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Jean-Jacques Scheffmacher, Joan-Jakob Scheffmacher,
Titre original : Lettres d'un Docteur Allemand de l'Université Catholique de Strasbourg à un Gentil-Homme protestant, sur les Six obstacles au Salut, qui se rencontrent dans la Religion Luthérienne
Table des matières
TRAITÉ DU CULTE DES RELIQUES 4
Article 1 : Preuves tirées de l'Écriture sainte, pour établir le culte des reliques. 5
Article 1er : Le culte des images prouvé et autorisé par l'Écriture sainte. 23
Article 2 : Le culte des images établi et prouvé par la pratique constante de l'Église. 35
Article 3 : Le culte des images prouvé par de solides raisons théologiques. 50
DIXIÈME LETTRE : SUR L'INVOCATION DES SAINTS. 57
1ère proposition : L'INVOCATION DES SAINTS EST FONDÉE SUR L'USAGE UNIVERSEL DES CHRÉTIENS DE TOUS LES TEMPS. 58
2ème proposition : LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR LES MINISTRES CONTRE L'INVOCATION DES SAINTS SONT AUSSI VAINES QUE TÉMÉRAIRES. 71
3ème proposition : LA VÉRITABLE SOURCE DE L'USAGE D'INVOQUER LES SAINTS EST LA TRADITION APOSTOLIQUE, DONT IL SE TROUVE UN FONDEMENT SUFFISANT DANS L'ÉCRITURE. 84
4ème proposition : DIEU S'EST EXPLIQUÉ HAUTEMENT EN FAVEUR DE L'INVOCATION DES SAINTS PAR LA VOIE DES MIRACLES. 89
ONZIÈME LETTRE : SUR LA PRIÈRE POUR LES MORTS, ET SUR LE PURGATOIRE. 99
1ère proposition : LA PRIÈRE POUR LES MORTS EST TROP AUTORISÉE POUR POUVOIR ÊTRE REJETÉE. 101
2ème proposition : RIEN N'EST PLUS PROPRE A PROUVER LA VÉRITÉ DU PURGATOIRE QUE LA PRIÈRE POUR LES MORTS. 110
3ème proposition : LA PRIÈRE POUR LES MORTS NOUS AUTORISE A CITER POUR LE PURGATOIRE LES PASSAGES QUE NOUS CITONS ET A LES ENTENDRE COMME NOUS LES ENTENDONS. 121
1ère PREUVE TIRÉE DU PASSAGE DE SAINT PAUL, 1. Cor. 3. 15. 121
2ème PREUVE TIRÉE DU PASSAGE DE SAINT MATTHIEU, 12. 32. 123
3ème PREUVE TIRÉE DU PASSAGE DE SAINT LUC, 12.59. 124
4ème PREUVE TIRÉE DU PASSAGE DE L'APOCALYPSE, 21. 27. 127
5ème PREUVE TIRÉE DU PASSAGE DES ACTES DES APÔTRES, 2. 24. 128
6ème PREUVE TIRÉE DE L’ÉPÎTRE AUX PHILIPPIENS 128
DOUZIÈME LETTRE : SUR LA JUSTIFICATION DU PÉCHEUR. 142
1ère proposition : LA DOCTRINE DE LUTHER TOUCHANT LA JUSTIFICATION, N'EST NULLEMENT CELLE DE SAINT PAUL. 148
2ème proposition : LA DOCTRINE DE LUTHER N'A AUCUN AVANTAGE SUR LA NÔTRE POUR RELEVER LA GLOIRE DES MÉRITES DE JÉSUS-CHRIST. 161
3ème proposition : L'EFFET NATUREL DE LA DOCTRINE DE LUTHER EST DE FOMENTER LE RELÂCHEMENT ET LA CORRUPTION. 171
§ 1. Réfutation générale de l'Anonyme. 187
Article 1. Exposé de la question sur les Indulgences. 248
Article 4. Du trésor qui sert de fondement aux Indulgences. 258
Article 5. Réponse aux objections contre le dogme des Indulgences. 263
Par M. Vicaise, curé de Saint-Pierre, à Caen
Si je pouvais me flatter que, dociles à la grâce, vous fussiez enfin revenus de vos préventions et de vos préjugés contre le dogme du culte et de l'invocation des Saints, il me serait aisé de vous ramener pareillement sur l'article du culte des reliques, et du culte des images. La lumière qui vous aurait éclairés sur le premier chef dissiperait bientôt les ténèbres répandues dans vos esprits sur les deux autres. Quand on est plein de respect et de vénération pour quelqu'un, on se fait un plaisir d'avoir son portrait, ou quelque chose qui lui ait appartenu ; on y jette souvent et avec complaisance les yeux, pour se rappeler le souvenir des belles actions et des titres glorieux qui le rendent recommandable ; en se rappelant ses exemples, on s'anime à marcher sur ses traces, et à imiter ses vertus.
Cependant comme vos ministres déclament, à tout moment et dans tous leurs ouvrages, contre le culte des reliques et des images, et que dans mes conversations avec vous, et avec plusieurs autres de votre prétendue réforme, j'ai remarqué que ces deux articles vous tiennent encore fort au cœur, j'ai cru ne devoir pas les passer sous silence. Je commence par celui des reliques.
On entend par reliques des Saints, les précieux restes de leurs corps, comme leurs ossements, ou même ce qui a servi à leur usage.
Les auteurs de votre prétendue réforme et vos ministres traitent le culte de ces reliques, de culte superstitieux, et qui ressent l'idolâtrie. Longtemps avant eux, c'est-à-dire dès le quatrième siècle, Eunomius et les partisans de son hérésie avaient fait aux catholiques ce même reproche. Mais ces hérétiques sont trop décriés par leurs extravagances et leurs obscénités, pour que vous osiez vous greffer sur eux.
Vigilance, au commencement du cinquième siècle, a renouvelé les erreurs et les impiétés d'Eunomius contre les reliques des Saints, et vos ministres n'ont pas honte de s'avouer de lui. Ils le vantent comme un homme plein de piété, et dont le mérite était bien supérieur à celui de saint Jérôme qui l'a si solidement et si ouvertement réfuté. Mais prenez garde, Messieurs, que vos ministres en faisant cet aveu, sont obligés de convenir qu'ils ont contre eux saint Jérôme, ce grand docteur, ce savant Père de l'Église, si versé non-seulement dans la science des saintes Écritures, mais encore dans la connaissance des faits et des vérités qui intéressent la religion. Il faut encore qu'ils avouent que pas un des Pères de l'Église n'a pris en main la défense de Vigilance, ni reproché à saint Jérôme de l'avoir attaqué mal à propos. Car ce que les centuriateurs de Magdebourg avancent que saint Grégoire a accusé saint Jérôme d'avoir oublié les règles de la modestie, en combattant Vigilance et ses erreurs, est absolument faux. On ne trouve rien de pareil dans les ouvrages de ce Père, et ce prétendu reproche qu'ils ont la témérité d'attribuer à saint Grégoire, sans pouvoir citer le lieu d'où il est tiré, n'est nullement de lui, mais d'Erasme dans sa préface sur les livres de saint Jérôme contre les erreurs et les hérésies de Vigilance. Or, Messieurs, je vous en fais juges : est-il croyable que dans un siècle aussi éclairé et aussi fécond en grands hommes et en sublimes génies que le cinquième, aucun ne se soit récrié contre le culte des reliques établi si ouvertement par saint Jérôme contre Vigilance, si ce culte eût été en effet, comme le prétendent vos ministres, une innovation et un culte superstitieux et idolâtre ? Remarquez encore que tous les efforts de Vigilance contre le culte des reliques, ont été entièrement inutiles : cette erreur fut éteinte presque au moment qu'elle vit le jour. Du moins est-il certain par l'histoire ecclésiastique, que, dans ce siècle et dans les suivants, on ne vit personne se déclarer pour cette erreur ? Il est au contraire certain par les différentes translations de reliques, faites dans ce siècle et dans les suivants, que le culte des reliques ne fit alors que s'accréditer de plus en plus dans l'Église.
Ces réflexions ne doivent certainement pas vous prévenir en faveur de votre opinion sur le culte des reliques. Ce n'est pas là cependant à quoi je veux m'en tenir. Ce n'est pas seulement par des raisons de convenance que je veux prouver ce dogme catholique ; c'est par l'autorité de l'Écriture sainte, et par la pratique constante de toute l'Église.
Au reste, Messieurs, ne vous imaginez pas que le culte des reliques s'étende indifféremment à tout ce que les particuliers pourraient proposer comme de vraies reliques ; nous ne sommes tenus de révérer que celles qui sont bien et du moins reconnues pour vraies reliques ; reconnues, dis-je, non par de simples particuliers, mais par les évêques, établis de Dieu pour instruire et paître le troupeau de Jésus-Christ. C'est à eux qu'appartient le droit de vérifier ces reliques, d'en dresser le procès verbal, d'en faire l'examen avec toute l'exactitude possible. Le saint concile de Trente défend expressément de « recevoir aucuns nouveaux miracles, ni aucunes nouvelles reliques, qu'elles n'aient été préalablement reconnues et adoptées par l'évêque, qui, conjointement avec des théologiens habiles, et avec des personnes pieuses, en fera l'examen, et prononcera ce qui sera conforme à la vérité et à la piété1. »
Nous lisons au verset dix-neuf du treizième chapitre de l'Exode, que Moïse, sur le point d'entrer dans la Palestine, transporta avec lui les ossements de Joseph2. Nous lisons même au cinquantième chapitre de la Genèse, verset 24, que Joseph, après avoir prédit aux Israélites, que Dieu après sa mort devait les visiter, et les mettre en possession de la terre promise, les conjura d'y transporter ses ossements3. Et ne vous imaginez pas que ce désir de Joseph ait été un désir purement humain et naturel. Saint Paul, dans son épître aux Hébreux, chap. 11. nous assure que ce fut par esprit de foi, qu'il chargea de ce soin ses descendants4. Nous voyons encore dans le vingt-troisième chapitre du quatrième livre des Rois, que Josias, ce pieux roi canonisé par les livres saints, et si zélé pour détruire l'idolâtrie parmi son peuple, a néanmoins respecté et conservé précieusement les ossements des prophètes, dans ce temps-là même qu'il faisait brûler les ossements des morts1 : Ce ne sont pas là des faits fabuleux ou supposés ; ils sont constatés par les livres que vos ministres eux-mêmes reconnaissent pour sacrés et divins. On ne peut d'ailleurs nier que le soin de conserver précieusement les ossements de certains défunts, préférablement à ceux des autres, ne soit un honneur et un culte particulier. Que répliqueront vos ministres ? Ce culte, comme vous voyez, est aussi ancien que Moïse. Comment oser le traiter d'innovation ? Je dis plus, ou ce culte rendu par Moïse aux ossements de Joseph, et par Josias à ceux des prophètes, est superstitieux et idolâtre, ou non. S'il n'est pas superstitieux et idolâtre, convenez donc que le culte des reliques ne peut être accusé de superstition et d'idolâtrie. Si au contraire il est superstitieux et idolâtre, dites donc que Moise et Josias ont eux-mêmes donné dans la superstition et l'idolâtrie ; c'est-à-dire que ceux-là même qui avaient été, par la main de Dieu, préposés à la tête du peuple d’Israël, et suscités pour préserver et retirer ce peuple de l'idolâtrie et de la superstition, se sont eux-mêmes rendus coupables du crime qu'ils étaient chargés, et qu'ils avaient en vue de détruire. Il faudra encore ajouter que l'Écriture-Sainte l'a autorisée, puisqu'en rapportant ces deux faits, elle ne dit pas un seul mot qui les improuve et les condamne. Voici encore quelque chose de plus positif. C'est un mort ressuscité sur le tombeau, et par l'attouchement des ossements du prophète Élisée2. Il n'y a pas moyen de contester la vérité de ce miracle. Il est attesté par l'Écriture sainte, au treizième chapitre du quatrième livre des Rois, selon notre vulgate ; et selon votre bible, au treizième chapitre du second livre des Rois. Il faut de deux choses l'une, ou demeurer d'accord que le culte des ossements, et par conséquent celui des reliques des Saints, n'est ni superstitieux, ni idolâtre, mais est bon et utile ; ou dire que Dieu a lui-même autorisé par un miracle éclatant, un culte qui ressent la superstition et l'idolâtrie, et qui n'est ni louable ni utile. Il n'y a point de milieu, il est nécessaire d'adopter ainsi ces deux conséquences ; c'est à vous de prendre votre parti. Soutenir que Dieu veuille autoriser par des miracles aussi éclatants qu'incontestables, un culte superstitieux et idolâtre, c'est un blasphème qui, sans doute, vous fait horreur. Convenez donc que le culte des ossements, et conséquemment des reliques des Saints, loin d'être un culte superstitieux et idolâtre, est au contraire bon, louable et utile.
Ce n'est pas seulement, Messieurs, dans l'ancien, mais encore dans le nouveau Testament, que ce dogme se trouve solidement établi. Qu'en pensez-vous ? tandis que Jésus-Christ était dans la Judée, était-il bon de révérer jusqu'à ses vêtements ? Était-ce une action louable et utile de toucher le bas de sa robe avec respect, avec confiance, et avec espoir d'obtenir de lui, par ce moyen, quelque faveur particulière ? Si vous convenez que c'était une bonne action, la conséquence est aisée à tirer en faveur de la vraie croix. Ce bois précieux auquel a été attaché notre aimable Sauveur, et sur lequel a été consommé le grand ouvrage de notre rédemption, n'est certainement pas moins digne de nos respects et de notre vénération que le bas de sa robe. Si d'un autre côté, vous prétendez que ce n'était pas une bonne action de toucher avec respect et confiance le bas de la robe de Jésus-Christ, vous devez conséquemment soutenir que cette femme hémorroïsse, dont il est parlé au neuvième chapitre de saint Matthieu, qui se disait à elle-même : Si je puis seulement toucher le bas de sa robe, je serai guérie1, n'était pas dans de bons sentiments. Mais comment concilier une pareille proposition avec les beaux éloges que Jésus-Christ lui donne, en conséquence de cette démarche ? Il lui parle avec bonté ; il l'appelle sa fille ; il la confirme dans les sentiments de confiance dont elle était animée : Confide, filia ; il préconise sa démarche comme un effet de sa foi : Fides tua te salvam fecit ; il la récompense par un miracle éclatant ; sur le champ elle est guérie : Et salva facta est mulier ex illâ hora2. Oserez-vous, Messieurs, soupçonner d'idolâtrie, ou même improuver un acte et des sentiments que Jésus-Christ a loués et récompensés d'une manière si solennelle et si miraculeuse ? Je ne saurais me le persuader.
Calvin ne sera pas si réservé : il porte la témérité, jusqu'à vouloir réformer les idées avantageuses que Jésus-Christ nous a données de cette femme. Il blâme sa démarche ; il y trouve des vices et des défauts, même inexcusables : peut-être ne me croiriez-vous pas, si je ne vous citais ses paroles. Les voici, je vous prie d'y donner toute votre attention, et de remarquer les contradictions évidentes dans lesquelles il tombe non-seulement avec l'Écriture sainte, mais encore avec lui-même, pour ne vouloir pas reconnaître, dans l'exemple de cette femme, le culte des reliques. D'abord il avoue que l'espérance que cette femme a eue d'obtenir sa guérison, était un mouvement spécial du Saint-Esprit. « Quant à ce que, dit-il, la femme pense qu'elle sera incontinent guérie, pourvu qu'elle touche la robe de Jésus Christ, ç'a été un mouvement spécial du Saint Esprit3. » Le texte sacré lui a arraché, malgré lui, cet aveu ; mais trois ou quatre lignes après, il change de langage, et il propose, non pas encore d'un ton assuré, une opinion toute contraire. « Peut-être, dit-il, que la foi de cette femme a eu quelque vice et erreur mêlé parmi, que Jésus-Christ lui a pardonné et supporté par sa bénignité4. » Tout de suite il donne pour certain ce qu'il vient de donner comme douteux. « Certes, continue-t-il, quand peu après (cette femme) se sentant coupable, en soi-même, craint et tremble, on ne peut pas excuser. » Remarquez cette expression : « On ne peut excuser un tel doute qui est contraire à la foi. Que n'est-elle allée plutôt tout droit à Jésus-Christ ? » Se faisant ensuite l'objection que Jésus-Christ fait l'éloge de sa foi : « c'est, répond-il, que Dieu use d'une fort grande douceur et bénignité envers les siens, en sorte qu'il ne laisse pas d'avoir pour agréable leur foi, quoiqu'elle soit petite et imparfaite, et qu'il ne leur impute pas les vices et les défauts qui sont mêlés parmi.... Cette femme, poursuit Calvin, est venue à Christ par la conduite de la foi, et quant est de ce qu'elle s'est arrêtée à sa robe, plutôt que de se présenter à lui avec prière, pour être guérie, peut-être que par un zèle inconsidéré, elle a un peu tiré hors du droit chemin mêmement, vu que depuis après elle montre qu'elle avait fait cela avec quelque doute et incertitude5. » C'est-à-dire que, selon Calvin, la pensée qu'eut cette femme qu'elle serait incontinent guérie, pourvu qu'elle touchât la robe de Jésus-Christ, était « un mouvement du Saint Esprit ; et cependant, selon lui, c'était « un zèle inconsidéré qui la fait tirer un peu hors du droit chemin ; elle aurait dû aller plutôt à Jésus-Christ tout droit. » Il sait l'éloge que ce divin Sauveur a fait de la foi de cette femme ; et cependant, selon lui, c'était « une foi mêlée de vice et d'erreur ; c'était certes une foi mêlée d'un doute contraire à la foi, et que l'on ne peut excuser. » C'est-à-dire, en un mot, que ce que Jésus-Christ loue et récompense par un miracle éclatant, Calvin le blâme comme un acte « mêlé de vice et d'erreur » et même « de doute contraire à la foi, et que l'on ne peut excuser. » De bonne foi, Messieurs, est-il croyable qu'un homme capable de contredire si ouvertement les paroles de Jésus-Christ, et d'avancer de telles extravagances, ait été suscité de Dieu d'une façon extraordinaire, pour redresser l'Église ? Et pouvez-vous n'avoir pas pour suspecte une confession de foi, et des opinions qui vous sont données par un homme de ce caractère ?
Passons au livre des Actes des Apôtres : au cinquième chapitre, nous voyons que l'ombre de saint Pierre guérissait les malades1. Au dix-neuvième chapitre de ce même livre, nous remarquons que l'on portait aux malades les mouchoirs et linges qui avaient touché saint Paul, et que ces malades étaient guéris et délivrés des démons2. Ce qu'ont pensé et fait ces premiers fidèles, disciples des Apôtres, n'est-ce pas ce que l'Église pense et fait de nos jours, au sujet des reliques des Saints ? l'Écriture dit que les malades étaient guéris par l'ombre de saint Pierre, et nous autres nous disons que quelquefois on a ressenti une protection spéciale par l'attouchement des saintes reliques. L'un est-il plus incroyable que l'autre ? Les reliques mêmes, les ossements qui sont une partie du corps des Saints, sont-elles moins précieuses, et moins dignes de vénération que l'ombre de leurs personnes ? On portait, dans la naissance du christianisme, aux malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché le corps de saint Paul ; n'est-ce pas là encore précisément ce que vous nous reprochez ? Vous vous scandalisez de ce que nous avons dévotion aux reliques des Saints. Les fidèles qui portaient aux malades les reliques de saint Paul, et les malades auxquels on les portait, en avaient-ils moins que nous ? Ou ce qui était en eux un acte de religion et une preuve de leur foi, peut-il être en nous un acte de superstition et d'idolâtrie ? nous honorons les reliques des Saints, parce qu'elles nous rappellent le souvenir de leurs vertus qu'elles nous animent à imiter leurs exemples. Nous sommes persuadés qu'en honorant leurs reliques, nous nous procurons le secours de leurs prières, et que par le secours de leurs prières, nous obtenons plus facilement les grâces que nous demandons à Dieu. Dans quelle autre vue peut-on supposer que les premiers fidèles portaient aux malades, et que les malades recevaient les reliques de saint Paul ?
Ces raisonnements sont sensibles et sans réplique. Il faut cependant que je vous fasse part des réponses de Calvin, ou plutôt de l'embarras où il se trouve en voulant y répondre.
A l'égard du respect que les premiers fidèles portaient à l'ombre de saint Pierre, et des miracles opérés en conséquence : « Je réponds, dit-il dans son commentaire sur le texte dont il s'agit, que tout ce que saint Luc raconte avoir été fait par gens rudes et ignorants de la vraie foi, il ne s'ensuit pas qu'il le faille affirmer être du tout bon et droit. » Il ne faut pas de commentaire pour entendre le sens de ces paroles ; c'est-à-dire que, selon Calvin, les sentiments de respect des premiers fidèles envers l'ombre de saint Pierre, étaient un effet de leur rudesse et de leur ignorance de la vraie foi ; que ce qu'ils ont fait n'était pas du tout bon et droit. » Que pensez-vous, Messieurs, de cette réponse ? Si le respect que les premiers chrétiens avaient pour l'ombre de saint Pierre, était l'effet de leur grossièreté, et de leur ignorance de la vraie foi, pourquoi les Apôtres les ont-ils laissés dans leur grossièreté et dans leur ignorance de la vraie foi ? Pourquoi ne les ont-ils pas instruits sur un point aussi important ? Si ce que les fidèles ont fait, n'était pas du tout bon et droit, pourquoi ces Apôtres ne les en ont-ils pas repris ? pourquoi n’ont-ils pas rectifié leurs démarches ? pourquoi le texte sacré donne-t-il le sentiment de ces fidèles, comme une preuve de l'accroissement de la foi et de l’Évangile ? De jour en jour s'augmentait, dit le texte sacré, le nombre des croyants, de sorte qu'on portait dans les places publiques les infirmes, et on les mettait sur des lits et sur des grabats, afin qu'à l'arrivée de saint Pierre, l'ombre de cet apôtre passât sur eux1.
Disons plus. Pourquoi Dieu a-t-il autorisé leurs sentiments par des miracles éclatants ? Dieu, auteur et consommateur de la vraie foi, Dieu la vérité, la bonté, et la droiture même, peut-il avoir approuvé, par les opérations miraculeuses de sa toute-puissance, ce qui n'est pas conforme à la vraie foi, ni du tout bon et droit ? Calvin a bien senti que cette réponse n'était pas de nature à satisfaire un homme qui pense et qui réfléchit.
Il en annonce une autre, selon lui, plus certaine, vous allez en juger. « Les Apôtres, dit-il, ont eu cette puissance (d'opérer des miracles par leur ombre) pour ce qu'ils étaient ministres de l’Évangile, et pourtant selon qu'il était bon d'avancer la foi de l'Évangile, ils ont usé de ce don, et qui plus est, Dieu n'a point moins montré sa vertu en leur ombre, qu'en leur bouche. Or tant s'en faut que ès miracles desquels les papistes babillent, il n'est rien qui approche de cela, que plutôt toutes choses y sont contraires ; car voici la fin à quoi ils tendent, c'est que le monde étant détourné de Christ, ait son refuge aux Saints. » Voilà des mots ; mais y en a-t-il un seul qui infirme le raisonnement tiré des miracles opérés par l'ombre de saint Pierre ? « Tant s'en faut, dit-il, que les miracles dont les papistes babillent, il n'est rien qui approche de cela, que plutôt toutes choses y sont contraires. » Il le dit, mais en donne-t-il quelque preuve ? Non. Et comment en donnerait-il ? N'est-il pas naturel de penser, que, par la même raison que Dieu a voulu rendre respectable le ministère, et avancer la foi de l'Évangile, en opérant des miracles par l'ombre de saint Pierre ; il veut encore quelquefois, dans les mêmes vues, opérer des miracles par les reliques de ce prince des Apôtres et des autres saints. Où est la contrariété que vous annonce Calvin ? Ne voyez-vous pas au contraire un rapport particulier entre les deux membres de cette proposition ? Calvin ajoute que « la fin à laquelle tendent les papistes, est que le monde étant détourné de Christ, ait son refuge aux Saints. » Il le dit encore sans preuve et contre le témoignage de sa conscience. Il savait bien que nous sommes en effet bien éloignés de penser de la sorte ; nous disons au contraire que comme le respect des premiers fidèles pour l'ombre de saint Pierre ne les a point détournés, mais les a attachés de plus en plus à Jésus-Christ, de même aussi le respect que nous avons pour les reliques de ces Apôtres et des autres Saints, loin de nous détourner de Jésus-Christ, ne sert qu'à nous conduire et à nous attacher à ce divin Sauveur, ainsi que je vous l'ai expliqué ci-devant.
A l'égard des autres miracles opérés sur ceux auxquels on portait les mouchoirs et autres linges qui avaient touché le corps de saint Paul, voici la réponse de Calvin dans son commentaire sur le texte de l'écriture qui en fait mention : « Quant à ce que Dieu a guéri les malades par les couvre-chefs même de saint Paul, cela tendait au but que ceux qui ne l'avaient jamais vu, néanmoins reçussent sa doctrine avec révérence et humilité : donc tant plus se montrent ridicules les papistes qui s'aident de ce passage pour faire valoir leurs reliques, voire comme si saint Paul avait fait porter les couvre-chefs, afin que les gens les baisassent en l'honneur d'icelui par dévotion, comme en la papauté on adore les brayes et souliers de saint François, la ceinture de sainte Rose, le peigne de sainte Marguerite, et tels autres fatras ; mais plutôt il a choisi les choses les plus viles, afin que le prix et le lustre n'engendre quelque superstition ; car son intention était d'attribuer la gloire toute entière au seul Seigneur Jésus. »
Je ne m'arrêterai point ici aux fades railleries de Calvin. Je vous l'ai dit, dès le commencement de cette dissertation, le culte des reliques ne doit s'étendre qu'à celles qui sont bien et dûment autorisées par l'Église, telles que sont les précieux corps des Apôtres et des Martyrs, ou ce qui a servi à leur usage, et a de tout temps été en vénération. Si l'auteur de votre prétendue réforme eût été de bonne foi, il aurait comparé aux couvre-chefs de saint Paul, le corps même de cet Apôtre reconnu universellement dans l'Église pour une véritable relique. Mais un exemple si frappant ne l'accommodait pas, parce qu'il faisait toucher au doigt le défaut de son raisonnement.
Y a-t-il en effet quelque liaison entre l'aveu qu'il fait, et la conséquence qu'il en veut tirer ? Il convient que Dieu a guéri les malades par les couvre-chefs mêmes de saint Paul ; que cela tendait à ce but, que ceux qui ne l'avaient jamais vu, reçussent sa doctrine avec révérence et humilité. Voilà l'aveu de Calvin ; voici maintenant la conséquence qu'il en tire : « Donc, tant plus les papistes se montrent ridicules, qui s'aident de ce passage pour faire valoir leurs reliques. » Une pareille conséquence est-elle supportable ? Ne faut-il pas au contraire raisonner de cette sorte : Dieu a guéri les malades par les couvre-chefs de saint Paul ; donc Dieu a autorisé le culte de ces couvre-chefs, qui étaient de vraies reliques, par des miracles éclatants. Le culte de ces couvre-chefs contribuait à faire recevoir la doctrine de saint Paul, avec révérence et humilité ; donc ce culte et celui des reliques est louable et utile, non superstitieux et idolâtre. Je ne crains point de vous faire ici juges dans votre propre cause ; lequel de ces deux raisonnements est juste et concluant ?
Calvin voudrait insinuer que les fidèles n'avaient point de respect et de dévotion pour ces reliques de saint Paul ; il n'ose cependant le dire ouvertement. Il se contente de hasarder cette proposition : « Comme si saint Paul avait fait porter ses couvre-chefs, afin que les gens les baisassent en l'honneur d'icelui par dévotion. » Mais de bonne foi, pouvez-vous ne pas être révoltés d'une pareille idée ? Comment penser que ces fidèles regardaient ces couvre-chefs de saint Paul comme l'instrument des guérisons miraculeuses opérées en leur faveur, et que néanmoins ils n'avaient pour eux aucun respect, ni aucune dévotion ? S'ils n'avaient eu pour eux que du mépris et de l'indifférence, pourquoi était-on si curieux de les porter aux malades ? Pourquoi les malades étaient-ils eux-mêmes si empressés à les recevoir ? S'ils n'avaient pour eux que l'indifférence et du mépris, cette indifférence aurait rejailli sur la personne même de saint Paul ; ils l'auraient traité d'imposteur, qui par ses prestiges et ses faux miracles, cherchait à les séduire ; ils auraient pris de là occasion, non de recevoir, comme ils ont fait, sa doctrine, avec révérence et humilité, mais de la proscrire et de la décrier. Il est donc visible, que de quelque côté qu'on se tourne le culte des reliques est solidement établi par les guérisons miraculeuses opérées par les couvre-chefs de saint Paul, qui étaient de vraies reliques ; c'est cependant de là que Calvin conclut que ce culte est ridicule. Encore un coup, qu'elle confiance doit-on avoir à gens qui raisonnent de la sorte ?
Mais laissons là les pitoyables réponses que vos ministres font aux textes de l'Écriture, qui établissent le culte des reliques des Saints. Voyons s'ils seront plus heureux dans ceux qu'ils nous objectent.
Jésus-Christ, disent-ils, en saint Matthieu, chap. 23, reproche aux Juifs de bâtir des tombeaux aux Prophètes, et d'orner les monuments des Justes1. Jésus-Christ était donc bien éloigné d'autoriser le culte que l'on rend aux sépulcres et aux reliques des Saints ?
A cette objection, je réponds, ou plutôt ce sont les Pères de l'Église qui vont répondre. Jésus-Christ fait des reproches aux Scribes et aux Pharisiens, cela est vrai ; mais ce n'est pas de ce qu'ils bâtissaient des tombeaux aux Prophètes, et de ce qu'ils ornaient les monuments des justes ; c'est de ce qu'intérieurement et dans le secret de leur cœur, ils désavouaient ces sentiments de respect et de vénération qu'ils témoignaient avoir pour la personne et la doctrine de ces Prophètes. De là le reproche d'hypocrisie que ce divin Sauveur leur fait : Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites. On n'est hypocrite en effet qu'en couvrant un intérieur vicieux des dehors de religion et d'une piété affectée. Les Pharisiens en bâtissant des tombeaux, et ornant les sépulcres des Prophètes et des justes, faisaient semblant de les respecter et de croire en leurs prophéties ; voilà le dehors de piété et de religion. Cependant ils n'avaient pour les Prophètes, pour leur doctrine et leurs prophéties, que du mépris, puisque loin de croire au Messie annoncé et prédit par ces Prophètes, ils ne témoignaient au contraire pour lui que de la haine et du mépris ; voilà l'intérieur vicieux. Ils condamnaient, par leur conduite extérieure, la conduite de leurs pères. Ils disaient que, s'ils avaient été de leur temps, ils n'auraient pas mis comme eux à mort les Prophètes2 : Et cependant ils étaient intérieurement dans les mêmes dispositions, puisqu'ils persécutaient, et qu'ils devaient mettre à mort celui après la venue duquel ces Prophètes avaient si longtemps soupiré, celui dont ils avaient prédit et annoncé la grandeur, celui enfin dont ils n'avaient été que l'ombre et la figure, c'est-à-dire Jésus-Christ.
Voilà, Messieurs, le sens naturel des paroles du Sauveur ; et c'est en effet celui qu'y ont donné les Hilaire, les Ambroise, les Jérôme, les Chrysostôme, les Théophilacte, etc. Et il suffit de lire attentivement le texte sacré pour en être convaincu. Cela paraît encore plus par la conséquence que Jésus-Christ tire de ces premières paroles. Vous servirez, dit-il, de témoins contre vous-mêmes, parce que vous êtes enfants de ceux qui ont mis à mort les Prophètes, et vous remplirez la mesure de vos pères ; vous servirez de témoins contre vous-mêmes, parce qu'en ornant les sépulcres des Prophètes, et en condamnant par là vos pères qui les ont méprisés et persécutés, vous vous condamnez vous-mêmes, qui méprisez leurs prophéties, et qui ne voulez pas y ajouter foi. Vous vous montrez véritablement enfants de ceux qui ont mis à mort les Prophètes, et vous comblerez la mesure de vos pères, parce que autant et encore plus criminels qu'eux, vous me persécutez et vous me mettrez à mort, moi qui suis le plus grand de tous les Prophètes, moi qui suis le Messie, le désiré des nations, l'attente des Prophètes, et l'Homme-Dieu1. Voilà, encore un coup, l'interprétation propre et naturelle des paroles de Jésus-Christ, mais interprétation qui, comme vous voyez, loin de supposer que les honneurs rendus aux tombeaux des Prophètes soient en eux-mêmes mauvais et condamnables, suppose au contraire que c'est un acte extérieur de piété, qui n'avait en soi rien que de louable, mais qui était condamnable chez eux, en ce qu'il leur servait de voile pour cacher leur hypocrisie, leurs sentiments pervers, et leur mauvais cœur.
Mais, direz-vous, si le culte des reliques est saint et utile, pourquoi Dieu n'a-t-il pas voulu que l'on rendît un culte particulier aux reliques de Moïse ? Si quelqu'un dans l'ancienne loi a mérité d’être honoré après la mort, c'est certainement Moïse, lui qui pendant tout le cours de sa vie s'était signalé par son attachement au Seigneur, et par son zèle pour la loi ; lui qui avait donné aux siècles à venir l'exemple des plus héroïques vertus ; lui qui, comme dit l'Écriture, n'a point eu d'égal parmi les Prophètes d'Israël. Cependant nous voyons par le dernier chapitre du Deutéronome, que Dieu a pris soin lui-même de cacher tellement le lieu de sa sépulture, que personne n'en a eu connaissance2. Pourquoi cela ? sinon afin d'empêcher que le peuple d'Israël ne rendît un culte particulier au sépulcre et aux reliques de Moïse ; ainsi Dieu, loin d'approuver, improuve et condamne le culte des reliques. Tel est à peu près le raisonnement de Calvin dans son avertissement sur les reliques ; mais raisonnement qu'il est bien aisé de réfuter.
Car, en premier lieu, ne savez-vous pas la réflexion de Philon, Juif, à la fin de ses livres sur la vie de Moïse ? C'est, dit-il, un trait qui ne contribue pas peu à la gloire de ce Législateur d'Israël, que Dieu ait voulu qu'il fut enseveli non comme les autres par la main des hommes mortels, mais par des esprits immortels, et que le sacré dépôt de son corps reposât dans un sépulcre si admirable, qu'aucun mortel ne fût digne de l'envisager ? Dieu a donc voulu, selon la pensée de Philon, honorer par lui-même le corps de Moïse après sa mort, et nous apprendre par conséquent à honorer nous-mêmes la mémoire et le corps des Saints quand ils ne sont plus.
En second lieu, je veux bien que ç'ait été de peur que le peuple d'Israël ne tombât dans la superstition et l'idolâtrie, que Dieu lui a caché le lieu de la sépulture de Moïse. Saint Chrysostôme l'a dit ; et c'est tout ce qu'on peut conclure de ce fait. Mais quelle est cette espèce d'idolâtrie, qui était à craindre pour le peuple d'Israël ? Était-ce précisément qu'il honorât et respectât le corps et les reliques des Saints ? Non, Messieurs, puisque Dieu par des miracles éclatants a autorisé lui-même cette espèce de culte, ainsi que je vous l'ai montré par la résurrection d'un mort, opérée miraculeusement par l'attouchement du corps d’Élisée. Ce qui était à craindre pour les Israélites, c'était qu'ils ne se continssent pas dans de justes bornes. Le texte sacré, nous apprend deux choses à cet égard, savoir : premièrement, que ce peuple était de toute part environné de nations idolâtres, accoutumées non pas à honorer seulement, mais à diviniser après la mort, les hommes qui, pendant la vie, s'étaient rendus recommandables parmi eux. Secondement, que ce peuple d'Israël était lui-même fort enclin à l'idolâtrie, puisque toute les fois qu'il faisait alliance avec les étrangers, il donnait dans leurs superstitions, et adorait leurs idoles. Il était donc à redouter que ce peuple ne se portât non-seulement à honorer, mais à diviniser Moïse, qui pendant sa vie avait opéré tant de merveilles, et qu'il ne lui déférât non-seulement un culte honoraire, tel que nous rendons aux Saints, et à leurs reliques, mais le culte suprême et les honneurs divins ; en un mot qu'il ne l’adorât comme un Dieu, et ne lui offrit des sacrifices comme il en avait offert aux idoles des nations étrangères.
Voilà l'espèce d'idolâtrie qui était à craindre de la part des Juifs, s'ils avaient vu de nombreux miracles éclater sur le tombeau de ce grand Saint. Voilà aussi pourquoi Dieu dans l'ancienne Loi a rendu plus rares les prodiges opérés par l'intercession des Saints, mais depuis que la religion chrétienne a triomphé des nations et des puissances idolâtres, depuis qu'elle s'est établie sur les ruines du paganisme et de l'idolâtrie, a-t-on rien de semblable à redouter ? Trouvera-t-on parmi nous un seul homme qui s'avise de diviniser les Saints, et de les mettre en parallèle avec Dieu ? Je sais que vos ministres nous imputent cette extravagance, mais vous savez ce que répondent d'un commun accord tous les catholiques, et ce que je vous ai déclaré plusieurs fois, c'est une pure calomnie avancée sans preuve. Le premier principe et la base de la religion catholique est l'unité de Dieu à qui seul sont dus les honneurs divins et le culte de latrie. Si nous honorons les Saints et leurs reliques, ce n'est certainement pas du même culte que nous déférons à Dieu, ce n'est au contraire qu'à cause de Dieu que nous les honorons, et le culte que nous leur rendons, se rapporte à Dieu, et à Dieu comme en étant le premier et le principal objet. C'est Dieu que nous honorons en les honorant, parce que nous n'honorons en eux que les dons de Dieu, parce que nous ne les honorons qu'autant et parce qu'ils ont été les serviteurs de Dieu et ses amis, et parce que Dieu lui-même les comble de gloire dans la céleste Jérusalem. Si nous honorons leurs reliques, c'est parce qu’elles sont les précieux restes des corps qui ont été les temples de l'Esprit Saint, et les instruments dont le Tout-Puissant s'est servi pour faire éclater les merveilles de sa grâce et de sa toute-puissance pendant qu'ils ont été sur la terre.
Avouez donc, nos chers frères séparés, que ce qu'on lit dans l'histoire du sépulcre de Moise, inconnu à tous les mortels, ne préjudicie nullement au culte que nous rendons aux Saints et à leurs reliques, et que, vu l'impuissance de détruire les preuves solides que ses livres saints nous fournissent pour établir ce culte, non-seulement on ne peut pas l'accuser de superstition et d'idolâtrie ; mais on doit encore le reconnaître pour saint et fondé sur la parole de Dieu même.
Il faut vouloir douter de tout, Messieurs, pour ne pas voir le culte des reliques établi par la pratique et la tradition constante de l'Église : soit que nous parcourions les ouvrages des Pères, soit que nous consultions les actes des conciles et les plus anciens historiens ecclésiastiques, tout concourt à prouver ce dogme de notre foi.
Je commence par les ouvrages des Pères. S. Athanase dont la sainteté et le zèle pour la foi sont si connus, et S. Jérôme, ce docteur si versé dans la connaissance des usages et des maximes du christianisme, parlent tous deux du manteau de S. Paul, hermite. Le premier, en son Livre de la vie de S. Antoine, l'appelle « un héritage précieux qui rappelle le souvenir des vertus admirables de ce saint anachorète et qui excite à les imiter1. »
L'autre dit, en son Livre de la vie de S. Paul, ermite, que S. Antoine avait pour ce précieux dépôt une si grande vénération, « qu'il ne s'en servait que dans les jours de l'année les plus solennels, comme à Pâques et à la Pentecôte2. »
S. Basile, une des plus brillantes lumières de l'Église grecque, révère comme précieuses les reliques des Martyrs, et il leur donne le nom « de forteresses qui mettent les villes à l'abri des incursions de l'ennemi3. »
S. Grégoire de Nysse, en son discours sur Théodore, martyr, assure que le corps de ce Saint était « un monument précieux, qui par vénération avait été placé dans un lieu auguste et sacré4. »
S. Grégoire de Nazianze, en son premier discours contre Julien, fait des reproches à cet apostat, « de ce qu'honorant les statues des faux dieux, il ne voulait pas honorer, et méprisait même les corps des martyrs5. »
S. Cyrille, évêque de Jérusalem, en sa dix-septième catéchèse, prouve par l'exemple du mort ressuscité sur le tombeau du prophète Élisée, l'utilité du culte des reliques6. S. Chrysostôme, en son sermon des saints Juvence et Maxime, fait l'éloge de ceux qui par esprit de piété avaient, au péril de leur vie, ramassé les reliques des corps de S. Juvence et de S. Maxime ; et ensuite il exhorte à aller sur leurs tombeaux, et à honorer leurs reliques afin d'obtenir par l'intercession de ces Saints, les bénédictions du ciel.
Joignons à ces Pères grecs le suffrage des Pères latins : S. Ambroise en son quatre-vingt dix-huitième sermon, faisant l'éloge des SS. Nazaire et Celse, s'étend beaucoup sur la solidité et la qualité du culte que l'on rend aux reliques des Saints. Il expose même nettement en quoi consiste ce culte, ainsi que nous le verrons dans un moment. Saint Maxime prononce que les martyrs sont à honorer avec une vraie dévotion, et surtout ceux dont nous possédons les reliques7. Tout le monde sait avec quel zèle et quelle force saint Jérôme a soutenu cet article de notre croyance contre Vigilance. Que n'a pas dit pareillement saint Augustin, en parlant des reliques de saint Étienne ? Que de miracles ne rapporte-t-il pas opérés par son intercession, dans son livre 22 de la cité de Dieu, chapitre 8 ? Je ne finirais pas, si je voulais recueillir ici tout ce que nous ont transmis, à ce sujet, les Pères et les docteurs de l'Église.
Je passe aux anciens conciles qui ont traité de ce même sujet : je pourrais vous citer celui de Gangres, tenu au commencement du quatrième siècle, qui prononce anathème contre ceux qui avaient de l'aversion et du mépris pour les lieux où reposent les reliques des martyrs : en Afrique, le concile de Carthage, tenu en l'an 368, qui ordonne de détruire les autels érigés en certains lieux, lorsqu'il n'était pas constant qu'il y eût eu le corps, ou les reliques des martyrs, et cela crainte de superstition, c'est-à-dire, crainte que l'on n’honorât comme le tombeau d'un martyr, celui qui ne le serait pas en effet. En Espagne, le concile de Bragues, tenu en l'an 675, qui prescrit le respect et la vénération avec laquelle on doit porter les chasses où reposent les reliques des martyrs. En Allemagne, le concile de Mayence, tenu en 813, qui, dans le canon 36, ordonne de faire la fête des martyrs et confesseurs, dont les saints corps reposent dans les paroisses1, et qui, dans le 51ème défend de transférer les corps des Saints d'un lieu à un autre, sans la permission de l'évêque et du concile, ce qui est une preuve constante du respect et de la vénération que l'on avait, et que l'on doit avoir pour les reliques. Je pourrais vous en citer encore plusieurs autres, mais je me borne au second concile de Nicée, concile général composé de trois cent cinquante évêques, tenu en 787. Il appelle les reliques des fontaines salutaires d'où découlent des bienfaits particuliers, en plusieurs manières2.
Faut-il encore vous produire le témoignage des historiens ecclésiastiques ? J'y consens volontiers. Que de nouvelles preuves se présentent à nous : je vous ai déjà cité le monument le plus précieux de l'histoire ecclésiastique, les Actes des Apôtres. On y voit les premiers chrétiens favorisés de grâces particulières et de guérisons miraculeuses opérées par l'ombre de saint Pierre, et par les linges qui avaient touché le corps de saint Paul. Ruffin, au vingt-huitième chapitre de son onzième livre, fait mention des reliques de saint Jean-Baptiste à Alexandrie, soustraites par le zèle et la piété des fidèles à la fureur des païens qui, du temps de Julien, voulaient les brûler. Eusèbe, dans le septième livre de son Histoire ecclésiastique, chapitre 14, rapporte que la chair de saint Jacques, apôtre, et évêque de Jérusalem, avait été conservée précieusement et avec respect, jusqu'au temps où il écrivait son histoire. Les ossements de saint Ignace, qui a vécu du temps des apôtres, furent transportés honorablement de Rome en la ville d'Antioche, et on les déposa dans une chasse, comme un trésor inestimable ; ce fait est extrait des actes de son martyre, laissé en écrit par ses propres disciples. Eusèbe rapporte encore la lettre de l'Église de Smyrne, qui atteste que le même honneur a été rendu aux reliques de St. Polycarpe, disciple de saint Jean. Voici les paroles de cette lettre : « Nous avons recueilli et conservé, comme il convenait, les ossements de saint Polycarpe, qui nous sont plus chers que les perles les plus précieuses ; et, dans le même lieu où elles sont placées, nous tiendrons nos assemblées solennelles de piété, et surtout le jour de son martyre. » Saint Jérôme, dans son livre des écrivains ecclésiastiques, rapporte que le grand Constantin fit transporter à Constantinople les reliques de saint André, de saint Luc et de Timothée ; et Sozomène, au dernier chapitre du premier livre de son histoire, ajoute que le grand Constantin fit bâtir un temple où étaient les reliques des Apôtres, afin que les empereurs et les Évêques ne fussent jamais sans reliques. Saint Chrysostôme fait mention de la translation des reliques de saint Babylas ; et Sozomène, en son cinquième livre, chapitre 18 et 19, raconte avec quelle pompe et quelle appareil se fit cette cérémonie ; loin que dans ces sortes de translations, les peuples donnassent dans la superstition et l'idolâtrie, ils la détestaient au contraire publiquement et de la manière la plus authentique, en chantant ces paroles du psaume 96, verset 7 : Que ceux-là soient confondus qui adorent les faux dieux, et qui se glorifient dans leurs idoles1. Combien d'autres auteurs, également respectables, font mention de l'invention et de la translation des reliques de saint Étienne, et des miracles opérés à cette occasion ? Tels sont Nicéphore, Marcellin, etc.
En un mot, parcourez vous-mêmes, Messieurs, les monuments les plus authentiques de l'antiquité, et vous verrez que je passe sous silence une infinité de traits qui prouvent invinciblement le culte des Saints et de leurs reliques.
Ajoutons à ces témoignages les aveux formels de deux de vos plus fameux ministres. Daillé, dans son livre de l'objet du culte religieux, livre premier, huitième chapitre, dit que « Saint Grégoire de Nazianze a suivi la coutume de son siècle (qui était le quatrième), où déjà l'usage public et solennel était de baiser les reliques des Saints, et de les vénérer. »
Blondel de Sybill., en son second livre, chapitre 36, page 304, s'exprime ainsi : « Quelle fut la solennité du transport des reliques du prophète Samuel, amenées de la Palestine à Constantinople. Tous les évêques (du quatrième siècle), nous dit saint Jérôme, les ont portées dans la soie et un vase d'or, etc. Les peuples de toutes les églises sont venus au-devant, et comme s'ils eussent vu le prophète Samuel présent et vivant, ils les ont reçues avec tant de joie, que le concours du peuple se joignait depuis la Palestine jusqu'à Calcédoine, et raisonnait d'une voix à la louange de Christ. »
Reprenons maintenant notre raisonnement. Par où peut-on connaître quel a été constamment le sentiment de la primitive Église, sinon par la doctrine des Pères, par les actes des conciles, et par les monuments de l'histoire ecclésiastique ? Or, vous venez de le remarquer, les Pères, les conciles, les histoires ecclésiastiques concourent également à établir le culte des reliques, on ne peut donc pas dire que ce culte ait été inconnu dans les premiers siècles. Par les Actes des Apôtres, il demeure constant qu'il était en usage parmi les premiers chrétiens qui avaient du respect et de la confiance à l'ombre de saint Pierre, et aux linges qui avaient touché le corps de saint Paul. Par les actes du martyre de saint Ignace, dont fait mention Eusèbe, et qui, suivant cet historien, nous ont été donnés par les disciples même de ce grand saint, il est certain qu'au commencement du second siècle, les fidèles ont honoré les reliques de saint Ignace. La lettre de l'Église de Smyrne, rapportée par le même Eusèbe, nous atteste pareillement l'honneur rendu par les fidèles aux reliques de saint Polycarpe. La translation des reliques de saint André, de saint Luc et de Timothée, faite par le grand Constantin, est attestée par saint Jérôme et Sozomène ; il est donc clair que, dès le commencement du quatrième siècle, le culte des reliques était profondément gravé dans le cœur des fidèles. Ce siècle et les postérieurs nous donnent encore plus fréquemment des preuves de ce pieux usage. Tous les Pères, d'ailleurs, que je vous ai cités pour garants de l'ancienneté de cette coutume, sont tous des premiers siècles ; et de tous les conciles dont je vous ai produit les témoignages, le plus récent est du huitième ou neuvième. Direz-vous que les premiers chrétiens, les Pères et les conciles des premiers siècles ont donné dans la superstition et l’idolâtrie ? Quoi ! les premiers chrétiens, les Pères de la primitive Église, les Athanase, les Cyrille de Jérusalem, les Grégoire de Nazianze, les Chrysostôme, les Ambroise, les Maxime, les Augustin, ces grandes et respectables lumières de l'Église grecque et latine, ont donné dans l'erreur et la superstition. Quoi ! tant de conciles tenus dans les différentes parties du monde, ont embrassé et enseigné une doctrine pleine de superstition et d'idolâtrie ! C'est comme si vous disiez que les plus grands saints et les plus zélés défenseurs de la foi en ont été les ennemis déclarés ; comme si vous disiez qu'il n'y a jamais eu de vraie Église avant vous : cela ne fait-il pas horreur ?
Reconnaissez-donc, Messieurs, l'erreur dans laquelle vos ministres veulent vous entraîner, et au lieu de regarder le culte des Saints et de leur reliques comme une innovation et comme un culte superstitieux et idolâtre, avouez de bonne foi ; ce culte est, ainsi que je vous l'ai prouvé, aussi ancien que la religion ; il est autorisé par la tradition et la pratique constante de l'Église, et fondé sur la parole de Dieu ; c'est donc un culte louable, saint et utile.
Mais qu'honorons-nous en honorant les reliques des Saints ? Ce n'est pas moi, c'est saint Ambroise qui va répondre. « Nous honorons, dit-il en son sermon sur les saints Nazaire et Celse, nous honorons dans la chair d'un martyr, les cicatrices qu'il a reçues pour la défense du nom de Jésus. Nous honorons la mémoire d'un saint qui vivra éternellement dans l'esprit des fidèles par le souvenir de ses vertus. Nous honorons des cendres consacrées par la confession que le généreux martyr a fait de Jésus. Nous honorons dans ces cendres la semence d'une éternité bienheureuse. Nous honorons un corps qui nous a montré à aimer Dieu, et qui nous a appris à ne pas craindre la mort quand il s'agit des intérêts de Notre Seigneur. Pourquoi les fidèles n'honoreraient-ils pas un corps que les démons eux-mêmes sont forcés de révérer et de glorifier dans le sépulcre, après l'avoir fait succomber sous le poids des supplices1. J'honore, continue ce Père dans ce même sermon, j'honore un corps que Jésus-Christ a honoré de la couronne du martyre, et qui régnera à jamais dans le ciel avec ce divin Sauveur2. » Voilà, Messieurs, en deux mots, ce que nous honorons ; en honorant les reliques d'un martyr, nous honorons un corps qui a été immolé et sacrifié pour avoir constamment et ouvertement refusé d'offrir de l'encens aux idoles, et pour avoir, en présence des rois et des empereurs païens et idolâtres, confessé par l'effusion de son sang Dieu à qui seul est dû le culte suprême de latrie. Qu'y a-t-il en cela qui ressente, ou plutôt qui ne condamne ouvertement la superstition et l'idolâtrie ?
Nous prions, dites-vous, devant les reliques des Saints, cela est vrai ; mais à qui s'adressent ces prières ? Est-ce aux reliques mêmes ? Non, Messieurs. Jamais vous n'avez entendu, ni entendrez l'Église ou les fidèles dire : « Saintes reliques, priez pour nous. » C'est aux Saints dont les reliques sont présentes, que s'adressent nos prières : nous leur témoignons, il est vrai, la vénération que nous avons pour eux en respectant leurs reliques, en nous mettant à genoux devant elles, en les baisant avec respect, et en nous rappelant, à la vue de ce précieux dépôt, le souvenir des vertus qu'ils ont pratiquées ; mais en toutes ces pratiques de dévotion, notre but et notre intention est de les engager à s'intéresser à notre salut, à prier pour nous, à solliciter auprès du Père des miséricordes les secours dont nous avons besoin.
Quand vous examinerez les choses sans prévention, vous reconnaîtrez facilement, Messieurs, la pureté et la sainteté de cette doctrine, et vous serez surpris des fausses imputations et des calomnies dont vos ministres s'efforcent de la noircir ; et, revenus de vos préjugés, vous reconnaîtrez enfin avec nous, que ce n'est pas sans raison que l'on révère et que l'on honore les reliques des Saints.
Par M. Vicaise, curé de Saint-Pierre, à Caen
Ce n'est pas d'aujourd'hui, vous le savez, Messieurs, que le culte des images a été attaqué. L'Histoire ecclésiastique nous apprend que l'empereur Léon Isaurique, appellé Conon de son nom de famille, en a été le plus grand ennemi. Les excès auxquels il s'est abandonné pour les abolir, font horreur : mais qui lui avait inspiré cette haine implacable ? Théophane, Cedrenus et Zonare rapportent que ce furent des Juifs imposteurs qui, prenant le ton de prophète, lui prédirent que quoiqu'il fût de basse extraction, il serait néanmoins élevé à la dignité d'empereur. Il promit par serment, que s'il devenait empereur en effet, il serait l'ennemi mortel des images. Mahomet les a pareillement proscrites et condamnées. C'est dans son Alcoran, chapitre 15 et 17.
Avant eux, Xenaias, Persan et esclave fugitif, qui, sans avoir reçu le baptême, avait trouvé le secret de s'introduire dans l'épiscopat, avait tenté d'en abolir le culte ; et de là vient que Nicéphore, dans son seizième livre, chapitre 27, le regarde comme premier auteur des iconoclastes. Mais cet homme était si digne de mépris qu'il n'eut point de sectateurs. Consultez vous-mêmes les historiens ecclésiastiques, et vous reconnaîtrez que dans toute l'ancienneté, on ne saurait en trouver d'autres qui se soient déclarés contre le culte des images, à moins que vous ne vouliez remonter jusqu'aux Manichéens et aux Juifs, qui, selon quelques auteurs, ont été les premiers à attaquer cette pratique religieuse. De pareils auteurs sont-ils de caractère à faire honneur à votre parti ? Et s'il faut juger des fruits par la nature de l'arbre, que doit-on penser d'une doctrine si décriée par les noms odieux, et par les impiétés de ceux qui en on été les premiers défenseurs et les plus zélés partisans ?
C'est cependant leur doctrine que vos ministres adoptent ; et en l'adoptant, ils prétendent rendre gloire à Dieu. Découvrons l'illusion, et tachons d'y remédier.
Est-il permis, et même louable et utile d'avoir et de placer dans nos églises et dans nos maisons des images ? Les honorer, est-ce une idolâtrie et une superstition, ou bien un culte saint, bon et utile ? Voilà la question à développer. Question d'autant plus importante, que c'est un des articles sur lesquels vos ministres s'imaginent triompher, et qu'ils prétextent pour justifier leur séparation d'avec l'Église romaine. Sont-ils fondés dans ce prétendu triomphe ? ont-ils raison ? C'est ce qu'il s'agit d'examiner.
Pour cet effet, Messieurs, je vous demande en grâce de vous mettre bien au fait de notre profession de foi, de ne pas vous en rapporter aveuglément à ce que vos ministres débitent sur notre compte à ce sujet. Car si vous voulez examiner sans prévention et sans partialité ce que nous vous disons, et ce qu'ils nous imputent, je me flatte que vous serez forcés d'avouer que sur cet article, comme sur les précédents, ce n'est encore de leur part que mensonges, et calomnies. Il vous est, au reste, Messieurs, fort aisé de vous en éclaircir par vous-mêmes. Vous avez entre les mains le Concile de Trente ; vous n'y ajoutez pas foi, il est vrai, et ce n'est pas ce que je prétends obtenir pour le moment ; mais vous savez que nous nous faisons un devoir d'embrasser ses décisions et sa doctrine. Si vous voulez donc nous rendre justice, vous devez croire que nos sentiments sont ceux de ce concile. En effet notre profession de foi y est parfaitement conforme ; prenez en main l'un et l'autre, et sur la lecture que vous en ferez, formez-vous l'idée de nos sentiments, et en cela je crois ne vous demander rien que de juste et de raisonnable.
Voici les paroles de ce concile : « Les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, mère de Dieu, et des autres Saints sont à avoir et à retenir principalement dans nos temples. Il faut leur rendre l'honneur et la vénération qui leur sont dus ; non pas que nous croyons qu'il y ait dans ces images quelque divinité, ou quelque vertu pour laquelle elles méritent d'être honorées ; non pas qu'il faille demander quelque chose à ces images, ou mettre en elles sa confiance, comme faisaient autrefois les Gentils qui mettaient leur espérance dans leurs idoles ; mais parce que l'honneur qu'on leur rend se rapporte aux prototypes qu'elles représentent ; de sorte que par les images que nous baisons, et devant lesquelles nous nous inclinons et prosternons, c'est Jésus-Christ que nous adorons ; ce sont les Saints qu'elles représentent que nous révérons, ainsi qu'il a été statué et défini par les décrets des a conciles, et principalement du second concile de Nicée, contre les iconomaques. Que si quelquefois pour le bien des peuples grossiers, il arrive que l'on expose à leurs yeux, par peinture, ou par figure, quelques histoires de l'Écriture Sainte, qu'on ait soin d'instruire ces peuples que l'on ne prétend point par là que la Divinité soit figurée, comme si l'on pouvait voir Dieu des yeux du corps, ou l'exprimer1. » Ensuite ce concile recommande fort qu'on prenne garde qu'il ne se glisse quelque superstition dans l'usage sacré des images ; qu'on n'y souffre rien de profane, rien de contraire à la modestie, comme il convient à la sainteté de la maison de Dieu ; et pour prévenir ces abus, il défend de mettre dans les églises aucune image nouvelle et extraordinaire, qu'auparavant elle n'ait été approuvée par l'évêque du lieu1.
Voilà, je vous le répète, Messieurs, l'exposé fidèle de notre doctrine sur le culte des images ; et telle est aussi notre profession de foi. Je tiens fermement que les images de Jésus-Christ, de la mère de Dieu, toujours Vierge, et des autres Saints sont à avoir et à retenir, et qu'il leur faut rendre l'honneur et la révérence qui leur est due2.
Faisons maintenant un parallèle de cet exposé avec ce que vos ministres nous imputent à ce sujet. Calvin et vos ministres donnent les noms d'idoles aux images que nous honorons, et parce que nous les honorons, ils nous traitent d'idolâtres. C'est même sur cette supposition que roulent tous les raisonnements dont ils se servent pour combattre notre doctrine ; mais y a-t-il rien dans notre profession de foi et dans les paroles du Concile de Trente, qui donne lieu à cette accusation ? Qu'entendez-vous et que doit-on entendre par idole et par image ? Car enfin vous conviendrez que les termes d'idole et d'image ne sont pas termes synonymes, et n'ont pas la même signification. Vous avez le portrait de votre père, de votre mère, de vos ancêtres ; voudriez-vous, et serait-il juste que pour cette raison on vous accusât d'avoir dans votre maison des idoles et d'être idolâtre ? Il est donc constant que les termes d'idole et d'image ne sont pas termes qui signifient la même chose. Qu'entendez-vous donc et que doit-on entendre par le terme d'idole ? On a toujours entendu par ce terme une représentation regardée et honorée comme une vraie Divinité, ou du moins faite pour représenter, comme Dieu, ce qui n'est pas Dieu. Les statues de Vénus, de Minerve, de Diane, de Jupiter, etc., étaient des idoles, parce que l'on regardait et l'on révérait ces statues, ou du moins les faux dieux qu'elles représentaient, comme de vraies divinités ; on leur attribuait une vertu et un pouvoir divin, comme de proférer des oracles, de prédire l'avenir, d’être auteurs du bonheur ou du malheur des hommes. On mettait en ces statues, ou du moins dans les faux dieux dont elles étaient la ressemblance, sa confiance. Voilà la vraie idée que présente à l'esprit le terme d'idole ; c'est dans ce sens, qu'on l'a toujours entendu, et que vous-mêmes l'entendez, j'en suis sûr ; or, peut-on dire qu'on entende la même chose par le terme d'image ? Vous avez l'image, le portrait de monsieur votre père ; prétendez-vous par là représenter votre père comme un dieu, et lui attribuer un pouvoir et des honneurs dus à la Divinité ? Concluez donc que ces deux termes d'idole et d'image ne sont en aucune façon synonymes.
Que si vous me dites que nous rendons des honneurs divins aux images, en nous inclinant et nous prosternant devant elles, et que par conséquent le terme d'idole, quoiqu'il ne soit pas synonyme avec celui d'image, l'est cependant dans notre système, alors j'en appellerai à votre bonne foi. Vous venez de voir la déclaration que fait le concile de Trente. Nous révérons les images, il est vrai, le concile le déclare ; mais en même temps ne déclare-t-il pas que si nous les honorons, ce n'est pas qu'il y ait dans ces images quelque divinité, ou quelque vertu pour laquelle elles soient à honorer1. N'ajoute-t-il pas même que ce n'est pas aux images qu'il faut demander quelque chose, et que ce n'est pas en elles qu'il faut mettre sa confiance, ainsi que faisaient les Gentils qui mettaient leur espérance dans les idoles2 ? Ne nous déclare-t-il pas encore que l'honneur qu'on leur rend se rapporte aux prototypes, c'est-à-dire aux objets qu'elles représentent, et qu'en baisant les images, en nous inclinant et nous prosternant devant elles, c'est Jésus-Christ que nous adorons, et les Saints que nous honorons3 ? Toutes les imputations de vos ministres, destituées de preuve et même de vraisemblance, peuvent-elles prévaloir contre une déclaration si formelle, si authentique et si respectable ?
Vous ne pouvez pas, d'ailleurs, dire que Jésus-Christ qui est représenté dans nos images et dans nos crucifix, comme le bon pasteur et notre Sauveur, ne soit pas en effet le bon pasteur et notre Sauveur ; que la très sainte Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint Étienne, et tant d'autres dont nous avons les images, ne soient pas en effet des saints et de grands saints. Enfin vous ne pouvez pas prétexter que nous les regardons, ou même que les images nous les représentent comme des dieux. Nous les honorons et les invoquons comme les amis de Dieu, comme les confesseurs de Jésus-Christ, comme les martyrs de la foi, dont Dieu récompense dans le ciel les vertus et le mérite ; et ce n'est que sous ces idées que nos images les représentent. Convenez donc qu'il suffit d'un peu de bonne foi pour ne pas traiter d'idoles nos images, et le culte que nous leur rendons de superstition et d'idolâtrie.
Vous nous objecterez, peut-être, que du moins il faut convenir que l'on ne doit point avoir, encore moins exposer aux yeux du simple peuple, des images de Dieu, de la Trinité ou des Anges. Calvin, dans le onzième chapitre de son premier livre d'Institution, s'étend fort au long sur cette objection. « Peindre Dieu, dit-il, en faire des images, c'est le représenter sous figure corporelle ; c'est lui attribuer ce qui ne lui convient nullement ; c'est donner occasion de croire qu'il a un corps, et autoriser l'erreur des anthropomorphites ; il faut donc bannir ces sortes d'images. »
A cela je réponds premièrement, que quand on accorderait qu'il ne faut pas retenir dans nos temples les images de Dieu et de la sainte Trinité, il ne s'ensuivrait pas de là que l'on ne devrait pas en avoir de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des Saints : et je me sers même du raisonnement de Calvin pour le démontrer. La raison pour laquelle ce chef de votre réforme proscrit les images de Dieu, de la Trinité et des Anges, c'est que ces images, selon lui, leur attribuent ce qui ne leur convient nullement. Si donc les images de Jésus-Christ et des Saints ne leur attribuent que ce qui leur convient parfaitement, il est bien clair que le raisonnement de Calvin ne conclue en rien contre les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, mère de Dieu, et des Saints.
Or, il est très certain que les images de Jésus-Christ et des Saints ne leur attribuent que ce qui leur convient parfaitement. Quand, par exemple, on peint Jésus-Christ sous la figure humaine, on ne lui attribue que ce qui lui convient, puisque réellement il s'est revêtu de la nature humaine. Quand on le représente sous la figure du bon pasteur, qui rapporte sur ses épaules la brebis égarée, ou souffrant et mourant en croix pour nos péchés, on ne représente encore que ce qu'il a fait et souffert pour opérer le grand ouvrage de notre rédemption. C'est-à-dire que par ces images, loin de nous induire en erreur, on nous instruit, et on nous rappelle le souvenir des plus importantes et des plus touchantes vérités de la religion ; c'est-à-dire que, par ces images, on nous remet devant les yeux les plus éclatants témoignages d'amour que Jésus-Christ nous ait donnés, et on nous excite à la plus tendre dévotion, à l'amour le plus parfait, à la plus vive reconnaissance, à la confiance la plus entière envers ce divin Sauveur : est-ce là induire en erreur, et attribuer à Jésus-Christ ce qui ne lui convient pas ?
Disons à proportion la même chose des images des Saints ; elles nous représentent les vertus qu'ils ont pratiquées, leur zèle pour la gloire de Dieu, ce qu'ils ont fait et souffert pour la foi ; et par ce moyen, elles sont très propres à exciter le zèle, et à nourrir la piété des fidèles. Est-ce là leur attribuer ce qui ne leur convient pas, et nous induire en erreur ? Concluons donc qu'en supposant qu'on dût retrancher les images de Dieu, de la Trinité et des Anges, on ne devrait pas pour cela réprouver les images de Jésus-Christ et des Saints. C'est là surtout ce que déclare le concile de Trente et notre profession de foi, et ce que nous vous demandons. Si vous vous rendez sur cet article, je me flatte que nous serons bientôt d'accord sur le reste.
En second lieu, à l'égard des images de Dieu, de la Trinité et des Anges, je conviens que, si par ces sortes d'images, on voulait représenter leur forme propre et naturelle, ou insinuer que Dieu et les Anges sont matériels, ou qu'on peut les voir des yeux du corps, ce serait induire les peuples en erreur ; mais ce n'est nullement là le but qu'on se propose, en exposant aux yeux des fidèles ces sortes d'images. On veut seulement par le moyen de la peinture remettre sous leurs yeux certains traits, certaines histoires de l'Écriture sainte, certaines vérités intéressantes, et propres à inspirer la ferveur et la dévotion. Quand, par exemple, on peint les Anges sous la figure humaine, on ne prétend pas insinuer par là qu'ils aient un corps comme nous ; mais seulement qu'ils ont apparu sous la figure humaine aux patriarches et aux prophètes, ainsi que l'Écriture sainte nous en assure. Quand on leur donne des ailes dans certaines images, c'est que l'Écriture sainte leur en donne pour marquer leur agilité et leur promptitude à exécuter les ordres du Seigneur. Quand pareillement on peint le Père éternel sous la figure d'un vénérable vieillard, c'est parce que dans le prophète Daniel, il est appelé l'ancien des jours, c'est pour exprimer la sagesse infinie, avec laquelle il pourvoit à tout et gouverne tout. Quand on représente le Fils de Dieu sous une figure humaine, c'est que dans l'auguste mystère de l'incarnation, il s'est véritablement fait homme. Quand on représente le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe, c'est que, comme il est dit au troisième chapitre de saint Matthieu, il est en effet descendu sous la forme d'une colombe sur Jésus-Christ baptisé par saint Jean. Peindre la Trinité et les Anges de cette sorte, et dans l'intention de rappeler le souvenir de ces histoires et de ces vérités intéressantes, rapportées dans l'Écriture sainte, n'est-ce pas exprimer par le moyen des images ce que les écrivains sacrés ont exprimé par des paroles, dans les livres divins, et insinuer par la peinture les mêmes sentiments de respect et de religion, que les écrivains sacrés ont voulu inspirer par les descriptions qu'ils nous ont laissées dans leurs écrits ? Est-ce là attribuer à la Divinité ce qui ne lui convient pas ? est-ce là induire en erreur ?
On sait bien, répliquerez-vous, que quand l'Écriture sainte parle de Dieu, comme ayant apparu aux hommes sous la figure humaine, ou comme ayant des bras et un corps ; quand elle parle des Anges, comme ayant été vus sous la figure humaine, ou comme ayant des ailes, elle ne veut pas par là insinuer que Dieu et les Anges soient corporels et de nature à être vus naturellement des yeux du corps ; c'est pour s'accommoder à notre faiblesse qu'elle se sert de ces sortes d'expressions. Nous en disons autant des images. On sait, et les pasteurs ont grand soin d'instruire leurs ouailles de cette vérité, que par les images, on ne prétend point attribuer à Dieu et aux Anges une forme humaine, ou persuader qu'ils soient corporels, ou visibles aux yeux du corps ; mais on veut seulement remettre devant les yeux des fidèles, et surtout des personnes grossières qui ne savent point lire, les vérités, les traits et les histoires rapportées dans les Saintes Écritures.
Au reste, Messieurs, ne vous imaginez pas que l'Église approuve indifféremment toutes les idées des peintres, et toutes sortes d'images. Le concile de Trente s'est suffisamment expliqué sur cet article, non-seulement en déclarant que ce sont les histoires rapportées dans les Saintes Écritures, que l'on peut exposer en peinture aux yeux des fidèles ; non-seulement en recommandant expressément que l'on prenne garde qu'il ne se glisse quelque superstition dans l'usage de ces images ; non-seulement en prescrivant que l'on n'y souffre rien de profane, et qui soit contraire à la modestie, mais encore en défendant de mettre dans les églises aucune image nouvelle et extraordinaire, que préalablement elle n'ait été vue et approuvée pas l'évêque1. Si l'on manque quelquefois à ces règlements, la faute en doit être imputée aux particuliers qui oublient leur devoir, et dont l'exemple ne doit pas tirer à conséquence ; mais non à l'Église qui prend tant de mesures pour prévenir tous ces abus.
Ne perdez point de vue, Messieurs, ces observations, et vous verrez qu'elles seules suffisent pour dissiper la plupart des préjugés que vos ministres vous donnent contre le culte des images. Mais allons plus loin ; montrons que ce culte est fondé sur l'Écriture sainte, sur la pratique constante de l'Église, dès les premiers siècles, et sur les plus solides raisons, et que conséquemment c'est un culte louable et utile.
Que la peinture et la sculpture ne soient pas de leur nature des arts mauvais et défendus, c'est une vérité dont vous ne sauriez disconvenir. Au chapitre 31 et 35 de l'Exode, il est dit que Dieu suscita et remplit de sagesse, de science et de son esprit, Bezéléel et Ooliab, pour sculpter et imaginer plusieurs chefs-d'œuvre destinés à l'ornement du temple. Calvin lui-même en convient dans le onzième chapitre du premier livre de son Institution, n° 12. « Je ne suis pas, dit-il, tant scrupuleux de juger qu'on ne doit endurer, ni souffrir aucunes images ; mais d'autant que l'art de peindre et de tailler sont dons de Dieu, je requiers que l'usage en soit gardé pur et légitime. » Vous autres, Messieurs, vous avez dans vos maisons des portraits et des statues, quelques-uns même parmi vous s'appliquent à la sculpture et à la peinture. C'est donc un point constant et avoué de vous, que ces arts, loin d'être prohibés et mauvais en eux-mêmes, sont, au contraire, des arts bons, et quelquefois même des dons de Dieu.
Je dis plus : Dieu a lui-même commandé l'usage des images dans les lieux saints. Au vingt-cinquième chapitre de l'Exode, verset 18, il est ordonné à Moïse de placer deux chérubins sur le propitiatoire. Vous mettrez, lui dit Dieu, deux chérubins d'or battu aux deux extrémités de l'oracle, c'est-à-dire du propitiatoire, appelé de ce nom, parce que c'était de là que Dieu faisait entendre ses volontés1. L'un sera d'un côté, et l'autre de l'autre2. Ils tiendront leurs ailes étendues des deux côtés de l'oracle. Salomon fit pareillement placer dans le temple qu'il bâtit par l'ordre du Seigneur, deux chérubins au-dessus de l'arche d'alliance3. Voilà donc les images ; (car on entend par images indifféremment toute figure, soit taillée ou peinte) ; voilà, dis-je, les images des Anges représentés avec des ailes, telles que sont encore aujourd'hui les nôtres, faites par l'ordre de Dieu, et placées dans le temple de Salomon, et sur le propitiatoire, qui étaient les lieux les plus saints parmi les Juifs.
Calvin, au chapitre onzième du premier livre de son Institution, n° 3, réplique que « c'est chose notoire, que ceux qui s'efforcent de maintenir les images de Dieu et des Saints par l'exemple des chérubins, sont dépourvus de sens et de raison ; » cela est bientôt dit ; mais il faudrait le prouver : et au contraire la raison qu'il apporte pour justifier sa proposition, la détruit totalement. « Que signifient, dit-il, ces petites images, sinon qu'il n'y a nulle figure visible, qui soit propre à représenter les mystères de Dieu ? » Je veux bien ne pas contester cette explication de Calvin ; mais voici la conséquence que j'en tire : de l'aveu de Calvin, les deux chérubins placés sur le propitiatoire, signifiaient qu'il n'y a nulle figure visible qui soit propre à représenter les mystères de Dieu ; donc on peut faire des statues et des images qui signifient que nulle figure visible n'est propre à représenter les mystères de Dieu ; et il est bon d'avoir et de placer ces sortes d'images dans nos temples et dans nos églises. Cette conséquence, Messieurs, n'est-elle pas juste et naturelle ? Que si maintenant on peut, par des images et des figures, représenter l'invisibilité et l'incompréhensibilité de Dieu, à plus forte raison, peut-on, par des images, représenter Jésus-Christ fait homme, Jésus-Christ attaché en croix, etc.
Et comme il est bon de placer dans nos temples des images qui représentent l'incompréhensibilité de Dieu, il est bon aussi d'y placer celles qui nous représentent son infinie bonté et ses divines miséricordes. Cette seconde conséquence n'est-elle pas une suite nécessaire de la première ?
Il est encore constant que l'arche d'alliance a été bâtie par l'ordre du Seigneur. Faites une arche, dit Dieu à Moïse, en la Genèse, chapitre 6, Fac tibi arcam. Gen. 6. Il n'est pas moins certain que cette arche a été en grande vénération parmi les Juifs. Il est enfin constant que c'était une image de l'alliance du Seigneur. Calvin lui-même, en son commentaire sur le psaume 105, verset 19, convient qu'elle a été l'image de Dieu. Voilà donc encore une image, et de l'aveu même du chef de votre réforme, une image de Dieu, faite par l'ordre du Seigneur.
Il est vrai, dit votre ministre Daillé, « qu'on adorait l'arche, comme il est porté au psaume 99 ; mais cette adoration était une espèce d'honneur, moindre que l'adoration de latrie. »
« J'avoue, dit Drelincourt, autre ministre célèbre parmi vous, qu'il y a certaines choses, lesquelles encore qu'on ne les invoque, et ne les adore point, néanmoins on les révère et on les honore religieusement ; par exemple, l'arche d'alliance n'était pas invoquée, ni adorée par les enfants d'Israël, mais elle ne laissait pas de leur être en vénération, parce que Dieu lui-même l'avait ordonnée pour être le symbole de sa grâce et faveur, et qu'il se manifestait d'une façon particulière. »
Nous ne vous en demandons pas davantage en faveur des images ; car nous sommes bien éloignés de penser que l'on doive leur déférer, non plus qu'à aucune autre créature, l'adoration de latrie ; ce culte souverain n'est dû qu'à Dieu seul. Nous ne vous demandons pas même que vous les honoriez par rapport à ce qu'elles sont, mais seulement par rapport à la sainteté des objets qu'elles représentent. Le peuple Juif devait honorer l'arche d'alliance, parce qu'elle était l'image de Dieu, parce qu'elle était la figure de l'alliance que Dieu avait contractée avec les Juifs, et de celle qu'il devait dans la suite des temps contracter avec les chrétiens. Honorez les images de Jésus-Christ, parce qu'elles nous représentent et nous rappellent ce que cet aimable Sauveur a fait et souffert pour notre amour. Honorez les images des Saints, parce qu'elles nous remettent sous les yeux leurs vertus et leurs mérites. Encore un coup nous ne vous en demandons pas davantage.
Duplessis Mornay, un des plus célèbres ministres de votre prétendue réforme, n'a pas voulu faire tout-à-fait le même aveu ; il en prévoyait les conséquences. Il nous en accorde cependant assez pour justifier le culte que nous rendons aux images. « Le peuple, dit-il, n'adorait point l'arche, mais Dieu devant l'arche de son alliance, devant laquelle il avait voulu être adoré, et promis d'exaucer ceux qui y requerraient soigneusement sa face. » Que veulent dire ces paroles ? Que le culte que les Juifs rendaient à l'arche n'était pas un culte absolu, qui se terminait à l'arche considérée en elle-même, mais un culte relatif qui se rapportait à Dieu, dont l'arche n'était que la figure et l'image. Je vous en dis autant du culte des images ; ce n'est point un culte absolu, mais un culte relatif, tel que celui rendu par les Juifs à l'arche d'alliance, c'est-à-dire, un culte qui ne se termine point aux images considérées en elles-mêmes, mais qui se rapporte et se termine aux objets qu'elles représentent. C'est donc à tort, suivant les principes même de vos ministres, que vous vous récriez, et que vous taxez ce culte de superstition et d'idolâtrie.
« Il y avait dans l'Écriture, dit Daillé, un précepte de prier devant l'arche ; et il n'y en a pas de prier devant les images. » Tout ce que prouve cette raison, c'est qu'il n'y a pas un précepte d'avoir des images et de faire la prière devant elles ; mais cela ne prouve pas assurément qu'il ne soit pas bon et utile d'en avoir et de faire devant elles la prière qui est le point de foi dont il est ici question, et sur lequel nous insistons. Combien de pratiques bonnes et saintes qui ne sont pas néanmoins de précepte ? Il n'y a point de précepte qui oblige aux œuvres de surérogation, telles que sont par exemple le jeûne de tous les vendredis de l'année, et certaines prières particulières pour tous les jours ; cependant ces œuvres de surérogation sont bonnes et utiles. De même il n'y a point précepte formel d'avoir à son oratoire un crucifix, et de faire, devant ce crucifix, ses prières ; c'est cependant un usage bon et utile pour les raisons que nous déduirons dans le dernier article de la présente dissertation. Voilà tout ce que prouve le raisonnement de votre ministre Daillé, et rien de plus.
Je me trompe. Votre ministre convenant que Dieu avait ordonné de prier devant l'arche, qui était une image, ne peut pas disconvenir qu'il ne soit bon et utile de prier devant les images ; car Dieu ne peut rien ordonner qui ne soit bon, louable et utile.
Au vingt-unième chapitre du livre des Nombres, Dieu commande encore à Moïse de faire un serpent d'airain, et de le placer dans le désert pour servir de signe. Moïse exécute l'ordre du Seigneur, et tous ceux qui ayant été blessés des serpents jetaient les yeux sur ce serpent d'airain, étaient aussitôt guéris. D'un autre côté, il n'est pas douteux que ce serpent d'airain était une image taillée, et que, comme saint Jean nous l'apprend, il était l'image et la figure de Jésus-Christ qui devait être exalté en croix1. Calvin lui-même, sur les Nombres, chapitre 21, verset 8, ne peut en disconvenir. On ne saurait non plus raisonnablement contester que ceux qui regardaient ce serpent pour être guéris, ne lui portassent quelque respect ; non pas qu'il reconnussent quelque divinité, ou quelque vertu divine dans la figure et l'airain dont il était fabriqué ; non pas qu'il lui adressassent leurs prières, et qu'ils missent en lui leur confiance, comme les Gentils en leurs idoles ; mais parce qu'il était la figure du Messie. Comment douter, après un exemple si sensible et si frappant, que le culte des images ne soit bon et conforme à l'esprit de la religion ?
Calvin a bien senti la force de ce raisonnement. Et voilà pourquoi dans le onzième chapitre de son premier livre d'Institution, où il traite ce sujet, et où il tâche de répondre aux preuves tirées de l'Écriture sainte, il a gardé un profond silence sur celle que fournit cet ordre donné par Dieu même à Moïse de faire et d'élever dans le désert le serpent d'airain.
Duplessis Mornay a été plus hardi : il a cru pouvoir éluder la force de ce raisonnement par un passage de Tertullien qui, dans son livre sur l'idolâtrie, parle de ce serpent d'airain : mais loin que le passage de ce Père y donne la moindre atteinte, il en est, au contraire, une confirmation. Le voici : « Pourquoi Moïse a-t-il fabriqué le serpent d'airain dans le désert ? Les figures qui étaient faites par quelque disposition secrète, n'étaient point pour contrevenir à la loi, mais pour servir d'exemplaire à leur cause. Autrement si nous interprétions les choses comme les interprètent les ennemis de la loi, n'accuserions-nous pas nous mêmes le Tout-Puissant d'inconstance, ainsi que les Marcionites qui le détruisent, comme étant sujet au changement, en ce que, selon eux, il défend ici ce que là il commande ? Et si quelqu'un dissimule que cette effigie en forme de serpent d'airain, élevée dans le désert, a désigné la figure de la croix du Seigneur, qui devait nous délivrer des anges du diable, en ce que par lui-même il a mis à mort et suspendu le serpent, c'est-à-dire le diable ; ou s'il y a quelque autre exposition de cette figure révélée à ceux qui en sont plus dignes, comme l'apôtre nous en assure, qu'alors toutes choses sont arrivées en figure au peuple Juif ; c'est fort à propos que le même Dieu qui a défendu de faire des ressemblances, a, par un précepte extraordinaire, ordonné de faire celle du serpent. Si vous êtes fidèles au même Dieu, vous avez la loi : ne faites point de ressemblance ou similitude. Si vous considérez le commandement fait après, imitez Moïse ; ne faites aucun simulacre contre la loi, et sans que Dieu vous le commande. »
Par ces paroles vous voyez, Messieurs, que Tertullien distingue deux sortes d'effigies ou d'images. Les unes, que l'on ne pouvait avoir, ni faire sans contrevenir à la loi ; les autres qui ne sont point contraires à l'esprit de la loi, et que même Dieu a commandé de faire. On ne peut donc pas dire que toute image ait été défendue par la loi, autrement on accuserait Dieu d'inconstance, en le faisant défendre d'un côté ce qu'il commanderait de l'autre. Première conséquence claire et évidente.
Le serpent d'airain a été une des images faites par l'ordre de Dieu ; et de l'aveu de Tertullien, c'était une image utile et salutaire, en ce qu'elle était la figure de Jésus-Christ qui devait être attaché en croix pour nous délivrer de la puissance du serpent infernal, qui est le démon. L'usage, par conséquent, des images qui étaient la figure du futur Messie qui devait être notre Sauveur, était bon et conforme à l'esprit de cette loi, dans laquelle toutes choses arrivaient en figure de la nouvelle alliance. Ce n'était donc pas ces sortes d'images qui étaient prohibées par la loi ; c'était celles des nations idolâtres et superstitieuses ; c'est-à-dire les idoles et les images des faux dieux que l'on adorait parmi les Païens ; celles, en un mot, qui servaient à entretenir ou à inspirer l'idolâtrie. Cette seconde conséquence est encore toute naturelle.
Votre ministre Duplessis s'en est bien aperçu, et pour la prévenir, il ajoute aussitôt après le texte de Tertullien : « Or, en la mort de Christ, toutes ces figures sont consommées, et partant plus de telles images. » Paroles qui font bien voir que Duplessis sentait bien que, dans l'ancienne loi, toute sorte d'image n'était pas défendue ; que le serpent d'airain avait été exalté dans le désert par ordre du Seigneur. Si cependant ce ministre, par cette réflexion, ne voulait dire autre chose, sinon qu'il ne faut plus d'images qui représentent aujourd'hui le Messie, comme n'étant pas encore venu pour racheter le genre humain, et comme devant venir dans la suite des temps ainsi que faisait le serpent d'airain, je conviendrais volontiers que de telles images tendraient à renouveler le judaïsme parmi nous. Mais comme l'intention de ce ministre est de rejeter et de condamner par sa réflexion tout usage des images dans la loi nouvelle, je prétends que sa conséquence est très fausse, et tout-à-fait contraire à l'esprit même de Tertullien. Car la même raison qui, selon ce Père, autorisait parmi les Juifs l'image de leur futur libérateur, autorise à plus forte raison, parmi nous l'image de ce divin libérateur, réellement venu, et mort en croix pour le salut du genre humain.
Enfin, parcourez vous-mêmes, Messieurs, les livres saints, et vous verrez que Dieu s'est souvent manifesté et peint aux yeux des hommes sous la figure humaine, ou sous des signes visibles et sensibles. Il a apparu à Adam1 sous la forme d'un homme se promenant et parlant dans le paradis terrestre. Nous voyons aussi dans le même livre, chapitre 18, que trois personnes apparurent à Abraham dans la vallée de Mambré, et selon saint Augustin, dans son second livre de la Trinité, chapitre onzième, c'étaient les trois personnes de la sainte Trinité. Dieu se fit pareillement voir à Jacob, au bout de cette échelle mystérieuse, dont il est parlé au vingt-huitième chapitre de la Genèse ; à Isaïe, chapitre 6 de la Prophétie ; à Daniel, chapitre 7, sous la forme d'un roi assis sur un trône. Dans ce dernier même on trouve la description de sa tête et de ses vêtements. Le Saint-Esprit est descendu sur Jésus-Christ sous la figure d'une colombe, en saint Matthieu, chapitre 3. Voilà autant de faits certains et constants par l'Écriture sainte ; d'où il s'ensuit que Dieu s'est souvent représenté et peint aux yeux des hommes, sous une figure sensible : or, je vous le demande, Messieurs, pourquoi ne sera-t-il pas bon, louable et utile de représenter, par le moyen des images, ces traits de l'Écriture sainte, afin de se rappeler le souvenir de la grandeur, de la sagesse, de la bonté et des miséricordes infinies du Seigneur ? Y a-t-il plus de danger à se les rappeler dans l'esprit, par le moyen des images, que par le moyen de la lecture ?
Calvin, au chapitre 11 du premier livre de son Institution, n° 3, répond que ces apparitions étaient « comme une ouverture et un préparatif de la révélation qui devait être faite en la personne de Jésus-Christ. » Mais en premier lieu, si Dieu se peignant ainsi aux yeux des hommes sous la figure humaine, a été un moyen de préparer les esprits à la foi et à la confiance au Messie et au mystère de l'Incarnation et de la Rédemption, pourquoi ne voulez-vous pas aussi que la naissance, la mort et la passion de ce divin Rédempteur représentées par le moyen des images, soient un moyen d'exciter en nous les sentiments de foi, d'amour et de confiance en cet aimable Sauveur ? En second lieu, ce n'est pas seulement le Fils de Dieu qui s'est ainsi montré aux anciens prophètes et patriarches, sous une forme visible et sensible ; ce sont, suivant le témoignage de saint Augustin, les trois personnes de la Sainte Trinité qui ont apparu à Abraham, et le Père Éternel qu'a vu Daniel sous la forme de l'ancien des jours, assis sur un trône, et qui mettait son fils en possession de son royaume. C'est le Saint-Esprit qui, sur les bords du Jourdain, s'est montré sous la forme d'une colombe.
L'apparition du Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe, reprend Calvin, a été un signe transitoire et de peu de durée, qui, par là, avertissait que le Saint-Esprit est invisible. Les Pères de l'Église nous apportent d'autres raisons de ce symbole sous lequel descendit le Saint-Esprit sur Jésus-Christ ; mais je veux bien que cette apparition ait été transitoire et de peu de durée ; il n'en est pas moins vrai que cette mystérieuse apparition a été très réelle, et qu'il est bon et louable de s'en rappeler le souvenir : ce qui se fait premièrement et principalement par la lecture de l'Évangile, et secondement par le moyen des images.
Il y a, direz-vous peut-être, une grande différence entre les idées que forme dans nos esprits la lecture de ces différentes apparitions de Dieu, et celles que nous en donnent les images. La même Écriture sainte, qui nous atteste ces apparitions, nous avertit dans d'autres endroits que Dieu est un pur esprit, et qu'il n'est pas corporel, au lieu que les images ne nous donnent pas le même avertissement. J'avoue que les images ne nous donnent pas en effet, par elles-mêmes, cet avertissement que les livres saints nous donnent ; mais l'Écriture sainte, en nous avertissant que les visions ou apparitions de Dieu sous la forme humaine, décrites dans certains endroits de l'Écriture, ne signifient pas que Dieu soit en effet corporel et visible aux yeux du corps, nous avertit pareillement que les images, n'étant autre chose que ces mêmes visions, ou apparitions représentées en peinture, ne signifient pas que Dieu soit corporel, et puisse tomber sous nos sens.
De plus, nos pasteurs, dans leurs catéchismes et dans leurs instructions publiques et particulières, ne cessent de prévenir sur cet article leurs ouailles, suivant le précepte qui leur en est fait par le saint concile de Trente. « Quand il arrive, comme il convient quelquefois, de représenter à un peuple ignorant certaines histoires contenues dans la Sainte Écriture, qu'on ait, dit ce concile, grand soin d'avertir que par ces tableaux et images, on ne prétend pas, et on ne doit pas s'imaginer que la divinité puisse être vue des yeux du corps, ni qu'elle ait aucune couleur ou figure visible et sensible1. » C'est en effet ce que l'on a grand soin de bien inculquer dans tous les Catéchismes ; de sorte que si vous demandez aux enfants s'il est vrai que Dieu soit corporel, pour peu qu'ils soient instruits, ils vous répondront que Dieu n'a point de corps, et que c'est un pur esprit qui ne peut être vu des yeux du corps, et qui ne tombe point sous nos sens. Interrogez-les pareillement sur les faits des Anges, et ils vous satisferont également sur cet article : si vous voulez vous en épargner la peine, consultez le Catéchisme de ce diocèse, et vous vous assurerez par vous-mêmes de ce que j'ai l'honneur de vous avancer.
Rassurez-vous donc, Messieurs, contre les terreurs paniques que vos ministres veulent faire naître dans vos esprits, et au lieu de vous imaginer faussement que les images induisent à regarder Dieu et les Anges comme corporels et visibles aux yeux du corps, pensez seulement qu'elles nous rappellent les histoires, les faits et les mystères rapportés dans l'Écriture sainte, et qu'elles nous excitent à entrer dans les mêmes sentiments de piété et de religion, que les écrivains sacrés ont voulu nous inspirer par la description de ces mêmes faits et de ces mêmes histoires rapportées dans les livres divins.
Tous ces textes et tous nos raisonnements, direz-vous, prouvent bien qu'il est permis, et même bon et utile d'avoir des images et de les placer dans nos temples pour les orner ; mais prouvent-ils que l'on doive les honorer ? Oui, Messieurs, dans le sens que je l'ai expliqué ci-devant ; car prenez garde que, comme je vous l'ai dit, ce n'est pas à raison de la toile peinte, ou de la sculpture qui frappe nos yeux, que nous honorons les images ; mais à raison du prototype, c'est-à-dire à raison de l'objet qu'elles représentent. Ce n'est pas aux images que nous donnons notre confiance, et que nous adressons nos prières ; nous sommes bien éloignés de croire qu'il y ait une divinité, ou une vertu divine dans ces images. Tout l'honneur que nous leur rendons, se rapporte aux prototypes qu'elles figurent ; de sorte qu'en nous mettant à genoux devant elles, c'est ou Jésus-Christ que nous adorons, ou les Saints que nous honorons. En ce sens, je dis qu'il est bon et utile d'honorer les images, et qu'elles doivent en effet être honorées ; et en voici la preuve par les textes déjà cités. Pourquoi avoir placé deux chérubins sur le propitiatoire, si non par respect et par vénération, puisque ce propitiatoire était, chez les Juifs, le lieu le plus respectable ? C'est cependant Moïse et Salomon qui les ont placés si honorablement, et ç'a été par le commandement ou l'inspiration de Dieu qu'ils l'ont fait. Comment pareillement s'imaginer que les Juifs qui, en jetant les yeux sur le serpent d'airain, étaient aussitôt préservés de la mort et guéris de la morsure des serpents dans le désert, n'avaient pas un vrai respect pour ce serpent, non pas à la vérité, à cause de l'ouvrage considéré en lui-même, mais à cause du futur libérateur qu'il représentait, et après la venue duquel ils soupiraient avec tant d'ardeur ?
D'ailleurs, il est constant que ces images signifiaient de grands mystères et donnaient aux Juifs d'importantes leçons pour leur salut. Les deux chérubins qui couvraient de leurs ailes le propitiatoire marquaient la grandeur de Dieu, et avec quel respect on doit l'adorer. Le serpent d'airain était la figure de Jésus-Christ qui devait un jour être exalté comme notre Sauveur et notre Rédempteur. C'était en même temps aux Juifs un avertissement de mettre leur confiance en ce divin libérateur qu'ils attendaient. De là, jugez si ces images n'étaient pas à honorer et à respecter, à raison des grands mystères qu'elles annonçaient et des importantes leçons qu'elles donnaient au peuple Juif.
Calvin nous oppose grand nombre de passages de l'Écriture dans le livre premier de son Institution. Il en cite dans le corps et à la marge de l'ouvrage, jusqu'à 16 ou 17. Vous nous croyez peut-être accablés sous le poids et la multitude de ces textes. Non, Messieurs ; je le dis avec assurance ; j'ose même vous en faire juges : de tous ces textes, il n'y en a pas un seul qui attaque en aucune façon le culte que nous rendons aux images. Leur unique but est de proscrire les idoles, les statues, ou si vous voulez que je me serve de votre terme favori, les images taillées, adorées par les nations idolâtres, comme de vraies divinités, ou du moins faites pour représenter de pures créatures, comme de vrais dieux. Je vous l'ai déclaré, et je vous le répète ; nous condamnons de tout notre cœur ces idoles, et toutes ces statues et images des nations idolâtres ; et voilà précisément ce que condamnent tous les textes cités par Calvin.
Pour vous en convaincre, je n'entrerai point dans la discussion de chaque texte en particulier ; cela nous mènerait trop loin, et nous obligerait à trop de redites qui vous paraîtraient ennuyeuses. Mais vous pouvez vous en convaincre par vous-mêmes, tant par la lecture de ces textes, que par la lecture du titre qui se trouve dans vos Bibles, à la tête des chapitres dont ils sont tirés. Dans la plupart de ces titres, il est marqué en termes formels, qu'il s'agit d'idoles, d'idolâtrie, de nations idolâtres, mais afin que vous ne vous imaginiez pas que, si je n'entre point dans le détail de ces textes, c'est pour éluder la difficulté, je vais répondre en particulier à celui que Calvin met à la tête de tous les autres, comme le plus favorable à sa cause, et que vous avez coutume de nous objecter toutes les fois que nous tombons avec vous sur la question des images. La réponse que j'y vais donner, s'appliquera aisément aux autres.
Ce texte est tiré du Deutéronome, chapitre 4, verset 15. Il y est dit : Souviens-toi que l’Éternel a parlé à toi en la vallée d'Oreb, tu as ouï sa voix : tu n'as point vu de corps. Garde-toi donc d'être déçu en te faisant nulle ressemblance que ce soit. C'est ainsi que Calvin cite ce passage du Deutéronome, et il en supprime la suite. En cela, il a ses raisons ; mais vous ne trouverez pas mauvais que je le cite tout entier, sans y rien changer, ni retrancher ; le voici tel qu'on le lit dans vos Bibles françaises. Vous n'avez vu ressemblance aucune au jour que l'Éternel votre Dieu a parlé à vous en Oreb, du milieu du feu, de peur que vous ne vous corrompiez et ne vous fassiez quelque image taillée, ou ressemblance qui vous représente chose quelconque qui soit effigie de mâle ou de femelle, ou effigie d'aucune bête qui soit en la terre, ou effigie d'aucun oiseau ayant des ailes, qui vole par les cieux, ou effigie d'aucun reptile qui rampe par terre, ou effigie d'aucun poisson qui soit aux eaux, au-dessous de la terre, de peur aussi qu'élevant les yeux vers les cieux, et qu'ayant vu le soleil, la lune et les étoiles, qui est toute l'armée des cieux, tu ne sois poussé à te prosterner devant eux, et ne les serve ; vu que l’Éternel ton Dieu les a départis à tous peuples qui sont dessous le ciel universel1.
Ce texte est une répétition et une explication plus détaillée de cet autre de l'Exode : Je suis l'Éternel ton Dieu, qui t'ai retiré du pays d’Égypte de la mai. son de servitude ; tu n'auras point d'autres dieux devant ma face. Tu ne te feras aucune image taillée ni ressemblance aucune des choses qui sont là haut ès cieux, ni ici bas en terre, ni ès eaux dessous la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles et ne les serviras ; car je suis l'Éternel ton Dieu2.
Ces deux textes, quoi qu'en disent vos ministres, ne leur peuvent être d'aucun usage. Car, en premier lieu, vous ne disconviendrez pas que Dieu étant la sagesse et la vérité même, ne peut se contredire, ni défendre et commander en même temps une même chose. Or, il est certain, par les textes que je vous ai cités, que Dieu a commandé à Moïse de placer sur le propitiatoire deux chérubins, et d'élever dans le désert le serpent d'airain, qui était une image taillée et la figure de Jésus-Christ. Il est pareillement certain que la peinture et la sculpture ne sont pas des arts mauvais et réprouvés de Dieu, puisque c'est par l'inspiration de Dieu même que Bézéléel et Ooliab s'y sont appliqués. Calvin lui-même n'a pu s'empêcher d'en convenir et d'en passer sa déclaration. « Je ne suis pas, dit-il, tant scrupuleux, de juger qu'on ne doive endurer, ni souffrir nulle image ; mais d'autant que l'art de peindre et de tailler sont dons de Dieu, je requiers que l'usage en soit gardé pur et légitime. » Vous-mêmes, Messieurs, vous êtes, comme je vous l'ai déjà représenté, curieux d'avoir dans vos appartements le portrait de vos pères et de vos parents, et vous les conservez comme monuments précieux. Il n'est donc pas possible de supposer que, par les deux textes en question, Dieu ait voulu défendre toute image, et tout usage des images. Reste donc à examiner quelles images, et quel usage des images, il a voulu proscrire et condamner.
Je remarque d'abord dans le vingtième chapitre de l'Exode, où est rapportée pour la première fois la publication de la loi dont il s'agit, que la version des Septante se sert du terme grec qui signifie, en notre langue, idole. Il est d'ailleurs certain que les auteurs de cette version étaient plus versés dans la science de l'hébreu, qu'on ne l'est aujourd'hui. Il est par conséquent certain que, suivant le texte grec, conforme au texte hébreu, la loi qu'on nous objecte regarde les idoles, et pour me servir de votre expression, les images taillées et fabriquées à dessein d'occasionner et de fomenter la superstition et l'idolâtrie.
Si nous rapprochons des paroles que l'on nous objecte, celles qui précèdent, ou qui suivent, si nous faisons attention au temps auquel la loi a été portée, au génie et au caractère des personnes auxquelles elle est adressée, tout appuie et confirme notre réponse. Car, en premier lieu, il est clair, par la lecture du texte sacré, que ces paroles : Vous ne ferez point d'images taillées, etc., ont un rapport essentiel avec celles qui précèdent : Vous n'aurez point de dieux étrangers, non habebis deos alienos. Et avec ces autres qui suivent : Vous ne les adorerez point, non adorabis ea, neque coles. Or, Messieurs, que proscrivent ces paroles : Vous n'aurez point de dieux étrangers, non habebis deos alienos, et ces autres, vous ne les adorerez point, non adorabis ea, neque coles ? Elles proscrivent les actes intérieurs d'idolâtrie, qui consistent à reconnaître et à adorer de faux dieux. D'où il s'ensuit que ces autres paroles : Vous ne ferez point d'images taillées, et nulle ressemblance que ce soit, ayant un rapport essentiel avec celles qui proscrivent les actes intérieurs de l'idolâtrie sont aussi une défense des actes extérieurs de cette même idolâtrie, qui consistent à ériger des idoles, des statues et des images en l'honneur des faux dieux. Ce sont donc les idoles, les statues et les images taillées en l'honneur des fausses divinités, ou même, si vous voulez, les simulacres et les images de ces faux dieux, qui sont réprouvés par les textes dont il est ici question. En second lieu dans quel temps la loi a-t-elle été portée ? Dans un temps où l'idolâtrie était très commune ; dans un temps où les peuples érigeaient de tous côtés des statues en l'honneur des faux dieux ; dans un temps où l'on offrait de l'encens et des sacrifices aux faux dieux et à leurs statues. Il était donc bien important aux Juifs d'être prévenus et en garde contre ces actes intérieurs et extérieurs d'idolâtrie.
En troisième lieu, quelle était enfin la situation, le génie et le caractère du peuple juif, auquel Moïse adresse la parole ? C'était un peuple environné de toute part de nations idolâtres qui adoraient, comme de vraies divinités, des idoles, et qui leur offraient de l'encens et des sacrifices. C'était un peuple qui avait lui-même un violent penchant à l'idolâtrie. Témoin ce grand nombre d'Israélites qui se firent un veau d'or qu'ils adorèrent dans le désert. Témoins encore tant d'autres qui s'alliant aux nations étrangères, donnèrent dans leur superstition et leur idolâtrie, ainsi que nous l'apprend le texte sacré. Dieu, qui connaissait les dispositions de ce peuple, et les dangers auxquels il serait exposé au milieu de tant de peuples incirconcis et idolâtres, le prévient contre la tentation, et lui fait une expresse défense de reconnaître et d'adorer des dieux étrangers : Non habebis deos alienos. Pour aller même au-devant de tout ce qui pourrait donner lieu à la tentation, il proscrit toute idole, toute statue, toute image taillée en l'honneur des faux dieux, et même toute représentation des faux dieux adorés parmi les nations étrangères : Non adorabis ea, neque coles.
Voilà, Messieurs, l'interprétation naturelle des textes de l'Exode et du Deutéronome, interprétation appuyée par l'autorité de saint Augustin qui, dans la question 71 sur l'Exode, les explique ainsi ; appuyée même de l'autorité de Moïse qui, dans le chapitre 26 du Lévitique, intime ainsi l'ordre du Seigneur. Je suis le Seigneur votre Dieu ; vous ne ferez point d'idoles et de statues ; vous ne dresserez point de monuments, n'érigerez point de pierre remarquable pour l'adorer1. Remarquez, je vous prie, Messieurs, ces paroles, pour les adorer, ut adoretis eum. A quoi bon cette addition ? sinon pour signifier que toute image et toute sculpture n'était pas absolument défendue, mais seulement celles qu'on érigeait en l'honneur des faux dieux, qui en étaient la représentation, et qu'on adorait.
Vos ministres eux-mêmes, dans leur Catéchisme, conviennent que tel est le vrai sens de la défense faite aux Juifs. Au dimanche 53, le ministre demande : « Dieu veut-il du tout défendre de faire aucune image ? » L'enfant répond : « Non, mais il défend de faire aucune image pour figurer Dieu, ou pour l'adorer. » Par ces paroles vous confessez que les images proscrites et défendues par la loi, sont celles qui sont faites pour figurer Dieu, ou pour être adorées ; or les images parmi nous ne sont faites ni pour figurer Dieu, ni pour être adorées : elles ne sont pas faites pour figurer Dieu, mais seulement pour remettre devant les yeux des peuples grossiers, certains traits, certaines histoires, certaines apparitions qui sont rapportées dans les Saintes Écritures, qu'il est bon et utile et quelquefois même nécessaire de se rappeler en la mémoire, et que les peuples grossiers ne retiendraient pas sans le secours des images. Encore, en ce cas, le concile de Trente prescrit-il « que l'on ait grand soin d'avertir les fidèles que l'on ne prétend pas que la Divinité soit figurée, comme si on pouvait la voir des yeux du corps, ou l'exprimer par couleur ou par figure1. » Les images pareillement ne sont point faites parmi nous pour être adorées ; nous n'avons garde de croire qu'il y ait en elles quelque divinité, ou quelque vertu pour laquelle on doive leur rendre cet hommage. Nous sommes pareillement bien éloignés de penser qu'il faille adresser quelque demande, et y mettre sa confiance, comme font les Gentils à l'égard de leurs idoles. L'honneur que nous leur rendons se rapporte à ceux qu'elles représentent, de sorte qu'en nous prosternant devant un crucifix, ce n'est pas le crucifix que nous adorons, mais Jésus-Christ dont ce crucifix nous rappelle le souvenir. Quand pareillement nous prions, et nous nous inclinons devant l'image de la sainte Vierge, ou de quelque autre Saint, ce n'est pas l'image que nous honorons, mais la sainte Vierge, ou le Saint qui nous est représenté dans l'image. C'est encore le concile de Trente qui parle et qui fait cette déclaration2. Il est donc constant que les images, parmi nous, ne sont faites, ni pour figurer Dieu, ni pour être adorées ; et conséquemment elles ne sont pas du nombre de celles qui ont été proscrites et défendues par la loi.
Calvin, pour combattre cette réponse, et pour tâcher de faire retomber sur nous le crime d'idolâtrie qu'on a reproché aux Juifs et aux Gentils, avance une proposition qui, sans doute, va paraître étrange. Jamais peut-être, avant lui, on ne s'était avisé de penser que les Juifs, dans ce temps-là même qu'ils demandaient à Aaron le veau d'or, se voulaient bien tenir à Dieu qui avait été leur rédempteur, moyennant qu'ils eussent la ressemblance ou la figure du veau. Jamais peut-être on n'avait pensé que sous ce simulacre, ils avaient l'intention d'adorer le Dieu éternel, créateur du ciel et de la terre. Ces belles découvertes étaient réservées au chef de votre prétendue réforme ; et il n'a pas eu honte de les publier dans son premier livre d'Institution, chapitre 11 n° 9. « Les Juifs, dit-il, n'étaient pas si dépourvus de sens, qu'ils ne sussent que c'était Dieu qui les avait tirés d’Égypte, avant qu'ils forgeassent le veau ; même quand Aaron publia que c'étaient les dieux qui les avaient délivrés, ils s'y accordaient sans difficulté, signifiant par-là qu'ils se voulaient bien tenir à Dieu qui avait été leur rédempteur, moyennant qu'ils eussent sa ressemblance en la figure du veau. Les Juifs, ajoute-t-il, avaient ce propos d'adorer, sous leurs simulacres, le Dieu éternel, créateur du ciel et de la terre. » S'il n'est pas tout-à-fait si indulgent pour les Gentils, il prétend cependant qu'ils n'ont pas adoré leurs idoles et leurs statues de bronze et d'airain. Mais sous ces simulacres, dit-il, ils adoraient leurs dieux habitant au ciel. Que penser d'un auteur qui, pour soutenir sa cause, a recours à de semblables imaginations ? Comment ose-t-on alléguer des rêveries qui se détruisent d'elles-mêmes, et qui sont formellement contraires à ce que l'Écriture nous apprend, et à ce que nous attestent tous les historiens ? Ce serait perdre le temps que de vouloir s'arrêter à les réfuter.
Voici cependant un ou deux textes de l'Écriture que je joins ici, non pas que je vous croie tentés d'adopter ces sortes d'extravagances, quoique renouvelées dans ces derniers temps, par un de vos fameux ministres de Genève, M. Pictet, mais seulement afin de vous faire remarquer la témérité de vos auteurs, et le peu de cas qu'ils font de l'Écriture, quand elle ne s'accorde pas avec leurs idées et avec leurs systèmes. Au 32è chapitre de l'Exode, il est rapporté que quand Moïse descendit de la montagne d'Oreb, le Seigneur lui parla, et lui dit : Allez, descendez, car votre peuple que vous avez délivré de l’Égypte a péché ; ils se sont retirés bientôt de la voie que vous leur avez montrée ; ils se sont fait un veau jeté en fonte, et ils l'ont adoré ; et en lui immolant des hosties, ils ont dit : Ce sont là, Israël, vos dieux qui vous ont tirés de l’Égypte1.
C'est Moïse, ou plutôt c'est Dieu lui-même qui atteste que les Juifs ont adoré le veau dans le désert, et qu'ils lui ont immolé des hosties. Le chef de votre réforme, Calvin, assure cependant le contraire, et il prétend que dans ce temps-là, ils voulaient s'en tenir à Dieu qui avait été leur rédempteur, moyennant qu'ils eussent sa ressemblance en la figure du veau. Il ajoute qu'ils avaient ce propos d'adorer sous leurs simulacres le Dieu éternel, créateur du ciel et de la terre. Peut-on contredire plus ouvertement la parole de Dieu ?
L’Écriture sainte nous atteste encore qu'il y avait, chez les Babyloniens, une idole que l'on appelait Bel ; que le roi allait chaque jour l'adorer ; et qu'ayant demandé à Daniel pourquoi il ne voulait pas l'adorer également comme les autres, celui-ci lui avait répondu qu'il n'adorait point des idoles fabriquées de main d'homme ; mais qu'il adorait le Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, qui a pouvoir sur toute chair. A quoi le roi repartit : Pensez-vous que Bel ne soit pas un Dieu vivant ? Ne voyez-vous pas qu'il mange et qu'il boit chaque jour ? C'est l'Esprit Saint, qui, comme vous voyez, nous marque dans les termes les plus positifs et les plus formels, que les incirconcis adoraient leurs statues et leurs simulacres comme de vrais dieux, comme des dieux vivants et habitant sur la terre. Malgré cela, Calvin n'en veut rien croire ; et pour nous reprocher de donner dans les sentiments de ces idolâtres, il avance hardiment qu'ils adoraient, non point les statues érigées en l'honneur des idoles, mais le Dieu éternel, créateur du ciel et de la terre. Encore un coup, n'est-ce pas donner un démenti formel aux livres sacrés ?
On ne peut pas disconvenir que depuis le sixième siècle, l'usage ait été non-seulement d'avoir des images, mais encore de les placer dans nos églises, et de les honorer. C'est un fait constant, et dont vos ministres eux-mêmes ne disconviennent pas. Ils ne tentent d'en exempter que les cinq premiers siècles. « Notons, dit Calvin dans son premier livre d'Institution, chapitre 11, n. 13, notons que par l'espace de cinq cents ans ou environ, du temps que la chrétienté était en sa vigueur, et qu'il y avait plus grande pureté de doctrine, les temples des chrétiens ont communément été nets et exemptés de telles souillures. » (C'est ainsi qu'il appelle les images.) « Ainsi, continue-t-il, depuis que le ministère de l'Église s'est abâtardi, on s'est avisé de forger des images pour orner les temples. »
Il serait donc inutile de s'arrêter à prouver ce qui n'est point contesté ; mais qu'il me soit permis de faire une réflexion toute simple et toute naturelle sur cet aveu. Croyez-vous, Messieurs, que, comme dit Calvin, depuis le sixième siècle, le ministère de l'Église ait été abâtardi, et que depuis ce temps, jusqu'à votre prétendue réforme, elle ait été dans l'erreur et dans l'idolâtrie ? Vous devriez le croire dans vos principes, puisque vous prétendez que, pendant tout ce temps, l'Église a adopté le culte des images qui est, selon vous, un culte superstitieux et idolâtre. Mais si vous le croyez, il faut conséquemment que vous disiez que, depuis le sixième siècle, le ministère de l'Église s'étant abâtardi, et l'Église ayant embrassé la superstition et l'idolâtrie, il n'y a point eu de vraie Église jusqu'au temps de votre prétendue réforme, et que pendant tout ce long intervalle de temps, c'est-à-dire pendant huit ou neuf cents ans, il n'y a eu que mort et damnation, puisque, selon vos propres termes, hors de l'Église il n'y a que damnation et mort. Sentez-vous, Messieurs, l'absurdité de ces conséquences ?
Je n'en demeure pas là. Je remarque que Calvin dans l'aveu qu'il fait, n'ose pas nier absolument qu'il y ait eu des images dans les temples des chrétiens pendant les cinq premiers siècles. Il dit seulement que communément, ils en étaient exempts : expression qui fait entendre que cet usage, quoique moins commun alors que dans les siècles postérieurs, était néanmoins dès lors introduit, au moins dans certaines Églises. Daillé, également intéressé à combattre cet usage, n'ose cependant en reculer l'époque, comme son maître, jusqu'après le cinquième siècle. Il convient, dans son Traité des Images, livre troisième, que « vers la fin du quatrième siècle, on commença d'introduire des images dans les églises de quelques chrétiens. » Ce sont ses propres paroles : il est vrai que l'un et l'autre ajoutent que c'était pour y servir d'ornement, et non par respect et vénération pour ces images. Ont-ils droit de faire cette restriction ? Nous l'examinerons dans la suite.
Mais pour le moment présent, profitons de leur aveu, et développons les conséquences naturelles qui en résultent. Les cinq premiers siècles sont le temps « où la chrétienté a été dans sa vigueur, et où il y a eu une plus grande pureté de doctrine. » Calvin le déclare en termes formels : « C'ont été les siècles lumineux de l'Église, » dit Banage : C'est donc dans « les siècles lumineux de l'Église, et dans le temps où la chrétienté était dans sa vigueur, et où il y a eu plus grande pureté de doctrine, qu'on a commencé d'introduire les images dans les églises des chrétiens. » Donc alors on croyait qu'il était bon et utile d'y en avoir ; car il n'est pas possible de se persuader que dans les siècles lumineux de l'Église, on ait ignoré ce qui était bon ou mauvais, encore moins dans ce temps lumineux, et où il y avait une plus grande pureté de doctrine, on ait voulu introduire un usage mauvais, qui aurait donné une atteinte mortelle à la religion et au culte du vrai Dieu. Donc on croyait alors, et on doit encore aujourd'hui croire que c'est un usage utile, et en le croyant, on croit ce que l'on a cru dès les premiers siècles où la chrétienté, selon vos ministres, était dans sa vigueur. Ces conséquences sont claires et évidentes, mais cela posé, que deviennent presque tous les raisonnements de vos ministres, fondés uniquement sur cette supposition, que la coutume d'avoir des images dans l'Église est une innovation et un abus proscrit par la loi de Dieu, et renouvellent l'idolâtrie et la superstition dans le sein du christianisme ?
Ces images, disent Calvin et vos ministres, n'ont été placées alors dans les églises que pour servir d'ornement. Mais je vous le demande, Messieurs, peut-on regarder comme un ornement du lieu saint, ce que l'on croit être un moyen propre à abâtardir le ministère de l'Église, à détruire le culte du vrai Dieu, et à renouveler l'idolâtrie ? Peut-on regarder comme ornement de l'Église ce qu'on regarde comme propre à causer de si mauvais effets ? Il faut donc que, dans ces siècles lumineux et où il y a eu plus grande pureté de doctrine, on ait eu des images une idée différente de celle que vous en avez.
Ce n'est pas assez d'avoir combattu vos ministres par leurs propres aveux et leurs contradictions, il faut encore les attaquer par l'autorité de tout ce qu'il y a de plus respectable dans l'antiquité. Les Justin, les Tertullien, les Minutius Felix, les Origène, les Eusèbe, les Damase, les Basile, les Grégoire de Nazianze et de Nysse, les Ambroise, les Prudence, les Paulin, les Chrysostôme, les Augustin, voilà certainement ceux qui ont fleuri dans ces heureux temps où, selon vos ministres, « la chrétienté était en sa vigueur, et où il y a eu plus grande pureté de doctrine. » On peut même ajouter qu'ils sont, pour la plupart, du nombre de ceux dont Dieu s'est servi pour conserver le précieux dépôt de la foi, et la pureté de la doctrine. On ne peut donc pas les soupçonner d'avoir voulu innover et introduire un usage et un culte superstitieux et idolâtre : or tous ces Pères font mention des images, et en attestent l'antiquité. Saint Justin, dans son dialogue avec Triphon contre les Juifs, décrit la forme que l'on donnait aux croix de son temps, et il dit qu'on la montrait aux incrédules pour leur condamnation1. Tertullien, dans son livre de la Pudicité, chapitre 7, rapporte que la coutume était de représenter sur les calices Jésus-Christ sous la forme du bon pasteur, rapportant sur ses épaules au bercail la brebis égarée2. Ce même Tertullien, ainsi que Minutius Felix, dans leur apologie, répondent à l'objection que les Gentils faisaient aux chrétiens de prier devant les croix de bois : d'où il est naturel de conclure que, du temps, et même avant ces deux auteurs, c'est-à-dire dès le second siècle, on priait, comme l'on prie encore aujourd'hui, devant l'image de Jésus-Christ immolé sur la croix pour le salut du genre humain. Origène, en sa sixième homélie sur l'Exode, dit que l'image de la croix a la vertu de faire trembler et de mettre en fuite les démons3. Le pape Damase, dans la vie du pape Sylvestre, rapporte que le grand Constantin avait placé, dans l'église où il avait eu le bonheur de recevoir le saint baptême, plusieurs statues d'or et d'argent, et entre autres, une de Jésus-Christ, et une de saint Jean-Baptiste. Saint Basile congratule un peintre d'avoir mieux exprimé avec son pinceau le martyre de Barlaam qu'il ne l'avait pu faire lui-même par ses paroles1.
Saint Grégoire de Nysse raconte qu'il se sentait touché jusqu'aux larmes, en considérant l'image d'Isaac, courbant sa tête sous le glaive de son père Abraham2. Dans la liturgie de saint Chrysostôme ; il est fait mention de l'image de Jésus-Christ placée dans le Temple, à laquelle le prêtre fait une inclination.
Consultons encore les auteurs de l'Histoire Ecclésiastique. Commençons par Eusèbe de Césarée ; dans le livre septième de son Histoire, chapitre 14, il fait mention d'une statue que la femme de l'Évangile, affligée, depuis douze ans, d'une perte de sang, avait fait ériger en l'honneur de Jésus-Christ qui l'avait miraculeusement guérie : il rapporte qu'au pied de cette statue croissait une espèce d'herbe inconnue, qui ayant atteint le bas de la robe de la statue, avait la vertu de guérir toutes sortes de maladies ; il assure qu'il l'avait vue de ses propres yeux. Il ajoute encore avoir vu pareillement les images des apôtres saint Pierre et saint Paul, et de Jésus-Christ, qu'on conservait, et pour lesquelles on avait un vrai respect3.
Sozomène, au cinquième livre de son histoire, chapitre 20, rapporte qu'elle était encore subsistante du temps de Julien l'Apostat4. Nicéphore, dans son dixième livre, chapitre 30, fait mention de ce même fait, et ajoute qu'on avait pour cette image une vénération particulière5. Astérius, évêque d'Amasée, en parle aussi dans son homélie sur la femme malade d'une perte de sang. Peut-on douter d'un fait certifié par tant et de si graves auteurs ?
Nous lisons encore dans Nicéphore, que sainte Pulchérie, associée au gouvernement de l'empire par Théodose son frère, avait fait construire une église dans laquelle elle plaça une image de la sainte Vierge, qui, selon ce même auteur, passait, suivant la tradition des anciens, pour être l'ouvrage de saint Luc6. Quelques auteurs prétendent que ce fut l'impératrice Eudoxie qui en fit présent à sainte Pulchérie, en signe de l'étroite union qui régnait entre ces deux princesses.
En voilà certainement plus qu'il n'en faut pour démontrer non-seulement la fausseté de ce que vos ministres ont osé avancer, que dans les quatre et cinq premiers siècles, l'usage et le culte des images était inconnu, mais encore pour en prouver la solidité et l'utilité.
Car enfin si c'était un culte superstitieux et idolâtre, comme le prétendent vos ministres, ou même s'il n'était pas bon et utile, saint Luc, inspiré de Dieu pour écrire l'Évangile, eût-il mis entre les mains des nouveaux prosélytes de l'Évangile, l'image de Marie ? Les premiers fidèles auraient-ils été si curieux d'avoir des images de Jésus-Christ, de saint Pierre et de saint Paul ? Est-il croyable que dans ce premier temps, où l'idolâtrie était si en vogue, et par conséquent beaucoup plus à craindre que de nos jours, les Apôtres et les Pères de l'Église n'auraient pas ôté des mains et de devant les yeux de leurs néophytes ces images, si elles eussent été pour eux un sujet de scandale et une occasion de retomber dans l'idolâtrie ? Est-il croyable que, par leurs exemples et par leurs écrits, ils en eussent eux-mêmes autorisé et recommandé l'usage ?
Vos ministres ne pouvant contester des faits attestés par tant et de si graves auteurs, ont enfin avoué que, dès les premiers siècles de l'Église, il y a eu des images, et même que l'usage en a été toléré, et qu'il le peut être en tant qu'elles servent à rappeler le souvenir de certaines histoires et de certains traits de la vie de Jésus-Christ et des Saints ; mais que de là il ne faut pas conclure que l'on doit les placer dans les églises. Tel est l'aveu qu'est forcé de faire Calvin au douzième chapitre du premier livre de son Institution, n. 12.
Mais, en premier lieu, n'est-il pas vrai que c'est surtout dans les églises, et quand il s'agit de prier le Seigneur, qu'il faut se rappeler le souvenir de certaines histoires rapportées dans l'Écriture, et de certains faits de la vie de Jésus-Christ et des Saints, propres à ranimer notre ferveur et notre dévotion ? C'est donc surtout et principalement dans les églises et dans les lieux destinés à la prière, qu'on doit placer les images.
En second lieu, il est certain que le grand Constantin, au commencement du quatrième siècle, fit placer des images dans plusieurs églises. Ce fait, comme vous venez de le voir, est tellement constaté, qu'il n'y a pas moyen de le contester. On ne peut pas d'ailleurs supposer avec quelque vraisemblance, qu'en cela ce religieux empereur ait voulu contrevenir au sentiment des Pères de l'Église, pour lesquels il fit paraître tant de respect et de déférence dans le concile de Nicée. Il faut donc que, dès le temps de Constantin, c'est-à-dire dès le commencement du quatrième siècle, les Pères fussent persuadés qu'il était bon et utile d'avoir et de placer dans les églises des images. On ne peut pas non plus supposer que ces grands évêques qui, sous le règne de cet empereur, montrèrent tant de zèle pour la cause de Dieu et les intérêts de la religion, aient voulu introduire un usage proscrit et réprouvé par leurs prédécesseurs. Il faut donc encore convenir que, dans le siècle précédent, c'est-à-dire dans le troisième siècle, on pensait également, comme dans le quatrième, qu'il est bon et utile de placer des images dans les églises, et cela revient parfaitement à ce que dit Tertullien, que de son temps, c'est-à-dire dès le commencement du troisième siècle, l'usage était de représenter sur les calices qui ne servent que dans l'église, Jésus-Christ sous la forme du bon Pasteur, rapportant sur ses épaules au bercail la brebis égarée ; faisant ensuite, au sujet des Pères du second et du troisième siècle, le même raisonnement que je viens de faire au sujet de ceux du quatrième siècle, il faut dire qu'on ne peut les accuser d'avoir innové, ni de s'être écartés de la doctrine de leurs pères, et que conséquemment c'est des Apôtres qu'est venue la persuasion où ils étaient qu'il est bon et utile d'avoir et de placer des images dans les églises.
Il faut que je vous communique encore l'aveu fait par les centuriateurs de Magdebourg, auteurs qui ne vous doivent pas être suspects, puisqu'ils sont, comme vous, ennemis déclarés des images. Dans la troisième Centurie, chapitre 6, ils conviennent que, selon Tertullien, les chrétiens avaient l'image de la croix dans les lieux de leurs assemblées et dans leurs maisons particulières ; que c'est sur cet usage qu'est fondé le reproche que les païens leur faisaient d'être les religieux de la croix. Ils auraient pu ajouter que Tertullien se fait honneur de ce reproche, et qu'il donne la raison pour laquelle on honorait la croix : savoir, que c'est un bois qui leur était avantageux1. Ils auraient encore pu rapporter cet autre passage du même Père, en son livre de la Couronne du soldat, chapitre 3 : « Nous faisons le signe de la croix sur le front, toutes les fois que nous entrons dans la maison ; ou que nous en sortons ; toutes les fois que nous prenons ou quittons nos habits, que nous allons aux bains, ou que nous allumons de la lumière, que nous nous mettons à table, au lit, ou que nous nous asseyons, soit pour nous reposer, soit pour converser2. »
Enfin, s'ils eussent voulu donner une idée exacte des sentiments et des usages de la primitive Église, ils n'auraient pas omis que ce Père, comme aussi saint Basile, ont attesté formellement que le signe de la croix est de tradition apostolique. Ces aveux auraient fermé la bouche à vos ministres, et prévenu leurs vaines déclamations. Car si le signe et l'image de la croix sont de tradition apostolique, ce n'est donc point une innovation, mais une pieuse pratique établie par les Apôtres ; si de tout temps on a eu recours au signe de la croix, même dans l'intérieur de la maison, et lorsque l'on était retiré chez soi, ce n'était donc pas seulement pour faire voir aux païens qu'on ne rougissait point de la croix de Jésus-Christ, ainsi que l'ont avancé quelques-uns de vos ministres, mais que c'était encore par respect pour ce précieux instrument de notre salut. Si c'était un signe qui distinguait le chrétien d'avec le païen, ce n'était donc pas un acte de superstition et d'idolâtrie, mais un acte de religion et de catholicité ; si c'était enfin une marque qu'on ne rougissait point de la croix de Jésus-Christ, pourquoi donc avez-vous aboli cette pieuse coutume ? Ne sommes-nous pas également, comme les premiers chrétiens, obligés de rendre témoignage à notre foi, et de confesser que nous ne rougissons pas de la croix de notre Sauveur ?
Vos ministres vous disent qu'il n'est pas fait mention, dans l'histoire des trois premiers siècles, d'images placées dans les églises. Je conviens que l'usage des images était alors moins commun, et qu'on ne les mettait pas aussi publiquement dans les églises qu'on l'a fait dans les siècles suivants ; et la raison en est sensible. Vous connaissez les violentes tempêtes dont l'Église fut agitée à la naissance du christianisme : toutes les puissances de la terre s'armèrent contre les chrétiens ; elles faisaient partout éclater leur haine et leur fureur, non-seulement contre ceux qui embrassaient l'Évangile, mais encore contre tout ce qui pouvait autoriser et accréditer la religion chrétienne. Vous n'ignorez pas que les premiers fidèles étaient obligés de tenir leurs assemblées dans des lieux cachés, pour se dérober à la recherche et à la rage des tyrans. Vous savez même que quand les empereurs païens pouvaient découvrir les maisons où se tenaient ces sortes d'assemblées, ils les faisaient raser ; témoins les édits de Dioclétien et de Licinius à ce sujet. Dans ces tristes circonstances, il est visible que les chrétiens n'avaient pas des églises stables, et sur la durée desquelles ils pussent compter. Il ne convenait pas alors qu'ils les décorassent de riches statues et de belles images, comme on l'a fait lorsque la paix a été rendue à l'Église : ç'eût été donner lieu de les piller et de les détruire.
Vous n'ignorez pas non plus les exactes recherches que les empereurs païens faisaient des exemplaires de l'Écriture sainte pour les brûler, et l'attention qu'avaient les premiers fidèles pour cacher et mettre à couvert de pareilles insultes, ce précieux dépôt. Par la même raison, si ces empereurs païens et idolâtres avaient pu mettre la main sur les images de Jésus-Christ, des Apôtres et des Martyrs, ils leur auraient fait pareillement toutes sortes d'outrages. Jugez-en par Julien l'Apostat, qui, suivant le rapport de Sozomène, de Nicéphore et de plusieurs autres, eut l'audace de briser la statue de Jésus-Christ, pour substituer la sienne en sa place. Il était alors de la prudence de ne pas exposer à la vue et aux insultes des païens et des Juifs, les images de Jésus-Christ et des Saints.
Dans les temps de trouble et de persécution, on est obligé de prendre certaines précautions dont on n'use pas dans les temps de paix et de tranquillité. Aujourd'hui, Messieurs, si quelque puissance séculière s'avisait de vouloir briser les images, ne serait-il pas de la prudence de les cacher, s'il était possible ? Il n'est donc pas surprenant que l'Église des premiers siècles ait pris les mêmes précautions qu'elle prendrait encore aujourd'hui en pareil cas ; et comme les prenant aujourd'hui, si le cas échéant, il ne s'ensuivrait pas de là qu'elle proscrirait l'usage des images dans nos temples, de même, quoique l'Église des premiers siècles ait eu cette attention, et usé de ces précautions, à raison des fâcheuses circonstances où elle s’est trouvée, il ne s'ensuit pas de là qu'elle ait jamais proscrit et condamné l'usage et le culte des images de Jésus-Christ et des Saints dans les églises.
Il paraît au contraire par le zèle avec lequel les fidèles en remplirent les temples, quand Dieu eut donné la paix à l'Église, que si on ne l'avait pas fait plus tôt, c'était par respect pour ces images, et par la crainte de les exposer aux outrages des païens.
Au reste, dans ces temps-là même, il est certain, par le témoignage de Tertullien et l'aveu des centuriateurs de Magdebourg, qu'on les plaçait non-seulement dans les maisons particulières des chrétiens, mais encore dans les lieux où ces fidèles tenaient leurs assemblées.
Il est encore constant par le rapport d'Eusèbe, de Théodore Lecteur, de Sozomène, de Nicéphore, d'Evagrius et de plusieurs autres, que dès les deux premiers siècles, on était fort curieux des images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des apôtres saint Pierre et saint Paul ; qu'on les conservait précieusement, et que, par conséquent, dès la naissance du christianisme, l'usage et le culte des images a été approuvé de l'Église.
Comment se peut-il faire, direz-vous, que l'usage d'avoir des images dans l'Église soit aussi ancien que nous le prétendons ? Saint Épiphane vivait dans le quatrième siècle ; il était certainement bien au fait des sentiments et des maximes de la primitive Église. Il ne pouvait cependant tolérer les images dans les lieux saints, ainsi qu'il paraît par sa lettre à Jean de Jérusalem. « Étant entré, dit-il, dans l'église d'un village, nommé Anablate, je trouvai suspendu à la porte un voile teint et peint, ayant une image comme de Jésus-Christ, ou de quelque autre saint, car je ne me souviens pas assez de qui était cette image ; mais voyant que contre l'autorité des Saintes Écritures, il y avait dans l'église l'image d'un homme, je la brisai, et je donnai ordre à ceux qui avaient soin de cette église d'ensevelir un homme avec ce voile1. » Le concile d'Elvire, plus ancien encore que saint Épiphane, défend en termes formels de placer des images dans les églises2.
Voilà les deux principales objections que vos ministres proposent contre l'ancienneté du culte et de l'usage des images dans nos temples ; mais je me flatte de vous satisfaire sur l'une et sur l'autre. Commençons par celle qui est tirée de la conduite de saint Épiphane.
Que ce Père ait écrit à Jean de Jérusalem, non seulement pour se laver du reproche que ce patriarche lui faisait d'avoir ordonné prêtre Paulinien, mais encore pour l'exhorter à ne point adhérer aux erreurs d'Origène, tout le monde en convient ; mais il n'en est pas de même du texte que vous nous objectez. De graves auteurs pensent que c'est un texte supposé et inséré par une main étrangère dans la lettre de saint Épiphane, et il y a tout lieu de le croire ; car, en premier lieu, sa lettre paraît être finie avant l'exposé de ce qui concerne l'image trouvée dans l'église d'Anablate, et cet exposé n'a en effet nul rapport au but que saint Épiphane se propose dans sa lettre, qui, comme je viens de vous le dire, est de se justifier sur l'ordination de Paulinien, et de détacher Jean de Jérusalem des erreurs d'Origène.
Votre ministre Duplessis cite cette lettre comme étant parmi celles de saint Jérôme, et il a raison ; je l'y ai lue moi-même : mais il ajoute que dans le texte mis à la tête de cette lettre, il est fait mention de l'image brisée par saint Épiphane ; en cela je n'ose pas prononcer absolument que ce ministre veuille en imposer. Mais je ne vous dissimulerai point que j'ai eu la curiosité de consulter les différentes éditions de saint Jérôme, et j'en ai trouvé plusieurs qui, dans le titre de la susdite lettre, annoncent les différentes matières qui y sont agitées ; mais je n'en ai vu aucune où, dans le titre, il soit parlé du voile déchiré par saint Épiphane.
En second lieu, il est constant que les iconoclastes, dans le second concile de Nicée, firent tous leurs efforts pour s'appuyer du suffrage de saint Épiphane ; jusque-là même qu'ils produisirent, comme de lui, plusieurs passages qui furent réprouvés comme faux et supposés. Lisez les actes de ce concile, et vous en serez convaincus par vous-mêmes. Si donc le passage dont il est ici question eût été véritablement de ce Père, comme vous le prétendez, ils n'auraient pas manqué de s'en prévaloir préférablement à tout autre, d'autant plus que cette lettre avait été très commune, ainsi que l'atteste saint Jérôme dans sa trente-sixième lettre à Pammachius. Ils ne l'ont pas fait cependant ; preuve sensible que ce texte n'est point de saint Épiphane.
En troisième lieu, si saint Épiphane eût été réellement convaincu que c'était un abus intolérable et condamné par l'Écriture sainte, d'avoir dans l'église des images, dans son livre des hérésies il en aurait certainement fait mention, comme il l'a fait de l'hérésie des Collyridiens, et de plusieurs autres abus que des particuliers avaient voulu introduire dans le culte divin.
Quatrièmement enfin, dans l'article de la trentième hérésie, il parle avec de grands éloges de la croix, qui est une vraie image de la mort et passion de Jésus-Christ. Concluons donc que le texte en question n'est point de saint Épiphane.
Si cependant vous ne voulez pas encore vous rendre à ces raisons, toutes solides qu'elles sont, je veux bien par grâce, vous passer que ce texte est de saint Épiphane, comme vous le prétendez ; mais vous n'en serez pas pour cela plus avancés. Pour que l'objection puisse avoir lieu, il faut supposer que l'image brisée par saint Épiphane était une image de Jésus-Christ, ou de quelque Saint, et non une image profane : car si c'était une image profane, telle que celle d'un particulier qui ne serait point reconnu pour saint, la conduite de saint Épiphane prouve parfaitement qu'on ne doit pas souffrir dans l'église des images profanes ; mais de là l'on ne pourra pas inférer qu'on n'y doit pas souffrir celles de Jésus-Christ ou des Saints. Nos prélats, conformément au décret du concile de Trente, ont grand soin, dans le cours de leurs visites, de bannir de nos temples les images profanes ; de là est-on en droit de conclure qu'ils n'y veulent point tolérer celles de Jésus-Christ et des Saints ? Il vous faut donc nécessairement montrer que saint Épiphane parle, non d'une image profane, mais d'une image de Jésus-Christ ou de quelque saint, autrement l'objection tombe d'elle-même. Or je prétends qu'on ne saurait le montrer, et que le contraire paraît par les termes même de ce Père. Car en premier lieu, il ne dit pas que c'était l'image de Jésus-Christ ou de quelque saint, ce qui lui était naturel de dire, si son intention eût été en effet de proscrire ces sortes d'images ; il déclare même qu'il ne se souvient pas de qui était cette image1 : que c'était un voile teint ou peint, ayant une image comme de Jésus-Christ ou de quelque Saint2. Cette expression, comme de Jésus-Christ ou de quelque saint, ne signifie-t-elle pas que ce n'était point en effet l'image de Jésus-Christ ou de quelque saint, mais l'image d'un particulier, du nom duquel il ne se souvenait point, lequel on avait peint honorablement sur le voile du temple placé à la porte de l'église, comme si c'eût été l'image de Jésus-Christ ou de quelque saint ?
Remarquez encore le motif qui porta saint Épiphane à briser cette image ; « c'était, dit-il, parce qu'il est contre l'autorité des Saintes Écritures d'avoir dans l'église l'image d'un homme3. » Ces paroles, comme vous voyez, ne s'étendent point aux images des Saints : on ne peut pas même supposer que ce Père ait eu intention de les y étendre. Il était trop versé dans la science des livres sacrés, pour ne pas savoir qu'il y est fait mention des chérubins, posés par l'ordre de Dieu sur le propitiatoire, et de l'arche d'alliance placée dans le temple de Salomon : il était pareillement trop instruit des sentiments et des usages de l'Église de Jésus-Christ, pour ignorer que, de son temps, la coutume était d'avoir des images dans les églises. Enfin, il était trop étroitement lié avec les Basile, les Grégoire de Nysse, et tous les autres Pères de ce siècle, pour n'être pas informé qu'ils s'étaient ouvertement déclarés en faveur de cette pratique. En supposant donc que le texte en question soit réellement de saint Épiphane, on doit l'entendre, non d'une image de Jésus-Christ ou de quelque saint, mais d'une image profane ; et on ne peut en rien conclure contre le culte des images de Jésus-Christ et des Saints.
A l'égard du trente-sixième canon du concile d'Elvire, j'espère encore vous faire convenir, ou du moins vous prouver invinciblement qu'il ne vous est nullement favorable. Je vous ai déjà fait observer que, dans les premiers siècles, les païens, ennemis de tout ce qui pouvait accréditer la religion chrétienne, ne pouvaient souffrir la vue des images de Jésus-Christ ou des Saints, d'autant qu'elles leur reprochaient vivement, quoique tacitement, leur incrédulité, leur injustice et leur cruauté. On ne pouvait donc alors exposer publiquement ces images, sans les exposer en même temps non-seulement au mépris, mais encore à la profanation et aux plus grandes insultes de la part des païens. Il était donc alors à propos de ne pas les exposer dans les églises : voilà ce qui a occasionné le décret du concile d'Elvire ; mais de là que s'ensuit-il ? Que ce n'a point été par mépris, mais, au contraire, par respect et par vénération pour les images, que ce décret a été prononcé, et que conséquemment, dans la primitive Église, on honorait, comme on honore encore aujourd'hui, les saintes images.
Aussi remarquez, Messieurs, que ce concile ne condamne pas absolument le culte des images et leur usage, ce qu'il aurait du faire, s'il eût regardé, ainsi que vous, le culte comme superstitieux et idolâtrique. Il défend seulement de les placer dans les églises : encore, à prendre le canon dans la rigueur des termes, pourrait-on dire qu'il défend seulement d'en peindre sur les murs des églises, et cette défense suppose évidemment que dès-lors on voulait y en avoir ; et que, si ce concile ne le jugea pas à propos, ce ne fut que par économie, et à raison de la persécution qui n'était pas encore cessée ; car, quoi qu'en disent certains auteurs, il demeure constant par les canons de ce concile, et entre autres par le vingt-cinquième et le soixante-treizième, qu'alors on était encore dans un temps de trouble et de persécution.
J'ai encore une ou deux réflexions à vous communiquer au sujet de ce concile. Il est porté par le canon que l'on nous objecte, que la raison pour laquelle les peintures furent prohibées sur les murs des églises, fut la crainte que ce qui est honoré ou adoré, ne fût peint sur les murs des églises1. Il fallait donc que ceux dont on voulait peindre les images sur les murs des églises fussent réellement l'objet de la vénération des fidèles : si vous prétendez donc que les images des Saints soient prohibées dans les églises par le canon de ce concile, il faut que vous conveniez aussi que, selon ce même canon, les Saints étaient alors l'objet du culte et de la vénération des fidèles. Voilà donc le culte des Saints reconnu par ce même concile dont vous vantez les décrets.
D'un autre côté, je vois que le treizième canon de ce concile prescrit aux vierges de garder leur vœu de virginité, et que le trente-troisième interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres, aux sous-diacres, tout commerce avec les femmes. Voilà donc encore deux articles dont vous ne voulez pas convenir dans votre prétendue réforme, nettement établis par ce concile : savoir l'obligation aux vierges de garder leur virginité quand elles en ont fait vœu, et l'obligation aux évêques et aux ministres initiés dans les ordres sacrés de vivre dans la continence. Proposez, Messieurs, à vos ministres ces réflexions, et voyez s'ils y répondront aussi volontiers, et aussi solidement que nous à l'objection.
Puisque nous en sommes sur l'article des conciles, il faut qu'à mon tour, je vous en cite plusieurs qui se sont manifestement déclarés en faveur de l'usage et du culte des images. Tels ont été les deux tenus à Rome sous les souverains pontifes Grégoire et Étienne III. Tel est encore le second concile de Nicée, tenu en 768. Ces trois conciles ont été célébrés contre les iconoclastes : cela n'est ni douteux ni contesté. Je m'arrête surtout au dernier, parce que, malgré ce qu'en disent vos ministres, il mérite certainement toute notre attention. C'est un concile œcuménique, auquel ont été convoqués les évêques de toutes les parties du monde ; un concile auquel a présidé le pape Adrien, non en personne, il est vrai, mais par ses légats ; un concile auquel ont assisté les patriarches des grandes Églises d'Alexandrie, d'Antioche, de Jérusalem et de Constantinople, et plus de trois cent cinquante évêques ; un concile dans lequel la question des images a été exactement discutée, tant par l'Écriture, que par les plus authentiques témoignages des Pères ; un concile dans lequel ont été exposées et résolues toutes les difficultés proposées par les iconoclastes ; un concile, enfin, avoué et reconnu pour œcuménique par plusieurs autres conciles postérieurs. Tous ces faits sont constatés non-seulement par les actes des conciles, mais encore par les plus graves auteurs. Que peut-on dire et souhaiter de plus pour établir l'œcuménicité et l'autorité d'un concile ? Vous révérez, et avec raison, les premiers conciles ; mais qu'y a-t-il dans ceux-ci plus que dans celui-là ?
Ce n'est pas là l'idée que vous en donnent vos ministres, et surtout Calvin dans le onzième chapitre du premier livre de son Institution, n. 14. « Je le sais, dit-il, c'est une méchante Proserpine qui l'a assemblé : » ainsi appelle-t-il l'impératrice Irène (cette vertueuse princesse à laquelle les souverains pontifes et les Pères ont donné les plus grands éloges). Les évêques dont il était composé étaient, selon lui, « des évêques qui dépravent le sens de l'Écriture, qui produisent à fausses enseignes ce qui ne se lit nulle part ; des âniers qui parlent sottement ; des blasphémateurs qui protestent faire aux images un honneur égal à celui qui est dû à la Sainte Trinité, » en un mot, selon lui, ce concile, « sans rien excepter, en donne autant aux simulacres qu'au Dieu vivant. » Tel est le langage de cet auteur de votre prétendue réforme.
Vous avez peut-être peine à vous persuader que Calvin, qui accuse sans cesse les autres de fureur et d'extravagance, se soit lui-même oublié jusqu'à cet excès de témérité ; cela est en effet bien surprenant ; je puis néanmoins vous assurer que je ne vous en impose nullement. Lisez vous-mêmes le premier livre de son Institution, chapitre 12, n. 22, et vous serez forcés de reconnaître que je ne vous avance rien sur son compte qu'il n'ait dit en termes formels et en termes encore plus forts. A ces traits aussi faux que satyriques, peut-on ne pas reconnaître le langage de la passion ? Et dès-lors quel cas doit-on en faire ?
Ce n'est point par le mensonge et la calomnie que l'on attaque l'autorité et les décisions d'une assemblée aussi respectable que celle de ce concile ; si l'on veut le réfuter, il faut porter contre lui des causes de récusation solides, et les bien prouver. C'est ainsi qu'on en use, quand on est sûr de son fait ; mais Calvin n'a garde de s'y hasarder. Il sait que tout ce que l'on peut alléguer contre ce concile n'est que mensonge et calomnie ; et il le sait si bien, qu'il n'ose prendre sur son compte ce qu'il en dit ; il le met sur celui de l'auteur des livres Carolins.
Je ne m'arrêterai point à relever en détail toutes ces calomnies ; c'est à ceux qui en sont les auteurs d'en donner la preuve, et ne la donnant pas, ils se couvrent de confusion. Je ne vous demande qu'une chose, c'est de parcourir vous-mêmes les actes de ce concile, et je suis sûr que vous serez aussi étonnés qu'indignés de l'injustice et de la témérité de vos ministres ; mais afin que vous ne me soupçonniez pas de m'avancer trop, je veux bien examiner avec vous le principal grief de vos ministres. C'est, pour me servir des propres termes de Calvin : « que les Pères de ce concile protestent faire aux images le même honneur, et égal qui est dû à la sainte Trinité ; c'est que ce concile, sans rien excepter, en donne autant aux simulacres qu'au Dieu vivant. »
Pour s'assurer de la vérité ou de la fausseté de cette accusation, à qui faut-il s'en rapporter ? N'est-ce pas aux actes de ce concile, aux paroles de ceux qui y ont présidé et assisté, et aux termes même dans lesquels est conçue sa définition ou son décret ? Or par tous ces divers moyens, il est évident que ce concile, loin de déférer aux images le même honneur qui est dû à la sainte Trinité, loin d'en donner autant aux simulacres qu'au Dieu vivant, a au contraire protesté hautement, et dans les termes les plus précis, être entièrement éloigné de pareilles idées.
« Nous ne voulons point, disent les Pères de ce concile, qu'on fasse et qu'on regarde nos images comme des dieux, ainsi que quelques-uns nous l'imputent mal à propos ; le culte que nous leur rendons se rapporte à Dieu et aux Saints... Ce n'est point aux couleurs et aux tableaux que se terminent nos hommages ; mais nous vantons la gloire de ceux dont les images nous rappellent le nom et le souvenir ». C'est ainsi que s'explique le pape Adrien, dans sa lettre à Constantin et à Irène1. Est-ce là rendre aux images un honneur égal à celui qu'on rend à la très sainte et adorable Trinité ?
Nous protestons hautement et ouvertement que nous ne rendons qu'au seul vrai Dieu le culte de latrie, c'est-à-dire que c'est à lui que se rapportent et se terminent nos hommages et notre confiance2. Ainsi parle, dans la seconde action de ce concile, Terasius, patriarche de Constantinople, et le concile reprend aussitôt : « Ainsi croit et enseigne tout le synode3. » Est-ce là, Messieurs, en donner autant aux images qu'au Dieu vivant ?
Dans la troisième action de ce concile, les Pères confessent qu'ils honorent les images dans le même sens que saint Basile-le-Grand : en tant que l'honneur qu'on rend à l'image se rapporte au prototype même4. Saint Basile, en parlant de la sorte, a-t-il déféré aux images un honneur égal à celui que l'on rend à la très sainte Trinité ?
Dans la quatrième action, après avoir produit plusieurs textes de l'Écriture et des Pères, en faveur du culte des images, le concile ajoute : « Il ne faut point orner les temples de peintures vaines et badines ; mais il convient d'y peindre les histoires de l'ancien et du nouveau Testament, afin que ceux qui ne savent pas lire, puissent, par le moyen des images, se rappeler le souvenir des Saints qui ont signalé leur zèle pour le culte du vrai Dieu, et s'animer par là à imiter leurs exemples1. » Voilà le but que l'Église s'est toujours proposé en mettant dans nos temples les images de Jésus-Christ et des Saints. Y a-t-il en cela rien qui ressente la superstition et l'idolâtrie ?
Dans cette même quatrième action, fut lue en plein concile la réfutation faite par Léonce, évêque en l'île de Chypre, de l'accusation que les Juifs de son temps avaient faite contre les chrétiens, et que vous renouvelez aujourd'hui contre nous, d’être idolâtres et de rendre aux images le même culte qu'au Dieu vivant. Rien de plus solide que cette réfutation ; mais elle est d'une trop grande étendue pour vous la rapporter ici. Je me ferai un plaisir de vous la communiquer, si vous le souhaitez. Elle fut unanimement approuvée par tous les Pères de ce concile.
Voulez-vous enfin vous en rapporter au décret de ce concile ? Le voici : « Nous définissons, avec tout le soin et l'exactitude possible, que les images comme celles de la sainte et vivifiante croix de Jésus-Christ notre Seigneur, notre Dieu et notre Sauveur, de la très pure Mère de Dieu, Notre-Dame, des Anges et des autres Saints, sont à avoir et à exposer dans les églises, sur les vases sacrés, sur les ornements, sur les murailles, dans les maisons et les places publiques, soit qu'elles soient faites avec des couleurs ou à la mosaïque, ou de quelque autre matière, afin que par la vue de ces images, tous ceux qui les contemplent se rappellent le souvenir des prototypes, et a s'excitent à les imiter, et afin qu'ils leur rendent le salut et l'adoration honoraire, qui, selon notre foi, n'est pas le culte de latrie qui ne convient qu'à la seule nature divine, mais un culte semblable à celui que nous rendons à la respectable et vivifiante croix, aux saints Évangiles et aux reliques. Nous leur offrons de l'encens, et mettons des lumières devant elles, en signe de notre respect, suivant la pieuse coutume des anciens : cet honneur se rapporte aux prototypes, et ceux qui adorent l'image, adorent seulement ce qui y est représenté2.
Voilà les actes qu'il faut consulter pour s'assurer des vrais sentiments du concile ; mais en les consultant, il demeure constant, en premier lieu, que cette sainte et nombreuse assemblée a eu l'attention de manifester, presque à chaque page, son éloignement pour tout ce qui ressent l'idolâtrie ; en second lieu, que, dans cette vue, elle a pris grand soin de distinguer le culte honoraire des images du culte de latrie, qu'elle proteste n'être dû qu'à Dieu seul. Elle appelle, il est vrai, le culte des images adoration, et c'est sur ce terme que vos ministres fondent le reproche qu'ils nous font d'avoir donné dans l'idolâtrie ; mais ce que vos ministres suppriment pour vous cacher leur imposture et pour donner quelque air de vraisemblance à leurs fausses imputations, c'est qu'en donnant le nom d'adoration au culte des images, elle a eu la précaution de l'appeler adoration honoraire ; pour la distinguer de l'adoration souveraine et absolue de latrie, qui n'est due qu'à Dieu seul. Elle a même porté l'attention jusqu'à déclarer que, par cette adoration honoraire, elle entend un honneur qui se rapporte aux prototypes, c'est-à-dire un honneur relatif qui se rapporte aux prototypes, un honneur qui ne se termine point au bois, à la peinture, en un mot, à l'image, mais à celui que l'image représente.
Comment donc Calvin et vos ministres ont-ils osé avancer que ce concile a déféré aux images « le même honneur et égal qui est dû à la sainte Trinité, et que, sans rien excepter, il en donne autant aux simulacres qu'au Dieu vivant. » Et vous, Messieurs, pouvez-vous, sans étonnement et sans indignation, voir vos ministres employer ainsi le mensonge et l'artifice pour décrier dans vos esprits tant et de si grands prélats, en les taxant d'idolâtrie, tandis qu'ils ont pris toutes les précautions possibles pour se mettre à l'abri d'une pareille calomnie.
Nos ministres, direz-vous, n'ont fait que copier les livres Carolins. En cela on vous trompe encore, et dans peu je vous le montrerai. Je conviens cependant que l'auteur de ces livres attribue au concile d'avoir décerné aux images le même culte qu'à Dieu ; mais de bonne foi, croyez-vous que, sur l'autorité de ces livres, on soit bien fondé à taxer de superstition et d'idolâtrie une assemblée aussi respectable que celle d'un concile œcuménique, surtout lorsque le contraire est évidemment prouvé par les actes mêmes de ce concile ? Si nous en croyons la plupart des auteurs, ces livres Carolins n'ont rien qui puisse, sur ce fait, leur concilier aucune autorité. On leur a donné le nom de Carolins ; ils ont paru même du temps de Charlemagne, et ils ont été envoyés par ce prince au pape Adrien, si vous voulez ; mais il ne s'ensuit pas que cet empereur en ait été l'auteur. Le style en est trop rampant, et les bévues y sont trop fréquentes et trop grossières, pour qu'on puisse les attribuer à un génie aussi vaste et aussi éclairé que celui de Charlemagne. Si on leur a donné le nom de Carolins, c'est, selon toute apparence, parce que cet empereur les envoya au pape Adrien, et il les lui envoya pour savoir ce que ce souverain pontife en pensait, peut-être même afin qu'il les réfutât. Du moins est-il constant que ce pape en fit en effet la réfutation qu'il adressa à cet empereur. De plus, il est visible que l'auteur de cet ouvrage était ou mal informé, ou mal intentionné contre le concile de Nicée : qui sait même s'il n'était pas fauteur de l'hérésie ? On prouve cette conjecture, parce que le pape Adrien en a ainsi pensé lui-même, comme il paraît dans la réfutation qu'il en a faite, et parce qu'en effet ces livres attribuent à ce concile plusieurs propositions absurdes, ridicules et extravagantes, auxquelles le concile n'a jamais pensé.
Que si vous ne vous contentez pas de cette première réponse, toute solide qu'elle est, et si vous voulez encore que ces livres soient l'ouvrage de Charlemagne, je vous dirai que cet empereur a été mal informé de ce qui s'était passé dans le concile de Nicée ; et pour vous le montrer clairement, je vais vous en donner plusieurs preuves. Il donne à ce concile le nom de concile de Constantinople, quoiqu'il soit certain que ce n'est point en cette ville qu'il s'est tenu, mais en celle de Nicée. Il ajoute que le pape n'y fut point appelé, quoiqu'il soit constant par les actes même de ce concile, qu'il y a présidé par ses légats. Il attribue en outre à cette respectable assemblée d'avoir dit que l'Eucharistie est l'image du corps de Jésus-Christ, quoiqu'il soit certain que ce concile, non-seulement n'a pas avancé cette proposition, mais qu'il l'a au contraire ouvertement condamnée, et en termes formels. Enfin, il accuse ce concile d'avoir décerné aux images le même culte qu'à la très sainte Trinité, quoique par tous les actes de ce même concile, il soit manifeste qu'il a enseigné tout le contraire.
Un auteur si mal informé, quelque respectable qu'il puisse être d'ailleurs, mérite-t-il d’être cru sur le fait de ce concile, et d'être cru préférablement au pape qui y a présidé par ses légats ; préférablement au patriarche de Constantinople, et à tous les évêques dont il était composé; préférablement enfin, aux actes même et à la décision de ce concile ?
J'ai ajouté que ceux-là se trompent, qui croient que Calvin et vos ministres n'ont fait que copier les livres Carolins ; car quoique l'auteur de ces livres, par mauvaise intention, ou par ignorance, ait faussement attribué plusieurs propositions fausses à ce concile ; cependant il est certain que sur le fond de la question des images, il a pensé tout autrement qu'on ne pense dans votre prétendue réforme. Vous voulez en effet soutenir qu'on ne doit point placer les images dans les églises, ni les honorer : il est même constant que, parmi vous, on en a un souverain mépris ; pour ne rien dire de plus, l'auteur des livres Carolins se déclare ouvertement contre ces sentiments. « Nous ne méprisons, dit-il, au chapitre seize de son troisième livre, n. 81, 1, nous ne méprisons dans les images que l'adoration, et nous permettons de les mettre dans les basiliques des Saints, non pas pour y être adorées, mais en mémoire de ce qu'ont fait les Saints, et pour l'ornement des murs1. » Dans le chapitre trentième du livre deuxième, ce même auteur expose deux différents excès condamnables : « L'un de ceux qui méprisent les images, et qui veulent les bannir pour toujours des églises ; l'autre de ceux qui leur défèrent les honneurs de l'adoration : il condamne ces deux excès, et il dit qu'il faut prendre un milieu sans s'écarter ni à droite ni à gauche ; de sorte qu'il ne faut point les abolir entièrement avec ceux-là, ni les adorer avec ceux-ci : mais que si on le veut, on les ait dans les églises pour y servir d'ornements, et pour se rappeler le souvenir des choses passées2. »
Est-ce là, Messieurs, le langage que tiennent vos ministres ? Ou plutôt n'est-ce pas là parler et penser tout autrement que l'on ne pense et que l'on ne parle parmi vous ? Je pourrais encore vous rapporter ce qu'a dit cet auteur sur les articles de l'invocation des Saints, du culte des reliques, de la prière pour les morts, de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, de l'autorité du pape, et vous verriez combien il est éloigné sur tous ces points des sentiments de votre prétendue réforme. Mais je m'en tiens à ce qui regarde la présente question, et je dis que l'autorité des livres Carolins ne peut infirmer en aucune façon celle du concile de Nicée, puisque cet auteur, quel qu'il soit, était un auteur au moins mal informé de ce qui s'était passé, et de ce qui avait été décidé dans cette respectable assemblée ; et que lui-même il permet d'avoir des images, même dans les églises, pour y servir d'ornement et remettre en mémoire les événements passés.
Vous me répliquerez peut-être que le concile de Francfort a pensé comme l'auteur des livres Carolins, et qu'il a pareillement rejeté et condamné ouvertement le concile de Nicée. J'en conviens, mais je vous dirai que ce concile était pareillement mal informé de ce qui s'était passé, et de ce qui s'était prononcé dans celui de Nicée ; et cela ne doit pas vous surprendre. A Francfort, les évêques étaient assemblés, non au sujet de la question des images, et de ce qui avait été décidé par les Pères grecs, mais au sujet des erreurs de Félix et d'Elipand ; s'il y fut parlé du concile de Nicée, ce ne fut que par occasion. Il n'est donc pas surprenant que les évêques de Francfort, qui n'avaient pas eu en main les vrais actes du concile de Nicée, aient été surpris et trompés par les bruits qui s'étaient répandus contre la décision des prélats qui le composaient. Qu'on lise la préface des livres Carolins, et les actes du concile de Francfort. En second lieu, il y est rapporté « qu'on produisit au milieu du concile de Francfort une question touchant le nouveau concile des Grecs, et qu'il y était écrit que ceux qui ne rendraient pas aux images le même service et adoration qu'à la très sainte et divine Trinité, seraient frappés d'anathème, à quoi les évêques de Francfort refusant de souscrire, méprisèrent, et d'un commun accord, condamnèrent ce concile1. » Vous voyez par les paroles même de l'auteur des livres Carolins, que non-seulement on répandait de vive voix, mais encore dans les écrits publics, que le concile de Nicée avait décerné aux images le même culte qu'à la divine Trinité, et que c'est sur cette supposition qu'est appuyée la décision du concile de Francfort contre celui de Nicée : mais cette supposition étant manifestement fausse, ainsi que nous venons de le démontrer, les évêques assemblés à Francfort n'ont point attaqué la vraie décision du concile de Nicée, mais les sentiments erronés et extravagants qu'on lui attribuait faussement, et contre toute vérité : savoir, qu'il faut décerner aux images le même service et la même adoration qu'à la très sainte Trinité.
Et en effet, si l'on considère attentivement la décision du concile de Francfort, on n'y trouve rien que l'on ne puisse, dans le fond, concilier avec le concile de Nicée. Il n'a point proscrit l'usage ni le culte des images : il n'a pas même prononcé qu'on les ôterait des églises. Il est vrai que les évêques de Francfort, ainsi que l'auteur des livres Carolins, ajoutent que l'on ne doit pas adorer les images ; mais par cette expression, ils n'ont voulu ni l'un ni l'autre proscrire le culte honoraire des images reconnu par le concile de Nicée ; ils ont attaqué seulement le culte de latrie, le culte outré et superstitieux que, sur de faux bruits, ils croyaient avoir été décerné en faveur des images par le concile de Nicée. Ainsi sur cet article, la même contradiction qu'il y a entre ces deux conciles n'est tout au plus qu'apparente quant à la manière de s'exprimer, mais nullement réelle quant au fond et à la manière de penser. Cela est si vrai que, dans les diocèses même des évêques qui avaient assisté au concile de Francfort, on ne voit pas que l'on ait rejeté le culte des images ; au contraire, on y a continué de les honorer comme auparavant.
Ce que je dis du concile de Francfort, je le dis pareillement de quelques autres auteurs qui ont écrit à peu près dans le même temps et dans le même goût au sujet du concile de Nicée. Ils étaient mal informés de ce qui avait été décidé dans cette sainte assemblée : ce n'est point le culte honoraire décerné en faveur des images qu'ils ont proscrit et rejeté, mais le culte de latrie, le culte idolâtrique et superstitieux que l'on disait avoir été déféré par les Pères grecs aux images : et une preuve bien sensible de ce que j'avance, c'est que lorsqu'on a eu les vrais actes de ce concile, et qu'on a été pleinement instruit de ce qui s'y était passé, tous les esprits se sont réunis, et le concile de Nicée a été de toute part reconnu pour œcuménique, et même déclaré tel par le huitième concile général de Constantinople.
Si je suis entré dans ce long détail au sujet du second concile de Nicée, c'est non-seulement pour vous faire remarquer les artifices et les mensonges qu'emploient vos ministres pour vous tromper et vous séduire, mais encore pour vous faire admirer dans l'Église romaine cette constante et invincible uniformité de doctrine qui, malgré tous les efforts de l'enfer, a toujours été et sera toujours le partage de la vraie Église, parce que, suivant les promesses de Jésus-Christ, c'est toujours le même esprit qui préside à ses enseignements et à ses décisions.
Après vous avoir prouvé, Messieurs, par l'autorité de l'Écriture sainte, et la pratique constante de l'Église, qu'il est bon et utile d'avoir et d'honorer les images, je suis bien aise de vous montrer encore que la raison elle-même concourt à établir ce dogme de notre foi et pour cela, je vais, en premier lieu, vous montrer qu'il est utile d'avoir des images ; en second lieu, qu'il est bon de les honorer ; et en troisième lieu, que ce culte, bien loin d'être superstitieux et idolâtrique, comme vos ministres le prétendent, est au contraire une preuve et une protestation authentique de notre éloignement pour toute superstition et idolâtrie.
Je dis donc en premier lieu, que les images sont très utiles parmi les chrétiens. Car premièrement, il est certain que les images rappellent le souvenir des mystères qui intéressent la religion, et des grands exemples de vertu que nous ont donné les Saints. L'image, par exemple, de Jésus-Christ attaché à la croix, nous remet devant les yeux la mort et passion de ce divin Rédempteur ; les images de la sainte Vierge portant Jésus-Christ entre ses bras, de saint Pierre pleurant ses péchés, de saint Laurent avec son gril, nous rappellent le souvenir de Marie Mère de Jésus, de saint Pierre faisant pénitence, de saint Laurent souffrant le martyre pour la défense de la religion ; d'un autre côté, on ne peut douter qu'il ne soit très utile de se rappeler le souvenir, et du grand mystère de notre rédemption, et des grands exemples de vertu que nous ont donné notre aimable Sauveur, la très sainte Vierge et les Saints. Il est donc très utile d'avoir ces sortes d'images.
En second lieu, ces images nous excitent à l'amour de Dieu ; la vue d'une image de Jésus-Christ expirant sur la croix pour notre salut, nous montre que cet aimable Sauveur nous a aimés jusqu'à répandre son sang pour nous racheter, et nous prêche la reconnaissance et l'amour pour un Dieu si bon et si miséricordieux. Les images des Martyrs nous remettant devant les yeux le zèle avec lequel ces héros chrétiens se sont immolés pour la gloire du nom de Jésus, relèvent notre courage, et nous invitent à tout faire et à tout sacrifier pour les intérêts de la religion, et pour la gloire du nom de Jésus, qui est également notre Maître et notre Sauveur, comme il a été le leur.
Telles sont les raisons dont se sont servis les Grégoire de Nysse, les Grégoire, papes ; les Pères du second concile de Nicée, et tous les théologiens, pour montrer l'utilité des images. Ne sont-elles pas sensibles et palpables ? Comment en effet proscrire et condamner, ou plutôt comment ne pas louer et approuver un usage qui produit de si merveilleux effets ?
Mais, direz-vous, ces maximes prouvent bien qu'il est bon et utile d'avoir des images. Mais ce n'est point là le point capital. Il faudrait prouver qu'il est bon de les honorer. J'y consens avec plaisir, Messieurs, après vous avoir néanmoins fait remarquer que c'est déjà beaucoup que vous conveniez de leur utilité, car dès-lors vous ne pourrez plus les proscrire et les condamner absolument, comme l'exigent de vous ordinairement vos ministres. Mais allons plus loin, et montrons par de solides et sensibles raisons, qu'il est non-seulement utile de les avoir, mais encore bon de les honorer.
Premièrement, il n'est pas douteux qu'un culte autorisé et confirmé par des miracles constants et avérés, doit être regardé comme un culte louable, utile et saint, et non comme un culte superstitieux et idolâtrique. Dieu, infiniment bon, infiniment saint, et jaloux de sa gloire, ne peut autoriser ce qui ressent la superstition et l'idolâtrie. Or, il est certain que le culte des images est un culte autorisé et confirmé par des miracles constants et avérés. Eusèbe, au quatorzième chapitre de son histoire, atteste qu'au pied de la statue que fit ériger en l'honneur de Jésus-Christ, la femme guérie par ce divin Sauveur d'une perte de sang, croissait une herbe inconnue qui avait la vertu de guérir toutes sortes de maladies, et Eusèbe est en cela d'autant plus croyable, qu'il dit avoir vu lui-même de son temps cette statue, et que Théophilacte rapporte ce même miracle, sur le chapitre dix-neuf de saint Matthieu. Ces deux grands hommes n'étaient certainement pas des esprits faibles, et des visionnaires.
Sozomène, au vingtième chapitre de son cinquième livre, rapporte un autre miracle non moins éclatant au sujet de cette même statue, savoir : que Julien l'Apostat l'ayant brisée, pour substituer la sienne en sa place, le feu du ciel foudroya la statue de cet empereur apostat, de sorte qu'il arriva à cette statue ce qui était arrivé à l'idole de Dagon placée à côté de l'Arche, la tète en fut séparée du reste du corps.
Les centuriateurs de Magdebourg ont tenté toutes sortes de moyens pour infirmer ces deux miracles. Mais comment ? Ce n'est point en niant les faits, mais ils ont attribué le premier à une superstition diabolique ; et à l'égard du second, ils ont dit que la même chose était arrivée à la statue de Jésus-Christ qu'à celle de Julien l'Apostat. Que pensez-vous de pareilles répliques ? Pour moi, je ne puis m'empêcher de le dire, elles font voir et l'impiété et la mauvaise foi de ces centuriateurs ; leur impiété, en ce qu'attribuant à une superstition diabolique la vertu de l'herbe qui croissait au pied de la statue de Jésus-Christ, et qui guérissait toutes les maladies, ils ont imité les Scribes et les Pharisiens qui, pour ne pas reconnaître la vérité des miracles opérés par Jésus-Christ, les attribuaient à Belzébuth, prince des démons : leur mauvaise foi, en ce que disant que la statue de Jésus-Christ avait été foudroyée par le feu du ciel, ainsi que celle de Julien l'Apostat, ils ont avancé sans preuve un fait démenti par tous les historiens, qui n'en font nulle mention, et en particulier par Sozomène, au vingtième chapitre de son cinquième livre, et par Nicéphore, au trentième chapitre de son dixième livre, et par plusieurs autres qui assurent unanimement que ce fut Julien l'Apostat qui brisa la statue de Jésus-Christ, pour mettre la sienne à sa place, et que ce fut en punition de ce sacrilège attentat, que le feu du ciel réduisit en poudre celle de cet empereur apostat.
Que vous dirai-je encore des miracles opérés par la vraie croix, lorsqu'elle fut trouvée sous le règne et par les soins de l'impératrice Hélène, en cela guidée par l'esprit de Dieu, suivant la remarque d'Eusèbe, en sa Chronique ; de saint Ambroise, Orat. in Theod.; de Rufin, au huitième chapitre de son dixième livre de l'Histoire ecclésiastique ; enfin, de saint Paulin, en son Épître à Sévère ? Une femme fut guérie, et un mort ressuscité par le seul attouchement de ce précieux instrument de notre salut.
Vous n'ignorez pas non plus les victoires miraculeuses remportées par Constantin contre Maxence lorsqu'en conséquence d'une vision et d'une inspiration divine, il décora le Labarum, c'est-à-dire l'étendard qu'on portait à la tête de son armée, de l'image de la croix. Ces miracles sont attestés par tant et de si graves auteurs, qu'il faut être pyrrhonien en fait d'histoire pour les révoquer en doute. Eusèbe, en son premier livre de la Vie de cet empereur, en fait le détail, et il assure que c'est de la bouche de ce prince lui-même qu'il le tenait, et que cet empereur lui en avait attesté par serment la vérité.
Enfin, les centuriateurs de Magdebourg sont obligés, dans la sixième Centurie, de reconnaître encore plusieurs autres miracles opérés en faveur de différentes personnes qui réclamaient l'intercession des Saints, et qui révéraient leurs images ; mais, pour prévenir la conséquence que l'on en tire, ils ont fait ce raisonnement : De ce que Naaman a été guéri de la lèpre en se lavant, suivant le conseil d’Élisée, dans les eaux du Jourdain, on ne peut pas inférer qu'on doive un culte particulier aux eaux de ce fleuve ; de ce que l'aveugle de l'Évangile a été guéri par la salive que Jésus-Christ lui imposa sur les yeux, il ne s'ensuit pas que l'on doive un culte particulier à la salive de Jésus-Christ ; de même aussi quoique Dieu ait fait des miracles en faveur de ceux qui honorent les Saints et leurs images, il ne s'ensuit pas qu'il soit bon et utile de les honorer.
Je ne conçois pas comment on peut risquer et donner au public un pareil raisonnement. Qui ne sait en effet que quand il s'agit de miracles, il faut surtout envisager la fin pour laquelle ils ont été opérés ? Il est bien certain que le but des deux susdits miracles, opérés l'un par Élisée, l'autre par Jésus-Christ, n'était pas de faire rendre un culte particulier aux eaux du Jourdain , ni même, si vous le voulez, à la salive de Jésus-Christ, mais de faire révérer Élisée comme un prophète, et adorer Jésus-Christ comme le Messie et le Sauveur du monde. On ne peut pareillement douter que les miracles faits en faveur de ceux qui honoraient les Saints ou leurs images, n'aient été opérés en vue d'autoriser le culte des Saints. Pourquoi le feu du ciel a-t-il foudroyé la statue de Julien l'Apostat, après qu'il eut brisé celle de Jésus-Christ, et mis la sienne à sa place, sinon pour venger l'outrage fait à la statue et à la personne de Jésus-Christ par ce sacrilège attentat ? Pourquoi les guérisons opérées par l'herbe qui croissait au pied de la statue de Jésus-Christ, sinon pour autoriser le culte et l'adoration de cet aimable Sauveur ? Pourquoi un mort ressuscité par l'attouchement de la vraie croix, sinon pour justifier et accréditer le respect et la vénération envers ce précieux monument de la passion de notre Rédempteur ? Ainsi a-t-on pensé dans tous les temps, et on ne peut raisonnablement penser autrement.
Cela supposé, reprenons, mais en même temps, rectifions la comparaison des centuriateurs de Magdebourg : de même que la guérison de Naaman et de l'aveugle de l'Évangile a eu pour but de faire honorer Élisée comme un prophète, et adorer Jésus-Christ comme le Messie, de même aussi les miracles opérés en faveur de ceux qui honoraient les Saints et les images, ont eu pour but d'autoriser le culte des Saints, et comme en conséquence des deux premiers miracles, on devait reconnaître Élisée pour vrai prophète, et Jésus-Christ pour le vrai Messie, de même aussi en conséquence des miracles opérés en faveur de ceux qui honorent les images des Saints, on doit nécessairement convenir qu'il est bon et utile d'honorer les Saints. En raisonnant de la sorte, la comparaison sera juste, le raisonnement solide ; mais la conséquence sera tout à la fois et votre condamnation et notre justification.
Autre raisonnement plus simple, mais qui ne laisse pas d'avoir son mérite. Ne vous faites-vous pas, Messieurs, un plaisir d'avoir le portrait de votre père, de votre mère, de vos ancêtres, surtout quand ils ont illustré vos familles ? Vous les chérissez, vous les placez honorablement dans vos plus beaux appartements. On peut même dire que vous les respectez en quelque sorte, et en cela vous n’êtes certainement pas répréhensibles ; mais par cette même raison, ou pour mieux dire, à plus forte raison, devons-nous révérer les images de Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Dieu. Par la même raison encore, devons-nous honorer les images des Saints, qui ont été, pendant leur vie, les instruments dont le Père des miséricordes a daigné se servir pour nous engendrer à Jésus-Christ, pour nous éclairer des lumières de l'Évangile, et qui nous ont donné les exemples des plus héroïques vertus.
Le respect que nous avons pour les portraits de nos ancêtres et de nos aïeux, est, sans contredit, un culte purement civil et humain, je l'avoue ; mais pourquoi ? Parce que les motifs sur lesquels est fondé ce culte sont purement humains. Vous chérissez et respectez vos ancêtres, parce qu'ils vous ont donné le jour, qu'ils ont illustré vos familles, ou pour quelque autre obligation particulière que vous leur avez. Ces motifs sont purement humains et civils ; et, par conséquent, le culte que vous leur rendez est purement civil et humain ; mais les motifs qui nous portent à respecter Jésus-Christ et les Saints, sont des motifs surnaturels et plus qu'humains : nous adorons Jésus-Christ, parce qu'il est notre Sauveur et notre Dieu ; nous honorons les Saints, parce qu'ils sont nos pères en Jésus-Christ, parce qu'ils nous ont donné l'exemple des plus sublimes vertus. Nous plaçons honorablement dans nos maisons et dans nos églises les images de Jésus-Christ, parce que c'est un sûr moyen de nous rappeler le souvenir de ce que cet aimable Sauveur a fait et enduré pour notre amour. Nous y avons aussi celles des Apôtres et des autres Saints, parce qu'elles nous remettent devant les yeux les travaux apostoliques qu'ils ont entrepris, et les grands exemples de vertu qu'ils nous ont donnés. Ces motifs, comme vous voyez, sont des motifs plus qu'humains, des motifs surnaturels : voilà pourquoi le culte que nous leur déférons est plus qu'humain, et même religieux en ce sens, qu'il est fondé sur notre attachement à Dieu et à la religion.
Mais, me direz-vous, nous ne nous prosternons pas devant les portraits de nos aïeux, quelque respectables et quelque chers qu'ils puissent nous être ; nous ne les adorons pas ; nous ne leur adressons pas des prières ; nous ne leur attribuons aucun mérite, aucune vertu secrète, au lieu que vous autres, vous vous prosternez devant vos images, vous les adorez , vous les priez, et vous leur attribuez la vertu de guérir les malades.
Permettez-moi de le dire, vous vous trompez, Messieurs, ou plutôt ce sont vos ministres qui vous abusent et qui vous trompent. Parce qu'ils nous voient à genoux devant un crucifix, ou devant l'image d'un Saint, ils vous disent que nous adorons ou prions ces images, que nous croyons qu'il y a dans ces images, sinon quelque divinité, du moins quelque vertu secrète, pour laquelle nous y mettons notre confiance. Tout ce discours n'est qu'un tissu de mensonges et de calomnies. Je vous l'ai dit et je vous le répète avec le saint concile de Trente, nous sommes bien éloignés de pareilles idées. Le culte que nous rendons aux images est un culte relatif qui se rapporte et se termine aux objets que ces images représentent. Quand nous nous inclinons, quand nous nous mettons à genoux devant un crucifix, c'est Jésus-Christ que nous adorons ; quand nous prions devant un crucifix, c'est à Jésus-Christ que s'adresse notre prière, et non au crucifix ; quand pareillement nous nous mettons à genoux, et nous prions devant l'image de quelque saint, ce n'est point à cette image, mais au saint représenté par l'image, et surtout à Dieu que se rapporte notre prière ; de sorte que le culte que nous rendons aux images est tout au plus un culte extérieur par lequel nous témoignons reconnaître Jésus-Christ pour notre Dieu, notre Sauveur et notre Rédempteur, et les Saints pour nos avocats et nos intercesseurs auprès de Dieu et de Jésus-Christ. Est-ce là adorer les images, et mettre en elles sa confiance ? Est-ce là y supposer quelque divinité ou quelque vertu secrète ? Est-ce là, en un mot, les prier comme des dieux, ainsi que nous l'imputent vos ministres ? Dites donc aussi que les Juifs, en se prosternant, en priant devant l'arche d'alliance, l'ont adorée, l'ont priée, et y ont mis toute leur confiance.
On m'a répliqué plusieurs fois que les gens éclairés parmi nous peuvent bien faire ces distinctions et ces abstractions ; mais que le simple peuple n'en est pas capable, et que c'est l'image même qu'il prie, et dans laquelle il met sa confiance.
Je n'aurais pas, Messieurs, relevé cette objection, si elle ne m'avait été souvent proposée par des gens de votre parti, qui ont certainement de l'esprit et du mérite. Car il faut être étrangement prévenu pour ne pas apercevoir la fausseté et le peu de justesse d'un raisonnement si frivole.
En premier lieu, qui vous a dit, Messieurs, que le simple peuple donne dans ces superstitieuses extravagances dont vous l'accusez ? Avez-vous le don de sonder les cœurs et de pénétrer les replis de la conscience ? ou du moins le simple peuple vous a-t-il confessé qu'il pense comme vous le soupçonnez de penser ? Non, Messieurs, le simple peuple, quelque grossier même qu'on veuille le supposer, ne l'est point assez pour qu'on puisse raisonnablement former contre lui de pareils soupçons. Les pasteurs qui sont à leur tête ont trop soin, suivant le précepte du saint concile de Trente, de les instruire, pour leur laisser ignorer le culte des images. Interrogez vous-mêmes ces hommes grossiers, et vous verrez qu'ils répondront sans balancer, que ce n'est point aux images ni aux statues qu'ils adressent leurs prières, mais aux Saints qu'elles représentent, et que le culte qu'ils leur défèrent se termine, non point à ces figures et à cette toile peinte devant laquelle ils s'inclinent, mais aux Saints, et principalement à Dieu dont ces images leur rappellent sans cesse le pieux souvenir.
En second lieu, quand bien même il y en aurait quelques-uns, parmi le peuple, aussi grossiers et aussi ignorants qu'il vous plaît de le supposer, vous devez convenir qu'en cela ils sont désavoués et condamnés par tous ceux qui savent un peu leur religion. Vous n'ignorez pas non plus que l'Église s'est toujours récriée contre ces sortes d'abus, et que pour les prévenir, elle a étroitement recommandé, dans le concile de Trente, à ceux qui sont chargés de la conduite des âmes, d'instruire les peuples avec grand soin sur cet article. Convient-il d'imputer à l'Église ce qui serait la faute de quelque particulier, et ce qu'elle condamne et désavoue de la manière la plus authentique et la plus solennelle ? « Les sentiments des particuliers, dit un de vos plus célèbres ministres, Banage, à la page sept de la quatrième partie de son Histoire de la religion des Églises réformées, les sentiments des particuliers, dit-il, n'ont point une influence générale pour rendre une religion fausse ou véritable. » Vous et vos ministres, ainsi que Banage, vous faites bien valoir cette maxime, quand on vous impute certains sentiments absurdes qu'ont eu parmi vous, non pas de simples particuliers ou des ignorants, mais quelques-uns de vos fameux ministres. Pourquoi ne pas nous rendre la même justice, quand il s'agit de quelques abus attribués, non pas à ceux qui ont un certain nom parmi nous, mais à des gens grossiers qui ont négligé de se faire instruire, et dont l'Église elle-même condamne et désavoue les sentiments ? Où est donc cette justice et cette droiture dont se piquent sans cesse vos ministres ? Il faut condamner les abus, cela n'est pas douteux ; mais il ne faut pas pour cela condamner et proscrire ce qui est en soi bon et utile. Que diriez-vous en effet d'une personne qui voudrait abolir l'Eucharistie, parce que quelques-uns en abusent ? d'une personne qui condamnerait les livres saints, parce que quelques-uns en abusent ? Condamnez à la bonne heure ceux qui donnent dans des abus ; mais rendez à l'Église, qui est la première à les condamner, la justice qui lui est due, et, suivant cette règle, reconnaissez que le culte des images, tel que l'Église romaine le recommande, est bon, utile et salutaire. Voilà ce que nous exigeons de vous, et ce que vous ne sauriez refuser.
J'ai ajouté qu'à consulter même la raison, le culte que nous rendons aux images, loin d'induire à la superstition et à l'idolâtrie, comme vous nous l'imputez, nous en donne au contraire de l'éloignement, et qu'il est de notre part une protestation solennelle et authentique de l'horreur que nous en avons.
Quelles sont en effet ces images que nous révérons et que nous plaçons dans nos temples et nos maisons ? C'est principalement l'image de Jésus-Christ venu au monde et mort sur l'arbre de la croix, pour nous transférer des ténèbres de la superstition et de l'idolâtrie à l'admirable lumière de la foi, et à la connaissance du seul et unique vrai Dieu. En révérant cette image, nous nous déclarons les disciples de ce divin Sauveur, nous confessons être inviolablement attachés à sa sainte doctrine et à ses divines maximes ; nous lui témoignons notre reconnaissance de ce qu'il a bien voulu, par un excès d'amour, nous délivrer des ténèbres de l'idolâtrie, et nous amener à la connaissance du seul et unique vrai Dieu. N'est-ce pas là se déclarer hautement contre la superstition et l'idolâtrie ?
Quelles sont encore ces images dont la vue vous scandalise dans nos temples ? Ce sont celles des Apôtres envoyés de Dieu pour enseigner les nations, pour faire connaître et adorer le seul et unique vrai Dieu, pour abolir toute superstition et toute idolâtrie. Grâces premièrement à Dieu, et ensuite à leurs travaux, les idoles ont été brisées, les temples des faux dieux renversés, les superstitions abolies, et le seul et unique vrai Dieu connu et adoré parmi nous et dans tout l'univers. Ce sont encore les images des Martyrs, qui ont mieux aimé souffrir les plus horribles tourments et la mort même, que d'offrir un grain d'encens aux idoles, et qui ont confessé sur les roues et les échafauds une religion établie sur les ruines du paganisme et de l'idolâtrie. Ce sont les images des Saints qui, par leur conduite et leur zèle pour la défense de la religion, se sont montrés fidèles disciples de ces premiers héros du christianisme, et desquels il est vrai de dire que ce ne sont pas eux qui ont manqué au martyre, mais que c'est l'occasion du martyre qui leur a manqué. Nous honorons et plaçons honorablement dans nos églises et dans nos maisons leurs images. Pourquoi ? Afin de nous rappeler plus souvent le souvenir de ces victoires qu'ils ont remportées sur le monde et sur les puissances de l'enfer ; afin d'entrer nous-mêmes dans ces grands sentiments de religion que nous admirons en eux ; afin de nous animer par leur exemple à nous déclarer en toute occasion aussi ardents et zélés pour le culte du vrai Dieu, qu'ennemis de tout ce qui ressent la superstition et l'idolâtrie. Il est donc vrai qu'à ne consulter même que la raison, le culte que nous rendons aux Saints et à leurs images, loin d'être superstitieux et idolâtrique, est au contraire une protestation publique et solennelle, que, comme les Saints, nous ne reconnaissons et n'adorons qu'un seul et unique vrai Dieu, et que nous détestons toute idolâtrie et toute superstition.
Rendez-nous donc enfin, Messieurs, la justice qui nous est due, et avouez sincèrement que nos sentiments sont bien différents de ceux que vos ministres nous prêtent pour vous mieux séduire. Ce que nous vous prions de croire, c'est ce qui, comme je vous l'ai fait voir, est appuyé par l'Écriture sainte, et conforme à la tradition ; ce qu'ont enseigné avant nous les Basile, les Jérôme, les Grégoire, les Augustin, les Ambroise, les Cyrille, les Cyprien, les Irénée ; en un mot, ces grands hommes qui sont révérés avec tant de raison comme les plus brillantes lumières de l'Église, et qui ayant été instruits par les Apôtres, ou par leurs successeurs, nous ont transmis ces précieuses et saintes vérités, qu'ils avaient eux-mêmes reçues de ces hommes apostoliques.
Fasse le ciel que sincèrement revenus de vos préventions et de vos préjugés, vous vous portiez désormais à rendre aux Saints, à leurs reliques et à leurs images les honneurs qui leur ont été rendus de tous temps. Vous y trouverez également comme nous votre avantage. Ce sont des protecteurs que vous vous procurerez dans le ciel, et qui, s'intéressant à votre salut plus que vous ne vous intéresserez à leur gloire, solliciteront sans cesse auprès du Père des miséricordes les grâces et les secours dont vous avez besoin. Leurs reliques et leurs images vous rappelleront le souvenir de leurs vertus ; et par ce souvenir, vous vous sentirez animés vous-mêmes à marcher sur leurs traces, et à signaler comme eux votre zèle pour le culte du vrai Dieu, pour les intérêts de la religion, et pour la gloire du nom de Jésus.
DE SCHEFFMACHER, DOCTEUR ALLEMAND DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE STRASBOURG,
A UN GENTILHOMME PROTESTANT.
MONSIEUR,
Je pense avoir suffisamment éclairci toutes les difficultés qui concernent le mystère de l'Eucharistie, et si vous avez sérieusement réfléchi sur ce que j'ai eu l'honneur de vous dire touchant le Sacrifice de la messe, le culte rendu à Jésus-Christ dans l'Eucharistie, la communion sous une seule espèce, je compte assez sur la justesse de votre discernement, pour me persuader que vous ne refuserez pas votre approbation aux défenses solides dont je vous ai proposé le détail imposant, et que non-seulement vous cesserez d'y voir aucun obstacle à votre réunion avec nous, mais que de plus, vous y trouverez des motifs puissants de renoncer à un schisme visiblement mal fondé, vu la nullité des griefs, qui jusqu'ici vous ont paru les plus propres à l'autoriser.
Notre communion est la seule qui subsiste depuis le temps des Apôtres, la seule qui présente une suite de pasteurs non interrompue, la seule qui se trouve répandue par toute la terre, la seule qui n'est sortie d'aucune société chrétienne, et dont toutes les autres sociétés chrétiennes sont sorties. Le désir, Monsieur, de vous voir rentrer dans cette communion, si parfaitement marquée des caractères de la véritable Église de Jésus-Christ, me rend attentif à rechercher tout ce qui peut vous en éloigner, et je pense que la pratique où nous sommes d'invoquer les Saints, vous paraît un des sujets les plus légitimes pour rester séparés de nous. Vous nous reprochez de transférer les droits du Créateur à la créature, d'affaiblir la confiance en Jésus-Christ, d'obscurcir sa gloire et ses mérites, de nous occuper d'un culte vain et inutile, que vous qualifiez de pure invention humaine, et dont, à vous entendre, il n'y a pas le moindre vestige dans l'Écriture.
Permettez-moi, Monsieur, d'examiner si ces reproches sont fondés sur l'équité, ou sur d'injustes préventions ; s'ils tombent uniquement sur nous, ou s'ils n'intéressent pas également les chrétiens de la plus pure antiquité ; s'ils se bornent à blâmer notre confiance aux prières des Saints, ou s'ils ne vont pas pour la plupart jusqu'à condamner également la confiance que nous avons vous et nous aux prières des vivants.
J'éclaircirai cette matière beaucoup moins par des raisonnements que par des faits ; nous verrons ce qui s'est pratiqué dès l'origine du christianisme en tout temps et en tout lieu, et quand j'aurai fait voir quelle a été sur ce point la pratique générale et constante de tous les chrétiens, à remonter jusqu'au temps des Apôtres, je ne serai nullement en peine de la justifier. Si MM. vos ministres ont assez de courage pour oser condamner l'antiquité la plus pure, et ne craignent pas de traiter d'abus intolérable l'usage universel de tous les siècles et de toutes les nations, je doute fort, Monsieur, que vous puissiez être du même goût. Le moins que je me promette d'une raison aussi éclairée que la vôtre, c'est qu'après vous être parfaitement assuré de la vérité de fait dont j'entreprends d'établir la certitude, vous suspendrez votre jugement pour examiner avec plus d'attention si les objections formées contre l'invocation des Saints sont de quelque solidité, et si les défenses alléguées pour la justification de cette pratique, ne doivent pas satisfaire tout esprit raisonnable.
Je réduis donc à quatre articles tout ce que je dois avoir l'honneur de vous dire sur ce sujet. Je rapporterai premièrement les faits qui constatent l'usage universel des chrétiens de tous les temps, d'invoquer les Saints pour leur demander le secours de leurs prières ; j'examinerai, en second lieu, ce que MM. vos ministres y trouvent à redire, et je ferai voir que leur critique est du moins aussi vaine qu'elle est hardie, pour ne pas dire téméraire ; en troisième lieu, je remonterai jusqu'à la source de cette pratique, et je découvrirai les véritables principes sur lesquels elle est fondée, principes que vous verrez clairement établis dans l'Écriture ; quatrièmement, enfin, je ferai voir que Dieu s'est expliqué hautement en faveur de l'invocation des Saints par la voie des miracles.
Voilà, Monsieur, tout le plan de l'écrit que je destine à la défense de l'invocation des Saints ; je m'assure que vous y trouverez des faits dont la lecture vous fera plaisir ; on aime naturellement à s'instruire des mœurs et des usages des premiers chrétiens, et les particularités que je rapporterai sur le sujet en question, ne manqueront pas d'intérêt. Vous ne pourrez vous empêcher d'être surpris en voyant les marques éclatantes d'approbation que Dieu a données en faveur d'une pratique condamnée si hautement chez vous. Je ne dirai rien que je ne puise dans les sources les plus pures, et les esprits les plus critiques ne pourront contester l'authenticité des pièces que je citerai ; j'abandonnerai la plupart des faits à vos propres réflexions ; votre équité naturelle, j'en suis persuadé, vous en dictera plus que je ne pourrais vous en suggérer.
Je commence d'abord par rapporter ce qui se passa à la mort de saint Polycarpe, disciple de l'apôtre saint Jean, et premier évêque de Smyrne ; on ne peut guère remonter plus haut. Vous y verrez, Monsieur, qu'on a rendu au saint martyr des honneurs entièrement conformes au culte rendu maintenant aux Saints, et dont vous vous faites un sujet assez ordinaire de critique. C'est une épître de l'Église de Smyrne qui nous en instruit. Elle est adressée aux Églises du Pont, et rapportée par Eusèbe ; on ne saurait trouver une pièce plus authentique et moins contestée. Nous y lisons que le saint vieillard ayant été condamné au supplice du feu pour sa constance à confesser le nom de Jésus-Christ, les flammes suspendirent leur activité à son égard, qu'un bourreau impatient et tout à la fois surpris de cet événement, lui plongea l'épée dans le sein, d'où il sortit un ruisseau de sang si abondant, qu'il suffit à éteindre le feu. Les chrétiens pensèrent aussitôt à enlever le corps, mais les Juifs, jaloux de leur gloire, firent des représentations au gouverneur ; il était, disaient-ils, à craindre qu'ils n'abandonnassent leur Dieu crucifié, pour faire de celui qui venait d'expirer un nouvel objet de leur culte. Le corps fut donc réduit en cendres ; les chrétiens ne laissèrent pas de recueillir quelques os que le feu avait épargnés ; il les conservèrent plus précieusement que si c'eût été de l'or et des pierres précieuses ; ce sont les propres termes de la lettre, et les mirent en dépôt dans un lieu honorable, pour s'y assembler tous les ans au jour de la mort du saint martyr, et en célébrer la mémoire avec une sainte allégresse1. Voilà, Monsieur, le culte des Saints, la vénération des reliques, les fêtes en l'honneur des saints martyrs bien marqués dès les premiers temps du christianisme.
Le même Eusèbe qui nous a fait part de la lettre dont je viens de rapporter un extrait, raconte d'une sainte vierge nommée Potamiène, martyre du troisième siècle, que touchée de reconnaissance pour le soin qu'avait pris un de ses gardes, quoique païen, de la défendre contre les insultes de ceux qui la chargeaient d'injures lorsqu'on la conduisait au supplice, elle lui promit de se souvenir de lui après sa mort, et de lui obtenir de Dieu la récompense de sa charité. Elle tint parole ; car trois jours après son martyre elle apparut pendant la nuit à son charitable défenseur, lui mettant une couronne sur la tête, et lui disant qu'elle avait obtenu de Dieu ce qu'elle avait demandé pour lui. Basilides, c'était le nom du garde, ne tarda pas à sentir l'effet des prières de la Sainte ; il se trouva subitement changé, et si pénétré d'amour et d'estime pour la religion chrétienne, qu'il n'hésita pas à l'embrasser, ce qui lui fit obtenir peu de temps après la couronne du martyre.
Vous comprenez, Monsieur, par le récit de ce fait, que les Saints ne se contentent pas de prier dans le ciel pour les besoins de l'Église en général, ce qu'on ne fait aucune difficulté d'accorder chez vous, mais que de plus ils s'intéressent encore aux besoins des particuliers ; qu'ils s'emploient pour leur obtenir des grâces, et que leurs prières sont très puissantes auprès de Dieu pour intéresser sa miséricorde en leur faveur.
Saint Cyprien, évêque de Carthage, était si persuadé de cette vérité, qu'il fit avec le pape Corneille une espèce de convention, par laquelle ils se promirent que le premier enlevé de ce monde par un effet plus prompt de la bonté divine, ne manquerait pas de prendre à cœur les intérêts de l'autre, et de prier soigneusement le Seigneur pour lui2. Le même Saint, écrivant à des vierges consacrées à Dieu, leur dit : « Quand vous serez parvenues au lieu destiné à récompenser votre amour pour la virginité, ne manquez pas alors de vous souvenir de nous3. »
Mais, comme il ne s'agit pas tant ici de l'intercession des Saints, que de l'usage où nous sommes de les invoquer, il serait assez inutile de prouver plus au long qu'on s'est promis de grands avantages de leur intercession, et que très souvent on en a ressenti de puissants effets ; il vous faut des exemples propres à faire voir que les chrétiens des premiers siècles ont eu recours aux prières de leurs frères déjà enlevés à la terre, et parvenus, sans aucun doute, au séjour de la gloire.
Il ne sera pas difficile, Monsieur, de vous satisfaire. Saint Grégoire de Nazianze rapporte de sainte Justine, vierge et martyre du troisième siècle, qu'un jeune païen, nommé Cyprien, ayant conçu, à la vue de sa rare beauté, une violente passion pour elle, n'omit rien pour triompher de sa vertu, jusqu'à employer les secrets de la magie, dont l'usage lui était assez familier. La Sainte se sentant vivement tentée par les charmes et les prestiges du démon, eut recours à la sainte Vierge pour obtenir la force de sortir victorieuse des combats qu'elle avait à soutenir, et joignant le jeûne à la prière, elle vint aisément à bout de rendre inutiles les noirs artifices du jeune débauché1.
Je ne l'ignore pas, Monsieur, il y a eu deux Cyprien, qui après s'être convertis à la religion chrétienne ont donné leur vie pour Jésus-Christ ; l'un a été le célèbre évêque de Carthage, qui consomma son martyre proche de cette ville ; l'autre était d'Antioche, et eut la tête tranchée à Nicomédie. Or, c'est selon toutes les apparences, Cyprien d'Antioche qui s'intrigua avec l'enfer pour réussir à séduire la chaste Justine ; car Cyprien de Carthage, lors même qu'il était encore dans les ténèbres du paganisme, était, au rapport du diacre Ponce, auteur de sa vie, fort réglé dans ses mœurs, et par conséquent bien éloigné d'avoir aucun commerce avec les démons. Il paraît néanmoins que saint Grégoire de Nazianze met toute cette histoire sur le compte du saint évêque de Carthage. C'est là, Monsieur, une difficulté qui peut faire soupçonner le saint docteur de s'être mépris par la conformité des noms ; mais quand il lui serait arrivé d'avoir confondu les personnes, le fait rapporté en serait-il moins vrai ? Je dis de plus, que supposé même que la méprise du saint docteur donnât droit de regarder le fait rapporté comme fabuleux, toujours faudra-t-il convenir que saint Grégoire a été dans la persuasion qu'au commencement du troisième siècle, c'est-à-dire une centaine d'années après la mort de l'apôtre saint Jean, c'était la pratique d'invoquer les Saints. Car puisque l'évêque de Carthage a souffert le martyre vers le milieu du troisième siècle, et déjà dans un âge respectable, il est évident que saint Grégoire, le supposant déréglé dans sa jeunesse, n'a pu placer ses dérèglements à l'égard de Justine, que vers le commencement du troisième siècle. Aussi vos centuriateurs de Magdebourg conviennent-ils de bonne foi, « qu'on voit dans les écrits des docteurs du troisième siècle des vestiges clairs et sans obscurité de l'invocation des Saints2. » Ils citent sur ce point plusieurs passages d'Origène, qui ne laissent aucun lieu d'en douter.
Mais saint Basile, celui qui de tous les Pères grecs passe pour le théologien le plus exact dans sa doctrine, comme aussi pour l'écrivain le plus correct dans ses expressions, remonte beaucoup plus haut, puisqu'il rapporte l'origine de l'invocation des Saints au temps même des Apôtres. Voici ses propres termes ; c'est dans une espèce de profession de foi qu'il adresse à Julien l'Apostat : « Selon la foi des chrétiens, que nous avons reçue de Dieu même, et qui est sans tache, je crois en un seul Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit... Je reçois les saints Apôtres, les Prophètes et les Martyrs, et je les invoque afin qu'ils prient pour moi, et que par leur entremise Dieu me soit propice et me pardonne mes fautes. C'est pourquoi j'honore et révère leurs images, vu principalement que ces images sont recommandées à notre vénération par la tradition des saints Apôtres, et que bien loin d'être interdites, elles sont publiquement exposées dans nos églises3. » Vous voyez, Monsieur, que saint Basile soutient qu'en invoquant les Saints, il agit selon la foi que les chrétiens ont reçue de Dieu, et selon la tradition qu'ils tiennent des Apôtres.
Peut-être, Monsieur, le témoignage rendu par ce grand homme touchant la foi et les usages des siècles antérieurs, vous paraîtra moins recevable, ou ne fera pas assez d'impression sur vous ; écoutez du moins ce qu'il dit de l'usage de son temps et des faits accomplis sous ses yeux ; vous verrez clairement que vers le milieu du quatrième siècle, temps auquel le Saint écrivait, l'invocation des Saints n'était pas moins parfaitement établie, ni moins généralement pratiquée qu'elle l'est chez nous aujourd'hui. C'est à la faveur d'un usage si général du quatrième et du cinquième siècle, que nous serons en droit de revenir au point de saint Basile, je veux dire que nous trouverons dans la généralité même de cet usage des raisons légitimes pour en justifier et vérifier l'origine, telle qu'elle nous est marquée par ce Père.
Voici comme il parle de la confiance que les chrétiens de son temps avaient aux prières des quarante martyrs, qui sous Licinius finirent leur vie dans un étang glacé : « Celui qui, dit-il, est pressé de quelque angoisse, se réfugie sous l'aile de ces augustes protecteurs ; celui qui est dans la joie, a également recours à leur pouvoir ; celui-là pour être délivré de ses maux, celui-ci pour se maintenir dans la prospérité. C'est ici qu'on trouve la mère en prière pour ses enfants ; c'est ici que la femme demande pour son mari, s'il est absent, un heureux retour ; s'il est malade, une salutaire guérison1. » Ne croiriez-vous pas voir, Monsieur, un de nos pèlerinages les plus célèbres et les plus fréquentés ?
Votre Kemnitius croit faire ici une remarque fort judicieuse, en observant que saint Basile s'exprime de manière, non pas à exhorter les fidèles à l'invocation des quarante martyrs, mais à rapporter seulement la pratique des fidèles même de son temps ; il ne dit pas : Que celui qui est affligé ait recours à eux, mais il dit : Celui qui est affligé a recours à eux2 : Vraiment, Monsieur, nous l'entendons bien ainsi, et nous sentons assez combien cette manière de parler nous est avantageuse ; car si ce n'était qu'un avis que le saint docteur donnât, on dirait qu'il le donne de son chef, et que le sentiment d'un homme, même très habile, ne doit pas faire la règle de notre foi ; mais le Saint rend témoignage de la pratique de son temps : sur le récit qu'il en fait, nous ne pouvons douter qu'elle n'ait été conforme à sa narration ; elle était donc très usitée dans le quatrième siècle ; d'où nous concluons, qu'elle ne doit rien avoir de répréhensible, puisque, comme vous en convenez vous-même, l'Église des quatre premiers siècles était pure, orthodoxe et exempte de toute tache capable de lui faire perdre la qualité d'épouse de Jésus-Christ. Vous ne voudrez pas apparemment, Monsieur, envisager cette pratique comme innocente dans le quatrième siècle et comme criminelle dans le dix-huitième. Il serait aussi extraordinaire de voir chez vous une acception de siècles, qu'il serait extraordinaire d'y voir une acception de personnes ; l'un et l'autre répugnent également à votre équité.
Le même Kemnitius dit « que saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse, ont été les premiers à introduire l'invocation des Saints dans l'Église, qu'ils l'ont tirée de la persuasion du peuple, et de la dévotion particulière des moines1. » Mais si saint Basile et les deux saints Grégoire ont puisé l'invocation des Saints dans la persuasion du peuple et dans la dévotion particulière des moines, ce ne sont donc pas eux qui l'ont introduite dans l'Église ; il faut qu'ils l'aient trouvée tout établie ; car puisque la pratique en était commune aux savants, au commun des fidèles, et à ceux qui faisaient profession d'une piété particulière, on ne peut dire que ces trois Pères l'aient fait recevoir dans l'Église. Veut-on parler juste : on dira que la voyant fort en usage de leur temps, et n'y trouvant rien que de très louable, ils l'ont appuyée de leurs suffrages et de leurs exemples.
Kemnitius ajoute que ces trois Pères « ont si bien orné les panégyriques des Saints de fleurs d'éloquence, de figures de rhétorique et d'apostrophes, qu'à force d'exagérer ils ont fait recevoir comme un dogme public et certain, l'opinion de la prière et du secours des Saints, et qu'en adressant la parole à ceux dont il faisaient l'éloge, ils ont fait dégénérer cette figure oratoire dans la forme de l'invocation2. » Mais je demande à Kemnitius, quelle figure de rhétorique, et quelle apostrophe il trouve dans les paroles rapportées : « L'âme affligée a recours aux quarante martyrs, et celui qui est dans la joie, le fait également ; c'est ici qu'on trouve la mère, priant pour ses enfants, etc. » Quoi de plus simple, de plus naturel et de moins étudié, que le récit fait ici par saint Basile de l'usage de son temps ? Je lui demande si c'est ce Père qui a donné aux fidèles de son siècle l'idée qu'ils avaient du pouvoir et du crédit des Saints, ou s'il ne la supposait pas déjà tout établie dans leur esprit, lorsqu'il disait : «Souvenez-vous du saint martyr Memmas, vous qui, après l'avoir invoqué, avez ressenti le secours de ses prières ; vous qu'en qualité de défenseur, il a assisté dans des affaires difficiles ; vous qui lui êtes redevables du succès de vos voyages ; vous à qui il a rendu la santé; vous dont il a ressuscité les enfants morts3. » N'est-il pas étonnant, Monsieur, d'entendre dire d'abord à Kemnitius, que c'est le peuple qui a communiqué ses erreurs vulgaires aux saints Docteurs, et bientôt après, que ce sont les saints Docteurs qui ont fait naître ces erreurs par leurs figures de rhétorique et par leurs apostrophes ? Qui ne voit que Kemnitius ne sait à qui s'en prendre ?
Mais à propos d'apostrophes, je n'ai garde de supprimer celle que fait saint Grégoire de Nysse au saint martyr Théodore ; rien n'est plus magnifique : « Nous avons besoin de bien des grâces, lui dit-il, à la fin d'un discours prononcé à sa louange, priez notre Roi et notre Maître commun pour la conservation de la patrie. Nous craignons de grands malheurs, nous sommes exposés à de grands dangers : les Scythes barbares ne sont pas loin, et nous menacent d'enfanter une guerre désastreuse. Comme soldat, combattez pour nous ; comme martyr, usez en faveur de vos conserviteurs de la liberté qui vous est donnée de parler. Demandez pour nous la paix, afin que les horreurs de la guerre ne viennent point dissiper nos saintes assemblées. C'est à vous que nous croyons être redevables de la tranquillité dont nous jouissons présentement ; nous vous demandons encore votre protection et notre sûreté pour l'avenir. S'il était besoin d'un renfort de prières, réunissez autour de vous le corps glorieux des martyrs, vos frères ; engagez-les à prier conjointement avec vous ; avertissez Pierre, excitez Paul, sollicitez Jean le disciple chéri du Sauveur ; qu'ils prennent soin des Églises qu'ils ont établies avec tant de peines, etc.1 »
C'est là sans doute, Monsieur, une apostrophe, oui, j'en conviens, mais n'est-ce pas en même temps une véritable prière ? peut-on demander plus fortement et avec plus d'instance l'intercession d'un saint ? MM. vos ministres seraient-ils d'humeur à faire de telles apostrophes ? et si leurs auditeurs en entendaient de pareilles sortir de leur bouche, n'en seraient-ils pas étrangement surpris ? Il faut donc convenir qu'on pense aujourd'hui tout autrement chez vous sur l'invocation des Saints, qu'on ne faisait au quatrième siècle du temps de saint Grégoire de Nysse.
S'il n'y avait du quatrième siècle que les trois Pères nommés, saint Basile et les deux saints Grégoire de Nazianze et de Nysse, qui eussent rendu à l'invocation des Saints des témoignages si éclatants, comme ils étaient tous trois liés entre eux ou par la proximité du sang, ou par une étroite amitié, on pourrait peut-être les soupçonner d'avoir agi de concert pour donner vogue à une pratique de leur goût. Mais comme il n'est aucun Père du même siècle qui n'ait tenu le même langage, ce serait bien en vain qu'on entreprendrait d'affaiblir par cet endroit l'autorité de ces saints et savants évêques, et de les récuser pour témoins de l'usage de leur temps. Je me contenterai de nommer trois autres Pères du quatrième siècle, saint Cyrille de Jérusalem, mort en 386, saint Ambroise, mort en 400, et saint Chrysostôme, qui, enlevé du monde au commencement du cinquième, en 407, a écrit la plupart de ses ouvrages dans le quatrième : ces trois saints Docteurs n'ont eu aucun rapport avec ceux que j'ai déjà cités ; ainsi ils suffiront de reste, tant pour assurer la conformité générale de leur siècle, que pour disculper parfaitement les premiers du reproche fait par Kemnitius, de s'être abandonné à un zèle outré pour relever la gloire et le culte des Saints.
Voici comment s'exprime saint Cyrille dans la cinquième de ses Catéchèses : « Lorsque nous offrons le saint Sacrifice, nous faisons mémoire de ceux qui sont décédés avant nous, premièrement des Patriarches, ensuite des Prophètes, puis des Apôtres et des Martyrs, afin que Dieu touché de leurs prières, écoute plus favorablement les nôtres2. Remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, qu'il ne s'agit pas ici de la dévotion de quelques particuliers, mais du service public de l'Église ; que l'on y faisait mention des Patriarches et des Prophètes, des Apôtres et des Martyrs, principalement pour leur demander le secours de leurs prières ; que l'ordre de la liturgie, tel qu'il était en usage du temps de saint Cyrille, ne pouvait être récent, mais qu'il remontait à un temps immémorial ; qu'enfin on n'eût pu y faire un changement aussi considérable que l'addition de l'invocation des Saints, sans s'exposer à révolter tous les ministres de l'Église, et tous les fidèles habitués à assister régulièrement au sacrifice.
Saint Ambroise prétend nous donner une instruction très salutaire, en nous avertissant de nous adresser à nos anges gardiens, de prier les saints martyrs, dont les reliques sont, comme il nous en assure, autant de gages précieux qui nous répondent de leur protection. N'ayons pas honte, ajoute-t-il, de recourir à eux dans notre infirmité, puisque dans le temps même qu'ils remportaient une glorieuse victoire, ils n'ont pas laissé d'éprouver combien la chair est infirme1. »
C'est là sans doute, Monsieur, nous exhorter à invoquer les Saints, et on ne se plaindra plus de ne pas trouver sur ce sujet chez les Pères, des expressions en forme d'avis et d'exhortation. Pour moi, je respecte beaucoup les saintes leçons du grand évêque de Milan, si recommandable par sa sainteté et par ses rares lumières. J'avoue néanmoins que ces leçons font encore plus d'impression sur moi, quand je les considère comme des preuves et des témoignages de la doctrine et de l'usage du temps ; car il est bien évident que si ce n'avait pas été pour lors la pratique de la piété ordinaire d'invoquer les saints anges et les saints martyrs, le saint Docteur ne se fût jamais servi de semblables expressions.
Saint Chrysostôme atteste « qu'à Rome, la reine des cités, on voyait les rois, les gouverneurs et les généraux quitter tout pour accourir au tombeau d'un pêcheur et d'un faiseur de tentes, et qu'à Constantinople les empereurs estimaient comme une faveur insigne de pouvoir être enterrés, non dans le lieu même où reposaient les corps des saints Apôtres, mais seulement dans le vestibule de leurs chapelles ; en sorte, ajoute le Saint, que les empereurs et les rois se font gloire de devenir comme les portiers de ceux qui gagnaient leur vie à la pêche2. » Et dans une homélie à l'honneur de sainte Bernice et de sainte Prosdoce, il exhorte ses auditeurs « à venir faire leurs prières devant les reliques de ces Saints, non-seulement au jour de leur fête, mais aussi les autres jours de l'année. Rendons-nous assidus auprès d'elles, continue-t-il, prions-les, conjurons-les d'être nos patronnes ; elles ont eu beaucoup de crédit auprès de Dieu pendant leur vie, elles en ont encore plus après leur mort ; car déjà elles portent les stigmates du Sauveur, et en faisant voir ces stigmates elles peuvent tout obtenir du Roi des cieux3. » Si Kemnitius eût jamais lu cet endroit, il n'eût pas dit aussi hardiment qu'il a fait, « que dans les écrits justement attribués à saint Chrysostôme, cet illustre Docteur n'a ni enseigné, ni exhorté, ni employé l'invocation des Saints1. » Cette assertion fait voir ou que ces messieurs ne lisent pas tout, ou qu'il leur échappe beaucoup de leur lecture, ou qu'ils trouvent leur compte à prononcer hardiment, sans être aucunement assurés de ce qu'ils avancent. Passons au cinquième siècle, vous y verrez, Monsieur, le même empressement à se procurer les prières des Saints.
Saint Augustin, qui a vécu partie dans le quatrième, partie dans le cinquième, nous le fait connaître par le récit d'un événement singulier, qu'il rapporte au huitième chapitre du 22° Livre de la Cité de Dieu. Il y avait, dit-il, à Hyponne un vieillard nommé Florent, pauvre et dévot ; cet homme ayant perdu sa casaque, et n'ayant pas de quoi en avoir une autre, courut au tombeau des vingt martyrs, qui est fort célèbre parmi nous, et les pria tout haut de lui faire recouvrer des habits. Quelques jeunes gens, qui se trouvèrent là par hasard et qui avaient envie de rire, l'ayant entendu, le suivirent au moment où il sortit et se mirent à le railler, comme s'il eût demandé cinquante pièces de monnaie aux martyrs pour avoir un vêtement ; mais lui, continuant toujours son chemin sans rien dire, vit un grand poisson qui se débattait sur le rivage ; il le prit à l'aide de ces jeunes gens, et et le vendit trois cent pièces (la pièce faisait environ un sol d'Allemagne) à un certain cuisinier nommé Cartose, à qui il raconta l'événement tout entier. Il se disposait à acheter de la laine, afin que sa femme lui fît un habit comme elle pourrait ; mais le cuisinier ayant ouvert le poisson, lui trouva dans le ventre une bague d'or, de sorte que touché de compassion et effrayé de cette merveille, il la porta à cet homme en lui disant : Voilà comme les saints martyrs ont pris soin de vous habiller2. » Qui ne voit, Monsieur, dans le récit de cet événement, l'espérance que conçut le pauvre vieillard de trouver du secours par l'intercession des saints martyrs, et la persuasion où fut le cuisinier Cartose, que Florent en avait réellement trouvé par cette voie. Mais, nous dira-t-on, c'étaient là de bonnes gens, sur lesquels on ne saurait se régler pour prendre de justes idées en fait de religion. Oui, Monsieur, c'étaient de bonnes gens, mais en sont-ils moins propres à nous faire connaître l'usage du temps ? C'étaient de bonnes gens ; mais saint Augustin les blâme-t-il de simplicité ou de superstition ? ne représente-t-il pas au contraire la conduite du tailleur comme pleine de piété, et récompensée par un succès merveilleux ?
Kemnitius dira-t-il après cela, que de l'aveu même de saint Augustin, il y avait de son temps bien des pratiques populaires, que ce Père trouvait blâmables, et qu'il n'osait néanmoins reprendre ouvertement, pour ne pas offenser des personnes pieuses ou turbulentes, avec danger de causer de grands scandales3 ? Emploiera-t-il tous ses artifices pour faire croire que l'invocation des Saints était du nombre de ces pratiques ? Outre qu'il est inutile, pour ne pas dire ridicule, de former ainsi des soupçons en l'air à l'occasion d'une parole dite en général, n'est-il pas évident, par le seul récit du fait rapporté, que saint Augustin était bien éloigné d'improuver dans le fond de son âme, la confiance du peuple de son temps aux prières des Saints, puisqu'il en parle comme d'une pratique approuvée de Dieu par les effets d'une rare bonté ?
Le même Père ne dit-il pas, « que si nous faisons mention des saints martyrs en célébrant les mystères sacrés, c'est non pas afin de prier pour eux, comme on fait pour les autres fidèles, mais plutôt afin de les engager à prier pour nous1. » Remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, deux de nos pratiques réunies dans le même texte ; la prière pour les morts, et le recours aux prières des Saints : pratiques que MM. vos ministres vous donnent pour des innovations de l'Église romaine, tandis que vous les voyez marquées dans la liturgie du temps de saint Augustin. Or, qui sait l'origine et le commencement de cette liturgie ? Ne dit-il pas encore qu'il faut bien se garder de prier pour un martyr, « que ce serait lui faire injure ; mais qu'il faut se recommander à ses prières2 ? » Kemnitius n'hésite pas à rapporter ce texte de saint Augustin, et soutient au même endroit que ce père défend d'invoquer les Saints3. Je demande à ce ministre si se recommander aux prières des Saints n'est pas formellement les invoquer ? Par l'invocation des Saints entendons-nous autre chose que la prière faite à ces saints d'intercéder pour nous ? Or, n'est-ce pas là se recommander à leurs prières ? N'est-ce pas là les invoquer ? Ne faut-il pas être étrangement prévenu par la passion, pour nous citer saint Augustin comme contraire à l'invocation des Saints, tandis qu'on en rapporte des passages où elle se trouve formellement contenue ? Jugez, Monsieur, combien il y a de fond à faire sur les savantes recherches et les judicieuses réflexions de Kemnitius, que vos ministres regardent comme le coryphée des savants, et qui leur paraît avoir approfondi la matière de manière à ne nous laisser rien à répliquer.
Venons à saint Jérôme, contemporain de saint Augustin. Vous n'ignorez pas, Monsieur, le différend qu'eut ce père avec Vigilance, prêtre gaulois ; vous savez avec quelle force il s'éleva contre les erreurs de cet esprit hardi et présomptueux. Elles consistaient à blâmer la vénération des fidèles pour les saintes reliques, à condamner leurs veilles auprès des tombeaux des martyrs, et à se moquer de la confiance qu'on avait en leur intercession. Saint Jérôme lui reproche de renouveler l'hérésie d'Eunomius aussi bien que celle des Caïnites, et le traite avec toute la dureté que peut mériter l'impiété et le blasphème.
Aussi ne peut-on disconvenir que Vigilance n'ait été constamment regardé dans l'Église, du moins jusqu'au temps de Luther, comme noté de la tache qui fait les véritables hérétiques, pour avoir soutenu une si mauvaise cause contre saint Jérôme. Mais, nous dit votre apologie4, et c'est la remarque que fait Drejerus5, et que Kemnitius avait déjà faite avant lui6, « il ne se trouve pas dans tout l'écrit de saint Jérôme contre Vigilance une seule syllabe de l'invocation des Saints ; ainsi c'est à tort qu'on cite saint Jérôme comme défenseur de cette pratique7. » Comment, Monsieur, ce Père ne rapporte pas l'objection de Vigilance, qui disait : « Il faut donc que les âmes des martyrs aiment leurs cendres, et qu'elles voltigent autour des tombeaux qui les renferment ; qu'elles y soient toujours présentes, de peur que si elles en étaient éloignées, elles ne manquent d'entendre les prières qu'on vient leur faire1. » Cette objection ne fait-elle pas voir l'usage dans lequel on était de venir prier les saints martyrs, ou de les invoquer ? Saint Jérôme ne réfute-t-il pas cette objection en la traitant de fade raillerie ? Si Vigilance trouvait à redire qu'on vint faire des prières aux saints martyrs, si saint Jérôme le traite à ce sujet de monstre qu'il faudrait reléguer aux extrémités de la terre, il s'agissait donc de l'invocation des Saints. Vous voyez, Monsieur, que vos plus habiles docteurs, tels qu'un Mélanchton, un Kemnitius, un Drejerus, ne réfléchissaient pas toujours assez sur ce qu'ils lisaient dans les écrits des saints Pères, puisqu'ils n'y ont pas vu des vérités si clairement et si manifestement énoncées.
Quand je ne produirais d'autre témoignage du cinquième siècle, que ceux de saint Augustin et de saint Jérôme, c'en serait déjà bien assez, Monsieur, pour nous faire parfaitement connaître la pratique de leur temps. Mais je ne puis me dispenser d'en ajouter deux autres, qui par la singularité des détails dont ils nous instruisent, me paraissent mériter encore plus spécialement votre attention. Le premier est Théodoret, évêque de Cyr, mort vers le milieu du cinquième siècle, le second est le poète Prudence, mort une vingtaine d'années plus tôt. Nous considérerons leurs témoignages bien moins du côté de l'autorité, que du côté des faits même que ces auteurs rapportent, et qui sont, comme vous verrez, Monsieur, de nature à ne pouvoir être révoqués en doute.
Voici comme parle Théodoret des honneurs rendus de son temps aux saints martyrs : « Les temples où reposent ces glorieux vainqueurs, se distinguent par l'éclat, la magnificence, la grandeur, la noblesse et l'or réunis. Brillants de tous les genres d'ornements, c'est une splendeur de beauté qui jette au loin de vifs rayons. Nous ne nous contentons pas d'y aller quatre ou cinq fois par an, nous y avons de fréquentes assemblées, on y chante même plusieurs fois leurs louanges devant Dieu. Ceux qui jouissent d'une santé parfaite, en continuation, et ceux qui sont affligés de quelque maladie, font des vœux pour en être délivrés. Les hommes sans enfants viennent en demander, les femmes stériles implorent la grâce de devenir mères, et ceux qui ont obtenu ces précieux gages, en sollicitent la conservation. Avant d'entre prendre un voyage, on prie les saints martyrs de servir comme de compagnons et de guides dans la route ; quand on est heureusement de retour, on vient leur offrir des actions de grâces. On se garde bien néanmoins de s'adresser à eux comme à des Dieux ; on les regarde seulement comme des hommes divins, et on les prie d'être nos intercesseurs auprès de Dieu. Du reste, les présents offerts pour ceux qui ont trouvé du soulagement, font voir que la confiance en leur crédit n'est pas vaine : on y voit des yeux, des mains, des pieds d'argent et d'or, suspendus en signe de reconnaissance pour la guérison obtenue2. »
Eussiez-vous cru, Monsieur, que ce qui vous paraît aujourd'hui le plus outré dans la dévotion du peuple catholique, ait été pratiqué dans les siècles les plus florissants de l'Église, lorsque la piété et la science des Écritures étaient montées au suprême degré ? Qu'il est consolant pour nous d'avoir pour modèle les chrétiens de ces heureux temps, et pour approbateurs les plus grandes lumières de l'Église ? Il y a là bien de quoi nous rassurer contre les vaines déclamations de vos ministres ; que peut leur critique contre des usages autorisés avec tant d'éclat par la respectable antiquité, sinon faire sentir je ne sais quelle amertume de cœur, qui les porte à juger de tout en mauvaise part ?
Kemnitius cherche à affaiblir le témoignage de Théodoret en disant qu'il n'est pas sûr que le livre, dont ce témoignage est tiré, soit véritablement de cet auteur1 ; mais sur quoi se fonde le ministre de Brunswick pour en parler ainsi? C'est, dit-il, que Nicéphore faisant le catalogue des ouvrages de Théodoret, ne fait aucune mention du livre intitulé : Cure des affections grecques. Mais si Nicéphore a manqué de l'insérer dans son catalogue pour n'en avoir pas eu de connaissance, peut-on supposer que Théodoret ait voulu nous tromper en nous donnant lui-même ce livre pour son ouvrage, comme il fait en trois différents endroits, dans son Épître à saint Léon2, dans celle à Renatus3, et dans sa première question sur le Lévitique4. On ne peut donc ici se dispenser de reconnaître deux vérités ; la première, que Kemnitius a vainement cherché à rendre suspecte la foi de ce témoignage ; la seconde, s'il a pris ce parti ce n'est que pour se dérober à l'embarras où il se trouvait, au cas où le témoignage serait véritable. Or je vous laisse à penser, Monsieur, s'il a réussi dans l'expédient dont il s'est servi.
Pour ce qui est du poète Prudence, je ne le citerai pas comme un homme dont le profond savoir joint à une éminente sainteté doivent entraîner nos suffrages ; il nous suffira de le regarder comme un homme qui n'a pas perdu le sens ni le jugement ; dès-lors nous ne pourrons le récuser pour témoin dans les faits qu'il a vus de ses yeux, ou qu'il rapporte sur la garantie du public. Voici comme il décrit le concours et l'empressement des peuples à visiter la grotte souterraine de saint Hippolyte, pour y faire leurs prières et se recommander à celles du saint martyr : « Dès que le soleil paraît, le peuple s'y rend en foule pour prier, une seconde troupe succède à cette première, et une troisième à cette seconde, et quand le soleil se retire, il voit encore ce lieu sacré rempli de ceux qui y vont porter leurs vœux. Les Romains et les Barbares, l'Italie, et les provinces y viennent par pelotons ; un même esprit les anime : c'est l'amour de la religion. Pendant que les uns baisent avec respect le précieux métal qui renferme les saints ossements, les autres répandent des parfums et des larmes. Mais lorsque la révolution des mois renouvelle l'année, et que le jour des souffrances, changé en jour d'allégresse, ramène l'époque de la naissance du ce Saint, pour le ciel, quelle foule innombrable de peuple n'y voit-on pas accourir de toute part avec une sainte émulation ? que d'empressement à offrir des vœux au Seigneur ! Rome s'épuise, pour ainsi dire, en y envoyant de nombreuses troupes de ses illustres citoyens ; les familles patriciennes prennent plaisir à se mêler à la pieuse bourgeoisie ; la dévotion confond l'artisan avec le sénateur, et la foi égale le noble au roturier. Albe, l'ancienne rivale de Rome, ne lui cède pas en empressement ; ses habitants vêtus de blanc sortent à grands flots de ses portes, et marchent en ordre sur des rangs au loin prolongés. Tous les chemins retentissent des frémissements de l'allégresse ; on voit accourir les indigènes, les habitants de la Marche d'Ancône, les peuple de l’Étrurie, les durs Samnites, les citoyens de la noble Capoue et ceux de l'illustre Nole. Le mari, accompagné de son épouse et environné de sa famille bien aimée, se hâte, dans le transport d'une sainte joie, d'arriver au terme de sa course. Les vastes campagnes peuvent à peine contenir l'allégresse des peuples, et les chemins les plus spacieux se trouvent trop serrés pour leur donner passage ; on s'y presse, on s'y porte, et on est souvent obligé de s'y arrêter. La sainte caverne, malgré sa vaste étendue, serait sans doute trop étroite pour tant de dévots pèlerins, s'il ne s'élevait à côté, avec une magnificence royale, un grand et superbe temple, destiné à recevoir la foule innombrable des fidèles1. »
Mais, qu'est-ce qui rendait ce lieu si célèbre ? c'est, dit le poète, l'espérance d'y trouver Dieu plus propice, plus facile, et plus prompt à exaucer les vœux qu'on lui présentait par l'entremise du saint. « Oui, ajoute-t-il, toutes les fois qu'accablé des maux de l'âme ou du corps, je me suis prosterné devant ce tombeau, j'ai reçu en même temps la guérison de l'un et de l'autre2. »
Voilà, Monsieur, ce qui se pratiquait il y a plus de treize cents ans ; c'est un témoin oculaire qui y a eu part, et qui nous en assure ; et à moins de supposer qu'un homme sensé et raisonnable ait pu prendre plaisir à se déshonorer dans le public, en débitant des faussetés qu'il savait devoir y être manifestes, il n'est pas possible de douter que ce n'ait été là en effet une des dévotions du temps.
Ainsi il est prouvé par des faits, sur lesquels il n'y a point à disputer, et dont vous ne pouvez, Monsieur, vous empêcher de rester convaincu comme si vous les voyiez actuellement de vos yeux, que l'usage du troisième, du quatrième et du cinquième siècle a été d'invoquer les Saints. Comment donc MM. vos ministres osent-ils encore nous entreprendre sur cet article ? se flattent-ils donc de pouvoir persuader les personnes raisonnables, que dans les plus beaux jours de l'Église le peuple chrétien avait déjà abandonné le culte du vrai Dieu, pour placer une vaine confiance dans les créatures ; qu'il ignorait et blessait les droits du Rédempteur, en se cherchant des entremetteurs au préjudice de la médiation de Jésus-Christ ; qu'il était assez simple pour parler à des sourds, incapables d'entendre ce qu'on leur demandait ; que dès-lors, enfin, la véritable piété se trouvait bannie du monde chrétien, et qu'on voyait régner à la place la superstition et l'idolâtrie, sans que personne ait pu réussir à y apporter remède jusqu'au temps de Luther.
Qu'en pensez-vous, Monsieur, ne faut-il pas bien du courage pour entreprendre de soutenir de si étranges paradoxes ? ou plutôt peut-on se déterminer à l'entreprendre sans y être porté par la plus monstrueuse de toutes les présomptions ? Quoi ! tout le christianisme plongé dans la superstition et dans l'idolâtrie pendant une si longue suite de siècles, sans que les promesses de Jésus-Christ en aient souffert ? tous les docteurs de l'Église devenus stupides et aveugles jusqu'à ne pas voir la contravention la plus manifeste au premier des commandements ? la vraie intelligence des Écritures communiquée sur cet article à vos ministres, tandis qu'elle a été refusée à tous les plus habiles docteurs de l'antiquité, et à tous les plus savants interprètes des Écritures. Quand on adopte toutes ces chimères, et qu'on les admet comme autant de parties du système dont on dirige le plan contre nous, je vous le demande, Monsieur, est-ce bien à craindre ? la satyre et l'invective fondée sur de tels principes peuvent-elles rendre nos usages méprisables ? ou plutôt n'avons-nous pas droit de prétendre que faire des reproches, dont on voit si peu les suites, ou ne pas laisser, en les voyant, de les approuver, malgré les monstrueuses répugnances, c'est faire tout ce qu'il faut pour s'attirer un juste mépris ?
Il fallait, avant de former de si noires accusations contre nous, examiner sur qui elles retomberaient ; car vouloir que nous soyons les seuls coupables, tandis que tous les personnages les plus saints et les plus savants de l'antiquité, tandis que tout le peuple chrétien de ces heureux siècles s'est accordé avec nous dans les mêmes pratiques, ne serait-ce pas une injustice trop criante ? et porter contre cette masse imposante, comme contre nous, même sentence de condamnation ? ne serait-ce pas pousser trop loin la hardiesse et la témérité ? Non, nous ne pouvons, n'en déplaise à MM. les ministres, redouter un jugement qui enveloppe de si illustres associés, et nous nous estimerons toujours beaucoup plus honorés d'être liés d'intérêt avec une si noble troupe, que d'avoir l'approbation d'hommes assez audacieux pour oser la condamner.
Ce sont là, Monsieur, des réflexions simples et naturelles, mais bien capables de faire une vive impression sur des personnes de votre caractère, je veux dire, sur des personnes d'un sens droit et d'un jugement sain. Elles en firent tant autrefois sur le premier préteur royal de Strasbourg, qu'elles furent le principe de sa conversion. Je parle de feu M. Obrecht, cet illustre magistrat, dont la mémoire sera éternellement en vénération dans cette ville. Quel heureux assemblage des plus belles qualités ! quelle profonde érudition ! quelles connaissances universelles ! quel zèle pour le service du roi et les intérêts de sa patrie ! quelle habileté dans les négociations ! quelle probité ! quelle droiture ! quelle intégrité, et surtout quelle piété solide et exemplaire ! quelle fidélité à remplir avec exactitude les devoirs de sa religion ! Or, ce grand homme a déclaré plus d'une fois, que ce qui avait fait naître chez lui les premiers scrupules sur la religion dans laquelle il avait été élevé, c'était la conformité des sentiments des anciens Pères avec les sentiments de l'Église catholique d'aujourd'hui, et le peu de rapport qu'il voyait entre la doctrine de Luther et celle de l'antiquité ; c'était une remarque qu'il n'avait pu s'empêcher de faire en lisant les ouvrages des saints docteurs. Il ajoutait que, chagrin de trouver dans leurs écrits tant de passages contraires à ses préjugés et aux dogmes de sa religion, il avait jeté plus d'une fois par dépit leurs livres à terre, mais que considérant ensuite combien il y a d'imprudence et de témérité à taxer toute l'antiquité chrétienne d'erreur et de superstition, et ne pouvant se persuader que Dieu eût abandonné son Église et sitôt et si longtemps, il s'était mis à examiner plus sérieusement les reproches et les griefs de Luther, et que n'y ayant rien trouvé de solide, il avait parfaitement reconnu l'injustice du schisme où il se trouvait malheureusement engagé.
Voilà, Monsieur, ce qui acquit à l'Église catholique cette belle et illustre conquête, cet homme d'un génie rare et supérieur, s'il y en eut jamais, et dont vous regardiez les paroles comme autant d'oracles. Je ne sais comment il est arrivé que ses sentiments sur tout le reste vous aient paru si respectables, et que ses pensées sur la religion, soutenues d'ailleurs par des exemples si réguliers et si édifiants, n'aient pas fait sur vous plus d'impression.
Mais revenons à notre sujet et examinons sur quelles raisons se sont fondés les chefs de votre prétendue réforme pour oser faire le procès à toute l'antiquité.
IL faudrait sans doute des difficultés graves, importantes et capables d'étonner les meilleurs esprits, pour colorer, en quelque sorte, la hardiesse qu'il y a à oser condamner l'usage de toutes les nations et de tous les temps ; mais vous le verrez, Monsieur, rien n'est plus faible, ni plus frivole que les moyens employés pour rejeter l'invocation des Saints ; on s'étonne que des esprits raisonnables aient pu s'arrêter à de si légères difficultés ; on s'étonne encore plus qu'ils aient cru y trouver de quoi contrebalancer l'autorité si respectable de l'antiquité et la pratique générale de tous les siècles. Il n'y a qu'à exposer simplement la doctrine catholique pour faire disparaître la plupart des difficultés qu'on propose contre nous. Jugez-en vous-même, Monsieur, et vous le reconnaîtrez bientôt ; on ne s'aviserait jamais de les proposer, si l'on était au fait de nos sentiments : car la plupart des objections dirigées contre nous sont uniquement fondées sur les fausses idées qu'on s'est formées de notre doctrine.
Voici comme parle le célèbre évêque de Meaux dans son Traité de l'exposition de la foi ; je ne puis rien faire de mieux que de rapporter les paroles de cet illustre auteur ; car si j'expliquais de mon fond la doctrine catholique, on pourrait me soupçonner de chercher à l'adoucir : mais la déclaration qu'en a faite M. de Meaux ayant été approuvée par un bref du pape, ratifiée par les éloges de plusieurs cardinaux et prélats romains dont les lettres se trouvent à la tête de son ouvrage, applaudie par tous les évêques du monde chrétien, il n'est pas possible que cet écrit ne contienne les véritables sentiments de l'Église catholique. On peut encore moins en douter par rapport au sujet dont il s'agit, puisque toute cette doctrine sur l'invocation des Saints, est appuyée sur les paroles expresses du concile de Trente et sur celle du Catéchisme publié par ordre de ce concile.
Voici donc comme le savant évêque s'explique : « l'Église en nous enseignant qu'il est utile de prier les Saints, nous enseigne à les prier dans ce même esprit de charité et selon cet ordre de société fraternelle, qui nous porte à demander le secours de nos frères vivants sur la terre1. Et le Catéchisme du concile de Trente conclut de cette doctrine, que si la qualité de médiateur, que l'Écriture donne à Jésus Christ, recevait quelque préjudice de l'intercession des Saints qui règnent avec Dieu, elle n'en recevrait pas moins de l'intercession des fidèles qui vivent avec nous2.
Le Catéchisme nous fait bien entendre l'extrême différence qu'il y a entre la manière dont on implore le secours de Dieu, et celle dont on implore le secours des Saints. Car, dit-il, nous prions Dieu, ou de nous donner les biens, ou de nous délivrer des maux ; mais parce que les Saints lui sont plus agréables que nous, nous leur demandons qu'ils prennent notre défense et qu'ils obtiennent pour nous les choses dont nous avons besoin. De là vient que nous usons de deux formes de prier fort différentes, puisqu'au lieu qu'en parlant à Dieu la manière propre est de dire : Ayez pitié de nous, écoutez-nous ; nous nous contentons de dire aux Saints : Priez pour nous3. Par où nous devons entendre, qu'en quelques termes que soient conçues les prières que nous adressons aux Saints, l'intention de l'Église et des fidèles les réduit toujours à cette forme, ainsi que le Catéchisme le confirme dans la suite.
Mais il est bon de considérer les paroles du concile même, qui voulant prescrire aux évêques comment ils doivent parler de l'invocation des Saints, les oblige d'enseigner, que les Saints qui règnent avec Jésus-Christ, offrent à Dieu leurs prières pour les hommes ; qu'il est bon et utile de les invoquer d'une manière suppliante, et de recourir à leur aide et à leurs secours pour impétrer de Dieu ses bienfaits, par son Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul est notre Sauveur et notre Rédempteur. Ensuite le concile condamne ceux qui enseignent une doctrine contraire. On voit donc qu'invoquer les Saints suivant la pensée de ce concile, c'est recourir à leurs prières pour obtenir les bienfaits de Dieu par Jésus-Christ. En effet, nous n'obtenons que par Jésus-Christ et en son nom, ce que nous obtenons par l'entremise des Saints, puisque les Saints eux-mêmes ne prient que par Jésus-Christ, et ne sont exaucés qu'en son nom. Telle est la foi de l'Église que le concile de Trente a expliquée en peu de paroles. »
Or je demande, Monsieur, si après cette explication la plupart des difficultés que proposent vos ministres, ne tombent pas d'elles-mêmes. Quand Kemnitius cite un grand nombre de passages de l'Écriture, pour prouver qu'il n'appartient qu'à Dieu seul d'être invoqué, que l'invocation adressée à la créature confond la créature avec le Créateur, qu'on ne peut invoquer que celui en qui l'on croit selon cette parole de l'Apôtre : Comment invoqueront-ils celui en qui ils ne croient pas1 ? et que puisqu'on croit en Dieu seul et non aux Saints, aussi ne peut-on invoquer que Dieu seul et non les Saints2. Quand Kemnitius fait tous ces beaux raisonnements, ne montre-t-il pas évidemment qu'il ne comprend pas, ou du moins qu'il fait semblant de ne pas comprendre ce que nous entendons par l'invocation des Saints. J'ai déjà déclaré qu'invoquer les Saints était leur demander le secours de leurs prières. Que Kemnitius nous dise, si cette sorte d'invocation donne atteinte aux droits de la Divinité ; si elle confond la créature avec le Créateur, ou plutôt, si cette parole, priez pour nous, ne fait pas voir un rapport essentiel de dépendance entre celui dont on recherche les prières, et le souverain Maître auprès duquel on emploie l'intercession.
Nous distinguons donc deux sortes d'invocations ; l'une par laquelle nous demandons les biens de la nature, de la grâce et de la gloire à celui qui en est l'auteur ; l'autre par laquelle nous ne demandons qu'un secours de prières et d'intercession. Quant à la première espèce d'invocation, nous avouons qu'elle ne peut s'adresser qu'à Dieu seul ; car seul il peut tirer des trésors de sa libéralité infinie les biens dont nous avons besoin. Mais pour la seconde, nous disons que non-seulement elle n'intéresse pas les droits du Créateur, mais que de plus, elle est si spécialement réservée pour les créatures, qu'elle ne peut en aucune façon convenir à l’Être incréé ; car ne serait-ce pas la dernière des extravagances de dire à Dieu : Priez pour moi ? qui prierait-il, puisqu'il n'a pas de supérieur ? à qui s'adresserait-il pour obtenir des biens, puisqu'on n'en obtient aucun que de sa main ? Tant s'en faut donc que dire à la Vierge ou à quelque autre saint : Priez Dieu pour moi, soit leur rendre des honneurs propres à les égaler à Dieu, que c'est au contraire employer une prière, où se trouve essentiellement désignée en eux la qualité de créature. Il n'y a pas, Monsieur, d'enfant des petites écoles qui ne soit en état de comprendre cette doctrine : c'est néanmoins ce qui semble avoir passé l'intelligence de votre savant professeur de Brunswick, du moins a-t-il parlé de manière à faire juger qu'il ne la comprenait pas.
« Mais, nous dit le même professeur, Dieu seul est notre force, notre aide, notre protecteur, notre libérateur, notre ressource ; ce sont autant de qualités qu'il se donne dans les saintes Écritures et dont il témoigne être jaloux ; il ne veut pas que nous donnions notre confiance à d'autres qu'à lui, et il va jusqu'à maudire ceux qui se confient aux hommes. Nous voyons néanmoins, ajoute ce ministre, que les catholiques ont beaucoup de confiance aux Saints ; qu'ils les appellent leurs patrons, leurs libérateurs, leur espérance, leur appui3. »
Je réponds qu'il y a deux sortes de confiance, l'une fondée sur le pouvoir immédiat de celui auquel on s'adresse, et celle-là il n'est permis de l'avoir que pour l'auteur et la source de tous les biens ; l'autre appuyée sur le crédit de celui qu'on emploie comme intercesseur, et celle-ci ne déroge en rien à la première ; elle est d'une tout autre espèce ; Dieu ne peut en être jaloux, puisqu'on lui renvoie celle-là même dont on recherche l'intercession. Si MM. les ministres souffrent bien qu'on ait confiance en leurs prières, comment peuvent-ils trouver mauvais qu'on ait confiance aux prières des Saints ? Ne trouveraient-ils pas fort ridicule de soutenir que la confiance aux prières d'un homme de bien encore vivant, affaiblit et ruine la confiance due à Dieu ? sont-ils moins ridicules dans le reproche qu'ils nous adressent au sujet de notre confiance aux prières des Saints ?
Quant aux termes de patrons, de libérateurs, d'espérance, d'appui, dont ces MM. se formalisent, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'ils sont bien délicats, dès qu'il s'agit des Saints, eux qui marquent leur confiance en termes incomparablement plus forts, quand il est question d'intéresser en leur faveur des personnes d'autorité, dont la recommandation leur peut être utile.
« Mais, ajoute encore Kemnitius1, si nous en croyons saint Augustin, nous nous garderons bien d'invoquer les Saints ; car ce Père enseigne positivement que le prêtre en offrant le sacrifice, se contente de nommer les martyrs sans les invoquer2. »
Il est assez surprenant, Monsieur, que vos théologiens ne puissent citer de passages contre nous, sans trahir leur propre cause ; ils attaquent l'invocation des Saints, et c'est en citant un passage qui établit le sacrifice. Non, le prêtre n'invoque pas les martyrs dans l'action même du sacrifice, c'est-à-dire, comme l'explique saint Augustin lui-même, « il ne s'adresse pas à saint Pierre ou à saint Paul pour leur dire, je vous offre ce sacrifice, mais il l'offre à Dieu seul, qui a couronné les martyrs3. » Voilà le sens, dans lequel le saint Docteur a dit que le prêtre n'invoquait pas les glorieux athlètes de la foi. Pour ce qui est du reste, ce Père enseigne précisément, comme je l'ai déjà remarqué, « que nous devons nous recommander aux prières des saints martyrs ; que nous ne prions pas pour eux, mais que nous les prions de prier pour nous4, » ce qui est bien assurément invoquer les Saints de la manière dont nous les invoquons.
Mélanchton nous attaque par un autre endroit ; « Nous transférons, dit-il, aux Saints l'honneur qui appartient en propre à Jésus Christ, nous en faisons des médiateurs, et des ministres de propitiation auprès de Dieu, et bien que nous distinguions entre médiateurs d'intercession, et médiateurs de rédemption, nous ne laissons pas cependant, selon lui, d'en faire des médiateurs de rédemption5. » Ainsi quelque raisonnable que soit notre distinction, il ne laisse pas de soutenir, premièrement, que nous avons tort de regarder les Saints comme des médiateurs d'intercession, et en second lieu, que nous allons même jusqu'à en faire des médiateurs de propitiation ou de rédemption.
Quant au premier article, il faut assurément l'humeur critique et chagrine de Mélanchton, pour désapprouver la qualité de médiateur d'intercession ; car qu'entendons-nous par ce mot, si ce n'est un suppliant qui s'entremet auprès de Dieu en faveur d'autrui pour lui obtenir quelque grâce ? Quand on ne peut raisonnablement nous contester la chose qui est exprimée par un terme, n'y a-t-il pas de la petitesse d'esprit à disputer sur le terme dont nous nous servons pour exprimer notre pensée ?
« Mais, nous dit Mélanchton, cette médiation d'intercession n'a aucun fondement dans l'Écriture1. » Il n'a donc jamais lu le chapitre trente-unième de l'Exode. Prenez la peine, Monsieur, de le parcourir, et vous verrez si Moïse, qui a fait de si ardentes prières pour détourner du peuple d'Israël la colère divine et qui l'en a effectivement préservé, n'a pas véritablement mérité la qualité de médiateur d'intercession. Or, si cette qualité a pu convenir à un ami de Dieu vivant et mortel, pourquoi les amis de Dieu qui sont parvenus à l'immortalité, n'en seraient-ils pas susceptibles ?
« Mais, ajoute Mélanchton, cette qualité obscurcit la gloire de la médiation de Jésus Christ, et détourne la confiance que nous devons à sa miséricorde2. » Que Mélanchton nous apprenne donc, comment il se fait que la médiation des intercesseurs vivants ne ternisse pas la gloire de la médiation de Jésus-Christ, et que cette gloire soit ternie par la médiation des Saints déjà parvenus au ciel ; que la première ne détourne pas la confiance due à la miséricorde de Jésus-Christ, et que la seconde la détourne. Car pour nous, nous avouons franchement, que nous n'avons pas assez de pénétration d'esprit pour y voir aucune différence. Ici Kemnitius vient au secours de Mélanchton et dit, « qu'il est ordonné aux fidèles dans l'Écriture de prier les uns pour les autres, que saint Paul a demandé des prières dans l'Église pour lui3, que cette sorte d'intercession ne déroge certainement en rien au sacerdoce de Jésus-Christ médiateur : mais qu'il n'en est pas de même de l'intercession des Saints4. »
Nous répondons que puisqu'il est ordonné aux fidèles de prier les uns pour les autres, il faut bien en effet que cette sorte d'intercession ne déroge point au sacerdoce de Jésus-Christ ; mais nous concluons justement de cette vérité que l'intercession des Saints n'y déroge pas davantage ; car ce sont de part et d'autre des suppliants qui demandent pour autrui des grâces, non comme devant être accordées à leurs mérites, mais comme étant le fruit et le prix des mérites de Jésus-Christ.
Que dire du reproche fait par Mélanchton aux catholiques, de regarder les Saints comme des médiateurs de rédemption et de propitiation ? Lui est-il bien honorable de nous charger d'une calomnie aussi manifeste ? S'il était résolu de nous calomnier, il devait du moins mieux prendre son temps et ne pas le faire dans un écrit public et authentique, tel qu'est l'apologie de la Confession d'Ausbourg, écrit où il s'agissait de rendre compte de sa foi et de celle de ses adhérents, et non de nous imputer faussement une doctrine que nous abhorrons. Pouvait-il ignorer que d'après l'enseignement de tous nos théologiens, tous les hommes et tous les Anges réunis ensemble, avec tous les efforts dont ils sont capables, ne sauraient satisfaire condignement pour un seul péché mortel, et que cette vérité est le fondement sur lequel tous les théologiens catholiques établissent la nécessité de l'Incarnation ? Ne s'accordent-ils pas tous à déclarer que dans le cas où Dieu voulût exiger une satisfaction convenable et proportionnée à l’offense reçue, il fallait nécessairement qu'une personne divine se fît homme pour pouvoir acquitter la dette contractée par le péché ? Le concile de Trente ne déclare-t-il pas hautement que Jésus-Christ est l'unique cause méritoire de notre justification et de toutes les grâces dont nous comble la main de Dieu1 ? Toutes les prières de l'Église ne finissent-elles pas ainsi : Par Notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils ? Tous nos livres de piété n'inculquent-ils pas la doctrine de saint Paul que Dieu le Père nous a bénis en Jésus-Christ de toute bénédiction spirituelle2 ? Ne prêche-t-on pas hautement dans les chaires, ne répète-t-on pas sans cesse dans les catéchismes faits à la jeunesse, dans les instructions données à ceux qui quittent le schisme et l'erreur pour se réunir à l'Église, que toutes les grâces viennent de Dieu, et que les Saints ne nous en donnent aucune ; que Jésus-Christ seul nous les a toutes méritées ; et que les Saints ne nous en méritent aucune ; que tout ce que les Saints font pour nous, c'est de prier en notre faveur, et que l'unique grâce dont nous prétendons leur faire la demande, c'est le secours de leurs prières.
Voilà, Monsieur, en peu de mots, l'abrégé de la doctrine catholique sur l'invocation des Saints. Nous reprocher après cela d'associer les Saints à l'office de Rédempteur et à la qualité de médiateur de propitiation, n'est-ce pas faire connaître à tout l'univers que, ne trouvant rien à reprendre dans la doctrine catholique telle qu'elle est enseignée par l'Église, on se réduit à lui en supposer une imaginaire pour pouvoir la combattre avec avantage.
« Il est pourtant vrai, reprend Mélanchton, que les catholiques prient par les mérites des Saints et qu'ils ont confiance en leurs mérites. Le prêtre après avoir donné l'absolution au pénitent, ajoute : Que les mérites de la sainte Vierge et de tous les Saints vous servent à la rémission de vos péchés3, et il est dit dans le Canon de la messe, c'est la remarque de Kemnitius : Accordez, Seigneur, à leurs prières et à leurs mérites que, fortifiés par votre secours, nous ressentions les effets de votre protection4. » D'où ces deux ministres concluent que nous prétendons obtenir grâce et être sauvés par les mérites des Saints.
Daignez, Monsieur, faire attention à ma réponse. Nous n'avons garde de dire que les mérites des Saints ne nous servent de rien, mais aussi nous sommes bien éloignés de penser que les Saints nous méritent la rémission des péchés, ou le salut, ou quelque autre grâce que ce soit. Voici dans quel sens les mérites des Saints peuvent nous être utiles. Plus un saint a de mérite et de sainteté, plus il est agréable à Dieu, et plus il a de crédit pour obtenir de sa bonté les grâces qu'il lui demande pour nous ; voilà la seule manière dont les mérites des Saints peuvent nous profiter. Aussi est-ce dans cette vue que Moïse représentait autrefois à Dieu les mérites et la sainteté d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, en le priant de se souvenir d'eux1. Autre chose est donc l'impétration, autre chose le mérite ; les Saints peuvent bien nous impétrer des grâces, mais ils ne nous en méritent aucune ; c'est Jésus-Christ seul qui nous les a toutes méritées ; pas une seule qu'il n'ait payée du prix de son sang.
« Mais, nous demande Mélanchton, puisque Jésus-Christ a été établi notre pontife et notre intercesseur, pourquoi en cherchons-nous d'autres2 ? » et moi je demande, Monsieur, puisque Jésus-Christ a été établi notre intercesseur, pourquoi recourez-vous dans vos besoins aux orphelins, aux pauvres veuves, à vos pasteurs pour leur demander le secours de leurs prières ? Nous ne leur demandons, dites-vous, que de prier conjointement avec nous ; justement, Monsieur, c'est là précisément la demande que nous faisons aux Saints. Si donc votre demande ne préjudicie point aux droits de Jésus-Christ notre pontife et notre intercesseur, comment la nôtre y préjudicierait-elle ? Ce qui fait ici l'erreur de nos adversaires, c'est de vouloir se persuader que nous mettons les Saints à la place de Dieu, ou à la place de Jésus-Christ. Or, nous le déclarons, nous ne les mettons pas à la place de Dieu ; car nous reconnaissons que Dieu nous donne toutes les grâces et que les Saints ne nous en donnent aucune ; nous ne les mettons pas à la place de Jésus-Christ ; car nous reconnaissons que Jésus-Christ nous a mérité toutes les grâces, et que les Saints ne nous en ont mérité aucune : nous les mettons uniquement à notre place, en les priant de joindre leurs prières avec les nôtres.
En voilà plus qu'il n'en faut, Monsieur, pour vous faire sentir la malignité et l'audace de ceux qui nous prêtent des sentiments contre lesquels nous protestons ; ne devons-nous pas en être crus sur notre parole ? qui saura mieux que nous-mêmes le sujet de notre croyance ? puis-je apporter de meilleurs garants de notre foi, que la déclaration du concile de Trente, et du Catéchisme publié par son ordre ?
Brentius, ministre de Wurtemberg, ne nous reproche pas moins qu'une idolâtrie formelle au sujet de l'invocation des Saints, et voici sur quoi il fonde son reproche : « Il prétend qu'invoquer les Saints, c'est supposer qu'ils sont partout, et qu'ils savent tout : or, l'immensité et la connaissance universelle sont, dit-il, des attributs qui ne peuvent convenir qu'à Dieu seul ; on ne peut donc invoquer les Saints, sans leur attribuer des qualités toutes divines, et sans leur rendre un culte plein d'idolâtrie3. »
Si les grands hommes qui ont brillé avec tant d'éclat dans l'Église, et qui l'ont si solidement instruite par leurs savants écrits, les Basile, les Cyrille, les Grégoire de Nysse et de Nazianze, les Chrysostôme, les Ambroise, les Jérôme, les Augustin, eussent eu à répondre à de pareilles objections, pensez-vous, Monsieur, qu'ils se fussent trouvés fort embarrassés ? de quel œil n'eussent-ils pas regardé de si pitoyables discoureurs ?
Je le demande à Brentius : quelle nécessité y a-t-il que les Saints dont on sollicite les suffrages, se trouvent partout, ou sachent tout par eux-mêmes ? Ne peut-il pas se faire qu'ils apprennent nos prières par le ministère des Anges ? Les Anges, suivant le témoignage de l'Écriture, ne savent-ils pas ce qui se passe parmi nous, puisqu'ils sont établis de Dieu esprits administrateurs pour concourir à l'œuvre de notre salut ? Dieu ne peut-il pas faire connaître nos désirs aux Saints par une révélation particulière ? n'est-il pas également possible et convenable à leur état de bienheureux, qu'ils découvrent dans l'essence divine, source et centre de toute vérité, tous les événements capables de contribuer à leur gloire et à leur satisfaction ? l'Église n'a rien décidé sur les moyens dont il plaît à Dieu de se servir pour faire connaître nos prières aux Saints ; mais quelle que soit la manière dont se transmette cette connaissance, toujours est-ce par une lumière communiquée : or, je demande si cette manière de connaître est une propriété de la nature divine ? si elle élève les Saints au-dessus de la condition de la créature ? Les prophètes n'ont-il pas connu les choses futures, quoiqu'elles ne soient pas moins du ressort de la science divine que le secret de nos cœurs ? dira-t-on pour cela, que cette connaissance en a fait des divinités ? Qu'on est faible quand on est outré ! et qu'on est outré quand on se livre sans ménagement à la démangeaison de contredire !
« Mais, ajoute Drejerus, professeur de Konigsberg : Nous n'avons aucune certitude que les Saints aient connaissance de nos prières ; car il ne se trouve rien dans l'Écriture qui nous rassure sur ce sujet ; c'est donc à tort qu'on invoque les Saints ; car les invoquer c'est leur adresser la parole ; or, on ne peut prudemment adresser la parole à celui dont on n'est pas sûr de se faire entendre1. »
Je résous cette difficulté par deux réponses : la première, que nous ne pouvons raisonnablement douter que les Saints n'aient connaissance de nos prières ; la seconde, que, quand bien même ils les ignoreraient, le dogme catholique, sur l'utilité de l'invocation des Saints, n'en souffrirait néanmoins aucun détriment. Pour prouver l'un et l'autre, je n'ai à faire qu'un raisonnement simple et sans embarras ; le voici : toute l'antiquité chrétienne, disons-nous, a invoqué les Saints, et depuis on n'a jamais cessé de le faire. Vous en avez vu la preuve, Monsieur, dans la première partie de cet écrit, et j'ai peine à croire qu'il puisse vous rester sur ce point le moindre doute ; donc toute l'antiquité chrétienne et tous les successeurs des premiers fidèles jusqu'à nos jours, ont jugé que les Saints avaient connaissance des prières dont on leur offre l'hommage. Admettez, Monsieur, cette conséquence, ou ne l'admettez pas, nous conservons à peu près le même avantage. Si vous l'admettez, en convenant que toute l'antiquité chrétienne et tous les fidèles jusqu'à nos jours ont reconnu cette connaissance dans les Saints, dès-là même nous sommes à couvert du blâme d'une croyance trop légère ; car est-ce croire trop légèrement que d'admettre le sentiment constant et unanime de toute l'antiquité et de cette longue suite de fidèles ? Mais si vous nous contestez cette conséquence, résultat si naturel de la pratique ancienne et universelle de l'invocation des Saints ; si vous prétendez que nonobstant cette pratique, on n'attribuait point aux Saints la connaissance de nos prières, donc, dirons-nous, l'antiquité a été persuadée qu'il était bon et utile d'invoquer les Saints, quand même ils se trouveraient privés de cette connaissance. Car il est bien évident que les premiers fidèles placés dans le cas où il vous plaît de les supposer, n'eussent point invoqué les Saints, s'ils n'avaient pas cru y trouver leur utilité. Ainsi se soutient le dogme catholique, de quelque côté que l'on se présente pour l'attaquer.
Mais pour ne pas décider ici la question par la seule autorité des anciens, ne pensez pas, Monsieur, qu'ils aient manqué de preuves propres à convaincre des esprits raisonnables. Formés à invoquer les Saints par la tradition des Apôtres, comme nous en assure saint Basile, et comme je me réserve à le prouver plus exactement dans la suite de ce discours, ils ont appris par la même voie les principes de cette pratique : or, y en a-t-il de plus naturels que la charité, la connaissance et le crédit des Saints ? et n'est-il pas à présumer que l'idée de ces principes leur sera venue de la même source, dont leur est venu la pratique même de l'invocation ?
Ils savaient de plus que les Anges ont connaissance de nos prières ; pouvaient-ils en douter après le témoignage qu'en rendent eux-mêmes ces esprits bienheureux ? N'est-il pas dit au dixième chapitre des Actes des Apôtres, que l'Ange envoyé au centenier Corneille, l'assura que ses prières et ses aumônes étaient montées devant le trône du Très-Haut1 ? et au douzième chapitre du livre de Tobie, l'Ange qui se fit connaître à ce saint vieillard, l'assura-t-il pas qu'il avait pas présenté ses prières au Seigneur2. Les Anges d'ailleurs ne manquent pas d'être instruits de la conversion d'un pécheur, puisqu'ils s'en réjouissent dans le ciel jusqu’à en faire une fête3. Or, si les mouvements d'un cœur contrit ne leur sont pas inconnus, pourquoi ignoreraient-ils les prières par lesquelles on demande leur secours et leur protection ? Et si les prières adressées aux Anges parviennent jusqu'à eux, pourquoi les prières adressées aux Saints ne parviendraient-elles pas également jusqu'à la connaissance des bienheureux ? Vu surtout que selon la parole du Sauveur, ils seront comme les Anges de Dieu dans le ciel4, c'est-à-dire, qu'étant de purs esprits comme eux, élevés à la lumière de gloire comme eux, pleins de zèle et de charité comme eux, ils participeront à leurs qualités naturelles et surnaturelles, et partageront avec eux tous les avantages de la béatitude.
Il est dit au cinquième chapitre de l'Apocalypse, que vingt-quatre vieillards se prosternaient en présence de l'Agneau, tenant dans leurs mains des harpes et des vases d'or pleins de parfums5. Qu'était-ce que ces parfums ? Le Saint-Esprit l'explique lui-même : c'étaient les prières des Saints, des justes, des gens de bien : ces vingt-quatre vieillards, distingués par leur éminente sainteté, présentaient donc à l'Agneau les prières des justes et des gens de bien, sans doute pour les appuyer et les faire recevoir favorablement ; donc ils en avaient connaissance, donc il est très conforme aux idées que nous donne l'Écriture, de regarder les Saints comme instruits de nos prières et comme capables de les faire valoir par leur crédit auprès de Dieu.
Ne semble-t-il pas que le Sauveur ait voulu nous raffermir dans cette idée en introduisant le mauvais riche, qui du fond de l'enfer parlait à Abraham et s'en faisait entendre6. Ce n'est qu'une parabole, nous dit-on ; je le veux, Monsieur, quoique plusieurs interprètes prétendent voir dans cette narration une histoire véritable. Mais ne fût-ce qu'une parabole, les lois de la parabole n'exigent-elles pas qu'on y garde les vraisemblances ? Si les Saints étaient aussi peu en état d'entendre nos prières, que le renard et le corbeau de parler et de s'entretenir, il faudrait donc cesser de regarder le récit du Sauveur comme une parabole, pour ne plus le regarder que comme une fable, dépouillée de toute apparence de vérité, comme les fictions chimériques d’Ésope.
Mais ce qui a persuadé plus efficacement les fidèles dans tous les temps de la connaissance et du crédit des Saints, c'est le prompt secours qu'ils ont ressenti dans une infinité d'occasions pour les avoir invoqués. Tant de guérisons surprenantes et tant d'autres effets miraculeux, fruit précieux des prières qu'on leur a adressées, n'ont pas permis de regarder comme sourds des protecteurs qui ont paru si bien entendre. On a vu des résultats prompts et sensibles de l'intercession qu'on a réclamée ; pouvait-on ne se pas confirmer dans l'idée qu'on avait des lumières et des charitables soins des intercesseurs ? Ne croyez pas, Monsieur, que je donne ici dans une crédulité populaire ; je rapporterai, avant que de finir cet écrit, un grand nombre de faits solidement attestés, qui montreront clairement combien Dieu s'est plu dans tous les temps à autoriser par les faveurs les plus singulières, la confiance qu'on a témoignée avoir aux prières des Saints.
Je veux néanmoins supposer, Monsieur, que les Saints ignorent nos désirs et nos besoins ; dans ce cas même il ne sera pas encore prouvé contre nous, que l'invocation des Saints ne puisse nous être d'aucune utilité. Car, selon l'aveu même de l'apologie de votre Confession d'Ausbourg, « les Saints prient pour les besoins de tous les fidèles en général1. » Or, dans cette supposition, je ne puis invoquer un Saint sans témoigner devant Dieu le désir que j'ai d'avoir une part particulière aux prières de ce Saint ; et Dieu, qui connaît mes désirs et qui aime à glorifier ses serviteurs, pour montrer le cas qu'il fait de leur entremise et nous animer à suivre leurs exemples, accorde souvent dans cette vue, ce qu'il n'accorderait pas à de simples prières, si elles ne se trouvaient pas soutenues de l'intercession d'un Saint ; ainsi, dans le cas dont je parle, cette intercession, de générale qu'elle était, devient en quelque façon particulière en ma faveur, parce que j'ai eu soin de m'y recommander.
C'est là une des manières dont saint Augustin se sert pour expliquer comment ceux qui ont confiance aux prières des Saints, en reçoivent du soulagement dans leurs peines ; car après avoir posé pour fait incontestable que plusieurs en sont véritablement secourus, il dit : « Qu'il n'entreprendra pas de décider, si ce sont les âmes des saints martyrs qui les assistent par elles-mêmes en se rendant présentes sur les lieux (selon le sentiment de quelques Pères du quatrième siècle), ou si, d'après les prières générales qu'ils font dans le ciel pour les besoins des suppliants, Dieu exauce leurs vœux en donnant par le ministère des Anges répandus partout, le soulagement à ceux dont il juge à propos de soulager en cette vie la misère. Ce qu'il y a de constant, ajoute le saint Docteur, c'est que Dieu, par les effets d'une puissance et d'une bonté admirables, se plaît à rendre recommandables les mérites de ses Saints, quand il lui plaît, où il lui plaît, et de la manière dont il lui plaît1. »
Aussi voyons-nous de célèbres auteurs, comme le cardinal Bellarmin2, Hugues de Saint Victor3, le docte Véron4, n'insister pas tellement sur la nécessité de croire les Saints instruits de toutes nos prières en détail, qu'ils n'estiment le dogme catholique suffisamment à couvert, pourvu qu'on ne refuse pas de croire l'utilité de l'invocation. Ainsi, Monsieur, eussiez-vous peine à admettre une connaissance distincte dans les Saints, ce ne sera pas là ce qui retardera votre retour à l'Église. Il suffira que vous soyez dans la disposition de croire que l'antiquité, et les chrétiens de tous les siècles ne se sont pas amusés à des pratiques vaines et inutiles.
Que MM. les ministres citent après cela tant qu'il leur plaira le texte si rebattu d’Isaïe : Abraham ne nous connaît pas, et Israël nous ignore5. Vous sentez, Monsieur, que nous n'avons pas grand sujet de nous en embarrasser, car d'abord n'est-ce pas mal raisonner, de mettre en parallèle l'état où était Abraham avec celui où sont les Saints ; Abraham était pour lors dans les limbes où il ne voyait pas Dieu : les Saints sont dans la gloire où ils voient clairement l'essence divine. De plus, le terme ignorer est ici employé dans le sens où le plaçait l’Époux en parlant aux vierges folles, lorsqu'il leur disait : J'ignore qui vous êtes, je ne vous connais pas6. Ainsi la pensée du Prophète est de faire dire aux Israélites : Nous avons perdu les bonnes grâces d'Abraham et d'Isaac, et nous avons mérité par notre mauvaise conduite qu'ils soient aussi peu sensibles à nos maux que si nous n'étions pas leurs descendants. Mais ce passage, eût-il toute la force que nos adversaires prétendent lui donner pour prouver l'état de ténèbres et d'ignorance, où ils veulent que soient les Saints par rapport aux événements de ce monde, il leur restera toujours à prouver, que dans ce cas nous ne pouvons tirer aucun avantage de l'invocation des Saints ; et comment le prouveront-ils contre l'expérience de tous les siècles ?
J'ai cru devoir m'étendre un peu sur cet article, parce que l'objection tirée du défaut de connaissance dans les Saints, semble être la plus spécieuse de toutes. Remarquez néanmoins, Monsieur, s'il vous plaît, que quand nous n'aurions rien de bon à y répondre, elle ne pourrait aller jusqu'à nous convaincre de rien faire de criminel en invoquant les Saints ; toute la force de l'objection, si elle en a, ne peut porter que sur l'inutilité de l'invocation. Or, cette inutilité fût-elle démontrée, vous avouerez, Monsieur, qu'elle n'a pu être pour vous un sujet légitime de séparation.
Achevons d'examiner les griefs de vos théologiens contre l'invocation des Saints ; il en reste encore deux, dont j'espère, Monsieur, que vous sentirez le faible, comme de ceux dont nous venons d'achever la discussion. Le premier consiste dans un raisonnement en apparence spécieux ; le second est fondé sur un passage de l’Épître au Colossiens. Voici comme raisonne Viclef, et j'ai ouï faire le même raisonnement à une dame de Strasbourg, instruite apparemment par quelque ministre qui avait puisé dans cette source empoisonnée. « Dieu est infiniment bon, dit-on, et il nous aime incomparablement plus que les Saints ne peuvent nous aimer ; pourquoi donc avoir recours à eux, et ne pas s'adresser immédiatement à Dieu qui est toujours prêt à nous écouter ? »
Il est étonnant, Monsieur, que les partisans de ce raisonnement ne remarquent pas, que s'il était concluant, il prouverait également la nécessité de ne pas recourir aux prières des vivants ; car Dieu ne nous aime-t-il pas plus que nous ne sommes aimés des gens de bien qui sont en cette vie, et dont nous demandons les prières ? n'est-il pas toujours prêt à nous écouter par lui-même ? pourquoi donc chercher des intercesseurs ? On ne saurait néanmoins douter qu'il ne soit très utile de demander les prières des vivants ; cette pratique a été celle des Apôtres et des fidèles de tous les siècles ; elle est aussi la vôtre : Dieu dit aux amis de Job : Allez trouver mon serviteur Job, et faites en sorte qu'il prie pour vous1. Que dire donc à une difficulté à laquelle vous n'avez pas moins à répondre que nous ?
Dieu nous aime plus qu'aucun Saint ne nous aime ; oui, mais les Saints sont encore plus aimés de Dieu que nous ; il est toujours prêt à nous écouter ; mais il est encore plus disposé à écouter les Saints et les gens de bien. La prière demande dans celui qui prie certaines dispositions pour obtenir ; souvent nous manquons de ces dispositions, ou du moins nous ne les avons pas dans le même degré de perfection que les Saints et les hommes vertueux. Voilà ce qui rend leurs prières plus efficaces que les nôtres ; il est aisé de concevoir, que notre prière accompagnée et soutenue de la leur doit avoir plus de vertu que si nous étions seuls à prier. Vous l'avouerez, Monsieur, il y a des raisonnements qui d'abord ont quelque apparence, et qui, examinés de plus près, se trouvent n'avoir aucune solidité ; vous comprenez sans doute que le raisonnement de Viclef est de ce nombre.
La difficulté qu'on forme sur un passage de l’Épître aux Colossiens est à peu près de la même espèce. Prenez garde, dit saint Paul, que quelqu'un ne vous séduise et ne vous fasse perdre le fruit de votre course par une humilité affectée et par un culte superstitieux des Anges ; s'ingérant de parler avec faste de choses qu'il n'a point vues, étant enflé par les imaginations d'un esprit hautain et charnel sans demeurer attaché au chef2. Or, demandent les ministres, qui sont ceux qui sont désignés par les paroles de l'Apôtre, sinon les catholiques romains qui honorent et invoquent les Anges ? car n'est-ce pas là s'humilier devant eux, leur rendre un culte superstitieux, s'ingérer dans des choses qu'on n'a jamais vues, et se séparer du chef, qui est Jésus-Christ ?
Remarquez d'abord, Monsieur, qu'on ne peut nous appliquer les paroles de saint Paul, sans les appliquer auparavant aux saints Docteurs de l'ancienne Église, qui, comme nous, honoraient les Anges ; mais comment s'imaginer qu'elles puissent convenir à des Saints, humbles sans affectation, savants sans présomption, mortifiés sans hypocrisie, ennemis déclarés de tout schisme, et inviolablement attachés à Jésus-Christ leur chef.
Il faut donc dire, comme il est vrai, que l'Apôtre condamne, par ce texte, l'hérésie de Simon le Magicien ; ce malheureux soutenait, selon les erreurs de Platon, qu'il fallait sacrifier à certains Anges, dont la puissance avait fait le monde et sans lesquels on ne pouvait apaiser Dieu ; ce sont là proprement ceux dont l'Apôtre trace ici le caractère, et c'est ainsi que saint Jérôme1, saint Chrysostôme2, Tertullien3, saint Irénée4, saint Épiphane5 et plusieurs autres expliquent ce passage de l'Apôtre.
Voilà, Monsieur, les difficultés les plus remarquables que vos théologiens proposent contre l'invocation des Saints. Or, y voit-on rien qui ait pu autoriser les chefs de votre réforme à se récrier si fort contre la pratique universelle du christianisme continuée depuis tant de siècles, et à regarder comme une superstition, comme une idolâtrie, comme un obscurcissement des mérites de Jésus-Christ, ce qui jusque-là avait passé pour l'exercice d'une piété sage, utile, édifiante et capable de procurer la plus grande gloire de Dieu ?
Qui ne serait indigné de voir votre Kemnitius chanter victoire sur des raisons aussi frivoles, et s'enfler d'une vaine complaisance, jusqu'à oser reprocher aux saints Pères d'avoir introduit dans l'Église, par les fleuves d'or, sortis de leur éloquente bouche, la paille, la crasse et les ordures de l'invocation des Saints6. Vous voyez, Monsieur, le respect de vos ministres pour les saints Pères, quand il leur a plu de penser autrement que ces grandes lumières de l'Église : ce sont à la vérité des fleuves d'or que leurs discours, on n'oserait en disconvenir ; mais tout ce qui ne s'accorde pas avec les idées de vos ministres, n'est plus que de la paille, de la crasse et des ordures entraînées par ces fleuves d'or.
Si vous me permettiez, Monsieur, d'imiter le langage de Kemnitius, je dirais avec beaucoup plus de justice, qu'il ne lui convenait pas de chercher à ternir et à salir avec les eaux sales et bourbeuses sorties d'une bouche téméraire et arrogante, l'or pur qui brille dans les écrits des saints Pères. Mais non, Monsieur, vous pourriez voir quelque animosité dans cette sorte d'expression ; j'ai l'honneur de parler à un juge assez porté de lui-même à rendre justice à qui le mérite, et plus particulièrement à ces saints Docteurs que le christianisme a toujours si fort révérés et à qui nous avons de si grandes obligations. J'ose vous demander cette justice, Monsieur, et je ne doute pas que vous ne condamniez sévèrement l'orgueil et la présomption de celui qui en a parlé en termes si peu mesurés.
Ou ces grands hommes, disons-nous, ont aperçu les difficultés que MM. vos ministres proposent contre l'invocation des Saints, ou elles leur ont échappé. Si elles ont échappé à ces génies si vastes, si pénétrants, si attentifs à tout, il faut donc que ces difficultés soient bien légères ; et si elles ont été aperçues de ces grand génies, et que néanmoins elles n'aient fait aucune impression sur eux, donc il faut qu'ils les aient trouvées bien méprisables. C'est là, Monsieur, un raisonnement bien propre à rabattre la vaine confiance de ceux qui pensent nous culbuter par deux ou trois passages de l'Écriture mal entendus, et je ne doute pas que vous n'y voyiez le peu de sujet qu'ont eu les chefs de votre réforme de condamner toute l'antiquité. Oui, ce ne peut être que par une témérité insoutenable, qu'ils ont osé préférer leurs lumières à celles de tant de grands hommes si habiles dans l'intelligence des Écritures, et si parfaitement instruits des sentiments de l'ancienne Église. Les présomptions seront toujours pour ces grands maîtres et ces illustres Docteurs du christianisme, et nous ne pouvons courir risque de nous égarer en suivant l'exemple universel des plus beaux siècles de l'Église.
Je ne prétends pas néanmoins, Monsieur, m'arrêter là, je passe plus avant, et après avoir défendu l'invocation des Saints contre les vaines chicanes de ceux qui respectent si peu l'antiquité et l'usage constant de tous les siècles, je remonte jusqu'à la source même de cet usage, pour montrer sur quel principe il est établi. C'est, Monsieur, tout ce qui me reste à faire pour achever de justifier si parfaitement auprès de vous l'invocation des Saints, qu'il ne puisse plus vous rester à ce sujet aucun prétexte de vous tenir éloigné de nous.
Vous n'ignorez pas, Monsieur, la célèbre maxime de saint Augustin ; c'est, qu'un usage généralement observé par toute l'Église, et dont on ne peut trouver l'origine dans aucun concile, vient indubitablement des Apôtres qui l'ont enseigné de vive voix1. Il serait en effet difficile de concevoir, comment toutes les nations chrétiennes auraient pu s'accorder à recevoir une pratique de la main d'un particulier, qui n'aurait eu ni autorité, ni caractère pour la mettre en vogue. Or, Monsieur, je crois avoir démontré que l'usage d'invoquer les Saints était universellement établi parmi les fidèles du quatrième et du cinquième siècle, et quand on ne ferait aucune attention aux preuves que j'en ai apportées, la pratique de toutes les sociétés chrétiennes orientales, séparées de nous depuis tant de temps, Grecs, Nestoriens, Jacobites, qui tous invoquent les Saints, comme nous les invoquons, ne permettrait pas d'en douter. Nous avons sur cet article des attestations authentiques envoyées de la part de ces nations en France, et qui se conservent précieusement dans la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain des Prés, où chacun peut les voir.
Méthodius, patriarche de Constantinople, dit pour les Grecs, dans sa déclaration donnée à M. le marquis de Nointel, ambassadeur de France et signée du 10 Juillet 1671 : « Nous déclarons, que les chrétiens priant la Vierge, Mère de Dieu et les Saints, ne diminuent point l'honneur de Jésus-Christ. » Jacques, patriarche des Arméniens d'Ermeazin, qui sont jacobites ou eutychiens, dit dans une attestation donnée au même M. de Nointel : « Nous condamnons comme un dogme impie de dire que la Vierge, Mère de Dieu, et les Saints qui sont au ciel, ne peuvent être invoqués sans faire injure à Jésus-Christ médiateur. » Joseph, patriarche des Nestoriens, résidant dans la ville de Diarbecker, dit également dans sa déclaration donnée à M. Piquet, consul de la nation française : « Nous regardons comme des malheureux ceux qui ne prient et n'invoquent pas la Vierge Marie et les Saints. » De là, Monsieur, il est évident que l'invocation des Saints doit être bien antérieure au schisme de ces peuples ; car avec l'éloignement qu'ils ont pour l'Église romaine, il n'est point à présumer qu'ils eussent porté la complaisance pour nous jusqu'à vouloir nous imiter dans nos pratiques, si elles eussent été nouvelles. Ainsi comme les Nestoriens se sont séparés de nous vers le commencement, et les Jacobites ou Eutychiens vers le milieu du cinquième siècle, il en résulte clairement, que bien avant le cinquième siècle la pratique de l'invocation des Saints était commune à tous les chrétiens. Ce fait une fois établi, Monsieur, il ne reste plus qu'à savoir, si cet usage universel a été introduit dans l'Église par l'ordonnance de quelque concile. Je ne sache personne qui se soit avisé de le dire ; il faudrait d'ailleurs nommer le concile sur le compte duquel on prétendrait mettre cette nouveauté ; donc si la règle de saint Augustin est bonne, ou plutôt si les lumières du bon sens sur lesquelles elle est fondée ne nous trompent pas, nous ne pouvons nous dispenser de remonter jusqu'au temps des Apôtres pour y trouver la véritable source de l'invocation des Saints, et de les reconnaître comme les premiers instituteurs de cette ancienne pratique.
Et en effet, Monsieur, si l'usage d'invoquer les Saints, universellement établi au quatrième et au cinquième siècle, eût été absolument ignoré des fidèles du premier et du second, n'est-il pas clair qu'il serait arrivé un changement considérable en fait de religion, sans que les personnes les plus éclairées s'en fussent aperçu ? Or, comment la possibilité d'un tel changement ? car enfin, qu'on nous explique comment il a pu se faire, que les fidèles des deux premiers siècles aient tous regardé comme un crime d'honorer les Saints, et qu'on ait commencé au troisième et au quatrième siècle à violer ce précepte sans remords, sans scrupule, et sans que personne y fit seulement la moindre attention.
Qu'on nous dise comment, tandis que les maîtres représentaient l'invocation et le culte de toute créature comme défendu par la loi de Dieu, les disciples ont pu comprendre qu'il était saint et louable d'honorer et d'invoquer les martyrs ?
Qu'on nous fasse voir comment les fidèles ont pu croire, au quatrième siècle, que l'invocation des Saints avait toujours été pratiquée ; s'il est vrai qu'elle ait commencé ou de leur temps même, ou du temps des personnes avec qui ils vivaient. Car saint Basile, par exemple, né en l'an 326, a vécu avec une infinité de personnes dont la vie comprenait, avec le commencement du quatrième siècle, une bonne partie du troisième, et qui avaient été instruits par les fidèles du second ; comment ce Saint n'a-t-il donc point appris de quelqu'un d'eux la nouveauté de cette coutume de prier les Saints ? et comment a-t-il pu s'imaginer qu'on les avait toujours priés dans les siècles précédents, jusqu'à assurer en termes formels que cette coutume venait de la tradition des Apôtres ?
Qu'on nous explique encore comment les chrétiens du quatrième siècle, lisant tous les jours l'Écriture et les Pères de second et du troisième, n'ont rien vu dans l'Écriture de contraire au culte et à l'invocation des Saints, ni rien découvert dans les Pères de ces premiers temps, qui ait pu leur faire connaître la différence du sentiment nouveau et des anciens sentiments. Étrange lumière dont la clarté n'a été aperçue par aucun des hommes les plus habiles de l'univers.
Il s'agit ici de la croyance des trois premiers siècles et spécialement des deux premiers. Les ministres disent qu'on n'y a point invoqué les Saints : les Pères du quatrième croient qu'on les a invoqués ; ils nous marquent, dans les liturgies les plus anciennes, l'usage de nommer les saints martyrs pour leur demander le secours de leurs prières1. Ils rapportent des prières adressées aux martyrs, où les fidèles leur rappellent le souvenir des prières qu'ils avaient faites eux-mêmes de leur vivant à d'autres saints martyrs2. A qui pensez-vous, Monsieur, qu'il faille s'en rapporter ? Les ministres nous paient de vaines conjectures : les Pères avaient la tradition vivante, et ils conversaient tous les jours avec un million de personnes, qui connaissaient par leur propre expérience la pratique des premiers temps. Ne faut-il donc pas plutôt s'en rapporter à eux, qu'aux gens du seizième et du dix-septième siècle ?
Réfléchissez de plus, s'il vous plaît, Monsieur, sur le reproche que les gentils faisaient aux premiers chrétiens de substituer des dieux et des héros d'une nouvelle espèce aux dieux et aux héros de l'antiquité ; reproche attesté par Eusèbe au huitième livre de son Histoire ecclésiastique3, par saint Augustin, au vingtième livre contre Fauste le Manichéen4, et par saint Cyrille d'Alexandrie, dans le sixième livre contre Julien l'Apostat5.
Les païens voyaient effectivement rendre de grands honneurs aux martyrs, et faute d'en pénétrer l'esprit, ils se persuadaient faussement que les chrétiens en faisaient des espèces de divinités ; d'où ils prenaient occasion d'accuser de bizarrerie la religion chrétienne, où l'on semblait pratiquer sous d'autres noms les mêmes cérémonies qu'elle condamnait si hautement dans le paganisme. Or, je vous laisse à penser, Monsieur, si de tels reproches ne font pas connaître clairement la persuasion où étaient les gentils, que c'était un point ancien et fondamental dans la religion chrétienne, d'honorer et d'invoquer les Saints. Vous avez vu quelle a été la pensée et la précaution des Juifs au sujet de saint Polycarpe.
Ne cherchons donc pas d'autre source de l'invocation des Saints que la bouche même des Apôtres ; les reproches des païens et des juifs, les liturgies, les prières employées par les fidèles, le témoignage exprès des Pères, l'usage universel de toutes les nations, même des nations séparées de nous depuis tant de siècles, l’impossibilité d'un changement opéré sans que les personnes les plus éclairées s'en fussent aperçues : tout concourt à prouver que les chrétiens les plus voisins du temps des Apôtres ont été dans le même usage où nous sommes aujourd'hui ; penserons-nous qu'ils s'y sont portés d'eux-mêmes sans avoir appris des Apôtres que c'est une coutume bonne, utile et agréable à Dieu de se recommander aux prières des saintes âmes déjà reçues dans le ciel ? Mais si ce sont les Apôtres même qui ont instruit les premiers fidèles de cette pratique, trouverez-vous étrange, Monsieur, qu'elle nous paraisse aussi respectable que si elle était marquée dans les termes les plus clairs de l'Écriture ? car enfin les Apôtres n'avaient-ils pas toujours le Saint-Esprit pour maître et pour guide, de quelque manière qu'ils annonçassent leur doctrine ? et n'étaient-ils pas également à couvert du danger de donner dans l'erreur, soit qu'ils enseignassent par écrit, soit qu'ils le fissent de vive voix ?
On observe chez vous un grand nombre d'articles dont l'Écriture ne dit absolument rien, et que vous avez seulement apprises par la tradition constante de l'Église ; ainsi, vous baptisez les enfants qui sont sans connaissance et sans raison, cependant vous n'en trouverez aucun exemple dans l'Écriture ; en baptisant, vous prononcez ces paroles : Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et vous croyez ces paroles nécessaires, néanmoins il ne se trouve nulle part qu'il faille les prononcer, il est seulement dit : Allez et baptisez au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; ce qui pourrait se faire par une direction d'intention, sans prononcer aucune parole ; vous observez le dimanche au lieu du sabbat ; en quel lieu de l'Écriture trouvez-vous marqué qu'il faille fêter un autre jour, que celui dont la célébration est si expressément ordonnée dans le Deutéronome ? vous vous faites une loi de célébrer la fête de Pâques le premier dimanche après la pleine lune de mars, afin de ne pas concourir avec les Juifs qui la célèbrent le jour même de la pleine lune ; sauriez-vous quelque endroit du nouveau Testament qui vous dispensât de l'usage de l'ancien ?
Ce sont là, Monsieur, autant de pratiques que vous n'avez garde d'abandonner, quoique l'Écriture n'en parle pas. Ce sont, dites-vous, des pratiques de tous les temps et de tous les lieux, et dès là même elles vous paraissent mériter d'être respectées comme venant des Apôtres. Ne trouvez pas mauvais, Monsieur, que nous ayons les mêmes égards pour l'invocation des Saints, puisque la voyant pratiquer de toutes les nations et dans tous les siècles, nous sommes également fondés à la rapporter à la même origine.
Ne pensez pas néanmoins, Monsieur, qu'il ne se trouve rien dans l'Écriture qui puisse autoriser notre usage. Jacob en donnant sa bénédiction à ses enfants, invoqua formellement l'ange qui dans les divers événements de sa vie lui avait servi de guide et de protecteur : Que l'ange, dit-il, qui m'a préservé de tant de dangers, bénisse ces enfants, et que mon nom et le nom de mes pères Abraham et Isaac soient invoqués sur eux1. Vous voyez, Monsieur, que Jacob prie l'ange de bénir et de protéger ses enfants, et de leur faire sentir les effets des charitables soins qu'il avait éprouvés lui-même. Or, ce Patriarche se fût-il exprimé de la sorte, s'il n'eût été persuadé que l'ange avait connaissance de son désir et de sa prière, et s'il n'eût espéré qu'il en reviendrait quelque avantage à ses enfants ? Jacob désire encore que le nom d'Abraham et d'Isaac soit invoqué sur eux, sans doute parce qu'il était également persuadé que cette invocation leur serait utile.
J'ai déjà remarqué que le mauvais riche s'adressa à Abraham pour lui demander du secours et du soulagement dans ses maux, et qu'Abraham, malgré son éloignement, ne laissa pas d'entendre et de comprendre parfaitement la prière de cet infortuné. Il me reste présentement à observer que le Sauveur, bien loin de blâmer cette prière comme s'il elle eût été mauvaise, absurde et injurieuse à Dieu, la rapporte au contraire, comme la dernière ressource du mauvais riche, et le meilleur expédient qu'il crut avoir dans l'extrémité de sa misère pour se procurer quelque soulagement.
Je sais que le suppliant ne ressentit aucun effet de sa prière, et qu'Abraham lui déclara n'être point à portée de le secourir, vu l'espace immense et le profond abîme qui les séparait ; mais, Monsieur, fut-ce la nature de la prière qui se trouva défectueuse ? ou plutôt ne fut-ce pas la mauvaise situation de ce malheureux dont le sort était fixé, qui rendit sa prière inutile ? Si Abraham déclare qu'il ne peut lui donner aucun secours, c'est parce que le mauvais riche n'était pas en état d'en recevoir ; pour nous, il est clair que nous nous trouvons dans une situation toute différente ; nous sommes capables de profiter du crédit des Saints, et puisque le Sauveur nous représente la prière adressée à Abraham comme une prière énergique en elle-même, et propre à faire son effet dans toute autre circonstance et sur tout autre sujet, n'aurions-nous pas tort de négliger la pratique de l'invocation des Saints, après l'idée que le Sauveur nous en a laissée comme d'un excellent moyen pour obtenir de grandes faveurs de Dieu?
Mais qu'y a-t-il de mieux marqué dans l'Écriture que l'utilité de la confiance aux prières des vivants ? Or, les Saints qui sont devant Dieu, ne sont-ils pas véritablement vivants ? ne jouissent-ils pas d'une vie incomparablement plus parfaite que la nôtre, d'une vie glorieuse et immortelle ? N'est-il pas dit dans le livre de la sagesse que les Justes vivent éternellement1; dans saint Luc que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants2 ; dans l'Apocalypse qu'il n'y aura plus de morts3 dans le séjour des bienheureux ?
On nous dira sans doute que l'Écriture autorise la confiance aux prières des vivants, lorsqu'ils sont à portée de nous entendre, mais non lorsqu'ils sont trop éloignés de nous pour avoir aucune connaissance de nos demandes.
Je réponds, Monsieur, que si nous croyons être entendus des Saints, nous avons de bonnes raisons pour le croire. Vous avez déjà vu sur ce sujet une bonne partie de nos preuves ; saint Augustin en ajoute d'autres et dit : « Que si le prophète Élisée, quoique absent de corps, ne laissa pas de voir son serviteur Giezi recevoir des présents de Naaman4, à plus forte raison les bienheureux verront-ils ce qu'ils ont intérêt de savoir, quelque éloignés qu'ils soient des événements d'ici-bas5. » Il cite à ce sujet le passage de saint Paul : Nous connaissons en partie et en partie nous devinons ; mais lorsque ce qui est parfait sera arrivé, ce qui n'est qu'en partie sera aboli6. Je sais et votre Drejerus n'a pas manqué de le remarquer que le saint Docteur parle ici de l'état des bienheureux après la résurrection7 ; mais que l'on examine les raisons sur lesquelles ce Père se fonde pour prouver l'étendue de la connaissance des Saints, et l'on verra qu'elles prouvent également pour l'état de béatitude dont ils jouissent à présent. Saint Grégoire demande : « Que peut-on ignorer en voyant celui qui voit et qui sait tout1 ? » le vénérable Bède ajoute : « Celui qui voit la clarté de son Créateur, ne peut manquer de lumières pour voir ce qui se passe dans les créatures2. » C'est donc à tort qu'on nous reproche ici de nous écarter des règles de l'Écriture, puisqu'en demandant les prières de ceux dont nous croyons être entendus, nous ne faisons que mettre en pratique les leçons salutaires qu'elle nous donne.
Si cependant, Monsieur, ce raisonnement, dont les principes sont si clairement marqués dans l'Écriture, ne vous convainc pas assez, j'espère que vous en sentirez mieux la force et la justesse, quand vous le verrez appuyé et soutenu par les effets merveilleux d'une puissance toute divine.
Oui, Monsieur, je soutiens que Dieu s'est expliqué plus hautement en faveur de l'invocation des Saints, qu'il n'a fait en faveur d'aucun autre article. Point de voix plus éclatante que celle des miracles ; les faits frappèrent toujours plus vivement que les paroles ; et si Dieu a autorisé notre pratique par les marques les plus authentiques de son approbation, qui osera l'improuver ? Or, Monsieur, que ne puis-je pas dire sur ce sujet ? ce ne sera pas dans des légendes de nulle autorité que j'irai chercher les prodiges et les merveilles qui font une si belle partie de notre apologie sur le sujet en question ; je n'en rapporterai que sur la foi de l'Histoire ecclésiastique, ou sur le témoignage des Pères les plus accrédités de l'Église qui en ont été les témoins oculaires, ou qui du moins ont pris les plus justes mesures pour s'en assurer.
Combien de guérisons miraculeuses rapportées par saint Augustin dans un seul chapitre, qui est le huitième du vingt-deuxième livre de la Cité de Dieu ? Je ne ferai mention que de celles attribuées à l'intercession du glorieux martyr saint Étienne ; il nous les donne comme autant d'effets de la vénération qu'on avait pour ses reliques, et du soin qu'on prenait de se recommander à ses prières. On y voit une femme aveugle recouvrer subitement la vue, pour avoir porté sur ses yeux des fleurs qui avaient touché aux reliques du Saint ; un païen, singulièrement éloigné d'abord de la religion chrétienne, mais changé tout à coup au lit de la mort par une grâce spéciale, accordée à la piété et à la foi de son gendre chrétien, qui étant allé faire ses prières au tombeau du saint martyr, en rapporta des fleurs, qu'il mit pendant la nuit sous le chevet du malade ; Lucille, évêque de Synic, guéri d'un mal douloureux pour avoir porté les reliques du Saint en procession ; Euchaire, prêtre espagnol qui demeurait à Calame, guéri de la pierre par sa confiance aux reliques et aux prières du même Saint3 ; six morts différents, ressuscités ; un enfant sur lequel avaient passé les roues d'un chariot ; deux autres enfants enlevés à la vie par une mort naturelle, et portés proche de la chasse du Saint ; plus loin, une religieuse, et la fille d'un nommé Bassus, couverte, au moment où elle venait d'expirer, de robes qui avaient touché à la même châsse ; d'un autre côté, le jeune fils d'un collecteur de tailles, nommé Irénée, frotté avec de l'huile bénite, tous six recommandés à la protection du saint martyr, et tous six rappelés à la vie et à la santé1.
Peut-être, Monsieur, aurez-vous de la peine à croire des faits si extraordinaires ; mais prendriez-vous saint Augustin pour un homme simple et sottement crédule ? croirez-vous qu'un si grand évêque aura eu assez peu de soin de sa réputation pour oser risquer des récits, dont la fausseté eût été manifeste ? Il circonstancie les faits qu'il rapporte ; il nomme les lieux où ils sont arrivés, les personnes qui y ont eu part, les témoins qui y ont été présents ; ne se fût-il pas déshonoré à pure perte, si en débitant des fables, et en les revêtant de telles circonstances, il eût fourni des moyens sûrs et infaillibles pour se faire convaincre de faux ?
Du moins, Monsieur, n'hésiterez-vous pas à croire un fait public arrivé en présence d'une nombreuse assemblée, et dont saint Augustin fut lui-même témoin. C'est la guérison miraculeuse d'un jeune homme nommé Paul, et de sa sœur nommée Palladie, qui depuis longtemps tremblaient de tous leurs membres par l'effet d'une malédiction prononcée par leur mère. Étant allés faire leurs prières dans l'église d'Hyрpone, proche les reliques de saint Étienne, à l'heure qu'un peuple nombreux s'était assemblé pour le service divin, ils tombèrent l'un et l'autre dans une espèce de sommeil dont ils se relevèrent parfaitement guéris ; le bruit du miracle se répandit à l'instant même et toute l'église retentit de cris de joie ; on n'entendait partout que ces mots : Dieu soit béni, Dieu soit loué. Saint Augustin mit toutes les circonstances de ce miracle par écrit, et afin que les fidèles absents n'en fussent pas moins instruits que ceux qui avaient été présents, il en fit faire le lendemain publiquement la lecture, qu'il accompagna de réflexions édifiantes et de justes actions de grâces envers la bonté divine2.
Ce n'est là néanmoins, Monsieur, qu'une très petite partie des événements merveilleux qui, d'après le témoignage de saint Augustin, arrivèrent pour le soulagement de ceux qui avaient confiance aux reliques et aux prières de saint Étienne ; car il assure, que s'il voulait rapporter toutes les guérisons faites à Calame et à Hyppone par l'intercession de ce saint, il en faudrait faire plusieurs volumes3. Il n'y a pas encore deux ans, ajoute-t-il, que cette relique est à Hyppone, et quoiqu'on n'ait pas dressé des relations de tous les miracles opérés de puis cette époque, il ne laisse pas de s'en trouver déjà près de soixante-dix, lorsque j'écris ceci ; mais à Calame, où les reliques de ce saint martyr sont depuis plus longtemps, et où l'on a plus de soin de faire ces relations, le nombre en monte incomparablement plus haut4.
Je ne parlerai point ici ni du célèbre aveugle de Milan, qui recouvra la vue à la translation des reliques de saint Gervais et de saint Protais, en frottant ses yeux d'un linge appliqué d'abord à leur châsse ; miracle dont tout Milan fut témoin, et que saint Augustin rapporte au septième chapitre du neuvième livre de ses Confessions1 ; ni de l'apparition de saint Félix qui se fit voir aux habitants de Nole sur les remparts, au moment où la ville était assiégée par les Barbares, comme le même saint Augustin nous en assure au seizième chapitre de son livre, De Curd pro mortuis, sur le rapport de personnes sûres qui attestaient l'avoir vu2 ; ni du parti qu'il prit lui-même, comme il le marque dans la cent trente-septième de ses lettres, d'envoyer deux de ses clercs au tombeau du même saint Félix, célèbre par une infinité de prodiges, dans la vue de découvrir par l'entremise du Saint, lequel des deux était coupable, l'un et l'autre se chargeant mutuellement d'un crime que chacun d'eux niait avec une égale fermeté3. Je passe à d'autres merveilles rapportées par les historiens ecclésiastiques, et qui ne sont ni moins éclatantes, ni moins à couvert de la contradiction des incrédules, ni moins propres à marquer combien Dieu s'est toujours plu à confirmer les fidèles dans l'idée qu'ils avaient du pouvoir et du crédit des Saints.
Ruffin rapporte que l'empereur Théodose, se voyant à la veille d'avoir une sanglante guerre sur les bras contre le tyran Eugène, commença « par visiter les églises de Constantinople, accompagné des prêtres et du peuple, et que revêtu d'un cilice, il se prosternait devant les tombeaux des saints apôtres et des saints martyrs, demandant, par leur intercession, le secours dont il avait besoin pour réprimer les entreprises de son ennemi4. » Quel fut, Monsieur, je vous prie, l'effet de ses prières et de son empressement à rechercher la protection des Saints ? Théodoret nous en instruit parfaitement. « L'empereur, dit cet historien se trouvant proche de l'armée ennemie et à la veille du combat, passa la nuit dans une chapelle située sur une haute montagne, οù il vit en songe venir à lui deux hommes bien armés et bien montés, qui se disaient envoyés de Dieu pour combattre avec lui ; l'un se nommait l'apôtre saint Jean, l'autre l'apôtre saint Philippe. Un soldat qui avait eu la même vision pendant la nuit, se hâta, dès qu'il fit jour, d'en faire part à l'empereur ; celui-ci crut que c'était un augure favorable pour lui et s'avança avec confiance vers l'ennemi. Eugène lui voyant une armée bien inférieure à la sienne se crut sûr de la victoire. C'est le désespoir, dit-il, qui pousse Théodose à venir chercher la mort parmi nous ; mais je défends, ajouta-t-il, de le tuer, je veux qu'on le conserve en vie et qu'on me l'amène prisonnier. » A peine le combat eut-il commencé, qu'il se leva un vent violent ; il jetait tant de poussière aux yeux des ennemis, qu'ils étaient obligés de les fermer, et par un autre prodige, les traits retournaient contre ceux qui les lançaient. Alors le parti d'Eugène ne tarda pas à s'apercevoir que le ciel combattait contre lui ; on perdit courage, tout se débanda, la défaite fut générale. Cependant plusieurs officiers couraient vers Eugène, qui était resté sur une colline pour y attendre l'issue du combat ; il s'imagina qu'on s'empressait de venir à lui pour lui apprendre quelque bonne nouvelle, et de loin il leur demandait à grands cris si on lui amenait Théodose ; quelle surprise quand il se vit mettre les fers aux mains par ceux qui venaient à lui avec tant d'empressement, et qui n'étaient accourus que pour l'arrêter et le livrer au vainqueur5. »
Telle fut la bénédiction que Dieu donna aux armes de Théodose ; il voulut lui faire sentir toute la part qu'avaient eue les Saints à la lui procurer, comme il paraît assez par la vision qu'il eut et qui fut le gage assuré de sa victoire.
Sozomène nous apprend qu'il y avait proche de Constantinople une église qu'on appelait l'église de Saint-Michel, parce que la persuasion commune était que saint Michel y avait paru sous une forme visible ; il dit que plusieurs qui se trouvaient ou exposés à des dangers pressants, ou engagés dans des embarras fâcheux, ou affligés de longues maladies, venaient faire leurs prières dans cette église, et y trouvaient un prompt remède à leurs maux ; il ajoute même qu'il y avait reçu lui-même des faveurs insignes1. Or, qui peut douter que Dieu n'ait rendu ce lieu célèbre pour y faire honorer la mémoire de saint Michel, et que ce prince de la milice céleste n’appuyât de son crédit auprès de Dieu les prières de ceux qui venaient marquer leur confiance en son intercession ?
Quoi de plus merveilleux que ce que rapporte Evagre du tombeau de sainte Euphémie ? Il dit que cette Sainte apparaissait souvent en songe à l'évêque de Constantinople, ou à quelque autre homme d'une piété distinguée, pour avertir qu'il était temps de venir recueillir le sang qui avait coulé de ses plaies ; que pour lors l'empereur, le clergé, le magistrat, et une très grande foule de peuple se rendaient dans l'église ; qu'en présence de cette multitude on passait par un trou fait à un des côtés du tombeau, une éponge attachée à une verge de fer, et que moyennant cette éponge enfoncée bien avant dans le tombeau, on en retirait une si grande quantité de sang caillé, qu'il y en avait assez, non-seulement pour en faire part à tous les fidèles présents, mais aussi pour en envoyer dans les provinces à quiconque en demanderait ; ce qu'il y avait de fort remarquable, c'est que ce sang ne se corrompait jamais, quelque temps qu'on le gardât, et qu'il conservait toujours sa couleur également vive et vermeille. Le même auteur ajoute, que le tombeau répandait une odeur si exquise, qu'aucune autre odeur, soit de fleurs, soit de parfums, soit d'essences préparées, ne pouvait en approcher2.
Penseriez-vous, Monsieur, que toutes ces merveilles n'avaient pour objet que d'animer les chrétiens à venir pratiquer des superstitions auprès du tombeau de la Sainte ? car il est certain que les fidèles y accouraient de toutes parts, et qu'outre les prières adressées à Dieu, ils en adressaient encore à cette vierge bienheureuse, car l'auteur marque expressément, qu'il y avait une tribune élevée d'où l'on priait commodément la sainte martyre3. Si c'était là des prières superstitieuses, donc Dieu autorisait la superstition par de grands miracles ; miracles ou toujours subsistants, ou renouvelés souvent et à la vue de tout le monde. Aussi Evagre, qui écrivait au temps que chacun pouvait s'assurer par soi-même de la vérité, assure-t-il, « qu'ils étaient si publics, qu'aucun chrétien ne pouvait les ignorer4. »
Que ne dirais-je pas encore, si je voulais rapporter tout ce qui est marqué de la puissante intercession des Saints par saint Grégoire-le-Grand dans les trois livres de ses Dialogues, et par Grégoire de Tours dans son Traité de la gloire des Martyrs, et dans celui de la gloire des Confesseurs ? à peine y a-t-il un chapitre où il ne soit fait mention de quelque grâce extraordinaire obtenue par les prières de quelque Saint. Mais, Monsieur, pour ne pas ici vous fatiguer par une trop longue suite de narrations, je me contenterai d'ajouter l'extrait d'une lettre écrite par Nicétius, évêque de Trèves, à la reine Clotoswinde, femme d'Alboin, roi des Lombards ; cette lettre se trouve au cinquième tome des Conciles du père Labbe1. La reine était catholique et le roi arien. Le saint évêque ayant en vue la conversion de toute la nation des Lombards, crut que l'exemple du roi serait très efficace pour la procurer ; c'est pourquoi il écrivit à la reine, et l'exhorta à employer tout ce qu'elle avait d'industrie pour gagner l'esprit du roi à la vérité : parmi les motifs qu'il lui suggère comme les plus propres à faire impression sur lui, il insiste particulièrement sur les miracles qui se faisaient aux tombeaux des Saints dans les églises catholiques. « Que le roi, dit-il, envoie de ses prêtres à l'église de Saint Martin le jour de la fête de ce Saint, qui est le onze novembre, et s'ils sont assez hardis, qu'ils osent essayer quelques actes de leur pouvoir. Là, nous voyons les aveugles, les sourds et les muets, recouvrer la vue, l'ouïe et l'usage de la parole. Que dirai-je des lépreux et de tant d'autres malades, qui, malgré l'excès de leurs infirmités, y trouvent une prompte et parfaite guérison ? Peut-être nous dira-t-on que ces aveugles guéris sont des imposteurs qui feignaient d'être aveugles ; mais que dire de ceux que nous savons avoir été aveugles de naissance, et que nous voyons, par la miséricorde de Dieu, retourner chez eux avec une vue parfaitement saine ? Que dirai-je encore des tombeaux de saint Germain, de saint Hilaire, de saint Loup, où l'on voit arriver tant de merveilles qu'il me serait impossible de les rapporter toutes ? On y voit des énergumènes élevés en l'air, et les démons qui les tourmentent reconnaître qu'ils ont enfin trouvés leurs maîtres. Vit-on jamais rien de semblable dans les églises des Ariens ? Que dirons-nous de la puissance de saint Rémi et de saint Médard, dont votre Majesté elle-même a, je crois, été témoin ? Qui pourrait rapporter combien Dieu y opère de prodiges par leur ministère2 ? »
Or, je vous laisse à penser, Monsieur, si un évêque aussi distingué que celui-là, et par la dignité de son siège et par son mérite personnel, écrivant à une grande reine, eût osé citer des miracles comme publics et avérés, s'ils ne l'eussent été en effet. Se fût-il avisé de les lui suggérer comme une excellente preuve de la vérité de la religion catholique, s'il avait cru qu'ils fussent sujets à pouvoir être contestés ? eût-il oser défier les prêtres ariens de faire voir chez eux des merveilles semblables à celles qu'on voyait dans les églises catholiques, s'il n'était rien arrivé d'extraordinaire dont les catholiques pussent tirer avantage ? Il fallait bien de la confiance dans cet évêque pour oser parler ainsi dans une lettre qu'il comptait devoir être montrée au roi, et qui, comme il pouvait bien se l'imaginer, ne resterait pas sans être communiquée aux évêques et aux prêtres ariens. Dans le cas où il n'eût pas été bien sûr des faits qu'il avançait, que pouvait-il s'en promettre, sinon beaucoup de ridicule pour sa personne, et beaucoup de mauvaises plaisanteries sur la religion dont il prétendait accréditer la croyance ?
J'ai tout lieu d'espérer, Monsieur, que des témoignages si énergiques feront une vive impression sur un esprit judicieux comme le vôtre. Mais si de telles autorités ne vous persuadent pas encore assez de la vérité des merveilles arrivées dans les siècles passés, ce qui se voit encore de nos jours aux tombeaux des Saints, et dont il ne tient qu'à vous de vous assurer par vous-même et de vos yeux, vous facilitera, sans doute, et vous garantira, en quelque sorte, la créance des faits rapportés ici. Combien de corps saints qui se conservent sans corruрtion depuis plusieurs siècles dans presque tous les pays catholiques du monde ? En France, le corps de saint Claude, de saint Anthelme, de saint Edmond, de saint Rémi ; en Italie, ceux de sainte Catherine de Bologne, de sainte Claire de Monte-Falcone, de sainte Agnès de MontePulciano, de sainte Rose de Viterbe, de saint Nicolas de Tolentin, de saint Charles Borromée ; en Espagne, ceux de saint Narcisse, de saint Ferdinand, de saint Isidore-le-Laboureur, de sainte Thérèse ; en Portugal, celui de sainte Elisabeth ; en Angleterre, celui de saint Edouard ; aux Pays-Bas, celui de saint Hubert ; aux Indes, celui de saint François Xavier. Le père Théophile Rainaud en cite encore plusieurs autres dans son livre intitulé De incorruptione cadaverum, et il y donne les preuves de tous les faits qu'il avance. Qu'est-ce qui peut défendre ces précieuses reliques contre l'activité des éléments et la révolution des années, si ce n'est une vertu supérieure et divine ?
Je sais qu'il y a des terres qui, pleines d'esprits de sel et de nitre, ont la vertu de conserver les corps intacts ; mais ces terres traitent-elles différemment les corps des justes et des pécheurs ? ne conservent-elles pas également les uns comme les autres ? et de quelle manière les corps y sont-ils conservés ? n'est-ce pas de telle sorte que pour peu qu'on les remue, ils tombent en pièces et en poussière ? mais ceux dont je parle, sont conservés dans les mêmes lieux où tous les autres se réduisent en pourriture ; bien plus, exposés à l'air depuis plusieurs siècles ils subsistent avec toute leur solidité. Il n'y a donc que le grand Ouvrier qui a formé le corps de l'homme, qui sache le secret de maintenir, sans le secours de l'âme, la tissure et la liaison des parties dont il se compose. Non, il n'appartient qu'au souverain Maître de l'univers de faire en sorte que le tombeau, l'écueil de toutes les grandeurs humaines, devienne pour ses serviteurs et pour ses servantes un monument de gloire, et pour les peuples un objet de vénération.
On voit à Florence, dans l'église des Dames Carmélites, le corps de sainte Marie-Magdeleine de Pazzi, avec la consistance, la fraîcheur, le coloris et la flexibilité que donne la vie ; de sorte qu'à considérer son air et sa situation dans une espèce de lit pratiqué sous l'autel, on la prendrait pour une personne qui dort tranquillement et non pas pour un corps sans âme. Que diront à cela MM. vos ministres ? n'y a-t-il pas là de quoi faire plier les plus fiers d'entre eux ? car enfin Dieu peut-il avoir ici d'autre vue que de glorifier celle dont les vertus l'ont glorifié ? N'est-il pas évident qu'il autorise par cette merveille la confiance des peuples aux prières de la Sainte, et que si le culte de l'invocation des Saints déplaisait à Dieu, il n'aurait garde d'en entretenir et d'en fomenter la pratique par de si étonnants prodiges ?
Vous n'ignorez pas, Monsieur, que l'on garde à Naples la tête de saint Janvier, un des premiers évêques de Bénévent, avec une fiole de verre pleine de son sang, et que quand on met ces deux reliques en présence l'une de l'autre le jour de la fête du saint martyr, le sang qui était auparavant figé, durci et d'une couleur opaque, devient liquide et vermeil, s'agitant et bouillonnant, comme s'il était touché d'un sentiment de joie et d'un ardent désir de se réunir au chef qu'il a autrefois animé.
Vous savez apparemment aussi, Monsieur, que la langue de saint Jean Nepomucène, chanoine de Prague, se conserve depuis plus de trois cents ans fraîche et entière dans la cathédrale de la même ville, par un privilège accordé à cette langue pour la fidélité qu'elle eut à garder le secret de la confession. Wenceslas IV, roi de Bohème, avait entrepris de faire parler le saint homme sur le sujet de la reine dont il était confesseur ; mais il ne put y réussir, ni par les plus belles promesses, ni par les traitements les plus barbares. Furieux de cette résistance, il fit jeter le saint dans la Moldave, où le Saint se noya ; et de toutes les parties de son corps la langue seule échappa à la corruption.
Mais à quoi bon faire un plus long détail des merveilles qui s'opèrent à la gloire des Saints, et dont l'effet naturel est d'animer les peuples à recourir à leurs prières ? Pourquoi en dire davantage sur ce sujet, puisque Luther convient lui-même des effets miraculeux de leur puissante intercession ? Vous auriez peine à le croire, si je n'indiquais le tome et la page où vous trouverez ces paroles : « Qui peut disconvenir, que Dieu ne fasse encore aujourd'hui par ses Saints, auprès de leurs tombeaux et en présence de leurs reliques, des miracles qui paraissent aux yeux de tout le monde1. » Ne pensez pas, Monsieur, que ces paroles soient échappées par inadvertance à Luther ; c'est en rendant compte de sa foi, c'est en se justifiant sur des articles, qu'on lui imputait, dit-il, faussement et malignement, c'est dans une circonstance si décisive qu'il s'est expliqué en ces termes, deux ans après sa rupture avec Rome, c'est-à-dire l'an 1519.
On m'objectera sans doute que Luther était pour lors encore plein de ses premières idées, et des préjugés de l'éducation, dont il eut depuis tout le temps de revenir ; mais comment ces préjugés ont-ils pu lui faire voir des miracles où il n'y en avait pas ? comment ont-ils pu le porter à en appeler à la notoriété publique, et lui inspirer assez de confiance pour demander : « Qui osera nier qu'il ne se fasse encore aujourd'hui visiblement de grands miracles aux tombeaux des Saints ? » Mais si l'on veut absolument que les préjugés aient aveuglé et infatué Luther à ce point, qu'on nous dise donc ce qui a pu le porter à ajouter ces autres paroles : « Je crois fermement avec toute la chrétienté qu'il faut honorer et invoquer les Saints. » Cette déclaration peut elle être l'effet d'un préjugé, n'est-ce pas un témoignage non suspect rendu à la créance universelle des chrétiens ? Que Luther ait ainsi parlé dans le fort de ses préjugés, et que bientôt après il ait changé de sentiment et de langage, en sera-t-il moins vrai qu'il a cru avec toute la chrétienté, et que toute la chrétienté a cru avec lui, la nécessité d'honorer et d'invoquer les Saints. C'est une vérité de fait sur laquelle Luther dépose, une vérité de fait dont il était parfaitement instruit, et sur laquelle il mérite absolument d'être cru.
Mais si, avant les disputes de Luther, au témoignage de Luther même, témoignage irréfragable en ce point, toute la chrétienté a cru qu'il faut invoquer les Saints, donc toute l'Église l'a cru ainsi ; car enfin quelque idée qu'on se forme de l'Église, on ne trouvera pas l'Église hors de la chrétienté ; elle y est nécessairement renfermée ; donc l'invocation des Saints ne peut être ni une erreur, ni une superstition, ni une idolâtrie, ni une atteinte donnée aux droits du Créateur, ni un outrage fait aux mérites de Jésus-Christ, ni une entreprise sur l'office de Médiateur ; car l'Église universelle, dont il s'agit ici, ne peut, selon vos propres principes, enseigner, ni approuver, ni pratiquer rien de semblable : donc imputer à l'Église de tels excès, c'est imputer à Jésus-Christ d'avoir manqué à la promesse qu'il a faite à son Église de la rendre invincible aux portes de l'enfer ; c'est, par conséquent, contester à Jésus-Christ sa divinité, et n'aller à rien moins qu'au renversement total du christianisme. Voilà, Monsieur, à quoi aboutissent toutes les belles déclamations de vos ministres contre l'invocation des Saints ; ne devraient-ils pas mieux considérer les suites de leurs déplorables inventions, et ne pas se laisser aveugler par l'amour de la critique, par la passion de mordre et de déchirer, jusqu'à ne pas voir les conséquences affreuses, nécessairement liées aux accusations qu'ils nous intentent ?
Je suis fort trompé, Monsieur, si après tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire pour la défense de l'invocation des Saints, vous y trouvez encore des difficultés propres à vous en faire un titre légitime de séparation. Le moins que je puisse me promettre de cet écrit, est que vous reconnaîtrez que nous avons pour nous l'antiquité, le suffrage des plus savants Pères de l'Église, la pratique générale de toutes les nations chrétiennes avant Luther, même de celles qui sont séparées de nous depuis plus de douze siècles, la tradition constante de l'Église à remonter jusqu'aux Apôtres, un fondement légitime dans l'Écriture pour nous autoriser à demander les prières de ceux que nous savons, ou du moins que nous croyons prudemment être instruits des nôtres, et par-dessus tout des marques éclatantes de l'approbation que Dieu donne à notre usage par les effets merveilleux de sa divine puissance.
MM. vos ministres nous reprochent de manquer de preuves tirées de l'Écriture, propres à appuyer l'invocation des Saints ; je pense avoir suffisamment montré l'injustice de ce reproche ; mais eussent-ils autant de sujet de nous le faire qu'ils en ont peu, ne devraient-ils pas considérer que l'invocation des Saints n'est pas moins autorisée que l'Écriture même ? car enfin qu'est-ce qui nous oblige à reconnaître les quatre Évangiles et les autres livres du nouveau Testament comme des livres divins et canoniques, si ce n'est la tradition constante de l'Église, le consentement unanime de toutes les nations chrétiennes à les recevoir pour tels, l'autorité de l'Église, qui nous les garantit comme dictés par le Saint-Esprit, et plusieurs grands miracles faits pour en attester la céleste origine ? Or, toutes les mêmes preuves ne concourent-elles pas également à prouver l'utilité de l'invocation des Saints ? Si donc toutes ces preuves vous paraissent faibles et insuffisantes pour justifier notre pratique, que deviendra l'autorité des Écritures même, autorité, qui, à ce que vous dites, fait tout le fondement de votre foi ? N'y a-t-il pas lieu de s'étonner que vous insistiez si fort à nous demander ici des preuves tirées de l'Écriture, tandis que vous nous voyez si bien munis de celles dont la force concilie à l'Écriture même toute votre déférence et tous vos respects.
Ainsi, Monsieur, bien loin que l'invocation des Saints puisse être pour vous un sujet d'éloignement, vous y trouverez, je l'espère, de nouveaux motifs pour vous porter à hâter votre réunion avec nous. Vous comprenez, sans doute, après avoir lu cet écrit, combien sont vaines les déclamations de vos ministres contre cet article. Il est impossible, en réfléchissant sur l'injustice de leurs invectives, de ne pas vous convaincre de plus en plus combien est injuste le schisme qui vous tient séparé de nous, et par conséquent, combien est grande l'obligation où vous êtes de rentrer dans l'Église que vous avez quittée sans sujet.
Vous avez vu, Monsieur, par mille exemples, combien il a été profitable aux chrétiens de tous les temps d'avoir recours aux prières des Saints ; la prudence chrétienne vous dictera, sans doute, qu'il n'est pas expédient pour vous de vous priver des secours que vous pouvez obtenir par le crédit de si puissants intercesseurs ?
Vos temples portent encore le nom des Saints en l'honneur desquels ils ont été construits ; c'est dans les églises de Saint-Pierre, de Saint-Thomas, de Saint-Nicolas, de Saint-Guillaume, de Sainte-Aurélie que vous tenez vos assemblées ; les patrons de ces églises vous invitent à reprendre les sentiments qu'ont eus vos ancêtres en laissant à la postérité ces monuments de leur piété et de leur vénération pour les serviteurs de Dieu.
Ne craignez pas, Monsieur, en honorant et en invoquant les Saints, de vous exposer à donner de l'ombrage à Jésus-Christ ; il n'en prendra pas, je vous en assure ; nous sommes bien éloignés de confondre les honneurs rendus aux serviteurs, avec les honneurs rendus au Maître, et celui dont vos ministres affectent si fort de vouloir ménager les intérêts, ne sera pas exposé à s'y méprendre. Tous les honneurs que nous rendons aux Saints se rapportent à Jésus-Christ, se terminent à Jésus-Christ, et n'ont d'autre but que d'accomplir les vues et les desseins de Jésus-Christ. Oui, Monsieur, si nous honorons les Saints, c'est parce que Jésus-Christ les honore de son amitié ; parce qu'ils ont travaillé avec ardeur à procurer et à augmenter sa gloire ; parce qu'ils sont les plus riches dépouilles enlevées par son pouvoir à l'enfer, et les vases choisis, enrichis de ses plus précieuses grâces ; parce que Jésus-Christ s'est intéressé lui-même à les glorifier, et a rendu à leur sainteté un témoignage éclatant par la voix des miracles, ce qu'il ne fait, sans doute, que pour donner du prix à la vertu, animer la ferveur des chrétiens, et les exciter à l'imitation de si beaux exemples.
Je dis plus, Monsieur, nous n'honorons les Saints qu'à cause de leurs rapports avec Jésus-Christ ; les Patriarches, parce qu'ils ont été ses ancêtres ; les Prophètes, parce qu'ils ont prédit les circonstances de sa vie et de sa mort ; les Apôtres, parce qu'ils ont prêché sa doctrine ; les Martyrs, parce qu'ils ont confessé son saint nom au prix de leur sang et de leur vie ; les Vierges, parce qu'elles ont été ses chastes épouses ; les Confesseurs, parce qu'ils ont pratiqué ses conseils dans la plus sublime perfection ; et la Sainte Vierge plus que tout autre Saint, parce qu'en qualité de Mère de Jésus-Christ, elle se trouve élevée au-dessus de toute créature. Ainsi, comme Jésus-Christ est le principe et la source de toute sainteté, il est également le terme et le but auquel se terminent tous les honneurs que nous rendons aux Saints : Omnia in ipso constant.
Telles sont les idées que nous avons de Jésus-Christ et des Saints ; et c'est sur ces idées que nous réglons notre culte. Si jamais quelques ignorants ou quelques dévots indiscrets se sont formé d'autres principes, et ont donné dans des excès capables de déroger à la grandeur de Jésus-Christ ou à la confiance qui lui est due, il fallait les redresser avec charité, et non pas en tirer avantage pour aigrir et révolter des nations entières ; il fallait régler la dévotion des peuples, supposé qu'il s'y fût glissé quelques abus, et non pas entreprendre de la supprimer et de l'abolir entièrement.
A quels horribles excès ne se sont pas portés vos premiers ministres sous prétexte de réforme en ce point ? Martin Bucer, le premier chef de votre consistoire, et le principal auteur des changements arrivés dans cette ville en fait de religion, a bien osé y faire brûler publiquement les reliques de sainte Aurélie, pour arrêter, à ce qu'il disait, le cours de la superstition ; mais Dieu ne laissa pas son impiété impunie ; caг Bucer étant mort en Angleterre où il s'était retiré, son corps y reçut le même traitement qui avait été fait au corps de la Sainte par l'instigation de ce ministre ; ses os furent déterrés par ordre de la reine Marie, et brûlés par main de bourreau, châtiment visible du ciel qui semble avoir voulu user de représailles envers celui dont la fureur a osé faire à cette auguste Sainte un outrage aussi sacrilège.
Ce Bucer s'était consacré à Dieu par les trois vœux de religion en l'an 1507. Infidèle et parjure, il épousa consécutivement jusqu'à trois femmes, dont la première fut une religieuse dévoilée, qui mourut frappée de la peste après avoir eu treize enfants de son commerce impur avec le moine apostat, son séducteur. Tels étaient les Saints du parti qui entreprenaient de faire la guerre aux Saints du ciel. Jugez, Monsieur, si leur sentiment et leur conduite doivent l'emporter dans votre esprit sur le sentiment et la pratique de tout ce qu'il y a eu de plus saints et de plus savants hommes dans l'antiquité.
Mais évitons de rappeler des faits si odieux ; mon dessein ne fut jamais de publier la honte de ceux qui se sont élevés contre la gloire des serviteurs de Dieu ; je n'ai eu d'autre vue que d'exposer simplement, et dans un esprit de paix et de charité, la doctrine catholique touchant l'usage où nous sommes d'invoquer les Saints, et de vous faire voir que vous ne pouvez y trouver d'obstacle légitime à votre réunion.
Si les Saints me savent quelque gré de mon travail, si, sensibles aux essais de mon zèle pour leur gloire, ils en sont plus favorablement disposés à écouter mes prières, je leur demande avant tout de s'employer auprès de Dieu pour obtenir de lui qu'il vous porte efficacement à rentrer dans cette Église où ils ont vécu, où ils se sont sanctifiés, et dont ils ont fait la gloire par la sainteté de leur vie et par l'éclat de leurs miracles. Plaise au ciel, Monsieur, que vous ressentiez un prompt effet de mes prières et de leur intercession, et que vous connaissiez vous-même, par une heureuse expérience, combien il est utile de les invoquer. C'est le plus ardent de mes souhaits ; il n'a d'autre principe que le zèle sincère que je me sens pour le plus solide de vos intérêts. Agréez, s'il vous plaît, que j'y ajoute l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
MONSIEUR,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
MONSIEUR,
LES chefs de votre prétendue réforme ne se sont pas contentés de critiquer et de condamner les prières adressées aux Saints, pour leur demander le secours de leur intercession ; ils condamnent encore les prières offertes à Dieu pour le soulagement des âmes qui se trouvent en lieu de souffrances pour l'expiation de quelque reste de péchés.
C'est même contre cet article que les ministres, leurs fidèles disciples, se déchaînent avec le plus de véhémence, et ils semblent l'avoir choisi comme le sujet le plus heureux pour exercer à toute outrance leur rare talent dans la satire. A en croire le sieur Dannhauer, un des plus célèbres professeurs qu'ait eu votre Université, et qui s'est fait le plus de réputation par la multitude de ses écrits : « Le Purgatoire est un pur fantôme, une invention nouvelle, fruit de la superstition et de l'avarice ; un dogme contraire aux livres saints, un labyrinthe embarrassé de difficultés inexplicables, un renversement de l'espérance chrétienne, l'anéantissement de toute consolation intérieure, une prétention contredite par l'exemple de plusieurs âmes reçues dans le ciel immédiatement au sortir du corps, un système appuyé sur un fondement ruineux, un blasphème qui tend à rendre Dieu cruel, une nouveauté, enfin, dont on ne trouve pas la moindre trace dans les divines Écritures1. »
Si le dogme du Purgatoire était en effet tel qu'il est ici représenté, je comprends, Monsieur, comment vous auriez de justes répugnances pour une religion qui l'adopte parmi les articles de sa créance ; mais qu'il me soit permis de le dire, c'est non pas le Purgatoire qui doit être traité de fantôme, mais l'idée que s'en sont formée les ministres, et qu'ils s'efforcent de communiquer à l'esprit de leurs ouailles.
Il sera aisé, Monsieur, de vous en convaincre, si vous voulez bien faire attention à la suite des propositions que je prétends établir, et qui unies ensemble par une étroite liaison, forment sur la matière dont il s'agit, une espèce de démonstration ; les voici :
On a prié de tout temps pour les morts. Cette prière ne peut passer pour un abus ; elle est trop autorisée pour pouvoir être rejetée.
Le principal objet de la prière pour les morts a toujours été de leur procurer du soulagement. Il suit manifestement de cette prière, qu'on a toujours été persuadé d'un troisième lieu que nous nommons le Purgatoire.
Ce troisième lieu prouvé par la prière se découvre clairement dans l'Écriture, et la preuve tirée de l'usage de la prière pour les morts, justifie parfaitement l'explication que nous donnons aux passages cités en faveur du Purgatoire.
Tout ce que l'on oppose contre la créance du Purgatoire, est trop faible pour prévaloir contre la foi de tous les siècles.
Mais pour donner moins d'étendue à cette matière et me resserrer dans des bornes plus étroites, je réduirai le tout à trois articles, qui fourniront abondamment la preuve de toutes les propositions que j'ai avancées.
Rien n'est plus autorisé que la prière pour les morts ; première proposition.
Rien n'est plus efficace pour prouver la vérité du Purgatoire que cette prière pour les morts ; seconde proposition.
Rien n'est mieux lié avec les passages de l'Écriture que nous citons pour le Purgatoire que la même prière ; en sorte que si ces passages entendus dans leur véritable sens font voir la nécessité de la prière pour les morts, l'usage constant de cette prière fait voir à son tour la nécessité d'entendre ces passages comme nous les entendons ; troisième et dernière proposition. Voilà, Monsieur, le précis de tout ce que je dois avoir l'honneur de vous dire sur le sujet dont nous avons à nous occuper.
Le moindre avantage que j'espère retirer de cet écrit, est d'ôter à MM. vos ministres l'envie qu'ils ont de rire à nos dépens. Ils aiment à s'égayer sur le chapitre du Purgatoire, et ils ne sont jamais plus contents que lorsqu'une imagination burlesque leur a fourni quelques traits de raillerie sur ce sujet. Nous verrons s'ils conserveront toujours leur belle humeur. Qu'on leur présente cet écrit à lire, lorsqu'ils seront le plus en train de plaisanter sur cet article, et qu'on observe si, après l'avoir lu, ils ne changeront pas de contenance ; je serai fort surpris, si l'on ne voit les airs sérieux succéder aux airs enjoués, et le sombre nuage d'un embarras bien marqué couvrir les visages auparavant épanouis. Quoi qu'il en soit, Monsieur, je leur déclare par avance que je prétends les convaincre d'être les restaurateurs de l'hérésie d'Aërius. Qu'ils parent à ce reproche, s'ils le peuvent, après quoi nous reviendrons volontiers du sérieux au burlesque.
Par rapport à vous, Monsieur, je me propose seulement de vous démontrer que la créance du Purgatoire et l'usage où nous sommes de prier pour les morts, ne peuvent être un obstacle légitime à votre réunion ; c'est tout ce qu'exige de moi le dessein des lettres que j'ai l'honneur de vous adresser. Je ne laisse pas d'espérer que celle-ci vous persuadera de la nécessité de croire ce que nous croyons sur le présent article, et que votre piété et votre tendresse pour ceux dont la mémoire vous est chère, vous invitant à exercer envers eux la même charité qui se pratique parmi nous, vous trouverez dans l'exercice d'une charité si juste et si louable un nouveau motif pour vous hâter de revenir à l'Église catholique.
Je dis donc, en premier lieu, que la prière pour les morts est trop autorisée pour pouvoir être rejetée, et qu'on ne peut la regarder comme un abus introduit dans l'Église ; car cette prière est autorisée par des livres divins, par la pratique des Juifs, par la tradition apostolique, par l'usage universel des premiers fidèles, par le service public de l'Église des premiers temps, par l'idée constante de tous les chrétiens orthodoxes qui l'ont toujours regardée comme appartenant à l'économie de la foi. Ne pensez pas, Monsieur, que ce soient là de grands mots qui ne signifient rien, ou presque rien ; ce sont autant d'articles qui renferment les plus riches preuves ; vous allez vous en convaincre par vous-même.
Je cite d'abord le célèbre texte du second livre des Machabées, où il est dit que c'est une pensée sainte et salutaire de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés1. Vous ne disconviendrez pas, Monsieur, que ce ne soit là un témoignage bien formel en faveur de la prière pour les morts ; mais vous prétendez que ce texte n'est d'aucune autorité, parce que, sur la parole de vos ministres, vous ne regardez pas le livre dont il est tiré comme un livre canonique. La question se réduira donc à savoir, si vous devez croire sur cela plutôt MM. vos ministres, que saint Augustin, le troisième concile de Carthage, Innocent Ier, témoins sûrs et non suspects des sentiments de l'antiquité.
Saint Augustin dit en termes exprès que « les Juifs ne reçoivent pas les livres des Machabées pour canoniques, mais que l'Église chrétienne les reçoit pour tels2. » Vous voyez assez, Monsieur, que saint Augustin ne parle pas ici de son chef, et que ce n'est pas de son sentiment particulier dont il nous rend compte : c'est du sentiment universel de l'Église. Il en était sans doute bien instruit et nous pouvons l'en croire sur son témoignage.
Le troisième concile de Carthage s'est tenu en 397 ; il était composé d'un bon nombre d'évêques, qui tous ont souscrit la décision qui reconnaît les deux premiers livres des Machabées pour canoniques3.
Innocent Ier, mort en 402, consulté par Exupère, évêque de Toulouse, sur plusieurs articles concernant la religion, et entre autres sur les livres qui appartiennent à l'Écriture sainte, lui répondit en digne chef de l'Église sur chaque point, et dans le dénombrement qu'il fait des livres saints, il y comprend les deux livres dont vous disputez l'autorité4.
Il est donc clair que c'était le sentiment général du quatrième siècle, de regarder ces deux livres comme faisant partie de l'Écriture sainte ; et ce qui doit achever de vous en convaincre, Monsieur, s'il vous restait encore sur cela le moindre doute, c'est que des sociétés chrétiennes, séparées de nous depuis douze à treize siècles, les adoptent comme nous. Car le patriarche des Arméniens qui sont Jacobites ou Eutychiens, a déclaré à M. le marquis de Nointel, ambassadeur de France à Constantinople, par un acte public signé de plusieurs évêques et ecclésiastiques de sa communion, qu'ils regardaient comme une doctrine mauvaise et pernicieuse de rejeter les livres des Machabées aussi bien que d'autres livres dont vous n'admettez pas la canonicité, tels que Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastique et Baruch.
Le patriarche Méthodius a déclaré pareillement, en 1671, de la part des Grecs séparés de la communion romaine, qu'ils recevaient les livres des Machabées comme appartenants à l'Écriture sainte. L'un et l'autre écrit se conservent dans la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, et celui qui doutera de la vérité du fait, pourra s'en assurer ou par ses propres yeux, ou par les yeux d'autrui, en faisant consulter ces monuments.
N'est-ce donc pas une grande témérité aux chefs de votre réforme d'avoir osé effacer du canon des divines Écritures des livres qui y étaient inscrits dès le quatrième siècle, et que toutes les sociétés chrétiennes de la terre n'ont cessé de reconnaître pour canoniques ? L'entreprise est d'autant moins soutenable que les raisons dont on se sert pour attaquer l'autorité de ces livres, sont on ne peut plus frivoles. Je me contenterai d'en rapporter une des plus apparentes qui pourra vous faire juger des autres.
« L'auteur du second livre, dit Kemnitius, finit son ouvrage par dire que s'il a bien écrit en observant les règles de l'histoire, il s'en saura bon gré, et que s'il n'a pas traité son sujet avec assez de dignité, il espère qu'on le lui pardonnera1. Sur quoi Kemnitius fait cette belle remarque : Nous serions bien imprudents de recevoir pour dogme de foi, ce qui nous vient d'un homme réduit à demander pardon de ce qu'il peut avoir mal écrit2. »
Je réponds qu'il suffit d'examiner l'endroit cité, pour voir que l'auteur, sans se défier en aucune façon de la vérité des faits consignés dans son ouvrage, s'excuse uniquement sur les fautes du style et du langage, dans la crainte de ne pas avoir également soutenu partout sa manière d'écrire. Saint Paul n'avoue-t-il pas de même dans sa deuxième aux Corinthiens, qu'il n'était pas assez instruit des règles du langage3 ? En était-il pour cela moins inspiré de Dieu ? et sur cet aveu de l'Apôtre se croira-t-on en droit de rejeter cette Épître ?
Il faut, en vérité, que MM. les ministres aient une grande idée d'eux-mêmes, et une idée bien mince des grands hommes dont nous venons de citer les noms, pour pouvoir se persuader que des esprits si éclairés n'ont pas vu les difficultés dont ils ont eux-mêmes découvert l'existence, et dont ils cherchent à faire valoir la force contre les livres des Machabées. Ne doutez pas, Monsieur, que ces personnages si habiles dans la science de la religion, n'aient effectivement vu tout ce qu'on oppose aujourd'hui à l'autorité de ces livres sacrés ; ils l'ont vu sans doute et ils l'ont méprisé, parce qu'ils ont vu, et le faible de l'objection et la force des réponses. Or, je vous laisse à juger qui mérite ici le plus d'être écouté ? sont-ce des nouveaux venus aussi hardis à combattre les sentiments établis avant eux, que peu instruits des raisons qui les défendent, ou les hommes les plus vénérables de l'antiquité, consommés dans l'étude de la religion, témoins irréprochables des sentiments de l'Église de leur temps ? Il s'agit ici de préférer les lumières et les sentiments des uns ou des autres ; ne serait-ce pas, Monsieur, faire injure à votre sagesse que de vous croire capable d'hésiter dans cette occasion sur le mérite de la préférence ?
Mais je veux que les raisons de vos ministres aient ici l'avantage, et que vous soyez parfaitement autorisé à vous dispenser de recevoir les livres des Machabées pour canoniques ; du moins leur défèrerez-vous bien la même autorité qu'à tout autre livre profane. Ne serait-il pas en effet assez étrange d'être moins disposé à croire un fait d'histoire rapporté par l'auteur du second livre des Machabées, qu'à admettre les faits rapportés par Tite-Live, Tacite, Thucydide et autres historiens semblables. Car enfin, quoi que puisse dire votre Kemnitius pour décréditer cet auteur, il est pourtant vrai que saint Paul a marqué son estime pour lui, en empruntant de ses ouvrages des termes qui lui sont particuliers, et qui ne se trouvent nulle part ailleurs ; comme nous le voyons dans le onzième chapitre de l’Épître aux Hébreux, où saint Paul, parlant des différentes espèces de tourments qu'avaient souffert les martyrs, et entre autres ceux qui avaient été étendus sur le chevalet, se sert du mot ἐτυμπανίθησαν1, terme grec qui fait manifestement allusion à ce qui est rapporté du saint vieillard Eléazar, au vingt-septième verset du sixième chapitre du deuxième livre des Machabées, comme les éditeurs de la Bible de Genève l'ont reconnu eux-mêmes en citant ce second livre à côté du passage de saint Paul. C'est encore uniquement sur le témoignage de ce livre et par l'ordre qui y est contenu, que les Juifs célébraient tous les ans une fête solennelle en mémoire du rétablissement du temple souillé et profané par les sacrifices des Gentils2, fête que notre Seigneur a bien voulu honorer de sa présence3.
Or, il est rapporté dans ce livre, que le célèbre Judas, chef des Machabées, prince illustre par sa piété et par le nombre de ses victoires, fit faire une quête après un combat où il avait perdu beaucoup de monde, et qu'il envoya douze mille dragmes à Jérusalem, afin d'y faire offrir un sacrifice pour les morts4.
C'est là, comme vous voyez, Monsieur, un fait historique qu'on ne peut raisonnablement révoquer en doute, à moins de vouloir faire passer l'auteur qui le rapporte pour un conteur de fables dépourvu de tout crédit, et de faire voir en même temps qu'il a été contredit sur le fait en question par d'autres auteurs plus croyables et plus véridiques.
Mais s'il est indubitablement vrai que Judas Machabée a fait offrir un sacrifice pour les péchés de ceux qui avaient péri dans le combat, n'est-il pas clair en même temps que ce devait être nécessairement la pratique de son temps de prier pour les morts ? car qui se persuadera qu'un prince aussi sage et aussi religieux que cet incomparable héros, eût voulu introduire des pratiques nouvelles et inusitées en fait de religion ? et quelle apparence qu'il eût trouvé les prêtres de Jérusalem disposés à faire un sacrifice dont on n'avait jamais ouï parler ?
Ce qui se pratiquait du temps de Judas Machabée, environ cent cinquante ans avant la naissance de Jésus-Christ, se continuait également du temps des Apôtres, comme il est aisé de le voir dans la première aux Corinthiens, où saint Paul demande : Que prétendent ceux qui sont baptisés pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas? et à quoi sert-il d'être baptisé pour eux1 ? Le sieur Drejerus, ministre prussien, prétend que ces paroles sont trop obscures, pour que nous puissions en tirer aucun avantage2. Je conviens, en effet, de l'obscurité du passage ; mais je soutiens que malgré son obscurité, on ne laisse pas d'y voir clairement que les Juifs usaient de certaines purifications, de certaines cérémonies, de certaines pratiques de piété, dont le mérite devait, selon eux, être profitable aux morts.
Du moins ne disconviendra-t-on pas que ce ne soit l'usage des Juifs d'aujourd'hui de prier pour les morts ; rien de plus aisé de s'en assurer, si l'on en doute. Mais si cette coutume ne leur est point venue de l'ancien Testament, qu'on nous dise donc en quel siècle elle a commencé chez eux ? serait-ce le désir d'imiter les chrétiens qui l'aurait introduit dans la Synagogue ? et depuis quand la Synagogue a-t-elle conçu tant d'estime des pratiques de notre religion pour vouloir les apprendre de nous ?
Il est donc absolument nécessaire de reconnaître, que bien avant la venue de Jésus-Christ, comme aussi du temps des Apôtres, c'était une coutume établie chez les Juifs de faire des prières et d'offrir des sacrifices pour les morts. Or, je demande si les Apôtres qui n'ignoraient pas et qui ne pouvaient ignorer cet usage, y ont jamais trouvé à redire ; si Jésus-Christ, toujours si exact à relever les excès et les abus des Juifs, a jamais donné la moindre marque qu'il ait désapprouvé les prières et les sacrifices pour les morts. Bien loin de là, Monsieur, non-seulement le Sauveur et les Apôtres n'y ont rien remarqué qui fût digne de blâme et de censure, mais qui plus est, si l'on en croit les plus grands hommes voisins du temps des Apôtres, et parfaitement instruits des coutumes ecclésiastiques, ce sont les Apôtres même qui ont appris aux chrétiens à conserver l'usage des prières pour les morts, et à offrir pour eux le sacrifice nouvellement établi par Jésus-Christ.
« Ce n'est pas sans de bonnes raisons, dit saint Jean Chrysostôme, que les Apôtres ont ordonné de faire mention des défunts dans les redoutables mystères ; car ils savaient parfaitement qu'ils leur en revient de grands avantages3. » Seriez-vous, Monsieur, tenté de croire que saint Chrysostôme s'est avancé ici témérairement, et sans savoir sur quoi il se fondait ? c'est le reproche que Kemnitius a bien osé lui faire en disant froidement, que le sentiment de saint Chrysostôme ne se trouve appuyé d'aucune preuve, et que ce Père a été le premier à faire les Apôtres auteurs de la coutume de se souvenir des morts pendant le sacrifice4.
Vraiment il sied bien à Kemnitius de traiter ainsi la plus brillante lumière de l'Église grecque, l'interprète le plus exact, le plus littéral, le plus judicieux de l'Écriture sainte. Ce grand homme pouvait-il ignorer sur ce point le sentiment des plus habiles gens de son temps ? Or, est-il croyable que s'il les eût su d'un sentiment contraire, il eût voulu se distinguer d'eux par la singularité de son opinion ? et s'il les savait dans la même pensée, n'avait il pas dès-lors des garants assez sûrs de la tradition ?
Je demande de plus, si saint Chrysostôme eût pu ignorer les auteurs de la pratique dont il s'agit, au cas qu'il y en eût eu d'autres que les Apôtres ? Supposons que ce soit quelque concile, ou quelque évêque, ou quelque particulier qui ait introduit dans l'Église l'usage de prier pour les morts pendant le sacrifice de la messe et de l'offrir pour eux, l'origine de cet usage pouvait-elle être inconnue à un homme si parfaitement versé dans l'histoire ecclésiastique et qui écrivait sur la fin du quatrième siècle ? Nous voyons qu'on nomme les auteurs des moindres usages établis dans l'Église, lorsque ces usages viennent d'une autre source que de tradition apostolique ; comment l'institution de la pratique dont nous parlons, eût-elle pu tellement échapper à la connaissance de saint Chrysostôme, qu'il ne soit jamais parvenu à apprendre le nom de son auteur ?
Kemnitius ne parle pas plus juste quand il dit que saint Chrysostôme a été le premier à nous apprendre le règlement prétendu fait par les Apôtres ; car plus de cent cinquante ans avant que ce Père eût jamais rien écrit, Tertullien avait déjà marqué la coutume de faire tous les ans des oblations et des sacrifices pour les morts au jour de leur trépas, parmi les traditions dont on ignore l'origine et qui, consacrées par l'usage d'un temps immémorial, ne peuvent avoir d'autre source que l'institution même des Apôtres1.
Saint Épiphane, plus ancien que saint Chrysostôme, dit en parlant sur ce sujet, que « l'Église observe nécessairement et indispensablement le rite et la coutume qu'elle a reçue de ses ancêtres ; qu'il ne peut être permis ni de mépriser les lois de notre Père, c'est-à-dire, comme il l'explique aussitôt, du Fils de Dieu joint au Saint-Esprit qui nous enseigne par la parole écrite et non écrite, ni de mépriser les lois de notre mère, c'est-à dire l'Église, qui, instruite par ces deux voies, fait de sages règlements contre lesquels il n'est pas permis de s'élever. » Ensuite il ajoute que « la coutume excellente et admirable d'offrir des prières et des sacrifices pour les morts étant généralement établie dans l'Église, la coutume seule suffisait pour confondre Aërius. » Puis, pour mieux marquer l'indignation qu'il avait conçue contre cet hérésiarque, il finit par lui donner des épithètes qui certainement auraient dû faire peur à Kemnitius : « C'en est trop sur cet article, dit-il, laissons-là ce misérable escarbot nourri dans l'ordure, cette mouche empoisonnée, dont la piqûre communique une espèce de fureur, ce malheureux insecte si fatal et si meurtrier aux troupeaux qui paissent sans défiance2. » Kemnitius a bien osé citer saint Épiphane contre nous3, mais que ne rapporte-t-il le texte tout entier comme je viens de le rapporter moi-même ? Il n'avait garde, Monsieur, et il était de sa sagesse de ne pas vouloir partager avec Aërius les beaux noms de misérable escarbot, de mouche empoisonnée, d'insecte fatal et meurtrier.
Mais quand nous n'aurions aucun témoignage positif des Pères sur l'origine des prières et des sacrifices pour les morts, la célèbre maxime de saint Augustin ne suffirait-elle pas toute seule pour nous convaincre que pour en trouver la source, il faut nécessairement remonter jusqu'aux Apôtres ? « Lorsqu'on voit, dit ce Père, un usage universellement et constamment observé par toute l'Église, et qu'on n'en trouve l'institution dans aucun concile, on est parfaitement fondé à croire que cet usage a été établi par l'autorité apostolique1. » Or, peut-on disconvenir que du temps de saint Augustin et de saint Chrysostôme ce n'ait été l'usage universel de l'Église d'offrir des prières et des sacrifices pour les morts ? car, outre que ces deux Pères nous l'assurent en termes formels, ne sait-on pas que le premier empereur chrétien, Constantin-le-Grand, voulut être enterré dans l'Église qu'il avait fait bâtir à l'honneur des douze Apôtres, afin, comme il le témoignait lui-même, « d'avoir part aux prières que les fidèles viendraient faire dans cette église2. » Vous ne soupçonnerez pas, Monsieur, cet empereur d'avoir eu cette vue par simplicité ou par ignorance ; les plus habiles évêques qui avaient eu soin de l'instruire, s'étaient sans doute appliqués à lui apprendre la religion chrétienne dans toute sa pureté, et ils n'auront eu garde de le former à des pratiques vaines, superstitieuses, ou inutiles. Qui ne sait encore que sainte Monique, mère de saint Augustin, se voyant proche de sa fin, ne demanda d'autre grâce à son fils, sinon qu'on se souvînt d'elle au saint autel3. Pammachius, seigneur romain, n'est-il pas loué par saint Jérôme, de ce qu'au lieu de s'amuser à répandre des fleurs sur le tombeau de Pauline, sa femme, comme faisaient les autres époux, il ne pensait qu'à donner du soulagement à l'âme de la défunte en arrosant, en quelque sorte, sa cendre pieuse et ses ossements vénérables avec les parfums sacrés de l'aumône4. Saint Ambroise, écrivant à Faustin pour le consoler de la mort de sa sœur, ne lui dit-il pas : « Qu'il ne faut pas la pleurer, mais prier Dieu pour elle, au lieu de s'affliger par des larmes inutiles ; il vaut beaucoup mieux recommander son âme à Dieu en faisant offrir pour elle de saints sacrifices5. »
Mais ce qui prouve encore mieux l'usage universel de l'Église, c'est que ce ne sont pas seulement des particuliers de toutes conditions et de tout état, qui ont demandé d'être secourus par des prières après leur mort, ou fait eux-mêmes des prières pour les objets chéris décédés avant eux. Les liturgies et le service public de l'Église des premiers siècles font foi qu'on n'a jamais oublié les morts dans la célébration des saints mystères, et que l'Église s'est constamment occupée du soin d'offrir pour eux le sacrifice, comme d'un devoir de charité indispensable. Peut-il être sur ce point un témoignage plus positif et moins capable d'être rejeté que celui de saint Augustin ? Voici comme il s'exprime dans un sermon que personne ne s'est jamais avisé de lui disputer : « l'Église observe universellement, comme un usage transmis par la tradition, la coutume de faire pendant le sacrifice, commémoraison de ceux qui sont morts dans la communion du Corps et du Sang de Jésus-Christ, et elle déclare en termes exprès que c'est pour eux qu'elle offre le sacrifice1. »
Le même Père dit ailleurs, en parlant des devoirs à rendre aux défunts, que « l'Église ne manque pas de faire des prières en général pour tous les fidèles décédés dans sa communion, afin de pourvoir comme une bonne mère aux besoins de ceux qui n'ont ni parents, ni enfants, ni proches, ni amis, pour leur rendre ce pieux office2. » Où je vous prie, Monsieur, de faire une remarque très digne de votre attention, c'est que je ne cite pas ici saint Augustin comme un homme d'un profond savoir dont nous cherchions à connaître le sentiment, mais comme un témoin des usages de son temps, usages sur lesquels on ne pourrait refuser de le croire sans se faire regarder comme un homme atteint d'un bizarre travers d'esprit, pour ne pas dire d'une folie véritable.
Voulez-vous remonter encore une couple de siècles plus haut, jusqu'au temps de Tertullien, nous y trouverons également dès-lors l'usage des prières et des sacrifices publics si parfaitement établi dans l'Église, que cet auteur n'hésite point à dire : « Que la femme veuve prie pour l'âme de son époux ; qu'elle demande pour lui un lieu de repos et une heureuse part dans la première résurrection ; qu'elle fasse offrir tous les ans le sacrifice au jour de son décès, car si elle y manque, c'est vraiment avoir fait, autant qu'il dépend d'elle, une espèce de divorce avec lui3. »
Il parle ainsi dans un livre composé dans un âge déjà fort avancé, et il assure qu'il n'y avait que cent soixante ans que saint Paul avait écrit sa première Épître aux Corinthiens4. Or, si dès-lors l'usage des anniversaires était si bien établi dans l'Église, sans que néanmoins Tertullien eût aucune connaissance de leur origine, n'est-il pas visible que les prières et les oblations publiques pour les défunts ne doivent pas être moins anciennes que le christianisme même.
Saint Cyprien, assez voisin du temps de Tertullien, écrivant aux prêtres et aux diacres de Furnes, leur dit : « qu'il ne faut ni prier, ni faire des oblations pour un nommé Victor, décédé, pour le punir d'avoir, contre la défense des évêques, osé charger le prêtre Faustin de la tutelle de ses enfants5. »
C'était donc la coutume de l'Église d'offrir des prières et des sacrifices pour chaque fidèle après sa mort, puisqu'on ne privait Victor de ce secours que pour avoir contrevenu aux ordonnances ecclésiastiques, et afin d'empêcher par cet exemple les autres fidèles de tomber dans la même faute.
Ce sont là, Monsieur, des preuves à contenter tout esprit raisonnable ; en voici une encore plus propre à déconcerter ceux qui resteraient encore. Saint Cyrille, évêque de Jérusalem, s'était chargé vers le milieu du quatrième siècle et avant même d'être élevé à l'épiscopat, du soin de faire des instructions familières aux catéchumènes, et dans ses explications détaillées de tout ce qui se pratiquait dans la célébration des divins mystères, il leur dit : « Nous prions en dernier lieu pour ceux qui sont décédés parmi nous, convaincus que leurs âmes reçoivent beaucoup de secours du sacrifice redoutable de nos autels et des prières qui l'accompagnent1. » J'ai déjà cité ailleurs ces paroles ; mais comme elles sont décisives pour le point dont il s'agit ici, et qu'elles ne laissent aucun lieu de douter de la pratique où était l'Église dès les premiers siècles d'employer le ministère public pour le soulagement des défunts, j'ai cru qu'elles méritaient une nouvelle attention. Vous y voyez, Monsieur, que les prières pour les morts faisaient partie de la liturgie du quatrième siècle, et vous jugez bien que cette liturgie était bien plus ancienne que le temps auquel saint Cyrille l'expliquait. Vous ne doutez pas non plus que cette liturgie ne servît de règle à toute l'Église grecque, puisqu'on croyait devoir l'expliquer à ceux qui se disposaient à recevoir le baptême ; et il est également certain que les pratiques dont elle prescrivait l'observance, ne pouvaient avoir d'autre fondement que la foi générale des peuples.
Oui, Monsieur, c'était dès-lors un dogme de l'Église, et tous les chrétiens de la terre reconnaissaient comme un point de créance nécessaire, qu'il faut prier et offrir des sacrifices pour les morts. Aërius, pour avoir osé enseigner le contraire, est resté flétri pour jamais du nom infâme d'hérétique. C'est ce que nous voyons dans le catalogue dressé par les Pères, des hérésies suscitées dans l'Église depuis le commencement du christianisme jusqu'à leur temps. Quatre différents Pères ont dressé, chacun séparément et en différents siècles, ce catalogue : saint Épiphane, saint Augustin, saint Jean Damascène et saint Isidore de Séville2. Or, ils se sont accordés tous quatre à placer Aërius parmi les hérésiarques. Le premier article qu'ils lui reprochent, comme la plus criminelle de ses erreurs, est d'avoir enseigné qu'il ne faut pas prier ni offrir de sacrifices pour les morts, et c'est ce qu'ils condamnent en lui comme une véritable hérésie.
Je comprends, Monsieur, comment vos ministres qui ne se piquent pas d'un grand respect envers les saints Pères, pourraient, sans beaucoup de scrupule, témoigner s'embarrasser assez peu de l'autorité de ces quatre Docteurs ; mais ce qu'il y a de fâcheux pour eux, c'est que ces quatre Pères ne nous disent pas ici leur sentiment particulier, ils rapportent seulement le sentiment universel du christianisme. Ils donnent pour dogme ce qui passait et avait toujours passé pour dogme ; pour hérésie ce qui passait et avait toujours passé pour hérésie. Les soupçonnera-t-on d'avoir ignoré la religion chrétienne jusqu'au point de traiter d'hérétique une doctrine saine et orthodoxe ? ou les croira-t-on assez injustes pour avoir flétri malignement la mémoire d'Aërius par une censure outrée ? et comment ne se serait-il trouvé personne qui se fût mis en peine de leur faire connaître ou leur bévue, ou leur excès, en prenant en main la défense de l'innocent ?
Vous n'en disconviendrez pas, Monsieur, on enseigne chez vous qu'il ne faut point offrir de sacrifices pour les morts. Vos théologiens trouvent fort à redire que nous offrions l'Eucharistie en sacrifice : ils en condamnent hautement la pratique ; or, s'ils rejettent absolument le sacrifice de l'autel, comment pourraient-ils convenir de la nécessité ou de l'utilité de ce sacrifice, lorsqu'il s'agit de l'offrir pour les morts ? les voilà donc sur ce point de même sentiment qu'Aërius, condamnés comme lui par les quatre Pères, par toute l'Église de leur temps et par celle des siècles suivants.
Il est triste, Monsieur, de se trouver engagé dans une doctrine qui depuis douze à treize siècles, pour ne rien dire plus, a passé constamment pour hérétique. On a beau chercher à se rassurer par l'idée flatteuse qu'on s'est faite de ne rien croire que de conforme à la pure parole de Dieu, un jugement de l'Église aussi marqué, aussi constant, aussi universel, est bien capable d'inquiéter une conscience formée comme la vôtre à l'honneur et à la vertu. Si une obstination déterminée fait fermer les yeux à certaines gens pour ne rien voir et ne rien comprendre, votre droiture et votre probité, Monsieur, vous laissent sans doute assez de lumière pour concevoir le danger de penser sur certains points de religion, comme ont pensé des hérétiques flétris par le jugement de la plus savante antiquité.
Que MM. vos ministres viennent donc s'égayer et plaisanter sur nos charitables soins envers les défunts ; qu'ils cherchent à tourner en ridicule les prières et les sacrifices offerts pour eux, nous les renverrons au catalogue des anciennes hérésies. Instruisez-vous, leur dirons-nous, de ce qu'a enseigné Aërius ; voyez si votre doctrine n'est pas entièrement la même que la sienne ; et si vous ne pouvez y remarquer de différence, comme certainement vous n'y en remarquerez jamais aucune, cessez de vous faire un sujet de joie et d'applaudissement de vous voir associés à un infâme hérésiarque. Il serait honteux pour vous de vous dire ouvertement ses disciples ; peut-il y avoir moins de honte de soutenir la même doctrine, et de ne pas vous apercevoir qu'elle vous rend également coupables ? Je ne sais, Monsieur, si je me trompe ; mais il me paraît qu'un reproche semblable, fait avec tant de raison et de justice, nous vengera toujours bien assez de toutes les fades railleries qu'on voudra nous faire sur nos pieux empressements en faveur des morts. Oui, je m'assure que si le reproche est bien placé, il arrêtera toutes les saillies burlesques, et donnera aux esprits bouffons beaucoup plus de confusion qu'ils n'auront prétendu nous donner de ridicule.
Je pense, Monsieur, avoir suffisamment démontré que la prière pour les morts se trouve trop autorisée et fondée sur trop de preuves, pour pouvoir être traitée d'abus ; c'est la première proposition que je me suis proposé d'établir ; je passe présentement à la seconde, où je ferai voir par des raisons également solides et pressantes que rien n'est mieux lié avec la créance du Purgatoire, ni plus propre à en prouver la vérité que la même prière pour les morts.
Vous aurez, Monsieur, tout sujet d'être surpris des vains efforts que font vos théologiens pour prévenir une conséquence qui les incommode ; rien ne vous fera mieux sentir l'embarras où ils se trouvent que la nécessité de recourir à une défaite, qui certainement n'est pas capable de vous donner grande idée de leur sincérité. J'ai à leur reprocher de faire paraître dans leurs réponses beaucoup plus de subtilité que de droiture et de bonne foi. Jugez, Monsieur, si c'est injustement que je leur en fais le reproche ; vous ne pouvez manquer d'être favorablement disposé à leur égard, je le sais ; mais votre équité et notre bon droit me rassurent contre toutes les impressions de la faveur.
Rien n'est plus simple ni plus naturel que notre manière de raisonner sur la pratique si parfaitement établie de prier pour les morts. On a toujours prié pour les morts, disons-nous ; donc on a toujours cru que les prières pouvaient leur être utiles ; donc on a toujours cru que les âmes des défunts pouvaient avoir besoin de secours et qu'on pouvait leur en donner ; donc on a toujours cru qu'il y avait un troisième lieu distingué du paradis et de l'enfer ; car on sait assez que les âmes admises dans le paradis n'ont plus besoin de secours, et que les âmes condamnées à l'enfer ne sont pas en état d'en recevoir : c'est ce troisième lieu que nous nommons le Purgatoire. Voilà, Monsieur, des conclusions dictées par le bon sens, par la droite raison, par ce rayon de lumière que la sagesse divine nous a communiquée pour nous conduire sûrement dans la recherche du vrai ; mais que disent à cela MM. vos ministres ? et qu'opposent-ils à des conséquences si justes et si légitimes ?
Ils nient que l'objet des prières faites dans l'ancienne Église pour les morts, ait été de leur procurer du soulagement, et prétendent qu'en priant pour les morts on avait seulement en vue de faire d'eux une honorable mention, de marquer l'affection dont on était pénétré pour eux, de remercier Dieu des grâces dont ils avaient été comblés, de se souvenir des promesses divines, gage sacré de leur glorieuse résurrection, et de donner quelque consolation à leurs parents et à leurs amis affligés. C'est ainsi qu'en parlent les plus célèbres professeurs des universités de Brunswick et de Jena1, et généralement tous les théologiens de la confession d'Ausbourg qui ont écrit sur ce sujet.
Or je dis, Monsieur, que cette réponse ne montre pas assez de droiture et de bonne foi ; car les mêmes auteurs qui nous apprennent l'usage où ont été les fidèles des premiers siècles de prier pour les morts, nous apprennent en même temps, dans quelle intention se faisaient ces prières, et marquent expressément qu'elles avaient pour but de procurer du secours et du soulagement aux âmes des défunts. Si ces auteurs méritent d'être crus sur le premier article, pourquoi ne mériteraient-ils pas d'être crus sur le second, et si vos théologiens ont assez de bonne foi pour reconnaître l'ancienne pratique de prier pour les morts, comment n'en ont-ils pas assez pour convenir de l'objet et de la fin de ces prières, puisque ces deux points sont également attestés, et par les mêmes témoins ?
Tertullien qui recommande à la femme veuve de prier soigneusement pour l'âme de son mari défunt, ne lui dit-il pas en même temps « de demander pour lui du rafraîchissement ; refrigerium1, » c'est-à-dire un adoucissement de peines, ou une délivrance totale de toutes souffrances. Kemnitius prétend « que dans le style de Tertullien, il faut seulement entendre par le mot de rafraîchissement, la paix et le repos dont jouissent les âmes dans le sein d'Abraham en attendant le jour du jugement2. » Mais quand nous consentirions à cette explication, ne sera-t-il pas toujours vrai que Tertullien exhorte la veuve à demander un état de repos et de tranquillité pour l'âme de son mari ? il suppose donc, comme il fait supposer à la veuve, que l'âme du défunt n'y était pas encore arrivée, et que les prières de la femme seraient utiles pour l'aider à y parvenir.
Saint Cyrille de Jérusalem, en marquant si positivement que pendant la célébration des divins mystères on ne manquait jamais de faire mention des défunts, n'ajoute-t-il pas incontinent, qu'on le faisait dans la persuasion « que les âmes des défunts reçoivent beaucoup de secours du très saint et très respectable sacrifice de nos autels3 ? » Et quand il veut expliquer de quelle manière les prières et le sacrifice peuvent être profitables aux âmes, ne se sert-il pas de la comparaison d'un roi qui après avoir envoyé en exil un homme dont il aurait reçu quelque outrage, s'adoucirait à la vue d'une riche couronne offerte par les proches du coupable, et se porterait à le rappeler ? « C'est ainsi, dit-il, que nous offrons pour les défunts, malgré leurs péchés, non pas une couronne de prix, mais Jésus-Christ mis à mort pour nos péchés ; et nous l'offrons afin de rendre propice, à eux comme à nous, ce Dieu si porté de sa propre nature à la clémence4. »
Telles sont les instructions que le saint évêque donnait aux catéchumènes sur les pratiques de l'Église ; il s'agissait de leur en donner des idées nettes, justes, précises, qui fussent communes à tous les chrétiens, et auxquelles personne ne pût trouver à redire. J’ose demander, Monsieur, si l'on peut rien dire de plus favorable à notre cause que toute cette explication de saint Cyrille, et si l'on peut rien imaginer de plus accablant pour ceux, qui en convenant de l'ancienne pratique de prier pour les morts, osent nier qu'on ait eu en vue de leur procurer du soulagement.
Penserez-vous, Monsieur, que le grand Constantin, le premier empereur chrétien, en choisissant le lieu de sa sépulture dans l'église des douze Apôtres, et en marquant le désir qu'il avait de participer aux prières des fidèles, ne se sera proposé que de rassembler autour de son tombeau quelques sujets fidèles et zélés pour remercier Dieu des grâces que leur empereur en avait reçues, se consoler de sa mort, se fortifier dans l'espérance d'une glorieuse résurrection ? Croyez-vous que sainte Monique, en témoignant avoir si fort à cœur qu'on se souvint d'elle après sa mort à l'autel, aura seulement désiré que les prêtres fissent d'elle une mention honorable dans l'église ? est-ce là un désir digne de cette femme forte, dont la grande âme a témoigné tant de mépris pour tout ce qui pouvait lui faire honneur après sa mort, et servir à conserver sa mort auprès de la postérité ?
Qu'on pense pitoyablement quand on s'est une fois livré à l'obstination ! Il arrive bien souvent que des hommes consommés dans la littérature ne voient pas le ridicule d'une pensée, tandis que tout homme d'un sens droit, n'eût-il aucune teinture des lettres, l'aperçoit du premier coup d'œil. Je ne croirai pas faire tort à MM. vos ministres en disant qu'ils sont dans le cas marqué. S'ils faisaient plus d'usage de leurs lumières naturelles, ils s'écarteraient moins des autres hommes dans leur manière de penser, et ne donneraient pas des tours si étranges aux questions qui en sont le moins susceptibles.
Vous avez vu, Monsieur, que saint Jérôme loue Pammachius d'avoir répandu des aumônes au lieu de fleurs sur le tombeau de sa femme ; mais quel était l'effet de ces aumônes dans l'idée du saint Docteur ? ne le fait-il pas assez connaître en les nommant ? « Un baume précieux que Pammachius répandait sur les cendres et les ossements de Pauline1 ? » Que peut marquer cette expression figurée, sinon que comme le baume est propre à guérir les plaies et à rétablir les parties affligées, de même aussi les aumônes faites par Pammachius devaient avoir la vertu de donner du soulagement à l'âme de la défunte ? C'est bien sûrement la pensée du Saint, puisque pour la mieux marquer il cite au même endroit le passage de l'Ecclésiastique : Comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône efface le péché2.
Saint Ambroise dit dans l'oraison funèbre de l'empereur Théodose, « que l'ayant constamment aimé, il le suivra jusque dans la région des vivants, et ne l'abandonnera pas jusqu'à ce que par ses larmes et ses prières il l'ait fait entrer dans le lieu où ses mérites l'appellent, sur la montagne sainte du Seigneur, où l'on jouit d'une vie qui ne finira jamais3. » Il croyait donc que l'âme de l'Empereur pouvait n'être point encore arrivée à la région des vivants, et que ses prières pourraient lui être de quelque secours pour hâter sa félicité.
Saint Paulin, évêque de Nole, contemporain de saint Ambroise et de saint Augustin, écrivant à l'évêque Delphin, lui recommande l'âme d'un frère chéri qu'il venait de perdre : « Faites si bien, lui dit-il, que Dieu accorde cette âme à vos prières : puisse votre rare vertu par le crédit qu'elle vous donne auprès de Dieu, faire couler sur elle quelques gouttes de rafraîchissement4. » Ces paroles n'ont certainement pas besoin de commentaire. On y voit assez que les fidèles du quatrième siècle en priant pour les morts, se proposaient une fin bien différente de celle qu'il a plu à MM. vos ministres d'imaginer.
Vous avez, Monsieur, trop bonne opinion de saint Augustin pour vous persuader qu'il ne sait pas ce que les fidèles de son temps avaient coutume de demander à Dieu dans leurs prières pour les morts. Vous ne croirez pas non plus qu'il ait voulu se distinguer des autres fidèles dans sa manière de prier pour eux. Or, de quelle manière priait-il pour sa mère défunte ? Nous le voyons au neuvième livre de ses Confessions, où, après avoir marqué les circonstances de sa mort et le vif regret qu'il en avait ressenti, il dit à Dieu : « Seigneur, je vous prie pour les péchés de ma mère ; exaucez-moi, je vous en conjure par ce divin Sauveur, remède de nos blessures, qui a été suspendu au bois de la Croix, et qui, assis maintenant à votre droite, ne cesse point d'intercéder pour nous. Je sais qu'elle a pratiqué les œuvres de miséricorde, et qu'elle a pardonné de tout son cœur les offenses ; pardonnez-lui aussi, Seigneur, pardonnez-lui et n'entrez point avec elle en jugement1. » Mais, dit Kemnitius, saint Augustin marque au même endroit, qu'il croyait que le Seigneur avait déjà fait miséricorde à sa mère, et qu'il le priait d'approuver et de ratifier les désirs de son cœur2. Vous le voyez donc, ajoute ce ministre ; ce n'était pas pour la délivrer des peines du purgatoire, ni pour apaiser la justice divine que saint Augustin faisait cette prière ; c'était uniquement pour marquer sa pieuse affection envers sa mère3. »
En vérité, Monsieur, il faut bien peu de chose à Kemnitius pour lui relever le courage. Oui, saint Augustin croyait que Dieu avait déjà fait miséricorde à sa mère, c'est-à-dire, il l'espérait, il le présumait ainsi de la bonté divine et de la sainte vie de sa mère4 ; mais comme il ne s'en tenait pas parfaitement assuré, il pensait ne pouvoir prendre trop de précautions pour ne pas laisser l'âme de sa mère exposée au danger de manquer de secours ; et c'est pour ce motif que non content de prier pour elle dans son particulier, il eut encore soin « que le sacrifice du prix de notre Rédemption, (c'est ainsi qu'il appelle le sacrifice de la messe) fût offert pour elle en présence de son corps, immédiatement avant que d'être porté en terre5. Il recommanda de plus l'âme de sa mère aux prières de tous ceux qui viendraient à lire ses Confessions, afin, comme il le dit au même endroit, de satisfaire plus amplement au désir que cette sainte femme avait marqué en sentant les approches de la mort6. »
N'arrive-t-il pas tous les jours parmi nous, malgré la persuasion où nous sommes de la vérité du Purgatoire, qu'à la mort d'un homme d'une probité reconnue, on entende dire à ses amis : c'était un grand homme de bien, je le crois en paradis, sans que pour cette raison ils se dispensent de faire des prières et des aumônes pour lui. C'est qu'on croit ne pouvoir prendre trop de sûretés, quand il s'agit de hâter et d'avancer le bonheur éternel d'un âme pour laquelle on s'intéresse spécialement.
Mais qu'y a-t-il de plus étonnant que de voir Kemnitius entreprendre de prouver par cet endroit des Confessions de saint Augustin, « que si l'on priait pour les morts en célébrant le Sacrifice, ce n'était point pour obtenir la rémission de leurs péchés1. » Kemnitius ignorait-il que selon la doctrine expresse de saint Augustin, les prières, les aumônes et les sacrifices offerts pour les morts, ont la vertu de leur rendre Dieu propice ? c'est ce que le saint Docteur enseigne dans deux de ses livres, répétant mot pour mot les mêmes termes, comme pour faire voir que c'était une doctrine bien méditée, et dont il avait tout lieu d'être parfaitement content.
Voici comme il parle dans un recueil de saintes maximes adressé à un seigneur romain nommé Laurent, et dans un autre livre où il répond à huit questions qui lui avaient été proposées par Dulcitius : « On ne peut disconvenir que les âmes des défunts ne soient soulagées par la piété de leurs proches, lorsqu'on offre pour elles le sacrifice du Médiateur, ou que pour elles on fait des aumônes dans l'Eglise ; mais ces bonnes œuvres ne profitent qu'à ceux qui durant leur vie ont mérité d'en recevoir du profit après leur mort. Car il y a une manière de vivre qui n'est ni assez bonne pour n'avoir pas besoin de ces sortes de secours après le trépas, ni assez mauvaise pour que ces secours soient inutiles au défunt... Lors donc qu'on offre les sacrifices de l'autel ou de l'aumône pour les fidèles trépassés, ce sont des actions de grâces envers Dieu pour ceux qui sont parfaitement bons, et des titres de rémission pour ceux qui ne sont que médiocrement mauvais ; quant à ceux qui sont entièrement mauvais, toutes ces pratiques ne leur sont d'aucun secours, mais ne peuvent servir qu'à donner une espèce de consolation aux vivants2. » Vous voyez, Monsieur, bien clairement, qu'au sentiment de saint Augustin le sacrifice de la messe offert pour les défunts, ainsi que les aumônes et les prières faites pour eux, ont une vertu d'expiation, et achèvent d'acquitter les droits de la justice divine.
Que penser après cela de Kemnitius, qui par des raisonnements de sa façon prétend faire dire à saint Augustin tout le contraire de ce que ce Père a pris à tâche d'enseigner le plus clairement possible dans deux de ses livres3 ? c'est ce que Kemnitius ne pouvait ignorer, puisqu'il cite lui-même les paroles de saint Augustin, et qu'il les cite même pour les condamner4. Est-ce ainsi qu'on en use, quand on a une véritable droiture d'esprit, et qu'on affecte la gloire de ne s'occuper uniquement que de la recherche de la vérité ?
Mais ce n'est pas là le seul reproche que j'ai à faire au professeur de Brunswick ; il soutient que saint Augustin ne parle qu'avec doute et incertitude du troisième lieu, où nous prétendons que les âmes reçoivent du soulagement par les prières et les aumônes des fidèles, et qu'il laisse à chacun la liberté d'en croire ce qu'il lui plaira5. Examinons cette assertion ; car il n'est point indifférent au sujet que je traite, de nous assurer sur ce point du véritable sentiment de saint Augustin ; il nous fera connaître, non-seulement si Kemnitius a été juste et équitable dans son observation, mais aussi jusqu'à quel degré d'incertitude est allée la créance des anciens, touchant l'article du Purgatoire.
Voici comme le saint Docteur s'exprime dans son trente-deuxième sermon sur les paroles de l'Apôtre : « IL NE FAUT PAS DOUTER, que les âmes des trépassés ne soient soulagées par les prières de la sainte Église, par le Sacrifice salutaire, et par les aumônes distribuées à leur intention ; l'effet de ces bonnes œuvres est d'obtenir de Dieu que les âmes soient traitées avec plus de clémence que leurs péchés ne l'ont mérité... Qui doute que les œuvres de la miséricorde ne soient pour eux un utile suffrage ?... Il ne faut pas hésiter à croire que ces offrandes ne leur soient avantageuses1... » et dans son recueil des instructions données au seigneur Laurent : « ON NE PEUT NIER que les âmes ne reçoivent beaucoup de soulagement de la piété de leurs proches, lorsqu'on offre pour elles le sacrifice du Médiateur, et que pour elles on fait des aumônes2. » Il répète la même doctrine, comme je l'ai déjà remarqué, et absolument dans les mêmes termes, en répondant à la seconde question proposée par Dulcitius3. Et dans son livre des devoirs qu'il convient de rendre aux morts, pour répondre à une question qu'on lui avait faite, savoir : s'il pouvait être de quelque utilité de se faire enterrer dans une église où repose le corps de quelque saint martyr, il dit que la sainteté du lieu peut exciter la piété de ceux qui viennent y faire leurs prières, ET QU'IL EST HORS DE DOUTE que des prières faites avec un plus grand sentiment de dévotion, sont aussi d'un plus grand avantage aux morts4. »
Remarquez, Monsieur, s'il vous plaît, ces expressions : IL NE FAUT PAS DOUTER, ON NE PEUT NIER, IL EST HORS DE DOUTE. Sont-ce là des termes à marquer la foi douteuse et chancelante de saint Augustin ? et y trouverez-vous de quoi vous former une grande idée de l'application de Kemnitius à bien prendre la pensée de ce Père, ou de son exactitude à nous la rapporter fidèlement ?
Je n'ignore pas, Monsieur, que saint Augustin, en parlant sur ce sujet, se sert d'expressions qui marquent quelque doute ; mais si Kemnitius y eût pris garde de plus près, il eût vu que le doute ne tombe nullement sur l'existence d'un troisième lieu, mais sur la qualité des peines que les âmes y souffrent ; car ce Père « après avoir dit5 que le juste trop attaché aux plaisirs permis, souffre, quand il vient à en être privé pendant le cours de cette vie, une cuisante douleur qu'on peut appeler une espèce de feu, il ajoute qu'on peut demander, si l'âme du juste séparée du corps souffre encore la même douleur ou le même feu, et si cette douleur et ce feu servent à la purifier ? et il répond qu'il n'est pas hors de vraisemblance que l'âme du juste, toute séparée qu'elle est du corps, ressent encore la douleur causée par la perte des plaisirs qu'elle a aimés excessivement ; que cette douleur fait peut-être une partie du châtiment dont Dieu se sert pour la purifier ; que pour lui, il ne blâme point ce sentiment, parce qu'il peut être vrai, et qu'il croit assez indifférent de savoir ou d'ignorer ce qu'il y a à répondre à ces sortes de questions1. »
Voilà, Monsieur, le véritable point sur lequel tombent les expressions citées contre nous, comme un indice des doutes et des incertitudes de saint Augustin par rapport à la créance du Purgatoire. Car quelle apparence que ce Père, après avoir enseigné au vingt-quatrième chapitre du 21ème livre de la Cité de Dieu, la réalité des peines du Purgatoire comme une vérité constante et indubitable2, change tout à coup de langage, et n'en parle plus au 26ème chapitre que comme d'une chose tout à fait douteuse et incertaine, ainsi qu'on le prétend ? Et quelle apparence encore, qu'en répondant à la seconde question proposée par Dulcitius, il dise : « On ne peut nier que les âmes des fidèles ne soient soulagées par la piété de leurs proches, par les aumônes et les sacrifices3 », et qu'en répondant à la première, il ait révoqué en doute, s'il y a effectivement des peines passagères après cette vie ? Nous croyons que saint Augustin a eu trop d'esprit et de mémoire pour avoir pu donner dans de si étranges variations ; ce serait supposer qu'il a manqué absolument de l'un et de l'autre, si l'on se figurait qu'il a été capable de dire le pour et le contre en moins de deux ou trois pages, et cela plus d'une fois. Il faut donc nécessairement concilier les expressions de ce Père ; celles qui marquent du doute avec celles qui marquent de la certitude ; et on ne le peut qu'en faisant tomber les unes sur la réalité des peines du Purgatoire, et les autres sur l'espèce et la qualité de ces peines ; il n'y a qu'à lire les textes qui paraissent opposés les uns aux autres, pour sentir la nécessité et la justesse de cette conciliation ; c'est ainsi que nous faisons tomber des mains de Kemnitius les armes dans lesquelles il témoigne avoir le plus de confiance.
Enfin après que ce ministre s'est épuisé l'esprit pour mettre saint Augustin dans ses intérêts, sentant assez qu'il n'y réussissait pas, il prend le parti de dire : « Faudra-t-il donc prendre pour article de foi tout ce qu'Augustin a pensé sur ce sujet, uniquement par ce qu'il l'a pensé ; ne déclare-t-il pas lui-même qu'il ne prétend pas exiger une entière déférence pour ses écrits comme si c'étaient des livres canoniques, et ne reconnaît-il pas avoir écrit plusieurs propositions qui peuvent faire la matière d'une juste critique4 ? »
Non, Monsieur, de ce que saint Augustin a pensé, nous n'en ferons pas des articles de foi uniquement parce qu'il l'a pensé ; mais nous tiendrons pour article de foi ce que saint Augustin nous a donné pour article de foi, car nous ne nous persuaderons jamais que cet incomparable Docteur ait été assez peu instruit de sa religion, pour ignorer ce qui de son temps passait pour dogme appartenant à la foi, ou pour simple opinion : or, vous avez déjà vu, Monsieur, que saint Augustin a mis Aërius au rang des hérésiarques pour avoir enseigné qu'il ne faut ni prier, ni offrir de sacrifices pour les morts. Si cette doctrine a été traitée d'hérésie par saint Augustin, donc il a regardé la doctrine opposée comme appartenant à la foi.
Mais que penser de la condamnation du dogme d'Aërius ? peut-on douter que ce dogme n'ait été condamné dans le sens où il a été soutenu, et pour les mêmes raisons sur lesquelles Aërius a prétendu l'appuyer ? Or, quelles sont les raisons qui lui ont servi de motif et d'appui pour rejeter la prière en faveur des morts ? elles sont rapportées par saint Épiphane ; ce Père nous apprend qu'Aërius demandait : « De quel avantage peuvent être aux morts les prières et les aumônes que les vivants font pour eux ? » et qu'il ajoutait : « Si les prières des vivants pouvaient être de quelque secours aux morts, il n'est plus nécessaire de faire aucune œuvre de piété, ni aucune action vertueuse ; il suffira à chacun de s'attacher des amis par quelque moyen que ce puisse être, et de les engager sur la fin de sa vie, soit par des prières, soit par des libéralités, à s'employer auprès de Dieu pour lui procurer une exemption de souffrances dans la vie future1. »
Vous voyez, Monsieur, qu'Aërius savait fort bien que les chrétiens de son temps cherchaient à donner du secours aux morts : que c'est là ce dont il faisait en eux la critique ; que les morts ne pouvaient, à ses yeux, être secourus, ni par les prières, ni par les aumônes ; que sa hardiesse à blâmer la pratique constante des chrétiens et leurs vues, a fait particulièrement le caractère de son crime, et que son erreur a consisté à rejeter les prières et les sacrifices, étant pour les morts comme une pratique absolument inutile. Aussi saint Épiphane a-t-il cru ne pouvoir réfuter plus solidement l'erreur d'Aërius, qu'en donnant une idée nette et exacte des avantages procurés aux morts par la prière des vivants. « Les prières qu'on fait pour les morts, dit ce Père, leur sont utiles, quoi qu'elles n'effacent pas toutes sortes de péchés. Leur utilité consiste à effacer les fautes légères qui échappent à notre faiblesse, soit volontairement, soit par une espèce de surprise. Nous prions pour les pécheurs, ajoute ce Père, afin que Dieu leur fasse miséricorde2. » Telle est la doctrine que saint Épiphane oppose à celle d'Aërius ; d'où il est évident que ce novateur ne se contentait pas de rejeter simplement la prière pour les morts, mais qu'il la rejetait dans la persuasion où il était de son inutilité à leur égard. C'est donc et le mépris qu'il faisait de la prière pour les morts, et le fondement de ce mépris, fondement dont je viens de vous exposer la nature, qui lui ont attiré le blâme et les anathèmes de l'Église.
Que votre Mélanchton nous dise après cela au douzième article de l'Apologie de la Confession d'Ausbourg « que vous ne prenez pas parti pour Aërius, que votre sentiment est fort différent du sien ; qu'il rejetait la prière pour les morts comme absolument inutile ; que pour vous, vous ne prétendez pas qu'elle soit sans utilité1. » Vous venez de voir, Monsieur, la vérité : Aërius rejetait la prière pour les morts comme inutile aux morts ; c'est dans ce sens que sa doctrine a été condamnée ; c'est là le véritable point qui a fait son hérésie. Vous prétendez comme lui que les morts ne retirent aucun avantage de la prière faite pour eux ; par conséquent vous êtes donc dans le même cas que lui, et il n'est pas possible de rien imaginer pour rendre votre cause meilleure que la sienne, puisque c'est entièrement la même par rapport au point essentiel, et le seul où les chrétiens aient pu voir quelque intérêt. Car quel intérêt les chrétiens de ce temps là eussent-ils pris à se récrier si fort contre la doctrine d'Aërius, si dans les prières faites pour les morts il ne se fût agi que de faire d'eux une mention honorable, de marquer l'affection qu'on leur portait, de remercier Dieu des grâces qu'ils en avaient reçues de leur vivant ? Supposons, s'il vous plaît, que l'erreur d'Aërius ait consisté à prétendre que des prières de cette espèce sont peu utiles ou peu nécessaires ; y avait-il là de quoi échauffer si fort les chrétiens contre lui ? le sujet eût-il mérité qu'on le traitât d'infâme hérésiarque ?
Mais les chrétiens menacés de se voir privés du secours qu'ils attendaient après la mort ; et de voir avec eux leurs parents et leurs amis frustrés de leurs espérances futures, ne purent manquer d'être alarmés au bruit d'une doctrine qui devait avoir des suites si pernicieuses. C'est ce qui les arma contre Aërius, c'est ce qui causa contre lui un soulèvement général.
Qui n'admirera après de si solides démonstrations les vains et pitoyables efforts de Mélanchton pour s'empêcher de passer pour être le disciple ou l'associé d'Aërius ? Il prétend « qu'Aërius n'a pas été condamné pour avoir enseigné qu'il ne faut point offrir le sacrifice la Messe en faveur des morts, et que nous nous prévalons à tort de sa condamnation2. » Je demande, Monsieur, si saint Augustin et saint Épiphane ne le marquent pas en termes formels3. Qu'on ouvre leurs livres, et qu'on lise leurs paroles sur le sujet en question ; j'en appelle au témoignage des yeux : ils nous apprendrons bien sûrement quel fond il y a à faire sur les plaintes de votre apologiste. « Saint Épiphane, dit-il, ne blâme Aërius que ce d'avoir enseigné l'inutilité de la prière pour les morts. » Puis il ajoute : « Nous ne prétendons pas qu'Aërius ait eu en cela raison4. » Quoi, Monsieur, on ne prétend pas chez vous que les prières soient inutiles aux morts ? Aërius n'a pas soutenu le même point d'inutilité ? Avec quel front votre Mélanchton ose-t-il donc dire que vous ne prétendez pas prendre parti pour Aërius ? il faut en vérité que l'embarras où l'on se trouve soit bien étrange, lorsque pour chercher à s'en tirer, on est obligé d'avoir recours à des faussetés si manifestes.
Quant à Kemnitius, quelques mouvements qu'il se donne pour n'avoir pas à soutenir les reproches faits aux Aëriens, il se garde bien néanmoins de rapporter les paroles précises de saint Augustin et de saint Épiphane ; il comprenait parfaitement que tout lecteur protestant ne manquerait pas d'en être frappé ; aussi a-t-il mieux aimé embarrasser l’état de la question par des subtilités et par des conjectures de sa façon, que de rapporter les termes mêmes dont les Pères se sont servis pour exprimer l'hérésie d'Aërius.
Le sieur Gérard, professeur célèbre de l'Université de Jena, fort connu par le gros ouvrage qu'il a donné au public sous le nom de Confessio catholica, prend une autre route pour se dérober à la difficulté ; il convient « qu'au rapport de saint Épiphane, Aërius a enseigné l'inutilité des prières pour les morts ; » mais il ajoute « que ce saint Docteur ne dit ce pas que ce sentiment ait été condamné comme hérésie par l'ancienne Église, qu'il ne le réfute pas par l'Écriture, mais qu'il se contente de le réfuter par la tradition1. »
Nous entendons ce que signifie ce langage ; c'est-à-dire, que saint Épiphane a eu tort de mettre le dogme d'Aërius au nombre des hérésies : c'est-à-dire, qu'il s'est trompé avec saint Augustin, avec saint Jean de Damas, avec saint Isidore de Séville, qui tous l'ont également inséré dans leur catalogue ; c'est-à-dire, que ces quatre Pères ont erré avec toute l'Église de leur temps dont ils n'ont fait que rapporter le sentiment constant, invariable et universel.
Mais à quoi a pensé le sieur Gérard en observant que saint Épiphane ne dit pas que le dogme d'Aërius ait été condamné comme hérésie par l'ancienne Église ? prétend-il donc que l'Église du quatrième siècle ne puisse passer pour l'ancienne Église, et n'en fasse pas même partie ? Si saint Épiphane réfute ce dogme par la tradition, donc il le réfute par le témoignage de l'ancienne Église, car la tradition ne consiste que dans ce témoignage. Quelle merveille que le dogme en question n'ait pas été condamné plutôt comme une hérésie formelle, puisque personne avant Aërius ne s'était encore avisé de le soutenir ? Dès que les Pères le placent dans le catalogue des hérésies, ne font-ils pas assez connaître qu'on l'a regardé de tout temps comme une doctrine pernicieuse et damnable ? les auteurs de ces catalogues n'étaient certainement ni assez ignorants pour ne pas connaître les dogmes contraires ou conformes à la foi, surtout après avoir fait une étude particulière des matières qui y ont rapport, ni assez présomptueux pour qualifier d'hérésie une doctrine qui eût passé jusque-là pour n'avoir aucun venin.
Pour ce qui est de l'autre observation, faite par le professeur de Jena, que saint Épiphane ne prouve pas par l'Écriture la malignité de la doctrine d'Aërius, c'est là une remarque qui ne peut tourner qu'à notre avantage. Car puisque saint Épiphane traite cette doctrine d'hérésie, uniquement parce qu'elle est contraire à la tradition, sans se mettre beaucoup en peine de faire voir son opposition avec l'Écriture, il croyait donc comme nous que dès qu'une doctrine attaque la tradition constante et universelle de l'Église, elle mérite d'être qualifiée de doctrine hérétique, quand même il ne se trouverait rien dans l'Écriture pour en faire voir l'héréticité. Nous sommes néanmoins bien éloignés de penser que l'Écriture ne fournisse aucune arme pour combattre l'hérésie d'Aërius ; car sans parler ici de ce qui sera rapporté plus bas, peut-on voir rien de mieux marqué que le passage du douzième chapitre du second livre des Machabées sur l'utilité de la prière et des sacrifices pour les morts ?
Vous avez vu, Monsieur, par les différentes réponse tirées de vos plus célèbres théologiens, que ces Messieurs ne s'accordent nullement dans leurs défenses ; les uns soutiennent que leur doctrine n'a rien de commun avec celle d'Aërius, les autres insinuent que c'est la même, mais qu'on a eu tort de la condamner. Pouvaient-ils mieux marquer combien ils se trouvent déconcertés par le fait d'Aërius, qu'en se jetant ainsi dans les routes les plus opposées pour échapper à nos reproches ? cette contrariété de réponses ne fait-elle pas voir un étrange embarras, un grand désir d'en sortir, et de vaines tentatives pour trouver une issue favorable ? Que MM. vos ministres viennent donc au secours des grands hommes du parti ; qu'ils cherchent à les concilier entre eux, et à sauver la contradiction de leurs réponses ; qu'à force de méditation et d'étude ils imaginent quelque expédient plus heureux pour se purger du reproche de renouveler une hérésie condamnée par toute l'antiquité ; c'est là véritablement une entreprise digne d'eux, mais entreprise qui demande toute leur application, et qui, dès là même, ne manquera pas de leur faire perdre toute la belle humeur nécessaire pour continuer à plaisanter sur le sujet du Purgatoire. Oui, Monsieur, si vos ministres pensent aussi sérieusement qu'il convient, à trouver un meilleur moyen de défense, l'effort qu'ils feront pour parvenir à ce but, le chagrin de ne pas réussir, la honte de rester couverts de la même tache qui rend la mémoire d'Aërius infâme, toutes ces sortes de conversations leur ôteront le goût de la satire, nous nous mettrons entièrement à couvert des traits de leurs railleries. On sait assez qu'une imagination chagrine et fatiguée ne fournit pas de quoi se divertir aux dépens d'autrui ; il faut un esprit libre, dégagé et satisfait de lui-même pour réussir à dire de bons mots.
Mais je ne dois pas perdre de vue le reproche que j'ai adressé à vos théologiens, de faire paraître sur l'article de la prière pour les morts beaucoup plus de subtilité que de droiture et de bonne foi. J'ai dit que, forcés de reconnaître l'ancienne pratique de prier pour les morts, ils avaient tort de ne pas convenir également des vues que les chrétiens ont toujours eues en priant pour eux, puisque l'un et l'autre sont également attestés par l'antiquité : crieront-ils à l'injustice et à la supposition ? n'ai-je pas fait voir effectivement que les mêmes auteurs, et dont l'autorité rend témoignage à l'usage constant des prières pour les morts, nous apprennent en même temps que l'objet principal de ces prières a toujours été de procurer du soulagement aux défunts ?
Il faut ici rendre justice à Calvin ; il a fait un aveu incomparablement plus sincère que n'en ont jamais fait tous les Docteurs protestants d'Allemagne, malgré la sincérité dont la nation se pique d'ailleurs. Il avoue franchement, que de son temps il y avait déjà plus de treize cents ans, et à ce compte il y en aurait aujourd'hui plus de quinze, que l'usage de prier pour les morts, dans la vue de leur procurer quelque secours, était universellement reçu1. Mais il ajoute quelques lignes plus bas : « Tous se sont trompés, tous se sont laissés entraîner dans l'erreur2. » Lorsque Calvin convient d'un fait si bien attesté, il mérite certainement que nous lui sachions gré de sa droiture, et lorsqu'il accuse tous les anciens de s'être laissés entraîner dans l'erreur, il fait encore voir qu'il n'a pas craint de dire naturellement sa pensée. Il est vrai qu'il y a bien de la témérité, pour ne pas dire un orgueil insupportable, à préférer ainsi son sentiment à celui de tous les Pères de l'Église et de l'univers entier ; il est encore vrai qu'on met absolument en oubli les promesses de Jésus-Christ, en prétendant que l'Église universelle soit restée pendant tant de siècles dans une erreur grossière, sans que jamais personne ait pensé à s'y opposer, excepté le seul Aërius, homme flétri et décrié chez tous les partis ; mais enfin, c'est du moins parler sans détour, sans dissimulation, sans vouloir se cacher à soi-même, ce qu'on ne peut s'empêcher de voir, sans cacher aux autres ce qu'on ne peut se dissimuler ; mais convenir de la prière pour les morts, et ne pas convenir du but qu'on s'est toujours proposé en priant pour eux ; agréer la pratique des anciens chrétiens en leur prêtant je ne sais quelle intention qu'ils n'avaient pas, et en leur dérobant celle qu'ils avaient, c'est là, Monsieur, une subtilité, permettez-moi de vous le dire, qui mérite un peu le nom de subtilité frauduleuse, et ne fait pas honneur à la sincérité allemande.
Il résulte de toutes ces réflexions, Monsieur, qu'on a toujours cru les âmes des fidèles décédés dans un état où ils pouvaient avoir besoin de soulagement, qu'on a toujours cru pouvoir leur en donner, que la charité des fidèles s'est constamment empressée à leur en procurer par les prières, les aumônes, les sacrifices ; et par conséquent, qu'on a toujours été persuadé de l'existence d'un troisième lieu distingué du Paradis et de l'Enfer ; conséquence sur laquelle il n'y a plus à disputer après les solides observations qui ont été faites sur les vaines évasions de vos ministres. Ainsi, quand nous n'aurions pas d'autres preuves pour justifier notre créance sur le Purgatoire, c'en serait déjà bien assez pour nous ; car nous ne prétendons pas être plus sages, ni plus clairvoyants que les chrétiens de l'antiquité et ceux de tous les temps.
Nous ne manquons pas de passages de l'Écriture pour appuyer le dogme qui vous fait peine, et si vous avez vu que la prière pour les morts est très efficace pour prouver la vérité des peines passagères après cette vie, vous allez voir que cette même prière est parfaitement liée avec les passages sur lesquels nous nous appuyons, et qu'elle nous autorise parfaitement à entendre ces passages dans le sens où nous les entendons. Je vous demande, Monsieur, la continuation de cette attention que vous ne refusez point aux affaires dont l'importance vous paraît la mériter ; or, jamais affaire la méritât-elle mieux que la discussion d'un article si intéressant pour votre religion et votre salut ?
Je trouve d'abord dans la première Épître aux Corinthiens, qu'il y a des fidèles qui se sauveront en passant par le feu, ou, pour ne rien ajouter au texte, qui seront sauvés comme par le feu1 ; c'est-à-dire, ils se sauveront comme ceux qui, se trouvant enveloppés dans un incendie, ne peuvent échapper aux flammes sans en sentir la pointe et sans être endommagés ou dans leurs habits, ou dans leurs cheveux, ou dans quelque partie extérieure plus exposée à l'activité du feu. Et qui sont ceux qui se sauveront de cette sorte ? ce sont, dit l'Apôtre, ceux qui après avoir établi Jésus-Christ pour fondement, bâtissent sur ce fondement avec du bois, de la paille et du chaume ; c'est-à-dire ceux qui croient en Jésus-Christ, qui lui sont unis par la charité, mais qui cependant ne laissent pas de mêler beaucoup d'imperfections à leurs œuvres.
Vous l'avouerez, Monsieur, c'est là le sens le plus naturel qu'on puisse donner aux paroles de l'Apôtre ; il suffit de les examiner de près pour voir que je n'ajoute rien à sa pensée. Voilà donc des gens qui seront sauvés, mais qui ne le seront qu'après avoir souffert quelque peine : toute la difficulté est de savoir s'ils souffriront cette peine durant la vie présente, ou s'ils ne la souffriront qu'après la mort : l'Apôtre décide la question au même endroit ; car, après avoir parlé de deux ouvriers, dont l'un érige un superbe édifice qu'il enrichit d'or, d'argent, de pierres précieuses, et dont l'autre ne bâtit qu'avec du bois, de la paille et du chaume, il ajoute que le jour du Seigneur fera connaître l’ouvrage de l'un et de l'autre, que le feu en fera l'épreuve, que celui dont l'ouvrage subsistera sera récompensé, que celui dont l'ouvrage sera brûlé souffrira de la perte ; qu'il sera néanmoins sauvé lui-même, comme en passant par le feu2.
Quoi de plus clair, Monsieur, ce jour du Seigneur peut-il être autre que le jour où le Seigneur examinera et jugera les œuvres de chacun ? Or, ce jugement ne se fera-t-il pas seulement après la mort ? la peine, dont il est ici parlé, ne peut donc s'entendre des afflictions de cette vie ; donc, le juste imparfait souffrira quelque peine après la mort, peine passagère, puisqu'après l'avoir soufferte, il sera sauvé.
Cette explication n'est-elle pas la plus naturelle ? ne s'appuie-t-elle pas, comme vous voyez, sur ce qui précède immédiatement le texte ? mais je vais plus loin, et je dis que de plus elle est autorisée par le témoignage de saint Augustin, et de la plupart des Pères de l'Église. Car, quoique saint Augustin ait cru pouvoir expliquer le feu dont il est ici parlé, de la douleur que ressent l'homme juste par la perte affligeante de quelque bien temporel auquel il avait trop d'attache ; ce Père, bien loin de rejeter le sens que nous donnons au passage de saint Paul, y a lui-même formellement recours dans sa paraphrase sur le trente-septième Psaume : « On ne se met pas beaucoup en peine de ce feu, dit le saint Docteur, parce que le salut est assuré à celui qui passera par ce feu ; mais il faut bien se rappeler que la douleur causée par ce feu sera plus grande que toutes les douleurs dont l'homme peut être atteint dans cette vie3. » « Seigneur, dit-il au même endroit, en s'adressant à Dieu, purifiez-moi dès cette vie, et rendez-moi tel que je n'aie pas besoin de passer par le feu destiné à purifier les âmes4. »
Saint Ambroise1, saint Jérôme2, saint Grégoire3, Origène4, et plusieurs autres adoptent la même explication ; je m'abstiens de rapporter leurs paroles, pour ne pas vous fatiguer par de longues et nombreuses citations ; mais le soin que j'ai de citer l'édition, le tome et la page où l'on trouvera ce que ces Pères ont pensé sur ce sujet, peut vous répondre de la conformité de leurs sentiments avec le nôtre : en tout cas, Monsieur, s'il vous prenait envie d'en douter, rien ne sera plus aisé pour vous que de vous en assurer. Ce sera l'affaire d'une prompte discussion ; je m'offre à vous en abréger la peine ; il n'y en aura d'autre pour vous que de jeter un coup d'œil sur chacun des endroits que j'aurai soin de vous présenter.
Qu'on cesse donc de nous reprocher, comme on fait, une disette absolue de preuves tirées de l'Écriture propres à établir la créance du Purgatoire ; s'en peut-il une plus complète que celle que nous fournit ici le texte de saint Paul ? n'y est-il pas parlé d'une peine passagère soufferte après la mort par celui qui sera sauvé ? à quoi bon recourir ici à la métaphore ? pourquoi ne pas s'en tenir au sens littéral tel qu'il est présenté par le texte, au sens reconnu et adopté par les plus savants Pères de l'Église, au sens qui justifie parfaitement la pratique de la prière pour les morts, comme la prière pour les morts le justifie parfaitement à son tour ? un sens si bien établi ne sera-t-il pas toujours infiniment préférable à tout autre ?
Le texte de saint Mathieu où il est dit : Si quelqu'un pèche contre le Saint-Esprit, il n'y aura point de pardon pour lui, ni en ce siècle, ni en l'autre5, ne prouve pas moins solidement l'existence d'un lieu d'épreuves ; car voici comment nous raisonnons : dire qu'il y a des péchés qui ne se pardonnent ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir, n'est-ce pas supposer manifestement qu'il y a des péchés dont on pourra dans le siècle à venir obtenir le pardon ? Celui qui dirait : Le roi ne fera grâce du duel, ni à l'armée, ni à Paris, suppose bien certainement que le roi accorde des grâces à Paris et à l'armée ; à quoi bon parler d'un pardon dans le siècle à venir, si dans le siècle à venir il n'y a point de pardon ? Ne serait-il pas ridicule de dire que l'empereur ne permettra pas jamais l'usure ni dans l'empire, ni en Alsace ? mais ne serait-il pas très sensé de dire que l'empereur ne permettra jamais l'usure ni dans l'empire, ni dans ses pays héréditaires ? La raison, Monsieur, vous la voyez, c'est parce que l'empereur a des permissions à donner et des défenses à faire, dans ses pays héréditaires comme dans l'empire, au lieu que n'ayant aucune puissance en Alsace, il n'a rien à y permettre, ni à y défendre. Or, le Sauveur dit que le péché contre le Saint-Esprit ne se pardonne ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir ; donc il faut qu'il y ait des péchés qui se pardonnent dans le siècle à venir : ils ne se pardonnent certainement pas en enfer ; car en enfer il n'y a pas de rémission : ils ne se pardonnent pas non plus en Paradis, car rien de souillé n'entrera dans le royaume des cieux : donc il faut qu'il y ait un troisième lieu où l'on puisse obtenir la rémission de quelques péchés.
Le sieur Dannhauer a cru pouvoir éviter la force de ce raisonnement, en disant « que l'expression du Sauveur signifie uniquement que le péché contre le Saint-Esprit ne sera jamais remis pendant toute l'éternité1 ; » et pour justifier cette explication, il remarque que c'est en ces termes que saint Marc énonce la pensée du Sauveur2.
J'avoue, Monsieur, qu'un péché qui ne se remettra ni en ce monde ni en l'autre, ne se remettra jamais pendant toute l'éternité, et qu'un péché qui ne se remettra pas pendant toute l'éternité, ne se remettra pas non plus ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir. Mais s'ensuit-il de là que ces deux expressions soient équivalentes, et qu'elles puissent être employées dans les mêmes occasions ? non Monsieur, lorsque le Sauveur s'apprêtait à laver les pieds à saint Pierre, cet Apôtre voulant marquer la répugnance qu'il avait à le souffrir, lui dit : Seigneur, il n'arrivera jamais que vous me laviez les pieds3 ; cette manière de s'exprimer, à ne considérer que les paroles, n'avait rien d'extraordinaire, ni de contraire au bon sens ; mais si Pierre eût dit : Vous ne me laverez les pieds ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir, l'expression eût été vraiment extravagante ; pourquoi ? parce qu'elle eût supposé qu'on se lave les pieds dans le siècle à venir. En effet, Monsieur, posez le cas qu'il serait encore d'usage de se laver les pieds après la résurrection générale, dès-lors vous sentirez qu'il eût été libre à Pierre de se servir de cette expression, et qu'elle eût cessé de paraître ridicule ; ce qui fait voir évidemment que saint Mathieu inspiré par le Saint-Esprit n'a pu s'exprimer comme il a fait, sans marquer clairement qu'il se fera une rémission de péchés dans le siècle à venir.
Quoi qu'il en soit, Monsieur, de la remarque que je viens de faire, je ne crois pas que nous puissions passer pour imprudents, en préférant les lumières de saint Augustin4, de Saint Grégoire5, de saint Bernard6, de Bède7, de Raban Maure, à celle du sieur Dannhauer ; ce sont eux qui nous ont appris à raisonner comme nous raisonnons sur le texte de saint Mathieu ; s'il y a du faible dans ce raisonnement, ces pères avaient bien autant de pénétration et de solidité d'esprit pour le découvrir que n'en a pu avoir votre professeur. Ainsi, puisque notre raisonnement a été goûté, approuvé, employé par ces grands hommes, ne trouvez pas étrange que nous le regardions comme à couvert des subtilités de vos ministres. Nous avons d'autant plus de sujet de faire cas de ce raisonnement, qu'il concourt parfaitement à nous faire voir un système suivi de la prière pour les morts, du besoin qu'ils en ont, et de l'effet qu'ils en ressentent.
Un troisième texte propre à établir la vérité du Purgatoire, et celui du douzième chapitre de Saint Luc, où il est dit : Je vous déclare que vous ne sortirez point de cette prison que vous n'ayez rendu jusqu'au dernier denier8 ; car qu'elle peut être la prison dont parle ici le Sauveur ? serait-ce une de ces prisons ordinaires où l'on peut être arrêté pour cause de dette, ou pour quelque autre sujet de mécontentement donné à son prochain ; mais quelle apparence que le Sauveur se soit mis en peine de donner des leçons sur des intérêts temporels, en avertissant de prévenir le danger d'un long emprisonnement, lui qui a eu soin de remarquer que les enfants du siècle sont beaucoup plus éclairés dans ces sortes de matières, que ne le sont les enfants de lumière sur les affaires de leur salut ? Quelle apparence encore qu'il eût parlé si affirmativement en disant comme il fait au cinquième chapitre de saint Mathieu : Je vous le dis en vérité, vous n'en sortirez pas, que vous n'ayez rendu jusqu'au dernier denier1 ? Quoi donc ? ne pourrait-il pas arriver que le malheureux jeté dans une prison, en échappât par adresse, ou obtînt son élargissement par le crédit de quelque puissant ami ? Que penser d'une menace si affirmative, s'il ne s'agit ici que d'un emprisonnement ordinaire ? la possibilité d'un événement contraire à la menace ne fait-elle pas voir que la menace eût été faite imprudemment en termes si assurés ? Il faut donc que la prison, dont le Sauveur parle, soit d'une autre espèce que les prisons destinées par l'autorité publique à punir des coupables, ou à renfermer des personnes suspectes. Direz-vous, Monsieur, que c'est l'enfer ? je conviens que l'enfer est une véritable prison ; mais le Sauveur parle d'un lieu, d'où l'on ne sortira qu'après avoir acquitté ses dettes ; ce caractère ne peut convenir à l'enfer comme vous le voyez vous-même ; il faut donc que ce soit le Purgatoire d'où l'on sortira effectivement, mais d'où l'on ne sortira qu'après avoir pleinement satisfait à la justice divine.
Kemnitius fait ici une remarque dont il prétend tirer grand avantage : il observe « que la particule, donec, jusqu'à ce que, employée dans le texte cité, ne marque pas toujours ce le terme et la fin de l'objet dont il est parlé ; mais qu'elle sert quelquefois à en marquer la continuation et la perpétuité ; par exemple, lorsqu'il est dit en saint Matthieu, que Joseph ne connut point Marie, jusqu'à ce ce qu'elle enfanta2, il ne s'ensuit pas, dit-il, qu'il l'ait connue après qu'elle eut enfanté ; et lorsque Dieu dit à Jésus-Christ par la bouche de David : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis vos ennemis sous vos pieds3, il ne s'ensuit pas que Jésus Christ cessera d'être à la droite de son père, après que les ennemis de Jésus-Christ auront été mis sous ses pieds ; ainsi, ajoute Kemnitius, quoiqu'il soit dit : Vous ne sortirez pas de cette prison, jusqu'à ce que vous ayez payé même le dernier denier, il ne s'ensuit pas qu'il en doive jamais sortir4. »
Nous sommes très obligés au ministre de Brunswick d'une remarque qui vient parfaitement à l'appui de notre sentiment, car comme nous somme en droit de conclure de cette expression : Joseph ne connut point Marie jusqu'à ce qu'elle enfanta, donc elle devait enfanter ; et de cette autre de David : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis vos ennemis sous vos pieds, donc le temps arrivera auquel les ennemis de Jésus-Christ seront mis sous ses pieds, de même aussi sommes nous en droit conclure de ces paroles du Sauveur : Vous ne sortirez point de cette prison, jusqu'à que vous ayez acquitté vos dettes, donc les dettes seront un jour acquittées par celui qui est en prison ; et quand elles seront acquittées, il en sortira. Bien loin donc que la subtilité de Kemnitius affaiblisse notre argument, elle ne fait que lui donner un nouveau jour, et une nouvelle force.
Vous sentez, Monsieur, que la preuve du passage que je viens de discuter, ne manque pas de solidité, et si vous faites de plus attention que ce passage a été entendu par saint Cyprien, par Tertullien, par Origène, par saint Ambroise dans le sens où nous l'entendons, ne trouverez-vous pas étrange que messieurs vos ministres osent nous taxer de simplicité, parce que nous prétendons voir dans le texte cité les traces bien marquées du Purgatoire ; ne faut-il pas en effet que notre simplicité soit bien grande pour nous faire adhérer à une explication qui se soutient parfaitement d'elle-même, et qui de plus est autorisée par les plus savants Pères de l'Église ?
Voici comme s'exprime saint Cyprien : « Autre chose est d'être arrêté en attendant le pardon, autre chose de parvenir d'abord à la gloire ; autre est de ne pas sortir de la prison jusqu'à ce qu'on ait payé le dernier denier, autre chose de recevoir d'abord la récompense de sa foi et de sa vertu ; autre chose est de souffrir de longs tourments pour l'expiation de ses fautes, et d'être purifié par le feu, autre chose d'avoir effacé tous ses péchés par le martyre1. » Tertullien enseigne en termes exprès que « par la prison dont il est parlé dans l'Évangile, il faut entendre les lieux souterrains où sont reléguées les âmes, et par le dernier denier les petits péchés qu'il faudra y expier en attendant la résurrection2. » De même, dit saint Ambroise, qu'en allant aux bains on donne une pièce de monnaie pour avoir droit de se baigner et de se laver, de même aussi faut-il ici payer la pièce de monnaie dont on se trouve encore redevable, pour effacer les taches du péché, ce qui se fait en souffrant les peines qu'on a méritées3. »
Pour ce qui est d'Origène, il serait assez inutile de rapporter ses paroles, puisqu'on ne fait aucune difficulté de convenir qu'il est absolument pour nous ; mais je ne puis m'empêcher de rapporter la réponse que fait Kemnitius au texte de saint Ambroise. « Considérez, dit ce ministre, à quelles puérilités et à quelles inepties s'est laissé aller Ambroise en voulant établir le Purgatoire sur le passage de saint Luc4. » C'est ainsi que ces messieurs traitent les saints Pères, quand ils les trouvent d'un sentiment contraire au leur ; les pensées les plus spirituelles dont les Pères se servent pour expliquer le véritable sens des Écritures, et pour faire comprendre la créance générale de l'Église, ne sont plus que des extravagances, des puérilités, des inepties. Peut-il être permis de traiter si indignement ceux que le christianisme a constamment révérés comme ses maîtres, et qui se sont fait un nom si respectable par la sainteté de leur vie, comme par la profondeur de leur érudition ?
Seigneur, dirai-je ici volontiers avec le Prophète, rendez muets ceux qui cherchent à abuser de la simplicité des peuples, en parlant un langage plein de faste, d'orgueil, de suffisance et de présomption. Muta fiant labia dolosa, quæ loquuntur in superbid et in abusione1. Pardonnez-moi, Monsieur, cette petite vivacité ; on n'est pas toujours d'humeur à tout souffrir, et il y a des excès qu'on ne peut se dispenser de relever.
Mais avançons dans la recherche des preuves propres à faire voir combien on a tort de nous reprocher le silence de l'Écriture sur le dogme du Purgatoire. N'est-il pas dit au chapitre 21ème de l'Apocalypse que rien de souillé n'entrera dans le royaume des Cieux2 ? c'est donc un article de foi, qu'il faut être pur et exempt de toutes taches pour pouvoir y entrer : or, le péché véniel est une tache ; car, quoiqu'il ne fasse pas perdre l'amitié de Dieu, il ne laisse pas d'être une action répréhensible qui lui déplaît, et dès-là même c'est une espèce de souillure qui ternit la beauté de l'âme. Voilà donc un obstacle à la possession de Dieu, tant que cette tache n'est pas effacée : or, combien de chrétiens surpris par la mort avant qu'ils aient eu le temps ou la volonté d'expier par la pénitence les péchés véniels dont ils se trouvent coupables ? Le Sage ne dit-il pas que le juste tombe jusqu'à sept fois par jour3? l'apôtre saint Jacques n'ajoute-t-il pas que nous manquons tous en beaucoup de points4? et certes, Monsieur, quoi de plus fréquent même dans les gens de bien, que de petits mouvements d'impatience, de légères négligences dans le service de Dieu, des sentiments de vaine complaisance, des jugements trop libres et trop précipités sur le sujet du prochain, etc. ?... Direz-vous que ces sortes de péchés méritent la damnation éternelle ? si vous le pensez ainsi, les idées que nous avons de la bonté et de la justice de Dieu ne s'accorderont pas avec les vôtres, et vous ne pourrez je crois le trouver mauvais ; si vous prétendez au contraire que ces sortes de fautes ne peuvent retarder la félicité de l'âme, dès-là même vous témoignez que que vous ne faites pas assez d'attention aux paroles de saint Jean, qui assure très expressément que rien de souillé n'entrera dans le royaume des Cieux.
Le sieur Dannhauer dit « que les péchés véniels peuvent être effacés au moment même de la mort du juste, comme ils le sont à la mort de celui qui souffre le martyre5. »
Je l'avoue, Monsieur, il n'y a là aucun inconvénient insurmontable, tout dépend ici de la volonté de Dieu, mais en est-il effectivement ainsi ? Dieu accepte-t-il la mort du juste comme une espèce de satisfaction pour tous les péchés véniels dont le juste se trouve coupable ? Ou bien ces péchés lui sont-il remis gratuitement dans ce moment en vue des mérites de Jésus-Christ ? c'était au sieur Dannhauer à nous prouver le fait, et non à nous parler de la simple possibilité. Or, je ne crains pas de l'assurer, il eût été bien plus difficile pour lui de trouver sur ce point des preuves concluantes dans l'Écriture, qu'il ne l'est pour nous d'en fournir sur l'existence d'un troisième lieu.
L'apôtre saint Pierre dit au deuxième chapitre des Actes des Apôtres, que Dieu a ressuscité Jésus-Christ, après que le divin Sauveur eut dissipé les douleurs de l'enfer1, ce qui nous donne sujet de demander quelles peuvent être les douleurs de l'enfer dissipées par Jésus-Christ ? seront-ce celles que souffrent les âmes damnées ? non certainement ; car Jésus-Christ n'a délivré aucune âme damnée à sa descente en enfer, et il est de foi que leurs douleurs ne finiront pas ; il faut donc que ce soient les douleurs souffertes par les âmes justes en expiation de quelques restes de péchés, et ce ne peuvent être que les peines du Purgatoire dont Jésus-Christ délivra effectivement les âmes qui y étaient détenues.
Je n'ignore pas, Monsieur, que le texte grec diffère du texte latin, en ce qu'il ne parle que des douleurs de la mort2, et non des douleurs de l'enfer ; mais il faut que le texte grec ait été altéré ; car les paroles dont je tire ma preuve sont rapportées par les anciens Pères grecs et latins, comme elles se trouvent aujourd'hui dans notre Vulgate. C'est ainsi qu'elles sont citées au commencement de l’Épître de saint Polycarpe3 qui vivait du temps des apôtres ; saint Augustin en parle en plus d'un endroit4 et toujours en supposant les paroles telles que nous les citons. Saint Épiphane enseigne positivement « que Jésus Christ descendant aux enfers, délivra ceux qui, sans s'écarter de la foi, avaient péché par ignorance5. » Le texte syriaque s'accorde fort bien avec le texte de notre Vulgate ; car il est dit que le Sauveur a rompu les liens de l'enfer6, et ce que saint Pierre ajoute immédiatement après en citant les paroles du quinzième Psaume : Vous ne laisserez point mon âme en enfer7, ne sert pas peu à faire voir la justesse de notre citation. Ainsi, Monsieur, notre texte est suffisamment justifié, et la preuve que nous en tirons pour en inférer l'existence du Purgatoire, n'est point si faible, ni si méprisable qu'on voudrait bien vous le faire accroire.
Vous trouverez de plus, Monsieur, que cette preuve reçoit une nouvelle force du passage de saint Paul, où il est dit qu'au nom de Jésus tout genou fléchit dans le ciel, sur terre et dans les enfers8, ou, comme il est dit par le texte original ; dans le ciel, sur la terre et sous la terre ; car qui sont ceux qui étant sous terre fléchissent le genou au nom de Jésus ? sont-ce les démons ? sont-ce les âmes damnées ? vous avouerez, Monsieur, que ni les uns ni les autres ne sont guère portés à donner des marques de leur vénération pour cet adorable nom. Il serait beaucoup plus naturel de dire qu'ils tremblent, qu'ils frémissent et qu'ils éclatent en blasphèmes au souvenir d'un nom, qui bien loin de leur tracer l'idée d'un aimable Sauveur, leur présente l'image d'un juge impitoyable ; il n'y a que de bonnes âmes pénétrées de reconnaissance pour le bienfait de la rédemption, qui puissent bénir et respecter ce nom jusqu'à fléchir le genou en l'entendant prononcer. Si c'est dans des lieux souterrains qu'elles le font, comme l'Apôtre nous en assure, quels peuvent être ces lieux si ce n'est le Purgatoire ?
Je m’abstiendrai, Monsieur, de rapporter un plus grand nombre de preuves tirées de l'Écriture, propres à établir et à justifier la créance du Purgatoire, non qu'il y en ait encore d'autres dont on puisse faire bon usage, mais celles-ci me paraissent suffire pour le dessein que je me suis proposé, pour faire voir que l'Écriture n'est pas sur le sujet du Purgatoire aussi muette qu'on se le figure chez vous. La Tradition autorise l'explication que nous donnons aux passages cités ; et les passages expliqués comme nous les entendons, justifient parfaitement l'usage constant de la prière pour les morts ; de sorte, Monsieur, que vous voyez ici un accord parfait entre le dogme et la pratique, entre la doctrine enseignée de vive voix par les apôtres et les instructions consignées dans leurs écrits.
Réfléchissez, s'il vous plaît, sur la manière dont nous raisonnons ici de part et d'autre, et vous verrez que c'est avec un avantage fort inégal. Vous avancez deux propositions qui sont également contestées, et nous en avançons deux qui sont également incontestables. Voici votre raisonnement : l'Écriture, dites-vous, ne fait nulle part mention du Purgatoire, donc il n'y en a point. Nous nions d'abord qu'il ne soit fait dans l'Écriture aucune mention du Purgatoire, et je crois en avoir fait voir des indices bien marqués : nous disons en second lieu que quand il ne se trouverait rien dans l'Écriture qui prouvât la vérité du Purgatoire, il nous reste encore pour nous en assurer, la voie de la Tradition qui nous a transmis la doctrine enseignée par la bouche des apôtres. Vous croyez vous-même plusieurs articles, dont il ne se trouve pas la moindre trace dans l'Écriture ; c'est aux Livres saints que vous en appelez sans cesse, c'est dans les livres saints que vous nous envoyez puiser des preuves en faveur du Purgatoire ; or, ces livres, comment savez-vous qu'ils sont saints, qu'ils sont divins, qu'ils renferment la parole de Dieu, si ce n'est par la Tradition constante de l'Église qui vous en instruit, et vous en assure ? Combien d'autres points qui sont reçus chez vous sans aucun témoignage de l'Écriture ? l'observation du dimanche au lieu du samedi, la virginité perpétuelle de la Vierge, le baptême des enfants, la nécessité de prononcer ces paroles : Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et tant d'autres vérités importantes, pourriez-vous les établir par l'Écriture ? combien ne seriez-vous pas embarrassé si on vous demandait de le faire ? Je dis plus, les passages même qui prouvent la consubstantialité du Verbe, seraient-ils si absolument décisifs qu'on ne pût les éluder ? s'ils n'étaient appuyés de la Tradition constante, et des décisions infaillibles de l'Église ?
Aussi saint Basile enseigne-t-il « que les dogmes reçus par la Tradition des apôtres, n'ont pas moins de force que ceux dont nous lisons la preuve dans l'Écriture1. » Saint Épiphane ajoute : « qu'on doit se servir de la Tradition, parce qu'on ne trouve pas tout ce dans l'Écriture, les apôtres nous ayant enseigné certains points par écrit et d'autres seulement de vive voix et par Tradition2. »
Ainsi, Monsieur, vous le voyez, rien de plus faible que l'argument sur lequel on compte si fort chez vous, puisque l'une et l'autre des propositions dont il se compose est justement contestée, au contraire, tout ce qui entre dans le raisonnement que nous opposons au vôtre est également certain et indubitable. « On a toujours prié pour les morts, disons-nous, dans la vue de leur procurer du soulagement : donc on a toujours été persuadé de l'existence du Purgatoire. » La vérité de fait renfermée dans la première proposition a été parfaitement démontrée, et je ne puis craindre qu'aucun esprit du caractère du votre puisse jamais la révoquer en doute ; la conséquence que nous en tirons n'est pas moins évidente, puisqu'elle est nécessairement liée avec le fait si parfaitement établi ; d'où il suit, ou que les chrétiens de tous les temps ont cru voir la vérité du Purgatoire bien marquée dans l'Écriture, ou que s'il ne l'y ont par vue, ils ont estimé que la Tradition constante suffisait pour autoriser un dogme, ne fût-il appuyé d'aucune preuve de l'Écriture. Le fait est que les chrétiens de tous les temps ont été persuadés de la vérité du Purgatoire ; est-ce sur les passages que j'ai cités ? est-ce sur d'autres ? est-ce sur la seule Tradition ? vous en penserez, Monsieur, ce qu'il vous plaira ; mais il est sûr que les chrétiens de tous les temps ont eu sur ce sujet une pensée toute différente de la vôtre ; il est sûr qu'unis tous ensemble dans la même façon de penser, et fondés sur les promesses de Jésus-Christ, ils n'ont pu mal penser ; il est encore sûr qu'on ne saurait, sans s'exposer au ridicule, penser comme a fait votre Kemnitius en disant : « Le fantôme du Purgatoire énerve l'article de la justification, corrompt l'usage des sacrements et les clefs du royaume des Cieux, affaiblit la vraie pénitence, rend inutile la mort et la satisfaction de Jésus-Christ, établit une fausse justice et une fausse satisfaction, déroge à la bonté de Dieu, trouble et alarme mal à propos les consciences, fomente l'impénitence et la sécurité des riches, en un mot, est la source et l'origine de toute imposture1. » Comprenez-vous, Monsieur, comment les chrétiens de tous les temps ont pu admettre la doctrine du Purgatoire sans en voir les effets si pernicieux ? et les trouverez-vous fort à plaindre d'être morts dans une erreur si monstrueuse, avant que d'avoir pu profiter des lumières et des découvertes admirables du professeur de Brunswick ?
Vous rougissez sans doute, Monsieur, des excès de vos ministres qui emploient les termes les plus odieux pour blâmer en nous ce qu'ils n'oseraient blâmer dans l'antiquité, comme s'ils avaient des lumières infiniment supérieures à celles des plus grands hommes qui en ont fait l'ornement : orgueil aussi funeste que peu sensé, et qui ne manquera pas de les couvrir de la plus accablante confusion au jugement de Dieu.
« Mais, nous disent-ils, la doctrine du Purgatoire est contraire à l'Écriture, et c'est pour ce motif que les Églises protestantes ne la reçoivent pas, persuadées qu'elles ne doivent déférer à l'autorité humaine au préjudice de celle de Dieu. » Examinons si ce reproche est mieux fondé que celui qu'on nous a fait sur le manquement de preuves tirées de l'Écriture ; c'est, Monsieur, tout ce qui me reste à faire pour achever de vous donner sur cette matière tous les éclaircissements à désirer.
On nous objecte d'abord qu'il n'est parlé dans tout l'Évangile que de deux sortes d'hommes, dont le sort sera entièrement différent ; qu'il sera dit aux uns : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé ; et aux autres : Allez maudits au feu éternel1 ; qu'il est dit en saint Marc : Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, et celui qui ne croira pas sera condamné2. D'où le ministre Brentius conclut que l'Écriture parle seulement de ces deux états, il serait superflu et téméraire d'y en ajouter un troisième3.
Nous convenons, Monsieur, qu'au jour du dernier jugement, jour dont il s'agit ici, il n'y aura en effet que deux espèces d'hommes dont les uns seront envoyés en paradis, les autres en enfer ; qu'il n'y aura plus de Purgatoire pour lors ; que les âmes qui y étaient détenues feront partie de la troupe choisie, et que conjointement avec les autres élus, elles iront sans délai prendre possession de l'héritage céleste ; mais, Monsieur, nous n'en sommes pas encore là, et l'état où seront pour lors les hommes n'est pas l'état d'aujourd'hui.
Nous l'avouons aussi, celui qui ne croit pas sera condamné, car l'infidélité et la résistance aux lumières de la foi sont un juste titre de condamnation ; celui qui croira sera sauvé, bien entendu s'il croit comme il faut, c'est-à-dire, s'il a une foi vive, animée par la charité, et exacte à pratiquer ce qu'enseigne la loi de Dieu. Si la foi est le principe efficace d'une vie sainte et véritablement chrétienne, celui qui croit de cette foi, sera sauvé au sortir de cette vie sans aucun retardement, et si la foi, quoique animée par la charité, ne laisse pas d'être mêlée de faiblesses et d'imperfections, auxquelles la volonté ait quelque part, celui qui croit de cette foi, sera sauvé selon la parole de l'Apôtre, néanmoins comme en passant par le feu. Ainsi, Monsieur, vous voyez que ce ne sont pas là des passages propres à nous faire douter de la vérité du Purgatoire.
On nous objecte en second lieu ce texte de l'Ecclésiaste : Si l'arbre tombe soit du côté du midi, ou qu'il tombe du côté du septentrion, il restera du côté où il sera tombé4 ; cet arbre, dit-on, figure l'homme mourant, et marque assez que dès le moment où l'homme est mort, le sort de son âme est arrêté ; qu'elle ne passera pas d'un lieu en un autre, mais qu'elle restera où elle aura été placée par le mérite et la qualité de ses œuvres.
Je réponds que si l'arbre qui vient à tomber, est véritablement la figure de l'âme d'un homme mourant, ce qui est fort incertain et ne peut être prouvé solidement, il faudra dire que le sort de l'âme est fixé par la mort en ce sens, que l'âme restera toujours ou amie ou ennemie de Dieu, ou du nombre des prédestinés, ou du nombre des réprouvés, sans pouvoir jamais rien changer au dernier effet de la prédestination ou de la réprobation.
On ne peut disconvenir chez vous qu'il n'y ait eu avant la Résurrection de Jésus-Christ un lieu que nous nommons les Limbes, et que le Sauveur appelait le sein d'Abraham, lieu où les âmes des justes qui n'avaient rien à expier étaient reçues ; ce n'étaient sûrement pas le Paradis, il était pour lors fermé et n'a été ouvert que par Jésus-Christ ; ce n'était pas non plus l'enfer, car les saintes âmes des patriarches méritaient un meilleur sort que celui de se trouver dans la compagnie des démons. Or, nous demandons de quel côté tombaient ceux dont l'âme était reçue en ce lieu ? était-ce du côté du midi ou du côté du septentrion ? était-ce pour y demeurer toujours ? Vous le sentez, Monsieur, le texte de l'Ecclésiaste n'a aucune force pour prouver qu'il n'y ait point eu de Limbes, ni de sein d'Abraham avant la venue de Jésus-Christ ; comment en aurait-il davantage pour prouver qu'il n'y a pas de Purgatoire ? c'est donc la un passage auquel vous n'avez pas moins à répondre que nous.
Le sieur Dreyer objecte en troisième lieu le texte d’Ézéchiel, où il est dit : Que si l'impie vient à se convertir, Dieu ne se souviendra plus de ses iniquités1 ; or, n'est-ce pas s'en souvenir, demande ce professeur, que de punir rigoureusement le pécheur en lui faisant souffrir les peines du Purgatoire2 ?
Je réponds premièrement, que si l'impie fait tout ce dont il est question dans le texte, il est aisé de comprendre qu'il n'aura plus aucun châtiment à subir dans l'autre vie ; car il est dit : Si egerit pænitentiam ab omnibus peccatis suis : s'il fait pénitence de tous ses péchés, c'est-à-dire une pénitence parfaite et proportionnée à ses égarements, et custodierit omnia præcepta mea, et s'il mène une vie toute nouvelle, si exacte et si régulière qu'il garde tous mes commandements, si fecerit judicium et justitiam, s'il s'occupe à pratiquer des œuvres de justice et de sainteté ; or, n'est-il pas hors de doute qu'un pénitent de cette espèce s'acquittera de toutes ses dettes en cette vie, et qu'il ne lui restera plus rien à payer dans l'autre.
Je réponds en second lieu, que recevoir un pécheur en grâce, c'est dans un véritable sens ne plus se souvenir ds ses péchés, c'est les oublier quant à leur effet principal, qui est de rendre l'homme ennemi de Dieu et digne de sa haine. Je demande au sieur Dreyer, si Dieu ne pardonna pas véritablement à David son péché d'adultère, lorsque ce roi pénitent témoigna au prophète Nathan le vif regret dont son cœur était pénétré : le Prophète l'assura aussitôt du pardon de la part de Dieu ; mais il ajouta néanmoins que le fruit de son crime, objet de sa sollicitude et de sa tendresse, lui serait enlevé par la mort3. N'en arriva-t-il pas de même, lorsque David, touché de sa faute d'avoir fait faire contre l'ordre et la volonté de Dieu le dénombrement de ses sujets capables de porter les armes, en demanda pardon à Dieu avec de grands sentiments de componction4 ? Qui doute que Dieu n'oubliât dans le moment même le péché de David suivant la promesse du prophète Ézéchiel ? Cet oubli néanmoins n'empêcha pas que Dieu ne châtiât le roi pénitent par la perte de soixante et dix mille hommes enlevés par la peste ; tant il est vrai qu'on peut dire que Dieu oublie le péché de celui qu'il reçoit en grâce, quoiqu'il lui réserve encore quelque peine temporelle à souffrir. Vous voyez, Monsieur, que nous ne manquons pas de solution pour répondre à vos difficultés les plus plausibles en apparence.
Le même professeur de Kœnigsberg nous objecte le passage de l'Apocalypse où il est dit : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur, ils se reposeront désormais de leurs travaux1. D'où ce professeur conclut que tous les justes morts dans le Seigneur, seront parfaitement heureux incontinent après leur mort ; qu'ils se reposeront de leurs travaux ; qu'ils n'auront plus rien à souffrir, et par conséquent qu'il n'y a pas de Purgatoire2.
Je réponds que le point est de savoir, qui sont ici les justes morts dans le Seigneur ? Le texte qui précédé immédiatement, les désigne assez pour ne pas les laisser ignorer : ce sont ceux qui font voir leur patience, et conservent la foi de Jésus, c'est-à-dire, les saints Martyrs ; ce sont encore ceux qui gardent fort exactement les commandements de Dieu3, c'est-à-dire toutes les âmes pures et parfaitement innocentes. Or, qui doute que l'une et l'autre espèce de ces âmes ne doivent être exemptes de toutes souffrances après cette vie ? mais cela ne conclut pas en faveur des âmes moins pures, et dont les taches n'ont été effacées ni par la pénitence, ni par le martyre, il faut qu'elles soient purifiées avant de parvenir à la claire vision de Dieu.
Je puis ajouter que s'il est dit : ils se reposeront désormais de leurs travaux, il n'est nullement nécessaire de rapporter le terme désormais, amodò, ἀπάρτι au moment de la mort ; car il est beaucoup parlé dans cet endroit du jour du jugement, et il n'y a pas d'inconvénient de dire que c'est là le jour marqué, comme terme de toutes les souffrances des gens de bien. Quoi qu'il en soit, Monsieur, le passage cité contre nous peut être expliqué de plus d'une façon : or, vous êtes trop juste pour ne pas trouver raisonnable que nous l'expliquions dans un sens qui ne combatte pas la créance universelle et constante de l'Église.
Mais, nous dit le sieur Dannhauer, et c'est la cinquième objection qu'on nous fait, puisque l'Apôtre nous assure dans l’Épître aux Romains qu'il n'y a plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ4, nous n'avons aucune punition à craindre après la mort, si nous mourons en état de grâce et pleins de confiance aux mérites de Jésus-Christ5.
Il faut avouer, Monsieur, que messieurs vos ministres sont bien attentifs à profiter des moindres paroles qui semblent avoir quelque rapport à leurs sentiments, pour rendre leur cause bonne auprès de ceux qui, sans pénétrer plus avant, se contentent des simples apparences ; ils emploient des passages où il s'agit de toute autre question que celle qu'ils prétendent établir ; en voici un exemple manifeste.
L'Apôtre parle ici des mouvements de concupiscence qui ne sont pas volontaires, et dit que si les Chrétiens y résistent avec le secours de la grâce, ils ne doivent pas s'en inquiéter ; que ces sortes de mouvements auxquels la volonté n'a point de part, ne rendent pas l'homme coupable ; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit qu'il n'y a plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, c'est-à-dire, que le péché originel ayant été effacé par le Baptême, l'effet qui en reste et dont je viens de parler, n'est point imputé à péché. Or, je demande, Monsieur, si de cette doctrine de l'Apôtre on peut légitimement inférer qu'il n'y a pas de Purgatoire. Le passage cité combat directement une des erreurs de Luther, lorsqu'il soutient que les mouvements involontaires de concupiscence sont de véritables péchés ; mais il ne combat en aucune façon l'article du Purgatoire.
Le passage du cinquième chapitre de la deuxième aux Corinthiens semble nous être objecté avec plus d'apparence de raison par le même professeur de votre Université ; il y est dit que si cette maison terrestre où nous demeurons se ruine, nous avons une autre maison qui n'est point faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans le ciel1. Sur quoi on ne manque pas de remarquer que l'Apôtre ne met aucun intervalle entre la sortie de la maison terrestre et l'entrée dans la demeure céleste, et on prétend qu'il fait assez entendre par la que nous passerons immédiatement de l'une dans l'autre2.
Mais on ne fait pas attention aux paroles suivantes qui marquent les conditions auxquelles on passera de la maison de terre dans celle qui durera éternellement dans le ciel : Si toutefois, dit l'Apôtre, nous sommes trouvés vêtus et non pas nus3, c'est-à-dire, si nous sommes ornés de vertus, de mérites et de bonnes œuvres qui nous acquittent assez parfaitement envers la justice divine pour qu'elle n'ait plus rien à répéter sur nous.
Le dessein de l'Apôtre est ici de consoler les fidèles qui sont dans les souffrances : il dit qu'on ne peut parvenir à la gloire céleste si le corps n'est détruit par les maladies ; qu'il faut les souffrir patiemment, que nous serons amplement dédommagés de la demeure dont nous sortons, par celle qui nous est préparée dans le ciel. C'est là, Monsieur, une morale qui se répète tous les jours dans les chaires catholiques, sans que personne croie y voir un langage capable de donner la moindre atteinte à la créance du Purgatoire.
Le ministre Gerard, et plusieurs autres de vos théologiens qui ont écrit sur cette matière, ne manquent pas de citer contre nous la promesse du Sauveur faite au bon larron : Vous serez aujourd'hui avec moi en Paradis4. Si quelqu'un, disent-ils, a dû rester en Purgatoire, c'était certainement un grand pécheur tel qu'était ce larron, converti seulement à l'heure de la mort, et sans avoir eu le loisir d'expier ses crimes. Nous voyons néanmoins, dit le professeur de Jena, que le Sauveur remplit ce pécheur mourant de courage et d'assurance, en lui annonçant un bonheur prochain qu'il devait partager ce jour-là même avec lui5.
Je réponds à cette difficulté que tout étant grand dans la conversion du bon larron, son courage à rendre témoignage à l'innocence opprimée, sa foi et sa générosité à confesser la divinité de Jésus-Christ dans le temps qu'on l'insultait le plus cruellement, sa confiance au pouvoir d'un homme qu'il voyait accablé de douleur, la patience avec laquelle il souffrait le châtiment dû à ses crimes, l'aveu humble et sincère qu'il faisait de l'avoir bien mérité, c'étaient là autant d'actes héroïques de vertu ; il n'est par surprenant qu'ils lui aient tenu lieu d'une longue pénitence auprès de Dieu, et que Dieu après lui avoir pardonné gratuitement ses péchés ait accepté une si sainte mort, comme une espèce de compensation pour les peines temporelles auxquelles il devait naturellement rester soumis suivant le cours ordinaire de la justice divine.
Je dis de plus que ce pénitent mourant au côté du Sauveur, arrosé pour ainsi dire du sang de Jésus-Christ, méritait bien que la vertu de ce sang lui fût appliquée d'une façon plus particulière, et qu'une âme privilégiée dans de semblables circonstances ne peut être alléguée comme un exemple pour le commun des hommes. J'ajoute que la prière que fit cet illustre pénitent instruit par le Saint-Esprit, en disant au Sauveur : Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez dans votre Royaume1, marque assez qu'il croyait avoir besoin de secours dans l'autre monde, et qu'il espérait en trouver dans la bonté de celui dont il implorait la protection. Ainsi, Monsieur, cet exemple que vous citez contre nous, au lieu d'être une objection, devient une preuve en notre faveur, et sert à établir ce que vous combattez.
Enfin Kemnitius plus fécond qu'aucun autre en objections contre le Purgatoire, nous reproche avec beaucoup d'amertume de faire injure à la plénitude de la rédemption faite par Jésus-Christ2 ; Nous avons, dit-il, blanchi nos robes dans le sang de l'agneau, suivant l'expression de l'Apocalypse3 ; ainsi nous nous trouvons assez purs, pour n'avoir pas besoin d'êtres purifiés par le feu du Purgatoire ; car, poursuit-il, c'est le sang de Jésus-Christ qui nous purifie de tout péché4, ainsi que saint Jean nous en assure, et comme dit saint Paul dans l’Épître aux Romains : Nous sommes justifiés gratuitement par la rédemption que Jésus-Christ a faite : Oui, c'est lui que Dieu a proposé, afin qu'il soit en vertu de son sang notre réconciliation5. Ainsi, ajoute cet artificieux ministre, chercher une autre propitiation, une autre rédemption dans les aumônes et les prières des vivants, ou dans les souffrances du Purgatoire, c'est manifestement faire outrage au sang de Jésus-Christ. Non, continue-t-il en citant saint Pierre, nous n'avons pas été rachetés par des biens corruptibles, tels que sont l'or et l'argent, mais par le précieux sang de Jésus-Christ6.
Ce discours est aussi plein d'artifice, que vide de raison ; il faut que Kemnitius n'ait point entendu la doctrine catholique sur le sujet de la satisfaction de Jésus-Christ pour nos péchés, ou que, s'il l'a entendue, il ait fait semblant de l'ignorer, pour avoir lieu de s'abandonner contre nous à de malignes invectives.
Voici ce que l'Église enseigne sur ce sujet : nous croyons qu'aucun homme n'a pu satisfaire ni pour le péché d'Adam, ni pour ses propres péchés, que tous les hommes et tous les Anges ensemble ne peuvent satisfaire pour un seul péché mortel ; qu'il n'y a qu'une personne d'une dignité infinie, comme Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, qui ait pu offrir à Dieu une satisfaction suffisante pour nos offenses ; que la moindre de ses actions, a été d'un prix infini ; qu'une seule goutte de son sang eût pu suffire, non-seulement pour racheter ce monde entier, mais pour en racheter encore mille autres mille fois plus criminels ; mais que quelque surabondante que soit la satisfaction de Jésus-Christ, elle n'opère point en nous une pleine rémission de nos péchés, à moins qu'elle ne nous soit pleinement appliquée.
Les damnés ne ressentent présentement aucun effet de la satisfaction de Jésus-Christ, non que cette satisfaction manque de vertu, car elle est infinie et très-suffisante pour effacer les péchés des damnés, mais parce qu'elles ne leur est pas appliquée. Un adulte qui reçoit le baptême, reçoit en même temps la rémission de tout péché originel, actuel, mortel, véniel, la rémission de toute peine éternelle et temporelle ; à qui en est-il redevable, si ce n'est à la satisfaction de Jésus-Christ, qui par l'effet d'une pleine miséricorde lui est pleinement appliquée ?
Il n'en est pas tout à fait de même dans le sacrement de Pénitence : Dieu qui se montre si facile dans le Baptême, se rend plus difficile envers ceux qui ont violé leurs promesses ; il leur accorde une rémission moins parfaite, et se contente de changer la peine éternelle qu'ils ont méritée, en des peines temporelles : il y est en quelque manière forcé par leur ingratitude, et par l'abus qu'ils ont fait de ces dons. Serait-ce la satisfaction de Jésus-Christ, qui manquerait de vertu à leur égard ? à Dieu ne plaise que nous le pensions ainsi ; mais Dieu ne veut pas qu'elle leur soit appliquée pour un plus grand effet que celui dont je viens de parler ; il accorde le pardon à telle condition, sous telle loi, et avec telle-réserve qu'il lui plaît. Il est juste au fond, et même salutaire pour nous, que Dieu, en nous remettant le péché avec la peine éternelle dont nous nous sommes rendus dignes, exige de nous quelque peine temporelle, soit en cette vie, soit en l'autre, pour nous retenir dans le devoir, de peur que sortis trop tôt des liens de la justice, nous ne nous abandonnions à une téméraire confiance dans la miséricorde.
Quand après cela Kemnitius cite contre nous ce texte de saint Jean : C'est le sang de Jésus-Christ qui nous purifie de tout péché, qui en doute ? y eût-il jamais de péché pardonné, si ce n'est en vue des mérites de Jésus-Christ ? Mais tout péché est-il pardonné si parfaitement que le pécheur justifié soit dispensé de toute obligation de faire pénitence ? et s'il manque à cette condition, ou à cette charge annexée au pardon obtenu, trouvera-t-on étrange que la justice divine reprenne ses droits dans l'autre vie ? dire que telle est la conduite du souverain Juge, est-ce déroger à la plénitude de la Rédemption de Jésus-Christ ?
N'est-ce pas par l'efficace des mérites et de la satisfaction de Jésus-Christ que nous sommes délivrés du péché d'Adam, au moment où les eaux du Baptême nous régénèrent ? Vous savez néanmoins, Monsieur, que nous ne sommes pas affranchis de toutes les tristes suites de ce péché ; car nous demeurons assujettis à la mort et à toutes les infirmités corporelles et spirituelles que ce péché nous a causées ; prendra-t-on de là prétexte pour dire qu'il manque quelque degré à la plénitude de la Rédemption de Jésus-Christ ?
Combien de personnes qui après s'être réconciliées avec Dieu, ne laissent pas d'être affligées pendant le cours de cette vie de maladies, de pertes de bien et d'autres adversités, en punition des péchés qu'ils ont commis et dont ils ont obtenu le pardon ? Que l'on nous dise pourquoi ces sortes de disgrâces souffertes en ce monde n'empêchent en aucune façon que la Rédemption faite par Jésus-Christ ne soit pleine et entière, tandis qu'on prétend que les peines temporelles souffertes en l'autre dérogent à la plénitude de cette Rédemption.
Mais, dit Kemnitius, ce n'est ni dans les souffrances du Purgatoire, ni dans les prières des vivants que nous devons espérer de trouver ce qui manque à la parfaite réconciliation des âmes avec Dieu.
La réponse est facile : les peines du Purgatoire sont un juste châtiment réservé par Dieu aux âmes qui l'ont mérité, et Dieu ne leur accordera le dernier effet des mérites et des satisfactions de son Fils que quand elles auront subi cette légitime expiation de leur faute ; ce n'est qu'à cette condition et avec cette réserve que Dieu prétend les admettre à la participation de sa gloire. Quant aux sacrifices et aux prières que nous offrons pour ces âmes, qu'est-ce que le Sacrifice de la Messe, si non Jésus-Christ lui-même avec tous ses mérites et ses satisfactions, présenté à Dieu comme le prix de leur délivrance ? et que sont nos prières, sinon une humble demande adressée à Dieu, pour qu'il lui plaise leur appliquer parfaitement les satisfactions de Jésus-Christ ? Prétendre qu'un tel sacrifice, que de semblables prières, font outrage aux mérites et à la satisfaction de Jésus-Christ, n'est-ce pas marquer une volonté déterminée de nous calomnier contre toute apparence de raison et de justice ? n'est-ce pas faire voir autant de malignité que peu d'attention à se former une idée juste et exacte de notre doctrine ?
Voilà, Monsieur, les principales difficultés, que vos savants ont coutume d'objecter contre la créance du Purgatoire ; sil y en a quelques autres dont je n'aie point parlé, c'est qu'en raison de leur faiblesse, elles ne m'ont pas paru dignes d'être relevées. Or, je vous en laisse juge, Monsieur, sont-ce là des difficultés qui doivent l'emporter sur la créance universelle de tous les temps, sur la pratique constante de tous les fidèles, et sur les témoignages même de l'Écriture, sans parler des décisions formelles de l'Église ?
Ne doutez pas, Monsieur, que les Pères des quatre premiers siècles n'aient eu connaissance de tous les passages dont vous voulez aujourd'hui vous prévaloir contre nous ; appliqués comme ils l'étaient à lire et à méditer l'Écriture sainte, comment eussent-ils pu les ignorer ? Mais s'ils ont lu et relu ces passages, comment n'y ont-ils pas vu ce que vous prétendez y voir, je veux dire cette opposition formelle avec la doctrine du Purgatoire ? Manquaient-ils de lumières ? en avaient-ils moins que vos ministres ? ou plutôt, puisqu'ils n'ont rien vu de cette opposition prétendue, que reste-t-il à penser, si ce n'est qu'il n'en existe réellement aucune, et que celle dont vos ministres font tant de bruit, au lieu d'être une opposition véritable, n'est, à le bien prendre, qu'une opposition imaginaire et chimérique ?
Vous l'avouerez, Monsieur, il ne s'agit ici que de la véritable explication ; nous citons des passages de part et d'autre ; nous en citons pour, vous en citez contre ; chacun interprète les siens à sa façon et à son avantage, qui a raison ? prenons, s'il vous plaît, des arbitres qui puissent nous aider à terminer le différend : peut-il y en avoir de plus éclairés que les Docteurs de l'Église, de moins intéressés et de moins suspects que ceux qui ont parlé avant la naissance de nos disputes ?
Figurez-vous, s'il vous plaît, Monsieur, que Dieu par un effet merveilleux de sa puissance fait revivre ces grands hommes qui ont si fort illustré l'Église par l'éclat de leur sainteté, et par l'éminence de leur doctrine, un Cyprien, un Cyrille, un Épiphane, un Ambroise, un Chrysostôme, un Jérôme, un Augustin, etc., et que ces hommes d'un mérite si rare, assemblés pour conférer entre eux de religion, sont requis par les deux partis de marquer leur sentiment sur ce qui fait ici le sujet de notre dispute. S'ils s'accordaient tous à nous être favorables, quel triomphe pour nous ? quelle impression ne ferait pas sur votre esprit leur déclaration ? quel embarras et quelle confusion pour vos ministres de se voir condamnés par des juges si intelligents, par des témoins si parfaitement instruits des sentiments de l'antiquité, par des interprètes si consommés dans la science des divines Écritures. Vos ministres auraient beau crier qu'ils ont l'Écriture pour eux, on se moquerait de leurs clameurs et de leurs prétentions. Quoi ? dirait-on, s'ils avaient en effet pour eux l'Écriture, est-ce que ces Docteurs de l'Église si pleins de l'esprit de Dieu, si habiles dans l'intelligence des livres saints, ne le verraient pas aussi bien que les ministres ? Or, pouvez-vous douter, Monsieur, que si ces Pères ressuscitaient en effet, et avaient à répondre à nos consultations, ils ne se déclarassent tous en notre faveur ? ne l'ont-ils pas déjà fait de leur vivant ? n'ont-ils pas eu soin de le montrer clairement dans les livres qu'ils ont laissés à la postérité ? est-ce sans y avoir assez pensé qu'ils se sont expliqués comme ils ont fait ? seraient-ils aujourd'hui disposés à changer de sentiment sur les représentations d'un Kemnitius, d'un Dreyer, d'un Dannhauer, d'un Gérard ? Comment croire que les grands maîtres de l'antiquité pussent apprendre de ces nouveaux venus une doctrine préférable à celle qu'ils nous ont eux-mêmes enseignée ? n'allons pas mettre en parallèle des autorités si inégales ; ce serait trop déshonorer des hommes d'un rang si supérieur que de délibérer qui des uns ou des autres mérite le plus d'être écouté.
Votre Luther comprenait si parfaitement de quel poids doit être le sentiment unanime des Pères, qu'il ne pouvait s'empêcher de se mettre de mauvaise humeur contre ceux qui y avaient recours, et d'avouer franchement qu'il se sentait extraordinairement pressé de ce côté-là. « Ces misérables papistes, dit-il, nous pressent fort aujourd'hui par ce seul argument : Croyez-vous que tous les Pères aient erré ? Il est dur de le dire, ajoute-t-il, surtout des principaux, comme de saint Augustin, de saint Ambroise, de saint Bernard et de tous ces grands personnages qui ont été honorés de l'auguste nom de Pères de l'Église et dont nous embrassons et admirons les ouvrages1 . » Mais s'il est dur de le dire, répliquerais-je volontiers à Luther, pourquoi donc le dites-vous ? qui vous y oblige ? qu'est-ce qui peut vous autoriser à préférer vos lumières à celles de ces grands hommes ? que ne vous en teniez-vous à la doctrine que nous avions reçue de ces vénérables maîtres ? si cette instance eût été faite à Luther de son vivant, elle eût sans doute augmenté sa mauvaise humeur, comme elle n'eût pas manqué d'augmenter son embarras.
Je pense, Monsieur, en avoir dit assez pour vous laisser pleinement convaincu que la doctrine du Purgatoire n'a pu fournir aux chefs de votre réforme aucun sujet légitime de se séparer de l'Église catholique, apostolique et romaine, et que par conséquent elle ne peut aujourd'hui former un obstacle légitime à votre retour. S'il vous reste sur ce point quelque peine dans l'esprit, ce ne peut être que par rapport aux images et aux peintures affreuses sous lesquelles vous vous êtes persuadé qu'il faut nécessairement concevoir les peines endurées dans ce lieu de souffrances ; mais il est bon de vous dire, Monsieur, pour vous faciliter la créance de cet article, que l'Église n'a rien décidé sur la qualité de ces peines ; elle n'exige pas même absolument de vous que vous croyiez à l'existence d'un feu allumé pour purifier les âmes encore entachées de quelques souillures.
C'est à la vérité une opinion fort commune parmi les saints Pères, mais qui n'a jamais été présentée aux fidèles comme un article de foi. Les Conciles de Florence1 et de Trente2 ont décidé que plusieurs âmes justes souffrent dans l'autre vie des peines passagères, pour acquitter les dettes dont elles se trouvent redevables envers la justice divine, mais ni l'un ni l'autre Concile ne fait mention de la peine du feu.
On savait fort bien du temps d'Eugène IV, que les Grecs désirant se réunir avec les Latins, avaient une grande répugnance à reconnaître une peine du feu destinée à purifier les âmes, mais qu'il ne refusaient pas de croire un état de souffrance et de gêne consistant dans la tristesse, dans le reproche intérieur de la conscience, dans l'ennui d'une prison ténébreuse, dans l'incertitude de l'avenir, et dans le retardement de la vue de Dieu. On se contenta de cette disposition de leur part ; et dans l'acte d'union, dressé au Concile de Florence, il est seulement marqué « que les âmes des justes qui n'ont pas fait une pénitence suffisante en cette vie pour les fautes commises, sont purifiées dans l'autre par de justes peines3 », sans marquer en quoi elles consistent.
Ainsi, Monsieur, n'allez pas vous arrêter à ces circonstances qui n'ont pas la certitude de la foi, et vous en faire un sujet de prévention contre le Purgatoire. Il vous suffira de croire que Dieu punit en Père et en Juge des âmes qui lui sont chères et qui ont quelque reste de souillure à expier. Dès que Dieu punit en Dieu ceux qui ont négligé de satisfaire sa justice quand ils le devaient, il est aisé de concevoir qu'il exerce une juste sévérité à leur égard, et que la peine ne peut être légère.
Est-ce trop exiger de vous, Monsieur ? nous demandons de croire que des âmes souillées de péchés véniels au sortir de leurs corps ne sont pas aussitôt glorifiées que celles dont la conscience est entièrement pure et sans tache ? qu'un chrétien lâche qui n'a fait à Dieu nulle réparation de ses lâchetés, un chrétien déréglé qui n'a fait qu'une pénitence légère de ses plus grands dérèglements, ne reçoivent pas le prix et la couronne aussi promptement que celui dont la vie d'ailleurs innocente a toujours été pleine de ferveur ? Voilà, Monsieur, le véritable point dont il s'agit ici ; pour le reste, ce sont autant de secrets que Dieu n'a pas jugé à propos de nous révéler, et qu'il ne sert de rien de vouloir approfondir. Nous ne savons bien sûrement, ni où les âmes souffrent, ni ce qu'elles souffrent, ni comment elles souffrent ; l’unique article de créance nécessaire dans la matière présente est de croire qu'il y a après cette vie un état, où Dieu rappelle tout à l'ordre, en achevant de punir ce qui est punissable, et où les âmes qui ne sont pas assez pures, acquièrent le dernier degré de pureté nécessaire pour arriver à la vue de Dieu. Or, trouvez-vous rien ici, Monsieur, qui répugne à la raison, qui mérite vos railleries, qui ne soit très conforme à l'idée de la justice et de la sainteté de Dieu, qui ne soit enfin et visiblement fondé dans l'Écriture et plus invinciblement encore établi par la tradition ?
Mais, Monsieur, dire que la doctrine du Purgatoire ne vous fournit aucun sujet légitime de vous tenir éloigné de nous, n'est-ce pas en dire trop peu ? n'ai-je pas le droit d'ajouter que vous y trouvez des motifs pressants de vous réunir avec nous, soit que vous considériez le dogme, soit que vous considériez la pratique dont il est le principe ? Il s'agit ici d'éviter de donner dans l'hérésie d'Aërius ; et comment l'éviterez-vous en refusant de croire la vérité du Purgatoire ? Dès que vous ne conviendrez pas de ce troisième lieu, où les âmes ont besoin de secours, n'est-il pas manifeste que toutes les prières et tous les sacrifices offerts pour les morts, leur seront parfaitement inutiles ? Or, c'est là formellement ce qui a fait l'hérésie d'Aërius, comme je l'ai prouvé démonstrativement. Ne pensez pas, Monsieur, que pour mériter la qualité d'hérétique, il soit nécessaire de soutenir plusieurs sentiments condamnés et flétris par l'Église ; il suffit d'en soutenir un seul pour encourir cette note infâme, pour donner dans un écueil où la foi fait naufrage, et pour être marqué sûrement d'un caractère de réprobation inévitable.
Si vous considérez de plus, Monsieur, la prière pour les morts, qui est la conclusion pratique de la créance du Purgatoire, la charité chrétienne que vous devez à vos frères ne vous invite-t-elle pas fortement à leur donner du secours après leur mort ? Supposons que l'existence d'un Purgatoire ne soit pas assurée, vous conviendrez du moins, après la lecture de ces réflexions, que vous ne pouvez assurer qu'il n'y en ait point ; dans cette incertitude que nous voulons bien supposer, trouvez-vous, Monsieur, qu'on soit excusable d'abandonner la pratique et l'usage de toute l'Église, en cessant de prier pour les morts ? ne fût-il que douteux si les âmes des fidèles sont dans un état de souffrance ou non, n'est-il pas juste de prier toujours pour eux ? en faut-il davantage pour vous rendre inexcusable, de compter pour rien le hasard où vous vous mettez de manquer à un des devoirs les plus essentiels de la charité ?
Ne tardez donc pas, Monsieur, à revenir à une religion, où le zèle et la charité s'étendent au-delà des bornes de la moralité ; hâtez-vous de rentrer dans une Église qui ne cessera pas de s'intéresser en votre faveur, qu'elle ne vous ait porté dans le sein de la béatitude. Si vous restez séparé de nous, vous serez abandonné après votre mort, et dès qu'on cessera de vous voir, on cessera de penser à vous. Il n'en sera pas ainsi si vous prenez le parti de vous réunir avec nous ; l'Église qui vous reconnaîtra pour son enfant, après vous avoir fermé les yeux, prendra encore soin de vous assister. Quelle consolation ne sera-ce pas pour vous de savoir que quand vous serez dans l'affreux passage du jugement de Dieu à l'éternité bienheureuse, toute l'Église sera pour vous en prières, comme elle y était pour saint Pierre au rapport de l'Écriture, tandis que saint Pierre était dans la prison1 ? Quel avantage de pouvoir vous promettre que tout ce qu'il y a de fidèles au monde s'emploiera pour votre délivrance ? que comme vous rendrez à vos amis catholiques le tribut prescrit par notre religion, on vous rendra un jour le même office ; que votre mémoire ne périra pas comme celle des impies, mais qu'elle sera, selon la parole du Saint-Esprit, dans une éternelle bénédiction, puisque jusqu'à la fin des siècles on se souviendra de vous dans les divins mystères. Voilà, Monsieur, ce qui vous reviendra de la pratique où nous sommes de prier pour les morts ; vous y voyez sans doute beaucoup plus de sujet de vous rapprocher de nous, que de vous en éloigner. C'est ce dont je me suis proposé de vous convaincre dans cet écrit ; si en examinant la solidité de nos preuves, vous leur rendez la même justice que je rends à la bonté de votre esprit et à la droiture de votre cœur, vous ne manquerez pas d'en rester pleinement persuadé.
J'ai l'honneur d'être, avec autant de respect que de zèle,
MONSIEUR,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
MONSIEUR,
L'article de la justification du pécheur fait trop de bruit chez vous pour nous laisser lieu de douter, que vous ne prétendiez y trouver un juste sujet de rester séparés de l'Église romaine. On nous le donne dans l'Apologie de la Confession d'Ausbourg pour « le plus important de la doctrine chrétienne, et pour celui qui, bien expliqué, relève le plus la gloire de Jésus-Christ, et apporte la plus solide consolation aux âmes des fidèles1. » Luther dit qu'il est « le principe et la source dont a coulé toute sa doctrine2, » et il ajoute ailleurs : « que cet article seul est conservé dans sa pureté, la foi de l'Église restera toujours pure, sans qu'il y ait de schisme ou de division à craindre ; mais que si l'on vient à en altérer la doctrine, il ne sera plus possible de s'opposer à aucune erreur, ni d'arrêter le progrès du fanatisme3. » C'est sans doute en dire assez pour nous en marquer l'importance.
Ainsi, Monsieur, si après avoir entrepris de lever les principaux obstacles qui s'opposent le plus à votre réunion avec nous, je négligeais de vous satisfaire sur l'article de la justification, je croirai avoir manqué à une des parties les plus essentielles de mon dessein.
Trouvez donc bon, s'il vous plaît, que dans cette douzième et dernière Lettre que j'ai l'honneur de vous adresser, j'essaye d'éclaircir un point qui, au jugement de vos chefs, mérite plus que tout autre d'être expliqué ; il en a d'autant plus besoin que l'on a plus affecté de répandre de l'obscurité sur cette matière, en nous prêtant les sentiments que nous n'avons pas, et que nous sommes très éloignés d'avoir.
Il me paraît que pour effacer les idées dont on vous a prévenu, et pour vous donner une pleine satisfaction sur le sujet dont il s'agit, il me faut d'abord exposer au juste quel est votre sentiment et le nôtre, et faire sentir ensuite les avantages de notre système touchant la justification, et les inconvénients du vôtre. S'il y eut jamais matière sur laquelle on disputa vivement, sans bien s'entendre de part ni d'autre, vous ne tarderez pas, Monsieur, à reconnaître que celle dont il s'agit est évidemment de cette espèce. Vous serez surpris de voir qu'on se soit fait si peu de scrupule de vous donner de fausses idées sur notre doctrine, et je ne sais quelle estime il pourra vous rester pour vos livres symboliques, quand vous aurez reconnu vous-même que sur le présent article ils ne contiennent qu'un tissu de calomnies contre nous.
Votre apologiste commence par nous reprocher notre ignorance sur le sujet en question, « nous ne comprenons, à l'entendre, ni la rémission des péchés, ni la foi, ni la grâce, ni la justice ; d'où il résulte que nous corrompons d'une manière pitoyable la doctrine de tous ces points ; que nous obscurcissons la gloire et les bienfaits de Jésus-Christ, et que nous enlevons aux âmes pieuses les plus douces consolations1. »
Vous l'avouerez, Monsieur, vous qui entendez si parfaitement les règles de la politesse et les bienséances du langage, voila un début qui n'est ni très poli, ni très obligeant ; j'ose me permettre de plus que quand vous aurez lu cet écrit, vous trouverez les reproches de Mélanchton non seulement dépourvus de politesse, mais encore dictés par la plus criante injustice.
Je commence d'abord par exposer le sentiment de vos Églises, non, Monsieur, que je ne vous en croie parfaitement instruit, car je sais à quel point vous possédez votre religion, mais il est à propos de bien établir l'état de la question, de faire connaître la véritable différence des deux sentiments, et de vous convaincre que je ne me suis point formé un vain fantôme pour le combattre avec avantage. Voici donc la doctrine de vos Églises ; si je ne la rapporte pas fidèlement, condamnez-moi, Monsieur, à porter toute la honte de la plus indigne falsification.
Vous enseignez que l'homme pécheur est uniquement justifié par la foi, c'est-à-dire, qu'après avoir offensé Dieu et perdu sa grâce, nous n'obtenons la rémission de nos péchés, et ne rentrons dans l'amitié de Dieu que moyennant un acte de foi ; car tout autre bon acte, soit de contrition ou de bon propos, soit d'espérance ou de charité, n'ont, à ce que vous prétendez, aucune part à la justification.
Or, pour se former une idée juste de la foi que vous nous donnez comme le seul moyen de nous réconcilier avec Dieu, il est à remarquer que ce n'est point une foi telle qu'on l'entend communément, c'est-à-dire, une foi générale, par laquelle nous croyons toutes les vérités révélées de Dieu ; vous voulez que ce soit une foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ, et cette foi spéciale, ainsi que vos savants l'expliquent, renferme premièrement un acte d'entendement, par lequel nous reconnaissons que Jésus-Christ est mort pour nous, qu'il a pleinement satisfait pour nos péchés, qu'il nous présente ses mérites, ses satisfactions, et la rémission de nos péchés ; en second lieu, un acte de volonté, par lequel nous acceptons la promesse offerte au pécheur de la part de Jésus-Christ, je veux dire ses mérites et la rémission de nos fautes2. Telle est l'analyse que vos savants font de votre foi spéciale, à laquelle vous attribuez toute la vertu de justifier. Ils ajoutent, pour mieux faire comprendre leur pensée, que si un prince fait offre d'une terre ou d'un château à un de ses sujets, il ne faut de la part du sujet que l'acceptation de cette offre pour le rendre maître et propriétaire de la terre ou du château ; c'est ainsi, disent-ils, que pour obtenir la rémission de nos péchés et nous approprier les mérites Jésus-Christ, nous n'avons qu'à accepter les offres et les promesses qu'il nous en a faites dans son Évangile ; or, disent-ils, ce n'est que par la foi que nous acceptons les offres et les promesses de Jésus-Christ, tout autre acte de vertu, quelque bon qu'il puisse être d'ailleurs, n'étant pas propre à cet effet ; ainsi, ce n'est, à ce qu'ils prétendent, ni l'amour de Dieu, ni la crainte de ses jugements, ni la douleur des péchés, ni la résolution de mieux vivre qui ont la vertu de saisir les mérites de Jésus-Christ, et de nous les approprier1. Il n'y a, à leur compte, que la foi spéciale qui ait cet avantage, parce que, comme il leur a plu de la définir, il n'y a qu'elle qui de sa nature soit un acte d'acceptation, ou qui du moins le renferme.
C'est pour cette raison qu'ils nomment cette foi l'organe, l'instrument et le moyen, par lequel nous nous appliquons les mérites de Jésus-Christ et sa justice2 ; ils la nomment encore la main, avec laquelle nous recevons ce qui nous est offert par les promesses gratuites de l'Évangile3. Mais pour ne pas laisser croire que c'est à l'excellence, et à la dignité de la foi qu'ils attribuent le grand effet de la justification, ils ont bien soin de nous avertir que la foi ne justifie pas le pécheur parce qu'elle est une œuvre, ou une vertu supérieure aux autres en prix et en mérites ; mais parce que sa fonction est d'accepter les mérites de Jésus-Christ4. Celui, disent-ils, qui fait l'aumône, ne considère point si la main du pauvre étendue pour la recevoir, est bien ou mal faite, ce n'est ni la beauté ni la blancheur de cette main qui le touche et le porte à exercer la charité ; ainsi ajoutent-ils, Dieu n'a dans la justification du pécheur aucun égard au prix et à l'excellence de la foi, et le pécheur n'obtient le pardon de ses péchés par la foi que parce qu'elle lui fait accepter le pardon offert à sa faiblesse par la divine miséricorde.
Il faut aussi vous rendre la justice de reconnaître que dans vos idées la foi justifiante doit être féconde en bonnes œuvres ; car vous déclarez hautement que si la foi n'est pas accompagnée de bonnes œuvres, elle n'est point une véritable foi5 ; que la foi justifiante ne peut subsister avec la volonté de persister dans le péché6 ; que ceux qui manquent de contrition et sont résolus à continuer une vie de désordre n'ont pas la foi propre à les justifier et à les sauver7 ; qu'il est aussi impossible de séparer les bonnes œuvres de la la véritable foi, que de séparer la chaleur et la lumière du feu8. Ce sont là autant d'expressions de vos livres symboliques ; ainsi ce serait vous faire tort de vous imputer que vous vous contentez de la seule foi, sans exiger les bonnes œuvres. Le mot de Luther est que « la foi seule justifie, et non les œuvres, mais que la foi justifiante n'est jamais seule ni sans les œuvres9. »
Ainsi expliquez-vous la nature et les propriétés de la foi justifiante ; vous prétendez de plus qu'elle applique si parfaitement les mérites de Jésus-Christ au pécheur, qu'il se trouve juste de la justice de Jésus-Christ même, que cette justice lui est imputée comme si c'était la sienne propre, et que c'est uniquement cette justice extrinsèque dont il est revêtu, qui le rend agréable aux yeux de Dieu, le fait son ami, son fils adoptif, et l'héritier du royaume des Cieux.
Voilà, Monsieur, le juste précis de votre doctrine sur l'article de la justification ; aucun de ceux qui sont véritablement au fait de cette matière, ne me reprochera, j'en suis certain, de n'avoir pas bien pris la pensée de vos auteurs, ou d'avoir manqué de sincérité à la rapporter fidèlement.
De cette doctrine qui est votre doctrine chérie et favorite, et qui fait l'objet de la complaisance spéciale de vos savants, vous vous promettez trois avantages considérables ; vous prétendez premièrement que c'est la pure doctrine de saint Paul telle qu'il l'enseigne dans son Épître aux Romains, et dans celle aux Galates ; secondement, qu'elle rehausse infiniment la gloire des mérites de Jésus-Christ ; troisièmement, qu'elle est très propre et uniquement propre à apaiser les remords de la conscience.
Souffrez, Monsieur, s'il vous plaît, qu'à ces trois prétentions j'en oppose trois autres, et que j'entreprenne de prouver que votre doctrine sur la justification n'est point celle de saint Paul et qu'elle est absolument contraire à plusieurs textes de l'Écriture ; en second lieu qu'elle n'a rien par dessus la doctrine catholique, ni pour rehausser les mérites de Jésus-Christ, ni pour tranquilliser les consciences inquiètes ; en troisième lieu, qu'elle est sujette à de très grands inconvénients, et que son effet naturel est d'introduire et de fomenter le relâchement et la corruption des mœurs.
Mais avant que d'en venir à la preuve de ces trois articles, il me reste à vous donner une juste idée de notre doctrine sur le fait de la justification ; c'est à quoi je me suis engagé. La matière est théologique et abstraite ; mais, Monsieur, je ne me défie en aucune façon de votre pénétration, et je vais m'étudier à parler en termes si clairs, que les esprits même dont l’intelligence le cède infiniment à la vôtre, n'auront nulle peine à comprendre ce que je dois avoir l'honneur de vous dire, soit pour exposer notre sentiment, soit pour l'établir et vous le faire agréer.
Nous croyons, premièrement, que la foi prise dans le sens ordinaire, c'est-à-dire, pour la vertu qui nous fait croire les vérités révélées, est absolument nécessaire pour la justification du pécheur ; car nous savons qu'il est impossible d'être agréable à Dieu sans la foi, et que quiconque s'approche de lui, doit croire qu'il y a un Dieu et qu'il récompense ceux qui le cherchent1 ; ainsi nous sommes intimement persuadés qu'aucune œuvre faite avant la foi, ou sans la foi, par les seules forces du libre arbitre et par le seul instinct de la raison humaine, ne peut avoir de part à la justification du pécheur.
Non-seulement nous croyons la foi nécessaire à la justification ; nous la regardons de plus comme le principe, la racine et le fondement de la justification, suivant l'expression du Concile de Trente2 ; car c'est la foi qui nous porte à détester nos péchés, à en demander pardon à Dieu, et à produire tous les actes nécessaires pour obtenir la grâce de la justification.
Nous croyons, en second lieu, que la foi seule ne suffit pas pour justifier le pécheur ; qu'il faut de plus qu'il ait une douleur sincère de ses péchés, un ferme propos de n'y plus retomber, une crainte salutaire des jugements de Dieu, avec une véritable confiance aux mérites de Jésus-Christ et en la divine miséricorde. S'il est question de se réconcilier avec Dieu avant que d'approcher du sacrement de Pénitence, il ne faut pas moins qu'un acte de contrition parfaite, c'est-à-dire, une détestation du péché par le motif d'un pur amour envers Dieu ; et s'il s'agit de recouvrer la grâce par le moyen du Sacrement, il faut du moins une véritable douleur conçue par la crainte de la justice divine et jointe à un amour commencé ; ce sont là les dispositions que Dieu exige comme nécessaires à la justification du pécheur, et dont il veut bien se contenter pour le recevoir en grâce.
Nous croyons, en troisième lieu, que quoique le pécheur puisse obtenir la grâce de la justification en entrant dans les dispositions dont je viens de parler, il ne peut néanmoins la mériter ; qu'il est justifié gratuitement par la pure miséricorde de Dieu et uniquement en vue des mérites de Jésus-Christ ; je m'explique. Le pécheur après avoir perdu la grâce, ne peut rien faire qui soit assez agréable à Dieu pour avoir droit d'être rétabli dans son amitié, toutes les œuvres faites en cet état étant des œuvres mortes et de trop peu de valeur pour exiger de la justice divine la grâce de la réconciliation comme prix de ses œuvres. L'homme infiniment inférieur à la majesté de celui qu'il a offensé, ne peut jamais satisfaire condignement pour les offenses commises ; il peut donc aussi peu en mériter la rémission. Il n'y a que Jésus-Christ Dieu et homme, personne d'une dignité infinie, qui ait pu satisfaire et qui ait satisfait réellement pour nos péchés ; c'est uniquement lui qui nous en a mérité le pardon, ayant effacé, comme dit saint Paul, l'obligation qui contenait le décret de notre condamnation et l'ayant cloué à la croix, afin qu'elle n'eût plus de force contre nous1. Lors donc que Dieu nous justifie en nous rendant son amitié, ce n'est point en considération de l'excellence de nos œuvres, c'est uniquement en considération du prix infini de la Passion et de la mort de Jésus-Christ, c'est gratuitement, c'est par un pur effet de sa miséricorde qu'il nous applique le fruit des mérites et des satisfactions infinies de son Fils. Il est vrai que Dieu exige certaines œuvres sans lesquelles il ne justifie pas le pécheur, et moyennant lesquelles il le justifie ; mais il ne les exige pas comme des œuvres méritoires, il ne les exige que comme des conditions, ou comme des dispositions nécessaires, sans lesquelles il ne le reçoit point en grâce et ne l'admet point à la participation des mérites de Jésus-Christ, quant à l'effet de la rémission des péchés. Nous pouvons donc, après avoir perdu la grâce, la recouvrer en apportant les dispositions requises ; mais malgré tous nos efforts nous ne pouvons jamais la mériter, c'est la doctrine expresse du Concile de Trente : il déclare que rien de tout ce qui précède la justification, soit la foi, soit les œuvres, ne peut en mériter la grâce2.
Eussiez-vous cru, Monsieur, que cet article fît partie de la doctrine catholique sur la justification ? je ne pense pas que vos livres symboliques vous aient permis de le croire ; car on ne cesse de nous y reprocher à chaque page que nous prétendons mériter par nos bonnes œuvres la grâce de la réconciliation. Oui, Monsieur, je me fais fort de vous montrer que ce reproche y est répété plus de deux cents fois. Jugez ensuite quel fond vous devez faire sur des livres remplis de tant de faussetés et de calomnies contre nous ; il s'agissait d'y exposer votre foi, et non de nous en prêter une que nous condamnons.
Mais, nous dira-t-on, un très grand nombre de théologiens catholiques enseignent que le pécheur peut mériter la justification par un mérite qu'ils appellent de congruo, c'est-à-dire, par un mérite de congruité et de convenance.
Je réponds que le mérite de congruo est un mérite de si bas aloi ou de si peu de valeur, qu'à proprement parler il n'en mérite pas le nom ; car qu'est-ce que ce mérite de convenance ou de congruité, si ce n'est qu'il est convenable à la bonté et à la miséricorde de Dieu de recevoir le pécheur en grâce, lorsqu'il le voit touché d'un véritable repentir de ses péchés et dans une ferme résolution de les éviter à l'avenir : peut-on nier qu'il ne convienne en effet à la bonté de Dieu de pardonner au pécheur ainsi disposé ? Or, si l'on ne peut disconvenir de la chose, pourquoi disputer sur le mot que les théologiens emploient pour la signifier ?
Je dis de plus, que si le nom du mérite de congruité vous déplaît, il ne tiendra qu'à vous, Monsieur, de le rejeter ; plusieurs de nos théologiens refusent d'admettre la distinction entre deux sortes de mérites, et ils n'en sont pas moins bons catholiques pour cela : il n'y a que le mérite de condignité qui, mettant égalité de prix entre l'action méritoire et la chose méritée, puisse revendiquer justement le nom de mérite, comme il n'y a que l'homme vivant qui soit un homme véritable, l'homme en peinture n'en ayant que la figure et très improprement le nom ; il en est à peu près de même du mérite de congruité : aussi le Concile de Trente y a-t-il si peu d'égard, qu'il prononce absolument que rien de tout ce qui précède la justification, ne peut en mériter la grâce.
Nous croyons, en quatrième lieu, que quoique le pécheur ne puisse être redevable de sa justification qu'aux mérites de Jésus-Christ, ce ne sont pas néanmoins les mérites de Jésus-Christ qui font la justice formelle de l'homme justifié ; je veux dire que l'homme n'est pas juste de la justice de Jésus-Christ même, qui lui est extrinsèque, mais qu'il est juste par une justice inhérente, par la grâce du Saint-Esprit répandue dans son cœur, qualité surnaturelle et divine, le plus précieux des dons de Dieu, le fruit inestimable de la Passion et de la mort de Jésus-Christ, le gage sûr de l'amitié de Dieu, comme elle en est infailliblement l'effet et l'objet.
Cette justice inhérente est en même temps la justice de l'homme et la justice de Dieu, elle est la justice de l'homme, parce qu'elle est dans l'homme justifié et non hors de lui ; elle lui appartient non comme une justice étrangère qui lui soit imputée, mais comme une justice propre et intrinsèque, après qu'il l'a obtenue de la libéralité divine. Elle est aussi la justice de Dieu, parce qu'elle ne vient que de Dieu, lui seul l'accorde au pécheur, par un pur effet de sa miséricorde, gratuitement et uniquement en vue des mérites de Jésus-Christ, sans que le pécheur puisse la mériter de sa part par quelque œuvre imaginable que ce puisse être.
Telle est l'idée que nous avons de la justice de l'homme justifié et des principes de sa justification : d'où il paraît que la différence de votre doctrine et de la nôtre sur le présent article consiste spécialement en trois points. Vous voulez premièrement que la foi justifiante soit une foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ, foi acceptante, foi saisissante et qui applique au pécheur l'effet des promesses faites par l'Évangile ; et nous prétendons que la foi dont la vertu contribue à la justification du pécheur, comme racine et comme fondement, n'est autre que la foi générale à toutes les vérités révélées de Dieu.
Vous voulez, en second lieu, que les bonnes œuvres soient inséparables de votre foi spéciale, mais vous les regardez seulement comme les fruits et les marques de la justification, et non comme les conditions nécessaires pour l'obtenir, sous prétexte que la foi seule a la vertu de justifier ; et nous soutenons qu'il y a des œuvres prescrites comme dispositions nécessaires à la justification, et sans lesquelles le pécheur ne peut pas plus être justifié que sans la foi.
Vous voulez, en troisième lieu, qu'il n'y ait aucune véritable justice intrinsèque dans l'homme justifié, et qu'il ne soit juste uniquement d'une justice imputée ; et nous disons que les satisfactions de Jésus-Christ sont, il est vrai, imputées à l'homme, comme s'il avait satisfait lui-même ; mais que l'effet de ces satisfactions est d'obtenir à l'homme une grâce intérieure qui fait sa justice et sa sainteté, et qui le rend agréable aux yeux de Dieu de manière à lui procurer le nom et la qualité d'ami et de fils adoptif.
Je pense, Monsieur, avoir suffisamment expliqué les deux sentiments, et avoir marqué bien exactement ce qui en fait la juste différence. Examinons présentement, si les avantages que vous vous promettez de votre doctrine, s'y trouvent effectivement renfermés. Vous ne tarderez, j'espère, à reconnaître que les chefs de votre prétendue réforme, éblouis par une vaine complaisance dans leur nouveau système, ont pensé y voir des avantages qui sont bien loin d'être réels.
Je soutiens, en premier lieu, que votre doctrine touchant la justification, bien loin d'être la doctrine de saint Paul, est formellement opposée à celle de ses Épîtres, aussi bien qu'à plusieurs textes des autres livres de l'Écriture sainte ; et pour vous en convaincre, Monsieur, nous n'avons d'abord qu'à examiner quel a été le dessein de saint Paul en écrivant aux Romains et aux Galates.
Il est visible par la lecture même des deux Épîtres, que l'Apôtre s'est uniquement proposé de faire comprendre aux nouveaux chrétiens, autrefois juifs ou gentils, combien les œuvres prescrites par la loi de Moïse ou suggérées par la raison humaine, leur étaient inutiles et inefficaces pour les aider à obtenir la rémission de leurs péchés. Il savait combien ces nouveaux convertis conservaient d'estime et d'attachement pour les observances légales, ou présumaient des lumières de la raison humaine et des forces du libre arbitre ; c'est pourquoi il leur déclare que la loi de Moïse est abolie, qu'il n'y a plus d'obligation de la garder ; que les œuvres de la loi n'avaient jamais eu la vertu de les justifier ; que ni leur exactitude à l'observer, ni le bon usage qu'ils pensent avoir fait de leur libre arbitre pour suivre les lumières de la raison naturelle, ne pouvaient les autoriser à se flatter d'avoir par là mérité la grâce de croire en Jésus-Christ ; que cette grâce leur avait été accordée par une bonté spéciale de Dieu, et que la foi en Jésus-Christ et en sa doctrine, les avait seuls conduits à la grâce de la justification devant Dieu. Voilà, Monsieur, en peu de mots le sommaire des deux Épîtres, du moins des endroits qui concernent cette matière.
Nous reconnaissons donc bien volontiers que saint Paul ne cesse de répéter et d'inculquer comme une vérité fondamentale que l'homme est justifié par la foi et non par les œuvres ; mais le point est de savoir de quelle foi et de quelles œuvres l'Apôtre parle. Parcourez, Monsieur, s'il vous plaît, les deux Épîtres d'un bout à l'autre, et voyez si vous y trouvez un seul mot de votre foi spéciale, de la foi acceptante et saisissante. Vous ne trouverez nulle part que la foi justifiante soit un acte de volonté, par lequel l'homme accepte et s'applique les mérites de Jésus-Christ, et la rémission des péchés qui lui est offerte par la miséricorde de Dieu ; ni qu'elle soit, comme la définissent les centuriateurs1 et Kemnitius2, une confiance à la divine miséricorde, confiance qui cherche, qui saisit, qui accepte dans la promesse de l'Évangile la rémission des péchés, à cause de Jésus-Christ le Médiateur. Ce sont là des définitions faites à plaisir par vos savants, c'est l'ouvrage de leur imagination, vous n'en trouverez pas le moindre fondement dans les Épîtres de saint Paul. Partout où l'Apôtre parle de la justification et de foi qui en est le principe, il parle de la foi dans le sens ordinaire, c'est-à-dire, de la foi en tant qu'elle est une ferme adhésion aux vérités révélées. Lorsqu'au quatrième chapitre de son Épître aux Romains il rapporte l'exemple d'Abraham, à qui la foi fut imputée à justice, de quelle foi parle-t-il, si ce n'est de celle par laquelle Abraham crut en la puissance de Dieu, et à la fidélité de ses promesses ? Quoique le corps d'Abraham, dit-il, fût fort affaibli par la vieillesse, et que Sara sa femme fût depuis longtemps hors d'état de concevoir, il n'hésita pas néanmoins à croire qu'il deviendrait le père de plusieurs nations suivant la promesse de Dieu ? et c'est cette foi qui, au témoignage de saint Paul, lui fut imputée à justice3.
Vous le comprenez aisément, Monsieur, Abraham était déjà juste avant que cette promesse lui fût faite, et avant qu'il y ajoutât foi ; car il y avait déjà longtemps qu'il avait la connaissance du vrai Dieu, qu'il lui avait érigé des autels, offert des sacrifices et rendu avec ferveur les hommages d'un culte religieux. L'Apôtre ne parle donc ici que d'une augmentation de justice, et ne veut dire autre chose, si ce n'est qu'un acte de foi aussi héroïque que celui d'Abraham, le rendit encore plus juste et plus agréable à Dieu qu'il ne l'était auparavant ; sur quoi vous me permettrez, Monsieur, de faire le raisonnement suivant : Abraham est le père des croyants, et sa justification nous est proposée par l'Apôtre, comme le modèle de la nôtre4 ; Or, Abraham n'a pas été justifié par la foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ, l'Apôtre n'en fait aucune mention dans ce chapitre, où il traite si expressément de la justification ; il assigne à la foi d'Abraham un objet très différent de la miséricorde spéciale de Dieu et des mérites de Jésus-Christ ; donc lorsqu'il est question de la justification dans les Épîtres de saint Paul, il ne s'agit pas de votre foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ mais de la foi qui a pour objet les vérités révélées.
Le même Apôtre dit au dixième chapitre de l’Épître aux Romains, que si nous croyons en notre cœur que Dieu a ressuscité Jésus-Christ, nous serons sauvés1. Il est bien évident, Monsieur, qu'il s'agit là de la foi justifiante puisqu'il s'agit de la foi qui nous sauvera ; vous y voyez néanmoins encore un objet tout autre que sa miséricorde spéciale et les mérites de Jésus-Christ ; car il n'est ici parlé que de la résurrection du Sauveur.
L'Apôtre saint Jean dit que quiconque croit que Jésus est le Christ, ou le Messie, est né de Dieu2, chéri de Dieu, et par conséquent justifié : Il dit ailleurs, que celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu, est le vainqueur du monde3 ; c'est-à-dire qu'il triomphe des embûches du monde, et de sa malignité, et par conséquent qu'il est homme véritablement juste. Or, Monsieur, j'ose vous le demander, s'agit-il ici de croire en la miséricorde spéciale de Dieu, ou d'attirer à soi les mérites de Jésus-Christ par un acte d'acceptation ? Qui ne voit que le sens des paroles citées est que celui qui croit la résurrection et la divinité de Jésus-Christ, reçoit dès-là même et embrasse sa doctrine, fait profession d'être son disciple, règle sa vie selon ses maximes, et ne manque pas, si sa foi est vive et sincère, de faire tout ce qui est prescrit pour être justifié.
Voilà, Monsieur, le véritable sens de tous les passages de saint Paul, cités contre nous pour prouver que la seule foi en Jésus-Christ nous justifie ; c'est en effet cette foi qui nous fait chrétiens et qui nous fait vivre en chrétiens ; c'est elle seule qui est le principe et l'origine de toutes les pensées propres à nous porter à Dieu, et à nous faire prendre tous les moyens nécessaires, soit pour obtenir la rémission de nos péchés, soit pour nous maintenir en état de grâce, quand nous y sommes parvenus.
Ainsi, Monsieur, quand vos théologiens citent en faveur de leur foi spéciale les passages suivants : Le juste vit de la foi4. La justice de Dieu s'étend par la foi en Jésus-Christ sans distinction à tous ceux, et sur tous ceux qui croient en lui5. Dieu a proposé Jésus-Christ, afin que par la foi il soit en vertu de son Sang notre réconciliation6. Il n'y a qu'un Dieu qui justifie par la foi ceux qui sont circoncis, et ceux qui ne sont pas circoncis7. On croit de cœur pour obtenir la justice, et on confesse de bouche pour obtenir le salut8. Ceux qui croient sont enfants d'Abraham9. Vous êtes tous enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ10. Comme Moïse éleva le serpent d'airain dans le désert, de même il faut que le Fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle1. Celui qui croit au Fils de Dieu, ne sera pas condamné2. Je vous écris ces choses, afin que vous sachiez, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, que vous avez la vie éternelle3. Sachez donc mes frères que c'est par celui-là que je vous annonce le pardon des péchés, et la rémission de toutes les choses, dont vous n'avez pu être justifiés4. Dieu n'a fait aucune différence entre nous et les gentils, ayant purifié leur cœur par la foi5. Quand, dis-je, vos savants accumulent contre nous tous ces passages, et plusieurs autres de cette espèce, que font-ils voir, sinon qu'un grand désir d'établir leur sentiment et une disette encore plus grande de preuves propres à y réussir ? car que signifient tous ces textes ? si ce n'est qu'il est absolument nécessaire de croire en Jésus-Christ et à sa doctrine ; que les observances de l'ancienne loi étaient trop faibles pour opérer la justification ; que les gentils comme les Juifs peuvent également parvenir au salut, moyennant la foi en Jésus-Christ ; que la foi de l'Évangile enseignant ce qu'il faut faire, animant à le faire et à le bien faire, dirigeant les actions vers la fin à laquelle elles doivent être rapportées, soutenant le fidèle dans la pratique du bien, et le portant à rentrer dans les bonnes voies, s'il venait à s'en écarter, est véritablement ce qui fait vivre l'homme de la vie des justes, ce qui le réconcilie avec Dieu offensé, et ce qui le fait arriver à la possession de l'héritage céleste.
Il est indubitable, que celui qui croit au Fils de Dieu, aura la vie éternelle6. C'est un oracle du Saint-Esprit qu'il n'est pas permis de contredire. Mais qu'est-ce ici que croire au Fils de Dieu ? et quelle est la créance qui nous fera obtenir la vie éternelle ? Suffit-il de croire que Jésus-Christ est mort pour nous, qu'il a satisfait pour nos péchés, qu'il nous présente ses mérites et la rémission de nos péchés, et d'accepter tous ces biens pour nous les appliquer, comme étant en notre disposition par l'offre gracieuse qu'il nous en fait ? c'est là sans doute votre sentiment, et le véritable point de la vertu justificative que vous attribuez à la foi ; mais que trouvez-vous dans le texte cité qui puisse servir d'appui à votre dogme chéri ? que trouvez-vous également dans tous les textes cités plus haut ?
Pour nous, nous estimons que croire au Fils de Dieu d'une foi pratique, d'une foi qui porte efficacement à suivre les leçons du divin Maître, d'une foi, qui, comme dit l'Apôtre, opère par la charité7, est un moyen infaillible pour obtenir la vie éternelle.
C'est ainsi qu'un malade qui croit aux ordonnances d'un médecin véritablement habile, recouvrera sa santé, qu'un général qui croit aux conseils d'un homme parfaitement expérimenté dans l'art de la guerre, remportera la victoire ; bien entendu que le malade observera le régime, et prendra les remèdes qui lui sont prescrits par le médecin ; bien entendu que le général prendra toutes les précautions, et fera tous les arrangements suggérés par l'homme parfaitement intelligent dans le métier de la guerre.
Mais, nous dit-on, l'Apôtre exclut positivement les œuvres de la justification ; car il dit au troisième chapitre de l’Épître aux Romains : Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi1 ; et au second chapitre de celle aux Galates : Sachant que l'homme est justifié par la foi en Jésus-Christ, et non par les œuvres de la loi, nous croyons aussi en Jésus-Christ, afin d'être justifiés par la foi en Jésus-Christ, et non par les œuvres de la loi, parce que personne ne sera justifié par les œuvres de la loi2 ; d'où vos théologiens concluent qu'il ne suffit pas de se borner à dire que la foi a la première part dans l'œuvre de la justification, qu'il faut en exclure entièrement le mérite des œuvres, et reconnaître que la foi seule est le principe de la justification, qu'il n'y a que la foi seule qui justifie.
Mais, remarquez-le bien, l'Apôtre n'exclut de la justification que les œuvres de la loi de Moïse et celles qui sont faites avant la foi, ou sans la foi, sans le secours de la grâce, et par les seules forces du libre arbitre ; il ne prétend en aucune manière en exclure les œuvres de la loi chrétienne faite par le mouvement du Saint-Esprit ; que bien loin de là il les comprend et les renferme sous le nom de la foi, car de même que toutes les aumônes qui sont données par un principe de charité, sont appelés des charités, et que tous les présents qui ont la libéralité pour source, sont autant de libéralités, de même aussi toutes les œuvres qui ont la foi pour principe, sont appelées foi dans le langage de l'Apôtre, parce qu'elles sont en effet l'exercice de la foi et qu'elles font avec la foi une espèce de tout, dont la foi est, pour ainsi dire, la partie dominante.
J'ai déjà observé que les œuvres mêmes de la loi chrétienne faites par un mouvement du Saint-Esprit, si elles précédent la justification, ne peuvent mériter la grâce de la justification ; mais que nous les regardons uniquement comme des dispositions nécessaires, sans lesquelles nous ne l'obtenons pas, et moyennant lesquelles nous l'obtenons.
C'est uniquement dans ce sens que selon nous la contrition, le bon propos, la déclaration des péchés faite à un prêtre, contribuent efficacement à la justification du pécheur ; et c'est la doctrine expresse de l'Apôtre ; car ne dit-il pas, qu'il y a une tristesse selon Dieu, c'est-à-dire, la douleur qu'on ressent de ses péchés, qui produit une véritable pénitence et assure le salut3, que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés4, que quand nous aurions toute la foi imaginable, jusqu'à transporter les montagnes, si nous n'avons la charité, nous ne sommes rien5, qu'il y a trois vertus, la foi, l'espérance et la charité, mais que la plus grande et la plus excellente de toutes est la charité6.
Il est clair, Monsieur, que si nous avions toute la foi imaginable omnem fidem, nous aurions aussi la foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ, puisque vous rangez cette foi parmi les différentes espèces de foi ; or, l’Apôtre déclare qu'avec toute la foi imaginable nous ne sommes rien, si nous n'avons la charité; donc en supposant que nous ayons votre foi spéciale aux mérites de Jésus-Christ, si nous n'avons pas la charité, nous ne sommes rien ; donc nous ne pouvons être justifiés par la seule foi spéciale, et la charité, n'est pas moins essentiellement requise à la justification que la foi.
J'ajoute que si la foi est seule appelée à justifier l'homme, sans que la charité y ait aucune part, il sera difficile de comprendre comment la charité est plus grande, et plus excellente que la foi : ce serait sans doute la foi qui en ce cas surpasserait les autres vertus en excellence, puisqu'elle seule produirait le grand effet de la justification ; mais la charité achevant ce que la foi ne fait que commencer, on conçoit sans peine comment la charité mérite l'éloge qui lui est donné par l'Apôtre.
Voulez-vous consulter d'autres livres de l'Écriture sainte, en combien d'endroits ne trouverons-nous pas la justification du pécheur attribuée à d'autres dispositions qu'à la foi, bien que la foi en soit toujours le principe ? N'est-il pas dit au quatrième chapitre du Deutéronome : Vous trouverez Dieu, si vous le cherchez de tout votre cœur et dans toute la douleur de votre âme1 ? C'est donc moyennant une componction sincère qu'on recouvre l'amitié de Dieu. Le Saint-Esprit ne nous assure-t-il pas au quatorzième des Proverbes, que la crainte du Seigneur est la source de la vie2 ; c'est donc la crainte des jugements de Dieu qui est capable de rendre la vie de l'âme au pécheur.
Quel exemple plus illustre dans tout l'Évangile d'une véritable justification, que celui de la Magdeleine pénitente, et celui de l'humble publicain ? Or, quel fut le principe de leur justification ? Le Sauveur ne nous apprend-il pas, que beaucoup de péchés furent remis à Magdeleine, parce qu'elle avait beaucoup aimé3 ? c'est donc l'amour qu'elle eut pour Jésus-Christ qui au témoignage du Sauveur même, lui fit obtenir le pardon de ses péchés.
Mélanchton donne une étrange explication à ces paroles : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé, il prétend, que c'est comme si le Sauveur eût dit : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle m'a véritablement honoré par sa foi, et par l'exercice et les marques de sa foi4.
Il faut avouer, Monsieur, que quand on s'est mis fortement une chimère dans la tête, on croit la voir partout, quelque invisible qu'elle soit à ceux qui ne sont pas également prévenus ; Mélanchton n'avait dans l'esprit que sa foi spéciale, et il s'est figuré la voir renfermée dans un passage qui très visiblement ne parle que du seul amour de Magdeleine. S'il est permis d'expliquer ainsi le texte sacré, avec quelle assurance ne soutiendra-t-on pas les plus étranges paradoxes, sans pouvoir jamais être convaincu du contraire ?
Pour ce qui est de l'humble publicain, l'Évangile en dit seulement qu'il se tenait près de la porte du Temple, qu'il n'osait lever les yeux au ciel, qu'il se frappait la poitrine en disant : Mon Dieu, faites-moi miséricorde parce que je suis pécheur1, et qu'après avoir donné ces marques d'une sincère componction, il s'en retourna justifié dans sa maison ; c'est donc par les sentiments bas et humbles dont il était pénétré, c'est par la douleur de ses péchés si vivement exprimée dans ses paroles et dans sa contenance, qu'il se disposa efficacement à sa réconciliation avec Dieu. On ne voit dans tout le récit que fait ici l'Évangile aucun vestige ni de la foi spéciale aux mérites du Libérateur, ni de cette ferme confiance, par laquelle vous prétendez qu'il faut se tenir assuré d'avoir obtenu le pardon de ses péchés.
Je dois, Monsieur, vous faire encore remarquer par d'autres endroits de l'Écriture, combien le fondement de votre doctrine est ruineux. Pour s'approprier une chose promise, il ne faut, dites-vous, que l'accepter, et voilà pourquoi, selon vous, la seule foi justifie, parce qu'elle seule accepte les mérites de Jésus-Christ, et la rémission des péchés.
Oui, j'en conviens, il ne faut que l'acceptation pour s'approprier un objet promis, lorsque la promesse est simple et absolue ; mais quand la promesse est conditionnelle, on n'obtient rien, vous en conviendrez, si l'on ne satisfait à la condition. Que le roi promette un riche fief à un de ses sujets pour un service de fort légère importance, tel que serait celui de porter un ordre, ou une nouvelle avec diligence et promptitude. Si celui-ci ne se hâte pas en effet autant que le roi le désire et l'exige, ne sera-ce pas vainement qu'il se flattera d'avoir acquis un droit légitime à posséder le fief promis ?
J'avoue que Dieu nous a promis dans ses divines Écritures le pardon de nos péchés, son amitié, et la participation aux mérites de Jésus-Christ ; mais de quelle nature est sa promesse ? est-elle conditionnelle, ou absolue ? je soutiens qu'elle est conditionnelle ; car n'est-il pas dit : S'ils se convertissent de tout leur cœur, vous les exaucerez du haut du ciel, et vous leur pardonnerez2 ; Si l'impie fait pénitence de ses péchés, et pratique des œuvres de justice, il vivra véritablement3 ; Vous serez mes amis, si vous faites ce que je vous commande4 ; Vous trouverez Dieu, si vous le cherchez de tout votre cœur5.
Acceptons donc, tant qu'il vous plaira, l'offre que Dieu nous fait des mérites de Jésus-Christ, et de la rémission de nos péchés ; si nous ne satisfaisons aux conditions marquées, nous ne tirerons aucun avantage des promesses qui nous ont été faites ; non que Dieu manque à sa parole, mais parce que nous manquons nous-mêmes aux conditions prescrites. Faites réflexion, s'il vous plaît, Monsieur, à la comparaison dont je viens de me servir, et rien ne vous paraîtra plus frivole que cette vertu d'acceptation, tant que la condition ne sera pas accomplie.
Mais ce qui me paraît encore plus décisif en cette matière, c'est que l'Apôtre saint Jacques voyant plusieurs nouveaux chrétiens abuser de la doctrine de saint Paul, faute de la bien entendre, enseigne en termes formels que les œuvres concourent avec la foi à la justification de l'homme : Vous voyez donc, dit-il, que l'homme est justifié par les œuvres, et non seulement par la foi6. Il est difficile, Monsieur, avec votre droiture naturelle de ne pas reconnaître la contradiction manifeste qui existe entre votre doctrine et ces paroles de saint Jacques : elles sont néanmoins d'une Épître que vous recevez aujourd'hui comme canonique et par conséquent vous ne pouvez vous empêcher de les regarder comme étant les paroles mêmes du Saint-Esprit.
Je n'ignore pas que vos savants, pour éluder la force d'un passage si accablant, prétendent qu'il ne faut pas ici prendre le mot de justification dans le sens ordinaire ; que saint Jacques en disant que l'homme est justifié par les œuvres, a voulu dire seulement que l'homme est déclaré juste par les œuvres, ou que ce sont les œuvres qui font connaître l'homme de bien.
Mais qui ne voit que saint Jacques a parlé de la justification dans le même sens dans lequel en a parlé saint Paul ? puisqu'il s'est proposé, ainsi que le remarque saint Augustin, de remédier à l'abus que plusieurs faisaient de la doctrine de cet Apôtre1 ; or, comment eût-il pu réussir dans son dessein, s'il eût pris le mot de justification dans un sens différent de celui de saint Paul ? Croyez-vous, Monsieur, que saint Jacques se soit mis fort en peine de nous apprendre que les bonnes œuvres rendent témoignage à la probité de l'homme de bien ? Ne le savions-nous pas, sans qu'il nous en avertît ? et pourrez-vous vous persuader que c'est là le dénouement aux difficultés qu'on trouvait dans les Épîtres de saint Paul, et le remède à l'abus qu'on faisait de sa doctrine ?
D'ailleurs, si être justifié signifie ici être déclaré juste, le sens de ce passage de saint Jacques : L'homme est justifié par les œuvres, et non-seulement par la foi, fera que l'homme n'est pas seulement déclaré juste par la foi, mais aussi par les œuvres ; or, ce sens est évidemment ridicule, et on ne peut le supposer à saint Jacques sans lui prêter une extravagance ; car on n'est jamais déclaré juste par la foi qui est une chose intérieure et hors de la portée des sens ; donc il ne se peut dire que l'homme n'est pas seulement déclaré juste par la foi, mais aussi par les œuvres ; donc, être justifié par les œuvres ne signifie pas ici être déclaré juste par les œuvres.
Saint Jacques ajoute que la foi d'Abraham conspira avec ses œuvres, et que ses œuvres donnèrent la perfection à sa foi2. Mais à quoi aboutit ce concert de la foi et des œuvres d'Abraham ? et quel en fut l'effet ? fut-ce de faire connaître la justice du saint Patriarche ? j'ai déjà remarqué que la foi, disposition intérieure et invisible, ne peut concourir à faire connaître la justice, mais seulement à justifier ; donc encore cet endroit être justifié, ne peut signifier ici être déclaré juste.
Il est dit de plus dans la même Épître qu'une femme de mauvaise vie nommée Rahab fut justifiée par ses œuvres, lorsqu'elle reçut les espions sortis du camp d'Israël, et qu'elle leur sauva la vie en les renvoyant par un autre chemin qu'ils n'étaient venus3. Or, dira-t-on que cette femme de mauvaise vie fut déclarée juste par la charité qu'elle exerça envers les espions israélites ? N'est-il pas infiniment plus naturel de penser qu'elle cessa d'être infidèle, pour croire au véritable Dieu, et que la charité qu'elle pratiqua envers ses serviteurs, jointe au désir qu'elle sentit de lui plaire en faisant une action qu'elle savait devoir être très-agréable à ses yeux, lui fit véritablement trouver grâce devant le Seigneur ? Donc, encore une fois, le mot de justification ne signifie pas dans l’Épître de saint Jacques une déclaration de justice.
J'ai cru, Monsieur, devoir détruire par des preuves invincibles le vain subterfuge auquel vos théologiens ont ici recours, parce que rien ne m'a paru plus propre pour décider la difficulté élevée entre vous et nous, que le texte de saint Jacques, où la doctrine catholique se trouve expliquée dans les termes les plus clairs et les plus précis.
Mais, nous dira-t-on, saint Jacques et saint Paul sont donc opposés entre eux ; si l'un enseigne que la foi justifie sans les œuvres, et l'autre que l'homme est justifié non-seulement par la foi, mais aussi par les œuvres. Non, Monsieur, ils ne sont nullement opposés, et nous les concilions parfaitement en disant que saint Paul exclut de la justification les œuvres de la loi de Moïse et toutes celles qui précèdent la foi, au lieu que saint Jacques fait concourir à la justification les œuvres de la loi chrétienne, qui sont produites par un mouvement du Saint-Esprit et par l'instinct de la foi ; et c'est la nécessité de concilier ainsi ces deux apôtres, qui nous fournit une nouvelle preuve pour justifier le sens dans lequel nous entendons les passages de saint Paul, l'explication que vous donnez aux paroles de saint Jacques, étant absolument insoutenable, comme je pense l'avoir démontré.
Il reste une difficulté, dont il faut que je donne la solution avant que de finir cet article, de peur que si elle vous était proposée par quelqu'un de vos ministres, elle ne vous paraisse devoir l'emporter sur tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire jusqu'ici. Voici comme le sieur Gérard professeur de l'université de Jena la propose : « Abraham, nous dit-il, est représenté par saint Paul, comme l'exemple et le modèle de tous ceux qui sont justifiés ; or, ajoute ce professeur, ce ne sont pas les œuvres qui ont justifié Abraham, pas même celles qu'il a faites avec le secours de la grâce, ayant déjà la foi et la connaissance du vrai Dieu ; car il est évident, poursuit le docteur saxon, que saint Paul parle d'un temps où Abraham n'agissait pas sans la foi ni sans la connaissance du vrai Dieu, ni sans le secours de sa grâce, puisque, selon la supputation de Pagninus, il y avait, au temps de la promesse faite à Abraham, déjà cinquante-deux ans que ce patriarche avait quitté le culte des idoles, pour s'attacher au service du vrai Dieu. C'est néanmoins des œuvres faites pendant ce temps de lumière et de grâce, que saint Paul déclare qu'elles n'ont eu aucune part à la justification d'Abraham, mais qu'il a cru à Dieu et que sa foi lui a été imputée à justice ; donc, conclut-il, les œuvres mêmes qui procèdent de la foi et qui sont faites avec le secours de la grâce, n'ont aucune part à la justification1. »
L'argument devient d'autant plus fort que saint Paul semble faire entendre que si Abraham eût été justifié par les œuvres, sa justification n'eût pas été gratuite ; car il dit : qu'on ne donne à personne la récompense pour ses œuvres comme une grâce, mais comme une dette, qu'il n'en est pas ainsi de celui qui sans faire d'œuvres croit en celui qui justifie le pécheur ; que sa foi lui est imputée à justice selon la grâce que Dieu a résolu de lui faire2. L'Apôtre ajoute que, si Abraham eût été justifié par ses œuvres, il en eût eu la gloire devant les hommes et non auprès de Dieu1. Ce qui paraît démonstratif au ministre, pour prouver qu'aucune œuvre d'Abraham, de quelque nature et de quelque qualité qu'elle fût n'a contribué à sa justification.
Je ne disconviens pas, Monsieur, que ces paroles de saint Paul ne forment quelque difficulté sur le sujet en question ; c'est un de ces endroits, dont parle saint Pierre lorsqu'il dit : Il y a dans les Épîtres de saint Paul des endroits difficiles à entendre que des esprits ignorants et légers détournent en un mauvais sens pour leur damnation2. Je ne laisse pas de soutenir que le raisonnement du professeur Gérard peut être également tourné contre lui ; car, voici comme nous raisonnons à notre tour : Abraham nous est représenté comme l'exemple et le modèle de ceux qui sont justifiés ; or, l'apôtre saint Jacques nous apprend que les œuvres ont concouru à la justification d'Abraham, car il dit : Abraham ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu'il offrit son fils Isaac sur un autel ? c'est-à-dire n'a-t-il pas reçu un accroissement de justice, lorsque, étant déjà juste, il fit un généreux sacrifice de son fils ? Donc tout fidèle déjà juste est encore justifié par ses bonnes œuvres en prenant le mot de justification dans le sens où le prend ici l'Apôtre, c'est-à-dire, pour une augmentation de justice. C'est néanmoins ce que vos théologiens sont bien éloignés d'accorder ; car ils prétendent que la seconde justification comme la première, c'est-à-dire, le progrès comme le commencement de la justification dépend uniquement de la foi.
Examinons maintenant qu'elle est la véritable pensée de saint Paul ; il ne prétend pas dire qu'Abraham n'a pas été justifié par les œuvres qui procèdent de la foi ; car en disant que la foi lui a été imputée à justice, il parle d'une foi pleine d'espérance, et accompagnée de charité, prompte à obéir et généreuse à tout sacrifier, d'une foi qui comprenait sans doute aussi les œuvres ; mais en opposant les œuvres à la foi, il parle ou des pratiques extérieures de la loi de Moïse, telle qu'était la circoncision, ou des actions humaines qui n'ont pas la foi pour principe et qui se font par les seules forces du libre arbitre, sans le secours de la grâce ; et quoique Abraham fit peu d'actions de cette dernière espèce, après qu'il fut parvenu à être l'ami de Dieu, l'Apôtre ne laisse pas de dire que ce n'est pas par des actions de cette nature qu'Abraham a été justifié, ni qu'il a augmenté en justice ; ce que l'Apôtre n'a remarqué qu'afin de faire comprendre aux Romains et aux Galates la nécessité et l'efficace de la foi et de la grâce de Jésus-Christ.
Il est aisé de prouver par les paroles mêmes citées contre nous, que c'est là la pensée de l'Apôtre ; car, selon sa doctrine, ce qui est accordé aux œuvres dont il parle, est une simple récompense et non une grâce ; or, il n'y a que les œuvres faites par les seules forces du libre arbitre qui méritent une récompense telle qu'elle ne puisse être regardée comme une grâce ; car pour les œuvres produites par la foi, ce qui leur est accordé n'est pas simplement une récompense, c'est aussi une grâce, c'est même une grâce plutôt qu'une récompense, puisque là tout est fondé sur la grâce, tout provient de la foi qui, comme l'Apôtre l'enseigne expressément, est le premier des dons célestes dont nous ne saurions nullement mériter la possession par nos œuvres. C'est la grâce, dit-il, qui vous a sauvés par la foi, et ce bien ne vient pas de vous ; car c'est un don de Dieu, qui n'est pas le fruit de vos œuvres, afin que personne ne se glorifie1. Donc l'Apôtre, en excluant les œuvres de la justification d'Abraham, n'a pas prétendu parler des œuvres qui ont la foi pour principe et qui sont faites avec le secours de la grâce.
Remarquez de plus, Monsieur, s'il vous plaît, que si Abraham eût été justifié par les purs efforts de son libre arbitre, en faisant des actions louables devant les hommes, il serait pour lors vrai de dire qu'il a eu de la gloire auprès des hommes et non auprès de Dieu ; mais que s'il a été justifié par la foi et par les effets de sa foi, c'est-à-dire par les œuvres procédantes de sa foi, il ne s'ensuit nullement qu'il n'en ait eu aucune gloire auprès de Dieu ; car enfin de telles œuvres étaient l'ouvrage de la grâce, très propres à glorifier Dieu, et à rendre Abraham plus agréable à ses yeux. Donc l'Apôtre n'a prétendu exclure de la justification d'Abraham que les œuvres faites sans la foi et sans la grâce, non celles qui sont les fruits de l'un et de l'autre.
Si vous considérez ensuite, Monsieur, les inconvénients que saint Paul trouve à attribuer la justification de l'homme aux œuvres de la loi, vous serez encore plus convaincu qu'il parle uniquement des œuvres de la loi de Moïse, ou des œuvres de la loi naturelle, et nullement des œuvres de la religion chrétienne faites par le mouvement du Saint-Esprit et dans les principes de la foi ; car s'il parlait de ces dernières, comment pourrait-il en tirer les conséquences sur lesquelles il appuie si fort dans son Épître aux Romains et dans celle aux Galates ? S'il n'y avait, dit-il, que ceux qui ont reçu la loi qui fussent les héritiers, la foi serait anéantie et la promesse deviendrait vaine2 : Si la loi nous justifie, c'est donc en vain que Jésus-Christ est mort3 : Si l'héritage eût dû être donné par la loi, ce n'eût donc pas été en vertu de la promesse4 : Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous vous rendez Jésus-Christ inutile, vous êtes déchus de la grâce5. Qui ne voit que toutes ces conséquences sont très justes, en supposant qu'on se croie justifié par les œuvres de la loi de Moïse, ou par les seules forces de la nature ? car si la loi et la nature suffisaient pour obtenir la justice et le salut, qu'eût-il été en effet besoin que Jésus-Christ mourût pour nous y faire parvenir ? sa vie et sa mort, ses mérites et sa grâce, ne nous seraient-ils pas devenus parfaitement inutiles ?
Vous n'ignorez pas, Monsieur, la promesse que Dieu fit à Abraham, lorsqu'il lui ordonna de sortir de son pays pour passer dans la terre de Chanaan : Je vous ferai, lui dit-il, le père d'un grand peuple, et toutes les nations de la terre seront bénies en vous6 ; promesse qui lui fut renouvelée au vingt-deuxième chapitre de la Genèse, après qu'il eut signalé son obéissance par la généreuse disposition où il se montra de faire le sacrifice de son fils. Or, dit l'Apôtre, en raisonnant contre plusieurs juifs convertis qui conservaient beaucoup d'attachement pour les observances légales, et méprisaient les Gentils, comme indignes de participer à la grâce de l'Évangile, s'il n'y a que les enfants d'Abraham et les disciples de Moïse d'appelés à la bénédiction d'Abraham, et si les justes qui, sans pratiquer la loi, sont les imitateurs de sa foi, n'ont aucune part, il est clair que la promesse faite à Abraham sera vaine ; il n'est pas moins clair que si la foi dont la vertu a justifié le père des croyants, de la manière dont nous l'avons dit, ne peut justifier également ceux qui croient après lui et comme lui, la foi sera anéantie.
Mais comment nous persuadera-t-on que si des œuvres faites avec le secours de la grâce et émanées de la foi, sont regardées comme des moyens propres à parvenir à la justice et à la sainteté, il sera en ce cas inutile que Jésus-Christ soit mort pour nous, que ses mérites ne nous serviront de rien, que nous serons déchus de sa grâce, que la promesse deviendra vaine et que la foi tombera dans l'anéantissement ? Est-ce donc que la mort de Jésus-Christ n'est pas dans nos principes le prix de toutes les grâces qui nous font agir ? n'est-ce pas par Jésus-Christ que nous obtenons le pardon de nos péchés, lui seul ayant pu satisfaire pour nos dettes, et nous ne le pouvant en aucune façon ? La foi, qui est en nous la racine de tout bien, n'est-elle pas, selon nous, un pur don de Dieu, dont nous sommes uniquement redevables aux mérites de la passion de son Fils ? Dieu nous a promis la rémission de nos péchés moyennant de certaines conditions, si en satisfaisant aux conditions qui nous ont été prescrites, nous obtenons l'effet de la promesse divine, sera-ce par là même que la promesse deviendra vaine ? Qu'en pensez-vous, Monsieur ? les conclusions de l'Apôtre vous paraissent-elles concluantes contre nous, et peut-on soupçonner saint Paul d'avoir voulu combattre le système de notre doctrine par des raisonnements qui visiblement porteraient à faux ? Donc, encore une fois, l'Apôtre en excluant les œuvres de la justification, n'a pas prétendu en exclure celles qui ont la foi et la grâce pour principe.
Vous ne désapprouverez pas, Monsieur, que je me sois un peu étendu sur cette difficulté ; elle est la plus apparente de toutes celles que vos savants nous objectent, et celle dont ils font le plus de bruit. Vous voyez que je n'en ai rien dissimulé ; j'ai rapporté fidèlement tous les textes qui semblent la grossir ; mais que peuvent tous ces textes pour établir votre doctrine ? qu'on les examine de près et on verra qu'ils ne servent qu'à nous armer contre vous.
Luther a si bien senti la faiblesse de tous ces raisonnements fondés sur les Épîtres de saint Paul, qu'embarrassés de n'y pas trouver de textes assez clairs, et assez concluants à son gré, il a eu recours à la falsification la plus insigne ; car, au lieu de rendre le vingt-huitième verset du troisième chapitre de l’Épître aux Romains tel qu'il est dans l'original : Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi, il a traduit : « Nous estimons que l'homme est justifié par la seule foi sans les œuvres de la loi, » ajoutant au texte le mot seule, qui ne se trouve ni dans le grec ni dans le latin.
Vos ministres veulent justifier Luther sous prétexte qu'il a pris le véritable sens des paroles de saint Paul ; c’est là, je ne l'ignore pas, la prétention de Luther et de ses disciples ; mais il ne s'agit point ici de prétention, vu surtout que nous ne convenons pas du fait ; il s'agissait de rendre de texte de saint Paul par une version fidèle, exacte, par des paroles qui ne dissent ni plus ni moins que le texte : or, c'est ce que Luther n'a pas fait ; désolé sans doute de ne découvrir aucun texte qui donnât l'exclusion aux œuvres de la loi chrétienne, il en a forgé un qui les exclut positivement ; car s'il est vrai que l'homme soit justifié par la foi toute seule, il sera vrai aussi de dire que ni les œuvres de la loi judaïque, ni les œuvres de la loi chrétienne n'ont aucune part à la justification, au lieu que le texte de l'Apôtre subsistant tel qu'il est, sans y ajouter le mot de seule, laisse lieu à la distinction que nous employons : donc la traduction de Luther en dit plus que texte original, donc elle est vicieuse et infidèle.
Les théologiens catholiques ne manquèrent pas de reprocher à Luther cette falsification ; mais quelle fut sa réponse ? « Vous paraissez surpris, dit-il en écrivant à un de ses amis, de ce que j'ai dit que nous sommes justifiés par la seule foi, bien que ce mot seule ne se trouve point dans le texte de l'Apôtre : Si votre papiste s'en scandalise, dites-lui, qu'un papiste et un âne est une même chose ; toute la raison que j'ai à rendre de cette addition, la voici : je le veux, je le commande, ma volonté doit servir de raison... Il y a longtemps, poursuit-il, que je le sais, le mot de seule ne se trouve ni dans le texte latin ni dans le texte grec ; mais je n'ai qu'un regret ; c'est de n'avoir pas encore ajouté a ce passage deux autres mots, en traduisant sans toutes les œuvres de toutes les lois, afin de faire voir que l'homme est justifié sans aucunes œuvres, de quelque loi que ce puisse être ;.. que ces ânes de papistes, continue-t-il, enragent, jusqu'à perdre l'esprit de dépit, ils ne m’ôteront pas ce mot qui doit demeurer dans mon testament1.
Je ne vous le dissimulerai pas, Monsieur, s'il m'était permis d'être curieux sur ce qui se passe dans votre intérieur, j'aimerais savoir les pensées qui s'élèvent dans votre esprit, au sujet de ces étonnantes paroles ; oserais-je vous demander, si vous êtes fort édifié de la modestie et de la modération de Luther ? Trouvez-vous que ce soit là le langage d'un homme spécialement éclairé de Dieu ? est-ce à des gens de cette espèce que le Saint-Esprit communique ses lumières les plus pures, et est-il à présumer qu'il en fait ses organes ? Pensez-en ce qu'il vous plaira, Monsieur, ou plutôt évitez de rien penser sur ce sujet ; car c'est assez le parti que vous prenez dans ces occasions ; pour moi, je croirai rendre justice à votre bon sens en me persuadant que vous aurez bien moins de peine à admettre les bonnes œuvres comme essentielles à la justification, qu'à regarder un homme qui pense et parle de cette manière, comme un vase d'élection spécialement choisi de Dieu pour dissiper les ténèbres de l'erreur, et rétablir la pureté de la foi. Il y a dans les paroles rapportées ici un orgueil si outré, pour pour ne pas dire si extravagant, qu'on ne peut s'empêcher d'y avoir un incompatibilité absolue avec l'esprit de Dieu ; mais ce n'est pas là la seule réflexion que j'ai à faire ; celle qui regarde plus directement et plus immédiatement mon sujet est de vous faire remarquer que Luther devait se trouver bien court de preuves propres à établir son sentiment, puisqu'il a cru devoir falsifier un texte pour suppléer à ceux qui lui manquaient.
Je crois, Monsieur, en avoir assez dit pour prouver que votre doctrine sur l'article de la justification, n'a rien de la doctrine de saint Paul, qu'elle est très éloignée de la pensée et du dessein de cet Apôtre, et que de plus elle contredit formellement plusieurs textes de l'Écriture. Je dois présentement venir à la preuve de la seconde des trois propositions que j'ai opposées à vos prétentions, et faire voir que votre doctrine sur le même article, n'a rien par dessus la nôtre, ni pour relever la gloire des mérites de Jésus-Christ, ni pour tranquilliser les consciences, et que les chefs de votre réforme se sont vainement flattés de ce double avantage. Mettons, Monsieur, s'il vous plaît, tout préjugé à part, et vous ne tarderez pas à reconnaître que nous pensons sur les mérites de Jésus-Christ, comme il convient d'en penser, et que, sans nous flatter d'une folle sécurité, nous avons des moyens très solides d'apaiser les remords d'une conscience inquiète.
Quelle plus haute idée peut-on avoir des mérites du Sauveur, que de reconnaître, comme nous reconnaissons, premièrement, que l'homme pécheur ne peut retourner à Dieu sans y être excité par des mouvements salutaires d'une grâce prévenante, fruit des mérites et du sang de Jésus-Christ1 ; en second lieu que tous les efforts de l'homme pécheur, quoique aidé d'un secours surnaturel, sont beaucoup trop faibles pour pouvoir mériter la rémission des péchés, cette rémission n'étant accordée au pécheur pénitent que par la pure miséricorde de Dieu, gratuitement et uniquement en vue des mérites de Jésus-Christ2, en qui et par qui, comme dit saint Paul, il s'est fait une réconciliation de toutes choses avec Dieu, et qui, par le sang qu'il a répandu sur la croix, a donné la paix à ce qui est dans le ciel et à ce qui est sur la terre3. En troisième lieu que Dieu exige, il est vrai, de la part du pécheur certaines dispositions pour le recevoir en grâce, mais que le pécheur ne peut néanmoins apporter ces dispositions sans le secours de la grâce de Jésus-Christ, et que malgré leur excellence et leur perfection, elles n'ont cependant aucune proportion pour égaler le prix de la grâce justifiante, don inestimable, dont nous sommes uniquement redevables aux mérites du Fils de Dieu4. En quatrième lieu que Jésus-Christ répand continuellement sa vertu dans ceux qui sont justifiés, comme le chef dans les membres, et le cep de la vigne dans ses branches ; cette vertu précédant, accompagnant, et suivant toutes leurs bonnes œuvres, qui sans elle ne pourraient être agréables à Dieu, ni méritoires5.
Voilà, Monsieur, la doctrine de l'Église catholique touchant le prix et l'efficace des mérites de Jésus-Christ, renfermée dans ces quatre articles et enseignée en termes formels par le concile de Trente : or, je vous le demande, est-ce là une doctrine capable d'obscurcir les mérites de Jésus-Christ ? et le reproche que vos ministres nous en font, n'est-il pas la plus indigne de toutes les calomnies ?
Mais, nous disent-ils, vous reconnaissez dans l'homme juste une justice qui est propre à l'homme ; les protestants, au contraire, n'en reconnaissent pas d'autre que celle de Jésus-Christ, imputée de telle sorte à l'homme, qu'il n'est juste que de la justice de Jésus-Christ même ; or, ajoutent-ils, cette manière de donner tout à Jésus-Christ et de ne rien donner à l'homme est incomparablement plus propre à relever l'éclat et la gloire des mérites de Jésus-Christ.
Sans doute nous reconnaissons dans l'homme juste une justice inhérente et intrinsèque ; car il n'est pas possible à l'homme d'être juste d'une justice qui soit hors de lui, comme il ne peut être fort, sage ou savant d'une force, d'une sagesse et d'une science qui soient hors de lui, mais nous disons en même temps que cette justice inhérente et intrinsèque, autrement appelée la grâce habituelle, est un pur don du Saint-Esprit et le fruit inestimable de la passion du Sauveur, puisque Jésus-Christ, comme je l'ai déjà marqué plus d'une fois, a pu seul nous mériter un don si précieux, placé au-dessus de la portée de l'homme pécheur. Autre chose est donc que Jésus-Christ nous ait mérité notre justice ; autre chose, qu'il soit notre justice lui-même. Autre chose est, qu'il ait satisfait pour nous et que ses satisfactions soient regardées, comme si elles étaient nôtres ; autre chose, que nous soyons formellement justes de la justice même de Jésus-Christ. Nous reconnaissons qu'il est la cause méritoire de toute la justice qui est en nous ; mais nous disons que notre justice est entièrement distinguée de la sienne ; parce que, s'il m'est permis de parler ici le langage de l'école, la justice de Jésus-Christ ne saurait être tout à la fois et la cause efficiente morale et la cause formelle qui nous rend justes.
Ce serait bien à tort qu'on nous reprocherait de nous écarter en cela du langage de l'Écriture, puisqu'il y est dit, que nous sommes justifiés gratuitement par la grâce, en vertu de la rédemption faite par Jésus-Christ1 : que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné2 : que ceux qui ont reçu la grâce, le don et la justice en abondance, régneront dans la vie par Jésus-Christ3 : que Dieu a répandu abondamment sur nous le Saint-Esprit, afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions selon notre espérance les héritiers de la vie éternelle4 ; où vous voyez, Monsieur, que la grâce de Dieu, le don du Saint-Esprit, la justice, la charité, ce qui est un même bien exprimé en différents termes, nous est donnée, comme restant dans nous, comme nous étant intérieure, et nous rendant ainsi justes et héritiers de la vie éternelle.
Je ne l'ignore pas, Monsieur, vos savants distinguent entre la justification et la sanctification, et prétendent que la disposition dont je viens de parler, et que l'Apôtre exprime en différents termes, appartient à la sanctification et non à la justification, dont ils font consister la nature uniquement dans la rémission des péchés ; mais puisqu'ils conviennent avec nous du fond de la question, en reconnaissant dans l'homme juste une grâce, une justice, une charité qui le sanctifient, le reste ne peut guère être qu'une dispute de mots ; savoir si ce don intérieur à l'homme juste appartient à la justification ou à la sanctification, si la sanctification diffère de la justification, ou si ce ne sont pas des termes à peu près synonymes.
J'ajoute, que s'il s'agit ici de régler le langage, il est clair par les passages de saint Paul, que la grâce de Dieu, le don du Saint-Esprit, la charité appartiennent véritablement à la justification ; vous n'avez, Monsieur, qu'à relire ces passages pour vous en convaincre.
Et certes la justification ne délivre pas seulement des peines de l'enfer, elle donne aussi droit à la gloire des bienheureux ; or, la seule rémission des péchés ne délivre que des peines de l'enfer, et ne donne aucun droit à la gloire des bienheureux ; donc la seule rémission des péchés ne fait pas, comme vous le prétendez, toute la justification de l'homme ; donc la grâce intérieure qui sanctifie l'homme et qui lui donne droit à la gloire, fait aussi partie de la justification.
Il est sûr de plus, que la justification nous procure les glorieuses qualités d'amis, d'enfants, de domestiques de Dieu, de concitoyens des Saints ; or, ce n'est pas la seule rémission des péchés qui donne tous ces avantages ; donc la justification renferme d'autres faveurs que la simple rémission des péchés.
L'amitié de Dieu n'est rien moins que stérile, Dieu ne se contente pas de vouloir du bien à ses amis, il leur en fait ; or, le bien que Dieu veut à ceux qu'il justifie, est leur sanctification, suivant cette parole : C'est la volonté de Dieu que vous soyez saints1 ; donc la grâce justifiante ne se termine pas, comme on enseigne chez vous, à une simple bienveillance, ni à une faveur purement extrinsèque ; et il est nécessaire de convenir que l'effet immédiat de cette grâce est de sanctifier, et de renouveler l'âme d'une manière à la rendre agréable aux yeux de Dieu.
C'est là si bien le sentiment de saint Augustin, que Calvin, malgré son désir de nous le disputer, n'a vu d'autre parti à prendre que de rejeter ici l'autorité du saint Docteur, le seul pourtant de tous les Pères de l'Église, pour lequel il ait témoigné conserver quelque déférence. « Il ne faut pas, dit ce prétendu réformateur, il ne faut pas même écouter Augustin, qui rapporte la grâce justifiante à la sanctification, par laquelle nous sommes régénérés à une vie nouvelle2. »
Si, pour soutenir votre justice imputée, vous nous objectez, Monsieur, le passage de saint Paul, où il est dit, que Jésus-Christ a été fait notre sagesse, notre justice, notre sainteté et notre rédemption3 ; si de là vous prétendez conclure qu'il n'y a donc dans nous d'autre justice que celle de Jésus-Christ, et que sa justice seule peut nous donner la qualité de justes, nous répondrons que Jésus-Christ est ici appelé notre justice, comme Dieu est appelé notre force et notre patience dans les Psaumes4 ; non que nous soyons forts de la force de Dieu même, patients de la patience de Dieu même ; mais parce que notre force et notre patience viennent uniquement de Dieu : et, pour ne pas sortir du texte que vous nous objectez, je dis que Jésus-Christ est notre justice comme il est notre sagesse ; le texte mettant l'un et l'autre sur la même ligne ; or, nous ne sommes pas sages de la sagesse de Jésus-Christ, en sorte que notre sagesse ne soit pas distinguée de la sienne ; mais il est dit de Jésus-Christ qu'il est notre sagesse, parce que c'est lui qui par ses divines leçons, et ses divines lumières nous communique la véritable sagesse ; donc, par la même raison, nous ne sommes pas justes de la justice de Jésus-Christ de telle sorte, que notre justice ne soit pas distinguée de la sienne ; mais il est dit de Jésus-Christ qu'il est notre justice, parce que c'est à ses mérites que nous sommes redevables de toute la justice qui est en nous. C'est ainsi, Monsieur, qu'un texte qui vous paraissait si plausible pour établir votre justice imputée, nous donne toute espèce d'avantages pour expliquer et justifier votre sentiment.
Mais, ajoute-t-on, saint Paul méprisait la justice qui lui était propre et intrinsèque, et ne faisait cas que de celle de Jésus-Christ ; car il dit : J'ai renoncé à toutes choses, et je les considère comme de la boue, afin de posséder Jésus-Christ, et d'être trouvé en lui non pas juste de ma justice, qui vient de la loi, mais de celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, et qui est la justice de Dieu par la foi1 : d'où vos Théologiens concluent que la justice qui nous est propre et intrinsèque, est une justice imparfaite et méprisable, et que la justice de Jésus-Christ appliquée à l'homme par la foi, peut seule nous rendre agréables aux yeux de Dieu et nous rassurer contre la sévérité de ses jugements.
Mais saint Paul n'avait garde de mépriser la grâce sanctifiante, qui faisait sa justice propre et intrinsèque, et qu'il savait être le plus précieux des dons du Saint-Esprit ; ce qu'il méprisait, c'était la justice communiquée par la loi de Moïse ; c'est-à-dire, qu'il ne faisait aucun cas de tous les avantages attachés à la qualité de juif, ni de la réputation acquise au milieu de ses frères par sa ferveur à pratiquer les observances de la loi. Voilà ce qu'il regardait comme de la boue et de l'ordure.
Saint Augustin enseigne que la justice appelée par l'Apôtre la justice de Dieu, est celle qui est en nous par sa libéralité, et que notre justice est celle que nous acquérons ou prétendons pouvoir acquérir par nos propres forces, et sans la grâce de Jésus-Christ2 ; selon cette explication il est aisé de comprendre, pourquoi saint Paul témoigne estimer infiniment la première et ne faire aucun cas de la seconde.
Quant aux œuvres qui procèdent de la foi en Jésus-Christ, qui se font avec le secours de sa grâce et qui augmentent la justice des âmes déjà justifiées, l'Apôtre était bien éloigné de les regarder comme de la boue et de l'ordure, ainsi que le prétend Kemnitius3, puisque dans son Épître aux Galates il les nomme les fruits du Saint-Esprit4, et qu'il se tient pour assuré que le juge lui rendra la couronne de justice pour avoir soutenu un glorieux combat et pour avoir achevé sa course5, dans la pratique d'une infinité de bonnes œuvres. Il faut être aussi entêté de ses idées que Kemnitius pour se porter à traiter de boue les fruits du Saint-Esprit, et prétendre que le juste juge en couronnant les bonnes œuvres ne couronnera que des ordures.
Nous ne condamnons pas néanmoins l'expression de la justice imputée. Jésus-Christ seul a pu satisfaire pour nous ; ses satisfactions nous sont appliquées comme si nous avions satisfait nous-mêmes, on peut donc très-bien dire dans ce sens que sa justice nous est imputée, comme si c'était la nôtre ; en effet les mérites de Jésus-Christ sont en quelque façon à nous, puisqu'ils sont entièrement consacrés à notre profit, et nous sommes certainement en droit de les offrir au Père Éternel comme le prix de notre réconciliation.
Nous le savons d'ailleurs ; ce n'est pas par la justice inhérente à notre âme que nous satisfaisons pour nos péchés, et que nous échappons à la peine éternelle dont ils sont dignes. Cette justice inhérente, la rémission de nos péchés et la relaxation des peines éternelles sont autant d'effets des mérites et des satisfactions de Jésus-Christ, qui nous sont communiquées dans la justification, selon l'enseignement exprès du concile de Trente1.
Ce que nous blâmons dans votre justice imputée, c'est que contre le témoignage de l'Écriture, elle exclut toute justice intrinsèque capable de nous rendre agréables à Dieu, et que de plus, il est aussi inconcevable à la raison humaine de nous supposer justes de la justice d'autrui et d'une justice qui soit hors de nous, que de supposer une muraille blanche d'une blancheur qui soit hors de la muraille, ou d'attribuer la force d'Hector à la force d'Achille. « Il ne faut pas se mettre en peine, dit Kemnitius, si notre doctrine étant aussi solidement établie qu'elle l'est dans l'Écriture, donne dans des absurdités philosophiques2. » Vous l'avez vu, Monsieur, si les prétendues preuves tirées de l'Écriture en faveur de votre justice imputée, sont aussi solides que votre Kemnitius a bien voulu se le figurer ; quant à nous il nous suffit de voir nos plus grands adversaires reconnaître que votre doctrine renferme les absurdités philosophiques, pour ne pas la croire propre à relever la gloire des mérites de Jésus-Christ ; car Jésus-Christ ne prétend pas être glorifié par des imaginations mal concertées, et aux dépens du sens commun.
Nous concevons fort bien que quelqu'un peut satisfaire pour autrui, mais nous ne concevrons jamais que l'on puisse être juste de la justice d'autrui : c'est là un mystère du nouvel Évangile impénétrable à la raison humaine ; et pour qualifier ce point de doctrine comme il le mérite, de l'aveu même de Kemnitius, c'est une vraie absurdité philosophique. De notre part nous donnons à Jésus-Christ tout ce qui peut lui être donné selon la droite raison éclairée par les lumières de la foi, nous faisons une haute profession de reconnaître que tout le bien surnaturel qui est en nous, nous vient des mérites de Jésus-Christ, et nous disons de grand cœur avec saint Paul : Loué soit Dieu le Père qui nous a bénis en Jésus-Christ de toute bénédiction spirituelle3. Voilà, Monsieur, ce qui est uniquement propre à exalter les mérites du Sauveur ; tout ce que vous y ajoutez de plus ne s'accordant ni avec l'Écriture, ni avec les principes de la raison, ne peut leur donner le moindre relief.
Voyons maintenant, si par votre doctrine sur l'article de la justification, vous réussissez mieux que nous à tranquilliser les consciences inquiètes. C'est un autre avantage, dont se sont flattés les chefs de votre prétendue réforme, et c'est à force de le promettre et de le vanter, qu'ils sont parvenus à faire goûter leur nouvelle doctrine à ceux dont la légèreté n'y a pas pris garde de plus près ; mais vous allez voir, Monsieur, si cet avantage n'est pas aussi imaginaire que les précédents ; suivez vos propres principes, et vous ne trouverez rien qui vous conduise plus tôt que nous à cette tranquillité de conscience dont vous recherchez si ordinairement la possession, tandis que vous refusez de prendre les moyens les plus convenables pour vous la procurer.
Vos théologiens n'exigent, comme vous le savez, Monsieur, d'autres dispositions pour obtenir la justification, que la foi en Jésus-Christ ; il suffit, d'après leurs principes, au pécheur de croire fermement que Jésus-Christ est mort pour lui et a satisfait pour ses péchés ; avec cette croyance il est justifié en acceptant par la foi les mérites et les satisfactions de Jésus-Christ, qui lui sont offerts par la divine miséricorde : or, ajoutent-ils, chacun peut s'assurer et sentir en soi-même, s'il a cette foi et cette confiance aux mérites du Sauveur ; il peut donc s'assurer également de la rémission de ses péchés et tranquilliser parfaitement sa conscience. Si l'on fait, disent-ils, dépendre la justification de la condition des bonnes œuvres, nous serons toujours incertains si nos péchés nous sont remis ; car nous ne pourrons jamais savoir, si nous aimons assez Dieu, si nous avons une contrition assez vive, un propos assez ferme, et toutes les autres dispositions, exigées dans le système de la doctrine catholique ; au lieu que la foi, ne comptant point sur le mérite et la dignité des œuvres, et ne s'appuyant que sur la promesse de Dieu, dont l'effet ne peut nous manquer, nous donne toute la certitude que nous pouvons désirer1. Voilà, Monsieur, votre rare secret de tranquilliser les consciences.
Mais outre que ce secret suppose pour principe la justification de l'homme par la seule foi, principe déjà détruit, je vous prie de remarquer que vos théologiens ne se contentent pas d'une foi telle quelle, mais qu'ils veulent une foi bien conditionnée, c'est-à-dire, une foi accompagnée ou suivie d'une douleur sincère de ses péchés, d'un ferme propos de n'y plus retomber, d'un véritable amour de Dieu, etc.2 déclarant que si la foi n'est pas de nature à produire ces effets, ce n'est point une véritable foi, et qu'elle n'est nullement propre à justifier ; de sorte qu'à considérer le fond de l'affaire, vous exigez les mêmes conditions que nous, quoique vous les placiez dans un autre ordre et dans un autre rang : nous voulons que la contrition et le bon propos soient des dispositions nécessaires à la justification, et vous voulez que ce soient des fruits inséparables de la foi justifiante. Quoi qu'il en soit, toujours est-il également vrai, que suivant votre plan, comme suivant le nôtre, on ne peut être justifié, sans être véritablement contrit de ses péchés et sans avoir un ferme propos de s'amender, car enfin vous prétendez qu'on ne peut être justifié que par une foi bien conditionnée, et selon vous, la foi bien conditionnée amène avec elle la contrition et le bon propos ; donc vous ne pouvez disconvenir que la contrition et le bon propos ne soient nécessaires à la justification ; c'est une conclusion que votre célèbre Gérard ne désavoue pas, il s'est senti forcé à l'admettre par le raisonnement que je viens de faire1.
Or, puisqu'il en est ainsi, permettez-moi, Monsieur, de vous demander, en quoi vous avez plus de facilité que nous pour calmer les inquiétudes de la conscience ? Si c'est parce que nous exigeons certaines dispositions, comme sont la contrition et le bon propos, que nous ne pouvons nous rassurer, n'est-ce pas pour vous le même sujet d'inquiétude, dès que vous reconnaissez comme nous la nécessité de la contrition et du bon propos, quoiqu'il vous plaise leur donner un autre nom que celui de dispositions ? Car enfin c'est un point de doctrine bien avoué chez vous que si vous n'avez une véritable contrition et un véritable bon propos, vous n'avez pas une foi propre à vous justifier. Donc si vous ne pouvez être sûrs, que votre contrition et votre bon propos aient les qualités requises, vous ne pouvez être sûrs de votre foi, ni de votre justification ; donc la nécessité de l'un et de l'autre est pour vous comme pour nous la même source d'incertitude.
Non-seulement la méthode dont vous vous servez pour tranquilliser les consciences, n'a aucun avantage sur la nôtre, puisque, comme vous venez de le voir, elle a à vous rassurer sur les mêmes chefs d'inquiétude ; mais qui plus est, si vous me permettez de le dire, elle n'aboutit qu'à vous procurer une paix fausse, séductrice et illusoire ; car selon vous le pécheur se confiant aux mérites de Jésus-Christ est obligé de croire comme un article de foi que ses péchés lui sont remis. C'est la doctrine expresse de votre Confession d'Ausbourg : « Les hommes, dit-elle, sont gratuitement justifiés par la foi, quand ils croient fermement qu'ils sont reçus en grâce, et que leurs péchés leur sont remis en considération de Jésus-Christ, parce qu'il a satisfait par sa mort pour nos péchés ; c'est cette foi que Dieu leur impute à justice2. Et l'Apologie ajoute : Si quelqu'un doute de la rémission de ses péchés, il fait outrage à Jésus-Christ ; car il juge son péché plus grand et plus efficace que la mort et la promesse de Jésus-Christ3. »
D'où il est manifeste que le pécheur croyant à Jésus-Christ et à ses mérites, doit, comme vous le prétendez, se tenir aussi sûr de la rémission de ses péchés, que de l'efficacité des mérites du Sauveur et de la vérité de sa promesse ; c'est de là que vous tirez cette paix si chérie, qui vous donne tant d'estime et de goût pour la doctrine de Luther sur l'article de la justification. Mais je soutiens qu'une telle assurance portée jusqu'à la certitude de la foi, est contraire à l'Écriture sainte, répugne à la raison, et renferme une contradiction manifeste. Voyons si ce sont là des reproches outrés.
Je dis en premier lieu que cette assurance est contraire à l'Écriture ; car quoi de plus formel que ces paroles des Proverbes ? Qui peut dire, mon cœur est pur et je suis exempt de péché4 ? et ces autres de Job : Quelle que soit ma simplicité, mon âme ne pourra savoir si elle ne s'aveugle pas1 ; et ces autres du Sage : Ne soyez pas sans crainte touchant le péché, dont vous croyez avoir obtenu le pardon2 : Saint Paul ne nous recommande-t-il pas de faire l'œuvre de notre salut avec crainte et tremblement3 ? et saint Pierre, d'avoir grand soin d'assurer notre élection par les bonnes œuvres4 ? Qui eût jamais des lumières plus vives pour pénétrer dans les replis de son propre cœur que David et saint Paul ? et néanmoins le premier s'écrie : Qui connaît tous ses péchés ? Seigneur, purifiez-moi de mes fautes cachées, et pardonnez à votre serviteur les péchés d'autrui5 ; et le second déclare que quoiqu'il ne se sente coupable de rien, il n'est pas néanmoins justifié pour cela6.
Je sais, Monsieur, comment vos savants expliquent ce dernier texte de saint Paul, ils disent que quoique l'Apôtre ne se sentît coupable de rien, il ne comptait pas néanmoins de trouver sa justification dans l'innocence de ses mœurs, parce qu'il ne reconnaissait en soi d'autre justice que celle de Jésus-Christ. Mais qu'est-ce que cette réponse, si non, une imagination de gens qui croient voir partout la foi aux mérites de Jésus-Christ, et la justice imputée, lors même qu'il en est le moins questions ? L'Apôtre parle ici du peu de cas qu'il faut faire du jugement des hommes, et de l'attention infinie qu'il faut avoir à celui de Dieu ; il dit qu'il se met peu en peine d'être jugé par les hommes, qu'il regarde leur jugement comme sujet à l'erreur, qu'il compte lui-même fort peu sur son propre jugement, que quoiqu'il ne se sente coupable de rien, il croit pas pour cela être justifié, et que c'est au Seigneur à le juger : c'est-à-dire, que quoique sa conscience ne lui reproche rien, il pourrait néanmoins se faire qu'il y eût en lui quelque dérèglement capable de le rendre criminel aux yeux du Seigneur. Voilà, Monsieur, le véritable sens du texte, n'en déplaise à messieurs vos interprètes ; vous n'avez qu'à lire la suite des paroles pour vous en convaincre.
Si je n'ai point encore cité contre votre prétendue assurance le célèbre passage de l’Ecclésiaste, où il est dit : que l'homme ne sait pas s'il est digne d'amour ou de haine7, ne pensez pas, Monsieur, que ce soient les difficultés formées par vos théologiens contre ce texte qui me fassent hésiter à le rapporter. Kemnitius nous objecte d'abord : Et quoi donc ? est-ce que les plus grands scélérats ne savent pas s'ils sont dignes d'amour ou de haine ? Je réponds que si Kemnitius y eût pris garde de plus près, il se fût abstenu de nous faire cette objection ; car il est clair par le verset précédent8, qu'il n'est question en cet endroit que des gens de bien et de probité. Et quand le professeur de Brunswick ajoute que le Sage prétend dire uniquement que la prospérité et l'adversité étant communes aux justes et aux méchants, l'homme ne peut juger par les événements de la vie, s'il est digne d'amour ou de haine, je réponds qu'il est vrai que les événements de la vie, bons ou mauvais, ne peuvent effectivement nous donner une connaissance exacte de l'état de notre âme ; mais que la pensée du Sage n'a pas été pour cela de nous marquer l'égalité des événements comme le seul obstacle à cette connaissance ; car il ajoute immédiatement après, que tout reste incertain pour l'avenir1 : or, si hors d'état de connaître la vraie situation de notre âme, par l'égalité des événements de la vie, nous pouvions néanmoins nous en assurer pleinement d'ailleurs par le témoignage de notre propre cœur, il ne serait pas vrai en ce cas que tout reste dans l'incertitude pour l'avenir ; donc le Sage n'a pas prétendu rapporter toute l'incertitude de l'homme aux seuls événements de la vie. Vous le voyez, Monsieur, Kemnitius n'est fécond en objections, que par un défaut continuel d'attention à considérer dans les différents passages, la liaison du contexte avec ce qui précède ou suit immédiatement.
Ces citations ne suffisent-elles pas ? vous faut-il quelque nouvelle preuve ? réfléchissez sur la nature des promesses qui nous sont faites dans l'Écriture touchant la rémission des péchés ; considérez qu'elles sont toutes conditionnelles, et renferment ou une condition tacite, ou une condition expressément marquée, ainsi que je l'ai déjà observé. Ne serait-il donc pas, Monsieur, contraire à la raison et au bon sens de se tenir absolument assuré de l'effet de ces promesses, et de n'y voir aucune raison d'en douter, tandis qu'on n'a pas la même certitude d'avoir satisfait à la condition ? Toutes les promesses faites au pécheur pénitent sont équivalentes à celle-ci : Convertissez-vous vers moi, et je me convertirai vers vous2 ; c'est-à-dire retournez à moi par une pénitence sincère, et comptez d'être reçus favorablement ; renoncez à tout amour déréglé des créatures pour vous attacher à moi, et tenez pour certain que je n'hésiterai pas à vous rendre mon amitié. Voilà, Monsieur, une espèce de pacte que Dieu fait avec le pécheur, il s'agit de remplir les articles de la convention : il est indubitable que Dieu ne manquera à rien de son côté ; mais est-il également sûr que nous ne manquons à rien du nôtre ? avons-nous véritablement renoncé à toute attache au péché ? notre retour à Dieu est-il parfaitement sincère ? ne nous flattons-nous pas dans l'idée de la préférence que nous croyons donner à Dieu ? Si nous avons une certitude de foi sur tous ces points, nous serons absolument assurés que nos péchés nous sont remis ; mais si nous n'avons que des conjectures, des présomptions, une opinion bien fondée ; une certitude morale touchant les dispositions que Dieu exige de nous, nous aurions tort de nous faire une plus forte persuasion d'avoir obtenu la rémission de nos péchés, et nous ne pourrions porter notre confiance sur ce sujet à un plus grand degré de certitude sans faire ce mauvais raisonnement : « Je crois comme article de foi, que Dieu me pardonnera mes péchés, si je suis bien disposé ; j'en ai des indices très favorables ; donc je crois comme une vérité de foi, que mes péchés me sont remis. »
Vous voyez, Monsieur, que cette conclusion est très mal tirée ; car la conclusion ne peut renfermer plus de certitude que n'en renferme la moins certaine des prémisses ; pour que le raisonnement fût juste il faudrait dire : « Donc j'ai sujet de croire et d'espérer sur des indices très favorables que mes péchés me sont remis. »
Et qu'on ne nous objecte pas ici le passage de saint Jean, par lequel il est dit : Celui qui croit au Fils de Dieu, a le témoignage de Dieu dans soi-même3, pour en conclure, que par la foi en Jésus-Christ nous sommes infailliblement sûrs d'être justifiés. Cette objection n'est bonne qu'à éblouir les simples ; car il ne s'agit là nullement d'un témoignage qui nous rende certains de notre justification, mais d'un témoignage qui atteste la divinité de Jésus-Christ ; le verset qui précède immédiatement le fait connaître bien clairement : Si nous recevons le témoignage des hommes, dit saint Jean, celui de Dieu est plus grand ; or, c'est Dieu même, qui a rendu ce témoignage plus grand de son Fils1. C'est ainsi que vos ministres ne craignent point d'abuser de l'Écriture pour établir un dogme chéri, après quoi ils se vantent hautement de ne suivre que la pure parole de Dieu ; jugez, Monsieur, ce qu'il est juste d'en penser.
Qu'on ne nous dise pas non plus que selon saint Paul, le Saint-Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu2 ; et que le Saint-Esprit ne pouvant se tromper, ni nous tromper, nous pouvons et devons compter sûrement sur son témoignage. Si cette objection a plus d'apparence que la précédente, elle n'a pas pour cela plus de solidité ; car il est bien vrai que nous ne devons pas révoquer en doute le témoignage du Saint-Esprit, lorsque nous sommes sûrs d'entendre véritablement sa voix : mais le point est de distinguer le langage du Saint-Esprit d'avec celui de l'amour-propre, ou d'une conscience abusée. Il n'y a pas lieu de douter que le Saint-Esprit ne fasse connaître à plusieurs justes, qu'ils sont dans la grâce de Dieu ; mais ce n'est pas par une révélation qui soit pour eux un objet de leur foi ; c'est par un sentiment intérieur accompagné d'onction, de paix, de suavité ; indices qui fondent de prudentes conjectures, mais ne donnent pas une certitude absolue, l'esprit d'illusion faisant goûter assez souvent de fausses douceurs, qu'il n'est pas trop aisé de discerner des consolations divines, véritables fruits du Saint-Esprit.
Certainement, Monsieur, les disciples de Calvin et les anabaptistes ont sur la justification du pécheur les mêmes idées que vous ; ils prétendent comme vous accepter par la foi les mérites de Jésus-Christ, et ils ne se font pas moins que vous, de leur acceptation, un moyen infaillible de tranquilliser leur conscience, se tenant aussi sûrs de la rémission de leurs péchés, que vous pouvez vous tenir sûrs de la rémission des vôtres ; vous reconnaissez néanmoins qu'ils sont engagés dans l'hérésie et dans des erreurs grossières : aussi, êtes-vous bien loin de penser qu'ils ne se mécomptent pas en s'assurant de l'amitié de Dieu ; tant il est vrai que même, selon vos idées, on peut goûter une fausse paix en se faisant un article de foi de sa propre justification ; or, Monsieur, comment vous assurerez-vous que votre paix fondée sur les mêmes principes, ne soit pas du même genre, c'est-à-dire, aussi vaine et aussi illusoire que celle de ces sectaires ?
Nous ne prétendons pas pour cela, en combattant ainsi votre calme outré, qu'il faille rester dans de continuelles agitations d'une conscience inquiète, à Dieu ne plaise. Un pécheur qui a quitté le péché, qui a fui les occasions dangereuses, qui s'est approché du sacrement de Pénitence, avec un cœur contrit, qui s'est senti une ferme résolution de persévérer dans la fidélité dont il est redevable à Dieu, est sans doute autorisé à se tranquilliser l'esprit ; il doit le faire dans la vue des mérites de Jésus-Christ, et se confier en la divine miséricorde. Bien loin que nous pensions à bannir la tranquillité du cœur, nous ne cherchons qu'à l'y établir ; mais c'est par des voies solides et efficaces, et en observant la juste mesure ; autre est la tranquillité qui naît d'une espérance bien fondée, autre celle qu'on fait naître d'une assurance mal établie, et qu'on ne craint point d'égaler à la certitude de la foi. La première est raisonnable, fait honneur à la miséricorde de Dieu, sert à consoler l'homme, à l'animer et à l'affermir dans le bien ; la seconde est téméraire, présomptueuse, et ne peut avoir que de funestes suites.
Mais ce qu'il est surtout important de remarquer dans l'affaire présente, c'est que l'acte de foi exigé du pécheur par la Confession d'Ausbourg, renferme une contradiction manifeste : car on veut 1, qu'il croie fermement que ses péchés lui sont remis, et on prétend que c'est par cette créance même qu'il obtient la rémission de ses péchés. Or, qui ne sait qu'un acte de foi suppose son objet, et par conséquent que les péchés doivent être remis au pécheur, avant qu'il croie à leur rémission, sans quoi son acte de foi serait faux ? mais si les péchés lui sont remis avant la créance, qui a pour objet la rémission des péchés, ce n'est donc pas par cette créance même qu'ils lui sont remis ; en un mot il se trouve, que la créance prescrite par la Confession d'Ausbourg, est en même temps antérieure et postérieure à la rémission des péchés ; elle lui est antérieure, puisqu'on prétend que la rémission ne se fait qu'en vertu de cette créance ; et elle lui est postérieure, puisque si la rémission ne la précédait pas, la créance serait fausse.
C'est là, Monsieur, une des parties les plus mal combinées dans le système de votre doctrine sur la justification, mais au fond ce n'est encore qu'un inconvénient, dont est choquée la raison ; il en naît d'autres plus fâcheux pour les mœurs, et je ne craindrai pas de dire que l'effet naturel de votre doctrine est d'introduire et de fomenter le relâchement et la corruption.
Et en effet, à force d'entendre dire, que c'est la foi aux mérites de Jésus-Christ qui fait tout, que tout autre acte de vertu, quel qu'il puisse être, n'a aucune part à la justification, que l'amour de Dieu, la componction, la détestation des péchés, la résolution de mener une vie nouvelle ne sont pas des conditions nécessaires pour réconcilier le pécheur avec Dieu, mais seulement des fruits et des effets que la foi justifiante ne manque pas d'amener avec elle, il est naturel que le peuple s'attache uniquement à croire aux mérites de Jésus-Christ, comme au seul point essentiel, et qu'il se porte à tout le reste avec une entière négligence. C'est ce qui ne manqua pas d'arriver dès le commencement de la prétendue réforme. Luther s'en aperçut, et afin d'y remédier, il composa un écrit qu'il adressa à tous les ministres de Saxe, et qui leur fut porté par des commissaires nommés pour faire la visite des Églises. Il leur recommande dans cet écrit de prêcher soigneusement la pénitence, de faire comprendre aux peuples la nécessité de la contrition, et d'inspirer une crainte salutaire aux pécheurs. « Beaucoup de gens, dit-il, pour avoir ouï dire qu'il suffit de croire pour obtenir la rémission de leurs péchés, se font une foi à leur mode, et se flattent par là d'avoir la conscience pure et nette de tous péchés, ce qui est pour eux la source d'une présomptueuse sécurité. Cette sécurité charnelle, ajoute-t-il, est pire que toutes les erreurs répandues jusqu'à présent ; ainsi lorsqu'on prêche sur la foi, ne faut-il pas manquer d'instruire les auditeurs, et de leur dire où se trouve cette vertu, et comment on y parvient ; car il ne peut y avoir de véritable foi, où il n'y a pas de véritables sentiments de componction et de pénitence1. »
Vous le voyez, Monsieur, Luther a senti lui-même les mauvais effets de sa nouvelle doctrine, et pour y remédier il n'a vu d'autre parti à prendre, que d'insister sur la nécessité des dispositions exigées par l'Église catholique ; mais le mal est qu'en relevant uniquement les avantages de la foi, il fait bientôt perdre de vue la nécessité de toute autre condition, surtout lorsqu'il refuse de mettre au rang des dispositions nécessaires, ce que nous prétendons être absolument requis en cette qualité.
Un autre inconvénient contre les bonnes mœurs, et qui résulte également de votre doctrine, c'est qu'elle ne peut manquer d'inspirer à l'homme beaucoup d'orgueil et de présomption ; car comme elle le flatte de posséder la même justice que Jésus-Christ, dès là même le moindre des fidèles se croit fondé à pouvoir s'égaler aux plus grands Saints en justice et en sainteté. C'est bien là ce que Luther prétend ; il veut, il exige absolument que chacun entre dans ce sentiment : « Maudit soit, dit-il, celui qui ne se mettra pas du nombre des Saints ; croyez, et dès là même vous êtes aussi saints que saint Pierre : si vous ne dites pas j'ai autant de part à Jésus-Christ, et à sa justice, qu'en ont saint Pierre et saint Paul, sachez que vous vous rendez coupable d'une très noire ingratitude envers votre divin Sauveur2. » Ainsi la doctrine qu'on nous vantait d'abord comme très propre à tenir l'homme dans une humble dépendance, ne va à rien moins qu'à persuader au plus grand pécheur, s'il sent quelque foi et quelque confiance aux mérites de Jésus-Christ, que dès là même il peut hardiment se comparer aux Apôtres et à la sainte Vierge pour le fait de la justice et de la sainteté ; sentiment aussi bizarre que fanatique, pour ne pas dire aussi impie que déraisonnable, mais sentiment adopté par Luther, et suite naturelle de sa doctrine.
Je pense, Monsieur, avoir fourni la preuve de toutes les propositions que j'ai avancées contre votre article capital et favori, et je crois pouvoir attendre de la solidité de votre esprit, qu'après avoir lu mes réflexions sur cette matière, vous cesserez de regarder votre doctrine touchant la justification comme la pure doctrine de saint Paul, et que vous ne lui trouverez aucun avantage réel, ni pour relever la gloire de Jésus-Christ, ni pour tranquilliser les consciences.
C'est, Monsieur, vous en demander trop peu, et je compte bien, qu'équitable et judicieux comme vous l'êtes, vous ne pourrez plus vous cacher les défauts essentiels de votre système, et que vous le trouverez non-seulement très éloigné de la vue et du dessein de saint Paul, mais de plus absolument contraire à l'Écriture, opposé à la raison humaine, insuffisant à procurer un calme de conscience solide et raisonné, et propre à entretenir l'homme dans une fausse et dangereuse sécurité, à refroidir son zèle pour les bonnes œuvres, à énerver les efforts qu'exige le véritable esprit de pénitence, et capable de fomenter la mollesse, le relâchement, et la liberté des passions.
Voilà, Monsieur, la juste idée de votre doctrine sur l'article en question, et je m'assure que c'est celle qui vous restera, si vous déférez ici à la justesse et à la solidité des raisons, autant que vous le faites partout ailleurs. Ainsi que Luther le prenne d'un ton beaucoup moins haut, et qu'il cesse de nous dire : « Cet article subsistera malgré tous les efforts de l'univers ; c'est moi docteur Martin Luther, l'évangéliste indigne de notre Seigneur Jésus-Christ, qui le prétends ainsi : que personne ne pense à y donner atteinte, car personne n'y réussira ; ce ne sera ni l'empereur des Romains, ni l'empereur des Turcs, ni l'empereur des Tartares, ni l'empereur des Perses, ni le pape, ni les cardinaux, ni les prêtres, ni tous les moines, ni les nonnes, ni les rois, ni les princes, ni tous les seigneurs de la terre, ni tous les diables de l'enfer. S'ils l'entreprennent, que le feu infernal soit leur récompense, et qu'ils ne s'attendent à recevoir d'autre remerciement de ma part. Ce que je dis ici, doit être pris pour une inspiration du Saint-Esprit suggérée à moi Martin Luther, et pour le pur et véritable Évangile1. » Certainement, Monsieur, c'est là une inspiration du Saint-Esprit d'une espèce bien particulière, et je vous crois trop fait au style, et aux paroles du saint Évangile, pour ne pas être exposé à confondre aisément de telles expressions avec le texte sacré. Mais que penser ici du défi porté aux empereurs des Romains, des Turcs, des Tartares et des Perses ? n'y a-t-il pas bien de la bravoure à oser ainsi défier les puissances les plus formidables de l'univers ? tandis que des réflexions simples et naturelles, telles que celles que vous m'avez vu faire, et que ferait comme moi tout théologien de médiocre érudition, suffisent de reste et au-delà pour renverser de fond en comble tout le système de Luther.
Je ne sais s'il était fort nécessaire de m'attacher à réfuter si exactement toutes les parties de ce système ; peut-être que pour en montrer le faible et le faux, il eût suffi d'en faire remarquer la nouveauté ; car comment se persuadera-t-on qu'une doctrine ignorée depuis le temps des Apôtres, puisse être la véritable doctrine ? Or, Luther ne fait aucune difficulté de dire que les Apôtres seuls ont pu juger sainement de cet article, que hors de leurs écrits, et dans tous les autres livres, mis au jour depuis leur temps, il ne se trouve rien qui puisse en donner une juste idée2. » Il se plaint ailleurs, que dans les ouvrages des saints Pères, et nommément dans leurs commentaires sur les Épîtres aux Romains et aux Galates, il n'y a sur cette matière que ténèbres et obscurité3. » Que signifie ce langage, sinon que les saints Pères ont été bien éloignés de reconnaître dans les paroles de saint Paul le même sens que Luther a prétendu y découvrir.
Vos centuriateurs se plaignent de ce que dès le second siècle, l'article de la justification commençait à s'obscurcir pas les artifices du diable4 ; ils répètent la même plainte en rapportant la doctrine du troisième5, du quatrième6 et du cinquième siècle7. Vous voyez, disent-ils, à chaque siècle, combien on s'est ici éloigné de la pure doctrine des Apôtres sur le grand article de la justification. Qui ne voit à ce langage, que les Docteurs des quatre siècles, dont on critique la doctrine, ont été d'un sentiment tout à fait opposé à celui des Docteurs protestants ? car si les Pères de l'Église eussent pensé comme eux sur la justification, n'est-il pas évident que vos centuriateurs se fussent bien gardés de faire entendre ces plaintes ?
Pour ce qui est des auteurs du premier siècle, on n'en cite point d'autres que les Apôtres ; mais ne remarquera-t-on jamais que toute la contestation roule sur le sens à donner à leurs paroles ? et peut-il être croyable que tous les Pères de l'Église en aient ignoré le véritable sens, et qu'il ait été réservé à Luther d'en faire l'heureuse découverte au seizième siècle ? Non, Monsieur, tout sens universellement reçu des Pères de l'Église est nécessairement le véritable sens, et tout sens ignoré des Pères, et récemment imaginé par Luther, ne peut être qu'un sens faux, et très éloigné de la pensée des Apôtres. C'est là une maxime que j'avance avec confiance auprès de vous ; car je ne saurais me défier de ce grand fonds de raison qui vous gouverne, et qui vous distingue si fort des mauvais chicaneurs ; cette espèce de gens fera peut-être difficulté de recevoir une vérité si immédiatement établie sur les promesses de Jésus-Christ à son Église ; pour vous, Monsieur, avec le caractère que j'ai l'honneur de vous connaître, vous ne manquerez pas de la goûter parfaitement.
Que dirai-je de plus sur un sujet que j'ai entrepris de traiter de manière à ne vous laisser aucune peine dans l'esprit ? A m'en tenir aux bornes que je me suis prescrites, la matière est finie ; mais à considérer l'étroite liaison que le mérite des bonnes œuvres et les satisfactions pour les peines temporelles ont avec l'article de la justification, je ne puis me dispenser d'ajouter quelques éclaircissements sur l'un et sur l'autre article ; je dois d'autant moins y manquer, que vos ministres se donnent plus de soins pour rendre odieuse notre doctrine sur ce sujet. Ainsi, Monsieur, trouvez bon, qu'avant de finir cet écrit, j'en dise encore assez pour dissiper les fausses idées, dont on n'a pas manqué de vous prévenir : je le ferai en peu de mots, et vous ne me verrez pas moins d'attention à éviter de vous fatiguer, qu'à m'appliquer à ne vous laisser aucune manière de scrupule : il me suffira de vous exposer la doctrine catholique pour vous la faire agréer.
Nous croyons premièrement, que comme l'homme pécheur ne peut mériter la grâce de la justification, de même aussi il ne peut, tant qu'il est en état de péché, mériter l'entrée du ciel, ni aucun degré de gloire, toutes ses œuvres étant des œuvres mortes, et d'un ordre si inférieur, qu'elles n'ont aucune proportion avec les biens du ciel.
Nous croyons en second lieu, que toutes les œuvres de l'homme juste, faites sans le mouvement du Saint-Esprit, et produites par les seules forces du libre arbitre, ne sont d'aucune valeur devant Dieu, et ne peuvent mériter le moindre degré de gloire.
Nous croyons en troisième lieu, que Dieu pouvait, sans nous promettre aucune récompense, exiger de nous les mêmes œuvres dont il exige aujourd'hui de nous la pratique, et que c'est un pur effet de sa bonté et de sa libéralité d'avoir bien voulu nous en tenir compte.
Nous croyons en quatrième lieu, que Jésus-Christ a seul mérité l'entrée du ciel à tous ceux qui parviennent à la gloire ; que les enfants qui meurent après avoir reçu le Baptême, et avant d'avoir atteint l'usage de la raison, ne reçoivent la gloire que comme un héritage, dont Jésus-Christ leur a acquis la possession par le prix de son sang, et que comme les adultes ne peuvent mériter le premier degré de grâce, aussi ne peuvent-ils mériter le premier degré de gloire qui y correspond.
Nous croyons en cinquième lieu, que tout le prix des bonnes œuvres de l'homme juste vient de la grâce sanctifiante, que c'est cette grâce qui élève leurs œuvres à un ordre supérieur, et leur donne quelque espèce de proportion avec les biens du ciel ; car comme le propre effet de la grâce sanctifiante est de rendre l'homme ami de Dieu et enfant de Dieu, il est naturel que l'enfant s'attende à recevoir l'héritage de son père, comme l'ami à voir son ami et à jouir de sa présence ; c'est sur cette qualité d'ami et de fils adoptif de Dieu, joint à la promesse faite par Dieu lui-même de récompenser nos bonnes œuvres dans le ciel que s’appuie notre espérance ; c'est sur ce double titre, qu'est indivisiblement fondé le mérite de nos bonnes œuvres.
Mais il est à remarquer que la grâce sanctifiante, qui en fait tout le prix, est, comme je l'ai déjà observé plus d'une fois, un pur don de la libéralité divine, et que Jésus-Christ nous l'a seul méritée ; de sorte que le Sauveur ne nous a pas seulement mérité la gloire et l'entrée du ciel, mais aussi des dons d'une qualité assez éminente, pour nous mettre nous-mêmes en état de mériter des accroissements de gloire. Or, trouvera-t-on que ce soit là une doctrine capable de déroger à la vertu des mérites de Jésus-Christ ? ou plutôt n'est-elle pas souverainement propre à nous en donner la plus haute idée ?
Jugez après cela, Monsieur, si le concile de Trente pouvait s'exprimer avec plus de justesse et de précision, qu'en disant : « La vie éternelle doit être proposée aux enfants de Dieu, et comme une grâce qui leur est miséricordieusement promise à cause de notre Seigneur Jésus-Christ, et comme une récompense qui est fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres et à leurs mérites, en vertu de cette promesse1. » C'est en effet une grâce miséricordieusement promise, puisqu'il ne tenait qu'à Dieu de ne la promettre pas ; une grâce promise à cause de Jésus-Christ, puisque ce n'est qu'en considération de ses mérites que la promesse nous en a été faite ; c'est aussi véritablement une récompense fidèlement rendue aux œuvres des justes, puisque l'Écriture en parle constamment dans ces termes. Car n'est-il pas dit : Celui qui sème la justice recevra exactement sa récompense2. Réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, parce qu'une grande récompense vous attend dans le ciel3. Employez-vous de plus en plus dans l'exercice des bonnes œuvres, et sachez que le Seigneur ne laissera pas votre travail sans récompense4. Ne perdez pas votre confiance, dont la récompense doit être infinie5. Et si au langage de l'Écriture la gloire est une récompense, elle est donc de nature à devoir être méritée, puisqu'il ne peut y avoir de récompense sans mérite, et que le mérite dit un rapport essentiel à la récompense.
Mais, quoique selon la doctrine catholique, il n'y ait aucune bonne œuvre faite en état de grâce, qui ne mérite quelque nouveau degré de gloire, ne pensez pas néanmoins, Monsieur, que cette doctrine tende à nous inspirer des sentiments de présomption, ou de vaine confiance en nos œuvres ; car voici comment le concile de Trente nous apprend à concevoir les choses : « Encore que nous voyons, disent les Pères de ce concile, les saintes Lettres attribuer tant d'efficacité aux bonnes œuvres, que Jésus-Christ nous promet lui-même qu'un verre d'eau donné à un de ses plus petits serviteurs ne sera pas privé de sa récompense ; quoique l'Apôtre témoigne qu'un moment de peine légère opère en nous un poids éternel de gloire, toutefois à Dieu ne plaise que le chrétien se fie et se glorifie en lui-même, et non en notre Seigneur, dont la bonté est si grande envers les hommes, qu'il veut que ses propres dons deviennent pour eux des mérites1. »
Vous voyez, Monsieur, que suivant la déclaration du concile, tout le mérite de l'homme est fondé sur la grâce et sur les dons de Dieu, et que selon l'expression de saint Augustin, « Dieu en couronnant nos mérites couronne ses propres dons2 ; » ainsi ce ne peut être qu'une étrange passion de noircir et de décrier notre doctrine, qui porte vos ministres à remplir leurs livres de reproches et d'invectives sur notre prétendue confiance en nos propres œuvres. Avec qu'elle affectation ne rapportent-ils pas l'histoire ou la fable d'un religieux chartreux, qui étant prêt de mourir doit avoir dit : « Seigneur, rendez-moi ce que vous me devez ; j'ai passé plus de quarante ans en religion ; revêtu d'un cilice, affligeant mon corps par le jeûne et les veilles, vaquant constamment à la prière, gardant exacte ment mes règles : il faut, bon gré malgré, que vous me récompensiez de mes services, et vous ne pouvez sans injustice me refuser la vie éternelle3. »
On met à peu près les mêmes paroles dans la bouche d'un autre religieux décédé à Strasbourg peu de temps avant que la ville embrassât la doctrine de Luther4 : mais de quel usage peuvent être de pareils récits ? car enfin ou ils sont vrais, ou ils sont fabuleux ; s'ils sont fabuleux, que font-ils voir, sinon une pente extrême à calomnier avec une industrie rare et merveilleuse pour donner quelque couleur de vérité à la calomnie ; et s'ils sont vrais, n'en sommes-nous pas quittes pour dire que c'était là des cerveaux blessés, qui parlaient dans le délire ? Est-ce aux discours de tels gens, ou aux expressions des conciles, et à celles employées par l'Église dans ses prières, qu'on connaît sûrement la doctrine catholique ?
Faites attention, s'il vous plaît, Monsieur, aux paroles qui se trouvent dans l'oraison du dimanche de la Sexagésime : « Seigneur, qui voyez que nous ne nous confions en aucune de nos actions5 », et à ces autres, qui se disent dans l'oraison de l'office d'un saint confesseur : « Seigneur, écoutez favorablement la prière que nous vous faisons en célébrant aujourd'hui la mémoire de V. afin que nous, qui n'avons aucune confiance en notre propre justice, nous puissions recevoir du secours par les prières de celui qui a su vous plaire6. » Remarquez encore, je vous prie, les paroles que le prêtre adresse à Dieu pendant le sacrifice de la messe, au nom de tous ceux qui y assistent : « Daignez, o Dieu, accorder à nous pécheurs vos serviteurs, qui espérons en la multitude de vos miséricordes, quelque part et société avec vos bienheureux Apôtres et Martyrs, au nombre desquels nous vous prions de vouloir nous recevoir, ne regardant pas au mérite, mais nous par donnant par grâce au nom de Jésus-Christ, notre Seigneur1. » Trouverez-vous, Monsieur, en considérant ces expressions, qu'on nous enseigne à mettre notre confiance en nos œuvres ? encore un coup, sont-ce les écarts d'un malade consumé par l'ardeur de la fièvre, qui feront juger de notre doctrine ? ou sera-ce le langage public de l'Église ?
Mais n'en voilà que trop sur le mérite des bonnes œuvres, et il serait fort inutile d'en dire davantage, puisque si l'on considère la chose de près, on trouvera que la doctrine de vos livres symboliques s'accorde sur ce point parfaitement avec la nôtre ; car il est dit dans l'Apologie de la Confession d'Ausbourg, « que les bonnes œuvres méritent des récompenses corporelles et spirituelles en cette vie et en l'autre2. » Certainement, Monsieur, nous n'en voulons pas davantage, et il est étonnant que vos ministres, accoutumés à déclamer si fort contre le mérite des bonnes œuvres, ne s'aperçoivent pas, qu'en s'en tenant à leur propre confession de foi, ils n'en disent pas moins que nous ; est-ce parce qu'ils ignorent notre doctrine, ou parce qu'ils ignorent la leur qu'ils se répandent en de si imprudentes invectives ?
Pour ce qui est de l'article des satisfactions, vous n'ignorez pas, Monsieur, que vos théologiens enseignent tous d'une voix, qu'aucun homme ne peut satisfaire même pour un seul péché mortel ; bien plus, que tous les hommes et tous les anges réunis et agissant de concert, ne sauraient, avec tous les efforts dont ils sont capables, effacer la coulpe d'un seul péché mortel par une satisfaction condigne et proportionnée à l'offense, cette impuissance étant fondée sur la distance infinie qui est entre le Créateur et les créatures, et sur la nature de l'offense et de la satisfaction, dont les principes sont tels, que ce qui fait croître l'offense, est justement ce qui diminue le prix de la satisfaction ; de sorte qu'il n'est pas possible de parvenir jamais à l'égalité, ou à une juste compensation.
Nous ne sommes pas moins persuadés qu'aucun homme, ni aucune créature intelligente ne peut satisfaire pour la peine éternelle due au péché, et reconnaissons hautement que Jésus-Christ, seul Dieu et homme, personne d'une dignité infinie, a pu satisfaire et a réellement satisfait d'une manière surabondante pour l'un et pour l'autre, je veux dire pour la coulpe du péché, et pour la peine éternelle qui lui est due.
Mais quelque surabondantes que soient les satisfactions du Sauveur, nous ne pensons pas pour cela qu'elles soient toujours également appliquées à l'homme, ni avec la même plénitude ; nous croyons au contraire que le pécheur obtient quelquefois une entière abolition de ses péchés, sans qu'il lui soit réservé aucune peine, et que d'autres fois il est reçu en grâce avec une réserve, et par la seule commutation de la peine éternelle en une peine temporelle. Comme la première façon est plus conforme à la bonté divine, Dieu en use d'abord dans le Baptême ; mais il se sert pour l'ordinaire de la seconde, en accordant la rémission aux baptisés qui retombent dans le péché ; c'est une juste sévérité à laquelle il est en quelque manière forcé par l'ingratitude de ceux qui ont abusé des premiers dons ; de sorte qu'ils ont à souffrir quelque peine temporelle dans cette vie, ou dans l'autre, bien que la peine éternelle leur soit remise.
Ne pensez pas, Monsieur, que ce soit là un raffinement de doctrine scolastique ; rien n'est mieux marqué dans l'Écriture que cette réserve de peine temporelle ; car n'y trouvons-nous pas, qu'Adam fut condamné à une pénitence de neuf cents ans, quoique peu de temps après sa chute il ait été indubitablement rétabli dans l'amitié de Dieu ? que Moïse et Aaron, ces grands amis de Dieu, furent exclus de la Terre promise en punition du peu de confiance qu'ils avaient marquée dans le désert, lorsqu'un manquement d'eau excita les murmures du peuple1 ? que David, tout assuré qu'il était d'avoir obtenu le pardon de son adultère2, et de sa vaine complaisance à faire le dénombrement de ses troupes3, ne laissa pas d'être puni par la perte qu'il fit de son fils, fruit de son crime4, et par la mort de soixante et dix mille hommes enlevés par la peste5 ?
Or, Monsieur, la question est, de savoir si l'homme juste et ami de Dieu ne peut en cet état et avec le secours de la grâce satisfaire par des œuvres de pénitence pour la peine temporelle, dont il se trouve redevable envers la justice divine ; et nous disons qu'étant en état de grâce et fortifié d'un secours surnaturel, rien ne l'empêche d'offrir à Dieu une satisfaction convenable pour la peine temporelle, qui lui est réservée. Car si l'homme juste peut, comme vous en convenez vous-même, mériter par ses œuvres quelque nouveau degré de gloire dans le ciel, pourquoi ne pourrait-il pas également se rédimer de la peine temporelle par des œuvres satisfactoires, puisque c'est là un point bien moins considérable, que de mériter une accroissement de gloire ?
L'avis adressé aux Juifs par saint Jean-Baptiste de faire de dignes fruits de pénitence6, n'est-il pas également pour nous ? or quels sont ces dignes fruits de pénitence, si ce ne sont ceux par lesquels nous acquittons si bien les droits de la justice divine, qu'il ne reste plus rien à punir en nous ? Daniel n'exhorte-t-il par le roi Nabuchodonosor à racheter ses péchés par des aumônes7 ? mais comment les aumônes peuvent-elles opérer la rémission des péchés ? c'est premièrement, en obtenant au pécheur un véritable esprit de pénitence, qui lui fasse faire tous les actes nécessaires pour se réconcilier avec Dieu ; c'est en second lieu, en arrêtant les mauvaises suites du péché, et en garantissant le pécheur réconcilié de la peine temporelle qui lui reste à subir, au cas qu'il ne venge pas sur lui-même l'injure faite à Dieu. Le Sauveur dit dans le même sens : Donnez l'aumône et tout sera pur pour vous8 ; c'est-à-dire, faites de grandes charités aux pauvres et elles vous obtiendront de Dieu la grâce d'une sincère conversion ; elles vous aideront de plus à acquitter si parfaitement vos dettes, qu'il ne vous restera plus rien à souffrir à l'occasion de vos péchés.
Mais, nous dit Mélanchton dans son Apologie, « toute cette doctrine de satisfactions pour les peines temporelles est une doctrine nouvelle, le fruit d'une vaine spéculation, et n'a aucun fondement dans l'Écriture, ni dans les anciens auteurs ecclésiastiques1. » Vous venez de voir, Monsieur, ce qu'il en est par rapport à l'Écriture ; voyez présentement si cette doctrine a été si fort inconnue aux anciens auteurs ecclésiastiques. Mélanchton en sera-t-il cru sur sa parole après l'aveu fait par Illiricus et par Calvin ?
Illiricus, le chef de vos centuriateurs, se plaint de ce que la plupart des Pères des premiers siècles se sont expliqués sur le sujet des satisfactions trop favorablement pour nous. Il nomme dans la troisième centurie Tertullien, Origène, saint Cyprien2 ; dans la quatrième, saint Hilaire, saint Grégoire de Nazianze, saint Ambroise3, Lactance4, saint Jerôme5, le grand saint Antoine6, dans la cinquième, saint Augustin, saint Léon, saint Prosper, saint Maxime7, saint Paulin8, Cassien9, Hesichius10, et pour se débarrasser de tous ces adversaires, il n'hésite pas à mettre leurs expressions au nombre des réflexions mal pensées et mal dites. Calvin dit qu'il est peu touché de tout ce que les anciens auteurs ont écrit sur cet article, qu'il a reconnu par lui-même que quelques-uns des Pères, ou pour parler simplement, presque tous ceux dont les ouvrages nous restent, se sont trompés, ou du moins, ils sont expliqués trop durement sur ce qui regarde les satisfactions11. »
Vous ne trouverez pas étrange, Monsieur, que nous déférions ici plus au témoignage d'Illiricus et de Calvin, qu'à celui de Mélanchton ; car outre qu'il est naturel de croire plutôt celui qui dépose contre lui-même, que celui qui conteste sur un fait, auquel il ne trouve pas son compte, c'est qu'Illiricus rapporte les propres paroles de la plupart de ceux dont il condamne les sentiments. Mais si nous écoutons Illiricus et Calvin préférablement à Mélanchton, ne pensez pas, Monsieur, que nous soyons prêts à écouter ces deux hommes préférablement à la multitude des saints et savants docteurs de l'antiquité qu'on nous accorde ; multitude si respectable et si propre à connaître la doctrine universelle de l'ancienne Église : nous passerions justement dans votre esprit pour gens de mauvais goût, si nous ne savions pas mieux l'objet de notre préférence.
Si, après les remarques que je viens de faire, il vous reste encore quelque difficulté par rapport aux satisfactions infinies de Jésus-Christ, auxquelles on veut que les nôtres donnent atteinte, je vous prierai, Monsieur, d'observer qu'aucune de nos œuvres ne peut avoir de vertu pour acquitter la peine temporelle, sans être faite 1° par le mouvement du Saint-Esprit, 2° en état de grâce, 3° avec le spécial secours de Dieu, et que toutes ces qualités sont autant d'effets et le pur fruit des mérites et des satisfactions infinies de Jésus-Christ. Aussi n'y a-t-il rien de plus sage que cette remarque du concile de Trente : Toute notre gloire, dit-il, est en Jésus-Christ ; nous ne satisfaisons qu'en lui et par lui, lorsque nous faisons de dignes fruits de pénitence ; c'est de lui qu'ils tirent toute leur vertu ; c'est par lui qu'ils sont offerts au Père Éternel, ce n'est qu'à cause de lui qu'il les agrée et qu'il les accepte1.
Certes, Monsieur, si, après cette déclaration, quelqu'un persiste à prétendre auprès de vous que notre doctrine sur les satisfactions ternit la gloire de celle de Jésus-Christ, vous ne pourrez, j'en suis convaincu, le regarder que comme un homme mal instruit de nos sentiments, et livré à de pitoyables préventions.
Mais je dois penser à finir, et je le ferai en vous priant de considérer, si dans tout ce qui a été dit sur le point capital de la justification et sur les articles qui en dépendent, vous y voyez aucun sujet de vous tenir éloigné de nous ; ou plutôt, si dans une doctrine si pure, si saine si conforme à l'Écriture et à la raison, si prudente à ménager les intérêts de Jésus-Christ, sans dispenser l'homme de ses juste obligations, vous ne trouvez pas de quoi justifier les grands motifs qui vous sollicitent d'ailleurs si fortement à vous réunir incessamment avec nous.
Faites réflexion, s'il vous plaît, Monsieur, que vous et nous formons aujourd'hui deux sociétés très distinguées entre elles, et très séparées pour les exercices de religion ; que ces deux sociétés n'en faisaient qu'une il n'y a guère plus de deux cents ans ; qu'on ne peut dire que ce soit l'ancienne et la plus nombreuse qui se soit séparée de la moins nombreuse, et de la nouvelle, mais qu'incontestablement c'est la nouvelle et la plus petite qui s'est détachée de la plus ancienne et de la plus grande.
Or, je demande, qu'est-ce qui a pu autoriser les chefs de votre prétendue réforme et leurs premiers adhérents à quitter l'Église, dans laquelle ils avaient reçu le baptême et l'éducation chrétienne ? Qu'est-ce qui peut aujourd'hui vous autoriser à rester dans un parti qui s'est détaché du grand corps des chrétiens ; corps répandu dans tout le monde, continué sans interruption depuis dix-sept siècles, aussi remarquable par sa constante visibilité, que le peut être un grand fleuve par la continuité du cours de ses eaux ; corps toujours gouverné par les successeurs légitimes des Apôtres, héritiers sûrs de leur pouvoir ?
Un corps tel que celui-là, et qui est si visiblement muni des promesses de Jésus-Christ contre tous les dangers de l'erreur, pouvait bien et devait vous rassurer pleinement sur la pureté de sa doctrine ; mais j'ai cru que sans user ici de la voie de prescription, et sans exiger de vous toute la soumission due à une autorité si respectable, et dont Jésus-Christ a voulu être lui-même le garant, je devais par un esprit de condescendance, examiner en détail les griefs sur lesquels vous prétendez fonder la justice de votre séparation. Je l'ai fait dans les Lettres que j'ai eu l'honneur de vous adresser, et où je me suis étudié à mettre dans tout leur jour les difficultés le plus considérables objectées par vos partisans. Or, que trouvez-vous dans les six articles capitaux, qui jusqu'ici ont fait le plus grand sujet de vos mécontentements, qu'y trouvez-vous, qui puisse rendre votre séparation légitime ? à quoi se réduisent toutes les plaintes de vos ministres sur le sacrifice de la messe, sur le culte que nous rendons à Jésus-Christ dans l'Eucharistie, sur la communion sous une seule espèce, sur l'invocation des Saints, sur la prière pour les morts, sur la créance du Purgatoire, et sur la justification ? si ce n'est, comme vous l'avez vu clairement, à falsifier notre doctrine, à l'attaquer par de mauvaises raisons, à combattre toute la sainte antiquité, et à citer contre nous, dans un sens abusif, quelques passages de l'Écriture mal entendus.
Qu'il me soit donc permis de vous adresser ici à peu près les mêmes paroles qui furent autrefois adressées aux deux tribus de Ruben et de Gad, et à la moitié de celle de Manassés, lorsqu'elles parurent vouloir se séparer du peuple de Dieu pour établir un culte nouveau et singulier. Les dix autres tribus alarmées de la nouveauté du projet, et zélées pour le maintien de l'union, leur envoyèrent demander par des députés : Cur reliquistis Dominum Deum Israël, ædificantes altare sacrilegum, et à cultu illius recedentes ? Pourquoi avez-vous abandonné le Seigneur Dieu d'Israël, en élevant un autel nouveau par un attentat sacrilège, et en vous éloignant de son culte1 ?
Nous ne vous demanderons pas pourquoi vous avez érigé de nouveaux autels ; car vous n'en avez aucun dans vos églises. Mais nous vous demandons pourquoi vous avez renversé les anciens ; ces autels qui étaient déjà du temps de saint Paul, puisqu'il dit si positivement, que nous avons un autel, dont les lévites juifs ne mangent pas2 ; ces autels, sur lesquels on a constamment offert le corps et le sang de Jésus-Christ, comme l'attestent les pierres, les murs, et la forme même de vos églises ; ces autels, sur lesquels on a toujours conservé avec autant de respect que de soin le pain des forts pour donner de la force aux faibles, et le gage de l'immortalité pour ranimer l'espérance des mourants ; ces autels, sur lesquels on n'a point offert le sacrifice sans y demander les prières des Saints qui règnent dans le ciel, et sans y faire mention des fidèles décédés dans la paix de l'Église, ainsi qu'il se voit par toutes les anciennes liturgies. Pourquoi avez vous détruit ces autels si respectables, et substitué en leur place une simple table, signe fatal de la division, table vide et dégarnie, sur laquelle on ne vous présente que de faibles symboles, et des ombres sans réalité ? Cur reliquistis Dominum Deum Israel, ædificantes altare sacrilegum, et à cultu illius recedentes ?
Choisissez, Monsieur, parmi les points de notre doctrine celui pour lequel vous vous sentez le plus d'éloignement ; relisez la lettre qui traite de cet article, et voyez si elle ne satisfait pas pleinement à toutes vos difficultés. Je sais qu'il n'y a rien sur quoi l'on ne puisse disputer. Le mystère de la Trinité même n'a-t-il pas été en butte aux plus vives contestations ? ce serait bien mal connaître la malheureuse fécondité de l'esprit de l'homme en fait de chicanes, que de le croire incapable d'en former de nouvelles sur les articles dont j'ai entrepris la défense ; mais je soutiens que, quoi qu'on puisse objecter de nouveau, si vous venez à le rapprocher des éclaircissements que j'ai donnés, vous y trouverez abondamment de quoi vous convaincre qu'aucun des articles contestés n'a pu faire le fondement légitime de votre séparation. D'où il s'ensuit, Monsieur, et c'est la dernière de mes conclusions, que vous êtes indispensablement obligé de vous réunir à l'Église catholique, apostolique et romaine ; car si le schisme a été injuste dans son origine, il ne peut manquer de l'être dans son progrès et dans ses suites, et si ceux qui l'ont commencé, se sont manifestement écartés de la voie du salut, ceux qui y persévèrent, ne peuvent être en meilleure route. Hors de l'Église point de salut, celui qui n'a pas l'Église pour mère, ne peut avoir Dieu pour père, un branche séparée de l'arbre ne participe point à la sève, et ne peut être qu'un bois sec et stérile.
Je soutiens en second lieu, que parmi les grands motifs qui vous rappellent à la religion de vos pères, et qui ont été exposés dans les Lettres que j'ai adressées à un gentilhomme protestant, il y en a de si pressants, que toute la subtilité de vos ministres n'imaginera jamais rien qui puisse les affaiblir. Prenez la peine de relire la seconde de ces Lettres, qui traite de règle de foi ; c'est là où il en faut nécessairement revenir pour terminer les disputes. Vous y verrez le principes de votre religion si absolument détruits, que je dispenserai volontiers messieurs vos ministres de tout le reste, s'ils viennent jamais à bout d'y faire quelque réponse sensée, et capable de satisfaire un homme d'esprit, en état de concevoir la question dont il s'agit.
Je pense, Monsieur, avoir dit tout ce qui était nécessaire pour remplir le dessein que je me suis proposé, de faire connaître la réalité des obstacles que votre religion met à votre salut, et la nullité des obstacles qu'elle prétend mettre à votre conversion. Si après avoir lu tout ce qui a été dit sur cet important sujet, il vous reste encore dans l'esprit quelque difficulté qui empêche que votre conviction ne soit aussi complète qu'elle le doit être, je ne puis, en ce cas, Monsieur, vous donner un meilleur conseil, que de vous inviter à communiquer vos peines à celui qui de droit est votre légitime pasteur ; l'ordre d'une constante et légitime succession vous le désigne assez pour que vous ne puissiez le méconnaître : je parle du grand prélat établi de Dieu pour gouverner ce diocèse ; vous savez qu'il n'a pas moins d'affabilité pour ceux de votre religion que pour ceux de la nôtre, que ni la qualité de grand prince, ni l'éclat de la pourpre ne le rendirent jamais de difficile accès, que la bonté l'emporte chez lui sur la grandeur, et qu'il semble n'être grand, que pour donner plus de prix et d'agrément aux marques de sa bonté. Allez donc à lui avec confiance, sûr qu'il ne vous refusera pas les soins et les offices d'un bon et charitable pasteur ; ouvrez-lui votre cœur, faites-lui part de vos difficultés ; vous verrez avec quelle solidité de raison, et avec quelle douceur de persuasion il saura dissiper tous vos doutes et calmer toutes vos inquiétudes ; vous serez surpris de trouver dans un prélat de sa naissance et de son rang un fonds de lumières et d'érudition qui ferait honneur aux savants de la réputation la plus distinguée. Comptez surtout qu'il vous rassurera contre la crainte de l'avenir, et que sa puissante protection vous mettra parfaitement à couvert de tout ce que votre changement pourrait vous attirer de fâcheux.
Pour moi, Monsieur, après avoir fait de ma part tous les essais dont je suis capable, pour vous persuader de l'obligation où vous êtes de revenir à l'unité, il ne me reste qu'à prier le Père des miséricordes de dissiper par un vif rayon de ses divines lumières tout ce qui peut rester de prévention dans votre esprit par l'effet de l'habitude ou de l'éducation, et de vous fortifier si bien contre le respect humain, qu'il ne puisse plus avoir de prise sur sur vous, ni vous asservir plus longtemps à l'erreur. Plaise au Dieu de bonté, qui vous a créé pour vous sauver, et non pour vous perdre, et qui, pour arriver à ce but, a voulu que je vous annonçasse des vérités si importantes au salut, plaise à ce Dieu de bonté de vous communiquer ses dons les plus précieux ; un esprit de sagesse qui vous fasse démêler les mauvais artifices dont on se sert pour vous retenir dans le schisme ; un esprit de conseil qui vous fasse prendre le parti le plus sûr, ou plutôt celui qui est uniquement sûr et absolument nécessaire ; un esprit de force qui vous fasse passer par-dessus toutes les considérations humaines de famille et de parenté, et préférer le devoir de la conscience à tout autre égard ; un esprit de véritable piété qui vous porte à en chercher les exercices dans la seule religion où ils soient praticables ; enfin un esprit de crainte salutaire qui vous fasse redouter les jugements de Dieu, et comprendre tout le danger qu'il y a pour vous de périr éternellement en résistant plus longtemps à la grâce qui vous presse de rentrer dans le bercail de Jésus-Christ. C'est la prière que j'adresse à Dieu du fond de mon cœur, et que je ne cesserai de répéter, jusqu'à ce que j'aie la consolation de me sentir exaucé. Le désir de vous voir en état de participer à une éternité bienheureuse ne me quittera qu'avec la vie ; que dis-je, Monsieur ? non, avec la vie même, il ne me quittera pas. J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,
MONSIEUR,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
JEAN-JACQUES SCHEFFMACHER,
Jésuite.
P. S. Souffrez, Monsieur, que je profite de cette occasion pour me plaindre à vous de l'indigne procédé d'un de vos ministres, qui, dans un ouvrage récemment imprimé, s'est avisé de faire sur mon sujet un conte, où il n'y a pas un mot de vérité ; c'est le sieur Jean Philippe Fresenius, ministre de Niderweisen, qui dans sa prétendue réfutation du livre de M. Weislinger1 dit, que lorsqu'il étudiait à Strasbourg, s'étant un jour trouvé dans un de mes sermons de controverse, il m'avait ouï citer un passage comme étant de Luther, quoiqu'il n'en fût pas. Voici les paroles, qu'il m'accuse d'avoir prêtées à à Luther : « Êtes-vous impudique, femme de mauvaise vie, ou pécheur de quelque autre espèce ? croyez, ayez la foi, et vous voilà en voie de salut. Êtes-vous plongé dans le crime par-dessus les yeux ? croyez, ayez la foi, et vous voilà sûr de votre salut. Qu'on ne parle point en chaire du Décalogue ni des commandements de Dieu, il n'en doit être question que dans les cours de justice ; tous ceux qui s'appuient de Moïse, vont au diable, qu'on attache Moïse à la potence. » Ces paroles, ajoute le ministre, se trouvent en effet au septième tome de Luther, de l'édition de Jena, p. 369 ; mais elles ne sont point de lui ; il les cite comme étant le langage des Anoméens, ennemis de la loi, et les désapprouve fortement ; néanmoins le prédicateur de la controverse les mettait sur le compte de Luther, et en prenait occasion de faire d'étranges invectives contre lui. Voyez-vous, disait-il, quel homme que ce réformateur ? se peut-il une doctrine plus détestable que celle qu'il nous débite ici ?
Pour réponse à toute cette histoire, je vous proteste, Monsieur, qu'il ne m'est jamais venu en pensée de citer ce passage ni en chaire, ni ailleurs ; je vous avouerai même de bonne foi que je n'en avais aucune connaissance ; car quoique j'eusse lu le septième tome des ouvrages de Luther, comme les autres, ce passage néanmoins n'avait fait aucune impression sur moi, parce que n'étant pas en effet de Luther, mais de gens avec qui je n'ai rien à démêler, je n'y voyais rien qui fût digne de mon attention ; aussi ne se trouve-t-il point marqué, comme j'avais coutume de marquer tous les endroits de Luther qui me frappaient, et dont je prétendais faire usage ; je ne le trouve dans aucun de mes extraits, ni dans aucune de mes feuilles de controverse. Il est de plus formellement opposé à ce que j'ai rapporté dans ma Lettre de la doctrine de Luther sur la nature de la foi justifiante ; comment aurais-je été si fidèle à rapporter son sentiment sur cet article en écrivant, et si infidèle à le rapporter en prêchant ? à quoi bon recourir à de fausses citations dans la vue de rendre Luther ridicule ou odieux, tandis que ses ouvrages en fournissent un million de véritables, qui produiront toujours bien sûrement le même effet ? N'y en a-t-il pas bien assez de cette espèce dans mes douze lettres? Qu'on examine ces citations les unes après les autres ; si l'on en trouve un seule, qui soit ou altérée ou prêtée à faux, je me tiendrai pour convaincu de l'imposture qu'on me reproche ici avec si peu de pudeur.
Remarquez encore, s'il vous plaît, Monsieur, que le ministre pour embellir son narré, y ajoute une circonstance qui prouve manifestement la fiction. Il dit que voulant s'assurer de la citation, il m'avait envoyé demander le tome de Luther ; car il était d'usage que chacun avait la liberté d'examiner les auteurs que je citais ; mais qu'au lieu de lui envoyer le tome de Luther, je lui avais envoyé un tome de saint Chrysostôme, marquant avec un crayon rouge l'endroit que je garantissais comme bien cité ; que j'en avais usé ainsi par une espèce d'ostentation et pour faire d'autant plus aisément illusion à mon auditoire. Je vous assure, Monsieur, qu'il ne m'est arrivé de ma vie de faire aucune marque dans un livre avec du crayon rouge, cela est entièrement contraire à nos usages, et même défendu par une de nos règles, ne convenant en aucune façon que les livres d'une bibliothèque commune soient ainsi paraphés selon la fantaisie de chaque particulier. Que si le ministre n'a pas craint de dire une fausseté palpable en rapportant une circonstance des plus indifférentes, quelle créance mérite-t-il pour le fond de la chose ?
Qu'est-ce qui a donc pu porter le sieur Fresenius à imaginer cette fable, et à l'insérer dans un livre où il n'avait rien à discuter avec moi ? Le voici : pendant plus de dix-huit ans que j'ai prêché la controverse à la cathédrale de Strasbourg, je n'ai guère manqué de citer à chaque fois quelque trait remarquable de Luther, tant pour réveiller l'attention de mes auditeurs en traitant des matières souvent assez sèches d'elles-mêmes, que pour donner une juste et véritable idée du génie et du caractère du prétendu réformateur. Comme les saillies burlesques de Luther, et ses expressions extravagantes ne manquaient guère de faire rire mes auditeurs à ses dépens, cette circonstance a mis le ministre de mauvaise humeur contre moi, et il a cru qu'en faisant le conte par lequel il me charge d'une fausse citation, il viendrait à bout de décrier toutes celles dont je me servais assez heureusement pour peindre Luther au naturel ; il a vu avec peine que je faisais comprendre aux plus idiots, qu'un homme de cette espèce n'a pu servir d'organe au Saint-Esprit dans l'ouvrage d'une véritable réforme ainsi qu'on ne manque pas de le dire, et qu'on est obligé de le supposer chez vous.
Voilà, Monsieur, ce qui a porté le sieur Fresenius à avoir recours à la fiction, pour ne pas dire à la calomnie, en me faisant passer pour un fourbe. J'ai l'honneur de vous en avertir, bien moins pour me défendre contre cette accusation, que pour vous donner occasion de réfléchir à quels gens vous avez à faire, et de quelles voies ils se servent pour défendre votre religion. Jugez par cet échantillon du mérite du nouvel ouvrage.
MONSIEUR
Je vous suis très obligé de l'attention que vous avez eue à me faire part de l'écrit qui parait, depuis quelque temps, contre l'Invocation des Saints. Il faut que l'auteur Anonyme se soit senti animé bien particulièrement contre cet article, puisque parmi tant d'autres sujets que j'ai traités dans mes douze Lettres, il a cru devoir s'attacher uniquement à celui-ci.
J'avais déjà reçu le même écrit par une autre voie ; mais n'y voyant pas de nom d'auteur, je m'étais déterminé à m'en tenir à la maxime que je me suis faite, de mépriser et de regarder comme non avenu tout écrit anonyme, surtout si les règles de la politesse et de la modération y sont mal gardées. C'est sur quoi je m'étais expliqué par avance, dans l'endroit même où je me suis déclaré pour l'auteur des Lettres que j'ai données au public.
Mais, Monsieur, comme vous me demandez avec instance que je vous aide à détromper quelques amis luthériens, que vous dites être fort prévenus en faveur de cet écrit, et qui croient y voir une réponse solide à ce qui a été dit, de ma part, sur le chapitre de l'Invocation des Saints, j'ai cru devoir accorder à votre demande ce que j'avais d'abord cru devoir refuser au mérite et à la qualité de l'ouvrage. C'est donc dans la vue de vous faire plaisir, et de répondre, en même temps, à vos pieux desseins, que je vais en dire assez pour vous mettre en état de montrer que l'auteur anonyme, en faisant semblant de répondre à tout, n'a absolument répondu à rien.
Il est d'abord visible qu'il n'a supprimé son nom, que pour maltraiter plus librement la religion catholique, et me dire des duretés avec moins de risque ; car il ne peut être qu'honorable de paraître à découvert pour défendre sa religion, quand on s'y prend comme il faut, en n'y employant que de bonnes raisons et de bonnes manières ; ainsi, dès que l'on se cache, ce ne peut être que par l'effet d'une lâche politique, en cherchant à blesser, sans s'exposer à rien. Je pardonne de grand cœur à l'Anonyme tout le mal qu'il dit de moi et de mes Lettres, j'aurais tort d'y être sensible ; car, de quelle conséquence peut être un écrit de la façon de celui que vous voulez que je réfute ? Mais ce que je ne puis pardonner à l'auteur, ce sont les outrages qu'il fait aux saints Pères et aux personnes les plus révérées pour leur éminente sainteté. Il dit que saint Augustin s'est oublié en racontant le conte du vieillard d'Hippone1, que ce bon Père nous a donné une fausse règle pour nous faire juger de ce qui est de tradition apostolique, et qu'il se contredit lui-même2. Il dit de saint Grégoire de Nysse, qu'il y a « de l’impiété et de la bassesse » dans le discours qu'il adresse au martyr Théodore, et un peu plus bas, qu'il y a « de l'insolence3. » Il entreprend de prouver fort sérieusement et fort au long, que les pères se sont contredits, en disant que les miracles avaient cessé de leur temps, et en racontant une quantité de miracles arrivés de leurs jours1 ; puis il ajoute : « Un homme qui se contredit si visiblement, quelque grande que soit d'ailleurs son autorité, perd son crédit et ne mérite plus d'attention2. » Et ce qui passe toute imagination, c'est qu'il parle des « amours de saint François pour sainte Claire et de ses ardeurs pour le frère Massé3. » S'avisa-t-on jamais de rien soupçonner de pareil d'un des plus grands modèles de pénitence et de mortification qu'on ait vu dans le monde chrétien.
Mais n'en voilà déjà que trop sur les excès de l'écrivain de Schaffouse, ou soi-disant tel. Venons au fait, et puisqu'il s'agit d'avoir de la complaisance pour vous, examinons en détail ce qu'il trouve à redire à mes preuves. Vous verrez qu'il me fait faire des raisonnements auxquels je n'ai jamais pensé, et qu'il n'a pas assez pensé à ceux qui sont de sa façon.
Le premier fait, que j'ai rapporté pour prouver directement que l'usage des premiers siècles a été d'invoquer les Saints, est ce que nous apprenons de saint Grégoire de Nazianze, touchant sainte Justine, vierge et martyre du troisième siècle. Car, tout ce que j'ai dit auparavant de saint Polycarpe4, de sainte Potamiène5, de la convention faite entre saint Cyprien et saint Corneille6, de la demande du même saint Cyprien aux vierges de se souvenir de lui quand elles seront parvenues au lieu destiné à récompenser la virginité7 ; tout cela, dis-je, n'a été que pour faire remarquer en partie les grands honneurs qu'on rendait aux Martyrs, dès les premiers temps du christianisme, et qui étaient très semblables à ceux que nous leur rendons aujourd'hui ; en partie pour faire voir la persuasion où l'on était, que les âmes parvenues au séjour de la gloire s'intéressent en faveur de leurs amis qui restent sur terre ; et qu'elles ont beaucoup de crédit auprès de Dieu pour leur obtenir des grâces singulières.
Voilà tout ce que j'ai conclu des faits rapportés aux premières pages de mon écrit, comme vous pouvez le voir si vous prenez la peine de le relire. Ainsi, me prêter le dessein d'avoir voulu prouver autre chose, après que j'ai marqué si positivement8 que je me bornais à cette vue , ne peut être que l'effet d'une artificieuse malignité, qui s'est plu à me supposer de mauvais raisonnements pour avoir lieu de les combattre avec avantage.
Je remarquerai de plus, que l'Anonyme commence très mal son écrit, en me reprochant de m'être contredit au sujet de deux paroles, où il n'y a pas ombre de contradiction9. J'avais dit en exposant le plan de mon écrit, que d'abord je rapporterai les faits qui constatent l'usage des premiers siècles, et qu'ensuite je découvrirai dans l'Écriture les principes de cet usage10. Ayant donc à rapporter les faits de l'antiquité, j'ai dit, en parlant de saint Polycarpe, que les premiers chrétiens avaient recueilli les restes de ses os, épargnés par le feu, qu'ils les avaient conservés plus précieusement que si c'eût été de l'or et des pierres précieuses, et que tous les ans ils s'assemblaient pour célébrer la mémoire de son martyre1, ajoutant par rapport à ce fait, qu'on ne pouvait guère remonter plus haut, puisque saint Polycarpe avait été le disciple de saint Jean2.
Si cela est, dit l'Anonyme, qu'on ne puisse guère remonter plus haut, pourquoi l'auteur nous dit-il au commencement de cette page et ailleurs, que l'Invocation des Saints est clairement marquée dans l'Écriture ? la contradiction est manifeste3.
Que l'Anonyme distingue entre les faits de l'antiquité ecclésiastique, que je n'ai prétendu placer qu'après la mort des Apôtres, comme cela se fait communément, et entre les principes de l'Invocation des Saints, que j'ai dit être clairement marqués dans l'Écriture, et dès-lors toute la prétendue évidence de contradiction disparaîtra à ses yeux. Il est très vrai, que lorsqu'il s'agit des faits de l'antiquité ecclésiastique, on ne peut guère remonter plus haut, qu'en rapportant ce qui s'est passé immédiatement après la mort d'un disciple des Apôtres ; et il n'est pas moins vrai, du moins, pouvons-nous le prétendre sans aucun danger de tomber en contradiction, que les principes de l'Invocation des Saints, c'est-à-dire les raisons sur lesquelles on se fonde pour les invoquer, sont clairement marquées dans l'Écriture.
Ce n'est guère marquer de justesse d'esprit au commencement d'un ouvrage, que de se figurer vainement des contradictions sur des apparences si légères. Que peut-on attendre d'un homme qui, dans une affaire si aisée à comprendre, ne s'aperçoit pas de la mauvaise chicane qu'il fait à son adversaire ? Vous verrez, Monsieur, notre subtil docteur revenir plus d'une fois à ces reproches de contradiction, toujours avec aussi peu de fondement, et avec aussi peu de succès.
Mais, hâtons-nous d'examiner le fait rapporté par saint Grégoire de Nazianze qui, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, est le premier que j'ai donné pour preuve directe de l'ancien usage d'invoquer les Saints, tout ce qui a été rapporté auparavant n'étant qu'une espèce de dispositif qui fait connaître combien on a toujours compté sur l'intercession des bienheureux.
Nous apprenons du saint Docteur que la vierge Justine se sentant extraordinairement tentée par les prestiges du démon, un jeune homme, nommé Cyprien, employant l'art magique pour la séduire, elle eut recours à l'intercession de la sainte Vierge pour sortir victorieuse du combat4.
L'Anonyme répond d'abord que la pièce qui rapporte ce fait est supposée ; en second lieu, que quand elle serait véritable, un fait particulier ne prouve rien5. Voyons si ces deux réponses sont solides.
Qui s'avisa jamais de disputer à saint Grégoire les quarante discours qui se lisent sous son nom ? y en aura-t-il trente-neuf incontestablement de lui ? et n'y aura-t-il que le dix-huitième qui, parce qu'il incommode MM. les protestants, lui aura été supposé ? Le sieur Dallié, qui a les mêmes intérêts de nier cette pièce que le sieur Basnage et notre Anonyme, convient néanmoins qu'on y voit le style de ce Père et ces grands tours d'éloquence qui lui sont propres1. Qu'on nous fasse voir une seule édition, où cette pièce ait été retranchée, ou bien où l'on ait tâché de la rendre suspecte. Ne se trouve-t-elle pas dans l'édition de Bâle, de 1550, comme dans les autres ? Aussi nos savants, qui ont porté la critique le plus loin, comme MM. Dupin, Tillemont, Baluse, et le Père Martène, n'ont-ils jamais pensé à la rejeter2. Ils conviennent tous, que saint Grégoire est tombé dans une erreur de fait en confondant deux Cyprien dans une même personne, et en attribuant à Cyprien de Carthage, ce qui ne convenait qu'à Cyprien d'Antioche ; mais cette erreur de fait ne leur a pas paru être une raison suffisante pour révoquer en doute une pièce citée par les anciens, qui a passé constamment pour être de saint Grégoire et qui est marquée si visiblement du caractère de son esprit.
Que si l'on ne peut raisonnablement disconvenir de l'authenticité de cette pièce, croira-t-on se tirer heureusement d'affaire en disant qu'un fait particulier ne prouve rien ? y pense-t-on ? Quoi ! Justine aura été la seule à invoquer la sainte Vierge dans les tentations pressantes ? elle l'aura fait de son propre mouvement, sans avoir été instruite par qui que ce soit à le faire, et sans avoir jamais vu pratiquer rien de semblable ? Si le fait est si nouveau et si particulier, comment saint Grégoire n'a-t-il pas été frappé de sa nouveauté et de sa singularité ? comment s'est-il avisé de le rapporter comme un exemple à suivre, en marquant la bonté et l'efficace du remède ? Un Père aussi éclairé que celui-là, surnommé le Théologien, pour l'excellence et la pureté de sa doctrine, ne devait-il pas, au cas que les idées des protestants soient justes, ne devait-il pas s'apercevoir que Justine avait donné atteinte aux droits du Créateur, qu'elle avait mal placé sa confiance et pratiqué une nouveauté inouïe et de très dangereuse conséquence ? Mais le Saint, bien éloigné de ces pensées, n'a vu dans toute la conduite de Justine que le modèle d'une piété sage et salutaire, et n'a eu garde d'accuser cette vierge de s'être distinguée des chrétiens de son temps et de ceux des temps antérieurs, par une dévotion indiscrète et répréhensible.
Ce sont-là, Monsieur, des réflexions que vous ferez bien de communiquer à ces amis luthériens, pour lesquels vous vous intéressez, ils les trouveront raisonnables et sensées, je m'en assure, et jugeront que le fait particulier dont il s'agit, tout particulier qu'il est, ne laisse pas d'en dire beaucoup. Vous ferez bien aussi de leur faire remarquer que saint Grégoire ayant mis les noirs artifices du jeune païen sur le compte de saint Cyprien de Carthage, fait évêque de cette ville en 248, lorsqu'il était déjà d'un âge mûr et avancé, il ne se peut que saint Grégoire n'ait regardé l'invocation de la sainte Vierge comme une pratique déjà fort usitée vers le commencement du troisième siècle. Aussi, les centuriateurs de Magdebourg ne font-ils aucune difficulté de convenir qu'il se trouve dans ce siècle des traces bien marquées de l'Invocation des Saints3 ; notre Anonyme se croit-il donc plus habile qu'eux pour oser les contredire ?
Mais, passons aux réflexions qu'il a faites sur les textes de saint Basile : je n’appuyerai que sur ceux qu'il reconnaît pour être incontestablement de ce Père ; quoique je ne prétende pas lui abandonner celui qu'il attaque, vu qu'il se trouve dans de bonnes éditions, et qu'il est rapporté par de célèbres controversistes. Arrêtons-nous d'abord à cet endroit de l'homélie des quarante Martyrs, où il est dit : « Celui qui est affligé a recours à eux, celui qui est dans la joie le fait également ; celui-là, pour être délivré de ses maux, celui-ci, pour se maintenir dans la prospérité ; c'est ici qu'on trouve la mère priant pour ses enfants ; la femme priant pour le retour de son mari qui est en voyage, pour son rétablissement quand il est malade1. » Il ne se peut guère, comme vous voyez, Monsieur, de description plus naïve, ni plus propre à nous faire connaître les usages et les mœurs du temps.
Que dit à cela l'Anonyme ? je vais le suivre exactement dans toutes ses réponses, ne fût-ce que pour vous faire voir par cet exemple, que lorsqu'il est le plus copieux en paroles, c'est pour lors qu'il a le moins de choses raisonnables à dire.
Il répond, premièrement, que saint Basile ne parle pas là d'Invocation, qu'il exhorte seulement ses auditeurs à répandre leurs prières avec celles des quarante Martyrs. Mais je demande à notre antagoniste, si le saint évêque ne dit pas qu'on a recours à eux, xatapeúyet, qu'on s'adresse à eux, àπоτрex ? or, comment recourir à eux, s'adresser à eux, si ce n'est en les invoquant ? ne les appelle-t-il pas dans le même sermon, suffragatores precum, de puissants seconds pour appuyer les prières du peuple, legati apud Deum potentissimi, des ambassadeurs très puissants auprès de Dieu ? comment pouvaient-ils appuyer les prières du peuple et faire les fonctions d'ambassadeurs sans en être requis ? et s'ils en étaient requis, cette réquisition même, qu'était-ce autre chose qu’une très véritable Invocation ? Le même Saint ne dit-il pas en parlant de saint Memmas martyr, que ceux qui ont réclamé son nom, ont senti le secours de ses prières dans leurs entreprises : quibus cumque ex nomine advocatus ipsis adfuit operibus2. L'Anonyme a beau nous dire que les actes de saint Memmas sont pleins de contes et de fables. Qu'ils soient vrais ou faux, qu'est-ce que cela fait à l'affaire ? Saint Basile n'en est ni l'auteur ni le garant. Il ne s'agit ici que de savoir ce que saint Basile et les chrétiens de son temps ont pensé de l'Invocation des Saints : ne le fait-il pas assez connaître en rapportant les bienfaits qu'on croyait avoir reçus par l'entremise de ce saint martyr, et en disant que ceux qui ont réclamé son nom ont été puissamment secourus ?
Pour ce qui est de la remarque que fait l'Anonyme, en disant que saint Basile exhorte seulement ses auditeurs à joindre leurs prières à celles des quarante Martyrs, qu'y a-t-il en cela qui soit contraire à l'Invocation des Saints, ou même qui ne la suppose ? ceux qui les invoquent ne les prient-ils pas de se joindre à eux ? et ne joignent-ils pas en même temps leurs prières à celles des Saints ? il faut bien aimer la vétille pour s'amuser à faire de pareilles observations.
Il dit en second lieu, que saint Basile croyait que les âmes des quarante Martyrs étaient présentes dans l'Église où il prêchait, et ainsi qu'il est aisé de concevoir comment ceux qui fréquentaient cette Église, pouvaient joindre leurs prières à celles des Martyrs3.
Je réponds, que si les âmes étaient présentes, comme l'Anonyme le fait supposer à saint Basile, il ne pouvait y avoir de difficulté à les invoquer, ce qui détruit sa première réponse.
Mais, sur quoi se fonde l'auteur de Schaffouse, pour faire penser à saint Basile que leurs âmes étaient là présentes ? c'est, dit-il, que sans cela ce Père n'eût pas cité le passage de saint Mathieu, chap. 18. v. 20 : Lorsqu'il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis au milieu d'elles. Belle raison ! ce Père, pour animer la confiance de son peuple dit, que si Dieu se trouve au milieu de deux ou trois pour écouter favorablement leurs prières lorsqu'ils sont assemblés en son nom, à plus forte raison se trouvera-t-il au milieu de quarante pour le même effet. Est-ce donc que la présence de leurs reliques, et la présence d'esprit qui les rendait attentifs aux prières qu'on leur adressait en ce lieu, ne suffisaient pas pour faire dire à un orateur chrétien, que Dieu se trouvait au milieu de quarante, pour recevoir favorablement les prières qu'on lui adresserait par leur entremise ? une pensée telle que celle-là, dans la bouche d'un panégyriste, qui cherche à exciter la dévotion du peuple, emporte-t-elle nécessairement avec elle la présence des quarante Martyrs en corps et en âme ? On peut bien dire de notre Anonyme qu'il cherche à faire flèches de tout bois ; mais ne devrait-il pas considérer que tout bois n'est pas propre à en faire de bonnes ?
Il remarque en troisième lieu, qu'il faut que cette dévotion du peuple ne fût pas ancienne, puisque saint Basile dit à ses auditeurs, qu'ils ont longtemps cherché et travaillé afin de trouver quelqu'un qui priât pour eux. Comment cela pourrait-il être, dit-il, si depuis trois siècles cette Invocation des Saints avait été en vogue1 ?
Je réponds, que du temps de saint Basile c'était un abus assez ordinaire aux personnes riches et aisées, comme le remarque saint Chrysostôme2, de recourir beaucoup aux prières d'autrui, tandis qu'elles négligeaient elles-mêmes le soin de la prière. C'est à cet usage que saint Basile fait allusion, en disant : « Jusqu'ici vous avez cherché avec soin quelque homme de bien qui priât pour vous, et dont les prières fussent efficaces, en voilà quarante qui réuniront leurs prières en votre faveur. » Cela prouve-t-il que jusque-là on n'avait pas invoqué les Saints ? Si saint Basile était lui-même persuadé de la nouveauté de cette pratique, comme notre Anonyme le prétend, se serait-il jamais avisé de la recommander à son peuple ? lui en eût-il parlé comme d'une chose dont il ne manquerait pas de tirer de grands avantages ? Que ne disent pas ces contradicteurs qui se plaisent si fort à contredire l'Église ! y a-t-il absurdité qui les arrête ?
Ce passage de saint Basile, ajoute l'Anonyme en quatrième lieu, prouve seulement que de son temps le peuple à qui il parlait a eu recours à ces Martyrs, il ne parle pas d'une coutume universellement reçue.
Qu'en pensez-vous, Monsieur, vous parait-il fort vraisemblable que le peuple de Césarée se sera distingué de tous les autres peuples chrétiens de la terre, que saint Basile aura autorisé ce qu'il savait ne se pratiquer nulle part ailleurs ? et pourquoi donc Kemnitius reproche-t-il à saint Basile, d'avoir « puisé l'Invocation des Saints dans la persuasion du peuple et dans les dévotions particulières des moines pour l'introduire dans l'Église3 ? » Ce reproche est-il fort propre à nous persuader que la pratique de l'Invocation était concentrée dans la seule ville de Césarée ? Saint Chrysostôme, qui a écrit vingt ou trente ans après saint Basile, ne marque-t-il pas, que la dévotion aux Saints était si célèbre dans les deux capitales du monde, à Rome et à Constantinople, et par conséquent dans tout l'univers, que les rois, les gouverneurs et les généraux, quittaient tout pour venir faire leurs prières au tombeau des Apôtres, et que les empereurs estimaient comme une faveur insigne de pouvoir être enterrés, non dans le lieu même où reposaient leurs corps, mais à la porte et hors de leur chapelle1 ?
Enfin, notre antagoniste, ou plutôt l'antagoniste des Saints, dit pour dernière ressource : « Nous ne nions pas qu'on ne trouve des exemples de cet abus dans le quatrième siècle, et que saint Basile n'ait été un des premiers qui ait approuvé ce culte. Nous ne disons pas non plus, que l'Église du quatrième siècle ait été toute pure ; c'est dans ce siècle que la superstition commença à se glisser dans l'Église. »
Que n'en venait-il là d'abord ? à quoi bon s'amuser à défendre un mauvais terrain à pure perte, et en se faisant chasser de poste en poste ? Ne valait-il pas mieux convenir d'abord du fait, en se réservant le droit de l'improuver, que de chercher à le rendre douteux par de si pitoyables efforts ? Mais n'en déplaise à notre auteur, il n'en dit pas assez en disant qu'il ne nie pas qu'on ne trouve quelques exemples de cet abus dans le quatrième siècle. Il devait convenir rondement que c'était l'usage universel des chrétiens, n'y eût-il que le passage de saint Chrysostôme que j'ai cité, et qui nous apprend ce qui se pratiquait dans les deux capitales du monde, cela seul ne suffirait-il pas pour nous en convaincre ?
Vos centuriateurs nous abandonnent saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Épiphane, saint Ephrem, saint Ambroise et saint Prudence2 ; ils pouvaient encore ajouter saint Grégoire de Nysse et saint Chrysostôme, qui sont du même siècle ; saint Augustin et saint Jérôme qui, quoique morts dans le cinquième, n'ont pas laissé d'écrire une bonne partie de leurs ouvrages dans le quatrième. Tous ces Pères ayant autorisé l'Invocation des Saints et rendu témoignage à la pratique de leur temps, qui peut douter qu'elle n'ait été, en effet, très générale dans le quatrième siècle ?
Or, je demande si tous ces Pères et le peuple attaché à leur doctrine formaient pour lors la véritable Église de Jésus-Christ, ou s'ils avaient déjà perdu cet avantage ? J'ai peine à croire que notre Anonyme prétende exclure de l'Église tous ces grands hommes, qui ont toujours passé pour en faire le principal ornement ; mais si la doctrine et la pratique de l'Invocation des Saints n'a pu empêcher ces grands hommes d'être membres de la véritable Église, ni le peuple, de leur temps, d'y être incorporé, ce que nous pratiquons aujourd'hui à leur exemple, comment peut-il nous priver de cet avantage ? Les chrétiens du quatrième siècle, disons-nous, formaient la véritable Église quoiqu'ils invoquassent les Saints ; donc l'Invocation des Saints ne peut être une erreur préjudiciable au salut ; car la véritable Église n'en approuve, ni n'en tolère aucune de cette espèce ; donc l'Invocation des Saints n'a pu servir de raison légitime aux protestants pour se séparer de l'Église romaine ; donc cette même Invocation ne peut être un obstacle légitime à leur réunion. C'est ici que je disais à Monsieur le magistrat, homme sage et équitable : « Il serait fort extraordinaire de vous voir faire une acception de siècles, tandis que vous êtes si éloigné de faire une acception de personnes1. Mais on ne peut espérer la même équité de notre Anonyme, puisqu'il veut que la qualité de véritable Église ait pu compatir avec l’Invocation des Saints au quatrième siècle, et qu'il ne veut pas que cela se puisse au dix-huitième. J'ai cru devoir faire une discussion exacte de tout ce qu'il dit sur un seul texte de saint Basile, et cela, pour vous faire voir que par la multitude de ses réponses il ne cherche qu'à éblouir le lecteur, se mettant bien moins en peine d'en choisir une bonne, pour s'y fixer, que d'en présenter plusieurs, qui semblent dire quelque chose, et qui dans le fond ne disent rien.
« Il est pourtant constant, poursuit l'Anonyme, que saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse ont donné occasion par leurs apostrophes à l'Invocation des Saints2. »
Est-ce là répondre à tout ce que j'ai dit sur l'article des apostrophes, à la page 138 et aux suivantes3 ? Depuis quand une simple affirmation tient-elle lieu de preuve et satisfait-elle à toutes les objections ? J'avais reproché à Kemnitius d'avoir mal combiné ses idées en disant que ces trois saints Docteurs ont puisé l'Invocation des Saints dans la persuasion du peuple, et que néanmoins ils en ont introduit l'usage par leurs apostrophes ; pourquoi l'auteur de la réponse n'a-t-il pas cherché à sauver la contradiction à son vénérable maître ?
« Nous ne voulons pas, dit-il immédiatement après, contester l'authenticité du sermon de saint Grégoire de Nysse sur le martyr Théodore. »
Vraiment, aurait-il bonne grâce à le faire ; croit-il que nous lui aurons grande obligation de sa retenue ? qu'il l'entreprenne, et il se rendra célèbre dans la république des lettres. Nous disons seulement, ajoute-t-il, que la prière qu'il lui adresse est fort étrange. C'est ici où il traite le saint Docteur de la manière la plus indigne, lui reprochant de parler dans sa prière à saint Théodore avec bassesse, avec insolence, avec impiété, d'employer des mouvements hardis, de faire une évocation visiblement erronée4. C'est en profitant des réflexions du sieur Basnage, qu'il invective ainsi contre ce Père. Mais l'écrivain de Schaffouse pouvait-il mieux marquer son mauvais goût que d'adopter de telles réflexions ? Est-ce ainsi qu'on traite un des Pères les plus respectables de l'Église, si célèbre pour sa rare piété et pour sa grande érudition, que le septième concile général l'appelle, le Père des Pères5. S'il m'était arrivé de traiter ainsi le dernier des ministres, de quels torrents d'injures ne m'eût-il pas accablé, lui qui pour des sujets infiniment moindres et même sans aucun sujet, prodigue si libéralement les termes de suffisance, d'arrogance, de fanfaronnade, d'extravagance, etc.
Il serait aisé de défendre le discours de saint Grégoire de Nysse contre la critique outrée de l'Anonyme, en y faisant remarquer les traits d'une éloquence vive et animée qui se permet quelques saillies et quelques licences de la poésie. Mais y eût-il dans la prière adressée au martyr Théodore, des expressions si irrégulières, qu'elles ne puissent en aucune façon se justifier, en sont-elles moins propres pour cela à nous faire connaître que l'usage du temps était d'invoquer les Saints ? Je renoncerai, si l'Anonyme le veut, à tout l'avantage que nous tirons de cette prière ; mais c'est à condition qu'il lira le discours fait à l'honneur de saint Théodore tout entier.
Il y verra que, « non-seulement le jour de la fête du saint il y avait un très grand concours de monde en son église ; mais aussi que les chemins qui y abordaient, étaient couverts pendant toute l'année de gens qui allaient et qui en revenaient, à peu près comme deux files de fourmis, qui, marchant l'une contre l'autre, se rencontrent sur la même route1. » C'est la comparaison dont le saint Docteur se sert pour marquer la continuelle affluence de pèlerins en ce lieu. Il y verra encore combien on faisait de cas d'un peu de poussière qu'on prenait au tombeau des saints Martyrs, quelle insigne faveur on pensait recevoir en osant toucher leurs saintes reliques2, et qu'il est dit, en termes exprès, que « ceux qui considéraient les saintes dépouilles des Martyrs, les priaient, en même temps, d'être leurs intercesseurs auprès de Dieu, les invoquant comme des gardes toujours présentes devant le trône du Très-Haut3. » C'était là, sans doute, un usage tout établi, lorsque saint Grégoire de Nysse parlait ainsi, et qui par conséquent, n'a pu être l'effet de ses apostrophes, c'était encore un usage général ; puisque le saint Docteur en parle comme d'un honneur qui se rendait partout et en tout pays aux saints Martyrs. Qu'a donc gagné l'Anonyme à critiquer la prière de saint Grégoire de Nysse au martyr Théodore ? il n'a fait que donner, par là, occasion de citer du même sermon des endroits incomparablement plus forts que la prière même. Remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, que saint Grégoire de Nysse est né en 330, et que sur le rapport de tels faits, il ne peut être permis de douter que ce n'ait été l'usage universel du quatrième siècle d'invoquer les Saints.
L'Anonyme passe ensuite à saint Cyrille, évêque de Jérusalem, qu'il traite de demi-arien4 ; apparemment, parce que ce Père a écrit dans ses Catéchèses de grandes vérités qui incommodent infiniment MM. les protestants. Mais l'Anonyme savait-il que le premier concile général de Constantinople le nomme « un évêque très chéri de Dieu, qui a soutenu de très grands combats pour la foi contre les ariens5 ? que Théodoret l'appelle « le défenseur très zélé du dogme catholique6; » que Photius dit de lui, « qu'il passe pour un saint homme dans l'esprit de tout le monde, et qu'il l'est en effet, et qu'il a écrit des Catéchèses pleines de la plus sublime théologie7. » Le R. P. Toutée a mis à la tête des ouvrages de ce Père une savante dissertation, par laquelle il justifie parfaitement la foi de ce Père ; l'Anonyme n'avait qu'à lire cette pièce pour se désabuser des reproches qu'il fait au saint Docteur. En tout cas, pouvait-il ignorer que l'Église ne met jamais ni arien, ni semi-arien au catalogue des Saints ? Mais saint Cyrille eût-il été d'une foi moins pure, son témoignage en serait-il moins recevable pour le fait dont il s'agit ? Il dit en expliquant la Liturgie aux catéchumènes, que pendant les divins mystères « on fait mention des Patriarches, des Prophètes, des Apôtres et des Martyrs, afin que Dieu touché de leurs prières écoute favorablement les nôtres. » N'est-ce pas là un fait sur lequel tout auteur qui marque les usages du temps, est également en état de déposer, de quelque doctrine qu'il puisse être ? Que de tentatives inutiles pour évader ? Notre Anonyme s'accroche à tout, et tout lui échappe également des mains.
« Nous ne nions pas, ajoute-t-il, que les Saints ne prient pour nous en général dans le ciel, que ces prières ne nous soient profitables, et que nous puissions en faire mention dans nos prières que nous adressons à Dieu1. »
Remarquez, s'il vous plaît, Monsieur, que je lui fais pitié lorsque je dis dans mon écrit que « quand même les Saints n'auraient aucune connaissance de nos prières, il ne s'ensuivrait pas pour cela qu'elles fussent absolument inutiles ; que Dieu verrait en ce cas notre désir, et qu'à notre demande il nous accorderait une part plus particulière aux prières que les Saints font pour nous en général, de l'aveu même des protestants2. » Or, trouvez-vous, Monsieur, que l'Anonyme s'éloigne ici si fort de ma manière de penser ? il trouve bon qu'on demande à Dieu d'avoir part aux prières générales des Saints ; je dis que celui qui les invoque, marque du moins à Dieu le désir qu'il a d'y avoir part : y a-t-il entre ces deux choses une si grande différence ? Que l'Anonyme qui a l'âme si tendre et si compatissante, jusqu'à vouloir bien avoir pitié de moi, étende donc les sentiments de sa compassion jusques sur lui-même.
Mais je soutiens que saint Cyrille a prétendu dire quelque chose de plus que ce que l'Anonyme reconnaît dans les paroles du Saint ; car lorsqu'il marque, que pendant « les mystères on fait mention des Saints, afin que Dieu, touché de leurs prières, écoute plus favorablement les nôtres, » c'est absolument la même chose que s'il disait : « afin que les Saints prient pour nous, et que Dieu touché de leurs prières nous écoute plus favorablement. » Saint Augustin qui a marqué l'esprit de la même pratique, le dit en termes exprès : « Nous faisons, dit-il, mention des Martyrs pendant les mystères, non pas afin de prier pour mais afin qu'ils prient pour nous3. » On supposait donc que les saints Martyrs avaient connaissance de ce qui se pratiquait à leur égard, je veux dire du soin qu'on avait de faire mention d'eux et de se recommander à leurs prières ; car, s'ils l'eussent ignoré, comment eût-ce été là un moyen propre à les engager à prier ? C'est ainsi que l'Anonyme en attaquant nos textes, ne fait que nous donner occasion de les développer et d'en mieux faire sentir la force.
Il se trouve encore plus embarrassé4 du passage de saint Ambroise, tiré du livre de Viduis, et voudrait bien rendre ce livre suspect ; mais comment y réussir, puisque saint Ambroise le cite lui-même, du moins quatre fois dans son commentaire sur saint Luc, comme son propre ouvrage, auquel il renvoie le lecteur, et que saint Jérôme, qui vivait à peu près du même temps, écrivant à Pammachius, marque expressément que c'est Ambroise qui est l'auteur de ce livre1 ? Rien néanmoins de plus formel que ce que j'en ai cité pour l'Invocation des Saints. Nous devons prier les Anges qui sont commis à notre garde, dit le saint Docteur, prier également les Martyrs, dont les précieuses reliques nous sont autant de gages de leur protection ; n'ayons pas de honte d'avoir recours à leur intercession dans notre infirmité, puisqu'en remportant une glorieuse victoire, ils n'ont pas laissé d'éprouver eux-mêmes combien leur chair était infirme2. » Ne manquez pas, Monsieur, de montrer ce passage à vos amis luthériens, et de leur en faire peser toutes les paroles.
« Mais si ce livre est de saint Ambroise, dit l'Anonyme, l'Invocation des Saints se sera donc introduite peu à peu au quatrième siècle3. »
N'admirez-vous pas, Monsieur, cette manière de raisonner, et ne trouvez-vous pas ici ce donc admirablement bien placé ? Il vous paraîtra, sans doute, que l'Anonyme devait conclure du passage de saint Ambroise tout le contraire de ce qu'il en conclut ; car, puisque ce Père exhorte son peuple à prier les Anges et à invoquer les Martyrs, il ne croyait donc pas que ce fût une pratique récente et nouvelle. S'il eût été dans cette idée, il se fût bien gardé d'en faire une espèce de devoir à ses auditeurs, et ses auditeurs n'eussent pas manqué de s'en formaliser ; bien moins encore croyait-il que ce fût une pratique injurieuse à Dieu et à Jésus-Christ. Il faut donc nécessairement que l'Anonyme se croie plus éclairé sur l'origine et la qualité de cette pratique, que ne l'a été saint Ambroise et tous les Pères que j'ai déjà cités et qui me restent encore à citer. Le sentiment est, comme vous voyez, des plus modestes.
« Nous citerons pourtant ci-dessous des passages de saint Ambroise, poursuit l'Anonyme, qui sont tout opposés à celui qu'on tire ici de son livre de Viduis4. »
O la belle entreprise que de prétendre prouver que les Pères se sont contredits ! Quoi ? saint Ambroise, dans un livre qui est incontestablement de lui, dit qu'il faut prier les Anges et les saints Martyrs, et avoir recours à leur intercession, et ailleurs il enseignera tout le contraire ? qui le croira ? de telles variations sont bonnes pour les chefs de la réforme ; mais les Pères de l'Église n'en sont pas capables. Et quel livre cite-t-on pour faire voir cette prétendue contrariété de doctrine ? on cite le commentaire de saint Ambroise, sur les Épîtres de saint Paul, où il dit que « Dieu n'a pas besoin de procureur, d'entremetteur, de solliciteur, qu'il sait tout par lui-même et qu'on peut aller droit à lui5. » Qu'en dites-vous, Monsieur, notre homme n'a-t-il pas fait d'admirables progrès dans l'art de la critique, lui, qui après avoir promis de ne citer aucun livre douteux, nous cite le commentaire sur les Épîtres de saint Paul, comme étant de saint Ambroise ? Ignore-t-il donc que tous les savants conviennent aujourd'hui que cet ouvrage n'est nullement de ce Père ? Qu'il lise la savante préface que les RR. PP. Bénédictins ont mise à la tête du commentaire, et il saura ce qu'il en doit penser ; mais il faut lui pardonner, il a trouvé le passage en question, cité par Kemnitius, comme étant de saint Ambroise, cela lui a suffi pour n'en plus douter.
Supposons, néanmoins, que le passage soit effectivement de ce Père, je dis, que même en ce cas il ne prouve rien contre l'Invocation des Saints ; car l'auteur du Commentaire ne veut dire autre chose, si ce n'est, que les philosophes païens ont eu tort de prétendre que Dieu fut inaccessible, et qu'on ne pouvait aller à lui que par des génies, et par des intelligences subalternes. C'est dans ce sens qu'il dit que Dieu connaît tout par lui-même, et qu'on peut aller directement à lui sans procureur et sans entremetteur. Qu'y a-t-il en cela qui détruise l'Invocation des Saints ? fallait-il pour de si frivoles raisons, vouloir que saint Ambroise soit tombé en contradiction ?
L'Anonyme très content de lui-même et de sa réponse au passage de saint Ambroise, dit qu'il faut donner la même solution aux passages de saint Chrysostôme et de saint Augustin1 : c'est-à-dire qu'il veut qu'on leur reproche également de s'être contredits. J'avais cité contre Kemnitius2, qui nous donne le défi de produire un seul passage tiré des véritables écrit de saint Chrysostôme, pour faire voir que ce Père ait jamais exhorté à invoquer les Saints, j'avais, dis-je, cité l'homélie à l'honneur de sainte Bernice et de sainte Prosdoce, pièce qu'on ne s'avisa jamais de contester à saint Chrysostôme, où ce Père dit : « Rendons nous assidus auprès d'elles, prions-les, conjurons-les d'être nos patronnes ; elles ont eu beaucoup de crédit étant encore en vie, elles en ont encore plus après leur mort ; car elles portent présentement les stigmates du Sauveur, et en les faisant voir elles peuvent tout obtenir du Roi du ciel3. » Après quoi je faisais cette remarque : « On voit par là, que ces MM. ne lisent pas tout, ou qu'il leur échappe beaucoup de ce qu'ils lisent, ou qu'ils trouvent leur compte à prononcer hardiment, lors même qu'ils sont le moins assurés de la chose. » L'Anonyme n'a eu garde de rien relever de tout cela ; il le passe modestement sous silence, et se contente de dire : « Il faut savoir que les principes que saint Chrysostôme pose ailleurs, sont fort contraires à l'Invocation des Saints4. » Et quoi donc ? l'Anonyme se promet-il de faire douter si saint Chrysostôme a été persuadé de l'utilité de l'Invocation des Saints ? qu'il relise les paroles citées, et qu'il voie si ce n'est pas renoncer au bon sens, que de tenter de faire naître sur cela le moindre doute. Mais c'est que ces messieurs aiment à faire diversion. Quelque lumineux que soit un passage, ils en opposent d'autres, ne fût-ce que pour la forme. Que les paroles aient été dites dans toute autre vue et pour tout autre sujet, n'importe, cela leur suffit pour répandre quelque obscurité sur la matière, et c'est par là qu'ils se promettent d'empêcher que le lecteur ne soit frappé de l'évidence même ; artifice que l'Anonyme n'a pas manqué de mettre ici en œuvre ; car, que veulent dire les passages de saint Chrysostôme qu'il cite contre nous5 ? si ce n'est qu'il ne faut point abandonner le soin de la prière en se contentant de faire prier les autres pour soi, qu'il faut exposer par soi-même ses besoins à Dieu, que cette voie est bien plus efficace que de recourir précisément aux prières des personnes dévotes, comme c'était assez la coutume, ou plutôt l'abus des personnes riches de Constantinople en ce temps-là. Telle est la vue du Saint dans tout ce qu'il dit sur le sujet de la prière qu'il faut adresser à Dieu. Or, je vous demande, Monsieur, si ce n'est pas abuser de la crédulité de ceux qui ne sont pas versés dans la lecture des Pères, que de citer de tels passages contre l'Invocation des Saints.
Venons à saint Augustin. Vous vous souvenez sans doute d'avoir lu dans mon écrit ce que ce Père rapporte d'un bon vieillard d'Hippone, nommé Florent ; comment cet homme ayant perdu sa casaque, était allé au tombeau des vingt Martyrs pour se recommander à leurs prières, les conjurant de lui faire trouver quelque secours dans son extrême besoin ; qu'étant ensuite sorti de l'église et se promenant sur le bord de la mer, il avait vu un gros poisson qui se débattait sur le rivage, qu'il le prit et le vendit, et que l'acheteur ayant trouvé une bague d'or dans le ventre du poisson, la remit au vendeur, moyennant quoi il eut assez pour se procurer un habit1.
L'Anonyme dit que « saint Augustin s'est oublié en racontant ce conte2. » Ne trouvez-vous pas, Monsieur, que c'est bien notre homme qui s'oublie étrangement en parlant avec si peu de mesure et de retenue d'un homme aussi respectable que saint Augustin ? Et pourquoi veut-il que ce soit un conte, puisque ce Père nomme les personnes qui ont eu part à l'événement, rapporte toutes les paroles qui ont été dites, et ajoute des circonstances dont la vérité ou la fausseté ne pouvait manquer d'être connue à toute la ville d'Hippone ? Croit-il donc que le saint évêque aura si peu de soin de sa réputation, qu'il n'aura pas crainte de se faire celle d'un conteur de fable ? Mais conte ou non, saint Augustin en a-t-il été moins persuadé de l'utilité de l'Invocation des Saints, lui qui ne rapporte toute la merveille de cet événement, que comme l'effet de la prière que le bon vieillard avait adressée aux saints Martyrs ? Fallait-il en venir à des paroles si peu mesurées et si peu respectueuses envers le Saint, pour rester également dans l'embarras ? Que veut dire ce tombeau si célèbre des vingt Martyrs, dont parle le saint Docteur ? en quoi donc était-il célèbre, si ce n'est par le concours de ceux qui allaient y faire leurs prières, et par la multitude des grâces qu'on y recevait ? Que veut dire cette confiance du bon vieillard, qui crut ne pouvoir trouver de plus prompte ressource à l'embarras où il se voyait, qu'en allant implorer l'intercession des vingt Martyrs ? aura-t-il été le seul de ses concitoyens à en user ainsi ? Que veut dire tout le récit de saint Augustin si parfaitement circonstancié ? qu'est-il autre chose qu'une approbation et un éloge de la piété et de toute la conduite du pauvre vieillard Florent ? Entreprendre, après cela, de persuader que saint Augustin a parlé ailleurs contre l'Invocation des Saints, n'est-ce pas se flatter du don de persuasion le plus rare et le plus extraordinaire qui fût jamais ? Je suis sûr que l'Anonyme, en considérant le fait rapporté et les sentiments que saint Augustin marque à ce sujet, ne pourra se persuader lui-même que ce Père ait jamais pensé ailleurs à blâmer l'Invocation des Saints ; tout ce qu'il en dit, ne peut donc être que pour amuser le lecteur et ne pas paraître rester entièrement court.
En effet, Monsieur, quoi de plus faible et de moins à propos que tous les passages qu'il tire des autres ouvrages de saint Augustin pour nous les opposer ? Prenez la peine de les examiner dans l'écrit même où ils sont rapportés3 ; car je vous avouerai franchement que je ne puis me donner celle de les transcrire ; et vous n'y verrez autre chose, si non qu'il ne faut pas adorer les Saints, qu'il ne faut pas leur ériger des temples, comme faisaient les païens à leurs divinités, qu'il ne faut pas leur dresser des autels pour leur offrir des sacrifices ; que c'est à Dieu seul que les temples et les autels doivent être consacrés, quoique cela n'empêche pas qu'on ne leur donne le nom de quelque Saint, dont on prétend honorer la mémoire ; qu'on se garde bien d'invoquer les Saints dans l'action même du sacrifice, en leur disant : Saint Pierre, ou saint Paul je vous offre ce sacrifice ; que les morts ignorent naturellement ce qui se passe ici bas et qu'il n'y prennent aucune part ; que les Saints ne savent que ce que Dieu leur fait connaître, et que Dieu ne leur fait connaître que ce qui est de leur satisfaction et de leur gloire ; qu'il ne faut pas s'enivrer à la fête des Martyrs, bien moins encore en faisant des repas auprès de leur tombeau, comme c'était la coutume du temps ; que Jésus-Christ est le seul médiateur entre Dieu et les hommes, en l'entendant de cette médiation qui nous réconcilie avec Dieu ; que quelque idée que l'on ait de la sainteté d'un homme, soit vivant, soit mort, il ne faut pas tellement mettre sa confiance en lui, que la confiance qu'on doit à l'Auteur de la sainteté en souffre ; que c'est du Seigneur même, comme de l'unique principe de tout bien, qu'il faut attendre le secours dont on a besoin.
Voilà, Monsieur, tout ce qui est renfermé dans les passages de saint Augustin qu'on nous oppose. Or, y a-t-il rien dans tout cela, qui puisse nous faire douter du sentiment de ce Père touchant l'Invocation des Saints, après les preuves démonstratives que vous en avez vues ?
Tels sont à peu près les passages des autres Pères que l'Anonyme cite contre nous, et dont il remplit cinq ou six pages : s'il y en avait un seul véritablement propre à combattre notre pratique, il n'eût pas manqué de l'insérer dans le corps de son écrit, et d'en faire sentir toute la force ; mais n'en trouvant aucun de cette espèce, il s'est contenté de jeter sur le papier un amas confus de passages, sans marquer d'aucun en particulier ce qu'il prétend en conclure, sentant bien, que quand on examinera l'endroit où ils sont placés, la fin et l'occasion qui ont fait parler les Pères, ils n'auront aucune force de preuve.
La méthode est assez bonne pour faire illusion au lecteur peu intelligent ; mais celui qui a du sens et de la raison, ne se persuadera pas aisément que les Pères se soient contredits ; et s'il trouve de l'obscurité dans quelques-uns de leurs passages, il aimera mieux supposer, en lui-même, un défaut d'intelligence, que de supposer dans les Pères la bizarrerie de la contradiction.
Je ne dois pas manquer de remarquer ici deux choses assez singulières, et qui peuvent vous donner quelque envie de rire. La première est la plaisante manière dont l'Anonyme traduit un passage de saint Augustin, la seconde est le reproche qu'il me fait d'avoir falsifié un passage de ce Père. Saint Augustin demande : « Comment pourrions nous approuver ceux qui s'enivrent dans les églises des Martyrs ? Qui autem se in memoriis Martyrum inebriant, quomodo à nobis approbari possunt1 ? » L'Anonyme traduit le mot inebriant, c'est-à-dire : « ceux qui rendent un culte religieux aux Martyrs2. » Ne faut-il pas que notre homme ait le vin extraordinairement dévot, puisque s'enivrer et rendre une culte religieux c'est chez lui la même chose ? Je suis fort tenté de croire qu'il avait bu le petit coup lorsqu'il a fait cette belle traduction ; tout autre que moi y soupçonnerait un plus grand excès ; ainsi, Monsieur, je vous prends à témoin de ma modération.
La seconde chose à remarquer est qu'il me reproche1 d'avoir changé le mot commendari en commendare, en rapportant ce passage de saint Augustin, injuria est orare pro Martyre, cujus nos debemus orationibus commendare2, en quoi il n'a pas pris garde que j'ai cité le passage3 tel qu'il est rapporté par Kemnitius même4. Ainsi, s'il y a de la falsification, elle ne doit rouler que sur le compte de ce ministre et non sur le mien. J'ai donc été très fort en droit de dire : « Ne faut-il pas être étrangement prévenu par la passion pour nous citer saint Augustin, comme étant contraire à l'Invocation des Saints, tandis qu'on en rapporte des passages qui la contiennent formellement5 ? » En effet, Monsieur, se recommander aux prières des Saints, qu'est-ce autre chose que de les prier d'intercéder pour nous ? et les prier d'intercéder pour nous, qu'est-ce autre chose que les invoquer ? C'est contre un raisonnement si simple et si naturel, suivi d'une courte réflexion de quatre lignes, que l'Anonyme s'irrite jusqu'à dire que : « c'est là une déclamation bien extravagante, où l'auteur se déchaîne avec tant de suffisance contre Kemnitius6. »
Vous m'avouerez, Monsieur, qu'une grossièreté est toujours mal placée, en quelque endroit qu'on la place ; mais elle fait encore un bien plus mauvais effet lorsqu'elle porte à-faux ; or, il est clair que les termes impolis qu'on lâche ici contre moi, me supposent coupable d'une falsification, dont je suis très innocent ; car je ne fais que presser Kemnitius par des paroles, telles qu'il les cite lui-même. Si ce ministre s'est mépris, ou s'il a eu tort de croire que commendare et commendari formaient ici le même sens, ce ma faute ? et devais-je pour cela essuyer la mauvaise humeur de l'Anonyme ? Il est fâcheux pour lui que pour la première fois qu'il a voulu m'en faire sentir les effets en termes les plus énergiques, il ait si mal adressé. Peut-être néanmoins que cela pourra lui servir dans la suite. Quand il se sentira tenté de dire des duretés, il y prendra garde de plus près, et se ménagera pour cela une occasion plus favorable.
Après avoir fait sur moi une sortie si mal concertée, il vient à saint Jérôme, et dit : « Il est étonnant que l'auteur de la lettre cite un passage de saint Jérôme contre Vigilance, où ce Père ne dit pas un mot de l'Invocation des Saints, lui qui déclame avec tant de zèle contre l'adoration des Martyrs7.
Mais il est beaucoup plus étonnant que l'Anonyme n'ait pas lu, ou n'ait pas voulu comprendre ce que j'ai dit sur ce sujet8, en réfutant Mélanchton, Kemnitius et Drejerus, qui avaient fait la même remarque avec aussi peu de jugement. « Comment, disais-je, Saint Jérôme ne rapporte-t-il pas l'objection de Vigilance, qui disait : Il faut donc que les âmes des Martyrs aiment leurs cendres et qu'elles voltigent autour des tombeaux qui les renferment, qu'elles y soient toujours présentes, de peur que si elles en étaient éloignées, elles ne manquent pas d'entendre les prières qu'on vient leur faire ? Cette objection, ajoutais-je, ne fait-elle pas voir l'usage dans lequel on était de venir prier les saints Martyrs, ou de les invoquer ? Saint Jérôme ne réfute-t-il pas cette objection en la traitant de fade raillerie. Si Vigilance trouvait à redire à ce qu'on vînt faire des prières aux Martyrs, si saint Jérôme le traite à ce sujet de monstre qu'il faudrait reléguer aux extrémités de la terre, il s'agissait donc de l'Invocation des Saints. Vous voyez donc, Monsieur, concluais-je, que vos plus habiles docteurs, tels que sont un Mélanchton, un Kemnitius, un Dreyerus, ne réfléchissaient pas toujours assez sur ce qu'ils lisaient, puisqu'ils n'y ont pas vu des choses aussi clairement marquées que celles que je viens d'indiquer1. »
Après tout cela notre Anonyme vient encore nous dire froidement : « Saint Jérôme ne dit pas un mot de l'Invocation des Saints en cet endroit2 ; ne s'apercevant pas, ou faisant semblant de ne pas s'apercevoir que les trois docteurs de son parti ont été convaincus d'un aveuglement affecté, et cela d'une manière à ne laisser aucun lieu à la réplique. Comment faire entendre raison à un homme de cette espèce, qui ne prend rien de tout ce qu'on lui dit, et qui coule par-dessus, tout comme si l'on n'avait rien dit ?
Il en use à peu près de même en parlant du passage de Théodoret3, par lequel nous apprenons que de son temps on voyait dans l'église des Martyrs, des yeux, des mains, des pieds d'argent en signe de reconnaissance pour la guérison obtenue par leur intercession. Ce savant évêque ajoute : « On se garde bien néanmoins de s'adresser à eux, comme à des dieux ; nous les regardons comme des hommes extraordinaires, les priant d'être nos intercesseurs auprès de Dieu4. »
Que répond à cela l'Anonyme ? il nie que le livre de la Cure des affections grecques, dont ce passage est tiré, soit de Théodoret, s'appuyant de l'autorité de Kemnitius, de Cocus, de Dumoulin et du sieur Basnage. Mais qui sera plus croyable sur ce sujet ? seront-ce ces messieurs, ou Théodoret même, qui dans trois endroits de ses écrits reconnaît que le livre en question est son ouvrage ? J'ai cité ces trois endroits, indiquant le tome et la page ; mais l'Anonyme n'ayant pas daigné les consulter, il faut transcrire les paroles de Théodoret5, où vous verrez qu'il se reconnaît pour auteur d'un livre écrit contre les Grecs. Or, il n'en a point écrit d'autre contre les Grecs que celui dont nous parlons ; donc, ce livre est indubitablement de lui, et cela d'autant plus, qu'on y voit la même manière de penser, le même style, la même éloquence et la même érudition que dans ses autres ouvrages. Aussi le savant P. Sirmond, éditeur des œuvres de ce Père, n'a-t-il pas balancé à l'insérer dans sa belle édition, prouvant par les trois endroits que j'ai cités, que cet ouvrage est incontestablement de Théodoret. Ne faut-il pas être réduit à d'étranges extrémités pour se porter à disputer sur l'authenticité d'un tel livre ?
Et de quoi cela sert-il à l'Anonyme ? n'y a-t-il pas même de l'imprudence à lui de le faire, dans le temps qu'il est obligé de convenir que le poète Prudence, plus ancien que Théodoret, en dit tout autant, et même incomparablement plus1 ? Prenez la peine de relire la belle description que ce poète fait du prodigieux concours du monde qui se voyait aussi de son temps au tombeau de saint Hippolyte2 ; comme dès le lever du soleil une troupe succédait à l'autre sans discontinuer pendant tout le jour ; comme les Romains et les Barbares y venaient par pelotons ; comme les uns baisaient avec respect le précieux métal qui renfermait les ossements du saint Martyr, tandis que les autres répandaient des parfums et des larmes ; comme le jour de la fête du Saint, tout Rome s'épuisait, les familles patriciennes se mêlant avec la dévote bourgeoisie, et le sénateur se confondant avec l'artisan ; comme toute la campagne était couverte de différents peuples, de Toscans, de Samnites, d'habitants de Capoue et de Nole, etc., tout retentissant de chants d'allégresse. Les chemins les plus spacieux étaient trop serrés pour donner passage à tant de monde, on s'y pressait, on s'y portait souvent sans pouvoir avancer. La chapelle du Saint étant de beaucoup trop petite, un vaste temple servait de décharge pour recevoir les dévots pèlerins qui en sortaient sans cesse, faisant place à d'autres.
A en juger par cette description, ne trouvez-vous pas, Monsieur, que la dévotion du quatrième siècle envers les Saints ne le cédait pas à la nôtre, serait-ce trop de dire qu'elle la passait de beaucoup ?
« On avoue enfin, dit l'Anonyme, que les vers de Prudence prouvent qu'à la fin du quatrième siècle le peuple a invoqué les Martyrs ; personne ne conteste ce fait, puisqu'on soutient que l'Invocation des Saints, inconnue aux premiers siècles, s'est introduite dans l'Église vers le milieu du quatrième, non pas universellement, ce que ne peut prouver le peu de témoignages que le théologien Anonyme allègue ; mais même avec opposition de Pères mieux entendus3. »
Que de duplicité dans ce peu de paroles ? que de mauvaises ruses pour échapper à la force de la vérité ? Reprenons-les, s'il vous plaît, chacun en particulier, vous y verrez toute la flexibilité du serpent jointe à sa malignité.
« Les vers de Prudence, dit-il, prouvent qu'à la fin du quatrième siècle le peuple a invoqué les Martyrs. Ces vers ne prouvent pas seulement pour le peuple ; ils prouvent aussi pour les patriciens, pour les sénateurs, pour les personnes de la première condition, dont il est expressément fait mention. »
« Personne ne conteste ce fait, » ajoute l'Anonyme : Et pourquoi donc n'a-t-il cessé jusqu'ici de chicaner sur tous les passages des Pères ?
« Nous soutenons seulement que l'Invocation des Saints est inconnue aux premiers siècles. » Nous ne tarderons pas à voir ce qui en est.
« Nous soutenons, dit-il, que cette Invocation s'est introduite vers le milieu du quatrième siècle. » Nous avons bien vu que vers le milieu du quatrième siècle elle était aussi établie qu'elle le peut être aujourd'hui ; mais nous n'avons pas vu qu'elle se soit introduite vers ce temps-là, l'Anonyme ne le prouve nulle part, l'histoire de Justine et le témoignage des centuriateurs mêmes réfutent sa chimérique prétention.
« L'Invocation, poursuit-il, s'est introduite pour lors, non pas universellement, ce que ne peut prouver le peu de témoignages allégués, mais même avec opposition des Pères mieux entendus. »
Pour ce qui est de l'opposition des Pères mieux entendus, vous avez déjà vu ce qui en est ; et par rapport à l'universalité de l'Invocation ne dirait-on pas que je n'ai cité saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme, Théodoret et Prudence, que pour faire connaître quel a été le sentiment de chacun d'eux en particulier. Ne me suis-je pas étudié à choisir des passages qui rendissent témoignage à la pratique générale du temps ? Souvenez-vous, s'il vous plaît, de ce concours de gens au tombeau des quarante Martyrs, pour demander toutes sortes de grâces, de ces files de pèlerins qui ressemblaient à des fourmis en allant au tombeau de saint Théodore et en revenant, de ces gouverneurs, de ces généraux, de ces rois qui quittaient tout, qui venaient de tous pays pour se prosterner devant le tombeau d'un pêcheur. Souvenez-vous de ce qui se passait à Rome, à Constantinople, à Jérusalem, dans la Grèce, dans toute l'Italie, en Afrique, dans tous les lieux où la liturgie expliquée par saint Cyrille était en usage.
Peut-on réfléchir sur tout cela, et ne pas rester aussi convaincu, que si l'on voyait la chose sous ses yeux, que l'usage général du quatrième et du cinquième siècle, pour ne rien dire ici des siècles précédents, a été d'invoquer les Saints ? « Comment MM. vos ministres, disais-je, après cela dans mon premier écrit osent-ils encore nous entreprendre sur cet article ? se flattent-ils donc de pouvoir persuader des personnes raisonnables, que dans les plus beaux jours de l'Église le peuple chrétien avait déjà abandonné le culte du vrai Dieu pour placer une vaine confiance dans les créatures ? qu'il ignorait et blessait les droits du Rédempteur, en se cherchant des entremetteurs au préjudice de la médiation de Jésus-Christ ; qu'il était assez simple pour parler à des sourds, qui n'entendaient pas ce qu'on leur demandait ; que dès-lors la véritable piété était bannie du monde chrétien ; et qu'on voyait régner à sa place la superstition et l'idolâtrie, sans que personne ait pu réussir à y apporter remède, qu'au temps de Luther. »
« Qu'en pensez-vous, Monsieur, ajoutais-je, ne faut-il pas bien du courage pour entreprendre de soutenir de si étranges paradoxes ? ou plutôt, peut-on se déterminer à l'entreprendre sans y être porté par la plus monstrueuse de toutes les présomptions? Quoi ? tout le christianisme plongé dans la superstition et dans l'idolâtrie pendant une si longue suite d'années, et cela sans que les promesses de Jésus-Christ en aient souffert ? Tous les Docteurs de l'Église devenus stupides et aveugles, jusqu'à ne pas voir la contravention la plus manifeste au premier des commandements ? La vraie intelligence des Écritures communiquée sur cet article à vos ministres, tandis qu'elle a été refusée à tout ce qu'il y a eu de plus habiles gens dans l'antiquité et de plus consommé dans l'étude des saintes lettres ? Adopter tout cela, l'admettre comme autant de parties du système qu'on s'est formé contre nous, je vous le demande, Monsieur, avons-nous fort à craindre que la satyre et l'invective fondées sur de tels principes puissent rendre nos usages méprisables ? ou plutôt, n'avons-nous pas droit de prétendre que ceux qui nous font des reproches dont ils voient si peu les suites, ou qui les voyant, ne laissent par de les approuver, quelque monstrueuses qu'elles soient, font tout ce qu'il faut pour s'attirer le plus juste mépris ? Il fallait avant que de former de si noires accusations contre nous, examiner sur qui elles tomberaient ; car, vouloir que nous soyons les seuls coupables, tandis que ce qu'il y a eu de plus saint et de plus savant dans l'antiquité, tandis que tout le peuple chrétien de ces heureux siècles, a pratiqué les mêmes choses que nous, l'injustice serait trop criante ; et porter contre eux comme contre nous-mêmes sentence de condamnation, n'en déplaise à MM. les ministres, nous ne pouvons redouter un jugement qui enveloppe de si illustres associés, et nous nous estimerons toujours beaucoup plus honorés d'être liés d'intérêt avec une si belle troupe, que d'avoir l'approbation de ceux qui sont assez hardis pour oser la condamner1.
Il ne fallait, Monsieur, pour réfuter tout l'écrit du docteur de Schaffouse, que répéter ce seul endroit de la lettre, le lui remettre devant les yeux et supprimer tout le reste ; cela seul eût suffit pour répondre à toutes ses difficultés et énerver toutes ses preuves ; aussi a-t-il si bien senti la force de ce que je viens de rappeler, qu'il n'a pas osé y toucher, se contentant de traiter cet extrait de vaine déclamation2.
Je vous en fais le juge, Monsieur, si c'est là une déclamation, ou si ce ne sont pas les réflexions les plus sensées, les plus naturelles et les plus propres à entrer dans tout esprit raisonnable.
L'Anonyme eût donc beaucoup mieux fait de mettre son esprit à imaginer quelque tour propre à arrêter l'impression que doivent naturellement faire des réflexions si pressantes, que de s'amuser à nous rapporter je ne sais combien de petits contes, dont il remplit son écrit. Ce nez de marbre trouvé dans le ventre d'un poisson, et appliqué si heureusement à la statue d'un Saint qui en manquait, ces culottes suspendues à la voûte d'une mosquée, les compliments bizarres des femmes de Naples à saint Janvier, le démon chassé du corps d'un possédé par saint Ignace récitant ce vers de Virgile : Speluncam Bido Dux et Trojanus eamdem, et tant d'autres sornettes de même nature peuvent bien amuser des esprits superficiels, ou divertir des esprits irréligieux, mais elles ne pourront jamais contenter des esprits sages. Quand il s'agit de dispute en fait de religion, on cherche le solide dans les réponses et non le plaisant. Ce ne seront, ni les folles imaginations d'un peuple peu éclairé, ni les écarts d'un auteur, ou excessivement crédule, ou indiscrètement badin, qui aideront à décider d'un point de controverse.
Ainsi, tout ce qu'on rapporte en ce genre, ne peut être que pour distraire le lecteur et lui faire perdre le véritable point de vue. On trouve son compte à présenter des idées burlesques, lorsqu'on ne le trouve pas à laisser lieu aux réflexions sérieuses, petit tour de souplesse, par lequel on n'imite pas mal les joueurs de gobelets, qui font disparaître des choses assez difficiles à cacher, en attachant l'œil à d'autres objets amusants. Mais revenons à notre homme qui appelle vaine déclamation tout ce qui le pousse à bout, tout ce qui met une barrière impénétrable à l'esprit de chicane. C'est pour la seconde fois qu'il a recours au même expédient. Il est bon, Monsieur, que vous connaissiez la force de ces termes, et qu'une bonne fois pour toutes vous vous fassiez à son Dictionnaire.
Jusqu'ici j'ai suivi l'Anonyme pas à pas, discutant exactement chaque période, et pour ainsi dire chaque ligne de son écrit. Qu'avez-vous remarqué, Monsieur, dans tout ce qui a été dit de part et d'autre, si ce n'est que l'Anonyme faisant semblant de répondre à tout, ne répond absolument à rien ? La plus spécieuse de toutes ses réponses, du moins auprès de ceux qui ne sont pas si fort au fait de ces matières, consiste dans le reproche qu'il me fait d'avoir cité quatre livres supposés ou douteux, savoir, ceux de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Ambroise et de Théodoret. Pour les trois derniers il se trompe manifestement, je pense l'avoir démontré ; pour ce qui est de saint Basile, j'ai assez fait sentir que je n'appuyais pas tellement sur le premier de ces textes, que je ne crusse devoir le soutenir de deux autres, qu'on ne peut me disputer en aucune façon1 ;`quel si grand sujet de reproche y a-t-il donc en cela ? Notre habile homme, qui cite sous le nom de saint Ambroise le Commentaire des Épîtres de saint Paul, n'a-t-il pas bonne grâce de me reprocher ici mon peu de critique et de discernement dans la connaissance des livres ?
Il me serait aisé de suivre l'Antagoniste des Saints jusqu'à la dernière ligne de son libelle, en continuant à relever chaque parole comme j'ai fait jusqu'ici ; mais, Monsieur, me conseilleriez-vous de faire un gros livre pour si peu de chose ? qui le lirait ? qui l'achèterait ? qui fournirait aux frais de l'impression ? Je ne prétends ni causer des pertes à mon imprimeur, ni ennuyer mes lecteurs aux dépens de la bourse de mes amis.
C'est donc une nécessité pour moi de changer de méthode ; je vais réduire tout le reste de l'écrit anonyme à un certain nombre de propositions, que je réfuterai les unes après les autres ? Je le ferai en termes courts et précis ; mais il y en aura bien assez pour vous faire voir que notre adversaire est également faible partout, et également inconsidéré à vouloir nous attaquer dans des postes où l'on peut le moins nous forcer.
Il prétend, 1° que je n'ai pas rapporté fidèlement la doctrine catholique touchant l'Invocation des Saints ; 2° qu'il ne se trouve aucun passage de l'Écriture, sur lequel on puisse fonder cette pratique ; 3° que l'Invocation des Saints est contraire à l'Écriture, à l'autorité des Pères et à la raison. Vous avez déjà vu ce qui regarde l'autorité des Pères ; ainsi, il ne sera pas nécessaire d'y revenir ; 4° que l'Invocation des Saints ne s'est introduite que vers le milieu du quatrième siècle, et qu'elle n'est pas de tradition apostolique ; 5° qu'il ne se fait point et ne s'est point fait de miracles aux tombeaux des Saints, et que ces prétendus miracles ne prouvent rien pour l'Invocation ; si bien que réfuter ces cinq articles, ce sera avoir fourni une défense beaucoup plus complète que l'écrit anonyme ne le méritait.
Je serais en droit de m'en tenir à ce que j'ai déjà dit : On voit par cet échantillon, pourrais-je dire, comme on fait à la tête de l'écrit qu'on nous oppose, on voit ce que l'on pourrait faire, si l'on voulait répondre à tout le reste. Mais il faut avoir plus de zèle pour la bonne cause, que l'écrivain de Schaffouse n'en a marqué pour la mauvaise il n'est pas surprenant qu'on s’ennuye d'un travail qui ne peut aller qu'à la perte des âmes ; mais il y a bien assez de motifs pour entreprendre avec courage et continuer avec gaîté un travail, qui n'a pour but que de retirer les âmes du schisme et de l'hérésie.
Voyons donc, d'abord, si l'Anonyme est fondé à prétendre que je n'ai pas exposé fidèlement la doctrine catholique touchant l'Invocation des Saints. Y pense-t-il ? Quoi ! j'aurais adouci, pallié, altéré la doctrine de l'Église, et les docteurs de l'université de Strasbourg, mes confrères, ne s'en seront pas aperçu, ou n'auront pas daigné m'en avertir ? Les trois théologiens réviseurs et approbateurs de mes Lettres auront eu sur ce point des yeux moins attentifs et moins vigilants que notre Anonyme ? Pendant plus de dix-huit ans que j'ai prêché la controverse, j'ai répété plusieurs fois la même doctrine ; aucun catholique ne s'en est formalisé, personne ne s'est avisé d'en porter des plaintes aux supérieurs ecclésiastiques. Le grand cardinal qui gouverne ce diocèse, prélat d'un discernement exact, s'il y en eût jamais, a lu mon écrit et non-seulement il n'y a pas trouvé à redire, mais qui plus est, il a eu la bonté d'en parler d'une manière beaucoup trop honorable pour moi. Je n'ai fait que rapporter les propres paroles du concile de Trente, celles du Catéchisme de ce concile, celles du célèbre évêque de Meaux, telles qu'on les voit dans son Exposition de foi, ouvrage approuvé par un Bref exprès du Pape et par tous les évêques de sa communion ; et rien de tout cela ne pourra persuader notre Anonyme que j'ai exposé juste ; il entreprendra, même fort sérieusement, de prouver le contraire ? Quoi de plus merveilleux que de pareilles entreprises ? ne vaudrait-il pas beaucoup mieux en rire, que de penser sérieusement à en faire voir l'injustice?
« Mais, dit-il, il est faux que l'Église romaine soutienne seulement l'utilité de l'Invocation des Saints... Il est dit dans la profession de foi, il faut honorer et invoquer les saints1. Il est encore faux, ajoute-t-il, qu'on les prie dans le même esprit de charité et selon cet ordre de société fraternelle, qui nous porte à demander le secours et l'intercession de nos frères vivants sur la terre2. On leur rend un honneur infiniment supérieur, on se prosterne devant leurs images ; on célèbre des messes et des fêtes en leur honneur, on leur dédie des temples et des autels, on leur consacre des dons, on les encense3, on leur demande la collation des biens temporels et éternels, même avec cette phrase : Ayez pitié de nous4. »
Je réponds, que l'Anonyme ne distingue rien et confond tout. Est-ce faute de pénétration ? est-ce faute de négligence ? est-ce malignité pour en imposer plus aisément à son lecteur ? Oui Monsieur, il est très vrai qu'aucun particulier n'est obligé d'invoquer les Saints dans ses besoins particuliers. Il lui est utile de le faire, mais il n'en a aucun commandement, comme il n'en a aucun de demander les prières des vivants. Il serait néanmoins très mal de refuser de prendre part aux prières publiques de l'Église qui renferment une Invocation, telles que sont les litanies et autres oraisons ; parce qu'il marquerait en cela un esprit de suffisance et d'orgueil, et que ce serait, pour me servir des termes de saint Augustin, la plus insolente de toutes les folies, d'oser blâmer ce qui se pratique par l'Église dans tous les pays de l'univers5. »
Que l'Anonyme remarque bien cette expression de saint Augustin, elle lui tombe à plomb sur le corps, car il a été prouvé par des preuves incontestables que dès le quatrième et le cinquième siècle la pratique d'invoquer les Saints était universelle parmi les chrétiens ; mais quand nous ferions abstraction de toutes ces preuves, la pratique de ce qui reste en Orient de sociétés nestoriennes et eutichéenes, séparées de nous depuis le cinquième siècle, en est une démonstration à laquelle il n'y a rien à répliquer ; puisque ces sectes, n'invoquant pas moins que nous les Saints, comme je l'ai vérifié par les certificats les plus authentiques1, font assez connaître quel a été l'usage de l'Église avant leur séparation. Que notre Anonyme pense donc à écarter de soi, s'il le peut, le reproche de saint Augustin, qui le charge de donner dans la plus insigne et dans la plus insolente des folies. Posons même le cas que l'usage de l'Invocation n'ait pas été général au siècle de saint Augustin, du moins l'était-il, de l'aveu de Luther même, au siècle qui a précédé sa rupture avec l'Église2. Ainsi, si la maxime du saint Docteur est vraie, comme elle l'est indubitablement, étant fondée sur la raison, sur l'expérience et sur les promesses de Jésus-Christ, les belles épithètes reviendront toujours et suivront l’Anonyme de si près, qu'il ne pourra leur échapper.
Pour ce qui est de sa seconde objection, il confond encore l'Invocation avec l'honneur que nous rendons aux Saints. Nous avouons que nous leur rendons d'autres honneurs qu'aux justes qui vivent avec nous ; car nous honorons les Saints, comme étant parvenus à la gloire, comme étant assurés de leur sort, comme étant hors de tout danger de pécher, comme les amis stables et permanents de Dieu, les princes de la cour céleste, les possesseurs de la Divinité, les patrons et les protecteurs de ceux qui ont encore à combattre sur la terre ; en cette qualité nous leur déférons de plus grands honneurs, et si vous le voulez, des honneurs d'une autre espèce qu'aux vivants les plus distingués en sainteté. Mais pour ce qui est de l'Invocation, nous la pratiquons dans le même esprit, dans lequel nous demandons le secours de nos frères vivants, disant aux uns et aux autres : Priez Dieu pour moi, et rien de plus.
Comme je n'ai eu d'autre objet dans mon écrit que de défendre l'Invocation des Saints, je pourrais me dispenser de répondre à l'Anonyme sur ce qu'il trouve à redire aux honneurs que nous leur rendons, l'article du culte des Saints pouvant être considéré comme un article séparé de l'Invocation, et qui demanderait une discussion particulière ; mais pour ne laisser aucune peine dans l'esprit de ceux à qui vous voulez ôter tout scrupule, j'ajouterai sur cela même un mot d'éclaircissement qui suffira. Un enfant se met bien à genoux devant son père pour lui demander sa bénédiction ; on ne se formalise pas de voir que dans quelques cours de l'Europe le roi et la reine se fassent servir à genoux. Quel inconvénient y a-t-il qu'on se mette également à genoux devant un saint, ou devant une image qui le représente ? Josué ne se prosterna-t-il pas devant l'arche3, chose du moins aussi matérielle qu'une statue, ou qu'une image, ou que le corps d'un saint ?
« On célèbre des fêtes en leur l'honneur, » ajoute l'Anonyme. On le faisait dès le commencement du second siècle, en célébrant tous les ans la mémoire du martyre de saint Polycarpe, ainsi que vous avez vu dans ma Lettre1. Les centuriateurs conviennent qu'au quatrième siècle c'était l'usage de la plupart des Églises de célébrer des fêtes solennelles à l'honneur des martyrs2.
« On dit des messes en leur honneur, » continue l'Anonyme. Ce n'est pas pour leur offrir le sacrifice, comme le remarque saint Augustin, c'est pour remercier Dieu des grâces qu'il leur a faites, et pour lui demander la grâce de les imiter3. Qu'y a-t'il là de blâmable ?
« On leur dédie des temples et des autels. » J'ai déjà dit que tout temple et tout autel était dédié à Dieu même quoiqu'on leur donne le nom de quelque Saint, dont on prétend honorer la mémoire. Les centuriateurs avouent que dès le quatrième siècle on voyait dans les villes et hors de leur enceinte beaucoup d'églises qui se nommaient du nom de quelque Apôtre, ou de quelque Martyr4. Saint Grégoire de Nazianze nous apprend que Gallus et Julien l'apostat, neveux du grand Constantin, faisaient bâtir à l'envi de belles églises à l'honneur des Martyrs ; c'était à qui l'emporterait en magnificence et en riches ornements d'architecture5. Les bâtiments qui s'érigeaient par l'ordre de Gallus réussissaient à merveille, Dieu agréant et bénissant son ouvrage ; mais ceux de Julien étaient aussitôt renversés par des tremblements de terre, qui semblaient secouer le poids dont on la chargeait C'est que le Dieu des Martyrs, dit le saint Docteur, voulait marquer qu'il réprouvait les dons de celui qui devait un jour faire la guerre aux Martyrs. Voilà, Monsieur, un des événements les plus singuliers du quatrième siècle, que saint Grégoire rapporte comme un fait connu de tous les chrétiens du temps. Qu'y voyez-vous, si ce n'est une approbation éclatante que Dieu donnait à la piété de Gallus envers les saints Martyrs ? qu'y voyez-vous encore, si ce n'est que les idées du quatrième siècle, le plus florissant de l'Église et le plus fertile en grands hommes, étaient infiniment différentes des idées de nos protestants d'aujourd'hui.
« On leur consacre des dons, » poursuit-il. On en faisait tout autant du temps de Théodoret, comme vous l'avez vu : « C'est en signe de reconnaissance, dit un auteur, pour les grâces obtenues par l'entremise des saints Martyrs. On se garde bien néanmoins, ajoute-t-il, de s'adresser à eux comme à des dieux ; nous les honorons comme des hommes extraordinaires et divins, les priant d'être nos intercesseurs auprès de Dieu6. » Et pour vous faire voir qu'il n'y a pas à chicaner sur ce passage de Théodoret, saint Grégoire de Nazianze atteste que « Gallus et Julien faisaient connaître leur amour pour Jésus-Christ, par la magnificence des dons et des présents qu'ils faisaient aux Martyrs7. »
« On les encense, » dit encore l'Anonyme. On encense bien le seigneur du village, et les corps morts avant que de les enterrer ; dira-t-on pour cela qu'on les honore comme des divinités ?
« On leur demande la collation des biens temporels, et éternels même avec cette phrase : Ayez pitié de moi. » Pour ce qui est de la phrase « ayez pitié de moi, » on s'en est servi plus d'une fois auprès de moi, quelque petit saint que je sois, en me priant dans de pressants besoins, d'employer mon intercession ou ma recommandation auprès de ceux qui pouvaient donner du secours ; et pour ce qui est de la « collation des biens temporels ou éternels, » permettez-moi, Monsieur, cette expression, ou plutôt permettez-la à l'Anonyme, car elle n'est pas de moi, il n'y a que des personnes fort mal instruites, qui puissent la demander aux Saints. Le concile de Trente recommande expressément aux évêques et à tous ceux qui sont chargés du soin de l'instruction, de veiller à ce que les peuples n'aient sur cela que de justes idées1. S'il se trouve dans quelques hymnes ou dans d'autres prières de l'Église des expressions qui semblent dire quelque chose de plus, l'Église s'est assez expliquée et par le concile de Trente et par le Catéchisme du concile, pour nous faire connaître dans quel sens et dans quel esprit nous devons entendre ces sortes d'expressions, voulant que nous réduisions le tout à la seule voie d'intercession. Ainsi tout ce que l'on peut dire pour nous prêter d'autres vues, n'est que pure chicane et le vain langage d'un esprit de contradiction.
Je crois, Monsieur, vous avoir rendu assez bon compte et du culte que nous rendons aux Saints, et de l'esprit dans lequel nous les prions. Il ne me reste plus qu'à répondre à une objection qui nous attaque par un autre endroit, et par laquelle l'Anonyme prétend nous convaincre que nous regardons les Saints comme des médiateurs de rédemption. Voici comme il propose la difficulté : « L'auteur ne nie pas, dit-il, que la rémission des péchés ne soit attribuée dans la formule commune de l'absolution aux mérites de la sainte Vierge et de tous les Saints. Si cela est, ajoute l'Anonyme, ils méritent donc la rémission des péchés ; la conséquence est bien naturelle, quoique l'auteur s'efforce de la nier2. »
Quoi de plus pitoyable que ce raisonnement, après les éclaircissements que j'ai donnés sur ce sujet ? Prenez la peine de relire mon ouvrage3 et voyez si j'ai laissé lieu à nous faire cette objection. J'ai dit que plus un Saint a de mérites et de sainteté, plus il est agréable à Dieu et plus il a de crédit pour obtenir les grâces qu'il demande pour nous ; que c'est uniquement dans ce sens que les mérites des Saints peuvent nous être utiles ; qu'il faut distinguer entre le mérite et entre l'impétration ; que les Saints peuvent bien nous obtenir des grâces, mais qu'ils ne peuvent nous en mériter aucune, que Jésus-Christ nous les a toutes méritées, et qu'il n'y en a pas une seule qu'il n'ait payée du prix de son Sang. Lors donc que le prêtre, après avoir prononcé la formule de l'absolution, ajoute : « Que les mérites de la bienheureuse Vierge et de tous les Saints vous soient pour la rémission de vos péchés, » quel est le sens de ces paroles ? Le prêtre souhaite-t-il que ce soit la Vierge et les Saints qui par leur sainteté méritent au pénitent la rémission de ses péchés ? rien moins que cela. Il souhaite uniquement que l'intercession de la Vierge et des Saints, soutenue par leurs mérites et par leur sainteté, aide le pénitent à obtenir la pleine rémission de ses péchés. On peut encore y trouver un autre sens en prenant les mots de mérites et de péchés dans une signification moins stricte, et en entendant le souhait du prêtre d'une application de satisfactions pour les peines temporelles ; article que j'ai suffisamment expliqué dans la dernière de mes Lettres. Ainsi, pour éviter ici les longueurs et les redites, il me suffira de remarquer que l'Anonyme n'a pas pris ma distinction, quelque soin que j'aie eu de la lui mettre devant les yeux, et que faute de la prendre, comme cela lui arrive assez souvent, il s'est perdu dans son raisonnement.
Mais, Monsieur, n'en voilà que trop pour justifier l'exposition de notre doctrine, telle qu'elle se trouve dans ma Lettre sur l'Invocation des Saints. Si cela ne suffit pas pour désabuser vos amis luthériens, on leur déclare que quand ils penseront à se réunir avec nous, on ne leur en demandera pas davantage par rapport à cet article : ainsi c'est bien en vain qu'on voudrait les arrêter de ce côté-là. Passons présentement à l'examen de la seconde prétention de notre Anonyme, et voyons s'il a raison de vouloir qu'il ne se trouve pas dans l'Écriture un seul passage, sur lequel nous puissions fonder la pratique de l'Invocation des Saints.
Il est indubitable que si les Saints ont connaissance des prières que nous leur adressons, ce ne peut être que l'effet d'une piété sage et louable de les supplier de présenter nos prières à Dieu et de les appuyer de leur intercession : or, l'Écriture nous fait connaître bien clairement que les Saints ont connaissance de nos prières, et qu'ils ne manquent pas de les présenter à Dieu lorsque nous les en sollicitons ; il est donc très utile d'avoir recours à eux pour cet effet.
Je ne citerai ici d'autres textes que ceux que j'ai déjà cités, l'Anonyme n'ayant rien dit qui puisse affaiblir les preuves que j'en ai tirées ; c'est par de vains détours qu'il a cherché à en éluder la force, mais il est aisé de le ramener au point de la sentir tout entière.
Saint Jean, disais-je, parle dans son Apocalypse de vingt-quatre vieillards, qui étant en présence de l'Agneau tiennent en main des vases d'or pleins de parfums, et dit au même endroit que ces parfums sont les prières des Saints1 ; c'est-à-dire les prières des justes et des gens de bien qui ont des grâces à demander à Dieu ; d'où je concluais que les personnes éminentes en sainteté, qui sont devant le trône du Très-Haut, et qui nous sont représentées par les vingt-quatre vieillards, doivent avoir connaissance de nos prières, puisqu'en étant sollicités, ils les présentent à Dieu et s'emploient pour les faire recevoir favorablement.
L'Anonyme répond qu'il ne s'agit là que des prières des Saints qui sont au ciel, et non des prières des Saints qui sont sur terre2. Et nous, nous soutenons que le parfum dont il est parlé, figure les prières des justes et des gens de bien qui sont sur terre, et voici sur quoi nous nous fondons.
Premièrement, les fidèles sont nommés, communément dans le langage de l'Écriture, des Saints ; c'est le titre ordinaire que saint Paul donne au commencement des Épîtres à ceux à qui il écrit, comme on le voit dans les deux Épîtres aux Corinthiens, dans celles aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens1.
En second lieu, on voit au cinquième chapitre de l'Apocalypse que les vingt-quatre vieillards présentent les mêmes prières, qui sont présentées par l'ange, au chapitre 82. C'est la même expression dans l'un et dans l'autre endroit, il y est également parlé d'encens et de prières des Saints. Or, nous lisons bien dans l'Écriture que les anges présentent les prières des justes et des gens de bien qui sont sur terre3, mais nous ne lisons nulle part qu'ils présentent les prières des Saints qui sont au ciel.
En troisième lieu, il est beaucoup plus naturel de dire que les vingt-quatre vieillards présentent les prières de ceux qui sont absents, que de ceux qui sont présents ; pourquoi s'emploieraient-ils pour ceux qui n'ont pas moins d'accès qu'eux auprès du trône du Très-Haut ? Les Saints du ciel ne sont-ils pas en état de présenter leurs prières par eux-mêmes ?
En quatrième lieu, il n'est point ici parlé de cantiques de louanges, qui sont les prières ordinaires des Saints parvenus à la béatitude ; il est parlé d'oraisons, par lesquelles on demande quelque grâce, dans lesquelles on marque quelque besoin. C'est le sens du mot greс, пρозεʊɣà ; or, cela convient tout autrement à ceux qui sont encore sur terre, qu'à ceux qui jouissent déjà de la gloire.
Il est donc très conforme aux idées que nous donne l'Écriture, de regarder les Saints comme ayant connaissance de nos prières, et comme s'intéressant à les présenter à Dieu et à les appuyer de leur crédit. Nous prétendons qu'en tout temps et dès le premier siècle de l'Église, les chrétiens ont invoqué les Saints. Saint Jean pouvait-il faire plus clairement allusion à cet usage ? et est-il juste de donner à son texte une explication infiniment moins naturelle, pour se cacher les traces d'un usage, qui, peu de temps après, paraît avec tout l'éclat possible et d'une manière à prouver bien clairement la nécessité de reconnaître l'origine de cet usage, telle que nous la marquons ?
C'est, au fond, à l'Église à expliquer l'Écriture, si, s'appuyant sur la tradition constante, elle entend les prières présentées par les vingt-quatre vieillards, des prières des fidèles, serons-nous fort blâmables de préférer cette explication à celle de l'Anonyme ? a-t-il bien assez bonne opinion de lui-même pour se croire une intelligence plus sûre et plus infaillible que celle de l'Église ? c'est elle qui a toujours passé pour être la dépositaire des Livres saints et de leur véritable sens ; avec de tels principes on ne s'égare jamais, et sans ces principes on ne sait plus où l'on en est, ni à quoi s'en tenir.
Un autre texte que j'ai cité pour autoriser notre pratique, est tiré du quarante-huitième chapitre de la Genèse, où le patriarche Jacob dit en bénissant les enfants de Joseph : Que l'ange qui m'a préservé de tous les dangers, bénisse ces enfants4 ; ce qui, à le bien prendre, est une véritable prière faite à l'ange, par laquelle Jacob le prie de bénir les enfants de Joseph, de les protéger et de leur faire sentir les mêmes effets des charitables soins qu'il a ressentis lui-même, Or ce patriarche se fût-il exprimé de la sorte, demandais-je1, s'il n'eût été persuadé que l'ange avait connaissance de son désir et de sa prière, et s'il n'eût espéré qu'il en reviendrait quelque avantage aux enfants de Joseph ?
Que dit à cela l'Anonyme ? il soutient que plusieurs pères entendent par l'ange le Fils de Dieu, l'ange incréé, l'ange de la nouvelle alliance ; mais qu'il me soit permis de prendre ici l'Anonyme par ses propres principes. Il veut partout ailleurs qu'on considère la parole de Dieu en elle-même et indépendamment de toute autorité humaine ; suivons ici cette méthode. Le terme hebreu, Malach, qui est traduit par Angelus, est dérivé d'une racine qui signifie envoyer ; or, le Fils de Dieu n'est point envoyé pour des fonctions extérieures, telles que sont celles d'assister et de protéger les hommes ; ce sont les anges qui sont destinés à ce ministère, comme saint Paul nous l'apprend très expressément2. D'ailleurs quel est l'ange qui avait délivré Jacob de toute sortes de dangers, de la poursuite de Laban, des ressentiments de son frère Esau, et qui lui avait fait trouver d'heureuses ressources contre les pertes qu'il avait souffertes par la mauvaise foi de son beau-père ? n'est-ce pas l'ange que Dieu avait chargé de veiller à sa conservation, et à tout ce qui regardait ses intérêts ? Il est donc incomparablement plus naturel d'entendre ici l'ange gardien de Jacob. Or c'est cet ange qui est requis par le patriarche de bénir les enfants de Joseph et de les prendre sous sa protection. Qu'appelez-vous, Monsieur, invocation, si ce n'en est pas là une ? et s'il est utile d'invoquer les anges, pourquoi ne serait-il pas également utile d'invoquer les Saints ?
C'est sur cette partie du texte que j'ai établi la force de ma preuve, et non sur les paroles suivantes : Que mon nom et le nom de mes pères Abraham et Isaac soient invoqués sur eux3. Je n'ai cité ces dernières paroles, que parce qu'il pouvait en effet être utile aux enfants de Joseph, qu'en priant pour eux on rappelât à Dieu le souvenir des bontés qu'il avait eues pour Abraham, Isaac et Jacob ses fidèles serviteurs, ainsi que le fait Moïse au trente-deuxième chapitre de l'Exode4. Le texte et très susceptible de ce sens, et c'est celui que j'ai eu uniquement en vue. Ainsi c'est bien à tort que l'Anonyme me reproche d'avoir oublié qu'Abraham et Isaac étaient pour lors dans les limbes, et que par conséquent ils ne pouvaient être invoqués ; autre chose est d'invoquer Abraham, Isaac et Jacob, autre chose est de faire mention de leurs noms pour obtenir une continuation de bonté pour leurs descendants.
Vous voyez, Monsieur, que le fort de l'Anonyme est de trouver partout des contradictions et des défauts de mémoire. Disons plutôt que son faible est d'en voir où il n'y en a point, et de les reprocher très mal à propos. J'aurais néanmoins tort de m'en plaindre, puisqu'il me traite de la même façon dont il traite les saints Pères ; n'est-il pas bien honorable pour moi que pour affaiblir mes preuves, il se serve des mêmes moyens dont il se sert pour affaiblir l'autorité de ces grands hommes ?
Vous savez, Monsieur, que, selon moi, les principes de l'Invocation des Saints sont clairement dans l'Écriture, parce que d'un côté l'Écriture nous apprend en plus d'un endroit qu'il est très utile de recourir aux prières de ceux qui par la sainteté de leur vie sont en faveur spéciale auprès de Dieu1, et que de l'autre elle insinue suffisamment que les Saints qui jouissent de la gloire, ont connaissance des prières que nous leur adressons. Outre la preuve que vous en avez vue dans le texte de l'Apocalypse, la prière du mauvais riche adressée à Abraham et rapportée par le Sauveur même est encore très propre à nous confirmer dans la même idée2. Le mauvais riche, disons-nous, a fait entendre sa voix du fond de l'enfer à Abraham ; donc à plus forte raison pouvons-nous, du lieu où nous sommes, faire entendre nos prières aux Saints.
L'Anonyme dit que ce n'est là qu'une parabole3. Soit ; mais la parabole garde les vraisemblances, sans quoi elle devient une fable d’Ésope, comme je l'ai déjà remarqué.
« Il est dit dans la parabole, ajoute l'Anonyme, que le mauvais riche étant aux enfers a vu de loin le patriarche et Lazare dans son sein ; nous ne condamnerions pas la prière aux Saints, poursuit-il, si on pouvait les voir présents. »
N'admirez-vous pas, Monsieur, l'ingénieuse défaite? Suffit-il donc de voir quelqu'un de loin pour pouvoir lui parler ? Quoi ? je découvrirai avec une lunette d'approche un homme sur une haute montagne, et cela me suffira pour pouvoir lui adresser la parole ? Le joli spectacle que ce serait de voir pousser la voix vers cet homme quelque éloigné qu'il fût ! Qui ne sait que ce n'est pas la vue d'une personne, mais l'espérance de s'en faire entendre, ou la persuasion où l'on est qu'on en est entendu, qui fait ouvrir la bouche pour lui parler ? Ainsi l'Anonyme remarque fort inutilement que le mauvais riche voyait de loin Abraham et Lazare dans son sein ; il fallait de plus pour pouvoir lui adresser sa prière, que l'infortuné fût persuadé que sa prière serait entendue, ce qui nous suffit.
Quel peut être le dessein de ceux qui font de si mauvais raisonnements, si ce n'est de chercher à obscurcir la vérité ? c'est bien là ce que l'Anonyme se promet des siens ; les esprits bornés s'y laisseront prendre sans doute ; mais ceux qui ont de la pénétration, perceront aisément le voile dont on cherche à la couvrir.
Il m'objecte de plus qu'Abraham étant pour lors, selon nous, dans les limbes, la prière du mauvais riche ne pouvait être que très blâmable, puisqu'en ce cas il ne pouvait se faire entendre d'Abraham, ni en espérer aucun secours4.
Je réponds qu'il devait faire cette objection au Sauveur même, et non à nous ; je ne laisserai pas de lui dire que quoique Abraham fût effectivement pour lors dans les limbes avec toutes les âmes des justes, Jésus-Christ ne les en ayant tirées qu'à sa descente aux enfers, pour les rendre participants de sa gloire en qualité de chef des prédestinés, comme il me serait aisé de le prouver par plusieurs textes de l'Écriture, la parabole ne laisse pas de nous représenter ici Abraham et Lazare comme jouissant déjà d'un état de béatitude, parce que le dessein de cette parabole étant de nous faire sentir la différence du sort du mauvais riche et de celui du pauvre Lazare, le contraste demandait que comme le mauvais riche paraissait dans un lieu de souffrances, Lazare parût également dans un état de félicité. En tout cela, Monsieur, il n'y a ni ombre de contradiction, ni affaiblissement de preuve ; car vous remarquerez, s'il vous plaît, que dès que la parabole nous représente Abraham et Lazare comme heureux, elle nous fait comprendre en même temps que c'était un apanage de leur béatitude d'entendre les prières de ceux qui sont éloignés. La réflexion devient encore plus pressante dans les principes de l'Anonyme, qui veut qu'Abraham ait été dès-lors dans le séjour de la gloire ; car si Abraham jouissant de la vision de Dieu entendait la prière du mauvais riche, quelque éloigné qu'il fût de lui, il est donc juste de présumer des autres Saints que, participant à la même gloire, ils ont aussi le même avantage.
Il me reproche encore de placer Abraham tantôt dans les limbes, tantôt dans le ciel1. Et sur quoi se fonde-t-il ? le voici : j'ai dit que les Saints qui sont devant Dieu ou dans le ciel sont véritablement vivants ; j'ai dit aussi d'après le texte de saint Luc, 20, 38, qu'Abraham était vivant, parce que le Dieu d'Abraham n'est pas le Dieu des morts2 ; d'où l'Anonyme conclut que j'ai dit qu'Abraham était aussi devant Dieu ou dans le ciel, et c'est à ce sujet qu'il me dit : Oportebat Anonymum hic esse memorem. Qui n'admirera ici la rare dialectique de l'Anonyme ? Quand on ne sait pas mieux ce que c'est que raisonner, il me paraît qu'on devrait un peu se défier de soi-même, et y penser plus d'une fois, avant que de reprocher des contradictions. Mais que voulez-vous ? c'est-là la marotte de l'Anonyme, on ne l'en guérira pas.
Je me dispense de justifier les autres preuves que j'ai tirées de l'Écriture sainte. En voilà bien assez pour faire voir que nous n'en manquons pas. Les vains efforts de l'Anonyme nous répondent de la bonté de celles que j'ai retouchées, et servent en même temps de préjugés pour celles que je ne rapporte pas ; mais les unes et les autres fussent-elles aussi faibles que l'Anonyme a voulu les faire paraître, nous avons de plus par devers nous la constante tradition, qui nous autorise bien autant qu'elle peut autoriser messieurs les protestants dans un grand nombre d'usages, qu'ils conservent parmi eux et dont ils ne peuvent rendre aucune raison par l'Écriture.
J'en ai rapporté plusieurs exemples dans mon écrit3. L'Anonyme distingue entre les traditions dogmatiques qui touchent à la foi, et les traditions rituelles qui ne regardent que les rites et la discipline ; il dit que pour ce qui est des premières, il ne s'en trouve aucune qui ne soit marquée dans les écrits canoniques de la sainte Écriture4. Je lui demande si la tradition qui nous apprend que les quatre Évangiles sont des livres divins, n'est pas une tradition dogmatique et qui touche à la foi ? je lui demande dans quel livre de l'Écriture il est marqué que les quatre Évangiles sont des livres divins ? sa belle distinction ne lui sert donc de rien et ne le tire pas d'affaire.
Il ajoute que le dogme du baptême des enfants et la nécessité de prononcer ces paroles : Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, qui sont des traditions dogmatiques, se trouvent dans l'Écriture, « non pas en termes formels, mais en vertu des conséquences, qui, au moins à nous, dit-il, paraissent très solides1. » Qu'en dites vous, Monsieur ? n'est-ce pas là un dénouement des plus heureux ? Eh quoi ! ne serons-nous pas en droit d'en dire tout autant de l'Invocation des Saints ? qu'elle ne se trouve pas en termes formels dans l'Écriture, mais en vertu des conséquences, qui, au moins à nous, paraissent très solides ? » Si cette réponse est bonne pour l'Anonyme, pourquoi ne serait-elle pas bonne pour nous ? Vous voyez, Monsieur, que notre homme au lieu de sortir de la difficulté qu'on lui propose, ne fait que s'y embarrasser davantage ; semblable à ces oiseaux qui ayant donné dans un filet, s'y engagent d'autant plus qu'ils font plus d'efforts pour en sortir.
Mais il est temps d'examiner sa troisième prétention. Vous la trouverez encore plus outrée que la seconde et la première ; car il veut que l'Invocation des Saints soit contraire à l'Écriture et à la raison. Ne faut-il pas que notre Anonyme ait des lumières infiniment rares pour avoir pu découvrir ce que les plus grands génies de l'antiquité, tous les Pères du quatrième et du cinquième siècle, qui sont sans doute les plus célèbres, tout ce qu'il y a eu d'habiles gens depuis ce temps-là jusqu'à la naissance du luthéranisme, toutes les sociétés chrétiennes répandues par tout le monde, même celles qui sont séparées de nous depuis douze à treize siècles, n'ont jamais pu découvrir. Je ne dis rien dans tout ceci qui n'ait été prouvé, et dont tout homme de bonne foi ne doive rester pleinement convaincu.
Qu'est-ce qui fait l'hérétique ? permettez-moi, Monsieur, de vous faire ici cette question ; n'est-ce pas cet orgueil outré et démesuré, par lequel un particulier ose, en fait de religion, préférer ses lumières à celles de tout l'univers chrétien ?
C'est là l'idée la plus nette que l'on puisse donner de l'hérétique et la plus conforme à l'étymologie du mot : or, je demande, si celui qui avant les disputes de Luther eût parlé de l'Invocation des Saints, comme l'Anonyme en parle aujourd'hui, n'eût pas été dans le cas de cette orgueilleuse et monstrueuse témérité ? Il y eût été sans doute, puisque Luther convient lui-même que dans toute la chrétienté on invoquait les Saints2. C'est un fait sur lequel il n'est pas permis à ses disciples de contester après cet aveu fait par leur grand patriarche. La chose est d'ailleurs trop notoire pour qu'on puisse la révoquer en doute. Mais, demandé-je de plus, si tel langage eût été pour lors le langage d'un hérétique, comment peut-on se flatter que ce même langage aura depuis changé de nature ? car enfin une doctrine une fois hérétique reste toujours affectée de la même malignité : cela soit dit en passant, sans prétendre faire peine à l'Anonyme ; on veut seulement par cette petite réflexion qui est des plus simples et des plus naturelles, lui faire connaître tout le mérite de son entreprise.
Voyons, après cela, quels sont les textes de l'Écriture qu'il cite contre l'Invocation des Saints. C'est d'abord le dix-neuvième verset du huitième chapitre d'Isaïe ; et voici comme il le rapporte : Faut-il donc prier les morts pour les vivants ? ne faut-il pas qu'un peuple s'adresse à son Dieu3 ?
Vraiment, quand on se donne la liberté de fabriquer des passages à sa guise, il est bien aisé d'en faire qui soient contraires à l'Invocation des Saints. Non, Monsieur, il n'y a aucune version qui porte le sens que l'Anonyme donne au verset cité ; ni la Vulgate, ni celle des Septante, ni la Syriaque, ni l'Arabique, ni la Chaldéenne ne disent rien d'approchant. Luther lui-même, tout intéressé qu'il est dans cette affaire, a rendu le verset par les paroles suivantes : S'ils vous disent : Interrogez les devins et les magiciens, répondez-leur : Ne faut-il pas qu'un peuple consulte son Dieu ? ou faudra-t-il interroger les morts pour les vivants ? ce qui veut dire que quand on est en peine pour l'avenir, il ne faut pas consulter des idoles sans vie et sans mouvement, ni évoquer les âmes des morts pour apprendre quel sera le sort des vivants, ainsi que fit autrefois Saül en employant les noires intrigues d'une magicienne pour parler à l'ombre de Samuel. Or, qu'y a-t-il en cela qui combatte l'Invocation des Saints ? Je conclus du procédé de l'Anonyme, qu'il n'a pu trouver dans toute l’Écriture à nous opposer aucun passage contraire à l'Invocation des Saints ; car s'il eût pu en trouver un seul, il se serait bien gardé d'avoir recours à la falsification. Je plains le pauvre peuple qui voyant citer l'Écriture, regarde les paroles citées comme autant d'oracles du Saint-Esprit, et ne lit néanmoins assez souvent que la parole d'un homme ou trompé ou trompeur.
Ne vous attendez pas, Monsieur, qu'après un tel début l'Anonyme nous dise quelque chose de meilleur ; voici ses autres preuves : Élie avant que d’être élevé au ciel dit à Élisée : Demande ce que tu veux avant que je sois enlevé de ta présence1. « Il a donc supposé, conclut l'Anonyme, qu'étant enlevé il ne pourrait plus entendre les prières d'Élisée2. »
Je réponds, que selon le commun sentiment des docteurs, Élie et Hénoch ont quitté la terre sans quitter la vie, ayant été transportés vivants, ou dans le paradis terrestre, comme l'Ecclésiastique semble l'insinuer3, ou dans quelque autre lieu qui nous est inconnu, où ils resteront jusqu'à la venue de l’Antéchrist, étant destinés à reparaître pour prémunir les fidèles contre la séduction. Il y a de célèbres interprètes de l'Écriture, qui nous donnent cette opinion pour un sentiment qui approche de la foi4. Or, quelle merveille qu'un homme vivant, et qui par conséquent ne jouit par encore de la vision de Dieu, ne puisse entendre les prières de celui qui est très éloigné de lui ? C'est donc avec beaucoup de raison qu’Élie avertit son disciple, que le pouvoir de son ministère visible sur terre allant finir, il fera bien de profiter du temps et de l'occasion : mais qu'on nous dise ce que l'Invocation des Saints souffre de cet avis ?
« Il est dit au roi Josias, ajoute l'Anonyme : Je m'en vais te retirer avec les pères, et les yeux ne verront pas tout le mal que je ferai venir sur ce lieu5 : » d'où l'Anonyme conclut que ce roi étant mort ne savait donc pas ce qui se passait sur la terre6.
Assurément il ne le savait pas, et cela pour plus d'une raison. Il me suffira de dire pour le présent, que nous sommes bien éloignés de penser que des morts sachent tout ; naturellement parlant et selon le cours ordinaire des choses, ils ne savent rien de ce qui se passe parmi les vivants. Les bienheureux même ne savent que ce qu'il plaît à Dieu de leur faire connaître, ce qui peut leur donner de la joie, ce qui convient à leur état de savoir, et non ce qui peut les affliger.
« Il est dit aussi dans Job, continue l'Anonyme : L'homme meurt et s'en va, ses enfants seront avancés et il n'en saura rien, ils seront abaissés et il ne s'en souciera point1. »
Saint Grégoire répond ici pour moi : « Il est vrai, dit-il, en expliquant ce passage, que comme les vivants ne savent pas ce qui se passe à l'égard des morts, aussi les morts ne savent-ils pas ce qui se passe à l'égard des vivants ; Il ne faut pas néanmoins, ajoute-t-il, entendre cela des âmes saintes ; car comme elles voient clairement l'essence du Tout-Puissant, il n'est point à croire qu'il y ait rien hors de Dieu, qu'elles ne voient également2; » ce qui doit s'entendre du moins des choses qui les concernent, et qu'il leur importe de savoir.
Pour ce qui est du passage si rebattu : Tu es notre Père, car Abraham ne sait rien de nous et Israël ne nous connaît pas3. J'y ai fait deux réponses, que l'Anonyme a fait semblant d'attaquer. Jugez, Monsieur, si c'est avec succès, et s'il n'eût pas mieux valu les passer sous silence, comme il a fait de tant d'autres articles. J'ai dit premièrement, qu'Abraham et Israël étant pour lors dans les limbes, il n'est pas étonnant qu'ils ne connussent pas les besoins et les misères du peuple4. L'Anonyme prétend qu'Abraham et Israël étaient au ciel, et pour le prouver il indique trois passages qu'il n'a osé rapporter, sentant bien qu'aucun n'a force de preuve5. Il se contente de dire que les limbes sont une fiction ; mais pour détruire ma réponse, qui les suppose sur la foi commune de l'Église, ce n'était pas assez de le dire, il fallait le prouver. Quand il l'entreprendra, on saura que lui répondre.
Ma seconde réponse était que par le terme ignorer, on pouvait entendre une espèce d'oubli et d'indifférence fondée sur le mécontentement qu'avaient Abraham et Israël de la mauvaise conduite de leurs descendants.
L'Anonyme rejette cette explication comme étant hors de toute vraisemblance. Il ne savait pas apparemment qu'elle est de saint Jérôme ; il ne pouvait deviner la dispute qui s'élèverait un jour entre nous sur ce sujet, et dès là même il ne peut être suspect de partialité. Voici comme il fait parler les Israélites en commentant cet endroit : « Abraham ne sait rien de nous et Israël nous ignore, parce que nous vous avons offensé, et ils refusent de reconnaître pour leurs enfants ceux qu'ils savent n'être pas aimés de leur Dieu6. »
Mais, nous objecte l'Anonyme, « Est-ce donc que les Saints au ciel ne sont pas sensibles aux maux des vivants7 ? »
Je réponds, qu'il se fourvoie ici doublement. Premièrement en ce qu'il suppose qu'Abraham et Israël étaient au ciel, ce qu'il n'a point encore prouvé ; en second lieu, en ce qu'il nous fait prêter à Abraham et à Israël une insensibilité véritable, tandis qu'il n'est ici question que d'une insensibilité présumée par les Israélites, qui pour mieux marquer leur confiance envers Dieu, lui disaient : « C'est vous, Seigneur, qui êtes notre véritable Père ; votre miséricorde infinie ne vous permettra pas d'en oublier ni le nom ni les sentiments. Il est bien vrai que nous sommes la postérité d'Abraham et d'Israël ; mais nous avons tout lieu de craindre par notre mauvaise conduite, qu'ils nous refusent de nous reconnaître pour leurs enfants. » Ce n'est pas la première fois que l'Anonyme manque de cet esprit de précision qui saisit les choses par le véritable endroit par lequel il faut les prendre.
Voilà donc à quoi se réduit toute la prétendue opposition de l'Écriture à l'Invocation des Saints. Qui ne serait tenté de rire en voyant combattre avec de telles armes une pratique si ancienne, si constante, si universelle et si autorisée par tout ce que l'Église a eu de plus habile et de plus saint.
Voyons si l'Anonyme aura mieux réussi à prouver que l'Invocation des Saints répugne au bon sens et à la raison. J'ai dit, que l'Église n'a rien décidé sur les moyens dont il plaît à Dieu de se servir pour faire connaître nos prières aux Saints ; qu'il se peut que ce soit par le ministère des anges, qui veillent à ce qui nous regarde ; qu'il se peut aussi que les Saints apprennent par une révélation particulière et immédiate de Dieu les prières que nous leur adressons ; que peut-être ils découvrent dès le premier moment de leur béatitude dans l'essence divine tout ce qui pourra jamais contribuer à leur gloire et à leur satisfaction1.
A cela l'Anonyme réplique que la foi n'est pas fondée sur des possibilités, ni sur des peut-être, mais sur des suppositions sûres et fondées sur la parole de Dieu2. Je vous demande, Monsieur, si c'est là raisonner. J'avais à faire voir contre Brentius, qu'il n'est pas nécessaire que les Saints soient partout pour entendre nos prières ; c'était là son objection : je suggère trois moyens, par lesquels ils peuvent entendre nos prières sans être présents : dès que ces trois moyens sont possibles, n'en déplaise à notre subtil Docteur, je conclus très légitimement contre Brentius que de la connaissance que nous attribuons aux Saints, il ne s'ensuit pas qu'ils soient présents partout.
J'ai de même à prouver ici contre notre Anonyme, qu'il n'est pas contre la raison, ni contre le bon sens de croire les Saints instruits de nos prières : il me suffit pour cet effet de faire voir par quels moyens ils peuvent en être instruits. Dès que je montre la possibilité de la chose, je fais voir en même temps qu'elle ne répugne ni au bon sens, ni à la raison. Il a été prouvé ailleurs que les Saints ont connaissance de nos prières ; la pratique constante de l'Église suppose assez la chose, sinon comme absolument nécessaire, du moins comme très convenable. Il ne s'agissait plus que d'expliquer comment elle se peut faire ; je l'ai expliqué, de quoi se plaint l'Anonyme ? Il ferait fort bien de donner une bonne année à l'étude de la logique ; cette étude lui apprendrait à remarquer la juste liaison des conséquences avec les principes dont elles sont tirées ; il verrait mieux jusqu'où porte la force de chaque preuve, et le point précis où elles aboutissent. On est à plaindre quand on a affaire à des gens qui ne font de si mauvaises chicanes, que parce qu'ils prennent tout de travers ; sans cesse on est obligé de les relever, et ce n'est pas le moyen d'avancer, ni de finir.
« Mais, nous dit l'Anonyme, pourquoi chercher tant d'embarras et adresser nos prières premièrement aux anges, qu'il faudrait par honneur invoquer les premiers, et après, par leur médiation, aux Saints, qui enfin les portent devant Dieu1. »
Remarquez d'abord, s'il vous plaît, la beauté de l'élocution, et quand vous en aurez admiré la justesse et la netteté, je répondrai en premier lieu, qu'il est fort inutile de vouloir ici régler les devoirs de celui qui prie les Saints ; car il ne prend aucun parti sur les trois moyens qui ont été expliqués ; persuadé qu'il est en général que les Saints ont connaissance de sa prière ; il ne se met point en peine de discuter par quelle voie cela ce fait ; ainsi tout ce que l'Anonyme dit sur ce sujet, est absolument hors d'œuvre.
Je réponds, en second lieu, que si notre ange gardien fait connaître nos prières aux Saints, lorsque nous les invoquons, il le fait par office et sans qu'il soit nécessaire de l'en prier. J'ai déjà dit que nous n'assurions pas que la chose se fît ainsi, que nous nous contentons de dire qu'elle est possible, et que cette manière n'a rien de choquant, ni d'absurde.
« Il est malséant, continue l'Anonyme, en attaquant le second moyen, il est malséant que les Saints apprennent nos invocations par une révélation divine, parce qu'il faudrait en ce cas que Dieu avertit les Saints d'employer leurs bons offices en faveur de ceux qui s'adressent à eux, ce qui choque le bon sens. D'ailleurs, ajoute-t-il, le respect qu'on doit à Dieu demande qu'on prie auparavant Dieu de vouloir bien révéler aux Saints, que tel et tel demande leur intercession. Voilà un tissu d'absurdités qui naissent de ce système2. »
J'ai déjà remarqué que celui qui invoque les Saints, ne s'occupant pas des moyens par lesquels les Saints ont connaissance de nos prières, on a tort de lui prescrire des lois et des règles de bienséance, comme s'il s'était déterminé à adopter un des trois systèmes en particulier. Mais quelle incongruité trouve-t-on à ce que Dieu sans en être requis se porte de lui-même à manifester à un Saint ce qui l'intéresse, ce qui peut lui donner de la joie et de la satisfaction, et contribuer à sa gloire ? y a-t-il rien de plus convenable et à l'état d'une béatitude aussi parfaite, et à la bonté de Dieu, qui met une partie de sa gloire à relever la gloire des Saints ? Depuis quand ces deux choses : faire connaître à un Saint des marques de confiance données par ceux qui réclament son intercession, et lui intimer qu'il doit s'employer pour eux, furent-elles la même ? Avec une telle évaluation de termes que ne dira-t-on pas, et que ne nous fera-t-on pas dire ? Bien loin donc qu'il soit vrai qu'il naisse de notre système un tissu d'absurdités, nous voyons que les objections de l'Anonyme ne contiennent qu'un tissu de pauvretés et de misères, qui ne méritent pas d'être relevées.
« Enfin, poursuit l'Anonyme, en nous disputant le troisième moyen, quand on dit que les Saints voient tout dans l'essence divine, on le dit premièrement sans aucun fondement et même contre des passages formels de l'Écriture. En second lieu on choque la raison, en attribuant aux Saints une connaissance de toutes choses1. »
A cela je ne dis autre chose, si ce n'est que l'Anonyme lit trop superficiellement ce qu'il entreprend de réfuter ; il paraît ou ne pas assez le comprendre, ou ne pas assez s'en souvenir. Qu'il le lise donc avec plus d'attention, et qu'il s'efforce d'en mieux pénétrer le sens et de le mieux retenir, pour lors il s'abstiendra de nous faire de pareilles objections ; c'est tout ce que j'ai à lui répondre sur le présent article.
« Il y a encore autre chose qui choque le bon sens, dit l'Anonyme en dernier lieu, des milliers de personnes invoquent à chaque moment la sainte Vierge et les Saints, qui doivent donc être attentifs à des invocations infinies qu'on leur adresse2. »
Je réponds, que si l'Anonyme avait une juste idée de la lumière de gloire, son imagination ne se révolterait pas si fort contre cette multitude d'invocations. Tâchons de l'aider à concevoir la chose, et supposons pour cet effet que dès sa plus tendre enfance il ait été enfermé dans une obscure prison, où aucun rayon de lumière ne pénétra jamais, et que sans avoir rien vu de sa vie, après être parvenu à l'âge où il est aujourd'hui, il entende dire que si la lumière éclairait ses yeux, il pourrait voir en même temps la moitié du ciel, tout l'horizon, des plaines, des montagnes, des rivières, toutes les fleurs d'un jardin, toutes les feuilles d'un arbre, toutes les maisons d'une ville ; que tout cela se peindrait dans un aussi petit espace qu'est celui de son œil, et y serait représenté sans aucun mélange et sans aucune confusion ; que pour voir une si grande multitude d'objets et en distinguer la variété il ne lui en coûterait que d'ouvrir les yeux à la lumière. Je demande à l'Anonyme, si dans la situation où nous le mettons il n'aurait pas mille peines à comprendre que telle dût être en effet la vertu et l'efficace de la lumière. Rien ne serait néanmoins plus vrai que tout ce qu'on lui aurait dit, et pour peu qu'on lui permît d'en faire l'épreuve, il en aurait au moment même la plus sensible conviction. Or, que l'Anonyme sache que nous sommes dans une obscure prison, et que l'effet de la lumière de la gloire sera incomparablement plus grand que ne le peut être celui de la lumière du soleil. Qu'il cesse donc de vouloir mesurer les merveilles de la puissance divine et la grandeur des dons de Dieu à ces faibles idées, et qu'il se souvienne de la parole de l'Apôtre : Animalis homo non percipit ea quæ sunt Spiritus Dei3.
Mais je ne m'aperçois pas que mon écrit devient beaucoup plus long que je n'avais projeté de le faire et que le besoin ne le demandait. Qu'y faire ? me voilà embarqué ; j'ai à suivre l'ordre des cinq articles et j'en suis au quatrième, où il s'agit de faire voir que l'Anonyme a également tort de prétendre que l'Invocation des Saints ne s'est établie que vers le milieu du quatrième siècle, et que par conséquent elle n'est pas de la première antiquité, ni de tradition apostolique.
Je lui demande d'abord sur quoi il se fonde, en nous marquant le milieu du quatrième siècle pour époque de la prétendue innovation. A-t-il quelque auteur contemporain à produire qui nous apprenne que c'est en effet vers ce temps-là que l'Invocation des Saints s'est introduite dans l'Église ? non, il n'en cite aucun et n'en citera jamais ; il veut que nous l'en croyions sur sa simple parole.
Il est vrai qu'il prétend que les Pères des trois premiers siècles n'ont point parlé de l'Invocation des Saints, et c'est apparemment de là qu'il se croit en droit de conclure qu'elle s'est introduite au quatrième.
A cela je dis, que quand nous lui passerions le prétendu silence des premiers Pères, silence que nous ne lui passons pas néanmoins tellement que nous n'ayons à citer de bons endroits de saint Irénée1, et d'Origène2, la conséquence que l'Anonyme en tire ne serait pas encore juste ; il s'ensuivrait seulement qu'on n'a commencé à faire mention de l'Invocation des Saints dans les livres qu'au quatrième siècle, et non qu'on ne l'a pas pratiquée avant ce temps-là. On sait assez le peu de fond qu'il y a à faire sur ces sortes d'arguments négatifs, et en combien d'occasions ils sont fautifs et trompeurs, surtout lorsqu'on peut alléguer ou soupçonner de bonnes et justes raisons du silence qui donne lieu à l'objection. Or, nous ne manquons pas de ces sortes de raisons ; car, 1.° plus de la moitié des ouvrages des Pères qui ont écrit pendant les trois premiers siècles, se sont perdus : s'ils étaient tous parvenus jusqu'à nous, qui peut nous assurer qu'il ne s'y trouvât sur le sujet en question des témoignages aussi clairs et aussi positifs qu'on peut les désirer ?
2.° Les Pères qui ont écrit dans ces premiers temps, ne pensaient qu'à faire des apologies pour la religion chrétienne, à établir les vérités fondamentales du christianisme, à combattre les erreurs et les hérésies de leur temps, à faire voir le ridicule des fables et des chimères du paganisme : rien de tout cela ne les portait à parler de l'Invocation des Saints.
3.° Peut-être est-ce par une sage précaution qu'ils se sont abstenus d'en parler, pour ne pas donner lieu aux reproches que les gentils faisaient aux chrétiens dès le temps d'Eusèbe3 et bien auparavant, qu'en combattant la pluralité des dieux, ils ne sauraient cependant que substituer d'autres dieux à la place de ceux qu'ils cherchaient à détruire.
Quoi qu'il en soit, le fait est, qu'au milieu du quatrième siècle l'Invocation des Saints était aussi généralement établie et aussi diligemment pratiquée, qu'elle le peut être aujourd'hui. Vous en avez vu les preuves, Monsieur, et je suis sûr que vous en êtes satisfait, comme le sera quiconque réfléchira sur la nature des témoignages qui ont été produits. Or, nous demandons, comment s'est pu faire un changement si subit, un si prodigieux renversement en si peu de temps, s'il est vrai qu'à la fin du troisième siècle, et même au commencement du quatrième on condamnât toute autre prière, toute autre invocation que celle de Dieu, comme absolument contraire au premier commandement, et que vers le milieu du quatrième siècle on priât les Saints dans tous les pays du monde chrétien, on se recommandât partout à leur intercession, et cela sans aucune contradiction, sans reproche et avec l'approbation universelle des plus grands évêques de l'Église.
« Il est bien étrange, dit l'Anonyme, de demander comment une chose est possible, si elle est effectivement arrivée1. »
Oui, Monsieur quand on a prouvé clair comme le jour que la chose est effectivement arrivée, et qu'on ne s'est pas contenté de le dire, il est pour lors étrange de disputer sur sa possibilité ; mais si l'événement n'est point démontré et ne peut être démontré, l'impossibilité de la chose rendue sensible est une preuve très légitime et très convaincante, qu'effectivement la chose n'est point arrivée.
« Supposez un homme, ajoute l'Anonyme, pour nous mieux faire concevoir la possibilité du prétendu changement, supposez un homme qui étant avant trois ou quatre jours dans un état de parfaite santé, vienne à tomber dans une maladie chronique, même bien dangereuse, il serait bien ridicule de demander comment il est possible qu'il soit devenu si mal, même ayant gardé un bon régime. Il suffit pour être persuadé de la possibilité de sa maladie, qu'il soit en effet malade ; le sang, les humeurs, les parties nobles du corps humain se gâtent et s'usent peu à peu ; on ne peut guère nommer une certaine époque2 ; » il en est de même, à ce que prétend l'Anonyme, du corps de l'Église. « Les abus s'y sont glissés peu à peu, dit-il ; on outrait les honneurs dus aux Martyrs ; les bruits qui se répandaient de leurs miracles, les apostrophes et figures de rhétorique des Pères dans leurs panégyriques, les excès du peuple, naturellement porté à la bigoterie, y contribuaient visiblement3. »
Je réponds premièrement, qu'il n'est point difficile de concevoir qu'un homme qui se portait bien, vienne à faire une grosse maladie sans qu'on en sache la cause, ni le moment précis de son dérangement ; le sang, les humeurs et les parties nobles étant de nature à pouvoir s'altérer et se gâter en tout temps ; mais il n'en est pas ainsi du corps de l'Église, que Jésus-Christ a mis fort à couvert par ses promesses de ces sortes d'altérations, qui la fassent tomber dans une maladie mortelle. D'ailleurs l'Église est un corps répandu par tout l'univers ; or, il est tout autrement difficile de comprendre comment la contagion a pu se communiquer en si peu de temps dans le monde entier, qu'il n'est difficile de comprendre comment un dérangement d'humeurs a pu affaiblir et ruiner la santé d'un seul homme.
Je réponds en second lieu, qu'il serait infiniment surprenant de voir un homme vivant en parfaite santé au milieu de ce qu'il y a de plus habiles médecins, tomber en leur présence dans les plus fâcheuses syncopes, avoir des mouvements convulsifs, des palpitations de cœur, des pamoisons, des absences d'esprit, sans qu'aucun de ces médecins s'aperçoive du moindre dérangement dans la santé de cet homme, tous estimant qu'il se porte parfaitement bien, et que ces accidents ne sont que des indices et les effets de sa bonne et vigoureuse constitution.
Voilà, Monsieur, précisément le cas où il plaît à l’Anonyme de placer l'Église. Il veut que le culte et l'Invocation des Saints soient des faiblesses de cœur, des absences d'esprit, des symptômes des plus fâcheux. Les saints Pères, les plus habiles médecins spirituels, ne s'aperçoivent néanmoins à ce sujet d'aucun dérangement dans le corps de l'Église ; bien loin de là ils regardent le culte et l'Invocation des Saints comme les effets d'une piété sage et salutaire. Quoi de plus merveilleux que ce défaut d'attention ou d'intelligence de la part de tant de médecins spirituels si consommés dans leur art ? ou plutôt quoi de plus chimérique que la supposition de notre auteur ? Qu'en pensez-vous, Monsieur, les comparaisons qu'il emploie, lui sont-elles fort avantageuses ? ou plutôt ne tournent-elles pas évidemment en démonstration contre lui ?
Je demande de plus à notre habile chronologiste, s'il se croit mieux instruit sur l'origine de l'Invocation des Saints, que ne l'ont été tous les Pères du quatrième et cinquième siècle, si voisins du prétendu changement ? Or, il est bien sûr que nul de ces Pères n'a regardé cette pratique comme nouvelle, et comme s'étant récemment introduite dans l'Église, qu'il en nomme un seul qui en ait eu cette idée. Ils font voir au contraire qu'ils ont regardé cette pratique comme venue jusqu'à eux par tradition, et observée dans les siècles précédents aussi bien que dans le leur.
Saint Jérôme traite Vigilance de novateur et d'ennemi de l'Église pour avoir combattu le culte des reliques, et dit un mot en passant contre l'Invocation des Saints.
Saint Grégoire de Nazianze croit que la vierge Justine a invoqué la sainte Vierge plus de cent ans avant qu'il fût au monde ; comptant sans doute qu'elle avait imité en cela la pratique des autres fidèles.
Saint Astère, évêque d'Amasée, fait dire à une mère affligée, dans la prière qu'elle adresse à un saint Martyr : « Vous avez vous-même prié les Martyrs avant que vous fussiez martyr1. »
Saint Cyrille de Jérusalem et saint Augustin en marquant qu'on faisait mention des Martyrs dans le Canon de la messe, non pour prier en leur faveur, mais pour être aidé par leurs prières, font voir clairement qu'ils croyaient l'invocation des Martyrs du moins aussi ancienne que l'ordre de la liturgie. Or, qui sait l'origine de cette liturgie ? ne la rapporte-t-on pas jusqu'aux temps les plus voisins des Apôtres ?
Que l'Anonyme ne trouve donc pas étrange que j'aie fait valoir ici la célèbre maxime de saint Augustin, où il est dit : « Qu'un usage généralement observé dans l'Église et dont on ne peut trouver l'origine dans aucun concile, ni ailleurs, vient indubitablement des Apôtres, qui l'ont enseigné de vive voix2. » C'était ici le véritable lieu d'appliquer cette maxime ; car on ne peut nommer ni concile, ni pape, ni évêque, qui soit auteur de l'Invocation des Saints ; d'où nous concluons très justement, qu'elle est donc émanée des Apôtres mêmes. En effet, Monsieur, comment toutes les nations chrétiennes auraient-elles pu s'accorder à recevoir cette pratique de la main d'un particulier qui n'aurait eu ni autorité, ni caractère pour la mettre en vogue ? comment le cours de cette pratique eût-il été si rapide, si général, si exempt de tout reproche de nouveauté, s'il ne nous était venu des premiers maîtres du christianisme ?
C'est néanmoins contre cette règle, la meilleure de toutes pour juger des véritables traditions apostoliques, et qui est encore plus fondée sur les lumières du bon sens et de la raison, que sur l'autorité de saint Augustin, c'est, dis-je, contre cette règle que l'Anonyme ne craint pas de s'élever, en nous disant premièrement, que le saint Père ne parle point sine formidine oppositi, c'est-à-dire, qu'il ne garantit pas la règle de manière à exclure tout danger de se tromper, puisqu'il dit : creditur, creduntur1.
Il est vrai que ce sont les mots de la règle ; mais l'Anonyme n'y ajoute pas ceux qu'on y voit au même endroit, rectè, rectissimè ; or, nous sommes très contents s'il nous passe les termes de saint Augustin. C'est bien assez pour nous s'il nous accorde que nous croyons avec raison, avec très grande raison, et que nous sommes très fondés à croire que l'usage d'invoquer les Saints est de tradition apostolique, nous n'en demandons pas davantage. Au compte de l'Anonyme, qui veut que le mot credo renferme nécessairement formidinem oppositi, la crainte de se tromper, il ne pourra réciter le Credo sans marquer qu'il craint de se tromper sur les articles qui y sont contenus. Que de pitoyables subtilités ? Ne faut-il pas qu'on se sente extraordinairement pressé pour se croire obligé d'y avoir recours ?
Il dit en second lieu qu'il suffit aux protestants pour faire voir la fausseté de cette règle que le bon Père donne, qu'il se contredit lui-même, en avouant ailleurs que tout dogme de foi doit être tiré de l'Écriture2. »
Que dites-vous, Monsieur, de ce langage ? ne sommes-nous pas bien obligés à l'Anonyme de ce qu'au lieu de traiter saint Augustin d'homme simple et idiot, il se contente de l'appeler le bon Père ? Le terme est sans doute beaucoup plus doux ; mais placé comme il est, ne dit-il pas absolument la même chose ? Qui ne serait indigné de voir des gens si petits et si minces en tous sens, traiter avec tant de hauteur et d'indignité la plus brillante lumière de l'Église ?
On ne se contente pas de reprocher au saint Docteur sa bonté et sa simplicité, on lui reproche de plus, d'être tombé en contradiction ; et sur quoi fonde-t-on ce reproche ? C'est que ce Père, disputant contre les donatistes, veut qu'on cherche les marques de la véritable Église dans l'Écriture sainte, sans s'arrêter à des bruits populaires, à des assemblées d'évêques, à des écrits pleins de chicanes, à des miracles faux et supposés ; prétendues preuves qui faisaient toute la ressource des donatistes. C'est encore que, disputant contre les ariens, qui ne soutenaient pas moins que les catholiques avait pour eux la tradition, l'autorité des anciens, la déclaration des conciles, la succession des évêques, il veut que de part et d'autre on s'abstienne d'étaler ces avantages, et qu'on s'en tienne uniquement à l'Écriture pour terminer plus promptement et plus efficacement le différend.
Qu'y a-t-il en tout cela qui nous fasse voir que saint Augustin n'a eu que du mépris pour des usages venus jusqu'à nous par la seule voie d'une constante tradition ? Hors du cas où il a eu à combattre telle espèce d'hérétiques, ne s'est-il pas déclaré en toute occasion très fortement pour les traditions apostoliques et pour les usages universellement reçus dans l'Église ? Ne dit-il pas dans son livre de Curâ pro mortuis, que « quand bien on ne trouverait rien dans l'Écriture touchant la prière pour les morts, la pratique universelle de l'Église autorise cette prière avec trop d'éclat pour qu'on puisse la rejeter1 ? » dans son premier livre contre Cresconius que « si l'on craint de se tromper en se déterminant sur une question obscure d'elle-même, on n'a qu'à consulter l'Église, que l'Écriture nous fait connaître sans aucune obscurité2; » et dans l’Épître à l'évêque Januarius, qui est le même que l'Anonyme cite ici contre nous, « qu'il faut être impudent, fou et insensé pour oser disputer contre des usages universellement reçus et pratiqués par toute l'Église3. »
On n'a qu'à examiner de quelle méthode le saint Docteur se sert en combattant les Manichéens, qui n'avaient ni les mêmes principes, ni les mêmes défenses que les donatistes et les ariens, et on verra qu'il cite contre eux « le consentement général des peuples, la succession des évêques, l'éclat des miracles, le nom de catholique4, » sans qu'on puisse dire pour cela que le Saint en employant ces différentes méthodes ait varié dans ses principes. II choisit son terrain et ses armes en habile homme ; ici il fait ferme contre les uns ; là il se porte en avant pour attaquer les autres. En tout cela il n'y a que sagesse, mais nulle ombre de contradiction ; et dans le reproche qu'on lui fait de se contredire, il y a témérité, arrogance, faute de pénétration, manque de jugement et petitesse de génie de ne pouvoir accorder des réflexions aussi aisées à concilier que celles dont il s'agit.
Je pense, Monsieur, que vous ne me saurez pas tout à fait mauvais gré, de ce que je venge ici l'honneur de saint Augustin un peu aux dépens de l'Anonyme ; ne convenait il pas de lui dire une partie de ses vérités pour réprimer cette audace qui le fait parler en termes si peu mesurés contre les Pères les plus respectables de l'Église ?
« Mais, nous dit l'Anonyme, Origène, auteur du troisième siècle, enseigne positivement que les chrétiens de son temps ne priaient que Dieu5 ; » et c'est apparemment sur le témoignage de cet auteur encore plus que sur le silence des premiers Pères que notre Anonyme appuie, pour en tirer la conséquence qu'il s'efforce d'ériger en principe, que ce n'est qu'au quatrième siècle qu'on a commencé à invoquer les Saints.
Je réponds qu'il a y prières et prières, invocations et invocations. Origène écrivait contre Celse qui voulait qu'on adorât les Anges et les démons, qu'on leur demandât ses besoins, qu'on leur fît des sacrifices, c'est-là le culte qu'Origène rejette, disant, qu'il ne faut prier que Dieu, n'invoquer que Dieu, on voit assez en quel sens ; c'est-à-dire, qu'il ne faut prier et invoquer que Dieu, de la manière dont Celse voulait qu'on priât et qu'on invoquât les Anges et les démons, en leur offrant des sacrifices et en les faisant auteurs des biens qu'on leur demandait ; car pour ce qui est de la prière et de l'invocation telle qu'elle est pratiquée parmi nous, Origène était si éloigné de la condamner, qu'il adresse lui-même sa prière à l'ange gardien d'un bon vieillard qu'on allait baptiser. « Venez, Ange, lui dit-il, recevez celui que la prédication de l'Évangile a retiré de son ancienne erreur, de la doctrine des démons et de l'iniquité, recevez-le comme un bon médecin, prenez en soin et apprenez-lui à bien vivre1. » Se peut-il une invocation plus formelle que celle-là ?
Aussi saint Jérôme, qui a combattu avec tant de zèle les erreurs d'Origène, ne lui a-t-il jamais reproché celle d'avoir nié l'invocation des Saints et des anges, ce qu'il n'aurait pas manqué de faire, lui qui avait si peu épargné Vigilance sur le même sujet ; il n'y aurait, dis-je, pas manqué, s'il avait entendu les paroles d'Origène dans le sens où l'Anonyme veut que nous les entendions. Et saint Ambroise, qui, aux erreurs près qu'il condamnait dans Origène, faisait tant de cas de ses écrits qu'il semble les avoir copiés ou abrégés en plusieurs endroits, aurait bien mal profité de la doctrine de ce savant homme, si au lieu de comprendre par les paroles citées qu'il ne faut point invoquer les anges, il avait enseigné positivement le contraire, comme il fait en disant « qu'il faut prier et invoquer les anges2. »
Toutes les objections de l'Anonyme sont donc trop faibles pour prouver, qu'il se soit fait au quatrième siècle aucune innovation touchant le présent article. Il n'y a pas homme de bon sens, qui ne juge que les sieurs Dallié et Basnage, les deux oracles de notre Anonyme, n'ont pas été si bien informés des sentiments des trois premiers siècles, que les Pères du quatrième et cinquième, qui ont cru que l'Invocation des Saints était non-seulement sainte, mais qu'elle avait toujours été pratiquée dans l'Église.
Je ne prétends pas dire pour cela que cet usage ait toujours été également éclatant ; il a pu l'être moins dans un siècle que dans un autre ; l'esprit de Jésus-Christ qui règle les mouvements des membres de son Église, leur inspire toujours l'approbation des mêmes règles, parce la vérité est invariable ; mais il ne les applique pas toujours également aux mêmes pratiques, rendant certaines actions de piété plus fréquentes en un temps qu'en un autre, selon les desseins secrets de sa conduite toute divine.
Venons présentement au cinquième et dernier article. Je dois y parler des miracles qui se font par l'intercession des Saints, et que j'ai dit être une preuve éclatante de l'approbation donnée par Dieu à notre pratique.
L'Anonyme répond à cette preuve, en prétendant, 1° que les miracles ont cessé dans l'Église peu de temps après la prédication de l'Évangile, et qu'il ne s'en fait plus ; 2° que les miracles cités par moi, ne sont pas de nature à ne pouvoir être raisonnablement contestés ; 3° que ces miracles ne sont pas faits à l'occasion de l'Invocation des Saints ; 4° que quand ils se seraient faits à cette occasion, il ne prouveraient rien pour nous autoriser dans notre usage.
Voilà à quoi se réduit tout ce que l'Anonyme dit en trente et une pages, ce qui fait plus de la moitié de son libelle, qu'il grossit de citations aussi énormes qu'inutiles, y mêlant presque autant de latin que de français, farcissant le tout de petits contes, d'historiettes, de récits insipides de miracles puérils, ridicules et incroyables, de narrations absolument hors d'œuvre, ce qui n'est qu'un mauvais artifice propre à amuser quelques ignorants, ou quelques entêtés, mais au fond beaucoup plus propre à révolter les gens d'esprit et de bon sens, qui ne souffrent qu'avec peine que par de fades digressions on pense ainsi leur donner visiblement le change.
Il ne me sera pas possible de suivre l'Anonyme partout ; pour le faire, il faudrait un volume d'une grosse taille ; or, mon imprimeur manque de papier pour cela. Je ne laisserai pas d'en dire assez pour conserver à ma preuve toute sa force, et faire voir en même temps toute l'indignité de la mauvaise ruse que l'Anonyme emploie, et dont il parait se savoir si bon gré, qu'on lui voit tous les airs d'un homme qui s'applaudit.
D'abord il fait de grands extraits de saint Augustin, de saint Chrysostôme et de saint Grégoire, pour prouver que de leur propre aveu les miracles avaient cessé de leur temps1 ; puis il ajoute : « Or je demande maintenant s'il faut s'en tenir à Augustin et aux Pères, quand ils disent que les miracles avaient cessé de leur temps, ou quand ils racontent une quantité innombrable de miracles, qu'ils disent être arrivés de leur temps ? Un homme qui se contredit si visiblement, quelque grande que soit d'ailleurs son autorité, perd son crédit, et ne mérite plus d'attention2. »
Nous voici encore une fois aux contradictions. Notre docteur aura-t-il donc toujours l'esprit si bouché, qu'il ne puisse distinguer les choses les plus aisées à démêler ? Dire qu'il ne se fait plus de miracles pour autoriser la mission des prédicateurs de l'Évangile, ni en confirmation de la vérité qu'ils prêchent, et qui étant déjà suffisamment établie, n'a plus besoin de ces secours extraordinaires, et dire qu'il se fait encore des miracles pour rendre témoignage à la sainteté des grands serviteurs de Dieu et faire connaître le grand crédit qu'ils ont auprès de lui, et cela pour l'édification des fidèles et pour la gloire de l'Église, sont-ce là des propositions qui s'entrechoquent et qui se détruisent ? Les Pères ont dit l'un et l'autre, il est vrai, et c'est sur cela que l'Anonyme prend pied pour nous dire « que les protestants sont fondés sur les passages des Pères quand ils ne croient pas les miracles que les Pères ont débités ; que les Pères sont eux-mêmes la cause de ce que les protestants n'admettent pas ces miracles, que cela vient à leur propre charge3; » c'est-à-dire, ( car il faut commenter ce beau français) que c'est la faute des Pères, et que c'est à eux qu'il faut s'en prendre. Que de méprises, que de mécomptes et d'indignité dans cette manière de penser et de s'exprimer ? N'est-ce pas se déshonorer soi-même que d'outrager ainsi de gaîté de cœur les saints Pères, sans qu'ils en aient donné le moindre sujet ?
L'Anonyme témoigne avoir peine à croire que le savant feu M. Obrecht ait jamais jeté par terre les livres des saints Pères, lorsqu'il les lisait dans le fort de ses préventions, outré qu'il était de les trouver partout si contraires à la doctrine de Luther et si favorables à la doctrine catholique1. Notre contradicteur n'en fait-il pas lui-même tout autant ? car n'est-ce pas fouler aux pieds les livres des Pères et leur autorité, que de les traiter comme il fait ? d'où lui vient cette amertume de cœur qu'il fait paraître contre eux dans tout son écrit, si ce n'est de ce qu'il les voit absolument opposés aux sentiments de son parti, et très formellement déclarés pour nous ? Puisse la grâce du Sauveur lui faire faire des réflexions aussi judicieuses et aussi salutaires, qu'en fit à ce sujet le grand homme, dont nous respectons la mémoire. La conversion de l'Anonyme dût-elle être suivie et récompensée d'un crosse ou d'une mître, nous n'irons pas chercher dans des vues politiques et intéressées de quoi en diminuer le prix et le mérite ; nous imputerons uniquement à sa sagesse, de ce qu'il aura mieux aimé penser et croire comme ont incontestablement pensé et cru tous les Pères du quatrième et du cinquième siècle, sans parler des autres, et par conséquent toute l'Église de leur temps comme aussi celle de tous les siècles suivants, que penser et croire comme a fait un esprit écarté du seizième siècle, homme aussi suspect que le doit être un apostat à double titre. Ne vous offensez pas, Monsieur, de ce terme ; je sais combien votre politesse est délicate ; mais ne me sera-t-il pas permis de suivre les notions les plus universellement reçues et les plus usitées dans tous les temps, quand il s'agit de faire en deux mots un juste parallèle qui mette en état de juger du premier coup d'œil à qui il convient mieux de donner la préférence ?
Je ne dois pas manquer de remarquer que parmi les passages des saints Pères cités par l'Anonyme pour prouver que les miracles avaient cessé de leur temps, il rapporte un texte de saint Augustin, où ce Père dit : « Toute l'Afrique n'est elle pas pleine de corps des Martyrs ? et cependant nous n'apprenons pas qu'à leur tombeau il se fasse de tels miracles2. » Or, je vous prie, Monsieur, de lire la cent trente-septième Épître de ce Père, d'où ce texte est tiré, et vous verrez que saint Augustin y dit, « qu'il se fait des miracles à Nole au tombeau de saint Felix, et à Milan, pour découvrir les crimes les plus cachés ; qu'il a pris le parti d'envoyer au tombeau de saint Félix deux de ses ecclésiastiques qui se chargeaient mutuellement d'un grand crime, espérant que Dieu ferait connaître en ce lieu lequel des deux était le coupable. » Après quoi il ajoute : « Il y a beaucoup de corps saints en Afrique, et cependant nous ne savons pas qu'à leur tombeau il se fasse de tels miracles ; » c'est-à-dire qu'on n'apprenait pas que les coupables y fussent forcés par une vertu secrète d'en venir à la manifestation de leurs crimes. Quoi de plus singulier que de vouloir prouver par cet endroit qu'il ne se faisait plus de miracles du temps des saints Pères ? On cite pour cet effet une Épître dans laquelle nous lisons ces paroles : « Qui peut approfondir les conseils de Dieu, de ce qu'en de certains lieux il se fait des miracles, qui ne se font pas en d'autres1. » Que pensez-vous, Monsieur, de cette petite manœuvre de notre Anonyme ? n'est-ce pas là employer sciemment la supercherie pour en imposer à son lecteur ? Tels tours de souplesse, ou plutôt tels traits de mauvaise foi peuvent-ils faire honneur à sa pièce d'écriture ? et telle pièce d'écriture peut-elle faire honneur à son parti ?
Ce n'en est là déjà que trop pour faire voir que l'Anonyme a mal pris la pensée des saints Pères, lorsqu'il a cherché à s'autoriser de leur aveu, comme s'ils avaient dit que de leur temps il ne se faisait absolument plus de miracles ; le grand nombre de ceux qui sont rapportés par les Pères, n'est pas pour les convaincre d'être tombés en contradiction, mais bien pour convaincre notre téméraire auteur de son peu d'intelligence et de l'excès de sa présomption. Voyons présentement si les miracles, que j'ai allégués comme autant de marques de l'approbation divine donnée à nos usages, sont de nature à pouvoir être raisonnablement contestés2.
De quelle espèce sont ils ? ce sont des miracles attestés par les Pères les plus éclairés et plus accrédités de l'Église, qui en ont été les témoins oculaires. C'est un aveugle de Milan nommé Sévère, guéri à la translation des reliques de saint Gervais et de saint Protais, saint Ambroise évêque de cette ville présidant à la cérémonie. Il en rend compte lui-même, dans une lettre qu'il écrivit à sa sœur sur ce sujet, comme aussi de plusieurs autres miracles arrivés à la même occasion3. Cet aveugle était connu de toute la ville de Milan pour être devenu incapable, par la perte de ses yeux, de vaquer à la profession qu'il exerçait auparavant, et il recouvra si parfaitement la vue en touchant le linge qui couvrait ces saintes reliques, que par reconnaissance il se consacra au service de l'église des deux Martyrs pour le reste de ses jours.
S'il prend encore envie à notre Anonyme de douter de la vérité de ce miracle, qu'il lise sur ce sujet les mémoires de monsieur Tillemont4, la lettre même de saint Ambroise, les notes des révérends Pères bénédictins sur cette lettre5, ce que saint Augustin en a écrit en trois endroits différents de ses ouvrages6, et il verra qu'à moins d'effacer toutes les idées que l'auteur de la nature a gravées dans l'esprit de l'homme pour le mettre en état de juger du vrai, il n'est pas possible de se refuser à la créance d'un fait si parfaitement établi.
De quelle espèce sont les miracles que j'ai rapportés ? c'est un jeune homme nommé Paul et sa sœur nommée Palladie tremblants depuis fort longtemps de tous leurs membres par l'effet d'une malédiction qu'ils avaient reçue de leur mère, et guéris subitement en faisant leurs prières devant les reliques de saint Étienne enfermées dans une châsse, miracle qui fit éclater tout le peuple assemblé, en bénédictions et en actions de grâces, et sur lequel saint Augustin fit un beau discours le lendemain. C'est un évêque guéri, par l'intercession de saint Étienne, d'un mal très douloureux, en portant les reliques de ce Saint en procession. C'est une femme aveugle recouvrant la vue en appliquant sur ses yeux des fleurs qui avaient touché les mêmes reliques ; ce sont plusieurs morts ressuscités à peu près de la même façon, le tout attesté par saint Augustin1, qui nomme les personnes par leur nom, marquant leur emploi, leur demeure, toutes les circonstances du miracle ; de sorte que rien n'eût été plus aisé que de convaincre saint Augustin d'être un diseur de contes, si, en rapportant de tels faits, il n'eût dit la vérité la plus exacte. Croira-t-on que ce Père aura eu assez peu de soin de sa réputation, pour ne pas craindre de l'exposer aux piquantes railleries des libertins, et même aux justes reproches des gens de bien ?
L'Anonyme nous dit que « la piété des saints Pères s'est laissé surprendre en fait de miracles2. » Mais je demande s'il n'est pas beaucoup plus sensé de croire à notre homme un excès d'incrédulité, que de croire aux saints Pères un excès de crédulité ; je demande s'il peut y avoir lieu à la surprise, lorsqu'en rapportant des faits de la qualité de ceux que nous venons de voir, on ose prendre à témoin toute une ville et toute une province.
D'ailleurs notre Anonyme fait trop de grâce aux saints Pères en se contentant de les taxer de simplicité ; il faut que suivant son plan il les regarde comme des fourbes et des imposteurs ; car enfin saint Augustin nous assure que saint Ambroise avait connu par révélation divine le lieu où reposaient les corps des Martyrs saint Gervais et saint Protais3. Par quelle voie saint Augustin avait-il eu connaissance de cette révélation, si ce n'est par les fréquents entretiens qu'il avait eus avec saint Ambroise ? Aussi le saint évêque de Milan dit-il dans la lettre à sa sœur qu'il ne s'est déterminé à faire creuser bien avant dans la terre, qu'après avoir connu par un instinct divin qu'il y trouverait de saintes reliques4.
Que l'Anonyme nous dise si saint Ambroise a eu une véritable révélation, ou si elle a été supposée par l'un et par l'autre Père. S'il a eu une véritable révélation, voilà donc un miracle en faveur du culte des reliques, et de l'Invocation des Saints qui ne manquait pas d'accompagner ce culte. Dès là même toutes les autres merveilles rapportées à la translation sont également croyables. Que si la révélation a été supposée, voilà donc ces deux Pères coupables d'une insigne imposture et d'une fourberie abominable. Il faut que saint Ambroise eût fait cacher ces reliques en terre avant que de faire creuser, ou du moins qu'ayant été averti qu'elles y étaient, il ait feint de ne l'avoir appris de personne. Ces amis luthériens que vous cherchez à détromper, ne trembleront-ils pas en pensant qu'ils ne peuvent espérer de salut, à moins que saint Ambroise et saint Augustin n'aient été des fourbes, et des conteurs de faux miracles ? car s'ils ont dit vrai, il est évident, que Dieu a autorisé le culte des reliques, et l'Invocation des Saints ; et si ce sont là de bonnes et de saintes pratiques, il faut que la religion qui les combat, soit mauvaise, et reprouvée de Dieu.
Continuons à examiner d'autres miracles rapportés dans mon écrit. Vous y trouverez aussi peu de prise, pour qu'ils puissent être révoqués en doute. J'ai produit un extrait de la lettre du célèbre Nicétius, évêque de Trèves à la reine Clotoswinde1. Il y parle d'énergumènes élevés en l'air, de lépreux guéris, de sourds et de muets entendant et parlant librement, d'aveugles-nés voyant parfaitement clair après avoir fait leurs prières au tombeau de saint Martin, de saint Germain, de saint Hilaire, ou de saint Loup2. C'est dans une lettre, qui devait être montrée à Alboin roi des Lombards engagé dans l'arianisme ; c'était pour le presser par la considération de ces miracles de se convertir à la religion catholique ; la lettre devait être exposée à la critique des évêques ariens ; elle était accompagnée d'un défi qu'on leur donnait de faire voir rien de semblable dans leurs Églises. A moins que Nicétius, un des plus grands évêques des Gaules, n'eût absolument perdu l'esprit et le jugement, pouvait-il écrire ces faits, et les assurer au point qu'il faisait ? Que l'Anonyme nous dispense de regarder ce grand homme comme étant tombé ou en démence, où en délire, au moment qu'il écrivait cette lettre. Il nous paraît que ce serait porter la complaisance un peu trop loin, que de le penser ainsi, uniquement pour faire plaisir à notre Anonyme, et parce que sans cela il se trouverait trop incommodé d'un témoignage de cette nature. Telle complaisance serait injuste, et déraisonnable, et il ne doit pas l'exiger de nous.
Prenez la peine de relire ce que j'ai marqué du tombeau de sainte Euphémie, comme l'évêque s'y transportait de temps en temps avec un grand nombre de personnes de distinction pour y recueillir une grande quantité de sang caillé, incorruptible, d'une couleur vermeille, et d'une odeur exquise, que l'on distribuait à une infinité de gens, et qu'on envoyait dans les provinces les plus éloignées comme un excellent remède pour toutes sortes de maladies3.
C'est l'historien Evagre, qui rapporte cette merveille, ajoutant que les miracles, qui se faisaient au tombeau de la Sainte, étaient si publics, qu'aucun chrétien ne les ignorait4. Notre Anonyme, qui traite Evagre d'esprit crédule5, devait réfléchir, qu'attester les chrétiens de toute la terre, raconter une merveille comme se passant à la vue de tous les magistrats, de tout le clergé, tandis qu'il n'en est rien, n'est pas le langage de la crédulité, mais le langage de l'impudence, ou de la folie la plus insigne. Or, que nous a fait Evagre pour le soupçonner, ou l'accuser de tels excès ? Encore un coup que l'Anonyme cesse d'exiger de nous de si grandes complaisances en nous demandant, que pour le mettre au large, nous nous formions une idée si désavantageuse d'un écrivain célèbre d'ailleurs parmi les historiens ecclésiastiques.
Mais, nous dit notre antagoniste, toujours admirable dans ses réflexions, quand il entreprend de combattre nos miracles : « On sait assez peu de chose de la vie de sainte Euphémie selon le sentiment même de monsieur Tillemont6 ; » puis citant les paroles de cet auteur : « Ce n'est pas que nous n'en ayons plusieurs histoires assez longues, et assez remplies de miracles ; mais les miracles mêmes, quoiqu'ils puissent avoir été crus depuis bien des siècles, paraissent moins tenir de la vérité que de la fable. » Après quoi notre esprit fort ajoute en parlant de moi : « Que l'Anonyme déclame donc ici contre M. de Tillemont écrivain si estimé de l'Église gallicane1.
Ne diriez-vous pas, Monsieur, que nous avons tiré le miracle du sang caillé de la vie et des actes de sainte Euphémie ? admirez, s'il vous plaît, ce raisonnement : « On sait assez peu de chose de la vie de sainte Euphémie ; les actes qui en parlent sont pleins de fables et de miracles très suspects ; donc le miracle rapporté par Evagre avec des circonstances si remarquables ne mérite aucune créance. » Le raisonnement est d'autant plus singulier, que M. de Tillemont marque expressément qu'au rapport des historiens grecs l'empereur Maurice, doutant de ce sang miraculeux, en fut lui-même témoin, après avoir pris toutes les sûretés possibles pour n'être pas trompé2.
Fiez-vous après cela aux citations d'un homme, qui par de mauvaises conjectures prétend faire dire à un auteur tout le contraire de ce qu'il dit effectivement, et ce qu'il appuie même de plusieurs témoignages. Ce ne sera donc pas contre M. Tillemont que nous déclamerons ; ce sera contre le mauvais raisonnement et contre les mauvaises ruses du docteur de Schaffouse, du moins aurons-nous très grand sujet de le faire.
Il me serait aisé d'établir avec la même solidité la certitude de tous les autres miracles rapportés dans mon écrit ; mais le peu que je viens de dire pourra faire juger du reste. Je sens trop la nécessité d'abréger pour ne pas m'y rendre ; ainsi je me contenterai de vous faire remarquer ici les plaisants stratagèmes dont l'Anonyme se sert pour affaiblir la créance de nos miracles. Il ramasse d'abord dans des légendes de nulle autorité, dans les vies de Saints composées par des auteurs qui avaient beaucoup plus de piété que de critique, beaucoup plus de zèle pour la gloire de leur Saint que de discernement, une grande quantité de petits faits merveilleux propres à fatiguer la foi3. C'est un loup guéri de la rage par saint François, et qui lui donne la patte pour lui promettre qu'il ne mordra plus personne ; c'est une brebis qui par ordre de saint Patrice se met à bêler dans le ventre de celui qui l'avait mangée et volée ; c'est un veau rétabli sur ses quatre pieds, après que le pauvre homme à qui le veau appartenait, en eût régalé saint Germain et ses compagnons, la peau et les os s'étant réunis et remplis de chair à la prière que fit le Saint, de sorte que le veau parut tel qu'il était auparavant ; ce sont des oiseaux excommuniés par frère Rollus, pour s'être rendu incommodes dans un bois où il faisait oraison, et qui depuis ce temps-là n'approchèrent plus de ce bois ; ce sont encore de petits oiseaux rôtis s'envolant d'un plat à un signe de croix que le frère Anania fit sur le plat, en témoignant se repentir de la friandise qui les lui avait fait apprêter, etc.
Quoique rien ne soit impossible à Dieu, et que plus on a d'esprit et moins on doive penser à mettre des bornes à la puissance divine, et que d'ailleurs il soit très vrai que Dieu a fait souvent des choses fort singulières et fort extraordinaires en faveur de ses serviteurs, soit pour récompenser leur foi, soit pour animer celle des autres fidèles, il faut pourtant convenir que le récit de faits si peu vraisemblables, étonne et révolte plus de gens qu'il n'en édifie, et que plus l'événement est extraordinaire, plus il a besoin de garants pour mériter d'être cru.
Or, ce sont des miracles de cette catégorie, avancés par des auteurs sans nom, qui ne sont avoués de personne et dont il est très permis de rejeter l'autorité sans s'exposer à rendre sa foi suspecte : ce sont, dis-je, des miracles de cette espèce que l'Anonyme oppose à ceux que j'ai tirés de l'Histoire ecclésiastique, et que j'ai rapportés sur le témoignage des Pères les plus éclairés qui ont pris toutes les précautions possibles pour n'être pas trompés, et qui sont également à couvert du soupçon d'avoir voulu tromper personne.
Que dites-vous, Monsieur, du généreux effort de l'Anonyme ? n'y a-t-il pas là de quoi nous terrasser ? vraiment oui, que les catholiques se vantent après cela de trouver dans des miracles éclatants la preuve de l'approbation que Dieu donne par lui-même à l'invocation des Saints, on leur a bien fait voir que tous ces miracles, dont ils font tant de bruit, ne sont au fond que des contes puérils. Parlons plus sérieusement. Quoi donc ? parce qu'il y a de fausses pièces de monnaie, n'y en a-t-il aucune de bon aloi ? vous savez, Monsieur, qu'il y a eu des imposteurs qui ont fabriqué de faux Évangiles, qu'ils ont taché d'accréditer en leur donnant le nom de quelque Apôtre. Conclura-t-on de là que nous devons rejeter nos quatre Évangiles, et que nous ne pouvons les regarder comme des livres divins, parce qu'il s'en est trouvé qui étaient supposés ? A quoi ne mènent pas les beaux raisonnements de l'Anonyme ? et que font-ils voir, sinon qu'il a compté sur l'imbécillité de son lecteur, espérant faire tomber tous les miracles dans le mépris par le soin qu'il s'est donné d'en ramasser un grand nombre qui ont tout l'air de fictions et de fables ; mais la ruse est trop grossière pour que les gens d'esprit s'y laissent prendre.
Que fait encore l'Anonyme pour discréditer nos miracles ? il entreprend de rendre douteuses les reliques qui en ont été l'instrument ou l'occasion ; celles de saint Étienne, en formant des difficultés sur l'histoire de leur découverte et sur celle de leur translation en Afrique1 ; celles de saint Gervais et de saint Protais, en disant que puisqu'on n'a aucune connaissance ni de la personne, ni de la vie, ni des mœurs, ni du martyre de ces deux Saints, leurs reliques ne peuvent être que très incertaines2 ; celles du sang de saint Janvier, en prétendant qu'on peut douter s'il y a jamais eu un évêque et martyr de ce nom, vu qu'il ne s'en trouve presque aucune trace dans l'antiquité, et que les actes qu'on a de lui ne sont d'aucune autorité, ayant été écrits dans un siècle fabuleux ; que ses reliques sont encore plus douteuses, pour avoir été transférées tantôt à Bénévent, tantôt à Pouzoles, tantôt à Naples3.
Notre pyrrhonien outré n'est-il pas admirable ? Est-ce donc que la voie de Dieu, qui s'explique de la manière la plus éclatante par les effets d'une puissance toute divine, ne lui suffit pas pour le rassurer ? Le prêtre Lucien déclare devant son évêque que Gamaliel qui a enterré saint Étienne lui a apparu en songe, et qu'il lui a appris le tombeau de ce premier martyr en lui indiquant les marques auxquelles il le reconnaîtra. Saint Ambroise et saint Augustin disent que Dieu a fait connaître par révélation le lieu où reposaient les corps de saint Gervais et de saint Protais. Jusque-là qu'il nous soit permis de douter de la vérité de l'apparition et de la révélation ; doutons encore également de la vérité de ce qui est marqué dans les archives de l'église de Naples touchant le sang de saint Janvier. Mais il s'opère une très grande quantité de miracles par l'attouchement des reliques qu'on regarde comme étant de saint Étienne, de saint Gervais et de saint Protais. C'est saint Ambroise c'est saint Augustin qui nous assurent de ces miracles ; ils ont un million de témoins de la vérité de ce qu'ils écrivent pour en instruire la postérité. On voit encore de nos jours dans le sang de saint Janvier un bouillonnement merveilleux qui ne peut être l'effet de la nature. Je demande à tout homme sensé si ce n'en est pas là assez pour assurer la vérité de l'apparition et de la révélation, et des attestations qui sont dans les archives ; et si, dès là, même ce n'est pas le témoignage le plus éclatant et le plus irréfragable qu'on puisse désirer en faveur de toutes ces reliques. Ce n'est donc pas l'incertitude de l'histoire de leur découverte ou de leur translation, qui doit faire douter des miracles qu'on voit de ses yeux, ou qui sont attestés par des témoins irréprochables et non suspects : ce sont des miracles aussi certains que ceux qui ont été rapportés, qui doivent dissiper tous les doutes qu'on pourrait former sur les reliques. C'est ainsi qu'on conçoit les choses quand on consulte le bon sens et qu'on ne cherche pas à chicaner sur tout, en portant le raffinement de la sagesse au delà des bornes de la sobriété.
Mais, à propos du sang de saint Janvier, l'Anonyme nous assure « qu'un chanoine de la métropolitaine de Naples, autrefois missionnaire apostolique, lui a fait serment qu'il a vu de ses propres yeux la fraude qui se commet lorsqu'en feignant le miracle de la liquéfaction du sang, un prêtre bien adroit substitue à la fiole où est le sang endurci une autre toute semblable remplie récemment d'un sang frais et liquide, qu'il approche du chef de saint Janvier1. »
A cela je dis qu'un homme qui fabrique des textes de l'Écriture et qui suppose des passages des Pères, peut bien aussi prêter à un chanoine italien un serment qu'il ne fit jamais ; que l'on nous dispense d'en croire l'Anonyme sur sa parole. Je dis en second lieu, que si ce chanoine italien a fait effectivement ce serment, il faut que ce soit un misérable apostat, qui, pour gagner la bienveillance du docteur de Schaffouse, aura cru devoir relever le mérite de son apostasie par un parjure. Or, nous ne recevons pas la déposition de telles gens, elle nous paraît trop suspecte ; après un premier sacrifice qu'ils ont fait de leur âme au père de la révolte et du mensonge, il ne leur coûte rien d'en faire un second et un troisième.
Le miracle de la liquéfaction et du bouillonnement du sang de saint Janvier est si authentique, que l'Église en fait mention dans les leçons de l'office qu'elle fait réciter à tous les prêtres du monde au jour de sa fête. Le Père Putigani, jésuite, a donné au public un livre sur la vérité et les particularités de cette merveille. Un miracle qui se renouvelle si souvent à la vue d'une infinité de gens qui l'observent avec les yeux les plus attentifs, ne peut être l'ouvrage de la supercherie ; il est ridicule de supposer à tant de monde et pendant tant de siècles un éblouissement si universel, qui serait encore plus merveilleux que la merveille même. Si l'Anonyme doute encore de la réalité de ce miracle, qu'il lise ce qu'en ont dit les auteurs des Mémoires de Trévoux au mois de janvier 1726, et il verra qu'il ne peut y avoir que de l'imprudence à le contester.
Pour ce qui est des corps de plusieurs Saints et Saintes, l'Anonyme a prétendu y satisfaire en nous disant « qu'il-a vu lui-même des corps de soldats enterrés il y a cent ans dans une crypte sous la sacristie d'une église de Brème entièrement conservés, et d'une consistance à toute épreuve1. » Mais cela répond-il à la demande que j'ai faite, si des terres pleines de sel et de nitre peuvent traiter différemment les corps des justes et des pécheurs, si elles ne conserveront pas également les uns et les autres2 ? cela répond-il à ce que j'ai dit du corps de sainte Magdeleine de Pazzi, qu'on voit avec la consistance, la fraîcheur, le coloris et la flexibilité que donne la vie, de sorte qu'à considérer son air et sa situation, on dirait que c'est une personne qui dort tranquillement et non un corps sans âme3. Notre Anonyme a-t-il vu des corps morts de soldats, de cette façon ? ne peut-on pas dire du corps de cette Sainte ce que l'Écriture dit de celui d'Élisée, qu'il prophetisa après sa mort4. En effet, ce corps, dans l'état où il est, ne fait-il pas une excellente controverse à toutes les sectes séparées de l'Église romaine ? Controverse dans laquelle il leur apprend que l'âme qui est détachée de ce corps jouit présentement de la gloire des Saints, qu'elle y est parvenue par l'attachement qu'elle a eu à la foi catholique et par les saintes pratiques de la religion qu'elle a professée, et que Dieu agrée les prières qu'on vient faire à son tombeau ?
Que ne pourrais-je pas dire ici du corps de saint Xavier, l'apôtre des Indes et du Japon ? Il fut mis dans une caisse de chaux vive, afin que les chairs étant consumées, on put plus aisément transporter ses os de l'Isle de Sancian où le corps était mort ; six semaines après, le corps fut trouvé aussi frais et aussi entier que s'il eût été encore en vie. Ayant été remis en terre à Malaca, il en fut tiré après y être resté cinq mois, sans que l'humidité de la terre l'eût altéré le moins du monde. On trouva même le linge qui avait été mis sur son visage teint d'un sang vermeil, et une plaie qu'on lui avait faite aussi fraîche que si elle venait d'être faite ; et quand le corps eut été transporté à Goa, on le laissa pendant trois jours à découvert pour la consolation des habitants ; on l'érigea même en pied afin qu'ils le pussent voir plus commodément. Un pied ayant été endommagé par l'indiscrétion d'une femme, on vit aussitôt couler le sang en abondance, mais un sang vermeil et tel qu'en ont les personnes les plus saines, spectacle dont toute la ville de Goa fut témoin, non sans en être vivement frappée.
Que l'Anonyme nous fasse voir le corps de quelque ministre, sur lequel Dieu ait fait également éclater les merveilles de sa puissance et de sa miséricorde.
« Mais, nous dit-il avec son sel et sa politesse ordinaire, n'en déplaise à M. le théologien, il ne sait pas l'art de raisonner juste, il est visible que la plupart des miracles qu'il débite ne sont pas une suite d'une invocation précédente adressée aux Saints. Nous voyons qu'une grande partie n'en est attribuée qu'à la vertu et à l'attouchement des reliques, comme sont ceux que saint Augustin rapporte5. » C'est la troisième difficulté de l'Anonyme sur le chapitre des miracles. Voyons si nous aurons autant de peine à y répondre, qu'il témoigne avoir de peine à suivre et à comprendre la justesse d'un raisonnement.
Notre docteur ignore donc, ou fait semblant d'ignorer, qu'au temps des miracles qui ont été rapportés, l'usage était de demander les prières des saints Martyrs en révérant leurs reliques. Saint Grégoire de Nysse ne marque-t-il pas en termes exprès que ceux qui considéraient les dépouilles des saints Martyrs, les priaient en même temps d'être leurs intercesseurs auprès de Dieu1 ? Saint Basile n'atteste-t-il pas la même chose de ceux qui allaient faire leurs prières au tombeau des quarante Martyrs ? saint Augustin, du bon vieillard de Florent, qui courut à l'église des vingt Martyrs pour leur demander le secours de leur intercession ? saint Chrysostôme, de ceux qui se rendaient assidus auprès des reliques de sainte Bernice et de sainte Prosdoce, les priant d'être leurs patronnes ?
Il est clair par tous ces faits que l'Invocation accompagnait toujours, ou du moins très ordinairement, la vénération des reliques. Je dis même que lorsque l'Invocation n'était pas si expresse, l'honneur qu'on rendait aux reliques était une espèce d'invocation tacite, puisque c'était marquer au Saint le désir qu'on avait de se procurer ses prières et sa protection. Dieu ne pouvait donc autoriser par des miracles le culte qu'on rendait aux reliques, sans autoriser en même temps l'Invocation des Saints, qui en était la suite ou l'accompagnement ordinaire. Il savait fort bien que l'effet le plus naturel de ses merveilles était d'exciter et d'augmenter la confiance que les peuples avaient aux prières des Saints ; si la demande qu'on faisait de leurs prières lui eût déplu, ils se serait bien gardé d'entretenir et de fomenter par de si étonnants prodiges une pratique damnable.
Sans doute, Monsieur, que vous ne trouverez pas ce raisonnement difficile à comprendre. Si l'Anonyme n'a pu en voir la justesse, il ne doit pas s'en prendre au théologien, comme ne sachant pas l'art de raisonner juste ; qu'il s'en prenne plutôt à des lumières trop bornées, qui l'empêchent de voir jusqu'où porte la preuve que nous tirons des miracles faits dans telles et telles circonstances.
« La victoire de l'empereur Théodose, ajoute l'Anonyme, est attribuée par Théodoret aux prières qu'il fit à Dieu2. »
Cela empêche-t-il qu'il n'en fût aussi redevable à l'intercession des Saints qui s'intéressent à la lui procurer auprès de Dieu ? Ruffin ne marque-t-il pas que Théodose commença par visiter les églises de Constantinople accompagné d'un bon nombre de prêtres et d'une grande suite de peuple, et que revêtu d'un cilice il se prosternait devant les tombeaux des saints Apôtres et des saints Martyrs, demandant par leurs intercession le secours dont il avait besoin contre son ennemi3 ? Et quand Théodoret rapporte qu'à la veille du combat Théodose vit en songe venir à lui deux hommes bien armés et parfaitement bien montés, dont l'un était l’apôtre saint Jean, l'autre l'apôtre saint Philippe, se disant envoyés de Dieu pour combattre avec lui, qui ne comprend que ce fut là l'effet des prières qu'il avait adressées aux saints Apôtres, et que Dieu voulut lui marquer par cette vision qu'à la sollicitation de ces puissants intercesseurs il lui préparait une grande victoire4 ?
« Les guérisons, poursuit l'Anonyme, qui ont été faites, selon le rapport de Sozomène, dans l'église prétendue de saint Michel, n'étaient pas la suite de l'invocation de cet archange ; car l'historien dit : Precibus illic ad Deum fusis malis liberati sunt ; que plusieurs y ont été délivrés de leurs maux, après y avoir fait leurs prières à Dieu1. »
Je comprends aisément que ceux qui allaient prier dans cette église pour y être délivrés de leurs maux, faisaient leurs prières à Dieu ; mais ces prières étaient présentées par l'archange saint Michel, elles étaient soutenues de son intercession. Car pourquoi se croyait-on plutôt exaucé en ce lieu qu'en un autre, si ce n'est parce que saint Michel y ayant paru sous une forme visible, on le croyait disposé à employer son crédit en faveur de ceux qui viendraient y exposer leurs besoins ?
Je remarquerai en passant que l'Anonyme me prête d'avoir dit faussement « que cette église était consacrée à saint Michel2. Prenez la peine, Monsieur, de lire l'endroit où j'en ai parlé3, vous n'y trouverez pas le moindre vestige de cette expression ; je me suis contenté d’appeler ce lieu l'église de saint Michel, et comment l'Anonyme traduirait-il autrement le mot Michaelium ? mais c'est qu'il a voulu avoir lieu de nous débiter sa belle doctrine sur le concile de Laodicée. Rien de juste ni d'exact dans ses observations, ni dans ses reproches.
« Le sang qui coulait du tombeau de sainte Euphémie, l'odeur exquise qui en sortait (c'est toujours l'Anonyme qui parle) que cela fait-il pour établir l'Invocation des Saints4 ? » Le voici : ces merveilles rendaient le tombeau de la Sainte très célèbre, elles excitaient la confiance du peuple en son crédit et le portaient à lui adresser des prières et des vœux, comme Evagre le marque expressément, en disant qu'il y avait dans l'église une tribune élevée, d'où l'on priait commodément la Sainte5. Si c'étaient là des prières superstitieuses et de plus injurieuses à Dieu et à Jésus-Christ, qui ne voit que l'effet de ces merveilles eût été de nourrir la superstition du peuple et d'autoriser les outrages faits à Dieu et à Jésus-Christ ? Dieu est-il capable d'employer sa puissance à tels usages ? Donc les prières adressées aux Saints n'ont rien de blâmable, et qui plus est, c'est que Dieu a témoigné les agréer très fort en les autorisant par de si grandes merveilles.
« Nicétius rapporte les miracles faits dans l'église de saint Martin, ad Deum miserantem, au Dieu de miséricorde6.
Vraiment il n'avait garde de les rapporter à un Dieu courroucé. Il dit que des aveugles de naissance retournaient par la miséricorde de Dieu à la maison, voyant parfaitement clair ; Deo miserante cæcos illuminatos conspicimus, et ad propria sanos reverti videmus7. N'était-ce pas véritablement un grand effet de la miséricorde divine de ce que Dieu écoutait si favorablement les prières qui se faisaient au tombeau de saint Martin ? Mais pourquoi obtenait-on des faveurs si singulières dans cette église et non ailleurs, si ce n'est parce que Dieu voulait marquer la considération qu'il avait pour ce Saint, et combien son intercession qu'on venait réclamer était puissante et efficace ?
« Que les corps des Saints restent sans corruption, que la langue de Jean de Nepomucène reste encore en son entier, s'ensuit-il donc, ergo Sancti sunt invocandi1 ? »
Oui, M. le docteur de Schaffouse, il s'ensuit qu'il est très utile d'invoquer les Saints ; car Dieu déclare par des effets si extraordinaires que ce sont là ses amis les plus distingués, et qu'ils ont un crédit spécial auprès de lui. Sachant que plus il se plaît à relever la gloire de ses Saints, plus le peuple chrétien a de confiance en leurs prières ; si telle confiance était ou inutile ou pernicieuse dans ses effets, il n'aurait garde sans doute de l'exciter, ni de l'entretenir par une continuation de merveilles. Voilà ce que nous dit la langue de saint Jean Nepomucène, fraîche et entière ; nous entendons parfaitement ce langage, si l'Anonyme ne l'entend pas, c'est qu'il a l'organe de l'ouïe mal affecté.
« Eh bien! dit l'Anonyme en dernier lieu, que ceux qui invoquent les Saints, le faisant de bonne foi, soient guéris et exaucés : s'ils joignent cette Invocation des Saints à celle de Dieu pour ne la rendre pas tout à fait criminelle, faut-il donc après rapporter le miracle à l'Invocation des Saints plutôt qu'à l'Invocation de Dieu même, qui est seul l'auteur des miracles, Dieu pouvant pardonner une erreur de prévention et de préjugé d'enfance à un cœur de bonne volonté et qui n'erre pas à dessein2 ? »
Notre Anonyme ne cessera-t-il donc jamais de chicaner ? On dirait qu'il ne sait plus de quoi il s'agit ; ceux qui invoquent les Saints, que font-ils autre chose que de les prier d'intercéder pour eux auprès de Dieu ? n'est-ce pas là véritablement recourir à Dieu, et que peut-il y avoir en cela de criminel ? Il est vrai que ceux qui prient les Saints ne manquent guère d'adresser en même temps leurs prières directement à Dieu ; mais il n'est pas moins vrai que s'ils ne priaient que Dieu seul, il arriverait assez souvent que pour de bonnes et justes raisons ils n'obtiendraient rien ; Dieu accorde aux prières de ses serviteurs chéris ce qu'il n'accorde pas toujours aux prières de tous ; il se plaît à glorifier ses Saints, à rendre témoignage à leur vertu et à leur sainteté, à faire connaître le crédit qu'ils ont auprès de lui, et cela, pour la gloire de son Église et pour exciter les fidèles à les imiter. On juge que Dieu agit conformément à ces vues, lorsqu'on obtient l'effet de sa prière en la faisant en certains lieux plutôt qu'en d'autres, et en associant les prières d'un Saint à celles qu'on faisait auparavant sans effet.
Pour ce qui est de l'erreur de prévention que Dieu pardonne à un cœur de bonne volonté agissant de bonne foi, l'Anonyme ne prend point assez garde à ce qu'il dit ; car si Dieu fait tant que d'accorder des grâces miraculeuses à ceux qui invoquent les Saints, ce n'est pas seulement leur pardonner leur erreur, c'est l'autoriser, c'est en quelque façon y souscrire de sa propre main, ce qui répugne infiniment et à sa sainteté et à l'amour inviolable qu'il a pour la vérité ; mais l'Anonyme aime mieux mettre en avant les raisonnements les moins arrangés et les plus mal imaginés, que de se rendre à la voix de Dieu qui s'explique si hautement en notre faveur.
Il va jusqu'à prétendre que quand nous aurions de notre part les miracles les plus avérés, et qu'ils seraient incontestablement la suite ou l'effet de l'Invocation des Saints, nous ne pourrions néanmoins en tirer aucune preuve en faveur de cette pratique ; pourquoi ? parce que, dit-il, « les miracles en fait de religion ne prouvent absolument rien1. » C'est la dernière de ses propositions selon l'ordre que je lui donne, quoiqu'il l'ait placée d'abord à la tête de toutes celles qui regardent cette matière.
N'est-il pas étonnant que des gens qui se piquent de suivre l'Écriture partout à la lettre, ne craignent pas d'avancer des paradoxes qui lui sont si formellement opposés, et que pressés par des arguments non moins propres à frapper les sens que la raison, ils n'aient d'autre ressource que de contredire en face les livres sacrés ? Le Sauveur ne dit-il pas aux Juifs que les œuvres merveilleuses qu'il fait au nom de son Père rendent témoignage de lui2 ? que s'ils ne veulent point croire à ses paroles, ils doivent croire du moins á ses œuvres, et qu'ils connaîtront que le Père est en lui et qu'il est dans le Père3. Que s'il n'avait fait des œuvres que personne n'a faites avant lui, ils seraient exempts de péché4. Quoi de plus aisé aux Juifs que de se mettre à couvert de tous ces reproches, s'il est vrai que « les miracles ne prouvent absolument rien en fait de religion ? » dès là même les voilà parfaitement disculpés.
Au compte de l'Anonyme, les disciples du Sauveur n'étaient point assez fondés à croire en Jésus-Christ pour lui avoir vu changer l'eau en vin aux noces de Cana5, et c'était en eux faiblesse d'esprit de s'attacher à lui sur des signes si équivoques. Le Sauveur prouvait très mal à Jean qu'il était le Messie, en lui envoyant dire : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent6. L'aveugle-né, dont saint Jean se plaît à rapporter le raisonnement jusqu'à la moindre parole, n'omettant rien de ce qui peut en faire sentir la justesse et la force, n'aura raisonné dans le fond que d'une manière pitoyable, en concluant que celui dont la puissance lui avait ouvert les yeux devait être l'envoyé de Dieu7. Ceux qui suivirent Jésus-Christ par troupes, après avoir appris le miracle de Lazare ressuscité8, étaient de bonnes gens, qui ne voyaient pas le peu de justesse de la conséquence qu'ils tiraient d'un fait de cette nature. L'apôtre saint Paul s'y prenait fort mal pour autoriser sa mission et son apostolat, en disant aux Corinthiens : C'est parmi vous qu'ont paru les preuves de mon apostolat, par des miracles, par des prodiges et par des effets extraordinaires de la puissance divine9. Telles sont les suites du beau principe de l'Anonyme, que les miracles ne prouvent absolument rien en fait de religion.
A quelles extrémités ne se porte-t-on pas, quand pressé par la force de la vérité, on a résolu de lui échapper par quelque issue que ce puisse être ? Suffira-t-il donc toujours à nos adversaires de crier bien haut à l'Écriture, tandis que dans leurs défenses ils s'en écartent visiblement ?
« Mais, nous dit l'Anonyme, nous sommes avertis que l’Antéchrist fera des miracles1 ; le Sauveur nous recommande de nous tenir en garde contre les faux Prophètes, qui en feront de si grands que les élus mêmes seront en danger d'être séduits2. C'est donc une mauvaise preuve que celle des miracles3. »
Voici en deux mots ce qu'il y a à dire sur ce sujet, et ce qui servira en même temps de réponse à l'objection. Tant qu'il est douteux si les faits extraordinaires et supérieurs aux forces de la nature, sont des prestiges du démon ou des effets de la puissance divine, il est vrai qu'ils ne prouvent rien. Mais si l'on ne peut soupçonner que Satan y ait aucune part, et que ce soient indubitablement des œuvres de la main du Très-Haut, il est visible que ce sont pour lors des attestations de Dieu même, données de sa main, scellées pour ainsi dire de son sceau, et qui par conséquent ne peuvent servir d'appui ni à l'erreur, ni au mensonge.
L’Antéchrist et les faux Prophètes feront des prodiges extraordinaires et qui auront tout l'air de miracles, j'en conviens ; mais quelque merveilleuses que doivent être leurs œuvres, on pourra toujours y soupçonner de l'illusion et de l'enchantement, parce qu'elles seront de nature à ne pas passer le pouvoir de l'esprit infernal ; et comme la doctrine de l’Antéchrist sera évidemment mauvaise et impie, on en conclura très légitimement que tous les prodiges sortant de sa main ne sont que des opérations magiques.
Il n'en est pas ainsi des merveilles faites aux tombeaux des Saints, ni de toutes celles que nous regardons comme ayant été l'effet et le fruit de leur invocation. On ne peut soupçonner ces merveilles d'avoir été opérées par le ministère du démon : 1° Parce qu'il y en a beaucoup qui sont au-dessus de ses forces, toutes ses artificieuses pratiques et industries ne pouvant aller jusqu'à faire revivre un mort, ni à rendre la vue à un aveugle ; 2° parce que les saints Pères qui nous rapportent ces miracles et qui souvent en ont été les témoins oculaires, ont bien eu assez de discernement pour pouvoir démêler les prestiges du démon d'avec les véritables miracles ; on ne peut croire prudemment qu'ils s'y soient mépris, bien moins encore qu'ils aient été d'intelligence avec l'enfer pour avoir voulu accréditer des œuvres diaboliques ; 3° les illusions et les enchantements de l’Antéchrist ne dureront tout au plus que trois ans ; la séduction sera courte et passagère, et il n'y aura guère que les mauvais chrétiens qui s'y laisseront surprendre, au lieu qu'il y a quatorze à quinze siècles, à notre connaissance, que les grâces miraculeuses s'obtiennent en invoquant les Saints ; cette invocation a été constamment pratiquée par les personnes les plus parfaites et les plus vertueuses. Si Dieu a permis à Satan l'usage de son malin pouvoir pendant tant de siècles, en connivant à la séduction de tant de gens de probité qui croyaient bien faire, quelle idée nous restera-t-il de sa providence ?
Enfin le démon n'y trouvait pas son compte pour se donner de si grands mouvements ; car de quoi s'agit-il dans cette affaire ? il s'agit de demander les prières des amis de Dieu, de bénir Dieu du crédit et du pouvoir qu'il leur a donné, de sentir naître dans son cœur une sainte émulation d'imiter de si grands modèles. Qu'y a-t-il en tout cela qui avance le dessein de Satan, ou qui puisse l’intéresser si, fort à se mettre en action, comme il s'y mettra quand il s'agira d'appuyer les projets de l’Antéchrist, qui ne pensera qu'à établir son règne sur les ruines du christianisme ?
C'est pour toutes ces raisons qu'on ne peut ici recourir aux profondeurs de Satan pour y trouver un dénouement à nos miracles ; donc il est nécessaire d'y reconnaître la main de Dieu ; donc les faveurs miraculeuses obtenues par ceux qui ont invoqué les Saints, sont une excellente preuve en faveur de l'Invocation.
Pour ce qui est des passages de saint Augustin que l'Anonyme cite contre nous, prétendant faire voir que ce Père n'a fait aucun cas de la preuve tirée des miracles1, j'ai déjà remarqué qu'il avait à faire aux donatistes qui ne cessaient de se vanter de beaucoup de miracles et de visions, et qui en abusaient pour se rassurer dans leur schisme. Saint Augustin ne jugeant pas à propos d'entreprendre la discussion de leurs miracles, crut devoir les attaquer par d'autres endroits plus efficaces par rapport à eux. Vous comprenez assez, Monsieur, que nous ne sommes pas dans le même cas. MM. les protestants ne se vantent pas d'avoir des miracles à produire contre l'Invocation des Saints, comme nous en produisons pour faire voir que Dieu s'est plu à l'autoriser. Quand sur ce sujet ils se croiront aussi forts en miracles que nous, alors nous penserons aussi à changer de méthode.
Du reste bien loin que saint Augustin ait cru devoir rejeter la preuve que nous tirons des miracles, il enseigne positivement que les hérétiques ont été condamnés et par l'autorité des conciles et par la grandeur des miracles. Ses paroles sont trop remarquables pour ne pas les rapporter ici tout entières. « Hésiterons-nous, dit-il, à nous renfermer dans le sein de cette Église, qui de l'aveu du genre humain a reçu du siège apostolique le comble de l'autorité par la succession des évêques malgré les aboiements des hérétiques, condamnés en partie par le sentiment du peuple, en partie par le poids des conciles, en partie aussi par la grandeur des MIRACLES ? Car refuser de se soumettre à cette autorité, ce ne peut être que l'effet d'une impiété sans bornes, ou d'une arrogance sans jugement2. » Que l'Anonyme médite bien ces paroles, et qu'il voie s'il y trouvera son apologie.
S'il désire en voir davantage sur le sujet des miracles, qu'il lise les savantes Lettres dogmatiques d'un théologien jésuite, écrites de Lyon à M. Turretin, ministre et professeur de Genève ; il y trouvera cette matière traitée avec beaucoup d'ordre, de netteté et de solidité. M. Turretin, quoique fortement sollicité d'y répondre, a cru devoir s'en tenir au parti du silence, comme à celui qui lui a paru le plus sage pour lui.
Je ne sais, Monsieur, si je me flatte ; mais il me paraît que j'en ai bien assez dit pour réfuter les cinq prétentions de l'Anonyme qui font toute la substance de son libelle. Il me paraît encore que j'ai plus de droit que jamais d'insister sur cette proposition avancée par moi, que l'Invocation des Saints n'est pas moins autorisée que l'Écriture sainte elle-même. « Car enfin, disais-je, qu'est-ce qui nous oblige à reconnaître les quatre Évangiles et les autres livres du Nouveau Testament comme des livres divins et canoniques, si ce n'est la tradition constante de l'Église, le consentement de toutes les nations chrétiennes à les recevoir pour telles, l'autorité de l'Église qui nous les garantit comme dictés par le Saint-Esprit, et plusieurs grands miracles qui ont été faits pour en attester la céleste origine ? Or toutes ces preuves ne concourent-elles pas également à prouver l'utilité de l'Invocation des Saints1 ? »
L'Anonyme a beau nous dire que « la tradition de l’Église la plus reculée soutient la Bible2 ». N'ai-je pas démontré qu'il en était de même par rapport à l'Invocation des Saints ? Quelle plus forte preuve peut-on désirer sur ce sujet, que la persuasion où ont été tous les Pères du quatrième et du cinquième siècle de l'ancienneté de cet usage ? y en a-t il un seul qui n'ait été persuadé que pour en trouver l'origine il fallait remonter jusqu'au temps des Apôtres ?
D'ailleurs il y a plusieurs écrits du Nouveau Testament, comme la seconde épître de saint Pierre, la seconde et la troisième de saint Jean, celles de saint Jacques et de saint Jude, l'Apocalypse enfin, qui au rapport d'Eusèbe n'étaient pas universellement reçus au quatrième siècle ; il se trouve même plusieurs témoignages qui leur sont positivement contraires3. Ainsi le moins que nous puissions prétendre, est que la tradition qui autorise l'Invocation des Saints n'est pas moins ancienne que celle qui garantit plusieurs livres saints reçus de MM. les protestants.
L'Anonyme ajoute que « la Bible n'a pas même besoin des preuves de sa divinité, ab extrà, étant soutenue des caractères intérieurs et inébranlables qui la prouvent4. »
Je lui demande si saint Augustin n'avait pas d'aussi bons yeux que lui pour découvrir ces caractères intérieurs et inébranlables ? ce Père n'hésite pas néanmoins à déclarer qu'il « ne croirait pas à l'Évangile, s'il n'y était déterminé par l'autorité de l'Église5. » Qu'il me soit permis de déférer autant à cette autorité, lorsqu'il s'agit de croire l'utilité de l'Invocation des Saints, que saint Augustin y déférait lorsqu'il s'agissait de croire la divinité des livres du Nouveau Testament. C'est à cette occasion que je disais au magistrat protestant : « N'y a-t-il pas lieu de s'étonner que vous insistiez si fort à nous demander des preuves tirées de l'Écriture sainte, tandis que vous nous voyez si bien munis de celles dont la force concilie à l'Écriture même toute votre déférence et tous vos respects6 ? »
Mais, Monsieur, il est temps de penser à finir ; je le ferai en vous priant de suggérer encore à ces messieurs, qui font l'objet de votre zèle, quelques courtes réflexions sur la nature et la qualité de l'ouvrage anonyme ; elles me paraissent bien propres à effacer toutes les impressions que cet écrit peut avoir fait sur eux.
Faites-leur remarquer en premier lieu, qu'en tout ce qui a été dit de part et d'autre, l'Anonyme et moi avons fait chacun un personnage fort différent. De ma part je me suis porté pour défenseur de l'Église, n'ayant eu en vue que de justifier ce corps si respectable, continué sans interruption depuis le temps des Apôtres et toujours gouverné par leurs successeurs légitimes ; et lui de son côté n'a pensé qu'à s'élever contre ce corps, à le critiquer et à le blâmer ; enfant rebelle qui n'a pas craint de plaider contre sa mère ; citoyen révolté, qui cherche des prétextes à quelque prix que ce soit, pour donner quelque couleur de justice à sa révolte.
Quand donc, à considérer le fond de la chose, les raisons seraient à peu près égales de part et d'autre, les présomptions ne doivent-elles pas être pour l'Église qu'on attaque, et l'autorité légitime ne doit-elle pas l'emporter sur ce raffinement de critique qui nous vient de la part de ceux qui ont quitté l'ordre et la soumission ?
De l'aveu même des protestants, l'Église universelle ne peut ni pratiquer, ni enseigner aucune erreur préjudiciable au salut. Or Luther convient qu'avant lui l'Église universelle pratiquait l'Invocation des Saints ; car il atteste que c'était l'usage de toute la chrétienté1, qui bien sûrement renferme l'Église universelle, quelque notion qu'on puisse en donner ; donc l'Invocation des Saints ne peut être préjudiciable au salut. L'Anonyme n'a eu garde de toucher à cet argument, quoiqu'il eût une occasion très naturelle de le faire2. C'est qu'il y a des armes si meurtrières, qu'on craint de les manier.
Faites-leur remarquer en second lieu, que l'Anonyme a fort mal choisi son sujet. De douze Lettres que j'ai données au public, il s'est avisé de n'attaquer que la dixième, qui traite de l'Invocation des Saints. Est-ce donc là le point capital et celui sur lequel roulent nos plus grandes disputes ? que ne s'attachait-il à quelque article plus décisif ? Par exemple, n'eût-il pas beaucoup mieux fait d'essayer à faire voir que lui et ses confrères ne sont pas séparés de la véritable Église de Jésus-Christ, et que c'est à tort que je leur ai reproché de s'être précipités dans un schisme damnable ? qu'on ne peut dire avec vérité que leur foi n'est qu'une foi purement humaine et dépendante d'un choix capricieux de quelque sens de l'Écriture, lorsqu'il s'en présente plusieurs dans les passages qui font le sujet de la contestation ; que dans ces occurrences le luthérien a, pour bien entendre ces passages, des sûretés que le calviniste, l'anabaptiste et le socinien n'ont pas ? N'eût-il pas été beaucoup plus digne de ses soins et de son travail, de prouver que c'est une pure calomnie d'imputer à Luther d'avoir enseigné des dogmes condamnés par l'antiquité, et insérés dans le catalogue des hérésies ; que Luther en préférant son jugement à celui du corps des pasteurs de l'Église, n'a pas mérité pour cela d'être regardé comme hérétique, et que ses sectateurs ne participent pas à la même qualité ; qu'il a été en son pouvoir d'établir une nouvelle ordination, dont on n'avait jamais ouï parler jusque-là, et que, quoique les ministres ne reçoivent l'imposition des mains d'aucun évêque ayant caractère, ils ne laissent pas d'avoir un véritable pouvoir d'absoudre et de consacrer ?
Ce sont là des articles sur lesquels il convenait à l'Anonyme de rassurer l'esprit des siens. Je sais que plusieurs, après avoir lu ce qui a été dit sur ces importants sujets, en ont été très fortement ébranlés, et que Dieu y donnant sa bénédiction, des personnes du premier rang se sont rendues à la force de la vérité. Que fait notre Anonyme pour venir au secours de sa religion si vivement attaquée ? il s'amuse à disputer sur l'Invocation des Saints, et soutient que demander les prières des amis de Dieu, qui sont au pied de son trône, a été un sujet suffisant et légitime pour se séparer de l'Église ; en est-il bien persuadé ? je n'en crois rien, Monsieur ; mais c'est qu'il s'agissait de ne pas rester tout à fait muet ; il avait de petits contes et de petites historiettes à dire ; faute d'un certain style vif, animé et propre à soutenir l'attention du lecteur, il à cru pouvoir y suppléer par ces sortes de sornettes. Voilà ce qui a déterminé notre Schaffousien à parler de l'Invocation des Saints plutôt que des autres articles, et c'est justement ce qui a fait tomber son écrit dans le mépris, les gens d'esprit n'ayant pu goûter qu'il se soit jeté si fort à quartier, en se faisant une étude de ne repaître son lecteur que de fariboles.
Pour troisième réflexion, dites-leur, s'il vous plaît, que l'auteur de la réponse s'est si fort défié de son ouvrage, qu'il n'a pas osé y mettre son nom ; et c'est à ce sujet qu'un honnête homme de son parti disait très sensément ; Ou l'écrivain de Schaffouse avait quelque chose de bon à nous dire, et en ce cas il devait se nommer ; ou il n'avait rien de bon à nous dire, et en ce cas il devait se taire. Que s'est proposé l'Anonyme, si ce n'est de défendre sa religion ? or est-ce s'y prendre comme il faut que de n'oser paraître ? que de marquer de la défiance et de la timidité en entrant en lice, tandis que l'adversaire se montre à découvert et marche tête levée ? Il me traite partout d'anonyme : ne suis-je pas un anonyme d'une espèce bien particulière ? moi, dont le nom se trouve marqué jusqu'à six fois dans les deux tomes de mes Lettres, deux fois au commencement de chacun et une fois à la fin1 ? Vous m'avouerez, Monsieur, que le parti du silence eût fait dans cette occasion beaucoup moins de tort et de déshonneur à la cause de MM. les protestants, qu'une défense si timide et si précautionnée.
Mais c'est que notre docteur, incertain du succès de sa pièce, n'a pas cru devoir s'exposer à encourir le blâme d'avoir mal réussi ; en quoi il a fait beaucoup plus prudemment pour lui, qu'il n'a fait honorablement pour sa religion. C'est encore qu'il a voulu se conserver la liberté du style ordinaire aux ministres d'Allemagne, qui est d'outrager, de mordre et de déchirer ; autre endroit par lequel il a souverainement déplu aux honnêtes gens, même à ceux de son parti qui n'ont vu qu'avec peine que leur champion ayant à répondre à des lettres écrites avec tous les ménagements possibles, ait gardé si peu de mesure avec son adversaire. C'est mal soutenir la qualité d'évangélique, qu'on se donne si gratuitement, que de répondre d'une manière dure, aigre et désobligeante à celui qui, de l'aveu même des protestants, a gardé dans ses ouvrages toutes les règles de la modération et de la charité chrétienne. Si dans cet écrit il se trouve quelques traits un peu plus vifs, l'Anonyme ne peut ignorer le droit de la réplique. D'ailleurs un inconnu étant hors de la portée du trait et ne pouvant être blessé, il aurait tort de se plaindre de ce qu'on ne l'a pas assez ménagé.
Mais, Monsieur, n'en voilà que trop et sur le fond de l'écrit anonyme et sur la manière dont il a été donné au public. Je finis en vous priant d'excuser mes longueurs. J'en ai dit beaucoup plus que je n'avais projeté d'en dire, et peut-être beaucoup plus que vous ne désiriez en voir sur ce sujet ; comme c'est vous qui m'ayez engagé à écrire, aussi me crois-je en droit de m'attendre à quelque indulgence de votre part. Quelque ample néanmoins que soit cet écrit, il s'en faut bien que j'aie relevé dans celui de l'Anonyme tout ce qui le méritait. L'auteur donne prise partout, et mon embarras n'a pas été de trouver de quoi réfuter, mais de choisir entre ce qui le méritait le plus.
Ainsi, Monsieur, c'est avec beaucoup plus de raison que vous ne le pensez, qu'il s'est servi de cette expression si mignonne et si polie, en disant à la fin de son ouvrage que « j'en avais tout mon soul. » Oui, j'ai été véritablement fatigué par cette multitude de choses à reprendre ; d'un côté la crainte de donner à mon écrit une étendue démesurée, et de l'autre le chagrin de passer tant de choses qui méritaient correction, n'ont cessé de m'inquiéter pendant tout le temps que j'ai travaillé à ma réplique ; je vous avoue que ç'a été souvent jusqu'à me lasser et à me donner une espèce de dégoût. C'est dans ce sens que l'Anonyme m'en a donné véritablement « tout mon soul. »
Du reste, Monsieur, vous devez me savoir quelque gré de la complaisance que j'ai eue pour vous, en réfutant un écrit qui me paraissait en mériter si peu la peine. Car pour vous satisfaire, il m'en a coûté du temps, que j'ai été obligé de dérober à d'autres occupations, peut-être plus utiles et plus pressantes que celle-ci. Si jamais vous y revenez pour pareil sujet, vous êtes condamné par avance aux frais de l'impression ; car qui peut s'intéresser à la réfutation de ces sortes d'écrits, qui sont sans nom et sans réputation ? J'ai l'honneur d'être avec tout le respect et tout l'attachement que vous me savez,
MONSIEUR,
Votre très humble et très obeïssant serviteur,
JEAN-JACQUES SCHEFFMACHER, jésuite,
L'auteur des douze Lettres.
P. S. Je me crois très dispensé de suivre l'Anonyme dans toutes les excursions qu'il fait après avoir fini son écrit contre l'Invocation des Saints. Quand il lui prendra envie d'attaquer quelque autre Lettre dans les formes, s'il se nomme et qu'il écrive avec plus de politesse, Dieu aidant, je lui en rendrai aussi bon compte que je pense l'avoir fait de celle qu'il a attaquée.
Je m'aperçois que je n'ai rien dit de sainte Aurèle ; serait-elle donc une Sainte imaginaire, comme le prétend l'Anonyme pour avoir lieu de disculper son Bucer ? Le Martyrologe universel, imprimé à Paris en 1709 nous la donne pour une sainte vierge du onzième siècle, décédée en 10271. Ainsi elle ne peut être une des onze mille vierges compagnes de sainte Ursule. D'une circonstance fabuleuse insérée dans sa légende, il n'est pas juste de conclure qu'elle n'exista jamais. La persuasion des peuples de sa sainteté, le jour marqué pour célébrer sa mémoire, son corps conservé comme un gage précieux, des églises bâties sous son nom ; sont des preuves très certaines de la réalité des vertus qui l'ont fait mettre au catalogue des Saints ; surtout s'il n'y a aucune raison légitime, comme il n'y en a point ici, qui puisse faire révoquer cette réalité en doute. Il n'y a jamais eu que des idolâtres, des juifs, des mahométans, ou des hérétiques capables dans leur fureur de brûler des corps qui depuis plusieurs siècles faisaient l'objet de la vénération publique. Il convenait à un moine apostat, mari incestueux d'une religieuse dévoilée, concubinaire sacrilège qui, après la mort de sa moinesse, entretint encore consécutivement deux autres femmes contre toutes les lois divines et humaines ; il convenait, dis-je, à un homme de cette espèce de se joindre à eux. Car, n'en déplaise à notre Anonyme, c'est là l'idée constante qu'on a eue depuis quinze et seize siècles de tous ceux qui jusqu'au temps de Bucer avaient donné dans les mêmes excès que lui ; ce ne sera ni par complaisance pour notre Anonyme, ni par déférence à ses beaux principes que nous changerons d'idée. En tout cas il ne disconviendra pas que des réformateurs à tel coin ne soient des Saints d'une espèce bien nouvelle et bien particulière ; il prétend que Bucer a signalé son zèle et sa piété en faisant brûler les reliques de sainte Aurèle ; telles actions de piété et de zèle étaient dignes d'un tel Saint, et le panégyriste de telles actions méritait d'être le critique et le censeur de l'Invocation des Saints. Dieu a puni visiblement le premier par un châtiment qui a été une espèce de représaille pour venger l'injure faite à la Sainte. Que le second se hâte de se mettre à couvert de la vengeance divine, dont il n'a pas peu à craindre à son tour, après avoir outragé les Saints de plus d'une façon.
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Par M. Vicaire, curé de Caen
QUOIQUE le poids des années m'avertisse que je ne suis plus en état de travailler avec la même assiduité que je l'ai fait ci-devant, je ne saurais cependant vous perdre de vue, mes chers paroissiens : j'ai trop à cœur votre salut pour ne pas faire, jusqu'à la fin de mes jours, tous mes efforts, pour vous ramener dans le sein de cette Église qui vous a engendrés à Jésus-Christ sur les fonts baptismaux, et hors de laquelle, pour me servir des termes de votre Catéchisme, au dimanche 16°, « il n'y a que damnation et mort. »
Je vous ai déjà exposé les sentiments de cette Église, interprète infaillible des oracles divins, sur quelques-unes des principales questions qui nous divisent ; en voici encore une qui mérite toute votre attention ; c'est celle des Indulgences : question qui a été la première pierre d'achoppement de Luther, et qui a commencé sa séparation d'avec l'Église romaine. D'abord il n'attaqua que l'abus des Indulgences, introduit par certains religieux qui avaient commission de les publier. S'il en était demeuré là, on aurait pu se persuader que c'était le zèle qui l'animait dans ses prédications et ses discours ; mais trop vif et trop entreprenant pour se contenir dans de si justes bornes, peu de temps après, il s'éleva ouvertement contre le fond du dogme : donner à l'Église le pouvoir d'accorder des Indulgences, c'est, selon lui, regarder les satisfactions de Jésus-Christ comme insuffisantes ; c'est avoir plus de confiance aux mérites des Saints, qu'aux mérites et aux satisfactions de Jésus-Christ ; c'est faire dépendre des Saints, et conséquemment de la créature, la justification du pécheur ; c'est anéantir l'esprit de pénitence et de mortification.
Tel est le précis de la doctrine de Luther : telle est pareillement celle de Calvin ; et c'est de ces deux chefs de votre prétendue réforme que vos ministres ont emprunté les discours et les calomnies qu'ils vous débitent sans cesse au sujet des Indulgences, et contre ceux qui en prennent la défense. Voilà ce qui vous prévient si fort contre ce dogme de foi et contre nous ; je vous plains en cela encore plus que je ne vous blâme. Vous croyez à l'aveugle tout ce que vous disent vos ministres. Vous ne connaissez la doctrine catholique que par leurs écrits, et vous l'envisagez sous les couleurs qu'ils lui prêtent.
Si ce qu'ils vous avancent d'un ton si assuré était vrai, c'est-à-dire, si en admettant les Indulgences, on était obligé d'avouer les conséquences qu'ils nous imputent malicieusement, vous auriez grande raison de vous récrier contre nous ; mais s'il est constant, et si l'on vous montre clairement qu'elles n'ont jamais été avouées des catholiques, et qu'elles ne sont nullement une suite de leurs sentiments au sujet des Indulgences, ne serez-vous pas forcés de convenir avec nous qu'il est bien triste pour vous d'avoir aveuglément donné votre confiance à des maîtres qui ont si peu de droiture, et qui n'épargnent ni le mensonge ni la calomnie pour attaquer les dogmes de foi, et pour grossir le nombre de leurs partisans.
C'est ce dont je me flatte de vous convaincre, Messieurs, en vous exposant premièrement le véritable état de la question ; secondement, en prouvant solidement le pouvoir qu'a l'Église d'accorder des Indulgences ; troisièmement, en faisant voir quel est le trésor de l'Église, en vertu duquel s'accordent les Indulgences ; quatrièmement, en répondant aux objections que vos ministres ont coutume de proposer contre ce dogme de notre foi.
Dans tous ces articles, je vous exposerai nettement et sans déguisement la doctrine catholique au sujet des Indulgences, et vous verrez que nous sommes bien éloignés d'admettre les conséquences et les sentiments que vos ministres ont l'audace de nous imputer dans le dernier article, surtout, vous remarquerez qu'ils n'ont que des mensonges et des calomnies à nous opposer.
Je suis encore bien aise de vous avertir que je n'entrerai point dans les questions que l'Église a abandonnées à la dispute des écoles, et sur lesquelles chacun est libre de prendre le parti qui lui paraît le plus vrai. Je m'attacherai uniquement au dogme et aux questions qui intéressent essentiellement la véritable croyance : il est juste, comme dit l'Apôtre, de captiver son entendement sous le joug de la foi ; mais sur les questions qui ne l'attaquent point, il faut, comme dit encore le même Apôtre, laisser chacun abonder dans son sens.
Pour procéder avec l'ordre et la précision convenables, il faut d'abord se rappeler certaines notions et certains principes nécessaires pour l'intelligence de la question présente.
Qu'entend-on par la coulpe du péché ? On entend la tache dont l'âme est souillée par le péché : tache qui la rend odieuse à Dieu, et digne des peines éternelles de l'enfer, si le péché est mortel, mais digne seulement de peines temporelles, s'il n'est que véniel, sans néanmoins lui faire perdre entièrement la grâce.
Que la coulpe du péché étant remise, la peine éternelle le soit aussi, c'est une vérité dont tout le monde convient ; dès là en effet que la coulpe est remise, la tache dont l'âme était souillée, et qui la rendait odieuse à Dieu, et digne des peines éternelles de l'enfer, est effacée, et le pécheur est réconcilié avec Dieu, et cesse conséquemment de mériter les peines éternelles que méritait sa faute.
Mais qu'après la coulpe du péché mortel remise, ou qu'après un péché véniel, il puisse encore rester, et il reste en effet souvent certaine peine temporelle à subir, soit en cette vie, soit en l'autre, pour satisfaire à la justice divine, c'est une autre vérité dont on ne convient pas dans votre prétendue réforme, l'Écriture sainte y est pourtant si formelle, qu'on ne peut la révoquer en doute.
Dans le livre des Nombres, chapitre 14, nous lisons que les Israélites offensèrent grièvement le Seigneur, en murmurant contre Moïse et Aaron, et en voulant se choisir un autre chef pour retourner en Égypte : Dieu, tout irrité qu'il était, se laissa néanmoins fléchir à la prière de Moïse et d'Aaron, et pardonna aux Israélites ; mais il fallut que tous les coupables, en punition de leur crime, fussent privés d'entrer dans la Terre promise, après laquelle ils soupiraient depuis si longtemps, et avec tant d'ardeur1. Dans le même livre des Nombres, nous voyons encore que Moïse n'eut pas toute la confiance qu'il devait avoir en Dieu, lorsqu'il frappa deux fois, avec sa verge, le rocher dans le désert : Dieu lui pardonna son péché, quant à la coulpe ; mais pour satisfaire à la justice divine, il vit la Terre promise : il y conduisit le peuple d'Israël jusqu'à l'entrée ; mais il n'eut point la consolation d'y entrer, et de voir par lui-même le succès de cette grande entreprise qui lui avait coûté tant de veilles, de fatigues et de prières1.
Vous-mêmes, Messieurs, vous n'ignorez pas que Dieu remit à David son péché, qu'il l'en assura par la bouche du prophète Nathan2 ; mais ce même prophète lui déclara que, pour expier sa faute, et réparer le scandale qu'il avait donné, il aurait de rudes traverses à essuyer, et entre autres la douleur de se voir enlever, par la mort, l'enfant qui avait été le fruit de son crime, et qu'il chérissait tendrement3.
Vous savez encore ce qui est rapporté au sujet de ce saint roi, chapitre 24 du second livre des Rois : il fit faire, par ostentation et avec une vaine complaisance, le dénombrement de tous ses sujets ; et en cela il commit un grand péché4. Grâce à la divine miséricorde, il reconnaît sa faute, il s'humilie devant le Seigneur, il lui demande miséricorde ; Dieu lui accorde son pardon : son péché est remis quant à la coulpe et à la peine éternelle ; mais il lui fallut subir la peine temporelle due à la justice divine, à cause de son péché : il eut le chagrin de voir son royaume attaqué de la peste, et soixante-dix mille de ses sujets enlevés en trois jours par ce terrible fléau.
L'Écriture sainte nous apprend donc que souvent, après le péché remis quant à la coulpe et à la peine éternelle, le pénitent n'est pas entièrement quitte, et qu'il doit encore satisfaire à la justice divine : c'est une dette qu'il lui faut nécessairement acquitter, soit de son vivant, par de dignes fruits de pénitence, soit après la mort, par les peines du purgatoire. Voilà ce que l'on entend par la peine temporelle due à la justice divine, pour les péchés déjà remis quant à la coulpe et à la peine éternelle.
Ce n'est point en vertu des Indulgences que la rémission de la coulpe et de la peine éternelle s'accorde : c'est en vertu du sacrement de Pénitence, ou d'une contrition parfaite qui emporte avec elle le vœu de recourir au plus tôt à ce Sacrement ; en voulez-vous savoir la raison ? la voici : c'est que l'Indulgence suppose le péché remis quant à la coulpe, par le sacrement de Pénitence, ou par la contrition parfaite, et elle n'a pour objet que la rémission de la peine temporelle, qui après le péché remis quant à la coulpe, est encore à subir, pour satisfaire pleinement à la justice divine.
Il faut encore observer que le sacrement de Baptême remet non seulement la coulpe, mais encore toute la peine temporelle pour les péchés commis avant la réception de ce sacrement ; de sorte qu'après l'avoir reçu, il ne reste rien à payer à la justice divine. Sur cet article, nous sommes d'accord vous et nous, et il serait inutile de nous y arrêter davantage.
Il n'en est pas de même à l'égard du sacrement de Pénitence : ce sacrement, il est vrai, remet le péché quant à la coulpe et à la peine éternelle : il remet aussi une partie de la peine temporelle, suivant les dispositions du pénitent : il peut même arriver que la contrition du pénitent soit si parfaite, qu'il reçoive la rémission de toute la peine temporelle ; mais il faut avouer que cela est rare et bien douteux et de là vient que le ministre de ce sacrement impose toujours au pénitent certaines œuvres satisfactoires.
Vous demanderez peut-être pourquoi cette différence entre le sacrement de Baptême et celui de la Pénitence ; voici les raisons qu'en donne le saint concile de Trente : il est de la justice divine que ceux qui pèchent après avoir reçu le Baptême, ne soient pas reçus aussi favorablement, ni admis à la réconciliation avec autant de facilité que ceux qui ont péché avant le Baptême : ceux-ci lorsqu'ils ont péché, n'avaient point encore été éclairés des lumières de la foi ; ils étaient esclaves du péché et du démon ; ils n'avaient point reçu et goûté le Saint-Esprit ; ils n'étaient point encore enrôlés au service de Jésus-Christ : ceux-là au contraire ont été éclairés des lumières de la foi ; ils ont été affranchis de l'esclavage du péché ; ils ont reçu et goûté le Saint-Esprit ; ils ont été enrôlés au service de Jésus-Christ ; et en péchant, ils violent le Temple de Dieu : ils contristent le Saint-Esprit ; toutes circonstances qui les rendent plus inexcusables, et exigent qu'ils ne soient pas admis à la grâce de la justification avec la même facilité que les autres qui n'ont pas eu les mêmes avantages. Il est même de la bonté de Dieu, qu'on n'use point à leur égard de la même indulgence, et que leurs fautes ne soient point pardonnées sans œuvres satisfactoires ; sans cela, souvent le pécheur n'aurait pas la juste idée qu'il doit avoir du péché, il ne le craindrait pas assez, et il y retomberait avec trop de facilité. Les œuvres satisfactoires sont un frein qui arrête le pénitent, qui crucifiant la chair, l'empêche de se révolter contre l'esprit, et qui déracine les mauvaises habitudes : il est donc, je le répète, de la justice et de la bonté de Dieu, que les péchés commis après avoir reçu le Baptême, ne soient point pardonnés avec la même facilité que ceux qui ont été commis auparavant ; et conséquemment, quoique la peine, même temporelle, soit toujours remise en vertu du Baptême, il ne convient pas qu'elle le soit également en vertu du sacrement de Pénitence.
Mais quelle est l'étendue de la peine temporelle due à la justice divine pour le péché ? C'est un secret réservé à la connaissance de Dieu, qu'il ne nous est pas donné de sonder1. Cependant pour nous en former quelque idée, jugeons-en par la manière dont Dieu a puni les péchés de Moïse et de David, même après les avoir pardonnés quant à la coulpe ; je vous en ai fait l'exposé ci-devant. Jugeons-en par la pénitence de l'incestueux de Corinthe ; pénitence si rigoureuse, que saint Paul craint que le coupable ne puisse point en soutenir le poids2. Jugeons-en enfin par les peines canoniques décernées par l'Église des premiers siècles contre ceux qui étaient coupables de certains crimes énormes et scandaleux ; des cinq, des sept, des dix années passées dans les exercices pénibles d'une pénitence austère et publique, suffisaient à peine pour satisfaire à la justice divine, quand on s'en était souillé.
De là il est aisé de conclure combien longue et rigoureuse doit être la pénitence de ceux surtout qui sont tombés dans de grands crimes, et qui y sont tombés souvent ; c'est alors que l'on a bien besoin de la grâce de l'Indulgence : de nous-mêmes trop lâches et trop faibles pour embrasser généreusement et soutenir constamment la rigueur des pénitences qu'exigerait de nous le nombre et la qualité des péchés, que ferons-nous, et à qui aurons-nous recours? l'Église que Jésus-Christ a fait dépositaire des trésors de la divine miséricorde, vient à notre secours : cette bonne mère compatissante à nos faiblesses et à nos besoins, ainsi que saint Paul aux besoins de l'incestueux de Corinthe, nous aide par le moyen de l'Indulgence, à acquitter nos dettes envers Dieu ; comment cela ? Le voici : l'Église, en vertu du pouvoir des clefs qu'elle a reçues de Jésus-Christ, son divin époux, ouvre en notre faveur le trésor des satisfactions de Jésus-Christ et des Saints, mais surtout celui des satisfactions de Jésus-Christ ; elle nous en fait l'application à certaines conditions, et pour les causes justes et utiles au bien de l'Église et des fidèles par ce moyen, les satisfactions de Jésus-Christ nous étant ainsi appliquées, et offertes à Dieu pour suppléer à notre impuissance et à notre faiblesse, Dieu, de son côté, riche en miséricorde, qui a promis de délier dans le ciel ce que l'Église déliera sur la terre, daigne accepter l'offrande qui lui en est faite, et nous remet, en tout ou en partie, la peine temporelle qu'il nous aurait fallu subir pour satisfaire à sa justice.
L'Indulgence est donc une remise, ou une relaxation de la peine temporelle due à la justice divine ; pour l'expiation des péchés déjà remis quant à la coulpe et à la peine éternelle. Remise et relaxation qui se fait et s'accorde en vertu des satisfactions surabondantes de Jésus-Christ et des Saints, dont l'Église nous fait l'application, et que nous offrons au Père des miséricordes pour suppléer à notre impuissance.
Voilà, Messieurs, un précis et un exposé fidèle de la doctrine catholique sur les Indulgences : il s'agit maintenant de l'établir par des preuves solides, et auxquelles vous ne puissiez vous refuser. C'est ce que, Dieu aidant, j'espère faire dans l'article suivant.
Ouvrons les livres saints. Vos ministres vous disent que l'on ne peut y rien trouver qui appuie ou qui favorise la doctrine catholique sur les Indulgences. C'est vous-mêmes, Messieurs, que je veux pour juges de cette allégation.
Jésus-Christ, au seizième chapitre de saint Matthieu, parlant à saint Pierre, lui dit : Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux1. En saint Matthieu, chapitre 18, ce divin Maître adressant la parole à tous les apôtres, leur dit : En vérité je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel ; et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le ciel2. Remarquez, Messieurs, ces termes de Jésus-Christ : Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Il ne dit pas seulement, comme en saint Jean, chapitre 20 : Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez3, paroles que l'on pourrait peut-être restreindre au seul pouvoir de remettre les péchés quant à la coulpe ; mais il dit : Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel : proposition universelle qui exclut toute restriction : proposition, par conséquent, qui exprime un pouvoir absolu de briser tous les liens dont un pécheur peut être lié sur la terre, de quelque nature qu'ils puissent être. Qui dit tout, n'excepte rien. Or, il est certain que le pécheur est non-seulement lié par la coulpe du péché qui le rend l'objet de la haine du Seigneur, et digne des peines éternelles de l'enfer, mais qu'après même la rémission de son péché par le sacrement de Pénitence, ou la contrition parfaite, il reste souvent encore lié envers Dieu ; c'est-à-dire, obligé d'expier et de venger par les travaux pénibles de la pénitence, l'outrage fait à la divine majesté par le péché dont il a reçu l’absolution et la rémission. Je vous l'ai prouvé ci-devant : l'Église a donc reçu de Jésus-Christ le pouvoir de délier le pénitent de cette obligation pour des causes justes et légitimes : et c'est là précisément ce que l'on appelle indulgence. Je ne me persuade pas, que vous croyiez vos ministres assez dépourvus de bon sens pour ne pas sentir la justesse et la solidité de ce raisonnement. Ce serait une ignorance trop grossière ; mais s'ils l'ont sentie, que penser de cet opiniâtre refus qu'ils font d'en convenir. Car ce n'est pas assez de garder un profond silence sur cet argument tiré des paroles mêmes de Jésus-Christ, comme ont fait Calvin et Dumoulin, en parlant des Indulgences ; il faut y fournir une réponse solide, ou si on ne le peut, la bonne foi exige qu'on en fasse ingénument l'aveu. Confirmons ce raisonnement, en faisant voir que les Apôtres eux-mêmes ont usé de leur pouvoir, et donné aux siècles postérieurs l'exemple d'accorder en certaines occasions des Indulgences.
Voici ce que nous apprennent les Épîtres de saint Paul aux Corinthiens. Dans la première, chapitre 5, nous lisons que ce grand Apôtre, zélé pour la gloire de Dieu et le salut des âmes qu'il avaient gagnées à Jésus-Christ dans la ville de Corinthe, crut devoir venger l'outrage fait à Dieu et à l'Église par le crime d'un incestueux de cette ville. Il le condamna à une pénitence très rigoureuse, et propre à inspirer une sainte horreur pour de pareils désordres. Il le livra à Satan, et il lui enjoignit d'expier par une rude pénitence la grandeur de sa faute1. Dans sa seconde épître, chapitre 2, nous voyons que cet incestueux s'étant humblement soumis à la pénitence qui lui avait été imposée, les Corinthiens, édifiés de son exactitude à faire ce que l'Apôtre lui avait prescrit, furent touchés de commisération et intercédèrent en sa faveur. Saint Paul lui-même, attendri par la ferveur de ce pénitent, se laisse fléchir : il lui fait grâce, comme un bon père à son enfant ; Il abrège le temps de sa pénitence, et le dispense d'une partie des œuvres satisfactoires qui lui avaient été enjointes. Il exhorte même les Corinthiens à le soutenir par des paroles de consolation et à user de charité à son égard2.
Ne voyez-vous pas, Messieurs, l'exercice du pouvoir de lier et de délier, clairement marqué dans la conduite qu'à tenue le Docteur des nations à l'égard de l'incestueux de Corinthe. En punition de son crime, il le livre à Satan, et lui impose une pénitence proportionnée à l'énormité de son crime. Judicavi.... tradere hujusmodi Satanæ in interitum carnis. Voilà le pouvoir de lier. Le même saint Paul, à la prière des Corinthiens, et touché lui-même de l'humilité de ce Corinthien pénitent, abrège et termine le temps de sa pénitence. Voilà le pouvoir de délier, ou, ce qui est la même chose, l'Indulgence qui lui est accordée. Sufficit illi qui hujusmodi est, objurgatio hæc quæ fit à pluribus. Et ne dites pas que le coupable avait fait une pénitence suffisante et proportionnée à l'énormité de son crime. « Ce n'est pas (dit saint Chrysostôme) qu'il méritât cette grâce, et qu'il 'eût fait une pénitence telle qu'il convenait ; mais c'est que l'Apôtre avait égard à sa faiblesse ; » voilà pourquoi il en agit de la sorte ; il le prouve par les paroles qu'ajoute l'Apôtre, de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse1. Théophilacte s'exprime d'une manière non moins précise dans son commentaire sur la seconde épître de saint Paul aux Corinthiens. « Ce n'est pas sans raison, dit-il, que l'Apôtre se sert du terme de donner, c'est afin de faire entendre que s'il jugeait à propos qu'on dispensât le Corinthien d'une plus longue pénitence, c'était par grâce, et non pas que le coupable eût encore pleinement satisfait à la justice divine par sa pénitence2. »
Ne dites pas non plus que cette indulgence n'eut lieu que devant les hommes, et non devant Dieu. Saint Paul lui-même assure le contraire, en disant que c'est en la personne de Jésus-Christ, c'est-à-dire au nom, et comme ministre, et tenant la place de Jésus-Christ, qu'il a accordé cette indulgence. Si quid donavi propter vos in persond Christi. C'est en effet la conséquence qu'en ont tirée les Pères de l'Église, et nommément saint Chrysostôme et saint Pacien. « Par cet exemple, dit le premier, nous apprenons que la pénitence doit être modérée, non-seulement eu égard à la nature des péchés, mais encore à l'esprit et aux dispositions des pécheurs3. » Celui-ci, c'est-à-dire saint Pacien, dans son troisième livre contre les novatiens, fait la même réflexion. « Voyez, dit-il, comme l'Apôtre use d'indulgence, en mitigeant sa propre sentence. Voyez sa grande douceur, bien éloignée des vues et des sentiments outrés de Novatien, mais bien utile pour le bien et le salut de tous4. »
Voici un autre fait qui n'est pas, je l'avoue, de la même autorité que le précédent, parce qu'il n'est pas extrait de l'Écriture. Je ne crois pas cependant devoir le passer sous silence dans la présente question, parce qu'il n'y est pas étranger ; c'est le récit de ce que saint Jean l’Évangéliste fit pour convertir et ramener de ses égarements un jeune homme qu'il avait formé à la piété, et recommandé à l'évêque d’Éphèse. Ce jeune homme d'abord vertueux et attaché à tous les devoirs du christianisme, fut perverti par ses liaisons avec des libertins et des impies adonnés à toutes sortes de vices. Il se relâcha de sa première ferveur ; il passa ensuite tout à coup d'une extrémité à l'autre ; il se livra ouvertement aux derniers excès, jusqu'à se faire chef d'une bande de voleurs. Saint Jean informé et contristé du changement aussi subit qu'extraordinaire de ce jeune homme, s'informa ou il pourrait le trouver, et ayant appris qu'il s'était retiré sur une montagne, où il vivait avec une troupe brigands comme lui, il prit le parti, quoique accablé par le poids des années, d'aller le chercher dans ce lieu désert, et l'ayant joint, il lui représenta le malheureux état de sa conscience, et lui promit de le réconcilier avec Dieu. Ce jeune homme, frappé du zèle et de l'exhortation pathétique de l'homme de Dieu, rentre aussitôt en lui-même, pleure ses péchés, se remet sous la conduite de l'Apôtre, fait une pénitence rigoureuse, mais abrégée par cet Apôtre, qui ne le quitta point qu'il ne l'eût entièrement réconcilié avec l'Église ; réconciliation par conséquent qui ne put se faire en si peu de temps, qu'en vertu de l'indulgence qui lui fut accordée par saint Jean. Peut-être ne voudrez-vous pas ajouter foi à cette histoire ; vous la regarderez comme une fable, tant est grande votre prévention contre les Indulgences. C'est cependant le docte saint Clément d'Alexandrie qui la raconte, et qui la donne comme vraie et comme certaine dans un fragment de ses ouvrages, copié par Eusèbe de Césarée, dans le troisième livre de son Histoire ecclésiastique, chapitre 17.
Quoi qu'il en soit, vous voyez que le pouvoir donné à l'Église d'accorder des Indulgences, est formellement établi par Jésus-Christ, et autorisé par l'exemple de Apôtres surtout de saint Paul. J'ajoute que dans tous les temps, et même dans les premiers siècles, l'Église, s'est crue en droit, et a été dans l'usage d'en accorder pour de bonnes raisons. Droit et usage que l'Église, guidée, conduite et assistée par le Saint-Esprit, n'aurait pu ni s'arroger, ni approuver, ni tolérer, s'il eût été, comme osent le prétendre Calvin et vos ministres, injurieux à Jésus-Christ, et préjudiciable au salut des âmes.
Recueillons ce que nous apprennent les précieux monuments de l'antiquité la plus respectable. Nous y voyons que les fidèles qui avaient eu le malheur de succomber et de renoncer à la foi dans le temps de la persécution, et ceux qui étaient tombés dans certains crimes énormes et scandaleux, étaient privés de la participation aux saints mystères, et obligés de passer plusieurs années dans les pénibles exercices d'une pénitence austère et publique. Les coupables devenus pénitents, et désirant ardemment d'être réconciliés avec Dieu, et rétablis dans la participation des saints mystères, s'adressaient aux Martyrs, et les suppliaient d'intercéder en leur faveur. Les Martyrs émus de compassion pour eux, comme les Corinthiens pour l'incestueux de Corinthe, priaient les évêques de vouloir bien leur faire grâce, et abréger le temps de leur pénitence. Les évêques, de leur côté, ayant égard aux dispositions des pénitents, et à la prière des Martyrs, se rendaient, à l'exemple de saint Paul, indulgents, et faisaient grâce aux pénitents. Voilà en peu de mots quel était l'usage de la primitive Église. Vos ministres ne sauraient en disconvenir.
Qu'ils consultent Tertullien qui a vécu sur la fin du second siècle, avant qu'il ait donné dans les rêveries de Montan. Il leur attestera que « ceux qui n'avaient point la paix, avaient coutume de la demander, et de la solliciter par la médiation des Martyrs. Il regardait même cette pratique comme une religieuse coutume à laquelle il exhorte les Martyrs de se conformer1. »
Je ne dissimulerai pas que ce même Tertullien, dans un livre qu'il a intitulé De Pudicitiâ, a blâmé et tourné en ridicule cet usage. « C'est, dit-il, bien assez à un Martyr, de s'être lavé de ses propres péchés ; c'est être ingrat et superbe que de se croire en droit de communiquer à d'autres la grâce qu'il a eu bien de la peine à obtenir pour lui-même1. »
Mais il est à observer que quand il a composé ce livre, il était, comme je vous l'ai dit, imbu des erreurs de Montan ; et il n'est pas surprenant qu'alors, ne voulant pas accorder à l'Église le pouvoir de remettre les péchés, surtout lorsqu'ils étaient griefs, il lui ait pareillement refusé celui d'accorder des Indulgences : mais, par ce texte-là même, il paraît que, dès le second siècle, les Martyrs avaient l'usage de solliciter la grâce des pécheurs qui étaient dans les exercices de la pénitence publique, et que les évêques se plaisaient à les leur accorder en abrégeant le temps, et en remettant une partie de la pénitence qu'ils devaient faire, suivant les canons, pour satisfaire à la justice divine, ce qui était une vraie Indulgence.
Cet usage est encore confirmé par saint Cyprien, cet évêque de Carthage, aussi zélé pour la discipline qu’attaché à la foi. Parcourez ses ouvrages, et vous verrez que non seulement il en fait mention, mais encore qu'il décrit les attentions et les règles que les Martyrs et les confesseurs de la foi devaient observer quand ils voudraient demander grâce pour les pécheurs tombés dans le temps de la persécution. Il se plaint même de la trop grande facilité avec laquelle ils se prêtaient à leurs vœux et à leurs suppliques. « Je vous en conjure, (dit-il en parlant aux saints Confesseurs détenus dans les prisons) d'avoir toujours devant les yeux les maximes de l'Évangile, et de quelle manière en ont usé les Martyrs vos prédécesseurs, quelle a été leur exactitude en tout ; et vous, de votre côté, pesez avec soin et avec prudence les vœux et les demandes que l'on vous fera. Vous êtes les amis de Dieu, qui devez être juges avec lui : examinez les œuvres et les mérites de chacun, ainsi que le genre et la qualité des péchés, de peur que vous, de votre côté, promettant, et nous du notre, accordant ce qui ne serait pas convenable, les Gentils ne prennent de là occasion de blâmer l’Église2. » Je crois, (ajoute ce même Père, dans une autre lettre,) « qu'il faut aller au secours de nos frères, de telle sorte que si ceux qui ont reçu des lettres de recommandation, de la part des Martyrs, sont incommodés ou infirmes, il ne faut pas qu'ils attendent notre présence, mais qu'ils s'adressent à un prêtre, ou s'il n'y a point de prêtre, à un diacre, si le danger est pressant, devant lequel il puissent confesser leurs crimes, afin que l'imposition des mains leur ayant été faite, ils se présentent au Seigneur, avec la paix que les Martyrs, par leurs lettres à nous adressées, ont désiré qu'on leur accorde3. »
Une nouvelle preuve de ce trait de l'Histoire Ecclésiastique, est le témoignage des conciles célébrés dans les premiers siècles de l'Église. Celui d'Ancyre, tenu en 314, s'explique d'une manière bien nette, surtout dans le 22e canon ; après avoir fixé et déterminé le temps de la pénitence pour le crime de l'homicide, il ajoute : « C'est à l'évêque à régler ces sortes de pénitences, suivant la disposition du pénitent ; de sorte qu'ils puissent en prolonger le temps à ceux qui sont négligents, et l'abréger à ceux qui sont empressés de parvenir à la réconciliation1. » On voit pareillement, dans le concile de Carthage en 398, où se trouvèrent deux cents quatorze évêques, que ces prélats étaient en possession et dans l'usage de prolonger, ou d'abréger le temps de la pénitence, suivant les dispositions et l'état où se trouvaient les pénitents. Dans le 75° canon, il est porté : « Qu'il fallait retarder la réconciliation quand les pénitents étaient négligents2. » Dans le 76° canon, il est dit : « Que si celui qui dans sa maladie, demande pénitence, se trouve en danger prochain de mort, il faut le réconcilier par l'imposition des mains et lui administrer la sainte Eucharistie, et que s'il revient en santé, il doit être averti qu'on lui a accordé l'effet de sa demande, mais qu'il lui faut se soumettre aux lois de la pénitence, autant que le prêtre qui lui a accordé la pénitence le jugera à propos3. »
Peut-être n'aurez-vous pas tout le respect et la soumission due à ces conciles, quoique très anciens, sous prétexte que ce ne sont que des conciles provinciaux, qui attestent seulement l'usage de quelques Églises particulières ; mais du moins vous respecterez le concile de Nicée, concile œcuménique composé de plus de trois cents évêques, concile tenu en 325, et dont, par le cinquième article de votre confession de foi, vous reconnaissez l'autorité. Ce concile, après avoir fait divers règlements sur le temps et les peines canoniques que l'on devait imposer pour les grands crimes, conclut enfin par ces paroles : « Il sera cependant permis aux évêques d'en agir avec plus de douceur et d'indulgence à cet égard4. »
Je pourrais encore vous citer plusieurs conciles postérieurs ; mais comme dans votre réforme, on ne fait pas grand cas de ces autorités, quelque respectables qu'elles soient, je me borne à celles que je viens de vous exposer, et voici comme je raisonne. Par ces textes et ces monuments de l'antiquité la plus respectable, il est clair et évident que dès les premiers siècles de l'Église, les évêques ont été, pour de bonnes raisons, en droit et dans l'usage de remettre en tout, ou en partie, les peines temporelles enjointes pour expier certains crimes énormes et scandaleux. Voilà précisément ce que l'on appelle Indulgence. Cet usage n'est donc point une innovation, mais est un usage établi dès les premiers siècles, c'est-à-dire dès ces heureux temps où, selon vos ministres, la foi était dans toute sa pureté ; usage, par conséquent, auquel cette Église n'aurait certainement pas manqué de s'opposer de toutes ses forces, s'il eût été, comme le prétendent les apôtres de votre réforme, injurieux à Jésus-Christ, pernicieux aux fidèles, et propre à fomenter la tiédeur et la lâcheté des pénitents.
Enfin, Messieurs, il est un moyen sûr de connaître les dogmes de foi, et de les distinguer des opinions erronées et hérétiques. Les dogmes de foi ont cela de propre et de particulier, qu'on ne saurait en désigner les premiers auteurs, ni fixer l'époque de leur établissement, qu'en remontant jusqu'au temps des Apôtres ; au lieu que l'on connaît et que l'on désigne aisément les premiers auteurs et les commencements de chaque hérésie. Or, il n'est pas possible d'assigner l'époque, le commencement et les premiers auteurs de cet usage, qu'en remontant jusqu'au temps des Apôtres, et au contraire, il est facile de montrer quand on a commencé à s'élever et se récrier contre cet usage.
Vos ministres ne pourront jamais répondre à ce raisonnement. Kemnitius, disciple de Mélanchton, ennemi déclaré des Indulgences, avoue, dans son livre intitulé : Examen des Décrets du concile de Trente, quatrième partie, que « l'histoire n'est pas suffisamment exacte sur l'origine des Indulgences1. » Aveu bien remarquable, et qui fait voir l'impossibilité où il est de donner une réponse solide à notre raisonnement. Pressentant bien néanmoins de quelle importance serait un pareil aveu, il dit, quelques lignes après, que « l'usage des Indulgences n'a point commencé longtemps avant le treizième siècle2. » En quoi il se contredit visiblement ; car, en premier lieu, il dit que les vaudois ont attaqué l'usage et le pouvoir d'accorder des Indulgences3. Il faut donc qu'il avoue que cet usage a été antérieur au temps des vaudois, qui ont paru dans le onzième siècle. En second lieu, il est forcé de convenir que, par l'histoire, on apprend que « l'ancienne Église, eu égard au temps, aux circonstances et aux dispositions des pénitents, se relâchait souvent de la rigueur des canons, modérait et remettait les œuvres pénibles de leur pénitence4. » Tout ce qu'il a pu imaginer pour prévenir les conséquences funestes que naturellement on pouvait tirer de cet aveu contre sa cause : c'est qu'alors, dit-il, le terme d'Indulgence était inconnu5. Mais, qu'importe qu'on ne se soit pas servi du terme d'indulgence, puisqu'on s'est alors servi de termes qui signifient précisément la même chose, ainsi qu'il est facile de le voir par la définition des Indulgences, donnée à la fin du premier article de cette dissertation.
Calvin n'est pas moins embarrassé que Kemnitius sur ce sujet. On voit bien qu'il prétend, ou plutôt qu'il voudrait bien insinuer que le dogme des Indulgences est une innovation ; mais la manière vague et indéterminée dont il s'exprime, marque bien qu'il ne saurait en donner la preuve. Il ne dit ni en quel temps précisément, ni en quel lieu, ni par qui s'est fait cette innovation. Il se contente de dire, au cinquième chapitre de son troisième livre d'Institution, n. 5, « que cet usage a commencé quand on a transféré à Dieu les satisfactions, comme compensations et payements faits pour acquitter les hommes en son jugement. » Il ne faut qu'un peu de bon sens pour s'apercevoir que ce n'est pas là résoudre la difficulté ; car il reste à savoir et à fixer le temps auquel on les a offertes, comme compensations et payements faits pour acquitter les hommes au jugement de Dieu. Ceux de vos ministres, qui ont tenté de résoudre la question, ont échoué comme Kemnitius et Calvin. Les autres ne s'y sont pas hasardés, bien convaincus qu'ils ne s'en tireraient pas avec honneur, et qu'en effet on ne peut assigner l'époque et les premiers auteurs de l'usage des Indulgences, qu'en remontant jusqu'au temps des Apôtres et de Jésus-Christ, qui les y a autorisés, en leur disant : Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans les cieux. Matthieu.
Vous ne sauriez en dire autant de votre sentiment. Il est aisé d'en assigner l'époque et les premiers auteurs. Tertullien s'est récrié contre les Indulgences, j'en suis convenu ; mais ce n'a point été lorsque fidèlement attaché à l'Église, il en a été le zélé défenseur. Alors il convenait, ainsi que je vous l'ai prouvé ci-devant, que l'Église était dans l'usage d'accorder les Indulgences. Ce n'est qu'après qu'il eut embrassé les erreurs de Montan, qu'il changea de sentiment à cet égard. Que vous vouliez mettre à la tête de votre parti un partisan des extravagances de Montan, vous me permettrez de n'en rien croire. Quoi qu'il en soit, avant les vaudois, vous trouverez des théologiens et des Pères de l'Église, et nommément saint Cyprien, qui se sont récriés, même avec force et avec raison, contre l'abus des Indulgences, et la trop grande facilité qu'on avait à les accorder. l'Église elle-même, dans plusieurs conciles, a condamné cet abus. Mais, parmi ceux-là même, vous n'en trouverez aucun qui ait combattu la substance et le fond de ce dogme. Ceux qui s'en sont déclarés les ennemis, sont, en Dauphiné, dans le douzième siècle, Pierre Valdo, et les vaudois, ses disciples ; en Angleterre, Pierre Wiclef ; en Allemagne, Luther ; en France, Calvin et leurs partisans.
Jugez de là, Messieurs, quel est le sentiment qui mérite et qui doit être traité d'innovation. Est-ce celui des catholiques, dont on ne saurait assigner les premiers auteurs, qu'en remontant jusqu'au temps des Apôtres et de Jésus-Christ, ou celui de votre prétendue réforme, dont les vaudois sont les premiers auteurs ?
Comment concilier ce dogme des Indulgences avec cet autre principe de la morale, que le péché ne doit pas être impuni, et qu'il faut payer jusqu'à la dernière obole, avant que d'entrer dans le royaume des cieux ? Est-il possible que le pénitent, par le moyen de l'Indulgence, soit dispensé des peines temporelles, et que néanmoins la justice divine soit entièrement satisfaite ? Cette question mérite d'être exactement développée, et c'est ce que nous allons faire en traitant, dans l'article suivant, du trésor des Indulgences.
Tout le monde convient que le pénitent ne peut obtenir la rémission de la peine temporelle due à la justice divine pour son péché, que par une satisfaction proportionnée à la qualité de la faute. Que ce pénitent soit néanmoins, par le moyen de l'Indulgence, exempt en tout, ou en partie, des exercices de pénitence qu'il lui aurait fallu subir, eu égard à son péché ; c'est là ce que l'on appelle la grâce de l'Indulgence dont nous venons de parler. Reste à expliquer comment par cette Indulgence on satisfait à la justice divine : nous disons qu'on y satisfait en offrant à Dieu les satisfactions surabondantes de Jésus-Christ et des Saints dont l'Église fait aux pénitents l'application, par le moyen de l'Indulgence.
Pour bien comprendre ceci, nous allons établir d'abord, et poser pour principe, qu'il y a un trésor composé des satisfactions surabondantes de Jésus-Christ et des Saints confié à l'Église ; et que, par le moyen de l'Indulgence, ces sortes de satisfactions surabondantes peuvent être appliquées, à certaines conditions, aux fidèles bien disposés.
Il n'est pas besoin de prouver que les satisfactions que Jésus-Christ a offertes à son Père pour réparer l'outrage fait à son infinie majesté, par les péchés du genre humain, sont surabondantes, et composent, pour parler le langage de l'Église, un trésor inépuisable et infini. C'est une maxime constante et universellement reçue, que le prix de la satisfaction se mesure par la dignité de la personne qui satisfait, comme la grandeur de l'offense se mesure par l'élévation de la personne offensée. Or, Jésus-Christ, est le Fils de Dieu fait Homme pour le salut du genre humain ; il est vrai Dieu consubstantiel à son Père ; qui pourrait donc douter que toutes les satisfactions qu'il a offertes à son père pour réconcilier le ciel et la terre, ne soient d'un prix infini, et ne forment un trésor inépuisable.
Que ces satisfactions surabondantes de Jésus-Christ, offertes pour le salut du genre humain, puissent être appliquées aux vrais fidèles, c'est un autre principe non moins constant. Jésus-Christ, dit l'apôtre saint Paul, dans son épître aux Romains chapitre 5, est mort pour nous1. Il est une victime de propitiation pour `nos péchés, non-seulement pour les nôtres, mais pour ceux de tout le monde2.
Il n'a donc rien plus à cœur que l'application de ses mérites et de ses satisfactions nous soit faite. C'est par lui, et moyennant sa sainte grâce, que nous nous convertissons, par lui que nous méritons, par lui que nous satisfaisons à la justice divine. Voilà proprement la base et le fond du précieux trésor des Indulgences.
Sans m'arrêter sur ces articles qui ne peuvent souffrir aucune difficulté, j'ajoute que plusieurs Saints ont offert à Dieu plus d'œuvres satisfactoires qu'ils n'en avaient besoin pour eux-mêmes. Cette proposition révolte vos ministres ; je me flatte cependant, Messieurs, que dans peu vous allez être obligés d'en convenir.
La très sainte vierge Marie, Mère de Dieu, n'avait certainement aucun besoin d'œuvres satisfactoires pour elle, puisque, exempte de tout péché, elle n'avait pas besoin de venger sur elle aucune injure qu'elle eût faite à la Majesté divine. Combien néanmoins d’œuvres satisfactoires n'a-t-elle pas sans cesse offertes au Père des miséricordes pendant le cours de sa vie, et surtout dans ce moment auquel, suivant l'oracle du saint vieillard Siméon, un glaive de douleur transperça son âme à la vue de son cher Fils attaché à la croix sur le calvaire ! Peut-on même douter qu'animée du même esprit que son divin Fils, elle n'ait, à son exemple, présenté au Père éternel sa douleur, le sacrifice qu'elle fit alors en faveur du genre humain ? Voilà donc des satisfactions surabondantes dont Marie n'avait pas besoin pour elle-même.
Saint Jean-Baptiste, sanctifié dès le ventre de sa mère, a mené une vie toute sainte ; Jésus-Christ, lui-même, en a fait le plus bel éloge : Entre les enfants des hommes, il n'en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste3. Il n'en est cependant peut-être point qui ait porté plus loin l'esprit de pénitence et de mortification. Quelles ont été ses austérités dans le désert, ses souffrances dans la prison, sa constance et son courage, lorsque Hérode lui fit trancher la tête ? En un mot, que d'œuvres pénibles et satisfactoires qui ne lui étaient nullement nécessaires ?
Disons-en autant des Apôtres et de tant d'autres Saints qui, après avoir passé leur vie dans les exercices les plus austères de la pénitence, ont enfin consommé leur course par un glorieux martyre. On n'a jamais douté que le martyre seul ne soit suffisant pour expier la peine temporelle due à la justice divine pour les plus grands crimes.
Est-il à croire que ces satisfactions surabondantes soient inutiles, et que ceux qui les ont offertes à Dieu, n'en ayant pas besoin pour eux-mêmes, elles ne puissent être appliquées aux fidèles qui en ont un vrai besoin ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, Messieurs : pour moi, je ne conçois pas comment on peut concilier un tel sentiment avec les grandes idées que la religion nous donne de la bonté de Dieu. Il est témoin de ces œuvres satisfactoires ; elles lui sont agréables, et elles tirent leur prix et leur mérite des satisfactions de Jésus-Christ. Est-il vraisemblable que Dieu, qui est le Père des miséricordes et la bonté même, voudra les mettre en oubli, et les laisser sans récompense ? Mais à qui peut être faite l'application ? Aux autres fidèles, qui sont membres du même corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire de l'Église, et qui en ont besoin pour satisfaire la justice divine, et pour expier la peine temporelle due à cause de leurs péchés déjà pardonnés quant à la coulpe.
Oui, Messieurs, je le dis, ces satisfactions surabondantes des Saints peuvent être appliquées aux fidèles qui en ont besoin ; et je le dis appuyé sur l'autorité des livres saints, et en particulier sur l'exemple de saint Paul. Je m'emploie volontiers, dit ce grand Apôtre, et je me consacrerai moi-même tout entier pour vos âmes1. Je souffre tout pour les élus, afin qu'ils obtiennent le salut qui est en Jésus-Christ, avec la gloire céleste2. Je me réjouis dans mes souffrances pour vous, et j'accomplis en ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ pour son corps, qui est l'Église3.
Tous ces textes marquent évidemment le désir que saint Paul avait de contribuer, aux dépens de son repos de sa santé et même de sa vie, à la sanctification des âmes. Les protestants en conviennent : ils marquent encore que cet Apôtre offrait à Dieu ses peines, ses travaux, ses souffrances, pour leur obtenir les grâces du Seigneur, et les moyens de salut. Vos ministres ne sauraient encore en disconvenir. J'ajoute que, par la même raison, ces textes prouvent que saint Paul désirait ardemment d'aider, par ses œuvres pénibles et satisfactoires, les fidèles à expier la peine temporelle qu'ils devaient à la justice divine pour leurs péchés remis quant à la coulpe. Car je ne crains point d'avancer, que la charité et le zèle de ce grand Apôtre, s'étendait à tout : il souhaitait procurer aux fidèles tous les secours possibles ; ils les envisageait comme les membres du corps mystique de Jésus-Christ, qui est l'Église. Leurs intérêts étaient les siens, et son zèle n'aurait pas été satisfait, si, après avoir travaillé à leur conversion et à leur réconciliation avec Dieu, il n'eût encore, par ses œuvres pénibles et satisfactoires, contribué à abréger le temps de leur pénitence, et à adoucir les peines temporelles, dont ils étaient redevables à la justice divine. C'est en ce sens que saint Augustin interprète les paroles de cet Apôtre. J'accomplis en ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ1 ; et de là il conclut que les satisfactions surabondantes des Saints, unies à celles de Jésus-Christ, dont elles empruntent tout le prix et le mérite, sont comme un bien commun qui appartient à la république chrétienne2.
Rien en effet n'est plus conforme à l'esprit du christianisme. La marque à laquelle on vous reconnaîtra pour mes disciples, dit Jésus-Christ, c'est si vous vous aimez les uns les autres3. Dieu nous a fait connaître son amour en donnant sa vie pour nous. Nous devons aussi donner la nôtre pour nos frères4. Or, Messieurs, dès là que nous sommes animés de cet esprit de charité, nous prenons part à tout ce qui touche et intéresse nos frères. Nous sommes sensibles à leur bonheur temporel, et encore plus à leur bonheur spirituel ; nous nous faisons non-seulement un plaisir et un devoir de contribuer à leur bonheur éternel, mais encore de lever tous les obstacles qui pourraient le retarder. Non-seulement nous prions pour eux, mais encore nous jeûnons et nous faisons de dignes fruits de pénitence en vue de satisfaire pour nous, et en même temps pour eux à la justice divine. C'est ce que nous recommande aussi l'Apôtre saint Paul, en son épître aux Galates, par ces paroles : Portez les fardeaux les uns des autres5. Je conviens que, par ce texte, l'Apôtre a proprement et principalement en vue de nous porter à compatir aux faiblesses et aux défauts les uns des autres ; mais embrasé, comme il l'était, des saintes ardeurs de la charité, je ne doute nullement qu'il n'ait encore voulu par là nous exciter à prendre sur notre compte une partie des dettes de nos frères envers Dieu, en satisfaisant pour eux, tant par nos prières que par nos exercices de pénitence, la justice divine, et en les aidant à obtenir la rémission de la peine due à cause de leurs péchés.
Au reste, ne vous imaginez pas que si nos théologiens vous parlent des satisfactions surabondantes des Saints, c'est qu'ils regardent les satisfactions de Jésus-Christ comme insuffisantes. Calvin et vos ministres ne manqueront pas de vous tenir ce langage ; mais c'est une atroce calomnie. Je vous l'ai déjà dit, et je ne me lasse point de vous le répéter ; jamais parmi nous on n'a pensé ni dit que les satisfactions de Jésus-Christ soient insuffisantes. Jésus-Christ étant Dieu, les satisfactions qu'il a offertes à son Père pour le salut du genre humain, sont abondantes et surabondantes. Elles sont d'un prix et d'un mérite infini, et par conséquent un trésor inépuisable. Rendons ceci sensible par une comparaison aussi juste que naturelle. N'est-il pas vrai que saint Paul a prié pour les Thessaloniciens6, et qu'il s'est lui-même recommandé aux fidèles dans son épître aux Romains7. N'est-il pas d'usage, même dans votre prétendue réforme de se recommander aux prières les uns des autres ?
Que diriez-vous, Messieurs, si je m'avisais de conclure de là que vous regardez et que saint Paul a regardé les prières offertes par Jésus-Christ à son Père pour le salut du genre humain comme insuffisantes ? Vous vous récrieriez, et avec raison, contre un pareil raisonnement. C'est cependant là précisément celui que vos ministres font au sujet des satisfactions surabondantes des Saints. Quoique les fidèles prient les uns pour les autres, il ne s'ensuit pas de là que les prières que Jésus-Christ a faites pour le genre humain ne soient pas suffisantes, et même plus que suffisantes ; de même aussi, quoique les Saints aient offert à Dieu des satisfactions surabondantes dont ils n'avaient pas besoin pour eux-mêmes, il ne s'ensuit pas que les satisfactions offertes par Jésus-Christ à son Père pour nous, ne soient pas abondantes, et même surabondantes. Comme les prières que les fidèles font les uns pour les autres tirent leur prix et leur valeur des prières de Jésus-Christ, de même aussi les satisfactions que les fidèles offrent à Dieu pour eux et pour leurs frères, tirent leur prix et leur mérite des satisfactions de Jésus-Christ. C'est par lui que nous prions, par lui que nous méritons, par lui que nous satisfaisons à la justice divine pour nos péchés et pour ceux de nos frères.
Pourquoi, demanderez-vous peut-être, parler des satisfactions des Saints, puisque celles de Jésus-Christ sont abondantes et même surabondantes ? Je n'ai, Messieurs qu'un mot à vous répondre pour résoudre cette question. Pourquoi réclamer les prières des fidèles, puisque celles que Jésus-Christ a offertes pour nous à son Père sont suffisantes et plus que suffisantes pour obtenir toutes les grâces dont nous pouvons avoir besoin ? Cette comparaison seule est la réponse à votre demande, et fait tomber toute objection que l'on pourrait faire à ce sujet.
Je n'en demeure pas là néanmoins ; car, je ne veux pas qu'on puisse me reprocher de reculer, quand il s'agit de répondre aux difficultés que vous, ou vos ministres, pouvez nous proposer. A quoi bon recourir aux satisfactions des Saints ? C'est que Jésus-Christ, par un effet de sa bonté ineffable, veut bien y avoir égard, et en faire l'application aux pénitents qui, en ayant besoin, les réclament ; comme il veut bien avoir égard aux prières de ses fidèles serviteurs, et accorder, en vue de leurs prières, des grâces particulières à ceux pour qui on les demande, et qui en ont besoin. Mais pourquoi Jésus-Christ veut-il appliquer aux pénitents les satisfactions surabondantes des Saints ? C'est pour exalter et honorer, en quelque sorte, ses amis et ses zélés serviteurs1. C'est, en second lieu, pour entretenir et cimenter de plus en plus cet esprit d'union et de charité qui fait la beauté de l'Église.
Ici, je me rappelle ce que nous lisons dans les monuments de l'Histoire ecclésiastique : que plusieurs païens et idolâtres voyant cet esprit de charité qui régnait entre les premiers chrétiens, en avaient été tellement frappés et touchés, qu'ils s'étaient convertis et avaient embrassé la religion chrétienne. Sera-t-il donc dit, Messieurs, que ce qui a été pour les païens un sujet d'édification et un motif de conversion, soit pour vous un sujet de scandale, et un motif d'éloignement et de séparation d'avec l'Église ? Ah ! mes chers frères, mettez bas vos préjugés. Priez le Seigneur d'éclairer vos esprits, et alors vous admirerez avec nous ces intimes rapports et cette charité suréminente qui unit si étroitement tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ, qui est l'Église.
Vous n'avez peut-être jamais fait cette réflexion ; les principes de votre réforme s'y opposent ouvertement ; elle n'en est pas moins digne de toute votre attention. Les fidèles sur la terre qui composent l'Église militante, ainsi appelée parce que la vie de l'homme est une milice continuelle, et qu'il faut sans cesse avoir les armes à la main pour combattre nos passions et les ennemis de notre salut ; ces fidèles, levant les yeux aux ciel et admirant le bonheur des Saints, remercient Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant le cours de leur vie mortelle, et de la récompense dont il couronne dans le ciel leurs vertus et leurs mérites. Ils félicitent ces Saints de leur zèle à correspondre aux grâces du Seigneur pendant le temps de leur exil, et du bonheur dont ils sont actuellement en possession. En même temps ils les invoquent, et pour mériter leur protection ils se les proposent pour modèles : ils imitent les vertus dont ils leur ont donné l'exemple, et ils les supplient de leur obtenir les secours nécessaires pour être un jour, comme eux et avec eux, citoyens de la céleste Jérusalem.
Les Saints, de leur côté, dans le ciel, assurés, comme dit saint Cyprien, de leur bonheur, mais inquiets du nôtre ; sollicitent le Père des miséricordes de nous accorder les grâces et les secours nécessaires pour être un jour participants de leur même bonheur.
Ce même esprit de charité s'étend encore à l'égard des âmes des défunts détenus dans le purgatoire. Compatissant aux souffrances de ces illustres captifs, nous nous intéressons pour eux auprès de Dieu, nous offrons nos prières et nos œuvres satisfactoires en vue de satisfaire aux peines dues par eux à la justice divine, et de contribuer, par ce moyen, à en abréger le temps, et à hâter l'heureux moment où ils pourront être en possession du bonheur éternel, après lequel ils soupirent avec tant d'ardeur. Ces âmes délivrées de captivité, et placées dans le séjour et au nombre des Saints, se font, par reconnaissance, nos patrons, nos avocats auprès de Dieu, et ils supplient le Seigneur de nous accorder les grâces et les secours dont nous avons besoin pour assurer notre vocation et notre élection par nos bonnes œuvres.
Le voyez-vous, Messieurs, comment, de quelque côté que l'on se tourne, dans la doctrine catholique, on admire et l'on voit partout régner cet esprit de charité, qui est, comme dit l'apôtre saint Paul, la plénitude de la loi1. J'ose le dire, et j'en suis persuadé, vous-mêmes, malgré vous peut-être, mais intérieurement, vous penserez que Dieu seul a pu inspirer ces grands sentiments de charité, qui unissent ainsi tous les membres de l'Église, dans quelque état et sous quelque rapport qu'on les considère. J'espère même que frappés ainsi de cette importante réflexion, vous admirerez et envierez le bonheur d'être associés à un commerce si saint, si avantageux et si divin.
En pesant bien ce que nous avons dit dans les articles précédents, il est aisé de résoudre la plupart des difficultés qu'on a coutume de proposer contre le dogme des Indulgences : je ne veux pas néanmoins laisser à vos ministres le plaisir de nous reprocher de n'avoir osé me hasarder à y répondre. J'entre donc volontiers dans le détail des principales objections dont Calvin et vos ministres osent se prévaloir.
La première, et celle qu'ils mettent à la tête de toutes les autres, est prise du prétendu défaut de textes de l'Écriture pour établir le dogme des Indulgences. On n'y trouve rien, disent-ils, qui appuie et autorise ce dogme ; d'où ils concluent qu'il faut le rejeter.
Quand nous n'y trouverions rien, je vous dirais encore que nous sommes obligés de l'admettre, parce que nous le tenons par le canal et l'autorité de l'Église universelle, à laquelle l'Écriture sainte nous prescrit d'être inviolablement attachés. C'est la réponse que fit saint Augustin à Cresconius donatiste, qui prétendait que l'on devait réitérer le baptême conféré par les hérétiques. « Quand nous n'aurions, dit-il, aucun texte de l'Écriture pour appuyer notre sentiment, nous nous conformons cependant aux saintes Écritures ; parce que nous pratiquons ce que juge à propos l'Église universelle, à laquelle les saintes Ecritures nous recommandent de nous conformer1 . » Je vous rappellerais encore le grand principe de ce Père que je vous ai cité plusieurs fois : « Tout ce que l'Église universelle observe, et dont on ne trouve point l'établissement dans les conciles, doit avec raison être regardé comme établi par l'autorité apostolique2. » Suivant ces sages maximes du grand saint Augustin, il est clair et évident que, quand bien même nous n'aurions aucun texte de l'Écriture en faveur du dogme des Indulgences, nous sommes néanmoins obligés de le croire, non-seulement parce que nous n'en trouvons l'établissement qu'en remontant au temps des Apôtres, mais encore, parce que le croyant, nous nous conformons à l'Écriture sainte qui nous recommande d'écouter l'Église, et que c'est par le canal de cette Église que nous a été transmis ce dogme de notre foi. Mais je ne veux pas m'en tenir à cette première réponse.
J'ajoute qu'il est encore appuyé et autorisé par la parole de Dieu. Ne vous ai-je pas montré par plusieurs exemples tirés des livres saints, et entre autres par ceux de Moïse et de David, qu'après le péché remis et pardonné quant à la coulpe, souvent néanmoins il reste encore à satisfaire à la justice divine par des peines temporelles et des satisfactions proportionnées au nombre et à la qualité des péchés ? Ne vous ai-je pas encore prouvé que Jésus-Christ ayant donné à ses Apôtres les clefs du royaume des cieux, et leur ayant dit que tout ce qu'ils délieraient sur la terre serait délié dans les cieux, il leur a donné le pouvoir de lever tous les obstacles qui pourraient non-seulement interdire, mais encore retarder l'entrée dans la gloire céleste ; et par conséquent le pouvoir de remettre en tout, ou en partie, les peines temporelles dues à la justice divine pour l'expiation de nos péchés ? Ne vous ai-je pas enfin fait voir par les Épîtres de saint Paul, que cet Apôtre a usé de ce pouvoir en faveur de l'incestueux de Corinthe ? c'est donc évidemment contre toute vérité et avec la plus grande témérité, que vos ministres osent avancer que l'on ne trouve rien dans l'Écriture sainte qui puisse autoriser le dogme des Indulgences.
Ces Indulgences, dit Calvin, au cinquième chapitre du troisième livre de son Institution, numéro 2, « sont une pollution du sang de Jésus-Christ, et une fausseté du diable, pour détourner le peuple chrétien de la grâce de Dieu et de la vie qui est Christ, et pour le dévoyer du chemin du salut. »
L'accusation est certainement des plus graves. Mais voyons de quelles preuves ce prétendu réformateur l'appuie. « Comment, dit-il, pouvait être le sang de Christ plus vilainement pollué et déshonoré, qu'en niant qu'il suffise à la rémission des péchés, la réconciliation et satisfaction, sinon que le défaut d'icelui soit suppléé d'autre part ? La loi et les Prophètes, dit saint Pierre, portent témoignage à Christ, qu'en lui doit être reçue la rémission des péchés. Les Indulgences octroient la rémission des péchés par saint Pierre, saint Paul, et autres Martyrs. Le sang de Christ nous purge des péchés, dit saint Jean ; les Indulgences font du sang des Martyrs ablution des péchés. Christ, dit saint Paul, qui n'avait connu aucun péché, s'est fait péché pour nous, c'est-à-dire satisfaction du péché, afin qu'en lui nous fussions faits justice de Dieu. Les Indulgences colloquent la satisfaction du péché au sang des Martyrs. Saint Paul écrivit testifiant aux Corinthiens qu'un seul Christ était crucifié et mort pour eux. Les Indulgences déterminent saint Paul et les autres être mort pour eux. Et en un autre passage, il dit que Jésus-Christ s'est acquis son Église par son sang. Les Indulgences mettent un autre prix de l'acquisition au sang des Martyrs. Christ, dit l'Apôtre, a éternellement parfait par une oblation ceux qu'il a sanctifiés. Les Indulgences y contredisent, affirmant que la sanctification de Christ, qui autrement ne suffisait pas, est parfaite au sang des Martyrs. Saint Jean dit que tous les Saints ont lavé leurs robes au sang de l'Agneau ; les Indulgences nous enseignent de laver nos robes au sang des Martyrs. »
Vous vous imaginez apparemment, Messieurs, que tout ce que votre patriarche met ici sur le compte des Indulgences, est avoué de ceux qui les défendent ; peut-être même croyez-vous qu'il ne fait que copier exactement les paroles des catholiques, ou du moins que tout ce qu'il leur impute est une suite naturelle et nécessaire de leurs sentiments ; et moi, je vous le dis hardiment, et je ne crains nullement en cela d'être démenti : jamais catholique n'a pensé comme Calvin ose nous l'imputer ; encore, si pour appuyer ces imputations, lui où vos ministres produisaient quelques textes de nos théologiens, ou de nos auteurs catholiques, qui eussent avancé quelque chose de semblable ; c'est ce qu'ils avaient à faire, et quoi ils auraient dû s'attacher ; mais ils sentaient bien qu'en s'engageant à cette preuve, ils n'auraient pas manqué d'échouer, et que cette vaine tentative n'aurait servi qu'à manifester davantage leur mauvaise foi et leurs calomnies : ils n'ont eu garde de s'y hasarder ; comptant sur votre confiance et votre crédulité, ils se flattent que la hardiesse et l'assurance avec laquelle ils avancent ces griefs, suppléera au défaut de preuves, et qu'on les croira sur le simple exposé qu'ils en font.
Pour vous, Messieurs, je vous crois trop de candeur et de pénétration, pour vous laisser duper par de pareils artifices. De tous les articles en effet que Calvin met ici sur le compte des catholiques, il n'y en a pas un seul qui soit avoué d'eux : jamais ils n'ont dit ni pensé que « le sang adorable de Jésus-Christ ne fût pas suffisant pour l'entière rémission des péchés, la réconciliation et la satisfaction. » Jamais ils n'ont dit que « ce sang adorable ait eu besoin d'être suppléé d'autre part ; » tous, sans aucune exception, croient et confessent hautement que le sang précieux de ce divin Sauveur est d'une valeur infinie, et par conséquent suffisant, et plus que suffisant même pour satisfaire à la justice divine, pour tous les péchés de l'univers, et que son sang n'a pas besoin d'être suppléé d'autre part. Je ne crains pas de vous défier, vous et tous vos ministres, de produire un seul de nos auteurs qui pense autrement, et qui tergiverse sur cet article.
Jamais pareillement, catholique n'a dit que « ce soit par saint Pierre, saint Paul, et les autres Martyrs, qu'est octroyée la rémission de nos péchés, et la tache du péché lavée. » Jamais catholique n'a contredit ce que nous lisons dans l'apôtre saint Paul : que Jésus-Christ, qui ne connaît aucun péché, s'est fait péché, afin qu'en lui nous fussions faits justice de Dieu, ni que ce soit le seul Jésus-Christ, qui ait été crucifié et soit mort pour nous. Jamais catholique n'a avancé que « l'Église de Jésus-Christ ait été acquise par le sang des Martyrs, ou que la satisfaction de Jésus-Christ ne suffisait pas, et qu'elle est parfaite par le sang des Martyrs, et que nous devons laver nos robes au sang des Martyrs. »
Je m'imagine que vous aurez peine à vous persuader que Calvin et vos ministres aient été assez téméraires, pour mettre ainsi, sans preuve et contre toute vérité, sur le compte de ceux qui admettent les Indulgences, tant d'imputations toutes fausses et calomnieuses : il vous est cependant facile de vous en convaincre par vous-mêmes ; demandez-leur qu'ils vous citent seulement un catholique qui ait pensé ou parlé de la sorte, et vous verrez qu'ils n'oseront s'y engager : consultez de plus tous les ouvrages des catholiques, et vous serez obligés de convenir que tous sans en excepter un seul, croient et confessent, avec le saint concile de Trente, que Jésus-Christ est le seul médiateur entre Dieu et les hommes, notre seul Sauveur qui a été crucifié, qui est mort pour nous, et que ce n'est point par le sang de saint Pierre, de saint Paul, ou des autres Martyrs, qu'est octroyée la rémission des péchés, et la réconciliation des pécheurs : tous croient unanimement, et enseignent ouvertement que ce n'est point par le sang des Martyrs que l’Église a été acquise, mais par le précieux sang de Jésus-Christ, que c'est en vertu de sa mort et passion que nous sommes sanctifiés, et que c'est dans le sang de cet Agneau sans tache que, comme dit saint Jean, nous pouvons et nous devons laver nos robes.
Ce sont là, Messieurs, autant de vérités constantes parmi nous, et nous regarderions comme hérétique, injurieuse à Jésus-Christ, et blasphématoire, toute doctrine qui y serait opposée. Quelle est donc la mauvaise foi de Calvin et de vos ministres, qui, pour nous rendre odieux à ceux dont la crédulité et l'imprudence sera assez grande pour ajouter foi à leur simple parole, osent nous prêter des sentiments que nous détestons, et que nous ne cessons de combattre ouvertement et de tout notre pouvoir !
Pourquoi donc ajouter, me répliquerez vous, aux satisfactions de Jésus-Christ, les satisfactions surabondantes des Saints, pour composer le trésor des Indulgences sinon parce que, sans ce supplément, les satisfactions de Jésus-Christ ne sont pas suffisantes ?
Il est vrai que, dans le trésor des Indulgences, nous ajoutons aux satisfactions de Jésus-Christ, quoique plus que suffisantes en elles-mêmes, les satisfactions surabondantes des Saints ; mais sur cet article-là même, vous allez encore voir l'artifice de vos ministres. Ils veulent vous persuader que nous les y ajoutons comme un supplément nécessaire, sans lequel les satisfactions de Jésus-Christ ne seraient pas suffisantes et parfaites ; ce qui est une insigne fausseté et une noire calomnie. Je vous le répète ; nous le déclarons, avec tous les catholiques, que les satisfactions de Jésus-Christ étant d'un mérite infini, sont suffisantes et plus que suffisantes pour satisfaire à la justice divine, non-seulement pour nos péchés, mais encore pour ceux de tout l'univers, comme nous en assure l'apôtre saint Jean1. Nous leur déclarons que, bien loin de regarder les satisfactions des Saints comme un supplément nécessaire à celles de Jésus-Christ, ce sont au contraire celles de Jésus-Christ qui donnent le prix et la valeur à celles des Saints, et que par conséquent c'est aux satisfactions de Jésus-Christ que doit être attribué, et qu'est en effet attaché l'effet des Indulgences.
Pourquoi donc encore une fois avoir recours aux satisfactions surabondantes des Saints ? C'est pour les honorer, en nous rappelant les égards que Dieu, par une bonté ineffable, veut bien avoir à leurs satisfactions surabondantes : c'est pour exciter notre zèle, et entretenir, dans le cœur des fidèles, ce feu sacré de l'amour divin que Jésus-Christ est venu apporter sur la terre, et qui nous rend sensibles à la gloire des Saints, et à tout ce qui peut intéresser notre salut : c'est enfin pour faire éclater et admirer davantage le prix et l'efficace du sang adorable de ce divin Sauveur, qui est non-seulement par lui-même plus que suffisant pour la rémission de nos péchés, mais qui a encore la vertu de communiquer aux satisfactions des Saints, le pouvoir de contribuer à la relaxation des peines temporelles dues au péché déjà remis quant à la coulpe et à la peine éternelle est-ce là dire que les satisfactions de Jésus-Christ sont insuffisantes sans celles des Martyrs ou des Saints.
Que diriez-vous, Messieurs, si parce que vous reconnaissez que pour opérer son salut, il faut faire de dignes fruits de pénitence, comme le prêchait saint Jean dans le désert, et que, suivant la doctrine de saint Paul, il faut châtier son corps et le réduire en servitude, crainte d'être réprouvé ; et que pour être couronné, il faut généreusement combattre, je voulais inférer de là que vous regardez les mérites et les satisfactions de Jésus-Christ comme insuffisants ; n'est-il pas vrai que vous rejetteriez ces conséquences, parce qu'elles ne sont pas avouées de vous, qu'elles ne suivent pas de vos principes, et que vous nous accuseriez en cela d'imposture et de calomnie ? Je vous ai, de mon côté, dit et prouvé que toutes les idées forgées par vos ministres et données par eux comme nos sentiments au sujet des Indulgences, n'ont jamais été avouées des catholiques, et ne sont nullement des corollaires et des conséquences de leurs principes : c'est donc avec raison que j'ai avancé qu'on ne peut nous les imputer sans se rendre coupable de mauvaise foi et de calomnie.
Du moins, me direz-vous, doit-on croire Calvin, lorsqu'il prend les catholiques eux-mêmes pour témoins de ce qu'il met sur leur compte ? « Qu'ils reconnaissent, dit-il, si ce ne sont pas leurs conclusions. Que les martyrs, par leur mort, ont plus servi Dieu qu'il ne leur était besoin, et qu'ils ont eu telle abondance de mérites, qu'il en peut redonder une partie aux autres ; et pourtant, afin qu'un tel bien ne soit vain et perdu, que leur sang est mis avec celui de Jésus-Christ, et que du tout ensemble est fait et accumulé le trésor de l'Église, pour la rémission et satisfaction des péchés2. » Serait-il bien possible que Calvin prenant ici les catholiques pour témoins des sentiments qu'il leur attribue, voulût encore en imposer ?
Je n'en appelle qu'à vous, Messieurs : affecter de confondre ce que les catholiques ont toujours pris grand soin de distinguer, pour avoir occasion de leur imputer ce à quoi ils n'ont jamais pensé ; supprimer ce qui est essentiel à la doctrine que l'on attaque, afin de lui prêter des couleurs odieuses ; mettre dans la bouche de ses adversaires ce qu'ils rejettent en termes formels, est-ce là agir de bonne foi et avec droiture ? Voilà pourtant ce que font précisément Calvin et vos ministres. Nous avons grand soin de distinguer ce que l'on appelle mérite, de ce que l'on appelle satisfaction : par œuvres méritoires, on entend les œuvres faites en état de grâce, qui sont agréables à Dieu, et dignes des récompenses éternelles ; par œuvres satisfactoires, on entend les exercices pénibles de la pénitence et mortification évangélique, par lesquels on satisfait à la peine due à la justice divine pour expier les péchés déjà remis quant à la coulpe et à la peine éternelle. Nous convenons que plusieurs Saints ont offert à Dieu des satisfactions plus qu'ils n'en avaient besoin pour eux-mêmes, et nous disons qu'elles peuvent être appliquées aux fidèles, par le moyen des Indulgences ; mais jamais nous n'avons pensé de la sorte au sujet du mérite des Saints. Nous savons qu'il est personnel que, comme dit saint Paul, en sa seconde épître aux Corinthiens, chapitre cinquième, le Seigneur rendra à chacun selon ses œuvres, et que plus on mérite, plus la récompense est abondante : que fait Calvin et vos ministres ? Ils confondent et brouillent toutes les idées ; ils prennent et donnent pour termes synonymes, c'est-à-dire, qui ont la même signification, les termes de mérite et de satisfaction ; ils substituent dans nos propositions l'un à l'autre, afin de pouvoir vous persuader ce qui est, comme je viens de vous le dire, tout à fait opposé à nos sentiments et à notre doctrine.
Nous ne sommes pas moins attentifs à distinguer la rémission du péché quant à la coulpe et à la peine éternelle, d'avec la remise et relaxation de la peine temporelle due à la justice divine pour l'expiation du péché déjà remis : ce n'est point par l'Indulgence que le péché est pardonné et le pécheur réconcilié avec Dieu, mais par le sacrement de Pénitence, ou par la contrition parfaite, comme je vous l'ai déclaré dans un des articles de cette dissertation. L'Indulgence suppose le péché remis quant à la coulpe, et n'a d'autre objet que la remise de la peine temporelle due à la justice divine à cause du péché déjà pardonné : c'est ce dont il est aisé de vous convaincre, en consultant les brefs d'Indulgences : c'est ce que nos théologiens et nos controversistes ne cessent de répéter ; mais ces sortes de distinctions renversent de fond en comble toutes les batteries de vos ministres contre les Indulgences : ils font semblant de les ignorer ; et pour vous donner le change, ils substituent au terme de relaxation de la peine temporelle celui de rémission du péché et de réconciliation avec Dieu. Prononcez maintenant, Messieurs, c'est vous-mêmes que j'en ai fait juges : est-ce là agir de bonne foi et avec droiture ?
Je serais tenté de mépriser et de passer sous silence les autres objections de Calvin et de vos ministres, tant elles sont insipides et ridicules ; mais il est important de vous faire une bonne fois connaître le génie et le caractère de ceux que vous révérez comme les chefs de votre réforme, en qui vous mettez votre confiance, et que vous écoutez comme des oracles : ajouter aux satisfactions de Jésus-Christ celles des Saints, « qu'est-ce autre chose, dit Calvin, sinon laisser le nom de Christ ; au reste, le faire un petit Saint vulgaire, qui ne se puisse à grand-peine connaître en la multitude des autres1 ?
Je ne puis concevoir comment Calvin n'a pas eu honte d'avancer une proposition si évidemment fausse, et dont il ne pouvait ignorer la fausseté : dire en effet que les satisfactions de Jésus-Christ sont d'un prix et d'une valeur infinie ; qu'elles sont non-seulement abondantes, mais même surabondantes, de telle sorte que ce divin Sauveur, indépendamment des satisfactions des Saints, a pleinement satisfait à tous les outrages faits à la Majesté divine par tous les péchés du genre humain : dire enfin que les satisfactions des Saints empruntent leur valeur et leur vertu des satisfactions abondantes et surabondantes de Jésus-Christ ; voilà nos maximes et nos principes : Calvin et vos ministres n'ont pu l'ignorer, vu que tel a toujours été le langage et les sentiments de tous les catholiques dans leurs ouvrages sur ces sortes de questions ; est-ce là laisser le nom de Christ, et en faire un petit Saint vulgaire, qui ne se puisse à grand-peine connaître en la multitude des autres, comme l'avance Calvin ? n'est-ce pas au contraire l'adorer et le regarder comme le seul Médiateur entre Dieu et les hommes, comme le seul Sauveur et Rédempteur du genre humain ? Jugez de là ce que vous devez penser de la proposition de Calvin.
En voici encore une que vous ne sauriez, j'en suis sûr, vous dispenser de trouver ridicule : « Qui a, dit-il, ibid., n° 5, enseigné au pape d'enclore la grâce de Jésus-Christ en plomb et parchemin, laquelle le Seigneur a voulu être distribuée par la parole de l'Évangile ? »
Que veut dire ce zélé réformateur par ce bizarre langage? Prétend-il imputer au pape et aux catholiques d'attribuer au plomb et au parchemin la vertu de conférer la grâce de l'Indulgence ? Cette idée est si extravagante, que je ne conçois pas comment on a osé la mettre au jour : personne n'ignore que les actes émanés et les grâces accordées par les puissances supérieures, doivent être revêtus de certaines formalités qui en constatent l'authenticité. Voilà la raison pourquoi les brefs d'Indulgences sont signés de la main du pape, scellés de son sceau de plomb, et donnés sur du parchemin ; c'est pour notifier et constater la volonté qu'il a d'accorder, et les conditions auxquelles il accorde la grâce de l'Indulgence : qu'y a-t-il en cela de surprenant, ou s'il y a quelque chose de surprenant, n'est-ce pas l'étonnement que Calvin affecte de faire paraître à cette occasion ? car enfin est-il extraordinaire, ou plutôt n'est-il pas naturel d'aller au devant de toute surprise, quand il s'agit de grâces aussi importantes que celles des Indulgences ? la prudence n'exige-t-elle pas que l'on prenne toutes les précautions nécessaires pour constater l'authenticité des bulles accordées à cet effet, et que conséquemment elles soient revêtues de toutes les formalités requises pour en assurer la validité ? Ne voyez-vous pas tous les jours ces mêmes attentions au sujet des arrêts de nos cours souveraines, et des déclarations et édits de nos rois ? Et n'est-ce pas la raison et le bon sens qui dictent ces sortes de précautions ? Que veut donc dire Calvin par son impertinent verbiage ? Dira-t-on que c'est une plaisanterie pour réveiller l'attention du lecteur ? mais une plaisanterie si fade, et en matière de religion, sied-elle dans la bouche d'un auteur qui se donne, et que vous regardez comme suscité de Dieu, d'une façon extraordinaire, pour redresser l’'Église ?
Que vous dirai-je maintenant de ce dilemme avancé avec tant de confiance par ce prétendu réformateur ? « Il faut, dit-il, ou que la parole de Dieu soit fausse, ou que les Indulgences soient mensongères1. » Pour justifier ce dilemme, il faudrait montrer une opposition réelle entre la parole de Dieu et le dogme des Indulgences : c'est ce que Calvin et vos ministres n'ont pu et ne pourront jamais montrer ; et nous au contraire nous avons fait voir, par ces paroles de Jésus-Christ : Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le Ciel, et par l'exemple de saint Paul, à l'égard de l'incestueux de Corinthe, dont il est parlé dans les deux épîtres de cet Apôtre aux Corinthiens, que le dogme des Indulgences est appuyé et autorisé pas l'Écriture sainte, et par conséquent nulle contradiction entre la parole de Dieu et les Indulgences : c'est au contraire la parole de Dieu qui nous atteste ce dogme ; et le dilemme de Calvin est faux et hasardé témérairement, en vue de vous en imposer par la hardiesse avec laquelle il ose le proposer.
Suivons ce réformateur jusqu'au bout, et voyons s'il sera plus juste et plus véridique dans sa recherche sur l'origine des Indulgences : « Il me semble, dit-il, que l'abus soit venu de la coutume que l'on avait jadis : c'est d'autant que les satisfactions que l'on imposait alors aux pénitents étaient si dures et si fâcheuses, que tous ne les pouvant pas porter, ceux qui s'en sentaient trop gravés, demandaient à l'Église quelque relâche : ce qu'on leur remettait de leur rigueur, s'appelait indulgence. Depuis que l'on a translaté les satisfactions à Dieu, et que l'on a fait accroire qu'elles sont des compensations et des payements pour acquitter les hommes en son jugement, une erreur a attiré l'autre car on a pensé que les Indulgences fussent comme des remèdes pour délivrer les pécheurs des peines dont ils sont redevables envers Dieu. »
Ici, Messieurs, se présentent à mon esprit trois ou quatre réflexions trop sensibles, pour ne pas faire impression à quiconque voudra y prêter attention.
Je remarque 1° que Calvin s'exprime à ce sujet d'une manière qui n'est aucunement nette et positive, il se contente de dire « Il me semble que l'abus est venu de la coutume qu'on avait jadis d'imposer des satisfactions si dures et si fâcheuses, que tous ne les pouvant pas supporter, et s'en trouvant trop grevés, demandaient à l'Église quelque relâche, ce que l'on appelait Indulgence. » Il ne cite point les premiers auteurs de cette coutume : il n'assigne point le temps et les lieux où elle a d'abord été introduite : cette expression même, il me semble, marque bien clairement qu'il ne sait comment s'y prendre pour prouver que l'usage d'accorder des Indulgences ne vient pas des Apôtres, et est une innovation pernicieuse inconnue dans les premiers siècles.
2° La coutume jadis était d'imposer aux pénitents des « satisfactions : » cette coutume qui a toujours été d'imposer aux pénitents des satisfactions, dans le tribunal de la pénitence, n'est donc pas une innovation de ces derniers temps, mais un usage observé dès la naissance du christianisme, pour inspirer aux fidèles l'horreur qu'ils doivent avoir du péché, pour les soutenir dans le temps de la persécution, et pour les empêcher de retomber dans l'idolâtrie, et ces crimes énormes et scandaleux qui étaient alors si communs, et même, pour ainsi dire, divinisés parmi les païens.
3° Je demande à Calvin si la satisfaction que saint Paul imposa à l'incestueux de Corinthe, était trop dure et trop fâcheuse ? Peut-on penser que cet Apôtre si plein de charité, qui avec les infirmes était infirme, et qui se faisait tout à tous, pour les gagner tous à Jésus-Christ, agissant au nom et en la personne de Jésus-Christ, le plus doux et le meilleur de tous les maîtres, ait été outré dans ses sentiments et sa conduite ? Il n'appartient qu'à Calvin de censurer ainsi un Apôtre, et qu'aux ennemis de la religion de trouver à redire à la prudence et à la conduite de l'Apôtre et de ceux que l'Esprit saint a établi pour gouverner l'Église.
4°. Je voudrais bien que vos ministres nous montrassent où il est marqué que, dans la primitive Église, on accordait les Indulgences à ceux qui se plaignaient qu'on leur imposait « des satisfactions si dures et si fâcheuses, que tous ne pouvaient pas les porter. » Est-ce dans quelque fragment de l'Histoire Ecclésiastique, dans les ouvrages des Pères, dans les canons des anciens conciles ? Au contraire, ces précieux monuments de l'ancienne discipline nous apprennent qu'on les accordait seulement à ceux qui embrassaient, avec zèle et avec courage, les pratiques austères de la pénitence, et non à ceux qui ne s'y livraient qu'à regret et avec lâcheté. Donnez-vous la peine de lire le vingt-deuxième canon du concile d'Ancyre, que je vous ai communiqué dans le troisième article de la présente question, et vous y verrez l'ordre de prolonger le temps de la pénitence à ceux qui ne la font qu'avec tiédeur, et de le diminuer à ceux qui la font avec zèle et avec ardeur. Consultez pareillement le douzième canon du concile général de Nicée, et vous y trouverez ce même règlement, autorisé et confirmé en termes formels. Pour peu même que l'on ait de bon sens, peut-on s'imaginer que, dans les premiers siècles, si respectables par le souvenir de cet esprit de charité qui régnait parmi les chrétiens, les pasteurs aient voulu imposer aux pénitents des fardeaux insupportables ?
Que Calvin ait parlé de la sorte, je n'en suis pas surpris : ce n'est pas sa coutume d'épargner les oints du Seigneur, quand il les trouve sur son chemin ; vous avez dû le remarquer en plusieurs occasions. Pour nous autres, catholiques, nous nous faisons un honneur et un devoir d'avoir pour eux tout le respect et la vénération qui leur sont dus1.
Je n'ai point relevé les invectives dont ce chef de votre réforme, dans son préambule sur la question présente, charge le pape, pour prévenir les esprits contre son autorité : à en croire ce réformateur, le pape donne des Indulgences « pour tirer nouvel argent : il taxe l'achat du paradis à certains deniers, et, sous ce prétexte, il tire de la bourse des fidèles des oblations qui étaient après vilainement dépendues. » Tel est le langage qu'il tient au cinquième chapitre de son troisième livre d'Institution, n° 1. Épargnez-moi, Messieurs, la honte de vous citer le reste de ces paroles : la bienséance m'empêche de les rapporter, et votre candeur ne pourrait en supporter le récit. Opposons la vérité au mensonge : le pape, en accordant des Indulgences, exige que l'on fasse de bonnes œuvres, comme le jeûne, la confession, la communion et l’aumône ; mais à quelle fin ces aumônes ? quelquefois pour de pieux établissements, telle qu'est, par exemple, la construction d'une église, le soulagement de la misère des pauvres ; mais dire que le souverain pontife s'empare de ces aumônes pour s'enrichir, ou « qu'elles soient vilainement dépendues, » et dans les vues que Calvin a la témérité de leur prêter, c'est une noire calomnie dont je me ferais un reproche de vous croire capables, mais dont vos ministres rendront un terrible compte au souverain Juge des vivants et des morts. Non, Messieurs, le but des Indulgences n'est, et ne peut être d'enrichir les papes : il ne leur en revient rien. Il les accorde gratis, et toujours pour des causes légitimes et utiles au bien de l'Église et au salut des fidèles c'est ce qu'ont enseigné, et ce qu'enseigneront toujours les catholiques ; et leur prêter d'autres sentiments, c'est les calomnier, et leur faire la plus grande injustice.
Outre ces objections tirées des ouvrages de Calvin, en voici encore quelques autres que j'ai remarquées dans divers auteurs protestants et luthériens, auxquelles je veux achever de répondre, pour vous prémunir contre toutes les difficultés que l'on pourrait peut-être encore vous proposer.
Toute doctrine, disent-ils, qui tend à effacer les grandes idées que la religion nous donne de l'énormité du péché et de la sévérité des jugements de Dieu ; toute doctrine qui ouvre la porte au relâchement et à l'abandon des œuvres de pénitence, est certainement une doctrine affreuse et détestable ; or telle est la doctrine qui établit les Indulgences : elle renverse les justes idées que la religion nous donne de l'énormité du péché, et elle insinue que ce n'est pas une offense infinie envers Dieu, puisqu'elle suppose que l'homme, néant et poussière par lui-même, peut satisfaire à la justice divine pour son péché : elle ouvre pareillement la porte au relâchement et à l'abandon des vertus chrétiennes et des exercices de la pénitence, en assurant le pénitent que toute la peine due à cause de son péché lui est remise ; d'où il suit qu'il n'est plus obligé de faire de dignes fruits de pénitence, mais seulement à ne plus pécher, et à vivre chrétiennement.
Voilà certainement, Messieurs, l'objection dans toute sa force, voici la réponse : si nous étions assez téméraires et dépourvus de bon sens, pour avancer que l'homme peut satisfaire à la justice divine pour la coulpe du péché et pour la peine éternelle qu'il mérite, ce serait, j'en conviens, avec grande raison que vous nous soupçonneriez d'affaiblir et d'effacer les grandes idées que la religion nous donne de l'énormité du péché ; ce serait le regarder comme une offense bien légère qu'un pur homme pourrait réparer mais que vos ministres nous rendent justice, ils confesseront que nous sommes bien éloignés de ces pensées téméraires, présomptueuses et absurdes : ils ne peuvent ignorer que, selon nos principes, l'énormité du péché est telle que l'homme, ni même aucune pure créature ne pouvait offrir à Dieu une satisfaction digne de cet Être suprême, et capable de compenser l'outrage fait à son infinie Majesté, qu'il n'y avait qu'un Homme-Dieu qui pût opérer ce grand ouvrage, et que c'est en effet dans cette vue que le Fils de Dieu s'est fait homme, et obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. Ils savent pareillement que c'est, selon nous, un article de foi, que l'homme, avant d'être justifié, ne peut faire aucun acte méritoire pour le Ciel : ils savent donc que nous sommes bien éloignés de penser que l'homme puisse satisfaire à la justice divine pour la coulpe du péché et pour la peine éternelle qu'il mérite. Nous ajoutons que, même après la rémission du péché quant à la coulpe et à la peine éternelle, Dieu exige encore que nous satisfassions à sa Majesté offensée, par des peines temporelles, soit en cette vie, par de dignes fruits de pénitence, soit en l'autre, dans le purgatoire. Peut-on soutenir que cette doctrine affaiblit et efface les grandes idées que nous devons avoir de l'énormité du péché et de la sévérité des jugements de Dieu à cet égard ? Ce n'est point à nous que l'on peut faire ce reproche ; mais à vous autres qui prétendez que la foi seule justifie ; que Dieu en nous remettant la coulpe, nous relâche aussi toute la punition que nous avions méritée, et qu'après la mort, il n'y a point de purgatoire à craindre.
Faisons à peu près le même raisonnement au sujet de cet autre reproche que les Indulgences ouvrent la porte au relâchement et à l'abandon des œuvres de pénitence. Si nous disions que sans avoir recours à la prière, au sacrement et aux exercices de pénitence, on obtient par les seules Indulgences l'absolution de ses péchés, et la rémission de toute satisfaction due à la majesté de Dieu offensé, j'en conviens, notre doctrine conduirait véritablement au relâchement et à l'abandon des œuvres de pénitence. Mais vos ministres savent qu'au contraire nous disons que l'Indulgence ne s'accorde qu'à certaines conditions, et qu'elle suppose et exige des exercices de piété et de mortification évangélique. C'est une maxime certaine et constante, qu'on ne peut la gagner sans être en état de grâce. Le désir d'obtenir cette grâce de l'Église, excite le pécheur à rentrer en lui-même, à se détacher du péché et à se convertir. Ajoutons même qu'ordinairement la confession, la contrition, la communion, l'aumône, et quelquefois même les jeûnes, sont les conditions prescrites par les bulles des souverains pontifes pour gagner les Indulgences. Bien loin donc de porter au relâchement et à l'abandon des œuvres de pénitence, elles réveillent l'attention des fidèles, elles les excitent aux pratiques de piété les plus saintes et les plus propres à entretenir parmi nous la ferveur et l'es prit de religion.
D'où provient en effet ce zèle avec lequel on s'empresse de gagner les Indulgences ? du désir ardent que l'on a d'être en possession du royaume des cieux, et de jouir de la vue de Dieu au moment du trépas. L'âme vraiment chrétienne, redoutant les jugements de Dieu, saisit avec joie le moyen que l'Église lui offre d'acquitter ses dettes envers Dieu, afin qu'au moment de la mort, délivrée de ce qui pourrait retarder sa félicité, elle puisse jouir incontinent après de la vue de Dieu, qui seul peut faire les heureux. Or, Messieurs, ne conviendrez-vous pas que le désir de posséder un si précieux avantage, est un désir saint qui suppose un cœur brûlant d'amour pour Dieu, une âme saintement empressée de lui être réunie dans le séjour des bienheureux, et conséquemment disposée à pratiquer les vertus chrétiennes et les œuvres de pénitence qui peuvent lui procurer l'accomplissement de ses vœux et de ses désirs ?
Comparez enfin la conduite et les sentiments de ceux qui sont jaloux de gagner les Indulgences, avec les sentiments et la conduite de ceux qui s'en mettent peu en peine ; et vous remarquerez dans ceux-là une vraie dévotion, un goût décidé pour la prière, un attrait particulier pour les vertus chrétiennes et pour les pratiques de la pénitence que vous ne trouverez pas dans ceux-ci. Preuve sensible que les Indulgences, bien loin de ralentir la ferveur et le zèle du chrétien, ne contribuent pas peu à fomenter et à entretenir l'esprit du christianisme dans ceux qui ont déjà le bonheur d'en être remplis, et à le réveiller dans ceux qui auraient le malheur de s'être abandonnés au relâchement.
Puisque nous sommes enfin sur cet article, il faut que je vous fasse encore observer que ce sont vos principes qui conduisent réellement au relâchement et à l'abandon des vertus chrétiennes et des exercices de la pénitence. Vos ministres vous enseignent, comme nous l'avons dit ci-devant, que Dieu nous remettant la coulpe, nous remet aussi toute la punition que nous avions méritée, et qu'après la mort il n'y a point de purgatoire à craindre. D'un autre côté, ils enseignent que la foi seule, sans les œuvres, justifie. D'où il s'ensuit qu'au moment de la mort, pourvu que l'on ait seulement la foi, on est sûr d'être justifié, et assuré d'être à cet instant sauvé et mis en possession du royaume des cieux. Cette conséquence est nécessaire et évidente ; mais ne faut-il pas être aveugle pour ne pas s'apercevoir que ces principes conduisent naturellement au relâchement et à l'abandon des vertus chrétiennes ? Comment donc vos ministres ont-ils la témérité de nous faire des reproches qui ne tombent nullement sur nous, mais directement et uniquement sur eux ? Foderunt foveam, et inciderunt in eam.
Je ne vous parle point de plusieurs questions que l'on peut proposer au sujet des Indulgences, que traitent particulièrement nos casuistes ; elles ne sont pas de foi, et je vous ai prévenu que je ne voulais m'attacher qu'à l'essentiel, et que l'on ne peut refuser de croire, sans perdre le précieux don de la foi ; bien convaincu que, si vous vous rendez une fois sur ce qui concerne le dogme, il ne sera pas difficile de nous concilier sur tous les autres articles.
FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER
1Statuit sancta synodus.... nulla etiam admittenda esse nova miracula, nec novas reliquias recipiendas, nisi eodem recognoscente et approbante Episcopo, qui simul atque de iis aliquid compertum habuerit, adhibitis in concilium Theologis et aliis piis viris, ea faciat quæ veritati et pietati consentanea judicaverit. Conc. Trid. sess. 15. de Sacris Imaginibus.
2Tulit quoque ossa Joseph secum, eò quod adjurasset filios Israel, dicens, Visitabit vos Deus : efferte ossa mea hinc vobiscum. Exod. 13, v. 19.
3Cùmque adjurasset eos atque dixisset, Deus visitabit vos, asportate ossa mea vobiscum de loco isto. Gen. Lib. 24.
4Fide Joseph moriens de perfectione filiorum Israel, memoratus est, et de ossibus suis mandavit. Heb. 11.
1Dimittite eum, nemo commoveat ossa ejus, et intacta manserunt ossa illius cum ossibus Prophetæ qui venerat de Samaria. 4. lib. Reg. c. 23.18.
2Projecerunt cadaver in sepulcro Elisæi, quod cum tetigisset ossa Elisæi, revixit Lomo et stetit super pedes suos. 4. Reg. 13.
1Matth. 9.
2Ibidem.
3Calv. Com. Harm. Etang. in cap. 9. Matth.
4Id. Ibid.
5Id. Ibid.
1Itâ ut veniente Petro, saltem umbra illius obumbraret quemquam illorum, et liberarentur ab infirmitatibus suis. Act. 5.
2Ità ut etiam super languidos deserrentur à corpore ejus sudaria et semicinctia, et recedebant ab iis languores et spiritus nequam egrediebantur. Act, 9.
1Magis autem augebatur credentium in Domino multitudo virorum ac mulierum, ità ut in plateas ejicerent infirmos, et ponerent in lectulis ac grabatus, ut veniente Petro, saltem umbra illius obumbraret quemquam illorum, et liberarentur ab infirmitatibus suis. Act. 9.
1Væ vobis Scribæ et Pharisæi hypocritæ, qui ædificatis sepulchra Prophetarum, et ornatis monumenta Justorum. Matth. 25.
2Si fuissemus in diebus patrum nostrorum, non essemus socii corum in sanguine Prophetarum. Matth. 23.
1Itaque testimonio estis vobis metipsis, quia filii estis eorum qui Prophetas occiderunt, et vos implete mensuram patrum vestrorum. Matth. 23.
2Mortuusque est ibi Moises servus Domini in terra Moab, jubente Domino ; et sepelivit eum in valle terræ Moab contrà Phogor, et non coguovit homo sepulchrum ejus, usque in præsentem diem. Deut.
1Legatarius Antonii benedicti, qui tritum pallium cum melote imperio ejus meruerat accipere, Antonium in Antonii muneribus amplectitur, et tanquam magna hæreditate ditatus lætanter per vestimentum recordatur imaginem sanctitatis. S. Athan. in vita. B. Antonii.
2Diebus solemnibus Paschæ et Pentecostes semper Pauli tunicâ vestitus est. S. Hier, in vitâ Beati Pauli eremitæ.
3Hi sunt, qui nostram regionem administrant, et veluti turres quædam cohærentes securitatem ab hostium incursu cohibent, non uno loco se includentes, sed multis jam locis hospites facti, et multas patrias exornantes. S. Bas. orat. in 4 martyres.
4Corpus venerandum (Theodori) et immaculatum ipsius (anime) instrumentum cum multo honore, et cum cultu compositum atque ornatum, in augusto sacroque loco situm est. S. Greg. Nyssenus, oratione in Theodorum.
5Hæc (Sanctorum corpora) non colis, sed contemnis et aspernaris, qui Herculis rogum ex calamitate, injuriisque mulieribus illatis excitatum admiraris, S. Greg. Nazianz, orat. 1 in Julianum.
6Ut autem non solum anima Sanctorum honoretur, credaturque quòd etiam in corporibus mortuorum inest virtus seu potentia jacens, in sepulcro Eiisæi mortuus, mortuumque Prophetæ corpus attingens, vivificatus est. S. Cyrillus Jeros. Catechesi 17.
7Cuncti martyres devotissimè percolendi sunt : sed ii præcipuè venerandi sunt à nobis, quoram relliquias possidemus. S. Maximus in Sermone de Octavio Adventore et Solutore.
1Illas festivitates martyrum vel eonfessorum observare decrevimus, quorum in unaquaque Parochia sancta corpora requiescunt. Concil. Mogont. Can. 31.
2Salvator noster Christus fontes salutares, Sanctorum reliquias nobis reliquit, multis modis beneficia fundentes. Concil, Nican. 2.
1Confundantur omnes qui adorant sculptilia, et qui gloriantur in simulacris suis. Psal. 96. 7.
1Honoro in carne martyris exceptas pro Christi nomine cicatrices. Honoro per confessionem Domini sacratos cineres. Honoro in cineribus semina æternitatis. Honoro corpus quod mihi Dominum meum ostendit diligere, mortem docuit non timere : cur autem non honorent corpus illud fideles, quod reverentur et dæmones, quod et afflixerunt in supplicio, sed glorificant in sepulchro. S. Ambr. Serm. in SS. Nazar. et Cels.
2Honoro itaque corpus quod Christus honoravit in gladio, quod cum Christo regnabit in Cœlo Id. Ibid.
1Imagines porrò Christi, Dei paræ Virginis, et aliorum Sanctorum in templis præsertim habendas et retinendas, eisque debitum honorem et venerationem impertiendam, non quod credatur inesse aliqua in iis divinitas, vel virtus, propter quam sint colendæ, vel quòd sit ab iis aliquid petendum, vel quòd fiducia in imaginibus sit figenda, veluti olim fiebat à gentibus quæ in idolis spem suam collocabant ; sed quoniam honos qui eis exhibetur, refertur ad Prototypa quæ illæ representant, ità ut per imagines quas osculamur, et coram quibus caput aperimus et procumbimus, Christum adoremus, et Sanctos quorum illæ similitudinem gerunt, veneremur. Id quod conciliorum præsertim verò secundæ Nicænæ synodi decretis contrà imaginum oppugnatores est sancitum. Conc. Trid. sess. 25 de Invocatione, Veneratione et Reliquiis Sanctorum et sacris Imaginibus.
1Omnis porrò superstitio in... imaginum sacro usu tollatur, etc... Hæc ut observentur sideliùs, statuit sancta synodus nemini licere ullo in loco, vel Ecclesia.... ullam insolitam ponere, vel ponendam curare imaginem, nisi ab Episcopo approbata fuerit. Id. Ibid.
2Firmiter habeo credoque imagines Christi, Dei-paræ virginis et aliorum Sanctorum habendaş at retinendas, eisque debitum honorem, et venerationem impertiendam.
1Non quòd credatur inesse aliqua in iis divinitas, vel virtus propter quam sint colendæ.
2Non quòd sit etiam ab illis quid petendum, vel quòd fiducia in îmaginibus sit figenda, veluti olim fiebat à Gentibus quæ in idolis spem suam collocabant.
3Sed quoniam honos qui eis exhibetur, refertur ad Prototypa quæ illæ repræsentant ; ità ut per imagines quas osculamur, et coram quibus caput aperimus et procumbimus, Christum adoremus, et Sanctos quorum illæ similitudinem gerunt, veneremur.
1Omnis porrò superstitio in... Imaginum sacro usu tollatur, etc..... Hæc ut observentur fideliùs statuit sancta synodus, nemini licere ullo in loco vel Ecclesia..... ullam insolitam ponere, vel ponendam curare imaginem, nisi ab Episcopo approbata fuerit.
1Duos quoque Cherubim aureos et productiles facies ex utrâque parte oraculi. Exod. 25. 18.
2Cherubim unus sit in latere uno, et alter in altero. Id. Ibid.
3Et fecit in oraculo duos Cherubim de lignis olivarum, decem cubitorum altitudinis.. posuitque Cherubim in medio templi interioris... texit quoque Cherubim auro, 3. Reg. 6. 23, 27 et 28
1Sicut Moïses exaltavit serpentem in deserto, ità exaltari oportet filium hominis. Joan
1Gen. 3.
1Quod si aliquando historias et narrationes Sacræ Scripturæ, cùm id indoctæ plebi expediet exprimi et figurati contigerit, deceatur populus, non proptereà divinitatem figurari, quasi corporis oculis conspici, vel coloribus aut figuris exprimi possit. Conc. Trid. sess. 26, de SacriImaginibus.
1Non vidistis aliquam similitudinem in die qua locutus est vobis Dominus in Oreb de medio ignis. Ne fortè decepti faciatis vobis sculptam similitudinem aut imaginem masculi vel fœminæ, similitudinem omnium jumentorum quæ sunt super terram, vel avium sub cœlo volantium atque reptilium quæ moventur in terra, sive piscium qui sub terra moventur in aquis, ne fortè elevatis oculis ad cælum videas solem et lunam, et omnia astra cœli, et errore deceptus adores ca, et colas quæ creavit Dominus Deus tuus in ministerium cunctis gentibus quæ sub cælo sunt. Deut, cap. 4
2Ego sum Dominus Deus tuus, qui eduxi te de terrâ Ægypti de domo servitutis ; non habebis Deos alienos coram me, non facies tibi sculptile, neque omnem similitudinem quæ est in cælo desuper, et quæ in terra deorsum. Non adorabis ea neque coles. Ego sum Dominus Deus tuus. Exod. 20. capite.
1Ego Dominus Deus vester : non facietis vobis idolum et sculptile, nec titulos erigetis, nec insignem lapidem ponetis in terrâ vestrâ ut adoretis eum. Ego enim sum Dominus Deus vester. Levit. 26. 1.
1Cùm id indoctæ plebi expediet exprimi et figurari, doceatur populus non proptereà Divinitatem figurari, quasi corporis oculis conspici, vel coloribus aut figuris exprimi possit.
2Dei-paræ Virginis et aliorum Sanctorum in templis præsertim habendas et retinendas eisque debitum honorem et venerationem impertiendam ; non quod credatur inesse aliqua in eis divinitas vel virtus, propter quam sint colendæ, vel quod sit ab iis aliquid petendum, vel quod fiducia in imaginibus sit figenda, veluti olim fiebat à Gentibus quæ in idolis spem suam collocabant, sed quoniam honos qui illis exhibetur, refertur ad prototypa quæ illæ repræsentant, ita ut per imagines quas osculamur, et coram quibus caput aperimus et procumbimus, Christum adoremus, et Sanctos quorum illæ similitudinem gerunt, veneremur. Conc. Tril. sess. 25.
1Locutus est autem Dominus ad Moïsen, dicens : Vade, descende, peccavit populus tuus quem eduxisti de terra Ægypti. Recesserunt citò de via quam ostendisti eis, feceruntque sibi vitulum constatilem, et adoraverunt, atque immolantes et hostias, dixerunt : Isti sunt Dii tui, Israel, qui te cduxerunt de terra Ægypti. Exod. 52.
1Incredulis autem eadem figura ad interitum, condemnationemque præferetur.
2Ubi est ovis perdita à Domino requisita, et humeris ejus revecta. Procedant ipsæ picturæ calicum vestrorum, si vel in illis perlucebit interpretatio pecudis illius.
3Timor et tremor cadunt super nos (dæmones) cùm signum in vobis viderint crucis fideliter fixum.
1Video manus ad ignem luctam, exactiùs à vobis descriptam. Video luctatorem vestra imagine illustriùs depictum. S. Basil. Oratione in sancti Barlaam martyrium.
2Sæpenumero miserabilis hujus rei imaginem in pictura vidi, nec absque lacrymis præterii spectaculum, adeo perspicuè atque evidenter ars pingendi oculis rem gestam subjecit. S. Greg. Nyss. Oratione de Filii et Spiritûs Sancti divin.
3Nos Petri et Pauli apostolorum, et Christi etiam ipsius imagines in picturis colorum varietate expressas, conservatasque aspexerimus. Lib. 7. Hist. Eccl. cap. 14.
4Cùm certior factus esset (Julianus) Cæsareæ Philippi (est ea quidem Urbs Phæniciæ) quam Pancadem vocant, præclaram esse Christi statuam, quam mulier, quæ sanguinis profluvio laborabat, cùm esset morbo liberata, ibi collocaverat, eam deturbavit, suamque in ejus loco posuit. Sosom. lib. 5. c. 20.
5Mulier illa quæ sanguinis fluxu laboraverat, præclaram ex ære Christo erexit statuam.... ad hujus pedes herba nata est, quæ præsentissimum ægritudinum omnium, potissimum verò tabidi morbi remedium... statuam autem Christi christiani tum in Diaconicum transtulerunt , et honoratiore loco positam cultu convenienti prosecuti sunt. Niceph. Historiæ suæ lib, 10. cap. 30.
6Niceph. lib. 14. Ilist. eccl. cap. 2.
1Sed et qui crucis nos religiosos putat, consentaneus erit poster, cùm signum aliquod propitiatur. Apol. cap. 16.
2Ad omnem progressum atque promotum, ad omnem aditum et exitum, ad vestitum, ad calceatum, ad lavacra, ad mensas, ad lumina, ad cubicula, ad sedilia, quandocumque nos conversatio exercet, frontem crucis signaculo teremus. Tert. lib. de Corona militis. cap. 5
1Inveni ibi velum pendens in foribus ejusdem ecclesiæ tinctum atque pictum, et habens imaginem quasi Christi vel Sancti cujusdam : non enim satis memini cujus imago fuerit ; cùm ergo hæc vidissem in ecclesia Christi, contra autoritatem Scripturarum hominis pendere imaginem, scidi illam et magis dedi consilium ejusdem loci custodibus, ut pauperem mortuum eo obvolverent et efferrent. S. Epiph. ad Joannem Jerosolimit. apud S. Hieronimum.
2Placuit picturas in ecclesia esse non debere, ne quod colitur aut adoratur, in parietibus depingatur. Concilium Elib. canone 36.
1Non enim satis memini cujus imago fuerit.
2Velum tinctum atque depictum, habens imaginem quasi Christi aut sancti cujusdam.
3Cùm ergo vidissem in ecclesia Christi contrà auctoritatem Scripturarum hominis pendere imaginem, scidi illam.
1Placuit picturas in ecclesia debere non esse, ne quod colitur aut adoratur, in parietibus depingatur.
1Nequaquam autem sic statuimus quemadmodum quidam nugantur, ut imagines, tanquam Deos, conficiamus : labor enim et fatigatio nostra quam exhibemus in desiderium Dei sanctorumque ejus perficitur.... non inquam, in coloribus, et tabulis honorem constituentes, sed eorum prædicantes, quorum appellationem imagines referunt. Epist. Adrian. ad Iren.
2Apertis verbis testamur nos duntaxat in unum Deum verum latriam, hoc est cultum et fidem nostram referre et reponere. Conc. Nic. 2. Act. 2.
3Universa sancta synodus sic credit, et docet. Id. Ibid.
4Eo sensu quo dixit Basilius magnus, quod imagini honor exhibitus ad ipsum Prototypum referatur. Id. Art. 3.
1Templa nugacibus et vanis picturis ornanda non sunt, sed historiis veteris et novi Testamenti parietes templi replere convenit, ut hi qui litteras non norunt, nec Sacram Scripturam legere queunt, contemplatione picturæ in memoriam reducant, quinam germanė vero illi Deo per fortia facinora servierunt, atque ad imitationem excitentur laudatorum facinorum per quæ cum cœlo terram commutaverunt. Id. Art. 4.
2Definimus cum omni diligentia et curâ, venerandas esse sanctas imagines ad modum et formam venerandæ et vivificantis crucis, é coloribus, è tesseris, aut alia quâvis materia commodè paratas dedicandas, et in templis Dei collocandas, habendasque, tum in sacris vasis et vestibus, tum in parietibus et tabulis, in ædibus privatis, in viis publicis ; maximė autem imaginem Domini et Dei Salvatoris nostri Jesus-Christi, deindè intemeratæ Dominæ nostræ Dei-paræ, venerandorum Angelorum, et omnium deindè Sanctorum vivorum, quò scilicet per hanc imaginum picta-rum inspectionem, omnes qui contemplantur, ad prototyporum memoriam et desiderium et recordationem veniant, illisque salutationem et honorariam adorationem exhibeant, non secundùm fidem nostram veram latriam, quæ solum divinæ naturæ competit, sed quemadmodum typo venerandæ et vivificantis crucis et sanctis Evangeliis, et reliquiis, et sacris oblationibus suffitorum et luminarium reverenter accedimus, quemadmodum veteribus piè in consuetudinem hoc adductum est. Magnus enim honor in prototypum resultat, et qui adorat imaginem, in eâ adorat quoque descriptum argumentum. Conc. Nic. 2.
1Nihil nos in imaginibus spernamus præter adorationem, quippè qui in basilicis Sanctorum imagines non ad adorandum, sed ad memoriam rerum gestarum, et venustatem parietum habere permittimus. Lib. Can. lib. 3. cap. 16. n. 81.
2Illi anathematisabant non habentes ; isti contrariò non adorantes. Quæ duo mala, cùm alterutrum sibi contraria sint, et à recto remota, restat nobis, ut viam regiam secundùm Apostolum gradientes, neque ad dextram neque ad sinistram declinemus : ut nec cum illis prorsùs abolendas dijudicemus, nec cum istis adorandas decernamus, sed solum Deum adorantes, et ejus Sanctos venerantes, secundum antiquam Patrum et ecclesiasticam traditionem, eas in ecclesia in ornamenta, et memoriam rerum gestarum, si libet, habeamus. Lib. Carol. lib. 2. cap. 30.
1Allata est in medio quæstio de novà Græcorum synodo, quam de adorandis imaginibus Constantinopoli fecerunt : in quâ scriptum habebatur, ut qui imaginibus Sanctorum, ita ut Deificæ Trinitati servitium aut adorationem non impenderent, anathema judicarentur. Qui suprà Sanctissimi Patres nostri omnimodis adorationem et servitium renuentes contempserunt, atque consentientes condemnaverunt. Conc. Franc.
1Atque ita nos demum ossa illius gemmis pretiosissimis cariora et quovis auro potiora colligentes ubi decebat condidimus, quo etiam in loco nobis si fieri poterit convenientibus concedet Deus natalem ejus Martyrii diem cum hilaritate et gaudio celebrare. Lib. 4. Hist. Eccles. cap. 15. Edit. Mogunt. ex versione Valesii, p. 153.
2Si quis nostrum prior divinæ dignationis celeritate præcesserit, perseveret apud Deum dilectio nostra, etc. Lib. 1. Epit. 1. Ed. Froben. pag. 5.
3Tantum mementote tunc nostri, cùm incipiet in vobis virginitas honorari. Lib. 2. de Habitu Virginum. Ed. Froben. p. 261.
1Virginem Mariam supplex obsecrans, ut periclitanti virgini suppetias ferret. την πορτένον Μαρίαν ικετεύσα βοητῆσαι παρτένῳ κινδυνευούση. Orat. 18. Tom. 1. Ed. Colon. p. 279.
2Videas in Doctorum hujus tertii sæculi scriptis non obscura vestigia invocationis Sanctorum. Centuria 3. cap. 4. Ed. Oporini, p. 83.
3Secundùm immaculatam fidem Christianorum, quam divinitus sumus sortiti, confiteor, etc. Suscipio autem S. Apostolos, et Prophetas, et Martyres, et ad supplicationem, quæ est ad Deum, hos invoco, ut per eos, id est per interventionem eorum propitius sit mihi misericors Deus. Ep. 205. Tom. 3. Ed. Paris. p. 224.
1Qui aliquâ premitur angustia ad hos confugit, qui rursus lætatur ad hos recurrit, hic ut à malis liberetur, ille ut duret in rebus lætis ; Hic mulier orans pro filiis deprehenditur : peregrinanti viro reditum incolumen, ægrotanti verò salutem implorat. Hom. 20. in 40 Martyres. Tom. 1. Ed. Par. p. 459.
2Non dicit.... qui premitur ad hos confugiat, sed recitativè vulgi et muliercularum concursum exponit. Parte 3. de Invocatione Sanctorum. Ed. Francof. p. 329. N. 40.
1Basilius Nazianzenus et Nyssenus primi fuerunt, qui invocationem Sanctorum ex privatis monachorum devotionibus, et vulgi persuasionibus in Ecclesiam invexerunt, In parte 3. Exam. Edit. Francof. pag. 328. Ν. 30.
2Orationes panegyricas declamatoriis flosculis, et rhetoricis apostrophis ita exornarunt, ut opinionem de comprecationibus et auxiliis Sanctorum tanquam publicum dogma in immensum exagerarent, et ad compellationes eorum, quorum memoriam celebrabant orationem converterent, atque ità figuram orationis ad formam invocationis declinarent. pag. 328. N. 40.
3Memores estote Martyris, quotquot in hoc loco constituti adjutorem ipsum ad precandum habuistis, quibuscunque ex nomine advocatus ipsis adfuit operibus, quotquot ex peregrinatione reduxit, quoscunque sanitati restituit, quibuscunque filios jam mortuos ad vitam reductos reddidit. Hom. 26. T. 3. Ed. Paris. p. 515.
1Multorum beneficiorum indigemus, intercede ac deprecare pro Patria apud communem Regem ac Dominum. Timemus afflictiones, expectamus pericula : Non longè absunt scelesti Scythæ bellum adversum parturientes. Ut miles propugna (pro nobis) ut Martyr pro conservis utere libertate loquendi. Pete pacem, ut hi publici conventus non desinant. Nos etiam quod incolumes et integri conservati sumus, tibi beneficium acceptum referimus. Petimus autem etiam futuri temporis præsidium atque securitatem. Quod si majori etiam opus fuerit advocatione ac deprecatione, fratrum tuorum Martyrum coge chorum, et cum omnibus unà deprecare.... Admone Petrum, excita Paulum, Joannem item discipulum dilectum, ut pro Ecclesiis, quas constituerunt, sint solliciti, etc. In orat. de S. Theodoro. T. 5. Ed. Paris. p. 585.
2Cùm hoc Sacrificium offerimus, facimus mentionem etiam eorum, qui ante nos obdormierunt, primùm Patriarcharum, Prophetarum, Apostolorum, Martyrum, ut Deus orationibus illorum suscipiat preces nostras, etc. Cath. 5. Mystag. Edit. Par. apud Hieron. Drouart. p. 241.
1Obsecrandi suut Angeli, qui nobis ad præsidium dati sunt, Martyres obsecrandi, quorum videmus nobis quoddam corporis pignore patrocinium vindicari..... Non erubescamus eos intercessores nostræ infirmitatis adhibere, qui et ipsi infirmitatem corporis etiam cùm vincerent cognoverunt.
2Romæ, quæ Urbium est regalissima, relictis omnibus ad sepulchra piscatoris, et tabernaculornm opificis currunt et reges et præsides et duces ; et Constantinopoli reges nostri magnam gratiam putant, non si prope Apostolis, sed si vel extra eorum vestibulum corpora sua sepeliantur, fiantque piscatorum ostiarii reges. In demonst. quod Christus sit Deus circa medium. T. 5. Edit. Front. Ducæi. p. 859.
3Neque die tantùm hujus festivitatis, sed aliis etiam diebus iis assideamus, eas obsecremus', obtestemur ut patronæ sint nostræ. Παρακα λῶμεν άυτας, αξιῶμεν γενεσται προςάτιδας ὑμῆν. Multam enim fiduciam obtinent non viventes modò, sed et mortuæ. Jam enim ferunt stigmata Christi. Cum autem stigmata hæc ostenderint, omnia Regi possunt persuadere. T. 1. Edit. Front. Ducæi. p. 570.
1In scriptis illis, quæ certò constat esse Chrysostomi, nec docet, nec defendit, nec usurpat invocationem Sanctorum. In. 3. parte examinis, Ed. Francof. p. 335. N. 40.
2Tom. 5. Ed. Froben. p. 1345.
3Omnia enim istis temporibus plena fuisse præsumptionibus ipse ad Januarium conqueritur, ubi et hoc addit ; multa hujusmodi propter nonnularum vel sanctarum, vel turbulentarum personarum scandala devitanda liberius improbare non audeo. In 5. parte exam. Pag. 345. N.10
1Ad mensam Domini non sic martyres commemoramus quemadmodum alios, qui in pace requiescunt, ut etiam pro eis oremus, sed magis ut orent pro nobis. Tract, 86. in Joan. Tom. 9. Edit. Froben. pag. 451.
2Injuria est pro martyre, cujus nos debemus orationibus comm.cndare. Serm. 17. de verbis Apost. Ed. Froben. p. 343.
3Pag. 345. Ν. 50.
4Adversus Vigilantium. T. 4. Ed. Martianay, parte 2. p. 285.
5Drejerus disput. de Invocat. Sanct. Edit. 2. Regio-Montanæ, pag. 924.
6Kemnit, parte 5. p. 31. N 90.
7Art. 9. de Invocat. Sanct. typis Scholvini, p. 223.
1Ergo cineres suos amant animæ martyrum, et circumvolant eos, semperque præsentes sunt, ne forte, si aliquis precator advenerit, audire non possint. O portentum in terras ultimas deportandum! rides de reliquiis Martyrum, et cum autore hujus hæreseos Eunomio Ecclesiis Dei calumniam struis. T. 4. Ed. Martianay, part. 2. p. 285.
2Victorum martyrum templa clara et conspicua cernuntur, magnitudine, præstantiâ et omni ornatûs genere illustria, et pulchritudinis splendorem latè fundentia. Neque ad hæc nos semel, bisve aut quinquies quotannis accedimus, sed frequentes conventus celebramus, sæpe etiam diebus singulis horum Domino laudes decantamus, et qui integrâ sunt valetudine, hanc sibi conservari, qui autem morbo quopiam conflictantur, hunc depelli petunt. Petunt et liberos, qui his carent, et quæ steriles sunt, rogant, ut matres fiant ; qui donum adepti sunt, salvum id sibi servari postulant. Qui peregrinationem aliquam auspicantur, ab his petunt, ut viæ sibi comites sint, ducesque itineris ; qui sospites redierunt, gratias referunt, non illos adeuntes ut Deos, sed tanquam divinos homines orantes, intercessoresque sibi ut esse velint postulantes. Quod verò votorum compotes fiant, qui fideliter petunt, paləm m testantur illorum donaria curationem indicantia. Alii enim oculorum, alii pedum, alii manuum simulacra suspendunt, ex auro argentoque confecta. SerM. 8 de Martyribus. T.4 Ed Cramoisy p.605
1In exam. 3 parte p. 337 N.10
2Ad Leonem Ep. 113. T. 3. Ed. Sirm. p. 987.
3Ad Renat. Ep. 116. T. 3. p. 989.
4Interrog. 1. in Lev. T. 1. Ed. Sirm. p. 114.
1Manè salutatum concurritur, omnis adorat
Pubis : eunt, redeunt, solis ad usque obitum
Conglobat in cuneos Latios simul ac peregrinos
Permixtim populos religionis amor.
Oscula perspicuo figunt impressa metallo,
Balsama defundunt : fletibus ora rigant.
Jam cùm se renovat decursis mensibus annus,
Natalemque diem passio festa refert,
Quanta putas studiis certantibus agmina cogi,
Quæque celebrando vota coïre Deo!
Urbs Augusta suos vomit essunditque Quirites
Unà et Patricies ambitione pari.
Gonfundit plebeja phalanx umbonibus æquis,
Discrimen procerum præcipitante fide.
Nec minus Albanis acies se candida portis
Explicat, et longis ducitur ordinibus.
Exultant fremitus variarum hinc inde viarum
Indigena, et Picens, plebs et etrusca venit.
Concurrit Samnitis atrox habitator, et altæ
Campanus Capuæ, jamque Nolanus adest.
Quisque suâ lætus cum conjuge, dulcibus et cum
Pignoribus rapidum carpere gestit iter.
Vix capiunt patuli populorum gaudia campi,
Hæret et in magnis densa cohors spatiis.
Angustum tantis illud specus esse catervis,
Haud dubium est, ampla fauce licet pateat.
Stat sed juxta aliud, quod tanta frequentia temp",
Tunc adeat, cultu nobile regifico.
Lib. de Coronis Ed. Paris. p. 289.
2Mira loci pietas, et prompta precantibus ora,
Spes hominum placidâ prosperitate juvat ;
Hic corruptelis animique et corporis æger,
Oravi quoties stratus, opem merui.
Pag. 228. V. 175.
1Expos. Art. 4. p. 19. Ed. Paris.
2Cath. Rom. Part. 3. Tit. De Cultu et Invoc. Sanctorum.
3Part. 4. Tit. Quis orandus sit. Edit. Colon. p. 561.
1Rom. 10. 14.
2Tertia part. Exam. p. 500. Ν. 10
3Tertia parte Exam. p. 296. Ν. 40
1Tertia part. Exam. p. 347. N. 30
2Sno loco et ordine numerantur, non tamen à Sacerdote qui sacrificat invocantur. Aug. lib. 22. De Civitate Dei. c. 10. T. 5. Ed. Froben. pag. 1355.
3Quis enim Antistitum altari assistens aliquando dixit, offerimus tibi Petre, aut Paule, aut Cypriane : sed quod offertur, offertur Deo, qui martyres coronavit. Lib. 20. contra Faustum. c. 21. T. 6. Ed. Froben. pag. 379.
4Tract. 86. in Joan. T. 9. Ed. Froben. p. 541. Serm. 17. de verbis Ap. T. 10. Ed. Froben. p. 545.
5Hic prorsùs transfertur in Sanctos proprius honor Christi, faciunt enim eos mediatores et propitiatores, et quanquam distinguunt de mediatoribus intercessionis et mediatoribus redemptionis, tamen planė faciunt ex Sanctis mediatores redemptionis. Apol. Art. 9. de Invoc. Sanct. pag. 223. Ed. Scholvini.
1Atque etiam illud dicunt sine testimonio Scripturæ, quod sint mediatores intercessionis, quod ut verecundissimė dicatur, tamen obscurat officium Christi, et fiduciam misericordiæ debitam Christo transfert in Sanctos. pag. 225.
2Ibid.
31. Tim. 2. 1. Rom. 15.30.
4Tertia part. Exam, pag. 298. Ν. 20.
1Sess. 6. c. 7.
2Eph. 1. 3.
3Art. 9. de Invoc. Sanct. p. 227. Typis Scholvini
4Tertia part. Exam. pag. 299. N. 20
1Recordare Ahraham, Isaac et Jacob servorum tuorum. Exod. 32. 13.
2Cùm Christus sit constitutus Intercessor et Pontifex, cur quærimus alios. Art. 9. de Invoc. Sanct. p. 227.
3Sic autem petere quemadmodum in Litaniis, nihil est aliud quam adorare Sanctos ; talis enim petitio exigit, ut is qui rogatur sit ubique præsens. In Confess. Wurtemb. de Invoc. Sanct. Vid. Syntagma Contess Ed. Genev. p. 112.
1De quibus non possumus esse certi an cognoscant preces nostras, illi non nisi temerè invocantur. Argum. 3. de Invocat. Sanct. Edit. 2. Regio-Montanæ p. 836.
1Dixit autem illi, orationes tuæ, et eleemosynæ tuæ ascenderunt in memoriam in conspectu Dei. Act. 10. 4.
2Ego obtuli orationem tuam Domino. Tob. 12. 12.
3Luc. 15. 7.
4Matth. 22. 30.
5Habentes singuli citharas et phialas aureas plenas odoramentorum, quæ sunt orationes Sanctorum. Apoc. 5. 8.
6Luc. 16. 21.
1De Sanctis concedimus, quod sicut vivi orant pro Ecclesia in genere ità in cælis arant pro Ecclesia in genere. De Invoc. Sanct. Typis Scholvini, p. 224.
1Quanquam ista quæstio vires intelligentiæ meæ vincat, quemadmodum opitulentur martyres iis quos per eos certum est adjuvari, utrum ipsi per se ipsos adsint, an ipsis generaliter orantibus pro indigentiâ supplicantium Deus exaudiens martyrum preces per Angelica ministeria usque quaque dissusa prebeat hominibus ista solatia, quibus in hujus vitæ miseria judicat esse prebenda, et suorum merita martyrum, ubi vult, quando vult, quomodo vult, mirabili atque ineffabili bonitate commendet. Lib, de cura pro Mortuis, c. 16. T. 4. Ed. Froben. p. 892.
2Lib. 1. de Sanct, Beatit, c. 20. T. 1. Ed. Paris. p. 735.
3Nihil interest, sive audiant, sive non audiant. Hug. q. 228. in Ep. ad Rom. Ed. Mogunt, p. 293.
4De la connaissance des Saints. Ch. 2. §. 2. Tom. 3. imprimé à Paris, p. 47.
5Isaïe, 63. 16
6Matthieu 25 12
1Job. 42. 8.
2Coloss. 2. 18.
1Hieron. quæst, 10. ad Algariam, T. 4. Ed. Martianai. part. 1. pag. 206.
2Chrysos. Hom, 7. in Ep. ad Col. Tom. 6. Edit. Fronto - Duc. pag. 203.
3Tert. lib. de Præscript. Ed. Froben. p. 113.
4Iren. lib. 1. c. 10. Ed. Col. p. 79.
5Epiph. in hær. Simonis, T. 1. Ed. Petav. p. 56.58.
6Atque ita quidem rapidis et quasi aureis panegyricarum declamationum fluminibus stipulæ seu quisquiliæ invocationis Sanctorum in Ecclesiam invehi cœperunt. Exam. Conc. Trid. part. 3. Edit. Francof. pag. 311. lin. 2.
1Multa non inveniuntur in litteris eorum (Apostolorum) neque in Conciliis posteriorum, et tamen quia per universam custodiuntur Ecclesiam, non nisi ab Apostolis tradita et commendata creduntur. Lib. 2. de Bapt. contra Donat. c. 7. T. 7. Ed. Froben. p. 396.
Quod universale tenet Ecclesia, nec Conciliis institutam, sed semper retentum est, non nisi autoritate apostolica traditum rectissimè creditur. Lib. 4. de Bapt. contra Donat. c. 24. T. 7. Ed. Frob. p. 433.
Multa sunt quæ universa tenet Ecclesia, et ob hoc ab Apostolis præcepta bene creduntur, quanquam scripta non reperiantur. Lib. 5. de Bapt. cont. Donat. c. 25. T. 7. Ed. Frob. p. 449.
1Cyrill. Hieros. Cath. 5. Myst. apud Hier. Drouart. p. 241. Item Aug. Tract. 86. in Joannem T. 9. Ed. Frobeb. p. 451.
2Asterius Hom. in S. Martyres : Tu quoque quondam martyres obsecrasti priùsquam ipse martyr existeres. Ex aucterio R, P. Combefis. Typis Ant. Bertier, p. 187.
3Euseb. lib. 8. c. 6. Ed. Vales. p. 298.
4Aug. lib. 20. contra Faustum, c. 21. T. 6. Ed. Frob. p. 574.
5Cyrill. Alex. lib. 6. in Jul. ultra medium. Tom. 6. Typis regis. pag. 202.
1Gen. 48. 16.
1Sap. 5. 16.
2Luc. 20.38.
3Арос. 21. 4.
44. Reg. 5. 26.
5Lib. 22. de Civit. Dei. c. 29. Tom. 5. Edit. Froben. pag. 1389
61. Cor. 13.9.
7De Invoc. Sanct. p. 891.
1Quid est, quod ibi nesciant, ubi scientem omnia sciunt.? Lib. 4. Dial, c. 33. T. 2. Ed. Paris. An. 1675. p. 276.
2Qui Creatoris sui claritatem vident, nihil in creaturis agitur, quod videre non possint, In cap. 16. Lucæ. Tom. 3. Edit. Col. An. 1688. pag. 381.
3Lib. 22. de Civ. Dei. c. 8. T. 5. Ed. Froben. p. 1546.
1Tom. 5. Ed. Froben. p. 1547.
2Tom. 5. Ed. Froben. p. 1349 et 1350.
3Si enim miracula sanitatum, ut alia taceam, modò velim referre quæ per hunc martyrem, id est gloriosissimum Stephanum sacta sunt in Colonia Calamensi et nostra, plurimi conficiendi sunt libri. Lib. 22 de Civ. Dei, c. 8. T. 5. Ed. Froben. p. 1347.
4Nondùm est biennium, ex quo apud Hipponem cœpit esse ista memoria, et multis quod nobis certissimum est non datis libellis, de iis quæ mirabiliter facta sunt, illi ipsi qui dati sunt ad septuaginta fermè numerum pervenerant, quando ista conscripsi. Calamæ verò, ubi et ipsa memoria priùs esse cœpit, et crebrius dantur, incomparabili multitudine superant. Ibidem.
1Tom. 1. Edit. Froben. pag. 153.
2Tom. 4. Edit. Froben. pag. 891.
3Tom. 2. Edit. Froben. Pag. 657.
4Circuibat Theodosius cum sacerdotibus et populo omnia orationum loca, ante martyrum et apostolorum thecas jacebat cilicio prostratus, et auxilia sibi fida Sanctorum intercessione poscebat. Ruffin lib. 2. c. 33. apud Auth. Eccles. Ed. Froben. p. 262.
5Theodoret. lib. 5. cap. 24. apud Auth. Eccles. Edit. Froben. pag. 511.
1Lib. 2. c. 5. apud Auth. Eccl. Ed. Froben. p. 565.
2Evag. lib. 2. c. 5.
3Super his est cœnaculum sublime, ex quo licet iis qui voluerint, martyri supplicare et sacris interesse Mysteriis. τ'ς ἂν κάντευθεν ἐξῆ τοῖς βουλουμένοις ἱκαιτένιν τε τὴν μάρτηρα. Evag. lib. cap. 3. Edit Val. pag. 287.
4Ac miracula quidem, quæ subindė patrantur à sanctissima martyre, nota sunt omnibus christianis. Ibidem.
1Conc, Labb, p. 834.
2Hicad divum Martinum per festivitatem quam undecimâ die facit november, ipsos mittat : et ibi si audent, aliquid præsumant, ubi cæcos hodiè illuminari conspicimus, ubi surdos auditum, et mutos sanitatem recipere. Nam quid dicam de leprosis, aut de aliis quàm plurimis, qui quantacunque debilitate percussi ibidem per singulos annos alii et alii sanantur? fortasse dicunt, confingunt vel cæcos ; qui qui cæci à nativitate videntur, quid dicam cum indė illuminatos conspicimus et ad propria, Deo miserante, sanos reverti videmus ? Nam quid dicam adhuc de divo Germano, Hilario, vel Lupo episcopis? ubi tauta hodie miracula apparent, quantum nec verbis dicere valeo? ubi dæmonia habentes in aëre suspensi torquentur, et Dominos quos dixi confitentur? numquid in ecclesiis eorum sic faciunt? Quid de divo Remigio et divo Metardo episcopis, quos tu credo vidisti? non possumus tanta exponere quanta mirabilia per illos Deum videmus facere. Ex Ep. Nicetii, T. 5. Conc, Labb, p. 835.
1Tom. 1. Ed. Jen. Ger. per Dona. Ritzenhain. p. 165.
1Purgatorium est inventum novum, p. 993. Κακόξηλον. pag. 995. avarum et quæstuosum, p. 995. Α'ντίγραφον. p. 997. Inexplicabilibus nodis implicatum, p. 998. contrarium bonæ spei, pag. 999. omnis solatii et gaudii Evangelici suffocamentum. pag. 1000, abludens ab exemplo fidelium, qui statim in cælum recepti sunt, p. 1001, caduco fundamento subnixum, p. 1007, Blasphemum, quia facit Deum credulem, pag. 1014, ἄγραφον και ἄλογον. pag. 1014. in Phantasmate XII. Т. 2. Hodomoriæ spiritus Popæi. Ed. Argent.
1Sancta ergò et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut à peccatis solvantur. Lib. 2. c. 12. 46.
2In quibus sunt et Machabæorum libri, quos non Judæi, sed Ecclesia catholica pro canonicis habet. Lib. 18. de Civ. Dei. c. 56. Т. 5. Ed. Froben. p. 1096.
3Conc. Cart. III. c. 47. T. 2. Conc. Labb. p. 1177.
4Innoc. I. ad Exup. c. 7. T. 2. Conc. Labb. p. 1256.
1Et quid opus est argumentis, cum ipse autor secundi Machabæorum scriptionem suam his verbis concludat : et ego quidem si benè, et ut historiæ competit, hoc et ipse velim, sin autem minùs digné, hoc et concedendum est mihi. Lib. 2. Mach. 15, 39. part. 5. Exam. Ed. Francof. p. 146. N. 20.
2Valdè imprudentes essemus, si à tali scriptore, qui etiam ipse sibi veniam, si ubi erravit, dari postulat, novum dogma nobis obtrudi pateremur. Ibidem.
3Nam etsi imperitus sermone, sed non scientia. 2. Cor. 11. 6.
1Hébreux 11 35
21 Mac. 4 59
3Ibid.
42 Mac. 12 43
1Quid faciunt qui baptizantur pro mortuis, si mortui nou resurgunt ? Ut quid et baptizantur pro illis ? 1. Cor. 15. 29.
2De igne Purgatorio. Ed. Regio-Mont. p. 871.
3Non frustrà ab Apostolis sancitum est, ut in celebratione venerant dorum mysteriorum memoria fiat eorum qui hinc decesserunt. Noverunillis multum binc emolumenti fieri, multùm utilitatis. In c. 1. Ep. ad Philip. Hom. 5. T. 4. Ed. apud Hugonem, p. 266.
4Primus est qui asserit, sed sine ullo documento, ab Apostolis hoc sancitum esse. In. 5. part. Exam. Ed. Francof. p. 177. N. 30.
1Oblationes pro defunctis annua die facimus. L. de Coron. Militis Ed. Froben. p. 449.Oblationes pro defunctis annua die facimus. L. de Coron. Militis Ed. Froben. p. 449.
2Necessario facere illud Ecclesiam dico : quæ traditum sibi ritum illum à majoribus acceperit. Potest verò quisquam maternam sanctionem aut legem Patris evertere ? quemadmodum à Salomone scriptum : Audi, fhili sermones Patris tui, et ne repellas legem Matris tuce. Prov. 1. 8. Quibus Patrem, hoc est unigenitum Deum cum Spiritu Sancto declarat partim scripto partim sine scripto docuisse : Matrem verò nostram Ecclesiam decreta quædam habere penes se quæ dissolvi evertique nequeunt. Que quidem cum in Ecclesia constituta sint, præclara quidem ac penitus admiranda, ex hoc ipso veterator ille convincitur. Sed nos eo relicto velut scarabeo quodam, aut cantharide, vel bupreste quod est insecti quoddam genus, ac solido Ecclesiæ dogmate. Deique virtute confracto ad insequentes hæreses transeamus. Adversus Aerium Hær. 56. vel 76. T. 1. Ed. Petav. p. 912.
3In 3. part. Ex. p. 177. N. 30.
1Quod universa tenet Ecclesia, nec Conciliis institutum, sed semper retentum, non nisi autoritate Apostolica traditum rectissimè creditur. Lib. 4. de bapt. cont. Donat, c. 24. T. 7. Ed. Frob. p. 455.
2Quippe ipse sibi hunc locum post mortem designaverat, 'quò scilicet precationum quæ in honorem Apostolorum celebrandæ erant, etiam mortuus particeps fieret. Lib. 4. de vita Constant. cap. 60. Edit. Valesii. pag. 556.
3Tantummodò memoriam sui ad altare tuum fieri desideravit. L. 5. Conf. c. 13. T. 1. Ed. Froben. p. 160.
4Cæteri mariti super tumulos conjugum spargunt rosas, violas, lilia, floresque purpureos. Pammachius noster sanctam favillam, ossaque veneranda eleemosynæ balsamis rigat. Ep. 54. ad Pammach. T. 4. Ed. Martianai, p. 583.
5Itaque non tam deplorandam quam prosequendam orationibus reor, nec mœstificandam lacrymis tuis, sed magis oblationibus animam ejus commendandam arbitror. Epist. 49. ad Faustinum. Tom. 2. Edit Paris, pag, 944.
1Hoc enim à Patribus traditum universa observat Ecclesia, ut pro eis qui in Corporis et Sanguinis communione defuncti sunt, cum ad ipsum Sacrificium loco suo commemorantur, oretur, ac pro illis quoque offerri commemoretur. Serm. 32. de Verbis Apost. Tom. 10. Edit. Froben, pag. 405.
2Non sunt prætermittendæ supplicationes pro spiritibus mortuorum, quas faciendas pro omnibus in christianâ et catholică societate defunctis etiam tacitis nominibus quorumcunque sub generali commemoratione suscepit Ecclesià, ut quibus ad istud desunt parentes, aut filii, aut quicunque cognati, vel amici, ab und eis exhibeantur pia matre communi. Lib, de curâ pro mortuis. c. 4. T. 4. Ed. Frob. p. 883.
3Pro animâ ejus oret, et refrigerium interim adpostulet ei, et in primâ resurrectione consortium, et offerat annuis diebus dormitionis ejus. Nam hæc ni fecerit, verè repudiavit, quantum in ipsâ est. Lib. de Monogamia, Ed. Froben. p. 578.
4Pag. 572.
5Cum Victor contra formam nuper in concilio â sacerdotibus datam geminium Faustinum presbyterum ausus sit actorem constituere, non est quod pro dormitione ejus apud vos fiat oblatio, aut deprecatio aliqua nomine ejus in Ecclesia frequentetur. Ed. Froben. p. 55.
1Denique pro omnibus oramus qui inter nos vità functi sunt, maximum esse credentes animarum juvamen, pro quibus offertur precatio sancti illius et tremendi quod in altari positum est Sacrificii. Cath. Mystag. 5. Typis Hieron. Drquart. p. 241.
2Epiph. Hær. 55. T. 4. Ed. Patavii. p. 907. Aug. Hær. 55. T. 6, Ed. Froben. p. 25. Damasc. Ed. Basil. p. 381.
1Fuerunt itaque orationes pro mortuis non satisfactiones pro peccatis mortuorum, sed publicæ celebrationes et obsignationes promissionum divinarum de remissione peccatorum, requie et salute piè defunctorum, institutiones et exhortationes viventium, consolationes et exhortationes lugentium, et declarationes piarum affectionum animi erga defunctos, Kemnit. in 3. part. Exam. Ed. Francof. p. 166. N. 10. 20. Item Joan, Gerardus üsdem verbis. In Confess. Cath. 1. 2. part 2. art. 9. Ed. Francof. p. 985.
1Pro anima ejus oret, et refrigerium adpostulet ei. In lib. de Monog. Ed, Froben. p. 578.
2In 3. parte Exam. p. 163. Ν. 10.
3Maximum credentes esse animarum juvamen, pro quibus offertur precatio sancti et tremendi, quod in altari positum est Sacrificii. Catech. Mystag. V. Ed. apud Hyer. Drouart. p. 241.
4Ad eumdem modum et nos pro defunctis precationes adhibentes quamvis sint peccatores, non quidem coronam plectimus, sed Christum pro nostris peccatis mactatum offerimus, ut et nobis et illis eum qui est benignissimus propitium reddamus. Ibidem.
1Sanctam favillam, ossaque veneranda eleemosynæ balsamis rigat. Ep. 54. ad Pamach. T. 4. Ed. Martianay, p. 585.
2Eccles. 3. 33.
3Dilexi et ideo prosequor eum usque ad regionem vivorum, nec deseram doncc fletu et precibus inducam virum quò sua merita vocant, in montem sanctum ubi perennis vita, etc. T. 2. Ed. Par. p. 1208.
4Ut orationibus tuis condonetur tibi, ut et illius animam vel de minino sanctitatis tuæ digito distillans refrigerii gutta respergat. Ep. 5, ad Delphinum. T. 6. Bibl. Pat. Ed. Lugd. apud Anissonios, p. 200.
1Nunc pro peccatis matris meæ deprecor te, exaudi me per medicinam vulnerum nostrorum quæ pependit in ligno, et sedens ad dexteram tuam interpellat pro nobis. Scio misericorditer operatam, et ex corde dimisisse debita debitoribus suis ; dimitte illi et tu debita sua, dimitte Domine, obsecro, ne intres cum ca in judicium. Lib. 9. Conf. c. 13. T. 1. Ed, Frob. p. 160.
2Credo quod jam feceris quæ rogo, sed voluntaria oris mei approba. Ibidem.
3Audis Augustinum orare pro matre sua, non quod existimet eam in cruciatibus purgatorii hærere, aut adhuc in judicio Dei peccatis obnoxiam teneri ; credit enim jam assecutam quod rogat ; causam vero orationis assignat, quod sit benè affectæ voluntatis erga matrem desiderium. 3. Part. Exam. Ed. Francof. p. 173. N. 30.
4Fiducialiter speramus aliquem apud te locum invenire indulgentiæ Lib. 9. Conf. c. 13. T. 1. Ed. Frob. p. 160.
5Cum offerretur pro eâ sacrificium pretii nostri, jam juxta sepulchrum posito cadavere priusquam deponeretur. L. 9. c. 13. p. 159.
6Quotquot hæc legerint, meminerint ad altare tuum Monicæ famulæ tuæ.... ut quod illa poposcit extremum, uberius ei præstetur in multorum orationibus. Ibidem, p. 161.
1Ex eadem etiam Confessione colligi potest, quo sensu, et quâ ratione in actione administrationis Eucharisticæ facta fuerit commemoratio defunctorum, non ut opus illud esset satisfactio, aut propitiatio pro peccatis mortuorum. Kemnit. part. 3. Exam. Edit. Francof. Pag. 175.
2Neque negandum est defunctorum animas pietate suorum relevari, cum pro illis Sacrificium Mediatoris offertur, vel eleemosynæ in Ecclesia fiunt ; sed eis hæc prosunt, qui cum viverent, ut hæc sibi postea prodesse possent meruerunt. Est enim quidam vivendi modus nec tam bonus ut non requirat ista post mortem, nec tam malus ut ei non prosint ista post mortem..... Cum ergo sacrificia sivè altaris, sive eleemosynarum pro baptizatis defunctis omnibus offeruntur, pro valdè bonis gratiarum actiones sunt, pro non valdė malis PROPITIATIONES sunt, pro valdė malis, etsi nulla sunt adjumenta mortuorum, qualescunque consolationes vivorum sunt. In Enchirid. ad Laurent. cap. 110. T. 3. Ed. Frob. Pag. 191. Item, ad quæst. 2. Dulcitii, T. 4. Ed. Frob. p. 665.
3Pag. 175. Ν. 40.50.
4Pag. 175. Ν. 10.
5Satis habet Augustinus ostendisse, non esse certum et firmum dogma, sed dubitationem obscuram, ambiguam, dubiam, incertam. Kemnit. part. 3. Exam. Ed. Francof. pag. 157. lin. 2. Item. p. 176. lin. 4.
1Orationibus verò sanctæ Ecclesiæ et Sacrificio salutari, et eleemosynis quæ pro eorum spiritibus erogantur, NON EST DUBITANDUM mortuos adjuvari, ut cum eis misericordiùs agatur à Domino, quam eorum pесcata meruerunt...... QUIS DUBITET eis suffragari opera misericordiæ?...... NON AMBIGENDUM EST ista prodesse defunctis. Serm. 32. de Verbis Apost. T. 10. Ed. Frob. p. 405.
2NEQUE NEGANDUM EST animas 'pietate suorum viventium relevari, cum pro illis Sacrificium Mediatoris offertur, vel eleemosynæ in Ecclesia fiunt. Enchirid. ad Laurent. c. 110. T. 3. Ed. Frob. p. 190.
3Tom. 4. p. 669.
4Precantis affectus cum defunctis à fidelibus carissimis exhibetur, eum in iis prodesse NON DUBIUM EST, L. de curâ pro mortuis. c. 4. Τ. 4. Ed. Froben. p. 883.
5Lib de side et oper. Tom. 4. Edit. Frob. p. 72. Item ad 2. quæst. Dulcitii. Tom, 4. pag. 663. Item lib. 21. de Civit. Dei. cap. 26. T. 5. р. 1315.
1Urit eum dolor rerum quas dilexerat amissarum, sed non subvertit, neque consumit ; tale aliquid etiam post hanc vitam fieri incredibile non est, et utrum ità sit, quæri potest. Ad quæst. 1. Dulcitii, T. 4. Ed. Frob. p. 663.
Sive ergo in hac vitâ tantum, sive etiam post hanc vitam talia quædam judicia subsequuntur, non abhoret, quantum arbitror, à ratione veritatis. L. de Fide et Oper, č. 16. Т. 4. p. 73.
Sive ibi tantùm, sive hic et ibi, sive ideò hic, ut non ibi sæcularia quamvis à damnatione venialia concremantem ignem transitoriæ tribulationis inveniant, non redarguo, quia forsitan verum est. Lib. de Civit. Dei, c. 26. Ed. Frob. p. 1516.
2Factâ resurrectione non deerunt, quibus post pœnas quas patiuntur spiritus mortuorum, impertiatur misericordia, ut in ignem non mittantur æternum. Lib. 21 de Civit. Dei, c. 24. p. 1307.
3Neque negandum est defunctorum animas pietate suorum viventium relevari, cum pro illis sacrificium Mediatoris offertur, vel eleemo. synæ in Ecclesia fiunt. Ad 2. quæst. Dulcitii. Ed. Frob. p. 665
4Num verò statim sine ulla inquisitione pro articulis fidei hæc accipienda sunt, quia Augustinas ità sensit? etc. part. 3. Exam. Ed. Francof. p. 175. N. 20.
1Nam ut vivus oret, aut in pauperes bona sua dispenset, quid ex ea re tandem ad mortuum redit? Quod si superstitum preces iis qui ex hac vitâ discesserint, opitulari possunt, nemo piè deinceps agat aliquid, neque boni quidquam faciat, sed amicos sibi aliquos quacumque ratione velit adjungat, sive pecuniarum largitione, sive precibus hoc ab illis sub vitæ finem impetret, ut pro se Deum exorent, ut ne illic aliquid incommodi patiatur. Ilær. 75. T. 1. Ed. Petavii, p. 907.
2Cæterum quæ pro mortuis concipiuntur preces, iis utiles sunt, tametsi non omnes culpas extinguunt. Verùm ex eo prosunt, quod plerùmque dum adhuc in terrâ degimus, sponte aut inviti titubemus. Hær. 75. Т. 1. p. 911.
Peccatorum mentionem facimus, ut iis à Domino misericordiam imploremus. Ibidem.
1Alegant veteres hæreses, et cum his falsò comparant causam nostram, ut illâ collatione prægravent nos. Epiphanius testatur Aerium sensisse quod orationes pro mortuis sunt inutiles, id reprehendit, neque nos patrocinamur Aerio. Art. 12. de Vocabulis Missæ. Typis Christ. Scholvini, pag. 275.
2Falsó citant adversarii contra nos damnationem Aerii quem dicunt propterea damnatum esse, quòd negaverit in missa oblationem fieri pro vivis et mortuis. Apol. art. 13. Typis Scholvini, p. 204.
3Dicens orare vel offerre pro mortuis oblationem non opportere. Aug. Hær. 53. Tom. 6. Edit. Froben. pag. 25. Fide quidem existens Aerianus perfectissimus verûm amplius docet, non oportere pro his, qui dormierunt. Epiph. in Anacephalæsi, T. 2. Ed. Petav. p. 148.
4Epiphanius testatur Aerium sensisse, quod orationes pro mortuis sunt inutiles, id reprehendit, neque nos Aerio patrocinamur. Apol. art. 13. Typis Scholvini, D. 275.
1Epiphanius quidem hær. 75. scribit, Aerium docuisse mortais vivorum preces non prodesse, sed eam sententiam in Aerio ab Ecclesia an tiquâ damnatam esse non dicit, eamque non ex ullo scripturæ loco, sed tantam ex traditione à Patribus acceptă refutat. Lib. 2. part. 2. Art. 9. Ed. Francof. p. 988. Col. 2.
1Ante mille et trecentos annos usu receptum fuit, ut precationes fierent pro defunctis. Lib. 5. Instit. c. 5. § 10. Ed. Amstelod. p. 177.
2Ipsi, veteres omnes, in errorem abrepti sunt. p. 178.
1Ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem. 1. Cor. 3.15.
2Uniuscujusque opus manifestum erit, dies enim Domini declarabit, quia in igne revelabitur, et uniuscujusque opus quale sit, ignis probabit ; si cujus opus manserit, quod superædificavit, mercedem accipiet, si cujus opus arserit, detrimentum patietur : ipse autem salvus erit ; Sio tamen quasi per ignem. 1. Cor. 3. 13, 14, 15.
3Quia dicitur, salvus erit, contemnitur ille ignis, gravior tamen erit quam quidquid homo potest pati in hac vita. In Psalm. 57. T. 8. Edit. Froben. p. 313.
4In hac vitâ purges me et talem me reddas, cui jam emendatorio igne non sit opus. Ibidem.
1Ambros. in Psalm. 118. Tom. 1. Edti. Paris. Ann. 1686. pag. 1225.
2Hieron. in ultimis verbis super Isaiam, T. 3. Ed. Mart. p. 516. Item in lib. 2. contra Jovin. ultrà medium, Tom. 5. Edit. Martianai, pag. 215.
3Gregor. lib. 4. Dialog. cap. 39. Tom. 2. Edit. Paris. Ann. 1675. pag. 292.
4Orig. hom. 14. in Leviticum. Ed. Veteris, f. 79-B. Item. Hom, 12. in Jeremiam. f. 138-B.
5Qui dixerit verbum contra Spiritum Sanctum. non remittetur ei, neque in hoc sæculo, neque in futuro. Matth. 12. 32.
1Phant. 12. Hodomoriæ. Ed. Arg. 1653. p. 1034.
2Qui autem blasphemaverit in Spiritum Sanctum, non habebit remissionem in æternum. Marc. 3.29.
3Non lavabis mihi pedes in æternum. Joan. 13. 8.
4Aug. lib. 21. de Civit. Dei, c. 24. T. 5. Ed. Frob. p. 1309.
5Greg. lib. 4. Dial. c. 39. Ed. Paris. An. 1675. р. 292.
6Bern. Hom. 66. in Cant. T. 1. Ed. Mabillon. p. 1498. N. 2.
7Bed, in c. 3. Marci. lib. 2. Inst. Cler. c. 44. T. 6. Ed. Col. apud Ant. Umerat. p. 27.
8Ne exactor te mittat in carcerem ; Dico tibi non exies inde, doncc etiam novissimum minutum reddas. Luc, 12. 59.
1Amen dico tibi, non exies inde, doncc reddas novissimom qua drantem, Matth. 5. 26.
2Matth. 1. 25.
3Ps. 109. 1.
4Notum est particulam, doncc, non semper significare terminum, sed sæpiùs continuationem et perpetuitatem. Kemnit. 3. Part. Exam. p. 213. N. 10.
1Aliud est ad veniam stare, aliud ad gloriam pervenire ; aliud missum in carcerem non exire indè, doncc solvat novissimum quadrantem, aliud statim fidei et virtutis accipere mercedem ; aliud pro peccatis longo tempore cruciatum emendari et purgari diù igne, aliud peccata omnia passione purgasse. Lib. 4. Ep. 2. Ed. Frob. p. 115.
2Carcerem illum quem Evangelium demonstrat, inferos intelligimus et novissimum quadrantem modicum quoque delictum morâ resurrectionis illic luendum interpretamur. Tert. lib. de anima, Ed. Froben. pag. 689.
3Quadrantem in balneis dari solere reminiscimur, cujus oblatione, ut illic unusquisque lavandi accipit facultatem, ita hic accipit eluendi quia uniuscujusque peccatum eluitur, cùm tandiu exercetur noxiis pœ nis, ut commissi supplicia orroris expendat. Ambros. in c. 12. Lucæ. T, 2. Ed. Paris. An. 1686. p. 1448. Ν. 158.
4Considera quæso, quam pueriliter ineptiat extructurus ex illo loca Purgatorium. 5. Part. Exam. Ed. Francof. p. 912. N. 30.
1Psalm. 30. 19.
2Non intrabit in eam aliquod coinquinatum. Aрос. 21.27.
3Septies cadet Justus, Prov. 24. 16.
4In multis offendimus omnes. Jacob. 3. 2
5Potest purgari in ipso mortis momento, ad eum modum quo purgantur martyres ab igne Purgatorio tuti. Dannh. in Phant. 12. Hodomoxia. Ed. Argent. p. 1033
1Quem Deus suscitavit solutis doloribus inferni, Act. 2. 24.
2Δύσας τὰς ωδίνας τῦῦ ῥανάτου, Act, 2. 24.
3Ep, Polyc. Cottelier, T. 2. Ed. Antuerp. p. 184.
4August. Ep. 99. ad Evodium, Tom. 2. Ed. Froben. Pag. 457. Item lib. 12. de Genesi ad litt. c. 33. T. 3. Ed. Frob. p. 702.
5Epiph. de Tat. hæresi, T. 1. Ed. Pet. p. 294.
6Solutis funibus inferni.
7Quoniam non derelinques animam meam in inferno. Ps. 15. 10.
8Ut in nomine Jesu omne genu flectatur cœlestium, terrestrium et infernorum. Phil. 2. 10.
1Dogmata quæ in Ecclesia servantur ac prædicantur, partim ex conscripta doctrinâ habemus, partim ex Apostolorum traditione ad nos delata recipimus, quæ utraqne eandem ad pietatem vim habent, et nemo his contradicit, qui vel mediocrem saltem Ecclesiasticorum jurium experientiam habet. Basil de Spiritu Sancto, c. 27. Ed. Frob. p. 398.
2Traditione quoque opus est, neque enim ex Scriptura peti pos sunt omnia idcircò alia scripto, traditione alia sanctissimi apostoli reliquerunt. lær. 61. quæ est apostolicorum, Ed. Petav. p. 511.
1Commentum Purgatorii articulum justificationis enervat, verbum sacramenta et claves regni cælorum depravat, veram pœnitentiam labefactat, mortem et satisfactionem Christi irritam reddit, falsam justitiam et satisfactionem supponit, bonitati Def derogat, conscientiæ certam consolationem eripit, impœnitentiam et securitatem in illis qui post mortem larga suffragia coemere possunt, alit et confirmat, breviter, fons et origo est omnium imposturarum. In 3. parte Exam. p. 199. N. 40.
1Matth. 25.34.
2Marc. 16. 16.
3In Conf. Wirt. Syntag. Conf. sumpt. Pet. Chouet. p. 124.
4Si ceciderit lignum ad austrum aut ad aquilonem, in quocunque loco ceciderit, ibi erit. Eccles. 11. 3.
1Si impius egerit pænitentiam ab omnibus peccatis suis, et custodicrit omnia præcepta mea, et fecerit judicium et justiciam, et omnium iniquitatum ejus quas operatus est, non recordabor. 18. 21.
2In Controversiis cum Pontificiis, Ed. 2. Regio-Mont. p. 839.
32. Reg. 12. 13.
42. Reg. 24.10.
1Beati mortui, qui in Domino moriuntur. Amodò jam dicit Spiritus, ut requiescant à laboribus tuis. Apoc. 14. 13.
2In Controversiis cum Pontif. p. 839.
3Hic patientia sanctorum est, qui custodiunt mandata Dei et fidem Jesu. Apoc. 14. 12.
4Nihil ergò nunc damnationis est iis qui sunt in Christo Jesu, qui non secundum carnem ambulant. Rom 8. 1.
5Hodomoriæ Phantasmate 12. Ed. Argent. p. 997.
1Scimus enim, quoniam si terrestris domus nostra hujus habitatior nis dissolvatur, quòd ædificationem ex Deo habemus, domum non manu factam æternam in cœlis : 2. Cor. 5. 1.
2In Phantasm. 12. p. 997.
3Si tamen vestiti et non nudi inveniamur. 2. Cor. 5. 5.
4Luc. 23. 44.
5In Confess. Cath, tib. 2. part. 2. Art. 9. Ed. Francof. p. 940
1Memento mei cum veneris in Regnum tuum, Luc, 25. 43.
23. Part. Exam. Ed. Francof. p. 198. N. 40.
3Laverunt stolas suas, et dealbaverunt eas in sanguine agni. Apoc. 7. 14.
4Sanguis Jesu Christi Filii Dei emundat nos ab omni peccato. 1. Ep. Joan. 1. 7.
5Justificati gratis per gratiam ipsius per redemptionem quæ est in Christo Jesu, quem proposuit Deus propitiationem per fidem in sanguine ipsius. Rom. 3. 24. 25.
6Scientes, quòd non corruptilibus auro vel argento redempti estis, sed pretioso sanguine quasi agi inimaculati Christi. 1. Pet. 1. 18. 19.
1Miseri papista hoc uno argumento hodie nos urgent quod dicunt :Num putas Patres omnes errâsse ? Durum quidem est hoc dicere, præsertim de melioribus, Augustino, Ambrosio, Bernardo et totâ illâ cohorte optimorum virorum, qui nomine illo augusto Ecclesiæ ornati sunt, quorum labores et osculamur et admiramur. In Genesin, T. 6. Ed. Wirtemb. Typ. Laur. Schwenck. p. 100.
1In actu unionis cum Græcis. T. 13. Conc. Lab. p. 1167.
2Sess. 25. in Decreto de Purgatorio.
3Si verè pænitentes charitate decesserint, antequam dignis pænitentiæ fructibus de commissis satisfecerint et de omissis, corum animas pænis purgatoriis post mortem purgari. Tom. 15. Conc. Lab. p. 1167.
1Act. 12. 5.
1Cùm autem in hac controversia præcipuus locus doctrinæ christianæ agitetur, qui rectè intellectus illustrat et amplificat honorem Christi, et affert necessariam et uberrimam consolationem piis conscientiis. Art. 2 de Justificatione. Typis Scholvini. p. 60.
2T. 6. Ed. Jen. Germ. per Thom. Rebart. 1561. p. 13.
3Si unicus hic articulus sincerus permanserit, etiam christiana Ecclesia sincera, concors, et sine omnibus sectis permanet ; sin verò corrumpitur, impossibile est ut uni errori, aut fanatico spiritui recté obviam iri possit. T. 3. Ed. Jen. p. 159.
1Cùm adversarii neque quid remissio peccatorum, neque quid fides, neque quid gratia, neque quid justitia sit, intelligant, miserè contaminant hunc locum, et obscurant gloriam ac beneficia Christi, et eripiunt piis conscientiis propositas in Christo consolationes. Art. 2. de Justificat. Typis Scholvini. p. 60.
2Illa fides quæ justificat, non est tantum notitia historiæ, sed est assentiri promissioni Dei, quâ gratis propter Christum offertur remissio peccatorum et justificatio..... est velle et accipere oblatam promissionem remissionis peccatorum. Apol. Confess. Art. 2. de Justific. Typis Scholvini. pag. 69.
1Neque contritio, neque dilectio, neque ulla alia virtus, sed sola fides est medium et instrumentum, quo gratiam Dei, meritum Christi et remissionem peccatorum, quæ bona nobis in promissione Evangelii offeruntur, apprehendere et accipere possumus. In solid. et plenâ Declar. Art. 3. de Justitia fidei coram Deo. Typis Scholvini. p. 689.
2Docemus solam fidem esse illud medium et instrumentum, quo Christum Salvatorem, et ità in Christo justitiam illam, quæ coram judicio Dei consistere potest, apprehendimus. In Epitome Art. Typis Schol. pag. 584.
3Fides est quasi manus nostra, quâ nobis applicamus et ad nos recipimus, complectimur et possidemus, quæ in gratuitâ promissione Evangelii offeruntur. Kemnit. part. 1. Exam. Conc. Trid. de Fide Justif. Ed. Francof. p. 294. N. 50.
4Fides non propterea justificat, quod ipsa tam bonum opus tamque præclara virtus sit, sed quia in promissione Evangelii meritum • Christi apprehendit, et complectitur. In solida et plană Declarat. Art. 5. de justitia fidei. pag. 684. Item pag. 695. item in Apol. Conf. pag. 70.
5Dicimus præterea, ubi non sequuntur bona opera, ibi fidem esse falsam et non veram. In Art. Smalkald. Art. 13. Typis Scholvini. pag. 336.
6Credimus et docemus, non talem esse fingendam quæ unà cum malo proposito peccandi videlicet, et contra conscientiam agendi esse et stare possit. In Epit. Art. 12. Typis Scholvini. p. 586.
7Quare vera et salvans fides in eis non est qui contritione caren! ot propositum in peccatis pergendi et perseverandi habent. In solidâ et plană Declarat. p. 688.
8Itaque impossibile est bona opera à fide vera separare, quemadmodum calor urens et lux ab igne separari non potest. In solidâ et plană Declar. Art. 4. p. 701.
9Sunt inseparabiliter connexa fides et opera, sed sola fides est, quæ apprehendit benedictionem sine operibus, et tamen nunquam est sola. Ità citatur in solida et plana Declar. Art. 3, p. 692.
1Sine fide impossibile est placere Deo. Credere enim oportet accedentem ad Deum, quia est, et inquirentibus se Remunerator sit. Hebr. 11.6
2Per fidem justificari dicimur, quia fides est humanæ salutis initium, fundamentum et radix omnis justificationis. Sess. 6. C. 8.
1Delens quod adversus nos erat chirographum decreti, et ipsum tulit de medio, affigens illud cruci, Coloss. 2. 14.
2Gratis autem justificari ideò dicimur, quia nihil eorum quæ justificationem præcedent, sive fides, sive opera, ipsam justificationis gratiam promeretur. Sess, 6. c. 8.
1Fides est fiducia divinæ misericordiæ, quærens, apprehendens, et accipiens in promissione Evangelii remissionem peccatorum, propter Christum mediatorem. Cent. 1. L. 1. c. 4. Typis Oporini. p. 113.
2Kemnit. Ex Trid. 1. Part. p. 284. Ν. 30.
3Et non infirmatus est fide, nec consideravit corpus suum emortuum, cùm jam fere centum esset annorum, et emortuam vulvam Saræ; in repromissione etiam Dei non hæsitavit diffidentia, sed confortatus est fide, dans gloriam Deo, plenissimè sciens, quia quæcumque promisit, potens est et facere ; et ideò reputatum est illi ad justitiam. Rom. 4. 19. 20. 21. 22.
4Non est autem scriptum tantùm propter ipsum, quia reputatum est illi ad justitiam, sed et propter nos, quibus reputabitur credentibus in eum, qui suscitavit Jesum Christum Dominum nostrum à mortuis. Rom. 4.23.24.
1Si confitearis in ore tuo Dominum Jesum, et in corde tuo credideris, quòd Deus illum suscitavit à mortuis, salvus eris. Rom. 10. 9.
2Omnis qui credit, quoniam Jesus et Christus, ex Deo natus est. 1. Joan. 5.1.
3Quis est qui vincit mundum, nisi qui credit, quoniam Jesus est Filius Dei. 1. Joan. 5.5.
4Rom. 1. 17
5Id. 3. 22
6Id. 3. 25.
7Id. 3.30
8Id. 10. 10.
9Gal. 3. 7. 9.
10ld. 3. 26.
1Joan. 5. 14.
2Id. 5. 18.
31. Joan. 5. 13
4Act. 3. 38. 39
5Id. 15. 9.
6Joan. 3. 36
7In Christo Jesu neque circumcisio aliquid valet, neque præputium, sed fides quæ per charitatem operatur. Gal. 5. 6.
1Arbitramur enim justificari hominem per fidem sine operibus legis. Rom. 3. 28.
2Scientes quòd non justificatur homo ex operibus legis, nisi per fidem Jesu Christi, et nos in Christo Jesu credimus, ut justificemur ex fide Christi, et non ex operibus legis, propter quod ex operibus legis non justificabitur omnis caro. Galat. 9. 16.
3Quæ enim secundum Deum tristitia est, pœnitentiam in salutem stabilem operatur. 2. Cor. 7. 10.
4Quòd si nosmet ipsos dijudicaremus, non etiam judicaremur. 1. Cor. 11.31.
5Etsi habuero omnem fidem, ita ut montes transferam, charitatem autem non habuero, nihil sum. 1. Cor. 15. 2.
6Nunc autem manent, fides, spes, charitas, tria hæc : major antem horum est charitas. 1. Cor. 13. 13.
1Cùm qaæsieris Dominum Deum tuum invenies eum, sí tamen tota corde quæsieris, et totâ tribulatione animæ tuæ. Deut. 4, 29.
2Timor Domini fons vitæ. Prov. 14. 27.
3Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit multùm. 7. 47
4Remittuntur ei peccata multa quia dilexit multum, id est, quia me verè coluit lide, et exercitiis et signis fidei. Apol. Conf. de diectione et impletione legis. Typis Scholvini. p. 89,
1Luc. 18. 13.
2Si reversi fuerint in toto corde suo,.... tu exaudies de cælo, et dimittes populo. 2. Paralip. 6. 38. 39.
3Si impius egerit pænitentiam ab omnibus peccatis suis,.. vitâ vivet, Ezech. 18. 21.
4Vos amici estis, si feceritis quæ ego præcipio vobis. Joan. 15.14,
5Invenies cum, si toto corde quæsieris. Deut. 4. 29.
6Videtis quod ex operibus justificetur homo, et non ex fide tantum. Jac. 2.24.
1Quoniam ergo hæc opinio tùm fuerat exorta, aliæ apostolicæ Epistolæ, Petri, Joannis, Jacobi, Judæ, contra eam maximè dirigunt intentionem, ut vehementer astruant fidem sine operibus nihil prodesse. Lil, de Fide et Operibus. T. 4. Ed. Froben. p. 68.
2Vides quoniam fides cooperabatur operibus illius : et ex operibus illius fides consummata est. Jac. 2. 22.
3Similiter et Rahab meretrix non ex operibus justificata est, şuşcipiens nuntios, et aliâ via ejiciens? Jac. 2. 25.
1 Lib. 2. part. 3. Art. 23. cap. 3. De fidei justificantis effectis. Ed. Francof. p. 1475.
2Ei autem qui operatur merces non imputatur secundum gratiam, sed secundùm debitum, ei vero qui non operatur, credenti autem in eum qui justificat impium reputatur fides ejus ad justitiam secundùm propositum gratiæ Dei. Rom. 4. 4. 5.
1Si enim Abraham ex operibus justificatus est habet gloriam sed non apnd Deum. Rom. 4. 2.
2In quibus sunt quædam difficilia intellectu, quæ indocti et instabiles depravant, sicut et cæteras scripturas ad suam ipsorum perditionem. 2. Petri 5. 16
1Gratia enim estis salvati per fidem et hoc non ex vobis, Dei enim donum est, non ex operibus, ne quis glorietur. Eph. 2. 8. 9.
2Si enim qui ex lege, hæredes sunt, exinanita est fides, abolita es promissio. Rom. 4. 14.
3Si enim per legem justitia, ergo Christus gratis mortuus est. Gal. 2. 21.
4Nam si ex lege hæreditas, jam non ex promissione. Gal. 3. 18.
5Evacuati estis à Christo, qui in lege justificamini, gratia excidistis. Gal. 5. 4.
6Faciam te in gentem magnam..... in te benedicentur universæ cognationes terræ. Gen. 12.2.3. Item 22. 17. 18.
1Sic volo, sic jubeo ; sit pro ratione volunias. T. 5. Ed. Jen. per Donat. Ritzenheim. An. 1561. p. 141 et 144.
1Declarat sancta synodus, justificationis exordium in adultis à Dea per Jesum Christum præveniente gratiâ sumendum esse, hoc est ab ejus vocatione, quâ nullis eorum existentibus meritis vocantur. Conc. Trident. Sess. 6. сар. 5.
2Causa meritoria justificationis est Dominus noster Jesus Christus qui, cùm essemus inimici propter nimiam charitatem quâ dilexit nos, suâ sanctissima passione in ligno crucis nobis justificationem meruit, et pro nobis Deo Patri satisfecit. Sess. 6. cap. 7.
3Col. 1. 20.
4Nihil eorum, quæ justificationem præcedunt, sive tides, sive opera, ipsam justificationis gratiam promeretur. Sess. 6. cap. 8.
5Ille ipse Christus Jesus tanquam caput in membra, et tanquam vitis in palmites in ipsos justificatos jugiter virtutem instruit, quæ virtus bona eorum opera semper antecedit et comitatur, et sine qua nutio pacto Deo grata et meritoria esse possunt. Sess. 6. cap. 16.
1Justificati gratis per gratiam ipsius, per redemptionem quæ est in Christo Jesu. Rom. 3. 24.
2Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis. Rom. 5. 5.
3Multò magis abundantiam gratiæ et donationis recipientes in vità regnabunt per Jesum Christum. Rom. 5. 17.
4Salvos nos fecit per lavacrum regenerationis et renovationis Spiritas Sancti, quem essudit in nos abundè per Jesum Christum Salvatorem nostrum, ut justificati gratia ipsius hæredes scimus secundum spem vita æternæ. Tit. 3. 5. 6. 7.
1Hæc est voluntas Dei sanctificatio vestra. 1. Thessal. 4. 3.
2At ne Augustini quidem sententia recipienda est, qui gratiam ad sanctificationem referi, quâ in vitæ novitatem per Spiritum regeneramur. Lib. 3. Institut. cap. 11. §. 15. Edit. Amstelod. apud J. Jac. Schipper. pag. 195.
3Ex ipso autem vos estis in Christo Jesu, qui factus est nobis sapientia à Deo, et justitia et sanctificatio et redemptio. 1. Cor. 1. 30.
4Diligam te, Domine, fortitudo mea. Ps. 17. 1. Tu es patientia mea, Domine. Ps. 70. 5.
1Propter quem omnia detrimentum feci, et arbitror ut stercora, ut Christum lucrisaciam, et inveniar in illo, non habens meam justitiam, quæ ex lege est, sed illam, quæ ex fide est Christi Jesu, quæ ex Deo est justitia in fide. Phil. 3. 8. 9.
2Quotquot ergo adjunéto solo adjutorio legis sine adjutorio gratiæ, confidentes in virtute suâ suo spiritu aguntur, non sunt filii Dei ; tales sunt, de quibus idem dicit Apostolus, quia ignorantes Dei justitiam, et suam quærentes statuere, justitiæ Dei non sunt subjecti. De Judæis hæc dixit, qui de se præsumentes gratiam repellebant, et in Christum proptereâ non credebant...... in lege suam justitiam constitueruit, quando camdem legem suis viribus se implere posse credebant, ignorantes Der justitiam, non qua justitia Deus justus est, sed quæ justitia est homini ex Deo. Lib. de gratiâ et lib. arbit. cap. 12. Tom. 7. Edit. Froben. pag. 1310.
3Part. I. de Justif. Ed. Francof. p. 245. Ν. 20.
4Fructus autem Spiritus est charitas, gaudium, pax, patientia, benignitas, bonitas, longanimitas, mansuetudo, fides, modestia, com nentia, castitas. Gal. 5. 22. 23.
5Bonum certamen certavi, cursum consommavi, fidem servavi : in reliquo mihi reposita est corona justitiæ, quam reddet mihi Dominus iu ¡llà die justus Judex. 2. Tim. 4. 7. 8.
1Quanquam nemo possit esse justus, nisi cui merita passionis Domini nostri Jesu Christi communicantur, id tamen in hac impii justificatione fit, dum ejusdem sanctissime passionis merito per Spiritum Sanctum charitas Dei diffunditur in cordibus corum, qui justificantur, atque ipsis inhæret. Sess. 6. c. 7.
2Ideò, cùm habeamus sententiæ nostræ in scriptura certa et firma fundamenta, non est curandum, etiam si incurrat in absurditatem philosophicam. In Exam. Conc. Trid. Part. 1. Edit, Francof. pag. 267. Num. 10.
3Eph. 1. 5
1Si fides accipit remissionem peccatorum propter dilectionem, semper erit incerta remissio. Apol. Conf. Art. 2. de Justificatione. Typis Scholvini. p. 81.
Si pendet ex conditione operum nostrarum remissio peccatorum, prorsús erit incerta. Art. 3. de Dilect. et Implet. leg. p. 95.
2Nos quoque dicimus, quod dilectio fidem sequi debeat. Apol. Art. 2. de Justific. Typis Scholvini, p. 81.
Si quis dilectionem abjecerit, etiamsi magnam habet fidem, tamen non retinet illam. Art. 3. de Dilect. et Implet. leg. p. 102.
Vera et salvans fides in eis non est, qui contritione carent, et propositum in peccatis pergendi et perseverandi habent. Ex solida et plană Declarat. p. 688.
Fides in nullo subjecto datur, quod non simut Deum diligat, et bené operari studeat. Gerard. Lib. 2. Part. 5. Art. 25. cap. 2. Edit. Francof, pag. 1463
1Sano sensu concedi potest actus illos, nempè spei, timoris, et pœnitentiæ requiri ad justificationem, quia enim ad justificationem requiritur fides, quæ non potest esse sine illis actibus, ideò etiam suo modo actus illos ad fidem justificantem requiri admitti potest. Lib. 2. Part. 3. Art. 23. c. 2. de objecto fidei Justif. Ed. Francof. p. 1463.
2Item docent, quod homines gratis justificentur propter Christum per fidem, cùm credunt se in gratiam recipi et peccata nequisti propter Christum, quia sua morte pro nostris peccatis satisfecit. Hanc fidem Deus imputat pro justitia coram ipso. Art. 4.
3Si quis dubitat, utrum remittantur sibi peccata, contumelia afficit Christum, cùm peccatum suum judicat majus aut efficacius esse, quam mortem et promissionem Christi. Art. 3. de Dilect, et impl. Typis Schoivini, pag. 87.
4Quis potest dicere mundum est cor meum, purus sum à peccato? Prov. 20. 9.
1Etiamsi simplex fuero, hoc ipsum ignorabit anima mea, Job. 9.21.
2De propitiato peccato noli esse sine metu. Eccli. 5. 5.
3Cum metu et tremore salutem vestram operamini. Phil. 2. 12.
4Satagite, ut per bona opera certam vestram vocationem et electionem faciatis, 2. Pet. 1. 10.
5Delicta quis intelligit? ab occultis meis munda ime, et ab alienis parce servo tuo. Psalm. 18. 15.
6Nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus sum, qui autem judicat me, Dominus est. 1. Cor. 4. 4.
7Nescit homo utrum amore an odio diguus sit. Eccle. 11.1.
8Sunt justi atque sapientes et opera eorum in manu Dei : et tamen nescit homo, etc. Eccle. 9. 1.
1Sed omnia in futurum reservantur incerta. Eccle. 9. 2.
2Convertimini ad me, et convertar ad vos. Zachar. 1. 5.
3Qui credit in Filium Dei, habet testimonium Dei in se. 1. Joan. 5. 10.
1Quoniam hoc est testimonium Dei, quod majus est, quoniam testificatus est de Filio suo. 1. Joan. 5. 9.
2Ipse enim Spiritus testimonium reddit spiritui nostro, quòd simus Filii Dei. Rom. 8. 16.
1Docent, quòd homines gratis justificentur propter Christum per fidem, cùm credunt se in gratiam recipi, et peccata remitti propter Christum. Art. 4.
1Tom. 4. Ed. Jen. Germ. p. 542.
2Tom. 5. Edit. Germ. Jen. apud Donat. Ritzenhaim, pag. 320. D. et pag. 321.
1Tom. 3. Edit. Jen. Germ. apud Donat. Ritzenhaim. p. 298.
2T. 2. Ed. Jen. Germ. apud Christ. Rödinger. p. 491. B.
3Ed. Franc. Ann. 1576. p. 375.
4Adeò hic articulus omnium summus et præcipuus paulatim artificio diaboli obscurari cœpit. Cent. 2. Typis Oporini. Col. 60.
5Justitiam coram Deo (Patres hujus sæculi) operibus tribuerunt ut videatur magnâ ex parte hunc summum articulum de Justificatione obscuratum esse. Cent. 3. Col. 79.
6Jam cogitet pius lector, quam procul hæc ætas in hoc articulo de Apostolorum doctrina desciverit. Cent. 4. Col. 293.
7Operibus in justificatione hominis coram Deo etiam nimium tribuum hujus sæculi Doctores plerique, Cent, 5. Col. 504.
1Proponenda est vita æterna, et tanquam gratia filiis Dei per Christum Jesum misericorditer promissa, et tanquam merces ex ipsius Dei promissione bonis ipsorum operibus, et meritis fideliter reddenda. Sess. 6. cap. 16.
2Seminanti autem justitiam merces fidelis, Prov. 11. 18.
3Gaudete et exultate, quoniam merces vestra copiosa est in cælis. Matth. 5. 12.
4Abundantes in opere Domini semper, scientes quod labor vester non est inanis in Domino. 1. Cor. 15.58.
5Nolite itaque amittere confidentiam vestram, quæ magnam habet remunerationem. Heb. 10.35.
1Licet bonis operibus in sacris Litteris usque adeò tribuatur, ut etiam qui uni ex minimis suis, potum aquæ frigidæ dederit, promittat Christus eum non esse sua mercede cariturum, et Apostolus testetur, id quod in præsenti est momentaneum, et leve tribulationis nostræ, supra modum in sublimitate æternum gloriæ pondus operari in nobis, absit tamen ut Christianus homo in se ipso confidat, vel glorietur et non in Domino, cujus tanta est erga omnes homines bonitas, ut eorum velit esse merita, quæ sunt ipsius dona. Sess. 6. cap. 16.
2Si ergo Dei dona sunt bona merita tua, non Deus coronat merita tua tanquam merita tua, sed tanquam dona sua. Lib. de grat. et lib. arb. T. 7. Ed. Froben. p. 1306.
3Simon Pauli in enarrat Evang. Dominic. 2. post Trinit. item Gerardus Conf. Cath. lib. 2. part. 5. Art. 23. c. 8. Ed. Francof. 1557.
4Strigelins part. 2. p. 485. Item Gerardus p. 1557.
5Deus qui conspicis, quia ex nulla nostra actione confidimus, etc.
6Adesto Domine supplicationibus nostris, quas in beati N. confessoris tui solemnitate deferimus : ut qui nostræ justitiæ fiduciam non habemus, ejus qui tibi placuit, precibus adjuvemur.
1Nobis quoque peccatoribus famulis tuis, de multitudine miserationum tuarum sperantibus partem aliquam, et societatem donare digneris cum tuis sanctis Apostolis et Martyribus, etc. intra quorum consortium non estimator meriti, sed veniæ quæsumus, largitor admitte.
2Docemus bona opera meritoria esse præmiorum corporalium et spiritualium in hac vita et post hanc vitam, quia Paulus inquit : : Unusquisque recipiet mercedem secundùm laborem suum. Art. 3. de Dilect. et implet. legis. Typis Scholvini. p. 96.
1Num. 20.12.
22. Reg. 12. 13
3Id. 24.10.
4Id. 12. 14
5Id. 24, 15
6Facite fructus dignos pœnitentiæ. Luc. 3. 8.
7Peccata tua eleemosynis redime. Dan. 4. 24.
8Date eleemosynam, et ecce omnia munda sunt vobis. Luc. 11. 41.
1Fingunt satisfactiones prodesse ad red imendas pœnas, seu purgatorii, seu alias ; ...... hæc tota res commentitia et recens conficta, sine auctoritate Scripturæ, et veterum scriptorum ecclesiasticorum. Art. 6. de Conf. et Satisfac. Typis Scholv. p. 185.
2Cent. 3. cap. 4. Typis Oporini, pag. 81 et 82.
3Cent. 4. cap. 4. pag. 293 et 294.
4Cap. 10. p. 1082.
5Cap. 10. p. 1249
6Сар. 10. p.1313
7Cent. 5 cap. 507, 508 et 509
8Cap. 10 p. 1289
9Cap. 10. p. 1355
10Сар. 10. p.969
11Parum me movent, quæ in veterum scriptis de satisfactione passim occurrunt ; vidi quidem eorum nonnullos, dicam simpliciter omnes ferè, quorum libri extant, aut in hac parte lapsos esse, aut nimis asperė et durè locutos. Lib. 3. Inst. c. 4. §. 38. Ed. Amstel, apud Joan. Jac. Schipper. p. 173.
1Neque verò ita nostra est satisfactio hæc, quam pro peccatis cxsolvimus, ut non sit per Christum Jesum ?........ Omnis gloriatio nostra in Christo est : in quo meremur, in quo satisfacimus facientes fructus dignos pœnitentiæ, qui ex illo vim habent, ab illo offeruntur Patri, et per illum acceptantur à Patre. Sess. 16. cap. 8. de Satisfactionis necessitate et fructu.
1Josué 22 16
2Habemus altare, de quo edere non habent, qui tabernaculo deserviunt. Hebr. 13. 10.
1Pag. 38.
1Anon. Pag. 9
2Id. pag. 25
3Id. pag. 8
1Anon. p.31
2Id. p. 33
3Id. p. 47
4Invocation des Saints, p.129
5Id. p. 130
6Id. p. 131
7Ibid.
8Lettre sur l'Invocation des Saints, p. 132.
9Anon. p. 3.
10Lettre sur l'Invocation des Saints, p. 127.
1Id. p. 130.
2Id. p. 129.
3Anon. p. 3.
4Saint Grég. Naz. Orat. 18.
5Anon. pag. 6.
1Dall. De cultus Relig. Objecto. pag. 55.
2Dupin, t. 2. p. 621. Tillemont, t.4 p.186. Item, t.5 p. 329. Balus, in Vitâ Cyp. p. 39. Marten. t. 3. p. 1619.
3Cent. 3. cap. 4. pag. 83.
1Hom. 20, in 40 Martyr. T. 1. p. 459.
2Saint Bas. Hom, 26. T. 1. ad Paris. p. 513.
3Anon. pag. 7.
1Anon. pag. 7.
2S. Chrys. Ilom.-5. in Matth. T. 2, apud Rugonem. p. 13.
3Kemnit. Part. 3. Exam. Ed. Francof. p. 320. N. 30.
1In Demonstratione, quòd Christus sit Deus, circa medium. T. 5. Ed. Front, Ducæi. p. 570.
2Cent. 4. c. 4. p. 296 et 297.
1Lettre sur l'Invocat. des Saints, p. 137
2Anon. pag. 8.
3Lettre sur l'Invocat. des Saints, pag. 158.
4Anon. pag. 8.
5Pater Patrum ab omnibus nominatus. Act. 6. Tom. 7. Ed, Labb.. pag. 478.
1Etsi enim anniversariis feriis hunc diem celebramus, at nunquam cessat studiosè advenientium multitudo, ac formicarum similitudinem servat ea, quæ huc pertinet via publica, cùm alii quidam ascendant, alii verò venientibus cedant. S. Greg. Nyss. Serm. S. Theod. T. 5. apud Morel. p. 585.
2Quòd si quis pulverem aufferre permittat, pro munere pulvis accipitur, ac tanquam res magni pretii condenda terra colligitur. Nam ipsas attingere reliquias, si quando aliqua ejusmodi prospera fortuna contingat, ut id facere licet, quàm id sit multùm desiderandum et optandum, ac summarum precum donum, sciunt experti et ejus desiderii compotes facti. Id. Ibid. p. 580.
3Ut pro ipsis deprecator intercedat supplices preces offerunt tanquam satellitem Dei orantes, quasi accipientem dona cum velit inv5cantes. Ibid.
4Anon. pag. 8.
5Cyrillum Ecclesiæ Hierosolymitanae Episcopum agnoscimus... plurima prælia adversùs Arianos variis in locis præliatum. Conc. Coust. 1. T. 2. Ed. Labb. p. 965.
6Theod. Hist. Eccl. Lib. 2. c. 22. T. 5. Ed. Sirmond. p. 624.
7Phot. Collect. de Metrop.
1Anon. p. 9.
2Lettre sur l'Invocat. des Saints, pag. 181.
3Non ut pro eis oremus, sed ut orent pro nobis. Tract. 86. in Joan. T. 9. Ed. Froben. p. 451.
4Anon. pag. 9.
1Quod si cui asperum videtur, tantam nos inter virginitatem et nuptias fuisse distantiam quanta inter frumentum et lordium est, legat S. Ambrosii de Viduis librum. Ep. 30. ad Pamach. adversùs Jovinianum, T. 4. Ed. Martianai, p. 237.
2Lib. de Viduis, cap. 9. Tom. 1. Ed. Paris. p. 200
3Anon. pag. 9.
4Id. Ibid.
5Ad Deum autem, quem utique nihil latet, promerendum suffragatore non opus est. Com. in Epist. S. Pauli.
1Anon. pag. 9
2Lettre sur l'Invocat. des Saints, pag. 144.
3S. Chrysost. Orat. in SS. Bernic. et Prosdoc. Tom. 1. Ed. Front. Ducai. pag. 570.
4Anon. pag. 9
5Anon. p. 25
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 145.
2Anon. pag. 9.
3Anon. pag. 22 et 23.
1S. Aug. Contra Faustum Manich. cap. 21.
2Anon. pag. 24.
1Anon. pag. 9.
2Serm. 17. de verbis Apost.
3Lettre sur l'Invocat. des Saints, pag. 147.
4Kemnit. in 3. part. Exam. pag. 345. N. 50.
5Lettre sur l'Invocat. des Saints, pag. 148.
6Anon. Pag. 9
7Anon. Pag. 3
8Lettre sur l'invocat. des Saints, pag. 149
1Lettre sur l'invocat, des Saints, pag. 150
2Anon. pag. 9.
3Anon. pag. 10.
4Theodoret. Serm. S. de Martyribus. Tom. 4. Edit. Cramoisy. pag. 605.
5De his sacrificiis multis in locis diximus, tum in his quæ contra Græcos scripsimus, tum in iis quæ adversùs Magos. Interrog. 1. in Levit. T. 1. Ed. Sirm. p. 114. Scripsi quædam contra Arianos et Eunomianos, quædam contra Judæos et Græcos, проσ Elvaʊ. Ad Leouem, Ep. 113. Tom. 3. p. 987. - Libros enim scripsi ampliùs 30, adversùs Arium et Eunomium ; adversùs Macedonium, adversùs Græcos, ××× Evo, adversus Judæos. Ad Renatum Ep. 116. T. 3. p. 989.
1Anon. pag. 10
2Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 153.
3Anon. Pag. 10.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 157.
2Anon. pag. 11.
1Peut-être, Monsieur, le témoignage rendu par ce grand homme vous paraîtra moins recevable, ou ne fera pas assez d'impression sur vous, Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 155.
1Anon. Pag. 12
2Id. pag. 12
3Id. pag. 13
4Id. pag. 12
5Si quid tota per orbem terrarum frequentat Ecclesia, quin ita faciendum sit, disputare insolentissimæ insaniæ est. Ep. 118. T. 2. Ed, Froben. p. 558.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 192.
2Luth. Tom. 1. Ed. Jen. Germ. pag. 165.
3Jos. 7. 6.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag, 129.
2Martyrum porrò festivitates in omnibus penè hoc sæculo Ecclesiis. Folemnes fuisse videntur. Cent. 4. Col. 451, 452 et 453.
3Lib. 20. contra Faustum. c. 21.
4Nec intrà tantùm, sed etiam extrà urbes templa extruebantur, el nomina interdùm ab Apostolis et Martyribus.... sortiebantur. Cent. 4. Col. 408 et 409.
5Martyribus ambo laborabant, munificentiâque et liberalitate præclarè inter se contendebant, tùm multarum manuum operâ, tùm multis impensis ædem sacram extruentes..... Alterius opus perficiebatur, Deo videlicet libenter admittente velut Abelis sacrificium ; alterius autem munus Deus Martyrum repudiabat, itaque ille quidem laborabat, sed terra, quod elaboratum fuerat excutiebat... Hoc opus Vaticinium erat ignominiæ in martyres et ædes sacras. S. Greg. Naz. Orat. 3. adversùs Julianum. T. 1. Ed. Colon. p. 59.
6Serm. 8. de Martyr, T. 4. Ed. Cramoisy. p. 685.
7Sumptuosissimis Martyrum monumentis et votivorum donorum munificentiis Christi amorem declarabant. Orat. 3. adversùs Julianum. T. 1. Ed. Colon. p. 58.
1Conc. Trident, Sess. 25. in Decreto de Invocat. Sanctorum.
2Anon. pag. 13.
3Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 172.
1Viginti quatuor seniores ceciderunt coram Agno, habentes citharas et phialas aureas, plenas odoramentorum, quæ sunt orationes Sanctorum. Apoc. 5. 8.
2Anon. pag. 17.
1Ecclesiæ Dei, quæ est Corinthi, vocatis Sanctis. Ecclesia Dei, quae est Corinthi, cum omnibus Sanctis, qui sunt in universâ Achaïâ. Omnibus Sanctis, qui sunt Ephesi. Omnibus Sanctis in Christo Jesu, qui sunt Philippis. lis qui sunt Colossis, Sanctis et fidelibus fratribus. 1 et 2. Cor. Ephes. Philip. Coloss.
2Stetit Angelus habens turibulum aureum, et data sunt illi incensa multa, ut daret de orationibus Sanctorum omnium super altare aureum " quod est ante thronum Dei. Apoc. 8. 3.
3Ego obtuli orationem tuam Domino. Tob. 12. 12.
4Angelus, qui eruit me de cunctis malis, benedicat pueris istis. Gen. 48. 16.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 199.
2Nonne omnes sunt administratorii spiritus, in ministerium miesi propter eos qui hæreditatem capient salutis? Hebr. 1. 14.
3Genes. 48. 16.
4Recordare Abraham, Isaac ct Israel servorum tuorum. Exol 32. 13.
1Job. 42. 8. Rom. 13. 50.
2Luc. 16. 24.
3Anon. pag. 16.
4Anon. pag. 18.
1Anon. p. 17.
2Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 201.
3Lettre sur l'Invocation des Saints, p. 197.
4Anon. p. 28.
1Ibid. p. 28.
2Luth. T. 1. Ed. Jen. p. 163.
3Anon. pag. 16.
1Reg. 2 9
2Anon. p. 16
3Henoch placuit Deo, et translatus est in paradisum, ut det gentibus poenitentiam. Eccle. 44. 16.
4Cornel. à Lapide, in Genes. 5. 22.
54. Reg. 2.9.
6Anon. p. 16.
1Job. 14. 21.
2Quod tamen de animabus sanctis sentiendum non est, quia quæ intus omnipotentis Dei claritatem vident, nullo modo credendum est quia foris sit aliquid quod ignorent, S. Greg. pap. Lib. 12. Mọr. c. 21. T. 1. Edit. nov.
3Isaïe, 63. 16.
4Lettre sur l'Invocation des Saints, p. 183.
5Anon. pag. 17.
6Nescit nos Abraham et ignorat nos Israel, quia te offendimus, nec cognoscunt filios suos, quos à Deo suo intelligunt non amari. S. Nieron. in cap. 63. Isaix, T. 5. Ed. Martianai. p. 470.
7Anon. pag. 17.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 175.
2Anon. pag. 14.
1Anon. pag. 14.
2Anon. pag. 14.
1Anon. Pag. 14
2Ibid.
31. Cor. 2. 14.
1Si Eva inobedierat Deo, hæc suasa est obedire Deo, ut virginis Evæ Virgo Maria fieret advocata. Irenæ. Lib. 5. cont. Hæres, c. 19. Ed. Renat. Mansuet. p. 316.
2Quis dubitat, quin Sancti nos orationibus juvent? Orig. Hom. 26. in numeros. Ed. Vet. T. 1. f. 143. Habent igitur jam repromissionem suam, et requieverunt ; verumtamen et ipsi pugnant, et in certamine sunt pro iis, qui sub Jesu militant.... pugnant et adjuvant nos orationibus suis. Hom. 16. in Josue. T. 1. p. 168. — Veni Angele, suscipe sermone conversum ab errore pristino, etc., quasi bonus medicus confove atque institue. Hom. 1. in Ezech. T. 2. f. 133. B.
3Euseb. Hist. Eccl. Lib. 8. c. 6. Ed. Vales. p. 298.
1Anon. p. 27.
2Ibidem.
3Ibidem.
1S. Aster. Ilom. in 5. Mart. ex auctario P. Combefis. p. 187.
2Quod universa tenet Ecclesia, nec conciliis institutum, sed per velenium est, non nisi auctoritate apostolicâ rectissimè creditur. Lib. 4. de Bapt. contr. Donat. cap. 24. T. 7. Ed. Froben. p. 445. Item, Lib. 2. c. 7. p. 396. Item. Lib. 5. c. 25. p. 449.
1Anon, p. 25.
2Anon. pag. 25.
1Sed etsi nusquam in veteribus scripturis legeretur, non parva tą men esset universæ Ecclesiæ quæ in hac consuetudine claret auctoritas. Lib. de Curâ pro mortuis. T. 4. Ed. Frob. p. 880.
2Quisquis falli metuit, hujus obscuritate questionis, camdem Ecclesiam de illa consulat, quam sine ullâ ambiguitate Scriptura demonstrat. Lib. 1. cont. Crescon. c. 53. T..7. Ed. Frob. p. 219.
3Si quid tota per orbem terrarum frequentat Ecclesia, quin ità faciendum sit, disputare, insolentissimæ insaniæ est. Ep. 118. Tom. 2. Ed. Freben. p. 558.
4In Ecclesiæ gremio me tenet consensio populorum, tenet auctoritas miraculis inchoata.... tenet ab ipsâ sede Petri usque ad præsentem Episcopatum successio sacerdotum, tenet postremò ipsum catholica nomen, etc. Cont. Ep. fundam cap. 4. Tom. 6. Edit. Frob. p. 117.
5Anon. pag. 20.
1Veni, Angele, suscipe sermone conversum ab errore pristino, à doctrinâ dæmoniorum, ab iniquitate, suscipiens eum quasi medicus bonus confove atque institue. Hom. 1. in Ezech. T. 2. f. 133. B.
2Obsecrandi sunt angeli, qui nobis ad præsidium dati sunt. Lib. de Viduis. c. 9. T. 1. Ed. Paris. p. 200.
1Anon. p. 31. 32. 33.
2Id. P. 33.
3Ibidem.
1Anon. pag. 11.
2Nunquid non et Africa Sanctorum Martyrum corporibus plena est ? et tamen nusquam hic scimus talia fieri miracula. S. Aug. Ep. 137. T. 2. Ed. Frob. p. 657.
1Quis potest ejus consilium perscrutari, quare in aliis locis hæc miracula fiant, in aliis non fiant? S, Aug. Ep. 157. Tom. 2. Edit. Frobens. Pag. 657.
2Lettre sur l'lnvocation des Saints, pag. 203-206.
3S. Ambr. Ep. 22. T. 2. Ed. novæ Paris. P. 874.
4Tillem. Tom. 2. pag. 85.
5S. Ambr. Ed. nova, pag. 878.
6Lib. 9. Conf. c. 7. Lib. 25. de Civit. Dei. c. 8. Serm. in Nat. Mart. Gerv, et Prot.
1Lib. 22. de Civ. Dei. c. 8. T. 5. Ed. Froben, pag. 1347.
2Anon. pag. 50.
3S. Aug. Lib..9. Conf. c. 7. Lib. 22. de Civit. Dei. c. 8.
4Statimque subiit veluti cujusdam ardor præsagii. Ep. 22. T. 9. Pag. 874
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 212.
2Tom. 5. Con. Labb. pag. 855.
3Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 210.
4Ac miracula quidem quæ subindè patrantur à sanctissimâ virgine, nota sunt omnibus christianis. Lib. 2. c. 3. Ed. Val. p. 287.
5Anon. pag. 40.
6Id. Ibid.
1Tillem. T. 5. p. 405.
2Tillem. T. 5. p. 411.
3Anon. pag. 47 et 48.
1Anon. p. 37
2Id. p. 38
3Id. p. 41
1Anon. p. 41.
1Anon. p. 40.
2Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 215.
3Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 216.
4Mortuum prophetavit corpus ejus. Eccli. 48. 14.
5Anon. pag. 51.
1Ut pro ipsis deprecator intercedat, supplices preces offerunt. In Orat. de S. Theodor. T. 3. p. 580.
2Anon. p. 51.
3Jacebat cilicio prostratus et auxilia sibi fida Sanctorum intercessione poscebat. Ruffin, lib. 2. c. 55. Ed. Frob. p. 262.
4Theodoret. Lib. 5. cap. 24.
1Anon. p. 51.
2Id. p. 39.
3Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 209.
4Anon. p. 51.
5Super his est cœnaculum sublime, ex quo licet iis qui voluerint Martyri supplicare et sacris interesse mysteriis.… Lib. 2. chap. 3. pag. 287.
6Anon. pag. 51.
7Tom, 5. Conc. Labb. pag. 855.
1Anon. Pag. 51
2Anon. pag. 51.
1Anon. pag. 28.
2Joan. 10. 25.
3Joan. 10. 38.
4Id. 15 24
5Id. 2. 11.
6Matthieu 11 5
7Jean 9 30
8Id. 12 18
92 Corinthiens 12 12
12. Thess. 2. 9.
2Matth. 24, 24.
3Anon. pag. 30.
1Anon. Pag. 29
2Et dubitamus nos ejus Ecclesiæ gremio condere, quæ ad confessionem generis humani ab apostolica sede per successiones episcoporum frustrà hæreticis circumlatrantibus, et partim plebis ipsius judicio, partim conciliorum gravitate, partim etiam MIRACULORUM majestate damnatis, culmen auctoritatis obtinuit, cui nolle primas dare vel summæ profectò impietatis est, vel præcipitis arrogantiæ. Lib. de Utilitate credendi. Ed. Froben. T. 6. p. 114.
1Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 221.
2Anon. pag. 53.
3Euseb. Hist. Eccles. Lib. 3. c. 1. c. 24. c. 25.
4Anon. Pag. 53. - Cela s’appelle en bon français un vrai galimatias.
5Ego verò Evangelio non crederem, nisi me Ecclesiæ catholicæ commoveret auctoritas. In Epist. fundam. cap. 5. Tom. 6. Edit. Froben. pag. 118.
6Lettre sur l'Invocation des Saints, pag. 221.
1Luth. Edit. Jen germ. p. 65.
2Anon. p. 53.
1L'ancienne édition de Scheffmacher était en deux volumes.
1Le 15 octobre.
1Non videbunt Terram pro quâ juravi patribus eorum. Num. 14.
1Quia non credidistis mihi, ut sanctificaretis me coram filiis Israel, non introducetis hos populos in Terram quam dabo eis. Num. 20.
2Dixitque Nathan ad David : Dominus quoque transtulit peccatum tuum ; 2. Reg. 12. 13.
3Verumtamen quoniam blasphemare fecisti inimicos Domini, propter verbum hoc, filius qui natus est tibi morte morietur. 2. Reg. 14. 12
4Peccavi valdè in hoc facto. Id. 24. 10.
1Quis enim cognovit sensum Domini, aut quis consiliarius ejus fuit? Rom. 11. 51.
2Ne abundantiori absorbeatur tristitiâ. 2. Cor. 2. 7
1Dabo tibi claves regni cœlorum. Et quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in cœlis ; et quodcumque solveris super terram, erit solutum et in cœlis. Matth. 16. 19.
2men dico vobis, quæcumque alligaveritis super terram, erunt ligata et in cœlo ; et quæcumque solveritis super terram, erunt soluta et in cœlo. Matth. 18. 18.
3Quorum remiseritis peccata, remittuntur cis. Joan. 20. 25.
1Judicavi,., tradere hujusmodi Satanæ in interitum carnis, 1. C. 5. 5.
2Sufficit illi qui hujusmodi est, objurgatio hæc quæ fit à pluribus ; ita ut è contrario magis donctis et consolemini, ne fortè abundantiori tristitia absorbeatur qui ejusmodi cst. 2. Cor. 2. 6.
1Non enim quod id promereatur, nec quod eám , quam par sit, pœnitentiam præstiterit ; sed quia infirmus est, idcircò hoc peto. Unde etiam subjunxit ne fortè abundantiori tristitia absorbeatur. S. Chrysost. Homil. 4. in Epist. 2. ad Corinth.
2Pulchré autem dixit donare, ut ille non existimet sibi remissam esse noxam quia satis confessus sit, et sufficienter pœnitentiâ ductus, attendit quòd non tantùm ex pœnitentiâ suâ, sed ex illorum gratiâ et donatione dimissionem accipiat.
3Ex ea re docemur quòd non solům ad peccatorum naturam, verùm etiam ad mentem, habitumque peccantium oporteat moderari pœnitentiam. S. Chrys.
4Vides Apostoli indulgentiam proprias etiam sententias temperantem ; vides mitissimam ienitatem longè vestro supercilio superatam, longé à Novatiani fronte dissimilem, communi verò vitæ et saluti omnium consulentem. S. Pacian. lib. 3. contra Novat.
1Quam pacem in Ecclesià quidam non habentes, à Martyribus in carcere exorare consueverunt, et ideò eam in vobis etiam habere, et fovere, et custodire debetis si fortè et aliis præstare possitis. Tert. lib. 1. ad Martyres.
1Sufficiat Martyri propria delicta purgasse. Ingrati, vel superbi est in alios quoque sparg quod pro magno fuerit consecutus. Tert, lib. De Pudicitiâ.
2Oro vos quibus possum precibus, et Evangelii memores et considerantes quæ et qualia in potestatem antecessores nostri Martyres concesserunt, quàm solliciti in omnibus fuerint. Vos quoque solliciti et cauti petentium desideria ponderetis, utpotè amici Domini, et cum illo postmodum judicaturi, inspiciatis, et actum, et opera, et merita singulorum ipsorum quoque delictorum genera et qualitates cogitetis, ne si quid abrupte et indignė, vel à vobis promissum, vel à nobis factum fuerit, apud gentiles quoque ipsos, Ecclesia nostra erubescere incipiat. S. Cyp. Ep. ad Mart. et Conf.
3Occurendum puto fratribus nostris, ut qui libellos à Martyribus acceperint, si incommodo aliquo et infirmitatis periculo occupati fuerint, non expectent præsentiam nostram, quin apud Presbyterum quemcumque præsentem, vel si Presbyter repertus non fuerit, et urgere exitus cœperit, apud diaconum quoque exomologesim facere dilecti sui possint, ut manus eis in pœnitentiam imposita, veniant ad Dominum cum pace, quam dari martyres litteris ad nos factis desideraverunt. Idem Cyp. Ep. ad. Presb. et Diac. Frat.
1Modus autem hujus pœnitentiæ in episcoporum sit arbitrio, ut secundům conversationem pœnitentiam possint extendere tardantibus, et minuere studiosè pœnitentibus. Conc. Ancyr. Can. 22.
2Ut negligentes poenitentes tardiùs reconcilientur. Conc. Carth. Can, 75.
3Si continuò creditur moriturus is qui pœnitentiam petit, reconcilietur per manus impositionem ; et infundatur ori ejus Eucharistia. Si supervixerit, admoneatur à suprà dictis testibus, petitioni suæ satisfactum, et subdatur statutis pœnitentiæ legibus, quamdiu sacerdos qui pœnitentiam dedit, probaverit. Conc. Carth. Can. 76.
4Postmodum verò licebit episcopo de his aliquid humaniùs.cogitare. Cone. Nic.
1Harum origo cùm in historiis non satis luculenter annotata sint vestigia, quantùm fieri poterit, ex certis scriptis nobis inquirenda erunt. Kemn. Exam. Concil. Trid. part. 4.
2Non longè ante annum Domini 1200 videntur originem suam cœpisse novæ Indulgentiæ. Ibid.
3Inter valdensium articulos decimus tertius hic ponitur : prælatorum omnium Indulgentiæ ad limina Sanctorum peregrinationes, imò anni Jubilæi nullius sunt valoris vel commoditatis. Ibid.
4Historia antiquitatis multis exemplis ostendit veterem Ecclesiam in mulctis et castigationibus ecclesiasticis, seu quæsivisse et adhibuisse varias moderatioues, relaxationes et remissiones, pro circumstantiis temporum, personarum et lapsuum, et prout pœnitentes, vel citiùs, vel evidentiùs ostenderent et probarent seriam resipiscentiam. Kemnitius in eodem cap. part. 4.
5Vocabulum Indulgentiarum in hâc materia, apud veteres illos usurpatum non facilè invenitur. Ibid.
1Christus pro nobis mortuus est. Rom. 5.9.
2Ipse est propitiatio pro peccatis nostris, non pro nostris autem tantùm, sed etiam pro totius mundi. 1. Joan. 2. 2
3Inter natos mulierum, non surrexit major Joanne Baptistáz
1Ego autem libentissimè impendam, et superimpendar ipse pro animabus vestris. 2. Cor. 12. 15.
2Omnia sustineo propter electos, ut et ipsi salutem consequantur, quæ est in Christo Jesu cum gloriâ cœlesti. 2. Tim. 2. 10.
3Gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quæ desunt passionum Christi in carne meâ pro corpore ejus, quod est Ecclesia. C. 1. 24.
1Adimpleo ea quæ desunt passionibus Christi in carne meâ.
2S. Aug. enar. in Psal. 61.
3In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad invicem. Joan. 13. 35.
4In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animam suam pro nobis posuit, et nos debemus pro fratribus animas ponere. 1. Joan. 5. 16.
5Alter alterius onera portate. Gal. 6. 2.
6Memoriam vestri facientes in orationilius vestris. 1. Thess. 1. 2.
7Obrecro vos ut me adjuvetis in orationibus vestris pro mead Deur. Rom. 15. 50.
1Nimis honorificati sunt amici tui Deus. Psal. 158. 17.
1Plenitudo ergò legis est dilectio. Rom. 15. 10.
1Quamvis hujus rei certè de Scripturis canonicis non proferatur exemplum, earumdem tamen Scripturarum ctiam in hac re à nobis tenetur veritas, cùm hoc facimus quod universæ jam placuit Ecclesiæ, quam ipsarum Scripturarum commendat auctoritas. S. Aug. lib. 1. con trâ Cresconium, cap. 33.
2Quod universa tenet Ecclesia, nec conciliis institutum, sed semper retentum est, non nisi auctoritate apostolicâ traditum rectissimè creditur. S. Aug. lib. 4. contrà Donat. Cap. 24.
1Ipse est propitiatio nostra pro peccatis nostris, non pro nostris autem tantùm, sed pro totius mundi. 1. Joan. 2. 2.
2Calv., liv. 3. Inst, chap. 5, n. 3.
1Calv. liv. 3. chap. 3. n. 3.
1Calv. liv, 3. Inst. chap. 5. n. 5.
1Nolite tangere christos mcos ; et in prophetis meis nolite malignari. Ps. 104. 15.
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