ADULTERE. Nous considérons
l’adultère,
soit en lui-même comme opposé
à la morale,
soit dans ses rapports avec le mariage.
Cette matière sera divisée
en neuf articles :
1° Le péché d’adultère
;
2° L’adultère
et le lien du mariage d’après la sainte Ecriture ;
3° L’adultère et le lien du
mariage d’après les Pères de l’Eglise ;
4° L’adultère et le lien du
mariage dans l’Eglise latine du Ve au XVIe siècle
;
5° L’adultère et le lien du
mariage d’après le concile de Trente ;
6° L’adultère, cause de divorce
dans les Eglises orientales ;
7° L’adultère, cause de séparation
de corps et de résidence ;
8° L’adultère empêchement
de mariage.
Les autres motifs pour lesquels on a cru dans certaines églises et à certaines époques pouvoir briser le lien du mariage seront étudiés au mot DIVORCE.
I. ADULTERE (Le péché d’).
I. Notion. II. Espèces. III. Culpabilité et peines. IV Obligations qu’il impose.
I. NOTION. – D’après l’étymologie
" ad alterum, sous-entendu
ire ", aller à un autre
ce mot désigne l’acte par lequel un époux, trahissant la
fidélité jurée au mariage, livre son corps à
une personne autre que son conjoint.
Seul le christianisme, doctrine morale
par excellence, nous a donné la notion complète de ce crime.
Sous l’empire du code romain, il n’y avait adultère que dans le
cas d’union illicite avec une femme mariée. L’époux de celle-ci
pouvait, sans encourir le même reproche qu’elle, entretenir des relations
déshonnêtes avec une fille libre (soluta), avec une
esclave, une femme de basse condition ou une concubine ordinaire. f. Ad.
Leg. Julia, De adult., 6, § 1 ff.
et il en a été ainsi dans
la plupart des législations.
C’est presque toujours sur les femmes qu’elles ont déployé leurs rigueurs. Je veux bien, avec Montesquieu, que la violation de la pudeur suppose, chez la femme, le renoncement à toutes les vertus, je crois également, avec lui, qu’elle sort de sa dépendance naturelle quand elle enfreint les lois du mariage, je sais enfin que la nature a marqué son infidélité par des signes certains, mais tout cela n’excuse pas l’excessive indulgence que les lois ont montrée vis-à-vis de l’homme.
Jésus-Christ s’attacha à
combattre cette aberration. En rappelant la primitive institution du mariage
et surtout en l’élevant à la dignité de sacrement,
il enseigna que le pacte conjugal est violé par l’infidélité
de l’homme aussi bien que par celle de la femme. L’époux, selon
saint Paul (1 Corinthiens 7, 4) n’est pas plus libre de son corps que l’épouse.
En se plaçant à la lumière
de l’Evangile, les Pères, qui furent, on le sait, les vrais fondateurs
de la théologie, écrivirent des traités et firent
des homélies pour faire prévaloir cette doctrine.
On la retrouve dans les œuvres de :
saint Augustin,
De bono conjug., P. L., t. XL, passim,
dans Tertullien, De monogam.,
c.
IX, P. L., t. II, col. 940,
et dans les Institutions de Lactance,
VI, c. XXIII, P. L., t. VI, col. 719.
Ils sont donc parfaitement autorisés, les théologiens contemporains qui définissent l’adultère : l’union illicite d’une femme mariée avec un autre homme que son mari, ou d’un homme marié avec une autre femme que la sienne. Qu’on remarque bien tous les éléments de cette définition, si l’on veut se rendre compte de ce qu’elle exprime. Les lois ont quelquefois appelé adultère l’injuste défloration d’une vierge, aliquando ponitur prostupro et vicissim, mais c’était à un moment où les notions n’étaient pas encore formées et pour donner l’horreur d’un crime fort grave en soi, puisque la virginité est la plus belle parure de la jeune fille.
En réalité les rapports conjugaux, entre personnes libres de tout engagement, constituent le simple péché de fornication. Par contre, le mariage subsistant, tout commerce charnel, en dehors de ses lois, porte le stigmate de l’adultère, alors même que, par une infâme complicité, les époux entendraient se délier, l’un vis-à-vis de l’autre, du devoir de fidélité.
[Y a-t-il adultère
si l'autre époux l'autorise ?]
Au XVIe siècle, quelques
laxistes enseignaient que la permission, donnée par un mari à
sa femme, de se prostituer enlevait, aux fautes de celle-ci, leur caractère
d’adultère, mais l’Eglise protesta énergiquement et Innocent
XI condamna, le 2 mars 1679, leur doctrine sous la forme de la proposition
suivante : Copula cum conjugata consentiente marito non est adulterium,
adeoque sufficit in confessione dicere se esse fornicatum. Prop. 50,
Denzinger, Enchiridion, n. 1067. Comment, en effet, ne pas voir
du premier coup que ces licences indignes traînent dans la boue la
sainteté du mariage, brisent la foi jurée inviolablement,
sont injurieuses pour le sacrement et portent en germe le principe du divorce
?
Cependant De Lugo, De justitia et jure,
disp. VIII, n. 10, Lyon, 1670, t. I, p. 194, pense que, dans ce cas,
le péché n’est pas exactement de même nature que l’adultère
ordinaire ; il n’y a pas injustice au préjudice du conjoint, puisqu’il
a si misérablement cédé ses droits autant qu’il le
pouvait : Scienti et volenti non fit injuria, à celui sait
et qui consent on ne fait pas injure, dit un axiome théologique.
[les fautes solitaires
participent à la nature de l'adultère quand elles sont commis
par des gens mariés]
L’adultère suppose donc essentiellement
le mariage. Il requiert en outre le rapprochement des sexes [la copulation];
il n’est constitué dans son individualité propre qu’autant
que ce dernier a été consommé.
Néanmoins, suivant la juste remarque
de Sanchez,
De matrimonio, l. IX, c. XLVI, n. 17, les mauvais
désirs, privautés malsaines, les attouchements déshonnêtes
et même, d’après De Lugo, De pænitent.,
disp.
XVII, n. 387, et les docteurs de Salamanque, Theol. mor.,
c.
VII, n. 100, l’abus de son propre corps, les fautes solitaires participent
à la nature de ce crime, quand ils sont commis par des gens mariés.
Il y a là une circonstance aggravante
qu’il faut accuser en confession.
On voit par suite avec quelle réserve
doivent se comporter les époux.
Cependant la faute suppose la connaissance
du mal que l’on commet.
L’homme qui, succombant aux défaillances
de la chair, serait, par erreur personnelle ou par tromperie, convaincu
que sa complice est libre de tout engagement, ne commettrait qu’un péché
de fornication, tout en faisant un adultère matériel. Ceci
est formellement consigné dans le droit ecclésiastique. Aux
termes du chapitre : Si virgo nupseris, du décret de Gratien,
n’est pas considérée comme adultère la femme qui épouse
par erreur un homme marié secrètement, à moins que,
venant à découvrir sa véritable situation, elle ne
continue à cohabiter avec lui. Le crime commence à l’heure
où, la lumière se faisant dans son esprit, elle n’en tient
pas compte. Pareillement les chapitres
In lectum et Si virgo
nesciens, du même décret, causa XXXIV, q. I, c. 5 ; q.
II, c. 6, disposent qu’on ne peut accuser d’infidélité l’épouse
infortunée qui aurait souffert violence ou aurait été
surprise.
Au point de vue théologique on divise communément l’adultère en adultère simple et en adultère double, suivant qu’un seul des deux coupables est marié ou qu’ils le sont tous les deux. Les moralistes énoncent une vérité que chacun sait quand ils disent que le second est plus grave que le premier. Ce sont deux familles au lieu d’une qu’il atteint : il viole deux fois la loi du sacrement. Ce que nous comprenons très bien également, c’est qu’il est plus odieux quand il est commis par un homme libre avec une femme mariée, que lorsqu’il survient entre une fille et un mari ; car, dans le premier cas, il risque de faire entrer dans une famille un enfant illégitime, un héritier étranger.
Quelle qu’elle soit, l’infidélité conjugale est, en regard du sixième et du septième précepte divin, un des crimes les plus énormes qui puissent souiller la conscience humaine. Foulant aux pieds les droits les plus sacrés, inscrits dans l’âme par la nature elle-même, l’adultère s’en va, par la voie du parjure et de la trahison, ravir ou prostituer un cœur et un corps qui sont la propriété d’autrui, porter la désolation et la ruine dans la société domestique, empoisonner les sources de la vie au mépris des lois sur la propagation de l’espèce et corrompre les joies et les gloires de la paternité. Après cela quoi d’étonnant que les peuples – même ceux qui regardaient la fornication comme un acte indifférent au point de vue de la conscience – l’aient toujours poursuivi de leurs anathèmes et chassé sans pitié ?
1° Loi romaine. – Avant qu’il en fût question dans leur code, les Romains, obéissant à l’instinct naturel, le punissaient avec une implacable sévérité. Plus tard Auguste le traita comme un crime social et le rendit, à ce titre, justiciable des tribunaux. Par la loi qui porte son nom il édicta la peine de l’exil contre les citoyens ordinaires, et de la déportation dans un pénitencier contre les militaires, qui en étaient souillés. Ces châtiments furent remplacés par la peine capitale, on ne sait pas exactement à quelle époque ; les jurisconsultes hésitaient entre les Antonins et Constantin, mais le fait est certain. Cf. Joseph Laurentius, Tract. de adult. et de meretric. ; Ant. Math…, De criminibus, l. XLVIII, tit. III, c. II, n. 1.
2° Loi mosaïque. – Sous la loi mosaïque, inspirée, comme son sait, par Dieu lui-même pour un peuple grossier et brutal, les deux complices étaient punis du dernier supplice. Le premier endroit où il soit fait mention du cas, c’est le Lévitique, XX, 10 ; il ne dit pas le genre de mort qu’on devra infliger : Morte moriantur mœchus et adultera. Le Deutéronome n’est pas plus explicite, XXII, 22 : " Si un homme dort avec la femme d’autrui, que l’un et l’autre coupables soient punis de mort afin d’enlever le mal d’Israël. " On ne trouve pas non plus de plus amples informations dans l’histoire de Suzanne, Daniel XIII ; mais nous savons par les commentaires talmudiques et par le témoignage de saint Jean 8, 5, que le supplice était la lapidation.
3° Loi évangélique. – La loi de crainte a fait place à la loi d’amour. De même que Dieu ne se contente plus de quelques paroles d’honneur qui tombent du bout des lèvres, ou de quelques rites purement extérieurs, mais veut être adoré en esprit et en vérité, de même il veut être servi dans la liberté et l’abandon du cœur et non comme un maître qui menace du baton l’esclave insoumis. Jésus-Christ l’a fait entendre en plusieurs circonstances par ses paroles et par ses actes. On sait comment il défendit et pardonna, en lui recommandant de ne plus pécher, la femme infortunée que les Pharisiens prétendaient avoir surprise en adultère. Joa., VIII, 3. Ce n’est pas qu’il approuvât son crime, il avait condamné non seulement l’adultère consommé, mais encore le désir de le commettre, les regards de convoitise jetés sur une femme, Matth., V, 8, seulement il voyait le repentir qui purifiait son cœur et la honte extérieure qui expiait sa faute, et puis il était bien aise de montrer par ce fait que les perspectives de la loi nouvelle ne se borneraient pas désormais aux horizons de ce monde. Mais pour être reculé jusqu’à la tombe, le châtiment de l’infidélité conjugale n’est ni moins certain ni moins grave que dans l’ancienne loi. La seule différence c’est qu’ici il revêt un caractère spirituel et peut être évité par le repentir, au lieu que sous le Lévitique la mort corporelle en était toujours la rançon. D’après les enseignements évangéliques, celui qui l’ayant commis mourra dans l’impénitence, sera pour toujours exclu du royaume céleste. Saint Paul le dit en propres termes : Ne vous y trompez pasNeque adulteri regnum Dei possidebunt. 1 Cor., 6, 9.
4° Discipline ecclésiastique.
–
C’est sur ce texte que l’Eglise primitive régla sa conduite. Convaincue,
d’une part, qu’elle représentait sur la terre le royaume céleste
et, de l’autre, voulant à tout prix réagir contre les scandales
des païens et offrir au monde le spectacle d’une société
sainte et immaculée dans ses membres eux-mêmes, elle bannit
tout d’abord, de son sein, les malheureux qui avaient failli à la
foi conjugale, de peur de paraître leur indulgente complice, devant
un public qui ignorait ses doctrines et ne la jugeait que par les faits
extérieurs. L’excommunication portée contre les coupables
était perpétuelle, mais ils n’étaient pas pour autant
contraints de mourir dans leur crime, ils pouvaient l’expier aux yeux de
Dieu par des pénitences secrètes et dans ce cas la flétrissure
ecclésiastique était purement externe, elle prenait le caractère
d’un châtiment social. Plus tard les motifs qui avaient fait établir
cette discipline disparaissant, on jugea à propos de l’adoucir,
et à partir du pape Callixte (217-222) on consentit à absoudre
l’adultère à condition qu’il accomplit la pénitence
publique imposée par l’évêque. Cette modification n’alla
pas sans quelques tiraillements. Nonobstant, l’Eglise, maîtresse
de sa discipline et pensant, non sans raison, que la rigueur exagérée
engendre le désespoir, maintint sa seconde manière d’agir
et la modifia encore plus tard, suivant qu’elle le crut utile au bien des
âmes. Au début de cette nouvelle phase disciplinaire, elle
ne fixait pas la durée de la pénitence pour se préparer
à la réconciliation, mais il est certain qu’elle laissait
gémir longtemps le coupable avant de lui rouvrir les portes de la
basilique. Quand le temps et la paix lui eurent permis de s’organiser,
elle créa la pénitence tarifiée, sous le régime
de laquelle l’adultère était puni de la déposition
et de dix ans d’expiation publique, s’il s’agissait d’un clerc, et de l’excommunication
de sept ans quand le coupable n’était que laïc. Cf. dist. LXXVIII,
c. 4 : Præsbyter ; caus. XXVII, q. I, c. 27 : Devotam ;
caus.
XXVII, q. I, c. 6 : Si quis espiscopus. D’autre part elle mettait
à profit l’influence qu’elle prenait dans le monde pour adoucir
l’esprit des législations civiles. Elle laissa Justinien maintenir
la rigueur de la loi Julia contre l’homme, mais pour la femme on lui fit
grâce de la vie. Il fut décidé qu’on l’enfermerait
dans un monastère après l’avoir battue de verges. La durée
de son emprisonnement dépendait en partie de la volonté de
son mari ; il pouvait la reprendre au bout de deux ans. S’il refusait de
la faire bénéficier de cette disposition du droit, les portes
du cloître se refermaient sur elle pour jamais. Peu à peu
l’Eglise en vint même à s’inscrire en faux contre la peine
de mort infligée à l’homme. Cf. l. V., tit. XXXIX, c. 3 :
Si
vero. Elle stipula que, en tout cas, ni le père ni le mari outragés
ne pouvaient l’appliquer eux-mêmes au malheureux surpris en flagrant
délit, car il n’y a pas parité, disait-elle, entre l’adultère
et la mort. Aujourd’hui, par suite de l’affaiblissement du sens chrétien,
les peines canoniques sont tombées en désuétude, mais
au for de la conscience, l’adultère demeure ce qu’il fut toujours,
un crime odieux.
IV. OBLIGATIONS QU’IMPOSE L’ADULTERE.
– Nous avons dit qu’il viole le sixième et le septième
commandement de Dieu. Nous n’avons pas à le redire, mais du chef
qu’il enfreint le septième précepte du décalogue,
il faut, pour le réparer, non seulement se repentir, mais encore
faire les restitutions qu’il comporte. C’est l’avis de toutes les législations
religieuses et de tous les théologiens interprètes du droit
naturel. Quelle sera la mesure de cette restitution ?Nous ne pouvons entrer
ici dans des détails. Donnons quelques principes généraux.
De Lugo, De just. et jur., disp. XIII, résumant et complétant
ses devanciers, enseigne que les deux complices sont tenus, si leur crime
est connu ou soupçonné, d’effacer la tache d’infamie qui
rejaillit sur l’offensé, soit en l’honorant dans le commerce ordinaire
de la vie, soit en l’élevant, si possible, à une condition
supérieure. Ils doivent, en second lieu, le défrayer des
dépenses qu’il a pu faire pour nourrir et élever l’enfant
adultérin, ainsi que les dommages que la grossesse de la mère
a entraînés pour la famille. Les deux complices sont solidaires
l’un de l’autre. Dans le cas cependant où la faute n’a pas été
égale de part et d’autre, où il y a eu, par exemple, séduction,
ruse, ou surtout violence, l’obligation de restituer retombe tout entière
à la charge du tentateur. Quoi qu’il en soit, il faut porter, dans
la réparation, beaucoup de prudence et de sagacité. Le crime
a été fait dans l’ombre et le mystère ; qu’on ne l’en
sorte pas sous prétexte d’en effacer le dommage ; le bien qui en
résulterait ne compenserait pas le mal qu’une divulgation maladroite
ferait à la société conjugale et à l’honneur
du foyer. Une femme a eu le malheur de mettre un enfant adultérin
dans le sein de la famille, qu’elle redouble d’activité afin de
subvenir discrètement à ses dépenses, mais que dans
sa manière de procéder elle s’arrête en deçà
des limites où le plus léger soupçon pourrait l’entacher.
Il y a plus : qu’elle ne fasse rien d’insolite si la situation est telle
qu’un changement dans sa vie journalière puisse devenir un indice
quelconque pour son mari en défiance : elle n’est pas tenue à
restituer, quand elle ne peut le faire sans dévoiler sa faute. Cf.
De Lugo, De justit. et jur., disp. XIII ; Marc, Institutiones
morales, tr. VII, c. II, a. 3 ; Berardi, Praxis confess., Faenza,
1884, p. 306, n. 467 sq. Du reste il peut arriver qu’elle ne soit pas sûre
de l’illégitimité de son enfant. Le cas échéant,
elle n’a pas à se préoccuper de l’injustice possible, car
la présomption juridique est en faveur de la paternité du
mari.
Quand se produit un roman de cette nature, le malheureux enfant, fruit de l’adultère, est parfois porté à l’hospice. L’instinct de la nature veut qu’on ne l’abandonne pas, entre des mais étrangères, sans fournir les moyens de l’élever et de l’entretenir, d’autant que l’hospice ne trahira pas les secrets qui lui sont confiés. On ne saurait donc trop engager les parents coupables à s’occuper de l’innocente créature qu’ils ont mise au monde. Cependant s’ils refusent de le faire, on ne saurait les y contraindre au nom de la justice, d’après l’opinion la plus probable des théologiens. Cf. De Lugo, op. cit., disp. XIII, sect. I ; Lessius, De justitia, l. II, c. X, dub. V ; Marc, Institutiones morales Alphons., part. II, sect. II, tr. VII, De 7° Decalogi præcept., c. II, a. 2, § 3.
L’adultère entraîne-t-il,
d’après la sainte Ecriture, le droit de dissoudre le mariage ?
La question ne peut être résolue
qu’après un examen sérieux des témoignages de l’Ancien
et du Nouveau Testament. Nous suivrons l’ordre des temps et nous examinerons
:
1° si le mariage pouvait être
dissous pour cause d’adultère dans la religion primitive ;
2° s’il pouvait l’être dans
la loi mosaïque,
3° s’il peut l’être dans la
religion chrétienne.
I. DANS LA RELIGION PRIMITIVE.
Le livre de la Genèse, II, 18-25, donne brièvement le récit de l’institution du mariage. Dieu voulait que l’union la plus étroite régnât entre Adam et Eve. Aussi forma-t-il la femme de la côte du premier homme. Il importe peu ici de savoir comment il faut interpréter les paroles du v. 22 : " Avec la côte d’Adam Dieu forma une femme. " Ce qui est sûr, c’est qu’elles contiennent un enseignement moral. L’homme et la femme ne font qu’un ; l’homme aimera la femme comme une partie de lui-même, et la femme aimera l’homme comme le chef dont elle dépend. Adam, à son réveil, comprit de quelle manière Eve avait été formée, et le but que Dieu s’était proposé en cela. " Celle-ci, dit-il, est l’os de mes os et la chair de ma chair. " Il ne pouvait signifier d’une façon plus précise l’indissolubilité du mariage, comme le remarque le concile de Trente : Matrimonii perpetuum indissolubilem que nexum primus humani generis parens divini Spiritus instinctu pronuntiavit cum dixit : Hoc nunc os ex ossibus meis et caro caro de carne mea : quamobrem relinquet homo, etc. Sess. XXIV. Nous lisons au v. 24 : " C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère – et s’attachera à sa femme – et ils seront deux dans une seule chair. "Les trois membres de cette phrase, disposés dans une gradation ascendante, démontrent clairement que le mariage établit entre les époux le plus fort de tous les liens ; on ne voit donc pas ce qui pourrait le briser. C’est une union plus intime encore que l’union qui existe entre les enfants et les parents, car l’époux devra quitter son père et sa mère pour s’unir à sa femme. Il est difficile de faire passer dans notre langue l’énergie de l’original : en effet le mot hébreu dabâq ne désigne pas une union quelconque, mais bien une adhésion étroite (la Vulgate donne conglutinata est dans un autre passage, Gen., XXXIV, 3). " Et ils seront à deux une seule chair, " et c’est là d’ailleurs le vrai sens de la Vulgate, entièrement conforme à l’interprétation authentique du Christ : Itaque jam non sunt duo, sed una caro. Matth., XIX, 5. La conclusion est que, dans la religion primitive, le mariage ne pouvait être dissous sous aucun prétexte ; l’homme n’avait pas le droit de séparer ce que Dieu avait uni. Notre-Seigneur a tiré lui-même cette conclusion du récit de la Genèse. Comme les Juifs lui opposaient le libellé de divorce autorisé par Moïse, il répondit aussitôt : Au commencement, il n’en était pas ainsi. Matth, XIX, 8. Donc à l’origine le mariage était indissoluble, même en cas d’adultère. Ces paroles de Notre-Seigneur ne supposent aucune restriction.
II. DANS LA RELIGION MOSAÏQUE. – Plus tard, les Juifs s’accommodèrent mal d’une législation aussi sévère, et Moïse dut condescendre à leur faiblesse en leur permettant le divorce dans certaines occasions. Néanmoins, la loi de l’indissolubilité n’était pas abolie, et les exceptions autorisées par le grand législateur n’étaient qu’une dérogation temporaire à cette loi. Voici dans quelles circonstances Moïse a permis le divorce : " Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendra à ne pas trouver grâce devant ses yeux parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il lui écrira une lettre de divorce… et la renverra de sa maison. " Deut., XXIV, 1. Les mots ‘érevat dâbâr ont donné lieu à de nombreuses controverses entre les commentateurs. Peut-être désignent-ils une maladie contagieuse, ou un péché à la chair ; en tout cas, il n’est pas question de l’adultère qui était puni de mort. Il faut remarquer que, dans les circonstances énumérées par Moïse, le divorce n’était pas un devoir, mais un simple droit. Au cas où il voulait user de ce droit, le mari était obligé de remettre à sa femme un acte de divorce ; c’était pour elle la preuve que le mariage était légalement dissous, et qu’elle pouvait contracter de nouveaux engagements.
III. DANS LA RELIGION CHRETIENNE. – Les grecs et les protestants prétendent que les textes du Nouveau Testament permettent de dissoudre le mariage dans le cas d’adultère d’un des conjoints. Les catholiques croient que même en ce cas le mariage est indissoluble. Les textes en cause sont de deux sortes, les uns se prononcent d’une façon absolue en faveur de l’indissolubilité du mariage ; les autres parlent du cas d’adultère et présentent la doctrine sous une forme moins précise. Il convient de donner en premier lieu les témoignages absolus, nous donnerons ensuite les passages qui parlent du cas de l’adultère en ayant soin de les expliquer d’après les textes parallèles.
I. TEXTES ABSOLUS QUI NE PARLENT POINT DU CAS D’ADULTERE. – Marc, X, 11 ; Luc, XVI, 18 ; I Cor., VII, 10, 11, 39 ; Rom., VII, 2, 3. Nous lisons dans saint Marc : " Et [Jésus] leur dit : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère à l’égard de celle-là. Et si une femme quitte son mari et en épouse un autre, elle commet l’adultère. " Notre-Seigneur condamne nettement le mari qui contracte une nouvelle union, sous prétexte de divorce, et la femme qui se remarie dans les mêmes conditions. Il a proclamé pour les deux conjoints la parfaite égalité des droits ; il était bon de mentionner cette disposition importante de la nouvelle législation. La loi juive, loin de reconnaître à la femme le droit de divorce, ne lui laisse aucune initiative sous ce rapport. La condition de la femme n’était pas non plus entièrement égale dans les lois païennes ; ces lois avaient de grandes indulgences pour le mari coupable d’adultère, tandis qu’elles punissaient sévèrement la faute de la femme. Voir l’article précédent.
Le texte de saint Luc, XVI, 18, donne lieu aux mêmes remarques. Le voici : " Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et quiconque épouse la femme répudiée par le mari commet un adultère. " Ici encore Notre-Seigneur (c’est lui qui parle) inflige le nom infamant d’adultère à toute nouvelle union contractée par le mari après son divorce ; il condamne aussi formellement celui qui s’arroge le droit d’épouser la femme répudiée. La teneur de la loi est universelle et n’admet aucune exception.
Le précepte de l’indissolubilité est également absolu dans saint Paul. Après avoir affirmé que le mariage donne les mêmes droits à la femme et à l’homme vis-à-vis l’un de l’autre, I Cor., VII, 4, il dit : " Quant à ceux qui sont unis par le mariage, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que l’épouse ne se sépare pas de son mari. Si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier ou qu’elle se réconcilie avec son mari… Que le mari ne quitte pas sa femme. " I Cor., VII, 10, 11 ; cf. 39. Saint Luc envisageait uniquement le cas où le mari renvoie sa femme, saint Marc parlait en outre de la femme qui se sépare de son mari. Saint Paul s’occupe comme saint Marc du cas où la femme voudrait quitter son mari et du cas où le mari voudrait quitter sa femme. Il dit expressément que la femme qui a quitté son mari doit rester en dehors du mariage ou bien se réconcilier avec son mari. Quod si dicesserit, manere innuptam aut viro suo reconciliari. Mais comme il vient de déclarer un peu plus haut que la femme et l’homme ont les mêmes obligations, on doit admettre que, dans sa pensée, le mari qui congédie sa femme est tenu aussi de rester en dehors du mariage ou de reprendre la vie conjugale avec son épouse. Saint Paul enseigne donc que le lien du mariage ne saurait être rompu sous aucun prétexte. Il s’exprime encore dans le même sens au chapitre VII, 2, 3, de son Epître aux Romains. " La femme qui est soumise à un mari est liée par la loi [du mariage], tant que vit le mari ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc, elle sera appelée adultère si elle épouse un autre homme du vivant de son mari, etc. "
II. TEXTES QUI PARLENT DU CAS D’ADULTERE. – Ce sont deux textes de saint Matthieu. Ils sont interprétés d’une manière différente par les catholiques et par les protestants. D’après ces derniers, ils affirmeraient, en cas d’adultère, le droit de dissoudre le lien du mariage et de contracter une nouvelle union ; d’après les catholiques, ils permettraient seulement l’interruption de la vie conjugale ou la séparation quad torum. Voici les deux passages : " Et moi je vous dis : celui qui renvoie sa femme hors le cas de fornication, la rend adultère, et celui qui épouse la femme renvoyée commet un adultère. " Matth., V, 32. " Je vous dis que quiconque renvoie sa femme, si ce n’est à cause de la fornication et en épouse une autre, commet un adultère. " Matth., XIX, 9
1° Toutes les parties des textes sont-elles authentiques ? – Dans un opuscule écrit en 1804 sur le sujet qui nous occupe, Jager disait que cette expression du v. 32, c. V, ne se trouvait pas dans le texte primitif et qu’elle y avait été introduite par des juifs convertis, pour conserver le divorce autorisé par la loi mosaïque. Les arguments qu’il invoquait en faveur de son opinion sont rapportés par Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 149. Mais ils n’ont pas assez de valeur pour qu’il y ait lieu de nous y arrêter. D’ailleurs, Théophile d’Antioche cite déjà saint Matthieu avec la clause. P. G., t. VI, col. 114. Origène la reproduit dans son commentaire sur saint Matthieu. P. G., t. XIII, col. 1245. Enfin Tertullien, P. L., t. II, col. 473, donne ainsi les paroles de Notre-Seigneur : Qui dimiserit uxorem suam præter causam adulterii, facit eam adulterari : æque adulter censetur et ille qui dimissam a viro duxerit.
Plusieurs exégètes mettent aussi en doute l’authenticité de la restriction insérée au v. 9, c. XIX : ?? ??? ???????, par exemple, Hug, De conjugii christiani vinculo indissolubili, Fribourg, 1816, part. I, p. 4. Ils invoquent pour raison la multiplicité des variantes de ce passage : le codex Vaticanus (B) qui est du IVe siècle donne : ???????? ????? ???????? ; les codex N, C, I, N, Z et la plupart des autres portent ??? ???????, quelques-uns ajoutent ?? et ?crivent ?? ?? ??? ???????. Mais la multiplicit? des variantes n’est pas une preuve d’interpolation. Sinon il faudrait rejeter une grande partie du Nouveau Testament. La plupart des manuscrits portent ?? ??? ???????, il est permis d’accepter cette le?on comme la meilleure. D’ailleurs toutes les variantes que nous venons d’indiquer expriment le même sens.
On a prétendu aussi que les mots et aliam duxerit, ??? ?????? ?????, n’appartenaient pas au texte primitif, parce qu’ils sont absents du codex Vaticanus et omis par quelques Pères. Mais leur présence dans les autres manuscrits et dans les citations de la plupart des anciens auteurs prouve leur authenticité.
2° Quel est le sens du mot fornicatio, ??????? ? – Comme il s’agit d’une femme mariée, la fornication dont parle le Christ est un adultère. C’est ainsi que la plupart des auteurs anciens et modernes ont entendu ce passage. Jésus n’a pas employé le mot ??????? signifiant adult?re, mais un terme plus générique, soit parce que le sens particulier de ce terme ressortait clairement du contexte, soit parce que, au chapitre XIX, l’oreille aurait été choquée de la répétition des mots ??????? et ????????. Telle est l’interprétation habituelle de ce terme ??????? en cet endroit.
Cependant pour mettre le dogme catholique de l’indissolubilité du mariage à l’abri de toute attaque, plusieurs auteurs ont imaginé d’autres explications. Contentons-nous de signaler les principales.
1. Dœllinger, Christenthum und Kirche, Ratisbonne, 1860, p. 391 sq., 458 sq., entend ce terme d’une faute contre les mœurs commise avant le mariage. Elle donnerait au mari, lorsqu’il la connaîtrait, le droit de regarder comme invalide le mariage contracté par lui dans l’ignorance de cette faute de la femme qu’il prenait. Dœllinger s’appuie sur ce fait que ??????? d?signe une simple fornication et ne signifie pas adultère. Cependant, ce mot a dans d’autres passages de la sainte Bible le sens d’adultère que Dœllinger rejette. Cf. les Septante, Os., III, 3 ; Am., VII, 17. D’ailleurs il n’est pas exact que le fait d’être tombé dans la fornication avant de se marier constitue un empêchement dirimant du mariage ou que l’ignorance où le mari serait de la culpabilité de sa femme suffise à vicier son consentement au mariage ; en tout cas, l’Eglise ne l’admet pas.
2. Le P. Patrizzi adopte une autre solution : L’homme et la femme ne doivent jamais se séparer, à moins qu’ils ne vivent en concubinage : excepta fornicationis causa. ??????? d?signerait donc les relations d’un homme et d’une femme qui auraient contracté une union invalide pour cause de parenté ou pour tout autre motif. Leur mariage étant nul, il est évident que le divorce pourrait et même devrait être prononcé. Cette interprétation ferait disparaître les difficultés d’exégèse qui ont mis à la torture interprètes et théologiens ; c’est du moins l’avis du P. Patrizzi, Institutio de interpretatine Bibliorum, in-8°, Rome, 1876, p. 161, n. 281. Malheureusement la manière dont s’exprime le sauveur dans tout ce passage et la comparaison qu’il fait avec le divorce permis par Moïse supposent qu’il s’agit d’une épouse légitime, unie à son mari par un véritable mariage.
3. Dreher a proposé une autre interprétation dans le Katholik, 1877, t. II, p. 578 sq. Les rabbins discutaient de la signification des mots du Deutéronome ‘érevat dâbâr, qui expriment le cas où le divorce est permis au mari. L’école de Hillel admettait toutes sortes de causes ; l’école de Shammai restreignait le droit de divorcer. Les juifs ayant demandé à Jésus, Matth., XIX, 3, s’il était permis de divorcer pour n’importe quel motif, comme le prétendait Hillel, le Sauveur leur aurait répondu sans vouloir s’occuper de la question controversée parmi les rabbins sous le nom de question de l’adultère. Excepta fornicationis causa signifierait donc " abstraction faite de la question de l’adultère au sujet de laquelle je ne dis rien ". Cette explication de Dreher ne répond ni au sens naturel des mots, ni au contexte.
3° Est-ce le divorce proprement dit ou une simple séparation que le Christ permet en cas d’adultère ? – En d’autres termes, l’époux lésé peut-il rompre le mariage et devenir ainsi libre de contracter une autre union, ou bien la première union reste-t-elle indissoluble même après l’adultère de l’un des conjoints ? C’est la question qui divise les catholiques d’avec les grecs et les protestants. Les catholiques croient conformément au canon 7 de la session XXIV du concile de Trente que le mariage ne saurait être rompu à cause de l’adultère. Voir V. ADULTERE (L’) et le lien du mariage d’après le concile de Trente, col. 506. Suivant eux, dans les textes qui nous occupent, Notre-Seigneur aurait autorisé le mari à renvoyer sa femme adultère, mais il ne l’autoriserait pas à se regarder comme libre de son mariage avec elle et à contracter de nouveaux liens. Les grecs et les protestants estiment au contraire que le Christ autorise ici l’époux innocent à rompre le lien du mariage déjà contracté et à convoler par conséquent à une nouvelle union. La plupart croient aussi qu’il autorise l’épouse adultère à se remarier lorsque son mari l’a ainsi rendue à la liberté. Cependant certains protestants pensent que ce droit n’est pas accordé à l’épouse adultère mais seulement à l’époux innocent. Voir Charles Bois, article Mariage, dans Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1880, t. VIII, p. 701. Un grand nombre ne le permettent à l’époux adultère qu’avec une dispense. Vering, Lehrbuch des kathol. orient. und protestant. Kirchenrechts, 2e édit., Fribourg, 1881, § 263, p. 930 sq. Mais ce sont des détails dans lesquels nous n’avons point à entrer ici. La question principale est de savoir si le lien du mariage peut être oui ou non brisé en cas d’adultère. Nous allons montrer qu’il subsiste toujours, alors même que l’époux innocent renverrait son conjoint adultère. Cela résulte en effet du texte des versets de saint Matthieu, de leur contexte et des textes parallèles des autres écrivains sacrés.
1. Le texte. – Nous appelons tout d’abord le verset 32 du ch. V de saint Matthieu : Ego autem dico vobis, quia omnis, qui dimiserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, facit eam mœchari et qui dimissam duxerit adulterat, et ensuite le verset 9 du ch. XIX : Dico autem vobis, quia quicumque dimiserit uxorem suam, nisi ob fornicationem, et aliam duxerit, mœchatur : et qui dimissam duxerit mœchatur. D’après ces versets, l’époux innocent, après avoir renvoyé son épouse adultère, commettrait-il un péché en s’unissant à une autre femme ? Voilà toute la question. Le premier texte ne répond pas formellement à cette question. Il dit seulement, dans sa première partie, qu’il y a péché à se séparer de son épouse, en dehors du cas d’adultère, parce qu’en l’abandonnant, on la met dans le danger de commettre l’adultère, facit eam mœchari. Il admet donc qu’il n’y a pas de péché à cette séparation dans le cas d’adultère ; en ce cas d’ailleurs la séparation ne serait pas la cause des adultères subséquents de l’épouse infidèle, puisqu’elle en commettait déjà auparavant. Le second texte parle de la nouvelle union que l’époux innocent voudrait contracter, après avoir renvoyé son épouse coupable. Il déclare que cette nouvelle union serait un adultère, et aliam duxerit, mœchatur. Y aurait-il un adultère dans cette nouvelle union, même au cas où cet homme se serait séparé de sa première épouse, à cause de ses adultères ? Le texte, à s’en tenir à sa première partie, ne le dit pas clairement. On pourrait en effet l’entendre ainsi : " Quiconque aura renvoyé son épouse en dehors du cas de fornication, et aura pris une autre femme (en dehors de ce même cas) commet un adultère. " Le sens serait : Il est défendu de renvoyer son épouse et de se remarier, sauf en cas d’adultère de celle-ci ; mais en cas d’adultère d’une épouse il est permis de la renvoyer et de se remarier. C’est l’interprétation des grecs et des protestants. Elle s’imposerait, si l’exception nisi ob fornicationem, se trouvait après aliam duxerit ; car alors elle affecterait les deux membres de phrase quicumque dimiserit uxorem suam et aliam duxerit ; il y aurait lieu par conséquent de croire qu’en cas d’adultère de la femme qu’on a épousée, il n’y pas plus de faute à se remarier, qu’à la renvoyer. Mais dans le texte évangélique, cette exception nisi ob fornicationem est mise seulement après le premier membre de phrase. On n’est donc pas en droit de dire qu’elle affecte aussi le second. Bien plus, comme elle a été placée après le premier membre, quand il eût été si facile de la placer après le second, c’est une raison de penser que, dans l’esprit du Sauveur, cette exception doit affecter seulement le premier membre de phrase : par conséquent il y a adultère pour un mari à prendre une autre femme, alors même qu’il aurait renvoyé sa première femme parce qu’elle se serait donnée à un autre. Telle est l’interprétation admise par les catholiques. Suivant eux, les paroles du Christ signifient donc : Quiconque aura renvoyé sa femme si ce n’est à cause de ses adultères (cas auquel il lui est permis de la renvoyer) et aura pris une autre femme (que la première ait été renvoyée pour cause d’adultère ou non) commet un adultère.
Cette traduction s’accorde d’ailleurs mieux que la première avec la fin des deux textes où il est question de l’homme qui prendrait la femme renvoyée par son mari. Les deux textes que nous étudions portent : et qui dimissam duxerit adulterat, Matth., V, 32, et qui dimissam duxerit mœchatur, Matth., XIX, 9. Ils déclarent donc qu’il y a non seulement fornication, mais adultère, adulterat, mœchatur, à prendre la femme renvoyée. Cela suppose que cette femme n’était pas libre, mais restait toujours liée par son premier mariage, alors même qu’elle aurait été renvoyée par son mari. Cela suppose donc que le renvoi n’a pas brisé le mariage, qu’il n’est pas un divorce quoad vinculum : il n’a pu être qu’une séparation. Reste à savoir cela est vrai, même du renvoi en cas d’adultère. Les catholiques le pensent. En effet, Jésus-Christ parle ici de toute femme renvoyée par son mari, dimissam, et il y a moins de raison encore que tout à l’heure de que l’exception nisi ob fornicationem doit encore être sous-entendue ici après le mot dimissam.
Cependant d’après les grecs et les protestants elle est sous-entendue et , par conséquent, l’adultère imputé par Jésus-Christ à l’homme qui prend une femme renvoyée par son mari n’existe pas, si cette femme a été renvoyée à cause de ses adultères. Ne nous arrêtons pas à remarquer que ce serait là un encouragement à l’adultère. Contentons-nous de remarquer que pour soutenir leur opinion au sujet des textes de saint Matthieu, les grecs et les protestants ont besoin, comme pour les écrits de saint Marc, de saint Luc et de saint Paul, étudiés précédemment, de supposer des sous-entendus qui ne sont point réclamés par le texte. Certains protestants admettent, nous l’avons dit, que la femme adultère ne saurait se remarier ; ils semblent reconnaître ainsi que ce sous-entendu ne doit pas être supposé dans le texte. Ils comprennent donc le qui dimissam duxerit de toute femme qui a mérité d’être renvoyée par son mari, même pour cause d’adultère. Mais ils ne tiennent pas compte du mot qui suit : adulterat, mœchatur. Il résulte en effet de ce mot que le renvoi de la femme adultère ne brise pas le lien du mariage, mais qu’il entraîne seulement uns séparation, comme les catholiques le prétendent. Nous l’avons dit, en effet, en se servant des termes adulterat, mœchatur, le Sauveur range le péché de celui qui prend une femme renvoyée par son mari, non pas parmi les simples fornications, mais parmi les adultères. Ce qui suppose qu’elle est toujours la femme du mari qui l’a renvoyée, même pour cause d’adultère.
On le voit, l’interprétation des catholiques s’accorde mieux que l’autre avec les textes de saint Matthieu, pris isolément. Ajoutons qu’elle est en harmonie avec leur contexte et avec les textes parallèles.
2. Le contexte. – Dans le premier passage, Matth, V, 31, 32, le contexte consiste seulement dans une opposition de la déclaration du Sauveur avec l’autorisation du libellé du divorce reconnu par la loi mosaïque. De cette opposition, il y a lieu de conclure que la loi du Christ n’admet pas le divorce comme celle de Moïse. Mais le contexte est beaucoup plus développé dans le second passage. Matth., XIX, 3-10. Aussi jette-t-il plus de lumière sur le sens du verset 9. Interrogé par les pharisiens si une cause quelconque suffisait pour renvoyer son épouse, quacumque ex causa, v. 3, comme le soutenait une de leurs écoles, Jésus s’élève au-dessus de la controverse des rabbins relatives aux motifs de divorce, pour déclarer que, d’après l’institution primitive, tout mariage fait de l’homme et de la femme une même chair : leur union, qui est l’œuvre de Dieu, ne doit pas être brisée par l’homme : Itaque jam non sunt duo sed una caro. Quod ergo Deus conjunxit homo non separet, XIX, 6 ; en d’autres termes il ne doit y avoir de divorce pour aucune cause. Les juifs comprennent que Jésus affirme l’indissolubilité absolue du mariage ; car ils lui objectent le libellé de divorce prescrit par la loi de Moïse, v. 7. Le Sauveur ne mitige pas l’enseignement qu’il vient de donner. Il le maintient au contraire, en disant que c’est à cause de la dureté de leur cœur que Moïse leur a permis de renvoyer leurs épouses, et il ajoute : Il n’en a pas été ainsi dès le commencement, v. 8. C’est alors qu’il formule, v. 9, sa doctrine que nous avons étudiée. Dico autem vobis, etc. Le contexte demande que cette doctrine soit conforme à ce que le Sauveur vient de dire de l’institution primitive du mariage. Il faut donc penser que Jésus a enseigné, v. 9, l’indissolubilité absolue du mariage et que, s’il autorise la séparation des époux en cas d’adultère, il n’autorise pas le divorce, comme Moïse. Les disciples le comprennent de cette manière, car ils disent : S’il en est ainsi, il n’est pas expédient de se marier, v. 10. Et le sauveur leur répond en faisant l’éloge non pas du mariage, mais de la virginité. D’après tout le contexte, Jésus a donc enseigné que le lien d’un mariage, une fois contracté, ne saurait être rompu pour aucun motif.
3. Les textes parallèles. – Nous avons rappelé plus haut les textes de saint Marc, de saint Luc et de saint Paul qui affirment l’indissolubilité de tous les mariages sans exception. Il est clair que la doctrine formulée en saint Matthieu n’est pas différente, par conséquent que l’adultère n’y est pas présenté par le Sauveur comme une cause de divorce. Cette conclusion s’impose plus particulièrement, en raison du texte de saint Paul. I Cor, VII, 10. L’apôtre dit en effet : " A ceux qui sont unis par le mariage, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur, non egoe, sed Dominus, que l’épouse ne se sépare pas de son mari, mais si elle s’est séparée de lui, elle doit rester ne dehors du mariage ou se réconcilier avec son mari, etc. " Il présente donc l’indissolubilité absolue du mariage comme ayant été enseignée par le Christ lui-même. C’est une preuve que les textes de saint Matthieu ne permettent point le divorce en cas d’adultère.
Objection. – On peut opposer à notre interprétation une difficulté : pourquoi Jésus-Christ n’autorise-t-il la séparation qu’en cas d’adultère, comme si c’était le seul cas où il soit permis de se séparer de son conjoint ? L’Eglise en reconnaît plusieurs autres. – On répond : l’adultère est la seule cause de renvoi qui, de sa nature, soit permanente. Cette cause est d’ailleurs la seule qui soit particulière au mariage ; les autres se rencontrent dans toute espèce d’union ou de cohabitation.
Nous ne nous arrêtons pas à montrer que le Christ accorde à la femme les mêmes droits qu’au mari en cas d’adultère. Cette parité est fondée sur les enseignements de saint Paul que nous avons signalés plus haut.
Cf. Maldonat, Commentarii in quatuor Evangelistas, in-8°, Mayence, 1874, t. II, col. 379-383 ; Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, t. II, p. 480 sq. ; Schanz, Commentar über das Evangelium des heiligen Matthaeus, in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1879, p. 191-196 ; Crelier, La Sainte Bible, Genèse, in-8°, Paris, 1889, p. 43-44 ; Knabenbauer, Commentarius in Evangelium secundum Matthæum, in-8°, Paris, 1893, t. I, p. 227 ; Cornely, Commentarius in Epistolam primam sancti Pauli ad Corinthios, in-8°, Paris, p. 178-179 ; Fillion, La Sainte Bible : Evangile selon saint Matthieu, in-8°, Paris, 1878, p. 372 sq. ; Perrone, De matrimonio christiano, in-8°, Liège, 1861, t. III, p. 147-219 ; Palmieri, De matrimonio christiano, in-8°, Rome, 1880, p. 168-188.
On a dit quelquefois que si les Pères ne permettaient pas un second mariage aux époux séparés pour cause d’adultère, c’était parce qu’ils regardaient d’une manière générale les secondes noces comme illicites. Mais cela n’est pas exact, du moins pour le plus grand nombre des textes ; car si les secondes noces ont été proscrites pour certains hérétiques comme les montanistes, elles n’ont jamais été défendues par l’Eglise. Cf. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 67 sq.
Ces observations faites, nous pouvons dire que l’Eglise, dès l’origine, a enseigné comme doctrine évangélique la parfaite indissolubilité du mariage. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir la série des textes fournis par la tradition. Après avoir recueilli les principaux témoignages des représentants de l’Eglise grecque et de l’Eglise latine, nous ferons connaître quelques textes obscurs, où semble s’affirmer une doctrine différente.
I. PERES GRECS. – On ne saurait récuser le témoignage d’Hermas, il date du milieu du IIe siècle. Voici ses paroles : " Hermas dit à l’envoyé de Dieu : Si quelqu’un a une femme fidèle dans le Seigneur, et qu’il la surprenne en adultère, commet-il un péché en vivant avec elle ? Et il me dit : Il n’en commet pas tant qu’il ignore la faute, mais si, connaissant la faute, le mari vit avec sa femme sans qu’elle fasse pénitence, il participe à son péché et à son adultère. Que fera donc le mari, si la femme demeure dans son péché ? Qu’il la renvoie et qu’il reste lui-même seul ; s’il épousait une autre femme après avoir renvoyé la sienne, il serait aussi adultère. ” ????????? ????? ??? ? ???? ??? ????? ?????? ??? ?? ???????? ??? ??????? ?????? ??????, ??? ????? ????????. Mandat., IV, I, 4, 5, Funk, Opera Patrum apostolicum, in-8°, Tubingue, 1887, t. I, p. 394. Hermas admet bien que l’adultère autorise la séparation quoad torum ; mais le lien du mariage reste toujours intact. Il est à remarquer qu’Hermas veut aussi la réconciliation des époux, lorsque la femme coupable a fait pénitence. Ibid., n. 7, 8. – Saint Justin se prononce également en faveur de l’indissolubilité. Dans la Première apologie, il invoque l’autorité de l’Evangile sans faire la moindre restriction : " Quiconque épouse une femme répudiée commet un adultère. " P. G., t. VI, col. 349. Au début de la Seconde apologie écrite vers l’année 155, il raconte, il est vrai, l’histoire d’une femme chrétienne qui avait envoyé à son mari un billet de divorce à cause de sa mauvaise conduite. Elle aurait cru en conscience participer aux désordres de son époux, si elle avait habité plus longtemps avec lui, ??????? ?? ?? ???????, ??? ?????????? ??? ????????? ????????. Mais les adversaires n’ont pas droit de se pr?valoir ici de l’autorité de saint Justin ; car le saint martyr ne dit pas que la femme chrétienne ait contracté une nouvelle union ; il y a eu simplement séparation quoad mensam et torum. P. G., t. VI, col. 444-445.
Clément d’Alexandrie s’appuie sur le témoignage de l’Ecriture pour démontrer que les époux doivent habiter ensemble. Il dit que l’Ecriture a posé cette loi : " Vous ne renverrez jamais votre femme sauf dans le cas de fornication, " et qu’elle donne le nom d’adultère à toute nouvelle union contractée du vivant d’un des conjoints. Un peu plus loin le même auteur cite le texte des évangélistes sans formuler la moindre exception, et il déclare coupable d’adultère celui qui épouse la femme renvoyée par son mari : ? ?? ???????????? ???????? ??????? ????????, et il veut que cette derni?re revienne à son mari après avoir fait pénitence. Stromat., l. II, c. XXIII, P. G., t. VIII, col. 1096.
Origène constate que certains évêques permirent quelquefois à la femme abandonnée d’épouser un second mari, du vivant du premier, mais il ajoute en même temps que c’était une infraction positive au précepte de l’apôtre : Mulier alligata est quanto tempore vir ejus vivit. Il dit ensuite qu’il est permis de répudier sa femme pour cause d’adultère et se demande si cette répudiation ne peut pas se faire également pour d’autres causes. Mais il semble bien ne point admettre que cette répudiation brise le lien du mariage; car il ne dit pas que le mari qui a répudié sa femme pour cause d’adultère puisse contracter une nouvelle union. Il affirme d’ailleurs que la femme répudiée commet l’adultère, si elle vit avec un autre homme et que, d’après le Sauveur, cet homme qui vit avec la femme répudiée ne doit pas être appelé son mari mais un adultère. In Matth., P. G., t. XIII, col. 1245-1249.
Les canons apostoliques (seconde moitié du IVe siècle) portent : " Si un laïque après avoir renvoyé sa femme en prend une autre, ou s’il prend une femme renvoyée par un autre, qu’il soit privé de la communion. " Can. 48, Pitra, Juris ecclesiastici Græcorum historia et monumenta, in-4°, Rome, 1864, t. I, p. 24.
On a dit que saint Grégoire de Naziance considère le divorce proprement dit comme permis par l’Evangile. Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891, t. II, p. 50. C’est lui prêter une pensée qu’il n’exprime pas. Ce père s’élève au contraire avec indignation contre les lois civiles, qui se montraient inexorables pour la femme infidèle et laissaient impuni le crime du mari. Il affirme sans doute que le Christ permet au mari de se séparer de sa femme dans le cas où la femme est adultère. Il en conclut que les maris ont le droit de renvoyer une épouse impudique, et qu’ils doivent supporter patiemment les autres défauts de leurs femmes. Orat., XXXI, P. G., t. XXXVI, col. 289, 292. Mais il parle seulement de séparation et il ne dit nulle part que le mari puisse se remarier après avoir renvoyé sa femme adultère, ou bien que celle-ci cesse d’être sa femme.
On a dit aussi (Esmein, ibid.) que saint Jean Chrysostome déclare, De libello repudii, l. II, P. G., t. LI, col. 221, que la femme adultère ayant violé la loi même du mariage, elle n’est plus l’épouse légitime de son mari. C’est dénaturer le sens de ce passage que de l’appliquer à notre question. Dans ce passage, en effet, saint Chrysostome parle d’une femme qui a été répudiée par son mari ou qui l’a abandonné, quel que soit le motif de leur séparation. Il s’applique à démontrer que cette femme appartient toujours à son mari, et que si elle vit avec un autre elle est une adultère. Il s’écrie que cette femme adultère n’est l’épouse de personne, car elle a manqué à ses engagements envers son mari et elle ne s’est pas unie d’une manière légitime à celui avec qui elle vit. Aussi menace-t-il ce dernier du jugement du Christ dont il a violé la loi. N’est-ce pas dénaturer ce texte que d’y chercher une preuve que saint Chrysostome regardait le mariage comme rompu par l’adultère de la femme ? Il y affirme, au contraire, d’une manière absolue l’indissolubilité du mariage une fois contracté. Il le fait même avec une force remarquable. Voici, en effet, ce que nous lisons un peu plus haut. Ibid., col. 218, 219. " Saint Paul n’a pas dit : que la femme cohabite avec son mari aussi longtemps qu’il vivra ; mais la femme est liée par la loi du mariage aussi longtemps que vivra son mari. I Cor., VII, 39. Donc alors même qu’il lui donnerait un billet de divorce, alors même qu’elle quitterait la maison, alors même qu’elle irait à un autre époux, elle est liée par la loi, elle est adultère. Car de même que les esclaves fugitifs traînent avec eux leur chaîne, alors même qu’ils ont fui la maison de leur maître, ainsi les femmes, alors même qu’elles abandonnent leur mari, ont pour chaîne la loi qui les poursuit et les accuse d’adultère. Cette loi poursuit aussi l’homme qui a pris cette femme et elle lui crie : Son mari est vivant, votre conduite est un adultère. Car la femme est liée par la loi, tant que vit son mari. L’homme qui prend une femme répudiée commet un adultère. Matth., V, 32. " D’ailleurs le saint docteur ne veut pas que les maris renvoient leurs femmes, sinon en cas d’adultère de celles-ci, et en ce cas il ne laisse pas supposer qu’elles peuvent se remarier, In Matth., homil. XVII, , P. G., t. LVII, col. 260, plutôt que les femmes qui seraient répudiées pour des motifs moins graves. Il convient d’ailleurs de noter ce fait : le saint évêque enseigne aussi que l’homme a absolument les mêmes devoirs que la femme dans le mariage, et que pour la continence le mari n’a aucune prérogative.
Par conséquent, loin de reconnaître à la femme ou au mari le droit de se remarier si l’un ou l’autre était adultère, saint Jean Chrysostome n’a rien dit qui soit favorable à ce prétendu droit.
III. PERES LATINS. – Tertullien est souvent présenté comme un défenseur du divorce en cas d’adultère. Cela est d’autant plus extraordinaire que, lorsqu’il fut devenu montaniste, il condamnait les secondes noces comme illégitimes, même après la mort d’un des conjoints. Dans son traité De monogamia, parlant de la femme répudiée pour cause d’adultère, il dit qu’elle ne saurait légitimement se remarier. Non et nubere legitime potest repudiata. Partant de l’erreur montaniste, il ajoute qu’on ne saurait se marier qu’une fois. Un second mariage n’est permis ni du vivant de celui à qui on a été uni, ni après sa mort. P. L., t. II, col. 990 sq.
Un assez grand nombre d’auteurs sont d’avis que le prêtre de Carthage avait admis dans son IVe livre contre Marcion que le lien du mariage est brisé par l’adultère. A notre avis, il n’y a pas exprimé ce sentiment. Ce traité a été écrit en effet en 207, assez longtemps après qu’il se fut fait montaniste. Lorsqu’il le composa, il rejetait donc le second mariage, même après la mort du premier conjoint. Aussi ne dit-il pas que l’époux ou l’épouse divorcés puissent se remarier. Que dit-il donc qui ait pu lui faire imputer cette doctrine ? Le voici. Marcion prétendait mettre en opposition la loi de Moïse qui permet le divorce et la loi de Jésus-Christ qui le défend. C’est une preuve que les chrétiens de son temps interprétaient l’Evangile en ce sens que le divorce mosaïque suivi d’un nouveau mariage n’était pas admis par l’Evangile. Comment répond Tertullien ? Il soutient qu’il n’y a pas une si grande différence entre la loi mosaïque et la loi évangélique. Pourquoi ? Parce que, dit-il, Dieu n’a défendu le divorce que conditionnellement, pour le cas ou quelqu’un renverrait sa femme, dans l’intention d’en épouser un autre. Dico enim illum conditionaliter tunc fecisse divortii prohibitionem, si ideo quis dimittat uxorem, ut aliam ducat. Il est défendu pour la même cause d’épouser la femme renvoyée. Car le mariage n’a pas été rompu et subsiste… Mais le Christ en défendant conditionnellement de renvoyer son épouse, ne l’a pas défendu complètement ; il l’a permis en effet lorsque la cause de sa prohibition n’existe pas. C’est ainsi qu’il n’est pas en désaccord avec la loi de Moïse. Après avoir rappelé que le mari peut renvoyer sa femme, si elle est adultère, Tertullien conclut : " La légitimité du divorce a donc eu aussi le Christ pour défenseur. " Habet itaque et Christum assertorem justitia divortii. Adv. Marcionem, l. IV, c. XXXIV, P. L., t. II, col. 473, 474. Voilà le passage où l’on a cru voir que Tertullien admet la rupture des lois du mariage et le droit de se remarier en cas d’adultère. Mais ce passage affirme absolument le contraire. Il reconnaît assurément le divorce qui consiste dans une simple séparation des époux. Mais il rejette le divorce qui donnerait soit à l’épouse, soit à l’époux le droit de se remarier. Il ne se contente pas en effet garder le silence sur ce droit. Il dit expressément que le Christ condamne le divorce quand le mari le fait avec l’intention de se remarier (c’est la condition ou l’hypothèse dans laquelle il défend le divorce). Tertullien pensait donc que, même lorsque l’époux renvoyait sa femme pour cause d’adultère, ni l’un ni l’autre ne pouvaient se remarier : c’est absolument la doctrine défendue aujourd’hui par les catholiques. Seulement Tertullien l’exagérait en raison de ses erreurs montanistes ; il croyait en effet que les époux ne pouvaient pas se remarier, même après la mort de l’un d’eux.
Saint Cyprien, pour établir la doctrine du Christ sur le mariage, se contente de citer le texte de saint Paul, I Cor., VII, 10 sq., qui formule la loi de l’indissolubilité sans faire aucune réserve. Testimonia ad Quirinum, P. L., t. IV, col. 804. Il pensait donc que le lien du mariage persiste, même lorsque le mari a renvoyé sa femme pour cause d’adultère.
Saint Jérôme a traité cette question d’une façon particulière dans sa lettre à Amandus : Tant que le mari est vivant, qu’il soit adultère, qu’il soit sodomite, qu’il soit couvert de fautes et abandonné de sa femme à cause de tous ces crimes, il est réputé le mari de celle à qui il n’est pas permis d’en prendre un autre. P. L., t. XXII, col. 560. Dans une lettre à Océanus, il rapporte la pénitence publique à laquelle se soumit Fabiola, noble femme romaine, qui avait transgressé la loi du Christ en se remariant à cause de l’adultère et des autres crimes de son mari. Fabiola avait cru pouvoir user de l’autorisation de la loi civile qui permettait le divorce. Elle ne connaissait pas, dit saint Jérôme, la rigueur de l’Evangile dans lequel tout droit de mariage est ôté aux femmes du vivant de leurs maris. Nec Evangelii rigorem noverat, in quo ubendi universa causatio, viventibus viris, fœminis amputatur. P. L., t. XXII, col. 690-698. Il ajoute dans la même lettre que sur ce point les hommes et les femmes ont les mêmes obligations. Ibid., col. 691.
De tous les Pères, c’est saint Augustin qui traite le plus clairement ce point de doctrine. Cependant dans traité De fide et operibus, c. XIX, n. 35, P. L., t. XL, col. 221, il dit que la faute de celui qui se remarie après avoir renvoyé sa femme pour cause d’adultère est moins grande que s’il l’avait renvoyée pour d’autres causes. Il ajoute même que le texte de l’Evangile où le Christ dit qu’on ne peut se remarier, en cas d’adultère, est si obscur qu’à son avis, il y a lieu d’excuser l’erreur de ceux qui pensent le contraire. Mais plus tard répondant à Pollentius qui admettait cette erreur, saint Augustin écrivit deux livres De conjugiis adulterinis, où il approfondit la question et lui donna une solution qui ne laissait plus de place au doute. Il reconnaît que les textes de saint Matthieu sont obscurs ; mais il ajoute que la question est tranchée clairement par les autres passages de l’Ecriture, l. I, c. XI, P. L., t. XL, col. 458. Plus loin il donne son fondement à l’indissolubilité du mariage chrétien, son caractère sacramentel. Il dit que le sacrement subsiste aussi longtemps que les deux époux sont vivants. Il poursuit : le Seigneur a dit sans exception : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère. Si le lien conjugal était rompu par l’adultère de l’un des époux, il s’ensuivrait cette absurdité : qu’une femme devrait à son impudicité d’être délivrée de ce lien, c’est-à-dire d’être désormais indépendante de l’autorité de son mari. Il affirme donc qu’une femme reste liée tant que son mari n’est pas mort. De la même manière, dit-il, le mari demeure toujours lié tant que sa femme est encore en vie. S’il la congédie pour cause d’adultère, qu’il n’en prenne pas une autre ; car il commettrait ainsi le crime qu’il reproche à l’épouse dont il s’est séparé. Se même, si femme renvoie son mari adultère, elle ne doit pas s’unir à un autre homme ; car elle est liée aussi longtemps que son mari vit. Seule la mort de celui-ci peut lui rendre la liberté de s’unir à un autre sans commettre l’adultère. L. II, c. V, P. L., t. XL, col. 473 sq. On a prétendu que saint Augustin avait douté ensuite de l’exactitude de cette doctrine et qu’il en avertit dans ses Rétractations. Esmein, Le mariage en droit canonique, t. II, p. 53. Le saint docteur se félicite au contraire en ce passage d’avoir jeté beaucoup de lumière sur le sujet, bien qu’il reconnaisse que son œuvre n’est point parfaite. Voici ce qu’il dit : Scripsi duos libros de conjugiis adulterinis quantum potui secundum Scripturas, cupiens solvere difficillimam quæstionem, quod utrum enodatissime fecerim nescio ; imo vero non me pervenisse ad hujus rei perfectionem entio, quamvis multos ejus sinus aperuerim, quod judicare poterit quisquis intelligenter legit. Retract., l. II, c. LVII, P. L., t. XXXII, col. 653. Saint Augusti, après avoir constaté la difficulté de la question, a donc été un partisan résolu de l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère de l’un des époux. Ses écrits ont contribué pour une large part à affermir cette doctrine dans l’Eglise.
Le pape saint Innocent Ier répondait à Exupère de Toulouse qu’il fallait priver de la communion comme adultères les hommes ou les femmes qui, après s’être séparés de leur conjoint, contractaient un second mariage. Epist., VI, n. 12, P. L., t. XX, col. 500. Cf. Epist., XXXVI, col. 602.
Aux témoignages des saints Pères nous pouvons ajouter ceux de quelques conciles de cette époque. Le concile d’Elvire en Espagne, tenu au commencement du IVe siècle (305), a porté le canon suivant : " La femme chrétienne qui se sera séparée de son mari adultère chrétien et qui en épouse un autre doit être empêchée de le faire. Si elle le fait, elle ne doit plus être admise à la communion, avant que le mari qu’elle a quitté ne soit mort, ou à moins de maladie grave. " Can. 9, Mansi, Conciliorum collectio, Florence, 1759, t. II, col. 9.
Le concile d’Arles à la même époque (314) formulait une doctrine semblable ; il y avait cette seule différence que le concile d’Arles envisageait le cas où le mari envoie sa femme adultère, tandis que le concile d’Elvire parlait du cas où la femme abandonne son mari adultère. Mais comme la loi civile permettait aux hommes de se remarier en ce cas et qu’il était sans doute difficile d’obtenir d’un mari jeune encore qu’il se conformât à la loi de l’Evangile, le concile, après avoir rappelé cette loi, ne porte point de peine contre les jeunes gens qui la violeraient ; il dit seulement qu’on leur conseillera de l’observer. Voici ses paroles : De his qui conjuges suas in adulterio deprehendut, et iidem sunt adolescentes fideles, et prohibentur nubere, placuit ut in quantum possit consilium eis detur ne viventibus uxoribus suis, licet adulteris, alias accipiant. Can. 10, Mansi, ibid., col. 472.
Le second concile de Milève (416), auquel assista saint Augustin, se préoccupa aussi de l’opposition de la loi civile avec la loi chrétienne. Après avoir déclaré que d’après la loi évangélique l’homme et la femme qui se sont séparés ne sauraient ni l’un ni l’autre se remarier, Il dit qu’il y a lieu de demander la promulgation d’une loi impériale sur cette matière. Placuit ut secundum evangelicam et apostolicam disciplinam, neque dimissus ab uxore, neque dimissa a marito alteri conjugantur, sed ita maneant aut sibimet reconconcilienture, quod si contempserint, ad pœnitentiam redigantur. In qua causa legem imperialem petendum est promulgari. Can. 17, Mansi, t. IV, col. 331.
III. TEXTES DOUTEUX. – 1° Auteurs grecs. – Quelques passages des Pères grecs, il faut le reconnaître, semblent porter atteinte au principe de l’indissolubilité. C’est aujourd’hui une doctrine réputée incontestable chez les grecs orthodoxes que le mariage peut être rompu en cas d’adultère. Ils renvoient à l’autorité de saint Basile, de saint Epiphane, d’Astère d’Amasée, de Théodoret.
Voici d’abord ce que dit saint Basile :
Saint Basile s’exprime d’une façon assez difficile à comprendre, bien qu’il ne contredise pas, semble-t-il, les enseignements que nous avons recueillis de la bouche des autres pères. Selon la décision qui a été prononcée par le Seigneur, dit-il, il est défendu également aux maris et aux femmes de se soustraire à leur mariage, hors le cas d’adultère ; mais telle n’est point la coutume, ? ?? ???????? ??? ????? ????… La coutume impose aux épouses l’obligation de conserver leurs maris, alors même qu’ils seraient adultères et vivraient habituellement dans la fornication. Aussi je ne sais si l’on pourrait appeler adultère la femme qui vivrait avec l’homme ainsi abandonné. La faute est en effet ici pour la femme qui a abandonné son mari, quel que soit le motif de cet abandon. Aussi la femme qui a abandonné est adultère, si elle s’approche d’un autre homme, mais le mari abandonné par la femme mérite l’indulgence, et celle qui vit avec lui n’est point condamnée. Epist., I, Ad Amphiloch., c. IX, P. G., t. XXXII, col. 677. Comme on le voit, saint Basile distingue entre la loi de Jésus-Christ et la coutume : le saint évêque reconnaît que la seconde n’est guère conforme à la première. Cette coutume semble désigner la loi civile qui n’accordait pas à la femme les mêmes droits qu’au mari. Noël Alexandre pense que saint Basile approuvait cette coutume ; mais cette opinion est au moins contestable, car ce Père dit ici même que la loi de Jésus-Christ impose aux maris les mêmes obligations qu’aux femmes et il admet encore en d’autres passages, Moralia, reg. LXXIII, P. G., t. XXXI, col. 849 sq., la parfaite égalité des conjoints dans le mariage. On pourrait dire tout au plus qu’il tolérait cet usage, à l’exemple des évêques dont parle Origène. Mais il est à remarquer que s’il tolère l’incontinence de la part d’un mari abandonné par sa femme, il ne reconnaît pas pour cela le droit de se remarier au mari qui a répudié sa femme. Il ajoute en effet, ibid. : " Mais si le mari après s’être séparé de sa femme s’approche d’une autre femme, il est lui-même adultère, parce qu’il fait commettre un adultère à cette femme ; et la femme qui habite avec lui est adultère, parce qu’elle a attiré à elle le mari d’une autre. " Saint Basile ne semble donc pas admettre la rupture du mariage, même au cas de l’adultère de l’époux.
Saint Epiphane s’exprime ainsi : ? ?? ?? ???????? ?? ??? ?????????? ??????????? ?????? ????? ?????????, ????????, ? ????????, ? ????? ?????? ???????? ?????????, ?????????? ??????? ???????, ? ???? ??????? ?????, ??? ???????? ? ????? ?????… ??? ??? ??? ???????? ??? ?? ???? ??? ??? ????????? ??? ????, ???? ??? ???? ??????????, ???????, ?? ???????, ???? ??????????. Hæres, LIX, P. G., t. XLI, col. 1024-1025. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 280, explique ce passage de la façon suivante : saint Epiphane suppose le cas où il y a eu divorce entre le mari et sa femme pour cause d’adultère ou de quelque autre crime. Le mari peut (malgré ces crimes et la pénitence à laquelle il a pu être soumis) se remarier après la mort de cette femme adultère. Il ne devra pas avoir deux femmes en même temps, mais il lui sera permis de s’unir à une autre épouse dès qu’il aura été séparé de la première (par la mort), suppose Perrone. Les raisons de cette explication sont tirées du contexte. Saint Epiphane combat en cet endroit les novateurs qui refusaient la pénitence à ceux qui avaient commis de grands crimes et rejetaient aussi les secondes noces. Les preuves qu’il donne ensuite de ce qu’il vient de dire établissent seulement la légitimité d’un second mariage après la mort d’un des conjoints ; enfin il parle ici du cas où l’on ne peut se contenter de l’épouse morte, mortua. Cette interprétation est plus ingénieuse que convaincante. Aussi plusieurs auteurs ont admis que saint Epiphane se prononce pour la dissolution du mariage en cas d’adultère ; c’est l’opinion de Petau qui croit à une corruption du texte, à cause de son obscurité. P. G., t. XLI, col. 1023-1024, note 13. Les Pères Condamin et Portalié, S. J., viennent de proposer une solution nouvelle. A leur avis, il faut intercaler une virgule avant ????????. Avec cette ponctuation, les motifs de fornication, etc., sont all?gués pour justifier les secondes noces, après la mort d’une première femme, et il n’est pas question de divorce. Bullet. de littér. ecclésiastique, publié par l’Institut catholique de Toulouse, janvier 1900. Cette explication paraît la vraie, car elle a l’avantage d’ôter toute obscurité au texte et de cadrer parfaitement avec le contexte. Saint Epiphane dit donc : " Si celui qui ne peut se contenter d’une première femme défunte, parce qu’il craint de tomber dans la fornication, l’adultère ou d’autres fautes, une fois séparé d’elle (par sa mort) en épouse une autre, ou si une femme épouse un second mari, l’Ecriture divine ne le condamne pas…, pourvu toutefois qu’il n’ait pas deux épouses en même temps, la première survivant, mais qu’étant séparé de la première (par sa mort) il contracte avec une seconde une union légitime. " Ainsi entendu le saint docteur ne parle pas de divorce en cas d’adultère.
Astère d’Amasée contemporain d’Arcadius dit dans une de ses homélies sur saint Matthieu, c. XIX, que le lien du mariage est rompu par l’adultère de même que par la mort. P. G., t. XL, col. 225 sq. Cependant le saint évêque ne dit pas expressément que dans le cas d’adultère il autorise le mari à contracter un second mariage, aussi bien que dans le cas de la mort.
On nous oppose aussi l’autorité de Théodoret. Launoy, Regia in matrimonium potestas, Opera, Cologne, 1731, t. I a, p. 836, dit qu’il enseigne de la façon la plus claire la rupture du lien du mariage dans trois passages. Hæretic. fabul., l. V, c. XVI, P. G., t. LXXXIII, col. 505 ; ibid., t. XXV, col. 538 ; Græcorum affectionum curatio, IX, De legibus, ibid., col. 1054. Il est vrai qu’il dit dans ces passages que l’adultère entraîne dissolution du mariage ou séparation des époux. Mais nous avons déjà remarqué que ces termes s’entendent assez souvent de la simple séparation des époux quoad torum. Comme Théodoret ne déclare nulle part que le mari peut se remarier après avoir quitté sa femme adultère, sa pensée à ce sujet reste douteuse. Dans le troisième texte, il nous semble même faire entendre assez clairement que l’inconduite de la femme doit seulement faire cesser toute cohabitation de son mari avec elle.
2° Auteurs latins. – Parmi les auteurs latins, Lactance a également une doctrine incertaine. Lui aussi affirme, Divinarum institutionum, l. VI, c. XXIII, P. L., t. VI, col. 720 ; Epitome divin. divin. institut., c. LXVI, col. 1080, qu’il y a dissolution dans l’hypothèse de l’adultère. Il semble bien accorder au mari trompé le droit de contracter un nouveau mariage. Cependant Perrone, op. cit., p. 253, croit qu’il parle plus probablement d’une simple séparation quoad torum. Il ne serait pas étonnant d’ailleurs qu’il se soit trompé sur un sujet encore mal élucidé, puisque saint Augustin excusait ceux qui, de son temps, tombaient dans la même erreur. – Dans un texte célèbre de son commentaire de la première Epître aux Corinthiens, c. VII, le pseudo-Ambroise ou Ambrosiaster dit que la femme ne peut contracter une nouvelle union, du vivant de son mari, si elle s’en est séparée à cause de l’apostasie ou des mœurs corrompues de celui-ci ; mais il ajoute qu’il est permis à l’homme de se remarier, s’il a renvoyé son épouse pour cause d’adultère, parce que la loi n’enchaîne pas l’homme comme la femme, car l’homme est la tête de la femme : Viro licet ducere uxorem, si dimiserit uxorem pecantem ; quia non ita constringitur, sicut mulier ; caput enim mulieris vir est. P. L., t. XVII, col. 218. On se demande s’il entend exprimer ce que permet la loi civile, ou ce que permet la loi évangélique. L’inégalité qu’il invoque entre les droits de l’homme et de la femme étant contraire à l’Evangile, il y a là une raison de croire qu’il parle d’après la loi civile. Mais, d’autre part, c’est en expliquant le texte de saint Matthieu, excepta fornicationis causa, qu’il est amené à émettre sa doctrine. Il semble donc plutôt avoir voulu concilier avec l’Evangile les prescriptions des lois romaines et reconnaître à l’homme trompé par sa femme le droit de prendre une autre épouse.
CONCLUSION. – De ce qui précède il résulte que le sentiment qui prédominait dans l’Eglise, aux quatre premiers siècles, c’est que l’adultère d’un des époux entraînait pour l’autre le droit de se séparer de son conjoint coupable, mais non celui de briser le lien du mariage. Les premiers auteurs qui s’expriment à ce sujet soit dans l’Eglise grecque, soit dans l’Eglise latine, affirment que le mari ne saurait se remarier, quand sa femme manque à la fidélité conjugale. Hermas le dit très clairement. Tertullien le déclare aussi, quoique en des termes un peu obscurs. Les autres Pères affirment d’une manière absolue que le mariage est indissoluble. Ils admettent sans doute quelquefois qu’il peut être dissous ; mais ils entendent par cette dissolution une simple séparation de corps. Jusqu’au IVe siècle, nous n’en avons rencontré aucun qui ait émis le sentiment que la femme et à plus forte raison le mari puissent convoler à de secondes noces, quand leur conjoint est tombé dans l’adultère. Origène nous cependant appris que quelques évêques toléraient cette conduite, mais à partir du IVe siècle une plus grande hésitation semble se produire. Elle vient sans doute de ce que la loi civile, même après les modifications qui y avaient été apportées par les empereurs chrétiens, accordait au mari le droit de contracter un nouveau mariage, quand son épouse s’était donnée à un autre. Nous avons entendu saint Basile nous parler de cette loi, qu’il appelait coutume et qu’il déclarait contraire à l’Evangile. D’autres auteurs en petit nombre, Lactance et le pseudo-Ambroise, ou Ambrosiaster, paraissent avoir cru que Jésus-Christ avait permis au mari de rompre le lien même du mariage, et de contracter une nouvelle union dans le cas exceptionnel de l’adultère de son épouse. Le concile d’Arles nous a montré que l’Eglise au commencement du IVe siècle ne l’admettait pas, mais que néanmoins elle gardait des ménagements vis-à-vis de ceux qui voulaient user des droits accordés par la loi civile. Saint Augustin juge que leur erreur est excusable, à cause de la difficulté qu’offrent les textes de saint Matthieu. Mais il établit nettement d’après les autres passages de l’Ecriture que Jésus-Christ a voulu l’indissolubilité absolue du mariage. Au commencement du Ve siècle, le second concile de Milève le déclare et décide qu’on demandera une modification de la loi civile, en conformité avec cette doctrine. Le dogme de l’indissolubilité absolue du mariage était donc, dès cette époque, habituellement enseigné dans l’Eglise, bien qu’il ne fût pas encore présenté avec la clarté qu’il eut dans la suite.
Henri Klee, Manuel de l’histoire des dogmes chrétiens, in-8°, Louvain, 1851, t. II, p. 300 sq. ; Carrière, De matrimonio, in-12, Paris, 1859, p. 176 sq. ; Perrone, De matrimonio christiano, in-8°, Liège, t. III ; Palmieri, Tractatus de matrimonio christiano, in-8°, Rome, 1880, p. 171 sq. ; Freisen, Geschichte des canonisches Eherechts, 2e édit, Paderborn, 1893, p. 769 sq.
I. OBSERVATIONS SUR LES LOIS CIVILES ET ECCLESIASTIQUES EN VIGUEUR AVANT LE XIIe SIECLE. – La question des effets de l’adultère sur le lien du mariage se posait du Ve au XIIe siècle dans des conditions très différentes de la manière dont elle se pose aujourd’hui. Quelques observations préliminaires sur ces conditions nous semblent indispensables pour comprendre les textes de cette époque.
1° Opposition de la doctrine chrétienne avec les lois civiles, soit romaines soit germaniques. – Il y a lieu de distinguer au commencement de cette période dans l’Eglise latine deux courants de vues au sujet des effets de l’adultère sur le lien su mariage. Le premier courant qui fut toujours prédominant s’appuyait sur les enseignements de la sainte Ecriture et des Pères pour affirmer l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère. Le second courant, qui se trahit de temps en temps, montrait de la tolérance pour les mœurs de populations mal imprégnées encore de l’esprit chrétien. Il s’accommodait à l’indulgence des lois civiles. Nous avons déjà remarqué dans l’article précédent que la loi romaine permettait de se remarier avant la mort d’une épouse répudiée pour cause d’adultère ou pour d’autres motifs. Les lois germaniques autorisaient aussi ces mariages en cas de divorce. Or parmi les diverses causes de divorce entraînant pour le conjoint innocent le droit de se remarier, elles mentionnaient l’adultère de la femme (un simple adultère du mari n’était pas reconnu pour cause suffisante de divorce par les lois civiles). Freisen, Geschichte des canonischen Eherechts, 2e édition, Paderborn, 1893, p. 776-781.
La condamnation des coutumes que cette législation supposait donnait lieu, on le comprend, à de grandes difficultés pratiques. Il est plus aisé de laisser faire que de combattre les lois civiles. L’ignorance où vivait le clergé de cette époque devait aussi l’y porter. D’ailleurs la doctrine de l’indissolubilité absolue du mariage, même en cas d’adultère, n’était pas encore arrivée au degré de netteté qu’elle a eu plus tard dans l’Eglise catholique. Les textes de quelques Pères permettaient de le mettre en doute. Toutefois, ce ne fut point par une fausse interprétation des paroles de Jésus-Christ rapportées par saint Matthieu, XIX, 7, qu’on fut entraîné à laisser les époux contracter de nouvelles unions avant la mort de l’un ou de l’autre. Non ; car partout où se manifesta cette tolérance, elle s’étendit à d’autres cas qu’à celui de l’adultère ; souvent même elle ne s’applique point à ce cas, mais à d’autres qui se produisaient plus fréquemment, comme celui de la captivité d’un des conjoints. C’est ce que nous verrons se produire en particulier aux conciles de Verberie et de Compiègne, qui ne rangèrent pas l’adultère simple parmi les nombreuses causes de divorce qu’ils admirent. Il y a là une preuve que le courant dont nous parlons résultait de mœurs invétérées et des lois civiles, et qu’il ne prenait pas sa source dans des données d’ordre religieux et spéculatif.
Il ne faudrait pas croire cependant qu’il fût jamais prédominant. Il s’en faut de beaucoup ; car, nous allons le voir, toujours et presque partout il fut combattu par les papes, par les évêques, par les exégètes et les théologiens, au nom des principes de l’Evangile.
2° La pénitence et le mariage. – La pénitence, pour quelque faute qu’elle eût été imposée, entraînait, par rapport au mariage, des conséquences qu’il importe de connaître pour apprécier les décrets de l’époque. La question n’est pas sans difficulté ; comme ce n’est pas le lieu de la discuter, nous donnons simplement les conditions auxquelles s’arrête M. Freisen, op. cit., § 53, p. 561 sq. Pendant la période antérieure au XIIe siècle, il a été défendu aux gens mariés d’user du mariage et aux gens non mariés de contracter mariage, tout le temps que durait la pénitence. On ne cite qu’un canon de cette époque inséré dans Gratien, caus. XXXIV, q. II, c. 13, et attribué à saint Léon le Grand, qui permette l’usage du mariage pendant la pénitence ; mais les critiques pensent que le canon est apocryphe et qu’il a été fabriqué peu avant le temps de Gratien. Freisen, op. cit., p. 572 ; Friedberg, Corpus juris canonici, Leipzig, 1879, t. I, p. 1156. C’est pour cela que les gens mariés avaient besoin de l’assentiment de leur conjoint pour recevoir la pénitence. – Le droit d’user d’un mariage antérieur ou d’en contracter un nouveau était-il rendu aux pénitents après leur pénitence ? Il y eut sur ce point deux disciplines en vigueur. L’une des plus sévères et plus ancienne indiquée par le pape Sirice (385), dans une lettre à l’évêque Himerius, c. V, Jaffé-Wattenbach, Regesta pont. Rom., n. 255 (65), P. L., t. LVI, col. 554 ; décret de Gratien, caus. XXXIII, q. II, c. 12, qui défendait aux pénitents de se marier ou d’user de leur mariage, même après leur pénitence, et qui était un peu mitigée par l’exception faite à cette règle, en faveur des jeunes gens, par Léon Ier (458 ou 459), Decret., caus. XXXIII, q. II, c. 14 ; Jaffé-Wattenbach, op. cit., n. 544 (320), P. L., t. LIV, col. 1199, dans une lettre à Rusticus de Narbonne. Cette discipline fut adoptée par l’Espagne et par les pays francs. Cependant une autre pratique était suivie en Gaule au VIe siècle. Les conciles d’Agde (506), c. 61, Labbe, Concil., t. IV, 1393, et d’Epaone (517) en Bourgogne, c. 30, ibid., col. 1579, accordent en effet à ceux qui ont péché par des unions incestueuses la liberté de contracter d’autres mariages. Quibus conjunctio illicita interdicitur habebunt ineundi melioris conjugii libertatem. Décret de Gratien, caus. XXXV, q. II, c. 8. Cette pratique plus douce fut adoptée en pays francs à partir du VIIIe siècle, ainsi qu’en témoignent les conciles de Verberie (753), can. 1, Hardouin, Concil., t. III, col. 1990 et de Worms (868), can. 30, Mansi, Concil., t. XV, col. 875. Elle serait même devenue la règle de l’Eglise romaine, dès le milieu du IXe siècle, si les deux lettres du pape Nicolas Ier à l’évêque de Mayence étaient authentiques ; car la première de ces lettres, P. L., t. CXIX, col. 809, reproduit le canon 30 du concile de Worms. Mais l’authenticité de ces lettres est contestée. Jaffé-Wattenbach, Regesta, n. 2709 (2045) ; Freisen, op. cit., p. 567. Quoi qu’il en soit, Gratien, Decret., caus. XXXIII, q. XXI, c. 11, 12, présente l’ancienne discipline prescrite par saint Sirice comme la règle stricte ; il considère la pratique qui autorisait l’usage ou la célébration du mariage après la pénitence comme tolérée par l’autorité ecclésiastique. Cette pratique était donc reconnue de son temps par le Saint-Siège.
3° Conditions faites à l’époux coupable en cas d’adultère. – L’adultère devait être expié par la pénitence. Celui qui l’avait commis était donc soumis aux règles que nous venons de rappeler. On se montrait même plus sévère vis-à-vis des adultères que vis-à-vis de plusieurs autres pénitents, pour ce qui regardait le mariage.
Lorsqu’une femme avait été convaincue d’adultère, son mari devait la renvoyer. Gratien, caus. XXXII, q. I, c. 1, 2, 3. Cependant il n’y était tenu qu’autant qu’elle ne voulait point se corriger. Ibid., c. 4. Mais il ne pouvait vivre avec elle qu’à la condition de subir lui aussi une pénitence.
Pendant que l’adultère faisait pénitence de son crime, son mari devait s’abstenir de tout rapport conjugal avec elle, mais il pouvait la reprendre ensuite. Ibid., c. VII, VIII. Il était aussi défendu à la femme adultère, qu’elle ait été ou non renvoyée par son mari, de contracter aucun mariage, même après la mort de ce dernier, du moins aussi longtemps qu’elle n’avait pas fait pénitence. Décret de Gratien, caus. XXXII, q. I, c. 10, § 2 ; c. 13. Le concile de Frioul, réuni en 791 sous la présidence de saint Paulin d’Aquilée, s’exprime à ce sujet aussi clairement que possible. Il nous a plu, dit-il, c. 10, Mansi, Concil. Col., Florence, 1767, t. XIII, col. 849, il nous a plu, lorsque le lien du mariage a été dissous pour cause de fornication, qu’il soit défendu au mari, tant que vit la femme adultère, de prendre une autre épouse, bien que la première soit adultère. Quant à la femme adultère qui doit subir des peines très graves ou le tourment de la pénitence, il lui est défendu de recevoir un autre époux, soit du vivant, soit après la mort du mari qu’elle n’a pas eu honte de tromper, sed nec adulteræ, quæ pœnas gravissimas vel pænitentiæ tormentum luere debet, alium accipere virum nec virente nec mortuo, quem non erubit de fraudare marito. D’autres textes permettent un nouveau mariage, mais après la pénitence accomplie. Ainsi le pénitentiel de saint Théodore l’autorise, après cinq ans suivant certains manuscrits, après deux ans suivant d’autres. L. II, c. XII (XI), n. 5 ; Schmitz, Die Bussbücher und canonische Bussverfahren des canonischen Eherechts, 2e édition, Paderborn, 1893, § 56, p. 620 sq.
Cependant Gratien admet que la femme adultère est impropre à un nouveau mariage, même après qu’elle a fait pénitence. Ibid., c. 13. Mais, à ses yeux, il y avait à cette règle des exceptions, aussi bien qu’à la règle stricte qui défendait le mariage à tous ceux qui avaient subi la pénitence. Gratien admet en effet qu’il est louable d’épouser une prostituée, comme Rahab, pour la ramener à la vertu. Ibid., c. 13, 14.
Quoi qu’il en soit des adoucissements apportés ensuite à la loi sévère formulée à la fin du VIIIe siècle au concile de Frioul, cette loi interdisait à tout jamais aucun mariage aux adultères. Il convient de s’en souvenir pour avoir le vrai sens de certains canons de cette époque, qui semblent permettre un nouveau mariage du vivant d’un premier mari. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 350, rappelle cette loi, pour expliquer un canon d’un pénitentiel dit romain, publié par Antoine Augustin, Canones pænitentiales, Venise, 1584. Pænitent. rom., tit. III, c. 20, p. 27. Voici ce canon : Contigit tibi ut uxor tua, te conscio et hortante, cum alio viro, illa autem nolente, adulterium perpetraret : si fecisti quadraginta dies in pane et aqua pæniteas, et septem annos, unum ex his in pane et aqua ; et nunquam sis sine pænitentia. Si autem uxor tua hoc probare potuerit, quod tua culpa et tuo jussu, se renuente et luctante, adulterata sit ; si se continere non potest, nubat cui voluerit, tantum in Domino. Tu autem sine uxoria spe in perpetuo maneas. Illa autem si consentiens fuerat, eadem jejunet, quæ tibi proposita sunt et sine spe conjugii maneat. Il s’agit dans ce canon d’une femme qui a été prostituée à un autre homme par son mari. Le mari est de ce chef condamné à une pénitence perpétuelle et tout mariage lui est à jamais défendu. Pour la femme, elle est soumise à la même peine lorsqu’elle s’est prêtée de son gré à ce crime. Mais il en est autrement, quand elle en a été victime malgré elle ; si elle ne peut garder la continence, on lui permet en ce cas d’épouser qui elle voudra. Si se continere non potest, nubat cui voluerit, tantum in Domino.
A en juger par la discipline actuelle de l’Eglise, on serait porté à croire que ce canon permettait à cette femme un second mariage du vivant de son indigne mari. Si l’adultère simple n’avait pas été à cette époque un empêchement de mariage, il n’y aurait pas eu en effet de raison de permettre à cette femme adultère, de se marier après la mort de son mari. La permission exprimée par le canon qui nous occupe ne se comprendrait donc guère que d’un mariage avant la mort de son mari. Mais cette permission prend un autre sens quand on sait que le mariage était à jamais interdit aux adultères, comme notre texte le montre lui-même, en défendant tout mariage à cette femme, si elle a consenti à son adultère. Illa autem si consentiens fuerat… sine spe conjugii maneat. Cette interdiction une fois connue, il y a lieu de penser que la permission de se marier donnée à cette femme, si elle a été la victime innocente d’un attentat, regarde seulement le temps où elle deviendrait libre par la mort de son premier mari. L’adultère commis sur elle l’aurait obligée à la pénitence et l’aurait privée du droit de se marier, si elle en avait été coupable. Mais du moment qu’elle n’en était pas responsable, il ne lui était pas plus interdit de se marier qu’à toute autre femme vertueuse : elle pouvait donc le faire après la mort de son premier mari. Tel est, à ce qu’il semble, le sens du canon qui nous occupe. S’il se trouvait dans un des pénitentiels anglo-saxons postérieurs au VIIIe siècle, il y aurait quelques raisons de douter de ce sens, parce que, comme nous le verrons, plusieurs de ces pénitentiels permettaient un second mariage au mari du vivant de son épouse adultère (bien que non à la femme en cas d’adultère du mari). Mais ce canon se trouve dans un pénitentiel où cet abus était condamné. Cet abus était condamné en effet, nous le verrons, par les pénitentiels du groupe romain et par les pénitentiels du groupe germain. Remarquons cependant que ce canon ne se trouve point, comme Perrone le croyait, dans les pénitentiels d’origine romaine. Voir Schmitz, Die Bussbücher, passim. Il se trouve seulement dans les pénitentiels des églises germaniques, n. 50. Schmitz, Die Bussbücher, t. II, p. 420, Dusseldorf, 1898. Il a pu assurément s’introduire comme bien d’autres éléments dans un pénitentiel dénommé romain. Ibid., p. 142 sq. Mais il est d’origine germanique. Comme le pénitentiel des églises germaniques où ce canon se trouve défendait, n. 44, Schmitz, ibid., p. 419, aussi bien que les pénitentiels d’origine romaine, de se remarier du vivant d’un époux adultère dont on se serait séparé, il y a lieu de penser que le mariage permis à la femme prostituée malgré elle par son mari ne devait avoir lieu qu’après la mort de ce dernier. Cependant, comme le même pénitentiel (voir plus loin) semble permettre quelquefois un nouveau mariage avant la mort d’un premier conjoint, l’interprétation que nous avons admise avec Perrone est moins certaine que si ce canon avait une origine romaine.
Quoi qu’il en soit, on comprend qu’il est nécessaire de connaître la législation de cette époque sur la pénitence et sur l’adultère, pour comprendre les canons relatifs à l’influence de l’adultère sur le lien matrimonial.
4° L’inceste empêchement du mariage. – On donnait le nom d’inceste à la fornication commise ave toute personne à laquelle on était lié par la consanguinité ou l’affinité. On étendit même ce nom au commerce charnel avec des personnes consacrées à Dieu et en général au commerce des personnes entre lesquelles le mariage eût été interdit. Au commencement du VIe siècle, celui qui avait commis un inceste n’était pas regardé encore comme incapable de se marier. Nous le voyons par les conciles d’Agde (506), c. 61, et d’Epaone (517), c. 30, Labbe, t. IV, col. 1393, 1579.
A partir du milieu du VIIIe siècle, l’inceste, alors même qu’il résultait d’une affinité clandestine, par exemple un commerce secret entre deux sœurs, entraînait l’incapacité de se marier jamais. Les conciles de Verberie (753) et de Compiègne (757) affirment, en raison de ce principe, la nullité de divers mariages. Les mêmes règles de conduite sont suivies par les conciles de Mayence (813), can. 56. Mansi, t. XIV, col. 75. Le pape saint Zacharie († 752) avait étendu les effets de l’inceste aux rapports charnels entre parents ou affines jusqu’au septième degré (suivant la computation du droit civil romain). Cependant on ne considéra généralement comme rendant inhabiles à tout mariage que les rapports incestueux avec des parents plus proches que les cousins germains, ou avec des affines de même degré. Cette inhabileté des incestueux au mariage dérivait sans doute primitivement des règles de la pénitence que nous avons rappelées plus haut. Mais lorsqu’on eut permis aux pénitents de se marier après l’accomplissement de leur pénitence, on n’appliqua point cet adoucissement aux incestueux, on continua au contraire à leur refuser tout espoir de mariage. Hincmar combattait le divorce du roi Lothaire avec Theutberge. Il reconnaissait néanmoins que leur mariage eût été nul, si Theutberge avait eu antérieurement des rapports charnels avec son frère, comme le prétendait Lothaire. De divortio Lotharii, P. L., t. LXXV, col. 705, 706, 730, 731. Cf. le Pénitentiel des églises de Germanie, n. 113 et 118, Schmitz, Die Bussbücher, t. II, p. 434, 435, Dusseldorf, 1898. Cette inhabileté au mariage pour cause d’inceste était encore en vigueur au temps de Gratien, caus. XXXII, q. VII, c. 20, 24. Il y avait d’ailleurs d’autres crimes qui entraînaient l’incapacité de se marier. Freisen, op. cit., §54, p. 575 sq. Nous parlons en particulier de l’inceste, parce que l’empêchement qu’il produisait amenait quelquefois des séparations qui semblaient une rupture du lien matrimonial pour cause d’adultère.
II. L’ADULTERE INCESTUEUX ET LE LIEN DU MARIAGE JUSQU’AU XIIe SIECLE. – Nous croyons devoir consacrer deux paragraphes distincts à l’action de l’adultère incestueux et à celle de l’adultère simple, dans la première partie du moyen âge. En effet, comme nous allons le voir, l’adultère incestueux, à l’exclusion de l’adultère simple, semble avoir rompu à cette époque bien des mariages légitimes dans les pays germaniques, en raison des décrets des conciles de Verberie et de Compiègne, tandis qu’au contraire, dans les pays francs et anglo-saxons qui se servaient du pénitentiel de Saint-Théodore, le lien matrimonial fut souvent brisé à la suite d’un simple adultère, sans qu’il fût besoin pour cela que cet adultère fût incestueux.
La clarté de notre exposition demande donc que nous étudiions séparément les rapports de l’adultère simple et de l’adultère incestueux avec les mariages déjà contractés et consommés.
Nous avons remarqué précédemment que, durant une partie de la période qui nous occupe, l’adultère et l’inceste empêchaient tout futur mariage. Cependant, lorsqu’une personne mariée commettait un adultère incestueux avec ses propres parents, il ne semble pas que cette faute ait été regardée comme entraînant d’autres conséquences par rapport au mariage qu’elle avait contracté, que les conséquences de n’importe quel adultère ou de n’importe quel inceste. Hincmar soutenait que le mariage de Lothaire avec Theutberge serait resté indissoluble, au cas même où celle-ci aurait eu un commerce incestueux avec son propre frère après ce mariage. Freisen, Geschichte des Eherechts, p. 578.
Mais lorsqu’une personne mariée se rendait coupable d’un inceste avec les proches parents de son mari, il se produisait par le fait, non plus seulement deux, mais trois obstacles à l’usage de son mariage ; car en même temps qu’elle avait commis un adultère et un inceste, elle était tombée vis-à-vis de son conjoint dans l’empêchement d’affinité (voir ce mot). L’affinité contractée antérieurement rendait le mariage nul, car elle était un empêchement dirimant. Si elle était contractée postérieurement au mariage, elle rendait l’usage du mariage illicite, au moins pour la personne qui connaissait cette affinité. Reste à savoir si l’on a cru, dans les siècles qui précédèrent le décret de Gratien, que l’affinité ainsi contractée après le mariage annulait celui-ci ; en d’autres termes, si on a permis à l’époux innocent de contracter une nouvelle union du vivant de l’époux coupable. En ce cas, l’adultère incestueux aurait été cause de la rupture du mariage, non pas, il est vrai, en raison de l’adultère, mais en raison de l’affinité qui résultait de son caractère incestueux, ou, pour prendre l’expression adoptée par plusieurs auteurs modernes, en raison de l’affinité survenant après le mariage, affinitas superveniens.
Disons tout de suite que jusqu’au VIIIe siècle, aucun texte ne laisse supposer que l’Eglise ait laissé rompre des mariages pour ce motif.
1° VIIIe siècle. – La plupart des documents du VIIIe siècle se prononcent pour l’indissolubilité du lien matrimonial en cas d’inceste. Cependant il est quelques décrets qui semblent accorder à l’époux innocent le droit de contracter une nouvelle union du vivant de l’époux incestueux. Ces décrets ont été portés par les diètes ou conciles de Verberie (753) et de Compiègne (756 ou 758), assemblées présidées par le roi Pépin et où l’élément laïque était mêlé à l’élément ecclésiastique, de sorte qu’il y a lieu de se demander si leurs décisions ont été des capitulaires revêtus de l’autorité civile ou des canons revêtus de l’autorité religieuse. Freisen, op. cit., p. 462, note 2. Il faut y ajouter un décret semblable attribué par Gratien, Décret., caus. XXXII, q. VII, c. 32, au pape Zacharie (752). Mais son authenticité est très douteuse ; car, comme on va le voir, il n’a pas la forme d’un décret pontifical, mais plutôt celle d’un article de pénitentiel. Il apparaît d’ailleurs pour la première fois sous le nom du pape Zacharie au XIe siècle, dans le recueil de décrets de Burchard, , c. XIX, P. L., t. CXL, col. 965, d’où sans doute Gratien l’a extrait. Voici ces canons :
Concile de Verberie. – Can. 2 : Si quis cum filiastra sua (la fille que sa femme a eue d’un autre mari) manet, nec matrem, , nec filiam ipsius potest habere, nec ille, nec illa aliis se poterunt conjungere ullo unquam tempore. Attamen uxor ejus, si ita voluerit, si se continere non potest, si postquam cognovit quod cum filia sua vir ejus fuit in adulterio, carnale commercium cum eo non habet, nisi voluntate abstinet, potest alio nubere. – Can. 10 : Si filius cum noverca sua uxore patris sui dormierit, nec ille, nec illa possunt ad conjugium pervenire. Sed ille vir, si vult, potest aliam uxorem habere ; sed melius est abstinere. – Can. 11 : Si quis cum filiastra sua dormierit, simili sententia stare potest ; et cum sorore uxoris suæ, simili modo stare potest. – Can. 18 : Qui cum consobrina uxoris suæ manet, sua careat, et nullam aliam habeat ; illa mulier quam habuit, faciat quod vult. Hoc Ecclesia non recipit. Hardouin, Acta conciliorum, t. III, col. 1990-1992.
CONCILE DE COMPIEGNE. – Can. 8 : Si quis homo habet mulierem legitimam, et frater ejus adulteravit cum ea, ille frater cel illa femina, qui adulterium perpetraverunt, interim quo vivunt, nunquam habeant conjugium. Ille cujus uxor fuit, si vult, potestatem habet accipere aliam. Hardouin, ibid., col. 2006.
DECRET ATTRIBUE AU PAPE ZACHARIE. – Concubuisti cum sorore uxoris tuæ ? Si fecisti, neutram habeas, et si illa, quæ uxor tua fuit, conscia sceleris non fuit, si se continere non vult, nubat in Domino cui velit. Tu autem et adultera sine spe conjugii permaneatis, et quamdiu vivitis, juxta preceptum sacerdotis pænitentiam agite. Gratien, Decret., caus. XXXII, q. VII, c. 23, édit. Friedberg, Leipzig, 1879, col. 1145.
D’après ces décrets, le droit d’avoir aucune relation conjugale avec leur conjoint, et celui de contracter jamais aucun autre mariage est ôté à ceux qui ont commis un inceste avec un proche allié, c’est-à-dire pour les femmes avec le fils ou le frère de leur mari, et pour les maris avec la fille, la sœur ou la cousine de leur femme (l’Eglise n’admettait pas cette loi pour la cousine). Cette discipline est la conséquence de la loi que nous avons rapportée plus haut au sujet de l’inceste. Si l’époux innocent a continué à avoir des rapports conjugaux avec l’époux coupable, après avoir connu son inceste, il tombe sous les mêmes peines ; car il a été, lui aussi, sciemment incestueux dans ces rapports, puisque son conjoint avait contracté une affinité avec lui. Mais que peut-il faire, si aussitôt qu’il a connu cette affinité il a cessé de mener la vie conjugale avec son conjoint coupable ? Puisqu’il est innocent, il n’a encouru aucune peine. Il n’est donc pas inhabile au mariage. Aussi nos textes s’accordent à dire qu’il peut se remarier, s’il le veut.
La question est de savoir s’il peut oui ou non contracter ce nouveau mariage avant la mort de son conjoint incestueux. S’il le peut, c’est que l’affinité survenant après le mariage aura dissous le lien. S’il ne le peut pas, c’est que ce lien est resté indissoluble.
Deux interprétations se sont produites sur ce point. L’une soutient que ce n’est qu’après la mort de son conjoint que l’époux innocent peut se remarier d’après les canons cités. Elle n’est pas sans vraisemblance. Les textes mettent en effet en opposition la condition de l’époux incestueux et celle de l’époux innocent. Après avoir dit que l’époux incestueux ne pourra jamais se marier, on ajoute que l’époux innocent pourra le faire, si cela lui plaît. On est en droit de croire qu’il ne le pourra néanmoins que suivant les lois que lui impose son premier mariage, c’est-à-dire après la mort de son conjoint. C’est ainsi que nos textes ont été expliqués par la plupart des anciens canonistes, en particulier Gratien.
Une autre interprétation a été proposée. Elle consiste à dire que les décrets en question donnent à l’époux innocent le droit de se remarier, même du vivant de son conjoint coupable. C’est en effet le sens obvie de ces décrets, en particulier du canon 2 de Verberie, qui dit au présent (non au passé) si commercium cum eo non habet, et du canon 10, qui ajoute cette observation : sed melius est abstinere. Il paraissait d’ailleurs équitable de permettre à l’époux innocent de se remarier, du moment que l’adultère incestueux de son conjoint le mettait dans l’obligation de se séparer de lui à jamais. Enfin, les conciles de Verberie et de Compiègne ont édifié d’autres capitulaires ou canons qui semblent permettre un nouveau mariage, du vivant d’un premier époux légitime (can. 5, 7, 9, 19 de Verberie, can. 9 et 19 de Compiègne). Hardouin, loc. cit. Il y a donc lieu de croire que les canons que nous avons cités ont le même sens. Aussi cette interprétation défendue par Freisen, loc. cit., nous paraît-elle la plus probable.
Suit-il de là que ces lois sur l’affinité survenant après le mariage aient été portées par l’Eglise ? Nous ne le pensons pas. Le décret attribué au pape Zacharie ne saurait entrer en ligne de compte, puisqu’on en ignore la provenance. Quant aux canons capitulaires de Verberie et de Compiègne, c’étaient des lois civiles plutôt que des lois ecclésiastiques. Nous avons déjà dit ces assemblées furent des diètes en même temps que des synodes. Ajoutons que les annotations qui accompagnent ces capitulaires prouvent qu’ils émanaient avant tout de l’autorité civile. Le capitulaire 18 de Verberie est suivi de cette mention : Hoc Ecclesia non recipit. Cette mention ne s’expliquerait pas, si l’on était en présence de lois émanant de l’autorité religieuse. Les capitulaires 9, 11, 12, 13 et 17 de Compiègne portent : Georgius consensit. L’évêque Georges était un légat du souverain pontife qui se trouvait à l’assemblée. L’omission de cette mention à la suite des autres capitulaires, et en particulier à la suite du capitulaire 8, où il est question de l’affinité survenant après le mariage, suppose que cet évêque n’avait pas voulu approuver ces autres canons, et par conséquent que ces canons tenaient uniquement leur autorité du pouvoir civil. Les rapports qui unissaient alors l’Eglise et l’Etat dans le royaume franc expliquent que des décrets portés dans ces conditions, aient été considérés à la fois comme des capitulaires et comme des canons. Cependant la confusion des deux pouvoirs ne doit pas aller jusqu’à attribuer à l’Eglise des lois que ses représentants avaient simplement laissé faire, s’ils ne les avaient pas combattues.
Nous aurons une nouvelle preuve du caractère civil de ces lois dans la manière dont elles ont été traitées presque aussitôt après leur promulgation par les conciles de l’époque carlovingienne. Nous allons voir en effet que ces conciles ne les ont cités que pour corriger et supprimer la permission accordée à l’époux innocent de contracter un nouveau mariage, du vivant de son conjoint incestueux.
2° Depuis le IXe siècle. – Un concile de Mayence de 813, can. 56, Mansi, Collect. concil., t. XIV, col. 75, résume les capitulaires de Verberie sur les adultères incestueux de la femme et du mari ; il condamne les époux coupables à ne jamais user de leur mariage ; mais il ne parle pas du droit de se remarier, accordé par les diètes de Verberie et de Compiègne à l’époux innocent. Un autre concile de Mayence tenu en 847, can. 29, Mansi, ibid., col. 911, fait de même. En 868, un concile de Worms, can. 36 et 63, Mansi, t. XV, col. 876, 879, revient encore sur la question des adultères incestueux. Il défend le mariage à tous ceux qui ont commis sciemment ces incestes ; il affirme la nullité des mariages qu’ils contracteraient et donnent en conséquence à ceux avec qui un incestueux se serait uni la liberté de se remarier ; mais il n’accorde pas le droit de se remarier du vivant de son conjoint, à l’époux dont le mariage légitime a été troublé par les incestes de ce dernier. 27 ans plus tard, en 895, le concile de Tribur consacre encore un canon, le 41e, Mansi, t. XVIII, col. 152, au commerce illégitime qu’une femme aurait avec le frère de son mari. Divers auteurs ont cru qu’il avait affirmé que le mariage était brisé par cet adultère. Il permet en effet un nouveau mariage, après pénitence, non plus comme la diète de Verberie, à l’époux innocent, mais à la femme coupable ainsi qu’à son complice. C’est qu’il s’agit d’un cas fort différent des précédents. Le texte suppose en effet que le mari trompé par sa femme était dans l’impuissance de s’unir à elle. Si quis legitimam duxorit uxorem, et impediente quacumque domestica infirmitate, uxorium opus non valens implere cum illa. Le mariage en question était donc nul. La femme e donc commis avec son prétendu beau-frère, non pas un adultère incestueux, mais une fornication. C’est pourquoi après pénitence, cette femme pourra se marier, soit avec son complice, soit aussi sans doute avec tout autre homme. Il n’y a qu’avec son premier mari, qu’elle ne pourrait plus le faire : elle est devenue, en effet, son affinis, en raison de son commerce avec son frère. Aussi le canon porte-t-il : conjugium, quod erat legitimum, fraterna commaculatione est pollutum, e quod erat licitum illicitum est factum, paroles qui font croire à Freisen, op. cit., p. 466, qu’il s’agit d’un cas semblable à celui des canons de Verberie. Gratien, caus. XXXII, p. VII, c. 24, attribue à un concile de Worms les canons 10 et 11 de Verberie. Mais c’est par erreur.
En résumé des nombreux conciles du VIIIe et du IXe siècle, qui ont traité la question des incestes commis pendant le mariage, ceux de Verberie et de Compiègne sont les seuls qui semblent autoriser l’époux innocent à se remarier.
Le recueil de capitulaires de Benoît Lévite († 845) rapporte le onzième canon de Compiègne, l. I, n. 21, P. L., t. XCVII, col. 707 ; mais il rapporte aussi, l. III, n. 381, col. 345, un autre canon qui défend à l’époux innocent de se remarier du vivant de l’époux coupable, en cas d’adultère incestueux de ce dernier.
Les canons de Verberie et de Compiègne sont cité par Réginon († 915), De Eccles. disciplin., l. II, n. 213-216, P. L., t. CXXXII, col. 326 ; et par Burchard († 1025), Decret., l. XVII, n. 10, 11, P. L., t. CXL, col. 921. Burchard, ibid., n. 17, col. 922, attribue au concile de Tribur un canon semblable, qui n’est pas de ce concile.
Mais il y a lieu de remarquer que Benoît Lévite, Réginon et Burchard écrivaient en Germanie. Or, à cette époque, la pratique de ces pays était conforme aux décrets de Compiègne et de Verberie. Nous en avons pour preuve le pénitentiel transcrit par Burchard, sous le nom de Corrector, au livre XIX d son recueil ; ce pénitentiel fut en effet en usage en Germanie du IXe au XIIIe et même au XIVe siècle, et il a été appelé pour cette raison Pænitentiale Ecclesiarum Germaniæ, Schmitz, Die Bussbücher, Dusseldorf, 1898, t. II, p. 382, 402. Or, ce pénitentiel contient les décrets de Verberie et de Compiègne qui permettent un nouveau mariage en cas d’adultère incestueux, P. L., t. CXL, col. 966, l. XIX, c. V ; Schmitz, op. cit., n. 109, 110, 111, p. 433, ainsi que le décret analogue attribué par Gratien au pape Zacharie. P. L., ibid., col. 965 ; Schmitz, ibid., p. 432.
Il convient en même temps de noter que ces recueils, faits en Germanie, n’admettent pas qu’on se remarie du vivant de son conjoint, pour cause de simple adultère, comme nous allons le voir permettre par les pénitentiels en usage en France et en Angleterre. Ils le défendent au contraire formellement. Réginon, op. cit., l. II, n. 103, 105, 131, col. 304, 309 ; Burchard, op. cit., l. IX, c. LIV, P. L., t. CXL, col. 826 ; Pænitentiale Ecclesiarum Germaniæ, n. 44, Schmitz, p. 419 ; P. L., t. CXL, col. 958. Ils autorisent néanmoins un nouveau mariage, dans certains cas où il n’y a ni inceste, ni adultère. Burchard, op. cit., n. 120, 124, 127, col. 308, 309 ; l. IX, c. LIV, col. 826. Le pénitentiel des Eglises d’Allemagne le permet-il aux femmes que leurs maris prostitueraient malgré elles à un autre homme, n. 50, Schmitz, p. 420 ; P. L., t. CXL, col. 959. C’est une question dont il a été parlé plus haut.
Pendant que les canons de Verberie et de Compiègne étaient mis en pratique en Allemagne, ils étaient tenus comme non avenus dans les autres pays. Aucun des pénitentiels placés par Schmitz, op. cit., dans le groupe romain ou dans le groupe anglo-saxon ne donne de solution conforme à ces canons.
Yves de Chartres († 1116), qui était français, rapporte le décret du concile de Mayence, qu défend le mariage aux incestueux. Decret., part. IX, c. LXXI, P. L., t. CLXI, col. 678. Mais il ne transcrit pas les canons de Verberie et de Compiègne qui permettent un nouveau mariage à l’époux innocent, en cas d’inceste de son conjoint.
Gratien, qui était italien († 1204), cite aussi le décret du concile de Mayence, caus. XXXII, q. VII, c. 20, et non les textes rapportés plus haut des conciles de Verberie et Compiègne. Il rapporte par contre le décret du pape Zacharie, caus. XXXII, q. VII, c. 23 ; mais il entend que c’est seulement après la mort du mari adultère et incestueux, que sa femme innocente pourra se remarier. Cela résulte en effet du chapitre précédent, c. 21, qui a pour titre : Causa adulterii uxorem relinquens continentiam servet. Gratien n’admet pas en effet que l’époux innocent puisse jamais se remarier du vivant d’un premier conjoint adultère. Il parle cependant, à propos du texte de l’Ambrosiaster, caus. XXXII, q. VII, c. 18, d’une opinion qui donnait à l’époux dont la femme s’était livrée à l’inceste, le droit de contracter un nouveau mariage, avant la mort de cette dernière, mais c’est pour la combattre. Voir article précédent, col. 491. Voici comment il expose cette opinion : Quidam vero sententiam Ambrosii servare cupientes, non de qualibet fornicatione illud arbitrantur intelligi, ut ob quamlibet fornicationem vit licite dimittat uxorem, et vivente dimissa aliam ducat, sed de incestuosa tantum fornicatione intelligituer, cum uxor videlicet alicujus, patri et filio, fratri vel avunculo viri sui, vel alicui similium se construpandam publice tradiderit. Hæc autem, quia viro suo se illicitam reddidit in perpetuum, dum per copulam consanguinitatis in primum, vel secundum, vel tertium gradum transivit affinitatis, licite dimittitur, et ea vivente superducitur alia. Après avoir dit que ce n’est qu’après la mort de l’épouse que le mari peut se remarier, Gratien ajoute : Sic et illud intelligitur quod in capilulo cujusdam concilii legitur. Ce capitulaire d’un concile dont il ne connaît pas le nom est sans doute le canon 8 du concile de Compiègne, auquel renvoient ses annotateurs.
CONCLUSIONS. – Il résulte de ce qui précède que le droit de se remarier accordé, semble-t-il, au VIIIe siècle, par les capitulaires des diètes de Verberie et de Compiègne, à l’époux innocent, en cas d’adultère incestueux, n’a été adopté ensuite par aucun pape, ni aucun concile même d’Allemagne. Cependant ces capitulaires sont entrés dans quelques recueils de canons faits en Allemagne, et dans le pénitentiel de Burchard employé dans ce pays du IXe au XIIIe siècle. Ils ne se trouvent point dans les pénitentiels en usage dans le reste de la catholicité.
III. LE SIMPLE ADULTERE ET LE LIEN DU MARIAGE DU Ve AU XIIe SIECLE. – 1° Les conciles et les papes. – Au commencement du Ve siècle le concile de Milève et le pape saint Innocent Ier avaient proclamé l’indissolubilité absolue du mariage et la défense de convoler à de secondes noces, du vivant du premier conjoint, soit pour le mari, soit pour la femme. Voir l’article précédent, col. 489. Depuis lors cette doctrine n’a cessé d’être affirmée par le concile de Nantes (650), can. 2, Mansi, t. XVIII, col. 169 ; par le concile d’Hereford (673), can. 10, Mansi, t. XI, col. 30, qui fut présidé par saint Théodore ; par les conciles de Frioul (791), can. 10, Mansi, t. XIII, col. 849 ; de Paris (829), can. 2, Mansi, t. XIV, col. 596 ; de Worms (829), Mansi, t. XIV, col. 626 ; par le pape Jean VIII dans une lettre écrite en 878 à Ederede, archevêque des Anglais, Jaffé-Wattenbach, n. 3125 (2344), P. L., t. CXXVI, col. 745 ; Mansi, t. XVII, col. 55 ; par les conciles de Nantes (895), can. 12, Mansi, t. XVIII, col. 169 ; de Tribur (895), can. 46, Mansi, t. XVIII, col. 154. Il est à remarquer qu’aucun concile ni aucun pape ne formulent une doctrine contraire. Les conciles de Verberie et de Compiègne qui, en cas d’adultère incestueux, semblent permettre un second mariage à l’époux innocent, du vivant de son conjoint, ne s’occupent pas des adultères non incestueux.
2° Les auteurs. – Walafrid Strabon († 849), In Matth., XIX, 9, P. L., t. CXIV, col. 148, expose que si le mari se sépare de sa femme adultère, il n’en saurait épouser une autre, tant qu’elle est en vie. La même doctrine est enseignée par Hincmar († 882), De divortio Lotharii, P. L., t. CXXV, col. 642, 658 ; Yves de Chartres († 1116), Decret., part. VIII, c. XLIII, P. L., t. CLXI, col. 593 ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, l. II, a. 9, c. VIII, P. L., t. CLXXVI, col. 495. Inutile d’allonger cette liste, car nous ne connaissons aucun auteur de cette époque qui ait défendu le sentiment contraire en cas de simple adultère.
3° Concile attribué à saint Patrice. – A côté de tous ces témoignages concordant en faveur de l’indissolubilité du mariage souillé par l’adultère, il est cependant quelques textes qui semblent reconnaître au mari innocent le droit de se remarier, si sa femme commet ce crime. C’est d’abord le canon 26 du second concile attribué à saint Patrice et qui se serait tenu au Ve siècle. Ce sont ensuite d’anciens pénitentiels.
Le canon 26 du second concile attribué à saint Patrice porte : Audi Dominum dicentem… : non licit viro dimitere uxorem nisi ob causam fornicationis, ac si dicat ob hanc causam : unde si ducat alteram velut post mortem prioris, non vetant. Mansi, Concil. Collect., t. VI, col. 526. Mais on admet qu’une partie au moins des canons de ce synode sont d’une date plus récente. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. II, p. 998. Ce canon 26 est-il authentique ? Freisen, Geschichte des canonischen Eherechts, 2e édit., Paderborn, 1893, p. 776, le croit. Cependant de nombreuses raisons prouvent le contraire. Sans parler de plusieurs erreurs dans ce canon révélées par Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 329, il faut reconnaître que le texte n’a pas le forme d’un canon de concile. Comme d’ailleurs la doctrine qui y est formulée est en désaccord avec les décisions des papes et des conciles du Ve, du VIe et du VIIe siècle, il y a lieu de croire que ce canon n’a pas été rédigé avant le VIIIe siècle. Il faut au moins avouer que sa date est incertaine. Or avec cette incertitude, on ne saurait s’en servir pour faire l’histoire du dogme en cette matière.
4° Les pénitentiels. – Il n’en est pas de même d’un certain nombre de pénitentiels qui permettent un second mariage en cas d’adultère. Un ouvrage récent, que nous avons déjà cité plusieurs dois, Schmitz, Die Bussbücher und das canonische Bussverfahren, Die Bussbücher und die Bussdisciplin des Kirche, t. II, Dusseldorf, 1898 (le premier volume avait paru à Mayence en 1883), a fixé la date approximative de ces pénitentiels, en même temps qu’il en a donné une édition critique très soignée. Grâce à cet ouvrage, nous pouvons savoir quelle était la pratique prescrite par les pénitentiels dans les divers siècles et dans les divers pays, relativement à la question qui nous occupe. Or, voici le résultat de nos recherches à ce sujet :
Les pénitentiels, antérieurs au VIIIe siècle, affirment l’indissolubilité absolue du mariage sans faire aucune exception, Schmitz, t. II, p. 120, 135, soit qu’ils appartiennent au groupe romain, soit qu’ils appartiennent au groupe anglo-saxon. Il en est même, comme le pénitentiel anglo-saxon de Finnian, qui défendent expressément un second mariage avant la mort du coupable, soit à l’homme (n. 43), soit à la femme (n. 45), que leur conjoint a abandonné pour vivre dans l’adultère. Schmitz, ibid., t. I, p. 508. Parmi les pénitentiels du VIIIe siècle et des siècles suivants, nous ne trouvons plus la même uniformité.
Les pénitentiels romains sans mélange d’éléments étrangers et un grand nombre d’autres pénitentiels, comme ceux qui portent le nom de Bède, d’Egbert, de Colomban, de Comméan, restent fidèles à la doctrine de l’indissolubilité du mariage ; mais d’autres pénitentiels dérivé du pénitentiel de saint Théodore ou de ses sources, permettent expressément un second mariage au mari, du vivant de sa femme, lorsque celle-ci s’est rendue coupable d’adultère. Schmitz, ibid., t. II, p. 119 sq., 133 sq. Ce pénitentiel de saint Théodore n’est point l’œuvre de l’archevêque de Cantorbéry de ce nom, qui mourut à la fin du VIIe siècle. C’est un recueil fait dans la seconde moitié du VIIIe siècle et composé de deux livres qui lui ont été faussement attribués : le premier de ces livres est un pénitentiel proprement dit ; le second est plutôt un cours de droit. Ce cours de droit dérive lui-même d’un ouvrage un peu antérieur publié sous divers titres et en particulier sous ceux de Judicia Theodosi et de Canones sancti Gregorii papæ. Schmitz, t. II, p. 510-522.
Les Canones Gregorii ne permettent pas à la femme de se remarier, ni même de quitter son mari, si celui-ci commet l’adultère. Ils disent en effet (n. 67) : Mulieri non est licitum virum suum dimittere, licet fornicator, nisi forte pro monasterio. Basilius judicavit, Schmitz, t. II, p. 529, et cette décision est reproduite par le cours de droit ou second livre du pénitentiel de saint Théodore, part. XII, n. 6. Schmitz, t. II, p. 576 ; t. I, p. 545. Mais lorsque c’est au contraire la femme qui tombe dans l’adultère, les Canones Gregorii, n. 66, 82, Schmitz, t. II, p. 520, 531, et, à leur suite, le second livre du pénitentiel de saint Théodore, part. XII, n. 5, autorisent le mari à prendre une autre femme, après avoir renvoyé l’épouse adultère. Ils autorisent même cette femme adultère ainsi renvoyée à prendre après deux ans (d’autres textes portent après cinq ans) un autre mari, pourvu qu’elle ait fait pénitence de sa faute. Voici le texte du second livre du pénitentiel de saint Théodore, ou sont réunis en un seul article les deux articles des Canones Greogorii : Si cujus uxor fornicata fuerit, licet dimittere eam et aliam accipere (un manuscrit de Munich du IXe siècle des Canones Gregorii porte et aliam non accipere, et témoigne des répugnances qu’on éprouvait à transcrire pareille doctrine), hoc est, si vir dimiserit uxorem suam propter fornicationem, si prima fuerit, licitum est, ut aliam accipiat uxorem, illa vero si voluerit peccata sua pænitere post (quinque) duos annos alium virum accipiat. Schmitz, t. II, p. 576 ; t. I, p. 545.
Il n’y a pas trop lieu de s’étonner de cette latitude accordée même à la femme adultère. Les Canones Gregorii, n. 70, 72, 73, et le l. II du pénitentiel de saint Théodore, n. 8, 19, 20, 21, 22, 23, 24, autorisent l’homme à se remarier, si la femme l’a abandonné par mépris. Ils permettent également à l’homme et à la femme de contracter une nouvelle union, si leur conjoint tombe dans l’esclavage ou s’il a été enlevé par l’ennemi. Schmitz, t. II, p. 530, 576, 577. (Hugues de Saint-Victor, ou plutôt l’auteur de la Summa sententiarum, P. L., t. CLXXVI, col. 161, qu’il y avait, en ce cas, tolérance de l’Eglise, mais que le second mariage n’était point valide.) Les Canones Gregorii, n. 73, permettent même à un esclave (homme ou femme), marié par son maître avec un autre esclave, de contracter un second mariage avec une personne libre, s’il était mis en liberté et qu’il ne pût racheter son conjoint esclave. Schmitz, t. II, p. 530.
Le pénitentiel de saint Théodore n’avait aucune caractère officiel, non plus que les autres pénitentiels ; mais, comme il était très répandu, il exerça une grande influence sur la pratique. Ses décisions furent d’ailleurs reproduites par des pénitentiels postérieurs jusqu’au XIe siècle, Schmitz, ibid., t. II, p. 516, dans les pays francs et anglo-saxons où il était employé. Schmitz, ibid. Ces pénitentiels sont, par conséquent, des témoins de la pratique admise dans un grand nombre d’églises de ces contrées, du milieu du VIIIe siècle jusqu’au XIe, relativement à la dissolution du mariage en cas d’adultère. Cette pratique se prolongea-t-elle davantage ? Nous ne le croyons pas. Yves de Chartres († 1116), Decret., part. VIII, c. XLIII, P. L., t. CLXI, col. 593, enseigne expressément qu’un mari peut renvoyer sa femme adultère, mais qu’il ne saurait en épouser une autre du vivant de la première. Il ne laisse pas supposer que personne suive encore une coutume contraire. Gratien († 1204), à son tour, ne se contente pas d’affirmer l’indissolubilité absolue du mariage, il nous donne encore à entendre que, de son temps, personne n’admettait plus le droit de rompre le mariage pour cause de simple adultère. Ayant en effet à s’expliquer au sujet d’un texte de l’Ambrosiaster qui admet ce droit, il dit, caus. XXXII, q. VII, c. 18, que certains auteurs (qu’il combat du reste) interprètent ce texte comme accordant au mari la liberté de renvoyer sa femme et de se remarier de son vivant, si elle s’est rendue coupable non d’un adultère quelconque, mais d’un adultère incestueux. Nous avons cité plus haut ce passage de Gratien. Il semble prouver que personne n’admettait plus de son temps les décisions du pénitentiel de saint Théodore, relativement au droit de se remarier en cas d’adultère.
Conclusion. – Du Ve au XIIe siècle, la doctrine de l’indissolubilité du mariage, en cas d’adultère non incestueux, a été affirmée en Occident par les papes et les conciles, sans que nous possédions aucun acte authentique de l’autorité ecclésiastique qui se prononce pour la doctrine opposée. Les auteurs, dont les écrits nous sont parvenus, sont également unanimes dans le même sens.
La pratique de l’Eglise romaine, pendant toute cette période, celle de toutes les Eglises occidentales jusqu’au VIIIe siècle et de la plupart d’entre elles jusqu’au XIIe siècle, a été conforme à cette doctrine. Cependant, au même moment où les conciles de Verberie et de Compiègne permettaient, à ce qu’il semble, la rupture du lien conjugal en cas d’adultère incestueux et l’introduisaient en Germanie, c’est-à-dire au milieu du VIIIe siècle, le pénitentiel de saint Théodore et d’autres pénitentiels qui s’y rattachent autorisaient aussi cette rupture en cas de simple adultère. Ce relâchement, contraire aux lois ecclésiastiques et condamné par elles, se produisit dans une partie des Eglises franques et anglo-saxonnes, du VIIIe au XIe siècle. S’il subsistait encore au XIIe siècle, c’était à titre très exceptionnel, car Gratien donne à entendre que l’opinion qui tolérait ce relâchement n’était plus admise par aucun de ses contemporains.
IV. DU DECRET DE GRATIEN JUSQU’AU CONCILE DE TRENTE. – Cette période ne nous arrêtera point longtemps ; car depuis le XIIe siècle on ne cessa de suivre la doctrine enseignée par Gratien. Elle ne semble avoir donné lieu à aucune contestation jusqu’au XVIe siècle. Au XIIe siècle les auteurs l’admettent unanimement, non seulement en raison du caractère sacramentel du mariage, mais plus encore du droit naturel qui régit ce contrat. Ils discutent sur la rupture du lien matrimonial, mais leurs discussions sont relatives soit au droit reconnu par saint Paul à un païen qui se convertit de rompre son mariage avec son conjoint infidèle, si celui-ci doit être un obstacle à sa persévérance et à son salut, I Cor., VII, 12, 15, voir MARIAGE DES PAÏENS, soit à la possibilité, voir INDISSOLUBILITE du mariage, de rompre un mariage chrétien avant sa consommation. Freisen, Geschichte des canonischen Eherechts, Paderborn, 1893, § 69, p. 803 sq. Pierre Lombard étudie à part les deux questions des effets de l’adultère incestueux et de l’adultère simple sur le mariage. Il traite la première dans la dist. XXXIV du quatrième livre, la seconde dans la dist. XXXV. Il affirme pour les deux cas que le mariage reste indissoluble. Saint Thomas reprend cet enseignement dans son commentaire sur ces passages. Duns Scot ne s’y arrête plus, parce que sans doute il ne pense pas qu’il puisse offrir de difficulté ; il se contente de reproduire ce texte de Pierre Lombard. Aucun théologien du XIIe, du XIIIe, du XIVe ou du XVe siècle n’éprouve la moindre hésitation.
Il ne fut pas question du divorce en cas d’adultère dans les actes du concile de Lyon, ni dans ceux du concile de Florence, bien qu’on y travaillât à l’union avec les grecs. Ce n’est pas que les latins eussent à ce sujet le moindre doute. Mais comme la question n’avait jamais été l’objet d’une controverse entre les deux Eglises, ils ne voulurent pas ajouter de nouveaux sujets de division en la soulevant. Cependant en 1439, après que l’acte d’union des grecs avec les latins eut été signé, le pape Eugène IV interrogea sur ce point les évêques grecs. Mais comme plusieurs de ces évêques étaient déjà partis de Florence, ceux qui restaient répondirent d’une façon vague et évasive, en faisant observer qu’ils ne pouvaient se prononcer sur ce point au nom des autres évêques. Binius, Concilia generalia et provincialia, Cologne, 1618, t. IV a, p. 609 sq. Mais peu de temps après, la doctrine si longtemps admise en Occident fut solennellement promulguée par le même pape Eugène IV dans le décret aux Arméniens. On y lit en effet : Quamvis autem ex causa fornicationis liceat tori separationem facere, non tamen aliud matrimonium contrahere fas est, cum matrimonii vinculum legitime contracti perpetuum sit. Labbe, Concilia, Paris, 1672, t. XIII, col. 539. Ce décret sanctionnait la doctrine reçue et observée par tout l’Occident depuis très longtemps. Cependant un siècle plus tard cette doctrine fut contestée par les auteurs catholiques, qui écrivaient, du reste, il faut le remarquer, avant la définition du concile de Trente. Cajetan († 1554), dont l’exégèse est souvent trop hardie, s’étonne dans son commentaire sur saint Matthieu, c. XIX, et dans son commentaire sur la première Epître aux Corinthiens, c. VII, que le torrent des docteurs refuse au mari le droit de jamais contracter une seconde union, bien que le Christ ait fait une exception pour le cas d’adultère. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 208, 209. Faut-il attribuer l’écart de cet auteur à l’influence du protestantisme qui prétendait justifier par la sainte Ecriture le droit de se remarier, en cas de divorce pour cause d’adultère ? Nous ne savons. Mais, comme on le remarque à plusieurs reprises dans les congrégations qui préparèrent le décret du concile de Trente que nous allons étudier, l’opinion émise par Cajetan était contraire à la pratique et à la tradition arrêtées depuis de longs siècles. Voir en particulier les discours de Pierre Soto dans Le Plat, Monument ad historiam concilii Tridentini, Louvain, 1785, t. V, p. 687-689, et de Jean Ramirez, dans Theiner, Acta concilii Tridentini, Agram, 1874, t. II, p. 247. Nous lisons aussi dans les actes de ces congrégations que le pape n’avait jamais donné dispense ou dénoué le lien conjugal, en cas d’adultère. Theiner, ibid., p. 248. Ce qui supposait que la coutume de l’Eglise latine dépendait non d’une loi disciplinaire, mais d’une doctrine évangélique.
CONCLUSION GENERALE. – 1° Du Ve au XVIe siècle, les enseignements authentiques des papes et des conciles ou l’élément ecclésiastique dominait, ont affirmé unanimement l’indissolubilité absolue du mariage en cas d’adultère d’un des époux. – 2° A l’exception de quelques collecteurs de canons qui écrivaient en Allemagne du IXe au XIe siècle et de quelques auteurs du XVIe siècle, tous les docteurs dont les écrits sont parvenus jusqu’à nous ont enseigné la même doctrine. – 3° Malgré les lois civiles, la pratique réputée chrétienne a partout été conforme à ces enseignements jusqu’au VIIIe siècle dans l’Eglise latine. – 4° Du VIIIe au XIIe siècle cette pratique s’est continuée dans la plupart des Eglises de l’Occident, ainsi qu’en font foi les pénitentiels eux-mêmes. – 5° Cependant du VIIIe au XIIe siècle, et même jusqu’à une époque un peu postérieure, les mariages semblent avoir été rompus, et remplacés par de nouvelles unions, dans les Eglises germaniques, en cas d’adultère incestueux. On justifiait cet usage sur les capitulaires des diètes de Verberie et de Compiègne, reproduits par le Pænitentiale Ecclesiarum Germaniæ. – 6° Du VIIIe au XIe siècle, les Eglises franques et anglo-saxonnes qui se servaient du pénitentiel de saint Théodore ou d’autres qui y étaient apparentés, ont dû, conformément à ces pénitentiels, lorsque la femme se rendait coupable d’adultère, laisser rompre le mariage par son mari et tolérer en ce cas de nouvelles unions, non seulement de la part du mari innocent, mais encore de la part de la femme répudiée. – 7° Du XIIe au XVIe siècle on n’a plus toléré dans aucune Eglise latine de semblables pratiques. La coutume de ne jamais se remarier du vivant de son conjoint même adultère ou incestueux était rangée parmi celles dont le souverain pontife ne dispensait jamais.
Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 322-359 ; Freisen, Geschichte des canonischen Eherechts, 2e édit., Paderborn, 1893, p. 769-847 et passim ; Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891, t. II, p. 55-83 et passim ; Schmitz, Die Bussbücher und des canonische Bussverfahren ; Die Bussbücher und die Bussdisciplin der Kirche, t. II, Dusseldorf, 1898, p. 119-122, 132 sq., 517-518.
Le concile de Trente s’est occupé de l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère, dans le can. 7 de sa XXIVe session. On s’est appuyé sur les circonstances dans lesquelles ce canon avait été promulgué, pour soutenir qu’il exprime simplement la discipline de l’Eglise latine, qu’il n’a aucun caractère doctrinal et que les grecs n’ont pas à s’en préoccuper. C’est pourquoi nous exposerons l’histoire de ce canon d’après les actes authentiques du concile. Nous déterminerons ensuite quels en sont le sens et la portée. Nous montrerons enfin que les grecs sont tenus d’y conformer leur conduite.
I. HISTOIRE. – Le can. 7 de la sess. XXIV ne fut formulé d’une façon définitive qu’après de longues discussions. On demanda d’abord aux théologiens du concile d’apprécier la proposition suivante : " Après avoir répudié son épouse pour cause de fornication, il est permis de contracter un autre mariage du vivant de cette épouse ; et c’est une erreur d’admettre le divorce en dehors de cette cause. " Les théologiens du concile étaient répartis en quatre classes qui comptaient chacune une quinzaine de membres. L’examen de cette proposition fut confié à ceux de la quatrième classe. Leur étude commença le 17 février 1563 et porta principalement sur la première partie de la proposition. Massarello, Acta concilii Tridentini, Agram, , 1874, t. II, p. 232, 244. Le dominicain Pierre Soto opina le premier. Son sentiment fut que, si la question avait soulevé des doutes autrefois, elle s’était élucidée depuis lors et que la proposition méritait d’être tenue pour hérétique. Le Plat, Monumenta ad historiam concilii Tridentini, Louvain, 1785, t. V, p. 687-689. Ce fut aussi l’avis des autres théologiens. Ils s’appuyaient en particulier sur le décret du concile de Florence et sur ce fait que les papes n’avaient jamais donné dispense pour permettre à un mari de contracter un second mariage, en cas d’adultère de sa femme. Massarello, ibid., p. 244-250. En conséquence, le 20 juillet 1563, on soumit aux Pères du concile un canon ainsi conçu : " Anathème à qui dirait que le mariage peut être dissous pour à cause de l’adultère d’un des époux, et qu’il est permis aux deux époux, ou du moins à celui qui est innocent sans avoir donné aucune cause à l’adultère, de contracter un second mariage, et qu’il n’y a point de péché de fornication ni pour celui qui se remarie après avoir renvoyé son épouse adultère, ni pour celle qui se remarie après avoir renvoyé son époux adultère. " Du 24 juillet au 27 octobre, tous les Pères furent appelés à donner leur avis sur ce canon, à quatre reprises successives ; car il fut répondu quatre fois conformément à leurs observations.
Dès la première lecture une centaine de Pères formulèrent leur opinion. La moitié à peu près se prononcèrent en faveur du projet, à la suite du cardinal de Lorraine, archevêque de Reims. L’autre moitié se montra moins satisfaite. Quatorze évêques rejetèrent absolument le canon, parce qu’ils y voyaient une condamnation des anciens Pères et surtout de l’Eglise grecque. A leur tête était le Vénitien Pierre Laudi, archevêque de Crête, connu pour ses recherches sur les pays orientaux. Dix-huit demandèrent, pour les mêmes raisons, qu’on se contentât de porter un décret sans anathème. Parmi eux se trouvait le futur Urbain VII, Jean-Baptiste Castagni, archevêque de Rossano. Martin Perez de Ayala, évêque de Ségovie, approuva la doctrine du canon ; mais la forme lui déplaisait parce qu’à son avis elle frappait d’anathème la doctrine de plusieurs Pères de l’Eglise ; il proposa donc de formuler le canon de cette manière : " Anathème à qui dirait que l’Eglise s’est trompée en disant que le lien du mariage n’est pas dissous par la fornication. " Huit des évêques qui parlèrent après lui se rallièrent à cette proposition qui traçait le chemin dans lequel on allait bientôt entrer. Massarello, p. 314-334. Mais elle n’attira pas l’attention de ceux qui étaient chargés de remanier les canons, car les actes du concile, rédigés par Massarello, ne le relèvent point dans le résumé des vœux formulés alors. Ils relèvent par contre une proposition analogue du dominicain Gilles Foscarari, évêque de Modène, qui avait obtenu aussi l’assentiment exprès de neuf Pères. Il demandait qu’on portât anathème contre ceux qui refusent à l’Eglise le droit de défendre un second mariage, en cas d’adultère. Ibid., p. 334. La diversité des vœux des évêques qui avaient désapprouvé l’anathème direct porté contre la doctrine des grecs et de quelques anciens Pères, empêcha sans doute de remarquer que la majorité ne s’était pas prononcée pour le canon.
Comme le vœu qui avait réuni le plus d’adhésions en demandait le maintien, ce canon fut proposé à nouveau pour la seconde lecture. Il n’avait subi qu’une retouche de style et avait passé du sixième rang au septième, dans la liste générale des canons sur le mariage.
Mais dès le début de cette seconde lecture, les députés de la république de Venise firent observer que le canon ainsi maintenu serait un sujet de scandale dans les possessions vénitiennes de l’archipel et qu’il pourrait y détacher du Saint-siège les grecs unis, attendu qu’ils conservaient leur antique usage de se remarier en cas d’adultère de leurs épouses. Les députés supplièrent donc le concile de ne point anathématiser cet usage. La formule proposée en première lecture par l’évêque de Ségovie les avait sans doute frappés. Ils proposèrent aux Pères d’accepter une formule analogue en condamnant ceux qui accusent l’Eglise d’erreur, dans l’enseignement qu’exprimait la première rédaction du canon. Deux Pères seulement la rejetèrent et se prononcèrent pour le maintien de l’ancien canon. Tous les autres demandèrent qu’on accueillit la pétition des ambassadeurs vénitiens. Soixante-neuf Pères se bornèrent à exprimer ce désir. Trente voulaient en outre, avec le cardinal de Lorraine, qu’on affirmât que la doctrine enseignée par l’Eglise est conforme aux Ecritures. Six combattaient au contraire cette addition. Massarello, ibid., p. 338-369.
On remania donc le canon une seconde fois conformément au vœu des ambassadeurs vénitiens, en y introduisant toutefois les mots juxta evangelicam et apostolicam doctrinam. Il fut adopté presque unanimement en troisième lecture. Une dizaine de voix discordantes seulement se firent entendre, les unes pour réclamer qu’on revînt à la condamnation directe primitivement admise, les autres pour réclamer au contraire qu’on fît disparaître l’anathème et qu’on ne dît rien qui fût contraire à la pratique de l’Eglise grecque et aux enseignements de plusieurs saints Pères. Ibid., p. 386-396. Bien que moins nombreuses les mêmes protestations se firent toutefois de nouveau entendre en quatrième lecture et jusqu’à la session solennelle du 11 novembre 1563, où le canon fut définitivement accepté, après avoir reçu à chaque examen des retouches de style. Ibid., p. 427-429, 436-437. Voici en quels termes il fut promulgué :
Anathème à qui dirait que
l’Eglise se trompe lorsqu’elle a enseigné et enseigne suivant la
doctrine évangélique et apostolique que le lien du mariage
ne peut être dissous à cause de l’adultère d’un des
conjoints ; et que l’un et l’autre conjoint, même celui qui est innocent
et n’a point fourni de cause à l’adultère, ne peuvent, du
vivant l’un de l’autre, contracter un autre mariage : et qu’il y a fornication
de la part du mari qui prend une autre épouse, après le renvoi
de sa femme adultère, et de la part de la femme qui s’unit à
un autre mari, après le renvoi de son époux adultère.
2° Le canon est-il disciplinaire ou doctrinal ? – Le canon serait un décret disciplinaire s’il exprimait une loi ecclésiastique qui peut être modifiée par les chefs de l’Eglise, suivant les circonstances de lieu et de temps. C’est un décret doctrinal s’il formule un enseignement sur lequel l’Eglise ne saurait plus revenir. Quelques auteurs entachés de gallicanisme ou de joséphisme l’ont regardé comme purement disciplinaire. Perrone en cite une vingtaine. De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 380 sq. Indiquons seulement le P. Le Courayer, dans sa traduction de l’histoire du concile de Trente de Sarpi, Amsterdam, 1750, t. III, p. 92, et Launoy, Regia in matrimonium potestas, part. III, a. 2, c. V, Opera, 1731, t. I b, p. 857 ; cf. ibid., p. 1031. Le Courayer tire cette conclusion de ce que le canon tolérerait la discipline des grecs ; Launoy de ce que le concile de Trente ne pouvait définir un enseignement qui, selon lui, serait contraire à l’ancienne doctrine de l’Eglise. Mais, à de rares exceptions près, tous les théologiens considèrent ce canon comme doctrinal. Il est clair en effet qu’il ne formule pas une simple prescription disciplinaire, puisqu’il frappe d’anathème tous ceux qui accuseraient l’Eglise d’erreur, et cela non point dans les décrets qu’elle porte, mais dans les enseignements qu’elle donne suivant la doctrine de l’Evangile et des apôtres. Les discussions auxquelles la rédaction du canon a donné lieu au sein du concile prouvent d’ailleurs que tous les Pères le regardaient comme doctrinal. S’il s’était agi uniquement de faire connaître la discipline pratiquée dans l’Eglise latine, on se fût contenté de faire un simple décret, comme quelques-uns le demandaient ; mais la majorité des Pères fut d’un autre avis. Elle voulut qu’on fît un canon, avec anathème, ce qui suppose non seulement un enseignement doctrinal, mais encore un enseignement de foi catholique. Le Courayer prétend qu’on n’a fait qu’un décret disciplinaire, parce qu’on a montré de la tolérance pour les grecs. Nous dirons tout à l’heure quelle tolérance on a montré pour eux et l’on verra que cette tolérance n’allait pas jusqu’à approuver leur pratique conforme à la doctrine évangélique. Launoy objecte, de son côté, que le concile n’a pu formuler un enseignement doctrinal qui serait contraire aux enseignements antérieurs de l’Eglise. Mais il résulte des articles qui précèdent que la doctrine exprimée dans le canon du concile de Trente n’est opposée à aucun enseignement antérieur de l’Eglise. C’est au contraire la doctrine qui a été prédominante au temps des Pères dans l’Eglise universelle. Elle a été constamment enseignée par l’Eglise romaine, aussi bien que par tous les conciles vraiment ecclésiastiques de l’Occident. Après avoir subi quelques atteintes dans la pratique de quelques pays du VIIIe au XIIe siècle, elle était devenue, depuis lors, la coutume incontestée de toutes les Eglises latines. Le concile de Trente l’a simplement formulée d’une façon plus solennelle qu’elle ne l’avait été jusque-là, en particulier au concile de Florence.
Un auteur contemporain, Esmein, Le mariage en droit canon, Paris, 1891, t. II, p. 295-305, a cru trouver une sorte de contradiction entre les éléments du canon. A son avis, l’introduction de cette clause juxta evangelicam et apostolicam doctrinam rendit le texte obscur. C’est cette clause, pense-t-il, qui fit entrer un élément doctrinal dans le canon, qui jusque-là était purement disciplinaire. Suivant lui, en effet, l’opinion qui considère le canon comme la simple confirmation d’un point de discipline " a pour elle l’histoire générale de la rédaction du canon 7, dans laquelle on voit que l’intervention des Vénitiens fut décisive ". La thèse des théologiens orthodoxes qui fait de ce canon la déclaration d’un dogme " a pour elle le renvoi aux Ecritures que fit insérer dans le texte le cardinal de Lorraine ". Ibid., p. 305 ; cf. p. 302, 303. Il est difficile de partager ces vues. Nous croyons que, si l’intervention des Vénitiens fut si décisive, c’est parce qu’elle répondait, comme nous l’avons dit, aux vœux précédemment exprimés par un grand nombre de Pères. C’est un point qui nous est révélé par les Acta concilii et que les anciens historiens du concile n’avaient pas assez remarqué. Mais quoi qu’il en soit le remaniement obtenu par les Vénitiens ne donne pas au canon un caractère disciplinaire, au lieu du caractère dogmatique qu’il avait auparavant. Il eut simplement pour but et pour effet de ne point faire tomber sur les grecs l’anathème du concile et par conséquent de ne point les ranger parmi les hérétiques. Mais le caractère dogmatique du canon résulte à la fois et de cet anathème qui fut maintenu et de la définition de l’infaillibilité de l’enseignement de l’Eglise, qui est l’objet du canon, si quis dixerit Ecclesiam errare, et de l’affirmation de cet enseignement qui y est longuement exprimé, cum docuit et docet, etc. L’addition incidente des mots juxta evangelicam et apostolicam doctrinam ajoutait peu de choses à toutes ces déclarations et n’en changeait pas le sens ; elle ne faisait que dire plus explicitement ce qui y était déjà contenu implicitement et clairement ; car tout le monde savait que l’Eglise donnait son enseignement comme conforme à l’Evangile, et on aurait été en droit de l’accuser d’erreur s’il avait été contraire à la doctrine de Jésus-Christ et des apôtres.
Concluons donc que le canon du concile de Trente a un caractère doctrinal et non un caractère disciplinaire.
2° Quelle est la doctrine exprimée par le canon ? – Il suffit d’une lecture attentive pour se rendre compte que le canon exprime deux points de doctrine, l’un directement, l’autre indirectement.
1. Il déclare directement que l’Eglise ne se trompe pas dans son enseignement sur l’indissolubilité du mariage, en cas d’adultère : Ecclesiam (non) errare cum docuit et docet, et pour préciser le sens de cette déclaration, il affirme incidemment la nature et l’objet de cet enseignement de l’Eglise : – sa nature, c’est un enseignement proprement dit, donné par conséquent comme certain, docet ; il est présenté comme conforme à l’Evangile, juxta evangelicam et apostolicam doctrinam ; il ne date pas de la définition du concile, il était déjà donné auparavant, docuit et docet ; – son objet : l’Eglise enseigne : a. Que le lien du mariage ne peut être dissous à cause de l’adultère d’un des conjoints ; b. Que les conjoints ne peuvent, du vivant l’un de l’autre, contracter un second mariage ; c. Qu’il y a fornication de la part du conjoint innocent à contracter une autre union, du vivant de son conjoint coupable. Le concile est entré incidemment dans tous ces détails sur l’enseignement de l’Eglise pour déterminer en quoi on ne saurait accuser l’Eglise d’erreur, sous peine d’hérésie et sans tomber sous l’anathème. La doctrine exprimée directement par le canon est donc celle de l’inerrance de l’Eglise dans tout cet enseignement. Cette doctrine appartient certainement à la foi divine. Elle pouvait être l’objet d’une définition ; car la sainte Ecriture et la tradition affirment l’infaillibilité de l’Eglise dans son enseignement religieux.
2. Dans la déclaration directe du concile est contenue une autre affirmation indirecte ; c’est que l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère est une doctrine vraie et conforme à l’Evangile.
A notre avis, si le concile s’était contenté de condamner ceux qui accusent cette doctrine d’erreur, s’il avait dit par exemple : si quis dixerit errare eos qui docent propter adulterium alterius conjugum matrimonii vinculum non posse dissolvi, on pourrait contester qu’il affirme indirectement la vérité de l’indissolubilité du mariage. Supposons en effet que cette indissolubilité soit simplement probable, on n’aurait pas le droit de d’accuser d’erreur ceux qui la défendent, et l’Eglise pourrait défendre de porter contre eux cette accusation. C’est ainsi qu’elle interdit d’infliger la note théologique d’erreur, à des théories libres et simplement probables, comme le thomisme et le molinisme, sans nous garantir pour cela la vérité de l’une ou l’autre de ces théories. Si le concile de Trente s’était borné à frapper ceux qui taxeraient d’erreur la doctrine de l’indissolubilité du mariage, en cas d’adultère, on aurait donc pu simplement en conclure que cette doctrine ne mérite pas d’être qualifiée d’erreur, qu’elle est par conséquent au moins probable : on aurait pu présumer que cette doctrine est vraie, cependant on n’aurait pas eu le droit de la présenter comme certaine, en raison de la décision du concile.
Mais, nous venons de le remarquer, le concile n’a pas déclaré qu’on ne saurait taxer d’erreur la doctrine de l’indissolubilité du mariage. Ce qu’il a déclaré, c’est qu’on ne saurait taxer d’erreur sur ce point l’enseignement de l’Eglise dont il détermine la nature et l’objet. Or cette détermination nous montre que, dans la pensée du concile, l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère est certaine. Le lecteur s’en souvient, le canon affirme en effet que l’Eglise enseigne ce point non comme une opinion probable, mais comme une doctrine certaine et conforme à l’Evangile. Or cela posé, la portée de l’anathème promulgué contre ceux qui taxeront cet enseignement d’erreur est tout autre que nous ne disions tout à l’heure. Nous disions qu’en interdisant d’appliquer la qualification d’erreur, à la doctrine de l’indissolubilité du mariage, le concile n’aurait pas affirmé pour cela que cette doctrine est vraie. Mais du moment qu’il défend d’accuser d’erreur ceux qui présentent cet enseignement comme certain, il faut que cet enseignement soit vrai et certain. En effet si cet enseignement n’était pas vrai, s’il était simplement probable, l’Eglise qui le présenterait comme certain tomberait dans l’erreur. Pour qu’on ne puisse accuser son enseignement d’erreur, il faut donc que l’indissolubilité du mariage soit certaine. Par conséquent en anathématisant quiconque dirait que l’Eglise se trompe dans son enseignement au sujet de l’indissolubilité du mariage, le concile de Trente a indirectement affirmé que la doctrine enseignée par l’Eglise est certaine.
Cette déclaration indirecte résulte d’ailleurs également de cette seule affirmation incidente que l’Eglise a enseigné et enseigne cette doctrine conformément à l’Evangile. C’est en effet un principe incontestable que l’Eglise ne pourrait enseigner l’erreur en matière religieuse. Du moment que le concile déclare que l’Eglise a enseigné et enseigne l’indissolubilité du mariage, en cas d’adultère, conformément à l’Evangile, il faut par conséquent que cette doctrine soit vraie.
Ainsi le canon du concile déclare directement que l’Eglise ne se trompe point dans son enseignement et il affirme indirectement que cet enseignement est vrai.
3° Quelle est la doctrine déclarée hérétique par le canon ? – C’est sans aucun doute la doctrine contre laquelle porte directement l’anathème du concile, et celle-là seulement. Dans les canons doctrinaux du concile de Trente, l’anathème est en effet employé pour désigner et frapper les propositions hérétiques. La proposition frappée directement par l’anathème est donc hérétique et sa contradictoire est de foi catholique ; mais on ne saurait regarder comme de foi catholique les propositions incidentes que les Pères du concile ont fait entrer dans le canon, non plus que les affirmations indirectes qui en résultent.
L’application de ces principes nous mène aux conclusions suivantes : 1. Il est hérétique de dire que l’Eglise se trompe en enseignant l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère. C’est en effet la proposition que frappe l’anathème porté par le canon. Il est donc de foi catholique que l’Eglise ne se trompe pas dans cet enseignement. 2. Il n’est pas de foi catholique que l’Eglise enseigne l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère conformément à la doctrine évangélique. Cela est assurément exprimé dans le canon ; mais cette affirmation est simplement incidente ; elle n’est donc pas définie par le concile. 3. Il n’est pas de foi catholique que le mariage est indissoluble, en cas d’adultère. Cette indissolubilité est la conséquence logique du canon, nous l’avons vu tout à l’heure. Mais du moment que l’affirmation de cette indissolubilité est faite d’une manière indirecte, elle n’entre pas dans l’objet de la définition. C’est même pour ne pas définir l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère que le concile a remanié le premier projet qui lui a été présenté.
Il résulte de là que l’Eglise grecque prise en corps n’est pas hérétique, en raison du canon 7 de la XXIVe session du concile de Trente. Jamais en effet l’Eglise grecque n’a reproché à l’Eglise latine de se tromper dans sa doctrine sur l’indissolubilité du mariage.
Elle s’est bornée à pratiquer la rupture du mariage en cas d’adultère, sans même ériger en dogme indiscutable la doctrine sur laquelle s’appuie cette pratique. Mais alors même qu’elle érigerait cette doctrine en dogme obligatoire, elle ne serait pas encore formellement hérétique, puisque la doctrine de l’indissolubilité du mariage n’est pas de foi catholique. Ainsi tout en faisant des déclarations contraires à la pratique de l’Eglise grecque et à la doctrine supposée par cette pratique, le concile de Trente n’a pas condamné cette Eglise comme hérétique. Il a donc réussi à affirmer la doctrine de l’Eglise latine, sans infliger à l’Eglise grecque la note d’hérésie avec toutes les conséquences canoniques qu’elle entraîne.
Son anathème atteint seulement les individus qui, dans l’Eglise grecque ou ailleurs, qualifieraient d’erreur l’enseignement de l’Eglise catholique. Il atteignait les protestants qui, à cette époque de luttes violentes, reprochaient à l’Eglise catholique de s’être trompée grossièrement dans ses enseignements, en particulier au sujet du mariage et de son indissolubilité en cas d’adultère. Il n’y a donc que ceux qui prennent ainsi l’Eglise à partie qui tombent dans l’hérésie au for externe.
Cependant il n’est pas besoin d’aller aussi loin pour tomber dans l’hérésie au for externe. Pour cela il suffit seulement de combattre une doctrine qui, sans être de foi catholique, est cependant très certainement de foi divine. Or la doctrine de l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère ne doit-elle pas être rangée au nombre des vérités de foi divine, en vertu de l’affirmation indirecte contenue dans le canon de Trente ? On peut le penser. Il résulte en effet de ce canon que cette doctrine est enseignée par l’Eglise conformément à l’Evangile. Cependant les formules employées par le concile ne semblent pas assez nettes, pour qu’on puisse dire qu’il a rangé lui-même cette doctrine parmi les vérités de foi divine.
III. APPLICATION AUX GRECS UNIS. – Les actes du concile de Trente témoignent qu’au moment où il promulgua le canon relatif à l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère, les grecs unis soumis à la république de Venise avaient, comme les grecs non unis, la coutume non seulement de divorcer en cas d’adultère de l’un des époux, mais encore de contracter de son vivant un nouveau mariage. Si le canon du concile de Trente avait été purement disciplinaire, il n’aurait porté aucune atteinte à cette coutume, puisqu’il aurait simplement exprimé quelle était la pratique des latins, sans rien dire au sujet de la pratique des grecs. Mais si ce canon a un caractère doctrinal, s’il affirme, comme nous l’avons montré, la certitude de la doctrine de l’indissolubilité du mariage, même dans l’hypothèse de l’adultère, la coutume des grecs est par le fait même désapprouvée. Il résulte en effet de cette déclaration doctrinale du concile que la coutume des grecs est en opposition non seulement avec la pratique des latins, mais encore avec la doctrine de l’Eglise et de l’Evangile. Or, du moment qu’elle est certainement contraire à l’Evangile, que ce soit directement ou indirectement, c’est une coutume qui doit être abandonnée.
Nous aurons donc un nouveau criterium pour juger du sens et de la portée du canon du concile de Trente, dans la conduite tenue par l’Eglise romaine vis-à-vis des grecs depuis la promulgation de ce canon. S’il est doctrinal, elle a dû les désapprouver. Si le canon est purement disciplinaire, elle a pu admettre la légitimité de leur usage. Voyons donc comment elle s’est comportée vis-à-vis d’eux. Elle n’a eu depuis lors aucun rapport avec les grecs non unis qui l’obligeât à manifester ses sentiments. Mais elle n’a cessé d’en avoir avec les grecs qui étaient déjà unis ou qui demandaient de se réunir à elle. Or, au XVIe siècle, les grecs unis avaient, aussi bien que les grecs schismatiques, l’habitude de dissoudre leur mariage en cas d’adultère. L’Eglise romaine leur a-t-elle laissé observer cet usage, ou bien leur en a-t-elle imposé l’abandon ?
Les actes authentiques du Saint-Siège et de ses représentants nous montrent que, loin de le tolérer, ils l’ont interdit et travaillé à l’extirper. Dans la profession de foi imposée aux grecs par Grégoire XIII en 1576, il n’est pas fait mention, il est vrai, de l’indissolubilité du mariage. On y demande seulement une adhésion à toutes les affirmations, définitions et déclarations des conciles, en particulier celui de Trente, § 6, 18. Chérubini, Bullarium Romanum, Luxembourg, 1742, t. II, p. 429, 430. Mais vingt ans après, dans une instruction du 31 août 1595 sur les rites des grecs, Clément VIII ordonne aux évêques de ne permettre la rupture d’aucun mariage : Matrimonia inter conjuges græcos dirimi, seu divortia quoad vinculum fieri nullo modo permittant, aut patia tentur, et si qua de facto processerunt, nulla et irrita declarent, § 5. Ibid., t. III, p. 53.
Une trentaine d’années plus tard, Urbain VIII promulgua pour les Orientaux une profession de foi qui a été en usage jusqu’à nos jours. A la différence de la profession de Grégoire XIII, celle d’Urbain VIII est aussi explicite que possible sur le point qui nous occupe : Item (profiteor) sacramenti matrimonii vinculum indissolubile esse, et quamvis propter adulterium, hæresim aut alias causas possit inter conjuges thori et cohabitationis separatio fieri, non tamen illis aliud matrimonium contrahere fas esse. Juris pontificii de propaganda fide, part. I, in-4°, Rome, 1888, t. I, p. 227. Cette profession est reproduite par Benoît XIV, dans sa constitution LXXVIII Nuper ad nos du 14 mars 1743. Benedicti XIV bullarium, 4e édit., Venise, 1778, t. I, p. 116.
Le même pape reproduit encore textuellement le passage cité plus haut de l’instruction de Clément VIII, dans sa constitution LVII Etsi pastoralis sur les dogmes et les rites italo-grecs, § 8, n. 2, ibid., p. 80.
La S. C. du Concile, chargée par les souverains pontifes de l’interprétation du concile de Trente, s’est aussi prononcée sur la question. Interrogée au sujet d’un grec catholique qui s’était séparé de sa femme parce qu’elle était coupable de trois adultères évidents et avoués, et qui voulait contracter un nouveau mariage, la S. C. a répondu, le 15 janvier 1724, qu’il ne pouvait se remarier. Muhlbauer, Thesaurus resolutionum S. C. Concilii, Munich, l. XIII, c. XXII, n. 4. Le Saint-Siège a donc manifesté très nettement sa pensée sur le sens du canon du concile de Trente.
Il faut reconnaître toutefois que certains grecs unis ont parfois gardé leur usage de se remarier du vivant d’un premier conjoint adultère. Ainsi les Valaques et les Ruthènes de Transylvanie, réunis à l’Eglise romaine en 1699, gardèrent cet usage pendant un siècle parce qu’ils prétendaient y avoir été autorisés par les souverains pontifes. Ils appuyaient cette prétention sur ce fait que leur usage n’avait pas été réprouvé expressément dans leur acte d’union avec l’Eglise romaine. Ils ne voulaient pas remarquer qu’on leur avait imposé dans cet acte l’adhésion à tous les décrets du concile de Trente. Or dans la pensée du Saint-Siège, cette adhésion comprenait l’abandon de l’usage de se remarier, en cas d’adultère de leur conjoint. Aussi les évêques de Fogarasse travaillèrent-ils à l’extirper, et ils en étaient venus à bout au commencement du XIXe siècle. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 570-572.
Massarello, édité par Theiner, Acta concilii Tridentini, Agram, 1874, t. II, p. 232-466 ; Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. III, p. 359-389.
I. GRECS. – Quoique les chrétiens des premiers siècles aient réprouvé la liberté du divorce dont les juifs et les païens abusaient, Justin, Dial. cum Tryph., 141 ; Apolog., I, 15, P. G., t. VI, col. 779, 350 ; et que les canons des apôtres aient prohibé sans distinction un nouveau mariage de l’un ou l’autre des deux époux après la séparation. Can. Apost., 48, Pitra, Juris ecclesiastici Græcorum historia et monumenta, Rome, 1864, t. I, p. 24 ; que la sanction contre l’adultère n’ait été que la pénitence canonique, Concil. Ancyr., can. 20, ibid., p. 447, et note 10, p 450 ; on doit reconnaître que les facultés données par la loi mosaïque et la pratique suivie dans l’empire romain influèrent sur la législation matrimoniale de l’Eglise grecque. Constantin avait permis le divorce par une loi, Cod. Theod., l. III, tit. XVI, leg. 1 (331), autorisant un second mariage pour le mari aussitôt après la séparation, et, pour la femme divorcée, au bout de cinq ans. La loi d’Honorius maintint cette anomalie. Ibid., leg. 2 (421). Théodose le Jeune imposa le célibat aux deux époux au cas où le divorce aurait été effectué sans de justes motifs, l. VIII, § 4 ; puis Justinien réduisit les cas de divorce. Novell., 117, c. IX ; 134, c. XII. Le motif de l’adultère subsiste dans les lois de Justinien, mais les conditions du mari et de la femme y sont rendues plus égales. Voir Nomocanon, tit. XIII, c. IV, Pitra, Juris ecclesiastici Græcorum historia et monumenta, Rome, 1868, t. II, p. 613-615. Néanmoins la loi et l’usage faisaient au mari coupable une situation meilleure qu’à la femme infidèle. Non seulement la faute de celle-ci était tenue pour plus grave et plus odieuse, mais l’infidélité du premier n’était pas considérée comme un adultère proprement dit, ni dans les lois romaines, ni dans les édits de Constantin. Plusieurs des Pères anciens ont condamné ce principe. Voir Astère d’Amasée, Hom., XIX, P. G., t. col. 237-240 ; Lactance, Divinarum institutionum, l. VI, c. XXIII, P. L., t. VI, col. 719 ; Chrysostome, Hom., V, in I Thess., IV, P. G., t. t. LXII, col. 425 ; mais la législation ecclésiastique des grecs ne se dégagea pas entièrement des principes du code civil, suivant en cela une pratique contraire à celle de l’Eglise d’occident. Leur principal argument repose sur le texte de l’Evangile, Matth., V, 32, où ils trouvent, en plus de la répudiation, la liberté donnée à l’époux trompé de contracter un nouveau mariage, l’adultère étant, comme la mort, la rupture du lien conjugal : ????? ?????? ???? ??? ??????? ???????????. Ast?re d’Amasée, Hom. cit., p. 228. Nous avons vu, III. ADULTERE (L’) et le lien du mariage d’après les Pères de l’Eglise, que cette dissolution du mariage était entendue par les anciens auteurs comme ne donnant point droit à contracter la seconde union autorisée par les lois civiles.
La coutume établie au temps de saint Basile était qu’une femme qui abandonnait son mari était tenue pour adultère si elle vivait avec un autre homme, alors que le mari, abandonné, n’encourait pas cette note, s’il prenait une autre femme. La même inégalité s’attachait à l’infidélité des deux conjoints : aucun canon ne condamnait comme adultère le mari coupable, et il avait le droit de revenir à la maison de sa femme ; tandis que la femme souillée du même crime était punie comme adultère et devait être répudiée, d’après le texte des Proverbes, XVIII, 2. Il est peu aisé de rendre raison de ces déterminations, dit saint Basile, mais la coutume a prévalu de la sorte. Can. 9 et 21. Pitra, t. I, p. 582, 583, 589. Ailleurs il émet l’opinion que la femme répudiée doit demeurer dans le célibat, can. 48, p. 594, et, dans le livre des Morales, il interdit franchement les secondes noces aux époux divorcés. Regula LXXIII, P. G., t. XXXI, col. 352.
Nous avons cité plus haut, III. ADULTERE (L’) et le lien du mariage d’après les Pères de l’Eglise, col. 481, les canons du concile d’Arles (314) et du second concile de Milève (416) relatifs à ce sujet. Le canon de Milève, reproduit par plusieurs conciles d’Afrique, enjoignait, d’après l’apôtre, I Cor., VII, 11, aux époux séparés la réconciliation ou le célibat, et demandait à la loi impériale de sanctionner cette disposition. Cod. canonum Ecclesiæ africanæ, can. 102. Cf. Conc. African, can. 69 , et Milevitan. II, c. XVII, Coleti, Concil., Venise, 1728, t. II, col. 1333 ; t. III, col. 521, 384. Ces canons, qui existent en grec et en latin, faisaient autorité parmi les grecs, et le patriarche Matthieu invoque expressément celui que nous venons de citer. Matthæi monachi quæstiones et causæ matrimoniales, P. G., t. CXIX, col. 1293. Pourtant l’usage se maintint, et devint une obligation, de renvoyer l’épouse coupable. On suivait à la lettre le précepte de l’Evangile, interprété dans le sens d’une rupture du lien conjugal. L’époux innocent pouvait se remarier, en acceptant la pénitence des bigames ; l’époux coupable gardait le célibat. Nicéphore (815), can. 173 ; Pitra, op. cit., t. II, p. 343. La loi civile avait même décrété des pénalités contre l’époux qui ne répudiait pas sa femme convaincue d’adultère et l’on renfermait celle-ci dans un couvent. Justinien permit ensuite au mari de la prendre. Nomocanon, tit. I, c. 32, dans Pitra, ibid., p. 479.
Justinien permit aussi à la femme de divorcer d’avec son mari et de se remarier, si, sans tenir compte de ses observations, ou de celles d’une autre personne, son mari continuait à vivre en concubinage habituel avec une autre femme dans la même ville ou la même maison. Cette loi fut aussi adoptée par l’Eglise grecque, comme on peut le voir par le commentaire de Zonaras († vers 1230) sur le canon 9 de saint Basile, P. G., t. CXXXVIII, col. 623, et le Nomocanon, tit. XIII, c. 4. Pitra, op. cit., t. II, p. 614. Il y a donc entre l’homme et la femme mariés cette différence que l’homme peut divorcer pour un seul acte d’adultère bien établi de sa femme, ou même pour des actes qui la rendent suspecte d’adultère, tandis que la femme ne saurait divorcer pour un concubinage habituel et opiniâtre du mari. Vering, Lehrbuch des kathol. orient. und protestant. Kirchenrechts, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, § 262, p. 927.
Ces dernières prescriptions du code byzantin constituent la législation actuelle des Grecs et des Russes. Pour ceux-ci, la jurisprudence ecclésiastique tient lieu de législation civile, mais le code civil altère la loi canonique, laquelle accepte parfois l’expédient de l’adultère fictif pour servir les combinaisons intéressées d’époux mal assortis. Voir A. Leroy-Beaulieu, L’empire des tsars et des Russes, Paris, 1889, t. III, p. 152, 217. Relativement à la clause interdisant à perpétuité le mariage aux époux coupables, plusieurs canonistes la rejettent comme non approuvée par les conciles. " On incline, en Russie, à se départir d’une sévérité jugée généralement excessive. Cela n’est plus guère qu’une affaire de temps. Il y a déjà des exemples d’autorisation de remariage pour l’époux déclaré coupable. Si les procès [en divorce] deviennent un peu moins scandaleux, il est douteux que le lien conjugal en soit fortifié. " Ibid., p. 153.
II. SYRIENS ET NESTORIENS. – Chez les syriens et les nestoriens, bien que la séparation et le divorce soient permis dans le cas d’adultère corporel et d’adultère spirituel (sorcellerie ou apostasie) prouvé par le fait ou par témoins, les anciens textes canoniques ne mentionnent pas la possibilité d’un second mariage du vivant du premier époux. On trouve pourtant cette permission donnée suivant certaines conditions. Voir pour les syriens Bar-Hébræus, Nomocanon, VIII, 5 ; Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. X, p. 77. Pour les nestoriens, on accorde le second mariage après un temps d’épreuve, et si les époux qui se séparent n’ont pas d’enfants. Abdiésu, Epitome canonum, II, 18 ; Mai, t. X a, p. 49. Pourtant cet auteur demeure plus fidèle à la sainte conception du mariage lorsqu’il range la femme répudiée parmi les personnes avec lesquelles un homme ne peut canoniquement s’unir. Ibid., t. II a, p. 41, n. 63, et b, n. 64, p. 43. Le patriarche Josué Bar-Nun, au IXe siècle, semble avoir été le premier, parmi les nestoriens, à suivre la pratique postérieure du droit byzantin. En face des progrès de l’invasion musulmane, ces relâchements de l’ancienne discipline ecclésiastique fournissent du moins aux chrétiens orientaux des moyens de soustraire les filles de leur nation au mariage avec les infidèles. Cf. Sollier, De coptis jacobitis, Acta sanctorum, juin, t. VII, p. 115*.
III. ARMENIENS. – Dans l’Eglise arménienne, la violation de la loi conjugale donne au mari le droit de répudier sa femme, mais il ne peut se marier de nouveau qu’à un an d’intervalle, d’après le vingt-troisième des canons attribués à saint Grégoire l’Illuminateur. Mai, op. cit., p. 270. Cette disposition, analogue à celle de la loi civile de Byzance, avait pour but de remédier au danger de recourir à l’expédient criminel pour obtenir par là une séparation désirée. Quand le terme fixé pour le second mariage était devancé, le mari payait une amende de trois cents deniers s’il était noble, ou subissait un châtiment corporel s’il était de condition inférieure. Quant à la nouvelle épouse cause du divorce de la première, elle devait être internée dans une léproserie pour y servir les malades, à moins que, suivant sa condition, elle ne versât cent deniers à l’hospice des lépreux. Canon 4 synodi Armeniorum (VIe siècle), Mai, op. cit., p. 293. Après le divorce et le second mariage, le retour à la première épouse n’est permis que moyennant une pénitence canonique de cinq ans. Canons de Nersès, 8, p. 313. Quant à l’épouse coupable, elle ne peut se remarier, comme dans le droit byzantin. Ibid., can. 7.
IV. ABYSSINS. – Les chrétiens d’Abyssinie considèrent l’infidélité conjugale comme une cause de rupture du mariage, pourvu que la faute soit prouvée clairement. En ce cas, l’époux offensé garde la dot. Mais les personnes de rang élevé ne connaissent souvent d’autres règles que celles que leur prescrit la dignité de leurs familles. Il est vrai que le mariage n’est souvent qu’un contrat privé que l’on peut dissoudre à volonté, au lieu d’un engagement solennel célébré à l’église et protégé par l’autorité suprême. Voir H. Salt, Voyage en Abyssinie, Paris, 1816, t. II, p. 165, 166. Chez les coptes, le divorce, suivi d’un second mariage, a lieu d’après la sentence de tribunaux laïques qui reçoivent la preuve de la faute d’adultère. Cette modification de la procédure elle-même date de l’invasion musulmane, à la suite de laquelle les chrétiens, privés souvent du recours au pouvoir ecclésiastique, voulurent cependant se soustraire au joug des Turcs et ne pas être obligés, par la trop grande sévérité des lois matrimoniales, à laisser les chrétiennes en mariage aux musulmans.
Sur la pratique des Eglises orientales unies, voir l’article précédent, col. 512, 513.
Nous en sommes donc, pour le fond des choses, aux théories élaborées par le moyen âge. La part des siècles postérieurs se réduisit à quelques explications de détail qui mettent la doctrine dans son vrai jour. Pour légitimer la séparation, l’adultère doit être matériel et formel. Or on n’appelle pas de ce nom, en langue canonique, les privautés malsaines commises en dehors du mariage. Il est requis, en outre, que l’époux infidèle se rende compte de la faute qu’il a fait. Etant donné ces conditions et celles que j’ai indiquées plus haut, l’époux innocent a le droit d’intenter contre le coupable une action en séparation de première instance, devant son ordinaire, et en appel devant la S. C. du Concile siégeant à Rome.
Un jugement de l’autorité ecclésiastique est-il toujours requis ? A cette question, les docteurs ne donnent pas de réponses concordantes. Mais De Angelis semble avoir rétabli l’harmonie dans l’école, en proposant une distinction, déjà faite par plusieurs canonistes des siècles derniers, entre l’adultère notoire et l’adultère secret. Dans le premier cas, l’époux innocent peut abandonner son conjoint sans recourir à l’Eglise ; dans le second, il lui est prescrit d’introduire une instance, afin de ne pas s’exposer à condamner à faux sur un simple soupçon provoqué par la jalousie. De Angelis, Prælectiones juris canonici, l. IV, tit. XIX, Rome et Paris, 1880, t. III a, p. 339. De quelque manière qu’elle ait été faite, quand la séparation est consommée, l’époux offensé conserve la faculté de pardonner à son conjoint et de reprendre avec lui la vie commune, à moins qu’il n’entre en religion, auquel cas le coupable ne retrouvera plus ici-bas celui qu’il a odieusement trompé.
Decretatium, l. IV, tit. XIX, De divortiis, et les canonistes, notamment : De Luca, Theatrum veritatiæ et justitiæ, Venise, 1616, de matrimonio, spécialement disc. XIII, n. 2 ; Fagnan, Commentarium in quinque libros Decretalium, Rome, 1661, dans le commentaire du titre De divortiis, chapitre Ex litteris ; Ferraris, Prompta bibliotheca, Mont-Cassin, 1845, Ve Adulterium ; De Angelis, Prælectiones juris canonici, Rome et Paris, 1885, l. V, tit. XVI ; l. IV, tit. XIX ; Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891, t. II, c. VI.
1° Adultère avec promesse de mariage. – Le premier cas, où l’adultère qualifié crée l’empêchement, a été prévu par le concile de Tribur (895), et il doit réunir trois conditions : la première, que l’époux adultère donne à son complice ou reçoive de lui une promesse jurée de l’épouser, fides data, dont l’effet, évidemment, ne se produira que s’il devient libre par le décès du conjoint. L’acceptation de la promesse par le complice doit être explicite ; car, dans les choses odieuses, dit un adage juridique, le silence de l’interlocuteur n’indique pas qu’il acquiesce à ce qu’on lui propose. C’est pourquoi Mgr Gasparri, Tractatus canonicus de matrimonio, Paris, 1891, t. I, n. 648, et quelques autres canonistes exigent une répromission, laquelle n’étant pas donnée, l’empêchement est douteux et, partant, n’existe pas. Il faut remarquer toutefois que, s’il y avait eu tentative de mariage, au sens du droit, la promesse ne serait plus nécessaire, supplée qu’elle serait par un acte équivalent. La deuxième condition, ce sont des relations adultères entre l’époux et le tiers auquel il est uni par la promesse dont nous venons de parler. Il faut enfin que le tiers complice sache qu’il contracte avec une personne mariée ; car s’il la croyait libre de tout lien, son acte serait purement matériel et ne créerait pas d’empêchement. C’est donc, on le voit, l’union de deux crimes : l’adultère et la promesse illicite de mariage, qui constituent le cas. Les deux éléments sont indispensables. Peu importe d’ailleurs que l’adultère précède ou suive la promesse, dès lors que les deux actes sont accomplis du vivant de l’époux trompé.
2° Conjugicide en vue du mariage. – Le deuxième cas se réalise quand il y a homicide de l’époux par son conjoint, aidé d’un complice avec qui il y aura empêchement de mariage. Qu’on remarque bien ici encore les conditions que le droit requiert pour créer l’empêchement. Tout d’abord, il faut que les complices concourent tous deux à l’homicide, soit par conseil, soit par ordre, soit par coopération physique : ce n’est pas assez d’une simple ratification, une fois le crime accompli. Il est requis, en second lieu, que l’homicide soit consommé, c’est-à-dire que mort s’ensuive. Decretal., l. III, tit. XXXIII, c. 1. Il faut, troisièmement, que le crime ait été commis en vue de pouvoir convoler ensuite, et non pas simplement pour vivre dans l’adultère avec plus de liberté. La raison de cette troisième condition provient de ce que l’empêchement a été établi afin que les époux ne s’entr’égorgent pas dans l’espoir de contracter un nouveau mariage qui leur sourit. En quatrième lieu, le crime doit être perpétré, comme nous l’avons dit plus haut, par les deux amants.
3° Adultère et conjugicide. – Le troisième cas comprend l’adultère compliqué de conjugicide. Après un ou plusieurs adultères qualifiés, l’époux infidèle et son complice tuent effectivement le conjoint qui les gêne et cela avec l’intention de se marier ensemble. Dans le cas précédent, cette intention devait exister chez les deux coupables ; ici, c’est assez qu’on la trouve chez l’un des deux. La différence s’explique d’elle-même : le crime de conjugicide est plus significatif, lorsqu’il est précédé de l’adultère que lorsqu’il manque de cette circonstance. Nous disons " précédé ", c’est à dessein ; au lieu que dans le premier cas, nous avons fait observer qu’il n’importait en rien que l’adultère précédât ou suivît la promesse, le droit requiert en l’espèce que l’adultère soit commis avant le meurtre de l’époux offensé. C’est là une vérité évidente que les législations positives énoncent afin de ne laisser subsister aucun doute dans les âmes.
4° Question : Est-il nécessaire de connaître l’empêchement pour l’encourir ? – Ce qui motive cette question, c’est la similitude avec celui des irrégularités ex delicto, dont on n’est pas atteint quand on les ignore. A la vérité, l’assimilation ne peut s’établir parfaitement, car l’irrégularité revêt un caractère pénal, tandis que l’empêchement rend inhabile à contracter. Cependant, Mgr Gasparri, ibid., p. 658, soutient qu’il a aussi quelque chose de criminel et de répressible. D’où la question posée n’est pas résolue de la même manière par tous les docteurs. Les uns pensent que l’ignorance est une cause excusante ; les autres le nient catégoriquement, et Gasparri, ibid., en présence de ce conflit, dit que l’empêchement est douteux. Or, dans le doute, il n’y a pas empêchement. Mais cette doctrine est opposée à la pratique de l’Eglise. Les tribunaux et les chancelleries ecclésiastiques voient surtout dans l’empêchement une cause d’inhabileté à contracter. Ils ne considèrent que le fait matériel ; dès lors que deux individus se trouvent dans l’un des trois cas précédemment énoncés, on les regarde comme liés l’un vis-à-vis de l’autre par l’empêchement de ce crime.
Decretalium, l. IV, tit. VII, De eo qui duxit in matrimonium quam polluit per adulteriam, et les canonistes in hunc locum.