Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 7 : De l’essence ou de la nature de la confession

 

          Nous devons ensuite nous occuper de l’essence ou de la nature de la confession, et à cet égard, trois questions se présentent : 1° Saint Augustin définit-il convenablement la confession ? (On définit ordinairement la confession : l’accusation légitime que le pénitent fait de ses péchés à un prêtre approuvé pour en obtenir la rémission par le moyen de l’absolution. Cette définition résume tout ce que renferment les définitions particulières que donne plus loin saint Thomas.) — 2° Est-elle un acte de vertu ? — 3° Est-elle un acte de la vertu de pénitence ?

 

Article 1 : Saint Augustin définit-il convenablement la confession ?

 

          Objection N°1. Il semble que saint Augustin définisse mal la confession en disant (collig. ex comment in Ps. 66, à med.) que c’est un acte par lequel on découvre une maladie cachée, dans l’espérance du pardon. Car la maladie contre laquelle la confession est établie, c’est le péché. Or, quelquefois le péché est découvert. Il n’est donc pas convenable de dire que la confession est le remède d’une maladie cachée.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique un prêtre sache quelquefois le péché de quelqu’un comme homme cependant il ne le sait pas comme vicaire du Christ : de même qu’un juge sait quelquefois quelque chose comme homme qu’il ne sait pas comme juge ; et sous ce rapport la faute se découvre par la confession. — Ou bien il faut dire que quoique l’acte extérieur soit à découvert, cependant l’acte intérieur qui en est le principe reste caché. C’est pourquoi il faut qu’il soit découvert par la confession.

 

          Objection N°2. Le commencement de la pénitence, c’est la crainte. Or, la confession est une partie de la pénitence. Il n’est donc pas convenable d’indiquer l’espérance comme la cause de la confession, mais plutôt la crainte.

          Réponse à l’objection N°2 : La confession (Il ne s’agit ici que de la confession qui est précédée de la contrition parfaite que la grâce sanctifiante accompagne toujours, au lieu que la confession qui ne suppose pas la charité a pour but de la recevoir.) présuppose la charité par laquelle on redevient vivant, comme nous le dirons (4, dist. 18). La contrition est l’acte dans lequel on reçoit la charité ; et la crainte servile qui existe sans l’espérance, est antérieure à la charité. Mais celui qui a la charité est mû par l’espérance plus que par la crainte. C’est pourquoi on désigne comme cause de la confession l’espérance plutôt que la crainte.

 

          Objection N°3. Ce qu’on met sous un sceau n’est pas ouvert, mais plutôt fermé. Or, le péché qu’on confesse est mis sous le sceau de la confession. Dans la confession on ne découvre donc pas le péché, mais on le ferme plutôt.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans toute confession le péché est découvert au prêtre, et il est fermé pour les autres par le sceau de la confession.

 

          Objection N°4. On trouve d’autres définitions différentes de celle-là. Car saint Grégoire dit (hom. 40 in Evang., parum à princ.) que la confession est la détestation des péchés et la rupture de la plaie. D’autres disent que la confession est la déclaration légitime de ses péchés devant un prêtre. Enfin il y en a qui disent que la confession est une accusation sacramentelle que le pécheur fait par honte, qu’elle est satisfactoire par le moyen des clefs de l’Eglise et qu’elle oblige à faire la pénitence qui a été enjointe. Il semble donc que la première définition, puisqu’elle ne contient pas tout ce qui est contenu dans les autres, soit insuffisante.

          Réponse à l’objection N°4 : Il n’est pas nécessaire dans toute définition d’exprimer tout ce qui concourt à la chose définie. C’est pourquoi on trouve des définitions qui donnent une cause et d’autres une autre.

 

          Conclusion La confession est une action par laquelle on découvre une maladie cachée dans l’espérance du pardon.

          Il faut répondre que dans l’acte de la confession il y a plusieurs choses à considérer : 1° la substance même de l’acte ou son genre qui est une manifestation ; 2° la chose dont on s’accuse, c’est-à-dire le péché ; 3° celui à qui on s’adresse, c’est-à-dire le prêtre ; 4° sa cause, qui est l’espérance du pardon ; 5° ses effets, qui sont l’absolution d’une partie de la peine et l’obligation de s’acquitter du reste (Les clefs n’ont pas seulement été données aux prêtres, dit le concile de Trente, pour délier, mais encore pour lier : Claves sacerdotibus non ad solvendum duntaxat, sed ad ligandum concessas, etiam antiqui Patres et credunt et decent (sess. 4, chap. 8) ; ce qui désigne la satisfaction à laquelle le prêtre lie celui qui se confesse.). Dans la première définition, saint Augustin indique la substance de l’acte par le mot découvrir ; l’objet de la confession en disant une maladie cachée, et sa cause par ces mots : dans l’espérance du pardon. Dans les autres définitions, on indique quelques-unes des cinq choses que nous avons déterminées comme cela est évident pour quiconque les considère attentivement.

 

Article 2 : La confession est-elle un acte de vertu ?

 

          Objection N°1. Il semble que la confession ne soit pas un acte de vertu. Car tout acte de vertu est de droit naturel ; parce que nous sommes par nature aptes à la pratique de la vertu, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2). Or, la confession n’est pas de droit naturel. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

          Réponse à l’objection N°1 : La raison naturelle nous porte en général à nous confesser de la manière convenable, comme il faut, de ce qu’il faut et quand il faut, et sous ce rapport la confession est de droit naturel. Mais la détermination des circonstances qui se rapportent au temps (Nous avons vu dans la question précédente ce qui regarde le temps ; nous verrons dans la question suivante à qui on doit se confesser et ensuite la manière dont on doit le faire.), à la manière, aux choses qu’on doit confesser, et à la personne à laquelle on doit s’adresser, tout cela est établi de droit divin pour la confession dont nous parlons. Par conséquent, il est évident que le droit naturel porte à la confession par l’intermédiaire du droit divin qui détermine les circonstances ; et il en est d’ailleurs ainsi pour toutes les choses du droit positif.

 

          Objection N°2. Un acte de vertu paraît mieux convenir à un innocent qu’à un pécheur. Or, la confession des péchés dont nous parlons, ne peut pas convenir à un innocent. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

          Réponse à l’objection N°2 : Quand il s’agit d’une vertu qui a pour objet le péché commis, quoique l’innocent puisse en avoir l’habitude (Il possède cette vertu d’une manière habituelle, dans le sens que l’innocent aurait le désir de se confesser, s’il lui arrivait de faire un péché.), cependant il n’en a pas l’acte, tant que son innocence existe. C’est pourquoi la confession des péchés dont nous parlons maintenant, ne convient pas à l’innocent, quoiqu’elle soit un acte de vertu.

 

          Objection N°3. La grâce qui est dans les sacrements diffère d’une certaine manière de la grâce qui est dans les vertus et les dons. Or, la confession est une partie d’un sacrement. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

          Réponse à l’objection N°3 : Quoique la grâce des sacrements soit autre que la grâce des vertus, cependant elles ne sont pas contraires, mais disparates. C’est pourquoi il ne répugne pas que la même chose soit un acte de vertu, selon qu’elle procède du libre arbitre animé par la grâce ; et qu’elle soit un sacrement ou une partie d’un sacrement, selon qu’elle est une médecine qui a pour but de remédier au péché.

 

          Mais c’est le contraire. Les préceptes de la loi ont pour objet les actes des vertus. Or, la confession est de précepte. Elle est donc un acte de vertu.

          Nous ne méritons que par des œuvres de vertu. Or, la confession est méritoire, parce qu’elle ouvre le ciel, comme le dit le Maître des sentences (liv. 4, dist. 17). Il semble donc qu’elle soit un acte de vertu.

 

          Conclusion Puisque c’est une condition qui appartient à la vertu de confesser de bouche ce qu’on a dans le cœur, la confession qui renferme cette condition dans son essence est une bonne chose dans son genre et un acte de vertu.

          Il faut répondre que pour qu’une chose soit appelée un acte de vertu, ainsi que nous l’avons dit auparavant (implic. art. préc. ad 3 et 4, dist. 15, quest. 3, art. 1, quest. 2 et 1a 2æ, quest. 18, art. 6 et 7, et 2a 2æ, quest. 80, et 85, art. 3, et quest. 109, art. 3), il suffit qu’elle renferme dans son essence une condition qui appartienne à la vertu. Or, quoique la confession n’implique pas toutes les choses qui sont requises pour une vertu, cependant d’après son nom elle implique la manifestation d’une chose qu’on a au fond de la conscience. Car par la la bouche et le cœur ne font qu’un. Si on dit de bouche quelque chose qu’on n’a pas dans le cœur, ce n’est pas une confession, mais une fiction. Or, cette condition qui fait que l’on confesse de bouche ce qu’on a dans le cœur appartient à la vertu. C’est pourquoi la confession est une chose bonne dans son genre et elle est un acte de vertu. Cependant on peut en faire une chose mauvaise si on ne la revêt pas de toutes les autres circonstances voulues (La bonté ou la malice d’une chose dépend de ses circonstances, comme saint Thomas le prouve (1a 2æ, quest. 18, art. 3). Les circonstances qui regardent la confession sont indiquées dans la réponse suivante.).

 

Article 3 : La confession est-elle un acte de la vertu de pénitence ?

 

          Objection N°1. Il semble que la confession ne soit pas un acte de la vertu de pénitence. Car elle est l’acte de la vertu qui en est la cause. Or, la cause de la confession c’est l’espérance du pardon, comme on le voit d’après la définition que nous avons donnée (art. 1). Il semble donc que ce soit un acte d’espérance et non de pénitence.

          Réponse à l’objection N°1 : L’espérance est la cause de la confession, non dans le sens qu’elle produit cet acte, mais dans le sens qu’elle le commande.

 

          Objection N°2. La honte est une partie de la tempérance. Or, on se confesse par honte, comme on le voit d’après la définition que nous avons citée (art. 1). Elle est donc un acte de tempérance et non de pénitence.

          Réponse à l’objection N°2 : La honte dans cette définition n’est pas désignée comme la cause de la confession, puisqu’elle est plutôt faite pour empêcher l’acte de la confession, mais elle est en en quelque sorte simultanément cause avec elle de la délivrance de la peine, en tant que la honte elle-même est une peine, comme les clefs de l’Eglise sont aussi cause simultanément à l’égard du même fait.

 

          Objection N°3. L’acte de pénitence s’appuie sur la miséricorde divine. Or, la confession s’appuie principalement sur la sagesse à cause de la vérité qu’il doit y avoir en elle. Elle n’est donc pas un acte de pénitence.

          Réponse à l’objection N°3 : On peut d’une certaine manière rapporter les parties de la pénitence aux trois attributs des personnes divines, de telle sorte que la contrition réponde à la miséricorde ou à la bonté, à cause de la douleur qu’on a du mal qu’on a fait ; la confession à la sagesse, à cause de la manifestation de la vérité ; la satisfaction à la pénitence à cause de la peine qu’il faut se donner pour satisfaire. Et parce que la contrition est la première partie de la pénitence qui donne aux autres leur efficacité, on juge pour ce motif de la pénitence entière comme de la contrition.

 

          Objection N°4. On est porté à la pénitence par l’article de foi qui se rapporte au jugement, à cause de la crainte qui est l’origine de la pénitence. Or, c’est l’article de la vie éternelle qui porte à la confession qu’on fait dans l’espérance du pardon. Elle n’est donc pas un acte de pénitence.

          Réponse à l’objection N°4 : La confession provient plus de l’espérance que de la crainte, comme nous l’avons dit (art. 1 de cette même question ad 2) ; c’est pourquoi elle s’appuie plus sur l’article de la vie éternelle qui est l’objet de l’espérance, que sur celui du jugement auquel se rapporte la crainte, quoique pour la pénitence considérée sous le rapport de la contrition, ce soit le contraire.

 

          Objection N°5. Il appartient à la vertu de vérité qu’on se montre tel qu’on est. Or, celui qui se confesse le fait. La confession est donc un acte de cette vertu qu’on appelle vertu et non un acte de pénitence.

 

          Mais c’est le contraire. La pénitence pour but la destruction du péché. Or, tel est aussi le but de la confession. Donc elle est un acte de pénitence.

 

          Conclusion La confession est un acte produit par la vertu de pénitence, quoiqu’elle puisse être un acte commandé relativement à beaucoup d’autres vertus selon qu’elles se rapportent à leur fin.

          Il faut répondre que dans les vertus on doit considérer que, quand on ajoute à l’objet d’une vertu une raison spéciale de bonté et de difficulté, il en résulte une vertu particulière. C’est ainsi que les grandes dépenses appartiennent à la magnificence, quoique communément les dépenses médiocres et les dons appartiennent à la libéralité, comme on le voit (Eth., liv. 2, chap. 9, et liv. 4, chap. 1). Il en est de même pour la confession du vrai. Quoiqu’elle appartienne absolument à la vertu de vérité (La vertu de vérité ou la véracité dont parle saint Thomas (2a 2æ, quest. 109).), cependant selon qu’on y ajoute une autre espèce de bien, elle commence à appartenir à une autre vertu. C’est pourquoi Aristote dit (Eth., liv. 4, chap. 7) que la confession qu’on fait judiciairement n’appartient pas à la vertu de vérité, mais plutôt à la justice. De même la confession des bienfaits de Dieu qui se fait en célébrant les louanges divines n’appartient pas à la vertu de vérité, mais à la vertu de latrie. Pareillement la confession des péchés qui a pour but leur rémission, n’appartient pas à la vertu de la vérité d’une manière élicite (C’est-à-dire elle n’est pas immédiatement l’acte de la vertu de vérité, mais de la vertu de pénitence, parce qu’elle a immédiatement pour but l’objet de la pénitence elle-même, qui est la rémission des péchés.), comme quelques-uns le disent, mais à la vertu de pénitence. Toutefois, elle peut appartenir, comme étant commandée, à une foule de vertus, selon que l’acte de la confession peut être rapporté à la fin d’une multitude de vertus différentes (Ainsi elle peut se rapporter ou à la justice ou à la reconnaissance des bienfaits, ou à la vérité ou à l’espérance du pardon.).

          La réponse à la cinquième objection est évidente d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.)

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.