Prima
Pars = 1ère partie
Traduction
abbé Drioux et JesusMarie.com - copyleft
Question
4 : De la perfection de Dieu
Après
avoir examiné la simplicité de Dieu, il faut parler de sa
perfection. Et comme dans tout être la perfection est la mesure de
la bonté, nous traiterons en premier lieu de la perfection divine
et en second lieu de sa bonté. — Touchant la perfection de Dieu
trois questions se présentent : — 1° Dieu est-il parfait ? (Cette
question est purement philosophique.) — 2° Est-il universellement parfait,
c’est-à-dire contient-il en lui les perfections de tous les êtres
? (L’Ecriture établit cette vérité. L’Apôtre
dit, en parlant de Dieu (Rom., chap. 2) : Ex quo omnia,
per quem omnia, in quo omnia.
(?)) — 3° Peut-on dire que les créatures sont semblables à
Dieu ? (Cet article est une démonstration rationnelle de ce qu’Innocent
III a défini au concile général de Latran sur cette
matière, en disant : Inter creatorem
et creaturam non potesttantasimilitudonotariquin
inter eos major sitdissimilitudonotanda.)
Article
1 : Dieu est-il parfait ?
Objection
N°1. Il semble qu’il no soit pas convenable de dire que Dieu est parfait.
Car on appelle parfait ce qui est fait pour ainsi dire complètement.
Or, il n’est
pas convenable de dire que Dieu a été fait.
Donc on ne peut pas dire non plus qu’il est
parfait.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire (Mor.,
liv. 5, chap. 29) : Nous ne faisons que balbutier en parlant des grandeurs
de Dieu ; car ce qui n’a pas été
fait, ne peut pas
être dit parfait. Mais comme dans les choses qui sont faites
on appelle parfait tout ce qui passe de la puissance à l’acte, on
emploie également le même mot pour exprimer la chose à
laquelle il ne manque rien de l’être en acte, soit qu’elle le possède
par manière de perfection, soit autrement.
Objection
N°2. Dieu est le premier principe des choses. Or, les principes des
choses paraissent être imparfaits. Car la semence est le principe
des animaux et des plantes. Donc Dieu est imparfait.
Réponse
à l’objection N°2 : Le principe matériel, qui est imparfait
parmi nous, ne peut pas être absolument un premier principe, mais
il est précédé d’un autre qui est parfait. Car la
semence, bien qu’elle soit le principe de l’animal qu’elle fait naître,
a cependant pour antécédent l’animal ou la plante qui l’a
produite (C’est ce que n’avaient pas observé Speusippe et les péripatéticiens,
et c’est ce qu’Aristote leur fait remarquer (Met., liv. 12, chap.
7).). Car il faut qu’avant ce qui est en puissance il y ait quelque chose
qui soit en acte, puisque l’être en puissance ne peut être
mis en acte que par un être qui est déjà en acte lui-même.
Objection
N°3. Nous avons prouvé (quest. préc.,
art. 4) que l’essence de Dieu est l’être lui-même. Or, il semble
que l’être même soit très imparfait, puisqu’il est ce
qu’il y a de plus commun et qu’il reçoit de tous les êtres
un accroissement. Donc Dieu est imparfait.
Réponse
à l’objection N°3 : L’être même est ce qu’il y a
de plus parfait ; car il est considéré par rapport à
tout ce qui existe comme l’acte, puisqu’un être n’a d’actualité
qu’autant qu’il est ; d’où il suit que l’être est l’actualité
de toutes les choses et de toutes les formes. C’est pourquoi, par rapport
aux autres êtres, il n’est pas comme celui qui reçoit à
l’égard de ce qui est reçu, mais plutôt comme ce qui
est reçu à l’égard de celui qui reçoit ; car
quand je dis l’être de l’homme ou du cheval ou de toute autre, l’être
est considéré comme une chose formelle et qui est reçue,
mais non comme une chose à laquelle il convient d’exister.
Mais
c’est le contraire. Car il est dit dans saint Matthieu (5, 48) : Soyez
parfaits, comme votre Père céleste est parfait.
Conclusion
Dieu étant le principe actif, il faut qu’il soit infiniment parfait.
Il
faut répondre que, comme le rapporte Aristote (Met., liv.
12, text. 40), il y a eu des philosophes
anciens, tels que les pythagoriciens et Speusippe (M. Ravaisson a publié
une dissertation très savante sur ce sentiment de Speusippe, que
par erreur plusieurs éditeurs de saint Thomas ont confondu avec
Leucippe. Voy.Speusippi
de primisrerumprincipiisplacitaqualia
fuisse videntur ex Aristotele
(Ravaisson).), qui n’ont pas attribué au premier principe ce qu’il
y a de meilleur et de plus parfait. La raison en est que ces philosophes
n’ont considéré que le principe matériel qui est en
effet très imparfait. Car, la matière n’étant par
sa nature qu’en puissance (En puissance et en acte, ces termes
sont toujours corrélatifs dans la langue des péripatéticiens
; en puissance signifie la possibilité d’être ; en
acte exprime l’être, ce qui est réalisé.), il faut
que le premier principe matériel soit absolument potentiel et que,
par conséquent, il soit aussi imparfait que possible. Mais Dieu
n’est pas le principe matériel, il est au contraire le premier principe
comme cause efficiente, et à ce titre il faut qu’il soit très
parfait. En effet, comme la matière est par sa nature en puissance,
de même l’agent est par sa nature en acte. D’où il suit que
le premier principe actif doit être absolument en acte et, par conséquent,
aussi parfait que possible. Car un être est plus ou moins parfait
selon qu’il est plus ou moins en acte (L’acte péripatéticien
est, comme nous l’avons déjà dit, l’être absolu : c’est
ce qu’il ne faut pas perdre de vue pour saisir toute la force de cette
démonstration.), puisqu’on appelle parfait celui auquel il ne manque
rien, selon son mode de perfection.
Article
2 : Y a-t-il en Dieu les imperfections de tous les êtres ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne renferme pas les perfections de tous les
êtres. Car Dieu est simple, comme nous l’avons prouvé (quest. préc.,
art. 7), tandis que les perfections des choses sont multiples et diverses.
Donc Dieu ne renferme pas toutes ces perfections.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le soleil, selon la comparaison dont
se sert saint Denis (De div. nom.,
chap. 5), renferme également en lui-même et éclaire
de sa même lumière les substances et les qualités des
choses sensibles les plus opposées entre elles, de même et
à plus forte raison est-il nécessaire que dans la cause universelle
tout préexiste et s’unisse naturellement. C’est ainsi que les choses
qui sont diverses et opposées en elles-mêmes, préexistent
en Dieu où elles ont leur unité, et ne nuisent par conséquent
en rien à sa simplicité.
Objection
N°2. Dans un même être il ne peut pas y avoir d’attributs
opposés. Or, les perfections des êtres sont opposées
entre elles. Car chaque espèce est perfectionnée par sa différence
spécifique, et les différences qui divisent le genre et constituent
les espèces sont opposées entre elles. Donc par là
même que dans un seul et même être il ne peut pas y avoir
d’attributs opposés, il semble que Dieu ne puisse réunir
les perfections de tous les êtres.
Réponse
à l’objection N°2 : La réponse précédente
rend la réponse à celle-ci évidente.
Objection
N°3. Celui qui vit est plus parfait que celui qui existe, et celui
qui est sage est plus parfait que celui qui est vivant. Donc vivre est
plus parfait qu’exister, et la sagesse vaut mieux que la vie. Or, l’essence
de Dieu étant l’être même, il n’a donc pas en lui la
perfection de la vie et de la sagesse et les autres perfections de cette
nature.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit encore saint Denis (loc.
cit.), quoique l’être même soit plus parfait que la vie
et que la vie soit plus parfaite que la sagesse, si on considère
chacune de ces choses selon qu’elles sont rationnellement distinctes, cependant
celui qui vit est plus parfait que celui qui existe seulement, parce que
celui qui vit est en même temps existant, et celui qui est sage est
plus parfait que celui qui vit et existe, parce qu’il est tout à
la fois vivant et existant. Donc, quoique l’existence ne renferme pas nécessairement
la vie et la sagesse, parce qu’il n’est pas nécessaire que celui
qui reçoit l’être par participation le reçoive dans
toute son étendue, cependant l’être de Dieu renferme en lui-même
la vie et la sagesse parce que par là même qu’il est l’être
subsistant par lui-même, il ne peut manquer d’aucune des perfections
de l’être (Pour le développement de toutes les idées
renfermées dans cet article voyez Fénelon, dans son Traité
de l’existence de Dieu (2e part., chap. 5).).
Mais
c’est le contraire. Car saint Denis dit (De div. nom.,
chap. 5) que Dieu renferme préalablement dans son essence toutes
choses.
Conclusion
Dieu étant la première cause efficiente de toutes choses
et l’être même, subsistant par lui-même, il faut qu’il
contienne éminemment les perfections de tout ce qui existe.
Il
faut répondre qu’en Dieu il y a les perfections de toutes choses.
C’est pourquoi on dit qu’il est universellement parfait, parce qu’il
ne lui manque aucune des perfections qu’on trouve dans un genre quelconque,
comme le dit le commentateur d’Aristote (Met., liv. 5, text.
21). C’est ce qu’on peut démontrer de deux manières : 1°
Parce que tout ce qu’un effet renferme de perfection doit se trouver dans
la cause qui l’a produit. Il s’y trouve avec la même nature quand
l’agent est univoque (Agent univoque, on appelle ainsi celui
qui est absolument de même nature que son effet.), comme l’homme
engendre l’homme, ou bien il y est renfermé éminemment quand
l’agent est équivoque (Agent équivoque, on
appelle de la sorte celui qui ressemble seulement sous certain rapport
à son effet.). C’est ainsi que dans le soleil on trouve une image
de ce qui est engendré par sa vertu. Car il est évident que
l’effet préexiste virtuellement dans la cause qui le produit. Or,
préexister virtuellement dans une cause active ce n’est pas préexister
d’une manière imparfaite, c’est au contraire préexister d’une
manière plus parfaite. Il n’en est pas de même de ce qui préexiste
en puissance dans une cause matérielle, parce que la matière
est imparfaite de sa nature, tandis qu’un agent est au contraire parfait.
Dieu étant la première cause efficiente des choses, il faut
donc que les perfections de tous les êtres préexistent en
lui éminemment. Saint Denis indique cette raison quand il dit de
Dieu (De div. nom.,
chap. 5) qu’il n’est ni ceci, ni cela, mais qu’il est toutes choses, dans
le sens qu’il est la cause de tout ce qui existe. — 2° Dieu étant,
comme nous l’avons démontré (quest. 3, art. 4), l’être
même subsistant par lui-même, il faut qu’il renferme en lui
la perfection complète de l’être. Car il est évident
que si un objet chaud n’a pas en lui toute la perfection de la chaleur,
c’est uniquement parce que sa chaleur ne lui a été communiquée
que dans une certaine mesure. Car s’il était la chaleur même
subsistant par elle-même, il ne pourrait lui manquer aucun degré
de chaleur. C’est pourquoi, Dieu étant l’être même subsistant
par lui-même, il doit renfermer en lui la perfection complète
de l’être. Or, les perfections de toutes les créatures, appartiennent
à la perfection de l’être, car elles ne sont parfaites qu’en
raison de l’être qu’elles ont reçu. D’où il suit que
Dieu ne manque d’aucune des perfections qui sont dans les autres êtres.
Saint Denis exprime encore cette raison quand il dit (De div. nom.,
chap. 5) que Dieu n’est pas une façon d’être quelconque, mais
qu’il est absolument et infiniment, et qu’il possède en lui-même
et par anticipation la plénitude totale de l’être ; puis il
ajoute plus loin : que tout ce qui existe a son être en lui.
Article
3 : Y a-t-il quelque chose qui puisse être semblable à Dieu
?
Objection
N°1. Il semble qu’aucune créature ne puisse être semblable
à Dieu. Car le Psalmiste dit (Ps. 85, 8) : Parmi les dieux
des nations, il n’y en a pas qui vous ressemblent, ô Seigneur.
Or, parmi toutes les créatures les plus excellentes sont celles
qu’on désignait sous le nom de Dieu. Donc on a encore moins de raison
d’assimiler les autres créatures à Dieu.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le remarque saint Denis (De div. nom.,
chap. 9), si l’Ecriture dit qu’il n’y a rien de semblable à Dieu,
cela ne signifie pas qu’on ne puisse rien lui assimiler. Car les mêmes
choses sont tout à la fois semblables
à Dieu et dissemblables. Elles lui sont semblables parce qu’elles
l’imitent autant qu’on peut imiter celui qui est absolument inimitable
; elles sont dissemblables parce qu’elles sont au-dessous de leur cause,
non seulement en degré comme le plus ou moins dans les couleurs,
mais parce qu’elles n’ont avec lui aucun rapport ni quant à l’espèce,
ni quant au genre (Il est vraiment surprenant que le panthéisme
ait cherché à revendiquer le suffrage de saint Thomas ; car
on ne peut établir plus profondément la distance infinie
qu’il y a des créatures à Dieu.).
Objection
N°2. La ressemblance est une comparaison. Or, il n’y a pas de comparaison
à établir entre les choses qui sont de divers genres, par
conséquent il ne peut pas y avoir entre elles de ressemblance. Ainsi
nous ne disons pas que la douceur ressemble au blanc. Comme il n’y a pas
de créature qui soit du même genre que Dieu, puisque Dieu
n’est d’aucun genre, comme nous l’avons démontré plus haut
(quest. 3, art. 5), il n’y a donc pas de créature semblable à
Dieu.
Réponse
à l’objection N°2 : Les rapports de Dieu à la créature
ne sont pas ceux d’un être de genre différent, mais ceux de
l’être qui est en dehors de tout genre et qui est le principe de
chacun d’eux.
Objection
N°3. On appelle semblables les choses qui ont la même forme.
Or, il n’y a rien qui puisse avoir la même forme que Dieu, puisqu’il
n’y a que Dieu dont l’essence soit l’être môme. Donc il n’y
a pas de créature qui soit semblable à Dieu.
Réponse
à l’objection N°3 : On ne dit pas qu’il y ait entre Dieu et
les créatures une ressemblance de forme fondée sur la communauté
du genre ou de l’espèce, mais seulement sur l’analogie. Ainsi Dieu
est l’être par essence, et les créatures sont des êtres
par participation.
Objection
N°4. Entre les choses semblables la ressemblance est réciproque.
Car si une chose ressemble à une autre, celle-ci doit aussi lui
être semblable ; par conséquent s’il y avait une créature
qui fût semblable à Dieu, Dieu serait aussi semblable à
cette créature, ce qui est contraire à ce que disait Isaïe
à ceux qui fabriquaient des idoles (Is., 40, 18) : A qui avez-vous
assimilé Dieu ?
Réponse
à l’objection N°4 : Tout en admettant que sous un rapport la
créature ressemble à Dieu, cependant on ne peut jamais dire
que Dieu ressemble à la créature. Car, comme le dit saint
Denis (De div. nom.,
chap. 9), quand il s’agit des choses du même ordre, la ressemblance
est réciproque, mais il n’en est pas de même de l’effet à
la cause. Car nous disons que l’image ressemble à l’homme et non
réciproquement. De même on peut dire que la créature
ressemble de quelque manière à Dieu, sans cependant pouvoir
dire que Dieu est semblable à la créature.
Mais
c’est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (1, 26) : Faisons
l’homme à notre image et à notre ressemblance ; et dans
saint Jean (Jean, 3, 2) : Nous savons que dans l’autre vie nous serons
semblables à Dieu.
Conclusion
Dieu étant l’agent universel et le principe de tout être,
et n’étant contenu dans aucun genre ni dans aucune espèce,
les créatures lui ressemblent, non pas sous le rapport de l’espèce
et du genre, mais d’après une certaine analogie.
Il
faut répondre que la ressemblance dépendant de la convenance
ou du rapport que les êtres ont entre eux pour la forme, il y a plusieurs
sortes de ressemblance, parce qu’il y a plusieurs manières d’être
en rapport pour la forme. Ainsi on appelle semblables les êtres qui
participent à la même forme de la même manière
et sous le même aspect, et dans ce cas ils ne sont pas seulement
semblables, mais leur ressemblance va jusqu’à l’égalité.
C’est ainsi qu’on dit de deux objets également blancs qu’ils sont
semblables en blancheur : cette ressemblance est la plus parfaite. On appelle
encore semblables les choses qui ont la même forme et qui sont du
même genre, mais qui diffèrent dans leur manière d’être
du plus au moins. C’est ainsi qu’un objet moins blanc ressemble à
un objet plus blanc. Cette ressemblance est imparfaite. En troisième
lieu on appelle êtres semblables ceux qui participent à la
même forme, mais non sous le même rapport, comme on le voit
dans les agents qui ne sont pas de même nature que leurs effets.
— Car tout être qui agit produit un être semblable à
lui, comme agent, et par là môme que chaque être agit
conformément à sa forme, on doit nécessairement retrouver
dans l’effet l’image de cette forme. Ainsi, quand l’agent appartient à
la même espèce que l’effet, ils se ressemblent entre eux sous
le rapport de l’espèce même. Car l’homme engendre l’homme.
Mais si l’agent n’est pas de la même espèce que l’effet, il
y aura entre eux ressemblance, mais ce ne sera pas sous le rapport de l’espèce.
Ainsi, ce qui est produit par la vertu du soleil reflète sous quelque
aspect l’image de cet astre, mais il ne reçoit pas sa forme. Il
lui ressemble quant au genre, mais non quant à l’espèce.
En conséquence, quand il s’agit d’un agent qui n’appartient à
aucun genre, ses effets sont encore beaucoup plus éloignés
de reproduire son image ; ils ne participent à sa ressemblance ni
sous le rapport de l’espèce, ni sous le rapport du genre, mais seulement
d’après une certaine analogie comme l’être lui-même
est commun à tous les êtres. C’est dans ce sens que tout ce
que Dieu a fait lui ressemble, comme être, puisqu’il est le principe
premier et universel de tout ce qui existe.