ? C'est, Monsieur, ce qui paraîtra toujours incroyable à tout homme exempt de prévention. Or si ce changement a été impossible, vous devez donc reconnaître que, depuis la naissance de l'Église, la doctrine de la réalité a été professée dans tous les temps, dans tous les lieux et par toutes les Églises chrétiennes du monde. Pour vous refuser à une autorité si capable de fixer notre croyance, objecterez-vous le témoignage de vos sens et la prétendue impossibilité du mystère ? C'est peut-être le principal motif de votre opposition à la doctrine catholique : je vais vous en prouver la faiblesse.

1ère objection tirée du témoignage des sens, et réfutée par la confession de foi de P.R.

Est-il possible que, malgré les oracles de Jésus-Christ, qui est la vérité même, malgré les textes les plus formels de l’Écriture, on nous objecte le témoignage de nos sens ? Il est surprenant que vos docteurs veuillent que nos sens décident de la vérité de ce sacrement, tandis qu'ils avouent eux-mêmes dans l'article 36 de leur Confession de foi, que ce mystère surpasse en sa hauteur la mesure de notre sens et tout ordre de nature ; bref, disent-ils, pour ce qu'il est céleste, il ne peut être appréhendé que par la foi. Après une pareille déclaration peuvent-ils exiger que nous soumettions à leurs sens la vérité d'un mystère qu'ils reconnaissent surpasser la mesure des sens et tout ordre de nature ? Devons-nous leur rendre visible et palpable ce qu'ils avouent ne pouvoir être appréhendé que par la foi ? Mais pourquoi nous opposer le témoignage des sens ? Dans l'Eucharistie on voit et on touche après la consécration comme on voyait et on touchait auparavant ; aussi l'Église ne vous dit-elle pas, Monsieur, qu'il y ait rien de changé dans ce qui se voit et ce qui se touche. Vos sens ne vous trompent pas, leur rapport est fidèle ; mais votre raisonnement vous trompe quand il procède ainsi ; rien n'est changé au dehors, donc il est impossible que rien soit changé au dedans ; votre raison, en jugeant ainsi, s'appuie sur les règles ordinaires ; mais ces règles cessent aussitôt que le pouvoir extraordinaire paraît, et ce pouvoir extraordinaire nous est manifesté par les paroles de Jésus-Christ, le pain que je donnerai est ma chair. Un Dieu a la bonté de nous avertir lui-même que les règles ordinaires cessent dans ce mystère : un Dieu parle, c'est à nous à nous soumettre.

On n'anéantirait pas moins le christianisme en lui donnant la sagesse et la raison humaine et la raison humaine pour lumière, qu'en lui proposant les sens pour juges et pour guides1. Votre foi, dit saint Paul, n'est pas établie sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ; c'est donc cette puissance de Dieu qu'il faut consulter pour régler sa foi, et non pas les seules lumières de la raison. Il est sans doute plus chrétien de soumettre notre raison à la toute-puissance divine, que de borner cette toute-puissance par la raison, qui, n'ayant souvent que les sens pour guides, n'est pas moins sujette qu'eux à se tromper ; la sagesse humaine, ni ses jugements, dit l'article V de votre Confession de foi, ne doivent point être opposés à la sainte Écriture ; ce n'est donc point, suivant la doctrine même de vos ministres, par les lumières de la raison et le témoignage des sens que vous devez interpréter les textes de l’Écriture, en détournant à un sens figuré et métaphorique ceux qui concernent la présence réelle.

2ème objection : l’impossibilité des apparences du pain et du vin sans la substance de l’un et de l’autre.

Vous me direz sans doute, Monsieur, qu'il est absolument contraire à la raison que des apparences comme la couleur et la figure subsistent à nos yeux sans qu'il y ait un corps réellement coloré et figuré ; qu'il n'est pas moins opposé à cette raison que Dieu nous a donnée pour nous conduire, qu'un corps humain qui a toutes ses parties, et qui est aussi entier qu'il l'était sur l'arbre de la croix, soit néanmoins contenu dans un point, sans y tenir un espace déterminé, sans y être visible ni palpable ; qu'il ait sa tête, ses bras, ses pieds bien distingués, et que néanmoins toutes ses parties soient dans un point indivisible ; enfin, que le bon sens ne permet pas d'imaginer qu'un véritable corps humain, qui réside dans le ciel à la droite du Père éternel, soit néanmoins en même temps sur la terre et en cent mille lieux différents, sans cesser d'être un seul et unique corps. Telles sont, Monsieur, les difficultés que proposent vos ministres, et qu'ils répètent avec trop de confiance : voyons si elles ont autant de force qu'ils le prétendent.

Il n'est pas question d'examiner si notre raison peut concevoir que des apparences telles que la couleur et la figure subsistent à nos yeux, sans qu'il existe un corps coloré et figuré. Car tout ce que nous ne concevons pas n'est pas pour cela impossible, et le pouvoir du souverain maître de la nature serait bien borné s'il ne s'étendait pas au-delà des limites de notre faible conception. Pour établir l'impossibilité de la présence réelle, il faut, Monsieur, que vos ministres prouvent que la puissance de Dieu sur laquelle saint Paul nous apprend que notre foi est établie, peut être limitée par de simples apparences, telles que la couleur et la figure ; il faut qu'ils nous démontrent que Dieu, qui a attaché ces apparences aux corps, ne peut pas les conserver à nos yeux sans les soutiens qu'il leur avait donnés. Dites, Monsieur, que cela est au-dessus de la conception de l'homme, que c'est un mystère incompréhensible ; j'en conviendrai avec vous. Mais sur quel fondement oseriez-vous assurer que cet objet, qui, après la consécration, est intérieurement le corps et le sang de Jésus-Christ, ne peut pas faire encore sur nos sens par la toute-puissance de Dieu, les impressions du pain et du vin et en avoir les propriétés ? La foi attentive à la parole de celui qui fait tout ce qu'il lui plaît dans le ciel et sur la terre, ne reconnaît plus dans l'Eucharistie d'autre substance que celle qui est désignée par cette même parole, c'est-à-dire le propre corps et le propre sang de Jésus-Christ ; si les choses paraissent toujours les mêmes à nos sens, notre âme en juge autrement, parce que la parole de Jésus-Christ dirige sa croyance. Telle est la force de cette divine parole, qu'elle nous empêché de rapporter à la substance du pain et du vin ces apparences extérieures, et qu'elle nous les fait rapporter au corps et au sang de Jésus-Christ réellement présents.

Nous voyons dans les saintes Écritures, et par des exemples frappants, que les corps ont été quelquefois dépouillés par la puissance de Dieu de leurs propriétés ordinaires. C'en est une pour le feu de consumer les corps qu'il environne de ses flammes, et pour les corps lumineux de répandre la lumière ; cependant les trois jeunes Israélites1 sortirent sains et saufs de la fournaise de Babylone, et le soleil, lors de la mort du Sauveur, cessa d'éclairer la terre sans l'interposition de la lune. La pesanteur est une propriété naturelle du corps humain ; cependant le corps du Sauveur en fut dépouillé lorsqu'il marcha sur les eaux, et la même légèreté fut communiquée au corps de saint Pierre. Tous ces faits miraculeux sont consignés dans les divines Écritures. Pourriez-vous nier, Monsieur, que l'auteur de toutes ces merveilles ait pu faire que dans l'Eucharistie les apparences du pain existassent sans la substance du pain, et que le corps de Jésus-Christ y fût réellement présent, quoiqu'il n'y ait point sa présence naturelle, ordinaire, visible et palpable ?

On n'a jamais rien vu de semblable, nous dites-vous, à ce que les catholiques croient sur l'Eucharistie. Mais avait-on vu que l'eau commune devint en un instant d'excellent vin, qu'un seul pain en devint mille, et tant d'autres merveilles dont vous ne doutez pas plus que nous, non pas que vous les conceviez possibles en elles-mêmes, mais parce qu'une autorité supérieure vous persuade qu'elles sont vraies ? Ici nous avons cette autorité suprême, Jésus-Christ a parlé clairement, Ceci est mon corps, et l’Église n'a jamais cherché dans ces paroles un sens figuré et métaphorique.

3ème objection : Impossibilité de la présence d’un corps dans un espace non déterminé

C'est encore une merveille que le corps glorieux de Jésus-Christ, corps véritable et tout entier, ayant tous ses membres distingués l'un de l'autre, soit néanmoins en l'Eucharistie sans y occuper un espace déterminé. Vous prétendez, Monsieur, que cela est impossible, parce que vous ne pouvez pas le concevoir. Mais concevez-vous mieux comment le même corps du Sauveur1 dans le moment de sa résurrection est sorti du sépulcre, quoique la pierre qui le fermait ne fût pas levée ; comment il a pu2 entrer, les portes bien fermées, dans le lieu où ses Apôtres étaient assemblés ? Concevez-vous comment ce corps, composé de parties solides, a pu pénétrer la substance de la pierre et celle des portes du Cénacle ? Ce corps dont toutes les parties étaient sans doute bien distinctes, occupait-il alors un espace déterminé ? Ces faits miraculeux vous apprennent que les corps glorifiés, tels qu'est celui de Jésus-Christ depuis sa résurrection, ont une manière d'exister bien supérieure à celle des corps passibles, et qu'il ne faut pas prononcer si légèrement sur l'impossibilité, quand il s'agit des qualités glorieuses du corps du Sauveur. Les exemples que je viens de vous citer, affermissent notre foi ; ils éloignent tout doute et toute incertitude de notre esprit. Dieu veuille qu'ils portent la lumière dans le vôtre, et qu'ils en bannissent l'incrédulité !

4ème objection : Impossibilité d’une présence multipliée du même corps.

Enfin, Monsieur, et c'est ici le dernier effort de votre raison contre nos adorables mystères, vous croyez impossible qu'un véritable corps humain soit en même temps dans le ciel et sur la terre, en cent mille lieux différents, sans cesser néanmoins d'être toujours un seul et même corps. Cette doctrine vous paraît incroyable, et vous prononcez sur-le-champ qu'elle vous annonce une chose impossible. Mais il ne suffit pas d'alléguer l'impossibilité ; il vous tombe à charge de la prouver, et c'est ce que vous ne faites point. Tous vos raisonnements se réduisent à celui-ci : Je ne puis pas comprendre que la présence multipliée d'un corps soit possible, ou, si vous l'aimez mieux, mes propres lumières me font regarder cette présence multipliée comme impossible : donc elle l'est en effet. C'est-à-dire que d'une impossibilité apparente vous concluez à nier une vérité clairement énoncée dans l’Écriture. Certainement cette conséquence ne paraîtra pas juste à quiconque sait apprécier un raisonnement.

Permettez-moi, Monsieur, d'opposer ici impossibilité à impossibilité, et de vous faire remarquer que votre système sur l'Eucharistie en présente de plus réelles et en plus grand nombre que le dogme catholique. En effet, si l'intention de Jésus-Christ avait été, comme vous le prétendez, de nous donner seulement dans l'Eucharistie le signe et la figure de son corps, il est incroyable et impossible qu'en instituant ce sacrement il se fût servi d'expressions qui annoncent la réalité, ceci est mon corps, ceci est mon sang, sans nous désigner par un seul mot que ces paroles devaient être prises dans un sens figuré ; impossible que cinq auteurs inspirés de Dieu se soient expliqués clairement et uniformément dans le sens de la réalité, sans nous donner la moindre explication qui nous indiquât le sens figuré ; impossible que l’Église des premiers siècles, cette Église si chère à Jésus-Christ, qui était, pour ainsi dire, encore toute arrosée de son sang et éclairée par les vives lumières que les Apôtres répandaient dans toutes les parties du monde où ils portaient l’Évangile, soit néanmoins tombée dans une erreur et une idolâtrie monstrueuse en adorant Jésus-Christ où il n'était pas, et en se prosternant devant du pain et du vin qui n'auraient été que les symboles de son corps et de son sang ; impossible que Jésus-Christ, qui prévoyait cette erreur, eût abandonné toute son Église dans un état si terrible, et l'eût laissée croupir dans une ignorance aussi funeste ; impossible que cette Église idolâtre ait néanmoins été favorisée des témoignages les plus éclatants de l'amour et de la protection de Jésus-Christ, par les prodiges sans nombre qu'opéraient les Apôtres et leurs premiers successeurs ; impossible que les opérations de la puissance divine qui établissait le christianisme dans tout l'univers, se soient bornées à substituer à l'idolâtrie païenne une autre idolâtrie aussi détestable et aussi ridicule ; impossible qu'il se soit établi dans la foi des Églises un changement total de doctrine, sans que personne s'en soit aperçu et ne s'y soit opposé ; impossible enfin qu'après seize siècles d'ignorance et d'une erreur générale dans toutes les Églises chrétiennes, Zwingli et Calvin, particuliers sans autorité, sans caractère, et sans aucune preuve de leur mission, puissent être regardés comme des hommes suscités de Dieu pour venir nous révéler une vérité si tardive, et néanmoins si nécessaire. Voilà, Monsieur, des impossibilités bien supérieures à celles que vous nous objectez ; elles sont fondées sur des motifs solides, et la vôtre n'a pour appui que vos propres lumières ; vous croyez impossible ce que vous ne pouvez pas comprendre ; et nous, nous regardons comme impossible ce qui est démontré tel par des faits incontestables.

Votre propre confession de foi nous présente encore une autre impossibilité. L'article 36 porte expressément que dans l'Eucharistie Jésus-Christ, par la vertu incompréhensible de son esprit nous nourrit et vivifie de la SUBSTANCE de son corps et de son sang. Permettez-moi de vous demander, Monsieur, si la substance du corps et du sang de Jésus-Christ est véritablement dans l'Eucharistie pour nous y nourrir, ou si elle n'y est pas. Si vous répondez qu'elle y est, voilà donc la substance du corps et du sang de Jésus-Christ multipliée dans tous les lieux où vous célébrez la Cène, et c'est précisément ce que vous trouvez impossible dans la doctrine catholique. Si vous me dites que la substance du corps et du sang de Jésus-Christ n'y est pas réellement, je vous répliquerai qu'il me paraît impossible qu'on soit nourri dans la Cène de la substance du corps et du sang de Jésus-Christ, si cette substance n'y est pas véritablement. Vous tirerez-vous de cette difficulté, en me disant, suivant le même article de cette Confession de foi, que ce mystère surpasse en sa hauteur la mesure de notre sens et tout ordre de nature ? Mais si dans votre prétendue Eucharistie, quelque vide et quelque dénuée qu'elle soit d'efficacité, vous êtes obligés de recourir à un mystère qui surpasse la mesure de notre sens et tout ordre de nature, pourquoi jugez-vous impossible celui que nous reconnaissons dans ce sacrement, nous qui en avons une bien plus haute idée, et qui y adorons Jésus-Christ véritablement présent ?

Au reste, Monsieur, il ne sera pas inutile de vous exposer ici la véritable doctrine de l’Église sur la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, pour détruire l'erreur de plusieurs des vôtres, qui se persuadent que nous croyons le corps de Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie de la même manière dont il était présent sur l'arbre de la croix, ou dont il est présent dans le ciel. Nous sommes fort éloignés de penser ainsi. Le corps du Sauveur sur l'arbre de la croix était présent d'une présence naturelle, ordinaire, visible et palpable ; ce divin corps est présent de même dans le ciel, c'est-à-dire que, quoique glorifié, il y a une présence déterminée, limitée et visible. Mais nous concevons, aidés et soutenus par la foi, que le corps glorifié de Jésus-Christ peut avoir, par la toute-puissance de Dieu, à qui il a plu de franchir les bornes de la nature, un autre genre de présence très véritable et très réelle, quoique surnaturelle. Nous l'appelons présence sacramentale, parce que nous ne la connaissons qu'en cet auguste sacrement ; nous l'appelons aussi présence spirituelle, non pas que nous croyions, comme vous, qu'elle n'est qu'en esprit et en figure ; mais pour exprimer que le corps de Jésus-Christ est présent dans l'Eucharistie en sa seule substance, et sans les apparences qui la feraient tomber sous les sens, et à peu près comme nous concevons la présence des esprits, celle des anges, celle de notre âme même, dont nous disons communément qu'elle est toute dans tout le corps, et toute en chaque partie. Voilà le genre de présence dont vous devez prouver l'impossibilité ; et sur quels motifs pourriez-vous appuyer cette preuve, tant que vous ne connaîtrez pas toute l'étendue de la puissance de Dieu ?

Je conviens, Monsieur, que cette manière dont nous croyons Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie renferme un miracle qui confond notre raison ; mais il a confondu de même celle des chrétiens de tous les temps et de tous les lieux, celle des Pères et des docteurs de l’Église, sans néanmoins ébranler leur foi. Dans les ouvrages de ceux-ci ont les voit s'élever à la croyance de cette merveille par l'exemple de la multiplication miraculeuse des pains dans le désert ; exemple qui aurait été cité très mal à propos, s'il n'était question dans l'Eucharistie que d'une application multipliée des mérites de Jésus-Christ, et opérée par la pensée et par la foi de chaque particulier. Le mystère que nous croyons est grand sans doute ; mais s'il étonne notre esprit, il touche et pénètre notre cœur, en nous développant la bonté infinie de Jésus-Christ, qui, non-seulement a porté son amour jusqu'à mourir pour nous, mais qui a voulu encore se donner à chacun de nous en particulier, par l'union la plus intime que nous puissions imaginer, non seulement d'esprit à esprit, mais réellement et substantiellement, d'une manière dont les hommes ne peuvent se donner l'un à l'autre, afin qu'en amour, comme en toute autre chose, Dieu eut toujours l'avantage sur l'homme mortel.

Animés de la plus vive reconnaissance en considérant cet amour incompréhensible que Jésus-Christ nous témoigne dans ce divin sacrement, nous lui rendons grâces de ce qu'il daigne faire pour l'homme beaucoup plus que l'homme ne peut concevoir. Sa sainte parole nous a annoncé toutes les merveilles qu'il opère pour nous dans l'Eucharistie, et cette parole éloigne de nous ces inquiétudes qui ont entraîné un si grand nombre de nos frères dans l'erreur, parce qu'ils ont passé les bornes reconnues par nos pères, sans avoir d'autres bornes certaines. Tandis que nous les voyons avec douleur s'égarer de tous côtés, nous disons au Sauveur avec les Apôtres interrogés s'ils voulaient aussi s'éloigner de lui, comme les Capharnaïtes incrédules1 : A qui irions-nous, Seigneur ? Vous avez les paroles de la vie éternelle.

Je désire ardemment, Monsieur, que le Seigneur vous inspire les mêmes sentiments, et qu'il vous ramène à cette Église qu'il a acquise au prix de tout son sang, que tant de martyrs ont illustrée par leurs victoires, qui, malgré la rage des persécuteurs, l'orgueil d'une vaine philosophie, la subtilité des hérétiques de toute espèce ; enfin, malgré tous les efforts de l'enfer réunis contre elle, s'est soutenue toujours pure dans sa foi et toujours triomphante de ses ennemis. C'est la grâce que je ne cesse de demander pour vous au Sauveur du monde, et avec les plus vives instances.

Je suis, Monsieur, etc.

A Rouen, ce 15 novembre 1768.



LA CONFÉRENCE DU DIABLE AVEC LUTHER, CONTRE LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE

PRÉFACE



Il y a longtemps que les saints Pères nous ont assuré que le démon est l’auteur des hérésies, et que les hérétiques sont les disciples de ce mauvais maître. « Le diable, dit saint Augustin, voyant que les hommes abandonnaient les temples qu’ils lui avaient dédiés, et qu’ils recouraient au Médiateur qui délivre véritablement ceux qui mettent leur confiance en son nom, suscité les hérétiques qui, sous le nom et l’apparence de chrétiens combattent la doctrine de Jésus-Christ1 .»

Saint Cyprien avait écrit la même chose avant lui, en parlant contre les schismatiques novatiens. « Cet esprit de malice, dit ce Père, voyant que les peuples embrassant en foule la religion de Jésus-Christ, les idoles et les temples qui lui servaient de demeure étaient abandonnés, a employé un nouvel artifice pour tromper, sous l’apparence du nom de chrétiens, ceux qui n’étaient pas assez en garde contre ses ruses ; il a suscité des hérésies et des schismes pour renverser la foi, corrompre la vérité et déchirer l’unité. Et ainsi il surprend et trompe par l’erreur d’une nouvelle doctrine ceux qu’il n’a pu retenir dans l’aveuglement de leur ancienne voie2. »

Quand même ces Pères ne nous auraient pas donné cet avis, l’Évangile nous l’avait assez donné en appelant le démon menteur et père du mensonge3. Car il était aisé de conclure de là qu’il est particulièrement père de ces mensonges pernicieux qui corrompent la doctrine de l’Église et qui éteignent l’esprit de Dieu dans les âmes4, en y éteignant la foi.

Mais si le sens commun porte les catholiques à attribuer au diable la doctrine des hérétiques, il semble, au contraire, que le même sens commun doive détourner les hérétiques de le reconnaître pour maître. Car l’hérésie ayant pour but de passer pour la vérité, le moyen qu’elle y réussisse en avouant une si détestable origine. Aussi la plupart des hérétiques, bien loin de rapporter au démon leurs opinions, ont tâché, au contraire, de persuader le monde qu’elles leur avaient été révélées par Dieu. Il y en a même qui ont voulu faire croire qu’ils étaient le Saint-Esprit5, ou que le Saint-Esprit parlait par leur bouche, tant ils croyaient important de faire Dieu auteur de la doctrine qu’ils voulaient faire recevoir.

Il ne saurait donc y avoir rien de plus surprenant que le récit fait par Luther d’une conférence qu’il avait eue avec le diable sur le sujet des messes privées6, où il prétend que le diable lui fit voir par des raisons confaincantes qu’il fallait les abolir, comme il a tâché de faire depuis en suivant cette instruction diabolique. Car si cette conférence est vraie, et qu’en effet le diable lui soit apparu et l’ait entretenu en la manière qu’il le rapporte, qu’y a-t-il de plus propre à faire connaître la qualité d’une doctrine qui a pour auteur celui même que l’Évangile appelle le père du mensonge, et pour défenseur ce prétendu patriarche des hérétiques de ces derniers temps, qui se reconnaît pour disciple du diable, dont il assure avoir appris un des principaux articles de sa doctrine ; d’où il est aisé de conclure qu’il en était, non seulement le disciple, mais l’instrument et l’organe, et qu’il suivait ses impressions et ses mouvements.

Si l’on veut, au contraire, faire passer ce récit pour une imagination ridicule, et une vision creuse que Luther aurait prise par erreur pour véritable, on ne laissera pas d'avoir droit d'en conclure au moins que c'était un fanatique, un homme sans jugement et sans lumières, d'avoir osé proposer au monde une telle rêverie ; et que bien loin d'être capable de distinguer la vérité de l'erreur dans les matières obscures, il manquait même de la lumière ordinaire du sens commun pour discerner les extravagances toutes pures de ce qui pourrait avoir quelque apparence de raison.

Il n'y aurait qu'une voie pour empêcher qu'on ne tirât l'une ou l'autre de ces conséquences, ce serait de nier que cet écrit fût de Luther ; mais c'est ce que ses plus zélés partisans n'ont pas encore osé faire : aussi a-t-il été imprimé du vivant même de cet hérésiarque, puisque le livre où ce colloque diabolique est rapporté a paru dès 1533, et que Luther n'est mort qu'en 1546, et que, dès le premier moment de sa publication, les catholiques en tirèrent l'avantage convenable, et reprochèrent à Luther cette insigne extravagance, sans que Luther se soit jamais plaint qu'on lui ait imposé, en imprimant ce livre sous son nom, ce qu'il n'aurait pas manqué de faire, s'il n'en avait pas été l'auteur.

Les luthériens ont été obligés de demeurer dans les mêmes termes, et quoique les Calvinistes s'intéressent autant qu'ils peuvent à la réputation de Luther, qu'ils reconnaissent pour un leurs patriarches et de leurs saints Pères1 ; néanmoins, comme ils ont vu qu'ils ne pouvaient pallier cet excès de folie et d'impiété, ils ont pris le parti de s'en servir contre les luthériens, et de repousser par-là le reproche qui leur était fait par eux sur le sujet de Zwingli. C'est ce que l'on peut voir dans Hospinien, qui rapporte ce colloque dans les termes de Luther, et qui en fait ensuite l'abrégé en cette manière : « Ce récit se réduit à ceci, que c'est du diable que Luther a appris que la messe privée est une mauvaise chose, et qu'en ayant été convaincu par les raisons du diable, il l'a abolie. Les disciples de Luther devraient se souvenir de cette histoire, et cesser de reprocher à Zwingli son songe, dans lequel il fut instruit du vrai sens des paroles de la Cène, non par le diable, comme Luther l'a été des abus et des superstitions de la messe, mais par une autre personne qui lui donna cet avis en songe2.

Mais c'est inutilement que ce calviniste prétend ainsi se retirer de ce mauvais pas, la raison ne permet pas que l'on sépare en ce point la cause des calvinistes de celle des luthériens. Outre que cette doctrine qui condamne les messes privées leur est commune avec Luther, et qu'elle ne peut être diabolique dans Luther, et divine dans les calvinistes, tout le corps de leur doctrine et de leur prétendue réformation est attaché à la réputation de Luther, non-seulement par les louanges extraordinaires qu'ils lui ont données, mais aussi par la nature même des choses, qui lie ensemble leur prétendue réforme avec celle que Luther a commencée. Car il est impossible qu'on regarde Luther comme un extravagant, ou un disciple du diable, sans considérer son soulèvement contre l’Église comme un schisme détestable, et la secte qu'il a formée comme un ouvrage du démon ; et si celle de Luther ne peut être attribuée qu'au diable, l'on ne peut aussi attribuer à un autre auteur et à une autre source la prétendue réforme des calvinistes ; puisqu'elle n'en est qu'une suite, qu'elle est établie sur les mèmes fondements, qu'elle reconnaît Luther pour patriarche, et qu'elle l'approuve et le suit dans le point même sur lequel il déclare, dans le livre dont nous parlons, qu'il a tiré sa doctrine des instructions du diable.

Il faut donc qu'ils se résolvent à une défense commune, et qu'ils se joignent aux luthériens pour soutenir comme ils font, qu'il ne s'ensuit pas qu'une doctrine soit mauvaise de ce qu'on l'a tirée des leçons du démon. C'est une grande extrémité que d'en être réduit là ; mais pour leur ôter néanmoins toute réplique, on a résolu d'examiner aussi ce point, et comme il est traité fort ingénieusement dans un écrit de M. Ereiter, ministre de M. l'ambassadeur de Suède, que l'on a entre les mains, ce sera la réfutation des raisons de cet écrit qui fera le sujet de ce traité.

RÉFUTATION D'UN ÉCRIT FAIT PAR M. EREITER, MINISTRE LUTHÉRIEN, POUR DÉFENDRE CETTE CONFÉRENCE.



Il y a peu de temps qu'un ecclésiastique de la paroisse Saint-Gervais à Paris, s'entretenant avec un gentilhomme luthérien sur le sujet de la religion, lui demanda entre autres choses pourquoi l'on appelait luthériens ceux de sa communion.

Ce gentilhomme lui répondit qu'on les appelait ainsi parce qu'ils croyaient que Luther avait été un grand homme dont Dieu s'était servi pour leur enseigner la vérité.

L'ecclésiastique lui répliqua qu'il s'étonnait de ce qu'ils avaient tant d'estime pour un homme qui avait été le disciple du diable.

Le gentilhomme ayant soutenu que ce fait était calomnieux, l'ecclésiastique lui dit qu'il ne pouvait nier que ce ne fût le diable qui eût appris à Luther à combattre les messes où personne ne se présentait pour communier avec le prêtre. Luther les a appelées des messes privées, disait l'ecclésiastique, et il avait été dans la créance de l’Église romaine qui les approuve ; mais le diable lui a persuadé qu'elles étaient contraires à l’Écriture.



Je prétends, ajouta-t-il, vous convaincre de ce fait, et dans l'entretien que j'aurai avec vous, je me servirai de votre expression, appelant messes privées celles où personne ne se présente pour communier avec le prêtre, quoiqu'elles ne soient pas privées, mais communes, comme a remarqué le concile de Trente1. Mais pour ne point disputer du mot, je m'accommoderai à votre façon de parler.

Pour donc lui justifier que c'était le diable qui avait appris à Luther à combattre ces messes, il lui fit lire ces paroles de M. Drelincourt, ministre de Charenton, qui dit dans son livre du Faux Pasteur, page 373 : « Le serpent ancien attaqua Luther, et il s'en promettait la victoire. Parce que le serviteur de Dieu avait été prêtre, et que durant quinze ans il avait célébré des messes privées, il lui prouve par des arguments invincibles que ces messes sont contre Dieu et contre l’Écriture divinement inspirée. » Lui ayant montré ces paroles, il lui fit lire en même temps la page 360 du même livre, où M. Drelincourt dit encore : « Il faut être bien ennemi de son salut pour se persuader que le père du mensonge se soit employé à établir une vérité importante à l’Église de Dieu. » De là l'ecclésiastique conclut que la doctrine des luthériens contre la messe privée n'était pas une vérité fondamentale de l’Église, puisque c'était le diable qui l'avait enseignée à Luther.

Le gentilhomme luthérien répondit que M. Drelincourt avait raison de dire que le diable n'enseignait pas des vérités de salut aux hommes, puisqu'il était ennemi de leur salut, et ne cherchait qu'à les perdre ; mais qu'il n'était pas croyable que le diable eût enseigné à Luther sa doctrine contre la messe privée.

L'ecclésiastique lui répliqua que M. Drelincourt, étant ennemi de la messe, n'aurait pas avoué ce fait désavantageux à sa religion, s'il n'y avait été forcé par la vérité.

Il ajouta que Luther l'avait aussi avoué lui-même dans le septième tome de ses œuvres imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le second livre de la Messe privée, où il lui fit lire tout ce que Luther dit d'une conférence qu'il avait eue avec le diable touchant la messe privée, et de laquelle il fait le récit en ces termes :

Une fois2, m'étant réveillé sur le minuit, Satan entreprit de disputer avec moi, et commença ainsi sa dispute :

Écoute3, dit-il, Luther, docteur très éclairé, ne sais-tu pas que durant quinze ans tu as célébré presque tous les jours des messes privées ?

Que dirais tu1 si ces messes étaient d'horribles idolâtries ? Si le corps et le sang de Jésus-Christ n'y avaient pas été présents, mais seulement du pain et du vin, que tu aurais adoré et aurais fait adorer aux autres ?

Je lui répondis2 : J'ai été consacré prêtre, j'ai reçu l'onction et la consécration des mains de l'évêque, et tout ce que j'ai fait ç'a été par le commandement de mes supérieurs, et par l'obéissance que je leur devais.

Pourquoi n'aurais-je pas consacré, ayant prononcé sérieusement les paroles de Jésus-Christ, et célébré aussi très sérieusement les messes que j'ai dites ? Tu n'ignores pas cette vérité.

Tout cela est vrai, me répondit le diable3, mais les turcs et les païens font aussi toutes choses dans leurs temples par obéissance, ils y font sérieusement les cérémonies de leur religion.

Les prêtres de Jéroboam faisaient aussi toutes choses avec zèle et affection contre les vrais prêtres en Jérusalem.

Que si ton ordination était fausse, ton culte ne serait-il pas un faux culte, et aussi impie que celui de ces faux prêtres ?

Tu sais, dit-il1, que tu n'as point connu Jésus-Christ, que tu n'as point eu de vraie foi, et qu'à cet égard tu n'as pas été meilleur qu'un turc2. Car le turc et tous les diables croient comme toi l’histoire de Jésus-Christ, sa naissance, sa mort, sa passion, etc.

Mais le turc et nous, esprits réprouvés, nous n'avons aucune confiance en sa miséricorde, et nous ne croyons point qu'il soit notre Médiateur, ni notre Sauveur, le regardant plutôt comme un juge cruel que nous avons en horreur.

Tu n'avais point d'autre foi, quand tu as été consacré par l'évêque, et tous ceux qui donnaient ou recevaient cette consécration avaient de pareils sentiments touchant Jésus-Christ3.

C'est ce que ni toi ni aucun autre papiste ne pourra nier4.

Ainsi, vous avez sacrifié en la messe, comme des païens, et non comme des chrétiens.

Comment donc avez-vous pu consacrer en la messe, n'en ayant pas eu le pouvoir ?

(Après avoir prétendu par ces paroles que les évêques et les prêtres de l’Église romaine n'avaient pas le pouvoir de consacrer) :

Tu t'es encore appliqué, disait-il, à toi seul le sacrement lorsque tu as célébré la messe, et n'y as point fait participer les autres...

Est-ce là l'institution de Jésus-Christ5 ?...

Pourquoi n'enseigne-t-on pas aussi parmi vous qu'on peut se baptiser soi-même1, qu'on peut se2 confirmer comme l'on confirme parmi vous, se consacrer prêtre, s'absoudre, se marier à soi-même, et se donner l'extrême-onction comme on la donne aux malades parmi vous3 ?

Car ce sont là vos sept sacrements. Ou si personne ne peut faire vos sacrements pour soi-même, pourquoi voulez-vous faire ce grand sacrement pour vous seul ?

Il est bien vrai que Jésus-Christ s'est pris soi-même dans le sacrement, etc.

Étant4 pressé5 de cette sorte dans ce combat contre le diable…

Je lui opposais l'intention et la foi de l’Église6, lui représentant que c'était dans la foi et dans l'intention de l’Église que j'avais célébré les messes privées.

Et quand j'aurais eu, lui disais-je7, une mauvaise créance et de mauvais sentiments, l’Église, toutefois, a eu en cela une bonne créance et de bons sentiments.

Mais Satan8 faisant encore des instances plus fortes : Où est-il écrit, dit-il9, qu'un homme impie et incrédule puisse consacrer en la foi de l’Église ?

Où Dieu l'a-t-il commandé ?

Vous faites ces choses dans les ténèbres,... et après vous voulez défendre vos abominations par le prétexte de l'intention de l’Église.

Les saints Pères se riront ici de moi10, et diront : Quoi ! es-tu ce docteur si célèbre, et tu n'as pu répondre au diable ?

Ne sais-tu pas que le diable est un menteur11 ?

Je vous rends grâces de toute mon affection pour des paroles si pleines de consolation en une affaire si importante.

J'aurais ignoré jusqu'à présent que le diable est un menteur, si vous ne m'en aviez averti, vous, excellents théologiens…

Certes, s'il vous fallait soutenir les assauts du diable, et disputer contre lui, vous cesseriez bientôt de publier si hautement ce que vous dites de la conduite et de la tradition de l’Église…

Car le diable attaque fortement les cœurs,... et il les presse avec une si horrible violence, qu'il n'est possible de lui résister sans un secours particulier de Dieu.

Tout d'un coup, et en un clin d'œil il remplit tout l'esprit de ténèbres et de terreur, et s'il trouve un homme incapable de se défendre par la parole de Dieu, il le surmonte si facilement, qu'il semble qu'il n'a qu'à le toucher comme du petit doigt pour le renverser entièrement. Il est vrai qu'il est un menteur1, mais il ne ment pas quand il nous accuse. Car alors il produit2 contre nous deux témoins dont le témoignage est invincible, la loi de Dieu et notre propre conscience.

Je ne puis nier que je n'aie péché, je ne puis nier que mon péché ne soit grand, je ne puis nier que je ne sois coupable de mort et de damnation.

Voilà ce que Luther rapporte de sa conférence avec le diable, et l'ecclésiastique l'ayant fait lire au gentilhomme, il lui fit faire cette réflexion, que Luther dans cette dispute avait défendu la messe privée contre le diable, et que ce n'était qu'à la fin de cette dispute qu'il s'était rendu à son sentiment. C'est pourquoi l'ecclésiastique disait que c'était par les raisons du diable que Luther avait été porté à abolir la messe privée.

Le gentilhomme lut plusieurs fois cet entretien de Luther avec le diable, et en étant étonné, il dit que ce livre n'était pas de Luther, mais de quelque diable.

L'ecclésiastique lui accorda que ce livre était en effet de quelque diable ; mais il soutint qu'il était aussi de Luther, qui l'avait fait avec l'aide de Satan, et pour le lui persuader, il lui montra le titre du livre où les choses qu'il avait lues étaient rapportées, lequel titre était conçu en ces termes : Tome7 de toutes les œuvres de Martin Luther, docteur en théologie, imprimées à Wittemberg par Thomas Klug, en l'année 15571. Il lui montra encore plus bas Luther représenté à genoux devant un crucifix avec le duc de Saxe.

Le gentilhomme ayant reconnu à ces marques que ce livre était véritablement de Luther, il dit avec étonnement : Est-il possible que Luther, pour qui nous avons tant d'estime, ait appris sa doctrine du diable, et ait eu pour maître cet ennemi de la vérité et de notre salut ?

Vous n'en devez pas douter, répliqua l'ecclésiastique, si vous croyez le témoignage de vos yeux et la lecture que vous venez de faire. Il est vrai qu'il est étonnant qu'un disciple du diable soit en si grande estime parmi vous, que vous le teniez pour un homme2 de Dieu, pour le prophète de l'Allemagne, pour le3 plus grand docteur de votre religion après Jésus-Christ et saint Paul. Mais il n'est pas moins étonnant que ceux même dont il a condamné la doctrine en les traitant d'hérétiques et de fanatiques, respectent aussi sa mémoire, et en parlent avec estime. Quelles louanges ne lui ont point donné les sacramentaires, qui nient la présence réelle de Jésus-Christ au sacrement, lorsqu'il attribuait leur doctrine au diable ! « Qu'ils ne se fâchent pas, disait-il, contre moi, si je condamne leur doctrine et l'attribue au diable, car je ne puis agir ni parler que conformément à ma créance et aux sentiments que j'ai dans le cœur1. »

Et c'est pour cela qu'ailleurs il disait encore : « Nous tenons sérieusement pour hérétiques et séparés de l’Église de Dieu les zwingliens et tous les sacramentaires qui nient que le corps et le sang de Jésus-Christ soient pris par la bouche du corps en la vénérable Eucharistie2. » Cependant lorsqu'il les a ainsi foudroyés, quelle estime n'ont-ils pas témoignée pour lui ?

Calvin a dit alors que c'était un homme par la bouche duquel Dieu foudroyait3. Il l'a appelé un excellent apôtre de Jésus-Christ4. Il l'a loué d'avoir attaqué seul toute l’Église romaine5, et a dit qu'il n'avait jamais été hérétique6. Enfin, il avait tant d'estime pour lui, qu'il avait coutume de dire que, quand il l'appellerait diable, il ne laisserait pas de le reconnaître pour un excellent serviteur de Dieu7.

Bèze a dit aussi de lui, que c'était un personnage suscité de Dieu, d'un esprit vraiment héroïque8.

Zwingli l'appelait, dans la chaleur même de la dispute, le principal défenseur de l’Évangile, le fidèle Jonathas qui attaquait le camp des Philistins9.

Ceux de Zurich l'ont nommé un insigne serviteur de Jésus-Christ10.

Cette même qualité lui a encore été donnée dans plusieurs calendriers historiques de Genève11.

Vous vous étonnez, après tant d'éloges, que Luther ait été un disciple du diable, comme je vous l'ai représenté, qu'il ait été instruit à l'école de ce père de mensonge. Toutefois c'est un fait véritable et que vous ne pouvez nier, puisque je vous en ai fait voir la preuve, et que lui-même l'a avoué.

Le gentilhomme, fort surpris de ces assertions, fit un extrait de tout ce qu'il avait lu dans Luther et dans M. Drelincourt, et le porta à M. Ereiter, le plus habile ministre de son pays, qui est venu en France avec M. l'ambassadeur de Suède. Lui ayant fait lire cet extrait, il le pria d'y répondre ou d'entrer en conférence avec l'ecclésiastique, auquel il n'avait pu résister. M. Ereiter lui promit de lui donner satisfaction, quand il aurait examiné cette affaire, et depuis, se voyant tous les jours importuné par ce gentilhomme, qui le pressait de s'acquitter de sa parole, il lui a enfin donné une réponse écrite de sa main, où il a prétendu que le diable avait dit la vérité à Luther, et qu'il avait pu avoir cette intention.

L'ecclésiastique ayant vu cette réponse, en fit la réfutation en même temps, et M. Ereiter, qui l'a reçue par les mains du gentilhomme il y a plus de cinq mois, n'y a point fait encore de réplique.

Le silence de ce ministre pendant un si longtemps montre assez sa conviction, et l'on apprend qu'il voudrait qu'on ne parlât jamais de cette affaire, parce qu'elle ne tourne qu'à sa confusion. Mais l'intérêt de la vérité oblige de faire connaître ce qu'il voudrait cacher. C'est pourquoi on rapportera ici son écrit, et la réfutation qui en a été faite, afin que chacun reconnaisse l'impuissance où il est de maintenir ce qu'il avait avancé.



RÉPONSE DE M. EREITER

MINISTRE LUTHÉRIEN,

PAR LAQUELLE IL A PRÉTENDU SATISFAIRE AUX PREUVES APPORTÉES PAR L'ECCLÉSIASTIQUE DE ST-GERVAIS, QUE LE DIABLE AVAIT APPRIS A LUTHER A COMBATTRE LA MESSE PRIVÉE.



DU SONGE DE LUTHER.



LE MINISTRE.

Remarquez premièrement que le diable a attaqué Luther en manière de tentateur, à cause des idolâtries qu'il a commises en disant la messe.

RÉPLIQUE DE L'ECCLÉSIASTIQUE.

Luther ne songeait pas, quand il eut conférence avec le démon, il le dit lui-même en ces termes : « Une fois m'étant réveillé sur le minuit, Satan entreprit de disputer contre moi12. » Ainsi vous ne sauriez prétendre que cette conférence ait été un songe sans donner un démenti à Luther. Or quelle preuve avez-vous que Luther ait menti quand il a dit qu'il était bien éveillé dans cette conférence ? Vous n'y étiez pas présent, il n'y avait que Luther et le diable. Est-ce le diable qui vous a dit que Luther a menti ? Quand il vous l'aurait dit, voudriez-vous le croire ? Son témoignage serait-il préférable à celui de Luther ? Vous avez tant d'estime pour Luther, en auriez-vous davantage pour le diable ? Je suis surpris de ce que dans un écrit où vous voulez défendre Luther, vous le fassiez passer pour un menteur ; mais je serais encore plus surpris si vous vouliez le faire passer pour un plus grand menteur que le diable. Je crois que pour votre excuse il faut dire que vous rêviez lorsque vous avez donné le titre de Songe de Luther à l'écrit que vous avez fait pour sa défense. Mais voyons si dans cette défense vous donnez des raisons plus satisfaisantes.

Vous remarquez premièrement que le diable a tenté Luther en lui disant que les messes privées qu'il avait célébrées étaient des idolâtries.

Cette remarque ne prouve pas que Luther ait cru que ces messes fussent des idolâtries avant sa conférence avec le démon. C'est toutefois ce que vous devriez montrer, puisqu'il ne s'agit que de cette question. J'accorderai volontiers que le démon a tenté Luther, et même qu'il l'a vaincu par sa tentation en lui faisant croire que les messes privées étaient des idolâtries, et le portant à les condamner pour ce sujet. Mais quel avantage en prétendez-vous tirer ? Cette tentation et cette victoire ne servent qu'à votre condamnation, puisqu'elles montrent que c'est le diable qui a fait changer Luther de créance, et qui lui a persuadé sa doctrine contre les messes privées.

LE MINISTRE.

Remarquez secondement que ce n'était pas l’intention du diable d'instruire Luther, mais de le perdre.

RÉPLIQUE

Nous vous l'accordons, et que son intention n'a pas été sans effet.

LE MINISTRE.

Remarquez troisièmement que le diable ne ment pas toujours, souvent il dit la vérité.

RÉPLIQUE.

Il ment fort souvent, et on l'appelle pour cela le père du mensonge. C'est pourquoi il ne faut point l'écouter, et moins encore conférer avec lui comme a fait Luther.

LE MINISTRE.

Comme lorsqu'il dit à Dieu que l'homme donnera tout pour conserver sa vie (Job. 2, 4).

RÉPLIQUE.

Il parlait à Dieu, et il ne prétendait pas le tromper ; mais il n'en est pas de même quand il parle aux hommes.

LE MINISTRE.

Lorsqu'il dit que Jésus de Nazareth était le Fils de Dieu, qui était venu pour tourmenter les diables.

RÉPLIQUE.

1. Le démon ne parlait pas encore aux hommes, mais à Jésus-Christ, qu'il ne pouvait séduire.

2. Il n'apportait aucune preuve que Jésus fût le Fils de Dieu, il lui disait seulement1 : Qu'y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très haut ?

3. S'il adora alors Jésus-Christ par force, on peut croire que c'était aussi par force qu'il l'appelait Fils de Dieu. Or, selon saint Marc, il l'adora2, et Calvin, qui est de votre parti, dans la défense de Luther dit que cette adoration fut rendue par contrainte. Il enseigne même que tout ce que les démons firent en cette rencontre fut par force, et que la même puissance qui les avait contraints de venir se présenter devant Jésus-Christ, les contraignit aussi de l'appeler Fils de Dieu. « Les démons, dit-il, qui étaient dans les possédés, ne sont pas venus volontairement en la présence de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ les a forcés d'y venir par un commandement secret. » Et un peu après il ajoute : « Par la puissance secrète de Jésus-Christ ils sont contraints de s'arrêter devant lui, afin que les jetant hors des corps, il se montre libérateur des hommes. Ils l'adorent aussi y étant contraints, et leurs plaintes rebelles montrent que leur confession n'était point volontaire, mais tirée par force3. »

La glose des Bibles de Genève de l'année 1564 sur ces paroles : Qu'y a-t-il entre vous et moi, Jésus Fils du Dieu très haut4 ? dit, comme Calvin, que « le diable était contraint de confesser Jésus-Christ. »

La glose de Marlorat1 et celle de Nicolas des Gallars2 disent aussi la même chose.

Or, dans la conférence du diable avec Luther, le diable n'était pas contraint de dire la vérité, Dieu ne lui en avait point fait de commandement, il ne lui avait point ordonné de conférer avec Luther, ni de l'instruire. Car comme il défend d'avoir communication avec les démons, il n'aurait pas voulu que Luther communiquât avec le diable pour en recevoir des instructions. Et par conséquent il y a grande différence entre cette conférence et l'exemple que vous apportez.

Quant à ce que vous prétendez encore par la même objection, que les démons disaient que Jésus de Nazareth était venu pour les tourmenter, et qu'ainsi ils disaient la vérité,

Je réponds que selon saint Matthieu ils disaient : Êtes vous venu ici nous tourmenter avant le temps3 ? Ainsi ce n'était qu'une demande qu'ils faisaient à Jésus-Christ, et quand ils auraient dit positivement qu'il était venu pour les tourmenter avant le temps, c'eût été une fausseté, parce que Jésus-Christ n'était pas venu pour les tourmenter avant le temps.

LE MINISTRE.

Et lorsqu'il dit que les Apôtres sont les serviteurs du Très-Haut, qui prêchent la voie de salut (Act. 16, 17).

RÉPLIQUE.

Il n'est point dit en ce lieu que le démon ait persuadé personne d'une vérité de salut. Il est seulement rapporté qu'une servante qui avait un esprit de Python4 se mit à suivre les Apôtres en criant : Ces hommes sont des serviteurs du Dieu très haut, qui nous annoncent la voie du salut5. Ainsi l’Écriture ne disant point que cette fille ait apporté aucune preuve de cette vérité, ni qu'elle l'ait fait croire à personne, ni qu'elle l'ait dite à ceux qui l'ignoraient, cet exemple n'a aucun rapport au fait dont il s'agit.

D'ailleurs quand cette fille disait que les Apôtres prêchaient la voie du salut, cette vérité était déjà connue par une infinité de miracles que Dieu avait opérés en plusieurs lieux par les Apôtres le bruit s'en était répandu partout, et il y en avait eu de si publics qu'on ne pouvait les révoquer en doute. Ces merveilles si extraordinaires étaient autant de preuves authentiques de la vérité de leur doctrine. Outre ces témoignages puissants, l'Esprit de Dieu, qui parlait par la bouche des Apôtres6, et qui animait leurs discours, donnait aussi à leurs paroles une force invincible pour convaincre les esprits1. C'est pourquoi le démon, voyant qu'on était persuadé de leur doctrine, avouait quelquefois la vérité, qu'il ne pouvait détruire, non pas pour en instruire personne, mais pour s'acquérir plus d'estime dans les esprits, et se faire croire plus facilement une autre fois quand il les voudrait séduire.

On peut dire encore, selon saint Chrysostome2, que le démon louait les Apôtres d'être les serviteurs de Dieu et d'enseigner la doctrine du salut, pour se les rendre favorables, dans la crainte qu'il avait d'être chassé de cette fille qu'il obsédait. Il savait qu'ils pouvaient l'en faire sortir, et que s'ils usaient de leur puissance il n'aurait plus occasion d'attirer à lui tant de personnes qu'il séduisait tous les jours par l'entremise de cette fille. C'est pourquoi il recherchait leur amitié et leur faveur par des louanges, afin qu'ils ne lui fussent pas contraires.

Toutes ces raisons jointes ensemble portaient le démon à dire la vérité ; il se peut faire même qu'il l'ait dite encore en d'autres rencontres, lorsqu'il y a été forcé par la volonté de Dieu et par la puissance des ministres de l’Église, à laquelle il ne peut résister.

Mais quel avantage prétendez-vous tirer de ces exemples ? quoi de semblable a porté le démon à dire la vérité dans sa conférence avec Luther ? Quand ce malin esprit prétendait lui montrer que la messe privée était une idolâtrie, était-ce Dieu ou quelque puissance de l’Église qui le forçait d'enseigner cette doctrine ? Dieu avait-il fait des miracles pour la prouver ? Le démon prétendait-il louer Luther pour se le rendre favorable dans la crainte qu'il ne le chassât de quelque personne obsédée, ou qu'il ne lui fût contraire dans quelque autre dessein ? Certes, s'il avait eu cette prétention il ne lui aurait pas parlé en des termes qui supposaient qu'il était un des plus méchants hommes du monde. Car était-ce louer Luther, que de lui dire qu'il avait été idolâtre, qu'il n'avait point connu Jésus-Christ, qu'il n'avait point eu de vraie foi ; qu'à cet égard il n'avait pas été meilleur qu'un turc, et qu'enfin il n'avait point eu d'autre créance que celle des diables, qui n'ont point de confiance en Jésus-Christ ? Il lui faisait tous ces reproches, comme nous l'apprenons par le récit qu'en a fait Luther, qui tâchait de s'en justifier.

Ce malin esprit lui disait-il la vérité quand il l'accusait de tous ces crimes ? Comment Luther n'aurait-il pas connu Jésus-Christ lorsqu'il était dans l’Église romaine, puisque dans cette Église on fait profession de la foi contenue au Symbole des Apôtres, qui oblige de croire en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu notre Seigneur.

Luther dit aussi dans son livre de la Messe privée, que « la vraie Église est conservée sous la papauté, parce que le baptême, le sacrement de l'autel, l'absolution, la rémission des péchés, le ministère de la parole, l’Évangile, le Psautier, l'Oraison Dominicale, le Symbole, les dix Commandements et plusieurs beaux et pieux cantiques, tant en latin qu'en allemand, sont a conservés dans l’Église romaine. Où sont, dit-il, ces choses véritablement saintes, là est la vraie et sainte Église de Jésus-Christ1 » Or la vraie Église de Jésus-Christ serait-elle où l'on ne connaîtrait point Jésus-Christ ?

Luther ajoute encore au même endroit, que « Jésus-Christ a conservé dans l’Église romaine la vraie foi de ses élus2. » Or la vraie foi des élus serait-elle conservée dans une Église où la créance ne serait pas meilleure que celle des Turcs, et où l'on n'aurait que la foi des diables ? On voit donc combien ces reproches que faisait le diable à Luther étaient faux et calomnieux. N'était-ce pas encore une fausseté quand le diable disait que les Turcs croyaient comme Luther la mort et Passion de Jésus-Christ3, puisque Mahomet, dans l'Alcoran, dit que « les Juifs n'ont pas crucifié le Messie  Jésus, Fils de Marie, mais un d'entre eux qui lui ressemblait ? Certainement, dit-il, il ne l'ont pas tué ; au contraire, Dieu l'a élevé à soi4 . » Ces paroles font voir que les Turcs croient la naissance de Jésus-Christ et son ascension, mais qu'ils ne croient ni son crucifiement, ni sa mort.

Le démon ne mentait-il pas encore lorsque, pour persuader à Luther qu'il n'y avait point de vraie foi dans l’Église romaine, ni par conséquent de véritable sacerdoce qui donnât pouvoir de consacrer, il lui soutenait que les évêques et les prêtres de l’Église romaine ne croyaient point que Jésus-Christ fût leur Médiateur ni leur Sauveur, mais l'avaient en horreur comme un juge cruel5 ? Ces calomnies peuvent-elles passer pour des vérités ou pour des témoignages que le diable prouvait une bonne doctrine à Luther dans cette conférence ?

Le diable prétendait aussi qu'un prêtre ne se peut communier soi-même, parce que nul ne se peut donner à soi-même les autres sacrements6. Or n'était-ce pas encore une erreur qu'il voulait persuader par cet argument, puisque cet argument prouve trop et ne combat pas proprement les messes où il n'y a point d'autres communiants que le prêtre ? Car il prouve uniquement que lors même qu'il y a des communiants, le prêtre ne doit pas se communier soi-même, mais qu'il faut qu'un autre le communie. Et jamais il ne pourrait recevoir la communion autrement, si cette comparaison des autres sacrements avait lieu, puisque nul ne se peut donner à soi-même les autres sacrements, lors même qu'il les administre aux autres. Or les luthériens n'admettraient pas cette conséquence, parce que dans les assemblées où ils font l'exercice de leur religion, s'il n'y a pas plusieurs ministres, le célébrant se communie soi-même avant que de communier les autres. Ils reconnaissent qu'en cette rencontre le ministre ne peut recevoir la communion des mains d'un autre, parce qu'il est défendu aux diacres, et à plus forte raison aux laïques, de la donner aux prêtres1. On n'a jamais aussi désiré qu'outre le diacre il y eût encore un prêtre qui put communier le célébrant : ainsi cette objection, qu'un prêtre ne se peut communier soi-même, est une erreur qui ne se peut soutenir.

Enfin, ce malin esprit disait-il encore la vérité, quand il soutenait à Luther qu'un impie et un incrédule ne peut validement consacrer. « Où est-il écrit, disait-il, qu'un impie et un incrédule puisse consacrer en la foi de l’Église ? Où Dieu l'a-t-il commandé2 ? »

Avant que de faire voir la fausseté de cette objection, remarquez que Luther a dit dans son livre de la Messe privée, que si le diable même consacrait, il consacrerait validement. « Je ne suis pas, dit-il, du sentiment des papistes, qui disent que les anges ne peuvent consacrer. Car si le diable même nous avait baptisé, s'il nous avait donné l'absolution de nos péchés, s'il avait célébré la messe, et nous avait communiés, nous serions contraints d'avouer que les sacrements ne seraient pas pour cela inefficaces, mais que nous aurions reçu un vrai baptême, une vraie absolution et un vrai sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ 3. » Or si Luther a été dans ce sentiment, comment a-t-il pu croire qu'un impie et un incrédule ne peut validement consacrer ? Est-ce qu'en disant que le diable pouvait validement consacrer, il croyait que le diable n'était pas un impie, et avait la vraie foi ? Vous ne sauriez ici défendre Luther ; car vous auriez honte de dire, comme lui, que le diable peut administrer les sacrements, puisque Dieu ne lui en a pas donné le pouvoir. Vous auriez honte aussi de dire que le démon n'est pas un impie, et qu'il a la vraie foi.

Comment soutiendriez-vous aussi ce que disait le diable, qu'un impie et un incrédule ne peut validement consacrer ? Est-ce par cette objection qu'il faisait à Luther : « Où est-il écrit qu'un impie et un incrédule puisse consacrer en la foi de l’Église ? Où Dieu l'a-t-il commandé ? »

Si cet argument avait quelque force, je pourrais par la même raison combattre la validité du baptême administré par les hérétiques, en disant : Où est-il écrit qu'un impie et un incrédule puisse baptiser en la foi de l’Église ? Où Dieu l'a-t-il commandé ? Car l’Écriture ne dit point que le baptême administré par les hérétiques soit valable. Cependant si je disais que ce baptême est nul, ce serait une erreur par l'aveu même des protestants, qui ne rebaptisent point ceux qui ont été baptisés par ceux qu'ils croient être hérétiques. Cet argument ne prouverait donc rien, et par conséquent cette objection du diable : « Où est-il écrit qu'un impie et un incrédule puisse consacrer en la foi de l’Église ? Où Dieu l'a-t-il commandé ? » n'a pas plus de force, étant fondée sur le même principe et faite en la même forme.

Que si vous demandez maintenant pourquoi c'est une fausseté qu'un prêtre impie et incrédule ne puisse pas validement consacrer, Calvin en rend la raison dans son Institution, livre IV, chapitre XV, où il dit : « Si ce que nous avons arrêté est véritable, que le sacrement ne doit pas être pris comme de la main de celui par lequel il est administré, mais comme de la main de Dieu, duquel sans doute il est envoyé : on peut conclure de là que rien n'y est ajouté ni ôté pour la dignité de celui par la main duquel il est administré... Par cette raison est bien réfutée et détruite l'erreur des donatistes, qui mesuraient et prisaient la vertu et valeur du sacrement selon la dignité et valeur du ministre1.

Il est donc clair par tout ce qui vient d'être représenté, que le discours du diable à Luther n'est qu'un tissu de mensonges, d'erreurs et de calomnies.

Pour moi, je suis étonné que Luther n'ait pas reconnu des faussetés si évidentes ; mais je le serais encore davantage, s'il n'avait dit lui-même que « le diable tout d'un coup et en un clin d'œil remplit tout l'esprit de ténèbres2. » Dieu a permis qu'il ait avoué ce qu'il avait expérimenté en cette conférence, pour nous faire connaître quelle a été la cause d'un si grand aveuglement en sa personne.

Il s'est aussi laissé séduire d'autant plus facilement, qu'il croyait que le démon enseignait quelquefois des vérités importantes pour avoir lieu d'accuser au jour du jugement ceux qui n'en auraient pas profité.

Pour preuve de cette prétention il rapporte dans son livre de la Messe privée, « qu'un jour il y eut un diable qui prêcha si pieusement, si doctement et si pathétiquement, qu'ayant touché les esprits de tous ses auditeurs, il les fit presque fondre en larmes. Et à la fin de son sermon : Voulez-vous, dit-il, savoir qui je suis ? Je suis le diable, et je vous ai voulu représenter avec force ces instructions de l’Évangile, afin de vous accuser plus fortement pour votre damnation au jour du jugement. Il ajoute que l'histoire de cette pieuse prédication est vraisemblable, parce que le diable peut prêcher l’Évangile et faire la fonction de ministre et de pasteur3. »

Si Luther a été dans cette opinion, vous pouvez facilement comprendre pourquoi il a cru le diable, et s'est laissé aller à son sentiment dans la conférence qu'il a eue avec lui.

Mais pour revenir à ce que vous avez objecté de l’Écriture, et vous donner une réponse générale à tous les textes que vous en pourriez rapporter pour montrer que le diable a dit quelquefois la vérité, il suffit de vous dire que vous n'y trouverez aucun exemple où Dieu se soit jamais servi immédiatement du démon et de son ministère seul pour convaincre les hommes d'une vérité de foi qu'ils n'auraient pas crue, et que le démon ne s'est jamais avisé de les en instruire de propos délibéré, et que quand même il aurait eu ce dessein il n'y aurait pas persisté, trouvant de la résistance dans les esprits comme dans celui de Luther, qui se défendit contre ses instructions. En effet, comment persuaderez-vous que le démon leur eût voulu procurer ce bien, ayant intérêt de les laisser dans l'erreur, et mème de les y engager plutôt que de les en retirer ? Cherchez tant qu'il vous plaira des exemples de cette conduite, vous n'en trouverez point dans l’Écriture.

LE MINISTRE.

Mais quand il dit la vérité, c'est pourtant pour un mauvais dessein.

RÉPLIQUE.

Il ne faut donc pas l'écouter, et encore moins conférer avec lui, comme fit Luther.

LE MINISTRE.

Souvent il célèbre la grandeur de la miséricorde de Dieu auprès de ceux qu'il veut précipiter dans de grands péchés, souvent il exagère la rigueur de la justice de Dieu contre le péché auprès de ceux qu'il veut pousser au désespoir. Dans l'un et l'autre cas il dit la vérité, mais il a un mauvais but.

RÉPLIQUE.

Quand le démon célèbre la grandeur de la miséricorde de Dieu, ce n'est pas pour instruire de cette vérité ceux qui la nieraient. De même quand il exagère, la rigueur de la justice de Dieu, ce n'est pas pour enseigner la justice de Dieu à ceux qui croiraient Dieu injuste. Et ainsi ces raisons ne rendent point croyable la volonté que vous dites qu'a eue le démon d'instruire Luther d'une vérité qu'il aurait combattue

Au reste, puisque vous avouez ici que le démon a toujours une mauvaise fin, Luther ne devait pas l'écouter, comme il a été dit, et encore moins se ranger de son côté, après s'être longtemps défendu contre lui.

LE MINISTRE.

Cela étant, remarquez 4° que lorsqu'il s'agit de savoir si le diable a dit des menteries ou des vérités du temps de cette tentation de Luther, où il l'accusait d'idolâtrie, il faut avoir recours à la parole de Dieu, qui est l'unique règle pour éprouver quelque doctrine. Et certes, c'est cette parole qui nous apprend que nonobstant le mauvais dessein que le diable avait de perdre Luther, il a dit aussi bien la vérité que lorsqu'il exagère ou la bonté de Dieu, ou sa colère.

RÉPLIQUE.

Sans examiner ici si l’Écriture est l'unique règle de vérité, parce que ce n'est pas notre question, il est facile de voir que vous voulez éluder la difficulté qui vous presse. Car il s'agit de savoir si c'est le diable qui a persuadé à Luther que la messe privée était contre l’Écriture, et si Luther, avant sa conférence avec ce malin esprit, avait cette créance. Or la parole de Dieu ne parle point de cette question. C'est pourquoi il est inutile de nous y renvoyer pour la décider.

Je dirai seulement ici que si le dessein du diable était de perdre Luther, comme vous l'avouez, cette prétention du diable ne vous est pas avantageuse, puisque pour le perdre il lui enseignait votre doctrine.

LE MINISTRE.

Donc 5°, comme cette conséquence n'est pas valable, le diable a tenté les Géraséniens et les Capharnaïtes, en leur disant que Jésus est le Fils de Dieu, ce qui est la pure vérité : donc ces gens-là ont eu pour maître le diable, ou il faut que ce soit une fausseté de dire que Jésus est le Fils de Dieu. Ainsi il ne s'ensuit aucunement : Le diable a voulu mettre au désespoir Martin Luther par des objections, quoique invincibles, qu'il a formées contre l'idolâtrie de la messe donc il a été le maître de Luther ; donc tout ce qu'il a dit contre la messe est faux. Ceux qui n'ont que tant soit peu de raison y verront plus clairement.

RÉPLIQUE

1° L’Écriture ne nous apprend point que le démon ait dit aux Capharnaïtes ou aux Géraséniens que Jésus fût le Fils de Dieu.

A l'égard des Capharnaïtes, nous lisons seulement dans saint Marc et dans saint Luc qu'un homme possédé du démon, parlant à Jésus-Christ en la ville de Capharnaüm, s'écria : Qu'y a-t-il entre vous et nous, Jésus de Nazareth ? Êtes-vous venu pour nous perdre ? Je sais qui vous êtes. Vous êtes le Saint de Dieu1. Voilà tout ce que vous pourriez objecter. Mais si vous prétendez tirer avantage de ces paroles, je vous ferai la réponse que nous lisons dans l'Homélie cinquième sur saint Marc, attribuée à saint Chrysostome, où il est dit que le démon ne confessa pas par ces paroles le Fils de Dieu. « Pourquoi ne confesses-tu pas, dit l'auteur de cette Homélie, le Fils de Dieu ? Est-ce un Nazaréen qui te tourmente, et non le Fils de Dieu ?... Tu l'appelles le Saint de Dieu. Moïse, Isaïe et Jérémie qui a été sanctifié dans le ventre de sa mère, n'ont-ils pas aussi été les Saints de Dieu ?... O perversité de l'esprit ! Étant au milieu des tourments il sait la vérité, et toutefois il ne veut pas la confesser... Ne dis pas le Saint de Dieu.... car il n'est pas le Saint de Dieu, mais un Dieu saint2. »

2° Quand le démon aurait alors dit que Jésus était le Fils de Dieu, ou un Dieu saint, il parlait à Jésus-Christ et non aux Capharnaïtes ; il ne prouvait pas qu'il fut le Fils de Dieu, ni un Dieu saint ; l’Écriture ne dit point qu'il en ait persuadé ces peuples ; il parlait pour se plaindre, et non pour instruire personne. C'est pourquoi il n'y aurait pas raison de dire qu'il a été le maître des Capharnaites.

Quant aux Géraséniens, je dirai de même qu'ils n'ont point appris du diable que Jésus fût le Fils de Dieu. Il est seulement dit que, dans leur pays, un possédé dont parle l’Évangile, étant venu au-devant de Jésus, l'appela Fils de Dieu, criant : Qu'y a-t-il entre vous et moi, Jésus Fils du Dieu très haut1 ? Mais, outre qu'il parlait encore à Jésus-Christ, et non aux Géraséniens ; qu'il ne prouvait point qu'il fût le Fils de Dieu ; que l’Écriture ne dit point qu'il ait porté ces peuples à croire en Jésus-Christ, et qu'il ne parlait pas même pour instruire personne, mais pour se plaindre des tourments qu'il souffrait en la présence de Jésus-Christ, j'ai encore montré par Calvin, par la glose des Bibles de Genève et par d'autres preuves, que c'était par force qu'il appelait Jésus Fils de Dieu, et qu'il y était contraint.

Mais dans la conférence du diable avec Luther le diable n'était point contraint de dire la vérité, comme il a été remarqué ; il ne parlait pas à Jésus-Christ, mais à Luther ; il ne lui parlait pas pour se plaindre, mais pour lui persuader un sentiment qu'il n'avait pas. Luther ne croyait pas que la messe fût une idolâtrie ; le diable, selon vous, lui prouva que c'en était une ; Luther soutint le contraire : le diable, si on vous en croit, lui répondit et lui fit des objections invincibles. Luther ne pouvant plus rien proposer pour sa défense avoua qu'il avait tort, et, persuadé par les arguments du démon, prit le parti de ce séducteur pour combattre la messe privée. Toutes ces choses ne nous donnent-elles pas droit de dire qu'il a eu le démon pour maître ? Et ne suffit-il pas d'avoir un peu de raison pour en être entièrement convaincu ?

Quant à ce que vous prétendez que le démon a voulu porter Luther au désespoir, en lui faisant connaître que la messe privée était une idolâtrie, et que c'est pour cela qu'il l'a voulu instruire de cette doctrine, que vous voulez faire passer pour véritable, je réponds : qu'il ne paraît point par les arguments du démon contre Luther, ni par aucune parole qu'il lui a dite, qu'il l'ait voulu porter au désespoir.

2° Quand Luther aurait dit que le démon le voulait porter au désespoir, on peut dire qu'il aurait inventé ce fait pour se défendre contre le reproche de ceux qui le blâmeraient d'avoir appris sa doctrine du diable, voulant par là leur faire croire que le démon lui aurait pu dire la vérité pour le porter au désespoir. Car il aurait eu honte d'avouer que le diable lui eût appris sa doctrine pour une autre fin.

Mais quand je n'aurais pas ces raisons, si le démon eût voulu porter Luther au désespoir, ne lui eût-il pas fallu faire ou supposer ce raisonnement :

Les idolâtres se doivent désespérer;

Or en célébrant des messes privées tu as été idolâtre;

Donc il te faut désespérer ?

Qu'aurait répondu Luther à cet argument s'il eût cru dès le commencement de cette conférence que la messe privée était une idolâtrie ? Il aurait dit sans doute : Je demeure d'accord qu'en disant des messes privées j'ai été idolâtre ; mais je nie que les idolâtres se doivent désespérer. Prouve cette proposition. Qu'aurait fait alors le diable ? Il aurait tâché de prouver par quelque argument captieux que les idolâtres se doivent désespérer. Or a-t-il fait quelque chose de semblable ? vous ne le sauriez montrer. Car Luther ne rapporte que des arguments par lesquels le diable tâchait de lui persuader qu'il s'était rendu coupable d'idolâtrie en célébrant des messes privées, et ne dit point que ce malin esprit lui en ait fait d'autres. Que si Luther eût cru alors qu'il s'était rendu coupable d'idolâtrie, n'aurait-il pas dit au démon : Tu ne prouves pas ce qui est en question, montre que les idolâtres se doivent désespérer ; car c'est là le point dont il s'agit ? Un enfant même eût été capable de faire cette réponse. Comment donc Luther ne l'aurait-il pas faite, lui qui était si éclairé, selon vous, et qui savait si bien les règles d'argumenter ? le diable n'aurait-il pas aussi reconnu qu'il eût disputé en vain, s'il n'eût tâché de prouver en cette occasion que les idolâtres se doivent désespérer ? Vous voyez donc par toutes ces raisons que le démon ne voulait pas porter Luther au désespoir.

En effet, bien loin d'avoir ce dessein, il lui reprochait de n'avoir pas eu assez de confiance en Jésus-Christ. « Nous, esprits réprouvés, disait-il, nous n'avons point de confiance en la miséricorde de Jésus-Christ, mais nous l'avons en horreur comme un juge cruel. Tu n'avais point d'autre foi, ajoutait-il1. » Or eût-il parlé de cette sorte et aurait-il fait ce reproche à Luther s'il eût voulu le porter au désespoir ? Je ne crois pas que cette pensée puisse tomber dans votre esprit.

Mais pour ne point sortir de notre question, et répondre à votre objection en une parole, il ne s'agit pas ici de savoir si le démon a voulu porter Luther au désespoir, mais s'il lui a enseigné des sentiments contre la messe privée qu'il n'avait pas avant leur conférence. Or nous avons fait voir qu'il lui a enseigné un sentiment qu'il n'avait pas auparavant.

Je dis aussi que quand le démon aurait voulu perdre Luther par le désespoir, cette prétention n'aurait pas été incompatible avec le dessein de lui apprendre une doctrine hérétique contre la messe privée. Car personne n'a jamais dit qu'une doctrine catholique fût plus propre à porter un homme au désespoir que celle qui est hérétique.

Outre ces raisons, si la messe privée était une idolâtrie, qu'aurait gagné le démon en le faisant connaître à Luther ? Ne lui eût-il pas été plus avantageux pour le perdre de le laisser dans la créance que ce n'en était pas une, puisque cette créance eût été une cause indubitable de sa perte ? Le démon était-il assuré que, lui faisant connaître l'erreur et l'idolâtrie où il aurait été, il se désespérerait ? nullement. Cette voie lui étant donc incertaine pour réussir dans son dessein, il n'est pas croyable qu'il l'eût préférée à celle qui lui était toute assurée.

D'ailleurs le démon pouvait-il espérer de perdre Luther par un plus grand crime que celui de l’idolâtrie où il aurait été ? Ce crime étant un des plus grands qu'on puisse commettre, qui peut se persuader que le démon en eût voulu donner horreur à Luther par des instructions avantageuses à son salut ? Ce malin esprit qui savait que Luther était alors assez éclairé pour ne pas ignorer que la miséricorde de Dieu est infinie, et qu'il ne faut jamais se désespérer, aurait bien jugé que s'il lui eut donné de bonnes instructions pour lui faire connaître une idolâtrie où il aurait été, il les aurait tournées à son profit plutôt qu'à sa perte. C'est pourquoi il ne les lui aurait pas données, dans la crainte de contribuer à son salut contre l'intention qu'il avait de le perdre.

Mais outre que le démon pouvait voir qu'il n'aurait pas réussi dans son dessein par cette voie, et qu'il lui eût été plus avantageux de laisser Luther dans l'erreur où il aurait été, il pouvait aussi considérer que s'il l'instruisait et le retirait de l’idolâtrie, il lui donnerait moyen d'instruire et de retirer aussi de l’idolâtrie une infinité de peuples qui étaient dans la même créance que lui. Et ainsi, voulant perdre un seul homme par le désespoir, sans être assuré de réussir dans ce dessein, et lors même que sa perte lui eût été assurée par une autre voie, il se serait mis au hasard d'en sauver une infinité d'autres. Et cela même serait depuis heureusement arrivé, puisque Luther vous a enseigné la doctrine qu'il a apprise du diable, et que c'est par cette même doctrine que vous prétendez avoir été retirés de l’idolâtrie.

Qui ne voit que de toutes ces choses il s'ensuivrait que le diable aurait été votre principal réformateur, et qu'il n'y aurait point d'ange de lumière qui vous eût plus éclairé dans la voie du salut que cet ange de ténèbres, puisque vous lui seriez redevable de vous avoir retiré des ténèbres de l'erreur et d'une idolâtrie qui vous aurait infailliblement damné ? Mais se pourra-t-on persuader que vous ayez cette obligation au diable, à ce séducteur, à cet ennemi de la vérité et de votre salut ? Pour moi je ne crois pas qu'un homme qui a tant soit peu de raison puisse avoir cette pensée.

LE MINISTRE.

Remarquez 6° , que ce n'est pas du diable que Luther a appris l’idolâtrie de la messe, n'ayant rien voulu apprendre du diable, tome 2, imprimé à Jéna, en allemand, feuillet 182 ; mais qu'il a dit sa première messe l'an 1507. Or lorsqu'il dit qu'il fut tenté par le diable, il ajoute qu'il y avait déjà quinze ans passés qu'il avait dit la messe, de sorte que cette tentation lui arriva en l'an 1522, c’est-à-dire longtemps après qu'il avait rejeté et réprouvé la messe en soutenant qu'elle n'était pas un sacrifice. Voyez tome 1er, imprimé à Jéna, en allemand, feuillet 335, qu'il fallait abolir les messes pour les défunts et d'autres abus. Voyez le feuillet 336 du même tome.

RÉPLIQUE.

Il est facile de répondre à tout ce que vous prétendez par cette objection.

Car premièrement, quant à ce que vous objectez le feuillet 182 du 2° tome de Luther, imprimé à Jéna, en allemand, pour montrer que Luther n'a rien voulu apprendre du diable ; j'ai vu ce feuillet où vous nous renvoyez et n'y ai rien trouvé de ce que vous prétendez. Luther n'y dit en aucune manière qu'il n'a rien voulu apprendre du diable, ni autre chose semblable ; ce fait est une supposition, et vous ne deviez pas l'avancer.

Vous aviez cru peut-être que, citant le feuillet d'un livre allemand, qui est assez rare dans Paris, sans en rapporter les paroles, ni en faire la traduction, vous me surprendriez, parce que je ne pourrais pas reconnaître la fausseté de votre citation. Mais vous vous êtes trompé, j'ai trouvé dans la bibliothèque des RR. PP. minimes de la place Royale à Paris, toutes les œuvres de Luther, imprimées à Jéna, en allemand ; j'ai vu dans le 2° tome, le feuillet 182, que vous objectez, qui est le onzième du livre intitulé Von weltlicher oberkeit, c'est-à-dire de la puissance séculière. Or, bien loin d'y trouver ce que vous objectez, j'y ai remarqué une proposition qui vous est tout à fait contraire. Car Luther dit, dans la deuxième page de ce feuillet, que « combattre contre les hérésies c'est combattre contre le diable, qui possède les cœurs avec les erreurs1. » Or cette proposition montre assez que si la doctrine de la messe privée était une hérésie, le diable ne l'aurait pas combattue ; puisqu'en combattant contre une hérésie, il aurait combattu contre lui-même. Ainsi voilà ma première réponse, que non-seulement votre citation est fausse, mais qu'elle sert même à condamner votre prétention.

Ma seconde réponse est que quand votre citation serait vraie, notre question n'est pas de savoir si Luther a voulu apprendre quelque chose du diable ; mais si, conférant avec le diable, les instructions de ce malin esprit l'ont fait changer de créance ; et si, à la fin de cette conférence, il a eu des sentiments qu'il n'avait pas auparavant. Il se peut faire que Luther ne voulait rien apprendre du diable, puisque dans la conférence qu'il eut avec lui, il lui résista longtemps, et ne le voulait pas croire. Mais cela n'a pas empêché qu'à la fin de cette conférence il ne se soit rendu à son sentiment. Combien voyons-nous de personnes qui ne veulent rien apprendre de ceux contre qui ils disputent, et qui néanmoins après se portent à défendre la doctrine qu'ils avaient combattue. C'est ce qu'a fait Luther : il combattait au commencement la doctrine du diable, et résistait à ce séducteur ; mais après avoir conféré avec lui, se croyant convaincu par ses objections, il est entré dans ses sentiments. Ainsi quand Luther n'aurait rien voulu apprendre du diable, vous voyez par ces raisons que cette objection serait inutile et ne regarderait pas notre question.

Mais Luther, dites-vous, avait célébré sa première messe en l'année 1507, et quand il parle de sa conférence avec le démon, il dit qu'il y avait déjà quinze ans qu'il avait célébré la messe, de sorte que cette tentation lui arriva en l'année 1522, et vous concluez de là que cette dispute entre lui et le démon n'arriva que longtemps après qu'il avait condamné la messe privée.

Je réponds premièrement que Luther ne dit en aucun endroit qu'il y avait déjà quinze ans qu'il avait célébré la messe, quand il entra en conférence avec le démon, ni que cette tentation soit arrivée en l'année 1522. Vous ne tirez ces conclusions que des paroles du démon, qui disait que Luther avait célébré la messe privée durant quinze ans, à compter du jour de sa première messe, qu'il avait dite, selon vous, en l'année 1507.



Car le diable lui disait : « Ne sais-tu pas que, durant quinze ans, tu as célébré presque tous les jours des messes privées ? » Nosti etiam te quindecim annis celebrasse missas privatas penè quotidiè1 ?

Ces paroles, que nous lisons dans les Œuvres de Luther, imprimées à Wittemberg, sont une traduction fidèle de ce que Luther dit en allemand, dans le 6° tome de ses Œuvres, imprimées à Jéna, feuillet 82.

Hospinien, qui avait lu ces paroles de Luther, dit aussi que le démon lui parla ainsi : Num ignoras te quoque per annos quindecim missas privatas quotidiè fere celebrasse2 ?

Toutes ces choses font voir clairement que le démon lui disait, non pas comme vous l'alléguez, qu'il y avait déjà quinze ans qu'il avait célébré des messes privées ; mais qu'il les avait célébrées durant quinze ans.

Cela étant, je fais ce dilemme, auquel je vous prie de répondre : ou le démon a dit la vérité quand il a prétendu que Luther avait célébré la messe privée durant quinze ans, ou il ne l'a pas dite. S'il a dit la vérité, Luther ayant commencé à dire la messe, selon vous, en l'année 1507, il faut qu'il l'ait célébrée jusqu'à l'année 1522, et même dans cette année-là. Et par conséquent il ne l'a pas abolie longtemps auparavant, conséquence contraire à ce que vous avez avancé ; ou il faut dire qu'il l'a célébrée longtemps après l'avoir abolie ; et en ce cas vous ne ferez pas un grand honneur à Luther de le défendre de cette sorte. Si le démon n'a pas dit vrai quand il a dit que Luther avait célébré la messe privée durant quinze il ne faut pas vous appuyer sur son témoignage pour soutenir qu'il y avait déjà quinze ans que Luther avait célébré sa première messe quand il entra en conférence avec le démon. Et par conséquent vous ne sauriez conclure de ce témoignage que cette conférence ne soit pas arrivée avant l'année 1522. Ainsi quand vous me rapporteriez quelque livre fait par Luther contre la messe privée longtemps avant l'année 1522, ce ne serait pas une preuve qu'il eût condamné la messe privée avant cette conférence.

Mais sans examiner jusqu'à quel temps Luther a dit la messe privée, pour faire voir plus clairement qu'il l'approuvait encore au temps même de sa dispute avec le démon, il suffit de remarquer quatre choses.

La première est, qu'au commencement de cette conférence, Luther tachait de se justifier de ce qu'il avait dit la messe privée, et soutenait qu'il avait vraiment consacré en la disant, parce qu'il avait été consacré prêtre, et qu'il avait prononcé sérieusement les paroles de Jésus-Christ.

« J'ai été consacré prêtre, disait-il, j'ai reçu l'onction, et la consécration des mains de l'évêque... Pourquoi n'aurais-je pas consacré, ayant prononcé sérieusement les paroles de Jésus-Christ ?... Tu n'ignores pas cette vérité3. » Et dans ses œuvres imprimées en allemand, il dit encore plus clairement : « Je ne voulais pas avouer que je fusse coupable devant Dieu de tant d'abominations, mais je voulais défendre mon innocence, et écoutais les raisons par lesquelles le diable prétendait que je n'avais pas été validement consacré prêtre1. » Or, s'il était vrai que Luther t condamné la messe privée avant cette conférence, il ne se serait pas défendu de cette sorte ; au contraire il aurait dit au démon : Tu me veux montrer que la messe privée est une mauvaise chose, que j'ai mal fait en la disant, que je n'ai pas véritablement consacré, et que j'ai adoré seulement du pain et du vin au lieu du Corps et du Sang de Jésus-Christ ; tu ne m'apprends rien de nouveau : c'est pour cette raison que je l'ai abolie, et c'est inutilement que par tes arguments tu me veux prouver ce que je crois. N'ayant donc rien dit de semblable, mais au contraire s'étant défendu quelque temps contre les objections du démon, c'est une marque qu'avant la fin de cette conférence il ne croyait pas que la messe privée fut une mauvaise chose.

La 2° remarque qu'il faut faire est que Satan disputant contre Luther l'appelait papiste : « C'est ce que ni toi ni aucun autre papiste, disait-il, ne pourra nier2. Et pour montrer encore plus clairement qu'il lui parlait comme à une personne qui était alors dans l’Église romaine : « Pourquoi, disait-il, n'enseignez-vous pas, qu'on se peut confirmer soi-même, comme on a coutume de confirmer les autres parmi vous,... qu'on se peut donner l'extrême-onction à soi-même, comme on a coutume de la donner aux malades parmi vous ? » et ainsi des autres sacrements. « Car ce sont là, ajoutait-il, vos sept sacrements. Quare rejicitis confirmationem, si quis MORE VESTRO confirmaret seipsum? Quare non est Unctio, si quis in Extremis JUXTA RITUM VESTRUM inungeret seipsum3 ? » Et après avoir ainsi argumenté des autres Sacrements : « Hæc enim, disait-il, sunt vestra 7 Sacramenta4. » Ces paroles MORE VESTRO, JUXTA RITUM VESTRUM, VESTRA 7 SACRAMENTA, montrent que Luther était alors dans une religion où l'on avait coutume d'administrer à ceux de sa communion la confirmation, l'extrême-onction et les autres sacrements de l’Église romaine. Or depuis que Luther s'est séparé de l’Église romaine et qu'il a écrit contre la messe privée, on ne saurait montrer qu'il ait été dans une religion où l'on eût coutume d'administrer à ceux de sa communion la confirmation et l'extrême-onction. Et par conséquent il était encore alors dans l’Église romaine, et n'avait pas combattu par ses écrits la messe privée.

La 3° chose qu'il faut observer, est que Luther, pour se défendre contre les dernières objections du démon, lui opposa la foi et l'intention de l’Église dans lesquelles il avait célébré la messe privée, et lui soutint que cette foi et cette intention de l’Église étaient bonnes.

« Je lui opposai, dit-il, l'intention et la foi de l’Église, lui représentant que c'était dans la foi et dans l'intention de l’Église, que j'avais célébré les messes privées. Et quand j'aurais eu, lui disais-je, une mauvaise créance et de mauvais sentiments, l’Église toutefois a eu en cela une bonne créance, et de bons sentiments5. » Ce qui fait voir clairement qu'il n'avait pas encore rejeté la créance de l’Église romaine touchant les messes privées. Car s'il l'eût rejetée auparavant, il n'aurait pas opposé au démon pour sa défense, la foi et l'intention de cette Église, et il eût encore moins soutenu qu'elles eussent été bonnes ; au contraire il les aurait condamnées, comme il a fait depuis dans ses œuvres. Ainsi, puisqu'il était alors dans les sentiments de l’Église romaine touchant la messe privée, il croyait encore qu'elle était un véritable sacrifice, et il ne l'avait pas abolie.

Pour dernière remarque, Luther s'objectant dans le récit qu'il fait de sa conférence avec le démon, le sentiment des docteurs de l’Église, qui disent qu'on ne doit pas croire le diable, parce qu'il est un menteur, ne répond pas qu'il ne l'a point cru, ni qu'il ait été persuadé avant cette conférence que la messe privée fût une mauvaise chose ; mais il se moque de cette objection, disant que si les docteurs disputaient eux-mêmes contre le diable, ils ne lui résisteraient pas longtemps, parce, dit-il, que « le diable remplit tout d'un coup, et en un clin d'œil tout l'esprit de ténèbres. » Et ensuite pour montrer qu'il a dû croire le diable, il ajoute que « le diable ne ment pas quand il nous accuse. »

« Les saints Pères, dit-il, se riront ici de moi, et diront : Quoi ! es-tu ce docteur si célèbre, et tu n'as pu répondre au diable ? Ne sais-tu pas que le diable est un menteur ? »

A quoi il répond par ironie : « Je vous rends grâces de toute mon affection pour des paroles si pleines de consolation en une affaire si importante. J'aurais ignoré jusqu'à présent que le diable est un menteur, si vous ne m'en aviez averti, vous, excellents théologiens. »

Et un peu après il dit : « S'il vous fallait soutenir les assauts du diable, et disputer contre lui, vous cesseriez bientôt de publier si hautement ce que vous dites de la conduite et de la tradition de l’Église... Car Satan tout d'un coup et en un clin d'œil remplit tout l'esprit de ténèbres... »

« Il est vrai, ajoute-t-il, qu'il est un menteur...Mais il ne ment pas, quand il nous accuse1. »

Toutes ces paroles ne font-elles pas voir, que quoiqu'il ait résisté quelque temps aux arguments du diable, il l'a néanmoins cru à la fin de cette dispute, et que la cause de cette persuasion est que ce malin esprit a obscurci son entendement, et l'a rempli de ténèbres ?

Enfin après toutes ces raisons déjà si fortes pour montrer que c'est le démon qui a fait croire à Luther que la messe privée est une mauvaise chose, lisez encore ce qu'en dit Hospinien dans la 2° partie de son Histoire Sacramentaire, pag. 131, où il rapporte la conférence de Luther avec le démon selon qu'il l'avait lue dans les œuvres de Luther imprimées en allemand. Le témoignage de cet auteur ne doit pas vous être suspect, puisque c'est un historien calviniste, ennemi de la messe, qui a donné beaucoup de louanges à Luther2, et avait intérêt de conserver sa réputation. Voici comme il parle au lieu que je viens de citer : « Cette année, dit-il, parlant de l'année 1533, qu'il marque à la marge de son livre, Luther mit au jour son livre de la messe privée,... où il rapporte la conférence qu'il avait eue avec le diable, et où il avoue que dans cette conférence il a été averti par ce malin esprit de plusieurs abus de la messe privée1. » Hospinien rapporte ensuite une partie des arguments que fit le diable pour combattre la messe privée, et les réponses de Luther pour la défendre, et après il ajoute que Luther dans ce livre de la messe privée fait un plus ample récit de toutes ces choses, dont le sommaire est, que c'est le diable qui lui a enseigné que la messe privée est une mauvaise chose, et qu'en ayant été convaincu par les raisons du diable, il l'a abolie. » De hac disputatione narrat plura, quorum summa est se à diabolo edoctum esse, quod missa privata in primis sit res mala, et rationibus diaboli convictum abolevisse eam.

Sans doute Hospinien n'aurait pas parlé de cette manière, s'il n'avait vu que Luther en faisait clairement l'aveu dans ses écrits. Car il n'eût pas été de son honneur d'imposer à Luther une chose dont le reproche aurait retombé sur lui-même ; et ainsi puisque d'après cet auteur c'est par l'avis du démon que Luther a aboli la messe privée et que Luther même l'a avoué ; qui peut douter que Luther n'ait appris du diable à combattre la messe privée, et qu'il n'était point dans la créance qu'elle fut une mauvaise chose, avant que d'entrer en conférence avec ce malin esprit ?

LE MINISTRE.

Donc l'on peut tirer cette conséquence infaillible, que Luther a réprouvé la messe et l'a abolie, avant qu'il fût attaqué du diable par ladite tentation.

RÉPLIQUE.

Vos objections ayant été détruites, la conséquence que vous en tirez ne se peut soutenir. C'est pourquoi, après les raisons que nous avons dites, ce que vous prétendez ici ne mérite pas de réplique.

LE MINISTRE.

C'est donc une calomnie, dont on veut charger Luther, de dire qu'il avait appris du diable sa doctrine, et qu'il a eu pour maître le diable, qui l'ait poussé à abolir la messe, puisqu'elle l'a été avant que Luther eût eu ce songe et cette tentation.

RÉPLIQUE.

C'est au contraire une calomnie d'avancer que Luther avait condamné la messe privée avant sa conférence avec Satan. Car je vous ai montré qu'il l'avait défendue contre Satan, et avait apporté toutes les raisons qu'il pouvait, pour montrer qu'elle n'était pas une mauvaise chose. Or, dire qu'il l'ait défendue lorsqu'il l'avait abolie, et qu'il ait soutenu qu'elle était une bonne pratique lorsqu'il croyait que c'en était une mauvaise, c'est lui imposer, ou nous donner sujet de croire qu'il a trahi ses sentiments, et renié extérieurement sa foi dans cette conférence, comme un impie qui n'aurait agi par le mouvement d'aucune religion. Si vous ne voulez pas que nous croyions Luther si méchant parce qu'il ne vous est pas avantageux de faire passer le principal auteur de votre prétendue réforme pour un homme sans religion et sans conscience, reconnaissez qu'il a parlé sans déguisement, et défendu ses propres sentiments dans la conférence qu'il a eue avec le démon.

En effet, qui croira qu'ils eussent tant disputé, s'ils eussent été d'accord ? Qui croira que, si Luther avait déjà condamné la messe privée par ses écrits, comme vous le supposez, le démon qui l'aurait su, eût voulu prouver avec tant de soin et par des arguments que vous appelez invincibles, qu'il fallait l'abolir. Ces assertions sont-elles croyables ? il faut donc vous rendre à cette vérité, que Luther n'avait pas encore condamné la messe privée lorsqu'il la défendait contre le démon, et que ce n'est que depuis les objections soi-disant invincibles du démon qu'il l'a abolie : « rationibus diaboli convictum abolevisse eam1 » , comme dit Hospinien.

Ainsi on peut dire sans calomnie, qu'il a eu le diable pour maître, et qu'en lui et en ses sectateurs s'est accompli à la lettre ce qui avait été prédit par saint Paul : Que dans le temps à venir quelques-uns abandonneraient la foi en suivant des esprits d'erreur et des doctrines de diables2.



LETTRES DE SCHEFFMACHER, DOCTEUR ALLEMAND DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE STRASBOURG, A UN GENTILHOMME PROTESTANT.

SEPTIÈME LETTRE : DU SACRIFICE DE LA MESSE.



MONSIEUR,

Si, c'est contre votre attente et avec quelque surprise, que vous recevez aujourd'hui une lettre assez ample sur le sujet de la Messe, vous ne tarderez pas, je l'espère, à revenir de votre étonnement, lorsque j'aurai l'honneur de vous dire, qu'en composant cet écrit et en osant vous l'adresser, je n'ai fait que me rendre au désir de vos prédécesseurs.

J'ai lu dans l'histoire de Sleidan, que le Corps des Magistrats de Strasbourg s'étant réuni le 20 février de l'an 1529, ordonnèrent par un décret de cesser la célébration de la Messe jusqu'à ce qu'il eût été prouvé qu'elle est un culte agréable à Dieu1 ; d'où je conclus, que la Messe n'a pas été absolument abrogée à Strasbourg, que la célébration en a seulement été interrompue et différée jusqu'à de plus grands éclaircissements, que les magistrats étaient pour lors disposés à écouter ce qui pourrait se dire en faveur de cet auguste mystère, et que l'esprit du décret devant subsister, tant que le décret n'a pas été révoqué par un acte contraire, il y a lieu d'espérer que les successeurs de ceux qui l'ont rendu, ne se seront pas éloignés de la disposition où ont été leurs ancêtres.

Si cependant vous prétendez, Monsieur trouver dans le décret une entière suppression de la Messe, et considérer les termes dans lesquels il est conçu comme le langage d'une ferme assurance qu'on ne réussira jamais à la justifier, je ne pourrai alors regarder l'expression dont on s'est servi, que comme une espèce de défi, ou comme une provocation faite à tous les théologiens catholiques de venir à la défense d'un culte, qui passait déjà dans l'esprit des magistrats pour être absolument insoutenable.

De quelque manière qu'il faille interpréter ces paroles, soit que Messieurs les magistrats aient eu réellement une disposition sincère de conserver la Messe au cas qu'on leur en fit connaître le prix et l'excellence ; soit qu'ils aient voulu faire sentir d'avance l'inutilité de toutes représentations tendant à maintenir un usage qui leur déplaisait, je ne puis trouver dans les termes du décret qu'une occasion légitime de traiter un sujet, sur lequel vous avez témoigné vous-même plus d'une fois désirer d'être éclairci.

Oui, Monsieur, si c'est une invitation qu'on a prétendu faire aux théologiens catholiques, je m'y rends, et si c'est un défi qu'on ait voulu leur donner, je l'accepte. Ce n'est point, cependant, je le sais, aux possesseurs d'un ancien usage à fournir les preuves de la justice et de la légitimité de cet usage ; toute l'obligation de prouver se trouve ici du côté de l’agresseur. C'est sans doute à celui qui attaque la coutume établie, à faire voir ce qu'il croit y trouver de répréhensible ; ceux qui sont en possession, n'ont qu'à rester sur la défensive. Il n'est personne dans votre illustre Corps, qui jouissant depuis longtemps d'un bien dont on lui disputerait aujourd'hui la possession, ne fût fort surpris de se voir privé par un arrêt d'en percevoir les revenus jusqu'à ce qu'il ait fait voir la validité de son titre.

Tel a été le jugement prononcé par votre Magistrature en l'an 1529, jugement irrégulier, s'il en fut jamais, puisqu'il charge le possesseur de l'obligation de la preuve, pour en exempter l’agresseur contre toutes les règles du droit et de l'équité naturelle.

Mais sans m'arrêter à relever ici le défaut d'une procédure si extraordinaire, je me hâte de venir au fond de l'affaire, et je vais fournir les preuves exigées de nous, quoiqu'on n'eût aucun droit de nous les demander. Elles ne ne consisteront pas, je vous assure, Monsieur, dans des raisonnements subtils et abstraits plus propres à éblouir l'esprit qu'à persuader la raison ; j'éviterai ces arguments embarrassés pour n'en proposer qu'un seul, bien propre faire impression sur les hommes de votre caractère : car je connais et révère les qualités qui vous distinguent ; je sais que vous joignez à un sens droit, à un jugement équitable, à une certaine probité de raison, qui fait une des principales parties du mérite de l'honnête homme, un goût pour le vrai, que l'amour de la dispute n'a point altéré. Voici donc en deux mots toute ma pensée vous y trouverez le précis de tout ce que je dois avoir l'honneur de vous dire sur la matière en question.

Un culte établi dès les premiers temps de l'Église ; un culte répandu dès lors chez toutes les nations chrétiennes de la terre, un culte pratiqué constamment jusqu'aux disputes de Luther par toutes les Églises du monde, même par celles qui depuis plus de mille ans sont séparées de l'Église romaine, un culte qui subsiste encore aujourd'hui dans les mêmes églises séparées, un culte si ancien, si étendu, si universel parmi les chrétiens, doit nécessairement être un culte agréable à Dieu, et propre à le glorifier ; surtout si les chrétiens ont toujours et généralement regardé ce culte comme l'action la plus sacrée et la plus importante de la religion, et n'ont jamais hésité à en référer l'origine à l'institution de Jésus-Christ, le grand et souverain Prêtre de la nouvelle Alliance. Or, Monsieur, ce sont là autant de particularités qui conviennent parfaitement au sacrifice de la Messe, comme il me sera facile de le faire voir ; il ne peut donc être permis de se former de ce sacrifice aucune autre idée, que celle d'un culte propre à réjouir le cœur de Dieu, et à procurer sa gloire.

Si je réussis à mettre toutes les parties de ce raisonnement dans un jour tel, que vous ne puissiez refuser de les reconnaître pour incontestablement vraies, je compte, Monsieur que votre droiture et votre penchant à la véritable piété, vous porteront à employer toute la force de vos exemples et de votre autorité, pour corriger et réparer les mauvais effets d'un décret porté sans doute avec trop de précipitation, et sans une connaissance assez approfondie de la cause.

1ère Proposition : LE SACRIFICE DE LA MESSE A TOUJOURS ÉTÉ RECONNU ET EST ENCORE RECONNU AUJOURD'HUI PAR TOUTES LES SOCIÉTÉS CHRÉTIENNES.



Je commence d'abord, Monsieur, par établir deux vérités de fait, qui me fourniront des preuves abondantes, et donneront en même temps beaucoup de force à celles que je tirerai encore d'ailleurs pour remplir toute l'étendue de mon sujet, suivant le plan dont je viens de me tracer un léger aperçu. La première vérité de fait est, qu'immédiatement avant les disputes de Luther, toutes les nations chrétiennes du monde, même celles qui depuis nombre de siècles se trouvent séparées de l'Église romaine, étaient dans l'usage d'offrir en sacrifice le Corps et le Sang de Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin pour les vivants et pour les morts, et que toutes ces sociétés séparées par un schisme si ancien et si invétéré, persévèrent encore aujourd'hui dans la même pratique. La seconde vérité de fait est, que dans les premiers siècles du Christianisme et dans les temps les plus voisins des Apôtres, l'usage du même sacrifice n'a été ni moins indubitablement établi, ni moins universellement observé. Quel préjugé pour nous, si je puis démontrer ces deux vérités d'une manière à ne pouvoir être contredit ? Or, qu'il me soit permis de donner ici à mon tour un défi ; oui, Monsieur, si vous me le permettez, je défie les esprits les plus âpres à la dispute, et les plus livrés à l'amour de la chicane, d'oser s'inscrire en faux sur ces deux articles ; j'ai de quoi faire plier tout ce qui voudra se roidir contre une évidence si palpable ; jugez-en vous-même, Monsieur, s'il vous plaît, par les pièces que je vais produire ; quoique vous soyez partie, je ne récuse pas votre jugement ; que dis-je ? je cite même à votre tribunal quiconque refusera de se rendre à mes preuves.

§. I. PREMIÈRE VÉRITÉ DE FAIT : Nous avons pour nous l'usage de toutes les Églises Orientales séparées.

Il n'est pas, Monsieur, que vous ayez connaissance des différentes tentatives faites par les protestants d'Allemagne, presque dès le commencement de leur prétendue réforme, pour faire approuver la Confession d'Ausbourg au Patriarche de Constantinople, chef de l'Église grecque séparée de l'Église romaine plusieurs siècles avant qu'on n'eût jamais ouï parler de Luther dans le monde. Mélanchton traduisit cette Confession en grec sous le nom de Paul Dolscius, et l'envoya en 1559 au patriarche Joseph, qui ne daigna pas lui faire de réponse. Quatorze ans après Crusius, professeur de lettres latines et grecques dans l'université de Tubingue, et Jacques André, ministre de cette ville, renouvelèrent les mêmes pratiques auprès du patriarche Jérémie, par le moyen d'un nommé Etienne Gerlach, luthérien, qui faisait la fonction d'aumônier près l'ambassadeur de l'Empereur à Constantinople. Après un assez long commerce de lettres, le patriarche les pria de ne plus lui écrire sur le sujet de la religion, leur reprocha d'avoir corrompu le sens des Écritures, et les traita comme des gens incurables, qui, après avoir rejeté la tradition constante de l'Église, avaient aussi renoncé à la lumière qui pouvait les tirer de leurs erreurs. Or, c'est ce Crusius, si bien instruit de la doctrine des Grecs par leur patriarche et par les informations tirées de Gerlach, qui déclare que les Grecs ont sept sacrements, qu'ils croient la Transsubstantiation, et, pour toucher le point ici en question, qu'ils offrent dans leurs liturgies le Corps et le Sang de Jésus-Christ à Dieu le Père pour les péchés des prêtres et les ignorances du peuple1.



Vous en conviendrez sans doute aisément Monsieur, ce témoignage est bien fort ; car il vient d'un homme parfaitement instruit, qui n'avait aucun intérêt à faire cette déclaration, et qui semble même avoir eu un intérêt tout contraire. M. de Pomponne, ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté Très Chrétienne auprès du roi de Suède, désirant connaître sûrement la créance des Moscovites touchant l'Eucharistie, et s'assurer en même temps par là de celle des Grecs, unis de sentiment et de communion avec eux, pria le Grand Chancelier de Suède d'employer son crédit auprès de M. de Lilienthal, résident de Suède en Moscovie, pour lui procurer sur ce point des éclaircissements auxquels il pût ajouter foi avec certitude. M. de Lilienthal, pour satisfaire l'un et l'autre, s'adressa à l'archevêque de Gaza, nommé Paysius Ligaridius, qui passait à cette époque pour un des hommes les plus habiles de la Moscovie, et qui pour son rare mérite logeait dans le palais même du Grand-Duc, et il obtint de ce prélat un écrit assez ample daté de l'an 1666, dont l'original se conserve dans la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Voici comme il s'explique sur la Messe : « La Messe est comme un sacrifice propitiatoire institué pour obtenir la rémission des péchés aux vivants et aux morts, pour apaiser la colère de Dieu, et pour détourner les fléaux dont nous sommes menacés ;... car quoique le sacrifice ne produise pas immédiatement par lui-même la grâce, comme font les sacrements, il a cependant la vertu de fléchir Dieu, et de l'engager à accorder le don de pénitence par le moyen duquel on parvient à la justification2. »

Le même M. de Pomponne fit connaissance à Stockolm avec un seigneur de Moldavie nommé Nicolas Spadari, et l'engagea à mettre par écrit le sentiment des Moldaves sur l'Eucharistie, autre voie de s'assurer de la créance de l'Église grecque, qui exerce sa juridiction sur ces peuples. Quoique ce seigneur eût commandé les troupes de son prince, et été employé en plusieurs négociations importantes, il s'était néanmoins si fort appliqué à l'étude de la Religion, qu'il n'en parlait pas avec moins de justesse et d'habileté, que de la guerre et des affaires d’État. Il eut donc la complaisance de composer un écrit, qui depuis a été imprimé, et qui a pour titre : Stella Orientalis Occidentali splendens. Dans le quatrième article de cet écrit, il dit en parlant de la Messe : « Nous croyons que l'oblation du mystère est le propre et véritable sacrifice du Nouveau Testament, par lequel Dieu est rendu propice aux vivants et aux morts3.

Mais pourquoi m'arrêter à recueillir des témoignages rendus par des particuliers en faveur des moindres Églises, tandis que je trouve dans le sein de l'Église principale de la Grèce les plus magnifiques attestations, données dans la forme la plus solennelle.

M. le marquis de Nointel, ambassadeur du roi à la Porte Ottomane, sollicité par des docteurs catholiques, qui étaient aux prises avec les calvinistes français, de leur procurer des certificats sûrs et authentiques de la foi des Grecs sur les principaux points contestés, crut devoir profiter d'une occasion favorable qui se présenta, et qui avait rassemblé sept archevêques grecs à Constantinople. Il leur proposa par écrit quinze articles, qui lui avaient été envoyés de France, et sur lesquels il leur demanda leur sentiment ; la réponse sur le troisième, fut que « l'Eucharistie est un sacrifice pour les vivants et pour les morts établi par Jésus-Christ, et légué à l'Église par la tradition des Apôtres. » L'acte fut donné à Pera, faubourg de Constantinople, l'an 1671, le 18 de Juillet, et signé par Barthélemi d'Héraclée, Jérémie de Chalcédoine Méthodius de Pisidie, Métrophane de Cyzique, Antoine d'Athènes, Joachim de Rhodes, Néophyte de Nicomédie.

Par quelle voie pourra-t-on s'assurer de la foi des Grecs, j'ose le demander, Monsieur, si pour faire connaître les véritables sentiments de leur Église, il ne suffit pas d'une attestation donnée dans la capitale par sept métropolitains à un ambassadeur de France, pour être montrée à des parties intéressées, vivement animées par la dispute, et servir dans tout l'Occident comme d'un monument constant élevé à la sûreté de leur croyance ? Il vous paraît sans doute, Monsieur, qu'on ne peut rien ajouter à la force et à l'authenticité de cet acte mais si je fais voir que des synodes entiers ne se sont pas expliqués moins clairement vous concevrez encore mieux qu'il faut avoir un esprit ridiculement contentieux, pour oser disputer sur un fait si invinciblement établi. Or, je puis produire les décisions de deux synodes célébrés dans ces derniers temps par les Grecs séparés de nous.

Le premier s'est tenu dans l'île de Chypre à Leucosie, l'an 1668, par l'archevêque Nicéphore, uni à plusieurs évêques, grand - vicaires, abbés et prêtres de cette île. Hilarion Cicada, évêque de Chypre même, en a fait un extrait, qui a été envoyé en France, et dont l'original grec se trouve dans la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Sur ce qui regarde la Messe, voici les termes du synode : « Si quelqu'un dit que la Messe n'est pas un sacrifice non sanglant, propitiatoire pour les péchés des vivants et des morts, et qu'on ne doit pas adorer Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie, qu'il soit regardé comme coupable d’hérésie, et soumis à toutes les peines et censures portées contre les hérétiques. » Le synode ajoute à la fin, que cette foi est celle des quatre patriarches de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de de Jérusalem, des Moscovites, des Russes, de la Bulgarie, de la Servie, de la Mysie supérieure et inférieure, de l'Epire, des Arabes et des Égyptiens. Si ce n'était pas là en effet la créance de tous ces peuples, le synode eût-il jamais osé la leur imputer ? et la crainte d'être contredit par des peuples qui auraient eu peine à se voir prêter une doctrine différente de la leur, ne l'eût-elle pas rendu assez circonspect pour ne pas leur imputer une manière de penser étrangère et supposée ?

Le second synode a été tenu à Jérusalem sous le patriarche Dosithée. Ce fut par son ordre et par celui du synode que fut composé un extrait synodal intitulé : Bouclier de la foi, extrait qui fut envoyé par le patriarche à Louis XIV, comme une preuve authentique de la foi des peuples commis à ses soins, et qui se conserve précieusement dans la bibliothèque du Roi. Dosithée, parlant au nom du synode, se plaint d'abord de ce que les calvinistes de France osent imputer aux Grecs des sentiments dont ils sont infiniment éloignés ; il dit que, s'ils en usent ainsi, ce n'est que par ignorance, puisqu'il a paru un grand nombre de livres, et il en cite plusieurs, où leur doctrine se trouve clairement expliquée, mais que c'est par une excès de malice extrême, et dans l'intention d'en imposer aux simples. Il vient ensuite à l'article de la Messe, et il assure « qu'elle est un sacrifice véritable et propitiatoire, offert pour toutes les personnes pieuses, vivantes et mortes, et pour l'utilité de tous, comme il est porté expressément dans les prières du sacrifice. » Puis sur la fin il ajoute que les Nestoriens, les Arméniens, les Cophtes, les Syriens, les Ethiopiens placés sous la ligne équinoxiale, et reculés même au-delà vers le Tropique du Capricorne, quoique séparés des Grecs depuis plusieurs siècles, sont néanmoins parfaitement d'accord avec eux sur le nombre des sacrements, et sur ce qui est enseigné dans le traité de la Transsubstantiation et du sacrifice. « C'est, dit-il, ce que nous voyons de nos yeux, et nos sens nous l'apprennent dans cette sainte ville de Jérusalem, où, de tous les lieux du monde, tant de personnes simples, non savantes, s'empressent de venir en pèlerinage. » Qui pourra se persuader qu'un patriarche parlant au nom d'un synode et de tout son patriarcat, ait entrepris de tromper un aussi grand roi que Louis XIV, en déguisant, ou en altérant la doctrine reçue dans son Église ?

Le patriarche d'Antioche ne l'a point cédé à celui de Jérusalem : il ne s'est pas, il est vrai, déclaré à la tête d'un synode ; mais il a fait signer l'acte remis à M. le marquis de Nointel, par un si grand nombre de témoins respectables, que cet acte ne le cède en rien à l'autorité d'une déclaration synodale1.

Je ne dois pas omettre de rapporter ce qu'on y lit sur le sujet que je traite ; car rien n'est plus propre à faire connaître la haute idée qu'ont les Grecs du sacrifice de la Messe. « Nous croyons, dit le patriarche, que la Messe est un vrai sacrifice non sanglant, dont la perfection l'emporte d'autant plus sur les sacrifices offerts dans la loi de Moïse, que l'Agneau de Dieu, venu pour ôter les péchés du monde, surpasse en excellence les privés d'une âme raisonnable, et que le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech est élevé par sa perfection au dessus d'un ministre revêtu d'infirmité et capable de pécher ; car le Messie dans la divine Messe est celui qui est offert et qui offre, qui reçoit et qui donne, selon l'expression de S. Jean Chrysostôme. Or, nous offrons ce sacrifice non sanglant au Très Haut pour le pardon des péchés commis par les fidèles vivants et trépassés, ainsi que nous l'ont appris les SS. Apôtres instruits par le Messie. »

Qu'en pensez-vous, Monsieur, vous qui êtes fait à examiner la nature et la qualité des pièces, et qui savez en estimer la juste valeur ? celles que je viens de produire, ne doivent-elles pas suffire pour convaincre tout esprit impartial, que l'Église grecque est parfaitement dans les mêmes sentiments que nous touchant le prix, l'excellence et la vertu du sacrifice de la Messe ? ce sont des attestations données autorité publique, scellées du sceau des chefs des Églises, signées par un grand nombre de témoins respectables, légalisées par des ambassadeurs ou des consuls de nations, mises en dépôt dans des lieux dont chacun peut approcher pour les examiner et s'assurer de leur authenticité. Si jamais pièce écrite a mérité la foi du public, les attestations que je viens de citer ne doivent-elles pas obtenir le premier rang parmi celles que l'on peut le moins contester ?

Mais il ne s'agit pas ici de la seule Église grecque ; il existe encore d'autres sociétés en Orient, séparées de l'Église catholique par un schisme beaucoup plus ancien que celui des Grecs, et qui n'en sont pas moins d'accord avec eux et avec nous sur le point en question. Ce sont les Jacobites et les Nestoriens. Les premiers, appelés aussi Monophysites, parce qu'ils ne croient qu'une nature en JÉSUS-CHRIST, ont pour patriarche le successeur de Dioscore condamné par le concile de Chalcédoine, et par conséquent sont séparés de l'Église catholique depuis le temps de ce concile, tenu l'an 451, ils ont grand nombre d'Églises dans l'Assyrie, l'Arménie, l’Égypte et l’Éthiopie. Les Nestoriens, qui croient deux personnes en JÉSUS-CHRIST, et et qui sont séparés de l'Église catholique depuis le concile d'Ephèse, célébré en 431, c’est-à-dire depuis treize siècles, sont répandus dans l'Asie, la Mésopotamie, le Diarbeck, la Perse, la Tartarie et bien avant dans les Indes. Or, les uns et les autres ne diffèrent en rien des catholiques ; ils ont la même idée de la nature du sacrifice de la Messe ; ils sont dans le même usage de l'offrir pour les vivants et pour les morts. Rien de plus aisé, Monsieur, que de vous en convaincre par des actes publics non moins bien conditionnés que les précédents. Commençons par les Jacobites.

Les Arméniens, qui ont de nombreuses Églises à Alep, à Ispahan et à Saint-Erméazin, sont incontestablement de cette secte ; daignez, Monsieur, jeter les yeux sur les déclarations authentiques, faites par les chefs de ces trois Églises.

Le patriarche des Arméniens d'Alep, parlant au nom de son peuple, dit dans un acte daté du 1er mai 1668 : « Nous adorons d'un culte de latrie Jésus-Christ, caché dans la sainte Eucharistie, et nous offrons dans le S. Sacrifice de la Messe pour la rémission des péchés des vivants et des morts, le même Corps qui a été crucifié, et le même Sang qui a été répandu sur le Calvaire. » Il ajoute à la fin : « Si quelqu'un ose soutenir le contraire de cette doctrine, qu'il soit anathème. » Cet acte est signé de trois évêques et de tout le clergé d'Alep. M. Baron, consul de la nation française, atteste que les sceaux et les seings ont été mis en sa présence.

L'Archevêque des Arméniens d'Ispahan a fait quelque chose de plus, car il a adressé son attestation au Roi : « Potentissimo coronato Ludovico Regi gentis victricis Francorum. » Elle est datée du 10 décembre 1671, et signée de trois évêques et du clergé d'Ispahan. M. de Nointel déclare qu'elle lui a été remise pour la faire tenir au Roi. L'archevêque et les siens y protestent fortement contre treize articles de la doctrine de Calvin et de Luther, et se plaignent qu'on la leur impute calomnieusement. Parmi ces articles contre lesquels ils se récrient si fort, est le quatrième, où il est dit que « la Messe n'est pas un sacrifice de propitiation, et qu'ainsi il ne faut pas l'offrir pour les vivants et pour les morts. »

C'est contre les mêmes articles conçus à peu près dans les mêmes termes, que le patriarche des Arméniens de St-Erméazin, situé dans l'Arménie majeure appelée Ararate, s'éleva avec encore plus de force. Il était venu pour affaires à Constantinople, lorsque M. le marquis de Nointel se trouvait ambassadeur à la Porte ; requis par ce seigneur de s'expliquer sur les articles qui faisaient le sujet de la dispute entre les catholiques et les protestants, il lui déclara par un acte solennel, qui se conserve avec d'autres de la même espèce dans la bibliothèque de Saint-Germain-des-Près ; que « ses oreilles n'avaient jamais rien ouï de pareil aux prétentions des calvinistes et des luthériens ; que les propositions qu'ils soutenaient, n'étaient jamais tombées dans sa pensée, et qu'il les rejetait comme des dogmes empestés et pleins de venin, protestant que, ni lui, ni les siens n'entendront jamais sans une profonde douleur de si horribles discours. » Or, la quatrième des propositions qu'il rejette avec tant d'horreur, était celle dont je viens de faire mention, et où l'on ose soutenir que la Messe n'est pas un sacrifice propitiatoire, et qu'il ne faut pas l'offrir pour les vivants et pour les morts. »

Il est donc clair, Monsieur, qu'il se trouve une parfaite conformité entre les sentiments des Jacobites et les nôtres au sujet de la Messe : reste à voir ce que pensent les Nestoriens sur le même article. Je me contenterai de produire une seule attestation du métropolitain des Nestoriens de la ville de Diabecker. C'est à M. Piquet que nous sommes redevables de cette pièce ; consul pour les Français à Alep, il sut trouver le moyen d'engager le chef de cette Église à s'expliquer sur les points contestés par les novateurs. L'acte est de l'an 1669, et du vingt-quatrième jour du mois Nisan. Il est bon, Monsieur, de vous avertir que vous trouverez à la fin de cet écrit un certificat de M. l'abbé de Targni, bibliothécaire du roi, et un autre du R. P. Louis l'Emerault, bibliothécaire de Saint-Germain-des-Prés, où ils attestent que les pièces rapportées ici sont dans l'une ou dans l'autre de ces deux bibliothèques, et que mes citations sont conformes à l'original. Voici les paroles du patriarche Joseph et de son clergé : « Nous avons appris avec un extrême étonnement qu'un certain fils de Satan, de la nation de France (c'est de M. Claude, ministre de Charenton, qu'il parle) a osé faire une injure atroce à l'Église Orientale, en lui imputant faussement de ne pas croire, et de ne pas recevoir le très grand mystère de l'oblation sacrée. Nous croyons fermement, qu'après les paroles de Jésus-Christ, prononcées par le prêtre selon l'autorité qu'il en a reçue du ciel, la substance du pain est changée en la substance du Corps de notre Seigneur Jésus-Christ, et la substance du vin en la substance de son Sang précieux, en sorte qu'il ne reste rien du pain et du vin que les accidents de l'un et l'autre. Ce Corps qui a été crucifié, ce Sang versé sur le Calvaire, nous l'offrons pour plusieurs et pour nous, c'est-à-dire pour les vivants et pour les morts, pour la rémission des péchés et des peines qu'il mérite ; nous anathématisons ceux qui disent le contraire, et qui ne reçoivent pas cette doctrine. » Quoi de plus formel, Monsieur, que cette déclaration ? convenez, s'il vous plaît, que si un catholique romain avait à expliquer sa croyance sur le mystère de l'Eucharistie et sur l'oblation qui s'en fait à l'autel, il ne pourrait exprimer sa pensée en termes plus clairs et plus précis.

Voilà donc une vérité de fait parfaitement démontrée : c'est que toutes les Églises d'Orient séparées de l'Église romaine depuis plusieurs siècles sont d'accord avec nous sur le sacrifice de la Messe : je dis toutes les Églises d'Orient, car outre les trois dont j'ai parlé, savoir, celle des Grecs, appelés Melchites, celle des Jacobites et celle des Nestoriens, il n'y en a pas d'autres en Orient, où toutes les nations chrétiennes, à l'exception des catholiques romains, appartiennent à l'une ou à l'autre de ces trois communions.

Mais s'il est invinciblement établi que toutes les Églises orientales pensent aujourd'hui comme nous sur l'article de la Messe, il est également manifeste qu'elles pensaient de même immédiatement avant la naissance des disputes de Luther ; car si ces Églises avaient été pour lors d'un autre sentiment qu'aujourd'hui, il faudrait nécessairement que pendant le cours des deux derniers siècles il fût arrivé dans leur doctrine un changement considérable dont on pourrait marquer l'époque, l'auteur, les causes et les circonstances ; or, personne, je crois, n'entreprendra de le faire. D'ailleurs, si l'on voulait prétendre qu'un changement est arrivé en ce point, je demanderais si ce changement s'est opéré imperceptiblement ou avec éclat ; s'il s'est opéré d'une manière imperceptible, comment et par quels ressorts s'est-il fait également dans les trois Églises avec tant d'uniformité et en si peu de temps ? et si c'est avec éclat, comment les pasteurs et les peuples, qui ont vu arriver ce changement, ou qui y ont eu part, l'ont-ils laissé ignorer si absolument à leurs descendants qu'il n'en reste plus chez eux aucune connaissance ? comment leurs voisins amis ou ennemis, qui n'ont pu manquer de s'en apercevoir, ne leur ont-ils jamais fait aucun reproche sur cet article ? il est, de plus, constant que les liturgies dont se servent ces peuples, sont beaucoup plus anciennes que l'origine du Luthéranisme. S'ils ont conservé le même langage dans le service public, qui pourra prétendre qu'ils ont varié dans les sentiments ?

Il reste donc incontestablement démontré qu'au moment où Luther commença à faire du bruit dans le monde par ses invectives contre la Messe, l'usage en était établi chez toutes les nations chrétiennes de la terre, même chez celles qui depuis douze ou treize cents ans sont séparées de l'Église romaine. J'ai défié les esprits les plus portés à la chicane d'oser s'inscrire en faux contre cette vérité ; j'ose m'en flatter, Monsieur, après des preuves si évidentes, vous ne trouverez rien de présomptueux dans mon défi, et vous n'y verrez au contraire que le sentiment d'une juste et légitime confiance.

Venons présentement aux conclusions que suis en droit de tirer d'une vérité de fait si bien établie ; j'espère, Monsieur, qu'elles seront de votre goût ; dictées par le bon sens et la droite raison, elles ne sauraient manquer de faire impression sur votre cœur, vous en sentirez aussitôt la justesse, et pourrez-vous la sentir, sans lui donner votre approbation ?

Je conclus, premièrement, que si avant la naissance du Luthéranisme toutes les Églises d'Asie et d'Afrique étaient comme celles d'Europe dans l'usage d'offrir la divine Eucharistie en sacrifice pour les vivants et pour les morts, c'était donc là pour lors l'usage de l'Église universelle, car selon vos docteurs les plus subtils et les plus raffinés, l'Église universelle n'est que l'assemblage de toutes les Églises particulières. L'Église romaine n'est à leurs yeux qu'une Église particulière, et à ce compte ils la regardent comme sujette à se tromper, au lieu que l'Église universelle est réputée chez eux incapable de donner dans l'erreur. Ainsi, ils ne pensent pas que toutes les Églises particulières du monde puissent s'accorder entre elles à recevoir et à ratifier une doctrine contraire à la foi ; un point de doctrine universellement reçu de toutes les Églises particulières, leur paraît devoir nécessairement passer pour une vérité orthodoxe. Suivant ces principes que vous adoptez, voici comme je raisonne : l'Église universelle est incapable d'approuver et d'autoriser un culte rempli d'erreurs et de superstitions, bien moins encore de le pratiquer universellement ; or, avant Luther l'Église universelle approuvait et autorisait le sacrifice de la Messe tel qu'il est en usage parmi nous ; car c'était la pratique de toutes les Églises particulières de l'offrir comme nous faisons aujourd'hui, et ces Églises particulières considérées conjointement faisaient ce que vous appelez l'Église universelle ; donc vous ne pouvez, sans renoncer à vos propres principes, soutenir que la Messe soit un culte souillé d'erreurs et de superstitions. Voilà, Monsieur, un raisonnement pressant pour quiconque connaît les règles d'une exacte dialectique ; et pour ceux qui défèrent davantage aux règles du bon sens, la maxime de saint Augustin n'est pas moins propre à leur faire sentir combien Luther s'est éloigné de la sagesse chrétienne, en entreprenant d'abolir le sacrifice de la Messe. C'est la plus impudente de toutes les folies, dit « ce Père, d'oser s'élever contre tout ce qui se pratique par l'Église dans tout l'univers1. »

Or, vous le savez, Luther s'est élevé contre le sacrifice de la Messe, dont l'usage était généralement établi dans toutes les Églises du monde. Concluez, Monsieur vous-même, s'il vous plaît ; car il ne me convient pas de tirer ici une conclusion, quelque directe qu'elle puisse être, où Luther soit taxé de folie insigne, d'impudence outrée, je croirais n'observer pas assez les égards que je vous dois, si je lâchais en bonne forme contre un homme qui vous est cher, des épithètes si peu honorables.

Je conclus en second lieu que les passages de l'épître au Hébreux cités par vos ministres contre le sacrifice de la Messe, ne sont pas aussi clairs qu'ils se l'imaginent ; car si ces passages renfermaient clairement l'exclusion de tout sacrifice, hors celui de la croix, comme ils le prétendent, il serait difficile de comprendre comment, parmi tant de nations si différentes entre elles pour le rite et pour le dogme, aucune ne se serait aperçu de cette clarté prétendue. Ainsi on a beau nous objecter ces passages de de l'épître aux Hébreux : Que Jésus-Christ ne s'offre pas plusieurs fois lui-même2 ; qu'il n'a paru qu'une fois à la fin des siècles en s'offrant lui-même pour victime3 ; qu'après avoir offert une victime pour les péchés, il s'est assis à la droite de Dieu pour toute l'éternité4 ; que nous avons été sanctifiés par l'offrande que Jésus-Christ a faite de son corps5 ; qu'il a rendu parfaits, pour toute l'éternité, par une offrande ceux qu'ils a sanctifiés6 ; que quand les péchés sont pardonnés, il n'y a plus d'offrande pour le péché7. Nous ne trouvons dans tous ces textes aucune conséquence à tirer au désavantage du sacrifice de la Messe ; nous concevons seulement que nous ne devons pas chercher à nous faire hors de Jésus-Christ une nouvelle propitiation pour apaiser Dieu, comme s'il ne l'était pas suffisamment par le sacrifice de la croix ; qu'il serait non-seulement inutile, mais même injurieux à la Passion du Sauveur, de vouloir ajouter quelque supplément au prix de notre salut comme s'il était imparfait. Mais il ne nous est nullement défendu, et c'est même une pratique très agréable à Dieu, de lui présenter plusieurs fois les mérites de Jésus-Christ présent, et le prix infini qu'il a payé une fois à la croix ; le paiement du prix de notre rachat ne se réitère plus, il est vrai, parce qu'il a été bien fait la première fois, mais nous faisons fort bien de continuer sans cesse ce qui nous applique cette rédemption. On peut dire dans un sens très vrai, que Jésus-Christ ne s'offre plus ni dans l'Eucharistie ni ailleurs, en prenant le mot offrir, comme il est pris dans cette épître, au sens qui emporte la mort actuelle de la victime, car il est indubitable que Jésus-Christ ne meurt plus ; mais si ce mot se prend dans une signification plus étendue, comme en plusieurs autres endroits de l'Écriture, où offrir un objet à Dieu est synonyme de le présenter devant lui, il ne peut y avoir aucun inconvénient à dire que Jésus-Christ s'offre tous les jours à Dieu dans l'Eucharistie par les mains des prêtres, puisqu'à chaque consécration nouvelle, Jésus-Christ paraît devant Dieu pour lui présenter en notre faveur le prix de ses mérites infinis.

Voilà, Monsieur, le sens, que nous trouvons dans les paroles de saint Paul, et ce sens, toutes les nations chrétiennes, de quelque communion qu'elles soient, l'y ont vu aussi bien que nous ; d'où je conclus, que ce sens est donc le véritable, puisqu'il a été adopté par tous les chrétiens de la terre, et que le sens donné par Luther aux paroles de saint Paul, est un sens faux et trompeur, quelque apparence qu'il puisse avoir d'ailleurs, puisque c'est un sens nouveau, particulier et contraire à la tradition constante de toutes les Églises de l'univers.

Je conclus, en troisième lieu, que le sacrifice de la Messe conservé dans les usages des Églises orientales, comme dans les nôtres, montre nécessairement que l'usage de l'offrir est antérieur au schisme, dont la funeste influence a séparé ces Églises de l'Église catholique ; car, si ce sacrifice d'invention nouvelle, avait pris naissance dans l'Église romaine par les innovations des papes, ou des évêques latins, comment ces Églises schismatiques, toujours si opposées à l'Église catholique, dont elles n'ont jamais cessé de critiquer les usages et de blâmer les dogmes, eussent-elles emprunté de nous une pratique, qui aujourd'hui leur est commune avec nous ? leur passion n'a-t-elle pas toujours été plutôt de se distinguer de nous, que de nous imiter ? Il est donc visible par l'époque même de ces schismes, dont on ne peut se dispenser de reconnaître l'existence, que depuis plus de douze ou treize siècles, ce sacrifice était déjà universellement établi dans l'Église ; et, comme on ne peut nommer ni dans le quatrième siècle, ni ni dans les siècles précédents, personne qui soit l'auteur d'un culte si généralement répandu, il est indubitable, non-seulement par la célèbre règle de saint Augustin, mais aussi par celle de la droite raison, que pour en trouver l'origine, il faut nécessairement remonter jusqu'au temps même des Apôtres.

Voilà, Monsieur, trois conclusions qui pour la certitude ne le cèdent pas sans doute à l'autorité des témoignages d'où elles sont tirées. Je croirais faire tort à votre pénétration, si j'insistais à vous faire remarquer la liaison nécessaire des conséquences avec le principe. Ainsi je passe à la seconde vérité de fait, et après vous avoir fait voir que nous avons pour nous l'usage de toutes les nations, je vais montrer aussi que nous avons également pour nous l'usage de tous les siècles.

§. II. SECONDE VÉRITÉ DE FAIT : Nous avons pour nous l'usage de tous les siècles.

J'ai de quoi, Monsieur, vous satisfaire sur cet article, et vous verrez que les témoignages de l'antiquité nous manquent aussi peu que ceux des nations étrangères, et s'il arrivait, contre mon espérance, que je ne pusse avoir le bonheur de vous persuader du prix et de l'excellence du sacrifice de la Messe, je me promets du moins de montrer clairement que les Chrétiens de tous les temps et de tous les lieux ont été sur ce sujet dans la même persuasion où nous sommes aujourd'hui.

Parmi les auteurs qui depuis les Apôtres ont écrit sur les vérités de la religion chrétienne, et dont les ouvrages nous restent, il n'en est guère de plus anciens que saint Justin et saint Irénée ; saint Justin a écrit environ cinquante ans après la mort de saint Jean, et saint Irénée est disciple de saint Polycarpe, dont le même apôtre a été le maître. Après ces deux auteurs, si voisins des temps apostoliques, suivent d'assez près Tertullien et saint Cyprien ; ils écrivaient, le premier, sur la fin du second siècle, et le second, vers le milieu du troisième. Or, nous trouvons dans ces quatre auteurs des témoignages si positifs du sacrifice de la Messe dès-lors universellement établi dans le monde chrétien, que pour ne pas vouloir les reconnaître, il faut renoncer au témoignage de ses yeux, à l'intelligence humaine, à la bonne foi et à tout ce qui peut faire impression sur une âme où il subsiste encore quelque reste de conscience ; jugez, Monsieur, si j'exagère. Voici comme parle saint Justin dans son dialogue avec Tryphon : « Dieu témoigne avoir pour agréables tous ceux qui offrent le sacrifice que Jésus-Christ nous a appris à offrir, c’est-à-dire, comme il l'explique aussitôt, le sacrifice qu'on nomme Eucharistie et qui se prépare avec du pain et du vin ; sacrifice, ajoute-t-il, que les chrétiens offrent dans tous les lieux du monde1 ; » où je vous prie, Monsieur, de remarquer que, si cet auteur eût seulement marqué la haute idée qu'il avait du sacrifice de la Messe, on comprendrait aisément, comment vos ministres pourraient se retrancher à dire qu'ils ne se croient pas obligés d'être de son sentiment ; mais vous, vous concevez bien, Monsieur, la force de notre raisonnement ; nous le citons, non pas comme un auteur qui nous a dit sa pensée, mais comme un témoin, qui nous apprend les usages de son temps : douter de son témoignage, ou révoquer en doute l'universalité de cette pratique dans tout le monde chrétien à l'époque où il écrivait, ce serait à mon avis et au vôtre, je l'espère, comme au mien, marquer non-seulement un entêtement inexplicable, mais une espèce de démence.

Saint Irénée nous assure, « que Jésus-Christ, par la consécration du pain et du vin, nous a enseigné l'oblation nouvelle du nouveau testament ; que l'Église l'a reçue des Apôtres, et qu'elle l'offre dans tout l'univers ; que suivant la prédiction du prophète Malachie2, Dieu a rejeté les anciens sacrifices pour faire place à ce sacrifice très pur, qui depuis le lever du soleil jusqu'au couchant est offert au Très Haut, et par lequel son nom est glorifié parmi les Gentils3, » c'est-à-dire parmi ceux qui avant leur conversion, vivaient dans le Paganisme.

Que répondront à ces paroles Messieurs vos ministres ? Soutiendront-ils encore que les hommes ont changé la nature de l'Eucharistie, que Jésus-Christ en avait seulement fait un sacrement, et que des hommes hardis et entreprenants ont osé en faire un sacrifice ? mais qui sont ces hommes téméraires ? qu'on les nomme ; voilà saint Irénée, qui nous assure que l'Église a reçu ce sacrifice des Apôtres, et que les Apôtres l'ont appris de Jésus-Christ ; ce saint évêque en parlant ainsi vous paraît-il, Monsieur, mériter quelque créance, ou l'en jugez-vous absolument indigne ? était-il informé du sujet dont il nous parle, ou manquait-il des connaissances nécessaires ? d'où savait-il ce qu'il nous en dit ? il le savait sans doute du maître qui l'avait instruit ; mais qui avait été son maître ? c'était saint Polycarpe, premier évêque de Smyrne, qui avait conversé familièrement avec les Apôtres, et reçu les leçons de saint Jean lui-même. Seraient-ce donc les Apôtres qui auraient trompé saint Polycarpe, en lui faisant croire qu'ils avaient appris de Jésus-Christ à offrir ce sacrifice, quoiqu'il n'en fût rien ! ou serait-ce saint Polycarpe qui aurait trompé saint Irénée en disant avoir reçu des Apôtres une doctrine dont il ne leur avait jamais ouï parler ? En faut-il plus, Monsieur, que ce seul témoignage pour fermer la bouche à ces hommes aussi audacieux que mal instruits, qui en invectivant contre la Messe, crient sans cesse à l'innovation et à la témérité des entreprises humaines ? du moins ne pourront-ils disconvenir, que du temps de saint Irénée, c'est-à-dire tout au plus cent ans après la mort de l'Apôtre saint Jean, la pratique d'offrir l'Eucharistie en sacrifice n'ait été universelle dans tout le monde chrétien ; car enfin saint Irénée avait des yeux, et il ne fallait que des yeux pour voir ce fait et s'en assurer ; on doit aussi lui supposer du sens, et quelque soin de son honneur ; que fallait-il de plus pour l'empêcher d'avancer une fausseté qui eût été démentie par la notoriété publique ?

Venons à Tertullien ; en combien d'endroits ne parle-t-il pas du sacrifice des chrétiens ? et que peut-on entendre par ce sacrifice, si ce n'est celui que nous offrons aujourd'hui sur nos autels ? ne dit-il pas que « c'était l'usage des fidèles de son temps d'offrir le sacrifice pour le salut et la conservation de l'Empereur1 ? qu'il n'était permis aux femmes ni d'enseigner, ni de baptiser, ni d'offrir le sacrifice dans l'Église2, qu'il n'y a guère pour elles de causes légitimes de sortir, à moins que ce ne soit, ou pour visiter des malades, ou pour assister au sacrifice, ou pour entendre la parole de Dieu3 ; que plusieurs chrétiens de son temps craignaient à tort de rompre le jeûne en participant au sacrifice, que ce devoir de piété ne peut y porter aucune atteinte, et que s'il leur restait sur ce point quelque inquiétude, il leur était aisé d'y remédier en assistant au sacrifice, et en remettant à un autre jour la réception du corps de Jésus Christ ; que par là ils satisferaient également et à l'attrait de leur piété et à l'obligation du jeûne4 ? » Peut-on s'empêcher de remarquer dans ce langage, la preuve évidente de l'usage que je soutiens avoir été universellement pratiqué dès les premiers temps ? et Kemnitius mérite-t-il d'être écouté, lorsqu'il veut faire croire que par le sacrifice du nouveau testament, on peut fort bien entendre les aumônes, les prières, les actions de grâces et les actes intérieurs d'une piété sincère, comme si l'obligation de pratiquer ces devoirs n'avait pas été également commune à ceux qui ont vécu dans l'ancienne loi ? Est-il une seule de ces œuvres qui ait jamais été interdite aux femmes ? Tertullien néanmoins nous assure qu'il ne peut leur être permis d'offrir le sacrifice ; il faut donc que par le mot de sacrifice il ait entendu autre chose que de simples actions de piété, et qu'aurait-il pu entendre, si ce n'est ce que nous entendons aujourd'hui, je veux dire l'oblation du corps et du sang de Jésus-Christ, qui se fait par le ministère du prêtre ?



Je ne dois pas omettre saint Cyprien, qui mérite sans doute d'avoir aussi son rang parmi les témoins de la première antiquité. Ce saint docteur ne se contente pas de dire en termes formels, « que Jésus-Christ est l'auteur du sacrifice de la Messe, et le maître qui nous l'a enseigné1 ; qu'il est le souverain prêtre du Très Haut selon l'ordre de Melchisédech ; que comme Melchisédech a offert du pain et du vin, Jésus-Christ a employé la même matière pour en faire son corps et son sang, et en composer le sacrifice qu'il offre à Dieu son Père2. » Il nous apprend de plus que de son temps et bien avant lui c'était la pratique constante d'offrir le sacrifice de la Messe pour les fidèles décédés ; car, après avoir fait entendre combien il convient peu que des personnes consacrées au culte des autels s'engagent trop avant dans le soin des affaires temporelles, il dit que les évêques ses prédécesseurs avaient réglé fort sagement, que si quelqu'un des fidèles venait à nommer un homme d'Église pour tuteur à ses enfants, on s'abstiendrait d'offrir après son décès le sacrifice pour le repos de son âme3 ; » ce qui suppose sans doute, qu'on offrait le sacrifice pour tous les autres fidèles, qui n'avaient donné aucun sujet de plainte contre eux. Et comme d'après le témoignage de ce saint docteur, c'étaient les évêques ses prédécesseurs, qui avaient fait ce règlement, et que ce règlement supposait l'usage du sacrifice pour les morts déjà établi, il est évident qu'on ne peut remonter jusqu'à l'origine de cet usage, sans toucher au temps même des Apôtres. Aussi Tertullien compte-t-il parmi les pratiques qui nous sont venues des Apôtres, et qui ne se trouvent pas marquées dans l'Écriture, celle « d'offrir tous les ans le sacrifice pour les défunts au jour auquel ils sont décédés4 ; » et il en fait un devoir si indispensable aux femmes veuves, qu'il ne craint pas de dire, que celles qui y manquent ont comme renoncé et répudié leurs maris5. »

Vous le savez, Monsieur, rien ne déplaît tant à vos ministres dans le sacrifice de la Messe, que son application au soulagement des défunts. Quelles lamentations Mélanchton ne fait-il pas sur ce sujet dans plusieurs endroits de l'apologie de la confession d'Ausbourg ? Selon lui « tous les gens de bien doivent avoir le cœur pénétré d'une vive douleur de voir que contre la destination de la cène uniquement instituée pour instruire, consoler et fortifier les vivants, on en détourne l'usage en faveur des morts6 ; » ce n'est rien moins à son avis, que « flétrir l’Évangile et corrompre l'usage des sacrements7. » Mais Mélanchton en déclamant si fort contre notre usage, savait-il que Tertullien, si voisin du temps des Apôtres, nous donne la coutume d'offrir le sacrifice pour les morts au jour de l'anniversaire pour une tradition apostolique ? savait-il que saint Cyprien, auteur né sur la fin du second siècle, fait voir évidemment par la manière dont il s'exprime, qu'il supposait la pratique d'offrir le sacrifice pour les morts, aussi ancienne que le christianisme ? avait-il lu la cinquième catéchèse de saint Cyrille, évêque de Jérusalem, écrite vers le milieu du quatrième siècle pour l'instruction des catéchumènes qui se disposaient à recevoir le baptême ? C'est bien, sans doute, dans une pareille circonstance que le saint docteur aura employé des paroles simples et claires pour donner à ces néophytes des idées justes et exactes sur les mystères et les cérémonies de la religion chrétienne. Or, voici comme il leur parle ; et je vous prie, Monsieur, de faire attention, si les paroles que je vais citer marquent seulement la pensée de l'auteur, ou si elles ne font pas connaître en même temps la pratique universelle de l'Église à cette époque ; car c'est là le point qui doit particulièrement être remarqué, et il est très important de ne pas s'y méprendre ; voici, dis-je, les paroles du saint et savant auteur : « En célébrant le sacrifice, nous prions en dernier lieu pour ceux qui sont décédés parmi nous, estimant que leurs âmes reçoivent beaucoup de secours du sacrifice redoutable de nos autels et des prières qui l'accompagnent1. » Il se demande ensuite comment il peut se faire que la commémoraison faite pendant le sacrifice procure aux âmes du soulagement ; et il répond à cette question par la comparaison d'un roi qui aurait envoyé un de ses sujets en exil pour de mauvaises actions : « Si les proches du coupable, dit-il, présentaient au prince une couronne d'or pour apaiser sa colère, ce serait sans doute un bon moyen pour l'engager à abréger le temps ou à adoucir la peine de l'exil ; c'est ainsi, ajoute-t-il, qu'en priant pour les morts pendant le sacrifice, nous offrons à Dieu, non pas une couronne, mais Jésus Christ son fils mort pour nos péchés, afin de rendre propice et à eux et à nous, ce Dieu déjà si porté par sa nature à la clémence2. »

Qui ne voit dans ces paroles un usage général de l'Église bien marqué, notifié et expliqué à ceux qu'on voulait former à la religion et à la piété véritable, et cela dans un siècle où le christianisme était dans l'état le plus brillant, je veux dire, peu d'années après la mort du grand Constantin, premier empereur chrétien qui s'était si fort appliqué à le faire fleurir ? Quel malheur que Mélanchton n'ait pas paru dès-lors dans le monde pour empêcher les horribles profanations dont il nous fait de si amers reproches ; il se fût sans doute fait admirer en apprenant à tous les chrétiens de cette époque, qu'offrir l'Eucharistie en sacrifice pour les morts, c'est flétrir l’Évangile et corrompre l'usage des sacrements. Malheureux ! n'a-t-il pas vu qu'avant de nous faire le procès, il fallait le faire aux chrétiens des quatre premiers siècles, et qu'il ne pouvait nous condamner sans condamner en même temps la plus sainte, la plus pure et la plus respectable antiquité ? Entreprendre de pareils exploits, c'est sans doute vouloir se signaler ; mais est-ce vouloir signaler son zèle pour la pureté de la doctrine ? n'est-ce pas plutôt vouloir faire connaître à tout l'univers le dérangement d'une imagination exaltée par de folles idées ?

Que dirai-je de saint Augustin ? est-il permis de croire que Mélanchton, cet impitoyable censeur de la Messe pour les morts, ait jamais su ce que le saint docteur nous apprend sur ce sujet ? savait-il ce qu'au neuvième livre de ses confessions, il raconte de sainte Monique, sa mère, comment, arrivée près de sa fin, elle ne demanda ni à être embaumée après sa mort, ni à être mise dans le tombeau de ses pères, ni à avoir de magnifiques obsèques ; mais ne marqua qu'un seul désir, le désir que souvent on portât son souvenir au saint autel3 ? savait-il ce que saint Augustin raconte encore au même livre ; comment après la mort de sa mère on offrit pour elle le sacrifice de notre rédemption, le corps étant présent, ainsi qu'il se pratique encore aujourd'hui parmi nous, ajoutant pour circonstance, « qu'il ne versa aucune larme pendant toute la cérémonie quoiqu'il en répandit beaucoup le lendemain à son réveil1 ? »

Mais ce que Mélanchton devait le moins ignorer, c'est que saint Augustin faisant un recueil des hérésies, et venant à celle d'Aérius lui reproche comme le premier de tous les chefs qui ont rendu sa mémoire infâme, d'avoir enseigné qu'il ne fallait ni prier, ni offrir de sacrifice pour les morts2. » Tous les Pères qui ont dressé un catalogue des hérésies, comme saint Épiphane3, saint Jean Damascène4, saint Isidore, n'ont pas manqué de le faire aussi bien que lui. Que penserai-je ici de votre fameux apologiste ? a-t-il eu connaissance de tout ce que je viens de dire, ou l'a-t-il ignoré ? s'il en a eu connaissance, comment a-t-il pu, sans parler contre sa conscience, soutenir qu'en appliquant l'Eucharistie au soulagement des morts, nous n'avions pour nous ni l'exemple de l'ancienne Église, ni les témoignages des Pères5 ? »

Vous venez, Monsieur, de voir la vérité de cette assertion. Ce n'est point ici une affaire où il soit possible de vous surprendre et de vous en imposer ; pour s'assurer de l'exactitude des citations et de la réalité des faits, il n'y a qu'à ouvrir les livres et à faire usage de ses yeux : j'ai cité fidèlement l'édition et la page ; les éditions ne peuvent être suspectes ; car j'ai eu soin de choisir celles qui ont été faites en pays protestants ; mais si Mélanchton a ignoré ce qui est si parfaitement attesté par l'antiquité, à qui donc a-t-on confié la défense de votre cause ? quel fond peut-on faire sur les discours d'un homme si mal instruit ? et de quel œil faudrait-il regarder un ouvrage qui, fait pour rendre compte à tout l'univers de la foi des protestants, et adopté par tout le parti comme livre symbolique, renferme néanmoins des marques si visibles ou d'une ignorance qui ne peut être excusée, ou d'une imposture qui, au défaut de l'ignorance, serait encore bien moins excusable ?

Ne pensez pas, Monsieur, que je sois au bout des certificats que me fournit la vénérable antiquité pour prouver le constant usage du sacrifice de la Messe pour les vivants et pour les morts, tout ce que j'ai produit jusqu'ici n'en est encore que la moindre partie. Je puis dire que la multitude des témoins m'embarrasse, et que l'abondance des preuves me fait trouver de la difficulté dans le choix de celles dont je dois me servir : il faut éviter de vous ennuyer par de fatigantes citations, et néanmoins en dire assez pour ne vous laisser aucun doute sur la vérité du fait dont il s'agit ; c'est là la vue qui doit me régler dans ce qui me reste à dire, et je comprends que pour la suivre je dois me borner à ne vous présenter qu'un petit nombre d'autorités décisives : il y en aura bien assez pour vous donner de l'étonnement, et peut-être pour exciter votre indignation au sujet de l'attentat des novateurs.

Oui, Monsieur, quand je lis dans saint Augustin, que « le sacrifice de l'Eucharistie a succédé à toutes les oblations figuratives de l'ancien testament, et qu'au lieu de tous les sacrifices antiques, le corps de Jésus-Christ est offert et distribué à ceux qui se présentent pour y participer1 ; » dans saint Chrysostôme, que « Jésus-Christ a changé les sacrifices, et qu'à la place du sang des bêtes, il a commandé de l'offrir lui-même2 ; » dans saint Ambroise, que « si Jésus-Christ ne paraît plus offrir maintenant, il est pourtant offert sur la terre lorsque son corps est offert3 ; » dans saint Grégoire de Nysse, que « Jésus-Christ par un genre secret de sacrifice s'offre comme une hostie propitiatoire pour nous, et que prêtre et agneau tout ensemble, il s'immole lui-même en victime : comme il l'a fait réellement lorsqu'il a donné son corps à manger et son sang à boire à ses chers disciples4 ; » dans saint Cyrille d'Alexandrie, « que le Fils de Dieu s'est sacrifié volontairement dans la cène, non par ses ennemis, mais par lui-même5 ; » quand je lis ces expressions dans les plus savants docteurs qui ont parlé le langage universel de leur temps, je ne puis douter, Monsieur, que si vous voulez les examiner de près, vous n'y trouviez absolument les mêmes idées que nous avons aujourd'hui du sacrifice de la Messe ; et que vous ne soyez indigné et surpris tout ensemble de voir vos ministres traiter d'abus, de sacrilège, de profanation abominable un culte qui, dans les siècles les plus florissants de l'Église a été regardé comme le plus saint, le plus auguste et le plus divin des mystères du christianisme. Que dis-je ? quand je trouve, de plus, dans les saints Pères une infinité de particularités, qui nous montrent la célébration du sacrifice de la Messe appliquée aux mêmes fins auxquelles nous l'appliquons aujourd'hui ; quand je vois qu'on se faisait la même obligation d'y assister, et qu'on en ressentait des effets prompts et merveilleux ; quand, par exemple, j'apprends par Eusèbe, « qu'à la dédicace de l'Église de Jérusalem plusieurs évêques faisaient de savants discours au peuple pour l'exhorter et l'instruire, et que ceux qui n'avaient pas le don de la parole, s'appliquaient à apaiser Dieu en offrant les sacrifices non sanglants et les oblations mystiques pour l'Église de Dieu, pour la paix commune, pour la santé de l'Empereur et de ses enfants6 ; » quand je vois saint Léon consulté sur la conduite à tenir, lorsque les Églises étaient trop petites pour contenir la multitude des fidèles, répondre « qu'il ne faut pas hésiter à le réitérer pour ceux qui n'ont pu trouver place7 ; » quand je lis dans saint Fulgence la solution de cette difficulté qui lui avait été proposée, savoir s'il faut offrir le sacrifice à Dieu le Père seul, ou conjointement aux trois personnes, et que je l'entends alléguer pour toute réponse « la pratique générale de l'Église catholique, d'offrir indivisiblement à la sainte Trinité le corps et le sang de Jésus-Christ1 ; » quand je vois le grand concile de Nicée blâmer fortement les diacres d'oser donner la communion aux prêtres, et donner pour raison, « que ni la règle ni la coutume ne soumettent ceux qui ont le pouvoir d'offrir le corps de Jésus-Christ en sacrifice, à le recevoir de ceux qui n'en ont pas le pouvoir2 ; » quand j'apprends de saint Augustin, que le tribun Hespérius s'étant plaint de l'infestation des mauvais esprits dont étaient tourmentés ses esclaves et son bétail dans une de ses métairies, « un prêtre s'y rendit pour y offrir le sacrifice du corps de Jésus-Christ, et que la vexation cessa au même instant3 ; » quand je trouve dans saint Grégoire-le-Grand, « qu'une femme faisait célébrer toutes les semaines le sacrifice de la Messe pour son mari, dont elle croyait avoir à déplorer la mort, quoiqu'il fût seulement en captivité, et que le captif se trouvait libre de ses liens à chaque fois pendant le temps du sacrifice4 ; » tous ces faits et une infinité d'autres qu'il serait trop long de rapporter, me font voir aussi clairement la pratique des temps passés, que mes yeux me font voir clairement la pratique d'aujourd'hui ; et je suis sûr, Monsieur, que si vous voulez réfléchir un instant sur la nature et la qualité de ces faits, vous y verrez la vérité aussi clairement que je la vois moi-même.

Mais laissons là les livres d'où j'ai tiré ces faits, pour considérer les édifices, les églises et les temples ; examinez-en la structure, s'il vous plaît, et voyez si les pierres mêmes ne nous annoncent pas l'universalité et la continuité de l'usage que je prétends nous avoir été transmis par la plus respectable antiquité. Monsieur, que voyez-vous dans toutes les églises de cette ville, non-seulement dans les nôtres, mais aussi dans celles mêmes que vous occupez ? y en a-t-il une seule, qui ne soit terminée vers l'orient par un chœur ? mais à quoi bon ce chœur ? quelle en est la destination ? il vous est parfaitement inutile, Monsieur vous n'en faites aucun usage. La forme de ces églises dit donc évidemment qu'elles ont été bâties pour un culte fort différent du vôtre. Qui ne sait que le chœur est destiné à y renfermer un autel, et à séparer de la foule du peuple le prêtre et les autres ministres occupés avec lui au sacrifice ? vous avez détruit les autels, mais ce qui en faisait l'enceinte est resté et rend témoignage contre vous, en déclarant hautement que c'est là le lieu où l'on offrait le sacrifice ; car il est très vrai de dire, que partout où il y a un chœur, là il y avait un autel, et que partout où il y avait un autel, là se célébrait le sacrifice de la Messe. Vous n'ignorez pas, Monsieur, qu'il y a dans cette ville des églises bâties depuis plus de sept cents ans : la nef de la cathédrale a été commencée l'an 1015, et le chœur est beaucoup plus ancien. Votre église de saint Thomas, telle qu'elle est aujourd'hui, a été achevée en l'an 1030. Il y a dans la province des églises notablement plus anciennes que celles-là ; or, qu'y voit-on, si ce n'est la même figure ? et peut-on former le moindre doute qu'elles n'aient été bâties sur le modèle d'autres qui subsistaient déjà depuis plusieurs siècles ; et qu'ainsi, à remonter jusqu'au premier établissement du christianisme dans cette province, un des principaux usages des Églises n'ait été d'y offrir le sacrifice de la Messe ? Voilà, Monsieur, ce que les pierres et les murailles ne disent pas moins clairement que les livres : si eux se taisent, les pierres crieront1.

Que répond à tous ces faits Luther, le plus outré de tous les déclamateurs contre la Messe ? Il proteste, Monsieur, contre l'antiquité, et témoigne un profond mépris pour ceux qui cherchent à s'appuyer de ce côté-là ; ce sont à ses yeux des lunatiques, et des gens qui n'ont pas un moment d'intervalle lucide. « Si les Pères, dit-il, ont failli et donné dans l'erreur, n'y a-t-il pas de la fureur à vouloir faire passer leurs actions et leurs paroles pour des règles divines et infaillibles de piété ? Qui pourra nous assurer des points où n'ont pas erré ces Pères que vous avouez vous-même avoir erré très souvent ? nous n'entendons pas ce langage : Saint Bernard a vécu ainsi, ainsi a écrit saint Bernard ; mais nous disons : Saint Bernard a dû vivre et écrire ainsi pour se conformer à l'Écriture. Il ne s'agit pas du fait, il s'agit du droit. Les Saints ont pu se tromper dans leurs enseignements et faillir dans leur conduite ; mais l'Écriture ne peut nous tromper par ses leçons salutaires, et la fidélité à les suivre ne saurait conduire au péché2. »

Que dire à cette défaite, Monsieur ? n'est-elle pas bien ingénieuse ? sans doute elle serait capable d'éblouir des esprits légers et moins pénétrants que les vôtres ; mais vous savez si bien démêler les tours artificieux, que vous ne vous laisserez pas, je l'espère, surprendre à un piège si grossier. Profitons d'abord de ce que Luther nous accorde : il proteste contre l'antiquité ; dès-là même il nous l'abandonne et avoue qu'elle lui est absolument contraire ; car il est bien visible qu'il ne protesterait pas contre elle, s'il se la croyait favorable. Or, Monsieur combien cet aveu ne nous est-il pas avantageux ! ne fait-il pas formellement la condamnation de Luther au jugement même de Kemnitius son plus zélé défenseur ? car, suivant la maxime de Kemnitius, maxime si vraie et si indubitable en elle-même : « Tout esprit bien fait, c'est-à-dire, tout esprit qui a de la piété et de la raison, défère beaucoup au consentement et au témoignage de l'antiquité, surtout de celle des siècles les plus florissants de l'Église3 ; » or, est-il que Luther n'y défère en rien, comme il le déclare en termes formels ; donc Luther, au jugement même de son disciple le plus fidèle et le plus zélé, ne peut passer pour un esprit bien fait, ni pour un homme qui ait de la piété et de la raison.

Venons aux saints Pères. Plusieurs d'entre dit Luther, ont failli sur plusieurs points ; j'en conviens ; mais quand et comment ? lorsque quelques-uns ont été d'un sentiment particulier, et se sont écartés des sentiments du plus grand nombre. Jamais le sentiment unanime des saints Pères ne s'est trouvé faux parce que suivant la parole de saint Paul, il faut qu'il y ait toujours des pasteurs et des docteurs d'une saine doctrine pour rendre les Saints parfaits, accomplir le ministère, et édifier le corps de Jésus-Christ4, c'est-à-dire, l'assemblée des fidèles. Si tous les docteurs les plus respectés de l'Église avaient donné conjointement dans l'erreur, il est hors de doute que tous les peuples instruits par de tels maîtres y eussent été également enveloppés. or, n'est-ce pas là une prétention impie ? n'est-ce pas supposer que Jésus-Christ n'a fait à son Église que des promesses vaines, fausses et trompeuses ?

Mais, Monsieur, s'agit-il ici du sentiment des Pères ? n'ai-je pas eu soin de remarquer plus d'une fois, que je ne les citais pas comme auteurs, mais comme témoins ; que je n'insistais pas tant sur ce qu'ils avaient pensé, que sur ce qu'ils avaient vu de leurs yeux se pratiquer universellement de leur temps ? Quoi ! Luther prétendra que, pendant quinze siècles entiers, tout l'univers se sera accordé à ne rendre à Dieu qu'un culte vain, faux, de pure invention humaine, outrageux au sacrifice de la croix, injurieux au sacerdoce de Jésus-Christ, plein de superstitions et de sacrilèges ? il entreprendra de nous prouver que nos ancêtres en se faisant chrétiens, n'ont quitté le culte des idoles, que pour tomber dans une autre idolâtrie également criminelle ? Quoi ! le peuple chrétien sera la nation sainte, le peuple choisi pour lequel Jésus-Christ s'est livré lui-même, afin de le purifier et de le rendre capable de glorifier son Père, la société des adorateurs parfaits, dont le propre est de rendre à Dieu des hommages en esprit et en vérité ; et Luther voudra que ce peuple, immédiatement après la mort des Apôtres, dans les quatre parties du monde ait changé la nature des sacrements, renversé l'institution de Jésus-Christ, profané le plus auguste de nos mystères, fait un mélange affreux de ce que la superstition et l'idolâtrie ont de plus mauvais, et persévéré dans cette abomination jusqu'à ce que lui, Luther, fût venu pour réformer de si étranges abus ? Car voilà, Monsieur, ce que doit soutenir le réformateur dont la venue a été si tardive ; sans quoi il ne peut rien conclure contre nous. Nous sommes liés d'intérêt avec l'antiquité, et nous ne pouvons être ni plus ni moins blâmables qu'elle ; il ne peut être libre à Luther de fixer ses reproches où il lui plaît ; dès qu'il nous en fait de si horribles, c'est une nécessité pour lui de les étendre, malgré qu'il en ait, à tous ceux qui nous ont précédés, et qui ont observé les mêmes usages. Or, Monsieur, une accusation aussi générale et aussi grave contre tout le christianisme ne tombe-t-elle pas d'elle-même ? et que fait-elle sentir à un juge aussi éclairé que vous l'êtes, Monsieur, si ce n'est la présomption téméraire de l'accusateur ?

Que Luther nous dise maintenant, qu'il s'agit ici, non pas du fait, mais du droit ; oui, Monsieur, il s'agit aujourd'hui du droit ; mais il n'y a pas longtemps qu'il s'en agit ; car avant Luther, personne ne révoquait le droit en doute : formée seulement par de vaines chicanes, depuis qu'il a plu à Luther de disputer, la question de droit se décide aisément par les faits de tous les siècles ; car aucun homme sensé ne pourra se persuader que les chrétiens de tous les lieux, convaincus de rendre un culte agréable à Dieu par le sacrifice de la Messe, n'aient fait dans le fond qu'idolâtrer et profaner les mystères les plus sacrés. Tranchons le mot, Monsieur ; Jésus-Christ cesserait de mériter les honneurs de la divinité, et nous serions en droit de regarder ses enseignements comme autant de fables, si, contre les promesses si expresses de son Évangile, il avait abandonné pendant tant de siècles son peuple, sa portion et son héritage, à des égarements si constants et si monstrueux.

N'y aurait-il pas quelque disciple de Luther qui eût opposé une solution plus raisonnable aux témoignages de l'antiquité ? Mélanchton, le plus cher, comme aussi le plus célèbre de ses associés, n'a pu se résoudre ni à nous disputer l'antiquité ni à la mépriser, et, dans cet embarras, il s'est déterminé à prendre une autre route. « Tout cet appareil de citations, dit-il, et cet amas d'autorités ne font pas voir que la Messe ait d'elle-même la vertu de conférer la grâce à celui qui la dit, ni, qu'appliquée à d'autres, elle leur mérite la rémission des péchés véniels et mortels, la rémission de la peine et de la coulpe : cette seule réponse, ajoute-t-il, détruit absolument tous leurs arguments1. » C'est ce qu'il répète dans plusieurs autres endroits2 ; c'est ce dont il fait le principal appui de sa défense, comme il paraît assez par le soin qu'il prend de l'inculquer à tout propos.

En vérité, Monsieur, il est bien étrange que dans un écrit destiné à instruire le public des causes de la suppression de la Messe, dans un écrit qui passe pour une espèce de confession de foi, et ne fait que développer celle d'Ausbourg, dans un ouvrage qui renferme des explications authentiques, autorisées et ratifiées par tout le parti, un des principaux chefs de votre réforme prétendue ose avoir recours aux calomnies les plus manifestes pour noircir notre doctrine, dépriser notre culte, colorer son attentat et celui de ses complices, et paraître à ceux qui n'y prennent pas garde de plus près, se tirer heureusement d'intrigue. Qui ne croirait, à lire l'apologie, que nous attribuons, en effet, à la Messe, la vertu de justifier le prêtre qui la dit, quelque mauvais qu'il puisse être, et même sans qu'il produise aucun acte intérieur de pénitence et de vertu ? Qui ne croirait encore, qu'en disant la Messe pour d'autres, nous pensons obtenir aux plus grands pécheurs la rémission de tous leurs péchés mortels et véniels, et les acquitter parfaitement envers Dieu, tant pour la coulpe que pour la peine, sans qu'ils ressentent le moindre bon mouvement dans leur cœur ? C'est cependant là une doctrine que tout catholique traitera d'abominable ; non, on n'en trouvera point à qui elle ne fasse horreur.

Voici ce qu'enseigne le concile de Trente, touchant la vertu et l'efficace du sacrifice de la Messe, en tant qu'il est propitiatoire ; il dit premièrement que Dieu, touché par cette offrande, accorde aux pécheurs pour lesquels elle est faite, le don de pénitence, de sorte que pressés par la grâce, ils reviennent à Dieu, lui demandent sérieusement pardon de leurs péchés, et en obtiennent la rémission ; pourvu, bien entendu, qu'ils s'acquittent des exercices de pénitence prescrits par la justice divine. Le second effet du sacrifice de la Messe, en tant qu'il est propitiatoire, est d'obtenir aux fidèles déjà justifiés devant Dieu, la rémission des peines temporelles dont ils peuvent être redevables envers Dieu ; et c'est dans cette vue qu'on offre ce sacrifice pour les âmes qu'on suppose être décédées dans la paix du Seigneur3.

Voilà, Monsieur, la doctrine catholique sur le point dont il s'agit, doctrine, comme vous voyez, infiniment différente de celle que Mélanchton nous impute avec tant de malignité. Ce hardi calomniateur n'a-t-il pas bonne grâce, après cela, de nous défier de lui montrer dans les Pères une doctrine que nous détestons, et qu'ils eussent sans doute détestée comme nous s'ils en avaient jamais ouï parler ? Que dites-vous, Monsieur, de l'expédient dont il s'est avisé pour se mettre à couvert de l'autorité des Pères ? N'est-il pas rare et des plus nouveaux ? Il nous prête sur la vertu du sacrifice des sentiments ridicules et extravagants, qu'il dit, avec vérité, ne pas se trouver dans les saints Pères, et de là il conclut que les Pères ne sont pas pour nous. Ne valait-il pas tout autant, en convenant du constant et perpétuel usage d'offrir l'Eucharistie en sacrifice, soutenir qu'on n'avait pas supposé pour cela dans ce sacrifice, la vertu de faire reverdir les arbres secs, ou de dissiper les brouillards de l'arrière-saison, et prétendre avec cette réponse, détruire absolument les arguments des catholiques ? Une prétention semblable vous paraîtrait sans doute extravagante ; mais celle que Mélanchton a inventée, l'est-elle moins ? l'une ne suppose-t-elle pas le faux aussi bien que l'autre ?

Tout ce qu'on peut dire est que, s'il y a plus de ridiculité d'une part, il y a incomparablement plus de malignité de l'autre ; car Mélanchton n'a que trop réussi à persuader au grand nombre de ses partisans, que nous étions en effet dans les sentiments dont il nous suppose préoccupés, quoique nous en soyons infiniment éloignés.

Kemnitius se sert d'un autre artifice qui ne blesse pas moins la bonne foi ; il est même encore plus grossier et plus palpable que celui dont je viens de parler, et il ne m'en paraît que plus propre à vous faire remarquer, Monsieur l'étrange embarras où les chefs et les principaux défenseurs de votre réforme se sont trouvés au sujet de la déposition unanime de l'antiquité en faveur de la Messe. « Il n'est pas difficile, dit Kemnitius, de dissiper tous ces nuages : qu'on nous fasse voir qu'il ait été établi par Jésus-Christ, transmis par les Apôtres, et observé par l'Église des premiers temps, d'offrir le corps et le sang avec les mêmes paroles, les mêmes gestes, les mêmes cérémonies et les mêmes ornements dont on se sert aujourd'hui dans l'Église romaine, et que tout cet appareil d'actions faites par le prêtre, avec tous les airs d'une représentation de théâtre, ait été regardé comme un sacrifice propitiatoire, destiné à effacer les péchés, à apaiser la colère de Dieu et à obtenir de lui toutes sortes de grâces et de bienfaits1. » Voilà, Monsieur, ce que Kemnitius exige de nous, presque à chaque page de son écrit sur la Messe. Or, qui ne serait indigné de voir tant de duplicité et de mauvais artifice dans un homme qui s'est chargé de ne fournir que de bonnes et de légitimes défenses ? car qui ne sait que les catholiques ont toujours parfaitement distingué ce qui fait l'essentiel de la Messe de ce qui n'en est que l'accessoire ? peut-on ignorer que nous n'avons jamais regardé les cérémonies et les prières de la Messe, que comme des espèces d'assortiments destinés à relever la majesté du sacrifice et à exciter les fidèles à la contemplation des grands mystères qui y sont renfermés ? Oui, Monsieur, nous le savons assez ; quoique les cérémonies de la Messe soient fort anciennes, et remontent même aux premiers siècles, elles ne sont pas néanmoins toutes du temps des Apôtres ; il a été libre à l'Église d'en établir plus ou moins, et qu'elle eût pu en établir d'autres fort différentes de celles que nous voyons aujourd'hui. Mais pour l'oblation du corps de Jésus-Christ, ce qui est proprement le fond et l'essence du culte rendu à Dieu dans la Messe, nous prétendons qu'elle est d'institution divine, que Jésus-Christ nous l'a enseignée, que les Apôtres l'ont pratiquée, et que l'Église l'a toujours regardée comme le sacrifice du Nouveau-Testament, destiné à rendre le culte suprême à la majesté divine, à retracer la mémoire de la passion de Jésus-Christ, à animer notre confiance par l'excellence du don que nous présentons à Dieu, et à nous faire recevoir avec abondance le fruit du sacrifice de la croix.

C'est sur ce point, Monsieur, que roule toute la question, n'en déplaise à Kemnitius, et non sur l'article des cérémonies ; j'en atteste ici tous les habiles écrivains qui ont jamais traité cette matière ; j'en atteste même tous ceux qui ont quelque connaissance légère de l'état des controverses. Comment donc Kemnitius a-t-il osé entreprendre de faire croire à ses lecteurs, qu'il s'agissait de savoir « si Dieu avait institué et ordonné une représentation consistant en telles cérémonies, tels gestes et tels mouvements du prêtre1 ? » avec quelle effronterie a-t-il osé appeler ces pratiques extérieures « le nerf et la substance de la Messe des papistes » tandis que nous ne cessons de répéter qu'elles sont entièrement accidentelles, et que sans elles le sacrifice ne laisserait pas d'avoir également toute sa vertu.

Si Kemnitius, encore vivant, occupait une chaire de théologie dans votre université, ou exerçait dans cette ville quelques fonctions du ministère, je ne pourrais m'empêcher, Monsieur, de présenter à MM. les magistrats une requête contre lui, pour leur demander justice sur un procédé si indigne, si plein de mauvaise foi et de hardiesse à vouloir en imposer au public en chargeant mal à propos ses adversaires ; et je suis bien sûr qu'on l'obligerait à nous faire une satisfaction convenable, et que si l'on trouvait quelque résistance de sa part, une juste sévérité le priverait de sa chaire et de ses emplois, ne fût-ce que pour faire voir à tout le monde, combien vous repoussez de si mauvaises défenses, fondées uniquement sur l'imposture et la calomnie.

Jugez, Monsieur, par tout ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire touchant les vains et pitoyables efforts de vos chefs, de vos héros, de vos plus illustres athlètes, pour arrêter l'impression, résultat naturel du témoignage et de la pratique universelle de l'antiquité, jugez vous-même, je vous en conjure, s'il est à espérer que jamais personne parmi vos savants réussisse à trouver quelque tour nouveau plus capable de satisfaire, que les vaines inventions imaginées par vos plus grands maîtres.

Quand donc je n'aurais plus rien à ajouter aux deux vérités de fait que j'avais entrepris de prouver, et dont la preuve m'a occupé jusqu'ici, il y en aurait bien assez pour justifier pleinement l'usage où nous sommes d'offrir l'Eucharistie en sacrifice ; car enfin, Monsieur, je ne puis trop le dire, on ne se persuadera jamais que toute la terre et tous les siècles se soient accordés à rendre à Dieu un culte outrageant et abominable, en croyant lui rendre un des hommages les plus propres à le glorifier. Mais je ne prétends pas me borner à ne rapporter ici que la pratique de toutes les nations et de tous les temps, je vais de plus chercher à découvrir l'esprit qui a fait agir tous les peuples chrétiens avec tant d'uniformité ; vous avez vu, Monsieur, d'une manière à n'en pouvoir plus douter, que ce que nous faisons aujourd'hui, s'est fait toujours et partout ; il me reste encore à vous montrer que ce qui s'est fait si constamment et si universellement, ne s'est fait que par des raisons très solides et très légitimes, l'ordre de le faire se trouvant marqué dans les termes de l'Écriture, les plus clairs et les plus précis.

Vous le comprenez assez, Monsieur, nous sommes fortement en droit de supposer que toute la chrétienté n'a pu, pendant un si long espace de temps, s'écarter de la pure parole de Dieu ; mais si, outre ce droit de supposition, qui certainement dans le cas présent vaut une vraie démonstration, je fais encore voir que la pratique universelle dont je parle, est effectivement très conforme à cette divine règle, et que cette règle même en a toujours été le principe et le motif, je ne doute pas, Monsieur, que la justification de l'antiquité, et la nôtre qui en est inséparable, ne vous paraisse tout autrement complète, et que vous ne vous formiez une idée juste et avantageuse du sacrifice de la Messe que nous pouvons le désirer. Voici, Monsieur, le raisonnement que nous faisons sur ce sujet ; nous le tirons des paroles même de l'institution, et si vous voulez bien l'examiner avec cette attention que vous ne refusez pas à des sujets de bien moindre importance, et qui vous fait porter de si sages jugements sur tout le reste, vous serez, je n'en doute pas, très surpris d'entendre Luther nous reprocher de ne fonder notre usage que sur des autorités humaines.

2ème Proposition : LE SACRIFICE DU CORPS ET DU SANG DE JÉSUS-CHRIST SE PROUVE PAR L'AUTORITÉ DE L'ÉCRITURE.



Si Jésus-Christ, disons-nous, a offert son corps et son sang en sacrifice, non-seulement lorsqu'il était attaché à la croix, mais aussi lorsqu'il a célébré la cène avec ses disciples, il est évident que nous devons offrir à Dieu le même sacrifice, puisque le Sauveur nous a ordonné par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi1, de faire ce qu'il venait de faire lui-même or, Jésus-Christ a offert son corps et son sang comme une victime de propitiation, non-seulement sur l'arbre de la croix, mais aussi dans la célébration de la cène ; donc, si nous voulons l'imiter, suivant l'ordre que nous en avons reçu, nous devons pareillement, en célébrant les saints mystères, offrir son corps et son sang comme une victime de propitiation pour nos péchés. Je le sens parfaitement, Monsieur, dans tout ce raisonnement, une seule proposition peut vous causer quelque peine, et si je réussis à vous la faire agréer, vous trouverez l'argument sans réplique. Il faut seulement prouver que l'oblation du corps et du sang s'est faite, non-seulement sur la croix, mais aussi dans la cène ; c'est là le point décisif qui entraîne tout le reste : or, il ne me sera pas difficile de vous en convaincre, pour peu que vous vouliez réfléchir sur les paroles dont le Sauveur s'est servi en instituant l'Eucharistie.

Remarquez donc, s'il vous plaît, Monsieur, que Jésus-Christ en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous2, nous a présenté une double assurance : la première, qu'il nous donnait son corps ; la seconde, qu'il le donnait pour nous. En nous donnant son corps il a établi un sacrement ; et en le donnant pour nous, il a établi un sacrifice ; car donner son corps pour nous, et l'immoler pour nous, ce ne peut être ici qu'une seule et même chose.

On me dira sans doute, que le Sauveur avait en vue dans ces paroles, le sacrifice de la croix, dont la consommation était si proche, qu'on pouvait le regarder comme présent, et qu'en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous il a prétendu marquer seulement que son corps allait être crucifié pour notre salut. Je n'ai garde, Monsieur, d'exclure le sens qui a rapport au sacrifice de la croix ; ce sens est reconnu et marqué par notre vulgate elle-même ; mais je soutiens qu'outre ce sens, il faut encore en reconnaître un autre, c'est-à-dire celui de l'oblation présente et actuelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans la cène ; et voici comme je le prouve : jugez, Monsieur, si mes preuves sont frivoles, ou s'il se peut rien dire qui en affaiblisse jamais la force.

Le texte de saint Luc, où il est dit : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous, a sans doute la même signification que le texte original de saint Paul, où il est dit en grec Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous1. Or, il est évident que le texte de saint Paul parle du corps de Jésus-Christ, qui fut rompu dans la cène, non pas à la vérité en lui-même, puisque son corps y était dans un état à ne pouvoir souffrir de fraction, mais par rapport au symbole qui le contenait et le représentait, je veux dire, par rapport aux espèces du pain qui furent véritablement rompues et distribuées aux disciples ; au lieu qu'on ne peut dire dans aucun sens, que le corps de Jésus-Christ ait été rompu sur la croix. Donc si l'expression du corps rompu a un rapport nécessaire au temps de la cène, l'expression du corps donné y doit avoir aussi le même rapport, et il ne sera pas moins vrai de dire que le corps de Jésus-Christ a été donné pour nous dans la cène, qu'il est vrai de dire qu'il a été rompu pour nous dans la cène.

La même vérité se prouve également par les paroles que le Seigneur prononça en présentant le calice à ses disciples : Ceci est la coupe de mon sang, laquelle coupe est répandue pour vous2. Car c'est ainsi que la chose est énoncée dans le texte original3 auquel l'auteur de la vulgate n'a pu ni prétendu déroger. Or, il est bien clair que la coupe qui contenait le sang, n'a pas été répandue pour nous sur la croix, et que ce n'est que dans la cène que l'effusion de la coupe a pu se faire. Voilà donc le corps de Jésus-Christ donné pour nous dans la cène, le sang de Jésus-Christ répandu pour nous dans la cène ; saint Matthieu ajoute que c'est pour la rémission de nos péchés4.

Qui pourra donc nier que le corps et le sang de Jésus-Christ n'aient été offerts sacrifiés et immolés pour nous dans la cène ? Car, si dire que Jésus-Christ a donné son corps pour nous sur la croix et répandu sur la croix son sang pour nous, revient exactement à dire qu'il a offert, sacrifié, immolé son corps et son sang pour nous sur la croix ; pourquoi ces deux expressions, rapportées au temps de la cène, ne seraient-elles pas censées également équivalentes. Si Kemnitius eût rapporté ce raisonnement des catholiques avec la fidélité convenable, et en le présentant dans son véritable jour, il se fût bien gardé de dire comme il a fait, « que cet argument incapable de se soutenir par lui-même, était trop faible pour venir au se cours de la Messe, abattue et saccagée par le glaive spirituel de la parole de Dieu5. » L'impossibilité seule de répondre à l'argument tel que je l'ai proposé, aura fait supprimer à Kemnitius tout ce qui en fait la principale force.

Supposer qu'il ne se trouve aucun autre passage dans les livres sacrés pour prouver l'institution divine du sacrifice de la Messe, que ceux dont je viens de vous donner le développement ; la pratique constante et universelle de toutes les nations chrétiennes de la terre ne serait-elle pas suffisamment justifiée ? car qui pourra croire qu'elles aient toutes conspiré entre elles pour s'attacher à l'observance d'une invention purement humaine, tandis qu'on ne peut nullement en nommer l'auteur, et qu'on découvre clairement dans la source divine des écritures, la véritable origine d'un usage si généralement répandu ? Mais l'ancien et le nouveau testament nous fournissent abondamment de quoi fortifier la persuasion où nous sommes, car s'il est vrai, comme je crois l'avoir démontré, que Jésus-Christ lui-même par son exemple et par son ordre nous ait appris à offrir l'Eucharistie en sacrifice, il était convenable que les Prophètes annonçassent l'établissement du sacrifice nouveau et l'abolition des anciens ; qu'ils marquassent sa perpétuité, sa continuité, son universalité ; qu'ils donnassent à l'auteur de ce sacrifice un nom qui eût rapport à cette nouvelle espèce d'oblation, et fût propre à distinguer le nouveau sacrificateur de tous les sacrificateurs de l'ancienne loi. Il était de plus très convenable que les Apôtres fissent comprendre dans leurs écrits, que les chrétiens ont des pontifes, des prêtres, un autel, une victime, et qu'on vit dans leurs actes, des traces bien marquées de la pratique continuée depuis leur temps jusqu'au nôtre. Or, nous trouvons tous ces détails dans les divines écritures.

Car, en premier lieu, quoi de plus clair que la prédiction du prophète Malachie, dont j'ai déjà rapporté quelques paroles en citant saint Irénée ? Voici le texte entier : Mon affection n'est point en vous, dit le Seigneur des armées, et je ne recevrai point de présents de votre main ; car depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, mon nom est grand parmi les nations, et l'on me sacrifie en tout lieu, et l’on offre à mon nom une oblation toute pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur des armées1. Qui trouvera étrange que nous prétendions voir dans le sacrifice de la Messe, un exact accomplissement de cette prophétie ? N'est-il pas vrai que les sacrifices de l'ancienne loi ont cessé, et que Dieu les a rejetés comme s'il en eût eu du dégoût ? N'est-il pas de plus très naturel de dire, suivant notre plan, Dieu leur a substitué un sacrifice nouveau dont la victime est infiniment pure ? que cette victime s'offre dans tout l'univers depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, et que l'usage de l'offrir est généralement répandu parmi les peuples, attachés autrefois à l'idolâtrie, et désignés selon le langage des Juifs par le nom de gentils et de nations ? Qui pourra nous reprocher de donner aux paroles de la prophétie un sens forcé ? se peut-il une application plus heureuse et plus naturelle ? Ne pensez pas néanmoins, Monsieur, que nous en soyons les auteurs ? non, ce n'est pas nous qui l'avons imaginée, nous l'avons apprise des premiers et des plus anciens docteurs du christianisme, de saint Justin2, de saint Irénée3, de saint Cyprien4, d'Eusèbe de Césarée5, de saint Chrysostôme6, de saint Augustin7, de Théodoret8, de saint Jean Damascène1, qui tous ont entendu la prophétie dans le sens où nous l'entendons. Je ferai voir la vérité de cette assertion à quiconque voudra prendre la peine de l'examiner ; nous n'aurons qu'à consulter les endroits que j'ai marqués ici avec une scrupuleuse exactitude.

Je sais que Kemnitius donne à la prophétie un autre sens ; le sacrifice qui doit succéder aux anciens et être répandu par toute la terre, n'est, selon lui, que la publication de l’Évangile, la conversion des gentils et différentes bonnes œuvres qui seront pratiquées par les chrétiens ; mais outre que cette explication n'est nullement naturelle, qu'elle ne convient ni au dessein du prophète, ni au sujet dont il parle, Kemnitius me permettra encore de lui dire, que quand il s'agit de deux explications dont l'une nous vient des premiers maîtres du christianisme, instruits par les disciples mêmes des Apôtres, et se trouve d'ailleurs soutenue par la pratique de tous les temps, nous croirons toujours devoir préférer cette interprétation authentique à celle qui nous est donnée par de nouveaux venus, gens sans aveu et sans caractère, uniquement distingués par leur hardiesse à oser blâmer toute l'antiquité, ou plutôt par leur fureur à abolir les plus saints usages.

Le prophète Jérémie nous assure, qu'on ne manquera jamais de prêtres ni de lévites pour offrir des holocaustes en présence du Seigneur2. Il faut donc qu'en tout temps et de nos jours, et jusqu'à la fin du monde, il y ait des prêtres occupés à l'oblation des sacrifices. Vous voyez, Monsieur, qu'on n'en manque pas chez nous. Mais si l'Eucharistie n'est pas un véritable sacrifice, et si ceux qui l'offrent ne sont pas de véritables prêtres, comment et en quel sens la prophétie sera-t-elle vraie ? N’est-ce pas une invention vaine, de recourir à Jésus-Christ pour trouver le prêtre qui offre des sacrifices, puisqu'il est parlé, non d'un seul prêtre, mais de plusieurs ? a-t-on plus de raison d'avoir recours à tous les chrétiens dont on fait autant de prêtres qui offrent des sacrifices spirituels, puisque le texte même du prophète distingue évidemment les prêtres et les lévites du commun du peuple. Il faut donc, ou reconnaître la Messe pour un sacrifice, ou convenir qu'on ne trouve aucun accomplissement à cette prophétie.

Daniel prédit que l’Antéchrist abolira le sacrifice perpétuel3 ; car quoique la prophétie de Daniel regarde directement et en premier lieu le roi Antiochus, qui, devenu maître du Temple de Jérusalem, y abolit en effet le sacrifice du matin et du soir, il est pourtant vrai de dire que l’Antéchrist, dont Antiochus était la figure, n'en fera pas moins. Il parait même que l’Antéchrist est encore plus spécialement désigné par cette prophétie qu'Antiochus ; car il est dit de celui qui abolira le sacrifice perpétuel, qu'il ne se souciera pas du Dieu de ses pères, qu'il ne se mettra en peine d'aucune divinité, et qu'il s'élèvera contre toutes choses4 ; ce reproche ne convient point à Antiochus, à qui on ne reprocha jamais d'avoir donné dans de tels excès : mais il cadre parfaitement avec le caractère de l’Antéchrist, comme il parait assez par le second chapitre de la seconde épître aux Thessaloniciens, et par le treizième de l'Apocalypse. Or, si l'oblation du sacrifice perpétuel est une des œuvres par lesquelles l’Antéchrist signalera sa puissance et son impiété, quel peut être ce sacrifice perpétuel ? peut-on en imaginer d'autre que celui dont nous faisons tous les jours l'oblation sur nos autels ?

Les prophètes, non contents de marquer ainsi l'universalité et la perpétuité du sacrifice des chrétiens, en ont encore si bien désigné l'espèce, qu'ils en ont pris occasion de donner à son instituteur un nom particulier, qui eût rapport à la qualité du nouveau sacrifice, appelant Jésus-Christ le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisedech1. Vous n'ignorez pas, Monsieur, que Melchisédech, en sa qualité de prêtre du Très Haut, offrit au Seigneur du pain et du vin, comme il est dit au quatorzième chapitre de la Genèse, et qu'en employant cette matière unique pour le sacrifice, il caractérisa si bien son ministère, qu'il est resté par là distingué de tous les autres sacrificateurs accoutumés à offrir des sacrifices sanglants.

Cette vérité présupposée, rien de plus aisé que de concevoir pourquoi David appelle Jésus-Christ prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. Il l'appelle prêtre éternel, parce que Jésus-Christ ne cessera d'offrir tous les jours son corps et son sang par les mains des prêtres jusqu'à la fin du monde. Il l'appelle prêtre selon l’ordre de Melchisédech, parce que Jésus-Christ a employé pour le sacrifice dont il est l'auteur, la même matière dont Melchisédech a fait usage.

Je sais que vos savants trouvent d'autres convenances entre Jésus-Christ et Melchisédech. Mais je sais aussi que l'interprétation indiquée plus haut nous est suggérée par Clément d'Alexandrie2, par saint Cyprien3, par Eusèbe de Césarée4, par saint Ambroise ou du moins par l'auteur du livre des sacrements, qui jusqu'ici a porté son nom5, par saint Jérôme6, par saint Augustin7, par saint Jean de Damas8, par Théophylacte9 et par plusieurs autres ; et je ne pense pas, Monsieur, que vous regardiez comme une imprudence, de préférer l'explication de ces grands hommes à celle de vos ministres, qui, en se comparant ou en osant même s'élever au-dessus de ces grandes lumières de l'Église, peuvent bien faire voir une sotte vanité, mais ne persuaderont jamais à aucune personne de bon sens leur supériorité d'intelligence dans les divines Écritures.

Voyons présentement si les Apôtres ne se sont pas aussi expliqués de manière à confirmer notre sentiment touchant le sacrifice que nous prétendons avoir établi par Jésus-Christ selon l'ordre de Melchisédech. Ne disent-ils pas que tout pontife, choisi d'entre les hommes, est établi afin d'offrir des présents et des victimes pour leurs péchés10 ? Or, peut-on nier que les chrétiens n'aient des pontifes et des prêtres ? n'a-t-on pas reconnu en tout temps les évêques pour être de véritables pontifes ? Il faut donc qu'ils aient des présents et des victimes à offrir pour les péchés du peuple ; et quelle peut être cette victime, si ce n'est l'Agneau sans tache, qu'ils immolent en effet sur nos autels ?

Saint Paul, en comparant la table des chrétiens avec l'autel des Juifs et avec la table des gentils1, ne marquerait-t-il pas visiblement que la table sur laquelle on consacre n'est pas moins un autel, que l'autel sur lequel les Juifs égorgeaient leurs victimes, et la table sur laquelle les gentils offraient des viandes à leurs idoles ? Prétendra-t-on avec Kemnitius, que la table des gentils dont parle l'Apôtre, n'était pas un autel, mais une simple table où les gentils prenaient leur repas et mangeaient la chair des animaux immolés sur l'autel des idoles ? alors même la comparaison de l'Apôtre ne laissera pas d'avoir toute sa force ; car comme les viandes servies sur cette table, avaient été auparavant offertes sur l'autel des idoles, de même faut-il pour établir un rapport parfait, que le pain sacré, distribué à la table de communion, ait été offert auparavant au véritable Dieu sur un véritable autel ; et comme en mangeant des viandes offertes aux idoles, on participait au sacrifice et l'on commettait une véritable idolâtrie, ainsi en recevant le corps et le sang de Jésus-Christ immolé auparavant par le prêtre sur l'autel, on a véritablement part au sacrifice, et l'on honore Dieu par un acte parfait de religion. Aussi l'Apôtre ajoute-t-il : Vous ne pouvez participer à la table des démons et à la table du Seigneur, pour faire sentir qu'il suppose de part et d'autre un véritable autel et un véritable sacrifice.

Mais pourquoi insister sur la comparaison de l'Apôtre pour en tirer des conséquences propres à établir une vérité qu'il affirme ailleurs en termes formels ? car ne dit-il pas au chapitre treizième de l'épître aux Hébreux, que nous avons un autel dont les ministres du tabernacle n'ont pas pouvoir de manger2. Si nous avons un autel, nous avons donc aussi un sacrifice ; l'un ne peut subsister sans l'autre.

Que reste-t-il à désirer de plus, sinon de trouver aussi parmi les actions des Apôtres l'exercice du ministère sacerdotal ? Or, n'est-il pas dit au chapitre treizième des Actes des Apôtres, que ceux qui imposèrent les mains à Saul et à Barnabé, jeûnèrent avant cette cérémonie, et offrirent le sacrifice au Seigneur3 ? c'est ainsi qu’Érasme même, qu'on n'accusa jamais de partialité en faveur des catholiques, traduit le mot λειτουργούντοιν, et ce mot signifie en effet, qu'ils célébrèrent la liturgie, c'est-à-dire qu'ils offrirent le sacrifice de la Messe.

N'en est-ce pas là bien assez, Monsieur pour faire voir que les Apôtres et les Prophètes ont tenu un langage très conforme à l'idée que nous avons du sacrifice de la Messe, et très conséquent à la preuve invincible que nous tirons des paroles de l'institution ?

Qu'on cesse donc de nous dire, que pour établir la réalité du sacrifice de la Messe, nous ne nous appuyons que sur des autorités humaines ; nous citons, il est vrai, les Pères de l'Église, l'usage de l'antiquité, l'exemple de toutes les nations ; mais est-ce sur des autorités purement humaines que se sont fondés ces Pères, cette antiquité, ces peuples répandus par toute la terre, ne se sont-ils fondés que sur des autorités humaines ? n'ai-je pas montré assez clairement que c'est dans l'Écriture qu'ils ont trouvé le fondement légitime de leur foi et de leur pratique ? Choisissez, Monsieur, la part qui vous plaira davantage, je vous laisse ici l'alternative : ou les nations de tous les temps et de tous les lieux ont cru être fondées sur l'Écriture à offrir en sacrifice le corps et le sang de Jésus-Christ, ou elles n'ont rien vu dans l'Écriture qui pût autoriser leur pratique ; si elles ont cru être fondées sur l'Écriture, qu'il nous soit permis de partager leur croyance. Pourrait-il se faire que tout le monde chrétien eût cru voir dans l'Écriture ce qui n'y est pas ? et serons nous blâmables de penser y voir ce que tant d'yeux y ont vu avant nous ? Si, au contraire, toutes les nations n'ont rien vu dans l'Écriture qui pût autoriser leur pratique, elles ont donc jugé que les premiers chrétiens l'avaient apprise de la bouche même des Apôtres, et qu'une pratique enseignée de vive voix par les Apôtres et transmise de bouche en bouche à la postérité, ne devait pas être moins observée que les usages consignés dans les divines Écritures. En un mot, si toutes les nations n'ont pas cru voir un fondement légitime de leur usage dans les livres saints, elles ont cru en trouver un suffisant dans la tradition, et ont fait voir par là combien leurs idées sur la tradition étaient différentes des vôtres.

Un fait absolument incontestable, c'est que tout le monde chrétien n'a pu persister pendant tant de siècles dans la pernicieuse erreur de faire consister son culte principal dans la plus grande des abominations, et que si la Messe était en effet, comme vos ministres le prétendent, une pratique abominable, on ne pourrait avoir qu'un juste mépris du christianisme et de l'auteur mensonger d'un ouvrage si imparfait.

Voilà, Monsieur le point fixe auquel il faut s'arrêter, et sur lequel doit se régler tout le reste : vous prétendez qu'il n'y a pas dans l'Écriture de quoi établir la réalité du sacrifice de la Messe ; en êtes-vous bien sûr, je vous prie, après avoir vu une partie des preuves que nous tirons de l'ancien et du nouveau testament ? vous prétendez que les instructions données de vive voix par les Apôtres, et parvenues jusqu'à nous par une tradition constante, ne peuvent nous donner une assez forte assurance ; votre principe de n'admettre que ce qui est écrit, est-il de nature à ne pouvoir être contesté ? Pour nous, nous prétendons que toutes les nations chrétiennes n'ont pu se tromper pendant quinze siècles dans une affaire aussi essentielle, et qui a toujours fait le principal culte des chrétiens. Comparez, s'il vous plaît, vos prétentions avec la nôtre, et voyez laquelle est la mieux fondée ; il est juste, vous le sentez, que les moins certaines s'éclipsent devant celle dont la certitude est absolue ; comment pourriez-vous dès-lors vous empêcher d'avoir pour le sacrifice de la Messe, la même estime que nous en avons, et qu'en ont eue jusqu'au temps de Luther, toutes les nations de l'univers ?

Quel est celui qui a osé combattre cette estime si générale et si ancienne, et entreprendre de changer en sentiments d'horreur la profonde vénération de tous les chrétiens pour ce divin sacrifice ? Est-ce un homme d'une vertu rare d'une sainteté éminente, en faveur duquel le ciel se soit expliqué par d'étonnants prodiges ? c'est, Monsieur (ne vous offensez pas de la peinture que je suis obligé d'en faire ; je suis bien éloigné d'aimer à rien dire qui puisse vous contrister ; le respect sincère dont je suis pénétré pour votre personne, me le fera toujours éviter avec le plus grand soin : mais l'intérêt de la cause que je défends, demande que vous jetiez un coup d’œil sur l'auteur des premières invectives contre la messe ; souffrez donc, que je le peigne ici par quelques traits qui le caractérisent, et soient propres à vous donner lieu de faire de salutaires réflexions), c'est un homme que vous n'eussiez pas manqué de condamner au dernier supplice, s'il avait été déféré à votre tribunal avant que la nouveauté de sa doctrine eût changé et absolument renversé toutes les anciennes idées des lois divines et humaines. Car vous n'ignorez pas, Monsieur, qu'il existe dans le code Justinien une loi de l'empereur Jovien, où il est dit : « Celui qui fera des tentatives pour se marier avec une vierge consacrée à Dieu sera puni de mort1. » Quel eût été le langage de la loi par rapport à un homme qui, lié par des vœux, aurait effectivement célébré des noces sacrilèges avec une religieuse enlevée du cloître ? Ce fait de Luther n'est ignoré de personne, comme vous savez, Monsieur ; mais la loi qui le condamne et qui fait sentir toute l'horreur qu'en a eue l'antiquité, est moins connue ; il n'y a guère que les jurisconsultes, versés comme vous dans la connaissance en droit, qui en soient instruits. Avec cette connaissance, votre exacte fidélité à observer les lois, vous ne seriez jamais dispensé de condamner Luther à expier son attentat sacrilège par une mort honteuse, si vous aviez eu à le juger avant qu'un bandeau fatal vous eût empêché de voir toute l'énormité d'un crime si fort détesté par les premiers empereurs chrétiens et par tous ceux qui les ont suivis. S'il est arrivé depuis que les juges imbus de sa doctrine aient changé d'idées, les lois n'ont pas changé pour cela ; les excès d'incontinence sont toujours excès, et ce que des législateurs sages et éclairés ont jugé digne des plus sévères châtiments, est resté également digne de punition malgré toutes les apologies que l'esprit de parti et de faction a suggérées pour tâcher d'en couvrir la noirceur : du moins ne pourra-t-on disconvenir qu'un homme si fort flétri par le jugement de l'antiquité, ne doive être très suspect, et ne soit bien peu propre à faire voir au monde chrétien des monstres et des abominations où l'on n'avait vu jusqu'alors qu'un trésor de sainteté, de grâces et de bénédictions. Mais si, outre le libertinage des mœurs, qui se manifeste avec tant de scandale dans l'infâme concubinage prolongé par Luther pendant plus de vingt ans, avec une épouse de Jésus-Christ, incapable d'avoir d'autre époux que celui auquel elle avait donné sa foi ; si, outre une vie chargée de tant de crimes, considère encore dans les écrits de Luther, les indignités, les emportements et les ordures dont ils sont remplis, comment pourra-t-on se persuader raisonnablement, qu'un homme de cette espèce ait été suscité de Dieu pour dessiller les yeux à l'univers, et lui faire connaître l'horrible égarement où il s'était laissé aller en pensant honorer Dieu par la pratique même dont Dieu avait le plus d'horreur ?

Je voudrais bien, Monsieur, que vous eussiez lu toutes les œuvres de Luther ; le moindre fruit que je pourrais m'en promettre, serait un excès d'étonnement pour vous, et un souverain mépris pour l'auteur. Je ne pense pas qu'aucun livre de controverse écrit contre votre doctrine, pût jamais faire autant d'impression sur votre esprit, qu'en ferait la lecture même de ses ouvrages. Si cette lecture ne vous convertissait pas d'abord, du moins vous dégoûterait-elle absolument de vous dire le disciple d'un tel maître qualité dont vous vous faites honneur dans votre rituel des églises protestantes de Strasbourg2. Car pour ne rien dire ici que je ne puisse vérifier par une infinité d'expressions tirées de ses livres, vous verriez l'homme le plus arrogant, le plus plein de lui-même, le plus fécond en injures grossières, le moins attentif à ménager les bienséances, le plus intelligent dans l'art d'outrager qui se soit jamais vu dans l'univers. Ses imaginations burlesques, ses expressions bouffonnes et souvent impies, ses discours libres et pénibles pour la pudeur, ses saillies extravagantes contre les papes, ses déchaînements indignes contre les têtes couronnées, son style aigre, haut, fougueux, toujours mêlé de fiel, toujours enflé d'orgueil, ne respirant que la vengeance, ne paraissant avoir d'autre but que l'insulte et l'outrage, tout en lui, Monsieur, vous ferait comprendre parfaitement, que ce ne fut jamais là un organe propre à être employé par la sagesse divine pour découvrir des secrets, dont l'ignorance, selon vous, nous faisait pratiquer un culte indigne, superstitieux et sacrilège.

Oui, Monsieur, c'est là l'homme qui a été le premier à oser s'élever contre le sacrifice adorable, de la manière la plus outrageuse, jusqu'à ne plus appeler autrement la messe que la queue du dragon ; car c'est ainsi qu'il la nomme même dans un de vos livres symboliques1, dont les termes devraient assurément être mesurés et compassés avec plus de soin ; jusqu'à dire encore, « qu'il y a dans le monde plusieurs mauvaises inventions, dont chacune en particulier a quelque démon pour auteur ; mais que la Messe est l'ouvrage de tous les démons de l'enfer, que tous ont travaillé de concert et réuni toute leur industrie, leur ruse, leur noire malice et leurs détestables artifices pour concerter et fabriquer un tel ouvrage ; que pour lui, il n'osait y penser, tant la chose était horrible, de peur que, s'il y attachait son esprit, la seule pensée ne le fit mourir sur-le-champ en lui glaçant le sang dans les veines, et en arrêtant le cours des esprits destinés à entretenir la vie2 . »



A quels excès ne se laisse-t-on pas aller quand on est une fois abandonné de l'esprit de Dieu, et qu'on prête l'oreille à l'esprit séducteur, au père du mensonge ? C'est ce que Luther a fait dans l'affaire présente, comme il nous l'apprend lui-même, en nous rapportant la conversation qu'il a eue avec l'esprit de ténèbres sur le sujet de la Messe. Vous aurez peine à le croire, et je ne doute pas que, s'il vous est jamais revenu quelque chose de cette conversation, vous ne l'ayez regardée comme un conte fait à plaisir pour noircir la réputation de Luther. Mais Monsieur, serais-je assez privé de sens pour ne plus me souvenir à qui j'ai l'honneur de parler ? oserais-je recueillir des bruits populaires et fabuleux pour en entretenir une personne aussi respectable que vous l'êtes ? Non, Monsieur, ce n'est pas sur des ouï-dire qu'est fondée l'histoire de l'entretien de Luther avec le diable ; c'est sur son propre récit. Il y a dans cette ville assez de savants qui s'intéressent à l'honneur et à la défense de ce chef de la prétendue réforme ; si je lui en prête, rien ne sera plus aisé que de me convaincre de calomnie et d'imposture. Voici ses propres termes; on les trouvera dans les trois différentes éditions de ses ouvrages, dans celle de Wittemberg3, de Jéna4 et d'Altenbourg5, au tome et à la page indiqués plus bas : « M'étant un jour éveillé à minuit, le diable commença à disputer avec moi dans mon cœur, ainsi qu'il a coutume de faire en m'inquiétant assez souvent pendant la nuit : Écoutez, grand docteur, me dit-il, faites-vous réflexion que vous avez dit la messe pendant quinze ans presque tous les jours ? que serait-ce, si vous n'aviez commis que des idolâtries, et qu'au lieu d'adorer le corps et le sang de Jésus-Christ, vous n'eussiez adoré que du pain et du vin ? Je lui répondis que j'étais un prêtre légitimement ordonné par l'évêque ; que je m'étais acquitté de mon ministère par obéissance, et qu'ayant eu une intention sincère de consacrer, je ne voyais aucune raison de douter que je n'eusse consacré en effet. Vraiment oui, me répliqua Satan, est-ce que dans les églises des Turcs et des païens, tout ne se fait pas également par ordre et dans un esprit d'obéissance ? leur culte est-il bon et irrépréhensible pour cela ? que serait-ce, si votre ordination était nulle, et que votre intention de consacrer eût été aussi vaine et aussi inutile que l'est celle des prêtres turcs dans l'exercice de leur ministère, ou que l'a été autrefois celle des faux prêtres de Jéroboam ? »

« C'est ici, ajoute Luther, qu'il me prit une grosse sueur, et que le cœur commença à me battre d'une étrange façon ; le diable ajuste les raisonnements avec beaucoup de subtilité, et les pousse avec encore plus de force ; il a la voix forte et rude, et est si pressant par les instances qu'il fait coup sur coup, qu'à peine donne-t-il le loisir de respirer ; aussi ai-je compris comment il est arrivé plus d'une fois qu'on a trouvé le matin des gens morts dans leur lit ; il peut premièrement les étouffer ; il peut aussi jeter, par la dispute, une si grande épouvante dans l'âme, qu'elle ne pourra ne pourra résister, et sera contrainte de sortir du corps dans le moment même ; c'est ce qui a pensé m'arriver plus d'une fois. »

Après ce préambule, Luther rapporte cinq raisons dont le démon se servit pour combattre le sacrifice de la Messe : ces raisons, Luther les goûta si fort, qu'il s'y rendit, et pour répondre à ceux qui pourraient le blâmer d'avoir écouté le démon, il ajoute que, si, comme lui, ils l'avaient entendu raisonner, ils se garderaient bien d'en appeler sans cesse à la pratique de l'Église et aux usages de l'antiquité, où ils ne trouveraient pas de quoi se rassurer.

J'ignore, Monsieur, ce que vous penserez de toute cette histoire : elle vous paraîtra sans doute bien surprenante. Pour moi, je vous avouerai franchement que j'ai peine à prendre mon parti ; je ne sais si je dois regarder ce narré comme une fiction ou comme une vérité. Luther n'omet rien pour nous persuader que la chose s'est passée réellement comme il la raconte ; car il marque jusqu'aux paroles dont le démon s'est servi, les qualités de sa voix, la nature de ses arguments, l'impression que la dispute fait sur le corps comme sur l'âme, et les tristes effets qui s'ensuivent quelquefois ; car il prétend que Jérôme Emser et CEcolampade, trouvés morts dans leur lit, avaient été tués par ces attaques du démon, auxquelles ils n'avaient pas eu la force de résister4.

D'un autre côté, quand j'examine les cinq raisons employées par le démon, je les trouve si faibles et si pitoyables, que je ne puis me persuader qu'elles aient été effectivement proposées par un esprit si pénétrant et si subtil. Si c'est en effet un démon qui a entrepris de les faire valoir, il faut qu'il ait beaucoup compté sur la docilité de Luther et sur les dispositions de son cœur et s'il a cru ces arguments propres à faire impression, même sur les personnes intelligentes qui les examineraient avec attention, je ne pourrai alors m'empêcher de penser qu'il doit y avoir parmi les diables comme parmi les hommes une étrange inégalité. Et quand j'entendrai dire d'un homme de beaucoup d'esprit, comme on le dit quelquefois, qu'il a de l'esprit comme un diable, il me sera difficile de ne pas penser aussitôt que ce n'est pas beaucoup dire, s'il n'en a pas une plus forte dose que celui dont la faible intelligence a suggéré de si mauvaises raisons à Luther.

Quoi qu'il en puisse être de toute cette histoire, toujours sera-t-il vrai de dire que Luther a été souverainement imprudent, ou pour avoir prêté l'oreille à un si mauvais maître, ou pour s'être déshonoré par l'invention d'un si mauvais conte ; car s'il a eu véritablement avec le démon une conférence telle qu'il la rapporte, il ne devait pas ignorer qu'un maître semblable ne peut rien enseigner de bon, qu'il est loin de s'intéresser à la gloire de Dieu, et que le premier de ses soins, est de s'opposer à ce qui peut la procurer davantage. Mais si tout ce que Luther dit de cet entretien est fabuleux et supposé, n'est-ce pas à lui une insigne folie de revêtir un tissu de mensonges, de toutes les apparences du vrai, pour nous persuader d'un événement qu'on ne peut croire sans se former, de celui qui veut être cru, les idées les plus noires et les plus désavantageuses en un mot, ou Luther a eu le démon effectivement pour maître, ou il a voulu paraître avoir reçu ses leçons ; une correspondance réelle et effective avec le père du mensonge, n'est pas assurément bien propre à concilier une grande autorité au premier adversaire de la messe ; Dieu nous garde de puiser par son canal, dans une si mauvaise source, les sentiments que nous devons avoir sur ce sujet ! et la sotte ambition de vouloir paraître être en relation avec un si mauvais correspondant, marque un génie si bizarre et si déréglé, un goût si mauvais et si dépravé, que la recherche de cette fausse et sotte gloire ne vaut, à mon avis, guère mieux que la réalité même d'une correspondance effective.

Non, Monsieur, il n'est pas possible de lire cet endroit des ouvrages de Luther, sans soupçonner l'auteur d'avoir eu le cerveau troublé par la fumée du vin ou par quelque autre vapeur maligne, lorsqu'il a écrit des choses si mal combinées, si plaisamment énoncées, si éloignées du bon sens et si contraires à ses propres intérêts ; disons mieux : on ne peut guère lire cet endroit sans adorer la providence, dont la sagesse a permis que l'insolent antagoniste de la Messe, après n'avoir rien omis pour la faire tomber dans le mépris, se soit couvert lui-même de honte et d'opprobre, par l'aveu honteux qu'il a fait de lui-même, en déclarant à l'univers que ses premières pensées contre un si auguste sacrifice, lui ont été suggérées par le démon, et qu'il a reçu de sa main les armes dont il s'est servi pour l'attaquer. Il n'est pas naturel qu'un auteur se déshonore ainsi lui-même par le récit de faits vrais et supposés, ce ne peut être que l'effet de la vengeance divine ; elle a puni dans Luther les outrages faits au sacrifice redoutable, en faisant retomber sur lui l'infamie dont il voulait couvrir nos saints mystères. Je dois ajouter que c'est encore l'effet d'une providence infiniment sage, d'avoir permis que Luther s’oubliât au point de se vanter de ses habitudes avec le démon, afin que l'horreur de ce commerce servît de préservatif aux plus simples, et que l'extravagance d'une pareille vanterie révoltât également contre lui, les personnes spirituelles et éclairées, de manière que par ce double effet, il fût mis une espèce de barrière au cours de la séduction.

CONCLUSION.



Je suis persuadé, Monsieur, que si à l'époque des délibérations faites par les magistrats, touchant la conservation ou l'abolition de la messe, il s'était trouvé quelqu'un pour exposer en plein sénat toutes les réflexions que j'ai eu l'honneur de vous développer dans cet écrit, messieurs vos prédécesseurs se seraient bien gardés de faire un décret pour ordonner la suspension d'un culte si solidement établi, surtout s'ils avaient eu connaissance de l'origine des premières difficultés formées contre la Messe. Vous succédez, Monsieur, à ceux qui ont porté le décret, et il est naturel que vous entriez dans il les engagements qu'ils ont contractés. Or, paraît assez par la teneur du décret, qu'ils se sont obligés à rétablir la messe, moyennant une condition stipulée dans leur arrêt ; ils ont ordonné de cesser la célébration de la Messe, jusqu'à ce qu'il ait été prouvé qu'elle est un culte agréable à Dieu ; si le langage est naturel et sincère, c'est assez faire entendre à tout le monde qu'on est disposé à la rétablir, dès que ceux qui l'ont conservée auront fourni des preuves suffisantes pour en justifier l'usage.

Je pense, Monsieur, avoir satisfait à la condition exigée de nous, et je me crois par là en droit de vous faire souvenir des termes employés par messieurs vos ancêtres, termes qui marquent une espèce de parole donnée, ou de convention faite avec tout théologien qui aura rempli la condition. Comme vous, Monsieur, et vos illustres adjoints, continuez à former le même corps qui s'est chargé de l'obligation de rétablir la Messe, au cas qu'on vienne à fournir les preuves nécessaires et suffisantes à cet effet, le cas n'étant pas échu de leur temps, et s'accomplissant aujourd'hui par l'écrit que j'ai l'honneur de vous présenter, vous sentez assez que l'obligation vous est dévolue, et qu'elle vous est commune avec messieurs vos confrères; c'est donc pour vous un devoir d'honneur de penser sérieusement à la remplir.

Ce sera de plus un acte digne d'hommes chrétiens et véritablement zélés pour la gloire de Dieu ; car, par où l'homme, par où le chrétien pourrait-il rendre à son créateur un hommage plus parfait que par le sacrifice ? c'est par là qu'il reconnaît le suprême domaine de Dieu sur toutes les créatures ; c'est par là qu'il proteste de sa parfaite soumission envers le souverain arbitre de la vie et de la mort ; y eut-il jamais de vraie religion sans sacrifice ? sans sacrifice peut-il jamais y en avoir ? La loi naturelle et la loi écrite ont eu leurs sacrifices ; la loi de grâce serait-elle seule à manquer de ce qui a toujours fait le principal culte des hommes envers Dieu ? Il faut sans doute que la loi chrétienne ait aussi son sacrifice, et comme elle est la plus parfaite de toutes les lois, aussi faut-il qu'elle ait de tous les sacrifices le plus parfait. Or, en est-il de plus parfait et de plus estimable que celui que nous offrons tous les jours sur nos autels ? N'est-ce pas une victime véritablement digne de celui à qui elle est offerte ? et y a-t-il à craindre que nous ravissions au Très-Haut quelque degré de sa gloire, en estimant cette victime égale à lui ? N'est-ce pas la même par laquelle il s'est fait une réconciliation générale de toutes les créatures avec Dieu ? peut-on rien imaginer de plus propre à apaiser sa colère et à attirer sur nous ses miséricordes, que l'oblation de ce Sang précieux répandu pour nous sur la croix, dont la vertu a procuré la paix au ciel et à la terre ? Dieu nous a donné son propre Fils pour le lui offrir ; comment ne nous donnera-t-il pas tout le reste avec lui ? quoi de plus capable d'animer notre confiance, que ce précieux gage de la bonté divine élevé par les mains du prêtre vers la divine majesté, pour lui demander tous nos besoins, et le remercier de toutes ses grâces ? On ne cesse chez vous de relever les mérites de Jésus-Christ, et on ne saurait trop les relever, pourvu qu'on n'y établisse pas une fausse sécurité par laquelle on se croie dispensé de tout le reste. Pouvons-nous mieux de notre part, témoigner notre estime infinie pour les mérites du Sauveur, qu'en les présentant sans cesse au Père éternel, et en lui offrant tous les jours ce prix auguste de notre rédemption ? Car vous ne l'ignorez pas, Monsieur, l'oblation non sanglante, faite sur nos autels, est regardée chez nous comme une représentation de celle qui s'est faite sur la croix avec effusion de sang, et un des principaux usages du sacrifice de la Messe est de nous appliquer le fruit de la passion de Jésus-Christ. Quoi donc de plus grand et de plus glorieux à Dieu, que ce divin sacrifice, et où trouvera-t-on une source plus riche et plus abondante de grâces et de bénédictions pour l'avantage des hommes ?

C'est à vous, Monsieur, et à vos respectables collègues, qui êtes les ministres du Seigneur pour le bien1, à prendre de justes mesures pour faire rendre à Dieu le tribut d'hommages qui lui est dû et dont il a été frustré pendant deux siècles, en conséquence d'un jugement rendu par des juges non compétents, peu instruits, et séduits par les artifices de quelques esprits turbulents, amateurs de la nouveauté. C'est à vous à penser aux moyens efficaces de remettre les peuples confiés à vos soins en possession du riche trésor que le fatal décret leur a enlevé. Corrigez, réformez ce décret, arrêtez-en les mauvais effet ; employez pour y par venir, l'ascendant de votre autorité et de votre exemple. Vous avez vu des pièces qui n'ont pas été produites au moment où le décret a été rédigé ; elles sont bien suffisantes pour vous engager à le révoquer et à en faire un nouveau pour tout rétablir sur l'ancien pied. Tout vous invite à prendre ce parti ; la piété du roi et de la reine, qui ressentiront une joie sensible de vous voir associés aux mêmes exercices de religion dont ils font une pratique si sainte et si édifiante ; la religion de vos ancêtres, qui ont signalé leur zèle en érigeant à Dieu des autels, et en établissant de riches fonds pour les faire desservir par des prêtres du Seigneur ; la figure de vos temples, qui reste toujours la même, et semble attendre avec impatience le rétablissement du culte pour lequel ils ont été bâtis ; l'exemple de toutes les nations chrétiennes de la terre, à l'exception des sociétés protestantes ; l'exemple de tous les siècles, hors les deux qui se sont écoulés depuis Luther ; l'ordre précis de Jésus-Christ de faire ce qu'il a fait, d'offrir ce qu'il a offert ; la gloire de Dieu, et votre propre intérêt ; enfin, Monsieur, le compte terrible que vous rendrez à Dieu, si, pouvant contribuer efficacement par votre crédit à rétablir un culte si digne de lui, et procurer à vos concitoyens la plus abondante source de bénédictions, vous négligez de le faire en résistant par des vues humaines aux lumières d'une conscience suffisamment éclairée.

Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir vous représenter pour répondre, ou à l'invitation faite, ou au défi donné par les auteurs du décret. J'ai tâché de m'acquitter de ce devoir avec tout le respect que vous méritez, et rien, je puis vous l'assurer, n'est sorti de ma plume, qui n'ait été dicté par un zèle pur, sincère et ardent pour le plus solide de vos intérêts. Agréez qu'après vous avoir assuré de la disposition dont je ne me suis pas départi pendant tout le cours de cet ouvrage, j'ajoute en le finissant, l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.



CERTIFICAT DE M. L'ABBÉ DE TARGNI, Bibliothécaire du Roi.

Nous, soussigné, certifions que les pièces suivantes, citées dans les deux premières lettres d'un théologien de l'université catholique de Strasbourg, à un des principaux magistrats de la même ville, sont à la bibliothèque du Roi : Le Traité Synodal, intitulé Bouclier de la Foi, envoyé par le patriarche de Jérusalem, au roi Louis XIV. L'attestation des Arméniens d'Ispahan, adressée au Roi et envoyée par M. de Nointel, en date du 10 décembre 1671. La déclaration du patriarche de Constantinople, Denis, et de 39 métropolitains.



-Les attestations de l'évêque de Milo, et de celle du métropolitain de Smyrne. On est disposé à faire voir les originaux à quiconque doutera de la fidélité des citations.



Fait à Paris, le 31 mai 1730.



J. DE TARGNI.

CERTIFICAT DU R. P. LOUIS L'EMERAULT,

Bibliothécaire de l'abbaye de St-Germaiu-des-Prés.

Nous, soussigné, certifions que les pièces suivantes, savoir : Une Attestation de sept archevêques d'Orient, donnée à Péra, le 18 juillet 1671. L'extrait du Synode, tenu dans l'île de Chypre, à Leucosie, en 1668. Un acte du patriarche Néophyte, d'Antioche, daté du 1er mai 1675. Une attestation du patriarche des Arméniens de Saint-Ermiazin. Une attestation du métropolitain des Nestoriens, dans la ville de Diabeker, du 24 du mois Nisan 1669. Une attestation du patriarche Méthodius, en 1667. Les attestations des Églises de Mingrelic, de Géorgie et de la Colchide ; celle de l'Église des Syriens de Damas, celle des Églises de Céphalonie, Zante et Ithaque, se trouvent en original dans la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Si quelqu'un doute de la fidélité des citations qui se voient dans les deux premières lettres d'un théologien catholique à un magistrat protestant de Strasbourg, on est disposé à lui donner, sur cela, toutes les sûretés, en lui faisant voir les originaux.

Fait à Paris, le 22 mai 1730.

LOUIS L'EMERAULT,

Bibliothécaire.

N. B. L'écrit de l'archevêque de Gaza, cité à la fiu de la huitième page de cette Lettre, ne se trouve point dans la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés ; mais on le peut voir imprimé au XII® livre, du premier Tome de la Perpétuité de la Foi. Edit. de Sens, 1669, page 59, le texte cité est à la page 64.



HUITIÈME LETTRE. SUR LA PRÉSENCE PERMANENTE DE JÉSUS-CHRIST DANS L'EUCHARISTIE, ET SUR L'OBLIGATION DE L'Y ADORER.



MONSIEUR,

APRÈS m'être rendu aux désirs de messieurs vos ancêtres, qui ont exigé de nous des preuves justificatives de la Messe, il est juste de réfléchir sur ce que vous pourriez encore désirer sur ce sujet, et de n'omettre rien de tout ce qui sera capable de vous donner une satisfaction pleine et entière. Si vous avez pris la peine d'examiner avec attention des preuves déjà produites, je ne doute pas que vous n'ayez été frappé vivement de leur force et de leur solidité, et que vous ne regardiez le décret rendu en 1529 contre la Messe, comme l'effet d'un jugement précipité, qui convainc clairement les juges de cette époque de n'avoir pas eu les lumières et les connaissances nécessaires pour prononcer sur une affaire de cette nature et de cette importance. Mais quelque invincibles que soient nos raisons pour autoriser le sacrifice de la Messe, et lui assurer la qualité d'un culte souverainement agréable à Dieu, je ne laisse pas de comprendre qu'il reste une difficulté capable de vous détourner de prendre part à ce culte, et je dois faire maintenant tous mes efforts pour la lever si parfaitement, qu'elle ne puisse vous laisser aucune matière de scrupule.

Vous savez bien, Monsieur, qu'on ne peut se faire un devoir d'assister à la messe, sans se faire en même temps un devoir d'y adorer Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin. C'est à quoi vous avez peine à vous résoudre, parce que vous ne pouvez vous persuader que Jésus-Christ soit présent hors de l'usage, je veux dire, hors du temps de la manducation : pour nous qui croyons fermement que la substance du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-Christ, au moment même où le prêtre prononce les paroles de la consécration, nous croyons, par une suite naturelle, que ce changement une fois fait, Jésus-Christ reste sous les symboles du pain et du vin, tant que subsistent ces symboles ; que la présence étroitement liée à ces symboles, ne cesse qu'à leur destruction, et que nous ne pouvons refuser à Jésus-Christ dans cet état, nos adorations et nos hommages.

Comme c'est là un des articles pour lesquels vous témoignez le plus d'éloignement, je comprends, Monsieur, qu'une simple réquisition de notre part, ne suffira pas pour vous engager la recevoir, et que pour vous porter à nous imiter dans notre pratique, il faut des preuves solides et hors de prise à toutes les subtilités de vos ministres. Vous trouverez, Monsieur dans cet écrit, un bon nombre de preuves de cette espèce, et, j'ose me le promettre, si vous les examinez avec cette attention qui vous rend si pénétrant dans la discussion des affaires civiles, non-seulement vous ne verrez rien qui puisse vous paraître digne de blâme ou de censure dans le culte rendu à Jésus-Christ présent sous le voile du sacrement, soit pendant le sacrifice, soit en d'autres occasions, mais de plus vous trouverez ce culte entièrement conforme au devoir et à la raison, fondé sur le texte sacré, comme sur les premiers principes de la Religion, et autorisé par la pratique de toutes les nations, aussi bien que par l'usage de tous les siècles.

Telles sont, Monsieur, les preuves par lesquelles je prétends justifier le culte dont il s'agit. Votre zèle pour la gloire de Jésus-Christ ne vous permettra pas de lui refuser les honneurs que vous reconnaîtrez lui être dus ; votre piété vous portera à lui rendre avec empressement ceux que vous saurez lui être agréables ; votre droiture ne pourra trouver dans une pratique si juste et si sainte, aucun prétexte pour vous dispenser d'assister au sacrifice de la messe. et votre justice ne souffrira pas qu'on entreprenne de nous faire des reproches sur une pratique évidemment digne des plus justes éloges. Ce sont là autant d'avantages que je me promets de vos heureuses dispositions. Mais je ne puis me les promettre qu'en accomplissant la condition à laquelle je me suis engagé. Je vais tâcher de le faire, Monsieur, et pour éviter de vous rien dire d'inutile, je me hâte d'entrer en matière.

Je suis persuadé, Monsieur, que si, à notre exemple, vous regardiez la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, comme l'effet des paroles de la consécration, comme un résultat indépendant de la manducation actuelle, et par conséquent, comme un état fixe et permanent, bien loin de trouver à redire au culte que nous rendons à Jésus-Christ caché sous les espèces du sacrement, vous auriez peine à ne pas vous faire un devoir de nous imiter. Car, quoiqu'il n'y ait dans l’Évangile, aucun précepte pour nous ordonner d'adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie, la raison, le devoir et le commandement du Deutéronome, conçu en termes généraux : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu1, nous font assez sentir notre obligation sur ce point, dès que nous croyons Jésus-Christ notre Dieu véritablement présent.

Vous concevez sans peine, Monsieur, que les rois Mages, en adorant l'enfant Jésus dans la crèche, sans en avoir reçu aucun ordre précis dont nous ayons connaissance, n'ont pas laissé de s'acquitter d'un juste devoir de piété et de religion. Celui qui par le mouvement de sa propre dévotion se serait prosterné au pied de la croix pour y adorer le Sauveur mourant, eût sans doute fait une action également louable : Jésus-Christ placé sur nos autels ne possède pas moins, sous les symboles du pain, la plénitude de la divinité, que lorsqu'il était dans la crèche ou sur la croix ; pourquoi y serait-il un objet moins adorable pour nous ?

Vous n'ignorez pas, Monsieur, que la plupart de ceux qui suivent avec vous la confession d'Ausbourg, croient devoir adorer Jésus-Christ en recevant la cène. Les ministres de cette ville, réunis en corps, présentèrent en 1670, à messieurs les magistrats, une requête pour demander, entre autres articles, qu'on obligeât les fidèles, en approchant de la cène, à la recevoir genoux ; ils apportaient pour exemple la coutume des églises de Saxe, et pour motif la foi de la présence réelle, ajoutant que si, selon l'expression de saint Paul, tout genou doit fléchir au nom de Jésus2, à plus forte raison tout genou doit-il fléchir devant sa personne3. Les magistrats, il est vrai, ne jugèrent pas à propos d'ordonner ces démonstrations extérieures de respect à l'approche de la communion ; mais il est à présumer qu'ils n'ont pas prétendu condamner les sentiments intérieurs de la plus profonde vénération envers Jésus-Christ au moment qu'il est reçu comme une nourriture toute divine : du moins Kemnitius, le plus habile de vos controversistes, n'a-t-il pas craint de dire que « personne ne doutait de la nécessité d'adorer en esprit et en vérité Jésus-Christ vraiment et substantiellement présent dans l'action de la cène, à moins de nier et de révoquer en doute avec les sacramentaires, la présence réelle de Jésus-Christ dans cet acte religieux1. »

Nous voyons même les principaux chefs des calvinistes avouer, malgré toute leur horreur pour ce culte, qu'il était une suite nécessaire de la créance et de la réalité. Zwingli ne comprend pas « comment ceux qui croient Jésus-Christ présent, peuvent éviter de pécher en ne l'adorant pas2. »

Calvin déclare hautement qu'il lui a toujours paru très concluant de dire, « que si Jésus-Christ est dans le pain, il faut l'y adorer3. »

Bèze dit que « s'il croyait à la réception réelle de Jésus-Christ avec le pain, non seulement il regarderait l'adoration comme permise, mais qu'il s'en ferait un devoir indispensable4 ; » ainsi les deux partis qui se sont si fort élevés contre notre doctrine touchant l'Eucharistie, quelque opposés qu'ils soient entre eux sur cette matière, ne laissent pas de se réunir entre eux et avec nous pour reconnaître que la présence réelle une fois établie, est un fondement légitime d'adoration, ou pour mieux dire, une source d'où naît une obligation indispensable d'adorer Jésus-Christ dans le sacrement.

Certainement, Monsieur, si l'on croit chez vous devoir adorer Jésus-Christ à la cène, parce qu'il y est présent, vous trouverez bien juste que nous croyions devoir l'adorer aussi en d'autres temps, s'il est vrai s'il est vrai que Jésus-Christ reste constamment présent sous les espèces du pain après la consécration. Toute la difficulté se réduit donc au point de la présence fixe et permanente ; et si nous sommes solidement fondés à croire cette présence, dès lors il n'est plus besoin de grands efforts pour justifier notre culte ; ce que vous pratiquez vous-même presque partout en approchant de la cène, suffira pour en faire la justification.

Or, Monsieur, nous ne sommes nullement embarrassés à rendre bon compte de notre foi sur l'article de la présence continuée ; car nous l'établissons par les paroles les plus claires de l'Écriture, interprétées dans le sens le plus naturel, par le consentement général de toutes les nations, même de celles qui depuis plusieurs siècles se trouvent plus éloignées de nous par l'animosité du schisme, que par la situation des climats, et par le témoignage incontestable de l'antiquité toute entière.

Me soupçonneriez-vous, Monsieur, d'avancer une proposition où il y a plus de parure et d'ostentation, que de fond et de vérité ? Prenez la peine, s'il vous plaît, d'examiner avec soin la question ; elle mérite toute votre attention par son importance. Non-seulement je ne craindrai pas l'examen le plus critique, mais, qui plus est, je ne puis m'empêcher de le désirer avec ardeur.



1ère proposition : PREUVES TIRÉES DE L'ÉCRITURE.

Lorsque le Sauveur prononça ces paroles : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, il prétendit sans doute inviter ses disciples à recevoir cette nourriture céleste, en leur faisant connaître le prix et l'excellence de l'aliment qu'il leur présentait ; on ne peut donc raisonnablement douter que ces paroles n'aient été prononcées avant que les Apôtres mangeassent et bussent effectivement ce qui leur était présenté. Or, les paroles du Sauveur ont certainement été vraies au moment même qu'il les prononça ; il est donc évident que le corps et le sang ont été présents avant l'usage, je veux dire avant que les Apôtres approchassent le pain sacré de leur bouche pour en manger, avant qu'ils appliquassent leurs lèvres à la coupe pour boire la liqueur dont elle était remplie ; car si le corps et le sang n'avaient pas été présents dès-lors et avant que les Apôtres se rendissent à l'invitation du Sauveur, ses paroles se seraient trouvées fausses au moment même qu'elles furent prononcées.

Rien de plus simple ni de plus naturel, Monsieur, que ce raisonnement ; il ne faut, comme vous voyez, aucune contention d'esprit pour le concevoir ; je ne laisserai pas de le rendre encore plus sensible et plus pressant, en examinant de plus près les paroles dont le Sauveur se servit en présentant le calice. Ceci, dit-il, est la coupe de la nouvelle alliance en mon sang, laquelle coupe est répandue pour vous ; car c'est ainsi que saint Luc s'exprime dans le grec original1. Or, cette expression conduit naturellement à conclure que le sang était véritablement dans la coupe avant de passer dans la bouche des disciples ; car, je vous prie, Monsieur, de le remarquer, il n'y eut jamais de vin répandu pour nous, mais c'est uniquement le sang de Jésus-Christ qui pour nous a été répandu. Donc, puisqu'il est dit que la coupe a été répandue pour nous, il faut que dans la coupe il ait eu, non pas du vin, mais le sang de Jésus-Christ. C'est là, Monsieur, un de ces arguments qui ne craignent pas les vaines subtilités de vos ministres ; il en triomphera toujours, ou en rendant absolument muets ceux qui voudraient y répondre, ou en leur faisant donner des réponses propres à marquer encore mieux leur embarras, que s'ils avaient pris le parti de se taire.

Ce n'est pas là néanmoins la seule réflexion que j'ai à faire au sujet de la coupe ; je vous prie, Monsieur, de faire encore avec moi cette autre remarque ces paroles, ceci est mon sang2, n'ont été prononcées qu'une seule fois sur la coupe, et les Apôtres, buvant les uns après autres, n'ont pas laissé de mettre quelque temps pour la faire passer jusqu'au dernier. Or, qu'il me soit permis de le demander, pendant les intervalles où les Apôtres ne buvaient pas, le sang de Jésus-Christ était-il véritablement dans la coupe, ou n'y était-il pas ? Si l'on nous dit qu'il y était, voilà donc le sang hors de l'usage ; et ce sang une fois présent dans le calice avant que les disciples en bussent, ne pouvait-il pas être adoré ? qui pourrait élever sur ce point le moindre doute ? mais si l'on nous dit qu'il n'y était pas, il faudra donc soutenir que le sang cessait d'y être toutes les fois qu'un des disciples éloignait la coupe de sa bouche, et que le sang commençait à y être de nouveau, à mesure que quelqu'un d'entre eux la rapprochait pour boire la céleste liqueur. Or, cette supposition non-seulement n'a aucun fondement dans l'Écriture, mais elle présente de plus, je ne sais quel air d'absurdité qui la rend entièrement incroyable. Vos savants prétendront peut-être que le sang n'a jamais été dans le calice, mais seulement dans la bouche des disciples. Qu'ils nous disent donc comment ils feront en ce cas, pour ne pas mettre sur le compte du Sauveur une fausseté insigne ? car Jésus-Christ a dit en présentant le calice : ceci est mon sang ; or, comment ces paroles ont-elles pu être vraies, si le sang n'a jamais été effectivement dans le calice ?

D'ailleurs, l'Apôtre ne dit-il pas que le calice que nous bénissons est la communication du sang de Jésus-Christ1 ? comment le calice pourrait-il communiquer le sang s'il ne le contenait pas ? Et si le pain qu'on rompait dans les premiers temps, était, comme le même Apôtre l'assure, la participation du corps de Jésus-Christ, ne fallait-il pas que son corps fût présent avant la manducation, puisque la fraction la précédait ? Supposons que saint Paul ait été dans votre sentiment, et que comme vous il ait restreint la présence de Jésus-Christ au moment de la manducation, sans doute il n'eût pas dit en ce cas : Le calice que nous bénissons n'est-il pas la communication du sang de Jésus-Christ ? mais il eût dit : le calice que nous buvons, n'est-il pas la communication du corps de Jésus-Christ ? De même au lieu de dire : le pain que nous rompons, il eût dit : le pain que nous mangeons n'est-il pas la participation du corps de Jésus-Christ ? En parlant autrement, ne nous fait-il pas assez sentir qu'il a cru la présence du Sauveur indépendante de la manducation actuelle ? Vous le voyez, Monsieur, ce ne sont pas là des raisonnements dictés par une philosophie subtile et captieuse, c'est le texte même de l’Évangile et les paroles de saint Paul qui les fournissent naturellement. Aussi Luther en a-t-il si bien senti la force, qu'il n'a osé, comme vos théologiens de Strasbourg ont fait depuis, attacher la présence réelle au seul moment de la manducation ; il n'a pas pensé devoir la resserrer dans des bornes si étroites, et a décidé que « Jésus-Christ était présent à la Messe depuis le commencement de l'oraison dominicale, jusqu'après la communion du peuple2 » ce qui peut aisément aller, quand le peuple est nombreux, à plus d'une heure de temps. Mais si Jésus-Christ est présent dans l'Eucharistie pendant une heure ou deux, pourquoi n'y serait-il pas tout le jour ? pourquoi pas une semaine, un mois, une année ? car enfin la parole de Dieu nous marque bien que Jésus-Christ est dans l'hostie consacrée, mais elle ne nous marque nulle part qu'il s'en retire.



On nous dit, je le sais, qu'il est ordonné de prendre ce pain sacré et de le manger. J'en conviens, c'est là sa principale destination ; aussi ne gardons-nous les hosties consacrées que pour les donner aux malades et aux fidèles qui se présentent pour communier. Mais si l'on ne les reçoit pas incontinent après la consécration, s'ensuit-il pour cela que Jésus-Christ cesse d'y être ? en vertu de quoi cette cessation ? sur quoi est-elle fondée ? où la trouve-t-on révélée ? un siège est fait pour s'asseoir dessus, un tableau pour être vu et regardé, un flambeau pour éclairer ; ce siège, ce tableau, ce flambeau cesseront-ils d'être ce qu'ils étaient, dès qu'on ne s'en servira pas pour les usages auxquels ils étaient destinés ? Il est hors de doute, Monsieur, que la principale vue du Sauveur, en se mettant sous les espèces du pain et du vin, a été de se rendre utile à ceux qui le recevraient dignement : s'ensuit-il de là, que quand il se présente des indignes, Jésus-Christ cesse d'y être présent pour eux ? vous êtes bien éloigné d'admettre cette conséquence ; jugez cependant si elle ne vaut pas du moins celle qu'on prétend tirer chez vous du délai de la manducation ; car il est évident que manger indignement le pain sacré, c'est agir beaucoup plus contre les intentions du Sauveur, que de conserver ce pain, et de différer de s'en nourrir.

On fait chez vous, Monsieur, une si haute profession de ne s'attacher qu'à la pure parole de Dieu ; et quand il s'agit de rendre raison d'un sentiment aussi nouveau et aussi extraordinaire que celui de la présence passagère de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, sentiment par lequel on ose contredire toutes les pratiques de l'antiquité, comme je ne tarderai pas de le faire voir, n'est-il pas bien étrange qu'on ne puisse produire un seul mot de l'Écriture pour le justifier, et qu'au lieu d'en tirer des preuves solides, on se contente de faire sentir le désir de prouver son assertion en répétant plusieurs fois les paroles de l'institution, et en appuyant sur le mot mangez, sans néanmoins pouvoir y rien trouver de concluant ?

Mais est-il moins étonnant de voir des disciples de Luther, car c'est la qualité dont vous vous faites honneur dans votre rituel, s'écarter si fort de la doctrine de leur maître1 ? Vous qualifiez Luther d'avoir été l'organe du Saint-Esprit ; vous ne le regardez que comme un homme spécialement éclairé de Dieu2, et néanmoins dans l'importante matière de l'Eucharistie, bien loin de déférer à ses lumières, vous êtes sur plusieurs chefs considérables dans une opposition formelle avec lui. Luther veut, comme je l'ai déjà dit, que Jésus-Christ soit présent pendant tout le temps que l'action de la cène dure, et vous ne le reconnaissez présent qu'au seul moment de la manducation. Luther soutient que ce doit être une chose libre d'adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie, ou de ne pas l'y adorer, parce que Jésus-Christ ne l'a ni ordonné, ni défendu3 ; et vous marquez pour cette pratique la même horreur, que si vous étiez convaincu que c'est une vraie idolâtrie. Luther trouva très mauvais que Carlostat eût entrepris d'abroger l'élévation de l'hostie pendant la Messe ; il soutint que l'élévation devait être regardée comme une chose indifférente ; plutôt que de souffrir une pareille atteinte donnée à la liberté évangélique, par l'interdiction d'usages où l'on ne pouvait rien trouver de mauvais, il aimerait mieux rentrer dans le cloître, et se soumettre de nouveau à toutes les rigueurs de la vie monacale, dussent-elles lui être une fois plus dures que celles qu'il avait déjà essuyées4 : » ce n'est sûrement pas sur ce pied-là que vous regardez aujourd'hui l'élévation ; on sait assez l'éloignement que vous auriez à la permettre dans vos Églises. Luther fit de grands reproches au curé d'Isleben, de ce qu'il ne craignait pas de mêler avec le vin commun et ordinaire, le vin qui restait après la cène ; « c'était là, selon lui, donner dans les extravagances de Zwingli, et se faire la réputation d'être un de ses disciples5. » J'admire, Monsieur, que des reproches si vifs et si aigres de la part d'un homme dont vous respectez partout ailleurs les décisions, ne fassent pas éviter à vos ministres, des excès pareils à ceux que Luther a si fortement condamnés.

Oserais-je, Monsieur, vous demander, après de telles contradictions, si c'est bien sérieusement qu'on regarde Luther, dans cette ville, comme un homme spécialement éclairé de Dieu ? S'il en est ainsi, pourquoi y marque-t-on si peu de déférence pour ses sentiments ? vos ministres jugent que Luther s'est trompé sur tous ces articles ; dès-là même ils se croient plus éclairés que Luther : ce n'est pas assurément un fort bon moyen pour nous persuader de cette abondance de lumières dont ils le gratifient si libéralement, puisqu'ils témoignent aussitôt après se repentir de leur gratification. On ne cesse de nous dire que l'Écriture est claire ; mais si elle est aussi claire que vous nous le dites, comment Luther, avec toute son abondance de lumières, n'a-t-il pu y voir ce que vous y voyez tous aujourd'hui ? Ceux qui se sont séparés de nous, ne devaient-ils pas mieux concerter le plan de leur créance, avant de trouver à redire à la nôtre ? car leur division ne peut être qu'un fâcheux préjugé contre eux : on présume mal de ceux qui, après avoir abandonné la doctrine universellement reçue, ne peuvent convenir entre eux d'un parti sûr et déterminé. Il fallait, dit-on, ou s'en tenir aux usages établis, ou savoir du moins à quoi s'en tenir. L'uniformité rassure, la division trouble et inquiète ; on n'aime point à entrer dans des discussions à l'infini, surtout lorsqu'on ne voit aucune issue pour pouvoir en sortir avec un esprit content.

Mais avançons ; car outre ce que vous avez déjà vu de preuves en faveur de la présence fixe et permanente, il m'en reste encore d'autres à produire, et j'aurais tort d'omettre celle qui, remontant jusqu'à la source, et pour ainsi dire, jusqu'aux premiers éléments du dogme, paraît aussi être la plus importante de toutes, la voici :

S'il est vrai que le pain et le vin soient changés au corps et au sang de Jésus-Christ par l'efficacité de la parole divine, comme l'enseigne l'Église catholique, on conçoit aisément que ce changement une fois fait, les choses doivent rester dans le même état, tant qu'il ne surviendra aucune cause d'un nouveau changement ; c'était du pain, ce n'en est plus ; Jésus-Christ a pris sa place par une véritable conversion de la substance du pain en celle de son propre corps ; si ce fait est réel (car je ne parle encore ici que par supposition), pourquoi la nature du pain, ayant cessé d'être ce qu'elle était, retournerait-elle à son premier état ? pourquoi Jésus-Christ se retirerait-il de la position dans laquelle il s'était mis ? il faudrait sans doute des causes et des principes pour produire ce second changement ; qu'on nous les fasse connaître ces principes et ces causes ; est-ce la raison humaine, est-ce l'autorité divine qui nous les indique ? car affirmer un fait tel que serait ce second changement, sans en avoir aucune preuve en main, ce ne pourrait être qu'une affirmation imprudente et téméraire, et comme elle ne mériterait pas qu'on y eût aucun égard, nous serons toujours en droit de croire que le tout reste dans la même situation où il était immédiatement après la consécration. En un mot, Monsieur, si le premier changement, celui du pain au corps de Jésus-Christ, est prouvé, et que le second, celui de la reproduction du pain et de l'exclusion du corps de Jésus-Christ, ne le soit pas et ne puisse pas l'être, il faudra croire le premier changement, et ne pas croire le second. Je suis persuadé, Monsieur, qu'avec un esprit aussi juste et aussi équitable que le vôtre, vous ne trouverez dans cette façon de raisonner aucun sujet capable de donner prise à la critique, et qu'opposé par caractère aux contradictions mal placées, vous conviendrez aisément de tout le reste, si je réussis à prouver que le pain et le vin sont véritablement changés au corps et au sang de Jésus-Christ.

Or, c'est ici, Monsieur, que j'en appelle à l'Écriture : vous en faites votre unique règle de foi, elle seule vous paraît mériter vos attentions et vos déférences ; quelque incompréhensible que puisse être un mystère, dès qu'il est clairement marqué dans l'Écriture, ou que par de justes conséquences il est nécessairement lié avec ses divines décisions, vous voulez que la raison plie sous l'autorité de Dieu, sans lui demander compte des saintes obscurités de son infaillible révélation ; vous soutenez à juste titre que cette révélation sacrée commande à nos esprits une entière et absolue docilité, dans l'intime conviction où vous êtes, que si l'intelligence humaine a ses bornes, la puissance divine n'en a aucune. Voilà, Monsieur, la disposition d'esprit dans laquelle vous faites profession d'être ; souvenez-vous en, s'il vous plaît, et suivez la ; c'est tout ce que j'ose vous demander, et vous ne tarderez pas à souscrire au dogme de la transsubstantiation.

Car enfin, Monsieur, lorsque le Sauveur dit à ses disciples : Prenez et mangez, ceci est mon corps, il affirma clairement que ce qu'il leur présentait était son corps ; sur quoi nous raisonnons ainsi : L'objet présenté par le Sauveur aux Apôtres, était le corps de Jésus-Christ, donc ce n'était pas du pain ; car un même objet ne peut être pain et chair en même temps ; c'était du pain avant que d'être présenté ; ce n'en est plus à partir du moment où le Sauveur assure que c'est son corps ; donc le pain a été changé au corps de Jésus-Christ. Jugez, Monsieur, si nous faisons violence aux règles du raisonnement, et si nous nous perdons dans des subtilités. Dites-nous où est notre erreur : est-ce de croire que le Sauveur nous donne son corps ? ou de rejeter la pensée que le corps de Jésus-Christ puisse être du pain ? ou de prétendre que Jésus-Christ, en parlant à ses disciples, s'est tenu aux règles ordinaires du langage ?

Il n'était pas impossible, je l'avoue, que Jésus-Christ donnât à ses disciples du pain et son corps en même temps ; mais je soutiens que si le pain avait été joint au corps de Jésus-Christ, le Sauveur ne se serait pas exprimé comme il a fait, en disant : ceci est mon corps ; car de même qu'en présentant une boîte où il y aurait de l'or et du plomb, on ne pourrait dire avec justesse et avec vérité, prenez, ceci est de l'or, mais que pour parler correctement, il faudrait dire prenez, c'est ici de l'or et du plomb, ou ceci est de l'or avec du plomb, de même aussi pour que la proposition du Sauveur fût vraie dans le cas qui réunit le pain avec le corps, il eût fallu dire, mon corps est dans ce pain, ou avec ce pain. La raison est que le mot ceci étant démonstratif, démontre toujours la substance cachée sous les accidents, et énoncée par la proposition, et ne démontre que la substance énoncée : par exemple, lorsqu'on dit : ceci est du pain, le sens est que sous telle figure extérieure est la substance du pain, et qu'il n'y en a pas d'autre que celle-là ; ainsi, lorsque le Sauveur dit, ceci est mon corps, le sens est que sous ces accidents, ou sous cette figure extérieure, se trouve la substance de son corps, qu'il n'y en a pas d'autre que celle de son corps. Si un homme mettait dans un même sac, du froment et de l'avoine, et qu'il dit en montrant le sac : ceci est du froment, il est sûr qu'il ferait une proposition fausse et trompeuse de même aussi, si le Sauveur avait réuni sous une même figure extérieure, la substance de son corps et celle du pain, et qu'en présentant l'une et l'autre, il eût dit : ceci est mon corps, il est évident qu'il eût péché contre les règles du langage et contre celles de la bonne foi.



et



Votre Kemnitius prétend que « par la bénédiction du Sauveur, il se fit un changement miraculeux et vraiment divin, » et quand il vient à expliquer en quoi ce changement consiste, il se réduit à dire : « que d'abord, c'était seulement un pain vulgaire, et un breuvage commun ; mais qu'après la bénédiction, le corps de Jésus-Christ s'y trouve joint vraiment et substantiellement : » d'où il conclut qu'en vertu de ce changement, « le pain de l'Eucharistie s'appelle très bien le corps du Sauveur, et qu'on peut dire en toute vérité, ce pain est le corps de Jésus Christ1. »

Mais on demande à Kemnitius, comment il peut se faire que le pain, restant toujours pain, et sans changer de nature, parvienne à être le corps de Jésus-Christ ? et si le pain ne parvient pas jusque-là, comment et par quelles règles de logique, on peut lui donner le nom de ce qu'il n'est en aucune façon ? Depuis quand des matières aussi disparates que le sont du pain et de la chair, se sont-elles affirmées l'une de l'autre avec vérité ? Si, parce que le corps de Jésus-Christ est dans le pain et avec le pain, on est en droit de dire, ce pain est le corps de Jésus-Christ, ne sera-t-on pas également en droit de dire d'un morceau de bois, ou d'un morceau de fer, ce bois est Dieu, ce fer est Dieu, puisque Dieu n'est pas moins réellement dans ce bois et dans ce fer, avec ce bois et avec ce fer, Dieu étant très intimement présent à l'un et à l'autre ?

Cette proposition du Sauveur, ceci est mon corps, ne peut donc être vraie qu'en supposant dans le pain un changement, ou réel ou métaphorique ; on conçoit aisément que la proposition sera vraie, si le pain est véritablement et réellement changé au corps de Jésus-Christ, et c'est là le sentiment catholique ; on conçoit encore que la proposition serait vraie dans un sens métaphorique, si le pain qui ne figurait rien, commençait à être la figure du corps de Jésus-Christ, et c'est là le sentiment des calvinistes. Vous ne voulez pas de ce second sentiment, et vous avez raison, car le sens figuré n'est nullement recevable dans la conjoncture présente. Il faut donc, de nécessité, revenir au premier sens, car on ne concevra jamais que le pain, restant pain, puisse être le corps de Jésus-Christ, ni qu'en vertu d'une simple union avec ce saint corps, il puisse porter avec vérité le nom d'une chose dont il reste très essentiellement distingué.

Kemnitius n'omet rien pour répondre à des arguments si pressants, mais l'inutilité de ses efforts ne fait que donner, si j'ose m'exprimer ainsi, une nouvelle pointe à la force de nos raisons ; d'abord il a recours au mystère de l'Incarnation, et prétend y trouver de quoi arrêter toutes nos conséquences. Voici comme il raisonne : « On dit fort bien de Jésus-Christ, cet homme est Dieu, sans que pour cela l'homme soit changé en Dieu ; donc, ajoute-t-il, on dira fort bien du pain, qu'il est le corps de Jésus-Christ, sans que pour cela le pain soit changé au corps de Jésus-Christ. »

Si Kemnitius n'avait eu aucune teinture de théologie, je lui pardonnerais volontiers d'avoir fait un si mauvais raisonnement ; mais je ne puis me persuader qu'il ait été assez ignorant pour ne pas connaître la nature et les effets de l'union hypostatique ; je ne saurais donc voir dans cette proposition, qu'une de ces ruses dont on se sert, quand on a formé le dessein d'en imposer à ceux qui n'entendent pas les matières en question. L'effet de l'union dont j'ai parlé, est de faire qu'il n'y ait qu'une seule personne en Jésus-Christ, et qu'en vertu de cette unité de personne, les attributs propres aux deux natures, se communiquent à sa personne divine ; car, comme la nature divine et la nature humaine appartiennent à la même personne, il n'est pas surprenant que les propriétés des deux natures lui appartiennent aussi : c'est ce qu'on appelle communication d’idiomes. On dira par exemple fort bien, que Jésus-Christ est éternel, parce que la nature divine est éternelle ; et qu'il est né dans le temps, parce que la nature humaine est née dans le temps ; qu'il a été passible et impassible, passible à raison de son humanité, impassible à raison de sa divinité ; qu'il est Dieu et homme, et que dans ce divin composé, l'homme est Dieu, et Dieu est homme, parce que n'y ayant qu'une seule personne en Jésus-Christ, cette unité de personne établit un fondement légitime à toutes ces propositions, sans qu'il soit besoin, pour les rendre vraies, que l'homme soit changé en Dieu, ni Dieu en homme. Mais que trouve-t-on de semblable dans le mystère de l'Eucharistie ? Kemnitius osera-t-il prétendre qu'il y a entre le pain et le corps de Jésus-Christ, une union personnelle ? sur quoi établirait-il sa prétention ? ne serait-ce pas, dès-là même, un mystère plus grand que celui dont il rejette la croyance ? mais non, il déclare formellement qu'il ne reconnaît point d'union personnelle entre le corps de Jésus-Christ et le pain ; cependant il compare cette proposition : ce pain est le corps de Jésus-Christ, avec celle-ci, cet homme est Dieu, et soutient que la première est vraie comme la seconde, sans que ni l'une ni l'autre emporte avec elle aucun changement de substance ; c'est-à-dire qu'il prétend que les deux propositions sont fort semblables, dans le temps même qu'il détruit tout le fondement de la similitude1 ; c'est-à-dire qu'il soutient qu'elles sont également vraies, en convenant que ce qui rend l'une vraie, savoir l'union personnelle, manque absolument à l'autre.

Que dire, Monsieur, de cette manière de raisonner ? n'y a-t-il pas là de quoi faire rougir les amis de Kemnitius, du mauvais usage qu'ils lui voient faire de sa dialectique ? les plus zélés défenseurs de l'impanation peuvent-ils ne pas sentir un vrai dépit dans le fond de leur cœur, en voyant fournir une si mauvaise défense par un homme dont la réputation semblait devoir leur en promettre une bonne ? mais qu'y faire ? le sujet ne permettait pas d'en imaginer une meilleure ; il fallait répondre à quelque prix que ce fût ; car rester sans réplique, eût été avouer trop hautement sa défaite. C'est sans doute dans la même vue, et apparemment dans le dessein de couvrir le défaut d'une réponse si pitoyable, que Kemnitius ajoute incontinent plusieurs autres parités. Mais il est également facile de lui faire voir, que si ces parités peuvent amuser et éblouir un esprit superficiel, habitué à ne s'arrêter qu'à l'écorce, elles ne peuvent pas plus que la première contenter un esprit judicieux, attentif à pénétrer au fond du sujet.

Il prétend que dans les diverses circonstances où des anges se firent voir sous l'ancienne loi, avec des corps empruntés, ou sous des espèces visibles, comme il est arrivé plus d'une fois, on pouvait fort bien dire de ces espèces visibles, qu'elles étaient véritablement des anges, sans que pour cela ces espèces fussent changées en anges ; qu'au moment où saint Jean-Baptiste vit descendre une colombe sur le Sauveur, et assura que c'était le Saint-Esprit qui reposait sur lui, la proposition de saint Jean se trouva très vraie, quoiqu'il ne se fit aucun changement de substance ; qu'enfin il est reçu dans le langage commun, de dire en présentant un tonneau plein de vin, ou une bourse remplie d'argent : recevez, Monsieur, ce vin qu'on vous envoie ; recevez, Monsieur, cet argent qui vous est dû, sans que personne s'avise pour cela de penser que le tonneau soit changé en vin, ou la bourse en argent, et qu'ainsi cette proposition du Sauveur, ceci est mon corps, ayant été prononcée sur le pain, n'a pas laissé d'être très exactement vraie, quoique le pain soit resté ce qu'il était, sans changer en aucune façon de nature.

Je réponds que si Kemnitius eût considéré de plus près la nature des exemples dont il a prétendu tirer avantage, il eût vu la réponse à ses difficultés avant de penser à les proposer ; car tout le monde comprend que ces espèces visibles étant des figures et des images employées pour représenter les anges, autant qu'ils peuvent être représentés, il était très naturel de dire, à la vue d'une de ces figures : c'est là un ange, ou ceci est un ange ; car on conçoit parfaitement que par cette expression, on entendait seulement une figure sensible qui représentait et renfermait la substance invisible d'un ange. Il en est de même de la colombe, qui par sa douceur et d'autres propriétés, est un symbole naturel du Saint-Esprit. Quant au tonneau et à la bourse, comme le tonneau est fait spécialement pour contenir du vin, et que le principal usage de la bourse est d'y serrer de l'argent, il n'est pas nécessaire de dire : recevez ce tonneau dans lequel il y a du vin, recevez cette bourse dans laquelle il y a de l'argent ; mais on peut dire tout court : recevez ce vin, recevez cet argent, parce qu'il saute à l'instant même aux yeux que, pour abréger, on ne parle que de ce qui est contenu, sans faire mention de ce qui, selon l'usage ordinaire, est destiné à contenir l'objet présenté.

Il n'en est pas ainsi du pain que le Sauveur présenta à ses disciples. Ce pain n'était ni une image naturelle du corps de Jésus-Christ, ni un vase destiné à le renfermer ; ainsi le Sauveur en prononçant sur le pain ces paroles : ceci est mon corps, ne pouvait faire comprendre à personne, ni que le pain fût uni à son corps, ni que son corps fût enfermé dans le pain.

Pour donner cette idée, il eût fallu se servir d'une expression tout autre ; car le pain n'est pas un signe naturel du corps de Jésus-Christ, et sa destination n'est pas de le contenir ; ainsi la proposition du Sauveur eût été absolument inconcevable, s'il avait eu en vue de nous marquer une simple union de son corps avec le pain.

Figurez-vous, Monsieur, s'il vous plaît, que quelqu'un s'avise d'enfermer un diamant dans une pomme, et qu'en présentant cette pomme il dise : prenez, ceci est un diamant ; il est sûr que cette proposition ne se comprendrait pas, et qu'elle serait contre toutes les règles du langage ; il en serait parfaitement de même de la proposition du Sauveur, s'il fallait la prendre dans le sens que vos théologiens lui donnent, car le pain de sa nature est aussi peu destiné à représenter et à renfermer le corps de Jésus-Christ, qu'une pomme à représenter ou à renfermer un diamant.

Il n'y a donc que le changement du pain au corps de Jésus-Christ qui puisse rendre la proposition vraie, juste et intelligible, et par conséquent, c'est là l'unique sens auquel il faut s'arrêter ; car il ne saurait, Monsieur, vous paraître juste d'aimer mieux faire parler Jésus-Christ d'une manière si peu régulière, que de soumettre sa raison à croire une vérité révélée par cette sagesse infinie, toujours attentive à employer des termes convenables, et incapables, par la clarté de leur signification propre et naturelle, d'induire jamais personne en erreur.

Mais n'en voilà que trop pour réfuter les vaines subtilités de Kemnitius, et ainsi la transsubstantiation une fois solidement établie, sans que les chicanes de vos ministres puissent y donner la moindre atteinte, la présence fixe et permanente de Jésus-Christ, suite naturelle du dogme de la transsubstantiation, ne peut plus être raisonnablement contestée. En faut-il davantage, Monsieur, pour justifier parfaitement le culte que nous rendons à Jésus-Christ dans l'Eucharistie ? car voudriez-vous que nous crussions notre Sauveur, notre juge, notre roi, l'auteur et le consommateur de notre foi, présent sur nos autels, et que nous restassions en sa présence sans lui donner aucune marque de nos respects ? ne serait-ce pas agir également et contre notre croyance et contre notre devoir? Jésus-Christ pourrait-il nous savoir gré de notre retenue et de nos réserves à son égard ? Qu'on entende dire à des esprits bizarres et malfaits, nés pour la dispute et la contradiction, que Jésus-Christ n'est pas là pour recevoir nos hommages, mais pour être la nourriture de nos âmes ; qu'il n'a pas dit, Prenez mon corps, placez-le sur un autel, donnez-lui de l'encens, portez-le avec pompe dans les rues, mais prenez et mangez ; vous, Monsieur, plus docile aux leçons du bon sens, qu'aux leçons de ces critiques aigres et chagrins, vous ne nous blâmerez jamais de régler notre culte suivant les sentiments intérieurs que la foi nous inspire ; plus le Sauveur nous marque ici de bonté, plus vous trouverez que nous devons lui marquer notre reconnaissance ; plus il s'abaisse ici pour l'amour de nous, plus il vous paraîtra juste que nous nous anéantissions devant lui. Et comme vous trouveriez fort extraordinaire le discours d'un homme à qui vous entendriez dire : Le roi vient dans la province pour voir les places fortes, et non pour y recevoir des honneurs ; ainsi il ne faut pas penser à lui en rendre aucun ; aussi ne douté-je pas que vous ne condamniez également le sentiment indigne de ceux qui osent dire ou penser, que Jésus-Christ est ici pour nous faire du bien, et non pour y recevoir nos honneurs et que par conséquent nous devons nous abstenir de l'adorer dans l'Eucharistie.

Non, Monsieur, partout où est Jésus-Christ, là il mérite des honneurs souverains ; il suffit d'être en sa présence pour ne pouvoir les lui refuser. Si nos hommages lui sont dûs dans tous les lieux qui peuvent nous rapprocher de lui, à plus forte raison dans l'endroit même qu'il a choisi pour en faire le trône de son amour qui pourra craindre des excès, où il n'y a à craindre que de rester beaucoup en arrière par l'impuissance où nous sommes de rendre à ce roi de gloire, des honneurs proportionnés à sa grandeur et à sa bonté.

Vous ne manquerez pas, Monsieur, d'entrer dans ces sentiments, si vous examinez sans prévention les preuves qui ont été produites, et dès que vous vous arrêterez à l'unique sens véritable des paroles de Jésus-Christ, vous y découvrirez la vérité du dogme qui nous fournit la conclusion pratique de l'adoration. Oui, Monsieur, à nous en tenir au seul texte de l’Évangile, si l'on en exclut le sens figuré, de l'aveu même de vos amis et de nos adversaires les plus outrés, nous gagnons notre procès contre vous ; car Calvin1 et Bèze2 déclarent hautement, que le sens littéral des paroles de Jésus-Christ, emporte nécessairement avec soi la transsubstantiation. Vous convenez sans peine que la transsubstantiation amène la présence fixe et permanente, et cette présence une fois reconnue, je ne suis plus en peine du reste ; votre religion, votre droiture et votre bon sens ne vous permettront jamais de chicaner sur les honneurs que nous rendons à Jésus-Christ présent.

Quand donc nous n'aurions égard qu'à la seule lettre de l'Écriture, notre explication serait incontestablement la mieux fondée ; mais si allant plus loin, je fais voir que cette explication, la plus naturelle en elle-même et la seule qui puisse passer pour juste, est encore adoptée par toutes les nations chrétiennes de l'univers, même par celles qu'un schisme ancien a séparées de nous, et que de plus, elle a été constamment reçue par tous les chrétiens de tous les siècles, je m'assure, Monsieur, que ce consentement si général et si antique, vous fera regarder d'un tout autre œil le principe sur lequel nous fondons notre culte, et la conclusion que nous en tirons pour la pratique.

Permettez-moi donc de parcourir les climats les plus lointains, et de percer les siècles les plus reculés, pour recueillir les suffrages de l'univers chrétien, et les témoignages de la vénérable antiquité, et vous ne tarderez pas à voir qu'en croyant la présence fixe et permanente, la transsubstantiation, l'obligation d'adorer Jésus-Christ dans l'usage et hors de l'usage, nous ne croyons et ne pratiquons rien qui ne nous soit commun avec toutes les sociétés chrétiennes de quelque communion qu'elles puissent être, si l'on en excepte les protestantes, et que notre créance sur les mêmes articles ne s'accorde pas moins parfaitement avec la créance des quatre premiers siècles de l'Église.

Si les témoignages que j'ai à produire ne remplissent pas, dans la dernière exactitude, toute l'étendue de mes promesses, je consens, Monsieur, à passer dans votre esprit pour un vain discoureur, qui s'avance témérairement sans être en état de soutenir ses engagements.

2ème proposition : TOUTES LES ÉGLISES ORIENTALES SÉPARÉES DE L'ÉGLISE ROMAINE SONT DU MÊME SENTIMENT QUE NOUS SUR LE SUJET DE L'EUCHARISTIE.

Je commence par produire des attestations de toutes sortes de nations et de sectes, qui, depuis un grand nombre de siècles, ne sont plus dans la communion de Rome. Vous allez voir, Monsieur, que les Moldaves, les Moscovites, les Grecs, les Syriens, les Arméniens, les Jacobites, les Nestoriens, les Cophtes ou les Egyptiens, les Abyssins et les Ethiopiens pensent tous comme nous sur la transsubstantiation, comme sur la présence permanente, et se font un égal devoir d'adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Les témoignages que j'apporterai, ont été la plupart donnés par l'autorité publique, je veux dire, par la déclaration des patriarches, des évêques et des synodes entiers, à la sollicitation des ambassadeurs et des consuls de France, envoyés au roi très chrétien de glorieuse mémoire Louis XIV, et mise en dépôt, ou dans la bibliothèque du roi, ou dans celle de Saint-Germain-des-Prés, pour servir de monument constant de la foi de ces peuples, et faire voir la conformité de leur créance avec la nôtre, sur les points contestés par les protestants.

S'il se trouve parmi vous, Monsieur, quelqu'un qui désire sérieusement voir par lui-même les pièces originales, je réponds que les avenues de ces bibliothèques ne lui seront pas fermées, et qu'il trouvera toute facilité pour s'assurer de la vérité de ces pièces. On pourrait encore, à moins de frais et de peines, donner à quelqu'un qui soit sur les lieux, la commission d'examiner la fidélité de mes citations : pour moi, je vous déclare que je n'aimerai jamais à me faire la réputation de chercher à en imposer au public, et que je me garderai bien de me mettre en danger de pouvoir être convaincu d'un dessein si noir et si indigne. Voyons maintenant, si en citant un si grand nombre de peuples comme attachés à la même créance que nous sur l'article en question, je ne me suis pas avancé au-delà de la portée des preuves que j'ai en main. Vous en jugerez, s'il vous plaît, Monsieur, en examinant la qualité des témoins et la teneur de leurs dépositions.

Les Moldaves, les Moscovites et les Grecs schismatiques, seront, comme plus voisins de nous, les premiers à nous instruire de leurs sentiments. Voici ce que déclare le baron Spatari, seigneur moldave, dans un écrit de sa composition, remis entre les mains de M. de Pompone, ambassadeur du roi très chrétien à la cour de Suède ; l'écrit est daté du mois de février de l'an 1967, et porte entre autres choses ce qui suit : « Nous croyons que le pain et le vin sont véritablement et substantiellement changés et transsubstantiés au corps et au sang par les paroles du Seigneur, en sorte qu'après la consécration, la substance du pain et du vin n'y demeure pas, mais que le corps et le sang de Jésus-Christ, succèdent en leur place, par l'opération et la volonté de Dieu ; car encore que ce changement et cette conversion intérieure ne se connaisse pas par les sens extérieurs, elle se fait néanmoins d'une manière admirable, sans que les signes ou les accidents cessent de subsister. Nous croyons aussi que le corps et le sang de Jésus-Christ doivent être adorés du culte de latrie dans la divine liturgie tant extérieurement qu'intérieurement1. »

Le seigneur qui parle ainsi, avait une grande étendue de génie, était également habile pour le cabinet et pour le commandement des troupes de son prince, et faisait successivement les fonctions de général et de secrétaire d’État ; il s'était aussi fort appliqué à l'étude de la religion, et écrivait fort poliment en latin. Un homme de ce caractère vous paraîtra, sans doute, Monsieur, être en état de rendre un compte juste et exact des sentiments de sa nation sur la matière dont il s'agit.

Venons aux Moscovites: M. Oléarius, luthérien de religion, bibliothécaire du duc d'Holstein, dans la relation de son voyage en Moscovie, marque expressément qu'ils croient la transsubstantiation, et comme M. Claude, ministre de Charenton, semblait vouloir révoquer son témoignage en doute, le même M. Oléarius écrivit à M. de Ponchâteau, une lettre du 24 janvier de l'an 1667, dans laquelle il dit avoir appris, de gens bien informés, ce qu'il avait marqué dans sa relation, entre autres des pasteurs luthériens qui étaient à Moscou, de quelques interprètes du grand-duc, de plusieurs marchands, des prêtres mêmes du pays, et des religieux ; et il ajoute qu'il ne voyait pas par quelle raison il aurait voulu attribuer à cette nation d'autres sentiments que ceux qu'elle a véritablement2.

M. de Lilienthal, résident pour le roi de Suède auprès du czar à Moscou, où il a demeuré plusieurs années, dit à son retour en Suède à M. de Pompone, ainsi que M. de Pompone l'atteste lui-même dans une lettre écrite de Stockolm, le 10 septembre de l'an 1667, qu'il ne comprenait pas qu'on pût révoquer en doute l'opinion des Moscovites sur la transsubstantiation, puisqu'on en voit tous les jours des marques publiques dans les rues de Moscou, où le peuple se prosterne contre terre, pour adorer le saint Sacrement porté aux malades ; et que c'est un fait connu à quiconque a seulement vu la Moscovie1.

Oderbonus, auteur protestant, avait marqué longtemps auparavant, dans sa lettre à Chytré sur la religion des Moscovites, qu'après la consécration faite, le peuple se jetait à genoux, en répétant une infinité de fois, ces paroles : Hospodi Pompilon, c'est-à-dire, Seigneur, ayez pitié de nous, et qu'ensuite le prêtre leur montrant les dons sacrés, il disait en langue vulgaire : Voilà le corps et le sang de Jésus-Christ que les Juifs ont fait mourir, tout innocent qu'il était ; ce qui excitait de nouveaux cris et de nouveaux soupirs parmi le peuple, et portait tous les assistants à frapper leur poitrine2.

Mais pourquoi me fatiguer à prouver un point qui nous est accordé par un des plus habiles professeurs de votre université ; car votre Donhawerus qui a tant écrit, et dont vous estimez si fort les ouvrages, ne fait aucune difficulté de convenir que les Moscovites croient la transsubstantiation3. Or, Monsieur, qu'il me soit permis de demander, si c'est de l'Église romaine que les Moscovites ont appris le dogme de la transsubstantiation, eux qui sont séparés de cette Église depuis tant de siècles ? auraient-ils renoncé à la doctrine dans laquelle ils ont été instruits, en se faisant chrétiens, pour embrasser un dogme que vous soutenez être nouveau, et que vous regardez comme une production du treizième siècle ? Qui pourra raisonnablement croire assez de complaisance à ces peuples, pour s'approprier ainsi les sentiments nouveaux d'une Église qu'ils considèrent comme une rivale impérieuse, et contre laquelle ils conservent toute l'animosité inspirée par le schisme ? Mais ce n'est pas ici le seul endroit qui donnera lieu à de semblables réflexions ; avançons et cherchons à nous assurer de la doctrine des Grecs.

Les Moldaves et les Moscovites sont unis de communion avec eux ; c'est déjà un préjugé bien sûr pour croire qu'ils ne seront pas partagés sur un point aussi important. Quelque fort néanmoins que soit ce préjugé, à peine mérite-t-il qu'on pense à le faire valoir, vu le grand nombre d'attestations authentiques que l'Église grecque a données elle-même de sa créance. Nous en avons jusqu'à quatre, rédigées par les chefs mêmes de l'Église de Constantinople, je veux dire, par les quatre patriarches qui ont gouverné successivement cette Église.

La première est celle du patriarche Jérémie, qui, sollicité par les théologiens de Tubingue et de Wittemberg, d'approuver la confession d'Ausbourg, leur répondit en l'an 1576, qu'il ne pouvait être d'accord avec eux sur plusieurs chefs ; et parlant du dixième article de la confession d'Augsbourg qui traite de la cène, il dit : « Cet article est trop court et ne fait pas assez connaître vos sentiments ; car on nous dit sur ce sujet plusieurs choses de vous que nous ne pouvons approuver1. » Puis il explique la créance de l'Église grecque, et ajoute : « Pour nous, nous enseignons que le pain est changé au corps même et au sang même du Seigneur par le Saint-Esprit. » Il répète le même témoignage dans une autre réponse envoyée aux mêmes théologiens2.

La seconde attestation est celle de Cyrille de Beroé, successeur du fameux Cyrille Lucar, qui a tant fait parler de lui pour son apostasie et son insigne imposture à imputer les sentiments de Calvin à l'Église orientale. Ce Cyrille Lucar avait été corrompu par Corneille Haga, envoyé des Etats-Généraux ; élevé sur le siège de Constantinople par les intrigues et par l'argent de son patron, il ne put lui refuser une profession de foi calviniste, qu'il lui donna comme celle de l'Église d'Orient. L'envoyé ne manqua pas d'en faire usage, et l'envoya à Genève, où elle fut imprimée, et d'où elle se répandit par toute l'Europe.

Fehlavius, ministre luthérien de Dantzig, a parfaitement démontré contre Hottinger de Zurich, que cette profession de foi ne contenait nullement la créance de l'Église orientale, et qu'on ne pouvait la regarder que comme la profession d'un grec particulier devenu calviniste3. Et en effet, immédiatement après la mort de Lucar, Cyrille de Beroé, appelé à lui succéder, crut que pour réparer l'honneur de l'Église orientale, flétrie par une confession de foi publiée faussement sous son nom, il devait la faire condamner solennellement. Il assembla pour cela, en 1638, un concile où se trouvèrent les patriarches d'Alexandrie et de Jérusalem, avec vingt-trois des plus célèbres évêques de l'Orient. On y examina la confession de Cyrille Lucar ; on y prononça anathème contre lui presque sur tous les chefs, et pour ce qui est du point que je traite ici, il y fut dit : « Anathème à Cyrille, qui enseigne et qui croit que le pain et le vin offerts, ne sont point changés par la bénédiction du prêtre et l'avènement du Saint-Esprit au vrai corps et au vrai sang de Jésus-Christ. »

Parthénius-le-Vieux, successeur de Cyrille de Beroé, appréhendant qu'on n'attribuât cette condamnation à l'animosité de son prédécesseur, qui passait dans le monde pour n'avoir pas été ami de Lucar, assembla un nouveau concile en 1642, et ce second concile condamna également les mêmes articles, sans toutefois toucher à la personne de l'accusé ; plusieurs évêques, ne pouvant ou ne voulant pas se persuader que la confession, juste objet de la censure, fût effectivement son ouvrage, les actes originaux des deux conciles se conservent dans les archives de l'Église de Constantinople, et ceux du dernier ont été imprimés en Moldavie, par l'ordre du prince Jean Basile, l'année même où cette assemblée fut tenue4.

Comme ces deux déclarations synodales ont été faites à la même occasion, je ne les compterai que pour un seul témoignage de l'Église de Constantinople ; ainsi, le troisième sera celui du patriarche Méthodius, qui monta sur le siége patriarchal en l'an 1667. Informé de la contestation qui s'était élevée en France, sur les sentiments de l'Église grecque, il donna un décret signé de sa main, à l'ambassadeur de France. Voici comme il s'y explique : « La malice de quelques hérétiques de France, est venue à un tel excès, que pour couvrir leur effronterie et leur mauvaise conscience, ils ont eu la hardiesse d'envelopper dans leur erreur calviniste, l'Église orthodoxe de Jésus-Christ répandue dans l'Orient ; ils ont osé écrire et enseigner qu'elle était entièrement d'accord avec les calvinistes sur le sacrement de l'Eucharistie, et sur quelques autres de leurs opinions, qui sont considérées parmi nous comme des blasphèmes. Aussi, d'après la lecture de ces imputations calomnieuses, je me suis cru obligé, en qualité d'orthodoxe, de fermer la bouche à des discoureurs si hardis, à la prière et sollicitation de très pieux, très illustre et très honorable seigneur Charles Olier, marquis de Nointel, ambassadeur du très chrétien roi de France ; » puis, après avoir attesté, dans le premier article, la créance des Grecs sur la présence réelle, il ajoute : « Nous disons, en second lieu, que le pain et le vin, après la consécration du prêtre, sont changés de leur propre substance en la véritable et propre substance de Jésus-Christ ; quoique les mêmes accidents paraissent encore, il n'y a plus néanmoins ni pain ni vin. » Il dit aussi dans le quatrième article, qu'ils adorent, dans l'Eucharistie, Jésus-Christ comme vrai Dieu, et, de peur qu'on ne le soupçonnât d'avoir fait cette déclaration de son chef, et d'avoir, par complaisance, parlé d'une manière trop conforme aux désirs de M. l'ambassadeur, il s'en réfère aux deux conciles tenus sous ses prédécesseurs, et affirme que si l'on veut les consulter dans les archives, on y trouvera exactement la même doctrine.

Denis, évêque de Larisse, élevé sur le siège de Constantinople en 1671, crut ne devoir pas marquer moins de zèle pour faire connaître aux étrangers les véritables sentiments de l'Église grecque ; et pour le faire d'une manière encore plus authentique, il assembla jusqu'à trente-neuf archevêques et métropolitains, avec lesquels il concerta la déclaration qu'il remit à l'ambassadeur de France. Voici comme en parle M. le marquis de Nointel lui-même, dans une lettre écrite au roi, au mois de juillet 1672 : « Le patriarche Dionysius, avec trois autres qui l'ont précédé dans la même dignité, et celui d'Alexandrie, et trente-neuf métropolitains, se sont assemblés, et ont déterminé un acte synodal qui est dans les archives de la grande église, où le point de l'Eucharistie et plusieurs autres, étant expliqués, ils font voir clairement quelle est leur foi. Le patriarche m'en a envoyé un original qui est en bonne forme, par trois métropolitains et son référendaire, avec prières instantes de le faire passer jusqu'à Votre Majesté, la priant très humblement de vouloir qu'il soit mis en dépôt dans sa bibliothèque, ou en tel autre endroit qu'il lui plaira d'ordonner, afin que les calomniateurs qui leur imputent de ne pas croire la présence réelle et le changement des substances, et le devoir de l'adoration de Jésus-Christ présent, y lisent leur condamnation. L'acte est signé du mois de janvier 1672, et porte sur la transsubstantiation ce qui suit : Nous croyons que par l'opération du Saint-Esprit, le pain est changé d'une manière surnaturelle et ineffable, véritablement et proprement, au propre corps de Jésus-Christ, et le vin en son sang vivant. Ce sacrement est digne d'une véritable adoration, parce qu'on y adore, avec le même honneur qui est dû à Dieu, le corps divinisé du Sauveur, et il est offert en sacrifice pour les vivants et pour les morts1. »

Le même M. de Nointel ajoute dans la même lettre au roi, qu'il a cru ne devoir rien oublier, pour éclaircir un point de fait aussi important que l'est celui de la créance des Orientaux touchant l'Eucharistie : « Je puis assurer Votre Majesté, dit-il, en lui gardant toute la fidélité que je lui dois, que les Grecs et les Arméniens croient la présence réelle de Jésus-Christ au saint Sacrement, et la conversion substantielle du pain et du vin en son corps et en son sang, et qu'ils adorent Jésus-Christ présent, réellement et invisiblement dans l'Eucharistie. J'ai assisté à leurs cérémonies et à leurs liturgies, où cette vérité paraît dans un éclat invincible, et les patriarches, archevêques et évêques, les prêtres, les gentilshommes et les particuliers, même les papes et le peuple à la campagne, me l'ont certifié avec exécration contre ceux qui leur imputaient une autre créance, les traitant de calomniateurs et d'hérétiques1. »

Qui croira qu'un ambassadeur, écrivant à un aussi grand roi que l'était Louis XIV, eût osé en imposer à son prince, sur un sujet de notoriété publique dans le pays d'où il écrivait, et sur lequel il eût été si aisé de le convaincre de faux ? Le danger de se perdre dans l'esprit d'un monarque, ennemi, s'il y en eut jamais, de la fourberie et du mensonge, lui eût-il permis de risquer des rapports faux ou peu exacts, capables de le faire passer tôt ou tard pour un faiseur de mauvais contes également indignes du caractère de celui qui écrivait, et de celui à qui la lettre était adressée.

Mais M. de Nointel n'a pas prétendu qu'on l'en crût sur sa simple parole ; outre la pièce dont je viens de parler, il y en a ajouté tant d'autres, et de tant d'espèces, qu'il y a de quoi forcer la plus grande incrédulité. La plupart des Églises de l'Archipel lui ont fourni des attestations signées par les principaux membres du clergé ; celle de l'île Siphante est signée par l'archevêque et six de ses ecclésiastiques ; celle de l'île Anaxia par un chorévêque et neuf prêtres ou religieux ; celle des îles Céphalonie, Zante et Ithaque, par l'archevêque et trente-deux prêtres tant séculiers que réguliers ; celle de l'ile Micone, par le grand-vicaire et neuf ecclésiastiques ; celle de l'île de Milo, par l'archevêque et treize prêtres et religieux. Toutes ces attestations, qui ont été rendues publiques par l'impression2, sont conçues en termes aussi clairs et aussi précis que la profession de foi prescrite par le concile de Trente, et déclarant ouvertement, que le pain et le vin sont transsubstantiés au corps et au sang de Jésus-Christ, et qu'il faut l'adorer d'une adoration de latrie.

M. l'ambassadeur, non content de toutes ces attestations, crut devoir encore réclamer les dépositions de tous les résidents des puissances chrétiennes auprès de la Porte ottomane. Ils certifièrent en effet dans la meilleure forme possible, savoir de science certaine, ou pour l'avoir appris des prélats de l'Église grecque, et d'autres notables de la nation, ou pour l'avoir parfaitement compris par le témoignage de leurs propres yeux, que les grecs schismatiques sont parfaitement d'accord avec l'Église latine sur les points en question. Ces différents certificats ont été donnés à l'un, par M. de Fleschi, résident de la république de Gênes, signé du 13 août de l'an 1671 ; l'autre, par M. Casimir, résident de Pologne, signé du 7 septembre de la même année ; un troisième, par M. Marino Bernardo, ambassadeur de la république de Raguse, signé du 14 octobre ; un quatrième, de M. Quirini, résident de la république de Venise, signé du 5 janvier de l'an 1672. M. de Nointel ne manqua pas de les envoyer au roi, assurant Sa Majesté, que le résident d'Angleterre lui avait expressément avoué que les grecs croyaient la présence réelle et le changement de substance, mais qu'il ne jugeait pas pouvoir le témoigner par écrit, et cela pour des raisons qu'il n'est pas difficile de deviner3. A toutes ces preuves, M. de Nointel ajoute encore l'attestation des Églises de Mingrelie, de Géorgie et de la Colchide, signée par Hilarion, chef des évêques de ce pays-là.

Si toutes ces pièces ne suffisent pas pour faire connaître sûrement les sentiments de l'Église grecque, je ne vois guère ce qui pourra jamais suffire. Si l'on demande de plus des livres faits et imprimés pour l'usage de toute la nation, répandus par toute la Grèce, autorisés par les patriarches, les évêques et les synodes entiers, comme contenant exactement la doctrine de la foi, on trouvera dans le livre intitulé : Confession orthodoxe de l'Église orientale, de quoi se contenter parfaitement.

Cette confession fut d'abord dressée par Pierre Mogilas, archevêque de Russie, et trois évêques ses suffragants ; ils prièrent l'Église de Constantinople d'examiner et d'approuver cette confession. Le synode de Constantinople, sous Parthenius-le-Vieux, députa en Moldavie, Porphyre, métropolitain de Nicée, et Mélétius Surigus, théologien de la grande Église ; les députés des Russes s'y rendirent aussi : on y examina avec soin la confession, et, pour la rendre plus authentique, on l'envoya aux quatre patriarches d'Orient, et à plusieurs autres évêques, qui non-seulement l'approuvèrent et la signèrent en 1643, mais ordonnèrent de plus, qu'au lieu qu'elle ne portait auparavant que le titre de confession de la foi des Russes, elle s'appellerait désormais confession de la foi de l'Église orientale. Elle a été imprimée deux fois par les soins du seigneur Panayotti, premier drogman ou interprète du Grand-Seigneur ; la première fois, en Hollande, et ce furent les Etats-Généraux qui en firent eux-mêmes la dépense, voulant par là gratifier ce seigneur grec, fort accrédité à la cour ottomane, et très considéré parmi ceux de sa nation. Le sieur Normannus, luthérien, en a fait une traduction latine qui a été imprimée à Leipsick, en 1695. Or, c'est dans ce livre adopté comme une confession publique, que toute l'Église grecque s'explique ainsi : « Après les paroles de la consécration, s'opère à l'instant même la transsubstantiation, et le pain est changé au véritable corps de Jésus-Christ, comme le vin en son véritable sang ; quoique par une disposition divine, les apparences du pain et du vin continuent à subsister, afin que nous voyions le corps de Jésus-Christ, non par nos yeux, mais par la foi appuyée sur ces paroles, ceci est mon corps, ceci est mon sang, et que nous préférions ainsi ses oracles et ses pouvoirs à nos sens. L'honneur qu'il faut que vous rendiez à ces terribles mystères, doit être le même que celui que vous rendez à Jésus-Christ même. Ainsi, comme saint Pierre, parlant pour tous les Apôtres, a dit à Jésus-Christ : Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant, il faut aussi que chacun de nous rende le culte de latrie à ces divins mystères, et dise : Je crois, Seigneur, et je confesse que vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant, qui êtes venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier1.

Que dire, Monsieur, à des attestations si fortes et d'une si imposante autorité ? celui qui refusera de s'y rendre, sur quel pied le regarderez-vous ? vous paraîtra-t-il avoir l'esprit fait comme les autres hommes ? et croirez-vous qu'il puisse jamais être convaincu sur aucune vérité de fait qui soit hors de la portée de ses yeux ? Il s'en faut bien que votre Danhawerus ait jamais vu tout ce que je viens de produire, et cependant il n'a pas laissé de reconnaître formellement que les Grecs croyaient la transsubstantiation, puisqu'il a compté cet article parmi leurs erreurs1.

Mais c'est trop nous arrêter sur le sentiment des Grecs, hâtons-nous d'examiner celui des autres nations et des autres sectes de l'Orient ; j'abrégerai le plus possible, pour éviter de vous ennuyer par une multitude de témoignages uniformes ; je ne laisserai pas cependant d'en dire assez, pour faire voir que toutes les sociétés chrétiennes, antérieures à Luther, de quelque nom qu'on les appelle, persévèrent encore aujourd'hui dans la même doctrine et dans les mêmes usages dont vos réformateurs ont fait le sujet de leurs critiques et de leurs invectives.

Voici ce qu'atteste, au nom de la nation arménienne, le patriarche David, résident à Alep, dans un acte daté du 1 mars 1668, et confirmé par trois évêques et douze prêtres qui ont apposé leurs seings et leurs sceaux, en présence de M. Baron, consul de la nation française : « Nous croyons que la nature du pain et du vin est changée proprement et substantiellement au corps et au sang du Sauveur, en vertu des paroles prononcées par le prêtre, de sorte qu'il ne reste du pain et du vin, que les accidents et la figure extérieure. Nous adorons Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, d'un culte de latrie. » Le même fait a été attesté par quatre autres patriarches arméniens, par celui d'Ermeazin, celui de Cis, celui du Caire et celui d'Ispahan, et de plus, par un évêque arménien, nommé Uscanus, qui s'est trouvé en Hollande l'an 1666. On a les cinq actes originaux dressés en bonne forme.

Pour ce qui est des Syriens, leur patriarche, qui a signé Grégoire, l'évêque Jean, syrien de Damas, dit dans son attestation, conjointement avec cinq de ses prêtres : « Nous croyons et nous assurons constamment que les paroles proférées par le Seigneur de la gloire, dans la nuit de sa passion, en disant : Ceci est mon corps, etc., lorsqu'elles sont prononcées par un véritable prêtre, sur le pain et sur le vin, transforment les substances de leur bassesse en un état souverainement élevé, et les font passer de la ressemblance et de la figure à la vérité. Allons donc nous présenter aux mystères avec ardeur, la tête baissée, et avec une profonde adoration. » Un autre patriarche syrien nommé André, tient exactement le même langage, dans un acte daté du 29 février 1668, signé de la main du patriarche, d'un archevêque, de dix prêtres, et légalisé par M. Baron, consul.

N'oublions pas les Cophtes, qui sont particulièrement les Egyptiens : « Nous le déclarons devant tous les hommes, dit leur patriarche Matthieu, dans un acte envoyé au roi Louis XIV, et revêțu de tout ce qui peut le rendre le plus solennel et le plus authentique ; les Cophtes croient fermement que le corps de Jésus-Christ même, de Jésus-Christ monté aux cieux, et assis à la droite du Père, est en sa propre substance, dans la sainte Eucharistie ; nous croyons en ce point particulier tout ce que croient les latins, avec lesquels nous sommes d'accord sur cet article, quoique divisés sur plusieurs autres ; et les hérétiques de France nous imposent une calomnie, quand ils disent qu'après la consécration nous ne l'adorons pas, et que nous ne nous prosternons pas devant lui. »

Cette déclaration seule est suffisante pour faire voir avec combien d'injustice le sieur Job Ludolf impute aux Ethiopiens d'être dans des sentiments contraires ; car l'Église d'Ethiopie est entièrement dépendante de celle des Cophtes ; tout ce qui est cru parmi ceux-ci, doit donc être regardé comme la foi des Ethiopiens, excepté dans les points que les patriarches d'Alexandrie ont condamné comme des abus, et qu'ils ont souvent tâché de réformer ; je ne tarderai pas à en apporter encore d'autres preuves positives.

Les Arméniens, les Syriens et les Cophtes étant Jacobites ou monophysites de créance, il serait inutile de prouver, par de nouvelles preuves, le sentiment des partisans de cette secte ; ainsi je passe aux Nestoriens répandus dans la Mésopotamie, dans la Perse et dans les Indes. Leur patriarche, qui réside dans la ville de Diabecker, a déclaré en 1669, par un acte signé de lui et de six de ses prêtres, adressé à M. de Nointel à Constantinople, et de là envoyé en France, que ceux de sa communion croyaient la présence réelle et la transsubstantiation ; puis il ajoute à la fin de l'acte : « Nous faisons savoir à tous les hommes, que nous ne recevons pas la doctrine opposée à cette créance, que nous regardons la doctrine contraire comme hérétique, et que nous disons anathème à tous ceux qui osent la soutenir.

A tous ces témoignages particuliers, j'en ajoute deux qui sont comme généraux ; je les appelle ainsi, parce qu'ils attestent également la foi de tous les peuples dont je viens de parler. Le premier est de M. Piquet, ci-devant consul pour la nation française à Alep, homme d'honneur et de probité, témoin oculaire, et parfaitement instruit des faits dont il rend témoignage. « Il est certain, dit-il dans une lettre imprimée en 1667, et répandue par toute la France, il est certain que toutes les nations schismatiques du Levant croient comme article de foi, la présence réelle et la transsubstantiation ; j'ai demeuré huit ou neuf ans parmi eux ; j'ai eu des conférences de toutes les sortes avec eux ; j'ai été souvent dans leurs églises, et j'y ai vu honorer et adorer le très saint Sacrement, avec les génuflexions, inclinations et respects qu'on pourrait rendre à Dieu même, s'il se présentait en quelque autre forme visible. S'il fallait des attestations de cela, je me fais fort d'en faire venir de tous les patriarches grecs, arméniens, syriens, jacobites, nestoriens et même des Cophtes et des Ethiopiens, qui tous sont dans la même créance1. » M. Piquet savait fort bien que cette assertion serait plus nuisible qu'utile à la religion, si elle pouvait être démentie ; et il comprenait aussi parfaitement, combien il se fût déshonoré par un mensonge publié avec tant d'éclat, et dont il eût été si aisé de le convaincre, au cas qu'il n'eût pas déposé juste.

Le second témoignage qui comprend toutes les nations schismatiques du Levant, est celui de Dosithée, patriarche de Jérusalem, ou plutôt d'un concile nombreux auquel ce patriarche a présidé en 1672. Il jugea à propos de composer un traité synodal qui fut lu en pleine assemblée, approuvé et signé par six archevêques, par cinquante et un prêtres ou religieux, et inséré dans le Codex ou dans le registre de la grande église. Le patriarche envoya une copie signée des mêmes personnes à Louis XIV, à qui il avait adressé son écrit : le manuscrit se conserve dans la bibliothèque du roi, et si quelqu'un en doute, rien ne lui sera plus aisé que de s'en assurer. Dix-huit ans après, Dosithée fit imprimer le même traité avec quelques augmentations à Bucharest en Valaquie, de sorte qu'il n'y eut jamais pièce plus authentique, ni plus incontestable. Or, il y est dit positivement que toutes les sociétés chrétiennes du Levant, de quelque secte qu'elles soient, croient la présence réelle et la transsubstantiation, et adorent Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Car, après tous les articles dont le dix-septième porte que « le pain est changé, transsubstantié, transformé et converti au véritable et même corps de Jésus-Christ, qui est né en Bethléem, de la vierge Marie, et qu'il faut rendre à ce corps, le même honneur qu'on rend à la sainte Trinité, » le patriarche et le synode ajoutent à la fin : « Les Nestoriens, les Arméniens, les Cophtes, les Syriens, les Ethiopiens, qui demeurent sur la ligne, et au-delà, même vers le tropique du capricorne, et qui ont chacun une hérésie particulière, sont néanmoins d'accord avec nous, sur tout ce que nous avons dit, comme nous le voyons de nos yeux, et comme nos sens et notre raison nous l'apprennent dans cette grande ville de Jérusalem, où il y a des gens savants ou simples qui, venus de tous les lieux du monde, y habitent, et y viennent en pèlerinage. »

Figurez-vous, Monsieur, s'il vous plaît, que le patriarche de Jérusalem et son concile aient ici faussement imputé une doctrine étrangère à toutes ces nations, ne se fussent-ils pas exposés à la risée, ou plutôt à l'indignation d'une infinité de témoins parfaitement instruits de la vérité ? tant de millions de personnes intéressées à se récrier et à protester contre la calomnie, fussent-elles restées dans le silence ? n'y a-t-il pas assez de gens dans le monde, jaloux de l'avantage que les catholiques tirent de cette déclaration, pour animer et solliciter ceux qui auraient été chargés faussement, à parler et à déclarer au juste leurs véritables sentiments, à la honte des calomniateurs qui leur en auraient prêté d'autres, et des dupes qui se seraient montrés trop crédules sur leur sujet ?

Permettez-moi donc, Monsieur, de vous demander s'il y eût jamais aucune vérité de fait aussi parfaitement démontrée que celle dont je viens de fournir les preuves ? se peut-il rien ajouter à l'authenticité des actes que j'ai produits ; au nombre et à la qualité des témoins, à la clarté et à la force de leurs expressions, à la dignité et à la majesté de ceux qui ont reçu les dépositions, et à la nécessité de dire vrai, dans ceux qui, en disant faux, se fussent couverts d'un opprobre inévitable ? Il vous est passé bien des affaires par les mains, Monsieur, depuis que vous êtes en place ; mais quand est-il arrivé qu'en recherchant la vérité d'un fait, vous ayez exigé d'aussi grandes sûretés que celles dont vous venez de voir la force inébranlable ? avez-vous jamais trouvé, ou trouverez-vous jamais une évidence qui approche de celle-ci ?

Qu'il est consolant pour nous, Monsieur, de savoir avec toute certitude, que toutes les nations chrétiennes de l'univers étaient avant le schisme de Luther, parfaitement réunis dans la créance dont nous faisons aujourd'hui profession par rapport à l'Eucharistie, c'est-à-dire par rapport à celui de tous les articles contestés contre lequel les protestants se sont élevés avec le plus de chaleur ? Que nous sommes heureux de n'avoir ici pour adversaires que les auteurs d'une dispute toute nouvelle, et d'avoir pour seconds ceux-là mêmes qu'une animosité invétérée tient éloignés de nous depuis tant de siècles ? car qui soupçonnera toutes ces sectes orientales, d'avoir récemment changé d'opinion par complaisance pour l'Église romaine ? qui oserait l'assurer ? qui entreprendra de le prouver ? comment, et par quelle voie y réussirait-on ? Leurs liturgies si anciennes sont toujours les mêmes ; comment leur foi aurait-elle changé ? la créance n'est-elle pas la base du culte et la règle du langage des prières ? Qui ne comprend que la créance de la présence permanente et de la transsubstantiation étant commune à toutes ces différentes sectes aussi bien qu'à nous, cette créance doit être nécessairement plus ancienne que leur schisme ? Et comme les Nestoriens et les Jacobites se sont séparés de l'Église catholique vers le commencement ou vers le milieu du cinquième siècle, n'est-il pas évident dès-là même que voilà déjà treize cents ans bien assurés à notre doctrine et à nos usages?

Mais ce n'est pas par des raisonnements que je prétends prouver l'antiquité de notre sentiment ; j'ai bien assez de témoignages positifs en main pour me passer de tout ce qu'on pourrait regarder comme un préjugé ou une simple conjecture : je vais les produire, pour faire voir qu'en expliquant l'Écriture comme nous l'expliquons, nous donnons aux passages relatifs à l'Eucharistie le sens le plus propre et le plus naturel, puisque c'est le seul adopté non-seulement par tous les chrétiens de la terre, mais aussi par les chrétiens de tous les siècles.

3ème proposition : LES CHRÉTIENS DE TOUS LES SIÈCLES ONT ÉTÉ DU MÊME SENTIMENT QUE NOUS PAR RAPPORT A L'EUCHARISTIE.

C'est, Monsieur, l'unique point qui me reste à traiter ; je m'y suis engagé ; vous l'attendez de moi ; l'intérêt de la vérité le demande ; et quand vous serez convaincu, comme sans doute vous ne tarderez pas de l'être, qu'en adorant Jésus-Christ sous les espèces du pain, nous ne croyons et ne pratiquons que ce que les chrétiens de tous les temps comme de tous les lieux ont constamment cru et pratiqué, alors, je l'espère, Monsieur, vous ne vous laisserez plus aller à je ne sais quel étonnement mêlé de trouble à la vue de nos cérémonies, et bien loin de blâmer l'excès de nos soins, vous trouverez que nous n'en faisons pas encore assez envers l'adorable Sauveur renfermé dans l'auguste sacrement où son amour pour nous l'a placé.

Voyons d'abord, Monsieur, je vous prie, si les premiers chrétiens ont jamais rien su de cette présence passagère qu'il vous a plu de fixer au seul moment de la manducation ; j'ose assurer que pour peu qu'on ait connaissance de l'antiquité, on ne pourra s'empêcher de convenir que les pratiques de l'Église la plus voisine du temps des Apôtres, n'aient été absolument contraires à ce sentiment.

Saint Justin, mort seulement une soixantaine d'années après l'apôtre saint Jean, ne nous marque-t-il pas dans la seconde apologie de la religion chrétienne qu'on envoyait de son temps par des diacres l'Eucharistie à ceux qui, pour de bonnes raisons, n'avaient pu assister à la célébration des mystères1 ? Saint Irénée, qui vingt ans après la mort de saint Justin, gouvernait déjà l'Église de Lyon, ne nous apprend-il pas également dans sa lettre au pape Victor, rapportée par Eusèbe, que c'était pour l'usage d'envoyer l'Eucharistie aux évêques absents, en signe de paix et de communion ecclésiastique2 ? Tertullien, contemporain de saint Irénée, ne fait-il pas connaître dans le livre adressé à son épouse, que les chrétiens emportaient le pain sacré chez eux, dans le temps de la persécution pour se fortifier, et qu'ils se faisaient dès-lors une loi inviolable de ne le prendre que le matin, et avant toute autre nourriture3 ? N'apprenons-nous pas encore de saint Denis, évêque d'Alexandrie, mort en 266, qu'on gardait le pain consacré pour les malades, et qu'un nommé Sérapion, étant à l'extrémité, on lui en envoya une partie, qui se trouvant un peu dure pour avoir été gardée longtemps, fut trempée dans l'eau afin qu'il pût l'avaler plus aisément1 ? de saint Basile, que les anachorètes, trop éloignés des églises pour pouvoir les fréquenter régulièrement, emportaient avec eux le pain sacré, afin d'avoir de quoi satisfaire leur dévotion dans le désert2 ; de saint Grégoire de Nazianze, que Gorgonie, sa sœur, se retira une nuit dans l'église, et que s'étant prosternée en la présence du saint Sacrement, elle fut délivrée d'une fâcheuse maladie3 ; de saint Ambroise, que son frère Satyre fut garanti du naufrage par la très sainte Eucharistie, qu'il attacha à son cou avec autant respect que de confiance4 ?

Or, s'il est vrai que l'Eucharistie cesse d'être Eucharistie dès que l'action de la cène est finie, comme on le prétend chez vous, comment du pain envoyé, transporté, gardé pendant un espace de temps considérable, peut-il être encore appelé Eucharistie par les auteurs que je viens de citer ? comment a-t-il pu passer dans l'esprit des premiers fidèles, pour être l'aliment céleste destiné au soutien et à la nourriture de leurs âmes ?

Kemnitius n'ignorait pas tous ces faits de l'antiquité, puisqu'il les rapporte lui-même5 ; mais au lieu d'en conclure, comme tout homme d'un sens droit l'eût naturellement conclu, que les premiers chrétiens étaient donc d'un sentiment fort opposé à celui de la présence prétendue passagère, il s'amuse à rechercher les raisons qui faisaient permettre ces usages, et à nous dire que les mêmes raisons ne subsistant plus, plusieurs conciles avaient défendu sévèrement ces communions secrètes et domestiques6.

Il n'était pas fort nécessaire que Kemnitius nous étalât sur ce point son érudition ; nous savions sans qu'il nous l'apprît, que l'Église a changé de discipline sur cet article ; mais il eût rendu un service important à son parti, s'il eût pu concilier ces pratiques des premiers temps avec la doctrine luthérienne : car nous lui demandons si les premiers chrétiens regardaient, après l'action de la cène finie, le pain qui avait été consacré, comme n'étant plus que du pain commun ? Nous lui demandons si dans ces paroles, prenez et mangez, ils ont reconnu un précepte de le manger immédiatement après la consécration, s'ils ont satisfait à ce précepte, ou s'ils sont coupables pour y avoir contrevenu ? Nous lui demandons si ces paroles, ceci est mon corps, ont été vraies dans la bouche du Sauveur, seulement parce que la manducation qui les a suivies immédiatement, en a accompli le sens ? Nous lui demandons encore, si le pain eucharistique, emporté et conservé, contenait le corps de Jésus-Christ, ou s'il ne le contenait pas ? S'il le contenait, voilà donc la présence permanente bien avouée ; et s'il ne le contenait pas, que recevaient donc ces premiers chrétiens en recevant ce pain ? recevaient-ils le corps de Jésus-Christ ? c'était donc la manducation toute seule qui avait la vertu de le rendre présent, sans que la consécration faite depuis long-temps y eût aucune part ? mais s'ils ne recevaient pas le corps de Jésus-Christ, leur pratique était donc, à votre avis, entièrement inutile, et ne pouvait passer pour une véritable communion ? Enfin nous demandons à Kemnitius, s'il pourrait bien trouver quelque moyen de nous faire voir que les premiers chrétiens aient eu une moindre idée de ce qu'ils gardaient pour communier, que de ce qu'ils recevaient en communiant effectivement. Pour moi, je puis montrer que saint Cyprien donne au précieux dépôt conservé par une femme sous la clef, le même nom qu'à ce que prétendit recevoir un homme en communiant ; car ce Père appelle l'un et l'autre Sanctum Domini1, voulant sans doute dire le très saint corps du Seigneur ; je puis faire voir que saint Optat de Milève appelle l'autel le siège du corps de Jésus-Christ, et les calices, les porteurs de son sang2 ; que selon l'expression de saint Chrysostôme, le même corps qui a été couché dans la crèche repose aujourd'hui sur nos autels3 ; et que le même sang qui a coulé du côté du Sauveur, se trouve dans le calice4 ; que selon la doctrine expresse de saint Grégoire de Nysse, le pain devient le corps de Jésus-Christ, non parce qu'on le mange, mais parce qu'il est consacré par le prêtre5 ; et qu'au sentiment de saint Cyrille, c'est une insigne folie de soutenir que le pain consacré, s'il est gardé jusqu'au lendemain, perde la vertu de sanctifier les âmes6. Voilà ce que je puis faire voir par des témoins non suspects des sentiments de l'antiquité, et assez instruits sans doute de la foi de leur temps, pour pouvoir en rendre un fidèle compte.

Il eût donc été bien à propos pour l'intérêt de la cause dont Kemnitius a entrepris la défense, de chercher à satisfaire aux difficultés que je viens de proposer, et qui naissent si naturellement des usages de l'antiquité ; mais désespérant d'y réussir, il s'est contenté de faire mention de ces usages, comme pour montrer qu'il n'en était pas embarrassé ; et afin de détourner l'esprit du lecteur, de faire sur ce sujet les réflexions que j'ai faites, il s'est avisé de chercher à tourner ces exemples contre nous, en concluant que si la coutume des communions secrètes et domestiques avait été abolie, les protestants avaient été également en droit d'abroger la coutume de garder l'Eucharistie pour les malades : mais outre qu'il n'y a personne qui ne voie aisément combien cette conclusion est mal tirée, je me garderai de prendre ici le change que Kemnitius a voulu nous donner. C'était à lui à nous dire avant toutes choses, comment ces usages des premiers temps peuvent s'accorder avec le système de la doctrine luthérienne : il ne l'a pas fait, personne ne le fera jamais pour lui. Qu'on reconnaisse donc de bonne foi, que l'antiquité a été comme nous dans le sentiment de la présence permanente.

J'ai cru, Monsieur, devoir ici vous faire remarquer l'artifice de Kemnitius, afin de vous faire reconnaître par cet exemple, comment vos ministres s'y prennent quand ils se sentent embarrassés, quelle ruse ils emploient pour cacher leur embarras, et comme ils comptent pour rien d'en imposer à la simplicité des esprits étrangers à ces sortes de disputes, pourvu que de leur côté ils paraissent faire toujours bonne contenance.

Mais n'en voilà que trop sur cet article, si toutefois il peut y avoir du trop à craindre sur ce qui fait le capital et l'essentiel de mon sujet ; car vous comprenez parfaitement, Monsieur, que quand il resterait du pain dans l'Eucharistie, pourvu qu'il ne donnât pas l'exclusion au corps de Jésus-Christ, la présence de ce corps, quoique accompagnée d'une autre substance fonderait toujours également le devoir de l'adoration : certainement si les espèces qui couvrent ce divin corps ne peuvent nous empêcher de lui rendre nos hommages, je ne vois pas pourquoi ni comment nous en serions empêchés par la substance même du pain, au cas qu'elle se trouvât jointe aussi bien que les accidents au corps de Jésus-Christ. Mais pour faire voir que nous établissons la présence permanente sur le même fondement sur lequel l'ont établie les premiers chrétiens, et que notre doctrine sur l'Eucharistie est en tout point parfaitement conforme à la leur, souffrez que je remonte encore une fois jusqu'aux premiers temps du christianisme, et que j'examine si nous méritons le reproche intenté contre nous par les chefs de votre réforme, d'avoir innové en enseignant le changement de la substance du pain, ou si nous ne sommes pas plutôt en droit de leur reprocher qu'en combattant la transsubstantiation, ils ont combattu la doctrine constante de l'Église.

Luther a bien osé fixer la naissance de ce dogme au temps de saint Thomas d'Aquin : mais Dieu a confondu la témérité de Luther en manifestant son ignorance par la contradiction la plus grossière dans laquelle il soit possible de tomber ; car dans le même chapitre où Luther fait saint Thomas et ses disciples auteurs de la transsubstantiation1, il dit qu'elle a été approuvée par le chapitre Firmiter2 ; Or, le chapitre Firmiter est du quatrième concile de Latran, célébré en 12153, et saint Thomas n'est venu au monde qu'en 1224. On demande donc à Luther, comment saint Thomas a pu être l'auteur d'une coutume approuvée quinze ans avant sa naissance ? Convenait-il d'ailleurs à un homme aussi fier de son savoir que Luther, d'ignorer que deux conciles généraux tenus à Rome, l'un, sous le pape Nicolas II, en 10604 ; l'autre, sous Grégoire VII, en 10795, avaient déjà décidé le dogme de la transsubstantiation comme un article de foi, et que dès le temps du concile d'Orléans, célébré en 1017, on avait traité la doctrine opposée de doctrine exécrable6.

Vous jugez bien, Monsieur, que si je fais ici mention de ces conciles, c'est bien moins pour prouver l'antiquité de notre sentiment que pour démontrer la fausseté de l'époque marquée par Luther. Il me paraît néanmoins que la méprise de Luther si clairement démontrée, peut être de quelque usage pour faire tomber entièrement le reproche qu'il nous fait d'avoir innové ; car, si ce reproche était vrai, on pourrait sans doute nommer l'auteur de l'innovation : or, on ne peut le faire ; Luther l'a tenté inutilement et n'a fait que se rendre ridicule en voulant le désigner ; on ne peut donc regarder le reproche de l'innovation que comme un reproche mal fondé, avancé témérairement, et sans qu'il soit possible de trouver aucune preuve capable de lui donner la moindre couleur de vérité.

Mais, Monsieur, le langage des anciens Pères de l'Église, dont je vais rapporter quelques expressions, vous fera encore mieux sentir la témérité de ce reproche. Oui, il faut qu'après avoir convaincu Luther par lui-même, d'avoir fort mal combiné ses idées sur le temps et les circonstances de l'innovation prétendue, je le convainque encore par d'autres témoignages, de ne s'être pas moins trompé sur le fond même de la question.

Voici comme parle saint Cyrille, évêque de Jérusalem, dans ses catéchèses, composées vers le milieu du quatrième siècle, pour l'instruction des catéchumènes qui se disposaient à recevoir le Baptême et les autres sacrements. Vous le sentez, Monsieur ; c'est dans ces sortes d'ouvrages qu'on est particulièrement attentif à parler exactement et d'une manière entièrement conforme à la doctrine universellement reçue dans l'Église. « Puisque Jésus Christ, dit ce Père, l'a affirmé ainsi et a dit en parlant du pain, ceci est mon corps, qui osera le révoquer en doute ? Et puisqu'il a dit avec la même assurance, ceci est mon sang, qui pourra en douter, et soutenir que ce n'est pas son sang ? Autrefois, par sa seule volonté, il changea à Cana en Galilée l'eau en vin, c'est-à-dire en une substance qui par sa couleur se rapproche du sang, et il ne méritera pas d'être cru quand il change en sang le vin lui-même ? Si, invité à des noces humaines, il a fait ce prodigieux miracle, ne devons-nous pas confesser, à plus forte raison, qu'il a donné son corps et son sang aux enfants de l'Église céleste ? Recevons donc avec une entière certitude le corps et le sang de Jésus-Christ ; car sous l'espèce du pain, son corps vous est donné, et sous l'espèce du vin, on vous donne son sang, afin que rendus participants du corps et du sang de Jésus-Christ, vous ne soyez qu'un même corps et un même sang avec lui... Sachez et tenez pour certain, que ce qui nous paraît du pain n'est pas du pain, quoique le goût ait le sentiment du pain, mais est le corps de Jésus-Christ ; et que ce qui nous paraît du vin n'est pas du vin, quoique, au goût, il semble être du vin, mais est le sang de Jésus-Christ1. »

Je vous le demande, Monsieur, était-il possible que ce Père s'expliquât plus favorablement pour nous ? trouvera-t-on dans l'Église romaine aucun catéchisme, aucun livre de piété, qui enseigne le dogme de la transsubstantiation avec plus de netteté et de précision que ne le fait ici cette instruction de saint Cyrille ? Que diront à cela messieurs vos ministres ? ne devraient-ils pas rendre les armes, et convenir de l'injustice qu'il y a à nous accuser d'innovation, puisque ce dogme prétendu nouveau se trouve si parfaitement établi dès le milieu du quatrième siècle, qu'on a jugé nécessaire d'en faire des leçons aux catéchumènes ? Mais ces messieurs semblent avoir à cœur de faire paraître plus de courage que de justice ; et des preuves si convaincantes ne peuvent encore les forcer à se rendre.

Le sieur de la Lith, ministre d'Anspach, qui a écrit tout récemment sur ce sujet, et a trouvé le rare secret de raffiner et d'exalter sa bile par les airs d'une modération affectée, modération qu'il a su promettre, mais qu'il a moins su garder qu'aucun autre de ses confrères, dit ici pour toute réponse, que saint Cyrille était encore jeune à l'époque où il composa ses catéchèses, et que quelques expressions inconsidérées d'un jeune homme ne doivent pas être regardées comme une règle de foi pour toute l'Église1.

J'avoue, Monsieur, que saint Cyrille est parvenu assez jeune à l'épiscopat ; car il a gouverné l'Église de Jérusalem pendant trente-six ans ; choisi évêque en l'an 350, il n'est mort que le 18 de mars de l'an 386. Mais il me paraît que sa jeunesse, bien loin de déroger à son mérite et à sa capacité, est justement ce qui y donne plus de relief ; car puisqu'il a été choisi si jeune pour un poste si important, il faut bien qu'on ait reconnu en lui d'éminentes qualités. Je demande de plus au sieur de la Lith, si saint Cyrille, parvenu à un plus grand âge, a perdu la mémoire de ce qu'il avait écrit dans sa jeunesse ; si, après trente ans d'épiscopat, il a jamais rétracté de ce qu'il avait avancé ? je lui demande si ce saint évêque a ignoré que ses catéchèses étaient entre les mains de tout le monde ? s'il n'a pas su qu'elles contenaient des erreurs grossières ? si, le sachant, il a pu continuer à s'en servir, et à les répandre sans y rien corriger ? si les évêques de son temps et ceux qui sont venus après lui ont pu, en bonne conscience, en permettre le cours, et dissimuler ce que le sieur de la Lith y trouve de répréhensible ? Voilà sur quoi le ministre d'Anspach devait nous donner de bons éclaircissements, et ne pas se contenter de dire en l'air, que quelques expressions inconsidérées d'un jeune homme ne doivent pas servir de règle de foi à toute l'Église. Non, Monsieur, les expressions ni d'un prêtre, ni d'un évêque, qu'il soit jeune ou qu'il soit vieux, ne doivent pas servir de règle de foi ; mais les expressions d'un ouvrage dogmatique composé par un prêtre, quoique encore assez jeune, élevé immédiatement après à l'épiscopat2, et placé sur un des premiers sièges de l'Église, ces expressions qui n'ont jamais été rétractées pendant trente-six ans d'épiscopat, qui ont constamment servi à l'instruction des catéchumènes, qui n'ont jamais été contredites par tant de gens habiles dont le zèle n'a pu manquer d'en avoir connaissance, qui ont été transmises à la postérité avec l'approbation et l'éloge de tous les lecteurs ; oui, de telles expressions font connaître bien sûrement la foi du siècle où a été composé l'ouvrage qui les contient. Et comme vos savants reconnaissent assez généralement que la foi de l'Église du quatrième siècle était encore pure et exempte d'erreurs grossières, il s'ensuit qu'ils ne peuvent traiter la transsubstantiation d'erreur grossière, sans tomber en contradiction. Il s'ensuit encore que puisqu'un Père de l'Église grecque, né vers le commencement du quatrième siècle, a enseigné dans les termes les plus clairs et les plus formels, le changement de substance, ce dogme ne peut être une invention des docteurs latins du treizième siècle. Voilà comme on conçoit les choses quand on a la tête saine, et quand on les conçoit autrement, et qu'on ose traiter d'expressions inconsidérées de jeune homme, ce qui a été écrit par un témoin irréprochable des sentiments de l'antiquité, dans un ouvrage spécialement destiné à les faire connaître, on fait voir je ne sais quel renversement d'esprit dont il serait assez naturel d'avoir pitié, si un excès de suffisance et de présomption, qui en est visiblement la cause, ne portait encore plus fortement à l'indignation.

Si j'appuie fortement sur le témoignage de saint Cyrille, ne pensez pas, Monsieur, que j'y sois engagé par l'insuffisance des témoignages des autres Pères ; car tous les autres Pères ne se sont pas expliqués moins clairement en faveur de notre sentiment. Mais je n'ai point entrepris de dire ici tout ce qui peut se dire sur cet article ; je me propose seulement d'en dire autant qu'il en faut pour convaincre des esprits raisonnables et sincères dans la recherche de la vérité ; je me contenterai donc de rapporter un petit nombre de leurs expressions ; je les abrégerai même le plus possible ; car j'aime mieux laisser mon sujet souffrir un peu de ma détermination à vouloir être court, que de m'exposer à vous fatiguer, Monsieur, par ma négligence à éviter ce qui pourrait vous ennuyer.

« Je crois, dit saint Grégoire de Nysse, contemporain de saint Cyrille de Jérusalem, que le pain consacré par la parole de Dieu, est changé au corps du Verbe qui est Dieu1. » Il ajoute que, comme le pain dont le Sauveur se nourrissait était changé en son corps, et par là uni à la divinité, de même en est-il aussi du pain qui est consacré par le prêtre.

« La force de la bénédiction, dit saint Ambroise, est plus grande que celle de la nature, puisque la nature est changée par la bénédiction... Dieu dit, et tout a été fait  ; la parole de Jésus-Christ a pu du néant faire ce qui n'était pas encore ; ne peut-elle pas changer en d'autres natures, celles qui étaient déjà... Ce corps que nous produisons dans le sacrement, est le même qui est né de la Vierge ; pourquoi cherchez-vous l'ordre de la nature dans la production du corps de Jésus Christ en ce sacrement, puisque c'est aussi contre la nature que ce même Seigneur est né de la Vierge2 ? »

« Ce qui se fait pendant les mystères sacrés, dit saint Chrysostôme, n'est pas l'effet d'une puissance humaine ; Jésus-Christ opère ici les mêmes merveilles qu'il opéra dans la cène, la veille de sa passion, nous tenons la place de ses officiers et de ses ministres  ; mais c'est lui qui sanctifie les offrandes et qui les change3. »

« Le créateur souverain de toutes les substances, celui qui produit le pain de la terre, fait aussi, dit saint Gaudence, de ce pain, son propre corps, et il le fait parce qu'il le peut et qu'il l'a promis4. »

« De même, dit saint Jean Damascène, qu'il se fait un changement naturel du pain que nous mangeons, en notre corps, et du vin que nous buvons, en notre sang, de même aussi se fait il un changement surnaturel du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ par l'invocation et l’avènement du Saint-Esprit1.

Si ce n'est pas là enseigner la doctrine de l'Église romaine, qu'on nous dise donc de quels termes il faudra se servir pour pouvoir l'exprimer plus clairement. Y eut-il jamais d'aveu plus sincère et plus vrai que celui de Socin, qui, écrivant à un de ses amis, lui dit « que si l'on veut s'arrêter à l'autorité des Pères, c'est une nécessité pour lui et pour tous les protestants de s'avouer vaincus2. » J'ajouterai que vos centuriateurs de Magdebourg conviennent eux-mêmes que saint Grégoire de Nysse3, saint Chrysostôme4, saint Jean Damascène5 et le vénérable Bède, sont pour la transsubstantiation ; ils rapportent sur ce sujet plusieurs de leurs expressions, mais c'est en les rangeant sous le titre Des erreurs et des opinions incommodes des Pères. Nous concevons assez ce que veut dire ce langage : les Pères qu'on nous abandonne, n'ont pas, à croire ces auteurs, été assez bien instruits des dogmes de la religion, et ils sont singulièrement à plaindre de n'avoir pas eu des maîtres dont l'habileté égalât celle des centuriateurs. Le sentiment est modeste, comme vous voyez, Monsieur, et nous y déférerions sans doute, si nous avions un peu plus de complaisance et de docilité que nous n'en avons, pour profiter de l'avis que ces messieurs ont bien voulu nous donner, en nous avertissant charitablement que les dogmes enseignés par les célèbres instructeurs de la chrétienté comme des vérités de religion, n'étaient dans le fond que des erreurs insoutenables. Nous ne voulons pas néanmoins contredire en tout point des hommes si clairvoyants ; nous leur accordons que ce sont là pour eux des opinions incommodes, car nous comprenons parfaitement qu'il est incommode d'avoir contre soi les oracles de l'antiquité et les témoins fidèles des sentiments de leur temps. Dire en effet que ces Pères ont enseigné une autre doctrine que la doctrine commune de leur siècle, n’est-ce pas un paradoxe que tout esprit droit aura bien de la peine à se persuader ? et soutenir que dans les siècles les plus florissants de l'Église, la foi était déjà altérée et corrompue sur des points aussi capitaux, ne serait-ce pas donner une bien triste idée de l'Église de Jésus-Christ de ses promesses et de son ouvrage ? Mais nous accuser d'innovation, en marquer la date, chercher dans le treizième siècle, les auteurs de la nouveauté prétendue, nommer à cet effet saint Thomas, Innocent III, le concile de Latran (car nos accusateurs ne s'accordent pas entre eux sur ce point), et trouver cependant, dans les écrits des anciens, le dogme nouveau parfaitement établi, c'est là un fait plus qu'incommode ; avouons-le, Monsieur, c'est un fait désolant, accablant, désespérant : voilà toute la justice que nous pouvons rendre à la qualification de MM. les centuriateurs.

Si l'antiquité a pensé comme nous sur le dogme, vous jugez bien, Monsieur, qu'elle en aura tiré les mêmes conclusions que nous pour la pratique, et que les premiers chrétiens n'ont pu croire Jésus-Christ présent hors de l'usage, sans s'être fait comme nous un devoir de l'adorer dans l'Eucharistie, car la foi de la présence permanente est si naturellement liée avec l'adoration, qu'à moins de faire profession d'impiété, il est presque impossible de séparer l'un de l'autre. Quiconque croit Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, lui parle comme à Dieu, implore sa miséricorde, lui demande ses grâces, s'excite à l'aimer par des paroles de confiance, reconnaît sa propre indignité, s'abaisse devant la souveraine majesté de cet Homme-Dieu, donne des marques extérieures de son profond respect ; et n'est-ce pas là une véritable adoration ? Or, peut-on douter que les chrétiens n'aient toujours produit de ces actes en présence de leur Sauveur caché sous les voiles du sacrement ? Origène n'apprend-il pas aux fidèles à s'humilier devant le Sauveur, ainsi que le fit le centenier, en lui disant comme lui : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison1 ? Saint Grégoire de Nazianze ne raconte-t-il pas de sa sœur Gorgonie, qu'elle se prosterna devant l'autel, et invoqua avec une foi vive et des larmes abondantes, celui qu'on adore sur l'autel2 ? Saint Cyrille de Jérusalem, en instruisant les néophytes pour la communion, ne leur dit-il pas de se présenter en soutenant de la main gauche la main droite, et de faire par là une espèce de trône au roi de gloire ? c'était pour lors l'usage de recevoir l'Eucharistie dans la main : ne les avertit-il pas d'avoir aussi grand soin de ne rien laisser tomber, que s'il s'agissait de la perte d'un de leurs propres membres, de porter les symboles sacrés sur leurs yeux, afin de les sanctifier par l'attouchement du corps de Jésus-Christ, de se courber, de s'incliner et de donner toutes les marques de la plus profonde vénération3 ? Saint Chrysostome ne rapporte-t-il pas d'un saint vieillard favorisé de grâces extraordinaires, qu'il vit un jour, pendant la célébration des mystères, l'autel entouré d'une

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« Je ne savais pas, ajoute saint Augustin, ce que Dieu voulait dire par son prophète, quand il nous ordonné d'adorer l'escabeau de ses pieds, c'est-à-dire la terre : Adorate scabellum pedum ejus, et je ne comprenais pas comment on pouvait le faire sans impiété. Mais j'en ai trouvé le secret et le mystère dans le sacrement de Jésus-Christ ; c'est ce que nous faisons tous les jours lorsque nous mangeons sa chair, et qu'avant de la manger, nous l'adorons non-seulement sans superstition, mais avec tout le mérite de la foi ; car cette chair étant un aliment de salut, il faut l'adorer, quoiqu'elle soit de terre, et l'escabeau même des pieds de Dieu, et bien loin de pécher en l'adorant, nous pécherions en ne l'adorant pas4. » Et ici, Monsieur, je vous prie de remarquer qu'il ne s'agit pas seulement du sentiment de saint Augustin et de saint Ambroise, mais de la pratique universelle de leur temps, dont ils rendent un témoignage qu'on ne peut rejeter. Nemo carnem illam manducat nisi priùs adoraverit, dit saint Augustin ; « personne ne mange cette chair, qu'il ne l'ait auparavant adorée. » Supposons, s'il vous plaît, que les chrétiens aient été dans un usage contraire à celui qui nous est marqué par saint Augustin ; ce Père eût-il pu s'expliquer comme il l'a fait, et ne pas s'apercevoir qu'il n'éviterait pas de passer dans le monde pour avoir perdu l'esprit ? Si donc nous avons de saint Augustin, l'idée qu'il convient d'avoir d'un homme sensé à qui l'on ne prête pas aisément le dernier excès de l'extravagance, nous ne pourrons refuser de croire que les fidèles de son temps n'aient en effet tous adoré la chair de Jésus-Christ avant que de la recevoir. Remarquez en second lieu, s'il vous plaît, Monsieur, que le saint docteur ne dit pas seulement que c'est une chose bonne, louable, décente, utile et convenable, d'adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie. mais qu'il en fait un devoir strict, dont on ne peut se dispenser sans se rendre coupable devant Dieu : Non solùm non peccamus adorando, sed peccamus non adorando.

Que voudrions-nous de plus pour justifier notre pratique, et la purger entièrement de tout reproche de nouveauté ? si nous avions des textes à composer tels que nous les désirons, pourrions-nous en imaginer jamais de plus propres et de plus décisifs que ceux dont vous venez de faire la lecture ? Faut-il, après cela, s'étonner qu’Érasme, malgré son penchant pour les opinions nouvelles, nous ait rendu la justice de dire, qu'en adorant l'Eucharistie nous ne faisions que suivre un usage établi avant le temps des Augustin et des Cyprien, un usage enseigné de vive voix par les Apôtres mêmes ; un usage qu'on ne saurait condamner sans condamner en même temps l’Église de tous les siècles5 ?

Qu'il me soit donc permis, Monsieur, d'en appeler ici à votre sincérité, et d'oser vous demander s'il est possible de lire avec un esprit droit et sans prévention, ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur le sujet dont j'ai entrepris la défense, et de ne pas rester convaincu que nous avons pour nous les suffrages de toutes les nations chrétiennes et de la vénérable antiquité ? Tous les peuples chrétiens ont cru et pratiqué avant Luther ce que nous croyons et pratiquons aujourd'hui par rapport à l'Eucharistie, et toutes les sociétés schismatiques de l'Orient sont encore aujourd'hui dans la même créance et dans le même usage que nous ; donc cette créance et cet usage n'ont pas pris naissance dans l’Église romaine ; donc cette créance et cet usage sont plus anciens que le schisme même qui a séparé ces sociétés de nous. C'est ainsi que la généralité de la créance assure au dogme son antiquité, et que l'antiquité du dogme, prouvée par des témoignages positifs, fait aussi connaître l'origine et la véritable cause de la créance générale ; l'un et l'autre se servent comme mutuellement d'appui, et concourent parfaitement à faire voir que le sens donné à l’Écriture par les catholiques est le plus naturel et le plus plausible, puisqu'il a été si généralement adopté par toutes les nations et par tous les siècles. Nous prétendons que ce sens est l'unique qui convienne aux paroles de l’Écriture, prises selon leur signification naturelle ; vous prétendez que nous nous flattons : que tout l'univers et toute l'antiquité parlent, et décident sur nos prétentions ; si vous les écoutez, Monsieur, dès lors la dispute sera finie, et vous n'aurez plus d'autre sentiment que le nôtre.

Qui peut donc encore vous arrêter, Monsieur, ou vous détourner de rendre à Jésus-Christ le même culte que nous lui rendons dans son adorable sacrement ? serait-ce quelques difficultés que la raison humaine objecte contre la transsubstantiation ; mais votre sentiment de la présence passagère en a-t-il moins que celui de la présence permanente ? n'est-ce pas toujours un mystère également impénétrable à la raison, que le corps de Jésus-Christ renfermé dans une hostie, reçu dans votre bouche, et passant dans votre estomac ? Si l'on consulte l’Écriture, la tradition et les décisions de l’Église, il faut croire ce que nous croyons, et si l'on ne consulte que la raison humaine, il ne faudra pas même croire ce que vous croyez. Vous en croyez ou trop ou trop peu ; la juste mesure de la foi est d'acquiescer à la révélation divine, telle qu'elle nous est notifiée par la pure parole de Dieu, sûrement et infailliblement bien entendue. Or, on entend sûrement et infailliblement bien cette divine parole, lorsqu'on l'entend dans le sens que lui donne l’Église, et si ce mot d’Église ne vous paraît pas assez developpé pour fixer vos idées, disons qu'on est du moins sûr d'entendre infailliblement bien le texte sacré, lorsqu'on lui donne le même sens que lui donnaient, avant les contestations survenues, les chrétiens de tous les temps et de tous les lieux. Car voudriez-vous, Monsieur que toute la chrétienté ait été avant Luther dans l'erreur, et dans une erreur si capitale, et pendant une si longue suite d'années ? Quoi ! tout le fruit de la prédication de l’Évangile n'aurait été que la substitution d'une autre idole ? Au lieu d'un morceau de bronze, de pierre ou de bois qu'on adorait auparavant, le culte des chrétiens se sera terminé pour le fait, à n'adorer que du pain ? Vos ministres y pensent-ils en nous faisant des reproches d'où naissent des conséquences si affreuses et si propres à perdre le christianisme, à l'anéantir et à le précipiter dans un souverain mépris ?

Si les difficultés que forme la raison humaine contre la transsubstantiation et contre la présence permanente, sont un titre légitime pour rejeter ces dogmes, il faudra donc, pour des difficultés non moins considérables, refuser également de croire les mystères de la Trinité et de l'Incarnation. Peut-il y avoir autre chose qu'un pur caprice, qui porte à tant faire valoir les embarras du raisonnement naturel contre un mystère, tandis qu'on n'est nullement choqué des difficultés des autres mystères où la raison se perd également, et où elle trouve encore incomparablement moins d'issue ? Que l'on ne croie donc plus rien de tout ce qui embarrasse la raison, et qu'on la fasse plier également et uniformément partout sous le poids de l'autorité divine. Voilà, Monsieur, notre manière de raisonner, et nous vous prions de juger si, en raisonnant ainsi, et en ne mettant aucune borne de caprice et de fantaisie à notre soumission, nous méritons d'être regardés comme de bonnes gens, comme des gens simples, et livrés aux derniers excès de la crédulité.

Cette réflexion, Monsieur, a sans doute de quoi vous satisfaire ; sans doute vous trouvez qu'il n'y a aucun sujet de s'arrêter aux difficultés formées par la raison contre le dogme ; mais ce qui vous frappe et vous repousse, c'est peut-être l'extérieur de notre culte, qui ne vous paraît pas assez conforme aux usages des premiers temps. Eh bien ! nous vous avouerons sans peine, que l'adoration de rite et de cérémonie n'a pas toujours été la même, ni constamment telle que nous la voyons aujourd'hui, qu'elle a changé selon le goût et la piété des peuples et selon les besoins et les vues de l’Église.

Non, Monsieur, on n'a pas toujours porté le saint Sacrement publiquement dans les rues ; on ne l'a pas toujours exposé sur les autels, à la vue et à la vénération des fidèles ; les fêtes, les processions, les encensements, l'élévation de l'hostie au son de la clochette et plusieurs autres rites de cette nature ne sont pas de la première antiquité ; nous ne les donnons pas pour tels ; mais que sont toutes ces pratiques extérieures, sinon des espèces particulières d'adoration ? et puisqu'on est obligé de convenir qu'on a cons

----------- pages 334 et 335 de l’original manquantes -----------

nous de nous rendre blâmables en imitant cette sainte pénitente dans son humble contenance et dans ses pieux empressements ? Que ne firent les habitants de Jérusalem, pour marquer leur respectueuse allégresse à l'approche du Sauveur ? ils couvrirent le chemin de leurs habits, et y répandirent des rameaux ; trouveriez-vous mauvais, Monsieur, que dans la même vue, nous ornions nos autels de fleurs, et que pour faire honneur à celui dont la majesté y réside, nous y fassions briller les ornements les plus riches et les plus précieux ? Plusieurs de ceux qui se trouvèrent au crucifiement du Sauveur, témoins des miracles éclatants dont sa mort fut accompagnée, frappèrent leur poitrine, en disant : c'était véritablement le fils de Dieu ; un sentiment semblable nous inspire de semblables actes à l'élévation de l'hostie, élévation qui nous retrace si vivement Jésus-Christ élevé en croix. Parce que Joseph avait pourvu de pain toute l’Égypte dans le temps de la stérilité et de la famine, le roi Pharaon le fit monter sur un char, et conduire par toutes les provinces de son royaume, avec ordre à chacun, de l'adorer et de se prosterner devant lui1 : le Fils de Dieu nous a donné le pain céleste, qui est son corps ; après un tel bienfait, l’Église a-t-elle tort de le faire paraître comme sur un trône, de le porter sous le dais, de le conduire dans cet état, à travers les rues et les places publiques, et d'ordonner à tous les fidèles, de fléchir les genoux devant lui, pour lui présenter leurs respects et leurs adorations.

Qu'est-ce qui pourrait, Monsieur, vous déplaire dans cette auguste cérémonie, qui rassemble les fidèles autour de son corps porté comme en triomphe, au jour destiné à célébrer sa fête ? Vous offenseriez-vous de notre empressement à faire à Jésus-Christ une réparation authentique pour tous les opprobres qu'il souffrit dans les rues de Jérusalem, lorsqu'il fut traîné de consistoire en consistoire, de tribunal en tribunal ? N'en doutez pas, Monsieur, c'est une des principales intentions de l’Église ; elle veut lui faire satisfaction de cette injure, et c'est dans cette vue qu'elle le porte publiquement, et le fait suivre de tout le peuple, avec des acclamations et des chants d'allégresse. Alors une inhumanité inouïe le couronna d'épines cruelles : aujourd'hui une dévotion tendre le couronne, ou de fleurs, ou de pierres précieuses ; alors des cris confus et insensés étaient poussés avec une aveugle fureur, par le peuple acharné à sa perte : aujourd'hui l'air retentit du son harmonieux des instruments d'un agréable concert de musique, et des bruyantes salves d'artillerie, si propres à marquer la présence du Dieu des armées. Ainsi les rires moqueurs et insultants sont remplacés par la piété et la religion peintes sur tous les visages : ce n'est plus une canaille vile et insolente qui pousse, presse et outrage en mille manières, l'innocent opprimé ; ce sont les personnages les plus distingués, magistrats et généraux, princes et princesses, rois et reines, empereurs et impératrices ; ce sont les hommes les plus illustres selon le monde, qui s'empressent de faire au roi de gloire un magnifique cortège. Je ne vous dis rien, Monsieur, dont vous n'ayez vu de fréquents exemples sans sortir de l'enceinte de vos murs. Vous vous souviendrez sans doute, et comment pourriez-vous l'oublier ? d'avoir vu plus d'une fois notre incomparable reine, le flambeau à la main, accompagner chez des malades pauvres et obscurs, celui qui est le pain de vie, descendu du ciel pour communiquer la force aux faibles et la vie aux mourants. Vous n'avez pas moins vu le roi son père, digne père d'une telle fille, porter lui-même le dais dans ces occasions, et faire par cet acte d'humilité, un hommage public de ses grandeurs à celui qu'il sait en être l'unique et véritable auteur. Le prince héritier de la couronne, père du plus aimable de nos rois, se trouvant dans cette ville pour des exploits de guerre, et voyant l'air chargé de grosses nuées qui semblaient devoir mettre obstacle à la solennité du jour, dit à un gros d'officiers, dont il était entouré, que si une grêle de balles n'empêchait pas de monter à l'assaut, quand il s'agissait de la gloire du roi, la crainte de quelques gouttes d'eau ne devait pas arrêter l'effet de la dévotion publique ; ce sentiment intéressa le ciel à se montrer favorable pendant tout le temps que dura la procession : à peine fut-elle finie que la pluie tomba, comme par torrents. Vantez-nous, Monsieur, vantez-nous votre tendre amour pour Jésus-Christ, et votre confiance en ses mérites : ce que nous sentons pour lui, nous croyons le manifester beaucoup mieux par des faits et par des actions, que par de simples paroles. Nous agissons conformément à notre créance ; c'est notre persuasion qui règle nos devoirs, et la conformité de notre conduite avec nos sentiments fait non-seulement notre justification, mais encore notre gloire. La foi nous montre Jésus-Christ présent ; c'en est assez pour ne mettre plus aucune borne à nos respects, et même, s'il est permis de le dire, pour nous rendre, en quelque façon, ingénieux à les lui marquer.

Mais, nous dit-on, il ne se trouve rien de ce culte dans l’Écriture ; un culte que Dieu n'a pas ordonné peut-il lui être agréable ? Quoi ! Monsieur, il n'est point dit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu ? vous attendez-vous que Dieu détaillera toutes les espèces particulières d'adoration qui peuvent être légitimes ? le précepte général ne les autorise-t-il pas toutes ? et dès que Dieu n'en détermine aucune, ne les laisse-t-il pas à notre choix ? ou plutôt ne les abandonne-t-il pas aux sages règlements de son Église ?

Que ne s'est-il trouvé, du temps du roi David, quelque homme aux idées de Kemnitius ? voyant ce prince dans le dessein de transporter l'arche d'alliance, de la maison d'Obédédon dans la ville de Jérusalem, avec pompe et magnificence, il n'eût pas manqué de chercher à l'en détourner, en lui remontrant que Dieu n'a pas ordonné cette solennité, et qu'ainsi elle ne pouvait que lui déplaire ; mais je doute fort que David eût déféré à cet avis, ou plutôt je tiens pour certain qu'il l'eût rejeté avec un souverain mépris. Car David savait fort bien que Dieu prend plaisir à voir honorer ses dons et célébrer ses bienfaits par des témoignages d'une reconnaissance publique, comme aussi à voir marquer de l'empressement pour se les rendre profitables. Il savait que Dieu était spécialement présent dans l'arche, que la manne et les tables de la loi s'y conservaient, que l'arche avait été une source de bénédictions pour les familles où elle s'était reposée ; ainsi, plein de respect pour la majesté de Dieu qui y habitait, d'estime pour les dons précieux qu'elle renfermait, et d'un ardent désir d'en tirer les mêmes fruits de bénédictions, il crut avec raison devoir faire éclater les sentiments les plus vifs de piété et de religion au transport du plus riche trésor qui fût en Israël. Poussé par le mouvement de sa propre dévotion, il n'attendit pas un ordre de Dieu, et s'empressa d'ordonner que la cérémonie fût faite avec tout l'appareil imaginable : il voulut que l'arche fût accompagnée de sept chœurs de musiciens ; que devant elle, on immolât, de six pas en six pas, un bœuf et un bélier, et qu'elle fût conduite au son des trompettes, des timbales et de toutes sortes d'instruments de musique. Tout s'exécuta comme David l'avait ordonné, et lui-même, pour marquer sa joie et son allégresse, sautait et dansait en présence de l'arche ; à cette vue, l'orgueilleuse Michol conçut du mépris dans son cœur pour son époux, et Dieu punit l'orgueil de cette fière mondaine, par une constante stérilité1.

Que vous en semble, Monsieur, l’Église a-telle moins de raison de porter avec pompe et magnificence, l'arche de la nouvelle alliance ? celle-ci est-elle moins une source de bénédictions pour nous, que ne l'était celle-là pour les Israélites ? Dieu y fait-il moins éclater les effets de sa puissance ? trouverez-vous que la manne méritait mieux les honneurs d'une pompeuse fête, que le véritable pain du ciel, dont elle n'était que l'ombre et la figure ? Vous ne blâmerez pas sans doute dans David, ce que l’Écriture rapporte de lui avec éloge ; et si vos ministres osent blâmer en nous ce que nous pratiquons à l'imitation de ce saint roi, que font-ils autre chose que montrer leur penchant pour une téméraire et orgueilleuse critique ? ils s'y laissent aller avec bien moins de sujet que Michol, et avec un excès bien plus insupportable ; ne méritent-ils pas d'avoir une bonne part au châtiment de cette femme, privée à jamais d'un privilège auquel se rattachaient alors de si hautes espérances ?

Mais, nous dit-on, il ne se pratiquait rien de semblable dans les premiers temps du christianisme. Non, sans doute, Monsieur ; car voudriez-vous que les chrétiens fussent sortis des grottes et des cavernes pour donner le spectacle d'une dévotion publique aux païens, qui les cherchaient pour les mettre à mort ? La sage réserve avec laquelle on croyait devoir parler de nos mystères dans l'assemblée même des chrétiens, de peur que quelque païen présent ne s'en offensât, n'était certainement pas compatible avec l'éclat de nos cérémonies.

Mais l'exercice de la religion chrétienne ajoute-t-on, étant devenu parfaitement libre sous les premiers empereurs chrétiens, on ne voit pas pour cela que les fidèles, maîtres de leurs actions, aient porté l'Eucharistie dans les rues, avec l'appareil d'aujourd'hui.

Non, Monsieur, on ne l'a pas fait pour lors, parce qu'il n'y avait pas la même raison de le faire ; il ne s'était pas encore élevé jusque-là d'hérésiarques qui combattissent ce divin mystère ; mais depuis qu'il y a eu des hommes conjurés contre la présence réelle dans le sacrement, il était à propos d'instruire d'une manière plus sensible les peuples de ce qu'ils doivent croire. Or, je vous le demande, l’Église pouvait-elle donner une leçon plus à la portée de tous, plus capable d'être comprise des simples même et des ignorants, que par la célébrité de cette fête ? tous, en effet, quelque borné que soit leur esprit, ne comprennent-ils pas aisément, à la magnificence de la pompe, que l’Église a en vue d'honorer, non du pain, mais un objet plus digne de vénération ? peuvent-ils ne pas croire l’Église, intimement convaincue de la présence de celui à qui ils voient rendre tant d'honneurs ? Il était donc très convenable d'ordonner, dans le treizième siècle, un nouveau triomphe à Jésus-Christ, parce qu'il venait de triompher d'une erreur nouvelle et pernicieuse. On nous reproche que cette cérémonie est une nouveauté ; oui, Monsieur, il faut bien que c'en soit une, puisque c'est un remède contre une nouvelle erreur.

Mais n'en voilà que trop sur le sujet de la procession ; comme elle renferme en elle tout ce que le culte extérieur de l'Eucharistie à de plus éclatant, et que par la même, elle nous attire plus spécialement la critique de vos ministres, j'ai cru en devoir dire assez pour la justifier dans votre esprit, persuadé que si je réussissais de ce côté-là, vous n'auriez plus de difficultés pour tout le reste.

J'y ajouterai seulement une remarque dont il est difficile que vous ne reconnaissiez et la vérité et les conséquences si avantageuses pour nous ; c'est que le ciel paraît autoriser par les effets d'une protection spéciale, le culte que nous rendons à Jésus-Christ dans la cérémonie la plus solennelle de l'année.

Depuis que Strasbourg est à la France, on n'a pas manqué d'y faire tous les ans la procession du saint Sacrement ; en voilà 49 de suite sans aucune interruption1 : Je doute fort qu'il y ait dans le reste de la province, et même dans toute la France, aucun lieu où l'on puisse en compter autant avec la même continuité ; combien de fois n'a-t-on pas vu le ciel pris de toutes parts, se décharger par de longues et abondantes pluies, et s'éclaircir tout-à-coup au moment marqué pour commencer la procession ! combien de fois de grosses et épaisses nuées sont-elles restées suspendues en l'air, semblant n'attendre que le moment de la procession finie, pour se résoudre en eaux et inonder toutes les rues ? Nous sommes dans une ville où les sentiments sont partagés sur l'Eucharistie, comme vous le savez, Monsieur ; est-ce sans aucun dessein que le ciel se montre si favorable aux nôtres ? Vous dites que c'est le pur hasard qui règle ainsi le temps ; mais ce hasard est bien constant, mais ce hasard ne se voit point ailleurs. Dieu serait-il assez insensible à sa gloire pour donner à nos usages, une facilité si constante et si remarquable, au cas où il serait vrai que ces usages lui déplussent et qu'il s'en sentit outragé ?

Nous ne prétendons pas néanmoins que le ciel se soit engagé à nous continuer les mêmes égards ; et si Dieu abandonnait dans la suite le sort du temps au cours ordinaire de la nature, nous serions toujours en droit de prétendre qu'une suite de processions non interrompues pendant un demi-siècle, dans une ville telle que la nôtre, n'est pas une légère marque de l'approbation du ciel.

CONCLUSION.

Je finis, Monsieur, et c'est en vous priant de décider vous-même, si, eu égard à tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, nous avons sujet de craindre que Jésus-Christ nous fasse, au jour de son jugement, des reproches sur les honneurs dont nous l'aurons environné dans l'Eucharistie. Quoi ! Monsieur, Jésus-Christ nous blâmera d'avoir cru ce qu'ont cru avant Luther, tous les chrétiens de la terre, depuis les premiers temps du christianisme ? Il nous blâmera d'avoir captivé notre entendement sous le joug de la foi, et d'avoir fait céder les difficultés de la raison à l'autorité de sa divine parole, prise dans le sens le plus naturel, et dans l'unique sens naturel ? Notre déférence aux décisions de six conciles généraux1 sera punie par celui qui nous a ordonné d'écouter l’Église, la conformité de notre conduite au sentiment de notre créance l'aigrira contre nous ? Il nous saura mauvais gré d'avoir témoigné le cas que nous faisons du gage précieux de son amour, de nous être laissé aller aux mouvements de notre reconnaissance, d'avoir suivi l'instinct de notre profond respect pour sa personne, de n'avoir consulté que notre tendre amour pour lui, de l'avoir fait éclater par de pieuses industries, d'en avoir fait le principe, la règle et le motif de tout le détail qui compose notre culte ? Ah ! Monsieur ce serait bien mal connaître notre aimable Sauveur, que d'en faire un juge capable de s'offenser de la vivacité de nos empressements pour lui plaire. S'il a promis de ne pas laisser sans récompense, ce qu'on aura fait au moindre des siens2 ; comment ne nous tiendra-t-il pas compte de ce que nous aurons fait pour honorer sa propre personne ?

Mais vous, Monsieur, comment justifierez-vous le parti que vous avez pris de quitter une doctrine universellement établie avant votre séparation ? citerez-vous, pour vous disculper, la pure parole de Dieu, que vous prétendez avoir suivie à la lettre, tandis que votre juge vous fera voir que vous avez rendu ces paroles : Ceci est mon corps, par ces autres paroles, Dans ceci, ou avec ceci sera mon corps, lorsque vous l'aurez dans la bouche pour l'avaler? Car c'est là le précis de votre doctrine, clairement énoncé. Est-il permis de se jouer ainsi de l’Écriture, pourvu qu'on se vante bien haut d'y être inviolablement attaché ? est-ce assez de quelques difficultés incommodes à la raison humaine, pour autoriser le mépris des décisions de l’Église ? recevoir une vérité révélée, et ne pas recevoir l'autre, qu'est-ce autre chose que partager sa foi ? une foi partagée vaut-elle beaucoup mieux mieux que l'infidélité même ? l'un et l'autre ne seront-ils pas également un juste sujet de condamnation ?

Fasse le ciel, Monsieur, qu'éclairé de ses lumières, vous reconnaissiez, avec nous, une présence incompréhensible, il est vrai, mais notifiée d'ailleurs par les voies les plus sûres et les plus propres à nous faire connaître la révélation divine. Persuadé comme nous, de cette présence, puissiez-vous vous joindre à nous pour lui rendre les mêmes devoirs que notre persuasion ne nous permet pas de lui refuser. C'est le plus ardent de mes souhaits, comme le moyen le plus propre de glorifier Jésus-Christ, de vous mettre à couvert de ses redoutables arrêts, et d'attirer sur vous ses grâces précieuses et ses riches bénédictions. J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect et avec tout le zèle imaginable, etc.



Nota. On trouvera à la fin de la septième Lettre, page 249, les certificats de M. l'abbé de Targni, bibliothécaire du roi, et du R. P. Louis l'Emérault, bibliothécaire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui attestent que les pièces citées dans cette seconde Lettre, touchant la créance et les usages des nations Orientales, se trouvent en original dans lesdites bibliothèques.

NEUVIÈME LETTRE : DE LA COMMUNION SOUS UNE SEULE ESPÈCE.



MONSIEUR,

Vous auriez sujet d'être peu satisfait de moi si, ayant entrepris d'éclaircir les difficultés qui forment les plus grands obstacles à votre réunion avec nous, je passais sous silence l'article de la communion sous une seule espèce, article dont vous faites le plus grand sujet de vos plaintes, et le prétexte le plus spécieux de votre séparation. A en croire messieurs vos ministres, ne pas donner la coupe au peuple, ce n'est rien moins que profaner le sacrement, le mutiler, le donner à moitié, agir contre l'intention, l'ordre, l'institution de Jésus-Christ, contrevenir à son testament, et frustrer les fidèles de l'effet de sa dernière volonté, Tels sont les reproches qu'on ne cesse de nous adresser, et dont on a pris grand soin de vous armer contre nous, dès votre plus tendre jeunesse.

Mais, Monsieur, serait-il de votre sagesse de suivre aveuglément les impressions que vous avez reçues dans un âge où vous n'étiez pas en état de juger de la vérité ? accoutumé que vous êtes à examiner le pour et le contre avec une exactitude qui vous fait tant d'honneur dans le monde, nous condamneriez-vous ici avant que de nous avoir ouïs dans nos défenses ? Le jugement de tous les points de controverse vous est déféré par les principes de votre religion, refuseriez-vous d'examiner celui que vous regardez comme le plus important de tous ? Non Monsieur, je vous crois trop équitable pour tenir une semblable conduite, et en même temps trop attentif aux intérêts de votre salut, pour ne pas aimer à prendre une connaissance exacte de tout ce qui peut vous éclairer sur la justice ou l'injustice de votre séparation. Je traiterai la question de manière à pouvoir espérer de vous satisfaire par les éclaircissements que j'y donnerai, et je me promets de vous faire trouver dans la suite de mes raisonnements, une pleine et entière justification de l'usage où nous sommes de ne donner aux laïques que la seule espèce du pain. Pour y procéder avec ordre, je réduirai le tout à cinq chefs.

Je soutiens premièrement, qu'en recevant une seule espèce, on en reçoit autant qu'en recevant les deux.

En second lieu, que Jésus-Christ promet à ceux qui en reçoivent une seule, les mêmes avantages qu'à ceux qui reçoivent conjointement l'une et l'autre.

En troisième lieu, que les premiers chrétiens n'ont jamais regardé comme une obligation de communier sous les deux espèces, et se sont très souvent contentés de n'en recevoir qu'une.

En quatrième lieu, que dans tout l’Évangile il ne se trouve aucun précepte dont la teneur oblige tous les fidèles à participer à la coupe.

En cinquième lieu, que l'usage d'une seule espèce n'a rien de contraire à l'institution de Jésus-Christ.

Voilà, Monsieur, les cinq articles dont j'entreprends la preuve, et si les raisons dont je me servirai pour les établir, ne sont pas justes, solides, et de nature à contenter tout esprit disposé à céder à la vérité, plutôt qu'à se laisser dominer par d'anciens préjugés, je consens, Monsieur, que vous flétrissiez par le mépris, les vains efforts de ma dialectique. Cette punition est, certes, bien grande pour un homme qui respecte votre jugement autant que je le fais ; mais je m'en crois fort à couvert, si vous jugez de la matière en question avec votre équité ordinaire. Je ne vous demande qu'une grâce, Monsieur, n'exigez pas de moi, que dès le premier article, je réponde à toutes les difficultés qui pourront naître dans votre esprit, ni que je passe d'un article à un autre, avant d'avoir solidement établi celui qui précède. La matière se développera d'elle-même, à mesure l'ordre et le rang des articles en présenteront les différentes parties, et vous y trouverez, j'espère, tout le jour que vous pouvez désirer. J'ose aussi vous prier de réfléchir, à la fin de chaque article, si je n'ai pas exactement tenu parole, en fournissant des preuves telles que je les avais promises.

1ère proposition : EN RECEVANT UNE SEULE ESPÈCE ON REÇOIT AUTANT QUE SI L'ON RECEVAIT LES DEUX.

Je dis donc, en premier lieu, qu'en recevant une seule espèce, on reçoit autant que si l'on recevait les deux. Cette vérité vous paraîtra incontestable, Monsieur, si vous voulez bien réfléchir que Jésus-Christ ne meurt plus depuis son ascension dans le ciel1, et que par conséquent en nous donnant son corps dans l'Eucharistie sous l'espèce du pain, il doit nous donner un corps animé, vivant, glorieux, immortel, un corps qu'on ne peut supposer séparé du sang, qu'on ne le suppose en même temps privé d'âme et de vie.

Pourrions-nous bien, Monsieur, nous imaginer que Jésus-Christ nous donnât, d'une part, un corps mort, un cadavre, et de l'autre, un sang inanimé, un sang répandu hors des veines ? j'ai peine à croire, Monsieur, que vous puissiez vous accommoder de cette idée : vous concevez, sans doute, que comme la chair donnée aux hommes par Jésus-Christ ne cesse point d'être unie à sa divinité, de même aussi elle ne cesse pas d'être unie à son âme, et que si c'est une chair vivifiante par l'union qu'elle conserve avec le Verbe, ce n'est pas moins une chair vivante par l'union qu'elle conserve avec l'âme de l'Homme-Dieu ; d'où il s'ensuit qu'en ne recevant qu'une seule espèce, on ne laisse pas de recevoir Jésus-Christ tout entier, son corps, son sang, son âme, sa divinité ; car Jésus-Christ ne peut se recevoir par partie ni par moitié ; il est absolument indivisible, et tout partage qu'on voudrait y faire serait si contraire à la nature et à la perfection de Jésus-Christ, que l'apôtre saint Jean traite de précurseur et de disciple de l’Antéchrist, quiconque entreprendra de le diviser2.

Si les deux espèces marquent une division, comme elles en marquent sûrement une, c'est, non pas une division actuelle, mais une division faite au temps de la passion du Sauveur, lorsque le sang coula hors de ses veines, pour être le prix de notre rédemption. Telle est la séparation qui nous est retracée par les deux espèces séparées ; or, cette séparation n'empêche pas que chacune, prise séparément, ne renferme, et le corps, et le sang, qui ne se séparent plus.

Voilà, Monsieur, ce que la raison éclairée par la foi du mystère, nous enseigne ; et si au raisonnement que nous tirons de l'indivisibilité de Jésus-Christ, on ajoute une réflexion qu'il est juste de faire sur les paroles de saint Paul, vous pourrez encore bien moins vous refuser à la vérité du dogme de la concomitance.

Quiconque, dit l'Apôtre, mangera de ce pain, ou boira de cette coupe indignement, sera coupable de crime contre le corps et le sang de Jésus-Christ1. Où je vous prie, Monsieur, de remarquer que suivant cette expression, il suffit de manger indignement de ce pain pour faire outrage au corps et au sang de Jésus-Christ, et qu'il suffit de boire indignement de cette coupe pour faire également outrage à l'un et à l'autre. Car d'après l'oracle de l'Apôtre, soit que l'on mange, soit que l'on boive indignement, dès-là que l'on fait l'un ou l'autre, on tombe dans l'inconvénient tout entier, et l'on a le malheur d'outrager également, et le corps et le sang de Jésus-Christ ; or, on ne fait outrage au corps et au sang conjointement, qu'en recevant conjointement l'un et l'autre ; donc par la seule manducation indigne, on reçoit indignement, et le corps et le sang ; donc par la seule participation indigne à la coupe, on reçoit indignement et le sang et le corps ; donc sous la seule espèce du pain et sous la seule espèce du vin, prises l'une et l'autre séparément, sont renfermés conjointement le corps et le sang de Jésus-Christ.

C'est apparemment pour ces fortes et invincibles raisons, que vos théologiens les plus célèbres, quelque envie qu'ils sentissent de nous contredire sur cet article, et quelque intérêt qu'ils eussent à le faire, n'ont pas laissé de convenir de la présence du corps et du sang sous une seule et même espèce.

George Calixte, professeur de l'université de Helmstadt, qui a écrit contre notre manière de communier avec plus d'érudition, comme aussi avec plus de chaleur qu'aucun autre, dit « qu'il lui paraît très vraisemblable que le corps que Jésus-Christ nous donne à manger dans l'Eucharistie, est un corps animé, et par conséquent vivifié par son sang2. » De l'aveu de Kemnitius, toute l'antiquité a reconnu que « partout où est Jésus-Christ, il y est tout entier, et que comme son corps n'est nulle part sans être uni au sang, son sang n'est nulle part sans être uni au corps3. » Vos confessions de foi mêmes, adoptent clairement cette doctrine ; car il est dit dans celle de Wirtemberg, présentée au concile de Trente : « Nous ne disconvenons pas que Jésus-Christ ne soit donné tout entier, tant sous le symbole du pain que sous celui du vin4 ; » et dans l'apologie de la confession d'Ausbourg, apologie dont l'autorité ne le cède pas chez vous à celle de la confession même, en parlant de la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il est dit que « c'est la présence de Jésus-Christ vivant » dont on entend parler ; « car nous savons, ajoute l'apologiste, que la mort n'a plus d'empire sur lui5. » Ainsi, Monsieur, il serait fort inutile pour moi de faire ici de plus grands efforts pour établir une vérité qu'on ne peut combattre sans témoigner la plus complète ignorance de la doctrine des livres symboliques auxquels on adhère. Ainsi je passe au second article, et je dis que Jésus-Christ promet tout autant à ceux qui reçoivent une seule espèce du pain, qu'à ceux qui reçoivent conjointement l'une et l'autre.

2ème proposition : JÉSUS-CHRIST FAIT LES MÊMES PROMESSES A CEUX QUI NE REÇOIVENT QU'UNE SEULE ESPÈCE, QU'A CEUX QUI REÇOIVENT LES DEUX.

Pour vous convaincre vous-même de cette vérité, Monsieur, vous n'avez qu'à prendre la peine de lire le sixième chapitre de saint Jean, et vous y trouverez que le Sauveur y promet jusqu'à quatre fois la vie éternelle à ceux qui mangent le pain sacré avec les dispositions convenables. C'est ici le pain qui est descendu du ciel, dit-il au 50° verset, afin que si quelqu'un en mange, il ne meure point. Si quelqu'un mange de ce pain, ajoute-t-il au 52°, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai c'est ma chair, que je dois donner pour la vie du monde. Preuves par 4 versets du 6° chapitre de saint Jean. Et au 58° verset : Comme je vis par mon père, de même celui qui me mange vivra par moi. Et au 59° : Il n'en est pas de ce pain comme de la manne que vos pères ont mangée, et qui ne les a pas empêchés de mourir ; celui qui mange ce pain vivra éternellement.

Penseriez-vous, Monsieur, que le Sauveur n'a eu aucun dessein en répétant jusqu'à quatre fois la même promesse ? ou plutôt n'est-il pas juste de croire qu'il n'a eu d'autre vue dans cette conduite, que de nous bien inculquer un point de doctrine dont la vérité devait être un jour, comme il le prévoyait, le sujet des plus vives contestations ? Ne voulait-il pas nous apprendre par là qu'il suffit pour le salut, de recevoir la divine Eucharistie sous une seule espèce.

Je sais qu'au 55° verset du même chapitre, le Sauveur dit : Celui qui mange ma chair, et qui boit mon sang, a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; et au 57° : celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. Ce sont là, sans doute, des promesses très avantageuses faites à ceux qui communient sous les deux espèces ; mais, Monsieur, vous avez déjà remarqué que les mêmes avantages sont également promis à ceux qui se bornent à la manducation, et par conséquent, il est très vrai de dire que Jésus-Christ a promis tout autant à ceux qui reçoivent une seule espèce, qu'à ceux qui reçoivent conjointement l'une et l'autre.

Vous êtes trop instruit, Monsieur, de la doctrine de vos écoles, pour ne pas nous objecter ici que le 6° chapitre de saint Jean doit s'entendre de la foi en Jésus-Christ, et non de l'Eucharistie ; c'est en effet la prétention de la plupart de vos théologiens, et c'est par ce moyen qu'ils croient pouvoir nous enlever l'avantage que nous tirons de ces promesses si souvent réitérées en faveur de la manducation. Mais, Monsieur, suspendez pour un moment, l'effet de la grande docilité que vous avez eue pour les premiers maîtres ; veuillez bien juger la question par vous-même, et vous ne tarderez pas à reconnaître que la dernière partie de ce chapitre, à commencer depuis le 50° ou le 52° verset, ne peut s'entendre que de l'Eucharistie ; car comment se persuader que le Seigneur ait voulu envelopper de termes si obscurs et si métaphoriques, une vérité aussi claire et aussi simple que l'est la foi en Jésus-Christ ? comment croire qu'il ait voulu causer tant d'étonnement et de scandale parmi les Juifs, et qu'il ait consenti à aliéner de lui quelques-uns de ses disciples, par un discours qui, pour le fond, n'eût rien contenu d'extraordinaire, et dont tout le merveilleux eût été dans la seule expression ? à quoi bon répéter si souvent, et avec une distinction si marquée, la chair et le sang, le boire et le manger ? à quoi bon dire ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage ; celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui, s'il ne s'agissait là que de la simple créance en Jésus-Christ ?

Le Sauveur dit : Le pain que je donnerai c'est ma chair que je dois donner pour la vie du monde ; si vous prétendez, Monsieur, que par ce pain, il faille entendre Jésus-Christ perçu par la foi, je demande pourquoi le Sauveur parle de ce pain comme d'un pain qu'il donnera, et non comme d'un pain déjà donné, puisque la foi en Jésus-Christ est de tous les temps, et que non-seulement les Apôtres, mais aussi les Patriarches de l'ancien testament avaient déjà cru en lui.

Qui ne voit que le Sauveur, dans le discours tenu un an entier avant l'institution de l'Eucharistie, annonce par avance le présent qu'il avait projeté de nous faire ? et qui ne comprend en même temps qu'il n'eût pas trouvé dans ses disciples autant de docilité à admettre les paroles de l'institution, s'il ne les eût disposés de longue main à la créance d'un mystère si impénétrable ? « Ils ne lui marquèrent pas la moindre surprise lorsqu'ils lui entendirent dire ces étonnantes paroles : Ceci est mon corps ; c'est, dit saint Chrysostôme, parce qu'ils y avaient déjà été préparés par un long et sublime discours du Sauveur sur ce sujet1 ; » or, où trouve-t-on ce discours, si ce n'est dans le chapitre que nous indiquons ?

Croira-t-on que l'évangéliste le plus profond, et celui qui a pris à tâche d'entrer dans de plus amples explications, quand il s'agit de mystères impénétrables, n'ait pas fait dans tout son évangile la moindre mention du mystère de l'Eucharistie ? à moins de reconnaître qu'il en a parlé dans le 6° chapitre, il faudra convenir qu'il n'en a parlé nulle part ; et c'est ici que saint Augustin remarque très bien que « si saint Jean s'est dispensé d'en parler, comme les autres évangélistes, au temps de l'institution, c'est qu'il en avait déjà dit beaucoup ailleurs sur cet article2. »

Ajoutons que si les divines Écritures nous ont instruit si exactement de l'excellence, de la vertu et des effets du baptême, il n'est guère vraisemblable qu'elles ne nous aient rien appris de l'excellence, de la vertu et des effets de l'Eucharistie. Or, ce n'est que dans le chapitre cité qu'on trouve ces instructions, et si l'on ne veut pas les y reconnaître, c'est en vain qu'on les cherchera partout ailleurs.

C'est pour toutes ces raisons et pour plusieurs autres, qu'il serait trop long de déduire ici, que les Pères de l'antiquité se sont si généralement accordés à entendre comme nous cette partie du 6° chapitre de saint Jean, dont nous tirons de si fortes preuves en faveur de notre pratique. Je me contenterai de citer ici ceux qui ont écrit des commentaires sur l’Évangile de ce saint apôtre, comme saint Chrysostôme3, saint Augustin4, saint Cyrille d'Alexandrie5, Théophylacte6, Euthymius7 ; et si vous trouvez bon que j'en cite encore d'autres qui n'en ont parlé qu'incidemment, j'y ajouterai Origène1, saint Cyprien2, saint Hilaire3, saint Basile4, saint Cyrille de Jérusalem5, saint Épiphane6, saint Ambroise7, saint Jérôme8, saint Léon9, Sédulius10, Primasius11, Hésychius12, saint Grégoire13, et saint Bernard14, qui tous ont employé les paroles du chapitre en question, pour expliquer l'excellence et les effets admirables de la divine Eucharistie, comme vous pouvez vous en assurer en consultant les endroits marqués ici fort exactement, ainsi que l'édition, le tome et la page.

Mais je pense que sans vous donner la peine d'entrer dans cette discussion, vous en croirez volontiers George Calixte, un de nos adversaires les plus échauffés sur la matière que je traite pour ne pas dire le plus échauffé de tous. Il convient de bonne foi que « c'est en effet là le sentiment de tous les anciens15. » Or, le ferait-il, Monsieur, j'ose vous le demander, s'il n'y était forcé par l'évidence du fait, et après s'en être assuré par ses propres yeux ?

Si les textes que nous citons du 6° chapitre pour autoriser notre pratique, doivent en effet s'entendre de la communion sacramentelle, voilà donc l'usage de la seule espèce du pain, parfaitement justifié par l’Écriture, car enfin il est dit, non une fois, mais jusqu'à quatre fois : Celui qui mange ce pain, vivra éternellement. Nous mangeons certainement de ce pain, vous ne nous le contestez pas, Monsieur ; donc nous avons tout ce qu'il faut pour obtenir la vie éternelle, et nous l'obtiendrons sûrement, pourvu que nous le mangions avec les dispositions convenables, et que nous persévérions dans ces saintes dispositions.

Vos ministres ne cessent de nous reprocher qu'en donnant la communion sous une seule espèce, nous nous écartons de l’Écriture. Jugez, Monsieur, si le reproche est bien fondé ; vous reconnaissez sans doute le 6° chapitre de saint Jean, comme faisant partie de l’Écriture ; la raison et l'autorité nous obligent également à l'entendre de la communion sacramentelle, vous venez d'en avoir les preuves ; et si vous lisez ce chapitre avec un esprit libre et dégagé de toute partialité, vous en serez pour le moins autant convaincu par le sentiment intérieur de votre cœur, que par les réflexions et les autorités dont je viens de dérouler devant vous l'enchaînement irrésistible. Donc la doctrine qui enseigne la suffisance d'une seule espèce pour le salut, n'a rien que de très conforme à l’Écriture, et on ne peut contredire cette doctrine, sans contredire en même temps ces paroles qui l'énoncent formellement : Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement.

« Mais, nous dit Calixte, c'est pour abréger que le Sauveur s'est ainsi exprimé ; on nomme souvent une partie pour le tout lorsqu'il est naturel d'entendre le reste ; ainsi, quoique le Sauveur ne parle dans ces versets que du seul pain et de la seule manducation, comme il a joint dans plusieurs autres versets la chair et le sang, il marque assez par là qu'il faut ici suppléer les mots supprimés par une figure de réticence1. »

Je réponds que le Sauveur a joint dans plusieurs versets les mots de chair et de sang, et les a séparés dans plusieurs autres, pour nous marquer que l'une et l'autre manière de communier, soit en se contentant d'une seule espèce, soit en prenant conjointement les deux, sont également bonnes en elles-mêmes, si on les considère indépendamment des règlements faits par l'autorité légitime de l'Église.

N'allons pas, Monsieur, nous figurer le Sauveur comme fatigué de répéter trop souvent les mêmes termes ; s'il commence une phrase, ce n'est pas pour la laisser imparfaite, et abandonner à nos conjectures, ce que l'on prétend y devoir être ajouté. Il a prévu l'usage que nous ferions de ses promesses ; si cet usage devait nous être pernicieux, que lui eût-il coûté d'énoncer pleinement les conditions dont il aurait voulu les faire dépendre ?

Pour nous, Monsieur, nous n'y entendons pas de finesse ; le Sauveur a dit : Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement ; nous l'en croyons simplement sur sa parole, persuadés qu'il est parfaitement maître de ses grâces, de ses dons et de ses récompenses ; nous comprenons qu'il lui est aussi très libre de les attacher à telle ou telle condition. Que le corps et le sang de Jésus-Christ soit présenté sous une seule espèce ou sous les deux, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que la même substance indivisible de Jésus-Christ confère, dans l'une et l'autre conjoncture, le même droit à l'immortalité. Ainsi, comme rien ne nous oblige à recourir à la figure, nous sentons qu'il est de notre devoir de nous en tenir à la lettre.

Mais c'est trop m'arrêter à prouver que les mêmes avantages ont été promis à l'une et à l'autre façon de communier, je dois me hâter de faire voir que les premiers chrétiens ne se sont fait aucune obligation de communier sous les deux espèces, et qu'ils se sont très souvent contentés de n'en recevoir qu'une.

3ème proposition : LES PREMIERS CHRÉTIENS DANS PLUSIEURS OCCASIONS SE SONT CONTENTÉS DE RECEVOIR UNE SEULE ESPÈCE.

On allègue contre nous l'exemple des premiers fidèles de Corinthe, qui sûrement participaient à la coupe aussi bien qu'au pain eucharistique, comme il se voit au chapitre 11° de la première épître adressée à cette Église ; et on ne daigne pas faire attention que nous ne disconvenons pas de l'usage où l'on a été, dans les premiers temps du christianisme, de donner la communion sous les deux espèces. Non, Monsieur, ce n'est pas là ce qui fait le sujet de la contestation entre vous et nous ; le point de la difficulté par rapport au fait dont il s'agit ici, est de savoir si l'on regardait dans les premiers temps cet usage comme nécessaire ou si dans cent occasions on n'a pas cru pouvoir légitimement s'en dispenser. Nous soutenons, que bien loin de regarder la communion sous une seule espèce comme défectueuse, injurieuse au sacrement, et contraire à l'institution de Jésus-Christ, on en a toujours eu la même idée que nous en avons aujourd'hui, je veux dire qu'on l'a toujours crue également bonne et suffisante aux desseins de Dieu et à nos besoins. En voici la preuve, que je ne chercherai pas bien loin, puisqu'elle se trouve dans le chapitre même cité contre nous.

Quiconque, dit l'Apôtre, mangera de ce pain ou boira de cette coupe indignement, se rendra coupable de la profanation du corps et du sang de Jésus-Christ1. J'ai déjà fait usage de ce texte, mais je vous prie, Monsieur, d'y revenir pour faire une nouvelle réflexion. Vous ne pourrez l'examiner de près, ni faire attention à la particule ou, particule très remarquable en cet endroit, sans comprendre en même temps, que l'Apôtre a regardé l'usage d'une seule ou des deux espèces, comme un point fort indifférent, et laissé au choix des fidèles de son temps. Car, si c'eût été la pratique constante, universelle, invariable parmi eux, de recevoir conjointement l'une et l'autre, l'Apôtre, bien certainement, ne se fût pas exprimé comme il a fait ; quelle apparence, qu'en parlant de deux objets constamment joints dans l'usage, il les eût séparés par une particule disjonctive ? Oui, Monsieur, j'en appelle ici à ce que vous fait sentir votre bonne foi, car c'est un témoignage auquel j'ai volontiers recours ; si l'Apôtre eût été dans votre système, je veux dire, dans le système de la nécessité des deux espèces, pensez-vous qu'il eût dit : Celui qui mangera ou qui boira indignement, se rendra coupable du corps et du sang de Jésus-Christ ? Le bon sens, la raison et l'habitude dans laquelle il était d'exprimer ses pensées avec justesse, ne lui eussent-ils pas fait dire : Celui qui mangera et qui boira indignement, se rendra coupable, etc. Qu'un de vos ministres se propose de faire sentir à ses auditeurs les funestes suites d'une communion indigne, s'avisera-t-il jamais de se servir de l'expression de l'Apôtre ? Je m'assure, Monsieur, que si vous lui entendiez dire de son chef, celui qui mange ou qui boit indignement, etc., vous seriez fort surpris de l'irrégularité de son langage.

J'ai sujet de me promettre que vous trouverez cette réflexion faite sur le texte de saint Paul, d'autant plus solide, qu'elle se rapporte parfaitement à ce que nous lisons au 2° chapitre des Actes des Apôtres, de la pratique des premiers fidèles de Jérusalem ; car il y est dit : Qu'ils persévéraient dans la doctrine des Apôtres, dans la communion de la fraction du pain, et dans la prière ; qu'ils allaient tous les jours au temple avec un esprit d'union, et qu'ils rompaient le pain, tantôt dans une maison tantôt dans une autre2 ; paroles qui ont trop de rapport avec ces autres de saint Paul : Le pain que nous rompons, n'est-il pas la participation du corps du Seigneur3 ? pour que l'on puisse se dispenser de les entendre de l'Eucharistie, surtout si l'on considère que la fraction du pain, dont il est parlé, se trouve jointe à plusieurs pratiques de piété, comme sont la prière, les pieuses conférences, la visite du temple. Aussi votre apologiste a-t-il si bien senti qu'il s'agissait ici de l'Eucharistie, qu'il n'a osé nous le contester ; mais voyant qu'il n'était fait aucune mention de la coupe, il a eu recours à la défaite de Calixte, et soutenu, comme lui, que la partie devait être ici réputée pour le tout4.



Sans doute, Monsieur, cette interprétation serait bonne, si l'on voyait quelque nécessité d'ajouter au texte ce qu'il n'exprime pas ; mais comme il n'en paraît aucune, puisqu'il a été libre au Sauveur d'agréer telle ou telle dispensation des mystères, on ne peut regarder le supplément ajouté par l'apologiste, que comme un supplément gratuit, et comme un pur effet de sa détermination à vouloir nous donner tort.

Et en effet, Monsieur, quoi de plus naturel que de trouver dans la pratique des premiers chrétiens de Jérusalem, une espèce de dénouement qui nous découvre avec combien de raison l'Apôtre s'est servi de la particule ou, en écrivant aux Corinthiens ! et quoi de plus naturel en même temps, que de voir dans cette particule ou, un indice très clair de la pratique des chrétiens de Jérusalem, telle qu'elle est exprimée dans les Actes, sans y faire aucune addition !

Je ne tarderai pas à prouver par des faits incontestables, que dans les siècles voisins du temps des Apôtres, les chrétiens se sont souvent contentés de ne recevoir que le pain eucharistique ; se persuadera-t-on qu'ils en aient usé ainsi sans être autorisés par l'exemple de ceux qui les avaient précédés ? et s'il leur a fallu un exemple pour leur servir de règle, ne le trouve-t-on pas cet exemple bien marqué dans l'endroit même que nous indiquons ?

Vous n'ignorez pas, Monsieur, que du temps des Apôtres, il y avait des Nazaréens, espèce de Juifs spécialement dévoués aux observances de la loi, et qui de plus, s'interdisaient tout usage du vin ; peut-on douter que plusieurs d'entre eux n'aient été des premiers à embrasser le christianisme ? Mais comment en usaient-ils, par rapport à l'Eucharistie, avant que les observances légales eussent été supprimées ? participaient-ils à la coupe contre le vœu exprès qu'ils avaient fait de ne jamais boire de vin ? ou s'abstenaient-ils entièrement d'approcher des divins mystères ? Mettons-les, Monsieur, parmi ceux qui s'en tenaient à la fraction du pain, et dès-là même nous les verrons hors de tout embarras.

Mais venons à des faits sur lesquels il y ait moins à disputer. Je l'espère, Monsieur, vous reconnaîtrez sans peine, que l'usage des quatre ou cinq premiers siècles a été d'emporter de l'église, et de conserver chez soi la sainte Eucharistie, soit pour avoir le moyen de satisfaire sa dévotion par des communions fréquentes et domestiques, soit pour se prémunir dans les dangers de la persécution, contre la crainte de la mort et des supplices. Le fait est trop bien attesté par les témoins de l'antiquité, pour qu'on puisse, en aucune façon, le révoquer en doute.

Tertullien, voulant détourner sa femme d'épouser, en secondes noces, un infidèle, au cas qu'il vînt à mourir avant elle, lui représente, entre autres choses, qu'elle ne pourrait librement vaquer à ses exercices de piété, ni recevoir tous les jours la sainte Eucharistie ; car « ce mari infidèle, lui dit-il, ne saura pas ce que vous prenez le matin en secret, avant toute autre nourriture ; et quand il le saurait, il ne pourrait se persuader que c'est du pain tel que vous le croyez1. »

Saint Cyprien nous apprend, « qu'une femme peu régulière, se disposant à prendre l'oblation sainte qu'elle gardait chez elle sous la clef, en fut détournée par une flamme qu'elle vit sortir du coffret qui renfermait ce précieux dépôt2. »

« C'était, au rapport de saint Basile, la coutume des solitaires de son temps, de garder, dans la solitude, la sainte Eucharistie, et de se communier eux-mêmes de leurs propres mains, lorsqu'ils manquaient de prêtres pour leur donner la communion. » Il ajoute que le peuple d'Alexandrie en usait de même, qu'il le faisait tous les jours, et que c'était aussi la pratique générale de toute l’Égypte2. »

Saint Jérôme dit « qu'il n'ose ni louer ni blâmer l'usage des chrétiens de Rome, qui de son temps ne manquaient aucun jour de communier ; mais il trouve étrange que des gens mariés se fissent un scrupule dans de certaines conjonctures, d'aller à l'église pour y recevoir le corps de Jésus-Christ, et qu'ils ne s'en fissent aucun de le recevoir chez eux, leur demandant si ce n'est pas le même Jésus-Christ qui se reçoit et dans les assemblées publiques, et dans les maisons particulières3. »

Nous apprenons de saint Ambroise, « que son frère Satyre, se trouvant sur le point de faire naufrage, lorsqu'il n'était encore que catéchumène, demanda aux fidèles qui se trouvaient avec lui sur le même vaisseau, une partie de la sainte Eucharistie dont ils conservaient le précieux dépôt pour leur usage, et que se l'étant attachée au col avec un linge où il l'avait fait proprement envelopper, il se jeta dans la mer, comptant échapper bien plus sûrement au danger par le secours des armes de la foi, que par le secours de quelque débris du navire4. »

Tous ces faits ne sont pas des faits controuvés, on ne saurait les attribuer à mon invention ; ils sont rapportés par les auteurs du temps, et je m'offre à vous les faire voir dans telle édition qu'il vous plaira. Or, ne sont-elles pas une preuve évidente que la communion domestique a été en usage pendant plusieurs siècles et même pendant les siècles les plus purs du christianisme ? Ne montrent-ils pas en même temps que cet usage n'a pas été particulier à quelques lieux, mais répandu généralement en Italie, en Égypte, dans les villes, dans les déserts, sur terre, sur mer ; que ces communions domestiques se faisaient tous les jours ou presque tous les jours ; qu'elles se faisaient avec la seule espèce du pain, puisque le pain sacré peut seul se garder, et qu'il ne paraît dans tous les anciens auteurs, aucun vestige du vin consacré mis en réserve ? On se plaît à recourir à la figure de réticence ; mais elle ne peut avoir lieu ici, la qualité des faits rapportés ne le permet pas, et d'ailleurs les espèces du vin ne sont pas de nature à pouvoir se conserver longtemps en si petite quantité. D'où il est évident, veuillez, Monsieur, le bien remarquer, que l'usage d'une seule espèce a été dans les premiers siècles de l'Église, beaucoup plus fréquent que l'usage des deux ; car les fidèles communiaient, comme nous venons de le voir, tous les jours, ou presque tous les jours dans leurs maisons ; au lieu qu'ils le faisaient bien plus rarement dans les assemblées publiques.

Qu'il me soit donc permis, Monsieur, de vous le demander maintenant : les premiers chrétiens avaient-ils sur le sujet que je traite, les idées de vos ministres ou les nôtres ? Regardaient-ils la communion sous une seule espèce comme une profanation de l'Eucharistie, comme une mutilation du Sacrement, comme une contravention formelle à l'intention, à l'ordre, à l'institution, au testament de Jésus-Christ ? Quel préjugé, Monsieur, ou plutôt quelle démonstration contre tant de reproches si vifs et si aigres, qu'on ne cesse de nous faire, et dont l'unique but est d'entretenir le funeste schisme qui vous sépare d'avec nous ! Oui, Monsieur les premiers fidèles, ces parfaits disciples de Jésus-Christ, ces hommes si pleins de son esprit, et si embrasés de son amour, ces victimes toujours prêtes à être immolées pour la gloire de leur divin maître, ont constamment regardé comme une pratique libre et indifférente de prendre la coupe ou de ne la prendre pas ; toujours ils ont cru tout avoir dans la substance indivisible de Jésus-Christ ; et vos ministres, qui ne craignent rien tant que de voir disparaître tous les sujets de division, vous font une obligation indispensable de recevoir le calice. Lequel de ces deux sentiments vous paraît préférable, Monsieur ? Est-ce celui de ces nouveaux venus, de ces intrus, qui, à regarder leur origine, se trouvent sans mission ; à regarder leur état, sans caractère ; et à considérer leurs principes, sans autre règle qu'une explication arbitraire de l’Écriture ? Choisissez, Monsieur, choisissez, et si c'est votre sagesse ordinaire qui vous règle, je ne serai point en peine de votre choix.

« Mais, nous dit Calixte, les fidèles ne manquaient pas de prendre la coupe, lorsque dans les assemblées publiques, ils participaient aux divins mystères, et s'ils emportaient avec eux une partie du pain consacré pour le consumer à la maison, c'était pour y achever leur communion et la rendre complète ; c'est ainsi, ajoute-t-il, qu'une partie étant ajoutée à l'autre, leur faisait recevoir le Sacrement dans sa totalité1. »

Belle et ingénieuse défaite, comme s'il n'était pas visible que Calixte, en voulant ici se dégager, ne fait que s'embarrasser davantage. Car, ou les fidèles se contentaient de prendre la coupe dans l'Église, et gardaient pour la maison le pain sacré qu'on leur mettait en main, ou ils recevaient conjointement l'un et l'autre dans l'Église, et réservaient néanmoins une partie du pain sacré pour les communions domestiques. Si l'on nous dit qu'ils se contentaient de recevoir la coupe dans l'Église, et que sans toucher au pain sacré, ils le portaient à la maison, voilà donc deux communions sous une seule espèce au lieu d'une : l'une sous la seule espèce du vin, qui se faisait dans l'Église ; et l'autre sous la seule espèce du pain, qui se faisait à la maison : car, vouloir que deux communions distantes l'une de l'autre d'un jour, d'une semaine, d'un mois, ne soient qu'une seule communion, c'est le vouloir parce qu'on le veut, le vouloir parce qu'on y trouve son compte ; mais c'est le vouloir sans avoir compté ni avec la raison, ni avec les notions les plus communes imprimées dans l'esprit des hommes. Si l'on nous dit, au contraire, que les fidèles recevaient dans l'Église conjointement le pain et le vin, de manière néanmoins à partager le pain sacré de telle sorte qu'il leur en restât une partie pour les communions domestiques, on reconnaît donc que les chrétiens des premiers siècles ont été dans l'usage de deux sortes de communions : l'une qui se faisait en recevant les deux espèces ; l'autre qui se faisait en n'en recevant qu'une, et c'est justement cette double pratique des premiers fidèles, qui autorise parfaitement notre sentiment ; car alors, l'une ou l'autre façon de communier sont également bonnes, à les regarder en elles-mêmes, et peuvent être indifféremment pratiquées, tant qu'il n'intervient aucun règlement de l'autorité légitime, pour déterminer à l'une des deux.

C'est ainsi que l'on conçoit les raisonnements, quand on n'a pas le cerveau trop agité par l'ardeur de la dispute ; mais quand on a résolu de nous trouver blâmables à quelque prix que ce soit, il n'est pas surprenant qu'on les conçoive autrement.

« Mais, nous dit encore Calixte, si l'Église a toléré pendant quelque temps les communions domestiques, elle les a abrogées dans la suite, et il ne faut pas vouloir tirer avantage de ce qui dans les temps suivants, a passé pour un abus1. Nous nous mettons assez peu en peine, ajoute-t-il, de ce que quelques-uns ont fait ou par nécessité, ou par superstition, si toutefois il est vrai qu'ils l'aient fait ; une pratique secrète et particulière ne peut préjudicier à notre cause, ni prouver qu'on soit en droit d'administrer publiquement l'Eucharistie sous une seule espèce2. »

En vérité, Monsieur, il serait difficile de décider si ce discours renferme plus d'artifice ou plus de témérité ; car je vous prie de remarquer que ce mot de quelques-uns, coulé ici par Calixte avec tant de douceur, est substitué à la place de toute l'Église ; que quand il dit que les communions domestiques ont été tolérées pendant quelque temps, c'est pour dire pendant quatre ou cinq cents ans ; que quand il parle de tolérance, cette tolérance n'est qu'un usage universellement reçu, sans que personne se soit avisé de le blâmer, ni de dire qu'une communion domestique faite avec la seule espèce du pain ait été insuffisante.

Il est vrai qu'au cinquième siècle, l'Église voyant, d'une part, des dangers moins pressants pour les chrétiens, et de l'autre, un relâchement sensible de ferveur et de piété, ne jugea plus à propos de leur permettre la réserve du pain sacré chez eux ; mais si c'est là un point de discipline qu'elle a cru devoir changer pour de bonnes raisons, il ne s'ensuit pas de là qu'elle ait regardé comme un abus la pratique des anciens temps. C'est l'Église qui a ordonné de prendre l'Eucharistie à jeun : voudra-t-on en conclure qu'elle a regardé comme abusive la pratique des Apôtres qui la prenaient le soir après souper ?

Mais de quelque manière que ce fait soit envisagé, toujours est-il sûr que les communions domestiques n'ont pas été abrogées, parce qu'elles se faisaient avec la seule espèce du pain ; car ce motif ne se trouve exprimé nulle part. L'Église a voulu seulement obvier aux irrévérences et aux profanations qui pouvaient se commettre dans les maisons particulières, et s'assurer plus particulièrement de la dévotion et du respect des fidèles, en ne leur permettant de communier que publiquement et dans l'Église.

Calixte nous dit ensuite, que c'est par nécessité ou par superstition que les chrétiens portaient le pain eucharistique chez eux ; mais y pense-t-il  ? et ne témoigne-t-il pas par là même, avoir déjà oublié la plupart des reproches qu'il nous adresse, ou du moins n'en tenir aucun compte ? eh quoi donc ? la nécessité peut-elle jamais permettre de profaner un sacrement ; de le mutiler, d'agir contre l'ordre et l'institution de Jésus-Christ ? si communier sous une seule espèce, c'est se rendre coupable de tant de crimes, voilà donc les premiers chrétiens souillés de tous ces excès ; et il n'est pas de nécessité qui puisse les justifier, parce que nulle nécessité ne peut jamais permettre de tels désordres. Pour ce qui est de la superstition, quand il ne s'agira plus que de savoir si tant de millions de martyrs ont été des superstitieux, ou si Calixte est un téméraire, la question sera bientôt décidée.

Mais n'est-il pas surprenant d'entendre dire à ce professeur, qu'une pratique secrète et particulière ne peut préjudicier à la cause des protestants, ni prouver qu'on soit en droit d'administrer publiquement l'Eucharistie sous une seule espèce ? Ne faut-il pas qu'en cela il ait eu la vue bien courte, pour ne pas voir la liaison de l'un avec l'autre ? Pour nous, nous la voyons parfaitement ; car voici comme nous raisonnons : la communion faite à la maison avec une seule espèce, disons-nous, a été bonne, parfaite et suffisante pour le salut ; donc la communion faite à l'église avec une seule espèce est également bonne, parfaite et suffisante pour le salut. Ou bien : la communion sous une seule espèce, faite à la maison, ne passait pas pour être contraire à l'ordre et à l'institution de Jésus-Christ ; donc la communion sous une seule espèce, faite à l'église, ne doit pas non plus passer pour y être contraire. Je m'assure, Monsieur, que vous voyez parfaitement la justesse de cette conséquence, et si Calixte ne l'a pas vue, il ne doit s'en prendre qu'à l'obscurcissement, fruit malheureux de sa passion à nous critiquer sans retenue comme sans raison.

Quand, Monsieur, je n'aurais point d'autres autorités pour établir l'usage des premiers temps, que l'exemple des communions domestiques, cet exemple suffirait sans doute pour démontrer invinciblement qu'on n'a jamais été dans la pensée de l'indivisibilité des deux espèces : mais vous allez le voir, ce n'est pas seulement par un effet de la dévotion des particuliers que le pain eucharistique se mettait en réserve ; la même précaution était encore prise par une vigilance ordinaire et commune à tous les pasteurs, qui conservaient, ou dans l'église, ou dans leur maison, une partie de l'oblation sainte, pour le besoin des malades. J'ai sur ce point à produire des faits bien propres à décider la question qui est entre nous ; savoir, si c'est nous qui avons innové, en refusant de reconnaître la nécessité des deux espèces, ou si ce sont vos ministres, en cherchant à l'établir.

Saint Denis, évêque d'Alexandrie, mort en l'an 266, nous apprend dans une lettre rapportée par Eusèbe, qu'un nommé Sérapion ayant succombé à la violence de la persécution, fut mis en pénitence, et resta privé de l'usage des sacrements jusqu'à sa dernière maladie ; que pour lors, voulant recevoir le saint Viatique, comme l'Église le lui permettait, il envoya un jeune homme prier son pasteur de le lui apporter. Le pasteur ne pouvant satisfaire par lui-même au désir de Sérapion, à cause d'une indisposition qui lui était survenue, « confia au jeune homme une petite parcelle de l'Eucharistie, avec ordre de la détremper dans l'eau avant que de la mettre dans la bouche du vieillard ; le jeune homme, de retour à la maison, trempa la parcelle de l'Eucharistie, selon l'ordre qu'il avait reçu, et en même temps, il la fit couler dans la bouche de Sérapion qui, l'ayant avalée, rendit incontinent l'esprit1. »

Tel est le fait écrit par saint Denis, à Fabius, évêque d'Antioche, et rapporté par Eusèbe au chapitre 44 du 6ème livre de son histoire ; où vous voyez, Monsieur, que le pasteur de Sérapion conservait pour le besoin des malades la partie solide de l'Eucharistie ; que cette partie se trouva dure, puisqu'elle avait besoin d'être détrempée, et que, par conséquent, elle avait été gardée depuis plusieurs jours ; que le jeune homme ne fut point chargé de porter du vin consacré à Sérapion, puisqu'il n'en est fait aucune mention. Le bon vieillard néanmoins ne se plaignit pas qu'il lui manquât quelque chose ; il ne regarda pas sa communion comme imparfaite ; au contraire, il mourut en paix, content d'avoir reçu à temps le précieux gage de l'immortalité.

Or, pensez-vous, Monsieur, que Sérapion aura été le seul envers lequel on en ait usé de la sorte ? son pasteur, en communiant les autres malades, se sera-t-il fait une loi inviolable de leur porter la coupe ? ou le soupçonnera-t-on d'avoir voulu se distinguer de tous les autres pasteurs par une nouveauté inouïe, en ne donnant à ses malades qu'une seule espèce ? Qui ne voit que saint Denis parle de cette pratique comme d'une coutume ordinaire et très usitée ; et même, qu'il la rapporte comme une espèce de merveille autorisée de Dieu par un effet visible de sa grâce ? car il remarque avec soin que le bon vieillard, qui jusque-là avait langui dans l'attente du saint Viatique, fut, incontinent après l'avoir reçu, délivré de ses douleurs par une douce et sainte mort.

Kemnitius prétend que le jeune homme porta l'une et l'autre espèce au malade, qu'il les mêla ensemble, et qu'il lui fit avaler le tout2 ; mais sur quoi se fonde-t-il ? sur le mot grec ἐγχές, qui signifie faire couler ; comme si après avoir trempé la parcelle du pain sacré, ou dans l'eau, ou dans le vin ordinaire, on ne puisse pas dire avec la même vérité et avec la même justesse, qu'il fit couler une partie de l'Eucharistie dans la bouche du malade. Kémnitius a donc mieux aimé substituer par un pur effet de son imagination, un détail dont saint Denis ne fait aucune mention, que de suivre l'idée naturelle présentée par le simple récit du fait. Il s'agissait de faire passer aisément par le gosier desséché du malade, une parcelle de l'Eucharistie qui s'était durcie ; le pasteur ordonne de la tremper, et non de la mêler avec le sang ; circonstance dont on ne voit pas moindre trace dans la lettre du Saint ; circonstance même qui, pour lors, je veux dire au troisième siècle, était absolument hors d'usage, comme le savent tous ceux qui ont quelque connaissance de l'antiquité. Car la distribution du corps et du sang mêlés ensemble, qui s'est pratiquée pendant quelque temps dans l'Église, n'a commencé à se faire voir qu'au septième siècle ; encore fut-elle défendue presque aussitôt par un canon exprès du quatrième concile de Prague1. Mais il ne coûte rien à Kemnitius de changer la signification des mots et l'ordre des temps, pour établir des faits imaginaires, et se mettre par là à couvert des fâcheuses conséquences que nous tirons contre lui, en nous fondant sur des faits qu'on ne peut raisonnablement nous contester. L'histoire de Sérapion montre clairement qu'on ne portait aux malades, de la demeure des prêtres, que le pain sacré tout seul ; que c'était à la maison du malade qu'on le détrempait pour faciliter le passage, et qu'on était si éloigné de songer à le mêler avec le sang, qu'on employait une autre liqueur, une liqueur ordinaire prise à la maison du malade, pour le détremper. Tous ces faits n'accommodent pas Kemnitius, ou plutôt l'incommodent fortement ; en voilà assez pour rendre son imagination féconde, et lui faire trouver un expédient qui n'est assorti ni avec la coutume du temps, ni avec le récit de l'auteur terrible effet de la prévention, et de cet acharnement avec lequel on s'attache à combattre les pratiques de l'Église, lorsqu'après avoir secoué le joug, on a perdu toute considération pour elle.

M. Smith, protestant d'Angleterre, est, sur cet article, de bien meilleure foi que le ministre de Brunsvick ; car il reconnaît, dans le docte traité qu'il a écrit sur l'état présent de l'Église grecque, que dans le fait de Sérapion, il s'agit uniquement du pain sacré, et il regarde la communion domestique comme la source de la réserve qui s'en faisait pour les malades2.

Si c'était, en Orient, la pratique de ne donner aux malades que la seule espèce du pain, ce n'était pas moins l'usage de l'Église d'Occident, comme nous le voyons par ce qui se passa à la mort de saint Ambroise. Car, voici ce que Paulin, son diacre et son secrétaire, raconte dans la vie du Saint qu'il a composée, et qui se trouve à la tête de ses ouvrages : « Honorat, évêque de Verceil, qui était venu pour l'assister à la mort, et qui pour cet effet logeait chez lui, entendit, durant le repos de la nuit, une voix qui l'appela par trois fois, et qui lui dit : Lève-toi, ne tarde pas, il va mourir. Il descendit incontinent, et présenta le corps du Seigneur au Saint, qui, sitôt qu'il l'eut reçu, rendit l'esprit3. »

C'est, Monsieur, uniquement le corps du Seigneur qui lui fut présenté, et rien de plus : c'est immédiatement après avoir reçu le corps du Seigneur, que le Saint mourut ; l'auteur de sa vie ne s'est pas avisé de le plaindre de n'avoir reçu que la moitié du sacrement. Si du temps de saint Ambroise, les chrétiens avaient regardé la coupe du même œil dont vous la regardez aujourd'hui, Paulin eût-il pu s'empêcher de rapporter comme un grand malheur, que le saint évêque, par une mort précipitée, avait été privé d'une partie estimée si nécessaire ? mais le fait-il ? en parle-t-il comme d'un triste accident ? ne rapporte-t-il pas, au contraire, cet événement, pour faire sentir que Dieu, par une bonté spéciale et toute merveilleuse, prit soin de faire mourir le Saint dans un état tel, qu'il n'eût plus rien à désirer ? Qui ne croira avoir bien communié en recevant la communion comme la reçut saint Ambroise au lit de la mort, surtout s'il réfléchit que le Saint ne la reçut ainsi qu'après un avertissement céleste ? Voudra-t-on que le saint docteur ait manqué de temps pour recevoir le sang ? mais s'il était nécessaire, ou même de quelque avantage considérable de le recevoir, pourquoi la voix, qui avertit l'évêque de Verceil, ne se fit-elle pas entendre quelques moments plus tôt  ? en eût-il coûté davantage à Dieu de hâter sa faveur, et de la faire à temps et à propos, pour pourvoir pleinement aux besoins de son serviteur ?

Vous le comprenez, Monsieur, ces réflexions sont pressantes. Cependant Calixte ne se rend pas encore ; il prétend que, quoique Paulin fasse mention seulement du corps, il ne s'ensuit point que le sang n'ait pas été également présenté : « c'est l'effet de la synecdoque, dit-il, d'exprimer le tout par la partie1. » Nous voici encore une fois à la figure de réticence mais le professeur de Helmstad se croit-il en droit de placer sa synecdoque partout où il lui plaît ? ne voit-il pas qu'il autorise par là le moyen d'éluder tout, et qu'il ne restera plus rien de certain dans le langage ? On lui passera sa figure, s'il peut nous faire voir que dans le style ecclésiastique, c'est l'usage de nommer le corps seul, pour exprimer le corps et le sang ; mais nous citerait-il un seul exemple, où les Pères, racontant la distribution du corps et du sang, n'aient exprimé que l'un des deux ? Il ne suffit donc pas d'alléguer la synecdoque en l'air, il faut voir si elle est applicable au sujet. En invitant quelqu'un à dîner, on lui dit fort bien : Faites-moi l'honneur, Monsieur, de venir manger avec moi ; bien entendu qu'il boira aussi, quoique le boire ne soit pas exprimé  ; il n'y a rien là de surprenant, parce que l'usage l'a ainsi établi ; mais est-il également établi de ne nommer que le corps, quand il s'agit de la distribution du corps et du sang ? je soutiens, Monsieur, que bien loin de là, l'usage y est absolument contraire. On dit très bien et très souvent de ceux qui reçoivent la seule espèce du pain, qu'ils reçoivent le corps et le sang de Jésus-Christ ; mais en parlant de ceux qui ont reçu les deux espèces, on ne s'est jamais contenté de dire qu'ils avaient reçu le corps de Jésus-Christ ; ainsi la figure synecdochique, le misérable refuge de Calixte ne peut avoir ici lieu, et vous sentez, Monsieur, que c'est la nécessité, et non la raison qui l'a obligé d'y avoir recours.

D'ailleurs, si saint Ambroise eût fini par prendre le sang, n'eût-il pas été beaucoup plus naturel que l'auteur de sa vie eût abrégé son discours, en finissant par l'endroit où a fini la vie du Saint ; c'est-à-dire par la réception du sang, qui est toujours la dernière, et qui suppose l'autre. Si donc l'historien ne fait nulle mention du sang, c'est qu'en effet le Saint ne le reçut pas ; et quand Calixte s'obstine à vouloir qu'il l'ait reçu, ne montre-t-il pas clairement qu'il aime mieux renverser toutes les règles du langage, que de corriger ses idées et ses préventions ?

Mais, Monsieur, si les faits de saint Ambroise et de Serapion ne suffisaient pas pour vous convaincre de l'uniformité de l'usage observé à l'égard des malades, les canons des conciles et les pratiques générales de l'Église, ne manqueraient pas de vous en convaincre pleinement.

Le second concile de Tours, célébré en 567, ordonne qu'on place le corps de Notre-Seigneur, non dans le rang des images, mais sous la figure de la croix2. Il est donc clair que le corps de Notre-Seigneur se réservait pour le besoin des malades, et qu'il se réservait seul ; car outre que les espèces du vin se gardent bien plus difficilement que les espèces du pain, si le sang se fût également réservé, le concile n'eût pas manqué d'en faire également mention, et même de marquer des précautions pour le garder sûrement aussi voyons-nous qu'il est partout parlé des vases propres à contenir et à conserver le corps de Jésus-Christ, sans qu'il soit jamais dit un mot de ceux qui auraient pu servir à conserver le sang.

Grégoire de Tours, qui vivait au temps du concile que je viens de citer, parle de certains vaisseaux faits en forme de tours, où l'on réservait le mystère du corps de Notre-Seigneur1.

Perpétuus, évêque de la même Église, dans son testament fait en 447, marque parmi les vases sacrés, employés au sacrifice, une colombe d'argent qui était destinée à la réserve, et qu'il lègue à un de ses prêtres nommé Amalarius2.

Il est dit dans la vie de saint Basile, « qu'il partagea le pain consacré en trois parties, et qu'il en conserva une dans une colombe d'or qu'il suspendit sur l'autel3. » Quoique cette vie soit faussement attribuée à Amphilochius, contemporain de saint Basile, toujours est-elle fort ancienne, puisqu'elle est citée par le célèbre Enée qui gouvernait l'église de Paris vers le milieu du neuvième siècle, et qui rapporte l'endroit même où il est parlé de cette colombe et de la portion sacrée qui y était renfermée4. Or, ce fait doit paraître être d'autant moins surprenant, que c'était indubitablement l'usage de l'Église grecque, de suspendre ainsi sur l'autel, des colombes d'or et d'argent, comme il paraît par le concile de Constantinople, tenu sous le patriarche Mennas, l'an 5375.

Quoi qu'il en soit, Monsieur, il est manifeste par l'ordre ou l'ancien cérémonial romain, cité et expliqué par Alcuin, auteur du huitième siècle, et par Amalarius son disciple, qu'on partageait le pain consacré en trois parties, et que la troisième se réservait sur l'autel pour l'usage des malades6 ; c'est cette portion que le Micrologue, auteur du onzième siècle, appelle pour cette raison, la part des mourants7.

Léon IV, élevé sur le siège pontifical en 847, recommande à ceux qui ont charge d'âmes, de ne rien mettre sur l'autel « que les saintes reliques, le livre des Évangiles, et la boîte où se garde le corps du Seigneur, pour être donné comme viatique aux malades8. »

Hincmar, célèbre évêque de Reims, mort en 882, ordonne au doyen qui fera la visite des églises de son diocèse, d'observer « s'il y a une boîte où se conserve décemment l'oblation sacrée, pour le viatique des malades1. »

Rathier, évêque de Vérone, auteur du dixième siècle, illustre pour sa science et sa piété, parle également d'une boîte où se gardait le « corps de Notre-Seigneur » et répète mot pour mot, l'ordonnance de Léon IV2.

Si nous passons jusqu'au onzième siècle nous trouverons dans les actes du concile d'Orléans, « que d'abominables hérétiques brûlaient un enfant, et qu'ils en gardaient les cendres avec autant de vénération, que la piété chrétienne a coutume d'en apporter dans la conservation du corps de Jésus-Christ pour le viatique des mourants3. » Ainsi, la tradition des premiers et des derniers siècles, touchant la réserve du seul pain eucharistique pour les malades, s'accorde si parfaitement, que si Calixte était encore en vie, et voyait toutes les preuves dont nous venons de donner le développement, ou il parlerait contre sa conscience en continuant à nous contredire, ou il cesserait de nous contester une pratique aussi constante.

Je ne disconviens pas néanmoins, Monsieur, qu'on n'ait porté quelquefois les deux espèces aux malades, et même à des absents qui ne l'étaient pas. Saint Justin le marqué en termes exprès4 ; mais c'était immédiatement après avoir célébré les divins mystères. Saint Exupère, évêque de Toulouse, après avoir vendu les riches vaisseaux de l'Église, pour racheter les captifs et soulager les malades, portait, comme le remarque saint Jérôme, le corps de Notre-Seigneur dans un panier, et le sang dans un vase de verre5. Il portait le sang de Jésus-Christ, mais il ne le gardait pas. J'avoue donc, que lorsqu'on avait à communier des malades dans des circonstances où ils pouvaient commodément recevoir les deux espèces, sans être aucunement altérées, on ne faisait point de difficulté de les leur donner ; mais il est incontestable par tous les faits allégués plus haut, que comme l'espèce du vin ne pouvait pas être aisément conservée, la communion ordinaire des malades se faisait avec la seule espèce du pain. Ainsi il est encore démontré par ces exemples, que l'une et l'autre manière de communier passait pour être bonne, et que si l'on donnait le plus communément le seul pain sacré aux malades, on était bien éloigné de regarder cette communion comme défectueuse et insuffisante ; car c'est particulièrement aux approches de la mort qu'il importe de bien communier.

Mais ne nous arrêtons pas aux seuls malades, allons plus loin, et voyons si dans l'église même et dans les assemblées publiques, il n'était pas libre à chacun de prendre les deux espèces ou de n'en prendre qu'une. La conduite qu'ont tenue les Manichéens au cinquième siècle, du temps de saint Léon, jettera sur cet article, une grande lumière.

« Ils ne manquaient pas, au rapport de ce saint pape, d'assister à la célébration des mystères, et pour mieux couvrir leurs erreurs, ils se mêlaient avec les catholiques, jusqu'à communier avec eux, ne recevant néanmoins que le corps de Notre-Seigneur, et évitant avec soin de boire le sang par le quel nous avons été rachetés1. » Mais pourquoi s'abstenaient-ils ainsi de prendre le sang ? C'est qu'ils abhorraient le vin, qui passait chez eux pour la créature du diable ; ils ne le nommaient guère autrement que le fiel du prince des ténèbres, comme nous l'apprend saint Augustin2. Or, nous savons de saint Léon, qu'ils approchaient de la communion avec les catholiques, pour se mieux cacher, et répandre plus sûrement leur venin. Assurément Monsieur, si c'était pour lors un usage général et indispensable pour les catholiques, de recevoir les deux espèces, les manichéens s'y prenaient fort mal pour réussir dans leur dessein ; car en tenant une conduite qui leur était particulière, et en ne recevant qu'une seule espèce, bien loin de se cacher, ils se faisaient remarquer aussitôt de tout le monde. Qui ne voit donc qu'il était libre aux orthodoxes de prendre le sang ou de ne le prendre pas, et que les manichéens profitaient de cette liberté pour se mêler parmi eux ?

Mais, nous dit-on, saint Léon les désigne par le refus qu'ils faisaient de participer à la coupe, et il veut qu'on les reconnaisse à cette marque. Oui, Monsieur, saint Léon les désigne par un refus constant et opiniâtre3 ; car c'était en eux une détermination de s'éloigner pour toujours de la coupe, au lieu qu'on voyait les catholiques communier indifféremment tantôt sous une seule espèce, tantôt sous les deux.

La fraude durait encore du temps de saint Gélase, successeur de saint Léon, et ce pape crut devoir y remédier efficacement en ordonnant à tous les fidèles de prendre également le corps et le sang, sous peine d'être privés de l'un et de l'autre. C'était, en effet, un moyen bien efficace pour exclure les manichéens ; car après un tel précepte, comment eussent-ils fait pour oser encore paraître avec les catholiques à la table de communion ?

On cite ce décret de Gélase contre nous, et on prétend en tirer de grands avantages ; on se plaît à faire remarquer que les papes mêmes ont ordonné de communier sous les deux espèces, et on ne prend pas garde que l'objection dirigée contre nous, se tourne pour nous en une preuve très concluante ; car puisque Gélase se vit obligé par la circonstance du temps, à défendre expressément de communier autrement que sous les deux espèces, n'avons-nous pas droit d'en conclure que cette pratique était donc auparavant libre, et que le seul but de cette ordonnance, était d'ôter aux manichéens le moyen de tromper ? Il fallut une raison particulière, nouvelle et étrangère aux autres temps, pour obliger les fidèles à communier sous les deux espèces ; cette raison se trouve marquée par les paroles mêmes du texte : « Puisqu'il y en a qui sont attachés à je ne sais quelle superstition. » C'est donc dans l'abstinence superstitieuse des manichéens, dans leur horreur extravagante pour le vin, que Gélase trouva le motif de son ordonnance, et non dans les inconvénients objectés aujourd'hui par vos ministres.

Mais, ajoute-t-on, il est dit dans le décret, que tous les fidèles doivent prendre les deux parties « parce que la division d'un seul et même mystère ne peut se faire sans un grand sacrilège. » Donc, disent les ministres, c'est, au sentiment du pape Gélase, diviser le mystère, et faire un grand sacrilège que de recevoir une seule espèce.

Permettez-moi, Monsieur, de rapporter toutes les paroles du décret, vous serez plus en état de juger si la conclusion qu'on tire contre nous est juste. Voici comme le décret est conçu : « Nous avons découvert, dit Gélase, que quelques-uns prennent seulement le sacré corps et s'abstiennent du sacré sang ; que ces hommes attachés à je ne sais quelle superstition, prennent donc les deux parties, ou soient privés de toutes les deux, parce que la division d'un même et seul mystère ne se peut faire sans un grand sacrilège. »

En effet, Monsieur, c'est bien diviser le mystère, que de regarder le sang de Notre-Seigneur contenu sous l'espèce du vin, comme un objet d'aversion ; c'est sans doute le diviser, que de regarder une seule partie comme instituée par Jésus-Christ, et de rejeter l'autre comme une abomination. Telle était la division que les manichéens introduisaient dans le mystère ; division que le saint pape traite à juste titre de sacrilège. Mais nous reprochera-t-on rien de semblable ? refusons-nous de croire que Jésus-Christ ait institué également les deux parties ? dira-t-on que c'est par mépris que nous nous abstenons de prendre la coupe ? ne soutenons-nous pas, au contraire, que dans une partie comme dans l'autre, dans l'une comme dans les deux, réside la même vertu, le même fonds de grâces. Ce n'est donc pas notre pratique que saint Gélase a eu en vue de blâmer, c'est la pratique des manichéens, fondée sur l'erreur et sur la superstition. Car, qui pourra soupçonner ce pape si savant et si éclairé, d'avoir ignoré tout ce que j'ai rapporté des communions domestiques, et tout ce qui s'est pratiqué constamment par rapport aux malades ? ou qui lui supposera la hardiesse d'oser traiter de sacrilège, des usages si universellement reçus, si autorisés dans l'Église, si accrédités par les plus saints personnages ? Une telle liberté ne peut convenir qu'aux novateurs de ces derniers siècles, et non à un saint pape qui respecta toujours l'antiquité, et qui, en combattant des erreurs nouvelles, n'avait garde de penser à vouloir flétrir la pratique des siècles les plus purs, la pratique des martyrs et des plus fervents chrétiens.

Sozomène et Nicéphore font mention d'une femme macédonienne qui, environ cent ans avant le fait des manichéens dont je viens de parler, avait eu recours au même artifice. Elle avait fait semblant de renoncer à son hérésie, pour laquelle elle ne laissait pas de conserver beaucoup d'attachement dans son cœur ; pressée du désir de persuader son mari qu'elle était véritablement convertie, elle approcha de la communion avec les catholiques ; mais après avoir reçu le pain sacré dans sa main, selon l'usage du temps, au lieu de le porter d'abord dans la bouche, elle le changea contre un autre petit morceau de pain qu'elle reçut de sa servante, complice de sa fraude ; mais lorsqu'elle voulut ensuite le manger, elle ne le put ; car le pain, par un prodige étonnant, s'était changé en pierre dans sa bouche. Frappée de cette merveille, elle déclara humblement son procédé frauduleux à saint Chrysostôme qui lui avait donné la communion ; elle lui remit la pierre qui portait la marque de l'impression de ses dents, et renonça pour toujours à ses erreurs. « Si quelqu'un a peine à croire ce fait miraculeux, ajoute Sozomène, il pourra s'en assurer en examinant cette pierre, qui se garde encore aujourd'hui dans le trésor de l'église de Constantinople1. »

Or, Monsieur, cet événement ne fait-il pas voir que du temps de saint Chrysostôme, c’est-à-dire sur la fin du quatrième siècle, il était libre de ne recevoir que la seule espèce du pain ? car si c'eût été une coutume inviolable de prendre le calice, comment fût-il venu dans la pensée de cette femme, de vouloir tromper, en supposant un autre pain à la place de celui qu'elle avait reçu de la main du prêtre ? se détermina-t-elle à prendre le calice, ou à ne le prendre pas  ? le prit-elle en effet, ou ne le prit-elle pas ? si elle ne le prit pas, comment ne se fit-elle pas remarquer en se dispensant d'une chose dont vos ministres prétendent que personne ne se dispensait ? et si elle le prit, à quoi bon la fraude par laquelle elle cherchait à éviter de participer à l'Eucharistie des catholiques, dans le temps même qu'elle y participait effectivement ?

Calixte, pour ne pas rester entièrement court, dit « que cette femme trompa autant qu'elle put, et qu'elle cessa de tromper lorsqu'elle ne vit plus de lieu à la tromperie2. »

Mais je demande à Calixte, s'il est naturel de prêter à cette femme la plus bizarre de toutes les conduites ? Les historiens ecclésiastiques nous la représentent comme une femme artificieuse, et non comme une femme stupide et entièrement privée de sens. Est-ce marquer beaucoup de jugement que de lui en donner si peu ? et est-il vraisemblable qu'elle ait voulu employer à pure perte, une ruse concertée avec tant de soin ?

Il est donc évident par les faits rapportés ici que les fidèles avaient la liberté de se contenter d'une seule espèce ; j'ajoute qu'il y avait des jours solennels pendant l'année, où il n'était pas même de leur choix de recevoir les deux espèces, parce que les ministres de l'Église ne leur en présentaient qu'une seule.

Tel était le jour du vendredi-saint, jour auquel on ne consacra jamais, comme l'assure le pape Innocent, cité par les auteurs qui ont écrit des offices divins3. Le célébrant ne laissait pas de communier, et c'était jour de communion générale pour tout le peuple, ainsi que l'attestent les mêmes auteurs4. Mais comment communiait-on ? si nous en croyons l'Ordre romain, Alcuin, Raban, Amalarius, on recevait seulement la partie solide de l'Eucharistie qui avait été consacrée la veille, et qui se gardait pour cet effet du jeudi-saint au vendredi5. « Mais pourquoi ne gardait-on pas également une partie du vin consacré ? c'est, dit Hugues de Saint-Victor, que sous chaque espèce, on prend le corps et le sang, et que comme l'espèce du vin, sujette à se répandre, ne peut se garder si sûrement, il a été ordonné de ne réserver que le corps de Jésus-Christ6 ; » où vous voyez, Monsieur, que l'Église craignait l'altération qui pouvait arriver d'un jour à un autre, c'est-à-dire, du jeudi au vendredi. Comment donc ne l'eût-elle pas craint, si elle eût réservé l'espèce du vin pendant un temps beaucoup plus considérable, pour la communion des malades ?

Peut-être, Monsieur, que comme les auteurs que je viens de citer ne sont pas de la première antiquité, ils vous paraîtront mériter de moindres égards ; j'avoue que la plupart ne sont que du huitième ou du neuvième siècle ; mais je vous prie de remarquer qu'ils citent Innocent qui vivait au quatrième. Qui se persuadera, d'ailleurs, qu'une coutume si bien établie de leur temps ne venait pas de plus haut ? qui pourra jamais nous en faire voir l'origine ? Il n'y a donc pas lieu de douter que cette coutume ne soit de la première antiquité ; ainsi, prétendre que communier sous une seule espèce, est diviser le mystère et faire un sacrilège, ce n'est rien moins, à le bien considérer, qu'accuser l'ancienne Église d'avoir justement choisi le vendredi-saint, le jour de la mort de Jésus-Christ, pour profaner, par un sacrilège énorme, le mystère institué à sa mémoire. Tels sont les excès qui naissent du système de vos ministres, excès beaucoup plus propres à les confondre, qu'à nous causer aucun embarras ; car comme ils sont absolument incroyables, ils ne sauraient avoir d'autre effet que de faire sentir l'animosité indiscrète de nos adversaires, et leur emportement à nous faire des reproches si outrés.

Ce qui se pratiquait le jour du vendredi-saint dans l'Église latine, s'est également pratiqué dans l'Église grecque, et se pratique encore aujourd'hui pendant tout le temps du carême, hors le samedi et le dimanche. Comme ce sont là les seuls jours de la semaine où les Grecs ne jeûnent pas, ce sont aussi les seuls jours qu'ils croient propres à la célébration du sacrifice. Ils ne consacrent donc que le dimanche et le samedi, et, pendant le reste de la semaine, ils offrent le sacrement réservé de ces deux jours ; c'est ce qu'ils appellent la messe des présanctifiés, parce que l'Eucharistie qu'ils offrent aux jours de jeûne a été consacrée et sanctifiée dans les deux jours précédents ; ainsi pendant cinq jours de la semaine, le prêtre et le peuple ne reçoivent en communiant, que la seule espèce du pain, ce qu'on ne peut taxer de nouveauté puisqu'il y a plus de treize siècles que cet usage est établi parmi eux, comme il se voit au concile de Laodicée1, et encore plus clairement dans le concile qu'on appelle in Trullo2.

Il est vrai, car il ne faut rien dissimuler, qu'ils font aujourd'hui une croix avec le sang précieux, sur le pain sacré qu'ils réservent pour l'office des présanctifiés ; ils en usent encore de même par rapport au pain sacré qu'ils gardent pendant toute l'année pour les malades, se faisant une loi inviolable de ne consacrer que le jeudi-saint ce qui doit servir de viatique ; mais outre que cette coutume de mettre quelques gouttes de sang sur le pain sacré est nouvelle, n'est-il pas évident qu'il ne peut rien rester de ce vin consacré après un temps considérable ? qu'il n'en peut même rien rester du tout, incontinent après que ces gouttes ont été mises sur le pain, vu que le prêtre a soin de dessécher aussitôt le pain sur un réchaud et de le réduire en poudre.

Il faut encore convenir qu'en donnant la communion, soit aux malades, soit à ceux qui se présentent pendant la messe des présanctifiés, ils mêlent avec du vin, le pain desséché qui a été réduit en poudre ; mais dira-t-on que ce soit là donner la communion sous les deux espèces  ? et comment pourrait-on le dire, puisqu'une seule est consacrée ? Car, qu'est-ce que ce vin, si ce n'est du vin ordinaire ? le regardera-t-on comme consacré par le mélange avec les particules du pain consacré ? j'avoue qu'il est en quelque sorte sanctifié par ce mélange ; mais qui osera soutenir que ce soit là une consécration, que par là ce vin soit élevé à la qualité de sacrement, et qu'il devienne le sang de Jésus-Christ ? peut-il y avoir de vraie consécration sans paroles ? or, qui ne sait que les Grecs n'en prononcent aucune sur ce vin ? Il est donc clair que les Grecs ne communient, dans l'office des présanctifiés, que sous une seule espèce, puisque, dans ce qu'ils reçoivent en communiant, le pain seul est véritablement consacré.

Voilà, Monsieur, des faits de toutes les espèces, et qui concourent tous à établir la même vérité ; y en a-t-il un seul qui ne soit appuyé sur des témoignages non suspects ? peut-on les révoquer en doute sans faire outrage à la foi de l'histoire ? Jugez donc, Monsieur, sur l'exposé de ces faits, si je me suis trop avancé en soutenant que les premiers chrétiens ne se sont fait aucune obligation de recevoir les deux espèces, et que dans mille occasions, ils se sont contentés de n'en recevoir qu'une. J'ai promis de fournir sur ce point, comme sur le reste, des preuves capables de contenter tout esprit raisonnable : ai-je à craindre, Monsieur, qu'on ne me reproche d'avoir manqué de parole ? ou plutôt n'ai-je pas tout sujet d'espérer de vous voir reconnaître que j'y ai pleinement satisfait ? je ne prends pas ici pour juge un certain esprit de chicane, toujours attentif à chercher des défaites pour éviter de trouver la vérité ; tel esprit ne fut jamais le vôtre, et est absolument incompatible avec votre droiture ; c'est à cette droiture même, et à votre sage et juste discernement que j'en appelle ; si vous consultez ces lumières pures, vives, simples et naturelles qui vous éclairent et qui vous conduisent si sûrement dans la recherche du droit des parties, je n'hésite pas un moment à me promettre que vous serez satisfait de mes preuves, et je ne crois pas avoir à craindre le danger de passer dans votre esprit pour un homme trop facile à s'engager.

Il s'en faut bien néanmoins que j'aie épuisé cette importante matière ; je n'ai point encore parlé des petits enfants qu'on communiait, dans l'Église des premiers siècles, en ne leur donnant que quelques gouttes du sang précieux ; témoin la petite fille dont parle saint Cyprien, qui, portée par sa mère à la table de communion, refusa de rien prendre de la coupe, détourna le visage, et marqua beaucoup de trouble et d'agitation pour s'en éloigner ; le diacre ne laissa pas de lui en faire avaler quelques gouttes par force ; mais l'enfant ne put retenir ce qu'elle venait d'avaler, et le rendit incontinent avec des efforts et des mouvements très violents : « C'est, dit saint Cyprien, que peu de jours auparavant, on lui avait fait prendre, à l'insu de sa mère, quelque parcelle du pain détrempé dans du vin offert aux idoles, et que le sang précieux du Sauveur ne put rester dans des entrailles qui avaient été souillées de cette infâme liqueur ; tant est grande, ajoute ce Père, la puissance et la majesté du Seigneur1.

Je n'ai pas dit non plus qu'on donnait aux enfants d'un âge plus avancé, qui fréquentaient les petites écoles, la seule espèce du pain, en leur faisant consumer ce qui restait du corps de Notre-Seigneur après la communion des fidèles. Evagre écrit, au sixième siècle, que c'était l'ancienne coutume de l'Église de Constantinople, et raconte, sur ce sujet, un événement fort singulier1. Un enfant juif s'était mêlé avec les enfants des chrétiens, et communia de cette manière avec eux ; son père, qui travaillait à faire du verre, informé de cette action, en fut si transporté de colère, qu'il le jeta dans la fournaise ardente ; la mère ne sachant ce qu'était devenu son fils, le chercha inutilement pendant trois jours par toute la ville ; elle se désolait et criait sans cesse après lui ; quel étonnement, lorsque l'appelant par son nom, d'un lieu d'où elle était à portée de se faire entendre, elle l’ouït répondre du fond de la fournaise ; aussitôt elle y court, le trouve plein de vie et de santé, lui demande comment il avait pu se conserver au milieu des brasiers, et l'enfant lui raconte qu'une vénérable matrone, vêtue de pourpre, était venue répandre de l'eau sur le feu, et lui avait apporté à manger. Ce miracle porta la mère et le fils à recevoir le baptême avec la doctrine du christianisme. L'empereur Justinien, informé de cet événement, et voyant le père obstiné à ne pas se rendre, lui fit faire le procès comme au meurtrier de son fils, et ce malheureux fut, en cette qualité, condamné au dernier supplice.

Vous ne doutez pas, Monsieur, que cet enfant n'ait été conservé au milieu des flammes par la vertu de la divine Eucharistie ; mais si la communion sous une seule espèce est une chose aussi mauvaise que vos ministres le supposent, comment Dieu a-t-il pu l'autoriser par un miracle si éclatant ? comment ne s'est-il trouvé aucun auteur qui ait révélé l'abus de ces communions défectueuses qu'on faisait faire à l'innocente jeunesse  ? Vous voyez, Monsieur, d'une part, les enfants à la mamelle communier sous la seule espèce du vin ; de l'autre, les enfants plus avancés communier sous la seule espèce du pain ; avec la justesse d'esprit qui ne vous abandonne jamais, que pouvez-vous en conclure, si ce n'est que l'antiquité a été persuadée de l'intégrité de la communion sous une seule espèce, et qu'elle a eu sur ce point, des idées bien différentes de celles de vos ministres  ?

N'en voilà que trop, Monsieur, sur le troisième article, et j'ai tout lieu de craindre que vous ne soyez fatigué de cette multitude de faits entassés les uns sur les autres ; mais la suite de ce que je dois avoir l'honneur de vous dire vous fera voir qu'il était absolument nécessaire de bien connaître les sentiments et les pratiques de l'antiquité ; car rien n'est plus propre que cette connaissance pour écarter la plupart des difficultés dont on amuse ceux qui ignorent les mœurs et les pratiques des premiers chrétiens. Cette connaissance nous conduira à établir et à faire remarquer des principes qu'on ne peut se dispenser de recevoir chez vous, et qui, appliqués au sujet présent, fournissent des réponses solides à tout ce qu'on peut nous objecter de plus spécieux, Je passe donc au quatrième article, et je dis que dans tout l’Évangile, il ne se trouve aucun précepte qui oblige le commun des fidèles à participer à la coupe.

4ème proposition : IL NE SE TROUVE AUCUN PRÉCEPTE ÉVANGÉLIQUE QUI OBLIGE LE COMMUN DES FIDÈLES A RECEVOIR LA COUPE.

C'est ici, Monsieur, que je vous prie de vous tenir en garde contre les préjugés. Les fréquents reproches que nous font vos ministres de contrevenir au commandement de Jésus-Christ, ne vous auront que trop disposé à regarder cette accusation comme justement intentée contre nous ; mais s'il est naturel d'aimer à croire ceux dont on a reçu les premières instructions il n'est pas moins d'un homme d'esprit de ne pas déférer aveuglément à ceux qu'il ne tient pas pour infaillibles ? Examinez donc la question par vous-même, et ne refusez pas de faire aujourd'hui des réflexions que probablement vous n'avez pas encore faites ; elles vous donneront sur cette affaire, une connaissance exacte et telle que je la désire pour le bien de la cause dont j'ai entrepris la défense, et pour votre propre bien.

Il n'y a dans tout l’Évangile que deux endroits où l'on puisse vouloir trouver un précepte qui oblige tous les fidèles à participer à la coupe. Le premier, au chapitre XVI de saint Matthieu, où il est dit : Après que le Seigneur eut pris la coupe, il la donna à ses disciples en disant: Buvez-en tous ; et le second, au chapitre VI de saint Jean, où on lit cette parole du Sauveur : En vérité, en vérité, je vous dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Or, il me sera aisé, Monsieur, de faire voir que ni l'un ni l'autre de ces textes ne renferme aucun précepte qui oblige tous les chrétiens à communier sous les deux espèces. Où se trouvera donc ce précepte dont on veut que nous soyons les transgresseurs ? s'il se se trouve pas dans les deux endroits cités, c'est bien en vain, sans doute, qu'on le cherchera partout ailleurs.

Premièrement, je puis sommer messieurs vos ministres de prouver ce qu'ils avancent contre nous ; car enfin ils nous ont trouvés en possession de donner la communion aux laïques sous une seule espèce ; ils nous reprochent d'agir en cela contre le commandement de Jésus-Christ : c'est à eux à vérifier leur reproche c'est à eux à produire le commandement auquel ils prétendent que nous contrevenons ; mais comment pourront-ils jamais le faire ? se croient-ils fort avancés, quand ils ont cité contre nous ces paroles : Buvez-en tous ? Qui ne sait que les discours adressés par le Sauveur à ses Apôtres, n'ont pas toujours été adressés à tous les fidèles ? quelquefois, en leur parlant, il n'a eu en vue que leurs seules personnes ; d'autres fois il leur a parlé comme aux pasteurs de l'Église, dans l'intention que les avis, les instructions, les pouvoirs qu'il leur donnait, passassent également à leurs successeurs  ; d'autres fois enfin, il a prétendu que les paroles dites primitivement à ses disciples, s'étendissent néanmoins à tous les chrétiens.

Lorsque, dans des leçons de morale, il les exhortait à la vigilance, à la charité, à la patience et à d'autres vertus, ces leçons étaient sans doute généralement faites à tous les fidèles. Mais quand il leur disait : Les péchés seront pardonnés à ceux à qui vous les pardonnerez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez1, n'est-il pas facile de sentir que ces paroles s'adressaient uniquement aux disciples, comme pasteurs de l'Église, et à ceux qui devaient leur succéder dans le ministère ? enfin lorsqu'il leur disait : Vous vous scandaliserez tous à mon sujet cette nuit ; demeurez ici pendant que j'irai là pour prier. Dormez maintenant, et reposez-vous2 ; qui ne voit que ces reproches se terminaient à leurs seules personnes ?

Ces principes une fois supposés, comment, Monsieur, vos ministres réussiront-ils à prouver que cette parole : buvez-en tous, a été dite à tous les chrétiens ? est-il impossible que Jésus-Christ, en parlant ainsi, ait borné sa vue à ceux qui étaient là présents, je veux dire aux douze Apôtres, considérés dans leurs seules personnes ? ou que s'il en a encore compris d'autres, il ne se soit borné seulement à ceux qui devaient avoir part au nouveau sacerdoce où il élevait actuellement ses disciples ? Pour nous, en refusant d'étendre à tous les chrétiens l'ordre de prendre la coupe, et en le limitant aux seuls Apôtres, ou du moins en ne le faisant passer qu'à leurs successeurs dans le sacré ministère, nous entendons le texte, buvez-en tous, comme l'ont entendu les chrétiens des premiers siècles, ainsi que l'Église universelle assemblée au concile de Constance. Vous en conviendrez, Monsieur, cette explication est par là même incomparablement plus autorisée que celle qui, dans le mot de tous, prétend trouver un précepte général fait à tous les chrétiens.

Mais, si nos adversaires sont hors d'état de prouver la généralité du précepte, nous prouvons fort aisément qu'il doit être restreint aux seuls Apôtres, ou du moins à ceux qui leur succèdent dans les fonctions du sacerdoce. Premièrement, disons-nous, cette parole tous, employée dans le texte, buvez-en tous, et dans cet autre, vous vous scandaliserez tous cette nuit à mon sujet, s'adresse aux mêmes personnes, comme il n'est pas possible d'en disconvenir en lisant cet endroit de l’Évangile ; car c'est une continuité de discours, et le premier texte est suivi de fort près du second ; trois versets seulement les séparent. Or, il est clair que le tous du second texte ne s'étend pas à tous les chrétiens ; car ce n'est évidemment qu'aux seuls Apôtres qu'il a été dit : Vous vous scandaliserez tous cette nuit ; donc le tous du premier texte, buvez-en tous, ne doit pas non plus s'étendre à tous les chrétiens.

En second lieu, on ne peut mieux juger quels sont ceux à qui le précepte de prendre la coupe a été adressé, qu'en considérant ceux qui obéirent à ce précepte. Il est dit d'une part : Buvez-en tous1, voilà l'ordre ; il est dit de l'autre Ils en burent tous2, voilà l'exécution ; c'est incontestablement le même tous de part et d'autre. Or, lorsqu'il est dit, ils en burent tous, on ne peut entendre par le mot de tous tous les fidèles qui dès-lors croyaient en Jésus-Christ ; car les soixante-douze disciples et les femmes dévotes attachées à la suite du Sauveur, ne se trouvèrent point au banquet sacré ; donc, quand il est dit, buvez-en tous ce n'est pas non plus à tous les fidèles que la parole a été adressée.

En troisième lieu, lorsque le Sauveur dit à ses disciples : Faites ceci en mémoire de moi, on ne peut nier que ces paroles ne renferment l'ordre de faire ce qu'ils avaient vu faire au Sauveur, et que par conséquent les disciples, en recevant l'ordre de consacrer, n'aient reçu en même temps tout le pouvoir nécessaire pour opérer ce mystère. Or, je demande si l'ordre et le pouvoir de consacrer ont été donnés à tous les fidèles. Vous ne le pensez pas, Monsieur, et vous êtes trop raisonnable pour le penser ; donc l'ordre de prendre la coupe n'a pas été donné à tous les fidèles ; car c'est aux mêmes qu'il a été dit : Faites ceci en mémoire de moi, et buvez-en tous.

Mais, nous dit-on, vous reconnaissez un précepte général de manger dans ces paroles dites aux Apôtres : Prenez et mangez, ceci est mon corps ; donc vous devez reconnaître un précepte général de boire, dans ces paroles : buvez-en tous ; car enfin, ajoute-t-on, il est clair que les paroles mangez et buvez ont été dites aux mêmes personnes ; donc si le mot de manger est pour tous les chrétiens, le mot de boire n'est pas moins pour tous.

L'objection est spécieuse, Monsieur, je l’avoue ; mais par malheur pour ceux qui la font, ils ne s'aperçoivent pas qu'elle roule sur une fausse supposition ; car c'est nous en prêter que de nous faire reconnaître dans ces paroles prenez et mangez, un précepte général pour tous les chrétiens. Nous en sommes bien éloignés, et nous soutenons que toutes les paroles adressées, dans cet endroit, par le Sauveur, à ceux qui étaient présents à la cène, soit qu'il s'agisse de boire, soit qu'il s'agisse de manger, regardaient uniquement les Apôtres, ou ne s'étendaient tout au plus qu'à leurs successeurs : faites-nous la grâce, Monsieur, de ne pas nous regarder comme assez dépourvus de sens, pour adresser une partie du même discours aux seuls conviés, et une autre partie à tous les fidèles ; de telles combinaisons ne furent jamais de notre goût. Ainsi messieurs vos ministres n'ont qu'à faire un autre compte ; car pour celui-ci nous ne consentirons jamais à l'admettre.

Mais, répliquera-t-on, il faut bien trouver un précepte qui oblige tous les fidèles à communier ; or, si l'on ne reconnaît pas de précepte pour tous les fidèles dans ces paroles : Prenez et mangez où sera-t-il donc  ? il ne s'en trouvera point dans tout l’Évangile.

Je réponds, Monsieur, que sans avoir recours aux paroles prenez et mangez, il est aisé de trouver ce précepte ailleurs, ne fût-ce que dans ces paroles du Sauveur au chapitre VI de saint Jean : C'est ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu'un en mange, il ne meure point ; celui qui mange ce pain, vivra éternellement1 ; paroles qui font assez connaître que l'usage de ce pain est absolument nécessaire pour entretenir la vie de l'âme, et que si l'on n'a soin de le manger, on n'évitera pas de périr.

Je dis de plus, que lorsque le Sauveur dit à ses disciples et à ses successeurs : Faites ceci en mémoire de moi, il leur ordonna de célébrer ce divin mystère, et de distribuer l'Eucharistie comme il venait de le faire ; or, les Apôtres et leurs successeurs n'ont pu recevoir l'ordre de distribuer l'Eucharistie, qu'il n'y ait en même temps, de la part des fidèles, une obligation de la recevoir ; donc ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi, renferment aussi un précepte, du moins indirect, pour tous les fidèles.

Je sens ici, Monsieur, naître une difficulté qui ne manquera pas de vous venir à l'esprit : il faut la proposer et la résoudre : car si je n'ai soin de le faire, il vous paraîtra infailliblement que par mes propres réponses, je viens de fournir des armes contre nous. Voici l'instance qu'on peut nous faire : vous reconnaissez, nous dira-t-on, que le Sauveur, en adressant à ses disciples et à leurs successeurs, ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi, leur a ordonné d'administrer l'Eucharistie comme ils la lui ont vu administrer ; or, il l'a administré sous les deux espèces ; donc ils ont reçu ordre, conclura-t-on, d'administrer l'Eucharistie sous les deux espèces.

Vous voyez, Monsieur, que je ne dissimule pas les difficultés, et que même je m'étudie à les mettre dans tout leur jour. On ne me reprochera pas d'avoir affaibli celle-ci ; je doute même que, si vos ministres avaient à la proposer, ils lui donnassent un tour plus plausible.

Il est néanmoins très aisé d'y répondre, et pour le faire solidement, je n'ai qu'à vous prier, Monsieur, d'observer dans quelles circonstances ont été dites ces paroles, Faites ceci en mémoire de moi. C'est immédiatement après que le Sauveur eut présenté le pain à ses disciples, et après qu'il leur eut dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps qui est donné pour vous ; c'est, dis-je, pour lors qu'il ajoute incontinent, Faites ceci en mémoire de moi. Oui, Monsieur, c'est ce pain sacré que les Apôtres ont reçu ordre de distribuer aux fidèles ; c'est ce pain sacré que les fidèles ont ordre de recevoir, puisqu'il a été ordonné aux Apôtres et à leurs successeurs, de le leur distribuer. Pour ce qui est de la coupe, quand le Sauveur l'eut présentée à ses disciples, il ne se servit pas de cette expression : Faites ceci en mémoire de moi ; mais de cette autre : Toutes les fois que vous boirez de cette coupe, faites-le en mémoire de moi1 ; en quoi il n'y a, comme vous vous voyez, Monsieur, aucun précepte de prendre la coupe, mais bien de le faire en la mémoire du Seigneur, au cas qu'on la prenne, comme qui dirait à son domestique : Toutes les fois que vous passerez le pont du Rhin, vous paierez les droits accoutumés : certainement il ne lui ordonnerait pas de passer le Rhin, mais bien de payer les droits, au cas qu'il vienne à le passer ; attention admirable de la sagesse divine, à régler de telle sorte ses expressions sur la nature des obligations, que personne n'en puisse prendre occasion de se faire de fausses idées.

Luther se récrie à son tour, sur un trait de sagesse divine, qu'il prétend faire remarquer dans la différence des paroles dont s'est servi le Sauveur en présentant l'une et l'autre espèce. « Ce n'est pas, dit-il, sans des vues particulières que le Sauveur, en présentant la coupe, dit, buvez-en tous, au lieu qu'en présentant le pain sacré, il se contenta de dire, prenez et mangez, sans y ajouter le mot de tous ; c'est qu'il prévoyait que personne ne s'aviserait de vouloir s'exempter de manger le pain sacré, et qu'il savait par avance qu'un grand nombre de chrétiens viendrait un jour à regarder l'usage de la coupe comme inutile, et à s'en dispenser. Voilà, ajoute-t-il, l'effet de la sage précaution du Sauveur ; il a eu soin d'avertir tous les fidèles de boire de la coupe, afin de les prémunir contre l'erreur et l'abus des siècles à venir2.

Qui n'admirera l'ingénieuse remarque de Luther, ou plutôt, qui ne rira de son pitoyable raisonnement ? car je demande à Luther, si le Sauveur pouvait se dispenser de dire à ses disciples: Buvez-en tous, supposé même que cet ordre ne fût que pour eux seuls ? Lorsqu'il prit le pain pour le leur donner, il le rompit et en donna à chacun sa part ; et quand il ajouta : Mangez, chacun vit ce qu'il avait à faire, sans qu'il fût nécessaire de leur dire : Mangez-en tous ; mais quand le Sauveur leur présenta la coupe, s'il ne leur eût dit : Buvez-en tous, qui ne voit que celui qui reçut le premier la coupe de sa main, eût bu toute la liqueur qui y était, sans penser à en faire part aux autres ? Il fallait donc nécessairement, pour que la coupe passât de main en main selon la vue du Sauveur, et pour qu'aucun de ceux qui étaient présents ne manquât d'y participer, leur dire : Buvez-en tous. Ainsi Luther est bien éloigné de prouver par sa réflexion sur le mot de tous, que l'obligation de prendre la coupe est commune à tous les chrétiens, puisque dans la supposition même de l'ordre donné aux seuls disciples présents, l'expression ne laissera pas de rester toujours la même. Il convenait à celui qui a osé intenter procès à l'Église, sur un usage universellement reçu et adopté dans son sein, de l'attaquer par un moyen aussi faible, pour ne pas dire aussi ridicule, et dont tout l'effet fût de faire connaître le peu de jugement, et l'imprudente témérité de l’agresseur.

Venons présentement au texte de saint Jean ; vous le verrez, Monsieur, si la difficulté qu'il offre est apparente, la réponse que nous y faisons est on ne peut plus solide, et si tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur la parole buvez-en tous, n'avait pu encore vous satisfaire pleinement, vous trouveriez dans la réponse au texte de saint Jean, de quoi dissiper en même temps tout ce qui pourrait vous rester de difficulté sur le premier texte.

J'en conviens d'abord de bonne foi, Monsieur ; ces paroles du Sauveur au chapitre VI de l'Apôtre : En vérité, en vérité, je vous le dis ; si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous ; ces paroles prises à la lettre et selon leur teneur, semblent renfermer un précepte de recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ, sous les espèces du pain et du vin ; mais avant que d'y répondre directement, permettez-moi, Monsieur, de vous faire remarquer que vos théologiens ne peuvent employer contre nous ce texte comme contenant la preuve de leur doctrine ; car ils prétendent que le sixième chapitre de saint Jean doit s'entendre de la foi en Jésus-Christ, et non de l'Eucharistie. Ainsi, s'il leur arrive de le citer contre nous, c'est moins pour établir leur sentiment, que pour nous inquiéter dans le nôtre, en nous combattant par un texte qui est de mise pour nous, et qui ne l'est pas pour eux ; de sorte qu'ils n'y trouvent aucune difficulté réelle, capable de nous persuader la nécessité de la coupe, mais seulement une difficulté de conséquence, vu l'application du texte au sujet de l'Eucharistie, application que nous reconnaissons pour juste et légitime. Quoi qu'il en soit, Monsieur, je reconnais de bonne foi, que si le texte cité ne prouve rien en votre faveur, il paraît du moins prouver contre nous ; et c'en est assez pour que je me sente obligé d'y répondre ; d'autant plus que les Hussites de Bohême, dont Luther et ses partisans ont appris à insister sur la nécessité de la coupe, en ont fait leur plus fort argument.

Ma réponse est renfermée dans un principe que vous pouvez aussi peu que nous vous dispenser de recevoir ; c'est que bien des pratiques paraissent être commandées dans l’Écriture sans néanmoins l'être réellement, et que pour distinguer sûrement les vrais préceptes, des préceptes apparents, la meilleure règle est de considérer dans quel sens les premiers chrétiens ont entendu les termes qui renferment ou paraissent renfermer la loi, comment ils l'ont observée, et quelle a été la pratique des siècles suivants. Vous savez parfaitement, Monsieur, que pour bien entendre une ordonnance civile et en prendre le véritable esprit, il faut savoir comment elle a toujours été prise et pratiquée ; je me contenterai de rapporter deux exemples, qui feront sentir la justesse et la vérité du principe.

Le premier est du XV chapitre des Actes des Apôtres, où on lit un ordre adressé aux chrétiens d'Antioche conçu en ces termes : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous, de ne vous point charger d'autre fardeau que de ces choses qui sont nécessaires ; c'est de vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des animaux suffoqués et de la fornication ; abstenez-vous de ces choses, et vous ferez bien1. Qui ne croirait, à considérer ces paroles en elles-mêmes, qu'il est défendu aux chrétiens de tous les temps, de manger du sang et des animaux suffoqués ? car enfin l'abstinence de ces aliments fait partie du fardeau ; elle est mise au rang des pratiques nécessaires ; le sang et les animaux suffoqués paraissent n'être pas ici moins défendus que la fornication, puisque tout est mis sur la même ligne. Vous ne vous faites cependant, Monsieur, aucun scrupule de manger du sang, et vous ririez de ceux que vous verriez hésiter à manger des grives et des bécasses pour avoir été prises aux lacets ; tout étranglées et suffoquées qu'elles sont, elles ne vous paraissent pas indignes de faire l'honneur de vos tables.

Où trouverez-vous, Monsieur, dans l’Écriture la dispense d'un précepte si bien marqué ? peut-être croirez-vous la voir dans cette parole de l'Apôtre, Que personne ne vous juge pour le boire et le manger1 ; ou dans celle du Sauveur, Mangez de ce que l'on vous présentera2 : mais il est évident que la défense de ne manger ni sang, ni viande suffoquée, est une restriction de la permission générale de manger tout ce qui sera présenté ; la règle ne dérogea-t-elle jamais à l'exception ? N'est-ce pas l'exception qui déroge ordinairement à la règle ? Il n'est point douteux que du temps des Apôtres, les fidèles n'aient su les passages dont vous prétendez vous autoriser ; il n'est pas moins sûr, cependant, qu'ils n'y trouvaient pas de quoi s'affranchir du précepte des Apôtres ; car ils l'observaient très exactement ; ils s'y croyaient obligés, et saint Paul, que vous citez comme fauteur de votre liberté, leur enseignait lui-même à le garder3.

La seule excuse qu'on peut alléguer pour justifier la liberté dont nous usons aujourd'hui, vous et nous, c'est donc de soutenir que l'Église a toujours regardé cette loi, quoique observée durant plusieurs siècles, comme n'étant pas essentielle au christianisme ; que cette loi a été faite pour des vues qui ne subsistent plus aujourd'hui ; qu'afin de ne point éloigner du christianisme les Juifs, prévenus d'une forte horreur pour le sang et les viandes étouffées, les Apôtres avaient cru devoir assujettir à la même abstinence les gentils qui se convertissaient ; que cette raison ayant cessé, ou du moins ne méritant plus de si grands égards, l'Église a jugé depuis, que le temps pour lequel la loi devait être en vigueur, était passé. Voilà ce qui nous met en droit de nous regarder comme affranchis de cette loi ; ce n'est point l’Écriture qui nous en enseigne l'obligation passagère ; on n'y trouve pas un mot qui le fasse connaître, nous ne l'apprenons que par la tradition et par le sentiment de l'Église. Pour vous, Monsieur, qui ne savez ni écouter l'Église, ni déférer à la tradition, mais qui faites profession de suivre pour toute règle la seule parole écrite, c'est à vous de voir en quelle conscience vous pouvez manger des aliments si expressément défendus, ou du moins qui paraissent défendus si expressément.

Un second exemple d'un précepte très apparent, et qui néanmoins n'oblige pas, se trouve au XIII° chapitre de l’Évangile selon saint Jean, où le Sauveur paraît ordonner à tous les fidèles de se laver les pieds les uns aux autres. Car enfin, Monsieur, vous voulez que les Apôtres à la cène aient représenté tous les fidèles ; mais s'ils les représentaient tous lorsque le Sauveur leur dit de participer à la coupe, comment ne les représentaient-ils pas également lorsqu'il leur dit de se laver les pieds ? Vous n'ignorez pas que comme Pierre refusait de se laisser laver les pieds, Jésus-Christ lui dit : Si je ne vous lave, vous n'aurez point de part avec moi4. Ne semble-t-il donc pas que, pour avoir part à l'amitié du Fils de Dieu, il soit nécessaire de se laisser laver les pieds ? Le Sauveur ajoute : Vous m'appelez votre maître et votre Seigneur, et vous dites bien ; car je le suis : Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre maître et votre Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l'exemple, afin que ce que j'ai fait, vous le fassiez vous-même après moi1.

Certainement, Monsieur, Jésus-Christ n'est pas moins notre maître et notre Seigneur, qu'il était le Seigneur et le maître des Apôtres ; ses exemples sont autant pour nous que pour eux : si donc les motifs de se laver les pieds sont généraux, ne semble-t-il pas que l'obligation de le faire doive être aussi générale ? d'autant plus le Sauveur finit par dire : Si vous comprenez ces choses, vous serez heureux, pourvu que vous les observiez2. Voyez-vous, dira celui qui s'avisera de vouloir insister sur la nécessité de se laver les pieds, voyez-vous comme le Sauveur a attaché le bonheur et le salut à l'observance de cette pratique ? il faut donc, conclura-t-il, que tous les chrétiens se fassent un devoir indispensable de n'y point manquer.

Malgré toutes ces apparences de loi, vous êtes bien éloigné, Monsieur, de vouloir vous y astreindre ; on connaît aussi peu chez vous que chez nous l'obligation de se laver les pieds, et vous trouveriez fort étrange que quelqu'un pensât sérieusement à en introduire l'usage dans vos assemblées, et le donnât comme nécessaire. Qu'est-ce qui nous rassure contre des ordres qui paraissent si manifestes ? l'exemple des premiers chrétiens instruits par les Apôtres, des intentions de Jésus-Christ ; nous savons qu'ils n'ont jamais regardé ces paroles comme contenant une véritable loi ; ils n'y ont trouvé qu'un conseil de pratiquer à la lettre ce qu'ils avaient vu faire au Sauveur, et de plus, une exhortation pressante de se montrer les uns envers les autres, humbles, charitables, officieux, prévenants, et prêts à se rendre des services aussi bas que le peut être celui de se laver les pieds les uns aux autres ; voilà tout ce que les Apôtres y ont conçu ; c'est le sens qu'ils ont transmis à leurs disciples, et leurs disciples à la postérité. Car si les Apôtres avaient cru devoir prendre les paroles du Sauveur dans leur signification stricte, ils n'eussent pas manqué de former les premiers chrétiens à un devoir qui leur eût été prescrit ; ils en eussent exigé la pratique ; cette pratique n'eût pas manqué de passer de siècle en siècle avec l'idée de sa nécessité, et de venir ainsi accompagnée, jusqu'à nous ; or, rien de semblable n'est arrivé : c'est donc à juste titre que nous rejetons cette explication littérale, qui nous chargerait d'une obligation de précepte.

Or, Monsieur, trouvez bon que j'applique ici la même réponse au texte : En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous3. Quelque apparence de précepte que renferment ces paroles pour obliger tous les chrétiens à recevoir les deux espèces, nous soutenons néanmoins que ce ne peut être là le véritable sens de la loi ; car, outre que dans le même chapitre, la vie éternelle est promise jusqu'à quatre différentes fois à ceux qui mangeront le pain de vie, si la loi obligeait en effet indivisiblement à manger et à boire en recevant les deux espèces, les premiers chrétiens eussent été instruits de cette obligation ; ils ne s'en fussent jamais dispensés, et ils eussent transmis jusqu'à nous, l'idée de la nécessité de la coupe.

Vous avez vu, Monsieur, et je l'ai prouvé fort amplement, que ni les premiers chrétiens ni leurs successeurs n'ont jamais été dans la persuasion de cette nécessité, puisqu'ils se sont contentés, dans mille occasions, d'une seule espèce. Ils ont même été si persuadés de leur liberté à ce sujet, qu'ils ont cessé d'eux-mêmes de prendre la coupe, avant qu'il intervînt de la part des évêques, ou du pape, ou d'un concile, aucun décret pour les en priver, comme le remarque expressément votre confession d'Ausbourg2 ; n'est-ce pas une preuve évidente de l'ignorance où, dans tous les siècles, les chrétiens ont été sur la loi dont vous voulez aujourd'hui établir l'existence ? instruits de ces paroles, Buvez-en tous, et de ces autres, En vérité, en vérité je vous le dis ; si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous, ils n'y ont cependant jamais aperçu aucun précepte ni aucune obligation pour tous les chrétiens, de communier sous les deux espèces ; il faut donc qu'en effet ce précepte ne s'y trouve pas.

Pour répondre maintenant directement au texte de saint Jean, nous disons que le Sauveur, en ordonnant de manger et de boire, a seulement exigé la réception de son corps et de son sang, de son corps qui est mangeable, et de son sang qui est potable. Si vous n'êtes pas satisfait de cette première réponse, nous disons en second lieu, que lorsqu'il s'agit de nourriture spirituelle, avoir faim et avoir soif, boire et manger se prennent souvent, dans l’Écriture, pour exprimer un seul et même objet, comme il se voit dans les passages suivants : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice3. Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n'aura plus faim, et celui qui croit en moi n'aura plus soif4. Ceux qui me mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif5. Et si cette seconde réponse n'était pas encore de votre goût, nous en ajouterions une troisième, et nous dirions que les paroles du Sauveur sont équivalentes à celles-ci : Si vous ne mangez pas ma chair et si vous ne buvez pas non plus mon sang ; c’est-à-dire, si vous ne faites ni l'un ni l'autre, ou si vous ne faites pas l'un ou l'autre, vous n'aurez pas la vie en vous. Le tour de la phrase hébraïque à laquelle saint Jean était accoutumé, souffre souvent que la particule et supplée à la particule disjonctive ou, comme je puis le faire voir par plusieurs exemples de l'Écriture.

Quoi qu'il en soit, Monsieur, les chrétiens de tous les siècles n'ont vu dans le texte de saint Jean, aucun commandement de recevoir les deux espèces ; il faut donc entendre ce texte dans quelqu'un des sens que je viens de marquer, et non dans le sens que les hussites ont prétendu faire valoir contre nous ; d'autant plus qu'il est évident que le principe de la vie, c'est non pas le manger et le boire, mais la réception de Jésus-Christ ; et certes il n'est pas croyable que le Sauveur ait voulu attacher la vie éternelle aux espèces dont il enveloppe son corps et son sang, et non pas et non pas à sa propre substance qui nous y est communiquée.

Permettez-moi, Monsieur, après toutes ces réponses, de faire une supposition qui vous fera voir combien notre manière de raisonner est uniforme et suivie, tandis que celle de vos théologiens ne se soutient en aucune façon.

Figurez-vous donc, s'il vous plaît, Monsieur, qu'un de vos plus fameux ministres, aussi entreprenant qu'habile, vienne à bout de se faire un parti, et qu'après avoir persuadé ses partisans de l'obligation de s'abstenir du sang et des viandes suffoquées, de la nécessité de se laver les pieds, et d'autres pratiques semblables, il vienne à se séparer, avec ses disciples, de votre communion, pour vaquer plus librement à ces singularités. Cent ans s'écoulent depuis le schisme formé ; le parti s'augmente ; on ne voit plus de toute part que des gens attentifs à examiner scrupuleusement la qualité des viandes, occupés à faire chauffer de l'eau, et empressés à préparer des bassins. Vos savants disputent contre ces frères séparés, et cherchent avec zèle à les ramener ; mais ceux qui ont quitté votre communion, comme vous avez quitté la nôtre, après vous avoir imités dans votre conduite, vous imitent encore parfaitement dans vos raisonnements et dans vos défenses. Ils vous reprochent de vous être écartés de la pure parole de Dieu, d'avoir plus déféré à des traditions humaines qu'à des préceptes formels de l’Écriture, ils traitent l'usage contraire d'abus insoutenable, de contravention formelle au précepte des Apôtres, à l'ordre de Jésus-Christ et à l'institution divine ; puis après vous avoir pressé vivement par toutes les remarques que j'ai déjà faites, ils vous demandent fièrement s'ils n'ont pas l’Écriture pour eux, et si l'on peut leur faire un crime de s'y tenir inviolablement attachés.

Vous comprenez sans doute, Monsieur, que ce seraient là de vains discours, pleins d'illusion, et incapables de justifier leur séparation ; or, ceux que tiennent vos ministres pour nous presser de donner la coupe, sont absolument les mêmes, il est donc juste d'en porter le même jugement. Peut-être croirez-vous y remarquer quelque différence, et direz-vous que l'Eucharistie étant un sacrement, et le lavement des pieds une simple pratique d'humilité, il faut prendre dans un sens beaucoup plus strict et plus exact, tout ce qui regarde le premier article que ce qui regarde le second ; mais où en serons-nous, Monsieur, si ces nouveaux schismatiques portent leurs prétentions jusqu'à vouloir que le lavement des pieds soit regardé comme un véritable sacrement ? Or, ne seront-ils pas très fondés à le prétendre en suivant vos propres principes ? car enfin, qu'est-ce qu'un sacrement chez vous, si ce n'est un rite extérieur, propre à signifier quelque effet intérieur de la grâce, rite accompagné d'une promesse, et autorisée de l'ordre et de l'institution de Jésus-Christ ? tous ces caractères ne se trouvent-ils pas dans l'action dont il s'agit ? ce lavement des pieds, vous diront-ils, n'est-il pas un rite extérieur, qui marque parfaitement l'opération intérieure du Saint-Esprit, par laquelle l'âme est purifiée de ses souillures ? Dieu n'a-t-il pas attaché sa grâce à ce symbole, puisque d'une part il menace Pierre de n'avoir aucune part à son amitié s'il ne lui lave les pieds, et que de l'autre il promet le bonheur à ses disciples, s'ils observent cette pratique. Ne voit-on pas également l'ordre et l'institution de Jésus-Christ clairement marquée dans ces paroles : Vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l’exemple, afin que ce que j'ai fait le premier, vous le fassiez vous-même après moi. Il ne manque donc à cette sainte pratique, concluront-ils, rien de ce qui est essentiel à un véritable sacrement.

Pour nous, Monsieur, nous ne serons pas embarrassés de leur répondre ; car nous leur dirons, que les premiers chrétiens n'ayant pas regardé le lavement des pieds comme un sacrement, ni comme une pratique d'obligation qui dût être continuée dans la suite des siècles, nous nous en tenons à la même idée, bien sûrs que les premiers chrétiens, instruits par les Apôtres, auront pris les paroles du Sauveur dans leur véritable sens.

A moins que vous n'ayez recours à la même réponse, vous ne satisferez jamais aux difficultés de ces nouveaux réformateurs de votre réforme ; mais si vous agréez cette réponse pour vous dispenser de vous laver mutuellement les pieds, daignez l'agréer aussi, lorsque nous vous la faisons pour justifier l'usage où nous sommes de ne pas donner la coupe à tous ; car nous savons également par le sentiment des premiers chrétiens et de leurs successeurs, que la coupe ne passa jamais pour être d'une obligation indispensable. Si donc messieurs vos ministres veulent sérieusement nous porter à donner au peuple la communion sous les deux espèces, il faut qu'ils commencent par se laver mutuellement les pieds, qu'ils en introduisent l'usage dans vos assemblées, et qu'ils s'abstiennent des viandes défendues par les Apôtres ; alors leurs paroles soutenues par leur exemple pourront faire quelque impression sur nous. Mais quand nous les verrons se rassurer sur certains points par la tradition et par l'usage des chrétiens, contre l'apparence du précepte, tandis que par rapport à d'autres points, et nommément par rapport à la coupe, ils insistent sur l'apparence du précepte, en méprisant la tradition, leur façon d'agir et de raisonner ne pourra nous paraître qu'inégale, irrégulière, et par là même digne d'un profond mépris.

S'il y a quelque différence à remarquer dans la supposition que j'ai faite, ce ne peut être que par rapport au schisme de l'un et de l'autre parti. Car ces nouveaux venus, en se séparant de vous, comme je l'ai dit, n'auraient quitté qu'une Église particulière, nouvelle, bornée sans autorité et sans caractère pour les rassurer ; au lieu que vous, en abandonnant notre communion pour des sujets non moins utiles, vous avez quitté une Église qui renfermait toutes les nations chrétiennes et orthodoxes dans son sein, une Église qui seule n'est pas sortie d'aucune autre Église chrétienne, d'une Église enfin qui, munie des promesses de Jésus-Christ, pouvait et devait calmer parfaitement toutes vos inquiétudes.

5ème proposition : LA COMMUNION SOUS UNE SEULE ESPÈCE N'EST PAS CONTRAIRE A L'INSTITUTION DE JÉSUS-CHRIST.

Mais il est temps de passer au dernier article, et de faire voir en cinquième lieu, que la communion sous une seule espèce est aussi peu contraire à l'institution de Jésus-Christ, qu'à son commandement. C'est, Monsieur tout ce qui me reste à faire pour achever de traiter l'importante matière sur laquelle on vous a si étrangement prévenu. Pour peu que vous continuiez à y donner votre attention, vous ne manquerez pas de découvrir l'artificieuse malignité qui a su profiter de je ne sais quelles vaines apparences pour jeter vos ancêtres dans l'erreur, et qui en profite encore aujourd'hui pour vous retenir vous-même dans le schisme.

Il est incontestable, Monsieur, qu'on ne doit pas d'abord passer pour agir contre l'institution de Jésus-Christ, dès qu'on n'observe pas généralement toutes les pratiques employées par Jésus-Christ dans l'institution de la cène. Le Sauveur a rompu le pain, messieurs vos ministres ne le rompent pas ; il a mis la coupe entre les mains de ses disciples, avec ordre de la faire passer de l'un à l'autre ; c'est ce qui ne se pratique pas chez vous, où le diacre retient la coupe en la présentant. Jésus-Christ a célébré la cène le soir après souper ; on ne l'administre chez vous que le matin, et avant d'avoir fait aucun repas. Le Sauveur ne s'est point servi de deux sortes de vin, blanc et rouge, il n'en a consacré que d'une seule couleur ; on emploie chez vous indifféremment l'un et l'autre, sans s'astreindre à la qualité de celui qui fut donné aux disciples. Si quelqu'un s'avisait de vous blâmer sur tous ces chefs, et vous reprochait d'agir en cela contre l'institution de Jésus-Christ, il vous causerait assurément plus de surprise que d'embarras ; vous lui diriez qu'aucun de ces détails n'a été ordonné par le Sauveur au moment de l'institution ; que de plus, ces particularités ne sont pas essentielles au sacrement, et qu'ainsi il doit être libre de les observer ou de ne les observer pas. Ainsi, Monsieur, vous jugez vous-même, qu'à moins d'agir contre quelque ordre donné, ou de manquer à quelque point d'où dépende l'essence du sacrement, on ne s'écarte pas de l'institution.

Cette idée est juste, Monsieur, et vous n'avez qu'à la suivre pour vous convaincre vous-même de la frivolité du reproche qu'on nous fait d'agir contre l'institution ; car, premièrement, je crois avoir prouvé solidement que l'institution de la cène n'a été accompagnée d'aucun ordre de recevoir la coupe ; si donc je prouve présentement qu'il n'est point de l'essence du sacrement de recevoir les deux espèces, vous conviendrez, Monsieur, que nous serons parfaitement justifiés de tout reproche.

Serait-il possible, disons-nous, que les chrétiens de tous les siècles eussent ignoré ce qui fait l'essence du sacrement de l'Eucharistie ? s'ils eussent regardé la réception des deux espèces comme essentiellement nécessaire, se fussent-ils contentés dans tant d'occasions de n'en recevoir qu'une ? vous nous accusez de mutiler le sacrement : que n'enveloppez-vous dans la même accusation, tant de courageux martyrs, tant de saints anachorètes, tant de zélés pasteurs qui réservaient seulement le pain eucharistique pour l'usage des malades ; tant de moribonds, qui après avoir reçu le corps du Seigneur, restaient parfaitement tranquilles, sans s'inquiéter en aucune façon de n'avoir pas reçu la coupe ? Cette illustre troupe vous paraît trop respectable pour lui faire le même reproche qu'à nous ; mais trouvez bon, Monsieur, que nous nous plaignions d'être dans le même cas et de recevoir un traitement si inégal. Car enfin, ou ces premiers chrétiens ont été aussi coupables que nous, ou nous sommes aussi innocents qu'eux. Du moins est-il bien évident que dans le premier âge de l'Église, on ne regardait pas l'indivisibilité des deux espèces comme essentielle au sacrement, encore moins dans les siècles suivants ; car si les chrétiens du moyen âge de l'Église eussent été dans l'idée que recevoir une seule espèce, c'est mutiler le sacrement, comment eussent-ils cessé d'eux-mêmes de participer à la coupe ? J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, Monsieur, et c'est l'aveu bien formel de votre confession d'Ausbourg1 ; elle avoue que cet usage s'est éteint sans l'entremise d'aucune autorité ecclésiastique ; et que le désistement volontaire des peuples, a seul introduit la communion sous une seule espèce. Votre Calixte a si parfaitement reconnu la même vérité, qu'il a même cherché à nous en convaincre par le témoignage de nos propres auteurs, et entre autres par celui du célèbre chancelier de l'université de Louvain, Rouard Tapper, dont il rapporte les paroles suivantes : « Le peuple chrétien s'est porté de son propre mouvement et de sa propre volonté à ne prendre plus qu'une seule espèce, c'est ainsi que la communion sous les deux espèces s'est insensiblement abolie1. »

Or, Monsieur, que voit-on dans ce fait si authentiquement avoué, sinon une persuasion ferme et constante qui a toujours régné dans le christianisme, et n'a jamais laissé douter les fidèles de l'intégrité de la communion faite sous une seule espèce  ? Qui nous dira quand cette persuasion a commencé à se glisser dans les esprits ? nous nommerait-on l'auteur qui l'a fait naître et lui a donné cours ? ne la voit-on pas établie dès le temps des premières persécutions, se soutenir dans les siècles où la vie ascétique était la plus florissante, se continuer par des pratiques particulières ou publiques, et se terminer enfin par un accord libre et général de tous les fidèles à se contenter d'une seule espèce ? C'est ainsi qu'une tradition constante assure l'intégrité du sacrement à ceux qui ne reçoivent qu'une seule espèce ; mais la même intégrité ne leur est-elle pas également assurée par les paroles et l'exemple même du Sauveur ? Vous avez vu, Monsieur, les promesses de Jésus-Christ, réitérées jusqu'à quatre fois en faveur de ceux qui mangent le pain sacré. Jésus-Christ eût-il attaché à la manducation un plein droit à la vie éternelle, si, en se bornant à manger de ce pain, on ne recevait en effet que la moitié du sacrement ? se fût-il contenté, après s'être mis à table avec deux de ses disciples qui l'avaient accompagné jusqu'à Emmaüs, de leur présenter le pain eucharistique, sans y ajouter la coupe, si c'était là tronquer et mutiler le Sacrement ?

Je n'ignore pas, Monsieur, les efforts de vos théologiens, pour dérober à l'action du Sauveur la qualité d'action sacramentelle ; mais je vous prie de considérer le texte où est consigné le fait, et de juger si c'est donner dans la vision, que de prétendre y voir une véritable communion. Jésus étant avec eux à table, dit saint Luc, prit du pain, le rompit et le leur présenta ; aussitôt leurs yeux furent ouverts, et ils le reconnurent, et il disparut de devant eux2.

Se peut-il une description plus exacte de la cène ? n'y voit-on pas la bénédiction du pain, la fraction, la distribution et l'effet visible du Sacrement qui opéra dans le moment même, ouvrit les yeux à ceux qui les avaient fermés et leur fit connaître Jésus-Christ ? et comment donc, à de tels indices, ne pas reconnaître la divine Eucharistie ? Certainement l'auteur de votre apologie a été moins hardi et de bien meilleure foi que la plupart de vos théologiens modernes ; car il n'a osé disconvenir que le texte de saint Luc ne doive s'entendre de l'Eucharistie ; il s'est contenté de dire en général, qu'il y avait plusieurs endroits de l’Écriture où il est parlé seulement de la fraction du pain, quoique le boire et le manger y soient également compris3. Mais si Mélanchthon a fait paraître un peu de bonne foi d'un côté, on ne peut s'empêcher de remarquer, de l'autre, qu'il a eu recours à l'artifice, en faisant une réponse générale, comme si elle pouvait s'appliquer au sujet présent, quoique le sujet, il le sentait bien, ne la souffre en aucune façon. Car n’est-il pas évident par le texte, que les deux disciples reconnurent Jésus-Christ à l'instant même où il leur présenta le pain, et que le même moment qui leur fit voir Jésus-Christ, le fit aussi disparaître à leurs yeux, sans laisser aucun intervalle pour leur donner le loisir de recevoir la coupe  ?

Peut-être, Monsieur, les réflexions que viens de faire ne vous convainquent pas encore assez ; veuillez donc, je vous prie, approfondir la nature et l'essence même du sacrement de l'Eucharistie, et juger vous-même si celui qui reçoit Jésus-Christ tout entier sous et avec un symbole visible, qui marque l'effet essentiel du sacrement, ne reçoit pas en effet un sacrement parfait, et toute l'essence du sacrement. Or, celui qui ne reçoit qu'une seule espèce, ne reçoit-il pas Jésus-Christ tout entier ? N'ai-je pas droit de le demander, ou plutôt de le supposer comme un point déjà invinciblement établi ? Ne reçoit-il pas aussi un symbole visible qui marque l'effet essentiel du sacrement ? car qu'est-ce que l'effet essentiel du sacrement de l'Eucharistie, si ce n'est la réfection et la nourriture de l'âme ? réfection qui certainement n'est pas mal indiquée par le pain eucharistique. On ne peut donc disconvenir qu'il n'y ait ici un véritable symbole où est renfermé Jésus-Christ tout entier ; donc on ne peut se dispenser de reconnaître qu'en recevant une seule espèce, on ne reçoive tout ce qui appartient à l'essence du Sacrement.

J'avoue, Monsieur, que les espèces du pain et du vin, jointes ensemble, représentent mieux la réfection de l'âme que ne le peut faire l'une ou l'autre espèce prise séparément, puisque la réfection complète consiste dans le boire et dans le manger ; mais je soutiens en même temps, qu'il n'est nullement nécessaire, pour l'essence du sacrement, que la représentation soit aussi parfaite qu'elle le peut être ; nous en avons un exemple bien manifeste dans le Baptême. Car que signifie ce sacrement ? n'est-ce pas que comme le corps est lavé de ses taches, de même l'âme est aussi parfaitement purifiée de ses péchés ? et que comme Jésus-Christ est sorti du tombeau pour ressusciter à une vie nouvelle, de même aussi le pécheur sort de l'état du péché pour ressusciter à la vie de la grâce1 ? Or, n'est-il pas incontestable, Monsieur, que l'immersion ou le plongement dans l'eau, si longtemps en usage dans l'Église, représente mieux cet effet du Baptême, que ne le fait la simple infusion ? car peut-on disconvenir qu'un corps plongé dans l'eau ne soit mieux lavé de ses taches, qu'un corps légèrement arrosé sur la tête ? Ne voit-on pas également qu'un corps tiré de l'eau, après y avoir été comme enseveli par l'immersion, représente beaucoup mieux, et la résurrection du Sauveur sortant du tombeau, et l'état de l'âme rappelée de la mort du péché à la vie de la grâce ? Vous êtes néanmoins fort tranquille, Monsieur, sur l'efficacité et la vertu du baptême que vous avez reçu par infusion ; tant il est vrai que vous ne pensez pas vous-même que la représentation la plus parfaite soit essentielle au Sacrement.

N'est-il pas bien étonnant que les chefs de votre réforme, suscités, comme ils le prétendent, pour rappeler tout à sa première origine, n'aient pas entrepris de réformer le Baptême, et exigé l'immersion ? Luther convient que le mot de baptiser signifie plonger2 ; vos articles de Smalcalde reconnaissent que le plongement dans l'eau est conforme à l'institution et au précepte de Jésus-Christ3 ; nous savons par l'histoire ecclésiastique, que le Baptême se conférait encore par immersion sur la fin du treizième siècle1. Comment donc vos ministres peuvent-ils se rassurer en ne donnant pas le Baptême selon la juste signification du mot, selon la pratique de Jésus-Christ et des Apôtres, selon l'usage de treize siècles entiers ? surtout quand la représentation de l'effet du sacrement est incomparablement plus exacte par le plongement que par l'infusion. C'est encore ici, Monsieur, un bel article à ajouter aux griefs des nouveaux schismatiques qui se sépareraient de vous, sous prétexte que Luther n'a pas poussé la réforme assez loin.

Vous nous direz sans doute que l'Église ayant administré le baptême par infusion pendant plusieurs siècles, il n'est point à présumer que tous les chrétiens aient été mal baptisés pendant un temps si considérable ; nous répliquons que l'Église ayant administré l'Eucharistie sous une seule espèce, pendant un pareil nombre de siècles (car c'est à peu près au même temps que la pratique de l'un et de l'autre est devenue générale), il n'est point à présumer que tous les chrétiens aient mal communié pendant un si long espace de temps.

Vous ajouterez que les ministres de l'Église s'étant dispensés, dans plus d'une occasion, de donner le Baptême par immersion, sans que les fidèles s'en offensassent, il faut bien qu'on n'ait jamais regardé l'immersion comme essentielle au Baptême. Nous répondons que les ministres de l'Église s'étant dispensés, dans plus d'une occasion, de donner la coupe, et que les fidèles s'en étant souvent abstenus d'eux-mêmes, il faut bien qu'on n'ait jamais regardé la réception des deux espèces comme essentielle à l'Eucharistie.

Vous direz de plus, qu'il y avait plusieurs inconvénients à baptiser par immersion ; que des enfants faibles ou malades pouvaient en être notablement incommodés ; qu'il était difficile de ménager assez les bienséances en baptisant de cette sorte les adultes, et surtout les personnes du sexe, et que pour éviter de tels inconvénients, l'Église, juge naturel de ce qui est essentiel aux sacrements, comme de ce qui ne l'est pas, maîtresse de changer tout ce qui n'intéresse pas leur substance, a sagement ordonné de s'en tenir à la simple infusion.

Nous disons également qu'il y avait plusieurs inconvénients à donner la coupe ; qu'il était presque impossible de ne point répandre le sang, malgré les plus soigneuses précautions, en le présentant à une grande multitude de communiants, parmi lesquels il se trouve toujours un grand nombre de maladroits ; qu'il était difficile de heurter de front certaines aversions presque insurmontables, et communes à la plupart des honnêtes gens parmi des nations entières ; qu'on ne pouvait, sans une espèce de dureté, les obliger à boire après des bouches sales, infectes, puantes et propres à soulever le cœur ; que pour éviter ces sortes d'inconvénients et plusieurs autres, l'Église, instruite par une tradition constante, de la suffisance d'une seule espèce, a sagement maintenu par un décret du concile de Constance l'usage auquel le peuple s'était porté de lui-même, et dans lequel il persévérait depuis un très grand nombre d'années.

Vous voyez, Monsieur, que le parallèle est parfaitement juste, et que si les raisons alléguées pour la défense de votre Baptême sont bonnes, les raisons alléguées pour la défense de notre communion le sont également. Si donc vous n'agréez pas notre justification sur le retranchement de la coupe, vous aurez de justes sujets d'inquiétude sur votre Baptême, et ne pourrez plus en aucune façon le justifier. Qu'il est beau d'avoir des principes suivis et de raisonner partout d'une manière uniforme ! C'est le caractère et l'avantage des défenseurs de la vérité ; mais se démentir partout, s'accommoder de certains principes quand on en a besoin, et les abandonner aussitôt qu'on n'y trouve plus son compte, c'est là le caractère de l'erreur et des téméraires entreprises.

Malgré tant de solides raisonnements qui seront goûtés par toute personne de bon sens fidèle à ne pas trop écouter ses préjugés, on ne laisse pas de donner le tour le plus malin à la conduite de l'Église, et d'empoisonner ses plus saintes intentions. Lisez, disent vos ministres à leurs ouailles, lisez ce que les évangélistes marquent de l'institution de l'Eucharistie ; vous trouverez en saint Matthieu, en saint Marc et en saint Luc, que Jésus-Christ prit le pain et le bénit, qu'il en fit autant de la coupe, qu'il présenta l'un et l'autre à ses disciples dont la personne figurait celle de tous les fidèles, et que nul d'entre eux ne fut privé de recevoir également l'un et l'autre ; et pour qu'on ne vous dise pas, ajoutent-ils, que les Apôtres étaient prêtres, et qu'ainsi il ne faut pas s'étonner de les voir communier sous les deux espèces, c'est que selon le témoignage de la première aux Corinthiens, le commun des fidèles recevait l'Eucharistie de la même façon, et que l'Apôtre saint Paul, après leur avoir appris la manière dont le sacrement devait être administré chez eux, dit avoir appris du Seigneur même, ce qu'il leur en avait marqué1 : Il n'y a donc que l'amour de la distinction, concluent-ils, qui ait pu porter les prêtres à enlever au peuple la coupe, contre l'institution de Jésus-Christ.

Ce discours a sans doute de quoi éblouir le peuple, surtout quand, d'ailleurs, il s'est laissé prévenir ; mais pour en faire voir l'artifice et la malignité, il suffit de mettre les mêmes paroles dans la bouche de ceux qui se sépareraient de vous, et qui, parmi les dogmes et les pratiques dont la discussion serait le sujet de leur séparation, soutiendraient qu'il faut recevoir l'Eucharistie le soir et après souper. Lisez, vous diront-ils, ce qui est rapporté par les évangélistes, de l'institution de l'Eucharistie ; d'après saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, c'est le soir et après souper que le Sauveur donna à ses disciples le sacrement de son corps et de son sang ; et afin que vous ne vous imaginiez pas que c'est là une heure indifférente, à laquelle le peuple ne doit pas être astreint, vous trouvez dans l’épître aux Corinthiens, que les fidèles de cette Église s'assemblaient le soir pour participer aux divins mystères ; aussi est-ce la cène du Seigneur ; la cène ne doit et ne peut se célébrer le matin. Saint Paul remarque, ajouteront-ils, que c'est à l'entrée de la nuit où Jésus allait être livré2, qu'il institua ce sacrement ; le distribuer à la même heure, c'est rendre tout autrement vive l'image de sa passion ; c'est représenter le temps où la puissance des ténèbres se déchaîna contre le Sauveur, et comment il fut livré à l'aveugle fureur de ses ennemis ; c'est donc un étrange abus, concluront-ils, d'avoir changé cette heure, et rien ne peut être plus contraire à l'institution de la cène, que de la recevoir le matin.

Vous voyez, Monsieur, que ce discours est parfaitement semblable à celui de vos ministres ; mais qu'y remarquez-vous, si ce n'est un tour artificieux propre à surprendre le peuple, et à se jouer de sa simplicité ? En effet, que les nouveaux schismatiques, dont nous supposons la société séparée de la vôtre, soient parfaitement établis dans l'usage de communier le soir après souper, et qu'ils se trouvent engagés dans la dispute avec vous sur cet article, n'auront-ils pas à faire contre l'heure de votre cène des objections aussi plausibles que toutes les difficultés imaginées par vos docteurs contre la suppression de la coupe ? Et votre peuple, habitué à juger de tout par les Écritures, ne sera-t-il pas fortement tenté, pour ne pas dire forcé, de reconnaître qu'ils ont raison ?

Mais que répondront vos savants à ce sophisme ? et que peuvent-ils répondre, sinon que le Sauveur n'a pas ordonné de communier le soir ; que cette heure ne fait rien à l'essence du sacrement, et qu'en ne l'observant pas, on ne doit pas être censé agir contre l'institution ?

Vous agréez sans doute, Monsieur, cette réponse, et elle est bonne  ; agréez-la donc aussi de notre part, si nous sommes également en droit de la faire. Or, Monsieur, n'ai-je pas suffisamment prouvé, qu'il n'a été fait aucun commandement au commun des fidèles de recevoir les deux espèces, et que de plus il n'est point de l'essence du sacrement, de les recevoir toutes deux. Ainsi, que vos ministres commencent par prouver le contraire de l'un ou l'autre de ces deux articles ; mais comment y réussiraient-ils, puisqu'ils ont à combattre toute l'antiquité et le sentiment des chrétiens de tous les siècles ? cependant, il faut le reconnaître, s'ils ne peuvent fournir cette démonstration, ils auront beau multiplier les remarques sur le texte des évangélistes, sur les paroles de saint Paul, sur la pratique des chrétiens de Corinthe ; toutes ces remarques pourront aussi peu nous convaincre d'agir contre l'institution, en nous bornant à une seule espèce, que de semblables remarques faites sur l'heure de la cène seront peu capables de vous convaincre d'agir contre l'institution, en ne donnant la communion que le matin.

Qu'après cela Calixte vienne nous dire « qu'instituer le sacrement sous les deux espèces, c'est commander de le recevoir sous les deux espèces1 ; » comment nous prouverait-il bien une si étrange proposition ? quoi donc ? est-ce qu'instituer le mariage, c'est ordonner à tous les fidèles de se marier ? instituer le sacerdoce, est-ce ordonner à tous les fidèles de se faire prêtres ? instituer l'Eucharistie le soir, est-ce ordonner de ne distribuer que le soir l'Eucharistie ? Mais, nous dit Calixte, par une rare subtilité : « Autre chose est, que le Sauveur ait institué l'Eucharistie le soir ; autre chose, qu'il l'ait instituée pour n'être distribuée que le soir2. » Oui, sans doute, et nous l'entendons bien ainsi ; mais ne dirons-nous pas également, qu'autre chose est d'instituer l'Eucharistie sous les deux espèces, et autre chose est de l'instituer pour qu'elle soit reçue sous les deux espèces par tous les fidèles.

C'est à Calixte à prouver que tel a été là en effet le dessein du Sauveur ; mais ce ne sera pas par cette belle maxime, que l'institution est équivalente à un commandement, ni par je ne sais quel raffinement de réflexions maladroitement employées pour l'appuyer, qu'il vien

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d'une autorité légitime. Par exemple, à ne considérer que l'institution, n'est-il pas permis de rompre le pain, de faire passer la coupe de main en main, de célébrer la cène le soir ? vous l'avouerez, Monsieur, aucune de ces cérémonies n'a été défendue par Jésus-Christ ; et qui plus est, si elles s'observaient toutes, elles établiraient un rapport plus exact avec ce que le Sauveur a pratiqué lui-même.

Si néanmoins quelqu'un de vos ministres entreprenait aujourd'hui par sa propre autorité, de célébrer la cène le soir, s'il se mettait à rompre le pain et à donner à chacun son morceau rompu ; s'il se dessaisissait de la coupe pour l'abandonner aux communiants, avec ordre de la faire passer de main en main, je suis sûr, Monsieur, que sa conduite vous déplairait fort, et que vous le regarderiez comme bien orgueilleux et bien téméraire, de vouloir ainsi se distinguer des autres pasteurs. Nous n'avons donc qu'à vous le demander à notre tour : le Sauveur a laissé libre de communier le soir après souper ; pourquoi trouveriez-vous mauvais, que quelqu'une de vos communautés voulût communier le soir ? vous diriez sans doute, que l'usage contraire a été établi par de sages règlements, qu'il est fondé sur de bonnes raisons, qu'il ne convient pas de suivre le goût et la fantaisie des particuliers au préjudice de l'uniformité. C'est, Monsieur, justement la réponse que le concile de Constance fait à votre objection pour justifier l'usage de communier sous une seule espèce : « puisque cette coutume, dit-il, introduite pour de bonnes raisons, par l'Église et les saints Pères, a été observée pendant un temps considérable, il faut la regarder comme une loi, qu'il n'est plus permis de rejeter ni de changer, indépendamment de l'autorité de l'Église elle-même1. » Ces paroles du concile me donnent lieu de faire ici remarquer un trait de mauvaise foi aussi singulier dans son espèce, qu'il est commun aux auteurs protestants dans leurs écrits sur cette matière, où ils reprochent avec beaucoup d'aigreur à ce concile, d'avoir dit que « quoique le Sauveur ait institué l'Eucharistie sous les deux espèces, il faut néanmoins, et nonobstant cela, ne donner aux laïques que la seule espèce du pain. »

Kemnitius traité cette expression « de scanaleuse et d'impie, et dit que les papistes en ont aujourd'hui honte eux-mêmes2. » Luther, pour cette raison, n'appelle le concile de Constance, que le concile de nonobstance. Or, croiriez-vous, Monsieur, que cette expression ne se trouve pas dans le concile ? Non, Monsieur, elle n'y est pas telle qu'on la rapporte, et je dis de plus, que quand elle y serait, elle ne mériterait aucune censure.

Voici les paroles du concile : « Quoique Jésus-Christ ait institué cet adorable sacrement le soir après souper, et qu'il l'ait administré à ses disciples sous les deux espèces du pain et du vin, il a été néanmoins et nonobstant cela, sagement réglé par l’autorité des saints canons, et il est établi par une coutume louable et approuvée de toute l'Église, qu'il ne faut point consacrer après souper, ni distribuer ce sacrement aux fidèles qui ne seraient pas à jeun, hors le cas de maladie ou de nécessité3. » Vous le voyez, Monsieur, le quoique regarde l'heure de l'institution ; le néanmoins et le nonobstant tombent sur le temps auquel il faut communier, et sur la disposition des communiants qui doivent être à jeun, sans qu'il soit fait dans cette période, dont on suppose la teneur si scandaleuse, aucune mention de l'usage où nous sommes de ne recevoir qu'une seule espèce.

Je dis plus, quand même l'expression serait telle qu'on l'impute faussement au concile, il n'y aurait aucun sujet raisonnable de s'en offenser ; car, pourquoi vous serait-il permis de dire : « Quoique Jésus-Christ en instituant l'Eucharistie ait rompu le pain, néanmoins et nonobstant cela, nous ne le rompons pas ; Quoique Jésus-Christ ait fait passer la coupe de main en main, néanmoins et nonobstant cela, nous n'en usons pas ainsi ; Quoique Jésus-Christ ait lavé les pieds à ses disciples avant de célébrer la cène, néanmoins et nonobstant cela, nos ministres ne le font pas à l'égard de ceux qui doivent approcher de la sainte table ? » Pourquoi toutes ces expressions seront-elles innocentes dans votre bouche, et qu'à nous, ce sera un crime et une impiété de dire : « Quoique Jésus-Christ ait institué l'Eucharistie sous les deux espèces néanmoins et nonobstant cela, nous ne donnons aux laïques, que la seule espèce du pain ? » Quel sujet de critique y trouve-t-on, s'il est vrai, comme je l'ai prouvé si amplement, qu'il n'est point essentiel au sacrement, de recevoir les deux espèces ? En vérité, il faut avoir une étrange envie de mordre, quand, pour donner de meilleurs coups de dents, on ne craint pas de falsifier si honteusement un texte, sans s'apercevoir que, quand le texte serait comme on veut le faire, les coups de dents porteraient à faux, et ne trouveraient aucune prise.

Je ne puis pardonner davantage à votre Calixte, d'avoir fait un raisonnement propre à en imposer aux simples, sans s'apercevoir que si son raisonnement était juste, il conclurait également contre lui. Voici comme il raisonne avec la ferme confiance de nous terrasser par la force de sa dialectique : « Le prêtre, dit-il, qui donne aujourd'hui la communion sous les deux espèces, pèche, à ce que prétendent les catholiques, parce qu'il agit contre la défense du pape : ce prêtre néanmoins, en donnant les deux espèces, administre l'Eucharistie comme Jésus-Christ l'a instituée ; donc celui qui agit conformément à l'institution de Jésus-Christ, pèche, parce qu'il agit autrement que pape ne l'a ordonné1. » Or, c'est là, à ce que prétend Calixte, la plus absurde des prétentions.

Cet auteur est plaisant de ne nous parler ici que du pape, comme si tous les évêques du monde chrétien et orthodoxe n'avaient pas également concouru à former le décret du concile de Constance, pour maintenir un usage déjà établi. Mais ce n'est pas là le point dont il s'agit maintenant, je prétends seulement faire remarquer ici la mauvaise subtilité de Calixte en la tournant contre lui. Un ministre protestant, dirai-je également, qui donne la communion à son peuple le soir, est blâmable, parce qu'il va contre le règlement des consistoires : ce ministre néanmoins, en donnant la communion le soir, administre l'Eucharistie comme Jésus-Christ l'a instituée ; donc celui qui fait comme Jésus-Christ l'a institué est blâmable qu'il agit autrement que les consistoires ne l'ont réglé. Y a-t-il là moins de ridicule que dans la conclusion précédente ?

Calixte ne savait donc pas, ou faisait semblant de ne pas savoir que le divin instituteur des sacrements a laissé à l'Église le pouvoir de changer tout ce qui n'est pas de leur essence ; qu'en chargeant l'Église d'administrer les sacrements, il l'a aussi revêtue d'une autorité respectable et propre à se faire obéir, quand elle en réglerait la dispensation ; et qu'ainsi des usages conformes d'ailleurs à l'institution, par cette autorité de l'Église, passent du rang des pratiques libres et indifférentes, au rang des cérémonies défendues.

Si Calixte eût fait attention à ces principes, qu'il n'est permis ni d'ignorer ni de contredire, il se serait peut-être dispensé de se mettre l'esprit si fort à la gêne pour nous faire des raisonnements, où vous voyez, Monsieur, qu'il n'y a pas ombre de solidité. Ou plutôt ne me sera-t-il pas permis de le soupçonner d'avoir bien senti la faiblesse de ses raisons, et de s'être appliqué à les envelopper de ces tours si étudiés, pour surprendre plus aisément le grand nombre de ses lecteurs peu faits à ces sortes de chicanes ? Mais au lieu de tant compter sur le peu de pénétration de ses amis, ne devait-il pas se défier de la clairvoyance de ses adversaires, et ne pas s'exposer à voir ainsi dévoiler ces petites ruses de logique, peu dignes de cette réputation de grand théologien qu'il s'est acquise parmi vous, et dont il n'est pas peu redevable à votre bonté pour lui ?

Quant à l'amour de la distinction, qu'on reproche à nos prêtres, comme si c'était le désir de s'élever au-dessus du commun des fidèles qui les eût portés à se réserver la coupe pour eux seuls, sans en faire part au peuple ; comment n'a-t-on pas remarqué, que les prêtres, dès qu'ils communient sans célébrer, ne reçoivent plus la communion que comme les autres fidèles, je veux dire sous la seule espèce du pain. Prêtres, évêques, cardinaux, pape, tous, lorsqu'ils ont à recevoir le viatique, s'avisent-ils jamais d'exiger la participation à la coupe ? et quand hors d'état de dire la messe, ou par incommodité, ou par quelque autre empêchement, ils ont la dévotion de vouloir communier, ne se contentent-ils pas de ce qui est donné aux laïques ? pensa-t-on jamais à les privilégier ? Si c'est l'amour de la distinction qui les gouverne, comment cet amour ne les accompagne-t-il pas lorsqu'ils s'approchent de l'autel, non pour y célébrer le sacrifice, mais pour participer au sacrement ? le désir de se distinguer s'étoufferait-il tout-à-coup, lorsqu'il y a les mêmes raisons de le voir également subsister ? Que la malignité est outrée dans ses réflexions, et qu'elle réussit mal dans ses conjectures ! elle pensait ici faire d'heureuses découvertes, et elle ne fait que se découvrir elle-même.

Mais, nous demande-t-on, pourquoi le prêtre, quand il célèbre, ne se dispense-t-il jamais de prendre la coupe ? c'est, Monsieur, parce que la nature du sacrifice l'exige ainsi ; c'est un sacrifice selon l'ordre de Melchisedech qui offrit du pain et du vin au Très-Haut ; il faut employer la même matière au sacrifice nouveau ; autrement on ne saurait lui conserver cette qualité. C'est de plus, un sacrifice destiné de sa nature à représenter le sacrifice de la croix, en marquant la séparation du sang et du corps, opérée sur le calvaire ; or, cette représentation ne peut se faire exactement que par les deux symboles, dont l'un marque le corps, l'autre le sang, et les paroles qui se prononcent en consacrant l'un et l'autre, nous retracent parfaitement la division réellement exécutée au jour de la passion. Aussi ne s'est-il vu, depuis le commencement du christianisme, aucun exemple de prêtre qui ait célébré le sacrifice avec une seule espèce, tandis qu'il s'est vu des millions de communiants qui se sont contentés de recevoir la seule espèce du pain. C'est donc dans la nature du sacrifice, et non dans la vanité des prêtres, qu'il faut chercher la raison de la distinction établie entre les prêtres et le peuple, concernant l'usage de la coupe.

CONCLUSION.



Je ne m'aperçois pas, Monsieur, qu'en donnant trop d'étendue à ma matière, je me mets en danger de vous ennuyer. Il est donc temps de penser à finir, et je le ferai en vous priant de réfléchir, si après tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire touchant la communion sous une seule espèce, cet article a pu être pour vos ancêtres un sujet légitime de se séparer de nous. Rappelez-vous, s'il vous plaît, les points capitaux exposés sur cette matière. Vous avez vu qu'en recevant une seule espèce, on reçoit autant qu'en recevant les deux ; que Jésus-Christ promet à la réception d'une seule espèce, les mêmes avantages qu'à la réception conjointe de l'une et l'autre ; que les premiers chrétiens, loin de se faire aucune obligation de recevoir les deux espèces, se sont contentés très souvent de n'en recevoir qu'une ; que dans tout l’Évangile, il ne se trouve aucun précepte qui oblige tous les fidèles à participer à la coupe ; que l'usage d'une seule espèce n'a rien de contraire à l'institution de Jésus-Christ.

Voilà, Monsieur, les articles que je m'étais chargé de démontrer, je crois l'avoir fait en fournissant des preuves telles que je les ai promises, preuves de nature à pouvoir et à devoir contenter tout esprit raisonnable ; et si l'attention avec laquelle vous les avez examinées n'a point été affaiblie par je ne sais quelle pente naturelle à mépriser, à dédaigner, à rejeter tout ce qui choque les premières idées dont on s'est laissé prévenir, je me tiens assuré que je ne passerai pas dans votre esprit pour m'être avancé témérairement, et que je n'aurai point à essuyer le reproche de vous avoir manqué de parole.

Qu'y a-t-il donc dans l'article de la communion sous une seule espèce, qui puisse fonder en aucune manière, la justice de votre séparation ? Ne savons-nous pas que les chefs de votre prétendue réforme ont eux-mêmes regardé cet article comme un point de très petite conséquence ? Luther, après s'être ouvertement révolté contre l'Église, censura grièvement Carlostadt, d'avoir, contre son avis, établi la communion sous les deux espèces, lui reprochant de mettre toute la réforme dans des choses de néant1. » Dans une instruction qu'il écrivit sur ce sujet en 1522, il dit en termes exprès : « Si vous arrivez dans un endroit où l'on ne donne qu'une seule espèce, contentez-vous de n'en recevoir qu'une ; si l'on y donne les deux, recevez les deux, et n'allez pas vous distinguer de la multitude, en vous opposant à la pratique que vous trouverez établie2. » En 1523, Mélanchton fit imprimer à Haguenau, un livre intitulé Lieux communs, où il range parmi les pratiques indifférentes, la communion sous une ou sous deux espèces3. En 1528, dix ans après que Luther se fut érigé en réformateur, dans sa visite des Églises de Saxe, il laissa encore positivement la liberté de n'en prendre qu'une1 ; et qui plus est, pour marquer d'une manière plus énergique, ce qu'il pensait sur ce sujet, il dit au troisième tome de son ouvrage : « Si un concile ordonnait ou permettait les deux espèces, en dépit du concile, nous n'en prendrions qu'une, ou nous ne prendrions ni l'une ni l'autre, et maudirions ceux qui prendraient les deux en vertu du concile2. »

Je ne m'arrêterai pas à relever ici ce qu'il y a de frappant dans ces étranges paroles. Je pourrais, Monsieur, vous faire remarquer que cet homme si spécialement inspiré de Dieu, n'ouvre guère la bouche sans faire voir une espèce de fureur et de manie, une attache inconcevable à son sens, avec un mépris infini de toute autorité, quelque grande qu'elle puisse être. Mais pour ne pas m'arrêter à des réflexions qui pourraient vous faire peine, je me contenterai de demander depuis quand la communion sous une seule espèce est-elle devenue une profanation du mystère, une mutilation du sacrement, une contravention formelle au précepte et à l'institution de Jésus-Christ ? Si elle renferme tous ces caractères de malignité comment Luther ne l'a-t-il pas vu ? et s'il l'a vu, comment a-t-il pu permettre cette communion, et la ranger parmi des pratiques indifférentes ?

Calixte dit bonnement, que Luther et ses premiers associés « ayant entrepris la réforme plutôt par la violence d'autrui que par leur propre volonté, ils ne purent pas, au commencement, découvrir la nécessité du précepte de communier sous les deux espèces, ni rejeter une coutume profondément enracinée ; mais qu'étant sortis peu à peu, et comme par degrés, des épaisses ténèbres dans lesquelles ils se trouvaient engagés, ils avaient vu, au premier rayon de lumière, que la communion sous les deux espèces était permise, et avaient fini par comprendre qu'elle était nécessaire, en vertu du précepte de Jésus-Christ3. »

En vérité, Monsieur, nous sommes bien obligés à Calixte de cet aveu ingénu qu'il nous fait ici ; nous le remercions de vouloir bien reconnaître que les auteurs de la réforme ont agi, non pas tant par le mouvement de leur propre volonté, que par la violence d'autrui ; c'est-à-dire, non pas tant par un motif de zèle et par un amour sincère de la vérité, que par un esprit de contradiction et de ressentiment. Tant que ces messieurs disputent sur quelque point de controverse, faute de raisons, ils paient de chicanes, et viennent assez souvent à bout d'obscurcir la matière ; mais dès qu'ils touchent aux principes de la réforme, la vérité leur échappe malgré eux au moment où on s'y attend le moins, quelque intérêt qu'ils aient à la supprimer.

Quoi ! Luther, ce vaisseau choisi, ce flambeau si lumineux, n'a pu, pendant dix ans entiers découvrir la nécessité du précepte de communier sous les deux espèces, ni rejeter la coutume ? il ne l'a pu, tandis que le moindre ministre de village, que dis-je ? le moindre de vos artisans, la femme du plus bas étage, voient du premier coup d’œil un précepte si clairement marqué, qu'à leur avis, il faut être absolument aveugle pour ne pas le voir ?

Certes, la providence qui a choisi Luther pour le mettre à la tête du grand ouvrage de la réforme, et qui, dans ce dessein, lui a enrichi l'esprit des connaissances les plus rares, a gardé une conduite bien extraordinaire à son égard, si elle a refusé de lui communiquer sur l'article qui fait aujourd'hui le principal sujet de nos contestations des lumières qu'elle a prodiguées depuis si libéralement, en faveur de la plus vile populace.

Pourquoi ne pas dire plutôt que Luther, arrêté par le consentement général des chrétiens orthodoxes de son temps, par l'idée constante de tous les siècles, par la promesse et l'exemple de Jésus-Christ, n'avait osé d'abord faire le procès au monde entier, ancien et moderne ; mais qu'enhardi dans la suite, par le progrès de sa doctrine, par la déférence aveugle de ses disciples à ses sentiments, par la simplicité des peuples, infatués de l'idée de la pure parole de Dieu, à la place de laquelle on ne leur débitait cependant que des imaginations et des explications arbitraires de l’Écriture ; poussé d'ailleurs par des sentiments toujours plus vifs d'aigreur et d'animosité contre l'Église romaine, il s'est plu à chercher tous les moyens de s'en éloigner le plus possible par une plus grande contrariété de dogmes comme de pratique, et que pour profiter de la disposition où il voyait le peuple, d'aimer à s'égaler en ce point, aux prêtres, comme si sa condition en devenait par là meilleure et plus relevée, il s'est appliqué à flatter cette faiblesse, en faisant valoir je ne sais quelles vaines apparences de précepte ; précepte dont il ne fit la découverte que lorsque son dépit, monté au suprême degré, lui fit juger ce fantôme de précepte propre à rendre son parti irréconciliable avec l'Église ? Voilà, Monsieur, les véritables ressorts qui ont fait varier si honteusement Luther ; non, ses variations ne sont pas venues des vains motifs indiqués par Calixte, contre toute vraisemblance.

Mais quoi qu'il en puisse être des conjectures de Calixte et des miennes, il y aura toujours cette différence entre nos raisonnements respectifs, que les siens tendent uniquement à attaquer l'Église et à la charger du blâme de la plus indigne prévarication, au lieu que les miens n'ont pour but unique, que de la justifier et de la défendre contre les vains efforts de ses adversaires.

Et en effet, Monsieur, si la communion sous une seule espèce est aussi mauvaise qu'on le suppose chez vous, il faut que l'Église, et je ne dis pas la seule Église romaine, mais l'Église universelle, qui comprenait, avant Luther, toutes les Églises particulières et orthodoxes, soit tombée dans l'erreur la plus grossière et y ait persévéré, du moins pendant trois siècles, frustrant les fidèles de la grâce la plus nécessaire au salut, et agissant directement contre les vues et les desseins du Sauveur. Car nous savons par le témoignage d'Alexandre de Halès, mort en 1245, que les fidèles de son temps ne recevaient déjà plus la communion que sous une seule espèce1. Le concile de Londres, tenu en 1175, défend de tremper le pain consacré dans le vin, sous prétexte de rendre la communion complète, ce qui fait voir qu'on la jugeait complète sans cette précaution, et que dans la plupart des Églises, on se contentait déjà de la seule espèce du pain2. Le concile de Constance, célébré en 1414, dit que la coutume de donner une seule espèce était en usage depuis très longtemps1 ; or, ces paroles ne permettent pas de croire que les Pères assemblés eussent osé s'exprimer ainsi, si on avait pu les convaincre que cette coutume s'était introduite de leurs jours, ou fort peu d'années avant leur entrée au monde. Il est donc évident que plus de trois cents ans avant Luther, l'usage général était de ne donner aux laïques la communion que sous une seule espèce.

Vous voulez, Monsieur, que ce soit là une erreur, un abus, une profanation, une violation des droits les plus sacrés ; donc, l'Église a erré pendant plus de trois cents ans, et dans le dogme et dans la pratique ; donc l'Église a erré non-seulement en connivant à la pratique abusive des peuples, mais aussi en confirmant cette pratique, et en l'autorisant par la sentence définitive d'un concile général ; car comme le remarque très bien le savant Eccius, au rapport de Calixte même : « Il y avait au concile de Constance, les cinq nations, italienne, allemande, française, espagnole et anglaise, et sous ces cinq nations étaient compris les autres royaumes de la chrétienté orthodoxe2. »

Calixte prétend que comme les Hussites de Bohême et les Wiclefistes de Moravie ne cédèrent pas à la décision du concile, sa doctrine ne peut passer pour un jugement universel de l'Église3 ; mais depuis quand les sectes hérétiques ont-elles fait partie de l'Église universelle ? Je demande à Calixte si, en acceptant leur doctrine sur la nécessité de la coupe, il serait prêt à souscrire à tous leurs autres dogmes ; je lui demande si c'est à ces sectes que conviennent les marques de la vraie Église, l'universalité la perpétuité, la constante visibilité ; ou si c'est au grand corps des chrétiens, qui avait à combattre ces sectes nouvelles et méprisables ?

Si l'unique corps qui pût alors passer pour la véritable Église de Jésus-Christ, a erré pendant un temps considérable sur un article si important, comment sera-t-il vrai de dire que l'Église a été constamment assistée par le Saint-Esprit, que l'Esprit-Saint lui a enseigné toute vérité, que Jésus-Christ a été tous les jours avec elle sans aucune interruption, que les portes de l'enfer n'auront pas prévalu et ne prévaudront jamais contre elle. Quoi ! l'Église pendant trois siècles entiers a mal administré le sacrement de l'Eucharistie ? elle n'en a eu que de fausses idées ? elle a fait un vol sacrilège en enlevant au peuple la moitié du sacrement, contre la volonté expresse de l'instituteur, du législateur, du testateur ? Voilà les chimères que l'on prétend adopter, et on ne remarque pas l'opposition formelle de cette prétention avec les promesses de Jésus-Christ. On croit la divinité de celui qui a garanti si formellement la doctrine et la conduite de l'Église, et on ne juge pas indigne de lui, d'avoir manqué si visiblement à sa parole ? n'y aurait-il pas de la puérilité à tant disputer sur la coupe, si le christianisme devenait une fable ? et n'en serait-ce pas une en effet, si l'auteur et le consommateur de notre foi nous avait fait des promesses si manifestement fausses et trompeuses ? Ainsi, Monsieur, vos assertions si positives sur la nécessité de la coupe, considérées avec les conséquences dont elles sont suivies, ne vont à rien moins qu'à entraîner après soi la ruine entière du christianisme.

Mais, nous dit-on, et c'est l'auteur de l'apologie qui nous le dit, c'est donc là une réponse avouée de tout le parti : « L'Église est digne d'excuse de n'avoir reçu qu'une seule espèce, dans l'impossibilité où elle se trouvait de pouvoir recevoir les deux ; mais il n'en est pas de même des auteurs de cette injustice1. » Luther parle sur le même ton : « L'Église, selon lui, se trouve disculpée aux yeux de Dieu, d'avoir été privée par force et contre sa volonté, de l'une des deux espèces2. »

Assurément les auteurs de la réforme se sont ici formé une plaisante idée de l'Église ; est-ce donc que le pape, les évêques et les pasteurs ne faisaient pas partie de l'Église ? ne sont-ce pas eux qu'on appelle l'Église enseignante, et le peuple n'est-il pas ce qu'on appelle l'Église enseignée ? Mais si l'Église enseignante a donné dans l'erreur, si l'Église enseignée a succombé à la violence, qu'est-il resté de sain et d'entier dans l'Église ? Chose étrange, les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église, c'est le Sauveur qui nous en assure ; et les évêques joints au pape ont prévalu contre elle : funeste prérogative qu'on accorde aux évêques, d'avoir pu ce que ne pourra jamais ni toute la ruse ni toute la rage des démons.

Vous l'avez vu, Monsieur, d'après l'aveu de la confession d'Ausbourg, la communion sous une seule espèce n'a pas été établie par l'ordonnance des supérieurs ecclésiastiques ; on ignore l'auteur de cette pratique, et le temps précis auquel elle a commencé3 ; on ne peut donc en trouver la source que dans la cessation volontaire des peuples. Aussi, il paraît que la confession d'Ausbourg disculpe les évêques et charge le peuple, tandis que l'Apologie de la confession disculpe le peuple pour charger les évêques : concert merveilleux des idées qui ont concouru à former des plaintes contre nous, et digne sort de ceux qui, en chicanant mal à propos l'Église, ont si bien arrangé leurs plaintes, qu'ils ont perdu le souvenir de leurs premiers reproches, pour tomber dans de honteuses contradictions, pour y tomber dans la composition même des livres destinés à servir de règle et de symbole à tout le parti.

Ne trouverez-vous pas, Monsieur, qu'il vaut beaucoup mieux respecter la pratique de l'Église, et déférer humblement à ses décrets, que de chercher à l'excuser par des raisons si mauvaises et si peu propres à la mettre à couvert du blâme d'avoir failli ? Quand il s'agit des mystères les plus incompréhensibles, tels que la Trinité des personnes en un seul Dieu, et l'union de deux natures en une seule personne, les arrêts de l'Église suffisent pour rassurer notre foi et nous tranquilliser parfaitement l'esprit ; comment la même autorité ne nous suffirait-elle pas pour nous faire acquiescer à l'explication d'un texte ou deux de l’Écriture, surtout si cette explication est favorisée d'ailleurs comme elle l'est ici, et par la droite raison et par la tradition de tous les siècles ?

Que risque-t-on chez nous, Monsieur, en ne recevant qu'une seule espèce ? et que ne risquez-vous pas en recevant les deux de la main de vos ministres ? Vous ne pouvez disconvenir que ceux qui communient chez nous en recevant une seule espèce, ne reçoivent véritablement le corps et le sang de Jésus-Christ, et nous soutenons hautement, non pour vous faire peine, mais par intérêt pour votre salut, qu'en recevant chez vous les deux espèces, on reçoit uniquement du pain et du vin sans participer au corps et au sang de Jésus-Christ.

Il a été prouvé par la cinquième lettre d'un Docteur allemand à un Gentilhomme protestant, d'une manière à ne pas souffrir de réplique, que messieurs vos ministres n'ont aucun pouvoir de consacrer. Prenez la peine, Monsieur, de lire attentivement cette lettre, et de comparer nos raisons pour attaquer votre ministère, avec vos raisonnements pour attaquer notre communion, et vous verrez combien les preuves employées pour démontrer la nullité du pouvoir de vos ministres, surpassent en force et en évidence tout ce qu'on peut dire pour établir l'insuffisance de notre communion.

De quoi vous servira donc, Monsieur, d'avoir les deux espèces, si ce sont des espèces vides et sans vérité ? ne vaut-il pas mieux n'en avoir qu'une seule où soit contenue la réalité tout entière, représentée par les deux, que d'avoir deux vaines représentations où ne soit contenu rien de ce qu'elles représentent ? peut-on sentir la disette, quand on a le corps et le sang de Jésus-Christ ? et quand on n'a ni l'un ni l'autre, est-on en droit de se croire dans l'abondance ? sont-ce les espèces qui font nos richesses, ou plutôt n'est-ce pas ce qu'elles renferment en vertu d'une consécration légitime ? Que vos ministres nous reprochent de donner atteinte au testament de Jésus-Christ, et d'enlever aux fidèles une partie de leur héritage : nous leur disons que nous n'enlevons rien aux fidèles, puisque nous leur donnons tout ce qui fait le prix et la valeur du mystère ; mais pour eux, ils enlèvent à leurs ouailles, non-seulement une partie de l'héritage, mais l'héritage tout entier ; car ils ne leur donnent que de vaines ombres au lieu de la réalité.

N'en voilà que trop, Monsieur, pour repousser tous les traits lancés contre nous ; et je ne crains plus que l'article de la communion sous une seule espèce puisse encore vous paraître un sujet légitime de rester séparé de l'Église ancienne, universelle, répandue par toute la terre, toujours continuée depuis le temps des Apôtres jusqu'à nous, par une suite de peuples de même créance, par une suite de pasteurs de même doctrine, se succédant les uns aux autres sans aucune interruption ; de cette Église, dans laquelle ont vécu un si grand nombre de personnes illustres en sainteté et en miracles, et dans laquelle ont vécu tous vos ancêtres, à remonter depuis Luther jusqu'à l'établissement du christianisme dans ces contrées.

J'ai même tout sujet d'espérer que cet article, une fois éclairci de manière à faire paraître les ruses et les artifices de ceux qui vous ont engagé dans le schisme, deviendra un fort préjugé en faveur des autres articles, sur lesquels il pourrait vous rester quelque difficulté. Car si ce qui passe chez vous pour être aujourd'hui le principal sujet de plainte, n'est rien moins qu'un sujet de plainte légitime, que faudra-t-il penser de tout le reste ? On entend tous les jours plusieurs membres de votre illustre corps dire que si l'on donnait la coupe chez nous, ils n'hésiteraient pas un moment à se joindre à nous ; si cette parole est bien sincère, et qu'ils méditent attentivement tous les raisonnements contenus dans cette lettre, il y a certainement tout lieu de croire que nous ne tarderons pas à bénir Dieu de leur retour à l’Église. Fasse le ciel, Monsieur, que vous et vos illustres collègues voyiez tous également les artifices dont on s'est servi pour vous engager dans le schisme, et que vous compreniez en même temps, combien il est nécessaire pour votre salut d'y renoncer, pour rentrer dans l'unique et véritable bercail de Jésus-Christ. C'est le plus ardent de mes souhaits : il ne peut être faible dans celui qui a l'honneur d'être, avec un zèle sans borne, comme aussi avec un respect sans mesure, MONSIEUR, Votre très humble, etc.



DÉFENSE DU CULTE EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

AVERTISSEMENT

Les protestants de ce royaume sont assez instruits sur les points de la doctrine : ces conversions si promptes et si générales que l'on vient de voir, marquent assez que leurs esprits étaient disposés de ce côté-là à la réunion, et que tant d'instructions qu'on leur avait données depuis quelque temps, et par écrit et de vive voix, les avaient enfin désabusés de leurs préventions.

Car il n'est pas possible de s'imaginer que les derniers moyens dont on s'est servi pour les obliger à renoncer à leur schisme, eussent eu tant de succès, si généralement tous les esprits du parti n'avaient été secrètement portés à revenir à l'unité de la foi catholique.

Cet heureux retour qui fait présentement la joie des cieux et de la terre, doit avoir mis fin à toutes nos controverses ; et nous ne devons tous ensemble que louer Dieu de ce qu'il lui a plu bénir les desseins et le zèle du roi, et d'avoir permis qu'après avoir justifié le nom de Grand par ses travaux héroïques, et par le calme dont il fait jouir toute l'Europe, il ait aussi heureusement justifié les noms de Roi très-chrétien et de fils aîné de l’Église, par sa sainte application à ramener les protestants, et par la paix qu'il vient de donner dans son royaume à la famille de Jésus-Christ.

Mais comme l'expérience nous apprend tous les jours, que presque tous ceux qui quittent la secte de Calvin pour entrer dans l'Église catholique, sont d'abord surpris de rencontrer un extérieur de religion tout différent de celui auquel ils sont accoutumés depuis leur enfance, il est juste de les aider à dissiper les idées qu'ils peuvent avoir prises de ce côté-là.

Il ne faut pas néanmoins s'étonner que tout catholiques qu'ils sont, ils aient quelque peine à s'accoutumer à l'extérieur de notre culte. Quand on passe tout d'un coup de la pratique d'un service public dans celle d'un autre, quoique l'on soit bien persuadé de la bonté du culte dans lequel l'on entre, et des défauts de celui que l'on abandonne, l'on ne laisse pas de trouver dans ce changement une certaine nouveauté qui fait au commencement quelque peine, sans que l'on sache bien pourquoi.

Comme c'est sur l'extérieur de la religion que nous avons pris dès l'enfance nos premières impressions, ce sont aussi celles que nous abandonnons les dernières ; à l'égard des dogmes, la raison cède à la force de la vérité, et le cœur se rend à la persuasion intérieure du Saint-Esprit ; mais la chair et le sang contestent encore sur les choses extérieures qui sont de leur juridiction : et de là vient qu'il arrive assez souvent que l'âme est déjà toute catholique dans le même temps que les yeux sont encore un peu tournés du côté de l'erreur.

J'en ai fait l'expérience : car lorsque Dieu me fit la grâce de me convertir à la foi catholique, je n'avais aucun doute sur les points de la doctrine ; mais les idées que l'on m'avait fait prendre sur l'extérieur de la religion, n'étaient pas encore entièrement effacées. Je sentais bien que ces pratiques-là n'étaient pas absolument essentielles ; mais je ne pus de quelque temps, me défaire tout à fait des fausses impressions que l'on m'avait données.

La grandeur et la majesté que je voyais briller dans le service public de la religion dont je venais d'embrasser la pratique, me semblait ne pas convenir au christianisme. Les cérémonies et les pratiques de l'Église me paraissaient avoir assez de rapport au culte judaïque : le respect et la dévotion que l'on y a si justement pour les temples et pour tous les lieux consacrés au divin service, ne me semblaient plus de saison sous l’Évangile. Je m'imaginais de temps en temps voir dans toutes ces cérémonies, des observances tirées ou imitées du paganisme. J'avais de la peine à comprendre que le service dût être fait en une langue non entendue de la plupart des chrétiens. Enfin, j'étais tenté de penser que l'extérieur de la religion que je venais de quitter, avait plus de rapport avec celui des premiers siècles du christianisme ; et tout ce que j'avais ouï dire sur cela aux ministres, ou que j'avais lu dans leurs écrits, revenait sans cesse à mon esprit, et me faisait quelque peine.

Je me doutais pas néanmoins que les incertitudes où j'étais sur ce point ne vinssent de mes préventions ; et j'avais une ferme confiance que Dieu me ferait la grâce de les surmonter, comme il m'avait fait celle de m'éclairer sur les dogmes de la foi.

C'est ce qui m'obligea de m'appliquer à m'instruire sur ces matières ; et je n'ai pas été trompé dans mon espérance. Je suis revenu de tous mes préjugés ; j'ai reconnu qu'ils étaient fondés sur de faux principes : et l'on verra dans cet ouvrage, la route que j'ai tenue pour sortir de toutes mes préventions, ou plutôt le chemin par lequel il a plu à Dieu de me conduire, pour me mettre entièrement hors du labyrinthe dans lequel le malheur de ma naissance m'avait engagé.

Comme, je n'en doute point, la plupart des nouveaux convertis sont à cet égard dans les mêmes doutes où j'ai été, et que plusieurs protestants sont d'ailleurs plus attachés à leur religion par l'extérieur que par créance, vu que le plus grand nombre n'est pas capable de comprendre les différends élevés sur les points de la doctrine, au lieu que tous s'imaginent pouvoir juger sainement de l'extérieur de la religion, j'ai cru que pour les désabuser à cet égard, je devais leur faire part de ce qui m'a servi à me désabuser moi-même ; et quelque imparfait que puisse être cet ouvrage, je me suis pressé de le donner au public, bien convaincu que ce sujet ne saurait être plus propre, ni plus convenable à la circonstance du temps.

Car puisque l'on voit aujourd'hui toutes les portes de l'Église ouvertes à ceux qui viennent en foule de tous côtés se remettre dans son sein, et qu'une abondante moisson réclame de toutes parts les soins des ouvriers évangéliques, quoi de plus juste que de leur aplanir toutes les difficultés qu'ils peuvent trouver sur leur chemin, ou à leur arrivée ? quoi de plus à propos que d'instruire ces nouveaux venus, de nos cérémonies, de nos pratiques et de nos coutumes, afin que ne trouvant plus rien qui les embarrasse, nous puissions tous ensemble, de concert, servir Dieu d'une manière digne de lui, et avec l'ordre et la bienséance convenables à la sainteté de sa maison ?

J'ai divisé cet ouvrage en deux parties : dans la première, je réponds à toutes les objections que les ministres ont accoutumé de faire contre l'extérieur de notre service public et contre nos pratiques ; et dans la seconde, je montre les défauts qu'il y a dans l'extérieur de la religion prétendue réformée.

Les docteurs catholiques qui ont écrit sur les cérémonies de l'Église1, ne se sont pas appliqués à répondre aux difficultés rebattues par les auteurs calvinistes, et qui font le plus d'impression sur les esprits des protestants ; parce que n'ayant pas été élevés dans la religion prétendue réformée, ils ne peuvent pas savoir sur quoi il est principalement nécessaire de les désabuser.

Ils n'ont pas aussi remarqué les défauts qu'il y a dans l'extérieur de cette religion, parce que ces défauts ne sont bien sensibles qu'à ceux qui les quittent, et qui viennent à goûter un meilleur culte ; car il est certain que ceux qui ont passé toute leur vie dans une seule communion, n'ont jamais bien senti cette différence de service public. C'est pour ce motif que je me suis uniquement attaché à ces deux considérations.

Je ne traite ici principalement que des questions de fait, dans lesquelles toutes les subtilités sont inutiles, et je n'avance rien qui ne soit fondé sur des principes que l'on sera obligé d'avouer, à moins qu'on ne veuille rejeter l'autorité formelle de l’Écriture, et la pratique constante et perpétuelle de l'Église.

J'espère donc que ceux qui voudront examiner cet ouvrage sans passion, seront convaincus par l'Écriture-Sainte, par le témoignage de l'Église de tous les siècles, et par la droite raison, qu'il n'y a rien dans notre culte ni dans nos pratiques, qui ne soit pur, saint, légitime et conforme au christianisme ; et qu'il y a, au contraire, dans l'extérieur de la religion prétendue réformée, plusieurs défauts très considérables.

Je dois ici avertir le lecteur, que lorsque je composai ce traité, la religion protestante subsistait encore dans ce royaume ; et que ce retour presque général que l'on vient de voir, n'était pas encore arrivé. Ainsi il trouvera que j'y parle partout de cette religion, comme si elle subsistait encore, et de ses sectateurs, comme si la plupart étaient encore à convertir. L'impression même de cet écrit était déjà fort avancée ; et il ne m'a pas été possible de changer de langage, ainsi que j'aurais dû le faire. Mais ce qui était destiné pour servir à leur conversion, sera beaucoup plus utilement employé à les instruire, présentement qu'ils sont convertis, s'il plaît au Seigneur de répandre sa bénédiction sur mon ouvrage, et de toucher le cœur de ceux qui voudront bien prendre la peine de le lire.

1ère partie : RÉFUTATION DES OBJECTIONS DES PRÉTENDUS RÉFORMÉS CONTRE LE CULTE CATHOLIQUE

Par M. Brueys, de Montpellier, ancien ministre protestant.

Article 1er : La passion que les prétendus réformés ont de justifier le schisme qu'ils ont fait, les oblige à contester non-seulement la doctrine de l'Église catholique, mais encore à condamner tout son culte extérieur.



Si l'expérience n'a que trop justifié, que dans toutes sortes de religions le schisme est le plus grand de tous les maux, il faut avouer que c'est principalement dans la religion chrétienne qu'il fait de plus grands ravages.

Le christianisme ne prêche qu'amour, douceur, humilité et charité ; et il n'y a rien de plus opposé à ces divins caractères de la religion de Jésus-Christ, que la haine, l'aigreur, l'orgueil et la cruauté, suites inévitables des schismes.

Les prétendus réformés ne sont pas assez de mauvaise foi, pour contester cette vérité. Ils gémissent dans le fond de leur cœur sur les malheurs que leur séparation a causés, et ils font tout ce qu'ils peuvent pour persuader à toute la terre qu'ils ont eu de justes raisons de se séparer.

Delà, il n'est point de dogmes dans l'Église catholique qu'ils ne contestent soit en tout, soit en partie, ou dont ils n'attaquent les prétendues conséquences enfantées par leur imagination. Si l'on tâche de les détromper des fausses idées qu'on leur a données à cet égard, en leur exposant notre véritable créance, selon les propres termes des conciles, ils refusent d'ajouter foi à cette exposition. Si le pape et les prélats approuvent ce qu'on leur expose, ils ne veulent pas que ces approbations soient sincères. Si tout le monde chrétien leur crie et leur proteste que ce sont là les véritables sentiments de l'Église dont ils se sont séparés, ils ne veulent point ajouter foi à cette déclaration unanime ; et leurs ministres, s'attachant opiniâtrement aux expressions de quelques docteurs particuliers, ou à ce qu'ils voient pratiquer à quelques simples, s'autorisent de ce prétexte injuste et ridicule, pour porter leurs peuples à rejeter les témoignages authentiques de toute l'Église, qui s'explique par les conciles, par le formulaire de la confession de foi, par le catéchisme romain, par la bouche et par la plume de tous ses prélats.

Ils ne se contentent pas, pour justifier leur séparation ; de contester ainsi de mauvaise foi tous les points de la doctrine catholique : ils se déchaînent aussi sans aucun ménagement, contre tout son extérieur. Les saintes et augustes cérémonies qu'elle pratique depuis tant de siècles leur paraissent criminelles. Tout les choque dans une Église qu'ils veulent avoir justement quittée. Les pratiques mêmes dont elle se sert pour porter les hommes à la piété, leur paraissent injurieuses à Dieu et indécentes au christianisme : il n'est pas jusqu'aux termes, aux habits des ecclésiastiques et à la structure des saints édifices, qu'ils ne condamnent et qu'ils n'aient entièrement changés.

C'est-à-dire, en un mot, que pour justifier leur schisme, et persuader aux peuples qu'ils ont renouvelé la religion, et qu'elle était défigurée avant leur prétendue réforme, ils veulent, à quelque prix que ce soit, trouver partout dans l'Église catholique, erreur, superstition et idolâtrie. Ils ne sauraient consentir à la trouver innocente de ce dont ils l'accusent ; il semble même qu'ils seraient bien fâchés qu'il en fût ainsi ; enfin, ils ne veulent pas qu'elle croie ce qu'elle croit en effet, ni qu'elle pratique ce qu'elle pratique véritablement, parce qu'ils seraient obligés de reconnaître qu'elle croit ce qu'il faut croire, et qu'elle pratique ce qu'il faut pratiquer.

En vérité, il me semble que cette passion de contester tous les articles de foi d'une Église dans laquelle ils trouvent néanmoins leur symbole et leur décalogue, cette fureur de renverser tout l'extérieur d'une religion dont ils sont sortis, jusqu'aux ornements, aux syllabes et aux pierres même, devraient faire comprendre aux zélateurs sincères et éclairés de la réforme, que leurs docteurs sont animés d'un esprit bien différent de celui de saint Paul, qui nous exhorte dans tous ses écrits, à nous supporter charitablement les uns les autres, et à ne nous point diviser légèrement par des partialités qui déchirent l'Église, et déshonorent le christianisme.

Mon dessein est donc présentement de répondre à toutes les objections que les ministres et les auteurs protestants ont accoutumé de faire contre le culte extérieur de l'Église catholique, et de remarquer ensuite les défauts où sont tombés à cet égard les prétendus réformateurs du christianisme, pour avoir rejeté nos pratiques et nos cérémonies, et pour avoir voulu établir un culte extérieur différent du nôtre : afin que l'on reconnaisse qu'en toute manière ils se sont injustement séparés de nous.

Article 2 : Objections des prétendus réformés contre le culte extérieur de l'Église catholique, et observation générale sur ce sujet.



Toutes les objections que les ministres font ordinairement contre notre culte extérieur, se réduisent à cinq principales qui comprennent toutes les autres.

La première est que l'Église catholique a revêtu la religion d'une pompe mondaine qui ne convient point au christianisme.

La seconde est que cette Église a accablé la religion chrétienne d'un aussi grand nombre de cérémonies que l'alliance légale, et a ramené au monde l'ancienne économie de Moïse, en obligeant les chrétiens à des observances plus pénibles que celles de la loi des Juifs.

La troisième est que l'Église catholique dédie des temples à Dieu, aux Saints et aux Saintes ; qu'elle consacre ces temples par des cérémonies que l’Évangile a abolies ; qu'elle enseigne aux chrétiens, que le service rendu à Dieu dans ces lieux est d'une plus grande efficacité que celui qu'on lui rend ailleurs ; qu'elle exige des chrétiens qu'ils visitent les églises par dévotion, et aient pour elles un attachement aboli selon eux par la loi nouvelle.

La quatrième est, que la plupart des pratiques et des cérémonies de l'Église catholique ont été tirées ou imitées du paganisme et de l'idolâtrie ; et que par conséquent elles ne peuvent point être employées sans impiété au service du vrai Dieu, après avoir servi au culte des fausses divinités.

Et la dernière est, que l'Église catholique se sert dans son service public de la langue latine, laquelle n'est pas entendue de la plupart des chrétiens ; ce qui est contraire, disent-ils, au précepte que saint Paul nous donne, de ne nous point servir de langages inconnus dans nos assemblées.

Voilà les cinq chefs d'accusation sur lesquels roulent toutes les objections que les ministres ont accoutumé de faire contre notre culte extérieur. Nous verrons dans la suite qu'elles sont toutes fondées sur de faux principes, sur des imputations injustes, et sur les fausses explications qu'ils donnent à certains passages de l’Écriture dont ils abusent. Mais avant que d'entrer dans le détail de ces matières, je dois remarquer ici, que ce n'est pas généralement avec tous ceux qui font profession de la prétendue réforme, que nous sommes en différend sur la plupart de ces articles. Car, ceux qui se sont séparés de l'Église catholique, ne condamnent pas tous généralement notre culte extérieur. Les luthériens ont conservé la plupart de nos cérémonies1 ; les calvinistes les ont rejetées. Ces derniers, encore, sont divisés à cet égard. Il y a des calvinistes qui en pratiquent un assez grand nombre, et il y en a qui n'en pratiquent point du tout. Ceux qui ont été en Angleterre, et qui ont vu les assemblées des protestants de ce royaume, savent que c'est un fait que l'on ne saurait désavouer.

Ainsi, Dieu a permis que tous ceux qui ont rompu l'unité de la foi, n'aient gardé entre eux ni unité de créance, ni uniformité de culte, et qu'en se séparant de la vraie Église, ils se soient, en même temps, séparés eux-mêmes en diverses sectes ; au lieu que l'Église catholique a toujours gardé exactement et en tout l'unité que l’Évangile nous recommande si expressément en tant d'endroits2.

J'aurais ici plusieurs réflexions à faire sur la mésintelligence de ceux qui sont sortis de l'Église catholique. Je pourrais justement inférer de là, que leur société ne saurait être la vraie Église, puis que, par leur propre aveu, elle n'a point cette uniformité de culte et cette unité de foi3, caractère de la véritable épouse de Jésus-Christ, qui ne donne son Saint-Esprit qu'à ceux dont les cœurs sont d'un parfait accord. Je pourrais encore montrer qu'ils se flattent en vain de voir leur secte toujours durer ; car, puisque Jésus-Christ, la vérité même, a dit que tout royaume divisé contre lui-même serait ruiné4, ils ne sauraient raisonnablement prétendre que leur société doive subsister parmi les partialités qui la divisent.

Mais ce n'est pas ici le lieu de m'arrêter à ces pensées. Le sujet que je traite m'oblige seulement à inférer de là deux conséquences qui me paraissent raisonnables : la première, que s'il y a dans l'extérieur de notre culte, comme le disent les calvinistes de France, des pratiques superstitieuses et idolâtres, ils ont tort d'être liés de communion avec ceux qui retiennent la plupart des observances en usage parmi nous ; la seconde, que puisque sur les disputes dans lesquelles nous allons entrer, nous avons de notre côté une bonne partie de ceux qui se sont séparés de l'Église catholique, c'est déjà une très forte présomption en notre faveur.

Article 3 : Réponse à la première objection: Que l'Église catholique a revêtu la religion d'une pompe mondaine.

Les prétendus réformateurs du christianisme s'étant imaginé que l'état extérieur de l'Église devait être toujours le même qu'il était du temps de Jésus-Christ et de ses Apôtres, se sont avisés d'accuser l'Église catholique d'avoir introduit dans la religion chrétienne une pompe mondaine, qui est contraire, disent-ils, à la simplicité et à l'humilité que l’Évangile nous recommande.

Il était bien difficile, dit M. Claude, que nos pères ne fussent choqués de cette pompe mondaine dont on avait revêtu la religion avec tant d'excès ; car ils savaient que le véritable christianisme se contente de gagner le cœur et l'esprit par la majesté de ses doctrines et par la sainteté de ses préceptes ; et que, quant au reste, il fait profession de garder la simplicité. Cependant ils voyaient un caractère tout opposé dans la magnificence des temples, dans l'or des tabernacles, dans le faste des sacrifices, dans la richesse des ornements, et en général, dans tout cet éclat extérieur qui ne semblait destiné qu'à frapper extraordinairement les sens, et à faire naître, par ce moyen, une fausse admiration qui est le propre des religions corrompues1. »

Ces ornements, dit un autre auteur calviniste, conviennent-ils à la chaste épouse de Jésus-Christ, dont toute la gloire est en dedans ; ou à la grande paillarde qui devait emprunter ses affiquets de Babylone, et qui est dépeinte en l'Apocalypse, parée d'or, de perles et de pierres précieuses2. »

Enfin, il n'est point d'auteur protestant qui n'ait fait la même plainte ; elle est dans la bouche de tous les prétendus réformés ; et leurs ministres ne manquent jamais de tourner leurs déclamations de ce côté-là, lorsque les sujets qu'ils traitent peuvent leur en fournir l'occasion.

Je réponds premièrement, que la grandeur et la majesté qui brille dans l'extérieur de l'Église catholique, n'est pas une pompe mondaine, puisque tous ses ornements sont consacrés au service du vrai Dieu et dans la véritable religion. Une pompe mondaine est celle que les hommes emploient pour relever leur propre gloire et flatter leur orgueil ; mais la magnificence dont on se sert dans le service divin, se rapportant toute à Dieu, sans rien attribuer à l'homme, c'est injustement qu'on l'appelle une pompe mondaine.

Ainsi, cet éclat de notre culte extérieur, bien loin de flatter l'orgueil humain, et de pouvoir être considéré comme une pompe mondaine, apprend au contraire aux hommes, que c'est Dieu seul qu'il faut glorifier, et que c'est à lui qu'il faut consacrer toutes les richesses dont ils font ordinairement le sujet de leur vanité : Ce n'est point à nous, Seigneur, ce n'est point à nous que nous donnons gloire, mais à votre nom3.

On voit donc déjà que la déclamation faite ici par M. Claude et par cet auteur calviniste dont je viens de citer les paroles, ne s'appliquent qu'à l'éclat extérieur des fausses religions, qui n'ont qu'un vain dehors, et qui par leurs ornements mondains se proposent seulement de satisfaire la vanité humaine, et n'ont point en vue le pur service du vrai Dieu. Ainsi ce que disent ces deux auteurs ne donne aucune atteinte à l'extérieur de l'Église catholique, qui est bien éloignée de faire consister en cet extérieur l'essentiel de la religion. Ce qui les a trompés, c'est qu'ils ont cru que l'état extérieur de la religion devait être toujours le même qu'il était au temps de Jésus-Christ ; et qu'il en devait être de cet état extérieur de l'Église comme de la doctrine, laquelle, véritablement, doit être toujours la même, et ne jamais changer ; ce qui est assurément un faux principe, où ils sont tombés pour avoir mal expliqué l’Évangile, et pour avoir voulu donner aux paroles de Jésus-Christ et à celles de ses Apôtres, un sens auquel ils n'ont jamais pensé.

Pour en être convaincu, il faut demeurer d'accord d'une vérité, que l'on ne saurait désavouer sans renverser le christianisme et toute la morale chrétienne ; cette vérité est que la simplicité et l'humilité, recommandées par tout dans l’Évangile, est principalement la simplicité et l'humilité du cœur, et non une simplicité qui doive être gardée dans l'extérieur du culte rendu au Seigneur.

Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes1, dit Jésus-Christ. Je désire que vous soyez sages dans le bien, et simples dans le mal2, disait saint Paul aux Romains. Le sujet de notre gloire, dit le même Apôtre, est le témoignage que nous rend notre conscience, de nous être conduits en ce monde et surtout à votre égard, dans la simplicité de cœur et dans la sincérité de Dieu3. Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur4, dit encore Jésus-Christ. Revêtez-vous d'humilité en vous soumettant les uns aux autres, dit saint Pierre5. Je vous prie, disait saint Paul aux Éphésiens, que vous vous conduisiez avec toute humilité et douceur6. Humiliez-vous en la présence du Seigneur, disait saint Jacques, et il vous élèvera.

Enfin, que l'on examine tous les passages de l’Écriture où il est parlé de la simplicité et de l'humilité chrétienne ; et l'on verra que c'est la simplicité et l'humilité du cœur qui y sont principalement recommandées.

Je dis principalement, car je sais bien que, comme nous devons glorifier Dieu en nos corps et en nos esprits, nous devons aussi être humbles de corps7, comme nous le devons être en esprit  ; et je n'ignore pas que l’Évangile nous recommande encore cette simplicité et cette humilité qui doivent obliger tous les chrétiens à être modestes dans leurs habits, et dans tout ce qu'ils font pour eux-mêmes.

Mais je défie tous les calvinistes de nous montrer dans toute l’Écriture sainte, un seul passage où il soit dit que cette simplicité et cette humilité doivent être gardées à l'égard des temples dédiés à Dieu, des ornements consacrés à son service, et de l'extérieur du culte qu'on lui rend.

La coutume qui a toujours été parmi les chrétiens, dans les temps du calme et de la prospérité de l'Église, d'orner les temples, de parer les autels, de se servir de vases sacrés façonnés avec les plus précieux métaux, en un mot, d'employer au service divin les plus riches ornements, sont une preuve qu'on n'a jamais cru que la simplicité et l'humilité recommandées par l’Évangile, dussent être gardées dans l'extérieur du culte de la religion chrétienne.

« Ceux-là, dit saint Cyrille, qui n'étaient que des soldats, trahirent la vérité pour de l'argent ; mais ceux-ci, qui sont maintenant des rois, par un esprit de piété couvrent d'or et d'argent cette sainte église dans laquelle nous sommes présentement, qu'ils ont fait bâtir, et qu'ils ont rendue splendide par de riches ornements8. »

« Il est très séant à un prêtre, dit saint Ambroise, de parer le temple de Dieu d'un ornement convenable, afin que le lieu où le Seigneur est servi soit magnifique1. » Saint Grégoire de Nazianze loue Gorgonie de ce qu'elle faisait de riches présents pour l'ornement des églises2. Saint Jérôme donne pareillement des éloges aux soins que prenait Népotien de parer les temples et les autels avec des fleurs et des rameaux, comme nous le faisons encore aujourd'hui3.

Ce même Père, dans trois de ses Épîtres où il se plaint du peu de soin que l'on avait des pauvres, fait, par occasion, de belles descriptions de ce que l'on pratiquait alors dans le service divin, et nous apprend qu'on employait à l'ornement des églises, le marbre, l'ivoire, l'argent, l'or et les pierres précieuses4.

Théodoret rapporte que lorsque Julien l'Apostat fit enlever, pour mettre dans ses trésors, les vases précieux dont les empereurs chrétiens avaient enrichi l'église d'Antioche, celui qui fut envoyé de sa part pour exécuter cet ordre, surpris de tant de richesses, s'écria : « Voyez avec quels vases on sert le Fils de Marie ! »

Ce n'était pas seulement par la magnifique structure des temples, et par la richesse des vases sacrés, que les chrétiens ont toujours pris soin d'orner l'extérieur de la religion ; mais encore il est certain qu'ils y ont employé les mêmes ornements dont nous faisons usage, les croix, les images, les reliques des saints martyrs, les habits sacerdotaux, les chandeliers, les lampes, les cierges allumés, les encensoirs, et généralement tout ce que l'on voit dans nos églises.

Nous prouverons ailleurs que l'Église chrétienne a toujours reçu l'usage des croix, des images et des reliques. Pour ce qui est des habits sacerdotaux, il est constant par le témoignage des Pères et des plus anciens auteurs, que les chrétiens ont observé de tout temps ce que nous pratiquons, savoir : que les ministres de l’Évangile ne font pas le service divin avec leurs habits ordinaires ; mais ils sont revêtus d'habits uniquement destinés à ce saint emploi, et dont on ne peut se servir à un autre usage.

Saint Étienne, pape et martyr, qui vivait vers le milieu du troisième siècle, s'exprime ainsi dans une de ses Épîtres : « Les vêtements ecclésiastiques avec lesquels on sert le Seigneur, et dont les prêtres et les autres ministres sont revêtus lorsqu'on célèbre le culte divin, doivent être sacrés et propres ; et comme ils sont consacrés et dédiés à Dieu seulement et à son service, personne ne les doit employer qu'aux usages de l'Église et dans les divins offices ; il ne doit être même permis qu'aux personnes sacrées de les toucher et de s'en vêtir5. » Le pape Damase, Strabon et plusieurs autres auteurs font mention de ce passage.

« Nous ne devons pas entrer dans le Saint des Saints, dit saint Jérôme, avec les habits que nous portons tous les jours et qui sont souillés par les communs usages de la vie ; mais nous devons toucher les choses sacrées du Seigneur avec une conscience pure, et avec des vêtements nets1. » Ce qu'il recommande encore en plusieurs endroits de ses ouvrages2.



Sigebert rapporte que, sur la fin du huitième siècle, Charlemagne donna des vases précieux et de riches vêtements à plusieurs églises, et ordonna que les portiers même ne vaquassent point à leurs fonctions et au service des temples avec leurs habits ordinaires3.

L'usage des chandeliers, des lampes et des cierges allumés a été de même toujours reçu dans l'Église. Tout le monde sait qu'il est dit dans le vieux Testament, que Dieu commanda de placer un chandelier d'or dans son temple4 : et comme l’Évangile n'a rien changé à cette pratique, les chrétiens ont pris de-là la coutume de se servir de luminaires dans le service divin.

C'est pour cela que, dans l'Apocalypse, les sept églises de l'Asie sont représentées par les sept chandeliers d'or dont il est parlé ; étant hors de toute apparence que le Saint-Esprit se fût servi de cette désignation, si ce n'eût été la coutume de se servir de chandeliers dans les temples5. Et c'est encore pour la même raison que, dans l’Écriture, Dieu appelle souvent son Église son chandelier.

Lorsque saint Augustin parle de la dédicace des églises, il nous apprend que c'était la coutume de bénir les chandeliers et les cierges ; et il explique au long ce qu'il y a de mystique dans cet usage6. Ce même Père, dans un autre endroit de ses ouvrages, rapportant en propres termes ce qui est dit dans l’Évangile : Il faut attendre, dit-il, la venue de l'époux avec des lampes allumées, non-seulement approuve l'usage des luminaires, mais exhorte même ceux des chrétiens qui peuvent le faire, à donner aux églises des cierges ou de l'huile7.

Saint Chrysostome fait la même exhortation, quand il dit : « que comme enfants de lumière, nous offrons des cierges à Jésus-Christ, qui est notre véritable lumière8. » Et dans une de ses Homélies, en parlant de ceux qui honorent Jésus-Christ dans les églises, par la richesse des lampes qu'ils lui consacrent, et qui le méprisent en la personne des pauvres : « Vous suspendez, dit-il, des lampes avec des chaînes d'argent, et vous ne voulez pas l'aller voir lorsqu'il est lié dans la prison. Ce n'est pas, ajoute-t-il, que je vous défende de le glorifier en ce que vous faites ; mais il faut faire l'un et l'autre9. »

La coutume de se servir d'encens et d'encensoirs dans l'extérieur de la religion n'est pas moins certaine. Les Mages furent les premiers qui en présentèrent à Jésus-Christ, comme nous l'apprenons dans l’Évangile, ainsi que l'ont remarqué saint Irénée1, saint Cyprien2, saint Hilaire3, saint Ambroise4, le pape Léon5, saint Chrysostôme, saint Jérôme et plusieurs autres qui nous assurent tous que l'Église a toujours reçu cet usage.

Il vint un Ange, est-il dit dans l'Apocalypse, qui se tint devant l'Autel, ayant un encensoir d'or, et on lui donna quantité de parfums, afin qu'il en accompagnât les prières de tous les Saints, en les offrant sur l'Autel d'or qui est devant le trône ; et la fumée des parfums jointe aux prières des Saints, s'élevant de la main de l'Ange, monta devant Dieu6. Si l'usage de l'encens et des encensoirs n'était pas permis dans l'Église chrétienne, et n'était reçu que dans les fausses religions, comme le veulent les prétendus réformés, qui pourra croire qu'un auteur, divinement inspiré, eût ici voulu faire allusion à une pratique idolâtre ? et quelle apparence y a-t-il que le Saint-Esprit nous en eût fait, dans cet endroit, une si riche description, et eût mêlé l'encens avec les prières que les fidèles présentent à Dieu ?

Enfin, il y aurait de quoi faire un livre entier, si je voulais rapporter ici tout ce que les Pères et les docteurs de l'Église ont dit de la magnificence des édifices sacrés, de la richesse des vases, des habits sacerdotaux, et généralement de tous les ornements dont on s'est toujours servi dans l'extérieur de la religion chrétienne, et dont nous usons encore aujourd'hui.

En vain les prétendus réformés nous objecteraient-ils qu'ils ne trouvent point dans l’Évangile, que l'Église eut alors les ornements et les cérémonies dont nous nous servons, et que, lorsque Jésus-Christ en instituant le sacrement de l'Eucharistie, ne paraît pas avoir été vêtu d'habits différents de ceux qu'il portait ordinairement. Car, premièrement, c'est un fait constant que les écrivains sacrés ne se sont principalement attachés qu'à nous instruire, par écrit, des mystères, de la doctrine et de la morale de la religion, sans presque rien dire de l'extérieur du culte, dont ils n'ont parlé que par occasion dans leurs écrits. Il est certain, par exemple, que les premiers chrétiens faisaient dans les églises des repas sacrés qu'ils appelaient agapes, d'un mot grec qui signifie festin de charité. Cependant, ce n'est pas de dessein prémédité que saint Paul nous instruit de cette pratique ; ce n'est que par occasion, comme on peut le voir dans le chapitre 2° de sa première Épître aux Corinthiens. Car, si les Corinthiens n'avaient point donné lieu à cet Apôtre de les censurer à cet égard, de leurs irrévérences, nous ne saurions rien de cette ancienne coutume. Ainsi, l'on doit reconnaître qu'il y avait beaucoup d'observances dans l'extérieur de la religion, dont les Apôtres et les Évangélistes n'ont rien écrit. Et nous ne saurions douter que l'on ne pratiquât dans la primitive Église, à peu près les mêmes cérémonies que nous pratiquons aujourd'hui, puisque la tradition de siècle en siècle nous en instruit formellement.

Secondement, c'est une erreur de croire que l'extérieur de la religion doive être absolument toujours le même, qu'il était au commencement. Nous l'avons déjà remarqué, et je le prouverai encore plus amplement dans la suite.

En troisième lieu, il n'était pas nécessaire que Jésus-Christ fût revêtu d'habits sacerdotaux ; il était revêtu des caractères de la Divinité qui brillaient en lui. D'ailleurs, comme il ne sortait jamais des fonctions de son sacerdoce, et que toutes les actions de sa vie étaient des portions de son sacrifice, ses habits ordinaires étaient des habits vraiment sacerdotaux, et il n'y avait aucune nécessité qu'il les quittât pour en prendre d'autres.

Il n'était pas non plus nécessaire que l'Église naissante fût parée des ornements qui furent en usage dans la suite. Elle était alors assez ornée par la présence sensible de son divin époux ; elle était assez parée par l'éclat des miracles que Jésus-Christ et ses Apôtres faisaient tous les jours à la vue de tout le monde. D'ailleurs, elle n'était pas encore paisiblement établie sur la terre, et ce ne fut qu'aux jours de la tranquillité que son état extérieur commença à changer de face.

Car l'on sait, qu'au rapport d'Eusèbe, l'empereur Constantin commença le premier à faire bâtir des églises magnifiques, et à introduire les ornements dans le service divin, parce que sous son empire la religion chrétienne commença à être tranquille et à jouir de quelque prospérité.

Puisqu'il est donc constant, par toutes les preuves que nous en avons apportées, que l'Église, dans les temps qu'elle l'a pu, a employé au service divin des ornements à peu près semblables à ceux dont nous nous servons aujourd'hui, les prétendus réformés doivent reconnaître que l'on n'a jamais cru, comme eux, que l'état extérieur de la religion dût être toujours absolument le même qu'il était au commencement ; et que, par conséquent, l'on n'a jamais cru aussi que l'humilité et la simplicité recommandées aux chrétiens par l’Évangile, dussent être gardées dans l'extérieur du culte divin ; mais que cette humilité devait être pratiquée par les chrétiens, dans tout ce qu'ils faisaient pour eux-mêmes, et nullement dans ce qu'ils faisaient pour le service de Dieu.

Outre la pratique constante et perpétuelle de l'Église, les simples lumières de la raison nous font connaître qu’il doit y avoir une extrême différence entre ces deux rapports de conduite. L'homme, pour lui-même, ne doit être qu'humilité ; tout ce qu'il pense, tout ce qu'il dit et tout ce qu'il fait pour lui-même, doit sentir le néant et la misère de sa condition ; mais il en doit être autrement de ce qu'il fait pour Dieu. Il peut consacrer à son service tout ce qu'il y a de plus précieux sur la terre ; il n'a rien a épargner pour travailler à sa gloire ; ainsi les chrétiens peuvent employer, dans cette intention, tout ce que l'art humain a de plus industrieux, et la nature offre de plus riche, sans crainte de sortir de l'humilité et de la simplicité dont ils font profession.

La magnificence des temples, l'or des tabernacles, la majesté des cérémonies, la richesse des ornements, la musique, l'encens, les luminaires, l'argent, l'or et les pierres précieuses, toutes les richesses enfin, étant consacrées à Dieu, ne tirent point les chrétiens de leur caractère d'humiliation ; au contraire, elles leur apprennent le légitime usage qu'ils en doivent faire, en les employant au service de celui qui a tout créé pour sa gloire.

C'est Jésus-Christ qui nous a appris cette vérité. Il était l'humilité même ; néanmoins, il loua l'action de cette pieuse femme qui, par un saint zèle, répandit sur sa tête un vase plein d'un parfum de grand prix. A quoi bon cette profusion et cette perte1 ? dirent quelques-uns de ceux qui étaient présents à cette action ; on pouvait vendre cette huile plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Voilà le sentiment des prétendus réformés ; mais Jésus-Christ censura ceux qui parlaient de la sorte, et leur dit : Ce que cette femme vient de faire envers moi est une bonne œuvre ; je vous dis en vérité que partout où sera prêché cet Évangile, qui le doit être dans tout le monde, on racontera à sa louange ce qu'elle vient de faire envers moi1.

Voilà la conduite que nous avons à tenir dans tout ce que nous faisons pour la gloire de Dieu et pour son service. Comme nous le devons aimer de tout notre cœur, de toute notre force et de toute notre pensée, aussi nous devons le glorifier de tous nos moyens. En ce cas, la modération et la simplicité, recommandées partout ailleurs aux chrétiens, seraient un défaut ; ici, l'excès et la profusion sont des vertus agréables à Dieu, qui jettera les tièdes hors de sa bouche, et aime les âmes ferventes et embrasées d'amour.

Ceux qui sont d'un sentiment contraire, sous prétexte que la simplicité est recommandée aux chrétiens, sont bien éloignés du zèle de l'homme selon le cœur de Dieu, qui veut que toutes les créatures soient employées à la célébration de sa gloire2.

Il est donc certain que les prétendus réformés se trompent extrêmement, et expliquent l’Évangile contre son véritable sens, lorsqu'ils affectent l'humilité et la simplicité dans l'extérieur du service divin, et condamnent généralement tous les ornements et tout l'extérieur du culte de l'Église catholique.

C'est en vain que M. Claude nous dit : Que l'éclat extérieur dont sont frappés les sens, a toujours été le caractère des religions corrompues. S'il en était ainsi, la religion des Juifs n'aurait pas été la bonne religion, comme elle l'a été ; car, quelle religion dans le monde a jamais eu un plus grand éclat extérieur ? Lisons-nous dans aucune histoire, qu'il y ait eu rien d'égal à la magnificence du temple de Jérusalem ? Cependant, c'était Dieu même qui l'avait ainsi ordonné. Comment donc ose-t-on soutenir que l'éclat extérieur a toujours été le caractère des fausses religions ?

Cet éclat extérieur, diront les prétendus réformés, était bon pour l'ancienne alliance ; mais il ne convient pas à la nouvelle, qui a aboli l'ancienne. Mais, premièrement, si cet éclat extérieur était le caractère des fausses religions, Dieu ne l'aurait jamais donné à la véritable, comme je viens de le remarquer.

Secondement, c'est une erreur de croire que la nouvelle alliance ait aboli ce que l'ancienne avait de bon, de saint et de juste ; elle n'a aboli que ce qu'il y avait de figuratif et de typique dans le culte, de dur et de rigoureux dans la loi, comme je le prouverai dans l'article suivant. Quand je dis figuratif et typique, je parle de tout ce qui était la figure et l'ombre dont le corps était en Jésus-Christ ; parce qu'étant effectivement venu dans le temps prédit par les Prophètes, il fallait bien que tout ce qui le représentait, comme devant venir, fût aboli après sa venue.

Mais, la riche structure du temple de Jérusalem, la richesse de ses ornements, et en général tout l'éclat extérieur du service judaïque, n'avait rien qui figurât le Messie promis ; au contraire, cet éclat pouvait porter les Juifs à se tromper sur sa venue, et était propre à leur persuader, comme il l'ont cru en effet, que le Sauveur attendu dans une maison si magnifique serait revêtu d'une grandeur temporelle. Puis donc que cet éclat extérieur bien considéré, n'avait rien de figuratif et de typique ; que Dieu l'avait ordonné ; qu'il était par conséquent bon, saint et juste, n'y ayant rien de plus naturel ni de plus légitime, comme nous l'avons déjà dit, que d'employer au service divin tout ce que nous avons de plus précieux, pourquoi veut-on que cet éclat extérieur ait été aboli, et que ce que Dieu ordonna aux Juifs ait été défendu aux chrétiens ?

Mais, disent les ministres, Jésus-Christ est venu au monde dans un état d'humiliation et d'anéantissement ; il est né dans la misère ; il a vécu dans la bassesse ; il est mort dans l'ignominie ; l'Église, son épouse, doit donc suivre son exemple, et se contenter, comme dit M. Claude, de gagner le cœur et l'esprit par la majesté de ses doctrines, et par la sainteté de ses préceptes ; et quant au reste, elle doit garder la simplicité.

Je réponds, premièrement, qu'à la vérité les principales parures de l'épouse de Jésus-Christ doivent être les doctrines qu'elle enseigne, les préceptes qu'elle donne, et les grandes vérités qu'elle annonce ; et ce sont là véritablement les seuls ornements qui la rendent agréable aux yeux de son divin époux. Mais comme elle doit avoir nécessairement un corps visible sur la terre, il est aussi convenable qu'elle ait un extérieur grand et majestueux.

L'Église d’Israël n'était sans doute la vraie Église, que parce qu'elle attendait le Messie ; tous les fidèles qui ont vécu dans sa communion ont été sauvés par la foi et par l'espérance en Jésus-Christ, qui devait venir, et qui avait été promis. Cette Église attendait un Messie dont toutes les humiliations et toutes les souffrances étaient prédites ; les sacrifices qu'elle célébrait tous les jours lui mettaient devant les yeux la mort douloureuse que devait souffrir le Sauveur qu'elle attendait ; elle voyait dans les prophéties tous les anéantissements de sa vie, et toutes les circonstances de sa passion.

Cependant cette Église, par l'ordre exprès de Dieu même, n'a pas laissé d'avoir le plus grand éclat extérieur qu'aucune religion ait jamais eu, quoiqu'elle attendit un Messie qui devait mourir, mais qui n'avait pas encore triomphé de la mort. Pourquoi donc veut-on que l'Église chrétienne, épouse d'un Messie ressuscité, n'ait point d'ornements extérieurs après sa triomphante résurrection ?

Secondement, bien que l'Église chrétienne soit l'épouse de Jésus-Christ, néanmoins on ne doit pas inférer de là qu'elle ne doit avoir absolument aucun éclat extérieur ; parce, s'il est vrai que Jésus-Christ a vécu dans une extrême humilité, il est vrai aussi que dans son plus profond abaissement il a toujours fait briller aux yeux des hommes quelque éclat de sa majesté.

Il naquit dans l'obscurité d'une étable, mais en même temps une nouvelle étoile parut dans le ciel. De simples bergers se trouvèrent à sa naissance ; mais les rois de la terre lui vinrent aussi rendre hommage. Il fut emmailloté dans une crèche ; mais il fit trembler Hérode sur son trône. Il fut baptisé dans le désert ; mais les cieux s'ouvrirent sur sa tête. Il fut exposé à la faim et à la soif ; mais il en garantit miraculeusement. Il fut tenté par le diable ; mais il le chassa du corps des possédés. Il conversait avec de misérables pécheurs ; mais il commandait à la mer et apaisait les tempêtes. Il mourut sur une croix ; mais en mourant il ressuscita les morts. Il fut enseveli dans un tombeau ; mais il en sortit victorieux. Il descendit aux enfers ; mais il fut élevé dans les cieux sur une nuée, comme sur un char de triomphe.

Ainsi, la vie et la mort de Jésus-Christ ayant été un mélange de grandeur et d'humilité, de force et de faiblesse, de gloire et d'ignominie, l'Église, son épouse, pour marcher exactement sur ses traces, ne doit pas être toujours dans un état vil et abject ; mais parmi ses mortifications et ses humiliations les plus profondes, elle doit quelquefois faire paraître aux yeux des hommes quelque éclat extérieur de sa majesté et de sa gloire.

Elle est l'épouse d'un Homme-Dieu, et elle doit exprimer l'un et l'autre de ces caractères dans son état extérieur, ainsi que Jésus-Christ les a exprimés : quelquefois dans les souffrances, et quelquefois dans la prospérité ; quelquefois errante dans les déserts et employée, comme nous lisons dans l’Écriture sainte, à garder les vignes1 ; et quelquefois aussi, comme dit le prophète David, à la droite de son Époux, parée d'or le plus précieux2.

Ce que nous venons de dire sert de réponse à ce que les prétendus réformés ont enfin accoutumé d'alléguer sur ce sujet, lorsqu'ils nous opposent l'exemple de l'Église primitive. Car, quand ils nous diront que du temps de Jésus-Christ et de ses Apôtres, les chrétiens n'avaient ni temples magnifiques, ni ornements dans leur service, ni aucun éclat extérieur dans leurs cérémonies ; outre les réponses déjà développées, nous leur répondrons encore, premièrement, que l'Église chrétienne, pour se conformer à la qualité d’Épouse de Jésus-Christ, a dû être dans le monde sous différents états.

C'est de ces états différents que parle saint Jérôme, quand il dit : « Nous avons vu accomplir toutes ces choses dans le temps de la persécution de l'Église de Jésus Christ, lorsque la fureur et la rage de ses persécuteurs étaient si enflammées, qu'ils renversaient nos églises. Qui l'aurait cru, que ces mêmes églises auraient été rebâties par ceux-là même qui les avaient abattues ? Ce n'est pas qu'ils ne fussent les mêmes hommes ; mais c'est que la puissance royale, qui auparavant nous tendait sans cesse des embûches et faisait tous ses efforts pour éteindre le nom de Jésus-Christ, comme si le sénat l'eût ordonné, relève aujourd'hui les églises et les saints édifices aux dépens même de la république, et non-seulement fait dorer leurs toits, mais même fait revêtir leurs murailles de toutes sortes de marbres3. »

Secondement, nous répondrons aux prétendus réformés qu'ils prétendent, sans raison, comparer l'état extérieur de l’Église d'aujourd'hui, avec celui de l’Église dans sa naissance ; parce que Dieu ne voulut pas la faire paraître tout d'un coup dans le monde avec toute la grandeur et toute la majesté qu'elle eut dans la suite, mais il a voulu qu'elle suivît la loi de tous les autres ouvrages qui sont sortis de sa main, et qui ont été conduits, peu à peu, à leur perfection.

Dieu pouvait sans doute, dans un clin d'œil, créer les cieux et la terre avec toute la beauté qu'il leur donna dans six jours. Il n'avait qu'à dire : Que les cieux et la terre soient ; et les cieux et la terre auraient été ; mais il a voulu par degrés et successivement, conduire ce grand ouvrage à sa dernière perfection.

Il pouvait encore donner, tout d'un coup, à son ancienne Église d’Israël, tout l'éclat extérieur qu'elle eut dans la suite du temps ; néanmoins, il voulut qu'elle parvînt peu à peu à ce haut degré de gloire où elle fut élevée sous le règne de Salomon.

Ainsi, il a été de son bon plaisir que l’Église chrétienne, ouvrage de son amour et de sa puissance, ait suivi le même ordre ; et comme l'alliance de la nature et l'alliance légale étaient les types et les figures de l'alliance de la grâce, il a fallu que cette dernière ait été formée sur le patron des deux autres.

C'est ce que les prétendus réformés ne pourront pas éviter de reconnaître, s'ils veulent ici faire réflexion au rapport qu'il y a entre tous les différents états extérieurs de l’Église d’Israël, et ceux de l’Église chrétienne.

Les premiers fidèles de l'ancienne Église étaient errants sur la terre ; ils n'avaient ni temples, ni cérémonies, ni éclat extérieur dans leur culte ; ils servaient Dieu dans les déserts, dans les plaines et sur les montagnes ; ils offraient leurs sacrifices sur des autels de pierre ou de terre qu'ils bâtissaient dans la campagne dans les lieux où ils se trouvaient. Vous me ferez un autel de terre, dit Dieu dans l'Exode, sur lequel vous sacrifierez vos holocaustes ; si vous me faites un autel de pierres, vous ne les taillerez point1.

De même, les premiers chrétiens étaient dispersés en plusieurs endroits de la Judée, et dans les autres provinces de l'Empire romain ; ils n'avaient ni églises, ni ornements dans leur culte ; ils faisaient le service divin au troisième étage des maisons, sur les rivages de la mer, dans les bois et dans les fentes des rochers2. Leurs calices étaient, au commencement, de bois, et ils furent ensuite de verre, comme nous l'apprennent saint Jean Damascène, Strabon, Tertullien et saint Jérôme3.

L’Église judaïque, dans sa naissance, gémit longtemps sous la servitude de divers peuples, et fut exposée à la tyrannie et à la persécution de plusieurs ennemis. Les Assyriens, les Moabites, les Chananéens, les Madianites, les Amalécites, les Arabes, les Philistins et les Égyptiens, l'exposèrent tour à tour à divers orages.

De même, l’Église chrétienne dans son commencement fut longtemps exposée à la fureur des empereurs païens, et à la persécution de toutes les nations du monde, qui s'opposaient à son établissement.

L'ancienne Église, après avoir été longtemps inconnue sur la terre, et agitée par divers orages, se vit enfin dans un état florissant et dans une parfaite tranquillité sous le règne de Salomon. Voici un fils qu'il vous naîtra, dit Dieu au roi et prophète David ; ce sera un homme paisible, et je donnerai paix et repos à Israël en son temps4. Alors, au lieu des autels de terre, ou de pierres non taillées, cette Église vit consacrer à Dieu le temple le plus magnifique qu'il y ait jamais eu dans le monde. Alors elle parut aux yeux des hommes avec toute la majesté que le plus grand éclat extérieur peut donner. La maison que je veux bâtir à l’Éternel, disait alors David, doit être telle qu'elle soit nommée avec admiration chez tous les peuples. J'ai préparé, pour la maison de l’Éternel, cent mille talents d'or, et un million de talents d'argent1.

De même, l’Église chrétienne, après avoir été longtemps sur la terre dans la pauvreté et dans la souffrance, se vit enfin dans le calme et dans la prospérité sous l'empire de Constantin, qui « tira l'Église, comme dit le cardinal Baronius2, de la bassesse de son berceau, et la mit dans l'état glorieux de son parfait établissement. » Ce fut alors, qu'au lieu que dans sa naissance elle n'était composée ni de beaucoup de nobles, ni de beaucoup de riches, comme dit l’Évangile, elle vit à ses pieds les sceptres et les couronnes, et presque toutes les puissances de la terre soumises à ses saintes lois.

Jusques alors elle avait été obligée de se cacher aux yeux des hommes lorsqu'elle célébrait ses sacrés mystères, et à l'exemple de son époux, elle n'avait eu aucun lieu où elle pût reposer sa tête3. Mais alors elle vit s'élever par toute la terre des temples magnifiques. Les fêtes du christianisme commencèrent à être publiquement solennisées, et ses sacrés mystères furent célébrés avec tous les ornements que la piété et la libéralité des rois chrétiens consacrèrent au service divin4.

C'est donc mal à propos que les prétendus réformés nous opposent l'exemple de la primitive Église, pour condamner ce que l'Église catholique a de grand et de majestueux dans l'extérieur de son culte et de ses cérémonies.

Mais après tout, ils se trompent bien, quand ils disent que l'Église, dans sa naissance, n'avait aucun éclat extérieur, et qu'il veulent inférer de là qu'elle doit garder aujourd'hui cette prétendue simplicité des siècles apostoliques.

Il est vrai, comme nous l'avons déjà dit, que l'Église naissante était différente, pour l'extérieur, de ce qu'elle est aujourd'hui. Mais, si elle n'était pas alors revêtue de la magnificence dont elle est présentement ornée, les prétendus réformés doivent considérer qu'elle était alors parée, comme nous l'avons remarqué ci-devant, de la présence sensible de Jésus-Christ, et de l'éclat des miracles qui la rendaient mille fois plus brillante aux yeux des hommes, que toute la magnificence humaine. J'avoue que saint Pierré, les autres Apôtres et les premiers évêques n'étaient revêtus d'aucune grandeur temporelle ; mais ils ressuscitaient les morts, ils donnaient la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, et ils guérissaient les hommes de toutes sortes d'infirmités et de maladies ; ce qui les rendait plus dignes de considération que tous les avantages temporels dont jouissent aujourd'hui leurs successeurs.

L'Église chrétienne a donc toujours eu un éclat extérieur, et comme Dieu ne s'est jamais laissé sans témoignage, ainsi que l'Écriture nous l'apprend, le don de faire des miracles n'eut pas plus tôt cessé d'être dans la religion, que la prospérité y entra. Et si les prétendus réformés voulaient considérer ces faits sans passion, ils verraient que Dieu avait tenu encore la même conduite dans l'ancienne Église. Tandis qu'elle était errante sur la terre, il fendait pour elle les mers ; il tirait de l'eau d'un rocher aride ; il la nourrissait avec la manne qui tombait du ciel ; il faisait marcher devant elle une colonne de feu pour la conduire ; enfin, il donnait aux chefs de cette Église le pouvoir de faire des miracles continuels pour sa conservation. Mais lorsque les miracles vinrent à cesser, le calme et la prospérité commencèrent ; et l'extérieur grand et majestueux qu'elle fit paraître alors aux yeux des hommes, tint la place de l'éclat des miracles qui n'étaient plus de saison après son parfait établissement.

On voit donc par tout ce que je viens de dire sur ce sujet, premièrement, que les prétendus réformés ont tort de nous reprocher d'avoir revêtu la religion d'une pompe mondaine qui ne convient point au christianisme, puisque toute cette magnificence est uniquement destinée au service de Dieu, et que par conséquent elle n'est point mondaine, mais juste, sainte et légitime.

Secondement, que l'humilité et la simplicité, recommandée aux chrétiens par l’Évangile, est l'humilité et la simplicité du cœur, et non pas une simplicité qu'il faille garder dans l'extérieur du culte rendu à l’Éternel.

Enfin, que l'Église chrétienne a dû être dans le monde sous différents états pour imiter parfaitement Jésus-Christ, son fondateur et son modèle ; et que les chrétiens, sans sortir de l'humiliation qui fait leur véritable caractère, peuvent consacrer au service de Dieu tout ce qu'il y a de plus précieux sur la terre, afin que l'Église soit revêtue d'une majesté extérieure, qui tienne la place de l'éclat des miracles dont elle était autrefois ornée.

Article 4 : Réponse à la seconde objection, qui est : Que l'Église catholique a accablé le christianisme d'un aussi grand nombre de cérémonies que l'alliance légale ; et que cette Église oblige les chrétiens à des observances plus rigoureuses que celles de la loi judaïque.

Afin qu'on ne m'accuse point de n'avoir pas rapporté la seconde objection des prétendus réformés dans toute son étendue et avec toutes ses preuves, voici les propres termes de celui de leurs ministres qui tient aujourd'hui le premier rang parmi eux. « Une des premières images, dit M. Claude, qui se présentait à nos pères, était celle de ce grand nombre de cérémonies dont ils voient la religion ou parée ou accablée ; il importe peu lequel des deux on dise. Car, de quelque manière qu'on le prenne, c'était toujours un véritable portrait de l'ancienne économie de Moïse, qui semblait être revenue au monde. Ils y remarquaient des sacrifices extérieurs, des vêtements sacerdotaux, des gestes et des actions mesurées, des fêtes solennelles, des distinctions de viandes, des autels, des luminaires, des vaisseaux sacrés, des encensements, des jeûnes réglés tous les ans, des figures allégoriques, beaucoup de choses en particulier, tout-à-fait semblables à celles qui se pratiquent sous la loi, et en général une grande conformité avec l'ancien culte dans cet amour, et dans cet usage excessif des cérémonies. C'était sans doute un caractère fort opposé à celui de l’Évangile de Jésus-Christ, où l'esprit règne, et non pas la lettre, et qui est affranchi de tout ce grand apparat d'observations extérieures. Saint Paul, ajoute-t-il, appelle ces observations, des rudiments faibles et pauvres, un joug de servitude ; les rudiments du monde, l'ombre des choses qui étaient à venir, dont le corps est en Jésus - Christ ; et saint Pierre, un joug que ni les Juifs de son temps, ni leurs pères n'avaient pu porter. Quelle' apparence, dit-il enfin, qu'ils eussent parlé de la sorte, si l'Église chrétienne eût dû être elle-même chargée d'autant ou plus de cérémonies que la Synagogue ; et si, comme parle Tertullien, Dieu n'eût ôté les difficultés de la loi, pour mettre en leur place les facilités de l’Évangile ? Ne nous auraient-ils prêché l'esprit et la liberté, que pour nous remettre encore sous une lettre ou sous une servitude beaucoup plus insupportable que la première ? »

Dans cette objection, ainsi qu'il est aisé de le remarquer, M. Claude revient encore sur l'article des ornements extérieurs de l'Église catholique, sur les vêtements sacerdotaux, les autels, les luminaires, les vaisseaux sacrés et les encensements. Mais, puisque nous y avons suffisamment répondu dans l'article précédent, je ne dois pas ici m'y arrêter davantage.

Le reste de son objection se réduit à deux chefs principaux. Dans le premier, il accuse l'Église catholique d'avoir accablé le christianisme d'autant ou plus de cérémonies, que la Synagogue, sous prétexte que cette Église, pour faire le service divin avec ordre et bienséance, a réglé la manière en laquelle il doit être fait, conformément à ce qui a toujours été pratiqué dans la religion chrétienne.

Et dans le second, il l'accuse d'avoir remis les chrétiens sous une lettre et sous une servitude beaucoup plus insupportable que la première, sous prétexte qu'elle exige d'eux des jeûnes, des abstinences de viandes et d'autres observations pour les porter à la sainteté.

Il fonde son premier chef d'accusation sur ce que la parole de saint Paul, qui condamne, selon lui, l'usage des cérémonies chrétiennes, et c'est à ces cérémonies qu'il prétend appliquer la défense faite par l'Apôtre aux Galates et aux Colossiens, d'avoir recours aux rudiments et aux instructions grossières de la loi, qu'il appelle faibles et pauvres, l'ombre et la figure des choses dont le corps et la vérité sont en Jésus-Christ.

Et il fonde son second chef d'accusation, sur l'autorité du même Apôtre qui lui paraît réprouver nos jeûnes, nos abstinences, et généralement toutes nos pratiques de piété, quand il dit que les chrétiens ont été affranchis du joug de servitude, que ni les Juifs, du temps de saint Pierre, ni leurs pères n'avaient pu porter, et que par conséquent ils sont exempts de toutes les difficultés de la loi, et doivent jouir de la liberté Évangélique.

Je réponds que ces deux accusations reposent sur deux principes manifestement faux, comme je le ferai voir tout-à-l'heure, et sur deux exagérations si prodigieuses, que ceux des prétendus réformés qui ont quelque sincérité, en seront surpris, s'ils veulent bien prendre la peine de me suivre dans l'examen que je me propose d'en faire à la fin de cet article.

Premièrement, je dis que les deux principes sur lesquels reposent ces deux accusations, sont manifestement faux ; parce qu'ils sont uniquement appuyés sur les fausses explications que les prétendus réformés donnent aux passages de l'Écriture qu'ils allèguent.

Pour être plus court, je prouverai la fausseté de ces deux principes en même temps, parce qu'elle s'infère des mêmes textes de l'Écriture, et que je serais obligé de les citer deux fois, si je voulais diviser ces matières, et montrer séparément la fausseté de chaque principe en particulier.



Afin de prouver clairement ce que je viens d'avancer, je dois poser d'abord une vérité dont les plus préoccupés des prétendus réformés ne sauraient éviter de convenir, parce que je la démontrerai sur des passages précis et formels de l’Évangile, par les mêmes passages qu'ils ont coutume de nous opposer.

Cette vérité est que, lorsqu'il est dit dans l'Écriture, que nous ne devons plus avoir recours à ce que saint Paul appelle des rudiments faibles et pauvres, les rudiments du monde, l'ombre des choses à venir dont le corps est en Jésus-Christ, il ne faut pas entendre par là, comme le veulent insinuer les ministres, que les chrétiens, ne doivent point être assujettis à l'observation d'aucunes cérémonies dans le service public qu'ils rendent à Dieu, comme si l’Évangile les avait abolies ; c'est une fausse explication ; mais il faut entendre que l’Évangile a entièrement aboli la circoncision charnelle, les oblations, les sacrifices, les holocaustes que les Juifs étaient obligés d'offrir pour la purification de leurs souillures corporelles et spirituelles ; et toutes les cérémonies, les ordonnances et les statuts qui regardaient ces pratiques légales ; en un mot, il faut entendre que tout ce qu'il y avait de figuratif et d'allégorique dans la circoncision et dans tous les sacrifices de l'ancienne loi, a pris fin par la circoncision spirituelle que l'Évangile a enseignée, et par le sacrifice de la croix.

Et lorsqu'il est dit aussi dans l'Écriture, que nous avons été affranchis de toutes ces observances que saint Paul appelle un joug de servitude, une lettre qui tue, et saint Pierre, un joug que, ni les Juifs de son temps, ni leurs pères n'avaient pu porter, il ne faut pas entendre par là, ainsi que le veulent les prétendus réformés, que nous avons été affranchis des jeûnes, des abstinences, de l'observation des jours de fête, et de tout ce qui peut nous porter à la sanctification ; c'est une explication fausse. Mais il faut entendre qu'en vertu de la nouvelle alliance, cimentée entre Dieu et nous par Jésus-Christ, nous sommes affranchis, non-seulement de cette loi sévère et terrible qui obligeait le peuple Juif à un nombre presque infini d'observances pénibles, mais principalement de la malédiction dénoncée à tous ceux qui n'observaient pas exactement et à la lettre tout ce qui était contenu dans le livre de cette loi rigoureuse.

Voilà le vrai sens de tous ses passages ; voilà ce qui a été aboli ; voilà l'affranchissement des chrétiens, et en quoi consiste la liberté et la facilité de l'Évangile, qui a succédé aux rigueurs et aux difficultés de la loi. Venons aux preuves de cette vérité.

Ces textes de l'Écriture, que M. Claude et tous les ministres nous opposent, sont tirés du quatrième chapitre de l’Épître de saint Paul aux Galates ; du deuxième de son Épître au Colossiens, et du quinzième des Actes des Apôtres. Or, il est constant que dans tous les endroits, l'Écriture ne parle ni directement ni indirectement des cérémonies de l'Église chrétienne, ni des pratiques que les chrétiens doivent observer pour s'exciter à la piété : mais la sainte Écriture blâme seulement ceux des Juifs qui, ayant embrassé nouvellement le christianisme, voulaient recourir à leur circoncision, aux ordonnances et aux observations des lois de Moïse, et croyaient que l'Évangile ne pouvait point les sauver, s'ils ne se faisaient circoncire, et s'ils ne se soumettaient à toutes les autres pratiques de leur première loi.

Examinons succinctement, et par ordre, les trois endroits de l'Écriture qu'on nous oppose, et que nous venons de citer ; et nous verrons que c'est là le vrai sens de ces passages.

Premièrement, l'on ne saurait douter que ce ne soit le but que saint Paul se propose dans le Texte du quatrième chapitre de son Épître aux Galates. Car, dans le commencement de cette Épître, il censure les Églises de Galatie qui étaient sorties du judaïsme, de ce qu'elles voulaient délaisser Jésus-Christ. Il avertit les Galates qu'il y a des gens parmi eux qui tendent à renverser l'Évangile. Il avoue qu'il a été un des plus ardents zélateurs du judaïsme ; mais que depuis sa conversion miraculeuse et sa vocation à l'Apostolat, il a toujours annoncé fidèlement Jésus-Christ.

Dans le second chapitre, il dit qu'il alla avec Tite à Jérusalem ; que Tite, bien qu'il fût grec, ne fut point circoncis, à cause des faux frères qui s'étaient, dit-il, secrètement glissés parmi nous pour changer en servitude la liberté que nous avons en Jésus-Christ. Il ajoute qu'à Antioche il avait repris saint Pierre de ce qu'il contraignait les Gentils à judaïser.

Dans le chapitre troisième, il appelle les Galates insensés et ensorcelés de vouloir abandonner l'Évangile de Jésus-Christ, et d'avoir recours à la loi de Moïse pour être sauvés. Il prouve que les hommes ne peuvent point être justifiés par l'observation de cette loi  ; mais que Jésus-Christ nous a délivrés de la malédiction qu'elle prononce, ayant été fait malédiction pour nous. La loi, dit-il, nous a servi de conducteur pour nous mener comme des enfants à Jésus-Christ, afin que nous fussions justifies par la foi.

Dans le quatrième chapitre il poursuit son dessein : il explique en quoi consiste l'influence de cette loi sur la conduite de l'homme, par la similitude tirée d'un pupille qui est encore sous la tutelle ; et il déclare que par la venue de Jésus-Christ nous avons été affranchis de cette (servitude. Or, maintenant, dit-il, et voici le texte dont il est question, que je rapporterai de la traduction des prétendus réformés, afin qu'on ne nous accuse point d'y avoir rien changé : Or, maintenant que vous avez connu Dieu, comment retournez-vous de rechef aux rudiments faibles et pauvres auxquels vous voulez de nouveau servir comme auparavant.

Cet Apôtre commence le chapitre suivant en ces termes : Demeurez donc fermes dans cette liberté que Jésus-Christ vous a acquise, et ne vous remettez point de nouveau sous le joug de la servitude : car, je vous dis, moi Paul, que si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien ; et de plus, je déclare à tout homme qui se fera circoncire, qu'il est obligé de garder toute la loi. Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous n'avez plus de part à Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce. Dans toute la suite de cette Épître il enseigne la même doctrine, qu'en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l'incirconcision ne servent de rien, mais la foi qui est animée par la charité1.

Secondement, dans l'autre passage que les ministres nous opposent, et qui est tiré du second chapitre de l’Épître de saint Paul, aux Colossiens, il est constant que cet Apôtre explique dans le même sens, ce qu'il entend par les rudiments du monde, et l'ombre des choses qui étaient à venir, mais dont le corps est en Jésus-Christ. Car, après avoir exhorté les Colossiens de prendre garde de n'avoir point recours aux rudiments du monde, mais à vivre en Jésus-Christ, selon l'instruction qu'ils en avaient reçue ; c'est en lui, dit-il, que vous êtes circoncis d'une circoncision qui n'est point faite par la main des hommes, mais qui consiste dans le dépouillement du corps des péchés que produit la concupiscence charnelle, c'est-à-dire de la circoncision de Jésus-Christ.

En troisième lieu, le dernier passage que les ministres nous opposent, et qui est tiré du quinzième chapitre des Actes des Apôtres, nous enseigne clairement, que le but de saint Paul et de saint Pierre n'est que de condamner la croyance où étaient les Juifs nouvellement convertis à la foi, qu'ils ne pouvaient être sauvés s'ils ne se faisaient circoncire, et s'ils ne gardaient toutes les ordonnances légales.

Pour dissiper tous les doutes, examinons ce texte par ce qui le précède, et par ce qui le suit. Or, quelques-uns qui étaient venus de Judée, dit l'Historien sacré, enseignaient cette doctrine aux frères : Si vous n'êtes circoncis selon la pratique de la loi de Moïse, vous ne pouvez être sauvés. Mais Paul et Barnabé s'étant élevés fortement contre eux, il fut résolu qu'ils iraient avec quelques-uns d'entre les autres à Jérusalem vers les Apôtres et les prêtres pour leur proposer cette question. S'étant donc assemblés à Jérusalem, voici en propres termes de quelle manière saint Pierre opina sur ce sujet : Mes frères, vous savez qu'il y a longtemps que Dieu m'a choisi d'entre nous, afin que les Gentils entendissent, par ma bouche, la parole de l'Évangile, et qu'ils crussent. Et Dieu qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, leur donnant le Saint-Esprit aussi bien qu'à nous ; et il n'a point fait de différence entre eux et nous, ayant purifié les cœurs par la foi. Pourquoi donc tentez-vous maintenant Dieu, et voici les paroles dont il est question : en imposant aux disciples un joug que, ni nos pères ni nous n'avons pu porter ? Mais nous croyons, remarquez bien ces mots que les ministres se gardent bien d'ajouter : mais nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ que nous serons sauvés aussi bien qu'eux. Après cela, n'est-il pas clair comme le jour, que par ce joug dont parle saint Pierre, il faut entendre seulement la croyance dans laquelle étaient les Juifs nouvellement convertis, qu'on ne pouvait être sauvé sans pratiquer la circoncision et sans observer exactement toutes les ordonnances de l'ancienne loi ? Et il faut bien que ce soit là ce joug et cette servitude, puisque tout le sujet de la dispute, comme nous venons de le voir, venait de ce que quelques-uns enseignaient que si l'on n'était circoncis selon la pratique de la loi de Moïse, l'on ne pouvait être sauvé, et que saint Pierre finit son raisonnement par ces termes : Mais nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ que nous serons sauvés aussi bien qu'eux.

Il est donc constant que dans ces trois passages allégués, saint Paul et saint Pierre ne condamnent en aucune manière l'usage des cérémonies dans l'Église chrétienne, ni les saintes pratiques dont les chrétiens se servaient pour s'exciter à la piété, et dont les Juifs avaient fait usage ; mais que ces Apôtres se proposent uniquement de condamner la doctrine de ceux qui, après avoir embrassé la foi, croient encore qu'il fallait nécessairement recourir aux observations légales pour être sauvé.

C'est pour cela que saint Paul disait aux Galates, comme nous venons de le voir : Vous qui voulez être justifiés par la foi, vous n'avez plus de part à Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce : c'est ce qu'il appelle, délaisser Jésus-Christ ; renoncer à l'Évangile, avoir recours aux rudiments faibles et pauvres, renoncer à la liberté que nous avons en Jésus-Christ, se remettre sous un joug de servitude ; c'est ce que saint Pierre appelle, comme nous l'avons dit, un joug que, ni ceux de son temps, ni leurs pères n'avaient pu porter, et l'ombre des choses dont le corps et la vérité sont en Jésus-Christ.

Que l'on parcoure tous les écrits divinement inspirés, que l'on confère tous les passages qui traitent de cette matière, et l'on verra que cette vérité est généralement partout répandue. Saint Paul s'en explique en ces termes, dans son Épître aux Hébreux : La première loi est abolie comme impuissante et inutile, parce que la loi ne conduit personne à une parfaite justice ; mais une meilleure espérance, par laquelle nous nous approchons de Dieu, a été substituée en sa place1.

Car la loi, dit-il dans la suite de cette Épître, n'ayant que l'ombre des biens à venir, et non la solidité même des choses qui y étaient représentées, ne peut jamais par l'oblation des mêmes hosties qui s'offrent toujours chaque année, rendre justes et parfaits ceux qui s'approchent de Dieu2. La loi de l'esprit de vie qui est en Jésus-Christ, dit le même Apôtre, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort : car, ce qu'il était impossible que la loi fît, la chair la rendant faible et impuissante, Dieu l'a fait en envoyant son propre Fils3. Nul de vous, dit saint Jean, ne met en effet la loi4. Nulle chair, dit encore saint Paul, ne sera justifiée devant Dieu par les œuvres de la loi5.

Ce ne sont donc pas les cérémonies que l'on pratique dans le service public de la religion chrétienne, qu'il faut entendre par ces rudiments faibles et pauvres, et par ces ombres, dont le corps et la vérité sont en Jésus-Christ ; ce sont les oblations, les holocaustes et les sacrifices de l'ancienne loi, et toutes les ordonnances qui s'y rattachaient.

Ce ne sont donc pas non plus les saintes pratiques dont se servent les chrétiens pour se sanctifier, qu'il faut entendre par ce joug de servitude que, ni les Juifs du temps de saint Pierre, ni leurs pères n'avaient pu porter ; c'est cette condition malheureuse sous laquelle étaient les Juifs qui ne connaissaient point d'autre justification que celle qui venait de l'exactitude à observer tous les points de la loi ; ce qui était absolument impossible.

Joug d'autant plus rude, et servitude d'autant plus insupportable, que cette loi, qui ne pouvait jamais être parfaitement accomplie, ne laissait pas de prononcer malédiction contre ses infracteurs : Malédiction, est-il dit, sur tous ceux qui n'observent pas tout ce qui est prescrit dans la loi6. C'est pour cela que ce joug est appelé dans le Deutéronome, un joug de fer qui brise ceux qui le portent7, et qu'en plusieurs endroits de l'Évangile, Jésus-Christ disait aux Juifs qu'ils étaient esclaves du péché, mais que s'ils croyaient en lui, ils seraient affranchis de l'esclavage.

Les rudiments faibles et impuissants auxquels il ne faut plus avoir recours, et qui ont été abolis ; l'ombre des choses qui a passé, et dont le corps est en Jésus-Christ, sont donc, non pas les cérémonies que l'on pratique dans le service public ; mais la circoncision, les sacrifices de l'ancienne loi, et toutes les choses allégoriques qui représentaient Jésus-Christ.

Le joug et la servitude dont nous avons été affranchis, et la liberté évangélique dont nous jouissons, consiste donc, non pas à être exempts des pratiques et des observances qui peuvent nous porter à la sanctification, mais à être délivrés de la malheureuse condition des Juifs qui ne pouvaient être justifiés que par l'exacte observation de la loi, et surtout affranchis de la malédiction qu'elle prononçait. Jésus-Christ, dit saint Paul, nous a rachetés de la malédiction de la loi, quand il a été fait malédiction pour nous1.

En vérité, il faut être bien aveuglé par la prévention pour ne pas reconnaître, après tant de preuves, que l'explication donnée par les ministres aux trois passages dont nous venons de faire l'examen, est manifestement fausse ; et que par-là même s'écroulent les deux principes sur lesquels ils fondent l'objection à laquelle nous répondons.

Mais avant de quitter cette matière, ajoutons une remarque importante : non-seulement Jésus-Christ et ses Apôtres n'ont pas prétendu abolir les cérémonies dans l'Église chrétienne, je dis même, celles qui pouvaient avoir quelque rapport avec celles des Juifs, et les pratiques saintes et justes qui avaient été observées dans l'ancienne alliance ; mais, au contraire, l'Évangile nous enseigne partout, que Jésus-Christ a conformé en plusieurs points, l'extérieur et la morale de la religion chrétienne, à l'extérieur et à la morale de la religion judaïque, seulement il a changé à l'égard de l'extérieur, ce que cette religion avait de figuratif et de typique, en réalité et en vérité, et proposé, à l'égard de la morale, de garder les mêmes préceptes que les Juifs, mais de les observer dans un plus haut degré de perfection.

Premièrement, pour ce qui regarde l'extérieur de la religion et l'ordre ecclésiastique, l'on ne saurait douter que Jésus-Christ n'ait institué la plus auguste des cérémonies de l'Église chrétienne, sur le plan de celle qui était la plus célèbre parmi les Juifs ; je veux dire la Pâque de la nouvelle alliance, sur le modèle de la Pâque de l'ancienne loi.

Saint Luc, qui rapporte cette institution avec plus d'exactitude que les autres Évangélistes, nous apprend que Jésus-Christ garda toutes les circonstances que les Juifs observaient dans cette cérémonie, le temps, l'heure, les prières, les bénédictions et même les expressions.

Les Juifs avaient un grand législateur qui était Moïse ; les chrétiens ont un souverain législateur qui est Jésus-Christ, dont Moïse était la figure. Moïse n'ordonnait rien aux Juifs que par le commandement exprès de Dieu : ainsi a dit l’Éternel, répétait-il ordinairement ; Jésus-Christ de même en tant qu'homme, nous dit dans l'Évangile, qu'il ne fait rien de lui-même ; qu'il exécute la volonté de son Père qui l'a envoyé ; que les choses qu'il a ouïes de son Père, il les dit au monde2.

Les Juifs distinguaient leurs prières en requêtes, supplications et actions de grâces ; c'est ce que saint Paul a visiblement imité quand il dit : Qu'on fasse des requêtes, des prières, des supplications et des actions de grâces3. Jésus-Christ même, dans le modèle qu'il a laissé pour prier, a imité le formulaire des Juifs, qui était de commencer par les louanges de Dieu, et de faire ensuite la demande des biens dont on a besoin. C'est aussi des Juifs que nous tenons la coutume de prier le matin, le soir et à nos repas. C'est d'eux que nous avons emprunté la forme de l'ordination des prêtres par l'imposition des mains ; pratique que les prétendus réformés ont conservée. Les fêtes les plus solennelles de la religion chrétienne, comme la Pâque et la Pentecôte, étaient observées par les Juifs ; et c'était à leur imitation que le samedi a été longtemps gardé dans l'Église, comme un jour d'assemblée ainsi que le dimanche ; et c'est pour ce motif que les anciens canons défendaient de jeûner ce jour-là.

Enfin, les Juifs avaient dans leurs temples des autels, des chandeliers, des luminaires, des encensoirs, des vêtements sacerdotaux et des vaisseaux sacrés, et nous verrons dans la seconde partie de cet ouvrage que toutes ces pratiques ont été en usage dans l'Église chrétienne, depuis les premiers siècles jusqu'à présent, sans que personne ait jamais contesté la légitimité de ces pieux usages.

En un mot, comme la religion chrétienne ne diffère point en substance de celle des Juifs, qu'elles ont toutes deux le même fondement, qui est Jésus-Christ ; et que d'ailleurs, les premiers chrétiens s'assemblaient ordinairement dans les synagogues, à cause que sous les empereurs païens l'exercice public de la religion chrétienne était défendu, et celui de la judaïque toléré, il ne faut pas trouver étrange qu'il y ait beaucoup de conformité dans l'extérieur de ces deux religions.

Il en est de même de la discipline et de l'ordre ecclésiastique. Moïse laissa son pouvoir à Josué et aux anciens : Jésus-Christ laissa à saint Pierre et aux Apôtres la conduite visible de son Église. Nos conciles répondent au sanédrin ; nos prêtres, aux zékenims, qui est un terme hébreu qui signifie anciens ou presbyteri ; enfin, nos diacres et nos autres ministres inférieurs, répondent aux hazan et aux lévites des Juifs.

Secondement, pour ce qui est des pratiques et des préceptes qui regardent la morale, et que les Juifs observaient pour vivre saintement, bien loin que l'Évangile les ait abolis, au contraire, comme j'ai déjà dit, il nous commande de les garder dans un plus haut degré de perfection.

Peut-on s'expliquer plus formellement que Jésus-Christ l'a fait, quand il dit à cet égard : Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis point venu pour les abolir, mais pour les accomplir. Car je vous dis, ajoute-t-il, que si votre justice n'est plus pleine et plus parfaite que celles des docteurs de la loi et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume du Ciel1. Et ensuite, comme s'il appréhendait de ne s'être pas assez expliqué, il entre dans le détail de ce qui était ordonné aux Juifs, et commande à ses Disciples d'observer les mêmes choses, mais beaucoup plus parfaitement.

Ce n'est donc pas dans le sens des ministres que doivent être interprétées les paroles de Tertullien, quand il dit : « Que Dieu a ôté les difficultés de la loi, pour mettre en leur place les facilités de l'Évangile. » Car, par « les difficultés de la loi, » il entend l'impossibilité qu'il y avait à être justifié devant Dieu par toutes les choses que les Juifs pratiquaient ; et par « les facilités de l'Évangile, » il veut nous faire comprendre combien aisément l'on est justifié par le mérite infini et surabondant du sacrifice de Jésus-Christ.

La preuve que c'est le sens des paroles de Tertullien, c'est qu'il dit lui-même ailleurs, en parlant de ce qui a été aboli de l'ancienne alliance : « La liberté que nous avons en Jésus-Christ, ne fait aucun préjudice à l'innocence ; la loi qui regarde la piété demeure dans son entier1. »

Saint Chrysostôme est du même sentiment. « Il faut maintenant, dit-il, témoigner plus de vertu, parce que nous avons reçu une plus grande effusion de grâces par le Saint-Esprit2. »

Saint Irénée, dans ce passage de ses écrits qui se trouve parmi les ouvrages de saint Athanase, sur le cinquième chapitre de saint Matthieu, dit « que dans cet endroit de l'Évangile, Jésus-Christ exige des chrétiens une plus étroite observation des préceptes de la loi que sous l'ancienne alliance3. »

Les prétendus réformés qui ont un peu de lumières, doivent donc reconnaître ici combien les ministres leur donnent une fausse idée de la liberté chrétienne et évangélique, quand ils leur enseignent qu'elle consiste à être délivré de l'obligation de jeûner, de s'abstenir de viandes, d'observer les fêtes, et de pratiquer la mortification et la pénitence. Car, il est certain que la liberté évangélique ne consiste pas dans l'abolition de ces pratiques, mais se trouve dans la grâce et la miséricorde qui nous sont promises en Jésus-Christ ; au lieu que les Juifs étaient sous une loi qui ne promettait aucun pardon.

Saint Paul nous apprend que, si nous avons été affranchis de la loi du péché, c'est pour servir en justice, et en nouveauté de vie4. Ainsi, quoique nous soyons sous la liberté de l'Évangile, nous devons néanmoins servir : mais nous devons servir comme enfants, et non pas comme esclaves ; nous devons travailler à notre salut avec crainte et tremblement5 ; mais notre crainte doit être filiale, et non pas servile : nous sommes sous une lettre, mais ce n'est plus une lettre qui tue ; nous avons une loi à garder, mais c'est une loi sans malédiction ; nous avons à porter un joug, mais c'est un joug qui est doux et léger : Prenez mon joug sur vous, dit Jésus-Christ, car mon joug est doux, et mon fardeau léger6.

Nous avons donc droit de conclure que, par les pratiques de l'ancienne alliance abolies par l'Évangile, je veux dire, par les rudiments faibles et pauvres, par les ombres dont le corps est en Jésus-Christ, enfin, par le joug et par la servitude, dont parle saint Pierre et saint Paul, il ne faut pas entendre, comme le veulent les calvinistes, l'usage des cérémonies dans l'extérieur du culte, et les saints usages que les chrétiens ont imités de la religion des Juifs ; il est certain, au contraire, que Jésus-Christ et ses Apôtres les ont autorisées, en ôtant aux unes ce qu'elles avaient de figuratif et d'allégorique, et aux autres ce qu'elles avaient de dur et d'insupportable. Et par conséquent, les principes sur lesquels les ministres fondent leur objection sont manifestement faux.

Ce n'est pas assez d'avoir montré à cet égard la fausseté des principes des prétendus réformés, il faut encore faire voir jusqu'à quel excès ils portent leurs exagérations : « Quelle apparence, dit M. Claude, en parlant des passages de saint Pierre et de saint Paul que nous venons d'examiner : Quelle apparence qu'ils eussent parlé de la sorte, si l'Église chrétienne eut dû être elle-même chargée d'autant ou plus de cérémonies que la synagogue ? Ne nous auraient-ils prêché l'esprit et la liberté que pour nous mettre encore sous une lettre et sous une servitude beaucoup plus insupportable que la première1 ? »

Selon les ministres, voilà donc, premièrement, l'Église catholique chargée d'autant ou plus de cérémonies que la synagogue ; et voilà, secondement, les chrétiens catholiques remis sous une lettre et sous une servitude beaucoup plus insupportable que la première. En vérité, j'ai de la peine à concevoir comment des exagérations si hyperboliques ont échappé à un auteur aussi grave que M. Claude, et comment elles peuvent trouver quelque créance dans l'esprit de ceux qui ont tant soit peu de sincérité et de bonne foi.

J'ai déjà montré que ce qu'il y avait de dur et d'insupportable dans la lettre et dans la servitude des Juifs, ne consistait pas tant dans le nombre des pratiques qu'ils devaient observer que dans la malédiction prononcée par leur loi, et dans l'impuissance où ils étaient d'opérer par là leur justification ; et que l'affranchissement et la liberté des chrétiens consiste principalement à être délivrés de cette malédiction, et à trouver en Jésus-Christ un mérite infini qui produit leur justification.

Ainsi, quand il serait vrai que les catholiques auraient dans leur religion un plus grand nombre de cérémonies que les Juifs, ce qui est bien éloigné de la vérité ; quand il serait vrai qu'ils seraient chargés d'un plus grand nombre d'observances, ce qui est encore très faux, l'on ne pourrait jamais dire, raisonnablement, que leur lettre serait plus insupportable, et leur servitude plus dure que celle des Juifs ; car cette lettre et cette servitude seraient au moins sans malédiction ; et il n'en faudrait pas dire davantage à des personnes qui examineraient les choses sans préjugé, pour leur faire sentir l'excès de ces exagérations.

Mais, ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il n'y a nulle comparaison entre la multitude des cérémonies et des observances des Juifs, et le nombre de celles des chrétiens.

Premièrement, à l'égard des cérémonies, l'on m'avouera, sans doute, que le plus grand nombre et les plus considérables que l'on puisse remarquer dans l'Église catholique, sont celles dont elle fait usage au sacrifice de la Messe ; comme le plus grand nombre et les plus considérables que pratiquaient les Juifs, étaient celles de leurs sacrifices. Et c'est à cause de cela, sans doute, que M. Claude dit : « Nos pères remarquaient des sacrifices extérieurs, des vêtements sacerdotaux, des gestes et des actions mesurées, des autels, des luminaires, des vaisseaux sacrés, des encensements et des choses allégoriques. »

Nous avons déjà prouvé, dans l'article précédent, que ces différents usages ont toujours été reçus dans l'Église chrétienne, sans aucune contradiction, depuis que les ornements y furent introduits dans le temps du calme et de la prospérité  ; et s'il y a sur cet article quelque point dont la pratique n'ait pas été prouvée, elle le sera dans la suite. Il n'est donc ici seulement question que du nombre des cérémonies pratiquées dans l'Église catholique, opposé à la multiplicité de celles de l'Église judaïque.

Or, est-il possible que l'on ose avancer hardiment que nous avons accablé la religion chrétienne d'autant et plus de cérémonies que la synagogue ? Nous n'avons qu'un seul sacrifice, le même en substance que le sacrifice offert par Jésus-Christ sur la croix ; et il me faudrait presque copier les cinq livres de Moïse, si je voulais rapporter les oblations, les sacrifices et les holocaustes que les Juifs étaient obligés d'offrir.

Nous n'avons qu'une seule victime à présenter à Dieu, la même qui a été, une seule fois, immolée sur la croix, pour l'expiation de tous nos péchés ; et n'y aurait-il pas de quoi remplir un gros volume, si je m'attachais à faire le dénombrement des victimes et des offrandes que les Juifs présentaient à Dieu ?

Nous n'avons qu'un autel ; car il est partout le même, de même nature, et destiné au même usage ; et ne lasserais-je pas l'attention du lecteur, si je m'arrêtais à faire la description des différents autels des Juifs, et de leurs diverses destinations ? Tout est unique, jusques-là, dans l'Église catholique ; tout est innombrable et presque infini dans celle des Juifs.

Les gestes et les actions mesurées que M. Claude allègue par dérision, consistent seulement à faire des génuflexions, à tracer sur soi le signe de la croix, à présenter à Dieu des adorations, à baiser les saints Évangiles, et à se tourner vers le peuple pour lui donner des bénédictions.

Peut-on, en conscience, trouver là des cérémonies accablantes ? Et peut-on seulement les comparer avec les moindres rites que les sacrificateurs judaïques étaient obligés d'observer, bien loin de prétendre qu'il y en ait un plus grand nombre ? Que ceux des prétendus réformés qui voudront être exactement éclaircis sur ce point, prennent seulement la peine de jeter d'abord les yeux sur les livres de Moïse, et de considérer ensuite ce qui se fait parmi nous  ; et je suis assuré que, malgré leurs préventions, ils seront surpris de voir jusqu'à quel excès l'on a porté à cet égard l'exagération.

Secondement, quant à ce qui regarde les pratiques recommandées aux chrétiens par l'Église catholique pour les exciter à la piété et les porter à vivre saintement, il n'y a pas moins d'exagération de dire : « Qu'elle les remet sous une lettre, et sous une servitude beaucoup plus insupportable que la première. » En vérité, il faut avoir renoncé à la bonne foi et à la sincérité, pour tenir ce langage. Mais, afin de ne rien oublier et de ne laisser aucun scrupule dans les esprits, voyons ce que l'Église catholique exige des chrétiens, par opposition à ce que la religion judaïque exigeait des Juifs.

Outre ce qui est contenu dans les commandements de Dieu, tout ce que l'Église nous ordonne se rapporte, comme tout le monde le sait, à quatre principaux articles. Dans le premier, il nous est commandé de sanctifier les dimanches et les fêtes par des œuvres de religion, et particulièrement par l'assistance à la sainte Messe. Dans le second, de jeûner le carême, les vigiles et les quatre temps ; et de nous abstenir de chair pendant ces temps-là, comme aussi le vendredi et le samedi. Dans le troisième, de confesser nos péchés, et de participer au Sacrement de l'Eucharistie, pour le moins une fois l'année, à la fête de Pâques. Dans le quatrième, de ne faire point les solennités des noces en certaines saisons de l'année.

Voilà tout ce que l'Église catholique exige de ses enfants ; et voilà en quoi il faut que les prétendus réformés trouvent cette lettre et cette servitude, qu'ils disent être beaucoup plus insupportable que la première. Je dis que c'est là tout ce que l'Église exige des chrétiens, car toutes les cérémonies, et toutes les autres pratiques ne regardent que les ecclésiastiques, et ne sont nullement à charge au corps de l'Église.

Ce que l'Église judaïque exigeait de tous les Juifs, suivant la supputation qui en a été faite par Léon de Modène1, rabbin de Venise, dont le livre a été traduit par le sieur de Simonville, est contenu en deux cent quarante huit préceptes affirmatifs, et trois cent soixante-cinq négatifs, sans comprendre les préceptes qui venaient de leurs coutumes, ou qui étaient contenus dans les gloses de leurs docteurs sur le Pentateuque.

Ceux des prétendus réformés qui ont lu les livres de Moïse, ne seront nullement surpris de cette supputation. Mais ils le seront sans doute de voir que la passion ait porté leurs plus célèbres docteurs à avancer qu'une loi de quatre articles où l'on n'entend prononcer que grâce et pardon pour les transgresseurs repentants de l'avoir violée, soit beaucoup plus insupportable qu'une loi contenue en six cent treize articles, et où les infracteurs ne trouvaient que malédiction et condamnation, sans miséricorde.

Mais, disent les ministres, l'Église catholique commande aux chrétiens de se confesser, de jeûner, de s'abstenir de manger de la chair, en certains jours, d'observer les fêtes ; la plupart de ces pratiques étaient observées par les Juifs, et mettent un joug sur les consciences. D'ailleurs, ajoutent-ils, ce ne sont que des commandements humains que l'Évangile ne nous a point ordonné de garder.

Je réponds, que quand il faudrait donner le nom de joug à ces pieux usages, il s'en faudrait beaucoup, par les raisons alléguées tout à l'heure, que ce joug fût aussi rude que celui des Juifs, bien loin de pouvoir prétendre qu'il soit plus insupportable. Mais pour fermer la bouche aux plus opiniâtres, examinons en détail les Commandements de l'Église catholique par opposition à ceux de l'ancienne loi, et nous verrons, premièrement, qu'elle n'ordonne rien qui ne soit fondé sur l'Évangile ; et secondement, qu'il y a une extrême différence entre la facilité avec laquelle les catholiques peuvent observer ce que l'Église leur commande, et les difficultés qu'avaient les Juifs à pratiquer ce qui leur était ordonné.

Premièrement, l'Église ordonne d'aller à la Messe les dimanches et les fêtes. Qu'y a-t-il de plus conforme à ce que l'Écriture nous ordonné de ne point délaisser les saintes assemblées ? mais qu'y a-t-il, en même temps, de plus facile à pratiquer ? N'avons-nous pas des églises dans les villes, à la campagne et à la porte de nos maisons, dont l'entrée est toujours libre, et où les chrétiens peuvent aller commodément faire leur dévotion ?



Quelle différence entre ce commandement et celui de l’ancienne Église qui s'y rapporte1 ? Elle ordonnait aux Juifs d'aller adorer, à Jérusalem, dans le temple de Salomon ; et avant que Dieu eût ordonné la construction de ce temple, il fallait qu'ils allassent adorer au lieu où l'arche de l'alliance et le tabernacle d'assignation reposaient. Ils étaient obligés d'y porter les prémices de leurs troupeaux, et les premiers fruits de leurs terres, leurs dîmes, et tout ce qu'ils offraient en sacrifice2. Peut-on concevoir rien de plus difficile et de plus pénible à pratiquer ? Il fallait que ce pauvre peuple, pour s'acquitter de ce commandement, fût continuellement en voyage ; car, comme le service ne se faisait que dans un seul lieu, et que les Juifs occupaient un pays d'une assez grande étendue, la plupart en étaient extrêmement éloignés.

Avec quel embarras encore étaient-ils obligés à faire ces fréquents voyages ? Il fallait qu'ils y conduisissent divers animaux ; il fallait qu'ils y allassent chargés de grains et de fruits. Ces difficultés étaient telles, que leur loi, avec toute sa sévérité, permettait à ceux qui étaient éloignés du lieu où se faisait le service, de convertir en or ou en argent les objets qu'ils étaient obligés d'y voiturer.

Peut-on donc s'imaginer rien de plus pénible et de plus opposé, par conséquent, à la facilité avec laquelle, suivant le premier commandement de l'Église, nous allons aujourd'hui, les dimanches et les fêtes, adorer Dieu dans nos temples, et assister au service divin ?

Secondement, l'Église nous commande de jeûner les vigiles et les quatre-temps ; et de nous abstenir de viande durant ces jours-là, comme aussi le vendredi et le samedi, non qu'elle croie qu'il y ait certaines viandes souillées de leur nature, comme le croyaient les Manichéens, mais seulement pour nous rendre plus propres au service de Dieu. Quoi de plus conforme aux préceptes de l'Évangile qui nous enseigne en plusieurs endroits à abattre notre corps, à le réduire en servitude, et à mortifier notre chair ? Quoi de plus propre à mettre notre corps en l'état où il doit être que de le priver, de temps en temps, des aliments qui peuvent allumer nos convoitises. « Il est bon, disait saint Léon, il y a plus de douze siècles, il est bon de s'abstenir même des choses permises ; et puisque l'on doit vivre avec mortification, il est bon de faire un tel discernement des viandes, qu'on s'abstienne d'en manger, quoiqu'on n'en condamne point la nature3. » Nous ne voyons pas, disent les ministres, que les Apôtres et les premiers chrétiens aient rien pratiqué de semblable ; mais je les prie d'accorder leur sentiment avec les paroles de saint Paul, quand il dit : Je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même4.

D'ailleurs, si nous ne voyons point que la pratique de jeûner et de se mortifier fut aussi usitée du temps des Apôtres, qu'elle le fut dans la suite, et qu'elle l'est présentement, Jésus-Christ a répondu à cette difficulté, quand il a dit : Les amis de l’Époux peuvent-ils être dans la tristesse et dans le deuil, pendant que l’Époux est avec eux ? Mais il viendra un temps que l’Époux leur sera ôté, et alors ils jeûneront5.

Après tout, qu'elle différence n'y a-t-il point entre les abstinences prescrites par l'Église catholique, et celles que l'ancienne Église commandait ? Celles que l'Église nous ordonne ne sont attachées qu'à certains jours, et réservées aux personnes dont la santé est assez forte pour s'abstenir de ce qu'elle défend ; car tout le monde sait qu'elle en dispense aisément ceux à qui ces privations peuvent être nuisibles. Celles, au contraire, que l'ancienne Église commandait étaient perpétuelles, et il n'était permis à personne, en quelque état qu'on pût être, de s'en dispenser.

L'Église défend seulement l'usage de la chair. Et quand aurais-je fait, si je voulais ici rapporter tous les animaux que l'ancienne loi défendait de manger ? Elle défendait de manger de la chair de toutes les bêtes à quatre pieds qui n'avaient point l'ongle divisé, le pied fourchu et qui ne ruminaient point. Elle défendait de manger de plus de vingt espèces d'oiseaux, des poissons qui n'ont point de nageoires ni d'écailles, de toutes sortes de reptiles, d'aucun animal qui fût mort de mort naturelle ; enfin, du sang et de la graisse.

Non-seulement elle défendait de manger toutes ces viandes ; mais ceux qui les avaient touchées encourraient la souillure légale. L'on peut voir dans le livre de Léon de Modène, déjà cité, toutes les circonstances que les Juifs devaient même observer en mangeant des aliments qui leur étaient permis. L'on peut y voir l'exactitude scrupuleuse dont ils devaient en user, et les précautions pénibles qu'ils devaient prendre pour les couteaux, pour les ustensiles dont ils se servaient, et pour la manière, même, de la coction, afin de ne pas tomber dans les cas défendus.

Certes, pour peu que l'on prenne la peine de comparer de bonne foi toutes ces pénibles entraves avec la facilité de nos abstinences, on verra aisément combien il est injuste d'accuser l'Église d'avoir remis les chrétiens sous une lettre, et sous une servitude plus insupportable que celle des Juifs.

En troisième lieu, l'Église nous commande de confesser nos péchés, et de participer au sacrement de l'Eucharistie, au moins une fois l'année, à la fête de Pâques. A l'égard de la participation au sacrement de l'Eucharistie, les prétendus réformés n'oseraient dire que nous ayons mis en cela un joug sur les consciences ; ils conviennent que l'Écriture nous l'a ordonné. Il est vrai que l'Évangile ne prescrit point combien de fois l'on doit communier dans l'année, et que l'Église, au concile de Latran1 l'a réglé à une fois pour le moins, laissant aux chrétiens la liberté, et les exhortant même d'y participer plus souvent ; et c'est pour cela qu'elle célèbre tous les jours, sur ses autels, la mort et passion de Jésus-Christ, afin que ceux qui y sont dignement préparés puissent communier quand ils le désirent.

Pour ce qui regarde la confession que les prétendus réformés considèrent comme un joug mis sur les consciences par l'Église catholique, nous prouvons ailleurs qu'elle est de droit divin, et qu'elle a été toujours pratiquée dans l'Église chrétienne. Qu'il nous suffise ici de considérer si c'est là un joug imposé aux consciences par la difficulté que présente l'exécution de ce commandement. Ne faut-il pas être bien peu raisonnable pour mettre en comparaison cette sainte pratique que les catholiques sont obligés de garder afin de s'assurer du pardon de leurs péchés, avec toutes celles que les Juifs étaient obligés d'observer pour expier leurs fautes. Qu'on jette seulement les yeux sur les écrits de Moïse, et l'on sera effrayé de ce nombre presque infini d'observances pénibles et rigoureuses qu'il fallait garder exactement pour être absous des moindres péchés. Au lieu que l'Église catholique, suivant les douces lois de l'Évangile et la pratique des premiers chrétiens, n'exige de ses enfants que la confession et la pénitence, pour les absoudre de toutes leurs erreurs.

Que les ministres cessent donc de nous reprocher la prétendue rigueur de ce tribunal des consciences, et toutes les tyrannies qu'ils nous accusent injustement d'y exercer. Qu'elle rigueur, de demander à un homme chargé de crimes, qu'il les confesse, et qu'il s'en repente pour obtenir le pardon ? Quelle tyrannie, de n'exiger des plus coupables pour les absoudre, que des soupirs, des larmes, et une sincère résolution de ne plus retomber dans le péché ?

Il est vrai que l'orgueil humain a quelque peine à fléchir et à s'humilier en cette occasion ; et un pécheur, sans se faire quelque violence, ne peut se résoudre à aller découvrir à un prêtre toutes les ordures de sa vie ; mais cela même est une mortification, et une action d'humilité qui ne peut être que très agréable à Dieu.

D'ailleurs, peut-on comparer cette légère mortification avec les consolations intérieures que l'on éprouve en sortant du saint tribunal, lorsqu'une conscience troublée par le souvenir et par le poids de ses crimes, après s'en être entièrement déchargée devant Dieu, et aux pieds de ses ministres par une humble confession et par une sincère pénitence, jouit d'un calme parfait dans l'assurance que tous ses péchés lui sont pardonnés ? « Soyez triste, disait saint Augustin, avant que de vous confesser ; mais réjouissez-vous après que vous vous serez confessé, et vous serez guéri1. La conscience, ajoute-t-il, de celui qui se confesse, avait amassé des humeurs malignes ; c'est un abcès, c'est une tumeur qui ne lui permettait pas de reposer ; qu'elles sortent, qu'elles s'écoulent par la confession, et la tristesse fera place à la joie et à l'allégresse2. »

Qui pourrait faire ces réflexions avec calme, et trouver là un joug et une servitude plus insupportable que celle des Juifs ?

En quatrième lieu, l'Église nous commande de ne point faire les solennités des noces en certaines saisons de l'année, parce que les chrétiens doivent être alors entièrement occupés de la célébration des plus grands mystères du christianisme. Cette loi est fondée sur la parole de Dieu ; car nous entendons, dans l'Évangile, Notre-Seigneur dire aux Juifs, qu'un des convives invité à ce grand souper, figure de la sainte Cène qu'il devait faire avec ses Disciples, s'excusa et refusa d'y venir, parce qu'il était occupé à se marier. Alors le père de famille, dit Jésus-Christ, se mit en colère, et assura qu'un tel homme ne goûterait point de son souper3.

N'est-il donc pas juste que l'Église, profitant de la leçon que le Sauveur nous donne dans cette parabole, pour préparer les chrétiens au repas sacré de l'Eucharistie, où ils sont invités à la fête de Pâques, leur défende de s'occuper aux solennités des noces, parce que rien n'est plus capable de détourner les hommes d'un mystère qui demande tant d'attention.

Enfin, puisque saint Paul nous apprend qu'il est bon que les personnes même qui sont mariées, n'aient ensemble, pour quelque temps, aucun commerce, afin de s'exercer sans distraction au jeûne et à l'oraison1 ; pourquoi l'Église, pour nous porter, comme dit cet Apôtre, à ce qui est de plus saint2, et pour nous donner le moyen de nous attacher à Dieu sans distraction, ne nous empêcherait-elle point de tomber dans les occasions qui peuvent faire obstacle à notre salut, en nous détournant du service de Dieu ?

Je ne m'arrêterai point davantage sur ce sujet, parce que je ne puis croire qu'il y ait aucun prétendu réformé assez injuste pour blâmer une pratique si salutaire, et pour oser soutenir que l'Église catholique ait mis en cela, sur les consciences, un joug plus insupportable que celui des Juifs ; surtout, si ce prétendu réformé est instruit des lois sévères de leurs mariages ; ce que l'on peut voir dans le livre de Léon de Modène, que j'ai cité plus haut.

Je n'ai ici rapporté que les observances des Juifs, qui répondent à celles des catholiques ; car, comme j'ai déjà dit, il y aurait de quoi faire un livre entier, si je voulais faire mention de toutes les autres. Mais je ne dois pas oublier de remarquer que la loi de la Circoncision qu'ils devaient garder en venant au monde, était, elle seule, plus insupportable que toutes celles que l'Église catholique prescrit aux chrétiens ; car c'était, comme dit l'Écriture3, une pratique cruelle et douloureuse, qui mettait même quelquefois les Juifs en danger de mort, et leur montrait combien allait être dure et rigoureuse l'alliance dans laquelle ils entraient, puisque la porte de cette alliance était d'abord marquée de leur sang, et arrosée de leurs larmes.

Après ce que nous venons de voir, je ne crois point qu'il puisse rester le moindre scrupule dans l'esprit des personnes tant soit peu raisonnables, sur tout ce que les ministres ont accoutumé d'alléguer pour faire accroire à leurs peuples que nous avons ramené au monde l'ancienne économie de Moïse, puisque, comme nous venons de prouver, cette accusation n'est fondée que sur de faux principes, et sur des exagérations mensongères.

Article 5 : Réponse à la troisième objection des prétendus réformés, que l'Église catholique a pour les temples une dévotion qui a été abolie par l'Évangile.

Les ministres prétendent que la dévotion pour les lieux consacrés à Dieu, qui était ordonnée aux Juifs, a été entièrement abolie par l'Évangile ; et ils prennent de là occasion de condamner le respect et la révérence que nous avons pour nos églises, et généralement tout ce que nous pratiquons à cet égard.

Cette accusation est fondée sur la fausse explication qu'ils donnent à un passage de l'Écriture, et par conséquent sur un faux principe. Ce passage est tiré du quatrième chapitre de l'Évangile selon saint Jean, où Jésus-Christ dit à la Samaritaine : Femme, croyez-moi ; le temps va venir que vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne ni dans Jérusalem ; et un peu après : Le temps vient et est déjà venu que les vrais adorateurs adorent le Père en esprit et en vérité, car ce sont là les adorateurs que le Père demande4.

M. Claude1, M. Drelincourt2, l'auteur du livre des Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes3, et généralement tous les calvinistes, ont cru que, dans cet endroit, Jésus-Christ avait aboli l'attachement et la dévotion pour les églises ; et c'est sur cette injuste prétention, que roulent toutes les déclamations qu'ils ont coutume de faire sur ce sujet, contre la pratique de l'Église catholique.

Mais l'explication que les ministres donnent à ce passage est manifestement fausse, d'où il suit que toutes les conséquences qu'ils en tirent contre nos pratiques, sont également injustes. Car, il faut conclure des paroles de Jésus-Christ, non pas, comme le font les prétendus réformés, que la dévotion pour les églises a été généralement abolie par l'Évangile ; mais seulement que l'attachement du service divin à un seul lieu particulier, exclusivement à tous les autres, a été ôté par Jésus-Christ. C'est-à-dire, qu'au lieu que sous l'alliance légale, les Juifs ne pouvaient avoir d'autre temple que celui de Jérusalem ; ce qui rendait les Samaritains schismatiques, à cause qu'ils en avaient bâti un sur la montagne de Garisin : sous l'alliance de grâce, cette affectation du service divin, à un seul lieu, a été entièrement détruite et réprouvée.

C'est ce que les plus opiniâtres des protestants seront obligés de reconnaître, s'ils prennent la peine de considérer le passage dans son entier. Cette femme de Samarie ayant reconnu que Jésus-Christ était prophète, elle voulut savoir de lui, si c'était au temple de la montagne de Garisin, comme disaient les Samaritains, ou au temple de Jérusalem, comme le soutenaient les Juifs, qu'il fallait faire le service divin : Seigneur, lui dit-elle, je vois bien que vous êtes prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne  ; et vous autres vous dites que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer. Sur quoi Jésus-Christ lui répondit : Femme, croyez-moi, le temps va venir que vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne ni dans Jérusalem ; et ensuite : Mais le temps vient, et est déjà venu, que les vrais adorateurs adorent le Père en esprit et en vérité4.

Il faut renoncer à toutes les lumières de la raison, pour ne pas reconnaître le vrai sens de ces paroles de Jésus-Christ. Il se propose seulement d'apprendre à cette femme, que le différend soulevé entre les Samaritains et les Juifs n'était plus de saison, parce que le temps était venu où cette affectation du service divin à un seul lieu, exclusivement à tous les autres, allait être abolie par l'Évangile, qui enseignerait à servir Dieu par toute la terre, en esprit et en vérité.

Ces termes de servir Dieu en esprit et en vérité, ne veulent point dire que les chrétiens n'auront plus absolument de temples, et que tout leur service sera seulement spirituel : car la pratique constante et perpétuelle de l'Église et celle des calvinistes même, ne permet pas de donner cette explication à ces paroles. Elles signifient seulement que le service des chrétiens devait être différent de celui des Juifs, en ce que celui des Juifs était principalement extérieur et sensible, se rattachait à un certain lieu, et consistait presque tout en cérémonies ; au lieu que celui des chrétiens devait être principalement spirituel et raisonnable5, comme dit saint Paul ; parce que le véritable service qui est dû à une essence spirituelle et invisible comme Dieu, doit être pratiqué par les mouvements invisibles de notre âme, excitée par les mouvements du Saint-Esprit. Et c'est pour cette raison que Jésus-Christ ajoute : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit.

Les paroles de Jésus-Christ qu'on nous oppose, ne défendent donc pas aux chrétiens d'avoir des temples ; encore moins leur défendent-elles d'avoir pour leurs temples, autant et plus de respect et de dévotion que les Juifs n'en avaient pour le leur. Elles leur apprennent seulement la différence qui existe entre les chrétiens et les Juifs. Les Juifs ne pouvaient avoir qu'un seul temple, et Dieu leur avait défendu de lui rendre aucun culte public, hors de celui de Jérusalem ; les chrétiens au contraire, ne sont plus assujettis à cette affectation du service divin à un seul lieu, et peuvent par conséquent élever des temples par toute la terre à la gloire de Jésus-Christ.

En effet, sous la loi, les Juifs ne pouvaient avoir qu'un temple, parce que Dieu n'avait encore appelé qu'un seul peuple ; et même qu'une seule famille à son alliance : mais Jésus-Christ ayant invité à la sienne tous les peuples du monde, il était juste et convenable aux desseins de sa miséricorde, qu'il fût permis aux chrétiens de bâtir des temples par toute la terre.

Mais pourquoi mettre en question une chose qui ne peut être contestée ? Les prétendus réformés eux-mêmes, et généralement tous ceux qui ont fait profession du christianisme, n'ont-ils pas toujours eu des temples, et n’ont-ils pas toujours eu aussi pour ces lieux sacrés du respect, de l'attachement et de la dévotion ? Saint Paul nous dit que de son temps même, les chrétiens avaient du respect et de la révérence pour les lieux où ils s'assemblaient, et où ils célébraient les sacrés mystères1. C'est ce qu'il nous apprend quand il loue les Corinthiens de ce qu'ils gardaient les ordonnances qu'il leur avait données sur ce sujet, et lorsqu'il les reprend des irrévérences qu'ils commettaient dans les églises. Je vous loue, mes frères, leur disait-il, de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données2. Entendant par ces règles, ainsi que l'expliquent les prétendus réformés eux-mêmes3, et qu'on le peut aisément vérifier par toute la suite du discours, ce que l'on devait observer dans les lieux où l'on s'assemblait pour y faire le divin service. Il est même remarquable4, que cet apôtre dit qu'on doit observer ces pratiques, à cause des anges, pour nous apprendre que les chrétiens ne sauraient avoir trop de révérence et trop de dévotion pour des lieux où l'on ne saurait douter que Dieu ne soit présent, puisque les anges du paradis y assistent : car c'est des anges glorieux que saint Paul parle, ainsi que l'expliquent les prétendus réformés5, et non des mauvais anges, ou des ministres évangéliques, comme quelques auteurs l'ont cru.

Cet apôtre censure ensuite les Corinthiens, de l'irrévérence qu'ils avaient pour la maison de Dieu. J'apprends, leur dit-il, que lorsque vous vous assemblez dans l'église, il y a des partialités et des divisions parmi vous6. Il les reprend ensuite de la dissolution et de l'indécence avec laquelle ils assistaient aux banquets sacrés que les premiers chrétiens avaient coutume de faire dans les églises. N'avez-vous pas, dit-il, vos maisons pour y boire et pour y manger? Méprisez-vous l'église de Dieu1 ?

Voilà en termes exprès, le respect que l'on doit au lieu saint. Et qu'on ne dise point que dans tous ces passages, saint Paul entend par le terme d'église, l'assemblée des fidèles, et non le lieu où ils s'assemblaient. L'on ne saurait avoir ici recours à cette subtilité : car il est bien vrai que ce terme d'église signifie proprement assemblée ; mais ce nom, comme on n'en saurait douter, fut aussi donné au lieu où l'on faisait l'assemblée. Or, c'est évidemment dans ce dernier sens, que l'Apôtre l'entend dans les deux passages dont nous venons de faire mention.

Dans le premier il dit : Quand vous vous assemblez dans l'église. Si par ce terme d'église, il fallait entendre ici l'assemblée, voici comment on ferait parler saint Paul : Quand vous vous assemblez dans l'assemblée. Qui pourra se persuader que le plus éloquent de tous les écrivains sacrés, qu'un homme élevé au pied de Gamaliel, et, pour dire quelque chose de plus, qu'un apôtre inspiré du Saint-Esprit, ait parlé de la sorte ?

Dans le second passage, il faut être non-seulement préoccupé, mais de mauvaise foi, pour ne pas avouer que par l'église de Dieu, saint Paul entend le lieu où les fidèles s'assemblaient car il oppose édifice à édifice, maison maison ; il met en opposition les maisons des Corinthiens, avec la maison de Dieu. N'avez-vous point de maisons ? Méprisez-vous l'église de Dieu ?

Il est donc constant que du temps même de saint Paul les premiers chrétiens avaient de la révérence, comme nous, pour les lieux qui étaient consacrés à Dieu, et ne les regardaient pas simplement, ainsi que font les prétendus réformés2, comme des édifices communs et ordinaires dont on se sert pour la commodité seulement, et pour se mettre à couvert des injures du temps.

Cela n'empêche point que comme Dieu est partout, Il ne puisse et ne doive être adoré partout ; et c'est en ce sens que saint Paul dit : Que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures ; car puisque la terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur, l'on ne saurait invoquer Dieu dans un endroit qui ne lui appartienne pas.

Mais c'est injustement que les prétendus réformés abusent de ces passages pour blâmer notre dévotion pour églises, et pour condamner la créance où nous sommes, que les prières faites dans le lieu saint, sont plus efficaces et plus agréables à Dieu. Car puisque Jésus-Christ nous apprend dans l'Évangile, Que si deux personnes s'unissent ensemble, quelque chose qu'elles demandent sur la terre, elle leur sera accordée par son Père qui est dans le ciel3 : à combien plus forte raison devons-nous croire que Dieu exaucera plus facilement les prières qui lui sont adressées par toute l'assemblée des fidèles ? Et s'il nous dit encore : Qu'en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en son nom, il s'y trouvera4 : peut-on douter qu'il ne se trouve plus particulièrement dans un lieu qui lui est consacré, et où tant de personnes s'assemblent en son nom5 ?

« Moïse, dit saint Basile, se rendit Dieu favorable, en le priant au milieu de la mer ; Job sur le fumier ; Ezéchias dans son lit ; Jérémie sur la boue ; Jonas dans une baleine ; Daniel dans la fosse aux lions ; les trois enfants dans la fournaise ; le larron sur la croix ; saint Pierre et saint Paul dans la prison. Néanmoins, ajoute-t-il, sans que cela diminue en rien sa majesté, mais au contraire, avec plus de vénération pour son nom, il est adoré d'un culte plus considérable dans certains lieux qu'on appelle temples, puisqu'il l'a ainsi lui-même ordonné, et que des hommes très saints nous l'ont appris par leurs discours et par leurs exemples1. »

« Que celui qui est dans le temple de Dieu, dit-il dans une de ses homélies, ne prononce ni paroles de médisance ou de vanité, ni aucun mot sale et déshonnête ; mais que dans son temple chacun raconte sa gloire. Là assistent les anges qui recueillent tout ce qu'on y dit  ; là est présent le Seigneur qui considère les mouvements intérieurs de tous ceux qui y entrent2. »

« L'on peut, à la vérité, dit saint Chrysostome, prier dans la maison ; mais l'on ne peut point y prier comme dans l'église, où il y a tant de fidèles, où la voix de tous s'élève unanimement à Dieu. » Et dans un autre endroit : « Nous pouvons prier à la maison, disent-ils ; tu te trompes, ô homme, et tu es dans une grande erreur. Car, quoique la permission de prier dans ta maison te soit accordée, néanmoins, tu ne saurais y prier aussi bien que dans l'église. » Et ailleurs : « Ignores-tu que tu es là avec les anges, que tu chantes et que tu dis des hymnes avec eux3 ? »

Eusèbe4, Nicéphore5, saint Augustin6, saint Ambroise7, saint Jérôme8, dans les endroits de leurs ouvrages cités en notes, nous assurent si précisément que les chrétiens ont toujours eu de la dévotion pour les églises ; et ce sentiment a été si unanimement reçu dans tous les siècles du christianisme, qu'il y a en vérité, de quoi s'étonner de trouver encore des gens capables d'oser le combattre.

Mais, disent les ministres, ce que nous reprochons à l'Église catholique, ce n'est pas tant d'avoir du respect et de la dévotion pour les temples ; c'est surtout de les consacrer avec les cérémonies et les prières qu'elle a coutume de faire à leur dédicace. Nous la blâmons de les dédier à la sainte Vierge, aux Saints et aux Saintes. Nous blâmons la pratique d'aller y réciter des prières hors du temps des assemblées ; d'aller visiter par dévotion, non-seulement les églises qui sont dans les lieux où l'on demeuré, mais d'entreprendre de longs pèlerinages pour en aller visiter d'autres. Nous blâmons l'Église catholique d'enseigner aux chrétiens que Dieu, comme dit Bellarmin, « soit plus particulièrement dans le temple que dans un autre endroit, et qu'il exauce plutôt les prières en ce lieu-là. » Enfin, disent-ils, puisque Jésus-Christ nous a appris qu'il ne faut plus s'attacher ni à la montagne de Garisin, ni au temple de Jérusalem, mais qu'il faut servir Dieu en esprit et en vérité, et qu'il sera au milieu de nous partout où nous serons assemblés en son nom, nous blâmons les catholiques d'être retombés dans cet attachement, et dans cette affectation de service à un certain lieu, puisque cet attachement a été défendu par l'Évangile.

Premièrement je réponds, que c'est de mauvaise foi qu'on nous accuse de consacrer des temples à la bienheureuse Vierge et aux Saints : on n'a qu'à examiner toutes les prières, et en général toute la forme de la dédicace de nos églises dans le Rituel romain, et l'on verra que c'est à Dieu seulement qu'elles sont consacrées.

Il est vrai qu'on les dédie à Dieu en l'honneur et au nom ou de la sainte Vierge ou des Saints glorifiés ; mais néanmoins c'est toujours à Dieu qu'elles sont dédiées ; et si à leur consécration, l'on fait mention des Saints, c'est seulement pour les prier de nous accorder leur intercession, afin que nous puissions plus facilement obtenir de Dieu, les grâces et les bénédictions qu'on le prie de répandre sur ces saints édifices ; et pour leur donner des noms qui en distinguant les églises les unes d'avec les autres, excitent en même temps la dévotion des chrétiens, par le souvenir et par l'imitation des vertus du saint dont elles portent le nom.

« Nous croyons, dit saint Augustin, qu'il faut honorer très sincèrement les corps des Saints, et principalement les reliques des bienheureux martyrs, comme étant les membres de Jésus-Christ ; qu'il faut aller avec des sentiments très pieux et une dévotion très fidèle aux églises qui portent leur nom, comme étant des lieux saints et destinés au culte divin. Si quelqu'un, ajoute-t-il, n'est pas de ce sentiment, il n'est point chrétien, mais il est eunomien et sectateur de Vigilance1. » Et dans le livre de la Cité de Dieu : « Nous ne bâtissons pas des temples aux martyrs ; nous n'établissons pas pour eux un sacerdoce, un service et des sacrifices, parce qu'ils ne sont point nos dieux, mais leur Dieu est le nôtre. » Et un peu après : Tout ce que l'on fait donc de religieux dans les églises qui portent le nom des martyrs, sont des honneurs que l'on rend à leur mémoire, et non point des services et des sacrifices que l'on rend à des dieux morts2. » Il nous apprend la même vérité en plusieurs autres endroits de ses ouvrages. Enfin, tous les Pères, tous les historiens, tous les auteurs ecclésiastiques nous enseignent que telle a été de tout temps, la pratique de l'Église chrétienne, de consacrer des temples à Dieu, en l'honneur et au nom de la sainte Vierge, ou des Apôtres, ou des Saints glorifiés.

Secondement, je réponds que tous les autres reproches que nous font les prétendus réformés, ne sont fondés que sur les injustes conséquences qu'ils tirent du discours de Jésus-Christ à la Samaritaine, et sur ce qu'ils veulent étendre les paroles du Seigneur à un sens auquel elles ne peuvent jamais convenir. Car il est constant, et je l'ai déjà prouvé, que dans cet endroit, Jésus-Christ nous enseigne seulement que sous son alliance, le service divin ne sera plus fixé et attaché à un certain lieu, exclusivement à tous les autres lieux et à tous les autres temples comme sous l'alliance légale. Voilà tout ce que signifient les paroles de Jésus-Christ, et le véritable sens qu'on leur doit donner. Mais elles ne nous défendent point d'avoir des temples, ni par conséquent d'avoir pour nos temples autant de respect et autant de dévotion que les Juifs en avaient pour le leur. Elles ne nous défendent pas non plus de les consacrer à Dieu, et de croire que les prières faites dans ces lieux dédiés à sa gloire, et où l'on est entièrement recueilli devant sa divine majesté, ne lui soient plus agréables que le service qu'on lui rend et les prières qu'on lui adresse en des lieux exposés au tracas des affaires et au commerce du monde.

Enfin, elles ne nous défendent point de croire que bien que Dieu soit partout, et exauce partout, ceux dont le cœur l'invoque, néanmoins il ne soit plus particulièrement, par une présence de grâce et par une effusion plus abondante et plus efficace de son Esprit-Saint, dans les lieux destinés à son service, et honorés même de la présence de son divin Fils, source et principe de toutes les grâces que nous recevons du ciel.

Je dis donc que les ministres veulent tirer des paroles de Jésus-Christ une conséquence qui n'en peut être tirée raisonnablement. Quoi, parce que sous l'Évangile, il est permis aux chrétiens de bâtir des temples à Dieu par toute la terre, au lieu que les Juifs n'en pouvaient avoir qu'un seul, l'on voudra inférer de là, que les chrétiens ne doivent avoir aucune dévotion pour ces temples, qu'ils ne peuvent point les dédier à Dieu, y faire leurs prières particulières, les aller visiter par piété ? On voudra inférer qu'ils ne doivent pas croire que Dieu y reçoit plus agréablement les services qu'on lui rend, et les remplit plus efficacement de sa présence ?

Mettons le raisonnement des prétendus réformés dans l'ordre naturel où il doit être mis ; et nous verrons que nulle conséquence ne saurait être plus mal tirée. Les Juifs ne pouvaient faire le service divin que dans le temple de Jérusalem : j'en conviens. l'Évangile a aboli cet attachement de service à un seul lieu, et a permis aux chrétiens d'avoir des temples par toute la terre : c'est une vérité incontestable, et avouée par la pratique des calvinistes. Donc l'Évangile défend aux chrétiens de consacrer leurs temples à Dieu, d'avoir pour eux du respect et de l'attachement, et de croire que le service divin qu'on y fait, lui soit plus agréable. Quel homme raisonnable, s'il n'est étrangement préoccupé, osera soutenir un pareil raisonnement.

Mais, pour faire encore mieux sentir la fausseté de cette conséquence, et montrer combien plus justement raisonnent ceux qui sont d'un sentiment contraire, remarquons que pour raisonner avec sagesse, il faut nécessairement renverser le raisonnement des prétendus réformés, et dire : Les Juifs ne pouvaient faire le service divin que dans un seul temple ; l'Évangile permet aux chrétiens d'avoir des temples par toute la terre ; donc les chrétiens, en considération d'une telle grâce, doivent sous l'Évangile avoir pour leurs temples plus de respect plus de dévotion que les Juifs n'en avaient pour le leur.

Outre que cette façon de raisonner est plus naturelle, il est certain qu'elle est encore premièrement plus conforme à l'esprit du christianisme : A qui plus a reçu dit l'Évangile, plus il lui sera demandé1. Secondement, elle est plus convenable à l'économie de l'alliance de grâce, qui n'a aboli de l'alliance légale que ce qu'elle avait de figuratif et d'allégorique, de dur et d'insupportable, et a laissé en son entier, tout ce qu'elle avait de bon, de saint et de juste, ainsi que je l'ai ci-devant prouvé.

Or, puisque Dieu avait lui-même ordonné la consécration et la dédicace de l'ancien temple par l'invocation de son saint nom ; puisqu'il avait déclaré qu'il remplirait ce saint lieu de sa présence, qu'il en exaucerait plutôt les prières qu'on lui adresserait, et qu'il recevrait plus agréablement les services qu'on lui rendrait dans sa maison, ainsi qu'on le peut voir dans le premier livre des Rois ; d'ailleurs, puisque l'on ne saurait désavouer que ces pratiques ne soient bonnes, saintes, justes, et il ne paraît en cela rien de typique, de dur et d'insupportable, rien qui ait été aboli par l'Évangile : pourquoi les ministres veulent-ils que tous ces saints usages, dont l'observance n'a pour but que la gloire de Dieu, aient été détruits et réprouvés. Pourquoi veulent-ils que les chrétiens regardent leurs églises comme des édifices communs et ordinaires, puisque saint Paul nous ordonne, comme nous l'avons vu, de les considérer autrement ?

N'est-ce pas inspirer à leurs peuples des sentiments qui peuvent les porter de l'indifférence à l'irrévérence pour les temples consacrés à Dieu ? Mais n'est-ce pas encore priver les chrétiens d'une douce confiance, et les rendre plus malheureux que les Juifs, eux qui sont les enfants légitimes de la promesse ? Quoi de plus triste à leur apprendre que de leur dire : Dieu n'habite plus pour vous dans sa maison, il s'en est retiré, et il n'est plus de lieu sur la terre, qu'il regarde en son amour, et qu'il remplisse de sa grâce ?

Il faut donc que ceux des prétendus réformés dont le cœur n'est point passionné, et dont l'esprit conserve encore quelques lumières, reconnaissent qu'on leur explique mal l'Écriture sainte, quand on leur enseigne à condamner la dévotion des chrétiens pour leurs églises, sous prétexte que Jésus-Christ a ôté l'attachement du service public à un seul lieu exclusivement à tous les autres.

Et certes, bien loin que Jésus-Christ ait condamné cette dévotion, l'on ne saurait douter qu'il ne l'ait autorisée par son exemple. Ne lisons-nous pas dans saint Matthieu et dans saint Jean, qu'il ne put souffrir sans indignation, qu'on manquât de respect pour le temple même de Jérusalem, dont le service allait bientôt prendre fin ? Il renversa les tables des changeurs, il en chassa à coups de fouets, tous les marchands. Ne faites point, leur dit-il, de la maison de mon Père, un lieu de marché1.

Si donc Jésus-Christ qui était un agneau en patience et en douceur ne put voir, sans entrer dans une sainte colère, qu'on manquât de dévotion pour un temple qui allait bientôt perdre toutes ses prérogatives et tous ses privilèges, puisque le service qu'on y rendait à Dieu, allait prendre fin, et commençait déjà à faire place à un nouveau service, comment peut-on se persuader qu'il ait voulu après cela, apprendre aux hommes à n'avoir plus de dévotion pour les temples qu'on allait consacrer à Dieu par toute la terre ? pour des temples où il devait être servi d'une manière plus pure, plus sainte et plus convenable à sa divine essence, que dans celui de Jérusalem ? pour des temples, enfin, où l'on devait célébrer jusqu'à la fin des siècles des mystères où étaient renfermés la réalité et le corps, dont les cérémonies qu'on pratiquait dans le temple des Juifs n'avaient que l'ombre et la figure ?

l'Évangile nous apprend donc seulement que la dévotion des chrétiens ne doit pas être attachée scrupuleusement à un seul et certain lieu, comme était celle des Juifs ; mais que nous devons avoir des temples partout ou la commodité des fidèles le demandera.

Voilà ce que l'Écriture nous enseigne, et ce que nous pratiquons. Nous ne renfermons pas le service divin dans un seul lieu comme les Juifs : nous avons partout des églises où Dieu est servi et adoré. Mais si nous n'imitons pas les Juifs dans cet attachement de service à un certain lieu, puisque l'Évangile l'a aboli, nous tâchons de les imiter et de les surpasser même dans l'attachement, le respect et la vénération que nous avons pour nos temples ; puisque l'Évangile, bien loin de nous l'avoir défendu, nous l'ordonne au contraire très expressément, et que la pratique de l'Église depuis les Apôtres jusqu'à présent, nous confirme dans des sentiments si justes et si raisonnables.

Après cela, si l'on nous oppose que l'Église catholique autorise les chrétiens à entreprendre de longs pèlerinages pour aller visiter des églises éloignées, nous dirons premièrement, qu'elle ne leur enseigne pas d'y aller comme les Juifs allaient au temple de Jérusalem, où ils croyaient qu'il était seulement permis de servir Dieu ; mais qu'elle approuve cette pratique, dans la persuasion que Dieu a donné en certains lieux, des marques plus sensibles de sa présence. D'ailleurs, elle regarde ces longs pèlerinages comme des moyens de mortification et de pénitence pour ceux qui les entreprennent ; et c'est pour cela qu'ils y vont ordinairement à pied, et souvent en demandant l'aumône.

Secondement, nous répondrons que l'Église chrétienne a toujours approuvé cette pratique. C'est ce qu'on peut voir dans le passage de saint Augustin que j'ai rapporté ci-devant1, dans saint Jérôme2, dans saint Basile et dans saint Grégoire de Nysse. Et si l'on trouve une épître entière de ce dernier dont les ministres se servent contre les pèlerinages, l'on doit remarquer que ce saint docteur condamne seulement les voyages lointains entrepris par des personnes religieuses ou par des femmes ; et c'est pour cela que cette épître est adressée au directeur d'une maison religieuse. Or, de ce que du temps de saint Grégoire, la pratique d'aller en pèlerinage était défendue aux personnes religieuses et aux femmes, comme elle l'est encore aujourd'hui, l'on doit inférer nécessairement que cette pratique doit être reçue et approuvée à l'égard des autres personnes.

Mais après tout, les prétendus réformés qui accusent si injustement les catholiques d'avoir pour leurs églises un attachement conforme à celui que les Juifs avaient pour leur temple, ne tombent-ils pas eux-mêmes dans la faute dont ils accusent les autres ? et leur pratique ne dément-elle pas leur doctrine ? Qui d'eux ou de nous renferme plus scrupuleusement la dévotion, les exercices de la piété et la célébration des mystères dans les édifices ? Faisons-nous difficulté de rendre partout à Dieu, le service qu'il demande de nous ? N'administrons-nous pas le Baptême dans les églises, dans les maisons particulières et à la campagne ? Ne portons-nous pas le saint sacrement de l'Eucharistie aux malades et aux mourants, en quelque lieu qu'ils puissent être ? N'annonçons-nous pas la parole de Dieu, ne lui adressons-nous pas nos prières, ne chantons-nous pas ses louanges dans les temples, dans les rues, dans les places publiques, aux champs et dans les villes.

Les prétendus réformés, au contraire, ne concentrent-ils pas scrupuleusement tout leur culte dans ces temples, qu'ils veulent néanmoins faire regarder comme des édifices communs et ordinaires ? Nous savons qu'ils laissent mourir sans Baptême les enfants qu'on n'a pas le temps ou la commodité d'y faire porter ; nous savons qu'ils n'oseraient en sortir pour porter leur cène à ceux qui sont détenus dans le lit ou dans la maison. Je prends ici à témoin leurs vieillards, leurs malades et leurs agonisants : ne les laisse-t-on pas mourir, privés de ce qu'ils considèrent comme le plus précieux gage de l'amour de Dieu, s'ils n'ont pas la force de se traîner, ou s'ils ne peuvent pas se faire porter dans leurs temples ?

Mais enfin, les prétendus réformés, tout en voulant nous persuader qu'ils ont pour ces édifices, les mêmes égards et les mêmes sentiments que pour des maisons communes, ne font-ils pas connaître par leur conduite que la force de la vérité les oblige, en dépit d'eux-mêmes, à les considérer autrement ?

Si le roi1, qui souhaite ardemment leur conversion, fait abattre quelqu'un de leurs temples, lorsqu'ils abusent de sa grâce de tolérance, en contrevenant à ses édits, avec quelle consternation et quelle douleur voient-ils leur démolition ? Je sais bien que c'est principalement l'exercice de leur religion qu'ils regrettent ; mais j'ai été parmi eux, je sais leurs sentiments, et s'ils veulent parler avec sincérité, ils avoueront que l'amour pour les édifices consacrés à Dieu, a quelque chose, je ne dirai pas de si juste et de si touchant, mais de si naturel même, et de si bien gravé dans le cœur de tous les hommes, quelle que soit leur religion, qu'ils en ressentent eux-mêmes les effets, malgré toutes les protestations qui peuvent sortir de leur bouche. En effet, qui pourrait jamais exprimer leur désolation et leurs regrets, lorsqu'ils voient abattre ces temples ? Tout le parti, généralement, est d'abord dans la consternation et dans le deuil ; tout jeûne, tout gémit, tout soupire. Ceux qui parmi eux sont animés d'un zèle plus inconsidéré et moins retenu, passent de l'affliction et de la douleur aux plaintes et aux murmures ; et les plus emportés, peu contents des plaintes et des murmures, en viennent à la sédition et à la révolte. Enfin, les Juifs eux-mêmes, qui regardaient leur temple comme le seul lieu où Dieu voulait être servi, ne témoignèrent jamais tant de douleur lorsqu'ils le virent pillé par Joas, brûlé par les Babyloniens et saccagé par les Romains, que les protestants n'en font paraître lorsqu'on leur abat quelqu'un de ces édifices, « dont ils ne se servent, à ce qu'ils disent, que pour la commodité et pour se mettre à couvert contre les injures du temps2. »

Ce qui fait voir manifestement que la seule passion qui les a portés à condamner généralement toutes nos pratiques pour justifier leur schisme, les a obligés aussi à combattre des sentiments que l'on conserve malgré soi, et qu'il est impossible de perdre.

Article 6 : Réponse à la quatrième objection : Que les cérémonies et les pratiques de l'Église catholique ont été tirées du paganisme.

Les ministres, pour inspirer de l'aversion aux prétendus réformés contre l'extérieur du culte de l'Église catholique, leur disent encore, que la plupart de nos cérémonies et de nos pratiques ont été tirées de la religion des païens. Cette objection, comme celles que nous venons de réfuter, n'est fondée que sur les fausses explications qu'ils donnent à certains passages de l'Écriture, ainsi que nous le verrons dans la suite.

« Comme nos pères, dit M. Claude, voyaient une partie des cérémonies prises des Juifs, ils en voyaient aussi grand nombre d'autres tirées ou imitées des païens. Qui peut trouver étrange, ajoute-t-il, qu'une idée qui paraît d'abord si peu avantageuse à une religion, ait touché nos pères1 ? »

« L'on peut dire, ajoute l'auteur du livre des Conformítés et des cérémonies modernes avec les anciennes, que comme Moïse dressa le tabernacle suivant le modèle que Dieu lui en fit voir sur la montagne, aussi les évêques de Rome, au changement qu'ils ont apporté en la religion, ont eu devant les yeux, le patron que Numa Pompilius et les autres instituteurs du paganisme en avaient tiré. Ce n'est donc pas sans sujet que les protestants ont retranché toutes ces vaines cérémonies du culte de leur religion, se contentant d'adorer Dieu en esprit et vérité, conformément au christianisme et à la volonté de celui qui en est l'auteur2. »

Je pourrais ici citer tous les ministres qui ont écrit ; car ils ont presque tous fait la même plainte contre l'Église catholique. Mais comme ce dernier s'est attaché plus que tous les autres à cette matière, et en a composé un livre entier, c'est principalement à lui que je dois répondre, parce que comme il a recueilli dans son ouvrage, toutes les allégations partielles des autres sur ce sujet, en le réfutant, je les réfuterai tous en même temps.

Cet auteur emploie presque tout son livre à rechercher curieusement la conformité qu'il peut y avoir entre l'extérieur du service de l'Église catholique et celui de la religion des païens ; et comme il est inévitable que l'extérieur des fausses religions n'ait quelque rapport avec l'extérieur de la véritable, parce qu'il faut nécessairement dans l'une et dans l'autre, des temples, des ministres de divers ordres, des ornements et plusieurs autres observances, qui de leur nature sont indifférentes, il ne manque pas de rapporter je ne sais combien de cérémonies du paganisme qui ont quelque ressemblance avec celles de l'Église catholique.

Mais il pouvait bien s'épargner la peine d'aller fouiller dans l'histoire et dans la fable, pour vérifier cette conformité, puisqu'il reconnaît lui-même que d'après l'aveu de tous les docteurs catholiques, l'Église se trouvant dans le calme et la prospérité au commencement du quatrième siècle, sous l'empire de Constantin, ne fit pas difficulté, pour attirer les païens au christianisme, de bâtir comme eux des temples magnifiques, d'avoir de riches ornements, de se servir d'augustes cérémonies, en un mot, de présenter à ces infidèles un extérieur de religion, grand, majestueux et à peu près semblable à celui qu'ils avaient coutume de voir. « Cet empereur, dit Eusèbe, parlant de Constantin, pour rendre la religion plus agréable aux Gentils, y transféra les ornements extérieurs que ceux-ci employaient en leur religion. »

C'est donc inutilement que cet auteur s'attache à faire remarquer cette conformité d'extérieur, puisqu'il rapporte lui-même quelques-unes des raisons qui obligèrent l'Église à en user de la sorte. S'il eût voulu dire quelque chose de raisonnable dans son sens, il fallait faire voir, s'il lui eût été possible, que l'Église n'avait pas pu transporter dans l'extérieur de la vraie religion, ce qui était en usage dans l'extérieur de la fausse. C'était à cela qu'il fallait s'attacher, et non pas aux détails qui l'absorbent tout entier. Mais il ne dit qu'un mot en passant, de la principale question qu'on lui contesté avec raison, et fait un livre entier, pour prouver une chose qu'on ne lui conteste point.

Je laisse à penser à ceux des prétendus réformés qui sont tant soit peu éclairés, quel jugement ils doivent faire, après cela, de cet ouvrage, et c'est néanmoins celui qui a fait le plus de bruit parmi eux sur cette matière.

Pour agir de bonne foi, je ferai ici tout le contraire de ce que cet auteur a fait ; je laisserai ce qu'il est inutile d'examiner, et m'attachant à la principale question, sans détour et sans déguisement, je montrerai que l'Église chrétienne a pu recevoir dans son culte extérieur beaucoup de pratiques qui étaient en usage dans l'extérieur du paganisme.

Il est constant que les païens n'ont pas été les premiers inventeurs des ornements, et les premiers instituteurs des cérémonies que l'on reçut dans la religion chrétienne, du temps de l'empereur Constantin. Il est vrai qu'ils avaient dans l'extérieur de leur service, des choses à peu près semblables ; mais tout le monde sait qu'ils les avaient prises ou imitées des Juifs. Car comme la religion judaïque fut sans contredit la première qui parut dans le monde, les hommes tant soit peu versés dans l'étude de la fable et la lecture des livres de Moïse, savent que les Égyptiens, les Grecs les Romains et les autres peuples infidèles, n'avaient presque rien dans leur théologie ni dans l'extérieur de leur culte, qu'ils n'eussent tiré ou imité de la religion des Juifs.

C'était des Juifs que les païens avaient appris à avoir des temples, des autels, des luminaires, des encensoirs, des prêtres et des sacrifices ; et l'on ne saurait douter qu'Ovide n'ait tiré des écrits de Moïse la plupart des faits qu'il raconte sur la religion des païens dans ses livres des Métamorphoses.

Ainsi l'auteur du livre des Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes, se trompe extrêmement quand il dit « que les évêques de Rome, au changement qu'ils apportèrent en la religion, avaient devant leurs yeux, le patron que Numa Pompilius et les autres instituteurs du paganisme en avaient tiré. Ces sages évêques, au contraire, outre le dessein qu'ils avaient d'attirer par là les païens au christianisme, considérèrent principalement que Dieu même était le premier instituteur des cérémonies sur lesquelles celles des païens avaient été dressées. Ils savaient que leur première origine venait de la vraie religion ; et par cette raison, ils ne firent pas difficulté de les introduire dans l'Église, quoique le démon les eut employées au service des fausses divinités, comme les Israélites ne firent pas difficulté de reprendre l'arche de l'alliance, et de l'avoir en vénération comme auparavant, quoique les Philistins, qui l'avaient prise, l'eussent gardée quelque temps, et placée dans leur temple, à côté de l'idole de Dagon.

Voilà la grande et principale raison qui porta l'Église des premiers siècles à recevoir des ornements et les cérémonies dont elle se sert encore aujourd'hui. Mais pour reconnaître combien est injuste à cet égard, la plainte des prétendus réformés qui nous accusent en cela de superstition, il faut demeurer d'accord d'une vérité que tout homme raisonnable doit avouer de bonne foi. Cette vérité est que la superstition et l'idolâtrie ne consistent pas proprement dans l'extérieur du service et dans les cérémonies ; c'est l'indécence de l'extérieur, c'est l'excès des cérémonies et l'objet auquel le service extérieur est rendu, qui déterminent le service, et qui le rendent bon ou mauvais, légitime ou superstitieux. Avoir des temples, des autels, des prêtres, des ornements sacerdotaux, des cérémonies sans excès et sans indécence, et destiner toutes ces observances au service du vrai Dieu, c'est une action de piété ; avoir ces mêmes pratiques avec excès et indécence, et les destiner au service des faux dieux, c'est une superstition, c'est une idolâtrie.

Les païens avaient toutes ces cérémonies, je l'avoue ; mais ce n'était pas ce qui les rendait superstitieux et idolâtres ; ils les avaient avec excès et avec indécence, et ils les consacraient à leurs fausses divinités ; voilà proprement en quoi consistait leur superstition et leur idolâtrie. Imiter donc les païens dans l'usage des temples, des autels, des ornements sacerdotaux, des prêtres et des cérémonies, sans imiter en cela leur excès, ce n'est pas imiter leur idolâtrie et leur superstition. Puisque donc l'Église catholique n'a transféré dans son service, que ce qu'il y avait de bon et de raisonnable dans l'extérieur du paganisme, sans imiter ce qu'il y avait d'indécent et d'excessif ; puisqu'elle n'a imité de l'extérieur de la religion païenne, que ce que les païens eux-mêmes avaient imité de la religion des Hébreux, et qu'elle l'a consacré au service du vrai Dieu, n'est-ce pas une pure calomnie de l'accuser en cela de superstition et d'idolâtrie ?

Par conséquent, bien loin que l'on puisse former contre l'Église catholique, une accusation si pleine de calomnie, l'on devrait au contraire reconnaître en cela l'ouvrage du Saint-Esprit, « qui a permis à l'Église, comme dit Baronius, de transférer aux usages de la piété, les cérémonies que les païens employaient avec impiété à un culte superstitieux, après les avoir expiées par la consécration, afin que le diable en reçût un plus grand affront, de voir employer à l'honneur de Jésus-Christ, ce que son ennemi avait destiné à son propre service. »

En vérité, si ceux des prétendus réformés qui agissent avec sincérité, veulent, après cela, jeter les yeux sur les motifs qui déterminèrent l'Église à introduire dans l'extérieur de la religion, les ornements qu'elle reçut au commencent du quatrième siècle, et dont elle s'est toujours servie, sans que personne s'y soit jamais opposé, je ne doute point qu'ils ne reconnaissent combien est injuste à cet égard l'accusation de leurs ministres.

Car enfin, l'on ne saurait désavouer, et l'auteur du livre des Conformités convient lui-même que les ornements et les cérémonies dont il est question, furent introduites dans l'Église, pour porter les païens et les infidèles à embrasser plus facilement le christianisme. Eusèbe le dit en termes exprès dans le passage que j'ai déjà cité : « Cet empereur, dit-il, en parlant de Constantin, pour rendre la religion chrétienne plus plausible aux Gentils, y transféra les ornements extérieurs que ceux-ci employaient en leur religion. »

Le pape Grégoire 1er surnommé le Grand, qui, selon le témoignage de Platine, fut celui qui régla le service ecclésiastique, allègue la même raison dans la lettre qu'il écrivit à un prêtre nommé Augustin, qu'il avait envoyé en Angleterre pour y convertir les païens. « Il ne faut pas, lui dit-il, détruire les temples des idoles, mais détruire les idoles. Si leurs temples ont été bien bâtis, il ne faut que changer leur usage, et au lieu de les employer au service des démons, il faut les destiner au service du vrai Dieu, afin que cette nation païenne vienne plus librement adorer aux lieux accoutumés. Ceux qui, au sacrifice des démons, ont coutume d'immoler plusieurs bœufs, il faut leur ordonner à la place, quelque solennité : à savoir qu'au jour de la dédicace de ces temples ou de la mort des saints martyrs dont les reliques sont là, ils fassent des tabernacles de rameaux d'arbres autour des Églises qui étaient auparavant leurs temples, et célèbrent cette solennité par des banquets religieux, afin qu'ils n'immolent plus d'animaux aux diables, mais qu'à la louange de Dieu ils en tuent pour leur nourriture, en rendant grâces à Dieu ; et ainsi il faut leur laisser quelques réjouissances extérieures, afin qu'ils consentent plus facilement aux intérieures1. »

Polidore Virgile, dont l'archevêque Génébrard et le cardinal Baronius font mention comme d'un célèbre historien, nous apprend que « l'Église a emprunté plusieurs coutumes de la religion des Romains et des autres païens, mais qu'elle les a rendues meilleures, et employées à un meilleur usage2. » Et le président Fauchet, dans le livre des Antiquités gauloises, dédié au roi Henri IV, dit dans le même sens, « que les évêques de ce royaume employaient toutes sortes de moyens pour gagner les hommes à Jésus-Christ, se servant même de quelques-unes des cérémonies païennes, aussi bien que des pierres de leurs temples, pour bâtir des églises. »

Qui ne reconnaît dans cette conduite, l'esprit de charité et de condescendance qui animait autrefois les Apôtres au premier concile de Jérusalem3 ? Les Juifs, par les lois de leur religion, avaient de l'horreur pour le sang et pour la chair des bêtes étouffées ; ils ne pouvaient pas se résoudre à en manger ; ils avaient même inspiré la même horreur aux païens qui conversaient parmi eux, et ne trouvant aucune loi dans la religion chrétienne, qui défendît de s'abstenir de ces aliments, ils refusaient d'embrasser le christianisme.

Les Apôtres s'étant assemblés pour ce sujet, et considérant que ce qui faisait obstacle aux Gentils, étaient des pratiques indifférentes, ils furent inspirés par le Saint-Esprit, dit l'historien sacré, de ne les pas inquiéter sur ce sujet ; c'est-à-dire, de leur rendre la religion chrétienne plus plausible, en leur laissant garder à cet égard, les observations légales.

Voilà précisément ce qu'a fait l'Église chrétienne des premiers siècles en faveur de ces mêmes païens. Ils étaient accoutumés à un extérieur de religion, grand et majestueux, à certaines cérémonies, en un mot, à des dehors de religion dont ils ne pouvaient pas facilement se désabuser. Ils ne voyaient rien de semblable dans la religion des chrétiens, parce qu'elle avait été jusques là dans la persécution ; et ils ne pouvaient pas se résoudre à l'embrasser. l'Église considérant que pour les porter à se convertir, il suffisait d'introduire dans l'extérieur de la religion chrétienne, quelques ornements et quelques cérémonies qui n'avaient fait que passer dans le paganisme, et qui de leur origine, comme nous avons déjà dit, étaient d'institution divine, l'Église ne fit pas difficulté de les recevoir, lorsqu'elle se trouva dans le calme et dans la prospérité. Qu'y a-t-il en cela de criminel ? et ne faut-il pas être bien peu raisonnable, ou extrêmement préoccupé pour condamner une conduite si juste, si sainte et si charitable ?

Sans doute, si les prétendus réformés pouvaient se résoudre à considérer sans prévention cette marche de l'Église, et à faire réflexion aux succès merveilleux d'une si belle institution, ils seraient persuadés que leurs ministres ne raisonnent pas juste, et s'éloignent de la bonne foi, lorsqu'ils leur disent qu'à cet égard « la conduite de l'Église est bien différente de celle que Dieu ordonne à son peuple, lui défendant expressément de consacrer à son service aucune des choses que les infidèles eussent employées à leur idolâtrie, mais leur commandant de les ruiner. Les bienheureux Apôtres, ajoute cet auteur, qui ont travaillé avec tant de peine et de succès à la conversion des Gentils, ne se sont jamais avisés de s'accommoder à leurs superstitions pour les gagner au christianisme, sachant bien, comme ils nous l'enseignent eux-mêmes, qu'il ne faut jamais faire le mal afin que le bien en advienne, et que Dieu ne doit pas être mis sur un même autel avec le diable, ni Dagon être introduit dans son temple. Saint Paul, continue-t-il, crie aux nouveaux convertis : Fuyez arrière de l'idolâtrie1, et saint Jean : Mes petits enfants, gardez-vous des idoles2. C'est pourquoi saint Ambroise loue le zèle de l'empereur Théodose de ce que, comme un autre Josias, il fit abattre les temples des infidèles3. »

Qui pourrait croire qu'un auteur qui raisonne de cette manière dans les 7 et 8 pages de son livre, dit ensuite en propres termes dans la page 148 du même livre : « Dans les lieux où la réformation a été établie, et où elle est reçue par les magistrats aussi bien que par le peuple, nous nous servons sans scrupule des temples où l'on faisait auparavant un culte superstitieux : comme nous ne croyons pas qu'il y ait de la sainteté attachée à des édifices et à des parois mortes et inanimées, nous ne craignons pas aussi leurs souillures. »

Y eût-il jamais contradiction plus manifeste que celle dans laquelle tombe cet auteur ? Car après avoir fait tous ses efforts pour établir que l'on ne doit point consacrer au service de Dieu les objets qui ont été employés à l’idolâtrie, mais qu'il les faut entièrement ruiner, il est ensuite obligé d'avouer que la pratique des prétendus réformés est de se servir sans scrupule des temples où l'on faisait auparavant un culte superstitieux.

Voilà à quoi l'on est réduit quand on veut faire de fausses applications des exemples que l'on tire de l'Écriture. Car il est bien vrai que Dieu avait autrefois ordonné à son peuple de détruire entièrement les hauts-lieux, de briser les autels et les statues, de brûler les bocages et de mettre en pièces les images des fausses divinités des nations infidèles dont les Israélites devaient posséder le pays. Il est encore vrai que la piété des rois de Juda est recommandée dans l'Écriture, pour avoir exécuté avec zèle les ordres qu'ils avaient reçus de Dieu. Mais l'on ne saurait appliquer cet exemple de la langue légale avec ce qui doit être pratiqué dans l'alliance de grâce.

Premièrement, parce que comme les Juifs ne pouvaient faire le service divin que dans un seul temple, comme nous l'avons vu plus haut, il fallait nécessairement qu'ils détruisissent tous les autres édifices où l'on aurait pu établir un service public. Et c'est pour cela que Dieu leur commanda de ruiner tous les lieux où les nations infidèles, dont ils allaient posséder le pays, avaient coutume de servir leurs faux dieux ; mais ce commandement ne peut être appliqué aux chrétiens, puisque, comme je l'ai déjà prouvé, il leur a été permis de consacrer des temples à Dieu par toute la terre.

Secondement, Dieu fit ce commandement aux Juifs, parce que, comme tout le monde sait, ils étaient extrêmement portés à l'idolâtrie, à cause de leur long séjour en Égypte, centre de leur superstition ; et Dieu, pour leur ôter de devant les yeux tout objet capable de les détourner de son pur service, leur ordonna de détruire entièrement tout ce qui était capable de pervertir leur culte. Mais cette raison encore n'a aucun lieu à l'égard des chrétiens qui ont toujours eu en horreur la superstition et l'idolâtrie, et qui en cela sont entièrement différents des Juifs.

Enfin, dans l'ancienne alliance, Dieu n'avait pas encore manifesté toutes les richesses de sa miséricorde. Les ordonnances qu'il donnait à son peuple, se ressentaient de la sévérité de la loi ancienne, qui ne prononçait que malédiction contre ses infracteurs, et ne connaissait ni support ni ménagement. Aussi, Dieu avait prescrit aux rois de Juda de détruire non-seulement les idoles et leurs temples, mais encore d'exterminer entièrement tous les idolâtres, sans en épargner un seul ; et c'est pour ce motif que celui qui avait sauvé la vie au roi des Amalécites, fut sévèrement puni.

Mais c'est ignorer le génie du christianisme, que de proposer aux chrétiens d'imiter cet exemple. Car, après tout, l'auteur des Conformités voudrait-il qu'on passât aujourd'hui au fil de l'épée tous les idolâtres, à cause que Dieu le commanda autrefois au roi de Juda ? Non, sans doute. Parce que dans l'alliance de grâce, Dieu veut qu'on agisse d'une manière toute différente, il ne demande plus la mort du pécheur, mais il veut qu'il se convertisse et qu'il vive1, il veut que sa grâce soit présentée à tous les peuples de la terre. Il n'y a plus de nations à exterminer ; il n'y a que des peuples à convertir. Aussi nous ordonne-t-il dans l'Évangile, d'avoir pour tous du support et de la tolérance. Il veut, comme nous venons de le voir dans la décision du premier concile de Jérusalem, qu'on aplanisse toutes les difficultés qui peuvent faire obstacle aux hommes, et les empêcher d'embrasser le christianisme. En un mot, le Saint-Esprit s'oppose à ce qu'on les inquiète pour des pratiques indifférentes. Et ç'a été une des raisons pour lesquelles l'Église a reçu dans l'extérieur de son service les ornements et les cérémonies dont elle se sert depuis tant de siècles, et qui, comme nous l'avons dit, sont dans leur origine d'institution divine.

J'avoue néanmoins que ce support et cette condescendance ne doivent pas aller jusqu'à permettre aux chrétiens d'imiter les infidèles dans leurs superstitions et dans leurs idolâtries ; et l'auteur du livre des Conformités a raison de dire à cet égard, « que les bienheureux Apôtres ne se sont jamais avisés de s'accommoder aux superstitions des Gentils, pour les gagner au christianisme. » Il a raison encore à cet égard, quand il dit « qu'il ne faut jamais faire le mal afin que le bien en avienne ; que Dieu a ne doit pas être mis sur un même autel avec le diable, ni Dagon être introduit dans le temple de Dieu ; qu'il faut fuir arrière de l'idolâtrie et se garder des idoles. »

Mais cet auteur ne fera jamais comprendre à des personnes tant soit peu raisonnables, que l'Église chrétienne des premiers siècles se soit accommodée, comme il le prétend, à la superstition et à l'idolâtrie païenne, pour s'être servie de quelques ornements et de quelques cérémonies qui avaient leur première origine dans la religion du peuple de Dieu, et que les païens avaient ensuite imitées.

S'accommoder à quelques cérémonies et à quelques ornements qui, de la vraie religion, avaient passé dans le paganisme, n'est pas s'accommoder à la superstition et à l’idolâtrie des païens. Les ornements et les cérémonies, comme nous l'avons déjà montré, sont des choses indifférentes de leur nature : c'est l'objet auquel on les consacre qui les détermine et qui les rend bonnes ou mauvaises, légitimes ou superstitieuses. Les ornements et les cérémonies sont, de leur nature, des choses mortes et inanimées, comme les parois et les édifices. Or, si cet auteur prétend qu'on peut se servir sans scrupule des temples où l'on faisait auparavant un culte superstitieux, parce qu'on ne doit pas craindre la souillure des choses inanimées, comment peut-il de bonne foi imputer après cela à l'Église catholique les crimes atroces qu'il lui attribue, pour ne s'être pas fait scrupule de se servir d'ornements et de cérémonies qui avaient servi véritablement à un culte superstitieux, mais dont la première institution était divine ? Les cérémonies et les ornements sont-ils des choses moins mortes et moins inanimées que les parois et les édifices ?

« Saint Ambroise, dit cet auteur qui se contredit partout, loue le zèle de l'empereur Théodose, de ce que, comme un autre Josias, il fit abattre les temples des infidèles. »

Saint Ambroise avait raison de louer le zèle de Théodose sur ce sujet, parce que cet empereur faisait abattre ces temples, pour empêcher l'exercice de la fausse religion, comme le roi1 les fait abattre aujourd'hui pour la même raison. Mais ce n'est pas en ce sens que cet auteur prétend que Théodose est louable : c'est, comme il le dit lui-même, parce que l'on ne doit point employer au service de Dieu les choses qui ont servi à un culte superstitieux, mais qu'il les faut ruiner ; » car c'est là la proposition qu'il prétend prouver. Mais s'il en est ainsi, veut-il que ceux de son parti abandonnent les temples où l'on faisait auparavant, selon lui, un culte superstitieux ? Point du tout. Les prétendus réformés ne sont donc pas louables de ne faire point de scrupule de s'en servir ? N'importe. C’est-à-dire, en un mot, qu'il trouve des raisons pour soutenir le pour et le contre, quand cela l'accommode ; et qu'après avoir bien déclamé, et après avoir réclamé à tort et à travers plusieurs passages et plusieurs exemples de l'Écriture, il est enfin obligé d'avouer que la pratique des calvinistes dément formellement leurs principes.

Les raisons que j'ai alléguées, et qui déterminèrent l'Église à recevoir dans les premiers siècles les cérémonies dont elle conserve encore aujourd'hui la pratique, sont si fortes, que l'auteur du livre des Conformités, qui prétend les combattre, est presque enfin obligé d'en reconnaître la nécessité, à travers toutes les fausses subtilités dont il se sert pour les détruire ; et il est enfin réduit à se retrancher dans un sentiment plus modéré, mais qui ne laisse pas d'être entièrement insoutenable.

« Quand ce prétexte, dit-il, d'attirer les païens à la religion chrétienne aurait pu avoir lieu aux siècles passés, en s'accommodant à quelques-unes de leurs cérémonies : qui ne voit que désormais il n'a plus de couleur, puisque par la grâce de Dieu, le paganisme est entièrement aboli ? Posons donc le cas, ajoute-t-il ensuite, que ç'ait été un trait de prudence de se servir des inventions païennes pour avancer l'ouvrage de la vraie religion, à quoi bon les employer encore aujourd'hui, qu'il n'est plus question de convertir les infidèles ? Les vouloir encore retenir, poursuit-il, ce n'est plus s'accommoder par condescendance à la faiblesse des ignorants, c'est les établir comme une partie nécessaire du service de Dieu. »

Il faut ici remarquer comment cet auteur varie, et ne sait de quelle manière se tirer d'un mauvais pas dans lequel le jette la cause qu'il soutient. D'abord, il appelle les raisons qui portèrent l'Église à établir ces cérémonies, « un prétexte qui pouvait avoir lieu aux siècles passés. » Ensuite, il pose le cas que « c'ait été un trait de prudence. » Enfin, peu s'en faut qu'il ne reconnaisse que c'était au moins alors « s'accommoder par condescendance, à la faiblesse des ignorants, » suivant le précepte de saint Paul. Admirez comme la force de la raison l'oblige presque à faire ici insensiblement un aveu que la vérité qu'il combat lui arrache peu à peu du cœur.

Car s'il était vrai que l'Église fût tombée, comme il le prétend, dans la superstition pour avoir transféré dans le service divin quelques cérémonies et quelques ornements du paganisme, pourrait-il dire que le prétexte qu'elle en eut, eût jamais pu avoir lieu ? Pourrait-il poser raisonnablement, que c'eût été un trait de prudence ? Et pourrait-il enfin reconnaître que l'Église eût pu s'accommoder alors par condescendance à la faiblesse des ignorants ? Non, sans doute : car il n'est point de prétexte, il n'est point de trait de prudence, il n'est point de condescendance qui puisse jamais donner lieu à la superstition, parce qu'il ne peut jamais être permis de faire le mal, afin que le bien en avienne.

Il paraît donc par là que cet auteur est assez porté à décharger en cela l'Église des premiers siècles du prétendu crime de superstition, il n'est pas fort éloigné d'approuver la raison qu'elle eut de transférer dans le service divin, les ornements et les cérémonies dont il est question. Mais il prétend que l'Église des siècles suivants les devait abandonner après la conversion des Gentils, puisque la raison qui avait obligé les chrétiens à les établir, avait cessé ; et de là, il veut inférer que l'Église catholique d'aujourd'hui a tort de les pratiquer encore, puisque le paganisme est entièrement aboli.

Voilà à quoi se réduisent enfin les prétendus réformés, après avoir bien crié contre nos ornements et contre nos cérémonies. Mais il ne sera pas difficile de leur montrer que ce sentiment, quoique plus modéré, ne laisse pas d'être entièrement insoutenable : car si l'Église des premiers siècles eut de justes raisons pour transférer dans son service les ornements et les cérémonies dont il est question, comme je l'ai déjà montré, et que les auteurs calvinistes sont presque obligés de l'avouer, je soutiens avec justice, que l'Église des siècles suivants n'a jamais dû les abandonner.

J'avoue que si l'institution de ces ornements et de ces cérémonies était criminelle, et que l'Église fut tombée par cette institution dans une superstitieuse imitation de l'idolâtrie païenne, comme les ministres tâchent de l'insinuer à leurs peuples, non-seulement elle devrait les abandonner, mais elle n'aurait jamais dû les recevoir.

Or, ayant déjà montré que cette institution n'a rien en soi que de bon, de saint et de charitable, bien loin d'être injuste et criminelle, et ayant prouvé cette vérité par l'aveu et par la pratique même des prétendus réformés, puisqu'ils ne sauraient désavouer que les ornements et les cérémonies ne soient de leur nature des choses aussi mortes et aussi inanimées que les parois et les temples dont ils avouent qu'ils ne se font pas scrupule de se servir, quoiqu'ils aient été employés, selon leur sentiment, à un culte superstitieux, pourquoi l'Église révoquerait-elle aujourd'hui cette institution ? et quelle raison peuvent avoir les ministres, pour nous reprocher comme un crime, l'usage de ces ornements et la pratique de ces cérémonies ? Veulent-ils abandonner eux-mêmes, ainsi que je l'ai déjà dit, les temples dont ils sont en possession, où ils prétendent que l'on faisait auparavant un culte idolâtre ? Non sans doute, ils ne craignent point, à ce qu'ils disent, leur souillure. Nous ne craignons pas aussi la souillure des choses que nous pouvons avoir ôtées au paganisme. Quel chagrin donc les oblige à crier que l'Église se devrait dépouiller aujourd'hui de ses ornements et de ses cérémonies.

Il n'y a plus, disent-ils, de païens à convertir. Il n'y en que trop ; et si les prétendus réformés envoyaient, comme nous, des missionnaires aux extrémités de la terre, pour obéir à ces paroles de Jésus-Christ : Allez, et instruisez toutes les nations1, ils ne parleraient pas de la sorte. Mais je veux qu'il n'y ait plus de païens à convertir : tout ce que l'on pourrait inférer de ce que le paganisme est presque entièrement aboli, c'est la conséquence que le savant Rhenanus en a tirée dans ses observations sur Tertullien, qu'il n'est plus temps d'avoir aujourd'hui pour les païens la même condescendance qu'on avait autrefois pour eux. « Il fallait, dit-il, autrefois accorder plusieurs choses aux chrétiens qui, se convertissant la plupart en leur vieillesse, avaient de la peine à quitter les choses auxquelles ils étaient accoutumés pendant toute leur vie : mais il en est autrement aujourd'hui2. » Voilà tout ce que l'on ne peut raisonnablement prétendre de ce qu'il n'y a presque plus de païens à convertir. Mais ce serait une légèreté dont l'Église n'est pas capable, que de révoquer par cette raison, ce qu'elle a établi et pratiqué depuis tant de siècles, avec tant de succès, de justice et de sagesse.

Il n'y a plus, dit-on, de païens à convertir : tant mieux pour nous et pour nos cérémonies. Nous ne devons donc pas les abandonner, puisqu'il n'y a plus au monde de nations infidèles qui les pratiquent, et que nous n'avons plus sujet de craindre que l'extérieur de notre culte ressemble à celui des païens.

Car, quoique l'Église eut de justes et de pressantes raisons pour recevoir dans son service quelques ornements et quelques cérémonies du paganisme dans les premiers siècles ; quoique ces ornements et ces cérémonies eussent leur origine dans la religion du peuple de Dieu, je veux bien croire néanmoins que les chrétiens de ce temps-là eurent quelque peine à s'y accoutumer, à cause que les païens tenaient alors les mêmes pratiques à leurs yeux. Je sais sur cela leur délicatesse, et qu'ils n'osaient pas, comme dit Tertullien1, se mettre une couronne de lauriers sur la tête, parce que les païens en portaient par principe de religion. Je n'ignore pas même que cet auteur2 ne pouvait souffrir que les chrétiens quittassent leur manteau quand on allait faire la prière, ou qu'ils s'assissent après qu'elle était faite, à cause que les païens le pratiquaient ainsi.

Mais puisque nous ne pouvons plus avoir aujourd'hui ces scrupules et ces délicatesses de conscience, ne voyant plus devant nos yeux que les païens pratiquent un culte extérieur qui ait quelque rapport avec le nôtre, pourquoi abandonnerions-nous des cérémonies consacrées au service du vrai Dieu et dans sa véritable religion depuis tant de siècles ? des cérémonies dont Dieu lui-même a été le premier auteur ? des cérémonies qui ont servi à la conversion de tant de peuples, auxquelles les chrétiens sont accoutumés, que Luther et les premiers prétendus réformateurs ont respectées, à cause de leur antiquité, et que plusieurs protestants pratiquent encore ? des cérémonies enfin, qui excitent si vivement nos cœurs à la piété, et qui sont si propres à élever nos esprits à la grandeur des mystères que la religion nous propose ?

Il n'y a donc que mauvaise foi, que contradictions, que calomnies et que faux raisonnements dans les allégations des ministres sur ce sujet : et je suis surpris comment la prévention peut empêcher les personnes sincères et éclairées qui sont parmi les prétendus réformés, de s'en apercevoir, et de reconnaître dans quelles absurdités visibles tombent leurs plus grands docteurs, lorsque la passion qu'ils ont de justifier leur séparation, les oblige à imputer à l'Église catholique, tout ce que bon leur semble.

Article 7 : Réponse à la cinquième objection : Que l'Église catholique se sert d'une langue non entendue.

Enfin, les prétendus réformés accusent l'Église catholique de se servir de la langue latine, idiome étranger à la plupart des chrétiens ; et ils prétendent que c'est violer le précepte donné par saint Paul dans le chapitre XIV de sa première épître aux Corinthiens, quand il dit : Si vous ne louez Dieu que du cœur, en parlant une langue inconnue, comment celui qui n'est que du simple peuple, répondra-t-il Amen à la fin de votre action de grâces, puisqu'il n'entend pas ce que vous dites ? Ce n'est pas que votre action de grâces ne soit bonne, mais les autres n'en sont pas édifiés3.

Si je voulais faire mention de tous les auteurs de cette objection, il me faudrait citer ici tous les écrivains calvinistes ; car il n'en est aucun qui ne l'ait faite. Elle est ordinairement dans la bouche de tous les ministres et de tous leurs peuples ; et ils croient être en cela si bien fondés, qu'ils n'ont jamais pris la peine de considérer ce qu'on leur a dit mille fois pour les en désabuser.

Toute la question est de savoir principalement dans quel sens il faut entendre les paroles de saint Paul qu'on nous oppose, et que je viens de rapporter : car c'est le seul endroit de l'Écriture où il est parlé des langages inconnus, dans le sens que les prétendus réformés l'entendent ; et le seul que les ministres allèguent pour prouver que cet apôtre a défendu de se servir dans l'assemblée des fidèles d'un langage qui ne soit pas entendu de tous ceux qui la composent, et a commandé de faire le service divin en langue vulgaire. Mais afin que les ministres ne nous puissent pas reprocher de n'avoir pas envisagé leur objection dans toute toute sa force et dans toute l'étendue qu'on peut lui donner, examinons premièrement le but principal que saint Paul se propose ; et secondement, les conséquences qu'on en peut tirer contre nous.

Premièrement, il est constant que si l'on examine exactement les paroles de saint Paul, par ce qui les précède et par ce qui les suit, l'on verra que cet apôtre ne se propose nullement d'ordonner en quelle langue le service divin devait être fait : mais que son principal et unique but est de donner aux Corinthiens des instructions, pour apprendre à ceux qui avaient reçu miraculeusement le don de parler divers langages, de quelle manière ils devaient se servir de ce don pour l'édification de l'Église.

Pour faire voir que c'est là le seul dessein de cet apôtre dans les paroles dont il est question, voici en quels termes il commence à traiter de cette matière dans les deux chapitres qui précèdent celui où sont contenues les paroles qu'on nous oppose. Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, voici ce que je désire que vous sachiez1. Et un peu après : L'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler de Dieu dans une haute sagesse ; et un autre reçoit du même Esprit, le don de parler aux hommes avec science2. Et ensuite: Un autre, le don de faire des miracles ; un autre le don de prophétie ; un autre le don du discernement des esprits ; un autre le don de parler diverses langues ; un autre le don de l'interprétation des langues3. Et à la fin de ce même chapitre : Tous font-ils des miracles ? Tous ont-ils la grâce de guérir les malades ? Tous parlent-ils plusieurs langues ? Tous ont-ils le don de les interpréter4 ?

Après cela, dans le chapitre suivant, il fait l'éloge de là charité, et montre qu'elle est plus excellente que tous ces dons. Puis voici en quels termes il commence le chapitre XIV : Recherchez avec ardeur la charité ; désirez les dons spirituels, et surtout de prophétiser ; car celui qui parle une langue inconnue, ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l'entend et qu'il parle en esprit des choses cachées ; mais celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier5. Et un peu après : Je souhaite que vous ayez tous le don des langues, mais encore plus que vous ayez celui de prophétiser, parce que celui qui prophétise est préférable à celui qui parle une langue inconnue, si ce n'est qu'il interprète ce qu'il dit, afin que l'Église en soit édifiée6. Et poursuivant à parler toujours dans le même sens voici comment il vient aux paroles qu'on nous oppose : Ainsi, mes frères, puisque vous avez tant d'ardeur pour ces dons spirituels, désirez d'en être enrichis pour l'édification de l'Église : c'est pourquoi que celui qui parle une langue, demande à Dieu, le don d'interpréter ce qu'il dit7. Et deux versets après : Que si vous ne louez Dieu que du cœur en parlant une langue inconnue, comment celui qui n'est que du simple peuple, répondra-t-il Amen à la fin de votre action de grâces, puisqu'il n'entend pas ce que vous dites1 ?

Il n'est pas nécessaire de faire ici remarquer, que dans tous ces passages, saint Paul oppose toujours le don de parler des langues inconnues, au don de prophétiser. Ce sens est généralement répandu dans toutes ses paroles : ce qui fait voir manifestement que cet apôtre donne seulement des instructions à ceux qui avaient reçu ce don miraculeux.

Ce qu'il ajoute dans la suite de ce chapitre, ne permet pas d'en douter. Que faut-il donc, mes frères, leur dit-il, que vous fassiez ? Si lorsque vous êtes assemblés, l'un est inspiré de Dieu pour composer un cantique, l'autre pour instruire, un autre pour révéler les secrets de Dieu, un autre pour parler une langue inconnue ; un autre pour l'interpréter : que tout se fasse pour l'édification. S'il y en a qui aient le don des langues, qu'il n'y en ait point plus de deux ou trois qui parlent en une langue inconnue ; et qu'ils parlent l'un après l'autre, et qu'il y ait quelqu'un qui interprète ce qu'ils auront dit. Que s'il n'y a point d'interprète, que celui qui a ce don se taise dans l'Église ; qu'il ne parle qu'à soi-même et à Dieu2. Et voici comment il finit ce chapitre : Pour conclure donc, mes frères, désirez surtout le don de prophétie, et n'empêchez pas l'usage du don des langues ; mais que tout se fasse dans la bienséance et avec ordre3.

Il est donc constant que le principal et l'unique but de saint Paul dans tous ces passages, était, non pas d'ordonner que le service divin se fît en langue vulgaire, comme le veulent les ministres ; mais d'instruire ceux qui avaient reçu le don miraculeux de parler des langues inconnues, sur la manière dont ils devaient s'en servir pour l'édification de l'Église. Cette vérité est si sensible, qu'il suffit de rapporter naturellement les paroles de l'apôtre, comme je viens de le faire, sans m'amuser à raisonner pour les expliquer, il ne faut qu'un peu de bonne foi et de sens commun pour en convenir.

L'on voit donc déjà que les ministres ont tort d'accuser l'Église catholique de violer le précepte de saint Paul, puisque ce précepte n'est pas un précepte général et de tous les siècles, mais une disposition particulière et propre seulement à être mise en usage dans la naissance du christianisme, et au temps où les dons miraculeux étaient ordinaires dans l'Église.

Examinons secondement, si les conséquences qué l'on peut tirer des passages de saint Paul qu'on nous oppose, favorisent le sentiment des prétendus réformés, et condamnent notre pratique.

Les ministres diront sans doute ici d'abord, qu'ils ont raison de tirer des paroles de saint Paul cette conséquence ; que le service divin doit être fait en la langue la plus intelligible au plus grand nombre des chrétiens, et que l'Église catholique se servant de la langue latine qui n'est pas entendue de la plupart, c'est avec justice qu'ils l'accusent de ne suivre pas le sentiment de l'apôtre.

Je réponds premièrement, que le don miraculeux de parler des langues inconnues n'étant plus aujourd'hui dans l'Église, l'on ne peut avec justice tirer aucune conséquence solide de ce que saint Paul a dit sur ce sujet aux fidèles de son temps, pour proposer un règlement certain et inviolable à ceux du nôtre.

Secondement, je réponds que la conséquence la plus naturelle et la plus juste que l'on puisse tirer des paroles de saint Paul en cet endroit, c'est seulement, comme il dit lui-même, que si l'on se sert dans les assemblées des chrétiens, d'une langue non intelligible pour tous, il faut que ce langage soit interprété en faveur de ceux qui ne l'entendent point, afin que toute l'Église en soit édifiée.

Il est si vrai que c'est là la seule conséquence à tirer des paroles de cet apôtre, qu'il la répète lui-même en cinq endroits différents du chapitre dans lequel elles sont contenues, savoir aux versets 5, 13, 26, 27 et 28. Et c'est encore pour la même raison qu'il a dit auparavant, comme nous l'avons déjà vu : L'un a reçu le don de parler diverses langues, un autre le don de les interpréter. Et ensuite : Tous parlent-ils plusieurs langues ? Tous ont-ils le don d'en donner l’interprétation ?

La juste conséquence des paroles de saint Paul n'est donc pas qu'elles ordonnent d'user de la langue vulgaire dans le service, ou qu'elles défendent de se servir d'un langage qui ne soit pas entendu de tous ; mais que l'on ne doit rien dire dans les assemblées des chrétiens qui ne soit entendu de tout le monde, ou par l'intelligence de la langue dont on se sert à l'égard de ceux qui l'ont, ou par les explications données dans les instructions aux personnes du peuple qui n'en ont pas la connaissance.

La passion ne devrait pas sans doute empêcher les prétendus réformés de convenir d'une chose que saint Paul répète jusqu'à sept fois dans deux chapitres. Et cela étant, comme l'on n'en saurait douter, les plus raisonnables d'entre eux devraient demeurer d'accord que l'on ne saurait tirer des paroles de cet apôtre aucune conséquence contraire à notre usage ; parce que l'emploi de la langue latine qui n'est pas entendue de tous, n'empêche point que les prières faites dans le service public ne soient entendues de tout le monde, soit par les livres composés à cet effet, soit par les interprétations données de vive voix aux prônes des messes de paroisse, que les curés sont obligés de faire, non-seulement en français, mais aussi en la langue dont se servent en chaque province les plus grossiers des paysans, quand il n'y a pas moyen de leur faire entendre autrement ce qui doit servir à leur salut.

Ainsi, tout ce que l'on peut inférer des paroles de saint Paul, a été exécuté à la lettre parmi nous ; il n'y a rien dans notre service public, de nécessaire, qui ne soit expliqué. Tous les catholiques sont édifiés de ce que l'on dit dans nos assemblées ; et ceux-là même qui ne sont que du simple peuple, peuvent répondre Amen à la fin de nos actions de grâces, parce qu'on leur donne l'intelligence de ce qu'on y dit, et qu'on les y accoutume dès leur enfance.

Mais, diront les prétendus réformés, pourquoi se servir d'une langue qui a besoin d'être interprétée ? Ne vaudrait-il pas mieux employer dans chaque église et dans chaque pays, la langue naturelle que l'on y parle, afin de n'être pas obligé d'avoir recours à des explications ou interprétations ? Ne serait-on pas plus édifié si l'on en usait de la sorte ? Et ne serait-ce pas mieux répondre à l'intention de saint Paul, de choisir une langue vivante, intelligible au plus grand nombre, de préférence à une langue morte que peu de gens entendent ?

Je réponds premièrement, que ceux qui raisonnent ainsi n'ont jamais eu une véritable idée de la religion chrétienne. Car quoiqu'elle soit répandue dans tous le monde, et partagée en diverses assemblées, néanmoins faut la considérer comme ne faisant qu'une seule Église ; quoique ses enfants soient dispersés dans toutes les parties de la terre, néanmoins il faut les regarder tous comme appartenant à une même famille ; quoique ses membres soient éloignés les uns des autres, néanmoins ils ne composent tous qu'un seul corps. Quoique nous soyons plusieurs, dit saint Paul, nous ne sommes tous néanmoins qu'un seul corps en Jésus-Christ, et nous sommes tous réciproquement les membres les uns des autres1.

Or, si l'on considère ainsi la religion chrétienne, comme il faut nécessairement la considérer, je soutiens que pour donner à cette Église universellement considérée, à ce corps, à cette famille, le langage le plus intelligible au plus grand nombre, suivant l'intention de saint Paul, l'on ne pouvait point se servir d'une langue plus propre que la latine. Car comme l'empire romain était le plus étendu lorsque le christianisme commença à s'établir, aussi la langue de ce peuple était la plus généralement étendue par tout le monde, comme elle est encore. Et il était convenable qu'une religion qui devait se propager par toute la terre, se servit d'une langue intelligible à toutes les nations, et que l'Église universelle parlât un langage universel.

Secondement, si les prétendus réformés veulent considérer sans passion, combien l'Église universellement considérée, est édifiée par ce moyen, ils changeront sans doute de sentiment, et cesseront de nous dire, que chaque Église particulière devrait faire le service divin en sa langue naturelle : car est-il rien de plus séant, de plus édifiant et de plus naturel à ceux qui sont les membres d'un même corps et les enfants d'une même famille, que de parler tous un même langage dans la maison de leur mère ? Je vous conjure, mes frères, disait saint Paul, par le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, de parler tous un même langage2. Quelle consolation n'est-ce point pour les chrétiens catholiques, d'être assurés qu'en quelque endroit du monde où la Providence les transporte, ils trouveront partout dans la maison de Dieu, un langage auquel ils sont accoutumés, et dont ils entendront tout ce qui sera nécessaire à leur salut, parce qu'on le leur a expliqué dès leur enfance ; et qu'ainsi ils ne seront point étrangers à leurs frères, et les reconnaîtront au langage de leur famille !

Les protestants sont privés de cette douce consolation, et n'ont point ce caractère des vrais enfants de l'Église. Aussi sont-ils étrangers les uns aux autres dans la maison de leur propre mère, pour y avoir introduit la diversité des langues. Ceux d'entre eux qui passent d'un royaume dans un autre, sont des années entières sans pouvoir servir Dieu, de concert avec ceux dont ils partagent la communion ; au lieu qu'un catholique fût-il porté dans les Indes et aux extrémités de la terre, au moment où il entre de corps dans une église, entre en même temps de cœur et d'intelligence dans l'esprit des prières publiques. Ainsi les véritables brebis de Jésus-Christ entendent partout sa voix, et elles le suivent en quelque part qu'il aille3.

Pour bien sentir les inconvénients où sont tombés les prétendus réformés en introduisant la diversité des langues dans leur service public, représentons-nous les tous assemblés dans un même lieu et dans un même temple : quelle confusion ne serait-ce point ? Trouverait-on là cette unanimité, cet accord, cette consonance qui, selon le sentiment de saint Chrysostome2, de saint Basile3, de saint Ambroise4 et de Tertullien5, sont le prix des prières publiques ? Non sans doute : ceux-ci parleraient français, ceux-là anglais, flamand, hollandais et autres langues. Que diraient des païens et des infidèles s'ils entraient dans cette assemblée ? Ne seraient-ils pas scandalisés d'une si étrange confusion ? Ce n'est pas moi, c'est saint Paul qui fait cette objection : car après avoir dit dans ce sens, Que la diversité des langues est un signe non pour les fidèles, mais pour les infidèles6, voici la conséquence qu'il en tire : Que si toute l'Église, dit-il, étant assemblée en un lieu, tous parlent diverses langues, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans cette assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés7 ?

l'Église catholique n'appréhenderait point de tomber dans cet inconvénient quand elle serait toute recueillie dans un seul temple, et que l'Église grecque se joindrait même à la latine. Car comme il n'y aurait que deux langues qui ont une extrême affinité, et que l'on apprend ordinairement ensemble, ainsi que personne ne l'ignore, une si petite différence n'empêcherait point qu'ils ne s'entendissent parfaitement, et qu'ils ne fussent ensemble de concert.

D'ailleurs, dans cette assemblée il y aurait une juste unité de sentiments dans la créance, un parfait accord dans son ordre ecclésiastique, une entière uniformité dans l'extérieur de son service : au lieu que dans l'assemblée des prétendus réformés il n'y aurait que contrariétés dans les sentiments, division et partialité dans l'ordre ecclésiastique, et variété dans l'extérieur du culte.

Peut-être croira-t-on qu'il est inutile de faire ici cette objection, et que la supposition faite par saint Paul dans ce texte, est une supposition impossible et qui n'arrivera jamais. L'on se trompe : ce que cet apôtre dit arrivera infailliblement lorsque toutes les nations du monde seront entrées dans la religion chrétienne, selon la promesse que Dieu nous en a faite.

Car alors il n'y aura que la seule famille de Jésus-Christ sur la terre, il n'y aura qu'une seule foi, un seul et même service, et l'Église catholique qui commence déjà à porter et à étendre partout, avec succès, cette précieuse unité de foi qui doit un jour régner généralement dans tout le monde, y porte aussi en même temps cette unité de langage, qui sera jusqu'à la fin des siècles celui de tous les chrétiens.

En troisième lieu, si les prétendus réformés voulaient faire réflexion que les langues vivantes, dont ils voudraient que l'on se servit dans l'Église chrétienne, sont exposées à un perpétuel changement, et ne subsistent jamais au même état, ils reconnaîtraient sans doute qu'elles ne sont nullement propres pour être employées dans une religion dont la doctrine doit être toujours la même  ; et que si l'on se servait de ces langues, il y aurait un extrême danger de voir les variations qui leur arrivent altérer en quelque manière la pureté de sa créance, en changeant les termes dont on se sert pour l'exprimer.

Aussi est-ce là une des principales raisons qui a obligé les catholiques à continuer de se servir de la langue latine, qui a été presque toujours en usage dans le service public. Ils ont voulu pouvoir être continuellement assurés qu'ils croient ce qui a toujours été cru, puisqu'ils parlent comme l'on a presque toujours parlé dans l'Église de Jésus-Christ.

Il n'est pas, je pense, nécessaire de m'arrêter ici à faire remarquer toute la force de cette raison. Tout le monde sait qu'il est impossible que le changement des termes et des phrases n'apporte quelque différence au sens que l'on a dessein d'exprimer. L'on dit même ordinairement, que lorsque deux personnes disent séparément une même chose, ce n'est pas tout à fait la même chose ; et il est certain que les idées qu'elles nous en donnent ne sont pas entièrement semblables.

Or, que l'on s'imagine après cela s'il est possible que dans la révolution de plusieurs siècles, parmi les différents idiomes des langues, les variations continuelles des termes et des phrases, les diverses manières de s'exprimer d'auteurs de différents caractères, l'on puisse conserver dans les langues vivantes, sans aucune altération, cette unanimité de sentiments qu'il faut avoir dans le service public avec les chrétiens qui nous ont précédés, et avec ceux qui viendront après nous.

Je sais bien que les ministres nous diront que l'on peut corriger de temps en temps les prières publiques, les psaumes, la confession de foi, et les traductions des livres sacrés dont on fait la lecture dans les assemblées, en un mot, toute la liturgie du service public.

J'en demeure d'accord avec eux ; tout cela est possible. Mais je soutiens avec raison, premièrement, qu'il n'est pas possible que la liturgie soit ainsi retouchée continuellement à diverses reprises dans le cours de plusieurs siècles, et par des mains différentes, sans que ce fréquent changement dans le langage n'apporte quelque changement dans le sens des choses, et sans donner aux chrétiens d'un siècle des idées sur les mystères de la religion chrétienne, différentes de celles qu'en avaient les chrétiens d'un autre.

Secondement, les ministres nous doivent avouer de bonne foi que lorsqu'ils veulent faire ces corrections, ils n'en sont pas tout à fait les maîtres. Leurs peuples, qui en cela raisonnent mieux qu'eux, et auxquels les seules lumières du sens commun font connaître combien sont dangereuses ces innovations, ne veulent point les recevoir, et aiment mieux parler le langage de leurs pères, quoique barbare, et presque inintelligible, que de rien innover dans les actes publics de leur service et de leur foi, de peur d'en altérer le vrai sens.

Cependant les ministres ont bien prévu que si de temps en temps l'on ne changeait les prières exprimées en langue vulgaire, elles deviendraient enfin totalement inintelligibles, et, ce qui pis est, ininterprétables, parce que personne ne s'applique à conserver l'intelligence des termes qui périssent dans les langues ; car les langues, quoique vivantes, meurent tous les jours à certains égards et se renouvellent de même tous les jours. Ainsi convaincus que la langue dont ils ont fait choix deviendrait enfin moins entendue que la latine s'ils n'y donnaient ordre, ils sont contraints, pour tromper leurs peuples, de faire ces corrections insensiblement et sans qu'ils s'en aperçoivent, en changeant à chaque édition de leurs livres, tantôt un terme et tantôt un autre. Car je pose en fait, et tout le monde peut le vérifier, que depuis qu'ils ont introduit la langue vulgaire dans leur service, toutes les éditions de leurs livres sont différentes.

Je dis que les ministres sont obligés de faire ces changements imperceptiblement ; car lorsqu'ils ont voulu les faire autrement, tout le monde sait que leurs peuples s'y sont opposés. Témoin la correction de leurs psaumes faite par M. Conrard, qu'on voulut faire glisser dans le service il y a quelques années, pour la substituer en la place de la vieille paraphrase de Marot et de Bèze. On eut beau cabaler et solliciter pour la faire admettre : ceux qui le désiraient ardemment, la chantèrent en vain dans leurs temples, pour exciter les autres à la chanter aussi ; le peuple fut inflexible, il ne voulut point d'innovation : et les ministres, désespérant de pouvoir réformer ainsi le langage barbare de leurs psaumes, travaillent présentement à corriger insensiblement ce qui ne leur a pas été possible de corriger tout d'un coup ; c'est-à-dire que n'ayant pas pu tromper le peuple ouvertement, ils reprennent le dessein de lui en imposer sans qu'il s'en aperçoive.

Le langage de l'Église catholique n'est point sujet à ces fâcheux accidents ; et les conducteurs de cette Église ne sont point obligés d'avoir recours à tous ces tours de souplesse, qui conviennent si mal à la candeur et à la franchise chrétienne, parce qu'il n'arrive aucun changement à la langue dont l'Église catholique se sert. Cette langue est aujourd'hui la même qu'elle était au commencement du christianisme, et elle le sera jusques à la fin du monde. L'usage, qui est le tyran des langues, n'a plus de pouvoir sur elle ; et nous ne craignons point de nous éloigner des sentiments de ceux qui nous ont précédés, ni d'en laisser d'autres à ceux qui viendront après nous, parce que nous avons tous le même langage.

Que les prétendus réformés, s'ils ont de la sincérité, veuillent donc bien considérer, 1° Que dans l'endroit de l'Écriture qu'ils nous opposent il n'y a aucun commandement qui nous oblige de faire le service en langue vulgaire, comme on leur fait entendre ; mais que saint Paul instruit seulement les Corinthiens de quelle manière ils doivent se servir pour l'édification de l'Église, du don qu'ils avaient reçu de parler diverses langues.

2° Que toute la conséquence qu'on peut tirer des paroles de cet apôtre, est que l'on ne doit rien dire dans les assemblées des chrétiens en langues inconnues, qui ne soit interprétée à ceux qui ne les entendent point, et que de ce côté-là l'on n'a rien à nous reprocher.

3° Qu'à considérer tous les chrétiens du monde et de tous les siècles, comme ne faisant qu'un seul corps en Jésus-Christ, il est constant que la langue la plus généralement entendue dans tout ce corps, est celle dont l'Église catholique se sert.

4° Que c'est un grand avantage et une douce consolation de voir que tous ceux qui sont frères en Jésus-Christ, et ne composent qu'une seule famille, ne parlent aussi dans l'Église qu'un même langage.

Enfin qu'il n'est pas de moyen plus sûr de conserver la pureté de la doctrine, que de se servir d'une langue à l'abri de tout changement ; que l'usage des langues vivantes est, par là même, plein d'inconvénients et de dangers.

Qu'ils passent sans préjugé toutes ces conditions, et ils avoueront sans peine que leur reproche sur cet article est entièrement injuste ; qu'ils ont été trompés jusqu'à présent par une apparente facilité qui les séduisait, et que notre coutume est sans comparaison plus sage, plus édifiante, plus sûre, plus conforme à l'intention de saint Paul, et à l'esprit du christianisme, que celle qu'ils ont introduite.

Article 8 : Conclusion de cette première Partie.

Il faut donc conclure de tout ce que nous avons dit jusqu'ici dans la première partie de ce Traité, qu'il n'y a rien dans l'extérieur de notre culte qui ne soit pur, saint, légitime, conforme à l'Évangile et à la pratique constante et successive de l'Église, depuis les premiers siècles du christianisme ; et que tout ce que les ministres ont coutume d'alléguer pour donner aux prétendus réformés des idées désavantageuses de nos pratiques et de notre service public, n'est établi que sur de faux principes qui ne laissent pas de faire impression sur l'esprit des ignorants, parce que ces principes paraissent fondés sur certains passages de l'Écriture, dont on leur déguise le véritable sens, ainsi que le reconnaîtront aisément tous ceux qui voudront prendre la peine d'examiner sans passion et sans préjugé, les preuves claires et convaincantes que je viens d'en apporter.



2ème partie : OU L'ON MONTRE LES DÉFAUTS QUI SE TROUVENT DANS LE SERVICE PUBLIC DE LA RELIGION PRÉTENDUE RÉFORMÉE.

Article 1er : La cause de tous les défauts qu'il y a dans le culte extérieur de la religion prétendue réformée, et quelques observations générales sur ce sujet.

Après avoir montré la pureté de notre culte, et fait voir que toutes les objections des ministres pour le décrier sont injustes et pleines de contradictions et de calomnies, la conséquence que l'on doit naturellement tirer de tout ce que j'ai dit jusqu'ici, c'est, ce me semble, que les prétendus réformateurs du christianisme ne sont pas excusables d'avoir changé tout l'extérieur de la religion chrétienne et de s'être avisés, il y a environ cent ans1, d'abandonner des pratiques et des cérémonies dont l’Église dans laquelle ils avaient pris naissance, était en possession depuis tant de siècles. Aussi c'est là la véritable cause de tous les défauts qui se rencontrent dans l'extérieur de la religion prétendue réformée, comme il est temps de le faire voir.

Mais avant que d'entrer dans le détail de cette matière, je dois faire ici deux observations générales. La première est, que ceux des prétendus réformés qui agissent de bonne foi et sans passion, ne sauraient s'empêcher de sentir d'abord une présomption désavantageuse pour leur cause, en considérant que tous ceux qui se séparèrent autrefois de l'Église catholique n'ont gardé entre eux, à cet égard, aucune conformité, comme je l'ai déjà remarqué.

Ceux-là sans doute, qui ne sont jamais sortis des royaumes ou des provinces dans lesquelles ils voient régner une certaine uniformité de culte dans leur religion, et qui connaissent seulement par le rapport d'autrui la désunion qu'il y a sur ce point entre les déserteurs des anciens usages, ne sentent pas si vivement la force de ce préjugé contre l'extérieur de leur service, que ceux qui ont voyagé et vu cette diversité de leurs propres yeux ; car les choses qu'on ne sait que par ouï-dire, quoique véritables, ne touchent pas si sensiblement que celles dont on est soi-même le témoin.

Mais cependant cette diversité qu'ils ne voient point, ne laisse pas d'être véritable, quoique la distance des lieux la dérobe à leur vue, et pour peu qu'ils y veuillent faire réflexion, ils doivent, s'ils sont raisonnables, avoir un extrême regret de ne pouvoir pas douter que tous ceux avec lesquels ils sont unis de communion, sont partagés sur ce point, et que tous ceux dont ils se sont séparés, sont dans une parfaite union.

D'ailleurs, s'ils pensent sérieusement à cette désunion, et s'ils en veulent tirer la conséquence qu'on ne saurait s'empêcher d'en tirer naturellement, comment peuvent-ils croire et dire comme ils font, que Luther et Calvin furent inspirés du Saint-Esprit pour réformer l'Église chrétienne ? Serait-il possible que le Saint-Esprit eût inspiré à Luther de conserver la plupart de nos cérémonies et de nos pratiques, et que le même Saint-Esprit eût inspiré à Calvin de les rejeter, ainsi que, selon eux, il avait inspiré à l'un la présence réelle du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et à l'autre l'absence de ce même corps ? Le Saint-Esprit est-il divisé ? et souffle-t-il d'une même bouche, le chaud et le froid ? Certainement cela n'est pas concevable.



Cette désunion n'est-elle pas déjà un défaut très considérable dans l'extérieur du culte de la religion prétendue réformée ? Que dis-je ? les calvinistes ne doivent-ils pas trouver là un préjugé légitime contre le changement qu'ils ont voulu apporter dans l'extérieur de la religion chrétienne ; préjugé qui doit les porter à se défier des préventions où ils sont, et les obliger à examiner si ce que les ministres leur inspirent a quelque fondement raisonnable.

La seconde observation générale qui se présente ici, c'est que l'Écriture sainte, la pratique de l'Église et la droite raison nous ayant déjà démontré manifestement que toutes nos cérémonies sont bonnes, saintes, légitimes et conformes au christianisme, il s'ensuit de là nécessairement que la religion prétendue réformée a autant de défauts dans son extérieur qu'elle a rejeté de pratiques et de cérémonies de l'Église catholique.

Article 2 : Défauts généraux de l'extérieur de la religion prétendue réformée.

Car premièrement, c'est un défaut dans son culte extérieur, d'affecter de n'avoir aucuns ornements, et de se refuser à consacrer au service de Dieu, tout ce qu'il y a sur la terre de plus précieux, sous prétexte de se conformer à l'état extérieur de l'Église naissante ; puisque j'ai déjà fait voir, en répondant à la dernière de leurs objections, que c'est une pure illusion de croire que l'Église ait dû conserver toujours le même extérieur qu'elle avait au commencement.

Secondement, c'est un défaut dans l'extérieur du culte des prétendus réformés, d'avoir rejeté des cérémonies qui servent à faire le service divin avec majesté et avec bienséance, et des pratiques très propres à exciter dans nos cœurs, les sentiments de la piété et de la dévotion, sous prétexte que l'Évangile a aboli les cérémonies légales, et nous a affranchis de la servitude et du joug de l'ancienne loi ; puisque, comme je l'ai prouvé en répondant à la seconde de leurs objections, c'est une erreur de faire consister la liberté évangélique et chrétienne dans l'abolition des cérémonies relatives au service divin, et dans l'affranchissement des observances capables de nous sanctifier.

En troisième lieu, c'est un défaut dans leur culte extérieur, de n'avoir ni dévotion, ni respect, ni révérence pour les temples, et de ne les point consacrer à Dieu selon la forme de la dédicace qu'il enseigna autrefois lui-même à son peuple, puisque, comme il paraît clairement par la réponse à la troisième de leurs objections, c'est injustement qu'ils s'imaginent voir dans l'Évangile l'abolition de cette dévotion et de cette révérence pour les églises, sous prétexte que Jésus-Christ a ôté l'attachement et l'affectation du service divin ordonné par l'ancienne loi à un seul lieu, exclusivement à tous les autres.

En quatrième lieu, c'est un défaut dans l'extérieur de leur culte d'avoir abandonné les ornements et les cérémonies, qui de la religion des Hébreux avaient passé dans le paganisme, et que l'Église avait ensuite reprises et consacrées au service du vrai Dieu, sous prétexte que ces ornements et ces cérémonies avaient servi au culte des faux dieux, et que l'Écriture nous défend d’imiter les païens dans leurs superstitions, puisqu'il résulte de la solution donnée à la quatrième de leurs objections, que ces pratiques étaient, dans leur première origine, d'institution divine ; que l'Église eut de justes raisons pour les introduire dans son service, et que la superstition ne consiste pas dans leur usage juste et bien réglé, mais dans leur excès et dans leur destination. Je dis que c'est un défaut dans l'extérieur de la religion prétendue réformée, d'avoir rejeté sur ce vain prétexte-là, les ornements et les cérémonies, parce qu'en les abandonnant, ils ont fait perdre à leur Église les trophées et les marques éclatantes du triomphe que la religion chrétienne a remportés sur le paganisme, et ôté par là dans leur secte, au christianisme, cet extérieur grand et majestueux qui sert encore tous les jours à attirer les païens et les infidèles à la profession de l'Évangile.

Enfin, c'est un défaut dans l'extérieur du service public des prétendus réformés, d'avoir abandonné le langage de leurs pères, et de la famille de Jésus-Christ, pour se mêler indifféremment à celui de tous les peuples, sous prétexte que saint Paul enseignait aux Corinthiens de son temps, de quelle manière ils devaient se servir, pour l'édification de l'Église, du don qu'ils avaient reçu de parler diverses langues, et qu'à cette occasion, il leur ordonnait de ne rien dire dans leurs assemblées, en langues inconnues, qui ne fut interprété, ainsi que je l'ai prouvé en répondant à la dernière de leurs objections.

Ces défauts, comme on le comprend aisément, en renferment une infinité d'autres : mais je ne fais que les remarquer ici en général, sans entrer dans le détail qu'on en pourrait faire, et sans m'y arrêter beaucoup ; parce qu'en répondant aux objections des prétendus réformés, je me suis assez étendu sur toutes ces matières, pour persuader les personnes sincères et éclairées, que l'Église catholique n'ayant rien en cela dans son extérieur qui ne soit pur et conforme au christianisme, il faut conclure nécessairement que les prétendus réformés sont tombés dans autant de défauts qu'ils ont rejeté de pratiques et de cérémonies parmi nous.

A l'égard des pratiques qui servent à exciter la piété dans nos cœurs, ils ne sauraient éviter de passer condamnation sur les principes que nous avons établis. Pour ce qui regarde les ornements et les cérémonies, l'on s'imaginera peut-être, que comme ce sont des choses indifférentes de leur nature, ainsi que je l'ai dit ci-devant, ils ont pu, sans crime, les abandonner, et que par conséquent je ne saurais dire avec justice qu'ils soient tombés dans aucuns défauts pour les avoir rejetés, quand bien même il serait vrai qu'ils l'auraient fait sur de vains prétextes.

Je réponds que les ornements et les cérémonies étaient, il est vrai, des choses indifférentes de leur nature, avant qu'elles eussent été reçues et employées par l'Église au service divin, parce que l'Église pouvait les recevoir ou ne les recevoir point. Il était à sa liberté et à son choix de prendre des ornements et des cérémonies différentes de celles qu'elle a établies. Je dis qu'elle a établies, car je ne parle pas ici de celles qui sont d'institution divine, lesquelles sont toujours nécessaires. Mais, et je le soutiens avec raison, lorsque l'Église a reçu des ornements et établi des cérémonies pour le service divin, leur usage n'est plus une pratique indifférente, mais devient une observation absolument nécessaire, et dont on ne se peut dispenser sans tomber dans une désobéissance criminelle.

Saint Paul nous apprend cette vérité, quand après avoir donné aux Corinthiens quelques règlements sur ce qui devait être pratiqué dans leurs assemblées, il leur dit, que si quelqu'un veut contester sur cela, il nous suffit de répondre que ce n'est point là notre coutume ni celle de l'Église de Dieu1. Où l'on voit que dans un pareil cas cet Apôtre allègue pour toute raison, la coutume de l'Église.

Article 3 : Défauts particuliers du culte extérieur de la religion prétendue réformée. - Premier défaut : d'avoir réduit à quatre fois l'année la célébration de la mort de Jésus-Christ, qui se faisait tous les jours.

Mais ce n'est pas assez d'avoir remarqué en général les défauts du culte extérieur de la religion prétendue réformée : il faut encore faire voir que ceux qui ont osé changer la face de l'Église chrétienne ont agi avec tant de passion, qu'en dépouillant la religion de tous ses ornements, ils lui ont arraché en même temps, beaucoup de pratiques essentielles, en sorte qu'ils n'ont emporté avec eux, qu'un christianisme défiguré et mutilé de plusieurs membres.

Premièrement il est constant que l'Église, dont les prétendus réformés se sont séparés, avait coutume de célébrer tous les jours sur ses autels le sacrifice de la croix de Jésus-Christ. Je laisse les controverses que nous avons sur les dogmes de ce mystère, pour ne point sortir du sujet que je traite ; je ne crois ici m'attacher qu'à ce qu'il a d'extérieur.

Je dis donc que la pratique constante et successive de l'Église chrétienne, depuis les siècles apostoliques jusqu'au temps de la prétendue réforme, était de présenter tous les jours aux yeux des chrétiens, comme on le fait encore, cette cérémonie sacrée qui nous remet devant les yeux, la mort soufferte par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la rédemption des hommes.

Nous lisons en plusieurs endroits des Actes des Apôtres, que les chrétiens persévéraient tous les jours dans la fraction du pain2 ; c'était le terme dont l'Église naissante se servait pour exprimer ce mystère. Nous y lisons qu'ils allaient tous les jours au temple pour prier, et qu'ils rompaient le pain de maison en maison. l'Écriture nous dit, qu'ils priaient au temple, et qu'ils rompaient le pain dans les maisons3, parce que les chrétiens, n'ayant point encore d'églises pour faire le service divin, allaient tous les jours au temple pour prier, et revenaient ensuite célébrer le sacrifice dans les maisons des fidèles, n'osant pas le célébrer dans le temple.

Saint Ambroise disait aux fidèles de son temps, en se plaignant de ce qu'ils ne communiaient pas assez souvent : « Si c'est un pain quotidien, pourquoi ne le prendre qu'une fois l'an, comme c'est la coutume des Grecs d'Orient ? Prenez donc tous les jours ce qui vous doit servir tous les jours, et vivez de telle manière que vous soyez dignes tous les jours de le recevoir4. » L'on célébrait donc tous les jours le saint Sacrement de l'Eucharistie, puisque les fidèles pouvaient communier tous les jours.

Mais pour établir ce fait par un témoignage que les prétendus réformés ne puissent pas rejeter, Ratramne, autrement appelé Bertram, prêtre, dont les ministres font tant de cas dans le traité du corps et du sang du Seigneur5 qu'il adressa au roi Charles-le-Chauve, vers le milieu du neuvième siècle, dit que cette demande de l'Oraison dominicale, Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien, doit être entendue du pain eucharistique ; par exemple, dit-il, « quand nous appelons le Verbe pain, comme dans la prière dominicale », où nous demandons que Dieu nous donne notre pain quotidien1.

C'est donc un fait constant et impossible à révoquer en doute, que l'Église chrétienne, depuis les Apôtres jusqu'à la prétendue réforme, avait coutume de présenter tous les jours à Dieu, en sacrifice non sanglant, cette victime pure et sans tache, qui nous lave de tous nos péchés, pour obéir à ce commandement, Faites ceci en mémoire de moi2, et bien que les chrétiens ne communiassent pas tous les jours, néanmoins ils pouvaient assister tous les jours à la commémoration de la mort de Jésus-Christ, ainsi qu'ils le peuvent faire encore dans l'Église catholique.

Cependant, contre la pratique constante et perpétuelle de l'Église, dans tous les siècles, les prétendus réformateurs du christianisme, sous prétexte de décharger la religion de vaines cérémonies, ont bien osé réduire à quatre fois l'année seulement, cette sainte coutume de célébrer tous les jours la mort de Jésus-Christ.

Certainement, si l'on vient à faire réflexion que toute l'espérance des chrétiens est fondée sur cette mort, et que saint Paul ne se proposait de savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié3, l'on aura de la peine à concevoir comment des gens consacrés à la profession du christianisme, osèrent ainsi réduire à quatre fois l'année, la célébration d'un mystère qui est le fondement du salut.

Et que les ministres ne nous disent point qu'ils exhortent leurs peuples à se souvenir tous les jours de la mort de Jésus-Christ ; qu'il suffit de faire tous les jours cette com mémoration, par la foi et en esprit, sans en exposer tous les jours la cérémonie aux yeux des chrétiens. Qu'ils ne nous disent point que la faiblesse humaine ne permettant pas d'apporter la même attention à ce qu'on voit tous les jours qu'à ce qu'on voit rarement, ils ont jugé à propos, pour exciter les hommes à la dévotion, de ne célébrer que quatre fois l'année ce que l'Église avait coutume de célébrer tous les jours.

Car premièrement, nous opposerons à tous ces raisonnements humains, ce que saint Paul disait aux Corinthiens sur une pratique de son temps, et que j'ai déjà rapporté : Que si quelqu'un veut contester sur cela, il nous suffit de répondre que ce n'est point là notre coutume, ni celle de l'Église de Dieu4.

Secondement, nous répondrons aux ministres que cette réduction est non-seulement un défaut très considérable dans l'extérieur du culte, mais encore une atteinte essentielle portée au christianisme. Car les plus justes péchant sept fois par jour5, comme dit l'Écriture, et se trouvant tous les jours en danger de perdre la vie spirituelle par le péché, il est par conséquent absolument nécessaire que l'Église présente tous les jours aux pécheurs le seul remède qui peut leur rendre ce qu'ils ont perdu. D'ailleurs, comme le corps de Jésus-Christ est la nourriture spirituelle de nos âmes, il faut nécessairement que l'Église présente tous les jours aux chrétiens ce pain céleste qui les doit nourrir ; de même que nos corps doivent être nourris tous les jours par notre pain ordinaire.

C'est à cause du besoin que les chrétiens peuvent avoir journellement de ce remède salutaire et de cette nourriture divine, que dans les passages que nous avons rapportés, Ratramne l'appelle un pain quotidien, c'est-à-dire, un pain de tous les jours, et que saint Ambroise dit : « Prenez donc tous les jours ce qui vous doit servir tous les jours. » Il est donc nécessaire que les chrétiens le puissent prendre tous les jours, puisqu'il doit servir tous les jours ; et par conséquent, il faut aussi que l'Église le présente tous les jours, ainsi qu'elle a toujours fait, et qu'elle fera jusqu'à la fin du monde.

Enfin si l'on considère que, selon le langage de saint Paul, toutes les fois que nous célébrons ce grand mystère, nous annonçons la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne1, l'on reconnaîtra combien il est dangereux ne le célébrer que rarement, et dans quelle négligence criminelle tombent les prétendus réformés, en ne le célébrant que quatre fois seulement dans l'année ; car il pourrait arriver qu'au moment de la venue de Jésus-Christ, s'il y avait encore des protestants au monde, il y eût peut-être trois mois qu'ils n'eussent annoncé sa mort en la manière qu'il l'a ordonné. Comment, si l'on a tant soit peu de bonne foi, et si l'on veut considérer sans passion la solidité des raisons que nous venons d'alléguer, ne pas reconnaître clairement que les prétendus réformateurs sont tombés, à cet égard, dans un défaut très considérable et très essentiel.

Je dois ici remarquer que ce défaut dans l'extérieur du culte des protestants vient visiblement de l'erreur de leurs dogmes sur ce point. Car s'ils croyaient comme nous, que l'Église a présenté à Dieu de tout temps, et lui présente encore tous les jours véritablement et réellement la même victime qui lui a été une seule fois offerte en sacrifice sanglant sur la croix, ils n'auraient jamais osé réduire à quatre fois l'année, la célébration d'un si grand mystère, et ils s'en seraient tenus à la pratique de l'Église : ce qui prouve manifestement deux grandes vérités.

La première, que l'Église chrétienne a toujours cru que dans le saint sacrement de l'Eucharistie, Jésus-Christ se donne réellement à nous, comme il est réellement mort pour nous, puisque l'Église comme nous l'avons prouvé, s'est constamment attachée à célébrer tous les jours ce mystère.

La seconde, qui est une suite de la première, que le sentiment contraire à la réalité, est un sentiment nouveau, puisque la réduction faite de la célébration de ce mystère à quatre fois l'année, est une chose nouvelle.

Article 4 : Second défaut, de ne point porter le saint sacrement de l'Eucharistie aux malades.

Comme un abîme appelle un autre abîme2, selon le langage de l'Écriture, le défaut que nous venons de remarquer dans le culte des prétendus réformés, les a entraînés dans un autre très considérable, et conséquence nécessaire du premier : c'est qu'ayant abandonné la coutume de célébrer tous les jours le saint sacrement de l'Eucharistie, ils ont été obligés d'abandonner aussi la pratique inviolablement observée dans tous les siècles, de le porter aux malades.

Tout le monde sait que cette coutume a toujours été dans l'Église, principalement lorsque les malades étaient en danger de mort. C'est pour cela que saint Paul appelle l'Eucharistie une voie nouvelle et vivante, tracée par Jésus-Christ, et par laquelle nous quittons la terre avec confiance, pour aller dans le séjour des Saints. Nous avons, dit-il, la liberté d'entrer avec confiance dans le sanctuaire par le sang de Jésus-Christ, en suivant cette voie nouvelle et vivante, qu'il nous a le premier tracée par l'ouverture du voile de sa chair1.

De là vient que les Pères appellent ordinairement l'Eucharistie, d'un mot grec Εροδιον qui signifie viatique ; parce que comme nous sommes voyageurs et pèlerins sur la terre, selon l'expression de l'Écriture, et que les derniers pas à faire dans cette route sont les plus terribles, à cause de l'approche de la mort, nous avons besoin d'être fortifiés dans ce moment, par le secours le plus efficace que la religion nous puisse fournir. Et il faudrait être étrangement préoccupé pour ne pas avouer que ce qu'elle nous peut offrir de plus consolant ne soit le saint sacrement de l'Eucharistie, puisque Jésus-Christ s'y donne lui-même à nous, lui qui a englouti la mort en victoire, et qui a brise l'aiguillon du sépulcre2.

Saint Chrysostome, rapportant les raisons qui obligeaient les mourants à être soigneux de se faire donner le saint viatique, raconte qu'il avait ouï dire à un saint homme, que par la permission de Dieu, il avait vu les anges emporter et accompagner jusques dans le ciel les âmes de ceux qui, à l'heure de leur mort, avaient dignement participé à ce saint sacrement3. « Munis de ce sacrifice, dit le même Père, nous partirons de ce monde avec confiance, et nous monterons dans le sanctuaire, couverts de robes d'or. Accordez-moi, o Dieu immortel, à moi, votre esclave, quoique méchant et impur, avant de rendre le dernier soupir de ma vie, et tandis que j'aurai encore toute la liberté de mon esprit, je sois fait participant de ce saint viatique4. »

Le concile de Nicée dit en termes exprès : « Si quelqu'un vient à mourir, qu'il ne soit point privé de ce dernier et très nécessaire viatique5. » Tous les autres conciles en ont à peu près parlé en mêmes termes6.

La pratique de tous les siècles s'accorde avec ce que je viens de rapporter de saint Paul, des Pères de l'Église et des anciens conciles. Nous trouvons dans la vie de saint Ambroise, qu'étant sur le point de mourir, un certain prêtre nommé Honorat, étant couché dans son lit, entendit une voix qui l'appela par trois fois, et lui dit : « Levez-vous promptement, car il va partir. » Il se leva aussitôt, et porta à saint Ambroise le corps sacré de Notre-Seigneur, et le saint expira aussitôt qu'il l'eut pris, emportant avec soi, dit l'historien, un bon viatique7. »

Nicéphore rapporte que saint Chrysostôme, sur le point de rendre l'âme, étant en prières pendant la nuit, reçut la visite de saint Pierre et de saint Jean qui lui apparurent et lui donnèrent à manger un morceau céleste et ineffable1. Saint Grégoire dit que sainte Romule, se voyant près de mourir, demanda le viatique et le reçut2. On lit dans l'histoire de Marie d’Égypte, écrite par Paul, diacre de l'Église de Naples, que cette sainte fille, sachant que sa fin était proche, pria l'abbé Zozime, de lui apporter le saint sacrement de l'Eucharistie, qui était gardé dans les vases sacrés, et que l'ayant pris, après avoir récité le symbole et la prière dominicale, elle dit : Laissez maintenant aller votre servante en paix, car mes yeux ont vu votre salut3.

Je pourrais ici alléguer plusieurs autres exemples, comme celui de Gorgonie, rapporté par Grégoire de Nazianze4 ; celui du vieillard Sérapion, conservé par Eusèbe5 ; et je ne sais combien d'autres qui prouvent manifestement la perpétuité de la pratique établie dans l'Église, de porter aux malades le saint sacrement de l'Eucharistie. Encore faut-il remarquer que les auteurs ne rapportent que les exemples des fidèles dont la dernière communion a été accompagnée de quelque circonstance extraordinaire : ce qui fait présumer qu'il y en avait une infinité d'autres dont ils ne parlent point.

Mais pourquoi m'arrêterais-je davantage à prouver un fait si avéré ? On ne saurait le révoquer en doute, et les prétendus réformés eux-mêmes sont contraints de l'avouer.

Cependant, ils ont osé rejeter sans raison une si sainte et si salutaire pratique, parce que ne faisant leur cène que quatre fois l'année, et dans leurs temples seulement, il faut de toute nécessité, non-seulement qu'ils languissent tous quatre fois l'année pendant trois mois, dans l'attente de ce sacrement, mais encore que leurs malades en soient entièrement privés. Étrange réformation du christianisme, qui dans le plus pressant besoin de la vie, contre l'usage de tous les siècles, interdit aux chrétiens agonisants le plus grand secours que la religion leur puisse donner, et le plus précieux gage de l'amour de leur Dieu ! C'est donc un défaut très considérable, non-seulement dans l'extérieur du culte, mais encore dans l'essence de la religion, d'avoir supprimé si injustement une pratique si sainte et si nécessaire.

Article 5 : Troisième défaut, d'avoir rejeté la Confirmation:

En troisième lieu, c'est un défaut de même nature dans l'extérieur du culte, et dans l'essence de la religion, d'avoir rejeté la Confirmation que l'Église chrétienne a aussi pratiquée dans tous les siècles, et que quelques sectes de protestants observent encore, comme on peut le voir par la liturgie de l'Église anglicane, imprimée à Londres depuis peu de temps, avec approbation et privilège.

La question n'est pas ici d'examiner si la Confirmation est un sacrement de l'Église chrétienne, comme elle est sans doute. C'est un point qui regarde la doctrine, et non pas l'extérieur de la religion ; et je dois laisser toutes les controverses qui ne sont pas de mon sujet.

L'on ne doutera point que l'Église chrétienne n'ait toujours administré ce sacrement par lequel nous sommes faits parfaits chrétiens, et affermis dans la profession de la foi, en recevant le don du Saint-Esprit par l'onction et par l'imposition des mains, si l'on prend la peine de conférer ce que dit saint Pierre dans le second chapitre des Actes des Apôtres, avec ce que dit saint Paul dans le chapitre dix-neuvième du même livre. Saint Pierre et les autres apôtres ayant reçu le don du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, et parlant d'abord diverses langues, les Juifs furent surpris de ce miracle. Sur quoi saint Pierre leur dit que ce qui venait d'arriver avait été prédit par les prophètes. Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon esprit sur mes serviteurs et mes servantes. Et ensuite cet Apôtre leur dit : Après donc que Jésus a été élevé et qu'il a reçu l'accomplissement de la promesse que son père lui avait faite d'envoyer le Saint-Esprit, il a répandu cet Esprit-Saint que vous voyez et entendez maintenant. Les Juifs ayant ouï ces choses, et en ayant été touchés, ils dirent à Pierre et aux autres apôtres : Frères, que faut-il que nous fassions ? Pierre leur répondit : faites pénitence ; que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour obtenir la rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit1.

Voilà ce que dit saint Pierre ; voici ce que dit saint Paul : Cet apôtre, ayant traversé, ainsi que saint Luc le rapporte, les hautes provinces de l'Asie, vint à Éphèse, où ayant trouvé quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent: Nous n'avons pas seulement ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Et il leur dit : Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils lui répondirent : Le baptême de Jean. Alors Paul leur dit : Il est vrai que Jean a baptisé du baptême de la pénitence, en disant au peuple qu'ils devaient croire en celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus-Christ. Ce qu'ayant ouï, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Et après que saint Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient diverses langues et ils prophétisaient2.

L'on doit d'abord remarquer dans les paroles de ces deux apôtres et dans celles de saint Luc qui rapporte ces circonstances, comment il est parlé, d'abord du Baptême, et ensuite de la réception du Saint-Esprit, c'est-à-dire, ce que nous appelons la Confirmation, parce que le principal effet de ce sacrement est de nous communiquer le don du Saint-Esprit, pour nous affermir dans la profession de la foi. Que chacun de vous soit baptisé, dit saint Pierre ; et ensuite il ajoute : Et vous recevrez le Saint-Esprit. Ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus, dit saint Luc ; et ensuite il ajoute : Et après que saint Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient diverses langues et ils prophétisaient. Il dit qu'ils parlaient diverses langues et qu'ils prophétisaient, parce qu'à la naissance du christianisme, la réception du Saint-Esprit ou le sacrement de la Confirmation était accompagné, pour servir à l'établissement de la religion, de dons miraculeux qui prirent fin lorsqu'elle fut suffisamment établie.

Remarquez secondement, qu'il est manifeste, par le langage de saint Lue, que l’on reçoit le don du Saint-Esprit par une cérémonie extérieure, dont le principal signe était l'imposition des mains. Et après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux.

En troisième lieu, pour peu qu'on veuille faire de réflexion aux paroles de saint Paul, l'on ne doutera point qu'il n'y eut alors dans l'Église, une cérémonie sacrée qui se pratiquait après la cérémonie du Baptême, et qui perfectionnait ce que le Baptême avait commencé. Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi, dit cet apôtre aux disciples ? Qui ne voit que saint Paul parte en cet endroit, et de la cérémonie du Baptême et de celle de la Confirmation ? Depuis que vous avez embrassé la foi, voilà le Baptême : car par le Baptême, l'on embrasse la foi. Avez-vous reçu le Saint-Esprit ? voilà la Confirmation : car son principal effet est de communiquer le don du Saint-Esprit pour être affermi en la foi. Remarquez ce terme, depuis ; c'est un adverbe de temps ; ce n'était donc pas dans le même temps que l'on était baptisé et que l'on recevait le Saint-Esprit pour être fortifié en la foi, comme le veulent les prétendus réformés.

Mais encore dans le sens de ces paroles : Depuis que vous avez embrassé la foi, avez-vous reçu le Saint-Esprit, l'on voit clairement que l’Apôtre parle de deux cérémonies extérieures et visibles, distinguées l'une de l'autre : je dis distinguées, car saint Paul leur assigne deux temps différents : je dis extérieures et visibles ; car si dans la réception du Saint-Esprit, il n'y avait pas eu une cérémonie extérieure et visible, saint Paul ne l'aurait pas opposée au Baptême, qui a, sans contredit, une cérémonie visible et extérieure.

D'ailleurs si cet apôtre ne parlait pas en cet endroit de deux cérémonies visibles, il ne se serait point servi de cette expression depuis que, ni de cette façon de parler : Avez-vous reçu le Saint-Esprit. Car l'on n'emploie ces expressions que pour des choses qui sont marquées par quelque action extérieure. C'est ainsi que nous disons Depuis que vous vous êtes confessé, avez-vous communié ? Ce qui montre que la confession et la communion sont deux actes différents, qui ont chacun des marques extérieures, d'où l'on peut connaître précisément le temps de l'une et le temps de l'autre.

Mais, dira-t-on, si saint Paul parlait en cet endroit de la Confirmation, pourquoi ne l'aurait-il pas nommée ? Cet apôtre ne la nomme point, parce qu'il ne nomme pas non plus le Baptême ; mais qu'il se contente de désigner l'un et l’autre de ces sacrements par leurs principaux effets et par leurs caractères essentiels. Par le Baptême, nous embrassons la foi, et saint Paul dit : Depuis que vous avez embrassé la foi, au lieu de dire : Depuis que vous avez été baptisés. Par la Confirmation, l'on reçoit le Saint-Esprit ; et l'apôtre dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit, au lieu de dire : Avez-vous été confirmés ?

Mais, dira-t-on, quelle preuve avez-vous que saint Paul parle du Baptême, quand il dit : Depuis que vous avez embrassé la foi ? La suite du raisonnement de l'apôtre le montre aussi évidemment que s'il l'avait nommé. Car ayant demandé aux disciples s'ils avaient reçu le Saint-Esprit depuis qu'ils avaient embrassé la foi, et les disciples ayant répondu que non, l'apôtre ne leur dit point : Quelle foi avez-vous donc embrassée ? comme il semble qu'il devait le dire ; mais, expliquant ce qu'il entendait par embrasser la foi, il leur dit : De quel Baptême avez-vous donc été baptisés ?

Cette conclusion, comme l'on voit, ôte toute espèce de doute. Elle est nécessairement relative à la première proposition. Ce sont les lois ordinaires du discours ; et il faut s'aveugler volontairement soi-même, pour ne point voir que le raisonnement de saint Paul se réduit en ces termes : Vous avez été baptisés, et vous n'avez pas après cela, été confirmés ; de quel baptême donc avez-vous été baptisés ?

L'événement qui suivit les paroles de saint Paul, met cette vérité dans tout son jour : car saint Luc dit que ces disciples ayant é baptisés au nom du Seigneur Jésus, saint Paul leur imposa les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit.

Voici un autre endroit du même livre des Actes des Apôtres, qui rend encore cette vérité plus sensible. Les apôtres qui étaient à Jérusalem, dit saint Luc, ayant appris que ceux de Samarie avaient reçu la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean, qui étant venus, firent des prières pour eux, afin qu'ils reçussent le Saint-Esprit : car il n'était pas encore descendu sur aucun d'eux, et ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Mais alors ils leur imposèrent les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit1. Voilà donc des gens qui avaient été seulement baptisés, auxquels l'on impose ensuite les mains, afin qu'ils reçoivent le Saint-Esprit. C'est ainsi que nous parlons ordinairement : Cet homme-là, disons-nous, a été seulement baptisé, mais il n'a pas encore été confirmé.

Ne suffit-il pas d'avoir un peu de bonne foi et de discernement, pour avouer, en conférant ces différents passages, que du temps des Apôtres, il y avait dans l'Église chrétienne, comme il y a encore aujourd'hui dans l'Église catholique, une cérémonie accompagnée de prières, dont un des signes extérieurs était l'imposition des mains, et le principal effet la réception du Saint-Esprit, pour être confirmé dans la foi ; cérémonie qui était alors comme aujourd'hui, une suite de celle du Baptême, et n'était administrée que par les Apôtres, comme elle ne l'est parmi nous que par les évêques.

Mais si nous voulons voir dans l'Écriture, l'administration de ce sacrement rapporté en termes exprès, il ne faut que jeter les yeux sur ce qui est encore dit dans le livre des Actes des Apôtres : Saint Paul, dit l'historien sacré, étant parti d'Antioche, traversa par ordre, et de ville en ville, toute la Galatie et la Phrygie, confirmant tous les disciples2. Ne voit-on pas dans cet endroit, le récit naturel de ce que fait un évêque qui va par ordre, et de lieu en lieu, dans son diocèse, pour administrer le sacrement de la Confirmation à tous ceux qui par le Baptême, ont été rendus disciples de Jésus-Christ ?

Cette sainte pratique qui a son fondement dans la naissance du christianisme, a toujours été inviolablement observée par toute l'Église, dans le même esprit, et avec les mêmes signes extérieurs qu'elle l'est aujourd'hui parmi nous. « Cette onction, dit saint Denis l'aréopagite, achevant ce qu'il y a à faire, rend parfait : car la perfection de la génération divine unit au Saint-Esprit les choses parfaites3. » Voici comme saint Ambroise parle du sacrement de la Confirmation, après avoir parlé du Baptême : « Ensuite, dit-il, vient le signe que vous recevez de l'Esprit, dont vous avez aujourd'hui ouï la lecture ; parce qu'après les eaux du Baptême, il reste à être rendu parfait, lorsque par la prière de l'évêque, le Saint-Esprit nous est communiqué1. »

Selon saint Clément2, celui qui n'est point confirmé n'est pas parfait chrétien, si c'est par sa négligence et volontairement qu'il n'a pas reçu la Confirmation ; et il ajoute que saint Pierre et les autres Apôtres l'ont ainsi enseigné par l'ordre du Seigneur. Saint Cyprien, parlant de la Confirmation : « Cette pratique, dit-il, a lieu parmi nous, afin que les fidèles baptisés dans l'Église, soient présentés à ceux qui y sont établis pour les conduire, et reçoivent le Saint-Esprit par notre prière et par l'imposition des mains3. » « Si vous me demandez ici, dit saint Jérôme, pourquoi celui qui a été baptisé dans l'Église, ne reçoit le Saint-Esprit que des mains de l'évêque, puisque l'on reçoit le même Saint-Esprit dans un vrai Baptême, apprenez que cette pratique tire son autorité de ce qu'après l'ascension du Seigneur, le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres4. » Mais je ne dois pas m'arrêter plus longtemps à prouver un fait qui ne peut être contesté sans rejeter le témoignage de tous les Pères, de tous les Docteurs et de tous les conciles.

C'est inutilement que les ministres nous disent que Jésus-Christ n'a pas institué la Confirmation ; car il est constant, comme je l'ai déjà prouvé, que les Apôtres imposaient les mains, en priant sur les nouveaux baptisés, afin qu'ils reçussent le Saint-Esprit pour être confirmés en la foi ; et il n'en faut pas davantage à des personnes raisonnables pour leur persuader que les Apôtres n'auraient point pratiqué cette cérémonie s'ils n'en avaient reçu l'ordre de Jésus-Christ.

D'ailleurs, comme dit saint Thomas, Jésus-Christ en est l'auteur, parce qu'il avait promis d'envoyer le Saint-Esprit. Je m'en vais, dit-il, envoyer sur vous, le don de mon Père qui vous a été promis5. Mais la cérémonie visible par laquelle ce don est reçu, ne devait être mise en pratique qu'après la résurrection et l'ascension de Notre-Seigneur. Si je ne m'en vais point, dit-il, le Consolateur ne viendra point à vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai6. Le Saint-Esprit, dit saint Jean, n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié7.

Il ne sert de rien aux ministres de chicaner sur les signes extérieurs de cette cérémonie sacrée ; car ils ne sauraient nier que les Apôtres n'imposassent les mains en priant sur ceux qui recevaient le Saint-Esprit. Or, quoiqu'ils ne nous aient pas laissé par écrit toutes les circonstances particulières dont cette imposition des mains était accompagnée, ni les paroles qu'ils y employaient, peut-on douter raisonnablement que la pratique suivie par ceux qui sont venus immédiatement après eux, et par tous ceux qui leur ont succédé, ne soit entièrement conforme à ce qu'ils faisaient eux-mêmes ?

Mais quand les prétendus réformés ne voudraient pas sur cela recevoir le témoignage de toute l'antiquité, qui prouve clairement la conformité de notre Confirmation avec celle de l'Église primitive et de tous les siècles1 : ils ne sauraient au moins éviter d'avouer qu'ils ont supprimé une cérémonie exactement observée du temps des Apôtres, accompagnée de prières rendues sensibles par l'imposition des mains, dont le principal effet était de communiquer le Saint-Esprit, pour fortifier les fidèles en la foi, et qui était une suite du Baptême. Or, il n'en faut pas davantage pour avoir lieu de conclure que le rejet de cette cérémonie est un très grand défaut dans la religion prétendue réformée.

Si l'on veut après cela, faire tant soit peu de réflexion à une vérité que l'Église nous enseigne, l'on reconnaîtra manifestement la nécessité de la Confirmation, et la faute que les protestants ont faite de la rejeter.

Cette vérité est que tous ceux qui avaient été seulement baptisés, et qui n'avaient pas encore reçu le don du Saint-Esprit par la Confirmation, n'avaient pas la force de confesser hardiment le nom de Jésus-Christ. Et ce n'était, au rapport de l'Écriture, qu'après avoir été confirmés, qu'ils faisaient courageusement profession de la foi chrétienne ; parce que, comme nous avons dit, c'est l'effet de la Confirmation, de donner cette hardiesse.

Voyez les Apôtres eux-mêmes avant qu'ils eussent été confirmés de la manière miraculeuse dont ils le furent le jour de la Pentecôte. l'Évangile nous dit qu'au moment où Jésus-Christ fut pris pour être mené à Caïphe, ils l'abandonnèrent et s'enfuirent tous2. Saint Pierre même, qui avait témoigné quelque zèle, et qui lui avait dit : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point3, le suivit seulement de loin jusqu'à la cour de la maison du grand-prêtre4, et le renonça par trois fois. C'est pour cela que Jésus-Christ qui connaissait la faiblesse de la foi de ses Apôtres, avant qu'ils eussent été fortifiés par la réception du Saint-Esprit, ne voulut les envoyer prêcher l'Évangile par tout le monde, qu'après les avoir revêtus de la force d'en haut. Demeurez, leur dit-il, dans la ville de Jérusalem, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut5. Vous serez baptisés dans le Saint-Esprit, vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous ; et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre6.

Aussi, dès qu'ils eurent été confirmés par la réception du Saint-Esprit, le premier effet de leur Confirmation fut-il, selon le témoignage de saint Luc, d'annoncer la parole de Dieu avec hardiesse. Ils furent, dit-il, tous remplis du Saint-Esprit, et ils annoncèrent la parole de Dieu avec hardiesse7. Alors ces hommes qui, avant d'être confirmés, n'osaient pas seulement faire profession de leur foi en particulier, confessèrent hautement partout et en public, le nom de Jésus. Alors ces hommes qui, avant d'avoir reçu le Saint-Esprit, s'étaient enfuis et avaient abandonné lâchement leur divin Maître quand on le conduisait à Caïphe, allèrent hardiment s'exposer eux-mêmes à toute la fureur des Juifs et des infidèles, pour annoncer son Évangile. Saint Pierre, avant que d'être confirmé, avait tremblé à la parole d'une simple servante, et n'avait osé avouer qu'il connaissait Jésus-Christ ; mais après qu'il eut reçu le Saint-Esprit, il éleva sa voix1, comme dit l'Écriture, et prêcha publiquement la résurrection du Seigneur, au milieu de Jérusalem. Ces hommes enfin, qui, avant leur Confirmation miraculeuse, se tenaient cachés lorsque l'on menait Jésus-Christ au supplice, s'exposèrent ensuite généreusement eux-mêmes à la mort, et signèrent de leur propre sang, les vérités qu'ils annonçaient en son nom.

Qu'on lise seulement la vie des Apôtres dans l'Écriture, et l'on verra encore, qu'avant qu'ils eussent été revêtus de la force d'en haut par le don du Saint-Esprit, ils étaient remplis de doutes, de défiances, de faiblesses, et qu'après ce puissant secours, rien ne fut jamais comparable à la fermeté de leur foi, à leur force et à leur courage. L'on voit donc manifestement, non-seulement que la Confirmation a été, de tout temps, en usage dans l'Église chrétienne, mais qu'elle est nécessaire, comme le montrent les effets merveilleux qui l'ont toujours accompagnée.

Peut-être dira-t-on que cette cérémonie a dû être pratiquée dans la naissance de la religion chrétienne, parce qu'il fallait alors, en commençant à prêcher Jésus-Christ, être revêtus d'une force extraordinaire pour résister à tous les dangers, et surmonter tous les obstacles, mais que le christianisme étant présentement établi, la Confirmation n'est plus nécessaire.

J'avoue que dans ces premiers temps, la réception du Saint-Esprit était accompagnée de dons plus extraordinaires qu'elle ne le fut dans la suite, et qu'elle ne l'est encore aujourd'hui, tels qu'étaient ceux de parler diverses langues et de prophétiser : mais je soutiens avec vérité, que la promesse de l'envoi du Saint-Esprit, pour être fortifié et confirmé dans la foi, regardait non-seulement ceux qui devaient travailler à établir la religion chrétienne, mais généralement tous ceux qui devaient embrasser l'Évangile. C'est ce qui paraît avec évidence dans tous les passages de l'Écriture que j'ai déjà rapportés.

L'on en sera pleinement convaincu, si l'on fait réflexion à ce qui est dit dans les Actes des Apôtres : Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes. Nous sommes les témoins, dit saint Pierre, de ce que nous vous disons ; et le Saint-Esprit que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent, l'est aussi avec nous2. La promesse du don du Saint-Esprit a donc été faite à tous ceux qui servent Dieu et qui lui obéissent ; et par conséquent le sacrement de la Confirmation qui communique le Saint-Esprit, regarde généralement les fidèles de tous les siècles.

C'est pour cela que les Apôtres imposaient les mains à tous ceux qui avaient été baptisés ; que saint Paul allait par ordre, et de lieu en lieu, confirmer les disciples ; que saint Pierre et saint Jean furent envoyés à ceux de Samarie pour leur imposer les mains, parce qu'ils avaient été seulement baptisés, mais sans recevoir le Saint-Esprit ; et que saint Paul s'étonne de trouver des gens baptisés, auxquels le Saint-Esprit n'avait pas été communiqué par l'imposition des mains, quand il dit, comme nous l'avons vu : De quel Baptême donc avez-vous été baptisés ?

Certainement, c'est faire outrage à la bonté de Dieu, c'est vouloir limiter sa miséricorde, c'est donner des bornes à ses grâces, que de priver, comme font les protestants, tous ceux qui croient en Jésus-Christ, de l'effet de ses promesses. Car enfin, tous ceux qui ont été baptisés ont besoin d'être fortifiés et confirmés dans la foi, pour être en état de résister aux épreuves et aux tentations ; et c'est leur refuser le secours promis, que de les priver de la Confirmation, puisque par elle, l'on reçoit la force et la fermeté si nécessaires à tous ceux qui font profession de l'Évangile.

Les prétendus réformés doivent donc reconnaître que c'est un très grand défaut dans leur religion, d'avoir supprimé cette cérémonie sacrée ; et toutes les subtilités des ministres ne feront jamais comprendre aux hommes éclairés de leur parti, que les prétendus réformateurs du christianisme aient eu raison de rejeter de leur propre autorité, une pratique si salutaire, et dont l’observation est si formellement rapportée en tant d'endroits de l'Écriture, sans qu'il soit dit dans aucun passage des livres saints, ou des anciens Docteurs, qu'elle ait été supprimée directement ni indirectement.

Article 6 : Quatrième défaut, d'avoir rejeté la Confession.

(Nous passons à dessein cet article, qui se trouve traité avec plus de force et de détail dans les belles lettres du P. Scheffmacher.)

Article 7 : Cinquième défaut, d'avoir rejeté l'Extrême-Onction

En cinquième lieu, c'est encore un défaut dans l'extérieur de la religion prétendue réformée, d'avoir rejeté l'Extrême-Onction qui est si expressément ordonnée par l'Écriture Sainte, et a toujours été pratiquée par les chrétiens.

Ce n'est pas ici le lieu de montrer qué l'Extrême-Onction est un sacrement ; parce que mon dessein étant uniquement de faire remarquer les défauts du culte extérieur des prétendus réformés, je dois seulement la considérer ici comme une pratique extérieure et essentielle du christianisme, qu'ils ont injustement rejetée.

Je dis donc que c'est un très grand défaut dans leur religion de ne la pratiquer point, puisqu'elle est ordonnée formellement par l'Écriture. Quelqu'un parmi vous est-il malade, dit saint Jacques, qu'il appelle les prêtres de l'Église, et qu'ils prient sur lui, l’oignant d'huile au nom du Seigneur, et la prière faite avec foi sauvera le malade, le Seigneur le soulagera, et s'il a commis des péchés, ils lui seront remis1. Voilà le précepte qui fait voir manifestement que l'Extrême-Onction est d'institution divine ; voici la pratique prouvée par l'Évangile. Saint Marc rapporte que Jésus-Christ ayant appelé les douze Apôtres, il les envoya deux à deux. Étant donc partis, dit cet évangéliste, ils prêchaient au peuple qu'ils fissent pénitence ; ils chassaient beaucoup de démons ; ils oignaient d'huile plusieurs malades, et les guérissaient2.

Les ministres voyant qu'il faut nécessairement se rendre à des passages si formels, tâchent d'en éluder la force, en disant que cette onction dont parle saint Jacques, n'a dû être mise en usage dans l'Église que du temps des Apôtres ; que c'était une onction dont ils se servaient pour opérer les guérisons miraculeuses qu'ils faisaient de toutes sortes de maladies ; que ce pouvoir n'a été donné qu'à eux seuls, et par un privilège particulier à quelques autres personnes, mais non généralement à tous ceux qui leur ont succédé ; que l'on doit considérer l'huile qu'ils y employaient comme la boue dont Jésus-Christ se servait pour donner la vue aux aveugles. Ils disent encore que, selon les anciens Docteurs, plusieurs personnes qui n'étaient point prêtres, guérissaient les malades en les oignant d'huile ; et qu'au rapport de Tertullien, Proculus avait quelquefois guéri l'empereur Sévère par cette onction1 ; que Pallade et Théodoret font mention de plusieurs abbés qui faisaient la même chose ; que d'après saint Jérôme, les paysans et les bergers qui avaient été piqués par des animaux venimeux, étaient guéris avec l'onction de l'huile bénite par Hilarion2 ; et que par conséquent, cette onction dont parlent saint Jacques et saint Marc, ne doit pas être considérée comme une pratique ordinaire de l'Église chrétienne, et faite pour être observée dans tous les temps, mais comme un privilège et un don accordé à quelques particuliers au commencement du christianisme, pour servir à son établissement.

En vérité, il y a de quoi s'étonner de la mauvaise foi de ceux qui raisonnent de la sorte. Car il est bien vrai que dans les premiers siècles du christianisme, il y a eu plusieurs saints qui guérissaient miraculeusement les malades, tantôt avec l'onction de l'huile, tantôt avec de l'eau bénite, et quelquefois même avec le seul signe de la croix, comme le rapportent Pallade et Théodoret3 ; et c'est de ces guérisons miraculeuses dont parle l'Écriture, quand elle dit : Ils imposeront les mains sur les malades, et les malades seront guéris4. Et il est encore vrai que ce pouvoir de guérir miraculeusement toutes sortes de maladies, n'a point passé des Apôtres à tous ceux qui leur ont succédé dans le ministère évangélique.

Mais il faut être extrêmement préoccupé, pour ne pas reconnaître qu'il y a une très grande différence entre cette onction accompagnée d'effets miraculeux, et celle dont il est parlé dans le cinquième chapitre de saint Jacques, et dans le sixième de saint Marc.

Car premièrement celle-là n'est point commandée en aucun endroit de l'Écriture ; elle était purement volontaire. Dieu laissait à la liberté des Apôtres, et de ceux qui avaient reçu le même pouvoir, de le mettre en exécution quand bon leur semblait : au lieu que celle-ci est expressément ordonnée à tous les malades, par un précepte formel auquel il faut nécessairement obéir : Quelqu'un d'entre vous est-il malade ? qu'il appelle les prêtres. Voilà un commandement exprès, fait généralement à tous les chrétiens.

Secondement, il n'est point dit dans l'Écriture que cette première onction dont se servaient les Apôtres et quelques autres saints après eux, pour guérir miraculeusement les malades, fut accompagnée de la rémission de leurs péchés ; il n'y avait en elle aucune promesse qui regardât l'état de leur âme. l'Écriture dit seulement : Ils imposeront les mains sur les malades, et les malades seront guéris ; mais elle n'ajoute point, que leurs péchés leur seront pardonnés. Au lieu que l'onction des malades qui est commandée par l'Écriture, est accompagnée de la promesse de la rémission des péchés, qui en est le principal effet.

Car quoique saint Jacques parle premièrement de la guérison du corps, et ensuite du pardon des péchés, cela n'empêche point que ce pardon ne doive être considéré comme la grâce la plus importante qu'on y reçoit, puisque, comme tout le monde sait, l'ordre de l'Écriture ne marque pas toujours le principal effet le premier. C'est ainsi qu'il est dit dans saint Matthieu, que celui qui quitte toutes choses pour suivre Jésus-Christ, recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle1 ; où l'on voit que la vie éternelle, dans l'ordre de l'Écriture, est mise la dernière, quoiqu'elle soit la principale récompense que recevront ceux qui auront suivi Jésus-Christ.

En troisième lieu, comme la promesse de la rémission des péchés n'était pas attachée à cette première onction, aussi était-elle pratiquée quelquefois par d'autres que par des prêtres, ainsi que l'histoire de l'Église en fait mention dans les endroits que je viens de rapporter de Pallade et de Théodoret : au lieu que cette dernière onction dont parle saint Jacques, ne pouvait étre administrée que par des prêtres. Quelqu'un, dit-il, est-il malade ? qu'il appelle les prêtres. Il est donc certain que les prétendus réformés se trompent extrêmement, et que leurs ministres leur en imposent, quand ils leur enseignent à confondre ces deux onctions, et à rejeter la dernière, sous prétexte que la première n'est plus ordinaire dans l'Église.

Veut-on agir de bonne foi ? l'on avouera sans peine que c'est un très grand défaut, dans la religion prétendue réformée, d'avoir supprimé cette pratique, surtout, si après avoir fait réflexion à l'autorité de l'Écriture sainte, et aux vaines subtilités dont on se sert pour en éluder la preuve, on vient à considérer la coutume de l’Église dans les siècles que Luther, Calvin et tous les protestants reconnaissent pour les plus purs du christianisme.

Saint Augustin, après avoir rapporté le commandement que saint Jacques fait à tous les chrétiens malades d'appeler les prêtres pour se faire administrer l'Extrême-Onction : « Vous demanderez donc, dit-il, qu'on fasse pour vous la même chose, ainsi qu'a dit l'apôtre saint Jacques, ou plutôt le Seigneur même, par la bouche de son Apôtre2. Cette huile sacrée, ajoute-t-il dans le même traité, nous représente l'onction mystique du Saint-Esprit3. » Et dans un autre endroit de ses ouvrages : « Lorsque quelqu'un, dit-il, sera attaqué par quelque maladie, que les pécheurs ne se plaignent point. » Et un peu après : « Qu'il demande à l'Église l'huile qui a été fidèlement bénite, pour en être oint ; et, selon que l'Apôtre nous l'a enseigné, la prière faite avec foi, le sauvera, le Seigneur le soulagera, et il recevra non-seulement la santé du corps, mais aussi celle de l'âme4 ? » Et dans un de ses sermons : « Quelqu'un est-il malade ? qu'il appelle les prêtres ; et voyez mes frères, comme celui qui dans ses maux aura recours à l'Église, méritera d'obtenir la santé du corps, et la rémission de ses péchés1. »

Saint Chrysostome tient le même langage. « Les prêtres, dit-il, ont le pouvoir de nous remettre nos péchés, non seulement lorsqu'ils nous régénèrent, mais encore après. Quelqu'un parmi vous est-il malade ? qu'il appelle les prêtres de l'Église2. » Le roi Charlemagne trouva que cette pratique d'oindre les malades selon le précepte de l'Évangile, était si juste et si nécessaire, qu'il l'inséra dans le livre qu'il composa des Lois des Français. « Que le prêtre, y est-il dit, porte dans une fiole d'huile pour oindre les malades3. » Et voici les propres termes du concile qui fut tenu de son temps : « Selon le précepte de saint Jacques, auquel précepte sont conformes les sentiments des Pères, les malades doivent être oints par les prêtres, de l'huile qui a été bénite par les évêques, car saint Jacques a dit : Si quelqu'un est malade parmi vous, etc. » Et un peu après il ajoute : « L'on ne doit pas donc faire peu de cas d'un remède par lequel on guérit les langueurs du corps et de l'âme4. » Le concile de Florence tient à peu près le même langage. « L'effet, dit-il, du sacrement de l'Extrême-Onction est la guérison de l'âme et celle du corps aussi, autant qu'il est nécessaire5. »

Enfin tous les Pères de l'Église, tous les Docteurs, tous les conciles nous apprennent que l'Extrême-Onction a été pratiquée de tout temps par les chrétiens, ainsi que nous la pratiquons aujourd'hui. C'est donc un très grand défaut dans la religion prétendue réformée, d'avoir abandonné une pratique si formellement commandée par l'Écriture, et si exactement observée dans tous les siècles.

Mais si après tant de preuves, ceux des protestants qui ne sont point passionnés veulent bien encore considérer le génie du christianisme, et la nécessité d'une si sainte pratique, ils reconnaîtront sans doute que leurs prétendus réformateurs ne sont pas excusables de l'avoir supprimée.

Personne n'ignore que le génie de la religion chrétienne est de n'abandonner jamais l'homme à lui-même, mais de le secourir par des remèdes salutaires dans les différents états de sa carrière mortelle. Il n'est pas plutôt né qu'elle le lave dans les eaux sacrées du Baptême. Quand il est parvenu à un âge où il peut être exposé aux tentations, elle le confirme pour lui donner la force de résister à toutes les épreuves où sa foi peut être mise. Elle lui enseigne ensuite la pratique de la confession, de la pénitence, et de la participation au saint sacrement de l'Eucharistie, pour le soutenir dans tout le cours de sa vie. Et lorsqu'il est prêt à quitter le monde, et que les horreurs de la mort, le souvenir de ses péchés et les frayeurs du jugement de Dieu se présentent à lui, elle ne l'abandonne point, mais elle vient encore à son secours dans un si pressant besoin : elle redouble tous ses soins, et lui présente dans l'Extrême-Onction un remède souverain qui calme la violence de ses maux et les agitations de sa conscience.

Que les ministres ne nous disent point qu'ils remédient à toutes ces choses par leurs exhortations et leurs prières auprès des mourants. Les prières et les exhortations sont à la vérité très nécessaires ; aussi sont-elles l'âme de toutes nos cérémonies. Mais s'ils veulent prendre la peine de considérer l'état où se trouve un fidèle qui a presque perdu l'usage de tous les sens, ils avoueront que Dieu a sagement uni aux prières et aux exhortations quelque signe extérieur et sensible, pour réveiller l'attention d'une personne mourante, et pour exciter ses sens qui commencent à l'abandonner, et qui sont appesantis ou troublés par les langueurs de la maladie, ou par les approches de la mort.

Article 8 : Sixième défaut, d'avoir supprimé l'usage des croix, et du signe de la croix, des images et des reliques.

En sixième lieu, c'est un très grand défaut dans la religion prétendue réformée, d'avoir supprimé l'usage des croix, et du signe de la croix, des images et des reliques, en un mot, de n'avoir aucun objet extérieur qui frappe les yeux et qui excite à la dévotion, contre la pratique constante et perpétuelle de l'Église chrétienne.

Mon dessein n'est pas de m'attacher ici à répondre à toutes les objections que les ministres ont coutume de faire sur ce sujet. On a si souvent et si bien justifié l'Église catholique de tout ce qu'on lui impute à cet égard, qu'il suffit de lire le Concile de Trente, le Catéchisme romain et les Actes publics de notre créance, pour reconnaître que tous ces symboles extérieurs sont uniquement pour nous des moyens de porter à la piété, et que l'honneur rendu aux croix, aux images et aux reliques, ne porte aucun préjudice à l'adoration dont Dieu seul doit être l'objet.

Et quand il serait vrai, ce que l'on aurait de la peine à vérifier, qu'il y aurait parmi notre peuple des gens assez simples et assez ignorants pour se porter, en cela, à des excès que nous serions les premiers à condamner, serait-il juste d'imputer à notre religion les abus où pourraient tomber quelques particuliers qui, faute de lumières, seraient assez malheureux pour faire un mauvais usage de ce qui sert généralement, depuis tant de siècles, à l'instruction et à l'édification de tous les chrétiens ?

Je dois donc seulement m'attacher ici à faire remarquer combien les prétendus réformateurs du christianisme ont eu tort de retrancher des pratiques toujours en usage de tout temps parmi les chrétiens, et très propres à porter les hommes à la dévotion, et que, par conséquent, c'est un très grand défaut dans l'extérieur de la religion prétendue réformée, de n'être pas conforme en cela à l'Église de tous les siècles.

A l'égard des croix, les prétendus réformés doivent reconnaître que l'usage n'en pouvait être parmi les chrétiens, qu'après le crucifiement de Jésus-Christ. Or, s'ils veulent prendre la peine de consulter tous les historiens de l'Église, ils verront que, depuis ce temps-là, cet usage a toujours été reçu.

Saint Pierre, selon le témoignage de ceux qui ont écrit sa vie, eut tant de dévotion pour la croix, qu'il demanda de mourir de ce genre de mort1. Ceux qui ont écrit la vie de saint André rapportent, qu'ayant été mené au lieu où il devait être crucifié, et ayant vu de loin la croix sur laquelle il allait mourir, il s'écria tout d'un coup : Salve Crux, ó bona Cruz, et le reste de l'hymne que l'Église a coutume de chanter, depuis ce temps-là, le jour de sa fête2.

Théodoret, Burchard, Ivo, Gratian et Anselme, font mention du décret du pape Pie, qui vivait vers le milieu du second siècle3. Or, par ce décret l'on voit que c'était la coutume de ce temps-là de consacrer des croix, et que les serments judiciaires devaient être faits devant elles. Le septième concile loue le sentiment de saint Nile qui avait écrit au proconsul des Olympiens d'honorer l'Église qu'il avait dessein de faire bâtir, par une croix placée du côté d'orient, afin d'annoncer par là, de toutes parts, le salut à ceux qui étaient sans espérance. Saint Cyrille de Jérusalem donne des éloges à ceux qui faisaient des représentations de la croix4. Nous lisons dans les Novelles de Justinien qu'il n'était permis à personne de faire bâtir aucun saint édifice, sans appeler l'évêque du lieu, pour consacrer à Dieu, avec des prières, la place où il devait être construit, et pour y faire planter le signe de notre salut5. Peu de gens ignorent ce qu'Eusèbe6, Sozomène7, Nicéphore8, Cassiodore9, Onuphre10, et plusieurs autres auteurs sacrés et profanes rapportent en plusieurs endroits de leurs ouvrages de ces croix enrichies d'or et de pierres précieuses, que l'empereur Constantin faisait porter à la tête de ses troupes à la place du labarum des Romains, après la vision qu'il eut, lui et toute son armée, de cette croix miraculeuse, qui parut tout d'un coup en l'air dans le fort d'une bataille, et qui lui fit remporter une grande victoire. C'est pour cela que Julien l'Apostat, cet ennemi juré de la croix, fit reprendre à son armée l'ancien labarum des Romains, et défendit l'usage des croix, pour faire perdre à ses soldats la vénération qu'ils avaient pour elles.

Ceux qui ont quelque connaissance de l'Histoire Ecclésiastique savent aussi qu'après la victoire de Constantin sur le tyran Maxence, il ne fut pas plutôt entré dans la ville de Rome, qu'il fit planter une croix, dans un lieu élevé, avec une belle inscription rapportée tout au long dans Eusèbe11, et dans Nicéphore12. L'on sait encore que le même empereur en fit ériger trois dans la ville de Constantinople. Il ne se contentait pas d'en faire élever de tous côté dans la chrétienté ; mais, selon le témoignage des auteurs que je viens de citer, il fit graver la croix sur les pièces de monnaie, sur les armes de ses soldats, et voulut qu'elle parut partout.

C'est pour cela que saint Jérôme, dans son Épître à Leta, lui disait : « Les étendards des guerriers sont maintenant les enseignes de la croix ; ce signe salutaire pare la pourpre des empereurs, et brille parmi les pierreries de leurs diadèmes1. »

Nous avons déjà dit que ce fut sous l'empire de Constantin que l'Église chrétienne commença à être revêtue d'un extérieur grand et majestueux. Il en arriva de même à la croix. Elle avait été jusque-là dans la bassesse et l'obscurité : mais alors elle devint la gloire de toutes les nations, et l'objet de la vénération de tous les peuples. L'on ne doutera point de l'honneur que l'on rendait aux croix, si après ce que je viens de dire, l'on veut encore considérer que les empereurs chrétiens défendirent expressément qu'on ne se servit plus de croix pour les supplices, non-seulement des esclaves, car c'était le genre de mort dont on les faisait mourir2, mais de qui que ce fût ; « parce que Jésus-Christ, dit saint Augustin, ayant formé le dessein de faire honorer les chrétiens à la fin de ce siècle, il voulut au commencement du même siècle faire, premièrement, rendre des honneurs à sa croix, en telle sorte que les rois de la terre qui croyaient en elle, défendirent qu'on ne s'en servit plus pour le supplice des criminels3 . » Et dans un autre endroit de ses ouvrages : « Elle a passé, dit-il, parlant de la croix, du lieu des supplices sur le front des empereurs. Celui, ajoute-t-il, qui a fait rendre tant d'honneur à l'instrument de ses souffrances, quelle gloire ne réserve-t-il point à ses fidèles ? » Et répétant encore ailleurs, à peu près la même chose : « Que ne réserve-t-il point à celui qui le sert fidèlement, puisqu'il a fait un tel honneur à son propre supplice ? L'on ne se sert plus maintenant de croix à Rome pour les supplices, parce que l'on a cru que dans le lieu où la croix de notre Seigneur est honoré, ce serait faire honneur aux criminels de les crucifier4. »

La coutume qui a toujours été, parmi les chrétiens, de faire le signe de la croix en plusieurs occasions, n'est pas moins constante par le témoignage des Pères et des plus anciens Docteurs du christianisme. « Quelque exercice que nous entreprenions, disait Tertullien, nous portons la main sur le front pour faire le signe de la croix. Si vous cherchez dans l'Écriture la loi de cette coutume, et de quelques autres qui sont parmi nous, vous ne l'y trouverez point : leur autorité vient de la Tradition, leur établissement de la pratique de l'Église, leur observation de la foi ; et vous reconnaîtrez vous-mêmes que la raison fortifie en cela la tradition, la pratique et la foi, ou vous l'apprendrez de ceux qui ont plus de connaissance que vous5. » Il parle encore du signe de la croix, au livre troisième, contre Marcion, chapitre vingt-deux.

Saint Basile-le-Grand dit de même : « Qu'entre les actes religieux et les dogmes observés par l'Église, dont nous tenons les uns de la sainte Écriture, et les autres de la Tradition, et qu'il faut également garder et vénérer pieusement, sans contradiction, le signe de la croix que tous les fidèles qui croient et qui espèrent en Jésus-Christ pratiquent soigneusement et dévotement, est un des premiers6. »

« Nous scellons avec la main droite du signe de la croix, ceux qui ont besoin de ce sceau-là1, dit saint Justin, martyr » : ́ ce qu'il écrivit vers le milieu du second siècle, car il composa son Apologie, comme il le dit lui-même, en l'année 150.

« Nous nous glorifions en la croix du Seigneur, dit saint Cyprien, cette croix, par sa vertu, parfait tous les Sacrements. Il n'y a rien de saint sans le signe de la croix, sans lequel il ne se fait aucune consécration. De là vient la hauteur, la profondeur et la plénitude de toutes les choses qui sont sanctifiées2. »

Nous devons, dit saint Ambroise, en nous levant du lit, rendre grâces à Christ, et ce que nous faisons tout le jour, nous le devons faire avec le signe du Sauveur. Quand vous étiez païens, vous vous enquériez de signes, et recherchiez soigneusement ceux qui étaient heureux. Sachez que la prospérité de toutes choses vous est assurée par un seul signe de la croix de Christ. Celui qui sème sous ce signe, recueillera le fruit de la vie éternelle. Il nous faut donc commencer par là toutes nos actions3. »

Que le signe de la croix, dit le même Père, se pose sur le front et sur le cœur ; sur le front, pour en faire toujours la confession ; sur le cœur, afin d'aimer toujours4. »

Si je ne craignais de fatiguer le lecteur en m'étendant sur la preuve d'un fait constant, je pourrais encore ici rapporter les témoignages de Lactance5, de Zonare6, d'Eusèbe7, de saint Hippolyte, évêque et martyr8, de saint Cyrille de Jérusalem9, de saint Epiphane10, de saint Athanase11, de saint Grégoire de Nysse12, de saint Grégoire de Nazianze13, de saint Jérôme14, de saint Chrysostôme15, et de saint Augustin16, Mais je me contenterai de citer ici, en note, quelques endroits de leurs ouvrages, où ils ont parlé expressément du signe de la croix, afin que ceux des protestants qui auront la curiosité de les vérifier, se voient condamnés par la déposition de tant d'illustres témoins.

Je dois ici remarquer que plusieurs de ceux qui se sont séparés de l'Église catholique, ont conservé la pratique de faire le signe de la croix, dans la plupart de leurs actes religieux, et dans leurs exercices de piété, ainsi qu'on peut le voir dans le livre de la Liturgie de l'Église anglicane que j'ai ci-devant cité. Or, cet usage joint au témoignage de toute l'antiquité, condamne manifestement ceux qui ont eu la témérité de supprimer parmi eux une observance si sainte et si salutaire.

Il n'est pas moins constant, que l'usage des images est aussi ancien, et a été aussi exactement suivi dans l'Église chrétienne que celui des croix. Car, premièrement, les croix elles-mêmes ne sont-elles pas des images et des représentations ? Puisque donc les chrétiens avaient des croix, pourquoi se seraient-ils fait scrupule d'avoir des images ? d'autant plus que la plupart de ces croix dont nous venons de parler, n'étaient pas de simples représentations de la croix de Jésus-Christ, mais des représentations de Jésus-Christ lui-même crucifié. C'est ce que dit saint Augustin : « l'on ajoute, dit ce Père, sur la croix, la figure d'un homme qui y souffre, et par-là l'on nous renouvelle la salutaire passion de Jésus-Christ1. » Ce qui doit persuader aux plus préoccupés des calvinistes que dans les siècles reconnus par eux-mêmes comme les plus purs du christianisme, l'on n'expliquait pas, dans le sens de leurs ministres, le premier commandement de la loi divine, puisque les chrétiens se servaient, sans scrupule, d'images et de représentations, non qu'ils reconnussent quelque divinité qui animât et qui vivifiât ces images, comme les païens, et qu'ils leur rendissent aucun honneur dans cette vue, ce que la loi de Dieu défend seulement ; mais ils s'en servaient, comme nous faisons, pour leur instruction, et pour être excités à la piété.

Je ne m'arrêterai pas à rapporter ici les témoignages des conciles, des anciens Docteurs et des Pères de l'Église, qui disent tous, que de tout temps la pratique des chrétiens a été de se servir des images. Ces preuves ont été si souvent alléguées, et sont d'une si vaste étendue, que ce serait abuser de la patience des lecteurs de leur redire ce qui a été dit mille fois. D'ailleurs, c'est un fait si constant, que les prétendus réformés, s'ils ont quelque sincérité, ne s'amusent point à le contester.

Pour ce qui est des reliques, l'on ne saurait désavouer que ce n'ait aussi été de tout temps la coutume des chrétiens de les garder soigneusement, de les placer sous les autels, et d'avoir pour elles le respect et la vénération qui leur est due.

En vain les ministres voudraient nous dire qu'ils ne trouvent, ni dans l'Évangile, ni dans les Actes des Apôtres, aucune mention des reliques des martyrs, ou des images des Saints. Car, comment veulent-ils que les écrivains sacrés nous parlent d'images et de reliques, puisque l'Église chrétienne n'avait encore ni martyrs, ni saints glorifiés ? Comment veulent-ils que les chrétiens eussent alors des images et des reliques, puisqu'ils avaient vivants ceux dont on devait un jour honorer les reliques et les images ? Les Évangélistes et les Apôtres ne pouvaient pas nous dire que les chrétiens avaient des images et des reliques, puisque ces saints hommes les leur devaient fournir eux-mêmes, après leur mort.

Mais, si par cette raison les Évangélistes et les Apôtres ne nous disent rien des images, des reliques et des miracles qu'il plaît quelquefois à Dieu de faire à leur occasion, ils nous parlent, néanmoins, des miracles qui étaient faits par l'attouchement du vêtement de Jésus-Christ2, par l'ombre de saint Pierre1, par les mouchoirs et les linges qui avaient touché le corps de saint Paul2, et c'est de cela seulement qu'ils pouvaient alors nous parler. Pour les reliques, il n'y en avait point encore ; ils n'en pouvaient parler que par un esprit prophétique, et c'est ce qu'a fait saint Jean, quand il a dit : Lorsqu'il eût ouvert le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été tués pour la parole de Dieu, et la confession de son nom3.

L'on ne saurait douter que saint Jean, ou plutôt le Saint-Esprit qui l'inspirait, ne parle, en cet endroit, des reliques des martyrs, et des autels où l'Église a coutume de les placer. C'est l'explication que saint Augustin donne à ce passage : « Voyez, dit-il, dans quel rang les martyrs méritent d'être mis parmi les hommes, puisqu'ils ont mérité envers Dieu d'être placés sous l'autel ; car l'Écriture sainte dit : Je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été tués pour la parole4 .» Et un peu après il ajoute : « C'est à bon droit que les âmes des justes reposent sous l'autel, parce que le corps de notre Seigneur est offert sur l'autel5. »

Dans un autre endroit de ses ouvrages : Nous devons dit-il, maintenant rendre plus d'actions de grâces à notre a Dieu, puisqu'il a bien voulu que cette église, bâtie à son nom, fût de plus honorée par les reliques des saints martyrs6. »

Je ne m'arrêterai pas ici à rapporter tous les témoignages que les Pères de l'Église nous fournissent sur ce sujet, parce que ce fait n'est pas contesté. Il est évident que depuis les premiers siècles jusqu'à la prétendue réforme tous les chrétiens ont soigneusement conservé et honoré les reliques des saints martyrs. Je me contenterai de citer ici deux passages, l'un de saint Ambroise, et l'autre de saint Jérôme qui font voir que notre pratique et nos sentiments sont entièrement conformes à ce que l'on pratiquait de leur temps dans l'Église chrétienne. « Honorons, dit saint Ambroise, les bienheureux martyrs, les princes de la foi, les hérauts du royaume, les cohéritiers de Dieu. Si vous me demandez qu'est-ce que j'honore dans une chair morte et consumée, et dont Dieu semble ne prendre plus de soin, ne savez-vous pas, mes très chers frères, que la vérité elle-même a dit par la bouche des Prophètes, que la mort de ses saints est précieuse devant Dieu ? J'honore donc dans la chair du martyr les plaies qu'il a reçues pour le nom de Jésus-Christ ; j'honore sa mémoire qui ne mourra jamais, et sa vertu toujours vivante ; j'honore des cendres que la confession du nom de Dieu à consacrées. Pourquoi les fidèles n'honoreraient-ils pas un corps que les démons révèrent ? Ils l'ont livré aux supplices, mais ils le glorifient dans son tombeau. J'honore donc un corps que Jésus-Christ a honoré par le martyre, et qui régnera avec lui dans le ciel7. »

« Nous honorons les reliques des martyrs, dit saint Jérôme, pour adorer celui dont ils sont les martyrs ; nous honorons les serviteurs, afin qu'en eux nous honorions le Seigneur qui leur a dit : Qui vous reçoit, me reçoit1. »

Il est donc constant que dans l'Église chrétienne, non seulement on a toujours eu des croix, des images et des reliques, mais que l'on a toujours eu pour ces objets sacrés le même respect et la même vénération que nous avons encore aujourd'hui ; et par conséquent, il est vrai de dire que c'est un défaut dans la religion prétendue réformée d'avoir abandonné sur ce point la pratique de l'Église.

Que les défenseurs de la prétendue réforme ne croient pas se justifier, en disant que nous en faisons un mauvais usage ; on leur a souvent montré le contraire, et répondu à cet égard à toutes leurs fausses accusations. Mais ce n'est pas la question dont il s'agit présentement, car, quand il serait vrai, ce qu'à Dieu ne plaise, que nous fassions de ces précieux objets un usage coupable et illégitime, cet abus ne les excuserait pas de les avoir supprimés. Il fallait rejeter le mauvais usage, s'il y en avait ; mais il fallait conserver les pratiques dont l'Église s'était toujours servie avec édification ; ils ne l'ont pas fait, et c'est visiblement un défaut très considérable dans l'extérieur de leur religion.

Mais, disent les ministres, ce sont des erreurs damnables qui détruisent la foi et la piété ; et bien que ces erreurs fussent dans l'Église au quatrième et cinquième siècles, et que les plus grands Docteurs de cette époque les aient enseignées, nous avons eu raison de les rejeter.

Dans le livre intitulé : Les prétendus réformés convaincus de schisme, imprimé depuis peu, on leur a déjà montré la terrible conséquence qu'il faut nécessairement tirer de ce sentiment, c'est que, de leur propre aveu, il n'y aurait eu ni foi ni piété dans l'Église aux siècles qu'ils reconnaissent eux-mêmes pour les plus purs du christianisme, puisque toute l'Église aurait tenu des opinions qui, selon eux, détruisent la foi et la piété.

Mais si les prétendus réformés veulent prendre la peine de faire réflexion aux bons effets que produit l'usage des croix, des images et des reliques, ils avoueront la témérité qu'ils ont montrée en condamnant la pratique des premiers siècles, et l'injustice qu'on leur a faite en les privant d'un secours si salutaire pour la piété.

Premièrement, il est certain que les ignorants, et ils sont en grand nombre dans l'Église, sont par là instruits de beaucoup de vérités qu'il leur importe extrêmement de savoir, et qu'ils seraient incapables d'apprendre ou de retenir sans ce moyen. Que les calvinistes prennent seulement la peine d'interroger les plus simples et les plus grossiers des catholiques, et ils verront que c'est par là qu'on leur a donné les plus importantes leçons sur la religion ; c'est par là qu'ils ont appris les principales circonstances de l'histoire sacrée, la création des cieux et de la terre, la chute de l'homme, le déluge, l'alliance de Dieu avec Abraham, les miracles faits en faveur de l'ancien peuple, la naissance du Sauveur, ses miracles, toutes les particularités de sa vie, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension, l'envoi du saint Esprit, la constance et le martyre des premiers confesseurs de son nom ; parce que l'on a pris soin de leur représenter tous ces célèbres événements par des tableaux qui toujours présents à leurs yeux, les en instruisent sans cesse d'une manière proportionnée à leurs lumières, et propres par là même à faire une forte impression sur leurs esprits.

C'est pour cela, dit saint Grégoire, qu'on met des images dans les églises, afin que ceux qui ne savent pas lire, ne laissent pas de lire de leurs propres yeux sur les murailles ce qu'ils ne sauraient lire dans les livres1. » « La peinture, dit saint Basile, toute muette qu'elle est, nous montre par imitation les mêmes choses qu'un discours historique nous apprend par l'ouïe2. »

Secondement, l'on ne saurait désavouer que la vue des croix, des images et des reliques ne chasse souvent de notre esprit des pensées criminelles, et n'en fasse naître de saintes et de chrétiennes, en nous rappelant des souvenirs auxquels nous ne penserions point, si nous ne venions à rencontrer ces objets qui, par l'entremise de nos yeux, vont toucher notre âme, et l'excitent à la piété.

Les ministres nous diront-ils que c'est dans notre cœur qu'il faut porter la croix de Jésus-Christ ; dans notre esprit qu'il faut imprimer le souvenir de ce qu'il a fait pour nous ; dans notre mémoire qu'il faut graver les exemples de constance et de courage laissés par les bienheureux martyrs à leurs successeurs ? Ils ont sans doute raison ; c'est dans notre cœur, c'est dans notre esprit, c'est dans notre mémoire que nous devons conserver toutes ces célestes pensées : mais c'est aussi pour les y graver plus fortement, et ne les oublier jamais, que nous les avons continuellement devant les yeux. Ce n'est pas pour en faire un vain spectacle à notre vue, que la peinture ou la sculpture nous les représentent, c'est pour en remplir notre âme et toutes ses facultés ; c'est pour nous en imprimer plus vivement le souvenir dans le fond du cœur.

Car enfin l'homme étant composé d'un corps et d'une âme, et Dieu ayant établi que tandis que cette âme sera unie à ce corps elle ne pourra rien apercevoir que par son entremise, pourquoi refuser de se servir de tous les secours que les sens externes nous peuvent donner pour l'instruction et pour la sanctification de cette âme ? Si l'on approuve que cette âme soit instruite, et excitée à la piété par l'ouïe, quel crime y a-t-il qu'elle le soit aussi par la vue ? N'y a-t-il pas de la folie à vouloir que ce soit une bonne action de dire aux oreilles par la parole que Jésus-Christ est né, qu'il est mort, qu'il est ressuscité, et à soutenir que c'est un crime de le dire aux yeux par la peinture ?

Jésus-Christ lui-même, notre souverain Docteur, ne nous a-t-il pas appris à nous servir de nos yeux aussi bien que de nos oreilles, pour travailler à notre salut, quand il a dit : Votre œil est la lampe de votre corps. Si votre œil est simple, tout votre corps sera éclairé3. C'est ce qu'il nous a appris encore par les signes extérieurs qu'il a établis, comme l'eau du baptême, le pain et le vin de l'Eucharistie, qui sont des images et des représentations à nos yeux, du lavement intérieur de nos péchés, et de la nourriture donnée à nos âmes, afin que toutes les fois où ces objets extérieurs seraient présentés à notre vue, ils nous missent dans l'esprit les vérités qu'ils nous représentent.

D'ailleurs, puisque nos yeux peuvent bien nous faire pécher, comme l'Évangile nous l'apprend, et que la vue des peintures déshonnêtes est capable d'inspirer de criminelles pensées, pourquoi nos yeux ne pourront-ils pas aussi nous aider à vivre saintement ? Et pourquoi refuserions-nous de nous servir des peintures qui peuvent exciter en nous des sentiments de piété ?

Les ministres ont beau déclamer contre les croix, je soutiens qu'il n'est pas possible d'être bien persuadé de la religion chrétienne, et de n'être pas touché à la vue d'une croix. Ils ont beau crier contre les images, je soutiens que la vive représentation d'un martyr mourant pour la foi, excite dans les âmes des prétendus réformés, s'ils ont de la piété, des sentiments qu'ils ne sauraient condamner. Ils ont beau se moquer de la vénération que nous avons pour les reliques des Saints, je soutiens que de vrais chrétiens ne sauraient voir ces précieux restes de leurs frères morts pour Jésus-Christ, sans leur rendre un secret hommage dans le fond de leur cœur.

Article 9 : Septième défaut, d'avoir rejeté l'usage de l'eau bénite et du pain bénit.

En septième lieu, c'est un défaut dans l'extérieur de la religion prétendue réformée d'avoir rejeté l'usage de l'eau bénite et du pain bénit ; et bien que dès l'enfance l'on ait inspiré du mépris aux protestants pour ces pieuses pratiques, il n'est pas possible d'en considérer l'origine et l'ancienneté, sans être étonné de la témérité de ceux qui osèrent les supprimer.

Pour ce qui est de l'eau bénite, l'on ne saurait désavouer que cet usage n'ait passé de l'ancienne loi dans la religion chrétienne. Nous lisons dans le livre des Nombres1 et dans l'Exode2, que les fidèles du vieux Testament n'entraient point dans le temple sans avoir pris d'abord de l'eau bénite pour se purifier, afin de marquer par là que l'on ne doit point s'approcher de Dieu sans être net d'esprit et de corps.

C'est donc une pure calomnie de dire, comme font les protestants, que l'Église catholique a emprunté cette coutume aux païens, sous prétexte que dans Ovide3 et dans Virgile4 il est parlé de l'eau lustrale, dont ces infidèles s'arrosaient quand ils célébraient leurs mystères.

Cette pratique était dans la vraie religion longtemps avant Ovide et Virgile ; le sens commun nous conduit donc à reconnaître que ce sont au contraire les païens qui avaient imité sur ce point les pratiques de la vraie religion. Ainsi l'on doit avouer que l'usage de l'eau bénite est d'institution divine, puisque c'est Dieu même qui avait ordonné tous les usages de l'ancienne loi.

Quant à l'ancienneté de cette pratique dans l'Église chrétienne, nous ne pouvons point douter qu'elle n'ait commencé avec les Apôtres eux-mêmes ; car, comme nous avons déjà prouvé que l'Évangile n'avait aboli de l'ancienne loi que les figures et les ombres, dont le corps et la vérité étaient en Jésus-Christ, et avait conservé tout ce qui était bon et propre à porter les hommes à la sanctification, nous sommes en droit de croire que les premiers chrétiens observaient l'usage de se purifier avec de l'eau bénite en entrant dans les églises, à moins qu'on ne nous montre expressément que cette pratique a été abolie par Jésus-Christ, ou par ses Apôtres.

Or, bien loin de trouver dans l'Écriture que cette pratique ait été supprimée, nous y voyons que les premiers chrétiens, et les Apôtres même, lorsqu'ils allaient au temple de Jérusalem, se purifiaient comme les Juifs en y entrant. Paul donc ayant pris ces hommes, est-il dit dans le livre des Actes des Apôtres, et s'étant purifié avec eux entra au temple1. Mais quand nous ne trouverions pas dans le nouveau Testament qu'il y fut parlé en termes exprès de l'eau bénite, ne sait-on point, comme nous l'avons déjà remarqué, que les écrivains sacrés se sont principalement attachés à nous instruire par écrit des dogmes, des mystères et des préceptes de morale de la religion chrétienne, et qu'ils ne nous ont presque rien laissé dans leurs écrits sur l'extérieur de la religion?

Je dis que nous ne pouvons point douter que cette pratique de l'eau bénite ne vienne des Apôtres même ; car il est certain qu'ils avaient fait plusieurs règlements sur l'extérieur du service public, qui ne sont venus jusqu'à nous que par la tradition. Nous lisons dans les Actes des Apôtres que saint Paul traversa la Syrie et la Cilicie confirmant les Églises, et leur ordonnant de garder les règlements des Apôtres et des prêtres2. L'on ne peut point dire que ces règlements des Apôtres et des prêtres fussent sur les points de la doctrine : c'étaient donc des ordonnances qui regardaient l'ordre, la discipline et l'extérieur de la religion. Or, je demande aux prétendus réformés qu'ils nous montrent ces règlements et ces ordonnances dans les écrits des Apôtres. Il faut qu'ils avouent, malgré qu'ils en aient, que c'étaient des choses dont les fidèles étaient instruits de vive voix, et qui ont passé par tradition de siècle en siècle depuis les premiers chrétiens jusqu'à nous.

C'est pour cela que saint Jean disait : Quoique j'eusse plusieurs choses à vous écrirê, je n'ai pas voulu le faire sur du papier et avec de l'encre, espérant vous aller voir, et vous parler de vive voix3 : ce qu'il répète en deux endroits de ses Épîtres. C'est pour cela encore que saint Paul disait aux Corinthiens : Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu4, comme nous le verrons dans la suite.

Puisque donc, l'on ne saurait le désavouer, les Apôtres avaient fait plusieurs règlements dont ils n'avaient instruit les fidèles que de vive voix, l'on ne saurait en même temps éviter de reconnaître, d'après les raisons alléguées plus haut, que l'usage de l'eau bénite ne fût de ce nombre, puisque les chrétiens ont toujours conservé cette pratique, comme nous l'enseignent les auteurs que j'ai ici cités en note, pour éviter d'être long dans la preuve d'un fait que l'on ne peut contester de bonne foi5.

A l'égard du pain bénit, il est constant que cette pratique a été prise des agapes des premiers chrétiens, c’est-à-dire de ces repas qu'ils avaient coutume de faire dans les églises, lorsqu'ils s'y assemblaient pour participer au saint sacrement de l'Eucharistie : ce qu'ils faisaient à l'imitation de Jésus-Christ, qui institua cette cérémonie sacrée étant assis à table avec ses Apôtres. Par là ils voulaient encore signifier qu'ils appartenaient tous à une même famille, et qu'ils étaient tous les membres d'un même corps1, comme dit l'Écriture, puisqu'ils mangeaient tous à une même table, et étaient nourris d'un même pain.

C'est de ces agapes que saint Paul parle, quand il dit aux Corinthiens : Mais je ne puis vous louer en ce que je m'en vais vous dire, qui est que vous vous conduisez de telle sorte dans vos assemblées, qu'elles vous nuisent au lieu de vous servir; car, poursuit-il un peu après, chacun se hâte d'y manger son souper en particulier, sans attendre les autres, et ainsi les uns n'ont rien à manger, tandis que les autres font des excès. C'est pourquoi, mes frères, ajoute-t-il enfin, lorsque vous vous assemblez pour manger dans l'église, attendez-vous les uns les autres. Si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui, afin que vous ne vous assembliez pas à votre condamnation. Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu2.

Il est donc incontestable que, du temps de saint Paul, les chrétiens, outre le saint sacrement de l'Eucharistie, avaient aussi coutume de manger tous ensemble de temps en temps dans les églises. L'Apôtre le dit en termes exprès, et les prétendus réformés sont obligés de l'avouer. Je prie donc ceux d'entre eux qui ne sont pas entièrement aveuglés par la prévention, de considérer que, bien que ce fut une pratique constante et ordinaire dans la primitive Église de faire ces repas dans les temples, néanmoins, comme je le disais ci-dessus, saint Paul n'en parle que par occasion, et sans aucun dessein d'en instruire ceux qui devaient venir après lui. Ce n'est que pour censurer les Corinthiens de ce qu'ils n'apportaient pas à ces repas religieux toute la révérence requise, que cet Apôtre a fait mention de cette pratique. Si les Corinthiens n'avaient pas témoigné de l'indécence dans ces repas, saint Paul ne les en aurait pas repris, et nous n'aurions aucune preuve dans l'Écriture d'un fait qui ne laisserait pas d'être véritable.

Ce qui doit faire avouer de bonne foi que les écrivains sacrés ne se sont principalement attachés, comme j'ai déjà dit, qu'à nous laisser par écrit les mystères, les dogmes et les préceptes de la religion ; mais pour l'extérieur du service, ils n'en ont écrit que par occasion. Ainsi ce n'est que par la tradition transmise de siècle en siècle, qu'on peut vérifier que les premiers chrétiens usaient dans l'extérieur de la religion des mêmes pratiques que nous observons aujourd'hui.

L'on ne doutera point de cette vérité, si l'on fait tant soit peu de réflexion aux dernières paroles de saint Paul que je viens de rapporter. Car, après avoir écrit aux Corinthiens ce qu'ils devaient observer dans leurs repas sacrés, il ajoute : Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu. Il régla donc les autres choses de vive voix lorsqu'il fut arrivé à Corinthe. Que les protestants demandent à leurs ministres où sont ces règlements que fit saint Paul quand il fut arrivé à Corinthe ? Il en fit très assurément, puisqu'il le leur promit par son épître : cependant où sont-ils ces règlements pour l'extérieur du service ? en quel endroit de l'Écriture les trouvera-t-on ? Ne faut-il pas renoncer tout-à-fait à la bonne foi, ou reconnaître que l'on ne doit chercher ces règlements que dans la tradition de l'Église ? Et n'est-ce pas se moquer que de dire, comme font les ministres : l'Écriture sainte n'a point parlé expressément de telle et telle pratique extérieure, c'est donc une invention humaine qu'il faut rejeter. »

Cette réflexion doit servir de réponse à tout ce que les protestants nous opposent contre les pratiques que nous ne pouvons justifier par les termes exprès de l'Écriture. Car, pour la coutume de donner du pain bénit, l'on voit bien qu'elle a été prise de ces repas usités dans la primitive Église ; puisque par là les chrétiens d'aujourd'hui, comme ceux du temps de saint Paul, témoignent encore qu'ils appartiennent tous à une même famille, et sont les membres d'un même corps, en mangeant tous ensemble d'un même pain, qui a été bénit en présence de tous, et que l'Église leur distribue comme une mère fait à ses enfants.

Que les ministres ne nous disent point que le pain qu'ils distribuent à leur Cène suffit pour marquer cette étroite union qui doit être entre les chrétiens. Car saint Paul nous marque expressément qu'outre le sacrement de l'Eucharistie, les premiers chrétiens faisaient dans les églises les repas dont nous avons parlé. C'est pour cela qu'il dit : Chacun y mange le souper qu'il y apporte : ce n'est point là le pain eucharistique ; et les protestants doivent avouer franchement que leurs prétendus réformateurs ont supprimé entièrement une pratique religieuse dont l'Écriture parle en termes exprès.

Ce serait une pure chicane de nous opposer que nous ne faisons pas un repas semblable à celui des premiers chrétiens, puisque nous ne prenons qu'un morceau de pain bénit. Car, premièrement, cela n'excuse en aucune manière le rejet que les protestants ont fait d'une pratique dont l'Écriture parle expressément. Secondement, les personnes un peu raisonnables doivent avouer qu'il suffit, pour se conformer en cela à l'Église primitive, d'avoir conservé cette pratique de la manière que nous l'observons. C'est assez que l'on y bénisse le pain, et qu'on le distribue à tous les fidèles, pour marquer l'étroite union qui doit être entre eux. Ce n'était pas proprement pour manger que les premiers chrétiens faisaient ces repas. Aussi voit-on que ceux qui s'empressaient pour cela sont censurés par saint Paul : Si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui. Et ce fut assurément pour éviter les irrévérences où l'on pouvait tomber dans ces occasions, que l'Église réduisit ces repas au seul pain bénit, puisque l'Apôtre lui-même avait été scandalisé de la conduite des Corinthiens. D'ailleurs, le nombre des Chrétiens s'étant extraordinairement augmenté dans la suite, c'eût été une confusion, et il devenait même impossible de faire ces repas en la même forme que les premiers chrétiens, encore en petit nombre.

Après avoir montré que cette pratique a son fondement dans l'Écriture sainte, ce serait ici inutilement que je rapporterais les témoignages des Pères et des anciens Docteurs, pour prouver qu'elle a toujours été observée dans l'Église. L'on sait qu'ils en ont presque tous parlé ; et je n'en dois pas dire davantage pour montrer le défaut dans lequel sont tombés les protestants, pour l'avoir injustement rejetée.

Je dois ici seulement faire deux remarques sur le rejet qu'ils ont fait de l'eau bénite et du pain bénit. La première est que, par une permission de Dieu, ceux qui dans leurs temples n'ont ni autel ni sacrifice, se sont privés eux-mêmes de l'eau bénite, parce que n'ayant point à s'approcher des choses sacrées comme les catholiques, il leur est indifférent d'être purifiés de leurs souillures ou de ne l'être point.

La seconde est que, par cette même permission de Dieu, ceux qui par leur schisme ont rompu l'unité de la foi en Jésus-Christ, ont en même temps supprimé dans leur secte l'usage du pain bénit, symbole de l'union et de l'unanimité chrétienne.

Article 10 : Huitième défaut, d'avoir rejeté l'observation des jours de fêtes.

En huitième lieu, c'est un défaut dans l'extérieur de la religion soi-disant réformée, d'avoir rejeté l'observation des fêtes solennelles du christianisme, et de s'être réduits à la seule observation du dimanche contre la pratique des Apôtres et de l'Église de tous les siècles.

Je dis contre la pratique des Apôtres : car nous lisons dans le livre des Actes, que saint Paul étant à Éphèse, et les Juifs convertis à la foi, le priant de demeurer encore quelque temps avec eux, il ne voulut point le leur accorder, dit saint Luc, et prit congé en leur disant : Il faut absolument que j'aille passer la fête prochaine à Jérusalem1.

Dans un autre endroit du même livre il est dit : que Paul avait résolu de passer à Éphèse sans y prendre terre, afin qu'il n'eût point d'occasion de s'arrêter en Asie, se hâtant pour être, s'il était possible, le jour de la Pentecôte, à Jérusalem2.

Et dans sa première Épître aux Corinthiens : Je demeurerai, dit-il, à Éphèse jusqu'au jour de la Pentecôte3. Et un peu auparavant il leur avait dit, en parlant de la fête de Pâques : Célébrons cette fête, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de la corruption d'esprit, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité.

Il est donc constant que du temps des Apôtres, les chrétiens ne se réduisaient pas, comme font aujourd'hui les prétendus réformés, à la seule observation du dimanche ; puisqu'il est clair par les passages cités, que non-seulement ils observaient comme nous les fêtes, mais encore qu'ils apportaient à leur célébration une très grande exactitude.

C'est ce que nous font connaître ces expressions : Il faut absolument que j'aille passer la fête prochaine à Jérusalem... Se hâtant pour être, s'il lui était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem... Célébrons cette fête ; et les autres termes dont saint Luc et saint Paul se servent qui marquent, comme tout le monde le peut aisément voir, non-seulement l'observation des jours de fêtes, mais encore le soin, l'empressement et l'exactitude avec lesquels on les observait.

Après cela, faut-il trouver étrange que l'Église chrétienne, suivant la pratique des Apôtres, outre l'observation du jour du dimanche, ait aussi gardé les fêtes solennelles qu'elle observe, soit pour célébrer la naissance de Jésus-Christ, et des principales circonstances de sa vie, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension ; soit pour solenniser la gloire et le bonheur de la sainte Vierge, qui a dit dans l'Évangile : Que dans tous les siècles elle sera appelée bienheureuse4 ; soit enfin pour honorer et renouveler la mémoire des Saints, qui nous ont laissé dans leur vie et dans leur mort de grands exemples de sainteté et de constance chrétienne ?

Je ne dois pas m'arrêter ici à rapporter les preuves que nous fournissent les Docteurs, les Pères de l'Église et les conciles, pour prouver cette pratique. C'est un fait qui n'est pas contesté, et après l'exemple des Apôtres, tous les autres témoignages seraient faibles et inutiles.

Les prétendus réformés doivent donc reconnaître que c'est un très grand défaut, dans leur religion, de s'être éloignés en ce point de la pratique constante et perpétuelle de l'Église, depuis les Apôtres jusqu'à présent. Mais avant que de quitter cette matière, je dois faire ici deux observations qui enlèvent visiblement aux protestants tout sujet d'excuse.

La première est que sur ces articles, aussi bien que sur quelques autres déjà remarqués, ils ne sont pas d'accord entre eux. Il y en a qui ont retenu l'observation des fêtes solennelles du christianisme, et il y en a qui les ont rejetées. Pour en être convaincu, l'on n'a qu'à voir la Liturgie de l'Église anglicane que j'ai déjà citée, et l'on y trouvera que les prétendus réformés d'Angleterre observent la plupart des fêtes que nous observons.

La seconde est que les calvinistes de France, tout en faisant profession de déclamer contre l'observation de tout autre jour que du dimanche, ne laissent pas d'observer eux-mêmes les fêtes solennelles du christianisme. Qu'on ne s'imagine point que ce soit par force qu'ils les observent, et de peur d'y être contraints par les magistrats catholiques ; c'est volontairement et de leur plein gré, quoiqu'il n'y ait aucun article de leur discipline pour l'ordonner.

Veut-on s'en convaincre ? l'on n'a qu'à prendre la peine d'aller ces jours-là dans leurs temples, et l'on verra qu'ils ne manquent point de prendre ce temps pour célébrer à leur manière les mêmes mystères du christianisme que nous célébrons dans nos églises. Le jour de Noël, leurs ministres n'ont garde d'oublier de dire que ce jour est destiné à la célébration de la naissance de Jésus-Christ. Ils font la même chose au jour de Pâques Fleuries, au jour de Pâques, au Vendredi saint, au jour de l'Ascension, au jour de la Pentecôte, à la fête de saint Jean-Baptiste, et à quelques autres fêtes encore. Ce qui fait voir que la force de la coutume et de la justice les entraîne malgré eux, et les oblige à pratiquer eux-mêmes ce qu'ils condamnent en nous par un esprit de contradiction.

Article 11 : Neuvième défaut, d'avoir rejeté les Heures canoniales.

En neuvième lieu, c'est un défaut dans la religion prétendue réformée, de n'avoir pas assujetti ceux qui se consacrent parmi eux aux ministère évangélique, à la règle des Heures de tout temps destinées à la prière, suivant la pratique de l'Église des premiers siècles du christianisme jusqu'à présent.

Si l'on veut faire tant soit peu de réflexion sur les raisons qui portèrent l'Église à régler et à déterminer ce que l'on appelle les Heures canoniales pour les prières ecclésiastiques, on s'étonnera sans doute que ceux qui se vantent d'être les réformateurs du christianisme aient rejeté un règlement si saint, si juste et d'ailleurs si bien fondé sur l'autorité de l'Écriture sainte.

Il parut dans les premiers siècles deux sortes d'hérétiques. Les uns soutenaient à la lettre, qu'il fallait prier continuellement, et ne jamais cesser, se fondant sur ce que dit saint Luc, qu'il faut toujours prier, et ne se lasser point de le faire1. Les autres hérétiques, au contraire, soutenaient qu'il ne fallait avoir aucune heure réglée pour la prière, mais que l'on devait laisser à la liberté d'un chacun de prier quand bon lui semblerait.

Sur cela l'Église prit un juste tempérament ; et pour éviter les suites que ces hérésies pouvaient avoir, elle régla les heures de la prière, selon le témoignage des Pères, des anciens Docteurs et des conciles2, à celles qui répondent à peu près à ce que nous appelons encore aujourd'hui, Matines, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies ; ce qui fait justement les sept Heures canoniales, en comprenant dans Matines, qui sont composées de Nocturnes, les Laudes, parce qu'on les récite ordinairement ensemble.

Ainsi, l'Église trouva à propos d'ordonner tous ceux qui se consacreraient à l'état ecclésiastique ou à la vie religieuse, de se présenter sept fois devant Dieu dans les vingt-quatre heures du jour et de la nuit, pour chanter ses louanges, et pour le prier pour eux-mêmes, comme pour les troupeaux commis à leur conduite ; parce que l'Écriture nous apprend qu'ils sont obligés de veiller pour les âmes, à cause qu'ils en doivent rendre compte3.

Ce fut l'Écriture sainte qui porta l'Église à régler les heures de la prière à ce nombre de sept, plutôt qu'à un autre ; car elle prit garde que le prophète David, dans le psaume 118, dit à Dieu : J'ai chanté sept fois par jour vos louanges, et loué la justice de vos jugements4. Saint Ambroise allègue cette raison quand il dit : « Nous devons nous recommander à Dieu par de fréquentes prières ; car si le Prophète dit qu'il a chanté les louanges de Dieu sept fois par jour, lui qui était occupé aux affaires de son royaume, que devons-nous faire, nous qui lisons dans l'Évangile : Veillez et priez, de peur que vous n'entriez en tentation5 ? »

D'ailleurs, l'Église se fonda sur ce qu'il est encore dit dans l'Écriture que le plus juste pèche sept fois par jour6 ; de manière qu'elle trouva à propos de se présenter devant Dieu autant de fois, pour lui demander pardon et chanter ses louanges.

Les Pères rapportent encore plusieurs autres raisons tirées de divers passages de l'Ancien7 et du Nouveau Testament, pour faire voir combien justement l'Église régla les prières à ce nombre de sept. Ils allèguent les sept Dons du Saint-Esprit, les sept Trompettes au son desquelles les murailles de Jéricho tombèrent par terre, les sept Aspersions dont il est parlé dans le Lévitique, les sept Chandeliers, les sept Lampes, les sept Églises dont l'Apocalypse fait mention, et les sept Demandes de l'Oraison Dominicale : sur quoi ils font de très belles réflexions, que je serais trop long à rapporter, et que l'on peut voir dans saint Basile1, dans saint Grégoire de Nazianze2, dans saint Augustin3, et dans saint Jérôme4, aux endroits de leurs ouvrages que je cite ici en note.

Un règlement si saint et si juste a toujours été gardé inviolablement par tous les chrétiens : il n'y a eu que les prétendus restaurateurs du christianisme qui l'ont abandonné et qui ont mieux aimé suivre en cela l'opinion de Wiclef anglais, des Taborites et de quelques peuples de la Bohême, dont Enéas Sylvius fait mention, que la pratique constante et perpétuelle de l'Église chrétienne.

Que les ministres raisonnent tant qu'il leur plaira, je suis assuré que ceux des protestants qui ont véritablement de la piété, et qui savent combien il est dangereux d'abandonner l'homme à sa propre conduite, et de le laisser disposer à sa fantaisie des heures et des moments qu'il doit donner à Dieu, trouveront que ceux qui rejetèrent cette pratique auraient beaucoup mieux fait de la conserver.

Mais pour faire encore remarquer, en cela, le défaut de la religion prétendue réformée, il faut observer que les ministres, pour avoir abandonné la règle des Heures canoniales, n'ont destiné aucune partie de la nuit au service public, quoique l'Ancien et le Nouveau Testament, comme tout le monde sait, soient remplis de préceptes et d'exemples qui nous apprennent que Dieu veut être prié et loué dans la nuit aussi bien que dans le jour, et que, suivant ce précepte et ces exemples, les chrétiens aient toujours destiné certaines heures de la nuit comme du jour aux exercices publics de la piété, en telle sorte qu'il n'y a presque aucune partie du temps en laquelle Dieu ne soit prié et loué dans l'Église catholique.

Saint Ambroise parlant de ce service qui doit être rendu à Dieu dans la nuit aussi bien que dans le jour, et expliquant, sur cet article, le Psaume 118 dans lequel le Prophète dit qu'il se lève à minuit pour célébrer le saint nom de Dieu ; « Écoutez, dit ce Père, la voix de l'Église qui cherche Jésus-Christ au milieu des nuits : J'ai cherché, dit-elle, dans la nuit celui que mon âme désire. » Et ensuite il ajoute : « Notre Seigneur Jésus-Christ passait les nuits en prières ; ce n'est pas qu'il eût besoin du secours de la prière, mais c'était pour vous laisser un exemple que vous devez imiter. Il passait les nuits à prier pour vous, afin de vous apprendre comment vous devez prier pour vous-mêmes : rendez-lui donc ce qu'il a fait pour vous5. »

C'est encore pour la même raison que saint Chrysostôme disait : « l'Église de Dieu se lève au milieu des nuits ; levez-vous, vous aussi6. » Remarquez ces termes : l'Église de Dieu se lève ; ce qui fait voir qu'il est ici parlé des prières qu'adressaient alors à Dieu les personnes consacrées au service de l'Église. Levez-vous, vous aussi : Voilà les laïques opposés aux ecclésiastiques. Considérez, ajoute ce Père, l'arrangement des étoiles, le profond silence, le repos général dans lequel sont toutes choses, et admirez la conduite de votre Seigneur : alors l'âme est plus pure, plus libre, plus subtile, plus sublime et plus agile ; les ténèbres même et le silence peuvent vous exciter à la componction1. »

Saint Cyprien tient à peu près le même langage : « Il faut prier, dit-il, le matin ; il faut encore nécessairement prier, quand le soleil se couche et quand finit le jour ; et lorsque, selon la loi établie de Dieu dans le monde, la nuit a pris la place du jour, les ténèbres ne doivent apporter aucun obstacle à ceux qui s'occupent à la prière, parce que la nuit même est jour pour les enfants de lumière2. »

« Toute l'Église dans les veilles de la nuit, dit saint Jérôme, retentissait du nom de notre Seigneur Jésus-Christ ; et quoique l'assemblée fût composée de gens de diverses nations, qui parlaient différents langages, ils s'accordaient tous néanmoins à chanter d'un même esprit les louanges de Dieu3. »

C'est Jésus-Christ lui-même qui a appris à son Église à avoir dans la nuit des heures destinées à la prière aussi bien que dans le jour. Car après avoir enseigné à ses Apôtres comment ils devaient prier, il est remarquable qu'immédiatement après il leur dit que celui qui était allé frapper à la porte de son ami au milieu de la nuit, mérita d'obtenir par son importunité ce qu'il demandait4, leur faisant connaître par cet exemple que les prières adressées à Dieu à ces heures-là sont les plus efficaces, parce qu'elles marquent mieux que celles du jour l'extrême besoin où l'on est de son secours, et font voir le zèle et l'empressement avec lequel on le lui demande, puisque l'on se dérobe à la nuit et au sommeil, pour invoquer son saint nom, et pour chanter ses louanges.

Il est si vrai que l'Église des premiers siècles avait coutume, comme nous, de destiner au service de Dieu une partie de la nuit, que les auteurs profanes même qui ne doivent pas être suspects aux protestants, nous apprennent cette vérité : car Pline Second (dans une de ses épîtres à l'empereur Trajan, à qui il parle de la coutume des chrétiens, raconte qu'ils étaient dans l'usage de s'assembler à certaines heures de la nuit pour chanter ensemble des hymnes à l'honneur de Jésus-Christ ; et il dit même qu'ils chantaient en chœurs séparés qui se répondaient les uns aux autres, ce qui est justement ce que nous pratiquons5.

Certainement, si les prétendus réformés voulaient considérer avec un esprit un peu désintéressé ce qui se passe cet égard parmi nous et parmi eux, ils verraient sans doute combien leur service est défectueux, en ce qu'il est différent du nôtre, et de celui de l'ancienne Église. Car enfin, soit de jour, soit de nuit, il y a presque continuellement dans l'Église catholique des personnes consacrées à Dieu qui se présentent devant lui, et qui veillent et prient pour les troupeaux commis à leur conduite. Dans la religion prétendue réformée, au contraire, les troupeaux et les pasteurs sont endormis dans la nuit : il se passe et des heures et des nuits entières sans qu'ils aient une seule personne prosternée devant la Majesté divine.

Que serait-ce, o mon Dieu, s'il n'y avait point d'autre communion chrétienne que la protestante ! Il se passerait de longs intervalles où il n'y aurait pas un seul homme humilié devant Dieu, et où il cesserait totalement d'être adoré sur la terre. Cette pensée ne fait-elle pas horreur ? et ne doit-elle pas faire reconnaître à ceux qui se sont séparés de l'Église catholique, combien ils ont tort d'avoir dispensé des Heures canoniales ceux qui parmi eux se consacrent au ministère évangélique ?

Article 12 : Conclusion.

Quoique tout ce que j'ai dit dans cet ouvrage ne regarde proprement que l'extérieur de la religion, néanmoins il y a tant de mauvaise foi et tant de faux principes dans les objections des ministres contre notre service public, et, par conséquent, des défauts si importants et si visibles dans le culte de la religion prétendue réformée, que l'on peut facilement juger par là, que la société des protestants ne saurait être la vraie Église de Jésus-Christ.

Bien loin donc que l'extérieur de l'Église catholique doive rebuter les prétendus réformés d'entrer dans sa communion, rien au contraire ne les doit tant persuader de s'y ranger et d'embrasser sa créance ; car dans les controverses sur les dogmes de foi, et sur les points de doctrine, l'on n'a pas des moyens si certains pour se convaincre de la vérité dont on se vante de part et d'autre ; parce que ce sont des points dont la démonstration n'est pas si sensible, parce que leur vérité dépend de l'explication de l'Écriture, et a besoin d'une exacte discussion. En sorte que quelque évidentes que soient les preuves des orthodoxes en faveur de la conformité de leurs créances avec celles de l'Église primitive, les schismatiques ne laissent pas de contester ces preuves, de nier cette conformité et de se l'approprier à eux-mêmes.

Mais il n'en est pas ainsi de l'extérieur de la religion. Pour savoir quelle société chrétienne est en cela plus conforme à l'Église des premiers siècles, l'on ne saurait éviter de s'en tenir aux témoignages des Pères, des Docteurs et des historiens ecclésiastiques. Ce sont des faits qui ne dépendent pas du raisonnement, et quand toute l'antiquité nous atteste leur réalité, il est impossible de les désavouer sans renoncer à la bonne foi et aux lumières du sens commun.

Or quel préjugé favorable n'est-ce point en faveur des catholiques d'être assurés par la déposition unanime de tous les anciens auteurs que toutes leurs pratiques ont été observées depuis tant de siècles par tous les chrétiens du monde, et sont venues successivement jusqu'à eux ?

Mais en même temps quel préjugé n'est-ce point contre la religion prétendue réformée, de ne pouvoir pas en ceci au moins désavouer sa nouveauté ? Car il faut que les protestants confessent, malgré qu'ils en aient, sur le témoignage des auteurs dont ils reçoivent eux-mêmes l'autorité, que lors de leur prétendue réforme, ils donnèrent à la religion chrétienne dans leur secte un extérieur tout différent de celui que l'Église avait depuis plus de douze siècles, pour ne pas remonter plus haut que le troisième, afin d'éviter les contestations qu'ils font sur les auteurs qui ont écrit avant ce temps-là. Encore faut-il remarquer que ceux qui ont écrit dans le troisième et dans le quatrième siècle, comme Tertullien, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Augustin, et les autres que les protestants reçoivent, nous assurent tous que l'on ne pratiquait rien de leur temps dans l'Église qu'ils n'eussent reçu des évêques qui les avaient précédés : en sorte que par là, peu s'en faut que nous ne trouvions l'origine de tout notre service public dans la naissance même du christianisme.

S'il y avait donc, comme disent les ministres, de l'indécence, et de la superstition dans nos pratiques et dans nos cérémonies, quelle apparence que Dieu eût laissé son Église pendant tant de siècles exposée à ces dérèglements ? Qui pourra s'imaginer que dans le temps où cette Église triomphait dans toutes les parties du monde de la superstition païenne, elle était elle-même remplie de superstitions ? Qui pourra se persuader que tant de grands Saints suscités de Dieu dans la religion peu de temps après les Apôtres, pour achever de retirer les nations infidèles du culte des faux dieux, et les amener à son saint service, leur aient appris eux-mêmes par leur exemple à pratiquer un culte superstitieux et idolâtrique ?

Si Dieu eût voulu être servi de la manière que les calvinistes ont réglé le service public, qui pourra croire, qu'étant jaloux comme il est de sa gloire, il ait attendu plus de quinze cents ans à établir dans son Église le véritable culte qui lui devait être rendu et qu'il ait permis, lui qui est si bon et si miséricordieux, que les sources du christianisme, empoisonnées d'abord par un service superstitieux, aient coulé depuis tant de siècles dans toutes les parties du monde, pour infecter tant de millions d'âmes.

Certes, si ceux des prétendus réformés, qui ne sont pas tout à fait aveuglés par la prévention, veulent considérer les conséquences terribles qui se tirent nécessairement des principes dans lesquels ils sont sur l'extérieur de la religion, ils sentiront assurément combien sont injustes à cet égard les prétentions de leurs ministres ; ils reconnaîtront combien sont fausses les idées qu'on leur a fait prendre sur cet article dès leur enfance, c'est-à-dire dans un âge où ils étaient incapables de rien examiner ; et prenant de là de justes soupçons contre ceux qui jusqu'ici les ont si visiblement trompés sur l'extérieur de la religion, ils ne douteront point qu'ils ne les aient abusés aussi sur les dogmes de la foi : et rien ne sera plus capable de les déterminer à rentrer dans une Église dont ils se sont injustement séparés.

Je prie Dieu de tout mon cœur, qu'il leur inspire seulement le désir d'examiner sans passion les réflexions que je viens de leur proposer ; et je ne doute point que des vérités si sensibles ne touchent les personnes raisonnables. Je sais bien que les impressions prises sur l'extérieur de la religion sont les plus difficiles à effacer : j'en ai fait l'expérience. Mais aussi lorsque l'on a une fois bien goûté la manière de servir Dieu dans l'Église catholique, en comparaison de celle de la religion prétendue réformée, l'on voit d'un côté une si grande conformité avec ce qui a été pratiqué dans tous les siècles du christianisme, et de l'autre tant de nouveauté ; d'un côté tant d'application, de l'autre tant de négligence ; d'un côté tant d'ordre, de l'autre tant de confusion ; d'un côté tant de majesté, de l'autre tant de simplicité affectée ; enfin l'on s'aperçoit d'un changement si avantageux, l'on reçoit tant de consolations, l'on trouve tant de secours et tant de moyens pour être excité à une vraie piété, qu'on avoue d'abord que l'on ne s'était jamais appliqué comme il faut à faire son salut, et que l'on n'avait jamais servi Dieu d'une manière convenable à sa grandeur.

____________________

14 Reg. 3 40.

2Psal. 148 18.

1Matth. 26. 26 et 28. Marc. 14. 22 et 24, 19 et 20. Luc. 22. 1. Cor. 11. 24.

2Joan. 6. 56 et 54.

1Jean, 1

2Jean 3 5

1Gen. 9. 13. et seq.

1Luc. 8. 10.

2Joan. 16. 29.

3Lib. 2. de Doct. Christ.

1Jean 14 28

1Matthieu 13 11

1Joan. 15. 1. et seq.

1Jean 10 6

2Jean 10 7 & 9

11. Cor. 11. 26.

11. Cor. 16. 16 et 17.

2Faites, Seigneur, que nous soyons remplis de la jouissance éternelle de votre divinité qui nous est figurée par la réception temporelle de votre Corps et de votre Sang précieux. Post-com., etc.

1Marc. 12. 7.

2Matthieu 28 20

1Luc 24 44

2Jean. 6.

1Jean, 6. à v. 1. ad 22.

2A v. 22. ad 48.

1Def. verb. cœnæ.

1Jean 3 5

2Matthieu 20 19

3Jean 16 16

4Jean 14 16

1De opt. conc. ineundæ rat. apud Hospin. p. 278.

1Art. 36.

2La paix des bonnes âmes. Tit. de l'Euch. sect. 3. art. 3. n. 7. 8. et suivants.

1Matth. 16. 17.

11. Cor. 11. 27.

1Exod. 7. 12.

1Gen. 32 34

2Dan. 9 21

31 Cor. 10 4

4Ibid. v.11

1Conc. Norm. p. 47 et 49.

11. Cor. 2. 5.

1Dan. 3. 23.

1Matth.. 28. 2.

2Joan. 20. 19 et 26.

1Joan. 6. 69.

1La cité de Dieu, l.18, c.51

2Tract. 3 de simpl. Praelat.

3Jean 8 44

4Thessaloniciens 5 19

5Saint Jérôme, dans sa lettre Vigilance, dit que les Montanistes soutenaient que le Saint-Esprit avait inspiré Montan, et que les Manichéens voulaient faire croire que Manichée était le Saint-Esprit même. Saint Augustin, parlant aussi de Montant et de ses prophétesses Pisca et Maximilla, dit qu’ils assuraient que la promesse faite par le Seigneur d’envoyer le Saint-Esprit avait été accomplie en eux plus parfaitement que dans les Apôtres. Lib. De Haeres. 26

6Les prétendus réformés appellent Messes privées celle où le prêtre seul communie, quoique l’Église ne défende pas aux assistants d’y communier

1Il y a un écrit imprimé à Amsterdam sous ce titre : Lettre Apologétique des Églises réformées, qui met Luther à la tête des saints Pères du calvinisme. Marchant, disent les auteurs de cet écrit, sur les pas de nos saints pères, Luther, Zwingli, Capiton, Bucer, etc.

2De hac disputatione narrat plura, quorum summa est se à diabolo edoctum esse, quòd missa privata in primis sit res mala, et rationibus diaboli convictum abolevisse eam. Hujus meminisse debebant Lutheri discipuli, et desinere Zuinglio SOMNIUM suum objicere, in quo de vero sensu verborum cœnæ admonitus fuit, non à diabolo, ut Lutherus de abusibus et superstitionibus missæ, sed ab alio, ut ipse scribit, Monitore, Hospinian. Hist. Sacram. part. 2. fol. 131.

1Le saint concile désirerait qu'à chaque messe les fidèles qui y assistent, communiassent non-seulement d'une affection spirituelle, mais aussi en recevant sacramentalement l'Eucharistie, afin qu'ils reçussent un plus grand fruit de ce très saint sacrifice. Toutefois, si cela ne se fait pas toujours, il ne condamne pas pour cela les messes où le prêtre seul communie sacramentalement, comme privées et illicites, mais il les approuve et recommande. Car ces messes doivent être estimées véritablement communes, tant parce que le peuple y communie spirituellement, que parce qu'elles sont célébrées par le ministre public de l’Église, nonseulement pour lui, mais pour tous les fidèles qui appartiennent au corps de JESUS-CHRIST, Concil. Trid. sess. 22, cap. 6.

2Récit que Luther fait de la conférence qu'il a eue avec la diable. Tom. 7 de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le second feuillet du livre de la messe privée. Cette conférence n'a pas été un songe, puisque Luther dit qu'il était bien éveillé, quand il conféra avec le diable.

3Le diable prétend ici, et dans la suite, deux choses : l'une, que Luther a célébré des messes privées durant quinze ans  ; l’autre, que ces messes sont des idolâtries.

1Si Luther avait cru, et soutenu dans ses écrits, avant cette conférence, que la messe privée fût une idolâtrie, le diable ne lui aurait pas parlé de cette sorte.

2Réponse par laquelle Luther se défend sur le sujet de la messe privée contre le diable. Puisque Luther entreprenait de se justifier de l'idolâtrie dont le diable prétendait qu'il s'était rendu coupable en célébrant des messes privées, c'est une marque qu'il ne croyait pas encore que la messe privée fût une idolâtrie.

3Réplique du diable à Luther. Il est facile de faire voir combien les arguments du diable sont ridicules, car ils se réduisent à deux.
L'un est que Luther, n'ayant point eu de vraie foi, n'avait pu consacrer. L'autre, qu'un prêtre ne se peut communier soi-même, parce que nul ne se peut donner à soi-même les autres sacrements. A l'égard du premier argument, outre que le diable ne prouve point que Luther n'ait pas eu la vraie foi lorsqu'il était dans l’Église romaine, il faut répondre qu'il est faux qu'un impie et un incrédule ne puisse pas validement consacrer cette prétention ne pouvant être fondée que sur l'erreur des Donatistes, qui croyaient que les méchants ne peuvent validement administrer les sacrements. Ce qui ne se peut soutenir par l'aveu même des protestants, qui ne rebaptisent point ceux qui ont été baptisés par ceux qu'ils croient être hérétiques.
Le dernier argument par lequel le diable prétend qu'un prêtre ne se peut donner la communion à soi-même, parce que nul ne se peut administrer à soi-même les autres sacrements, prouve trop, et ne combat pas proprement les messes où il n'y a point d'autres communiants que le prêtre. Car il prouve uniquement que, lors mème qu'il y a des communiants, le prêtre ne doit pas se communier soi-même, mais qu'il faut qu'un autre le communie. Et jamais il ne pourrait recevoir la communion autrement, si cette comparaison des autres sacrements avait lieu, puisque nul ne se peut donner à soi-même les autres sacrements, lors même qu'il les administre aux autres. Or les luthériens n'admettaient pas cette conséquence, parce que dans les assemblées, où ils font l'exercice de leur religion, s'il n'y a pas plusieurs ministres, le célébrant se communie soi-même, avant que de communier les autres. Ils reconnaissent qu'en cette rencontre, le ministre ne peut recevoir la communion des mains d'un autre, parce qu'il est défendu aux diacres, et, à plus forte raison, aux laïques de la donner aux prêtres.
On n'a jamais aussi désiré, qu'outre le diacre, il y eût encore un prêtre qui pût communier le célébrant. Il est donc clair que tout ce discours du diable à Luther n'est qu'un tissu de mensonges, d'erreurs et de calomnies.

1Comment Luther n'aurait-il pas connu Jésus-Christ, lorsqu'il était dans l’Église romaine, puisque dans cette Église on fait profession de la foi contenue au symbole des Apôtres, qui oblige de croire en Jésus-Christ, fils unique de Dieu, notre Seigneur ? Calvin dit aussi, dans son livre contre les libertins, chapitre 4, que le pape reconnaît notre Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai Homme. Col. 744, de ses Opuscules, imprimés à Genève, par Jacob Stoer, en l'année 1611.

2Le diable mentait, quand il disait à Luther que les Turcs croient que Jésus-Christ a été crucifié, et est mort. Car ils croient sa naissance, et son ascension ; mais ils ne croient ni son crucifiement, ni sa mort. L'Alcoran, chapitre 4, parlant des Juifs, dit : « Ils ont dit : Nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, Prophète et Apôtre de Dieu. Certainement il ne l'ont pas tué, ni crucifié  ; ils ont crucifié un d'entre eux qui lui ressemblait : ceux qui en doutent sont dans une erreur manifeste, et n'en parlent que par opinion. Certainement il ne l'ont pas tué ; au contraire, Dieu l'a élevé à soi. » Pag. 113 de l'Alcoran, traduit d'arabe en français, par le sieur du Ryer, imprimé à Paris en l'année 1654.

3Le diable suppose ici plusieurs faits calomnieux :

1° Que les évêques et les prêtres de l’Église romaine n'ont point de confiance en la miséricorde de Jésus-Christ.

2° Qu'ils ne croient pas que Jésus-Christ soit leur médiateur, ni leur Sauveur;

3° Qu'ils le tiennent pour un juge cruel ;

4° Qu'ils l'ont en horreur;

Par ces raisons il prétend qu'il n'y a point de vraie foi, ni de vrai Sacerdoce dans l’Église romaine, comme il n'y en a point parmi les Turcs et les païens. Et de-là il conclut que Luther n'a pas eu le pouvoir de consacrer en la messe.
Mais ces raisonnements n'étant fondés que sur des calomnies évidentes et qui n'ont pas la moindre apparence, ils ne méritent pas de réplique. Le diable ne voulait pas porter Luther au désespoir, puisqu'il lui reprochait de n'avoir pas eu assez de confiance en la miséricorde de Jésus- Christ. Cette remarque sert de réplique à ceux qui voudraient prétendre que le diable aurait dit la vérité à Luther dans cette conférence, porter au désespoir.

4Selon le diable, Luther était encore papiste au temps de cette conférence, c'est-à-dire il défendait encore la doctrine du pape touchant la messe privée.

5L’Église romaine ne défend point au peuple de communier dans les messes privées, puisque, au contraire, le concile de Trente déclare dans la session 22, chapitre 6, qu'il désirerait qu'à chaque messe les fidèles qui y assistent communiassent, non-seulement d'une affection spirituelle, mais aussi en recevant sacramentalement l'Eucharistie.
Que si personne des assistants ne se présente pour recevoir la communion, il n'est pas pour cela défendu au prêtre de se la donner. Car, où Jésus-Christ a-t-il fait cette défense? Il n'a point dit, en instituant le sacrement de son Corps, qu'il défendait au prêtre de communier, lorsque personne ne se présenterait pour communier avec lui. C'est pourquoi il ne se fait rien dans les messes privées, qui soit contraire à l'institution de Jésus-Christ.

1Feuillet 229, du 7 tome de Luther, imprimé à Witemberg.

2Luther était alors dans une religion en laquelle on avait coutume de confirmer, et de donner l'Extrême-Onction aux malades, et en laquelle on admettait sept sacrements, et, par conséquent, il n'avait pas encore rejeté le sacrement de Confirmation et d'Extrême-Onction. Or, l'on ne voit point que Luther ait condamné la messe privée, avant de rejeter le sacrement de Confirmation et d'Extrême-Onction. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de croire qu'il eût déjà condamné la messe privée au temps de cette conférence.

3Luther était alors dans une religion en laquelle on avait coutume de confirmer, et de donner l'Extrême-Onction aux malades, et en laquelle on admettait sept sacrements, et, par conséquent, il n'avait pas encore rejeté le sacrement de Confirmation et d'Extrême-Onction. Or, l'on ne voit point que Luther ait condamné la messe privée, avant de rejeter le sacrement de Confirmation et d'Extrême-Onction. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de croire qu'il eût déjà condamné la messe privée au temps de cette conférence.

4Feuillet 229, du tome 7 de Luther, imprimé à Wittemberg.

5Réponse de Luther au diable.

6Luther n'avait pas encore rejeté la créance de l’Église romaine, touchant les messes privées, puisqu'il défendait les messes privées contre le diable, par la foi et l'intention de cette Église.

7Puisque Luther défendait la messe privée par toutes ces raisons c'est une marque qu'il ne l'avait pas abolie avant cette conférence, et qu'il en croyait encore alors tout ce que l’Église romaine en croit.

8Réplique du diable à Luther.

9Le diable suppose, comme les protestants, que l’Écriture Sainte est règle de toute vérité.

10Feuillet 230, du 7ème tome de Luther, imprimé à Wittemberg.

111° Luther s'objectant le sentiment des docteurs de l’Église, qui disent qu'on ne doit pas croire le diable, parce qu'il est un menteur, ne répond pas qu'il ne l'a point cru, mais il se moque de ceux qui lui font cette objection.
2°. Il dit, que s'ils disputaient eux-mêmes contre le diable, ils ne lui résisteraient pas longtemps, parce que le diable remplit tout d'un coup, et en un clin d'œil, tout l'esprit de ténèbres.
3° Pour persuader qu'il a dû croire le diable, il ajoute que le diable ne ment pas, quand il nous accuse.

Toutes ces choses font voir, que, quoiqu'il ait résisté quelque temps aux arguments du diable, il l'a néanmoins cru à la fin de cette dispute, et que la cause de cette persuasion est que ce séducteur a rempli son esprit de ténèbres, dans cette conférence.

1Qui a dit à Luther que le diable ne ment pas quand il nous accuse ? Ne sait-il pas que le diable est un calomniateur? Qui lui a donc dit qu'un calomniateur ne ment pas lorsqu'il nous accuse ?

2La loi divine et notre conscience, que Luther dit être les témoins du diable contre nous, nous obligent-elles de croire que les accusations d'un calomniateur soient toujours vraies? Il faut avoir l'esprit bien rempli de ténèbres, pour avoir cette prétention.
Contigit me semel sub mediam noctem subitò expergefieri, ibi Satan mecum cœpit ejusmodi disputationem : Audi, inquit, Luthere, doctor perdocte, nosti etiam te, quindecim annis celebrasse missas privatas penè quotidiè ? Quid, si tales missæ privatæ horrenda essent idololatria ?
Quid, si tibi non adfuisset corpus, et sanguis Christi, sed tantùm panem, et vinum adorasses, et aliis adorandum proposuisses ? Cui ego respondi: Sum unctus sacerdos, accepi unctionem, et consecrationem ab episcopo, et hæc omnia feci ex mandato, et obedientia majorum.Quare non consecrassem, cum verba Christi seriò pronuntiarim, et maguo serio missas celebrarim? Hoc nosti.
Hoc totum, inquit, est verum, sed Turcæ, et Gentiles etiam faciunt in suis Templis omnia ex obedientia, et serio sacra sua faciunt.
Sacerdotes Jeroboam faciebant etiam omnia certo zelo, et studio contra veros sacerdotes in Jerusalem.
Quid, si tua ordinatio, et consecratio etiam falsa esset, sicut Turca rum et Samaritanorum falsi sacerdotes, falsus et impius cultus est ?
Nosti, inquit, nullam tunc habuisti cognitionem Christi, nec veram fidem. Et quod ad fidem attinet, nihilo melior fuisti quovis Turcá. Nam Turca, adeoque omnes diaboli etiam credunt historiam de Christo, ipsum esse natum, crucifixum, mortuum etc.
Sed Turca, et nos spiritus rejecti non fidimus illius misericordiâ, neque habemus eum pro mediatore, aut Salvatore, sed exhorrescimus ut sævum judicem.
Ejusmodi fidem, non aliam et tu habebas, cum ab Episcopo unctionem acciperes, et omnes alii; ungentes simul et uncti, sic sentiebant et non aliter de Christo.
Hoc neque tu, neque ullus alius papista poterit inficiari.
Ergò sacrificastis in missa, ut Gentiles, Ethnici, non ut Christiani. Quomodò ergò potuistis in missa consecrare? Ibi deficit persona habens potestatem consecrandi.…
Solus privatim pro te in missa usus es Sacramento, et non communicasti aliis…
Hæccine est institutio Christi.
Quare non docetis, quòd quis possit baptisare seipsum? Quare ejusmodi baptismum improbatis? Quare rejicitis confirmationem, si quis more vestro confirmaret seipsum? Quare non valet consecratio, si quis conse craret seipsum in sacerdotem ? Etc.
Quare non est absolutio, si quis absolveret seipsum? Quare non est Unctio, si quis in extremis juxta ritum vestrum inauguret scipsum? Quare non est conjugium, si quis nuberet sibi ipsi ? Hæc cnim sunt vestra septem Sacramenta.Si nunc nullum ex Sacramentis vestris aliquis ipse pro seipso facere potest, qui fit, ut tibi soli hoc summum Sacramentum facere velis ?
Hoc quidem verum est, quòd Christus seipsum sumpsit in Sacramento, etc.
In his angustiis, in hoc agone contra diabolum…
Objiciebam intentionem, et fidem Ecclesiæ, scilicet quod missas privatas in fide, et intentione Ecclesiæ celebrassem.
Etiamsi ego, inquam, non rectè credidi, aut sensi, tamen in hoc rectè credidit, et sensit Ecclesia.
Verum Satan econtrà fortíùs, et vehementiùs instans: Age, prome ubi scriptum est, quòd homo impius, încredulus, possit consecrare in fide Ecclesiæ.
Ubi jussit, aut præcepit hoc Deus ?.…
In tenebris geritis hæc ac deinde omnes abominationes vultis defensas prætextu intentionis Ecclesiæ.
Hic respondebunt mihi sanctissimi Patres, hic ridebunt, et dicent: Tudector ille celebris, et non nosti respondere diabolo ?
An ignoras diabolum esse mendacem?
Papæ, vestro merito vobis gratias ingentes ago, pro tam suavi consolatione in re tanta.
Has tres voculas (diabolus est mendax), ignorassem ego hactenus, nisi monuissetis vos eximii Theologotati…
Si vobis sustinendi essent ictus diaboli, et audiendæ disputationes, non diu essetis cantilenam de Ecclesia et veteri recepto more cantaturi..... Urget enim in immensum corda... nec humanum cor horrendum hunc et ineffabilem impetum, nisi Deus illi adsit, perferre potest.
Satan enim in ictu oculi repentè totam mentem terroribus et tenebris adobruit, et si nihil quàm hominem inermem, et verbo non instructum invenit, quasi digitulo totum evertit.
Verum quidem hoc est, quòd mendax sit, sed non mentitur Satan, quando accusat. Ibi enim habet duos inconvincibiles graves testes, legem Dei, et nostram propriam conscientiam.
Non possum negare me peccasse, non possum negare peccatum meum magnum esse, non possum negare, quòd reus sim mortis, et damnationis.

1Tomus septimus omnium operum reverendi Domini Martini Lutheri, doctoris theologiæ, etc. Witteberga per Thomam Klug. 1557.

2On a imprimé à Londres, en l'année 1651, un livre sous ce titre : Les lieux communs de Luther, homme de Dieu, et prophète de l'Allemagne.
David Maïerus, ministre d'Hannover, dans le duché de Brunswick, auteur fort estimé parmi les luthériens, dans son Traité de l'état de l'Église avant Luther, imprimé à Francfort, en l'année 1617, section 21, page 278, appelle aussi Luther le prophète de l'Allemagne. Dans la pag. 290, il dit que Bucer a écrit de lui qu'il a eu le don de prophétie.

3Et dans la page 299, pour relever encore le mérite prétendu de Luther, il rapporte que Jean Spangenbergius, dont Mélanchton, dans sa lettre du 15 décembre 1550, à l’Église de Mansfeld, parle avec beaucoup d'estime, a composé ces vers en l'honneur de Luther :
Christus habet primas: habeas tibi, Paule, secundas,
At loca post illos prima Lutherus habet.

1« Ne mihi ob id succenseant, quod eorum doctrinam damno, et diabolo adscribo, nam aliter agere et loqui haud possum, quàm ut in corde gero et credo. » Luther, t. 7 de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 381, pag. 5, du Livre de la Défense des paroles de la Cène, Prenez, mangez, ceci est mon Corps ; contre les esprits fanatiques des Sacramentaires.

2Hæreticos serio censemus, et alienos ab Ecclesia Dei esse Cinglianos, et omnes Sacramentarios, qui negant corpus et sanguinem Christis ore carnali sumi in venerabili Eucharistiâ.» Luther, tome 2 de ses OEuvres, imprimées à Wittemberg, en sa dispute contre les trente-deux articles des Théologiens de Louvain, nombre 28, feuillet 503.

3Calvin, dans sa réponse au premier livre de Pighius, col. 296, de ses Opuscules, imprimés à Genève, par Jacob Stoër, en l'année 1611.

4Calvin, dans la même réponse au premier livre de Pighius, col, 511 de ses Opuscules, de la même impression.

5Calvin dans sa seconde défense contre Westphal, col. 1794, des mêmes Opuscules.

6Calvin dans son livre intitulé: Congratulation à un vénérable prêtre, col. 2121, des mêmes Opuscules.

7Calvin, dans sa lettre du 25 novembre 1544, à Bulinger, dit : Hæc cupio vobis in mentem venire, primùm quantus sit vir Lutherus, et quantis dotibus excellat, quantâ animi fortitudine, et constantià, quantâ dexteritate, quantâ doctrinæ efficacia hactenus ad profligandum Antichristi regnum, et simul propagandam salutis doctrinam incubuerit. Sæpe dicere solitus sum: etiamsi me diabolum vocaret, me tamen hoc illi honoris habiturum, ut insignem Dei servum agnoscam. »

8Bèze, dans son Histoire Ecclésiastique, tom. 1. pag. 4.

9Zwingli, dans son Exposition de la Doctrine de l'Eucharistie, let 335, pag. 2, parlant de Luther, dit : « Primarium esse propugnatorem Evangelii.… Jonathan, qui Palæstinorum præsidia solus adoriri fuit ausus, non inviti concedimus. »

10Hospinien, dans la deuxième partie de son Histoire Sacramentaire, feuillet 127, parlant de Luther, dit : « Ipsum sanè eximium Dei servum agnoscimus. »

11Le Calendrier Historique de Genève, imprimé avec les Psaumes, à Lyon, par Gabriel Cotier, en 1564.
Le Calendrier imprimé, en suite du Nouveau-Testament, à Genève, par Pierre et Jacques Chouet, en 1614.
Les autres Calendriers Historiques imprimés, aussi en suite du Nouveau Testament, à Genève, par Etienne Gamonet, en 1622 et 1626.
Et plusieurs autres, au dix-huitième de février, portent ces mots : « Le dix-huitième, ce vrai serviteur de Dieu, Martin Luther, mourut l'an 1546.

12« Contigit me semel sub mediam noctem subitò expergefieri, ibi Satan mecum cœpit ejusmodi disputationem. » Luther, t. 7 de ses OEuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 228.

1Τί ἐμοὶ καὶ σοὶ Ἰησοῦ ὑιὲ τοῦ Θεοῦ τοῦ ὑψίσου.

2La Bible de Genève, imprimée à Saumur, en l'année 1614, 6e et 7e verset, du 5 chap. de saint Marc, dit : « Quand donc tout de loin il vit Jésus, il accourut et se prosterna devant lui » et criant à haute voix, dit : « Qu'y a-t-il entre toi et moi, Jésus, fils du Dieu souverain ? » et à la marge, pour expliquer ces mots : « se prosterna devant lui, » les calvinistes ont mis : « ou l'adora. »
Nous lisons dans le texte greс: πρocεxvvnoεv avtã, que Calvin, dans son Harmonie Evangélique, et Bèze, dans sa Version du Nouveau-Testamen!, ont traduit : « adoravit eum » c'est-à-dire « il l'adora. »
Arias Montanus, dans sa version du Nouveau-Testament, imprimée avec le grec, à Genève, a traduit aussi, « adoravit eum. »
A quoi se rapporte la traduction latine ancienne, que nous appelons Vulgate, laquelle parte ces mêmes mots : « adoravit eum. »

3Talis fuit historiæ series. Quum obviam prodissent dæmoniaci, jussit Christus spiritus immundos ab illis egredi : tunc supplices deprecati sunt, ne ante tempus ipsos torqueret. Érgò adoratio non præcessit Christi verba: nec 'priùs conquesti sunt molestum sibi esse Christum, quàm dùm eos exire cogeret. Sciendum verò est, non tam spontẻ in Christi conspectum venisse, quàm arcano Christi imperio tractos. » Et un peu après, il ajoute : arcanâ Christi potentiâ in medium sistuntur, ut illis ejectis hominum se liberatorem demonstret. Coacti etiam eum adorant, et contumaces eorum querimonia testes sunt', quàm non voluntaria fuerit eorum confessio, sed vi extorta. Quid tibi nobiscum? » Calvin, dans son Harmonie Evangélique, sur le 6e et 7o versets, du 5 ch. de saint Marc.

4Marc. 5. 7.

1La glose du Nouveau-Testament, faite par Marlorat, est fort estimée de ceux de Genève, et particulièrement de Bèze, dans ses Portraits des Hommes Illustres, imprimés à Genève par Jean de Laon, en l'année 1581, pag. 183, où, parlant de Marlorat et de ses Commentaires sur l’Écriture, il dit : « On ne saurait dire combien il profita tant en lecture qu'en écrivant, comme il appert par ses beaux Commentaires sur la Genèse, les Psaumes, Isaïe, et surtout les Livres du Nouveau-Testament, dressés par un artifice admirable, tiré des expositions des plus doctes théologiens de notre temps. »

2La glose du Nouveau-Testament, faite par Nicolas des Gallars, ministre de Genève, est aussi de très grande autorité parmi les prétendus réformés. Car Nicolas des Gallars, dans l'avertissement au lecteur, qu'il a mis au commencement du Nouveau-Testament, déclare qu'il a tiré cette glose des expositions de ceux de son temps, qui ont le plus travaillé à éclaircir l'Écriture sainte.

3Τί ἡμῖν καὶ σοι, Ἰησοῦ, ὑιὲ τοῦ Θεοῦ, ἦλθες ὧδε πρὸ καιροῦ βασανίσαι pas.. Matth, 8. 29.

4Les filles, qu'on disait avoir un esprit de Python, étaient des devineresses.

5Οὗτοι οἱ ἄνθρωποι δοῦλοι τοῦ Θεοῦ τοῦ ὑψίσου εἰσὶν, οἵ τινες καταγγέλω λουσιν ἡμῖν ὁδὸν σωτηρίας. Act. 16. 17.

6« Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'esprit de votre Père qui parle en vous » disait Jésus-Christ à ses Apôtres. Matth. c. 10. v. 20.

1Jésus-Christ disait encore à ses Apôtres : « Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse que tous vos ennemis ne pourront contredire, et à laquelle ils ne pourront résister. » Luc. 21. 15.

2Ει τοίνυν οἶδας ὅτι ὁδὸν σωτηρίας καταγγέλλουσιν, τί μὴ ἐξίςασαι ἐχών. Επειδὰν εἶδεν εὐδοκιμοῦντας, καὶ ὧδε ὑποκρίνεται, ταύτη προσεδοκησεν ἑαυτὸν ἀφίεσθαι ἐν τῷ σώματι, εἰ τὰ αὐτὰ κηρύξιεν. S. Chrys. in Act. Apost, c. 16. serm. 35.

1« In hac Ecclesià (c'est-à-dire dans l'Église romaine, car Luther dit à la marge: Vera Ecclesia servata sub Papatu, ce qui marque qu'il parle de l'Église romaine.) In hac Ecclesià ( dit-il ) Deus miraculose et potenter servavit baptismum, deinde in publicis suggestis et dominicalibus concionibus textum Evangelij in idiomate cujuslibet terræ, deinde remissionem peccatorum, et absolutionem, tum in confessione, tum publicè, deinde Sacramentum altaris... et ministerium verbi… Deinde Dei miraculo reliquum mansit, et in Ecclesià Psalterium, Oratio Dominica, Symbolum, decem Præcepta, item multa pia, et egregia Cantica, Latina, tum Germanica, quale fuit, Veni sancte Spiritus, et emitte cœlitus lucis tuæ radium, etc.. Illa cantica homines verè spirituales, et Christiani.. posteritati reliquerunt. Ubicumque fuerunt illæ verè sanctæ et sanctorum reliquiæ, ibi fuit et est vera sancta Christi Ecclesia, ibi manserunt sancti.» Luther, dans son Livre de la Messe privée, feuillet 236, du 7o tome de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg.

2Ideo in hac Ecclesia Christus certò fuit præsens, et spiritus Christi, ac conservavit veram cognitionem, veramque fidem in his suis electis. » Luther, au même endroit de son Livre de la Messe privée, feuillet 256, de son 7o tome, imprimé à Wittemberg.

3« Turca adeoque omnes Diaboli etiam credunt Historiam de Christo, psum esse natum, crucifixum et mortuum. » Tom. 7e des Œuvres de Luther, imprimées à Wittemberg, feuillet 228.

4L'Alcoran de Mahomet, quasi à la fin du chapitre des femmes, contenant 170 versets, écrit à la Médine.

5Le démon, après avoir dit à Luther : « Nos spiritus rejecti non fidimus illius misericordiâ, neque habemus eum pro mediatore, aut salvatore, sed exhorrescimus ut sævum judicem (ajouta: Ejusmodi fidem, non aliam et tu habebas, cum ab Episcopo unctionem acciperes, et omnes alii ungentes simul et uncti, sic sentiebant et non aliter de Christo. » Tome 7 des Œuvres de Luther imprimées à Wittemberg, feuillet 228.

6« Si nunc nullum ex Sacramentis vestris aliquis ipse pro seipso facere potest, aut tractare, qui fit ut tibi soli hoc summum Sacramentu facere velis ? » Tom. 7 de Luther, feuillet 229.

1« Il a été rapporté au saint concile, qu'en quelques lieux les diacres donnent les Sacrements aux prêtres. La règle ni la coutume ne nous apprennent point que ceux qui n'ont pas la puissance d'offrir le Sacrifice, puissent donner le Corps de Jésus-Christ à ceux qui l'offrent. » Concil. de Nic. Can. 14. Voyez les Centuriateurs de Magdebourg, Centurie 4. chap. 9. où ce Canon est rapporté.

2« Prome ubi scriptum est, quòd homo impius et incredulus possit consecrare... in fide Ecclesiæ. Ubi jussit, aut præcepit hoc Deus ? » T. 7. de Luther, feuillet 229.

3« Ego igitur non dicam, quod Papistæ dicunt nullum Angelorum, ne Mariam quidem ipsam, etc. consecrare posse, et econtra dico: Si diabolus ipse veniret ́( si modo præ malitia posset rebus 'Dei tam diu interesse), ego autem pono, ut posted resciscerem diabolum sic irrepsisse in officium pastoris Ecclesiæ, in specie hominis vocatum esse ad prædicandum et pnblice in Ecclesià docuisse, baptisasse, celebrasse missam, absolvisse à peccatis..... tunc cogeremur fateri, Sacramenta ideò non esse inefficacia, sed verum baptismum, verum Evangelium, veram absolutionem, verum Sacramentum corporis et sanguinis Christi nos accepisse. » Luther, ́ dans son Livre de la Messe privée, feuillet 243 du tome 7 de ses OEuvres.

1Porrò si veram est, quod constituimus, Sacramentum non ex ejus manu æstimandum esse, à quo administratur, sed velut ex ipsâ Dei manu, à quo haud dubiè profectum est: indecolligere licet nihil illi afferri, vel auferri ejus dignitate per cujus manum traditur.... His Donastitarum error pulchrè refutatur, qui vim, ac pretium Sacramenti metiebantur ministri dignitate. » Calvin, dans son Institution, livre 4, chapitre 15, section 16.
Saint Augustin, dans son livre des Heresies, hérésie 69, parlant de l'erreur des donatistes, dit : « Audent etiam rebaptizare Catholicos, ubi se amplius hæreticos esse firmarunt, cum Ecclesiæ Catholicæ universæ placuerit, nec in ipsis hæreticis baptisma commune rescindere. Hujus hæresis principem accipimus fuisse Donatum. »

2« Satan in ictu oculi repentè totam mentem terroribus et tenebris adobruit. » Luther, dans son Livre de la Messe privée, feuillet 250, .du 7o tome de ses OEuvres, imprimées à Wittemberg.

3« Ego in adolescentiâ meà audivi quamdam historiam : quemdam concionatorem, cum jam deberet conscendere suggestum, subitâ ægritudine correptum. Ibi supervenit quidam ignotus, et obtulit se pro ipso concionaturum; arrepto autem libro paravit se ad concionem. Et cum jam conscendisset suggestum, adeò eruditè, piè, et patheticè dixit, ut animis omnium repentè permotis, tota penè in lacrymas solveretur turba auditorum. In fine autem concionis, ejusmodi dicto clausit : Vultis, iuquit, scire quis sim? Ego sum Satan. Ideò tam concitatè, vehementer apud vos de Evangelio peroravi, ut eò acriùs accusare vos possim in extremo die, in vestram damnationem. An hæc historiola vera sit, an docendi causa conficta, non pugno. Hoc autem scio, eam verisimilem esse, scilicet diabolum posse evangelizare, fungi officio ministri, et pastoris. » Luther, dans son Livre de la Messe privée, feuillet 244, du 7e tome de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg.

1Τί ἡμῖν καὶ σοὶ Ἰησοῦ Ναζαρηνε; ἦλθες ἀπολέσαι ἡμᾶς; οἶδα σε τις el, ô âyios toŭ Deo. Marc. 1. 24. et Luc. 4. 34.

2«Quare non confiteris Filium Dei? Nazarenus te torquet, et non Filius Dei?............... Videamus quid dicas : Sanctus Dei. Moyses Sanctus Dei non fuit? Isaias, Sanctus Dei non fuit? Jeremias, Sanctus Dei non fuit? Priùs, inquit, quàm nascereris, in vulvà sanctificavi te. Hoc dicitur ad Jeremiam, et Sanctus Dei non fuit? Ergo nec illi, qui Sancti erant. Sed quare non dicis ad eos: Scio quis sis, Sanctus Dei? O perversitas mentis! Inter tor. menta positus, et scit verum, et tamen confiteri non vult..... Noli dicere: Sanctus Dei... non est enim Sanctus Dei, sed Sanctus Deus. » Homélie 5, sur saint Marc, attribuée à saint Chrysostôme.

1Τί ἐμοὶ καὶ σοὶ Ἰησοῦ υἱε τοῦ Θεοῦ τοῦ ὑψίσου ; S. Marc. 5, 7.

1« Nos spiritus rejecti non fidemus illius misericordiâ, neque habemus eum pro mediatore, aut salvatore, sed exhorrescimus ut sævum judicem, Ejusmodi fidem, non aliam et tu habebas. » T. 7o des Œuvres de Luther, imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le 2o feuillet du Livre de la Messe privée.

1« Tels princes et tyrans ne savent pas que combattre contre les hérésies, c'est combattre contre le Diable, qui possède les cœurs avec les erreurs. » Luther, tome 2o de ses Œuvres, imprimées à Jéna, en allemand, feuillet 182.

1Luther, tome de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le 9° feuillet du Livre de la Messe privée.

2Hospinien, dans la 2e partie de son Histoire Sacramentaire, de l'Origine et du progrès de la controverse survenue touchant le Sacrement de la Cène du Seigneur, entre les luthériens ubiquistes, et les zuingliens ou calvinistes, feuillet 131 de l'impression de Zurich, de l'année 1602.

3« Sum unctus Sacerdos, accepi Unctionem et Consecrationem ab Episcopo... Quare non consecrassem, cum verba Christi seriò pronuntiarim... hoc nosti. » Luther, tome 7 de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le 2° feuillet du Livre de la Messe privée.

1Luther, tome 6 de ses Œuvres, imprimées à Jéna, en allemand, feuillet 83.

2« Hoc neque tu neque ullus alius papista poterit inficiari. »  T. 7e des Œuvres de Luther, imprimées à Wittemberg, feuillet 228, qui est le 2° feuillet du Livre de la Messe privée.

3Tome 7° des Œuvres de Luther, imprimées à Wittemberg, feuillet 229, qui est le 3 feuillet du Livre de la Messe privée.

4Luther, tome 6° de ses Œuvres, imprimées à Jéna, en allemand, feuillet 84.

5« Objiciebam intentionem, et fidem Ecclesiæ, scilicet quòd Missas privatas in fide et intentione Ecclesiæ celebrassem. Etiamsi ego, inquam, non rectè credidi, aut sensi, tamen in hoc rectè credidit et sensit Ecclesia. » Luther, tome 7 de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 229, qui est le 3 feuillet du Livre de la Messe privée.

1« Hic respondebunt mihi Sanctissimi Patres, hic ridebunt, et dicent; Tu ne es Doctor ille celebris, et non nosti respondere diabolo ? An ignoras diabolum esse mendacem? Papæ, vestro merito vobis gratias ingentes ago, pro tam suavi consolatione in re tantâ. Has tres voculas, (diabolus est mendax) ignorassem ego hactenus, nisi monuissetis vos eximii Theologotati... Si vobis sustinendi essent ictus diaboli, et audiendæ disputationes, non diu essetis cantilenam de Ecclesià et veteri recepto more cantaturi... Satan enim in ictu oculi repente totam mentem...... tenebris adobruit... Verum quidem hoc est, quòd mendax sit.... sed non mentitur Satan, quando accusat. » Luther, tome 7° de ses Œuvres, imprimées à Wittemberg, feuillet 230, qui est le 4° feuillet du Livre de la Messe privée.

2Hospinien, dans la 2e partie de son Histoire Sacramentaire, f. 127, parlant de Luther, dit : « Ipsum sanè eximium Dei servum agnoscimus. »

1In lucem quoque emisit hoc anno Lutherus librum de Missà privatâ, et Sacerdotum consecratione, in quo statim ab initio describit colloquium à se cum diabolo intempesta nocte habitum, in eoque se de multis abusibus Missæ privatæ præcipuè à cacodæmone admonitum fatetur. Hospinien, dans la 2° partie de son Histoire Sacramentaire, feuillet 131 de l'impression de Zurich, de l'année 1602.

1Hospinien, dans la 2o partie de son Histoire Sacramentaire, page 131.

2Τὸ δὲ πνεῦμα ῥήτῶς λέγει, ὅτι ἐν ὑφέροις καιροῖς ἀποςήσονται τινες τῆς πίςεως προσέχοντες πνεύμασι πλάνοις, και διδασκαλίαις δαιμονίων. 1. Ep. à Timothée, chap. 4. v. 1.

1Itaque fit decretum februarii die vigisimo, suspendi Missam oportere ac intermitti, donec adversarii demonstrent esse cultum Deo gratum. Lib. 6. Comment. Typis Theod. Rihelii, p. 168.

1Septem habent Sacramenta, et panem in Corpus Domini, et vinum in Sanguinem transmutari putant. Hæc in Liturgiis Deo Patri offerunt pro peccatis Sacerdotum et ignorantiis populi. Germano Græca lib. 5. pag. 226.

2Missa est tanquam Sacrificium propitiatorium, instituta ad peccatorum veniam impetrandam tum vivis tum defunctis, et ad iram divinam placandam, necnon ad avertenda flagella nobis impendentia, quâ ratione dicitur et est ilaçixó, id est propitiatorium: etsi enim Sacrificium Missæ non sit instrumentum immediatum producens gratiam, sicut Sacramenta sunt, est tamen instrumentum movens Deum, ut jam placatus peccatori donum pœnitentiæ concedat, cujus interventu justificetur.

3Credimus oblationem Mysterii esse verissimum ac proprium Sacrificium Novi Testamenti, quo propitiatur Deus vivis et mortuis

1Cet acte, daté du premier mai 1673, a été dressé par le patriarche Néophyte, signé et approuvé par six archevêques et un très grand nombre d'ecclésiastiques; il se gardait, avant la révolution, dans la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés.

1Si quid tota per orbem terrarum frequentat Ecclesia, quin ita sit faciendum disputare insolentissimæ insania est. Ep. 118. Tom. 2. Edit Froben. pag. 558.

2Hebr. 9. 25.

3Ibid. 26.

4Ib. 10. 12.

5Ib. 10.

6Héb. 10 14.

7Ib. 18.

1Universos igitur, qui per nomen istius Sacrificia offerunt, quæ Jesus Christus fieri tradidit, hoc est in Eucharistia panis et calicis, quæ in loco omni à Christianis fiunt, prævertens Deus gratos sibi esse testificatur. Bibliotheca Patrum, T. 2. part. 2. apud Anissonios, p 99.

2Malach. c. 1.

3Eum qui ex naturâ panis est, accepit, et gratias egit dicens : Hoc est Corpus meum..... Et novi Testamenti novam docuit oblationem, quam Ecclesia ab Apostolis accipiens in universo mundo offert Deo... Malachias sic præsignificavit : Non est mihi voluntas in vobis, dicit Dominus omnipolens; et Sacrificium non accipiam de manibus vestris, quoniam ab ortu solis usque ad occasum nomen meum glorificatur inter gentes, et in omni loco incensum offertur nomini meo et Sacrificium purum.... Prior quidem populus cessavit offerre Deo, omni autem loco Sacrificium offertur Deo, et hoc purum. Lib. 4. c. 32. Edit. Col., p. 555.

1Itaque et Sacrificamus pro salute imperatoris, sed Deo nostro et ipsius. Lib. 2. ad Scapulam, c. 2. Ed. Frob. p. 553.

2Non permittimus mulieri in Ecclesia nec docere, nec tingere, nec offerre. Lib. de velandis virgin. c. 9. Edit. Frob. p. 496.

3Mulieribus nulla procedendi causa non tetrica; aut imbecillis aliquis ex fratribus visitandus, aut Sacrificium offertur, aut verbum Dei administratur. Lib de cultu fœm. c. 7. Ed. Frob. p. 517.

4Accepto Corpore Christi et reservato utrumque salvum est, et participatio Sacrificii, et executio officii. Lib. de oratione c. 14. p. 793.

1Quod Jesus Christus Dominus noster Sacrificii hujus auctor et doctor fuit et docuit. Lib. 2. Ep. 5. Ed. Frob. p. 51.

2Nam quis magis Sacerdos Dei summi quam Dominus noster Jesus Christus qui Sacrificium Deo obtulit, et obtulit hoc idem, quod Melchisedech obtulerat, id est, panem et vinum, suum scilicet Corpus et Sanguinem. L. 3. Epist. 3. Ed. Frob. p. 52.

3Quod Episcopi antecessores nostri religiosè considerantes et salubriter providentes censuerunt, ne quis frater excedens ad tutelam ve! curam Clericum nominaret, ac si quis hoc fecisset, non offerretur pro eo, nec sacrificium pro ejus dormitione celebraretur. Lib. 1. Epist. 9. Edit. Frob. p. 449.

4Oblationes pro defunctis annuâ die facimus. Lib. de Corona militis. Edit. Froben. pag. 35.

5Pro animâ ejus oret, et offerat annuis diebus dormitionis ejus, nam hæc nisi fecerit, verè repudiavit, quantùm in ipsa est. Lib. de Monog. Edit. Froben. pag. 578.

6Art. 12. de Missa, Typis Christ. Scholvini, p. 272.

7Hoc est Evangelium contaminare, corrumpere usum Sacramentorum, pag. 373.

1Καὶ πάντων ἀπλως τῶν ἐν ἡμῖν προςκεκοιμημένων, μεγίςην ἔνησιν πιςέυοντες ἔσεσθαι ταῖς ψυχαῖς ὑπερ ὧν ἡ δέησις ἀναφέρεται τῆς ἁγίας και τριχωδεςάτης προκειμένης θυσίας. Edit. Paris. p. 241.

2Οὐ ςέφανον πλέκομεν, αλλα Χριςὸν ἐσφαγιασμένον ὑπὲρ τῶν ὑμετέρων αμαρτηματων προσφέρομεν, ἐξιλεούμενοι ὑπὲρ αὐτῶν καὶ ἡμῶν τὸν φιλάν Spanov. Edit. Paris. p. 241.

3Tantum modò memoriam sui ad altare fieri desideravit. Lib. 9. c. 12. Ed. Frob. T. 1. p. 160.

1In eis precibus, quas tibi fudimus, cum offerretur pro eà Sacrificium pretii nostri jam juxta sepulchrum posito cadavere, priusquàm deponeretur, non flevi. Lib. 9. Confess. c. 11. Ed. Frob. T. 1. p. 159.

2Dicens orare, vel offerre pro mortuis oblationem non oportere. Lib. de Hæresibus hæres. 53. T. 6. Ed. Frob. p. 25.

3Epiph. in Anacephaleosi, T. 2. Edit... Petavii, p. 148.

4Damasc. Ed. Basil. p. 381.

5Postremo transferunt missam ad mortuos... neque Ecclesiæ veteris neque Patrum testimonia habent. Art. 12. Apol. de Sacrificio sub finem, Edit. Scholvini, p. 266.

1Id enim Sacrificium successit omnibus illis Sacrificiis veteris Tes tamenti, quæ immolabatur in umbra futuri.... Pro illis omnibus sacrificiis et oblationibus Corpus ejus offertur, et participantibus ministratur. Lib. 17. de Civitate Dei. C. 20. T. 5. Edit. Frob. p. 983.

2Hic autem multò admirabilius et magnificentius Sacrificium præparavit, et cùm Sacrificium ipsum commutaret, et pro brutorum cæde seipsum offerendum præciperet. Hom. 24. in 1. ad Corinth. T. 4. apud Hugonem, p. 116.

3Offerimus pro populo Sacrificium, et si infirmi merito, tamen honorabiles Sacerdotio, quia etsi Christus non videtur offerre, tamen ipse offertur in terris, quando Christi Corpus offertur. In Psal. 58. Tom. 1. Edit. Paris. p. 853.

4Arcano Sacrificii genere se ipsum pro nobis hostiam offert, et victimam immolat Sacerdos simul existers et agnus. Quando id præstitit? cùm Corpus suum discipulis congregatis edendum præbuit. Orat. in Resurrect. Christi. T. 3. Edit. Paris. p. 389.

5Filius spontè immolatur non quidem hodie à Dei hostibus, sed à se ipso. Homil. in mysticam cœnam. Tom. 5. part. 2. Edit. Paris. Ann. 1638, p. 316.

6Qui vero ad hæc aspirare non poterant incruentis Sacrificiis, et mysticis oblationibus Deum placabant pro pace communi, pro Ecclesia Dei, pro imperatore ejusque piissimis liberis. Lib. 4. de vita Constant. c. 45. Ed. Valesii, p. 549.

7Cùm multitudo convenerit, quam recipere basilica simul non possit, Sacrificii oblatio indubitanter reiteretur. Ep. 11. ad Dioscorum, c. 2. Edit. Quesnel, p. 224.

1Dicis te interrogatum fuisse de Sacrificio Corporis et Sanguinis Christi, quod plerique soli Patri existimant immolari.... Catholici fideles scire debent, omne cujuslibet honorificentiæ et Sacrificii salutaris obsequium et Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, hoc est Trinitati ab Ecclesià Catholicâ pariter exhiberi. Lib. 2. ad Monimum, c. 2 et 4. Tom. 9. Bibl. Patrum, apud Anissonios, p. 26.

2Nec Regula, nec consuetudo tradidit, ut ab his, qui potestatem non habent offerendi, illi qui offerunt Corpus Christi accipiant. Can. 18. T. 2. Conc. Labb. p. 43.

3Perrexit unus è Presbyteris, obtulit ibi Sacrificium Corporis Christi orans quantum potuit, ut cessaret ista vexatio, Deo protinùs miserante cessavit. Lib. 22. de Civitate Dei, c. 8. T. 5. Ed. Frob. p. 1544.

4Uxor pro marito velut mortuo hostias hebdomadibus singulis curabat offerre, cujus toties vincula solvebantur in captivitate, quoties ab ejus conjuge oblatæ fuissent hostiæ pro animæ ejus absolutione. Homil. 38. in Evang. T. 1. Ed. Paris. p. 1499.

1Luc. 19. 40.

2Si autem peccaverunt et erraverunt Patres, quis furor est eorum facta et dicta pro divinis et infallibilibus regulis pietatis statuere? Quis euim nos certos faciet, in quo non erraverunt Patres, quos sæpissimè errasse tu confiteris ?.... Non audimus : Bernardus sic vixit et scripsit, sed Bernardus sic vivere et scribere debuit juxta Scripturas.... Non de facto, sed de jure quæstio nobis est. Sancti errare potuerunt docendo, et peccare vivendo; Scriptura errare non potest docendo, nec credens illi peccare vivendo. Tom. 2. Edit. Jenen, Latin. Christ. Rhodii, pag. 466. B. et 467. A.

3Notum est autem bonas mentes plurimùm moveri consensu, testimoniis antiquitatis, ejus præsertim, quæ fuit purioribus et florentissimis Ecclesiæ temporibus. Tom. 1. exam. de Missà Pont. Edit. Franc. pag. 279.

4Eph. 4. 11. 12.

1Ingens tumulus verborum consilescet hac unicâ responsione, quod hæc longa coacervatio auctoritatum et testimoniorum non ostendat, quod Missæ ex opere operato conferat gratiam, aut applicata pro aliis, mereatur eis remissionem venialium et mortalium peccatorum, culpæ et pænæ. Hæc unica responsio evertit omnia. Art. 12, de Missá, Edit. Scholvini, pag. 252.

2Item, p. 258. p. 266. p. 275.

3Sess. 22. cap. 2.

1Illæ nebulæ uon difficulter discutiuntur... ostendant esse à Christo institutum, ab Apostolis traditum, et in primitivâ Ecclesiâ observatum, ut Corpus et Sanguis Christi in Cœnâ hujusmodi verbis, ritibus, gestibus, actibus et ornamentis Theatricà repræsentatum, Deo Patri sistatur et offeratur, sicut nunc fit in Missà Pontificiâ. T. 1. Ex. Ed. Francof. pag. 272. no 10 et 40. — p. 275. no 10. — p. 277. no 20.

1Quæstio est in hoc argumento, an Deus instituerit, præscripserit et mandaverit talem repræsentationem per tales ritus, gestus, et actus, sicut fit in Missa Pontificia. Tom. 1. Exam. Edit. Francof. pag. 272. n° 10.

1Luc. 22. 19.

2Ibid.

11 Cor. 11 24

2Luc. 22. 20.

3Τοῦτο τὸ ποτήριον ἐν σῶ αἵματί μου, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν ἐκχυνόμενον.

4Matth. 26. 28.

5Deprehensum est illud argumentum non tantum non posse Pontificiam Missam gladio Spiritûs quassatam et defectam, vel sublevare, vel stabilire, sed ne per se quidem consistere posse. T. 1. Examinis Edit. Francof. pag. 258. no 10.

1Malachie 1 10 11

2Justin. in Dialogo cum Triph. parte 2. T. 2. Biblioth. Patr. apud Aniss. pag. 77.

3Iren. L. 4. c. 32. Ed. Colon. p. 355.

4Cyp. L. 1. adversus Judæos, c. 16. Ed. Frob. p. 264.

5Euseb. L. 1. Dem. Evang. c. 6. Ed. Col. apud Georg. Weid, p. 20.

6Chrysost. in Psal. 95. T. 1. apud Hugonem, p. 1093.

7Aug. L. 18. de Civit. Dei. c. 35. T. 5. Ed. Frob. P. 159.

8Theod. in Malach. T. 2. Ed. Paris. p. 935.

1Damasc. L. 4. de Fide, c. 14. Ed. Basil. p. 318.

2De Sacerdotibus et Levitis non interibit vir à facie mea, qui offerat holocautomata. Jerem. 33. 18.

3Robur autem datum est ei contra juge Sacrificium. Dan. 8. 12. et à tempore cùm ablatum fuerit juge Sacrificium, dies mille ducenti nonaginta. Daniel. 12. 11.

4Et Deum patrum suorum non reputabit, nec quemquam Deorum cnrabit, quia adversùm universa consurget. Danielis 11. 37.

1Tu es Sacerdos in æternum, secundùm ordinem Melchisedech. Psal. 109. 4.

2Clem. Alex. Lib. 4. Stromatum non procul à fine. Edit. Col. pag. 559.

3Cyp. Lib. 2. Ep. 3. Edit. Frob. p. 52.

4Euseb. L. 5. Demonst. Evang. c. 39. Edit. Col. Georg. Wiedmanni, pag. 223.

5Ambr. aut saltem is cui hactenus inscripti sunt libri de Sacramentis et de initiandis, lib. 5. de Sacram. c. 1. T. 2. Edit. Paris. pag. 372. idem libro de initiandis, c. 8. T. 2. Ed. Paris. p. 337.

6Hieron. ad Evag. T. 2. Ed. Martianai, p. 571.

7Aug. Ep. 95. ad Innoc. T. 2. Ed. Frob. p. 430. Item 1. 4. de Doctrina Christ. T. 3. p. 85. Item l. 17. de Civi t. Dei. c. 17. T. 5. p. 977. Item contra adversarium legis. T. 6. p. 606.

8Damasc. L. 4. de Fide, c. 14. Ed. Basil. p. 318.

9Theoph. in c. 5. ad Hebr. Ed. Lundinensis, p. 915.

10Omnis enim Pontifex ad offerendum munera et hostias constituitur. Hebr. 8. 3.

1Videte Israel secundùm carnem : nonne qui edunt hostias, parti cipes sunt Altaris? 1. Cor. 10. 18. Nolo autem vos socios fieri dæmoniorum non potestis calicem Domini bibere et calicem dæmoniorum; non potestis mensæ Domini participes esse, et mensæ dæmoniornm. 1. Cor. 40. 20, 21.

2Habemus Altare, de quo edere non habent potestatem qui tabernaculo deserviunt. Hebr. 13. 10.

3Ministrantibus illis Domino et jejunantibus. Act. 15. 2.

1Si quis, non dicam rapere, sed attentare jungendi causâ matrimonii sacratissimas virgines ausus fuerit, cavilali pœna feriatur. Leg. 5. de Episc. et Clericis.

2Pag. 15.

1Cauda ista draconis, missam intelligo, peperit multiplices abominationes, et idololatrias. In Art. Smalkald. de Missà, Typis Scholvini, pag. 307.

2Tom. 5. Edit. Jen. germ. per Donat. Ritzenhein, pag. 285. it. pag. 285. B.

3Wittemberg, T. 7. fol. 479. b.

4Edit. Jen. Germ. per Thoms et Rebart, p. 82, b.

5Altenburg. T. 6. p. 86. b.

4T. 6. Edit. Jen. Germ. p. 85.

1Dei minister est tibi in bonum. Rom. 15. 4.

1Cap. 5.

2Phil. 11. 10.

3J'ai eu l'original en main, et j'en conserve une copie bien collationnée.

1Christum in actione Cœnæ Dominicæ verè et substantialiter præsentem, in spiritu et veritate adorandum nemo negat, nisi qui cum sacramentariis vel negat, vel dubitat de præsentiâ Christi in Cœna. 2. Parte Exam. Trid. Conc. T. 2. Edit. Francof. p. 151. n. 40.

2Si Christus hic est, cur non peccent qui non adorant? In Exeg. Euch. ad Luther. T. 2. f. 144.

3Nos semper sic rationati sumus, si Christus est in pane, esse sub pane adorandum. De vera participatione Cœnæ in tractatibus theologicis ed. Amstelod. p. 727.

4Id si ita esse crederem, adorationem illius profectò non modo tolerabilem et religiosam, sed etiam necessariam arbitrarer. Beza de Cœnâ Domini, p. 245.

1Τοῦτο τὸ ποτήριον ή καινή διαθήκη ἐν τῷ αίματι μου, ὑπὲρ ὑμῶν εκχυνόμενον. Luc. 29. 90.

2Matth. 20. 28.

1Calix benedictionis cui benedicimus, nonne communicatio Sanguinis Christi est ? et panis quem frangimus nonne participatio Corporis Domini est ? 1. Cor. 10. 16.

2Sic ergo definiemus tempus vel actionem Sacramentalem, ut incipiat ab initio orationis Dominicæ, et duret donec omnes communicaverint, calicem ebiberint, populus dimissus, et ab Altari discessum sit. Ep. 2. Luther. ad Wolferinum, T. 4. Ed. Lat. Jen. p. 597.

1Pag. 15. 45.

2Pag. 12. 13. 346.

3Liberum erit S. Sacramentum adorare, vel non adorare, cum Christus id liberum esse voluerit, nec ullum de utrolibet præceptum dederit. De adorat. S. Sacram. T. 2. Edit. Jen. Christ. Rodinger, f. 281. Item, p. 227. b.

4Annot. in min. prophet. Tom. 3. Edit. Jen. Donat. Ritzenhain, pag. 55. b. Item, 54.

5Sed quæ est singularis ista tua temeritas, ut tam mala specie non abstineas. Nempe quod reliquum vini vel panis misces priori pani et vino, quo exemplo id facis? Zwinglianum te vis audiri, et ego te Zwinglii insania laborare credam. Ep. 1. ad Sim. Wolferinum, Tom. 4. Ed. Jen. lat. apud Christ. Rhodium, p. 597

1Haec certè magna miraculosa et verè divina est mutatio, cum antea simpliciter tantùm esset vulgaris panis et commune poculum, quod jam post benedictionem cum pane et vino ille verè et substantialiter adest, exhibetur, et accipitur Corpus et Sanguis Christi. Concedimus igitur fieri mutationem aliquam, et quidem talem, ut de pane verè prædicari possit Corpus Christi. T. 2. Exam. Edit. Francof. part. 2. p. 139. n. 20. Idem in rituali Argentinensi, p. 32 et 36.

1In parte 2. Exam. de Transsubst. Ed. Francof. p. 140. n. 50

1Non consisteret verborum simplicitas, nisi panis confletur in Corpus Christi. Defens. 2. pia et orthod. de Sacram, fidei, T. 7. col. 1. Ed. Genev. 1617. p. 7.

2Hoc quidem sæpe diximus, quod nunc quoque repetam ; retineri reipsa non posse Tò patov in his verbis (hoc est Corpus meum) quin transsubstantiatio papistica statuatur. Beza de Coena Domini, p. 216.

12. Credimus panem et vinum substantialiter et verè mutari ac transsubstantiari in Corpus et Sanguinem, ita ut post consecrationem non maneat substantia panis et vini, sed loco ipsorum Corpus et Sanguis Christi per divinam operationem et voluntatem succedat. Licet enim mutatio illa et conversio intrinseca non cognoscatur sensu externo, miro tamen modo fit, signis seu accidentibus permanentibus.
3. Credimus Christi Corpus et Sanguinem in divinâ liturgiâ omnimodo Jatreutice adorandum cultu tàm interno quàm externo. In Enchirid. seu stella Orientalis.

2Cette lettre se trouve dans le premier Tome de la Perpétuité de la Foi, pag. 468.

1Ibid. p. 468

2p. 238

3p. 23

1Ch. 10 p. 88

2N. 3 p. 240

3Dans la préface qu'il a faite sur la traduction du livre grec nommé Christophorus Angelus.

4Ils ont aussi été imprimés par Cramoysy, en 1648, el sont rapportés par Allatius de Perpet. Consensu, p. 1082.

1Cette lettre est rapportée au 3o Tome de la Perpétuité de la Foi, page 632.

1Tom. 3. de la Perpétuité, p. 651.

2Tom. 3. de la Perpétuité, p. 572.

3Tom. 3. de la Perpétuité, p. 632.

1Quippe pronuntiatis hisce verbis confestim transsubstantiatio peragitur, mutaturque panis in verum Corpus Christi, vinum in verum ejusdem sanguinem, manentibus tantummodo per divinam dispositionem speciebus quæ visu percipiuntur. Lipsic apud Thom. Fritsch. 1695. p. 161. Porro honor quem tremendis hisce mysteriis exhibere convenit, par illi similisque esse debet, qui Christo ipsi habetur, etc. P. 169.

1De Ecclesia Græcanica hodierna, pag. 46.

1Elle se trouve au premier Tome de la Perpétuité, p. 550.

1Diaconi atque ministri distribuunt unicuique præsentium, et ad absentes perferunt... porrò alimentum hoc apud nos vocatur Eucharistia. T. 2. Bibl. Pat. apud Anissonios parte 2. p. 32.

2Verùm illi ipsi qui te præcesserunt Presbyteri, quamvis id minimė observarent, Ecclesiarum Presbyteris, qui id observabant, Eucharistiam transmiserunt. Hist. Lib. 4. c. 24. Ed. Valesii, p. 193.

3Non sciat maritus, quid ante omnem cibum gestes, et 'si sciverit panem, non illum credit esse, qui dicitur. L. 2. ad Uxorem. Edit. Froben. p. 532.

1Exiguam Eucharistiæ partem puero tradidit, jubens ut in aquâ intinctam seni in os distillaret. Euseb. Hist. Lib. 6. c. 44. Edit. Vales. pag. 246.

2Qui per eremos vitam monasticam instituunt, ubi copia non suppetit sacerdotis, cum habeant domi communionem, de suis manibus illam percipiunt. In Ep. ad Cæsariam, T. 3. Edit. Paris. p. 289.

3Intempesta nocte captata cùm morbus non nihil remisisset, ad altare cum fide procumbit. Edit. Billii, p. 411.

4Sacramentum ligari fecit in orario, et orarium involvit collo, atque ita se dejecit in mare. De excessu Satyr. T. 2. Ed. Paris. p. 1143.

5T. 1. Exam. part. 2. p. 167. n. 40.

6T. 1. part. 2. p, 168. n. 10, 20.

1Serm. de lapsis, Ed. Froben. p. 225.

2Quid est Altare nisi sedes et Corporis et Sanguinis Christi? L. 4. Ed. Paris. apud Ant. Dezaillier : P. 111. Fregistis Calices Christi Sanguinis portatores, p. 113.

3Tu verò non in præsepe, sed in Altari vides. Homil. 24. in 1. ad Cor. apud Hug. p, 117.

4Quod est in calice, id est quod à latere fluxit, et illius sumus participes, p. 116.

5Panis, ut ait Apostolus, per verbum Dei et orationem sanctificatur ; non quia comeditur, eo progrediens ut verbi Corpus evadat, sed statim per verbum in corpus mutatur, ut dictum est à verbo, quoniam hoc est Corpus meum. Iu orat. Catech. ex versione Centuriatorum, Cent. 4. c. 4. Edit. Operoni, p. 295.

6Audio esse alios, qui dicunt Mysticam benedictionem nihil juvare ad satisfactionem si quid ex eâ fiat reliqui in alium diem, insaniunt verò qui hæc asserunt. In Ep. ad Colosyrium, Tom. 6. Edit. Paris. pag. 363.

1Lib. de capt. Babyl. C. de Cœnâ Domini, T. 2. Ed. Jen. Christ. Rhodii, p. 277

2Ibid. P. 278 13.

3Tom. 11. Conc. Labb. parte 1. p. 143.

4Conc. Labb. Tom. 9. pag. 1011. Verba Concilii de Conversione substantiali intelligenda esse testantur Lanframus, L. de Corp. Christ. c. 3. Tom. 18. Bibl. Patr. apud Aniss. p. 766. Guidmundus, lib. 3. de Corp. Christi, Tom. 18. Bibl. Patr. pag. 463. Anselmus in Ep. de Corp. Domini.

5Tom. 10. Conc. Labb. pag. 378.

6Spicileg. Dacheri, Tom. 2. `pag. 672 et 674.

1Cum igitur Christus ipse sic affirmet, atque dicat de pane: Hoc est Corpus meum, quis deinceps audeat dubitare? ac eodem quoque confirmante et dicente: Hic est Sanguis meus, quis, inquam, dubitet, et dicat non esse illius Sanguinem? Aquam aliquando mutavit in vinum, quod est sanguini propinquum in Canâ Galilæa sola voluntate, et non erit dignus, cui credamus, quod vinum in sanguinem transmutâsset? Si enim ad nuptias corporeas invitatus stupendum miraculum operatus est, an non multò magis Corpus et sanguinem suum filiis Spousi dedisse illum confitebimur? Quare omni cum certitudine corpus et sanguinem Christi sumamus ; nam sub specie panis datur tibi corpus, et sub specie vini datur Sanguis, ut sumpto corpore et sanguine Christi efficiaris ei comparticeps corporis et sanguinis..... Hoc sciens et pro certissimo habens panem hunc, qui videtur à nobis, non esse panem, etiamsi gustus panem esse sentiat, sed esse corpus Christi, et vinum, quod à nobis conspicitur, tametsi sensui gustus vinum esse videatur, non tamen vinum, sed sanguinem esse Christi. In Catechesi Mystag. 4. Edit. Paris. p. 237 el 285.

1Pag. 74.

2Le P. Ant. Toutée prouve que saint Cyrille était âgé de 37 ou de 38 ans lorsqu'il composa ses Catéchèses. Dissert. 1. Ed. Paris. p. 111.

1Recté ergo nunc quoque Dei verbo sanctificatum panem in Dei Verbi Corpus credo transmutari. In Orat. Cath. c. 37. Tom. 3. Edit. Paris. pag. 104.

2Quantis igitur utimur exemplis, ut probemus, non hoc esse, quod natura formavit, sed quod benedictio consecravit, majoremque vim esse benedictionis, quàm naturæ, quia benedictione etiam natura ipsa mutatur. Dixit, et facta sunt. Sermo ergo Christi, qui potuit ex nihilo facere quod non erat, non potest ea quæ sunt, in id mutare quod non erant?... et hoc quod conficimus Corpus ex Virgine est. Quid hic quæris naturæ ordinem in Christi corpore, cùm præter naturam sit ipse Dominus Jesus partus ex Virgine? Amb. Lib. de initiandis, c. 9. Tom. 2. Edit. Paris. pag. 338.

3Non sunt humanæ virtutis hæc opera ; qui tunc in illa cœna hæc confecit, ipse nunc quoque eadem operatur ; Ministrorum nos ordinem tenemus, qui verò hæc sanctificat et transmutat ipse est. Chrys. Hom. 85. in Matth. c. 26. T. 2. apud Hugonem, p. 145 -- 6.

4Ipse igitur naturarum Creator et Dominus, qui producit de terrâ panem, de pane rursus (quia et potest et promisit) efficit proprium Corpus. Gaud. Tract. 2. de ratione Sacram. Tom. 5. Bibl. Patr. apud Anisson. p. 945.

1Quomodo naturaliter per comestionem panis et vinum transmu tantur, sic et panis et vinum per invocationem et adventum Spiritus Sancti supernaturaliter transmutantur in Corpus et Sanguinem Christi. Damasc. de fide Orthod. L. 4. c. 14. Ed. Basil. p. 315.

2Legantur modo pontificiorum scripta adversus Lutheranos et Calvi nistas ; si præter sacras litteras illorum auctoritate sit standum, nobis omnibus causæ cedendum est. Faust. Socin. in Ep. ad Radecium, T. 1. Ed. 1656. p. 381.

3Cent. 4. c. 4. Typis Joan. Oporini. pag. 295.

4Cent. 5. c. 4. pag. 384.

5Cent. 8. c. 4. pag. 312.

1Quando sanctum Cibum, illudque incorruptum accipis epulum, tunc Dominus sub tectum tuum ingreditur, et tu ergo humilians temetipsum imitare hunc centurionem, et dicito, Domine, etc. In Hom. 5. in diversos novi Test. locos, T. 2. Froben. p. 518.

2Ad Altare cum fide procumbit, eum qui super ipso honoratur, cum ingenti clamore invocans ; Tò èn2 avtų tiμúμevov. În Orat. 2. Ed. Billii, 411.

3Sinistram velut sedem quamdam subjicias dextræ, quæ tantum Regem susceptura est, et concavá manu suscipe Corpus Christi dicens : Amen. Sanctificatis ergo diligenter oculis tam sancti Corporis contactu communica. Cave autem, ne quid inde excidat tibi: quod enim amittas, hoc tanquam ex proprio membro amiseris. Accede pronus adorationis in modum et venerationis dicens: Amen. In Catech. Myst. 5. Ed. Paris. apud Hier. Douard, p. 244.

4Suscepit enim de terrâ terram, quia caro de terrâ est, et de carne Mariæ carnem accepit, et quia în ipsâ carne hic ambulavit, et ipsam carnem nobis manducandam ad salutem dedit, nemo autem carnem manducat, nisi priùs adoravit, inventum est, quemadmodum adoretur tale scabellum pedum Domini, et non solùm non peccemus adorando, sed peccemus non adorando. In Ps. 98. T. 8. Edit. Froben. p. 1104.

5Cùm doceant summam impietatem et idololatriam esse adorare Eucharistiam, quod factum est ante ætatem Augustini et Cypriani, et ut est credendum ab ipsis traditum Apostolis, nonne damnant totam Ecclesiam? Erasm. Ep. ad fratres infer. Germ. Tom. 9. Edit. Petri Vander, pag. 1595.

1Genes. 41. 43.

12. Reg. 6. 15. Item, 1. Paral. 15. 95.

1L'auteur a écrit ces Lettres en 1730

1Conc. Rom. sub Nicolao II. Tom. 9. Edit. Labb. pag. 1011. Conc. Rom. sub Gregor. VII, Tom. 10. pag. 378. Conc. Rom. sub Innoc. III. Tom. 11. part. 1. pag. 143. Conc. Constantiense, Tom. 12. pag. 45. Conc. Florent. Tom. 13. pag. 573. Conc. Trid. Sess. 13, Can, 2.

2Matth. 25. 40.

1Hoc scientes quia Christus resurgens ex mortuis, jam non moritur. Rom. 6.6.

2Omnis Spiritus qui solvit Jesum ex Deo non est, et hic est Antichristus. Ep. 1. Joan. 4. 5.

11. Cor. 9. 27.

2Vero simillimum est Corpus Domini in sanctâ Eucharistia uti animatum, ita quoque sanguine suo præditum adesse et manducari. In disput. contra comm. sub unâ, Typis Jacobi Mulleri, p. 173.

3Notum fuit antiquitati, Christum ubicumque adest, totum et inte grum adesse, Corpus ejus non esse exangue, nec sanguinem extra Corpus. Exam. Conc. Trid. part. 2. T. 1. Edit. Francof. p. 244. n. 30.

4Non negamus quin totus Christus tam pane quam vino in Eucharistia ispensetur tamen docemus usum utriusque partis debere Ecclesiæ universum esse. In Confess. Wirtemb. Art. de Euchar. Vide Syntagma Confessionum editum Geneva sumptibus Petri Chovet, p. 116.

5Loquimur de præsentia vivi Christi; scimus enim, quod mors ei ultra non dominabitur. In art, 1. de Eucharist. Typis Scholvini, p. 158.

1Quomodo non turbati fuerunt, cùm hæc audissent? quia multa jam et magna de hoc antea disseruit. Hom. 85. in cap. 26. Matth. T. 2. apud Hugonem, p. 144.

2 Joannes autem de Corpore et Sanguine Domini hoc loco nihil dixit, sed planè alibi multò uberius hinc Dominum locutum esse testatur. L. 3. de Consensu Evang. C. 4. T. 4. Ed. Froben. p. 472.

3Chrys. in Joan. hom. 44. T. 3. apud Hugonem, p. 46.

4August. in Joan. T. 9. Ed. Froben. p. 230.

5Cyrill. Alex. in Joan. T. 4. Ed. Paris. p. 364.

6Theoph. in Joan. Ed. Colon. p. 170.

7Euthym. in Joan. T. 19. Bibl. Patr. apud Anisson. p. 686.

1Orig. Hom. 7. in num. T. 1. Ed. Froben. p. 215.

2Cypr. de orat. Domin. Ed Froben. p. 236.

3Hilar. lib. 8. de Trinit. Ed. Paris. p. 955.

4Basil. in Regul. Mor. cap. 21. Ed. Par. 1638. p. 551.

5Cyrill. Hieros. Cat. 4. Myst. Ed. Par. 1631. p. 237.

6Epiphan. Hær. 55. T. 2. Ed. Petavii, p. 472.

7Ambros. de iis qui myst. c. 8. T. 2. Ed. Paris. p. 337.

8Hieron. ad Hedibiam, T. 4. Ed. Martianai; p. 171.

9Leo, Serm. 6. de jejun. 7. Mensis, Ed. Quesnel, p. 175.

10Sedul. in c. 10. Cor. Biblioth. Patr. T. 8. apud Aniss. p. 544.

11Primas. in cap. 11. Cor. Bibl. Patr. T. 11. p. 189.

12Hesych. lib. 6. in vit. 22. Bibl. Patr. p. 147.

13Greg. lib. 7. moral. cap. 4. T. 1. Ed. Paris. p. 195.

14Bern. Serm. 1. de Pasch. T. 1. Ed. Mabill. p. 98.

15Nec dubium est Veteres omnes sic accepisse. Disput. contra Comm. sub una. N. 77. Ed. Helmstad. p. 144.

1Tanquam de re satis exposità per compendium sive synecdochice loquitur, et solum esum memorat. Disp. contra Com. sub unâ. Edit. Helustad, pag. 115.

11. Cor. 11. 27.

2Act. 2. 42, 46.

31. Cor. 10. 16.

4Citant et alios locos de fractione panis  ; quanquam autem non vâldè repugnamus, quominus aliqui de Sacramento accipiantur, tamen hoc non consequitur unam partem tantum datam esse, quia partis appellatione reliquum significatur communi consuetudine sermonis. Art. 10. de utrâque specie. Typis Christ. Scholvini, p. 234.

1Non, sciet maritus quid ante omnem cibum gustes, et si sciverit panem, non illum credit esse qui dicitur. Lib. 2. ad Uxorem, Edit. Froben. p. 332.

2Cum quædam Arcam suam, in qua Domini sanctum fuit, manibus indiguis tentasset aperire, igne indê surgente deterrita est, ne auderet attingere. Serm. de lapsis, Ed. Froben. p. 225.

2Ili omnes, qui per eremos vitam monasticam instituunt, ubí copia non suppetit sacerdotis, cum habeant domi communionem, de suis manibus illam percipiunt. Alexandriæ autem et per Ægyptum unusquisque etiam de plebe ut plurimum domi suæ communicat....... Nam cùm semel Sacerdos Sacrificium peragat et distribuat, qui suscipit illud integrum simul et quotidiè de illa parte sumpserit, quam à dante acceperat Sacerdote credere debet, etc. În Ep. ad Cæsariam, Tom. 3. Ed. Paris.' 1638, p. 279.

3Scio Romæ hanc esse consuetudinem, ut fideles semper Corpus Christi accipiant, quod nec reprehendo, nec probo, sed ipsorum conscientiam convenio ; qui eodem die post coitum communicant, quare ad Martyres ire non audent ? quare non ingrediuntur Ecclesias ? an alius in publico, alius in domo Christus est ? Quod in Ecclesia non licet, domi licet ? In Apol. pro libris contra Jovinianum, Tom. 4. Edit. Martianaï, parte 2. p. 239.

4Ne vacuus Mysterii exiret è vitâ, quos initiatos esse cognoverat, ab his divinum illud fidelium Sacramentum poposcit ut fidei suæ consequeretur auxilium ; etenim ligari fecit in orario, et orarium involvit collo, atque ita se dejecit in mare non requirens de navis compage resolutâ tabulam, cui supernatans juvaretur, quoniam fidei solius arma quæsierat. De obitu Satyri, T. 2. Ed. Paris. p. 143.

1Cum in solemnibus Ecclesiæ cœtibus utraque pars Sacramenti exhiberetur, videntur aliqui è calice bibisse, panem verò manu acceptum şivi servasse, ut hoc sumpto sacrum epulum domi instaurarent sive ab solverent.... Cum pars esset Sacramenti in Ecclesià sumpti, ejus appen dix haberi poterat, et parti, quæ haud ita pridem sumpta erat, postli minio addita unum tandem et integrum Sacramentum conficere. In Disp. contra Com, sub unâ. Ed. Helmstad, p. 88.

1Quod quidem cum Ecclesia lerasset, posteà tamen decretis satis severis prohibuit. In disp. contra Comm. Ed. Helmestad, p. 145.

2Quid domi et privatim sive quâdam necessitate, sive superstitione inducti nonnulli fecerint, sit tamen fecerint, nos anxiè non discutimus cum nostræ causæ præjudicare nequeat  ; p. 235.

1Exiguam Eucharistiæ partem puero tradidit, jubens ut in aquâ intinctam seni os instillaret. Redit igitur puer buccellam afferens...... buccellam intinxit, et in os senis infudit, qui eâ paulatim absorptà continuò animam exhalavit. Euseb. 1. 6. c. 44. ex versione Valesii. Ed. Paris. Ant. Vitré, p. 246.

2In examin. Cone. Trident. part. 2. de Comm. sub utrâque specie. Ed. Francof. p. 235. N. 50.

1Cap. 2. T. 6. Conc. Labb. p. 565.

2De Ecclesiæ Græcæ hodierno statu, p. 107, 108.

3Honoratus Sacerdos Ecclesiæ Vercellensis, cùm in superiori domo se ad quietem composuisset, tertiò vocem vocantis se audivit, dicentisque sibi: Surge, festina, quia modò est recessurus : qui descendens obtulit Sancto Domini Corpus ; quod ubi accepit, emisit spiritum. Ed. Froben. in vita S. Amb. p. 12.

1Notum est talia per synecdochen dici: usitatum enim est à parte totum denominare. Disps contra Comm. sub unâ. N. 162. Ed. Helmst. bag. 231.

2Ut Corpus Domini in Altari non imaginario ordine, sed sub crucis titulo componatur. Can. 3. T. 5. Conc. Labb. p. 853.

1Acceptâ Turre Diaconus, in quâ mysterium Dominici Corporis ha→ bebatur, etc. De gloriâ Martyrum, lib. 1. cap. 86. Edit. Paris. apud Franc. Muguet, p. 818.

2Similiter et Amalario Presbytero columbam argenteam ad reposito rium. T. 5. Spicilegii D. Lucæ d'Acheri, p. 106.

3Cùm panem divisisset in tres partes, tertiam in columbâ aureâ depositam desuper sacrum Altare suspendit. Bolland. Tom. 2. junii, p. 943. N. 31.

4Tertiam verò partem imponens columbæ aureæ pependit super Altare. Ænæas adversus Græcos Spicileg. Lucæ D. Acheri. T. 7. p. 81.

5Actione 5, in libello supplici Clericorum et Monachorum Antioch. contra Severum. T. 5. Conc. Labb. p. 159.

6Tunc Pontifex rumpit oblatam ex latere dextero, et particulam, quam ruperit, super Altare relinquit. Edit. Colon. cap. 3 et 4. Item pag. 18.

7Tertiam particulam in Altari servatam Viaticum morientium appellare solemus. Cap. 17. in compilatione librorum de divinis officiis. Ed. Col. pag. 443.

8Super Altare nihil ponatur nisi capsæ cum reliquiis sanctorum, aut fortè 4. sancta Dei Evangelia, aut pyxis cum corpore Domini ad Viaticum pro infirmis. In Homil, ad Parochos. T. 8. Conc. Labb. p. 34.

1Si habeat pyxidem ubi congruè possit recondi sacra oblatio reservanda ad Viaticum infirmis. In Capitulis, quibus de rebus Decani per singulas Ecclesias inquirere debeant. Conc. Gall. Jul. Sirmundi, T. 3. pag. 623.

2T. 5. Spicileg. D. Lucæ Dacheri, p. 621.

3Cujus cinis tanta veneratione colligebatur, atque custodiebatur, ut Christiana religiositas Corpus Christi custodire solet ægris dandum de hoc sæculo exitaris ad Viaticum. In Gestis Synod. Aurelianis. Tom. 2, Spicileg. pag. 673.

4T. 2. Bibl. Patr. apud Anissonios, parte 2. p. 32.

5Ep. 95. ad Rusticum. Tom. 4. Edit. Martianai, part. 2. p. 778.

1Cùm ad tegendam infidelitatem suam nostris audeant interesse mysteriis, ita in Sacramentorum communione se temperant ut interdum tutius lateant, ore indigno Christi Corpus accipiunt, Sanguinem autem redemptionis nostræ haurire omninò declinant. Serm. 4. de Quadrag. Ed. Quesnel, p. 106.

2Nam et vinum non bibunt, dicentes esse fel principum tenebrarum. lær. 46. T. 6. Ed. Froben. p. 22.

3Sanguinem haurire omninò declinant. Serm. 4. de Quad. Edit. Quesnel, p. 106.

1Sozom. lib. 8. c. 5. Edit, Val. Mogunt. p. 7. 64. Niceph. lib. 13. c. 7. Typis Oporini, p. 668.

2Dico enim fœminam istam quâ potuit, catholicis illudere voluisse. N. 153. contra Comm. sub unâ, p. 223.

3In hac die Sacramenta penitùs non celebrantur. Raban. Maur. I. 2. instit. Cleric. apud Hittorpium. Ed. Colon. p. 345. Item Amalarius, lib. 1. de Off. Eccles. c. 15. apud eundem, p. 129.

4Omnes communicant cum silentio. Raban, et Amalar. loco citato. Item Ordo Rom. in die Parasc. p. 67. Alcuinus, lib. de divin. Off. apud Пittorp. p. 59.

5Ibidem.

6Quæritur quare hac die non sumatur Sanguis Christi sicut et Caro Christi  ? ad quod dico, quod utrumque sub utrâque specie sumitur  ; sed quia species vini labilis non potest tuto reservari, sine ea Corpus Christi reservari constitutum est. Tom. 3. Erudit. Theol. lib. 3. c. 20. Moguntiæ apud Ant. Hierat. p. 289.

1Quod non oportet in Quadragesimâ panem offerre nisi Sabbato et solis Dominicis. Can. 49. T. 1. Conc. Labb. p. 1506.

2Sit in omnibus sanctæ Quadragesima jejunii diebus, præterquam Sabbato et Dominicâ et sancto Annuntiationis die, sacrum præsanctificaturum Ministerium. Can. 52. T. 6. Conc. Labb. p. 1165.

1Perstitit tamen Diaconus, et reluctanti licèt de Sacramento Calicis infudit: tunc sequitur singultus et vomitus ; in corpore atque ore violato Eucharistia permanere non potuit, sanctificatus in Sanguine Domini potus de pollutis visceribus erupit  ; tanta est potestas Domini, tanta Majestas. Serm. de Lapsis. Ed. Froben. p. 225.

1Vetus consuetudo Constantinopoli est, ut ubi multæ admodum particulæ immaculati Corporis Christi Dei nostri superfuerint, pueri impuberes ex iis, qui scholas frequentant, accersantur, iisque absumendæ dentur. L. 4. c. 36. Ed. Froben. p. 785.

1Joan, 20. 23.

2Matth. 26. 31, 36. 43

1Matthieu 26 27

2Marc 14 23

1Jean 6. 50. 52.

11. Cor. 11. 25.

2Matthæus refert, non de pane Christum dixisse: Manducate ex hoc omnes, sed de Calice: Bibite ex hoc omnes, universitatis notam ad calicem non ad panem ponens  ; quasi spiritus futurum hoc schisma præviderit, quod calicis communionem prohiberet aliquibus, quem Christus omnibus voluerit essecommunem. Lib. de capt. Babyl. de cœna Domini, T. 2. Ed. Jen. Lat. apud Christ. Rhodium, p. 275. A.

1Actes 15 28,29

1Colossiens 2 16

2Luc 10 8

3Actes 10. 41.

4Joan. 13. 8.

1Jean 13 15

2Ibid. 17

3Jean. 6. 54.

2Art. 22. Conf. Aug. in lib. Concord. Edit. Tubing. Anu. 1580, pag. 98 B

3Matth. 5. 6.

4Joan. 6. 39

5Eccli. 24. 29.

1Art. 22.

1Ista consuetudo spontaneâ Populi Christiani voluntate et assensu irrepsit, et sic abolita est communio utriusque speciei. In disput. contra Comm. sub unà. Edit. Helmstad. p. 264.

2Luc. 24. 30

3Allegant locos, in quibus fit mentio, panis, ut apud Lucam ubi scriptum est, quod Discipuli agnoverint Christum in fractione panis ; quanquam autem non valde repugnamus, quominus aliqui de Sacramento accipiantur, tamen hoc non consequitur, unam partem tantum datam quia partis appellatione reliquum significatur communi consuetudine sermonis. Apol. Art. 10. Typis Scholvini, p. 234.

1Consepulti enim sumus cum illo per Baptismum in mortem, ut quomodo Christus surrexit à mortuis, ita et nos in novitate vitæ ambulemus. Rom. 6. 4.

2Baptizo græcè, mergo latinè et Baptisma mersio est. De capt. Babylon. de Sacram. Bapt. T. 1. Edit. Jenen. latinæ, p. 286.

3Baptismus nihil aliud est, quam verbum Dei cum mersione in aquam secundùm ipsius institutionem et mandatum, Art, Smalcald tit. de Baptismo, Typis Scholvini, p. 329.

1Fleury, T. 18. p. 608

11. Cor. 9.23.

2In quâ nocte tradebatur, accepit panem, 1. Cor. 11.23.

1Institutionem et mandatum eatenus æquipollere affirmamus. N. 165. Edit. Helmst. p. 235.

2Nemo non videt discrimen inter hæc duo: Salvator vesperi instituit Eucharistiam, Salvator instituit, ut vesperi celebretur Eucharistia. N. 188. p. 267.

1Unde cum hujusmodi consuetudo ab Ecclesià et sanctis Patribus rationabiliter introducta et diutissimè observata sit, habenda est pro lege, quam non licet reprobare, aut sine Ecclesiæ auctoritate pro libitu mutare. Sess. 13. T. 12. Conc. Labb. p. 100.

2Adeo flagitiosa est illa clausula, hoc non obstante, ut jam ipsos Pontificios pudeat. De Com. sub utraque, etc. T. 1. Ed. Francof. parte 2. p. 201. N. 30.

3Licet Christus post cœnam instituerit, et suis discipulis administraverit sub utraque specie panis et vini hoc venerabile Sacramentum, tamen hoc non obstante sacrorum Canonum auctoritas, laudabilis et approbata consuetudo Ecclesiæ servavit et servat, quod hujusmodi Sacramentum non debet confici post cœnam, neque à fidelibus recipi non jejuni, nisi in casu infirmitatis, aut alterius necessitatis. Sess. 13. T. 12. Conc. Labb. p. 100

1Qui Eucharistiam sub utraque administrat, quia aliter agit quàm Pontifex constituit, ideò peccat. Qui Eucharistiam sub utraque administrat, agit quemadmodum Christus instituit. Ergo aliquis, qui agit quemadmodum Christus instituit, ideò, quia aliter agit quam Pontifex constituit, peccat. Disput. contra Comm. sub unâ. Edit, Helmst. N. 94. pag. 125.

1Tom. 2. Epist. Luth. ad Casp. Guttol. Epist. 56

2Tom. 2. Ed. germ. Jen. apud Christ. Rodinger. p. 100. b.

3Sequenti anno 1523. editi sunt Hagenoa Loci communes Philippi Melanchthonis, in quibus communionem sub unâ inter res medias et in arbitrio nostro positas numerat, Calixt. in disp. contra Comm. sub unâ. N. 199. 285.

1Tom. 4. Ed. Jen. germ. apud Donat. Ritzenhain, p. 341. a.

2Tom. 3. Ed. Jen. germ. 1560. p. 247. b.

3Auctoribus reformationis, ad quam instituendam alienâ potiùs violentiâ compulsi, quàm sua sponte et præmeditato diù consilio accesserunt, sub initia ejus haud satis promptum fuit necessitatem præcepti videre et agnoscere, inolitamque consuetudiuem penitùs rejicere.... Cum tenebris gradatim emergerent, ad primam lucis stricturam animadvertebant licitam esse communionem utriusque speciei: deindè verò ex præcepto Christi necessariam quoque esse intellexerunt, N. 199. p. 285, 286.

1Fideles integrum et perfectum sumunt Sacramentum, nec tamen sumunt nisi sub alterâ specie tantum. Quæst. 10. de Sacram. Euchar. Art. 1. Ed. Colon. p. 234.

2Inhibemus, ne quis quasi pro complemento communionis intinctam alicui Eucharistiam tradat. Can. 16. Tom. 12. Conc. Labb. pag. 1466.

1Cum hujusmodi contuetudo diutissimè observata sit. Sess. 13. T. 12. Conc. Labb. p. 100.

2N. 170. p. 242

3Ibidem.

1Nos quidem ecclesiam excusamus, quæ hanc injuriam pertulit, cùm utraque pars ei contingere non posset, etc.

2Tom. 6. Ed. Jen. germ. p. 91.

3Art. 22. Conf. Aug. in lib. Conc. Edit. Tubing. 1580, p. 9, b

1Durantus de ritib. Eccl. cathol. Id. de rit. divin. offic.

1Liturgie de l'Église anglicane, imprimée à Londres, avec approbation et privilége.

2Joan. 17: Act. 4. Philip. 2. Ephes. 4.

3Act. 19. 2.

4Matth. 22. 15.

1M. Claude, Défens. de sa Réform. c. 5.

2Les conformités des cérémonies modernes avec les anciennes, pag. 234 et 255.

3Psalm. 113. 1. al. 9.

1Matth. 10. 16.

2Rom. 16. 18.

32. Cor. 1. 12.

4Matth. 11. 23.

5Petr. 5. 5.

6Ephes. 4 1

71 Pierre 3 3

8S. Cyril. Cateches. 24.

1S. Amb. lib. 1. Offic. c. 21.

2S. Greg. Naz. Or. 11. in laudem Gorgon.

3S. Hieron. Epist. 3. ad Heliodor.

4S. Hieron. Ep. 11. à Népotian. Ep. 8. à Demetriade. Ep. 12. à Gaud.

5S. Stephanus, papa et mart. Epist. 1. ad Hilarium.

1Hieron. lib. 3. comment. in cap. 44. Ezech.

2Hieron. lib. advers. Pelag. et Ep. 3. ad Heliodorum, et alibi.

3Sigebertus, ad annum Domini, p. 795.

4Exod. 23. Levit. 14. Num. 8. Zachar. 4.

5Apocalyp. 1. 20.

6Aug. Serm. 17. in Dedic. Eccles. ad fin. Tom. 10.

7Aug. serm. 215. de temp.

8Chrys. de occursu Domin. el Simeon.

9Chrys. Homil. 6. ad pop. Antiochi.

1Iren. lib.3 c.20

2Cypr. Serm. de Stella et Magis

3Hilar. Can. 1 in Matth.

4Ambros. Lib. 2 ad cap.2 Lucae

5Leo papa Serm. De Epiph. Et alii Patres

6Apoc. 8 3 1

1Matth. 26. 8, 9. Marc. c. 14. 4, 5.

1Matth. 26, 10. 13. Marc. 14. 6, 9.

2Ps. 148.

1Cant. 1.5.

2Psal. 44. 40.

3S. Hieron. in cap. 8. Zachar.

1Exod. 20. 24.

2Act. 8. 12. 20.

3Damasc. lib. Pontif. c. 6. Strabo de Reb. Ecclesiast. Tertul. lib. de pudic. Hieron. ad Rustic. Mon.

41. Par. 22. 9.

1Par. 3. 14.

2Baron. T. 3. c. 1.

3Matth. 8. 20.

4Euseb. lib. 10. cap. 3.

1Galat. c. 5. 11.

1Hébreux 7 18

2Hébreux 10 1

3Romains 8 2 3

4Jean 7 19

5Romains 3 20

6Galates 3 10

7Deutéronome 18 15 Lévitique 26

1Galates 3 13

2Jean 5 et 8

31 Timothée 2

1Matth. 5. 17. 20.

1Tertul. de Pudicit : Libertas in Christo non fecit innocentiæ injuriam : manet lex tota pietatis.

2Major nunc virtus ostendenda est, quia nunc multa spiritus esfusa est gratia. Chrysost. de Virginit.

3Intentiora facit hic Christus legis præcepta. Iren. lib. 4. c. 26.

41. Rom. 6. 4. 7. 6.

5Gal. c. 3.

6Matt. 11. 29. 30.

1M. Claude, Défens. de la réform. p. 17.

1Cérémonies et coutumes des Juifs, traduit de l'italien, de Léon de Modène, rabbin de Venise, par le sieur de Simonville, ch. 1, p. 2.

1Deuter. 12. 5. 6.

2Levit. 27. N. 18.

3S.Léon, Sermon 4 N.4 de Quadrag.

41 Corinthiens 9 27

5Matthieu 9 15 ; Marc 11 19 20

1Concil. Lateran. Can. omnis utriusque, de Pœniten. et remis.

1Tristis esto antequam confitearis ; confessus exulta, sanaberis. S. Aug. in Psal. 66.

2Confitentis conscientiæ saniem collegerat ; apostema tumucrat, requiescere, non sinebat confitere. Exeat, in confessione defluat, omnis sanies ; jam exulta, jam lætare. Id. eod. loco.

3Luc. 14. 15. 24.

11 Corinthiens 7 5

2Ibid. 35

3Gen. 34. N. 21, 8. Jos. v. 8.

4Joan. 4, 21. 23.

1M. Claude, Défense de la Réform. p. 17.

2M. Drelinc., Abrég. des Contr. pag. 75.

3Les Confor. de Cérém. Pag. 149.

4Joan. 4. 19, 20.

5Rom. 12. 1.

11. Cor. c. 11.

2Ephes. 1. 16.

3Notes des sieurs Desmarets dans l'édition de leur Bible, sur la version de Genève, imprimée à Amsterdam en 1669.

4Bonav. 11. v. 10.

5Bibles des sieurs Desmarets

61 Corinthiens 11 38

1Ibid. 11 22

2Conformité des cérémonies modernes avec les anciennes. Ch. pag. 148.

31. Tim. 2. 8.

4Matth. c. 18. 19.

5Matth. 18. 20.

1Basil, in Exhortat, ad baptismum et pœnitentiam.

2Basil. hom. in Psal. 28.

3Et domi quidem orari potest : sic autem ut in ecclesia non potest. Chrysost. hom. 9. ad pop. Antioc. Orare domi possumus, aiunt : te homo decipis, et magno in errore versaris : nam et si domi orandi datur facultas, tamen fieri non potest ; ut domi tam benè ores quàm in ecclesia. Homil. 3. de imcompr. Dei natura. Hom. 24. in Act. Apost.

4Euseb. lib. 11. Hist. Eccles. cap. 26.

5Niceph. lib. 2. 35, 39, 40, 41, 42.

6August. de Eccles. dogm. cap. 73. et lib. 20. contra Faustum.

7Ambros. lib. 1. Ep. 5. ad Festum.

8Hieron, in Epitaphia Paula, epist. 27. et in Comment, ad Ep. ad Galat.

1Dasilicas eorum nominibus appellatas velut loca sancta divino cultui mancipata affectu piissimo, et devotione fidelissima, adeundas credimus. Si quis contra hanc sententiam fecerit, non Christianus, sed Eunomianus, et Vigilantianus creditur. August. Eccl. dogm. c. 73.

2August. lib. S. de Civit. Dei. cap. 27.

1Luc. 12. 48.

1Matth. 21. 13. Joan. 2. 16.

1August. de Eccles. dogm. cap. 75.

2Hieron. Ep. 6. et in Præf. in Oseam, in Apolog. in Ruffin

1Louis XIV.

2Conformité des cérémonies anciennes et modernes, p. 148.

1Défense de la réformation, c. 3. p. 17.

2Pag. 2 et 3.

1Plat. in vitæ Gregor. I.

2Polid. Virgil. 1. 5. c. 1.

3Act. Apost. 13.

11 Corinthiens 10 14

21 Jean 5 21

3Les Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes, pag. 7 et 8.

1Ezech. 18. 23

1Louis XIV.

1Matth. 28 19

2Rhenan. in Tertul. lib. de Coron. Mil.

1Lib. de Coron, mil.

2Tertul. de Orat.

3I. Cor. 14. 16. 17.

11. Cor. 12. 1.

2Ibid. 8.

3Ibid. 10.

4Ibid. 30

51 Corinthiens 14 1-3

6Ibid. 5

7Ibid. 12 13

1Ibid. 16

21 Corinthiens 26-28

3Ibid. 39-40

1Rom. 12. 5.

21. Cor. 1. 10.

3Joan. 10. 3. 4.

2Chrysost. Homil. 7. ad pop. Antioch.

3Basil. Ep. 68.

4Ambros. lib. de Pœnit.

5Tertul. In Apolog. c. 39.

61. Cor. 14. 22.

7Ib. 23.

1L'auteur écrivait à la fin du XVIIIe siècle.

11. Cor. 11. 16.

2Act. 2. 46.

3Ibid.

4Ambr. 1. 5. de Sacram.

5Bertram. Presbyt. de Corpore et Sang. Dom. p. 3. 11.3.

1Luc 11 3

2Luc. 22. 19.

31. Cor. 2. 2.

41. Cor. 11. 16.

5Proverbes 24 16

11 Corinthiens 11 26

2Psalm. 41. 8.

1Hebr. 10. 20.

21. Cor. 15 54

3Chrysost. 1. 6. de Sacerd.

4Chrys Homil. 14. in priorem ad Corinthios.

5Synod. Nic. Can. 15.

6Conc. Aurelian, 5. Can. 24. Syn. Vvorm. in lib. 6. c. 161. el apud Burchard. lib. 5. cap. 10. Syn. Rhem. Can. 2.

7Paulin. in Vita Ambros.

1Niceph. I. 13. c. 37.

2Grég. Hom. 40. in Evan. et 1. 4. Dialog. c. 5.

3Luc. 2. 30.

4Grég. Naz. in laudem Gorgonia.

5Euseb. 1, 6. cap. 38.

11. Act. 2. 1–38.

2Id. 19. 1-6.

1Act. 8. 14-17.

2Act. 18. 23.

3Dionys. Areopag. de Eccl. Hierar.

1lib. 3. de Sacram. Cap. 2.

2Clément. Ep. 40.

3Cypr. Ep. 72. ad Jubaian.

4Hieron. adv. Luciferian.

5Luc. 24. 49.

6Joan. 16. 7.

7Id. 7. 39.

1Dionys. Areopag. de Eccles. Hierar. Ambros. lib. 3. de Sacram. cap. 2. Cyprian. de Unctione Chrismatis. Ivo Ep. 3. Optat. Milevit. lib. 2. August. lib. 2. contra litt. Petetianor. Clem. Ep. 4. Gregor. c. 1. Cantic. Syn. Laodic. Can. 48. Conc. Carthagin. 2. Can. 4. Carthag. 3. Can. 36. Carthag. 4. Can. 36.

2Matthieu 26 56

3Ibid. 35

4Ibid. 58

5Luc 24 49

6Actes 1 8

7Actes 2 4 et ss.

1Act. 2. 14.

2Act. 5. 32.

1Jacob. 5. 14, 15.

2Marc. c. 6. 12, 15.

1Tertul. in lib. ad Scapulam.

2Hieron, in Vita Hilarionis.

3Pallad. cap. 30. Theod. cap. 21.

4Marc. cap. ult, 18.

1Matth. 19. 29.

2Ego sic roges de te et pro te fieri, sicut dixit Apostolus Jacobus, immo per Apostolum suum Dominus. August. lib. 2. De Visitatione infirm. cap. 4.

3Ipsa videlicet olei sacrati delibutio intelligitur Spiritus Sancti typicalis unctio. Id. Ibid.

4Quoties aliqua infirmitas occurrerit alicui, non querantur peccatores, et oleumque benedictum fideliter ab Ecclesia petat, unde corpus suum ungatur; et secundùm Apostolum, oratio fidei salvabit infirmum, et alleviabit eum Dominus; non solùm corporis, sed et animæ sanitatem accipiet. Idem, De Rectudine catholicæ conversationis.

1Infirmatur aliquis? Inducat presbyteros, etc. Videte, fratres quia qui in infirmitate ad Ecclesiam cucurrerit, et corporis sanitatem recipere, et peccatorum iudulgentiam merebitur obtinere. August. Serm. 115. de Temp.

2Sacerdotes non solùm cùm nos regenerant, sed etiam posteà condonandorum nobis peccatorum facultatem obtinent. Infirmatur inter vos aliquis; accersat presbyteros Ecclesiæ, etc. Chrysosth. lib. 3. de Sacerdot.

3Ut presbyter in ampulla ferat oleum ad unguendum infirmos. Carol, Mag. l. 1. c. 56. de Legib. Franc.

4Secundùm sancti Jacobi documentum, cui etiam decreta Patrum consonant infirmi oleo, quod ab episcopis benedicitur, à presbyteris unge debeut. Sic enim ait : Infirmatur quis in vobis, etc. Et, paulò post: Non est itaque parvipendenda hujusmodi medicina, quæ animæ et corporis medetur languoribus. Synod. Cabylon. temp. Carol. Mag. c. 48.

5Effectus Sacramenti Extremæ Unctionis est mentis sanatio; in quantum autem expedit ipsius quoque corporis. Synod. Florent. cap. du Sacrament.

1Abdias. l. 1. Historia de sancto Petro. Egesip. 1. 3. Excidii Hyerosolym. c. 2. Chrysost. in Encomio apostol. Petri et Pauli.

2Hieronym. De Viris illustribus.

3Theodoret, in Poenit, Burchard, 1, 1. c. 5, Ivo pari. 12, c. 62, Gratian. Can. qui pejerat. quæst. 5. Anselm. I. 11. c. 64.

4Cyrill. Hyerosolymit. 1. 6. adversus Julian.

5Justin Novella de Monachis, §. 1. Figens in eo salutis nostræ signum.

6Euseb. de Vit. Constant. lib. 1. cap. 20, 21, 22 et 23.

7Sozom. lib. 1. Hist. Eccles. cap. 40.

8Niceph. 1. 7. c. 57.

9Cassiod. 1. 3. Tripart. c.4

10Onuph. 1. 2. Fasto. Prud. contra Symmachum, et alii. Cassiod. 1. 6. Tripart. c. 30. Eutrop. l. 11. Gregor. Naz. orat. 3.

11Euseb. 1. 9. C. 8.

12Niceph. 1. 2. c. 30.

1Vexilla militum Crucis insignia sunt, regum purpuras, et ardentes diadematum gemmas patibuli salutaris pictura condecorat. Hieron. Ep. 7. ad Lætam.

2Plaut. in milit. glorio. Horat. Satyr. 1. Cicer. 1. 3 et 5. in Ver. Senec. 1. 1. de Clem. - Valer. Max. 1. 2. c. 2 et l. 8. c. 4.

3August. de Verb. Serm. 18.

4August. Homil. 3. in Joannem,

5Tertul. de Corona mil.

6Basil. lib. de Spiritu Sancto. cap. 22.

1Just. mart. quæst. et resp. ad orthod. quæst. 118.

2Cypr. de Bap. Christi.

3Ambr. Serm. 43.

4Ambros: lib. de Anima. c. 8.

5Lact, Firm, lib. 4. Instit. divin, ç. 26 et 27.

6Zonar. 1.3. Annal.

7Euseb. in Vit, Const. 1, 1

8Hippol. 1. περὶ συντελέσεως τοῦ κόσμου.

9Cyr. Hier. Catech. 4.

10Epiph. in hær. Ebionit.

11Athan, lib. de Incar. Verb. --Gregorii Thaumatur.

12Greg. Niss. 1. de Vita beati

13Greg. Naz. orat. 19.

14Hieron. Ep. ad Demes. et Ep. 22, ad Eustoc. et Ep. 27. ad eumd.

15Chrysost. dans les Homélies faites sur la célébration de la croix du Seigneur, et encore dans une dont l'argument est de la vénération de la croix, où il dit formellement que les chrétiens ne se mettaient point à table, et ne se couchaient point, sans avoir fait sur leur front le signe de la croix, et en plusieurs autres endroits de ses ouvrages.

16August. tom. 4. de catechisandis rudibus c. 20. et t. 5. lib. 22. cap. 8. de Çivit. Dei. et tom. 6. lib. de Eccles. et Synag. et tom. 8. in Psalm. 36. Serm. 2. v. 17. et in Psalm. 141. et tom. 9. lib. 11. in Joan. et lib. 53. v. ult. et tom. 10. Serm. 15 in hæc verba : Absit gloriari, nisi in cruce. Et au même tome en plusieurs autres endroits.

1Adjicitur enim super crucem quædam hominis inibi patientis imago, per quod salutifera Jesu-Christi nobis renovatur Passio. August. lib. de Visit. infirm. c. 2 et 3.

2Matth. 4.

1Actes 5

2Id. 9.

3Apoc. 6.9.

4Videte autem, quem locum martyres apud homines mereantur, qui apud Deum locum sub altari meruerunt : dicit enim Scriptura sacra Vidi, etc. Ang. Serm. 11. de Sanct.

5Recté sub altari justorum animæ requiescunt, quia super altare corpus Domini offertur. Id. Ibid.

6Adhuc amplius agendæ sunt gratiæ Deo nostro : hanc enim ecclesiam, quam fecit nomini suo construi, fecit etiam sanctorum martyrum reliquiis amplius honorari. Augustinus Serm. 256.

7Ambros. Serm. 92.

1Honoramus reliquias martyrum, ut eum, cujus sunt martyres adohonoramus servos ut honor servorum redundet ad Dominum, qui ait: Qui vos suscipit, me suscipit. Hier. Ep. 55. ad Riper.

1Greg. lib. 7. Ep. 109. ad Serenum Episcop. Massiliensem.

2Basil, de Quadrag. Mart.

3Matth. 6. 2.

1Num. 19.

2Exod. 30.

3Ovid. lib. 9. Metam. de Alcmeone.

4Virgil. lib. 6. Æneid.

1Act. 21. 26.

2Act. 15. 41.

32. Joan. 12. 3. Id. 15 et 14.

41. Cor. 11. 54.

5Alexand. papa quintus à Petro, Ep. 1. Aquam, de consecrat. dist. 3. Damasus 1. Pontif. c. 7. Raban. 1. 2. de Institut. Cleric. c. 55 – Vvalf Strab. De reb. Eccl. c.29 – Ep. t.11 l.1 in haeres Ebionit. - Hier. In Vital Hilar – Greg. l.1 dial. c.10 de Fortunat

1Romains 11 5

21 Corinthiens 11 17-34

1Actes 18 20 et 21

2Actes 20 16

31 Corinthiens 15 8

4Luc. 1. 48

1Luc. 18. 1.

2Beda in Libell. de med. Pass. Christi per septem diei hor. - Isidor. lib. 1. de Eccles. Off.- Rab. Maur. de inst. Cler. Rupert, de divinis Officiis. - Basil. 1; de Inst. Monac. - Ambros. 1. 7. in Lucam. - Hier in Exposit. Psal. 118 – Cypr Ador. Domini circa finem. - Aug. l. 2 De civit. Dei c. 31. - Conc. Agat. Et Nannet. Can. Presb. Distinct. 91 et cap. De celeb. Missae. - Conc. Cabylonens. 2 c. 59

3Hébreux 13 17

4Psalm. 118 164

5Ambros. Lib. 3 de Virg.

6Proverbes 24 16

7Isz. 11 Jos. 6 Lévit. 4 et 16 etc.

1Basil. homil. 11. in Hexamet, divini Officii.

2Gregor. Naz. orat. 44. in Sanct. Pent.

3Aug. 1. 11. de Civit. Dei. c. 31. et lib. 1. de Gen, contra Manich.

4Hieron. Ep. de celeb. Paschæ, et lib. 6. comm. in Jerem, c. 32. lib, 7. comm. et in Is. c. 22. et lib. 2. comm. in Amos c. 5.

5Ambros. in Psalm. 118, Serm. 19.

6Chrysost. homil. 42, ad pop. Antiochen. et Homil. 26. in Act, Ap.

1Id. Ibid.

2Cyprian. de orat. Dom. ad finem.

3Hieron. Ep. 8. ad Labian. c. 5.

4Luc. 11. 5-10.

5Plin. Sec. lib. 10. Ep. 45.

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