Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 17 : De la puissance des clefs
Nous
devons ensuite nous occuper de la puissance des ministres du sacrement de
pénitence ; cette puissance appartient aux clefs. A cet égard nous devons nous
occuper : 1° des clefs ; 2° de l’excommunication ; 3° des indulgences. Car ces
deux dernières choses sont annexées à la puissance des clefs. Sur les clefs
elles-mêmes il y a quatre considérations à faire. Nous examinerons : 1° leur
existence, leur nature et leur usage ; 2° leur effet ; 3° les ministres des
clefs ; 4° ceux sur lesquels peut s’exercer l’usage de ce pouvoir. Sur
l’existence et la nature des clefs il y a trois questions à résoudre : 1° Les
clefs doivent-elles être dans l’Eglise ? (Dans cet article, saint Thomas
explique ces paroles que le Chris a adressées à Pierre : Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que vous
aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié
sur la terre sera délié dans le ciel (Matth., 16,
19).) — 2° Les clefs consistent-elles dans le pouvoir de lier et de délier ?
(Cet article est une réfutation de l’erreur des hérétiques, qui prétendent que
les clefs n’ont été données à l’Eglise que pour délier et non pour lier ; ce
que le concile de Trente a ainsi condamné : Si
quis dixerit claves Ecclesiæ esse datas tantùm ad solvendum, non etiam ad ligandum, et propterea sacerdotes, dum imponunt pœnas confitentibus, agere contra finem clavium et contra institutionem Christi… anathema sit (sess. 4, can.
15).) — 3° Y a-t-il deux clefs ou s’il n’y en a qu’une seule ? (Saint Thmas distingue deux clefs : celle de la science et celle
de la puissance. La clef dans la science consiste dans l’autorité nécessaire
pour examiner la conscience du pécheur et pour l’interroger de telle sorte
qu’il soit tenu de répondre ; la clef de la puissance est la faculté de porter
la sentence sur les péchés qu’on a entendus.)
Article
1 : Les clefs doivent-elles exister dans l’Eglise ?
Objection
N°1. Il semble que les clefs ne doivent pas exister dans l’Eglise. Car on ne
demande pas de clefs pour entrer dans une maison dont la porte est ouverte. Or,
il est dit (Apoc., 4, 1) : J’eus une vision et une porte s’ouvrit dans le ciel. Cette porte
est le Christ qui dit de lui-même (Jean, 10, 7) : Je suis la porte. Donc pour entrer au ciel l’Eglise n’a pas besoin
de clefs.
Réponse
à l’objection N°1 : La porte du ciel, pour ce qui est d’elle, est toujours
ouverte ; mais on dit qu’elle est fermée à certaines personnes à cause de
l’obstacle qui se trouve en elles et qui les empêche d’y entrer. L’obstacle qui
résultait du péché du premier homme et qui arrêtait toute la nature humaine a
été écarté par la passion du Christ. C’est pour cela qu’après la passion saint
Jean a vu dans le ciel la porte ouverte. Cependant tous les jours elle reste
encore fermée à quelqu’un à cause du péché originel qu’il a contracté à cause
du péché actuel qu’il a commis (C’est ce que le concile de Trente a exprimé
ainsi (sess. 6, chap. 3) : Verùm, etsi Christus pro omnibus mortuus
est, non omnes tamen mortis ejus beneficiunt
recipinut : sed ei duntaxat, quibus
meritum passionis ejus communicatur.), et c’est
pour cela que nous avons besoin des sacrements et des clefs de l’Eglise.
Objection
N°2. La clef sert à ouvrir et à fermer. Or, cette fonction n’appartient qu’au
Christ qui ouvre sans que personne ferme
et qui ferme sans que personne ouvre (Apoc., 3, 7). L’Eglise ne possède donc pas
les clefs par ses ministres.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce passage s’entend de l’acte par lequel le Christ a fermé
les limbes de manière que personne d’y descende plus désormais, et de l’acte
par lequel il a ouvert le ciel, en écartant par sa mission l’empêchement de
nature qui nous le fermait.
Objection
N°3. L’enfer pour celui auquel le ciel est fermé et réciproquement. Donc celui
qui a les clefs du ciel a celles de l’enfer. Or, on ne dit pas que l’Eglise a
les clefs de l’enfer ; elle n’a donc pas non plus celles du ciel.
Réponse
à l’objection N°3 : La clef de l’enfer par laquelle on ouvre et on ferme est le
pouvoir de conférer la grâce par laquelle on ouvre à l’homme l’enfer pour qu’il
sorte du péché qui est la porte de l’enfer, et on la ferme de manière que
l’homme soutenu par la grâce ne tombe plus dans le péché. Mais la puissance de
conférer la grâce n’appartient qu’à Dieu, et c’est pour cela qu’il a retenu
pour lui seul la clef de l’enfer. La clef de l’enfer est encore de pouvoir de
remettre la peine temporelle qui reste due après que le péché est pardonné et
qui empêche d’entrer dans le ciel. C’est pourquoi la clef du ciel peut être
donnée à l’homme plutôt que la clef de l’enfer ; car elles ne sont pas une même
chose, comme on le voit d’après ce que nous venons de dire (hic sup.). Car on
est tiré de l’enfer par la rémission de la peine éternelle, sans être
immédiatement introduit dans le ciel à cause de la peine temporelle qui reste à
expier. — Ou bien il faut dire que la clef de l’enfer est la même que celle du
ciel, parce que par là même qu’on ouvre l’un on ferme l’autre ; mais elle tire
son nom de sa fonction la plus noble.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Matth., 16, 19) : Je vous donnerai les clefs du royaume des
cieux.
Tout
dispensateur doit avoir les clefs des choses qu’il dispense. Or, les ministres
de l’Eglise sont les dispensateurs des divins mystères, comme le dit saint Paul
(1 Cor., chap. 4). Donc ils doivent
en avoir les clefs.
Conclusion
Le Christ ayant eu les clefs du royaume des cieux, c’est-à-dire le pouvoir
d’ouvrir et de fermer le royaume des cieux, il a pu les donner à l’Eglise ; et
il les lui a données en effet, puisque pendant son sommeil sur la croix il est
sorti de son côté les sacrements qui ont formé l’Eglise.
Il
faut répondre que dans les choses corporelles on donne le nom de clef à un
instrument avec lequel on ouvre une porte. Or, l’entrée du ciel nous est fermée
par le péché et quant à la tache, et quant à la peine qu’il mérite. C’est
pourquoi la puissance par laquelle on enlève cet obstacle reçoit le nom de
clef. Cette puissance existe d’autorité dans la Trinité divine, et c’est pour
cela qu’il y en a qui disent qu’elle a la clef
d’autorité. Elle a existé aussi dans le Christ comme homme-Dieu
pour éloigner l’obstacle du péché par le mérite de sa passion, dont il est dit
aussi qu’elle a ouvert la porte du ciel. C’est pour ce motif qu’il y en a qui disent qu’il a les clefs d’excellence. Mais comme pendant
son sommeil sur la croix il est sorti de son côté les sacrements par lesquels
l’Eglise est formée, il s’ensuit que l’efficacité de sa passion subsiste dans
les sacrements de l’Eglise. C’est pour cela que les ministres de l’Eglise, qui
sont les dispensateurs des sacrements, ont reçu le pouvoir d’écarter cet
obstacle, non par leur vertu propre, mais par la vertu divine et par celle de
la passion du Christ. Cette puissance est appelée par métaphore la clef de
l’Eglise, ou la clef du ministère (Ces paroles ont en elles-mêmes une
signification plus large. D’après le concile de Florence, le Christ s’est
proposé de donner à saint Pierre, plenam potestatem pascendi, regendi et gubernandi universalem Ecclesiam ; mais
saint Thomas les restreint au pouvoir de remettre les péchés, d’après le Maître
des sentences qu’il expliquait.).
Article
2 : La clef est-elle la puissance de lier et de délier ?
Objection
N°1. Il semble que la clef ne soit pas le pouvoir de lier et de délier par
lequel le juge ecclésiastique doit recevoir dans le royaume ceux qui en sont
dignes ou en exclure les indignes, selon l’expression du maître des sentences
(4, dist. 18), et d’après la glose (ord. sup. illud :
Tibi dabo claves)
de saint Jérôme sur saint Matthieu, chap. 16. Car la puissance spirituelle
conférée dans le sacrement est la même chose que le caractère. Or, la clef est
le caractère ne paraissent pas une même chose ; parce que le caractère met
l’homme en rapport avec Dieu, tandis que les clefs le mettent en rapport avec
ses subordonnés. La clef n’est donc pas la puissance.
Réponse
à l’objection N°1 : La même puissance se rapporte à deux choses dont l’une est
cause de l’autre, comme dans le feu la chaleur sert à échauffer et à dissoudre.
Comme toute grâce et toute rémission vient dans le corps mystique par son chef,
il s’ensuit que la puissance par laquelle le prêtre peut consacrer est
essentiellement la même que celle par laquelle il peut lier et délier, s’il a
la juridiction. Elle ne différer que rationnellement selon qu’elle se rapporte
à des effets divers, comme on dit que le feu échauffe et liquéfie sous des
rapports différents. Et parce que le caractère de l’ordre sacerdotal n’est rien
autre chose que la puissance d’exercer la fonction à laquelle cet ordre est
principalement destiné (en soutenant que c’est la même chose que la puissance
spirituelle), il en résulte que le caractère et le pouvoir de consacrer ainsi
que la puissance des clefs sont essentiellement une seule et même chose, mais
qu’elles diffèrent rationnellement.
Objection
N°2. On n’appelle juge ecclésiastique que celui qui a la juridiction qui ne se
donne pas simultanément avec l’ordre. Or, les clefs sont conférées lorsqu’on
reçoit l’ordre. On n’aurait donc pas dû faire mention du juge ecclésiastique
dans la définition des clefs.
Réponse
à l’objection N°2 : Toute la puissance spirituelle est donnée avant la
consécration. C’est pourquoi la clef se donne avec l’ordre, mais l’exécution de
la clef demande une matière légitime qui est un peuple soumis par la
juridiction. C’est pourquoi avant d’avoir la juridiction, on a les clefs, mais
on n’en a pas l’acte ou l’usage. Et parce que la clef se définit par l’acte, on
fait entrer pour ce motif dans sa définition quelque chose qui appartient à la
juridiction.
Objection
N°3. A l’égard de ce qu’on a de soi-même, on n’a pas besoin d’une puissance
active pour passer à l’acte. Or, par là même qu’on est digne du royaume des
cieux on y est admis. Il n’appartient donc pas à la puissance des clefs d’y
admettre ceux qui en sont dignes.
Réponse
à l’objection N°3 : On peut être digne d’une chose de deux manières : ou on
peut avoir le droit de l’obtenir, de la sorte tous ceux qui en sont dignes ont
déjà le ciel ouvert ; ou bien il peut être convenable qu’on la reçoive ; ce
sont ceux qui sont ainsi dignes du ciel et auxquels il n’est pas encore
totalement ouvert que le pouvoir des clefs reçoit (C’est ainsi que l’attrition,
qui ne pourrait pas par elle-même justifie le pécheur, le justifie une fois
qu’elle est jointe au sacrement de pénitence. Voyez le concile de Trente (sess.
14, chap. 4).).
Objection
N°4. Les pécheurs sont indignes du ciel. Or, l’Eglise prie pour eux pour qu’ils
y parviennent. Elle n’en exclut donc pas les indignes, mais elle les y admet
plutôt autant qu’il est en elle.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme Dieu endurcit on en pervertissant le cœur du pécheur,
mais en ne conférant pas sa grâce ; de même on dit que le prêtre l’exclut, non
en l’empêchant d’y entrer, mais en ne détournant pas l’obstacle qu’il y a mis
lui-même, parce qu’il ne peut le détourner si Dieu ne l’a pas auparavant
détourné lui-même (Le prêtre n’est que cause instrumentale dans la rémission
des péchés, et il ne peut les remettre si le pénitent n’est pas convenablement
disposé et si Dieu ne ratifie pas ainsi l’absolution extérieure qu’il lui
donne.). C’est pour cela qu’on prie Dieu de l’absoudre afin que l’absolution du
prêtre soit ainsi applicable.
Objection
N°5. Dans tous les agents qui sont subordonnés, la fin
dernière appartient à l’agent principal, et non à l’agent instrumental. Or,
Dieu est l’agent principal relativement au salut de l’homme. Il lui appartient
donc de l’admettre dans le ciel, ce qui est sa fin
dernière, et cela n’appartient pas à celui qui a les clefs et qui est comme son
instrument ou son ministre.
Réponse
à l’objection N°5 : Le prêtre n’agit pas immédiatement sur le ciel, mais sur
les sacrements par lesquels l’homme arrive au ciel.
Conclusion
Le ciel ayant été ouvert par la personne du Christ, non d’une manière absolue,
mais suivant que le méritent ou que ne le méritent pas ceux auxquels il est
fermé ou ouvert, on dit que la clef est la puissance de lier et de délier.
Il
faut répondre que d’après Aristote (De an., liv. 2, text. 33) les puissances se définissent par les actes.
Ainsi, la clef étant une puissance, il faut qu’on la définisse par son acte ou
par l’usage qu’on en fait, et que dans l’acte on exprime l’objet d’où l’acte
tire son espèce et sa manière d’agir, pour qu’on voie si sa puissance est
convenablement ordonnée. Or, l’acte de la puissance spirituelle ne consiste pas
à ouvrir le ciel d’une manière absolue, parce qu’il l’est déjà, comme nous l’avons
dit (art. préc., Réponse N°1), mais il consiste à l’ouvrir par rapport à
tel ou tel individu, ce qui ne peut se faire convenablement qu’autant qu’on a
examiné la dignité de celui auquel on doit l’ouvrir. C’est pour cela que dans
cette définition de la clef on met le genre, qui est la puissance, le sujet de la puissance, c’est le juge ecclésiastique, l’acte qui consiste à exclure et à recevoir,
selon les deux actes matériels de la clef qui sont d’ouvrir et de fermer. On
désigne son objet en parlant du ciel,
et on indique le mode en disant ceux qui
sont dignes et ceux qui ne le sont pas. Car on pèse la dignité et
l’indignité de ceux sur lesquels ces actes s’exercent.
Article
3 : Y a-t-il deux clefs ou s’il n’y en a qu’une seule ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas deux clefs, mais qu’il n’y en ait qu’une
seule. Car il ne faut qu’une seule clef pour une seule serrure. Or, la serrure
que les clefs de l’Eglise doivent ouvrir c’est le péché. L’Eglise
n’a donc pas besoin de deux clefs contre le péché.
Réponse
à l’objection N°1 : Il n’y a qu’une clef qui soit immédiatement destinée à
ouvrir une même serrure ; mais il ne répugne pas qu’il y en ait une autre qui
soit destinée à faire fonctionner cette dernière. Et c’est précisément ce que
nous établissons. Car la seconde clef, qu’on appelle le pouvoir de lier et de
délier, est celle qui ouvre immédiatement la serrure du péché, tandis que la
clef qu’on appelle la science montre à qui on doit ouvrir.
Objection
N°2. On confère les clefs en conférant l’ordre. Or, la science n’est pas
toujours infuse, mais elle est quelquefois acquise ; tous ceux qui sont
ordonnés ne la possèdent pas, et il y en a qui ne sont pas ordonnés et qui la
possèdent. La science n’est donc pas la clef, et par conséquent il n’y a qu’une
clef, c’est la puissance judiciaire.
Réponse
à l’objection N°2 : A l’égard de la clef de la science il y a deux opinions
différentes. En effet il y en a qui ont dit que la
science, considérée comme une habitude acquise ou infuse, reçoit le nom de
clef, mais qu’elle n’est pas la clef principale ; elle n’est clef que par
rapport à l’autre clef. C’est pourquoi quand elle existe sans l’autre clef,
comme dans un savant qui n’est pas prêtre, on ne lui donne pas ce nom. Quoique
quelquefois les prêtres n’aient pas cette clef, parce qu’ils n’ont ni la
science acquise, ni la science infuse dont on a besoin pour pouvoir absoudre et
lier ; cependant ils font quelquefois usage du bon sens naturel qui, d’après
eux, reçoit le nom de clavicule ou de
petite clef. Ainsi quoiqu’on ne reçoive pas la science avec l’ordre, cependant
l’ordre fait une clef de ce qui n’en était pas une auparavant. Ce sentiment
paraît avoir été celui du Maître des sentences (4, dist. 19). Mais il ne semble
pas s’accorder avec les paroles de l’Evangile qui promettent à Pierre les clefs
(Matth., chap. 16), de telle sorte que dans l’ordre
on n’en reçoit pas seulement une, mais deux. — C’est pour ce motif qu’il y a
une autre opinion d’après laquelle on appelle clef, non l’habitude de la
science, mais l’autorité d’en exercer l’acte. Quelquefois cette autorité existe
sans la science elle-même, et d’autres fois la science existe sans elle, comme
on le voit dans les tribunaux séculiers. Car il y a
des juges séculiers qui ont l’autorité de juger et qui n’ont pas la science du
droit, et il y a au contraire des hommes qui ont la science du droit sans avoir
l’autorité de juger. Et parce que l’acte du jugement auquel on est obligé
d’après l’autorité qu’on a reçue, mais non d’après la science qu’on a, ne peut
bien se faire sans l’une et l’autre, il s’ensuit qu’on ne peut recevoir sans
péché, quand on n’a pas la science, l’autorité de juger qui est la clef de la
science, tandis qu’on peut avoir sans péché la science sans l’autorité.
Objection
N°3. La puissance qu’a le prêtre sur le corps mystique du Christ dépend de la
puissance qu’il a sur son corps véritable. Or, la puissance de consacrer le
vrai corps du Christ est une, et par conséquent la puissance qui se rapporte au
corps mystique est une aussi. Comme cette puissance est la clef, il n’y a donc
qu’une clef.
Réponse
à l’objection N°3 : La puissance de consacrer se rapporte à un seul acte d’un
autre genre ; c’est pourquoi on ne la compte pas avec les clefs et elle n’en
augmente pas le nombre, comme le pouvoir des clefs qui se rapporte à des actes
divers (Si l’on embrassait universellement tous les actes d’autorité que
l’Eglise a, on devrait distinguer, d’après Sylvius, six clefs : 1° le pouvoir
d’ordre ; 2° la clef de la science ; 3° la puissance de juridiction au for de
la pénitence ; 4° la puissance de juridiction au for extérieur ; 5° la
puissance de faire des lois ; 6° le pouvoir de décider les questions
dogmatiques ou morales qui sont douteuses ; mais ces deux dernières rentrent
dans la quatrième.), quoiqu’il soit un selon l’essence de la puissance ou de
l’autorité, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°4. Mais au contraire. Il semble qu’il y ait plus de deux clefs. Car comme on
requiert pour que l’homme agisse la science et la puissance, de même aussi la
volonté. or, on considère comme une clef la science
qui discerne ainsi que la puissance qui juge. On doit donc aussi appeler de
même la volonté d’absoudre.
Réponse
à l’objection N°4 : Il est libre à chacun de vouloir. C’est pour ce motif qu’on
n’exige pas l’autorité pour vouloir, et qu’on ne fait pas la volonté d’une
clef.
Objection
N°5. La Trinité entière remet le péché. Or, le prêtre est par les clefs le
ministre de la rémission des péchés. Il doit donc avoir trois clefs pour figurer
les trois personnes divines.
Réponse
à l’objection N°5 : La Trinité entière remet les péchés de la même manière
qu’une seule personne. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que le prêtre qui
est le ministre de la Trinité ait trois clefs ; surtout puisque la volonté qui
est appropriée à l’Esprit-Saint ne requiert pas une
clef, comme nous venons de le dire (Réponse N°4).
Conclusion
L’acte des clefs exigeant que celui qui en est l’objet soit bien disposés, on
dit qu’il y a deux sortes de clefs : l’une qui sert à juger des dispositions de
celui qui doit être absous et qu’on appelle la science de discernement, l’autre
qui appartient à l’absolution elle-même et qu’on appelle la puissance de juger.
Il
faut répondre que dans tout acte qui requiert de bonnes dispositions dans celui
qui le reçoit, il y a deux choses nécessaires à celui qui doit exercer cet acte
; il faut qu’il juge de la capacité de celui qui le reçoit et qu’il accomplisse
l’acte. C’est pourquoi dans l’acte de la justice par lequel on rend à quelqu’un
ce qu’il mérite, il faut qu’il y ait un jugement d’après lequel on discerne
s’il est digne qu’on lui rende ce qu’il réclame, et on exige pour ces deux
choses une certaine autorité ou une puissance. Car nous ne pouvons donner que
ce que nous avons en notre pouvoir, et on ne peut prononcer un jugement
qu’autant qu’on a la force coactive, parce que le jugement est déterminé ou
arrêté à une seule chose. En matière spéculative cette détermination se fait
par la vertu des premiers principes auxquels on ne peut résister, mais dans les
choses pratiques elle se fait par la puissance impérative qui se trouve dans
celui qui juge. Et comme l’acte des clefs exige de bonnes dispositions dans
celui sur lequel on l’exerce, puisque par les clefs le juge ecclésiastique
reçoit ceux qui sont dignes et exclut ceux qui sont indignes, comme on le voit
d’après la définition précédente (art. préc., Objection N°1), il s’ensuit qu’il a besoin du jugement de
discernement pour constater s’il est capable de recevoir cet acte, et pour ces
deux choses il faut une certaine autorité ou une certaine puissance. D’après
cela on distingue deux clefs, dont l’une se rapporte au jugement que l’on doit
prononcer sur la capacité de celui qui doit être absous et dont l’autre se
rapporte à l’absolution elle-même. Ces deux clefs ne se distinguent pas pour
l’essence de l’autorité (Ces deux clefs ne sont rien autre chose que le
caractère sacerdotal d’après lequel le prêtre a le pouvoir de conférer le
sacrement de pénitence.), puisque l’une et l’autre lui appartiennent par devoir
; mais elles se distinguent par rapport à leurs actes dont l’un présuppose
l’autre.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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